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Full text of "Histoire des conciles d'après les documents originaux"

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SEP 


4 

197'» 


L161—H41 


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HISTOIRE 

DES  CONCILES 

d'après 

LES    DOCUMENTS    ORIGINAUX 

PAR 

Chaules-Joseph    HEFELE 

DOCTEUR    IN    PHIL080PBIK    KT    BIf    THÉOLOGIE,    éVËQUB    DB    ROTTBNBOURG 

NOUVELLE  TRADUCTION    FRANÇAISE   FAITE   SUR  LA   DEUXIÈME  ÉDITION   ALLEMANDE 
CORRIGÉE    ET    AUGMENTÉE    DE  NOTES  CRITIQUES    ET    BIBLIOGRAPHIQUES 


PAR 


DoM  H.  LECLERCQ 

BÉNÉDICTIN    DE    L'ABBAYE    DE    FARNBOROUGH 


TOME  V 

DEUXIÈME    PARTIE 


PARIS 
LETOUZEY    ET    ANÉ,    EDITEURS 

76»'»,    RUE    DES     SAINTS. PÈRES 

1913 


HISTOIRE   DES    CONCILES 


TOME  V 
DEUXIÈME      PARTIE 


HISTOIRE 


DES  CONCILES 


D  APRES 


L1-:S    DOCUMENTS    OKIGINAUX 

PAR 

Chaiilks-.Ioski'h    h  EF  EEE 

DOCTEUR    EN    PHILOSOPHIE     ET    EN    THÉOLOGIE,     éVÊQUB     DE    ROTTENBOURG 

NOUVELLK   TRADUCTION    FRANÇAISE    FAITE   SUR   LA    DEUXIÈME  ÉDITION    ALLEMANDE 
CORRIGÉE    ET    AUGMENTÉE    DE   NOTES   CRITIQUES    ET     BIBLIOGRAPHIQUES 


PAR 


.l)«.M   11.   EECLERCQ 


BÉNÉDICTIN     DE    L  ABBAYE    DE     FARNBOROUGH 


TOME  V 
DEUXIÈME    PARTIE 


PAlilS 

LETOUZEY    ET     A  NÉ,    ED  El  EU  II  S 

7C"i«,     RUK    DKS     SAINTS. PKRK 

1  !J  1  3 


NIHIL    OBSTAT 

F.  Gabrol 


Imprimatur  : 
Parisiis,  die  18  januarii  1912. 

H.   Odelin, 

V.      G. 


r  '^^.^ori. 


V.  S^ 


LIVRE   TRENTE-QUATRIÈME 

CONCILES  DE  1152  A  1198 


619.  L'empereur  Frédéric  I^'^'  et  le  pape  Hadrien  IV. 

Conrad  111,  roi  d'Alleniaoïic,  iiiuai'ul  sul)iLeiiient  à  Bam- 
berg  le  16  février  1152,  à  Fàgc  de  cinquante-huit  ans  ^.  Depuis 
son  retour  de  Palestine,  il  projetait  d'aller  ceindre  en  Italie 
la  couronne  impériale  ;  mais  une  longue  maladie  et  ses  luttes 
avec  Welf  VI  de  Bavière  et  le  duc  de  Saxe,  Henri  le  Lion, 
l'en  avaient    empêché  ^,  et   la  dernière    prouesse  du  premier  des 

1.  W.  Bernhardi.,  Koiirad  III,  1138-1152,  in-8,  Leipzig,  1883;  Damberger, 
Synchronistische  Geschichte,  1855,  t.  viii,  p.  245-468,  Kritische  Hejt,  p.  25-51  ; 
P.  Jaffé,  Geschichte  des  deutschen  Reiches  unter  Conrad  III,  in-8,  Hanuover, 
1845:  Rudhart,  Des  Konigs  Konrad  III  Grahstàtte  im  Dôme  zu  Bamherg.  dans 
Archw  Oberfrdnk  Gesch.-AUerth. ,  lSi6,  t.  m,  part.  2,  p.  101.  La  mort  de  Conrad 
survenait  avec  tant  d'à-propos  pour  Roger  de  Sicile  que  celui-ci  fut  accusé,  sans 
preuves  d'ailleurs,  d'avoir  fait  empoisoiuier  l'empereur.  Cf.  Otton  de  Freisin- 
gen,  Gesta,  1.  I,  c.  i.xiii,  dans  Monuni.  Genn.hist.,  Script.,  t.  xx,  p.  389.  (H.  L.) 

2.  Watterich,  T'j7.r  pontificum  romanorum,  t.  ii,  p.  310  sq.  Les  villes  italien- 
nes n'avaient  pas  manqué  de  profiter  du  séjour  de  Conrad  III  en  Palestine 
;^our  consolider  leur  gouvernement  populaire  :  quelques  cités  envoyèrent  un 
faible  contingent  à  la  croisade,  mais  ces  «  enfants-perdus  »,  sur  lesquels  d'ailleurs 
on  pouvait  peu  compter,  n'enlevaient  guère  au  noyau  entreprenant  qui  denimi- 
rait  dans  chaque  ville,  beaucoup  plus  intéressé  à  la  grandeur  et  à  la  liberté 
de  celle-ci  qu'à  la  possession  de  Jérusalem.  Les  cités  ne  se  préoccupaient  pas 
d'exolisme,  toulc  leur  passion  était  locale,  elle  se  tournait  coiilii-  les  villes  voi- 
sines et  contre  la  noblesse,  pour  laquelle  la  boiu'geoisie  éprouva  dès  lors  une 
haine  très  vive.  Indépendamment  de  ces  discussions  intestines,  deux  grandes 
factions  politiques  s'étaient  formées  en  regard  de  celles  de  l'Allemagne,  dont 
elles  finirent  par  adopter  les  dénominations.  Mais,  pour  éviter  toute  obscu- 
rité, hâtons-nous  d'ajouter  qu'il  n'y  eut  jamais  entre  elles  d'autre  ressemblance 
que  la  communauté  du  nom.  Nous  verrons  dans  un  in>tant  qu'en  Allemagne 
la  lutte  des  partis  avait  pour  cause  réelle  l'hérédité  de  la  couronne  impériale 
poursuivie    par  les  gibelins,    traversée   par   les   guelfes.    En    Italie,    il   s'agissait 

C0NciLi:s  -  V    -    :,  i 

I 000366 


850  LIVRE    XXXIV 

Iloheiistaufen  fui  de  fuir  devant  Henri  le  Lion.  L'éclatdontrempire 
avait  joui  sous  Lolhaire  était  fort  amoindri^;  aussi  Conrad,  pour 
ménager  des  jours  meilleurs,  reeommanda  aux  électeurs  de  lui  don* 
ner  pour  successeur,  non  son  second  fils,  encore  mineur  (l'aînéHenri 
était  mort  en  1150),  mais  son  neveu  Frédéric,  ducdeSouabe^;celui- 

de  tout  autre  chose  :  l'ancienne  haine  des  vaincus  pour  les  vainqueurs  se  ré- 
veillait, et  aucune  transaction  duiable  n'était  possible,  parce  qu'une  fusion 
complète  et  sans  arrière-pensée  entre  Italiens  et  Allemands  était  chose  im- 
possible. Dans  les  troubles  civils  de  cette  époque^  la  question  de  nationalité 
est  capitale^  tous  les  intérêts  secondaires  viennent  se  grouper  autour  d'elle  et 
la  renforcer.  Le  pape  et  l'empereur  sont  un  Allemand  et  un  Italien  aux  prises 
pour  l'enjeu  qu'est  l'établissement  d'une  souveraineté  directe  et  indépendante, 
forte  et  durable;  le  premier  fait  appel  au  principe  démocratique  et  lui  révèle 
son  rôle,  son  rang  et  sa  destinée  en  politique,  le  second  pèse  au  nom  de 
l'aristocratie  militaire  dont  il  est  l'élu.  L'empereur  et  le  pape  pourront,  à  cer- 
tains moments,  soutenir  un  intérêt  ou  venger  une  querelle  personnelle,  le  parti 
sur  lequel  l'un  et  l'autre  s'appuie  représente  un  principe  national.  En  Italie^  les 
gibelins  soutiennent  le  régime  en  vigueur  et  prônent  l'union  de  l'Italie  et  de  l'Al- 
lemagne sous  le  gouvernement  impérial  ;  les  guelfes  réclament  pour  chaque  ville 
l'afïranchissoment  complet  et  la  dislocation  de  ce  siiueletle  qu'on  s'obstinait 
à  qualiiier  du  nom  d'empire  romain.  (H.  L.) 

1.  Jafîé,  op.  cit.,  p.  207  sq.  ;  Giesebrecht,  Geschichle  der  deulschen  Kaiserzeil, 
Braunschweig,  1877,  t.  iv,  p.  361  ;  W.  Bernhardi,  Konrad  III,  p.  927  sq.  ; 
Henry  Simonsfeld,  dans  Jalirbucher  des  deulschen  Reiches  unter  Friedrich  I, 
in-8,  Leipzig,  1908,  p.  3.  Cf.  Aiuiales  Colonienses,  ad  ann.  1152,  dans  Monum. 
Genn.  hisior.,  Scriplores,  t.  xvit,  p.  764  :  Erat  [Conradus]  vir  niililari  virlute 
strenuus  et  quod  regern  decuit,  valde  animosus,  sed  quodain  infortunio  res  publica 
sub  eo  labefactari  ceperat.  (H.  L.) 

2.  Frédéric  I"  Barberousse  [JEnobarbus] ,  né  à  Waiblingen  en  1121  (ou  1123), 
fils  de  Frédéric  II,  duc  de  Souabe,  et  de  Judith  (ou  Jutte),  de  la  famille  de  Welf  ; 
porta  d'abord  le  litre  de  Frédéric  III  de  Souabe  et  d'Alsace  à  partir  du  début 
de  1147,  croisé  en  mai,  élu  roi  des  Romains  le  4,  et  non  le  5  mars  1152,  couronné 
le  9  à  Aix-la-Chapelle,  couronné  roi  d'Italie  à  Pavie  le  17  avril  1155,  empereur 
sous  le  nom  de  Frédéric  P',  couronné  à  Saint-Pierre  de  Rome  le  18  juin  1156  ; 
couronné,  à  Arles,  roi  d'Arles  le  30  juillet  1178,  croisé  en  1188  ;  noyé  dans  le 
Cydnus  le  10  juin  1190.  Otton  de  Freisingen,  Gesla  Frider.,  1.  I,  c.  lxii,  dans 
Monum.  Genn.  histor.,  Script.,  i.  xx,  p.  389  ;  Chronicon  Urspergense,  dans 
Monum.  Genn.  hist.,  Script.,  t.  xxiii,  p.  344  ;  Chron.  reg.  Colon.,  édit.  clas- 
sique, p.  88  ;  Wibald,  Epist.  ad  Eugeniiun  III,  dans  .lafïé,  Bibliotliecn  rerum 
Germaii.,  t.  i,  n.  375,  p.  505  :  Princeps  noster  (Fridcricus  I)  nondum  ut  credimus 
annorum  triginta,  fuit  anlehac  ingenio  acer,  consilio  promptus,  belle  felix,  rerum 
arduarum  et  glorise  appetcns,  injuriœ  oinitino  impatiens,  afjabilis  ac  liberalis, 
et  splendide  disertus  juxla  gentile  idioma  linguse  suse.  Cf.  Rairewin,  de  Freisin- 
gen, Gesta  Frederici,  IV,  lxxvi,  dans  Monum. Germ.  histor.,  Script.,  t.  xx,  p.  490. 
Sur  l'éducation,  l'adolescence  et  les  premiers  faits  d'armes,  voir  Otton  de  Frei- 
singen,  Gesta  Friderici,  I,  xxvi  sq.  ;  H.  Simonsfeld,  Jahrbiicher  des  deutschen 


Gl'J.     FRÉDÉRIC    l'-"''    ET   LE  PAI'E   11  ADRIEN    IV  851 

ci,  eu  L'U'el,  fut  élu  à  ruuaiiiinilé,  chose  rare,  le  [5]  mars  1152,  à 
Francfort,  et  couronné  le  9  à  Aix-la-Chapelle.  Ou  altendait  du  nou- 
veau loi,  au  dehors,  le  relèvement  de  l'honneur  et  de  la  dignité 
de  la  nation  allemande,  au  dedans,  le  rétablissement  de  l'ordre  ; 


Reiches  unter  Friedrich   I,  Leipzig:,   1908,   p.   35   sq.  ;   Giesebrecht,     Geschichte 
der  deiit.scfien  Kaiserzeif,  t.  iv.  p.  207  sfj. 

J.  Adclphus,  Eiiie  waJirlia/Jtige  Beschreibung  des  Lehens  und  der  geachichlen 
kaiser  Friderich's  I  geiiannl  Barbarossa,  in-'i,  Schafîhausen,  1520;  in-4,  Frank- 
furt.  1525  ;  in-fol..  Strassburg,  1530,  1535;  Alexandev  III  uud  Friedrich  I  zii 
Venedig,  dans  Historische  politisclie  Blàtter  kathol.  Deuischl.,  1844,  t.  xiii,  p,  45- 
5G  ;  J.-D.  Artopaens,  Nuni  Alexander  III  Fridericum  Barbarossam  pedibus 
calcaverit  ?  Dissertaiio,  in-4,  Lipsia»,  1671  ;  C.  Bartoli,  La  vita  di  Federigo  Bar- 
barossa, imperatore  romano,  in-8,  Firenze,  1559  :  in-4,  Venezia,  1567;  in-4, 
Firenze,  1586  ;  in-4,  Venezia,  1607  ;  in-lG,  Milano,  1819  ;  con  note  di  Giov. 
Batt.  de  Cristoforis,  in-8,  Milano,  1829  ;  Basnage,  Thés,  monum.,  1725,  t.  m, 
pari.  2,  p.  498  ;  F.  Bertolini,  Sulla  parte  che  ebbe  la  Boemia  nelle  guerre  delV 
iiiiperalure  Federico  I  in  Italia  :  docurnenlo  piihlicato  in  Germania,  dans  Arclii'.'io 
slorico  ItuUano,  1868,  IIP  série,  t.  viii  ;  C.  de  Bolanden,  Barberousse  ou  V  Église 
au  xii'^  siècle,  trad.  de  l'alleni.,  in-Ti,  Tournai,  1866  ;  J.  Bourgon,  Sur  Vin- 
flucncedu  séjour  de  l'empereur  Frédéric  Barberousse  en  Franche-Comté,  dans  Mém. 
Acad.  scienc.  Besançon,  1834,  p.  45  ;  H.  Aon  Buenau,  Probe  einer  genauen  und 
unstàndlichen  Teuschen  Kayser-  und  Reiclis- Historié,  oder  Leben  und  Thaten 
Friedrich's  I,  in-4,  Leipzig,  1722:  Chmel,  dans  Sitzungsberichte  d.  Akad.  d- 
Wissensch.,  Wien,  1852,  t.  viii,  p.  435-481  ;  t.  ix,  p.  616-642  ;  Carlo  Cipolla, 
Un  diploma  edito  di  Federico  I  ed  uno  inedilo  di  Federico  II,  trascritti  ed  illus 
trati,  dans  Atti  inslit.  Veneto,  1878-1879,  V^  série,  t.  v  ;  C.  Cipolla,  Frederico 
Barbarossa  a  Vaccaldo  nel  1164,  in-8,  Verona,  1883  ;  F.  Contelori,  Concordiœ 
inler  Alexandrum  III  summ.  pontifie,  et  Fridericum  I  iniperat.  Venetiis  confir- 
mativ  narratio,  in-fol.,  Paris,  1632  ;  C.  Cottafavi,  Di  un  décréta  di  Federico  I 
Barbcu-ossa,  riguardante  la  Lunigiana,  in-8,  Sarzana,  1891  ;  M.  Crusius,  Oratio 
de  imperatore  Barbarossa,  in-4,  Francofurti,  1593  ;  Damberger,  Synchronistische 
Geschichte,  1855-1856,  t.  viii,  p.  675-1032,  Kritikheft,  p.  77-128  ;  t.  ix,  p.  1-210, 
Kritikheft,  p.  1-23  ;  E.  David,  Un  épisode  de  la  III^  croisade,  mort  de  l'empereur 
Frédéric  Barberousse  en  Cilicie,  dans  L'investigateur,  1876,  t.  xlii,  p.  1  sq.  ; 
K.  Dettlolf,  Der  erste  Rômerzug  Kaiser  Friedrich's  I  {1151-1155).  ein  Beilrag 
zur  Reichsgeschichte,  in-8,  GoUiiigen,  1877  ;  G.  Dittmar,  De  fontibus  nonnullis 
historix  Friderici  I  Barbarossse  qusestionum  spécimen.  Dissert,  inaug.,  in-8, 
Regiomonti  Pruss.,  1864;  Anonyme,  Ein  warhafftige  Uistorij  \'on  dem  Kayser 
l'^riderich,  der  ersl  seines  Iraniens,  mit  einem  langen  rolten  Bart,  den  die  Walhen 
nenten  Barbarossa,  derselb  ge^^an  Jérusalem,  und  durch  den  Babst  Alexander 
den  Dritten  Verkuntchafjt  ward  dem  soldanischen  Kônig...,  in-4,  Landshut, 
1519  ;  in-4,  Augsburg,  1519  ;  J.  A.  Fabricius,  Bibliotheca  medii  sévi,  1734, 
t.  n,  p.  615-618  ;  édit.  Harlès,  p.  205-206;  Famin,  dans  Rev.  Soc.  agric.  Agen, 
1872,  IP  série,  t.  ii,  p.  259-280  ;  Federico  Barbarossa,  Pontida  e  Legnano,  me- 
morie  sloriche,  in-16.  Milano,  1876  ;  K.  Fischer,  Geschichte  des  Kreuzzugs  Kaiser 


852  LIVRE    XXXIV 

Friedrichs  I,  in-8^  Leipzig,  1870  ;  L.  Frankel,  Beilràge  zur  Ki/ffJiàusersage  von 
Kaiser  Friedrich,  clans  .4m.  Ur-QuelL,  1894,  t.  v,  p.  9-10  ;  [Fumagalli],  Sopra 
la  spedizione  di  Federigo  I  imperadore  contro  i  Milanesi,  dans  Anlich.  Longob. 
Milan.,  1779,  t.  ii,  p.  1-98;  Ang.  Fuinagalli,  Le  i>icende  di Milano  durante  la  guerra 
cou  Federico  I  imperatore,illuMrate  colle  pcr gameno.  di  que'  tempi  e  con  note,aggiunta 
la  topografta  antica  délia  stessa  citlà,  opéra  critico  diplomatica...  da  monaci  Cis- 
terciesi,  in-4,  Milano,  1778  ;  2^  cdiz.,  arrich.  di  aggiunte  e  nuove  note  per  cura  di 
M.  Fabi,  in-8,  Milano,  1854-1869  ;  F.  Gabotto,  Di  un  récente  lavoro  sulle  rela- 
zioni  fra  Asti  e  Federico  I  e  di  un  nuovo  modo  di  concepire  l'origine  di  Alessandria, 
in-8,  Torino,  1897  ;  Gervais,  Friedrich  Barbarossa,  Ileinrich  der  Lowe  und  die 
deutschen  Filrsteninihren  Verhciltiiissen  zu  einander,  dans  Jahrb.  d.  Gesch.  u. 
Staatsk.,  1839,  t.  i,  p.  321,  405,  481  ;  W.  Giesebrecht,  dans  AUgemeine  deutsche 
Biographie,  1878,  t.  vi,  p.  401-436;  le  même,  iVeue  Gedichte  auf  Kaiser  Fried- 
rich I,  dans  Sitzungsberichle  phil.-hist.  Akad.  Wissensch.,  Munich,  1879,  t.  ii, 
p.  269-289  ;  Sopra  il  poema  recentemente  scoperto  intorno  ail'  imperalore  Federico  I 
lettera,  dans  Arch.  Soc.  rom.  stor.  pair.,  1879-1880,  t.  m,  p.  49-62  ;  Die  Zeit 
Kaiser  Friedrichs  des  Rothbarts.  l.  Neuer  Aufschwang  des  Kaiserthums,  dans 
Geschichte  d.  deutschen  Kaiserzeit,  in-8,  Braunschweig,  1880,  t.  v  ;  Geschichte 
der  deutschen  Kaiserzeit.  V.  Friedrichs  I  Kàmpfe  gegen  Alexander  III,  den  Lom- 
bnrdenbund  und  Ileinrich  der  Lôwen,  in-8,  Leipzig,  1889  ;  A.  Gloria.  Spero- 
nella  a  la  riscossa  de'  Padovani  contro  il  Barbarossa,  cenni  storici,  in-8,  Padova, 
1880  ;  J.  Grimm,  Ueber  das,  was  die  Dichler  des  Mittelalters  von  Friedrich 
Rothhart  berichtet  Itaben,  dans  Monatsber.  preuss.  Akad.  Wissensch.,  Berlin, 
1843,  p.  122-126;  Gedichte  des  Mittelalters  auf  Kônig  Friedrich  I  den  Staufer 
und  ans  seiner  so  wie  der  nachsifolgenden  Zeit,  da.ns  Abhandl.  Akcul.  ^Vissensch. 
1845,  p.  143  sq. ;  Hasse,  [L'élévation  de  Frédéric  I^^],  dans  Histor.  Untersuch. 
Arn.  Schâfer,  1882,  p.  319-335  ;  A.  Hauck,  Friedrich  Barbarossa  als  Kirchen- 
politiker,  in-4,  Leipzig,  1899  ;  J.  Hoffmann,  Dissertatio  hislorica  de  ti/rannica 
ignominia  quam  Friderico  JEnobarbo  intulit  Alexander  III,  in-4,  Witteburgi, 
1661  ;  O.  Holder-Egger,  dans  Neues  Archiv  Ges.  ait.  deutsch.  Geschichte,  1890, 
t.  XVI,  J).  285-287  ;  R.  Holtzmann,  DieWahl  Friedrichs  I  zum  deutschen  Kônig, 
dans  Ilistoriche  Vierteljahrschrift,  1898,  t.  iir  p.  181-203;  F.  W.  Hug,  Die  Kinder 
Friedrich  Barbarossa,  in-8,  Wùrzburg,  1890,  cf.  P.  Schcffer-Boichorst,  dans 
Millheil.  d.  Instit.  iisterr.  Gesch.  forsch.,  1890,  t.  xi,  p.  634-642;  B.  Hundes- 
hagen.  Kaiser  Friedrich  Barbarossa's  Pallast  in  die  Burg  zu  Gelnhausen,  Ur- 
kunde  vom  Adel  der  Hohensfaufen  und  der  Kunstbildung  Huer  Zeit,  in-fol.,  Mainz, 
1819  ;  2^  édit.,  Bonn,  1832  ;  J.  Jastrow,  Die  Wel/enprozesse  und  die  ersten 
Regieruugsjahre  Friedrich  Barbnrossas,  1893,  t.  x.  j).  71-96,  269-322  ; 
Von  Kalilcnberg,  Zur  Geschichte  l'riedrichs  des  Rothbarts,  dans  Hormayr,  Ar- 
chiv, 1818,  n.  133;  O.  l\.ix\\sG\\,  Friedrich  Barbarossa,  die  Glanzzeilz  d.  deutschen 
Kaisertums  im  Miltelallcr,  dans  DeutscJie  Zeit  und  Charaktersbilder,  in-8.  Huile, 
1882  ;  E.  Koch,  Die  Sage  vom  Kaiser  Friedrich  im  Ki/Jhàuser,  iiach  ihrer  nnj- 
tiiischen,  Instorischen  und  poctisch.  nationaleii  Bedcutung  erklàrt,  in-4_  Grimma, 
1880  ;  Die  Sage  von  Kaiser  Friedrich  in  Kifjhàuser  Ueberblick  ilber  die  moderne 
Nibelungendichtung,  die  Waberlohe  in  der  Nibelungendibtung,  in-8,  Leipzig, 
1887  ;  R.  Kochler,  dans  Romania,  1876,  t.  v,  p.  76-81  ;  B.  de  Kohne,  Médaille 
satirique  de  l'empereur  Frédéric  Barberousse  et  de  l'impératrice  Béatrix,  dans 
Revue  numism.  lelge,  1882,  t.  xxxvm,  p.  649;    F.  Kortiim,    Kaiser  Friedrich  I 


610.     FRÉDKRIC     l^""    ET    Î.E   PAPE    HADRIEN    IV  853 

mit  seinen  Freunden  und  Feinden,eiii  geschichtlich''ryersuch,  in-8^  Aarau,  1818; 
A.E.  Kroeger,  dans  TVes/p/vi,  1878-1879,  t.  iv,  p.  25,  119,  302  ;  t.  v,  p.  413  ; 
G.  Krùger,  Friedrich  Barharossa  in  seiner  Beziehitng  zu  Polen,  in-4,  Freiburg, 
1877  ;  A.  Kiihne,  Leipzig.  Sludien  ans  Gehiel  der  Geschichte.  V,  part.  II.  Das 
Herrscherideal  des  Mittelallers  und  Kaiser  Friedrich  der  Erste,  in-8,  Leipzig, 
1899  ;  L.  Liebhard,  Apologia  pro  Friderico  I,  queni  a  romano  pontifice  pedibwi 
conculcatum  esse  nonnulli  scribitnl,  in-4,  Baruthi,  1686  ;  in-4,  Altorf,  1722  ; 
Pio  Marchi,  La  lega  Lomharda  e  Vimperalore  Friderico  II,  in-8,  Pordenone, 
1896;  P.  Masse,  Kaiser  Friedrichs  I  Freihriej  fur  Liibeck  »'o;/i  19  sept.  IISS, 
in-8,  Lûbeck,  1894  ;  H.  F.  Massmann,  Kaiser  Friedricli  in  Kj//]hàustr,  in-8, 
Quedlinburg,  1850  ;  J.-B.  May,  Disquisitio  de  imperatore  Friderico  I  ah 
Alexandro  III  pontifice  pede  non  conculcato.  in-4,  Kiloni,  1701,  1729  ;  Michaud, 
Bihlioth.  des  croisades,  1829,  t.  m,  p.  33-40, 160-184.  F.,  ^lonacï,  Il  Barharossa  e 
Arnaldo  da  Brescia  in  Roma,  seconda  un  aniico  poema  inedito  esistente  nella 
Vaticana,  dans  Arch.  Soc.  romana  stor.  patr.,  1877,  t.  i,  p.  459-474  ;  Monaci, 
Gesia  di  Federico  I  in  Italia,  descritte  in  versi  latini  da  anonimo  contemporaneo , 
ara  puhlicate  seconda  un  ms.  delta  Vaticana,  dans  Fonti  stor.  Italia,  Scritl., 
Roma,  1887,  t.  xii,  1;  R.  Ofterding,  Zur  Kiffjhdusersage  von  Kaiser  Friedrich, 
dans  Am  Vr-Quellen,  1894,  t.  v,  p.  12;  P.  L.,  t.  xcviii,  col.  1361  ;  t.  clxxx,  col. 
1636;  t.  CLxxxviii,  col.  1347,  1356,  1641;  t.  clxxxix,  col.  1397;  t.  cxc, 
col.  1058  ;  t.  cxcvii,  col.  186  ;  t.  ccvii,  col.  497  ;  Monum.  Germ.  hist.,  Leges, 
1837,  t.  II,  part.  1,  p.  89-185,  565-568;  Scriptores,  t.  xviii,  p.  378-381  ; 
t.  XX,  p.  494-496;  t.  xxiii,  p.  384-385  ;  Pez,  Thés,  anecd.  )^o^'iss.,  1729, 
t.  Yi,  part.  1,  p.  407-419  ;  part.  2,  p.  29-30  ;  H.  Prutz,  Sludien  zur  Ge- 
schichte Kaiser  Friedrichs  I,  1152-1158  ;  in-4,  Danizig,  1868;  le  même.  Kaiser 
Friedrich  I,  3  vol.  in-8,  Dantzig,  1871-1874  ;  cf.  F.  Bertolini,  dans  Arch. 
stor.  Ital.,  1875,  IP  série,  t.  xxi,  p.  113-133  ;  Gregorovius,  dans  Nuova 
aniologia,  1874,  t.  xxvi,  p.  927-934;  Kaiser  Friedrichs  I  Grahstàtte,  eine 
kritische  Studie,  in-8,  Dantzig,  1879;  M.  Ranzi,  Frédéric  Barberousse  au 
siège  de  Tortone,  1155,  dans  U investigateur,  1868,  n.  393  ;  F.  de  Reiffen- 
berg,  dans  Bihl.  liter.  Ver.  Stuttgart,  1844,  t.  ix  ;  le  même,  dans  BuU.  Acad. 
Bruxelles,  1843-1844,  t.  x,  p.  377  ;  t.  xi.  p.  43  ;  G.  Remus,  Dissertât io 
qua  commentum  esse  putidum,  calcasse  colhtm  imper.  Friderici  I  Aheuo- 
barbx  cœsaris  Alexandrum  III  pontij.  roman,  ostenditur,  in-4,  Norimbergen, 
\%2ô\  et.  F. X.'MonàftWï,  Se sia  verosimile  che  Alexandro  III  riconciliandosi  con 
Federico  Barharossa,  mettesse  sul  di  lui  collo  un  pede  e  lo  calpestasse,  dans 
Ecclesiast.  dissert.,  1786,  t.  i,  191-224  ;  W.  Ribbcck,  Friedrich  I  und  die 
rômische  Curie  in  den  Jahren  1157-1159.  Untersuchungen  ïiber  dieVorgeschichte 
der  Kirchenspaltung  v.  1159,  in-8,  Leipzig,  1881  ;  C.  L.  Ring,  Kaiser  Friedrich  I 
im  Kampfe  gegen  Papst  Alexander  III,  ein  historischer  Versuch  zur  Aufkld- 
rung  einiger  bisher  bezweijelten  Thatumstcinde  im  Leben  dieser  beiden  um  die 
^Veltherrschaft  strcitcnden  Zeitgenossen,  in-S,  Stuttgart,  1835;  CM.  Ronchetti, 
Forza  e  diritlo,  ossia  papa  Alessandro  III  ed  il  Barbai  ossa,  raconto  storico  del 
sec.  XII,  in-16,  Venezia,  1879  ;  P.  Rotondi,  Milano  e  Frederico  Barharossa, 
storia  narrata  con  note  e  documenti,  in-16,  Milano,  1856,  1866,  1876  ;  Nuovi 
documenti  intorno  aile  pratiche  di  pace  ira  Federico  Barharossa  ed  i  Lombardi, 
dans  Arch.  stor.  Lomhardo,  1877,  t.  iv,  p.  215-249;  cf.  C.  Desimoni,  dans  Arch. 
stor.   ItaL,  1877,    III^    série,  t.   xxvi,    p.    451-460  ;    O.    Rikliger,    Barharossa, 


854  LIVRE    XXXIV 

Freibrief  fiir  Hamhurg  vom  7  mai  1189,  in-8,  Hamburg',  1890  ;  P.  SchefTer- 
Boichorsl^  Kaiser  Friedrichs  I  letzter  Streit  mit  der  Kurie,  in-8,  Berlinjl866  ; 
le  même,  clans  Im  neuen  Reicli,  1879,  p.  693-701  ;  dans  Mittheil.  des  Institut 
tisferr.  Gesch.  forscli.,  1888-1891,  t.  ix,  p.  191, 199,  208-211,  215-226,  295-300;  t.  x, 
p.  ^159  ;  l.  XII.  ]).  149-154  ;  R.  Schmidt,  Marmor.  Grabmal  Konig  Friedrichs  I 
im  oberem  Char  des  Dômes  zii  Sclileswig,  in-fol.,  Leipzig,  1887;  O.  F.  H.  Schœn- 
1)11  ih,  Historia  vom  Kaiser  Friedrich  mit  dem  rothen  Barte,  von  den  Wdlschen 
genannt  Barbarossa,  welcJier  im  Kyfjhànser-Berg  aitf  Erlosung  harrt...,  in-8, 
Reullingen,  1849  ;  C.  Schuler,  Friedrich  I  itnd  die  Curie,  nebst  zwei  Excursen 
i'iber  FriedricKs  Stellung  zu  den  ilalianischen  Republiken  und  zu  Heinrich  dem 
Lui,ven,  in-8,  Rnwicz,  1868  ;  A.  Schulte,  Bine  unausgefertigte  Vrkunde  Kaiser 
Friedrich's  I  mitgetheilt,  dans  Zeitschrift  Gesch.  Oberrheins,  1888,  t.  m,  p.  120- 
125  ;  J.  H.  a  Seelen,  Memorabilia  e  vita  Friderici  Barbarossae  imperaloris,  in-4, 
Lubecka>,  1722  ;  Sepp,  Meerfahrt  nach  Tyrus  zur  Ausgrabung  der  kathedrale  mit 
Barbarossa's  Grab^  in-8,  Leipzig,  1879;  Kaiser  Friedrich  I  Barbarossa  s  Tod 
und  Grab,  in-8,  Berlin,  1879;  H.  Simonsfeld,  Die  W'ahl  Friedrichs  I  Rothbarl, 
dans  Sitzungsberichie  phil.-hist.  Klasse  der  Akad.  Wissenscb.,  Munich,  1894, 
p.  239-268  ;  Stumpf,  Reichskanzîer,  1868,  t.  ii,  p.  314-413  ;  E.  Suhle,  Barbaros- 
sas  Constitutio  de  regalibus  vom  Nov.  1158  und  ihre  Durchfiihrung,  in-4,  Berlin, 
1893  ;  G.  B.  Testa,  Sioria  délia  guerra  di  Federigo  primo  contro  i  comuni  di 
Lombardia,  2  vol.  in-lS,  Doncaster,  1853-1857  ;  R.  Thommen,  dans  Neues 
Archiv,  1886,  l.  xii,  p.  180-186  ;  G.  T'ononi,  /  Piacentini  nella  lotla  Ira  gli  Ita- 
liani  e  Federico  Barbarossa  (1151-1176),  di^corso,  in-8,  Piacenza,  1876;  Nuovi 
documenli  inlornu  aile  pratiche  di  pace  tra  Federico  Barbarossa  e  i  Lombardi, 
dans  Arch.  star.  Lombardo,  1877  ;  cf.  C.  Desimoni,  dans  Arch.  slor.  liai.,  1877, 
IIP  série,  t.  xxvi,  p.  451-460  ;  F.  Tourtual,  Friedrich  I  in  Italien,  2  vol.  in-8, 
Gôttingen,  1865  ;  F.  X.  Wegele,  Kaiser  Friedrich  Barbarossa,  ein  Vortrag, 
in-8  Nôrdlingen,  1871  ;  E.  Weihenmaier,  Dissertationes  II  de  Frederico  ^no- 
barbo,  in-4,  Witteberg;e,  1689  ;  G.  Wolfram,  Friedrich  I  und  das  Wormser 
Concordai,  in-8,  Marburg,  1883  ;  J.  Zeller,  L'empereur  Frédéric  P^  Barberousse 
et  la  République  de  Milan  au  moyen  âge,  dans  les  Comptes  rendus  deVAcad.  des 
sciences  morales  et  politiques,  1879,  VI^  série,  t.  xi,  p.  93-113  ;  le  même,  Uem- 
pire  germanique  sous  les  Hohenstaufen  :  L'empereur  Frédéric  Barberousse,  dans 
Histoire  d'Allemagne,  t.  iv,  in-8,  Paris,  1881. 

Conrad  III  avait  inauguré  d'une  manière  peu  glorieuse  la  dynastie  des  Ho- 
henstaulen,  qui  devait  se  relever  avec  les  deux  Frédéric  et  périr  avec  Conradin. 
Sur  cette  famille  :  J.  F.  AmmermuUer,  Hohenstaufen  odcr  Ursprung  und 
Geschichte  der  schwdbischen  Herzoge  und  Kaiser  ans  diesem  Hause,  in-8,  Stutt- 
gart, 1805  ;  in-4,  Gmund,  1815  ;  J.  F.  Bôhmer,  Regesta  imperii.  V.  Die  Regesten 
der  Kaiserreichs  der  spâteren  Staufischen  Période,  1198-1272,  nach  der  Aeuar- 
beitung  und  dem  Nachlasse  J.  F.  Bôhmer' s  neu  herausgegeben  und  ergànzt,  von 
Jul.  Ficker  und  E.  Winkelmann,  in-4,  Innsbriick,  1879;  A.  Boss,  £>te  Kirchenle- 
]ien  der  Staufischen  Kaiser,  in-8,  Mûnchen,  1886  ;  C.  de  Cherrier,  Histoire  de  la 
lutte  des  papes  et  des  empereurs  de  la  maison  de  Souabe,  de  ses  causes  et  de  ses 
efjets  ;  ou  tableau  de  la  domination  des  princes  de  Ilohenstau/en  dans  le  royaume 
des  Deux-Siciles  jusqu'à  la  mort  de  Conradin,  in-8,  Paris,  1841  ;  J.  Ficker,  Die 
Reichshofbeamten  der  staufischen  Période,  dans  Sitzungsberichte  d.  Akad.d.  Wissen- 
schaften,  1862,  t.  xl,  p.  447-549  ;    J.   D.    Kohier,    Genealogia  familiœ   augustae 


G19.     FRÉDÉRIC    I^"*  ET   LE     PAPE    HADRIEN    IV  855 

6'/au//pnsis.  in-4,  Altorfii,1741  ;  K.  W.  Nitzsch,  Slaufische  Studien,  dans  Sybel, 
Hislorische  Zeitschrifi,  1860,  t.  m,  p.  322-409  ;  Fr.  von  Raumer,  Geschichte 
der  Hoheustaufjen  und  ihrer  Zeit,  G  vol.  in-8,  Leipzig,  1824-1826  ;  2^  édit., 
6  vol.  in-8,  1840  ;  3^  édit.,  1857  ;  4^  édit.,  1871  ;  cf.  Chéruel,  dans  Rei'ue  ger- 
manique, 1835,  t.  II,  p.  56-72  ;  F.  Schirrmacher,  Die  Ictzten  Ilohenstaujen,  in-8, 
Gôttingen,  1871  ;  W.  Zimmermann,  Die  Hohenstaufen  oder  der  Kampj  der 
Monarchie  gegen  Papst  und  republikanische  Freiheit,  historisches  Denkmal,  in-8, 
Stuttgart,  1840  ;  Geschichte  der  Hohenstaufen,  1865. 

Si,  au  delà  de  la  tombe,  Grégoire  VII  s'intéressa  encore  aux  choses  de  ce 
monde,  il  dut  y  prendre  une  extrême  satisfaction.  En  1125,  à  la  mort  de  l'empe- 
reur Henri  II  et  en  l'absence  d'héritier  direct,  il  semblait  que  l'hérédité  établie 
de  fait  depuis  quatre  générations  ne  pouvait  être  mise  en  doute;  c'est  cependant 
ce  qui  eut  lieu.  Deux  partis  politiques  s'étaient  formés  en  Allemagne  :  celui 
de  la  maison  régnante,  qui  prit  le  nom  de  Ghibeling  ou  Gibelin,  et  l'oppo- 
sition, appelée  \Velf  ou  Guelfe,  du  nom  d'un  de  ses  principaux  chefs.  Celle-ci, 
soutenue  et  renforcée  du  clergé,  l'emporta  et  fit  proclamer  empereur  Lothaire, 
duc  de  Saxe.  Celui-ci,  à  peine  élu,  avait  envoyé  deux  évêques  au  souverain 
pontife,  non  pas  pour  lui  notifier  son  élection,  mais  pour  le  prier  de  la  confirmer. 
C'est  le  renversement  complet  de  ce  qui  s'était  vu  jadis  :  il  n'était  plus  ques- 
tion de  faire  confirmer  l'élection  du  pape  par  l'empereur,  c'est  le  contraire  qui 
avait  lieu.  Ce  même  Lothaire  se  résigna  à  tenir  l'étrier  au  pape  Innocent  II  ; 
il  paraît  encore  avoir  poussé  plus  loin  la  condescendance  lors  de  son  couron- 
nement dans  l'église  Saint-Jean  de  Latran,  si  l'on  en  juge  par  un  tableau  qui 
fut  peint  sur  le  mur  de  l'église  pour  rappeler  cette  cérémonie.  «  Le  pape  Inno- 
cent II,  dit  un  chroniqueur,  s'était  fait  peindre  lui-même  comme  assis  sur  le 
trône  pontifical,  ayant  devant  lui  l'empereur  Lothaire  incliné,  les  mains  jointes 
et  recevant  la  couronne  impériale.»  Chronic.  reg.  S.  Pantaleonis,  ad  ann.  1157. 
Au-dessous  du  tableau  on  lisait  ceci  : 

Rex  venit  ante  fores  jurans  prius  urbis  honores' 
Post  homo  fil  papœ,  sumit  quo  dante  coronam. 

A  la  mort  de  Lothaire,  tout  changea.  Nous  devons  entrer  ici  dans  le  détail 
de  la  situation  politique  en  Allemagne,  afin  de  préparer  l'intelligence  des  évé- 
nements  qui   suivroiil. 

L'élection  de  Lothaire  en  1125  avait  été  un  triomphe  pour  la  papauté,  qui 
avait  fait  interrompre  l'hérédité  impériale  dans  la  maison  de  Franconie  à  l'ins- 
tant critique  où  elle  semblait  devoir  s'y  attacher  définitivement.  Or,  si  la 
postérité  mâle  d'Henri  IV  et  Henri  V  faisait  défaut,  Henri  IV  avait  laissé  une 
fille,  Agnès,  mariée  à  Frédéric  de  Buren,  fondateur  de  la  maison  de  Souabe, 
à  laquelle  appartient  Conrad  III.  Cette  postérité  féminine,  d'abord  écartée 
du  trône  parce  qu'elle  semblait  menacer  l'indépendance  de  l'Allemagne,  s'y 
trouva  rappelée  à  raison  du  péril  plus  immédiat  et  plus  certain  que  les  princes 
territoriaux  eussent  couru  par  le  fait  de  l'élection  à  l'empire  du  gendre  de  Lo- 
thaire, Henri  le  Superbe.  Celui-ci  possédait  le  duché  de  Bavière,  comprenant  alors 
presque  tout  le  sud-est  de  l'Allemagne  et  s'étendant  du  bord  du  Danube  au 
rivage  de  l'Adriatique  ;  il  tenait  de  sa  mère  le  duché  de  Lunebourg,  de  sa 
femme  le  Hanovre  et  le  Brunswick  et  de  l'empereur  Lothaire  l'investiture 
du  duché  de  Saxe.  L'énormité  de  cet  apanage  f>it  un  obstacle  à  l'éleclinn  d'Henri, 


856  LIVRE.  XXXIV 

rhoî  du  parti  i^uclfo  ou  ponlifioal,  et  procura  les  voies  à  celle  do  son  rival. 
Conrad  II I,  chef  du  parli  gibelin  ou  impérial.  Cette  grave  question  de  l'héré- 
dité ou  du  maintien  de  l'élection  en  Allemagne  n'importait  pas  seulement  aux 
intérêts  territoriaux  et  à  la  garantie  d'indépendance  des  ducs  et  princes  alle- 
mands, mais  encore  aux  prétentions  qui  appelaient  incessamment  les  empe- 
reurs en   Italie. 

La  politique  impériale,  dès  le  temps  d'Otton  le  Grand,  avait  poursuivi  deux 
objets  :  l'hérédité  de  la  couronne  impériale  et  la  possession  des  provinces  ita- 
liennes. Les  deux  buts  furent  manques,  mais  comme  le  système  électif  était 
général  en  Europe  à  la  fin  du  x^  siècle,  on  tendit  dès  lors  partout  à  substituer 
l'hérédité  à  l'élection.  Ce  changement,  qui  s'effectua  peu  à  peu  dans  les  divers 
litats  chrétiens,  eut  pour  procédé  de  transition  la  survivance  du  fils  élective- 
ment  reconnue  et  proclamée  pendant  le  règne  du  père.  La  succession  s'établit 
ainsi  d'avance.  L'hérédité  conserva  un  caractère  électif,  le  choix  du  successeur 
futur  se  faisant  sans  difficulté  sous  l'influence  et  par  la  désignation  du  prédé- 
cesseur régnant.  La  couronne  devenait  inévitablement  patrimoniale  en  parais- 
sant encore  librement  décernée. 

Les  empereurs  adoptèrent  cette  même  ligne  de  conduite.  Ils  désignèrent  de 
leur    vivant  leurs   fils  aux  électeurs  comme  leurs  héritiers,  en  obtenant  d'eux 
qu'ils  les  nommassent  rois  des  Romains,  acheminement  vers  le  titre  d'empereur. 
La  royauté  était  ainsi  l'échelon  par  lequel  on  arrivait  à  l'empire,  et  cet  échelon 
étant  atteint  d'avance,  comment  se  fait-il  que  l'hérédité  ne  prévalut  point  en 
Allemagne    comme    ailleurs    et  qu'il  ne  se    constitua    point    dans    l'empire    une 
dynastie    permanente  ?  L'obstacle,    d'après    M.  de    Cherrier,  vint    des  grandes 
divisions   territoriales  qui    existaient  en  Allemagne,  et    dont   les   quatre  fonda- 
mentales étaient  les  duchés  de  Saxe,  de  Franconie,  de  Souabe  et  de  Bavière,  re- 
présentant quatre  anciens  peuples  germaniques,  les  Saxons,  les  Francs,  les  Alle- 
mands, les   Bavarois,  et  placés,  quant  à  leur  possession,  sous  une  règle  tout  à 
fait  particulière.    «  Pour  établir  une   monarchie  héréditaire,   dit-il,  il  fallait  y 
joindre  les  grands  duchés  de  l'Allemagne,  que  le  chef  de  l'empire  ne  pouvait 
posséder  en  propre  et  dont  il  devait  même  investir  un  nouveau  titulaire,  un  an 
au  plus  après  qu'ils  étaient  devenus  vacants.  Un  tel  plan  était  bien  fait  pour 
pousser  la  haute  noblesse  allemande  dans  une  voie  d'opposition  et  même  de 
révolte  armée.  »  Cet  obstacle,  observe,  avec  raison  je  crois,  M.  Mignet,  n'aurait 
certainement  pas  sufli.  Ne  vit-on  pas  les  empereurs  qui  disposaient  des  duchés, 
quand  les  duchés  devenaient  vacants,  manquer  impunément,  dans  leur  distri- 
bution, à  la  règle  établie  ?   N'en  accumulèrent-ils  pas  plusieurs  sur  la  même 
tête,  comme  ceux  qui  furent  conservés  ou  adjugés  à  Henri  le  Superbe  et  à  son  fils, 
Henri  le  Lion,  chef  de  la  faction  guelfe  en  Allemagne  ?   Ne  se  trouvèrent-ils 
pas  tous  accumulés  entre  les  mains  d'Otton  le  Grand,  qui  les  attribua  à  des 
membres  de  sa  famille  ?  Les  règles  qui  interdisaient  ou    de    garder  un    duché 
en  montant  sur  le  trône  ou  de  réunir  plusieurs  duchés  sous  la  même    autorité 
étant  ainsi  enfreintes,  on  ne  saurait  douter  qu'elles  ne  l'eussent  été  avec  plus 
de  continuité  et  d'étendue  si  là,  comme  ailleurs,  une  famille  considérable   par 
ses  possessions  et  son  autorité  fût  parvenue  à  perpétuer  son  empire  en  prolon- 
geant sa  durée.    La  permanence  de  la  famille  eût  décidé  du  maintien  de  la  dy- 
nastie, et  la  dynastie,  par  la  consolidation  de  l'hérédité  qui  conduisait  à  l'agran- 
dissement inévitable  de  sa  puissance,  eût  procédé  à  la  réunion  successive  de 


619,    FRÉDÉRIC    I*^'"    ET   LE   PAPE     HADRIEN   IV  857 

Frédéric  Barberousse  avait  les  qualités  nécessaires  pour  une  pareille 
tâche,  et  une  volonté  énergique.  Peu  de  ses  prédécesseurs  ont 
été  aussi  pénétrés  que  lui  du  sentiment  de  leurs  devoirs  et  des 
droits    de     la    dignité    impériale  ^.    Si    l'on    veut    voir   un    pro- 


l 'Allemagne.  Ce  qui  amena  surtout  l'extinction  des  familles  impériales  fut 
réellement  ce  qui  empêcha  l'hérédité  du  pouvoir  dans  l'empire  et  s'opposa  à 
Ivuiité  de  territoire  en  Allemagne.  L'hérédité  pour  l'Allemagne  se  perdit  en 
Italie,  où  s'épuisèrent  plusieurs  grandes  familles  qui,  en  y  cherchant  une  con- 
quête qui  leur  échappait  toujours,  y  trouvèrent  un  tombeau  oîi  elles  s'enseve- 
lirent. Les  dynasties  saxonne,  franconienne,  souabe,  en  disparaissant  ainsi 
tour  à  tour,  précipitèrent  de  plus  en  plus  la  décomposition  do  l'Allemagne,  en 
voulant  s'assurer  la  possession  de  l'Italie. 

M.  de  Cherrier  le  voit  et  le  dit,  du  reste,  lorsqu'il  ajoute  :  «  Le  principe  de 
l'hérédité,  qui  prévalut  dans  la  plupart  des  Etats  chrétiens,  ne  put  se  consoli- 
der en  Allemagne,  parce  que  les  empereurs,  occupés  à  soumettre  les  com^muncs 
lombardes  et  à  combattre  les  projets  de  domination  temporelle  du  Saint-Siège, 
épuisaient  leurs  ressources  dans  les  guerres  d'Italie  et  ne  se  trouvaient  plus 
assez  forts  pour  triompher,  au  nord  des  Alpes,  des  grands  de  l'empire.  »  On 
fait  fort  mal  deux  choses  à  la  fois.  On  ne  saurait  longtemps  les  mener  de  front  ; 
les  volontés  les  plus  opiniâtres  s'y  fatiguent,  et  les  moyens  les  plus  considérables 
s'y  épuisent,  bien  avant  que  le  succès  puisse  être  obtenu.  Au  lieu  de  réussir 
dans  la  poursuite  simultanée  de  deux  entreprises,  on  y  échoue  également. 
C'est  ce  qui  arriva  aux  empereurs,  qui  ne  réunirent  pas  l'Allemagne  et  ne  s'ap- 
proprièrent pas  l'Italie.  En  Italie,  ils  eurent  à  lutter  contre  tout  ce  qu'ils  avaient 
établi,  afin  d'y  faciliter  leur  domination  ou  de  l'y  étendre.  La  papauté,  à  laquelle 
les  Carolingiens  avaient  donné  un  territoire  et  reconnu  le  droit  d'accorder 
l'empire,  les  combattit.  Les  communes  lombardes,  dont  les  libertés  avaient  été 
concédées  par  les  Otton  et  s'étaient  agrandies  sous  leurs  successeurs,  les  vain- 
quirent. Les  résultats,  toujours  les  mêmes,  d'une  lutte  souvent  renouvelée, 
prouvent  que  l'issue  en  était  inévitable,  puisqu'elle  était  si  constante.  Mais 
ce  qui  le  montra  d'une  manière  encore  plus  particulière  et  plus  éclatante,  ce  fut 
la  fin,  deux  fois  malheureuse,  de  la  guerre  entreprise,  pour  assujettir  l'Italie, 
par  deux  grands  princes,  aussi  puissants  et  aussi  habiles  que  Frédéric  P""  et  son 
petit-fils  Frédéric  II,  dans  le  cours  du  xii^  et  du  xiii''  siècle.  (H.  L.) 

1.  La  carrière  de  Frédéric  P'  se  divise  en  deux  parties  bien  distinctes  :  dans 
la  première,  il  prend  pour  modèles  Charlemagne  et  Otton  le  Grand:  son  but 
n'est  guère  mystérieux,  il  tend  à  la  monarchie  universelle;  mais,  moins  habile 
ou  moins  heureux,  il  échoue  contre  le  double  obstacle  des  villes  libres  italiennes  et 
de  la  papauté.  La  défaite  de  Legnano  en  1176,  marquera  la  fin  de  cette  période  de 
rêve.  Frédéric  conclut  la  paix  de  Venise  et  le  pacte  provisoire  d'Anagui  en  1177. 
Avec  la  supériorité  des  hommes  vraiment  forts,  Frédéric  se  retourne  et  renonce 
sans  retour  à  son  rêve  impossible.  La  défaite  de  Legnano  était  le  résultat  de 
la  défection  d'Henri  le  Lion  qui,  profitant  des  embarras  où  se  débattait  Frédé- 
ric, avait  fondé  un  pouvoir  presque  indépendant  en  Allemagne.  Mis  au  ban  de 
l'om])iro,  l)atlu,  délaissé  par  ses  vassaux,  le  duc  de  Saxe  dut  faire    sa    soumis- 


858  LIVRE     XXXIV 

•gramme  de  gouvernement  dans  la  lettre  de  Barberoussc  au  pape,  [534] 
lors  de  son  couronnement,  on  reconnaîtra  que  le  nouvel  empereur 
adopta  dès  l'abord  l'idée  religieuse  et  chrétienne  de  son  époque  ^. 
Dieu,  dit-il,  a  institué  deux  puissances  pour  gouverner  le  monde  : 
l'autorité  apostolique  et  la  puissance  royale;  il  est  disposé  à 
se  soumettre  avec  déférence  à  la  dignité  sacerdotale  du  Christ, 
à  lui  prêter  le  secours  de  son  bras  afin  que  l'œuvre  de  Dieu  puisse 
s'accomplir  sans  entraves.  Mais,  avec  la  protection  divine, 
il  rétablira  l'ancienne  splendeur  et  l'antique  puissance  du  pou- 
voir  impérial.     L'Eglise    du    Christ    doit    conserver    ses    droits 


sion  à  la  diète  d'Erfurt  (1181),  abandonner  ses  provinces  et  partir  pour  l'exil. 
Désormais  Frédéric  Barberoiisse  est  maître  chez  lui  et  il  veut  s'assurer  des  villes 
lombardes  avec  lesquelles  il  signe  le  traité  de  Constance  en  1183  ;  il  s'en  fit 
ainsi  de  fidèles  alliées,  surtout  Milan,  cité  peu  rancunière  à  l'égard  du  prince 
qui  l'avait  deux  fois  mise  à  sac  en  quelques  années.  L'année  suivante,  mai  1184, 
Frédéric  réunit  à  Mayence  la  diète  générale  de  l'empire;  c'est  l'apogée  de  sa 
puissance  et  presque  aussitôt  s'engage  avec  le  Saint-Siège  une  querelle  plus 
diplomatique  que  militaire,  dont  l'origine  se  rattache  à  la  possession  des  marches 
de  Toscane,  héritage  de  la  comtesse  Mathilde  que  le  pape  et  l'empereur  se  dis- 
putent. A  cette  cause  de  discorde  s'en  joint  une  autre,  1  élection  de  Trèves_, 
dont  nous  parlerons  en  temps  voulu.  Dans  cette  lutte,  où  la  presque  unanimité 
de  l'épiscopat  allemand  se  rangea  derrière  l'empereur  contre  le  pape  par  la  dé- 
claration de  Gelnhausen,  on  put  voir  la  capacité  de  Frédéric  dont  l'esprit  était 
aussi  altier  que  le  caractère  était  résolu.  Il  était  entreprenant  avec  opiniâtreté, 
et  il  avait  non  moins  de  système  que  d'entraînement  dans  son  ambition.  Il 
revendiqua  tous  les  droits  de  l'empire,  et  il  prétendit  devenir,  lui,  empereur 
allemand,  tout  ce  qu'avaient  été  les  empereurs  romains  en  Italie,  et,  comme  les 
anciens  Césars,  exercer  le  pouvoir  impérial  dans  toute  son  étendue.  Cf.  Pomtow, 
Ueber  deii  Einfluss  der  allromischen  Vorstellungen  vom  Staal  auf  die  Politik 
Friedrichs  I  und  die  Anscltaiiiingen  seinev  Zeit,  in-8,  Halle,  1885;  Schwemer, 
Papsttum  und  Kaiserlum,  1899.  Il  exposa  naïvement  ses  projets  et  ses  théories, 
lors  do  la  fameuse  dicte  de  Roncaglia,  tenue  en  1158,  dans  la  plaine  du  Pô. 
Invoquant  la  vieille  tradition  romaine,  il  recourut  au  savoir  des  professeurs 
de  droit  de  Bologne,  Ugo,  Jacobus,  Martinus  et  Bulgarus,  pour  donner  des  lois  à 
l'Italie  septentrionale  qui  lui  était  momentanément  soumise.  Un  jourqu'il  se  pro- 
menait à  cheval,  escorté  de  Martinus  et  de  Bulgarus,  il  leur  demanda  s'il  était  de 
droit  maître  du  inonde;  Bulgarus  lui  répondit  qu'il  ne  l'était  pas  quant  à  sa  pro- 
priété, mais  Martinus  soutint  hardiment  qu'il  eu  était  le  maître  absolu.  L'em- 
pereur charmé  lui  fit  don  de  son  cheval.  Otton  Morena.  Ilistoria,  dans  Muratori, 
Script,  rer.  Italie,  t.  vi,  p.  1018.  (H.  L.) 

1.  Wibald,  Epislola  ad  Eugenium  III,  dans  Jafîé,  Bihlioth.  rerum  Germanie, 
t.  I,  p.  372,  499  sq.  ;  Watterich,  Fite  pon/i/.  roman.,  t.  ii,  p.  315  sq.  ;  H.  Si- 
monsfeld,  Jahrhiicher  des  deutschen  Reiches  unter  Friedrich  7,  Leipzig,  1908, 
p.   56  sq.   (H.  L.) 


619.   FRÉDÉRIC    I^'"   ET    LE    PAPE    HADRIEN    IV  859 

sans  restriction,  mais,  de  son  côté,  la  puissance  impériale  ne  doit 
subir  aucun  déchet.  Seulement,  à  cette  époque,  les  limites  entre 
les  droits  ecclésiastiques  et  les  droits  civils  étaient  si  peu  définies, 
et  ces  droits  étaient  souvent  si  confus  qu'une  conception  idéale 
de  la  puissance  impériale  telle  que  la  comprenait  le  jeune 
Ilohenstaufen  devait  inévitablement  provoquer  des  conflits. 
Toutefois,  les  auteurs  qui  ont  écrit  sur  le  grave  conflit  entre 
l'empereur  et  le  pape  font  rarement  preuve  de  justice.  De  nom- 
breux historiens  modernes,  adoptant  les  idées  de  Hegel  sur 
l'État  tout-puissant,  attribuent  tous  les  droits  à  l'empereur 
et  regardent  comme  une  usurpation  ceux  c[ue  le  pape  revendi- 
quait; car  ils  condamnent  comme  un  mal,  non  seulement  la 
suprématie  du  pape  sur  les  princes  au  moyen  âge,  mais  même 
toute  indépendance  de  l'Église.  Les  historiens  catholiques,  de  leur 
coté,  ont  maintes  fois  confondu  cette  suprématie  du  pape,  droit  et 
réalité  temporaires,  avec  l'indépendance  et  la  liberté  inaliénables 
et  toujours  nécessaires  de  l'Église;  ils  en  sont  venus  à  n'accorder 
aucun  droit  aux  empereurs,  lesquels  pourtant  avaient  bien 
certainement  le  droit  de  défendre  l'indépendance  de  leur  cou- 
ronne et  de  ne  pas  laisser  leur  condition  à  l'égard  du  pape  se 
transformer  en  vassalité  (impe7-afor  fit  homo  papœ).  Mais,  le  con- 
flit une  fois  engagé,  il  était  à  craindre  qu'avec  sa  tournure  d'esprit, 
Barberousse  n'en  vînt,  par  la  force  des  choses,  à  formuler  des 
prétentions  bien  différentes  de  ses  premières  idées.  Bientôt,  en 
effet,  on  le  voit  admettre  l'idée  d'un  empire  absolu,  calqué  sur 
l'antique  empire  de  Bome,  et,  semblable  en  cela  aux  Otton, 
chercher  à  reproduire  l'empire  byzantin.  Il  était  persuadé  que 
l'empereur  était  la  source,  le  dispensateur  de  tout  droit  et  de 
[o3o]  toute  puissance  sur  la  terre;  comme  les  anciens  juristes  romains, 
il  avait  pour  principe  :  Qiiod  principi  placuit  le  gis  habet  sdgorem. 
Quoique  personnellement  attaché  à  la  foi  de  l'Église,  Frédéric, 
avec  de  tels  principes  politic}ues,  devait  évidemment  aboutir 
à  un  terrible  conflit  dont  les  commencements  datent  presque  du 
début  de  son  règne.  Si  les  débats  n'eurent  pas  d'abord  le  carac- 
tère violent  et  passionné  qu'ils  prirent  dans  la  suite,  on  le  dut 
surtout  à  Wibald,  c^ui  jusqu'à  sa  mort  (1158)  conserva  sous 
Conrad  III.  comme  sous  Frédéric  I^'",  la  plus  grande    influence  ^. 


1.  Wibald  de  Fisen,  né  en  1097.  bénédictin  à  Wasor  en  1117,  écolâtre,  abbé 
de  Slavelot,  élu  le  IG  novembre  1130,  béni  le  20  avril  1  l.Sl,  abbé   du    Monl-Cassin 


860  LIVRE     XXXIV 

Déjà,  à  In  rliète  d'UIm,  le  29  juillet  1152,  Frédéric,  tout 
en  acceptant  ([ue  l'Église  punît  par  l'excommunication  toute 
atteinte  contre  les  biens  ecclésiastiques,  exigeait  un  jugement 
préalat)le  de  l'autorité  civile  ^;  presque  à  la  même  époque,  il 
avait,  au  mépris  du  concordat  de  Worms  ^,  ordonné  une  nou- 
velle élection  pour  le  siège  de  Magdebourg,  imposant  l'évêque 
Wichmann  de  Naumbourg-Zeze,  au  lieu  de  choisir  entre  les  deux 
prétendants.  Le  pape  s'opposa  à  ces  deux  mesures  et  il  demanda 
spécialement  à  l'abbé  Wibald,   par    letlre   du   20  septembre  1152, 


le  19  septembre  1137,  abbé  de  Corvey  le  20  octobre  1146^  mort  à  Bitolia  en 
Paphlagonie  le  19  juillet  1158.  Cf.  Balan,  Sources  de  l'histoire  de  Liège,  1903, 
p.  399-406  ;  Becdelièvre,  Biographie  liégeoise,  1836,  t.  i,  p.  73-75  ;  D.  Calmct, 
JUbl.  Lorraine,  1751,  p.  450-453  ;  Van  de  Casteele,  dans  le  Bull,  du  Comité 
archéolog.,  Bruxelles,  s.  d.  ;  D.  Ceillier,  Histoire  des  auteurs  ecclésiastiques,  1758, 
t.  XXII,  p.  517-538  ;  2^  édit.,  t.  xiv,  p.  525-537  ;  Dentzer,  Zur  Beurleilung  der 
Polilik  Wibalds  von  Stahlo  und  Korvei,  in-8,  Breslau,  1900;  J.  A.  Fabricius, 
Bihliotheca  medii  xvi,  1746,  t.  vi,  p.  889-890  ;  cdit.  Harlcs,  p.  319  ;  Foppens, 
Bihl.  Belgica,  1739,  t.  ii,  p.  1164  ;  Hartzheim,  Bihl.  Colon.,  \1^1,  p.  363  ;  Ilist. 
littér.  de  la  France,  t.  xii,  p.  550-571  ;  Jafîé,  Bibliotheca  rerum  Germanicarum, 
1864,  t.  I,  p.  76,  606;  J.  Janssen,  De  Wibaldo  abbaie  ;  dissertatio  historica,  in-8, 
Bonnœ,  1853  ;  le  même,  Wibald,  von  Stablo  und  Corvey  [1098-1158], 
Abt,  Staatsman  und  Gelehrier,  in-8.  Munster,  1854  ;  L.  Mann,  Wibald,  Abt  von 
Stablo  und  Corvei,  nach  seiner  politischen  Thàtigkeit,  in-8.  Halle,  1876  ;  Martène, 
Script,  veter.  coll.,  1724,  t.  ii,  p.  153-183  ;  Michaud,  Bibliothèque  des  croisades, 
1829,  t.  11,  p.  395-400  ;  P.  L.,  t.  clxxxix,  col.  1075  ;  von  Raumer,  Ungedruckte 
Stùcke  aus  einem  Codex  epistolaris  Wibaldi  abbatis  Corbeiensis,  dans  Ledebur, 
Archiv,  1836,  t.  i,  p.  67  ;  Ritz,  dans  Pertz,  Archiv,  1839,  t.  vu,  p.  878-881  ; 
Toussaint,  Études  sur  Wibald,  abbé  de  Stavelot,  du  Mont-Cassin  et  de  la  IS'ou- 
velle-Corbie,  in-12,  Namur,  1890  ;  Wattembaoh,  Deutschl.  Geschichtsquellen, 
1894,  t.  II,  p.  153,269-271,  361  ;  Ziegelbauer,  Ili.^t.  liitor.  bened.,  1754,  t.  ni, 
p.   155-160.    (H.   L.) 

1.  Wibald,  Epist.,  dans  Jafïé,  Bibl.  rer.  Germ.,  t.  i,  p.  538,    n.  403  ;  Janssen^ 
op.  cit.,  p.  184;  Simonsfeld,  Jahrbiicher,  p.    121  sq.  (H.  L.) 

2.  Pour  le  siège  de  Magdebourg,  il  fit  prévaloir  Wichmann,  un  simoniaque, 
contre  Gerhard  et  Hatton.  Cf.  Fechner,  Forschungen  zur  deutschen  Geschichte, 
t.  V,  p.  417  sq.  ;  H.  Simonsfeld,  Jahrbiicher,  p.  88  sq.  ;  Wibald,  Epist.,  dans  Jafïé, 
Bibl.  rer.  Germ.,  t.  i,  p.  534,  n.  401  ;  Otton  de  Freisingen,  Gesta  Friderici,  II, 
VI  ;  Eugène  III,  Epist.  ad  Wibaldum,  dans  Jaffé,  op.  cit.,  t.  i,  p.  403  ;  Simons- 
feld, op.  cit.,  p.  122  sq.  Cette  affaire  de  Magdebourg  ne  fut  pas  la  seule  que  l'em- 
pereur brusqua  de  telle  façon  ;  il  décida  do  son  droit  particulier  l'érection  de 
nouveaux  évêchés  {Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  sect.  iv;  Constitut.  et  acta,  t.  i, 
p.  147,  206  sq.)  ;  il  évoqua  des  causes  ecclésiastiques  devant  ses  tribunaux. 
Monum.  Germ.  hist.,  Constitua,  et  acta,  t.  i,  p.  140,  1986,  ex  ann.  1152  ; 
Simonsfeld,   Jahrbiicher,  p.  6'i   sq.   (TT.  L.) 


G19.    IRKDKRIC   1*^'"    ET  LE   PAPE    HADlUEN    i\'  86l 

d'user  de  son  iiiiluence  en  faveur  des  droits  de  l'Église,  A  lu 
diète  de  Wurzbourg  (octobre  1152),  on  décida  que  l'empereur 
se  rendrait  à  Rome  l'année  suivante  ^  ;  Frédéric  envoya  alors 
à  Rome  une  deuxième  ambassade  composée  des  évêques 
Anselme  de  Havelberg  et  Ilermann  de  Constance,  avec  le 
comte  Ulrich  de  Lenzbourg,  Guido  Wera  et  Guido  de  Biandrate. 
Ces  derniers,  au  nom  du  roi,  et  sept  cardinaux  avec  l'abbé  Bruno 
de  Chiaravalle,  au  nom  du  pape,  conclurent  alors  (janvier  1153) 
à  Rome  le  traité  suivant  -.  Le  roi  promit  sous  serment,  par  l'en- 
tremise d'un  de  ses  ministres  ^,  de  ne  conclure  ni  armistice  ni 
traité   de  paix    avec  les    Romains  et  le  roi    Roger  de    Sicile   sans 

1.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  765  ;  Jafïé,  Bihl.  rer.  Germ.,  t.  i, 
n.  403,  p.  537  ;  J.  Janssen,  op.  cit.,  p.  184. 

2.  Frédéric  et  les  princes  ecclésiastiques  de  renipire  avaient  déjà  tenté,  lors 
du  couronnement  à  Aix-la-Chapelle,  de  faire  décider  le  voyage  de  Rome,  mais 
les  princes  laïques  s'y  opposèrent  à  cause  de  la  situation  peu  rassurante  du 
royaume.  Wibald,  Episf.  ad  Eugenium  III,  dans  Jafîé,  Bibl.  rer.  Germ..  t.  i, 
p.  504.  —  Dès  le  premier  Reichstag,  tenu  à  Mersebourg  en  mai  1152,  il  fut  très 
sérieusement  question  de  cette  expédition  d'Italie  et  l'on  fixa  même  le  chiffre 
de  certains  contingents.  Paclio  Fridirici  I  régis  et  Bertolfi  IV  ducis  de  Zeringeti, 
dans  Jafîé,  Bibl.  rer.  Germ.,  t.  i,  p.  515  ;  au  Reichstag  d'octobre,  les  exilés 
siciliens  vinrent  supplier  le  jeune  empereur  de  les  ramener  dans  leur  patrie  et 
d'en  chasser  l'usurpateur  Roger.  Otton  de  Freisingen,  Gesta  Friderici,  II, 
VII,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Scriptores,t.  xx,  p.  393.  L'empereur  décida  que 
l'expédition  se  mettrait  en  marche  deux  ans  plus  tard.  A  ce  même  Reichstag 
d'octobre,  on  vit  paraître  deux  cardinaux  envoyés  par  Eugène  III;  ils  offrirent 
au  prince  la  couronne  impériale  et  réclamèrent  son  intervention  contre  les  Ro- 
mains révoltés  à  l'instigation  d'Arnaud  de  Rrescia.  (H.  L.) 

3.  «  Monseigneur  le  roi  des  Romains,  après  avoir  fait  jurer  le  maintien  des 
stipulations  suivantes  par  un  de  ses  ministres,  promettra- lui-même,  en  présence 
du  légat  pontifical,  qu'il  ne  fera  ni  paix  ni  trêve,  soit  avec  les  habitants  de 
Rome,  soit  avec  Roger,  roi  de  Sicile,  sans  le  libre  consentement  et  la  volonté 
de  l'Église,  de  monseigneur  le  pape  Eugène  ou  de  ses  successeurs.  Il  s'appli- 
quera selon  ses  moyens  à  replacer  les  Romains  sous  l'autorité  pontificale  de  la 
même  manière  qu'ils  y  étaienl  cent  ans  auparavant. 

"  11  maiiilicndra  conlre  Lout,  et  suivant  son  pouvoir,  les  ])rérogatives  du 
souverain  i)ontife  avec  les  régales  (jui  appartiennent  au  bienheureux  saint 
Pierre;  il  aidera  à  récupérer  celles  qui  ont  clé  usurpées  par  d'autres,  puis  à  les 
conserver  lorsqu'elles  auront  été  recouvrées. 

"  11  promet  de  ne  céder  au  souverain  des  Grecs  aucune  terre  de  ce  côté  de  la 
mer  ;  et  même,  dans  le  cas  où  ce  dernier  se  rendrait  maître  par  la  force  des  armes 
de  quelques  portions  de  l'Italie,  le  roi  s'oblige  à  faire  ses  efforts  pour  l'en  chasser 
le  plus   tôt  possible. 

«  De  son  côlé,  monseigneur  le  pape,  de  son  autorité    apostolique  et  d'après 


862  LIVRE     XXXIV 

le  Jibic  asseiUiinent  de  l'Eglise  romaine,  du  pape  Eugène  ou  de  ses 
successeurs,  poui\u  ([uc  ceux-ci  adhèrent  au  présent  trailé;  en 
outre,  de  forcer  les  Romains  à  reconnaître  la  souveraineté  du 
pape,  telle  ([u'elle  existait  un  siècle  auparavant  ;  de  défendre  [536] 
envers  et  contre  tous  l'honneur  et  les  regalia  de  saint  Pierre, 
comme  doit  le  faire  un  fidèle  protecteur  de  l'Eglise  romaine; 
de  rendre  à  cette  Église  les  biens  dont  on  l'a  dépouillée  ;  enfin, 
de  s'opposer  à  ce  que  l'empereur  grec  acquît  en  Italie  des  pos- 
sessions quelconques.  De  son  côté,  le  pape  promit,  par  son  autorité 
apostolique  et  d'accord  avec  les  cardinaux,  en  présence  des 
envoyés  du  roi,  d'honorer  Frédéric  comme  le  fils  bien-aimé  de 
saint  Pierre,  de  le  couronner  empereur  dès  qu'il  viendrait  en 
Italie,  de  le  soutenir  pour  augmenter  l'honneur  de  l'empire,  de 
réprimander  et  au  besoin  d'excommunier  ceux  qui  lui  feraient 
opposition.  Il  s'engageait  également  à  n'accorder  à  l'empereur 
orec  aucun  territoire  en  Italie.  Toutes  ces  clauses  furent  aecep- 
tées  des  deux  côtés  loyalement  et  sans  réserves,  et  l'on  convint 
de  n'apporter  au  traité  aucune  modification  sans  l'assentiment 
des  deux  parties.  Le  pape  envoya  alors  en  légation  auprès  du 
roi  les  cardinaux  Bernard  et  Grégoire;  ceux-ci  le  rejoignirent  à 
Constance  où,  dans  une  diète  importante,  le  traité  fut  solen- 
nellement approuve,  le  23  mars  1153  ^. 

l'avis  des  cardinaux  ses  frèreS;,  promet,  en  présence  des  envoyés  royaux,  d'ho- 
norer le  roi  comme  un  fils  chéri  de  l'Église  et  de  lui  donner  sans  aucune  difficulté 
ou  objection  la  couronne  impériale,  lorsqu'il  se  présentera  pour  la  recevoir. 
Il  l'aidera,  selon  sa  puissance,  à  maintenir,  à  étendre  même  les  droits  de 
l'empire.  Si  quelqu'un  prétendait  se  soustraire  à  la  justice  du  roi,  ou  téméraire- 
ment osait  méconnaître  ses  prérogatives,  monseigneur  le  pape  l'avertirait  canoni- 
quement  de  s'abstenir  d'une  telle  conduite  et  prononcerait  même  une  excom- 
munication s'il  ne  se  soumettait.  Il  promet  de  ne  céder  au  roi  des  Grecs  aucune 
terre  de  ce  côté  de  la  mer  et  même,  en  cas  d'invasion,  il  emploierait  les  vassaux 
de    l'Eglise    pour    la    repousser. 

«  Que  tout  ce  qui  précède  soit  fidèlement  exécuté  sans  fraude  ou  arrière-pen- 
sée et  ne  puisse  être  changé  sans  l'exprès  consentement  de  tous  deux,  n  Martène 
et  Durand,  Ainplissirna  colleclio,  t.  ii,  p.  557,  n.  385.    (H.  L.) 

1.  Moiiiim.  Gertn.  hisl.,  Leifcs,  t.  ii,  p.  92  sq.  ;  Watterich,  Vilœ  ponlif.  loniaii., 
t.  n,  p.  318  sq.  ;  Jaffé,  BihUotheca  rerum  Germanicarum,  t.  i,  p.  546  ;  Janssen, 
op.  cit.,  p.  186;  [H.  Prutz,  Kaiser  Friedrich  I,  in-8,  Dantzig,  1871,  t.  i,  p.  33,  48]; 
F.  Chalandon,  Histoire  de  la  domination  normande  en  Italie  et  en  Sicile,  in-8, 
Paris,  1907,  t.  ii,  p.  154  :  «  Il  est  à  noter  que,  dans  ce  document.  Manuel 
Comnène  est  désigné  par  le  titre  de  rex  et  non  pas  par  celui  d'imperator,  qui 
lui  était  attribué  par  Conrad.  Le  traité  de   Constance   scellait    aux   dépens    du 


CIO.    FRÉDIÎRIC     l^'"    ET    LE    PAPE    HADRIEN    IV  863 

Les  deux  légats  du  pape  s'occupèrent,  avec  l'assentiment  de 
Frédéric,  de  régler  diverses  affaires  de  l'Eglise  d'Allemagne;  à 
cette  fin,  ils  convoquèrent  à  Worms,  pour  la  Pentecôte  de  1153, 
un  grand  synode  où  fut  déposé  Henri,  archevêque  de  Mayence. 
Cette  déposition  semble  avoir  eu  pour  cause  de  fausses  accusa- 
tions et  surtout  la  fourberie  du  chancelier  Arnold  de  Selenho- 
fen,  que  l'archevêque  avait  chargé  de  sa  défense  et  qui  devint 
son  successeur  sur  le  siège  de  Mayence.  Saint  Bernard  lui-même 
plaida  auprès  des  légats  la  cause  de  l'archevêque  qui,  dans  sa 
candeur,  s'était  laissé  tromper  par  de  faux  amis,  mais  n'avait 
rien  fait  qui  méritât  la  déposition.  En  réalité,  Henri  ne  paraît  pas 
avoir  été  à  hauteur  de  la  situation  importante  et  difficile  qu'il 
occupait;  on  hii  reproche,  en  particulier,  d'avoir  dissipé  les  biens 
de  l'Église  ^. 
[537]  Les  légats  pontificaux  n'étaient  pas  encore  de  retour  en  Italie, 
quand  le  pape  Eugène  III  ^  mourut,  le  8  juillet  1153^.  Quelques 
jours  après,  Conrad,  cardinal-évêque  de  Sabine  ^,  lui  succéda  sous 

royaume  de  Sicile,  la  réconciliation  de  la  papauté  et  de  l'empire.  Il  semble  qu'au 
début  de  son  règne,  Barberousse  ait  voulu  rompre  avec  la  politique  de  son 
prédécesseur  et  se  soit  refusé  à  ratifier  l'accord  conclu  quelques  années  auparavant 
avec  le  basileus.  En  effet,  jusqu'en  1153,  Barberousse  n'eut  pas,  semble-t-il, 
de  rapport  avec  le  banileiis  ;  la  mort  d'Eugène  III  modifia  les  dispositions 
impériales  et  ramena  un  moment  l'empereur  à  l'idée  de  l'alliance  byzantine. 
Peut-être  aussi,  pour  expliquer  ce  changement  d'attitude,  faut-il  tenir  compte 
des  projets  de  Barberousse  contre  la  Hongrie  (cf.  Prutz,  op.  cit..  t.  i,  p.  43)  et 
de  l'influence  de  Wibald,  partisan  de  l'alliance  grecque.  "NVibald,  Epist.,  dans 
Jaffé,  Biblioth.  rer.  Gerni.,  t.  i,  p.  549,  n.  410.»  (H.  L.) 

1.  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvi,  p.  88  ;  Raumer,  Geschichte  der  Hohen- 
staufen,  t.  ii,  p.  15  ;  Jafïé,  Bibl.  rer.  Germ.,  t.  m,  p.  401  ;  Vita  Arnoldi  et  Chron. 
Mogunt.,  dans  Jaffé,  op.  cit.,  p.  611,  684. 

2.  Eugène  III  était  rentré  dans  Rome  au  mois  de  novembre  1152.  Romuald, 
Annal.,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xix,  p.  425  ;  Annal.  Casinenses, 
dans  Monum.  Germ.  hisf.,  Script.,  t.  xix,  p.  310;  Annales  Ceccanenses,  dans 
Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  284  ;  H.  Simonsfeld,  Jahrbïicher,  p.  148. 
(H.   L.) 

3.  Otton  de  Freisingen,  Gesta  Friderici,  II,  x.  Cf.  Simonsfeld,  Jahrbiichcr, 
p.  204  sq.  Saint  Bernard  suivit  de  près  son  disciple,  il  mourut  le  20  août.  (H.  L.) 

4.  Conrad  délia  Subburra,  couronné  le  12  juillet  1153,  mort  le  3  décembre 
1154.  Liber  pontificalis,  cdit.  Duchesne,  t.  ii,  p.  388-449;  G.  B.  C.  Giuliari,  dans 
Archiv.  stor.  Ital.,  1880,  ÏV^  série,  t.  vi,  p.  3-8  ;  JalTé,  Refiesta  pontif.  roman., 
2e  édit.,  t.  II,  p.  89-102,  719-720,  759  ;  E.  Waldner,  dans  Zeitschs.  Gesch.  Ober- 
rhein,  1892,  II"  série,  t.  vu,  p.  183-18'i  ;  Watterich,  }'itx  pontif.  roman.,  t.  ii, 
p.   321-322.    (H.   L.) 


864  LIVRE    XXXlV 

le  nom  d'Anastase  IV  ;  ami  de  Wibald,  il  continua,  après  son 
élection,  à  correspondre  avec  lui.  Il  s'empressa  d'accorder  à 
l'influent  abbé  la  prérogative  de  l'anneau,  jusque-là  réservé  aux 
évêques  ^.  Sous  son  court  pontificat,  on  ne  célébra  aucun  synode 
imporlant.  Un  concile  tenu  à  Londres  pendant  le  carême  de  1154  ^ 
remit  en  vigvieur  les  anciennes  lois  et  les  anciennes  coutumes 
du  tem])s  d'iidouard  le  Confesseur,  et  fit  confirmer  par  l'ap- 
position du  sceau  royal  plusieurs  documents  en  faveur  des  églises 
et  des  couvents.  Un  second  synode,  célébré  à  Moret,  fut  occasionné 
par  un  conflit  entre  les  bourgeois  et  les  moines  de  Vézelay  ^.  Un 
troisième,  tenu  à  Bourgueil,  près  de  Tours,  régla  un  différend 
entre  l'évêque  de  Dol  et  l'archevêque  de  Tours  *.  Le  synode  pro- 
vincial de  Mayence,  célébré  le  14  mars  1154,  sous  l'archevcque 
Arnold  de  Selenhofen,  se  rattache  au  pontificat  d'Anastase.  Il 
chercha  à  remédier  aux  abus  qui  s'étaient  produits  sous  son  pré- 
décesseur, tenta  de  recouvrer  les  biens  de  l'Église  dilapidés, 
enfin  rappela  et  recommanda  instamment  au  clergé  l'observa- 
tion des  prescriptions  canoniques  ^. 

Le  roi  Frédéric  fit  alors  ses  préparatifs  d'expédition  en  Italie, 
afin  d'y  rétablir  l'autorité  impériale  et  de  s'y  faire  couronner 
empereur  ®  :  il    se   réconcilia    avec    Henri   de    Saxe,  dit    Henri   le 


1.  Jansseiîj  up.  cil.,  p.  188  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi^  col.  783. 

2.  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  1040-1041,  1178-1179  ;  Hardouin,  Conc.  coll., 
t.  VI,  part,  2,  col.  1331;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  11,  1677  ;  Wilkiiis,  Conc. 
Britann.,  t.  i,  col.  426  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  785.  (H,  L.) 

3.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  830.  Moret-sur-Loing,  arrondisse- 
ment de  Fontainebleau,  département  de  Seine-et-Marne.   (H.  L.) 

4.  Mansi,  Concilia,  Supplém.,  t.  ii,  col.  495  ;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col. 
833.  Bourgueil,  arrondissement  de  Chinon,  département  d'Indre-et-Loirc. 
(H.  L.) 

5.  Hartzhoim,  Conc.  Gerni.,  t.  x,  p.  706  ;  Jafîé,  Bihl.  rev.  Germ.,  t.  ni,  p.  612. 
G.   L'indépendance   des    villes   italiennes    fut   plus    ])récoce    et   plus    complète 

dans  l'Italie  supérieure  que  dans  le  reste  do  la  péninsule.  «  liien  des  causes, 
dit  M.  Mignel,  y  avaient  contribué.  La  principale  avait  été  léloigncmcnt  du  pou- 
voir militaire  général  et  la  faiblesse  du  pouvoir  militaire  local.  Démantelées 
par  les  conquérants  lombards,  afin  «pie,  restant  ouvertes,  elles  pussent  être 
aisément  gardées,  elles  furent  hors  d'état  de  s'insurger  contre  ceux  qui  occu- 
paient le  pays,  mais  aussi  elles  devinrent  incapables  de  se  défendre  contre  ceux 
qui  l'envahissaient.  Elles  furent  ainsi  exposées  aux  attaques  dévastatrices 
et  incursions  ruineuses  des  Hongrois  et  des  Arabes.  Pour  leur  résister, 
sous  les  derniers  empereurs  carolingiens  et  sous  les  rois  italiens,  des  chartes 
autorisèrent  les   évoques   à  les   entourer  de   murailles.   Milan   fut  fortifiée  sous 


619.     FRÉDÉRIC    I^^    ET    LE    PAPE    HADRIEN   IV  865 

Lion,  et  lui  rendit  le   duché   de   Bavière.    Pour  mieux  assurer    le 
succès  de   cette  expédition  contre  les  Normands,  Wibald  réitéra 

Charles  le  Gros,  en  882  ;  Bergame  et  Reggio  obtinrent  de  Bérenger  1^^,  en  885  et 
891,  de  se  mettre  en  état  de  défense.  Des  remparts  et  des  tours  s'élevèrent  ainsi, 
vers  la  fin  du  ix^  siècle  et  le  commencement  du  x^,  autour  de  la  plupart  des 
villes.  Après  qu'il  eut  été  pourvu  à  la  sûreté  de  celles-ci,  il  fut  pourvu  à  leur 
liberté.  Otton  le  Grand  leur  accorda  d'importants  privilèges.  Soustraites  à 
l'obligation  de  la  milice,  du  logement  militaire,  de  divers  péages,  elles  furent 
exemptes  de  la  juridiction  du  comte,  ce  qui  les  plaça  uniquement  sous  celle  de 
l'évêque.  Cette  dernière  juridiction  s'exerça  par  le  prévôt  épiscopal  et  par  des 
consuls  ou  des  échevins  que  les  hommes  libres  élisaient  parmi  eux.  Les  conces- 
sions multipliées  des  successeurs  d'Otton  le  Grand  et  les  empiétements  de  l'in- 
dépendance urbaine  sous  l'autorité  épiscopale,  toutes  les  fois  que  se  renouve- 
lait l'élection  de  l'évêque  ou  qu'il  y  avait  conflit  par  suite  de  doubles  élections, 
permirent  à  l'établissement  municipal  de  se  fortifier  et  de  s'étendre.  Sorties 
successivement  de  la  dépendance  seigneuriale  des  comtes  et  des  évèqucs,  les 
cités  italiennes  formaient  de  petites  républiques  qui  se  gouvernaient  elles-mêmes. 
Ainsi,  tandis  que  le  pouvoir  pontifical  s'était  fortement  constitué  au  milieu 
de  la  péninsule,  tandis  qu'une  monarchie  militaire  s'y  était  élevée  au  sud  avec 
une  solidité  durable,  au  nord,  tout  son  territoire  s'était  couvert  de  inunicipa- 
lités  libres  et  entreprenantes.  Les  deux  golfes  que  cette  péninsule  forme  à  se§ 
deux  points  de  jonction  avec  le  continent  étaient  occupés  par  les  villes  de  Venise 
et  de  Gênes,  érigées  de  bonne  heure  en  républiques  marchandes,  qui,  à  l'aide 
de  leurs  flottes,  partageaient  l'empire  de  la  Méditerranée  avec  la  cité  mari- 
time de  Pise.  La  plaine  du  Piémont,  la  vaste  vallée  transversale  du  Pô,  les  val- 
lées perpendiculaires  de  l'Adda,  de  l'Oglio,  du  Mincio,  de  l'Adige,  étaient  rem- 
plies de  villes  florissantes.  Verceil,  Chieri,  Tortone,  Novare,  Asti,  Côme,  Lodi, 
Milan,  Crème,  Pavie,  Crémone,  Brescia,  Bergame,  Plaisance,  Parme,  Modène, 
Reggio,  Ferrare,  Mantoue,  Vérone,  Padoue,  Trévise,  Vicence,  armées  et  éman- 
cipées, avaient  acquis  un  développement  considérable  et  une  extrême  indé- 
pendance. La  révolution  qui  en  fit  des  petits  États  libres  s'étendit  bientôt  de 
l'Italie  du  nord  à  l'Italie  du  centre,  oîi  les  villes  de  la  Toscane  et  delà  Romagne 
imitèrent  les  villes  de  la  Lombardie.  Lucques,  Pistoie,  Florence,  Arezzo,  Sienne, 
Ravenne,  Rimini,  Imola,  Forli,  Pesaro,  Ancône,  etc.,  formèrent  plus  tard  des 
républiques  sur  les  débris  du  grand  fief  de  la  comtesse  Mathilde  et  sur  le  territoire 
de  l'ancien  exarchat  donné  aux  papes  qui  n'avaient  encore  aucun  moyen  de 
s'y  faire  obéir.  La  ville  de  Rome  elle-même,  échappant  à  l'influence  des  famiUes 
féodales  et  oligarchiques,  s'était  érigée  en  république  sous  des  consuls,  un  sénat 
et  l'ordre  équestre  qu'elle  avait  rétabli  à  l'instigation  du  fameux  Arnaud  de 
Brescia,  qui  s'était  fait  l'éloquent  prédicateur  de  l'ancienne  liberté  romaine. 
Du  temps  de  Frédéric  Barberousse,  la  république  était,  depuis  plus  de  douze 
ans,  instituée  dans  Rome,  oii  le  pape  ne  pouvait  plus  commander  ni  même 
siéger. 

«Sans  entrer  dans  l'organisation  des  villes  d'Italie,  il  est  nécessaire  de  dire, 
pour  en  indiquer  la  force  et  en  expliquer  la  victoire,  que  l'élément  niuiiicipal 
transmis  par  l'antiquité,  agrandi  par  la  culture,  le  commerce  et  l'industrie  du 

CONCILES  -V  -  50 


866 


LIVRE     XXXIV 


le  conseil,  jadis  donné  à  Conrad,  de  faire  alliance  avec  Byzance  et 
d'épouser  une  princesse  grecque  ^  ;    car  le  mariage  de  Frédéric 

moyen  âge,  fortifié  même  par  l'introduction  dans  les  villes  de  la  noblesse  guer- 
rière qui  s'était  formée  à  la  suite  des  invasions,  reçut  là  tout  son  accroissement. 
La  société  urbaine  s'y  constitua  dans  la  plénitude  et  la  variété  de  ses  formes, 
avec  les  plus  fiers  sentiments  et  parmi  les  plus  enivrantes  agitations.  Les  cités  ita- 
liennes, régies  par  des  assemblées,  choisirent  leurs  magistrats  qui  prirent,  en 
général,  les  anciens  noms  de  consuls,  se  donnèrent  des  lois  et  levèrent  des  armées; 
elles  élevèrent  des  fortifications  au  dedans  comme  au  dehors  de  leurs  miurailles. 
Les  seigneurs  qui  possédaient  des  terres  et  des  châteaux  dans  le  district  des 
villes,  et  qui  s'étaient  transjiorlés,  soit  volontairement,  soit  forcément,  dans 
leur  enceinte,  y  construisirent  des  maisons  à  murs  massifs,  à  portes  et  barreaux 
de  fer,  et  au  centre  desquelles  s'élevait  une  tour  carrée,  dernier  réduit  de  la 
citadelle  et  renfermant  les  armes  et  les  provisions  nécessaires  pour  soutenir 
un  long  siège.  Les  cités  étaient  militairement  distribuées  en  quartiers  qui  rece- 
vaient, en  général,  leurs  noms  des  portes  auxquelles  ils  aboutissaient.  Chacun 
de  ces  quartiers  avait  sa  cavalerie,  que  connposaient  les  nobles,  et  son  corps 
d'arbalétriers  et  de  lanciers,  que  formaient  les  plébéiens.  Lorsque  les  milices 
aguerries  des  nouvelles  républiques  allaient  au  combat,  elles  avaient  au  milieu 
d'elles  un  grand  char  appelé  le  cairoccio,  que  surmontait  un  mât  au  haut  duquel 
flottaient  leurs  bannières  et  qu'entouraient  les  plus  braves  de  la  cité,  tenus 
de  le  défendre  jusqu'à  la  mort.  C'est  contre  la  Lombardie  indépendante  que 
Frédéric  Barberousse  dirigea  sa  première  expédition.  Ce  qui  favorisa  d'abord 
la  tentative  d'assujettissement,  ce  fut  la  division  des  villes  entre  elles  et  sa  pro- 
pre union  avec  le  pape,  doiit  il  avait  besoin  pour  être  couronné  empereur  dans 
Rome  et  qui  avait  besoin  de  lui  pour  y  être  rétabli  dans  son  autorité  et  sur  son 
siège.  Dès  la  seconde  moitié  du  xi^  siècle,  les  villes  lombardes  étaient  devenues 
assez  puissantes  pour  s'être  divisées  et  avoir  entrepris  les  unes  contre  les  autres 
des  guerres  acharnées.  Deux  ligues  contraires,  suscitées  surtout  par  des 
rivalités  de  voisinage,  avaient  uni  celles  qui  avaient  des  intérêts  analogues  et 
des  animosités  communes.  A  la  tête  de  l'une  de  ces  ligues  était  Milan,  que  sui- 
vaient Crème,  Tortone,  Brescia,  Parme,  Modène  ;  à  la  tête  de  l'autre,  Pavie^ 
qui  avait  dans  son  alliance  Cùme,  Lodi,  Crémone,  Novare,  Asti,  Plaisance, 
Reggio.  La  ligue  milanaise  était  la  plus  forte  ;  elle  avait  pris  et  rasé  Lodi  (1109), 
attaqué  Novare,  soumis  Côme  (1127).  Ce  fut  cette  ligue  que  voulut  dompter^ 
et  la  cité  superbe  dont  elle  suivait  les  directions  que  voulut  soumettre  Frédéric 
Barberousse;  il  prétendit  par  là  rétablir  la  souveraineté  impériale  presque 
entièrement  annulée  dans  la  Péninsule.  Les  empereurs  saxons  avaient  attaqué 
l'Italie  dans  sa  royauté  nationale,  les  empereurs  franconiens  dans  sa  suprématie 
spirituelle;  les  empereurs  souabes  l'attaquèrent  surtout  dans  sa  constitution 
numicipale  :  ils  espérèrent,  en  triomphant  des  villes,  faire  prévaloir  ensuite 
l'autorité  impériale  sur  le  territoire  d'Italie  et  y  dominer  même  la  papauté.  » 
(IL  L.) 

1.  «  Dans  le  courant  de  l'année  1153,  Barberousse  reçut  des  envoyés  de  Ma- 
nuel Comnène  chargés  de  lui  faire  des  ouvertures  dont  nous  ne  connaissons 
pas  l'objet.  En  même  temps,  Wibald,  abbé  de  Stavelot,  recevait  une  lettre  de 


619.    FRÉDÉRIC    I^^    ET    LE   PAPE     HADRIEN     IV  867 

avec  la  margrave  Adélaïde  de  Vohbourg^  avait  été  récemment  cassé, 

pour  cause  de  parenté,  et.  au  dire  de  quelques  auteurs,  par  les  légats 

[538]   du  pape  eux-mêmes  ^;  en  effet,  Wibald  obtint  que  son  ami  Anselme, 

évêque  de  Havelberg,  et  le  comte  Alexandre  fussent    envoyés   en 


Manuel,  qui  le  priait  d'user  de  son  influence  pour   amener  Barberousse  à   entrer 
dans  ses  vues.  Wibald,  Epist.,  dans  Jalïé,  Bibl.  rer.  Gêna.,  t.  i,  p.  549,  n.  410. 
Le  registre  de  la  correspondance  de  Wibald  contient  une    lettre  qui  est  certai- 
nement la  réponse  de  Barberousse  à  cette  première  missive  de  Manuel.  Frédéric 
parle  des   excellents  rapports  de  son  prédécesseur  avec  la  cour  byzantine   et 
insiste  sur  les  conseils  que  Coiirad  lui  a  donnés,  relativement  à  l'alliance  grec- 
que ;  il  termine  en  annonçant  pour  l'été  prochain  sa  descente  en   Italie.  Cette 
lettre  est,  d'une  part,  postérieure  au  23  mars,  date  du  divorce  de  l'empereur  ; 
il  semble    que,  d'autre  part,  la  date  assignée  à  l'expédition  de  Fouille  doive  la 
faire   placer   dans  l'été  de  1153.    L'apparente   contradiction   qui  existe  entre  les 
clauses  du  traité  de  Constance  et  la  demande  d'alliance  tend  à  nie  faire  croire 
que  cette  dernière  est  postérieure  à  la  mort  d'Eugène  III.  Quoi  qu'il  en  soit, 
le  22  novembre  1153,  Manuel  répondait  en  envoyant  une  nouvelle  ambassade 
chargée  de  traiter  la  question  du  mariage  projeté  depuis  si  longtemps.  Wibald, 
Epist.,  dans  Jafîé,  Bibl.  rer.  Gerni.,  t.  i,  p.  561,  n.  424.  Kinnamos  nous  apprend 
qu'il  fut  alors  question  du  mariage  de  Marie,  fille  du  Sébastocrator  Isaac.  La 
mission  grecque  ne  put  aboutir  à  une  entente.  Kinnamos  nous  dit  que  les  en- 
voyés de  Manuel,  trouvant  que  Frédéric  manquait  de  sagesse    dans    les  négo- 
ciations, se  décidèrent  à  reprendre  la  route  de  Byzance  ;  ils  avaient  d'ailleurs 
eu    soin    d'obtenir  qu'une  ambassade  allemande  les  suivrait  de  près    et  vien- 
drait traiter  directement  avec  leur  maître  les  questions  en  litige.  Il  serait  fort 
intéressant  de  connaître  exactement  les  motifs  de  cette  rupture.  Malheureuse- 
ment, les  chroniques  sont  muettes  à  cet  égard.   Il  semble    ressortir    du    récit 
de  Kinnamos  que    Frédéric    a    commencé    par    faire,    au    sujet    de    l'Italie    du 
sud,  les  mêmes  offres  que  Conrad;  cela  me  paraît  douteux  ;  il  me  semble,  en 
effet,  que  l'on  doive  regarder  les  clauses  du  traité  de  Constance  relatives  aux 
Grecs  comme  l'expression  des  idées  personnelles  de  Barberousse  sur  la   question 
de  l'Italie  du  sud,  et  il  me  paraît  difficile  d'admettre  que  la  mort  d'Eugène  III 
ait  amené  un  revirement  aussi  complet  chez  l'empereur.  Barberousse  n'admet- 
tait pas,  cela  ressort  clairement  d'un  passage  d'Otton  de  Freisingen,  qu'en  Italie 
l'autorité   du    basileus  pût   contrebalancer  la   sienne    [Gesla  Friderici.    II,    xx, 
dans  Monum.   Germ.  hist.,  Script.,  t.  xx,  p.  428)  ;  or.  Manuel  Comnène    était 
décidé  à  avoir  dans  l'Italie  du  sud  une  politique  active,  pour  y  rétablir  de  nou- 
veau la  domination  byzantine.  Ce  sont  ces  prétentiojis  rivales  qui  ont  vraisem- 
blablement amené  l'échec  des  négociations.  »  F.  Chalandon,  Histoire  de  la  do- 
mination normande  en  Italie  et  en  Sicile,  1907,  t.  ii,  p.  154-157.  (H.  L.) 

1.  Petite-fille  d'Henri  le  Superbe.  (H.  L.) 

2.  Otton  de  Saint-Biaise,  Chronicon,  c.  x,  dans  Muratori,  Script,  rer.  Italie, 
t.  VI,  p.  869  :  Curiam  habuit  ibique  uxoretn  suant,  causa  fornicalionis  sicpius 
infamalani  repudiavil.  Avant  toute  décision  canonique,  Frédéric  répudia    Adc- 

a'ide,  du  consenleuieut  de  la  diète.  Suevicorum  annules,  1.  X,  part  2.    (H.  L.) 


8C8  LIVRE    XXXIV 

ambassade  à  Constantinople,  au  mois  de  septembre  1154^.  Dès  le 
mois  d'octobre,  l'expédiLion  impériale  se  mit  en  marche  vers 
l'Italie  ^,  Elle  était  à  peine  commencée  que  le  pape  Anastase, 
après  dix-huit  mois  seulement  de  pontificat,  mourut,  le  3  décembre 
1154  ^;  dès  le  lendemain,  Hadrien  IV  fut  élu  à  l'unanimité  *, 


1.  OttOM  do  Freisingen  mentionne,  à  la  date  de  septembre  1153.  l'envoi 
d'Anselme  de  Havelberg  en  qualité  d'ambassadeur  à  Constantinople.Nous  ne  trou- 
vons pas  mention  de  la  présence  de  ce  dernier  en  Allemagne,  de  juin  1153  à  jan- 
vier 1154  et  de  mai  1154  à  1155.  H.  von  Kap-Herr,Z)ie  ahendlàndische  Poliiik  Kai- 
ser Manuels,  in-8,  Strassburg,  1881,  p.  148.  D'autre  part,  le  9  avril  1155,  Anselme 
est  à  Thessalonique  (cf.  J.  Schmidl,  Des  Basiliiis  aus  Aclirida  Erzhischofs  von 
Thessalonich,  bishcr  unedierte  Dialoge,  in-8,  Munich,  1901);  et,  en  mai  1155, 
il  était  de  retour.  Otton  de  Freisingen,  Gesla  Friderici,  II,  xx.  On  a  remarqué 
avec  raison  (Kap-Herr,  op.  cit.,  p.  149)  que  les  données  synchroniques  d'Otton 
de  Freisingen  s'appliquent  à  1154  et  non  à  1153.  Il  faut  donc  placer  une  ambas- 
sade d'Anselme  en  septembre  1154.  Cette  opinion  paraît  à  F.  Chalandon,  op. 
cit.,  t.  II,  p.  155,  note  4,  confirmée  par  la  lettre  de  Wibald  à  Manuel,  dans  la- 
quelle il  lui  recommande  les  envoyés  impériaux  et  ne  parle  plus  du  projet  de 
mariage.  Jaffé,  Bihl.  rcr.  Germ.,  t.  i,  p.  568,  n.  432.  (H.  L.) 

2.  Octobre  1154.  Frédéric,  Epist.  ad  Ottonem,  dans  Otton  de  Freisingen, 
Gesta  Friderici  :  Nos  curn  maxima  Victoria...  qualeni  cum  mille  octingentis  mili- 
tihus  conquisitam  prius  iiusquam  audivimus.  Cf.  H.  Simonsfcld,  Jahrbïicher, 
t.  I,  p.  243  sq.  Frédéric  avait,  semble-t-il,  avec  lui  6  000  hommes.  Dettfol,  Der 
erste  Rômerzug  Kaiser  Friedrichs  I,  in-8,  Gôttingen,  1877;  W.  von  Giesebrecht, 
Geschichte  der  deutschen  Kaiserzeit,  in-8,  Braunschweig,  1880,    t.   v,  p.  39  sq. 

(H.   L-) 

3.  Boso,  Vila  Anaslasii,  dans  Watterich,  Vitie  ponlif.  roman.,  t.  ii,  p.  223  ; 
Duchesne,  Liber  pontificalis,  t.  ii,  p.  388;  Simonsîeld,  JahrbUcher  unter  Fried- 
rich J,  p.  268,  note  249.  (H.  L.) 

4.  Né  à  Abbotslangley,  comté  de  Hertfordshire,  prieur  de  Saint-Ruf  en  Avi- 
gnon (1137),  cardiual-évêque  d'Albano  en  1146;  pape  élu  le  4  décembre  1154, 
sacré  le  lendemain,  mort  à  Anagni  le  l^'' septembre  1159.  Anonyme,  Adrien  IV 
et  V Irlande,  dans  Analecta  juris  pontificii,  1882,  t.  xxi,  p.  257-397  ;  Baronius, 
Annales  eccles.,  ad  ann.  1154,  n.  4  ;  ad  ann.  1159,  n.  23  ;  Pagi,  Crilica,  1689, 
ad  ann.  1154,  n.  3,  ad  ann.  1159,  n.  5  ;  Bibliothèque  de  l' École  des  chartes,  1896, 
t.  Lvii,  p.  153-267;  du  Boulay,  Uist.  universilatis  Parisirnsis,  1665,  t.  ii,  p.  717- 
718  ;  R.  Ceillier,  Histoire  des  auteurs  ecclésiastiques,  1763,  t.  xxiii,  p.  348-357  ; 
2«  édit.,  t.  XIV,  p.  912-918  ;  Daumon,  dans  Hist.  littér.  de  la  France,  1814,  t.  xiii, 
p.  287-297  ;  C.  Didelot,  Le  pape  Adrien  IV  à  Valence,  dans  le  Bull,  de  la  Soc. 
orchéol.  de  la  Drôme,  1891,  t.  xxv,  p.  5-50  ;  P.  Ewald,  dans  Neues  Archiv, 
1876,  t.  II,  p.  211-213  ;  J.  A.  Fabricius,  Bibliotheca  medii  œvi,  1734,  t.  i, 
p.  532-535  ;  2^  édit.,  p.  178  ;  A.  Gasquet,  Adrian  IV  and  Ireland,  dans  Dublin 
review,  1883,  t.  x,  p.  83-103  :  Jaiïé,  Reg.  pontif.  rom.,  2^  édit.,  t.  ii,  p.  102-145, 
720-721,  760-761  ;  K...,  Iladrian  IV  und  Irland,  dans  Zeitschrifl  fiir  katho- 
lischc  Theulugie,   188'i,   t.   viii,  j).  444-447  ;   Liber  ponti/icalis,  édit.   Duchesne, 


619.     FRÉDÉRIC    I^'"     ET    LE    PAPE     HADRIEN     IV  8G9 

Il  s'appelait  avant  son  élévation  Nicolas  Breakspear  (Brise- 
lance);  il  était  fils  d'un  clerc  anglais  devenu  plus  tard  moine  de 
Saint-Alban  ^  [et  qui  ne  paraît  s'être  occupé  de  son  fils  que  pour 
lui  donner  de  bons  conseils].  Dans  sa  jeunesse,  Nicolas  fut  livré  à 
lui-même  et  réduit  à  la  mendicité  ;  honteux  de  mendier  en  Angle- 
terre ou  d'y  subsister  à  l'aide  de  travaux  infimes,  le  jeune  homme 
vint  en  France  [et,  d'étape  en  étape,  gagna  Avignon]  où  il  s'enga- 
gea comme  domestique  du  monastère  de  Saint-Ruf.  On  remarqua 
vite  son  assiduité  au  travail,  son  adresse  et  son  mérite,  en  sorte 
qu'après  deux  ans  il  fit  profession  et  commença  l'étude  de  la  théo- 
logie. En  1137,  ses  confrères  l'élurent  abbé  à  l'unanimité.  Accusé 
par  quelques  moines  à  cause  des  réformes  qu'il  voulait  introduire, 
il  vint  à  Rome  exposer  sa  cause  et  la  gagna.  Les  accusateurs  revin- 
rent à  la  charge;  alors  le  pape  Eugène  111  nomma  Nicolas 
Breakspear  cardinal-évêque  d'Albano  et  l'envoya  comme  légat 
dans  les  pays  Scandinaves,  où  il  fonda  l'archevêché  de  Dron- 
theim  pour  la  Norvège  et  s'efforça  de  faire  d'Upsal  la  métropole 
de  la  Suède  2.  Dès  son  élévation  au  souverain  pontificat, 
il  dit  :  «  Le  Siège  apostolique  est  semé  d'épines,  et  le  manteau 
pontifical,    bien    qu'en    lambeaux,    est    encore    si    pesant    qu'il 

t.  II,  p.  388-397,  450  ;  S.  Malone,  Adrian  IV  and  Ireland,  dans  Dublin  reinew, 
1884,  t.  XI,  p.  316-343  ;  K.  Norgate,  The  bulle  «  Laudabiliter  »,  dans  English 
historical  review,  1893,  p.  18-52  ;  P.  L.,  t.  clxxxviii,  col.  1349  ;  O.  Pfiilf,  Ha- 
drian  IV  und  die  «  Schenkung  »  Irlands,  dans  Stimmen  aus  Maria-Laach,  1889, 
t.  XXXVII,  p.  382-396,  497-517  ;  P.  Schefïer-Boichorst,  dans  MiUheilungen 
Instit.  ôsterr.  Gesch.,  1893,  t.  iv,  p.  101-122  ;  E.  Trollope,  Memoir  of  the  life 
of  Adrian  the  fourth,  dans  The  archeologia,  1857,  t.  xxxvii,  p.  39  sq.  ;  Watte- 
rich,  Vitse  pontif.  roman.,  1862,  t.  ii,  p.  323-374.  Notice  complète  et  exacte 
de  H.  Hemmer,  dans  Dictionnaire  de  théologie  catholique,  t.  i,  col.  457-458. 
Hadrien  IV  a  été  le  seul  pape  d'origine  anglaise.   (H.   L.) 

1.  William  de  Neubourg,  Ilistoria  Anglicana,  1.  II,  c.  vi,  dans  Mon.  Germ. 
liist.,  Script.,  t.  xxvii,  p.  228  :  Is...  patrem  habuit  clericum  quendam  non  multe 
facultatis,  qui,  relicto  cum  seculo  impubère  filio,  apud  Sanctum  Albanum  factus 
est  monachus.  Ille  vero  adolescentiam  ingressus,  cum  propter  inopiam  scholis 
vacare  non  posset,  idem  moruisterium  cotidiane  stipis  gralia  frequeniabat.  (H.  L.) 

2.  Watterich,  Vilse  rom.  pont.,  t.  ii,  p.  323,  337  ;  Raby,  Pope  Iladrian  IV. 
An  historical  sketch,  in-8,  London,  1849  ;  Tatcher,  Studies  concerning  Adrian  IV, 
in-8,  Chicago,  1903  ;  Matthieu  Paris,  Gesta  abbatum  d.  Albani,  dans  Scriptores, 
t.  XXVIII,  p.  435  ;  Simonsfeld,  Jahrbiicher,  t.  i,  p.  269  sq.  ;  Jafîé-Wattembach, 
Reg.  pont,  rom.,  n.  9937,  9938;  Reuter,  GeschichteAlexanders  III,  t.  ii,  p.  143  sq.  ; 
Maurer,  Die  Bekehrung  des  norwegischen  Stammes  zitrn  Chrislentum,  in-8,  Mi'm- 
chen,  1856,  t.  ii,  p.  677  sq.  ;  Mùnter,  Kirchengeschichte  von  Danemark  und 
Norwegen  bis  zum  Schlussc  des  xiii  Jahrii.,  1875,  p.  88  sq.  (II.  L.) 


870  LIVRE     XXXIV 

accable  même  les  plus  forts  ^  »  Hadrien  ne  devait  pas  tarder 
à  s'en  convaincre.  Il  était  à  peine  sacré  que  les  Romains,  excités 
par  Arnaud  de  Brescia,  lui  enjoignirent  de  se  borner  à  son  pouvoir 
spirituel,  le  pouvoir  temporel  appartenant  au  sénat  élu,  et  lui 
notifièrent  leur  résolution  de  se  défaire  à  tout  prix  du  joug  pon- 
tifical :  pour  lui,  le  meilleur  parti  était  d'abdiquer  volontairement. 
Hadrien  répondit  énergiquement  et  demanda  l'expulsiond' Arnaud, 
mais  les  Romains  se  montrèrent  alors  si  menaçants  qu'Hadrien 
dut  se  retirer  dans  la  citadelle  de  Saint-Pierre.  Le  cardinal  Guy,  du 
titre  de  Sainte-Pudentienne,  ayant  voulu  l'y  visiter,  fut  saisi  et 
grièvement  blessé  par  les  partisans  d'Arnaud.  Le  pape  jeta  Tinter-  [539] 
dit  sur  Rome,  et  on  n'y  célébra  plus  d'offices  divins  jusqu'à  ce  que, 
[le  mercredi  saint  de  l'année]  1155,  le  peuple  forçât  les  sénateurs 
à  se  soumettre  au  pape  et  à  bannir  Arnaud  de  Brescia  et  ses  par- 
tisans s'ils  ne  voulaient  s'y  résoudre.  En  conséquence,  Hadrien 
leva  l'interdit  le  jeudi  saint  et  célébra  la  fête  de  Pâques  de  1155 
au  Latran.  Au  début  de  l'été,  il  se  rendit  à  Viterbe. 

Sur  ces  entrefaites,  Frédéric  Barberousse  était  arrivé  dans  la 
Haute-Italie  et,  selon  la  coutume,  avait  célébré  une  grande  diète 
dans  la  plaine  de  Roncaglia,  près  de  Plaisance,  pour  recevoir  le 
serment  des  seigneurs  et  des  villes  italiennes  et  trancher  leurs 
différends^.  Il  fut  froidement  accueilli,  car  depuis  des  années  on 
n'avait  point  connu  un  empereur  énergique  et  les  villes  de  la  Haute- 
Italie  avaient  joui  d'une  grande  liberté  et  d'un  bien-être  croissant, 
en  sorte  que  l'autorité  impériale  n'était  plus  pour  elles  qu'un  vague 
souvenir  ou  une  institution  dont  elles  ne  voyaient  pas  l'utilité  ^. 

1.  Jean  de  Salisbury,  Policraticus,  1.  VIII,  dans  Monum.  Gerni.  Itist.,  Script. , 
t.  XXVII,  p.  50  :  Dominum  Adrianum . . .  tesletn  invoco,  quia  romano  ponlifice 
nemo  miserabilior  est,  conditione  ejus  nidla  miserior...  Spinosqm  dicit  cathedram 
romani  pontificis,  mantum  acutissimis  usquequaque  consertum  acitleis.  Cf.  Simons- 
feld,  Jahrhucher,  t.  r,  p.  319,  n.  128  ;  W.  von  Giesebrechl,  Gesddchle,  t.  vi, 
p.  339  sq.   (H.  L.) 

2.  Frédéric  campa  à  Roncaglia  et  fit  dresser  l'écu  impérial  le  long  du  grand 
mât,  où  tous  les  vassaux  d'Italie  furent  tenus  de  venir  lui  prêter  hommage 
pour  leurs  fiefs  et  s'acquitter  pendant  une  nuit  de  la  veillée  d'armes  au- 
tour de  sa   tente.    (H.   L.) 

3.  Otton  de  Freisingen,  Gesta  Friderici,  II,  xiii,  dans  Monum.  Germ.  hisL, 
Script.,  t.  XX,  p.  397  :  Ex  quo  factum  est,  ut  cœteris  orhis  civitatihus  divitiis 
et  potentia  longe  prsemineant.  Jus'antur  ad  hoc  non  solum,  ut  diclum  est,  morum 
suorum  induslria,  sed  et  principum  in  Transalpinis  manere  assultorum  ahsentia. 
Frédéric,  Epist.  ad  Ollonem  :    Post    hase    expeditionem    Romam    inovimus    cl  in 


619.    FRÉDÉRIC    I^^    ET      LE    PAPE    HADRIEN   IV  871 

Mais,  d'un  autre  côté,  en  Italie  plus  qu'ailleurs,  s'étaient  dévelop- 
pées ces  inimitiés  de  ville  à  ville  qui  avaient  causé  des  guerres 
et  des  brutalités  sans  nombre  ^.  Ainsi,  tandis  que  Pavie  tenait 
pour  le  parti  gibelin,  Milan  se  trouvait  à  la  tète  d'une  importante 
confédération  de  villes  qui,  tout  en  paraissant  uniquement  orga- 
nisées contre  Pavie,  ne  dissimulaient  guère  leurs  sentiments 
anti-impériaux.  Plusieurs  de  ces  villes  furent  forcées  de  se  sou- 
mettre 2  :  Chieri  et  Asti  furent  en  partie  détruites  et  Tortone  entiè- 
rement ;  mais  Milan  ne  put  être  vaincue  ^.  Ses  députés  n'avaient 
apporté  à  Roncaglia  que  des  paroles  ambiguës,  disant  que  le 
reste  pourrait  se  traiter  dans  i\Iilan  même;  mais  l'orgueilleuse 
ville  ferma  ses  portes  au  roi,  qui  ne  jugea  pas  prudent  de  commen- 
cer contre  elle  la  lutte  sérieuse  nécessaire  pour  la  réduire  *.  Après 

valida  manu  Longobardiam  intravimus.  Hœc  enim  propter  longam  absentiam 
imperatorum  ad  insolentiani  declinaverat  et  suis  confisa  uiribus  aliquanlum  re- 
bellare  cœperat...  Cf.  Annal.  Placentini  GibeUini,  dans  Monum.  Germ.  hist., 
Script.,  t.  XVIII,  p.  457  ;  Annales  S.  Vitoni  Virdunensis,  dans  Monum.  Germ. 
hist.,  Script.,  t.  x,  p.  527  ;  Thomas  le  Toscan,  Gesta  imper,  et  pontif.,  dans 
Mon.  Germ.  Iiist..  Script.,  t.  xxii,  p.  504  ;  Otton  de  Freisingen,  Gesta  Frederici, 
II,  vu,  et  .Annal.  Beicliersperg.,  dans  Mon.  Germ.  hist..  Script.,  t. -kvji,  p.  465; 
Simonsfeld,  op.  cit.,  t.  i,  p.  243.  (H.  L.) 

1.  Otton  de  Freisingen^  Gesta  Friderici,  II,  xiii  sq.  ;  H.  Simonsfeld,  Jahr- 
biicher,  t.  i,  p.  220. 

2.  En  pénétrant  en  Italie,  Frédéric  eut  à  prendre  parti  entre  Milan  et  Pavie; 
l'hésitation  pouvait  être  longue,  mais^  outre  les  raisons  qu'avait  le  roi  des  Ro- 
mains de  choisir  Pavie,  il  y  avait,  au  dire  d'un  chroniqueur  contemporain,  la 
redoutable  puissance  des  Milanais  qui  fût  devenue  sans  mesure  et  véritable- 
ment périlleuse  pour  l'autorité  impériale.  De  rébus  gestis  Friderici,  dans  Muratori, 
Script,  rer.  Italie,  t.  vi,  p.  1174  ;  C.  du  Cherrier,  Histoire  de  la  lutte  des  papes 
et  des  empereurs  de  la  maison  de  Souabe,  \^^  édit.,  t.  i,  p.  163-164.  Jusqu'alors 
Milan  avait  appuyé  le  gouvernement  impérial  contre  les  papes  et  les  guelfes 
allemands,  tandis  que,  dès  le  temps  d'Henri  II,  Pavie  tenait  pour  l'opposition  ; 
mais  dès  que  Barberousse  se  fut  prononcé  en  faveur  de  cette  dernière  ville, 
les  rôles  changèrent  entièrement.  Les  Milanais  abandonnèrent  le  parti  impérial^ 
contre  lequel,  sauf  d'insignifiants  raccommodements,  ils  soutinrent  la  lutte  ; 
au  contraire,  les  Pavesaiis  se  firent  impérialistes  et  ils  n'avaient  guère  le  choix 
de  s'y  refuser.    (H.   L.) 

3.  Barberousse  fit  dans  cette  première  campagne  une  maladresse  qui  eut  de 
graves  conséquences.  Au  lieu  de  se  porter  sur  Milan  et  de  l'accabler,  il  s'amusa 
à  saccager  la  Lombardie  ;  il  démolit  Rosate,  Trecate,  Galiate,  pilla  Chieri,  rasa 
Tortone^  soumit  Brescia,  releva  Lodi,  négligea  Milan  et  donna  sa  mesure  comme 
homme    de  guerre  :   c'était  un  chef  de  bandes.   (H.  L.) 

4.  Qui  ne  jugea  pas  prudent...  !  Ceci  est  admirable.  Si  le  Grand  Frédéric 
eût  pratiqué  cette  prudence-là,  il  eût  disparu  de  l'histoire  le  soir  de  Kolin.    La 


872 


LIVRE     XXXIV 


quelques  démonstrations  et  la  prise  de  quelques  places  fortes, 
Frédéric  célébra  à  Pavie,  le  17  avril  1155,  une  grande  solennité 
pour  recevoir  la  couronne  de  la  Lombardie^;  de  là  il  se  dirigea, 
à  marches  forcées,  par  Crémone,  Modène  et  Bologne,  vers 
Viterbe,  où  il  rencontra  le  pape  Hadrien  2.  A  la  nouvelle  de 
l'approche  de  Frédéric,  le  pape  envoya  à  sa  rencontre  trois  cardi- 
naux pour  s'assurer  de  ses  dispositions  bienveillantes  et  déli- 
bérer au  sujet  du  couronnement,  etc.  Ils  trouvèrent  le  roi  à  San- 
Quirico  en  Toscane,  furent  bien  reçus,  remirent  leurs  lettres  et  [540] 
exposèrent  les  points  indiqués  par  Hadrien.  Le  pape  réclamait  en 
particulier  qu'on  lui  livrât  Arnaud  de  Brescia,  naguère  fait 
prisonnier     par     le    cardinal-diacre     Gerhard     de     Saint-Nicolas, 

vraie  raison,  c'est  que  Frédéric  entendait  la  guerre  comme  les  gens  de  son  temps  : 
une  promenade  au  cours  de  laquelle  on  donne  des  coups  et  on  en  reçoit.  Ce  n'est 
pas  son  admirateur  Otton  de  Frcisingcn  qui  peut  lui  rien  apprendre  sur  ce 
point.  Avec  une  armée  de  6  000  hommes,  on  peut  faire  bien  des  violences,  mais 
guère  d'actions  d'éclat.  Dans  les  Gesta  di  Federico,  édit.  E.  Monaci,  dans 
Fontl  per  la  storia  d'Italia,  t.  i,  vs.  241  sq.,  on  voit  très  bien  pourquoi  ce  dé- 
dain à  l'égard  de  Milan  :  Barberousse  n'était  pas  en  mesure  de  s'y  frotter  : 

Irarum  celât  stirnulos,   quia  Mediolanum 

Vi  cohibere  nequit  nisi  congregat  agmiua  j)hira. 

Cf.  H.  Simonsfcld,  Jahrbiicher  des  deutschen  Reiches  unter  Friedrich  I, 
1152-1158,  in-8,  Leipzig,  1908,  t.  i,  p.  264  sq.  (H.  L.) 

1.  24  avril  1155.  Otton  de  Freisingen,  Gesta  Friderici,  II,  xx,  dans  Mon. 
Germ.  hisl.,  Script.,  t.  xx,  p.  403.  Suivant  certains,  le  couronnement  se  serait 
borné  à  des  fêtes,  il  n'y  aurait  pas  eu  de  couronnement  effectif  ;  telle  est  l'opi- 
nion de  K.  Haase,  Die  Kônigskranungen  in  Oheritalien  und  die  «  eisernen  Krone, 
in-8,  Strassburg,  1901,  p.  45  sq.,  et  de  W.  Gicsebrecht,  Geschichte  der  deutschen 
Kaiserzeit,  in-8,  Leipzig,  1880-1888,  t.  v,  p.  51  ;  t.  vi,  p.  339,  et  enfin  de  Dettfol, 
Der  erste  Rômerzug  Kaiser  Friedrichs  I,  in-8,  Gôttingen,  1877,  p.  25;  cette  opi- 
nion me  paraît  moins  vraisemblable  et  moins  justifiée  que  celle  de  Waitz,  Ver- 
fass.  Geschichte,  2«'  édil.,  t.  vr,  p.  223;  A.  Krôner,  Wahl  und  Krônung  der  deut- 
schen Kaiser  und  Kimige  in  /to/ien,  in-8,  Freiburg,  1901,  p.  65,  et  H.  Simonsfeld, 
Jahrbiicher,  t.  i,  p.  304,  qui  admettent  la  réalité  d'un  couronnement.  (H.    L.) 

2.  Boso,  dans  Watterirh,  Vitœ  pontij.  romanor.,  1.  ii,  p.  325  :  Fridericus... 
civilatern  Terdonam  (Tortone)  diu  obsedit,  qua  devicta  et  sibi  subacta,  celeriter 
propcrabat  ad  IJrbem,  in  tanta  festinantia,  ut  merito  credi  posset  magis  hostis 
accedere  quam  patronus.  Cet  empressement  était  si  extraordinaire  que  le  pape 
n'était  rien  moins  que  rassuré.  Ibid.,  p.  326  :  Pontifex...,  qui  propter  nimium 
suspecluni  impcratoris  adventum.  Cf.  Guillaume  de  Tyr,  Histor.  rer.  transmar., 
1.  XVIII,  c.  II,  P.  L.,  t.  CCI,  col.  709  :  Fredericus...  accelerato  itinere  infra  paucos 
dies  de  Lombardia  Romani  venerat,  ita  ut  subitus  ejus  advcntus  domino  papse 
et  universve  Ecclesix  romance  suspectas  essei  admodum.  Cf.  Simonsfeld,  Jahr- 
biicher, t.   I,  p.  324.   (H.   L.) 


fi  10.     FRÉDÉRIC     I®^    ET      I,E    PAPE     HADRIEN     IV  873 

mais  que  certains  comtes  de  Campanie  avaient  fait  évader, 
le  tenant  pour  un  saint.  Frédéric  accéda  à  la  demande  du  pape, 
car  tout  autant  qu'Hadrien  il  haïssait  le  démagogue;  les  comtes 
furent  menacés  et  même  emprisonnés,  ce  qui  les  décida  à  rendre 
le  tribun;  Arnaud  fut  conduit  à  Rome  et  brûlé  vif  ^  par  ordre 
du  préfet  de  la  ville;  on  jeta  ses  cendres  dans  le  Tibre,  pour 
empêcher  que  ses  restes  ne  devinssent  l'objet  de  la  vénération 
du  peuple.  Frédéric,  prévenant  les  légats  du  pape,  envoya  à  celui-ci 
Arnold,  archevêque  de  Cologne,  et  Anselme  de  Havelberg,  à 
peine  revenu  de  Constantinople  et  depuis  peu  nommé  archevêque 
de  Ravenne.  Frédéric  ayant  esquivé  une  réponse  définitive  aux 
légats  avant  le  retour  de  ses  propres  ambassadeurs,  tout  en 
poursuivant  sa  marche  rapide  vers  Viterbe,  le  pape  inquiet  son- 
geait à  se  réfugier  dans  l'imprenable  forteresse  d'Orvieto  (au  nord 
de  Viterbe),  mais  Frédéric,  venant  par  la  route  du  nord,  rendit 
ce  projet  impraticable.  Le  pape  se  dirigea  donc  vers  le  sud  et 
gagna  Cività  Castellana,  d'où  il  pouvait  fuir  facilement  si  Frédéric 
trahissait  de  mauvaises  intentions.  Il  y  fut  rejoint  par  les  ambas- 
sadeurs du  roi,  qui  ne  cessaient  de  protester  de  la  droiture  et 
des  bonnes  intentions  de  leur  maître.  Tandis  qu'ils  retournaient 
vers  lui,  ils  croisèrent  les  trois  cardinaux  cjui  revenaient 
auprès  du  pape,  et  les  deux  groupes  se  rendirent  ensemble  à 
Viterbe  chez  le  roi  tenter  un  rapprochement,  quoique  le  cardinal - 
prêtre  Octavien  (un  futur  antipape),  qui  s'était  joint  aux 
autres    cardinaux  sans  en  avoir  reçu  mission,  ait  voulvi  détourner 


1.  Papencordt,  op.  cit.,  p.  266,  fixe  cette  exécution  à  la  veille  du  couronnement 
de  Frédéric,  19  juin  1155.  Il  attaque  l'exposé,  inexact  d'après  lui,  de  Raunier, 
dans  IloJienstaufen,  t.  ii,  p.  37.  Giesebrecht,  op.  cit.,  p.  148^  doute,  et  avec  raison 
d'après  moi,  qu'on  eût  risqué  de  supplicier  Arnaud  en  lace  de  Rome  révoltée; 
il  croit  qu'on  a  dû  jeter  ses  cendres  dans  le  libre  plutôt  à  Cività  Castellana 
qu'à  Rome  même.  Dans  la  Kaisergesch.,  t.  v,  p.  64,  il  place  le  supplice  après  le 
couronnement  de  l'empereur.  Roso,  dans  \Yatterich,  Vitie  rom.  pontij.,  p.  326  ; 
Otton  de  Freisingen,  Gesta  Friderici,  II,  xx,  dans  Monum.  Germ.  hisi.,  Script., 
t.  XX,  p.  404  ;  Giesebrecht,  Arnold  von  Brescia,  p.  27  sq.  ;  Hausrath,  Arnold 
von  Brescia,  p.  144,  151,  180-182  ;  Gesta  di  Federico,  dans  Fonti  pcr  la  storia 
d'Italia,  t.  i,  vs.  802  sq.,  809  sq.,  828  sq.,  850  sq.  ;  Simonsfeld,  Jahrbucher, 
t.  I,  p.  341  sq.  ;  Revue  historique,  1876,  t.  ii,  p.  260-262  ;  Revue  critique, 
1869,  t.  I,  p.  8-12  ;  t.  ii,  p.  219-222  ;  1876,  t.  t,  p.  33-36  :  Rev.  des  quest.  hisL, 
1884,  t.  XXXV,  p.  52-114  ;  N.  Cacciapuoti,  Arnaud  de  Brescia,  in-8,  Venezia, 
1910  ;  Breyer,  Die  Arnoldisten,  dans  Zeilschrift  fi'ir  Kirchengeschichle  t.  xii, 
p.    412    sq.    (H.  L.) 


874  LIVRE     XXXIV 

ses  collègues  de  cette  démarche.  Frédéric  jura  de  n'attenter 
ni  laisser  attenter  en  rien  à  la  vie,  à  la  liberté,  aux  biens  et 
dioniiés  du  pape  et  des  cardinaux.  Il  vengerait  selon  son  pou-  [541] 
voir  les  avanies  infligées  au  pape  et  désormais  observerait, 
sans  le  modifier,  le  traité  conclu  entre  les  deux  puissances.  Les 
trois  légats  se  hâtèrent  de  rapporter  au  pape  ces  promesses  qui 
parurent  suffisantes.  Hadrien  se  rendit  donc  avec  ses  cardinaux 
à  Nepi,  tandis  que  Frédéric  vint  à  Sutri  et  établit  son  camp 
au  Campo  grasso,  non  loin  delà  ville.  Le  lendemain,  9  juin  1155, 
les  princes  allemands,  accompagnés  d'une  multitude  de  clercs  et 
de  laïques,  conduisirent  processionnellement  le  pape  à  la  tente  du 
roi.  Celui-ci  refusant  de  se  prêter,  selon  le  cérémonial,  à  tenir  la 
bride  du  cheval  du  pape  et  à  lui  présenter  l'étrier,  les  cardinaux 
épouvantés  regagnèrent  Cività  Castellana,  et  le  pape,  médiocre- 
ment rassuré,  resta  seul  dans  le  camp  allemand.  Il  descendit 
donc  de  cheval  sans  l'aide  du  roi,  se  plaça  sur  un  fauteuil  préparé 
et  reçut  de  Frédéric  l'hommage  traditionnel  du  baisement  du  pied. 
Lorsque  le  roi,  se  relevant,  voulut  donner  au  pape  le  baiser  de 
paix,  Hadrien  s'y  refusa,  parce  que  le  roi  s'était  soustrait  à 
une  partie  du  cérémonial  suivi  par  ses  prédécesseurs. 

Toute  la  journée  du  10  se  passa  à  discuter  cette  question.  Les 
princes  allemands  les  plus  âgés  rendirent  témoignage  que  les 
empereurs  avaient  tenu  au  pape  l'étrier.  Frédéric,  qui  entre 
temps  avait  transporté  son  camp  près  du  lac  de  Janula  (main- 
tenant il  Laghetto,  près  de  Monte  Rosi),  finit  par  céder.  On 
recommença  l'entrevue  ;  le  pape  et  le  roi  chevauchèrent  à  la 
rencontre  l'un  dp  l'autre,  Frédéric  descendit  de  cheval,  conduisit 
la  haquenée  du  pape  par  la  bride  environ  la  distance  d'un  jet  de 
pierre  et  reçut  le  baiser  de  paix  ^. 


1.  Le  cardinal  d'Aragon,  Vita  Hadriani  IV,  dans  Muratori,  Scriptores  rerum 
Ilalicanim,  l.  m,  part.  1.  p.  441,  P.  L.,  t.  clxxxviii,  p.  1351,  et  mieux  dans 
Watterich,  Vitae  pontif.  roman.,  t.  ii,  p.  323  sq.  ;  Baronius,  Annal,  eccles.,  ad 
ann.  1154,  n.  2  sq.  ;  ad  ann.  1155,  n.  1  sq  ;  Papencordt,  Geschichte  der  Sladt 
Boni,  p.  262  ;  Reuter,  Geschichte  Alexanders  III,  2^  cdit.,  t.  i,  p.  3  sq.  ;  Ràu- 
mcr,  Geschichte  der  Ilohenstaufen,  t.  n,  p.  16;  W.  von  Giescbrecht,  Gesc/îtc/i/e 
der  deulschen  Kaiserzeit,  in-8^  Leipzig,  1880-1888,  t.  v,  p.  60;  édit.  Simpson, 
Leipzig,  1895,  t.  vi,  p.  341  ;  II.  Simonsfeld,  JahrbiXcher,  t.  i,  p.  331,  et  Excurs  IV, 
p.  677-688.  Outre  Boso,  dans  Watterich.  t.  ii,  p.  327  ;  Liber  pontificalis,  t.  ii, 
p.  391,  cf.  Albinus-Cencius,  Liber  c(usimni.  édit.  P.  Fabre  :  Le  Liber  cciisuum 
de  l'Église  romaine,   dans  Bibliothèque  des  Écoles  franc,  de  Bome  et  d'Athènes, 


619.    FRÉDÉRIC    I^"^    ET     LE    PAPE     HADRIEN     IV  875 

[542]  Hadrien  et  Frédéric  traitèrent  alors  du  couronnement  et  de 
la  répression  de  Rome;  Frédéric  s'étant  engagé  à  déposer  les  nou- 
veaux sénateurs,  le  pape  et  le  roi  se  dirigèrent   vers    Rome. 

[Près  de  Népi  ils  rencontrèrent  une  ambassade  solennelle  des 
républicains  romains  qui  adressèrent  au  roi  un  discours  inat- 
tendu :  (c  Rome,  après  avoir  secoué  le  joug  du  clergé,  est  prête  à 
recevoir  honorablement  son  empereur,  s'il  vient,  comme  nous  ai- 
mons à  le  croire,  avec  des  intentions  pacifiques.  Puisse  la  ville 
éternelle  recouvrer  par  ton  influence  son  antique  splendeur, 
comme  au  temps  où  la  sagesse  du  sénat  et  la  valeur  de  l'ordre 
équestre  avaient  étendu  sa  domination  des  bornes  de  l'Orient 
à  celles  de  l'Occident  !  Nous  avons  rétabli  le  sénat  et  l'ordre 
équestre,  pour  conseiller  et  servir  ta  personne  et  l'empire.  Écoute 
cette  parole  de  la  reine  du  monde  :  Tu  étais  étranger,  je  t'ai 
fait  citoyen  ;  tu  es  arrivé  des  pays  transalpins,   je   t'ai   constitué 

IP  série,  t.  iv  :  Cum  Frederlcus...  in  territorium  Sutrinum  cum  eooercitu  adve- 
nissçt...  rex  in  stratoris  officia  exhibendo  et  tenendo  streuga  illum  honorem  domno 
pape  nequaquam  exhihuit,  qui  ah  anlecessorihus  ejus...  romanis  consuei'erat 
pontificihufi  exliiheri...  Quocirca  domtius  papa  eum  ad  osculum  non  recepit. 
Unde...  Mus  sequens  dies  sub  istius  rei  disceptatione  decurrit...  Propter  quod 
quidam  cardinales  discesserunl.  (Boso  :  cardinales,  qui  cum  eo  vénérant,  turbati 
et  valde  perterriii  abierunt.)  Tandem  vero  antiquioribus  principum  et  illis,  qui  cum 
imperatore  Lotliario  ad  d.  papam  Innocentium  vénérant,  requisilis  et  investigata 
prisca  consuetudine,  judicio  imperialis  curix  decretum  est...  Tertio  itaque  die... 
descendit  eo  (pontifice)  viso  de  equo  et  [  Boso  :  occurrens  ei,  quantum  jactus  est 
lapidis]  in  conspectu  exercilus  in  omni  alacritate  officium  stratoris  implevit  et 
streugam  ipsius  [Boso  :  forfilrr  ]  tenuit,  et  lune  primo  eum  ad  osculum  domiius 
papa  recepit.  D'après  Simonsfeld,  op.  cit.,  t.  i,  Excurs  1\  ,  p.  684,  Frédéric  de- 
manda en  compensation  l'enlèvement  du  tableau  qui  figurait  au  Latran  l'em- 
pereur Lothaire  III  en  position  d'homo  papœ.  Cf.  Ragewin,  continuateur  d'Otton 
de  Freisingen,  Gesta  Friderici,  III,  x,  dans  Monum.  Germ.  hisf.,  Script.,  t.  xx^ 
p.  ^2\  sq.  :  Talibus  litteris  lectis  et  per  Reinaldum  cancellarium  fida  nimis  inter- 
pretatione  diligenter  expositis,  magna  principes,  qui  aderant,  indignatione  com- 
moti  sunt...  quod  a  nonnullis  Romanorum  temere  affirmari  noverant,  imper ium 
Urbis  et  regnum  Italicum  donatione  pontificum  reges  nostros  hactenus  possedisse^ 
idque  non  solum  scriptis  atque  picturis  reprœsentare  et  ad  posteras  transmiltere. 
Unde  de  imperatore  Lothario  in  palatio  Lateranensi  super  hujusmodi  picluram 
scriptum  est  :  Rex  venit,  etc.  Talis  scriplura,  talisque  superscriplio  principi,  quando 
alio  anno  circa  Urbem  fuerat,  per  fidèles  imperii  ddata,  cum  vehementer 
displicuisset,  amica  prius  invcctione  prsecedente  laudamentum  papœ  Hadriano 
accepisse  memoratur  ut  et  scriplura  pariier  atque  pictura  talis  de  medio  tolleretur,  ne 
tam  vana  res  summis  in  orbe  viris  lifigandi  et  discordandi  prastare  posset  materiam. 
Voir  plus  haut  cette  inscription,  p.  859.  (H.  L.) 


876  LIVRE     XXXIV 

prince.  Le  premier  de  tes  devoirs  avant  d'entrer  dans  Rome  est 
de  t'obliger  par  serment  à  observer  nos  lois,  à  maintenir  nos  pri- 
vilèges, à  nous  défendre  même  au  péril  de  ta  vie  contre  les  Barbares. 
Tu  devras  aussi  payer  aux  officiers  qui  te  proclameront  au  Capi- 
tole  cinq  mille  livres  d'argent.  De  plus,  tu  jureras  tes  promesses 
et  les  signeras  de  ta  main.   » 

Frédéric,  à  qui  le  sang  devait  bouillir,  interrom])it  brusquement  [543] 
et  dit  :  «  J'avais  souvent  entendu  vanter  la  grandeur  d'âme  et 
la  sagesse  des  Romains  ;  mais  tes  paroles  hautaines  montrent 
bien  plutôt  une  folle  arrogance  qu'un  juste  sentiment  de  la  situa- 
tion de  Rome,  Ta  ville  n'est  plus  ce  qu'elle  était  autrefois  :  sou- 
mise aux  vicissitudes  des  choses  humaines,  elle  obéit  après  avoir 
commandé.  C'est  désormais  à  l'Allemagne  qu'il  faut  demander 
l'antique  gloire  du  Capitole,  le  courage  des  guerriers,  la  sagesse 
du  sénat.  Charlemagne  et  Otton  le  Grand,  dont  vos  ancêtres 
implorèrent  l'appui,  ont  chassé  d'Italie  les  Lombards,  les  Grecs 
et  les  tyrans  qui  l'opprimaient.  Comme  leur  successeur,  je  suis  le 
prince  des  Romains  et  le  maître  légitime  de  Rome.  Crois-tu  que 
le  bras  des  peuples  germaniques  ait  perdii  sa  vigueur  ?  Quel- 
qu'un des  vôtres  songerait-il  à  arracher  sa  massue  des  mains 
d'Hercule  ?  sois  assuré  qu'avec  l'aide  de  Dieu  mes  fidèles  guerriers 
l'en  feraient  bientôt  repentir.  Tu  prétends  m'obliger  au  ser- 
ment de  respecter  vos  lois  et  vos  anciennes  coutumes,  de  rendre 
bonne  justice,  et  même  de  payer  une  somme  d'argent,  comme  si 
j'étais  prisonnier  du  sénat.  Sache  donc  qu'il  est  bon  que  le  prince 
donne  des  lois  aux  peuples  et  n'en  a  jamais  à  recevoir  d'eux.  En 
rendant  la  justice  je  ne  ferai  que  suivre  mon  penchant  naturel  : 
cjuant  à  mes  largesses,  elles  seront  répandues  avec  générosité, 
mais  pour  y  avoir  part  il  faudra  s'en  rendre  digne  et  je  ne  souffri- 
rai jamais  qu'on  m'en  marque  la  mesure  ^.»  (H.  L.)] 

Quelques    personnes    de   la   suite    de    Frédéric   ayant   demandé  [544] 
aux  ambassadeurs  de  la  République  romaine  s'ils  avaient  quelque 
chose   à   ajouter,    ceux-ci  répondirent,   non    sans    arrière-pensée, 

1.  Ces  deux  discours  ont  été  conservés  par  Otton  de  Freisingen^  Gesta  Fri- 
derici,  II,  xxi,  qui  parle  d'une  demande  de  5  000  livres  d'argent,  tandis  que 
Helmoldus,  Chron.  Slm\,  I,  79,  dans  Mon.  Gerrn.  hist.,  Script.,  t.  xx,  p.  72,  parle 
de  15  000  livres.  Cf.  C.  de  Charrier,  Hisl.  de  la  lutte  des  papes  et  des  empereurs  de 
la  maison  de  Souahe,  1841,  t.  i,  p.  167-169  ;  H.  Simonsfeld,  Jahrhiicher,  t.  i, 
p.  332  sq.  Otton  de  Freisingen,  oncle  de  l'empereur,  assistait  à  l'algarade  de 
Nepi.   (H.  L.) 


619.  FRÉDÉRIC     l'^'"     I:T     le     pape     HADRIEN    IV  877 

«  qu'avant  tout  ils  devaient  faire  connaître  à  leurs  concitoyens 
la  réponse  du  roi  »,  et  ils  revinrent  à  Rome  sans  être  inquiétés. 
Frédéric,  redoutant  un  mauvais  coup,  délibéra  avec  le  pape,  qui 
dit  :  «  Tu  connaîtras  mieux  avec  le  temps,  mon  fils,  l'astuce  des 
Romains  ;  tu  verras  que,  dans  toutes  ces  démarches,  ils  ont  eu 
des  desseins  perfides  ;  mais  pour  courir  au  plus  pressé  et  prévenir 
leur  malice,  il  faut  envoyer  de  suite  à  Rome  des  hommes  habiles 
et  dévoués  qui  s'emparent  de  Saint-Pierre  et  de  la  cité  Léonine. 
Ma  garde  est  prête,  sur  mon  ordre,  à  partir  sur-le-champ  ;  le  car- 
dinal Octavien,  romain  de  naissance,  ira  avec  elle,  c'est  un  homme 
sur  (jui  on  peut  compter  ^.  »  Le  roi  approuva  ce  projet  et  choisit 
un  millier  de  jeunes  chevaliers  qui,  le  lendemain,  de  grand  matin, 
entrèrent  dans  la  cité  Léonine  et  occupèrent  Saint-Pierre.  A 
cette  nouvelle,  Frédéric  et  le  pape  accoururent  à  Rome,  et  ce 
dernier,  prenant  les  devants  avec  ses  cardinaux,  attendit  le  roi 
sur  les  degrés  de  Saint-Pierre.  Frédéric  arriva  dans  la  cité  Léonine 
par  la  porte  d'or,  fut  reçu  à  Saint-Pierre  par  le  pape,  conduit  au 
tombeau  du  prince  des  apôtres  et  enfin  solennellement  couronné^, 
le  18  juin  1155,  selon  le  cérémonial  traditionnel,  parmi  les  vivats 
de  tous  les  assistants,  au  cours  de  la  messe  célébrée  par  le  pape 
lui-même  ^.  Pendant  ce  temps,  les  troupes  occupaient  les  ponts 
qui  mettent  en  communication  le  castrum  Cencii  avec  la  ville 
proprement  dite,  afin  de  couper  court  à  toute  démonstration  popu- 
laire. Le  couronnement  terminé,  l'empereur,  couronne  en  tête,  à 
cheval,  escorté  de  sa  suite  à  pied,  revint  au  camp  impérial  hors 
[545]  l^s  murs,  tandis  que  le  pape  regagnait  le  Vatican.  Le  sénat,  instruit 
de  l'événement,  fit  sonner  la  cloche  du  Capitole,  ameuta 
le  peuple,  qui  se  précipita  vers  Saint-Pierre  par  le  pont  du 
Tibre  redevenu  libre  ;  la  garde  allemande  demeurée  dans  l'église 
fut  mise  en  pièces.  Une  autre  bande  envahit  par  le  Transtévère  la 
cité  Léonine.  Au  bruit  du  tumulte,  l'empereur,  croyant  le  pape  et  les 
cardinaux  en  grand  danger,  accourut  aussitôt;  la  bataille  dura 
jusqu'à  la  nuit,  et,  après  quelques  alternatives,  se  termina,  comme 

1.  Nous  le  retrouverons  bientôt  antipape  sous  le  nom  de  Victor  IV.    (H.  L.) 

2.  Boso,  dans  Watterich,  ViLae  pontif.  roman.,  t.  ii^  p.  328,  n.  6,  l'ordo  coro- 
nationis. 

3.  Otton  de  Freisingen,  Gesta  Friderlci,  II,  xxii,  dans  Monum.  Gerrn. 
hist.,  Script.,  t.  xx,  p.  406  ;  W.  von  Giesebrecht,  Geschichte  der  deutschen  Kai- 
serzeil,  t.  v,  p.  62  ;  t.  iv,  p.  341  ;  II.  Simonsl'eld,  Jalirbuclier  des  deutschen  Rei- 
ches  unter  Friedrich  I,  in-8^  Leipzig,  1908,  p.  335-339.  (II.  L.) 


878  LIVRE    XXXIV 

on  pouvait  le  prévoir,  i)ar  la  déroute  des  Romains  ;  un  millier 
furent  tués  ou  se  noyèrent  dans  le  Tibre,  deux  cents  furent  faits 
prisonniers,  beaucoup  furent  blessés,  tandis  que  les  Allemands 
assurèrent  n'avoir  perdu  que  deux  hommes.  Otton  de  Freisingen 
écrit  par  manière  de  téflexion  morale  :  «  Tu  vois,  Rome,  au  lieu 
d'or  allemand  on  te  donne  du  fer  ;  c'est  avec  cet  argent-là  que 
les    Francs  achètent  une  couronne  ^.  » 

Le  19  juin,  l'empereur  se  dirigea  avec  son  armée  vers  le  nord,  du 
côté  du  mont  Soracte,  traversa  le  Tibre  à  cet  endroit  et  célébra, 
dans  une  charmante  vallée  près  de  Tivoli,  la  fête  des  saints  Pierre 
et  Paul  (29  juin  1155)'^.  Le  pape  célébra  la  messe  et  plaça  de  nou- 
veau la  couronne  sur  la  tête  de  l'empereur,  suivant  l'usage  observé 
aux  jours  de  grande  fête,  enfin  il  donna  l'absolution  à  tous  les 
soldats  qui,  dans  la  dernière  bataille,  avaient  versé  leur  sang  pour 
la  cavisc  du  droit.  Frédéric,  désireux  de  remplir  sa  promesse  de 
rétablir  le  pouvoir  temporel  du  pape,  gagna  Frascati  pour 
attaquer  Rome  par  ce  côté;  mais  la  chaleur  de  l'été,  le  mauvais 
air  et  la  contagion  qui  se  déclara  le  forcèrent  de  se  retirer  dans 
les  gorges  plus  fraîches  des  Apennins.  A  Tivoli,  qu'il  rendit  au 
pape,  en  même  temps  qu'il  lui  livrait  tous  les  prisonniers 
romains  en  son  pouvoir,  l'empereur  prit  congé  d'Hadrien.  Le  pape, 
ne  pouvant  rentrer  dans  Rome,  passa  de  résidence  en  résidence  et 
s'arrêta  enfin  à  Bénévent,  tandis  que  l'empereur   remontait    vers 

1.  Otton  de  Freisingen,  Gesfa  Friderici,  II,  xxii,  dans  Monum.  Gerin.  hinL, 
Script.,  t.  XX,  p.  407  ;  Epist.  Friderici,  p.  3  ;  Vincent  de  Prague,  dans  Monum. 
Gerrti.  hisl.,  Script.^  t.  xvii,  p.  565  ;  Helmoldus,  Chron.  Slw.,  I,  80  ;  dans  Monum. 
Germ.  hisl.,  Script.,  t.  xxi,  p.  73  ;  Annal.  Palidenses,  dans  Monum.  Germ.  hisL, 
t.  XVI,  p.  89  ;  Gestadi  Federico,  édit.  Monaci,  dans  Fonti  per  la  storia  d'Italia, 
t.  I,  vs.  G71  ;  Annal.  Egmundani,  dans  Monum.  Germ.  hisl..  Script.,  t.  xvi, 
p.  460  ;  Annal.  S.  Jacobi  Leodiensis,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xvi, 
p.  641  ;  Annal.  Pisani,  dans  Monum.  Germ.  hisl..  Script.,  t.  xix,  p.  242  ;  Otto 
Morena,  Historia,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xvni,  p.  596;  Boso, 
dans  Watterich,  Vitx  pontif.  rom.,  t.  ii,  p.  330  ;  Liber  pontificalis,  cdit.  Du- 
chesne,  t.  ii,  p.  392  ;  Godefroid,  Gesla  Friderici,  vs.  47  : 

Acriter  iratus  consurgit  ad  arma  senalus, 
Prosilit  armatus  csesar,  feritate  citalus,  etc. 

Prutz,  Friedrich  I,  in-8,  Dantzig,  1871,  t.  i,  p.  407-411;  W.  von  Giesebrecht, 
Geschichte,  t.  v,  p.  63  sq.;  t.  vi,  p.  341  sq.;  II.  Simonsfeld,  Jahrbucher,  t.  ij 
p.  340  ;  E.vcurs  V,  p.  689-698.   (H.  L.) 

2.  Voici  encore  une  marche  stratégique  qui  fait  peu  d'honneur  à  l'empereur. 
Il  fut  obligé  de  s'éloigner  de  Rome,  n'ayant  pas  songé  à  y  pourvoir  de  vivres 
son  camp  sous  les  murs  de  la  ville.  (H.  L.) 


619.  FRÉDÉRIC     l'^'"     ET    LE     PAPE     HADRIEN     IV  879 

Spolète  qu'il  prit  cl  détiuisil;  de  là  il  vint  à  Ancône,  où  il  rencon- 
tra un  prince  grec  et  d'où    il  envoya   Wibald    à  Constantinople  ^, 

1.   Roger  II,  roi  de  Sicile,  mourut  le  2G  Rvrier  1154  (E.  Caspar,  Roger  II, 

I  loi-]  134,  und  die  Grundung  der  normannisch-sizilianischen  Monarchie,  i90^; 
G.  B.  Siragusa,  Il  régna  di  Gulielmo  1  iii  Sicilia,  in-8,  Roma,  1885-1886)  et 
l'avènement  de  sou  fils  Guillaume  I^^  coïncidait  presque  à  la  date  assignée  à 
l'exécution  des  projets  d'expédition  de  Frédéric  Barbcroussc  contre  l'Italie 
méridionale.  Ces  projets  étaient  d'autant  plus  redoutables  qu'à  Palerme  on 
ne  devait  pas  ignorer  les  négociations  poursuivies  quelque  temps  entre  Grecs 
et  Allemands,  et,  en  1154,  l'alliance  des  deux  empereurs  devait  être  regardée 
comme  très  probable.  Robert  de  Thorigny  semble  bien  exprimer  l'opinion  pu- 
blique sur  cette  alliance  :  Condixerant  enim  sibi  per  legatos  suos  ipse  {Fridericus) 
el  Manuel  imperator  Constantinopolis...  ut  venientes  ex  diversis  partibus  pessum- 
darenl  Apuliam  et  regem  ejus  Guiltelmum.  L.  Delisle,  Chronique  de  Robert  de 
Torigni,  Rouen,  1873,  t.  i,  p.  295.  La  diplomatie  sicilienne  travailla  dès  ce 
moment  à  isoler  l'empereur  allemand;  pour  y  arriver,  elle  s'y  montra  plus  que 
conciliante  avec  Manuel  Comnène,  à  qui  le  roi  de  Sicile  fit  des  propositions  qui  eus- 
sent été  inespérées  si  l'empereur  grec  n'avait  alors  rêvé  de  réduire  l'Italie  à  son 
rang  de  province  dans  l'empire  romain  ;  il  comptait  même  vraisemblablement 
que  Barberousse  lui  donnerait  à  l'occasion  un  petit  coup  de  main.  Aussi,  loin 
d'entendre  aux  propositions  de  Guillaume  l",  Manuel  se  montra  aussitôt  ouver- 
tement hostile  ;  la  guerre  put  paraître  imminente  et  une  rencontre  sur  mer 
tourna  à  l'avantage  des  Normands.  Ceci  n'était  pas  pour  détourner  Manuel  I"^ 
qui  savait  la  situation  difficile  que  traversait  le  royaume  de  Sicile.  C'est  très 
probablement  sur  ces  entrefaites  qu'il  apprit  les  difficultés  qui  s'étaient  élevées 
entre  ses  envoyés  et  ceux  de  Barberousse,  ses  ambassadeurs  n'ayant  pu  guère 
être  de  retour  avant  le  printemps  de  1154.  Vers  la  fiia  de  cette  même  année  1154, 
il  vit  arriver  à  Constantinople  Anselme  de  Havelberg  et  Alexandre  de  Gravina, 
avec  mission  de  reprendre  les  négociations  entre  les  deux  empereurs  ;  mais  cette 
fois  encore,  on  échoua.  Quand  il  apprit  l'expédition  de  Barberousse  en  Italie, 
le  Byzantin  se  prit  à  craindre  qu'on  n'oubliât  de  l'inviter  à  prendre  sa  part  des 
dépouilles.  Wibald  (dans  Jalïé,  Bibl.  rcr.  Germ.,  t.  i,  p.  568,  n.  432)  [l'avait  si 
bien  persuadé  des  bonnes  intentions  que  Barberousse  portait  personnellement 
à  son  confrère  impérial  qu'il  risqua  une  nouvelle  démarche  et,  en  bon  Grec 
prévoyant  vin  insuccès,  prit  ses  mesures  pour  en  tirer  le   meilleur   parti  possible. 

II  envoya  à  Ancône  Michel  Paléologuc,  Jean  Doukas  et  Alexandre  de  Gravina. 
Ces  deux  derniers  devaient  à  tout  prix  causer  avec  Frédéric,  dussent-ils  pour 
cela  descendre  en  Allemagne,  auquel  cas  Paléologue  leur  souhaiterait  bon 
voyage  et  bon  succès  et,  au  lieu  de  perdre  son  temps  sur  les  grands  chemins, 
il  resterait  en  Italie  et  y  lèverait  des  troupes  pour  combattre  le  royaume  nor- 
mand. «  A  quelle  date  convient-il  de  placer  l'arrivée  à  Ancône  des  envoyés 
byzantins  ?  Se  basant  sur  une  phrase  où  Kinnamos  fait  allusion  aux  difficultés 
rencontrées  par  Frédéric,  on  a  placé  l'arrivée  de  l'anabassade  grecqiie  entre 
le  mois  d'octobre  et  le  mois  de  décembre  1154  (Kinnamos,  Epitome,  cdit. 
Meincke,  dans  Corp.  script,  hiat,  tyr.,  1836;  Hugues  Falcaud, //j's/oria  de  rébus 
gestis  in  regno  Sicilia-,  édit.  Siragusa,  Rome,  1897,    p.  10,    note  1  ;    Siragusa, 


880  LIVRE     XXXIV 

puis  il  licencia  la  plus  grande    partie   de    son    armée   et  regagna 
l'Allemagne  par  le  val  du  Trentin  ^. 

A  son  retour,  il  punit  tous  ceux  qui  avaient  troublé  la 
paix  pul)lique,  quel  que  fût  leur  rang  :  il  condamna  même  de 
puissants  princes,  qui  avaient  troublé  l'ordre,  à  l'ancienne 
peine  de  porte-chien;  il  élc\a  la  marche  d'Autriche  à  la  dignité 
de  duché,  pour  obtenir  d'Henri  Jasomirgott  qu'il  renonçât 
à  ses  prétentions  sur  la  Bavière;  enfin  les  négociations  avec 
Byzance  ayant  échoué,  il  épousa  Béatrix,  l'héritière  de  la  Bour- 
gogne (Pentecôte  de  1156),  réunissant  ainsi  à  l'empire  cette 
province,  longtemps  disputée  ^.  En  un  mot,  il  éleva  à  un  si 
haut  point  l'autorité  impériale,  que  non  seulement  les  peuples 
voisins    déjà  tributaires,   les  Polonais  par  exemple,   mais  encore 


Il  re^no  di  CuUcIdio  1  in  Sicilid,  iii-8^  Païenne,  1885,  l.  i,  p.  3'i-35)  ;  d'aulrcs 
historiens  ont  choisi  l'été  de  1155  (H.  Kap-Herr,  Die  abendlàndische  Polilik 
Kaiser  Manuels,  iu-8,  Strassburg,  1881^  p.  138  ;  ce  que  dit  Otlon  de  Freisingen, 
Gesta  Friderici,  1\,  xxiii^  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xx,  p.  408,  de 
l'entrevue  que  les  envoyés  grecs  eurent  avec  Frédéric  pendant  l'été  1155,  n'em- 
pêche pas  que  Paléologue  et  Doukas  soient  arrivés  beaucoup  plus  tôt).  Je  ne 
crois  pas,  écrit  M.  F.  Chalandon,  Histoire  de  la  domination  normande  en,  Italie 
et  en  Sicile,  1907,  t.  n,  p.  191,  que  l'on  puisse  admettre  la  date  de  1155.  Alexandre 
de  Gravina,  n'ayant  quitté  Barberousse  qu'en  septembre^  peut  difTicilement, 
en  un  laps  de  temps  aussi  court,  avoir  été  à  Constantinople  et  être  revenu  à 
Ancône.  La  phrase  de  Kinnamos  est  très  vague,  elle  peut  aussi  bien  s'appliquer 
aux  difïïcultés  rencontrées  par  Frédéric  Barberousse  au  printemps  ou  en  été 
1155  (Prutz,  op.  cit.,  t.  i,  p.  61-62,  71-82)  qu'à  la  situation  de  la  fin  de  1154.  » 
Les  9  et  10  avril  1155,  nous  savons  qu'Anselme  de  Havelberg  soutint  à  Thessa- 
lonique  une  discussion  théologique  contre  Basile  d'Achrida,  archevêque  de 
Thessalonique  ;  cf.  Schmidt,  Des  Basilius  ans  Achrida,  Erzbischofs  vonThessa- 
lonich,  hisher  unedierte  Dialoge,  Ein  Beiirag  zur  Geschichte  des  griechischen  Schis- 
mas,  in-8,  Mûnchen,  1901  ;  nous  savons  qu'il  rejoignit  Barberousse  vers  la 
Pentecôte  (22  mai),  Otton  de  Freisingen,  Gesta  Friderici,  II,  xx,  dans  Monum. 
Germ.  hist.,  Script.,  t.  xx,  p.  403  ;  il  semble  donc  qu'on  doit  retarder  jusqu'à 
cette  date  l'arrivée  des  ambassadeurs  byzantins.  C'est  donc  au  printemps  de 
1155  que  les  envoyés  de  Manuel  Comnène  seraient  arrivés  à  Ancône.  Cf.  F. 
Chalandon,  Histoire  de  la  dom.  norm.,  t.  ii,  p.  192;  le  même,  Jean  II  et  Manuel  I^^ 
Comnène,  1118-1180,  in-8,  Paris,  1911.   (H.  L.) 

1.  Le  cardinal  d'Aragon,  dans  P.  L.,  t.  clxxxviii,  col.  1355  sq.  ;  Baronius, 
Annal,  eccles.,  ad  aiin.  1155,  n.  18-19  ;  Boso,  dans  Watterich,  Vitx  pontif. 
roman.,  t.  ii,  p.  331  sq.,  340.  (H.  L.) 

2.  Béatrix,  fille  de  Raynaud  III  de  Bourgogne,  épousa  Frédéric    I^'  à  Wurz- 
bourg,  le  10  juin  1156,  et  mourut  à  Spire  le  15  novembre  1185.  Cf.  C.  de  Chcrricr 
op,  cit.,  t.  I,  p.  172-173.  (H.  L.) 


619,     FRÉDÉRIC    l^^'     ET  LE     PAPE     HADRIEN    IV  881 

des  souverains  indépendants,  comme  Henri  II.  roi  d'Anfrlelcrre 
(depuis  1154),  reconnurent  formellement  l'autoriLé  de  l'em- 
pereur ^. 

Sur  ces  entrefaites,  Hadrien  IV  s'était  trouvé  enfermé  dans 
Bénévent  par  Guillaume,  roi  de  Sicile  et  de  Naples.  Guillaume 
vivait  en  mauvais  rapports  avec  le  pape  :  il  se  fit  couronner  sans 
son  assentiment  ^  (on  sait  que  le  pape  était  suzerain  du  royaume 
des  Deux-Siciles)  et,  au  mois  de  mai  1155,  n'ayant  pas  obtenu 
la  confirmation  de  son  sacre,  il  envahit  les  Etats  de  l'Eglise,  ce 
qui  lui  valut  l'excommunication.  Cette  sentence  fournit  à  quelques 
seigneurs  mécontents  du  (gouvernement  de  Guillaume  ^  l'occasion 
de  se  révolter,  et  la  présence  du  pape  à  Bénévent  accrut  cette 
disposition.  Vers  ce  même  temps,  les  Grecs  mirent  le  royaume  de 
Sicile  à  deux  doigts  de  sa  perte  ;  en  ce  péril,  le  roi  Guillaume  son- 
gea à  se  réconcilier  avec  le  pape  et  fit  les  premières  ouvertures  *. 
Hadrien  était  disposé  à  les  bien  accueillir  '",  mais  les  car- 
dinaux s'y  opposèrent,  dans  l'espoir  qu'un  plus  long  délai  obtien- 
drait de  plus  larges  concessions  ^.  La  fortune  changea  subitement  '', 

1.  Raumer,  Gesch.  (1er  Hohenstaufen,  t.  ii.  p.  60-62  ;  Ragewin,  Gesta  Fri- 
derici,   1,  vu. 

2.  Le  couronnement  eut  lieu  le  4  avril  Hj'i,  dans  la  cathédrale  de  Palernie. 
Cl.  Romuald  de  Salerne,  dans  Monum.  Germ.  hisL,  Script.,  t.  xix,  p.  427. 
(H.  L.) 

.3.  Barberousse  avait,  lui  aussi,  des  rapports  avec  les  mécontents  de  la  Fouille. 
A  Spolète,  lorsqu'il  était  déjà  en  route  pour  l'Allemagne,  il  délivre  Gui  Gwerra 
et  quelques  autres.  Ce  renseignement  vaut  son  prix  parce  qu'il  nous  permet 
de  comprendre  comment  l'insurrection  éclata  en  mai.  (H.  L.) 

4.  Watterich,  Vitse  pontif.  rom..  t.  ii,  p.  33. 

5.  Est-ce  bien  certain  ?  Cf.  Romuald  de  Salerne,  dans  IMonum.  Germ.  Jiist., 
Script.,  t.  XIX,  p.  427.   (H.  L.) 

6.  Boso,  dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  333  ;  plus  tard,  les  cardinaux  gibe- 
lins se  firent  honneur  de  n'avoir  eu  en  vue  que  les  intérêts  de  l'empereur  impos- 
sibles à  accommoder  avec  le  projet  d'entente  entre  Hadrien  IV  et  Guillaume  P"". 
Ce  qui  est  certain,  c'est  que  le  pape  Hadrien  se  trompait  sur  les  Normands 
comme  tous  ses  prédécesseurs  avant  lui.  Au  début  de  l'année  1155,  il  envoyait 
à  Salerne  le  cardinal  Henri,  du  titre  des  Saints-Nérée-et-Achillée,  remettre  au 
roi  une  lettre  dont  l'adresse  lui  refusait  le  titre  royal  et  le  qualifiait  seigneur  de 
Sicile.  On  signifia  au  cardinal  d'avoir  à  déguerpir  sans  tarder  ;  celui-ci  se  le  tint 
pour  dit.  Romuald  de  Salerne,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix.  p.  427- 
428.    (H.   L.) 

7.  Pour  toute  cette  campagne  faite  de  marches,  de  contre-marches,  de  sièges, 
cf.  F.  Chalandon,  Histoire  de  la  domination  normatide  en  ItalieetenSicile,t.u, 
p.  202-228.  Le  pape  avait  fait  alliance  avec  les  Byzantins.  Guillaume  I*''",  dont  la 

CONCILES  —  V  —  5U 


882 


LIVRE    XXXIV 


Guillaume  bal  lit  les  Grecs  à  la  bataille  de  Brindisi  ^  [en  mai  115G],    [541 
et    marcha  aussitôt  vers  Bénévent  pour  y  assiéger  le   pape  2.    A 


nonchalance  el  le  falalisnie  n'obscurcissaient  pas  le  sens  du  péril  que  celle 
alliance  faisait  courir  à  son  royaume^  tenta^  très  pro!)al)lemont  dans  le  courant 
de  l'hiver  de  1155-1156,  de  détacher  Hadrien  IV  de  Manuel  I^r^  Une  ambassade 
ayant  à  sa  tète  l'élu  deCatane,  Bernard  (?),  serendil  à  Salerne,  d'où  l'envoyé 
du  roi  de  Sicile  fit  demander  au  pape  s'il  consentirai!  à  traiter  sur  les  bases 
suivantes  :  le  pape  lèverait  l'excommunication  jetée  sur  le  roi,  lequel  prêterait 
serment  d'hommage  et  de  fidélité,  de  restituer  à  toutes  les  églises  de  son  royaume 
une  entière  liberté  et  de  céder  au  pape,  à  titre  de  compensation  pour  les  dom- 
mages subis,  les  villes  de  Padala,  Montcfusco  et  Morcone  ;  enfin,  le  roi  promet- 
tait des  subsides  et  un  coutigent  qui  aideraient  le  pape  à  se  mettre  en  possession 
de  la  ville  de  Rome  et,  au  rétablissement  de  la  paix,  une  somme  d'argent  égale 
à  celle  que  les  Byzantins  lui  avaient  promise.  V^ila  lladiiain  IV,  dans  Liber 
pontiflcalis ,  t.  11,  p.  394.  Ces  ofl'res  dépassaient  notablement  ce  qu'une  vict<jire 
eût  permis  au  pape  d'exiger,  il  le  comprit  et  envoya  à  Salerne  le  cardinal 
Ubald,  du  titre  de  Saintc-Praxède,  chargé  de  poursuivre  la  conversation  avec 
le  roi  de  Sicile.  Cependant,  quand  l'envoyé  pontifical  revint  à  Bénévent,  por- 
teur de  propositions  fermes,  il  trouva  la  situation  retournée  ;  l'entourage  avait 
mené  une  de  ces  redoutables  cabales  d'antichambre  auxquelles  le  pape,  de  guerre 
lasse,  cédait  à  contre-cœur,  semble-t-il.  Intransigeant  mais  éclairé,  il  se  rendait 
compte  que  le  moment  favorable  allait  échapper  devant  l'obstination  de  ces 
cardinaux  fossiles,  imbus  des  maximes  d'une  politique  qui  comptait  ses  années 
par  ses  échecs.  Guillaume  I",  qui  croyait  à  son  étoile  et  qui  savait  à  quoi  s'en 
tenir  sur  la  capacité  de  ses  adversaires,  quilla  Messine  à  la  fin  d'avril  ou  au  début 
du  mois  de  mai  1156.  (H.  L.) 

1.  La  bataille  de  Brindisi  est  des  derniers  jours  de  mai  et  non  pas  de  Pâques, 
comme  l'avance  Hefele,  probablement  le  28  mai,  d'après  les  Annales  Casinenses, 
dans  Monum.  Germ.  hisL,  Scripl.,  t.  xix,  p.  311  ;  Romuald  de  Salerne,  dans 
Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  428  ;  Annal.  Ceccan..  ad  ann.  1156,  dans 
Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  284  ;  Falcand,  Histor.,  p.  20  ;  Guillaume 
de  Tyr,  Ilist.,  XVIII,  viii,  dans  Rcc.  hist.  occid.  des  croisades,  t.  i,  p.  831  ;  Nicetas 
Choiiiatès,  11,  7.  Sur  les  opérations  qui  précédèrent  la  bataille,  cf.  F.  Chalandon, 
Histoire  de  la  domination  normande  en  Italie  et  en  Sicile,  iii-8,  Paris,  1907,  1.  11, 
p.  226-229  :  «  La  victoire  de  Brindisi  ruina  en  un  seul  jour  les  établissements  que 
les  Byzantins  avaient  réussi  à  fonder  en  Italie.  »  (H.  L.) 

2.  «  La  rébellion  était  définitivement  vaincue,  et  la  débandade  générale 
de  ses  alliés  laissait  Hadrien  IV  seul  en  face  du  roi  de  Sicile.  La  situation  du 
pape  était  fort  précaire  ;  abandonné  des  seigneurs  normands,  il  ne  pouvait 
plus  compter  sur  l'appui  do  l'empereur  allemand,  el  pas  davantage  sur  celui  du 
basileus.  Hadrien  IV  dut  alors  regretter  amèrement  de  n'avoir  pas  accepté  les 
offres  que  Guillaume  I^r  lui  avait  faites  quelque  temps  auparavant  et  que  l'in- 
transigeance de  ses  conseillers  lui  avait  fait  repousser.  Le  pape  paraît  avoir 
craint  que  le  roi  de  Sicile  ne  se  livrât  à  quelque  violence  à  l'égard  de  la  cour 
pontificale.  Peut-être  aussi  Hadrien  voulut-il  éloigner  les  cardinaux  qui  aupa- 
ravant s'étaient  montrés  les   adversaires  les  plus  acharnes  de  Guillaume    I^*". 


610.     l-RÉDÉRIC    I^''    ET     LE     PAPE     HADRIEN     IV  883 

cette  nouvelle,  le  pape  renvoya  la  plupart  des  cardinaux,  resta  de 
sa  personne  courageusement  à  son  poste  et  députa  au  roi  les  trois 
cardinaux  négociateurs  :   Ubald.  Jules  et  Roland. 

Alors  fut  conclu  le  traité  de  juin  115G  ^  Le  pape  reconnut  Guil- 

Cf.  Ilolzbach,  Die  auswàrtige  Politik  des  Kônigreichs  Sicilien  voni  Tode  Rogers  II 
bis  ziirii  Fiieden  von  Vcnedig,  iii-8,  Bâle,  p.  28.  Nous  le  voyons,  en  ellet^  faire 
quitler  à  la  hâte  Béncvent  à  la  plus  grande  partie  des  cardinaux  el  les 
envoyer  sur  le  territoire  pontifical.  Liber  pontificnlis ,  édit.  Duchesne,  t.  ii, 
p.  395.  »  F.  Chalandon,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  231.  (H.  L.) 

1.  «  A  la  tête  de  ses  troupes,  Guillaume  1^^  vint  meltro  le  siège  devant  Bcué- 
vent.  Ce  fut  seulement  quand  la  famine  commença  à  se  faire  sentir  dans  la  ville 
que  le  pape  se  décida  à  ouvrir  des  négociations  avec  le  roi  do  Sicile.  Une  ambas- 
sade pontificale  se  rendit  auprès  de  Guillaume.  Elle  était  composée  d'Ubald, 
cardinal  du  titre  de  Sainte-Praxède,  de  Jules,  cardinal  du  titre  de  Saint-Marcel, 
et  de  Roland,  cardinal  du  titre  de  Saint-Marc.  Liher  pontificalis,  t.  ii,  p.  395. 
Le  roi  agréa  les  ouvertures  qui  lui  étaient  faites  et  choisit  comme  commissaires 
Maion  de  Bari,  Hugues,  archevêque  de  Palerme,  Romuald,  archevêque  de 
Salerne,  Guillaume,  évêque  de  Calano,  et  Marin,  abbé  de  la  Cava.  Après  d'assez 
longues  négociations,  un  accord  fut  conclu  (18  juin).  Le  pape  dut  accepter  les 
conditions  fort  dures  qui  lui  furent  imposées  par  le  roi  de  Sicile.  Dans  le  préam- 
bule du  traité,  Guillaume  P^  fait  sonner  bien  haut  ses  succès  et  déclare  que 
les  victoires  des  Grecs  sont  dues  non  pas  à  leurs  soldats,  mais  à  la  trahison  de 
ses  vassaux.  Le  roi  ajoute  qu'au  milieu  de  son  triomphe,  il  consent  à  s  humilier 
devant  le  pape  afin  de  ne  pas  paraître  ingrat  envers  le  roi  des  rois  dont  il  es- 
compte encore  la  protection  pour  l'avenir.  Hadrien  IV,  au  contraire,  tient  un 
langage  assez  humble  et  vante  longuement  les  mérites  du  roi  de  Sicile,  dont  le 
nom,  répandu  jusqu'aux  extrémités  du  monde,  suffit  pour  jeter  la  terreur  parmi 
les  ennemis  du  christianisme.  Alonum.  Germ.  hist.,  Consiitutiones,  p.  588-590. 
En  premier  lieu,  le  pape  dut  abandonner  ses  alliés  de  la  veille  ;  il  obtint  seu- 
lement pour  le  comte  de  Loritello,  pour  André  de  Rupecanina  et  quelques  au- 
tres, la  permission  de  sortir  sains  et  saufs  du  royaume,  en  emportant  leurs 
biens.  Cf.  P.  Fabre,  Liber  censuum,  p.  'i4  noie  1.  Le  traité  proprement  dit  régla 
toutes  les  questions  qui  étaient  pendantes  entre  le  royaume  de  Sicile  et  la  pa- 
pauté. Quelques-unes  de  ces  questions,  qui  n'avaient  pas  encore  reçu  de  solution, 
s  étaient  posées  dès  le  temps  de  Grégoire  VIL  Lorsque  ce  dernier  avait  reçu 
le  serment  d'hommage  de  Robert  Guiscard,  il  avait  stipulé  qu'il  refusait  de 
légitimer  l'occupation,  par  le  duc  de  Fouille,  de  Salerne,  d'Amalii  cl  d  une  partie 
de  la  Marche  de  Fermo.  Innocent  II,  s'il  avait  reconnu  la  plupart  des  conquêtes 
faites  par  les  Normands,  avait  protesté  néanmoins  contre  les  con<|uêles  faites 
par  les  fils  de  Roger  II  dans  le  pays  des  Marscs.  Or,  par  le  traité  de  Bénévent, 
Hadrien  IV  concède  à  Guillaume  I*^''  le  royaume  de  Sicile,  le  duché  de  Pouille, 
le  principat  de  Capoue  cum  omnibus  pertinentiis  suis,  c'est  à  savoir  :  Naples, 
Amalfi,  Salerne,  ]Mar.siam  et  alia  qiiec  ultra  Marsiam  debenius  Iinbere.  Par 
Marsia  on  désigne  évidemment  l'ancien  pays  des  Marses  que  les  fils  de  Roger  II 
avaient  revendiqué  comme  dépendant  de  la  principauté  de  Capoue,  ce  qui  était 
exact,  puisque,  au  x^  siècle,  les  princes  de  Capoue  avaient  été  ducs  de  Spolète. 


884 


LIVRE     XXXIV 


hiiinic  comme  roi  (le  Sicile,  duc  de  Fouille,  prince  de  Capouc,  etc., 
cl  Guillaume,  ayant  prêté  entre  les  mains  du  pape  serment  de 
vassalité  et  de  lidélilé,  promit  un  tribut  annuel  de  600  florins 
dOr.  IjCs  droils  ecclésiastiques  du  pape  sur  la  Fouille  et  la  Calabre 
restaient  intacts   ;  en  Sicile,  ces  droits  étaient  réduits  (par  suite 

Les  mois  ultra,  Marsiani  me  paraissent  désigner    les  territoires  enlevés,    comme 
Teramo,  Chieti^  Penne,  à  la  Marche  de  Fermo,  qui  avait  passé  en  grande  partie 
sous  la  domination  normande.  Ces  acquisitions  n'avaient  pas  encore  été  légiti- 
mées par  l'approbation  pontificale.   Cf.   P.   Fabre,  Liber  censuum,  p.   86.     En 
échange  de  l'investiture  du  pape,  Guillaume  P""  prêtait  à  Hadrien  IV  le  serment 
d'hommage  et  s'engageait  à  lui  payer  annuellement,  sauf  le  cas  d'empêchement, 
un  cens  de  six  cents  schijati  pour  la  Pouillo  et  la  Calabre,  et  un  cens  de  cinq 
cents  schijati  pour  la  Marsia.   En  dehors  des  questions  territoriales,  le  traité 
régla  également  les  difTicultés  d'ordre  disciplinaire.  Au  point  de  vue  de  l'admi- 
nistration ecclésiastique,  le  traité  distingue  entre  la  Pouille  et  la  Calabre,  d'une 
part,  et  la  Sicile,  d'autre  part.  En  Pouille,  dans  les  pays  limitrophes,  et  en  Calabre, 
le  pape  obtient  les  conditions  suivantes.  Les  clercs  plaidant  contre  des  clercs 
sont  autorisés  à  faire  appel  à  Rome.  liCs  translations  d'une  église  à  une  autre 
sont  permises,  moyennant  la  permission  du  pape,  qui  obtient  aussi  les  droits 
de  consécration  et  de  visite,  saiif  dans  les  villes  où  résidera  le  roi.  Le  pape  ob- 
tient également  le  droit  de  légation,  mais  ses  envoyés  devront  avoir  soin  de  ne 
pas  ruiner  les  biens  des  églises.  Le  droit  de  réunir  des  conciles  est,  en  outre, 
reconnu  à  la  papauté.  En  Sicile,  l'Église  romaine  obtient  le  droit  de  consécra- 
tion et  de  visite.  Le  pape  peut  appeler  les  personnes  de  l'ordre  ecclésiastique  à 
s(!  rendre  auprès  de  lui,  mais  le  roi  se  réserve  de  les  retenir  lorsqu'il  le  jugera  à 
j)ropos.  Le  droit  d'appel  et  de  légation  ii'existe  pas  pour  le  })ape,  sauf  à  la  de- 
mande du  roi.  Les  élections    ecclésiastiques    seront    faites    par   les  clercs,     qui 
s'entendront  en  secret  sur  l'élu  et  feront  connaître  au  roi  le  résultat  de  leurs 
délibérations.  Le  roi  a  le  droit  de  refuser  les  personnes  proposées.  Le  pape  avait 
soulevé  des  diOicultés  relativement   à  certains   monastères  et  à  diverses  églises, 
le  traité  décide  que  la  règle  générale  des  églises  qui  sont  en  la  puissance  du  roi 
leur  sera  appliquée,  c'est  à  savoir  que  ces  églises  et  ces  monastères   recevront 
les  consécrations  et  les  bénédictions  de  Rome  et  paieront  au  Saint-Siège  les 
cens  dus  et  établis.  Il  faut  comprendre  par  là  que  le  droit  de  nomination  est 
refusé  au  pape.  Enfin,  il  semble  que  Guillaume  promit  au  pape  de  l'aider  à  entrer 
à  Rome.  Cf.  Gregorovius,  Gesch.  der  Sladt  Rom,  t.  ii,  p.  570,  note  29.  On  voit 
([ue,  par  le  traité  de  Bénévent,  les  privilèges  accordés  à   la  Sicile  par  Urbain  II 
étaient  reconnus  et  que  le  pape  légitimait  toutes  les  conquêtes  faites  par  les 
Normands.  Cefut  dansFéglise  San  Marciano.près  de  Bénévent,  que  Guillaume  I^r 
reçut  l'investiture  de  ses   États.   Pour  sceller  la  réconciliation  et  se  créer  des 
partisans,  le  roi  distribua  de  riches  présents  au  pape,  aux  cardinaux  et  à   toute 
la  cour  pontificale.  Guillaume  obtint  que  Palerme  serait  érigée  en  métropole 
et  le  pape  donna  comme  suffragants  à    l'archevêque    de    Palerme  les  évêques 
de  Girgenti,  de  Mazzara  et  de  Malte.  Une  fois  l'accord  conclu,   le  pape  quitta 
Bénévent  pour  se  rendre  à  Orviéto.  »  F.  Chalandon,  Histoire  de  la  domination 
iLormaïule  en  Italie  cl  en  Sicile,  l.  ii,  p.  232-234.  (H.  L.) 


619.     FRÉDÉRIC     1^^     ET     LE     PAPE     HADRIEN     IV  885 

de  la  reconnaissance  par  Urbain  II  des  jura  monarchise  Sicuhe). 
Le  clergé  sicilien  ne  pouvait  faire  appel  au  pape;  aucun  envoyé 
ecclésiastique  n'avait  le  droit  d'aller  à  Rome  sans  le  consentement 
du  roi  ;  enfin,  le  roi  confirmait  l'élection  des  prélats  nommés  par 
le  clergé.  Le  pape  céda  aux  circonstances  et  accepta  le  compromis 
que  les  cardinaux  gibelins  lui  reprochèrent  plus  tard  comme  un 
crime  ^.  Ils  savaient  évidemment  que  l'empereur  Frédéric  était 
très  mécontent  de  ce  projet  '^  qui  renversait  tous  ses  plans  sur  le 
royaume  des  Deux-Siciles.  Déjà  Lothaire  III  en  avait  revendiqué  la 
suzeraineté,  mais  n'avait  obtenu  du  pape  qu'une  investiture  eu 
commun.  Quant  à  Frédéric,  la  pensée  de  son  règne  fut  de  joindre 
la  couronne  des  Deux  Siciles  à  la  couronne  impériale,  pour  inves- 
tir, par  le  nord  et  par  le  sud,  les  États  de  l'Église  ;  c'était  à  ses 
yeux  le  meilleur  moyen  de  réaliser  toutes  ses  idées  césariennes^. 

1.  Sur  tous  ces  événements,  cf.  Boson,  dans  Watterich,  Fite  roman,  pontif., 
t.  II,  p.  333  sq.  ;  Liber  pontificaUs,  édit.  Duchesne,  t.  ii,  p.  394  sq.  ;  Roinuald, 

Annal.,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  428  ;  Annal.  Casinenses, 
dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  i,  p.  311  ;  Annales  Ceccanenses,  dans  Mo- 
num. Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  284  ;  Guillaume  de  Tyr,  Ilistor.,  1.  XVIII, 
c.  11,  P.  L.,  t.  CCI,  col.  717  ;  pour  la  Concordia,  appelée  aussi  Com'entio 
Beneventana,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  sect.  iv  ;  Constitut.  et  acta,  t.  i, 
p.  588-591,  n.  413  :  Privilegium  Wilhelmi  régis,  n.  414,  p.  590  sq.  ;  Privilegium 
Jladriani  pontifiais  ;  enfin  H.  Simonsfeld,  Jahrbiicher  des  deutschen  Reiches 
unier  Friedrich  I,  in-8,  Leipzig,  1908,  t.  i,  p.  454  sq.  ;  Sentis,  De  monarchia 
Sicula,  1869.  (H.  L.) 

2.  C'est  ce  qu'on  voit  par  la  lettre  des  évêques  allemands  au  pape,  dans  Mansi. 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  793.   (H.  L.) 

3.  Je  ne  saurais  admettre,  écrit  Knôpfler,  qu'au  début  de  son  règne,  Fré- 
déric ait  eu  ce  dessein  et  se  soit  efforcé  d'obtenir  la  couronne  de  Sicile.  La  Sicile 
et  la  Basse-Italie  étaient  considérées  comme  des  annexes  de  l'empire  ;  c'est 
pourquoi  les  empereurs  allemands  comme  les  empereurs  byzantins  s'efforçaient 
de  les  posséder.  Mais,  certainement,  les  papes  devaient,  dans  l'intérêt  de  leur 
propre  conservation,  faire  tous  leurs  efforts  pour  empêcher  la  réunion  de  la 
Haute  et  de  la  Basse- Italie  dans  la  seule  main  de  l'empereur. 

[Les  contemporains  ne  s'y  trompaient  pas  et  savaient  bien  à  quel  but  tendait 
Frédéric  Barberousse.  Cf.  Romuald  de  Salerne,  Annal.,  ad  ann.  1156,  dans 
Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xix,  p.  429  ;  Godefroi  de  Viterbe,  Gesta  Fri- 
derici,  vs.  277  sq.  ;  Jean  de  Salisbury,  Epist.,  lix,  dans  Opéra,  édit.  Giles,  t.  i, 
p.  63  :  Scio  quid  Teuionicus  moliatur...  Promittebat  enim  se  totius  orbis  reforma- 
turum  imper ium  et  Urbi  subjicicndum  orbem  eçentuque  facili  omnia  subaclurum 
si  ei  ad  hoc  solius  romani  pontificis  javor  adesset.  Id  enim  iigebat,  ut  in  quemcumque 
denunciatis  inimicitiis  malerialem  gladium  imperalor,  in  eundem  romanus  pon- 
tifex  spiritualem  gladium  exerceret.  Non  invenit  adhuc,  qui  tante  consenliret 
iniqnitati.  Cf.  Simonsfeld,  Jahrbiicher,  I.  i,  p.  16G,  noie  61.  (II.  L.)] 


886  LIVRE     XXXIV 

Il  se  plc'iignit  donc  aussitôt  du  traité  de  Bénéveut  par  lecjuel  L  I 
le  pape  violait  ses  engagements  de  Constance  '.  A  Constance. 
Frédéric  avait  promis  de  ne  pas  conclure  de  paix  avec  les 
Normands  sans  l'assentiment  du  pape  ;  mais  Eugène  III  n'avait 
pas  pris  le  même  engagement;  il  avait  seulement  promis  de  main- 
tenir et  développer  l'honneur  de  l'empire.  Si  l'empereur  était 
mécontent  du  pape, celui-ci  n'avait  pas  lieu  d'être  satisfait  de  l'em- 
pereur; divers  incidents,  même  des  calomnies,  vinrent  aggraver 
ce  mécontentement  réciproque.  Les  Grecs  avaient  répandu  de 
fausses  pièces  aux  termes  desquelles  Frédéric  leur  concédait 
le  rivage  de  la  Fouille  ^.  Si  le  fait  était  vrai,  il  violait  l'accord  de 
Constance  et  portait  atteinte  aux  droits  du  pape.  Ces  bruits  semés 
par  les  Grecs  déterminèrent  le  pape  à  écrire  à  l'abbé  Wibald,  le 
19  janvier  1157  ^.  «  Beaucoup  sont  persuadés  que  tu  as  ourdi  en 
Grèce  (au  cours  de  son  ambassade)  toute  sorte  de  complots  con- 
tre nous  et  contre  ta  mère  la  sainte  Eglise  romaine,  nonobstant 
l'idée  avantageuse  que  nous  avions  de  toi.  Toutefois,  ton  vieil 
attachement  nous  fait  espérer  que  ce  sont  de  faux  bruits; l'avenir 
nous  l'apprendra.  Parmi  l'entourage  de  l'empereur  se  trouvent 
sans  doute  des  gens  qui  cherchent  à  étouffer  en  lui  l'amour  pour 
l'Église  romaine.  Aussi  je  t'engage  à  user  de  ta  prudence  pour 
neutraliser  ces  mauvaises  influences  et  conserver  les  bons  sen- 
timents de  l'empereur.  Par  là  je  connaîtrai  ce  que  je  dois 
penser  de  toi  ■*.  »  Peu  après,  \\  ibald  retourna  en  Grèce,  et  son 
absence  fut  cause  que,  dans  la  diète  de  Besançon,  les  rapports 

1.  Ragewin,  Gesla  Friderici,  IV,  xxxi,  dans  Monum.  Germ.  hisi.,  Script.,  t.  xx, 
p.  462.  L'empereur  écrivit  à  Eberhard,  archevêque  de  Salzliourg  :  i\'os  respon- 
dimus  (aux  légats  pontificaux)  quod  pacem  quidem  im'iolahiliter  hucusque 
tenuissemus,  de  cœtero  autem  neqiie  eaiu  tenere  neque  ea  teneri  vellemus,  quoniam 
ipse  (le  pape)  prior  eam  violasset  in  Siculo,  cui  ipse  sine  nobis  reconciliari  non 
dehuissel.  (H.  L.) 

2.  Raumer,   Geschichte  der  Jlohenstaujen  und  Huer  Zeil,  p.  G9. 

3.  Jaiïé-Wattembach,  Regesta  pontif.  rom.,  n.  10246  ;  Wibald,  Episl.,  dans 
Jafïé.  Bibliolfi.  rer.    Germon.,  t.  i,  p.  585,  n.  454  :   Quoniam  circa  carissimum 

filiiim  nostrum  Fridericum quidam  esse  dicuntur,  qui  ad  hoc  modis  omnibus 

élaborant,  ut  in  animo  ejus  sacrosanciee  romanse  Ecclesise  dc't'otionem  e.rstin- 
guant,  dilectioni  tuse...  mandamus,  quatinus  juxla  prudentiam  tuam  pravis  sug- 
gestionibus  illorum  obsistas.  Cf.  Simonsfeld,  Jahrb'ùcher,  t.  i,  p.  483  ;  K.  Cha- 
landon,  Histoire  de  la  domination  normande  en  Italie  et  en  Sicile,  t.  n,  p.  244- 
245.    (II.   L.) 

4.  P.  L.,  L.  cLxxxviii,  col.  1492.  .Tansscn,  op.  cit.,  p.  206,  289,  se  refuse  à 
voir  la  perspicacité  dont  le  pape  fait  preuve  dans  cette  lettre. 


619.     FRÉDÉRIC     I*^'"     ET     LE  PAPE     HADRIEN     IV  887 

entre  le  pape  et  l'empereur  prirent  une  tournure  si  déplorable  ^. 
[549]  L'influence  de   Rainald  de  Dassel,  chancelier  de  l'empire  depuis 
1156    et   très   opposé   à    Rome,    fut  alors   d'autant   plus   elficace 
qu'elle  n'était  pas  contrebalancée  par  celle  de  Wibald  ^. 

Ce  fut  vers  le  milieu  d'octobre  1157  que  Frédéric  tint 
la  diète  de  Besançon  ;  avec  les  députés  de  différents  peuples 
et  de  plusieurs  princes  y  assistèrent  deux  légats  du  pape  très 
estimés  et  très  influents:  les  cardinaux-prêtres  Bernard  de  Saint- 
Clément  et  Roland  Bandinelli  de  Saint-Marc,  alors  chancelier 
de  l'Église  romaine,  le  futur  Alexandre  III.  Dès  la  première 
assemblée  solennelle,  les  légats  déclarèrent  que  leur  mission  était 
de  nature  à  rehausser  la  dignité  impériale;  il  s'agissait  uniquement 
oour  l'empereur  d'exercer  son  droit  de  protecteur  sur  l'Eglise. 
Mais  en  quoi  cette  mission  était-elle  de  nature  à  rehausser  la  dignité 
impériale  ?  Suivant  l'usage,  les  légats  ne  durent  développer  l'objet 


1.  Wibald  mourut  au  retour  de  son  ambassade,  le  19  juillet  1158,  à  Butellia, 
en  Pélagonie  [Janssen,  op.  cil.,  p.  208  ;  Annales  Magdehurgenses,  dans  Mo- 
num.  Germ.  hist.,  Script.,  i.  xvi,  p.  191  ;  Ragewin,  Gesta  Friderici,  IV,  xxii, 
dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xx,  p  458  (H.  L.)],  d'où  ses  restes  furent 
transportés  au  monastère  de  Stavelot,  en  1159,  par  Erlembold,  son  frère  et 
successeur  comme  abbé  ;  ils  furent  solennellement  ensevelis,  le  26  juillet  1159 
Tourtual,  Dos  Schisma,  p.  200,  fait  mourir  Wibald  en  Paphlagonie  (au  sud 
de  la  mer  Noire,  capitale  Sinope).  Comment  l'abbé,  lors  de  son  retour  de  Cons- 
tantinople  en  Allemagne,  peut-il  être  venu  en  Paphlagonie  ?  Cette  donnée  n'est 
pas  très  explicite.  Toutefois  la  Pelagonia  n'est  pas  la  Paphlagonie,  mais  bien 
un  territoire  situé  au  nord  de  l'ancienne  Macédoine  et  Butellia  s'appelle  aujour- 
d'hui Bitolia. 

2.  Rainald  de  Dassel  était  depuis  1140  prévôt  de  Hildesheim  ;  sur  ce  person- 
nage instruit,  infatigable,  ambitieux,  cf.  J.  Ficker,  Reinald  von  Dassel.  Reichs- 
kanzler  und  Erzbischof  von  Kuln,  in-8,  Kôln,  1850;  Knipping,  Die  Regesten 
der  Erzbischôfe  von  Kôln  im  Mittelaher,  t.  ii,  p.  110  sq.,  dans  Publikationen  der 
Gesellschaft  fiir  rheinische  Geschichtskunde,  Bonn,  1901,  t.  xxi  ;  Martens,  dans 
Allgcmeine  deutsche  Riographie,  t.  xxvii,  p.  725  sq.  ;  Giesebrecht,  Geschichte 
der  deutschen  Kaiserzcil,  t.  v,  p.  143  sq.  ;  édit.  B.  von  Simpson,  t.  vi,  p.  360; 
A.  Hauck,  Kirchengeschichte  Deutschiands,  t.  iv,  p.  207  sq.  ;  H.  Simonsfeld, 
Jahrhiicher,  t.  i,  p.  422  sq.  ;  Acerbus  Morena,  Continualio,  dans  Monum.  Germ. 
hist.,  Script.,  t.  xviii,  p.  640  ;  Anonyme,  Laudes,  dans  Monum.  Germ.  hist., 
Script.,  t.  xviii,  p.  635  ;  Cafari,  A?inales,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script., 
t.  xvni,  p.  32  ;  Archipoeta,  V,  19,  dans  P.  Grimm,  Gedichte  des  Mlttelalters  auj 
Kônig  Friedrich  I,  dans  Abhandl.  der  Rerliner  Akad.  der\Vissenschajten,\^'i'i, 
et  dans  Kleinere  Schriften,  1866,  t.  m,  p.  65,  n.  vu  ;  cf.  Simonsfeld,  op.  cit., 
t.  I,  p.  428,  note  50.  Rainald  fut  chancelier  du  10  mai  1156  au  30  juin  1159,  il 
devint  alors  archevêque  de  Cologne  et  mourut  en  1167.   (TT.  L.) 


888  LIVRE     XXXIV 

de  leur  mission  ((iie  le  Iciulemain,  en  session  secrète  et  en 
présence  de  l'empereur  et  des  princes  :  «  Notre  saint-père  le 
]»a])e  Hadrien  et  tous  les  cardinaux  de  l'Église  romaine  vous 
saluent,  dirent-ils,  le  ])remier  comme  père  et  les  autres  comme 
frères.  »  Ils  remirent  la  lettre  du  pape,  ainsi  conçue  :  «  Nous 
avons  écrit,  il  y  a  peu  de  jours,  à  Ta  Majesté  impériale,  au  sujet 
de  l'épouvantable  forfait  commis  en  Allemagne  ...,  nous  éton- 
nant beaucoup  que  tu  n'en  eusses  pas  déjà  puni  les  auteurs.  1/ ar- 
chevêque de  Lund  (Eskyll)  a  été  attaqué  par  des  malfaiteurs, 
à  Thionville,  à  son  retour  de  Rome  et  faisant  route  vers  le 
Danemark  :  il  a  élé  dépouillé  et  emprisonné  ;  tu  ne  devais 
pas  différer  de  te  servir,  pour  venger  ce  crime,  du  glaive  qvie  Dieu 
t'a  donné  pour  la  punition  des  covipables  ^.  Or,  tu  ignores  même 
ce  qvii  s'est  passé  ^.  Je  ne  puis  m'expliquer  le  motif  de  ton  indif- 
férence, car  ma  conscience  ne  me  reproche  en  aucune  façon  d'avoir  [550] 
manqué  en  rien  à  ton  honneur  ;  je  t'ai  bien  plutôt  tendre- 
ment aimé  comme  le  plus  cher  fils  de  Notre-Seigneur.  Souviens- 
toi,  très  glorieux  fils,  avec  quelle  bienveillance  et  quelle  joie  tu 
as  élé  reçu,  il  y  a  quelque  temps,  par  ta  mère  la  sainte  Eglise 


1.  Olton  de  Saint-Biaise,  Chronicon,  c.  viii,  dans  Mon.  Germ.  hist.,  Script., 
t.  XX,  p.  307.  On  peut  se  demander  si  Frédéric  n'était  pour  rien  dans  ces  bru- 
talités. Le  personnage  d'Eskyll  devait  lui  être  assurément  aussi  peu  sympathique 
que  possible,  en  sa  qualité  de  primat  de  Danemark  et  de  Suède,  établi  et  nonimé 
directement  par  le  paj^e,  au  détriment  de  l'archevêque  de  Hambourg-Brème. 
Cf.  Ragewin,  Gesta  Friderici,  III,  ix;  Jafîé-Wattembach,  Regesta  pontif.  rom., 
n.  10304  ;  Simonsfeld,  Jahrbucher,  t.  i,  p.  498  ;  A.  Hauck,  Kirchengeschichte 
Deutsrhlands,  t.  iv,  p.  210,  note  1  ;  Ribbeck,  Friedrich  I  uiid  die  rumische  Curie, 
p.  21.  Sur  Eskyll,  Mïuiter,  Kirchengeschichte  von  Danemark  und  Norss-egen, 
t.    II,   p.   314.    (H.    L.) 

2.  Le  devoir  du  pape  était  de  prendre  en  main  la  cause  de  l'archevêque 
maltraité.  Mais  comme  Hadrien  avait  été  légat  dans  les  pays  Scandinaves,  il 
avait  appris  en  outre  à  estimer  Eskyll,  et  il  le  tenait  en  amitié  particulière. 
En  sa  qualité  à'advocatus  Ecclesiœ,  l'empereur  était  également  tenu  à  s'occuper 
de  l'archevêque  prisonnier  ;  mais  il  n'aimait  pas  Eskyll,  qui  était  le  confident 
du  roi  de  Danemark  et  l'inspirateur  de  sa  politique,  et  avait  été  promu  à 
la  primatie  par  Hadrien.  Alexandre  III  accusa  plus  tard  Frédéric  d'avoir  été 
le   premier  auteur  de  la  captivité  d'Eskyll. 

Epist.  ad  Arnulph.  Lexo'>>.  episc,  dans  Mansi,    Conc.    ampliss.    coll.,    t.    xxi, 
col.  1125  ;  Watterich,  Vitas  pontif.  rom.,  t.  ii,  p.  401  :  Archiepiscopos  et    epi-' 
sfopos  a  Sede    aposlolica   redeuntes     in     ignominiam    et    detrimentum   Ecclesiœ 
plerumque    capi  turpiter  et  inhoneste  prœcepil  eosque  fecit  carceris  custodise  man- 
cipari.  (II.  L.) 


019.     FRÉDÉRIC     I^'"     ET     LK    PAPK     HAUKIKN     IV  889 

romaine.,.,  quelle  surabondance  de  dignité  et  de  gloire  elle  t'a 
procurée  [contulerit),  et  enfin  comment  elle  t'a  fait  arriver  au 
sommet  de  la  grandeur,  en  t'accordant  la  dignité  impériale  {insi- 
gne coronœ  libentissime  conjerens).  Depuis,  elle  n'a  rien  fait 
dont  elle  pût  soupçonner  que  tu  ressentirais  quelque  peine.  Du 
reste,  loin  de  nous  repentir  d'avoir  ainsi  accompli  tous  tes 
désirs,  nous  aurions  plutôt  eu  plaisir  à  conférer  à  Ton  Excel- 
lence des  bienfaits  encore  jilus  précieux,  s'il  eût  été  nécessaire... 
Mais,  puisque  tu  ne  prêtes  aucune  attention  à  un  i)areil  forfait, 
qui  est  une  tache  pour  l'Eglise  et  pour  l'empire,  nous  sommes 
amené  à  craindre  que,  sous  l'influence  de  l'homme  mauvais 
qui  sème  l'ivraie,  tu  n'aies  du  ressentiment  et  de  la  mauvaise 
volonté  contre  l'Église  romaine,  ta  mère,  qui  a  été  si  bonne  pour 
toi.  Pour  ce  motif  et  certains  autres  qui  vont  être  exposés,  je 
t'envoie  deux  de  mes  fils  les  plus  chers,  les  cardinaux  Bernard  et 
Roland  ^,  etc.  « 

Le  chancelier  impérial  Rainald  de  Dassel  traduisit  sur-le-champ 
en  allemand  la  lettre  du  pape,  et  Ragewin  assure  que  sa  version 
étaitfidèle^.  Ilest  incontestable  cependant, etlesévèques  allemands 
l'ont  eux-mêmes  déclaré  plus  tard,  qu'il  traduisit  dans  le  sens  le 
plus  défavorable  l'expression  de  heneficium,  qui  était  équivoque. 
Les  princes  présents  à  l'assemblée  furent  irrités  par  la  lettre 
du  pape,  surtout  lorsqu'elle  disait»  que  le  pape  avait  procuré  à 
l'empereur  une  surabondance  de  dignité  et  de  gloire,  qu'il  l'avait 
fait  arriver  au  sommet  de  la  grandeur  en  lui  accordant  la  couronne 


1.  Raorewin,  Gesta  Friderici,  I.  III,  c.  ix  ;  dans  Monum.  Germ.  hisl..  Script., 
t.  XX,  p.  420  sq.  ;  Leges,  sect.  iv  ;  Constiiut.  et  acta,  t.  i,  p.  229,  ii.  1G4  ;  Mansi, 
Conc.  ampliss.  coll.,  t,  xxi,  col.  789  sq,  :  Quant  gratanter  et  quam  jucunde  alio 
anno  mater  tua  sacrosancta  romana  Ecclesia  te  susceperit,  quanta  cordis  afjec- 
lione  tractiwerit.  quantam  tibi  dignilalis  plenitudinem  contulerit  et  honoris,  et 
qualiter  iniperialis  itisigne  coronse  libentissime  confereus  benignissimo  gremio 
suo  tuie  sublimitalis  apiceni  studuerit  confovere...  Xeque  tamen  pœnitet  nos  tuœ 
desideria  ^'oluntatis  in  omnibus  implevisse,  sed  si  majora  bénéficia  excellentia 
tua  de  manu  noslra  suscepisset,  si  fîeri  possei...  non  immerito  gauderemus.  Cf. 
Glesebrecht,  Geschichte  derdeutsclien  Kaiserzeit,  1880,  t.  v,  p.  121  sq.,  édit.  Simp- 
son, 1895,  t.  VI,  p.  354  ;  Simonsfeld,  Jahrbiicher,  t.  i,  p.  568  sq.    (H,  L,) 

2,  Ragewin,  Gesta  Friderici,  III,  x,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xx, 
p.  421  :  Talibus  litteris  lectis  et  per  Reinaldum  cancellarium  fida  satis  (mss  B 
et  IV  -.fida  nimis]  interpretatione  diligenter  expositis,  ctc,  ;  ÎI.  Simonsfeld,  Jalir- 
biicher,{.   i,  p.  570,  n.    177.  (II.  1-.) 


890  LIVRE     XXXIV 

impériale,  et  enfin  qu'il  aurait  eu  plaisir  à  conférer  de  sa  main  à 
l'empereur  des  bienfaits  encore  plus  précieux.  »  Si,  à  Besançon, 
le  mot  beneficium  fut  interprété  dans  le  sens  de  fief,  c'est,  dit  [551] 
Ragewin  ^,  parce  que  des  Romains  avaient  avancé  que  les 
empereurs  allemands  avaient  reçu  de  la  libéralité  des  papes  la 
domination  sur  Rome  et  le  royaume  d'Italie,  prétention  attestée 
par  un  tableau  et  une  inscription  au  palais  de  Latran.  Le  tableau 
représentait  en  effet  l'empereur  Lothaire  recevant  la  couronne, 
et  au-dessus  on  lisait  ce  distique  : 

He.r  venil  ante    fores,  jurans  prius  urbis  honores, 
Post  homo  fit  papœ,  sumit  quo  dante  coronam. 

Dès  son  premier  séjour  à  Rome,  Frédéric  avait  prié  le  pape  de 
faire  disparaître  tableau  et  inscription.  L'irritation  des  princes 
contre  la  lettre  papale  s'accrut  encore,  lorsque  le  légat  Roland 
Bandinelli  accentua  davantage  le  sens  des  mots  contestés  dans 
son  discours  devant  la  diète.  Au  lieu  de  dire  que  beneficium 
signifiait  bienfait,  action  inspirée  par  la  bienveillance,  plutôt 
que  fief,  il  s'écria  en  pleine  assemblée:"  De  qui  donc  l'empereur 
tient-il  Vimperium,  si  ce  n'est  du  pape  ^  ?  »  Otton  de  Wil- 
telsbacb,  comte  du  Palatinat,  voulut  lui  répondre  en  lui  fendant 
la  tête  ^;  mais  l'empereur  l'en  empêcha  ;  le  comte  et  le  chance- 
lier Rainald  n'en  proférèrent  pas  moins  les  paroles  les  plus 
outrageantes  contre  les  légats  et  l'Eglise  romaine.  L'empereur 
lui-même  s'écria  :  «  Si  nous  n'étions  pas  dans  l'église,  vous  éprou- 


1.  Ragewin,  Gesla  Friderici,  III,  x,  dans  Monum.  Genn.  tn'sf.,  Srripf..  (.  xx^ 
p,   421. 

2.  A  quo  ergo  hahel,  si  a  domno  papa  non  Jutbcl  itiipcrium?  (H.  L.) 

3.  Continuatio  Sanhlasiana,  c.  viii,  dans  JMonttni.  (îerin.  hisl.,  Script.,  i.  xx, 
p.  307.  Ce  fait  a  été  très  diversement  interprété.  Suivant  les  uns,  le  cliancelier 
Rainald,  en  traduisant  beneficium  par  Lehen,  nous  dirions  fief,  a  parfaitement 
rendu  le  sens  visé  par  la  Curie  romaine,  qui  ne  voulait  qu'une  chose  :  un  conllil. 
C'est  l'opinion  de  A.  Hauck,  Kirchengeschichte  Deutschlands,  t.  iv,  p.  211,  note  1, 
et  de  Reuter,  Geschichte  Alexanders  IIJ,  t.  i,  j).  2G  ;  il  faut  reconnaître  que  le 
discours  du  légat  Roland  leur  donne  assez  raison.  D  autres,  parmi  lesquels 
Prutz,  Friedrich  l,  t.  i,  p.  117  ;  Ribbeek,  Friedrich  I,  p.  23  ;  Simonsfeld.  Jaln- 
bïtchcr,  t.  I,  p.  573,  voient  dans  ce  terme  ambigu  un  piège  tendu  à  l'empereur, 
qui  peut-être  laisserait  passer  le  mot  et  ouvrirait  la  porte  à  la  prétention.  Enfin 
Nitzsch,  Geschichte  des  deutschen  Volkes.  t.  n,  p.  249,  et  Lamprecht,  Deutsche 
Geschichte,  t.  m,  p.  128,  pensent  que  Rainald  voulait  tout    brouiller  et  s'y  est 

pris  de  son  mieux  ;  il  a  réussi.  (H.  L.) 


[552] 


619.     FRÉDÉRIC     1^1'     ET     LE     PAPE     HADRIEN     IV  891 

veriez  combien  sont  lourds  les  glaives  allemands.  »  Il  renvoya 
les  léo-ats  avec  ordre  de  quitter  ses  États  dès  le  lendemain  matin, 
par  la  voie  le  plus  directe  et  sans  visiter  aucun  évoque  ou  abbé  ^. 
L'empereur  envoya  aussitôt  une  lettre  circulaire  à  tous  les 
l'.lats  du  royaume,  pour  exciter  les  esprits  contre  le  pape,  qui 
détruisait  l'union  du  sacerdoce  et  de  l'empire  et  par  là  même  me- 
naçait le  monde  chrétien  des  plus  grands  malheurs.  Il  raconte  ce 
qui  s'est  passé  à  Besançon,  les  paroles  sacrilèges  contenues  dans  la 
lettre  du  pape,  et  comment  les  légats  furent  en  danger  d'être 
massacrés,  s'il  ne  s'était  personnellement  entremis.  Ces  légats, 
aioute-t-il,  étaient  nantis  de  plusieurs  copies  de  la  lettre  du  pape 
afin  de  les  répandre  partout  ;  ils  étaient  également  pourvus  de 
blancs-seings  du  pape,  qu'ils  rempliraient  à  leur  gré  afin  de  mettre 
en  coupe  réglée,  suivant  l'usage,  l'Eglise  allemande"^;  mais  il  les 
a  renvoyés  à  Rome  par  le  plus  court  chemin.  Par  l'élection  des 
princes,  il  tient  la  couronne  et  l'empire  de  Dieu  seul;  il  y  a 
deux  sceptres  auxquels  est  confié  le  gouvernement  du  monde; 
mais  puisque  saint  Pierre  disait  :  «  Craignez  Dieu  et  honorez  le 
roi  ^,  »  il  en  a  menti  quiconque  ose  soutenir  que  Frédéric  a  reçu 
la  couronne  impériale  des  n^ains  du  pape  à  titre  de  beneficium. 
Jusqu'ici  il  s'est  efforcé  de  rétablir  l'honneur  et  la  liberté  des 
Églises  opprimées  sous  un  joug  intolérable  et  devenues  la  proie 
des  Égyptiens,  il  s'est  employé  à  leur  conserver  tous  leurs  droits: 
il  demande  donc  que  l'on  s'accorde  à  déplorer  l'injure  faite 
au  royaume  et  à   ne   pas   tolérer    cet   abaissement    de   la  dignité 


1.  Hadrien  IV,  Episl.  ad  episr.  Germanise ^  dans  Ragewin,  Gesla  Friderici, 
III.  XV,  dans  Monum.  Germ.  hisl.,  Script.,  t.  xx,  p.  425  sq.  ;  Leges,  sect.  iv  ; 
Conslitul.  et  acta,  t.  i,  p.  232,  n.  16G  ;  Mansi,  Coiic.  amplis.'^,  coll.,  I.  xxi,  col. 
709  sq.  :  [imperator]  coiwicia  in  nos  et  legatos  noslros  dicilur  conjecinse  et  quarn 
inhoneste  ipsos  a  prseseniia  sua  recedereet  de  terra  sua  velociter  exire  compulerit, 
et  audire  opprobrium  et  lanienlabile  sit  re/erre.  Cf.  Giesebrecht,  op.  cil.,  t.  v, 
p.  130  ;  Simonsfeld,  Jahrbucher,  t.  i,  p.  572,  n.  183.  (H.  L.) 

2.  Ribbeck,  Friedrich  I  und  die  rômische  Curie  in  den  Jaliren  1157  bis  1159, 
Leipzig.  1881,  p.  26,  note  2,  se  vante  d'avoir  le  premier  l)icn  compris  et  exacte- 
ment traduit  ce  passage  de  Ragewin,  tandis  que  Reuter,  Prutz  et  Giesebrecht 
l'avaient  déformé.  Déjà  la  première  édition  de  l'Histoire  des  conciles  a  donné 
une  traduction  exacte  de  ce  passage,  mais  pour  les  recherches  scientifiques  en 
matière  d'histoire,  la  littérature  catholique  ou  ne  suffit  pas  ou  n'est  pas  assez 
éclectique. 

3.  I   Petr.,  II,  17. 


8t)2  LIVRE    XXXIV 

de  l'empire    par   une    nouveauté  inouïe  et  un  empiétement  aussi 
orgueilleux  ^. 

De  retour  à  Rome,  où  le  pape  s'était  réinstallé  ^,  les  deux  légats 
racontèrent  les  incidents  de  Besançon  et  conseillèrent  contre  Fré- 
déric des  mesures  énergiques.  Les  cardinaux  gibelins,  au  con- 
traire, rejetaient  sur  les  légats  cette  affaire  malencontreuse.  Ils 
furent  cependant  en  minorité,  et  le  pape  écrivit  alors  (fin  dé- 
cembre 1157)  aux  évoques  allemands  :  «  Nous  le  disons  avec 
douleur,  notre  très  cber  fils,  l'empereur  romain  Frédéric  a  fait 
ce  que  jamais  n'a  osé  faire  aucun  de  ses  prédécessevirs.  En  effet, 
lui  ayant  envoyé  deux  de  nos  meilleurs  frères,  les  cardinaux 
Bernard  et  Roland...,  il  a  paru  tout  d'abord  les  recevoir  cor- 
dialement ;  mais  le  lendemain,  lorsqu'ils  lui  lurent  notre  lettre,  il 
a  suffi  d'un  seul  mot  :  insigne  i>idelicet  coronœ  beneficiv^i  tibi 
contulimus,  pour  qu'il  entrât  dans  une  violente  colère,  proférât 
contre  nous  et  nos  légats  des  injures  impossibles  à  reproduire,  et 
chassât  nos  envoyés  de  la  manière  la  plus  honteuse.  On  raconte 
qu'après  leur  départ  il  a  défendu  à  tous  ses  sujets  de  venir  trou- 
ver le  pape  et  a  placé  des  gardes  à  toutes  les  frontières  de  l'empire 
pour  faire  exécuter,  même  par  la  force,  son   ordonnance.   Ce   qui 


1.  Hagewin,  Gesta  Friderici,lll,^,  dans  A/onwm.  Germ.  hisl.,  Script.,  t.  xx, 
p.  422  sq.  ;  Leges,  sect.  iv  ;  Conslitul.  et  acla,  t.  i,  p.  230  sq.^  n.  165,  donne 
V Encyclica  imperatoris,  dans  laquelle  on  lit  :  Cum  per  electionem  principum  a 
solo  Deo  regnum  et  imperium  noslrum  sit,  qui  in  passione  Christi  filii  sui  duobus 
gladiis  necessariis  regendum  orbein  subjecit,  cumque  Petrus  apostolus  hac  docirina 
viundum  informcwerit  :  Deum  tiniete,  regem  honorificate  ;  quicumque  nos  impe- 
rialem  coronain  pro  bénéficia  a  domno  papa  suscepisse  dixeriï,  divinx  insti- 
lutioni  et  doctrinœ  Pétri  contrarius  est  et  mendacii  reus  est...  Porro  quia 
multa  paria  litterarum  apud  eos  reperta  sunl  et  ceduhv.  sigillatie  ad  arbilrium 
eorum  adhuc  scribendse,  quibus,  sicut  hactenus  consuetiidinis  eorum  fuit,  per 
singulas  ecclesias  Teutonici  regni  conceptum  iniquitalis  suie  virus  respergere, 
cdtaria  denudare,  vasa  domus  Dei  asporlare,  cruces  cxcoriare  nilebantur,  ne  ultra 
procedendi  facultas  eis  daretur,  eadem  qua  vénérant  via  ad  Urbem  eos  redire 
fecimus.  Cf.  Ribbeck,  Friedricli  I.  j).  20;  Simonsfeld.  Jahrbiicher,  t.  i,  p.  574 
sq.  (H.  L.) 

2.  Une  bulle  du  12  novembre  1156  est  datée  du  Latran.  Jafïé,  Regesla.  n.  6950. 
Papencordt,  op.  cit.,  p.  286,  suppose  gratuitement  que  le  pape  avait  pacifié 
Rome  à  l'aide  des  Normands.  Tout  ce  qu'on  peut  admettre,  c'est  que,  dès  le 
début  de  1157,  Hadrien  IV,  voyant  où  en  serait  bientôt  l'entente  avec  Barbe- 
rousse,  se  rapprocha  du  roi  de  Sicile.  Cf.  F.  Chalaiidon,  op.  cit.,  t.  \i,  p.  257. 
(II.  L.) 


Cil;'.    FREDERIC    1^1"     ET     LE     1>APE     HADRIEN    tV  893 

[553]  nous  console,  c'est  que  ces  mesures  ont  été  prises  sans  le  con- 
seil ni  de  vous  ni  des  princes.  Aussi  espérons-nous  que,  grâce 
à  vos  représentations,  il  ne  continuera  pas  à  se  montrer  aussi 
violent.  Nous  vous  demandons  donc,  frères,  de  vous  montrer 
comme  le  rempart  de  la  maison  de  Dieu  et  de  ramener  le  plus 
tôt  possible  notre  fils  dans  une  autre  voie.  Efforcez-vous  en  par- 
ticulier d'obtenir  que  l'empereur  oblige  le  chancelier  Rainald 
et  le  comte  du  Palatinaf,  qui  ont  vomi  de  si  grossières  injures 
contre  les  légats  et  contre  la  sainte  Eglise  romaine,  à  donner 
une  satisfaction  éclatante  ^,   »  etc. 

Cette  lettre  était  une  sorte  de  l)allon  d'essai,  destiné  à  sonder 
les  dispositions  de  l'épiscopat  allemand.  Les  évêques  répon- 
dirent "^  :  «  Quoique  persuadés  que  l'Église  de  Dieu  est  fondée 
sur  un  roc  inébranlable  et  qu'aucune  tempête  ne  peut  la  renver- 
ser, nous  n'en  sommes  pas  moins,  nous  les  plus  faibles,  effrayés 
et  anxieux  quand  surviennent  ces  tempêtes.  Aussi  sommes- 
nous  grandement  troublés  et  attristés  par  ce  qui  s'est  passé 
entre  Votre  Sainteté  et  notre  maître  l'empereur  :  les  suites 
en  peuvent  être  déplorables  si  Dieu  n'y  inet  la  main.  Les 
paroles  de  votre  lettre  ont  bouleversé  l'empire  tout  entier, 
cl  l'empereur  ni  les  princes  n'ont  pu  les  supporter.  Avec  la 
permission  de  Votre  Sainteté,  nous  remarcjuons  que  nous  ne 
pouvons  ni  défendre  ni  approviver  ce  sentiment,  à  cause  de 
la  mauvaise  interprétation  qu'on  a  donnée  à  un  mot  douteux. 
De  pareilles  expressions  étaient  inouïes  jusqu'à  nos  jours. 
Nous  avons  reçu  votre  lettre  avec  respect  et,  conformément  à 
vos  ordres,  nous  avons  transmis  vos  exhortations  à  l'empereur. 
Dieu  soit  loué  !  il  nous  a  fait  cette  réponse  digne  d'un  prince 
catholique  :  Nous  devons  tenir  compte  de  deux  facteurs  pour 
gouverner  le  royaume,  les  saintes  lois  des  empereurs  et  les  loua- 
bles coutumes  de  nos  prédécesseurs.  Nous  ne  pouvons  ni  ne  vou- 
lons franchir  les  bornes  qui  ont  été  attribuées  à  l'Église  ;  nous  désa- 

1.  Hadrien  IV,  Episl.  ad  episr.  Germaniae,  dans  Ragewin,  Gesta  Friderici, 
III,  XV,  dans  Monum.  Germ.  hisl.,  Scripf.,  t.  xx,  p.  425  ;  Leges,  sect.  iv  ;  Cou- 
stifui.  et  acta,  t.  i,  p.  232,  n.  166  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col. 
790  sq.  ;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col.  1335;  W.  von  Giesebrecht, 
op.  cit.,  t.  V,  p.  130  ;  H.  Simonsfeld,  Jahrbûcher,  t.  i,  p.  572,  note  183.  (H.  L.) 

2.  Epist.  episcop.  Germ.  ad  papam,  dans  Ragewin,  Gesta  Friderici,  III,  xvr, 
dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xx,  p.  426  ;  Leges,  sect.  iv;  Constitut.  cl 
acIUj  t.  I,  p.  233  sq.,  n.  1G7:  Mansi,  Conc.   ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  792.  (H.   L.) 


894 


LIVRE    XXXIV 


vouons   louL  ce  qui    est  contraire  à  cet    étal   de  choses  ^    Nous 
sommes  prêt  à  rendre  à  notre  père  (le  pape)  le  respect  qui  lui  est 
dû  ;  mais  quant  à  la  libre  couronne  de  l'empire,  nous  ne  la  devons 
qu'à  la  grâce  de  Dieu  [divino  beneficio  adscribimus).  Tjors  de  l'élec- 
tion, l'archevêque  de  Mayence  a  la  première  voix,  viennent  en-   [554] 
suite  les   autres   princes  ;   l'archevcque   de    Cologne   sacre  le  roi, 
et    le    pape    sacre    l'empereur.    Hors    de    là,    tout    est    mauvais. 
Nous  avons  chassé  du  royaume  les    cardinaux-légats,  non  |t(>ui- 
t'aire  injure  au  pape,  mais  ])our  empêcher  la  propagation  de  leurs 
écrits.  Aucun  édit  n'a  suspendu  les  communications  d'Allemagne 
en  Italie  et  réciproquement  ;  quiconque  a  un  motif  raisonnable  peut 
aller  trouver  le  pape  avec  la  permission  de  son  évoque  ou  de  sou 
supérieur  ;  mais,  dans  l'intérêt  de  l'Eglise  et  de   notre   royaume, 
nous  devons  empêcher  les  abus.   Dieu  a   exalté  l'I^.glise  dans  la 
capitale  du  monde  avec  l'aide  de  l'empire,  et  maintenant    c'est 
dans  cette  même  ville  que  l'I^glise  veut  perdre   l'empire  ;  évidem- 
ment telle  n'est  ]ias  la  volonté  de   Dieu.  On  a  commencé  par  une 
j)einture,  puis  on  y  a  joint  une  inscription,  et  maintenant  on  veut 
donner  à  cette  inscription  force  de  loi.  Voilà  ce  que  je  ne  suppor- 
terai pas  :  plutôt  déposer  la  couronne  que  de  la  laisser  ainsi  dégra- 
der avec  moi  !  L'image   sera   détruite,  l'inscription  sera  rayée,  aiin 
que  ces  souvenirs  de  la  désunion  entre  le  sacerdoce  et  l'empire  ne 
soient  pas  éternels.  —  En  outre,  continuent  les  évêques  allemands, 
l'empereur  a  écrit  au  sujet  de  vos  traités  avec  Roger  et  Guillaume, 
rois  de  Sicile.  Quant  au  comte  du  Palatinat  et  au  chancelier  Rai- 
nald,  qui  vont  maintenant  en  Italie  pour  préparer  le  passage  de 
l'armée   de  l'empereur,  tout  ce  que  nous  avons  entendu  dire  d'eux, 
c'est  qu'ils  sont  modestes,    pacifiques,  et  que  le  chancelier  a  dé- 
fendu les  légats  contre  la  fureur  du  peuple.  En  terminant,  nous 
demandons  instamment  à  Votre   Sainteté   d'avoir   égard   à   notre 
situation  et  d'apaiser,  comme  le  doit  faire  ou  bon  pasteur.  la  colère 
de  votre  fils  l'empereur,  en  lui  envoyant  une  nouvelle  lettre  pour 
atténuer  la  première.  » 

On  prétend  que,  vers  cette  époque,  l'empereur  aurait  écrit  à  Hil- 
lin,  archevêque  deTrèves,  une  lettre  du  plus  haut  intérêt. Il  y  accuse 
le  pape  de  s'être  attaqué  à  la  dignité  de  l'empire  et  se  plaint  que 


1.  Nous  voyons  ici  combien  Barberousse,  dans  la  première  phase  de  sa  lutte 
avec  la  Curie,  se  rapproche  graduellement  de  la  conception  du  droit  païen  de 
l'antiquité  et,  par  suite,  de  l'absolutisme  impérial. 


01 '.t.     FRÉDlîllU;     l'-''"    ET     LE     PAPE     HADRIEN     IV  81*5 

la  lettre  du  pontife  remise  à  Besançon  renfermât  des  imputations 
fausses  et  tout  à  fait  étranges.  Il  est  faux  qu'Hadrien  l'ait  cou- 
ronné ;  Hillin  est  témoin  qu'il  s'était  placé  lui-même  la  couronne 
sur  la  tête  et  n'avait  reçu  du  pape  que  l'onction  :  c'est  de  Dieu 
[555]  et  non  du  pape  qu'il  tient  sa  couronne.  Loin  de  lui  avoir  donné 
des  bénéficia,  Hadrien  s'est  approprié,  sans  l'assentiment  de 
l'empereur,  des  bénéfices  aj)partenant  au  royaume.  C'est  ainsi 
qu'il  a  fixé  sa  résidence  à  Viterbe.  bien  impérial,  préférant  la 
queue  à  la  tcte  et  la  servante  à  la  maîtresse  (Rome).  Nulle  part 
Dieu  n'est  moins  bien  servi  ([u'à  Rome,  où  la  maison  de 
Pierre  est  devenue  une  caverne  de  voleurs  et  l'habitation 
des  démons,  et  où  le  second  hérésiarque  Simon  met  tout  à 
vendre.  C'est  pourquoi  l'empereur  le  jugera  et  réclamera 
comme  lui  appartenant  les  villes  et  châteaux  de  toute  la 
Pouille.  Quant  à  son  excommunication,  il  ne  la  craint  pas, 
car,  en  Italie,  on  n'en  fait  plus  aucun  cas...  Or,  continue 
Frédéric,  comme  vous  êtes  le  primat  de  ce  côté  des  Alpes  et  que 
votre  métropole  est  le  cœur  du  royaume,  cette  illustre  ville 
de  Trêves,  qui  possède  la  robe  sans  couture  du  Seigneur,  je  veux, 
avec  votre  conseil  et  votre  secours,  délivrer  le  vêtement  mystique 
du  Christ.  l'Église,  des  mains  de  cet  Amorrhéen,  qui  a  déchiré 
cette  robe  et  l'a  vendue  aux  Égyptiens,  car  il  est  larron  et  n'est 
pas  entré  par  la  porte  dans  la  bergerie.  Puisque  vous  présidez  à 
la  seconde  Rome,  afin  de  fortifier  les  frères,  si  l'un  d'eux  vient  à 
tomber  ;  puisque  vous,  et  vous  seul,  avez  reçu  de  Pierre  sa  verge  ^, 
afin  d'être  son  représentant,  nous  vous  confions,  par  l'autorité 
impériale,  le  gouvernement  de  l'Église  à  la  place  de  Pierre 
(c'est-à-dire  à  la  place  du  faux  pape),  en  sorte  que  tous  ceux 
qui  font  partie  de  notre  empire  de  ce  côté-ci  des  Alpes  devront 
traiter  leurs  affaires,  non  avec  Viterbe  ou  la  nouvelle  Rome,  mais 
avec  Trêves,  qui  est  la  Roma  secunda...  La  dignité  apostolique 
vous  revient  par  droit  d'héritage.  Comme  héritier  de  Pierre,  vous 
devez  vous  élever  avec  moi  contre  celui  qui  se  prétend  faussement 

1.  Saint  Pierre  aurait  envoyé  son  bâton  àsaint  Eucher,  premier  évêque  de 
Trêves  (lequel  vécut  deux  siècles  plus  tard).  Ce  bâton  fut  conservé  à  Trêves; 
il  est  maintenant  à  Limbourg-sur-la-Lalin.  Gerbert,  Lt/ar^.  Alam.,  i,  p.  257  sq. 
Ci'.  Kraus,  Ueber  die  Sage  vom  Slabe  des  hl.  Petrus  zu  Trier  und  iiber  die  Slabsagen 
im  Allgemeinen,  dans  l'appendice  du  programme  de  l'anniversaire  de  naissance 
de  Winkelmann,  Bonn,  1866,  p.  20;  Der  heilige  Nagel  in  Trier,  Trier,  1868, 
p.   123. 


896  LIVRE    X.KXIV 

le  vicaire  de   i*iene.   Agissez  dans  ee   sens  auprès  de  vos  sufTra- 
gants  de  Metz,  de  Verdun  et  de  Toul. 

A  cette  prétendue  lettre  de  l'empereur  se  raLlacheul  deux  auUcs 
.documents.  Le  premier  est  une  lettre  d'Hillin  de  Trêves  à 
Hadrien  IV,  dans  laquelle  l'archevêque,  après  avoir  communiqué 
au  pape  la  lettre  de  l'empereur  que  l'on  vient  de  lire,  l'engage, 
sur  un  ton  très  élevé  (il  ne  parle  jamais  de  lui-même  qu'en 
employant  le  pluriel,  nos),  à  céder  et  à  faire  sa  paix  avec  l'em- 
pereur irrité.  Il  ajoute  que  le  souverain  a  écrit  à  ce  sujet  (de  [556] 
l'archevêché  de  Trêves  transformé  en  papauté)  aux  archevêques 
de  Mayence  et  de  Cologne.  Enfin  la  prétendue  réponse  du  pape, 
le  dernier  des  documents  en  question,  est,  pour  ce  motif,  adres- 
sée aux  archevêques  des  Lords  du  Rhin,  et  elle  est  rédigée  sur 
un  ton  qui  aurait  rendu  impossible  tout  arrangement  avec  l'em- 
pereur. «  Il  est  faux,  disait  Hadrien  en  résumé,  que  le  pape  et 
l'empereur  soient  égaux,  quoi  qu'en  dise  Frédéric.  Le  royaume 
d'Allemagne  était  au  contraire  le  plus  petit  de  tous,  et,  s'il 
a  été  élevé  à  la  dignité  d'empire,  c'est  au  pape  qu'il  le  doit. 
Auparavant,  en  effet,  le  roi  allemand  (franc)  était  assis  noncha- 
lamment sur  un  char  traîné  par  des  bœufs,  tandis  que  son 
maire  du  palais  traitait  toutes  ses  alTaires.  L'élu  des  princes  alle- 
mands n'est  qu'un  simple  roi  ;  il  n'obtient  le  titre  dHmperator 
uuguslus  et  de  csesar  que  par  le  sacre  que  lui  confère  le  pape. 
Celui-ci  a  transporté  l'empire  des  Grecs  aux  Allemands  ;  mais, 
s'il  est  nécessaire,  il  le  rendra  aux  Grecs.  Frédéric  n'est  pas  un 
protecteur,  mais  un  oppresseur  de  l'Eglise.  Il  est  faux  que 
le  pape  ait  pris  à  l'empire  la  ville  de  Viterbe  ;  toute  la  Fouille, 
en  effet,  relève  de  son  autorité.  L'empereur  se  vante  de  sa 
grande  puissance,  mais  il  ne  peut  même  pas  maintenir  les  princes 
ses  vassaux  ni  avoir  raison  du  roi  de  Sicile.  C'est  de  lui  qu'on 
peut  bien  dire  :  Parturluni  inontes,  etc.  »  La  lettre  se  termine 
par  cette  conclusion  :  «  Les  évêques  doivent  maintenant  tra- 
vailler le  cœur  de  leur  roi,  car  il  n'est  |)lns  possible  tle  s'adresser  à 
son  esprit  {qui  aune  mente  excessit).  »  On  voit  que  la  lin  est  digne 
du  reste. 

Melchior  Goldast  et,  après  lui,  Hontheim  ^  ont  publié,  il  y  a 
plus  de  deux  siècles,  la  première  de  ces  trois  lettres,  et  son 
authenticité     a    été    souvent,    depuis    lors,    contestée.    En    1822, 

1.   Hontheim,  lliat.  Trevir.,  L.   i,   y.  581. 


619.     FRÉDÉRIC     I^^    ET     LE     PAPE     HADRIEN     IV  897 

Ritz,  a  retrouvé  ces  trois  pièces  dans  les  archives  de  l'ancien  mo- 
nastère de  Malmédy  et  les  a  publiées  à  nouveau  ^.  Elles  se  trouvent 
également  dans  un  manuscrit  de  Strasbourg  du  xiii^  siècle  prove- 
nant du  monastère  de  Niederaltaich;  Bôhmer  les  y  a  copiées 
pour  Wattenbach,  qui  en  a  enfin  donné  un  texte  très  soigné  '^. 
[557]  Ficker  a  cru  pouvoir  conclure  de  ces  lettres  que  l'empereur  Frédé- 
ric Barberousse  avait  conçu  le  plan  d'une  Eglise  schismatique 
nationale  allemande,  et  Hermann  Reuter  a  partagé  ce  sen- 
timent ^. 

Jalîé  et  Wattenbach  ont  montré  que  ces  lettres,  œuvre  d'un 
savant  du  moyen  âge,  ne  sont  que  des  exercices  ou  modèles  de 
style  épistolaire  ^,  Les  recueils  de  ce  genre  n'étaient  pas  rares 
alors,  et  quelques-uns  sont  parvenus  jusqu'à  nous  :  ce  sont  des 
lettres  concernant  des  événements  absolument  imaginaires  ou 
rattachées  à  des  faits  historiques.  Quoi  qu'il  en  soit,  ces  trois  docu- 
ments sont  apocryphes;  ils  sont  l'œuvre  de  la  même  plume;  ils 
sont  rédigés  dans  un  style  uniforme,  les  mêmes  expressions  y 
reviennent  souvent,  et  on  y  remarque  une  préoccupation 
d'imiter  les  tournures  bibliques,  entièrement  étrangère  au  style 
de  la  chancellerie  impériale  ou  de  la  chancellerie  pontifi- 
cale de  ce  temps.  L'étiquette  de  l'époque  y  est  aussi  grande- 
ment méconnue.  L'empereur  y  dit  vous  (^os)  à  l'archevêque 
Ilillin,  tandis  que,  dans  ses  lettres  authentiques,  Frédéric 
Barberousse  dit  toujours  tu  {te)  à  ses  évêques.  De  plus,  l'évê- 
que  Hillin,  écrivant  au  pape,  parle  de  lui-même  au  pluriel 
{nos),  ce  qu'un  évêque  ne  fait  jamais  quand  il  écrit  au  souverain 
pontife.  L'auteur  de  la  lettre  donne  Viterbe,  au  lieu  de  Bénévent, 
comme  résidence  ordinaire  d'Hadrien,  et  fait  dire  au  pape  que 
Viterbe  est  dans  la  Fouille,  erreur  que  le  pape  n'aurait  pas  com- 
mise, Viterbe  étant  au  nord  de  Rome.  Enfin  le  premier 
siège  de  l'Allemagne  n'était  pas  Trêves,  mais  Mayence  : 
c'est    donc     au     titulaire,    non    de     Trêves,    mais   de    Mayence, 


1.  Dans  Pertz,  Archw  fur  deulsche  Gcschichtskunde,  t.  iv,  p.  418  sq. 

2.  Watlenbacli,  dans  Archw  jiir  uaLerrelchiache  Geachicliluquelle/i,  t.  xiv, 
p.  86  sq. 

3.  Ficker,  Rainald  von  Dassel,  Reichskanzler,  1850^  p.  18  ;  Reuler,  Ge- 
schicide  Alexanders  III  und  der  Kirche  seiner  Zeit,  iii-8,  Leipzig,  1860,  1864,  t.  i, 
p.  31  sq. 

4.  Dans  Archw  fur  oslerreichische  Geschichte,  t.  xiv,  p.  GO  sq. 

CONCILES  —V  -:.7 


898 


LlVJll.     XXXIV 


que     Frédéric     se     serait     adressé,     s'il    uvail    caressé    les    plans 
scliisiiialiques  qu'on  lui  prête. 

A  ces  raisons  décisives,  qu'on  nous  permette  d'ajouter  d'autres 
observations:  a)  L'auteur  fait  dire  à  l'empereur  «  ({u'il  n'a  pas  été 
couronné  parle  pape,  mais  qu'il  a  placé  hii-mème  la  couronne  sur 
sa  tête  et  qu'il  n'a  reçu  du  pape  que  l'onction»,  erreur  manifeste,  en 
contradiction  avec  tous  les  documents,  en  particulier  avec  Otton 
de  Freisingen  (II.  22)  et  avec  la  pratique  universelle  du  moyen 
âge.  h)  L'auteur  fait  dire  au  pape  :  «  Dès  son  avènement  au 
pouvoir,  Frédéric  nous  a  fait  connaître  son  élévation  par  le  duc  de 
Saxe  et  par  les  deux  archevêques  Hiliin  de  Trêves  et  Arnold  de 
Cologne.  ))  Nouvelles  erreurs  historiques.  D'abord,  Frédéric  fut 
élu  le  5  mars  1152,  du  vivant  d'Eugène  III,  et  Hadrien  ne  devint  [558] 
pape  qu'après  la  mort  d'Anastase  IV,  le  4  décembre  1154.  Com- 
ment donc  Frédéric  aurait-il  pu  écrire  in  inlroitu  suo  au  pape 
Hadrien  ?  Quand  même  celui-ci  aurait  entendu  par  le  mot  nos, 
non  la  personne  de  tel  pape  en  particulier,  mais  le  Saint-Siège, 
le  fait  n'en  serait  pas  plus  vrai,  car  les  premiers  ambassadeurs 
envoyés  à  Rome  par  Frédéric  ont  été  Hiliin  de  Trêves,  l'abbé 
Adam  d'Ebrach  ^  et  Eberhard.  évêque  de  Bamberg,  et  non 
l'archevêque  de  Cologne  et  le  duc  de  Saxe  (Henri  le  Lion).  A 
cette  époque,  Frédéric  était  même  en  assez  mauvais  termes 
avec  ce  dernier.  Quant  aux  premiers  ambassadeurs  de  Frédéric 
au  pape  Hadrien,  en  vue  de  son  couronnement  comme  empereur, 
ce  furent  Arnold  de  Cologne  et  Anselme  de  Havelberg  ^.  c)  En 
outre,  il  est  contre  toute  vraisemblance  de  prêter  à  l'empereur 
Frédéric  un  plan  plus  extravagant  encore  que  schismatique. 
Il  n'aurait  pu  oublier  que  l'institution  d'un  pape  allemand 
n'était  pas  chose  facile  et  qu'il  allait,  par  ce  changement  radical, 
blesser  au  vif  la  conscience  religieuse  de  milliers  de  personnes  ; 
et  puis,  les  autres  évêques  allemands  auraient-ils  reconnu  pour 
chef  un  de  leurs  collègues  ?  La  question  devait  surtout  se  poser 
pour  les  deux  archevêques  de  Mayence  et  de  Cologne,  jus- 
qu'alors non  seulement  égaux,  mais  supérieurs  à  l'archevêque 
de  Trêves.  L'archevêque  de  Mayence  était  sans  contestation 
le  premier  prince  de  l'empire,  il  votait  le  premier  pour  l'élec- 
tion du  roi  ;  l'archevêque  de  Cologne    avait   de   son   côté  le   pri- 

1.  Wibald,  Epist.,  dans  Jafïé,  Bibliolh.  ver.  Germ.,  t.  i,  p.  499,  n.  372. 

2.  Boso,  dans  Walterich,  Vitx  poiitif.  roin.,  t.  ii,  p.  326. 


GIO.     FRÉDÉRIC     1^^    ET     LE     l'APE     HADRIEN     IV  899 

vilège  de  couronner  le  nouveau  roi.  Or,  depuis  des  siècles,  la 
grande  préoccupation  des  titulaires  de  ces  deux  grands  sièges 
avait  été  de  conserver  intacts   leurs   droits   et  leurs  prérogatives. 

d)  Si  donc  Frédéric  avait  eu  réellement  un  pareil  projet,  il 
l'aurait  communiqué  de  vive  voix  et  secrètement  à  Hillin, 
auquel  il  n'aurait  écrit  qu'après  s'être  assuré  de  son  plein  con- 
sentement. Mais  alors  Hillin  n'aurait  certainement  pas  écrit 
au  ])ape  pour  lui  dénoncer  toute  cette  trame,  sans  s'exposer 
à  la    vengeance    de    l'empereur,    laquelle    ne  s'est   pas  produite. 

e)  Enfin,    après  l'échange  de   pareilles    lettres,  toute  négociation 
[55y]   entre  le   pape   et  l'empereur  aurait    été    impossible.    Concluons 

donc  que  ces  lettres  n'étaient  dignes  ni  du  pape  ni  de  l'em* 
pereur   et   ne  sont  pas  leur  œuvre  ^, 

Lorsqu'il  préparait  sa  seconde  expédition  contre  l'Italie,  l'em- 
j)ereur  Frédéric  se  fit  précéder,  au  commencement  de  1158,  par 
son  chancelier  Rainald  de  Dassel  et  le  comte  du  Palatinat,  Otto 
de  Wittelsbach  ^.  Grâce  à  l'habileté  du  chancelier  et  à  la  crainte 
qu'inspirait  l'arrivée  prochaine  de  l'empereur,  ces  deux  person- 
nages parvinrent  à  réduire  à  l'obéissance  une  foule  de  villes  de 
Lombardie  ^.  Sur  le  conseil  de  plusieurs  princes  allemands,  et 
en  particulier  d'Henri  le  Lion,  duc  de  Saxe  et  de  Bavière  *, 
Hadrien  se  décida  à  renouer  des  négociations  avec  l'empereur  et 
lui  députa  les  deux  cardinaux  Henri  et  Hyacinthe.  La  puissance 
du  chancelier  et  de  son  collègue  s'était  tellement  accrue  dans  la 
Haute- Italie, que  les  légats  crurent  bon, contrairement  à  l'usage  tra- 
ditionnel, de  s'avancer  à  leur  rencontre  jusqu'à  Modène,  soit  pour 


1.  Lorenzo,  Deulsclie  Geschichle,  t.  i,  p.  22,  croit  que  la  lettre  de  l'empereur 
à  Hillin  est  authentique  en  ce  se-s  qu'elle  attribue  ce  projet  à  l'empereur,  projet 
qui  ne  fut  pas  accepté  par  Hillin.  La  lettre  d'HilIin  à  Rome  ainsi  que  la  réponse 
seraient,  au  contraire,  une  fiction. 

2.  Acerbus  Morena,  De  rébus  Laudens.,  dans  JMoniim.  Gertn.  Jiisl.,  Script., 
t.  xvm,  p.  641  :  Olto  cornes  palatinus  de  Guitelenspnc  qui  et  pcdlizusi^rM'us  dice- 
balur,  erat  magne  stature...  severus,  sapiens.  Cf.  Ragewin,  Gesia  Friderici,  111, 
xvjii,  dans  Monuin.  Gerrn.  Iiist.,  Script.,  t.  xx,  p.  427  :  ...gladii  severitas  digni- 
tatem  addiderat.  H.  Simonsfeld,  Jalubïicher,  t.  i,  p.  619  ;  Giesebrecht  Simpson, 
op.  cit.,  t.  VI,  p.  360.   (H.  L.) 

3.  Au  sujet  de  leur  activil',  cf.  leur  rapport  adressé  à  l'empereur,  dans 
Sudendorf,  Regist.,  ii,  n.  54,  p.  133. 

4.  Ils  avaient  envoyé  au  pape  l'évèque  de  Bamberg  et  certains  autres;  il 
était  très  probablement  porteur  de  la  lettre  des  évêques  allemands  dont  noua 
avons  parlé  plus  haut.  Mon.   Germ.  hist.,  Script.,  t.  xx,  p.  307. 


000 


LIVRE    XXXIV 


les  assurer  du  caractère  amical  de  leur  ambassade,  soit  surtout  pour 
obtenir  d'eux  une  escorte,  garantie  de  leur  sécurité.  Ils  n'en 
furent  pas  moins  pilles  par  deux  comtes  :  ils  parvinrent 
enfin  jusqu'à  l'empereur  ^,  l'abordèrent  humblement  et  lui  re- 
mirent une  lettre  du  pape,  qu'Otton  de  Freisingen  lut  et  traduisit. 
Ragewin  nous  en  a  conservé  le  texte  ;  on  y  voit  que,  tout  en  tra- 
\aillant  à  une  conciliation,  le  pape  restait  inébranlable  et  blâmait 
courageusement  la  conduite  de  l'empereur.  Il  disait  ^  :  «  Depuis  que 
nous  avons  accepté  de  veiller  aux  intérêts  de  l'Église  tout  entière, 
nous  avons  toujours  songé  à  honorer  Ta  Magnificence.  Aussi 
avons-nous  été  grandement  surpris  d'apprendre  qu'à  Besançon 
tu  as  traité  nos  deux  excellents  frères,  les  cardinaux  Roland  et 
Bernard,  d'une  manière  inconvenante  pour  la  majesté  impériale.  I5G01 
Tu  t'es  ému,  paraît-il,  du  mot  beneflcium.  Sons  doute  ce  mot  est 
parfois  employé  dans  un  sens  qu'il  n'a  pas  d'après  son  étymologie; 
mais  nous  l'avions  pris  dans  son  sens  primitif  et  naturel. 
Ce  mot  vient  de  bonum  et  de  factum,  il  signifie  bienfait  et  non 
])as  fief.  C'est  dans  ce  sens  qu'il  est  constamment  employé  dans 
la  sainte  Ecriture  ...  Ceux-là  seuls  qui  veulent  troubler  la  paix 
entre  l'Etat  et  l'Eglise  expliquent  maintenant  ce  mot  dans  un 
autre  sens.  De  même,  par  l'expression  contulimus  [tihi  insigne 
imperialis  coronœ),  nous  voulions  simplement  dire  imposuimus.  » 
En  terminant,  le  pape  reproche  à  l'empereur  la  défense  faite  à 
SCS  sujets  de  se  rendre  en  Italie  ;  il  proteste  de  la  droiture  de  ses 
sentiments  et  engage  l'empereur  à  se  réconcilier  avec  l'Église  ^. 

1.  Ragewin,  Gesta  Friderici,  III,  xxii,  dans  Monum.  Geriii.  Iiist.,  Script., 
t.  XX,  p.  430  sq.,  dit  que  les  légats  rencontrèrent  l'empereur  à  Augsbourg,  en 
juin  ou  juillet  1158.  (H.  L.) 

2.  Hadrien  IV,  Epistula  excusatoriu,  dans  Monuin.  Geiiti.  hisl.,  Script.,  t.  xx, 
]).  430  ;  Leges,  sect.  iv  ;  Constitut.  et  acta,  t.  i,  p.  234,  n.  1G8  ;  JafTé-Wattenbach, 
Regesta  pontif.  roman.,  n.  1038G  ;  Watterich,  Vitœ  pontif.  rom.,  t.  ii,  p.  366  sq.  ; 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxr,  col.  793  :  Occasions  siquidem  cujusdam  verhi, 
quod  est  beneficium,  tuiis  aninuis  sicut  dicitur  est  commolus,  qiiod  utique  neque 
tanti  i'iri,  sed  nec  cujuslihet  minoris  animum  merito  comviovisset.  Licet  enim 
hoc  tioincn,  quod  est  beneficium  apud  quosdani  in  alia  significatione,  quant  ex 
impositione  habeat,  assumatur,  tune  tamen  in  ea  significatione  accipiendum  jueral, 
quam  nos  ipsi  posuimus,  et  quani  ex  institutions  sua  iioscitur  retinere.  Hoc  enim 
nomcn  ex  bono  et  facto  est  edilum  et  dicitur  beneficium  apud  nos,  non  feudum  sed 
bonum  jactum...  Et  tua  quidem  magnificentia  liquida  recognoscit,  quod  nos  ita 
bcne  et  honorifice  imperialis  dignitatis  insigne  tuo  capili  imposuimus,  ut  bonum 
jactum  \'aleat  ab  omnibus  judicari.   (H.  L.) 

o.  En   somme,   c'était   une   déroute,   h'epislola  excusatoria    n'est   pas  datée. 


619,     FRÉDÉRIC     l'^'"    ET     LE     l'APE     lIADRIEiN     IV  901 

Cette  déclaration  calma  l'empereur  sur  certains  points  parti- 
culiers dont  il  désirait  la  solution  immédiate.  Pour  parer  à  de 
nouveaux  démêlés,  les  légats  donnèrent  une  réponse  générale 
satisfaisante  en  ces  \  termes  :  Le  jDape  ne  portera  aucun  pré- 
judice à  la  dignité  impériale,  il  conservera  intacts  l'honneur 
et  les  privilèges  du  royaume.  L'empereur  se  déclara  satis- 
fait et  la  réconciliation  fut  regardée  comme  conclue  •'^,  mais  il  n'y 
eut  ])lus  d'entente  cordiale  entre  eux,  et  on  peut  dire  que  le  feu, 
toujours  prêt  à  éclater,  continua  à  couver  sous  la  cendre. 

Si  Rainald  et  Otton  avaient  déjà  obtenu  de  grands  résultats 
en  Lombardie  ^,  ces  avantages  furent  encore  plus  considé- 
rables lorsque,  dans  les  derniers  jours  de  juillet  1158,  Frédéric 
vint  lui-même  en  Italie  ^.  Milan  fut  obligé  de  se  soumettre,  par 
le  traité  du  7  septembre  1158,  et  bientôt  ce  fut  le  tour  de 
Gênes.  Le  11  novembre  1158,  l'empereur  réunit  dans  la  plaine 
de  Roncaglia  ■*  la  diète  célèbre  où,  sous  prétexte  de  réta- 
blir les  droits  impériaux,  il  fit  publier  par  ses  juristes  un 
code  de  lois,  qui  lui  attribuait  une  puissance  impériale  beau- 
coup plus  étendue,  en  même  temps  qu'il  restreignait  gran- 
[ol)lj    dément    les     droits     des     villes     et    ceux    de    l'ÉoHse  ^,    L'arbi- 


Jaffé  se  trompe  certainement  en  la  mettant  au  mois  de  janvier  ;  elle  n'est  pas 
antérieure  au  mois  de  juin  1158,  après  les  succès  répétés  de  Rainald  dans  la 
Lombardie.    (H.   L.) 

1.  Ragewin,    Gesta  Friderici,   III,  xxiii. 

2.  Et  ils  en  profitaient  pour  stimuler  leur  maître  auquel  ils  écrivaient:...  quia 
in  lali  statu  Deus  vos  in  pressenti  constituit,  quod  si  vuUis  et  Romarn  destruere  et 
de  papa  et  de  cardinalibus  omnem  vestram  voluntatem  habere.  Sudendorf,  Regis- 
trum,  t.  II,  p.  133.  Cf.  H.  Simonsfeld,  Jahrhûcher,  t.  i,  p.  628.  (H.  L.) 

3.  C.  de  Cherrier,  Histoire  de  la  lutte  des  papes  et  des  empereurs  de  la  i7iaison 
de  Souahe,  in-8,  Paris,  1841,  t.  i,  p.  175-179.  (H.  L.) 

■i.  Roncaglia,   entre   Plaisance   et   Crémone.    (H.  L.) 

5.  Juramentum  a  fidelibus  in  Italia  vassalis  Frederico  primo  prœstilum,  anno 
MCLVIII,  dans  Lunig,  Cod.  diplom.  liai.,  t.  i,  p.  12  ;  Ragewin,  Gesta  Fride- 
rici, IV,  i,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xx,  p.  444  sq.  ;  Continuatio  San- 
blasiana,  14,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xx,  p.  309  ;  Vincent  de 
Prague^  Annales,  ad  ann.  1158,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  l.  xvii, 
p.  675;  Otton  Morena,  De  rébus  Laudens.,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Scri[>t., 
t.  xviii,  p.  607.  Les  principaux  légistes  de  Bologne  apportèrent  le  concours 
de  leur  science  à  l'empereur  ;  c'étaient  Bulgarus,  Martin  Gossia,  Jacques  et 
Hugo  de  Porta  Ravegnana.  Cf.  Godcfroi  de  Viterbe,  Gesta  Friderici,  c.  xvii, 
vs.  364  sq.,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xxii,  p.  316  ;  Giesebrecht, 
Geschichte  der  deutschen  Kaiserzeit,  in-8,  Leipzig,  1880,  t.  v,  p.  173  ;   édit.  B.  von 


902  LIVRE    XXXIV 

traire  d'alors  rappelle  les  «  chambres  de  réunion  »  instituées 
sous  TiOuis  XIV.  Les  prétentions  les  moins  fondées  devin- 
renl  droits  éternels  et  indiscutables.  La  servilité  des  Ita- 
liens permit  tout,  et  Hubert,  archevêque  de  Milan,  fut  le 
premier  à  donner,  dans  cette  circonstance,  l'exemple  de  l'abais- 
sement. Après  le  discours  d'ouverture  prononcé  par  l'empereur, 
Hubert  prit  la  parole  et  se  servit  du  texte  du  Psalmiste  ^    pour 


Simpson,  Leipzig,  1895,  t.  vi,  p.  3^9  sq.;  V.  Arras, Die Roncalischeji Beschlusse 
vniti  Jnhrc  1158  inul  ilire  Durchfuhrung,  in-8,  Leipzig,  1882  ;  M.  Pomtow, 
Ueher  den  Elnfluss  der  AltrorniscJien  VorsteUungeii  vom  Staat  ouf  die  Politik 
Kaiser  Friedrichs  1  und  die  Anschauungen  seiner  Zeit,  in-8,  Halle,  1885;  Savi- 
gny,  Geschichte  des  rumischen  Reichs  im  Miltelalter.  2^  édit.,  t.  iv,  p.  175  ; 
F'icker,  Forschungen  zur  Reichs-  und  Redits geschicli te  Italiens,  iii-8,  Iiinsbrûck, 
1869,  t.  III,  p.  401.  Aucune  diète  italienne,  a  écrit  S.  de  Sismondi,  Hist.  des 
républiques  italiennes,  t.  ii,  p.  97,  n'abandonna  jamais  aussi  honteusement 
les  droits  des  peuples  que  le  fit  celle-ci.  L'empereur  ouvrit  la  délibération  par 
un  discours  en  allemand  qu'un  interprète  traduisit  aussitôt.  Comme  il  ne  pouvait, 
disait-il,  gouverner  l'empire  romain  avec  justice  et  avec  honneur,  sans  connaî- 
tre bien  précisément  l'étendue  des  prérogatives  impériales  et  des  droits  réga- 
liens réservés  au  souverain,  il  avait  assemblé  la  diète  pour  examiner  cotte  grave 
question.  Les  jurisconsultes  et  les  juges,  imbus  de  rancienne  législation,  invo- 
quèrent le  code  du  droit  romain,  notamment  les  Pandecfes  retrouvées  depuis 
vingt  ans  et  qui  qualifiaient  l'empereur  de  «  dominateur  du  monde  entier  ». 
Après  une  rapide  discussion,  ils  tombèrent  d'accord  que  le  chef  de  l'empire 
est  maître  du  monde,  des  individus  et  des  biens.  Les  droits  rr^galiens  englobaient  : 
ducatus,  mnrchia',  comitalus,  consulalus,  monetse,  telonia  (péage),  fodruni 
(fourrage),  vectigalia,  portas,  pedatica,  molendina,  piscariœ,  pontes,  omnis  uti- 
litas  ex  decursu  fluminum  proveniens,  de  propriis  capitibus  census  annui.  L'espèce 
de  code  rédigé  par  les  légistes  à  la  dévotion  —  un  peu  aussi  à  la  solde  —  de  Fi'é- 
déric,  comprenait  quatre  lois  relatives  :  à  la  constitution  des  villes,  dont  l'empe- 
reur nommait  les  podestats  [potestales]  et  les  consuls  ;  aux  régales,  qui  appar- 
tenaient à  l'empereur  et  dont  la  possession  ne  devait  être  conservée  qu'à  ceux 
qui  l'auraient  légitimement  reçue  des  précédents  empereurs  ;  aux  fiefs,  qui 
étaient  inaliénables  sans  l'aveu  du  suzerain  et  à  son  préjudice,  qu'on  perdait, 
si  on  négligeait  de  prêter  le  serment  d'hommage  lige,  qui  restaient  indivisibles 
s'ils  étaient  des  duchés,  des  margraviats,  des  comtés:  aux  guerres  privées, 
qui  étaient  interdites  à  tout  le  monde,  personne  ne  devant  se  faire  justice  à 
soi-même,  et  chaque  homme,  de  l'âge  de  dix-huit  ans  à  l'âge  de  soixante-dix 
ans,  étant  tenu  de  jurer  la  paix  publique  et  de  renouveler  son  serment  tous 
les    cinq    ans.    (H.    L.) 

1.  Ps.  cxvii,  24. «  Il  a  plu  à  Votre  Sublimité,  dit  l'archevêque  s'adressant  à  l'em- 
pereur, de  consulter  les  fidèles  et  les  élus  de  son  peuple  sur  les  prérogatives  du  sou- 
verain. (Cette  consultation  est  une  trouvaille.)  Sachez  donc  que  le  droit  de  faire 
desloisappartientà  vous  seul,  parce  que  votre  volonté  e^t  elle-mcme  la  loi  suprême 


619.     FRÉDÉRIC     I^^     ET     LE     PAPE     HADRIEN     IV  903 

célébrer  le  jour  signalé  par  un  si  grand  fait.  Le  texte  capital  de 
son  discours  fut  :  Tua  voluntas  jus  est  ;  quod  principi  placuit, 
legis  habet  çigorem  ^. 

On  reconnut  à  l'empereur  le  droit  de  nomination  des  magistrats 
municipaux  ;  les  juridictions  ordinaires  furent  suspendues  et 
remplacées  par  des  juridictions  impériales.  Evêques  et  laïcs 
durent  restituer  tous  les  regalia  en  leur  possession,  et  l'empereur 
eut  pouvoir  de  faire  à  chacun  sa  part  sur  les  biens  confisqués. 
On  estima  à  30  000  talents  le  revenu  annuel  des  biens  et  propriétés 
confisqués.  Enfin  on  promulgua  une  nouvelle  loi  sur  les  fiefs  et 
leur  aliénation,  sur  la  paix  de  Dieu,  etc.  ^. 

Le  pape  ne  pouvait  approuver  toutes  ces  mesures,  ni  la  rudesse 
avec  laquelle  l'administration  germanique  prélevait  le  fodrum  même 
sur  les  domaines  du  pape  ^.  Pour  son  propre  compte,  il  devait  se 
plaindre  également  de  ce  qu'on  reprenaitauxévêques  et  aux  abbés 
les  regalia  dont  ils  étaient  en  possession  et  de  ce  qu'on  revendiquait 
comme  terres  impériales  tous  les  biens  de  la  comtesse  Mathilde, 
y  compris  les  alleux  qui  constituaient  les  regalia  de   Saint-Pierre*. 


et  que  la  justice  et  les  intérêts  de  l'empire  sont  entre  vos  mains  :  un  ordre,  une 
lettre,  ou  un  décret  de  vous,  deviennent  aussitôt  pour  tous  loi  obligatoire.  N'est- 
ce  pas,  en  efîet,  conforme  à  la  sagesse  que  le  commandement  appartienne  à  celui 
qui  nous  protège  ?  N'est-ce  pas  une  juste  indemnité  des  soins  du  gouverne- 
ment ?  )i   (H.  L.) 

1.  Ce  que  pouvait  dire  ou  ne  pas  dire  l'évêque  de  Milan,  étant  donné  le  dia- 
pason auquel  il  élevait  sa  flatterie,  importait  dès  lors  assez  peu.  Les  déclara- 
tions de  l'empereur  comptaient  tout  autrement  :  lia  novimus  quid  jiiris,  quid 
honoris  tam  divinarum  quant  humanarum  legum  sanctio  culmini  regalis  excel- 
lentia  accommodaverit.  Ragewin,  Gesta  Friderici,  IV,  iv,  dans  Monum.  Germ. 
hist.,  t.  XX,  p.  446  sq.  Avec  une  telle  interprétation  des  droits  impériaux,  le 
pouvoir   ecclésiastique   n'existait   plus. 

2.  Ragewin,    Gesta  Friderici,    IV,   viii,   dans   Monum.    Germ.   hist.,   Script., 
t.  XX,  p.  449  ;  Giesebrecht,  Geschichle  der  deutschen  Kaiserzeit,    t.  v,    p.  183  sq., 
198  sq.  ;   Ribbeck,  Friedrich  I  und  die  romische  Kurie,  p.  40  sq.  ;  Tourtual 
Dijhmens  Antheil  an  den  Kdrfipfen  Friedrichs  I  in  Italien.  Der\Mailànderkrieg, 
p.  61  sq. 

3.  Le  fodrum  est  quelque  chose  d'assez  vague  pour  permettre  d'être  haute- 
ment vexatoire;  cela  revient  à  peu  près  à  la  maxime  :  «  La  guerre  doit  nourrir 
la  guerre.  »  On  vit  sur  l'habitant,  on  loge  sous  son  toit,  on  mange  sa  pitance, 
on  prend  ce  qu'il  ne  donne  pas,  et  tout  cela,  avec  les  suppléments  qu'on  devine 
sans  plus  d'explication,  s'appelle  «  contiibution  de  guerre»,  judrum,  un  régime 
de  cocagne  pour  les  chefs,  les  soldats  et  dont  les  chevaux  ont  leur  part.  (H.  L.) 

4.  Frédéric  donna  en  fieT  au  duc  \Velf  les  possessions  de  la  comtesse  Mathilde 
en  y  ajoutant  les  redevances  impériales:  il  Ini  attribua  <lo  plus  le  titre  de  prince 


904  LIVRE     XXXIV 

Mais  la  pomme  de  discorde  entre  le   pape  e!   l'empereur  fut  la 
nomination  à  l'archevêché  de  Ravenne  ^.  [5^^J 

L'archevêque  Anselme,  auparavant  évêque  de  Havelberg,  était 
mort  (12  août  1158),  et  l'empereur  désirait  lui  donner  pour 
successeur  le  jeune  comte  Gui  de  Biandrate,  issu  d'une  illustre 
famille  gibeline,  et  que,  sur  sa  demande,  le  pape  avait  déjà 
fait  sous-diacre  de  l'Église  romaine.  Sur  le  désir  de  l'empereur, 
Gui  fut  élu  ])ar  le  clergé  et  le  peuple  de  Ravenne,  dans  l'hiver 
de  1158-59,  en  présence  du  légat  du  pape  Hyacinthe  et 
d'Hermann,  évêque  de  Verdun,  représentant  de  Frédéric  ^. 
Celui-ci  députa  au  pape  l'évêque  de  Verceil  pour  obtenir 
la  confirmation  de  cette  élection  :  Hadrien  s'y  refusa  ^•,  et 
l'empereur,  dissimulant  son  mécontentement,  envoya  à  Rome 
en  deuxième  ambassade  l'évêque  Hermann  de  Verdun  *,  por- 
teur d'une  lettre  autographe  impériale  demandant  la  ratifica- 
tion de  l'élection  de  Gui.  Hadrien  répondit  négativement,  mais  il 
y  mit  des  formes  :  [l'Eglise  romaine  avait  besoin  des  services  du 
sage  Gui  et  ne  pouvait  consentir  à  s'en  séparer].  Frédéric  se  vengea 
de  ce  refus  en  décidant  que  —  contrairement  au  protocole  tra- 
ditionnel —  désormais,  dans  les  lettres  au  pape,  le  nom  del'em- 


de  Sardaigne  et  de  Corse.  Cf.  Ragewin,  Gesta  Frlderici,  IV,  ix,  dans  Monum. 
Genn.  hist.,  Script.^  t.  xx,  p.  450  ;  Giesebrecht,  op.  cit.,  t.  v,  p.  184  ;  A.  Hauok, 
Kirchengeschichte  DeulscMands,  t.  iv,  p.  220,  n.  1.  (H.  l.) 

1.  Sans  doute,  mais  les  conflits  naissaient  chaque  jour  et  envenimaient  vnie 
situation  déjà  gâtée.  Hadrien  IV  demande  que  l'empereur  n'envoie  pas  à  Rome 
de  représentants  officiels  cum  omnis  magistratus  inibi  beati  Pétri  sit  cum  uni- 
i'ersis  regalibus;  k  cela  Frédéric  répond  : //a'c  res.  fateor,  magna  est  et  gnu'is 
graviorique  et  maturiori  egens  consilio  ;  nam  cum  dii'iua  ordinatione  ego  romanus 
imperator  et  dicar  et  sim,  speciem  tantum  dominantis  effingo,  et  inane  utique 
porto  nomen  ac  sine  re,  si  urbis  Romse  de  manu  nostra  potesfa'^  juerit  excussa. 
Ragewin,  Gesta  Friderici,  IV,  xxx,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xx, 
p.  462.  (H.  L.) 

2.  Ragewin,  Gesta  Friderici,  IV,  xvi,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script., 
t.  XX,  p.  454.   (H.   L.) 

\i.  Ce  n'était  pas  une  chicane,  le  pape  était  dans  son  droit  strict  et  se  retran- 
chait derrière  la  lettre  du  concordat  de  Worms.   (H.  L.) 

4.  Tourtual,  Bohmens  Antheil  an  den  Kàmpfen  Friedrichs  I  in  Italien,2,Das 
Schisma,  1159-1175,  Munster,  1866,  p.  198,  place  cette  ambassade  entre  le 
12  août  et  le  11  novembre  1158.  Je  crois  cependant  qu'elle  fut  envoyée  après 
la  diète  tenue  à  Roncaglia,  car  la  réponse  du  pape  me  semble  avoir  été  dictée 
en  partie  par  les  décisions  prises  à  cetle  diète. 


619.    FRÉDÉRIC    I^^     ET     LE     PAPE     HADRIEN     IV  905 

perenr  serait  placé  avant  celui  du  pape,  à  ciui  on  dirail  tu  '. 
l  ne  autre  circonstance  dut  provoquer  cette  décision.  L'empereur 
avait  rintention  de  faire  trancher  par  un  tribunal  de  son 
choix  un  conflit  entre  les  villes  de  Brescia  et  de  Beraame.  et 
Brescia,  qui  appartenait  au  parti  opposé  à  l'empereur,  avait  tout 
lieu  de  craindre  la  partialité  de  ce  tribunal.  Le  pape  écrivit  donc 
à  l'empereur.  lui  défendant,  sous  peine  d'interdit  -,  de  se  mT-ler 
à  ce  C(mflit.  La  façon  dont  lui  fut  remise  cette  lettre  fut  considé- 
rée ]tar  rciiijicrour  comme  plus  offensante  encore  que  son  con- 
tenu :  elle  fut,  en  ejïfl,  ajiportée  par  un  homme  de  peu  d'ex- 
térieur, mal  habillé  et  qui  disparut,  aussitôt  sa  mission  remplie^. 
Le  dissentiment  alla  grandissant,  parce  qu'on  répandit  le  bruit 
[5t)3]  que  le  pape  formait,  avec  Milan  et  les  autres  villes  lombardes,  une 
ligue  pour  résister  à  l'empereur^. 

Nous  verrons  plus  tard  que  l'empereur  écrivit  au  pape  plusieurs 
lettres  où  l'on  se  conformait  à  ce  nouveau  protocole.  Pendant  que 
Frédéric  se  disposait  à  lutter  contre  Milan  ^,  le  cardinal  Henri  entra 


1.  Cela  ne  peut  tout  de  nième  pas  passer  pour  un  témoignage  de  force  ni  pour 
un  trait  d'esprit,  mais  la  chancellerie  germanique  a  de  ces  inspirations.  Cf.  Wolf- 
gang  Michael,  Die  Formen  des  unniitteiharen  Verkehrs  zwischen  den  deutsclien 
Kaisern  uiid  souverainen  Fursten,  vornehmlich  im  x,  ^i  itnd  kii  Jahrhunderte, 
Hamburg,  1888,  p.  78  sq.  Charlemagne  faisait  précéder  le  nom  du  pape  par 
le  sien;  Otton  P"",  Henri  V  et  Lothaire  III  plaçaient  celui  du  pape  le  premier. 
Conrad  III  avait  introduit  le  vos.  Cf.  Giesebrecht,  Simpson,  Geschichle  der  deut- 
schen  Kaiserzeit,  t.  vi,  p.  383  ;  Hauck^  op.  cit.,  p.  iv,  p.  220,  note  2.  (H.  L.) 

2.  Quse  videhantur  duriores  et  quasi  interdicti  viin  in  se  continentes,  écrit  l'é\è- 
que  Eberhard  de  Bamberg  au  cardinal  Henri    Ragewin,  Gesia  Friderici,  IV,  xx. 

3.  Un    moine    probablement.    (H.    L.) 

4.  Ragewin,  Gesta  Friderici,  IV,  xviii,  dans  Moniim.  Germ.  hist.,  Script., 
t.  XX,  p.  455.  Ragewin  place  le  décret  impérial  concernant  la  formule  des  lettres 
après  la  seconde  ambassade  de  l'évêque  de  Verdun.  Néanmoins  la  lettre  impé- 
riale remise  à  l'évêque  de  Verdun  pour  sa  seconde  ambassade  porte  déjà  cette 
nouvelle  formule  (c.  xvi)  ;  c'est  peut-être  une  interpolation  ;  peut-être  aussi 
est-ce  une  preuve  du  mécontentement  occasionné  par  le  premier  refus  d'accéder 
à  la  requête  qui  avait  été  faite.  Cf.  Reuter,  Alexander  III,  t.  i,  p.  39,  485. 

5.  La  lutte  contre  Milan  avait  recommencé  au  printemps  de  1159,  parce 
que  les  habitants  de  la  ville  avaient  porté  la  main  sur  les  envoyés  de  l'empe- 
reur. De  même.  Crème,  alliée  de  Milan,  fut  assiégée,  prise  et  détruite  en  janvier 
IIGO.  [Crème  tint  depuis  les  premiers  jours  de  juillet  jusqu'au  26  janvier  1160. 
Frédéric  fit  pendre  les  quarante  otages  crémasques  et  les  six  députés  milanais 
qui  étaient  en  son  pouvoir,  les  assiégés  usèrent  de  représailles  :  alors  Frédéric 
lit   attacher  do  jeunes  enfants  de  Crème  aux   machines  de  suerre  contre  h'S- 


906  LIVRE     XXXIV 

en  correspondance  avec  Eherhard,  évoque  de  Bamberg,  pour 
tenter  une  réconciliation  entre  le  pape  et  l'empereur  par 
l'ontremise  de  ce  prélat,  fort  estimé  à  la  cour  de  Frédéric  ^. 
Henri  se  plaignait  de  ce  que  l'empereur,  qui,  grâce  à  lui  (et  au 
cardinal  Hyacinthe),  avait  pu  conclure  un  compromis  en  Alle- 
magne et  l'avait  bien  reçu  alors,  eût  changé  de  sentiment,  ce  dont 
témoignaient  ses  lettres  et  le  nouveau  protocole.  Il  priait  l'évêque 
de  ne  rien  négliger  pour  le  rétablissement  de  la  paix.  L'empereur 
motiva  le  changement  sur  l'oiïense  que  lui  avait  faite  le  pape 
en  lui  expédiant  un  individu  déguenillé.  Eberhard  de  Bamberc 
expliqua  au  cardinal  Henri  qvie  c'était  au  pape  à  faire  les 
premières  avances  et  à  envoyer  des  ambassadeurs.  S'adressant 
ensuite  directement  au  pape,  Eberhard  le  suppliait  d'oublier 
les  incidents,  de  se  réconcilier  avec  l'empereur  et  de  lui  écrire 
avec  bienveillance  ^. 

En  conséquence  de  ces  ouvertures,  quatre  légats  du  pape,  les 
cardinaux  Octavien,  Henri,  Guillaume  et  Gui  de  Crema,  se  ren- 
dirent avi  quartier-général  de  l'empereur,  près  de  Bologne,  après 
Pâques  1159,11s  proposèrent,  au  nom  de  leur  maître,  les  conditions 
suivantes  :  l'empereur  ne  pourra  plus,  à  l'insu  du  pape,  envoyer 
à  Rome  de  représentant,  parce  que,  dans  cette  ville,  toute 
autorité  ainsi  que  les  regalia  appartiennent  à  saint  Pierre.  On 
ne  prélèvera  aucun  fodrum  sur  les  domaines  du  pape,  si  ce  [564] 
n'est  à  l'occasion  du  couronnement  de  l'empereur.  Les  évêques 
d'Italie  prêteront  à  l'empereur  serment  de  fidélité,  mais  non 
de  vassalité  ;  on  ne  pourra  les  obliger  à  recevoir  dans  leurs 
maisons  les  employés  de  l'empereur.  On  restituera  les  biens  de 
l'Eglise  romaine,  y  compris  les  possessions  laissées  par  la  comtesse 
MaLliilde,  c'est-à-dire  les  îles  de  Sardaigne  et  de  Corse  et  le 
duché  de  Spolète,  ou  on  payera  un  tribut  à  leur  place. 

L'empereur  énuméra  une  fois  de  plus  ses  griefs  contre  le  pape,  qu'il 

quelles  les  Crémasques  jetaient  d'énormes  pierres  du  haut  de  leurs  murailles 
Quand  la  ville  fut  enfin  prise,  ce  fut  le  sac,  l'incendie  et  la  destruction  jusqu'au 
ras  du  sol.   (H.   L.)] 

1.  Le  cardinal  Henri  vint^  vers  la  fin  de  février,  trouver  Eberhard.  Cf.  Rage- 
win,   Cesta  Friderici,  IV,  xix,  xx,    dans  Monum.    Germ.  hist.,  Scripl..  t.   xx 
p.  455,  457.  (H.  L.) 

2.  Ragewin,    Gesta  Friderici,    IV,   xxx,   dans   Monum.    Germ.   hist.,    Script. 
t.  XX,  p.  462;   Giesebrecht-Simpson,  Geschichte  der  deiitscfien  Kaiserzeit,  t.   vi. 
p.  .384  sq. 


619.     FRÉDÉFtIC     I^""    ET     LE     PAPE     HADRIEN     IV  907 

nrcusait  d'avoir  enfreint  le  Iraité  de  Constance,  aux  termes  duquel 
aucun  des  contractants  ne  pouvait  faire  séparément  la  paix  avec  les 
r.recs.avec  les  Romains  ou  avec  le  roi  de  Sicile.En  outre,  les  cardinaux 
traversaient  l'empire  sans  la  permission  de  l'empereur,  prenaient 
f[uartier  dans  les  châteaux  des  évêques,  même  quand  ces  châteaux 
étaient  des  regalia,  vivaient  aux  dépens  des  églises.  Il  se  plaignait 
enfin  de  certains  appels  irréguliers,  etc.  Il  proposa  de  soumettre 
les  récriminations  apportées  de  part  et  d'autre  à  un  tribunal  arbi- 
tral dont  la  décision  serait  sans  appel.  Les  cardinaux,  n'ayant 
pas  d'instructions,  s'adressèrent  à  Rome  ;  mais  Hadrien  rejeta 
ce  projet  et  demanda  l'exécution  pure  et  simple  du  traite  de  Con- 
stance. L'empereur  s'y  refusa  à  son  tour,  sous  prétexte  que  le  pape 
aA'ait  violé  ce  traité  en  faisant  sa  paix  avec  le  roi  de  Sicile.  Néan- 
moins il  joignit  ses  ambassadeurs  aux  cardinaux  retournant 
à  Rome,  afin  qu'ils  travaillassent  en  commun  à  un  rappro- 
chement; il  déclara  donc  que  :  «  L'empereur  ne  pouvait,  sans 
le  conseil  de  ses  princes,  prendre  une  décision  définitive  sur  des 
demandes  de  cette  importance.  Toutefois  il  assurait  dès  à  présent 
que  les  évêques  italiens  seraient  affranchis  du  serment  de  vassa- 
lité, si,  de  leur  côté,  ils  renonçaient  aux  regalia.  De  même  les  mem- 
bres de  l'administration  impériale  ne  s'installeraient  pas  dans  les 
palais  épiscopaux,  situés  hors  du  territoire  royal  ;  dans  le  cas  con- 
traire, ce  qui  s'élevait  en  domaine  royal  appartenait  au  roi.  Quant 
à  l'affirmation  du  pape  que  tout  pouvoir  à  Rome  lui  appartenait, 
elle  réclamait  une  explication  ;  l'empereur  se  contentait  de  faire 
remarquer  présentement  que,  sans  ce  pouvoir,  le  titre  d'empereur 
romain  était  un  mot  vide  de  sens  et  pure  gloriole  ^.  » 

Les  nouvelles  négociations  avec  le  pape  n'aboutirent  pas  ;  par 
contre,  les  rapports  de  l'empereur  et  des  Romains  devinrent 
si  amicaux,  qu'en  mai  1159,  le  pape  dut  quitter  la  ville 
rebelle  et  se  rendit  à  Anagni  avec  douze  cardinaux;  là  il  resserra 
[565]  les  liens  qui  l'unissaient  à  Guillaume,  roi  de  Sicile,  et  aux  villes 
lombardes.  En  même  temps,  les  cardinaux  qui  partageaient  les 
idées  de  Roland  Bandinelli  réclamaient  avec  instance  l'excommu- 
nication de  l'empereur  ^  ;  mais  avant  d'en  venir  à  cette  extrémité, 

1.  Ragewin,  Gesla  Friderici,  IV,  xl,  dans  Monum.  Germ.  hisf.,  Script.,  t.  xx, 
p.  466.  (H.  L.) 

2.  Si  l'on  s'en  tient  aux  sources  latines  (Aiiiial.  Slad.,  dans  Monum.  Germ. 
hist.,  Script.,  t.  xvi,  p.  3't't  ;  Gerhoh  de  Reichersberg,  De  investi  gâtions  Anti- 
Chrisli,  I.   III.  c  i.vii,  ('ilii.  ^\\i]/.,  dixns  Archii>  fijr  Kiinde  osterreisch.  Geschichts- 


008  LIVRE    XXXIV 

le  pape  publia  de  Palestrina,  le  24  juin  1159,  le  bref  suivant  : 
«  La  loi  divine,  qui  promet  une  longue  vie  à  ceux  qui  res- 
pectent leurs  parents,  menace  de  mort  ceux  qui  les  méprisent  ; 
la  divine  Vérité   dit   également  :   Quiconque  s'élève   sera   abaissé. 

quellen,  t.  y.x,  p.  144),  on  ne  trouve  pas  trace  de  cette  alliance  avant  1159^ 
mais  les  sources  grecques  permettent  de  remonter  plus  haut,  puisque,  dès  1157, 
le  pape  intervint  auprès  de  Manuel  Comnène  pour  le  décider  à  traiter  avec  le 
roi  de  Sicile.  Nikétas  Chômâtes,  Byzantina  Insloria,  édit.  Bekker,  dans  Corp. 
sn-ipL  liis/.  Bijzanl.,  Bonn,  1835,  1.  II,  viii,  p.  128  ;  Holzach,  Die  auswartige 
Politih  des  Kônigreichs  Sicilien  vom  Tode  Rogers  II  bis  zum  Frieden  von  Venedig, 
in-8,  Bàle,  1892,  p.  34,  note  2,  se  débarrasse  bien  lestement  de  l'autorité  de  Ni- 
kétas Choniatès  qui,  pour  ces  événements,  paraît  utiliser  une  source  bien  ren- 
seignée, et  l'on  doit  admettre  que,  dès  le  début  de  1157,  Hadrien  IV  a  songé  à 
s'appuyer  sur  le  roi  de  Sicile  ;  mais,  pendant  assez  longtemps,  il  a  hésité  et 
probablement  subi  l'influence  des  cardinaux  de  son  entourage,  où  l'on  paraît 
avoir  été  fort  peu  d'accord  sur  la  ligne  politique  à  suivre.  Ce  furent  les 
événements  qui  menèrent  le  pape  et  non  le  pape  qui  gouverna  les 
événements.  La  révolte  des  Milanais,  en  avril  1159,  était  encouragée  sous 
main  par  le  pape  et  le  roi  de  Sicile.  Une  fois  ceux-ci  obligés  de  marcher 
d'accord,  ils  s'évertuèrent  à  créer  à  Frédéric  Barberousse  tous  les  em- 
barras imaginables,  afin  de  le  retenir  loin  de  Rome  et  de  l'Italie  méridionale  ; 
c'était  de  bonne  guerre  ;  malheureusement  les  Crémasques  et  les  Milanais 
payèrent  pour  tous.  Guillaume  P^  eut  une  détermination  de  grand  homme 
d'État.  Il  possédait  des  établissements  à  Tripoli,  en  Tunisie  et  en  Algérie  : 
il  y  renonça  et  rappela  toutes  ses  troupes  en  Italie.  Là  se  jouerait  la  grande 
partie.  Il  travaillait  pendant  ce  temps  la  cour  pontificale,  oii  il  avait  d'abord 
peu  de  partisans,  puisque  ceux-ci  n'avaient  pas  été  en  mesure  d'obtenir  l'ex- 
communication de  Barberousse.  Cf.  Otton  de  Freisingen  et  Ragewin,  Gesta 
Friderici,  IV,  m,  dans  Monum.  Gcrm.  hist..  Script.,  t.  xx,  p.  473.  Mais  le 
temps  est  un  grand  maître,  surtout  quand  on  ne  le  laisse  pas  seul  travailler 
la  conviction  des  hommes;  bref,  les  cardinaux  allemands  avaient  fini  par  être 
en  minorité.  La  première  manche,  gagnée  par  les  Siciliens  dans  le  Sacré-Col- 
lège, fut  de  faire  soutenir  la  révolte  des  Milanais  par  Hadrien  IV  ;  le  cardinal 
Roland  Bandinelli,  qui  gardait  rancune  de  la  bousculade  de  Besançon,  ne  s'y 
était  pas  épargné  :  il  triomphait,  on  le  savait.  Annal.  Stad.,  dans  Monum.  Germ. 
hist.,  Script.,  t.  xvi,  p.  344  ;  Gerhoh  de  Reichersbcrg,  De  investigatione  Anti- 
Christi,  1.  III,  c.  lvii,  édit.  Stulz,  dans  Archiv  fiir  Kunde  ôsterreicli.  Geschichts- 
quellen,  t.  xx,  p.  145  sq.  Ce  voyage  d'Anagni,  en  un  temps  oii  les  papes  étaient 
grands  voyageurs,  avaient  une  signification  grave  ;  du  27  au  30  mai,  le  pape 
est  à  Tusculum  (Jalfé-Lowonfeld,  Reg.,  n.  10571-10573)  ;  le  15  juin,  il  est  à 
Anagni.  Ibid.,  n.  10574.  Pendant  ce  séjour  du  pape  à  Anagni,  le  parti  sicilien 
l'emporta  définitivement  et  régla  dans  un  sens  favorable  à  la  Sicile  plusieurs 
questions  importantes.  Les  envoyés  de  Plaisance,  de  Brescia  et  de  Milan,  peut- 
être  aussi  ceux  de  Crémone,  se  rendirent  auprès  du  pape  et  s'unirent  à  lui  pour 
s'opposer  aux  prétentions  impériales.  Annales  Mediolanenses,  dans  Monum. 
Germ.  hist.,  Script.,  t.  xviii,  p.  3^8  ;  Burchard,  Chron.  Usperg.,  dans  Monum 
Germ.  Jiist.,  Script.,  t.  xxiii,  p.  350.  Les  délégués  des  villes  prirent  l'engagement 


Giy.     FRÉDÉRIC     1^^'     ET     LE     PAPE     HADRIEN     IV  909 

Aussi,  très  cher  fils  dans  le  Seigneur,  nous  sommes  grandement 
surpris  de  ce  que  tu  ne  rendes  pas  à  saint  Pierre  et  à  l'Église 
romaine  le  respect  qui  leur  est  dû.  Placer  dans  tes  lettres  ton  nom 
devant  le  mien  est  chose  inusitée  et  inconvenante.  Et  que  pen- 
ser de  la  fidélité  que  tu  as  jurée  à  saint  Pierre,  quand  tu 
exiges  des  évèques,  qui  sont  des  dieux  et  les  fils  du  Très  Haut  ^, 
qu'ils  te  prêtent  serment  de  vassalité  et  placent  dans  tes 
mains  leurs  mains  consacrées,  quand  tu  interdis  l'entrée  des  villes 
et  des  éjrlises  aux  cardinaux,  mes  envovés  ?  Réfléchis,  réfléchis, 
nous  te  le  conseillons;  tu  as  reçu  de  nous  Fonction  et  la  couronne 
et  en  ambitionnant  ainsi  ce  qui  ne  te  revient  jias,  tu  pourrais 
perdre  ce  qui  t'appartient,  »  L'empereur  répondit  -  :   «  A  chacun 

de  ne  pas  traiter  avec  l'ennenii  commun  sans  le  consentement  du  pape  ou  de 
sou  successeur.  Le  roi  de  Sicile  prit  part  certainement  à  ces  négociations;  c'est 
ce  qui  résulte  jusqu'à  l'évidence  de  la  lettre  des  cardinaux  impérialistes  écrite 
après  la  mort  dHadrien  IV  et  oîi  tout  ce  qui  a  été  fait  alors  est  attribué  au  parti 
sicilien.  Ragewin,  Gesta  Friderici,  IV.  lu,  lxix,  dans  Monum.  Genn.  Iiist., 
Script.,  t.  XX,  p.  473-484.  On  ne  saurait,  au  jugement  de  M.  F.  Chalandon,  His- 
toire de  la  domination  normande  en  Italie  et  en  Sicile,  in-8,  Paris,  1907,  t.  ii, 
]).  260,  attacher  grande  créance  à  Tune  des  Continuations  de  Sigebert  de  Gem- 
bloux.  Sigeb.  Gembloux,  Continuatio  Aquicinci.,  ad  ann.  1157,  dans  Monum. 
Germ.  hist.,  Script.,  t.  vi,  p.  40S-409  ;  Ribbeck,  Friedrich  I  und  die  rômische 
hurie  in  deii  Jahren  1157-11Ô9,  p.  65.  D'après  son  auteur,  le  pape  aurait  alors 
olïert  à  Guillaume  I^''  la  couronne  d'Italie.  Aucune  autre  source  ne  fait  allusion 
à  cette  ofïre,  qui  ne  doit  jamais  avoir  été  faite.  Très  probablement,  l'auteur  de 
la  Continuatio  a  su  que  Guillaume  I'^''  était  le  chef  de  la  ligue  formée  à  Anagni  : 
de  là  sera  venue  son  erreur. 

La  formation  d'une  ligue  ne  fut  pas  le  seul  objet  des  préoccupations  du  roi 
de  Sicile.  Il  est  clair  qu'on  voyait  que  les  jours  du  pape  étaient  comptés,  et  il 
s'agissait  de  préparer  sa  succession.  Dans  le  traité  avec  les  villes  lombardes, 
la  mort  prochaine  du  pape  fait  si  peu  de  doute  qu'on  parle  déjà  de  son  succes- 
seur. Guillaume  regardait  dans  le  Sacré-Collège  le  candidat  le  plus  avantageux 
à  la  politique  anti-impérialiste.  Il  y  avait  intérêt  pour  qu'on  lui  en  fasse  un 
mérite  ou  un  reproche.  Au  reste,  il  serait  servi  à  souhait  :  il  ne  pouvait  espérer 
un  homme  plus  avantageux  sous  tous  rapports  que  le  futur  Alexandre  III. 
Le  pape  Hadrien  avait  beaucoup  tergiversé  dans  sa  vie,  et  s'il  était  revenu 
à  la  vraie  politique  du  Saint-Siège,  à  l'alliance  sicilienne,  on  peut  croire  que  ce 
nélait  que  contraint  par  les  événements  et  dominé  par  son  eiitourage  ;  mais 
enfin  le  pas  était  franchi,  c'était  à  Roland  Bandinelli  de  poursuivre  la  marche. 
(II.  L.) 

1.  l'os  autem  dii  eslis  et  fllii  Excelsi  oinnes.  Il  est  bon  de  se  rappeler  que  le 
pape  cite  un  verset  des  psaumes,  l'affirmation  pouvant  paraître  un  peu  haute 
de  ton.   (H.  L.)  « 

2.  Sigebert    de    Gembloux,  Continuatio    Aquicinctina,     ad    ann.    1157.     dans 


910  LIVRE      XXXIV 

le  sien  ;  je  ne  méprise  })as  znes  aneùLres,  desquels  je  tiens  la  diy^iuLc 
el  la  couronne.  Au  temps  de  Constantin  le  Grand,  le  pape  Sil- 
vestre  a-t-il  jamais  possédé  un  regale  ?  Les  regalia  que  ])Ossède  la 
papauté,  elle  les  tient  de  la  libéralité  des  prinees.  Aussi,  dans  nos 
lettres  à  l'évêque  de  Rome,  plaçons-nous,  d'après  l'ancien  droil, 
notre  nota  avant  le  sien...  Pourquoi  n'exigerions-nous  pas  des 
évêques  le  serment  de  vassalité,  puisqu'ils  possèdent  nos 
regalia? ...  Ils  doivent  ou  y  renoncer  ou  rendre  à  l'empereur  ce 
([ui  est  à  l'empereur.  Nous  interdisons  aux  cardinaux  l'entrée 
dont  vous  parlez,  parce  qu'ils  ne  viennent  pas  comme  prédicateurs, 
mais  comme  pillards...  Vous  donnez  une  fâcheuse  idée  de  votre 
humilité  et  de  votre  modestie,  en  exposant  à  des  laïcs  de  pareils 
griefs  qui,  en  réalité,  ne  nuisent  pas  à  la  religion.  Il  y  a  là  de  quoi 
scandaliser  ceux  qui  sont  disposés  à  prêter  l'oreille  à  vos  paroles.  r5(3()] 
Nous  sommes  donc  forcé  de  vous  répondre  que  le  monstre  de  l'or- 
iïueil  est  monté  sur  le  siège  de  Pierre  ^.  « 

Ou  nous  nous  trompons  fort,  ou  cette  lettre  insolente  est  duc, 
à  la  plume  de  Rainald  de  Dassel,  l'ennemi  personnel  du  pape,  qui 
lui  avait  refusé  la  confirmation  de  son  élévation  au  siège  de  Co- 
logne "^.  Le  pape  était  bien  près  de  sa  lin  lorsque  la  lettre  de 
l'empereur  lui  fut  remise  ;  près  de  mourir,  il  recula  devant  la  pensée 
de  consommer  la  rupture  en  frappant  Frédéric  d'une  sentence 
d'excommunication.  Laissant  à  son  sviccesseur  le  soin  de  pour- 
suivre ce  qui  était  commencé,  il  mourut  à  Anagni  le  1^^  septembre 
1150  3. 


Muiium.   G'enti.  Itiat.,  Scripl.,  t.  vi^  p.  408  ;    Mausi,  Comil.  timplisfi.  coll.,  t.  xxi, 
col.  79G  ;    Jafïé-Wattenbach,  Regesla  ponlif.  roman.,  n.    10575  ;    Reuter,     Ge- 

schichte  Alexandcrs  III  und  der  Kirche  seiner  Zeit,in-S,  Leipzig,  IS&O-lSQ'i,  l.  i, 

p.  45,  485  sq.  (H.  L.) 

1.  Watterich,  Vitir  roman,  ponlif.,  t.  ii,  p.  373. 

2.  L'élection  de  Rainald  avait  eu  lieu  au  mois  de  février  ou  de  mars  de  celte 
année  (1159),  et  il  prit  aussitôt  possession  du  siège  sans  attendre  la  permission 
du  pape.  Il  fut  nommé  en  même  temps  archichancelicr  i)Our  l'Italie,  sans  aban- 
donner pour  cela  les  fonctions  de  simple  chancelier,  <jui,  tout  en  étant  moins 
brillantes,  procuraient  une  influence  beaucoup  plus  réelle.  Ragewin,  Cesla 
Friderici,  IV,  xiv,  dans  Monum.Germ.  hist.,  Script.,  t.  xx,  p.  453;  Ficker,  Rainald 
von  DasHcl,  p.  31  ;  Ciesebreeht,  Gescli.  der  dmitscli.  Kaiserzeit,  1880,  t.  v,  p,  183; 
Giesebrecht-Simpson,    op.  cit.,  t.  vi,  p.  372. 

3.  Ragewin,  Gesta  Friderici.  IV,  xmi,  dans  Monum.  Germ.  hisl.,  Scripl., 
t.  XX,  p.  467.   (H.  L.) 


C20.     CO.NCILES    SOLS     HADRIEN     IV  Ull 


620.  Conciles  sous  Hadrien  IV. 

Les  graves  conflits  survenus  entre  l'empereur  Frédéric  I^""  elle 
pape  Hadrien  IV  occasionnèrent  un  grand  nombre  d'assemblées  et 
de  délibérations  des  cardinaux;  mais  il  y  eut  sous  ce  pontificat 
peu  de  conciles  proprement  dits;  ceux  qu'on  connaît  ofîrent  un 
médiocre  intérêt.  Le  synode  de  Valladolid,  sous  la  présidence  du 
cardinal-léoat  Hyacinthe,  confirma,  le  25  janvier  1155  ^,  les  pri- 
vilèges que  la  reine  Sanctia  avait  accordés  au  monastère  de 
Saint-Pierre  de  Eslonza.  L'évêque  Pelage  de  Mondonedo  fut  pro- 
bablement déposé  par  ce  concile  et  le  roi  Alphonse  VII  accorda 
pendant  trois  semaines,  à  partir  de  la  Pentecôte,  une  foire  gratuite 
à  la  ville  de  Sahagun.  Le  10  juin  de  cette  même  année,  Louis  VII, 
roi  de  France,  réunit  à  Soissons  les  archevêques  de  Reims  et 
de  Sens,  leurs  suffragants  et  plusieurs  grands  personnages  du 
royaume,  pour  leur  faire  jurer  une  paix  de  dix  ans  -.  En  cette 
[5b/]  uiême  année  1155,  on  discuta  dans  un  synode  tenu  à  Constanti- 
nople,  sous  le  patriarche  Constantin  Chliarenus,  la  pénitence 
ecclésiastique  à  imposer  à  ceux  qui  tuaient  un  voleur  auquel  il 
aurait  été  possible  d'échapper  par  la  fuite  ^.  Un  second  synode 
célébré  à  Constantinople,  en  1156,  sous  la  présidence  du  patriar- 
che Lucas,  aborda  une  question  récemment  soulevée  :  La  messe, 
déjà    offerte    au    Père    et    au    Saint-Esprit,    peut-elle    être   éga- 


1.  Aguirre,  Concil.  Hispanise,  1755,  t.  v,  p.  69  ;  F.  Fila  y  Colonie,  Nuevas 
luces  sobre  el  concilio  nacional  de  Valladolid  [1155),  dans  Boletin  de  la  Acad.  de 
la  historia,  1889,  t.  xiv,  p.  530-555  ;  1894,  t.  xxiv,  p.  467-475  ;  B.  Gams,  Kir- 
clieiigeschichte  von  Spanien,  t.  m,  part.  1,  p.  38.  Ce  concile  de  Valladolid  se  tint 
du  25  janvier  au  4  février  1155  ;  l'année  précédente,  en  janvier  1154,  avait  été 
tenu  un  concile  national  à  Salamanque,  dont  Hefele  ne  fait  nulle  mention. 
Ces  deux  conciles  ont  été  étudiés  par  F.  ï"ita  y  Colonie,  Concllios  nacionalcs  de 
Salamanca  en  1154  y  de  Valladolid  en  1155,  dans  Boletin  de  la  Academia  de  la 
hisloria,  1894,  t.  xxiv,  p.  449-475.  Ce  sont  des  textes  d'un  intérêt  exclusivonicut 
local.   (H.  L.) 

2.  A.  du  Chesne,  Hist.  Franc,  script.,  1641,  t.  iv,  p.  583;  Labbe,  Concilia, 
t.  X,  col.  1175-1176;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col.  1365;  Coleti,  Concilia, 
t.  XIII,  col.  47  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  857  ;  Bouquet,  Recueil 
dc^  histor.  de  la  France,  t.  xiv,  p.  387-389.  (H.  L.) 

3.  Maiisi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  833.  (H.  L.) 


*J12  LIVUH    XXXIV 

IcniL'iil  olïcrLc  au  Fils,  quoique   le    Fils    y  soit   à    la    fois    ollranl 
el  olîert.     Plusieurs     savants     théologiens     grecs,     en  particulier 
Soteric,     auparavant    diacre    de    Constantinople     et    récemment 
élu     patriarche     d'Antioche,     furent     d'avis    que     l'on     pouvait 
offrir  la  messe  au  Père  (et  au  Saint-Esprit),  mais  non  au  Fils,  })ai' 
la  raison  que  le  Christ  s'était  offert    au  Père,  mais  ne  s'était  pas 
offert  à  lui-même.    Soteric  ajoutait  que  l'avis    opposé    conduisait 
au    nestorianisme,   parce   qu'il  distinguait    dans    le   Christ    deux 
personnes,  celle  qui  offrait  et  celle  qui  était  offerte.  L'archevêque 
des  Russes  fit  une  vive  opposition,  alléguant    ([ue  le  sacrifice    de 
la  croix  avait  été  offert,  non  à  une  personne  divine,  mais  bien  à 
la  Divinité,  par  conséquent  à  la  Trinité  indivisible,  en   sorte    que 
le  sacrifice  de  la  messe  est  également  offert  à  fa  Trinité.  Le  synode 
réuni  à  Saint-Thomas    de   Constantinople,    le    26    janvier    1156, 
fut  du  même  sentiment  et  publia  à  l'appui  deux  séries  de  passages 
des  Pères.  Ija  première  contenait  des  textes  favorabfes  à  cette  pro- 
position, que  c'est  vraiment  f  Agneau  de   Dieu,  le  Fils  de  Dieu, 
qui  s'offre    à    la    messe.   La  seconde  série  prouvait    que,   d'après 
l'enseignement  des  Pères,  le  Fils  de  Dieu  est  offert,  offre   et  reçoit 
l'olfrande^.  Ainsi  saint  Basile  le  Grand   a    dit  :  Su    yàp   d  6  xpoa- 
cplpwv  xat  xpoacpepotxevoç  %oà  xpoaBexitJLevo:;.    l-.e  22  mai  de  l'année  sui- 
vante    {indict.      F),     l'empereur     Manuel    Comnène     réunit,    au 
palais  de  Blakhernes    à    Constantinople,    un    concile    plus    nom- 
breux, qui  confirma  la  sentence  précédente  et  définit  le  dogme  en 
s'appuyant    sur    le     témoignage    des    Itères.    Tous   les    membres 
présents  furent  engagés  à  reconnaître  ce  dogme,  ce  que  les    princi- 
paux   firent   avec  empressement.    Soteric   cependant  demanda  le 
temps  de  la  réflexion  et  chercha  à   défendre   son  erreur,   quoique 
l'empereur  lui-même  argumentât  contre  lui  '^.  Il  finit  cependant 
par  se  déclarer  convaincu;  ce    qui  ne  l'empêcha  pas  d'être  déclaré 
indigne  du  siège  patriarcal  d'Antioche,  parce  (pi'jl  avait  été  héré- 
tique, et  le  lendemain  cette  sentence  fut  solennellement  procla- 
mée dans  le  palais  de  Blakhernes,  en  l'absence    de    Soteric,  qui   [568] 

1.  Colcli,  Concilia,  t.  xiii,  col.  'i!)  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col. 
837  ;  Mai,  Spicil.  rom.,  1844,  L.  x,  p.  1-93.  (II.  L.) 

2.  Peut-être  parce  que  l'empereur  argumentait;  Manuel  ne  paraît  pas  avoir 
été  un  théologien  bien  profond  ni  bien  approvisiomié  pour  la  controverse.  Peut- 
être  Soteric  aura-t-il  escompté  les  bénéfices  que  sa  défaite  lui  vaudrait 
de  l'empereur  flatte  de  sa  victoire  thcologiquc  sur  un  évêque  ;  il  en  lut  pour 
ses  frais.  (H..  L.) 


G20.     CONCILES     sous     HADRIEN     IV  *Jl3 

refusa  de  comparaître,  malgré  toutes  les  ins lances.  Certains 
]iartisans  de  Soteric  n'ayant  pas  voulu  se  soumettre  à  la  déci- 
sion du  concile,  le  savant  évêque  Nicolas  de  Méthone  composa 
sur  cette  question  deux  mémoires  ^,  dans  lesquels  il  s'eiïorça 
d'exposer  et  de  motiver  la  doctrine  du  synode.  On  y  trouve 
])lusieurs  vues  intéressantes  sur  la  doctrine  de  reucharistie;  en 
})articulier.  il  enseigne  non  seulement  la  présence  réelle  du  CliiisL 
il  a  11  s  le  sacrement  de  l'autel,  mais  encore  une  ^sTajTot/efcoj'.ç 
[Iranselenientatio)  sacramentelle,  employant  ainsi,  cinquante- 
neuf  ans  avant  le  concile  de  Latran  sous  Innocent  III,  le 
Icriuc  Iranssuhslantiatio.  —  Les  actes  complets  de  ces  deux  ses- 
sions de  l'unique  synode  ont  été  publiés  par  Angelo  Mai  "-. 

Pendant  ces  discussions  dogmatiques,  un  troisième  concile  de 
C.oustantinople,  célébré  sous  le  même  patriarche,  le  10  mars  1156, 
rcnouNcla  plusieurs  anciens  canons  et  menaça  de  peines  ceux- 
qui  toucheraient    à  l'héritage  laissé    par  un    évêque    défunt. 

Le  concile  tenu  à  Reims  sous  l'archevêque  Samson,  le  25  octobre 
1157^,  chercha  à  s'opposer  aux  progrès  des  cathares.  C'est  contre 
eux  qu'est  dirigé  le  premier  canon,  intitulé  :  De  piphilis  (c'est- 
à-dire  /jifjres^  gloutons),  ainsi  qu'on  appelait  ces  hérétiques 
dans  les  Flandres;  dans  le  contexte,  on  leur  donne  aussi  le  nom 
de  textores.  parce  qu'un  grand  nombre  exerçaient  le  métier 
de  tisserand.  Le  concile  leur  reproche  de  rejeter  le  mariage  et, 
au  contraire,  de  vivre  dans  des  unions  impures  ou  même  inces- 
tueuses. Si.  après  un  second  avertissement,  ils  ne  reviennent  pas 
à  I  l'.glise,  leurs  biens  seront  confisqués,  les  chefs  de  la  secte  seront 
enfermés  leur  ^  ie  durant  et  les  adeptes,  s'ils  ne  se  convertissent, 
seront  marqués  au  fer  rouge  et  chassés  du  pays.  Quiconque, 
[569]  accusé  de  faire  partie  de  cette  secte,  s'en  défendra,  devra  prouver 
son  innnconcc  yiav  l'éjtreuve  du  feu. 


1.  Nicolas  do  Méthone,  Aoyo'.  o-^o,  édit.  DiiuiLiaLopulo     J>ei{)zij^\,    18G5. 

2.  A.  .Mai;  Spicil.  roman.,  t.  x,  p.  1-93.  Jusque-là,  on  n'avait  sur  cctlc  assem- 
blée que  les  maigres  renseignenienls  recueillis  par  Lco  Allatius,  dans  Mansi, 
Conc.  amplias.  coll.,  t.  xxi,  col.  837  ;  Labbe,  Concilia,  t.  xiii,  col.  49  ;  dix  ans 
avant  la  publication  des  actes  par  Mai,  L.-Th.  Tafel  en  avait  donné  quelques 
extraits  tirés  d'un  manuscrit  de  Paris. 

3.  INIabillon,  Annal,  benedict.,  1739,  t.  vi,  2"  édit.,  t.  vi,  p.  676  ;  Martène, 
Scriptor.  vêler,  coll.,  1733,  t.  vu.  p.  1\-11  ;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  ii,  col. 
499  ;  Concil.  amplis.i.  coll.,  1.  xxi,  col.  843  :  Gounset.  Actes  de  la  province  de 
Reims,   t.   ii,  p.   287.   (H.  L.) 

CONCILES    -   V    -    5S 


914  LIVRE     XXXIV 

Le  canon  2  Lraile  de  la  punition  de  ceux  (jui  volent  les  biens  des 
co'lises;  le  can.  3  renouvelle  les  lois  sur  la  trêve  de  Dieu;  le  can.  4 
refuse  la  sépulture  ecclésiastique  à  ceux  qui  sont  tués  dans  les  tour- 
nois; le  can.  5  défend  de  donner  une  place  à  un  prêtre  vagabond  sans 
l'assentiment  de  l'évcque:  le  can.  6  commande  aux  abbés  de  pré- 
senter aux  évêques  ceux  de  leurs  moines  qu'ils  veulent  nommer  aux 
paroisses  dépendant  du  monastère  ;  le  can,  7  interdit  aux  religieuses 
tout  vêtement  de  luxe  et  leur  défend  d'habiter  seules  dans  des  pro- 
priétés à  la  campagne  ou  dans  des  villas.  Un  autre  synode,  tenu  un 
peu  plus  tard  à  Reims,  s'occupa  des  plaintes  portées  par  Walter  II, 
évêque  de  Laon,  contre  deux  de  ses  prédécesseurs,  Barthélemi  et 
Walter  I",  sous  prétexte  qu'ils  avaient,  contrairement  au  droit, 
donné  en  fief  les  biens  de  la  cathédrale  aux  prémontrés,  L'évêque 
Barthélemi,  qui  s'était  retiré  dans  le  couvent  des  prémontrés  de 
Foigny,  se  défendit  par  écrit  contre  cette  accusation,  et  le  roi 
Louis  VII  termina  ce  débat  avec  le  concours  de  Samson,  arche- 
vêque de  Reims  ^, 

Le  23  janvier  1157,  Wichmann,  archevêque  de  Magdebourg, 
convoqua  à  Mersebourg,  d'après  les  instructions  d'Hadrien  IV. 
un  synode  pour  mettre  fin  au  conflit  entre  Wibald,  abbé  de  Cor- 
vey,  et  Philippe,  évêque  d'Osnabrûck,  parce  que  celui-ci  préle- 
vait des  dîmes  sur  les  fiefs  de  l'abbaye  de  Corvey.  Au  jour  fixé, 
l'assemblée  se  réunit  à  Mersebourg  ;  mais,  au  lieu  de  l'évêque, 
on  vit  paraître  deux  clercs,  qui  déclarèrent  que  leur  maître  s'était 
mis  en  route,  mais  avait  dû  s'aliter,  ce  qu'attestaient  les  lettres  des 
évêques  de  Minden  et  d'ilildeshcim.  Wibald  rejeta  ces  excuses 
et  cita  son  adversaire  devant  le  tribunal  du  pape,  pour  l'octave 
de  la  Saint-Martin  ;  mais  l'empereur  Frédéric  décida  la  ques- 
tion en  faveur  de  Corvéy  ^.  —  Dans  un  concile  tenu  à  Mayence  au 
commencement  d'octobre  1159,  l'archevêque  Arnold  voulut 
faire  porter  un  jugement  contre  ses  ministres  parjures  et  rebelles. 
Le  troisième  jour,  au  moment  de  publier  la  sentence,  les  spectateurs 
troublèrent  le  concile,  dont  les  sessions  avaient  lieu  dans  le  palais  [570] 


1.  Labbe,  Concilia,  t.  xiii,  col  63  ;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col. 
1375  ;3Mansi,  Co}ic.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  863  ;  Gousset,  Actes  de  la  province 
de  Reims,  t.  ii,  p.  290, 

2.  Wibald,  EpisL,  dans  P.  L.,  l.  clxxxix,  col.  1441  sq.  ;  Jaiïé,  Bibliulh.  rer. 
Geiniau.,  t.  i,  p.  441  sq.  ;  Mausi,  Conc.  ampliss.  cuil.,  t.  xxi,  col.  846  ;  Janssen, 
Abl  Wibald  <-'on  Stavelot,  p.  201  sq.   (H.  L.) 


620.     CONCILES     sous     HADRIEN     IV  915 

archiépiscopal.  Les  défenseurs  d'Arnold,  bien  organisés,  repous- 
sèrent l'attaque  avec  succès,  mais  on  dill'éra  la  sentence.  Nous 
ne  savons  rien  des  autres  délibérations  de  ce  concile  ^. 

Un  synode  anglais  tenu  à  Chester  ^,  pour  aplanir  des  difficultés 
entre  l'évèque  de  cette  ville  et  l'abbé  de  Saint-Martin  de  Bello,  mé- 
rite d'être  mentionné  à  cause  d'un  incident  de  séance.  L'évèque 
de  Chester  ayant  dit,  dans  son  discours,  qu'aucun  laïc,  pas 
même  le  roi,  ne  pouvait,  sans  l'assentiment  du  pape,  accorder  des 
privilèges  à  une  église  ou  les  lui  enlever,  Henri  II  répondit  en 
colère  :  «  Tu  veux  t'appuyer  sur  l'autorité  du  pape,  qui  ne  vient 
que  des  hommes,  pour  lutter  contre  l'autorité  royale  qui  vient  de 
Dieu.  »  Les  évêques  anglais  n'eurent  pas  le  courage  de  répondre 
à  une  pareille  proposition. 

Lîn  synode  fut  célébré  en  1157  à  Arles-sur-Tech,  sous  la  pré- 
sidence de  Bérenger,  archevêque  de  Narbonne,  à  l'occasion  de 
la  consécration  de  l'église  du  monastère  dont  il  confirma  les 
droits  ^.  Vers  cette  même  époque,  au  synode  de  Northamp- 
ton,  l'abbé  du  monastère  de  Saint-Augustin,  à  Cantorbéry, 
fut  obligé  de  prêter  serment  d'obéissance  à  l'archevêque  de 
cette  ville  *.  Le  concile  général  irlandais  tenu  à  Armaf»h 
(d'après  le  texte,  ou  à  Waterford,  d'après  la  suscription)  déclara 
libres,  en  1158,  tous  les  Anglais  esclaves  en  Irlande,  afin  de 
détruire  dans  ses  conséquences  ce  vieil  abus  des  Anglais  qui 
vendaient  volontiers  leurs  enfants  comme  esclaves  ^.  Nous  n'avons 


1.  Annal.  Disibodenses,  dans  Monum.  Germ.  Idst.,  Script.,  t.  xvii^  p.  29  ; 
Vila  Arnoldi,  dans  Jafïé,  Bihlioth.  rer.  German.,  t.  m,  p.  632  ;  Labbe,  Concilia, 
t.  XIII,  col.  265.  [Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  1111.  (H.  L.)] 

2.  Chichester,  Cicestria,  comté  de  Sussex;  synode  du  18-19  mai  1157.  Labbe, 
Concilia,  t.  x,  col.  1176-1183  ;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi^  part.  2,  col.  1367  ; 
Coleti,  Concilia,  t.  xiii^  col.  53  ;  Wilkins,  Concilia  Britanniie,  1737,  t.  i,  col. 
427-431  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  849.  (H.  L.) 

3.  Coleli,  Concilia,  t.  xiii,  col.  61  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col. 
857.  (II.  L.) 

4.  Wilkins,  Concilia  Britanniiv,  I.  ii,  cdl.  427  ;  Mansi,  Concilia,  Supplem., 
t.  11,  p.  507  ;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  859.  (H.  L.) 

5.  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  1183;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col. 
1373  ;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  63  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col. 
861.  Le  remède  avait  au  moins  le  mérite  d'être  original.  Les  Anglais  vendent 
leurs  enfants  comme  esclaves,  on  libère  ceux-ci  et  on  les  renvoie  à  leurs  pa- 
rents ;  si  le  badinage  était  permis,  on  pourrait  se  demander  si  c'était  à  titre 
dti  châtiment.  Quoi  qu'il  en  soit,  oo  concile  de  Waterford  faisait  écho  à  la  bulle 
célèbre  d'Hadrien   IV  qui  livrait  rirlande  à  rAngIctcrrc.  L'authenlicilé,    dis- 


016 


LIVRE     XXXIV 


pas  (ranhes  délails  sui'  un  aiilrc  synodr  iilamhiis  trli'ljrû  à   Uos- 


coinmon  '. 


62i.  Election  d'Alexandre  III,  en  1159. 

Du  ^ivanl  d'Hadrien  \\.  le  |)arli  impérial  avait  loul  ])réparc 
cil  \  ut;  df  l'aire  élire  à  la  papauté  un  partisan  de  l'empereur  et  de  se 
servir  de  lui  pour  en  linir  avec  la  liberté  de  l'Eglise  suivant  la  con- 
ception grégorienne.  Les  sénateurs,  le  peuple  et  le  clergé  de  Rome  [571 
étaient  en  grande  partie  gagnés  à  la  cause  impériale;  ses  parti- 
sans oocupaienl  militairement  la  plupart  des  posles  importants  de 
la  ville  ;  il  ne  restait  aux  partisans  de  l'bLglise  ({ue  la  citadelle  de 
Saint-Pierre.  L'opposition  des  partis  se  manifesta  à  l'occasion 
des  funérailles  du  pape  Hadrien  :  les  uns  voulant  le  faire  enter- 
rer à  Anagni,  les  autres  à  Rome,  La  question  était  d'impor- 
tance, parce  <[ue  l'élection  du  nouveau  pape  devait  se  faire  au 
lieu  môme  de  l'inhumation  du  défunl.  Or,  à  Anagni,  l'em- 
pereur avait  bien  moins  d'influence  (ju'à  Rome^;  aussi, 
était-ce  le  parli  sicilien  qui  se  prononçait  pour  Anagni.  Mais  fina- 
lement ce  ])arli  céda,  itrobablement  sous  la  pression  du  sénat 
romain,  partisan  de  l'empereur,  et  consentit  à  laisser  faire 
les    funérailles  à  Rome  ^.  Le  corps   fut   donc   transporté   à   Rome 

cutée  à  maintes  reprises,  paraît  en  définitive  incontestable.  Quant  à  la  mesure 
elle-même,  à  sa  valeur  juridique,  à  ses  conséquences  historiques,  le  sujet  est 
étranger  à  cette  Histoire  des  conciles.  On  le  trouvera  Irai  le  a  ver  une  terme 
critique  dans  H.  Tliurston,  The  English  pope  and  his  Irisli  hull,  dans  l'Iie  niontli, 
avril,  mai  190tî,  qui  peut  tenir  lieu  de  tout  le  reste.  Cl'.  H.  \\  .  C.  Davis,  Eng- 
land  under  llie  Normans  and  Ani^ei'ins,  1066-1272,  in-8,  Londoii,  1009,  p.  202, 
531-532.   (II.   L.) 

1.  Roscommon,  dans  le  comté  de  Connauglit,  Irlande.  Labbe,  Concilia,  t.  x, 
col.  1184  ;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col.  l;!75  ;  Coleti,  Concilia,  t.  xni, 
col.  03  ;  Wilkins,  Conc.  Britann.,  t.  i,  col.  481  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll., 
t.  XXI,  col.  863.  (H.  L.) 

2.  11  en  avait  si  peu  que  rien  ;  à  Anagni,  on  était  entre  les  mains  du  roi  de 
Sicile.   (H.  L.) 

3.  L'évêque  Eberhard  de  Bamberg  écrit  dans  ces  ternies  à  Eberhard  d 
Salzbourg  :  A  quibusdam  familiaribus  domini  imperatoris  annuntiatum  est, 
quod  ah  his,qni  sonatores  dicnnlur,  domino  papœ  sepullura  non  concediUir,  quoad 
usque  cardinales  in  urbe  com'cniant  et  exequiis  rite  celebratis  in  electione  ordine 
canonico  procédant.  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  454  sq. 


621.     ÉLECTION     d'aLEXANDRE    III     EN      1  1  ô  0  917 

ol,  le  4  septembre  1159.  déposé  à  Saint-Pierre,  où  on  proeéda  à 
l'élection  du  nouveau  pape.  Les  divers  épisodes  de  cette  élection 
sont  très  diversement  racontés  par  les  deux  partis;  du  moins,  les 
Siciliens  sont-ils  d'accord  entre  eux,  tandis  que  les  impériaux  se 
contredisent,  prêtant  ainsi  à  de  p;raves  soupçons  sur  leur  véra- 
cité.  Voici  le  récit  des  Siciliens  qui  élurent  Alexandre^:   «Après 


1.  Pour  ]p  parti  sicilien  :  Boso,  Vifn  Alexandri,  dans  Watterich,  Vitœ  pontij, 
roman.,  t.  ii,  p.  377  sq.,  lequel  se  guide  sur  Alexandre  III,  Epist.  ad  archiep. 
Jamtens.,  dans  Watterich,  op.  cit.,  \.  \i,  p.  455;  P.  L.,  t.  ce,  col.  70;  en  outre  : 
Episf.  XXII  cardijialium  clectorum  ad  i m pera forent,  dans  Ragewin,  Gesta  Fride- 
rici,  IV,  MU,  dans  Monum.  Germ.  hisL,  Script.,  t.  xx,  p.  474,  et  ^Yatte^ich,  op. 
rit.,  t.  II,  p.  464;  Encyclica  XXV  cardinalium,  ibid.,  p.  493  sq.  ;  Alexandre  III, 
Epist.  ad  Gerhard.  Bononiens.,  'dans  Ragewin.  Gesta  Friderici,  IV,  i.i,  dans 
Monum.  Germ.  Iiist.,  Script.,  t.  xx,  p.  470  sq.  ;  Jafîé-Wattembach,  Rege.sia 
pontif.  roman.,  n.  10587;  quatre  lettres  d'Alexandre  III  adressées  respecti- 
vement: ad  Syrum  Januensem  archiep.,  ad  Theobaldum  Can1uar.,ad  Eherhar- 
dum  Sahburg.,  ad  archiep.  et  cpisc.  Ligurise,  dans  Jafïé-Wattembach,  op.  cit., 
n.  10584,  10590,  10592,  10601;  de  plus,  les  Epist.  ad  Henricum  Bellovac,  ad 
Arnulphum  Lcxow,  ad  Henricum  Anglor.  reg.,  dans  Jafîé-Wattembach,  op.  cit., 
n.  10595,  10600,  10591;  les  Epist.  cardinal.  Henrici  et  Ottonis,  dans  Bouquet, 
Recueil  des  histor.  de  la  France,  t.  xv,  p.  753  ;  Epist.  Arnulphi  Lexov.  ad  cardi- 
nales, dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  466  sq.,  510  sq.  ;  Epist.  Fastradi  Claraval- 
lensis  abbat.  Omnibono  episcopo  Veronensi,  dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii, 
p.  511  sq.  ;  Epist.  Eberhnrdi  Bambergensis  ad  Eberhard.  Salzburg.  archiep., 
dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  454  sq.  ;  Epist.  Johannis  Srisber.  ad  Randul- 
fum  de  Serris,  dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  499  sq.  ;  Gerhoh  de  Reichers- 
herg,  De  in>,'estif.  Anti-Christi,  dans  Libelli  de  lite,  t.  m,  p.  359,  et  édit.  Scliulz, 
dans  Archiv  fur  Kunde  ôsterreich.  GeschichtsqueUen,  t.  xx,  p.  144  sq.,  édit. 
Scheibeiberger.  in-8,  Linz,  1875,  c.  lvii  sq.,  p.  112. 

Pour  le  parti  impérial  :  Epist.  Vicioris  ad  episcop.  et  principes,  dans  Watte- 
rich, op.  cit.,  t.  II,  p.  460  sq.  ;  Ragewin,  Gesta  Friderici,  IV,  l,  dans  Monum. 
Germ.  hisl.,  t.  xx,  p.  470  ;  Epist.  V  cardinalium,  dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii, 
p.  461  sq.  ;  Epist.  capituli  S.  Pétri  ad    imperatorem,   dans   Watterich,   op.   cit., 

I.  II,  p.  474  ;  Ragewin,  Gesta  Friderici,  IV,  i.xvi,  dans  Monum.  Germ.  hist,, 
Script.,  t.  XX,  p.  479;  Epist.  \^ictoris  IV  ad  Rainaldum,  dans  Monum.  Germ, 
hist.,  Script.,  l.  ^vii,  f).  113  ;  Ci.  Chron.  reg.  Colon.,  ad  ann.  1161,  p.  106  sq.; 
Epist.  imperatoris  ad  Eberhard.  Salzburg.  archiep.,  dans  Watterich,  op.  cit., 
t.   11,  p.   481    sq.  ;   Conc.  Papiense,  dans  Monum.    Germ.   hist.,  Leges,  sect.   iv, 

II.  181-190,  p.  251  ;  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  477  sq.  ;  Ragewin,  Gesta  Fri- 
derici, IV,  Lxiv,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xx,  p.  479  sq.  ;  Epist. 
si/nodalis,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  sect.  iv,  p.  265-270,  n.  190  ;  Watte- 
rich, op.  cit.,  p.  483-'i89.  Sur  ces  sources,  cf.  Ragewin,  Gesta  Friderici,  IV,  l-lvi, 
i,xiv-Lxxiii,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xx,  p.  470-476,  479-489  ; 
Dœberl,  Monum.  Germanise  selecta  /V,^  in-8,  Munchen,^1890,  [>.  l.')7-163; 
H.  Reuter,  Geschichte  Alexanders  III  und  der  Kirche  seiner  Zeil,  in-8,  Leipzig, 


918  LIVRE     XXXIV 

los  fnnéraillos  d'Hadrien,  les  cardinaux  délibérèrent  trois  jours 
dans  Saint-Pierre  sur  le  choix  d'un  nouveau  pape  ;  on  pro- 
posa les  noms  de  plusieurs  candidats  (parmi  lesquels  Bernard, 
oardinal-évêque  de  Porto,  recommandé  par  le  pape  lui-même), 
et  toutes  les  voix,  sauf  trois,  se  portèrent  sur  la  personne  du 
chancelier  Roland  Bandinelli  (7  septembre)  ^.  Ces  trois  voix 
étaient  celles  des  cardinaux  Octavien,  Jean  de  Saint-Martin  et 
Gui  de  Crème.  Ces  deux  derniers  donnèrent  leur  voix  à  Octavien. 
La  majorité,  voyant  ces  trois  cardinaux  guidés  exclusivement 
par  leur  intérêt  personnel,  pensa  ne  pouvoir  prolonger  la  vacance 
du  Saint-Siège;  et  l'élection  de  Roland  ayant  été  confirmée  à 
nouveau  par  ses  partisans,  Odon,  le  premier  des  cardinaux-dia- 
cres, et  le  cardinal-prêtre  Hildebrand  commencèrent  à  le  revêtir, 
suivant  le  cérémonial,  du  manteau  rouge  papal,  bien  qu'il  [572] 
protestât  de  son  indignité.  Octavien  voulut  d'abord  empêcher 
la  vestition  :  il  protesta  et  menaça  au  nom  de  l'empereur.  Comme 
on  n'en  tenait  nul  compte,  il  se  jeta  tout  en  colère  sur  Roland,  s'em- 
para brusquement  du  manteau  papal,  dont  les  cardinaux 
revêtaient  l'élu".  Un  sénateur  du  parti  de  Roland  arracha  le 
manteau  à  Octavien  ;  celui-ci  se  drapa  aussitôt  d'un  autre  sem- 
blable, apporté  en  cachette  par  un  de  ses  chapelains,  et  avec  une 
telle  précipitation  qu'il  le  mit  à  l'envers  et  le  haut  en  bas  ^.  Deux 
membres  de  la  majorité  voulurent  le  lui  arracher  ;  mais  il  le  serra 
autour  de  son  cou  avec  les  boufîettes  qui  devaient  se  trou- 
ver en  bas,  et  il  entonna  le  Te  Deum  après  s'être  élancé  à 
l'autel.  Plusieurs  de  ses  partisans,  jusqu'alors  cachés  dans  les 
recoins  de  l'église  (les  chanoines  de  Saint-Pierre  qui,  prudem- 
ment, attendaient  le  résultat  de  l'élection)*,  se  risquèrent  et  l'en- 

1860,  p.  63  sq.,  487  sq.;  Zôpfîcl,  Papstwahlen,  p.  170  sq.;  M.  Meyer,  Die  Wahl 
Alexanders  III  und  Viktors  IV,  iii-8,  Gottingen,  1871;  Ribbeck,  Der  Trakiat 
ûber  die  Papstwahl  des  Jahres  1159,  da.ns  Forscliungenzur  deutschen  Geschichfe, 
1885,  p.  354  sq.  (H.  L.) 

1.  Il  fut  nommé  i)ar  vingt-quatre  voix  sur  vingt-sept.  Les  relations  du  parti 
sicilien  sont  d'accord  sur  les  chiffres  des  électeurs  du  chancelier  Roland;  celles 
des  impériaux  sont  irréductibles  les  unes  aux  autres.  (H.  L.) 

2.  Hefele  se  demande  si  Alexandre  avait  eu  le  temps  d'être  revêtu  du  nran- 
teau  ?    (H.  L.) 

3.  Le  Lutrin  est  dépassé.  Nous  ne  sommes  plus  aux  âges  de  foi,  paraît-il, 
mais  vraiment  pour  la  dignité  des  conclaves,  nous  n'y  perdons  rien.  (H.  L.) 

4.  Nous  suivons  le  récit  de  Gcrlioh  de  Reichersberg,  Watterich,  op.  cil., 
t.  II,  p.  506,  et  les  Epist.  Anuilfi  Le.voi'.,  dans   Watterich,  op.  cit.,  t.  ti,  p.  468 


621.     ÉLECTION     d'aLEXANDRE     III    EN     1159  919 

tourèrent.  Les  portes  de  l'église,  jusque-là  fermées,  furent  forcées, et 
une  cohue  armée,  composée  de  prrtisans  d'Octavien,  envahit  jus- 
qu'au sanctuaire,  en  brandissant  des  armes.  Gui  de  Crème  accom- 
moda alors  le  manteau  d'Octavien^  (qu'on  fit  monter  sur  le  siège 
de  saint  Pierre  et  acclamer  sous  le  nom  de  Victor  IV  par  le  peu- 
ple, persuadé  que  l'élection  s'était  faite  selon  les  formes)  ^.  Ro- 
land et  ses  amis,  croyant  leur  vie  en  danger,  se  réfugièrent  dans 
la  forteresse  de  Saint-Pierre  au  Vatican,  où  ils  furent  assiégés 
pendant  neuf  jours  par  les  victoriens  et  les  sénateurs  (7-15  sep- 
tembre) :  de  là  ils  se  transportèrent  dans  une  tour  au  Trans- 
tévère,  mieux  fortifiée.  Sur  ces  entrefaites,  les  représentants  de 
l'empereur  alors  à  Rome,  avec  Octavien  et  ses  deux  cardinaux, 
écrivirent  à  tous  les  évêques,  les  invitaint  à  assister  au  sacre 
de  Victor  IV  ;  mais  ils  reçurent  des  refus.  Une  grande  partie  du 
r5731  peuple  romain  se  prononça  bruyamment  contre  Victor,  et  le 
hua  lorsqu'il  parut  en  public.  Les  enfants  hurlaient  :«  Fils  de 
damné!  »  allusion  à  son  nom  de  famille,  Maledetti.  Sous  la  con- 
duite d'Odon  Frangipani,  le  17  septembre,  le  peuple  délivra 
Roland  et  l'escorta  jusqu'à  Nympha  (au  sud  de  Rome)  où,  le 
dimanche  20  septembre,  en  présence  de  nombreux  cardinaux,  pré- 
lats, clercs  et  laïcs,  il  fut,  suivant  le  cérémonial,  sacré  et  couronné 
sous  le  nom  d'Alexandre  III  par  le  seul  consécrateur  légitime,  le 
cardinal-évôque  d'Ostie  ^,    Le  nouveau    pape  menaça  aussitôt  de 


1.  Ce  qui  esl  placé  entre  parenthèses  complète  les  données  fournies  par  les 
victoriens   et  par   Gerhoh  de   Reichersberg. 

2.  Dans  les  formes  ou  sans  les  formes  ou  contre  les  formes,  peu  importe  au 
peuple,  —  au  peuple  romain  surtout,  —  pourvu  qu'il  crie,  qu'il  acclame  ou 
qu'il  déchire,  il  ne  distingue  pas.  Un  illustre  historien  a  parlé  avec  juste  dédain 
de  «  ces  acclamations  qui  accueillent  la  naissance,  l'avènement  et  la  chute  de 
tous  les  rois.  »  En  attendant  un  peu  plus,  en  s'y  prenant  d'autre  façon,  on  eût 
fait  acclamer  ce  jour-là  Alexandre  III  et  huer  Victor  IV.;  c'est  la  moralité  des 
foules.   (H.  L.) 

3.  Roland  Bandinelli,  né  à  Sienne,  cardinal-diacre  du  titre  des  Saints-Cosme- 
et-Damien  en  1150,  cardinal-prêtre  du  titre  de  Saint-Marc,  1151;  chancelier 
de  l'Église  romaine,  16  mai  1153  ;  élu  pape  le  7  septembre  1159,  couronné  à 
Nympha  le  20  dudit,  mort  à  Cività-Castellana,  le  30  août  1181.  —  Alexander  III 
uml  Friedrich  I  zu  Venedig,  dans  Ilistor.  polit.  Bliitt.  Katli.  Deutschland,\%\'t, 
t.  XIII,  p.  45-56;  Alexandre  III  et  la  commune  du  Laonnois,  dans  Bibliolli.  de 
l'École  des  chartes,  1887,  t.  xlviii,  p.  725-726  ;  G.  Bardi,  Vittoria  navale  otte- 
iiuta  dalla  repubblica  venetiana  contro  Ottone,  fîgliuolo  di  Federico  primo  impe- 
ratnre  per  la  restiluzinne  di  Alessandro  III,  pontefîce  massimo,  venuto  a  Venetia, 


020  1.1  VKE     XXXIV 

]'oxroiiiiiiiiiiicali(in  Oclavicii  ^   et    ses   ])artisans,   si,   dans    les  huit 
jours,    ils   iiavait-MiL   pas   lait   leur   soumission.    Après   ce  délai,   la 

i. 

n-^,  Venetia,  1584;  in-4,  1619;  Baronius,  Annales,  ab  ann.  1159,  n.  28,  ad  ann. 
1181,  n.  10  ;  P.  M.  Baumgarten,  dans  Rômische  Quartalschrijl,  1894,  t.  viii, 
p.  ''i9  ;  D.  Brial,  dans  Bouquet,  Recueil  des  hislor.  de  la  France,  1808,  t.  xv, 
p.  720-743;  E.  A.  Brigidi,  Orlando  Bandinelli  papa  Alessandro  III,  bozzcllo 
storico  Senese,  in-8,  Siena,  1877  ;  Ceillier,  Hist,  génér.  des  auteurs  ecclésiastiques, 
1763,  t.  xxiii,  p.  357-372  ;  2^  édit.,  t.  xiv,  p.  918-929  ;  de  Clausade,  .Yo/e  sur 
une  bulle  de  plomb  du  pape  Alexandre  III,  dans  le  Bull.  Soc.  arcliéolog.  du  Midi, 
1869-1873,  p.  86  ;  F.  Contelori,  Concordiœ  inter  Alexandrum  III  summum 
pontificem  et  Fridericum  I  imperatorem  Venetiis  confirmalsp  narraiio,  in-foJ., 
Parisiis,  1632  ;  Damherger,  Synkronisiische  Gesclnchte  d.  Mittelalters,  1855. 
t.  viii,  p.  675-1032  ;  Kritikheft,  p.  77-128  ;  P.  Ewald,  dans  Neues  Archiç,  1876. 
1.  II,  p.  213-215  ;  .1.  A.  Fabricius,  Biblioth.  medii  iwi,  1734,  t.  i,  p.  154-155  ; 
édit.  Harlès,  p.  58  ;  F.  Fita  y  Colome,  dans  Boletin  de  la  Academia  de  la  historia, 
1888,  t.  XII,  p.  164-168  ;  t.  xiii,  p.  237-240  ;  D.  U.  de  Gheltof,  Leggenda  vene- 
ziana  di  Alessandro  III,  dans  Archivio  veneto,  1877,  t.  xiii,  p.  361-369  ;  A.  M. 
Giehl,  Die  Sentenzen  Rolands,  nachmals  Papstes  Alexander  III,  zum  ersten  Maie 
herausgeg.,  in-8,  Freiburg,  1891  ;  Jafîé,  Regesta  pontij.  rom.,  1851,  p.  616,  653, 
659,  677-827,  951  ;  2^  édit.,  t.  ii,  p.  145-418,  721-725,  761-766  ;  M.  Lecomte, 
dans  le  Moijen  âge,  1897,  t.  x,  p.  87-90  ;  Liber  pontificalis,  édit.  Duchesne,  1892, 
t.  Il,  p.  397-446,  450;  Liverani,  Spicilegium  Liberianum,  1863,  p.  543-549; 
S.  Lœwenfeld,  dans  Neues  Archiv,  1885,  t.  x,  p.  586-587  ;  Fr.  Maassen,  dans 
Sitzungsb.  Akad.  Wissensch.,  Wien,  1859,  t.  xxxi,  p.  450-455;  G.  A.  Marini, 
Délia  verità  de'  fatti  di  cui  si  è  conservata  memoria  nella  iscrizione  clivera  a 
S.  (îioi'anni  di  Salvore  presso  Pirano,  disserfazione  apologetica,  in-4,  Venezia, 
1794;  M.  Meyer,  Die  Wahl  Alexanders  III  und  Victors  IV  {1159],  ein  Beitrag 
zur  Geschichte  der  Kirchenspaltung  unter  Kaiser  Friedrich  I,  in-8,  Gôttingen, 
1871;  F.  Olmo,  Historia  délia  venuta  a  Venezia  occultamente  nel  1177  di  papa 
Alessandro  III  c  délia  vittoria  ottenuta  da  Sebastiano  Ziani  doge,  in-4,  Venezia, 
1629  ;  J.  von  Pflugk-Harttung,  dans  Neues  Archiv,  1884,  t.  ix,  p.  487-488  ; 
H.  Reuter,  Geschichte  Papst  Alexander  s  III  und  der  Kirche  seiner  Zeit, 
in-8,  Berlin,  1845  ;  2^  édit.,  Leipzig,  1860  ;  cf.  Hefele,  dans  Tubing.  Theolog. 
Quartalschrift ,  1861,  t.  xliii,  p.  630-646  ;  W.  Ribbeck,  Der  Traktat  iiber  die 
Papslwahl  von  1139,  dans  Forschungen  deuts.  Gesch.,  1885,  t.  xxv,  p.  354-363  ; 
C.  L.  Ring,  Kaiser  Friedrich  I  im  Kampfe  gegen  Alexander  III,  in-8,  Stuttgart, 
1838  ;  C.  M.  Ronchetti,  Forza  e  diritto,  ossia  papa  Alessandro\^III  e  il  Barba- 
rossa,  racconto  storico  del  sec.  xii,  in-16,  Venezia,  1879  ;  .J.  F.  von  Schulte,  dans 
Sitzungsberichle  d.  Akad.  d.  Wissenschaften,  Wien,  1869,  t.  lxiii,  p.  299-317  ; 
AVattcrich,  Pontij.  roman,  vita',  t.  ii,  p.  377-6'i9  ;  F.  Zarucke,  Ueber  den 
Bricj  des  Papstes  Alexander  III  an  den  Presb>/ler  Johannes,  in-4,  Leipzig,  1875  ; 
A.  Zon,  Memorie  intorno  alla  venuta  di  papa  Alessandro  III  in  Venezia  nell' 
(in NO  1177  e  ai  diversi  suoi  documenii,  in-4,  Venezia,  1840.  (H.  L.) 

1.  Octavien  de  Monticello,  né  à  Rome  vers  1095,  cardinal-diacre  du  titre  de 
Saint-Nicolas  in  Carcere  Tulliano  le  9  avril  1138,  cardinal-prêtre  du  titre  de 
Sainte-Cécile  le  30  mars  1151  ;  légat,  antipape  acclamé  à  Saint-Pierre   le  7  sep- 


62  1.     KLECTION     d'aT-F.XANDRE     III     EN     H,')!)  921 

sentence  fut  en  effet  prononcée  à  Teriacinei  (au  sud  de  Nym- 
pha),  où  Alexandre  résida  d'abord,  et  bientôt  après  étendue  à 
Imar-,  cardinal-cvêque  de  Frascali,  qui  avait  quitté  le  parti 
d'Alexandre  pour  celui  d'Octavien.  Quinze  jours  après  la  con- 
sécration d'Alexandre,  le  4  octobre  1159,  Victor  put  enfin  se 
faire  sacrer,  après  avoir  gagné  deux  évêques,  Ubald,  évêque 
de  Ferentino,  son  ami  d'enfance,  auquel  il  promit  la  moitié 
d'une  ville,  et  Richard,  évêque  excommunié  de  MeUi,  ({ui  se 
Irinivail  dans  le  voisinage  d'Ancone.  Ces  deux  évoques  le  sacrèrent 
(dans  le  monastère  de  Farfa),  le  4  octobre,  avec  le  cardinal- 
évcque  Imar  de  Frascati  ^;  les  principaux  partisans  de  Victor 
étaient  les  représentants  de  l'empereur,  et  à  leur  tête.  Otton, 
comte  du  Palatinat.  Ils  avaient  cherché,  par  l'argent,  par  les 
menaces,  etc.,  à  fortifier  leur  parli  *. 
[574]  Le  récit  de  Victor,  dans  sa  courte  lettre  à  la  cour,  est  en  con- 
tradiction formelle  avec  ce  qui  précède,  «Après  de  longues  déli- 
bérations et  réflexions,  dit-il,  j'ai  été  élu  d'une  manière  canonique 
])ar  les  cardinaux-évêques,  prêtres  et  diacres,  sur  la  demande  du 
clergé  de  Rome  et  avec  l'assentiment  du  peuple,  des  sénateurs, 
i-apitaines,  etc.,  et  placé  sur  le  siège  de  saint    Pierre  ;  enfin,    le 

tembre  1159,  sacré  à  Farfa  le  4  octobre  suivant,  mort  à  Lacques  le  20  avril 
1164.  —  P.  Ewald,  dans  Neiies  Archiv,  1876,  t.  ii,  p.  215-216  ;  Jafîé,  Reg.  pont, 
roman.,  p.  560-605,  615-616,  653,  658,  827-831;  2^  édit.,  t.  ii,  p.  418-426,  725; 
Liverani,  Spicilegium  Liberianum,  1863,  p.  763;  J.  A.  Fabricius,  Bihlioth.  medii 
art,  1746,  t.  VI,  p.  811-812;  édit.  Harlès,  p.  292;  J.  von  Pllugk-Harttung 
Eine  Bulle  Victors  IV  fiir  das  Georgenkloster  in  Nauniburg,  dans  Neues 
Archw,  1899,    t.  xxv,  p.  207-212.   (H.  L.) 

1.  Jafîé-Wattembach,  Reg.  pontij.  rom.,  n.  10584,  10587.  (H.  L.) 

2.  Imar,  originaire  de  Châlons-sur-Marne,  bénédictin  à  Saint-Martin-des- 
Champs.  abbé  de  Moustier-Neuf  à  Poitiers,  cardinal-évèque  de  Frascati,  le 
19  avril  1142,  excommunié  en  1159,  mort  à  Cluny  en  1164.  Dreux-Duradier, 
Histoire  lilléraire  du  Poitou,  1849,  t.  ii,  p.  141-142  ;  J.  A.  Fabricius,  Bihlioth- 
medii  iei'i,  1735,  t.  iv,  p.  86-87,  édit.  Harlès,  p.  31  ;  Jalïé,  Regestn  ponlif.  roman., 
1851,  p.  559,  605,  609,  615,  653,  658  ;  Lhôte,  Bibliograpli.  diâlonnaise,'[S70, 
p.  188-189.  (H.  L.) 

3.  Monum.  Germ.  Iiist.,  Leges,  t.  ii,  p.  126;  Vita  Alexandri  III  ;  Gerhoh  de 
Reichersberg  et  ÏEpistola  concilii  Papiensis,  dans  Watterich,  Vitie  rom. 
pontif.,  t.  II,  p.  381,  486,  506,  sont  d'accord  pour  mettre  Imar  an  nomlirc  des 
prélats  consccrateurs  d'Octavien. 

'i.  Tel  est  le  récit  d'Alexandre  111  dans  ses  lellres  à  Gchrard  de  lîologne,  à 
Eberhard  de  Salzbourg,  à  Syrus  de  (iênes  et  aux  évêques  de  Ligurie.  Jaffé- 
Wattembach,  Reg.  pontif.  rom.,  n.  10587,  10592,  10584,  10601  ;  également 
dans   VEpist.    XXII   cardinal.,  dans    Ragewin,   Grsia    Fridrriri.    IV,    i  ui,   dans 


922 


LIVRE     XXXIV 


premier  dimanche  d'octobre  (4  du  présent  mois),  j'ai  été  sacre. 
Ce  n'est  que  douze  jours  après  mon  élection  que  Roland  s'est 
déclaré  par  intrusion  ^.    » 

On  voit  que  Victor  ne  dit  rien  de  la  double  élection  ni  du 
fait  si  grave  que  la  majorité  s'était  déclarée  pour  Roland  et  avait 
même  déjà  commencé  à  le  revêtir  du  manteau,  mais  que  la  force 
brutale  avait  empêché  de  terminer  la  cérémonie.  Il  ment  en  affir- 
mant que  les  cardinaux-évêques  et  les  autres  cardinaux  avaient 
tous  voté  pour  lui.  Ses  amis  eux-mêmes  lui  donnent  un  démenti 
sur  ce  point  :  les  cardinaux  du  parti  de  Victor  disent,  dans  l'ency- 
clic[ue  qu'ils  envoyèrent  à  tous  les  patriarches,  etc.:  «  Déjà,  du 
vivant  d'Hadrien,  les  cardinaux  du  parti  sicilien  avaient  juré  de 
n'élever  à  la  papauté  que  l'un  d'eux.  Aussitôt  après  la  mort  d'Ha- 
drien, il  s'éleva  entre  eux  et  nous  un  conflit  pour  savoir  si  le  corps 
du  pape  devait  être  enterré  à  Anagni,  ou  porté  à  Rome,  ce 
qui  fut  fait.  Avant  l'élection,  tous  les  cardinaux  furent  d'accord 
pour  qu'elle  se  fît  conformément  aux  traditions  de  l'Église  ro- 
maine, et  que  l'on  chargeât  plusieurs  membres  cUi  collège  cardi- 
nalice de  recueillir  et  de  noter  exactement  les  votes  de  leurs 
collègues.  Si  Dieu  voulait  que  l'accord  se  fît,  tout  serait  pour 
le  mieux;  dans  le  cas  contraire,  nul  ne  devait  rien  faire  sans  l'assen- 
timent général.  Le  troisième  jour  du  conclave,  quatorze  cardinaux 
se    déclarèrent   pour    Roland,    neuf   se   rangèrent   de   notre    côté. 


Monum.  Germ.  hisL,  t.  xx,  p.  474^  dans  la  Vita  Alexandri  III,  P.  L..  l.  ce,  col. 
12  sq.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  1159^  n.  28  ;  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,   j).   377. 

Cf.  Annal.  Mediolan.,  c.  xviii,  dans  Monum.  Germ.  liist.,  t.  xviii,  p.  368  ; 
RomoalduSj  Annales,  ad  ann.  1159^  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xix, 
p.  430.  L'hostilité  de  Frédéric  à  l'égard  d'Alexandre  III  n'était  pas  un  mystère  ; 
le  16  septembre  1159^  d  écrivait  à  Eberhard  de  Salzbourg  :  Suhstituenda  neces- 
sario  est  talis  persona,  quac...  ecclesiarum Dei  slatum  in  unionem  pacis  reformaret  et 
ipsum.  imperinm  ac  fidèles  imperii  honestius  Iractaret,  dans  Monum.  Germ.  hist.. 
Leges,  sect.  iv,  i,  n.  181,  p.  252  ;  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  453.  Fastrade, 
abbé  de  Clairvaux,  dans  sa  lettre  à  Omnibono,  évêque  de  Vérone,  écrit  :  Mani- 
feste eliam  prohatum  est,  quod  diuante  Papiense  conciliumOctavianum  in  papam 
per  nuncios  suos  et  litleras  auro  hullatns  susceperat  imperalor  ;  dans  Watterich, 
op.  cit.,  t.  II,  p.  512.  Cf.  Giesebrecht,  Geschichte  der  deutschen  Kaiserzeit,  1830, 
t.  V,  p.  233;  Gicsebrccht-Simpson,  op.  cit.,  1895,  t.  vi,  p.  388  sq.  ;  A.  Hanck, 
Kirchengeschichte  Deutschlands,  t.  iv,  p.  231.  (H.  L.)] 

1.  Epist.   Victoria  ad  episc.  et  principes,  dans  Ragewin,   Gesta  Friderici,  IV, 

T.,  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xx,  p.  470  ;  Epist.  Victoris  ad  Rainaldum  [de 
Dassel],  dans  Monum.   Germ.  hist..  Script.,  t.  xvii,  p.  773. 


621,     ÉLECTION     d'aLEXANDRE     III     EN     1159  923 

Nous  avions  élu  Octavien.  Nous  apercevant  (jue  nos  adver- 
saires voulaient  manquer  au  pacte  conclu,  nous  le  leur  défen- 
dîmes au  nom  du  Seigneur  et  fîmes  également  défense  à 
Roland  d'accepter  l'élection.  Dédaignant  nos  observations,  les 
cardinaux  commencèrent  à  revêtir  Roland  du  manteau  ;  mais 
avant  que  ce  fût  chose  faite,  nous  en  plaçâmes  un  autre  sur  les 
épaules  de  notre  élu,  nous  conformant  au  vœu  du  peuple, 
à  l'élection  du  clergé  et  à  l'approbation  presque  unanime 
du  sénat.  Nous  l'intronisâmes  sur  le  siège  de  saint  Pierre  et 
[575]  le  conduisîmes  dans  son  palais,  au  milieu  des  acclamations 
de  la  foule.  Les  adversaires  se  réfugièrent  dans  la  citadelle  du 
Vatican,  où  ils  demeurèrent  enfermés  huit  jours,  jusqu'à  ce  qu'ils 
fussent  remis  en  liberté  par  les  sénateurs.  Ils  quittèrent  alors  la 
ville  et.  douze  jours  après  l'élection  de  Victor,  ils  revêtirent  Roland 
du  manteau  à  Cisterna,  enfin,  le  dimanche  suivant,  ils  le  sacrè- 
rent, ou  plutôt  l'exécrèrent  à  Nympha.  Ils  envoyèrent  aus- 
sitôt des  messagers  dans  toute  l'Italie  pour  défendre  à  tous  les 
évêques  de  prendre  part  au  sacre  de  Victor,  lequel  n'en  fut  pas 
moins  accompli  le  premier  dimanche  d'octobre  ^.  » 

La  troisième  relation  du  parti  de  Victor  vient  des  chanoines 
de  Saint-Pierre.  D'après  eux,  les  cardinaux,  étant  encore  à  Ana- 
gni.  avant  la  sépulture  du  corps  d'Hadrien,  avaient  décidé  de  se 
rendre  à  Rome  et  d'y  élire  l'un  d'eux.  S'ils  n'y  pouvaient  réussir,  ils 
reporteraient  leurs  voix  sur  un  étranger;  enfin,  si  cela  même 
était  impossible,  ils  retarderaient  toute  élection,  jusqu'à  ce  qu'il 
se  rencontrât  un  candidat  orné  des  qualités  voulues.  Le  moment 
arrivé,  comme  on  ne  pouvait  s'entendre,  les  victoriens  dirent 
«  Abandonnez-nous  le  choix  et  nous  désignerons  l'un  de  vous, 
ou  bien  choisissez  l'un  de  nous,  »  Mais  ils  ne  voulurent  rien  enten- 
dre et  ils  commencèrent  à  revêtir  Roland  du  manteau.  Les  meil- 
leurs des  cardinaux  les  empêchèrent  de  terminer  la  cérémonie 
et  élurent  Octavien  ^, 


1.  Epiftl.  y  cardinalium,  dans  Ragewin,  Gesta  Friderici,  IV,  lu,  dans  Mo^ 
num.  Germ.hist.,Script.,t.xK,Tp.^l2  ;  Watterich,  op,  cit.,  t.  ii,  p.  461  sq,  Cis- 
terna, à  proprement  parler  Cisterna  Aerouis,  est  située  au  sud  de  Rome  et 
est  ainsi  nommée  parce  que,  d'après  la  tradition,  l'empereur  Néron  s'y  serait 
caché  lorsqu'il  fuyait  les  Romains.  Les  victoriens,  sans  en  excepter  l'empereur, 
abusèrent  de  ce  nom  de  Cisterna,  prétendant  qu'Alexandre  avait  visiblement 
abandonné   la   fontem   aquie  vivse. 

2,  Epi  fit.  rapilul.  S.   Pétri  ad  imperntorew,    dans    Ragewin,   Ge.itn    Friderici, 


924  LIVRE     XXXIV 

Enfin,  les  évrques  du  conciliabule  de  Pavic  dcclarcrcnl  qu'à 
l'époque  de  la  double  élection,  vingt-deux  cardinaux  se  trouvaient 
dans  la  ville.  En  négligeant  Roland  et  Victor,  il  restait  vingt  car- 
dinaux, dont  neuf,  une  minorité  sans  doute,  mais  plus  recom- 
mandable,  avaient  élu  Octavien  ^. 

Telles  sont  les  sources  historiques  fondamentales  du  parti  victo- 
rien; quelques  autres  documents  du  même  parti  n'ont  qu'une 
valeur  1res  secondaire,  leurs  auteurs  étant  trop  éloignés  du 
théâtre  de  l'élection  pour  en  rendre  un  compte  exact.  Ainsi 
les  Annales  Palidenses^  :  a  ],e  pape  Hadrien  aimait  paiiicu- 
lièremen!  cbiix  de  ses  cardinaux,  Roland  et  Octavien  ;  le  [570] 
premiei-,  (|ui  élail  jeune,  amassa  de  grands  l)iens  ])ar  des 
moyens  peu  !iou(>ral)les  ;  Octavien,  au  ('(mtraire,  resta  pauvre 
cl,  craignant  Dieu.  Sur^inl  l'éleclion  :  on  désigna  qu.itre 
candidats  entre  lescjuels  on  devait  choisir;  de  ce  noml)re 
étaient  Roland  et  Octavien.  On  proposa  Roland,  qui  se  récusa 
comme  indigne  et  recommanda  Octavien;  et  ainsi  ce  dernier  fut 
élu  et  sacré.  Après  onze  jours,  les  amis  de  Roland  lui  en  firent 
des  reproches  et  dressèrent  des  embûches  pour  renverser 
Octavien,  etc.  » 

Ce  récit  accumule  les  erreurs,  car  tous  les  victoriens  dont 
le  témoignage  compte  avouent  cju'ils  étaient  une  minorité; 
non  toutefois  de  deux  cardinaux,  mais  de  neuf.  Comment  ex- 
pliciuer  cet  écart  ?  Avant  tout,  il  faut  se  rappeler  qu'Alexandre 
obtint  quatorze  voix,  ce  dont  conviennent  les  électeurs  de  Victor 
dans  leur  récit  officiel,  aveu  de  tout  autre  poids  que  les  historiettes 
des  évêqvies  du  concile  de  Pavie.  [Reste  toujours  l'écart  de  deux 
à  neuf.]  On  se  demande  si  l'un  des  partis  n'a  pas  menti:  je  ne  le 
pense  pas;  il  me  semble  cjue  l'explication  nous  est  donnée  par 
Gerhoh  de  Reichersberg  :«  Lorsque,  dit-il,  les  cardinaux  désignés 
à  cet  ellet  recueillirent  l'avis  de  chacun,  il  se  trouva  r[ue  la  ma- 
jorité    vota     pour    Roland.     Certains,     en    petit     nombre,     xou- 


IV,  i.xvi,  dans  Monum.   Cerm.  hist.,    Script.,    t.    xx,    p.    'iTO  sq.  ;    ^^'attcrich, 
ViUe  pontij.  roui.,  t.  n,  p.   174  sq.  (H.  L.) 

1.  Concilium  Papiense,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Legcs,  sect.  iv,  t.  i,  p.  251, 
n.  181-190  ;  Watterich,  op.  cit.,  t.  ir,  p.  477  sq.  ;  Ragewin,  Gesia  Friderlci, 
IV,  txiv,  dans  Moniim.  Germ.  hist.,  Script.,  i.  xx^  p.  479.  (H.  L.) 

2.  Annales  Palidenses  (Chronique  do  Pochld),  dans  Afnnuw.  Germ.  hisl. 
Script.,  t.  XVI,  p.  91. 


G21.     ÉLECTION    d' ALEXANDRE       III     EN        1159  925 

laient  Octavien,  d'autres  le  cardinal  Bernard.  Après  quelques 
négociations  et  pourparlers,  les  bernardins  abandonnèrent  leur 
candidat;  plusieurs  parmi  eux  passèrent  au  parti  de  Roland, 
tandis  (jue  d'autres  ])rireiil  nue  siluatiou  intermédiaire  el  équi- 
voque, assurant  tout  à  la  l'ois  Octavien  et.  Roland  de  leur  dévoue- 
ment. En  additionnant  ces  Noix  douteuses,  le  nombre  des  octa- 
viens  s'éleva  jusqu'à  sept;  mais  après  de  nouveaux  pourparlers 
il  descendit  à  trois  ^.  » 

L'écart  entre  les  chillres  s'explique  par  ces  Uuctuations  des  par- 
tisans de  Bernard,  qui  voulaient  ménager  également  les  deux  pré- 
[j77j  tendants.  Cette  supposition  devient  plus  vraisemblable  si  on  admet 
que  plusieurs  des  bernardins,  ayant  voté  pour  Roland,  assistèrent 
néanmoins  au  Te  Deiun  de  Victor,  après  que  celui-ci  se  fut  déclaré 
et  qu'il  y  eut  péril  pour  les  alexandrins.  Ces  transfuges  se  trou- 
vaient ainsi  avoir  participé  à  l'élection  de  Victor,  dont  ses  partisans 
pouvaient  dire,  dans  un  certain  sens,  qu'il  était  l'élu  de  neuf 
cardinaux,  tandis  qu'Alexandre  était  en  droit  d'atïirmer  que  deux 
cardinaux  seulement  avaient  voté  pour  Octavien.  Ces  anciens 
bernardins  restèrent  longtemps  indécis  :  ainsi  le  cardinal  Ray- 
mond de  Sainte-Marie  in  \'i(i  Lala  poussa  si  loin  ce  système,  qu'il 
signa  presque  en  même  temps  un  mémorandum  des  alexandrins 
et  une  note  des  victoriens  "^.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  n'y  eut  tout  au 
plus  à  embrasser  le  parti  de  Victor  qu'un  cardinal-évèque,  Imar, 
deux  cardinaux-prêtres  et  deux  cardinaux-diacres,  car  ceux-là 
seulement  signèrent  l'encyclique  du  parti  ^,  tandis  qu'Alexandre 
eut  pour  lui  vingt-cin({  cardinaux,  parmi  lesquels  cinq  cardinaux- 
évèciues  *. 

1.  Gerholi  de  Reichersberg,  De  invcstigaiione  Anti-Chrisli,  édit.  Stiiltz,  dans 
Archw  fiir  Kunde  œsterreicli.  GescJiichisquellen.  t.  xx,  p.  145  ;  Watterich,  op. 
cit.,  t.  ïi,  j).  505.  D'après  la  lettre  d'Ehcrhard  de  Bainberg,  la  minorité  se  com- 
posait de  onze  voix  :  Tusculanus  episcopun  cum  alils  iiovern  cardlnalihus  valen- 
tioribus  dominum  Octavianum  elegil  in  aposlolicum,  dans  \Vatterich,  op.  cil., 
t.  II,   p.  45'i.   (H.     L.) 

2.  Ragewin,  Gesla  Friderici,  IV,  m,  dans  Monuin.  Gevin.  hisl.,  ScripL, 
t.  XX,  p.  472  ;  Theiner,  Disquisitiones  criticœ,  p.  211.  Le  cardinal  Raymond 
se  disait  sans  doute  qu'en  allant  d'un  parti  à  l'autre,  il  aurait  au  moins  l'espoir 
d'avoir  été  quelque  temps  dans  le  bon.  Hefele  ajoute  dans  son  texte  que  «  cela 
ne  saurait  le  surprendre  de  la  part  d'un  Italien  >>,  puisque  pareille  chose  se  voit, 
dit-il,   même   en   Allemagne.    (H.    L.) 

3.  Watterich,  op.  cil.,  t.  ii,  p.  4G1  sq.  (H.  L.) 

4.  Watterich,  op.  cit.,  t.  u,  p.  493  sq.  (H.  L.) 


926 


LIVRE    XXXIV 


La  seconde  dillérence  entre  le  récit  des  alexandrins  et  celui  des 
victoriens  est  celle-ci  :  la  valeur  de  l'élection  devait-elle,  d'après  un 
accord  préventif,  dépendre  de  l'unanimité  ?  Reuter  croit  devoir 
accepter  ici  littéralement  la  donnée  des  victoriens,  que  je  suis 
tout  disposé  à  croire  essentiellement  fausse.  En  voici  la 
raison  :  a)  D'abord  Victor  lui-même  n'en  dit  rien  ^,  alors 
qu'en  prouvant  que  ses  adversaires  avaient  violé  l'accord 
conclu  avant  l'élection,  il  aurait  fourni  le  meilleur  argument 
contre  la  valeur  de  l'élection  de  Roland,  b)  Le  conciliabule 
de  Pavie,  qui  a  rejeté  l'élection  d'Alexandre,  ne  fait  pas 
davantage  allusion  à  cette  circonstance  de  nature  à  motiver 
son  jugement,  c)  Comment  croire  que  les  cardinaux  du  parti 
d'Alexandre,  <[ui  formaient  incontestablement  la  majorité,  se 
soient  décidés  à  conclure  un  accord,  non  seulement  opposé  à  la 
procédure  ordinaire  des  élections,  mais  c|ui,  de  plus,  enlevait  [578] 
à  cette  même  majorité  sa  prépondérance  ?  Jamais  majorité  ne 
dira  à  une  minorité  :  Mes  votes  sont  nuls,  si  un  seul  d'entre  les 
vôtres  ne  vote  pas  avec  vous,  t?)  La  majorité  d'Alexandre  existait, 
du  reste,  avant  la  date  approximative  de  cet  accord  supposé,  car 
les  victoriens  racontent  que,  du  vivant  du  pape  Hadrien,  le  parti 
sicilien  avait  juré  de  ne  choisir  le  futur  pape  que  dans  son  sein. 
A  tenir  le  fait  pour  vrai,  comment  admettre  que  les  Siciliens 
auraient  ensuite  admis  que  leur  candidat  ne  serait  élu  qu'à  la 
condition  d'avoir  les  voix  de  tous  les  adversaires  ?  e)  En  somme, 
pareil  accord,  s'il  eût  été  passé,  aurait  rendu  impossible  toute 
élection  papale,  tant  à  cause  des  divisions  du  corps  électoral  que 
de  la  complète  dépendance  où  la  minorité  des  cardinaux  impériaux 
aurait  mis  la  majorité.  Comment  admettre  pareille  trahison 
des  principes  pour  lesquels  on  combattait?  Les  choses  ont 
dû  se  passer  autrement.  Dès  les  réunions  préparatoires  à  l'élec- 
tion, les  deux  partis  ont  peut-être  compris  la  nécessité  de  l'en- 
tente et  se  sont  niiitnellcment  engagés  à  ne  procéder  à  l'élection 
qu'après  avoir  épuisé  les  moyens  de  se  mettre  d'accord.  Ainsi  la 
majorité  aurait  négocié  pendant  trois  jours,  sans  faire  usage  de  sa 
prépondérance,  et  ne  s'y  serait  décidée  qu'après  s'être  con- 
vaincue de  l'inutilité  de  ses  efforts  pour  arriver  à  une  élec- 
tion  unanime.  Elle  aurait  donc  tenu    ses    promesses    et  attendu 


1.  Waltericli^  op.  cil.,  t.  ii,  p.  4G0  sq.  (H.  L.) 


622.     CONCILIABULE     DE     PAME     EN     11  GO  927 

paliemmeiit   tanl    qu'elle   avait  l'espoir  d'une' entente;  mais,  cet 
espoir  évanoui,    il  lui   incombaiL    de    pourvoir    à   la    vacance    du 
Saint-Siège.  Les  temps  étaient  diiiiciles,  il  ne  fallait  pas    prolon- 
ger la   vacance  :    or,   attendre   que   la    minorité    des     victoriens 
se  fût    ralliée    au    candidat    de     la    majorité,     c'était    renvoyer 
l'élection   aux   calendes   grecques.    Les  victoriens   transformèrent 
plus    tard     en     un    traité    formel    ces    exhortations     antérieures 
à    l'élection,    en  ayant   grand    soin    de    taire    ce     qu'ils    avaient 
intérêt   à  laisser    ignorer.    De    pareilles    interprétations    ne    sont 
pas  rares  clans  le   monde  entre   princes  et  entre  particuliers;    le 
meilleur  de   l'cllort   de   la   diplomatie   consiste   à   découvrir    aux 
traités  des  interprétations  superflues. 


622.  Conciliabule  de  Pavie,  en  1160. 

A  peine  sacré,  Alexandre  III,  convaincu  de  son  bon  droit, 
montra  l'énergique  volonté  de  son  caractère.  Il  écrivit  aux  évê- 
ques  et  à  l'empereur,  alors  occupé  au  siège  de  Milan.  Dans  l'empor- 
tement de  sa  colère,  Frédéric  voulait  couper  le  cou  aux  légats 
porteurs  de  cette  lettre;  mais  les  ducs  Welf  et  Henri  le  Lion  l'en 
détournèrent  et  le  persuadèrent  de  recevoir  le  bref,  auquel,  bien 
entendu,  on  ne  devait  pas  répondre.  Ce  bref  est  perdu;  mais 
Ragewin  nous  a  conservé  le  mémoire  que  les  cardinaux  du 
parti  d'Alexandre  envoyèrent  à  l'empereur,  lui  demandant 
secours  et  protection  en  faveur  de  l'Église  romaine  contre  l'usur- 
pateur et  le  sclîismatique  ^.  —  Victor  et  ses  cardinaux  publiè- 
rent à  leur  tour  leur  encyclique,  le  28  octobre  :  ils  y  exposent 
à  leur  manière  les  incidents  de  l'élection  et  invoquent  également 
la  protection  de  l'empereur,  à  qui  Dieu  même  (et  non  les  papes) 
a  confié  le  soin  de  l'Eglise  romaine  -, 

L'empereur  ne  tarda  pas  à  constater  que,  malgré  tous  les  efforts 
de  ses  envoyés  en   Italie  [(en  particulier  du  comte  palatin  Otton), 


1.  Epist.  XXII  cardinal,  ad  impcralurcm,  dans  Ragewin,  Gesla  Friderici, 
IV,  LUI,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xx,  p.  474  ;  Watterich,  Vitx 
pontif.  roman.,  t.  ii,  p.  464  sq.   (H.  L.) 

2.  Epist.  Victoria  ad  Rainaldum ,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvii, 
p.  773  ;  Citron,  reg.  Colon.,  ad  ann.  1161,  ibid  .  p.  106  sq.  (H.  L.) 


928  LIVUE    XXXIV 

le  parli  (l"()(la\ion  périclitait,  car  beaucoup  d'évêques  se  pronon- 
çaient ()n\  erlcjiient  contre  lui;  il  pensa  que  le  plus  sage  était  d'ar- 
rac  lier  le  s  accès  d'une  manière  qui,  au  premier  al)ord,  paraissait  légale. 
Il  commença  donc  par  recommander  aux  cvccjues  desonemj)lre 
de  ne  pas  se  hâter  de  reconnaîtie  l'un  des  deux  prétendants;  il 
s'adressa  ensuite  dans  le  même  sens  aux  rois  de  France  et  d'Angle- 
terre^; puis,  (;n  sa  (jualité  de  protecteur  souverain  de  l'h^glise,  il 
décida  la  réunion  d'un  concile  général,  (jui  aurait,  à  se  jirononcei' 
entre  Alexandre  et  VicLor.  Plusieurs  personnes,  même  des  mieux 
intentionnées,  acceptèrent  cette  proposition,  appuyée  non  seu- 
lement sur  des  précédents  dans  l'histoire  de  l'Eglise,  mais 
aussi  sur  divers  décrets  des  papes  et  diiïérents  statuts  -.  C'était 
oublier  que  le  droit  d'Alexandre  et  les  prétentions  d'Octavien 
ne  [XMuaient  être  placés  sur  la  même  ligne  et  que  l'élu  d'une 
imposante  majorité  pouvait  et  devait  se  regarder  comme  seul 
])ape  légitime,  ce  qu'en  efïet  faisait  Alexandre.  Un  examen  vrai- 
ment impartial  ne  permettait  pas  de  soutenir  le  fait  d'une  double 
élection.  Si  aujourd'hui  on  voyait  deux  électeurs  sur  trente  pré- 
tendre que  leur  candidat  est  l'élu  légitime,  on  sourirait  sans 
s'ptlarder  à  une  discussion.  Mais,  dans  la  balance,  l'empereur  mit 
sa  lourde  épée  dans  le  plateau  de  la  minorité,  assurant  à 
celle-ci  dès  le  début  des  avantages  égaux  à  ceux  de  la  majorité, 
et  bientôt  après,  de  plus  grands.  Un  siècle  plus  tard,  Charles  d'An- 
jou, confirmant  le  jugement  d'une  minorité,  fera  mourir  le  der- 
nier représentant  des  Hohenstaufen. 

Vers  la  fin  d'octobre  1159,  l'empereur  Frédéric  ((uno- 
([ua  les  prélats  de  rcniplrc  au  synode  qui  de\ait  se  Iciiii'  à 
l'avie,le  lo  janvier  IIGO.  Dans  diverses  lettres,  il  cheicha  à  dé- 
terminer les  rois  d'Angleterre,  de  France,  d'Espagne  et  de  llongrie 
à  envoyer  des  évêques  à  ce  concile  3.  Une  ambassade  spéciale, 
composée  des  évêques  Hermann  de  Verden  et  Daniel  de  Prague  *, 

1.  Epistola  Friderici  imperaloris  ad  Eherhardum  Salzb.  episc,  dans  \Yatte- 
rich,  op.  cil.,  t.  ii,  p.  481  sq.  (II.  L.) 

2.  Ragewin,  Gesta  JFriderici,  IV,  lvi,  dans  Munitnt.  Gcitn.  liisL,  ScripL,  l.  xx, 
p.  47G  ;  Reulcr,  Geschichte  Alexandera  III  und  der  Kirclie  seiner  Zeil,  p.  82^ 
p.  502  sq. 

3.  Ragewin.  Gesta  Friderici,  IV,  lvi,  dans  Monuin.  Gerin.  IdsL,  Script.,  l.  x.x, 
p.  476  ;  Baronius,  Annales,  ad  ann.  1159,  n.  52  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll., 
t.  XXI,  col.  1140. 

'i.  Tourlual,  dans  Forschungen  ziir  Rcicli.s-  und  Kirchengeschichte  des  zwolflen 
Jahrhundcrts,   p.   13   sq.,   s'efforce   de   prouver   (jue   le   comte   palatin   Otton   de 


[580] 


622.      CONCILIABULE    DE     PAVIE     EN     1160.  929 

convoqua  les  deux  prétendants.  Les  dépvités  envoyés  à  cette 
occasion  et  les  lettres  impériales  qu'ils  avaient  charge  de  remettre 
581]  n'appelaient  Alexandre  que  le  cardinal  Roland  ^,  tandis  qu'on 
donnait  à  Octavien  le  titre  de  pape  Victor,  et  on  le  traitait 
comme  tel,  sans  même  garder  une  apparente  impartialité. 
Vinrent  ensuite  des  menaces  à  l'adresse  d'Alexandre,  dans  le  cas 
où  il  ne  comparaîtrait  pas.  Les  cardinaux  de  son  parti,  prévoyant 
l'orage,  cherchèrent  à  le  conjurer  en  négociant  avec  les  ambas- 
sadeurs impériaux  et  en  présentant  des  contre-propositions. 
Voyant  leurs  soins  inutiles,  ils  jurèrent,  ainsi  que  le  pape,  de  mourir 
s'il  le  fallait,  pour  la  liberté  de  l'Église  2,  et  Alexandre,  rempli 
du  sentiment  de  sa  dignité  apostolique,  répondit  à  l'empereui"  : 
(i  Nous  reconnaissons  l'empereur  comme  procureur  et  protecteur 
spécial  de  la  sainte  Eglise  romaine.  Aussi  voulons-nous  l'honorer 
avant  tous  les  princes;  mais  plus  encore  doit  être  honoré  le  Roi  des 
rois,  celui  qui  peut  perdre  et  le  corps  et  l'àme.  Attaché  sincère- 
ment à  l'empereur,  nous  nous  étonnons  fort  de  ce   qu'il  refuse,  à 


^Yittelsbach  n'avait  pu  être  dans  cette  circonstance  l'ambassadeur  de  la  cour 
impériale;  il  est  prouvé  qu'à  cette  époque^  il  s'était  déjà  activement  occupé 
à  Rome  de  soutenir  la  cause  de  Victor  :  il  faut  donc  admettre  que  cette 
lettre  de  l'empereur  contient  une  fausseté  comme  on  en  rencontre  taat  dans 
les  lettres  officielles  de  cette  époque.  Si  Tourtual  n'a  pas  choisi  iateationnel- 
lement  ce  passage  et  n'a  voulu  faire  étalage  que  d'un  spécimen  eruditionis ^ 
sa  critique  n'est  qu'une  lutte  contre  des  moulins  à  vent.  Nulle  part^  en  effet' 
on  ne  lit  que  le  comte  palatin  Otton  fut  envoyé  de  Crème  de  la  cour  impériale. 
Le  qaos  de  palatio  noslro  ad  vos  transmisimus  s'applique  incontestablement 
aux  seuls  Hermann  de  Verden  et  Daniel  de  Prague,  les  patres  et  episcopi  venera- 
biles.  Quant  au  comte  palatin  Otton  et  aux  autres  légats  de  l'empereur^  on  dit 
simplement  qu'ils  furent  chargés  de  procurer  un  sauf-conduit  aux  cardinaux 
pour  se  rendre  à  Pavie.  Du  reste,  il  n'est  pas  invraisemblable  que  le  comte 
palatin  ait  pu  se  joindre  à  Rome  à  l'ambassade  envoyée  de  Crème,  et  cela, 
sur  un  ordre  particulier  de  l'empereur.  Cf.  Vita  Alexandri  III,  dans  Wattcrich, 
op.  cit.,  t.  II,  p.  384. 

1.  La  lettre  impériale  de  convocation  adressée  à  Alexandre  III  s'est  conser- 
vée, dans  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  sect.  iv,  t.  i,  p.  255  sq.,  n.  184;  Watte- 
rich,  op.  cit.,  t.  11,  p.  459  sq.  Les  cardinaux  du  parti  d'Alexandre  affirment  :  Misii 
igitur  (imperator)  ad  dominum  noslrum  (Alexandrum  III)  duos  episcopos,  scripsit 
ei  una  nobiscurn  tanquani  cancellario,  cutn  jampridein  Octaviano  sicut  pontifici 
romano  scripsisset,  dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  11,  p.  497;  Boso  témoigne  du  même 
procédé,  ihid.,  p.  383;  cf.  Hauck,  Kirchengescliichte  Deutschlands,  p.  235,  et 
Giesebrccht,  Geschichte  der  deutschen  Kaiserzeit,  t.  v,  p.  236  sq.  (H.  L.) 

2.  Théine,    Disquisitiones  criticœ,  p.  213  ;  Reuter,  op.  cit.,  p.  89,  90,  505    sq. 

CO.NCILES  —  V  —  ,jy 


930 


LIVRE     XXXIV 


nous,  ou  plutôt  à  saint  Pierre  et  à  la  sainte  Église  romaine, 
l'honneur  qui  nous  est  dû.  Il  a  écrit,  à  nous  et  à  nos  frères,  con- 
voquant tous  les  évêques  de  son  empire  à  son  camp  devant 
Pavie,  pour  y  délibérer  sur  les  divisions  qui  affligent  l'Église. 
En  agissant  ainsi,  il  a  oublié  la  conduite  de  ses  ancêtres 
et  dépassé  les  limites  de  son  pouvoir,  car  il  a  convoqué  un 
concile  à  l'insu  du  pape  ^,  et  nous  y  a  invité  comme  l'un  de  ses 
sujets.  L'Église  romaine  a  reçu  du  Seigneur,  par  l'entremise  de 
saint  Pierre,  le  privilège  d'examiner  et  juger  toutes  les  affaires 
des  églises,  tout  en  étant  elle-même  au-dessus  de  tout  jugement 
des  hommes.  Voici  que  les  privilèges  de  l'Église  sont  attaqués 
par  ceux  qui  devraient  les  défendre,  et  l'on  écrit  à  l'Église  ro- 
maine tout  comme  à  une  pauvre  servante  :  il  est  naturel  que 
de  tels  procédés  nous  aient  causé  le  plus  grand  étonnement. 
La  tradition  canonique  et  l'autorité  des  Pères  nous  défendent 
également  d'aller  à  la  cour  de  l'empereur  pour  y  entendre  la 
sentence.  Même  les  moindres  églises  sont  mieux  traitées  par 
les    princes    que    ne    l'est    maintenant    par    l'empereur    l'Église 


romaine  ^.   » 


1.  Cette  question  a  été  traitée  dans  la  préface  du  t.  i  de  la  présente  Histoire 
des  conciles.    (H.   L.) 

2.  Epist.  Alexandri  ad  imper atorem,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  sect.  iv, 
t.  i,  p.  256  sq.,  n.  185;  Boso,  dans  Watterich,  Vilœ  pontif.  roman.,  t.  ii, 
p.  383  sq.;  Baronius,  Annales,  ad  ann.  1159,  n.  56;  Reuter,  op.  cit.,  p.  90, 
505  sq.  Reuter  se  demande  si  la  conduite  des  cardinaux  s'harmonise  bien  avec 
celle  d'Alexandre.  Ce  dernier  dit  explicitement  que  le  pape  ne  peut  être 
jugé  par  personne;  ses  cardinaux,  au  contraire,  s'étaient  déclarés  prêts  à  convo- 
quer un  synode  à  Rome  pour  améliorer,  d'après  les  conseils  de  cette  assemblée, 
ce  qui,  dans  la  conduite  des  alexandrins,  paraîtrait  mériter  amendement. 
Pour  expliquer  cette  différence  d'attitude  entre  Alexandre  et  ses  cardinaux, 
Reuter  (p.  507)  suppose  que,  dans  sa  déclaration  officielle  aux  ambassadeurs 
impériaux,  Alexandre  avait  parlé  d'après  les  principes  hiérarchiques,  tandis 
que,  dans  les  conversations  particulières,  lui  et  ses  cardinaux,  pressés  par  les 
événements,  avaient  grandement  baissé  le  ton.  Quelques  exemples  analogues 
que  puisse  présenter  l'histoire  de  Rome,  temporum  ralione  habita,  il  est  évident 
que  les  propositions  des  alexandrins  ne  sont  pas  allées  aussi  loin  que  le  suppose 
Reuter.  Voici,  en  effet,  tout  ce  que  les  cardinaux  proposèrent  aux  ambassadeurs 
de  l'empereur  :  «  Quelques-uns  d'entre  eux  devaient  se  rendre  auprès  de  l'em- 
pereur, afin  de  lui  faire  connaître  exactement  les  incidents  de  l'élection,  car 
une  fois  instruit,  il  ne  lui  serait  plus  possible  de  soutenir  la  mauvaise  cause. 
Dans  le  cas  où  l'empereur  ou  l'Église  conserverait  quelques  doutes  sur  la  léga- 
lité de  la  conduite  des  alexandrins,  ils  étaient  prêts  à  convoquer  à  Rome  diffé- 


622.     CONCILIABULE     DE     PAVIE     EN     IICO.  931 

[582]  Tout  autre  fut,  on  le  devine,  la  réponse  de  Victor,  lorsque  les 
ambassadeurs  impériaux  s'inclinèrent  devant  lui  à  Segni,  en  lui 
remettant  la  lettre  de  leur  maître  avec  cette  inscription  :  «  Au 
pape  Victor.  ■>■>  Il  se  déclara  satisfait  de  cette  convocation  d'un 
concile,  cette  assemblée  n'ayant  d'autre  but  que  d'obliger  la 
chrétienté  à  se  conformer  à  la  décision  impériale  déjà  prise  en  sa 
faveur  ^. 

[583]  En  tel  état  de  choses,  il  fallait  qu'Alexandre  envoyât  des  lettres 
et  des  ambassadeurs  aux  autres  princes  de  la  chrétienté  et  aux 
évêques  les  plus  considérables  de  tous  les  pays,  pour  faire  va- 
loir son  bon  droit  et  celui  de  l'Eglise.  Avant  même  que  les  lettres 
d'Alexandre  parvinssent  en  Angleterre,  le  roi  de  ce  pays,  Henri  II, 
avait  été  gagné  à  la  cause  d'Alexandre  par  Arnulf,  évêque  de  Li- 
sieux;  mais,  circonvenu  par  l'ambassadeur  impérial,  qui  l'enga- 
geait à  accepter  la  sentence  du  synode  de  Pavie,  le  roi  différa 
sa  décision  définitive,  malgré  les  instances  de  Théobald,  primat 
de  Cantorbéry,  zélé  partisan  d'Alexandre.  L'autre  archevêque 
du  royaume,  Roger  d'York,  avait  embrassé  le  même  parti 
que  le  primat;  seuls,  quelques  évêques  s'étaient  déclarés  pour 
Victor. 

Dès  le  début,  le  roi  de  France,  Louis  VII,  avait   penché  du  côté 

rents  dignitaires  ecclésiastiques  pris  dans  les  diverses  parties  du  monde  et  à 
corriger,  d'après  leurs  conseils,  ce  qu'il  pourrait  y  avoir  eu  de  défectueux  dans 
leur  manière  de  faire  (si  circa  factum  nostrum  corrigendum  aliqiiid  videretur).  » 
Theiner,  op.  cit.,  p.  213.  Cette  avance  ne  signifie  donc  pas  «  qu'Alexandre  vou- 
lait soumettre  à  un  concile  la  validité  ie  son  élection,  »  Dans  la  pensée  de  l'empe- 
reur, le  concile  devait  désigner  le  véritable  pape  :  Alexandre  ou  Victor.  La 
contre-proposition  :  a)  n'implique  pas  cette  alternative  :  Alexandre  ou  Victor. 
Elle  part  de  ce  principe  que  le  premier  est  légitimement  élu,  et  elle  veut  per- 
suader l'empereur  de  cette  légitimité,  h]  Que  si  l'on  doutait  encore  si  ceux  du 
parti  d'Alexandre  ont  agi  légalement,  on  convoquera  une  réunion  de  digni- 
taires ecclésiastiques  (on  évite  l'expression  de  synode).  Mais  ce  n'est  pas 
l'empereur,  c'est  Alexandre  lui-même  et  ses  cardinaux  qui  convoquent  cette 
assemblée,  affirmant  ainsi  une  fois  de  plus  la  légitimité  de  l'élection.  Cette 
réunion  n'a  pas,  du  reste,  à  décider,  mais  seulement  à  délibérer,  et  ses  délibéra- 
tions ne  peuvent  pas  porter  sur  cette  question  :  Lequel,  .d'Alexandre  ou  de 
Victor,  est  le  pape  légitime  ?  mais  seulement  sur  ceci  :  Qu'y  a-t-il  à  améliorer 
dans  l'élection  ?  On  voit  donc  qu'il  n'y  a  pas,  entre  le  langage  officiel  et  le 
langage  intime  du  Saint-Siège  à  cette  époque,  une  aussi  grande  différence  que 
Reuter  le  suppose. 

1.  Watterich,  Vitie  roman,  pontif.,  t.  n,  p.  384;    Baronius,    Annal.,  ad  ann. 
1159,  n.  57  ;  Reuter,  op.  cit.,  p.  92. 


932  LIVRE     XXXIV 

d'Alexandre,  ({uoique  des  raisons  politiques  l'empêchassent  de  le 
reconnaître  formellement;  d'antre  part,  beaucoup  d'évcques  et  de 
clercs  de  France,  et  en  particulier  les  deux  ordres  si  considérés  des 
cisterciens  et  des  chartreux,  n'en  agirent  que  plus  énergiquement 
pour  la  bonne  cause.  On  distingua  surtout  dans  cette  campagne 
Pierre,  archevêque  de  Tarentaise,  le  plus  grand  homme  de  l'ordre 
des  cisterciens  après  saint  Bernard  et,  comme  lui,  célèbre  par 
le  don  des  miracles.  Il  prêcha  contre  le  schisme  dans  le  midi  de  la 
France  et  dans  le  nord  de  l'Italie,  avec  un  zèle  brûlant,  et  obtint 
les  plus  beaux  résultats. 

En  Espagne,  Ferdinand  II,  roi  de  Léon  et  de  Castille,  et  Rai- 
mond  VI,  roi  d'Aragon  et  de  Barcelone,  assurèrent  Alexandre 
de  tout  leur  respect.  C'est  ce  que  fit  également  Geisa,  roi  de  Hon- 
grie; mais  aucun  de  ces  princes  ne  reconnut  le  véritable  pape 
avant  la  célébration  du  synode  de  Toulouse  ^.  Alexandre  chercha 
aussi  à  nouer  des  relations  amicales  avec  Manuel,  empereur  de 
Constantinople,  et  le  roi  Baudouin  III  de  Jérusalem.  On  sait  qu'il 
était  en  outre  dans  les  meilleurs  termes  avec  les  Normands  de 
la  Basse-Italie  ^. 

Sur  ces  entrefaites,  le  conciliabule  de  Pavie  s'était  ouvert, 
non  le  13  janvier,  mais  seulement  le  5  février  IIGO,  après 
la   chute   de   la    ville   de   Crème  ^.    Il   compta   environ    cinquante 


1.  Voir  aux^Appendices  de  cevolume  .^Sur  un  concile  tenu  à  Toulouse  \'ers 
1160.   (H.   L.)" 

2.  Wattei'ich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  466^  note  1;  Reuter,  op.  cit.,  p.  94-111;  F.  Cha- 
landon.  Histoire  de  la  domination  normande  en  Italie  et  en  Sicile,  in-8,  Paris, 
1907,  t.  II,  p.  292  sq.  ;  Le  même,  Les  Comuèiie.  Etude  sur  l'empire  bijzantin 
aux  xi«  et  xii^  siècles,  iii-8,  Paris,   1911.   (H.  L.) 

3.  5  au  13  février.  Coll.  regia,  t.  xxvii,  col.  322;  Manrique,  Annal.  Cisterc, 
t.  II,  p.  330-332;  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  1387-1403;  Hardouin,  Conc.  coll. 
t.  VI,  part.  2,  col.  1565;  Martène,  Thés.  nov.  anecdot.,  1717,  t.  i,  p.  447-452; 
Colcti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  2G5;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  ii,  p.  519;  Conc. 
ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  1111  ;  Brial,  dans  Bouquet,  Recueil  des  hisl.  de  la  France, 
t.  XV,  p.  750-7o3;  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  ii,  1,  p.  121-127;  Jaffé,  Regesta 
pontif.  rom..  2^  édit.,  t.  ii,  p.  419;  Watterich,  Vilae  pontif.  roman.,  t.  ii,  p.  477  sq.  ; 
Vincent.  Prag.,  dans  Monum.  Germ.  liisl.,  Script.,  t.  xvii,  p.  678  sq.  ;  Reuter, 
op.  cit.,  t.  III,  p.  507  sq. ;  Giesebrecht,  op.  cit.,  1880,  t.  v,  p.  244  sq.;  Giesebrecht- 
Simpson,  op.  cit.,  1895,  t.  vi,  p.  392  sq.;  HAuck,  Kirchengeschichte  Deutscldands 
t.  IV,  p.  237  sq.  ;  P.  Fournier,  Le  royaume  d'Arles  et  de  Vienne,  in-8,  Paris,  1891, 
p.  27.  La  plupart  des  prélats  qui  se  rendirent  à  l'assemblée  étaient  allemands; 
plusieurs  appartenaient  à  cette  partie  de  l'ancienne    Gaule  qui    avait    formé 


622.     CONCILIABULE     DE     PAVIE     EN      1160.  933 

évêques  venus  pour  la  plupart  de  rAllemagne  ou  de  la  Lom- 
hardie,  tandis  que  des  documents  falsifiés  élèvent  ce  nombre  à 
cent  cinquante  ^  On  re<];arda  le  conciliabule  comme  œcuménique; 

le  royaume  d'Arles  et  qui  était  dépendante  de  l'empire;    quelques-uns  étaient 
italiens.  Tous  tenaient  de  lui  des  lîefs  et  des  pouvoirs  territoriaux  qu'ils  ne  vou- 
laient pas  s'exposer  à  perdre.  Les  évêques  allemands  surtout  avaient  des  posses- 
sions   qui    ressemblaient    à   des    Etats,  et  ils  étaient  obligés  de  fournir  des  con- 
tingents  considérables   aux  armées  de  l'empereur,  lorsque   celui-ci  entrait  en 
campagne.  La    plupart    même  étaient  des  prélats  militaires  tirés  des  grandes 
familles  d'Allemagne  et  prenaient  part  à  la  guerre  comme  des  princes  séculiers. 
Le  concile  de  Pavie  vit  arriA'er,  pour  reconnaître  le  pape  qui  convenait  aux  vues 
de   l'empereur,  l'archevêque   de   Mayence   avec   quatorze    de    ses    suffragants, 
troupeau  docile  sur  lequel  on  pouvait  compter  autant  que  sur    les    sufîragant3 
qui  suivaient  les  archevêques  de  Cologne,  de  Trêves,  de  Brème,  de  Magdebourg. 
Les  archevêques  d'Arles,  de  Lyon  et  de  Vienne  y  parurent  également  et  l'arche- 
vêque de  Besançon  s'y  fit  représenter  par  un  légat.  De  l'Italie  méridionale  il 
n'y  eut  aucun  évèque;  de    lltalie    orientale,   le  patriarche  d'Aquilée,  qui  confi- 
nait à  l'Allemagne,  s'y  rendit  avec  ses  suffragants.  Les    évêques    de  Bergame, 
de  Ravenne.  de  Mantoue,  de  Fermo,  de  Faënza,  dont  les  sièges  étaient  situés 
pour  la  plupart  sur  les  anciens  domaines  de  la  comtesse  Mathilde  que  Frédéric 
tenait  occupés  féodalement,  firent  seuls  partie  de  cette  assemblée.   Rien  n'avait 
pu  décider  Eberhard  de  Salzbourg  à  venir  siéger  dans  ce  conciliabule  ;  mais  il 
se  tenait  au  courant  de  ce  qu'on  y  faisait.  Eberhard  de  Bamberg  le  renseignait; 
sa  lettre  est  un  morceau  intéressant  et  qui  vaut  la  peine   d'être   conservé  :  «  Le 
parti  du  seigneur  Victor,  écrivait  l'évêque  de  Bamberg,  a  prévalu  par  plusieurs 
raisons  :   parce    qu'une    conjuration    contre    l'empire    avait    précédé    l'élection, 
parce  que  Victor    avait    été  revêtu  du  manteau  pontifical  avant  Alexandre; 
parce  que  le  parti  d'Alexandre^  engagé  par  serment  avec  le  Sicilien,  les  Milanais, 
les  lirescians,  les  Plaisantins,  s'était  uni  aux  ennemis    de    l'empire,  déliant  les 
sujets  des  obligations  de  la  fidélité,  leur  défendant   de  servir  l'empereur  et  pré- 
parant les  voies  à  l'indépendance,  ainsi  que  l'ont  montré  clairement  les  lettres 
et  les  écrits  adressés  de  tous  les  côtés  aux  villes  et  aux  évêques.  Nous  aurions 
eu  à  craindre,  comme  issue  funeste  à  ces  maux,  une  perpétuelle  discorde  entre 
l'empire  et  le  sacerdoce,  et  leur  séparation.  Nous  avons  donc  reconnu    le    sei- 
gneur Victor  dans  l'espérance  de  la  paix  et  pour  la  concorde  entre  le  sacerdoce, 
et  l'empire.  »  Ces  raisons,   tirées  de  l'inimitié  du  pape  canonique  à  l'égard  de 
l'empereur   et  de  la  soumission  que  le  pape  intrus  accorderait  à  Frédéric,  étaient 
également  données  à  l'évêque  de  Salzbourg  par  un  religieux  présent    à    Pavie. 
«  On  a  lu,  disait-il,  plusieurs  lettres  en  forme  de  bulles  d'Alexandre  et  des  cardi- 
naux qui  sont  avec  lui,  envoyées  aux  évêques  et  aux  cités    de    la  Lombardie. 
De  la  teneur  de  ces  lettres  qu'ont  interceptées  les  serviteurs  fidèles  du  seigneur 
empereur,  résultent  manifestement  les  machinations  et  les  efforts  tentés  contre 
l'empire.  Si  on  avait  tardé,  un  grand  danger  menaçait  l'Église  non  moins  que 
l'empire.  »  Epistola  cujiisdani  religiosi  viri  ad    episcopum    Salzhurgensem,  dans 
Muratori,  Script,  rer.  Italicarum,  t.  vi,  p.  852.  (IL  L.) 
1.   Reuter,  op.  cil.,  p.  120,  507  sq.,  511  s(|. 


934  LIVRE     XXXIV 

il  lui  manquait  cependant,  pour  être  tel,  plusieurs  conditions* 
Victor  était  présent  avec  ses  cardinaux  ;  tandis  qu'Alexandre  [5841 
se  tint  complètement  à  l'écart.  Son  cardinal  Guillaume  de  Saint- 
Pierre-ès-Liens,  qu'il  (Mivoya  à  l'empereur  tenter  une  dernière  fois 
la  conciliation,  assista,  il  est  vrai,  aux  opérations  du  conciliabule 
de  Pavie,  mais  :'i  litre  privé.  Comme  l'empereur  l'écoutait  volon- 
tiers, il  voulait  du  moins  tenter  d'empêcher  les  évêques  d'en  venir 
aux  dernières  extrémités  ^.  Parmi  les  prélats  allemands  présents 
au  conciliabule,  on  remarque  surtout  Rainald  de  Dassel,  chance- 
lier de  Frédéric  et  archevêque  élu  de  Cologne,  Arnold  de  Mayencc; 
Hartwich  de  Brème,  Wichmann  de  Magdebourg,  Pelegrin 
d'Aquilée,  Eberhard  de  Bamberg,  etc.  Par  contre,  Eberhard  de 
Salzbourg^,  Hillin  de  Trêves  et  les  quatre  archevêques  bourguignons 
d'Arles,  de  Vienne,  de  Besancon  et  de  Lyon  se  firent  excuser  ou 
représenter.  Les  ambassadeurs  d'Angleterre,  de  France  et  de 
Danemark  assistaient  au  conciliabule.  L'empereur,  s'étant  assis, 
adressa  ce  discours  aux  évêques  :  '(  Je  n'ignore  pas  qu'en  vertu 
de  la  dignité  impériale,  j'ai  le  droit  de  convoquer  les  conciles, 
surtout  à  une  époque  où  l'Eglise  court  de  si  grands  dangers 
(comme  ont  fait  Constantin,  Théodose,  .Justinien,  et  plus  tard 
Charlemagne  et  Otton),  cependant  je  laisse  à  votre  prudence 
et  à  votre  puissance  le  soin  de  décider  cette  difficile  question, 
car  Dieu  vous  a  établis  prêtres  et  vous  a  donné  le  pouvoir 
judiciaire,  même  sur  nous.  Puis  donc  qu'il  ne  nous  appartient 
pas  de  vous  juger  dans  les  choses  qui  relèvent  de  Dieu,  nous 
vous  engageons  à  vous  conduire  dans  cette  affaire  en  ne  per- 
dant jamais  de  vue  la  responsabilité  qui   vous   incombe    devant 


t.  Les  cardinaux  d'Alexandre  approuvèienl  sa  présence.  Cf.  Theiner,  Disquis. 
crilic,  p.  214. 

2.  Eberhard  de  Salzbourg  maintint  dans  le  parti  d'Alexandre  les  évêques 
Hartmann  de  Brixen,  Romain  de  Gorze,  Otcar,  marquis  de  Styrie^  les  évêques 
d'Aquilôe,  de  Venise,  de  Hongrie.  On  trouve  sa  correspondance  dans  Tengnagel. 
Vêlera  monumenta  contra  schismaticos,  Ingolstadii,  1612;  celle  d'Alexandre 
à  lui  adressée,  Jafîé-Wattembach,  op.  cil.,  n.  10592,  10628,  10630,  10645,  10702, 
10758,  10869,  11011;  P.  L.,  t.  ce,  col.  101;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi, 
col.  1036;  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xi,  p.  77  sq.,  97  sq.;  Ragewin,  Gesta 
Friderici,  IV,  lxxiii,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xx,  p.  488  sq.; 
Schmidt,  Die  Stelluug  der  Erzbischoje...,  dans  Arcliiv  fiir  ôsterreich.  Gesch., 
t.  xxxiv.  p.  1  sq.;  Bôhmer,  dans  Neues  Arcfm',  t.  xxi,  p.  661  sq.;  A.  Hauck, 
Kirchengeschichle  Deutschlands,  t.  iv,  p.  245  sq.   (H.  L.) 


622,     CONCILIABULE     DE     PAVIE     EN     1160,  935 

Dieu,  ))  Après  quoi,  il  quitta  l'assemblée,  aiïectant  ainsi  de  la 
laisser  complètement  libre  ^.  En  réalité,  le  conciliabule  avait  sa 
ligne  de  conduite  indiquée  d'avance.  Les  actes,  rédigés  en  contra- 
diction flagrante  avec  la  vérité  par  les  victoriens,  mentionnent 
l'unanimité  de  tous  les  membres  de  l'assemblée  :  ce  qui  se  trouve 
contredit  par  un  autre  passage  de  ces  mêmes  actes,  disant 
que  les  débats  durèrent  sept  jours;  en  outre,  beaucoup  de 
contemporains,  la  plupart  témoins  oculaires  et  partisans  de 
Victor,  marquent  assez  clairement  qu'on  ne  vit  jamais  cette 
unanimité.  On  peut  citer,  par  exemple  :  Vincent,  chanoine  de 
Prague,  qui  avait  accompagné  en  Italie  son  évêque  Daniel, 
[585]  victorien  déclaré  et  confident  de  l'empereur  2;  l'évêque  de 
Bamberg,  qui,  dans  sa  lettre  à  l'archevêque  de  Salzbourg, 
raconte  d'une  manière  favorable  à  Victor  ce  qui  s'était 
passé  à  Pavie^;  le  prévôt  Henri  de  Berchtesgaden  qui  écrivit 
également  à  l'archevêque  de  Salzbourg  *,  et  l'abbé  Fas brade 
de  Clairvaux,  dévoué  au  parti  d'Alexandre  ^.  Le  récit  de  ces 
historiens,  d'accord  sur  ce  point,  prouve  que  la  lutte  fut  vive 
à  Pavie,  et  que  les  évêques  présents  ne  prirent  pas  tous  parti 
pour  l'antipape  et  ne  furent  pas  les  très  humbles  serviteurs 
de  l'empereur.  Quelques-uns  se  déclarèrent  même  ouverte- 
ment pour  Alexandre,  tandis  que  d'autres  prenaient  une  position 
intermédiaire.  Ces  derniers,  auxquels  se  joignit  le  cardinal 
Guillaume  (du  parti  d'Alexandre),  cherchaient  à  obtenir  quel- 
ques concessions  ^  et  demandaient  que  l'on  remît  la  décision 
de  cette  affaire  à  un  concile  œcuménique,  la  présente  assemblée 
ne  pouvant  prétendre  représenter  la  chrétienté.  En  outre,  ou 
ne  connaissait  pas  assez  bien   le    véritable  état  de  choses;  enfin 


1.  Ragewin,  Gesta  Friderici,  1.  II,  c.  lxiv,  dans  Monum.  Germ.hisl.,  ScripL, 
t,  XX,  p,  479  sq.  ;  Reuter,  op.  cit.,  p,  111,  507. 

2.  Vincent  de  Prague,  Chronicon  Bohemiœ,  dans  Monum.  Germ.  IiisL,  Scripl., 
i.  XVII,  p.  678  sq.;  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p,  470;  Tourtual,  Bôhmens  AtUheil 
an  den  Kàmpfen  Kaiser  Friedrichs  I  in  Italien,  Gottingen,  1865,  p.  220   sq. 

3.  Eberhard  de  Bamberg,  Epiât,  ad  Eberhardum  Salzb.  episc,  dans  Watterich, 
op.  cit.,  t.  II,  p,  454  sq.  (H.  L.) 

4.  Ragewin,  Gesta  Friderici,  II,  lxxii,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script., 
t.   XX,  p.  489.   (H.  L.) 

5.  Fastrade,  Epint.  ad  Omniboiium  episc.  Feronense/n,  dans  Watterich,  op.  cit., 
l    II,  p.   511   sq.    (II.   L.) 

6.  Mansi,  Conc.  anipliss.  coll.,  l.   xxi.  col.  1156. 


936  LIVRE     XXXIV 

il  n'était  pas  permis  de  jiioer  un  absent  ^,  La  plupart  des 
évêques  lombards  partaaèrent  ce  sentiment,  qui  parut  d'abord 
rallier  la  majorité.  Mais  les  prélats  allemands,  en  particulier 
Rainald  de  Dassel,  le  principal  fauteur  du  schisme,  s'opposè- 
rent à  cette  proposition  :  ils  dirent  que  le  voyage  à  travers 
les  Alpes  était  très  pénible  et  très  coûteux,  et  déclarèrent 
qu'Alexandre,  ayant  méprisé  la  citation  de  se  rendre  à  Pavie, 
ue  pouvait  s'en  prendre  qu'à  lui-même  si  on  le  méprisait  à  son 
tour.  Les  partisans  de  Victor  l'emportèrent  après  une  longue 
lutte,  grâce  surtout  à  une  fourberie  insigne  ;  on  produisit,  en 
effet,  d(ï  prétendues  lettres  d'Alexandre,  afin  de  prouver  que  ce 
dernier  avait  conclu  avec  les  Lombards  et  le  roi  de  Sicile  une 
ligue  contre  l'empereur.  Cette  ruse  découragea  les  mieux  inten- 
tionnés ^;  ils  renoncèrent  à  la  résistance  et  gardèrent  le  silence,  [580 
ou  bien  leurs  voix  furent  couvertes  par  les  cris,  ce  qui  fut  le  cas 
en  particulier  pour  le  cardinal  Guillaume  ^.  Beaucoup  se  laissè- 
rent aussi  gagner  par  les  promesses  ou  les  menaces,  dont  on  fit 
grand  usage  ;  enfin  l'empereur  ne  rougit  pas  d'appeler  en  parti- 
culier auprès  de  lui  plusieurs  membres  de  l'assemblée,  afin  de 
les  gagner  à  son  jirotégé.  Aussi  divers  membres  du  conciliabiile 
prirent-ils  la    fuite   pour  échapper  à  une  telle  pression  *. 

Toute  résistance  étant  ainsi  brisée,  on  prononça,  le  lende- 
main du  mercredi  des  Cendres  (11  février  1160),  «  sous  l'in- 
fluence de  ce  terrorisme  de  plus  en  plus  violent  ^)\  la  sentence  dé- 
finitive, insérée  dans  les  actes  du  conciliabule,  Aclio  concilii. 
Elle  était  ainsi  conçue  :  «  Octavien  seul  a  été  solennellement  re- 

1.  D'après  les  règles  du  droit  canonique,  il  aurait  dû  être  convoqué  par  trois 
l'ois.  Les  Acia  concilii  ne  parlent  que  d'une  seule  convocation  faite  par  les  am 
bassadeurs  impériaux  avant  le  conciliabule.  Watterich,  op.  cit.,  t.   ii,   p.   481. 
Tous  les  autres  récits  impartiaux  et  même  ceux  faits  par  des  partisans  de  Victor 
se  taisent  sur   cotte   convocation. 

2.  Gerhoh  de  Reichersberg.  très  bien  disposé  pour  Alexandre,  fut  fortement 
impressionné  par  ces  lettres,  ainsi  qu'on  le  voit  par  ses  propres,  paroles,  dans 
Tengnagel,  Vetera  nionuni.,  p.  422,  et  Archii>  fiir  Kunde  ôsi.  Geschiclitsquellen , 
t.  XX,  p.  152;  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  507  sq.  Le  prévôt  Henri  de  Berch- 
tesgaden  parle  aussi  de  ces  lettres  dans  le  récit  qu'il  adressa  à  l'archevêque  de 
Salzbourg.   Ragewin,  op.  cit.,  l.  II,  c.  lxxii. 

3.  Reuter,  op.  cit.,  p.  118. 

4.  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  385.  Sur  tous  ces  faits,  cf.  Reuter,  op.  cit., 
p.  118,  note  5;  p.  llî>.  note  1. 

5.  Reuter,  op.  cit.,  p.  1 19. 


622.     CONCILIABULE     DK     PAVIE     EN     11  GO.  937 

vêtu  du  manteau  pontifical  par  les  cardinaux,  à  Rome,  dans  Saint- 
Pierre,  sur  la  prière  et  avec  l'assentiment  du  peuple  etàla  demande 
du  cleroc.  Il  a  été  ensuite  intronisé  sur  le  sièiïe  de  Pierre,  en 
présence  du  chancelier  (Roland),  qui  n'a  fait  aucune  opposition; 
les  cardinaux  et  le  clergé  romain  ont  chanté  le  Te  Deum.  On  lui 
a  imposé  le  nom  de  Victor.  Lorsque,  d'après  la  coutume  romaine, 
le  scriniariiis  s'écria  :  «  Le  cardinal  Octavien  a  été  nommé  pape 
et  revêtu  du  manteau,  »  etc.,  le  clergé  et  le  peuple  crièrent  par 
trois  fois  :  Placet,  et  Victor  fut  solennellement  conduit  au 
palais  des  papes.  Aussitôt  après,  le  chapitre  de  Saint-Pierre, 
beaucoup  de  clercs  et  de  laïcs  lui  donnèrent  le  témoignage  de 
respect  habituel  du  baisement  des  pieds  ^.  Le  lendemain,  les  princi- 
paux membres  du  clergé  romain  se  rendirent  auprès  de  Roland  et  de 
ses  cardinaux  (dans  leur  prison),  pour  vérifier  si  Alexandre  était 
revêtu  du  manteau.  Ils  constatèrent  qu'il  n'avait  ni  manteau 
ni  aucun  insigne  de  la  papauté,  et  ses  cardinaux  avouèrent 
qu'il  n'avait  jamais  été  (complètement)  revêtu  du  manteau. 
Ces  mêmes  chefs  du  clergé  romain  se  rendirent  alors  auprès  de 
Victor  et  lui  firent  l'obédience  avec  les  marques  de  respect  ac- 
coutumées. Tous  ces  faits  ont  été  attestés  par  Pierre  Christia- 
nus,  doyen  de  Saint-Pierre,  et  tous  ses  confrères;  par  deux 
membres  distingués  du  clergé  romain,  les  prêtres  Blasius  et 
Manerius  ;  par  sept  archiprêtres  de  Rome  et  quatre  diacres 
ou  sous-diacres.  Bien  d'autres  encore  avaient  prêté  serment 
entre  les  mains  de  Victor,  tels  le  prieur  de  Latran  et  ses 
chanoines,  les  clercs  de  l'église  patriarcale  de  Sainte-Marie- 
Majeure,  l'abbé  de  Saint-Paul,  etc.,  et  tant  d'autres  églises 
et  monastères.  Après  l'élévation  du  pape  Victor,  les  chanoi- 
nes de  Saint-Pierre  envoyèrent  certains  des  leurs  voir  si  le 
chancelier  Roland  était  revêtu  du  manteau,  comme  on  le  pré- 
tendait. Ils  le  trouvèrent  sans  manteau  et  sans  aucun  autre 
insigne  pontifical.  Le  lendemain,  ils  revinrent  et  purent  con- 
stater qu'à  table  il  n'avait  pas  au  milieu  des  cardinaux  une 
place  plus  élevée,  qu'il  ne  donnait  pas  la  bénédiction,  etc.  ;  en 
tout  cela  rien  n'était  changé.  Les  chanoines  de  Saint-Pierre 
continuèrent  pendant  neuf  jours  cette  enquête.  »  Le  décret 
cite  ensuite   toute  une  série  de  dépositions,  tendant    à   prouver  : 


1.  Le  chapitre  de  Saint-Pierre  avait  adresse   une  lettre    au   synode  pour  té- 
ntoigner  en  laveur  de  Victor  et  contre  Alexandre. 


938  LIVRE     XXXIV 

1°  que  Roland  lul-mrme  avait  déclaré  n'avoir  jamais  été  revêtu 
du  manteau;  quo,  de  son  propre  aven,  co  n'était  pas  lui, 
mais  Victor,  qui  était  le  véritable  pape,  auquel  on  devait 
obéir;  2°  que  Roland  n'avait  été  revêtu  du  manteau  que  douze 
jours  plus  tard,  à  Cisterna;  3°  que  déjà  le  pape  Hadrien  avait 
excité  les  Milanais  contre  l'empereur  et  haïssait  Octavien; 
4°  que  le  cardinal-évêque  de  Sabine  aurait  volontiers  passé  du 
côté  de  Victor,  s'il  n'avait  été  attaché  par  un  serment  à  la  cause 
de  Roland. 

On  poussa  le  jeu  jusqu'à  demander  à  l'empereur  de  consentir 
à  reconnaître  le  pape  Victor;  il  se  rendit  à  cette  invitation  avec 
une  grande  humilité  apparente,  disant  que,  comme  laïc,  il 
n'avait  qu'à  s'incliner  devant  le  jugement  des  clercs.  Après  lui, 
tous  les  })rinces  présents  et  tout  le  peuple  répondirent,  par 
un  tri|)le  Placef,  à  la  triple  demande  s'ils  reconnaissaient 
Victor,  Le  vendredi  12  février,  Victor,  qui  jusqu'alors  était 
resté  hors  de  la  ville,  à  San  Salvatore,  fut  solennellement 
conduit  à  la  cathédrale.  I/empereur  le  reçut  à  la  porte  de 
l'église,  lui  tint  l'étrier  (il  était  de  meilleure  composition 
qu'à  Sutri),  l'accompagna  jusqu'à  l'autel  et  lui  baisa  les 
pieds.  Tous  les  membres  du  conciliabule  en  firent  autant. 
Le  samedi  13  février,  on  tint  encore  une  session  où  l'on  pro- 
nonça solennellement  l'anathème  contre  Roland  et  ses  princi- 
paux partisans. 

Le  conciliabule  expose  tous  ces  faits  dans  l'encyclique,  revê- 
tue de  nombreuses  signatures,  qu'il  adressa  à  tous  les  rois,  évê-  [ooo] 
ques,  abbés,  princes,  comtes,  etc.,  delà  chrétienté.  On  y  lit  :«  Après 
une  discussion  qui  dura  sept  jours  et  fut  conduite  canoniquement 
à  l'exclusion  de  tout  jugement  des  laïcs  {remoto  omni  sœculari 
judicio),  après  étude  attentive  de  la  situation,  il  fut  prouvé  com- 
pendieusement  et  canoniquement,  par  devant  le  synode  entier  et 
par  des  témoins  dignes  de  foi  :  que  le  seigneur  pape  Victor,  et 
nul  autre,  avait  été  élu  et  solennellement  revêtu  du  manteau 
pontifical,  dans  la  basiliqvie  de  Saint-Pierre,  par  les  membres  les 
plus  sages  du  Sacré-Collège,  et  intronisé  sur  le  siège  de  saint 
Pierre,  en  présence  et  sans  protestation  du  chancelier  Roland, 
On  prouva  la  présence  à  Rome  de  vingt-deux  cardinaux; 
sur  vingt  cardinaux,  déduction  faite  de  Roland  et  d'Octavien, 
les  neuf  plus  prudents,  ceux  cjui  n'étaient  engagés  dans  aucune 
cabale  et  qui  avaient  les  premiers  votes,  élurent  le  seigneur  Victor 


622.     CONCILIABULE     DE     PAVIE     EN     1160.  939 

avec  le  chapitre  de  Saint-Pierre,  etc.  Le  peuple  et  le  clergé  crièrent  : 
Placet.  Il  est  également  prouvé  que,  douze  jours  après  l'élection  de 
\'ictor,  Roland  quitta  la  ville  et  fut  revêtu  du  manteaii  à  Cisterna, 
localité  qui  ne  convenait  guère  pour  cette  cérémonie.  Il  est  prouvé 
de  plus  que,  le  deuxième  jour  après  la  promotion  de  Victor,  Roland 
déclara  qu'il  fallait  obéir  à  Victor,  car  lui-même  n'avait  jamais 
été  revêtu  du  manteau.  Tous  ces  faits  sont  attestés  sous  la  foi  du 
serment  par  Pierre  Christianus,  doyen  de  Saint-Pierre,  etc.  Pierre, 
préfet  de  la  ville,  Etienne  de  Tebaldo,  Etienne  Normannus,  Gui- 
mund  Leoni  et  d'autres  princes  et  nobles  romains,  convoqués  par 
l'empereur,  témoignèrent  à  l'envi  de  tous  ces  points  et  voulu- 
rent les  confirmer  par  serment  ;  mais  le  conciliabule  se  con- 
tenta de  la  déclaration  des  clercs.  Les  évêques  Ilermann 
de  Verden  et  Daniel,  le  comte  du  Palatinat.  Otton,  et  le 
prévôt  Herbert,  chargés  par  l'empereur  de  citer  à  Pavie  les 
deux  parties  (Roland  et  Octavien),  firent  cette  déclaration  :  Ils 
avaient  à  trois  reprises  invité  préremptoirement  et  solennel- 
lement le  chancelier  Roland  et  ses  partisans  à  se  rendre  à 
Pa^■ie  (remoio  omni  sœculari  judicio),  mais  ceux-ci  avaient  refusé 
de  se  soumettre  à  un  jvigement  et  à  une  enquête  d'Église. 
On  prouva  plus  tard  que  les  ambassadeurs  impériaux  avaient 
promis  un  sauf-conduit  à  Roland  et  aux  siens.  Le  pape  Victor 
livra  des  citadelles  et  des  châteaux,  des  frères  et  des  neveux, 
comme  garants  de  son  vif  désir  de  se  présenter  devant  le  tribunal 
de  l'Eglise.  Roland,  au  contraire,  après  avoir  d'abord  instam- 
ment réclamé  ce  tribunal,  refusa  ensuite,  par  orgueil,  de  s'y  sou- 
mettre. Au  reste,  la  conjuration  ourdie  par  Roland  et 
ses  partisans  avec  les  Milanais  et  le  roi  de  Sicile  est  attestée  par 
[589]  les  conjurés  eux-mêmes,  par  des  lettres  de  Roland  aux  Milanais 
et  d'autres  preuves  irrécusables.  Il  y  était  stipulé  qu'une  partie  ne 
pouvait  faire  sa  paix  avec  Frédéric  sans  l'agrément  de  l'autre,  et 
qu'on  donnerait  pour  successeur  à  Hadrien  un  des  cardinaux 
conjurés.  Roland  avait  menti  indignement  en  écrivant,  après 
avoir  invoqué  le  nom  de  Dieu,  que  seuls  les  deux  cardinaux 
Jean  et  Gui  avaient  élu  Octavien.  Outre  ces  deux  cardinaux, 
il  y  avait  aussi  au  synode  le  cardinal  Y.  (Ymar)  de  Venus- 
cium  (faute  de  copiste,  pour  Tusculum),  qui  élut  également  Vic- 
tor et  le  sacra.  Etant  le  premier  et  le  plus  ancien  des 
cardinaux,  il  avait  le  premier  vote  dans  l'élection.  Était  encore 
présent   le    cardinal    Guillaume   de    Saint-Pierre-ès-Liens,    qui      a 


940  LIVRE     XX.XIV 

laissé  dire  sans  protester  qu'il  avait  voté  poui*  Victor  ^.  Le  cardinal 
C.  (Cinthius)  de  Saint-Hadrien  ne  put  se  rendre  à  la  réunion  pour 
cause  de  santé,  mais  fit  déclarer  qu'il  portait  son  choix  sur  Victor  et 
ne  voulait  pas  d'autre  pape.  De  même,  maître  R,  (Raymond),  cardi- 
nal de  Santa  Maria  in  via  Lata,  a,  nous  en  sommes  sûrs,  élu  Victor  : 
ce  qui  lui  a  valu  d'être  fait  prisonnier  et  maltraité  par  les 
partisans  de  Roland,  lorsqu'il  se  rendait  au  concile.  G.  (Grégoire), 
cardinal-évêque  de  Sabine,  le  cardinal  Ar.  et  plusieurs  autres  ont 
d'abord  obéi  à  Victor,  mais,  s'étant  laissé  acheter,  l'ont  aban- 
donné. Pour  connaître  les  anciennes  traditions  sur  ce  point,  nous 
avons  fait  lire  en  plein  concile  le  livre  De  vita  et  ordinatione  des 
papes.  On  y  voit  qu'il  faut  toujours  donner  la  préférence  au  pre- 
mier élu  des  cardinaux  intronisé  sur  le  siège  de  saint  Pierre 
suivant  le  vœu  du  peuple  et  l'assentiment  dw  clergé.  On  y  rap- 
porte que  le  conflit  entre  Innocent  II  et  Anaclet  II  fut  terminé 
grâce  à  l'application  de  cette  règle.  Par  conséquent,  le  vénérable 
concile  a  ratifié  l'élection  de  Victor,  qui,  pareil  à  un  doux  et  inno- 
cent agneau,  s'est  soumis  au  jugement  de  l'Eglise,  et  il  a  cassé 
l'élection  de  Roland.  Cela  fait,  l'empereur,  sur  la  demande 
du  synode,  a  reconnu  et  confirmé  à  son.  tour,  mais  seule- 
ment après  tous  les  évêques  et  tous  les  clercs,  l'élection  de  Victor; 
alors  les  princes  et  le  peuple  ont  joyeusement  crié:  Placet.  y^hes 
évêques  racontent  ensuite  ce  qui  s'est  passé  les  deux  jours  suivants,  [5901 
12  et  13  février,  et  terminent  en  demandant  à  tous  les  chrétiens 
d'obéir  aux  décisions  prises  à  Pavie.  Suivent  les  signatures.  Pele- 
grin  d'Aquilée,  Arnold  de  Mayence,  Rainald  de  Cologne,  Wich- 
mann  de  Magdebourg  et  Hartwig  de  Brème  écrivirent  :  «  Nous 
étions  présents  et  nous  avons  approuvé,  nous  et  tous  nos  suffra- 
gants.  «  De  Hillin  de  Trêves,  d'Eberhard  de  Salzbourg,  de  l'arche- 
vêque d'Arles  et  d'autres  il  est  dit  :  «  Tous  ont  approuvé  par 
l'intermédiaire  de  légats  et  par  lettres.  »  En  outre  :  «  Le  roi  de 
Hongrie,  le  roi  de  Danemark,  le  roi  de  Bohême,  ont  donné  leur 
approbation  par  l'intermédiaire  de  légats  e1  par  lettres  ;  il  en  a 
été  de  même  de  l'archevêque  et  du  duc  de  Pologne.  »  Viennent 
ensuite  beaucoup  de  noms  d'évêques  qui  tous  auraient  été  pré- 


1.  Les  victoriens  sont  dans  l'erreur  en  comptant  au  nombre  des  leurs  le  car- 
dinal Guillaume.  Cf.  Watterith,  op.  cit.,  t.  11,  p.  502;  il  ne  montra  pas  un  grand 
courage,  ce  qui  indisposa  contre  lui  Jean  de  Salisbury  cl  d'autres.  Néanmoins 
Alexandre  ne  lui  retira  pas  sa  confiance.  Reuter,  op.  cit.,  p.  9  sq.,  50. 


622.     COA'CILIABULE     DE    PAVIE     EN      IIGÛ.  941 

sents.  et  on  termine  ainsi  :  «  Le  nombre  des  archevêques  et  évêques 
présents  approuvant  atteint  le  chifTre  de  cent  cinquante-trois  ; 
quant  aux  abbés,  archidiacres  et  prévôts  présents  ou  qui  ont 
donné  leur  approbation  par  lettres,  on  ne  saurait  les  compter. 
Enfin,  Welf,  duc  de  Saxe  et  de  Bavière,  les  ducs  de  Ziihringen  et 
de  Souabe,  le  comte  palatin  du  Rhin,  etc.,  étaient  aussi  présents.  » 
Les  contemporains  du  conciliabule  de  Pavie,  en  particulier 
Jean  de  Salisbury,  Arnulf  de  Lisieux  et  Fastrade  de  Clairvaux  ^,  ont 
dit  sans  détour  que  bon  nombre  de  ces  signatures  étaient  fausses. 
Pour  faire  nombre,  on  accepta  les  signatures  de  gens  qui  n'avaient 
pas  été  élus  ou  dont  l'élection  avait  été  cassée,  comme  Rainald 
de  Dassel.  Des  laïcs  se  donnèrent  comme  représentants  attitrés 
des  évêques  :  ainsi  Gui,  comte  de  Biandrate,  écrivit  au 
nom  de  son  fils,  nommé  par  l'empereur  archevêque  de  Ravenne, 
mais  rejeté  par  le  pape  '^.  D'autres  furent  portés  comme  approu- 
vant malgré  leur  silence,  parfois  même  malgré  leur  opposition 
formelle.  Ainsi  on  imputait  à  Eberhard  de  Salzbourg  et  à  Hillin 
de  Trêves  une  adhésion  par  lettres  ou  par  représentant,  ce  qui  est 
entièrement  faux,  la  cause  de  Victor  n'ayani  pas  eu  de  plus  rude,  de 
[591]  plus  zélé  adversaire  que  cet  archevêque  de  Salzbourg  ^.  11  est  égale- 
ment faux  que  le  roi  de  Hongrie  et,  d'après  d'autres  variantes 
de  la  lettre  synodale,  les  rois  d'Angleterre  et  de  France  aient  adhéré 
aux  décisions  de  Pavie.  Ils  s'y  refusèrent  et  déclarèrent  vouloir 
garder  la  neutralité.  Les  victoriens  eux-mêmes  ont  été  les  premiers 
à  démentir  les  assertions  du  synode  *.  L'un  d'eux  raconte  que  le 
patriarche  d'Aquilée  et  plusieurs  autres  évêques  n'avaient  voté 
que  sous  cette  réserve  :  salva  in  posterum  catholicœ  Ecclesise 
censura,  mais  on  ne  tint  aucun  compte  de  cette  restriction  ^. 

1.  Cf.   Reuter,  op.   cit.,  p.   512. 

2.  Jean  de  Salisbury,  Epist.,  lix,  dans  P.  L.,  t.  cxcix,  col.  41.  [\yatterich, 
op.  cit.,  t.  II,  p.  499  sq.  ;  édit;  Giles,  t.  i,  p.  63  sq.  (H.  L.)] 

3.  Cf.  Reuter,  op.  cit.,  p.  512,  513. 

4.  Ragewin,  Gesta  Friderici,  IV,  lx.ki-lxxii,  dans  Moiiuin.  Gerin.  Iiist., 
Script.,  t.   XX,   p.   488-489. 

5.  Cf.  Reuter,  op.  cit.,  p.  119,  513,  514.  En  dernier  lieu,  Reuter  dit  que  les 
actes  du  conciliabule,  c'est-à-dire  VActio  et  la  lettre  synodale,  étaient  en  contra- 
diction entre  eux,  car  VActio  indiquait  comme  témoins  le  préfet  de  la  ville  et 
d'autres  laïcs,  tandis  que  la  lettre  synodale  disait  «  qu'on  s'était  borné  à  avoir 
des  clercs.»  Il  est  vrai  que  cette  proposition  se  trouve  dans  la  lettre  synodale, 
mais  elle  est  placée  dans  le  contexte  suivant  :  «  Ces  laïcs  rendirent  aussi 
témoignage  et  voulurent  corroborer  par  serment  leur  déposition;  mais  le  synode 


942  LIVRE    XXXIV 

Sudendorf  a  retrouvé  un  document  relatif  au  conciliabule  de 
Pavie^;c'est  un  mémoire  composé  par  ordre  de  l'empereuret  du 
conciliabule,  pour  démontrer  la  légitimité  de  l'élection  de  Victor 
et  la  nullité  de  celle  d'Alexandre. 

Le  bruit  courut  que  Victor  avait  été  investi  par  l'empereur  des 
insignes  du  pontificat,  de  même  qu'autrefois  les  évêques  étaient 
investis  par  l'anneau  et  la  crosse  ^.  Sans  prendre  ce  racontar 
au  pied  de  la  lettre,  il  demeure  vrai  que  Victor,  la  créature  de 
l'empereur,  ne  pouvait  représenter  la  papauté,  institution 
indépendante  et  divine. 

Dès  le  15  février  1160,  l'empereur  écrivit  à  Eberhard,  arche- 
vêque de  Salzbourg,  et  à  ses  sufïragants,  pour  les  mettre  en  garde 
contre  ce  qu'il  appelle  les  faux  bruits  des  alexandrins  et  leur  extor- 
quer des  lettres  d'adhésion  à  Victor  ^.  L'évêque  de  Bamberg  et 
Henri,  prévôt  de  Berchtesgaden,  écrivirent  également  à  l'arche-  [592] 
vêque  de  Salzbourg,  car  le  parti  impérial  voulait  à  tout  prix 
gagner  cet  homme  vénérable  et  si  important.  Des  lettres  analogues 
furent  aussi  écrites  par  l'empereur  et  son  parti  à  Hillin  de 
Trêves,  qui,  avec  Eberhard  de  Salzbourg,  était  le  seul  métropo- 
litain allemand  qui  n'eût  pas  encore  adhéré  à  l'élection  de  Victor  *. 
Pour  gagner  les  autres  rois  et  princes  d'Europe  au  parti  de  Victor, 
l'empereur  leur  adressa  des  lettres  et  des  envoyés  :  Rainald  de 
Dassel  en  France,  l'évêque  de  Mantoue  en  Angleterre,  l'évêque  de 
Verden  en  Espagne,  l'évêque  de  Prague  en  Bohême  et  en  Hongrie, 
etc.  Ils  n'obtinrent  que  des  réponses  évasives,  parfois  même  des  fins 


se  contenta  des  dépositions  des  clercs,  également  faites  sous  la  foi  du  ser- 
ment. »  Jean  de  Salisbury,  Epist.,  lix,  dit  que  les  laïcs  auraient  craint  de 
compromettre  leur  réputation  en  affirmant  publiquement,  et  sous  la  foi  du 
serment,  des  choses  évidemment  fausses.  Avec  cette  explication,  la  prétendue 
contradiction  n'existe  plus  ;  mais  il  est  difficile  de  n'en  pas  relever  une 
dans  la  lettre  de  l'empereur  à  Eberhard,  archevêque  de  Salzbourji,  où  il  dit 
qu'à  Pavie  on  avait  agi  semota  omni  laicali  persona. 

1.  Reglstrum,  t.  i,  p.  62  sq. 

2.  Alexandre  III  en  parle.  Cf.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,    col.  1126 
Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  492. 

3.  Epist.  imperat.  ad  Eberhardum  Salzburg.  archiep.,  dans  Watterich,  op.  cit., 
t.  II,  p.  481  sq.  (H.  L.) 

4.  Ragewin,  Gesta  Friderici,  IV,  lxix,  lxxi,  lxxii,  dans  Monum.  Germ.  hist., 
Script.,  t.  XX,  p.  485-489;  Baronius,  Annales,  ad  ann.  1160,  n.  23,  24;  Hardouin 
Conc.  coll.,  t.  VI,  part,  2,  col.  1569;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  1115, 
1120,  1142. 


G22.     CONCILIABULE    DE    PAVIE     EN     1160.  943 

de  non-recevoir  ^;  et  plus  on  alla,  plus  la  majorité  des  fidèles 
fut  convaincue  qu'Alexandre  était  le  véritable  pape.  Même  dans 
la  Haute- Italie  où  se  trouvait  l'empereur,  les  évêques  passèrent 
de  plus  en  plus  au  parti  d'Alexandre  et  partagèrent  avec  lui  les 
honneurs  de  la  persécution.  La  gloire  du  martyre  vint  bientôt 
illustrer  la  cause  du  droit;  en  même  temps  on  s'appliqua  à 
mettre  en  relief  le  caractère  inique  et  illégal  des  décisions  de 
Pavie  ■^.  En  vain  l'empereur  déclarait  avoir  pour  lui  un  grand 
nombre  d'États  chrétiens^;  en  réalité,  le  parti  de  Victor  ne 
comptait  que  l'Allemagne,  la  Bohême,  le  Danemark  et  la 
partie  impériale  de  la  Bourgogne;  bien  plus,  même  en  Alle- 
magne, de  nombreux  prélats  n'étaient  soumis  qu'extérieure- 
ment au  favori  de  l'empereur,  tandis  que  des  milliers  de  gens  du 
peuple  et  du  clergé  se  déclaraient  plus  ou  moins  ouvertement  pour 
Alexandre.  A  leur  tête  se  trouvait  le  célèbre  Eberhard,  arche- 
vêque de  Salzbourg  *;  non  content  d'empêcher  dans  sa  pro- 
vince ecclésiastique  la  publication  des  décrets  de  Pavie,  il 
utilisa  ses  relations  pour  soulever  de  plus  en  plus  l'opinion  en 
Italie,  en  France  et  en  Hongrie  contre  l'antipape  et  organisa  la 
résistance  en  Allemagne.  Les  tentatives  de  l'empere.ur,  les  lettres 
et  promesses  pour  l'attirer  à  la  cour  restèrent  sans  effet;  les 
[593]  menaces  en  eurent,  s'il  était  possible,  moins  encore  ^.  Les  cister- 
ciens travaillaient  d'accord  avec  l'archevêque  Eberhard.  et 
lorsque  l'empereur  les  eut,  pour  ce  motif,  chassés  de  l'Allemagne  ^, 
ils  n'en  devinrent  que  plus  redoutables  à  l'antipape.  Bientôt 
Alexandre  fut  si  bien  appuyé  par  l'opinion  publique  que, 
le  24  mars  1160,  il  ])rononça  à  Anagni  l'excommunication 
contre   l'empereur,  le  comte  palatin   Otton  et  les  autres  fauteurs 


1.  Ragewin,  Gesta  Friderici,  IV,  lxxii,  lxxiv,  dans  Monum.  Germ.  hisl.. 
Script.,  t.  XX,  p.  488,  489  ;  Vincent  de  Prague,  Annales,  ad  ann.  1160,  dans 
Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xx,  p.  679;  Reuter,  op.  cit.,  p.  125;  Watterich, 
op.  cit.,  t.  II,  p.  470,  472. 

2.  Reuter,  op.  cit.,  p.  125  sq. 

3.  Ibid.,  p.    515,  h. 

4.  Son  éloge  dans  Ragewin,  Gesta  Friderici,  IV,  lxxiii,  dans  Monum.  Germ, 
hist.,  Script.,  t.  xx,  p.  489. 

5.  Eberhard,  sept  lettres  échangées  avec  son  suffragant  Félix  de  Gurk;  Pertz, 
dans  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  ii,  p.  128-131,  les  met  à  tort  en  1160,  il  faut 
lire  1161. 

6.  Helmold,  Chron.  Sla^'.,  dans  Leibnitz,  Script,  rer.  Brunsw.,  t.  ii,  p.  613 


944  LIVRE    XXXIV 

du  schisme,  tout  on  roiionvelant  celle  qui  frappait  déjà 
Octavien  et  ses  parlisaiis.  Les  sujets  étaient  déliés  du  ser- 
ment de  fidélité  ^.  Une  lettre  d'Alexandre  à  Arnulf  de  Lisieux, 
qu'il    nomma    son    légat    pour    l'Angleterre,   montre   qu'à   cette 


1.  Viia  Aleocandri  III,  dans  Watterich,  op.  cil.,  t.  ii,  p.  386.  Lettres  d'Alexan 
die  à  Ebcihard  de  Salzbourg  et  à  Arnulf  de  Lisieux  dans  Watterich,  op.  cit., 
l.  II,  p.  492,  note  2,  et  p.  493,  et  aussi  le  récit  des  partisans  d'Alexandre  dans 
Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  498.  Si  Frédéric  avait  gardé  du  légat  rencontré  jadis 
à  Besançon  un  souvenir  assez  fâcheux  pour  l'engager  par  prévention  personnelle 
dans  une  ligne  politique  aussi  grave  que  celle  qu'il  suivait,  il  put  se  convaincre 
que  le  légat  devenu  pape  était  décidément  un  de  ces  adversaires  avec  lesquels 
il  y  a  plaisir,  sinon  profit,  à  se  mesurer.  Dans  la  bulle  d'excomniunication, 
Alexandre  III  accusait  Frédéric  d'avoir  opprimé,  dès  le  temps  du  pontilicat 
d'Hadrien  IV,  l'Église  romaine  en  véritable  tyran,  tanquam  tyrannus;  d'avoir, 
au  détriment  et  au  d.'shonneur  de  cette  Eglise,  ordonné  d'arrêter  ignominieu- 
sement les  archevêques  et  les  évêques  qui  revenaient  de  leur  visite  au  Siège 
apostolique;  d'avoir  violemment  envahi  le  patrimoine  de  saint  Pierre;  d'avoir 
même  songé,  sous  le  pontificat  d'Hadrien,  comme  l'assurait  la  commune 
renommée,  à  ordonner  pape  Octavien,  qui  avait  toujours  été  un  ennemi  domes- 
tique de  l'Église  romaine,  et,  Dieu  n'ayant  pas  permis  une  si  grande  indignité 
du  vivant  du  pape  Hadrien,  d'avoir  saisi  l'occasion  de  sa  mort  pour  faire 
usurper  le  siège  apostolique  par  le  schismatique,  le  simoniaque  Octavien.  Il 
racontait  alors  comment,  après  sa  propre  et  régulière  élection  par  les  cardinaux, 
Octavien,  avec  seulement  trois  complices  de  son  attentat,  lui  avait  arraché  le 
manteau  pontifical  dont  il  s'était  revêtu,  et,  secondé  par  les  nonces  impériaux 
qui  étaient  dans  Rome,  s'était  procuré  l'approbation  apparente  du  peuple 
romain.  Il  dénonçait  l'empereur,  qui,  s'arrogeant  l'autorité  de  l'Église,  avait 
convoqué,  contrairement  aux  institutions  des  saints  canons,  des  archevêques, 
des  évêques,  des  abbés  à  Pavie,  afin  d'y  faire  recevoir  le  pape  qu'il  avait  tait 
nommer.  «  Du  reste,  disait-il,  l'empereur,  voulant  montrer  qu'il  soumettait  à 
son  pouvoir  l'Église  de  Dieu  et  la  réduisait  en  servitude,  a  remis  à  l'apostat 
Octavien  les  insignes  du  pontificat.  Quelques  évêques,  plus  discrets  et  plus 
honnêtes  que  les  autres,  fuyant  secrètement  ce  conciliabule,  il  les  a  contraints 
par  la  violence  laïque  et  avec  tyrannie  à  se  courber  devant  ses  volontés.  Ainsi 
entendrait-il  subjuguer  les  rois  et  les  princes  avec  le  glaive,  soit  spirituel,  soit 
matériel,  si  prévalait  en  cela,  ce  qu'à  Dieu  ne  plaise  !  sa  criminelle  entreprise.  » 
Afin,  ajoutait-il,  d'éviter  cet  opprobie  et  ce  dangei-,  il  invitait  les  évêques  catho- 
liques et  les  hommes  fervents  dans  la  foi  à  demeurer  attachés  à  l'unité  de  l'Église 
romaine,  leur  mère,  sans  que  les  caresses  et  les  terreurs  pussent  ébranler  leurs 
âmes.  Il  espérait  les  y  aider  en  les  informant  de  la  résolution  qu'il  venait  de 
prendre:  «Ce  Frédéric,  disait-il,  qui  ne  remplit  plus  l'olllce  d'un  empereur, 
mais  d'un  tyran;  le  schismatique  Octavien  et  tous  leurs  principaux  fauteurs, 
nous  les  avons  excommuniés  publiquement,  le  jour  de  la  Cène  du  Seigneur, 
les  cierges  allumés,  au  milieu  des  prêtres,  des  nobles  et  du  peuple,  assembles 
dans  l'église.  »   (H.  L.) 


623.   DiÎTRESsE   d'alkxandue   III  '•945 

époque  le  pape  envoya  des  légats  aux  princes  et  aux  évêques  pour 
le  service  de  sa  cause  ^  Ses  cardinaux  envoyèrent  de  même  à 
tous  les  évcques,  abbés,  etc.,  el  à  tous  les  fidèles,  la  lettre  encycli- 
que publiée  par  Thciner,  que  nous  avons  déjà  plusieurs  fois  uli- 
lisée  ^. 


623.  Conciles  du  printemps  de  il60  à  la  fin  de  1162. 
Détresse  d'Alexandre  III. 

Peu  de  temps  après  le  conciliabule  de  Pavie,  les  deux  rois 
Henri  II  d'Angleterre  et  Louis  VII  de  France  ^  se  réconcilièrent 
(mai  1160)  et  s'occupèrent  de  la  question  d'obédience  pontifi- 
cale pour  leurs  royaumes.  Sur  le  désir  de  Théobald,  archevê- 
que de  Cantorbéry.  Henri  II  autorisa  une  convocation  ou 
réunion  de  l'épiscopat  anglais,  chargée  d'examiner  auquel  des 
deux  papes  l'Angleterre  devait  obéir.  Après  l'assemblée,  le 
]Himat  envoya  son  archidiacre  Barthélémy  et  un  de  ses  chapelains 
faire  au  roi,  alors  en  Normandie,  un  rapport  oral  sur  la  décision  ; 
594]  il  avait  cependant  remis  à  ses  messagers  une  lettre  qui  nous 
fait  connaître  les  opérations  de  cette  convocation.  «  On  lut  plu- 
sieurs documents,  par  lesquels  chaque  parti  cherchait  à  soutenir 
sa  cause  (lettres  d'Alexandre  III  et  d'Octavien)  et  qui  permi- 
rent de  constater  où  était  la  vérité...  Des  témoins  inattendus 
firent  voir  combien  le  schismatique  (Victor)  s'était  mal  conduit. 
On  ne  prit  aucune  détermination  proprement  dite,  afin  de  ne 
pas  empiéter  sur  la  décision  du  roi;  mais  on  a  envoyé  à  Votre 
Majesté  le  rapport  demandé.  L'archidiacre  porteur  de  ce 
rapport  a  assisté  à  notre  délibération  et  connaît  les  votes  d'un 
chacun  *.  » 

Lne    réunion  destinée  à    prendre     une    décision    eut    lieu,    ])ar 

1.  Alexandre  III,  Epist.  ad  Arnulph.  Lexov.,  dans  Labbe,  Concilia,  t.  xiii. 
col.  278;  Ilardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part,  2,  col.  1577;  Mansi,  Conc.  ainpliss. 
coll.,  t,   XXI,  col.  1124;  Watterich,  op.   cit..   t.   ii,  p.   490  sq. 

2,  Epist.  encycl.  XXV  cardinalium,  dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  49o. 
^.  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  vi,  p.  511. 

4.  Jean  de  Salisbury,  Epist.,  lxiv,  dans  P.  L.,  t.  cxcix,  col.  47;  cf.  Reulcr^ 
op.  cit.,  t.  ï,  p.  155  sq. 

CONCILKS  —  V—  (io 


946  LIVRE    >c:xxiv 

ordre  d'Henri  II,  au  mois  de  juillet  ^,  à  Neuf-Marché^,  en  Nor- 
mandie,  en  même  temps  que  Louis  YII,  roi  de  France,  réunissait 
les  prélats  de  son  royaume  à  Beauvais,  à  six  heures  seulement  de 
Neuf-Marché.  Les  deux  assemblées  se  prononcèrent  pour  Alexan- 
dre. Les  rois  attendirent  cependant  encore  avant  de  prendre  une 
résolution  définitive,  bien  certainement  par  déférence  pour  l'empe- 
reur. Henri  II  fut  même  très  irrité  de  ce  que,  sans  attendre  ses 
ordres, rarchevé({ue  deRouen  et  l'évéque  du  Mans  eussent  proclamé 
Alexandre.  Les  deux  prélats  n'échappèrent  à  une  sévère  punition 
que  grâce  aux  instances  de  Thomas  Becket,  le  chancelier  chéri 
d'Henri  II  ^.  Dans  l'automne  de  11(30,  les  deux  rois  réunirent  à 
Toulouse  un  concile  dans  lequel  le  haut  clergé  examina  lequel  des 
deux  prétendants  était  pape  légitime.  L'empereur  Frédéric 
croyait  fermement  que  ce  synode  mettrait  fin  à  la  neutralité  de 
l'Angleterre  et  de  la  France  et  acclamerait  Victor.  Il  se  montrait 
fort  surpris  qu'on  reprît  une  question  qui,  d'après  lui,  avait  été 
résolue  à  Pavie  pour  toute  la  chrétienté  :  il  dut  pourtant  s'avouer 
que  son  conciliabule  de  Pavie  ne  ]iourrait  s'imposer  que  si 
la  France  et  l'Angleterre  en  acceptaient  les  décisions.  Aussi 
lui-même  et  son  protégé  Victor  envoyèrent-ils  des  ambassadeurs 
à  Toulouse,  et  l'antipape  choisit  pour  le  représenter  les  deux 
cardinaux  ([ui  l'avaient  élu,  Jean  de  Saint-Martin  et  Gui  de  [595] 
Crème.  Le  pape  Alexandre  regarda  le  concile  de  Toulouse  tout 
autrement  que  le  conciliabule  de  Pavie.  Sans  doute  à  Toulouse 
on  devait  discuter  une  question  qui,  d'après  Alexandre,  était 
indiscutable;  mais,  tandis  que  la  réunion  de  Pavie  s'érigeait  en  tri- 
bunal, celle  de  Toulouse  s'annonçait  comme  une  simple  enquête 
pour  s'instruire  et  instruire  les  deux  royaumes.  Alexandre  ne 
fut  pas  cité  à  comparaître  à  Toulouse  comme  il  l'avait  été 
à  Pavie.  On  ne  lui  demanda  pas  de  présenter  une  défense 
dont  on  se  constituerait  juge.  Dans  ces  conditions,  Alexandre 
pouvait  })révoir  que  son  élection  serait  reconnue  à  Toulouse, 
tout  comme  il  avait  pu  aisément  prévoir  qu'elle  serait  rejetée 
à  Pavie.  Du  reste,  il  n'envoya  pas  à  Toulouse  de  légat  pro- 
prement dit   ;  mais  ce  fut  certainement  avec  sa  permission  que 

1.  Robert  de  Monte,  dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  505. 

2.  Neuf-Marché,   arrondissement  de   Neufchâtel     (Seine-Inférieure).     (H.   L.) 
'.i.    Labbe,  Concilia,  t.  xiii,    col.    287;    Hardouin,    Conc.    coll.,   t.  vi,    part.  2, 

col.    1585;>Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  1154  sq.  ;  Reuter,  op.  cit.,  t.  i, 
p.   160. 


623.     DÉTRESSE     d'aLEXANDHE     III  947 

ses  nonces  auprès  des  cours  d'Angleterre  et  de  France,    les  car- 
dinaux Henri  de  Pise,  Jean    de    Naples    et    GuillaTinie    de    Pavie 
(de  Saint-Pierre-ès-Liens),   parurent  à  Toulouse.    Le  synode  eut 
probablement    lieu   en  octobre    IIGO  ^.     Les    deux   rois    d'Angle- 
terre et  de  France  étaient  présents;  les  princes  chrétiens  de  l'Es- 
pagne,   représentés;    cent    évcques    ou  abbés    environ  siégeaient, 
avec   une   foule   d'autres   clercs   et   de  laïcs.    Le    cardinal    Jean, 
légat  de  Victor,    prit    d'abord    la    parole    et    défendit   son   maître 
avec  toute  la  force  de  son  talent  et  de  son  éloquence.  Guillaume, 
cardinal  de   Pavie.   lui  répondit,  le  réfuta    victorieusement    et    le 
])rit  dans  ses  propres  filets  en   rétorquant    ses    arguments    et   ses 
données.  La  discussion  prit  ainsi  la  forme  d'un  duel.  On  prouva, 
non    seulement    par  le   témoignage   des   cardinaux   d'Alexandre, 
mais  par  d'autres  encore,  et  même  par   les    propres    paroles   des 
adversaires  d'Alexandre  III,   que  l'élection   d'Octavien  avait  été 
nulle,  qu'il  s'était  revêtu  lui-même  du  manteau  papal  et  s'était 
assis  sur  le  siège  de  Pierre,  grâce  au  secours    des    laïcs.     Gui    de 
5961  Crème,  son  ami,  ne  put   échapper  à  ces  aveux.  On  prouva  égale- 
ment  qu'il   était   excominunié   depuis   huit   jours   lorsqu'il   se    fit 
sacrer,  que  deux  de  ses  consécrateurs  étaient  pareillement  excom- 
muniés, et  que  le  troisième,  l'évêque  de  Melfi,  avait  été  déposé 
pour  de  graves  méfaits.  Le  roi  et  les  évêques   d'Angleterre,   ainsi 
que    les    compatriotes    de    l'évêque   déposé,  témoignèrent   de    ce 
dernier     fait.    On   établit  jusqu'à   l'évidence    qu'Alexandre   avait 
été  élu  par  tous   les   cardinaux  présents,    et   qu'il   eût   été  aussi- 
tôt revêtu  du  manteau  si,  par  humilité,  il  ne  s'était  soustrait    à 
cette  cérémonie   et   si  Jean  et  Gui   de    Crème    n'avaient   usé     de 
Aiolence,    ce    dont   ils    durent   convenir.    Enfin    on   prouva   que, 
plus     tard,     Alexandre    avait    été,     selon    le    cérémonial     tradi- 
tionnel,  revêtu   du    manteau    j)ontifical     et    légitimement  sacré 
par    ceux     ([ui    avaient    ([ualité    à    cet    effet,    tandis    cjue,    long- 
temps  avant   le   conciliabule   de   Pavie.  l'empereur  avait  reconnu 
Octavien  ixuir  ])a|ie   el    lui   en  avait   donné  le    titre.    Malgré    cet 

1.  Labhe,  Concilia,  t.  x,  col.  140G-1409;  Hardouin,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  vi 
part.  2,  col.  1585;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  287;  Mansi^  t.  xxi,  col.  1155; 
D.  Brial,  dans  Bouquet,  Recueil  des  liist.  de  la  France,  t.  xiv,  p.  406,  note; 
t.  XVI,  p.  32,  note;  Neues  Archiv,  1896,  t.  xxi,  p.  679-684;  H.  Reuter,  Geschichle 
.Xlcxanders  III,  1860,  t.  i,  p.  190;  L.  Delisle,  Lu  prétendue  célébration  d'un  concile 
à  Toulouse,  en  1160,  dans  le  Journal  des  savants,  1902,  p.  45  31.  \ oiv  A p pendices 
H.   L.) 


048  livkk  xxxiv 

ensemblo  do   preuves.   (|ii('l([ues    Anglais    proposèrent    d'ajourner 
une    résolution    définilive,     afin    d'éviter  toute     surprise.    Il     ne 
fallait    pas,    disaient-ils,     se    lier    les   mains   par    trop    d'empres- 
sement,   puisqu'on   pouvait    attendre    sans    danger.    L'Église  ro- 
maine   avait    été  toujours    un  grand   embarras  pour   les    princes; 
l'occasion  se  présentait  de  secouer  le   joug,  jusqu'à  ce    ([ue  la  mort 
de  l'un  des  deux  papes  résolût  la  difficulté.   Pendant  ce  temps, 
les  évoques  des  deux  royaumes  pourraient  diriger  seuls  les  affaires 
ecclésiastiques.  Les  ambassadeurs  de  l'empereur  et  ceux  de  Vic- 
tor se  rangèrent  à  cette    proposition;    le  roi  de  France    protesta 
([ue,  dans  cette  affaire,  il  suivrait  le  roi  d'Angleterre,  auquel  il 
laissait  la  décision.  Mais  au  moment  où  le  parti  de  l'ajournement 
allait    l'emporter,    les    ambassadeurs   du   pape    gagnèrent    le  roi 
d'Angleterre  en  lui  ]iromettant  une  dispense.    11    se    décida    pour 
Alexandre,  et  avec  lui  le  roi  de  France  et  toute  l'assemblée;  on  pro- 
nonça  en   outre   l'excommunication    contre    Victor   el    contre   les 
schismatiques.    L'Espagne,   l'Irlande,  la   Norvège    el    la    Hongrie 
suivirent^.    La  dispense    accordée    par    les    nonces     d'Alexandre 
pour  gagner  le  roi  d'Angleterre   visait   son    fils,    le  prince    Henri,    [597 
âgé  de  sept  ans,  fiancé  à  la  princesse  Marguerite,  fille  de  Louis  Vil, 
âgée  de   trois  ans.   Selon  la  coutume  de  l'époque,   cette  dernière 
habitait  déjà  chez  son  futur  beau-père.  Le  jour  de  leur  mariage, 
Marguerite  devait  apporter  en  dot  à  son  époux  plusieurs  châteaux 
dont   la  possession   était  un  sujet  de  querelles  entre  la  France  et 
la  Normandie.  Or,  pour  obtenir  sans  plus  de  délais  les  importantes 
jîlaces  qu'il  désirait  beaucoup,  le    roi  Henri  demanda  au  pape  la 
permission  de  faire  célébrer  dès  maintenant  l'union  des  deux  mi- 
neurs, et  les  légats  consentirent  à  cet  arrangement.  11  était  de  toute 
nécessité    que  le  roi  de  France  ne  connût  rien  de  ce  ([ui  venait  de 
se   passer.  Louis  VIT,  ne  soujiconnant  pas  le  piège  ({u'on  lui    ten- 
dait,  se   rangea  sans   hésiter  à  lavis  de  son   cousin   d'Angleterre, 
])om'  la  reconnaissance   du   pape  Alexandre  ;  il   n'en   fut   que   plus 
inilé  lorsqu'il  com}>rit  qu'on  l'avait  joué.  Les  légats  durent  quitter 
la  France  au  plus  vite,  et  une  nouvelle  guerre,  (luoique  assez  courte, 
éclata   entre   les   deux  souverains  ^.    Arnulf,   évèque   de    Lisieux, 

1.  Arnulf  de  Lisieux,  Episf.,  xxiv,  dans  P.  L.,  t.  cci,  col.  44  sq.  ;  Mansi,  Coiic. 
ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  1156  sq.;  Walterich,  Vilœ  ponlij.  roman.,  t.  ii,  p.  510; 
Heuter,  op.  cit.,  t.  i,  p.  501  sq. 

2.  De  Bréquigny,  Observations  sur  un  traité  de  paix  conclu  en  1160  entre 
Louis  VII,  roi  de  France,  el  Henri  II,  roi  d'Angleterre,  duc  de  Normandie,  dans  les 


623.     DÉTRESSE     D   ALEXANDRE     111  O'iO 

se  donna  beaucoup  de  soins    pour  justifier,  aux  veux  mrmos  de 
leurs  partisans,  cette  conduite  des  légats  ^, 

Les  décisions  de  Toulouse  firent,  on  le  comprend,  grande  im- 
pression en  Allemagne  et  fortifièrent  le  ])arti  d'Alexandre;  en 
revanche,  beaucoup  de  personnes,  et  même  Gerhoh  de  Reichers- 
berg,  se  plaignirent  de  ce  que  l'assemblée  de  Toulouse  n'eût  pas 
examiné  une  des  plus  graves  accusations  contre  Alexandre,  à 
savoir  sa  prétendue  conjuration  avec  le  roi  de  Sicile  contre  l'em- 
pereur ■-. 

Du  reste,  le  métropolitain  de  Gerhoh,  Eberhard  de  Salzbourg, 
était,  comme  on  sait,  partisan  décidé  d'Alexandre,  et  le  conc/'/ui/??. 
Frisacense  (à  Friesach  près  de  Klagenfurt)-^.  qu  il  réunit  en 
1160  ou  1161,  n'eut  certainement  pour  but  c[ue  d'avancer  les 
alîaires  du  pape  légitime.  Gerhoh  lui-même  raconte  que  dans 
cette  assemblée  on  discuta  aussi  sur  sa  doctrine  de  glorin  et  honore 
filii  homijiis. 

^'ers  cette  même  époque  (sans  doute  en  1160),  un  synode 
tenu  à  Nazareth  se  déclara,  comme  celui  de  Toulouse,  pour 
Alexandre  III.  Celui-ci  avait  envoyé  en  Palestine  le  cardinal- 
prêtre  Jean,  car  le  schisme  désolait  également  ce  pays.  Les 
évêques  n'étant  pas  d'accord,  le  roi  Baudouin  III  jugea  plus 
prudent  de  ne  se  décider  pour  aucun  des  deux  papes  et  de  ne 
[598]  pas  recevoir  le  légat  d'Alexandre,  d'autant  que  les  églises  et 
les  monastères  de  la  Palestine  étaient  toujours  accablés  de 
redevances  par  les  légats.  Néanmoins  Amaury,  patriarche  de 
Jérusalem,  et  ses  sufï'ragants  se  déclarèrent  pour  Alexandre 
au  concile   de    Nazareth  ^. 

Vers  le  même  temps,  une  assemblée   réunie  à  Oxford  chercha  à 

Mémoires  de  l'Acad.  des  inscripl.  et  belles-lettres,  1786,  t.  xliii^  p.  368-401  ;  Liron, 
Bé flexions  sur  ce  que  les  historiens  modernes  rapportent  de  la  guerre  de  Languedoc 
entre  Louis  VII,  roy  de  France,  et  Henri  II,  roy  d'Angleterre,  dans  ses  Singula- 
rités historiques,  1738,  t.  ii,  p.  65-84.  (H.  L.) 

1.  Watterich.  op.  cit.,  t.  ii,  p.  518,  note  3. 

2.  Tengnagel,  ^'etera  monumenta,  p.  421;  Archi\'  fiir  osterreich.  Geschichte, 
t.  XX,  p.  152. 

3.  Friesach^  plus  couramment  Freisach,  en  Carinthie.  Mansi,  Concilia,  Sup- 
plcm.,  1748,  t.  II,  p.  529;  Conc.  aniplis.<i.  coll.,  t.  xxi,  col.  1143;  Dalham,  Conc. 
Salisburg.,  1788,  p.  74-76. 

4.  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  1403-1404;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2, 
col.  1583;  Coleti,  Concilia,  t.  xni,  col.  283;  Mansi,  Conc.  anipliss.  coll.,  t.  xxi, 
col.  ir»5.  {II.  L.) 


950 


LIVRE     XXXIV 


détruire  la  socle  des  cathares,  qui  pénétrait  en  Angleterre,  en 
décidant  <[ue  ceux  de  ces  hérétiques  qui  seraient  découverts 
auraient  le  front  marqué  d'un  fer  rouge  ^. 

Le  conciliabule  de  Pavie  avait  manqué  son  but  et  la  révolte 
persistait  en  Lombardie  et  particulièrement  à  Milan;  l'empereur 
invita  de  nouveau  tous  ses  princes  à  le  suivre  en  Italie  pour  y 
recommencer  la  guerre  ou  pour  prendre  part  au  synode  de  Cré- 
mone. Dans  la  pensée  de  Frédéric,  ce  concile  devait  être  plus 
nombreux  cjue  celui  de  Pavie  et  résoudre  sans  recours  possible 
la  question  ecclésiastique.  Victor  envoya  les  citations  accoutumées 
à  se  rendre  à  l'assemblée  :  on  possède  encore  sa  lettre  bien  super- 
flue à  Eberhard  de  Salzbourg  ^.  I^es  délibérations,  entamées  le 
21  mai  llGl  à  Crémone  ^,  furent  interrompues  par  la  nécessité  où 
se  trouva  l'empereur  de  faire  une  expédition;  mais  le  17  juin,  elles 
furent  reprises  à  Lodi,  ville  que  l'emperevir  avait  bâtie  pour  la 
donner  aux  Milanais  comme  une  compensation  *.  Outre  l'em- 
pereur et  l'intrus  Victor,  assistaient  à  l'assemblée  un  frère  du 
roi  de  Bohême,  le  patriarche  Pélegrin  d'Aquilée,  Hillin  de  Trêves, 
Rainald  Dassel  de  Cologne,  Gui  de  Biandrate  de  Ravenne,  etc. 
Les  membres  présents  étant  moins  nombreux  encore  qu'à  Pavie, 
on  ne  put  parler  de  concile  œcuménique.  Nous  n'avons  que  des 
renseignements  rares  et  fort  incertains  sur  les  délibérations  de 
cette  assemblée  et  sur  ses  décisions.  Ainsi,  malgré  tout  ce  qu'on 
a  pu  dire,  il  est  certain  que  les  rois  de  France,  de  Hongrie  et 
de  Norvège  n'ont  pas  fait  annoncer  qu'ils  se  rangeaient  à 
l'obédience   de   Victor  ^,    et    Fastrade,    abbé    de    Clairvaux,     qui 

1.  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  140'î-l'i06;  Haidouin,  Conc.  coll.,  t.  vi, 
part.  2,  col.  1585;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  285;  Wilkins,  Conc.  Britanniœ, 
t.  I.  p.  438-439;  Mansi^  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi^  col.  1147;  Reiiter,  op.  cit., 
t.  III,  p.  653.  (H.  L.) 

2.  Mansi,  Concilia,  Supplém.,  t.  ii,  col.  531  ;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi, 
col.  1149.   (H.  L.) 

3.  En  1161  et  non  en  1163.  Jalîé,  i?eg.  pont,  rom.,  p.  830;  Reuter,  op.  cit.,  p.  174. 

4.  Coll.  regia,  t.  xxvii,  col.  351;  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  1409;  Hardouin, 
Conc.  coll.,  t.  VI,  part.  2,  col.  1227;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  291  ;  Mansi,  Conc. 
ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  1155;  Jafîé,  Reg.  pont,  roman.,  p.  829,  2*^  édit.,  t.  ii, 
p.   422.    (H.   L.) 

5.  Le  notaire  impérial  Burchard  raconte,  à  la  fi?i  de  1161,  à  l'abbé  de  Sice;- 
bourg,  que,  dans  le  cours  de  l'année  précédente,  les  ambassadeurs  de  cinq  rois 
s'étaient  réunis  pour  conclure  une  alliance  contre  l'empereur,  et  que  tous 
avaient  reconnu   Roland   pour  pape,  mais  plutôt  par  liaine  et  par  crainte  de 


623.     DÉTRESSE     d'aLEXANDRE    HI  951 

s'était  montré  à  Toulouse  partisan  déclaré  d'Alexandre, 
[599]  n'a  certainement  pas  non  plus  fait  partie  du  conciliabule.  En 
revanche,  on  sait  positivement  qu'à  Lodi  on  proclama  de  nou- 
veau le  pape  \  ictor  et  l'on  excommunia  ses  adversaires,  parmi 
lesquels  beaucoup  d'évêques  lombards.  Les  meurtriers  d'Arnold 
de  Selenhofen,  archevêque  de  Mayence  (24  juin  1160),  furent 
excommuniés  ^. 

Sur  ces  entrefaites,  le  pape  Alexandre  était  parvenu  à  apaiser 
le  mécontentement  du  roi  de  France,  en  consentant  à  reconnaître 
sa  nouvelle  femme,  Adèle  [de  Champagne^],  que  Louis  avait  épousée 
quatorze  jours  après  la  mort  de  sa  première  femme,  par  conséquent 
sans  observer  le  temps  de  deuil  prescrit  par  le  droit  canonique. 
Les  légats  du  pape  assistèrent  au  couronnement  de  la  nouvelle 
souveraine;  c'étaient,  du  reste,  les  mêmes  légats  que  le  roi  avait 
chassés  de  son  royaume  quelque  temps  auparavant.  D'un  autre 
côté,  le  pape  montra  sa  bienveillance  pour  le  roi  d'Angleterre 
en  canonisant  son  prédécesseur,  Edouard  le  Confesseur, 
mort  depuis  cent  ans  environ.  Les  affaires  prirent  encore  une 
tournure  favorable  pour  Alexandre,  lorsque  le  parti  impérial  eut 
le  dessous  à  Rome  dans  les  nouvelles  élections  pour  le  sénat; 
aussi  put-il  rentrer  solennellement  dans  la  Ville  éternelle  le  6  juin 
1161  et  prendre  possession  du  siège  de  saint  Pierre.  Mais,  au  bout 
de  trois  semaines,  les  agitations  révolutionnaires  suscitées  par 
l'empereur,  et  les  colonnes  de  troupes  que  celui-ci  envoya  dans 
les  Etats  de  l'Église,  forcèrent  le  pape  à  repartir.  Il  alla  d'une  ville 
à  l'autre,  et  plus  approchait  le  moment  de  la  chute  de  Milan, 
j)lus  aussi  approchait  le  jour  de  son    départ  de  l'Italie^.  Après 


l'empereur  que  par  amour  de  la  justice.  Mais  il  écrit  que  le  roi  d'Angleterre  devait 
se  lier  avec  l'empereur  par  une  étroite  alliance  [intirni  fœderis  firmahitur  unione) 
et  il  ajoute  :  Nuntii  ilUus  apud  nos.  Sudendorf,  Registr.,  t.  ii,  p.  138. 

1.  Reuter,  op.  cit.,  p.  172;  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  514;  \oir  Annales  S.  Pétri 
Erphesjurd.,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvi,  p.  22.  Sur  Arnold,  cf. 
Nohlmann,  De  vita  Arnoldi  de  Selenhofen,  in-8,  Bonn,  1871;  Baumbach,  Arnold 
i'on.  Selenhofen,  in-8,  Gôttingen,  1871. 

2.  Louis  VII  s'était  remarié  en  1154  avec  Constance  de  Castille;  celle-ci  mou- 
rut le  4  octobre  1160,  ne  laissant  qu'une  fille.  Au  bout  de  cinq  semaines  de  veu- 
vage, le  roi  épouse  Adèle  de  Champagne,  mariage  politique  qui  vexa  le  roi  d'An- 
gleterre; celui-ci,  pour  punir  son  collègue,  fit  célébrer  le  mariage  des  deux  bam- 
bins, qui  avaient  neuf  ans  à  eux  deux,  mais  la  petite  fille  apportait  le  Vexin, 
bon  à  prendre  sans  tarder.   (H.  L.) 

3.  Reuter,  op.  cit..  p.  178  sq. 


052  LIVRE     XXXIV 

avoii'  nomiiu'  lo  caidinal  Jult-s  ilc  Palesliiiia  son  f(»iul(''  de  pou- 
voir à  Rome,  il  se  rendit,  dans  les  derniers  jours  de  1161,  à 
Terracine,  où  il  trouva  quatre  galères  bien  armées  que  le  roi 
de  Sicile  avait  mises  à  sa  disposition  ^.  A  peine  s'était-il  embar- 
qué avec  sa  suite,  qu'une  violente  tempête  s'éleva,  qui  jeta 
les  navires  sur  les  brisants  de  la  côte,  sans  toutefois  occasionner 
à  l'équipage  le  plus  léger  dommage.  On  put  réparer  rapidement 
les  navires  et  le  pape,  reprenant  la  mer,  arriva  pour  l'octave  dfe 
Noël  près  de  Monte-Circello,  à  la  pointe  sud  des  Etats  de  l'Eglise 
(c'est  là  que,  d'après  la  tradition,  Circé  avait  autrefois  habité).  11  [(iOOl 
rencontra  à  Bada  (au  sud  de  Livourne)  les  cardinaux  qui  le  rejoi- 
gnaient venant  de  Gaëte,  et,  le  21  janvier  1162,  il  vint  débarquer  à 
Gênes,  où  les  bourgeois  et  l'archevêque  lui  firent  une  réception 
solennelle,  malgré  les  menaces  de  l'empereur,  et  lui  demandèrent 
de  prolonger  son  séjour.  Il  y  resta  plus  de  deux  mois,  et  les  nom- 
breuses lettres  qu'il  écrivit  de  là  pourrégler  les  différentes  affaires 
de  l'Église  sont,  par  leur  style  digne,  tranquille  et  clair,  d'irrécusa- 
bles témoignages  de  sa  fermeté  dans  l'épreuve  ^,  Le  1^^  mars  1162, 
Milan  dut  se  rendre  à  merci;  Rainald  de  Dassel  avait  décidé  son 
maître  à  prendre  des  mesures  d'une  extrême  rigueur.  La  ville 
devait  être  rasée  jusqu'au  sol  et  les  habitants  chassés.  Ces  deux 
cruelles  décisions  furent  exécutées  presque  à  la  lettre  ^.  L'empe- 


1 .  F.  Chalandoii,  Histoire  de  la  domination  normande  en  Italie  el  en  Sicile, 
in-8,  Paris,  1907,  t.  u,  p.  294.  (H.  L.) 

2.  Vita  Alexandri  III,  dans  Watterich.  t.  ii,  p.  387;  Marang.,  Chron.  Pisana, 
dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  516. 

3.  Frédéric,  qui  avait  un  pape  à  sa  disposition  et  pour  lui  seul,  puisque  per- 
sonne enEurope  n'en  voulait,était  homme  à  se  préoccuper  fort  peu  de  l'excommu- 
nication lancée  contre  lui  par  Alexandre.  II  poursuivit  donc  ses  desseins  sans  le 
moindre  trouble  :  domination  de  l'Italie  et  affaiblissement  du  Saint-Siège.  L'une 
et  l'autre  ne  pouvaient  s'acquérir  qu'en  Lombardie.  C'est  en  assujettissant  la 
Lombardie  que  Frédéric  Barberousse  avait  à  vaincre  la  papauté,  et  il  ne  pou- 
vait triompher  de  sou  adversaire  Alexandre  III  qu'en  accablant  les  Milanais, 
devenus  les  soutiens  ardents  de  la  cause  pontificale,  étroitement  unie  à  celle  de 
l'indépendance  italienne. 

«  Tout  semblait  dépendre  de  Milan.  Cette  ville,  dont  les  alliées,  Torlone, 
Crème,  Mantoue,  avaient  été  détruites  ou  domptées,  était  la  plus  puissante  de 
ces  fières  et  entreprenantes  cités  qui  se  gouvernaient  et  agissaient  en  républi- 
ques. Il  n'était  pas  facile  de  s'en  rendre  maître.  Confédérée  surtout  avec  Plai- 
sance et  Brescia,  elle  ne  manquait  pas  d'appui  au  dehors.  Au  dedans,  elle  était 
très  forte,  entourée  de  fossés  profonds,  couverte  par  des  murailles  épaisses  que 


623.     DKTRESSE     u'aLEXANDRK     111  953 

ronr  se  trouvait  au  faîte  de  sa  puissance  ;  mais  le  pape  exilé  restait 
si  oonvaincu  de  son  droit  et  de  sa  vocation  divine,  ({u'il  se  reprit 
alors  à  espérer  que  la  grâce  de  Dieu  toucherait  le  cœur  de  l'em- 
pereur: il  charîïea  donc  l'archevêque  de   Salzbouro-  de  s'employer 


flanquaient  des  tours  solides,  au  nombre  de  plus  de  cent;  défendue  par  une 
population  hardie,  accoutumée  à  la  guerre,  confiante  dans  ses  ressources,  pas- 
sionnée pour  sa  liberté,  elle  était  impossible  à  prendre,  malaisée  à  réduire 
Frédéric  Barberousse  avait  consacré  beaucoup  de  temps  à  soumettre  plusieurs 
des  villes  moins  importantes  et  moins  bien  défendues,  qui  étaient  dans  l'alliance 
ou  sous  la  protection  de  Milan. Il  n'avait  pas  pu  entrer  de  vive  force  dans  Crème, 
que  la  famine  seule  lui  avait  livrée.  Aussi  le  prévoyant  empei'eur  n'espéra  pas 
entrer  dans  Milan  par  un  autre  moyen.  Pendant  deux  années,  il  marcha  vers  ce 
but,  auquel  était  attaché  le  succès  de  ses  desseins,  avec  une  opiniâtre  résolution, 
en  employant  les  plus  systématiques  ravages,  en  commettant  d'horribles 
cruautés. 

«Il  fit  venir  d'Allemagne,  en  1160,  une  armée  considérable,  qui  devait  se 
joindre  aux  milices  passionnées  de  Pavie,  de  Crémone,  de  Novare,  de  Côme, 
de  toutes  les  villes  que  leur  vieille  animosité  contre  Milan  rendirent  alors  les 
alliées,  un  peu  plus  tard  repentantes,  de  l'empire.  Plusieurs  des  évêques  qui, 
par  dévouement  ou  par  crainte,  soutenaient  sa  cause,  lui  amenèrent  leur  contin- 
gent militaire.  Le  chancelier  Rainald,  de  Cologne,  le  joignit  avec  plus  de  cinq 
cents  combattants  à  cheval.  Otto  Morena,  Historia,  dans  Muratori,  Script,  rer. 
liai.,  t.  VI,  p.  1087-1088.  Frédéric  Barberousse  se  servit  de  cette  armée  pour 
s'emparer  des  points  fortifiés  qu'occupaient  les  Milanais  entre  les  lacs,  le  Tessia 
et  le  Lambro.  Il  eut  à  soutenir  le  choc  de  leurs  milices  aguerries,  qui  sortirent 
intrépidement  de  la  ville  pour  combattre  ses  troupes,  et  qui  ne  le  firent  pas, 
sur  quelques  points,  sans  succès.  Mais,  à  la  fin,  il  les  battit  à  plusieurs  reprises, 
les  repoussa  jusqu'aux  fossés  de  leur  ville,  où  il  les  tint  en  quelque  sorte  enfer- 
més. Les  serrant  de  près  sans  les  assiéger,  il  établit  son  camp  tantôt  à  l'est, 
tantôt  au  sud,  tantôt  à  l'ouest  de  la  ville  surveillée,  et  il  ravagea  leurs  champs 
de  tous  les  côtés.  Il  briila  les  blés,  arracha  les  vignes,  coupa  les  arbres  dans  un 
rayon  de  quinze  milles  de  Milan,  et  ne  laissa  rien  debout  sur  ce  territoire  dévasté. 
Ceux  qu'il  prenait  avaient  par  ses  ordres  les  mains  ou  les  narines  coupées  et  les 
yeux  arrachés.  Un  jour,  sur  sept  prisonniers  qui  tombèrent  entre  ses  mains, 
six  subirent  ce  traitement  horrible,  et  il  fut  laissé  un  de  ses  yeux  au  septième 
pour  qu'il  pût  ramener  les  autres  dans  Milan.  La  dévastation  et  la  cruauté  furent 
systématiquement  employées  pour  ramener  les  Milanais  par  la  faim  ou  les 
dompter  par  la  crainte. 

«  Les  malheureux  assiégés  supportèrent  ces  terribles  extrémités  sans  fléchir 
pendant  les  années  1160  et  1161.  L'empereur  s'était  établi  tour  à  tour  à  Pavie 
sur  le  Tessin  et  à  Lodi  sur  l'Adda,  et  il  avait  placé  dans  des  lieux  fortifiés  des 
troupes  chargées  d'intercepter  toute  communication  avec  eux  etd'empècher  que 
leurs  confédérés  de  Brescia  et  de  Plaisance  ne  les  secourussent  dans  leur  détresse. 
Tous  ceux  qu'  étaient  pris  portant  des  vivres  dans  la  ville  affamée  avaient 
la  main  droite  coupée.  En  un  seul  jour,    il   en  fut    coupé   vingt-cinq.  Scripl.   rer. 


954  LIVRK     XXXIV 

à  obtenir  cet  heureux  résultat.  Ce  dernier,  se  rendant  enfin  aux 
invitations  réitérées  de  l'empereur,  ^'inl  au  mois  de  mars  1162 
dans  la  Haute-Italie,  en  compagnie  de  Gerhoh  de  Reichersberg 
et  de   Hartmann,  évéque  de  Brixen,  Son  projet  était  de  visiter 

ItaL,  t.  VI,  p.  1186.  Personne  n'osa  plus  rien  conduire  à  Milan,  dont  les  citoyens 
à  la  fin  abattus,  tombèrent  dans  de  telles  nécessités  qu'au  printemps  de  1162 
ils  furent  contraints  de  céder  à  la  mauvaise  fortune.  Ils  envoyèrent  des  députes 
à  l'empereur  pour  lui  déclarer  qu'ils  étaient  prêts  à  se  soumettre,  à  démolir  la 
muraille  de  leur  ville,  à  combler  ses  fossés  sur  six  points  et  à  recevoir  de  lui  nu 
podestat.  L'empereur  leur  répondit  qu'ils  eussent  à  se  rendre  sans  condition  et 
à  faire  tout  ce  qu'il  ordonnerait  d'eux.  Ils  se  virent  obligés  d'en  passer  par  là. 

«  La  scène  de  la  reddition  de  Milan  est  racontée  de  la  manière  la  plus  émou- 
vante par  le  notaire  impérial  Burchard,  qui  en  fut  le  témoin.  Son  récit  fait  bien 
connaître  la  position  désespérée  des  Lombards  vaincus  et  les  sentiments  impla- 
cables de  leur  superbe  triomphateur.  Trois  fois  les  Milanais,  ayant  des  croix  à 
la  main  et  des  épées  nues  sur  leur  cou,  vinrent  se  prosterner  aux  pieds  de  Frédéric 
dans  Lodi;  les  consuls,  les  nobles  et  le  peuple  lui  apportèrent  successivement 
les  clefs  de  la  ville,  leur  serment  d'obéissance  et  les  plus  touchantes  supplications. 
(I  Le  troisième  dimanche  de  mars,  dit  Burchard,  ils  vinrent  avec  le  carroccio  et 
«  toutes  leurs  bannières  au  nombre  de  plus  de  cent.    Ils  entrèrent  en  bon    ordre 
«  dans  Lodi,  le  peuple  des  trois  principales  portes  de  Milan  précédant  le  carroccio 
«  et  le  reste  de  la  multitude  le  suivant.  Ils  s'avancèrent  ainsi  vers  le  palais  de  l'em- 
«  pereur,  qui,  assis  sur  un  trône  élevé,  était  aperçu  de  loin.  Les  trompettes  qui 
«  étaient  debout  sur  le  char  faisaient  retentir  leurs  instruments  d'airain  et  sem- 
«  blaient  entonner  les  obsèques  de  leur  orgueil  mourant  et  qu'on  allait  ensevelir. 
«  Après  avoir  fini  d'en  sonner,  ils  les  déposèrent  aux  pieds  de  l'empereur.  Le 
«  char,  construit  en  morceaux  de  chêne  entrelacés,  était  bien  disposé  par  en  haut 
«  pour  les  combattants.  Au  milieu  s'élevait  un  gros  arbre,  couvert,  de  sa  base  à 
«  son  sommet,  de  fer  et  de  cordes  qui  le  serraient  tout  autour.  Il  était  surmonté 
M  de  l'image  de  la  croix,  et,  sur  sa  partie  antérieure,  était  peint  saint  Ambroise, 
«  donnant  sa  bénédiction  partout  où  le  char  se  dirigeait.  Après  que  les  Milanais 
«  eurent  abandonné  à  l'empereur  tout  ce   qui  leur    appartenait,    le  carroccio 
«  s'avança  le  dernier,  et  il  inclina  sa  tête,  qu'il  tint  baissée  jusqu'à  ce  que  l'empe- 
«  reur  en  eût  enlevé  l'étendard  et  l'eût  fait  relever  pleinement  subjugué.  Alors 
«  tous  les  chevaliers  et  le  peuple  se  prosternèrent  tous  la  face  contre  terre,  pleu- 
«  rant  et  demandant  miséricorde.  Un  de  leurs  consuls    pérora    pathétiquement, 
«  et  lorsqu'il  eut  fini  son  discours,  toute  la  multitude  se  prosterna  derechef,  et, 
«  tendant  les  croix  qu'elle  tenait  dans  ses  mains,  elle  implorait,  par  la  vertu  de 
«  la  croix,  nicrci  de  l'empereur  avec  de  grandes  lamentations.  Tous  ceux  qui 
«  étaient  là  furent  touchés  jusqu'aux  larmes;  mais  la  face  de  l'empereur  demeura 
«  immobile;   enfin,  le  comte  de    Biandrate,    parlant    pour    ses    anciens    amis, 
«  excita  la  compassion  en  leur  faveur  et  nous  fit  tous  pleurer.  Lui-même,  la  croix 
«  à  la  main,  tomba  en  suppliant  aux  pieds  de  l'empereur  et  toute  la  multitude 
«  se  prosterna  de  nouveau  avec  lui.  L'empereur  seul  endurcit  son  visage  et  le 
«  rendit  comme  de  pierre.   »  Le  terrible  empereur  ordonna  d'abord  aux  Milanais 
de  combler  le  fossé  et  d'abattre  le  mur  de  leur  ville  du  côté  de  chaque  porte,afin 


623.     DKTRESSK     d'aLEXANDRE     III  955 

le  camp  impérial  de  Pavie  ;  mais,  arrivé  à  Crémone,  il  apprit 
que  Victor  et  ses  cardinaux  se  trouvaient  à  Pavie  et  atten- 
daient sa  visite.  Il  déclara  qu'il  ne  voulait  ni  voir  ni  enten- 
dre des   schismatiques,    et  se    hâta    d'aller    trouver    l'empereur, 

que  son  armée  pût  facilement  y  entrer.  Il  prescrivit  ensuite  à  tous  les  habitants 
(l'en  sortir  et  les  dispersa  dans  quatre  bourgs  qu'ils  durent  se  construire  eux- 
mêmes,  aux  environs  de  leur  cite  délaissée,  et  oii  ils  furent  mis  sous  l'oppressive 
surveillance  d'officiers  impériaux.  Enfin  il  livra  Milan  aux  milices  de  Pavie,  de 
Lodi,  de  Côme,  de  Novare,  vieilleg  ennemies  de  l'altière  capitale  de  laLombardie, 
qui,  de  concert  avec  ses  soldats,  la  démolirent  de  fond  en  comble.  Frédéric 
Barberousse  annonçait  lui-même  en  ces  termes  pompeux  et  menaçants  la  prise 
et  la  destruction  de  la  ville  qui  avait  osé  résister  à  l'empire  : 

«  Nous  avons  voulu  vous  apprendre  que,  avec  l'aide  de  Dieu,  par  lequel  les 
«  rois  régnent  et  les  puissants  font  justice,  nous  avons  obtenu,  à  notre  entier 
«  honneur,  une  heureuse  et  glorieuse  victoire  sur  Milan.  Le  l^""  des  calendes  de 
«  mars,  les  Milanais,  ces  ennemis  de  l'empire,  réduits  par  la  suprême  nécessité 
«  de  la  disette  et  de  la  faim,  sont  venus  à  notre  cour  dans  Lodi,  et,  portant  les 
«  épées  nues  sur  leur  cou,  se  reconnaissant  coupables  envers  notre  Majesté,  ont 
«  remis  en  notre  puissance,  pleinement  et  sans  conditions,  leurs  personnes,  leurs 
«  biens,  leur  ville.  Le  4  des  nones  de  mars,  les  Milanais,  retournant  vers  nous 
«  avec  toute  la  milice  et  toutes  les  forces  de  leur  ville,  ont  déposé  aux  pieds  de 
«  notre  Majesté  leurs  bannières,  leurs  étendards  guerriers,  les  clefs  de  leur  ville, 
«  les  dignités  du  consulat,  renonçant  à  toute  espèce  d'armes  et  à  toute  autorité, 
«  si  ce  n'est  à  celle  qu'ils  pourraient  obtenir  de  notre  grâce;  ils  ont  juré,  enoutre, 
«  qu'ils  obéiraient  à  tous  nos  commandements  et  qu'ils  observeraient  de  bonne 
«  foi  tout  ce  que  nous  ordonnerions  de  leurs  personnes,  de  leurs  biens,  de  leur 
«  ville;  et  ils  nous  ont  donné  comme  otages  quatre  cents  des  meilleurs  et  desprin- 
«  cipaux  de  leur  cité.  C'est  pourquoi,  d'après  la  sentence  divine  qui  abat  les 
«  superbes,  de  peur  qu'à  l'avenir  une  occasion  de  mal  faire  et  un  moyen  de  se 
«  révolter  ne  soient  laissés  à  ces  ennemis  de  l'empire,  nous  comblons  leurs  fossés, 
«  nous  démolissons  leurs  murailles,  nous  détruisons  toutes  leurs  tours  et  nous 
«  mettons  en  ruines  leur  ville  renversée.  Nous  nous  occuperons  ensuite  d'autres 
«  affaires  et  nous  conduirons  heureusement  ailleurs  notre  armée  et  nos  aigles 
«  victorieuses.  » 

«  Pour  le  moment  il  n'eut  pas  besoin  de  recourir  ailleurs  à  la  force.  L'épou- 
vante qu'inspirèrent  la  défaite  et  la  destruction  de  Milan  précipita  la  soumis- 
sion de  tous  ceux  qui  avaient  résisté  jusque-là  à  l'empereur  et  qui  espéraient  se 
rendre  indépendants  de  l'empire.  Les  deux  alliées  encore  debout  de  Milan,  Bres- 
cia  d'abord,  Plaisance  ensuite,  envoyèrent  leurs  consuls  et  leurs  principaux 
citoyens  présenter  les  clefs  de  leurs  villes  à  Frédéric  et  reconnaître  sa  pleine 
autorité,  pour  conjurer  sa  colère  et  prévenir  leur  ruine.  Elles  obtinrent  grâce,  en 
promettant  de  démanteler  leurs  murailles,  d'abattre  leurs  tours,  d'aplanir  leurs 
fossés;  en  livrant  les  citadelles  et  les  châteaux  de  leurs  diocèses;  en  payant  à 
l'empereur,  l'une  six  niilh;  livres  pesant  d'argent,  l'autre  six  mille  marcs;  en 
recevant  de  sa  main  un  podestat  et  en  lui  jurant  une  entière  obéissance.  Les 
villes  jusque-là  insoumises  de  l'Italie   centrale,   terrifiées   comme  les   villes  du 


956  I.IVRK     XXXIV 

qu'il   rcnconira   le    2(i    mars   dans   Milan    dévaslô.     Là.    dans   une 
sorte  de  synode  de  cour  réuni  par  l'empereur,  l'archevêque   Eber- 
hard,   questionné   sur   ses   sentiments,   s'exprima   avec   beaucoup 
de  chaleur  en  faveur  d'Alexandre  et  réfuta  en  détail  toutes  les 
objections   de   l'empereur,   tandis   (pi'il  daigna   à   peine  répondre 
aux    autres    partisans    de    Victor,     L'empereur   le   renvoya    avec 
des  marques  de  sa   bienveillance,   mais  sans   abandonner  le  parti 
de  Victor.  Comme  toule  la   Haute-Italie,  sans  en  excepter   Gênes,    • 
allait  être  obligée  de  se  soumettre   à  l'empereur,    le   pape   quitta 
cette  ville  le  jour  de  la  Passion  (19  mars  ll(i2)  '  ;  il  célébra  la  fête 
de  Pâques  à  Lézignan  (AikIc)  et  arriva  à  Montpellier  le  8  avril  -. 
Il  fut  reçu  dans  cette  ville  d'une  manière  très  solennelle^   et  dès 
le   17   mai,  jour  do  l'Ascension,  il  y  ouvril    un   concile  national*.  [601] 

nord,  en  imitèrent  l'exemple.  Bologne,  Imola,  etc.,  reconnurent  son  autorité  aux 
mêmes  conditions  et  le  pape  Alexandre  III,  ne  se  trouvant  plus  en  sûreté  à 
Anagni,  quitta  Tltalie  pour  se  réfugier  en  France.  Tous  les  archevêques  et  évê- 
ques  qui  lui  étaient  demeurés  fidèles,  ceux  de  Milan,  de  Bologne,  de  Plaisance, 
de  Brescia,  de  Lodi,  de  Padoue,  etc.,  excommuniés  par  Victor  III  dans  les  con- 
ciliabules de  Crémone  et  de  Lodi,  qui  avaient  fait  suite  au  conciliabule  de  Pavie, 
avaient  été  dépossédés  de  leurs  sièges,  où  les  avaient  remplacés  les  élus  du  parti 
schismatique  et  impérial.  «  Mignet,  dans  le  Journal  des  savants,  1862,  p.  19-2'i. 
(H.  L.) 

1.  Après  la  prise  de  Milan,  Frédéric  semblait  n'avoir  plus  qu'à  se  jeter  sur 
l'Italie  méridionale  et  à  s'emparer  du  royaume  normand;  un  homme  de  guerre 
n'eût  pas  hésité  un  instant,  mais  Frédéric  n'était  qu'un  sauvage  et  entendait  la 
stratégie  à  peu  près  comme  peut  l'entendre  un  Iroquois.  Il  avait  fait  la  chaîne 
autour  de  Milan,  resserré  la  chaîne,  resserré  encore,  c'est  tout.  Dès  qu'il  s'agit 
d'une  idée  de  capitaine,  il  devient  incapable  à  faire  pitié.  Toute  sa  politique 
entreprenante  pèche  par  la  base,  du  moment  qu'elle  repose  sur  une  pareille 
pauvreté  d'invention.  On  lui  suggéra  de  se  jeter  sur  la  Sicile  en  tirant  parti 
des  flottes  de  Gênes  et  de  Pise.  qui  venaient  de  trahir  la  cause  de  l'indépendance 
nationale.  Gênes  et  Pise,  d'ailleurs,  ne  voyaient  en  tout  cela  qu'une  excel- 
lente affaire.  Barberousse  attendit  et  s'alla  promener  en  grande  pompe  dans 
la  vallée  du  Rhône.  Sur  ce  qu'il  pouvait  y  aller  faire,  cf.  P.  Fournier,  Le  royaume 
d'Arles,  in-8,  Paris,  1892.  (H.  L.) 

2.  A.  Luchaire,  Le  roi  Louis  VII  et  le  pape  Alexandre  III,  dans  Comptes  rendus 
de  l'Acad.  des  se.  moral,  et  polit.,  1897,  t.  xi.vu;  Vita  Ale.randri,  dans  Wattcrich, 
op.  cit.,  t.  II,  p.  387  sq.,  517  sq.,  note  1  ;  Reuter,  op.  cit.,  p.  185;  Tengnagel,  op. 
cit.,  p.  406.  (H.  L.) 

3.  «Du  jour  où  Alexandre  III  fut  hors  d'Itahe,  à  l'abri  des  atteintes  de  l'em- 
pire, la  papauté  reprit  l'avantage.  Le  roi  de  France,  qui  lui  donnait  asile,  trouva 
ie  prestige  moral  qui  releva  sa  dynastie.»  A.  Luchaire,  Louis  VII,  dans  Lavisse, 
liist.  de  France,  t.  m,  i,  p.  38.  (H.  L.) 

4.  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  1410-1411;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2. 


l 


Gio.     DKTRESSE     d' ALFiX  AN  DRE     III  957 

On  y  vit  les  archevêques  de  Sens,  de  Tours,  d'Aix  et  de  Xarbonne! 
ainsi  qu'un  nomlire  assez  considérable  d'évêques.  Mais  les 
archevêques  de  Bourges  et  de  Reims,  les  évêques  d'Evreux 
et  de  Bayeux  (que  le  roi  d'Angleterre  avait  promis  d'envoyer) 
se  lircnt  attendre.  Plusieurs  princes  se  rendirent  en  per- 
sonne ;'i  l'assemblée,  d'autres  se  contentèrent  d'y  envoyer 
des  déi)ulés.  Dès  le  jour  de  l'Ascension,  l'excommunication  lut 
prononcée  contre  Octavien  et  ses  ])artisans;  le  monastère  de 
\é7elay,  placé  jadis  sous  la  domination  de  celui  de  Cluny,  pour 
avoir  abandonné  la  cause  de  Pascal  II,  fut  rétabli  dans  son  indé- 
])endance,  puisque  Cluny  s'était  engagé  dans  le  schisme. On  menaça 
d'excommunication  tous  les  seigneurs  qui  ne  punissaient  pas  les 
hérétiques,  les  pirates,  etc.  ;  enfin  on  défendit  à  tous  moines, 
chanoines  réguliers  et  autres  religieux,  d'enseigner  les  lois  civiles 
et  la  physique. 

On  remarqua  que  Louis  ^'II  n'envoya  aucun  député  à  Mont- 
pellier, quoique  le  pape  lui  eût  écrit  le  20  et  le  30  avril,  ainsi  qu'à 
la  reine  Adèle.  Le  roi  était  devenu  fort  hésitant  à  l'endroit 
d'Alexandre,  parce  que  l'empereur  l'avait  menacé  delà  guerre 
s'il  reconnaissait  Alexandre  pour  le  ])ape  légitime  ;  d'autre 
part,  le  pape  ayant  rejeté  une  demande  de  Louis,  ce  der- 
nier envoya  en  Italie  son  beau-frère,  Henri  le  Libéral, 
comte  de  Champagne,  entamer  des  négociations  avec  l'em 
pereur.  En  même  temps  il  chargea  l'abbé  Théobald  de  Saint- 
Germain-des-Prés  d'en  avertir  le  pape,  espérant  ainsi  exercer 
une  certaine  pression  sur  Alexandre  et  le  rendre  plus  favorable 
à  ses  désirs.  Mais  le  pape  demeura  inflexible,  et  le  roi,  pro- 
fondément irrité,  envoya  au  comte  Henri,  alors  en  Lombar- 
die,  l'évêque  Manassès  d'Orléans  pour  lui  recommander,  dans 
cette  question  du  schisme,  de  se  montrer  aussi  favorable  que 
possible  aux  idées  de  l'empereur  ^.   Le   comte   Henri,   parent  de 

col.  1589;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  291;  Mansi,  Concilia,  Supplém.,  t.  ii,  col. 
537;  Conc.  ampliss.  coll.,  l.  xxi,  col.  1159;  Jalïé,  Reg.  pont,  rom.,  2^  édit.,  t.  ii, 
p.   157-158.    (H.   L.) 

1 .  Il  faut  voir  les  choses  comme  elles  se  sont  passées.  Louis  VII  n'était  pas  en 
brillante  posture  vers  l'cnnéellfiO  et  AlexandrelII  eut  peu  de  ménagements  pour 
ce  prince  empêché  chez  lui  et  plus  encore  hors  de  chez  lui.  L'empereur  était  un 
seigneur  autrement  formidable  et  le  roi  d'Angleterre  l'emportait  fort  sur  le  roi 
de  France.  Celui-ci  avait  été  lésé  outrageusement  par  les  légats  d'Alexandre, 
qui  avaient  acquis  la  reconnaissance  de  leur  maître  par  l'Anglais   en  sacrifiant  à 


958 


LIVRE    XXXIV 


\  ici  or  1\  ,  Lraila  aussilùL  celui-ci  comme  pape  léj^iiime  et  signa 
avec  l'empereur  un  traité  ruineux  pour  Alexandre.  L'empereur 
et  le  roi  devaient,  le  29  août,  avoir  une  entrevue  sur  un  pont  de 
la  Saône  près  de  Saint-. lean-de-Losne  (entre  Dijon  et  Dôle),  sur 
la  limite  de  la  France  et  de  la  Bourgogne  impériale.  Il  était  con-  [f)02] 
venu  que  tous  deux  amèneraient  leurs  principaux  seigneurs  laïques 
et  ecclésiastiques,  afin  de  travailler  au  rétablissement  de  la  paix 
dans  l'Eglise.  Le  roi  et  l'empereur  promettaient  d'engager,  cha- 
cun de  son  côté,  le  pa[)e  de  leur  obédience  à  venir  au  rendez-vous, 
et  un  grand  concile  devait  décider  lequel  avait  le  droit  pour  lui. 
Celui  qui  ne  comparaîtrait  pas  serait  condamné  d'avance.  On  avait 
espéré  et  calculé  qu'Alexandre  ne  se  prêterait  pas  à  cette  nou- 
velle encjuête  et  refuserait  de  comparaître.  L'empereur  Frédéric  . 
engagea  non  seulement  tous  les  princes  et  évêques  de  son  empire, 
mais  encore  les  rois  et  les  seigneurs  étrangers,  à  se  rendre  à  ce 
grand  congrès  du  pont  de  la  Saône.  Ses  lettres  sont  très  diverses 
et  toujours  rédigées  au  point  de  vue  où  l'on  supposait  que  se 
plaçait  celui  à  qui  on  écrivait.  Tandis  que  dans  cjuelques- 
unes  il  affiche  une  sorte  de  sympathie  et  une  certaine  impartialité 
en  faveur  d'Alexandre,  il  dévoile  dans  d'autres  son  projet  bien 
arrêté  de  faire  reconnaître  Victor.  Des  copies  de  lettres  rédigées 
de  cette  seconde  manière  tombèrent  entre  les  mains  d'Alexandre, 
qui,  pour  détourner  l'orage,  recourut  à  l'entremise  de  l'archevêque 
de  Reims,  pour  obtenir  une  entrevue  avec  le  roi.  Ils  se  rencontrèrent 
à  Souvigny,  près  de  Moulins.  Le  roi  tenta  de  persuader  Alexandre 


celui-ci  la  petite  princesse  française.  Louis  VII,  qui  était  faible,  mais  fin,  comprit 
qu'une  conversation  avec  des  Romains  n'aboutirait  jamais  à  rien  :  il  s'y  prit  autre- 
ment. Quelques  mois  après  que  Louis  VII  avait  consenti,  par  surprise,  à  recon- 
naître avec  Henri  II  la  légitimité  d'Alexandre,  ce  dernier  arrivait  en  France,  un 
peu  comme  chez  lui,  où  il  apprit  tout  à  coup  avec  stupeur  qu'il  ne  suffisait  pas 
d'être  habile,  (ju'il  fallait  quelquefois  être  honnête  et  qu'un  roi  de  France,  pour 
si  petit  compagnon  cju'il  parût,  ne  se  laissait  pas  toujours  berner  impunément, 
même  par  des  légats  pontificaux.  Le  bruit  courut  donc  que  Louis  VII  acceptait 
de  s'entendre  avec  Barberousse  pour  discuter,  dans  une  assemblée  solennelle 
où  se  réuniraient  la  noblesse  et  le  clergé  de  l'Europe  entière,  l'affaire  de  la  dou- 
ble élection  de  1159.  En  débarquant  à  Maguelonne,  le  pape  ignorait  tout.  Il 
reçut  à  Montpellier  deux  envoyés  du  roi  de  France,  chargés  de  le  complimenter 
et  de  faire  allusion  à  la  conduite  des  légats.  Alexandre  les  brusqua.  Puis  la  nou- 
velle de  la  prochaine  entrevue  éclata.  Le  pape,  à  ce  coup,  prit  peur  el  fit  prier 
Henri  de  France,  frère  de  Louis  VII  et  archevêque  de  Reims,  de  s'entremettre 
pour  tout  arrêter;  mais  il  n'était  plus  temps.  (H.  L.) 


* 


623.    DiîiuEssE    d'alexandre   m  059 

qu'il  devait  se  rendre  avec  lui  au  congrès,  lui  promettant  toute 
sécurité;    le    pape    s'y     étant     refusé,    Louis    VII    ne   put   s'em- 
pêcher  de    trouver    étrange    que    celui   qui   était   si   sûr    de   son 
droit  redoutât    une    enquête    publique.    Le    roi    était    persuadé 
qu'on    arriverait   à    une    solution    ])acifique^;   pour    ne    pas    le 
mécontenter,   Alexandre   accorda   ([uc   quatre    cardinaux   se   ren- 
draient    avec    le    roi    à    Dijon     et     seraient     ses     témoins    dans 
les  négociations  qui  allaient  s'ouvrir.  Pendant  ce  temps,  Alexan- 
dre lui-même  vint  habiter  le  monastère  de  Déols  près    de    Châ- 
leauroux,  en  Berri.    Mais    le    congrès    ^irojeté  ne    se     réunit    pas. 
A%aul    lout,  les  grands  préparatifs  militaires  de   l'empereur,  dont 
le  roi  de  France  put  se  rendre  compte  par  lui-même,  lui  firent 
craindre   (jue  l'empereur    ne    méditât    une    invasion    en    France, 
ainsi  que  le   bruit  en  avait  couru.   De  plus,    Louis    n'avait    pas 
[603 j  été    pleinement    satisfait    du    traité    que   son    beau-frère     Henri 
a\'ait     conclu     avec     l'empereur.     11     trouvait     qu'Henri    avait 
dépassé    de     beaucoup    ses    instructions.     Il    prit    la    résolution 
d'empêcher   le   congrès   et   envoya    des    ambassadeurs    au    camp 
impérial    demander    un     délai,    alléguant     qu'il     avait     été     in- 
struit  par   son    beau-frère,    seulement   l'a  vaut- veille,    de    ce   qui 
s'était  passé  et  que  l'importance  de  cette    affaire    demandait    de 
mûres    réflexions.  Tandis    c{ue    ses    ambassadeurs  négociaient ,  il 
voulut,  par  un  singulier  scrupule,  observer  du  moins  la  lettre  du 
traité.  De  Dijon,  il  dirigea  une  chasse  vers  le  sud,  arriva  à  l'en- 
droit où  devait  avoir  lieu  la  conférence,  traversa  le  pont  de  la 
Saône,  sur  lequel  naturellement  il  ne  rencontra  pas  l'empereur, 
et  revint  à  Dijon  sans  désemparer  [29  août].  De  son  côté,  Frédéric 
avait  fait,  quelques  heures  auparavant,  le  même  simulacre.   Au 
point  du  jour, il  était  venu  avec  Victorsur  le  pont,  et  comme  ils  n'y 
rencontrèrent  pas   Alexandre,  Victor  fut  déclaré  par  le  fait  même 
pape  légitime.  Toutefois  l'empereur  ne  voulait  pas  laisser  échop- 
per le    roi  de  France;   il  le    menaça  de  la  guerre,  s'il   rompait  le 
traité,  et  Louis  se  vit  forcé  de  poser  à  Alexandre  cette  alternative  : 
ou  se  rendre  au  congrès  (dont  on  n'avait  pas  encore  abandonné  le 
projet),  ou  être  livré  à  l'empereur  2.  Dans  cette  extrémité,  Henri  II, 


1.  A  mou  avis,  on  pouvait  douter  de  la  sincérité  du  roi,  qui  n'avait  pas  encore 
complètement  vaincu  son  antipathie  pour  Alexandre. 

2.  On  aurait  peine  à  croire,  si  le  fait  n'était  bien  attesté,  que  le  roi  de  France 
ait  supporté  pareil  langage  et  oiïert  en  garantie  trois  grands  feudataires  de  son 


i)60  Î.IVRK     XXXIV 

roi  d'Aiif^lelerro.  sauva  Alexandre  f|ui,  dans  sa  détresse,  avait 
imploré  son  aide  })ar  Tentremise  de  trois  évêques  anglais  et 
d'Arnulf  deLisieux^.  Il  sortit  donc  de  Normandie  avec  une  armée 
considérable  pour  défendre  le  pape  et  son  suzerain,  le  roi  de 
France,  contre  l'empereur.  Cette  circonstance  et  le  manque  de 
vivres,  occasionné  par  la  réunion  d'une  grande  multitude  sur' 
les  bords  de  la  Saône,  déterminèrent  l'empereur  à  se  retirer 
sur  Besançon,  tandis  <iue,  pour  sauver  les  apparences,  son  chan- 
celier Rainald  de  Dassel  eut  une  entrevue  avec  le  roi  de  France 
sur  le  fameux  pont  de  la  Saône  [22  septembre].  Le  chancelier 
ne  voulani  accorder  qu'aux  seuls  prélats  de  l'empire  le 
droit  de  décider  qui  était  le  ])ape  légitime,  à  l'exclusion  des 
évéques  français,  le  roi  piqua  des  deux  son  cheval  et  laissa 
là  le  chancelier  avec  son  argumentation.  Les  négociations  [OO'i] 
étaient  rompues,  et  l'clliance  franco-allemande,  si  terrible  pour 
Alexandre,  à   jamais  brisée  ^. 

royaume  :  le  duc  de  Bourgogne,  le  comte  de  riandre  et  le  comte    de   Nevers. 
(H.  L.) 

1.  Bouquet,  Recueil  des  hisL  de  la  France,  I.  xv,  p.  784;  Wc  tlerich;  op.  cit.. 
t.  u,  p.  529  sq.,  n.  1. 

2.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  1162-11G3;  Monuni.  Gerni.  hist., 
Leges,  t.  II,  p.  132  sq. ;  Watterich,  op.  cit.,  t.  u,  p.  390  sq.,  52G  sq.;  Reuler,  op. 
cit.,  p.  196-215.  —  Boso,  dans  Watterich,  Vitae  pontif.  roman.,  t.  ii,  p.  389; 
Hugues  de  Poitiers,  Historia  Vizeliacensis,  dans  Monum.  Gerin.  liisf.,  Script., 
t.  XXVI,  p.  146  sq.,  et  dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  526;  Prutz,  op.  cit.,  t.  i, 
p.  307  sq. ;  Giesebrecht,  op.  cit.,  1880,  t.  v,  p.  332  sq.,  336  sq.;  Giesebrecht- 
Simpson,  op.  cit.,  1895,  t.  vi,  p.  413.  Le  22  septembre,  à  neuf  heures  du 
matin,  Louis  VII  se  présenta  à  cheval  sur  le  pont  de  Saint-Jean-de-Losne.  Il 
attendit  jusqu'à  midi.  Ni  Frédéric  ni  Victor  III  ne  parurent,  mais  l'empereur 
s'était  l'ait  représenter  par  son  âme  damnée,  Rainald  de  Dassel.  Le  roi  de  France 
et  ses  barons,  après  avoir  fait  constater  l'absence  de  l'empereur,  rappelèrent  au 
chancelier  Rainald  la  promesse  faite  par  son  maître  d'accepter  un  arbitrage 
sur  la  validité  de  l'élection  do  Victor.  Le  chancelier  répondit  que  lempereur 
n'avait  pris  aucun  engagement  de  cette  nature  :«  Lui  et  les  évêques  de  l'empire 
ont  seuls  qualité  pour  juger  des  élections  pontificales;  le  roi  de  France  et  son 
clergé  sont  convoqués  uniquement  pour  entendre  le  prononcé  de  la  sentence 
impériale  et  promettre  de  s'y  conformer.  »  A  celte  déclaration,  Louis  VII  se 
retrouve  roi  de  France.  Il  se  tourne  vivement  vers  le  comte  de  Champagne  et  le 
prie  de  répéter  les  clauses  de  la  convention  conclue  par  lui-même  avec  l'em- 
pereur. Cela  fait,  le  roi  dit  :  «  Eh  bien  !  comte,  vous  êtes  présent.  Vous  êtes 
témoin,  vous  voyez  que  l'empereur,  qui,  d'après  vous,  devait  se  trouver  ici,  est 
absent  et  que  ses  représentants  viennent,  devant  vous,  de  changer  les  termes 
du  traité!  —  C'est  vrai,  reconnaît  le  comte.  —  Alors  je  suis  libéré  de  tout  enga- 


G  2  3.     DÉTRESSE     u'.VI.HXANDUI.     III  961 

L'empereur  Frédéric  avait  éi^alement  convoqué  au  rendez- 
vous  du  pont  de  la  Saône  Waldenitr  I^^^,  roi  de  Danemark.  Il 
voulait  profiter  de  cette  occasion  pour  lui  donner,  en  qualité  de 
suzerain,  la  confirmation  depuis  longtemps  sollicitée.  Walde- 
mar  n'avait  pris  jusqu'alors  aucun  parti  touchant  l'obédience  ^. 
La  majorité  de  ses  évèques,  Eskill,  archevct{ue  de  Lund,  en 
tète,  avait  ouvertement  embrassé  le  parti  d'Alexandre;  mais 
la  haine  de  Waldemar  contre  ce  puissant  métropolitain,  qui 
paraissait  éclipser  l'éclat  de  la  couronne,  et  ses  relations 
amicales  avec  l'empereur,  le  faisaient  pencher  personnelle- 
ment du  côté  de  Victor.  Ce  dernier  avait  chargé  un  légat, 
nommé  Bernard,  de  réunir  en  concile  les  évêques  da7iois, 
dont  un  très  petit  nombre  sevilement  se  rendit  à  cette  invi- 
tation. Le  moment  venu  de  se  rendre  au  pont  de  la  Saône, 
le  roi  demanda  à  Absalon.  l'évêqne  batailleur  de  Roskilde 
(plus  tard  archevêque  de  Lund),  son  cousin  et  frère  de  lait, 
de  l'y  accompagner.  Absalon  s'y  refusa,  ne  pouvant  sans  danger 
pour  son  âme,  disait-il,  communiquer  avec  un  empereur  schis- 
matique  :  il  fallut  des  instances  réitérées  et  l'assurance  que 
son  secours  éviterait  le  schisme,  pour  le  décider  à  suivre  Wal- 
demar. Lorsque  le  roi  de  Danemark  eut  rejoint  l'empereur,  celui-ci 


gement  ?  —  Oui,  sans  doute.  »  Louis  VII  dit  alors  aux  barons  et  aux  évèques 
de  son  escorte  :  «  Vous  avez  vu  et  entendu,  tous  tant  que  vous  êtes,  ma  conduite 
et  mes  paroles;  me  croyez- vous  encore  lié  par  le  traité  ?  »  Tous  répondent  :  «Vou  s 
êtes  dégagé.  »  A  l'instant,  le  roi  tourne  bride  et  part  au  galop.  Les  impériaux 
s'essoufflent  à  sa  poursuite,  promettent  que  l'empereur  reviendra  à  ses  conven- 
tions premières.  «  J'ai  fait  tout  mon  devoir,  »  dit  sèchement  Louis  VIT,  qui 
galope  vers  Dijon.  Ainsi  se  termina  cette  entrevue  dont  on  s'était  si  fort  alarmé 
dans  l'entourage  pontifical.  Les  deux  souverains  ne  se  virent  même  pas  et 
jouèrent  à  cache-cache,  puis  finirent  par  s'éloigner  sans  s'être  accordés.  Louis  VII 
n'est  guère  royal  dans  son  rôle,  Frédéric  n'avait  jamais  visé  à  l'être.  Le  clian- 
colier  Rainald  avait  trop  présumé  de  ses  rodomontades  el  se  trouvait  en  piteuse 
posture.  Le  vrai  gagnant,  c'était  Alexandre  III,  qui  allait  recueillir  le  fruit  de 
cette  mystification  qui  a  gardé  le  nom  d'  k  incident  de  Saint-Jean-de-Losne  », 
Henri  II  d'Angleterre  pouvait,  s  il  le  voulait,  supposer  que  Barberousse  s'était 
dérobé  devant  la  perspective  d'une  rencontre  armée  avec  ses  troupes,  qui  étaient 
de  qualité  à  faire  réfléchir  les  Allemands.  (IL  L.) 

1.  Saxo  Grammaticus,  Ifistoria  Danorum,  xiv,  779  sq.  ;  Watterich,  op.  cit., 
I.  II,  p.  530  sq.;  Annal.  Palidenses^  dans  Moiaun.  Germ.  hi.il.,  Script.,  t.  xvi, 
p.  92;  Annal.  Colon,  maxitn.,  dans  Monum.  Germ.  Iiist.,  Stript.,  t.  xvii,  p.  777; 
Annal.  Stad.,  dans  Monum.  Germ.  Itisl.,  Script.,  t.  xvi,  p.  .'î'i'i;  Reuter,  op.  cit., 
t.  i,  p.  215  sq.;  TonrLual,  FvracJi..  p.  35-'j7.   (II.  L.) 

coxc  iLi:s       V  —  Cl  1 


9b'i 


LIVRK     XXXI V 


réunit,  le  7  septembre^  1162,  un  nouveau  conciliabule  d'environ 
cjuarante  évêques  et  beaucoup  de  grands  de  l'empire.  Il  espérait 
être  plus  heureux  qu'au  mois  d'août.  Victor  fit  un  long  discours 
pour  prouver  ses  droits  à  la  tiare.  L'empereur  ajouta  «  qu'il 
avait  invité  les  «  roitelets  »,  reguli  (ceux  de  France  et  d'Angleterre), 
à  une  conférence  pour  terminer  le  conflit  qui  déchirait  l'Église; 
mais  qu'ils  n'avaient  pas  comparu,  parce  que.  au  mépris  des  droits 
exclusifs  de  l'empereur  romain,  ils  prétendaient  instituer  un 
pape  romain  et  s'arroger  une  juridiction  sur  Rome  où  ils 
n'avaient  que  faire.  «  Le  chancelier  Rainald  de  Dassel  broda  sur 
ce  thème  et  fit  valoir  que  la  conduite  des  rois  de  France  et  d'An- 
gleterre était  non  moins  inique  <[ue  si  l'empereur  revendiquait 
le  jugement  d'un  conflit  survenu  à  l'égard  d'un  siège  épiscopal  en 
Angleterre  ou  en  France.  Afin  d'être  bien  entendu  de  tous,  le 
chancelier  répéta  sa  harangue  en  latin,  en  français  et  en  allemand. 
Il  est  superflu  de  relever  le  sophisme  qui  réduisait  le  pape  à  [605 
n'être  que  l'évêque  de  la  ville  impériale  de  Rome  et  non  le  chef 
de  l'Eglise.  Lorsque  Victor  voidut,  conformément  à  ces  prin- 
cipes, prononcer  à  la  lueur  des  cierges  l'excommunication 
contre  Alexandre  et  ses  partisans,  le  roi  Waldemar  s'éloigna,  sur 
le  conseil  d'Absalon,  afin  de  ne  pas  assister  à  un  pareil  sacrilège. 
Absalon,  que  Victor  voulut  retenir,  suivit  son  maître.  Le  lende- 
main, l'antipape,  agissant  comme  s'il  était  reconnu  par  le  Dane- 
mark et  passant  outre  aux  })rotestations  d'Absalon,  sacra  Livo 
évêque    d'Odensée  ^. 


1.  Tel  est  le  récit  de  Saxo  Grammaticus,  prévôt  de  Roskiide,  qui  faisait 
partie  de  la  suite  d'Absalon  (Ilistoria  Datiorum;Watterich,op.cit.,t.  u,  p.  530); 
mais,  à  raison  de  ses  sentiments  hostiles  à  l'empereur  et  au  royaume,  on  ne  doit 
admettre  son  récit  qu'avec  certaines  réserves,  d'autant  que  d'autres  sour- 
ces sont  en  contradiction  avec  lui.  Les  Annal.  Palid.,  dans  ^lonum.  Gertn. 
hist.y  Script.,  t.  XVI,  p.  92;  Stad. fànns  Monum.  Gerrn.  liist.,  Script.,  t.  xvi,  p.  34'i, 
et  les  Colon,  max.  dans  Monum.  Germ.  liist.,  Script.,  t.  xvii,  p.  777,  s'accordent 
pour  dire  qu'à  Besançon,  non  seulement  le  roi  Waldemar  prêta  à  l'empereur  le 
serinent  de  vassalité,  naais  encore  qu'il  reconnut  Victor  comme  pape  légitime. 
A  vrai  dire,  le  roi  de  Danemark  ne  dut  pas  demeurer  bien  longtemps  parmi  les 
partisans  du  schisme,  il  passa  bientôt  dans  le  parti  d'Alexandre.  Reuter,  op.  cit., 
p.  215  sq.;  TouvImaI,  F  or  schungen  zur  Reichs-  undKirchengeschichte  des  zwoljteii 
Jahrh.,  p.  35-47.  Les  Annales  Ryenses,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script., 
t.  XVI.  p.  403,  disent  à  la  date  de  1163  :  Rex  Waldemarus  ivil  ad  conciliiim  iinpe- 
ratoris  Métis  (il  alla  à  Metz  pour  se  rendre  ensuite  au  pont  do  la  Saône),  ubi  mulloa 
dolos  imperatoris  expertus  est. 


<>-'i.     Dl.bUTS     1)K      l'aKCIIKX  l-.(Jli  i:    THOMAS     BECKET  9G3 

Ainsi  avciita  la   Iroisième  tentative  pour  faire  reconnaître  Victor 
|>ar  l'Eglise;   loin  de  lui  être  utile,  le  congrès  du  ])ont  de  la  Saône 
lui  avait  nui  énormément.   Lorsqu'on  connut  en  Allemagne  cet 
événement  et  les  honneurs  rendus  au  pape   par  les  rois  de   France 
et  d'Angleterre,  il  se    fit    un    grand    revirement   de    l'opinion   en 
laveur  d'Alexandre,   et  si,  jusqu'alors,   Eberhard    de    Salzbourg 
et  ses  amis  avaient  été  à  jieu  près  ses  seuls  partisans,  ils  se  virent 
dès    lors     bien    entourés      de     clercs     et     de     laïcs.      Vainement 
Victor,  ([ui,  en  compagnie  de  l'empereur,  était  revenu  du  pont  de 
la  Saône  à  Besançon,  et  de  \h  en  Allemagne,  chercha  à  se  relever 
en    jetant    un     nouvel    anathème    sur    ses    adversaires,    au   con- 
ciliabule de  Trêves  (1^^'  novembre)    ;  les  subsides    ({u'il    demanda 
alors  en  Allemagne  n'y  ajoutèrent  pas  à  sa  popularité,  et  l'empe- 
reur lui-même,  bien  instruit  de  cette  opposition  sourde  et  mena- 
{(iOGJ  çante,  n'osa  faire  la  guerre  à  la  France  et    à    l'Angleterre,     ])our 
soutenir  les  intérêts  de  son  antipape.  Néanmoins  il   repoussa    une 
tentative  de  conciliation  faite  ])ar  Alexandre  i. 


624.  Concile  de  Tours,  mai  1163. 
Débuts  de  larchevêque  Thomas  Becket. 

Après  le  congrès  du  pont  de  la  Saône,  qui,  après  avoir  été  une  me- 
nace pour  Alexandre,  avait  abouti  à  lui  rattacher  très  étroitement 
les  rois  de  France  et  d'Angleterre,  le  pape  voulut  mettre  à  profit  le 
moment  favorable  pour  réunir  un  grand  concile  à  Tours. Cette  ville, 
placée  sur  la  limite  des  deux  royaumes,  était  toute  française  par 
le  caractère,  mais  dépendait  politiquement  du  roi  d'Angleterre 
sous  la  suzeraineté  du  roi  de  France.  Au  mois  d'octobre  1162, 
le  pape  Alexandre  vini  do  Déols  à  Tours,  pour  surveiller  les  pré- 
paratifs de  l'asseinljlée.  Il  coinmunic|ua  son  projet  au  roi  de 
France  dans  les  premiers  jours  de  décembre,  et,  au  commencement 
du  carême  11()3,  vint  en  délibérer  avec  Louis  VII  à  Paris  où  il  passa 
les  fêtes  de  l^âques;  le  dimanche  LiFlare.  il  honora  le  roi  de  la 
rose  d'or  -.  A  cette  même  é)>(K|u»'.  il  (if  aiipiès  de  l'empereur  Fré- 


1.  Watteiirli,  up.  (il.,  l.  ii.  |t.  533  sq.;  Rouler,  op.  cil.,  \>.  225  sq. 

2.  Sur  la  rose  d'i>r,  cf.  lialdassari,  La  roua  d'oio  cite  ai  benedice  ndla  IV  domi- 


0(34  LlVRK    XXXIV 

dcric  liarhcioussc  une  uouxcllo  Lcnlalivo  de  ic'coiu'ilialiiui.  Ses 
ambassadeurs  invitèrent  l'empereur  à  faire  la  paix  avec  l' Eglise  ; 
ils  justifièrent  le  pape  de  l'accusation  d'un  complot  ourdi  avec 
le  roi  de  Sicile,  et  montrèrent  qu'Octavien  était  réellement  intrus. 
L'empereur  répondit  en  ])r()p()sant  la  constitulion  duii  tribunal 
arbitral  })oui'  décider  entre  Alexandre  et  Octavien,  ce  qui  était 
inacceptable  ^.  Un  au  Ire  dépulé  d'Alexandre,  le  sous-diacre  romain 
Théodin,  reçut  pour  mission  d'inviter  les  prélats  anglais  au  concile 
jirojeté.  Après  en  avoir  délibéré  dans  une  sorte  de  diète,  Henri  II  se 
décida  à  les  envoyer  à  Tours;  à  condition  cependant  que  le  pape 
prendrait  l'engagement  écrit  qu'il  n'en  résulterait  aucun  dom- 
mage pour  la  couronne  d'Angleterre  et  qu'aucun  nouvel  usage 
ne  serait  introduit  dans  ce  royaume.  Reuter  '"  voit  ici  une  allu- 
sion au  droit  des  rois  d'Angleterre  de  décider  si  les  évêques  du 
royaume  devaient  ou  non  siéger  dans  un  concile,  mais  le  sens  est 
plus  général  :  Henri  II  exigeait  qu'on  ne  modifiât  en  rien  à  Tours  le 
droit  canon  normand^.  Le  conflit  entre  les  principes  de  ce  droit 
canon  et  les  théories  de  saint  Grégoire  VII  sur  la  liberté  de  l'Eglise 
avait  attristé  la  vie  d'Anselme  de  Cantorbéry,  et,  finalement, 
l'Eglise  l'avait  emporté.  Mais  les  rois  d'Angleterre  regrettaient 
fort  l'abondance  de  la  terre  d'Egypte  :  eux  aussi  poursuivaient 
l'idéal  d'une  Église  byzantine,  dans  laquelle  le  souverain  serait 
tout-puissant,  et  ils  s'étaient  déjà  attribvié  bien  des  droits  ([ui 
lésaient  la  liberté  de  l'Eglise.  Henri  II  craignait  qu'on  ne  remît 
tout  cela  en  discussion  ;  mais  il  ne  soupçonnait  pas  que  c'était 
son  propre  favori  qui  allait  provoquer  la  crise. 

Thomas  Becket  était  fils  d'un  Normand,  Gilbert  Beckel,  établi  à 
Londres.  Plus  tard,  quand  Thomas  fut  devenu  illustre,  on  répandit 

nica  di  Quarisima,  iii-8^  Venezia,  1709;  Busenelli,  De  rosa  aurea  epistola,  in-8, 
l'atavii,  1759;  Cancelliorij  Cappelle  ponlij.  cardiii.,  1790^  p.  247-25'i;  Grapius. 
Schediasina  histoririim  de  rosa  aurea,  iii-8,  l^ipsiic^  IGUli;  Moroni,  Dizionario  di 
erudiz.  eccles.,  1852.  1.  lix,  p.  111-149;  Th.  Jullieii,  dans  Travaux  de  VAcad.  de 
Reims,  1861-1863.  t.  xxvi,  p.  73-92;  E.  Miuitz,  Les  roses  d'or  ponlificales,  dans 
Revue  de  l'art  cltrélien,  1901,  V<=  série,  t.  xii,  \).  1-11;  Ralschius,  Commentalio 
de  rosa  aurea,  1728;  Rechenxperg,  Exercilatio  de  rosa  aurea,  in-8,  Lipsiœ,  1686. 
(H.  L.) 

1.  Watterich.  op.  cit.,  t.  ii,  p.  534;  Sudendorf,  Registrum,  t.  i,  p.  66  sq. 
'    2.   Reuter,  op.  cit.,  t.  i,  p.  283  sq. 

3.  Materials  for  thc  liislori/  oj  Thomas  Becket,  t.  v,  p.  33;  Z.  N.  Brooke,  Pupe 
Gregory  VIFs  demand  fur  fealty  jrom  William  the  Conqucror,  dans  English  histo- 
rical  review,  1911,  t.   xxxvr,  p.   225-238.    (II.  L). 


62'i.     DÉBUTS     DE     i/aRCHEVÊQUF,     THOMAS     HKClvET  965 

une  légende  d'après  laquelle  ce  Gilbert  serait  tombé  entre  les  mains 
des  Sarrasins  au  cours  d'un  pèlerinage  à  Jérusalem  et  devenu  l'es- 
clave d'un  prince  i.  Ses  charmes,  ses  connaissances  et  son  talent 
de  narrateur  lui  gagnèrent  bientôt  la  bienveillance  de  son  maître, 
qui  l'invita  souvent  à  sa  table.  La  fdle  du  prince,  c[ui  fit  ainsi  sa 
connaissance,  fut  saisie  d'un  violent  amour  pour  lui  :  elle  le  lui 
avoua  et  se  déclara  prête  à  emlu^asser  la  foi,  s'il  voulait  l'enlever 
et  l'épouser.  Malheureusement  Gilbert  excita  des  soupçons  et 
dut  fuir  seul.  La  princesse  partit  à  sa  recherche,  renonçant  à  tous 
ses  biens,  et,  après  des  fatigues  sans  nombre,  arriva  à  Londres. 
La  pauvre  enfant  ignorait  entièrement  la  langue  du  pays  et  ne 
savait  que  deux  mots  :  «Gilbert,  Londres.  »  Elle  les  redisait  en  par- 
courant les  rues  comme  une  insensée,  à  la  recherche  de  son  ami. 
Le  serviteur  de  Gilbert,  qui  avait  j^artagé  sa  captivité,  la  ren- 
contra. Gilbert,  touché  par  tant  d'amour,  demanda  aux  évêques, 
réunis  en  concile  à  Saint-Paul  de  Londres,  la  conduite  à  tenir, 
et  tout  finit  par  un  baptême  et  un  mariage  dont  naquit  Thomas 
Becket,  le  21  décembre  1117  ou  1118  '^.  A  l'école,  Thomas  donna  les 
promesses  d'un  talent  vigoureux.  11  continua  ses  études  à  Paris. 
A  son  retour,  il  accepta  une  fonction  municipale  ;  plus  tard,  un 
clerc  l'ayant  présenté  àThéobald,  archevêque  deCantorbéry,il  plut 
[(i08]  tellement  à  ce  prélat  que  celui-ci  l'ordonna  diacre  et  l'envoya  sou- 
vent à  Rome  pour  ses  affaires.  Malgré  la  jalousie  des  autres  clercs, 
notamment  de  Roger,  archidiacre  de  Cantorbéry,  Thomas 
sut  garder  la  confiance  de  l'archevêque.  11  suivit,  vers  cette 
époque,  les  cours  des  écoles  de  Bologne  et  d'Auxerre,  pour  s'y 
perfectionner  dans  le  droit  civil  et  le  droit  canon,  et  lorsque,  en 
1154,  Roger  fut  nommé  à  l'archevêché  d'York,  Thomas  lui  suc- 
céda comme  archidiacre  de  Cantorbéry.  Il  obtint  bientôt  d'au- 
tres bénéfices,  et  deux  ans  plus  tard  le  roi  Henri  II  le  fit  chan- 
celier. L'archevêque  Théobald  l'avait,  dit-on,  recommandé  pour 
cette  charge,  afin  qii'il  t«>urnAt  au  service  de    l'Eglise    l'influence 


1.  Je  ne  sais  les  raisons  qu'a  pu  avoir  Hefele  d'accueillir  ces  sornettes.  L'Huil- 
lier.  Saint  Thomas  de  Cantorbénj,  1891^  t.  i,  p.  2-6,  emploie  quatre  pages  à  s'en 
débarrasser.   (H.   L.) 

2.  Reuter,  op.  cit.,  t.  i,  p.  237  sq.,  dit  que  la  légende  de  la  merveilleuse  ori- 
gine de  IJeckct  a  été  inventée  pour  expliquer  comment,  dans  le  caractère  de 
ce  grand  homme,  se  trouvaient  réunies  ces  deux  qualités:  la  prudencedu  Nor- 
mand et  la  liliéralilé  de  l'Orieiilal,  qui  sait  tout  sacrifier. 


OGG  LIVRE     XXXIV 

ffii'il  no  pnin  ait  manquer  d'acfjuérir  sur  le  roi.  Le  nouveau 
chancelier  parlac;ea  les  idées  de  son  maître  sur  la  conception 
byzantine  de  l'Église  d'Etat;  il  fut  mondain,  porta  des  habits 
séculiers,  s'entoura  d'un  grand  luxe,  donna  de  somptueux  festins, 
chassa  et  même  alla  à  la  guerre.  Néanmoins,  parmi  tant  de  dissi- 
pations, un  œil  perspicace  aurait  pu  démêler  quelques  symptômes 
de  l'homme  qui  étonnerait  le  monde  ])ar  ses  vertus.  Il  remplissait 
ses  hautes  fonctions  avec  une  merveilleuse  activité;  plongé  dans 
le  luxe,  il  ^  ivait  en  ascète,  il  resta  chaste,  fut  magnifique  en- 
vers les  pauvres,  s'employa  activement  en  faveur  de  l'Église  et 
ne  proposa  au  roi  que  d'excellents  choix  })our  les  évêchés  du 
royaume.  Le  tempérament  jovial,  séduisant  et  initiateur  de  Thomas 
Becket  le  fit  fort  aimer  du  roi,  qui  le  traita  en  ami  plutôt  qu'en 
serviteur.  Théobald,  archevêque  de  Cantorbéry,  mourut  le  18  avril 
1161,  et  le  siège  primatial  resta  treize  mois  vacant;  après  ce  temps, 
le  roi  Henri,  qui  était  en  Normandie,  où  il  résida  plusieurs  années, 
envoya  son  chancelier  en  Angleterre,  lui  déclarant  qu'il  voulait  le 
faire  archevêque.  Thomas  dit  :  «  En  ce  cas,  notre  présente  amitié 
se  changera  en  une  haine  implacable.  Vous  entreprendrez  sur 
l'Église  des  empiétements  que  je  ne  supporterai  pas.  »  Le  roi 
tint  bon,  persuadé  que  la  nomination  de  Becket  n'entraînerait 
pas  ces  conséquences.  Ce  qu'il  connaissait  du  chancelier  lui  fai- 
sait espérer  c{ue,  devenu  primat  d'Angleterre,  il  protesterait  de 
temps  en  temps  pour  la  forme  contre  les  empiétements  de  l'État 
sur  les  droits  de  l'Eglise,  mais  finirait  par  céder  comme  ses 
prédécesseurs.  Thomas  lisait  plus  clairement  dans  l'avenir. 
Chancelier,  il  avait  soutenu  avec  zèle  les  intérêts  de  la  cou- 
ronne contre  les  droits  de  l'Eglise,  persuadé  qu'il  demeurait 
dans  son  rôle  et  ([ue  c'était  aux  évêques  et  non  à  lui  à 
défendre  les  intérêts  de  l'Église  contre  les  droits  de  la  couronne; 
primat,  il  se  mettrait  à  la  tête  des  évêques  pour  défendre  les  droits 
de  ri^glise  contre  ceux  de  la  couronne.  Il  voulait  d'abord  décli- 
ner cette  charge  et  ne  se  décida  qvie  sur  les  instances  du  roi 
et  du  légat  du  pape,  Henri  de  Pise;  peut-être  conservait-il  l'espoir 
que  l'amitié  dont  le  roi  l'honorait  servirait  à  aplanir  bien  des 
conflits.  Henri  II  fit  donc  connaître  au  monastère  de  Saint-Augus- 
tin à  Cantorbéry,  auquel  revenait  le  droit  d'élection,  son  intention 
au  sujetdeThomas  Becket, et  quoique  les  moines  n'aimassent  guère 
le  chancelier  mondain,  la  volonté  royale  prévalut.  Le  vote  fut 
confirmé  par  une  assemblée  réunie  à  Westminster,  et,  le3  juin  1162, 


62 'i.     DÉBUTS     UE     l'archevêque     THOMAS     BKCKET  0G7 

Reckot  fui  sacré  en  })résence  des  évèques  par  Henri,  évêque 
de  Winchester,  frère  du  feu  roi  Etienne  ^.  On  sait  que  dès  lors 
fGlO]  Thomas  Becket  fut  un  zélé  défenseur  de  la  liberté  de  l'iiiglise; 
il  vécut  avec  la  rigueur  d'un  ascète,  portant  un  capuchon 
semblable  à  celui  de  ses  moines  et  un  cilice  sous  ses  habits. 
Hermann  Reuter  explique  ce  changement  au  désavantage 
de  Thomas  chez  lequel  tout,  d'après  cet  auteur,  était  calculé, 
afin  d'arriver  progressivement  au  sommet  des  honneurs  et  de  la 
puissance.  Sa  raison  calme  réglait  tous  les  mouvements  de  son 
cœur,  et  l'enthousiasme  dont  il  parut  saisi  quelquefois  n'était 
qu'une  adresse  nouvelle  pour  mieux  dissimuler  ses  calculs.  Il 
accommoda  toujours  ses  principes  à  sa  situation,  était  tour  à 
tour  mondain  et  ascète,  selon  qu'il  était  chancelier  ou  pri- 
mat d'Angleterre,  et,  s'il  parut  un  moment  favoriser  le  césa- 
risme  pontifical  rêvé  par  le  roi  son  maître,  ce  ne  fut  que  pour 
mieux  se  faire  plus  tard  le  champion  des  théories  opposées, 
celles  de    Grégoire  VII  ^, 

1.  Parmi  tous  les  anciens  biographes  de  Thomas  Becket  se  trouvent  d'abord 
ses  amis,  Herbert  de  Bosham,  Guillaume  Fitz-Stephan  [Siephani  filius),  Jean 
de  Salisbury  et  les  deux  moines  Edouard  Grim  et  Roger  de  Pontighy.  L'esquisse 
tracée  par  Jean  de  Salisbury  a  été  complétée  par  Alan  de  Tewkesberia.  Leurs 
travaiix  et  les  autres  Vilie  et  Passioties  ou  JMartyria  S.  Thomas  sont  imprimés 
dans  léd.  des  0pp.  S.  Thomse,  par  Giles,  London,  1846,  t.  i,  ii^  vu,  et  dans  P.  L., 
t.  cxc  et  cxcix.  Auparavant  on  avait  réuni  plusieurs  de  ces  anciennes 
biographies,  les  deux  Quadrilogi,  par  exemple,  dont  la  première  parut  en  1495 
à  Paris,  et  la  seconde  en  1682  à  Bruxelles  (Giles  et  Migne  n'ont  pas  inséré  ces 
Quadrilogi  d'une  manière  complète). [Pour  les  sources  de  la  vie  de  Thomas  Becket, 
le  recueil  qui  désormais  tient  liexi  de  tous  les  autres  est  intitulé  :  Robertson, 
Materials  for  the  history  of  Thomas  Becket,  1875-1885,  neuf  volumes  in-8,  publiés 
par  les  soins  de  la  Société  historique  du  Royaume-Uni.  Une  monographie  de 
dom  A.  L'Huillier,  Saint  Thomas  de  Cantorhéry,  in-8,  Paris,  1891,  a  donné  une 
bonne  étude  de  ces  sources,  marqué  avec  finesse  leurs  rapports  réciproques,  t.  i, 
p.  411-425.  Pour  la  bibliographie,  laquelle  s'accroît  presque  d'année  en  année 
de  contributions  utiles,  le  plus  récent  inventaire  et  le  plus  complet  est  celui 
de  U.  Chevalier,  Répertoire  des  sources  historiques,  2^  édit.,  t.  ii,  au  mot  Thomas 
Becket.  Malgré  cette  surabondance,  la  vie  de  saint  Thomas  reste  à  traiter  au  strict 
point  de  vue  historique;  l'étude  de  dom  L'Huillier  est  conçue  au  point  de  vue 
spécial  de  l'édification  et  ne  quitte  pas  le  ton  le  plus  relevé.  Opéra  S.  Thomai, 
édit.  Giles,  London,  1846;  P.  L.,  t.  cxc,  cxci;  Monum.  Germ.  hist.,  Script., 
l.  xxvii,  p.  17-42;  Robertson,  op.  cit.;  J.  Morris,  Life  aiidmartyrdom  of  S.  Thomas 
Becket,  London,  1886;  E.  AbbotL,  S.  Thomas  of  Canterbury,  London,  1898; 
Jungmann,  Dissertât,  hist.  eccles.,  Ratisbonna-,  1885,  t.  v,  p.  155  sq.,  Dissert. 
XXY.   (H.  L.)i 

■2.    Reuter,  op.  cit..  i.  t,  p.  246  sq.,  260,  272  sq.,  278. 


908  HVRK     XXXIV 

Divers  historiens  ont  proleslc  conirc  celle  interprélallon  de  la 
vie  de  Thomas  Becket.  Comment,  en  effet,  ose-t-on  traiter  de 
caméléon  un  homme  qui  a  partagé  sans  réserve  les  passions  at- 
tachées à  l'exercice  de  ses  charges  successives,  qui  a  souffert  pour 
elles  et  qui  leur  a  finalement  sacrifié  sa  vie  ?  Un  homme  ne  peut-il 
donc  ni  évoluer  ni  se  déjuger  ?  La  vie  du  chancelier  Thomas  Beckel 
n'offre-t-elle  pas  déjà  un  penchant  prématuré  vers  l'ascétisme  ? 
N'a- 1 -II  pas  montré  dès  lors  sa  sollicitude  ])()ur  l'Église,  du  moins 
pour  le  grave  intérêt  que  présentent  les  choix  épiscopauxPPourquoi 
refuser  à  ces  germes  leur  futur  développement?  Comme  tant  de  mil- 
liers de  ses  contemporains,  il  a  eu  tout  le  loisir  de  se  convaincre  de 
la  fausseté  de  ce  césarisme  pontifical,  que  les  souverains  voulaient 
alors  ressusciter  à  leur  profit.  Il  lui  a  suffi  d'en  voir  les  tristes  con- 
séquences à  la  création  des  antipapes  (depuis  Henri  IV).  Nous 
avons  dit  que,  comme  chancelier,  il  se  croyait  dans  son  rôle  en 
défendant  les  prétentions  de  la  couronne,  même  contre  l'oppo- 
sition de  l'Église;  mais  une  intelligence  de  cette  valeur  ne  pouvait 
méconnaître  que  le  devoir  d'un  archevêque  diffère  de  celui  d'un 
chancelier.  Il  le  dit  tout  net  au  roi  avec  le  pressentiment  des  con- 
flits de  l'avenir  et  de  la  ruine  de  leur  amitié.  Aussi  hésita-t-il 
longtemps  avant  d'accepter  une  charge  qui  lui  réservait  plus  [011] 
d'épines  que  de  roses.  Lorsqu'il  accepta,  ce  fut  avec  la  résolution 
de  sacrifier  tout  à  ses  nouveaux  devoirs  ^. 

Aussitôt  après  son  élévation  au  siège  archiépiscopal,  Thomas 
réclama  de  plusieurs  nobles  les  biens  de  l'Église,  qu'ils  détenaient 
injustement.  Ceux-ci  se  plaignirent  au  roi  et  renouvelèrent  leurs 
plaintes  lorsqu'Henri  revint  en  Angleterre  au  mois  de  janvier 
1163.  Mais  le  souverain  était  encore  plein  d'affection  pour  Thomas, 
il  lui  confia  même  la  régence  du  royaume  d'Angleterre,  pour  se 
consacrer  lui-même  exclusivement  à  ses  possessions  du  continent. 
Thomas,  refusant  l'honneur  périlleux  de  cette  régence,  se  rendit, 
avec  l'assentiment  du  roi,  au    concile    de   Tours,    où    il    arriva   le 


1.  Il  en  a  été  de  même  du  pape  Victor  II,  qui,  n'étant  qu'évêque  d'Eichstâdt, 
devint  le  conseiller  le  plus  intime  de  l'empereur  Henri  III,  entra  dans  ses  plans 
et  causa  de  cette  manière  beaucoup  de  chagjrin  au  pape  Léon  IX.  L'évèque,  ayant 
ensuite  été  élu  pape,  refusa  longtemps  d'accepter  l'élection  et  n'y  consentit 
que  sur  le  désir  formel  de  l'empereur,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  de  défendre  éner- 
giquement  plus  tard  les  droits  de  l'Église  contre  ce  même  empereur.  Cf.  Will, 
dans  Tiib.    Quartalschr.,  1862,  p.  193  sq. 


Gi!'i.     DKBUTS     DE     I.' A  RC.  II  1".  \  KQ  U  E    THOMAS     BECKKT  969 

Ifi  mai  11G3  et  fut  vrvu  avec  des  lionneurs  extraordinaires  par  le 
pape  et  par  les  cardinaux  '. 

Trois  jours  après,  le  19  mai  11()3  -,  le  concile  s'ouvriL  dans 
l'é^^lise  de  Saint-Maurice,  en  présence  de  dix-sept  cardinaux, 
cent  vinot-quatre  évoques,  quatre  cent  quatorze  abbés  et  une 
multitude  de  clercs  et  de  laïciues  ^.  Le  pape  présidait  en  personne. 
Ij'épisc(.>pal  i'rant'ais  était  très  laroement  représenté,  et  l'Ks- 
jiaiïne.  la  Sardaigne,  la  Sicile,  l'Italie,  rAns;leterre,  l'Ecosse 
et  l'Irlande,  ainsi  C|ue  l'Orient,  avaient  envoyé  des  évéques.  A 
droite  du  pape  était  assis  Thomas  Becket  avec  ses  sufTrao;ants;  à 
(Tanche  était  Roger  d'York  avec  son  suiïragant,  l'évêque  de  Uur- 
hani.  Beaucoup  d'évecfues  empêchés  de  venir  avaient  envoyé  des 
lettres  pour  témoigner  de  leurs  sentiments  et  de  leur  respect 
envers  le  pape  légitime.  On  comptait  parmi  ces  derniers  plusieurs 
évéques  allemands,  cjui  blâmaient  les  tentatives  schismatiques 
1012 1  de  leur  empereur  *.  Le  discours  d'ouverture  fut  prononcé  par 
Arnulf,  évêque  de  Lisieux.  Comme  il  ne  pouvait  se  faire  entendre 
de  l'immense  multitude,  il  donna  une  copie  écrite  de  son  discours. 
Il  proclama  que  la  question  de  l'unité  et  de  la  liberté  de  l'Eglise 
est  la  question  brûlante  du  moment.  Unité  et  liberté  indispen- 
sables à  l'Eglise,  car  sans  liberté  elle  est  misérable  et  sans 
unité  elle  est  anéantie.  Or,  pour  elle,  être  misérable  ou  être 
anéantie,  c'est  la  même  chose.  Pour  l'heure,  son  unité  est 
menacée  par  les  schismaticjues  et  sa  liberté  par  les  tyrans.  Mais 
Dieu  ne  donne  pas  la  victoire  à  ses  adversaires,  car,  grâce  à  l'union 
mvstériouso  du  Christ  et  de  l'b'glise.  il  est  impossible  de  déchirer 


1.  C'est  Herbert  de  Bosham  qui  l'assure;  il  était  du  voyage,  on  peut  l'en 
croire,  sauf  quelque  hyperbole  peut-être.  (H.  L.) 

2.  Dimanche  octave  de  la  Pentecôte. 

'S.  Coll.  regia,  t.  xxvii,  col.  352;  Maan,  Conc.  Tuioii.,  1G67^  t.  ii,  p.  48;  Lal)be, 
Concilia,  t.  x,  col.  1411-1425,  1838;  Baluze,  Miscdlan.,  t.  vu,  coi.  84;  2<'  édit., 
t.  II,  col.  121-123;  t.  III,  col.  382-383;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  coi. 
1589;  Martènc,  Thés.,  t.  iv,  col.  143-148;  Colcti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  293;  Mansi, 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  1167;  JafTé,  Beg.  pont,  roin.,  2^  édit.,  t.  ii,  p.  168. 
(H.  L.) 

4.  Mansi,  op.  cil.,  coi.  1186,  et  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  col.  1602,  croient 
que  Conrad  de  Wittelsbach,  archevêque  élu  de  Mayence,  fuyant  devant  l'em- 
pereur à  cause  de  son  attachement  pour  Alexandre,  vint  au  synode  de  Tours. 
Mais  Conrad  était  encore  à  cette  époque  partisan  du  schisme  et  ne  passa  à  la 
cause  d'Alexandre  qu'après  l'rli'clinii  du  sccoiui  aiilipapi^  l'ascal  111,  imi  lld'i. 
Cf.  aussi  Tuurtual,  Forschungen.  p.  2'iS. 


970  LIVRE    XXXIV 

son  iiuiLc  el  de  lui  onlovor  sa  JilxTlr.  Si  la  paille  se  sépare  du  fro- 
ment, l'unité,  loin  d'en  souil'rir,  sera  fortifiée.  C'est  ce  qui  a  lieu 
à  l'égard  des  schismatiques.  En  quittant  l'Église,  ils  n'ont  pas 
nui  à  son  unité,  ils  n'ont  fait  que  la  resserrer.  Quant  aux  tyrans, 
ils  peuvent  prendre  à  l'Église  ses  biens  temporels,  prendre  la  vie 
à  ses  serviteurs  ;  l'Église  reste  libre  et  punit  ces  tyrans  par  l'ex- 
communication, comme  on  punit  de  mauvais  serviteurs  par  le 
cachot.  Il  ne  faut  pas,  du  reste,  rendre  à  ses  adversaires  le  mal 
pour  le  mal,  mais  s'appliquer  à  les  réconcilier  avec  l'Église. 
Telle  est  la  mission  de  l'épiscopat  qui,  pour  la  remplir,  aura  l'ap- 
jiui  de  tous  les  rois  et  de  presque  tous  les  peuples  chrétiens.  Un 
seul,  parmi  les  princes  catholiques,  fait  exception  (l'empereur 
Frédéric);  mais  la  grâce  de  Dieu  aura  raison  de  lui,  car 
il  aurait  brillé  entre  tous  par  sa  prudence  et  sa  vertu,  s'il 
n'avait  préféré  son  propre  avantage  à  l'honneur  de  Dieu. 
Puisse-t-il  s'humilier  sous  la  ])uissante  main  du  Seigneur  el 
reconnaître  que  le  principat  de  l'Église  est  au-dessus  de  son  pro- 
pre 'principat  et  que  celui  qui  reconnaît  le  Christ  pour  son  sou- 
verain doit  aussi  reconnaître  sa  souveraine  en  l'Église,  la  fian- 
cée du  Christ  !  L'empereur  a,  du  reste,  des  motifs  personnels 
pour  regarder  l'Église  romaine  comme  sa  souveraine.  La 
reconnaissance  l'y  oblige,  car  ses  prédécesseurs  ne  sont  arrivés 
à  l'empire  que  grâce  à  l'Église  romaine.  Le  Christ  lui-même 
soutient  les  évcques  dans  leur  lutte  pour  la  liberté  et  l'unité 
de  l'Église;  ils  ne  doivent  donc  se  laisser  effrayer  par  aucune 
menace,  mais  espérer  avec  confiance  la  victoire,  s'ils  ont  pour 
unique  objectif  de  ressembler  au  Christ.  Malheureusement,  ils  [(il?»] 
se  laissent  dominer  par  le  faste  ou  l'avarice  :  ils  doivent 
employer  leurs  richesses  à  soutenir  ceux  qui  ont  sacrifié  tous 
leurs  biens  pour  la  cause  du  Christ,  et  qui.  chassés  de  leur 
patrie,   errent    maintenant  sur  la  terre  étrangère  '. 

Tout  ce  discours  témoigne  une  entière  conviction  de  la  légi- 
limité  de  la  cause  d'Alexandre  IIL  Cette  légitimité  n'était 
même  plus  en  ([uestion  comme  au  congrès  du  pont  de  la  Saône. 

1.  Labbe,  Concilia,  l.  xiii,  col.  293  sq.  ;  Hardouiii,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2, 
col.  1589;  Mansi,  Conc.  anipliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  1167,  donnent  le  discours  d'une 
seule  pièce;  P.  L.,  t.  cci,  col.  151,  157,  et  Giles  en  font  deux  morceaux  (jui  au- 
raient été  prononcés  à  dilïérents  jours.  Cf.  Reiiter,  op.  cil.,  t.  i,  p.  287,  546.  [On 
remarquera,  à  la  fin,  l'invitaLion  à  vider  sa  bourse  :  cest  l'inévitable  refiain  d 
qui  avait  déjà  discrédité  tant  de  légats  pontificaux.  (H.  L.)  | 


G^'i.    Dl'.BUTS     DE     l'aRCHEVÊQUF,    TIIOFAS     BF.CKET  97J 

Alexandre  et  son  obédience  formaient  la  véritable  Éulise  ;  leurs 
adversaires  n'étaient  que  paille.  Le  concile  pensait  de  même; 
son  but  n'était  pas  d'exeminer  la  légitimité  d'Alexandre,  mais 
de  la  faire  reconnaître  autant  que  possible.  Il  en  vint  à  bout 
Le  pape  exposa  devant  l'assemblée  l'histoire  de  son  élection 
se  plaignit  de  l'intrusion  d'Octavien  et  termina  en  l'excommu- 
niant, ainsi  que  tous  ceux  qui  avaient  participé  à  son  sacrilège. 
11  frappa  particulièrement  de  cette  senlence  Rainald  Dassel, 
de  Cologne,  et  Hugues  III.  de  Montlhéry.  abbé  de  Cluny  (qni 
refusait  de  reconnaître  Alexandre). 

Le   concile  promulgua  ensuite  les  canons  suivants  : 
L    Piiisqu'on    conserve    intacts    les    grands  bénéfices  ecclésias- 
liques,    il    est  donc  messéant  de    diviser    les  petites  prébendes. 
Ces  divisions  et  changements  sont  défendus  ^. 

2.  Beaucoup  de  clercs,  même  des  moines,  prêtent  bien 
de  l'argent  sans  intérêt;  mais  ils  demandent  des  biens  comme 
nantissement  et  retirent  des  fruits  de  ces  biens  plus  que  leur 
capital.  A  l'avenir,  quiconque  sera  en  possession  d'un  bien  ainsi 
octroyé  en  nantissement  devra  le  rendre  au  débiteur,  ajirès 
avoir  récupéré  les  frais  d'entretien  et  ce  qui  lui  est  dû.  S'il  n'a 
pas  recouvré  tout  ce  qui  lui  appartenait,  on  complétera  la  diffé- 
rence, mais  le  bien  retournera  à  son  maître.  Si  à  l'avenir  ui\  clerc 
fait  encore  des  affaires  de  cette  nature,  il  perdra  sa  charge,  sauf 

16141  si  le  bien  (qu'il  possède  ainsi  en  nantissement)  était  un  béné- 
lice  ecclésiastic[ue,  qu'il  rachèterait  ainsi  des  mains  d'un  laïc 
pour  le  rendre  à  l'Eglise-. 

3.  Aucun  évêque  ne  doit,  sous  peine  de  déposition,  donner  à 
un  laïc  une  église,  une  dîme  ou  une    offrande  (faite  à  l'Eglise)  'K 

4.  Les  évêques  et  les  clercs  des  provinces  où  habitent  les 
albio^eois  doivent  défendre  à  leurs  fidèles  de  recevoir  ces 
hérétiques,  de  leur  donner  asile  et  protection,  d'avoir  avec  eux 
des  rapports  de  vente  ou  d'achat.  Il  faut  jdutol  les  forcer  à 
se  convertir,  en  ne  les  admettant  pas  à  communiquer  avec  les 
fidèles.  Quiconque  agit  autrement  doit  être  regardé  comme 
complice  de  leur  ])erversité  et  être  excommunié.  Quant  aux  albi- 
geois eux-mêmes,  ils  doivent,  lorsqu'ils  sont  découverts,  être 
emprisonnés  par  les  princes  cal  ludiques  rt   jmnis  ]i;ii'    la    confis- 

1.  DécrélaUfi,  1.   111,  tit.  v,   c.  8 

2.  Ihid.,  1.  V,  til.  XIX,  cl. 

o.  Ihid.,  1.  III,   lit.  XXX,     c.  17  ' 


972  MVRK    XXXIV 

cation  des  ])ii;jis.  ('oininc  ils  se  réunisseiiL  souveni  de  divers  en- 
droits dans  une  seule  maison,  il  faut  surveiller  avec  soin  ces 
conventicules  et  jirocéder  par  les  peines  canoniques, 

5.  On  ne  doit  pas  placer  des  prêtres  à  la  tcte  des  églises, 
moyennant  des  gages  annuels^. 

(J.  Il  y  a  simonie  à  exiger  de  l'argent  de  ceux  qui  veulent  entrer 
en  religion;  à  donner  des  prieurés  ou  des  chapellenies  moyen- 
nant nue  rétribution  annuelle,  à  léclamer  un  dédommagement  à 
ceux  à  qui  on  les  confie.  Il  est  de  même  iiitci'dil  de  rien  exiger 
pour  la  sépulture,  jxtur  le  chrême  et  l'huile  sainte,  même  en 
|)rétextant   une  coutume  existante  ^. 

7.  On  abolit  la  coutume  d'établir,  contre  une  redevance  annuelle, 
les  doyens  ou  archiprêtres  pour  juger,  à  la  place  de  l'évêque  ou 
de  l'archidiacre,  les  diverses  affaires  ecclésiastiques.  Cet  abus  est 
une  charge  pour  le  clergé  (qui  doit  à  son  tour  payer  ces  doyens, 
etc.)  et  un  bouleversement  de  la  justice  ^. 

8.  Quiconque  a  émis  profession  dans  un  ordre  ne  doit  pas 
quitter  son  monastère  pour  enseigner  ailleurs  la  physique  ou 
les  lois  civiles.  S'il  ne  réintègre  pas  son  monastère  dans  le 
délai  de  deux  mois,  il  sera  excommunié. 

9.  Les  ordres  conférés  par  Octavien  (l'antipape)  et  par  les 
autres  schismatiques  sont  de  nulle  valeur,  ainsi  que  ceux  qui 
sont  conférés  par  des  hérétiques. 

10.  Les  chapelains  des  châteaux  sont  tenus  à  ce  qui  suit  :  si 
l'un  d'eux  apprend  qu'un  bien  d'église  fait  partie  des  possessions 
du  château  ou  a  été  enlevé  de  force  par  les  châtelains,  il  devra 
exhorter  le  seigneur  du  lieu  ou  son  représentant  à  le  restituer. 
Si  cette  démarche  reste  infructueiise,  il  devra,  liuit  jours  après, 
suspendre  le  service  divin,  se  bornant  à  baptiser,  confesser  et 
donner  le  viatique  aux  malades  en  danger  de  mort.  Une  fois  n-i^-i 
la  semaine,  il  dira  la  messe,  portes  fermées,  dans  la  villa  la 
plus  voisine,  afin  d'avoir  des  hosties  consacrées  (pour  les  mala- 
des). Si  les  habitants  du  château  s'obstinent  pendant  quarante 
jours,   le   chapelain   devra   les   abandonner    et    quitter  sa   place. 

Les  scribes  (ecclésiastiques)  qui  sont  dans  les  châteaux  seront 
tenus  aux  mêmes  obligations.  Si  un  clerc  habitant  un  château 
se   trouve,   à   cause   de   ses   possessions,   obligé   de   servir  son   sei- 

1.  Di'créiales,   1.  \ ,  tit.  iv,  c.  :^>. 

2.  Ihid.,  1.  V,  f.t.  MI,  c.   8. 

3.  Ihid.,  1.  V,   m.  IV,   c.   2. 


G:!'i.     DKBUTS     1)K     l'aRCIIEVÈQUI;     THOMAS     BECKET  973 

^riicur.  il  (li'\  ra  re[)eiulaiil  (dans  le  cas  cité  plus  havU)  ne  pas  resler 
chez  lui  plus  de  trois  mois.  Enfin,  s'il  lui  est  tout  à  faiL  impossible 
de  s'en  aller,  il  ne  devra  pas  du  moins  manfrer  avec  le  seigneur 
ni  habiter  entièrement  avec  lui.  S'il  v  a  un  changement  de 
personnel  dans  la  chapellenie  du  château,  il  faut  le  faire  con- 
naître à  l'archidiacre,  afin  que  le  nouveau  chapelain  soit  in- 
struit de  la  présente  ordonnance.  lies  marchands  et  autres 
habitants  des  villes  et  Ijouins  ne  doivent  recevoir  aucun 
excommunié  ni  avoir  de  relations  d'affaires  avec  lui.  Lorscjne. 
dans  une  villa,  ou  ville,  ou  bourg  appartenant  au  roi,  le  curi- 
stahularius  (connétable)  royal  est  frappé  d'anathème,  on  ne  doit 
célébrer  aucun  service  divin  en  cet  endroit,  aussi  longtemps 
qu'il  s'y  trouvera.  On  ne  doit  prélever  aucun  cens  [census)  sur 
les  biens  de  l'Église  ^. 

Selon  la  coutume,  on  s'occupa  de  terminer  à  Tours  plusieurs 
conflits.  L'évêque  de  Maguelonne  et  le  chapitre  de  Cluny  étaient 
en  discussion  au  sujet  de  la  possession  de  l'église  de  Saint-Pierre 
à  Montpellier;  le  pape  nomma  une  commission  de  cardinaux 
devant  laquelle  les  deux  parties  durent  présenter  leurs  argu- 
ments et  leurs  chartes.  La  sentence  fut  prononcée  le  13  juin.  La 
chronique  de  Vézelay  rapporte  que  les  moines  de  Cluny  auraient 
voulu  aussi  émettre  des  prétentions  contre  ceux  de  Yézelay, 
mais  le  sentiment  de  la  faiblesse  de  leur  cause  et  la  crainte  de 
la  droiture  des  Romains  avaient  paralysé  leurs  velléités  '^. 

Un   conflit  survenu  entre    le    chapitre   de   Paris  et  le   monas- 
tère de  Saint-Germain-des-I^rés  fut  tranché   en   faveur  de  ce  der- 
l6lG]  nier.    Le   siège   de    Pampelune   avait   deux   prétendants  :    on  les 
déposa,    et    on    nomma    un    autre    clerc.    Le    pape    ne    voulut 
pas   accueillir  la    demande    de  Thomas   Becket   c[ui    sollicitait   la 


1.  t.alibe.  Concilia,  t.  xiii,  col.  ;i01;  Hardouin,  (une.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col. 
159G  sq.;  Mansi,  Conc.  nmpli'is.  coll.,  l.  xxi,  col.  117G  sq.  ;  Vila  Alexandri,  dans 
P.  L.,  1.  ce,  col.  23;  Watterich,  Vitie  punli/.  ruiii.,  1.  ii.  j>.  593  sq.  Sur  l'authcu- 
ticité  probable  de  ce  dixième  canon,  qui  manque  dans  la  Vila  Alexandri  et  ail- 
leurs, cf.  Reuler,  t.  i.  p.  547.  Les  autres  canons  (de  9  à  12]  donnés  par  Mansi, 
op.  cil.,  col.  1182  sq.,  et  en  partie  par  Hardouin,  op.  cit.,  t.  vi,  part.  2,  col.  1600, 
sont  d'une  époque  plus  récente.  Ainsi,  le  dernier  de  ces  canons  a  trait  au  succes- 
seur d'Octavicn  dans  la  triste  charge  d'antipape.  Le  can.  9  figure  aux  Décré- 
lales,  1.  V,  tit.  XXXVII,  c    4. 

2.  Hugues    de    Poitiers,    Ilisluria    Vizeliacensis,    dans    .Munum.    (Jerrn.    hisl. 
Script.,  t.  XXVI,  p.  148.  (H.  L.) 


074  i.ivjiK  xxxiv 

canonisatiou  d'Anselme  de  (■aiitorbéry,  ces  soi'tes  de  pélitions 
devenani  troj)  multipliées  ;  mais  il  se  ravisa  et  chargea  Thomas 
d'instruire  la  cause  avec  ses  suH'ragants  et  des  personnes  d'une 
piété  reconnue,  et  de  procéder  à  la  canonisation,  suivant  les  résul- 
tats de  l'enquête;  il  se  réservait  de  confirmer  la  décision.  Thomas 
avait  en  outre  émis  le  désir  que  l'évcque  Gilbert  Folio l,h,  qui  fut 
depuis  son  ennemi  acharné  et  qui,  en  ce  momenL,  était  sollicité 
dépasser  du  siège  d'Herefordà  celui  de  Londres,  lui  prêtât  ser- 
ment d'obéissance  comme  à  son  métropolitain.  Gilbert  répondit 
avoir  fait  ce  serment  entre  les  mains  de  l'ancien  archevêque 
Théobald,  lors  de  sa  nomination  à  l'évêché  d'Ilereford,  et  le 
\)ii[)c  jugea  que  ce  premier  serment  sullisail  et  n'avait  pas  be- 
soin d'être  renouvelé  ^. 

Le  concile  s'occupa  ensuite  de  discussions  théologiques  comme 
les  théologiens  du  xii^  siècle  en  soulevèrent  tant  au  sujet  de 
la  christologie.  Cette  fois  la  discussion  eut  pour  objet  de  dé- 
cider si  ces  expressions  :  Christus  non  est  aliquis  homo,  et  : 
Chrislus  secundum  quod  homo,  non  est  quid,  étaient  ou  n'étaient 
pas  orthodoxes.  Ce  furent  surtout  Pierre  Lombard  et  l'école  de 
Paris    qui   soulevèrent    cette    discussion. 

Dans   les   Sentences,  Pierre  I^ombard   se   demande  en  quel  sens 
il  faut  entendre    cette    proposition  :  «  Dieu    s'est    fait    homme.  » 
S'appuyant    sur    les    passages    des    Pères,    notamment    de    saint 
Augustin,    le    Maître    expose   trois    différentes    significations    de 
cette  phrase   :   a)   Par  l'incarnation  a  été  produit    un    homo  qui- 
dam ou  aliquis,    composé,    ainsi    que    tout     homme,    d'une    àmc 
et     d'un    corps;     cet    homme    a    été     ensuite      assumé     par     le 
Verbe  de  Dieu  qui  se  l'est  uni.  C'est  ainsi  que  cet  hotno  quidam 
est   devenu    Dieu   non    pas    natura,    mais      gratia;    par    contre, 
Dieu  est  devenu   homme,  c'est-à-dire    qu'il  a  commencé  à    être 
ce  qu'il  n'était  pas  auparavant,  une  substantia  quivdam  se  com- 
posant    d'un     corps    et    d'iiiu^    àmc.    b)    Dans    un    second    sens, 
l'incarnation     n'a      pas     seulement     donné     lieu     à      un      homo 
aliquis,    c'est-à-dire    à    une    substance    (nature)    composée    d'un 
corps  et  d'une  âme.  qui  a  été  ensuite   assumée    })ar    le    Verbe  de  \Q[^^ 
Dieu  ;  elle    a    également    donné    lieu    à    une    personne   composée 


"l.  Labbe,  Concilia,  t.  xni,  coi.  309  sq.;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  parL  2, 
col.  1602;  Mansi,  Conc.  anipliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  11S4  sq.;  P.  L.,  l.  ce,  col.  235, 
616.   (II.   L.) 


G'2'i.     DKBLTS     Dl.     l'aRCHK\  ÊQUli     THOMAS     BECKtT  975 

duiiL'  nuLiiic  (.li\iii('  ol  luiiiiaiiu'.  A\aii(  riiicaiiuil  loii  la  iicrsoiiuc 
était  simplex,  maintenant  elle  est  composita  ex  divinitate  et  liu- 
ntanifate.  Celle  personne  (le  Dieu  fait  homme  ou  l'homme  l'ait 
Dieu)  se  compose  de  deux  natures,  la  nature  divine  et  la  nature 
humaine.  D'après  celle  définilion,  la  ]iroposition  «  Dieu  s'est 
iail  homme  »  signifie  :  «  11  a  commencé  à  subsister,  ex  diiabna 
naiiiris  et  trihiis  suhstontiis,-»  ^t  non  ])as  seulement  «  en  ayant  un 
corps  et  une  âme  )^5  comme  dans  le  premier  sens,  mais  aussi 
ex  divinitate.  c)  Le  Iroisième  sens  signifie  :  lincarnalion  n'a 
pas  donné  lieu  à  un  homo  aliqiiis,  composé  d'un  corps  et 
d'une  Ame,  encore  moins  à  une  personne  formée  de  la  réunion 
de  deux  natures;  mais  un  corps  et  une  âme  ont  élé  unis  au 
Verbe  de  Dieu  et  lui  ont  servi  comme  de  vêtement,  pour  (pTil 
pût  paraître  aux  yeux  des  hommes.  On  dira  dans  ce  sens  : 
le  Logos  est  devenu  homme,  car  en  vérité  il  a  reçu  un  corps 
et  une  âme,  mais  il  les  a  unis  à  sa  personne  pour  en  former  un 
tout.  Ce  corps  et  cette  âme  ne  sont  pas  unis  au  Logos  en 
tant  que  personne,  de  sorte  que  le  nombre  des  personnes  ait 
augmenté  dans  la  Trinité  et  qu'on  puisse  songer  à  une  qualer- 
nité.  Ce  corps  et  cette  âme  n'ont  été  que  des  accidents  pour 
le  Verbe  de  Dieu  ^. 

A  cette  première  question  Pierre  Lombard  '^  fait  succéder 
celle-ci  :  an  Christiis,  secvndiim  qiwd  homo.  sit  ])i'i\soii(i.  vcl 
aliquid.  et  il  dit  :  Certains  argumentent  comme  il  suit  :  «  Si, 
en  tant  qu'homme,  le  Christ  est  aliquid,  il  est  de  ce  chef  (ni 
une  ]iersonne  ou  une  substance,  ou  cjuelque  autre  chose.  Ce 
dernier  terme  n'est  pas  possible,  par  conséquent  il  doit  être 
ou  une  personne  ou  une  substance.  En  admettant  (|u"il  soit  uuc 
substance,  celle-ci  sera  ou  ne  sera  pas  douée  de  raison.  Ce 
dernier  point  est  encore  impossible.  Il  est  donc  une  sub- 
stance douée  de  raison.  Mais  s'il  est  une  substance  douée  de 
raison,  il  est  par  le  fait  même  une  personne,  car  la  définition 
de  la  personne  est  :  substantia  rationalis  individuse  nalurse. 
Or,  il  ne  peut  être  une  personne  au  seul  point  de  vue  de  son  hu- 
manité, par  conséquent  il  ne  peut  être  un  aliquid.  »  Pierre 
Lombard  ne  donne  pas  nettement  ce  sentiment  comme  étant  le 
sien;  mais  il  ne  le    désapprouve    ])as.    ne    le    réfute    pas,    ne    le 


1.  Pierre  Lombard,  Sent.,  I.  111,  dist.  \  I,  Vil,   P.  L.,  p.  258  sq. 

2.  y6(t/.,dist.  X. 


'J7G 


IJ\Ki:     XXX IV 


rejcilc  pas.  il  |hmiI  donc  ji:iraili:c  !  a  |i|ii'im\('i'.  lil  Inl  (railleurs 
l'avis  des  contemporains  de  Pierre  l-ombard,  coxniiie  on  peut  s'en 
convaincre  parl'^u/ogmmde  JeandeCornouailles  à  AlexandrellI  '. 
Jean  aAail  clé  l'clèxc  du  premier  «  Maître  des  sentences  >>,  [^l^J 
comme  il  le  dit  liii-nicnic,  cL  on  ne  peut  adinelire  ffu'en 
exposant  au  pape  les  points  discutés,  il  ait  produit  contre  son 
ancien  maître  des  suppositions  vides  de  sens  et  haineuses. 
Il  est  toutefois  absolument  invraisemblable  que  le  pape  n'ait 
ajouté  foi  qu'aux  seules  déclarations  de  Jean,  dont  quelques- 
unes  ont  pu  être  fausses,  et  se  soit  laissé  o-Liider|3ar  lui  seul  ^.  Dans 
une  lettre  dont  nous  parlons  }!lus  loin,  adressée  à  l'archevêque 
de  Sens,  le  pape  dit  clairement  que  ces  propositions  sont  doctrina 
Pétri  quondam  Parisiensis  episcopi.  A  Tours,  comme  le  fait 
remarquer  Jean,  on  discuta  longtemps  et  avec  une  certaine 
âpreté  ces  deux  propositions  stins  pouvoir  arriver  à  un  résultat 
définitif.  Le  pape  ne  voulut  i)as  (jue  le  concile  se  prononçât, 
probablement  parce  que  la  question  ne  lui  paraissait  pas  réso- 
lue; mais,  dans  une  importante  réunion  de  savants  tenue  à  Sens 
le  24  décembre  1164,  il  interdit  omnes  tropos  et  indiscipUnatas 
quœstiones  iii  iheologia,  Parisiensique  episcopo  suh  ohedientia 
prsecepit  ut  per  tolam  Franciani  eas  coinpesceret  ^.  Dans  une  let- 
tre adressée  aux  archevêques  de  Bourges,  Reims,  Tours  et  Rouen 
en  1170,  il  engage  ces  prélats  à  ne  pas  laisser  se  propager  davan- 
tage l'erreur  quod  Chrlstus  secunduin  quod  est  homo,  non  est  ali- 
quid,  sed  penitus  abroi^are  curetis  *.  Dans  une  autre  lettre  à  l'ar- 
chevêque Guillaume  de  Sens,  le  pape  présente  cette  proposition 
comme  prcum  doctrina  Pétri  quondam  Parisiensis  episcopi,  et  il 
charge    l'archevêque  de  convoquer  ses  sufTragants  en  un  concile 


1.  tliilo'j^ium  magistri  Johaiiiiis  Cornuhiensis,  dans  iMarlèac  el  Durand, 
Tliesaur,atiectl.,l.  v^  p.  Itl.'iG  S(].  Av<'c  Jean,  (laiilhior  do  Saiiil -N'icloi-,  dans  sou 
livi-o  Coiilra  qualiiur  Gallim  tnbjjrinlhos,  allaquo  viv(3iucut  Pierre  Lonit)ard 
ainsi  qu  Abélard,  Gilbert  de  la  Porrée  el  Picrl'c  de  Poitiers  (disciple  de  Lom- 
bard  el  ehancelier  do  Paris)   et  s'efforce  de  les   représenter  comme   hérétiques. 

2.  Dans  la  première  édition,  on  avait  dit  que  le  pape  avait  reçu  de  faux  rap- 
ports sur  la  doctrine  de  Pierre  Lombard;  c'est  une  erreur  que  je  crois  devoir 
rectifier  pour  les  niotifs  donnés  dans  le  texte. Du  reste,  Jean  rapporte  que  Pierre 
avait  formellement  déclaré  à  son  élève  :  Nec  imquam  Deo  s'olenle  erit  nssertio  mea^ 
iiisi  quiv  puéril  fuies  calholica. 

3.  CInon.  Reicliersp.,  dans  Mon.  Genn.  Iiist.,  Script.,  t.  xvii,  p.  'i71, 

4.  Jalié,  Reg.,  n,  7893. 


62'i.      DEBUTS      UK      l'aRCHEVKQUK      THOMAS      BECKET  97/ 

à  Paris;  cette  proposition  y  sera  condamnée  et  l'on  ordonnera 
à  Ions  les  maîtres  d'enseigner  la  suivante  :  Chrislidu  sicul  per- 
fecturn  Deuin  esse  sic  et  perfectum  homineni,  ac  veruin  homineni 
ex  anima  el  corpore  consisientein  ^.  Nous  retrouverons  cette  ques- 
tion   au    troisième  concile   de   T^atran. 

Guillaume  Little.  de  Newbridge,  assure  qu'à  Tours,  Thomas 
Becket,  agité  de  scrupules,  avait  secrètement  résigné  son 
archevêché  entre  les  mains  du  pape,  parce  qu'il  ne  l'avait  pas 
obtenu  canoniquement,  mais  seulement  par  la  volonté  du  roi, 
et  que  le  pajie  l'avait  aussitôt  après  réintégré  dans  sa  charge. 
Enhn  Herbert  de  Bosham  prétend  qu'à  Tovirs  le  pape  a,  sur 
la  demande  de  Becket,  confirmé  tous  les  privilèges  de  l'église 
de  Cantorbéry  "■^.  Peu  de  temps  avant  ou  après  le  concile 
de  Tours,  un  synode  irlandais,  présidé  par  Gélase,  archevêque 
d'Armagh  dans  la  province  d' Ulster  [conciliuin  Cleonadense,  plus 
exactement  Cluenar dense),  exigea  pour  l'avenir  des  professeurs  de 
théologie  le  titre  de  membre  de  l'académie  d'Armagh.  Cette 
mesure  était  destinée  à  unifier  l'Irlande,  en  proie  à  des  divisions 
intérieure's  ^. 

En  1164,  l'archevêque  Roger  d'York  convoqua  à  Norham  un 
concile  général  écossais  pour  y  faire  reconnaître  ses  droits  de  mé- 
tropolitain et  consacrer  de  nouveaux  évoques  pour  les  sièges 
de  Glasgow,  de  Saint-André  et  de  Murray.  Mais  les  Ecossais  et  en 
particulier  Engalram,  évêque  élu  de  Glasgow,  considérèrent  ces 
prétentions  comme  une  usurpation  et  en  appelèrent  à  Rome 
après  de  violentes  discussions.  Alexandre  III  consacra  lui-même 
Engalram,  et  par  suite  ce  conflit  fut  tranché  ]iour  l'instant 
et  en  faveur  d'York  *. 

1.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  p.  119;,  P.  L.,  t.  ce,  col.  685;  Martènc, 
Thesaur.,  l.  v,  p.  1656;  Joann.  Cornub.^  dans  P.  L.,  t.  cxcix,  col.  1050,  1059, 
1060.  Sur  toute  cette  discussion,  cf.  Aigentrô,  Colleclio  judiciorum  de  iiovis  erro- 
nbus,  1.  I,  p.  113  sq.;  Cramer-Bossuet,  t.  vu,  p.  1-43;  B&ch,  Die  Dogmengeachichte 
des  Millelallern,  t.  \i,  ]).  729;  Reuter,  op.  cit.,  t.  m,  p.  703;  Schrôckh,  Kir- 
chengescli.,  t.  xxvm,  p.  528  sq. 

2.  Reuter,  op.  cit.,  p.  292. 

3.  Coleti,  Concilia,  t.  xin,  col.  293;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col, 
1167;  Slolberg-Brischar,  op.  cit.,  t.  m,  p.  389. 

4.  Haddan  et  Stul)b?,  Counrils  and  ccilcsiaslictd  donmifints,  t.  ii,   p.  34. 


CuNClLi;s    —    V  —    02 


978 


LIVHE     XXXIV 


625.  Réunions  de  Westminster  et  de  Clarendon,  en  il63  et  1164. 

Dès  son  retour  en  Angleterre,  Thomas  Becket  fut  d'abord  en 
lutte  avec  fjuelques  nobles  possesseurs  de  biens  ecclésiastiques  ;  [620] 
peu  après,  un  conflit  éclata  entre  le  roi  et  lui.  L'origine  en 
fut  le  privilège  du  for,  d'après  lequel  les  clercs  ne  pou- 
vaient être  punis  que  par  un  tribunal  ecclésiastique,  même 
pour  les  délits  de  droit  commun.  Comme  ce  tribunal  était  ordi- 
nairement plus  clément  que  les  tribunaux  laïques  et  ne  condam- 
nait jamais  à  la  peine  de  mort,  il  en  était  résulté  un  accrois- 
sement notable  de  la  criminalité  des  clercs.  Ainsi,  proportion 
gardée,  les  clercs  anglais  commettaient  plus  de  meurtres  que  les 
laïques.  Henri  II  voulut  donc  restreindre,  sinon  abolir,  le  pri- 
vilège du  for,  et,  selon  sa  méthode  un  peu  brusque,  il  soumit, 
sans  autre  préliminaire,  des  clercs  incrimiïiés  à  la  juridiction 
des  tribunaux  royaux.  Le  primat  protesta  et  se  plaignit  auprès  du 
pape  qui,  à  l'issue  du  concile  de  Tours,  avait  établi  sa  résidence 
à  Sens.  Pour  terminer  cette  affaire  à  l'amiable,  le  roi  d'Angleterre 
convoqua,  le  1^^'  octobre  1163,  un  |jarlement  à  Westminster; 
mais  le  désaccord  entre  le  primat  et  Henri  II  ne  touchait  pas  qu'à 
ce  point  particulier  :  il  y  avait  entre  eux  une  question  de  principes, 
une  lutte  entre  l'ancien  droit  canon  ecclésiastique  et  le  droit  réga- 
lien normand,  entre  la  liberté  de  l'Eglise  et  l'absolutisme  de  la 
couronne  ^.  Ce  début  ne  fut  qu'une  occasion  favorable  pour  faire 
éclater  l'opposition,  car  c'était  le  point  sur  lequel  les  prétentions 
de  la  couronne  semblaient  le  plus  fondées  et  pouvaient  paraître 
autorisées  par  \\n  besoin  évident  -. 


1.  Ce  n'était  en  aucune  façon  une  lutte  entre  la  vieille  nationalité  anglo- 
saxonne  alors  opprimée  et  la  royauté  normande,  ainsi  que  la  soutenu  M.  Au- 
gustin Thierry.  Thomas  Becket  était  lui-même  Normand  d'origine.  Ce  ne  fut 
pas  seulement  non  plus  la  lutte  de  l'Église  nationale  anglaise  contre  le  droit 
ecclésiastique,  car  ce  qu'Henri  II  demandait  et  ce  qu'avait  déjà  demandé  Guil- 
laume le  Conquérant  n'était  pas  quelque  chose  de  national,  mais  quelque 
chose  de  nouveau  et  de  purement  autocratique,  c'était  l'absolutisme  du  pouvoir 
royal.  Cf.  Reuter,  op.  cit.,  p.  327  sq. 

2.  Sur  ces  événements,  cf.  L'Huiilicr,  up.  cit.,  i.  i,  p.  233-271,  deux  chapitres 
à  résumer.    (H.   L.) 


G25.     RKUMO.NS     l)\:     WKSTM1.NSTK15     l.  I       Dl.      CI.ARENDON'       !J7iJ 

Dans  I  inU'i'cl  du  juns  el  ilc  la  sùrclé  pu  l)li([ii('.  Ilriiii  (.Icinaiida 
à  Weslininsler  deux  niodificatioiis  au  privilège  du  for  :  a)  A  l'ave- 
nir, ou  adjoiiulra  à  rarcliidiacre  un  ollicler  royal,  lorsqu'un  archi- 
diacre jugera  un  clerc  au  nom  de  l'évêque.  /;)  Un  clerc  qui  lonibe 
dans  une  faute  grave  sera,  après  la  dégradation  ])ar  le  pouvoir 
ecclésiastique,  livré  au  Iribunal  du  loi,  |)oiir  subir  la  [)eine 
méritée.  Le  primat  demanda  à  réfléchir  jusqu'au  lendemain.  Ce 
[0211  délai  lui  ayant  été  refusé,  il  délibéra  immédiatement  avec  les 
évêques.  <[ui,  sans  déguiser  leur  servilité,  se  déclarèrent  favo- 
rables à  la  demande  du  roi.  La  perte  de  cette  liberté  de  l'Église 
n'était  pas,  disaient-ils,  si  dangereuse  pour  ses  intérêts,  et  il  valait 
mieux  en  faire  son  deuil  pour  se  sauver  soi-inême. Après  un  vigou- 
reux discours  du  primat,  les  évêques  reprirent  cœur  et  Becket 
put  annoncer  au  roi,  au  nom  de  tout  l'épiscopat,  le  rejet  de  la 
seconde  proposition,  tendant  à  livrer  les  clercs  aux  tribunaux 
royaux  après  leur  dégradation.  (Les  documents  originaux 
ne  disent  rien  de  la  première  pro})Osition.)  Contre  toute 
attente,  le  roi,  d'ordinaire  impatient  de  toute  contradictio]i, 
accepta  le  refus  de  Thomas  Becket;  mais  subitement  il  donna, 
avec  l'adresse  qui  le  caractérisait,  une  autre  tournure  à  cette 
alîaire,  de  façon  à  obtenir  ])lus  (ju'il  n'avait  d'abord  demandé. 
Il  abandonna  les  ouvrages  avancés  })()ar  mieux  s'emparer  de  la 
citadelle.  Sous  prétexte  quil  faisait  des  concessions  à  propos 
des  tribunaux  ecclésiastiques  et  royaux,  il  demanda  comme  com- 
pensation que  l'on  se  conformât  aux  consuetudines  avitœ,  c'esl-k- 
dire  aux  droits  traditionnels  du  roi  vis-à-vis  de  l'Église;  c'était 
la  formule  dont  on  se  servait  toujours  pour  couvrir  quel- 
que nouvel  empiétement  de  la  couronne.  IjCs  évêques,  exhortés 
par  Thomas  Becket,  déclarèrent  qu'ils  n'observeraient  ces  con- 
aueLudines  qu'avec  cette  clause  :  saU>o  ordine  nostro,  ou  sah'o 
ordine  nostro  et  jure  Ecclesiœ,  cesl-k-dirc  réserve  faite  des  droits 
du  clergé  et  de  l'Église.  Becket  défendit  cette  clause  contre  le  roi, 
(jui  la  repoussa  avec  colère  et  s'irrita  au  point  qu'il  lit  un  aussi 
mauvais  accueil  à  un  compromis  proposé  par  llilairc.  éxêque  de 
Chichester.  Ainsi  qu'il  arrivait  en  pareil  cas,  le  roi  eut  une  crise 
de    fureur    et    ainsi    se    termina    le    parlement    de    Westminster. 

Ce  qu'Henri  avait  tenu  pour  impossible  venait  d'arriver  :  tous 
les  évêques  avaient  obéi  à  Becket  plutôt  qu'à  lui.  De  ce  jour  data 
sa  haine  contre  le  primat,  et  il  la  lui  manifesta  aussitôt  ])ar  de 
brutales  vexations.  Cette    haine    n'aurait    cependant  pu    se  (l(ui- 


080 


I.IVRK     XXXIV 


lier  pleine  carrière,  si  l'épiscopat  était  demeuré  uni.  Malheureu- 
sement, Arnulf  de  Lisieux,  défenseur  plus  disert  que  convaincu 
des  intérêts  de  l'Église,  criblé  de  dettes,  avait,  pour  ce  motif, 
besoin  des  bonnes  grâces  du  roi,  —  ce  qui  lui  fit  jouer  un  rôle 
équivoque  dans  toutes  les  affaires  de  Becket;  —  il  donna  à  Henri  II 
le  conseil  bien  connu  :  Divide  et  impera  ^.  C'est  alors  en  effet  que 
commencèrent  ces  négociations  qui  détachèrent  l'un  après  l'autre  [622] 
du  primat  les  évoques  anglais,  pour  les  rattacher  au  parti  du  roi. 
Deux  év^êques  s'employèrent  surtout  à  opérer  ces  revirements  : 
Roger,  archevêque  d'York  et  rival  de  Becket,  et  le  savant 
et  énergique  Gilbert  Folioth  de  Londres  ^,  qui,  malgré  son 
zèle  pour  les  intérêts  de  l'Eglise,  son  attachement  à  Alexandre  III 
et  sa  vie  ascétique,  puisqu'il  était  moine  de  Cluny,  n'en  resta  pas 
moins  un  adversaire  déclaré  de  l'archevêque  (il  le  fut  dès  l'élec- 
lion  de  Thomas  Becket,  peut-être  par  une  secrète  jalousie).  En 
même  temps,  en  exilant  le  noble  Jean  de  Salisbury  et  un  autre 
ami  de  Thomas  Becket,  le  roi  Henri  espéra  effrayer  ce  dernier 
et  ses  partisans  ^.  On  pensait  que,  se  voyant  abandonné  de  tous, 
Thomas  reviendrait  sur  ses  pas,  d'autant  que  d'officieux  amis  lui 
représentaient  ce  recul  comme  aisé  et  honorable.  A  Northamp- 
ton,  le  roi  tenta  de  l'émouvoir  au  souvenir  de  leur  ancienne  amitié 
et  des  bienfaits  qu'il  lui  avait  prodigués  ■*.  Mais  ce  fut  en  pure  perte. 
Arnulf  de  Lisieux  fut  envoyé  de  Poitiers  à  Sens  avec  l'archi- 
diacre Richard,  afin  d'obtenir  du  pape  l'élévation  de  l'archevêque 
d'York  à  la  dignité  de  légat  pour  l'Angleterre  (ce  qui  l'eut  fait  le 
supérieur  de  Thomas  Becket),  et  de  faire  ordonner  à  tous  les 
évêques  anglais  de  se  soumettre  aux  consuetudines  avitse.  Le  pa])e 
refusa  ^.  Mais  peu  de  temps  après,  parut  en  Angleterre  l'abbé  l^hi- 
lippe  de  l'Aumône  ^  {Eleemosyna),  près  de  Chartres,  exhibant  deux 


1.  Pour  plus  de  détails  sur  Arnulf  de  Lisieux,  cf.  Reulcr,  op.  cil.,  t.  ii,  p.  3G  sq. 

2.  Reuter,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  44  sq. 

3.  Router,  op.  cit..  t.  i,  p.  299,  322-350;  Buss,  Der  heilige  Thomas.  Erzbischoj 
von  Cantorbery,  iu-8,  Mainz,  1856,  p.  210-2i5. 

4.  L'Huillier,  op.  cit.,  t.  i,  p.  261-264.  (II.  L.) 

5.  Voyez  la  lettre  du  pape  :  Etsi  pro  animi,  dans  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.. 
t.  XXI,  P.  L.,  t.  ce,  col.  285. 

6.  L'Aumône,  commune  do  la  Colombe,  arrondissement  de  Blois,  dépar- 
lement de  Loir-et-Cher,  diocèse  de  Chartres;  il  y  avait  là  une  abbaye  de  cister- 
ciens fondée  en  1121,  parfois  désignée  sous  le  nomi  de  «Petit-Cîteaux».  Sur  Phi- 
lippe, abbé  de  ce  monastère,  cf.  Brial,  dans  Ilist.    lillév.    de   la   France,    t.  xiv. 


625.     RKr.NIO-NS     DF.     WESTMINSTFK     ET     ni".    C I.  A  lî  F..N  DON         081 

prétendues  lettres  du  pape  el  des  cardinaux,  qui  faisaient  au 
primat  un  devoir  de  se  montrer  condescendant  à  l'égard  du 
roi,  afin  d'éviter  à  l'Église  de  plus  grands  maux.  La  lettre  du 
pape  était  certainement  fausse  ou  falsifiée,  car  elle  contredisait 
formellement  les  déclarations  les  plus  positives  et  les  plus  cer- 
taines d'Alexandre  ^  Par  contre,  il  s'était  formé  dans  le  collège 
des  cardinaux  un  parti  favorable  aux  prétentions  du  roi  d'An- 
gleterre, et  c'était  certainement  au  nom  de  ce  parti  qu'agissait 
l'abbé  Philippe.  Thomas  se  montra  disposé  à  laisser  tomber 
la  clause  salvo  ordine,  et  déclara  au  roi.  à  Woodstock,«  qu'il  obser- 
verait hona  fide  les  traditions  du  royaume  et  qu'il  obéirait  au  nn 
[623]  poui'  Idul  ce  qui  serait  bon  '^.  v»  La  formule  bona  fide  était  celle 
(|ui  avait  été  proposée  par  Ililaire  de  Chichester  dans  l'assemblée 
de  ^Yestminste^,  et  que  le  roi  avait  alors  rejetée.  Pour  l'instant, 
au  contraire,  il  s'en  montra  satisfait,  quoique  les  paroles  de  l'ar- 
chevêque renfermassent  aussi  vme  clause,  et  il  exigea  seulement 
que  Thomas  Becket  les  répétât  dans  un  parlement  qui  se  réunit 
[le  30]  janvier  1164,  à  Clarendon,  château  royal  non  loin  de  Salis- 
bury  ^.  Comme  le  primat  avait  émis  sa  restriction  salvo  ordine 
dans  un  parlement  du  royaume,  on  lui  demandait  de  la  rétrac- 
ter dans  un  autre  parlement  ;  le  roi  voulait  mettre  à  profit  cette 
assemblée  de  Clarendon  pour  fixer  les  consuetudines  avitœ,  et 
consommer  sa  victoire  sur  la  hiérarchie  ecclésiastique  *. 

Dès  l'ouverture  du  parlement  de  Clarendon,  le  30  janvier  1164,  le 
roi  rappela  à  l'archevêque  sa  promesse  de  Woodstock  et  exigea  la 
reconnaissance  formelle  des  consuetudines.  Cette  demande  fut  faîte 
sur  un  ton  qui  permit  à  Becket  de  constater  l'inanité  de  tout   ce 


p.  1G6-178;  sur  la  mission  remplie  par  ce  personnage  en  Angleterre,  cf.  L'Huil- 
lier,  op.  cit.,  t.  i,  p.  266-268.  (H.  L.) 

1.  L'Huillier,  op.  cit.,  n'en  croit  rien,  tient  la  lettre  pour  authentique,  sauf  à 
déclarer  le  pape  «  évidemment  trompé  par  de  faux  rapports  «.  Dans  une 
démarche  aussi  importante,  un  pape  ne  devrait  jamais  agir  sur  de  faux  rapports, 
à  plus  forte  raison  quand  il  était  assez  facile  d'en  obtenir  de  vrais,  au  moins  par 
comparaison  des  témoins.  La  pièce  ne  nous  semble  pas  authentique.  (H.  L.) 

2.  Reuter,  op.  cil.,  t.  i,  p.  356  sq.;  L'Huillier,  op.  cit.,  t.  i,  p.  269.  (H.  L.) 

n.  Clarendon,  comté  de  Wiltshire.  Coll.  regia,  t.  xxvii,  col.  370;  Labbe,  Con- 
cilia, t.  X,  col.  1425-1433;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col.  1603;  Colcli, 
Concilia,  t.  xiii,  col.  312;  Wilkins,  Conc.  Britann.,  t.  i,  col.  435-436;  Mansi, 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  1187;  P.  L.,  t.  cxc,  col.  1414.  (IL  L.) 

4.  Reuter,  op.  cit.,  t.  i,  p.  350,  366;  Buss,  op.  cit..  p.  245. 


nS2  LIVHE     XXXIV 

que  l'ablx''  rAnmoiic  avait  dit  des  bonnes  dispositions  du  roi, 
et  l'impossibilité  de  faire  retrancher  un  iola  aux  prétentions 
émises  à  Westminster.  Dans  ces  conditions,  l'archevêque,  voyant 
qu'on  ne  tenait  aucun  compte  de  sa  clause  de  Woodstock  et  que 
la  reconnaissance  des  consuetudines  interprétées  au  sens  royal  serait 
une  trahison  pour  l'Eglise,  préféra  s'exposer  au  reproche  de  par- 
jure plutôt  c^ue  de  contribuer  à  enlever  à  l'b^glise  sa  liberté,  liorsque 
Thomas  Becket  eut  refusé  son  consentement,  le  roi  entra  dans 
un  accès  de  frénésie,  menaça  de  mort  tous  les  prêtres  et  fit 
entrer  ses  gardes  l'épée  nue.  Le  tumulte  était  à  son  comble  : 
Becket  seul,  calme  et  impassible,  dominait  ce  désordre.  Plusieurs 
évêques  ^  le  supplièrent  en  vain  d'avoir  pitié  d'eux  et  de  lui-même, 
car  il  y  allait  pour  eux  tous  de  If.  vie;  en  vain  deux  com- 
tes du  royaume  ^  l'avertirent  de  l'ordre  du  roi  de;  le  mettre  à  mort  : 
le  primat  resta  inébranlable.  Lorsque,  cependant,  deux  conseillers 
du  roi,  deux  templiers  ^,  kii  jurèrent  que  le  roi  exigeait  unique- 
ment une  soumission  de  pure  forme  et  lorsqu'ils  se  furent  portés  [^24] 
garants  (ju'il  n'en  résulterait  aucun  dommage  pour  l'Eglise, 
Becket,  ému  par  les  circonstances,  troublé  dans  son  jugement,  se 
décida  enfin  à  renouveler  sa  promesse  de  Woodstock  d'observer 
hona  fuie  les  consuetudines'^.  Tous  les  évêques  l'imitèrent.  Mais  le 
roi  était  bien  éloigné  de  ne  voir  là  qu'une  formalité,  et  il  passa 
aussitôt  à  la  réalisation  de  son  second  plan,  c'est-à-dire  la 
(•odification  des  consuetudines,  afin  de  les  opposer  comme  un 
nouveau  Corpus  jxiris  au  droit  canon  ecclésiastique.  Son  projet 
se  trahit  par  les  motifs  cfu'il  développa  lui-même  en  ce  moment. 
Il  est  nécessaire,  dit-il,  de  constater  de  nouveau  quelles  sont  les 
consuetudines,  parce  qvie  l'Église  a  souvent  mis  en  cloute  différents 
points  de  la  tradition,  et  que  la  promesse  générale  d'obser- 
ver les  consuetudines  n'a  de  valeur  que  lorsqu'on  sait  en  quoi  elles 
consistent. 

Sans  tenir  compte  des  efï'orts  de  Thomas  Becket,  qui  voulait 
faire  différer  le  projet  du  roi,  celui-ci  ordonna,  dans  une  seconde 


1.  Henri  de  Winchester,  Roger  de  Worcester,  Jocelyn  de  Salisbury.  (H.  L.) 

2.  Robert,  comte  de  Lciccstcr,  Renaud,  comte  de  Cornouailles.  (H.  L.) 

.'!.   Richard  de  Hastings,  maître  provincial  d'Angleterre,    le   chevalier  Iloston. 
(H.  L.) 

'i.  Sur  la  formule  prononcée  réellement,  cf.  L'IIuillier,  op.  cil.,  t.  i,  p.  275, 
29.   (H.  L.) 


025.     RÉUNIONS     DE    WESTMINSTER     ET     DE     CL.VRENDON        083 

session  de  la  dièle,  Lcniie  le  lendemain,  la  revision  linmédiale 
des  consuetudines.  Les  recognitiones  de  cette  nature  étaient 
assez  en  usage  en  Angle lerre  :  on  convoquait  pour  les  faire  des 
témoins  âgés  et  dignes  de  foi  {recognitores),  afin  de  leur  demander 
ce  qu'ils  avaient  vu  pratiquer  sur  tel  ou  tel  point.  On  ne  sait 
pas  qui,  du  roi  ou  de  l'assemblée,  nomma  les  recognifores  pour  la 
(juestion  présente;  on  ne  connaît  pas  non  plus  les  noms  de 
tous  ceux  qui  furent  choisis.  On  sait  seulement  que  Roger  d'York, 
Ciilbert  Foliotli  de  Londres,  Jean,  évêque  de  Salisbury,  Richard 
de  Luci  et  Jocelin  de  Baillol  furent  de  ce  nombre;  on  les  regarde 
comme  les  principaux  auteurs  des  constitutions  de  Clarcndon,  Ils 
rédigèrent  leur  travail  sous  l'inspiration  du  roi,  quoiqu'ils  aient 
énergiquement  soutenu  n'avoir  codifié  c{ue  des  us.  Thomas 
et  ses  amis  avaient  raison  de  voir  dans  ces  constitutions 
une  nouveauté  inouïe.  Celle-ci  ne  consistait  pas  seulement 
en  une  rédaction  qui  changeait  la  tradition  en  droit  absolu;  mais 
l'acte  de  Clarendon  doit  être  rapproché  de  la  rédaction  du  code 
impérial  que  nous  avons  vu  faire  à  Roncaglia.  Les  prétentions  sou- 
levées contre  les  droits  de  l'Église  à  diverses  époques  par  tel  ou  tel 
roi  d'Angleterre  furent  réunies  et  condensées  :  des  empiétements 
passagers  et  plus  ou  moins  avoués  devinrent  des  précédents 
dûment  régularisés,  sources  d'un  droit  incontestable  ^. 
[6251       i-ics  seize  articles  de  Clarendon  sont  ainsi  conçus  : 

1.  S'il  surgit  un  conflit  dans  une  église  au  sujet  des  droits 
de  patronat  ou  de  présentation,  c|ue  ce  conflit  soit  entre  laïcs 
seulement  ou  entre  clercs  seulement,  ou  entre  clercs  et  laïcs 
la  cause  sera  portée  devant  le  tribvinal  royal  ^.  (L'archevêque 
blâma  ce  règlement  pour  deux  motifs  :  a)  d'abord,  parce  qii'il 
forçait  les  clercs  à  comparaître  devant  un  tribunal  séculier;  h) 
parce  que  les  questions  concernant  les  droits  de  patronat  sur  les 
églises  relevaient  des  tribunaux  ecclésiastiques.  La  présentation 
d'un  clerc  entraînait  la  cura  animarum  ;  or,  comme  ce  dernier 
point,  qui  était  le  principal,  était  évidemment  du  ressort  des 
juges  ecclésiastiques,  il  fallait  que  l'accessoire  fût  soumis  à  la 
même  juridiction  que  le  principal.) 

1.  Ces  réflexions  sont  dirigées  contre  Reuter,  op.  cil.,  p.  369  sq. 

2.  De  advocatione  et  prœscntalione  ecclesiarum  si  controversia  emer.ierit  inier 
îaicos  vel  inier  laicos  et  clericos,  vel  inter  clericos,  in  curia  domini  régis  tractetur  et 
lerminetur.  Texte  donne  par  Guillaumo  de  Cantorbéry,  dans  Robertson,  Mate- 
rials, 1.  1.  p.  18;  cf.  t.  V,  p.  72.  (TT.  T..) 


984  1.1  VI! i:    \xxiv 

2.  T^es  églises  ([iil  sont  des  fiefs  du  roi    ne  peuvent  être  données 
à  loiil   jamais  sans  son  assentiment  ^. 

3.  Les  clercs  incriminés  pour  une  affaire  ({uelconque  et  cités 
par  les  juges  royaux  doivent  d'abord  comparaître  par  devant  le 
tribunal  royal  pour  y  répondre  à  toutes  les  questions;  ensuite 
devant  le  tribunal  ecclésiastique,  mais  en  présence  d'un  fonction- 
naire royal  dont  la  mission  est  d'examiner  la  conduite  de  l'affaire. 
Si  le  clerc  incriminé  est  convaincu  ou  fait  des  aveux,  l'hLglise  ne 
devra  plus  le  couvrir  de  sa  protection '^.  (Nonobstant  les  faits  attri- 
bués à  quelques  rois,  ce  règlement  est  en  contradiction  avec  les 
anciennes  lois  de  l'Angleterre;  Thomas  remarqua  que,  d'après 
cette  loi,  les  clercs  seraient  obligés  de  comparaître  devant  le  tribu- 
nal séculier,  aussi  bien  pour  les  questions  de  code  pénal  que  pour 
celles  de  droit  civil;  la  condamnation  de  Jésus  fut  confirmée  par 
Pilate,  et  les  clercs  seraient  également  punis  par  le  tribunal  civil 
et  par  le  tribunal  ecclésiastiqvie.) 

4.  Les  archevêques,  évêques  et  toutes  les  personnes  du 
royaume  (c'est-à-dire  celles  qui  ont  des  fiefs  ecclésiastiques)  ne 
peuvent  quitter  le  royaume  sans  la  permission  du  roi,  et, 
s'ils  font  un  voyage  avec  son  agrément,  ils  doivent  donner  des 
assurances  que,  pendant  leur  voyage  ou  pendant  leur  séjour 
en  pays  étranger,  ils  ne  feront  rien  au  détriment  du  roi  ou  du 
royaume  ^.  (L'archevêque  répondit  que  par  là  on  mettait  obs- 
tacle aux  pèlerinages  et  qu'on  faisait  de  l'Angleterre  un  cachot 
pour  tous  les  hommes  publics,  tandis  que  ceux  qui  ne  l'étaient 
pas  étaient  beaucoup  plus  libres.  De  plus,  si  un  conflit  venait  à 
éclater  entre  le  pape  et  le  roi  d'Angleterre,  et  si  le  pape  invitait 
les  évêques  à  venir  le  trouver,  ils  seraient  cependant  obligés 
d'obéir   plu  lot    au    représentant    du    Christ  qu'au  roi    terrestre, 

1,  Ecclesiœ  de  feudo  domini  régis  non  possunt  in  perpcluum  dari  absque  assensu 
cl   concessione   ipsius.    (H.   L.) 

2.  Clerici  citali  el  accusati  de  quacumque  re,  summoniti  a  justitia  régis,  venient 
in  curiam  ipsius,  responsuri  ibidem  de  hoc  iinde  videbilur  cnriss  régis  quod  sil 
ibi  respondcndum,  el  in  curia  ecclesiaslica  iinde  videbilur  quod  ibi  sit  responden- 
dum,  ila  quod  justilia  régis  mlttet  in  curiam  sanctœ  Ecclesiœ  ad  videndum  qua 
ralione  res  ibi  traclabilur;  et  si  clericus  convictus  vel  confessus  fuerit,  non  débet  de 
cœtero  eum  ecclesia  tueri.    (H.   L.) 

?,.  Archiepiscopis,  episcopis  et  personis  regni  non  licet  exire  de  regno  absque 
Ucentia  domini  régis  ;  et  si  exierint,  si  domino  régi  placuerit,  assecurabunt  quod 
nec  in  eundo,  ncc  in  moram  faciendo,  nec  in  redcundo  perquirent  malum  vel  dam- 
num  domino  régi  vel  regno.  (II.  L.) 


625.    RKu.N'iONS    i)i:    \vi:s  im  inster    kt    de    ci.arendon       085 

[026]  L'archevO<iue  consentait,  du  reste,  à  continuer  lu  pratique  en 
usage  jusqu'alors,  d'après  laquelle  tout  évoque,  etc.,  demandait 
au  roi  la  permission  d'entreprendre  un  voyage  sans  promettre 
toutefois  de  ne  pas  l'entreprendre  en  cas  d'un  refus  du  roi.) 

5.  Les  excommuniés  ne  sont  pas  tenus  de  donner  une  caution 
pour  prouver  qu'ils  ne  changeront  pas  d'habitation  :  ils  ne  sont 
tenus  qu'à  donner  une  assurance  complète  qu'ils  se  présenteront 
(en  temps  voulu)  devant  le  tribunal  ecclésiastique  ^, 

6.  Les  laïcs  ne  doivent  être  mis  en  accusation  devant 
l'archevêque  ou  l'évêqiie  que  lorsqu'il  y  a  des  témoins  ou  des 
accusateurs  autorisés  par  la  loi,  de  sorte  cependant  que  l'ar- 
cliidiacre  ne  perde  pas  pour  cela  son  droit  ni  aucune  de  ses  pré- 
rogatives. Si  personne  n'a  le  courage  ovi  la  volonté  de  se  faire 
accusateur,  le  vicomte  requis  ])ar  l'évêque  devra  faire  prêter 
serment  à  douze  personnes  du  voisinage  autorisées  par  la  loi, 
afin  qu'elles  fassent  ensuite  connaître  la  vérité  ^. 

7.  Aucun  vassal  ou  serviteur  du  roi  ne  sera  excommunié,  ni 
sa  terre  ne  sera  frappée  d'interdit,  avant  de  s'être  entendu  pour 
cela  avec  le  roi,  ovi,  s'il  est  absent,  avec  son  justicier.  Celui-ci 
(le  roi  ou  le  justicier)  devra  ensuite  régler  ce  qvii  a  trait  à  la 
curie  royale  et  renvoyer  au  tribunal  ecclésiastique  ce  qui  est  de 
son  ressort  ^.  (L'archevêqvie  remarqua  que,  par  cette  mesure,  on 
enlevait  aux  prêtres  le  pouvoir  de  lier  et  de  délier.  Du  reste,  elle 
avait  été  déjà  mise  en  pratique  par  Guillaume  le  Conquérant.) 

8.  On  doit  en  appeler  de  l'archidiacre  à  l'évêque  et  de  l'évêque 


1.  Excommunicali  non  debent  dare  vadium  ad  remanens,  nec  prxstare  jura- 
mentum,  sed  tantum  vndinm  et  plegium  standi  judicio  EcclesiiP,  ut  absoh'antur. 

(IL  L.) 

2.  Laici  non  debent  accusari  nisi  per  certos  et  légales  accusatores  et  testes  in  pne- 
s'entia  episcopi  ;  ita  quod  archidiaconus  non  perdat  jus  suum,  nec  quicquant  quod 
inde  haherc  debeat;  et  si  taies  fuerint  qui  culpanlur  quod  non  velit  i'el  non  audeat 
aliquis  eos  accusare,  vicecomes  requisitus  ab  episcopo  faciet  jurare  duodecim  légales 
homines  de  visneto  seu  de  villa  coram  episcopo  quod  inde  veritatem  secundum 
conscientiam  suam  nianifestabunl.  (H.  L.) 

.'].  Nullus  qui  de  rege  tcneat  in  capite,  nec  aliquis  dominicorum  minisirorum 
eius,  excommunicetur  nec  tcrrss  alicujus  illorum  sub  interdicto  ponantur,  nisi  p'ius 
dominus  rex,  si  in  terra  fuerit,  com'eniatur  vel  justitia  ejus,  si  extra  regnum  fuerit, 
ut  rectum  de  ipso  facial,  et  ita  ut  quod  pertinebit  ad  curiam  regiam  ibidem  termine- 
tur,  et  de  eo  quod  spectabif  ad  ecdr.^inslicnm^  ruriam  ad  eamdcm  nrttniur,  ul  ibidem 
Iractetur.  (H.  L.) 


986  LIVRE     XXXIV 

à  rarchevr(|uo.  Si  celui-ci  tliircr'c  de  rendre  justice,  on  doit  se 
plaindre  au  i<»i.  «|ui  ordonnera  à  la  curie  épiscopale  de  s'occuper 
de  raiïaire.  Mais  on  ne  doit  pas  aller  plus  loin,  c'est-à-dire  en 
appeler  à  Rome,  sans  la  permission  du  roi  ^.  (L'archevêque  répon- 
dit que  Ton  forcerait,  en  agissant  ainsi,  les  archevêques  à  aller 
contre  le  serment  qu'ils  ont  émis  à  l'égard  des  appels,  lorsqu'ils 
ont  reçu  le  pallium.  De  plus,  en  empêchant  de  recourir  à  la  mère 
universelle,  la  sainte  Église  romaine,  on  enlevait  aux  opprimés 
leur  principale  planche  de  salut.) 

0.  S'il  survient  un  conflit  entre  un  clerc  et  un  laïc  à  l'égard 
d'un  bien,  le  clerc  soutenant  qu'il  a  été  donné  à  l'Église,  le  laïc 
prétendant  de  son  côté  que  c'est  un  fief  laïque,  il  y  aura,  par 
devant  le  justicier  du  roi,  une  recogniiio  composée  de  douze  té- 
moins autorisés  par  la  loi,  pour  savoir  si  le  bien  en  question  appar-  [027] 
tient  à  l'Église  ou  n'est  qu'un  fief  laïque.  Dans  le  premier  cas,  le 
placitiim  devra  se  tenir  dans  la  curie  ecclésiastique  ;  dans  le 
second,  il  se  tiendra  dans  la  curie  royale,  à  moins  que  les  deux 
partis  n'aient  pris  d'un  commun  accord  pour  arbitre  \u\  baron 
ou  un  évêque,  dans  la  curie  desquels  se  tiendra  aussitôt  le  placi- 
tum.  La  recogniiio  ne  saurait,  en  effet,  enlever  à  celui  qui  possède 
actuellement  son  droit  de  possession,  tant  que  le  placituin  ne 
lui  a  pas  donné  tort  ^. 

10.  Si  l'habitant  d'une  ville,  d'un  château,  d'un  bourg  ovi  d'une 
autre  possession  du  roi  ne  comparaît  pas  devant  l'évêcjue  ou 
l'archidiacre,   quoiqu'il  y   soit   obligé,  il   ]iourra  bien   être  frappé 


1.  De  appellalionibus,  si  emerserint,  ah  archidiacono  dehent  procedere  ad  epi- 
scopum,  ab  episcopo  ad  archiepiscopum.  El  si  nrchiepiscopua  defecerit  in  justilia 
exhibenda,  ad  dominum  regem  est  perveniendum  postremo,  ni  prœcepto  ipsius  in 
curia  archiepiscopi  controversia  lerminetur,  ita  quod  non  débet  ulterius  procedere 
absque  assensu  domini  régis.   (H.  L.) 

'1.  Si  calumnia  emerscrit  inter  clericum  et  laicum,  vel  inter  laicum  et  clericum, 
de  ullo  tenemento  quod  clericus  ad  eUemofujuam  velit  attrahere,  laiciis  veroadlaicum 
feoduni,  recognitione  duodecim  legalium  hominnm  per  capitalis  justiliœ  régis 
consueludinem  terminabitnr  niriini  tenementuni  sit  perlinens  ad  eleemosynam  sive 
ad  feodum  laicum  coram  ipsa  justitia  régis.  Et  si  recognitum  juerit  ad  eleemosy- 
nam pertinere,  placitum  erit  in  curia  ecclesiastica.  Si  vero  ad  laicum  feodum.  ni  si 
amho  de  eodem  episcopo  vel  harone  advocaverint,  erit  placitum  in  curia  regia.  Sed 
si  uterque  ach'ocaveril  de  feudo  illo  eumdem  episcopum  vel  baronem,  erit  placitum 
in  curia  ipsius,  ita  quod  propler  factam  recognilionem  saisinam  non  amilint  qui 
prius  saisilus  fuerat,  doner  per  placitum  disrationatum  fuerit.  (H.  L.) 


625.     RÉUNIONS     DE     WESTMINSTER     F.T     DE     CI.ARENDON        087 

d'interdit,  mais  non  d'excommunication  ^,  avant  que  l'on  ait 
demandé  au  principal  fonctionnaire  royal  de  l'endroit  de 
l'engager  à  comparaître.  Si  l'employé  royal  hésite  à  le  faire,  le 
roi  pourra  agir  avec  lui  comme  il  plaira  à  sa  grâce  ^;  quant  à 
l'éveque.  il  devra  punir  l'accusé  d'après  le  droit  canon  ^. 

11.  Les  archevêques,  évêques  et  toutes  les  personnes  du 
royaume  (voy.  le  n°4)  q\ii  ont  reçu  directement  du  roi  un  fief  doi- 
vent regarder  ce  fief  comme  une  baronnie  des  biens  du  roi,  et 
par  conséquent  ils  doivent  répondre  aux  justiciables  et  aux  em- 
ployés royaux,  se  conduire  à  l'instar  des  autres  barons,  selon  les 
ordonnances  royales  et  les  coutumes,  assister  aux  opérations  de 
la  cour  royale,  à  l'exception  des  cas  de  condamnation  à  mort  ou 
de  mutilation  *. 

12.  Lorsqu'un  archevêché,  un  évêché,  une  abbaye  ou  un  prieuré 
formé  avec  des  biens  royaux  devient  vacant,  il  reste,  durant  tout 
le  temps  de  la  vacance,  entre  les  mains  du  roi.  qui  en  perçoit  tous 
les  revenus.  Lorsque  le  moment  est  venu  de  nommer  à  l'église 
vacante,  le  roi  doit  charger  de  cette  mission  les  personnages  les 
plus  importants  de  l'Église  et  l'élection  aura  lieu  dans  sa  chapelle, 
avec  son  assentiment  et  les  conseils  des  personnes  qu'il  aura  con- 
voquées pour  cette  réunion.  L'élu  devra  ensuite,  avant  sa  consé- 
cration, prêter  entre  les  mains  du  roi  un  serment  de  fidélité  et  de 
vassalité,  ainsi  que  doit  le  faire  tout  vassal  envers  son   seigneur, 


1.  C'est-à-dire  qu'il  sera  exclu  personnellement  des  bénédictions  de  l'Église, 
mais  qu'il  ne  sera  pas  cependant  déclaré  excommunié,  parce  que  dans  ce  cas 
les  autres  employés  du  roi  ne  pourraient  plus  communiquer  avec  lui. 

2.  Brischar-Stolberg:,  op.  cit.,  p.  178,  et  Reuter,  op.  cit.,  p.  372,  n'oul  pa*  com- 
pris ce  passage. 

o.  Qui  de  ch'itale  i'el  casiello  vel  hurgo  vel  dominico  manerio  domini  régis  fuerif, 
si  ah  archidiacono  vel  episcopo  de  aliqiio  delicto  cilatus  fuerif,  unde  debeal  eis  res- 
pondere,  et  ad  cilaliones  eorum  noluerit  satisfacere,  hene  licel  eum  sub  interdicto 
ponere.  Sed  non  débet  excommunicari  priusquam  capitalis  minister  régis  villse 
illius  conveniatur  ut  justitiet  eum  ad  salis factionem  eum  venire.  Et  si  minister 
régis  inde  defecerit,  ipse  erit  in  misericordia  domini  régis,  et  exinde  poteril  episco- 
pus  ipsum  accusatum  ecclesiastica  justitia  coercere.  (H.  L.) 

4.  Archiepiscopi,  episcopi,  et  universse  personse  regni  qune  de  rege  tenent  in 
capite  habent  possessiones  suas  de  domino  rege  sicut  baroniam  et  inde  respondent 
jusliliis  et  ministris  régis,  et  sequuntur  et  faciunt  omnes  rectitudines  regias  et  sicut 
harones  cœteri  debent  interesse  judiciis  curiœ,  régis  eum  baronibus,  usque  perve- 
niatur  n;  judicio  ael  diminutioncm  membronnn  iW  mnrtnn.  (H.  L.) 


088 


LIVRE     NX  XIV 


ftaU'o  online  suo  ^.  (L'archevêque   prolesta    conlrc   les    deux    par- 
lies  de  cet  article,  ijui,  ainsi  que  le  précédent,  donnait  le  caractère   [628] 
de  fiefs  royaux  à  toutes  les  possessions  des  évêchés.) 

13.  Si  un  grand  du  royaume  refuse  de  pratiquer  la  justice  à 
l'égard  d'un  archevêque,  d'un  évcque  ou  d'un  archidiacre,  soit 
pour  ce  qui  concerne  sa  propre  personne,  soit  pour  ce  qui  regarde 
ses  administrés,  le  roi  devra  l'y  forcer  par  une  sentence  judiciaire. 
En  revanche,  si  quelqu'un  ne  veut  pas  pratiquer  la  justice  à  l'égard 
du  roi,  l'archevêque,  l'évêque  ou  l'archidiacre  devra  le  forcer  à 
donner   satisfaction  ^. 

1  4.  L'Eglise  et  le  tribunal  ecclésiastique  ne  doivent  pas  garder 
les  biens  meubles  de  ceux  qui  sont  condamnés  par  le  roi,  car  ces 
l>iens  appartiennent  au  roi,  qu'ils  soient  dans  l'église  ou  au 
dehors  ^. 

15.  Tous  les  placita  concernant  les  dettes  faites  sur  une  parole 
d'honneur  ou  sans  une  promesse  formelle  sont  du  ressort  de  la 
curie  du  roi  (en  opposition  avec  le  sentiment  de  ceux  qui  vou- 
laient que  toute  transaction  faite  avec  un  serment  ou  une  pro- 
messe d'honneur  fût  du  ressort  du  joruni  ecclésiastique)  ^. 

16.  Les  fils  de  paysans  ne  doivent  pas  être  ordonnés  sans  l'assen- 
timent du  seigneur  sur  le  bien  duquel  ils  sont  nés  ^. 

1.  Cum  vacaverit  archiepiscopaius  vel  episcopatus  vel  ahhatia  vel  prioralus  de 
dominicis  régis,  debel  esse  in  manu  ejus,  et  inde  percipiet  omnes  redi'us  et  exitus, 
sicut  dominicos.  Et  cum  venium  fuerit  ad  consulendum  ecclesiœ  débet  dominus  rex 
mandare  poliores  personas  Ecclesiœ,  et  in  capella  ipsius  delet  fieri  electio,  assensu 
domini  régis  et  consilio  personaruni  regni  quas  ad  hoc  jaciendum  vocaverit;  et  ibi- 
dem faciet  electus  homagium  et  fidelitatem  domino  régi  sicut  ligio  domino  de  vita 
et  de  membris  et  de  honore  suo  terreno,  salvo  ordine  suo.  '^riusquam  sit  consecratus. 
(H.  L.) 

2.  Buss^  op.  cit.,  p.  266,  et  Reuter,  op.  cit.,  p.  372;  ont  entendu  cet  article  dans 
nn  sens  un  peu  diil'érent.  Si  quisquam  de  proccribus  regni  dejorciaverit  archiepi- 
scopo  i'cl  episcopo  vel  archidiacono  de  se  vel  de  suis  justitiam  exhibere,  dominus 
débet  rex  justiciare.  El  si  forte  aliquis  difjorciaret  domino  régi  rectitudinem  suam, 
arcliiepiscopi  et  archidiaconi  debent  eum  justiciare  ut  domino  régi  satisfaciat. 
(H.L.) 

3.  Catalla  eorum  qui  sunt  in  jorisfacto  régis  non  detineat  Ecclesia  vel  cœmete- 
rium  contra  justitiam  régis,  quia  ipsius  régis  sunt,  sive  in  ecclesiii  sive  extra  fuerint 
inventa.  (H.  L.) 

4.  Placita  de  debitis  quœ  fîde  interposiia  debentur  vel  absque  interpositione  fidei 
sint  in  justitia  domini  régis.  (H.  L.) 

5.  Filii  rusticorum  non  dobent  ordinari  absque  assensu  domini  de  cit/us  terra 
nali  esse  dignoscuntur.  (H.  L.) 


625.     RIÎUMONS     UK     WESTMINSTER     ET     DE     CLARENUOiN        U89 

Lecture  l'aile  de  ces  constitutions,  le  roi  deinauda  à  tous  les 
évêques,  non  le  serment  de  lidélité,  mais  l'apposition  de  leur  sceau. 
On  en  écrivit  aussitôt  trois  exemplaires,  un  ]»our  les  archives 
royales  et  deux  autres  pour  les  archevêques  de  Cantorbéry  et 
d'^^ork.  Les  documents  originaux  rapportent  très  diversement 
la  conduite  de  Thomas  Becket  en  cette  circonstance.  Tandis  ([uc 
ses  adversaires,  cl  même  un  de  ses  admirateurs,  Guillaume  Fitz 
Stephen,  racontent  que,  par  crainte  de  la  mort  et  du  roi,  il  avait 
cédé  et  apposé  son  sceau,  Thomas  déclare  ne  l'avoir  jamais  fait. 
Les  autres  amis  de  l'archevêque  parlent  dans  le  même  sens  ; 
l'un  d'eux.  Jean,  évêque  de  Poitiers,  ajoute  que  Thomas  n'a\ait 
pas  promis  formellement  l'observation  de  ces  statuts.  Cette  parole 
[629]  laisse  voir  que  Thomas,  quelque  peu  paralysé  par  la  crainte,  n'osa 
pas  déclarer  ouvertement  son  dissentiment,  mais  qu'il  se  conduisit 
de  manière  à  laisser  croire  qu'il  avait  donné  son  adhésion.  Qu'il 
ait  faibli  en  cette  circonstance,  c'est  ce  que  prouve  son  repentir 
ultérieur.  Herbert  de  Bosham  ne  dit  donc  pas  assez,  lorsqu'il 
alFirmecc  qu'il  n'avait  pas  précisément  refusé,  mais  avait  seulement 
demandé  un  délai."  et  de  même  Roger  de  Pontigny  :  «  L'arche- 
vêque déclara  :  J'accepte  ce  statut,  mais  je  ne  lui  donne  pas 
mon  adhésion,  je  veux  voir,  avant  tout,  les  points  que  nous 
aurons  à  combattre  ^.  «  Ces  biographes  de  Becket  ont  évidem- 
ment cherché  à  pallier  sa  faiblesse;  les  historiens  postérieurs  l'ont 
souvent  regardée  comme  d'un  instant  et  placent  le  regret 
de  Thomas  presque  immédiatement  après  sa  faute.  Il  est  vrai 
qu'à  son  retour  de  Clarendon  à  Cantorbéry,  Becket  11 L  con- 
naître à  sa  suite  à  quel  point  il  était  mécontent  de  lui-même  ;  le 
fait  est  attesté  par  Herbert  de  Bosham.  Toutefois  l'archevêque 
se  laissa  persuader  par  l'évêque  d'Evreux  d'appuyer,  par 
une  lettre  à  Alexandre  III,  la  démarche  du  roi  pour  obtenir 
l'approbation  des  articles  de  Clarendon'^.  Cette  lettre,  qui  accen- 


1.  Opéra  Thomx  Canluar.,  éd.  Giles,  t.  i,  p.  127,  2l7;  t.  vi,  p.  243;  t.  vu, 
p.  125;  P.  L.,  t.  cxc,  col.  77,  133,  1026,  1143. 

2.  Deux  biographes  de  Thomas  Becket,  Edouard  Grimm  et  GuiUaunxe  de 
Cantorbéry  (P.  L.,  t.  cxc,  col.  20,  239;  dans  les  Op.  S.  Thomiv,  t.  i,  p.  32;  t.  ii, 
p.  10,  éd.  Gilcs),  parlent  de  cette  lettre,  et  le  pape  en  parle  aussi,  comme  nous 
le  verrons  bientôt.  On  se  demande  si  la  lettre  de  Thomas  Becket  à  Louis  VII, 
roi  de  France,  dans  lequel  il  parle  de  sa  réconciliation  avec  le  roi  Henri,  date  de 
cette  époque.  P.  L.,  t.  cxc,  col.  661  sq. 


990  Li\  ni:    xx.viv 

lue  cL  rojiiplcU'  lii  laihlcssc  de  TliuiiKis  lieckel,  a  été  évl- 
deminenl  éciilc  avauL  la  pénitence  que  Thomas  s'imposa  à 
lui-même  ^. 

On  se  souvieiiL  (juaussitùl  après  le  parlement  de  Westminster 
f octobre  1163),  le  roi  Henri  11  avait  député  au  pape,  à  Sens,  Ai- 
nulfj  évêque  de  Lisieux  et  Richard,  archidiacre  de  Poitiers;  ils 
devaient  solliciter  la  nomination  de  l'archevêque  d'York  comme 
légat  pour  l'Angleterre  et  l'intimation  aux  évêques  anglais  de 
reconnaître  les  consueludines  (u-ilœ.  Le  pape  refusa  tout;  mais  à 
peine  sa  réponse  arrivée  enAngleterre,le  roi  envoya  à  Alexandre  III  [630] 
deux  autres  ambassadeurs,  pour  obtenir  la  confirmation  des 
statuts  de  Clarendon,  qui  furent  dès  lors  publiés  des  deux  côtés 
de  la  Manche,  en  Angleterre  et  dans  les  possessions  anglaises  en 
France.  Le  pape  écrit  à  ce  propos  dans  sa  lettre  Etsi,  etc.,  adressée 
le  27  février  1161  à  Thomas  Becket  :  «  Pour  obtenir  plus  facilement 
sa  demande,  le  roi  m'a  envoyé  une  de  tes  lettres,  frère,  et  une 
de  l'archevêque  d'York  ...  cl  nous  a  demandé  instamment 
la  confirmation  des  consueludines.  donnanl  pour  raison  que  toi 
et  les  autres  évôciues  avez  promis,  il  y  a  (iuelc[ue  temps,  de  les 
observer.  Nous  n'avons  pas  acquiescé;  mais,  pour  ne  pas  trop 
mécontenter  le  roi,  nous  lui  avons  adressé  une  lettre  conférant  la 
dignité  de  légat  à  l'archevêque  d'York  '^.  »  Ce  fut  probablement 
à  cette  époque  que  le  pape  envoya  à  tous  les  évoques  anglais 
l'encyclique  dans  laquelle  il  les  engage  à  ne  faire  au  roi  aucune 
promesse  contraire  à  la  liberté  de  l'Eglise;  celles  qui  auraient 
déjà    été    faites  sont  nulles  de  plein  droit    et    n'engagent  pas  ^. 


1.  Je  sais  bien  que  les  deux  biographes  de  Bcckel  cites  plus  haut  placent 
en  termes  plus  précis,  il  est  vrai  [interea],  la  rédaclion  de  cette  lettre  pendant 
le  temps  de  la  pénitence  de  Thomas  Bcckel.  Mais  en  faisant  abstraction  de  ce 
qu'il  y  a  d'invraisemblable  dans  le  fait  d'un  liomuie  (jui  continuerait  une  faute 
au  moment  même  où  il  en  ferait  pénitence,  la  chronologie  est  tout  à  fait  opposée 
à  l'assertion  de  ces  deux  biographes.  En  elïet,  c'est  le  27  février  1164  que  le 
pape  répond  à  la  lettre  écrite  par  Thomas  Becket  en  faveur  des  articles  de  Cla- 
rendon, et  c'est  le  1<""  avril  llG'i  que  Thomas  commence  à  faire  pénitence.  C'est 
pour  n'avoir  pas  examiné  de  près  ces  divers  points,  que  plusieurs  historiens 
modernes  sont  tombés  dans  des  erreurs  et  ont  rendu  leur  tâche  beaucoup  plus 
difficile. 

2.  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  74;  Hardouin.  Cu)ir.  coll.,  t.  vi,  part.  -, 
1383;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  874;  P.  L.,  t.  ce,  col.  285. 

3.  P.  L.,  t.  ce,  col.  287.  Reulcr,  op.  cit.,  p.  359;  place  à  tort  ce  bref  avant  le 
parlement  de  Clarendon. 


625.    RLUNio.NS    Di;   west.minstku    kt   jde   clauj:.nuon      991 

Dans  une  troisième  lettre  (même  date),  le  pape  cherche  à  tranquil- 
liser Thomas  Becket  au  sujet  de  cette  dignité  de  légat  accordée 
à  l'archevêque  d'York  :  «  Le  décret  concernant  cette  dignité  ne 
doit  être,  dit  le  pape,  remis  à  l'archevêque  qu'avec  ton  assenti- 
ment. Ce  point  a  été  expressément  stipulé.  Si  le  roi  n'en  tenait  pas 
compte,  tu  serais,  toi  et  ta  ville,  exempt  de  la  juridiction  du 
légat  1.   » 

Ce  i'ul  sans  doute  la  lettre  écrite  par  Thomas  Becket  au  pape 
Alexandre  III,  en  faveur  des  articles  de  Clarendon,  qui  donna  lieu 
à  la  sévère  pénitence  (lue  rarchevêc{ue  s'imposa  à  lui-même  vers 
le  1^1'  mars  -.  11  prononça  contre  lui-même  une  suspensio  m  sacz'is, 
s'abstint  de  toute  fonction  ecclésiastique,  en  particulier  de  la  célé- 
bration de  la  messe,  s'imposa  des  jeûnes,  etc.,  et  envoya  au  pape, 
[631]  à  Sens,  un  messager  pour  confesser  sa  faute  et  en  obtenir  le  pardon. 
Le  pape  répondit,  le  l^^"  avril  11G4,  d'vme  manière  paternelle  : 
H  En  toute  action,  dit-il,  c'est  l'intention  qu'il  faut  considérer; 
or  l'archevêque  n'a  pas  eu  d'intention  mauvaise.  Du  reste, 
s'il  a  quelque  chose  à  se  reprocher,  il  doit  le  confesser  à  un 
prêtre,  et  Dieu  lui  pardonnera  selon  sa  miséricorde.  Le  pape  l'ab- 
sout pour  le  passé  et  lui  ordonne  de  célébrer  de  nouveau  la 
messe  ^. 

Vers  ce  même  temps,  Henri  II  envoya  au  pape  d'autres 
agents  dont  l'arrivée  à  Sens  coïncide  avec  la  nouvelle  de  la  mort 
de  l'antipape  Octavien  (mort  le  20  avril  1164).  Ils  mirent  à  pro- 
fit cette  circonstance,  pour  faire  valoir  les  nombreux  services 
rendus  par  leur  maître  à  Alexandre,  qu'ils  cherchèrent  à 
impressionner;  puis  ils  lui  restituèrent  le  décret  accordant  à 
l'archevècjue  d'York  la  dignité  de  légat,  parce  que  le  roi  ne  vou- 
lait pas  remplir  la  condition  imposée  par  le  pape  (l'assentiment 
de  Thomas  Becket).  Ils  espéraient  obtenir  un  autre  bref  sans  cette 
réserve;    mais     toutes     les    instances     des    cardinaux    favorables 


1.  P.  L.,  t.  ce,  col.  287. 

2.  On  obtient  cette  date  par  les  rai)pioclienients  suivaiils  :  la  Iclli-f  du  papc^ 
qui  termina  la  pénitence  de  Becket,  est  datée  du  l"^""  avril  11G4  et  ne  dut  pas 
arriver  en  Angleterre  avant  le  10  du  niôine  mois.  D'un  autre  côté,  la  pénitence 
de  Thomas  dura  environ  quarante  jours,  c'est  Herbert  de  Bosham  qui  l'affirme  : 
ce  sont  donc  les  quarante  jours  qui  précèdent  le  10  avril,  ce  qui  donne  pour  le 
début  environ  le  1^"^  mars. 

3.  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  317;Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  cot.  1606  ; 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  ll'j;];  Rcuter,  op.  cit.,  p.  378. 


992  LlVlUi     XXMV 

au  roi  d  AuiiltUrrc  n'y  purent  ilècider  le  pape.  11  avait  compris 
le  péril  qu'il  y  avait  à  confier  une  telle  dignité  à  Roger  d'York; 
aussi  regardait-il  comme  un  honheur  inespéré  que  son  décret  lui 
eût  été  rendu  ^. 


626.    Convent  de  Northampton.  octobre   1164. 
Fuite  de   Becket. 

Depuis  quelque  tenq)S  déjà,  Thomas  Becket  songeait  à  se  ren- 
dre en  France,  jiour  soutenir  la  lutte  en  faveur  de  l'Eglise.  Jean 
de  Salisbury  et  Jean,  évèque  de  Poitiers,  faisant  oublier  leur  fai- 
blesse passée  par  leur  zèle  récent,  avaient  négocié  cette  affaire  avec 
le  roi  de  France  et  plusieurs  seigneurs  du  royaume  '^.  Les  cister- 
ciens de  Pontigny  en  Bourgogne  briguèrent  l'honneur  de  donner 
asile  au  fugitif.  Thomas  était  déjà  parvenu  à  quitter  la  côte  an- 
glaise, lorsqu'une  saute  de  vent  le  ramena  au  rivage,  et  le  roi, 
instruit  de  cette  tentative  d'évasion,  décida  de  faire  comparaître  [632] 
l'archevêque  devant  un  tribunal.  Une  occasion  favorable  se  pré- 
senta bientôt.  .Jean  Maréchal,  emi)loyé  royal  des  hnances,  avait 
émis  des  prétentions  sur  un  bien  d'église  et  perdu  son  procès 
devant  la  cour  de  l'archevêque.  D'après  une  nouvelle  ordon- 
nance royale,  il  pouvait  recourir  au  tribunal  du  roi;  mais  l'arche- 
vêque, faisant  des  difTicultés  par  suite  d'un  vice  de  forme 
commis  par  le  demandeur,  fut  lui-même  cité  à  comparaître,  le 
11  septembre  1164,  devant  la  cour  royale.  Il  ne  vint  pas  et 
fut  cité  de  nouveau  à  se  présenter,  le  8  octobre,  à  Northampton, 
où,  conformément  à  l'article  11  de  Clarendon,  le  roi  avait  réuni 
en  parlement  les  évoques  et  les  barons  du  royaume  ^,  Dès  la  pre- 
mière session,  on  rappela  l'absence  de  Thomas  Becket,  le  11  sep- 
tembre,et,  quoique  l'archevêque  eut  allégué  la  maladie,  elle  fut  con- 


1.  P.  L.,  t.  cxc,  col.  701  ;  Keuter,  op.  cil.,  p.  378,  573;  Buss,  op.  cit.,  p.  281-291. 

2.  Jean  de  Salisbury,  Episl.,  Ex  quo  parles  atligi,  dans  Robertson,  Materials, 
t.  V,  p.  95,  trad.  franc,   dans  A.  L'Huillier,  op.  cit.,  t.  i,  p.  298-305.  (H.  L.) 

3.  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  1433-1438;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  1, 
col.  1609;  Coleli,  Concilia,  t.  xiii,  col.  319;  Wilkii  s,  Conc.  Britann.,  L.  ii,  col. 
436-'437;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  cul.  1-03.  (H.  L.) 


<i-li.     FUITE     Ui:     BECKET  9ll3 

Sidérée  comme  une  révolte  de  vassal  à  seigneur.  Ij'archevèque  l'ut 
en  conséquence  condamné  à  la  perle  de  tous  ses  biens  meubles  et 
abandimné  «  à  la  «race  du  roi  »,  qui  sevd  pouvait  les  lui  laisser. 
Jus([u  alors  tous  les  juges,  laï([ucs  et  ccclésiasti(|ucs.  avaient 
clc  d'accoi'd  :  nutis  sui'  l;i  (|ucsti(m  de  sa\(»ii-  (|ui  notilierail  au 
primat  ce  jugement,  les  seutimcnls  se  (li\  isèrciit .  A])rès  avoir 
jugé  le  \assal.  ils  hésitaient  à  faire  connaît ic  Icui'  décision  au  [ui- 
mat  :  les  l)ai'oiis  ^()ulalcnt  se  décharger  de  ce  soin  sur  les  évtMjues, 
sous  prctcxlc  (|u'élant  laï(iucs  ils  i^'avaienl  aucune  juridiction 
sur  les  ecclésiastiques.  Les  prélats  répondaient,  de  leur  côté,  que 
des  évèques  })ouvaient  moins  encore  procéder  contre  leur  père 
el  supérieur;  que  d'ailleurs  ils  ne  se  trouvaient  pas  à  \orth- 
amjjton  en  qualité  d'évêques,  mais  comme  barons  et  au  même 
titre  ({ue  les  laïcs.  l*our  en  finir,  le  roi  ordonna  à  Henri,  évê- 
((ue  de  Winchester,  de  proclamer  la  sentence.  Becket  protesta; 
mais,  sur  les  instances  générales  qui  lui  furent  faites,  il  s'arrêta, 
afin  de  ne  pas  exaspérer  le  roi  ^.  Selon  l'usage,  la  confiscation 
des  biens  prononcée  par  le  tribunal  fut  commuée  en  une  amende 
fixée,  contre  les  usages,  à  500  livres^,  tandis  que  d'ordinaire 
elle  était  de  40  à  100  livres,  selon  les  cointés.  Tous  les  évèques, 
sauf  Gilbert  Folioth  de  Londres,  se  portèrent  caution  pour 
l'archevêque  ^. 
(533]  A  cette  première  vexation  devait  bientôt  en  succéder  une 
autre.  Dans  la  même  session,  le  roi  demanda  à  Thomas  de  rendre 
compte  de  plus  de  300  livres  f[u'il  avait  retirées  comme  chance- 
lier des  châteaux  de  Eve  et  Berkhampstead.  Le  primat  répondit 
(ju'il  n'avait  pas  été  cité  pour  rendre  ses  comptes;  cependant  par 
condescendance  il  voulait  bien  répondre  qu'il  avait  employé  au 
delà  de  ces  300  livres  à  la  réparation  des  deux  châteaux  et  de  la 
Tour  de  Londres.  .Néanmoins,  le  roi  n'acceptari!  pas  ces  raisons, 
Thomas,  résigné  à  céder  jus(iu'aux  dernières  limites,  donna  caution 
pour  300  livres  de   [dus. 

Le  lendemain,  veiulicdi  il  ticlobre.  le  roi  formula  une  nouvelle 
demande  :  il  assura  avoir  prêté  500  marcs  à  l'homas  Becket, 
lorsque  celui-ci  était  chancelier.  Thomas  répondit  (piil  a\  ait  reçu 

1.  C'est  ainsi  que  peuvent  s'hariuoiiiser  les  données  fournies  par  les  biogra- 
phes de  Tlionias  Becket. 

2.  Une  dizaine  de  mille  francs.   (It.  t^.) 

3.  P.  L.,  t.  cxc,  col.  2'i,  81,  13.J,  ll'i8. 

GONCILliS  —  V  —    03 


!)94 


1.1  \  H  i;     X  \  N  I  V 


celle  sunuue  eu  [)reseut  et  qu  il  iiélaiL  «^uère  royal  ilc  l'éeiaiuer 
un  présent.  Le  roi  ayant  nié  le  présent,  l'archevêque  fut  con- 
damné à  rembourser  ;  et  comme  on  lui  demandait  caution,  il  dit 
que  son  évêché  avait  une  valeur  bien  supérieure  et  qui  couvrait 
la  somme.  On  lui  réplicfua  que  la  sentence  de  la  veille  emportait 
confiscation  et  qu'il  lui  fallait  se  constituer  prisonnier  s'il  ne 
fournissait  pas  de  caution.  Dans  cette  extrémité,  Thomas  Becket 
fut  abandonné  par  les  évêques  ;  toutefois,  cinq  hommes  se 
portèrent   caution  chacun  pour  100  livres. 

Dans  la  troisième  session,  le  10  octobre,  il  devint  clair  pour 
tout  le  monde  que  le  roi  voulait  perdre  l'archevêque.  Il  demanda 
à  Thomas  de  rendre  compte  de  tout  l'argent  qu'il  avait  reçu, 
étant  chancelier.  ])()ui'  les  évêchés,  baronnies  et  abbayes  vacants  : 
il  ne  s'agissait  pas  moins  de  30  à  40  000  livres  et  il  est  évident  que 
ce  n'était  plus  le  moment  de  réclamer  ses  comptes  à  Thomas 
Becket.  On  aurait  dû  le  faire  plus  tôt,  lorsqu'au  moment  de  sa 
consécration  Thomas  avait  abdiqué  la  charge  de  chancelier, 
A  cette  époque,  on  l'avait  déclaré  libre  de  tovis  «  liens  »,  par  con- 
séquent de  cette  responsabilité  qu'on  voulait  maintenant  faire 
retomber  sur  lui  ^.  Aussi  la  demande  du  roi  excita-t-elle  le  plus 
grand  étonnement  dans  le  parlement  :  on  comprit  ([ue  le  souve- 
rain voulait  voir  l'archevêque  en  prison,  sinon  pire.  Thomas,  [(J34] 
bouleversé  par  cette  exigence  inouïe,  crut  devoir  en  délibérer 
d'abord  avec  ses  sulTragants  et  se  retira  avec  eux  dans  un 
appartement  séparé,  tandis  i[ue  la  cour  continuait  à  siéger. 
Henri,  évê({ue  de  Winchester,  (jni  avait  sacré  Thouu\s  Becket 
el  lui  était  toujours  resLé  très  dévoué,  proposa  d'apaiser  le  roi,  eu 
lui  offrant  une  somme  de  2  000  marcs.  Le  roi  les  refusa;  la  plupart 
des  évêques,  surtouL  Gilbert  de  Londres  et  Hilaire  de  Chichester, 
déclarèrent  qu'à  la  suite  de  ce  refus,  Thomas  n'avait  qu'à  résigner 
son  archevêché  ;  que  telle  était  certainement  la  volonté  d'Henri  II, 
et  qu'il  n'y  avait  pas  d'aulre  moyen  d'éviter  un  plus  grand  mal, 
et  peut-être  des  voies  de  fait.  Toutefois,  des  voix  s'élevèrent  aussi 
pour  engager  l'archevêque  à  résister.  On  discuta  pour  et 
contre,  et  à  la  fin  de  la  séance  Becket  lit  demander  un  délai  jus- 
qu'à la  session  suivante. 

Le  primat  passa  le  dimanche  tout  entier,  au  monastère  de  Saint- 
André,  en  délibérations  avec  ses  amis  ;  il  fut  décidé  que  le  lendemain, 

1.   Reuter^  op.  cit.,  p.  2G8j  411 


GJG.     FUriK     1)L     bliCKlîT  UU.) 

lundi  i'I  ocl  (tlii  f.  il  cnniiiaiail  l'iiil  (lt'\anl  1;  coiif.  Mais  dans  la 
nuit  il  se  Irouva  si  soulïranl  (|u'il  lui  fut  iiiii)Ossible  de  quitter  son 
lil  le  lendemain.  I^e  roi  n'y  voulut  \ oir  qu'une  ruse  et  lui  envoya 
deux  l'onites  poui'  réitérer  la  cilalion  et  s'assurer  de  l'état  réel 
du  malade,  qui  leur  dit  :a  Demain,  je  me  présenterai  à  l'assemblée 
avec  le  secours  de  Dieu,  dùL-on  me  porter  en  litière  !  »  Dans  lu 
matinée  du  13  octobre  (mardi),  avant  l'ouverture  de  la  session, 
les  évèques  se  réunirent  chez  le  primat,  lui  dirent  les  bruits 
qui  couraient  ([ue  sa  vie  était  menacée,  et  l'engagèrent  vivement 
à  s'en  remettre  uniquement  à  la  grâce  du  roi.  C'était,  d'après 
eux,  le  seul  moyen  de  salut.  Tous  les  évèques  étaient  ail'olés; 
l'archevêque,  un  instant  troublé,  se  rasséréna  et  prononça 
devant  ces  évèques  un  discours  dans  l'esprit  du  droit  canon  et  en 
opposition  avec  les  statuts  de  Clarendon  :  il  leur  fit  voir  qu'en  sié- 
geant dans  des  tribunaux  qui  traitaient  d'alïaires  civiles  et  cri- 
minelles, ils  avaient  manqué  à  leurs  devoirs  :  il  leur  interdit  cette 
conduite  et  une  plus  longue  participation  aux  opérations  de  la 
cour  royale.  En  même  temps,  il  en  appela  au  pape  et  chargea 
les  évèques  de  procéder  par  les  censures  ecclésiastiques  contre 
les  barons,  dans  le  cas  où  ces  derniers  prononceraient  contre  lui. 
Gilbert,  évêque  de  Londres,  déclara  que  lui  aussi  en  appelait  au 
|)ape  de  la  défense  archiépiscopale  d'assister  plus  longtemps  aux 
635]  délibérations  de  la  cour  royale,  puis  les  évèques  s'éloignèrent  et 
le  primat,  ayant  mis  son  palliuin.  se  rendit  à  l'église  et  célébra 
la  messe  de  saint  b^ticnne.  Ses  ennemis  \oulurent  voir  dans  c**- 
choix  une  allusion  olfensante  au  roi,  parce  que  linlroït  commence 
par  les  paroles  :  Sederuni  principeH  et  adversuni  me  loquebanlur^. 
Après  la  messe,  Thomas  Becket  voulait  se  rendre  devant  le  tri- 
bunal sans  quitter  ses  habits  sacerdotaux;  mais,  sur  la  prière 
de  quelques  templiers  ses  amis,  il  n'insista  pas  et  se  contenta  de 
faire  porter  devant  lui  la  croix  archiépiscopale.  Il  emportait 
une  hostie  consacrée  comme  viatique,  pour  le  cas  où  un  malheur 
lui  surviendrait.  Arrivé  dans  la  coui'  du  château,  il  prit  lui-même 
la  croix  en  main  et  entra  ainsi  dans  l'assemblée,  sans  s'arrêter 
aux  railleries  de  quchiucs  évêt[ues,  et  s'allaissa  sur  le  siège 
qui  lui  avait  été  assigné.  Henri  II  lut  aussitôt  instruit,  dans 
son  cai)inet,  de   ce  qui  se  passait  et   du  discours  de  Becket  aux 


1.  l's.  o 


996  i.ivuK  XXXI V 

évoques  ;  il  ou  inouha  uiu'  <irande  colère  el  cria  à  la  Irahison. 
Dans  la  cour  du  loi,  ou  accusait  également  l'archevêque  de  trahi- 
son à  regard  de  son  seigneur  et  roi.  Celui-ci  voulait  qu'en  dépit 
de  la  défense  de  l'archevêque,  les  évêques  prissent  y)art  à  la  con- 
damnation de  Thomas  Becket;  mais  un  reste  d'esprit  sacerdo- 
tal fit  comprendre  à  ces  prélats  ce  qu'il  y  aurait  de  grave  et 
de  périlleux  dans  un  oubli  aussi  étrange  de  la  hiérarchie  ecclé- 
siastique. Aussi  s'arrêtèrent-ils  à  uu  moyen  terme.  (|iii  leur 
])crmettait  de  paraître  obéir  aux  règles  du  droil  cauon.  tout  en 
s'en  afïrancbissant  pour  l'avenir,  et  de  travailler  à  la  ruine  de 
Thomas  Becket.  Conformément  aux  ordres  du  primat,  ils  quittèrent 
la  curie;  mais  ils  en  appelèrent  aussitôt  au  i>ape,  et  dénon- 
cèrent l'archevêque  comme  transgresseur  des  lois  du  royaume 
qu'il  avait  promis  de  respecter. 

La   cour,  réduite   à   des  laïcs,  était,  par  le  fait,  en  contradiction 
avec  l'article  11  de  Clarendon.  Néanmoins  elle  adopta  pleinement 
le  plan  du  roi   de   déclarer  coupable  de  haute  trahison  l'arche- 
vêque Becket,  en  sa  qualité    de    vassal    du    roi,    révolté    contre 
son  suzerain  et  contempteur  des  articles  de  Clarendon.  Les  barons, 
revenus  du  cabinet  du  roi  dans  la  salle  des  sessions,  retrouvèrent 
Becket  à  sa  place  ordinaire  et  voulurent  lui  annoncer  la  sentence 
portée  contre  lui  ;  mais  Thomas  interrompit  le  comte  Robert  de 
Leicester  qui  prenait  la  parole,  et  défendit  aux    barons,    comme 
ses  enfants  et  comme  laïcs,  de  juger  leur  père  spirituel.  Il  ajouta   [636] 
qu'il  en  avait  appelé  au  pape,  et  que  par  conséquent  nul  uavaitle 
droit  de  prononcer  un  jugement  contre  lui.  Les  barons  hésitaient. 
Becket  ([uitta  l'assemblée  avec  le  même  calme  et  le  même  céré- 
monial qu  à  son  arrivée,  tenant  toujours  en  main  la  croix  archi- 
épiscopale.    Ses    ennemis    l'accompagnèrent    avec    des    menaces 
et  des  injures.  Le  local  était  fermé  ;  uu  des  partisans  de  Becket 
trouva  la  clef,  et  rarchevê([ue  ])ut  arriver  jus(|ue  dans  la  cour,  où 
se  trouvait  son  cheval  et  où  le  peuple  lui  fit  l'accueil  le  plus  enthou- 
siaste et  lui  demanda  sa  bénédiction.  De  leur  côté,  les  courtisans 
l'avaient  poursuivi  après  sa  sortie  de  l'assemblée,  et  une  lutte  se 
serait  engagée  entre  eux  et  le  peuple,  si  le  roi  n'avait  ])rudemment 
conseillé  avix  siens  de  se  tenir  en  paix  ^. 

Dès  son  retour  a\i  monastère  de  Saint-André.  rarchevê([ue  fit 

1.  Mansi,  Conc.  ampHss.  coll.,  t.  xxi,  ool.  1  11)j,  1203;  P.  L.,  t.  cxc,  col.  2'i.  82, 
133,  11 V7.   (II.  L.) 


1 


G'Jd.    FUI  ii:    DT-    hi:cki:t  907 

demander  au  roi  la  permission  ilenlreprendrc  un  voyage.  En 
agissant  ainsi,  il  se  conformait  aux  j)rincipes  émis  à  Clarendon; 
il  s'y  conforma  également  lorsque,  la  permission  lui  étant  refu- 
sée, il  prit  la  fuite  dans  la  nuit  du  13  au  14  octobre  1164,  pour 
se  réfugier  auprès  du  pape.  Quelques  heures  auparavant,  il 
avait  ordonné  à  Herbert  de  Bosham  de  se  rendre  à  Cantorbéry,  d"y 
réunir  loul  l'argent  possible  et  de  le  rejoindre  à  Saint-Omer. 
Afin  de  ne  pas  être  recomui.  Becket  ])rit  des  habits  étrangers  : 
toutefois,  il  ne  laissa  ni  son  palliitin  archiépiscopal  ni  son  sceau, 
car  c'était  en  archevêque  ((uil  ([uitlait  l'Angleterre.  Trois  amis 
seulement  devaient  l'accompagner  ;  pour  éviter  à  ses  autres  servi- 
teurs tout  désagrément,  il  les  avait  congédiés,  surtout  les  laïques 
nobles  attachés  à  sa  personne.  D'ailleurs,  quelques  gens  de  sa 
maison  l'avaient  déjà  abandonné.  Le  roi  aurait  certainement 
pu  empêcher  la  fuite  de  Becket;  mais  comme  il  ne  lui  avait  pas  été 
possible  d'obtenir  sa  déposition  formelle,  il  regarda  sa  fuite  comme 
un  avantage  :  elle  le  délivrait  d'un  adversaire  et  lui  permettait 
d'élever  de  nouvelles   plaintes   contre  lui. 

En  apprenant  la  fuite  de  Becket,  la  cour  tint,  le  14  octobre,  une 
nouvelle  session,  à  laquelle  les  évêques  prirent  part;  on  y  résolut, 
637]  conformément  à  la  volonté  du  roi,  de  ne  prendre  aucune  mesure 
violente  contre  Becket  et  le  siège  de  Cantorbéry,  mais  au  contraire 
de  suivre  l'archevêque  dans  la  voie  de  l'appel  et  d'utiliser  la  situa- 
tion périlleuse  où  se  trouvait  le  pape,  pour  obtenir  la  ruine 
de  l'appelant.  Dans  ce  but,  le  roi  envoya  au  pa])e  une  grande 
ambassade  d'évêques  et  de  barons,  ayant  à  leur  tète  les  plus 
ardents  ennemis  de  Thomas  :  Roger,  archevêque  d'Yoïk,  et 
Gilbert  Eolioth,  évêque  de  Londres.  Ils  avaient  pour  instruc- 
tions d'aller  remettre  au  roi  de  France,  Louis  VII,  et  au  comte 
de  Flandre,  des  lettres  où  le  roi  Henri  les  priait  instamment 
de  ne  pas  donner  asile  à  Vancien  archevêc[ue  de  Cantorbéry, 
que  la  cour  royale  avait  déclaré  traître  à  son  pays.  Les  ambassa- 
deurs arrivèrent  sur  le  continent  la  nuit  même  (l^'"-2  novembre) 
où  l'archevêque  quittait  la  <  ôle  anglaise.  Après  s'être  déguisé 
en  moine  et  avoir  ])ris  le  nom  de  frère  Christian.  Thomas 
Bcckcl     s'était      dirigé    de    Northatuptou     vers     Liiicohi   '.    présu- 


1.   Northamptoii,   couchée   à   (ir.Tham    (ou    nrantlKun),    Lincoln,  Ij'Ermita;2;c^ 


008  '   i.iVRi:    xxxiv 

luanl  ([110  porsonno  no  lo  ]ioursuivi'ail  clans  oolto  dircclion 
détournée.  De  là,  il  avait  l<»urné  vors  le  sud  oL,  le  matin  du 
jour  des  Morts  (2  novembre),  il  s'embarqua  sur  un  canot  à 
Eastry,  près  de  Sandwich,  non  loin  de  Cantorbéry,  et  le  soir  il 
arrivait  heureusement  à  Gravelines,  sur  le  territoire  du  comte 
de  Flandre.  Reconnu  dans  l'hôtellerie,  il  <^agna  le  lendemain 
les  environs  de  Saint-Omer,  où  il  rencontra  Herbert  de  Bosham, 
au  moment  où  les  ambassadeurs  an<2;lais  se  trouvaient  aussi  à 
Saint-Omer.  L'archev^êquc  dut  loster  trois  jours  caché,  jusqu'au 
départ  des  ambassadeurs.  Le  quatrième  jour,  il  se  rendit  au 
monastère  de  Saint -Berlin,  où  il  rohoiua  plusieurs  de  ses  par- 
tisans qui  avaient  voulu  le  suivre  en  exil;  Thomas  s'empressa 
d'en  députer  deux  au  roi  Louis,  les  chargeant  (]v  suivre  exacte- 
ment la  trace  des  ambassadeurs  d'Henri  IL  Ces  derniers  avaient 
rencontré  le  roi  de  France  à  Compiègne,  mais  n'avaient  pu  rien 
obtenir;  Louis  Vil  leur  avait  déclaré  que  la  prétendue  dépo- 
sition de  l'archevêcjue  était  nulle  et  cju'il  ne  l'empêcherait 
pas  plus  de  résider  en  France  que  d'aller  trouver  le  pape  à  Sens.  Le 
comte  d'Arundel  fit  remarquer  que,  lorsque  Becket  était  chance- 
lier, il  avait  toujours  été  contraire  aux  intérêts  de  la  France,  mais 
le  roi  Louis  fut  assez  noble  pour  ne  pas  relever  cette  réflexion 
perfide. 

Le  lendemain  de  la  réception  des  ambassadeurs  d'Angleterre  rQSgl 
par  le  roi  de  France,  les  envoyés  de  Becket  arrivèrent  à  Com- 
piègne, où  ils  furent  accueillis  très  amicalement.  Le  roi 
Louis  VU  leur  promit  secours  et  protection  pour  leur  maître; 
aussi  se  hâtèrent-ils  de  prendre  la  roule  de  Sens.  On  se  souvient 
qu'il  existait  parmi  les  cardinaux  un  itarli  anglais,  qui,  s'appuyant 
alors  sur  les  évêqvies  et  les  barons  de  l'ambassade  anglaise,  con- 
seillait au  pape  de  se  montrer  favorable  au  roi  d'Angleterre  et 
de  raffermir  par  là  sa  jiropre  situation.  Dans  le  consistoire  public 
auquel  assistaient  les  messagers  de  Becket,  les  ambassadeurs 
d'Henri  II  exposèrent  à  leur  point  de  vue  la  suite  de  cette  affaire 
et  se  plaignirent  amèrement  de  ^arche^  r{|uo.  dont  ils  deman- 
dèrent la  déposition.  En  revanche,  on  promettait  un  sérieux 
accroissement  du  denier  de  Saint-Pierre    en    Angleterre.   Vovant 


Saint-r3otulf  (aujourd'hui  Boslon),  Havcrolot  (aujourrriiui  Ilaverholme),  Chick- 
sand,  F.astry  près  Sandwich.   (M.   L.) 


G26.     FUITE     DE     BF.CKET  999 

hieiitol  <)ue  c'était  trop  demander,  les  ambassadeurs  fireni  une 
seconde  proposition  :  ils  demandèrent  l'envoi  en  Angleterre  de 
deux  cardinaux  avec  des  pouvoirs  illimités  pour  réglej- le  diiïérend 
sans  appel.  On  espérait  que  le  pape  se  désintéresserait  de  la 
(juestion  et  qu'il  serait  possible  d'acheter  les  légats.  Les  car- 
dinaux du  parti  anglais  appuyèrent  ce  projet;  le  pape  ne  se 
dissimulait  ])as  que  sa  situation  deviendrait  grave  si  le  roi 
d'Angleterre  abandonnait  son  obédience;  il  rejeta  cependant 
cette  combinaison  et  déclara  qu'avant  tout  il  fallait  attendre 
l'arrivée  de  Thomas  Becket.  Les  ambassadeurs  d'Henri  II, 
mécontents  de  cette  réponse,  repartirent  aussitôt. 

Cependant,  Thomas  recevait  à  Saint-Bertin  les  hommages 
de  nombreux  prélats  français,  notamment  Henri,  archevêque  de 
Reims  (frère  du  roi),  et.  à  Soissons,  il  fut  comblé  d'honneurs 
par  le  souverain.  De  là  il  partit  pour  Sens  avec  une  grande 
escorte  ;  le  pape  et  les  cardinaux  vinrent  au-devant  de  lui  et  lui 
firent  l'accueil  le  plus  cordial.  Quelques  jours  après,  Becket 
raconta  au  pape  et  aux  cardinaux,  en  séance  secrète,  ce  qui  s'était 
passé  en  Angleterre,  et  démontra  comment  les  articles  de  Cla- 
rendon  étaient  en  opposition  avec  la  liberté  de  l'Eglise.  On  lut 
ces  articles,  qui  causèrent  au  pape  une  grande  surprise,  et  on  en 
condamna  immédiatement  dix  comme  opposés  aux  saints  canons 
(les  nos  i,  .3,  4,  5,  7,  8,  9,  10, 12,  15). 

Le  pape  releva  aussi  l'archevêque  de  la  promesse  faite  à  Cla- 
rendon.  Le  lendemain,  Thomas  Becket  s'accusa  lui-môme  devant 
B39j  l'assemblée  d'avoir  accepté  la  dignité  archiépiscopale  sans  y  avoir 
été  autorisé  par  une  élection  canonique,  et  il  abdiqua  entre  les 
mains  du  souverain  pontife.  La  plupart  des  cardinaux  conseillaient 
à  Alexandre  III  d'accepter  cette  abdication,  pour  couper  court 
à  toute  difficulté;  mais  le  pape  et  la  minorité  furent  d'avis  que 
ce  serait  un  abandon  de  principe,  et  l'archevêque  fut  réinvesti. 
Néanmoins  le  mécontentement  des  cardinaux  se  fit  jour  contre 
Thomas,  qui  se  vit  dans  la  nécessité  de  se  défendre.  Après  un 
séjour  de  trois  semaines  à  Sens,  Thomas,  peut-être  sur  le  désir 
du  pape,  choisit  pour  résidence  le  monastère  de  Pontigny,  de 
l'ordre  de  Cîteaux.  à  douze  lieues  de  Sens:  il  y  fut  reçu  avec 
enthousiasme. 

Vers  cette  époque,  le  roi  d'Angleterre,  voyant  (}u'i'  ne  pouvait 
atteindre  son  but  jiar  les  moyens  légaux,  en  vint  aux  \  oies  de 
fait  et  rendit  une  série  d'ordonnances  tyranniques.  Les  partisans 


1000  LIVRE     XXXIV 

(le  Beokcl  l'iircnl  piixrs  do  leurs  revenus;  leurs  liéiiéfices  ecclé- 
siastiques el  les  biens  de  l'église  archiépiscopale  devinrent  la 
proie  du  fisc:  tous  les  parents  et  amis  de  l'archevêque,  clercs  et 
laïcs,  frères  et  sœurs,  oncles  el  tantes,  sans  en  excepter  même 
les  enfants  à  la  mamelle,  furent  exilés  sans  pitié,  et  on  menaça 
d'emprisonnement  ({uiconque  entretiendrait  des  relations  avec 
Becket  ou  avec  le  pape.  Randulf  de  Broc,  laïc  et  ennemi 
ucliarné  de  Thomas,  lui  iionuné  administrateur  du  diocèse  de; 
(',aiil()rl)ér\  .  llenri  11  ne  \ouliil  cependant  pas  abandonner  Tcdjé- 
dience  d'Alexandre  tll,  soit  que  sa  conscience  l'en  empêchât,  soit 
fjn'il  fut  retenu  pai'  l;i  ei'ainle  de  scui  peuple  '. 


1.  Ce  grave  conflit^  qui  coûta  la  vie  à  Becket^  ne  pouvait  manquer  de  provo- 
quer la  passion  chez  les  historiens  qui  en  ont  fait  le  récit.  Les  uns  voient  dans  l'ar- 
chevêque un  rebelle,  d'autres  un  papiste,  d'autres  un  ultramontain  et  chacun  tire 
à  soi  l'homme  célèbre  pour  le  plus  grand  honneur  de  ses  opinions  personnelles. 
Les  quatre  personnages  en  présence,  Becket,  Henri  II,  Alexandre  III,  Louis  VII, 
sont  intéressants.sans  être,les  uns  ni  les  autres,ni  très  intelligents  ni  très  profonds. 
Les  trois  premiers  sont  d'une  ténacité  égale  et  le  dernier  est  un  brave  et  digne 
homme,  un  peu  mou,  un  peu  faible,  qui  fera  son  jeu  pendant  que  les  trois  farou- 
ches se  disputeront.  Louis  VII  est  très  dévot  au  moment  où  Henri  II  ne  Test 
guère,  et  celui-ci,  dont  on  fait  un  profond  politique,  compromet  la  durée  de  son 
œuvre  par  son  esprit  manifestement  antireligieux,  tandis  que  le  roi  de  France, 
qu'on  représente  comme  un  assez  pauvre  sire,  retire  en  solide  avantage  pour  la 
P^rance  tout  ce  que  son  antagoniste  fait  perdre  d'influence  à  l'Angleterre.  Ces 
parlements  de  Westminster,  de  Clarendon  et  de  Psorthampton,  lointains  modèles 
du  régime  parlementaire,  sont  curieux  au  point  de  vue  psychologique,  qui  n'est 
pas  si  différent  qu'on  pourrait  le  croire  du  point  de  vue  historique.  Évêques  et 
barons  s'y  font  les  très  humbles  serviteurs  du  gouvernement  royal  qu'ils  savent 
plus  violent  et  mieux  pourvu  de  moyens  d'exécution  cpi'ils  ne  peuvent  l'être 
Ils  sacrifient  un  ancien  chancelier  avec  une  parfaite  désinvolture,  comme  plus 
tard  d'autres  assemblées  renieront  Thomas  More  ou  Jean  de  Witt,  par  couar- 
dise et  contre  leur  conviction.  Celui  qu'ils  sacrifient,  Thomas  Becket,  est  un  type 
accompli  d'homme  d'État  suivant  la  formule  anglaise.  Energique  et  étroit,  on 
lui  trouverait,  parmi  ses  successeurs  les  chanceliers  d'Angleterre  et  les  premiers 
ministres  plus  rapprochés  do  nous,  des  collègues  dignes  de  lui  :  Walpole  par 
exemple.  Légiste,  juge,  financier,  habile  aux  coups  de  force  tomme  aux  expé- 
dients administratifs;  hardi,  superbe,  dépensier,  connaissant  bien  les  intérêts 
de  son  pays,  sachant  les  protéger  à  l'intérieur,  mais  sans  grandes  vues,  et  même 
sans  vues  véritablement  politiques  à  l'extérieur,  où  il  méconnaissait  le  rôle  à 
faire  jouer  à  son  maître  en  face  de  l'einpereur  et,  à  l'occasion,  contre  l'empereur. 
Moins  emporté  qu'Henri  II  et  maître  de  lui  avec  des  sursauts  vite  réprimés, 
quand  on  l'attaipiait  ou  ([u'oii  l'insultait,  il  dut  en  partie  à  cette  maîtrise  l'in- 
fluence qu'il  exerça  sur  sou  maître  jusqu'au  jour  où  celui-ci,  las  de  lui,  le  faisait 


6  2  G.     F11T1-:     DK     UECKl-.T  1001 

liounii.  Si  Honri  II  complail  que  son  chancelier  devenu  primat  cl  Anolclcrre  lui 
ferait  le  minimum  de  résistance  dont  les  prédécesseurs  en  char<îe  ne  s'étaient 
guère  privés,  il  se  trompait,  mais  il  était  presque  excusable;  car  Lanfranc, 
Anselme,  de  saintes  gens,  avaient  dû,  eu  somme,  reculer  devant  Guillaume  I'""' 
et  Henri  le  Roux,  auxquels  Henri  Plantagenet  ne  se  tenait  pour  inférieui-  en  quoi 
que  ce  fût,  et  sur  ce  point  il  avait  peut-être  raison.  Seulement,  Henri  II,  comme 
tous  les  violents,  ne  calculait  pas  avec  la  force  des  faibles.  Une  lutle  entre 
son  chancflicr  et  lui  eût  pu  être  périlleuse;  entre  le  primat  et  le  roi  elle  était 
jugeail-il,  sans  (lanucr.  tti'ainl  Ix'iii'liciain',  I  ai'chevêque  Beckel  avait  des  char- 
ges, des  biens,  de  l'argent,  toutes  choses  dont  ou  pouvait  le  dépouiller  sans 
redouter  une  revanche  de  sa  part;  que  ferait-il  de  vassaux  rustiques  et  de  clercs 
poltrons  contre  les  hommes  d'armes  à  la  main  pesante  du  roi  d'Angleterre  ? 
En  effet,  Becket  ne  paraît  pas  avoir  un  seul  instant  songé  à  une  lutte  impossible, 
il  avait  l'esprit  trop  juste  pour  ne  pas  comprendre  qu'il  serait  écrasé  et  supprimé. 
A  cette  force  irrésistible  il  opposa  la  seule  résistance  inexpugnable  :  le  sacrifice 
personnel.  C'est  un  gros  enjeu  que  celui  d'une  vie.  Becket  en  a-t-il  fait,  dès  le 
premier  jour  de  la  lutte,  le  sacrifice  ?  C'est  probable.  Toute  sa  conduite  est  celle 
d'un  homme  qui  ne  transigera  pas.  A  Clarendon,  il  a  faibli  un  instant,  il  n'a 
pas  transigé.  Or,  en  face  d'un  adversaire  tel  que  le  sien  et  qu'il  avait  trop  long- 
temps pratiqué  pour  ne  pas  le  connaître,  à  une  époque  où  on  est  exposé  à  finir 
une  discussion  par  des  coups  d'épée  ou  par  le  coup  de  la  hache,  avec  un  roi  tout- 
puissant  dont  le  geste  est  de  brandir  son  épée  dans  les  moments  de  colère,  on 
risque  une  dangereuse  partie  de  résister.  Successeur  d'Anselme,  Becket  con- 
tinuait une  tradition;  mais  Anselme  était  doux,  pliant,  Becket  avait  à  soutenir 
des  droits  analogues  avec  un  tempérament  différent.  Brusquement,  le  3  juin  1162, 
le  chancelier  devenu  primat  avait  renoncé  aux  dissipations  et  adopté  xme  exis- 
tence austère;  non  moins  brusquement  il  s'était  constitué  le  défenseur  des  droits 
et  des  privilèges  qu'il  avait  jusque-là  combattus  ou  rognés  de  son  mieux,  mais 
le  tempérament  de  l'iiomme  se  révélait  jusque  dans  ce  retournement  du  chré- 
tien et  du  politique  :  il  avait  commandé  à  lui-même  avec  la  môme  impérieuse 
volonté  qu'il  apportait  à  commander  aux  autres  et  gouverner  les  affaires  du 
royaume.  Homme  de  son  temps  et  de  son  pays,  il  savait  et  il  sentait  qu'il  repré- 
sentait l'opinion  publique,une  force  qu'il  ne  méprisait  ni  nenégligeait,mais  à  qui 
il  prétendait  bien  faire  rendre  un  effet  quelconque.  C'est  comme  chrétien  et  comme 
Anglais  qu'il  résistait  à  un  gouvernement  dont  les  tendances  la'îqucs  et  absolu- 
tistes étaient  de  plus  en  plus  claires  pour  tous.  Homme  de  petite  naissance,  il 
éprouvait  à  l'égard  du  roi  et  des  seigneurs  ce  sentiment  d'égalité,  —  non  pas 
puérile  et  verbeuse  du  Français, —  mais  silencieuse  et  intransigeante  de  l'An- 
glais. Le  clergé  anglais  risquait  de  perdre  son  indépendance  en  même  temps 
que  l'Eglise  était  menacée  dans  ses  privilèges  :  voilà  ce  qu'a  vu  Becket,  et  cei 
deux  aspects  d'une  question  unique  se  sont  parfaitement  associés  et  comme 
fondus  dans  son  esprit.  L'épiscopat  national,  trop  rempli  de  nobles,  déjà  façonné 
au  despotisme,  l'intéresse  peu;  son  entourage  de  moines  et  de  clercs  est  là  pour 
le  dire  et  pour  recueillir  les  mots  cruels  c[ue  le  primat  laisse  tomber  sur  ses  collè- 
gues. En  telle  posture,  soutenu  des  petits  et  du  peuple  qui  l'acclan  e  au  sortir 
du  parlement  de  Northampton,  Becket  est  infiniment  plus  humain  que  le  per- 
sonnage de  vitrail  qu'on  imagine  et  qu'on  dépeint.  Peu  de  gaieté,  une  vraie 
àpreté  dans  les  jugements,  un  langage  parfois  si  vif  ipTon  li-  traduit  difficilement. 


1002 


LIVRE     XXXIV 


621 .  Lutte  de  Pascal  III  avec  Alexandre  III  depuis  Îl64t. 

Pendant  le   séjour   d'Alexandre    11  ï   en   France,    il  parvint,   à 
force   do   pr\idcncc.    h    sauvegarder  sa   dignité,    malgré  la  dépen- 


de veux  dire  des  ripostes  si  vertes  qu'on  ne  sait  comment  les  traduire  et,  avec 
cela,  cetic  condescendance,  cette  simplicité  qui  séduit,  cette  douceur  à  huis 
clos  qui  se  réserve  pour  quelques  familiers  vraiment  intimes  et  dont  les  témoi- 
gjnages  risquent  de  fausser  l'idée  qu'on  se  fait  de  l'homme  et  de  son  rôle  public. 
Les  épanchements  qu'un  homme  très  fort  peut  avoir  ainsi  avec  ses  plus  intimes 
sont  comme  la  rançon  de  la  tension  ordinaire  de  son  âme  dès  l'instant  où  il  sort 
de  son  intérieur;  on  en  doit  tenir  compte,  sans  doute,  mais  quand  un  personnage 
vit  en  représentation,  c'est  là  qu'il  faut  l'aller  regarder.  Même  en  exil,  surtout 
en  exil,  Becket  est  exposé  au  public.  La  lutte  engagée  entre  le  roi  et  lui  est  deve- 
nue moins  nationale  et  plus  religieuse  depuis  que  l'archevêque  apparaît  fugitif  et 
traqué  jusque  dans  les  refuges  qu'il  s'est  choisis.  Louis  Vïl  et  Alexandre  III 
travaillent  en  vain  à  procurer  un  accord  entre  le  roi  et  le  primat  d'Angleterre. 
Cet  accord,  Henri  II  n'en  veut  pas  et  Becket  n'y  croit  pas.  A  Montmirail,  il  est 
seul  à  voir  où  le  mèneront  les  prétendues  concessions  d'Henri  II,  et  à  Mont- 
martre, ce  sont  les  autres  qui  enfin  s'aperçoivent  que  le  primat  n'est  pas  de 
ceux  qu'on  joue  avec  des  moyens  grossiers.  Ainsi  donc  ni  force  ni  ruse  ne  venaient 
à  bout  de  réduire  Becket. 

Celui-ci  représentait  sans  doute  des  droits,  des  principes,  une  cause  vénérable, 
il  représentait  autre  chose  et  une  chose  plus  forte  :  un  système.  Becket  était; 
en  son  temps  et  à  sa  manière,  un«  conservateur».  La  monarchie  se  détournait  visi- 
blement du  programme  lentement  progressi  te  j)our  s'engager  dans  ces  nouveau- 
tés qui  paraissent  à  beaucoup  des  aventures.  Henri  II  improvisait  et  imposait 
des  réformes  aussi  audacieuses  que  pernicieuses  au  regard  des  partisans  du 
passé.  Nobles  et  clercs,  vassaux  et  peuples  des  villes  allaient  se  trouver  soumis 
à  un  régime  sans  contrepoids,  l'absolutisme  royal  avec  son  code  de  lois  écrites, 
que  redoutaient  par-dessus  tout  les  hommes  qui  avaient  vécu  dans  une  société 
où  les  u-ages,  les  coutiunes,  l'interprétation,  le  compromis  formaient  une  sorte 
de  législation  un  peu  flottante,  mais  très  bonasse.  A  co  régime,  où  chacun  avait 
ses  droits  acquis,  ses  privilèges  consacrés,  menaçait  de  se  substituer  quelque 
chose  de  très  inquiétant  :  le  régime  du  pouvoir  et  du  droit  d'un  seul,  c'est-à-dire 
le  despotisme  à  la  place  d'iuie  liberté  relative.  Le  clergé  était  particulièrement 
menacé,  non  seulement  dans  ses  immunités,  mais  dans  son  prestige  moral, 
car  on  savait  le  cas  (julfenri  II  faisait  de  la  religion  et  de  l'idée  religieuse  et 
c'est  pourquoi  ce  Philippe  le  Bel  prématuré  se  heurta  à  un  Anglais  de  vieille 
roche,  qui  était  en  même  temps  un  chrétien  sincèie.  La  victoire  fut  pour  Becket, 
mais  il  ne  la  vit  pas  et  il  ne  fallait  pas  moins  que  sa  mort  et  le  soulèvement 
d'indignation  populaire  qu'elle  souleva  pour  forcer  Henri  II  à  renoncer  par 
serment  aux  constitutions  de  Clarendon.  Le  tory  avait  vaincu  le    wigli.    (H.  L.) 


Il  TTK     DI.     PASCAL     111     AVKC     A  1.  K  X  A  N  D  R  I-.     III 


1003 


dance  oii  li  se  trouvait  à  réparti  des  rois  de  France  et  d'Anp:leterro, 
et  soutenu  dans  cette  lâche  difficile  jiar  Henri  de  Reims,  frère  de 
Louis  VII.  Pendant  ce  tem])s  Rainald  Dassel,  de  Colo<j;ne.  investi  de 
[G40]  pouvoirs  extraordinaires,  déployait  dans  la  Haute-Italie  toutes  les 
ressources  de  son  habileté  et  usait  de  la  force  pour  faire  triompher 
le  parti  de  l'antipape.  Les  amis  d'Alexandre  furent  terrorisés,  les 
évoques  qui  lui  étaient  dévoués  chassés,  les  parents  du  pape  exilés 
et  leurs  biens  confisqués.  \  ers  la  fin  de  1163,  l'empereur 
vint  lui-même  en  Italie  pour  la  troisième  fois  '  :  il  se  rendit  à  Pavie. 
où  il  apprit  coup  sur  covip  la  maladie  et  la  mort  de  Victor,  décédé 
à  Lucques  le  20  avril  llG'^i  ^.  L'empereur  hésita  un  instant  à  saisir 
cette  occasion  pour  se  réconcilier  avec  Alexandre.  11  ne  pouvait  se 
dissimuler  qu'en  dépit  de  tous  les  efforts  des  impériaux,  l'auto- 
rité de  Victor  n'avait  pas  fait  de  grands  progrès  ;  au  contraire, 
l'opinion  juiblique  en  Allemagne  se  prononçait  de  plus  en  plus  pour 
Alexandre. Même  dans  son  entourage, des  hommes  de  grande  valeur, 
par  exemple  son  cousin  Conrad  de  Wittelsbach,  archevêque  élu  de 
Mayence,  opinaient  pour  iine  réconciliation  qui  tirerait  l'empereur 
d'\in  inextricable  tissu  de  difficultés  ^.  Mais  cette  réconci- 
liation impliquait  l'abandon  de  la  politique  suivie  et  des  idées  réga- 
liennes  longtemps  caressées.  L'empereur,  conscient  de  la  gravité 
de  sa  décision,  prescrivit  à  Rainald,  alors  à  Lucques,  de  suspendre 
toute  élection  nouvelle;  mais  le  chancelier  préféra  arracher  son 
maître  à  ses  hésitations  et  le  placer  devant  le  fait  accompli,  sauf  à 
prétendre  que  les  instructions  impériales  lui  étaient  arrivées  troj) 
tard.  En  réalité,  il  fallait  l'impudence  de  Rainald  pour  soutenir  que 
la  scène  du  22  avril,  jour  de  l'enterrement  de  Victor,  était  une  élec- 
tion papale  :  étaient  seuls  présents  deux  cardinaux-prêtres,  Gui  de 
Crème    et    Jean    du  titre    des    Saints-Silvestre-et-Martin  *,    deux 

1.  Il  tint,  le  22  septembre,  une  diète  à  Augsbourg,  et  de  là  se  rendit  aussitôt 
en  Italie.  Sudendorf.  Registr.,  t.  i,  p.  24,  n.  G7. 

2.  Au  sujet  de  sa  mort,  il  existe  plusieurs  versions.  Les  partisans  d'Alexandre 
racontent  qu'il  mourut  fou.  tandis  que  ceux  qui  lui  étaient  dévoués  prétendent 
qu'il  trépassa  saintement  et  qu'on  vit  des  miracles  sur  son  tombeau.  Wattericli. 
op.  cit.,  p.  538. 

3.  Epist.  omici  ad  Aleatindrum,  dans  Watterich,  op.  cil.,  t.  u,  p.  548  sq. 

4.  Le  cardinal  évèque  Imar  de  Tusculum  était  mort  avant  Victor,  l'ita 
Alex.  III,  dans  ^Vatte^ich,  t.  u,  p.  39G.  La  même  Vita  raconte  que  tout  le  parti 
schismatique  avait  songé  à  se  rallier  à  Alexandre,  mais  qu'il  en  fut  empêché 
par  le  souvenir  de  la  conduite  d'Innocent  II  contre  le  cardinal  Anaclet;  ils  crai- 
gnirent d'être  traités  de  la   même  manière. 


K)04 


t.i\i?i:    xxxiv 


cM'qucs  allt'uiands  cl  le  prclcL  de  liunic  '.  \a-  choix  loiiiha  [641 
d'abord  sur  Henri,  évc([ue  de  Liège,  qui  refusa  -  :  ou  élut  alors  Gui, 
cardinal  de  Crème,  dont  nous  avons  vu  le  rôle  assez  consi- 
dérable à  l'origine  du  schisme.  Il  lut  sacré  par  Henri  de  Liège, 
pril  le  nom  de  Pascal  IIT  et  joua,  dès  le  dél)ul.  un  triste  rôle. 
Son  obédience  ('lail  encore  amoindrie  depuis  la  dispaiit  ion  de 
son  |)icdéccsscur.  cl  hcaiicoiij)  dv  schismatiques  étaient  revenus 
au  paix'  Ic^iiiiuc,  par  exemple  Conrad,  rinlcllincnl  aiclic- 
vêque  tie  Mayence,  qui  saisit  l'occasion  (Ton  pèlerinage  à  Saint- 
Jacques  de  Composlelle  (1164)  poni'  \isiler  Alexandre  et  lui  pré- 
senter ses  hommages  ^.  L'empereur  se  plaignit  de  cette  défection 
des  })artisans  de  Pascal  *,  non  seulement  en  Allemagne,  mais  aussi 
dans  la  Bourgogne  impériale,  si  dévouée  jusciu'alors  au  parti  de 
l'antipape.  Rainald  Dassel,  revenant  d'Italie  avec  les  reliques 
des  trois  rois  mages  ^,  convoqua  vers  la  fin  de  juin  1164 
une  assemblée  à  Vienne,  pour  gagner  à  la  cause  de  Pascal  les 
évêques  bourguignons;  mais,  loin  d'y  réussir,  il  faillit  faire 
prononcer  l'excommunication  ]  ar  ces  évêques  contre  l'anti- 
pape ^.  En  même  temps  se  forma  dans  la    Haute-Italie    \ine  ligue 


1.  Boso,  dans  Watterich;,  op.  ci'.,  t.  ii^  p.  397;  Encijcl.  curix  Wircehurgensis, 
ann.  1165^  dans  Monum.  Gcrm.  hist.,  Leges,  scct.  iv.  t.  i,  p.  315,  n.  223,  ab 
episcopis  ac  cardinalibus  aime  Sedis  apostoUce;  Ann.  Pisan.,  ad  ann.  1165,  dans 
Monum.  Geim.  liisL,  Script.,  t.  xix,  p.  250;  Epist.  amici  ad  Alexandrum,  dans 
Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  548;  Giesebrecht,  Geschichle  der  deulschen  Kaiserzeit, 
1880,  t.  V,  p.  397  sq.;  Giesebrecht-Simpson,  o/i.  fjV.,  1895.  l.  vi,  p.  '±27;Reutcr, 
op.  cit.,    t.  II,  p.  15.   (H.  L.) 

2.  Monum.  Gernt.  fiisl.,  Script.,  t.  xxiii,  p.  8'i8  ;  Giesebrecht-Simpson, 
op.  cit.,  t.  VI,  p.  428.   (II.  L.) 

3.  Vita  Gebeh.  et  .succc.ss.  ejus,  dans  Monum.  Gcrm.  hist..  Scri/il.,  t.  xx,  p.  'lâ  sq.  ; 
Cent.  Claustronrob.,  i  et  ii,  et  ad  ami.  1 1 G7,  dans  Monum.  Gcrm.  hist..  Script.^ 
t.  IX,  p.  611-616.   (H.  L.) 

4.  Monum.  Germ.  hist.j  Leges,  t.  ii,  p.  136,  137;  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii, 
p.  549,  550;  Reuter,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  162. 

5.  On  rapporte  qu'au  iv*^  siècle  Eustorge,  archevêque  de  Milan,  transporta 
de  Constantinople  à  Milan  les  restes  des  trois  rois  mases.  Lorsque,  en  1158, 
les  Milanais  détruisirent  leurs  faubourgs,  ils  découvrirent  dans  l'église  de  Saint- 
Eustorge,  devant  la  ville,  trois  cercueils  contenant  des  reliques  que  tout  le 
monde  reconnut  être  les  cercueils  des  trois  rois  mages  rapportés  par  f]ustorge. 
En  1162,  ces  reliques  tombèrent,  avec  la  ville  de  .Aliiaii.  au  pouvoir  de  l'empe- 
reur. Il  les  donna  à  son  chaiicoliei',  qui  les  fit  transporter  dans  sa  cathédrale  à 
Cologne.  Ficker,  Rainald  Dassel,  p.  61  ;  Flosz,  Dreikônighuch,  Koln,  1864,  p.  42  sq. 

6.  Mansi,  Concilia,  Supplcin.,  t.  ii,  col.  543;  Co?ic.  ampliss.  coll.,  t.  xxi.  col. 


G27.     LUTTI-:     DE     PASCAL    IH      VVKC     ALEXA-NniU:     III  lOOo 

de  villes  ajtpeléo  la  lip;ii(>  Vévonèse.  parce  (.[ur  \  (''roiu'  avait 
donné  la  preniièic  impulsion  à  re  nionvenu'ut.  Le  bul  de 
cette  ligue  était  de  résister  à  l'empereur  et  à  son  antipape;  Fré- 
déric fit  tous  ses  efforts  pour  écraser  cette  opposition,  mais  il  n'y 
rrAOi  P"t^  parvenir  (été  lUVi).  Lorsqu'il  revint  en  Allemagne  (en  sep- 
tembre) avec  de  nouvelles  forces,  la  ligue  Véronèsc  s'accrut  d'une 
manière  extraordinaire,  et  le  parti  du  pape  légitime  fit,  à  Rome 
même,  de  lels  progrès  qu'on  invita  Alexandre  à  rentrer  dans  la 
capitale  du  monde  chrétien.  Les  députés  des  Romains  arrivèrent 
en  I^^rance  au  commencement  de  11(^5.  Alexandre,  sur  le 
conseil  des  rois  de  l'rance  et  d'Angleterre,  de  ses  cardinaux 
et  de  nombreux  évèques,  se  mit  en  route  aussitôt  après 
Pâques  et.  après  bien  des  péripéties,  parvint,  le  23  novembre 
1165,  à  Rome,  où  il  fut  reçu  au  milieu  des  démonstrations  popu- 
laires ^. 


1201;  Wallerich,  op.  cil..  (.  ii.  p.  538;  l-"icker^  op.  cit.,  p.  51  sq.;  Reuter^  op.  cit., 
t.  H,  p.  11-Uî,  151.  161  sq.;  Hofler,  Ruprecht  von  der  Pjalz,  1861,  p.  9. 

1.  Vita  Alexandri  III,  clans  Watterich,  op.  cit.,  t.  u,  p.  398  sq.,  536,  note  2, 
537  sq.,  554.  Après  sa  fuite  de  Gênes,  le  pape,  homme  d'initiative  et  d'imagi- 
nation, —  c'étaient  alors  à  peu  près  ses  seules  ressources,  —  s'était  proposé 
de  former  une  vaste  coalition  contre  Barberousse,  coalition  dans  laquelle  entre- 
raient la  P'rance,  l'Angleterre,  l'empire  grec,  le  royaume  de  Sicile,  la  Hongrie 
et  la  République  de  Venise.  C'était  plus  original  que  réalisable  et,  bien  entendu, 
le  rêve  ne  se  réalisa  pas.  En  France  d'abord,  au  lieu  de  trouver  une  base  naturelle 
à  cette  grande  coalition,  le  pape  avait  eu  à  subir  la  mauvaise  humeur  de  Louis  VII 
provoquée  par  la  maladresse  des  légats  pontificaux;  la  crise  s'était  dénouée  à 
Saint-Jean-de-Losne;  mais,  Louis  VII  revenu  vers  le  pape,  c'était  Henri  II  qui 
lui  manquait.  L'affaire  du  primat  Becket  mettait  Alexandre  III  en  si  difficile 
posture  qu'on  n'imagine  rien  de  pis.  Becket,  qui  ne  lisait  guère  de  brefs  à  lui 
adressés  que  pour  recevoir  des  bourrades,  se  plaignait  non  sans  raison  que  toutes 
les  amabilités  romaines  allaient  à  son  persécuteur,  un  ennemi  de  l'Église,  con- 
tempteur de  la  religion.  «  A  la  cour  de  Rome,  écrivait-il.  Barabbas  est  toujours 
absous  et  Jésus  toujours  condamné.  »  Mais  que  faire  ?  Pour  contenter  Becket, 
il  fallait  excommunier  Heiui  II  et  jeter  l'Angleterre  dans  l'alliance  de  Barbe- 
rousse et  l'obédience  de  Victor  IV.  Impossible.  Pour  satisfaire  le  roi,  il  fallait 
frapper  le  primat,  le  déconsidérer;  alors  on  avait  imaginé  une  bulle  confidentielle 
adressée  à  Henri  II,  qui  la  publia  bien  vite,  et  qui  l'exemptait  lui,  ses  courtisans 
et  ses  évèques,  de  la  juridiction  de  l'archevêque  de  Cantorbéry.  A  Byzance, 
où  régrait  JManuel  Comni'ne,  à  Venise  et  en  Hongrie,  le  pape  Alexandre  était  sans 
doute  reconnu,  mais  dès  l'instant  ([u'on  essayait  de  mettre  tous  ces  gens-là  d'ac- 
cord, les  disputes  renaissaient  de  plus  l)olle.  Comnène  souhaitait,  lui  aussi  et  très 
vivement,  une  alliance  contre  Barberousse,  à  qui  il  eût  voulu  reprendre  l'autorité 
exercée,  au  détriment  du   basilens  byzantin  (  !),  dans   les  élections   pontificales 


lOUG 


l.l\Hi;     X.NMV 


628.  Concile  de  Lombez  en  1165  contre  les  bonshommes 

Le  pape  n'avait  pas  encore  (juitlé  la  France  lorsque,  en  ii<)^'. 
se  tint  à  Lombez,  près  d'Albi  \  un  synode  pour  juger  les  boni  ho- 
mines  (bonshommes),  secte  qui  se  rattache  à  celle  des  albigeois 
ou    cathares.     Deux    années    auparavant,    le    concile    de    Tours 


et  qvril  n'eût  pas  été  fâche  de  voir  éloigné  d'Italie,  où  il  le  sentait  trop  près  de  lui. 
Comnèiie  pay£,it  de  son  mieux  les  villes  du  nord  de  l'Italie  qui  faisaient  opposi- 
tion à  Barberousse;  mais  en  Sicile,  c'était  une  bien  autre  partie.  Le  roi  Guil- 
laume P'"  ne  voulait  entendre  à  rien.  Point  de  Byzantin  en  Italie,  c'était  son 
dernier  mot.  Déçu,  le  pape  renonça  vers  le  commencement  de  1164  à  son  projet 
de  coalition.  A  cette  même  date,  la  ligue  de  Vérone,  composée  de  Vérone,  Tré- 
vise,  Padoue  et  Vicence,  situées  dans  les  Marches  au  delà  de  l'Adige  et  soutenues 
par  la  République  de  Venise,  à  qui  sa  position  ijiaccessible  avait  gardé  son  indé- 
pendance, la  ligue  se  formait  et  s'accroissait  rapidement.  Ce  fut  le  premier 
exemple  d'une  ligue  de  villes  en  Italie  et  le  modèle  de  la  célèbre  ligue  lombarde. 
Tout  changeait  maintenant,  comme  il  arrive  après  une  trop  longue  attente  : 
les  Romains  eux-mêmes  sollicitaient  le  retour  du  pape.  Le  pape  s'embarqua  à 
Mauguio,  août  1165,  échappa  aux  croisières  des  Pisans,  Génois  et  Provençaux 
qui  cherchaient  à  lui  barrer  la  route  et  arriva  sans  encombre  à  Messine,  où  il 
séjourna  de  septembre  à  novembre.  Il  semble  que  ce  séjour  s'explique  par  une 
velléité  qu'auraient  eue  les  Romains  de  revenir  à  Pascal  III  Quoi  qu'il  en  soit, 
le  pape  s'embarqua  en  novembre  et,  par  Salerne,  gagna  Gaëte,  Ostie  et  Rome. 
Le  23  novembre,  il  s'installait  au  Latran.  Vita  Alexandri  III,  dans  Liber  ponti- 
fie, édit.  Duchesne,  t.  n,  p.  412;  Romuald  de  Salerne,  dans  Moniim.  Germ. 
hisL,  Script.,  t.  xix,  p.  434;  Annal.  Pisan.,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script., 
t.  xix,  p.  252;  Robert  de  Torigny,  édit.  Delisle,  t.  i,  p.  357;  Jean  de  Salisbury, 
Epist.,  cxL,  dans  P.  L.,  t.  cxcix,  col.  201;  Daiulolo,  Citron.,  dans  Muratoii, 
Rerum  Italie,  script.,  t.  xii,  p.  286,  dit  à  tort  que  le  pape  vit  le  roi  Guillaume  P""; 
les  cardinaux  seuls  allèrent  à  Salerne.   (H.  L.) 

1.  Lombez,  sous-préfecture  du  département  du  Gers.  On  a  fait  quelque  con- 
fusion à  propos  de  ce  concile  de  Lombez.  Le  cathaiisme  avait  fait  des  progrès 
elïrayauts  dans  le  midi  de  la  France,  malgré  les  clïorts  tentés  par  saint  Bernard 
et  le  cardinal  d'Os  lie.  Dès  le  milieu  du  xii<^  siècle,  la  secte  compte  dans  le  Midi 
plusieurs  diocèses,  ceux  de  Toulouse,  d'Albi,  de  Carcassonne,  du  Val-d'AraJi 
et  d'Agen.  Partout,  dans  ces  contrées,  dominait  l'ancien  dualisme  absolu; 
le  système  mitigé,  s'il  tenta  d'y  prendre  pied,  ne  put  réussir.  Les  évêques  des 
pays  situés  au  bord  de  la  Loire  suivaient  de  l'œil  cet  envahissement.  En  1163, 
le  concile  de  Tours  prescrivit  aux  évêques  et  aux  prêtres  une  vigilance  rigoureuse 
pour  empêcher  leurs  populations  de  communiquer  avec  les  prédicateurs  de 
l'hérésie;  ceux  d'entre  ces  derniers  qui  se  laissèrent  prendre  furent  emprisonnés. 
En  I1G5,  les  évoques  de  Provence  songèrent,  non  plus  à  détruire  la  secte,  mais 


628.    CONÇU. I.    Di:    i.o.MBi:/.    i..n     1  1  (iô  lU()7 

avuil  dcja  pris  des  mesures  couLre  ces  hérétiques  (eau.  4}.  La  \  ilJc 
fortifiée  de  Louibez  était  le  principal  centre  de  cette  secte;  tous 
les  habitants  de  cette  ville  en  faisaient  partie,  et  ses  deux  princi- 
paux chefs,  Sicard  Cellérier,  évoque  cathare    d'Albi,    et   son    dis- 

à  tâcher  de  subsister  au  milieu  d'elle.  Tout  ce  qu'ils  purent  faire,  ce  fut  d'appeler 
les  chefs  des  cathares  à  une  discussion  publique  sur  leurs  dogmes.  Girald,  évêque 
d'Albi,  convoqua  à  cet  effet,  à  Lombez,  plusieurs  évèques  des  provinces  voi- 
sines. Roger  de  HoveJen,  Annales,  aans  Reruni  Anglicanim  scriplores,  cdit. 
Savile,  1601,  p.  555,  donne  un  extrait  des  actes  de  cette  conférence  et  la  place  en 
1176.  De  là  cette  date  a  passé  dans  plusieurs  collections  de  conciles.  Schrocckh, 
Kirchengeschichte,  in-8,  Leipzig,  1772,  t.  xxi.x,  p.  508,  510,  imagina  deux- 
réunions,  l'une  en  1165,  l'autre  en  1176.  La  véritable  date  est  1165.  Cf.  Mansij, 
Conc.  aniplins.  coll.,  t.  xxii,  col.  157;  de  Vic-Vaissete,  Hi.sl.  génér.  de  Langued.. 
t.  m,  p.  535  sq.,  note  1  ;  C.  Schmidt,  Histoire  et  doctrine  des  cathares  ou  albigeois, 
t.  I,  p.  70. 

Lombez  était  un  château  fort  situé  à  peu  de  distance  d'Albi  et  un  des  prin- 
cipaux centres  de  l'hérésie  cathare  dans  la  contrée;  tous  les  habitants  croyaient 
à  la  secte  et  Sicard  Cellérier,  l'évèque  cathare  d'Albi,  y  résidait  publiquement, 
ainsi  qu'un  ministre  nommé  Olivier.  Sur  l'invitation  de  Girald,  Constance_, 
sueur  de  Louis  VII,  mariée  à  Raymiond  V  de  Toulouse,  Raimond  Trencaveh 
vicomte  d'Albi,  de  Béziers  et  de  Carcassonne,  Sicard,  vicomte  de  Lautrec,  et 
plusieurs  autres  seigneurs  se  rendirent  à  Lombez  pour  assister  au  colloque,  qui 
se  tint  en  présence  des  principaux  habitants  de  Lombez  et  d'All)i.  Les  cathares 
convoqués  se  présentèrent  sans  crainte  ;  sufTisamment  protégés  par  leur  popu- 
larité, ils  refusèrent  un  interrogatoire  et  demandèrent  une  discussion  libre 
<[u"on  fut  obligé  de  leur  accorder.  Ce  qui  prouve  et  l'impuissance  du  clergé  et 
la  liberté  d'opinion  qui  régnait  dans  le  pays,  c'est  que  les  évèciues  durent  con- 
sentir à  ce  que  les  arbitres  du  débat  fussent  choisis  également  dans  les  deux 
partis.  L'évèque  d'Albi,  président  de  l'assemblée,  l'ayant  déclarée  ouverte 
l'évèque  de  Lodève,  Gaucelin,  un  des  arbitres  du  côté  catholique,  demanda 
aux  cathares  s'ils  recevaient  l'Ancien  Testament;  ils  répondirent  que  non.  Con- 
trairement à  la  convention,  Gaucelin  les  somma  d'exposer  leur  foi  sur  les  autres 
articles  de  la  doctrine,  mais  ils  refusèrent  de  répondre  à  ses  questions,  aussi 
longtemps  qu  on  ne  leur  aurait  point  accordé  la  discussion  sur  le  premier  point. 
Néanmoins  l'évèque  de  Lodève  continua  l'e.xamen;  ils  répondent  sommaire- 
ment en  ce  qui  touche  la  cène,  le  mariage,  la  confession,  les  œuvres  de  satisfac- 
tion. Finalement,  poussés  à  bout,  ils  s'emportent  et  déclarent  (pie  prêtres  et 
évêques  catholiques  manquent  des  caractères  exigés  par  saint  Paul.  Loups 
ravisseurs,  séducteuis,  hypocrites,  avides  d'honneurs  mondains,  bien  vêtus, 
bien  logés,  bien  nourris;  le  peuple  ne  doit  pas  obéissance  à  ces  sortes  de  gens. 
Pons  d'Arsac,  archevêque  de  Narbonne,  Arnauld,  évêque  de  Nimes,  Pierre, 
abbé  de  Cendrac,  et  plusieurs  autres  allèguent  à  l'envi  les  autorités  et  les  argu- 
ments contre  de  tels  jugements,  mais  leurs  accusateurs  —  car  le  rôle  est  retourné 
—  ne  veulent  être  confondus  et  jugés  que  par  le  Nouveau  Testament.  On  en 
passe  par  leurs  exigences,  on  leur  cite  des  passages  des  Evangiles  et  des  Lpîtres 
et  l'évèque  Gaucelin  déclare  hérétique  la  doctrine  énoncée  dans  leurs  réponses. 


JOOS  MVHI':     XXMV 

ciple  Olivier,  liahil  uicnl  JjOmbez.  Sut'  liiiN  il  al  ion  de  ("iiiillaumc. 
cvcque  catholi<iue  d'AUji,  six  évcques  du  sud  de  la  France  se  réu- 
nirent à  Lonihcz,  avec  de  nombreux  abhés  et  de  nobles 
laï<iu('s'.  Parmi  ces  derniers,  on  remarquait  le  vicomte  Trencavel 
d'Albi.  Siiaid  de  Lautrec,  la  comtesse  Constance  de  Toulouse, 
femme  de  llaymond  V  et  sœur  de  Louis  ^'IT  ;  ])arnii  les  évêques, 
Guillaume  d'Albi  ^,  Gauceiin  de  Lodève  el  l'once,  archevêque 
de  Narbonne.  Les  notables  de  Lombez  el  d'Albi  assistaient  à 
l'assemblée.  f)uaul  aux  hérél i((nes,  sûrs  de  leurs  forces,  ils  se  pré- 
sentèrent hardimeul.  Par  condescendance  pour  eux,  on  dérogea  [G43] 
aux  babil  tides  svnodales,  et  il  fut  constitué  un    tribunal    arbitral, 


La  sentence  à  peine  lue,  le  chef  des  cathares,  encouragé  p.u-  l.i  présence  des 
nombreux  croyants  de  la  secte,  déclare  à  son  tour  (jue  i'évèque  qui  les  condamne 
est  le  véritable  hérétique,  c'est  de  lui  qu'il  faut  se  délier;  ils  ont  caché  ce  qu'on 
leur  demandait,  parce  qu'ils  savaient  d'avance  que  ces  questions  étaient  autant 
de  pièges  pour  ici  faire  trébucher.  L'évêque  de  Lodève,  hors  de  lui,  s'écrie  qu'il 
prouvera  leur  hérésie  par-devauL  le  pape,  le  r(  i  de  France  et  le  comte  de  Tou- 
louse. Mais  le  catharetient  ferme  et  se  tourne  vers  le  peupl  e  :  «  ÏLccutez,  bonnes 
gens,  dit-il,  la  profession  de  foi  que  nous  faisons  par  amour  pour  vous;  nous 
croyons  en  un.  seul  vrai  Dieu,  à  son  lils  Jésus-C'hrisl,  à  la  communication  du 
Saint-Esprit  aux  apôtres,  à  la  résurrection,  à  la  nécessité  du  baptême  et  de 
l'eucharistie,  à  la  j)ossibilité  du  salut  pour  l'homme  et  la  femme  même  dans 
l'état  du  mariage.»  Gauceiin  lui  ayant  demandé  si  tel  avait  toujours  été  son 
enseignement,  il  se  refusa  à  répondre,  disant  que  le  serment  est  défendu  par  Jésus- 
Christ.  Cette  confession  de  foi  des  cathares  de  Lombez,  quoique  remplie  de  réti- 
cences, demeure  intéressante,  non  par  ce  qu'elle  cache,  mais  par  ce  qu'elle  révèle. 
Les  cathares  croient  en  un  Dieu,  mais  aussi  en  deux;  ils  croient  en  la  résurrection^ 
mais  sous  réserves;  ils  croyaient  au  baptême  et  à  l'eucharistie,  mais  non  à  ceux 
de  l'Église;  ils  accordaient  le  salut  des  gens  mariés,  à  condition  qu'ils  se  fissent 
recevoir  dans  la  secte  au  moins  in  extremis.  Les  évoques  présents  s'associèrent  à 
la  condamnation  prononcée  par  l'évêque  de  Lodève  et  les  cathares  rentrèrent 
chez  eux  avec  ime  condamiiii  tiou  de  plus, ce  qui  ne  les  embarrassaitguère.  Quant 
à  les  retenir  ou  à  les  mettre  à  mort,  l'idée,  en  Languedoc,  ne  pouvait  pas  même 
venir  aux  catholiqTies  les  jjIus  audacieux.  (H.  L.) 

1.  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  1470-1479;  Percin,  Moniiin.  conv.  Tolos.  pneiL, 
1693,  t.  ir,  p.  17-18,*  1-2;  Coleti,  Concilia,  t.  xiir,  col.  .'571  :  Hardouin,  Coiic.  coll., 
t.  VI,  part.  2,  col.  1G43;  Vic-Vaissete,  jf/fs/.  génér.de  Languedoc,  1736,  t.  m, 
p.  535-537;  2^  édit.,  t.  vu,  p.  1-5;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  158; 
dom  Brial,  dans  Bouquet,  Recueil  des  hist.  de  la  France,  t.  xiv,  p.  430-434;  Ilist. 
liltér.  de  la  France,  t.  xiii,  col.  390-391  ;  Reuter,  op.  cit.,  t.  m,  p.  667  sq.  ;  Schmidt, 
Histoire  de  la  doctrine  et  de  la  secte  des  cathares  ou  albigeois,  in-8,  Paris,  1849^ 
t.  I,  p.  70  sq.   (H.  L.) 

2.  Les  actes  le  désignent  à  lort  sous  le  nom  de  (liiald;  ce  dernier  était  cvêque 
de  Toulouse  (1164-1170).  Reuter,  op.  cit.,  t.  iir,  p.  667,  rem.  5. 


628.     CONCILE     DE     LOMBEZ     EN     11G5  1009 

comprenant  un  nombre  é<j,al  de  représcnLanls  des  deux  partis, 
sons  la  présidence  de  l'cvêque  d'Aliji.  Les  noms  des  arbitres 
nommés  par  les  catholiques  se  lisent  au  procès-verbal,  mais 
non  ceux  du  parti  adverse;  tout  porte  à  croire  qu'ils  étaient 
en  nombre  égal  des  deux  côtés,  de  sorte  que  le  président  eût 
voix  décisive.  Aussi  plusieurs  passages  le  présentent-ils  comme 
seul  juge.  Sur  son  ordre,  l'évêciue  de  Lodève  fit  porter  l'interro- 
gatoire des  bonshommes  sur  les  points  suivants  : 

1.  S'ils  acceptaient  tout  l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament. 
—  Ils  n'acceptaient  que  le  Nouveau. 

2-3.  En  quoi  consistait  leur  doctrine.  —  Ils  refusèrent  de 
répondre,  non  plus  c{u'à  la  troisième  question  concernant  le 
baptême  des  enfants. 

4.  A  l'égard  de  l'eucharistie,  ils  dirent  que  tout  homme  de  bien, 
clerc  ou  laïc,  pouvait  consacrer.  Ils  se  renfermèrent  ensuite 
dans  un  mutisme  complet,  et  il  fallut  forcer  leurs  aveux. 

5.  Ils  furent  aussi  obstinés  au  sujet  du  mariage,  refusant 
d'expliquer  si,  selon  eux,  le  commerce  conjugal  était  un  danger 
pour  le  salut. 

G.  Ils  soutinrent  la  validité  de  la  confession  des  malades  à  un 
laïc;  quant  à  savoir  si  les  soldats  blessés  devaient  se  confesser, 
ils  ne  ])ouvaient  en  décider,  parce  que  l'apôtre  saint  Jacques  * 
ne  parlait  que  de  la  confession  des  malades. 

A  cette  cjuestion  :  la  contrition  et  la  confession  suffisent-elles, 
ou  la  satisfaction  est-elle  nécessaire  ?  ils  répondirent  que  saint 
Jacques  parlait  seulement  de  la  confession;  pour  eux,  ils  ne 
voulaient  pas  paraître  meilleurs  que  les  apôtres  ni  rien  ajouter 
de  leur  autorité  privée,  ainsi  que  le  faisaient  les  évêques.  Ils 
ajoutèrent  spontanément  qu'il  est  interdit  de  prêter  serment, 
et  que  celui  qui  manquait  des  qualités  que  saint  Paul  exige 
des  apôtres  et  des  prêtres  n'était  ni  prêtre  ni  évêque,  mais 
un  loup  et  un  mercenaire,  auquel  on  ne  devait  pas  obéir.  Ils  se 
plaignirent  aussi  du  luxe  des  évêques,  de  leurs  habits  et  de  leurs 
anneaux. 

Les  deux  partis  ayant  apporté  à  l'appui  de  leurs  sentiments 
des  textes  de  l'Écriture  sainte,  l'évêcjue  de  Lodève,  sur  l'or- 
dre du  président  et  des  assesseurs,  prononça  la  sentence  sui- 
vante   :    Les   bonshommes    ou   les   partisans    du   docteur   Olivier 

1.  Jac,    V,   16. 

CONCILES  —  V  -G'i 


1010  LIVRE     XXXIV 

sont  hérétiques,  ainsi  qu'il  résulte  d'une  foule  de  textes  du  Nouveau 
Testament.  A  l'audition  de  ce  jugement,  les  hérétiques  dirent  : 
«  Ce  n'est  pas  nous,  c'est  l'évêque  d'Albi  qui,  ayant  approuvé  cette  [^44] 
sentence,  est  un  hérétique;  il  est  notre  ennemi,  un  loup,  un  hypo- 
crite; les  autres  évêques  et  prêtres  ne  sont  pas  davantage  de 
véritables  évoques  ou  prêtres,  mais  bien  des  mercenaires.  » 
L'évêque  d'Albi  se  fit  fort  de  prouver  la  légitimité  de  sa  sen- 
tence, devant  les  tribunaux  du  pape,  du  roi  Louis,  du 
comte  de  Toulouse,  etc.  Afin  de  donner  le  change  au  peuple, 
les  orateurs  des  hérétiques  émirent  alors  une  profession  de  foi, 
dans  laquelle  ils  avaient  adroitement  dissimulé  ce  que  leur 
doctrine  avait  de  répréhensible;  mais  ils  se  refusèrent  à  déclarer 
par  serment  que  telle  était  leur  doctrine,  alléguant  toujours 
que  le  serment  était  défendu.  Par  ordre  du  tribunal,  l'évêque 
de  Lodève  décida  que  cette  dernière  restriction  était  éga- 
lement hérétique;  l'évêque  d'Albi  confirma  la  sentence  de 
Gaucelin  et  les  membres  catholiques  du  tribunal  arbitral  ainsi 
que  les  autres  notabilités  religieuses  y  souscrivirent,  mais 
personne  ne  se  hasarda  à  mettre  à  exécution  les  décisions 
prises. 


629.  Danger  et  salut  d'Alexandre   III. 

De  Pontigny,  où  il  vivait  en  moine  et  en  pénitent,  partageant 
ses  jours  entre  la  prière  et  l'étude,  Thomas  Becket  adressa  à 
son  roi,  vers  le  milievi  de  l'année  1165,  trois  lettres,  où  il 
essayait,  par  les  accents  d'une  éloquence  convaincue,  de  ramener 
son  cher  fils  selon  le  Christ  dans  une  meilleure  voie.  Il  lui  parle, 
comme  Grégoire  VII  lui-même,  de  la  prépondérance  du  pouvoir 
spirituel  sur  le  pouvoir  temporel,  et  le  menace  des  jugements 
de  Dieu,  s'il  la  met  en  oubli.  Il  ajoute  que  son  désir  serait  de 
paraître  devant  le  roi,  et  l'engage  à  se  garder  des  schismatiques  ^. 
Ce  dernier  point  est  une  allusion  aux  rapports  de  plus  en  plus 
intimes  d'Henri  II  avec  Frédéric  I^'^. 


1.   Robertson,  Materials,  t.  lu,  p.  81,  278.  Ces  trois  lettres  sont  de   1165  et 
1166.   (H.   L.) 


629.     DANGER     ET     SALUT     d' ALEX  AN  DR  E     III  1011 

Peu  après  son  retour  d'Italie,  Frédéric  Barberousse  réunit  une 
diète  à  Wurzbourg  (Pentecôte  1165),  pour  délibérer  sur  la  situa- 
tion religieuse  de  l'empire,  ou,  comme  s'exprime  l'empereur  lui- 
même,  pour  ((  raflermir  l'obédience  »  de  l'antipape  ^.  Le  chancelier 
)45]  Rainald  de  Dassel  espérait  gagner  au  schisme  le  roi  d'Angleterre, 
qu'Alexandre  avait  blessé  en  ne  désavouant  pas  Thomas  Becket. 
Aussi,  dès  le  mois  d'avril  1165,  il  se  hâta  de  venir  en  Normandie 
trouver  Henri  II,  sous  le  fallacieux  prétexte  de  former  une  ligue 
de  princes  pour  secourir  Jérusalem  en  danger,  et  en  même  temps 
afin  de  demander  une  princesse  anglaise  pour  le  fils  de  son  sou- 
verain (les  deux  futurs  n'étaient  encore  que  des  enfants)  -.  Il 
fut  reçu  à  la  cour  d'Angleterre  avec  un  grand  faste,  car  on  ignorait 
l'excommunication  de  l'empereur.  Toutefois  le  haut  clergé  et 
l'impératrice  Mathilde  (veuve  d'Henri  V,  empereur  d'Allemagne) 
évitèrent  tout  rapport  avec  l'envoyé  impérial.  Le  mariage  fut 
décidé  en  grand  secret  (il  ne  devait  pas  se  réaliser),  puis  Rainald 
aborda  sa  véritable  négociation  et  chercha  à  obtenir  du  roi 
l'envoi  d'ambassadeurs  à  la  diète  de  Wurzbourg  et  sa  participa- 
tion à  la  lutte  de  Frédéric  contre  Alexandre.  De  Normandie  Rainald 
devait  se  rendre  à  la  cour  de  France,  un  peu  refroidie  à  l'égard 
du  pape.  Toutefois,  la  réunion  de  Wurzbourg  étant  proche,  Rainald 
se  contenta  de  demander  par  lettres  à  Louis  VII  d'abandonner 
le  schisme  et  de  ne  plus  révoquer  en  doute  le  droit  qu'avait  l'em- 
pereur de  décider  un  différend  ecclésiastique  né  dans  sa  ville  de 
Rome.  Après  la  diète,  ajoutait  Rainald,  une  ambassade  viendrait 


1.  Sur  ces  tentatives  de  rapprochement,  cf.  Robert  de  Monte,  Chrou., 
ad  ann.  1165,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  vi,  p.  514;  Jean  de  Salisbury, 
Epist.,  cxLviii;  Watterich,  Vitie  pontif.  roman.,  t.  ii,  p.  556,  n.  3;  Encycl.  Im- 
perat.,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  sect.  iv,  t.  i,  p.  316  :  Ad  hoc  honorabiles 
legati  illuslris  amici  nostri  Henrici  gloriosi  Anglorum  régis...  publiée  nabis  jura- 
verunt,  quod  rex  ipse  cum  toto  regno  sua  in  parte  noslra  fideliler  stabit,  domnum 
papam  Paschalem...  nobiscum  tenebit.  Cf.  Giesebrecht,  op.  cit.,  t.  v,  p.  458  sq.  ; 
Giesebrecht-Simpson,  op.  cit.,  t.  vi,  p.  440  sq.;  Hauck,  Kirchengeschichte  Deulsch- 
lands,  t.  IV,  p.  262.  (H.  L.) 

2.  Ceci  n'était  pas  une  objection  après  le  mariage  du  fils  d'Henri  II  et  de  la 
fille  de  Louis  VII.  On  a  raconté  que  le  roi  d'Angleterre  avait,  pour  la  première 
fois,  fait  connaître  par  lettre  à  Rainald  Dassel  son  désir  d'abandonner 
l'obédience  d'Alexandre,  mais  c'est  là  une  erreur.  La  lettre  en  question,  Diu 
desideravi,  appartient  en  effet  à  l'année  suivante.  Cf.  Reuter,  op.  cit.,  t.  ii^ 
p.  602. 


1012  LIVRE    XXXIV 

exposer  nettement  la  situation.  L'empereur  et  Rainald  ne  voulaient 
voir  dans  le  pape  que  le  premier  évêque  de  l'empire;  bon  pour 
les  roitelets  d'Europe  de  le  regarder  comme  chef  spirituel  de  leurs 
États.  On  devine  quel  accueil  la  France  et  l'Angleterre  réser- 
vaient à  de  tels  propos  :  ce  n'était  certes  pas  Henri  II,  si  jaloux  de 
ses  droits,  qui  eût  pu  les  endurer.  Sa  conduite  n'avait  pour  butque 
de  se  délivrer  dcThomasBecket;  quant  aux  prétentions  impériales, 
il  était  fixé.  Le  roi  de  France  fit  probablement  une  réponse  néga- 
tive à  la  lettre  de  Rainald  de  Dassel;  il  serait  impossible,  sans  cela,  [646] 
de  s'expliquer  les  attaques  dont  il  fut  l'objet  dans  les  décrets  de 
Wurzbourg  ^. 

La  diète  de  Wurzbourg,  à  laquelle  l'empereur  donne  lui-même 
le  nom  de  concilium  ^,  s'ouvrit  avant  l'arrivée  de  Rainald,  l'avant- 
veille  de  la  Pentecôte,  22  mai  11G5.  Dans  les  décrets  impériaux 
promulgués  par  cette  assemblée  ^,  l'empereur  fait  des  efforts 
évidents  pour  la  représenter  comme  très  brillante  et  composée  de 
tous  les  seigneurs  et  prélats  allemands.  Il  prétend  que  tous  les 
membres  avaient,  à  l'unanimité,  juré  fidélité  à  l'antipape  Pascal. 
Mais  un  second  document  *,    œuvre   d'un  anonyme  (Conrad  de 


1.    «  Le   roi  Louis     voulait   anéantir  la   dignité   de   l'empereur^  »   parrequ'il 
ne  lui  reconnaissait  pas  le  droit  de  disposer  du  siège  pontifical. 

2.  Monum.  Germ.  hisL,  Leges,  sect.  iv^  t.  i,  p.  314-321,  n.  223-22G;  Watterich, 
Vilse  pontif.  roman.,  t.  u,  p.  547  sq.  ;  Opéra  Thom.  Cantuar.,  édit.  GileS; 
Epist.,  cccLxxix,  t.  II,  p.  264;  Annal.  Reichersperg.,  ad  ann.  1165,  dans  Monum. 
Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvii,  p.  471;  Annal.  Ratisp.,  ad  ann.  1165,  dans  Monum. 
Germ.  hist..  Script.,  t.  xvii,  p.  588;  Vila  Gebeh.  et  success.  ejus,  25,  dans  Monum. 
Germ.  hist..  Script.,  t.  xi,  p.  46;  Chron.  reg.  Colon.,  ad  ann.  1165;  Sigebert, 
Contin.  Aquict.,  ad  ann.  1165,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  t.  vi,  p.  410;  Reuter, 
op.  cit.,  t.  II,  p.  197  sq.,  585;  Giesebrecht,  Geschichte  der  deutschen  Kaiserzeil, 
1880,  t.  V,  p.  462  sq.;  Giesebrecht-Simpson,  1895,  t.  vi,  p.  442  sq.;  Hauck,  op. 
cit.,  t.  IV,  p.  262  sq.  (H.  L.) 

3.  Il  s'agit  des  quatre  décrets  rédigés  à  peu  près  dans  les  mêmes  termes  : 
1°  à  tous  les  clercs  et  laïcs  de  Padoue,  2°  au  comte  Henri  de  Troyes,  3°  à  tous 
les  habitants  de  l'empire,  4°  à  l'abbé  de  Stavelot.  Les  trois  premiers  sont  dans 
Monum.  Germ.  hist.,  Lcg.,  t.  ii,  p.  133-138;  le  quatrième  dans  Mansi,  Conc. 
ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  1221;  le  cinquième,  une  encyclique,  dans  Mansi,  Conc. 
ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  1213;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  p.  ii,  col.  1613,  et  Baro- 
nius.  Annal.,  ad  ann.  1166,  3,  est  presque  entièrement  identique  au  n.  2. 

4.  Epist.  amici  ad  Alexandrum,  dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  548;  Coleti, 
Concilia,  t.  xiii,  col.  328;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  1215;  Hardouin, 
Conc.  coll.,  t.  VI,  p.  1615;  Thomœ  Gant.  Opéra,  éd.  Giles,  t.  iv,  p.  264;  P.  L.,  t.  cc^ 
col.  1454.  Cf.  Ficker,  Rainald  von  Dassel,  p.  132,  136. 


620.     DANGER     HT     SALL'T     d'aLEXANDRE     III  1013 

Mayence)  envoyé  au  pape  Alexandre,  nous  apprend  que,  dans  les 
deux  premières  sessions,  tenues  la  vigile  de  la  Pentecôte  et  le  lundi 
surlendemain  ^,  les  princes  s'efforcèrent  d'aboutir  à  un  compromis 
entre  l'empereur  et  le  pape  légitime.  Malheureusement,  Rainald  de 
Cologne  survint  pendant  la  seconde  session  et  fit  pencher  la  balance 
du  côté  du  schisme.  Si  l'on  ne  peut  en  conclure  que  la  majorité  de 
l'assemblée  fit  des  démarches  en  faveur  d'Alexandre,  il  n'en  résulte 
pas  moins  qu'il  a  dû  y  avoir  en  ce  sens  une  minorité  importante  ^, 
ce  qui  paraît  probable  si  on  tient  compte  que  l'opinion  publique 
en  Allemagne  était  très  favorable  au  pape  Alexandre.  C'est  à  ce 
moment  (lundi  de  la  Pentecôte)  que  Rainald  de  Cologne  survint 
avec  deux  ambassadeurs  anglais,  Jean  d'Oxford  et  Richard  d'Il- 
47]  chester,  et  prononça  ce  discours  à  la  fois  prudent  et  énergique  : 
«  Tout  ce  que  l'empereur  et  lui  ont  fait  contre  Alexandre 
n'a  jamais  complètement  réussi  :  la  portion  la  plus  puissante 
de  l'empire,  c'est-à-dire  les  archevêques  de  Salzbourg  et  de 
Mayence,  est  dévouée  à  Alexandre;  mais  voici  que,  par  l'effet 
de  l'accord  avec  l'Angleterre,  les  affaires  prennent  meilleure  tour- 
nure. Le  roi  Henri  a  promis  que  cinquante  évêques  de  son 
royaume,  ou  même  davantage,  se  rangeraient  aux  désirs  de  l'em- 
pereur ^.  11  suffira  que  l'empereur  jure,  devant  la  diète,  de  ne 
jamais  reconnaître  Alexandre,  ni  personne  de  son  parti, 
mais  de  soutenir  Pascal  à  jamais.  Ce  serment  devra,  après  la 
mort  de  l'empereur,  lier  ses  successeurs.  Les  princes  feront,  de 
leur  côté,  une  promesse  semblable,  ajoutant  qu'ils  ne  toléreront 
le  couronnement  d'un  nouvel  empereur  cju'après  son  serment  de 
secours  et  protection  au  pape  (schismatique).  Enfin,  dans  le  délai 
de  six  semaines  après  la  dissolution  de  la  diète,  tous  les  abbés, 
prêtres  et  supérieurs  ecclésiastiques,  tous  les  nobles  et  toutes  les 
personnes  de  condition  de  l'empire  devront  prêter  ce  même 
serment,  sous  peine  de  déposition  et  de  confiscation  des  biens,  et 

1.  Dans  Reuter,  op.  ci7.,  l.  II,  p.  584,  on  lit,  par  suite  d'une  faute  d'impression 
ou  de  copiste  :   «  lundi  après  Pâques.  » 

2.  Reuter,  op.  cit.,  p.  198,  585. 

3.  Lorsque  ce  discours,  qui  engageait  le  roi  d'Angleterre,  arriva  aux  oreilles 
du  pape  Alexandre,  celui-ci  en  fut  préoccupe  quelque  temps;  mais  Rolrod, 
archevêque  de  Rouen,  afTania  que  son  seigneur  et  maître  ne  pouvait  avoir 
fait  de  pareilles  promesses,  car  le  royaume  tout  entier  ne  comptait  pas 
cinquante  évêques.  S.  Thomae  Cant.  Opéra,  éd.  Giles,  t.  iv,  p.  148.  Cf.  Watterich 
op.  cit.,  t.  II,  p.  547,  note  4. 


1014  LIVRE    XXXIV 

même  de  l)annissement  et  de  mutilation.  »  L'empereur  accepta 
cette  proposition,  qu'il  connaissait  certainement  d'avance;  elle 
tendait  un  peu  brutalement,  mais  logiquement,  au  but  poursuivi 
depuis  si  longtemps,  de  mettre  la  papauté  sous  la  dépendance  de 
la  couronne.  Beaucoup  d'évêques  présents  à  Wurzbourg  trouvè- 
rent toutefois  ce  serment  trop  impudemment  tyrannique,  et 
Wichmann,  archevêque  de  Magdebourg,  se  faisant  leur  interprète, 
déclara  qu'il  refuserait  le  serment,  si  auparavant  Rainald  de  Co- 
logne ne  recevait  le  sacerdoce  et  ne  se  faisait  sacrer  évêque.  Il 
avait  toujours  refusé  de  franchir  le  degré  de  la  prêtrise  :  on  pré- 
tendait <|uc  c'était  pure  prévision  de  politique,  soucieux  de  pou- 
voir, le  cas  échéant,  se  réconcilier  plus  facilement  avec  Alexandre, 
puisqu'il  n'aurait  ni  reçvi  le  palliurn  de  l'antipape  ni  été  sacré 
par  vm  évêque  de  son  obédience.  La  demande  de  l'archevêque  ['J^oJ 
de  Magdebourg  signifiait  donc  :  «  Par  ce  serment,  nous  brû- 
lons nos  vaisseaux;  il  nous  sera  ensuite  impossible  de  revenir 
à  Alexandre  :  aussi  ne  le  prêterons-nous  pas  tant  que  le  chan- 
celier n'aura  pas,  de  son  côté,  coupé  le  pont  qui  pourrait  lui 
ménager  une  retraite.  »  L'empereur  trouva  cette  demande 
si  juste  que,  Rainald  n'ayant  pas  voulu  y  accéder,  il  s'em- 
porta contre  lui  et  lui  dit  des  paroles  très  dures.  Il  lui  repro- 
cha d'avoir  précipité  la  nouvelle  élection  papale,  et  l'appela 
traître,  aimant  à  jeter  les  autres  dans  le  péril  dont  il  se  gardait 
bien  de  prendre  sa  part,  A  ce  coup,  Rainald  céda  ^.  Ce  récit  de 
l'anonyme  est  complété  sur  un  point  essentiel  par  un  passage  des 
décrets  impériaux,  où  il  est  dit  que  Frédéric,  voulant  donner  des 
garanties  à  Rainald,  ajouta  à  son  serment  une  phrase  ayant  trait 
aux  «  évêques  élus  «.  En  effet,  l'empereur  prêta  le  premier  le  ser- 
ment demandé  par  Rainald  :  «  Nous  ne  reconnaîtrons  jamais 
comme  pape  le  schismatique  Roland,  ni  son  successeur,  dans  le 
cas  où  son  parti  en  choisirait  un;  nous  n'approuverons  jamais 
ceux  qui  le  reconnaîtraient,  nous  n'accorderons  jamais  notre  grâce 
à  l'un  de  ses  partisans,  s'il  n'a  auparavant  abjuré  son  erreur  et 
s'il  n'est  revenu  à  l'unité  de  l'Eglise  ^.  Quant  au  seigneur  pape 
Pascal,  nous  le  défendrons  et  le  soutiendrons,  lui  obéissant  et  le 
respectant  comme  le  père  catholicjue  et  le  pape  universel  et  ne 


1.  Epist.  anonym.  amici  ad  Alex. 

2.  Dans  le  décret  impérial  à  Henri,  comte  de  ïroyes,  il  faut  supprimer  suœ 
après  Ecclesise. 


C29.     DANGER     ET     SAl.UT     d'aLEXANDRE     IH  1015 

nous  rcliranl  jamais  de  son  parti  tant  i\\\v  nous  vivrons.  Les 
évoques  élus  et  sacrés  par  Pascal,  ou  par  le  successeur  que  son 
parti  lui  aura  donné  ^,  ou  qui  seront  ainsi  sacrés,  ne  pourront 
en  aucun  cas  être  dépouillés  de  leur  dignité  à  cause  de  l'obé- 
dience qu'ils  avaient  embrassée;  nous  ne  céderons  pas  sur  ce 
point  et  ne  chercherons  ni  n'accepterons  jamais  d'être  relevés 
de  ce  serment  ^.  Notre  successeur  à  l'empire,  celui  qui  sera 
élu  par  tous  les  princes,  sera  lié  par  ce  même  serment;  il 
devra  maintenir  de  la  même  manière  l'honneur  de  l'Eglise  et  de 
l'empire  et  accepter  cette  situation.  »  D'après  la  lettre  de  l'ano- 
nyme au  pape  Alexandre,  l'empereur,  sur  la  proposition  de  l'ar- 
chevêque de  Magdebourg,  aurait  ajouté  :  «  Dans  le  cas  où  les 
549]  deux  papes  viendraient  à  mourir  dans  le  même  temps  et  oij  les 
cardinaux  des  deux  obédiences  se  réuniraient  pour  faire  un  choix 
unique,  l'empereur  serait  libre  de  le  reconnaître,  mais  l'élection 
ne  pourrait  avoir  lieu  qu'avec  l'assentiment  de  l'empereur.  » 
Cette  dernière  phrase  avait  été  ajoutée  à  la  demande  de  Rainald. 
Toutefois,  comme  les  décrets  impériaux  ne  renferment  rien  de 
cette  addition,  il  est  probable  que  l'éventualité  en  question 
aura  été  seulement  discutée  sans  devenir  l'objet  d'une  nou- 
velle phrase  dans   le  serment. 

Après  l'empereur,  les  princes  présents  à  la  diète  prêtèrent  ser- 
ment. Les  décrets  impériaux  citent  toujours  ces  quatre  noms  : 
Henri  (le  Lion),  duc  de  Saxe  et  de  Bavière;  Adalbert  ou  Albert, 
margrave  (de  Brandebourg);  Conrad  (frère  de  l'empereur),  comte 
du  Palatinat,  et  le  landgrave  Louis,  comte  de  Thuringe;,  ils  ajou- 
tent sans  préciser  :  ac  reliqui  omnes.  Comme  le  document  (de 
l'anonyme)  dit  explicitement  que  ces  quatre  princes  furent  seuls 
à  prêter  serment  et  que  le  cinquième,  Frédéric,  duc  de  Rottem- 
bourg  et  fils  du  feu  roi  Conrad  III,  s'éloigna  de  Wurzbourg  plu- 
tôt que  de  le  prêter,  il  faut  entendre  par  reliqui  omnes  des  laïcs 
de  condition  moins  élevée,  des  comtes,  etc.  ^. 

Les  décrets  impériaux  ajoutent,  avec  cette  même  imprécision, 
que  tous  les  archevêques  et  évêques  présents,  élus  mais  non  sacrés, 
avaient,    au   nombre    de    quarante,    prêté    le    serment    demandé. 


1.  Pour  ce  passage,  le  texte  du  décret  à  Henri,  comte  de  Troyes,  est  plus 
exact  que  le  texte  de  l'encyclique  inipcriale  à  tous  les  sujets  de  l'empire. 

2.  C'est  le  serment  réclame  par  Rainald. 

3.  V.   Ficker,  op.  cil.,  p.   13'i. 


1016 


LIVRE     XXXIV 


D'où  il  rôsullorait  que  Lout  l'cpiscopat  allemand  (car  il  n'y  avait 
à  Wurzbourfï  que  des  prélats  allemands  et  aucun  évoque  italien) 
assistait  à  la  dièle  et  y  fit  preuve  d'une  soumission  aussi  una- 
nime que  dégradante.  Mais,  outre  que  l'état  de  l'opinion  publique 
en  Allemagne  rend  ce  fait  peu  vraisemblable,  il  est  formellement 
démenti  par  d'autres  documents.  La  Chronique  de  Reichersberg, 
ordinairement  bien  informée,  dit  :  a)  qu'un  grand  nombre  de  prin- 
ces et  d'évêques  ne  s'étaient  pas  rendus  à  Wurzbourg  et  n'en 
avaient  souscrit  les  décrets  que  plus  tard  ;  h)  que  Conrad  de 
Mayence  s'était  échappé  de  Wurzbourg,  pendant  la  nuit,  pour  aller 
rejoindre  en  France  le  pape  Alexandre  ^;  c)  que  l'évêque  de  Ratis- 
bonne  ne  prêta  serment  que  dans  l'été  de  1165  et  à  Vienne  ^.  Un  [650] 
autre  document,  VAppendix  à  Ragewin,  raconte  pareillement  cjue 
Conrad  de  Mayence,  ayant  fait  alors  opposition  à  l'empereur, 
fut  déclaré  ennemi  de  l'empire  et  qu'Albert,  évoque  de  Frci- 
singen,  refusa  longtemps  de  prêter  le  serment  de  Wurzbourg. 
Il  ne  céda  plus  tard  qu'à  la  force,  et  à  condition  que  son  serment 
ne  l'obligerait  que  tant  cju'il  aurait  des  regalia  ^.  Ces  données 
s'accordent  avec  celles  que  nous  fournit  l'auteur  anonyme. 
Il  nous  apprend,  en  effet  :  a)  que  beaucoup  d'évêques,  en  par- 
ticulier le  patriarche  (Ulrich  II)  d'Aquilée  et  les  deux  arche- 
vêques (Hillin)  de  Trêves  et  (Conrad)  de  Salzbourg,  ainsi  que 
leurs  sufïragants,  n'assistaient  pas  à  la  diète  de  Wurz- 
bourg *  ;  h)  que  les  membres  présents  n'avaient  adhéré  au 
schisme  ni  si  aisément  ni  si  nettement  que  le  prétendaient  les 
décrets  de  l'empereur.  Tous  les  évêques  déclarèrent  d'abord, 
sauf  celui  de  Verden,  cju'iis  préféraient  renoncer  aux  regalia 
plutôt  que  de  prêter  un  pareil  serment.  Mais  l'empereur  s'obstina 


1.  Il  est  peu  vraisemblable  que  Conrad  fût  encore  présent  à  Wurzbourg;  il 
parut  à  la  cour  impériale  pour  la  dernière  fois  le  24  mai  1164.11  est,  au  contraire, 
bien  plus  probable  qu'il  rejoignit  Alexandre  à  la  fin  de  cette  même  année  et 
qu'il  fut  pour  ce  motif  déposé  de  son  évêché  au  commencement  de  l'année  1165, 
tt  cela  à  la  demande  de  Rainald.  Il  accompagna  ensuite  le  pape  à  Rome,  fut 
sacré  par  lui  et  fait  cardinal-prêtre  de  Saint-Marcel,  plus  tard  cardinal-évêque 
de  Sabine;  mais  il  n'abandonna  pas  pour  cela  ses  prétentions  au  siège  de 
Mayence.  ^Vattcrich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  550,  note  2;  553,  note  4. 

2.  Monum.  Germ.  hisl.,  Script.,  t.  xvii,  p.  471  sq. 

3.  Dans  Urstisius,  Gcrm.  historié.,  t.  i,  p.  558. 

4.  Il  5'  avait  cependant,  ainsi  que  nous  le  verrons,  un  sufîragant  de  Salzbourg 
Albert  de  Freising,  et  un  de  Trêves,  Richard,  évêque  de  Verdun. 


629,     DANGER     ET    S.VLUT     d'aI.EXANDRE     III  1017 

et  les  obligea  à  le  prêter.  L'archevêque  de  Magdebourg  s'y  rési- 
gna le  premier  avec  des  larmes  et  des  gémissements,  y  ajoutant 
cette  clause  :  «  que  ce  serment  ne  pourrait  l'obliger  que  dans  le 
cas  où  les  autres  évêques  allemands  le  prêteraient  également  et 
aussi  longtemps  qu'ils  posséderaient  les  regalia.  »  Après  avoir 
cherché  divers  subterfuges,  Eberhard,  évêque  de  Bamberg,  dé- 
clara à  son  tour  «  qu'il  voulait  obéir  à  l'empereur  en  cette  affaire, 
aussi  longtemps  qu'il  aurait  des  regalia,  mais  qu'il  restait  libre 
de  les  restituer.  »  Tout  cela  concorde  avec  les  données  de  VAppen- 
dix  à  Ragewin,  au  sujet  des  regalia,  et  avec  cette  phrase  du  Chro- 
nicon  Lobiense  et  de  la  biographie  de  Thomas  Becket  par  Guil- 
laume de  Cantorbéry  {fragm.  27),  que  beaucoup  n'avaient  obéi 
à  l'empereur  que  sous  l'empire  de  la  crainte  ^, 

L'anonyme  poursuit  :  «  L'évêque  de  Yerden  et  l'intrus  de 
Halberstadt,  tous  deux  de  la  province  de  Mayence,  jurè- 
rent sans  condition,  ainsi  que  R?inald  de  Cologne  et  deux  de 
[651]  ses  suffragants  (dont  notre  auteur  parle  plus  tard).  Les  évêques 
de  Verdun  et  de  Freising  obtinrent,  à  cause  de  l'absence  de  leurs 
archevêques,  un  délai  jusqu'à  la  fête  des  saints  Pierre  et  Paul.» 
Ces  faits  s'accordent  aussi  avec  ceux  que  mentionne  V Appendix 
à  Ragewin. 

Si  nous  avons  dû  rectifier  sur  quelques  points  les  assertions 
des  décrets  impériaux,  nous  pouvons  en  revanche  ajouter  pleine 
créance  à  ce  qui  suit.  On  y  lit  qu'aux  quatre-temps  qui  suivirent, 
Rainald  de  Cologne  et  les  autres  évêques  élus  se  firent  ordonner 
et  sacrer  ^,  sur  quoi  l'empereur  et  la  diète  déclarèrent  que, 
sous  peine  de  perdre  leur  place,  tous  les  autres  devraient  en 
faire  autant  aux  prochains  quatre-temps.  L'ambassade  anglaise 
protesta  publiquement  que  le  roi  Henri  était,  avec  tout  son 
royaume,  du  parti  impérial,  reconnaissait  Pascal  III  et  rejetait 
Roland.  L'assemblée  de  Wurzbourg  décida  en  dernier  lieu  que, 
dans  le  délai  de  six  semaines  ^,  tous  les  absents  auraient  à  prêter 
serment,  et  que  tout  clerc  ou  laïc  qui  s'y  refuserait,  nonobstant 
les  exhortations  de  son  évêque  ou  de  son  supérieur  civil,  serait 
déposé,  s'il  était  clerc  ou  moine,  et  privé  de  ses  alleux  et  de  ses 

1.  Thomae  Cant.    Opéra,  éd.  Giles,  t.  ii^  p.  19;  P.L.,  t.  cxc,  col.  2'i4;Ficker, 
op.  cit.,  p.  86;  Reuter,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  205. 

2.  Rainald  reçut  la  consécration  épiscopale  le  2  octobre,  de  son  sulïraganl, 
Philippe  d'Osnabriick. 

'6.   Et  non  pas  mois,  ainsi  que  le  soutient  Reuter,  op.  cit.,  p.  209. 


y 


1018 


LIVRE     XXXIV 


fiefs,  s'il  clail  laupic,  cl  ^'uliii  baimi  du  royaume.  A  l'avenir, 
on  lirait  à  haute  voix  l'oraison  de  la  messe  pour  le  pape 
Pascal  1. 

Ces  décrets  tyranniques  parvinrent  à  réveiller  en  Allemagne 
le  parti  de  l'antipape,  prêt  à  disparaître.  Mais  ce  ne  fut  qu'un 
retour  passager.  Pour  se  rendre  populaire,  Rainald  de  Cologne 
dut,  d'après  l'ordre  ou  du  moins  avec  l'assentiment  de  Pascal, 
prononcer,  le  29  décembre  1165,  la  canonisation  de  Charlemagne  ^, 
La  dévotion  au  grand  empereur  devait  être  le  lien  religieux  rat- 
tachant au  schisme  la  nation  allemande.  Peu  de  temps  auparavant, 
en  septembre,  l'empereur  Barberousse  avait  élevé  sur  le  siège  de 
Mayence,  à  la  place  de  Conrad  fugitif,  le  batailleur  et  débauché 
comte  Christian  de  Buch  ^,  en  qui  il  trouva  un  serviteur  intel- 
ligent, tout  à  la  fois  général  et  chancelier  (archichancelier  pour 
l'Allemagne),  et  un  promoteur  décidé  du  schisme.  Mais  l'em-  [652] 
pereur  ne  put  ébranler  la  fidélité  d'un  autre  des  principaux 
princes  de  l'Eglise  d'Allemagne,  l'archevêque  Conrad  de 
Salzbourg  :  c'est  pourquoi  il  le  renversa.  Dans  une  diète  tenue 
à  Laufen  (le  29  mars  1166),  toutes  les  possessions  de  l'église  de  Salz- 
bourg furent  confisquées,  le  diocèse  fut  ravagé  par  une  armée 
impériale,  la  ville  de  Salzbourg  elle-même  fut  réduite  en  cendres, 
les  biens  de  l'archidiocèse  donnés  aux  laïques;  les  monastères 
pillés,  les  moines  chassés;  mais  la  fermeté  de  l'archevêque  et 
l'attachement  de  son  clergé  restèrent  inébranlables  *. 

Le  roi  Henri  II  voulut  appliquer  alors  en  Angleterre  les  déci- 
sions de  Wurzbourg  et  convoqua  en  concile  à  Londres^  les  évêques 


1.  Monuin.  G'erni.  /lisl.,  Leg.,  t.  ii,  p.  137,  138. 
.  2.  Cf.  Cabrol  et  Leclercq,  Diclionn.  d'nrc/iéol.  c/irél.  cl  de  liturgie,  t.  m,  col.  803, 
au  mot  Charlemagne  [Culte  de);  Sigebert,  Contin.  Aquict.,  dans  Monum.  Germ. 
hisL,  Script.,  t.  vi,  p.  411  '.Optimales  tocius  regni  de  tumulo  marmoreo  levantes  : 
in  locello  ligneo  in  medio  ejusdem  basilice  reposueriint  ;  Annal.  Camerac,  dans 
Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvr,  p.  538;  Citron,  reg.  Colon.,  ad  ann.  IIGG. 
(H.  L.) 

3.  Jean  de  Salisbury,  Epist.,  cxl  :  non  christianum,  sed  antichrislum ,  aposta- 
lam  suum.  (H.  L.) 

4.  Vita  Gebeh.  et  success.  ejus,  dans  AIonum.Germ.  hist.,  Script.,  t.  xi,  p.  45  sq. ; 
Contr.  Claustroneob.,  i  et  ii,  ad  ann.  1167,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script., 
t.  IX,  p.  611-616;  Watterich,  Vitae  pontif.  roman.,  t.  ii,  note   6;  Reuter,  op.  cit. 
t.  ir,  p.  210,  214  sq.  (H.  L.) 

5.  Gervais  de  Canlorbéry,  dans  Reuter,  np.  cit.,  p.  211;  Ficker,  op.  cit.,  p.  100. 
L'assertion  de  Guillaume  de  Canlorbéry,  dans  sa  Biographie  de  Thomas  Becket 


629,     DANGER     ET     SALUT     d'aLEXANDRE     III  1019 

et  abbés  du  royaume;  mais  il  trouva  chez  eux  une  telle  aversion 
contre  le  schisme,  qu'il  eu  revint  à  cette  attitude  ambip;uë  qu'il 
aimait  tant  et  se  hâta  d'assurer  également  les  deux  partis  de 
son  amitié.  Le  pape  lui  ayant  adressé,  dans  l'été  de  1165,  des 
reproches  paternels,  par  l'intermédiaire  des  évoques  Gilbert 
Folioth  de  Londres  et  Robert  de  Hereford,  et  lui  ayant  écrit 
au  sujet  de  Thomas  Becket  et  du  traité  de  Wurzbourg,  Henri  II 
affirma  très  haut  qu'il  resterait  dans  l'obédience  d'Alexandre; 
quant  à  ses  rapports  avec  l'empereur,  il  s'en  justifiait  en  disant 
que,  s'il  connaissait  la  part  prise  au  schisme  par  celui-ci,  il 
ignorait  qu'il  fût  (formellement)  excommunié.  Aussi  était-il  prêt, 
avec  le  conseil  de  ses  évêques,  à  modifier  tout  ce  qu'il  pouvait 
y  avoir  de  répréhensible  dans  son  alliance  avec  l'empereur.  Si 
son  affection  pour  le  pape  s'était  refroidie,  cela  tenait  à  la  con- 
duite de  la  curie  à  son  égard.  11  avait  en  vue  la  protection  accor- 
dée à  Thomas  Becket  par  Alexandre  :  aussi  ajoutait-il,  à  cet 
égard,  que  l'archevêque  de  Cantorbéry  n'était  point  exilé  et 
pouvait  revenir  sans  encombre,  s'il  voulait  ne  pas  s'attaquer 
aux  droits  de  la  couronne  que  lui-même  avait  juré  de  maintenir 
et  que  le  roi  voulait  conserver  intacts  ^. 

En  revanche,  le  roi  Henri  écrivit,  en  1166,  à  Rainald  de  Dassel 
"^<jj  cette  lettre  dont  nous  avons  déjà  parlé  :  «  Depuis  longtemps, 
je  cherchais  une  occasion  favorable  pour  me  séparer  du  pape 
Alexandre  et  de  ses  traîtres  cardinaux,  q\ù  ont  eu  l'effronterie 
de  soutenir  contre  moi  le  coupable  Thomas  de  Cantorbéry.  Je 
compte,  sur  le  conseil  des  grands  de  mon  royaume  et  avec  l'assen- 
timent du  clergé,  envoyer  à  Rome  l'archevêque  d'York,  les  évêques 
de  Londres  et  d'Qxford  et  autres  personnages  de  distinction, 
demander  au  pape  Alexandre  et  à  ses  cardinaux  de  me  délivrer 
de  ce  parjure,  de  déclarer  tout  ce  qu'il  a  fait  sans  valeur,  de  me  per- 
mettre de  nommer  un  autre  archevêque  de  Cantorbéry,  et  enfin 
de  jurer  que  les  traditions  royales  en  matière  ecclésiastique  res- 
teront ce  qu'elles  étaient  sous  le  roi  Henri  I^^".  Si  le  pape  Alexan- 
dre et  ses  cardinaux  me  refusent  satisfaction  sur  un  seul  de  ces 


(jragm.  27,  loc.  cit.),  que  tous  les  sujets  du  roi  d'Angleterre,  à  partir  de  douze  ans, 
devaient  prêter  serment  do  fidélité  à  l'antipape,  ne  peut  pas  se  rapporter  à  cette 
époque,  ainsi  que  l'a  prétendu  Ficker. 

1.  Opéra  Thom.  Cantuar.,  édit.  Gilcs,  t.  iv,  p.  96,  115;   Epiât.,  cccxlix,  cccl; 
P.  L.,  t.  ce,  col.  373;  Reuler,  op.  cit.,  p.  71  sq. 


1020 


LIVRE    XXXIV 


jioinls,  je  (jiiillerai,  moi  el  mou  royaume,  sou  obédience,  et 
combattrai  ouvertement  Alexandre  et  les  siens.  Je  vous  de- 
mande en  conséquence  de  m'envoyer  le  frère  Ernold  ou  le  cheva- 
lier hospitalier  Raoul,  ahn  qu'ils  assurent  à  mes  ambassadeurs 
un  voyage  sans  danger  jusqu'à  Rome  ^.  » 

En  prévision  du  rejet  des  propositions  du  roi  d'Angleterre  et 
de  l'accession  de  celui-ci  au  schisme,  l'empereur,  sur  le  conseil  de 
Rainald,  envoya  en  Angleterre  le  chevalier  hospitalier  Raoul. 
C'était  l'heure  où  l'empereur  rassemblait  une  quatrième  armée 
qu'il  voulait  conduire  en  Italie,  afin  de  chasser  de  Rome  Alexan- 
dre et  de  l'anéantir.  Dans  ce  péril,  le  pape  pensa  à  gagner  le  pre- 
mier auteur  de  tant  de  maux,  Rainald  de  Cologne.  Le  savant 
magisier  Girard  Puella,  ami  de  Thomas  Becket  et  son  com- 
pagnon d'exil,  se  rendit  alors,  sans  doute  sur  les  ordres 
d'Alexandre  et  de  Thomas,  auprès  de  l'archevêque  Rainald. 
dont  il  gagna  si  bien  la  confiance  que,  au  cours  d'une  ma- 
ladie, l'archevêque  de  Cologne  se  déclara  prêt  à  se  réconcilier 
avec  Alexandre.  On  se  demande  si  ce  mouvement  était  sincère, 
et  on  a  prétendu  que  les  intentions  de  Girard  Puella  n'avaient 
pas  été  parfaitement  pures.  Il  accepta,  ce  que  le  pape  lui 
reprocha  plus  tard,  un  bénéfice  de  la  main  de  Rainald;  quant  à 
ce  dernier,  dès  que  son  état  de  santé  le  lui  permit,  il  se  hâta  de  [654 1 
prendre  part  à  la  néfaste  expédition  de  l'empereur  en  Italie  2. 

Les  préparatifs  pour  cette  expédition  étaient  déjà  très  avan- 
cés lorsque  les  nouvelles  qui  arrivèrent  d'Italie  en  accélé- 
rèrent l'exécution.  Guillaume  I^'',  roi  de  Sicile,  était  mort  le 
7  mai  ll()(i,  laissant  un  enfant  mineur  du  nom  de  Guillaume  II  '^; 
ce  fut  l'occasion  de  telles  luttes  intestines  que  l'empereur  crut 
le  moment  propice  pour  réaliser  le  plan  qu'il  caressait  depuis  long- 
temps de  s'emparer  de  ce  royaume  *.   Il  importait,  en  outre,  de 


1.  Coletij  Concilia,  l.  xiii,  col.  330;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col. 
1617;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxi,  col.  1217;  AN'allerich,  op.  cil.,  t.  11. 
p.  556,  note  3;  Ficker^  op.  cit.,  p.  101. 

2.  Jean  de  Salisbury,  Epist.,  ex  ci;  Giesebrecht,  op.  cit.,  1880,  t.  v,  p.  519;  1895, 
t.  VI,  p.  457;  Reuter,  op.  cit.  p.  216  sq.;  Ficker,  op.  cit.,  p.  103;  Prutz,  t.  11, 
p.  36  sq.  ;  Hauck,  op.  cit.,  p.  271,  noie  1.  (H.  L.) 

3.  F.  Chalandon,  Hist.  de  la  domination  normande  en  Italie  et  en  Sicile,  t.  11, 
p.   303  sq.   (H.   L.) 

4.  Ibid.,  t.  Il,  p.  309-321.   (H.  L.) 


6'2;t.     DANGER    KT    SALUT     d' ALEX  AN  D  RE    III  1021 

prévenir  une  alliyncc  que  Manuel,  empereur  de  Conslanlinople, 
voulait  conclure  avec  la  Sicile  et  cimenter  par  le  mariaoe  de  sa 
fille  avec  Guillaume  II  ^ 

Dès  la  fin  d'octobre  1166,  Rainald,  devançant  l'empereur,  était 
à  Ivrée  en  Piémont,  d'où  il  vint  au-devant  de  son  souverain,  qui 
avait  pris  la  route  de  Trente  2.  Frédéric  passa  l'hiver  dans  la 
Haute-Italie  et  célébra  la  fêle  de  Noël  à  Pavie;  Rainald  et 
Christian  de  Mayence  déployèrent  de  tous  côtés  une  grande  acti- 
vité, pour  faire  exécuter  les  décisions  de  la  diète  de  Wurzbourg. 
Ainsi,  à  Pise,  Rainald  obligea  les  consuls  à  jurer  fidélité  à  Pascal  ;  il 
fit  exiler  l'archevêque  Villanus  et  obtint  l'élection  d'un  successeur 
schismatique  ^.  Au  printemps  de  l'année  suivante,  1167,  lorsque 
l'empereur  vint  de  Rimini  à  Ancône  pour  assiéger  cette  forteresse 
du  pape,  Rainald  et  Christian  furent  envoyés  dans  les  Etats 
de  l'Église,  et  le  premier  réussit,  par  ruse  et  par  force,  à  gagner  à 
Pascal  plusieurs  villes  et  villages  *.  Quelques  villes,  Tusculum 
par  exemple,  se  donnèrent  à  lui  par  haine  des  Romains.  A  Rome, 
le  parti  d'Alexandre  avait  le  dessus,  quoique  Rainald  se  fût  aussi 
fait  à  prix  d'or  beaucoup  d'amis  dans  cette  ville.  Le  pape  dut 
recourir  à  des  emprunts  et  solliciter  des  présents  de  ses  amis, 
pour  distribuer  des  secours  au  peuple  :  il  trouva,  dans  son  em- 
barras, un  aide  particulier  auprès  de  l'empereur  grec  Manuel,  qui 
procura  à  Ancône  tout  ce  qui  était  nécessaire  et  promit  de  faire 
plus  et  surtout  de  rétablir  l'union  des  Eglises,  si  le  pape  con- 
sentait à  le  reconnaître  comme  empereur  d'Occident,  Rien  que 
[655]  défavorable  à  ce  projet,  Alexandre  ne  voulut  pas  repousser 
l'empereur  Manuel  :  il  envoya  donc  à  Constantinople  le  cardinal- 
évêque  d'Ostie  avec  l'ambassadeur  impérialJordan  pour  y  entre- 
tenir la  conversation;  en  même  temps  que,  dans  les  premiers  mois 
de  l'année  1167,  il  renouvelait,  dans  un  concile  tenuau  Latran,  la 
sentence  d'excommunication  et  de  déposition  contre    Frédéric  ^. 


1.  Chalandon,  op.  cil.,  t.  11,  p.  358  sq.  (H.  L.) 

2.  Au  sujet  de  cette  quatrième  expédition  de  l'empereur,  cf.  Tourtual,  Das 
Schismn,  p.  341  sq. 

3.  Marangone,  Cron.  Pisana,  dans  Watterich,  op.  cil.,  t.  11,  p.  559, 

4.  Sur  l'itinéraire  de  l'empereur,  de  Rainald  et  de  Christian,  puis  sur  la  pré- 
tendue expédition  de  l'empereur  à  travers  la  Tuscie  et  sur  le  siège  d'Ancône  au 
printemps  de  1167,  cf.  T ourtual,  Forschungen  zur  Reichs-  uncl  Kirchengeschichte, 
p.  49  sq.,  125  sq. 

5.  Pagi,    Crilica  ad  ann.  II86,  n.  (i;  Hardouin,    Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col. 


1022  LIVRE     XXXIV 

Au  mois  de  mai  11G7,  Rainald  se  Irouvant  tout  près  de 
Rome,  à  Frascati,  les  Romains,  (jui  avaient  une  immense  supé- 
riorité numérique,  attaquèrent  sa  petite  armée.  Rainald,  en  dé- 
tresse, envoya  à  Ancône  demander  main-forte.  Les  princes  du 
conseil  de  guerre  de  l'empereur,  peut-être  par  jalousie  contre 
Rainald,  refusaient  d'abandonner  le  siè^e  d' Ancône  et  d'envover 
du  secours  à  l'archevêque  de  Cologne,  lorsque  Christian  de 
Mayence  vint  le  trouver  avec  cinq  cents  cavaliers  et  huit  cents 
fantassins  ^.  Lorsque  Christian  et  Rainald  voulurent  traiter  avec 
les  Romains  en  vue  d'un  armistice,  ceux-ci  raillèrent  les  deux 
prêtres  que  l'empereur  avait,  disaient-ils,  envoyés  pour  leur  dire 
la  messe;  mais  la  bataille  du  lundi  de  la  Pentecôte,  29  mai 
1167,  se  termina  par  une  épouvantable  défaite  des  Romains. 
Une  panique  générale,  semblable  à  celle  qui  suivit  la  bataille  de 
Cannes,  s'empara  de  Rome,  et  Rainald  aurait  pu  entrer  sans 
obstacle  dans  cette  ville,  si  le  pape  n'avait  gardé  toute  sa  présence 
d'esprit  ^.  Tous  les  environs  prirent  aussitôt  les  armes  contre  la 
Ville  éternelle;  le  siège  d' Ancône  fut  abandonné,  et  dès  le  24  juil- 


1623;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  345;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col. 
33;  Vita  Alexandri,  dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  402  sq.;  Reuter,  op.  cit., 
p.  236-248.  Pendant  ce  séjour  à  Rome,  le  pape  vécut  d'expédients  :  la  fidélité 
des  Romains  voulait  être  grassement  payée.  Dans  sa  lettre  à  Henri,  archevêque 
de  Reims  (Jafîé,  Regesta,  n.  11240),  le  pape  en  fait  l'aveu  :  Multis  et  gravissimis 
quotidie  urgemur  expensis  et  immoderatis  oneribus  aggravamur.  II  demande  de 
l'argent  :  quod  nulla  ratione  oportunius  efpci  posse  videmus  quam  si  urhem  in 
fidelitate  beali  Pétri  et  nostra  servare  poterimus,  et  ne  se  fait  pas  d'illusion  :  quia 
Roma  si  emptorem  inveniret  se  venalem  preberet,  dans  Liber  pontif.,  t.  ii,  p.  414. 
Peu  avant  sa  mort,  Guillaume  pr  de  Sicile  avait  fait  don  au  pape  d'une  somme 
considérable;  la  régente  Marguerite  continua  l'assistance  pécuniaire.  Jean  de 
Salisbury,  Epist.,  cxlv,  P.  L.,  t.  cxcix,  col.  138.  Le  royaume  de  Sicile  et  la 
papauté  avaient  tout  intérêt  à  faire  cause  commune,  surtout  à  cette  date  où  les 
projets  d'agression  de  Barberousse  contre  l'État  normand  étaient  parfaite- 
ment connus  et  lorsque  les  espoirs  fondés  sur  la  ligue  de  Vérone  semblaient 
ne  devoir  pas  donner  ce  qu'on  en  avait  attendu.  Le  pape  n'a  donc  d'espoir  que 
dans  son  voisin  de  Sicile  et  dans  le  basileus  byzantin,  et  ce  dernier  ne  laissait 
pas  de  préoccuper  Barberousse.  (H.  L.) 

1.  Ainsi  que  Tourtual,  op.  cit.,  p.  133,  le  prouve,  ils  vinrent  non  pas  d'Ancône, 
mais  de  Toscane. 

2.  Cf.  Sudendorf,  Reg.,  t.  ii,  p.  146;  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  561  sq.;  Morena, 
ibid.,  p.  564,  le  récit  de  la  victoire,  récit  envoyé  à  Cologne,  par  Rainald;  cf. 
aussi  les  différentes  données  sur  le  nombre  de  Romains  tués  ou  faits  prisonniers. 


629.    DANGER    ET    SALUT    d'aLEXANDRE    III  1023 

let  ^,  l'empereur  se  luuulra  svir  le  Monte  Mario  devant  Rome,  avec 
toute  son  armée.  Après  une  lutte  de  huit  jours,  les  Allemands 
s'emparèrent  d'un  quartier  de  la  ville  et  de  l'église  de  Saint-Pierre, 
à  laquelle  ils  mirent  le  feu;  toutefois,  Alexandre  se  maintint 
de  l'autre  côté  du  Tibre,  et,  grâce  aux  subsides  du  roi  de  Sicile, 
il  remporta  plusieurs  avantages  sur  l'empereur.  Frédéric  Barbe- 
rousse  proposa  alors  un  compromis  :  Alexandre  abdiquerait,  ainsi 
[656]  que  Pascal,  et  les  deux  obédiences  se  mettraient  d'accord  pour 
choisir  un  chef  de  l'Église  2.  La  proposition  était  accompagnée 
d'autres  promesses  ^  :  aussi,  sans  en  traiter  avec  Alexandre,  les  Ro- 
mains l'accueillirent-ils  avec  joie,  Barberousse  espérait  imposer 
au  pape  une  abdication;  mais,  sur  ces  entrefaites,  Alexandre, 
déguisé  en  pèlerin,  parvint  à  gagner  Bénévent,  où  il  se  retrouvait 
en  sûreté  *.  L'empereur  voyait  donc  lui  échapper  celui  qu'il  haïs- 


1.  Morena,  dans  Watterich,  t.  11^  p.  566.  D'après  la  Vila  Alex.  III,  ibid., 
p.  405,  ce  fut  dès  le  19  juillet. 

2.  On  a  soutenu  sans  fondement  que  ces  propositions  avaient  été  transmises 
par  Conrad  de  Mayence,  autorisé  par  le  pape  à  entrer  en  pourparlers  avec  l'em- 
pereur excommunié. 

[Le  texte  de  Boson,  dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  11,  p.  406  sq.,  n'est  pas  aussi 
négligeable  que  cette  remarque  de  Knôpfler  le  ferait  croire  :  Misit  [imperator) 
ad  episcopos  et  cardinales  per  Conradum  Maguntinum  archiepiscopum,  qui  ad 
eum  ex  permissione  Alexandri  papse  iverat,  pacis  i>erha  in  hune  modurn  :  Si  i^os 
apud  Alexandrum  ef]eceritis  quod...  cessH  a  papatu,  ego  cessare  faciam  Guido- 
nem  Cremensem,  et  tune  insimul  conveniant  omnes  ecclesise  personse  et  terliam 
personam  in  summum  pontificem  libère  eligant...  Quod  verbum  ita  populo  favo- 
rabile  fuit  ut  omnes  id  faciendum  esse  uimnimiler  collaudarent...  Episcopi  vero  et 
cardinales...  Frederico  firmissime  responderunt ,  dicentes  :  Non  est  nostrum  judicare 
summum  pontificem,  quem  suo  Deus  judicio  reservai^il,  quoniam,  sicut  atteslalur 
Scriptura,  non  est  discipulus  super  magistrum.  Cum  igitur  populus  vehementer 
instaret  pontifici...,  ab  oculis  eorum  evanuit.  Giesebrecht,  Geschichte  der  deut- 
schen  Kaiserzeit,  1880,  t.  v,  p.  548,  rejette  ce'récit  qui  implique  un  manquement 
de  l'empereur  à  sa  promesse  solennelle  de  Wurzbourg.  Hauck,  Kirchengeschic/ile 
Deulschlands,  t.  iv,  p.  272,  n.  2,  trouve  que  cette  démarche  n'atteint  en  rien  la 
promesse  faite  à  Wurzbourg.   (H.  L.)j 

3.  En  particulier,  la  mise  en  liberté  des  Romains  faits  prisonniers. 

4.  Après  la  défaite  des  Romains  devant  Monteporzio  (Prutz,  op.  cit.,  t.  11, 
p.  72-73;  Reuter,  op.  cit.,  t.  n,  p.  2'i9  sq.),  Alexandre  III  et  ses  cardinaux  durent 
quitter  le  Latran  et  chercher  un  refuge  à  la  Turris  cartularia  sous  la  protection 
des  Frangipani.  «  Dans  ces  circonstances  périlleuses,  la  cour  de  Palerme  n'aban- 
donna pas  le  pape,  car  elle  craignait  de  le  voir  tomber  au  pouvoir  de  l'empereur. 
Deux  vaisseaux  siciliens  réussirent  à  remonter  le  Tibre  et  conduisirent  jusqu'à 
Rome  les  envovés  du  roi  de  Sicile.  Ceux-ci  avaient  mission  de  remettre  au  pape 


1024  LIVRE     XXXIV 

sait  mortellement.  Toutefois  le  départ  d'Alexandre  le  dispensait 
de  demander  à  Pascal  son  abdication;  aussi,  le  29  juillet,  condui- 
sit-il solennellement  ce  dernier  à  Saint-Pierre,  où  il  se  fit  sacrer 
le  l^""  août,  lui  et  sa  femme  Béatrix^.  Les  Romains  durent  jurer 
fidélité  au  pape  Pascal  et  à  l'empereur,  et  on  institua  un  nouveau 
sénat.  Le  triomphe  de  Frédéric  était  complet  ^. 

Mais  dès  le  lendemain  du  couronnement,  le  2  août  1167,  la 
peste  éclata  dans  l'armée  impériale  et  en  peu  de  jours  enleva, 
dit-on,  vingt-cinq  mille  hommes.  Rainald  de  Cologne  (mort  le 
14  août,  après  avoir  reçu  les  sacremenis  avec  des  sentiments  de 
pénitence)  et  Frédéric,  duc  de  Rottenbourg  et  neveu  de  l'empe- 
reur, beaucoup  d'évêcjues  et  de  princes  succombèrent.  Le  6  août, 
l'empereur,  suivi  de  ce  qui  lui  restait  de  troupes  valides,  cjuitta 
Rome  accompagné  de  Pascal.  Mais  l'ange  de  la  mort  le  poursuivit 
dans  sa  retraite,  et  à  Lucques,  Frédéric  dut  abandonner  ses 
dernières  troupes,  débris  d'une  magnifique  armée,  pour  ne  songer 
qu'à   échapper  lui-même  au  danger  ^.  Pascal  était  resté  à  Viterbe 


des  subsides  importants  et  de  lui  offrir  de  l'ommener  hors  de  Rome. Alexandre  III 
hésita  pendant  quelque  temps  sur  le  parti  à  prendre  et  fit  attendre  durant 
huit  jours  les  galères  siciliennes;  finalement,  le  pape  vit  qu'il  pourrait  se  main- 
tenir dans  Rome;  il  se  décida  donc  à  y  demeurer  et  profita  de  l'argent  mis  a 
sa  disposition  par  Guillaume  II,  pour  mettre  la  ville  en  état  de  défense  et 
faire  des  largesses  aux  Pierleoni  et  aux  Frangipani;  il  n'eut  garde  d'oublier  les 
Romains  et  nous  savons  que  des  sommes  importantes  furent  distribuées  dans 
chacun  des  postes  établis  aux  diverses  portes  de  la  ville.  Toutefois  le  pape 
utilisa  les  vaisseaux  normands  pour  faire  sortir  de  Rome  deux  cardinaux  qu'il 
envoyait,  pour  des  raisons  qui  nous  sont  inconnues,  à  San  Germano.  Au  bout 
de  peu  de  temps,  Alexandre  III,  convaincu  de  l'impossibilité  de  se  maintenir 
dans  Rome,  dut  regretter  le  parti  auquel  il  s'était  arrêté.  Les  Romains,  poussés 
par  les  agents  de  l'empereur,  réclamaient  à  grands  cris  l'abdication  du  pape,  qui 
se  décida  à  quitter  Rome,  où  il  ne  se  trouvait  plus  on  sûreté.  Sous  un  costume 
de  pèlerin,  Alexandre  III  réussit  à  s'enfuir  et,  par  Terracine  et  Gaëte,  gagna 
Bénévent.  »  F.  Chalandon,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  362;  Vita  Alexandri,  dans  Lih.  ponti- 
ficalis,  t.  II,  p.  417;  Romuald  de  Salerne,  dans  Monum.Germ.  hist.,  t.  xix,  p.  43G; 
Annal.  Ceccon.,  ibid.,  p.  285.  (H.  L.) 

1.  Pour  l'empereur,  ce  n'était  qu'une  répétition  de  son  couronnement  qui 
avait  déjà  eu  lieu  en  1155,  par  le  pape  Hadrien  IV;  mais  Béatrix  n'avait  pas 
encore  été  sacrée. 

2.  Jean  de  Salisbury,  Epist.,  cci,  écrit  :  Jam  vldehatur  de  urbe  et  orbe  et  uni- 
versali  Ecclesia  triumphasse;  Reuter,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  248,  266;  Ficker,  op.  cit., 
p.  108  sq.;  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  404,  568  sq. 

3.  Sur  cette  peste,  cf.  Annal.  Laud.,  dans  Monum.Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvin, 
p.  655  sq.;  Godefroi  de  Viterbe,  Carmen  de  gestis  Friderici  imperatoris,\s.  625  sq.; 


GJ'.I.       DANGKK     J:T     SALUT     u' A  L  EX  A  N  U  lî  i:     III  1025 

eu  bonne  saiitr.  Ainsi  s'était  accomplie  à  la  leLlie  la  |)ioi)hétie 
d'Alexandre,  de  Jean  de  Salisb\iry  el  des  autres  chefs  du  parti 
légitiniiste  ^.  Celle  elnilc  subite,  épouvantable,  sinistre,  de  la  plus 
haute  prospérité  à  la  détresse  la  jdiis  ])rofonde.  apparut  à  tous 
comme  une  punition  de  Dieu  el  releva  le  courage  des  partisans 
d'Alexandre  autant  qu'elle  ahallit  leurs  adversaires.  Les  Lom- 
bards, qui  naguère,  ])endaut  le  siège  d'Ancône.  avaient  préparé 
une  insurrection  et  commencé  à  relever  Milan  ".  se  révoltèrent 
[(j57]  ouvertement,  chassèrent  les  amis  et  les  ])aiiisaiis  de  lenipereur 
et  tra\  aillèicul  à  i'er(Ui(juétir  leurs  anciennes  liherl  es  •'.  I  .e  iioni- 
hrc  des  résultés  s'îiccrui  lapidement,  et  le  l*^"^  décembre  111)7, 
la  grande  ligue  lombarde  comptait  déjà  treize  villes,  parmi  les- 
t|uelles  Lodi  elle-même  qui,  gagnée  par  d'importantes  promesses, 
avait  adhéré  à  l'Union'*,  ('/est  à  grand'pcine  que  l'empereur,  sou- 
tenu par  quelques  princes  et  quelques  villes  de  la  llautc-llalic 
et  ne  disposani  que  d'une  armée  de  pillards,  levée  à 
la  hàle,  put  se  soutenir  dans  la  péninsule  pisqu  au  mois  de 
mars  de  l'année  suivante  '^.  Sa  tentative  pour  s'emjjarer  de 
la  Lombardie  échoua  complètement;  il  dut  feindre  de  vou- 
loir   se  réconcilier    avec  l' l'église,    recourir  à  un  déguisement    et, 


liosu,  i  ita  Alexandii,  dans  VVatlericli.  op.  cit..  l.  ii,  p.  Wil  :  Aninil.  Weingut. 
Welfici,  dans  Monurn.  Gerrn.  liist.,  Script.,  i.  xxi,  p.  471;  C/tron.  Mcii^ni  Rei- 
chersp.,  ad  ann.  tl67^  dans  Monuin.  Gerrn.  hisl..  Script.,  i.  x\ii,  |i.  'i89;  Annal, 
('ulon.  maxinii,  dans  Motiian.  Gerni.  liist.,  Script.,  t.  xvii^  p.  781  sq.;  Roniuald 
de  SalernCj  Annales,  dans  Monunt.  Gerin.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  'jcfti  :  Deus 
auleni  iiijuriain  apostolo  Petro  illatam  et  ecclesise  suse  violationent  condii^na  pena 
tnidclavil,  nam  incontinenti  morlalitas  maxima  exercitum  imperatoris  inva^it.  ila 
ijiiud  cancellarius  et  Carolus  Conradi  filius  et  inuUi  nohiles  el  maxima  pars  exer- 
rilus  sui  in  hrevi  spatio  temporis  intcriit.  Quod  imperator  ridcn.s  et  Dei  vindictam 
niani/esle  cognoscens,  relicto  apud  L  rhcm  pnejecto,  vix  ciim  paucis  Iristis  et  tnœrens 
in  Alemaniam  rediit.  (H.  L.) 

1.  Cf.  Wâtterich,  op.  cit.,  l.  ii,  p.  408,  570  sq.  et  note  5. 

1.'.  Wattcrich,  up.  cit.,  t.  ii,  p.  403,  558,  560.  La  ligue  fut  fondée  Je  7  avril 
1167.  Cf.  Touitual,  Forschungen,  p.  94  sq.[Dès  le  8  mars  1167,un  traité  d'alliance 
avait  été  signé  entre  Crémone,  Bergainc,  Manloue  et  Plaisance;  Milan  s'y  joignit 
au  début  d'avril.  Anon.  Luudun.  Cont.,  dans  Monurn.  Gerrn.  hist.,  Script., 
t.  xvin,  p.  646;  Prutz^  op.  cit.,  l.  ii,  p.  55  sq.  (H.  L.)] 

•'{.  Les  premiers  actes  des  villes  alliées  furenl  de  l'aire  i-iHntégrer  les  Milanais 
à  Milan  et  d'obliger  ceux  de  l^odi  à  traiter.  PiiiLz,  uf).  cit.,  t.  ii,  p.  59-63.  (H.  L.) 

4.  Cf.  le  serment  des  ligueurs  dans  Muralori.  Antiq.,  t.  iv,  p.  261;  VVatterichj 
op.  cit.,  t.  II,  ]>.  573  sq.  ;  cf.  aussi  Toiutuul,  Forschungen,  [>.  94. 

5.  Prulz,  op.  cit.,  t.  u,  p.  96-99. 

CONCILES    —    V    —  00 


J02*i 


LIVRI':     XXX  IV 


;i\cc  Lino  laibh;  esixnic.  parvint  à  gagner  l'Allenuiguc  par  le  Pié- 
laoul  el,  la  Bourgogne  ^  Son  départ  ne  lit  que  fortiCicr  la  ligue,  et  les 
villes  ([ui  avaient  secoiuu  l'empereur  furent  jxiuics  ou  menacées. 
Le  pape  était  ouvertement  entré  clans  la  ligue,  pour  soutenir  contre 
l'absolutisme  impérial  la  liberté  civile  aussi  bien  (]iie  la  liberté 
ecclésiasti(|ue  ;  [il  en  fut  reionnu  le  chef  h;  J*^'''  nuii  llt)8]  ^  et  bâtit 
Alexandrie  (1168),  la  Rome  lombarde  dont  les  consuls  devaient 
jurer  fidélité  au  pape  et  qui  fut  dès  l'origine  un  hommage  à  Alexan- 
dre, un  dé  il  à  l'empereur  et  le  boulevard  de  la  lllx'rlé  italienne  ^. 
On  pense  bien  qu'à  Rome  les  esprits  étaient  retournés  depuis  le  mal- 
heur qui  avait  fra[)pé  Barberousse.  Le  parti  d'Alexandre,  à  la 
I  été  du([uel  se  trouvait  son  vicaire  Gautier,  cardinal-évèque  d'AI- 
bano,  réoccupa  la  plus  grande  partie  de  la  ville,  tandis  (jue  Pascal 
se  maintenait  dans  une  forte  tour  du  Transtévère.  On  pria  à  plu- 
sieurs reprises  Alexandre  de  revenir  dans  la  ville;  mais  celui-ci, 
se  méfiant  des  Romains,  resta  à  Bénévent  et  transporta  suc- 
cessivement sa  résidence  à  Yéroli,  à  Frascati,  à  Anagni  et    ailleurs. 


1.  Au  sujet  des  tentatives  de  médiation  du  chartreux  Théodoric  de  Silva 
benedicta  près  do  Grenoble,  cf.  Forsdt.  zur  deutsclten.  Gescli.,  t.  xviii^  p.  171. 
Cf.  aussi  Joli.  Saresb.,  dans  Watterich^  op.  cit.,  t.  ii^  p.  575  sq.  [L'enapereur  ne 
traversa  les  Alpes  qu'avec  de  grandes  difficultés;  pour  obtenir  le  passage,  il 
dut  faire  à  Humbert  III,  comte  de  Mauriennc,  de  larges  concessions  et  il  s'eji 
fallut  de  peu  qu'à  Suze  il  ne  fût  fait  prisonnier.  Prutz,  op.  cit.,  t.  \i,  p.  104.  En 
Allemagne,  le  retentissement  de  cette  débâcle  ne  fut  pas  moins  grand  qu'en 
Italie,  les  troubles  éclatèrent  sur  divers  points  et  mirent  pendant  dix  ans  Fré- 
déric hors  d'état  de  songer  à  prendre  sa  revanche  en  Italie.  Prut/,  op.  cit.,  t.  ii, 
p.  115.   (H.  L.)] 

2.  Sur  les  rapports  du  pape  avec  la  ligue,  cf.  Jean  de  Salisbury,  Epiât., 
ccLxxxviii,  dans  P.  L.,  t.  cxcix,  col.  329;  Vita  Alexandri,  dans  Liber  ponlifi- 
calis,  t.  II,  p.  418;  Prutz,  op.  cit.,  l.  u,  p.  94  à  108;  Reuter,  op.  cit.,  t.  ii, 
p.  276  sq.;  Aiwii.  Laudun.  Cont.  Ollonis  Moveme,  dans  Monuvi.  Germ.  lUsl., 
Script.,  t.  XVIII,  p.  646;  C.  Vignati,  Sioria  diplomaties  délia  Lega  lombarda, 
in-8,  Milano,  1866,  p.  109-111;  Giesebrccht,  op.  cit.,  1880,  t.  v,  p.  564  sq.  ; 
Giesebrecht-Simpson,  op.  cit.,  1895,  t.  vx,  p.  474  sq.  (H.  L.) 

3.  Muratori,  Anliquitat.,  t.  v,  p.  833.  Sur  la  fondation  d'Alexandrie,  cf.  Prutz, 
op.  cit.,  t.  II,  p.  352  sq. ;  Beil.  \i;\Die  Grïmduiig  Alessandrias;  Boso,  dans 
Watterich,  Vitae  ponlif.  rom.,  t.  ii,  p.  409;  Annal.  Colon,  mcucimi,  dans 
Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvii,  p.  787;  Cont.  Acquic,  dans  Monum. 
Germ.  hist..  Script.,  t.  vr,  p.  413;  Romoaldus,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script., 
t.  XIX,  p.  440;  Godefroi  de  Viterbe,  Gaz-men  de  gestis  Friderici  imperat.,  dans 
Monum.  Germ.  hist.,  t.  xxii,  p.  326,  vs.  838  sq.  Cf.  Griif,  Die  Grundung 
Alessandrias,  in-8j   1887.   (H.  L.) 


63  U.     LUTTLS   i:t   MO  in    Di;   tho.mas     ukckki  1U27 

Il  lie  it'\  inl  à  Kuiut'  puiir  im  t  ciiiits  assez  couiL  tiu'eii  J 178  cl  I  1  79, 
pour  y  eélébrer  le  onzième  synode  œcuménique. 
[658]  Les  événements  (jiie  nous  venons  de  raconter  eurent  encore 
pour  résultat  de  faire  sortir  du  scliisme  le  Danemark;  Eskyll, 
archevêque  de  Lund.  fut  rappelé.  Mais  en  Allemagne  le  [larti 
schismatique  n'abdiqua  pas  aussi  facilement  ^. 


630.  Luttes  et  mort  de  Thomas  Becket. 

»(-oiiliant  dans  la  possibilité  d'un  accord  entre  1' l'.,giisc  anglaise 
cL  le  roi,  le  pape  Alexandre  avait  toujours  empêché  Thomas  Becket 
de  prendre  des  mesures  de  rigueur  contre  le  roi  d'Angleterre  et 
ses  partisans.  Mais  après  l'été  de  1165,  lorsque  Henri  II  se 
fut  lié  si  intimement  avec  Frédéric,  jusqu'à  approuver  les  déci- 
sions de  la  diète  de  Wurzbourg,  le  pape  crut  pouvoir,  sur  un  point 
du  moins,  se  ranger  aux  plans  de  Becket  et  lui  permit,  au  début 
de  l'année  1166,  de  procéder  contre  ceux  qui  avaient  reçu  du  roi 
l'administration  et  la  jouissance  des  biens  de  l'église  de 
Cantorbérv  et  des  autres  sièges  dont  les  titulaires  avaient  été 
exilés  avec  Thomas  Becket  ^.  Ce  dernier  intima  aussitôt 
à  ses  sufîragants,  en  particulier  à  Gilbert  Folioth,  évèque 
de  Londres,  plus  spécialement  compromis,  d'avoir  à  resti- 
I  uer.  sous  peine  d'excommunication,  dans  le  délai  de  deux 
mois,  ces  biens  ecclésiastiques,  et  à  notifier  cette  sentence 
à  leurs  diocésains  ^.  Cette  première  mesure  dut  être  un 
avertissement  pour  le  roi  d'Angleterre  et  pour  ses  évêques  : 
chacun  dut  se  dire  qu'on  entrait  dans  la  voie  de  l'irrémédiable. 
On  s'efforça  de  trouver  un  expédient  pour  paralyser  les 
actes  futurs  du  primat,  et  le  rusé  Gilbert  déclara  que  le  meil- 
leur était  un  appel  au  pape.  D'accord  avec  cjuelques  autres 
évêques,  il  émit  cet  appel  au  commencement  du  carême  de  1166  et 
le  iit  connaître  à  Thomas  Becket,  sans  cependant  mentionner 
[659]  la   dernière    ordonnance    archiépiscopale,    qui   avait    motivé   cet 


1.  Reuter,  op.  cil.,  p.  266-284;  Ficker,  op.  cil.,  p.  ll'i. 

2.  Alexandre  III,  Episl.,  cccxciii,  P.  L.,  t.  ce,  col.  413;  cdit.  Gilus,  t.  iv,  p.  12; 
Reuter,  op.  cil.,  t.  ii,  j).  288,  5'Jl  ;  Buss,  op.  cil.,  p.  393  gq. 

3.  P.  L.,  i.  cxc,  col.  608;  cdil.  Giles,  l.  iii^  p.  290,  Episl.,  cxx.xi. 


1028 


ii\iu:    xxxiv 


a])])cP.  l'^ii  inèinc  Leiiijis.  jKiiii  se  (iuimer.  aux  yeux  du  pape  et  du 
loi,  les  apparences  de  lenue  correcte,  il  demanda  i)ubliquenient 
au  roi  de  lui  retirer  l'administration  des  éolises  qui  ne  lui  apparte- 
naient [)as,  et  de  lui  laisser  mettre  en  dépôt  les  revenus  qu'il  avait 
tirés  de  ces  églises.  Il  demanda  aussi  un  traitement  indulirent 
pour  les    [)arfisans  de  Thomas  Becket  -. 

A  Pâques  de  11tj(J,le  jjape,  accédant  à  une  demande  de  Becket 
(jui  eut  de  graves  conséquences,  le  nomma  légat  apostolique  pour 
l'Angleterre,  à  l'exception  du  siège  métropolitain  d'York^.  C'était 
l'armer  de    pied    en    cap;    car    le    |)rimal.    dans    sa   lutte    contre 
ses     ennemis,     pouvait,     utiliser     uou      seulemeul     son      autorité 
canonique,  nuiis  encore  les  j)leins  ])ouvoirs  à  lui    conliés  par    le 
])apc.    Presque    aussitôt,     le    .")     mai.    le     pape    renouvela,    dans 
une   lettre   à    (Ulhert   de    Londres   et   à   ses   collègues,   l'iu'dre   de 
restituer  les  biens  de  l'Eglise  •*.  Alexandre  semble  cependant    avoir 
liésité  à  faire  connaître  la   nouvelle   dignité   accordée    au   primai, 
cl     il    vouhil      d'abord     essayer    des     moyens    de     conciliation. 
Le  1(J  mai.    il  priait   les    archevêques  de  Rouen  et    de    Bordeaux 
d'engager  une  fois  d(.'  plus  le  roi  à  Jumurer  l'Eglise  romaine  et   à 
lendre  justice   à   Thomas";   de   son   côté,  ce   dernier  demanda    à 
l'impératrice  douairière  Mathilde,    tant    par  lettres  cjue  par     son 
ami  Nicolas  de  l'Hôpital  à  Rouen,  de  s'entremettre  auprès  de  son 
lils  Henri  IL  Jean  de  Salisbury  et  d'autres  amis  de  Becket  expri- 
mèrent aussi  le  vœu  d'une  solution  pacifique.    L'archevêque    de 
Cantorbéry  crut  néanmoins  nécessaire  un  nouvel  acte   de  rigueur 
et,  dans  une  lettre  à  l'archevêque  de  Rouen,  il  menaça  le  roi  de 
l'excommunication  s'il  s'opiniàtrait  ^.   Dès  qu'il  connut    ce  déli, 
Henri  II  réunit  à  Chinon,  près  de  Tours,  les  grands  de  son  royaume, 
]>rélats  et  barons.   Dans  l'assemblée,  il  s'emporta  contre  Becket 
avec  sa   rudesse   habituelle,   disant  que  l'archevêque  voulait  lui 
ravir  le  corps  et  l'àme  et  appela  traîtres  tous  ceux  qui  l'entouraient  ' 

parce  qu'aucun  d'eux  ne  voulait  le  délivrer  de  cet  homme.  On    [660] 
sait  que,  quatre  ans  plus  tard,  cette  même  parole  d'Henri  causa  le 
meurtre  de  Becket.  Pour  le  moment,  on  décida  que  tout  l'épiscopat 

J,   Gilbert  Foliolli,  Epiai.,  cxc\,  P.  L.,  l.  cxc,  coi.  005;  édit.  Giles,  t.  i,  p.  287. 
2.  Gilbert,  Epist.,  cclxxiv.  édit.  Gilos,  t.  ii,  p.  5;  P.  f,.,  l.  cxc,  col.  952. 
o.  P.  L.,  i.  ce,  col.  412,  Epist.,  cccxcii. 

4.  P.  L.,  l.  ce,  col.  415,  Epist.,  cccxcvn. 

5.  P.  L.,  t.  ce,  col.  417. 
b.   Reuter,  op.  cit.,  p.  294. 


r.oO.      I.TTTTFS      F.T     MORT     D  F.    THOMAS      nF.CKKT  1029 

anglais  émcllrait  mi  appel,  a  lin  de  ruiner  les  plans  de  Bcckel, 
Une  députation  composée  do  Gilbert  de  Londres,  de  Rotrad  de 
Rouen  et  de  l'évêque  de  Séez  se  rendit,  en  toute  hâte  à  Pontigny, 
pour  informer  le  primat  de  cette  décision:  mais  Thomas, 
qui  voulait  les  é\ilei'.  avait  çcaf^né  Boissons  dans  les  derniers 
jours  du  mois  de  mai.  Dans  ee  lieu  célèbre  ]»ar  ses  p(MerinaQ;es 
et,  en  particulier,  au  lumliean  de  saint  Uiansius  (mort  en 
675  évêque  de  Soissons  et  i^ilron  des  combattants),  il  voulait  se 
préparer  aux  luttes  prochaines.  De  là,  il  vini  à  \'ézelay  en  Bourgo- 
gne, où,  le  jour  de  la  l^entecôte,  12  juin  (d'après  Herbert  de 
Bosham,  le  22  juillet,  fête  de  sainte  ^ladeleine),  il  monta  en  chaire 
et  exposa  au  peuple  l'histoire  du  conflit  d'Angleterre.  11  condamna 
les  consjietudines  avitie  et  les  constitutions  de  Clarendon, 
délia  de  leurs  serments  tous  ceux  qui  les  avaient  jurées,  et, 
après  avoir  menacé  des  peines  ecclésiastiques  ceux  qui  les 
observeraient  à  l'avenir,  prononça  une  sentence  solennelle 
d'excommunication  contre  le  grand  juge  royal  Richard  de  laiei 
et  Joeelin  de  Baillol  (les  deux  principaiix  fauteurs  de  la 
constitution  de  Clarendon),  Jean  d'Oxford  et  Richard  de 
Ilchester  (les  ambassadeurs  à  la  diète  de  Wurzbourg),  enfin 
plusieurs  seigneurs  et  d'autres  officiers  royaux,  soit  qu'ils 
fussent  détenteurs  des  biens  des  églises,  soit  qu'ils  retinssent  pri- 
sonniers ses  partisans.  Il  suspendit  en  même  temps  Joeelin, 
évêque  de  Salisbury,  qui  contre  tout  droit  avait  nommé  .lean 
d'Oxford  doven  de  son  église  !  en  terminant,  il  engagea  énergi- 
quement  le  roi  à  faire  pénitence,  s'il  ne  voulait  lui-même  être 
frappé  de  l'anathème.  Puis  il  manda  sans  délai  aux  évêques 
anglais  ce  ({u'il  venait  de  faire,  les  invitant  à  suivi'e  son  exemple  ^, 
A  cette  nouvelle,  le  roi  ordonna  à  son  grand  juge,  son  lieu- 
tenant en  Angleterre,  pendant  que  lui-même  était  sur  le 
continent,  de  surveiller  plus  étroitement  tous  les  ports  el 
toutes  les  entrées  du  royaume,  pour  ne  laisser  introduire  dans 
l'île  aucun  décret  du  primat.  Le  juge  devait,  en  revanche,  pu- 
blier partout  les  décisions  de  l'assemblée  de  Lhinon,  afin  d'infir- 
mer d'avance  toutes  les  ordonnances  possibles  de  Bccket; 
enfin  il  engagerait  les  évêques,  abbés,  etc.,  du  royaume  à 
faire  contre  le  ]irimnt  um*  sorte  de  pétition  générale.  Ceux- 
ci    se   réunirent    en    un    synode    à    Lundics.    le    '1\    join     (fête    de 

1.   Renter.  op.  rit.,  p.  20r.-.'inn.  .".02:  tiiiss,  op.  cil.,  p.  397. 


1030 


LIVRE     XXXIV 


saini  Jean-Baptiste)  1166,  et,  une  fois  de  phis,  en  appelèrent  su  rgo 
pape  delà  dernière  ordonnance  de  Becket.  L'âme  de  cette  opposi- 
tion, plus  menaçante  de  jour  en  jour,  était  Gilbert,  évoque  de 
Londres.  La  lettre  synodale  adressée  au  pape  contient,  avec 
l'éloge  du  roi,  celui  des  constitutions  de  Clarendon;  Henri  II, 
assure-t-on,  s'était  montré  disposé  à  des  concessions  envers  Rome 
cl  à  des  ïTiodifications  aux  statuts,  mais  Thomas  avait  tout 
perdu  par  ses  excès.  La  lettre  des  évêques  au  primat  était  bles- 
sante :  on  l'informait  de  l'appel,  et  après  l'avoir  accusé  de  lu 
plus  noire  ingratitude  à  l'égard  du  roi,  on  le  rendait  responsable 
(les  maux  futurs,  si  le  roi,  ])ar  la  faute  de  Becket,  embras- 
sait le  schisme  ^, 

Ces  lettres  parties,  le  30  juin  1166,  l'encyclique  du  pape 
décernant  la  dignité  de  légat  à  Thomas  Becket  et  une  lettre 
de  ce  dernier  vinrent  aux  mains  de  Gilbert  de  Londres,  qui,  épou- 
vanté de  la  tournure  que  prenait  l'affaire,  revint  en  toute  hâte 
auprès  du  roi,  n'espérant  trouver  que  là  pleine  sécurité  pour 
sa  personne.  Dans  une  lettre  postérieure,  Thomas  défendait  la 
conduite  de  toute  sa  vie  contre  les  reproches  de  Gilbert  et  de 
ses  pareils,  et  faisait  aux  évêques  anglais  les  représentations 
les  plus  sérieuses.  Gilbert  répondit  par  de  violentes  invectives 
contre  Becket,  qu'il  s'efforçait  de  noircir  ^.  Ce  fut  alors  que  le 
roi  d'Angleterre  écrivit  à  Rainald  de  Cologne  la  lettre  citée 
plus  haut,  dans  le  but  évident  d'effrayer  le  pape,  par  la 
menace  de  passer  au  schisme,  si  Alexandre  n'acceptait  pas 
son  ultimaUim.  Il  n'envoya  pas,  du  reste,  les  messagers  désignés 
dans  cette  lettre,  mais  trois  autres  :  Jean  d'Oxford,  Jean  Cumin 
et  Raoul  de  Tamworth.  Ces  personnages  arrivèrent  à  Rome 
(été  de  1166)  en  même  temps  que  les  envoyés  de  Becket  et  ceux 
des  évêques  anglais.  Jean  d'Oxford,  précédant  ses  collègues,  arriva 
le  ]iremier  à  Rome,  où  il  négocia  avec  une  politesse  et  des  formes 
((ui  n'avaient  rien  de  commun  avec  le  ton  hautain  de  la  lettre  du 
roi  d'Angleterre  à  Rainald  de  Cologne.  Il  n'était  plus  question  [662] 
iV iilfimatinii  ni  d'adhésion  au  schisme;  on  protestait,  au  contraire, 


1.  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.   '2,  col.  1619;   Coleti,  Concilia,    l.  xm  1 
col.  3.S7  sq.  ;  Mansi^  Conc.  arnpliss.  coll.,  t.  xxu,  col.  26:  P.  L..  t.  ce,  col.  1401  ; 
t.  cxc,  col.  lO'iO;  Reuter,  op.  cit.,  p.  303-307. 

2.  P.  /...  l.  rxc,  col.  336,  892;    Router,  op.  cil.,  p.  308-313. 


630,      LUTTES      F.T    AIORT     DE    THOMAS     BECKET  10'j1 

vouloir  soumettre  à  la  décision  du  pape  le  conflit  avec  Beckel  et 
l'affaire  des  constitutions  de  Clarendon.  Jean  d'Oxford  n'avait  pas 
oublié  de  se  munir  de  beaucoup  d'argent  destiné  à  augmenter  et 
à  fortifier  le  parti  anglais  parmi  les  cardinaux.  Excommunié  par 
Becket,  depuis  Wurzbourg,  il  demanda  tout  d'abord  à  être  relevé 
de   cette    censure    qui,  d'après   lui,  était  injuste,  car  il  protestait 

«n'avoir  fait  à  Wurzbourg  rien  qui  pût  léser  les  droits  du  Saint- 
Siège.  En  vain  les  envoyés  et  les  lettres  de  Becket  dévoilèrent- 
ils  le  véritable  état  des  choses  :  comme  Jean  protestait  par 
serment  de  la  vérité  de  ce  qu'il  avançait,  il  olitint  l'absohition 
désirée  et  en  même  temps  son  investiture  comme  doyen  de  Salis- 
bury.  Ayant  ainsi  gagné  du  terrain  et  fait  assez  résonner  cette 
proposition,  toujours  flatteuse  à  des  oreilles  romaines  :  «  C'est 
au  pape  à  décider  sur  toute  l'affaire,  voilà  pourquoi  on  a  émis 
dernièrement  cet  appel,  »  il  formula  une  demande,  très  simple 
en  apparence,  au  fond  très  importante  :  le  pape  enverrait  en 
Angleterre  des  légats  munis  de  pleins  pouvoirs  et  qui  jugeraient 
sans  appel.  Les  deux  autres  ambassadeurs  anglais,  arrivés  vm 
peu  plus  tard,  remirent  une  nouvelle  lettre  de  leur  maître.  Dans 
les  formes  les  plus  courtoises,  Henri  demandait  au  pape  l'envoi 
de  légats  dans  son  royaume  et  désignait  les  cardinaux  Guil- 
laume de  Pavie  et  Otton  comme  ceux  qu'il  recevrait  avec  le 
plus  de  plaisir  ^.  Accepter  cette  proposition,  c'était  pour  le 
pape  se  désister  de  l'affaire  et  sacrifier  Becket,  qui  fit  d'éner- 
giques représentations.  Toutefois,  Alexandre,  très  besogneux 
des  secours  pécuniaires  de  l'Angleterre  (denier  de  Saint-Pierre) 
et  continuellement  harcelé  par  les  cardinaux  favorables  à 
Henri  II  —  ils  l'étaient  presque  tous  ^,  —  finit  par  accorder 
[663  ]  plus  qu'il  ne  devait  et  au  fond  plus  qu'il  ne  voulait.  Do  là  le  peu 
de  suite  qu'on  note  dans  ses  lettres.  Dans  une  première,  adressée 


1.  Sur  Guillaume  et  Otton.  cf.  Reuter,  op.' cit.,  t.  ii,  p.  392  et  604;  Baronius, 
Annales,  ad  ann.  1167,  n.  63,  s'appuyant  sur  un  passage  de  Jean  de  Salisbury, 
dit  que  le  roi  d'Angleterre  n'avait  désigné  explicitement  que  Guillaume  de  Pavie 
et  qu'Otton  n'avait  été  envoyé  par  le  pape  que  comme  un  correctif.  Mais 
Alexandre  lui-même  dit  dans  sa  lettre  au  roi  dont  nous  allons  parler  :  Quutn 
fratrum  nostrorum,  et  eorum  prseserlini,  qiws  lu  desideras,  prœsenfia,  etc.  Auprès 
des  amis  de  Thomas  Becket,  Otton  avait  meilleure  réputation  que  Guillaume. 

2.  Il  n'y  eut  à  rester  incorruptibles  que  les  cardinaux  Humbald,  Hyacinthe 
et  Conrad  de  Wittelsbach,  l'archevêque  exilé  de  Mayenre.  Baronius,  Annales, 
ad  ann.  1167.  n.  67-69;  Retiter,  op.  cil.,  t.  ii,  p.  321  sq. 


1032  1.1  VRK     XNMV 

à  llt'iiii,  2(*  décembre  llGCi,  il  assure  dans  les  termes  les  plus 
polis  qu'avec  ses  cardinaux  il  a  fait  loul  ce  qui  est  possible 
afin  de  se  conformer  à  la  volonté  du  roi,  dont  il  a  constaté  l'atta- 
chemenl,  à  des  époques  de  grande  détresse.  Aussi  a-t-il  désigné 
comme  légats  pour  l'Angleterre  ceux  que  le  roi  lui  a  indiqués, 
((uoique  l'on  piit  à  grand'peine  se  passer  d'eux  à  Rome.  Ils  ont  pour 
mission  (rexaminer  et  do  résoudre,  avec  des  pouvoirs  illimités, 
les  diUicultés  survenues  entre  le  roi  et  ranlievéque  de  Cantorbéry. 
entre  ce  dernier  r\  les  autres  évèques  anglais.  11  a  défendu  à 
l'archevêque  de  troubler  le  roi  ou  le  royaume,  jusqu'à  la  solu- 
lion  à  intervenir;  sinon,  tous  ses  arrêts  seront  sans  valeur.  Le 
roi  ne  doit  cependant  publier  cette  lettre  que  si  la  nécessité 
l'exisfe.  Ouant  à  l'excommunication  dont  Becket  a  frappé  les 
conseillers  royaux,  etc.,  un  légat  du  pape  pourra  les  en  relever; 
mais,  en  cas  d'urgence,  pour  cause  de  maladie,  tout  autre  prêtre 
pourrait  eu  absoudre.  Les  légats  recevront  l'ordre  de  partir 
pour  l'Angleterre  vers  Noël  ^. 

Le  pape  écrivit  aussi  en  même  temps  à  Becket;  mais  quel  con- 
traste !  Il  passe  sous  silence  le  principal,  c'est-à-dire  la  mission 
des  légats,  et  tout  ce  que  pouvaient  avoir  de  blessant  pour  Thomas 
les  concessions  qu'il  venait  de  faire.  Aussi  la  lettre  ne  com- 
prend-elle que  quelques  lignes  :  «  Le  pape  s'est  décidé  à  engager 
de  nouveau  le  roi  d'Angleterre,  par  lettre  et  par  ambassadeurs, 
à  se  réconcilier  avec  Thomas  (quel  faux  jour  donné  à  cette 
alîaire  !).  On  peut  espérer  que  le  souverain  lui  rendra  son  église. 
Il  devra  donc  ne  rien  faire  contre  le  roi  et  ses  partisans  durant 
tout  le  temps  des  négociations  (  !  ).  Si  le  rcù  n'acceptait  pas  les 
propositions  des  légats,  Thomas  devra,  autant  que  possible,  sau- 
vegarder ses  droits  et  sa  dignité.  Cette  lettre  devra  être  tenue 
secrète  ^.  » 

Jean  d'Oxford  fut  de  retour  en  Angleterre  avant  l'arrivée  des 
légats  du  pape:il  se  vanta  partout  des  grands  avantages  obtenus  et 
annonça  la  prochaine  déposition  du  primai.  Il  déclara  également 
que  tous  ceux  ([ui  avaient  été  excommuniés  par  Becket  étaient 
relevés  de  cette  sentence;  le  roi.  de  son  côté,  se  glorifia  d'avoir  [C)M 
toute  la  curie  à  sa  disposition. 

Sur   ces   entrefaites.  lecha]utre  nénéral  de  Cîteaux  s'étant    tenu 


1.  P.  /..,  I.  cr.  col.  ^i26. 

2.  f\  A..,  t.  ce.  roi.  'i27;  Rontor,  op.  cil.,  p.  323. 


CnO.      l.riTP.S     FT      MOr.T     DF     TIIOM  \S     HFCKFT  1033 

le  14  septomhro  I16li,  Henri  11  avait  lail  menacer  d'expul- 
ser d'Anp;loterre  Ions  les  moines  de  eet  ordre,  si  Becket  était 
héberfié  plus  lonp;temps  à  Pontign\  .  I /archevêque  de  Cantorbéry 
quitta  volontairement,  mais  non  sans  tristesse,  cet  asile  e1.  avec  l'a- 
grément (lu  roi  (If  France,  vint  demeurer  à  Sens,  nù  peu  auparavant 
le  pape  a^■ail  aussi  trouvé  asile.  Hugues,  anlicx  rrjue  de  Sens,  le 
recul  avec  de  i/ranrls  lionneiirs;  le  roi  Louis  pourvu t  largement 
à  son  entretien  et  lui  lit  plusieurs  visites.  Ensenihle  ils  iormulaieni 
leurs  plaintes  sur  la  faiblesse  de  Rome  pour  le  roi  d'A  n 
gleterre.  Les  deux  ambassadeurs  anglais,  Cumin  et  Tamworth- 
venaient  en  eiïet  d'arriver  de  Rome,  et  à  Tours,  où  ils  s"ai'- 
rétèrenl  (juelqiie  tem])S  ^  ils  donnèrent  l)eaucou])  de  détails. 
vrais  ou  faux,  à  propos  de  la  victoire  remportée  siu"  Becket. 
Le  contenu  de  la  lettre  secrète  du  pape  au  roi  d'Angleterre 
commença  alors  à  transpirer  dans  le  public.  Le  roi.  le  clergé 
et  le  peuple  de  France  prirent  parti  pour  Thomas  Becket.  et  ce 
fut  comme  un  concert  de  plaintes  contre  le  pape  et  contre  la  curie. 
On  attendait  avec  impatience  l'arrivée  des  légats  ;ceux-ci.  annoncés 
pour  les  approches  de  la  nouvelle  année,  ne  quittèrent  Rome  que 
vers  le  milieu  de  mars.  L'un  d'entre  eux.  (  )tt  on,  venu  par  la  Haute- 
Italie,  n'arriva  à  Saint-Gilles,  en  Provence,  ({u'à  la  mi-avril.  Il  y 
attendait  son  collègue,  qui.  après  un  détour  jusqu'en  Sicile,  s'em- 
barqua pour  gagner  la  France.  Le  pape  avait  remis  à  ces  ambas- 
sadeurs trois  lettres,  pour  le  roi  d'Angleterre,  pour  le  roi  de  France 
et  po\ir  Thomas  Becket.  Aux  termes  de  la  première,  «sur  les 
désirs  du  roi.  le  pape  env(»ie  comme  légats  pour  la  partie  du 
royaume  située  au  d(dà  du  détroit.  cist)}ariua  fe/va,  ses  chers  fils 
les  cardinaux  Guillaume  et  Otton,  pourvus  de  pouvoirs  illimités 
pour  faire  une  enquête  [cognoscendi)  sur  les  questions  mentionnées 
dans  ses  lettres  précédentes.  Ces  jjouvoirs  sont  aussi  étendus 
que  les  plus  larges  donnés  par  Roïue  au  légat  le  plus  privilégié  -. 
Il  demande  bon  acciu'il  jxnii  ses  légats  et  ]i<)ur  les  proposi- 
tions qu'ils  feront  de  sa  part  ^.  Enliu  il  prie  le  roi  de  ne 
[tib')]  montrer  cette  lettre  à  personne,  si  ce  n'est  au  //mg/.s/er  Gunter,  » 
La  see(mde  lettre  remerti»'    clialeureuseiuenl   le  roi  de    France    de 


1.  Tours  faisait  partie  alors  des  terres  anglaises  en  France. 

"1.  Pouvoirs  illimités,  mais  non  absolus. 

;!.  Los  pouvoirs  illimités  se  resserrent  peu  à  peu. 


1034  LivnE   XXXI V 

ses  procédés  à  Térrard  do  l'arclievAque  de  Cantorbéry;  il  lui  an- 
nonce l'envol  de  deux  légats  chargés  de  réconcilier  Thomas  et 
Henri  II;  il  termine  en  priant  le  roi  de  France  de  s'entremettre 
entre  les  deux  partis.  Si,  ce  qu'à  Dieu  ne  plaise,  ces  tentatives 
pacifiques  échouent,  le  pape  a  l'intention,  sauf  opposition  de 
Louis  ou  des  Français,  d'instituer  Thomas  Becket  légat 
apostolique  pour  la  France;  mais  ceci  en  grand  secret.  La 
lettre  adressée  à  Becket  est  rédigée  dans  le  même  sens  :  «  La 
mission  des  deux  légats  tend  à  rétablir  la  paix  entre  Thomas 
et  le  roi  d'Angleterre.  De  son  côté,  l'archevêque  se  montrera 
aussi  conciliant  que  le  permettront  son  honneiir  et  celui  de 
l'Église;  que  si  l'on  ne  peut  tout  obtenir  présentement, 
mieux  vaut  garder  le  silence  et  escompter  l'avenir.  Sur  le 
moment,  bien  des  choses  paraissent  importantes,  dont  plus  tard 
on  peut  facilement  se  passer...  La  proposition  faite  par  le 
pape  dans  sa  lettre  au  roi  de  France  (sur  la  légation  de  Thomas 
lîecket  pour  le  royaume  de  France)  ne  doit  pas  ralentir  son 
zèle  pour  se  réconcilier  avec  son  roi.  Thomas  peut  se  fier  aux 
deux  légats,  car  le  cardinal  Guillaume  a  reçu  du  pape  les  ordres 
les  plus  précis  et  c'est  un  homme  d'une  fidélité  éprouvée.  En 
terminant,  le  pape  prie  Becket  d'exhorter  le  comte  de  Flandre 
à  secourir  de  son  argent  le  pape  et  l'Eglise  par  ces  temps 
troublés  ^.  » 

Il  existe  entre  ces  lettres  certaines  divergences  et  le  pape  y 
tient  un  langage  différent,  suivant  le  correspondant  auquel  il 
s'adresse,  ce  qu'il  avait  déjà  fait  dans  ses  précédentes  lettres 
au  roi  TTciiri  et  à  Becket;  on  peut  constater  cependant  que 
le  pape  est  revenu  tacitement  sur  ses  concessions  au  roi  [666] 
d'Angleterre.  Le  bref  donné  par  Alexandre,  le  7  mai  1167, 
après  qu'il  eut  appris  la  conduite  des  ambassadeurs  anglais 
(depuis  leur  retour  de  Rome)  et  le  mécontentement  de  la 
France,  marque  un  nouveau  pas  en  arrière.  «  J'ai  appris, 
écrit  le  pape  à  ses  légats,  que  Jean  d'Oxford,  doyen  de 
Salisbury,  avait  dit  tout  net  que  j'avais  soustrait  plusieurs 
personnes     à     la     juridiction     de     Thomas     Becket,    que    j'avais 


1.  Ces  trois  lettres,  dans  JP.  L.,  t.  ce,  col.  446,  447,  448.  Cf.  Reviter,  op.  cit., 
t.  IX,  p.  .327-338,  607;  il  se  trompe,  p.  323,  en  assignant  à  la  lettre  au  roi  de  France 
une  date  antérieure,  et  en  disant  que  le  pape  a  voulu  nommer  Thomas  Becket 
primai  de  France. 


630.     LUTTES      ET     MORT     DE     THOMAS     BECKET  1035 

déridf''  leur  déposition  et  que  je  voiis  avais  [même  envoyés 
dans  ce  l)ut.  On  m'assure,  en  outre,  que  Jean  Cumin  a  com- 
muniqvié  mes  lettres  à  l'antipape  et  qu'il  a  trahi  mes  secrets. 
Becket  en  est  très  afflifrc  et  le  roi  Louis  et  ses  princes  en  sont 
fort  irrités...  .Te  vous  ordonne  de  consoler  l'archevêque,  de 
détruire  ses  soupçons  et  de  travailler  de  toutes  vos  forces  à 
sa  réconciliation  avec  le  roi.  Vous  n'entrerez  sur  le  territoire  de 
ce  dernier  q\ie  lorsque  cette  réconciliation  sera  un  fait  accompli. 
Enfin  vous  aurez  soin  de  punir  Jean  Cumin  ^.  »  Ces  nouveaux 
ordres  modifiaient  grandement  la  mission  des  légats.  Au 
début,  on  avait  laissé  entendre  à  Henri  II  que  les  légats  ne  ve- 
naient que  pour, renverser  Becket;  maintenant  on  faisait  de  sa 
léintégration  le  principal  objet  de  leur  voyage.  Le  pape  maintint 
cette  même  attitude  dans  son  bref  du  22  août  1167,  qui  char- 
geait en  outre  ses  légats  de  procurer  sans  délai  la  réconcilia- 
lion  des  rois  de  France  et  d'Angleterre,  qui  Amenaient  de  se 
déclarer  la  guerre  -. 

Par  suite  de  ces  nouvelles  instructions,  des  relations  amicales 
s'établirent  entre  les  légats  et  le  parti  de  Becket  jusqu'à  ce  qu'une 
lettre  assez  équivoque  de  Guillaume  de  Pavie  vînt  troubler  cette 
union  et  fournir  à  Thomas  un  nouveau  motif  de  plaintes. 
Lorsque,  au  commencement  de  novembre,  les  légats  obtinrent, 
à  Caen,  une  première  audience  du  roi  d'Angleterre,  celui-ci  s'em- 
porta, disant  qu'on  manquait  aux  promesses  à  lui  faites  et  que 
Becket  était  cause  de  la  guerre  entre  le  roi  de  France  et  lui.  Ils 
parvinrent  à  l'apaiser,  probablement  en  lui  parlant  de  la  conférence 
projetée  avec  Thomas.  Celle-ci  eut  lieu  le  18  novembre,  à  Gisors, 
sur  les  confins  de  France  et  de  Normandie  :  ce  fut  vm  véritable  piège 
tendu  à  Becket.  Les  légats  le  mirent  en  demeure  ou  de  reconnaître, 
ail  moins  tacitement,  les  consuetudines  avitœ  et  de  rentrer  à  Cantor- 
[6071  béry,  ou  d'abdiquer.  Becket  refusa.  Les  légats  e\irent  ensuite  trois 
conférences  secrètes  avec  le  roi  Henri  et  ses  évêques,  venus  exprès 
d'Angleterre,  Gilbert  de  Londres  en  tête  (27-29  décembre).  Les 
débats  furent  fort  animés,  les  légats  ne  pouvant  accorder  tout  ce 
qu'on  leur  demandait  ;  en  particulier,  ils  n'avaient  pas  qualité  pour 
procéder  directement  contre  Thomas,  mais  ils  donnèrent  à  l'épi- 
scopat  anglais  un  délai  jusqu'au  mois  de  novembre  de  l'année  sui- 


1.  P.  L.,  t.  ce,  col.  ^b^>■,  Reutpr.  op.  cit.,  t.  ii,  p.  .341. 

2.  P.  L.,  t.  ce,  col.  -iGO. 


1030 


r,  I V  n  i-,   X  \  \  I V 


vaille  pour  en  u|»pel('r  an  pape.  L'appel  ayant  élé  aeceplé,  les  légats 
donnèrent  les  lettres  d'appel  accoutumées  (les  apostoli)  et  interdi- 
rent au  primat  d'exercer,  jusqu'à  l'expiration  de  ce  délai,  une  juri- 
diction quelconque  en  Angleterre,  Le  3  décembre,  les  légats  quit- 
tèrent Caen,  sourds  aux  demandes  répétées  du  roi,  qui  voulait 
à  loul  prix  cire  délivré  de  celui  (ju'il  a})pelait  son  ennemi  mortel. 
Le  cardinal  (Guillaume  et  le  roi  avaient  pleuré  d'émotion,  tandis 
que  l'autre  légat  riait  aux  éclats.  Le  pape  et  Becket  furent  ins- 
truits du  nouvel  appel,  qui  donna  lieu  à  un  échange  assez  vil' 
de  lettres  et  de  mémoires.  En  particulier,  Thomas  demanda 
très  instamment  au  pape  de  ne  pas  l'empêcher  plus  longtemps 
d'exercer  sa  juridiction  et  de  ne  pas  confirmer  la  défense 
portée  par  les   légats  ^. 

Alexandre  fut  longtemps  favorable  à  l'héroïque  exilé;  mais, 
assiégé  de  tous  les  côtés,  troublé,  menacé,  mal  conseillé  par 
les  cardinaux,  il  écrivit,  le  19  mai  1168,  au  roi  LIenri  et  à  Becket 
deux  lettres  qui,  dans  sa  pensée,  devaient  pour  quelque  temps 
écarter  les  difficultés.  Dans  la  première,  après  avoir  prodigué  au 
roi  les  éloges,  il  émet  l'espoir  qu'Henri  se  montrera  plus 
doux  envers  l'Eglise  et  envers  Thomas  et  saura  dompter  sa 
volonté.  C'est  dans  cette  conviction  qu'il  a  défendu  à  l'ar- 
chevêque de  prononcer  l'interdit  ou  l'excommunication  contre 
le  roi,  son  royaume  o\i  ses  sujets,  avant  de  s'être  réconcilié  avec 
Henri.  Si  on  reprochait  au  pape  des  contradictions  entre  ses  let- 
tres successives  au  roi  d'Angleterre,  il  rappellerait  que  saint  Paid 
avait,  lui  aussi,  changé  d'avis.  Mais  le  pa]>e  n'a  pas  été  jusque- 
là  :  à  la  nouvelle  d'une  réconciliation  entre  Thomas  et  le  roi, 
il  s'est  contenté  de  donner  à  ses  léoats  des  instructions 
appropriées  à  cette  situation,  leur  recommandanl  de  hâter 
cette  œuvre  de  paix  et  de  ne  pas  prononcer  la  sentence  contre  ffinSl 
Thomas  -. 

A  Becket  le  pape  écrit  qu'il  a  dû  ménager  le  roi  d'Angleterre, 
pour  le  garder  du  schisme  (Henri  avait  fait  toutes  sortes  de 
menaces,  déclarant  qu'il  se  ferait  mahométan  plutôt  que  de 
subir  plus  longtemps  Thomas  Becket),  Dans  la  ferme  espé- 
rance (jue  le  roi  se  réconciliera  bientôt  avec  l'archevêque,  il  dé- 
fend   ù  celui-ci  de     prononcer    l'interdit    ou     l'excommunication 


1.  Reuter^,  op.  cit.,  l.  ii,  p.  .^^9-362;  Bnss,  op.  cit..  p.  459  sq. 

2.  P.  L.,  t.  ce,  col.  464. 


(j;>U.      LUTTKS      Kl     MOHl     DE    THOMAS     BECKET  1037 

contre  le  roi,  son  royaume  ou  ses  sujets.  Mais  si,  au  début  dvi 
prochain  carême,  le  roi  n"a  pas  manifesté  l'intention  de  se 
réconcilier  avec  Thomas,  le  pape  rendra  à  celui-ci  toute  sa 
juridiction  ^.  Si  donc,  dans  la  première  lettre,  la  durée  de  la 
suspense  de  la  juridiction  de  Thomas  Becket  semblait  dépendre 
absolument  du  roi  (concession  laite  jiour  apaiser  ce  dernier),  dans 
la  seconde,  le  pape,  pour  tranquilliser  Becket,  limitait  cette 
sus[)ense  à  un  temps  assez  court.  Ce  double  lanoage  ex})li([ue 
pourquoi  le  pape  veut  éviter  à  tout  prix  qui;  le  roi  ne  connaisse 
la  lettre  adressée  à  Thomas  Becket,  et  réciproquement.  Le  but 
(.l'Alexandre  était  évidemment  de  gagner  du  temps  :  il  escomp- 
tait, jusqu'au  carême  de  1109.  une  réconciliation  possible  entre 
Thomas  et  le  roi,  ou  quelque  événement,  par  exemple  une 
victoire  sur  l'empereur  ou  un  rapprochement  entre  l'empereur 
et  lui.  ([ui  permît  de  parler  avec  fermeté  au  roi  Henri,  sans 
courir  les  mêmes  dangers  que  dans  le  nu)ment  présent.  Peu 
après  on  décida,  pour  le  l^'"  juillet  11G8,  une  entrevue  des 
rois  de  France  et  d'x\ngleterre  à  la  Ferté-Befnard,  sur  la  limite 
des  deux  comtés  du  Maine  et  du  Perche,  pour  résoudre  diverses 
questions  politiques.  Henri  fit  inviter  Becket  à  cette  entrevue, 
sous  prétexte  qu'on  s'y  occuperait  également  de  rendre  la  paix  à 
ri^glise.  Mais  au  dernier  moment  il  démasqua  sa  ruse,  et,  refusant 
toute  entrevue  personnelle  avec  Becket,  il  fit  connaître  partout, 
]»our  mieux  triompher  de  celui-ci,  la  partie  du  bref  pontifical  qui 
semblait  entièrement  faire  dépendre  de  lui-même  la  durée  de 
la  suspense  des  ])Ouvoirs  de  l'archevêcjue.  Henri  se  permit, 
en  outre,  de  vives  remarques  à  l'endroit  de  hi  curie  ])apale, 
indi([uant  à  quel  prix  il  avait  acheté  chaciue  cardinal.  Thonuis 
Hecket,  le  roi  Louis  et  toute  la  France  furent  remplis  d'étonne- 
ment  et  d'indignation  contre  le  pape,  et  de  nombreuses  lettres 
exprimèrent  ce  sentiment  avec  autant  d'énergie  c[ue  de  liberté. 
[btiU]  Cette  condescendance  inouïe  à  l'égard  de  l'Angleterre  fut  en- 
visagée comme  un  alVront  pour  l'Eglise  et  pour  la  France;  l'em- 
pereur Frédéric  Barberousse  chercha  à  utiliser  cet  état  de  l'opi- 
nion, pour  détourner  le  roi  Louis  de  l'obédience  d'Alexandre,  f^a 
politique  de  temporisation  s'était  donc  tournée  contre  son  auteur. 
.Afin  lie  calmer  l'orage,  le  i)a})e  lappcla  ses  deux  légats  si 
haïs,  (iuiilaume  et  Otton,  et,  dans  ses    lettres  à  Tbonuis  et  au  roi 

1.  P.  L.,  t.  ce.  col.  i8;j. 


l()o8  l.lVUK     XXXlV 

Louis,  s'cllorra  d'expliquer  sa  louganiiaité  pour  Ikiiri  d  Aiigle- 
l.ei'ic  en  ])rotestanL  de  son  amour  inaltérable  pour  Beckel.  Il 
insiste  suri  oui  sur  ce  que  Thomas  n'a  pas  été  privé  de  sa 
juridiction  pour  un  temps  indéfini,  comme  le  soutenait  Henri, 
mais  seulement  jusqu'à  im  terme  précis  (carême  de  1169)  après 
le(|uel  il  la  recouvrera  certainement  ^. 

Le  pape  envoya  deux  nouveaux  légats,  deux  moines,  qui  firent 
tenir  à  Montmirail,  les  6  et  7  janvier  1169,  un  congrès  jjour 
réconcilier  les  rois  de  France  et  d'Angleterre,  puis  ce  dernier  et  son 
primai,  La  première  partie  de  cette  tâche  s'accomplit  sans  dilli- 
ludté;  quant  au  conflit  ecclésiastique  anglais,  le  roi  Henri  s'exprima 
d'une  manière  si  raisonnable,  que  tous  les  amis  de  Thomas  et  le  roi 
de  France  lui-même  engagèrent  fortement  l'archevêque  à  céder. 
Néanmoins  Herbert  de  Bosham  lui  recommanda  de  ne  pas  oublier 
la  clause  salutaire.  Le  7  janvier,  Thomas  Becket  parut  pour  la  pre- 
mière fois  devant  son  roi,  après  une  absence  de  tjuatre  ans  :  il  plia 
le  genou  devant  lui.  fui  relevé  avec  beaucoup  de  bienveillance 
et  parla  avec  une  grande  humilité  de  ses  manquements  et  de  ses 
fautes,  auxquels  il  fallait  attribuer  tous  les  troubles.  Mais  ses 
dernières  paroles — soit  qu'il  ait  dit:  «Je  me  remets  entre  vos 
lua'ins,  saho  Jionore  Dei,))  soit  qu'il  ait  fait  une  simple  allusion 
à  la  clause  par  ces  mots  :«  Je  m'abandonne  à  votre  grâce  et  à  la 
grâce  divine,  à  votre  honneur  et  à  l'honneur  de  Dieu,  «  —  irritèrent 
violemment  le  roi;  dans  un  accès  de  colère  et  en  proférant  des  inju- 
res il  exigea  que  Thomas  reconnût  sans  restriction  les  consuetudines 
qu'avaient  observées  ses  prédécesseurs  sur  le  siège  de  Cantorbéry, 
sans  en  excepter  les  saints.  Becket  défendit  sa  clause,  alléguant 
le  précédent  des  articles  de  Clarendon,  à  propos  desquels  le  roi 
avait  accepté  une  clause  analogue  dans  le  serment  des  douze 
cvèques;  ainsi  la  tentative  de  réconciliation  échoua,  quoique  les 
légats  et  le  roi  de  France  priassent  instamment  Becket  de  renon- 
cer à  sa  clause.  Le  roi  Louis  alla  jusqu'à  retirer  à  l'exilé  sa  pro-  [670] 
tection  et  lit  cause  commune  avec  le  roi  d'Angleterre,  jusqu'à  ce 
qu'il  en  eût  reconnu  la  fourberie.  Les  légats,  de  leur  côté,  ne  tar- 
dèrent pas  à  comprendre  l'indispensable  nécessité  de  cette  clause, 
et,  après  de  nouvelles  tentatives  de  conciliation,  ils  remirent  au  roi 
d'Angleterre    la    lettre   menaçante  du   pape,    jusqu'alors    cachée 


1.  P.  L.,  l.  LL,  col.   ib'Jj  VJO;  Kculer,  y/>.  cU.,  l.  ii,  p.  JtiJ-Jyà. 


GoO.      LUTTliS      ET     MOKT     D  K     IHOMAS     BliCKKT  1039 

r\    aujuuid'liui   perdut'.  Henri  répondit  évasivemenl,  dans   l'espoir 
que  ses  envoyés     à  la  cour  du  pape,  à  Bénévent,  bien  pourvus 
d'argent,  Uniraient  par  obtenir  la  déposition  ou  du  moins  la  trans- 
lation de  Becket.  Il  avait  fait  demander  aux  villes  de  la    Haule- 
Italie,  à  quelques  membres  de  la  noldesse  romaine  et  au  roi  de 
Sicile  d'appuyer  sa  requête  auprès  du  pape,  Alexandre  s'y  refusa 
(28  février   1169);   il   consentit  seulement   à  envoyer  d'autres   lé- 
gats   entamer  de    nouvelles  négociations  ^  et  défendre  à  Becket 
d'user  de  sa    juridiction,  qu'il   recouvrait  au    commencement  du 
carême;   on  lui  en  interdisait  l'usage  pour  toute  la  durée  des  fonc- 
tions des  légats.  Mais  avant  de  recevoir  cette    nouvelle  défense, 
Thomas  avait  prononcé,  le  13  avril  1169,  dimanche  des  Rameaux, 
une    sentence     d'excommunicatioii     contre    Gilbert   de    Londres, 
.lucelin  de  Salisbury  et  plusieurs  de  ses  ennemis.    Il  menaça   delà 
même  peine  d'autres  personnes,  quoique,  le  premier  dimanche  de 
carême.  18  mars,  Gilbert  eût  renouvelé  l'appel  à  Rome.  Un  par- 
tisan de  Thomas  Becket,  Bérenger.  eut  même  le  courage  de  pu- 
Idier  celte  sentence,  le  jour  de  l'Ascension,  29  mai  1169,  dans  la 
propre   cathédrale   de   Gilbert,   à  Saint-Paul  de   Londres.   Gilbert 
protesta    et   chercha   secours   et   protection    auprès    du  roi,    qui, 
dans    une     lettre     virulente     au     pape,    demanda    la     cassation 
de  la   sentence,    portée    par   Thomas    Becket.    Au  début,    Gilbert 
eut     pour    lui     presque    tout     lépiscopat     d'Angleterre,     et     on 
publia    plusieurs    mémoires    en    sa    faveur;    mais,    comme     dans 
son     emportement    il    avait  dépassé   les  bornes  et,    mettant    en 
([uestion    l'autorité     du    siège    de   Cantorbéry,    revendiqué    pour 
Londres     des      droits      métropolitains,      plusieurs      de      ses     coi 
lègues     l'abandonnèrent,     protestèrent    contre     ses     prétentions 
et      publièrent      la      sentence     d'excommunication     lancée    par 
Becket  "^ 
[671J        Les  nouveaux  légats  pontihcaux     (c'était  la  troisième  ambas- 
sade   envoyée    pour    cette    affaire)  étaient    Gratien     el     Vivien, 
deux  clercs  italiens   savants,  intelligents  et  incorruptibles.   Leur 
mission  consistait  à  trouver  une    formule  qui  pût  satisfaire  les 
deux  adversaires.    Ils  négocièrent  avec   Henri  et  ses  conseillers, 


L  Jean  de  Salisburjv,  daus  VVatterich,  op.  cil.,  l.  u,  p.  ô'S,  et  la  lettre  de  Becket 
au  caidinal  Huinbaid. 
1'.    Router,  up.  cit.,  l.  u,  p.  399-410;  bussi,  op.  cit.,  p.  50-  sq. 


I(i4<i 


i.iVKi;    \.\\l^' 


à  Bni'  '  (piès  (le  liayeiix),  à  Cueii  el  à  Rouen  (sepLenibre  1169), 
mais  sans  siu^cès,  car  le  roi  voulait  toujours  ajouter  à  la  formule 
de  paix  celle  clause  :  «  sans  préjudice  des  droits  de  mon  royaume,  » 
aiin  d'oiivrir  ainsi  la  j)orte  aux  fameuses  consuetudinea.  L'un 
des  deux  légats,  Gratien.  découragé,  regagna  l'Italie,  tandis 
(jin'  \i\ien,  alléché  ])ar  les  ma)([ues  d'amitié  que  le  roi 
lui  a\ail  ])]'odiguées,  se  laissa  entraîner  à  négocier  encore. 
Il  j)r(u'ura  eu  particulier  une  enliCN  ne  des  deux  rois  Henri  et 
Louis  cl  de  Tliomas  Bcckcl.  à  Mon  I  mail  rc  :  la  lOi'mulc  de  |»aix 
<(uc  Tlximas  ^  proposa,  cl  «ini  comprenait  les  compensations  à 
donner  à  léglisc  Ac  Cautorbéry  et  la  restitution  de  ses  biens, 
])araissail  oblcnii'  les  suHrages  de  tous,  lorsque  le  roi,  loujours 
mobile,  chercha  des  l'aux-fuyants  et  changea  capricieusement  le 
texte  proposé.  Vivien  reprit  à  son  lour  la  idule  de  l'Italie,  après 
avoir  déclaré  k  ((ue.  de  sa  vie,  il  u'a\  ail  \u  un  homme  aussi  men- 
teur cl  aussi  hy[)ociite  <[ue  le  roi.  ><  Celui-ci  n'en  renouvela  pas 
nioins  en  Angleterre  le  système  diulimidalioii  contre  les  parti-  •• 
sans  de  Becket,  et  ])ril  toutes  ses  mesures  pour  que  la  sentence 
d'inicrdil.  ([u'il  redoutait  plus  que  jamais,  ne  fût  pas  connue  et 
observée  dans  son  l'oyaumc  II  décréta  des  ]»eines  sévères  dans 
le  cas  de  désol)éissancc.  et  les  côtes  furent  surveillées  avec  un 
redoublement  de  vigilance  -.  Tous  les  Anglais,  des  enfanls  aux 
vieillards,  durcul  l'aiie  sermeni  d'obéii'  au  roi  cl  non  au  pape.  Mais 
cet  excès  éloigna  plusieurs  évêques,  jusque-là  pleinement  dévoués, 
et  Becket  put  annoncer  que,  le  2  février  1170,  il  jetterait  l'interdit 
sur  l'Angleterre  si  la  paix  n'était  |)as  conclue.  En  même  temps, 
janvier  1170,  le  pape,  (jui  résidait  loujours  à  Bénévent  et  à  la  cour 
duquel  se  Ircnivaient  constamment  des  ambassadeurs  d'Henri  et  de 
Becket.  chargea  Rotrad,  archevêque  de  Rouen,  et  Bernard,  évéquc 
de  Nevers.  crnue  ru)ii\elle  mission  (la  ijuatrième)  auprès  du  roi 
Henri. Ils  le  mirent  en  demeure,  au  nom  du  pape,  d'accepter  la  for- 
mule de  paix  débattue  à  Montmartre  ;  sinon,  quarante  jours  après 
la  récej)tion  par  le  roi  de  la  lettre  d'avertissement,  la  sentence 
d'interdit  serait  prononcée.  La  victoire  de  Becket  paraissait  [^37iJ 
certaine,    lorsqu'on     apprit    f[ue.     ])ar     ordre     du  pape,     Rotrad 

1.  L5ur  ou  liures,  canton  de  JJulleroy,  près  de  Noron.siu'  celle  orlhograplic, 
et.  Llluillicr,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  191,  n.  1.  (II.  L.) 

1.  CJuiconque  débarquera  en  Angleterre  sanis  la  permission  du  roi  sera  ujis 
en  prison.  Cervais.  dans  Twysden,  Tlisl.  Angl.  script.,  j).  140'J. 


» 


8.'ÎU.     M   liKs    i;i     M()i;i      ni,     iiiomas    )ii.(;Ki:T  l<)4l 

avail.  le  T)  axril.  iclox  t'  les  ('^  rtiues  Gilbeii  de  Jjimdres  el  Juceliii 
de  Salisbuiy  de  la  st'iilence  d'excommunication  <[ue  le  primat 
avait  })r()noncée  contre  eux.  Thomas  et  ses  amis  l)ondirent  sous 
l'outrage,  disant  que  «  une  fois  déplus  Barabbas  était  délivre  et 
le  Christ  crucifié.  »  Bientôt,  Becket  fut  frai)pé  d'un  nouveau 
coup.  Tandis  que  les  légats  du  pa])e  attendaient  en  Normandie 
le  retour  d'Henri,  alors  en  An2;leterre.  afin  d'entamer  les  néffo- 
ciations.  celui-ci  avail,  le  i^  j'^'iji-  f^^^if  ctniidniu'i'  solennelle- 
ment son  lils  (Henri  111).  à  Londres,  par  Hd^icr.  archevêque 
d'York;  ce  couronnement  était  réservé  au  primai  et  n'aurait  dû 
se  faire  qu'après  la  réconciliation  du  roi  avec  l'Église.  Ayant 
ainsi  assuré  l'avenir  de  sa  dynastie,  Henri  repassa  sur  le 
continent  et  commença  avec  les  légats  des  pourparlers  dans  les- 
quels il  alïecta  les  sentiments  les  plus  pacifiques.  Une  entrevue 
solennelle  des  deux  rois  eut  lieu  à  la  Ferté-Yilleneuve  (au  sud  de 
Chartres,  non  loin  de  Châteaudun).  La  veille,  Henri  s'était  déclaré 
devant  témoins  prêt  à  se  conformer  aux  désirs  du  i)ape.  à  accor- 
der à  l'archevêque  ses  demandes  et  à  le  bien  recevoir, sanslui  donner 
le  baiser  de  paix,  ayant  solennellement  promis  (à  Montmartre)  de 
ne  plus  le  faire.  Dans  la  matinée  du  22  juillet  1170,  une  foule 
de  gens  de  toutes  conditions  se  réunirent  dans  une  prairie,  non 
loin  de  la  Ferté,  en  un  endroit  oiî  Henri  et  Thomas  Becket 
devaient  se  rencontrer.  L'un  et  l'autre  arrivèrent  à  cheval,  et, 
dès  que  le  roi  aperçut  Becket,  il  chevaucha  rapidement  vers  lui, 
le  salua  avec  bienveillance,  et.  l'ayant  attiré  à  l'écart,  eut 
avec  lui,  sans  témoins,  une  longue  conversation.  Thomas  parla 
avec  calme  de  la  satisfaction  que  le  roi  menait  de  procurer  à 
r  l'.glise,  et  ajouta  un  mot  du  couronnement  irrégulier  du  prince 
loyal.  Le  roi  chercha  à  l'expliquer,  et  affirma  que  son  fils  a\ait 
le  })lus  grand  attachement  ])our  Becket.  Celui-ci  descendit  alors 
de  cheval  pour  baiser  les  pieds  du  roi;  mais  Henri  ne  le  lui  permit 
pas  et  ils  retournèrent  l'un  et  l'autre  vers  leur  cortège,  pour  ache- 
ver aux  veux  de  tous  la  réconciliation.  Becket  demanda  «  ([ue  le 
roi  voulût  bien  lui  rendre,  à  lui  et  aux  siens,  pour  l'honneur  de 
Dieu,  pour  leur  honneur  à  tous  deux,  sa  grâce  et  sa  bienveil- 
lance, lui  assurer  la  paix  et  la  sé«-uritc.  lui  restituer  les  posses- 
IG731  sious  indic{uées  dans  un  ddcunicut.  d  rcoulfr  hi  \(un.  île  son  cn-ur 
juiséricordieux  pour  réparer  le  Uu  I  la  il  à  l'église  de  Cantorbéry 
par  le  couronnemenl  du  ]iriin»'  royal.  Thomas  pronicM  ail ,  de 
son  côté,  de  témoigner  son    amour   et    sa    déférence    pour    la    très 

coNCiLKS  —  V  —  (;c; 


1042  MVRi;    xxxiv 

liauLc  pei'soiiiic  (lu  1  (ti  cl  de  lui  rnoutrer  son  obéissaiioc  en  l(»uLes 
les  choses  sur  lesquelles  un  archevêque  doit  obéir  à  son  roi.  » 
Après  ces  déclarations,  le  roi  reçut  l'archevêque  à  merci,  au  milieu 
des  cris  de  joie  des  assistants,  et  tous  ses  compagnons  d'exil  furent 
pareillement  graciés.  Leur  retour  à  Cantorbéry  devait  avoir  lieu 
dans  le  ])lus  bref  délai  ^. 

Cette  entrevue  avait  réveillé  entre  le  roi  et  l'archevêque  leur 
vieille  amitié  et,  dans  leurs  communs  efforts,  ils  perdirent  de  vue  les 
principes  qui  les  séparaient  toujours  à  l'endroit  des  articles  de  Cla- 
rendon.  Le  roi  pensait  avoir  exprimé  son  sentiment  dans  ces  mots 
de  la  formule  d'union  :  «  à  l'honneur  du  roi,  »  et  Becket  croyait 
avoir,  à  son  tour,  affirmé  le  contraire  dans  ces  autres  mots  :  «  à 
l'honneur  de  Dieu.  »  En  outre,  on  n'avait  rien  décidé  au 
sujet  de  ceux  qui  avaient  été  excommviniés  pour  avoir  pris 
part  à  ce  long  conflit  et,  en  particulier,  au  couronnement  du 
jeune  prince.  On  avait  sim])lemenl  promis,  d'une  manière 
générale,  de  donner  satisfaction  à  l'église  de  Cantorbérv.  Ces 
lacunes  devaient  provoquer  de  nouvelles  difficultés,  et  le  cardinal 
Albert  le  pressentit  bien  lorsque  la  curie  pontificale  reçut  avis 
de  la  conclusion  de  la  paix.  Tandis  que  tous  les  autres  cardinaux 
exprimaient  leur  joie,  Albert  manifesta,  par  ces  paroles  du  })rn- 
phète,  le  peu  de  confiance  que  lui  inspirait  le  roi  Henri  :  «  Le 
nègre  ne  change  pas  sa  peau  et  la  panthère  ne  perd  jamais  ses 
taches  '^.  »  Par  un  bref  du  10  septembre  1170,  dans  lequel  il 
expliquait  sa  ligne  de  conduite  dans  le  conflit  de  l'Eglise  anglaise, 
le  pape  accorda  au  primat  de  frapper  de  suspense  et  d'excommuni- 
cation les  sacrilèges  et  ceux  qui  avaient  trompé  le  roi,  comme  Roger 
d'York,  Gilbert  de  Londres,  etc.  Toutefois,  Thomas  ne  devait 
faire  usage  de  ce  pouvoir  qu'à  la  dernière  extrémité  et  seule- 
ment avec  l'assentiment  du  roi  de  France  ^. 

Becket  eut  encore,  dans  les  premiers  jours  d'octobre  1170,  deux 
nouvelles  entrevues  avec  le  roi  Henri,  à  Tours  et  à  Amboise,  puis 
il  se  prépara  à  retovirner  en  Angleterre,  quoiqu'on  lui  assurât  de  [674] 
tous  côtés  ([u'on  ne  voulait  pas  rendre  les  biens  de  l'église  de  Can- 
torbéry et  que  ses  trois  ennemis,  les  prélats  Gilbert,  Roger  et 
Jocelin,   faisaient  tous  leurs  efforts   pour  empêcher  la  paix.   On 


1.  Reuttr^  op.  cit.,  l.  ii,  p.  441-510;  Buss,  op.  cit.,  p.  553. 

2.  Jerem.,  xiii,  23. 

u.   P.  L.,  t.  ce,  col.  GU'J;  Reulei'j  op.  cil.,  i.  ii,  p.  51G-53o. 


GoO.    LLiiKs    i:r   Muitr    di.    i  iiu.mas    UKCKirr  JUlo 

a\ail  mèiae  prolcré  des  menaces  contre  sa  vie  et  le  roi  de    France 
dut  l'avertir  de  quitter  son  asile.  Thomas  avait  déjà  envoyé  en 
Angleterre  son  ami  Jean   de    Salisbury,   le    chargeant   de   repren- 
dre   l'administration    des    biens    de    l'église     de    Cantorbéry,     (|iii 
avaient  été  restitués.  —  ils   étaient   dans   le   plus   triste   état,   — 
de  tenir  un  synode   et  de   tout    préparer   en   vue   de    son  retour. 
Le    1®^   novembre    1170,    Becket,    pressentant    son    martyre,   alla 
de  Sens  à    Rouen,   où   le   roi    lui  avait    promis    de   le    rencontrer. 
Présage    de  sinistre  augure  :  ce  ne  fut  pas  le    roi,    mais    le   trop 
fameux  Jean   d'Oxford   qui   se   présenta   à   Rouen   comme    man- 
dataire de  son    souverain,   chargé  par    lui  de   conduire  le  primai 
en  Angleterre.  A  Boulogne,   Becket   expédia   les    bulles    d'excom- 
nmnieation  contre  Gilbert  et  Jocelin,  ainsi  que  le   décret   de   sus- 
pense  contre    Roger   d'York  :    il   voulait   par  là   couper    court    i\ 
leurs  machinations.  Mais  la  rage  que  ceux-ci   en    conçurent  hâta 
la  perte  du  grand  archevêcjue.  Après  avoir  évité   Douvres,    où   ses 
ennemis    le   guettaient,   Thomas   débarqua   à   Sandwich   et,    le  5 
décembre,  fit  son  entrée  à  Cantorbéry  parmi  les   démonstrations 
de    la    joie    populaire.    Mais    aussitôt     arrivèrent,   proférant     de 
violentes    injures,    les    ambassadeurs     des      évêques     frappés    el: 
les  laïques  ennemis  de  Becket,  surtout  ceux  qui  détenaient  injus- 
tement les  biens  des  églises.  Le  jeune  roi  lui  refusa   audience  et 
le  renvoya  dédaigneusement   dans   son  diocèse.   D'un  autre  côté, 
les    trois    prélats    frappés    se    hâtèrent    d'aller     sur    le    continent 
assourdir  de  leurs  plaintes  les  oreilles  du  roi  Henri  :   à  les    enten- 
dre, Thomas  terrorisait  toute  l'Angleterre,  affectait  des  airs  de  roi, 
semait  la  guerre  au  lieu  de  la  paix  et  osait  même  mettre  en   doute 
la  légitimité    de  la  couronne  du  prince.    Le  soir    de    Noël    1170, 
Tarchevêque  d'York  dit  au  roi  :   «  Tant  que  vivra  Thomas,  vous 
n'aurez   jamais  un  royaume  pacifié,  vous  ne    verrez    jamais  des 
jours  heureux.  «  Henri,  hors  de  lui,  s'écria  alors  :«  Un  drôle  qui 
a  mangé  mon  pain  m'a  ensuite   fovilé   aux   pieds...    ()uels   lâches 
ai-je  donc    élevés  !    N'y  a-t-il  donc  parmi  vous  personne  qui  ose 
venger  ma    honte   contre   ce   prêtre-là?    »   Ces   paroles,    évidente 
excitation    au   meurtre   de    Thomas   Becket,   furent   interprétées 
dans    ce   sens    par   quatre    chevaliers    :    Reginald    Fitzurse    {filius 
Ursonis),    Hugo    de    Moreville,    Guillaume   de   Tracy   et    Richard 
Brito,  qui  partirent  sans  délai  pour  l'Angleterre,  afin  de  commet- 
[675]    Ire  U'Ui'  odieux  attentat.  Lorsqu'Henri  apprit  leur  départ   cl    leur 
projet,  il  envoya   des  messagers  pour  les  ra})peler;   mais  il  cl  ail 


1044 


l.l\   Itl'.     N  \  \  1  \' 


Irojt  lard.  A  |M'iuc  dcbatcpu-s  en  AngleteiiT,  les  chevaliers  se 
rendirent,  le  2'J  décembre  1170,  au  palais  archiépiscopal  de  Can- 
torbéry  et  annoncèrent  une  mission  du  roi  à  remplir  auprès  du 
primat.  Introduits  devant  Thomas,  ils  lui  demandèrejit  avec 
menaces  de  reconnaître  le  couronnement  du  jeune  prince  et  d'ab- 
soudre ceux  ([u'il  avait  excommuniés.  Le  primat  s'y  étant 
refusé,  les  cbevaliers  le  déclarèrent  ])ris(jnnier  et  descendirent 
dans  la  cour  pour  l'aire  pénétrer  dans  le  ])alais  les  hommes  armés 
qu'ils  avaient  amenés  avec  eux.  Cependant  les  amis  de 
Becket  l'entraînèrent  à  l'é^rlise,  où  l'on  chantait  vêpres.  Lorsque 
les  hommes  armés  <[ui  le  clicrchaient  apparurent  dans  le  cloître, 
on  voulut  leur  fermer  les  portes  de  l'église;  mais  Thomas  s'y 
0])posa,  disant  qu'on  ne  devait  pas  faire  de  la  maison  de  prières 
une  forteresse.il  refusa  de  fuir  et  se  dirigea  vers  le  chœur.  C'est 
[tout  auprès,  dans  la  chapelle  de  gauche],  ({ue  les  chevaliers 
le  tuèrent  à  coups  d'épée,  non  loin  de  l'autel  de  Saint-Benoît, 
'l'homas  nujurut  en  disant  :  «  Je  remets  mon  esprit  entre  tes 
mains.»  Hugues  Mauclerc,  sous-diacre,  <[ui  avait  accompagné 
les  chevaliers,  prit  le  cadavre  par  la  nuque,  et  avec  sa  rapière  lit 
jaillir  la  cervelle  sur  le  pavé.  Ils  pillèrent  ensuite  le  palais  archi- 
épiscopal, s'emparèrent  des  brefs  et  des  lettres  du  pape.  Les  fidèles 
(•(immencèrent,  dès  ce  moment,  à  vénérer  l'archevècjue  et  à  l'in- 
voquer   comme  un  saint  ^. 

A  la  nouvelle  de  la  mort  de  Becket,  le  roi  Henri  II,  alors 
à  Argentan,  en  Normandie,  fut  saisi  d'épouvante  ;  il  se  tint 
enfermé  plusieurs  jours  et  envoya  sur-le-champ  deux  chapelains 
à  Cantorbéry  pour  témoigner  son  horreur  du  sacrilège  et  son 
repentir  d'une  imprudente  ])arole.  II  envoya  aussi  des  ambas- 
sadeurs au  pape,  pour  empêcher  qu'une  sentence  d'excommuni- 
cation et  d'interdit  ne  fût  prononcée  contre  son  royaume.  Ces 
envoyés  obtinrent  en  effet  que,  le  jeudi  saint  1171,  le  pape  se 
bornât  à  excommunier  les  auteurs  et  les  instigateurs  du  meurtre 
et  envoyât  de  nouveaux  légats  ^. 


1.  Wallerich,  op.  cit.,  t.  ir.  p.  533-571.  J'ai  donné  dans  Les  martyrs.  Recueil 
de  documents  authentiques,  t.  v,  Le  moyen  âge,  un  récit  circonstancié  dans 
les  moindres  détails  de  cet  assassinat,  en  utilisant  les  documents  originaux. 
U.  L.) 

li.  Dès  qu'il  eut  atteint  ce  résultat,  le  roi  prit  aussitôt  une  autre  contenance. 
Afin  d'obtenir  d'aussi  bonnes  conditions  que  possible,  il  feignit  de  n'être  nulle- 


r.ni.   roNcii.FS    oniKNTAi'v    ni-,    lir.c,    a    llTi'.  1045 


[676]  63i.  Conciles  orientaux  de  Îi66  à  1116. 

Au  xii^  siècle,  ll'^olise  d'Orionl  Ivit  a^iitée  par  des  discussions 
sur  la  personne  diiClirisl.  analoiruos  à  celles  qu'avaient  soulevées 
les  théologiens  occidentaux,  tels  qu'Abclard,  Gilbert  de  la  Porrée, 
Gerlîoh  de  Reichersberg;,  Pierre  Lombard.  Ces  questions  mirent 
incontestablement  en  rapports  les  théologiens  des  divers  pays  et 
Léo  Allatius  estime  que  le  grand  concile  réuni  à  Constantinoplc 
en  mars  11(36  fut  convoqué  à  l'instigation  de  l'empereur  d'Alle- 
magne ^. 

Le  procès-verbal  original  de  ce  concile  lui  retrouvé  par 
le  cardinal  Angelo  Mai  dans  un  manuscrit  du  Vatican  -.  Il 
comprend  huit  •rrpâçstç  [actiones  ou  sessions),  dont  la  première. 
qui  n'est  pas  une  session  proprement  dite,  contient  seulement 
le  motif  de  la  convocation  du  synode.  On  sait  déjà  ^  que  les 
préoccupations  dogmatiques  des  grecs  de  cette  époque  ne  por- 
1  aient  plus  comme  jadis  sur  de  grands  débats,  mais  sur  des 
questions  infimes  et  de  détail;  on  en  cherchait  la  solution 
dans  l'entassement  des  autorités  patristiques,  et  on  ne  man- 
quait jamais  de  taxer  d'hérésie  l'opinion  opposée,  grâce  à  une  série 
d'arguments  plus  ou  moins  sophistiques  *.  Naguère,  ces  paroles 
du  Christ  :  Le  Père  est  plus  grand  que  moi  ^.  avaient  donné 
lieu  à  de  vives  discussions.  On  cite  comme  ayant  surtout  pris 
part  à  ces  discussions  les  théologiens  Démétrius  de  Lampe,  Jean 
de  Corcvre,  Constantin  de  Bulgarie  et  Jean  Irenicus;  ils  étaient 
entrés  en  relations  avec  les  Occidentaux  et  accusèrent  en  par- 
ticulier    les     Allemands     de    s'être    rendus    coupables    d'hérésie, 


ment  pressé  de  faire  sa  paix  avec  l'Éfrlise,  et  sans  attendre  les  légats,  il  alla  en 
Irlande  pour  s'emparer  de  cette  île.  }'ita  Alexanilii  III.  <lans\\'attoiich.  o/>.  cil.. 
t.  ir,  p.  418.  Cf.  aussi  p.  586  sq. 

1.  Léo  Allatius,  De  consenti,  i.  II,  <.  xii,  n.  4;  Coleti,  Concilia,  i.  \iii,p.  ,'î,33. 
Au  sujet  des  délibérations  de  ce  concile,  cf.  Bach,  Die  Dogmengescli.  des  Mittel- 
allers,  t.  ii,  p.  725  sq.  ;  Wiseman,  Abliandliinsen,  t.  iir.  ]>.  217  sq. 

2.  Mai,  Srript.  i-eter.  nova  coUectio,  1.  iv,  p.  l-î)(i. 
;{.  Voir  plus  haut,  «^  020. 

f\.   Cela  ne  se  pratique  pas  seulement  diiv  les  srecs  du  Ras-llnipiif.  (II.    L.) 
:..   .loa..  xrv.  28. 


IO^jG  livre     XXXIV 

pour  avoir  osé  soutenir  qiie  le  Dieu  homme  était  inférieur 
à  la  propre  dignité  personnelle  du  Verbe,  et  aussi  au  Père. 
Les  grecs  se  partageaient  entre  divers  avis.  Pour  les  \ms,  le 
Père  est  dit  plus  grand,  uniquement  parce  qu'il  est  le  principe 
du  Fils,  l'atTÎa  de  sa  génération  éternelle.  Ils  alléguaient  divers 
lextes  des  Pères  de  l'Eglise  qui  avaient  en  effet  interprété 
ainsi  ces  paroles  de  l'Écriture.  Mais  la  restriction  indiquée  par  [677] 
!<■  mot  uniquement  souleva  des  difïicullés.  car  un  second  parti, 
M"'  J*^'^gï''^il5  1^'^  aussi,  avec  les  passages  des  Pères,  soutenait 
([lie  le  Christ  visait  aussi  sa  propre  nature  humaine,  lorsqu'il 
disait  :  «  I^e  Père  est  plus  grand  (|ue  moi.  »  Les  deux  partis 
se  taxèrent  réciproquement  d'hérésie.  Les  adeptes  de  la 
seconde  opinion  furent  appelés  nestoriens,  sous  prétexte  qu'ils 
séparaient  dans  le  Christ  la  divinité  de  l'humanité;  à  quoi  ils 
répliquaient  que  quiconque  n'entend  pas  de  l'humanité  du 
Christ  son  affirmation  (le  Père  est  plus  grand  que  moi)  est 
par  le  fait  même  monophysite,  n'admettant  qu'une  seule 
nature  dans  le  Christ  et  lui  refusant  une  humanité  réelle^.  Sur 
ces  deux  opinions  principales  vinrent  se  greffer  successivement 
une  troisième,  une  quatrième  et  une  cinquième.  Le  troisième 
parti  prétendait  que,  par  l'expression  plus  grand,  le  Christ  avait 
voulu  seidement  signifier  son  abaissement  volontaire,  c'esl- 
à-dire  son  incarnation  dans  le  sein  de  Marie,  quoiqu'il  fut 
de  toute  éternité  dans  le  sein  du  Père.  Ce  troisième  parti  se 
rapprochait  du  premier  en  entendant  cet  état  moindre  du 
Fils  de  la  seule  divinité  (sans  tomber  toutefois  dans  un  subor- 
diuatianisme  proprement  dit).  Il  s'en  distinguait  en  ce  que, 
au  lieu  de  rechercher  l'état  moindre  du  Fils  dans  la  généra- 
lion  éternelle,  il  y  voyait  plutôt  l'affaissement  volontaire  de 
l'Incarnation.  Le  quatrième  parti,  en  désaccord  avec  les 
jirécédents,  appliquait  exclusivement  les  paroles  du  Christ 
à  sa  nature  humaine  de  la  manière  suivante  :  Notre-Sei- 
gneur,  séparant,  uniquement  par  la  pensée,  sa  nature  humaine 
de  la  nature  divine,  avait  affirmé  l'infériorité  de  la  pre- 
mière à  l'égard  du  Père.  Enfin,  un  cinquième  parti  prétendait 
([ue  le  Christ  n'avait  pas  parlé  de  sa  personne  proprement 
dite,     mais    de    lui-même,    comme   représentant   de    l'humanité, 


1.   Mai,  Scripl.  re/.  nova  coll.    t.  iv,  j).  2,  .T. 


r.ll.     CONÇU. KS     ORIENTAUX      DE     1  1  G  ft     A     117G  lO^lT 

tout  comme  lorsqu'il  disait  ^    :  «  Mon  Dieu,  mon   Dieu.   pour([uoi 
m'as-tu  alîandonné  2  ?  » 

Comme  on  devait  s'y  attendre  de  la   part  des  grecs    du    Bas- 
Empire,  tout  le  monde,  clercs  et  laïcs,  grands  et  petits,  s'emhar- 
([ua  dans  les  querelles  théologiques,  qui  furent  très  vives.  L'em- 
pereur s'en  occupa  pour   décider   en   dernier  ressort   ce   quiétail. 
selon  lui,   orthodoxe  et  ce   qui  ne  l'était   pas.    Il  se   rangea    à  la 
seconde    opinion,  d'après  laquelle    le    Fils    est    moindre    que    le 
Père,  eu  égard    aussi    à    la  nature    humaine,     et    fit   réunir    des 
])assages  des  Pères   :  saint  Athanase,  saint  Basile,  saint  Grégoire 
de  Nazianze,  saint  Jean  Chrysostome,  saint  Léon,  saint  Augustin, 
saint  Ambroise,    et  d'autres,    favorables    à   cette  interprétation, 
pour   les  distribuer  aux  patriarches  et  aux  prélats.  Par  des    con- 
versations dans  lesquelles  il  déploya  une  grande  connaissance  des 
Pères  et  beaucoup  de  finesse,  il  s'eiïorça  de  gagner  plusieurs  per- 
|r»78]  sonnes   à   son    opinion,    et   enfin   convoqua   à  un    grand   synode 
(svBrj^oiJja)     dans   son   palais,  à  Constantinople  ^,   les   patriarches 
de  Constantinople,  d'Antioche  et  de  Jérusalem,  les  dignitaires  de 
l'église  patriarcale  de  la  capitale  et  les  évêques  qui  s'y  trouvaient 
en  gxand  nombre  (depuis  la  prise  des  provinces   par  les  Sarrasins). 
L'empereur  présida  les  premières  sessions,    entouré   des  princes 
et  des  grands;   la  première  (marquée    la    seconde   dans  le  procès- 
verbal,  Tcpâçtç  fi')   s'ouvrit  le   mercredi  2  mars   1166.  On  demanda 
à  chaque  prélat  présent  dans  quel  sens  il  entendait   ces   mots   dvi 
Seigneur  :    «  Le    Père   est    plus    grand     que    moi;  »    la    plupart 
des  évêques,  abondant  dans  le  sens   de  l'empereur,   se  déclarèrent 
pour  la   seconde   des   cinq  opinions.  Toutefois,   certains   évêques, 
par  exemple,  ceux  de  Myre  et  de  Larisse,  préféraient  le  premier 
sentiment  d'après  lequel   le  Père   est   dit  plus  grand,  parce  qu'il 
est    l'atTt'a     du    Fils;   mais,  en    hommes    prudents,    ils    ne    refu- 
saient pas   d'admettre  les   autres  explications  des   Pères.  L'évc- 
que    de    Corinthe,    adhérant    au    troisième    parti,    insinua  que, 
dans   ce   passage,   le   Christ    avait   visé    son    abaissement   volon- 
taire,   et    l'évêque    de    Corcyre   embrassa,    de   son   côté,   la    cin- 
quième    opinion,     mais    en    ajoutant,     ainsi    que    ses    collègues, 
ffu'il  acceptait  les  autres  explications  des  Pères.  En  dernier  lieu, 


1.  Matth.,  XXVII,  46. 

2.  Mai,  Script,  vet.  nova  coll.,  t.  iv,  p.  4,  68  sq.,  83  sq. 

3.  Mai,  op.  cil.,  t.  iv,  p.  36,  81. 


1048  I.IAl^F.     XXXIV 

les  liois  parriarches,  Luc  de  Coiistantinoplo  on  Irle,  furent  d'avis 
que  l'état,  moindre  du  Fils  se  rapportait  aussi  à  sa  nature  humaine, 
et  ils  engafïèrent  les  membres  de  l'assemblée  qui  ne  s'étaient  pas 
expliqués  suffisamment  à  faire  connaître  clairement  leur  manière 
de  voir.  Ils  protestèrent  tous  qu'ils  étaient  d'accord  avec  les  pa-  • 

triarches,  et  la  session  se  termina  par  les  acclamations  ordinaires. 
Le  procès-verbal  de  cette  séance  fui  signé  dans  la  session  suivanle, 
le  6  mars,  par  l'empereur,  les  trois  patriarches  et  cinquante  arche- 
vêques. Comme  le  dimaîiche  siuNanl  (premier  du  carême)  tombait 
la  fête  de  l'Orthodoxie, célébrée  dans  l'Eorlise  grecque  pour  rappeler 
la  victoire  sur  les  iconoclastes,  on  adopta,  dans  une  troisième 
session,  quatre  canons,  qui  devaient  être  proclamés  ce  dimanche 
avec  les  autres  décrets. 

Ils  sonl  ainsi  conçois  : 

«  \.  Anathème  à  quiconque  fausse  le  sens  de  l'enseignement 
des    Pères  ou  le  modifie. 

«2.  Eternel  souvenir  à  quiconque  entend  aussi  de  l'humanité 
du  Christ  ses  propres  paroles  :  «  Le  Père  esl  jilus  grand  que  moi,» 
d'accord  avec  les  Pères,  et  reconnaît  que  le  Christ  a  réellemenl 
so\ifTerl  dans  sa  chair. 

<(  .').   Anathème  à  (juiconque  soutient  ({ue  la  nature  humaine  a  [679] 
élé  changée   en   la   nature   divine,   en   sorte   qu'il  n'y  aurait   pas 
eu  de  véritable    incarnation    et    c{ue    le    Seigneur   n'aurait     pas 
réellement  souffert,  ou  encore    à  qui  fait  rapporter  la  soTiffrance 
à  la  divinité  du  Fils  unique. 

«4.  Eternel  souvenir  à  quiconque  dil  (|uc  l'humanité  du  ChrisI 
a  été  exaltée  par  son  union  avec  la  diviiiilé.  ([u'elle  mérite  d'être 
l'objet  de  la  prière  et  cju'elle  est  assise  à  la  droite  du  Père  ... 
sans  mélange  des  propriétés  de  chaque  natvire  (l'empereur  avait 
lijouté   lui-même   cette   proposition   à   sa   signature)   ^.  » 

On  décida  que  désormais  ces  ({iialre  propositions  seraient 
proclamées  au  jour  de  la  fête  de  l'Orthodoxie,  et  que  le 
nouvel  archevêciue  de  Néocésarée,  cjue  l'on  allait  sacrer, 
a\irait  à  en  faire  profession.  Toutefois,  le  procès-verbal 
ayant  ])aru  à  certains  manquer  de  clarté,  le  synode  publia, 
dans  sa  quatrième  session  (la  cinquième,  d'après  le  procès- 
verbal),      une      formule      plus     ]irécise,      menaçant      d'analhèine 

1.  Ces  ([u.Uro  propositions,  ainsi  quo  dcnx  aiitros,  se  tronvent  dans  Coloti, 
(■nnrilin.  I.  xiii,  roi.  .13,^,  el,  dans  Mansi,  Cnuc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  1  sq. 


Ct'M.     CONCII-F.S     OniK.NTAlX     DR      1  1  G  ti     A      117  0)  lOlO 

quiconque  n"ai)i)llquerail  |»as  aussi  à  la  nature  humaine  du 
Fils  cette  parole  :  «  Le  Père  est  plus  «ïrand  que  moi,  »  et  rejetant 
formellement  toutes  les  autres  opinions.  Dans  la  cinquième 
session  (20  mars),  moins  nombreuse,  sous  la  présidence  du 
patriarche  de  Constantinople,  et  dans  la  sixième  ((»  avril) 
(le  procès-verbal  les  réunit  comme  sixième  session),  plusieurs 
cvèques  et  dignitaires  de  l'étrlisc  patriarcale  se  purgèrent  du 
reproche  d'enseigner  une  autre  doctrine.  On  proclama  alors  un 
cinquième  canon  ainsi  conçu  ^  :  «  Anathème  à  ({uiconque 
rejette  les  sentences  des  Pères  Athanase,  Cyrille.  Ambroise. 
Amphiloque.  le  pape  Léon  inspiré  de  Dieu,  etc.,  et  celles  des 
synodes  généraux,  en  particulier  du  quatrième  et  du  sixième  "^.  » 
L'empereur  [luhlia  alors  un  édit  condamnant  toutes  les  fausses 
explicati(»us  de  ce  passage  et  ordonnant  à  ses  sujets,  sous  des 
])eines  sévères,  de  se  conformer  sur  ce  point  à  la  foi  orthodoxe  -^ 
Ce  décret  impérial  fut  lu  dans  la  septième  session  (L4  avril)  "*. 
Dans  la  huitième  (6  mai).  Georges,  archevêque  de  Nicée,  fuL 
[680]  condamné,  à  la  demande  de  l'empereur,  à  une  suspense  dun  an, 
pour  avoir  protesté  de  nouveau  contre  la  doctrine  du  synode. 
Dans  la  session  du  (">  avril,  il  avait  été  condamné  à  une  peine 
plus  sévère  *^.  A  la  lin  du  synode,  le  patriarche  de  Constanti- 
nople (les  deux  autres  patriarches  étaient  déjà  })arlis)  signa  le 
jirocès-verbal  avec  vingt-neuf  archevêques  dont  les  noms  ne 
s'accordent  pas  pleinement  avec  les  signatures  de  la  seconde 
session. 

Pendant  ces  délibérations  sur  le  passage  de  l'Ecriture  sainte 
Luc.   patriarche   de   Const  antinn]Tle.   tint,  le    II    a\"]il.     une    autre 


1.  ^lai,  op.  cil.,  t.  IV,  p.  75. 

2.  Coleti.  t.  XIII,  col.  3.3.5;  Mansi,  op.  cit..  t.  xxii,  col.  3.  Ce  canon  (1  no  se 
Irouvf  nulle  part  dans  le  procès-verbal,  en  propres  termes;  mai«  il  existe 
quant  au  sens  dans  plusieurs  passages,  par  exemple  j^.  IR  sc[.,  83  sq. 
Peut-être  se  trouvait-il  dans  le  fragment,  maintenani  perdu,  de  la  session 
du  6  avril. 

3.  Mai,  op.   cil.,   t.    i.xxv-i  xxxv. 

't.  C'est  14  et  non  pas  4  avril  qu'il  faut  lire  à  la  p.  86  {'.Z',  et  non  pas  à'),  car 
la  sixième  session  avait  déjà  eu  lieu  le  G  .ivril.  el  à  la  p.  ',)1  il  est  clairement 
question  de  la  session  tenue  le  l'i  avril. 

."i.   Cette  partie  du  procès-verhal  à  laquelle  il  ost  init  allusion  p.  90-91  est    au- 
jourd'hui   perdue, 
f..   .loa..  XIV.  28. 


lOnO  LIVRE     XXXIV 

session  synodale  dans  la  paiiic  de  l'église  Sainte-Sophie  réservée 
aux  catéchumènes.  On  devait  y  agiter  la  question  des  mariages  au 
septième  degré  de  consanguinité.  Alexis,  patriarche  de  Constanti- 
nople  au  xi^  siècle,  avait  prohibé  ces  mariages,  mais  aussi  interdit  de 
les  dissoudre  s'ils  étaient  conclus,  sauf  à  infliger  quelque  pénitence 
aux  époux.  Nicolas  Hagiotheoderitiis,  archevêque  d'Athènes,  fit 
remarquer  que  beaucoup  abusaient  de  cet  édit  el  contractaient 
frauduleusement  de  semblables  mariages,  ([uoiqu'ils  connussent 
leurs  liens  de  |>arenté  réciproque.  Afin  de  détruire  cet  abus,  on 
décida  (|ue  désormais  tout  mariage  ainsi  contracté  serait 
cassé  et  les  contractants  excommuniés.  Mansi  a  joint  au  procès- 
verbal  de  cette  session  synodale  toute  une  série  d'ordonnances 
du  ]iatriarche  Luc  sur  divers  sujets  :  elles  n'avaient  été  réunies 
qu'après  la  mort  de  ce  patriarche.  Vient  ensuite  \in  décret 
impérial  confirmant  l'ordonnance  synodale  contre  les  mariages 
incestueux  ^. 

Le  zèle  religieux  de  l'empereur  Manuel  Comnène  se  préoccupa 
aussi  de  rétablir  l'union  de  l'Église. Dans  sa  pensée,  l'Orient  comme 
l 'Occident,  l'Arménie  comme  l'Europe,  devaient  se  réconcilier  avec 
l'Eglise  grecque.  Il  entra  en  relations  avec  Narsès,  kathohcos  des 
y\rméniens,  et  l'invita  à  lui  exposer  sa  foi  par  écrit.  Le  katholicos 
le  fit;  mais  comme  cette  profession  de  foi  renfermait  des  doctrines 
hétérodoxes  et  notamment  le  monophysisme,  l'empereur  en- 
voya aux  ArméTiiens,  en  1169  ou  1170,  une  importante  ambassade 
ayant  à  sa  tête  le  savant  philosophe  ou  théologien  grec  Theorianus 
afin  d'entrer  en  pourparlers  avec  eux.  Le  katholicos  accepta  la  [681] 
discussion  et,  aidé  de  quelques  évêques  et  théologiens  de  sa  nation, 
soutint  d'intéressants  colloques  avec  les  grecs,  dont  les  argumen- 
tations nous  ont  été  conservées.  Le  résultat  fut  que  le  katholicos 
se  déclara  prêt  à  embrasser  le  diophysisme  et  le  concile  de  Chal- 
cédoine.  Pour  gagner  sa  nation  à  l'orthodoxie,  il  combina  un 
plan  avec  les  grecs  :  il  réunirait  en  synode  tous  les  évêques  placés 
sous  sa  juridiction,  leur  exposerait  ensuite  les  arguments  des  grecs, 
ferait  d'abord  mine  de  les  combattre,  reconnaîtrait  ensuite  peu  à 
peu  ce  qu'ils  avaient  de  fondé,  etfinalement  se  prononcerait  pour  la 
doctrine  des  deux  natures.  Il  espérait  être  suivi  de  tous  et  arriver  à 
ce  qu'il  n'y  eût  plus  qu'un  se\il  troupeau  et  qu'im  seid  pasteur.  En 


1.   Mansi,  Lotie,  anipliss.  coll..  t.  xxii,  col.  11-26. 


G31.     CONCILES     OniENTAlX     D  K     1  1  T.  f,     A      1176  lOol 

toul    cas,   il  comptait   s'adresser  à  l'empereur  et  aux  patriarches 
avec  ceux  qui  penseraient  comme  lui  et  procurer  ainsi  l'union  ^. 

A  propos  des  tentatives  d'union  avec  l'Eglise  latine,  Léo 
Allatius  a  établi,  d'après  plusieurs  documents,  que  le  pape 
Alexandre  envoya  dans  ce  but  plusieurs  cardinaux  à  Constanti- 
nople;  il  demandait  uniquement  qu'on  reconnût  ces  trois  points: 
primauté  de  Rome,  droit  d'appel  au  Saint-Siège  et  mention  du 
pape  dans  les  prières  de  l'Eglise  grecque;  mais  le  patriarche  de 
Constantinople  Michel  Anchialus  refusa,  dans  un  synode  célébré 
à  Constantinople,  de  donner  satisfaction  à  ces  demandes.  Mansi 
place  cette  assemblée  en  1168  ^,  tandis  qu'une  note  de  Pagi  ^  retarde 
jusqu'en     1169    l'arrivée    du    patriarche     Michel    au    pouvoir   *. 


1.  Mansi,  op.  cil.,  t.  xxii^  col.  37-120. 

2.  Colpti,   Concilia,   t.   xiir,   col.   S'iS;     Mansi,   Cane,   ampliss.    coll.,   t.    xxii 
col.  31. 

3.  Pagi,  Critica,  ad  ann.  1166_,  n.  17. 

'i.  Manuel  Comnène  se  mêlait  beaucoup  trop  des  affaires  d'Italie,  au  gré  de 
Frédéric  Barberousse.  Non  seulement  il  envoyait  des  subsides  aux  villes  lom- 
bardes, mais  il  cherchait  à  prendre  le  rôle  de  protecteur  de  la  papauté.  «  Cette 
tendance  est  visible  dès  les  premiers  mois  de  l'année  1166;  à  partir  de  cette 
époque,  nous  voyons,  en  effet,  le  bnsileus  s'ingéniera  faire  disparaître  les  diffi- 
cultés qui  ont  séparé  Rome  de  Constantinople.  Dans  un  concile  tenu  dans  sa 
capitale  en  1176,  Manuel  cherche  à  user  de  son  autorité  pour  faire  trancher  dans 
Je  sens  de  l'interprétation  romaine  diverses  questions  de  dogme.  Zacharie  a 
Lingenthal,  Jus  grseco-romanum,  t.  m,  p.  485.  En  outre,  plusieurs  écrits,  rédigés 
vers  cette  même  époque,  nous  montrent  que,  à  Constantinople,  on  a  sérieuse- 
ment envisagé  la  question  de  la  réunion  des  Églises.  Cf.  Andronic  Katameros, 
dans  Hergemôther,  P/wtios,  t.  m,  p.  808  sq.  Cette  question  sortit  d'ailleurs 
bientôt  du  domaine  de  la  théologie  pour  entrer  dans  celui  de  la  politique.  Très 
probablement,  c'est  à  ce  sujet  que  l'archevêque  de  Bénévent  fut  chargé  d'une 
mission  à  Constantinople  (Ughelli,  Italia  sacra,  t.  viii,  p.  119),  car  bientôt 
nous  voyons  l'empereur  faire  un  pas  décisif  et  faire  connaître  à  Alexandre  III 
toute  sa  pensée  à  cet  égard.  Manuel  Comnène,  en  effet,  envoya  à  Rome  le  sébaste 
•Jourdain,  fils  de  Robert  de  Capoue,  et  le  chargea  de  proposer  au  pape  la  réunion 
de  l'Église  grecque  à  l'Église  romaine.  Vita  Alexandri,  dans  Liber  pontifie, 
1.  II,  p.  41.5.  En  échange,  le  basili'ns  demandait  à  Alexandre  III  de  lui  accorder 
la  couronne  impériale  et  de  rétablir  en  sa  faveur  l'unité  de  l'empire.  Pour  ache- 
ver de  convaincre  le  pape.  Manuel  s'engageait  à  lui  verser  des  subsides  si  abon- 
dants que  non  seulement  Rome,  mais  encore  toute  l'Italie  pourraient  être  ache- 
tées et  s'empresseraient  de  reconnaître  l'autorité  pontificale.  Après  en  avoir 
délibéré  avec  les  cardinaux,  le  pape  décida  de  prendre  en  considération  les  ouver- 
tures qui  lui  étaient  faites  et  envoya  à  Constantinople  Ubald.  cardinal-évêque 
d'Ostie,  et  Jean,  cardinal  du   titre  de  Saint-Jean  et  de  Saint-Paul,  pour  pour- 


1052  I.IVRF,     XXXIV 

Mansi  a  rc'-uni  diverses  oidoiniauees  rendues  par  le  ]>atriarche 
Michel  dans  des  synodes  célébrés  à  Constantinople  entre  1170  et 
1176  1. 


632.  Conciles  occidentaux  de   1166  à  1176. 

En  116(i.  le  idi  d'Angleterre  réunit  en  im  nrund  concile  au  Mans 
les  arche^  éques,  les  évêques  et  les  principaux  personnages  du 
royaume.  L'objet  de  cette  réunion  l'ut  de  décider  les  secours  à  [6821 
envoyer  en  Terre  Sainte  :  on  convint  de  prélever  un  impôt  sur  tous 
les  biens  meubles  et  immeubles.  Cet  impôt  devait  être  de  deux  de- 
niers par  livre  en  1166  et  de  un  denier  par  livre  les  années  suivantes. 
Le  roi  de  France  avait  fait  des  prescriptions  analogues  pour  s(»n 
royaume  ^. 

Nous  ne  savons  presque  rien  d'un  concile  hongrois  que 
Lucas,  métropolitain  de  Gran.  tint  dans  cette  ville,  en  1169, 
pour  empêcher  le  roi  Etienne  III  de  donner  à  son  gré  et  d'iine 
manière  simoniaque  des  charges  ecclésiastiques  et  de  s'appro- 
prier injustement  les  biens  des  églises.  L'exhortation  qu'il  adressa 
au  roi,  sur  l'ordre  du  synode,  n'eut  qu'un  effet  passager  ^. 

Le  concile  national  irlandais  célébré  à  Armagh,  en  1171,  prit  une 
décision  qui  mérite  d'être  remarqiiée.  Quelques  comtes  et  seigneurs 
anglais,  le  comte  de  Pembroke  en  particulier,  mettant  à  profit 
les  perpétuelles  discordes  intestines  des  Irlandais,  s'étaient  empa- 
rés d'une  notable  partie  de  l'île  qu'ils  tyrannisaient.  Les  évêques 
y  virent  un  tliAtiinent  de  Dieu,  parce  <|u('  l'Irlande  avait  vendu 
a\ix  ])irates,  comme    esclaves,    une    niultitudt^   d'Anglais    (pu'    les 


suivre  les  négociations.  La  date  de  ces  négociations  paraît  être  printemps  ou  été 
de  1166.  »  F.  Chalandon.  fFi.ttoire  de  la  domination  normande  en  Italie  et  en  .Sicile, 
t.  II,  p.  359,  n.  t.    (H.  L.) 

1.  Mansi,  Cane,  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  coi.  Vl'.i.  Ces  ordonnances  sont  grou- 
pées sons  le  titre  :  Constantinopolitanum  concilium  anni  1171,  des  diverses 
ordonnances. 

2.  Coleli,  Concilia,  t.  xiii,  col.  343;  Mansi.  Co/jr.  ampliss.  coll..  t.  xxii,  col. 
32;  Pagi,  Critic.a,  ad  ann.  1164,  n.  28. 

3.  Mansi,   Concilia,   Snpplém.,    I.    iii,   col.    UH't;   Conc.   amplis.'i.   coll.     (.  xxu 
col.  36 


liK'J.    I.ONCILKS     Ol.ClUE.N  1  AUX     Di:      I   Ui  (J      A      I17G  lOoo 

L'vecjues  jnescrivireul    ik-    ieiu(>t  lie    iiiuiiédiatement    en    liberté  ^ 
On  avait  espéré  en  vain  sain  ttiarder  par  cette  mesure  la  liberté 
de    l'Irlande;    en    octobre   de   celle   iiiènie    année,   le  roi    d'Anirlc- 
terre  Henri  II  débar(}ua  sui'  la  cote  irlandaise   pour  s'emparer   de 
toute  l'île.    Déjà   le   pa))e    Adrien    I\ .     ]nir  une  bulle   de    1155  -, 
avait  adjuoé    à    ce    ]iiince    la    possession    héréditaire    de  ce   pavs, 
cédé    au   Saint-Siège,   a^"ec    toutes  les    aijlres    îles,    pai'    l;i  (btna- 
lion    de    Constantin    **.      Adrien     avait     seulement     mis     la     coii- 
ililioM       ipu'      le      nouveau       possesseur     amélioreiait       It^lal      de 
l'Irlande.    D"après    UoberL  de   Monte,   Henri   II,  dans   la   diète  de 
Winchester    (27    septembre  1155).  avait  réellement  songé  à  s'em- 
parer de  l'Irlande;  mais  il  renonça  momentanément  à  son  projet 
sur  le  désir  de  l'impératrice  mère  ^.  IMus  tard,   ses  luttes  a\  ec  Tho- 
mas Becket  en  avaient  également   lait    difl'érer  l'exécution,   mais 
en  1171  le  roi  n'en  poussa  que  plus  rapidemeni    les  choses.    11  neul 
pas  de  peine  à  gagner  à  sa  cause  tous  les  grands  de  T Irlande,  prin- 
ces ou  rois;  et  à  peine  débarqué  depuis  quatorze  jours,   il  réunit 
autour  de  lui,  à  Waterford,  les  principaux  laïcs  et  ecclésiastiques, 
notamment  tout  l'épiscopat.  Tous  le  reconnurent  pour  souverain 
légitime.   Aussitôt   après   (b  novembre    1171).   il  réunit    à    Casliel 
un  concile  national  irlandais,  sous  la  présidence  de  l'évèque  Chris- 
tian de  Lismore.  légat  du  ])ape  ^.  L'assemblée    devait    proscrire 
divers   abus   ecclésiastiques    :   les    mariages   entre   parents   furent 
défendus,  les  rites  du  baptême  fixés,  les  églises  reçurent  une  dîme, 


1.  Hardouin^  Coiic.   coll.,   t.   \i,  part.   2,  col,   1627;  Coleti,  Concilia,    l.    xiii, 
col.  341);  Mansi,  Coiic.  atnpli^i).  cuil.,  t.  xxii,  col.  12o. 

2.  Jafïé;  Regesla,  n.  0908,  P.  L.,  t.  clxxxviii.  col.  1441.  Depuis,  divers  auteurs 
ont  clierché  à  contester  rauthenticité  de  cette  bulle,  et,  à  mon  avis,  eu  sap- 
puyant  sur  des  motifs  dignes  de  retenir  l'attention. Cf.^na/ecto  /un'ô-  ponli}.,  1882, 
livr.  185  et  186,257-397;  dom  Gasquet,  dans  la  Dublin  re^'iew,  juillet  1883;Moran, 
Essays  on  ifie  early  irinh  Churcli,\SlS;  Zeiischrifl  f iir  kalholische  Théologie,  Ins- 
pruck,1884,  vin'^  ann.,  p.  444.  [Je  ne  saurais,  pour  ma  part,  m'associer  à  ce  doute  ; 
voir  la  dissertation  du  P.  H.  Thurstoii,  Tlie  english  pope  and  liis  irish  bull, 
dans  The  month,  avril  et  mai  1906.  (H.  L.)] 

3.  N'insistons  pas.  (H.  L.) 

4.  Moniini.   Germ.  hist.,  Script.,  t.  vi,  p.  505. 

5.  Cashel,  comté  de  'lipperary,  province  de  Munster.  (Joli,  regut.  I.  xxvu, 
col.  387;  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  1453-1456;  Ilardouin,  Cunc.  coll..  t.  vi,  part.  2, 
lol.  1627;  Coleti.  Concilia,  t.  xiii,  col.  349;  Mansi,  Conc.  ainpliss.  coll..  t.  xxii, 
«ol.  13i;;  Reuter,  op.  cit.,  t.  m.  p.  135  sq.  ;  Irish  archseolog.  sociely,  1850,  t.  xiii, 
p.  264-267.  [R.  L.) 


1()54  1,1  vni:   xx.xiv 

les  l)ieiis  ecclésiasi  unies  liirciil  cxciiipLés  de  louli'  ictlex  aiicc  cL 
prestation:  le  culh^  tout  entier  fnt,  en  un  niol.  organisé  sur  le 
niodèl(!  de  ce  (|ui  se  faisait  en  Angleterre.  11  fut  décidé  que,  dans 
le  cas  où  une  l'aniille  entière  devait  payer  une  «  composition  » 
liour  un  meurtre  commis  ^,  les  membres  ecclésiastiques  de  ces 
famdles  seraient  exonérés  de  leur  part, comme  étrangers  au  meurtre. 
Un  chrétien  près  de  la  mort  doit  tester  en  présence  de  son  confes- 
seur et  de  témoins,  diviser  ses  biens  meubles  en  trois  parts,  i)our 
ses  enfants,  pour  sa  femme  et  pour  le  prix  de  ses  funérailles.  C-eux 
(|ui  niourronl  en  chrétiens  recevront  les  derniers  honneurs  :  messe, 
\igiles  et  sé[)ulture  ecclésiastiques. L'archevêque  d'Armagh, n'ayant 
])u,  à  cause  de  son  grand  âge,  assister  au  synode,  vint  à  Dublin 
prêter  serment  entre  les  mains  du  roi. 

En  avril  1172,  Henri  11  revint  en  Angleterre.  d"où  il  passa 
en  Normandie,  et  rencontra  au  château  de  Gorham,  puis  le 
lendemain  (17  mai)  au  monastère  de  Savigny,  près  d'Avranches, 
les  légats  du  pape,  Albert  et  Théodwin,  qui  l'avaient  longtemps 
attendu.  A  cette  réunion  assistaient  l'archevêque  Rotrocus  de 
Kouen,  beaucou})  d'évêtjues  et  de  grands  du  royaume.  Comme  les 
demandes  des  légats  lui  paraissaient  exagérées,  le  roi  interrompit 
brusquement  les  négociations  dans  un  accès  de  mauvaise  humeur, 
et  parla  de  retourner  en  Irlande;  mais  le  surlendemain,  l'évêque 
Arnulf  de  Lisieux  et  les  archidiacres  de  Poitiers  et  de  Salisbury  lui  [684] 
persuadèrent  de  reprendre  les  conférences,  qui,  cette  fois,  abouti- 
rent. Henri  fut  solennellement  réconcilié  avec  l'Eglise,  dans  la  cathé- 
drale de  Saint-André  à  Avranches,le  [21  mai  1172],  dimanche  avant 
l'Ascension  ^,  Son  fils  aîné  ^,  récemment  couronné  roi  sous  le  nom 
il'Henri  111,  assistait  à  la  cérémonie,  avec  les  légats  du  pape,  tous 
les  évê(|ucs  et  abbés  de  Normandie.  Devant  cette  illustre  assemblée, 
le  roi  jura  solennellement,  sur  les  saints  Evangiles  et  les  reliques 
des  saillis,  n'avoir  jamais  ordonné  ni  voulu  la  mort  de  l'archevêque 


1.  C'est  le  wehrgeld  ou  conipcusatiou  pécuniaire  pour  un  crime. 

2.  C.  Lebreton,  La  pénitence  du  roi  Henri  H  et  le  concile  d  A^  ranches  en  1172, 
in-8,  Saint-Brieuc,  1885;  Magon-Delalande,  Rapport  fait  à    la   Société   d'archéo_ 
logie  d'Avranches  relativement  à  la  prière  expiatoire  d'Henri  1 1 .  mi  dJ Angleterre 
in-8,  Avranches,  1841.   (II.  L.) 

3.  Henri,  que  la  plupart  des  historiens  s'obsliuenl  encore  à  nommer  Henri 
Courl-Maulel.  sobriquet  qui  appartient  cxclusivemeiil  i'i  Henri  1  [  Piantagenet. 
(H.  L.) 


C)o2.     CO.NCII.KS    OCCIUli.N  TAUX     IJ  IC       lllid     A      I   I  7  tj  10o5 

(If  Canlorbéry,  (lu'il  déplorait  profondément.  Toutefois,  crai<i;nant 
((ue  son  mouvement  de  colère  et  sa  violence  n'eussent  donné 
occasion  au  meurtre,  il  voulait  donner  satisfaction  par  sepi  pro- 
messes faites  sous  la  foi  du  serment  : 

1.  Il  ne  se  séparera  jamais  de  l'obédience  du  pape  Alexandre 
et  de  ses  successeurs,  tant  que  ceux-ci  le  traiteront  en  souverain 
catholique. 

2.  Les  appels  au  pape  seront  désormais  libres;  Loulefois.  les 
appelants  suspects  devront  certifier  auparavant  qu'ils  ne  ven- 
iciil  luiire  ni  au  roi  ni  au  royaume  {bona  fide  et  absque  fraude 
et  iiialo  ingenio). 

3.  A  Xoël,  il  prendra  la  croix  pour  trois  ans  et,  l'été  suivant, 
iia  en  personne  à  Jérusalem,  si  le  pape  ne  le  retient.  S'il  devait 
marcher  contre  les  Sarrasins  d'Espagne,  le  temps  que  lui 
prendrait  cette  guerre  serait  déduit  des  trois  années  de  sa 
croisade. 

4.  En  attendant,  à  partir  de  la  Pentecôte  prochaine,  il  don- 
nera aux  Templiers  tout  l'argent  nécessaire  pour  l'entretien 
de  deux  cents  soldats  pendant  un  an. 

5.  Il  pardonne  à  tous  clercs  et  laïques  ayant  fait  cause  com- 
mune avec  Thomas;  ils  peuvent  revenir  sans  encombre  sur 
leurs  terres. 

6.  Les  biens  de  l'église  de  Cantorbéry  seront  restitués,  tels 
([u'ils  étaient  lorsque  Thomas  avait  quitté  l'Angleterre. 

7.  Il  veut  abolir  complètement  les  coutumes  introduites  auus 
son  rès;ne,  au  détriment  des  églises. 

Le  jeune  roi  Henri  III  dut  prêter  les  mêmes  serments  que 
son  père,  et  les  légats  conduisirent  alors  de  son  plein  gré  Henri  III, 
devant  la  porte  de  l'église,  où  il  reçut  à  genoux  l'absolution.  On 
imposa  aussi  au  roi,  mais  d'une  manière  tout  à  fait  privée,  un  cer- 
tain nombre  d'œuvres  de  pénitences,  de  jeûnes  et  d'aumônes.  Pour 
coniirmer  le  serment  prêté  à  Avranches  et  écarter  tout  doute  à 
ce  sujet,  ce  serment  fut  renouvelé  solennellement  le  30  mai,  à 
[685]  Cuen,  en  présence  des  évêques  et  des  grands  du  royaume;  de  leur 
côté,  les  légats  remirent  au  r(»i  une  relation  des  événements^.  Le 


1.  Coll.  regia,  t.  xxvii,  col.  388;  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  1^57-1401  ;  Pomme- 
luyc,  Conc.  Rolhoinag.,  p.  154;  Hardouin,  l.  vi,  pail.  '1,  col.  1G31  ;  Bessiii;  Conc. 
Ilolomu'^.,  p.  84;  Coleti.  Concilia,  l.  xiii,  col.  355,  359;  Mausi,  Conc.  ampliss. 
coll..  l.  XXII.  col.  13G;  W'atleiich,  op.  cit.,  t.  r,  p.  418.  590.  notr  2;  Reuter.  op. 


iOhii 


i.i\in:    \\\i\ 


Sfriiu'iil  |iirl  (•  p;ii'  le  nii.  Ici  ([ii  on  |mmi  I  le  lire  (la  as  Baroiiius  cl  dans 
l;i  \  il((  Ale.randri  ///'.lail  voir  ([ii"  I  Iciiii  fl  rcconnul  tenir  son 
royaiinic  d'Ant2,lelcrre  comme  fief  du  pape;  loulel'ois.  le  jirocès- 
verLal  de  laliscdnlion  donnée  parles  cardinavix  n(;  contenant  rien 
de  semblable,  qnoicpi'il  renferme  ton  les  les  déclarations  faites 
))ar  le  r(  i.  on  est  fondé  à  regarder  cesermeni  comme  apocryphe 
on  interpolé;  daillcMirs,  le  caracl  ère  même  d'Henri  IJ  ne  se  prêtait 
Lin  ère  à  nn  pareil  aele  de  sonniission.  l'aidi -sCIVoree  de  modilier  le 
sensdelaformnle  ponr  l'alfaiblii'  :  mais  eelU;  l'oi'mnle  s'ap])li([uesans 
doiile  |iossible  an  (h'<iil  de  snzerainelé  dn  pape,  (.e  [uissage, 
placé  enlre  erochi'ls  dans  la  ncile  précédente,  manque,  il  est 
vrai,  dans  nn  nninnscrit.  il  y  a  donc  des  raisons  de  croire 
que  ce  fut  une  interpolation  idtérienre^  in-ovocjnée,  je  supi)ose, 
par  la  dévot(>  re([uète  adressée  raiinée  sni\anle  ;i  n  pape  Alexan- 
dre par  Henri  II.  à  la  suite  de  sa  lutte  contre  son  lils.  Après  la 
réconciliation  (l'A  \ianches,  les  légats  visitèrent  les  églises  et  les 
abbayes  de  Normandie,  et  Rotrocns.  archevêque  de  Rouen,  assisté 
des  évècines  Gilles  d'Kvrenx  el  Kogei'  de  Worcester.  couronna 
à  Winchester,  le  21  aoùl.  Henri  111  et  sa  femme  Margueiile.  lillc 
de  l;oiiis  Vil  de  l'ianee.  Le  27  sept  ('mljrc '',  Henri  II  avait 
convocjné  les  é\è(|ues  de  son  royannu'  en  nn  granil  eoueile 
à  Avranches  {(■onciliuiii  ,l/^/-z/ic«ien6e)  jxmr  I  railer  un  certain  nom- 
bre de  questions  ecclésiastiques  en  présence  deslégals  du  [)ape. 
On  y  décréta  les  douze  canons  suivants  : 

1.  On  ne  peut    conférer    à    des    enfants    aucun    bénéfice    com- 
portant charge  d'âmes. 

2.  Les    lils   des   prêtres   ne   doi\cnt    [»as    héritei-  des   charges   de 
leurs  [jères. 


Cit.,  i.  m,  p.  144  sq.,  718  sq.  A  Caeu  lui  cgalemcnl  lève  1  iiiturdit  juLr  sur  l'Angle- 
terre à  la  suite  du  meurtre  de  Tlionias  Beckcl. 

1.  Prœlerea  ego  et  major  fdius  meus  rex  jwaïuus,    quod  a    dumno    Alexandro 
papa  el  ejus  calhollcls  successoribiis  [recipiemus  el  tenebimus  regnum    Angliss  el 
et  nostri  successores  in  perpetuum  non  repulahimus  nos  Angliie  reges  veros], 


nos 


donec  ipsi  nos  catholicos  reges    Icnuerinl.  WalLerich.  op.  cit.,  t.  ii,  p.  419. 

2.  R.  Pauli.  Geschichte  von  England,  dans  J.-M.  Lappenberg.  Geschidite  der 
europàischen  Slaaten,  1834,  t.  m,  p.  103. 

3.  RcuteV^  op.  cil..  I.   111.,  i>.  720. 

4.  Benoît,,  abbé  dr  J'eLerboroudi,  el  après  lui  lloger  de  llovedeu  et  d  au  tics 
auteurs  plaeent  ce  concile  au  jour  cpii  suivit  la  réconciliation  du  roi,  mais  ils 
l'ont  dater  cette  réc'>ncilialio:i  du  '27  septembre   au  lieu  du  21  mai. 


G3l*.     CONCILES    OCCIDEMAUX     DE     IIGG      A     1170  lU57 

[686]       3.   J,es  laïques  ne  doivent  avoir  aucune  part  aux  offrandes  faites 
aux  églises. 

4.  On  ne  doit  pas  donner  les  églises  à  des  vicaires  payés  à 
l'année. 

5.  Dans  les  grandes  églises,  les  jjrètrcs  doivent  prendre,  si  les 
revenus  le  permettent,  un  prêtre  auxiliaire. 

G.    Nul  ne  doit  être  ordonné  prêtre  sans   un  tilre   déterminé. 

7.  On  ne  doit  pas  afîermer  les  églises  jiour  des  redevances 
annuelles  déterminées  {ad  firinam  annuavi-^  cf.  Du  Cange,  au 
mot  Firnia). 

8.  On  doit  laisser  inlcgralemeut  le  tiers  de  la  dîme  au  prêtre 
qui  dessert  l'église. 

9.  Celui  qui  possède  une  dîme  par  héritage  doit  la  donner  à 
un  clerc  digne  choisi  par  lui,  avec  la  charge  pour  ce  prêtre  de 
rendre  plus  tard  la  dîme  à  l'église   à  laquelle  elle  appartient. 

10.  Une  personne  mariée  ne  peut  pas,  du  vivant  de  son  con- 
joint, entrer  en  religion,  sauf  dans  un  âge  avancé. 

il.  Pendant  l'avent,  tous  doivent  jeûner,  surtout  les  clercs 
et  les  nobles  {milites). 

12.  Les  clercs  ne  doivent  remplir  aucune  fonction  dans  les 
tribunaux   civils. 

Un  treizième  canon,  réglant  l'aflectation  des  diverses  parties 
des  revenus  des  clercs,  ne  fut  pas  accepté  par  les  évêques  nor- 
mands. L'archevêque  de  Tours  chercha  aussi  à  faire  revivre  ses 
anciens  droits  métropolitains  sur  Dol  ^. 

Après  la  réconciliation  entre  le  roi  Henri  et  le  pape,  on  songea 
à  pourvoir  aux  évêchés  d'Angleterre  alors  vacants  et  suri  ont 
au  siège  primatial.  Pour  ce  dernier,  les  choses  traînaient  en  lon- 
gueur, grâce  aux  intrigues  du  roi,  qui  ne  voulait  pas  laisser 
l'élection  s'accomplir  librement  et  craignait  la  nomination  d'un 
homme  énergique.  I^e  3  juin  1173  ^,  Henri  réussit  enfin  à  faire 
élire  Richard,  prieur  de  Douvres.  Les  évêques  suiîragants  de 
Cantorbéry  et  les  membres  les  plus  anciens  de  Christ-Church'^ 
s'étaient  réunis  en  synode  pour  l'élection,  dans  la  chapelle  de 
Sainte-Catherine    de  l'abbaye  de  Westminster  ^.  On  lut  la   bulle 


1.  Voir  la  bibliographie  de  ce  concile  donnée  à  la  page  précédente. 

2.  Reuter,  op.  cit.,  t.  m,  p.  165,  note  5. 

3.  Vita  Ale.randri  III,  dans  Watterich,  t.  ii,  p.  420;  Reuter,  op.  cil.,  p.  167. 

•1.  J.  Cartwright,  Cliiisl-Clnirch,  or  Uohj  Tiiiiity  cathcdral  and  nwuuslcrij  u[ 

CONCILES  —  V  —  t;7 


1058 


LIVRE     XXXIV 


pontificale  de  canonlsaliou  de  Tliomas  BeckcL  publiée  en 
mars  ^,  et  les  évoques  naguère  si  hostiles  au  primat,  entre 
autres  Roger  d'York  et  Gilbert  Folioth  de  Londres,  le  sup- 
plièrent d'intercéder  pour  eux  auprès  de  Dieu.  Pevi  auparavant, 
ils  avaient  déclaré  sous  serment  n'avoir  eu  aucune  part  à  sa  mort, 
ce  qui  avait  permis  de  les  relever  de  l'excommunication  et  de  les 
réintégrer  dans  leurs  charges  2.  Le  nouvel  archevêque,  Richard,  r687Ï" 
homme  pieux  et  ascétique,  ne  déploya  pas  assez  d'énergie  à 
l'égard  de  son  clergé  ni  envers  la  cour.  Il  ne  sut  pas  profiter 
de  la  victoire  que  Thomas  Becket  avait  remportée  par  sa  mort 
ni  s'opposer  au  dérèglement  des  mœurs.  Son  propre  chancelier, 
le  célèbre  Pierre  de  Blois,  lui  reprocha  avec  une  grande  énergie 
cette  faiblesse  et  ce  laisser-aller  ^.  On  n'avait  pas  eu  le  temps 
de  constater  les  heureux  effets  de  la  réconciliation  du  roi, 
lorsqu'au  printemps  de  1173  une  guerre  civile  éclata  entre 
Henri  II  et  ses  fils,  soutenus  par  leur  mère,  la  reine  Eléonore, 
Cette  guerre  eut  pour  cause  la  dureté  du  vieux  roi  et  son  obsti- 
nation à  refuser  la  moindre  part,  dans  le  gouvernement,  à  son 
fils  aîné,  Henri  III,  déjà  couronné  roi  d'Angleterre.  Le  roi  de 
France,  Louis  VII,  beau-père  d'Henri  III,  et  le  roi  d'Ecosse 
avaient  envenimé  le  différend.  Le  père  et  le  fils  s'adressèrent  au 
pape,  et  Henri  II  reconnut  la  suzeraineté  supérieure  du  pape  sur 
l'Angleterre;  néanmoins,  Alexandre  s'abstint  de  prendre  parti 
et  chercha  plutôt  à  trouver  un  terrain  d'entente  avec  le  secours  de 
son  légat,  l'archevêque  de  Tarentaise.  La  conférence  de  Gisors  * 
(septembre  1173)  demeura  sans  résultat,  la  guerre  continua  et 
fut  conduite  des  deux  côtés  avec  une  grande  cruauté.  Au  début,  le 
jeune  prince  sembla  devoir  rester  vainqueur;  mais  Henri  II, 
n'ayant  pas  hésité  à  faire  au  tombeau  de  saint  Thomas  Becket 
d'humbles  pèlerinages  et  des  exercices  de  pénitence,  regagna  par 
à   de  nombreuses    sympathies.  On  crut  généralement  que   l'inter- 


Benedictines  in  Canlerbury,  dans  Dugdale,  Monasficon  Anglicanum,  184G,  L.  i; 
p.  81-119,  (H.  L.) 

1.  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  1178;  Mansi,  Concilia,  Supplém.,  t.  11,  col.  667; 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxn,  col.  142.  (H.  L.) 

2.  Reuter,  op.  cit.,  t.  m,  p.  139  sq.,  place  celte  réintégration  en  1172. 

3.  Pierre  de  Blois,    Epist.,  t.  v,  P.  L.,  t.  ccvii,  col.  13;  Reuter,  op.  cil.,  t.  m, 
p.  370  sq, 

4.  Gisors,  canton  dudit,  arrondissement  des  Audelya,  département  de  l'Eure 


C32.    CO.NCILES    OCCIDENTAUX    DE     IIGG    A     11  /G  1059 

cession  ilu  saint  avait  procuré  la  victoire  aux  armes  royales. 
Le  13  juillet  1174,  le  roi  Guillaume  d'Ecosse  fut  battu  et  fait  pri- 
sonnier près  d'Alnwick  ^  et,  en  moins  de  trente  jours,  Henri  II 
redevint  maître  incontesté  de  toute  l'Angleterre.  Lorsqu'en- 
suite  il  repassa  en  Normandie,  ses  adversaires,  loin  de  'lui  faire 
opposition,  cherchèrent  à  se  réconcilier  avec  lui,  réconciliation 
scellée,  à  la  lin  de  septembre  1174,  en  un  lieu  sis  entre  Gisors 
688]  et  Amboise  2.  Vers  cette  même  époque,  le  nouvel  arche- 
vêque, Richard  de  Cantorbéry,  ayant  reçu  à  Anagni  la 
consécration  des  mains  d'Alexandre  III,  était  revenu  en  Nor- 
mandie et  s'était  rencontré  à  Caen  avec  Henri  II.  Le  pape 
lui  avait  donné  pleins  pouvoirs  pour  aplanir  les  difficultés 
intérieures  du  royaume;  il  accompagna  le  roi  en  Angleterre  et, 
d'accord  avec  lui,  convoqua,  le  18  mai,  un  concile  à  Londres  ^, 
parfois  appelé  concile  de  Westminster  *.  Dès  le  9  mai,  Henri  II 
s'était  mis  d'accord  avec  son  fils  Henri  pour  assister  au  concile. 
Afin  de  remédier  à  la  situation  religieuse  et  morale  de  l'An- 
gleterre, ce  synode  décréta  dix-neuf  canons,  ([ui  sont  plutôt 
la  répétition  d'anciennes    ordonnances. 

1.  A  partir  du  sous-diaconat,  les  clercs  doivent  vivre  dans  la 
continence  et  quitter  leurs  femmes.  Les  fils  des  clercs  ne  doivent 
pas  hériter  des  charges  ecclésiastiques  de  leurs  pères. 

2.  Les  clercs  ne  doivent  pas  entrer  dans  les  hôtelleries,  si  ce 
n'est   en  voyage. 

3.  Ils  ne  doivent  prendre  part  à  aucun  jugement  tendant  à 
une  sentence  de  mort  ou  de  mutilation.  Ils  ne  doivent  pas  accep- 
ter de  charges  civiles. 

4.  Ils  ne  doivent  pas  laisser  croître  leurs  cheveux;  ils  porte- 
ront toujours  des  habits  convenables. 

5.  Ils  ne  doivent  pas  se  faire  ordonner  par  des  évêques  étrangers. 


1.  Alnwick,  comté  de  Northumberland. 

2.  R.  Pauli,  op.  cit.,  t.  m,  p.  105-122;  Reutcr,  op.  cit.,  t.  ni,  p.  170  sq.;  P.  L., 
t.  ce,  col.  1389;  Robert  de  Monte,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  vi,  p.  523. 

3.  XV  kal.  junii. 

'1.  Coll.  régie),  t.  xxvii,  col.  394;  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  I'i61-14G8;  Man- 
rique,  Annal,  cislerc,  t.  m,  p.  lG-17;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col. 
1635;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  362;  Wilkins,  Conc.  Brilann.,  t.  i,  p.  476-479; 
Mansi,  Conc.  amp/tss.  coll.,  t.  xxii,  col.  14G;  Reuter,  op.  cit.,  t.  m,  col.  373. 
(il.  L.) 


1000  LIVIUÎ     XX.VIV 

»).  On  ne  doit  jamais  rendre,  dans  une  église  ou  dans  un  cimetière, 
1111    jiiffement  entraînant  l'elfusion  du  sang. 

7.  On  ne  doil.  rien  demander  ])oui'  l'administration  des  sacrc- 
lueiUs  ni  jjour  l'enterrement. 

8.  Rien  non  plus  pour  l'admission  des  sujets  dans  vin  moiuistère. 
i>.    Défense  de  recevoir  île  l'arocnt  ou  iiii    don   (|nelcon([ue   pour 

la  présentation  à  une  place  C((lésiasti([iic.  Délense  de  donner  les 
églises  comme  ])résent  de  noces. 

1 0.  Les  moines  et  les  clercs  ne  doivent  pas  pratiquer  l'usure,  etc. 

1 1 .  Il  ne  doivent  pas  porter  les  armes. 

12.  Des  ^  icaires  infidèles  ne  seront  plus  admis  à  exercer  des 
l'onctions  dans  le  môme  évcché. 

13.  La  dîme  doit  être  perçue  sur  toutes  choses  :  fruils,  vin, 
animaux,  laine,  beurre,  fromage,  etc. 

14.  Lorsc{ue  deux  clercs  ont  entre  eux  un  [)rocès  sur  une  (jues- 
tion  d'argent,  les  frais  de  justice  seront  mis  à  la  charge  du  per- 
dant par  celui  qui  le  gagne. 

15.  On  n'emploiera  à  la  messe  que  dix  préfaces  déterminées 
(la  prsefatio  communis  manque). 

16.  Défense  de  tremper  l'hostie  consacrée  dans  le  vin  con- 
sacré; Judas  seul   fit  ainsi. 

17.  On  ne  se  servira  que  de  calices  d'or  ou  d'argent  et  jamais 

de  calices  d'étain.  [6801 

18.  Les  mariages  clandestins  sonL  défendus. 

19.  Défense  de  faire  des  mariages  entre  impubères,  sauf  pour  le 
bien  de  la  paix. 

On  s'occupa  aussi  du  ((luflil  entre  les  archevêques  de  Canlor- 
béry  et  {d'York;  ce  dernier  avait  envoyé  des  représentants 
réclamer  {)0ur  sa  métropole  les  évcchés  de  l/iucolu,  de  Wor- 
cester,  de  Chester  et  d'Hereford,  et  le  droit  de  faire  porter 
devant  lui  la  croix,  même  dans  le  diocèse  de  Cantorl)éry.  On  ne 
put  s'entendre  et  on  ai)pela  au  pape  sur  ce  point  comme  sur 
l'interdit  prononcé  par  Richard  contre  les  clercs  de  Saint- 
Osvvald  en  Clocestershire,  [tour  n'avoir  ])as  répondu  à  sa 
citation. 

Dans  le  même  concile,  les  clercs  deSainl-Asaf  se  plaignirent  de 
leur  évêque  Gaufried.  Ce  dernier  avait  abandonné  son  siège,  faute 
de  revenus  suffisants  et  par  suite  de  l'animosité  des  Gallois.  Les 
clercs  demandèrent  à  l'archevêque  d'obliger  Gaufried,  en  vertu  de 
l'obéissance  canonique,  à  réintégrer  son  siège  ou  à  démissionner. 


632.  coNriT.KS  orr.i dpntatx  de    llfifi  a   117G  1001 

GaTifried  choisit  ce  dernier  parti  cl  eut  ^lour  successeur  Adam  de 
Paris  ^. 

Pour  nommer  aux  abbayes  et  aux  évêchés  vacants  d'Angleterre? 
on  tint,  le  8  juillet  1175,  un  concile  à  Woodstock,  près  d'Oxford, 
sous  la  présidence  de  l'archevêque  de  Cantorbéry.  Jean  d'Oxford, 
t[ue  nous  connaissons,  reçut    l'évôché  deNorwich;    peu  de  temps 

(auparavant,  son  ancien  collègue  Richard  d'ilchester  avait  été 
élevé  au  siège  de  Winchester.  Le  roi  s'appliquait  visiblement  à 
récompenser  les  plus  serviles  dans  sa  lutte  contre  Thomas  Becket. 
Il  désigna  pour  le  siège  de  Lincoln  son  fils  naturel,  Godefroi  Plan- 
tagenet;  ce  choix  fut  approuvé  par  le  pape  et  ])ar  le  synode  de 
Woodstock.  Toutefois,  Godefroi  Plantagenet  étant  encore  trop 
jeune  pour  recevoir  les  ordres,  son  père  l'envoya  à  l'école  de  Tours. 
En  cette  même  année  1175,  le  roi  Henri  restaura  en  Irlande 
son  autorité,  fort  amoindrie  par  son  absence  depuis  le  printemps 
de  1172.  Alexandre  III  lui  confirma  la  donation  de  cette  île,  faite 
[600]  par  Hadrien  IV,  et  engagea  tous  les  princes  et  évêques  d'Irlande 
à  la  fidélité  envers  leur  souverain.  Les  évêques  devaient  porter 
remède  à  l'épouvantable  dépravation  des  mœurs  qui  sévissait 
parmi  le  peuple.  Les  lettres  papales  furent  lues  solennellement 
dans  le  synode  de  Waterford  et  dans  une  seconde  assemblée  tenue 
à  Windsor,  le  G  octobre  1175.  Roderic  O'Connor,  roi  de  Con- 
naught  et  jusqu'alors  chef  supérieur  de  l'Irlande,  chargea  l'ar- 
chevêque de  Dublin  de  prêter  en  son  nom  serment  de  vassalité  au 
roi  d'Angleterre,  comme  au  suzerain  légitime  -. 

Vers  la  Toussaint  de  1175,  le  cardinal  Hugues  Pierleoni,  légat 
pontifical,  vint  en  Angleterre.  Le  roi  l'avait  demandé  expressément, 
sachant,  disent  les  chroniqueurs,  que  pour  l'argent  il  faisait  tout 
ce  qu'on  voulait.  Il  réunit  à  la  mi-carême  de  1176  un  grand  con- 
cile à  Westminster  ^;  dès  le  dél)ul,  surgit  l'éternel  conflit 
pour  le  rang  et  la  priorité   entre   les   archevêques  de   Cantorbéry 


I 


1.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  144  ;  Robert  de  Monte,  dans  Monum. 
Germ.  hisL,  Script.,  t.  vi,  p.  52'i;  Reutcr,  op.  cil.,  t.  m,  p.  377  sq. 

2.  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  1468;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  xi,  part.  2,  col. 
1642;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  367;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col. 
155;  Dugdale,  Aîonasticon  An^licanum,  t.  i,  p.  15-15.  (II.  L.) 

3.  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  1470;  Hardouin,  Conc.  coll.,  1.  vi,  part.  2,  col. 
1176;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  369;  Wilkins,  Conc.  Jhilann.,  I.  i,  col.  485; 
Maiisi,  Conc.  ampliss.  coll.,  l.  xxii,  col.  158.  (H.  \j.) 


1002  LIVRE    XXXIV 

el  d'York  ^.  Roger  d'York,  si  longtemps  l'ennemi  aeharné  de 
Thomas  Becket,  entra  le  premier  dans  l'assemblée  et  alla  prendre 
la  première  place,  à  la  droite  du  cardinal  président,  sous  pré- 
texte que,  d'après  une  décision  de  saint  Grégoire  le  Grand,  la 
préséance  appartenait  toujours  au  plus  ancien  par  l'ordination 
des  deux  archevêques  anglais.  Richard  de  Cantorbéry  survint, 
contesta  cette  prétention;  mais,  pendant  la  discussion,  l'arche- 
vêque d'York  fut  saisi  par  les  serviteurs  de  son  collègue,  jeté 
à  terre  et  foulé  aux  pieds.  Le  légat  mit  fin  au  scandale  et  en 
môme  temps  au  synode  en  se  retirant,  tandis  que  les  deux 
archevêques  en  appelaient  au  pape  et  se  plaignaient  au  roi.  —  En 
quittant  l'Angleterre,  le  légat  était  porteur  d'une  lettre  du  roi 
pour  le  pape,  d'après  laquelle  on  acceptait  d'un  commun  accord 
les    quatre    articles  suivants  : 

1.  Aucun  clerc  ne  sera  cité  devant  un  tribunal  civil,  sauf 
pour  infraction  aux  lois  qui  régissent  les  forêts  et  les  chasses, 
ou  en  raison  d'un  fief  civil 

2.  Aucun  évêché,  aucune  abbaye  ne  doit  rester  plus  d'un  an 
entre  les  mains  du  roi. 

3.  Les  meurtriers  des  clercs  seront  désormais  punis  comme  les 
meurtriers  des  laïcs,  et  leurs  biens  confisqués  à  tout  jamais 
(auparavant,  ces  meurtriers,  condamnés  par  des  tribunaux  ecclé- 
siastiques, n'encouraient  c{ue    des  peines  ecclésiastiques).  [691] 

4.  Aucun  clerc  ne  peut  être  forcé  d'accepter  un  duel  judiciaire. 
Nous  avons  dit  que  Guillaume,  roi   d'Ecosse,    avait   pris    parti 

pour  le  fils  dvi  roi  d'Angleterre,  révolté  contre  son  père.  Fait  prison- 
nier par  les  Anglais,  il  ne  recouvra  la  liberté  que  le  8  décembre  1174, 
par  le  traité  de  Falaise,  mais  à  la  condition  de  reconnaître  la  suzerai- 
neté du  roi  d'Angleterre  et  de  ramener  les  évêchés  de  son  rovaume 
sous  la  juridiction  de  l'Eglise  anglaise. Le  traité  de  Falaise  fut  publié 
solennellement  le  18  août  1175  dans  l'église  de  Saint-Pierre  d'York 
en  présence  des  rois  d'Angleterre  et  d'Ecosse  et  des  évêques,  abbés 
et  magnats  des  deux  royaumes.  Pour  faire  reconnaître  cette  juri- 
diction de  l'Eglise  anglaise  sur  les  églises  d'Ecosse,  on  célébra, 
à  NoTthampton,  le  25  janvier  1170^,    un  grand    synode  auquel 


1.  F.   L.   de   Stolberg-Brischar,    Geschichte  der  Religion  Jesu  Christi,   t.   iv, 
p.  40-50;  Reuter,  op.  cit.,  t.  m,  p.  387. 

2.  Lahbe,  Concilia,  t.  x,    col.  1469-1470;  Ilardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2, 
col.  1(141  ;  Colcli,  Concilia,  t.  xiii,  col,  369;  Wilkins,  Coticil.  Britann.,  I.  ii,  p.  483- 


632.     CONCILES     OCCIDENTAUX     DE     116GA     117G  10G3 

assistèrent  les  deux  rois  d'Angleterre,  le  roi  d'Ecosse,  ses  éveques 
et  abbés  et  l'épiscopat  anglais.  Les  évoques  écossais  prétendirent 
que  leurs  églises  n'avaient  jamais  été  sujettes  des  sièges  anglais; 
et,  comme  les  archevêques  de  Cantorbéry  et  d'York  prétendaient 
l'un  et  l'autre  avoir  les  Ecossais  pour  suffragants,  le  synode 
n'amena  aucune  solution.  Richard  de  Cantorbéry  persuada  au  roi 
d'Angleterre  de  renvoyer  dans  leur  patrie  les  prélats  écossais 
sans  exiger  d'eux  la  promesse  de  se  soumettre.  Ceux-ci,  à  peine 
de  retour,  envoyèrent  une  ambassade  à  Rome  solliciter  le 
secours  du  pape  contre  les  prétentions  anglaises;  le  roi  Guil- 
laume d'Ecosse,  de  son  côté,  pria  le  pape  de  confirmer  et  de 
mettre  à  exécution  cette  sujétion  de  l'Église  d'Ecosse  à  celle 
d'Angleterre.  Le  30  juillet  1176,  Alexandre  III  adressa  d'Anagni 
une  lettre  aux  évêques  d'Ecosse,  leur  recommandant  de  recon- 
naître les  droits  métropolitains  de  l'Eglise  d'Angleterre;  en 
même  temps  et  sur  leur  désir,  il  envoya  le  cardinal-prêtre  Vivien, 
du  titre  de  Saint-Etienne,  en  qualité  de  légat,  avec  mission 
d'étudier  et  de  résoudre  la  question.  Vivien  convoqua  les  évê- 
ques écossais,  le  1^^  août  1177,  en  concile  à  Edimbourg  [castrum 
[692]  Puellarum^);  mais  déjà  la  division  s'était  introduite  parmi 
eux.  Christian,  évêque  de  Gailoway,  refusa  de  venir  à  Edim- 
bourg, se  disant  sufîragant  d'York.  Le  légat  le  suspendit,  mais 
Christian  trouva  aide  et  protection  auprès  de  l'archevêque  d'York. 
Le  concile  n'eut  donc  aucun  résultat.  Par  contre,  en  1176, 
le  cardinal  légat  Vivien  avait  présidé  à  Dublin  ^  un  concile 
irlandais,  qui  reconnut  une  fois  de  plus  le  droit  du  roi  d'Angleterre 
sur  l'Irlande. 

En  cette  même  année  1176,  Wichmann,  archevêque  de  Magde- 
bourg,  chercha,  dans  un  synode  provincial,  à  mettre  fin  à  l'abus 
des  tournois  de  chevalerie  ^.  Rien  de  remarquable  à  signaler  dans 

484;  Mansi,  Concilia,  Supplém.,  t.  ii,   col.  673;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii, 
col.  156.   (H.  L.) 

1.  Wilkius,  Concilia  Britanniœ,  t.  i,  p.  48G:  Haddan  et  Stubbs,  Councils 
and  ecclesiastical  documents,  t.  ii,  p.  237  ;  Robert  de  Monte,  dans  Monum.  Germ. 
hist.,  Script.,  t.  vi^  p.  524;  Reuter,  op.  cit.,  t.  m.  p.  393  sq.;  Dalrymple,  Ilislo- 
rical  meinorials  concerning  ihe  pro^nncial  councils  of  tlie  scottish  clergy,  dans 
Annals  of  Scotland,  Edinburgh,  1797,  t.  ni,  p.  204.  (H.  L.) 

2.  Wilkins,  Conc.  iJn7a/mic'e,  t.  I,  p.  483  ;  Mansi,  Concilia,  Supplém.,  t.  ii,  col. 
683;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  167.  (II.  L.) 

3.  Ilallc-sur-la-Saale,  rég.  de  Mersebourg    (Prusse).   Mansi,  Concil.  ampliss, 
coll.,  t.  xxH,  col.  168.  (H.  L.) 


10G4 


T.ivnr.    XXXIV 


quelques  autres  conciles  de  la  même  époque  ;  celui  de  Lombez,  sou- 
vent placé  en  1176,  est  en  réalité  de  1165,  comme  nous  l'avons  dit. 


633.  Concile  de  Venise  en  1177;  autres   conciles  de  ce   temps. 

Après  l'échec  de  sa  qualricme  expédilion  contre  Rome,  au 
printemps  de  1168,  l'empereur  Frédéric  liarberousse  regagna 
l'Allemagne,  où  il  raviva  le  schisme  par  des  moyens  violents, 
expulsions  d'évêques,  etc.,  tandis  que  presque  tout  le  reste  de  la 
chrétienté  reconnaissait  Alexandre  III.  La  mort  de  l'antipape 
Pascal  (20  septembre  1168)  ^  eût  permis  à  l'empereur  de  s'ar- 
rêter dans  cette  voie  fatale:  mais  il  se  hâta  de  faire  élire,  'sous  le 
nom  de  Calixte  III,  Jean,  l'indigne  abbé  de  Struma  2;  peut-être 
espérait-il  obtenir  ainsi  du  pape  légitime  des  conditions  plus 
favorables.  Dès  le  printemps  de  1169,  l'empereur  fit  en  eiîet 
proposer  au  pape  de  conclure  la  paix.  Par  son  ordre,  les  abbés  [693] 
de  Cîteaux  et  de  Cluny,  avec  [l'évcque  Eberhard  de  Bamberg, 
traversèrent  les  Alpes,  porteurs  de  propositions  de  paix  ^. 
On  entra  en  négociations  à  Bénévent  et  à  Véroli  et  le  pape 
se  montra  si  accommodant  que  l'on  put  croire  à  une  issue  favo- 
rable. L'empereur  reconnaîtrait  [Alexandre  comme  pape;  ce 
dernier,  de  son  côté,  admettrait  la  validité  des  ordres  conférés 
pendant  le  schisme;    on  pensait  donc  avoir  trouvé  des  deux  côtés 


1.  Au  sujet  de  la  mort  de  Pascal,  cf.  Watterich,  op.  cil.,  p.  411  ;  Reuter,  op. 
cit.,  t.  III,  p.  3  sq. 

2.  Jcan^  abbé  de  Struma,  cardinal-évèque  d'Albano,  élu  antipape   à  Piome, 
septembre  1168  {Annal.  Ceccan.,  ad  aun.  11G8,  dans  Monuiii.  Geint,  hist.,  L.   xix 
p.     26;     Ragewin,     Appcndix,    dans    JMonuin.     Germ.    hist.,    Script.,    t.    xx, 
p.  492;  Boso,  dans  Watterich,  op.  cil.,  t.  ii,  p.  412),  résigne  à  Frascati  le  29  août 
1178.  Cf.  Jafïé,  Regesta  pontif.  roman.,  t.  u,  p.  429-430.  (H.  L.) 

3.  En  février  1170.  Cf.  Boso,  Vila  Alexandri  III,  dans  Watterich,  op.  cit., 
t.  II,  p.  412  sq.  ;  Jafîé-Wattembach,  Regesta  pontif.  rom.,  n.  11747;  Jean  de  Salis- 
bury,  Epist.,  ccxlii,  dans  \\'atterich,  op.  cil.,  t.  ii,  p.  580  .Dum  tamen  Fredericus 
in  persona  sua  nullum  aposlolicum,  tiisi  velit,  recipere  compellalur,  prsetcr  Petrum 
et  alios,  qui  in  cœlis  sunt.  Cf.  Hauck,  Kirchengeschichle  Deutschlands,  t.  iv, 
p.  281  sq.;  Giesebrecht,  Geschichte  der  deutschen  Kaiserzeit,  1880.  t.  v,  p.  648  sq.; 
Giesebrecht-Simpson,  op.  cit.,  t.  vi,  p.  491  sq.  ;  Router,  op.  cit.,  t.  m,  p.  18  sq. 
(II.  L.) 


C.l.'î.    rONCITR    DF.    VF.MSF.  10G5 

les  conditions  susceptibles  (r<unonci'  la  paix.  Mais  comme  la  poli- 
lique  de  l'empereur  visait  avant  tout  à  rompre  rallianco  du  pape 
et  des  Lombards,  Alexandre  avait  à  se  méfier  de  l'apparente 
franchise  de  l'empereur,  et  toute  cette  œuvre  de  paix  fut  de  nou- 
veaii  compromise.  Irrité  de  son  insuccès  et  inquiet  des  mauvaises 
nouvelles  qui  lui  parvenaient  sur  la  puissance  des  alliés,  ses 
ennemis,  l'empereur  décida  d'entreprendre  une  nouvelle  expé- 
dition en  Italie.  Dès  l'automne  de  1171,  il  envoya  son  chance- 
lier Chrisliaii.  archevêque  de  Mayence  ^,  ])onr  y  relever  l'autorité 
impériale;  la  prudence  et  le  talent  de  cet  homme  de  guerre 
obtinrent  d'importants  résultats;  il  ne  put  toutefois  s'emparer 
d'Ancône,  principale  forteresse  du  pape.  Enfin  l'empereur  se 
décida,  dans  l'automne  de  1174,  à  franchir  à  son  tour  les  Alpes 
et  à  venir  en  Italie  pour  la  cinquième  fois.  Turin,  Asti  et  d'autres 
villes  se  donnèrent  à  lui;  plusieurs  furent  enlevées  de  force  et 
punies  pour  leur  conduite  antérieure.  A  la  fin  d'octobre  1174, 
l'empereur  se  trouva  devant  Alexandrie,  dont  la  prise  lui  semblf  it 
un  point  d'honneur.  Mais  quoique  les  fortifications  ne  fvissent 
pas  terminées,  la  ville,  secourue  par  la  Ligue  lombarde  et  exaltée 
par  son  propre  héroïsme,  fit  une  si  belle  résistance  qu'à  Pâques 
1175,  l'empereur  leva  le  siège  et  jugea  prudent  d'ouvrir  des  négo- 
ciations pour  conclure  la  paix,  tant  avec  le  pape  qu'avec  les 
Lombards  ^.  Nous  possédons  deux  documents  relatifs  à  ces  négo- 
ciations :  le  premier  contient  des  traités  préliminaires  conclus 
les  16  et  17  avril  1175,  par  les  députés  des  deux  partis.  Ils  portent 
en  substance  :  1.  Des  deux  côtés,  on  choisira  trois  fondés  de  pou- 
[694]  voir  pour  conclure  jusqu'à  la  mi-mai  un  traité  de  paix  entre 
l'empereur  et  son  parti,  d'une  part,  et  les  Lombards  et  leur  parti, 

1.  II  semble  que,  déjà,  pendant  l'été  de  1169,  Frédéric  avait  envoyé  son  chan- 
celier en  Italie  (Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  579),  probablement  pour  exercer 
une  pression  sur  le  pape  pendant  les  négociations. 

2.  Le  siège  d'Alexandrie  dura  six  mois,  le  baptême  du  feu  de  la  ville  naissante; 
pendant  qu'il  échouait  devant  ces  murailles  encore  fraîches,  Frédéric  apprenait 
l'insuccès  semblable  de  Christian  de  Maycnce  devant  les  murailles  de  IJoiogne. 
Boso,  dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  'i22  sq.  ;  Giesebrecht,  op.  cit.,  t.  v,  p.  749; 
Giesebrecht-Simpson,  o/>.  ci^,  t.  vi,  p.  517  sq.  ;  Prutz,  op.  cil.,  t.  ii,  p.  237  sq.  ; 
Reuter,  op.  cit.,  t.  m,  p.  218  sq.  Il  y  eut  à  Montebelio  un  commencement  d'accord 
entre  l'empereur  et  les  villes  lombardes  (IG  avril).  Monurn.  Genn.  hist.,  Leges, 
sect.  IV,  t.  I,  p.  i!U9,  n.  242  :  Coin'cnliu  i)i;f'via;  Giesebrecht,  op.  ci/. .t.  v,  p.  759  sq.  ; 
J.  Ficker,  Zur  (îenchiclile  des  Loin  bar denbundes,  dans  Silzungsbericlite  der  Wiener 
Akad.  d  Wissenschaflen,  1SG8,  t.  lx,  p.  297;  Vignati,  op.  cit.,  p.  258-2G1.  (H.  L.) 


1060 


LIVRE     XXXIV 


de  ravilre.  Ce  traité  sera  conclu  sur  les  bases  des  lettres  écrites 
aux  consuls  de  Crémone  par  l'empereur  et  par  les  chefs  des  Lom- 
bards. —  2.  Il  y  aura  jusqu'à  la  mi-juin  armistice  entre  la  ville 
d'Alexandrie  et  l'empereur. 

Au  cours  de  ces  négociations,  Frédéric  avait  avec  lui  Philippe, 
archevêque  de  Coloonc  et  comte  de  Heinsberg  (successeur  de 
Roinald  de  Dassel),  et  Christian  de  Mayence,  le  premier  diplo- 
mate et  le  premier  général  du  parli  impérial  ^.  Et  pendant 
que  ces  conclusions  préliminaires  étaient  signées  à  Montebello  (près 
de  Pavie),  l'empereur  se  tenait  dans  le  voisinage;  aussi  la  se- 
conde partie  du  premier  document  nous  apprend-elle  cjucKles  trois 
fondés  de  pouvoir  qui  devaient  être  envoyés  par  chaque  parti  (on 
avait  pris  cette  décision  la  veille)  étaient  déjà  nommés.  «  Ces  députés 
entrèrent  aussitôt  en  délibération  (l'un  d'eux  manquait  encore). 
Ce  que  Pertz  a  reproduit  sous  le  titre  :  Conventio  prsevia^,  n'est 
autre  chose  que  le  projet  définitif  du  traité  présenté  par  les  évêques 
lombards,  dans  lequel  ils  cherchaient  naturellement  à  faire  entrer 
le  pape  Alexandre^.  A  la  fin  de  ce  second  document,  nous  lisons  : 
«  Les  fondés  de  pouvoir  de  l'empereur,  Philippe  de  Cologne, 
Gualfred  de  Plozasca  et  Rainer  de  San  Nazario;  les  deux 
fondés  de  pouvoir  de  la  Ligue  lombarde,  Albert  de  Gambara, 
envoyé  par  Brescia,  et  Gérard  Pistus,  envoyé  par  Milan, 
promettent  par  serment  d'améliorer  ce  projet  de  traité,  d'y 
ajouter  ou  d'y  retrancher  suivant  les  instructions  qu'ils 
recevront    de    l'empereur    ou    de    la    Ligue    lombarde,    en    toute 


1.  Cf.  Keussen,  De  Philippo  Hcinshergensi,  Crefeld,  1856. 

2.  PertZj  Leg.,  t.  ii,  p.  151^  induit  en  erreur  par  Muratori^  Anliquit.,  t.  iv. 
p.  278,  a  assigné  à  ce  document  la  date  du  22  juillet  1177,  le  plaçant  ainsi  au 
nombre  des  actes  de  la  paix  de  Venise.  Il  a  oublié  :  a)  l'étroite  relation 
entre  ce  document  et  celui  qui  a  été  rédigé  les  16  et  17  avril  1175,  d'où  il  résulte 
que  la  Conventio  prœvia  a  été  faite  avant  la  mi-mai  1175,  et  précisément  par 
ces  fondés  de  pouvoir  (trois  de  chaque  parti),  dont  l'élection  avait  été  décidée 
le  16  avril  1175.  h)  Il  faut  également  ne  pas  perdre  de  vue  que,  lorsque  la  paix 
de  Venise  fut  conclue,  on  n'entra  pas  dans  des  détails  aussi  circonstanciés  que 
ceux  qui  sont  contenus  dans  le  présent  document,  c)  Ce  ne  fut  pas,  du  reste, 
une  pax,  mais  une  treiiga  qui  fut  conclue  avec  les  Lombards,  d)  La  Vita 
Alexamhi  III,  dans  Baronius,>ln7r«L,  ad  ann.  1175,  n.  6,  et  Watterich,  op.  cit., 
t.  II,  p.  425,  où  on  raconte  le  rôle  qu'il  joua  lors  du  traité  de  1175,  .indique  exac- 
tement les  mêmes  personnes  que  le  document  actuel. 

3.  Mnmim.  Genn.  hif^t..  Cnusdfjif.  et  ncla,  t.  i,  p.  330.  n.  212.  (H.  L.) 


633.    CONCILE    DE    VENISE  1067 

conscience  et  en    tout    lionneur,    afin    qu'à   la    mi-mai,  ou    à  une 
date    plus    éloignée    acceptée    par    les    deux     partis,    on    puisse 
conclure  une  paix  définitive.   Un    serment    analogue    sera     prêté 
[G95j  par  le  troisième  député  lombard  que  Vérone  doit  envoyer  ^. 

Pour  se  conformer  à  ce  traité  préliminaire,  l'empereur  fit 
aussitôt  le  nécessaire  pour  ouvrir  de  nouvelles  négociations 
avec  Alexandre  III.  Des  ambassadeurs  envoyés  au  pape  et  des 
lettres  écrites  aux  cardinaux  les  invitèrent  à  se  rendre  à  Pavie 
pour  assister  à  une  conférence  en  vue  de  la  paix  ^.  Bien  que  rendu 
méfiant  par  l'insuccès  des  tentatives  précédentes,  le  pape  envoya 
cependant  à  Pavie  trois  cardinaux  qui  furent  reçus  par  Frédéric 
avec  de  grands  honneurs.  Mais  la  politique  de  l'empereur  s'em- 
ploya encore  cette  fois  à  obtenir  la  dissolution  de  la  Ligue  ^,  chose 
à  laquelle  les  légats  ne  pouvaient  ni  ne  voulaient  consentir.  Ils 
demandaient  que  les  Lombards,  le  roi  de  Sicile  et  l'empereur  de 
Byzance  fussent  compris  dans  la  paix  à  conclure  entre  l'empereur 
et  l'Eglise.  De  leur  côté,  les  Lombards  ne  voulaient  accepter 
que  les  obligations  qui  leur  avaient  été  imposées  à  l'épo- 
que de  Charlemagne  et  d'Otton  I^^';  encore  les  comprenaient-ils 
de  telle  sorte  qu'en  fait  ils  auraient  été  déliés  de  toute  subor- 
dination*. Soit  que  l'empereur  espérât  atteindre  son  but  d'une 
manière  ou  d'une  autre,  soit  qu'il  voulût  seulement  gagner  du 
temps  pour  augmenter  ses  forces  par  de  nouveaux  renforts  venus 
d'Allemagne,  il  prolongea  les  délibérations  pendant  longtemps^ 
mais  finalement  les  négociations    furent  rompues  ^.  Pendant  l'ar- 

1.  Monum.  Germ.  histor.,  Constilut.  et  acla,  t.  i,  p.  342,  n.  244  :  Petilio  socie- 
tatis  Lombardiœ;  cf.  J.  Ficker,  Ziir  Geschichie  des  Longobardenbundes,  1868, 
p.  302-305. 

2.  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  426,  594. 

3.  Les  lombards  prétendirent,  dans  les  négociations  pour  la  paix  qui  eurent 
lieu  à  Venise,  que  l'empereur  avait  voulu  les  engager  à  trahir  Alexandre.  Watte- 
rich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  613. 

4.  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  428;  Baronius,  Annales,  ad  ann.  1177,  n.  51; 
Muratori,  Scripior.  rer.  ItaL,  t.  vu,  p.  223. 

5.  Cf.  Citron,  reg.  Colon.,  ad  ann.  1175;  Godeîroi  de  Viterbe,  Carmen  de  gestis 
Friderici  imper.,  vs.  101,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xxii,  p.  309;  Gie- 
sebrecht,  op.  cit.,  t.  v,  p.  760  sq.  ;  Giesebrecht-Simpson,  op.  cit.,  t.  vi,  p.  520  sq.  ; 
Prutz,  op.  cit.,  t.  II,  p.  243  sq.;  Boso,  Vita  Alexandri,  dans  Watterich,  Vitas 
pontif.  roman.,  t.  ii,  p.  426;  Bomuald  de  Salerne,  dans  Alonum.  Germ.  hist., 
iScrip^,  t.  XIX,  p.  440  sq.;  Robert  de  Monte,  ad  ann.  1175,  dans  Monum.  Germ. 
hist.,  Script.,  t.  vi,  p.  524.  (H.  L.) 


10G8  LIVRE     XXXIV 

misllcc,  rem]ioreur  avait  envoyé  en  Allcma<^ne  les  archevêques 
Philippe  de  Coloone  et  Wichmann  de  Magdebourg  pour  y  recruter 
de  nouvelles  troupes.  Ils  devaient  avant  tout  rappeler  à  son  devoir 
le  puissant  princeHenri  le  Lion  qui, en  117^j, avait  refusé  d'accorder 
à  l'empereur  le  secours  de  son  armée.  Mais,  même  à  ce  moment 
critique,  ce  prince  ne  voulut  pas  consentir  à  accomplir  son  devoir 
de  vassal  ^.  Au  contraire,  plusieurs  autres  seigneurs  se  joignirent  [G^*^>] 
à  la  nouvelle  armée  et  les  deux  archevêques  traversèrent  les 
Alpes  à  la  tête  de  ces  troupes,  au  printemps  de  1176  2.  A  l'ap- 
proche de  ces  nouvelles  forces,  l'empereur,  sans  les  altendre, 
livra  bataille  aux  Milanais,  le  29  mai  1176,  à  Legnano  (près 
de  Milan)  ^;  mais  le  résultat  de  cette  bataille  lui  fut  si  fu- 
neste que  ses  conseillers  les  plus  fidèles  l'engagèrent  à  con- 
clure  la    paix   avec  le   pape  *.  Ils   discutèrent    longuement    cette 


1.  En  ce  qui  concerne  la  réalité  d'une  entrevue  personnelle  d'Henri  le  Lion 
avec  l'empereur  à  Partcnkirchen  en  Bavière  ou  à  Cdiiavenna,  et  d'une  humilia- 
tion de  Barberousse  en  présence  de  l'orgueilleux  duc,  cf.  Olzberger,  HaL  Kni.<ser 
Friedrich  I  vor  dcr  ScliJaclit  bei  Legnauo  dcin  llcrzo'^  ffeinridi  dein  Lowen  sirli 
zu  Fiissen  geworjen  ?  in-8,  Linz,  18G0.  Voir  en  sejis  opposé  les  savantes  notes 
deGottingue,  ISGS,  p.  461  sq.  Cf.  aussi  Reuter,  op.  cit.,  t.  in,  p.  216,  233,  727. 

2.  Le  23  avril,  Philippe  était  encore  à  Cologne.  Hecker,  Philipp  I  von  Coin, 
dans  Forschungen,  t.  x,  p.  29.  D'après  les  Annal.  Magdebiirg.,  dans  Monum. 
Gerni.  hist..  ScripL,  t.  xvi,  p.  194,  Wichmann  et  Philippe  se  mirent  en  route 
le  13  avrilj  mais  évidemment  Wichmann  seid  put  partir  à  cette  date.  Cf.  aussi 
Reuter,  op.  cit.,  t.  m,  p.  235. 

3.  Tel  est  le  récit  de  la  Vita  Alexandri  III,  dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  11, 
p.  430.  D'après  les  Annal.  Magdeb.,  dans  Monum.  Germ.  Jiist.,  Script.,  t.  xvx, 
p.  194,  l'empereur  avait  déjà  reçu  les  renforts  venus  d'Allemagne,  mais  non  pas 
ceux  amenés  par  le  chancelier  Christian.  [Otton  de  Saint-Biaise,  Contin., 
c.  XXIII,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xx,  p.  315;  Chron.  Montis  Screni, 
dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xxiii,  p.  157;  Prutz,  Heinrich  der  Lôwe, 
p.  443  sq.  ;  Kaiser  Friedrich  J,  p.  275,  354  sq.,  marque  l'entrevue  de  Frédéric 
et  Henri  le  Lion,  à  Partcnkirchen,  entre  le  l^""  et  le  7  mars  1176;  entrevue  que 
nie,  sans  aucune  bonne  raison,  A..  Olzberger,  Programm  des  Kais.  Knn.  Gymn. 
zu  Linz,  1860.  Pour  la  bataille  de  Legnano,  outre  Boso,  dans  Watterich,  op.  cit., 
t.  II,  p.  430  sq.,  AntwI.  Mediolan.,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xvm, 
p.  377  sq.;  Romualil  de  Salerne,  dans  Monum.  (icrm.  hist.,  Script.,  t.  xvm, 
p.  789;  Continuatio  Sanblasiana,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xx, 
l>.  SiG;  GodeÎToi  de  Yiterhe,  Carmen  de  gestis  Friderici,  \s.  979,  dans  Monum. 
Germ.  hist..  Script.,  t.  xxii,  p.  979  sq.  ;  Giesebrecht,  op.  cit.,  t.  v,  p.  785  sq. 
Prutz,  op.  cit.^  t.  II.  p.  280  sq.,  356  sq.]  (H.  L.) 

4.  Mon.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xvi,  p.  194,  261;  t.  xvii,  p.  789;  Pez,  Thés, 
anecdot.,  t.  vi,  p.  422,  n.  4. 


G;>o,    CONCILE    DE    VENISE  l069 

({uestiou  de  la  paix;  enfin,  vers  la  lin  de  septembre,  Frédéric  se 
décida  à  renouer  les  négociations  rompues  l'année  précédente  ^. 
[697]  Il  envoya  alors  au  pape;,  à  Anagni,  pour  soUicilor  la  paix,  son 
chancelier  Christian.  archevc([ue  de  Mayence,  Wichmann,  arc-hc- 
vc([ue  de  Magdeboiirg,  Conrad,  évêque  de  Worms.  et  le  piold- 
nolairc  Wortwin  "^.  Ces  envoyés  se  présentèrent  au  pape  le 
21  octobre,  furent  reçus  amicalement  et  demandèrent  des  négo- 
ciations secrètes,  afin  (lu'aucune  indiscrétion  ne  pût  les  faire 
échouer.  Les  négocialious  tl  tirèrent  quinze  jours  et  furent 
assez  laborieuses,  surtout  en  ce  qui  concernait  la  réintégration  des 
évcques  engagés  dans  le  schisme.  On  parvint  cependant  à  s'enten- 


1.  Pendant  ce  long  espace  de  temps  de  quatre  mois,  le  silence  n  avait  pas  été 
rompu,  et  cependant  l'empereur  (it  comme  si  des  ambassadeurs  avaient  été 
envoyés  au  pape  aussitôt  après  Legnano.  Eu  fait,  ces  ambassadeurs  n'arrivèrent 
à  Anagni  que  le  21  octobre,  et  bien  certainement  cet  intervalle  de  temps  (du 
30  mai  au  21  octobre)  ne  fut  pas  nécessaire  pour  leur  voyage.  Les  préliminaires 
d'Anagni  prouvent  qu'il  ne  put  y  avoir  dans  cet  intervalle  de  négociations 
engagées  entre  le  pape  et  l'empereur;  à  mon  avis^  pendant  tout  ce  temps  l'em- 
pereur délibéra  avec  ses  conseillers  sur  cette  question  de  la  réconciliation,  et 
pour  confirmer  cet  avis  personnel,  je  m'appuie  sur  des  témoignages  positifs 
et  en  particulier  sur  les  sources  citées  plus  haut.  Le  Chronicon  Fossse  novx, 
Muratori,  dans  Script,  ver.  ItaL,  t.  vu,  p.  87^i,  rapporte  :  Jani  per  toiam  hanc 
sestalem  traclatum  erat  de  pace.  Cette  hypothèse  n'est  pas  en  contradiction  avec 
les  événements  connus  et  par  conséquent  je  ne  puis  la  déclarer  fausse,  ainsi  que 
l'a  fait  Reuter,  op.  cit.,  t.  m,  p.  239,  note  7;  bien  plus,  il  y  a  tout  lieu  de  croire 
qu'elle  se  rapporte  aux  délibérations  particulières  qui  eurent  lieu  dans  le  camp 
impérial.  Frédéric  écrit  alors  à  l'abbé  Hugues  de  Bonneval  qu'il  demeurera 
près  de  lui  en  Lombardie  jusqu'à  la  Saint-Michel  (29  septembre)  :  Quoniam  illic 
eo  tempore  finaliter  Iractaiidum  est  Ecclesiss  negotium,  citi  tractatui  te  specialiter 
cupimus  interesse.  Bouquet,  Recueil  des  hist.  de  la  France,  t.  xvi,  p.  698.  Cette 
phrase  ne  peut  se  rapporter  aux  négociations  avec  le  pape,  et  l'empereur  veut 
certainement  dire  :  On  doit  décider  de  son  côté  si  la  réconciliation  avec  l'Eglise 
doit  être  poursuivie,  et  dans  le  cas  de  l'affirma tivc,  comment  seront  conduites 
les  négociations.  Alors  seulement  l'ambassade  de  paix  fut  envoyée  à  Anagni. 
Cette  chronique  ne  nous  montre  pas  l'empereur  résidant  en  Lombardie  à  cette 
époque,  comme  dénué  de  toutes  ressources  et  privé  de  forces  militaires  :  c'est 
pourquoi  le  récit  de  la  \  i(a  Ale.vandri  me  paraît  être  exact  lorsqu'il  rapporte 
que  les  renforts  amenés  d'Allemagne  par  Philippe  de  Cologne  ne  rejoignirent 
l'empereur  qu'après  la  bataille  de  Legnano. 

2.  Boso,  Vita  Ale.randri,  dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  432  sq.  ;  sur  la  con- 
vention d'Anagni,  cf.  Kehr,  dans  Neues  Archiv,  t.  xiii,  p.  75  sq.  :  Der  Vertrag 
von  Anagni  im  Jahre  1176  ;  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  sect.  iv,  t.  i,  p.  350, 
n.  249  sq.;  p.  362  sq.,  n.  260. 


1070  LIVRE     XXXIV 

dic  sur  la  liberté  de  l'IÙal  el  de  l'E,<j;lise.  Alexandre  insista  pour 
que  ses  alliés  les  Lombards,  le  roi  de  Sieilc  cl  l'empereur  de 
Byzance  fussent  eompris  dans  le  traité.  En  conséfjuence,  l'empe- 
reur dut  négocier  avee  ces  derniers.  Afin  de  hâter  i'alîaire,  le  pape 
oiïrit  ses  bons  oflices  personnels  et  se  déclara  prêt  à  se  rendre, 
malgré  son  grand  âoe     dans  la   Haute-Italie  ^. 

Pagi  a  publié,  d'après  l'exemplaire  original  des  archives  du 
Vatican,  la  protnissio  legatorum  des  ambassadeurs  impériaux  à 
Anagni  spécifiant  les  promesses  faites  par  leur  maître  :  «  L'empe- 
reur promet  de  reconnaître  Alexandre  comme  pape  légitime,  de 
vivre  en  paix  avec  lui  et  avec  l'Eglise  romaine,  de  lui  rendre  la 
préfecture  de  Rome  (c'est-à-dire  le  droit?  de  nommer  le  préfet  de 
la  ville)  et  les  biens  de  Mathilde,  enfin  d'observer  l'accord  en  ce  qui 
concernait  Calixte.  Les  ambassadeurs  promettent  en  outre  de 
déterminer  l'empereur  à  restituer  tous  les  regalia  de  Saint-Pierre  en 
sa  possession  ou  donnés  en  fief  à  d'autres,  du  moins  à  travail- 
ler à  leur  restitution.  Tout  ce  qui  est  contenu  dans  les  docu- 
ments rédigés  ad  hoc  sera  fidèlement  exécuté  par  l'empereur, 
dès  que  la  paix  avec  les  Lombards  et  avec  le  roi  de  Sicile  sera 
conclue.  En  terminant,  l'empereur  promet  au  pape  et  à  son 
escorte  sécurité  complète  pour  son  voyage  à  Venise,  à  Ravenne  ou 
à  tel  autre  lieu  qu'il  lui  plaira  et,  de  même,  sécurité  entière 
pour  le  retour,  que  la  paix  fût  ou  ne  fût  pas  signée  ^.  » 

Pertz  a  cru  reconnaître,  dans  la  pièce  intitulée  ConcUtlones  rygg] 
pacis,  le  traité  d' Anagni  mentionné  dans  cette  promissio  ^.  Il  est 
certain  que  ce  document  contient  en  effet  les  stipulations  accep- 
tées à  Anagni;  mais  il  renferme  autre  chose  encore,  c'est-à-dire 
les  conditions  de  la  paix  avec  les  Lombards  et  le  roi  de  Sicile, 
conditions  qui  ne  furent  cependant  formulées  définitivement 
qu'en  juillet  1177.  Aussi  parlerons-nous  de  ce  document  lorsque 
le  moment  sera  venu. 


1.  Boso,  dans  Waltcrich,  op.  cit.,  l.  ii,  p.  432  sq.;  P.  L.,  t.  ce,  col.  4G  sq.  ; 
Muratori,  Script,  rer.  Halle,  t.  vu,  p.  215,  ST'i.  Sur  ces  négociations,  cf.  F. 
Clialandon,  Hisl.  de  la  domination  normande  en  Italie  et  en  Sicile,  1907,  t.  ii, 
p.  374-380.  (H.  L.) 

2.  Pagi,  Critica,  ad  ann.  117G,  n.  5;  Monum.  Genn.  hist.,  Lei^es,  t.  ii,  p.  149; 
Watterich,  op.  cit.,  1.  ii,  p.  GOl. 

3.  Également  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  193;  Watterich,  t.  ii, 
p.  597.  Au  sujcl  du  contenu  probable  du  traité  préliminaire  d'Auagni,  cf.  Rcuter 
op.  cit.,  t.  III,  p.  245  sq. 


I 


G3o.    CO.NCILK    DE    VENISE  1071 

Dans  une  iiilciilioii  déloyale,  l'empereur,  au  retour  Je  ses 
ambassadeurs,  laissa  répandre  le  bruit  qu'ils  avaient  conclu 
avec  le  pape  une  paix  définitive  et  particulière,  ce  qui 
provoqua  une  grande  agitation  parmi  les  Lombards.  Alexandre 
protesta  vivement  contre  ce  faux  bruit  dans  trois  lettres 
parvenues  jusqu'à  nous,  accusant  l'empereur  d'en  être  l'auteur^. 
En  réalité,  Frédéric  poursuivait  toujours  son  ancienne  poli- 
tique et  voulait  à  tout  prix  dissoudre  l'alliance.  Pour  atteindre 
ce  but  et  poursuivre  son  plan  particulier,  il  fit  convoquer  un  con- 
cile à  Ravenne,  le  2  février  1177^,  ce  qui  occasionna  de  nouvelles 
inquiétudes. 

Malgré  ces  machinations  de  l'empereur,  le  pape  ne  se  laissa  pas 
[699]  rebuter  et  travailla  activement  à  la  réunion  du  congrès  de  paix. 
Avant  de  se  rendre  en  Lombardie,  suivant  sa  promesse,  il  y  en- 
voya deux  légats,  le  cardinal-évêque  Humbald  d'Ostie  et  le  cardinal- 
diacre  Rainer,  afin  de  s'entendre  avec  l'empereur  sur  le  lieu  du  con- 
grès et  obtenir  une  escorte.  Après  avoir  encore  invité  le  roi  de  Sicile 
à  prendre  part  aux  négociations  et  s'être  procuré  les  bateaux 
nécessaires  à  la  traversée,  il  se  mit  en  route  à  Noël  1176  et,  passant 
par  Bénévent,  Manfredonia  et  Yiesti,  il  se  rendit  à  Venise,  où  il  fit 
son  entrée  solennelle  le  24  mars  1177  et  habita  le  palais    épiscopaP. 


1 .  Pez,  Tlies.  anecd.,  i.  vi,  p.  388^  397  ;  Bouquet,  Recueil  des  hisl.  de  la  France, 
t.  XV,  p.  955;  Watterich,  op.  cit.,  t.  u,  p.  596,  note  3;  P.  L.,  t.  cc^  col.  1081, 1086, 
1109;  Jaffé,  Begest.,  n.  8444,  8449,  8480.  Je  ne  puis  comprendre  pourquoi  Reu- 
ter,  op.  cit.,  t.  m,  p.  252,  747,  accuse  Alexandre  de  dissimulation  évidente  et  de 
mensonge  «  effronté  ».  Quelle  réponse  le  pape  pouvait-il  faire  à  ce  faux  bruit? 
Certainement,  rien  autre  que  ceci  :  .Je  n'ai  conclu  aucune  paix  particulière 
et  je  n'en  conclurai  aucune.  Il  n'avait  aucun  compte  à  rendre  aux  Lombards  au 
sujet  des  autres  négociations  et  tentatives  d'arrangement,  et  en  particulier 
sur  les  questions  religieuses.  Serait-ce  donc  une  habitude  diplomatique  et  une 
conduite  prudente,  que  de  publier  les  stipulations  préliminaires  d'un  traité, 
en  sorte  que,  si  le  traité  n'est  pas  conclu,  on  puisse  parler  de  mensonge 
«  effronté»  ?  Les  ambassadeurs  de  Frédéric  n'avaient-ils  pas  eux-mêmes  sollicite 
une  discussion  secrète  afin  qu'aucun  malentendu  ne  pût  troubler  l'œuvre  de  paix? 
Et  si  l'empereur  ne  s'est  pas  conformé  à  ce  qui  avait  été  décidé,  tandis  que  le  pape 
prenait  ces  décisions  pour  règle  de  conduite,  qui  donc  mérite  d'encourir  le 
verdict  d'un  censeur  sévère? 

2.  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  n,  p.  150;  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  603  sq. ; 
Rcuter,  op.  cit.,  t.  m,  p.  255. 

3.  Anagni,  Bénévent,  ïroia,  Siponto,  Foggia,  Viesti.  Cf.  Jalïé,  Regesla  pontif. 
roman.,  n.  127G8-12778;  Vila  Ale.vandri  III,  dans  Liber  pontifie,  t.  n,  p.  435; 
Roniuald  de  Salerne,  dans  Monum.  Germ.  hisl.,  Script.,  t.  xix,  p.  443.  Le  pape 


1072  i.ivni-:   xxxiv 

]l  iinu'iiait.  ;i\ec  lui  les  ilciix  représenlaiil s  de  la  Sicile,  llo- 
niuakl,  archevêque  de  Salcriie  ((Idivl  la  cluonicjue  esl.  une  source 
importante  pour  l'histoire  de  cette  époq\i(;),  (;t  Roger,  comte 
d'Andria  et  grand-connétable  du  royaume.  —  Pendant  ce  temps, 
les  légats  du  pape,  c{ui  avaient  ]iris  les  devants,  s'étaient  entendus 
avec  l'empereur  et  avec  les  Lombards  pour  fixer  à  Bologne  la 
réunion  du  congrès  de  la  paix.  Toutefois,  Alexandre  était  à  peine 
arrivé  à  Venise,  ([ue  l'empereui'  lui  (il  diio,  de  son  (juartier 
général  de  Cesena.  (ju'jI  voulu  I  hieii  désigner  une  au  Ire  ville, 
parce  que,  ])eu  auparavant,  son  chancelier  Christian  de 
Mayencc  ayant  puni  les  Bolonais,  il  lui  répugnait  d'accepter 
cette  ville  comme  lieu  du  congrès  ^.  Tout  d'abord,  le  pa[)e  ne 
voulut  rien  entendre;  mais  ensuite,  dans  l'intérêt  de  la  paix, 
il  accepta  pour  régler  cette  affaire  une  conférence  à  Ferrare  2,  où, 


séjourna  p]ut;ieurs  semaines  à  ViesLi,  d'où  il  iie  rcparlil  (juc  le  ',)  mars  {Liber 
pontij.,  t.  II,  p.  436;  Romuald,  dans  Monurn.  Cri  ni.  Iiist.,  Script.,  i.  xix,  p.  443; 
Annal.  S.  Stephani,  ad  ann.  1177,  dans  Saraceni,  La  Cronaca  di  S.  Slefano, 
p.  35);  le  pape  attendait  que  l'état  de  la  mer  permît  la  traversée.  Romuald,  op. 
cit.,  t.  XIX,  p.  443  sq.;  Ilist.  duc.  Venet.,  dans  Monurn.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xiv, 
p.  82;  Annal.  Pegav.,  dans  Monurn.  Germ.  liisl.,  Script.,  t.  xvi^  p.  261.  (H.  L.) 

1.  Romuald  de  Salerne_,  dans  Monuui.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  444; 
Reuter,  op.  cit.,  t.  m,  p.  271.  (H.  L.) 

2.  L'assemblée  de  Ferrare  se  tint  dans  l'église  Saint-Georges.  Alexandre  111, 
entouré  de  ses  cardinaux,  auxquels  s'étaient  joints  l'archevêque  de  Ravennc 
avec  ses  suiïragants,  l'archevêque  de  Milan  avec  les  évêques  et  les  abbés  de  la 
Loinbardie  délivrée,  prit  la  parole  au  milieu  d'une  foule  considérable  et  dit  : 
«  Vous  savez,  très  chers  iils,  que  le  vaisseau  de  l'Église,  qui  devrait  rester  en 
paix  dans  un  port  tranquille,  a  été  tellement  battu  par  les  orages  d'une  persé- 
cution violente  qu'il  a  été  presque  englouti  dans  les  profondeurs  de  la  mer  avec 
celui  qui  en  tenait  le  gouvernail.  L'empereur  des  Romains,  qui  aurait  dû  défen- 
dre l'Église  comme  son  avocat,  l'a  combattue  en  se  livrant  aux  désordres  de  sa 
volonté,  et  non  en  suivant  les  conseils  de  sa  raison,  en  a  brisé  l'unité  et  a 
dressé  autel  contre  autel,  de  sorte  que  la  fidélité  ecclésiastique  s'est  divisée,  le 
lien  de  la  paix  a  été  rompu,  la  dignité  de  l'Église  romaine  a  prescjue  entière- 
ment péri,  et  elle,  qui  était  la  maîtresse  des  nationS;  a  été  soumise  au 
tribut.  »  11  faisait  ensuite  un  tableau  saisissant  des  désordres  moraux  et  des 
calamités  publiques  qui  avaient  été  les  suites  impunies  de  la  violente  domi- 
nation  de  l'empire   et  de  l'affaiblissement   prolongé   de  l'Église,  et  il  ajoutait  : 

«Mais  le  juste  juge  et  le  patient  rétributeur,  après  dix-huit  ans,  a  eu  com- 
passion de  son  peuple  et  a  secouru  la  barque  presque  engloutie  de  son  Eglise. 
Par  le  pouvoir  de  Celui  qui  dirige  comme  il  lui  plaît  les  volontés  des  princes 
et  dispose  comme  il  le  veut  du  cœur  des  rois,  rempercur  romain,  qui  no 
pouvait  entendre   une  parole   de   paix,   changé  aujourd'hui  en  un  autre  homme, 


(ioo.    rONCILK    DF.    VE.MSi: 


1073 


après  de  ionys  débats,  Venise  fut  clioisic  comme  lieu  du  congrès. 
Les  Lombards,  toutefois,  n'ayant  pas  pleine  confiance  dans  les 
Vénitiens  (quoi([ue  ceux-ci  fissent  partie  de  la  Ligue)  et   les  accu- 


demande  afïectueusement  la  concorde  avec  l'Église,  qu'il  avait  jusque-là  dédai- 
gnée. Mais  bien  (jue  l'empereur  nous  ail  envoyé  ses  nonces  à  Anagiii  pour  nous 
proposer  la  paix  avec  l'Église  el  avec  notre  très  cher  fils  en  Christ,  l'illustre  roi 
de  Sicile,  cl  qui!  ail  voulu  la  conclure  en  votre  absence,  nous  rappelant  l'ardeur 
de  votre  loi  et  la  constance  de  votre  dévouement,  et  de  quel  courage  vous  avez 
virilement  combattu  poui'  le  maintien  de  lÉglise  et  la  liberté  de  l'Italie,  nous 
n'avons  pas  voulu  recevoir  sans  vous  la  paix  de  l'empereur,  qui  nous  était 
olïerle,  afin  qu'ayant  été  associés  à  nos  tribulations  vous  soyez  participants 
à  notre  joie.  Aussi,  ne  considérant  point  l'intérêt  de  notre  honneur,  ne  son- 
geant point  à  l'âge  de  notre  corps  épuisé,  nous  n'avons  pas  craint  de  nous 
exposer  aux  tempêtes  de  la  mer  et  à  des  fatigues  périlleuses,  et  nous  sommes 
venu  ici,  sans  hésiter,  afin,  après  avoir  connu  votre  avis,  d'accepter  la  paix 
offerte  par  l'empereur,  si  elle  convient  et  si  elle  est  avantageuse  à  l'Église,  à 
lillustre  roi  de  Sicile  et  à  vous.  » 

L'un  de  ces  sages  Lombards  qui,  selon  l'archevêque  Romuald  de  Salernc 
assistant  à  cette  assemblée,  savaient  aussi  bien  parler  que  combattre,  prit  la 
parole  et  dit  :  «  Vénérable  père  et  seigneur,  toute  l'Italie  est  à  vos  pieds  et  ofïre 
les  témoignages  empressés  de  son  dévouement  à  Votre  Sainteté,  avec  des  actions 
de  grâces  sans  nombre...  Nous  avons  connu  la  persécution  que  l'empereur  a 
infligée  à  vous  et  à  l'Église,  et  nous  l'avons  connue  plus  par  les  faits  que  par  les 
paroles.  Ses  violences,  que  le  monde  a  apprises  par  ouï-dire,  nous  les  avons  sues 
pour  les  avoir  éprouvées.  C'est  nous  qui,  les  premiers,  avons  soutenu  le  choc 
de  l'empereur;  c'est  nous  qui,  les  premiers,  en  opposant  à  sa  furie  nos  corps  et 
nos  armes,  l'avons  empêché  de  parvenir  à  la  ruine  de  l'Italie  et  à  l'oppression  de 
l'Église.  Pour  l'honneur  et  la  liberté  de  l'Italie,  pour  la  conservation  de  la  dignité 
de  l'Kglise  romaine,  nous  n'avons  voulu  rien  entendre  de  l'empereur  et  de  ses 
schismatiques.  Nous  n'avons  pas  hésité  à  supporter  des  dépenses  énormes,  à 
éprouver  bien  des  fatigues,  à  être  pressés  d'angoisses  sans  nombre,  à  être  dépouil- 
lés de  nos  biens^  à  exposer  nos  corps,  à  perdre  nos  vies.  C'est  pourquoi,  père 
vénéré,  il  est  bien  convenable,  et  tout  à  fait  conforme  à  la  raison,  que  la  paix 
de  l'empereur,  qui  nous  est  offerte,  non  seulement  vous  ne  dussiez  pas  la  con- 
clure, mais  même  l'écouter  sans  nous.  L'empereur  nous  a  souvent  proposé  de 
faire  la  paix  sans  l'Église  et  nous  l'avons  toujours  repoussé.  Pour  ce  qui  est 
des  traverses  auxquelles  vous  et  vos  frères  vous  êtes  exposés,  nous  répondrons 
en  peu  de  mots.  Nos  fatigues  ont  surpassé  les  vôtres,  et  nos  périls  ont  été  bien 
plus  grands  que  vos  dangers,  lorsque  nous  avons  dépensé  tout  ce  que  nous  avions 
pour  l'honneur  et  le  triomphe  de  l'Église,  et  que  nous  ji'avons  pas  hésité  à 
exposer  à  la  mort  nous  et  nos  enfants.  (  hir  X'utre  Sainteté  sache  et  que  la  puis- 
sance impériale  connaisse  que  nous  recevrons  avec  gratitude  la  paix,  l'honneur 
de  l'Italie  étant  sauf  et  notre  lil)ertc  demeurant  entière.  Nous  acquitterons 
volontiers  envers  l'empereur  ce  que  l'Italie  lui  doit  de  toute  ancienneté,  et  nous 
ne  lui  contestons  pas  les  vieilles  justices,  mais  nous  n'abandonnerons  rien  des 

(;ON<:irJ-;s  —  v   —     os 


1074  LIVRE     XXXIV 

sant  tic  laNoriser  la  cause  de  l'empereur,  le  doge  et  magistral  dul 
jurer  que,  pendant  les  négociations,  l'empereur  n'entrerait  jamais 
dans  la  ville  sans  l'assentimenl  du  pape  ^.  On  institua  à  Ferrare 
une  commission  de  sept  cardinaux,  sept  Allemands,  sept  Lombards, 
plus  deux  députés  du  roi  de  Sicile  pour  préparer  le  projet  du 
traité  de  paix  définitif.  Ces  commissaires  se  rendirent  à  Venise 
avec  le  pape,  et  commencèrent  leurs  travaux  dans  la  chapelle  du 
palais  épiscopal  (mai  1177).  Sur  le  désir  du  pape,  on  s'occupa 
d'abord  de  la  question  lombarde,  qui  oiîrait  de  grandes  difficultés 
(les  bases  de  la  réconciliation  entre  le  pape  et  l'empereur 
étaient  déjà  établies).  Les  pourparlers  entre  le  chancelier  imj)é-  [7U0] 
rial  Christian  de  Mayence  et  le  juge  milanais  Gérard  Pistus 
ne  purent  cependant  aboutir,  car  les  Lombards  ne  voulaient 
pas  accorder  à  l'empereur  plus  de  droits  que  n'en  avaient  eus 
ses  prédécesseurs.  LIenri  V,  Lothaire  et  Conrad.  Ils  voulaient 
qu'on  s'en  tînt  au  projet  de  traité  formulé  en  1175,  par  l'en- 
tremise des  consuls  de  Crémone.  Le  pape  fut  bientôt  con- 
vaincu qu'en  s'obstinant  dans  cette  voie,  on  ferait  tout  échouer; 
aussi  proposa-t-il,  au  lieu  d'une  paix  définitive  avec  les  Lombards, 
une  trêve  de  six  ans,  pendant  laquelle  on  maintiendrait  le  statu 
ifuo,  tout  en  travaillant  à  une  entente  complète.  Avec  le  roi  de 
Sicile,  il  n'était  pas  possible  de  conclure  une  paix  de  moins  de 
<[uinze  ans.  Les  ambassadeurs  impériaux,  Christian  de  Mayence 
à  leur  tête,  se  hâtèrent  d'aller  rejoindre  leur  maître  à  Pomposa, 
entre  Venise  et  Ravenne,  pour  lui  communiquer  la  proposition 
du  pape.  Il  en  fut  1res  mécontent  et   renvoya   ses   députés   en  leur 


droits  qui  nous  ont  été  transmis  par  nos  pères,  nos  aïeux  et  nos  bisaïeux,  et  que 
nous  ne  laisserons  qu'avecla  vie;  car  nous  aimons  mieux  encourir  une  mort  glorieuse 
avec  la  liberté  que  de  garder  une  misérable  vie  dans  la  servitude.  Quant  à  la 
participation  de  l'illustre  roi  de  Sicile  à  notre  accord,  elle  nous  convient  beau- 
coup et  nous  est  agréable,  car  nous  le  connaissons  ami  de  la  paix  et  observateur 
de  la  justice.  Par-dessus  tous  les  princes  du  monde,  il  a,  dans  son  royaume, 
procuré  la  paix  et  donné  la  sécurité  à  ses  sujets  et  aux  étrangers.  Nos  voyageurs 
le  savent  et  les  pèlerins  l'attestent  par  expérience,  eux  qui  dorment  sans  gardes 
dans  les  carrefours  et  dans  les  champs,  et  qui  s'arrêtent  pour  se  reposer  dans 
les  bois,  sans  rien  perdre  de  ce  qui  leur  appartient.  La  tranquillité  et  la  confiance 
sont  plus  grandes  dans  les  forêts  de  son  royaume  qu'on  ne  les  trouve  dans  les 
villes  des  autres  pays.  C'est  pourquoi  un  tel  prince,  participant  à  notre  paix, 
et  s'associant  à  noire  ligue,  nous  l'admettons  volontiers  comme  seigneur  et 
comme  ami.  »  (H.  L.) 

1.    1''.  Chalandon,  op.  cit.,   l.  \.\.  p.  USO. 


1 


i 


633.    CO.NCll.E    DK    VENISE  1075 

disant  de  ne  pas  l'accepter.  Mais  à  peine  avaienL-ils  (juitté  le  canij) 
de  l'empereur,  que  celui-ci  envoya  à  Venise  trois  autres  messagers  : 
son  sous-chancelier  Godefroy, Ponce,  évèciue  de  Clermont,  elHugues, 
abbé   de  Bonnevalle.    chargés    d'annoncer  au    pape,   à  l'insu   de 
Christian  de  Mayence  cL  de    ses  collègues,  qu'il  acceptait  la  trêve 
av(!c   les    Lombards,     si,   de    son    côté,    le    pape    renonçait    aux 
conventions     d'Anagni    pour    ce    qui    concernait    les    lùens    de 
Mathildc  ^  Alexandre  consentait  à    laisser  ces  biens  à  l'empereur 
pendant  quinze  ans;  mais  il  refusa    d'ouvrir  à  nouveau  l'éternelle 
(juestion  de  savoir  à  qui  ils  revenaient  de  droit.  A    la    demande 
du  chancelier  Christian,  le  pape  accorda  également    que    l'empe- 
reur, pour  faciliter  les  négociations,  vînt  se  loger  à   Chioggi-i,   non 
loin  de  V^enise  ^.  A  peine  Frédéric  y  était-il  arrivé  que  le  pape  lui 
envoya  une  députation  composée   de  commissaires  impériaux  et 
des  siens  propres  pour  l'inviter  à  recevoir  également    les    ambas- 
sadeurs des  Lombards  et  ceux  du  roi  de  Sicile  et  à  jurer,  en   leur 
présence,  d'observer  les  conditions  de  paix  promises  par   la    com- 
mission :  après  quoi,  il  pourrait   se  rendre  à  Venise;  mais  un  parti 
[701]  de  Vénitiens,  au  mépris  du  serinent  prêté  par  le  doge,  avait  formé 
le  projet  secret  de  l'introduire  dans  la  ville  afin    qu'il    dirigeât  à 
son  gré  les  négociations.  Informé  de  cette  agitation,  que  peut-être 
il    soutenait,    l'empereur  voulut  en  attendre  les    suites  possibles  : 
il  retint  donc  injustement  et  pendant    longtemps    la  députation 
et  ne  donna  qu'une  réponse  évasive;  mais  ces  intrigues  ayant   été 
découvertes,   les   députés   lombards   se   hâtèrent   de    partir    pour 
Trévise;  les  ambassadeurs  du  roi  de    Sicile  menacèrent   d'en   faire 
autant,  et  ce    projet  de  trahison  échoua.  Le  chancelier  Christian 
et    ses     collègues     firent     des     représentations     sévères     à     leur 
maître,    qui,    malgré    son   serment,    avait    favorisé    ces    intrigues 
ou,    du    moins,    ne    s'y   était   pas    opposé.    En    présence    de    cette 
vive  résistance,  l'empereur  se  résigna  à  svibir  l'inexorable  nécessité 
et  accepta  le  traité  provisoire  proposé  par  la  commission   de  paix. 
Le  même  jour,  22  juillet,    le    comle    Henri    de    Diez    en    apporta 


1.  D'après  la  Vita  Alexandri,  ce  fait  se  passa  le  6  juillet.Watterich,  op.  cil,, 
t.  H,  p.  439.  Cf.  aussi  Reutcr,  oj).  cit.,  t.  m,  p.  291,  732, 

2.  Dans  cette  circonstance,  le  chancelier  se  plaignit  des  procédés  de  l'empereurj 
i[ui  accordait  sa  confiance  à  d'autres  (il  s'agit  probablement  des  trois  ambassa- 
deurs, Clodoi'roy,  etc.)  ;  cette  manière  d'agir  le  rcndail  suspect,  lui  et  ses  collègues. 
Watterich,  op.  cil.,  t.  ii,  p.  61  G. 


1076  LiviiE  xxxiv 

la  nouvelle  à  Venise  ;  le  jour  suivanl,  le  comte  Henri  et  le  caméricr 
impérial  Sigilboth,  au  nom  de  l'empereur,  jurèrent  que  leur  maître, 
dès  son  arrivée  à  Venise,  observerait  fidèlenieul  le  traité  conclu 
par  les  commissaires  avec  l'I^glise,  le  roi  de  Sicile  et  les  Lombards; 
ils  promirent  ({u'il  obligerait  les  princes  à  observer  par  serment  ce 
traité  K  Le  pape  délia  aussitôt  les  Vénitiejis  de  leur  serment  et 
permit  à  l'empereur  de  se  rendre  en  personne  à  Venise,  afin  d'y 
terminer  cette  longue  et  épineuse  négociation  -.  L'empereur 
et  le  pape  déclarèrent  plus  tard  ([iic  les  auteurs  de  cette  union, 
enfin  conchu\  furent  certainement  ré\(Mnic  de  Cdermont  et 
l'abbé  de  Bonnevalle  '■^. 

Ce  traité  provisoire,  rédigé  par  les  commissaires,  est  précisé- 
ment celui  que  Pertz  attribue  à  tort  aux  conférences  d'Anagni 
de   1176.    Il  comprend  vingt-huit  articles  : 

1.  L'empereur    Frédéric    reconnaît    Alexandre    comme    })a])e 
catholique    et  vmiversel  et  lui    témoignera,  ainsi  qu'à  ses  succès-   [702] 
seurs,   le  respect  qui  leur  est  dû. 

2.  11  vivra  en  paix  avec  Alexandre  et  ses  successeurs. 
'A.    Il  rendra  à  l'Eglise  romaine  son  patrimoine. 
\.    L'empereur  et  le  pape  se  soutiendront  mutuellement  pour 

maintenir  les   droits  de  l'Église  et  de  l'empire. 

5.  Ce  qui,  pendant  le  schisme  ou  à  son  occasion,  a  été  enlevé 
injustement,  aux  clercs  par  l'empereur  ou  par  ses  partisans  sera 
restitué. 

6.  L'impératrice  Béatrix  et  le  jeune  roi  Henri  reconnaissent 
Alexandre  comme  pape  légitime. 

7.  L'empereur  Frédéric  et  son  hls  le  roi  Henri  seront,  pendant 
quinze  ans,  en  paix   avec  Guillaume,  roi  de  Sicile,  ainsi  que  l'ont 


1.  Lu  Vita  Alexandri,  dans  Watterich,  t.  ii,  p.  440,  rapporte  que  les  comtes 
Dedo  et  Sigilboth  prêtèrent  le  serment.  Le  pape  lui-même  appelle  fiUus  mur- 
rhionis  Alberti  celui  qui  a  prêté  le  serment.  Wattcricli,  op.  cit.,  t.  u,  p.  025,  rem. 

2.  Romiiald  de  Salenic,  dans  Monuni.  Genn.  hisL,  Script.,  t.  xix,  p.  451  sq.  ; 
Vita  Alexandri,  dans  Watterich.  vp.  cit.,  t.  ii,  p.  435,  005  sq.;  P.  L.,  t.  ce,  col. 
47-52;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi.  part.  2,  col.  1653  sq.;  Coldi,  Coucilin.  t.  xiii, 
col.  381  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.^  t.  xxii,  col.  173. 

3.  Moniim.  Germ.  hisl.,  Leges,  t.  ii,  p.  153-154;  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  627, 
note.  Dans  la  paix  de  Venise,  il  n'était  plus  question  de  la  restitution  des  terres 
de  la  comtesse  Mathilde.  Cf.  Kehr,  Neues  Archii>,  t.  xiii,  p.  107  sq.;  Giesebrecht, 
op.  cit.,  t.  V.  p.  824  sq.;  Prutz,  op.  cit.,  i.  n.  p.  322  sq.;  Reuter,  op.  cit.,  t.  m, 
p.  303  sq.   (U.  L.) 


C>t)3.    coNCii.F.    m:    vexise  1077 

vvg\('  li's  négociateurs  de  la  paix.  (Il  résullf  (\('  là,  ainsi  ffiio  du 
n^  8  et  des  n°s  26-28,  que  ce  document  ne  peut  provenir  des  con- 
férences d'Anagni,  ainsi  que  l'a  soutenu  Pertz.  A  Anagni,  en  effet, 
on  ne  parla  ni  des  Lombards  ni  du  roi  de  Sicile,  et  la  proposition  de 
conclure  une  paix  de  quinze  ans  avec  ce  dernier  et  une  trêve  de 
six  ans  avec  les  Lombards  n'a  été  faite  que  plus  tard  par  le  pape.) 

8.  L'empereur  et  son  iils  vivront  pareillement  en  paix  avec 
l'empereur  de  l^onstanlinojilc  cl  avec  ceux  qui  ont  prêté  secours 
à  l'Eglise  romaine. 

9.  Les  deux  partis  nommeront  des  ar])itres  pour  régler  les  dif- 
ficultés qui,  depuis  le  temps  du  pape  Hadrien  ]\.  existaient  entre 
l'Église  et  l'empire. 

10.  Le  chancelier  Christian  sera  confirmé  par  le  ])ape  comme 
archevêque  de  Mayence,  et  Philippe  comme  archevêque  de 
Cologne. 

11.  Conrad  (de  Wittelsbach)  aura  le  premier  archevêché  vacant 
en  Allemagne  ^. 

12.  Celui    qui   se    nomme    Calixte    (l'antipape    Jean.    abl>é    de 
[703]    Struma)  obtient  une  abbaye;  ses  prétendus  cardinaux  rentreront 

dans  les  places  qu'ils  avaient  auparavant  ^. 

1.  On  sait  que  ce  Conrad  de  Wittelsbach  était  le  frère  d'Otto  de  Wittelsbach 
qui.  après  la  chute  d'Henri  le  Lion,  obtint  le  duché  de  Bavière.  Conrad  avait  été 
nommé  archevêque  de  Mayence,  mais  il  fut  chassé  par  l'empereur.  Le  pape 
l'avait  nommé  cardinal-évèque  de  Sabine,  tandis  que  l'empereur  avait  élevé  le 
comte  Christian  de  Buch  sur  le  siège  de  Mayence.  Après  la  conclusion  de  la  paix 
de  Venise,  Conrad  émit  de  nouvelles  prétentions  sur  le  siège  de  Mayence;  mais 
le  pape  ne  le  suivit  pas  dans  cette  campagne  et  ne  voulut  pas  se  faire  un  ennemi 
du  chancelier  Christian  ;  c'aurait  été  le  meilleur  moyen  de  faire  échouer  les  né- 
irociations  pour  la  paix.  On  s'arrêta  donc  à  l'expédient  suivant  :  Conrad  résigna 
le  siège  de  Mayence,  mais  le  9  août  de  la  même  année  il  fut  élevé  sur  le  siège  de 
Salzbourg,  car  le  titidaire  de  ce  bénélice,  Adelbert,  fils  du  roi  de  Bohême,  rési- 
gna à  son  tour  son  archevêché  entre  les  mains  du  pape,  à  cause  des  plaintes 
qui  avaient  été  portées  contre  lui.  Mansi,  Co/ic.  a/Jî/)//ss.  co//.,  t.  xxii,  col.  191  sq.  ; 
Wattorich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  631  sq.  Cf.  dans  Wattcrich,  op.  cit.,  p.  632,  rem.  3, 
les  lettres  du  pape  et  de  l'empereur  au  clergé  de  Salzbourg.  Le  19  avril  1179, 
Alexandre  le  nomma  légat  pontifical  pour  sa  province.  Pflugk-Harttung,  Acta 
ined.,t.  ii,  p.  376.  Voy.  la  monographie  Der  Cardinal  und  Erzbischof  von  Mainz, 
Conrad  I,  Pfalzs^rnf  von  Scheyern-Wiltetsbach,  Miinchen.  1  SGO.  p.  70  sq.;  Will, 
Konrad  von  Wittelsbach,  Regei  sbnr^^,  1880,  p.  42  sq. 

2.  Le  malheureux  antipape  fut  traité  avec  beaucoup  de  douceur  et  de  bien- 
veillance par  Alexandre.  Romuald  <le  Salerne.  dans  Watterich,  t.  u,  p.  642; 
Reuter,  op.  cit..  t.   m,  p.  .''>r)J. 


1078  LIVRE     XXXIV 

13.  Geron,  évêque  intrus  d'HalberstatU,  sera  déposé  et  Ulrich 
réintégré. 

14.  Toutes  les  collations  de  bénéfices,  etc.,  faites  par  Geron 
ou  par  tout  aiitre  intrus  sont  sans  valeur. 

15.  On  examinera  attentivement  les  prétentions  de  l'évêque 
de  Brandebourg  à  l'archevêché  de  Brème. 

16.  On  rendra  à  l'Eglise  de  Salzbourg  tout  ce  qui  lui  a  été  pris 
pendant  le  schisme. 

17.  Tous  les  clercs  qui,  on  Italie,  et  généralement  en  dehors 
(le  l'empire  d'Allemagne,  ont  participé  a\i  schisme,  sont  remis  au 
jugemenl  du  pape  qui  aura  égard  a\ix  demandes  de  l'empereur 
pour  dix  ou  douze  personnes. 

18.  Gardisonius  sera  réintégré  sur  le  siège  de  Mantoue,  et 
le  présent  titulaire  de  cet  évêché  sera    transféré    à    Trente. 

19.  L'archevêque  de  Savo  ^  reprendra  la  charge  d'archiprêtre, 
qu'il  remplissait  avant  le  schisme. 

20.  Tous  ceux  qui,  en  Allemagne,  avaient  été  ordonnés  par 
les  catholiques,  seront  réintégrés  dans  leurs  charges. 

21.  Quant  aux  évoques  de  Strasbourg  et  de  Bâle,  ordonnés 
par  Pascal  III,  un  tribunal  formé  par  le  pape  et  par  l'empereur 
décidera  de  leur  sort. 

22.  L'épouse  de  l'empereur  sera  reconnue  et  couronnée  impé- 
ratrice par  le  pape  ou  un  légat,  son  fils  Henri  sera  reconnu  et 
couronné  roi  des  Romains. 

23.  Le  pape  et  les  cardinaux  vivront  en  paix  avec  l'empereur, 
avec  l'impératrice,  son  fils  et  tous  ses  partisans. 

24.  Le  pape  réunira  le  plus  tôt  possible  un  concile  et  menacera 
d'excommunication  quiconque  troublera  la  présente  paix.  On 
émettra  la  môme  menace  dans  un  concile  général. 

25.  Tels  et  tels  nobles  de  Rome  et  capitaines  des  campagnes 
travailleront  à  fortifier  cette  paix. 

26.  L'empereur  et  ses  princes  prêteront  serment  de  rester  en 
paix  avec  l'Eglise,  d'observer  la  paix  de  quinze  ans  avec  le  roi  de 
Sicile  (à  partir  du  1®^  août)  et  la  trêve  {inducise)  de  six  ans  avec 
les  Lombards;  ils  veilleront  à  ce  que  les  Lombards  de  leur  parti 
observent  aussi  cette  trêve. 

27.  Le  roi  des  Romains  observera  et  signera  ce  traité  de  paix, 
de  même  que  les  princes. 

1.  Mai  si.  P(  rtz,  Hefelfi  donnent  ce  mot  Sa\'o\  je  n'ni  pu  arriver  à  l'idenlificr. 
iH.  L.) 


633.     CONCIÎ.r     DE     VKMSE  1079 

f<04]  28.  Si  le  pape,  ce  qu'à  Dieu  no  plaise,  venait  à  mourir  avant 
la  conclusion  formelle  de  la  paix,  l'empereur,  etc..  n'en  devra  pas 
moins  observer  fidèlement  ce  traité,  et  le  pape  fera  de  même,  si 
l'empereur  vient  à  mourir  ^. 

La  trêve  avec  les  Lombards  étant  le  point  le  plus  délicat  des 
négociations,  on  s'explique  les  longs  pourparlers  des  commissaires. 
Les  conclusions  auxquelles  on  s'arrêta  furent  soumises  à  l'empe- 
reur: après  avoir  énuméré  toutes  les  villes  et  seigneurs  de  1h 
TTaute- Italie  de  son  parti  et  de  la  Ligue  lombarde,  elles  portaient 
que,  le  1^^  août,  commencerait  une  trêve  de  six  ans  dont 
l'empereur  devait  promettre,  par  un  représentant,  l'observation 
ponctuelle  et  que  jureraient  son  fds  Henri,  tous  les  personnages  de 
l'Allemagne  et  de  la  Haute-Italie  présents  et  tous  les  fondés  de 
pouvoir  du  parti  de  l'empereur.  Les  consuls  de  la  Ligue  lom- 
barde feraient  le  même  serment.  Durant  ces  six  années,  aucvin 
des  deux  partis  ne  devra  porter  aucun  préjudice  à  l'autre.  Un 
tribunal  composé  de  représentants  des  deux  partis  y  veillera. 
Toute  infraction  sera  punie.  Pendant  ces  six  années,  l'empe- 
reur ne  pourra  obliger  à  lui  prêter  serment  de  fidélité  aucun  clerc 
ou  laïc  affilié  à  la  Ligue  lombarde,  ni  le  punir  s'il  ne  s'emploie 
pas  à  son  service.  Enfin  aucun  membre  de  la  Ligue  ne  pourra 
être  cité  devant  un  tribunal  pour  y  répondre  sur  des  faits 
passés  '^. 

Ce  document  n'est  évidemment  qu'un  commentaire  de  l'arti- 
cle 26  du  texte  intitulé  :  Instrumentum  pacis.  Pour  le  traité  avec 
le  roi  de  Sicile,  on  se  contenta  d'explications  verbales  précisant 
le  servs  du  n^  7.  Plus  tard  on  voulut  plus  de  précision  encore  ^. 


1.  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  ii,  p.  147;  Watterich^  op.  cit.,  t.  ii,  p.  597; 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll..  t.  xxii,  col.  193  sq.;  Reuter.  op.  cit..  t.  m.  p.  246^  735. 

2.  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  ii,  p.  155. 

3.  Reuter,  op.  cit.,  t.  m,  p.  734.  s'en  rapportant  au  texte  du  serment  prêté 
le  23  juillet  au  nom  de  l'empereur  (...et  paccm  régis  Siciliie  usque  ad  quindecim 
annos,  sicui  scripta  est...  Watterich,  op.  cit.,  t.  u,  p.  440),  croit  pouvoir  conclure 
qu'une  «  paix  écrite  «  analogue  à  celle  conclue  lors  de  l'armistice  avec  les 
Lombards  intervint  pour  l'accord  avec  le  roi  de  Sicile.  Mais  pour  la  paix  avec  la 
Sicile,  peut-on  dire  au  sujet  de  l'art.  7  du  traité  de  paix  :  siciit  .fcripta  est  ? 
On  doit  certainement  comprendre  dans  le  même  sens  les  paroles  d'Alexan- 
dre lorsque,  écrivant  à  l'archevêque  Roger  d'York,  il  dit:  Siciit  in  scripto  pacis 
et  treugie  continetur.  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  626,  note.  Dans  louvrage  Der 
Cardinal  und  Erzhischof  von  Mainz  Konrad  I .  p.  65,  l'auteur  allègue  l'autorité  de 
Baronius  pour  prétendre  que  le  pape  lui-même  avait    sisné    le   traité  de   paix; 


1080  1,1  V  H  K    XXXIV  ; 

Le  23  juillcl,  1177.  W-  liu^c  el  li's  bour<j;euis  lic  Vt-nise  cm  cyt-renL  [705] 
à  Chioogia  six  oalères  somptueusement  i)arées  pour  conduire 
l'empereur  dans  la  cité  des  lagunes  ^.  Le  soir  du  môme  jour,  Fré- 
déric arriva  au  monastère  San  Nicolo  a  Lido,  non  loin  de  la  ville, 
où  il  passa  la  nuit.  Le  24  au  matin,  le  pape  lui  envoya  six  cardi- 
naux recevoir  sa  déclaration  d'obédience,  celles  des  princes  et  de  sa 
suite  et  le  relever  de  l'excommunication.  Frédéric  fit  alors  son  entrée; 
solennelle  dans  la  ville  :  à  la  porte  de  l'église  Sainl-Marc  se  tenait 
le  pape  avec  son  cortège;  l'empereur  lui  baisa  les  pieds,  comme 
le  voulait  la  tradition,  et  reçut  du  pape  la  bénédiction  cl  le  baiser 

mais  dans  le  passage  de  Baronius  auquel  il  est  fait  allusion,  Annales,  ad  ann. 
1177,  n.  21,  il  est  question  d'un  tout  autre  document  signé  par  le  pape,  c'est 
un  décret  rendu  "à  Vérone  en  faveur  du  monastère  de  Sainte-Marie  in  Organo. 
[Cf.  F.  Chalandon,  Histoire  de  la  domination  normande  en  Italie  et  en  Sicile,  1907, 
t.  II,  p.  .382  sq.  ;  Kehr,  Zur  Friedensurkunde  Friedrichs  I  von  Venedig,  dans 
Neues  Archiv,  1902,  t.  xxvii,  p.  758  sq.  (II.  L.)] 

1.  Reuter,  op.  cit.,  t.  m,  p.  300.  Frédéric  fit  son  entrée  dans  Venise  et  alla 
s'humilier  plus  qu'il  ne  convenait  devant  le  souverain  pontife.  Ces  gens  man- 
quent de  tact.  Après  les  ébats  ridicules  d'Henri  IV  dans  les  fossés  de  Canossa, 
les  platitudes  de  Frédéric  sous  le  portique  Saint-Marc.  On  le  vit,  à  l'instant  où 
le  pape  approchait,  étendant  son  manteau  sur  les  dalles,  se  prosternant  dessus, 
la  face  contre  terre,  et  baisant  les  pieds  du  pape.  Alexandre  ne  se  tenait  plus 
d'aise.  «  L'empereur,  racontait-il,  arrivé  devant  l'église  de  Saint-Marc  et  à  la 
vue  d'une  multitude  innombrable  d'hommes  et  de  femmes  qui  en  remerciaient 
Dieu  à  haute  voix,  rendit  humblement  à  nous,  souverain  pontife,  l'obéissance 
et  le  respect.  Ayant  alors  reçu  de  nous  le  baiser  de  paix,  il  prit  dévotement  notre 
droite,  et  avec  la  révérence  qui  convenait,  il  nous  conduisit  dans  l'église  jusqu'à 
l'autel.  Le  jour  suivant,  fête  de  saint  Jacques,  prié  par  l'empereur,  nous  nous 
rendîmes  à  l'église  de  Saint-Marc  pour  y  célébrer  les  solennités  de  la  messe. 
A  notre  arrivée,  l'empereur  vint  au-devant  de  nous  hors  de  l'église  où  il  nous 
introduisit  lui-même  en  prenant  avec  dévotion  notre  droite.  Les  solennités 
de  la  messe  étant  terminées,  il  nous  accompagna  en  se  plaçant  à  notre  droite, 
jusqu'à  la  porte  de  l'église.  Lorsque  nous  montâmes  sur  le  palefroi  qui  nous  était 
préparé,  il  tint  l'étrier  et  nous  rendit  tout  l'honneur  et  toute  la  révérence  que 
ses  prédécesseurs  avaient  coutume  de  rendre  aux  outres.  Il  sera  de  votre  solli- 
citude de  vous  réjouir  avec  nous  des  prospérités  de  l' Eglise,  et  vous  en  ferez 
sentir  les  avantages  à  ses  fils  dévoués,  a  lin  que,  dans  leur  zèle  pour  la  maison 
de  Dieu,  ils  soient  religieusement  satisfaits  du  nom  et  du  bien  de  la  paix.  » 
Une  pareille  pièce  est  une  perle  de  psychologie.  Le  pape  redevenait  Roland 
Bandinelli,  chétif  compagnon  que  les  prévenances  d'un  empereur  mettaient 
hors  de  lui.  Ce  prestige  de  la  race  est  celui  auquel  certains  hommes  supérieurs 
échappent  le  moins;  la  moindre  condescendance  d'im  homme  de  grande  nais- 
sance et  de  brillante  fortune  n'aura  que  trop  souveni  ce  funeste  pouvoir  d'étour- 
dii'  les  papes  sur  la  sincérité  des  hommages  (lu'on  leur  prodigue  pour  les 
rnjiMor  cl   les  jouer.    (H.   L.) 


G.'^'^.    r.o.Ncii.E    i)K    vK\!-;i:  1081 

(le  paix,  ail  rliaiil  du  W  henni,  en  I  uniir  |»ar  la  siiiU-  iiii])ériale.  lit' 
lendemain  2(1.  fêle  de  saint,  Jacques,  à  la  demande  de  l'empereur, 
le  pape  célébra  la  messe,  tandis  (|uc  l^'rédéric.  faisant,  pour  ainsi 
dire.  l'ofTico  do  portier,  écartait  la  loiile.  Après  l'évangile,  avant 
de  se  rendre  jusf{u'à  l'autel,  Alexandre  prit  la  parole  et  le 
y>atriarclie  d'Aquilée  traduisit  aussitôt  son  discours  en  allemand. 
Après  le  Credo,  l'empereur  et  sa  suile  allèrent  à  l'ofTrande  et. 
l'ollice  terminé,  Frédéric  Barlierousse  accompagna  Alexandre 
et  lui  tint  l'étrier  lorsqu'il  monta  à  chevaP.  Les  Annales 
Pegas'jenses  ou  Bui^os'ienses  racontent  que,  le  25  juillel,  le  pape 
excommunia  en  synode  les  schismatiques  obstinés,  coniirma 
Christian  dans  la  charoe  d'archevêque  de  Mayence,  transféra 
Conrad  de  Wittelsbach  sur  le  siège  de  Salzbourg  et  réintégra 
Ulrich  sur  le  siège  d'Halberstadt.  Roger  de  lloveden  parle  aussi 
d'un  concile  dans  lequel  Jean  de  Striima  aurait  été  dégradé  ainsi 
que  tous  les  archevêques,  évêques  et  abbés  d'Allemagne  consacrés 
[7061  V^^  ^^^^  o^'  V^^  ses  prédécesseurs  (Victor  et  Pascal), (mais  ce  fait  est  en 
contradiction  absolue  a^'ec  les  articles  17  et  21  du  traité  de  paix). 
Conrad  de  Wittelsbach  avait  reçu  du  pape  l'archevêché  de  Salz- 
l)ourg  et  la  charge  de  légat  en  Allemagne  ^,  sa  vie  durant,  I  andis 
((ue  Christian  de  Mayence  avait  brûlé  de  sa  propre  main  le  pallium 
(|u"il  avait  reçu  de  Pascal  et  en  avait  reçu  un  autre  des  mains 
d'Alexandre.  Il  est  possible  que  des  faits  analogues  se  soient  passés 
le  25  juillet;  mais  en  disant  c[ue  le  concile  a  duré  quinze  jours, 
l'auteur  de  ces  Annales  laisse  voir  qu'il  donne  le  nom  de  synode 
à  toute  la  série  des  négociations  cjui  eurent  lieu  à  Venise  à  la  fin 
de  juillet  et  au  commencement  d'août.  Les  lettres  du  pape  et  de 
l'empereur  datées  de  cette  épo((ue  tie  font  meulioii  d'aucun 
concile  ^. 

La  dernière  solennité  pour  la  conclusion  détinilive  de  la  |>aix 
eut  lieu  à  Venise,  au  palais  épiscopal,  le  1^'"  août  1177.  Le  j^ape, 
sur  un  trône  élevé,  présida  la  séance.   A  sa  droite,  mais  un   |)eu 

1.  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  634  sq.;  Ilardouin^  Conc.  coll.,  l.  m,  part.  2, 
col.  1658;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii.  col.  177;  Vita  Alexandri.  dans 
Baronius,  Annales,  ad  ann.  1177^  n.  22  sq.;  P.  L.,  t.  ce,  col.  52:  Watterich. 
op.  cit.,  t.  II.  p.  440  sq. 

2.  La  légaliou  pour  Sal/.l)ourc'  est  datée  du  19  avril  tl7',).('.f.  IMluglc-Harttung, 
Acla  ined.,  t.  ii,  p.  .'570. 

:].  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvi,  p.  2G1;  .Jaffé,  Hegesto,  t.  ii,  p.  773; 
Watterich.  <>]i.  cit..  \.  ii,  p.  (■)27,  note  2;  p.  625,  note  3. 


10S2  LivBE   xxxn- 

au-dessous,  s'assit  Iciupercur ;  à  sa  gauche,  l'archevêque  de  Sa- 
lerne  représentant  le  roi  de  Sicile.  Autour  d'eux  et  en  arrière 
prirent  place  les  cvêques  et  les  cardinaux.  Le  pape  ouvrit  la 
solennité  en  exprimant  sa  joie  de  sa  réconciliation  avec  l'em- 
pereur à  qui  il  ouvrait  les  bras  comme  à  son  fils  le  plus  cher.  L'em- 
pereur répondit  en  allemand  (le  chancelier  Christian  traduisit 
aussitôt  son  discours  en  latin)  «  que  la  dignité  impériale  ne  l'avait 
malheureusement  pas  préservé  de  l'erreur.  Trompé,  il  avait  nui 
grandement  à  l'Eglise,  qu'il  pensait  défendre,  et  l'avait  divisée; 
mais  il  revenait  maintenant  dans  le  sein  de  cette  Eglise  el  vou- 
lait reconnaître  et.  honorer  le  pape  Alexandre  comme  pape  et 
comme  père.  Suivant  les  actes  déjà  faits,  il  concluait  présen- 
tement la  paix  avec  l'Eglise,  avec  le  roi  de  Sicile  et  avec  les 
Lombards.  »  Après  les  joyeuses  acclamations  d'usage,  l'em- 
pereur fit  apporter  le  livre  des  Evangiles,  des  reliques  et  une 
parcelle  de  la  vraie  croix  :  alors  Henri,  comte  de  Diez,  jura  en  son 
nom  le  rétablissement  de  la  paix  entre  l'Eglise  et  l'empire, 
une  paix  de  quinze  ans  avec  le  roi  de  Sicile  et  une  trêve  de  six 
ans  avec  les  Lombards,  aux  conditions  formulées  par  les  commis- 
saires. Le  roi  des  Romains,  LIenri,  prêtera  le  même  serment.  En 
outre,  dix  (douze)  grands,  prélats  ou  seigneurs,  de  l'entourage  ("707] 
impérial,  s'engagèrent  par  serment  à  observer  les  trois  trai- 
tés de  paix.  Les  représentants  du  roi  de  Sicile  s'y  engagèrent 
pour  leur  maître,  lequel,  aussitôt  informé  de  l'affaire  conclue,  en- 
verrait cette  promesse  en  son  propre  nom  et  obligerait  dix  de 
ses  princes  à  s'engager  comme  lui.  Enfin  les  députés  lombards 
déclarèrent,  sous  la  foi  du  serment,  vouloir  observer  la 
trêve  de  six  ans  conclue  avec  l'empereur,  et  assurèrent  que 
tous  les  consuls  et  tous  les  nobles  de  la  Ligue  prêteraient  le 
même  serment  ^  Ces  serments  visaient  non  seulement  l'ins- 
trument général  de  paix,  mais  encore  les  conventions  plus 
détaillées  concernant  la  trêve  avec  les  Lombards,  déjà  ju- 
rées par  Henri,  comte  de  Diez,  et  les  dix  autres  grands  du 
royaume  ^. 


1.  Romuald  de  Salerne,  dans  Monum.  Gerin.  hist.^  Script.,  t.  xtx,  p.  451  sq.  ; 
Vila  Alexandri,  dans  Liber  pontifîcalis,  t.  ii,  p.  439-440;  Baronius.  Annales. 
ad  ann.  1177,  n.  27;  Watterich,  Vitas  ponlif.  mm.,  i.  n,  p.  4'i2  sq.  ;  Hardouin, 
Conc.  coll.,  t.  VI,  part.  2,  col.  1662;  Mansi^  Conc.  anipliss.  coll..  t.  xxii,  col.  182. 

2.  Monum.  Germ.  hi-it.,  Script.,  t.  xix.  p.  451  sq. 


G33.     CONCILE     DE     VENISE  1083 

Quelques  jours  plus  lard,  à  la  demande  des  ambassadeurs  sici- 
liens, l'empereiir  fit  rédiger  par  écrit  un  document  établissant 
la  paix  conclue  avec  le  roi  de  Sicile  ^  Le  14  aoilt,  le  pape  célé- 
bra à  Saint-Marc,  en  présence  de  l'empereur  et  entouré  des 
prélats  allemands  et  italiens,  ce  premier  concile  projeté  dans  les 
négociations.  On  s'efîorça  de  formuler  toutes  les  conséquences 
avantageuses  pour  F  Église  du  triple  traité  de  paix,  et  on  menaça 
les  perturbateurs  d'excommunication.  Le  synode  anathématisa, 
jusqu'à  satisfaction,  tous  ceux  qui  s'obstinaient  dansle  schisme,  et 
lit  au  contraire  un  accueil  bienveillant  à  ceux  qui,  en  grand 
nombre,  sollicitèrent  leur  réconciliation  -. 

Les  lettres  écrites  par  Alexandre  III,  pour  annoncer  sa  réconci- 
liation avec    l'empereur,    témoignent    sa    profonde    satisfaction  ^. 
Avant  de  quitter  Venise,  l'empereur  confirma  une  fois    de  plus, 
[708]   le  17  septembre,  le  traité  conclu  avec  l'Eglise,  et  les   princes    qui, 
sur  son  ordre,    avaient    signé    les    documents    de    paix   en  firent 
autant  *.  Le  chancelier    Christian    de    Mayence   veillerait    à    faire 
restituer  au   Saint-Siège  ses  possessions  et  regalia,    sauf  les  biens 
de  Mathilde    et    la  principauté  de  Bertinoro,    dont    une    commis- 
sion nommée  par   l'empereur  et  le   pape  devait  désigner  le    véri- 
table possesseur.  Le  pape  accepta  cette   dernière  stipulation  qu'il 
avait    d'abord    rejetée  ;  peut-être    avec    la  pensée  de  se    montrer 
à  l'occasion  moins    inflexible.   L'empereur  se  rendit    à   Ravenne 
et  à  Cesena,  prit  le  chemin  de  Gênes  pour  Arles,  où  il  se  fit  couron- 
ner roi  d'Arles,  le  30   juillet  1178  ^;  puis   regagna    l'Allemagne  à 
l'automne.  De  son  côté,  le  pape  quitta  Venise  à  la  mi-octobre  1177 
et  revint  habiter  Anagni  et  Frascati,  jusqu'à  ce  que,   les  Romains 
l'avant  rappelé  en  lui  donnant  des  gages  suffisants    de    fidélité,  il 


1.  Romuald  de  Salerne,  dans  Moiium.    Germ.  hist.,  Script.,  t.   xix,  p.  459; 
Kehr,  Zur  Friedensurkunde  Friedrichs  I  ^on  Venedig,  dans  Neues  Archiv,  1902 
t.  XXVII,  p.  758  sq.;  F.  Chalandon,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  382-383.  (H.  L.) 

2.  Romuald  de  Salerne,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  459  sq.  ; 
Vitn  Alexandrie  dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  443,  637;  P.  L.,  t.  ce,,  col.  54. 

3.  Jaffé,  Regesta,  p.  773;  ^Yatte^ich,  op.  cit.,  t.  ii.  p.  625,  note  3. 

4.  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col.  1663;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll. 
1.  XXII,  col.  183  sq.;  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  444  sq. 

5.  P.  Fournier,  Le  royaume  d'Arles  et  de  Vienne,  1138-1378.  Étude  sur  la 
formation  territoriale  de  la  France  dans  Vest  et  le  sud-est,  in-8,  Paris,  1S91. 
(H.  L.) 


1084  MVIîK     XXXIV 

leulru    If    12    mars    1178^,     pouf   y    U'nir   U'     tomilc    <iM'inTi(''ni(|iio 
prévu  par  l'article  24  du  Irait é  ^. 

Le  l^r  février  1178,  l'archevêque  de  Salzbourg,  Conrad,  tint, 
avec  ses  siifîrao;ants  et  un  grand  nombre  de  seigneurs,  un  synode 
à  Ilohenau  sur  l'Tun.  pour  introduire  l'obédience  d'Alexandre 
dans  loti  le  la  pruvincc  ol  y  rétablir  Tordre  dans  le  clergé  et  dans 
le  ])euple.  »[U('  le  schisme  et  les  épouvantables  ravages  exercés 
])ar  les  impéria\ix  a\  aient  grandement  démoralisé  ^. 

Pendant  ces  événements,  deux  conciles  qui  méritciil  nuire  atten- 
tion furent  célébrés  en  Orient.  Le  premier,  tenu  à  Tarse  en  Cilicie, 
sous  la  présideucc  du  patriarche  arménien  Grégoire,  neveu  de 
Narsès  *,  est  dû  sans  doute  à  l'initiative  de  l'empereur  Manuel 
Comnène,  toujours  zélé  pour  le  rétablissement  de  l'union  entre  [709] 
les  Arméniens  et  les  Grecs.  Narsès,  évêcpie  de  Lambron,  ouvrit 
l'assemblée  par  un  discours  conciliant  favorable  à  la  doctrine 
dydphysite.  » 

1.  Les  Grecs  demandèrent  aux  Arméîiiens  anathème  sur  lùily- 
chès,  Dioscore,  Timothée  Élure  et  leurs  partisans.  Les  Arméniens 
répondirent  que,  jusqu'alors,  ils  s'étaient  bornés  à  condamner 
Eutychès  et  Sévère  d'Antioche,  mais  ils  acceptaient  sans  diffi- 
culté de  condamner,  comme  les  Grecs,  les  autres  personnages, 
dès  qu'on  leur  en  aurait  démontré  l'hérésie. 

2.  En  second  lieu,  les  Grecs  demandèrent  aux  Arméniens  d'adhé- 
rer à  la  doctrine  orthodoxe  du  dyophysisme  et  du  dyothélisme; 
les  Arméniens  s'y  engagèrent  expressément,  ajoutant  qu'à 
l'avenir,  pour  éviter  tout  scandale,  ils  écarteraient  l'expression  : 
Una  natura  Verhi  incarnali. 


1.  Romuald  de  Saloiiic,  dans  Monum.  Gerw.  hist.,  Scriiil..  l.  xix^  p.  'i59; 
Watterich,  Vit;r  pontif.  roni..  I.  ii.  p.  640.  (H.  L.) 

2.  Watterich,  op.  cit..  1.  ii,  p.  446  sq.,.  449,  639  S([. 

3.  Lal)be,  Concilia,  I.  x,  coJ.  1502;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  \i,  part.  2,  col. 
1671;  Coleti,  Coticilia,  t.  xiii,  col.  407;  Mansi,  Conc.  anipliss.  coll.,  t.  xxii.  col- 
208;  Dalham,  Conc.  Salisburg.,  1778,  p.  78-80.  Conrad  de  Wittelsbach,  cardinal- 
évêqiie  de  Sabine,  1166;  archevêque  de  Salzbourg,  1177;  de  Mayence,  1183; 
mort  le  27  octobre  1200.  G.  Scholz,  De  Conrndi  I  archicpiscopi  Maguntini  prin- 
cipoln  tetriloriali,  in-8,  Bonna-,  1870;  C.  Varrentrapp,  Comment  itio  de  Conrado 
archiepiscopo  Maguntino,  in-8,  Bonnse,  1865;  C.  Will,  Konrad  von  Wittelsbach, 
Cardinal,  Erzbiichof  von  Mainz  und  von  Salzhurg,  deutscher  Reichskanzler,  in-8, 
Regensburg,  1880,  p.  76,  203.  (H.  L.) 

4.  Coleti,  (.■onciUa.  t.  iv,  col.  425:  Mansi.  Cour.  oDipliss.  coll.,  (.  xxii,  roi. 
198. 


(.33/   co.Ncli.K    DK    \  i:mse  1085 

3.  Sur  la  lioisièmc  df mande  des  Grecs,  les  Ariiiéniens  dé- 
clarèrent vouloir  maintenir  dans  le  Trisagion  les  mots  :  Qui 
crucifj.iiis  est  pro  iiobis.  Néanmoins,  pour  écarter  toute  amphi- 
bologie el  ne  ])as  naraître  parler  de  la  Trinité  lout  entière,  ils 
diraient    désormais  :  Qui  incarnaius  el  cruci/ixus  est    pro  nobis. 

\.  TjCS  Arméniens  se  déclarèrent  prêts  à  célél)rer  Noël,  l'Annon- 
«iation  et  la  Puriiication;  jusqu'alors  ils  fêtaient  la  naissanrc 
du  Christ  le  jour  de  TF-piphanic. 

5.  Ils  promirent  de  luépaicr  à  laNciiu'.  autant  (fue  possible, 
l'huile  sainte  avec  des  »di\(s. 

<).  Ils  refusèrent  de  célébrer  1" eucharistie  avec  du  pain  le\  é, 
disant  que  le  Siège  apostolique  employait  aussi  le  pain  azyme. 
Ils  acceptaient  de  mélanger  le  vin  avec  l'eau. 

7.  Ils  reconnurent  comme  abusif  leur  usage  d'interdire  à 
certaines  personnes  l'entrée  de  l'église  pendant  le  service  divin 
et  de  les  obliger  à  faire  leurs  prières  au  delnus.  Cet  usage 
s'était  introduit  au  temps  nù  il  n'y  avait  pas  d'églises  assez 
vastes.  Ils  convenaient  de  la  nécessité  de  remédier  à  cet  état  de 
choses. 

8,  Ils  acceptèrent  sans  dilHculté  le  quatrième  concile  œcumé- 
nique, comme  étant  d'accord  avec  les  trois  premiers;  quant  aux 
cinquième,  sixième  et  septième  (les  Grecs  eux-mêmes  n'en  admet- 
taient pas  davantage),  ils  les  recevraient  si  leurs  décisions  concor- 
daient avec  celles  des  trois  premiers  conciles. 

0.  Les  Grecs  demandèrent  enfin  cju'à  l'avenir  le  patriarche 
des  Arméniens  fût  }iommé  par  l'empereur  de  Constantinoplc  : 
les  Arméniens  répondirent  que  tel  était  en  ellet  le  point  princi- 
pal et  le  seul  moyen  de  procurer  une  union  durable.  La 
[710]  meilleure  solution  était  de  confier  à  l'avenir  le  siège  d'Antioche  au 
patriarche  d'Arménie,  qui  serait  toujours  nommé  par  Byzance  et 
tiendrait  toutes  les  églises  arméniennes  sous  la  constante  dépen- 
dance de  l'empereui',  (Le  désir  de  se  faire  adjuger  les  revenus 
du  siège  d'Antioche  était  donc  pour  les  Arméniens  un  vif  sti- 
mulant à  l'union  avec  l'Eglise  grecque.) 

Les  Arméniens  soumirent,  pour  leur  part,  sept  tlemandes    con- 
cernant leur  propre  discipline  : 

L   Les  sacrilèges  devront  être  punis  pour  chaque  faute,  confor- 
mément aux  canons. 

2.  Les  clercs  coupables  seront  déposés  en  jugement  public,  mais 
réintégrés  après  une  pénitence  suflisante. 


1086  LIVRE    XXXIV 

3.  On  ne  doiU  sous  aLuiiii  pi'éLexlL',  oiduaner  des  lioiunics 
mutilés  ou  privés  de  raison. 

4.  L'eucharistie  doit  se  célébrer  avec  du  pain  azyme. 

5.  Il  n'est  pas  permis  d'enfouir  sous  terre  les  restes  du  saint 
sacrifice  ;  il  n'est  pas  permis  d'ajouter  de  l'eau  chaude  au  vin 
déjà  consacré^;  cette  pratique  étant  faite  pour  flatter  le  goût 
et    n'oH'rant  aucune  signilication  symbolique. 

<).  Les  jours  de  jeûne,  il  est  interdit  de  manger  du  poisson  et  de 
boire  du  vin. 

7.  Le  patriarche  des  Arméniens  obtiendra  le  patriarcat  d'An- 
tiochc. 

Enfin,  un  fragment  d'une  lettre  adressée  à  l'empereur  de  By- 
zance  nous  montre  le  synode  très  favorable  à  la  doctrine  dyophy- 
site  et  dyothélite  ^.  La  mort  de  Manuel  Comnène  coupa  court 
à  ce  projet  d'union. 

Un  synode,  tenu  à  Constantinople  sous  le  patriarche  Théodose, 
en  1.177,  déclara  que  les  fiançailles  d'enfants  mineurs  ne  consti- 
tuaient pas  un  empêchement  de  mariage  ^. 


654.  Onzième  concile  œcuménique ,  troisième  de  Latran,en  1179. 

Au  cours  des  négociations  de  la  paix  de  Venise,  on  avait  reconnu 
la  nécessité  de  réunir  un  concile  général  pour    achever   la    paci- 
fication de  la   chrétienté  et  extirper    les  abus  introduits    par  le 
temps  et  à  la  faveur  du  schisme.   Durant  l'été  de  1178,    le  pape   r-j^M 
Alexandre  III  fit  les  citations  nécessaires  ^,  et  au  carême  de  1179 

1.  Le  mélange  d'eau  chaude  est  une  pratique  liturgique  usitée  dans  l'Eglise 
grecque. 

2.  Dans  la  suseription,  il  est  dit  que  ce  synode  fut  célébré  sur  l'ordre  de 
Léon,  roi  d'Arménie;  mais  Léon  II  ne  fut  en  réalité  roi  d'Arménie  qu  en 
1189  (il  s'agit  ici  de  la  petite  Arménie,  Arménie  de  Cilicic). 

:{.  Mausi,  Concilia,  Supplcm.,  t.  ii,  cci.  C84;  Cojic.  anipli>if<-  cuil.,  t.  xxii,  ccl.207. 

4.  Bini,  Concilia,  t.  m,  col.  1345-1440;  Coll.  regia,  t.  xxvn,  col.  434;  Labbe, 
Concilia,  t.  x,  col.  1503-1734;  d'Acliery,  Spicil,  1675,  t.  xii,  p.  038-3651;  Har- 
douin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col.  1071;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  409; 
Martène,  Script,  vel.  coll.,  1733,  t.  vu,  col.  77-80;  Mansi,  Concilia,  Supplem., 
t.  n,  col.  685;  Conc.  ampUss.  coll.,  t.  xxii,  col.  209-233;  Ilisioria  concilii,  234- 
239;  Acla  concilii,  239-248  :  Additio  ad  acta  concilii.  248-468  :  Acta  a  variis  an- 
cloribus  collecta;  Jan'é,  Regesla  poiilif.  roman., t.  ii,  p.  340-341;  Wattcrich,  op. 
cil.,  t.  II,  p.  0'i2  sq.;  Renier,  op.  cit.,  t.  m,  p.  415  sq.,  764  sq.  (H.  L.) 


634.     O.NZIÈM1-:     CONCILE     ŒCUMÉMQLli  J087 

il  présida  à  Home,  dans  la  basilique  Constanlinienne,  le  onzième 
concile  œcuménique  o.u  troisième  de  Latran.  Les  contemporains 
parlent  de  287,  300,  39(J  évèques  présents  et  même  davantage,  de 
nombreux  abbés  et  autres  dignitaires,  ce  ({ui  portait  le  cliillre 
des  membres  à  mille  environ  ^  Les  listes  de  noms,  quoique 
incomplètes  et  défectueuses,  permettent  de  constater,  à  côte 
de  nombreux  évêques  italiens,  la  présence  de  prélats  ve- 
nus d'Espagne,  de  France,  d'Angleterre,  d'Irlande.  d'Ecosse, 
d'Allemagne,  du  Danemark,  de  Hongrie  et  de  Palestine.  Le  pa- 
triarche de  Jérusalem  était  représenté  par  Pierre,  prieur  du  Saint- 
Sépulcre;  à  côté  de  lui  se  trouvaient  le  célèbre  historien  des  croi- 
sades, Guillaume,  archevêque  de  Tyr,  Albert,  évêque  de  Bethléem, 
lléraclée,  archevêque  de  Césarée,  etc.  Parmi  les  Allemands,  on 
remarquait  les  archevêques  Arnold  de  Trêves,  Christian  de 
Mayence  et  Conrad  de  Salzbourg.  Dans  le  vingt  et  unième  livre 
de  son  Histoire  des  croisades  (c.  xxvi),  Guillaume  de  Tyr  écrit  que 
«  celui  qui  voudra  connaître  les  décisions  de  ce  concile,  les  noms, 
le  nombre  et  le  titre  des  évêques,  n'aura  qu'à  lire  l'écrit  que  j'ai 
composé  à  la  demande  des  membres  du  concile  et  déposé  dans 
les  archives  de  notre  église  à  Tyr  '■^.  »  Malheureusement  cet  écrit 
est  perdu.  On  tint  trois  sessions  :  le  5,  le  7  (ou  le  14)  et  le  19  (ou  le 
22)  mars  "*,  On  ignore  les  débats  qui  les  occupèrent  et  le  détail 
des  opérations  de  l'assemblée.  On  sait  seulement  que,  dans  la 
troisième  et  dernière  sessidn.  elle  sanctionna  et  publia  vingt- 
sept  décrets  ou  capitula  *. 

Can.  1. 

Licel  de  e^itanda  discordia  in  electione  sumini  poiitificis  mani- 
festa satis  a  nostris  priedecessoribus  constituta  manaverint  :  tamen, 
quia  siepe  post  illa  per  improhx  ainhilionis  audaciam,  gravem 
passa  est  Ecclesia  scissurani  :  nos  etiam  ad  uialum  lioc  e\'itanduui, 


1.  Annal.  Pulideunes,  dans  Monum.  Genn.  Iiist.,  Script.,  t.  xvi^  p.  95;  Annal. 
Pegavienses,  dans  Monum.  Genn.  hisl.,  Script.,  t.  xvi,  p.  194;  Contin.  Clauslron., 
dans  Monum.   Germ.  hist.,  Script.,  t.  ix,  p.  617.  (H.  L.) 

2.  Guillaume  de  Tyr,  f/fs/.^  1.  XXI,  c.  XXVI  ;  cf.  Mans!,  op.  t(7..   t.   xxii,  col.  242. 

3.  Au  sujet,  de  la  date  des  sessions,  cf.Walterich,  op.  cit.,  t.  ir.  p.  643;  Reuter^ 
op.  cit.,  t.  m,  p.  766 

'i.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll..  t.  xxii,  col.  234;  l'agi,  Crilica,  ad  aiin.  1179, 
n.   1,  3,  5;  Jalïé,  Régenta,  p.  783. 


1088  LIVRE    XXXIV 

(le  consilio  Iraliuin  noatruiuin.  et  ^acri  uppyobaLwne  concdii.  ali- 
quid  decrevimus  adjungenduin.  Statuimus  .igitur,  ut  si  forte,  ini- 
inico  hoinine  superseininafite  zizania,  inter  cardinales  de  substi- 
tuendo  pojitifice  non  potuerit  concordia  plena  esse,  et  duabus  par- 
tibus  concordantibus  tertia  pars  noluerit  concordare,  aul  sihi  aliuni 
prsesumpserit  ordinare  :  ille  rouianiis  ponlijex  habeatur.  ({iii  a 
dualnis  partihiis  [iifrit  electus,  et  receptus.  Si  rpiis  autein  de  tertur 
partis  noniiiKilionr  confîsii.s,  quia  rem  non  jkiIc.sI.  silii  notnen  epi- 
scopi  ustirpas-eril  :  lani  ipse,  quam  qui.  eniii  receperi ni,  exconiniuni- 
cationi  subjaceanl,  et  ioiius  sacri  ordinis  pru'alione  luulctentur,  ila 
ut  viatici  eis  etiani  nisi  tantuni  m  tiltiniis,  communia  denegetur  :  et 
nisi  resipuerinl.  cum  Dathan  et  Abiron,  quos  terra  >^>wos  absorbait, 
accipiant  portionem.  Prseterea  si  a  paucioribus  aliquis,  quam  a 
duabus  partibus  f  lient  electus  ad,  apostolat  us  ojjiciiun.  nisi  major 
concordia  intercesseril.  nullatenus  assumalur.  et  priiedictse  pœnse 
subjaceat,  si  humiliter  noluerit  abstinere.  Ex  hoc  tamen  nullum 
canonicis  constitutionibus  et  aliis  ecclesiaslicis  prœjudicium 
generetur,  in  quibus  majoris  et  sanioris  partis  débet  sententia  pni;- 
s'alere  :  quia  quod  in  eis  dubium  venerit,  superioris  poterit  judicio 
dijjiïiiri.  In  romana  çero  Ecclesia  cdiquid  spéciale  constituitur,  quia 
non  potest  recursus  ad superioremhaberi.  [Décrétai. ,\.\,X\x.\\,  c.  6.) 

A  l'avenir,  pour  rendre  impossible  une  double  élection  au  trône  ponti- 
lical,  s'il  existe  un  désaccord  entre  les  cardinaux,  celui-là  seul  devra  être  [712] 
considéré  comme  régulièrement  élu  qui  aura  obtenu  les  deux  tiers  des 
suiTrages.  Celui  qui,  bien  (pi'élu  par  un  nombre  moindre  de  sutïrages, 
acceptera  lélection  sera,  ainsi  que  ceux  qui  le  reconnaîtront,  frappé  d'ex- 
communication et  exclu  de  tout  état  ecclésiastique. 

Can.   2. 

Quod  aprsedecessore  nostro  felicis  ineinori:r  Jnnocentio  facturn 
est,  innoi^antes,  ordinationes  ab  Octaviano  et  Guidone  hseresiarchis, 
necnon  et  Joanne  Strumensi,  qui  eos  secutus  est.  factas,  et  ab  ordinatis 
ab  eis,  irritas  esse  censemus  :  adjicientes  etiam,  ut  si  qui 
dignitates  ecclesiasticas,  seu  bénéficia,  per  prsedictos  schismaticos 
receperunt,  careant  impetratis.  Alienationes  quoque,  seu  invasiones, 
quse  per  eosdeni  schismaticos,  sive  per  laicos,  factse  sunt  de  rébus 
ecclesiaslicis,  ornni  careant  firmitate,  et  ad  Ecclesiam  sine  omni 
ejus  onere  revertantur.  Si  quis  autem  contraire  prœsumpserit,  excom- 
municationi  se  noverit  subjacere.   Illos  autem  qui  sponte    juramen- 


034.     0>Z1ÈMK     CO.NCILE     ŒCUMÉNIQUE  1089 

tutu  de  ienendo  schismale  prxslilerint,  a  sacris  ordinibus  cl  dlgtiila- 
tibus  decre<,'iinus  nianere  suspensos. 

Conformément  à  l'ordonnance  du  pape  Innocent  IP,  nous  déclarons 
nulles  les  ordinations  faites  par  les  antipapes  Octavien,  Guido  et 
Jean  de  Strunia  et  par  les  prélats  consacrés  par  eux.  lien  est  de  même 
des  bénéfices  et  des  dignités  ecclésiastiques  conférés  par  ces  scliisma- 
tiques.  Tous  \vs  ])iens  ecclésiastiques  aliénés  par  eux  ou  par  des 
laïcs  doivent  être  rendus  entièrement  et  volontairement  aux  églises^. 
{Deere'.,   I.  V,  tit.  viii,  c.  J.) 

Can.  3. 

Cuni  in  sacris  ordinibus,etministeriis  ecclesiasticis,  et  œiaiis  niaîu- 
ritas.  et  moriun  i^ra^-itas.  et  scientia  litteraruin  sit  inquirenda  :  multo 
jurtius  Jiivc  in  episcopo  oportet  inquiri,  qui  ad  curain  positus  cdio- 
rnni.  in  seipso  débet  ostendere,  qualiter  alios  iti  domo  Domini  opor- 
ieat  conversari.  Eapropter.  ne  quod  a  quibusdani  ex  necessitate 
temporis  factum  est,  in  exemplunt  trahatur  a  posteris  :  prœsenti 
decreto  statuimus,  ut  nuUus  in  episcopum  eligalur,  nisi  qui  jani 
trigesimum  setatis  annuni  egerit,  et  de  légitima  sit  matrinwnio 
natus,  qui  etiam  vita  et  scientia  commendabilis  deuionstretur.  Cum 
autem  electus  fuerit,  et  confirmationem  electionis  accepei'it,  et  eccle- 
siasticorum  bonorum  administrationeni  habuerit  :  decurso  lenipore, 
de  consecrandis  episcopis  a  canonibus  definito,  is,  ad  queni  speciant 
bénéficia  quse  habuerat,  disponendi  de  illis  liberam  habeat  facuita- 
teui.  Inferiora  etiam  ministeria  utpote  decanatus,  archidiaconatus, 
et  alia,  qnse  animarum  curam  habent  annexant,  nullns  oninino 
suscipiat,  sed  nec  parochialium  ecclesiarum  regimen  :  nisi  qui  jam 
vigesimum  quintum  setatis  annum  attigerit,  et  qui  scientia  et  mori- 
bus  existât  commendandus.  Cum  autem  assumptus  fuerit,  si  archidia- 
conus  in  diaconum,  et  decani  et  reliqui  admonili  non  jiieruU  jinefixo 
a  canonibus  tempore  in  presbytères  ordinati  :  el  ah  lUo  remoi'eantur 
ufficio,  et  alii  conferatur,  qui  et  velit,  el  possit  com'enienter  illud 
implere.  Nec  prosit  illis  appellationis  diffugium,  si  forte  in  trans- 
gressionem  constitutionis  istius  per  appellalionem  ^^oluerint  se  tueri. 
Hoc  sane  non  solum  de  promos^endis,  sed  de  his  eliam,  qui  jam  pro- 
moti  sunt,  si  canones  non  obsistant,  prsecipimus   observandum.    Cle- 

1.  Voir  le  canon  30  du  dixième  concile  œcuménique,   §  Gl5. 

2.  Kober,  Suspension,  p.  190,  287. 

CONCILES  —  V  -   60 


1U90 


LIVRE     XXXIV 


rici  sane  si  contra  jornuiin  istain  queinquam  elegerint  :  et  eligendi 
potestate  tune  prii>aios,  et  ah  ecclesiaslicis  beneficHa  trienniu  ne  nov>e- 
nul  siispensos.  Dignuin  est  eii'un,  ut  quos  timor  Dei  a  malo  non  revo- 
cat,  ecclesiasticœ  salteni  coerceat  severilas  disciplinse.  Episcopus 
autem  si  cui  fecerit,  aut  fieri  consenserit  contra  hoc  :  in  conferendis 
pnedictis  potestatem  suarn  amiltat,  et  per  capituluni,  aut  per  nietro- 
politanuin  si  capitulum  concordare  nequiçerit,  ordinetur^.  {Décret., 
1.   I,  tit.   VI,  c.    7.) 

On  ne  doit  choisir  pour  évèque  qu'un  homme  âgé  de  trente  ans  et  de 
naissance  légitime;  encore  faut-il  qu'il  se  recommande  par  l'austérilc 
de  sa  vie  et  par  sa  science.  Quant  aux  bénéfices  quil  j)osscdait 
auparavant,  il  devra,  dans  le  délai  prescrit  parles  canons,  les  rendre  en- 
tièrement et  de  son  plein  gré  à  celui  à  qui  ils  reviennent.  On  ne  doit  nommer 
doyens,  archidiacres,  chargés  d'âmes  et  curés  que  ceux  ([iii  onl  al  teint 
l'âge  de  vingl-cinij  ans  et  se  recommandent  par  leur  sagesse  et  leurs  bonnes 
mœurs.  Les  archidiacres  doivent  recevoir  l'ordination  de  diacre  et  les 
doyens  celle  de  prêtre  dans  le  délai  prescrit  par  les  canons,  et  cela  sous 
peine  de  déposition.  Les  clercs  qui  prendront  part  à  une  élection  non 
conforme  à  ces  prescriptions  perdront  le  droit  d'élection  et  seront  suspen- 

1.   Kober,  op.  cit.,  p.  116,  p.  252.   «  L'Église  dut,  au  cours  des  siècles,  déter- 
miner de  façon    appropriée  aux  circonstances   politiques   et  sociales  les  qualités 
requises  pour  l'obtention  de  ses  charges  et  la  forme  ofliciellc  de  leur  collation. 
La  violation  de  ces  règles  fut  punie  de  la  privation  de  l'exercice  des  ordres, 
de  suspense,  d'excommunication  et  surtout  par  la  «  dévolution  »   au   supérieur 
du  droit  de  procéder  à  la  nomination  faite  contrairement  au  droit  par  l'autorité 
inférieure.  L'expression  devolvere  se  rencontre  pour  la  première  fois  dans  le  sens 
précis  où  le  droit  canonique  l'a  depuis  employée,  dans  une  lettre  d'Innocent  III 
à  l'archevêque    de    Milan,    en    avril    1198.    M.-J.     Ebers,   Das   Dei'otutionsveclU, 
vurnehmlich  iiach  katholischem  Kirchenreclil,    in-8,    Stuttgart,    1906,    présente 
l'histoire  de  cette  législation.  La  trace  la  plus  ancienne    qu'il    en    découvre  se 
trouve  dans  le  sixième  canon  du  concile  de  Sardique  (344).  Le  droit  canonique 
contemporain  de  l'empire  romain  oll're  certainement  quelques    données    sur  la 
matière  :  ainsi  la  transgression  des  règles  donne  naissance  à  une  nouvelle  élec- 
tion;  le  métropolitain  intervient  si  le  clergé  et  les    «  optimates  »  ne  peuvent 
s'entendre  après  six  mois  pour  présenter  trois  candidats;  en  cas  de  double   élec- 
tion, on  recourt  à  la  décision  de  l'empereur  ou  du  concile.  Ces  données  prennent 
même  un  caractère  plus  précis  quand  il  s'agit  de  charges  ecclésiastiques  infé- 
rieures à  l'épiscopat.  On  en  trouve  la  trace  sous  les  mérovingiens    et  sous  les 
carolingiens.  La  véritable  constitution  du  droit  de  dévolution  date  de  l'année 
1179  où  se  tint  le  concile  de  Latran  (canons  3,  8,  17).  Cette  importante  et  bien- 
faisante législation,  remède  à  de  si  graves  abus,  entre  dès  lors  dans  la  période 
de  son  plein  épanouissement  qui  s'étend  de  1179  à  1312.  »  G.  Péries,  dans  la 
Revue  des  questions  historiques,  1907,  t.  lxxxii,  p.  621-G22.  (H.  L.) 


G3i.     ONZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1091 

dus  de  leurs  bénéfices  pendant  trois  ans.  Si  un  évêque  jiorte  alleinle  à 
celle  règle  dans  l'attribution  desdites  charges  ou  bénéfices  ou  ajipnnivc 
leur  altribulion,  il  perdra  le  droit  de  conférer  ces  bénélices  et  leur  col- 
lation reviendra  alors  au  chapitre  ou  au  métropolitain  dans  le  cas  où 
les  membres  du  chapitre  ne  pourraient  se  mettre    d'accord. 

Can.  4. 

Cuiu  aposlolus  se  et  suas  propriis  luanibus  decres'cril  e.iliihendos, 
ut  locum  prœdicandi  aujerret  pseudoapostolis,  et  illis  quibu6  pvm- 
dicahat.  non  exister  et  onerosus  :  grave  nimis,  et  eniendatione  fore 
dignitm  dignoscitur,  quod  quidam  fratrum  et  coepiscoporum  no- 
strorum,  ita  graves  in  procurationibus  suis  subditis  existunl,  ut  pro 
hujusmodi  causa  interduni  ornanienta  ecclesiastica  subditi  coni- 
peUantur  exponere,  et  longi  temporis  victum  brevis  hora  consumai. 
(Juocirca  statuimus.  quod  archiepiscopi  parochias  visitantes,  pro 
diversitate  provinciarunu  et  jacultatibus  ecclesiarum.  quadraginta 
vel  quinquaginta  evectionis  numerum  non  excédant  :  cardinales 
vero,  viginii  quinque  non  excédant  :  episcopi,  viginti  vel  triginta 
nequaquam  excédant  :  archidiaconi,  quinque  aut  septem  :  decani 
constituti  sub  ipsis,  duobus  equis  existant  contenti.  ?\ec  cum  canibiis 
venatoriis  et  avibus  proflciscanlur,  sed  ita  procédant,  ut  non  quie  sunt 
sua,  sed  quse  Jesu  Christi,  quserere  videantur  :  nec  sumptuosas  epulas 
quœrant,  sed  cum  gratiarum  actione  recipiant,  quod  honeste  et  cotn- 
petenter  fuerit  illis  ministratum.  Prohibemus  etiam,  ne  subditos 
suos  talliis  et  exactionibus  episcopi  gravare  prœsumant.  Sustinoniis 
autem  pro  multis  necessitatibus,  quse  aliquoties  superveniunt,  ut, 
Si  manifesta  et  rationabilis  causa  extiterit,  cum  carilate  moderatum 
ab  eis  valeant  auxilium  postulare.  Cum  enim  dicat  apostolus  :  Non 
debent  parentibus  filii  thesaurizare,  sed  parentes  filiis  :  mulluni 
longe  a  paterna  pietate  videtur,  si  prsepositi  suis  subditis  graves 
existant,  quos  in  cunctis  necessitatibus  pastoris  more  fovere  debent  : 
archidiaconi  vero  sive  decani,  nullas  exactiones  vel  tallias,  lu  pre- 
sbyteros,  seu  clericos  exercere  prsesumant.  Sane  quod  de  prxdiclo 
numéro  evectionis  secundum  tolerantiam  dictum  est,  in  illis  locis 
poterit  observari,  in  quibus  ampliores  sunt  reditus  et  ecclesise  facul- 
tates.  In  pauperioribus  autem  locis  tantam  volumus  teneri  mensu- 
ram,  ut  ex  accessu  majorum,  minores  non  debeant  gravari  :  ne  sub 
tali  indulgentia,  illi  qui  paucioribus  equis  uti  solebant  hactenus, 
plurimam  sibi  credanl  potestatem  indultam.  [Décret.,  1.  III,  tit. 
X.KXIX,   c.   G.) 


1092  LIVKE     XXXIV 

II  est  souvent  aiihé  ([iic  des  évêques,  pcntlaiil  les  voyaf^es  faits  pour 
visiter  leurs  subordonnés,  se  sont  trouves  à  la  cliarge  de  ces  derniers, 
si  bien  (ju'on  a  dû  vendre  des  (irneiiieuts  d'église  pour  subvenir  aux  frais 
occasionnés  par  le  séjour  de  l'évêque.  A  l'avenir,  donc,  un  archevêque  devra 
avoir  au  plus  40  à  50  chevaux,  un  cardinal  25,  un  évêque  20  à  30,  un  archi- 
diacre 5  à  7;  les  doyens  devront  se  contenter  de  deux  chevaux.  Les  évê- 
ques, etc.,  pendant  leur  voyage,  ne  devront  avoir  avec  eux  aucun  chien 
de  chasse  ni  aucun  oiseau:  ils  ne  devront  réclamer  aucun  repas  dispen- 
dieux, aucune  taille  ni  aucun  impôt  de  même  nature. 

Can,  5. 

Episcopus,  si  aliquem  sine  certo  titulo,  de  quo  necessaria  \'iLi£ 
j)ercipiat,  in  diaconum  vel  presbyterum  ordinaverit,  tanidiu  neces- 
saria ei  suhministret,  donec  in  aliqua  ei  ecclesia  convenientia  sti- 
pendia militise  clericalis  assignet  :  nisi  forte  talis  qui  ordinatur, 
extiterit,  qui  de  sua  i'el  paterna  hsereditate  subsidium  citas  possit 
habere.  {Décret.,  1.    III,  tit.   v,  c.  4.) 

Si  un  évêque  a  ordonné  quelqu'un  sans   titre.il  devra  pourvoir  à  sa 
subsistance  jusqu'à  ce  qu'on  lui  ait  concédé  un  bénéfice  sulhsant,  si  toute- 
fois l'ordonné  ne  possède  pas  de  biens  qui  lui  soient  propres  ou  provenant   r-,iq 
de  son  père. 

Can.  6. 

lleprehensibilis  i'alde  consuetudo  in  quihusdatn  parlibus  inolesnt, 
ut  jratres  et  coepiscopi  nostri,  seu  etiam  archidiaconi,  quos  appella- 
turus  in  causis  suis  existimant,  nulla  penitus  admonitione  prsemissa, 
suspensioîiis,  vel  excommunicationis  in  eos  ferant  sententiam.  Alii 
etiam  dum  superioris  sententiam,  et  disciplinant  canonicam  refor- 
midant,  sine  ullo  gravamine  appellationem  objiciunt,  et  ad  defen- 
sionem  iniquitatis  usurpant,  quod  ad  subsidium  innocentium  digno- 
scitur  institutuni.  Quocirca,  ne  vel  prœlati  valeant  sine  causa  gravare 
subjectos,  vel  subditi  pro  sua  volunlate  suh  appellationis  obtentu 
correctionem  valeant  eludere  prœlatorum:  prsesenti  decreto  statuimus  ut 
nec  prœlati,  nisi  canonica  commonitione  prœmissa,  suspensionis  vel 
excommunicationis  sententiam  proférant  in  subjectos  :  nisi  forte 
talis  sit  culpa,  quse  ipso  génère  suo  excommunicationis  pœnam 
inducat  :  nec  subjecli  contra  disciplinam  ecclesiasticam  ante  ingres- 
sum  causse  in  vocem  appellationis  prorumpant.  Si  vero  quisquam 
pro  sua  necessitate  crediderit  appellandum,  competens  et  ad    prose- 


GS'j.     ONZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1093 

quendani  appellationem  terminus  prœfigatur  :  injra  quem,  si  forte  pro- 
sequi  neglexerit,  libère  tune  episcopus  sua  authoritate  utatur.  Si  auteni 
in  quocumque  negotio  aliquis  appellai^erit,  et  eo,  qui  appellatus  fuerit, 
i^eniente,  qui  appellaverit,  venire  neglexerit  :  si  proprium  quid  habuit, 
competenteni  ei  recom pensationein  faciat  expensarum  :  ut  hoc  saltem 
timoré  perterritus,  iu  gravamen  alterius  non  facile  quis  appellet. 
Prsecipueveroin  locis  religiosis  hoc  volumus  observari,  ne  monachi, 
sive  quicumque  religiosi,  cum  pro  aliquo  excessu  fuerint  corrigendi, 
contra  regidarem  prselati  sui  et  capituli  disciplinam  oppellare  prœsu- 
mant,  sedhumiliter  ac  dévote  suscipiant,  quod  pro  salute  sua  utiliter 
ejus  fuerit  injunctum.  [Décret. ,\.  II,  tit.  xxviii,  c.    26.) 

Les  cliefs  de  l'Eglise  (évêques  et  archidiacres)  ne  doivent  suspendre 
ou  excommunier  aucun  de  leurs  subordonnés,  pour  appel  interjeté  de 
leurs  sentences,  sans  l'avoir  prévenu  a»i  préalable,  conformément  aux 
canons,  si  la  faute  par  elle-même  n'entraîne  pas  l'excommunication,  etc. 
Les  subordonnés,  de  leur  côté,  ne  doivent  pas  faire  appel  avec  impudence 
et  prématurément,  contrairement  aux  règles  de  la  discipline  ecclésiastique. 
Les  moines  et  les  religieux  de  tous  ordres  ne  doivent  pas  faire  appel 
contre  la  discipline  régulière  de  leurs  prélats  et  de  leur  chapitre. 

Can.  7. 

Cum  in  Ecclesise  cor  pore  omnia  debeant  ex  caritate  tractari,  et 
quod  gratis  receptum  est,  gratis  impendi  :  horribile  nimis  est,  quod 
in  quibusdam  ecclesiis  locum  venalitas  perhibetur  habere,  ita  ut 
pro  episcopis  vel  abbatibus,  seu  quibuscumque  personis  ecclesia- 
sticis  ponendis  in  sede,  seu  introducendis  presbyteris  in  ecclesiam, 
necnon  pro  sepulturis  et  exequiis  mortuorum,  et  benedictionibus 
nubentium,  seu  cdiis  sacramentis,  aliquid  exigatur  :  et  ille  qui 
indiget,  non  possit  ista  percipere,  nisi  manum  implere  curaverit 
largitoris.  Putant  plures  ex  hoc  sibi  licere,  quia  legem  mortis 
de  longa  invaluisse  consuetudine  arbitrantur  :  non  satis,  quia 
cupiditate  cœcati  sunt,  attendentes,  quod  tanto  graviora  sunt  cri- 
mina,  quanto  diutius  animant  infelicem  tenuerint  cdligatam.  Ne 
igitur  hoc  de  cetera  fiât,  et  vel  pro  personis  ecclesiasticis  deducendis 
ad  sedem,  vel  sacerdotibus  instituendis,  aut  mortuis  sepeliendis, 
seu  etiam  nubentibus  benedicendis,  seu  etiam  aliis  sacramentis, 
aliquid  exigatur,  districtius  inhibemus.  Si  quis  autem  contra  hoc 
venire  prsesumpserit,  portionem  cum  Giezi  se  noverit  habiturum  : 
cujus  factum  turpis  muneris  exaciione  imitatur.  Prohibemus    insu- 


1094  LIVRE     XXXIV 

per,  ne  novi  censiis  ai)  episcopis  vel  ahhatibus,  aliisi'e  prselatis 
imponantur  ecclesiis,  nec  veteres  axigeaniur,  nec  partem  redilnnm 
suis  usibus  appropriare  prsesumant  :  sed  libertates,  quas  sibi  majo- 
res desiderant  conservari,  minoribus  quoque  suis  bona  voluntale 
conservent.  Si  quis  auteni  aliter  egerit,  irritum  quod  jecerit  habeatur. 
{Décret.,  1.   III,  tit.   xxxix,  c.  7;  et  1.  V.,  tiL.  m,  c.  9.) 

La  coutume  usitée  dans  beaucoup  d'endroits  de  recevoir  un  tribut 
pour  l'installation  des  évêques,  abbés,  prêtres,  etc.,  dans  leurs  sièges  et 
églises,  pour  les  obsèques  des  morts,  la  bénédiction  des  mariages  et  pour 
la  distribution  des  autres  sacrements,  est  interdite  de  la  manière  la  plus 
formelle  sous  peine  d'excommunication.  De  même  les  évêques,  abbés,  etc., 
ne  doivent  pas  exiger  des  églises  de  nouveaux  impôts  ni  augmenter  ceux 
déjà  établis. 

Can.  8. 

Nulla  ecclesiastica  minisieria,  seu  etiam  bénéficia,  vel  ecclesiœ, 
alicui  tribuantur  seu  promittantur  antequam  vacent  :  ne  desiderare 
quis  niortem  proximi  çidealur,  in  cujus  locum  et  beneficium  se 
crediderit  successurum.  Cuni  enim  id  etiam  in  ipsis  gentilium  legi- 
bus  inveniatur  prohibitum  :  turpe  nimis  est  divini  plénum  animad- 
cersione  judicii,  si  locum  in  Dei  Ecclesia  futurœ  successionis  expe- 
ctatio  habeat,  quam  etiam  damnare  ipsi  gentiles  homines  curaçerunt. 
Cum  vero  prsebendas  ecclesiasticas,  seu  quœlibet  officia,  in  aliqua 
ecclesia  vacare  contigerit,  vel  etiam  si  modo  vacant,  non  diu  maneant 
in  suspenso,  sed  infra  sex  menses  personis  quse  digne  administrare 
valeant,  conferantur.  Si  autem  episcopus,  ubi  adeum  spectaverit, 
conferre  distulerit,  per  capitulum  ordinetur.  Quod  si  ad  capitulum 
electio  pertinuerit,  et  infra  prœdictum  terminum  hoc  non  jecerit  : 
episcopus  hoc  secundum  Deuni  cum  virorum  religiosoru/n  consilio 
exequatur.  Aut  si  omnes  forte  neglexerint,  métro politanus  de  ipsis 
secundum  Deum  absque  illorum  contradictione  disponat.  {Décret., 
1.  III,  tit.  VIII,  c.  2.) 

Les  églises,  les  fonctions  ecclésiastiques  et  les  bénéfices  ne  doivent 
être  promis  à  personne  avant  qu'ils  ne  soient  réellement  vacants;  en  cas 
de  vacance,  ils  doivent  être  attribués  dans  un  délai  de  six  mois.  L'attri- 
bution appartient  à  l'évêque,  mais  si  ce  dernier  ne  tient  pas  compte  du 
délai,  le  chaiiitre  agira  en  son  lieu  et  place;  dans  le  cas  contraire,  l'évêque 
fera  1  attribution  à  la  place  du  chapitre  et  si  l'im  el  l'autre  font  preuve 
de  négligence,  ce  soin  reviendra  au  métropolitain. 


os'i.   onzième  concile   œcumenique  1095 

Can.  9. 

Cuiu  Pi  plontare  sacrani  religionem.  et   plantatam  fovere  modia 
omnibus  deheamus   :   nunquam    hoc    meUus    exequemur,    qiiam   si 
nutrire  quœ  recta  sunt.  et  corrigera  quse  profectum  çeritatis  itnpe- 
tliiDit,  commissa  nabis  axithoritate  curemus.  Frairum  autem  et  coepi- 
scoporum  nostrorum  vehementi  conquestione  cojnperimus,  quod  fra- 
ires  Tempîi  et  Hospitalis,  alii  quoque  religiosœ  professionis,  indulla 
sibi  ab  apostolica  Sede  excedentes  privilégia,  contra    episcopalem 
outhoritatem  multa  prsesumant,  quœ  et  scandalum  générant  in  po- 
pulo Dei,  et  graine  pariunt  periculum  animarum.  Proponuntenim, 
quod  ecclesias   recipiant  de   manibus   laicorum,  excommunicatos  et 
interdictos  ad  ecclesiastica  sacramenta  et  sepulturam  admittant,  in 
ecclesiis  suis  prœter  eorum  conscientiam  et  instituant  et  amoi^eant 
sacerdotes,  et  fratribus  eorum  ad  eleemosynas  quserendas  euntibus, 
cum  indultum  sit  eis,  ut  in  adventu  eorum  semel  in  anno  ecclesiae 
aperiantur,  atque  in  eis  divina  celebrentur  officia,  plures  ex  eis  de 
una  sive  diversis  domibus  ad  locum  interdictum  ssepius  accedentes, 
indulgentia  pri^nlegiorum  in  celebrandis  officiis  abutuntur,  et  tune 
mortuos    apud   prœdictas   ecclesias   sepelire   prsesumunt.    Occasione 
quoque  jraternitatum,  quas  in  pluribus  locis  faciunt,  robur  episco- 
palis  authoritatis  eneri^ant,  dum  contra  eorum  sententiam  sub  ali- 
quorum   privilegiorum   obtentu    munire   cunctos   intendunt,    qui   ad 
eorum   fraternitatem   volunt  accedere,    et  se   conferre.    In   his,   quia 
non  tam   de  majorum  conscientia,   vel  consilio,   quam  de  minorum 
indiscrétions   quorumdam  exceditur   :   et   remoi>enda   ea,    in   quihus 
excedunt ;  et  quse  dubietatem  faciunt,  declaranda  decrefnmus.  Eccle- 
sias sane  et  décimas  de  manu  laicorum^sine  consensu  episcoporum, 
tam   illos  quam  quoscumque  alios    religiosos  recipere  prohibemus, 
dimissis  etiam  quas  contra  tenorem   istum    moderno  tempore  rece- 
perunt  :  excommunicatos  et  nominatim   interdictos,  tam    ab    illis, 
quam  ab  omnibus  aliis,  juxta  episcoporum  sententiam,  statuimus 
e^ntandos.   In  ecclesiis  suis,   quœ  ad  eos  pleno  jure  non   pertinent, 
instituendos    presbyteros   episcopis   prœsentent   :    ut   eis   quidam   de 
plebis  cura  respondeant,   ipsis  cero  pro  rébus  temporalibus    ratio- 
nem  exhibeant  competentem  :  institutos  autem,  episcopis  inconsultis, 
non  audeant  ramovere.  Si  i'ero  Templarii  siue  Hospitalarii  ad  eccle- 
siasticum   interdictum  venerint  :  non    nisi  semel  in  anno  ad   eccle- 
siasticum  admittantur    ofpcium,    nec    tune  ibi  corpora  sepeliant  de- 
functorum.  De  fraternitatibus  hoc  statuimus,    ut  si  non  se  prsedictis 


1096  LIVRE     XXXIV 

fratribus  omnino  reddiderint,  sed  in  suis  proprietadhus  duxerint 
remanendum,  propter  hoc  ah  episcoporurn  sententia  nullatenus 
eximantur  :  sed  potestatem  suam  ineos,  sicutinalios  parochianos 
suos  exerceant,  cum  pro  suis  excessibus  fuerint  corri gendi.Quod  autem 
de  prsedictis  fratribus  dictum  est,  de  aliis  quoque  religiosis,  qui  prx- 
sumptione  sua  episcoporurn  jura  prœripiunt,  et  contra  canonicas 
eorum  sententias  et  tenorem  pridlegiorum  nostrorum  venire  prœ- 
siimunt,  prsecipirnus  obsen>ari.  Si  autem  contra  hoc  institutum  i>ene- 
rint,  et  ecclesise  in  quihus  ista  prœsuinpserint,  subjaceant  interdicto, 
et  quod  egerintirritum  habeatur.  [Décret. ,\.  Y,  lit.  xxxiii,  c.  3.) 

Des  évêqiies  se  sont  plaints  que  les  Templiers,  les  frères  hospitaliers 
(Saint-Jean  de  Jérusalem)  et  d'autres  religieux  ont  outrepassé  très  souvent 
les  privilèges  qui  leur  ont  été  accordés  et  portent  atteinte  aux  droits  épisco- 
paux,  reçoivent  des  églises  des  mains  des  laïcs,  admettent  aux  sacrements 
des  excommuniés  et  des  interdits  et  les  enterrent  chrétiennement,  nom- 
ment et  déposent  des  prêtres  pour  leurs  églises  sans  l'assentiment  des 
évêques;  tous  ces  empiétements  sont  formellement  interdits  à  l'avenir^. 

Can.    10. 

Monachi    non   pretio    recipiantur    in    monasterio,    non   peculiiim 

permittantur  habere,  non  singuli  per  villas  et  oppida,  seu  ad   quas- 

cumque   parochiales   ponantur  ecclesias  :  sed  in   majori   conventu, 

aut  cum  aliquihus  fratribus  maneant  :  nec  soli  inter  sseculares  ho- 

mines    spiritualium    Jiostium    conflictionem    expectent,    Salomone 

dicente  :  Vœ  soli,  quia  si  ceciderit  non  habet  sublevantem.  Si  quis 

autem  exactus,  pro  sua  recepiione  aliquid  dederit,  ad  sacros  ordines 

non  ascendat.  Is  autem  qui  acceperit,  officii  sui  privatione  mulctetur. 

Si  i'ero  peculium  Jiabuerit,  nisiei  ah  ahhate  pro  injuncta  juerit  admi- 

nislralione  permissum,   a  communione   reinovealur  altaris  :  et  qui 

in  extremis  cum  peculio  inventus  fuerit,  nec  oblatio  pro  eo  fiât,  nec 

inter  fratres  recipiat  sepulturam.  Quod  etiam  de  diversis  religiosis 

prœcipimus  observari.  Abbas  etiam  qui  ista  diligenter  non  curaverit, 

officii  sui  jacturam  se  noverit  incursurum.   Prioratus    quoque    sive 

ohedientice,  pretii  datione  nulli  iradantur.  Alioqui  et  demies  et  acci- 

pientes  a  minislerio  fiant  ecclesiastico  alieni.  Priores    i>ero    cum  in 

com>entualibus  ecclesiis  fuerint  constituti,  nisi  pro  manifesta  causa 

et  rntionabili  non    mutentur,    videlicet  si  fuerint  dilapidatores,    nec 

1.  Au  sujet  (le  la  décadence  des  ordres  de  chevaliers  ecclésiastiques,  cf.  Renier, 
op.  cit.,  t.  m,  p.  594  sq. 


634.     ONZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1097 

continente}-  çixerint,  aut  aliquid  taie  egerint,  pro  quo  amoçendi 
merito  videaniur  :  aut  si  etiam  pro  uecessitate  majoris  officii,  de  con- 
silio  fratrum  fuerint  transjerendi.  [Décret..  1.   III,  lit.xxxv,    c.  2.) 

On  ne  doit  réclamer  aucune  somme  d'argent  pour  admettre  un  moine 
dans  un  monastère.  Aucun  moine  ne  peut  posséder  de  propriété  parti- 
culière ni  habiter  seul;  de  même  les  priorats  et  les  obédiences  ne  doivent 
pas  être  concédés  à  prix  d'argent,  et  les  prieurs,  une  fois  installés,  ne  peu- 
vent être  déposés  sans  motifs. 

Can.   11. 

Clerici  in  sacris  ordinibus  constitiiti,  cjui  mulierculas  suas  in 
domihus  suis  incontinentiœ  nota  tenuerint  :  aut  abficianteas,  et  con- 
tinenter  vivant,  aut  ah  officio  et  benefîcio  ecclesiastico  fiant  alieni. 
Quicumque  incontinentia  illa  quœ  contra  naturam  est,  propter  quam 
venit  ira  Dei  in  filios  diffidentise,  et  quinque  civitates  igné  consum- 
psit,  deprehensi  fuerint  laborare  :  si  clerici  fuerint,  ejiciantur  a  clero, 
vel  ad  pœnitentiam  agendam  in  monasteriis  detrudantur  ;  si  laici, 
excommunicationi  suhdantur,  et  a  cœtu  fidelium  fiant  prorsus 
alieni.  Monasteria  prœterea  sanctimonialium  si  quisquam  clericus, 
sine  manifesta  et  necessaria  causa,  frequentare prsesumpserit,  per  epi- 
scopuin  arceatur  :  et  si  non  destiterit,  a  beneficio  ecclesiastico  reddatur 
immunis.  [Décret.,  1.  III.  lit.  i,  c.  8;  et  1.   V,   lit.   xxxi,  c.  4.) 

Les  clercs  qui  ont  reçu  les  ordres  sacrés  doivent  renvoyer  leurs 
concubines  et  vivre  dans  la  continence,  sous  peine  de  perdre  leur  charge 
[714]  et  leur  bénéfice.  Le  libertinage  contre  nature,  chez  les  clercs,  sera  puni 
par  l'exclusion  du  clergé  et  la  réclusion  dans  un  couvent;  chez  les  laïcs, 
par  l'excommunication  et  l'exclusion  complète  de  la  communion  des 
chrétiens.  Si  un  clerc  fréquente  trop  souvent  et  sans  nécessité  un 
couvent  de  femmes,  il  sera  averti  par  l'évêque;  s'il  continue,  il  sera 
privé  du  bénélice  ecclésiastique. 

Can.   12. 

Clerici  in  subdiaconatu  et  supra,  et  in  minoribus  quoque 
ordinibus,  si  slipendiis  ecclesiaslicis  sustententur ,  coram  judice 
sseculari  advocati  in  negotiis  fieri  non  prœsumant,  nisi  pro- 
priam,  vel  ecclesiœ  suse  causant  fuerint  prosecuti,  aut  pro  inise- 
rabilibus  forte  personis,  quœ  proprias  causas  administrare  non 
possunt.  Sed  nec  procurationes  villarum,  aut  jurisdictiones  etiam 
sœculares  sub  aliquihus  principibus,  çel  sœcularibus  viris,  ut  justi- 


1098  LIVRE      XXXIV 

tiarii  eorum  fiant,  cJericorum  quisqucun  assnmere  prsesumat. 
Si  quis  adversus  hoc  tentaveril  {qiwniam  contra  doctrinam 
apostoli  est  dicentis,  Nemo  militans  Deo,  implicat  se  neo-otiis 
saecularibus),  et  sseculariter  agit  :  ab  ecclesiastico  fiât  ministerio 
alienus,  pro  eo  quod  officio  clericali  neglecto,  fluctibus  sœculi,  ut 
potentii>us  sseculi  placeat,  se  immergit.  Districtius  autem  decre- 
i'imus  puniendum,  si  religiosonun  quisquam  aliqidd  prsedictorum 
audeat  attentare.  {pecr.,\.\.  t\t.   xxxvii,  c.  1;  et].   III   lit.   l,  c.    4.) 

Tous  les  clercs,  depuis  le  subdiaconat  et  avi-dessus,  et  aussi  lous 
les  minorés  qui  vivent  des  revenus  de  rEglise,ne  peuvent  remplir  les 
fonctions  d'avocat  devant  des  juges  séculiers,  sauf  dans  certaines  cir- 
constances particulières  ou  à  moins  que  ce  ne  soit  pour  l'Église  ou  pour 
les  pauvres.  Ils  ne  peuvent  non  plus  se  charger  de  l'administration  des 
propriétés  des  laïcs,  ni  se  faire  leurs  justiciers.  Les  moines  qui  enfreindront 
cette  défense  devront  être  punis  encore  plus  sévèrement  que   les   clercs. 

Can.   13. 

Quia  nonnulli  modum  avaritise  non  ponentes,  dignitates  diversas 
ecclesiasticas,  et  plures  ecclesias  parochiales  contra  sacrorum  cano- 
nnm  instituta  nituntur  acquirere,  ita  ut  cum  unum  officium  idx  im- 
plere  sufjiciant,  stipendia  sibi  i^indicent  plurimorum  :  ne  id  de 
celer 0  fiât,  districtius  inhihemus.  Cum  igitur  ecclesia,  çel  ecclesia- 
sticum  rninisterium  committi  debuerit:  talis  ad  hoc  persona  quseratur, 
quse  residere  in  loco,  et  curam  ejus  per  seipsum  valeat  exercere  : 
quod  si  aliter  fuerit  actuin,  et  qui  receperit  quod  contra  sanctos  cano- 
nes  accepit,  amittat;  et  qui  dederit,  largiendi  potestale  pripetur.  (Dé- 
cret., 1.  m,  tit.  IV,  c.  3.) 

Personne  ne  peut  posséder  à  la  fois  plusieurs  charges  ecclésiastiques 
ou  plusieurs  paroisses. 

Can.    14. 

Quia  in  tantum  jam  quorunidam  processit  ambitio,  ut  non  duas, 
vel  Ires,  sed  sex  aut  plures  ecclesias  perhibeantur  habere,  nec  duabjis 
debitam  possint  provisionern  impendere  :  per  jratres,  et  coepisoopos 
nostros  carissimos  emendari  prœcipimus,  et  de  imdtitudine  prseben- 
darum  canonibus  inimica,  quse  dissolutionis  maleriani  et  vagationis 
inducit,  et  certum  continet  periculum  animarum,  eorum,  qui  eccle- 
siis  digne  valeant  deserçire,  volumus  ecclesiasticis  beneficiis  indi- 
gentiam  sublevari.  Prœterea,  quia  in  tantuni  quorumdam  laicorum 
processit  audacia,  ut  episcoporum  authoritate  neglecta,  clericos  insti- 


63'i.     ONZIÈME    CONCILE    ŒCUMENIQUE  1099 

fiinïit  in  ecclesiis,  et  removeant  etiam  cum  i'olueriiit  possessiones  quo- 
que.  atque  alla  hona  ecclesiastica,  pro  sua  plerumque  volunlate  distri- 
buant, et  tam  ecclesias  ipsas  quam  earum  homines,  taUiis,et  exactioni- 
hus  prœsumant  gravare  :  eos  qui  amodo  istud commiserint,  anathemate 
decernimus  feriendos.  Presbyter  autem  siçe  clericus,  qui  ecclesiam  per 
laicos  sine  proprii  episcopi  authoritate  receperit  tenendam,    conimu- 
nione  privetur  :  et  si  perstiterit,  a  ministerio  ecclesiastico  et   ordine 
deponatur.  Sane  quia  laici  quidam  ecclesiasticas  personas,  et  ipsos 
etiam  episcopos,  suo  judicio  slare  compellunt  :  eos  qui  de  cetera  id 
prsesumpserint,  a   communione    fidelium   decernimus   segregandos. 
Prohibemus  etiam  ne  laici  décimas  cum  animarum  suarum  periculo 
detinentes,  in  alios  laicos  possint  aliquo  modo  transferre.  Si  quis  *,'ero 
receperit,  et  Ecclesise  non  t)-adiderit,   christiana   sepultura    privetur. 
{Decret.A.\\\A\t.\,  c.  5  ;  tit.  xxx,  c.  19;  et  tit.  xxxvni ,   c.  4.) 

Les  laïcs  qui,  sans  l'assentiment  de  l'évêque,  installent  des  clerc 
pour  leurs  églises  ou  les  déposent,  qui  distribuent  arbitrairement  les 
biens  des  églises  ou  les  grèvent  d'impôts,  tombent  sous  le  coup  de  l'ana- 
thème;  de  son  côté,  le  clerc  qui,  sans  l'assentiment  de  l'évêque,  accepte 
une  église  des  mains  d'un  laïc  sera  excommunié  et,  en  cas  d'obstination, 
sera  déposé  de  toute  charge  et  ordre  ecclésiastique.  Les  laïcs  qui  veu- 
lent faire  comparaître  devant  eux  des  clercs  pour  les  juger  seront  excom- 
muniés. Les  laïcs  qui  possèdent  des  dîmes  ecclésiastiques  ne  doivent 
pas  les  transmettre  à  d'autres  laïcs  (par  exemple,  par  héritage),  et  celui 
qui  les  accepterait  sera  privé  de  la  sépulture  ecclésiastique. 

Can.    15. 

Cum  in  officiis  coritatis,  illis  primo  ieneamur  ohnoxii,  a  quihus 
nos  beneficiuîn  cognoscimus  accepisse  :  e  contrario  ecchsiastici 
quidam  clerici,  cum  ab  ecclesiis  suis  multa  bona  perceperint,  bona 
per  ecclesias  acquisita,  in  alios  usus  prsesumunt  transferre.  Hoc 
igitur  quia  et  antiquis  canonibus  constat  inhibitum,  nos  etiam 
nihilominus  inhibemus.  Indemnitaii  itaque  ecclesiarum  providere 
volentes,  sive  intestati  decesserint,  sive  aliis  conferre  voluerint,  pênes 
ecclesias  eadem  bona  prsecipimus  remanere.  Prseterea  quoniam 
quidam  in  quibusdam  partibus  sub  pretio  statuuntur,  qui  decani 
vocantur,  et  pro  certa  pecunias  quantitate  episcopalem  jurisdictionem 
exercent  :  prœsenti  decreto  statuimus,  ut  qui  de  cetera  id  prsesumpserit, 
officio  suo  privetur,  et  episcopus  conferendi  hoc  officium  potestatem 
amittal.  [Décret. ,\.\\\.\\\.  xxvi,  c.  7;  et  1.  V,  tit.    iv,  c.   1.) 

Les  biens  r|u"uri  clerc  a  perçus  d'un    bénéfice  ecclésiastique  doivent,  à 
sa   mort,   demeurer  à  l'Eglise.  La  coutume  pernicieuse  en   vigueur  dans 


1100  LIVRE     XXXIV 

certaines  contrées,  qui  consiste  à  établir  des  doyens  à  prix  d'argent,  est 
interdite.  L'évêqiie  qui  se  rendra  coupable  de  ce  procédé  perdra  le  droit 
de  concéder  ces  charges  et  iiuiconfjue  en  a  lui-même  acheté  une  la  perdra. 


.AN, 


16. 


Cum  in  cunctis  ecclesiis,  quod  pluribus  et  sanioribus  fratribus 
visum  fuerit,  incunctanter  debeal  ohsen'ari  :  graine  nimis,  et  repre- 
hensione  est  dignum,  quod  quarumdam  ecclesiarum  pauci  quandoque 
non  tain  de  ratlone,  quam  de  propria  çoluntate  ordinationem  multo- 
ties  impediunt,  et  ordinationem  ecclesiasticani  procedere  non  per- 
mittunt.  Quocirca  prsesenti  decreto  statuimus,  ut  nisi  a  paucioribus  et 
injerioribus  aliquid  rationabile  fuerit  ostensum,  appellatione  remota, 
seinper  prximleat,  et  suum  consequatur  eflectu?n,  quod  a  majori,  et 
saniori  parte  capituli  fuerit  constitutum.  Nec  nostrani  constitutionem 
impediat,  si  forte  aliquis  ad  conserçandam  ecclesise  suae  consuetudi- 
nem,  juramento  se  dicat  adstricturn.  Nonenimdicendasuntjuramenta, 
sed  potius  perjuria,  quse  contra  utilitatem  ecclesiasticam,  et  sanctorum 
Patrum  i^eniunt  instituta.  Si  autem  hujusmodi  consuetudines,  quse 
ratione  ju{>antur,  et  sacris  congruunt  institutis,  irritare  prsesumpserit : 
donec  congruam  egerit  pœnitentiam,  a  Dominici  corporis  perce- 
ptione  fiât  aliénas.    {Décret.,    1.    III,  tit.   xr,    c.    1.) 

Dans  toutes  les  églises  (cathédrales,  collégiales,  etc.),  il  appartient  à 
la  majorité  du  chapitre  de  prendre  une  décision,  et  l'objection  que 
pourraient  faire  quelques-uns,  qu'ils  sont  obligés  par  serment  de  conserver 
les  anciennes  coutumes,  est  de  nulle  valeur. 


-AN. 


17. 


Quoniam  in  quibusdam  locis  ecclesiarum  fundatores,  aut  hseredes 
eorum,  potestate  in  qua  eos  ecclesia  hucusque  siistinuit,  abutuntur  : 
et  cum  in  Ecclesia  Dei  unus  debeat  esse  qui  prœsit,  ipsi  plures  sine 
respectu  subjectionis  eligere  moliuntur  :  et  cum  una  ecclesia  unius 
debeat  esse  rectoris,  pro  sua  defensione  plurimos  représentant.  Quo- 
circa prsesenti  decreto  statuimus,  ut  si  forte  in  plures  partes  funda- 
torum  se  vota  diffuderint,  ille  prseficiatur  ecclesise,  qui  majoribus 
jui^atur  meritis,  et  plurimorum  eligitur  et  probatur  assensu.  Si  au- 
tem hoc  sine  scandalo  fieri  nequi^>erit,  ordinet  antistes  ecclesiam,  sicut 
melius  secundum  Deum  çiderit  ordinandam.  Idipsum  etiam  faciat, 
si  de  jure  patronatus  quœstio  emerserit  inter  aliquos,  et  cui  competat, 
infra  très  menses  non  fuerit  definitum.  [Décret.,  1.  III.  tit.  xxxviii, 
c.  3.) 


Goi.    ONZIÈME    CONCILE     ŒCUMENIQUE 


ilOl 


Il  est  arrivé  (juc  des  londaleurs  d'cgliscs  ou  leurs  héritiers  oui  abuse 
du  droit  de  présentation  qui  leur  a  été  accordé  par  l'Eglise  et  onl,  installé 
plusieurs  recteurs  pour  une  seule  église.  Cette  pratique  est  interdite.  Il 
ne  doit  y  avoir  qu'un  seul  recteur,  (jul  sera  celui  qui  a  le  plus  de  mérites 
el  a  obtenu  la  majorité  des  suffrages.  S'il  ne  peut  en  être  ainsi,  il  apparlien- 
[/  loj  ^\^,g^  A,  l'évêque  de  désigner  le  titulaire;  il  en  sera  de  même  si  un  conllit  s'élève 
au  sujet  du  droit  de  présentation  et  si  ce  conflit  dure  plus  de  trois  mois. 

Can.  18. 

Quoniam  Ecclesia  Dei,et  iniisquss  spectant  ad  subsidium  corpo- 
ris,  et  in  iis  quse  ad  projectuun^eniunt  animarum,  indigentibus  sicut 
pia  mater  providere  tenetur  :  ne  pauperibus,  qui  parentum  opibus 
juvari  non  possunt,  legendi  et  proficiendi  opportunitas  subtrahatur, 
per  unamquamque  ecclesiam  cathedralem  magistro,  qui  clericos 
ejusdem  ecclesiœ,  et  scholares  pauperes  gratis  doceat,  competens  ali- 
quod  beneflciuni  assignetur,  quo  docentis  nécessitas  sublevetur,  et 
discentibus  via  pateat  ad  doctrinam.  In  aliis  quoque  restituatur 
ecclesiis  sive  monasteriis,  si  retroactis  temporibus  aliquid  in  eis 
ad  hoc  fuerit  deputatum.  Pro  licentia  çero  docendi  nullus  pretium 
exigat,  i'cl  sub  obtentu  alicujus  consuetudinis,  ab  iis  qui  docent, 
aliquid  quœrat  :  nec  docere  quempiam,  petita  licentia,  qui  sit  ido- 
neus,  interdicat.  Qui  vero  contra  hoc  v>enire  prœsumpserit,  a  béné- 
ficia ecclesiastico  fiât  aliénas.  Dignum  quideni  esse  çidetur,  ut  in 
Ecclesia  Dei  fructum  laboris  sui  non  habeat,  qui  cupiditate  animi 
vendit  licentiani  docendi,  ecclesiarum  profectum  nititur  impedire. 
{Décret.,  1.  V,  lit.  v,   c.  1.) 

Dans  toute  cathédrale,  on  assignera  un  bénéfice  suffisant  à  un  magister 
qui  instruira  gratuitement  les  clercs  et  les  élèves  pauvres.  Dans  les 
au  1res  églises  et  les  monastères,  on  remettra  eu  vigueur  ce  qui  aurait 
existé  autrefois  à  cette  fin.  L'autorisation  d'enseigner  ne  doit  l'aire 
l'objet  d'aucune  redevance  et  ne  peut  être  refusée  à  quiconque  est 
capable  d'instruire. 


-AN. 


19. 


Non  minus  pro  peccato  eoruni  qui  faciunt,  quant  pro  illorum 
detrimento,  qui  sustinent,  grave  nimis  esse  dignoscitur,  quod  in 
diversis  partibus  mundi  rectores,  et  consules  civitatum,  nec  non  et 
alii  qui  potestatem  habere  videntur,  tôt  ecclesiis  fréquenter  onera 
imponunt,  et  ita  gravibus  eas  crebrisque  exactionibus  premunt, 
ut  deterioris  conditionis  factum  sub  eis  sacerdotium  videatur,  quam, 
subPharaone  fuerit,  qui  divinae  legisnotitiani  non  habebat.llle  quidem 


1102  LIVRE    XXXIV 

omnibua  aliis  sennLuti  subjectis,  sacerdoles  suos,  et  eorum  posses- 
siones  in  pristina  liberlate  dimisil,  et  de  publico  eis  alimoniant 
ininistravit.  Isli  \'ero  unU'ersa  fere  onera  sua  imponunt  ecclesiis, 
et  tôt  angariis  cas  aifligunt,  ut  illud  eis,  quod  Jeremias  déplorai 
competere  videatur  :  Princeps  provinciarum  facta  est  sub  tributo; 
siVe  quidern  fossata,  siçe  expeditiones,  si^e  alia  quselibet  sihi  arbitren- 
tur  agenda  :  de  bonis  ecclesiarum,  clericorum,  et  pauperum  Chrisli 
usibus  deputatis  cuncta  çolunt  fere  compilari.  Jurisdictionem  etiani 
et  authoritatem  episcoporum,  et  aliorum  prœlatorum  ita  évacuant, 
ut  nihil  potestatis  eis  in  suis  çideatur  hoinmibus  remansisse.  Super 
quo  dolenduin  est  pro  ecclesiis  :  dolendum  etiam  nihilominus  et  pro 
ipsis,  qui  timorem  Dei  et  ecclesiastici  ordinis  reverentiam  videntur 
penitus  abjecisse.  Quocirca  sub  anathemalis  districtione  severius 
prohibenius,  ne  de  celero  talia  prsesumant  attentare,  nisi  episcopus 
et  clerus  tantam  necessitatein  vel  utilitatein  aspexerint,  ut  absque 
uUa  coactione,  ad  releçandas  communes  nécessitâtes,  ubi  laicorum 
non  suppetunt  jacuUales,  subsidia  per  ecciesias  existiment  con- 
ferenda.  Si  aulem  consules,  aul  alii,  de  celero  id  prsesumpserint, 
et  commoniti  desistere  forte  noluerini  :  iaiii  ipsi.  quant  eoruin 
jaulores,  excommunicationi  se  nov>erinl  subjacere  :  nec  conuiiunioni 
fidelium  reddontur,  nisi  satisfactionem  fecerint  competentein.  {Décret., 
1.    III,  tit.  xLix,  c.  4.) 

Dans  beaucoup  d'endroits,  les  églises  et  les  clercs  ont  été  frappés  d'im- 
pôts et  de  redevances  par  leurs  supérieurs  laïcs,  de  telle  sorte  que  leur 
situation  est  devenue  déplorable.  L'autorité  même  des  évêques  et  leur 
juridiction,  ainsi  que  celle  des  autres  prélats,  a  été  si  limitée  qu'en  fait  il 
ne  leur  reste  plus  aucune  puissance  sur  leurs  subordonnés.  Ces  empié- 
tements soni  interdils  à  l'avenir,  sous  peine  d'excoaununication.  Ce  n'est 
qu'avec  la  permission  de  l'évêque  et  du  clergé  et  dans  des  cas  de  nécessité 
tout  à  fait  extraordinaires,  et  si  les  redevances  des  laïcs  sont  insulFisantcs, 
que  l'on  pourra  avoir  recours  aux  biens  des  églises. 

Can.  20. 
Felicis  mémorise  papas  Innocentii  et  Eugenii  prœdecessorum  no- 
strorum  vestigiis  inhser entes,  detestabiles  illas  nundinas  çelferias, 
quas  i'ulgo  torneamenta  s'ocant,  in  quibus  milites  ex  condicto  çenire 
soient,  et  ad  ostentationem  <>'iriuin  suarum  et  audacise  temere  con- 
grediuntur,  unde  mortes  honiinum  et  animarum  pericula  sœpe 
proveniunt,  fieri  prohibenius.  Quod  si  quis  eorum  ibidem  mortuus 
fuerit,  quamvis  ei  poscenti  venia  non  negetur,  ecclesiastica  lamen 
careat  sepultura.  {Décret..  \.  V,  tit.   xiii,  c.    1.) 


63'i.     ONZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1  i03 

On  renouvelle  les  ordounances  dos  papes   Innocent   11  cL  Eugène   111 
contre  les    tournois. 
Cl'.  §§614el  615. 

Can.  21. 

Treugas  a  quaria  ferla  posi  occasum  solis  usque  ad  secundain 
jeriam,  in  orliim  solis,  et  ah  adventu  D o mini  usque  ad  octav as  Epi- 
phaniœ,  et  a  Septuagesima  usque  ad  octavas  Paschse,  ah  omnibus 
inviolahiliter  ohservari  praecipimus.  Si  quis  autem  treugas  jran- 
gere  tenta<,>erit  :  ])ost  tertiam  commonitionem,  si  non  satisfecerit, 
episcopus  suus  sententiam  exconimunicationis  dictet  m  eum,  et 
scriptam  vicinis  episcopis  annuntiet  :  quorum  nullus  excommuni- 
catuin  in  communionem  suscipial  :  imo  scriptam  susceptam  senten- 
tiam quisque  confirmet.  Si  quis  autem  hoc  violare  prsesumpserit, 
ordinis  sui  periculo  suhjaceat.  Et  quoniam  funiculus  triplex  non 
facile  rumpitur,  prsecipimus,  ut  episcopi  solum  Dei  et  salutis  populi 
habentes  respectum,  omni  tepiditate  seposita,  ad  pacem  firmiter 
tenendam  mutuum  sibi  consilium  et  auxihuui  prsestent  :  neque 
hoc  alicujus  amore  s'el  odio  prsetermittant.  Quod  si  quis  in  opère  Dei 
tepidus  fuerit  im'entns,  damnuni  dignitatis  suœ  incurrat.  {Décret., 
1.   1,  til.  XXXIV,  c.  1.) 

On  renouvelle  le  ean.  12  du  deuxième  concile  de  Latran  concernant 
la    trêve  de  Dieu. 

Cf.  §  615. 

Can.  22. 
Innovamus  ut  presbyteri,  monachi,  clerici,  com>ersi,  peregrini, 
mercatores,  rustici,  euntes  et  redeuntes,  et  in  agricultura  existentes , 
et  animalia  ([use  semina  portant  ad  agrum,  congrua  securitate  leeten- 
tur.  Nec  quisquam  alicui  novas  pedagiorum  exactiones  sine  autho- 
rilaie  regum  et  principum  consensu  statuere,  aut  statutas  de  nova 
tenere,  aut  veteres  augmentare  aliquo  modo  temere  prsesumat. 
Si  quis  autem  contra  hoc  s>enire  prsesumpserit,  et  commonilus 
non  destiterit  :  donec  satisfaciat,  communione  careat  christiana. 
{Décret.,  1.   I,  tit.  xxxiv,  c.  2;  et  1.  III,  tit.  xxxix,  c.  JO.) 

Les  prêtres,  les  moines,  les  étrangers,  les  marchands,  les  paysans,  etc., 
doivent  constamment  demeurer  en  sécurité  (profiter  de  la  Ireuga  :  can.  11 
du  deuxième  concile  de  Latran).  Sans  la  permission  des  rois  ou  des  princes, 
on  ne  peut  réclamer  à  personne  de  nouveaux  péages  ou  augmenter  ceux 
déjà  établis,  sous  peine  d'excommunication. 

Cf.  can.  11  du  second  synode  de  Latran,   §  615. 


1104  LIVRE     XXXIV 


Can.   23. 


Ciini  (lical  apostolus,  abundantiorem  honorem  rnernhris  inflr- 
niioribus  dejerendum  :  ecclesiastici  quidam  quse  sua  sunt,  non  quse 
Jesu  Christi,  quserentes,  leprosis,  qui  cum  sanis  habitare  non  possunt 
et  ad  ecclesiam  cum  aliis  con^enire,  ecclesias  et  cœmeteria  non  per- 
mitlintl  Itabere,  nec  proprii  juvari  ministerio  sacerdotis.  Quod  quia 
procul  a  pietate  christiana  eèse  dignoscitur,  de  benignitate  aposto- 
lica  constituimus  :  ut  ubicumque  tôt  simul  sub  communi  cita  fuerint 
congregati,  qui  ecclesiam  cum  cœmeterio  constituere,  et  proprio 
gaudere  valeant  presbytero,  sine  contradictione  aliqua  permittanlur 
habere.  Cai'eant  tamen,  ut  injuriosi  veteribus  ecclesiis  de  jure  paro- 
chiali  nequaquam  existant.  Quod  namque  eis  pro  pietate  conceditur, 
ad  aliorum  injuriam  nolumus  redundare.  Statuimus  etiam,  ut  de  hor- 
tis  et  nuirimentis  animalium  suorum  décimas  tribuere  non  cogantur. 
(Décret.,  1.  III,  tit.  xlviii.  c.  2.) 

Les  lépreux  doivent  avoir  leurs  églises  et  leurs  einictières  particuliers, 
il  ne  devra  toutefois  en  résulter  aucun  dommage  pour  les  églises  parois- 
siales.  Ils  sont  dispensés   de  la  dîme. 

Can.  24. 

Ita  quorumdam  animos  occupaçit  sxva  cupiditas,  ut  cum  glo- 
rientur  nomine  christiana,  Saracenis  arma,  ferrum,  et  lignamina 
galearum  dejerant,  et  pares  eis,  aut  etiam  superiores  in  malitia 
fiant,  dum  ad  impugnandos  christianos,  arma  eis  et  necessaria  sub- 
ministrant.  Sunt  etiam,  qui  pro  sua  cupiditate  in  galeis  et  piraticis 
Saracenorum  navibus  regimen  et  curam  gubernationis  exercent. 
Taies  igitur  a  communione  Ecclesise  prsecisos,  et  excommunicationi 
pro  sua  iniquitate  subjectos,  et  rerum  suarujn,  per  sœculi  principes 
catholicos  et  consules  ci^dtatum,  privatione  mulctari,  et  capientium 
serinas,  si  capli  fuerint,  fore  censemus.  Prœcipimus  etiam,  ut  per 
ecclesias  maritimarum  urbium  crebra  et  solemnis  excommunicatio 
projeratur  in  eos.  Excommunicationis  quoque  pœnse  subdanlur, 
qui  Romanos  aut  alios  christianos,  pro  negotiatione  i>el  aliis  causis 
honestis  nai^igivectos,  aut  capere,  aut  rébus  suis  spoliare  prsesumunt. 
un  etiam  qui  christianos  naufragia  patientes,  quibus  secundum 
regulam  fîdei  auxilio  esse  tenentur,  damnanda  cupiditate  rébus  suis 
spoliare  prsesumunt,  nisi  ablata  reddiderint,  excommunicationi 
se  noverint  subjacere.  {Décret.^  l.  V,  tit.  vi,  c.  6;  et  tit.  xvii.  c.3.) 


634.     ONZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1105 

Il  est  malheureusement  arrivé  que  des  chrétiens  ont  livré  aux  Sarrasins 
des  armes,  du  fer,  du  bois  de  construction  pour  navires,  qu'ils  leur  ont 
porté  secours  dans  leurs  guerres  contre  les  chrétiens  et  ont  pris  du  service 
sur  les  navires  des  pirates  sarrasins.  Tous  ceux  qui  ont  agi  de  la  sorte 
sont  excommuniés,  leurs  biens  seront  confisqués  par  les  princes  laïcs 
et  eux-mêmes,  si  l'on  s'en  empare,  seront  réduits  en  esclavage.  On  pu- 
bliera dans  tous  les  porls  la  sentence  d'excommunication  prononcée  contre 
eux.  Tombent  également  sous  le  coup  de  l'excommunication  tous  ceux 
([ui  font  prisonniers  ou  déjjouillent  les  navigateurs  chrétiens  ou  ceux 
qui  pillent  les  chrétiens  naufragés,  au  lieu  de  leur  porter  secours. 


.AN. 


25. 


Quia  in  omnibus  fere  lacis  tantum  usurarum  ita  inolefnt,  ut  multi 
aliis  negotiis  pr aster missis,  quasi  licite  usuras  exerceant,  etqualiter 
utriusque  testamenti  pagina  condemnentur ,  nequaquam  attendant  : 
ideo  constituimus  ut  usurarii  manifesti  nec  ad  communionem  admit- 
tantur  altaris,  nec  christianam,  si  in  hoc  peccato  decesserint,  accipiant 
sepulturam.  Sed  nec  eorum  oblationeni  quisquam  accipiat.  Qui  autem 
acce périt,  aut  eos  christianse  tradiderit  sepulturse  :  et  ea  quse  acceperit, 
reddere  compellatur;  et  donec  ad  arbitrium  sui  episcopi  satisfaciat,  ad 
officii  sui  maneat  executione  suspensus.  [Décret.,  1.  V,  tit.  xix,  c.  3.) 

Comme  l'habitude  de  l'usure  s'est  répandue  presque  partout,  de 
[7161  so''t6  que  beaucoup  de  personnes  laissent  de  côté  les  autres  genres  de 
commerce  et,  sans  respect  pour  la  défense  de  la  sainte  Ecriture,  se  livrent 
à  cette  occupation,  nous  ordonnons  que  les  usuriers  notoires  ne  seront 
plus  admis  à  la  communion  et,  s'ils  viennent  à  mourir  dans  leur  péché, 
ne  seront  pas  enterrés  chrétiennement.  On  ne  recevra  d'eux  aucune 
olfrande  ^. 

Can.   26. 

Judsei  siçe  Saraceni  nec  sub  alendoruiti  pueroruni  obtentu,  nec 
pro  sen>itio,  nec  alia  qualibet  causa,  christiana  mancipia  in  do- 
mibus  suis  permittantur  Jiabere.  Exconimunicentur  autem,  qui 
cum  eis  prœsumpserit  habitare.  Testirnonium  quoque  christianorum 
adi'ersns  judœos  in  omnibus  causis,  cum  illi  ad^ersus  christianos 
testibus  suis  ulantur,  recipiendum  esse  censemus  :  et  anathemale 
decernimus  feriendos,  quicumque  judecos  christianis  voluerint  in 
liac  parte  prsejerre,   cum   eos    subjacere    christianis    oporteat,    et    ah 

1.  Kober,  Suspension,  p.  274;  F.  X.  Fuiik^  Gesch.  des  kirchl.  Zinsverhotes, 
p.  21. 

CONCILES   -  V—  70 


1106  LIVRE    XXXIV 

eis  pro  sola  humanitate  juçeri.  Si  qui  prœierea  Deo  inspirante  ad 
fidern  se  converlerint  christianam,  a  possessionibus  suis  nullatenus 
excludantur:  eu  m  inelioris  condilionis  com^eisos  ad  fideni  esse  oporleal, 
quant,  antequain  /idem  acceperunt,  hahehantur.Si  autem  secus  jacluni 
fuerit  principibus  vel  potestatihus  eorumdeni  locoruni  suh  pœnaex- 
coininunicationis  injunginius,  uL  portionern  heredilalis  et  honoruni 
suoruni  ex  integro  eis  faciant  exhiberi.  [Décret.,].  II,tit.  xx,  c.  21; 
etl.  V,  tit,  VI,  c.  5.) 

Les  Juifs  el  les  Sarrasins  ne  doivent  plus  posséder  d'esclaves  chrétiens. 
Celui  qui  cohabite  avec  les  Juifs  ou  les  Sarrasins  sera  excommunié.  Le 
témoignage  des  chrétiens  contre  les  Juifs  doit  être  accepté  et  les  Juif  s 
convertis  ne  doivent  pas  être  déshérités. 

Cax.  27. 

Sicut  ait  beatus  Léo,  licet  ecclesiastica  disciplina  sacerdotali  con- 
tenta judicio,  cruentas  non  efficiat  ultiones  :  catholicorum  tamen 
principum  constitutionibus  acl]uvatur,  ut  ssepe  quœrant  homines 
salutare  remedium,  dum  corporale  super  se  metuunt  evenire  suppli- 
cium.  Eapropter,  quia  in  Gasconia,  Albegesio,  et  partibus  Tolosanis, 
et  aliis  locis,  ita  hsereticorum,  quos  alii  Catharos,  alii  Patrinos,  alii 
Publicanos,  alii  aliis  nominibus  çocant,  ini>aluit  damnata  perver- 
sitas,  ut  jam  non  in  occulto,  sicut  aliqui,  nequitiam  suam  exerceant, 
sed  suum  errorem  publiée  manifestent,  et  ad  suum  consensum  sim- 
plices  attrahant,  et  infirmas  :  eos,  et  defensores  eorum,  et  receptores, 
anathemati  decernimus  subjacere  :  et  sub  anathemate  prohibemus, 
ne  quis  eos  in  domibus,  i>el  in  terra  sua  ienere,  vel  fovere,  çel  nego- 
tiationem  cum  eis  exercere  prsesumat.  Si  autem  in  hoc  peccato  deces- 
serint,  non  sub  nostrorum  prii^ilegiorum  cuilibet  indultorum  obtentu, 
nec  sub  aliacumque  occasione,  aut  oblatio  fiât  pro  eis,  aut  inter 
christianos  recipiant  sepulturam.  De  Brabantionibus  et  Aragonen- 
sibus,  Nai^ariis,  Bascolis,  Coterellis  et  Triaçerdijiis,  qui  tantam 
in  christianos  imiitanitatem  exercent,  ut  nec  ecclesiis,  nec  iiio- 
nasteriis  déférant,  non  induis,  et  pupillis,  non  senibus,  et  pueris, 
nec  cuilibet  parcant  setati,  aut  sexui,  sed  more  paganorum  omnia 
perdant,  et  vastent  :  similiter  constituimus,  ut  qui  eos  conduxerint, 
i'el  tenuerint,  i'el  foi'erint  per  regiones,  in  quibus  taliter  debac- 
chantur,  in  Dominicis,  et  cdiis  solemnibus  diebus  per  ecclesias 
publiée  denuntientur,  ei  eadem  omnino  sententia  et  pœna  cum  prse- 
dictis  hsereticis  habeantur  adstricti,  nec  ad  communionem  recipian- 
tur  ecclesiœ,  nisi  societate  illa  pestifera  et  hseresi  adjuratis.  Relaxa- 


634.     ONZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1107 

tos  auteiu  se  noverint  a  dehilo  fidelitatis  et  hominii,  ac  totius  obsequii  : 
donec  iii  lanla  iniquitale  permanserinl  quicumque  illis  aliquo 
peccato  tenentur  annexi.  Ipsis  aulem,  cunctisque  fidelibus,  in  remiii- 
sionem  peccatorum  iiijungimus,  ut  tantis  cladihus,  se  çiriliter  oppo- 
nant,  et  contra  eos  armis  populum  christianum  lueantur.  Confi- 
scenturque  eurum  bona,  et  Uberuin  sit  principibus,  hujusmodi 
homines  subjicere  servituti.  Qui  autem  in  çera  paenitentia  ibi  deces- 
serint,  et  peccatorum  indulgentiam,  et  fructum  mercedis  œternse  se 
non  dubitent  percepturos.  Nos  etiain  de  misericordia  Dei,  et  beato- 
runi  apostolorum  Pétri  et  Pauli  authoritate  confisi,  fidelibus  chri- 
stianis,  qui  contra  eos  arma  susceperint,  et  ad  episcoporum,  seu  alio- 
rum  prselatorum  consilium,  ad  eos  decertando  expugnandos, 
biennium  de  pasnitentia  injuncta  relaxamus^  :  aut  silongiorem  ibi 
moram  habuerint,  episcoporum  discretioni,  quibus  hujus  rei  causa 
juerit  injuncta,  committimus,  ut  ad  eorum  arbitrium,  secundum 
modum  laboris,  major  eis  indulgentia  tribuatur.  Illos  autem,  qui 
admojiitioni  episcoporum  in  hujuscemodi  parte  parère  contem- 
pserunt,  a  perceptione  corporis  et  sanguinis  Domini  jubemus  fieri 
alienos.  Intérim  <,'ero  eos,  qui  ardore  fidei  ad  eos  expugnandum, 
laborem  justum  assumpserit,  sicut  eos,  qui  sepulchrum  dominicum 
visitant,  sub  Ecclesise  defensione  recipimus,  et  ab  universis  inquie- 
lationibus,  tam  in  rébus,  quam  in  personis,  statuimus  manere  securos. 
Si  i'ero  quispiam  vestrum  prœsumpserit  eos  molestare,  per  episco- 
pum  loci  excommunicationis  sententia  feriatur  :  et  tamdiu  sententia 
servetur  ab  omnibus,  donec  et  ablata  reddantur,  et  de  illatis  damnis 
congrue  iterum  satisfaciat.  Episcopi  s'ero,  sive  presbyteri,  qui  tali- 
bus  fortiter  non  restiterint,  officii  sui  privatione  mulctentur,  donec 
misericordiam  apostolicœ  Sedis  obtineant.  [Décret.,  1.  V,  tit.  vu,  c,  8.) 

La  discipline  ecclésiastique  se  contente,  il  est  vrai,  du  jugement  des 
clercs  et  n'a  aucun  besoin  de  peines  sanglantes,  mais  certaines  personnes 
sont  amenées  à  s'occuper  du  salut  de  leur  ùme  par  la  crainte  des 
peines  temporelles.  Comme,  en  Gascogne,  dans  les  environs  d'Albi, 
de  Toulouse  et  autres  lieux,  Tabsurdité  des  hérétiques  appelés  tantôt 
cathares,  tantôt  patares  et  publicains,  s'est  accrue  de  telle  sorte  qu'ils 
n'exercent  plus  seulement  en  secret   leur  malignité,  mais  la  proclament 

1.  Schmidt,  Histoire  et  doctrine  de  la  secte  des  cathares,  Paris,  1849,  t.  i,  p.  82, 
et  Reuter,  op.  cit.,t.  m,  p.  694,  expUquent  ce  passage  en  commettant  une  erreur  : 
«  Celui  qui  a  été  condamné  à  une  pénitence^  pour  avoir  défendu  ces  hérétiques, 
verra  sa  peine  diminuer  de  deux  ans,  s'il  prend  les  amies  contre  eux.  » 


1108  LIVRE     XXXIV 

ouverlcnieiit  et  pcrverlissent  les  gens  simples  et  faibles,  nous  prononçons 
l'ana thème  contre  eux  et  contre  tous  ceux  qui  adhéreront  à  leurs  principes 
et  les  défendront;  nous  défendons,  sous  peine  d'anathème,  de  les  loger, 
de  faire  commerce  avec  eux,  etc..  Quiconque  contreviendra  à  ces  pres- 
criptions sera  privé  de  la  sépulture  chrétienne.  Au  sujet  des  Brabançons 
(vagabonds  venus  du  Brabant  qui  sont  ou  soldats  mercenaires  ou  vivent 
de  pillages),  des  Aragonais,  des  Navarrais,  des  Basques,  des  Coterelles 
et  des  Triaverdins  (qui  font  comme  les  Brabançons),  si  barbares  pour  les 
chrétiens,  ne  respectant  ni  les  églises,  ni  les  monastères,  ni  les  veuves, 
ni  les  orphelins,  etc.,  et  dévastant  tout  comme  des  païens,  nous  ordon- 
nons que  quiconque  les  prendra  à  sa  solde  et  les  protégera,  verra  son 
nom  publié  dans  les  églises  tous  les  dimanches  et  jours  de  fêle  et 
sera  excommunié.  Quiconque  s'associera  à  ces  bandes  et  à  ces  héréti- 
ques sera  exclu  de  la  communion,  et  tous  sont  déliés  des  devoirs  et  de 
l'obéissance  contractés  envers  eux;  tous  les  fidèles  doivent  s'opposer 
énergiquement  à  cette  peste  (cathares,  etc.)  et  même  prendre  les  armes 
contre  eux.  Les  biens  de  ces  gens  seront  confisqués  et  il  sera  permis 
aux  princes  de  les  réduire  en  esclavage.  Quiconque,  suivant  le  conseil  des 
évêques,  etc.,  prendra  les  armes  contre  eux,  aura  une  remise  de  deux  ans 
de  pénitence  et  sera,  tout  comme  les  croisés,  placé  sous  la  protection  [^1^ 
de  l'Eglise. 

On  a  déjà  supposé  que  les  vaudois  étaient  au  nombre  des 
hérétiques  menacés  parle  can.  27  du  concile  et,  pour  le  prouver,  on 
a  cité  ces  paroles  de  l'auteur  contemporain  anglais  Walter  Map- 
pes,  qui  assistait  au  concile  de  Latran  par  ordre  du  roi  d'Angleterre 
Henri  II  :  Vidimus  in  concilio  romano  siib  Alexandro  III  cele- 
hrato  Valdesios...,  a  primate  ipsorum  Valde  dictos,  qui  juerat  civis 
Lugduni,  etc.  ^.  Il  est  vrai  qu'on  s'occupa  des  vaudois  pendant 
les  délibérations  du  concile  ainsi  ({ue  nous  le  rapporte  Walter 
Mappes,   qui  s'intéressa  lui-même  à  cette  alTaire  -  ;  ces  vaudois 

1.  Dieèkhoff,  Die  Waldenser,  1851,  p.  182,  343  sq.,  a  voulu  démontrer  que  les 
mots  sub  Alexandro  III  celehrato  étc  ient  une  addition  inexacte  :  au  lieu  do 
Alexandro  III,  il  fallait  lire  Innocentio  III;  car  a)  le  récit  que  fait  à  cet  endroit 
Walter  Mappes  est,  pour  le  fond  et  presque  pour  la  forme,  identique  à  celui  de  la 
chronique  d'Ursperg  pour  l'année  1212  (dans  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii, 
col.  243;  Hardouin,  Conc.  co/i.,  t.  vi,  part.  2,  col.  lG92;Colcti.  Concilia,  t.  xiii, 
p.  441),  et,  en  outre,  b)  un  autre  contemporain,  Éliennc  de  Borbone,  dit  expli- 
citement que  les  vaudois  étaient  venus  au  concile  quod  fuerii  Romse  ante 
Lateranense,  c'est-à-dire  avant  le  quatrième  concile  de  Latran  (d'Argentré  du 
Plessis,  I,  p.  87).  Cf.  à  ce  sujet  Reuter,  op.  cit.,  t.  m,  p.  698,  778. 

2.  Walter  Mappes,  De  nugis  curialium,  dist.  I,  cap.  xxxi,  édit.Thom.  Wright, 
London,  1850. 


634.     ONZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1109 

avaient  envoyé  une  ambassade  au  concile  pour  remettre  une  tra- 
duction de  la  Bible  et  solliciter  vine  approbation  de  leur  enseigne- 
ment. Mais  à  la  suite  de  l'interrogatoire  qu'on  fit  subir  aux  ambas- 
sadeurs, on  fut  amené  à  les  considérer  comme  des  ignorants  inof- 
fensifs, non  comme  des  hérétiques  dangereux,  et  on  les  renvoya 
sans  prononcer  de  verdict  contre  eux.  On  ne  les  a  donc  pas  assi- 
milés aux  hérétiques  cités  plus  haut. 

Outre  ces  vingt-sept  décrets,  nous  possédons  quelques  maigres 
renseignements  sur  les  opérations  du  onzième  concile  œcu- 
ménique. Le  chroniqueur  anglais  contemporain,  Roger  de  Hove- 
den,  rapporte  que,  dans  ce  concile,  Guillaume,  archevêque  de 
Reims,  devint  cardinal  de  Sainte-Sabine,  et  Henri,  abbé  de  Clair- 
vaux,  cardinal-évêque  d'Albano.  Novis  apprenons  d'Albert  de 
Stade  que  le  pape  sacra  deux  évêques  anglais  et  deux  évêques 
écossais,  ceux-ci  aussi  pauvres  que  cet  évêque  irlandais,  présent 
L'I^J  au  concile,  qui  ne  possédait  pour  tout  bien  que  trois  vaches.  Cet 
historien  ajoute  que  les  archevêques  et  évêques  allemands  qui, 
pendant  le  schisme,  avaient  été  du  parti  de  l'antipape,  avaient 
protesté  par  serment  solennel  de  leur  obéissance  vis-à-vis  de  Rome 
et  du  pape  Alexandre  ;  après  quoi,  le  pallium  avait  été  accordé 
à  tous  les  archevêques,  sauf  Berthold  de  Brème  ^.  Ce  dernier 
avait  été  élu  presque  à  l'unanimité,  après  la  mort  de  Baudoin. 
Le  prévôt  Otton  protesta  et  fit  appel,  parce  que, déjà  avant  l'intru- 
sion de  Baudoin,  en  1168,  Siegfried  avait  été  régulièrement 
élu,  bien  qu'il  y  eût  deux  partis.  Au  début,  Berthold  trouva  à 
Rome  bon  accueil  et  place  au  concile  parmi  les  évêques  portant 
la  mitre  (quoiqu'il  ne  fût  même  pas  prêtre);  mais  bientôt  des 
bruits  fâcheux  coururent  sur  son  compte  et,  sur  l'ordre  du 
pape,  deux  cardinaux  firent  une  enquête  à  la  suite  de  laquelle 
son  élection  fut  cassée  comme  anticanonique.  On  donna  pour 
raison  qu'au  moment  de  son  élection,  il  n'était  pas  acolyte,  ni 
même  moins  encore,  que  l'appel  interjeté  sur  cette  élection 
avait  été  étouffé  par  la  violence,  enfin  que  l'élu  avait  reçu  l'inves- 
titure de  l'empereur  avant  d'avoir  été  ordonné  ^.  Géron,  évêque 
d'Halberstadt,  et  les  clercs  ordonnés  par  lui  furent  plus  heureux. 


1.  Sur  les  formules  de  l'abjuration  et  de   l'attribution  du  pallium,  cf.  Watt e- 
rich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  645. 

2.  Annal.  Slad.,  dans  Mondii.  Germ.  hiftt..  Script.,  t.  xiv,  p.  348;   Watterich, 
op.  cit.,  t.  n,  p.  640,  note  .3. 


1110  LIVRE    XXXIV 

En  1160,  Ulrich,  évoque  légitime  d'Halberstadt,  avait  été  chassé 
de  son  siège,  pour  n'avoir  pas  voulu  reconnaître  l'antipape  Victor, 
et  remplacé  par  Géron.  Sa  nomination  était  anticanonique  : 
aussi  fut-il  déposé  par  la  paix  de  Venise  et  Ulrich  réintégré.  Celui- 
ci  annula  tout  ce  que  Géron  avait  fait,  et  tous  les  ordres  qu'il  avait 
conférés;  mais  les  intéressés  s'adressèrent  au  pape  et  au  concile 
de  Latran  et  en  obtinrent  une  sentence  favorable.  Comme  Géron 
avait  été  sacré  validement,  ciuoique  illicitement,  par  un  évêque 
catholicjue  (légitime),  Hartwig  de  Brème,  il  pouvait,  comme 
les  clercs  ordonnés  par  lui,  exercer  les  fonctions  de  son  ordre. 
Au  contraire,  les  deux  évêques  Rudolph  de  Strasbourg  et  Louis 
de  Bâle  furent  déclarés  déchus  de  leurs  charge  et  dignité  pour 
avoir  été  ordonnés  par  l'antipape  Pascal.  —  D'après  Giraud  le 
Cambrien,  les  chanoines  de  Saint-David  firent  valoir  au  concile  [719] 
de  Latran  les  droits  de  leur  église  contre  Cantorbéry;  et  cela, 
en  présence  de  leur  évêque,  qui  garda  le  silence  par  égard  pour 
le  serment  c|ui  lui  avait  été  arraché  par  la  violence,  lors  de  sa 
consécration  ^.  —  Enfin  Laurent,  archevêque  de  Dublin,  fut 
nommé  légat  pour  l'Irlande,  et  l'abbé  grec  Nectaire,  député  des 
Grecs,  prononça  contre  les  Latins  un  discours  de  polémique 
c|ui  parvit  si  magistral  à  ses  amis  qu'ils  le  saluèrent  du  titre 
de   «  vainqueur  olympicjue  ^  ». 

Baronius  ^  a  pensé  que  la  lettre  du  pape  à  Guillaume,  arche- 
vêque de  Sens,  l'invitant  à  tenir  avec  ses  sufîragants  un  concile  à 
Paris,  pour  y  censurer  la  proposition  de  Pierre  Lombard  :  Christus, 
secundum  quod  est  homo,  non  est  aliquid,  provenait  du  concile  de 
Latran  de  1179  ^  (p.  616).  Certains  ont  donc  classé  cette  lettre  parmi 
les  actes  du  concile.  C'est  à  tort,  car,  en  1176,  Guillaume  avait 
été  transféré  sur  le  siège  de  Reims  ;  la  lettre  à  lui  adressée 
comme  «archevêque  de  Sens  «est  donc  incontestablement  anté- 
rieure. Cependant  l'affaire  de  Pierre  Lombard  fut  alors  reprise 
et  il  ne  fallut  rien  moins  que  les  représentations  de  nombreux 
cardinaux  et  l'insistance  d'Adam,  évêque  de  Saint-Asaf,  pour 
empêcher  le   pape   de   prononcer   une   condamnation   formelle    ^. 

1.  Haddan  et  Stubbs,  Councils  and  ecclesiastical  documents,  t.  i,  p.  368. 

2.  Reuter,  op.  cit.,  t.  m,  p.  430  sq. 

3.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  1179,  n.  13. 

4.  Voir  §  624. 

5.  Pagi,  Critica,  ad  ann.  1179,  n.  11,  12;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  445; 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  247, 


634.    ONZIÈME    CONCILE    ŒCUMENIQUE  1111 

Mansi  suppose  ^  que  le  pape  écrivit  alors  à  Guillaume,  arche- 
vêque de  Reims,  la  lettre  dont  un  fragment  s'est  conservé 
dans  l'appendice  des  actes  du  concile  de  Latran  ^.  D'après  ce 
document,  l'archevêque  de  Reims  devait  réunir  les  magistri 
de  Paris,  de  Reims  et  d'autres  villes  et  leur  défendre  d'enseigner 
dorénavant  la  proposition  de  Pierre  Lombard.  Plus  tard,  ajoute 
Mansi,  cette  lettre  aurait  été  confondue  avec  la  lettre  antérieure 
à  Guillaume  de  Sens;  delà  venait  l'erreur  de  Baronius.  Bouquet  ^ 
cite  également  deux  lettres  du  pape  sur  le  même  sujet,  adressées 
à  l'archevêque  Guillaume;  la  première  ne  parle  que  de  la  doc- 
trine, la  seconde  mentionne  aussi  le  nom  de  Pierre  Lombard, 
[720]  Mais  cette  dernière  lettre  fut  écrite,  d'après  Duchesne  *,  à 
Viesti,  le  18  février  1177^,  donc  longtemps  avant  notre  concile; 
d'où  il  semble  qu'Alexandre  voulait  donner  à  la  décision  qu'il 
prendrait  la  sanction  d'un  concile. 

Barthélémy  Laurens,  surnommé  Poin,  a  édité,  d'après  un 
manuscrit,  un  grand  appendix  aux  actes  du  concile  de  Latran; 
il  comprend  cinquante  livres  contenant  environ  six  cents  décré- 
tales  des  papes,  extraites  soit  des  lettres  d'Alexandre  III,  soit 
des  édits  des  papes,  ses  successeurs^.  Comme  ce  manuscrit  donnait 
ces  décrétales  comme  une  pars  secunc^a,  aussitôt  après  les  canons 
du  présent  concile,  elles  ont  trouvé  place  dans  les  collections 
des    conciles,    sans  cependant  y  avoir  droit  '^. 

Dès  avant  la  célébration  du  onzième  concile  œcuménique, 
le  29  août  1178,  l'antipape  Calixte  III  (Jean  de  Struma)  s'était 
jeté  aux  pieds  d'Alexandre  et  avait  reconnu  sa  faute.  Il  fut  reçu 
avec  bonté  et  nommé  gouverneur  de  Bénévent.  Mais  quelques 
schismatiques  irréconciliables  ne  furent  pas  satisfaits  de  cette 
solution,    ils    conspirèrent    contre   l'empereur,     firent    prisonnier 


1.  Mansi,  Conc.  amplifia,  coll.,  t.  xxii,  col.  453. 

2.  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.   vi,  part.  2,  col.   1851;   Colcti,  Concilia,  t.   xrit 
col.  612;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  246;  part.  XLIX,  c.  xx. 

3.  Bouquet,  Recueil  des  liistor.  de  la  France,  t.  xv,  p.  969. 

4.  A.  Duchesne,  Histoire  des  cardinaux  français,  in-fol.,    Paris,  1660    t.   ii 
p.  133. 

5.  Jafîé,  Regesta  ponlij.  roman.,  p.  770. 

6.  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col.  1694-1876;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii, 
col.  446-638;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  p,  248-468. 

7.  Sur  VAppendix    concilii  LaUranensis,  cf.   Schneider,    Die    Lehre   von    dm 
Kirchenrccliisqurllcn,    Regensburg,   1892,   p.  127.   (H.  L.) 


1112  LIVRE     XXXIV 

son  chancelier,  l'archevêque  Christian,  près  de  Camerino,  sur  la 
frontière  du  territoire  d'Ancône,  et  élurent  antipape,  le  29  sep- 
tembre, sous  le  nom  d'Innocent  III,  un  membre  de  la  famille  Fran- 
gipani,  Lando  Sitino,  dont  le  principal  soutien  fut  un  frère  de  l'an- 
cien antipape  Victor  IV.  Lorsque,  à  l'issue  du  concile  de  Latran, 
Alexandre  se  fut  réconcilié  avec  ce  frère  de  Victor  IV  et  lui  eut 
acheté  le  château  de  Palombara,  où  résidait  Lando,  ce  dernier 
fut  interné  au  monastère  de  Cava  :  ainsi  se  termina,  en  1180,  un 
schisme  de  vinfrt  années  ^. 


635.  Derniers  conciles  sous  Alexandre  III. 

Vers  cette  époque,  le  pape  Alexandre  III  envoya  en  France, 
en  qualité  de  légat,  Henri,  cardinal-évêque  d'Albano  et  aupara- 
vant abbé  de  Clairvaux.  Il  devait  principalement  s'occuper  des 
albigeois  et  terminer,  définitivement  et  sans  appel,  l'ancien 
conflit  entre  les  abbés  de  Saint-Sever  et  de  Sainte-Croix  à  Bor- 
deaux, au  sujet  de  la  possession  de  l'église  de  Sainte-Marie  de 
Soulac.  Dans  ce  but,  le  légat  réunit  plusieurs  synodes  assez 
importants  à  Notre-Dame  du  Puy  ^^  à  Bazas  ^,  à  Limoges  *;  la 
sentence  définitive  en  faveur  du  monastère  de  Sainte-Croix  fut 
portée  dans  cette  dernière  réunion,  tenue  le  troisième  dimanche 
de  carême.  Plusieurs  ont  conclu  du  document  rédigé  à  Poitiers, 
le  l^r  avril  1182,  que  le  synode  s'est  tenu  en  1182.  Mais  ce  docu- 
ment ayant  été  rédigé  du  vivant  du  pape  Alexandre,  le  concile 
de  Limoges  et  les  deux  autres  doivent  être  ])laeés  à  une  date  anté- 
rieure (en  1180  ou  1181). 

1.  Wattcrich,  op.  cit.,  i.  u,  p.  647,  note  1  ;  Rcuter,  op.  cit.,  t.  m,  p.  352,  497. 

2.  Le  Puy,  préfecture  de  la  Haute-Loire,  15  septembre  1181.  Martène,  Script, 
vet.  coll.,  1733,  t.  vu,  p.  87-88;  de  Vic-Vaissete, //is/.  génér.  de  Languedoc,  173G, 
t.  III,    Preuves,  p.  155-156;  3^  édit.  t.  viii,  p.  371-373.  (H.  L.) 

3.  Bazas,  sous-préfecture  de  la  Gironde,  24  novembre  1181.  Martène,  Script, 
vet.  coll.,  t.  VII,  p.  88-89;  de  Vic-Vaissete^  Histoire  génér.  de  Languedoc,  t.  iii^ 
preuves,  p.  156.  (H.  L.) 

4.  28  février  Wèl.Md.nkne,  Script,  vetcr.  coll.,  1733,  t.  vu,  p.  89-91;  de 
Vic-Vaissete,  H ist.  génér.  de  Languedoc,  1736,  t.  m.  Preuves,  p.  156;3<^  édit., 
t.  viTi  p.  373;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  ii,  col.  701;  Cane,  ampliss.  coll., 
t.  xxn,  col.  468.  (H.  L.) 


635.     DERNIERS     CONCILES     SOUS     ALEXANDRE    III  1113 

De  nouveaux  troubles  s'élevèrent  en  1179  dans  rÉglise  d'Écosse. 
En  cette  année,  l'évéque  de  Saint-Andrews  étant  mort,  les 
chanoines  de  la  cathédrale  élurent  le  ma gister  Jean  en  lui  donnant 
le  surnom  de  l'Ecossais.  Le  roi  Guillaume  refusa  de  le  reconnaître, 
nomma  son  chapelain  Hugues  et  le  fit  consacrer  malgré  l'appel 
adressé  à  Rome  par  Jean.  Le  pape  envoya  alors  en  Ecosse  le 
légat  Alexis  pour  examiner  cette  affaire  et  celui-ci  convoqua,  en 
concile  à  Edimbourg,  le  jour  de  la  fête  de  la  Trinité  (8  juin  1180), 
tous  les  évêques,  abbés  et  clercs  d'un  rang  supérieur. Hugues  fut 
déposé  comme  intrus  et  pour  s'être  laissé  consacrer  malgré  l'appel 
à  Rome;  l'élection  de  Jean  fut  confirmée,  et  cet  évêque  fut  sacré, 
sur  l'ordre  du  légat,  par  Mathieu,  évêque  d'Aberdeen.  Malgré  les 
pressantes  exhortations  du  pape,  le  roi  refusa  de  reconnaître  Jean 
et  s'opposa  par  la  force  à  ce  qu'il  prît  possession  de  son  évêché; 
si  bien  que,  en  1181,  Alexandre  III  frappa  le  roi  de  l'ex- 
communication et  prononça  l'interdit  sur  le  royaume.  L'année 
suivante,  une  ambassade  envoyée  par  le  roi  obtint  de  Lucius  III 
que  la  peine  prononcée  par  Alexandre  serait  levée  et  on  adopta  la 
combinaison  suivante  :  l'évéque  Jean  recevrait  l'évêché  de  Dun- 
kelden  et  Hugues  le  siège  de  Saint-Andrews.  Mais  le  roi  ayant 
refusé  de  rendre  à  Jean  les  biens  cju'il  lui  avait  pris,  celui-ci  éleva 
de  nouveau  des  prétentions  sur  le  siège  de  Saint-Andrews  et  Clé- 
ment III  se  prononça  en  sa  faveur.  En  1188  seulement,  ce  regret- 
table conflit  fut  tranché  d'une  manière  définitive  :  Jean  put  jouir 
[722]  en  paix  de  l'évêché  de  Dunkelden.  Hugues  fut  de  nouveau  déposé 
et  excommunié  ;  après  avoir  fourni  une  satisfaction  suffisante, 
il  fut  ensuite  absous  par  Rome,  mais  il  mourut  quelques  jours 
plus  tard,  frappé  de  la  peste  (4  août  1188)  ^. 

En  Pologne,  une  grande  diète  synodale  fut  tenue  en  1180,  à 
Lenczig^,  sur  le  désir  du  grand-duc  Casimir  I^^,  et  sous  la  prési- 
dence de  Pierre  III,  archeyêque  de  Gnesen.  On  remarqua  dans 
l'assemblée  les  évêques  Gédéon  de  Cracovie,  Xyroslaus  de  Bres- 
lau,  Onolphus  de  Cujavien,  Chérubin  de  Posen,  Vitus  de  Plock, 


1.  Haddan  et  Stubbs,  Councils  and  ecclesiaslical  documents,  t.  ii^  p.    25,    272. 

2.  Lenczig,  Lancicia,  prov.  de  Mazovie  en  Pologne.  Labbe,  Concilia,  t.  x, 
col.  1765,  1830;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col.  1905;  Coleti,  Concilia, 
t.  xiii,  col.  679;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  581;  S.  DamalcYicikz, 
Séries  archiepisc.  Gnes.,  dans  Heyne,  Geschichte  des  Bislhums  Breslau,  18G0, 
t.  I,  p.  202.  (II.  L.) 


1114  LIVRE     XXXIV 

Conrad  de  Gamin  et  Gaudentius  de  Lebus.  Le  synode  frappa 
d'anathème  ceux  qui  continueraient  l'ancien  abus  d'après  lequel 
les  nobles  s'emparaient  de  l'héritage  laissé  par  les  clercs;  on  me- 
naça de  la  même  peine  ceux  qui  prenaient  de  force  aux  paysans 
leur  bétail,  leur  blé,  etc.  —  Un  synode  provincial  célébré  à  Tarra- 
gone  en  Espagne,  sous  l'archevêque  Déranger,  prescrivit  de 
dater  à  l'avenir  tous  les  documents  d'après  l'ère  chrétienne  ^. 
L'assemblée  réunie  à  Aquilée,  en  1181  2,  sous  le  patriar- 
che Ulrich,  introduisit  la  vie  commune  parmi  les  chanoines.  — 
Le  30  août  1181,  le  pape  Alexandre  III  mourut  ^,  profondément 
attristé  de  la  situation  des  chrétiens  d'Orient  et  de  l'impuissance 
de  ses  efforts  pour  déterminer  une  nouvelle  croisade  en  faveur 
de  la  Terre  Sainte. 


636.  Conciles  célébrés  sous  le  pape  Luciiis  III,  1181-1185. 

Le    1er   septembre    1181,    Hubald,  cardinal-évêque   d'Ostie,  fut 
élu  pape,  sous  le  nom  de  Lucius   III  ^,  et  sacré  le  6  septembre. 


1.  Gams,  Kirchengesch.  von  Spanien,  m,  p.  208;  Coleti,  Conciliait. -kiii,  col. 
639;  d'Aguirre,  Concil.  Hispan.,  t.  v,  p.  98.  (H.  L.) 

2.  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  11,  col.  705;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col. 
471-474.   (H.  L.) 

3.  Historia  Farjensis,  dans  Monum.  Gerni.  Idst.,  Script.,  t.  xi,  p.  590;  Robert 
de  Monte,  dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  ir,  p.  649^,  n.  2,  et  Boso,  ihid.,  p.  377,  font 
grand  cas  et  grand  éloge  de  la  science  d'Alexandre  III,  qui  avait  professé  à 
Bologne  et  avait  édité,vers  1148,  le  Stroma  appelé  aussiiSumA/îa  magisiri  Rolandi, 
c'est-à-dire  un  des  premiers  commentaires  du  décret  de  Gratien.  Cf.  Thaner, 
Die  Summa  magisiri  Rolandi  nachmals  Papst  Alexander  III,  in-8,  Iiinsbrûck, 
1874.  Au  temps  où  il  était  chancelier  de  l'Église  de  Rome,  en  1153,  il  écrivit  les 
Sentenlise  retrouvées  par  le  P.  Denifle  et  éditées  par  A.  Gietl,  Fribourg,  1891. 
Sous  ce  titre  alors  classique  en  la  matière,  il  donnait  un  système  complet  de 
théologie  suivant  la  division  introduite  par  Abélard,  qu'il  suivait  d'ailleurs 
d'assez  loin  et  sans  tomber  dans  les  écarts  hétérodoxes  de  cet  auteur.  Cf.  H. 
Denifle,  dans /Irc/itV,  t.  I,  p.  584  sq.;  Gietl,  op.  cit.,  Praîf.,  p.  xxvi  sq.  ;  H.  Hur- 
ter,  Nomenclator  litterarius,  in-8,  Œniponte,  1899,  t.  iv,  p.  122;  H.  Simonsfeld, 
Jahrbucher  des  deutschen  Reiches  unter  Frii'drich  I.  in-8,  Leipzig,  1908,  t.  i, 
p.  275  sq.   (H.  L.) 

4.  Hubald  Allucingoli,  de  Lucques,  chanoine  de  cette  ville,  cardinal-prêtre 
du  titre  de  Sainte-Praxède,  23  févr.  1141  ;  évêque  d'Ostie,  1"  janvier  1159;  pape 
le  l*^'  septembre  1181;  mort  à  Vérone,  le  24  (25)  novembre  1185.  Baronius,  Aiv 


63C.    CONCILES    CÉLÉBRÉS    SOUS     LE    PAPE     LUCIUS    III      1115 

à  Velletri  ^.  C'était  un  homme  respectable,  ayant  les  mêmes  sen- 
timents, sans  la  même  énergie,  que  son  prédécesseur.  Des  diffi- 
cultés avec  les  Romains  le  forcèrent  de  quitter  Rome  (mars  1182), 
Christian  de  Mayence,  qui,  à  la  fin  de  1180  ou  au  commencement 
de  1181,  avait  pu  recouvrer  la  liberté  moyennant  une  forte  rançon, 
voulait  ramener  par  les  armes  le  pape  dans  sa  capitale,  et  la  ma- 
nière dont  il  houspillait  les  Romains  les  avait  déjà  amenés  à 
[723]  l'i^^^se  d'une  conciliation,  lorsqu'il  mourut  subitement  à  Tusculum 
(mai  1183),  après  avoir  reçu  le  saint  viatique  de  la  main  du  pape  ^. 
L'archevêché  de  Mayence  passa  alors  à  son  ancien  ennemi,  Con- 
rad de  Wittelsbach. 

L'année  précédente,  Gauthier  (Godefroi)  Plantagenet,  fils  na- 
turel d'Henri  II,  roi  d'Angleterre,  avait  résigné  en  présence  de 
son  père,  dans  le  concile  de  Marleberg,  l'évêché  de  Lincoln,  qu'il 
possédait  depuis  sept  ans  sans  avoir  reçu  les  saints  ordres  ^.  Un 
grand  concile  célébré  à  Caen  en  Normandie  (en  1182)  menaça 
d'excommunication  quiconque  troublerait  la  paix  entre  Henri  II, 
roi  d'Angleterre,  et  son  fils,  le  jeune  roi  Henri  *.  Peu  après,  arri- 
vèrent en  Angleterre  des  légats  pontificaux  implorant  le  secours 
pécuniaire  du  roi  et  du  clergé,  afin  de  donner  au  pape  le  moyen 
de    mettre   les    Romains   à   la   raison;    des   demandes   identique^ 


nales,  ad  ann.  1181,  n.  15,  ad  ann.  1185,  n.  11;  Pagi,  Critica,  ad  ann.  1181,  n.  5, 
ad  ann.  1185,  n.  1;  Bihl.  hist.  Lyonnais,  1886,  t.  i,  p.  128-131;  Ceillier,  Hist. 
des  auteurs  ecclésiastiques,  t.  xxiii,  p.  372-377;  2®  édit.,  t.  xiv,  p.  929-933; 
P.  Ewald,  dans  Neues  Archiv,  1876,  t.  n,  p.  216-218;  Fabricius,  5i6Z.  lat.,  t.  iv, 
p.  842-843;  2^  édit.,  p.  285;  Jaffé,  Reg.  pontif.  rom.,  2^  édit.,  t.  ii,  p.  431-492, 
725,  726,  766-769;  Liber  pontificalis,  édit.  Duchesne,  t.  n,  p.  450;  P.  L.,  t.  cxc, 
col.  986-987;  t.  cci,  col.  1067;  A.  Pighi,  Centenario  di  Lucio  III  e  Urbano  III, 
in  Verona,  in-8,  Vérone,  1886;  Watterich,  Vitse  pontif.  rom.,  1862,  t.  ii,  p.  650- 
652.  (H.  L.) 

1.  Chronica  Gaufredi  prioris  Vosiensis,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script., 
t.  XXVI,  p.  203;  Annal.  Casinenses,  ad  ann.  1181,  dans  Monum.  Germ.  hist., 
Script.,  t.  XIX,  p.  312.   (H.  L.) 

2.  Lambert,  Annal,  parvi,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvi,  p.  649, 
dit  que  le  pape  séjourna  à  Anagni  sous  la  protection  du  camp  de  Tusculum. 
Cf.  Gesta  Ilenrici  II,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xxvii,  p.  104;  Watte- 
rich, op.  cit.,  t.  II,  p.  647,  n.  3,  p.  651  sq.  ;  Jafïé-Waltembach,  Regesta,  n.  14909. 
(H.  L.) 

3.  6  janvier  1182.  Wilkins,  Concil.  Brilanniœ,  t.  i,  p.  488;  Mansi,  Concilia, 
Supplem.,  t.  II,  col.  707;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  48'i.  (H.  L.) 

4.  Dessin,  Conc.  Rqtomagensia,  t.  i,  p.  89;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  645; 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  481.  (II.  L.) 


1116  LIVRE    XXXIV 

furent  adressées  aux  autres  princes  chrétiens.  Les  évêques  anglais 
prirent  alors,  clans  un  concile  célébré  à  Londres  en  1184,  la  décision 
suivante  :  le  roi  est  prié  de  faire,  en  son  nom  et  au  nom  del'épis- 
copat,  un  présent  considérable  au  pape  et  d'établir  ensuite  la 
quote-part  de  chaque  évcque.  Cela  vaut  beaucoup  mieux  que  de 
permettre  aux  légats  de  prélever  de  l'argent  en  Angleterre.  Le 
roi  se  rendit  à  cet  avis  et  envoya  une  forte  somme,  ce  qui  permit 
au  pape  d'acheter  un  grand  nombre  de  Romains.  Mais  un  nou- 
veau forfait  des  Romains,  qui  s'emparèrent  de  plusieurs  clercs  de 
la  suite  du  pape,  leur  crevèrent  les  yeux  et  les  renvoyèrent  ensuite 
déguisés  en  cardinavix,  obligea  Lucius  à  fuir  Rome  après  avoir 
lancé  l'excommunication  sur  les  covipables.  Il  vint  en  Lombardie, 
à  Vérone, à  la  rencontre  de  l'empereur,  suivant  ce  qui  était  convenu 
entre  eux.  Le  pape  arriva  dans  cette  ville  le  22  juillet  ^. 

Après  la  conclusion  de  la  paix  de  Venise  et  son  retour  d'Italie, 
Frédéric  Barberousse  renversa  le  puissant  duc  Henri  le  Lion 
(diètes  de  Gelnhausen, 13  avril  1180,et  de  Ratisbonne,  29  juin  1180) 
et  en  distribua  les  grands  biens.  La  Saxe,  amoindrie,  fut  donnée  à 
Bernard,  comte  d'Anhalt;  la  Bavière,  également  diminuée,  à  Otton, 
comte  palatin  de  Wittelsbach  (frère  de  l'archevêque  Conrad)  ;  [724] 
la  Westphalie  et  Engern,  à  Philippe,  archevêque  de  Cologne; 
d'autres  pays  furent  donnés  à  d'autres  amis  de  l'empereur,  et  le  duc 
Henri  ne  garda  que  ses  biens  patrimoniaux  de  Braunschweig 
et  de  Lunebourg.  Il  fut  même  condamné  à  un  exil  de  sept  ans, 
dans  la  diète  d'Erfurt  (novembre  1181)  2.  L'empereur  entama 
alors  des  négociations  avec  les  Lombards,  car  la  trêve  de  six  ans 
conclue  avec  eux  touchait  à  sa  fm.  Il  s'adressa  tour  à  tour  aux 
villes  lombardes  et  aux  représentants  de  laLigue  et,le  25  juin  1183, 
signa  la  paix  de  Constance  ^,  qui,  d'une  part,  assurait  la  suzeraineté 
de  l'empereur  sur  la  Lombardie,  et,  de  l'autre,  garantissait  aux 
villes  lombardes  de  grandes  libertés.  Après  avoir  armé  ses  deux 


1.  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  656,  657;  Schefîcr-Boichorst,  Kaiser  Fried- 
richs  I  lelzter  Streil  mit  der  Curie,  Berlin^  1866,  p.  30  sq. 

2.  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  658,  note  5.  Au  sujet  des  mesures  prises  contre 
Henri  le  Lion,  cf.  Weiland,  Forschungen  zur  deutschen  Gesch.,  t.  vu,  p.  175  sq.  ; 
Waitz,  Forschungen,  t.  x,  p.  153  sq.;  Prutz,  Ilist.  Heinrici  Leonis,  Berolini, 
1863;  le  même,  Ileinrich  der  Lôwe,  Leipzig,  1865. 

3.  Dans  cette  paix  de  Constance,  les  mesures  prises  à  Roncaglia  furent 
abrogées.  Cf.  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  sect.  iv,  1.  i,  p.  408  sq.,  n.  293-295. 
(H.  L.) 


636.     COISCILES    CÉLÉBRÉS     SOUS     LE    PAPE     LUCIUS     III      1117 

fils,  le  jeune  roi  Henri  et  le  duc  Frédéric,  dans  la  diète  solennelle 
de  Mayence  (Pentecôte  de  1184),  l'empereur  repassa  les  'Alpes 
})our  la  sixième  fois  et  revint  en  Italie,  pour  y  suivre  divers  projets, 
en  particulier  un  projet  d'union  plus  étroite  avec  les  villes  lom- 
bardes, pour  trancher  certains  différends  qui  existaient  encore 
entre  lui  et  le  pape,  enfin  pour  gagner  à  sa  dynastie,  par 
un  mariage,  le  royaume  des  Deux-Siciles.  La  partie  du  projet 
relative  aux  Lombards  put  s'exécuter  sans  difficultés  ;  Milan 
commença  même  à  pencher  visiblement  du  côté  de  l'empereur,  et 
de  fait  la  Ligue  lombarde  fut  dissoute.  Frédéric  rencontra  ensuite 
le  pape  à  Vérone,  et  là, en  présence  des  deux  chefs  de  la  chrétienté, 
se  tint  une  grande  assemblée,  à  laquelle  les  contemporains  ont,  avec 
raison,  donné  le  nom  de  concile  ^.  Les  délibérations,  commencées 
à  la  fin  d'octobre  1184^,  se  poursuivirent  jusqu'au  commencement 
de  novembre  et  roulèrent  sur  divers  objets.  Le  pape  sollicita  de 
l'empereur  un  corps  de  troupes  pour  combattre  les  Romains 
rebelles,  que  le  concile  avait  déclarés  ennemis  de  l'Eglise;  mais 
l'empereur  n'avait  avec  lui  qu'un  faible  contingent  et  n'était 
guère  en  état  de  faire  des  promesses.  Vint  ensuite  la  question 
de  l'héritage  laissé  par  Mathilde.  Précédemment,  l'empereur 
avait  fait  présenter  au  pape  deux  projets  de  solution.  En  1182, 
l'archevêque  Conrad  de  Salzbourg  lui  avait  proposé  de  consentir 
à  l'empereur  la  possession  définitive  de  ces  biens  contestés  ;  en 
î'725|  ^compensation,  le  pape  recevrait  la  dixième  partie  des  revenus,  et  les 
cardinaux  la  neuvième  partie,  sous  toutesles  garanties  désirables.  Le 
pape  refusa  et  l'affaire  fut  remise  sur  le  tapis  à  Constance,  en  1183. 
Une  commission  composée  d'hommes  rassis  devait  fixer  les  limites 
des  possessions  de  l'Église  et  de  l'empire;  on  devait  de  chaque  côté 
échanger  des  territoires  qvii  paraissaient  les  plus  importants  pour 
les  deux  partis.  Les  délibérations  devaient  se  terminer  par  une 
entrevue  du  pape  et  de  l'empereur  à  Vérone;  mais  il  fut,  cette 


1.  Coll.  regia,  t.  xx,  col.  81;  Labbe,  Concilia,  t.  x^  col.  1741;  Hardouin,  Conc. 
coll.,  t.  VI,  part.  2,  col.  1882;  Colcti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  645;  Mansi,  Conc. 
anipliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  488;  Jalïc,  Regcsla  pontif.  roman.,  2^  édit.,  t.  ii,  p.  469; 
Anal,  juris  ponli/icii,  1880,  t.  xix,  p.  356-358;  Wallcrich,  op.  cit.,  t.  a,  p.  658  ; 
CiesebrechiSimpson,  (Jeschichte  der  deutschen  Kaiserzeit,  1895,  t.  vi,  p.  87  sq. 
(H.  L.) 

2.  Il  est  prouvé  que  l'empereur  se  trouvait  le  19  septembre  à  Milan  et  le 
19  octobre  à  Vérone.  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  658,  note  2;  Schcfîer-Boichorst, 

op.  cit.,  p.  47. 


1118  LIVRE    XXXIV 

fois  encore,  impossible  de  trouver  un  terrain  d'entente  ^.  Lucius  III 
se  refusa  également  à  couronner  empereur  le  roi  des  Romains, 
bien  qu'il  se  fût  rendu  à  Vérone  avec  l'idée  d'y  consentir  '^,  Un 
nouveau  sujet  de  discorde  se  présenta  à  l'occasion  du  siège  de 
Trêves.  Après  la  mort  d'Arnold,  le  25  mai  1183,  l'archidiacre  Volk- 
mar  avait  été  élu  par  une  partie  des  électeurs,  tandis  que  l'autre 
partie  avait  nommé  le  prévôt  du  chapitre,  Rudolf;  à  la  diète  de 
Constance,  l'empereur  s'était  prononcé,  sur  le  conseil  des  princes, 
en  faveur  de  Rudolf  et  lui  avait  aussitôt  donné  l'investiture; 
Volkmar  avait  fait  appel  au  pape,  qui  voulut  juger  lui-même 
l'affaire.  Les  deux  prétendants  comparurent  en  personne  (1184); 
mais  le  pape  ne  put  décider  et  voulut  attendre  l'arrivée  de  l'em- 
pereur :  Rudolf  retourna  en  Allemagne,  tandis  que  Volkmar 
resta  en  Italie.  A  Vérone,  on  reprit  de  nouveau  cette  question; 
l'empereur  demanda  au  pape  de  consacrer  Rudolf  et  Lucius  parut 
disposé  à  y  consentir,  mais  il  ajourna  ensuite  sa  décision  de 
jour  en  jour  ^.  Frédéric  intercéda  encore  pour  les  clercs 
ordonnés  ou  placés  par  des  antipapes  et  dépossédés  de  leurs 
charges,  conformément  au  décret  du  concile  de  Latran.Un  grand 
nombre  de  ces  clercs  étaient  venus  à  Vérone  solliciter  leur  réin- 
tégration. Au  début,  le  pape  s'y  montra  favorablement  disposé, 
si  les  clercs  consentaient  à  se  faire  ordonner  de  nouveau;  mais 
le  lendemain,  sur  les  conseils,  présume-t-on,  des  évêques  de 
Mayenceet  deWorms,il  déclara  qu'une  décision  d'un  concile  gêné-  r72(3"] 
rai  ne  pouvait  être  modifiée  que  par  un  autre  concile  général,  et 
qu'il  ne  tarderait  pas  à  en  convoquer  un  à  Lyon.  Les  Allemands, 
exaspérés,  menacèrent,  d'ailleurs  sans  résultat  *.  Il  est  probable 
qu'à  la  demande  du  pape,  l'empereur  releva  Henri  le  Lion  du 
serment  prêté  de  ne  pas  retourner  en  Allemagne  sans  sa  permission, 

1.  Schefïer-Boichorst,  op.  cil.,  p.  26  sq.,  52;  Walterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  660. 

2.  Cf.  Schcfl'er-Boiehorst,  op.  cit.,  p.  33,  noie  3,  p.  59;  Arnold  de  Lubcck,  m, 
IL  dans  Moiium.  Genii.  hist.,  Script.,  t.  xxi,  p.  155;  Gcsta  Trevlr.,  Continuai., 
m,  6-8,  dans  Monum.Germ.  hist.,  ScripL,  i.  xxiv,  p.  384  sq.  ;  Giesebrcclit- 
Simpson,  Geschichte  der  deutschen  Kaiserzeit,  in-8,  Leipzig,  1895,  t.  vi,  p.  96  sq., 
623.  (H.  L.) 

3.  Cf.  les  renseignements  fournis  d'après  les  sources  dans  Watterich,  op.  cit., 
t.  II,  p.  653,  noie  3,  p.  660,  note  1. 

4.  Sur  cette  affaire,  cf.  L.  Saltet,  Les  réoidinalions.  Elude  sur  le  sacrement  de 
l'ordre,  in-8,  Paris,  1907,  p.  326-330,  et  les  pages  (lui  précèdent,  p.  290-326, 
donnant  un  exposé  de  la  théologie  de  l'école  de  Bologne,  que  représente  en  ce 
point  particulier  Roland  Bandinelli.   (H.  L.) 


636.     CONCILES     CÉLÉBRÉS     SOUS     LE     PAPE     LUCIUS     III      1119 

qu'il  lui  fit  remise  de  quatre  années  d'exil  et  l'autorisa  à  rentrer 
immédiatement  dans  ses  terres  i.  A  Vérone  se  rendirent  Iléraclius, 
patriarche  de  Jérusalem,  et  les  deux  grands-maîtres  des  Templiers 
et  des  Frères  hospitaliers,  envoyés  par  le  roi  Baudouin  IV,  pour 
im])lorer  des  secours  pour  la  Terre  Sainte.  Gérard,  archevêque 
de  Ravenne,  prononça  en  leur  faveur,  le  4  novembre,  devant  le 
concile,  un  discours  très  éloquent  et  le  pape  intervint;  il  donna 
aux  envoyés  des  lettres  de  recommandation  pour  les  princes  de 
l'Occident  et  engagea  vivement  l'empereur  à  entreprendre  une 
croisade.  Frédéric  s'y  montrait  disposé,  disant  qu' «  à  son  retour  en 
Allemagne,  il  s'entendrait  avec  ses  princes  pour  l'entreprendre; 
en  tout  cas,  les  préparatifs  commenceraient  à  Noël  et  se  poursui- 
vraient l'année  suivante  ^.  «  Le  maître  des  Templiers  mourut  à  Vé- 
rone ^.  D'accord  avec  l'empereur,  le  pape  Lucius  promulgua  un 
long  et  célèbre  décret  contre  tous  les  hérétiques  de  son  temps  (1,  V, 
tit.  VII,  c.  9,  De  hsereticis);  il  nomme  en  particulier  lés  cathares^, 


1.  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  658;  Schefïer-Boichorst,  op.  cit.,  p.  59  sq. 

2.  Continuât.  Zwetl.  ait.,  et  Annal.  Marhacens.,  dans  Monum.  Gerni.  hisl., 
Script.,  t.  IX,  p.  542;  t.  xvii,  p.  162;  Raoul  de  Diceto,  dans  Monum.  Germ.  hist., 
Script.,  t.  XXVII,  p.  274;  Jafîé-Wattembach,  Regesta,  n.  15151  ;  Giesebrecht- 
Simpson,  op.  cit.,  1895,  t.  vi,  p.  94  sq.,  622.  (H.  L.) 

3.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  1185,  n.  1  sq.;  Pagi,  Critica,  ad  ann.  1185, 
n.  1  sq.;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  487  sq.;  Watterich,  op.  cit., 
t.  II,  p.  659,  n.  1;  Scheffer-Boichorst,  op.  cit.,  p.  49  sq.  ;  T.  Tôche,  Kaiser  Hein- 
rich  VI,  in-8,  Leipzig,  1867,  p.  37. 

4.  Du  Plessis  d'Argentré,  Collectio  judic.  de  no^'is  erroribus  ah  initio  xii 
sœculi  usque  1632,  2  vol.  in-fol.,  Paris,  1726;  U.  Hahn,  Geschichte  der  Ketzer  itn 
Mittelalter,  3  vol.  in-8,  Stuttgart,  1845-1850;  J.  Dollinger,  Beitrâge  zur  Sekten- 
geschichte  des  Mittelalters,  2  vol.  in-8,  Mùnchen,  1890;  F.  Tocco,  L'eresia  net 
medio  evo,  iu-8,Firenze,  1884  ;  Comba,  Storia  délia  Rijorina  in  Italia,  in-8,  Firenze, 
1881  :  De  occasionibus  errorum  hœrelicorum,  dans  Preger,  Beitrâge  zur  Geschichte 
der  Waldenser  im  Mittelalter,  dans  Abhandlungen  d.  Kônigl.  bayerischen  Akad. 
d.  Wissenschaflen,  1877,  t.  xni,  p.  242-245. 

L'histoire  si  vaste,  si  obscure  par  endroits  et  si  varice  dans  ses  épisodes,  tour 
à  tour  théologiques  et  militaires,  de  l'hérésie  des  cathares  ou  albigeois,  n'est 
pas  de  celles  qu'on  résume  en  une  note.  L'ouvrage  fondamental  est  l'jÉ^uf/e  sur 
Valbigéisme  languedocien  au  xti^  cl  au  xm^  siècle,  qui  sert  de  Préface  au  Carlu- 
laire  de  Notre-Dame  de  Prouille,  par  M.  J.  Guiraud,  in-8,  Paris,  1907;  on  peut 
encore  tirer  bon  parti,  après  plus  de  soixante  ans,  d'un  livre  qui  demanderait 
simplement  à  être  rajeuni  et  compléta  par  places,  celui  de  G.  Schmidl,  Histoire 
et  doctrine  de  la  secte  des  cathares  ou  albigeois,  2  vol.  in-8,  Paris,  1849.  Lau- 
leur  est  protestant  et  ne  ménage  pas  les  expressions  dures  et  le  tour  hostile 
lorsqu'il  parle  de  l'Église  catholique,  de  ses  papes  et    de    ses    défenseurs:    c'est 


1120 


LIVRE    XXXIV 


une  inféiioritc,  mais  qui  n'enlève  rien  au  choix  et  à  la  critique  des  documents 
mis  en  œuvre,  le  reste  n'est  qu'affaire  d'appréciation  personnelle.  On  trou- 
vera un  travail  bref  et  exact  dans  Xacant,  Dictionn.  de  tliéol.  cathoL,  t.  i,  co\. 
677,  au  mot  Albigeois,  avec  la  bibliographie  nécessaire.  L'hérésie  des  cathares 
ou  des  albigeois  est  la  véritable  hérésie  du  moyen  âge,  celle  pour  laquelle  on 
se  fera  tuer  et  qui  va  occuper  l'Église  si  longtemps.  A  ce  titre,  nous  devons 
lui  accorder  une  notice  en  rapport  avec  son  importance. 

Toute  la  période  des  origines  de  l'albigéisme  est  loin  d'être  parfaitement 
éclaircie.  Bossuet.  bien  qu'il  ne  fît  pas  profession  d'érudit,  avait  vu  plus  clair  et 
plus  avant  que  presque  tous  ceux  qui  vinrent  après  lui  :  il  avait  parfaitement  vu 
et  démontré  que  les  albigeois  professèrent  le  dualisme  et,  par  ce  point  essentiel, 
se  distinguèrent  des  vaudois  {Histoire  des  variations  des  Églises  protestantes, 
1.  XI)  ;  ces  points  sont  aujourd'hui  hors  de  contestation.  Rcbelliau,  Bossuet 
historien  du  protestantisme,  Paris,  1892,  p.  418.  Les  hérétiques,  depuis  le  temps 
de  Priscillien,  recevaient  l'étiquette  vague  et  peu  fondée  de  manichéens,  nou- 
veaux manichéens,  qui,  au  jugement  des  théologiens  du  moyen  âge,  disait  tout; 
aujourd'hui  cela  ne  dit  plus  grand'  chose  ni  même  rien  du  tout.  Qu'est  ce  néo- 
manichéisme? Une  doctrine  à  coup  sûr  répréhensible,  mais  dont  les  sources 
historiques  sont  peu  apparentes  et  les  étapes  itinérantes  insuffisamment  repé- 
rées. En  1022,  nous  avons  vu  un  concile  d'Orléans  condamner  au  feu  des  héré- 
tiques manichéens,  qui  semblent  avoir  coulé  d'Italie  en  France;  une  fois  qu'on 
remonte  en  Italie,  on  ne  sait  où  chercher  l'itinéraire  de  ces  hérétiques.  Faut-il 
se  diriger  vers  la  Bulgarie?  C'est  possible,  probable  même;  on  ne  peut  encore 
dire  plus. 

Quelques  vagues  souvenirs  conservés  dans  la  secte  invitent  à  regarder  vers 
les  provinces  orientales  de  l'Europe,  plus  spécialement  parmi  les  populations 
slaves.  En  1146,  des  cathares  brûlés  à  Cologne  déclarent  :  Hanc  hseresim  usque 
ad  hsec  tempora  occultatam  fuisse  a  temporihus  martijrum  et  permansisse  in  Grœcia 
et  quihusdam  aliis  terris.  Evervinus,  Epis!,  ad  S.  Berna)duni,  dans  Mabillon, 
Vetera  analecta,  t.  ni,  p.  457;  Heinricus-Sacchoni,  Sumrna  de  catharis  et  leonistis, 
dans  Martène  et  Durand,  Thesaur.  noi'.  anecdot.,  t.  v,  p.  1767,  dit,  en  parlant 
des  églises  cathares  de  Bulgarie  et  de  Tragurium,  en  Dalnaatie  :  Et  omnes  ori- 
ginem  hahent  de  duabus  ultimis.  Les  circonstances  historiques  dans  lesquelles  se 
trouvèrent  les  pays  slaves  à  partir  du  ix^  siècle  expliquent  assez  bien  le  dévelop- 
pement que  la  doctrine  dualiste  put  y  prendre.  Sauf  quelques  pénétrations  sans 
importance  (Palacky,  Geschichte  von  Bôhmen,  in-8,  Prague,  1836,  t.  i,  p.  108  sq.), 
les  peuples  slaves  ne  furent  amenés  au  christianisme  qu'en  862,  par  les  moines 
Cyrille  et  Méthode.  Dobrowsky,  Cyrille  et  Méthode,  apôtres  des  Slaves,  trad.  Sauvé, 
in-8, Berlin,l 846,  p.  52  sq.  ;  Maciejowski,  Essai  historique  sur  l' Eglise  clirétienne  pri- 
mitive des  deux  rites  chez  les  Slaves,  trad.  Sauvé,  in-8,  Berlin,  1846,  p.  52  sq.  Nous 
avons  raconté  les  épisodes  de  l'entente  et  de  la  brouille  entre  le  roi  Boris  et  le  pape 
Nicolas  I";  la  Bulgarie  pencha  vers  Constantinople  et  tout  semblait  dit  quand, 
au  xi^  siècle,  la  querelle  reprit  de  plus  belle  et  la  séparation  définitive  fut  con- 
sommée. Pendant  cet  intervalle  et  entre  les  rivalités  des  missionnaires  grecs 
et  latins,  l'hérésie  s'insinua.  Dès  868,  les  Pauliciens  de  l'Arménie  envoyèrent 
des  missionnaires  à  eux,  chargés  de  recruter  des  adhérents  au  dualisme.  Une 
circonstance  favorisait  leur  succès  :  le  peu  de  goût  et  les  empêchements,  voire  les 
défenses  qui  s'opposèrent  à  l'emploi  de  la  liturgie  en  langue  slavonne  que  le 


636.     CONCILES     CÉLÉBRÉS     SOUS     LE     PAPE     LUCIUS     III      1121 

clergé  latin  de  la  Moravie  et  de  la  Paiiuonic  vit  toujours  de  mauvais  œil;  quant 
à  la  Croatie  et  à  la  Dalmatie,  elles  ne  purent  jamais  obtenir  pareille  concession. 
Finalement,  Jean  X  défendit  aux  évêques  et  aux  grands  de  ces  provinces  l'usage 
de  la  langue  slave  dans  le  culte,  défense  renouvelée  au  concile  de  Spalato  vers 
025.  Jean  XIII  porta  la  même  interdiction  pour  les  Slaves  de  Bohème  et,  en 
fondant  l'évêché  de  Prague,  bannit  le  rite  bulgare  ou  slave  pour  n'y  autoriser 
que  la  seule  langue  latine,  967. 

Les  indigènes  accueillirent  avec  regret  ces  décisions,  les  monastères  s'éver- 
tuèrent à  demeurer  étanches  à  toute  influence  occidentale  et  latine    et    s'obs- 
tinèrent à  faire  usage  de  la  liturgie  en  langue  slave.  Cet  isolement  les  mettait 
dans  le  cas,  par  désœuvrement  et  esprit  d'opposition,  d'accueillir  et  de  propager 
les  influences  hérétiques.    «  Ces  hérésies,  écrit  C.  Schmidt,  enseignées  dans  la 
langue  proscrite  du  pays,  furent  reçues  avec    avidité  par  des  populations  qui 
ne  comprenaient  pas  celle  du  culte  qu'on  leur  avait  imposé,  et  dont  l'éducation 
chrétienne  était  encore  excessivement  imparfaite.  Les  peuples  slaves,  qui  accep- 
tèrent le  baptême,  ne  purent  se  dépouiller  tout  d'un  coup  de  leur    paganisme; 
des  superstitions  et  des  usages  païens  se  mêlèrent  pour  longtemps  encore  à  leurs 
croyances  chrétiennes;    en  869,  le  concile  de  Constantinople  interdit  aux  Slaves 
de  la  Thrace  et  de  la  Macédoine,  convertis  depuis  le  vii^  siècle,  ces  réminiscences 
de  leur  ancien  culte.  D'autres  nations  de  race  slave  ne  se  convertirent  que  plus 
tard   et  partiellement  au   christianisme;  pendant  longtemps  les  païens  furent 
plus  nombreux  parmi  elles  que  les  partisans  de  l'Évangile.  Encore  au  x^  siècle 
le  paganisme  dominait  chez  les  Slaves  de  la    Hongrie;  mais  il  y  avait  parmi  eux 
beaucoup  de  chrétiens  emmenés  en  captivité  par  les  hordes  hongroises  revenant 
de  leurs  invasions  en  Allemagne  et  en  Pannonie;     abandonnés  à  eux-mêmes, 
sans  prêtres    et  en  contact  journalier  avec  l'idolâtrie,  il  est  impossible  que  ces 
chrétiens  n'aient  pas  subi  quelquefois  l'influence  du  culte   qui    se    pratiquait 
autour  d'eux.  Si  par  là  les  chrétiens  furent  ramenés  fréquemment  aux    super- 
slitions  païennes,  les  païens  à  leur  tour  mêlèrent  des  é  éments  chrétiens  à  leur 
propres  croyances.  Primitivement    les  Slaves  n'avaient  vénéré  qu'un  seul  Dieu 
suprême,  maître  de  toutes  choses,  et  un  grand  nombre  de  divinités  inférieures; 
plus  tard,  ils  placèrent  à  côté  de  ce  Dieu  un  principe  mauvais   auquel   ils   don- 
nèrent les  noms  de  Czernebog  ou  de  Diabol.  Ce  dernier  nom  ne  prouve-t-il  pas 
que  l'idée  de  ce  mauvais  Dieu  a  été  empruntée  par  les  Slaves  à  la  théologie  des 
missionnaires    chrétiens?  Qui  ne  sait  quel  rôle  le  diable  a  joué  dans  les  prédi- 
cations du  moyen  âge,  quelle  puissance  il  a  exercée  sur    l'imagination    vive  et 
grossière  des  hommes  de  ce  temps?    Pour  engager  les  païens  à  se  convertir,  on 
les  remplissait  d'effroi  en  leur  disant  qu'ils  seraient  damnés  s'ils  continuaient 
à  adorer  le  démon  et  ses    anges;  ils  devaient  se  hâter  de  le  rejeter  et  d'entrer 
dans  l'Église  qui  seule  les  sauverait  de  son  joug.  Il  est  curieux  de  voir  les  Slaves 
païens  résister  encore  à  ce  que  le  christianisme  a  de  doux  et  de  consolant,  pour 
n'adopter  de  ses  missionnaires  que  la  doctrine  du  génie  du  mal.  Chez  eux,  ce 
génie  se  transforma  en  unDieu  réel  :  il  devint  un  mauvais  principe  à  côté  du  bon, 
ils  le  considérèrent  comme  l'auteur  des  maux  moraux  et  physiques,  et   pour  ne 
pas  s'attirer  les  effets  de  sa  colère,  ils  lui  rendirent  dès  lors  un  culte  à  l'égal  du 
Dieu  bon.  Ce  dualisme  est  constaté  par  ce  passage  fort  remarquable  de  la  Chro- 
nica  Sha'orum    d'Arnold  de    Lubcck,  mort  en  1170  :  Est  aufem  Slavoriirn  mira, 
bilis  etror,  nam  in  conviviis  et  conipotationibus    suis  palcram    circuin/cruiU,  in 

CONCILKS  —  V  —  71 


1122  LIVRE     XXXIV 

quant  conferunl,  non  dicam  consecralionis,  sed  execralionis  verha  sub  nomine 
Deorum,  boni  scilicet  atque  mali,  omnem  prosperam  fortunam  a  bonoDeo,  adver. 
sam  a  malo  dirigi  profitentes;  ideo  etiam  malum  Deum  sua  lingua  Diabol  sive  Zer- 
nebog,  id  estDeum  nigruni.,  appellanl.  Cf.  Giescler.Ueber  denDualisnius  der  Slaven, 
in-8,  Hamburg,  1837,  p.  357.  C'est  au  milieu  de  ces  circonstances  que  parut  parmi 
les  Slaves,  peut-être  dès  le  commencement  du  x*^  siècle,  l'hérésie  du  dualisme 
cathare.  Ce  qui  contribua  à  la  rapide  propagation  du  calharisme,  c'est  que, 
contrairement  au  culte  orthodoxe  praticiué  en  lalin,  il  fuL  enseigné  aux  Slaves 
dans  leur  propre  langue,  et  surLouL  qu'il  put  se  ratlaclier  aux  éléments  dualistes 
répandus  par  les  missionnaires  paulicions,  ainsi  qu'à  ceux  qui  s'étaient  introduits 
dans  le  paganisme  slave  lui-même.  »  C.  Schmidt,  Histoire  et  doctrine  de  la  secte 
des  cathares  ou  albigeois,  t.  i,  p.  6-8. 

La  propagation  semble  s'être  faite  d'abord  un  peu  à  l'aventure,  en  tous  sens, 
tant  vers  l'est  que  vers  l'occident.  Dès  le  xi^  siècle,  l'hérésie  compte  des  parti- 
sans en  Macédoine,  en  Tlirace  et  jusque  dans  les  principales  villes  de  la  Grèce. 
Antérieurement,  dès  la  fin  du  x^  siècle,  on  trouve  des  vestiges  en  Occident,  où 
elle  s'introduit  suivant  deux  routes  différentes  :  par  la  Bosnie  et  par  la  Dalmatie. 
Dans  ce  dernier  pays,  la  secte  cathare  fonda  la  ville  maritime  de  Trogir  ou  de 
Tragurium  (que  le  concile  de  Saint-Félix  de  Caraman  nomme  Dugranicia), 
plus  tard  Trau.  C'est  de  cette  ville  surtout  que  partirent  les  idées  cathares 
pour  se  répandre  en  Occident;  aussi  un  auteur  du  xiii''  siècle  compte  l'église 
de  Tragurium  parmi  les  métropoles  les  plus  anciennes  du  catharisme.  Les  Slaves 
qui  se  rendaient  en  Italie  partaient  généralement  de  Tragurium;  ils  y  trouvè- 
rent un  terrain  assez  propice  pour  recevoir  leurs  erreurs.  L'ancien  manichéisme 
avait  jeté  de  profondes  racines  et  les  efforts  des  papes  et  des  empereurs  n'étaient 
jamais  parvenus  à  les  arracher  entièrement.  Cf.  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  17-19. 
L'ignorance  du  peuple  en  matière  religieuse  y  était  telle  qu'il  était  livré  au 
hasard  à  tous  ceux  qui  savaient  frapper  son  imagination  par  des  doctrines  extra- 
ordinaires. La  grande  majorité  du  clergé  de  second  rang  était  plongée  dans  de 
véritables  ténèbres  intellectuelles  dont  nous  nous  faisons  à  peine  une  idée.  Lors- 
que, vers  la  fin  du  xi^  siècle,  un  réveil  moral  et  intellectuel  se  fit  en  Italie,  des 
hommes  avides  de  spéculation  prirent  sans  y  regarder  ce  qui  se  présentait  à 
eux  et  satisfaisait  leur  besoin  de  science  et  de  réforme  sans  qu'ils  connussent 
exactement  pourquoi  :  ils  se  firent  ainsi  les  propagateurs  en  partie  irresponsa- 
bles de  l'hérésie  dualiste  et  contribuèrent  à  son  développement  systématique 
en  Italie. 

Comme  les  premières  traces  du  catharisme  se  montrent  en  France  dès  les 
premières  années  du  x^  siècle  et  qu'il  y  était  importé  d'Italie,  nous  avons  une 
date.  En  effet,  Raoul  Glabcr  nous  ajjprend  que  c'est  une  Italienne  qui  a  intro- 
duit le  catharisme  à  Orléans  :  ex  Italia  procedens;  un  Italien  qui  l'a  prêché  en 
Flandre,  quidam  ab  Italise  partibus  vir.  Dans  l'Italie  elle-même,  la  première  appa- 
rition de  la  secte  remonte  à  1030-1035;  elle  eut  de  bonne  heure  un  centre  de 
ralliement  au  château  de  Monteforte,  près  de  Turin.  Le  maître  était  un  homme 
plein  d'enthousiasme,  nommé  Girard;  la  comtesse  du  lieu  lui  accordait  sa  pro- 
tection. Pendant  une  de  ses  tournées  pastorales,  l'archevêque  de  Milan  apprit 
à  Turin  l'hérésie  des  habitants  de  Monteforte.  Il  se  fit  amener  Girard  et  lui 
demanda  compte  de  ses  doctrines.  Girard  confessa  que  lui  et  ses  amis  rejetaient 
le  mariage,  qu'ils  condamnaient  l'usage  des  viandes   et  qu'ils  étaient  assurés 


636.     CONCILES     CÉLÉBRÉS     SOUS     LE     PAPE     LUCIUS     III      1123 

que  Dieu,  en  leur  ouvrant  rintelligence  de  l'Écriture  sainte,  leur  communique 
le  Saint-Esprit  et  avec  lui  la  rémission  de  leurs  péchés.  Il  ajouta  qu'ils  croyaient 
au  Dieu  qui  a  tout  créé  et  en  qui  tout  subsiste.  Au  premier  coup  d'œil,  cette 
doctrine  parait  contraire  au  dualiste  cathare;  mais  il  est  plus  que  probable  que 
dans  les  commencements  les  croyances  dualistes  formaient  la  partie  secrète 
du  système  do  la  secte;  en  disant  que  Dieu  a  crJé  tout,  Girard  songeait  sans 
doute  à  l'ensemble  des  choses  créées  par  le  Dieu  bon;  deux  siècles  plus  tard, 
les  albigeois  répondaient  souvent  d'une  manière  analogue  aux  questions  sur  ce 
point.  Quant  au  Fils  de  Dieu,  ces  hérétiques  l'entendaient  allégoriquement  de 
1  âme  de  l'homme,  régénérée  par  l'Esprit-Saint  et  aimée  de  Dieu;  une  opinion 
semblable  se  retrouve  chez  les  cathares  des  temps  postérieurs.  Ils  croyaient 
enfin  que  la  vie  est  une  pénitence  et  que  plus  elle  est  dure,  plus  elle  est  méritoire; 
de  même  que  les  cathares  du  xiii®  siècle^  qui  souffraient  les  tortures  parce  que 
1  entrée  du  paradis  doit  être  achetée  par  Ihomme  au  prix  de  sa  chair  et  de  son 
sang,  et  qui  abrégeaient  eux-mêmes  leurs  jours  pour  ne  plus  perdre  le  Saint- 
Esprit,  les  hérétiques  de  Monteforte  s'imaginaient  qu'une  mort  volontaire 
violente  conduit  plus  vite  au  ciel  que  le  cours  ordinaire  de  la  nature.  Girard 
fut  brûlé  avec  plusieurs  de  ses  partisans.  Depuis  cet  événement,  pendant  tout 
le  reste  du  xi®  siècle,  on  ne  trouve  plus  de  traces  de  cathares  en  Italie. 

Avant  de  mourir,  Girard  avait  parlé  des  frères  dispersés  dans  tous  les  pays 
et  visités  chaque  jour  par  leur  chef  invisible,  le  Saint-Esprit.  C'est  en  France 
surtout  que  la  secte  fit  des  progrès  rapides.  Le  nianichéisme  y  avait  laissé  des 
germes,  dans  le  Midi  principalement.  Encore  au  xiii®  siècle,  une  tradition  qui, 
à  la  vérité,  ne  se  fondait  sur  aucune  donnée  historique,  faisait  remonter  l'origine 
du  dualisme  en  France  au  manichéen  Fortuiiatus,  que  saint  Augustin  avait 
forcé  de  quitter  Hippone  et  qui,  disait-on,  s'était  réfugié  alors  en  Champagne 
et  y  avait  établi  sa  secte.  Nous  n'en  pouvons  conclure  qu'une  chose  :  c'est  que 
les  idées  manichéennes  ont  pu  se  répandre  de  bonne  heure  dans  cette  région. 
Lorsque  Bérenger,  dit  C.  Schmidt,  éleva  son  opposition  contre  le  dogme  de 
l'eucharistie,  on  lui  reprocha  aussi  d'enseigner  la  condamnation  du  mariage  et 
du  baptême  des  enfants;  son  hérésie  troubla  la  France  entière,  et  au  milieu 
de  la  renaissance  des  esprits  à  la  vie  intellectuelle,  c'est  elle  surtout  qui  préoc- 
cupait les  penseurs  parmi  le  clergé  et  dans  les  monastères;  chez  beaucoup 
d'entre  eux,  elle  pouvait  servir  de  point  de  contact  pour  des  doctrines  plus  héré- 
tiques encore,  car,  comme  Bérengei-,  les  cathares  ne  croyaient  pas  à  la  trans. 
substantiation  dans  l'eucharistie;  comme  lui,  ils  condamnaient  le  mariage  et 
rejetaient  le  baptême  des  enfants.  Les  hommes,  portés  à  la  spéculation  méta- 
physique, acceptaient  avec  ardeur  des  dottrines  qui  annonçaient  la  double 
prétention  d'ouvrir  le  sens  spirituel  de  l'Ecriture  et  de  résoudre  les  plus  hauts 
problèmes  de  la  philosophie,  tandis  que  les  principes  ascétiques  des  cathares 
séduisaient  ceux  qui,  à  la  vue  de  la  rudesse  des  laïcs  et  de  l'immoralité  de 
beaucoup  de  clercs,  croyaient  que  la  réformo  de  la  vie  était  impossible  dans 
l'Eglise  catholique. 

C'est  sur  un  terrain  ainsi  préparé  que  tombèrent  les  semences  de  l'hérésie 
cathare  venues  d'Italie.  Elles  se  propagèrent  d'abord  dans  l'Aquitaine,  où  la 
ville  de  Toulouse  devint  leur  foyer  principal.  De  là,  elle  s'étendit  au  sud  de  la 
Loire,  dans  le  Périgord,  dans  l'cvèché  de  Limoges,  dans  la  marche  de  Poitiers, 
faisant  des  partisans  dans  toutes  les  classes  de  la  société.  Les  évèqucs  prirent 


1124 


LIVRE     XXXIV 


des  mesures  contre  eux.  Girald,  de  Limoges,  de  1012  à  1020,  essaie  le  premier 
d'enrayer  leur  progrès;  en  1022,  ou  brûle   à  Toulouse  quelques  hérétiques  trouvés 
dans  cette  ville;  vers    1028,  Guillaume  d'Aquitaine  réunit  des  évoques   et  des 
abbés  à  Charroux  pour  décréter  l'extinction  de  l'hérésie  qui,  au  lieu  de  succom- 
ber, gagne  chaque  jour  du  terrain  et  des  adhérents,  de  sorte  qu'en  1022   le  con- 
cile d'Orléans  pourra  constater  qu'elle  se  trouve  répandue  dans  la  Gaule  entière. 
Pour  ce  concile  d'Orléans,  voir  Histoire  des  conciles,  t.  iv,  part.  2,  p.  924  sq.  :  nous 
y  avons  parlé  également  de  l'expansion   en  Champagne,  où  le  château  de  Mont- 
wimer  [Mons-Guimari,  Montvimers,  Monshimerus,  Moniaimé)  îut  son  principal 
réduit.  Non  loin  de  là,  un  certain  Leutard  entremêlait  la  doctrine  d'extravagance 
et  fut  cité    devant    l'évêque  de  Châlons-sur-Marne,    qui  le  renvoya  comme  fou  ; 
il  ne  se  trompait  guère  :  à  quelque  temps  de  là, Leutard  se  jeta  dans  un  puits. Mais 
la  secte  dura  malgré  tout;  Montwimer  devint  peut-être  le  siège  d'un  de  ses  évê- 
chés.   L'histoire    de   ce    progrès    est   curieuse.   La   sévérité    ni  l'indulgence  des 
évêques  n'y  peuvent  rien.  En  1043,  l'évêque  de  Châlons  s'alarme  de  ces  progrès 
et  demande  conseil  à  l'évêque  de  Liège,   qui  lui  recommande  la  miséricorde; 
en  1049,  le  concile  de  Reims  prononce  l'excommunication  contre  les  hérétiques 
et  contre  ceux  qui,  moyennant  des  présents  ou  des  services,  les  prennent  sous 
leur  protection.  A  Arras,  dès  1025,  on  avait  découvert  un  groupe  cathare.  Ensuite, 
pendant  la  seconde  moitié  du  xi^  siècle,  les  traces  des  cathares  se  perdent  dans 
le  nord  de  la  France  pour  reparaître  seulement  une  soixantaine  d'années  plus 
tard.  Dans  le  Midi,  on  ne  cesse  pas  de  constater  leur  existence.  En  1056,  un  con- 
cile de  Toulouse  excommunie  les  hérétiques  et  les  protecteurs  qu'ils  comptent 
parmi  les  grands  (Mansi,  Conc.  arnpliss.  coll.,  t.  xix,  col.  849);  à  Béziers,  en  1062, 
il  faut  l'intervention  du  pape  Alexandre  II  pour  atteindre  les  hérétiques. Ar chiites 
épiscopales,  Doat,  lxi,  fol.  98.  Pierre  de  Bruys  et  son  disciple  Henri  ne  sont  pas 
des  cathares,  car  il  ne  paraît  pas  qu'ils  aient  enseigné  le   dualisme,   mais   l'effort 
ardent  de  ces  deux  novateurs,  le  trouble  qu'il  jeta  dans  le  midi  de  la  France 
permit  aux  cathares  de  redoubler  de  zèle  et  de  propager  efficacement  leurs  doc- 
trines, d'où  la  confusion  qui  s'est  faite.  Agen,  Albi.  Montfort,  Castelnau,  Bay- 
miac,  la  secte  pullule.  Et  c'est  alors  qu'on  la  voit  reparaître  dans  le  nord  de  la 
France  et  jusqu'en  Flandre.  C'est  alors  qu'elle  prend  une  direction  plus  septen- 
trionale et  pénètre  par  la  Hongrie  et  la  Bohême  jusque  dans  l'Allemagne  du 
Nord,  où  on  découvrit  les  premiers  cathares  dans  la  Basse-Saxe  en  1052.  A  partir 
de  ce  moment  et  de  la  pendaison  qui  fut  faite,  l'histoire  se  tait  sur  le  catharisme 
en  Allemagne  ;  ce  n'est  que  dans  la  première  moitié  du  xii"'  sièecle  qu'on  rencontre 
une  église  cathare  bien  organisée  à  Cologne,  ayant  un  évêque. 

Un  fait  remarquable  qui  marque  l'avènement  d'une  nouvelle  période  dans 
l'histoire  des  cathares,  c'est  que,  dès  le  milieu  du  xii*^  siècle,  ils  ont  pris  con- 
science de  leur  force  et  semblent  parfaitement  instruits  de  l'expansion  de  la  secte 
dans  toutes  les  parties  de  l'Europe  où  elle  est  établie.  Ils  forment  maintenant 
une  communion  à  laquelle  ils  donnent  bravement  le  nom  d'Église.  Cette  idée, 
ce  titre  stimulent  leur  zèle;  confiants  en  leur  nombre,  en  leurs  ressources,  en 
leurs  protecteurs,  ils  renoncent  aux  allures  mystérieuses  et  se  présentent  en 
public,  avouent  leur  nombre,  leurs  espérances,  leur  organisation  en  diocèses 
pourvus  d'évêques.  Ceux-ci,  quoique  indépendants  les  uns  des  autres,  entretien- 
nent entre  eux  des  relations  actives  et  fréquentes;  ils  font  les  voyages  les  plus 
lointains,  tantôt  pour  s'informer  des  coutumes  des   églises  cathares  étrangères, 


636.     CONCILES     CÉLÉBRÉS     SOUS     LE    PAPE     LUCIUS     lU        1125 

tantôt  pour  propager  leurs  croyances  ou  pour  resserrer  le  lien  d'unité  entre 
tous  les  membres  de  la  secte.  Cette  unité  subsiste  et  se  consolide,  malgré  les 
divergences  qui  éclatent  parmi  les  cathares  de  plusieurs  pays  sur  des  points 
importants  de  leur  doctrine.  En  un  mot,  la  secte  arrive  vers  cette  époque  à  son 
plus  haut  degré  de  force  et  à  sa  plus  large  extension.  L'Église  catholique  dédai- 
gne ou  s'aveugle;  elle  ne  prend  que  des  mesures  partielles  ou  insuffisantes.  Il 
faut  attendre  Innocent  III  pour  voir  enfin  la  lutte  à  outrance. 

Innocent  III,  Epist.,  dans  P.  L.,  t.  ccxiv-ccxvii;  Vie  et  Vaissete,  Histoire 
générale  de  Languedoc,  nouv.  édit.,  in-4,  Toulouse,  1879,  t.  viii,  p.  263-1750; 
A.  Molinier,  Catalogue  des  actes  de  Simon  et  d'Amauri  de  Montjort,  in-8,  Paris, 
1874;  C.  Schmidt,  Histoire  et  doctrine  de  la  secte  des  cathares  ou  albigeois,  2  vol. 
in-8,  Paris,  1849,  avec  toute  la  bibliographie  ancienne;  C.  Douais,  Les  albigeois, 
leurs  origines,  action  de  l' Église  au  xii®  siècle,  in-8,  Paris,  1879;  Lombard,  Pau- 
liciens,  bulgares  et  bons-hommes  en  Orient  et  en  Occident,  in-8,  Genève,  1879; 
L.  Léger,  L'hérésie  des  bogomiles  en  Bosnie  et  en  Bulgarie  au  moyen  âge,  dans  la 
Revue  des  questions  historiques,  1870,  t.  viii,  p.  479-517;  E.  Vacandard,  Les 
origines  de  l'hérésie  albigeoise,  dans  la  Revue  des  questions  historiques,  1894,  t.  i, 
p.  50-83  ;  J.  Guiraud,  Cartulaire  de  Notre-Dame  de  Prouille.  Recueil  de  textes, 
précédé  d'une  étude  sur  l'albigéisme  languedocien  au  xii®  et  au  xiii^  siècle,  in-8, 
Paris,  1907,  2  vol.;  Steude,  Ursprung  der  Katharer,  dans  Zeitschrift  fur  Kirchen- 
geschichte,  1882,  t.  v,  p.  1  sq.  ;  J.  Dollingcr,  Bcitràge  zur  Sektengeschichte  des 
MittclaUers.  I.  Geschichte  dtr  gnostisch-manichâischen  Sekten.  II.  Dokumente, 
vornehmlich  der  zur  Geschichte  der  Valdesier  und  Katharer,  in-8,  Mûnchen,  1890. 

Ecbert  de  Schônaugen,  Sermones  adversus  catharos,  P.  L.,  t.  cxcv,  col.  11-98; 
Eberhard  de  Béthune,  Antihœresis,  dans  Bibliotheca  Patrum,  édit.  Margarin 
de  la  Bigne,  4^  édit.,  t.  iv,  part.  1,  col.  1073-1192;  Bernard  de  Foncaude,  Adver- 
sus  waldensium  sectam  liber  (en  réalité,  le  traité  est  dirigé  contre  les  cathares), 
P.  L.,  t.  cciv,  col.  793-840;  Ermengaude,  Contra  hsereticos,  P.  L.,  t.  cciv,  col. 
1235-1272;  Buonaccorso  de  Milan,yi/a  hsereticorum,  P.  L.,  t.  cciv,  col.  775-792; 
Moneta  de  Crémone,  Adversus  catharos  et  valdenses,  Romte,  1743;  Rainier 
Sacconi,  Summa  de  catharis  et  leonistis  (sous  ce  faux  titre  :  Liber  contra  wal- 
denses  hsereticos]  dans  Bibliolli.  Patrum,  édit.  Margarin  de  la  Bigne,  t.  iv,  part.  2, 
col.  745-770;  Alain  de  Lille,  De  fide  catholica  contra  hsereticos  sui  temporis, 
P.  L.,  t.  ccx,  col.  305-430;  Luc  de  Tuy,  De  altéra  vita  fideique  controversiis 
adversus  albigensium  errores,  dans  Biblioth.  Patrum,  édit.  Margarin  de  la  Bigne, 
t.  IV,  part.  2,  col.  575-714;  Le  débat  d'Izarn  et  de  Siccart  de  Figueiras,  poème 
provençal,  publié,  traduit  et  annoté  par  F.  Meyer,  in-8,  Nogent-le-Rotrou, 
1880. 

Petrus  Sarnensis  (Petrus  Vallium  Cernaii  =  Pierre  de  Vaux  de  Cernay), 
Historia  de  factis  et  triumphis...  Simonis  comitis  de  Montcforti,  sive  historia  albi- 
gensium et  belli  sacri  in  eos  an.  1200  suscepti,  dans  Bouquet,  Recueil  des  histor. 
de  la  France,  t.  xix,  p.  1-113;  Monum.  Germ.  histor..  Script.,  t.  xxvi;  Guillcl- 
mus  de  Podio  Laurenti  (de  Puy-Laurens),  Chronicon  super  historia  negotii 
Francorum  sive  bellorum  adversus  albigenses  ah  ann.  1145-1272,  dans  Bouquet? 
op.  cit.,  t.  XIX,  p.  193-225,  et  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xxvi;  P.  Mayer, 
La  chanson  de  la  croisade  contre  les  albigeois,  2  vol.  in-8,  Paris,  1875-1879;  His- 
toire de  la  guerre  des  albigeois  écrite  en  languedocien  par  un  ancien  auteur  ano- 
nyme, dans  Bouquet,  op.  cit.,  1.  xix,  p.  114-192.  Sur  la  valeur  critirjueet  histo- 


1126  LIVRE     XXXIV 

les  patares,  les  humiliés  ou  pauperes  deLugduno  (ce  sont  les  vaudois 
qui  paraissent  ici  pour  la  première  fois),  les  passagiens,  les  josé- 
phins  et  les  arnoldistes  ^,  Cette  promulgation  se  fit  le  4  novembre, 
dans  la  cathédrale  de  Vérone,  en  présence  d'une  assemblée  de 
grands  tant  ecclésiastiques  que  laïques.  On  célébra  d'abord  le 
zèle  de  l'empereur,  cjui  se  leva  et  symbolisa  ce  zèle  en  étendant 
les  mains  vers  les  quatre  points  cardinaux  et  en  jetant  son  gant 
à  terre  avec  un  geste  de  menace.  Après  la  promvilgation  d'une  loi 
impériale  contre  les  hérétiques,  le  pape  proclama  le  décret  ecclé- 
siastique qui  les  frappait  d'un  anathème  éternel,  notamment  tous 
ceux  qui,  sous  le  masque  de  la  piété  et  sans  autorisation  ecclésias-  [727] 
tique,  prêchaient  publiquement  ou  en  secret  et  répandaient  des 
erreurs  sur  le  sacrement  de  l'autel,  le  baptême,  la  rémission 
des  péchés,  le  mariage,  etc.  La  même  peine  était  portée  contre 
leurs  protecteurs  et  défenseurs.  Tout  clerc  ou  moine  coupable 
de  ces  erreurs  perdra  les  privilèges  de  l'état  ecclésiastique, 
ses  charges  et  bénéfices  et  devra  être  livré  au  bras  séculier. 
Quant  aux  laïcs,  s'ils  ne  donnent  immédiate  satisfaction,  ils 
seront  livrés  au  tribunal  civil  pour  être  châtiés;  et  cela,  s'ils  sont 
même  simplement  suspects,  dès  lors  qu'ils  ne  peuvent  prouver 
leur  innocence  par-devant  l'évêque.  On  punira  sans  forme  de 
procès  le  relaps.  La  propriété  des  clercs  condamnés  revient 
aux  églises  qu'ils  desservaient.  Les  évêques  doivent  annoncer 
et  renouveler  la  présente  sentence  tous  les  jours  de  fête, 
et  le  prèle  t  négligent  sera  suspendu  pour  trois  ans  de  toutes 
dignités  et  fonctions  épiscopales.  Tous  les  ans,  l'évêque  devra 
visiter  une  ou  deux  fois  les  paroisses  dans  lesquelles  se 
trouvent,  d'après  le  bruit  public,  c[uelques-uns  de  ces  hérétiques, 
ou  y  envoyer  son  archidiacre  ou  un  autre  commissaire  expéri- 
menté. On  fera  alors  prêter  serment  à  trois  personnes  au  moins 
de  la  localité  ou  du  voisinage,  gens  de  bonne  réputation,  et,  sur 
la  foi  de  ce  serment,  on  les  interrogera  sur  les  hérétiques.  Tout 

lique  de  ces  sources,  cf.  Ch.  de  Smedt,  dans  la  Revue  des  questions  historiques, 
1874,  t.  XVI,  p.  433-476;  P.  Mayer,  La  chanson  de  la  croisade,  t.  ii,  p,  iii-xciu; 
Canet,  Simon  de  Monijort  et  les  croisades  contre  les  albigeois,  in-8,  Lille,  1891, 
et  J.  Guiraud,  op.  cit.  (H.  L.) 

1.  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  252-271  :  sur  les  différentes  opinions  qu'on  a 
émises  sur  l'origine  des  cathares;  p.  275-284  ;  sur  les  noms  de  la  secte;  p.  284- 
286  :  sur  les  noms  de  quelques  branches  de  la  secte;  p.  293-295  :  les  arnoldistes, 
les  passagiens;  p.  307-308  :  les  cagots.  (H.  L.) 


636.     CONCILES     CÉLÉBRÉS      SOLS     LE      PAPE      LUCIUS     III     1127 

accusé  à  la  suite  d'une  enquête  de  ce  genre  sera  cité  et  puni 
par  l'évêque  ou  son  commissaire,  s'il  ne  peut  prouver  son  inno- 
cence ou  s'il  est  relaps  (nous  touchons  ici  aux  débuts  de  l'inqui- 
sition épiscopale).  Les  comtes,  barons  et  en  général  toutes  les  auto- 
rités civiles  devront,  à  la  demande  des  évêques,  faire  serment 
de  défendre  l'Église  contre  les  hérétiques  et  d'observer  les  présents 
statuts,  émanés  de  l'empereur  et  de  l'Eglise,  le  tout  sous 
peine  de  perte  de  leurs  dignités,  d'excommunication  et  d'in- 
terdit. Toute  ville  qui  s'opposera  à  ce  décret,  qui  ne  châtiera  pas 
les  hérétiques,  au  mépris  des  avertissements  de  l'évêque,  sera 
exclue  de  tout  rapport  avec  les  autres  villes  et  perdra,  le  cas 
échéant,  son  siège  épiscopal.  Enfin,  tous  les  protecteurs  des  héré- 
tiques seront  déclarés  infâmes  à  tout  jamais  et  ne  pourront  être  ni 
procureurs  ni  témoins,  ni  remplir   aucune    charge   publique. 

Peu  de  temps  après  probablement  le  4  novembre,  l'empe- 
[728]  leur  quitta  Vérone,  mécontent  de  n'avoir  pas  réussi  à  faire  tran- 
cher à  son  gré  toutes  les  questions.  Les  principales  affaires 
demeurées  en  suspens  étaient  celles  de  l'évêché  de  Trêves  et  le 
couronnement  du  roi  des  Romains,  trop  peu  importantes 
pour  que  le  pape  courût  le  risque  d'une  nouvelle  rupture.  Le 
motif  de  la  réserve  du  pape  fut  sans  doute  l'union  pro- 
jetée entre  le  roi  des  Romains  et  une  princesse  de  Sicile,  projet 
dont  la  Curie  avait  certainement  déjà  connaissance  à  Vérone. 
Lorsque  ensuite  on  apprit  les  fiançailles  de  la  princesse  Cons- 
tance avec  le  roi  Henri,  célébrées  à  Augsbourg  à  la  fin  d'octobre 
1184,  les  dispositions  de  la  Curie  n'en  devinrent  pas  plus  favora- 
bles à  l'empereur.  Celui-ci,  sans  interrompre  ses  négociations, 
eut,  à  la  fin  de  l'année,  une  nouvelle  entrevue  avec  le  pape 
Lucius,  à  Vérone  ^,  au  sujet  surtout  du  couronnement  du  roi  des 
Romains.  Entre  temps,  le  pape  avait  reçu  des  plaintes  sur  les 
violences  exercées  par  le  roi  Henri  contre  l'Eglise  de  Trêves 
et  les  partisans  de  Volkmar.  Aussi  répondit-il  à  la  nouvelle 
requête  de  l'empereur  pour  le  couronnement  :  «  Il  ne  peut  y 
avoir  à  la  fois  deux  empereurs,  il  faut  que  le  père  abdique  pour 
que  le  fils  puisse  être  couronné.  »  D'autre  part,  le  pape 
avant    manifesté    l'intention   de    nommer    Volkmar    archevêque, 


1.   Scheffer-Boichorst,    op.  cil.,  p.  M  sq.  A»i  sujet  des  négociations,  cf.  aussi 
Toche,  op.  cit.,  p.  514  sq. 


1128  LIVRE    XXXIV 

l'empereur  le  prévint  que,  «  s'il  le  faisait,  il  rendrait  pour 
toujours  impossible  toute  amitié  entre  eux  ^.  «  Ainsi  les  rap- 
ports entre  le  pape  et  l'empereur  devenaient  de  plus  en  plus 
critiques  et  le  danger  d'une  nouvelle  rupture  définitive  était 
plus  menaçant  ^. 

Cinq  autres  conciles  se  tinrent  sous  le  pontificat  du  pape  Lucius  III. 
Celui  de  Windsor,  célébré  le  jour  anniversaire  de  saint  Dunstan 
(19  mai  1184),  fut  occasionné  par  la  mort  de  Richard,  archevêque 
de  Cantorbéry;  il  devait  mettre  fin  au  conflit  survenu  entre  les 
évêques  de  la  province  et  les  moines  de  Cantorbéry,  pour  savoir 
à  qui  revenait  le  droit  de  nommer  l'archevêque,  et  maintenir  les  [729] 
droits  du  roi.  Après  de  longs  débats,  on  élut  Baudouin,  alors 
évêque  de  Worcester.  Un  concile  tenu  à  Aquilée  le  30  septem- 
bre 1184,  sous  le  patriarche  Godefroi,  prononça  un  anathème 
solennel  contre  les  incendiaires,  contre  les  voleurs  d'églises  et 
les  ravageurs  des  vignes  et  des  arbres  fruitiers  ^.  Au  mois  de  jan- 
vier 1185,  Philippe-Auguste,  roi  de  France,  réunit  un  concile  à 
Paris,  après  l'arrivée  des  envoyés  de  Jérusalem,  et  lui-même  con- 
seilla à  l'assemblée  de  décider  que  la  croisade  serait  prêchée  dans 
tous  les  diocèses.  Ces  prédications  n'ayant  pas  donné  de  résultat, 
Philippe  ne  prit  pas  lui-même  la  croix;  mais  il  envoya  en  Terre 
Sainte  un  nombre  considérable  de  chevaliers  avec  leurs  servants 
d'armes,  et  contribua  par  de  grandes  sommes  d'argent  à  l'ex- 
pédition. Dans  un  but  analogue  se  tint,  un  peu  plus  tard,  le 
18  mars  1185,  un  synode  à  Londres,  apud  fontem  Clericorum; 
le  patriarche  de  Jérusalem  y  fit  les  plus  grands  efforts  pour 
décider  le  roi  Henri  II  à  prendre  part  lui-même  à  la  croisade, 
mais  ce  prince  déclara,  sur  l'avis  de  son  conseil,  que  le  soin  de 
son   royaume  l'empêchait   d'entreprendre   ce   voyage   en   Orient. 


1.  Arnold  de  Lubeck,  Chronic.  Slav.,  dans  Leilniitz,  Script,  rer.  Bruns»:, 
t.  u,  p.  664;  Wallerich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  059  sq.,  662^,  noie  1;  Gesla  Trever.,  dans 
Watterich,  op.  cit.,  p.  661. 

2.  Chron.  reg.  Colon.,  ad  ann.  1185;  Annal.  August.  minores,  dans  Monum. 
Germ.  hist..  Script.,  t.  x,  p.  9;  Continuât.  Zwetl.  ait.,  dans  Mo/mm.  Gerrn.  hist.. 
Script.,  t.  IX,  p.  5'i2;  Annal.  Marhacens.,  dans  Monum.  Gcnn.  hist..  Script., 
t.  XVII,  p.  162;  Giesebrecht-Simpson,  op.  cit.,  1895,  t.  vi,  p.  87,  618.  (H.  L.) 

3.  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  1829-1830;  Hardouin,  Cane,  coll.,  t.  vi,  part.  2, 
col.  1883;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  651;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll., 
l.  XXII,  col.  493-49'i.   (IL  L.) 


G37.    CONCILES    EN    1185-1187  1129 

Il  autorisa  ses  sujets,  entre  autres  Baudouin,  le  nouvel  archevêque 
de  Cantorbéry,  et  Gauthier  (Walter),  archevêque  de  Rouen,  à  pren- 
dre la  croix,  et  au  mois  d'avril  1185  il  eut  avec  le  roi  de  France 
une  conférence  de  trois  jours  pour  s'occuper  plus  en  détail  des 
allaires  de  Terre  Sainte  ^.  Le  l^^  mai  1185,  Pierre  VIT,  archevêque 
de  Spalato  en  Dalmatie,  célébra  un  grand  synode  provincial  dans 
l'église  de  Saint-André  à  Spalato,  afin  d'extirper  un  grand  nom- 
bre d'abus  -,  Les  hérétiques  et  tous  ceux  qui  s'étaient  attaqués 
à  l'église  et  aux  biens  ecclésiastiques  y  furent  excommuniés;  les 
diocèses  de  la  Dalmatie  y  furent  de  nouveau  délimités;  l'assem- 
blée prescrivit  en  outre  que  l'on  récitât  tous  les  jours  l'ofTice  de 
la  sainte  Vierge,  et  éleva  Corbavia  à  la  dignité  d'évêché  ^. 


637.  Conciles  célébrés  sous  les  papes  Urbain  III  et  Grégoire  VIII, 

1185-1187. 

Lucius  III  mourut  le  25  novembre  1185,  à  Vérone,  tandis  qu'il 
[7301  s'efforçait  de  susciter  une  nouvelle  croisade.  Depuis  le  concile 
de  l'année  précédente,  il  n'avait  pas  quitté  cette  ville,  dont  son 
successeur  Urbain  III  fit  également  sa  résidence.  Le  jour  même 
de  la  mort  du  pape  "*,  Humbert,  archevêque  de  Milan,  fut  élu  sous 
le  nom  d'Urbain  III  ^  avec  une  rare  unanimité,  ce  qui  semblait 
marquer  combien  cette  élection  avait  été  faite  sous  l'influence 
d'un  mécontentement  contre  l'empereur.  Humbert  descendait, 
en  effet,  de  la  famille  milanaise  des  Crivelli,  qui  avait  eu  beaucoup 
à     souffrir     de     Frédéric   et,    par   suite,    détestait    cordialement 

1.  Coleti,  Concilia,  t.  xiii^  col.  647;  Mansi^  Conc.  anipliss.  coll.,  t.  xxii,  col. 
494. 

2.  Farlati,  Illyricum  sacrum,  1765,  t.  m,  p.  213-222. 

3.  Corbavia,  Corbau  ou  Kerbavia,  en  Croatie;  cet  évèché  fut  transféré  à 
Modruscha,  en  1460.  (H.  L.) 

4.  Cf.  Annal.  Veroiienses,  ad  aun.  1185,  dans  Monum.  Germ.  Jiist.,  Script., 
t.  XIX,  p.  5  :  VII  kal.  dec.  obiit  Lucius  ...  ipsoque  in  die  Ubertus  Mediolanensis 
archiepiscopus  est  elevatus.  (H.  L.) 

5.  Humbert  Crivelli,  archidiacre  de  Bourges,  puis  de  Milan,  cardinal-prêtre 
de  Saint-Laurent  in  Damaso,  en  1182;  archevêque  de  Milan,  le  9  janv.  1185; 
pape,  le  25  novembre  1185;  couronné  le  l^r  décembre,  mort  le  20  octobre  1187. 
(H.   L.) 


1130  LIVRE    XXXIV 

l'empereur.  Malheureusement,  Urbain  n'était  pas  homme  à 
oublier  le  passé  et  à  renoncer  à  l'antipathie  des  Crivelli 
contre  l'empereur^;  cette  antipathie  trouva  même  un  nouvel 
aliment  dans  les  grandes  manifestations  de^  joie  qui  écla- 
tèrent en  Lombardie  aussitôt  après  son  avènement.  Le  27  jan- 
vier 1186,  on  célébra  avec  beaucoup  d'apparat  le  mariage  du  jeune 
roi  Henri  avec  la  princesse  Constance,  tante  de  Guillaume  II,  roi 
de  Sicile  et  de  Naples,  dont  le  propre  mariage  était  stérile  ^.  Dès 
lors  Constance  pouvait  espérer  monter  sur  le  trône,  puisqu'elle  était 
l'unique  rejeton  de  la  famille  de  Robert  Guiscard.  Elle  avait  dix 
ans  de  plus  que  son  fiancé  et  était  fort  laide  ;  mais  l'empereur,  depuis 
longtemps  atteint  de  cette  ambition  maladive  qui  a  poussé  pour 
leur  perte  tous  les  Hohenstaufen  à  vouloir  s'emparer  de  la  Basse- 
Italie,  ne  voulut  pas  s'arrêter  à  ces  côtés  défectueux  de  l'affaire 
et  conclut  les  fiançailles  ^.  Il  aurait  dû  songer  que  son  fils,  devenu 
roi  des  Deux-Siciles,  serait  en  conflit  perpétuel  avec  le  pape, 
suzerain  de  ce  royaume;  que  la  nécessité  et  le  souci  de  sa 
propre  conservation  obligeraient  tout  pape  à  combattre  un  état  de 
choses  où  l'empereur,  maître  du  nord  et  du  sud  de  l'Italie  et  de 
l'Allemagne,  enserrerait  la  papauté  comme  dans  un  étau,  au 
risque    de    l'étouffer.    Barberousse    lui-môme    n'était    pas     sorti 

1.  Gesta  Trever.,  dans  Watterich,  t.  ii,  p.  665  sq.  Les  gesta  disent  au  sujet 
d'Urbain  :  I\am  postquam  ad  summi  lontificalus  gloriam  sublimatus  fueral, 
omnibus  viribus  laborahal,  qiiomodo  imperatoris  dignitatem  et  excellenliam  humi- 
liarel  [loc.  cit.,  p.  666).  De  même  Nicolas  d'Amiens  rapporte  (Bouquet^  t.  xviii, 
p.  701)  :  Simultas  magnis  ex  causis  oritur  inter  Urbanum  et  Fridericum  ita,  quod 
papa  depositloncm  cogitât  et  ad  hsec  studiose  laborat.  Frédéric  lui-même  déclare, 
lors  de  la  diète  de  Gclnhausen  :  Si  autem  ad  dejectionem  nieam  non  dico  injuste^ 
sed  inepte  aliqua  molitus  fuerit,  spero  quod  divina  javente  ciementia  vestro  similiter 
etiam  adjutus  consilio  et  auxilio  intrepidus  ei  ad  omnia  respondeam.  Watterich, 
op.  cit.,  p.  672. 

2.  Scheiïer-Boichorst,  op.  cit.,  p.  62,  constate  que  la  rupture  entre  Lucius  III 
et  Barberousse  coïncide  avec  l'arrivée  de  Cop.stance.  Le  dernier  éditeur  de 
Pierre  d'Eboli,  Préf.,  p.  xxxvii-xxxviii,  16,  avance  que  Lucius  a  fait  ce 
mariage.  P.  Block,  Zur  Krilik  des  Petrus  d'Ebulo,  in-8,  Breslau,  1883,  t.  i,  p.  44- 
45,  n'en  croit  rien  et  F.  Chalandon  pas  plus  que  lui,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  290.  (H.  L.) 

3.  F.  Chalandon,  Histoire  de  la  domination  normande  en  Italie  et  en  Sicile, 
in-8,  Paris,  1907,  t.  ii,  p.  386-391;  Amari,  Su  la  data  degli  sponsali  di  Arrigo  VI 
con  la  Costanza  erede  del  trono  di  Sicilia  e  su  i  divani  delV  azienda  normanna  iti 
Palermo,  dans  Memorie  délia  Classe  di  scienze  morali  sloriche  e  filologiche  délia 
Reale  Accademia  dei  Lincei,  in-S) 'Rom  ,  1878.  série  IIP,  t.  ii;  Prutz,  op.  cit., 
t.  m,  p.  193.   (11.  L.) 


637.    CONCILES  EN     1185-1187  1131 

vainqueur  de   sa   lutte   contre   Rome;  mais  l'acquisition  de  cette 
couronne  des  Deux-Siciles  méritait,  pensait-il, les  plus  grands  efforts 
[731]  de  son  fils  ^.  Au  cours  des  fêtes  données  à  l'occasion  du  mariage, 
Frédéric  s'était  fait  couronner  par  l'archevêque  de  Vienne;  Cons- 
tance elle-même  avait  reçu  la  couronne  des  mains    des  évêques 
allemands  et  Henri  des  mains  du  patriarche    d'Aquilée  ^;  Urbain 
en  fut  si  outré  qu'il  suspendit  le  patriarche  et  tous  les  évêques 
qui  avaient  participé  au  couronnement.  En  même  temps  il  renou- 
vela ses  anciennes  prétentions  à  l'héritage  de   Mathilde  et  accusa 
Frédéric      Barberousse      d'avoir      exercé     des     violences     contre 
l'Eglise,  de    s'être    emparé    de    l'héritage    des    évêques    défunts, 
d'avoir      supprimé      plusieurs      monastères,    sous      prétexte      de 
réforme,  sans    avoir    songé    à     en    fonder     d'autres  mieux    dis- 
ciplinés. Frédéric  accueillit  ces  plaintes  amicalement   et   s'efforça 
d'arriver   à   une    entente    en    envoyant   au   pape    de    nouveaux 
ambassadeurs;  de  fait,  les  évêques  de  Munster  et  d'Asti,   choisis 
dans  ce  but,  semblèrent  avoir  obtenu  ce  que  l'on  désirait  depuis 
si  longtemps.    On    crut    avoir    trouvé    une    transaction    accep- 
table concernant  les  biens  de  Mathilde;  de  son  côté,  le  pape  pro- 
mit de  ne  pas  sacrer  Volkmar  ^  et  l'empereur  chargea  son  fils  de 
s'occuper  de  la  pacification  et  de  la  défense  du  patrimoine.  C'est 
alors   qu'Urbain  se  laissa  entraîner  à  une  démarche  qui  devait 
rendre   inévitable    une   nouvelle   rupture.    Contre   toute    attente 
et  malgré  les  remontrances  de  quelques  cardinaux  pleins  de  pru- 
dence, il  trancha  subitement  la  question  de  l'évêché  de  Trêves  et, 
le  1^^  juin,  sacra  de  ses  propres  mains  Volkmar,  après  avoir  rejeté 
Rudolf,  sous  prétexte  que  ce  dernier  avait  reçu  l'investiture  de 


1.  F.  Chalandon,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  390,  sur  les  résultats  politiques  de  ce  mariage 
au  point  de  vue  du  Saint-Siège.  (H.  L.) 

2.  Raoul  de  Diceto,  Ymagines  historiarum,  ad  ann.  1186,  dans  Monum. 
Germ.  hist.,  Script.,  t.  xxvii,  p.  274;  Sigebert^  Continuai.  Aquicincl.,  dans 
Alonum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  vi,  p.  423  :  et  ah  ea  die  ^'ocalus  est  csesar-,  Annal. 
Mediolan.  brèves,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xviii^  p.  390;  Th.  Tôche, 
Kaiser  Heinrich  IV,  dans  Jahrbïicher  der  deutschen  Gcschichie,  Leipzig,  1867, 
p.  56,  518;  Schefi'er-Uoichorst,  op.  cit.,  p.  84;  Prutz,  op.  cit.,  t.  m,  p.  234  sq.  ; 
Tschirch,  Beitràge  zur  Geschichte  Mailands,  in-8,  Brandenburg,  1884,  p.  27. 
(H.  L.) 

3.  C'est  ce  que  rapportent  non  seulement  les  Gesia  Trever.,  mais  aussi  l'arche- 
vêque Wichmann  de  Magdebourg,  dans  sa  lettre  au  pape.  Watterich,  op. 
cit.,  t.  H,  p.  666,  676. 


1132  LIVRE     XXXIV 

l'empereur  avant  sa  consécration^.  Ainsi  se  ralluma  la  lutte  entre 
le  pape  et  l'empereur,  qui  fut  aussitôt  incité  à  réaliser  ses  me- 
naces. En  apprenant  la  consécration  de  Volkmar,  Frédéric  entra 
dans  une  violente  colère  et  ordonna  à  son  fils  de  le  venger. 
Henri  ravagea  la  Campanie  et  s'en  empara,  infligeant  toute  sorte 
de  mauvais  traitements  aux  clercs  dévoués  au  pape.  Fré- 
déric lui-même  tint  le  pape  enfermé  à  Vérone  avec  tant  de 
rigueur  que  tout  commerce  avec  le  monde  extérievir  devint 
impossible;  il  fit  bloquer  tous  les  passages  des  Alpes  et  mettre 
en  prison  tous  les  envoyés  du  pape  ou  ceux  qui  se  ren- 
draient vers  lui  -,  Malgré  ces  mesures,  Volkmar  révissit  à 
regagner  l'Allemagne,  à  la  faveur  d'un  déguisement;  là  un  [^32] 
parti  considérable  s'était  formé  contre  l'empereur,  ayant  à 
sa  tête  l'archevêque  Philippe  de  Cologne  ^.  Les  adversaires 
de  l'empereur  mirent  à  profit  sa  discorde  avec  le  pape 
pour  couvrir  leurs  propres  projets  du  prétexte  de  défendre 
l'Eglise.  Frédéric,  informé  de  ces  menées  hostiles,  s'empressa 
de  revenir  en  Allemagne  au  commencement  de  l'année  1187.  Il 
s'efforça,  tout  d'abord,  de  se  réconcilier  avec  l'archevêque  de  Co- 
logne dans  une  entrevue  personnelle,  mais  il  ne  put  y  réussir,  et  il 
porta  alors  son  conflit  avec  le  pape  devant  les  princes  de  l'empire 
convoqués     à     la      diète    de     Gelnhausen   ^.      A     ses     premières 


1.  Gesta  Trever.,  et  Epist.  Wichmanni,  dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  u,  p.  606 
et  676. 

2.  Arnold  de  Lubeck,  Gesla  Trever.;  Gervais  de  Cantorbéry,  Annal,  rom., 
dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  667,  668,  682. 

3.  Au  sujet  des  motifs  de  l'animosité  de  Philippe  de  Cologne,  cf.  Schefîer- 
Boichorst,  op.  cit.,  p.  103  sq.  ;  Annal.  Ceccan.,  Annal.  Aquens.,  ad  ann.  1185; 
Innocent  III,  Registrum  de  negotio  imperii  epist.,  xxix,  P.  L.,  ccxvi,  col.  1029; 
Henricus...  in  Ecclesias  persecutionem  suse  dominationis  exsecravit  primitias 
cum  B.  Pétri  patrimonium  violenter  ingressus,  illud  multipliciter  devaslavit ,  qui 
etiam  quosdam  jamiliares  jratrum  nos  roriim  naso  jecit...  mntilari.  Pour  la  capti- 
vité du  pape  à  Vérone  :  Annal,  romani,  ad  ann.  1186,  dans  Monum.  Germ.  hist,. 
Script.,  t.  V,  p.  479;  Arnold  de  Lubeck,  m,  18,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script., 
t.  XXI,  p.  159;  Giesebrecht,  Geschichte  der  dcutschen  Kaiserzeit,  t.  vi,  p.  l'il, 
649  sq.  Sur  Philippe  de  Cologne  :  Hecker,  Die  territoriale  Politik  des  Erzbischofs 
Philipp  I  von  Kôln,  in-8,  Leipzig,  1883;  Peters,  Die  Reichspolitik  Philipps 
von  Kôln,  1899;  Gicscbrccht-Simpson,  op.  cit.,  t.  vi,  p.  146  sq.,  653  sq.  ;  Prutz, 
op.  cit.,  t.  m,  p.  266  sq.   (H.  L.) 

4.  Schefîer-Boichorst  place  cette  diète  de  Gelnhausen,  le  28  novembre  1186, 
et  suppose  que  l'empereur  était  revenu  en  Allemagne  dans  l'été  de  cette  même 


G37.   CONCILES   EN    1185-1187  1133 

plaintes,  le  pape  en  avait  ajouté  de  nouvelles,  concernant  les 
dîmes  prélevées  par  des  laïcs  et  sur  la  question  des  marguil- 
liers.  Tous  les  évèques  présents,  à  commencer  par  Conrad  de 
[733]  Mayence,  prirent  le  parti  de  l'empereur,  et  Wichmann  de  Magde- 
bourg,  dont  le  pape  lui-même  avait  sollicité  l'intervention,  lui 
adressa  au  nom  de  tous  les  évêques  une  lettre  loyale  le  suppliant 
de  faire  bon  accueil  aux  dispositions  conciliantes  de  l'empereur, 
dont  ils  garantissaient  les  bonnes  intentions.  Mais  le  pape  cita 
l'empereur  à  comparaître  personnellement  pour  répondre  des 
griefs  déjà  formulés  et  de  s'être  arrogé  le  droit  de  trancher  des 
questions  ecclésiastiques.  Une  nouvelle  ambassade  de  l'empereur 
n'obtint  pas  de  meilleurs  résultats  ^;  Urbain  se  disposait  à  pronon- 


année;  pour  combiner  dans  ce  sens  toute  la  chronologie,  il  finit  par  altérer  sensi- 
blement les  faits  eux-mêmes.  A  l'appui  de  son  opinion^  il  allègue  un  fait  histori- 
que: un  document  impérial  daté  deGelnhausen  le  28  novembre;  mais  ce  document 
ne  poite  aucune  indication  de  Tannée.  Ce  n'est  pas  ici  le  ntioment  de  prouver 
en  détail  la  fausseté  de  cette  chronologie  imaginaire;  nous  nous  contenterons 
de  lui  retirer  deux  des  points  d'appui  sur  lesquels  l'auteur  a  bâti  son  argumen- 
tation. Si  on  suppose  que  l'empereur  était  revenu  en  Allemagne  dès  le  mois  de 
uillet,  il  s'en  suit  que  tous  les  événements  de  cette  époque  se  seraient  déroulés 
dans  un  cadre  qu'il  est  impossible  d'admettre.  La  lettre  du  pape  datée  du 
24  février  devrait,  dans  ce  cas,  appartenir  à  l'année  1186.  Comment  alors  le 
pape  peut-il  dire  :  Materiam  tibi  nostrse  immodiae  turhationis  eaponimus...? 
Comment  peut-il,  le  24  iévrier^  s'exprimer  ainsi  :  Comniojiila,  iiiquam^  frequeiiler 
a  nobis  imperialis  culniinis  altitudo,  ut  Ecclesise  romanse  restituât  possessiones, 
quas  delinel  occupatas?  Pourquoi  le  pape  se  serait-il  adressé  à  Wichmann 
pour  lui  demander  d'intervenir  en  Allemagne,  alors  qu'à  cette  époque, 
ainsi  que  nous  l'avons  vu,  l'empereur  lui  avait  envoyé  une  ambassade  pour 
entamer  des  négociations,  et  que  tout  semblait  devoir  aboutir  à  une  heureuse 
issue?  Comment  le  pape  peut-il  savoir  le  24  février  que  l'empereur  veut  retour- 
ner en  Allemagne  (cum  ad  partes  illas  accesserit)  tandis  que  Frédéric  lui-même 
ne  songe  pas  encore  au  retour?  Il  résidte  évidemment  de  tout  ceci  que  la  lettre 
du  pape  n'a  pu  être  écrite  que  le  24  février  1187.  Le  contenu  de  la  lettre  s'accorde 
entièrement  avec  tous  les  événements  de  l'année  1187. Pou  de  temps  auparavant, 
l'empereur  a  quitté  l'Italie;  le  11  février,  il  signe  un  document  avec  son  fils  à 
Pavie.  Bohmer,  Reg.  iniperii,  p.  144.  Cette  fausse  date  donnée  par  Schclîcr- 
Boichorst  doit  toutefois  moins  surprendre  que  l'assurance  avec  laquelle  Tôchc, 
op.  cit.,  p.  64  et  74;  Hecker,  Philipp  I  von  Côlii,  p.  76,  et  d'autres  auteurs  la 
reproduisent  sans  contrôle  préalable. 

1.  Annal.  Pegav.,  ad  ann.  1187;  Annal.  Marbacens.,  Epist.  papœ  ad  Wich- 
mannum,  Magdeburg.  archiep.,  19  févr.  1187,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Leges, 
sect.  IV,  t.  I,  p.  448,  n.  317;  Jaiîé,  Regesta,  n.  15534.  Pour  cette  seconde  ambas- 
sade envoyée  au  mois  de  mars,  cf.  Annal.  Magdeburg.  D'après   Arnold   de   Lu- 


1134  LIVRE    XXXIV 

cer  rcxcoinniunicalioji  contre  l'enijjercur,  mais  les  habitants  de 
Vérone  l'ayant  prié  de  ne  pas  le  faire  pendant  son  séjour  dans 
leur  cité,  il  prit  le  parti  de  se  rendre  à  Venise.  Pendant  le 
voyage,  il  mourut  subitement  à  Ferrare,  le  20  octobre  1187  ^. 
On  venait  d'apprendre  la  triste  nouvelle  de  la  prise  de  Jéru- 
salem par  Saladin  (3  octobre);  c'est  sous  l'impression  de  ce 
douloureux  événement  que  le  chancelier  Albert  fut  élu  pape  le 
lendemain,  à  l'unanimité,  sous  le  nom  de  Grégoire  VIII  ^.  C'était 
un  homme  pacifique,  bien  disposé  pour  l'empereur;  il  s'efforça 
aussitôt  de  terminer  à  l'amiable  le  conflit  ^  et  a])pela  toute  la 
chrétienté  à  une  nouvelle  croisade. 

Pendant  le  court  pontificat  des  deux  papes  Urbain  III  et 
Grégoire  VIII  ^,  les  conciles  furent  peu  nombreux.  Nous  ne 
connaissons  guère  que  l'existence  de  l'assemblée  de  Charroux 
{Carrofum)  en  1186,  sous  la  présidence  d'Henri  de  Sully,  arche- 
vêque de  Bourges,  cardinal  et  légat  du  pape  '".  Il  en  est  de 
mèm  3  du  synode  anglais  tenu  à  Egenesham,  au  mois  de  mai 
de  cette  même  année  *'.  Dès  son  retour  d'Italie,  Volkmar, 
archevêque  de  Trêves,  qui  avait  été  nommé  par  Urbain  III  légat 
apostolique  pour  l'Allemagne  (15  février),  réunit  un  synode  à 
Mouzon  (Mosomensis),  le  premier  dimanche  du  carême  de  1187  "  : 


beck  :  VeniensVeronam,  iniperatorem...  excommunirare  decrevU.  Annal.  Marcens., 
dans  Monum.  Germ.  hisl.,  Script.,  \.  xviii,  p.  163;  Giesebrecht-Simpson.  op.  cit., 
1895,  t.  VI,  p.  668  sq.  (H.  L.) 

1.  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  667,  673,  678,  681  sq.  Au  sujet  du  conflit  entre 
l'empereur  Frédéricler  et  le  pape  UrbainlII,  cf.  aussi  la  dissertation  de  Fr.  Meyer 
dans  les  Forschungen  zur  deutschen  Geschichte,  t.  xix,  p.  61  sq. 

2.  Cf.  la  lettre  de  Grégoire  aux  évêques  allemands,  dans  Watterich,  op.  cit., 
t.  II,  p.  685,  et  les  autres  renseignements,  op.  cit.,  p.  684,  687. 

3.  Cf.  ses  lettres  à  Tempereur  et  à  Volkmar,  dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  ir, 
p.  688,  690. 

4.  Grégoire  VIII,  du  21  octobre  au  17  décembre  1187.  Jaffé,  Regesla,  n.  16014  ; 
Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  686.   (H.  L.) 

5.  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  1747-1748;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2, 
col.  1889;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  659;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii, 
col.  509.  Charroux,  arrondissement  de  Civray,  département  de  la  Vienne.  (H.  L.) 

6.  Wilkins,  Conc.  Britann.,  t.  i,  p.  490;  Mansi,  Concilia,  Supplém.,  t.  ni, 
col.  722;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  512.  (H.  L.) 

7.  Mouzon,  arrondissement  de  Sedan,  département  des  Ardennes.  Coleti, 
Concilia,  t.  xiii,  col.  653;  Mansi,  Concilia,  Supplém.,  t.  ii,  col.  719;  Conc.  am- 
pl  ss.  coll.,  t.  XXII,  col.  509.  (H.  L.) 


637.    CONCILES     EN    1185-1187  1135 

il  n'y  eut  à  s'y  rendre  qu'une  partie  des  sufïragants  et  des  clercs, 
l'autre  partie  tenant  pour  Rudolf  et  l'empereur.  Aussi  les 
absents  furent-ils  punis  par  Volkmar  et  son  synode  :  Pierre, 
[734]  évêque  de  Toul,  fut  excommunié,  Henri  de  Verdun  déposé.  Ils 
firent  appel  à  Rome  et  le  pape  Grégoire  VIII  cassa  cette  sentence. 
Le  quatrième  dimanche  du  carême  de  1186,  s'ouvrit  à 
Dublin,  sous  la  présidence  de  l'archevêque  Jean,  un  synode  pro- 
vincial. Le  premier  jour,  l'archevêque  prêcha  sur  les  sacrements. 
Le  lendemain,  Albin,  abbé  de  Balkinglas,  prononça  un  discours 
sur  la  continence  des  clercs  :  autrefois,  dit-il,  les  clercs  irlandais 
menaient  une  vie  chaste,  mais  depuis,  ils  ont  été  corrompus 
par  les  mauvais  exemples  de  clercs  venus  du  pays  de  Galles 
et  de  l'Angleterre.  Le  discours  terminé,  plusieurs  clercs  du  comté 
de  Wexford  (au  sud-est  de  l'Irlande,  en  face  du  pays  de  Galles), 
originaires  du  pays  de  Galles,  s'accusèrent  mutuellement  d'avoir 
pris  femme  et  d'avoir  célébré  solennellement  leur  mariage  ; 
les  Irlandais  les  poursuivirent  de  leurs  huées,  et,  sur  la  demande 
de  l'archidiacre  Giraud,  l'archevêque  prit  des  témoins  et 
prononça  contre  les  coupables  la  peine  de  la  déposition.  Cet 
archidiacre  [Brechinensis)  ^,  homme  fort  recommandable  et  sa- 
vant historien,  était  né  dans  le  pays  de  Galles,  mais  il  avait  passé 
longtemps  en  Irlande,  en  qualité  de  commissaire  d'Henri  II,  et 
ce  fut  à  ce  titre  qu'il  assista  au  synode  de  Dublin.  Pour  venger 
dans  une  certaine  mesure  ses  compatriotes  si  durement  pris  à 
partie  par  Albin,  Giraud  prononça  à  son  tour  un  discours,  le 
troisième  jour,  sur  la  situation  religieuse  de  l'Irlande.  Il  loua 
d'abord  les  bonnes  qualités  du  clergé  irlandais,  en  particulier  son 
zèle  pour  le  jeûne,  que  presque  aucun  clerc  ne  rompait  avant 
le  soir;  mais  en  revanche,  il  n'en  était  presque  aucun  qui 
ne  s'enivrât,  ou  peu  s'en  faut,  pendant  la  nuit.  Les  évêques  et 
l)rélats  étaient  si  indifférents  aux  abus  que  beaucoup  de  laïcs  ne 
])ayaient  plus  la  dîme,  vivaient  dans  le  concubinage,  com- 
mettaient l'incesLe  et  n'allaient  plus  à  l'église.  On  ne  donnait 
pas  aux  enfants,  devant  la  porte  de  l'église,  l'enseignement  reli- 
gieux nécessaire,  et  on  négligeait  d'assurer  aux  morts  la  sépul- 
ture  ecclésiastique.    Un  autre  abus    révoltant  existait  dans    plu- 


1.  Bréchin,  comte  de  Forfar  (Ecosse),  est  probablement  difïérent  d'un  Brcchin, 
moins  connu,  en  IHande.  (H.  L.) 


1136  LIVRE    XXXIV 

sieurs  cantons  de  l'Irlande,  qu'iiii  liomme  épousât  la  femme  de 
son  frère  défunt.  Ce  discours  dérida  les  clercs  du  pays  de  Galles 
aux  dépens  des  Irlandais.  La  session  terminée,  l'archevêque 
demanda,  pendant  le  dîner,  à  l'évêque  Félix  ce  qu'il  pensait  du 
discours  de  l'archidiacre,  Félix  répondit  :  «  Il  a  dit  du  mal  de 
nous  d'une  manière  très  délicate,  car  il  nous  a  tout  simplement 
traités  d'ivrognes.  »  Giraud,  à  qui  nous  devons  ces  détails,  fut  [735] 
assez  irrité  de  cette  réponse  de  Félix  ^. 

Le  10  septembre  1186,  l'empereur  de  Byzance,  Isaac  l'Ange, 
réunit  en  concile  à  Constantinople  les  patriarches  de  Constanti- 
nople,  d'Antioche  et  de  Jérusalem  et  tous  les  évêques  présents 
dans  la  ville  (aJvoBoç  èvoY]^oûaa)  ^.  L'assemblée  avait  à  délibérer 
sur  un  abus  signalé  par  le  métropolitain  de  Cyzique  :  plusieurs 
évêques  avaient  pris  part  à  de  nombreuses  élections  épiscopales 
récentes,  sans  y  avoir  été  invités.  On  douta  et  on  nia  d'abord, 
puis  on  dut  reconnaître  que  la  plainte  était  fondée;  et  l'empe- 
reur prescrivit  qu'à  l'avenir  toute  élection  épiscopale  viciée  par 
la  présence  d'évêques  non  invités  serait  nulle  de  plein  droit. 

En  mars  1187,  Philippe,  archevêque  de  Cologne,  jadis  partisan 
zélé  de  l'empereur,  mais  depuis  deux  ans  son  ennemi  déclaré, 
réunit  à  Cologne  im  concile  provincial,  pour  délibérer  sur  les 
moyens  à  prendre  afin  de  soustraire  l'archidiocèse  à  la  malveillance 
de  l'empereur.  Le  monastère  des  prémontrés  à  Steinfeld  fut  re- 
connu dans  ses  droits  et  possessions.  Irrité  de  cette  assemblée,  l'em- 
pereur s'allia  avec  le  roi  de  France.  En  décembre  1187,  cette  alliance 
fut  scellée  par  une  entrevue  sur  les  frontières  des  deux  royaumes, 
entre  Mouzon  et  Yvois.  Comme  conséquence,  l'archevêque  Volk- 
mar  fut  exilé  de  France;  mais  il  reçut  bon  accueil  à  la  cour  du 
roi  d'Angleterre  -.  Nous  savons  enfin  que,  dans  les  huit  semaines  de 
son  pontificat,  le  pape  Grégoire  VIII  célébra  un  synode  à  Parme; 
mais  les  décisions  n'en  sont  pas  connues  ^. 


1.  Coleli,  Concilia,  t.  xni,  col.  G59;  Mansi,  Conc.  anipliss.  t.  xxii,  col.  523  sq.; 
Whai'loii,  Aii'f^lia  sacra,  t.  ii,  p.  486  sq. 

2.  Mansi,  Concilia,  Supplém.,  t.  ii,  col.  721;  Cojlc.  amplisn.  coll.,  t.  xxii,  col. 
504,  513.   (H.  L.) 

3.  Henri  d'Hcrford,  édit.  Potthast,  Gôttingen,  p.  IdS;  Annal.  M agdeb.,  dans 
Monum.  Germ.  Iiist.,  Script.,  t.  xvi^  p.  195;  t.  ni.  p.  162. 


G38.    TROISIÈME    GRANDE    CROISADE  1137 


[736]      638.  Troisième  grande  croisade  et  conciles  de  cette  époque 

jusquà  Innocent  III. 


Après  l'insuccès  de  la  seconde  croisade  prêchée  par  saint 
Bernard,  le  sultan  Noureddin  continua  presque  sans  relâche  à 
harceler  la  Palestine  chrétienne,  surtout  après  qu'il  eut  con- 
quis l'émirat  de  Damas  et  transféré  sa  résidence  dans  cette 
ville  (1154).  On  ne  peut  enregistrer  qu'un  seul  succès  de  quel- 
que importance  remporté  par  Baudouin  III  :  la  prise  d'Ascalon, 
boulevard  de  Jérusalem  en  face  de  l'Egypte,  dont  les  chrétiens 
s'emparèrent  à  l'automne  de  1153.  Le  roi  étant  mort  en  1162,  à 
l'âge  de  trente-deux  ans,  son  frère  Amaury  lui  succéda  et  songea 
à  tenter  une  entreprise  que,  dès  le  commencement  des  croisa- 
des, beaucoup  avaient  jugée  nécessaire  :  la  conquête  de  l'Egypte. 
Des  luttes  intestines  survenues  dans  le  royaume  des  Fatimides 
lui  facilitèrent  l'accès  du  pays  des  pharaons  et  les  événements 
paraissaient  devoir  lui  être  favorables,  mais  bientôt,  grâce  aux 
changements  de  la  politique,  les  choses  prirent  une  tournure 
qui  conduisit  son  royaume  à  la  ruine.  En  1168,  il  entreprit  une 
expédition  malheureuse  en  Egypte;  le  vizir  ou  sultan  Schaver, 
qui  gouvernait  au  nom  du  faible  khalife  Aded,  fut  ainsi  amené 
à  solliciter  le  secours  de  Noureddin,  leur  ennemi  commun  jusqu'à 
ce  jour.  Celui-ci  envoya  son  meilleur  général,  Shirkuh,  qui  obligea 
Amaury  à  battre  en  retraite,  puis  renversa  le  vizir  Schaver  et 
prit  à  sa  place  le  gouvernement  de  l'Egypte.  A  sa  mort,  qui  sur- 
vint peu  de  temps  après,  son  neveu  Saladin,  encore  mieux  doué 
que  lui,  lui  succéda  et,  après  la  mort  d' Aded,  fut  le  véritable  maître 
de  l'Egypte,  quoiqu'il  reconnût  en  apparence  la  suzeraineté  de 
Noureddin.  En  1169,  il  poussa  une  pointe  sur  le  royaume  de  Jéru- 
salem, conquit,  après  la  mort  de  Noureddin  (1174),  une  grande 
partie  du  territoire,  en  particulier  Damas,  et  devint  un  dange- 
reux voisin  pour  Jérusalem.  Depuis  1173,  le  trône  était  occupé 
par  un  enfant,  Baudouin  IV,  fils  d' Amaury,  et  les  rivalités  de  la 
régence  affaiblissaient  encore  le  royaume.  Bientôt,  le  jeune  roi, 
élève  de  Guillaume,  archevêque  de  Tyr,  fut  atteint  de     la     lèpre, 

CONCILES  — V  —72 


1138  LIVRE    XXXIV 

ce  qui  paralysa  son  activité  ^.  Dès  lors  commença  entre  Saladin  et 
les  chrétiens  une  suite  presque  ininterrompue  de  combats,  le  plus 
souvent  malheureux  pour  ces  derniers.  Baudouin  IV,  mort  en 
1184,  eut  pour  successeur  son  neveu  Baudouin  V,  encore  mineur 
(1184-118G),  ensuite  Gui  de  Lusignan  (second  époux  de  Sibylle,  [737] 
sœur  de  Baudouin  IV)  ^.  La  désunion  augmenta  parmi  les  chré- 
tiens :  on  en  vit,  comme  le  comte  Raimond  de  Tripoli,  faire 
cause  commune  avec  l'ennemi,  et  dans  la  grande  bataille  de 
Hittin,  livrée  le  4  juillet  1187,  près  du  lac  de  Génésareth,  le  roi 
Gui  fut  battu  et  fait  prisonnier  par  Saladin,  qui  s'empara  de  la 
vraie  croix  ^.  Le  9  juillet.  Saint- Jean-d' Acre  et,  le  4  septembre, 
Ascalon  tombèrent  au  pouvoir  des  infidèles;  le  3  octobre  1187, 
ce  fut  enfin  le  tour  de  Jérusalem;  partout  les  croix  furent 
renversées    et   les   églises   changées   en    mosquées  ^. 

Déjà  en  1169  ^,  puis  au  onzième  concile  général,  en  1179,  et 
cinq  ans  plus  tard  à  Vérone,  en  1184,  des  évêques  et  des  députés 
de  la  Palestine  avaient  imploré  du  secours  en  faveur  de  la  Terre 
Sainte.  Alexandre  III  et  Lucius  III  leur  donnèrent  des  lettres  de 
recommandation  pour  les  princes  de  l'Occident,  en  particulier 
pour  Philippe-Auguste,  roi  de  France,  et  Henri  II,  roi  d'Angleterre, 

1.  Baudouin  III,  mort  le  10  février  1162,  Amaury  lui  succède,  1162-1173. 
Cf.  Rohricht,  Geschichte  des  Kônigreichs  Jérusalem,  p.  312-342,  344  sq.  Sous  son 
règne,  Nur-ed-Din  prend  Gaza,  1170,  Damas,  2  nov.  1174,  et  il  est  vaincu  à 
Tell-Dschezer,  le  25  nov.  1177.  Rôhricht,  op.  cit.,  p.  376  sq.  Le  règne  de  Bau- 
douin IV  va  de  1173  à  1184  et  n'est  qu'une  régence  prolongée  sous  Gui  de  Lusi- 
gnan, qui  avait  épousé  Sibylle,  sœur  de  Baudouin  IV.  En  1184,  avènement  de 
Baudouin  V,  fils  de  Sibylle,  sous  la  tutelle  de  Raimond,  comte  de  Tripoli  ;  à 
la  mort  du  jeune  roi,  en  1186,  Gui  de  Lusignan  et  sa  femme  s'emparent  de 
la  couronne,  20  juillet,  tandis  que  Raimond  fait  alliance  avec  Nur-ed-Din,  puis 
se  réconcilie  avec  Gui.  Rôhricht,  op.  cil.,  p.  376-416.  (II.  L.) 

2.  Son  premier  mari  avait  été  le  marquis  Guillaume  de  Montferrat,  mort 
en  1177. 

3.  Rôhricht,  op.  cit,,  p.  422  sq.,  451  sq.  (H.  L.) 

4.  Chron.  Tcirœ  Sanclœ,  p.  249-250;  Ilincraria,  p.  22;  Robert  d'Auxcrrc,  p.  256; 
Rôhricht,  op.  cit.,  p.  464.  L'église  du  Saint-Sépulcre  fut  seule  épargnée  et  livrée 
aux  Grecs.  Annal.  Stad.,  ad  ann.  1188,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Scripl.,  t.  xvi, 
p.  351  ;  les  Syriens  rachetèrent  le  Saint-Sépulcre  moyennant  un  tribut  annuel  de 
40  000  pièces  d'or.  Peut-être  comptaient-ils,  pour  payer  cette  somme,  sur 
ralllucnce  et  la  générosité  des  pèlerins  occidentaux,  mais  le  pape  Clément, 
à  raison  des  dangers  que  les  fidèles  couraient  en  Orient,  leur  interdit  de  s'y 
rendre.  Cf.  Sigebert,  Con/inuaf.  ^çui'c,  dans  A/o/ium.  Germ.  hisl..  Script.,  i.  vi , 
p.  425;  Rôhricht,  o/>.  cit.,  p.  463  sq.   (H.  L.) 

5.  Reuter,  op.  cit.,  t.  m,  p.   576  sq. 


638.    TROISIÈME    GRANDE    CROISADE  113Ô 

qui  autorisèrent  la  prédication  de  la  croisade  dans  leurs  États. 
Le  résultat  en  fut  insignifiant  jusqu'au  moment  où  la  nouvelle 
de  la  prise  de  Jérusalem  par  Saladin  produisit  une  émotion  géné- 
rale ^  On  a  vu  Grégoire  VIII,  à  peine  élu,  envoyer  un  appel 
solennel  à  tous  les  chrétiens  ^.  Son  pontificat  ne  dura  même 
pas  deux  mois  (il  mourut  à  Pise  le  17  décembre),  et  dès  le  19 
décembre  1187  il  avait  pour  successeur  Clément  III.  D'habiles 
négociations  lui  permirent  de  rétablir  sa  résidence  à  Rome, 
à  la  satisfaction  des  Romains;  en  février  1188,  il  y  fit  son  entrée 
solennelle  ^.  Aussitôt  il  entama  des  négociations  amicales  avec 
l'empereur  d'Allemagne,  que  son  prédécesseur  Urbain  III  avait 
excommunié,  pour  solutionner  enfin  les  questions  qui  depuis  si 
longtemps    divisaient   l'Éghsc    et    l'empire    ■*.    Le    grand    événe- 

1.  Rôhricht,  Die  Rûstungen  des  Ahenlandes  zum  dritten  Kreuzzug,  dans  SyheVs 
Zeitschrifl,  1875,  t.  xxxiv,  p.  3;  Poetische  Klagen  ùber  den  Verlust  des  Heiligcn 
Landes,  dans  Zeitschrijt  d.  morgenldnd.  Ces.,  t.  xxvii,  p.  499-505.  510-517;  Rec. 
des  Inst.  crois.,  Armén.,  t.  i,  p.  272-307;  Rohricht,  dans  Miltheil.  d.  Insl.  Œsterr., 
t.  XII,  p.  485-488;  Chroust^  Tageno  Ansberl  und  die  Hist.  Peregrinorum  [Quellen- 
ArùiA-),  Graz,  1892,  p.  203-205;  Ymar  le  moine  ?,  Liber  (etrastrichus,  édition 
Riant,  1866;  Anonyme,  Elegi  versus,  édit.  Prutz,  dans  Forschungen,  1881, 
t.  XXI,  p.  457-494;  Rôhricht,  Geschichte  des  Kônigreichs  Jérusalem,  p.  488, 
n.  1.  (H.  L.) 

2.  Grégoire  VIII,  Episi.,  dans  Mansi,  Co?ic.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  527, 
531,  419.  Sur  Die  Kreuzzugsbullen  der  Pdpste,  cf.  Rôhricht,  dans  Briegers  Zeit- 
schrijt fiir  historische  Théologie,  t.  vi,  p.  550-572;  Kleine  Studieji,  Berlin,  ISdO, 
n.  2;  Wolfram,  dans  Zeitschrijt  jilr  deutsches  Allertum,  1886,  p.  89-132;  Nadig 
Gregors  VIII  57tàgiges  Pontifikat,  Basel,  1890,  p.  95,  n.  2;  Jafïé-Lœwenfeld, 
Reg.  pontij.  rom.,  n.  16013  sq.,  16018  sq.,  16034,  16073-16075,  16078,  16106; 
H.  Schindler,  Die  KreuzzUge  in  der  provenzalischen  und  mittelhochdeutschen 
Lijrik,  in-8,   Dresden,  1889.   (H.  L.) 

3.  Cf.  le  traité  de  paix  du  31  mai  1188,  dans  Watterjch,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  699  sq. 

4.  Le  pape  déblaya  le  terrain  en  s'entendant  avec  Frédéric.  Grégoire  VIII 
avait  pr'paré  les  voies.  Nous  avons  dit  que  le  pape  Urbain  III  avait  élevé  Volk- 
mar  au  rang  d'archevêque  et  de  légat;  à  ce  dernier  titre,  il  l'avait  chargé  de 
présider  le  concile  de  Mouzon  (15  février  1187),  où  Volkmar  s'empressa  d'excom- 
munier ceux  qui  ne  s'étaient  pas  rendus  à  la  convocation.  Grégoire  VIII,  qui 
était  excédé  de  ce  Germain,  cassa  la  sentence  et  fit  savoir  à  Volkmar  qu'il  lui 
interdisait  désormais  ne  ad  excommunicationem  vel  depositionem  personarum  Tre- 
virensis  provincise  sine  conscientia  et  licentia  procédât.  Mansi,  Conc.  ampliss., 
coll.,  t.  XXII,  col.  509-512;  Watlerich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  669  sq.,  690;  en  même 
temps,  il  écrivait  poliment  au  roi  des  Romains  :  Imprimis  itaque  omnia,  que 
Romani  imperii  jure  essenf,  eidem  régi  [Hetirico]  concedere  spopondil,  afjirmans 
non  esse  lulum  pape  et  cardinalibus  arma  capere,  bcllum  committere,  sel  tantum  in 
elemosinis  et  in  ecclesia  laudes  Domino  nostro  Jesu  Christo  die  nocluquc  reddendas, 


1140 


LIVRE    XXXIV 


ment  de  son  pontificat  fut  toutefois  la  troisième  croisade, 
à  laquelle  il  eut  une  grande  part  i.  Non  seulement  il  ordonna  dans 
toutes  les  églises  des  prières  publiques  pour  la  reprise  de  Jérusalem 
et  la  délivrance  des  chrétiens  captifs,  mais  il  envoya  des  lettres  et 
des  légats  aux  princes  d'Occident,  les  excitant  à  la  guerre  sainte,  rr^ooi 
leur  promettant  des  bénédictions  spirituelles.  Dans  ces  prédica- 
tions pour  la  croisade  se  distingua  Guillaume,  archevêque  de 
Tyr,  historien  des  croisades,  c|ui,  après  la  bataille  de  Hittin  ou 
de  Tibériade,  revint  en  Europe,  où  ses  paroles  obtinrent  le  plus 
grand  succès.  Un  grand  enthousiasme  pour  la  Terre  Sainte 
s'empara  de  tous,  rappelant  celui  de  la  première  croisade;  les 
derniers  malheurs  survenus  en  Orient  avaient  réchauffé  la  tiédeur 
générale  causée,  depuis  quarante  ans,  par  l'insuccès  de  la  seconde 
croisade.  Guillaume  II,  roi  de  Sicile,  qui  jusqu'alors  avait  em- 
pêché les  pèlerins  de  se  rendre  en  Palestine,  envoya  en  Syrie  une 
flotte  de  cinquante  galères,  montée  par  cinq  cents  chevaliers,  et 


lit-on  dans  les  Ann.  roman.,  ad  ann.  1187,  dans  Moniim.  Germ.  hist.,  Script.^ 
t.  V,  p.  479.  Ce  sont  là  des  choses  gracieuses^  mais,  pour  y  voir  la  cession  des 
biens  de  la  comtesse  Mathilde,  il  faut  une  pénétration  que  nous  laissons,  sans  la 
leur  envier,  à  Scheiïer-Boichorst,  op.  cit.,  p.  151;  Tôche,  op.  cit.,  p.  87;  Giese- 
brecht-Simpson,  op.  cit.,  1895,  t.  vi,  p.  172  sq.  (H.  L.) 

1.  Jafîé-Lôwenfeld,  Regesia,  n.  16102,  16252,  16373,  16433,  16461-16463, 
16634;  Rôhricht,  Reg.,  n.  658-661,  663,  664,  669,  670,  676,  678,  681,  687,  688  ; 
cf.  Zeitschrift  fiir  deutsche  Philologie,  t.  xxiii,  p.  416  sq.  ;  Gcschichte  des  Kiinig- 
reichs  Jérusalem,  p.  489  sq.  Pour  les  sources  de  la  troisième  croisade  :  Lettres 
des  papes,  P.  L.,  t.  ccii,  cciv,  ccvi;  Lettres  des  chrétiens  de  Syrie,  P.  L.,  t.  cci; 
Tageno,  Descriptio  expeditionis  Asiaticœ  Friderici,  1189-1190,  dans  Monum. 
Germ.  hist..  Script.,  t.  xvii,  p.  509-517;  cf.  'RiQzXev,  Der  Kreuzzug  Kaiser  Fried- 
richs  I,  dans  Forschungen  zur  d.Geschichte,  1870,  t.  x,  p.  149;  Ansbert  ?,Hisioria 
de  expedilione  Friderici  imperatoris,  1189-1196,  dans  Fontes  rerum  Austriaca. 
runi,  Script.,  t.  v,  p.  i-'ùO -jEpislola  de  morte  imperatoris,  dans  Monum.Germ.  hist., 
Script.,  t.  XX,  p.  494,  496.  Pour  le  siège  de  Saint-Jean-d'Acre  :  Ambroise,  L'Es- 
toire  de  la  guerre  sainte,  édit.  P.  Paris,  dans  Documents  inédits  de  l'hist.  de  France, 
1877;  Ymar  le  moine,  De  expugnata  Accone  liber  telrastichus,  édit.  Riant,  Lyon, 
1866;  Richard  de  Winchester,  Chronicon  de  rébus  gcstis  Ricardi  régis,  1189-1192, 
édit.  Howlett;  Chronicles  of  the  reign  of  Stephen,  1868;  Annalium  Salisbor- 
gensium  addi'amenlum,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Scripl.,  t.  xiii,  p.  238-240. 
Pour  Henri  VI,  Otton  de  Saint-Biaise,  Chronicon,  dans  Monum.  Germ.  hist., 
Script.,  t.  XX,  p.  302-324  ;  Gesta  Heinrici  VI,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script., 
t.  XXII,  p.  334-338;  Bernard  d'Ursperg,  Chronicon,  dans  Monum.  Germ.  hist.. 
Script.,  t.  XXIII,  p.  333-338;  Annal.  Marbacc,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script., 
t.  XVII,  p.  142-180;  Sicard  de  Crémone,  Chronicon,  et  Arnold  de  Lubeck,  Chron. 
Slavor.,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xx.  (H.  L.) 


638.    TROISIÈME    GRANDE    CROISADE  1141 

sauva  ainsi  AnLioche  en  grand  péril.  La  mort  de   Guillaume,  sur- 
venue sur  ces  entrefaites,  l'empêcha  de  faire  davantage  ^.    Son 
beau-frère  Richard  Cœur  de  Lion,  alors  comte  de  Poitou,  fut  le 
premier  de  tous  les  princes  à  prendre  la  croix.  Son  père,  Henri  II, 
roi  d'Angleterre,  refusait  d'abord  d'approuver  ce  projet;    mais, 
le  21  janvier  1188,  sous  un  vieil  ormeau,  à  Gisors,  sur  la  limite 
de  la    France    et    de   la    Normandie,    il    signa    la    paix   avec    son 
ancien  rival,  Philippe-Auguste,  roi  de  France,  afin  que  les  deux 
rois  pussent,   avec  leurs  grands,  prendre    la    croix.    C'est    Guil- 
laume de  Tyr  qui  avait  obtenu  ce    résultat;  les  contemporains 
parlent   même   des   miracles   qui  accompagnaient  sa   parole.    Les 
Français  adoptèrent  des  drapeaux  rouges,  les  Anglais  des  dra- 
peaux blancs,  et  les  Flamands,  des  drapeaux  verts.  Le  terrain  où 
se  produisit  cet  accord  pour  marcher  au  secours  de  la  Terre  Sainte 
fut  appelé  le  «  champ  béni  »,  et  on  y  planta  une  croix.  Aussitôt  après 
le  roi  d'Angleterre    réunit    les     grands    et    les    prélats  de  la  Nor- 
mandie et  de  ses  autres  provinces   de   France,   en  une  sorte  de 
concile  qui  se  tint  au  Mans,  et  on  y  décida  que  tout  fidèle  devait, 
sous   peine   d'excommunication,    olîrir    pour    la    Terre  Sainte  la 
dîme  de  ses  revenus  et  de  ses  biens  meubles  ^.    Etaient  seuls    ex- 
ceptés les  clercs  et  les  hommes  de  guerre  qui  prendraient  la  croix; 
sauf,  cependant,  les  bourgeois  et  les  paysans  qui  partiraient  à  la 
croisade  sans  l'autorisation  de  leurs  seigneurs.  Cette  dîme   devait 
être  prélevée  sur  tout;  on  n'exceptait  que  les  pierres  précieuses 
des  clercs  et  des  laïcs,  les  chevaux,  les  armes    et   les   habits    des 
milites   et    enfin    les    livres    et    objets    religieux   des  clercs.  Qui- 
conque prend  la  croix  aura  le   pardon    de  ses  fautes,  de  par  l'au- 
torité de  Dieu  et   des  saints  apôtres,    s'il  est  contrit  et    confessé 
(c'est-à-dire    avec  remise    de    la    peine    temporelle    par    l'indul- 
gence). Désormais    chacun    s'abstiendra    des    jurements,    ne  por- 
[739]    le^a  pas    d'habits  précieux  à  partir  de   Pâques;   dans  les  repas, 
un  ne  prendra  pas  plus   de  deux   plats;   enfin   on    se    gardera    de 


1.  F.  Chalaiidon,  Ilisloire  de  la  dominai  ion  norviaitde  en  Italie  et  en  Sicile, 
L.  II,  p.  304-39G,  416-417. Guillaume  II  luouruL  à  Palernic,  le  18  novembre  1189. 
(II.  L.) 

2.  Avant   le   30    janvier   1188,   Labbe,   Concilia,  t.    x,    col.   1760;  Ilardouiu 
Conc.  coll.,  l.  VI,  part.  2,  col.  1800;    Dessin,   Conc.    Rolomag.,t.  i,  p.  03;    Coleti, 
Concilia,  l.  xiii,  col.    673;    Maiisi,    Conciliorum   amplisdma     collcctio,   t.     xxii;, 
col.  576.  (H.  L.) 


1142  LIVRE    XXXIV 

paraître  au  dehors  en  compagnie  de  femmes  de  mauvaise  réputa- 
tion ^.  L'assemblée  prescrivit  la  manière  de  prélever  cette  dîme,  et 
le  roi  désigna  des  clercs  et  des  laïcs  pour  la  percevoir  dans  les  pro- 
vinces du  continent.  Dès  le  mois  de  février  1188,  Henri  II  regagna 
l'Angleterre,  et  au  synode  de  Geddington,  près  de  Northampton, 
fit  approuver  les  décisions  du  Mans  ^.  Baudouin,  archevêque  de 
Cantorbéry,  et  Gilbert,  évêque  de  Rochester,  prêchèrent  avec 
succès,  si  bien  que  plusieurs  milliers  de  personnes  prirent  la  croix.  A 
leur  Icle  se  trouvait  l'archevêqueBaudouin  lui-même,  qui,  pendant 
le  carême  suivant  (du  2  mars  au  17  avril),  parcourut  tout  le  pays  de 
Galles,  accompagné  de  Gervais  de  Cambrai,  pour  prêcherla  croisade. 
On  établit  aussi  en  Angleterre  des  employés  pour  prélever  ce  qu'on 
appelait  alors  la  dîme  de  Saladin,  et  on  dressa  une  liste  de  tous 
les  riches  bourgeois  :  Londres  en  comptait  deux  cents,  et  York 
une  centaine  seulement.  Les  juifs  durent  payer  leur  quote-part.  En 
Ecosse,  dont  le  roi  était  vassal  de  celui  d'Angleterre,  on  devait 
établir  la  môme  organisation;  mais  le  roi  d'Ecosse  convoqua  les 
évêques  et  les  grands  de  son  royaume  et  leur  avis  fut  de  refuser 
de  payer  la  dîme,  sauf  à  se  libérer  en  une  fois  par  une  somme  de 
5  000  marcs  d'argent  ^. 

Le   roi   de    France   imita   le   roi   d'Angleterre.    Il   convoqua  un 
synode    à    Paris,    en    mars    1188  "*.     Plusieurs     milliers    de    per- 

1.  Tout  ceci  était  fort  édifiant;  il  est  regrettable  que  les  habitants  du  royaume 
chrétien  de  Jérusalem  n'aient  guère,  avant  leurs  déboires,  donné  l'exemple 
des  mêmes  vertus.  Césaire  d'Hesterbach^ -DtV/?.  ?/(i/-(7c.,  iv,  c.  xv,  édit.  StrangCj 
t.  I,  p.  187,  qui  n'appelle  les  choses  que  trop  par  leur  nom,  nous  dit  tout  net  de 
ces  chrétiens  de  Palestine  :  Ita  ornnes  gulie  et  carnis  illecebris  dediii  erant,  ut 
nihil  omiiino  a  pecuribus  difjerrent.  Guillaume  de  Tyr,  HisL,  1.  XXI,  c.  vu,  qui 
possède  l'ampleur  et  le  nombre  épiscopal,  ne  le  contredit  pas  pourtant 
quand  il  s'exclame  :  filii  perdilissimi,  filii  scelerati;  le  patriarche  Héraclius, 
Bohémond  d'Antioche  sont  de  vulgaires  débauchés.  Guillaume  de  Tyr,  Hisl., 
1.   XXII,  XXIII,  p.  852,  889;  Rôhricht,  op.  cit.,  p.  365,  392.  (H.  L.) 

2.  Haddan  et  Stubbs,  Councils  and  ecclesiaslical  documenls,  t.  i,  p.  388;  t.  ii, 
p.  272;  Gervais  de  Cantorbéry,!,  p.  409  sq.;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii, 
col.  577;  Gottlob,  Die  pàpsllichen  Kreuzzugssteurn,  p.  3-5,  167-170,  175;  Archer, 
The  crusade  of  Richard  I,  in-8,  London,  1888;  Annal.  Salisburg.,  dans  Monum. 
Germ.  hisl.,  Script.,  t.  xiii,  p.  238-240.  (H.  L.) 

3.  Donc,  on  gagnait  à  se  libérer  en  une  fois;  si  les  Écossais  le  faisaient,  cela 
n'est  pas  douteux.  (II.  L.) 

4.  Le  27  mars  1188.  Coll.  regia,  t.  xxviii,  col,  45;  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col. 
763;  Ilardouin,  Concilia,  t.  vi,  part.  2,  col.  1901;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col. 
675;  Mansi,  Concilia,  t.  xxii,  col.  588.  (H.  L.) 


638.     TROISIÈME     GRANDE     CROISADE  1143 

sonnes  prirent  la  croix;  la  dîme  de  Saladin  fut  décrétée  sur  tous 
les  revenus  et  tous  les  biens  meubles.  On  exceptait  seulement 
ceux  qui  prendraient  la  croix,  les  cisterciens,  les  chartreux, 
l'ordre  de  Fontevrault  et  les  lépreux.  L'assemblée  réglementa 
minutieusement  cette  dîme  et  sa  perception,  et  accorda  à  ceux 
qui  prendraient  la  croix  de  grands  avantages  financiers;  ainsi, 
ils  avaient  pour  payer  leurs  dettes  un  délai  de  trois  ans,  à 
[MUj  partir  du  jour  où  ils  prenaient  la  croix,  et  ils  devaient  être  pen- 
dant ce  temps  dispensés  de  tout  impôt.  Une  lettre  du  célèbre 
Pierre  de  Blois  à  l'évêque  d'Orléans  nous  fait  voir  combien 
cette  dîme  de  Saladin  fut  une  lourde  charge,  même  pour  les 
mieux  intentionnés.  Cette  lettre,  en  effet,  se  résume  en  cette  idée  : 
«  Une  croisade  qui  est  la  ruine  des  églises  et  des  pauvres  ne  sau- 
rait être  bénie  de  Dieu  ^.    » 

En  Allemagne,  l'empereur  Frédéric  Barberousse  reçut  amica- 
lement le  légat  du  pape  à  la  diète  de  Strasbourg  ^  (1^^*  décembre 
1187);  les  premiers  discours  eurent  peu  de  succès  jusqu'à  ce 
que  Henri,  évêque  de  Strasbourg,  déterminât  par  ses  énergiques 
paroles  ^  un  grand  nombre  de  chevaliers  à  prendre  la  croix. 
L'empereur  réserva  sa  décision  jusqu'à  la  diète  qu'il  voulait 
tenir  à  Mayence,  sous  le  titre  de  Curia  Dei,  à  la  mi-carême  de 
cette  même  année  (27  mars  1188)  [dimanche  de  Lsetare  Jeru- 
salein].  Henri,  cardinal-évêque  d'Albano,  y  assistait.  Peu  de  temps 
auparavant  (2  février  1188),  il  avait  célébré  à  Liège  un  concile 
contre  les  simoniaques,  et  à  cette  occasion  plusieurs  centaines  de 
personnes  prirent  la  croix  ^.  Il  y  a  tout  lieu  de  croire  que,  grâce 
à  ses  pressantes  sollicitations,  l'archevêque  Philippe  de  Cologne 
se  soumit    enfin     et    se  réconcilia  à    Mayence  avec  l'empereur^; 


1.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  1188,  n.  9  sq. 

2.  Le  cardinal-lcgat  Henri  d'Albano,  déjà  chargé  par  Grégoire  VIII  de  prêcher 
la  croisade  en  France  et  en  Allemagne,  et  dont  la  mission  avait  été  confirmée 
par  Clément  III,  ne  parut  pas  personnellement  à  Strasbourg,  mais  il  y  envoya 
deux  personnes  de  sa  suite.  \Yatterich,  op.  cil.,  t.  ii,  p.  691,  note  1.  Au  sujet  de 
«la  croisade  de  l'empereur  Frédéric  Ic»^  cf.  la  dissertation  très  documentée 
de  Rie/ler,  For.ich.  zur  deutsch.  Gcsch.,  t.  x,  1870,  p.  3  sq. 

3.  Cf.  son  discours  dans  Canisius,  Lect.  anilquœ,  t.  m,  part.  2,  p.  502. 

4.  Moniim.  Gcrman.  hist.,  Script.,  t.  xvi,  p.  649;  t.  xxi,  p.  555. 

5.  Il  envoya  un  appel  à  tous  les  prélats  et  seigneurs  allemands  ]>our  venir  à 
Mayence.  Mansi,  o/k  cit.,  t.  xx,  col.  539;  Watterich,  i>p.  cit.,  t.  ii,  p.  GD'i  sq.  ; 
Annal.  Colon,  maxim.,  dans  Mouuin.   Ccriti.  hisl.,  Scripl.,  t.  xvii,     p.     794.  [A 


1144  LIVRE     XXXIV 

le  principal  orateur  y  fut  le  chancelier  impérial  Godefroi. 
évêque  de  Wurzbourg,  qui  a^  ail,  lui-même  pris  la  croix.  L'em-  [741] 
pei'eur,  son  fils  Frédéric,  duc  de  Souabe,  un  grand  nombre 
d'évêques  et  de  princes  et  une  multitude  infinie  de  nobles  prê- 
tèrent alors  le  serment  solennel.  Toutefois  l'empereur  ne  permit 
de  se  croiser  qu'à  ceux  qui  pouvaient  se  procurer  des  armes  et 
qui  étaient  en  état  de  s'entretenir  à  leurs  frais  pendant  deux  ans  ^. 
On  décida  que  les  préparatifs  de  l'expédition  seraient  termi- 
nés dans  le  délai  d'un  an  et  que  le  départ  de  l'armée  aurait  lieu 
le  jour  de  saint  Georges  (23  avril  1189).  L'empereur  envoya 
des  lettres  et  des  ambassadeurs  au  roi  de  Hongrie,  à  l'empereur 
de  Constantinople  et  au  sultan  d'Iconium  2,  leur  demandant 
passage  dans  leurs  Etats.  Ils  promirent  tout  ce  qu'on  voulut, 
sauf  à  ne  pas  tenir;  on  n'en  conclut  pas  moins  un  traité  pro- 
prement dit  avec  les  Byzantins,  à  la  diète  de  Nuremberg,  où 
l'on  vit  également  les  ambassadeurs  de  Kilig  Arslan,  sultan 
d'Iconium,  environnés  de  la  plus  grande  magnificence  ^. 
Frédéric  députa  à  Saladin  lui-même  le  comte  Henri  de  Diez, 
pour  lui  demander  de  rendre  Jérusalem  et  la  sainte  croix  ou 
de  se  préparer  à  la  guerre  *.  Ce  fut  probablement  aussi  dans 
cette  assemblée  que  le  légat,  Henri  d'Albano,  publia  l'encyclique 
engageant  clercs  et  laïcs  à  renoncer  à  leurs  vices  afin  de 
se  rendre  dignes  de  reprendre  la  Terre  Sainte.  Il  y  prescrit 
des     jeûnes    sévères    et    s'élève    énergiquement    contre    le    luxe 


Mayencc,  13  000  fidèles  prirent  la  croix.  Annales  Mnrbaccnses,  dans  Monum. 
Germ.  hisL,  Script.,  t.  xvii,  p.  164;  L.  Bréhier,  L'Église  et  l'Orient  au  moyen 
âge.  Les  croisades,  in-12,  Paris,  1907,  p.  119.  (H.  L.)] 

1.  D'après  Otton  do  Freisingen,  Continuât.  Sanblas.,  dans  Monum.  German. 
hist..  Script.,  t.  xx,  p.  319,  il  exigea  des  plus  pauvres  au  moins  trois  marcs 
d'argent. 

2.  A  son  sujet,  cf.  Sijbel's  Zeitschrift,  1870,  p.  372. 

3.  Annal.  Colon,  max.,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xvii,  p. 795;  Otton 
de  Freisingen,  Contin.,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xx,  p.  319. 

4.  Expeditio  Asiatica  Friderici  imp.,  dans  Canisii-Basnage,  Thesaur.  monum., 
t.  m,  p.  II,  502  sq.;  cf.  Forschungen  zur  dcuisch.  Gesch.,  t.  xiii,  p.  316  sq.  ; 
Otton  de  Saint-Biaise,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xx,  p.  3\^;  Annal. 
Colon,  maximi,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xvii,  p.  794.  La  lettre  de 
l'empereur  à  Saladin,  dans  Baronius,  Annales,  ad  ann,  1188,  a.  17  sq.,  est  cer- 
tainement apocryphe.  J'ai  peu  de  confiance  également  dans  la  prétendue  réponse 
de  Saladin  [ibid.,  n.  19)  que  Wilken,  op.  cit.,  p.  52,  regarde  comme  authentique. 
Cf.  Riezlcr,  op.  cit.,  p.  109. 


638.    TROISIÈME    GRANDE    CROISADE  1145 

des  habits,  l'avarice,  la  passion  de  la  chasse  et  la  luxure  des  clercs  ^. 
Peu  de  temps  après,  la  Pologne,  le  Danemark  et  toute  l'Europe 
septentrionale  déployèrent  à  leur  tour  leur  zèle  pour  la  sainte 
cause,  et  les  synodes  polonais  de  Lenczig^  et  de  Cracovie  ^  décrc- 
[742]  tèrent,  en  1188  et  1189,  la  dîme  de  Saladin. 

Ces  préparatifs  furent  troublés  par  la  guerre  qui  éclata  entre 
les  rois  de  France  et  d'Angleterre.  Raimond,  comte  de  Saint-Gilles, 
ayant  pillé  quelques  marchands,  sujets  de  Richard  Cœur  de  Lion, 
comte  de  Poitou,  fut  attaqué  par  ce  dernier.  Ces  deux  princes 
ayant  pris  la  croix,  Raimond  dénonça  l'attaque  de  Richard  comme 
une  transgression  de  la  paix  de  Gisors;  le  roi  de  France  lui 
donna  raison  et  demanda  des  explications  et  une  satisfaction 
suflisante  au  roi  d'Angleterre,  père  de  Richard.  N'ayant  obtenu 
qu'une  réponse  évasive,il  envahit  et  ravagea  les  terres  de  Richard; 

1.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  538,  540  sq. 

2.  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  1765,  1830;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2, 
col.  1905;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  679;  Mansi,  Conc.  atiipliss.  coll.,  t.  xxii. 
col.  581.   (H.  L.) 

3.  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  1830;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col. 
1909;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  685;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col. 
582.  «  Rien  n'est  plus  instructif  que  l'organisation  de  cette  croisade  qui  révèle 
en  Europe  des  conditions  politiques  toutes  différentes  de  celles  de  la  fin  du 
xi^  siècle.  L'enthousiasme  est  encore  très  grand  et  continue  à  produire  de  véri- 
tables miracles^  mais  il  est  étroitement  contenu  et  limité  par  les  intérêts  des 
souverains.  La  diplomatie,  qui  avait  joué  son  rôle  en  1095,  prend  une  place  de 
plus  en  plus  grande  dans  la  préparation  de  la  croisade.  La  chrétienté,  dans  son 
ensemble,  a  une  politique  extérieure  dont  les  papes  ont  la  pleine  conscience 
et  dont  ils  défendent  les  intérêts  contre  les  litiges  particuliers  qui  affaiblissent 
leur  action.  Avant  de  se  lancer  aveuglement  sur  la  route  de  la  Palestine,  les 
chefs  de  la  croisade  cherchent,  par  des  négociations,  à  s'assurer  l'alliance  des 
princes  dont  ils  vont  traverser  les  terres.  Philippe-Auguste  et  Richard  Cœur 
de  Lion  sont  les  amis  du  roi  de  Sicile;  Frédéric  Barberousse  envoie  ses  ambas- 
sadeurs aux  rois  de  Serbie  et  de  Hongrie,  à  l'empereur  Isaac  l'Ange,  au  sultan 
d'Iconium,  ennemi  de  Saladin,  à  Saladin  lui-même,  à  qui  il  adresse  un  ulti- 
matum. Enfin,  du  côté  musulman  aussi,  la  lutte  change  de  caractère.  Jusque-là 
les  chrétiens  n'ont  eu  affaire  qu'à  des  tronçons  d'États,  séparés  les  uns  des 
autres  par  des  jalousies  politiques  et  religieuses  :  maintenant  ils  ont  devant 
eux  un  chef  que  la  prise  de  Jérusalem  a  couvert  de  gloire  dans  le  monde 
musulman  et  qui  dispose  à  la  fois  des  forces  de  l'Egj'pte  et  de  l'Asie.  Contre  les 
chrétiens,  Saladin  fait  prêcher  la  guerre  sainte  et  organise  comme  une  contie- 
croisade.  Jamais  les  adversaires  en  présence  n'avaient  eu  rintelligcnce  aussi 
complète  de  l'importance  de  la  lutte  qui  allait  s'engager;  jamais  la  croisade 
n'avait  encore  pris  aussi  nettement  ce  caractère  de  duel  entre  la  chrétienté  et 
l'islam.  M  L.  Bréhier,  op.  cit.,  p.  120-121.  (H.  L.) 


1146  LIVRE    XXXIV 

mais  Henri  II  vint  au  secours  de  son  fils,  et  la  guerre  commença, 
au  grand  mécontentement  des  vassaux,  (jui  déclarèrent  haute- 
ment une  pareille  guerre  en  opposition  avec  les  engagements 
de  la  croisade;  les  deux  rois  furent  ol)ligés  d'ouvrir  des  négo- 
ciations (novembre  1188)  à  Bonmoulin  dans  le  Perche,  où  le 
cardinal  d'Albano  s'entremit  pour  procurer  la  paix.  Il  obtint  un 
armistice  jusqu'au  13  janvier  1189;  mais  la  désunion,  qui  avait  si 
souvent  armé  les  uns  contre  les  autres  les  membres  de  la  famille 
d'Henri  II,  se  raviva.  Depuis  la  mort  du  jeune  roi  Henri  III,  le 
prince  Richard  était  devenu  l'héritier  présomptif  du  trône;  mais 
le  père  éludait  toute  déclaration  formelle,  et  refusait  même  de 
lui  accorder  sa  fiancée,  la  princesse  française  Alice,  fiancée  dès 
sa  petite  enfanôe  et  depuis  lors  élevée  à  la  cour  d'Angleterre.  Le  roi 
la  tenait  recluse  au  château  de  Winton,  soit  c{u'il  ressentît  pour  elle 
une  grande  passion,  au  dire  de  quelques  historiens,  soit  qu'il  la 
destinât  avec  la  couronne  à  son  plus  jeune  fils  Jean  sans  Terre, 
au  détriment  de  l'aîné.  Par  esprit  de  vengeance  contre  son 
père,  Richard  fit  cause  commune  à  Bonmoulin  avec  le  roi 
de  France  et  lui  prêta  serment  de  vassalité.  Peu  après,  le 
cardinal  Henri  excommunia  Richard  comme  l'auteur  de  la 
guerre;  bientôt  il  mourut  à  Arras,  en  décembre  1188  ^.  Afin 
de  continuer  les  négociations,  le  pape  envoya  en  France 
le  cardinal  Jean  d'Anagni,  qui  obtint  que  les  deux  rois 
entreraient  en  pourparlers.  A  l'assemblée  de  la  Ferté-Bernard  ^, 
le  16  juin  1189,  on  décida  de  recourir  à  une  décision  arbitrale  du 
cardinal  et  des  archevêques  de  Reims,  de  Bourges,  de  Rouen  [743] 
et  de  Cantorbéry.  Quiconque,  sauf  les  deux  rois,  mettrait 
obstacle  à  la  paix  serait  excommunié  ^.  Cependant  la  lutte 
continua;  quelques  jours  après,  le  prince  Jean  sans  Terre  et 
un    grand    nombre    de    seigneurs    anglais    trahirent    le    vieux   roi 


1.  Henri  de  Marcy,  cistercien,  abbé  de  Hautecombe,  11  GO;  de  Clairvaux, 
1176;  cardinal-cvêque  d'Albano,  14  mars  117'J;  li'gat,  mort  ic  1'"'' janvier  1 189. 
Brial,  dans  Recueil  des  hist.  de  la  France,  t.  xni,  p.  174;  t.  xiv,  p.  civ-cv;  His- 
toire liltéraire  de  la  France,  t.  xiv,  p.  451-462;  D.  Ceillier,  Uist.  gêner,  auteurs 
ccclésiasliques,  t.  xiv,  p.  797-801;  llenriquez,  Fascic.  SS.  cisicrc,  1631,  p.  356, 
369;  A.  Molinier,  dans  la  Grande  encyclopédie;  P.  L.,  l.  clxxxv,  col.  627;  t.  cciv, 
co!.  211.  (H.  L.) 

2.  La  Ferlé-Bernard,  arrondissement  de  Mamers,  département  de  la  Sarthc 
{II.  L.) 

3.  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  703. 


G38,     TROISIÈME     GRANDE     CROISADE  1147 

Henri  II,  qui,  contraint  pas  les  revers,  fut  obligé  de  conclure  la 
paix  aux  plus  dures  conditions.  Il  maudit  ses  enfants  rebelles 
et  mourut  presque  aussitôt,  à  Chinon  près  de  Tours,  le  6  juillet 
1189  K 

Sur  ces  entrefaites,  l'empereur  Frédéric  partit  de  RaLisbonnc 
au  printemps  de  1189  ^,  avec  l'armée  des  croisés  allemands;  à 
peine  quebjues  groupes  avaient-ils  préféré  se  rendre  par  mer  en 
Palestine.  A  Vienne,  l'empereur  fut  reçu  avec  honneur  par  le  duc 
Léopold,  qui  hébergea  toute  l'armée.  Toutefois  on  ne  put  décider  le 
duc  à  prendre  immédiatement  part  à  la  croisade  à  cause  de  la 
situation  présente  de  la  Styrie  et  de  la  Hongrie.  Les  fêtes  de  laPente- 
côte  se  célébrèrent  à  Presbourg  (28  mai),  où  Frédéric  prit  congé 
des  princes  qui  avaient  voulu  l'accompagner  jusque-là.  Ils  s'en 
revinrent  après  que  Barberousse  eut  pris  les  mesuros  néces- 
saires pour  le  gouvernement  du  royaume  et  choisi  son  fds 
aîné  Henri  pour  le  remplacer.  On  n'a  pas  de  données  positives 
sur  le  nombre  des  croisés  ^;  cependant  on  peut  estimer  que 
l'armée,  après  avoir  reçu  tous  ses  renforts,  devait  compter 
100  000  combattants.  Elle  s'accrut  encore  de  2  000  nouveaux 
croisés  de  Hongrie,  conduits  par  Geisa,  frère  du  roi  Bêla,  qui, 
à  la  prière  de  l'empereur,  avait  donné  son  autorisation  *.  Du 
reste,  Bêla  vint  de  toutes  manières  au  secours  des  pèlerins,  qui 
furent  bien  reçus  à  Gran,  capitale  du  royaume,  où  le  roi  vint 
en  personne  saluer  l'empereur.  Bêla  fiança  sa  fdle  à  Frédéric  de 
Souabe,  second  fils  de  l'empereur.  Le  31  mai,  Frédéric  quitta 
Gran  ^,  escorté  jusqu'à  Ofen  par  Bêla,  et  un  mois  plus  tard  il 
744]  arriva  sur  les  frontières  de  la  Serbie.  L'empereur  sut  maintenir  un 
ordre  et  une    discipline  sévères,  n'hésita  pas  à  faire  exécuter  quel- 

1.  A.  Luchairc,  Louis  VII,  Philippe-Auguste,  Louis  VIII,  dans  Lavisse, 
Histoire  de  France,  1901,  t.  m,  part.  1,  p.  90-102.  (H.  L.) 

2.  Frédéric  partit  de  Ratisbomie  le  11  mai  1189,  avec  100  000  hommes,  d'après 
les  chroniqueurs. 

3.  Arnold  de  Lubeck  rapporte  que,  lors  du  passage  de  la  Dravo,  on  procéda 
à  un  recensement  comme  on  l'avait  fait  pour  la  deuxième  croisade,  et  que 
l'on  put  ainsi  constater  la  présence  de  50000  cavaliers  et  de  100  000  fantassins. 
Sur  le  nombre  des  croisés,  cf.  Riezlcr,  op.  cit.,  p.  25,  note  2,  et  p.  141. 

4.  Les  Hongrois,  sous  les  ordres  de  Geisa,  durent,  il  est  vrai,  revenir  en  arrière, 
rappelés  par  Bêla  lorsqu'ils  parvinrent  à  Philippopolis.  Riczler,  op.  cit.,  p.  52. 

5.  Sur  l'histoire  de  la  croisade  depuis  ce  moment  jusqu'à  la  mort  de 
l'empereur,  cF.  le  récit  sommaire  de  l'ii^ptsto^a  de  morir^  Frider.imp.,  dans  Monutii. 
Germ.  Iiisl.,  Script.,  t.  xx,  p.  494. 


1148  LIVRE     XXXIV 

ques  scélérats,  à  infliger  à  d'autres  des  punitions  corporelles  et  à 
renvoyer  honteusement  de  l'armée  plusieurs  centaines  de  per- 
sonnes. En  traversant  la  Serbie  et  la  Bulgarie,  les  croisés  avaient 
eu  continuellement  à  lutter  contre  des  troupes  de  brigands  et  à 
subir  les  attaques  perfides  des  Grecs,  alors  qu'au  même  instant 
l'empereur  grec  adressait  des  lettres  amicales  à  l'empereur.  A 
Nissa,  des  ambassadeurs  bulgares  et  serbes,  porteurs  de  présents, 
vinrent  trouver  l'empereur  et  lui  demandèrent  secours  contre 
la  perfidie  des  Grecs,  se  montrant  disposés  à  le  reconnaître 
pour  leur  suzerain.  Frédéric  repoussa  leurs  propositions;  il 
leur  répondit  qu'il  ne  poursuivait  aucun  but  politique,  que  le 
but  de  son  expédition  était  la  Terre  Sainte,  et  que,  si  les  Grecs 
continuaient  à  se  montrer  hostiles,  il  les  combattrait  comme  des 
ennemis  de  la  croix.  Lorsque  l'armée  eut  enfin  traversé 
le  périlleux  passage  de  Saint-Basile  (Portes  de  Trajan)  ^  sur  les 
confins  de  la  Bulgarie  et  pénétra  sur  le  territoire  grec,  l'em- 
pereur Isaac  jeta  le  masque  de  sa  prétendue  bienveillance  et 
amitié  ^.  Trompé  par  son  favori,  le  moine  fantasque  Dosithée, 
qu'il  avait  fait  monter  sur  le  siège  de  Constantinople,  Isaac  en 
était  venu  à  croire  que  l'armée  des  croisés  ne  marchait  pas  sur 
Jérusalem,  mais  sur  Constantinople,  afin  de  s'en  emparer 
et  de  placer  le  fils  de  l'empereur  sur  le  trône  de  Byzance. 
Aussi  fit-il  maltraiter  et  jeter  en  prison  les  ambassadeurs  alle- 
mands ^;  il  conclut  une  alliance  avec  Saladin  et  prit  toutes 
sortes  de  mesures  puériles  pour  anéantir  les  Allemands, 
s'ils  paraissaient  devant  Constantinople.  Il  envoya  aussi  à 
l'empereur  Frédéric  une  lettre  fort  blessante,  formulant  des 
conditions  inadmissibles  pour  accorder  à  l'armée  le  passage  de- 
mandé *.  Les  princes  allemands  furent  exaspérés;    toutefois  l'em- 


1.  Le  16  août.  Récit  de  Dictpold,  évoque  de  Passau.  Cf.  Tageno,  dans  Monuin, 
Germ.  hist-,  Script.,  t.  xvii,  p.  509-510.   (H.  L.) 

2.  Isaac  II  l'Ange,  1185-1195,  conclut  un  traite  avec  Saladin  afin  d'en  obtenir 
la  possession  des  Lieux  saints.  Chron.  Magni  prcshyt.,  dans  Monuin.  Germ. 
hist..  Script.,  t.  xvii,  p.  511;  Ilisloria  regiii  Hierosol.,  dans  Moiium.  Germ.  hist., 
Script.,  t.  xviii,  p.  53;  Rôhricht.  Geschichle  des  Kônigreichs  Jérusalem,  p.  495  sq. 
(H.  L.) 

3.  Aiisbert,  dans  Fontes  rerum  Austriacarum,  Script.,  t.  v,  p.  22,  24,  44.  (H.  L.) 

4.  Isaac  refusait  à  Frédéric  le  titre  d'empereur,  lui  imposait  de  ne  continuer 
sa  marche  qu'après  avoir  livré  des  otages  et  réclamait  sa  part  dos  futures  con- 
quêtes.  (H.  L.) 


638.    TROISIÈME    GRANDE    CROISADE  1149 

pereur   fit  une   réponse   digne   et   convenable.    En   même   temps, 
plusieurs   armées   grecques   s'avancèrent   contre   les    croisés,  mais 
elles    furent    battues    ou    se    dispersèrent    d'elles-mêmes  ;    aussi, 
au    bout   de   quelques   jours,  les  croisés   s'emparèrent-ils  de    dix 
places    de  la   frontière    grecque,    notamment  de    la   citadelle    de 
Philippopolis,  qui  devint  leur  quartier  général,  et  de  tout  le  pays 
environnant.    D'immenses    provisions    tombèrent  aux  mains  des 
Allemands,    qui    se    procurèrent' le    reste    par    les   contributions 
et   le   pillage.    L'empereur   grec    avait    défendu    de    donner    des 
vivres    à    l'armée    des    croisés;     cependant     tout    s'y     trouvait 
en  telle  abondance  que    l'on    pouvait  avoir  un  bœuf    pour  quel- 
ques   deniers.    Ces   succès   des   armes   allemandes     déterminèrent 
enfin  l'empereur  Isaac  à  remettre  en  liberté  les  ambassadeurs  de 
Frédéric.  Le  28  octobre,  ils  arrivèrent  au  camp  de  Philippopolis, 
accompagnés  des  envoyés  byzantins,  mais  les  négociations  échouè- 
[745]  rent    par  la   faute   d'Isaac;  aussitôt  les   croisés   recommencèrent 
la    guerre  et    arrivèrent    à    Andrinople,    marchant    sur    Constan- 
tinople,  brûlant  et  saccageant  tout.  A  Andrinople,  ils  apprirent 
que    les    Grecs    avaient     empoisonné    de     grandes    quantités    de 
miel  et  de  vin,   ce   qui  excita   encore   davantage  leur   colère.    De 
nouvelles   tentatives   faites   en   décembre   pour   conclure  la    paix 
demeurèrent   vaines,  mais   la    crainte    y    contraignit   enfin    Isaac 
(21  janvier   1190)  ^.     Il  promit  les  transports  et  ravitaillements 
pour  aller  en  Asie    et    livra    des    otages.    De  son  côté,    Frédéric 
s'engagea  à  ne   pas    passer   par   Constantinople    et    le   Bosphore, 
mais    par    Gallipoli     et   l'Hellespont,   et   à   cesser   les   pillages  ^. 
Alors  arrivèrent   dans   le    camp    des    croisés    des    ambassadeurs 
du    sultan    d'Iconium,     offrant    la    paix.     Le   21    mars,    l'armée 
atteignit    les    hauteurs    de    Gallipoli,     et     le     lendemain,    jeudi 
saint,    commença    le     passage     du    détroit.    Le    mercredi    après 
Pâques,    toute   l'armée    se    trouvait   réunie    sur   le    promontoire 
d'Asie;   laissant  en  arrière  ses  convois,  elle  pénétra   aussitôt  dans 
l'intérieur  du  pays,  traversant  le  Granique  et  les  villes  grecques 
de   Thyatire,    Sardes,  Philadelphie   et   Laodicée;  elle   arriva   ainsi 
sur  les  terres  du  sultan    d'Iconium    que  l'on  considérait    comme 


1.  Il  est  probable  qu'à  cette  époque  l'empereur  Frédéric  fut  amené  peu  à 
peu  à  songer  sérieusement  à  entamer  la  lutte  contre  l'empire  grec  et  à  abattre 
le  trône  de  Byzance  déjà  si  vermoulu. 

2.  Cf.  le  traité  dans  Riezler,  op   cil.,  p.  49. 


1150  LIVRE    XXXIV 

un  allié  ^.  Mais  il  s'était  produit  dans  ce  sultanat  un  changement 
de  régime;  à  Kilig  Arslan  avait  succédé  son  fils  Kutbcddin  ; 
celui-ci  avait  épousé  une  fille  de  Saladin,  avec  qui  il  avait 
noué  des  liens  d'amitié.  Kutbcddin  envoya  bien  aussi  à  Frédé- 
ric une  ambassade  amicale;  néanmoins,  en  pénétrant  sur  le 
territoire  du  sultan,  l'armée  des  croisés  trouva  le  défilé  de 
Myrioképhalon  occupé  par  3  000  hommes  de  ses  troupes.  Sous  la 
conduite  d'un  prisonnier  turc,  les  croisés  parvinrent  à  franchir 
le  défilé  par  des  sentiers  escarpés  et  échappèrent  au  danger, 
mais  ensuite  ils  furent  molestés  et  attaqués  nuit  et  jour  par  des 
bandes  turques,  qu'ils  parvinrent,  il  est  vrai,  à  repousser  avec 
de  grandes  pertes;  chaque  jour  cependant,  ils  durent  s'ouvrir 
le  passage  l'épée  à  la  main.  Bientôt  le  manque  de  fourrages 
et  de  vivres  se  fit  cruellement  sentir  et  l'armée  eut  à  subir 
des  souffrances  inexprimables,  mais  son  courage  et  son  [^^6] 
enthousiasme  n'en  furent  pas  amoindris.  Elle  arriva  enfin  devant 
Iconium  et  la  prise  de  cette  ville  (18  mai  1190)  mit  heureusement 
fin  à  cette  grave  situation  et  procura  aux  croisés  un  riche  butin, 
de  l'argent,  des  chevaux  et  des  vivres.  La  prise  d' Iconium  abat- 
tit également  l'arrogance  du  sultan  :  il  sollicita  la  paix,  promit 
d'accorder  le  libre  passage  dans  ses  États  et  la  faculté  de  se  ravi- 
tailler sans  entraves  et  livra  en  otages  à  l'empereur  vingt 
des  principaux  personnages  de  son  royaume.  L'armée  ^  se  dirigea 
alors  vers  le  sud  sans  subir  de  nouveaux  dommages,  gagna  la 
Cilicie  arménienne  dont  elle  traversa  les  frontières  au  commence- 
ment de  juin.  Ce  fut  avec  des  sentiments  de  la  joie  la  plus  pro- 
fonde que  les  croisés  saluèrent  dans  cette  contrée  les  croix  élevées 
dans  la  campagne.  L'armée  continuant  sa  route,  les  ambassa- 
deurs du  chef  de  la  Petite  Arménie,  Léon  11^,  vinrent  saluer 
l'empereur.  Le  9  juin,  elle  pénétra  dans  une  riche  plaine  baignée 
par  le  fleuve  Salef,  non  loin  de  Séleucie;  mais  le  lendemain, 
un  dimanche,  l'empereur  voulut  se  baigner  dans  le  fleuve 
et  s'y  noya  ^.    Cet  événement  causa  dans  l'armée  une    tristesse 

1.  Tomaschekj  dans  Wiener  Silzungsherichle,  1891,  t.  cxxiv,  part.  8,  p.  93- 
lOG.   (H.  L.) 

2.  L'armée  était  dès  lors  réduite  à  42  000  hommes. 

3.  A  ce  sujet,  cf.  Rolide,  Léo  II  von  ylrmenien,  Gottingen,  1869;  Petermann, 
Beitrâge  zur  Geschichle  der  Kreuzzuge  aus  armenischen  Quellen.  Dissertations 
philolog.  et  histor.  de  l'Académie  de  Berlin,  1860. 

4.  Epist.  de  morte  Frider.  imp.,  dans  Monum.  Germ.  hisL,  Script.,  t.  xx,  p.  490 


638,    TROISIÈME    GRANDE    CROISADE  1151 

et  un  cfï'roi  indescriptibles  :  nombreux  furent  ceux  qui  commen- 
cèrent à  douter  de  l'heureuse  issue  de  l'expédition  et,  croyant  que 
Dieu  lui-même  s'en  désintéressait^, reprirent  le  chemin  de  leur  pays; 
d'autres  retournèrent  à  Tripoli;  mais  la  plus  grande  partie  de 
l'armée,  sous  la  conduite  de  Frédéric  de  Souabe,  gagna  Tarse,  où  ce 
prince  fit  ensevelir  solennellement  les  entrailles  de  l'empereur;  de 
là  elle  parvint  à  Antioche  en  passant  par  Mamistra,  après  avoir  eu 
à  subir  de  nombreuses  pertes;  enfin  elle  atteignit  Antioche, 
le  21  juin,  et  Frédéric  y  déposa  le  corps  de  son  père  devant  l'autel 
de  saint  Pierre  ^. 

C'était  le  moment  où  les  rois  de  France  et  d'Angleterre  se  déci- 
daient enfin  à  participer  à  la  croisade.  Dès  son  avènement,  Ri- 
chard Cœur  de  Lion  avait  projeté  de  prendre  la  croix  et  s'était 
entendu  avec  le  roi  de  France,  Ils  firent  leurs  préparatifs.  Pendant 
747]  ce  temps  éclatait  en  Angleterre  contre  les  juifs  une  terrible  persé- 
cution, qui  ne  put  être  arrêtée  que  par  les  mesures  énergiques  de 
Guillaume,  évêque  d'Ély,  grand  juge  royal  et  légat  du  pape.  Les 
deux  rois  réunirent  leur  armée  (juin  1190)  à  Vézelay  et  à  Tours. 
De  Vézelay,  les  Français  partirent  le  4  juillet  1190,  et  Richard  et  ses 
Anglais  le  23  septembre,  pour  la  Sicile,  où  ils  passèrent  l'hiver  tous 

Récit  de  Nersès  de  Lampron  sur  la  mort  de  l'empereur  Frédéric  I^''.  Traduit  de 
l'arménien  par  P.  Vetter,  dans  les  Annal,  hist.,  1881,  p.  290;  Riezler,  op.  cit., 
p.  12G.  Rohricht  et  après  lui  Kugler^  se  fiant  au  récit  d'Ansbert,  croient  que 
l'empereur  trouva  la  mort  dans  les  flots  du  fleuve  en  voulant  le  traverser  à  che- 
val [également,  L.  Bréhier,  op.  cit.,  p.  123.  (H.  L.)] 

1.  Il  y  eut  aussi  les  grandiloquents  qui  épiloguèrent  à  perte  de  vue  sur  l'évé- 
nement :  O  abyssus  multa  judiciorum  Dei  !  vir  tanins  et  qui  divino  quodam  fervore, 
relictis  deliciis  opibusque  imperii,  mille  se  exposuerat  proptcr  Christumpericulis, 
tain  subito  miseroque  casu  absumitur.  Peccatum  aulem  ejus  tantum  et  taie  elucel^ 
quod  forte  in  imperialibus  non  potuerit  deliciis  expiari,  atque  ideo  oportuerit,  ne 
eternaliler  plecteretur,  pia  Divinitatis  provisione  in  hac  vita  sevcrius  castigari. 
Siquidem  nefarii  scismatis  sub  venerabili  papa  Alexandro  principali, 
fautor  extiteril  et  pacis  ecclesiaslicœ  per  imperialem  potenliam  multo  temporc 
perturbator.  Guillaume  de  Neubourg,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xxvii, 
p.  238;  Riezler,  Forschungen  zur  deutschen  Geschichte,t.  x,  p.  126  sq.  (H.  L.) 

2,  Rohricht,  Geschichte  des  Konigreichs  Jérusalem,  p.  530  sq.;  Die  Deutschen 
im  Heiligen  Lande,  p.  58.  D'après  d'autres  auteurs,  la  chair  seule  fut  enterrée 
à  Antioche;  Frédéric  avait  pris  avec  lui  les  ossements  pour  les  ensevelir  à  Jéru- 
salem ou  en  terre  allemande.  Mais  comme  Frédéric  mourut  devant  Saint-Jean- 
d'Acre  et  que  Jérusalem  n'était  pas  encore  tombée  au  pouvoir  des  croisés,  on 
se  vit  dans  l'obligation  d'enterrer  ces  ossements  devant  Saint-Jean-d'Acrd 
Riezler,  op.  cit.    p.  73,  note  1. 


1152  LIVRE    XXXIV 

ensemble,  non  sans  avoir  entre  eux  et  avec  Tancrède,  roi  de  Sicile, 
de  nombreuses  discussions  ^,  Ce  fut  ainsi  que  Richard  rompit  ses 
fiançailles  avec  Alice,  sœur  de  Philippe-Auguste,  el  promit  sa  main 
à  Bérengère,  fille  du  roi  de  Navarre.  On  se  raccommoda,  en  appa- 
rence du  moins,  et  les  Français  firent  voile  pour  la  Palestine  le 
30  mars,  et  les  Anglais  le  10  avril  1191.  Les  premiers  arrivèrent 
en  quelques  jours,  tandis  que  la  flotte  anglaise  fut  dispersée  par 
la  tempête;  une  partie  fut  poussée  vers  Chypre  où  deux  vais- 
seaux se  brisèrent  sur  les  côtes,  d'autres  avec  le  roi  parvinrent  à 
Rhodes.  A  Chypre  régnait  Isaac  Comnène,  qui,  après  avoir  trahi 
l'empereur  de  Constantinople,  Andronic,  était  parvenu  à  se  faire 
proclamer  empereur  de  Chypre.  C'était  un  tyran  détestable,  qu'on 
accuse  d'avoir  conclu  un  traité  avec  Saladin;  depuis  de  longues 
années,  il  écumait  les  mers  et  réduisait  les  pèlerins  en  es- 
clavage. Il  traita  fort  mal  les  croisés  anglais  débarqués  à  Chypre 
et  peu  s'en  fallut  qu'il  ne  fît  prisonnières  la  fiancée  de  Richard 
et  la  mère  de  celle-ci,  qui,  cependant,  s'étaient  abstenues  par 
prudence  de  descendre  à  terre.  Sur  ces  entrefaites,  le  9  mai 
1191,  Richard  arriva  avec  ses  vaisseaux;  Isaac  refusant 
de  lui  donner  satisfaction,  il  s'empara  de  toute  l'île  en  vingt- 
cinq  jours,  enchaîna  l'empereur  avec  des  chaînes  d'or  et  d'argent, 
établit  un  gouverneur,  donna  en  fief  la  moitié  de  l'île  à  ses  che- 
valiers et  fit  de  Chypre  une  base  d'opérations  contre  la  Terre 
Sainte.  Entre  temps,  il  épousa  Bérengère,  qu'il  emmena  en 
Palestine. 

II  ne  restait  plus  que  des  débris  de  l'ancien  royaume  chrétien 
de  Jérusalem  :  Tyr,  Tripoli  et  la  principauté  d'Antioche;  car,  après 
la  chute  de  Jérusalem, en  1187,  toutes  les  autres  villes  et  forteresses, 
même  Ptolémaïs  (Saint-Jean-d' Acre  des  chrétiens,  Akkon  des  Ara- 
bes), avaient  été  prises  par  Saladin.  Néanmoins,  le  roi  Gui  de  Lusi- 
gnan,  à  peine  sorti  de  captivité,  n'hésita  pas  à  assiéger  cette  ville 
(août  1189).  Son  armée,  faible  au  début,  se  grossit  bientôt  des  nom-  [748] 
breux  croisés  qui  arrivaient  de  tous  les  points  de  l'Europe  et  qui 
devançaient  la  troisième  croisade  ^.  De  son  côté,  Saladin  ne  négli- 


1.  Sur  l'avènement  de  Tancrède,  cf.  F.  Chalandon,  Histoire  de  la  domin.  nortn. 
en  Italie  et  en  Sicile,  t.  ii,  p.  419-431.  Sur  l'arrivée  et  le  séjour  des  rois  de  France 
et  d'Angleterre,  ihid.,  t.  ii,  p.  435-442;  Luchaire,  op.  cit.,  p.  lOG-107.  (H.  L.) 

2.  Gui  s'était  fait  relever  du  serment  de  ne  plus  combattre  Saladin;  cf. 
Rohricht,  Geschichte  des  Kônigreichs  Jérusalem,  p.  500  sq.;  L.  Bréhier,  op.  cit., 
p.  124-132.  (H.  L.) 


638.     TROISIÈME     GRANDE     CROISADE  1153 

gea  rien  pour  sauver  la  ville  :  aussi  deux  grandes  armées  se  trou- 
vèrent bientôt  en  présence,  se  livrant  des  combats  incessants, 
sans  en  venir  toutefois  à  une  action  décisive.  Les  chrétiens 
eurent  surtout  à  soullrir  du  feu  grégeois  qui,  à  plusieurs  reprises, 
détruisit  leurs  tours  colossales  et  leurs  béliers.  En  octobre  1190, 
Frédéric,  duc  de  Souabe.  arriva  devant  Saint-Jean-d'Acre  avec 
ses  troupes;  mais  pendant  l'hiver  1190-1191,  la  famine  et  la 
peste  ravagèrent  l'armée  chrétienne,  tandis  que  la  brouille  sur- 
venue entre  le  roi  Lusignan  et  Conrad,  marquis  de  Montferrat 
et  prince  de  Tyr,  mit  les  chrétiens  à  deux  doigts  de  leur  perte. 
Le  fléau  fit  de  nombreuses  victimes,  entre  autres  Baudouin,  arche- 
vêque de  Cantorbéry,  qui  avait  précédé  son  roi  (19  novembre  1190), 
et  Frédéric,  duc  de  Souabe  (20  janvier  1191).  Avant  de  mourir, 
ce  dernier  s'était  beaucoup  employé  à  la  fondation  d'un  ordre 
allemand  pour  le  soin  des  malades  ^.  La  famine,  mais  non 
pas  la  peste,  cessa  lorsque,  au  mois  de  février  1191,  arrivèrent 
les  navires  chargés  de  provisions.  Peu  après,  le  13  avril,  l'armée 
chrétienne  fut  renforcée  par  l'arrivée  du  roi  de  France  et  des  siens. 
Mais  Philippe-Auguste  se  déclara  si  ouvertement  pour  Conrad 
de  Montferrat  et  soutint  avec  tant  de  zèle  ses  prétentions  au  trône 
de  Jérusalem  ^,  que  le  roi  Lusignan  se  retira  à  Chypre  auprès 
de  Richard  Cœur  de  Lion.  Lorsque,  le  8  juin  1191,1e  roi  d'Angle- 
terre débarqua  à  Saint-Jean-d'Acre,  il  prit  naturellement  fait  et 
cause  pour  son  protégé,  ce  qui  accrut  encore  sa  mésintelligence 
avec  le  roi  de  France.  Cette  désunion  priva  les  croisés  des  succès 
qu'ils  auraient  pu  remporter.  Néanmoins  le  siège  fut  repris  avec 
un  nouveau  zèle,  surtout  par  Richard,  qui,  bien  qu'atteint 
par  la  peste,  encourageait  tout  le  monde  par  ses  paroles, 
ses  exemples  et  ses  présents.  Les  nouvelles  machines  démolirent 
peu  à  peu  toutes  les  tours  et  les  murs  de  la  ville,  qui  dut  capi- 
tuler, le  12  juillet  1191,  aux  conditions  les  plus  dures.  Les 
musulmans  promirent  la  restitution  de  la  vraie  croix,  la  mise 
en  liberté  de  plusieurs  milliers  de  chrétiens  et  le  paiement  d'une 
importante  contribution,  200  000  besans  d'or.  Mais  ces  con- 
[749]  ditions     ne    furent    pas     remplies,    car   dans    son    emportement 


1.  Riezler,  op.  ci  .,  p.  85. 

2.  Conrad  avait  épousé  Elisabeth,  sœur  de  la  reine  Sibylle,  femme  de  Lusi- 
gnan, auquel  elle  avait  apporté  le  royaume.  Sibylle  morte,  Conrad  prétendait 
que  la  couronne  lui  revenait,  de  par  sa  femme  Elisabeth. 

CONCILES  —   V  —  73 


1154  LIVRE    XXXIV 

Richard  Cœur  de  Lion,  voyant  que  raflaire  traînait  en  lon- 
gueur, fit  décapiter,  le  20  août,  deux  mille  prisonniers  musul- 
mans. 

Quand  Saint-Jean-d'Acre  eut  été  transformé  en  ville  chrétienne 
et  le  butin  partagé,  non  sans  discussions,  entre  Français  et  Anglais, 
à  l'exclusion  des  Allemands,  il  fut  décidé  que  Lusignan  demeu- 
rerait roi  de  Jérusalem,  mais  que  le  marquis  Conrad  serait  héritier 
présomptif;  jusqu'à  son  avènement,  les  revenus  du  royaume 
seraient  partagés  entre  le  roi  et  lui.  Presque  aussitôt,  le  21  juillet 
1191,  Philippe-Auguste  revint  en  France,  sous  le  prétexte  de  sa 
santé,  mais  sans  avoir  rempli  son  vœu  et  à  la  grande  colère 
du  roi  d'Angleterre  auquel  il  avait  solennellement  promis  de 
ne  lui  causer  aucun  dommage  en  Europe  ^.  Plusieurs  attri- 
buèrent ce  départ  à  sa  jalousie  de  la  gloire  acquise  par  Richard 
Cœur  de  Lion  et  à  d'autres  sentiments  aussi  peu  honorables. 
Les  amis  de  Philippe-Auguste  affirmaient,  au  contraire,  que  les 
rapports  fort  suspects  de  Richard  avec  Saladin  avaient  obligé 
le  roi  de  France  à  pourvoir  à  sa  propre  sûreté  ^.  Ce  fut  le  duc  de 
Bourgogne  qui  prit  le  commandement  des  croisés  français  restés 
en  Palestine.  Lorsque  le  roi  Richard  recommença  la  guerre  avec 
Saladin,  il  put  constater  combien  il  était  difficile  de  se  faire  obéir 
par  des  troupes  venues  de  pays  si  différents  :  il  lui  manquait  d'ail- 
leurs, pour  cela,  une  qualité  essentielle,  celle  de  savoir  gagner  les 
cœurs.  D'autre  part,  beaucoup  de  croisés  avaient  perdu  leur  pre- 
mier enthousiasme  et  vivaient  à  Saint-Jean-d'Acre  dans  l'ivro- 
gnerie et  la  débauche,  sans  prendre  part  aux  fatigues  de  la 
guerre.  D'autres,  en  grand  nombre,  regagnèrent  le  pays  natal.  Par 
contre,  les  Templiers  et  les  Hospitaliers  rendirent  les  plus 
grands  services;  ils  combattirent  toujours  sur  les  points  les 
plus  menacés,  si  bien  que  les  Templiers  s'acquirent,  même  chez 
les  infidèles,  une  grande  renommée  de  fidélité  et  de  droiture. 
Vers  la  fin  d'août  1191,  Richard,  ayant  réuni  le  plus  de  croisés 
qu'il  lui  fut  possible  (plusieurs   cependant  ne    se  firent  pas   faute 

1.  Bened.  Petroh.,  dans  Watterich,  t.  ii,  p.  723.  Au  sujet  des  perfides  machi- 
nations de  Philippe  contre  Richard  près  du  pape  et  de  l'empereur,  pendant 
son  voyage  de  retour  à  travers  l'Italie,  cf.  op   cit.,  p.  724. 

2.  Le  principal  motif    fut    certainement  son  inimitié  contre  Richard,    mais 
les  projets  qu'il  avait  formés    sur  les  biens  du    comte  de  Flandre^  qui  venait 
de   mourir,  contribuèrent  aussi   à  hâter   son   retour.  Cf.  Tochc,  op.  cit.,  p.   249 
rem.  4. 


G38.     TROISIÈME     GRANDE     CROISADE  1155 

de  regagner  Saint- Jean-d'Acre),  quitta  la  côte  de  Palestine  pour  se 
diriger  vers  le  sud,  afin  de  s'emparer  d'abord  d'Ascalon,  puis  de 
Jérusalem,  dernier  terme  de  l'expédition.  Saladin,  non  content 
de  harceler  les  chrétiens  par  des  attaques  continuelles,  dévasta 
[750]  lui-même  toutes  les  villes  et  villages  de  ces  pays.  Il  n'hésita  pas  à 
détruire  la  belle  Ascalon,  cette  «  fiancée  de  la  Syrie»,  pour  ne 
pas  la  laisser  tomber  au  pouvoir  des  chrétiens.  Pendant  cette 
expédition,  conduite  trop  lentement,  Richard  s'illustra  par  une 
série  d'aventures  plus  hardies  que  raisonnables  et  courut  plu- 
sieurs fois  le  danger  d'être  fait  prisonnier.  Mais  son  enthou- 
siasme ne  tarda  pas  à  baisser  :  il  désespéra  de  faire  de  grandes 
choses  avec  les  troupes  dont  il  pouvait  disposer,  et  la  nouvelle 
que  le  roi  de  France  allait  entamer  des  hostilités  contre  ses 
États,  et  ce  qu'il  apprit  sur  l'attitude  équivoque  de  son  frère 
Jean  sans  Terre,  lui  firent  songer  à  regagner  l'Europe.  Il  eut, 
avant  de  partir,  la  douleur  de  voir  le  marquis  Conrad  conclure 
avec  Saladin  (septembre  1191)  un  traité  contre  ses  propres  core- 
ligionnaires. Richard  entama,  de  son  côté,  des  négociations  avec 
Saladin;  mais  son  impatience  ne  leur  permit  pas  d'aboutir. 
Pressé  de  partir,  Richard  abandonna  la  route  d'Ascalon  pour 
s'emparer  tout  d'abord  de  Jérusalem.  Mais  les  Templiers  et 
d'autres  croisés  lui  ayant  représenté  que  cette  marche  était  très 
dangereuse,  il  revint  au  premier  plan,  mécontentant  ainsi  beau- 
coup de  croisés,  et  le  29  janvier  1192  il  atteignit  les  ruines  d'As- 
calon. Tout  comme  on  avait  rebâti  Joppé  et  d'autres  villes  au 
cours  de  cette  expédition,  on  se  mit  à  reconstruire  Ascalon;  à 
Pâques  de  1192,  plusieurs  tours  et  murailles  furent  relevées  par 
les  soins  de  Richard,  tandis  que  les  Français,  mécontents,  reve- 
naient à  Saint-Jean-d'Acre.  Peu  de  temps  après,  sur  le  désir  de 
ses  barons,  Richard  reconnut  comme  roi  de  Jérusalem  le  mar- 
quis Conrad,  qu'il  haïssait  fort,  mais  c'était  le  seul  qui,  après 
son  départ,  pût  continuer  la  guerre.  Conrad  avait  fait  la  paix 
avec  Saladin  et  songeait  à  s'emparer  de  la  couronne,  lorsque, 
le  28  avril  1192,  il  fut  assassiné.  Plusieurs  accusèrent  le  roi 
Richard  de  ce  meurtre;  mais  il  faut  y  voir  probablement  une 
vengeance  du  Vieux  de  la  Montagne  pour  le  pillage  d'un  de  ses 
navires  ordonné  par  Richard  ^.  Henri, comte  de  Champagne,  devint 

1.  lUgen,  Markgraf  Konrad  von  Montferral,  Marbourg,  1880    Toche,  op.  cit.^ 
p.  253. 


1156  LIVRE     XXXIV 

alors  roi  de  Jérusalem  par  son  mariage  avec  la  veuve  de  Conrad  et 
par  l'élection    des    barons    avec   l'assentiment    de  Richard  ^.    On 
lui  céda  tout  ce  que  les  croisés    avaient    conquis    en    Palestine  :  [751] 
Saint-Jean-d'Acre  etc.,   Lusignan  eut  en    compensation    l'île  de 
Chypre,  Troublé  par  les  nouvelles  alarmantes  qu'il  recevait  sur  le 
compte  de  son  frère  Jean,  Richard  Cœur  de  Lion  se  demandait 
s'il  retournerait  en  Angleterre  ou   demeurerait  en  Palestine  pour 
faire  le  siège  de  Jérusalem,  S'étant  décidé  pour  ce  dernier    parti 
(juin  1192),  il  se  dirigea  lentement  vers  Ascalon,  cherchant  toutes 
les  occasions   à  des  prouesses   de  chevalerie,  tandis  qu'une  marche 
rapide  aurait  seule  pu  réussir.  L'étendard  des  croisés  flottait  déjà 
sur  Hébron,  non  loin  de  Jérusalem,  lorsque  Richard,  craignant  de 
ne  pouvoir  s'emparer  de  la  Ville  sainte  et  persistant  dans  sa  brouille 
irréconciliable  avec  les  Français,  revint  brusquement  en  arrière. 
Il  alla  même  jusqu'à  accuser  le  duc  de  Bourgogne    d'entretenir 
des  relations  avec  l'ennemi.  Les  négociations  furent  reprises  avec 
Saladin,  et  Richard,  malgré  la  brillante  victoire  du  5  août,  due 
à    sa    prodigieuse    bravoure      personnelle,    se    vit    abandonné    de 
beaucoup  de  croisés  et  obligé  de    traiter.  Saladin    malade  et  ses 
émirs  fatigués  de  la  guerre  conclurent,  le  1^^  septembre   1192,   une 
paix  ou  mieux  une  trêve   de    trois    ans   :  outre  Antioche  et  Tri- 
poli, les  chrétiens  restaient  maîtres  du   pays  entre  Tyr  et    Joppé 
et  pouvaient  aller  librement  en  pèlerinage  à  Jérusalem,  sans  payer 
de    redevances;     en    revanche,     Ascalon    dut    être    démantelée. 
Beaucoup  de  chrétiens  se  plaignirent  de  ce  que,  après  une  guerre 
qui  avait  coûté  la  vie  à    plus  de  cinq  cent    mille    personnes,  le 
traité   ne  réclamait  même  pas  le  bois  de  la   vraie  croix  et  n'im- 
posait pas    la   délivrance    des    prisonniers.    La    paix  conclue,  un 
grand  nombre  de  croisés  vinrent  sans  difficulté  à  Jérusalem  satis- 
faire leur   dévotion   et   regagnèrent  l'Europe,   selon  les  occasions 
favorables.  D'autres   retournèrent  dans   leur  pays  sans  avoir  vu 
Jérusalem, ce  que  fit  Richard  après  sa  guérison;  le  9  octobre  1192, 
il   ({uitta   Saint-Jean-d'Acre,    promettant    de   revenir    dans    trois 
ans.  On    sait    qu'à    son   retour,    le  20    décembre,  il    fut  fait  pri- 
sonnier,    non  loin    de    Vienne,    par    Léopold  V,  duc    d'Autriche, 
quoiqu'il  se  trouvât  sous  la  protection    de  la   trêve   de   Dieu,   et 


1.  Il  ne  voulut  pas  prendre  le  titre  de  roi  et  se  contenta  toujours  de  celui  de 
comte. 


638.    TROISIÈME     GRANDE     CROISADE  1157 

fut  enfermé  à  Dûrrenstein  sur  le  Danube  ^  Léopold  le  livra 
ensuite  (Pâques  1193)  à  l'empereur  Henri  VI,  pour  20  000  marcs 
[752]  d'argent;  Richard  fut  alors  "emprisonné  à  Triefels  et,  malgré  les 
exhortations  et  les  menaces  du  pape,  ne  put  recouvrer  la  liberté 
que  le  4  février  1194,  moyennant  l'énorme  rançon  de  150  000 
marcs  d'argent  et  la  reconnaissance  de  la  suprématie  de  l'empereur. 
Par  suite  de  ce  douloureux  incident,  Richard  ne  put  exécuter  son 
projet  de  faire  une  nouvelle  expédition  en  Palestine-;  il  mou- 
rut le  6  avril  1199. 

Nous  avons  déjà  noté  plusieurs  conciles  et  réunions  tenus  en 
1188  et  1189  pour  organiser  la  troisième  croisade.  Ajoutons-y  un 
grand  synode    que    Richard,   roi    d'Angleterre,  réunit  après  son 


1.  La  tradition  d'après  laquelle  le  duc  Léopold  se  serait,  en  cette  circonstance, 
vengé  d'un  affront  que  le  roi  Richard  lui  aurait  fait  subir  en  Palestine,  a  été 
mise  en  doute  et  réfutée  par  Albert  Jâger,  dans  la  Zeitschrift  fur  usterreichische 
Gymnasien,  1856.  Jàger  a  prouvé  :  a)  que  l'offense  prétendue  n'a  jamais  existé; 
6) que  l'emprisonnement  de  Richard  Cœur  de  Lion  a  eu  lieu  par  ordre  de  l'empe- 
reur et  que  le  duché  de  Styrie  a  été  pour  Léopold  le  prix  de  cette  complai- 
sance; c]  quant  à  l'empereur  Henri,  il  était  irrité  contre  Richard  à  cause  de  son 
alliance  avec  Henr  le  Lion  et  avec  Tancrède,  roi  de  Sicile;  le  roi  d'Angleterre 
avait  même  travaillé  à  consolider  le  trône  de  ce  dernier,  au  grand  mécontente- 
ment de  l'empereur.  Wallnofer,  Prograinm,  Teschen,  1861,  a  cherché  à  défendre 
l'ancienne  explication  de  l'emprisonnement  de  Richard  Cœur  de  Lion.  Tôche, 
op.  cit.,  p.  256,  558  sq.,  d'après  diverses  sources,  regarde  comme  un  fait  histo- 
rique l'incident  survenu  devant  Saint-Jean-d'Acre.  Sur  l'origine  et  l'accom- 
plissement de  l'acte  de  Acngeance  politique  contre  Richard  Cœur  de  Lion,  sa 
mise  en  liberté  finale,  cf.  les  renseignements  très  détaillés  publiés  par  Tôche, 
o/).  ci7.,  p.  246  sq.,  et  app.  VII,  p.  558  sq.  ;  Schefïer-Boichorst  dans  les  For- 
schungen  zur  deutschen  Gesch.,  1688,  t.  viii,  p.  489  sq.  [Il  serait  curieux  de 
rapprocher  Richard  Cœur  de  Lion  et  le  maréchal  Ney  :  bravoure  inouïe, 
caractère  intraitable,  hauteur  blessante,  dureté,  en  un  mot  plus  de  cœur  que 
de  cervelle  et,  malgré  cela  ou  à  cause  de  cela,  le  Cœur  de  Lion  et  le  Brave 
des  braves  incarnent  l'épopée  chevaleresque  et  l'épopée  impériale.  Cf.  A.  Deville, 
Mémoire  sur  la  captivité  de  Richard  Cœur  de  Lion  et  sur  le  ménestrel  Blondel, 
dans  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  inscr.  et  belles  lettres,  1862,  p.  215-218; 
J.  Zeller,  La  captivité  de  Richard  Cœur  de  Lion  en  Allemagne,  1193-1194,  d'après 
des  travaux  récents  faits  en  Angleterre  et  en  Allemagne,  dans  le  Journal  des  savants 
1880,  p.  770-778;  1881,  p.  52-61;  Arbellot,  La  vérité  sur  la  mort  de  Richard  Cœur 
de  Lion,  dans  le  Bull,  de  la  Soc.  archtol.-hist.  du  Limousin,  1878,  11^  série,  t.  iv, 
p.  161-260,  372-387;  A.  Dujarric-Descombes,  La  vérité  sur  la  blessure  et  la  mort 
de  Richard  Cœur  de  Lion,  dans  le  Bull.  Soc.  hist.-archéol.  Périgord,  1880,  t.  vu, 
p.  252-253.  (H.  L.)] 

2.  Wilken,   Geschichle  der  Kreuzzûge,   t.    m,  p.  145-620;   Rôhricht,  app.    II, 
p.  130  sq.  ;  Kugler,  Gesch.  der  Kreuzzûge,  p.  200  sq. 


1158  LIVRE    XXXIV 

avènement  au  pouvoir  et  avant  son  expédition  en  Palestine,  dans 
l'abbaye  de  Pipewell,  le  15  septembre  1189  ^.  On  y  nomma  à  un 
grand  nombre  d'évêchés,  d'abbayes  et  de  doyennés  vacants.  Le 
demi-frère  de  Richard,  Godefroi  Plantagenet  (bâtard  d'Henri  II, 
auparavant  évêque  de  Lincoln),  obtint  l'archevêché  d'York, 
et  Guillaume  de  Longchamp,  chancelier  du  Poitou,  devint  évêque 
d'Ély  et  grand  juge  royal,  en  attendant  que  le  pape  le  nommât 
légat  pour  l'Angleterre.  Mais  l'élévation  de  Godefroi  sur  le  siège 
d'York  souleva  de  grandes  difficultés.  Le  primat  de  Cantorbéry 
s'empressa  de  protester  en  apprenant  que  Godefroi  ne  voulait 
pas  se  faire  sacrer  par  lui  :  ce  fut  en  effet  à  Tours  qu'il  reçut  la 
consécration.  Un  synode  de  Cantorbéry  en  appela  au  pape  à  ce 
sujet,  alléguant  que  Godefroi  avait  accepté  l'élection  au  mépris 
des  canons  et  en  l'absence  de  plusieurs  membres  du  chapitre.  [753] 
On  fit  aussi  valoir  l'empêchement  de  sa  naissance  illégitime; 
néanmoins  le  pape  confirma  l'élection^. 

Peu  de  temps  après,  le  11  février  1190,  un  synode  provincial 
de  Rouen,  présidé  par  l'archevêque  Gauthier,  promulgua  trente- 
deux  canons,  qui  presque  tous  se  bornaient  à  renouveler  d'an- 
ciennes ordonnances^  : 

1.  Pour  les  lectures  et  le  chant  liturgiques,  les  églises  suiïra- 
gantes    suivront  l'usage  de     l'église  métropolitaine. 

2.  Que  toutes  les  églises  soient  pourvues  de  livres  et  d'habits 
sacerdotaux;  que  l'eucharistie  ne  soit  consacrée  que  dans  un 
vase  d'or  ou  d'argent;  qu'aucun  évêque  ne  consacre  de  vase 
d'étain,  sauf  évidente  nécessité. 

3.  Qu'on  ne  porte  jamais  le  corps  du  Seigneur  ni  de  jour  ni 
de  nuit,  sans  un  luminaire,  la  croix  et  l'eau  bénite.  Sauf  les  cas 
d'extrême  nécessité,  seul  le  prêtre  pourra  le  porter. 

4.  Aucun  clerc  n'aura  de  concubine  [focaria)  chez  lui. 

5.  Que  tous  les  clercs  portent  la  tonsure  bien  visible,  entourée 

1.  Pipewell-,  abbaye  de  l'ordre  de  Cîtcaux,  au  comte  de  Northampton,  diocèse 
de  Lincoln.  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  1766-1767;  Hardouin,  Coi}c.  coll.,  t.  vi, 
part.  2,  col.  1909;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  685;  Wilkins,  Conc.  Britann., 
t.  I,  p.  492-493;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  528.  (H.  L.) 

2.  Wilkins,  Conc.  Britann.,  t.  i,  p.  493;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  ii, 
col.  745;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  p.  582.  (H.  L.) 

3.  Pierre  de  Blois,  Opéra,  p.  799;  Pommeraye,  Conc.  Rothomagens.,p.  171; 
Hist.  des  archevêques  de  Rouen,  1667,  p.  384-388;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi, 
part.  2,  col.  1905;  Bessin,  Conc.  Rotomagens.,  p.  94;  Coleti,  Concilia,  t.  xm,  col. 
679;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  590.  (II.  L.) 


638.     TROISIÈME    GRANDE     CROISADE  1159 

d'une  chevelure   décemment  arrangée,  sous  peine  de  perdre  leurs 
bénéfices  et,  s'ils  n'ont  pas  de  bénéfices,  les  privilèges  cléricaux. 

6.  On  renouvelle  la  défense  de  donner  aux  fils  dos  prêtres 
des  bénéfices  dans  les  églises  où  ont  servi  leurs  pères. 

7.  Il  y  a  des  clercs  qui,  à  raison  de  leur  ignorance,  de  leur 
naissance,  de  leur  conduite  suspecte  ou  par  désobéissance  cou- 
pable, évitent  l'examen  de  leur  propre  évêqueetse  font  ordonner 
par  des  évoques  étrangers;  bien  qu'ils  présentent  leurs  lettres 
d'ordination,  leur  évoque  ne  les  admettra  pas  à  exercer  leurs 
ordres. 

8.  Sans  la  permission  de  l'évêque  ou  de  son  officiai,  aucun 
bénéficier  ou  vicaire  perpétuel  ne  peut  quitter  la  province,  soit 
jiour  étudier,  soit  pour  faire  un  pèlerinage. 

9.  Que  les  moines  et  clercs  ne  fassent,  par  esprit  de  lucre, 
aucun  négoce;  qu'ils  ne  reçoivent  pas  des  laïcs  des  églises  ou 
des  villas  en  ferme    (^ad  firmam). 

10.  Qu'aucun  prêtre  n'accepte,  sous  peine  de  suspense  et  de 
privation  de  bénéfice,  les  fonctions  de  çice-comes  ou  de  préposé 
séculier. 

11.  Sur  les  preuves  valables  en  justice  :  on  présentera 
d'abord  les  témoignages  et  les  documents;  à  leur  défaut  seu- 
lement, on  pourra  recourir  aux  autres. 

12.  Dans  la  visite  de  leurs  districts,  les  archidiacres  n'auront 
pas  plus  de  six  ou  sept  chevaux;  s'ils  ne  peuvent  descendre 
chez  certains  clercs,  ils  n'exigeront  pas  d'eux  plus  de  trois  sous 
d'Anjou,  etc. 

13.  Les  évêques  et  leurs  officiaux  devront  remettre  sans  dif- 
ficulté   aux  appelants  les   apostoli  (lettres  d'appel). 

14.  On  ne  doit  interdire  à  personne  l'entrée  de  l'église  ou  la 
réception  d'un  sacrement  quelconque,  qu'on  ne  l'ait  d'abord 
invitée  légalement  à  se  défendre  et  qu'elle  n'ait  été  légitimement 

754]  condamnée. 

15.  On  exécutera  fidèlement  les  testaments  des  clercs;  si  un 
clerc  meurt  intestat,  l'évêque  doit  employer  son  bien  en  bonnes 
œuvres. 

16.  Les  clercs  qui  meurent  après  Pâques  peuvent  déjà  dis- 
poser   dans    leur    testament    des     fruits    de    l'automne    suivant. 

17.  A  l'égard  des  femmes,  des  familles  et  des  biens  des  croisés, 
on  observera  les  ordonnances  des  papes  Urbain  et  Grégoire  et 
de   Clément,  le  pape  actuel. 


1160  LIVRE     XXXIV 

18.  Les  églises  jouissant  du  droit  d'asile,  il  est  absurde  de  tenir, 
dans  les  églises  ou  leurs  cimetières,  des  jugements  criminels 
séculiers,  comportant  effusion  de  sang  ou  des  peines  corporelles; 
on    l'interdit   sous  peine  d'anathème. 

19.  Défense  à  tout  clerc  ou  moine,  sous  peine  d'anathème, 
de  donner  en  ferme  [ad  firmam)  à  des  laïcs  une  église  ou  une 
dîme.  (Cf.  can.  9.) 

20.  Que  personne  n'ose  payer  ou  recevoir  de  pension  ou  part 
illégale  et  particulière  prise  sur  les  revenus  d'une  église  ou  d'un 
édifice,  sous  peine  de  privation  de  bénéfice  et  d'excommunica- 
tion. 

21.  Aucune  personne  ecclésiastique  ne  doit  en  citer  une  autre 
devant  le  juge  séculier;  elle  sera  déchue  de  sa  cause  et  ex- 
communiée. 

22.  Aucun  clerc  ne  peut  hypothéquer  ou  aliéner  un  bien 
d'Eglise  sans  la  permission  de  l'évêque  ou  de  son  officiai. 

23.  Sous  peine  d'excommunication,  on  doit  payer  les  dîmes 
dues  à  l'église. 

24.  Quiconque  a  obtenu  la  concession  d'une  église  doit  s'abs- 
tenir de  faire  des  procès  à  celui  qui  l'occupe  présentement,  pour 
l'obliger  à  lui  servir  une  pension,  et  cela  sous  peine    d'anathème. 

25.  Les  sociétées  ou  fratries  de  clercs  ou  de  laïcs  dont  les 
membres  se  promettent  en  tout  un  mutuel  secours,  sous  des 
peines  établies  contre  ceux  qui  y  manqueraient,  sont  défendues, 
parce  qu'elles  entraînent  à  beaucoup  de  faux  témoignages. 

26.  Tous  les  dimanches,  seront  excommuniés  solennellement 
dans  les  églises  ceux  qui,  pour  nuire  à  l'église  ou  pour  enlever  un 
héritage  à  n'importe  quelle  personne,  auront  ])rêté  un  faux  témoi- 
gnage ou  déterminé  les  autres  à  le  prêter;  l'absolution  de  ces 
coupables  est  réservée. 

27.  Seront  pareillement  excommuniés  ceux  qui,  sans  l'assen- 
timent de  l'évêque  ou  de  son  officiai,  auront  envahi  un  bénéfice, 
d'eux-mêmes  ou   par  l'autorité   séculière; 

28.  De  même,  tous  les  falsificateurs  des  sceaux  et  ceux  qui 
se  servent  de  faux  documents; 

29.  De  même,  les  incendiaires,  les  empoisonneurs  et  les  sorciers; 

30.  Les  contumaces  qui  célèbrent  malgré  la  défense  de  l'évêque; 

31.  Enfin,  tous  ceux  qui  ont  frauduleusement  soustrait  ou 
soustrairont  en  son  absence  les  revenus  et  droits  de  l'arche- 
vêque de  Rouen. 


638.    TROISIÈME    GRANDE    CROISADE  1161 

32.  Si  lin  prêtre  suspendu  célèbre  sciemment,  il  restera  un  an 
sans  exercer  de  fonctions;  s'il  célèbre  étant  excommunié,  il  faut 
l'envoyer    à    Rome  ^. 

Avant  de  partir  pour  la  croisade,  dans  l'été  de  1190,  Bau- 
[755]  douin  de  Cantorbéry  réunit  ses  sufïragants  en  un  synode  à 
Westminster,  leur  lit  ses  adieux  et  porta  diverses  ordonnances. 
Pendant  qu'il  était  en  Terre  Sainte,  Guillaume  d'Ely  réunit, 
en  qualité  de  légat ,  trois  autres  synodes  :  à  Westminster,  à  Glo- 
cester  et  à  Glavornia  ^;  nous  n'avons  malheureusement  pas 
d'autres  détails  sur  ces  assemblées. 

Un  synode  allemand  tenu  à  Trêves  en  1189  ^,  sous  la  prési- 
dence du  légat  du  pape,  le  cardinal-diacre  Sofïredi  ^,  annula  toutes 
les  décisions  de  Volkmar  et  Rudolf,  depuis  le  commencement 
du  schisme, et  nomma  chancelier  impérial  Jean,  archevêque  de  Trê- 
ves. Le  pape  confirma  cette  nomination  le  4  juin  1190  ^.  Un 
synode  espagnol  tenu  à  Salamanque,  sous  le  cardinal-légat  Guil- 
laume, annula,  après  enquête,  le  mariage  d'Alphonse  IX,  roi  de 
Castille  et  de  Léon,  avec  sa  nièce  Thérèse  de  Portugal.  Alphonse 
épousa  Bérengère  de  Castille   qui   lui  apportait  une   couronne   ^. 

Le  roi  Henri  VI  se  disposait  à  entreprendre  une  expédition 
à  Rome  lorsqu'il  apprit  la  mort  de  son  père,  l'empereur  Frédéric 
Barberousse  :  il  retarda  donc  son  départ;  après  avoir  réglé  les 
affaires  les  plus  importantes  de  l'empire  et  reçu  à  Mayence  le 
serment  de  fidélité  des  princes  allemands  ',  il  se  rendit  en  Italie 

1.  Wilkins,  Conc.  Briiami.,  t.  i,  p.  493;  Mansi,  Concilia,  Suppleni.j  t.  ii^  col. 
745;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  591.  (H.  L.) 

2.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  591.  Je  n'ai  pu  arriver  à  identifier 
Glavornia.  (H.  L.) 

3.  Sur  la  date  de  cette  assemblée^  cf.  Scheffer-Boichorst,  op.  cil.,  p.  183. 

4.  Sofïredij  de  Pise,  chanoine  à  Pistoie,  cardinal-diacre  de  Sainte-Marie  in 
via  Lala,  fé\Tier  1183;  cardinal-prêtre  du  titre  de  Sainte-Praxède,  5  mars  1193; 
légat,  évêque  de  Pistoie.  le  19  nov.  1208;  mort  le  14  décembre  1210.  Cf.  G.  Beani, 
//  cardinale  Sofjredo,  notizia  biografica,  in-8,  Pistoia,  1890.  (H.  L.) 

5.  Hartzheim,  Conc.  Germanise,  t.  m,  col.  453;  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii, 
^.IQk;  GestaTrevirorum  coniinualio,\ii,\Z,  àa.ns  JMonum.  Germ.  hist..  Script., 
t.  xxiv^  p.  389;  Chron.  reg.  Colon.,  ann.  1189.  (H.  L.) 

6.  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  687;  Aguirre,  Conc.  Hispanise,  t.  v,  col.  101  , 
104;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  59.  (H.  L.) 

7.  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  j).  709^  note  G;  Scheiïer-Boichorstj  op.  cit..  p.  162; 
Tôche,  Heinrich  VI,  p.  111.  Tôche,  op.  cit.,  p.  144^  a  montré  que  le  pape  ne 
tenait  pas  le  moins  du  monde  Henri  VI  pour  roi  légitime  de  Sicile;  il  avait  de 
trop  bonnes  raisons  pour  favoriser  Tancrède.  Celui-ci,  il  est  vrai^  était  un  bâtard 


1162 


LIVRE     XXXIV 


pour  recevoir  la  couronne  impériale,  que  Clément  III  lui  avait 
laissé  espérer,  et  revendiquer,  au  nom  de  sa  femme  Constance,  le 
royaume  des  Deux-Siciles  ^.  Par  haine  des  Allemands,  beaucoup  de 

et  peut-être  qu'on  se  disait  à  Rome^  comme  on  l'a  dit  à  Paris,  que  «  tous  les 
enfants  sont  naturels  ».  Cf.  Richard  de  San  Germano,  dans  Monum.  Germ. 
hist.,  Scripl.,  t.  xix,  p.  324;  Annal.  Casinenses.  ad  ann.  1190,  dans  Monum. 
Germ.  hist.,  t.  xix,  p.  312.   (H.  L.) 

1.  Elle  en  était  héritière,  à  titre  de  tante  de  Guillaume  II;  le  roi  actuel, 
Tancrt'de,  comte  de  Lecce,  était  un  bâtard  du  roi  Roger.  F.  Chalandon,  Histoire 
de  la  domination  normande  en  Italie  et  en  Sicile,  1907,  t.  ir,  p.  444.  Henri  VI 
était  hardi,  intrépide,  ambitieux.  On  eût  excusé  chez  lui  la  fourberie  s'il  eût  été 
faible^  mais  il  était  tout  ensemble  retors,  violent  et  puissant.  Le  fond  de  son 
caractère  était  l'amour  du  sang  et  l'assouvissement  de  sa  vengeance  dans  la 
souffrance  d'autrui.  Quand  se  noya  Frédéric  Barberousse,  son  fils  avait  vingt- 
cinq  ans,  on  ne  le  connaissait  pas  et  tout  se  prit  à  remuer  :  en  Allemagne,  en 
Sicile.  Il  fallut  que  le  nouvel  empereur  prît  ses  sûretés  contre  Henri  le  Lion, 
qui  cherchait  à  relever  le  parti  guelfe,  abattu  depuis  la  paix  de  Venise;  ce  fut 
alors  le  tour  du  royaume  normand,  où  le  vainqueur  supprima  le  vaincu,  ce  fut 
l'extermination  systématique.  Henri  VI  reçut  le  surnom  de  Cruel,  Asper,  et 
on  peut  croire  que  pareille  étiquette  en  ces  temps  de  sauvagerie  ne  s'appliquait 
qu'à  bon  escient.  Il  ne  prit  guère  l'embarras  de  demander  au  pape  l'investiture 
de  la  Sicile  et  ne  parut  garder  aucun  souvenir  des  engagements  pris  par  son  père 
touchant  la  restitution  des  biens  de  la  comtesse  Mathilde.  Remontant  dans 
l'Italie  centrale  les  ressorts  détendus  de  l'organisation  fédérale  militaire,  il  y 
érigea  des  grands  fiefs  relevant  de  l'empire.  Son  frère,  Philippe  de  Souabe,  reçut 
le  titre  de  duc  de  Toscane  avec  l'investiture  des  biens  jadis  légués  au  Saint- 
Siège  par  la  comtesse  Mathilde.  L'Allemand  Conrad,  marquis  de  Spolète,  fut 
créé  duc  de  cette  vaste  vallée  de  l'ancienne  Ombrie,  à  laquelle  s'ajoutèrent 
les  terres  de  l'Eglise  occupées  par  les  impériaux.  Le  grand-sénéchal  Markwald 
d'Anweiler  obtint,  dans  cette  distribution  féodale,  le  duché  de  Romagne  et  le 
marquisat  d'Ancône.  Henri  VI  espéra,  par  ce  moyen,  empêcher  toute  ligue  et 
tout  concert  entre  la  cour  pontificale,  resserrée  dans  Rome,  les  mécontents  du 
royaume  de  Sicile,  réduits  à  l'impuissance,  les  communes  lombardes  placées 
dans  l'isolement,  et  établir  sa  domination  sur  la  péninsule  entière.  Au  point  de 
vue  de  l'empire  allemand,  Henri  VI  fut  un  homme  funeste  :  il  fit  plus  que  hâter 
la  ruine,  il  en  montra  le  chemin,  sur  lequel  on  pouvait  hésiter  encore.  De  l'empire 
électif  il  voulut  faire  un  empire  héréditaire;  la  mort  lui  refusa  le  temps  de  triom- 
pher des  résistances  qui  l'arrêtèrent  momentanément. Nul  doute  qu'il  fût  revenu 
à  la  charge  jusqu'à  ce  qu'il  eût  changé  la  constitution  de  l'empire.  Ce  n'est  pas 
l'unique  méfait  dont  il  se  fût  rendu  coupable  au  cours  d'une  plus  longue  vie. 
Une  maladie  soudaine  débarrassa  l'Europe  de  cet  homme  qui  n'avait  presque 
rien  d'humain.  Il  était  âgé  de  trente  ans  et  on  ne  peut  s'empêcher  de  frémir 
en  pensant  à  ce  qu'au  cours  d'une  vie  de  longueur  ordinaire  il  eût  entassé  de 
ruines,  versé  de  sang  et  accumulé  de  folies.  La  seule  chose  qu'on  regrette,  c'est 
la  façon  dont  il  eût  réalisé  son  rêve  très  positif  d'empire  héréditaire  et  la  vue 
des  conséquences  qui  en  fussent  historiquement  sorties.  La  disparition  de  l'em- 


638.     TROISIÈME    GRANDE    CROISADE  1163 

grands  du  royaume  étaient  pour  Tancrède,  dont  le  papeClément  III 
avait  confirmé  l'élévation  en  sa  qualité  de  suzerain.  Lorsque 
Henri  parut  devant  Rome,  Clément  III  était  déjà  mort  \  et  Cé- 
lestin  m,  vieillard  de  quatre-vingt-cinq  ans,  avait  été  élu  pour 
[756]  lui  succéder  (30  mars  1191)  2.  Le  samedi  saint  13  avril  1191, 
Célestin  reçut  lui-même  le  sacerdoce,  et  le  lendemain  il 
couronna  à  son  tour  l'empereur  et  sa  femme  Constance^.  Aus- 
sitôt   après,    le     nouvel    empereur    envahit     l'Apulie;    mais    la 

pereur  électif  compromettait  la  ratification  papale,  l'onction,  et  mvlrissait 
singulièrement  la  rupture  qui  ne  vint  que  beaucoup  plus  tard,  au  sein  d'un  dou- 
loureux enfantement.  Le  pape  Innocent  III  eut  assez  de  pénétration  pour  voir 
quel  rôle  de  bénisseur  surnuméraire  lui  appartiendrait  désormais  dans  un  empire 
héréditaire;  il  s'opposa  à  Philippe  de  Souabe,  peut-être  moins  pour  ses  démé- 
rites personnels  que  pour  prendre  une  garantie  contre  le  retour  d'un  projet 
qu'une  volonté  de  Hohenstaufen  risquait  de  conduire  à  terme.  (H.  L.) 

1.  La  plus  grande  incertitude  règne  sur  le  jour  de  la  mort  de  Clément  III.  Cf. 
Watterich,  op.  cit.,  t.  11,  p.  708,  n.  6;  Tôche,  op.  cit.,  p.  170,  n.  2;  Jafïé,  Regesta, 
t.  II,  p.  576,  donne  la  liste  des  sources.  (H.  L.) 

2.  Hyacinthe  Orsini,  cardinal-diacre  du  titre  de  Santa  Maria  in  Cosmedin. 
Chronica  collecta  a  magna  presbytère,  ad  ann.  1191,  dans  Monum.  Germ.  hist., 
Script.,  t.  XVII,  p,  518;  Ansbert,  Histor.  de  expedit.  Friderici  imper.,  dans  Fontes 
rer.  Austriacar.,  Script.,  t.  v,  p.  75;  Annal.  Ratisponenses,  ad  ann.  1191,  dans 
Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvii,  p.  590.  (H.  L.) 

3.  Comme  condition,  les  Romains  avaient  demandé  la  remise  de  Tusculum. 
Henri  leur  livra  cette  ville,  qui  fut  immédiatement  ravagée.  Cf.  là-dessus  et  au 
sujet  des  fêtes  du  couronnement,  Watterich,  t.  11,  p.  710  et  711.  Le  nouveau 
pape  eut  des  débuts  difficiles.  L'affaire  du  royaume  de  Sicile  était  des  plus  impor- 
tantes, mais  il  était  bien  difficile  au  pape  de  s'opposer  aux  desseins  d'Henri  VI. 
La  résistance  n'eût  été  possible  que  si  le  sénat  de  Rome  s'était  décidé 
à  prendre  le  parti  de  la  papauté.  On  put  croire  un  moment  que  cette  union 
allait  se  faire.  Les  Romains,  désireux  de  ruiner  leur  antique  ennemie,  la 
ville  de  Tusculum,  demandèrent  à  Célestin  III  de  ne  pas  sacrer  l'empereur 
tant  que  celui-ci  ne  lui  aurait  pas  remis  Tusculum.  Sigebert,  Continuât.  Aqui- 
cincl.,  ad  ann.  1191,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  vi,  p.  427;  Chr.  reg.  Col., 
dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  p.  152;  Roger  de  Hoveden,  dans  Monum.  Germ. 
hist..  Script.,  t.  xvii,  p.  154.  Le  pape,  de  son  côté,  semble  avoir  foit  ses  efforts 
pour  sauver  le  royaume  de  Sicile  et  la  domination  de  Tancrède.  Annal. Casinens., 
dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xix,  p.  314;  Richard  a  San  Germano,  dans 
Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xix,  p.  325;  Chr.  Ferrar.,  édit.  Gaudenzi,  p.  32; 
Arnold,  Chron.  Slavor.,  dans  Monum.  Germ.  hist., Script.,  t.  xxi,  p.  182.  Il  échoua 
et  Henri  YI,  de  son  côté,  parvint  à  brouiller  les  Romains  et  le  pape.  En  livrant 
Tusculum  aux  Romains,  Henri  VI  commit  une  lâcheté,  mais  il  réussit  à  isoler 
Célestin  III,  qui,  forcé  par  les  Romains,  dut  couronner  le  nouvel  empereur 
(14  ou  15  avril).  Gesta  Henrici  II  et  Riccardi  I,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script., 
t.  xxvii,  p.  130;  Guillaume  d'Andres,  Chron.,  ad  ann.  1191,  dans  Monum.  Germ. 


1164  LIVRE     XXXIV 

peste  qui  se  déclara  dans  son  armée  devant  Naples  en  fit 
périr  la  plus  grande  partie  (Philippe  de  Cologne  mourut  lui- 
même  le  13  août)  ;  Henri  VI  fut  atteint  et  forcé  de  revenir  sur 
ses  pas,  tandis  que  l'impératrice  Constance,  trahie  par  les  habi- 
tants de  Salerne,  était  livrée  à  Tancrède  et  ne  put  recouvrer 
sa  lil)erté  que  grâce  aux  démarches  du  pape  ^.  La  conduite  de 
l'empereur  après  son  retour  en  Allemagne  dénotait  aussi  peu 
d'égards  pour  l'Eglise  que  de  reconnaissance  pour  le  pape;  sans 
tenir  compte  des  stipulations  du  concordat  de  Worms,  l'em- 
pereur nomma  aux  évêchés  vacants,  et  alla  jusqu'à  mettre  à 
mort  Albert,  éveque  de  Liège,  dont  l'élection  avait  été  approu- 
vée par  le  pape  ^,  afin  de  pouvoir  le  remplacer  par  son  can- 
didat Lothaire,  prévôt  de  Bonn.  Célestin  fut  également  affligé 
de  la  conduite  de  l'empereur  à  l'égard  de  Richard  Cœur  de 
Lion  et  de  son  dédain  pour  les  remontrances  papales.  Le  pape 
ne  voulut  cependant  pas  excommunier  le  chef  temporel  de  la 
chrétienté;  il  se  contenta  de  frapper  de  cette  peine  Léopold,  duc 
d'Autriche  ^. 

Célestin  III  était  à  peine  monté  sur  le  siège  de  saint  Pierre, 
qu'on  apprit  en  Angleterre  la  mort  de  Baudouin,  archevêque 
de  Cantorbéry,  emporté  par  la  peste  devant  Ptolémaïs.  On  sait 
que  depuis  longtemps  les  archevêques  de  Cantorbéry  étaient  élus 
par  les  moines  du  monastère  de  Christ  Church;  mais  les  évêques 
de  la  province  mirent  ce  droit  en  ([uestion,et, sans  perdre  de  temps, 
envoyèrent  à  Cantorbéry  Richard,  évêque  de  Londres,  le  premier 
d'entre  eux.   En  compagnie  d'un  agent  de  la  couronne,  Richard 

hisl.,  Scripl.j  t.  xxiv,  p.  179;  Chronica  collecta  a  magno  presbytero,  ad  ann.  1191, 
dans  Moiium.  Gerrn.  IiisL,  Script.,  t.  xvii,  p.  518;  Annal.  Marhacenses,  dans 
Monum.  Gerrn.  hisl.,  Script.,  t.  xvii,  p.  165;  Gislcbcrt,  Chvon.  Hanon.,  dans 
Monum.  Gerrn.  hist..  Script.,  t.  xxi,  p.  572;  Tôchc,  op.  cit.,  p.  186.  (H.  L.) 

1.  Watlerich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  721  sq.,  730.  Cf.  P.  Schwartz,  Die  Fûrslenem- 
pôrung  von  1192  und  1193.  Dissert.,  Rostock,  1879;  F.  Chalandon,  op.  cit.,  t.  n, 
p.   446-447.   (H.  L.) 

2.  Tôche,  Heinrich  VI,  p.  216  sq.,  228,  550;  Hauck,  Kirchengeschichte  Deutsch- 
ands,  t.  IV,  p.  665,  s'efforce  de  laver  Henri  VI  de  ce  crime,   qui   fut   commis  le 

24  novembre  1192.    (H.   L.) 

.  3.  Richard  fut  fait  prisonnier  le  21  décembre  1192;  il  paya  rançon  de  150  000 
marcs  d'argent.  Roger  de  Hovcdcn,  Chron.,  dans  Monum.  Gerrn.  hist..  Script., 
t.  xxvii,  p.  158  sq.  ;  Radulf,  abbé  de  Coggeshale,  Hist.  Anglic,  dans  Mo?ium. 
Gerrn.  hist.,  Script.,  t.  xxvii,  p.  348  sq.  ;  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  733;  Kneller, 
Des  Richard  Lôwenherz  deutsche  Gefangenschaft,  Freiburg,  1893;  Tôche.  Hein- 
rich VI,  p.  246  sq.,  558  sq.  (H.  L.) 


638.     TROISIÈME     GRANDE     CROISADE  1165 

émit,  au  nom  de  ses  collègues,  un  appel  à  Rome  contre  les  préten- 
tions des  moines,  et  leur  défendit  de  procéder  à  l'élection  à  l'insu 
des  évoques  et  sans  l'assentiment  du  roi.  Richard  réunit  ensuite 
ses  collègues  en  un  synode  à  Londres,  pour  procéder  à  l'élection; 
mais  les  moines  parurent  à  leur  tour  dans  l'assemblée  et  protes- 
tèrent de  telle  façon  que  les  évoques  changèrent  d'avis  :  l'élection 
n'eut  pas  lieu  et  l'appel  fut  renouvelé.  Quelques  jours  plus  tard, 
les  évêques  résolurent  de  se  réunir  le  2  décembre  1191  à  Cantor- 
béry;  nous  avons  encore  la  lettre  de  Richard  de  Londres 
[757]  invitant  à  ce  synode  l'évêque  de  Chichester.  Mansi  ^  la  date  par 
erreur  de  l'année  1193;  Richard  y  dit  à  son  collègue  de  se  trouver 
à  Cantorbéry  le  lundi  après  la  Saint-André;  or,  en  1191,1a  Saint- 
André  était  un  samedi,  par  conséquent  le  lundi  suivant  était  le 
2  décembre  (date  indiquée).  En  1193,  au  contraire,  le  lundi  après  la 
Saint-André  tombait  le  6  décembre,  c'est-à-dire  le  jour  de  la  fête 
de  saint  Nicolas.  On  aurait  donc  indiqué  le  jour  de  cette  fête  au 
lieu  du  lundi  après  la  Saint-André.  Ce  nouveau  projet  de  faire 
l'élection  à  Cantorbéry  même  avait  pour  auteurs,  d'après  la  lettre, 
le  prince  Jean,  comte  de  Moréton  (Mortagne),  et  Gauthier  (et 
non  Guillaume),  archevêque  de  Rouen.  Avant  de  quitter  la 
Sicile  pour  la  Palestine,  le  roi  Richard  avait  chargé  Gauthier, 
archevêque  de  Rouen,  et  quelques  personnages  de  confiance,  de 
pourvoir  à  la  vacance  du  siège  de  Cantorbéry  et  de  surveiller 
Guillaume,  évêque  d'Ely,  gouverneur  du  royaume  en  l'absence 
du  roi  et  grand  juge  d'Angleterre,  car  il  courait  des  bruits 
inquiétants  sur  les  rapports  de  cet  évêque  avec  le  prince  Jean. 
Ces  commissaires  arrivèrent  en  Angleterre  au  printemps  de  1191, 
prirent  parti  pour  le  prince  Jean  contre  Guillaume  d'Ély  qu'ils 
chassèrent  (dans  l'automne  de  1191),  et  s'occupèrent  ensuite  de 
l'élection  de  Cantorbéry.  Avant  la  date  du  2  décembre,  le  prince 
Jean  et  l'archevêque  de  Rouen,  accompagnés  d'un  grand 
nombre  d'évêques  et  de  barons,  se  rendirent  à  Cantorbéry, 
pour  délibérer  au  sujet  de  cette  grave  affaire,  ou,  plus  probable- 
ment, pour  préparer  l'élection  du  2  décembre.  Mais  les  moines, 
se  présentant  à  l'improviste,  annoncèrent  avoir  élu  pour  arche- 
vêque de  Cantorbéry  Réginald,  évêque  de  Bath.  Ceci  se  passait 
le  27  novembre   1191.   L'archevêque  de   Rouen  et  ses   collègues 


1.  Mansi^  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  652, 


1166  LIVRE    XXXIV 

appelèrent  de  cette  élection;  mais  Réginald  mourut  un  mois  après, 
sans  que  son  élection  eût  été  confirmée  ^. 

Le  siège  primatial  de  Cantorbéry  resta  vacant  pendant  près  de 
quinze  mois.  A  son  retour  de  captivité,  Richard  Cœur  de  Lion 
prescrivit  aux  évêques  de  la  province  de  mettre  fin  à  cette  situa- 
tion. Les  évcques,  avec  de  nombreux  abbés,  se  réunirent  le  [758J 
dimanche  30  mai  1193,  à  Westminster  ^,  et  après  que  les  moines 
eurent  élu  à  l'archevêché  de  Cantorbéry  Hubert,  évêque  de 
Salisbury,  les  évcques  l'élurent  également,  et  Gauthier  de  Rouen 
confirma  l'élection  au  nom  du  roi.  L'intronisation  solennelle  à 
Cantorbéry  eut  lieu  le  5  novembre  de  cette  même  année  dans  une 
grande  assemblée  (synode)  ^. 

Baronius  *  range  au  nombre  des  synodes  une  diète  tenue  vers 
Pâques  de  1193,  à  Spire  ^,  dans  laquelle  Henri  VI,  imbu  de  ce 
sentiment  traditionnel  d'après  lequel  les  empereurs  d'Allemagne 
s'attribuaient  la  domination  du  monde,  se  permit  de  juger  le 
roi  Richard  d'Angleterre,  son  prisonnier,  qui,  naguère,  l'avait 
reconnu  pour  son  suzerain  supérieur  et  avait  reçu  de  lui  en  fief 
la  couronne  d'Angleterre.  L'accusation  portait  que  Richard 
avait  soutenu  l'usurpateur  Tancrède  de  Sicile,  détrôné  Isaac, 
empereur  de  Chypre,  parent  de  l'empereur,  s'était  rendu  cou- 
pable du  meurtre  du  marquis  de  Montferrat  et  avait  causé 
des  dommages  en  Terre  Sainte.  Le  roi  d'Angleterre  se  défendit 
brillamment,  et  les  relations  s'améliorèrent  entre  lui  et  l'empe- 
reur; peu  de  temps  après,  du  reste,  il  fut  remis  en  liberté,  contre 
le  désir  de  son  frère  Jean  et  du  roi  de  France  ^. 

Avec  le  synode  de  Compiègne,  célébré  le  5  novembre  1193, 
commencèrent  les  graves  démêlés  au  sujet  du  mariage  de  Philippe- 

1.  Mansi^  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  645  sq.,  652. 

2.  Apud  W estmonasterium,  loco  faciendis  eleclionibus  archiepiscoporum  a 
multis  temporibus  consecrato.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  651. 

3.  Mansi^  Conc.  ampliss.  coll.,  col.  651  sq.  ;  Jafïé,  Regesla  pontif.,  p.  896,  a 
placé  à  tort  en  1193  la  lettre  du  pape  à  Hubert,  le  nouvel  archevêque  de  Can- 
torbéry, laquelle  appartient  évidemment  à  l'année  1195.  Hubert  y  est 
traité  de  légat  du  pape;  or  il  n'obtint  cette  charge  que  le  18  mars  1195,  ainsi 
que  le  remarque  lui-même  Jafïé,  p.  899.  Que  Migne,  t.  ccvi,  p.  1025,1074,  ait 
copié  l'erreur  de  Jafîé,  c'est  ce  qui  n'étonnera  personne. 

4.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  1191,  n.  43. 

5.  Roger  de  Hoveden,  Cliron.,  dans  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  736;Toche, 
op.  cit.,  p.  564. 

6.  Radulf,  abbé  de  Coggeshale,  Hist.  Atiglic,  dans  Martène,  Veter.  script., 
t.  V,  p.  833;  Ficker,  De  Henrici  VI  conaiu,  p.  77;  Tôche,  op.  cit.,  p.  265  sq.(H.  L. 


638.    TROISIÈME    GRANDE    CROISADE  11  67 

Aiigusle,  roi  de  France.  Après  la  mort  de  sa  première  femme,  Isa- 
belle de  Ilennegau,  le  roi  avait  envoyé  l'évêque  de  Noyon  à 
Canut  III,  roi  de  Danemark,  pour  lui  demander  en  mariage  sa 
sœur  Ingcburge.  Le  mariage  eut  lieu  le  14  août  1193  à  Amiens, 
et  le  lendemain  la  nouvelle  reine  fut  solennellement  couronnée  par 
Guillaume,  archevêque  de  Reims,  en  présence  de  nombreux  évê- 
ques  et  princes  du  royaume.  Dès  cette  cérémonie,  le  roi  mani- 
festa une  grande  répugnance  à  l'endroit  de  sa  nouvelle  épouse, 
ce  que  l'on  ne  manqua  pas  d'attribuer  à  la  sorcellerie,  car  la  reine 
[759]  était  belle  et  vertueuse  i^  Aussitôt  après,  on  parla  de  la  séparation 
des  conjoints  comme  d'une  nécessité.  Quelques-uns  conseillèrent 
au  roi  d'attendre  et  de  chercher  à  surmonter  son  aversion.  Il 
suivit  ce  conseil  et  se  rendit  avec  sa  femme  à  Saint-Maur  près 
Paris,  mais  ses  sentiments  ne  changèrent  pas.  On  s'est  demandé 
s'il  y  eut  entre  eux  à  cette  époque  un  commerce  conjugal  : 
Ingeburge  l'affirma,  mais  le  roi  le  nia.  Après  deux  mois  et 
trois  semaines,  Philippe-Auguste  réunit  à  Compiègne  une  diète 
synodale  dans  laquelle  Guillaume,  archevêque  de  Reims,  déclara 
nul  le  mariage  du  roi,  sous  prétexte  qu' Ingeburge  aurait  été 
parente  au  quatrième  ou  cinquième  degré  avec  son  premier  mari. 
Ingeburge  était  présente  au  synode,  mais  elle  ne  comprenait  pas 
le  français;  lorsqu'on  lui  eut  traduit  la  sentence,  elle  s'écria: 
Mala  Francîa,  mala  Francia  !  Roma,  Roma  !  c'est-à-dire  qu'elle  en 
appelait  à  Rome.  Comme  elle  refusa  de  revenir  en  Danemark,  on 
lui  donna  asile  dans  le  monastère  de  Beaurepaire,  où  elle  fut  traitée 
en  prisonnière  et  mise  à  la   portion  congrue-2»  Son  frère  Canut   se 

1.  Insligante  diabolo  maleficiis  per  sorciarias  expelitus,  uxorem,  tam  longo  tem- 
pore  cupitam,  exosam  liabere  cœpit...  Dicunt  quidam,  quod  propler  jœtidum  oris 
spiritum,  alii  quod  propter  latcntem  quamdam  fœtidilalem  repudiaverit  eam. 
Guillaume  de  Nenbrodgp,  1.  IV,  c.  xxiv.  [Cet  épisode  des  relations  conjugales  de 
Philippe-Auguste  et  d'Ingeburge  a  été  étudié  par  A.  Brachet,  Pathologie  men- 
tale des  rois  de  France.  Louis  XI  et  ses  ascendants.  Une  vie  humaine  étudiée  à 
travers  six  siècles  d'hérédité,  852-1483,  in-8,  Paris,  1903,  p.  307-332.  Nous  ne 
pouvons  que  renvoyer  sans  citations  à  cette  longue  étude  sur  un  problème  qui 
a  exercé  depuis  six  siècles  la  sagacité  des  historiens  de  Philippe-Auguste.  (H.  L.)] 

2.  R.  Davidsohn,  Philip  II  August  von  Frankreich  und  Ingeborch,  in-8, 
Heidelberg;  W.  E.  Christiani,  Ilistoriskc  og  chronologiske  undersogelse  af  shils 
missetretten  mellcn  Philip  II,  aller  Philip  August,  konge  i  Frankerig,  og  hcns 
gemalinde  Ingeborg,  fôd  prindsesse  af  Danmark,  dans  Nije  Saml.  Danske  Vidensk. 
Selsk.  Skr.,  t.  v,  p.  28;  trad.  allcm.  par  Heinze,  t.  viii,  p.  257;  L.  Engelstoft, 
Philip  August,  konge  af  Frankrije,  og  Ingeborg,  Prinsesse  af  Danmark.  in-8 
Kjoebenhavn,    1801;  F.-J.-C.  Laporte  du  Theil,  Relations  pour   servir   d'intro- 


1168  LIVRE    XXXIV 

plaignit  au  pape  qui  envoya  en  France  deux  légats,  le  cardinal- 
prêtre  Melior  et  le  sous-diacre  Cencius,  faire  utie  enquête  sur  ce 
mariage.  Les  légats  tinrent  un  concile  à  Paris  (au  commence- 
ment de  1196),  mais  ils  s'y  conduisirent  comme  des  «  chiens 
muets  »,  et  Philippe-Auguste  ne  fit  aucun  cas  de  l'exhortation  du 
pape,  qui  l'engageait  à  traiter  Ingeburge  comme  sa  femme.  Aussi 
Célestin  III  chargea-t-il  Michel,  archevêque  de  Sens,  de  ne  pas 
laisser  le  roi  contracter  un  nouveau  mariage  ;  mais,  au  mois 
de  juin  de  cette  même  année  (1196),  il  épousa  Agnès,  fille  du 
duc  de  Méranie  ou  de  Tyrol  ^. 

Godefroi  Plantagenet,  archevêque  d'York,  fut  accusé  à  Rome 
par  son  chapitre  et  par  onze  abbés  de  négliger  ses  fonctions, 
de  ne  s'occuper  que  de  chasse  et  de  guerre,  sans  tenir  de  synodes, 
sans  consacrer  d'églises,  sans  bénir  d'abbés,  d'empêcher  les 
appels  à  Rome,  de  priver  les  appelants  de  leurs  bénéfices,  de  mal- 
traiter ses  chanoines,  de  donner  des  bénéfices  ecclésiastiques  à 
des  indignes  et  même  à  des  enfants,  de  s'être  rendu  coupable 
de  simonie,  etc.  Par  décret  du  8  juin  1194,  le  pape  Célestin  [760] 
chargea  Hugues,  le  saint  évêque  de  Lincoln,  l'archidiacre  de 
Northampton  et  le  prieur  de  Ponte  Santo,  de  faire  sur  place,  en 
présence  du  clergé  d'York,  une  enquête  dont  ils  enverraient  les 
actes  à  Rome.  Si  les  accusateurs  faisaient  défaut,  ils  devaient, 
au  nom  du  pape,  obliger  l'archevêque  à  se  purger  par  serment 
avec  trois  évêques  et  de  nombreux  abbés.  S'il  ne  pouvait  le  faire, 
on    devait  le    frapper  de  suspense    et  le    citer   à    comparaître    à 

duction  à  une  histoire  détaillée  du  mariage  de  Philippe-Auguste  at-'ec  Ingelburge 
et  de  leur  divorce;  J.  M.  Schultz,  Philip  August,  Konig  von  Frankreich,  und  Inge- 
borg,  Prinzessin  von  Danemark,ein  historischer  Versuch  nach.  du  Theil  und  Engel- 
stojt  frei  bearbeit,  in-8,  Kiel,  1804;  H.  G éraud,  Ingeburge  de  Danemark,  reine  de 
France,  1193-1236,  dans  la  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes,  1844,  p.  3-27; 
E.  Michael,  Zur  Geschichte  der  Kônigin  Ingeborg,  dans  Zeitschrift  fur 
katholische  Théologie,  1890,  t.  xiv,  p.  562-569.  Fille  de  Waldemar  I^r,  roi  de 
Danemark,  née  en  1176,  épouse  Philippe-Augusle,  à  Amiens,  le  14  août  1193, 
couronnée  le  lendemain,  répudiée  le  4  novembre,  reprise  en  1213,  morte  à  Cor- 
beil  le  29  juillet  1236  (1237-1238  ?).  Cf.  L.  Delisle,  Notice  sur  le  psautier  d' Inge- 
burge, dans  la  Biblioth.  de  l'École  des  chartes,  1867,  p.  201-210;  Cabinet  des 
manuscrits,  1868,  t.  i,  p.  400-407;  Vignat,  Charte  originale  et  inédite  d'Iseniburge 
(Ingeburge),  reine  de  France,  femme  de  Philippe-Auguste,  en  date  du  mois  de 
février  1229-1230,  dans  le  Bulletin  hist.  et  phil.  du  Comité  des  travaux,  1894, 
p.  160-163.  (H.  L.) 

1.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  667-671;  Hurler,  Geschichte  Papsts 
Innocent  III,  2^  édit.,  Hamburg,  1841,  t.  i,  p.  193  sq.  (H.  L.) 


638.    TROISIÈME     GRANDE     CROISADE  1169 

Rome.  Que  si  lui-même  en  avait  auparavant  appelé  à  Rome,  on 
lui  accorderait  trois  mois  pour  suivre  cet  appel  ^  Un  second 
décret  postérieur  de  huit  jours  cherchait  à  prémunir  l'Église 
d'York  contre  son  propre  archevêque  2.  Les  commissaires  pon- 
tificaux se  rendirent  à  York  (janvier  1195),  mais  l'archevêque 
les  prévint,  fit  appel  au  jiape,  et  ils  lui  accordèrent  jusqu'au 
l^ï"  juin  pour  donner  suite  à  cet  appel 3.  Cependant,  le  18  mars 
1195,  à  la  demande  du  roi  Richard,  le  pape  avait  nommé  légat 
pour  toute  l'Angleterre  Hubert,  archevêque  de  Cantorbéry, 
sans  égard  aux  privilèges  de  l'archevêque  d'York  *.  En  cette 
qualité,  Hubert  se  rendit  à  York,  le  dimanche  11  juin  1195;  il 
fut  reçu  solennellement  par  le  clergé,  suivant  son  désir  (comme 
légat  toutefois,  et  non  comme  primat),  et  le  mercredi  ou  jeudi 
suivant  (14  ou  15  juin  1195)  il  présida  à  York  un  concile  qui 
décréta  douze  canons  (dix-sept,  d'après  une  autre  énumération), 
dont  voici  le  résumé  ^  : 

1.  Entre  tous  les  sacrements,  celui  de  l'eucharistie  doit  être 
honoré  d'une  manière  particulière;  le  prêtre  devra  s'assurer  delà 
qualité  du  pain  et  du  vin  et  ne  pas  célébrer  sans  un  minister 
literatus;  la  sainte  hostie  sera  conservée  dans  une  pyxis  propre 
et  décente;  les  hosties  seront  renouvelées  tous  les  dimanches. 
Le  prêtre  portera  lui-même  la  communion  aux  malades  en 
habit  clérical  requis  pour  ce  mystère  et  précédé  d'une  lumière, 
à  moins  que  des  tempêtes,  les  mauvais  chemins  ou  d'autres 
empêchements  ne  le  rendent  impossible. 

2.  On  rencontre  dans  certaines  églises  des  exemplaires  du  canon 
de  la  messe  que  le  temps  a  rendus  illisibles,  et   d'autres    avec   des 

1.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  1194,  n.  5;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2, 
col.  1915;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  702;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii, 
col.  599;  P.  L.,  t.  ccvi,  col.  1037. 

2.  P.  L.,  t.  ccvi,  col.  1042. 

3.  Baronius^  Annales,  ad  ann.  1195,  n.  11  ;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2, 
col.  1921;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  700;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii, 
col.  605;  P.  L.,  t.  ccvi,  col.  1037. 

4.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  1194,  n.  9;  Hardouin,  Co?ic.  coll.,  t.  vi,  part.  2, 
col.  1918;  Coleti,  Concilia,  t.  xiu,  col.  697;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii, 
col.  601. 

5.  Co?Z. /-egra,  t.  XXVIII,  col.  77;  Labbc,  Conci/ifl,  t.  x,  col.  1791-1796;  Har- 
douin, Conc.  coll.,  t.  VI,  part.  2,  col.  192);  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  715; 
Wilkins,  Conc.  Brilann.,  t.  i,  col.  501-503;  Mansi,  Conc.  ampliss.  co//.,  t.  xxii, 
col.    652.    (H.    L.) 

CONCILES   -   V  —  74 


1170 


LIVRE     XXXIV 


fautes  de  copistes.    Les    archidiacres    doivent    veiller    à    ce    que 
chaque  église  possède  un  bon  exemplaire, 

3.  Qu'aucun  prêtre  ne  donne   comme   pénitence   à   un    laïc   de  ["61] 
faire  dire   des   messes;   qu'il  n'exige    d'avance    par  pacte   aucune 
rétribution  pour  la  célébration  de  la  messe,  mais  se    contente   de 

ce  qui  sera  offert  à  la  messe. 

4.  Pour  le  baptême,  il  ne  doit  pas  y  avoir  plus  de  trois  par- 
rains :  pour  un  garçon,  deux  hommes  et  une  femme  et  inverse- 
ment. Si  on  trouve  un  enfant  abandonné  sans  savoir  s'il  a  été 
baptisé,  on  devra  lui  administrer  ce  sacrement.  Ce  n'est  que  dans 
les  cas  de  grande  nécessité  qu'un  diacre  pourra  baptiser,  ou  don- 
ner la  sainte  eucharistie,  ou  imposer  la  pénitence. 

5.  On  doit  tenir  les  églises  en  état  décent  et  y  faire  les  répa- 
rations opportunes;  autant  que  possible,  on  devra  célébrer  la 
messe  avec  un  calice  d'argent. 

6.  Les  clercs  doivent  porter  la  tonsure  et  la  couronne;  ils 
auront  des  habits  en  rapport  avec  leur  état,  sans  manteaux  à 
manches  [cappœ  manicatse). 

7.  L'administration  de  la  justice  ecclésiastique  doit  être  gratuite. 

8.  On  doit  payer  exactement  les  dîmes. 

9.  Les  moines,  chanoines  réguliers  et  religieuses  ne  doivent  avoir 
aucune  obédience  en  ferme  (a<i  firmam)',  ils  ne  feront  aucun 
voyage  et  ne  sortiront  de  leur  couvent  sans  une  grave  nécessité. 

10.  Aucun  laïc,  ni  seul  ni  associé  avec  un  clerc,  ne  doit  pos- 
séder une  église    ou    une  dîme  en  ferme  [ad  firmam). 

11.  Afin  de  mettre  un  terme  à  de  nombreux  faux  témoignages, 
chaque  prêtre  devra  à  l'avenir  prononcer  trois  fois  par  an  une 
excommunication  solennelle  contre  ceux  qui,  sciemment,  prêtent 
un  faux  témoignage  ou  en  engagent  d'autres  à  le  faire;  l'absolu- 
tion des  coupables  est   réservée. 

12.  Les  clercs  doivent  s'abstenir  des  festins  publics  et  des  au- 
berges; ils  n'auront  pas  chez  eux  de  concubine  (/ocarm).  Toutes 
ces  ordonnances  sont  portées  sah>a  in  omnibus  sacrosanctœ  romanse 
Sedis  authoritate.  Enfin,  on  agita  dans  ce  synode  la  question  de 
l'archidiaconé  de  Westring,  mais  l'affaire  resta  en  suspens. 

Pendant  cette  réunion  d'York,  Godefroi  aurait  dû  se  trouver 
à  Rome,  pour  y  répondre  en  personne  aux  accusations  émises 
contre  lui.  Il  avait  ostensiblement  commencé  le  voyage;  mais, 
sur  ses  pressantes  instances,  le  pape  avait  prolongé  jusqu'à  l'oc- 
tave de  la  Saint-Martin  1195  le  délai  de  comparution.  Ce  terme  inu- 


638.     TROISIÈME     GRANDE     CROISADE  1171 

tilement  échu,  le  pape  lui  interdit  l'usage  du  pallium,  les  fonctions 
de  sa  charge,  tant  au  spirituel  qu'au  temporel;  tous  les  revenus 
ecclésiastiques  lui  furent  enlevés,  et  Simon,  doyen  d'York,  fut 
[762]  nommé  administrateur  de  cette  Église  ^.  L'année  suivante, Godefroi 
comparut  enfin  à  Rome,  et  le  pape  le  releva  des  censures;  mais  le 
roi  Richard,  qui  s'était  emparé  des  biens  de  la  mense  archiépis- 
copale, empêcha  le  retour  de  son  frère,  et  cette  affaire  ne  put 
être  terminée  que  sous  Innocent  III. 

Michel,  légat  du  pape,  se  rendant  en  Espagne,  réunit  à  Mont, 
pellier,  en  décembre  1195,  un  concile  de  la  province  ecclésias- 
tique de  Narbonne  2.  L'assemblée  porta  les  prescriptions  sui- 
vantes : 

1.  On  renouvelle  les  ordonnances  des  second  et  troisième  con- 
ciles de  Latran    sur  la  trêve  de  Dieu. 

2.  Sont  frappés  d'anathème  tous  les  hérétiques,  les  voleurs 
aragonais,  ceux  qu'on  appelle  les  Mainatse  (bandes  de  brigands) 
et  tous  ceux  qui  livrent  aux  Sarrasins  des  armes,  des  bois 
pour  leurs  navires,  etc.  (d'après  les  can.  24  et  27  du  troisième  con- 
cile de  Latran). 

3.  Les  princes  temporels  qui,  avertis  par  l'autorité  ecclésias- 
tique, ne  punissent  pas  ces  sacrilèges  seront  menacés  de  l'excom- 
munication. Les  évêques  de  la  province  de  Narbonne  sont  priés, 
au  nom  du  pape,  de  faire  prononcer  solennellement  tous  les 
dimanches,  dans  chaque  église  paroissiale,  une  sentence  d'excom- 
munication contre  tous  ceux  qui  protègent  ou  qui  soutiennent 
d'une  manière  quelconque  les  Mainatse. 

4.  Quiconque  veut  aller  en  Espagne  comme  croisé  (contre  les 
Maures)  ne  peut  être  contraint  à  payer  auparavant  les  redevances 
dues  par  lui. 

5.  Les  22^,  25^  et  26^  canons  du  troisième  concile  de  Latran 
sont  renouvelés. 

6.  Tous  ceux  qui  passent  du  judaïsme  ou  du  paganisme  à  la 
foi  chrétienne  sont  sous  la  protection  particulière   des  princes  des 

1.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  1195,  ii.  10  sq.;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi, 
part.  2,  col.  1920  sq.;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  700;  Mansi,  Conc.  ampliss. 
coll.,  t.  XXII,  col.  604  sq.;  P.  L.,  t.  ccvi,  col.   1125-1131. 

2.  Baluze,  Conc.  Narbonn.,  1608,  p.  28-38;  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  1796- 
1800;  Percin,  Mon.  corn:  Tolos.  prsedic,  1693,  t.  i,  p.  18;  Hardouin,  Conc. 
coll.,  t.  VI,  part.  2,  col.  1933;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  719;  Maiisi,  Conc. 
ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  668.  (H.  L.) 


1172  LIVRE     XXXIV 

apôtres,  du  pape,  des  légats,  des  évêques  et  de  tous  les  prélats. 

7.  Le  légat  renouvela  encore  plusieurs  autres  décrets  de  con- 
ciles précédents,  en  particulier  la  défense  pour  les  moines  et  les 
chanoines  réguliers  d'enseigner  les  lois  séculières  ou  la  physique; 
il  rappela  aussi  les  prescriptions  sur  la  tonsure  et  sur  les  vête- 
ments des  clercs  et  défendit  aux  laïcs  des  deux  sexes  le  luxe 
des  vêtements,  surtout  à  raison  de  l'état  lamentable  des  chré- 
tiens à  Jérusalem  et  en  Espagne.  Les  clercs  devaient  pour  le 
même  motif  s'abstenir  des  grands  festins  et  de  toute  réjouissance 
de  ce  genre. 

Les  chrétiens  commençaient  à  espérer  quelque  amélioration 
des  affaires  d'Orient,  la  mort  de  Saladin  ayant  entraîné  la  division 
de  son  empire  i.  En  janvier  1194,  Célestin  III  sollicita  des  [763] 
évêques  d'Angleterre  de  nouveaux  sacrifices  pour  la  Terre 
Sainte  et  exhorta  les  chevaliers  à  employer  leur  bravoure 
à  reprendre  Jérusalem,  plutôt  qu'à  la  gaspiller  dans  des  tour- 
nois'-. Plus  tard,  le  pape  déclara  à  Léopold,  duc  d'Autriche,  que, 
s'il  voulait  être  relevé  de  l'excommunication  et  voir  ses  Etats 
relevés  de  l'interdit,  il  devait  rendre  au  roi  Richard  son  argent 
et  ses  otages  (garanties pour  les  sommes  encore  dues),  et  promet- 
tre de  faire  une  croisade  avec  ses  troupes  ^.  Le  duc  Léopold  mou- 
rut le  31  décembre  1194,  absous  par  Adelbert,  archevêque  de 
Salzbourg,  après  avoir  promis  de  donner  satisfaction  au  roi 
Richard  (ce  que  Frédéric,  son  fils  et  successeur,  exécuta  non  sans 
restrictions). Le  pape  reprit  le  projet  de  la  croisade  en  1195,  lorsqu'il 
crut  avoir  gagné  à  son  dessein  le  puissant  empereur  Henri  VI. 
Après  s'être  réconcilié  avec  Henri  le  Lion  et  avec  son  fils  à  Tul- 
leda  de  Kyffhâuser,  Henri  VI  revint  en  Italie  pendant  l'été  de 
1194,  car  cette  année  même,  Roger,  fils  aîné  du  roi  Tancrède, 
et  Tancrède  lui-même  étaient  morts*,  laissant  la  couronne  à  un 
enfant  mineur,  Guillaume  III.  La  fortune  souriait  à  l'empereur. 
Nombre  de  villes  situées  des  deux  côtés  du  détroit  furent  prises 
et  terriblement  punies   de   leur   résistance;  d'autres,  Palerme    par 

1.  Saladin  mourut  le  3  mars  1193.  Cf.  Bréhier,  Les  croisades,  p.  137.  (H.  L.) 

2.  Sigebert,  Continuât.  Aquicinct.,  dans  Monum.  Gerni.  hist.,  Script.,  t.  vi, 
p.    431. 

3.  Tôche,  op.  cit.,  p.  371  ;  Magni  preshil.  Reichersp.,  dans  Monum.  Germ. 
hist.,  Script.,  t.  xvii,  p.  521  sq.  ;  Watterich,  t.  ii,  p.  738,  P.  L.,  t.  ccvi,  col.  1035 
sq.  (H.  L.) 

4.  Tancrède  mourut  le  20  février. 


638.     TROISIÈME     GRANDE     CROISADE  1173 

exemple,  se  soumirent,  et  Sibylle,  veuve  de  Tancrède  [subissant 
la  nécessité],  renonça  à  la  couronne,  au  nom  de  son  fils, en  échange 
du  comté  de  Lecce  et  de  la  principauté  de  Tarente,  avec  promesse 
d'une  sécurité  complète  pour  sa  personne  et  pour  ses  biens.  Mais 
dès  que  l'empereur  fut  le  maître,  commencèrent  d'épouvantables 
cruautés  ^.  Sous  prétexte  de  la  découverte  d'une  conspiration  ^, 
beaucoup  de  seigneurs  siciliens,  clercs  et  laïcs,  furent  saisis  et 
condamnés  par  un  simulacre  de  tribunal  :  les  uns  furent  brûlés, 
d'autres  pendus,  d'autres  noyés,  d'autres  enfin  aveuglés.  Le 
jeune  roi  eut  les  yeux  crevés  et  fut  relégué  dans  le  château 
de  Hohenems,  dans  le  Vorarlberg^;  sa  mère  et  ses  sœurs 
furent  enfermées  à  Hohenbourg  en  Alsace.  On  alla  jusqu'à 
ouvrir,  pour  le  profaner,  le  tombeau  du  roi  Tancrède,  et  le 
pillage  fut  si  abondant  qu'il  fallut  plus  de  cent  soixante 
[764]  hè^es  de  somme  pour  l'emporter.  L'Apulie,  terrifiée,  se  soumit 
sans  résistance.  De  toute  la  famille  royale,  il  ne  restait 
qu'Irène,  fille  d'Isaac  l'Ange,  empereur  de  Byzance,  qui  avait  été 

1.  Tôche  dit  que  ces  sentences  cruelles  et  inhumaines  furent  prononcées 
en  1197  à  la  suite  d'une  nouvelle  conspiration.  Heinrich  VI,  p.  454  sq.,  575  sq. 
Watterich,  op.  cit.,  t.  ii.  p.  737  sq.  [F.  Chalai  don.  Histoire  de  la  domination 
normande  en  Italie  et  en  Sicile,  t.  ii,  p.  475-491.  Bien  qu'on  puisse  s'attendre 
de  la  part  d'Henri  VI  à  des  atrocités,   il  semble   qu'on  lui  en  ait  prêté.  (H.  L.)] 

2.  On  s'est  évertué,  en  Allemagne,  à  découvrir  les  traces  de  la  réalité  d'une 
conspiration;  on  a  réussi  à  montrer  qu'il  y  eut,  en  efîet,  quelque  mouvement 
de  nature  à  justifier  la  mesue  prise  par  le  conquérant,  mais  non  ses  cruautés. 
(H.  L.) 

3.  Innocent  III,  Registrum,  1.  I,  xxvi,  P.  L.,  t.  ccxiv,  col.  21.  On  a  raconté 
que  le  petit  roi  fut  fait  moine,  c'est  peu  vraisemblable.  Innocent  III  ne  dit  rien 
de  l'aveuglement  de  cet  enfant,  c'est  une  monstruosité  que  rappellent  seuls 
Otion  de  Saint-Biaise,  Continuât.  Sanblasiana,  c.  xl;  Atmal.  Ceccanenses,  dans 
Monuni.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  290;  Roger  de  Hoveden,  dans  Monum. 
Germ.  hist..  Script.,  t.  xxviii,  p.  171.  Godefroi  de  Viterbe, Ges/a  Henrici  VI,  dans 
Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xxii,  p.  337,  écrit  ceci,  vers  133  sq.  : 

Ponit  in  patihulo  comitem  de  Cerra, 
Quosdam  cedit  gladio,  quosdam  secat  serra, 
Quosdam  privât  lumine,  silet  omnis  terra, 
Timel  omnis  civitas,  non  est  ulla  guerra. 


Vs.  151  sq. 


Ducit  Alamaniam   matrcm  et  sorores, 
Mares  privât  lumine,  non  habent  ductores. 


Le  sangr  du  jeune  Conradin  sera  la  rançon  de  ces  horreurs.  (H    L.) 


1174  LIVRE     XXXIV 

fiancée  à  Roger,  frère  aîné  du  jeune  roi  de  Sicile.  Après  la  mort 
de  Roger,  elle  s'était  fixée  à  Palerme,  et  fut  épousée  par  Philippe 
de  Souabe,  frère  d'Henri  VI.  L'empereur  vit  de  bon  œil  cette 
union,  espérant  qu'elle  lui  permettrait  d'émettre  plus  tard  des 
prétentions  au  trône  de  Byzance. 

Le  pape  avait  rompu  avec  l'empereur  à  cause  des  horreurs 
accumulées  par  celui-ci  au  cours  de  ces  années  ^.  Au  printemps 
de  1195,  Henri  comprit  la  nécessité  de  renouer  des  relations 
avec  le  pape  ^.  Lors  d'une  diète  célébrée  à  Bari,  le  vendredi 
saint  (31  mars  1195),  il  prit  secrètement  la  croix ^,  et  le  jour  de 
Pâques  (2  avril),  il  invitait  solennellement  tous  ses  sujets  à 
prendre  part  à  une  nouvelle  croisade.  Il  s'engagea  à  entre- 
tenir pendant  un  an  en  Palestine  1  500  chevaliers  et  autant 
d'écuyers  et  adressa  une  lettre  circulaire  à  toute  la  chrétienté 
pour  faire  connaître  cette  promesse  *.  Il  écrivit  en  même  temps 
au  pape  qu'il  était  disposé  à  faire  la  paix  et  à  aller  au  secours 
de  Jérusalem.  Célestin  répondit,  le  27  avril  1195,  qu'il  n'avait 
pas  depuis  quelque  temps  écrit  à  l'empereur,  craignant  que  les 
brutalités  commises  par  les  serviteurs  d'Henri  VI  n'eussent  été 
ordonnées  par  lui-même  ^. 

L'empereur  semblait  donc  vouloir  rentrer  dans  le  bon  chemin 
et     réparer    le    passé;    il     envoya    au    pape     deux    légats    pour 

1.  En  outre,  Henri  VI  refusait  absolument  de  recevoir  du  pape  l'investiture 
de  l'Apulie  et  de  la  Sicile.  Innocent  III,  Reg.  de  tiegolio  romani  imp.,  29,  dans 
P.  L.,  t.  ccxvi,  col.  1026;  Tôche,  op.  cit.,  p.  436.  (H.  L.) 

2.  A  cette  date,  mars  1195,  Henri  VI  se  décida  à  demander  l'envoi  de  cardi- 
naux munis  de  pleins  pouvoirs  :  ul  ipsi  ad  decidendas  ecclesiasticas  vel  spirituales , 
si  quas  eis  forte  pro  aliquo  negotio  nostro  proposuerimus,  ordine  judiciario  vicetn 
veslrain  adimplere  possinl  et  deheant.  Monum.  Germ.  liisf.,  Leges,  sect.  IV,  t.  i, 
p.  514,  n.  364.  Cette  légation  a  bien  eu  lieu  en  1195,  c'est  ce  qu'a  montré  Tiiche, 
op.  cit.,  p.  373,  n.  2;  Caro,  Die  Beziehungen  HeinrichsVI  zur  rômisclien  Kurie 
wàhrend  dcr  Jahre  1190-1197,  in-8,  Leipzig,  1902,  p.  59,  la  mettait  en  1197. 
(H.  L.) 

3.  Annal.  Marhacenses,  dans  Monum.  Germ.  hisl..  Script.,  t.  xvii,  p.  166;  en 
présence  de  l'évêque  de  Sutri  et  de  trois  chapelains.  Il  prit  la  croix  en  secret  le 
31  mars  et,  solennellement,     le  31  mai.  (H.  L.) 

4.  Encycl.  de  expediiione  Jeroaolimitana,  dans  Mo  um.  Germ.  hist.,  Leges, 
sect.  IV,  t.  I,  p.  514  sq.,  n.  365;  Norden,  Dos  Papsttum  und  Bijzanz,  in-S,'Bev\m, 
1903,  p.  125,  note  1;  Tôche,  op.  cit.,  p.  374.  (H.  L.) 

5.  JafTé-Wattembach,  Regesta,  n.  17226;  Continuât,  citron.  Magni  presb., 
dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvii,  p.  524;  Watterich,  op.  cit.,  t.  ii, 
p.  741  sq.;  Tochc,  op.  cit.,  p.  376  sq.  (II.  L.) 


638.     TROISIÈME    GRANDE      CROISADE  1175 

commencer  les  négociations  ^.  A  sa  demande,  le  pape  en- 
17651  voya  deux  légats  prêcher  la  croisade  en  Allemagne;  il  engagea 
aussi  les  autres  peuples  à  y  participer,  mais  sans  grand  succès  *. 
L'empereur  lui-même  revint  en  Allemagne  au  mois  de  juin,  pen- 
dant que  son  chancelier  Conrad,  évêque  de  Wurzbourg.qui  adminis- 
trait l'Apulie,  avait  mission  de  tout  préparer  en  Italie  pour  une 
croisade.  De  concert  avec  les  légats  du  pape,  Henri  s'occupa 
de  tous  les  préparatifs  dans  une  série  de  diètes,  notamment 
à  Gelnhausen  (fin  octobre)  et  à  Worms  (le  6  décembre)  ^.  Les  car- 
dinaux-légats et  l'archevêque  de  Mayence  prêchèrent  la  croisade 
et  Henri  invita  tous  les  assistants  à  prendre  la  croix.  Un  grand 
enthousiasme  souleva  toute  l'assemblée.  La  fleur  de  la  noblesse  et 
le  bon  peuple  s'empressèrent  de  prendre  la  croix  et  parmi  eux 
l'archevêque  Conrad  de  Mayence  avec  beaucoup  d'autres  évê- 
ques  et  grands  de  l'empire.  Bientôt  de  nombreuses  troupes  de 
croisés  se  mirent  en  marche;  si  l'empereur  demeura,  c'est  qu'il 
méditait,  dans  les  diètes  de  Gelnhausen,  de  Worms  et  de  Wurz- 
bourg.  au  début  de  1196,  de  changer  l'Allemagne  en  royaume 
héréditaire,  non  par  une  lente  évolution,  mais  brusquement 
par  décrets  scellés  du  grand  sceau.  Dans  ce  but,  Henri  VI  faisait 
aux  princes  des  concessions  et  de  riches  présents  :  il  leur  pro- 
mit la  transmission  des  fiefs  par  les  femmes  et  fit  espérer  aux 
clercs  l'abandon  du  jus  spolii;  mais  beaucoup  résistèrent  et  en 
particulier  l'archevêque  Adolphe  de  Cologne;  Célestin  III,  de 
son  côté,  refusa  de  couronner  empereur  Frédéric,  fils  d'Henri, 
âgé  de  deux  ans;  tout  ce  que  put  obtenir  Henri  à  Francfort, 
ce  fut  d'assurer  à  son  fils  Frédéric  II  la  succession  à  l'empire 
(sans  déclaration  de  principe  sur  le  droit   de   succession)  *. 

1.  Cette  lettre  trouvée  par  Wattembach,  publiée  par  Jafîé  ctWatterich, 
op.  cit.,  t.  II,  p.  741,  prouve  par  sa  suscriptioii  :  Carissimo  in  Christo  jilio  Heii- 
rico,  (le,  salutem  et  apostoîicam  hencdictionem...  que  l'empereur  n'était  pas 
excommunié  à  cette  époque,  comme  on  le  croyait  généralement. 

2.  Jafîé-Wattembach,  op.  cit.,  n.  17274;  Annal.  Marhaccns.,  adann.  1195, 
dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvii,  p.  166;  Contin.  Aâmuiit.,  dans 
Moimm.  Germ.  hist..  Script.,  t.  ix,  p.  587.  (H.  L.) 

3.  L.  Bréhicr,  op.  cit.,  p.  139.   (H.  L.) 

4.  Ficker,  De  HenriciVI  imp.  conatu  electiciam  regiim  in  imperioromano 
Germanico  successionem  in  hœreditariam  mutandi,  in-8,  Colonia»,  1850.  Cf. 
Anspert,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvii,  p.  127;  Annal.  Marbacenses, 
dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script,  t.  xvn,  p.  \61  ;  Annal.  Beinhardsbronn.,  dans 
Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xvii,  p.  556;  Innocent  III,  EpisL,  xxix,  P.  L., 
t.  ccxvi,  col.  1026  sq.;  Tôché,  op.  cit.,  p.  396  sq.,  439  sq.,  587  sq.  (H.  L.) 


1176  LIVRE     XXXIV 

Lorsque  l'armée  des  croisés  fut  enfin  organisée,  une  partie  choi- 
sit la  voie  de  mer  et  se  rendit  en  Espagne  et  en  Portugal,  où  elle  fut 
fort  utile  contre  les  Sarrasins.  D'autres  croisés  suivirent  la  route 
d'Italie  et  aidèrent  l'empereur  à  réprimer  une  émeute  dans  le 
pays  de  Naples.  Aussi  les  Italiens  leur  disaient-ils  :  «  Vous  ne  com- 
battez pas  pour  l'empereur  du  ciel,  mais  pour  celui  de  la  terre.  »  [766] 
Après  que,  grâce  à  leur  concours,  Henri  VI  eut  remporté  la  vic- 
toire, les  cruautés  de  l'année  1194  recommencèrent;  ainsi  l'empe- 
reur condamna  le  prétendant  à  la  royauté,  qui  avait  pris  la  tête  du 
mouvement  napolitain,  à  avoir  une  couronne  clouée  sur  la  tête  ^. 

Dans  le  cours  de  l'été  1197,  le  chef  de  l'expédition  avait  peu  à 
peu  réuni  en  Apulie  une  force  de  60  000  hommes  et,  au  mois  de  sep- 
tembre ^,  cette  croisade  allemande,  comme  on  l'appelait,  mit  à  la 
voile  pour  se  rendre  de  l'Italie  à  Ptolémaïs  où  elle  arriva  sans  en- 
combre le  22  septembre.  Le  chancelier  Conrad  avait  fait  voile  vers 
l'île  de  Chypre  pour  y  couronner  Amaury  au  nom  de  l'empereur; 
de  là  il  se  rendit  également  à  Ptolémaïs.  Cette  grande  entre- 
prise échoua  par  la  faute  des  Pullanes  (descendants  des  croisés 
établis  en  Orient)  et  celle  des  croisés  eux-mêmes,  qui  se 
brouillèrent  soit  avec  Henri,  roi  de  Jérusalem,  et  avec  son  succes- 
seur, Amaury  II,  soit  avec  les  ordres  de  chevalerie  et  les  pèle- 
rins de  la  troisième  croisade  ^.  Ils  ne  firent  qu'une  action  d'éclat, 

1.  Watlerich,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  746  sa.;  Tochc,  op.  cil.,  p.  453;  L.  Bréhier,  op. 
cit.,  p.  139  sq.Le  frère  de  l'empereur  exerçait  pendant  ce  temps  de  telles  rigueurs 
en  Toscane  qu'il  se  fit  excommunier.  Abel^  Philipp.,  p.  85,  332;  Tôche,  op.  cit., 
p.  434  n.  3,  nient  cette  excommunication^  qui  est  bien  prouvée  par  Ficker,  For- 
schungen  zur  Reichs-  und  Rechtsgeschichte  Italiens,  t,  ii,  p.  313  ;  Winkelmann, 
Philipp  von  Schwaben  und  Otto  i^on  Braunschweig,  t.  i,  p.  493  sq.;  Innocent  III, 
Reg.  de  negolio  imp.,  Epist.,  xxix,  xxxiii,  P.  L.,  t.  ccxvi,  col.  1027, 1038. Dans 
le  royaume  normand,  la  férocité  de  la  répression  fut  telle  (février  1197)  que 
l'impératrice  Constance  elle-même  se  mit  du  parti  des  révoltés.  Ansbert,  dans 
Monuin.  Gerrn.  hist.,  Script.,  t.  xvii,  p.  128;  Arnoid  de  Lubeck,  Chron.  Slavo- 
ruin,  V,  25,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xxi,  p.  203;  Annal.M arhacenses, 
dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvii,  p.  167  :  Imperatore  in  Sicilia  existente 
imperalrix,  sicut  dicehalur,  simuUale  inter  ipsos  exorta,  conjurationem  adversus 
imperatorem  ah  omnibus  Apulie  et  Sicylie civitatihus  et  castellis  fieri  efficit,  consciis, 
ut  fertur,  Lomhardis  et  Romanis,  ipso  etiam,  si  fas  est  credi,  aposlolico  Celestino. 
Quibusdam  eliam  Theulonicis,  qui  lune  secum  erant  et  ad  imperatorem  ire  volebant, 
dissuasit    (imperatrùr)    ne   irent.    (H.    L.) 

2.  Annales  Marbacenses,  dans  Monum.  Germ.  hisL,  Script.,  t.  xvii,  p.  167. 
(H.  L.) 

3.  Les  croisés,  grands  pillards,  furent  jetés  hors  de  Ptolémaïs  par  les  habitants 


638.     TROISIÈME     GRANDE     CROISADE  1177 

la  prise  de  Beyrouth  (25  octobre  1197);  on  avait  célébré  à  Bey- 
routh ce  joyeux  événement,  ainsi  que  les  fêtes  du  couronnement, 
par  de  bruyantes  réjouissances,  et  on  songeait  à  entreprendre  une 
grande  expédition  sur  Jérusalem,  lorsqu'on  apprit  la  mort  de 
l'empereur;  cet  événement  paralysa  toute  l'ardeur  des  croisés. 
Après  avoir  livré  quelques  combats  indécis  pendant  l'hiver,  les 
croisés  retournèrent  dans  leur  pays  au  printemps  de  1198,  et  le  roi 
Amaury  dut  s'estimer  heureux  d'obtenir  des  Turcs  une  trêve 
de  quelques  années  ^.  L'empereur  Henri  était  mort  le  28  sep- 
tembre 1197,  à  Messine,  d'une  fièvre  maligne,  après  avoir  reçu 
l'extrême-onction.  Il  était  alors  fort  occupé,  à  ce  qu'on  prétend, 
d'un  plan  qui  devait  le  rendre  empereur  de  Constantinople  et 
de  l'idée  de  fonder  un  empire  chrétien  plus  considérable  que 
celui  de  Charlemagne  -.  Il  mourut  ^  à  trente-deux  ans  et,  le  8  jan- 


et  vécurent  dès  lors  en  rase  campagne  de  maraude  et  de  coups  de  naain.  Henri 
de  Champagne,  comte-roi  de  Jérusalem^  étant  mort,  sa  veuve  fut  épousée  par 
Amaury  de  Chypre  qui  devint  roi  de  Jérusalem;  c'était  un  triomphe  pour  la 
politique  allemande.  On  en  était  là, avec  des  alternatives  de  succès  et  de  revers, 
quand  on  apprit  la  mort  d'Henri  VI.  Ce  monstre  avait  disparu  le  28  septembre 
1197.  L'Orient  échappait  une  deuxième  fois  à  cette  sinistre  famille  des 
Hohenstaufen.   (H.  L.) 

1.  ^Yilken,  Geschichte  der  Knuzziige,  t.  v,  p.  10  sq. 

2.  Cette  idée  de  recommencer  et  de  dépasser  Charlemagne  a  été  une  hantise 
pour  les  souverains  de  l'Allemagne.  En  réalité^  pas  un  n'a  pu  réussir,  bien  moins 
parce  que  les  temps  étaient  passés  que  par  l'insuffisance  des  individus  à  tenir 
un  tel  rôle.Ottonl^'^^le  seul  qui  eût  une  véritable  capacité  et  de  grands  moyens, 
n'était  cependant  pas  de  taille.  Quant  aux  autres,  ce  sont  assurément  de  grands 
souverains  pour  une  Allemagne,  mais  qui  ailleurs^  chez  les  nations  qui  comme  la 
France  ne  prennent  leurs  chefs  que  sous  bénéfice  d'inventaire,  feraient  piètre 
figure.  Henri  IV  est  un  déséquilibré  avec  des  périodes  d'accalmie,  Barberousse 
un  bravache,  Henri  VI  une  bête  furieuse,  à  les  prendre  par  les  côtés  les  plus 
saillants  de  leur  caractère  et  de  leurs  actes.  A  y  regarder  de  plus  près,  à  chercher 
l'homme  d'Etat,  le  constructeur  d'un  plan  ou  son  patient  exécuteur,  on  perd 
son  temps.  Affolés  par  la  perspective  de  l'empire  du  monde,  ces  chefs  de  peuple 
oublient  et  méconnaissent  leur  rôle  national.  C'est  pourquoi  il  faudra  attendre 
1871  pour  voir  une  Allemagne.  Les  rois  de  France,  gens  d'esprit  et  de  bon  sens, 
laissent  leur  voisin  se  payer  de  mots;  ils  cheminent  à  leur  aise  et  étendent 
leur  domaine;  attentifs  aux  occasions,  ingénieux  à  en  tirer  parti,  habiles  aussi 
à  les  faire  naître.   (H.   L.) 

3.  Les  Allemands  et  tous  les  peuples  de  la  Germanie  devaient  éternellement 
regretter  sa  mort... Par  sa  force  et  son  énergie,  l'empire  avait  recouvré  toute  sa 
gloire  et  toute  sa  splendeur.  Dans  Monum.  Germ.  hisl.,  Script.,  t.  xx,  p.  328. 
«  Nous  regrettons,  nous  aussi,  la  mort  d'Henri;  nous  ne  déplorons  pas  outre 
mesure  que  le  rêve  de  domination  universelle,  (jui  avait  pris  naissance  en  Aile- 


1178 


LIVRE     XXXIV 


vier    1198,  il  fut  suivi  dans  la  tombe  par  le  pape  Célestin  III,  âgé 
de  quatre-vingt-douze  ans. 

Peu  de  temps  avant  la  mort  de  ce  dernier,  s'étaient  tenus  deux  [767] 
conciles  qui  méritent  notre  attention.  Pierre,  cardinal-diacre  de 
Capoue,  avait  été  chargé,  en  1197,  d'une  mission  en  Pologne, 
Bohême  et  Silésie,  pour  y  poursuivre  l'œuvre  de  réforme  commen- 
cée en  1180  par  le  concile  de  Lenczig.  Dans  cette  même  ville, 
le  légat  Pierre  réunit  un  autre  concile  en  1197  ^,  pour  obliger 
les  clercs  à  quitter  leurs  femmes  ou  leurs  concubines,  et  les  laïcs 
à  faire  consacrer  leur  mariage  par  l'Église.  Il  fut  soutenu  dans 
sa  tâche  par  Franzko  I^'",  évêque  de  Breslau,  auteur  d'un  ouvrage 
intitulé  :  De  clericorum  et  laicorum  matrimonio,  et  le  légat  réussit  en 
effet  à  introduire  le  célibat  ecclésiastique  en  Pologne  et  en  Silésie, 
tandis  qu'il  trouva  une  grande  résistance  en  Bohême  et  particu- 
lièrement à  Prague.  —  En  cette  même  année  1197,  le  nouveau 
roi  d'Aragon,  Pierre  II,  prescrivit,  dans  une  diète  synodale  tenue 
à  Gérone,  que  tous  les  hérétiques,  en  particulier  les  vaudois,  appe- 
lés par  le  peuple  les  Sabatali,  et  qui  s'intitulaient  eux-mêmes  les 
panures  de  Lyon,  eussent  quitté  le  pays  avant  le  prochain  diman- 
che de  la  Passion.  Quiconque  d'entre  eux  serait  appréhendé  après 
cette  époque  serait  brûlé  et  ses  biens  confisqués  ^.  —  Eudes 
de  Sully,  l'excellent  évêque  de  Paris,  a  laissé  à  la  fin  du  xii®  siècle 
un  intéressant  modèle  des  synodes  diocéseins  dans  ses  Consti- 
tuliones  synodicse. 

La  même  année,  Pierre  de  Lyia,  évêque  de  Saint-David,  tint 
un  synode  diocésain,  dans  lequel  il  excommunia  le  roi  Rhys 
du  Pays  de  Galles  (sud)  qui  l'avait  personnellement  mal- 
traité, ainsi  que  le  fils  du  roi,  et  frappa  d'interdit  le  royaume. 
Peu  de  temps  après,  le  roi  mourut  et,  son  fils  ayant  promis  de 
donner  satisfaction,  l'évêque  le  releva  de  la  censure  ^. 


magne  au  siècle  d'Henri  VI,  se  soit  évanoui  avec  la  vie  de  cet  empereur,  mais  il 
est  tout  à  fait  regrettable  qu'au  moment  où  l'Allemagne  semblait  prendre  son 
essor,  elle  ait  vu  toutes  ses  forces  retomber  en  dissolution  et  n'aboutir  qu'à 
l'impuissance.  »  For.ichungen  zur  deutschen  Geschichte,  t.  viii,  p.  501. 

1.  Labbe,  Concilia,  t.  x,  col.  1800-1801;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2, 
col.  1937;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  725;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii, 
col.  673;  Heyne,  Geschichte  des  Bisthums  Breslau,  1860,  1.  i,  p.  203,  209.  (H.  L.) 

2.  Florez,  Espai'ia  sagrada,  t.  xliii,  p.  245-2'i8;  Gams,  Kirchengeschichle  von 
Spanien,  t.  m,  part.  1,  p.  220.  (H.  L.)  . 

3.   Iladdan  et  Stubbs,  Councils  and  eccle^iaslical  documents,  l.  i,  p-  393. 


[7681 


LIVRE    TRENTE-CINQUIÈME 

INNOCENT  III  ET  LES  CONCILES  TENUS 
SOUS  SON  RÈGNE.  DOUZIÈME  CONCILE  GÉNÉRAL 


639.  Élections  du  roi  et  du  pape. 

Peu  de  temps  avant  sa  mort,  l'empereur  Henri  VI  avait  mandé 
en  Italie  son  frère  Philippe,  duc  de  Souabe,  et  l'avait  chargé  de 
conduire  à  Cologne,  pour  y  être  couronné  roi,  son  fils  Frédéric  II. 
Philippe  était  à  peine  arrivé  à  Montefiascone  que  la  nouvelle 
de  la  mort  de  l'empereur  se  répandit,  et  occasionna  bientôt 
une  révolte  contre  les  Allemands.  Quelques  gens  de  l'escorte 
du  duc  furent  massacrés  et  en  Allemagne  ^  on  crut  longtemps 
que  le  prince  avait  été  tué.  Il  était  cependant  parvenu  à  s'en- 
fuir à  travers  les  Alpes  et,  à  la  Noël  de  1197,  il  tint  à  Haguenau, 
près  de  Strasbourg,  une  réunion  avec  les  principaux  seigneurs 
laïques  et  ecclésiastiques  allemands,  afin  d'assurer  la  couronne 
d'Allemagne  à  son  neveu,  le  jeune  Frédéric,  resté  en  Italie  et 
que  sa  mère  avait  amené  à  Palerme.  Beaucoup  de  princes  alle- 
mands, et  des  plus  considérables,  comme  l'archevêque  de  Mayen- 
ce,  Conrad  de  Wittelsbach,  se  trouvaient  encore  en  Palestine 
avec  la  prétendue  croisade  allemande.  Ils  n'hésitèrent  pas  à 
renouveler  devant  Beyrouth  leur  serment  au  jeune  Frédéric; 
mais  leurs  collègues  demeurés  en  Allemagne  ne  voulaient  à  aucun 

1.  D'après  Winkelmann,  Philipp  i>on  Schwaben  und  Ollo  IV  von  Braun- 
schweig,  Leipzig,  1873,  p.  31,  493  sq.  Philippe  avait  été  lui  aussi  excommunié 
par  le  pape,  à  cause  de  ses  empiétements  en  Toscane.  Cf.  à  ce  sujet  Tôche,  op. 
cit.,  p.  434,  note  3,  qui  ne  partage  pas  cette  opinion  [que  Ficker,  Forschungen 
zur  Reichs-  und  Redits geschichle  Italiens,  t.  ii,  p.  313,  a  suffisamment  établie 
pour  qu'on  n'y  revienne  plus.  Cf.  Innocent  III,  Reg.  de  negotio  imp.,  Epist. , 
XXIX,  xxxiii,  P.  L.,  l.  ccxvi,  col.  1027-1032.  (H.  L.)] 


1180 


LIVRE    XXXV 


prix  un  empereur  enfant,  surtout  en  des  temps  difliciles  et  trou-  [769] 
blés.  Dans  un  royaume  où  le  droit  héréditaire  est  en  vigueur, 
la  dévolution  réglée  d'avance  peut  compenser  les  inconvénients 
d'une  minorité  ;  mais  dans  un  État  électif , où  la  couronne  appartient 
en  principe  au  plus  digne,  sa  transmission  à  un  enfant  est  en 
quelque  façon  une  monstruosité.  C'est  ce  que  sentirent  alors 
aussi  bien  que  nous  les  princes  allemands,  quoiqu'ils  n'aient  pas 
pris  soin  de  nous  le  dire  en  propres  termes  ^.  Mais  s'ils  étaient 
d'accord  pour  écarter  un  enfant,  ils  ne  l'étaient  plus  sur  le  choix 
du  candidat  à  lui  substituer.  Les  uns  voulaient  en  finir  avec  les  pré- 
tentions des  Hohenstaufen  à  fonder  à  leur  profit  une  monarchie 
héréditaire,  et  cherchaient  un  candidat  dans  toute  autre  famille  ^. 
Les  autres  voulaient  maintenir  la  couronne  dans  la  famille  souabe 
et  engageaient  Philippe  à  se  faire  roi  et  non  régent  du  royaume 
pour  son  neveu  mineur^.  L'empire  était  donc  divisé  en  deux  partis 
dès  avant  l'élection  à  laquelle  les  adversaires  des  Hohenstaufen 
avaient  décidé  de  procéder,  le  1^^'  mars  1198,  à  Cologne,  où  ils 
avaient  invité  le  roi  d'Angleterre  en  qualité  de  vassal  de  l'empereur 
d'Allemagne.  Sur  ces  entrefaites,  Philippe,  cédant  aux  instances 
du  parti  des  Hohenstaufen,  se  décida  à  accepter  la  couronne  et 
fut  élu  roi  le  8  mars,  à  Mulhouse,  dans  une  diète  convoquée  par 
les  seigneurs  saxons.  II  prit  donc  à  Worms  le  titre  de  roi  lors 
des  fêtes  de  Pâques  et  se  fit  appeler  Philippe  II,  l'empire  romain 
ayant  eu  un  empereur  du  nom  de  Philippe  *.  Les  princes 
des  provinces  du  Bas-Rhin  s'assemblèrent  à  Cologne,  aussitôt 
après  l'élection  de  Philippe,  sous  la  présidence  d'Adolphe,  arche- 
vêque de  cette  ville,  et  offrirent  la  couronne  d'Allemagne  à 
Berthold,  duc  de  Zâhringen  ^.  On    raconte  que  ce  duc  et  Richard, 

1.  Alors  qu'en  savcz-vous?  Schirrmacher^  Kaiser  Friedrich  11,  Gœltinguc,  1859, 
t.  II,  est  d'un  tout  autre  avis  que  nous,  écrit  Hefele;  d'après  lui,  la  transforma- 
tion du  royaume  électif  d'Allemagne  en  royaume  héréditaire  au  ]n'ofit  des  Ho- 
henstaufen était  fondée  en  droit,  et  promettait  à  l'Allemagne  une  grande  féli- 
cité. (H.  L.) 

2.  Le  parti  de  Cologne  dirigé  par  l'archevêque  Adolphe,  comte  d'Actena,  à 
l'assemblée  d'Andernach,  à  la  fin  de  l'année  1197. 

3.  Assemblée  d'Haguenau,  Noël  1197.  Winkelmann,  Philipp  von  Schwahen, 
t.  I,  p.  55  sq. 

4.  Philippe  l'Arabe,  204-249. 

5.  Sur  cette  double  élection,  cf.  Winkelmaim,  op.  cit.,  t.  i,  p.  70,  500  sq.; 
Continuât.  Admunt.,  ad  ann.  1198,  dans  Monum.  Germ.  hisl.,  Script.,  t.  ix, 
p.  588;   Gesla  Tre^irorum,  dans  Monum.   Germ.  hist.,    Script.,  l.   xxiv,  p.  101; 


639.  ÉLECTIONS  DU   ROI  ET  DU   PAPE  1181 

roi  d'Angleterre,  celui-ci  inspiré  par  sa  haine  bien  explicables 
contre  les  Hohenstaufen,  avaient  distribué  de  grosses  som- 
[770j  mes  pour  soutenir  ce  candidat.  Mais  bientôt  Berthold  trouva  la 
réalité  périlleuse,  et  surtout  onéreuse,  et  passa  au  parti  de 
Philippe,  moyennant  un  dédommagement  pécuniaire  considérable. 
Un  second  candidat,  le  gros  Bernard  de  Saxe,  déclina  toutes  les 
avances^,  et  on  put  quelque  temps  espérer  arriver  à  une  entente 
pacifique,  si  bien  que  plus  tard  Philippe  se  vantera  d'avoir  été  six 
semaines  empereur  non  contesté.  Ce  qu'on  ne  saurait  prendre  à 
la  lettre,  car,  peu  après  Pâques,  les  princes  du  Bas-Rhin  élurent 
à  Andernach  le  prince  Otton,  second  fils  d'Henri  le  Lion  ^,  sur 
la  proposition  de  l'archevêque  de  Cologne,  quoique  le  père  d'Otton 
et  l'Église  de  Cologne  eussent  eu  de  graves  démêlés  et  que  cette 
Église  se  fût  fort  enrichie  par  la  disgrâce  d'Henri  le  Lion.  Mais 
la  situation  était  retournée  :  il  s'agissait  avant  tout  d'opposer 
un  adversaire  aux  Hohenstaufen.  On  ne  crut  pouvoir  faire  un 
meilleur  choix  qu'un  Weif,  et  il  se  trouvait  qu'Otton  était 
neveu  de  Richard  Cœur  de  Lion,  son  rival  en  esprit  chevaleres- 
que et  son  héritier  pour  le  comté  de  Poitou  ^.  Grâce  à  cet  appui, 
Otton  se  rendit  en  Allemagne,  à  la  Pentecôte  de  1198,  et  fut  pro- 
clamé roi,  élu  à  Cologne  le  9  juin*.  Il  marcha  aussitôt  sur  Aix-la- 
Chapelle  que  Philippe  gardait  négligemment;  la  ville  se  rendit 
le  10  juillet  et  Otton  se  fit  couronner  avec  le  cérémonial  tradi- 
tionnel dans  la  ville  de  Charlemagne,  le  12  juillet  1198.  Ce  con- 
cours de  circonstances  et  le  couronnement  accompli  par  l'arche- 
vêque de  Cologne  valurent  à  Otton  un  grand  prestige,  tandis 
que  Philippe  ne  put  être  couronné  roi  à  Mayence,  le  8  septembre, 
que  par  l'archevêque  de   Tarentaise  en  Savoie  ^.   Heureusement 


Annal.  Egmund.,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvi,  p.  471;  Arnold  de 
Lubeck,  Chron.  Slavorum,  \i,  \,  dans  Alonum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xxi,  p.  213. 
(H.  L.) 

1.  Winkelmann,  op.  cit.,  p.  56,  note  1,  croit  que  la  candidature  du  duc  Bernard 
avait  déjà  été  proposée  à  Andernach. 

2.  Son  frère  aîné,  Henri,  était  en  Palestine. 

3.  La  mère  d'Otton  était  une  sœur  du  roi  d'Angleterre. 

4.  Annal.  S.  Gervonis,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvi,  p.  734;  Raoul 
de  Diceto,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xxvii,  p.  285;  Winkelmann, 
op.  cit.,  p.  59-90;  Die  Doppelwahl  des  Jahres  119S.  (H.  L.) 

5.  L'archevêque  de  Mayence  était  en  Palestine.  Gesta  Innocentii  II J,  c.  xxii, 
P.  L.,  t.  ccxiv,  p.  xxxiv  :  Nullus  archiepiscoporum  Theutonias  id  facere   atten- 


1182  LIVRE     XXXV 

Philippe  avait  en  sa  possession  les  joyaux  de  la  couronne,  ce 
qui  donna  un  certain  éclat  à  la  solennilé  de  son  couronnement. 
Il  est  surprenant  qu'on  ait  choisi  jjour  celte  cérémonie  un  évo- 
que savoyard,  au  lieu  d'un  évoque  allemand.  Mais  l'arche- 
vêque de  Mayence  était  en  Palestine,  et  les  autres  prélats 
allemands  ne  voulurent  pas  se  compromettre.  Seul, -l'inconstant 
Jean  de  Trêves  consentit  à  assister  à  la  solennité,  quoiqu'il  fût  [771] 
du  parti  d'Otton  ^. 

L'Allemagne  avait  donc  deux  rois,  appuyés  tous  deux  d'un 
parti  puissant,  tous  deux  jeunes,  vingt  ans,  de  grande  race  et 
brillants.  A  l'extérieur  de  héros,  Otton  joignait  une  grande  bra- 
voure personnelle;  Philippe,  au  contraire,  d'abord  destiné  à 
l'Eglise,  se  montrait  instruit,  doux  et  fin  :  il  a  été  incontestable- 
ment le  meilleur  des  Hohenstaufen.  La  priorité  de  l'élection 
et  la  majorité  des  princes  étaient  en  faveur  de  Philippe,  mais  le 
couronnement  d'Otton  paraissait  avoir  été  fait  dans  des  condi- 
tions bien  plus  régulières. 

Sur  ces  entrefaites,  fut  élu  pape  à  Rome,  le  8  janvier  1198, 
l'illustre  Innocent  III  :  il  était  né,  en  1160  ou  1161,  de  Trasi- 
mond,  comte  de  Segni,  et  de  la  noble  dame  romaine  Clarina 
Scotta  ^.     Innocent    reçut    au    baptême     le    nom     de     Lothaire; 


tai>it;  il  n'y  avait  de  présent  que  l'archevêque  de  Trêves,  Jean,  qui  ne  voulut 
pas  risquer  cette  partie  compromettante  de  procéder  au  couronnement.  Cf. 
Innocent  III,  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  21,  P.  L.,  t.  ccxvi,  col.  1019  :  Cum  Taranta- 
siensis  archiepiscopus,  tanquam  extraneus  et  ad  quem,  id  minime  pertinet,  evocalus, 
ei  regni  prœsumpscrit  imponere  diadema.  Avant  cette  cérémonie,  il  avait  fallu  ab- 
soudre en  secret  Philippe  de  l'excommuncation  lancée  contre  lui  par  Célestin  III; 
l'évêque  de  Sutri  y  procéda  après  que  Philippe  se  fut  engagé  à  donner  toute 
satisfaction  à  l'Église.  Deliberatio,  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  29,  P.  L.,  t.  ccxvi,  col. 
1027;  cf.  n.  33,  ibid.,  col.  1036  sq.  ;  n.  62,  ibid.,  col.  1065  sq.  On  Ht  dans  la  deli- 
beratio, à  propos  de  l'évêque  de  Sutri  :  propter  ejus  excessum  (le  relèvement  de 
l'excommunication)  ab  episcopalu  remotus  in  monasterio  diem  clausit.  (H.  L.) 

1.  Abel,  Philipp  i'on  Hohenstaujen,  in-8,  Berlin,  1852,  p.  39;  Winkelmann, 
op.   cit.,  p.   136. 

2.  Lothaire  de  Conti  de  Segni,  né  à  Anagni  en  1160  ou  1161,  chanoine  du 
Vatican,  cardinal-diacre  du  litre  des  Saints-Serge-et-Bacchus  en  septembre  1190; 
pape  élu  à  Rome  apud  Septa  Salis,  le  8  janvier  1198;  prêtre  le  21,  sacré  à  Saint- 
Pierre,  le  22  février;  mort  à  Pérouse,  le  16  juillet  1216.  Gesta  Innocenta,  c.  i, 
P.  L.,  t.  ccxiv,  p.  XVII.  La  famille  comtale  habitait  la  Campanie  dès  le  x^  siècle 
et  lui  dut  son  nom  :  dei  Conti.  C'étaient  des  Allemands  émigrés  dans  le  Latium 
qui  en  étaient  la  souche;  on  se  transmeltait  des  noms  bien  caractéristiques  : 
Lothaire,  Richard,  Trasimond,  Adenulf.  La  mère  du  pape  était  de  vieille  souche 


639.  ÉLECTIONS  DU  ROI  ET  DU  PAPE  1183 

il  étudia  successivement  à  Rome,  à  Paris  et  à  Bologne.  Dès 
l'année  1190,  son  oncle,  le  pape  Clément  III,  le  nomma 
cardinal-diacre  des  Saints-Sergius-et-Bacchus;  d'une  conduite 
irréprochable,    d'un  grand  talent  pour  le  maniement  des  affaires. 


romaine.  Hurter,  Gesch.  d.  Papsts  Innocent  III,  t.  i,  p.  1  sq.  ;  Winkelmann,  For- 
schungen  zur  deulschen  Geschichte,  t.  ix,  p.  456;  Philipp  w«  Schwaben  und  OttoIV 
von  Braunschweig,  p.  94. 

Sources  :  Deux  sources  fondamentales,  la  correspondance  d'Innocent  III  et 
sa  biographie  incomplète,  anonyme,  sous  le  titre  de  Gesta  Innocentii  III  papse. 
Cette  biographie,  au  dire  de  A.  Luchaire,  est  l'oeuvre  d'un  clerc  romain  de  l'en- 
tourage d'Innocent  III,  qui  a  rédigé  son  récit  entre  juin  et  août  1208,  et  y  a  fait 
entrer  de  nombreux  extraits  des  registres  pontificaux.  C'est  un  panégyrique 
avec  tous  les  inconvénients  attachés  à  ce  genre.  Sur  ces  Gesta  un  travail  con- 
sciencieux et  approfondi  de  H.  Elkan,  Die  Gesta  Innocentii  III  im  Verhàltniss  zu 
den  Regester  desselben  Papstes,  in-8,  Heidelberg,  1876,  et  pour  la  partie  desGesia 
qui  concerne  les  revendications  de  Rome  sur  la  Sicile  et  le  testament  d'Henri  VI, 
Fr,  Gerlich,  Das  Testament  Heinrichs  VI,  1907.  La  correspondance  est  contenue 
dans  six  registres  des  Archives  du  Vatican,  n.  4,  35,  6,  7,  la  et  8  de  la  série  des 
registres  pontificaux.  Ces  registres  étaient  autrefois  plus  nombreux.  Pour  cer- 
taines années  du  pontificat  et  notamment  pour  les  trois  dernières,  1214-1216,  les 
lettres  du  pape  sont  perdues,  ou  connues  seulement  par  des  sommaires.  Pour 
les  années  représentées  dans  les  registres,  il  s'en  faut  que  toutes  les  bulles  émanées 
de  la  chancellerie  y  soient  au  complet.  Certaines  ont  été  découvertes  déjà  et 
leur  nombre  pourra  s'accroître  beaucoup.  La  correspondance  d'Innocent  III  a 
été  publiée,  en  paitie,  du  xvi®  au  xix^  siècle,  par  Sirlet,  Cholin,  François  Bos- 
quet, Baluze  et  La  Porte  du  Theil  dont  les  publications  ont  été  groupées  dans 
P.  L.,  t.  ccxiv  à  ccxvii,  avec  une  regrettable  incorrection  typographique.  Le 
classement  chronologique  des  lettres  a  été  fait  par  A.  Potthast,  Regesta  ponti- 
ficum  romanorum,  Berolini,  1874,  t.  i,  p.  1-467  :  Regesta  epistularum,  sans  recours 
aux  manuscrits.  On  peut  encore  tirer  profit  de  la  bonne  vieille  édition  de  Baluze, 
Innocenta  III  pp.  epist.  l.  XIX  (IV,  XVII-XIX  manquent),  2  vol.  in-fol., 
Parisiis,  1682,  qui  a  servi  de  base  à  l'édition  de  P.  L.,  t.  ccxiv,  col.  1-1194;  ccxv, 
col.  9-1612;  ccxvi,  col.  9-992;  Registrum  Domini  Innocentii  III  super  negotia 
romani  imperii,  dans  Baluze,  t.  i,  p.  687-784,  P.  L.,  t.  ccxvi,  col.  995-1174; 
C.  Hampe,  Aus  verlorenen  Registerbànden  der  Pàpste  Innocenz'  III  und  Inno- 
cenz'  IV,  part.  I,  Aus  den  letzten  Jahren  Innocenz'  III,  dans  Mittheilungen  des 
Instituts  fur  ôsterreichische  Geschichtsforschung,  1902,  t.  xxiii,  p.  545  sq.  ;  1903, 
t.  XXIV,  p.  198  sq.;  Prima  collectio  decretalium  Innocentii  III  ex  tribus  primis 
Regestorum  ejus  libris  composita  a  Rninerio  diacono  et  monacho  Poniposiano, 
dans  Baluze,  op.  cit.,  t.  i,  p.  543,  P.  L.,  t.  ccxvi,  col.  1173-1272;  A.  Battandier, 
Un  volume  dei  Regesti  di  Innocenzo  III  donalo  alla  Santità  di  N.  S.  Leone  XIII 
da  Lord  Ashburnham,  dans  Sludie  documenti  di  storia  ediritto,  1885,  t.  vi,  p.  81, 
86;  Bôhmer  et  Ficker-Winkelmann,  Regesta  imperii,  1892,  t.  v,  n.  1055-1120, 
2135-2136;  L.  Delisle,  Itinéraire  d'Innocent  III,  dressé  d'après  les  actes  de  ce 
pontife,  dans  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes,   1857,  p.  500-534;  Mémoire  sur 


1184  LIVRE     XXXV 

il  était  également  apte  à  l'étude  dé  la  théologie,  du  droit  canon 
et  du  droit  civil.  Sous  Cclestin  III  (Orsini),  Lothaire  fut,  peut- 
être  par  jalousie  de  famille,  tenu  éloigné  des  affaires;  il  consacra 
ses  loisirs  à  la  composition  de  plusieurs  écrits  :  le    De   contemptu 


les  actes  d'Innocent  111,  dans  même  recueil,  1863,  p.  ''i'i0-442  ;  Lettres  inédites  d'In- 
nocent III,  dans  même  recueil,  1873,  p.  Sdl-k\d;  Les  registres  d' Innocent  III, 
dans  même  recueil,  1885,  p.  84-94;  1886,  p.  80  sq.;  1896,  p.  517  sq.;  Pflugk- 
Harltung,  Iter  Italicum,  in-8,  Slullgart,  1883;  Pitra,  Analecta  novissima  Spici- 
legio  Sohsmensi  parata,  in-8,  Paris,  1885,  t.  i;  H.  DeniOe,  Die  pâpstlichen  Regis- 
terbânde  des  xiii  Jalirhiuiderts  und  das  hwentar  Derselben  von  Jalire  1338,  dans 
Archiv  fur  Literatur  und  Kirchengeschichte  des  Mittelalters,  1886,  t.  n,  p.  1  sq.; 
Gesta  Innocenta  III  papœ  auctore  anonymo  sed  coaetaneo  scripta,  dans  P.  L., 
t.  ccxiv,  p.  xvii-ccxxviii  ;  cf.  H.  Elkan,  loco  supra  citalo;  Denifle  et  Palmieri, 
Specimina  palseographica  ex  Vaticani  tabularii  romanorum  pontificum  registris 
selecta  et  photo graphica  arte  ad  unguein  expressa,  Roma,  1888,  Vila  Innocentii  III 
ex  ms.  Bernardi  Guidonis,  édit.  Muratori,  dans  Rerum  Italicar.  script.,  t.  m, 
part.  1,  p.  480  sq.;  Kaltenbrunner,  Rômische  Studien,  dans  Alittlieilungen  des 
Instituts  fiir  ôsterreichische  Geschichtsforschung,  1884,  t.  v;  A.  Luchaire,  Les 
Registres  d' Innocent  III  et  les  Regesta  de  Potthast,  dans  la  Bibliothèque  de  la  Fa- 
culté des  lettres  de  Paris,  1904,  t.  xviii;  Rocquain,  Les  lettres  d'Innocent  III, 
dans  le  Journal  des  savants,  1873,  p.  440-451,  513-528,  561-575;  E.  Winkelmann, 
Zu  den  Regesten  des  Papstes  Innocenz  III,  dans  Forschungen  zur  deutschen  Ge- 
schichfe,  1869,  t.  ix,  p.  455  sq.  Enfin  on  peut  ajouter  F.  F.  Reinlein,  Papstlnno- 
cenz  der  Dritte  und  seine  Schrift  «  De  contemptu  mundi  »,  ein  Beitrag  zur 
Geschichte  des  Geistes  im  Mittelalter  in  nàchster  Beziehung  zur  Kullur  der  Renais- 
sance und  der  Reformation,  in-8,  Erlangen,  1871. 

Biographie  :  Nous  aurons,  au  cours  du  livre  XXXV  de  l'Histoire  des  conciles, 
assez  d'occasions  de  citer  les  Chroniques  contemporaines  pour  nous  dispenser 
d'en  donner  ici  l'énumération.  La  plus  importante  de  toutes,  et  de  beaucoup, 
est  celle  du  notaire  de  Frédéric  II,  Richard  de  San  Germano  :  Ignoti  monachi 
cisterciensis  S.  Marise  de  Ferraria  chronica,  et  Ryccardi  de  S.  Germano  chronica 
priora,  in-4,  édit.  Gaudenzi,  dans  Monumenti  publ.  per  la  Società  napoletana  di 
sloria  patria,  1888;  cf.  Loew,  Richard  von  San  Germano  und  die  altère  Redaktion 
seiner  Chronik,  1894;  A.  Th.  von  Rottcngarter,  Res  ab  Innocentio  III  papa 
gestse,  in-8,  Vratislavia-,  1831;  J.  N.  Brischar,  Papst  Innocenz  III  und  seine 
Zeit,  in-8,  Freiburg,  1883;  F.  Hurter,  Geschichte  Papsts  Innocenz  III  und  seiner 
Zeitgenossen,  2  vol.  in-8,  Ehingen,  1835;  2^  édit.,  4  vol.,  Hamburg,  1836-1842; 
3e  édit.,  4  vol.,  1841-1843;  trad.  franc.,  par  A.  de  Saint-Chéron  et  J.-B.  Haiber, 
Histoire  du  pape  Innocent  III  et  de  ses  contemporains,  précédée  d'une  introduc- 
tion, 3  vol.  in-8,  Paris,  1838;  2^  édit.,  4  vol.  iii-8,  Bruxelles,1839;  autre  traduct., 
augmentée  d'une  introduction,  de  notes  historiques  et  de  pièces  justificatives,  par 
Jager  et  Th.  Vial,  2  vol.  in-8,  Paris,  1839-1840;  3  vol.  in-8,  Paris,  1843;  cf. 
Avenel,  dans  le  Journal  des  savants,  1841,  p.  462-476;  1842,  p.  305-319,  479- 
490,  744-761  ;  Jorry,  Histoire  du  pape  Innocent  III,  in-8,  Paris,  1853;  F.Deutsch, 
Papst  Innocenz  111  und  sein  Einfluss  auf  die  Kirche,  in-8,  Breslau,  1876;  Langen 


639.  ÉLECTIONS  DU  ROI   ET  DU  PAPE         1185 

mundi  et  le  De  sacrificio  missie,  qui  sont  encore  estimés.  Ce  fut  du 
sein  de  cette  vie  de  recueillement  que  ses  collègues  le  tirèrent 
le  jour  des  funérailles  de  Célestin  III,  pour  le  faire  asseoir  sur  le 
siège    pontifical,    malgré    les    vives    recommandations     du    pape 

Geschichte  der  rômischen  Kirche  con  Gregor  VII  bis  Innocenz  III,  in-8,  Bonn, 
1893,  p.  GOO  sq.;  Papencordt,  Geschichte  der  Stadt  Boni,  p.  280  sq.  ;  von  Reumont, 
Geschichte  der  Stadt  Rom,  t.  ii,  p.  469;  Gregorovius,  Geschichte  der  Stadt  Rom, 
3^  édit.,  Stuttgart,  1878,  t.  v.  Le  livre  de  Fr.  Hurter,  Geschichte  Papsts  Inno- 
cenz III  uiid  seiner  Zeitgenosscn,  fut,  en  1835,  un  événement  historique.  Il  a 
gardé  son  importance,  mais  on  ne  peut  guère  lui  accorder  d'intérêt,  vu  la  mé- 
thode d'exposition  et  la  découverte  de  documents  nouveaux  dont  il  ignore  tout. 
A.  Luchaire  a  repris  ce  vaste  sujet  en  six  volumes  :  i,  Rome  et  l'Italie;  ii,  La 
croisade  des  albigeois;  m,  La  papauté  et  l'empire;  iv,  La  question  d'Orient;  v, 
Les  royautés  vassales  du  Saint-Siège;  vi.  Le  concile  de  Latran  et  la  réforme  de  V É- 
glise,  avec  une  bibliographie  et  une  table  générale,  6  vol.  in-12,  Paris,  1904-1908., 
Ces  six  volumes  ne  sont  guère  que  six  chapitres  qui  entreraient  à  l'aise  dans  un 
juste  volume.  L'auteur  y  est  historien  à  l'ancienne  mode  de  France,  laquelle 
n'était  pas  la  plus  mauvaise,  elle  n'était  pas  non  plus  la  meilleure  :  des  portraits, 
des  tableaux,  des  panoramas  politiques,  des  erreurs  de  détails,  une  jolie  désin- 
volture avec  les  hommes  qu'on  voit  entrer  et  sortir,  faire  toutes  les 
actions  de  la  vie  comme  s'en  peuvent  acquitter  des  automates  bien  articulés; 
point  de  notes.  Il  est  vrai  que  cette  série,  dont  «  il  n'est  pas  une  ligne  qui  ne  soit 
fondée  sur  un  texte  »  (t.  vi,  Préf.,  p.  viii),  est  destinée,  non  à  être  consultée, 
mais  à  être  lue  de  ce  «  public  soucieux  du  passé,  de  ce  que  fut  au  moyen  âge 
l'action  d'un  grand  pape.  »  Les  divers  champs  sur  lesquels  s'est  exercée  l'acti- 
vité d'Innocent  III  comportent  chacun  une  bibliographie  distincte  : 

Rome  :  Analecta  juris  pontificii,  1881-1885,  t.  xx,  p.  889-896;  t.  xxiii,  p.  276- 
307;  t.  XXIV,  p.  630;  Calisse,  /  prefetti  di  Vico,  dans  Archivio  délia  real  Società 
romana  di  storia  patria,  1888;  Le  regioni  di  Roma  nel  medio  evo,  dans  Studi  e 
documenti  di  storia  e  diritto,  1889;  Cascioli,  Memorie  storiche  di  Poli,  con  moite 
notizie  inédite  di  familia  Conti,  1896;  Gregorovius,  op.  cit.,  5^  édit.  ;  L.  Halphen, 
Études  sur  l'administration  de  Rome  au  moyen  âge,  in-8,  Paris,  1907;  Paravicini, 
Saggio  storico  sulla  prefettura  urbana  dal  secolo  x  al  xiv,  Roma,  1900;  Il  senato 
romano  dal  vi  al  xii  secolo,  in-8,  Roma,  1901  ;  Rodocanachi,  Les  institutions 
communales  de  Rome  sous  la  papauté,  in-8,  Paris,  1901  ;  Tomassetti,  La  pace  di 
Roma,  anno  1188,  dans  Rivista  internazionale  di  scienze  sociali  e  discipline  ausi- 
larie,  1896. 

Patrimoine  :  Ciampi,  Cronache  e  statuti  délia  cittàdi  Viterbo,1812;  P.  Fabre  et 
L.  Duchesne,  Le  Liber  censuum  de  l'Église  romaine,  in-4,  Paris,  1899;  L.  Lanzi, 
Un  lodo  d'Innocenzo  III  ai  Narnesi  specialmente  per  la  terra  di  Slroncone, 
dans  Bolleltino  délia  Società  Umbra  di  storia  patria,  1895;  A.  de  Magistris,  Il 
i'iaggio  d'Innocenzo  III  nel  Lazio  e  il  primo  ospedale  in  Anagni,  dans  Studi  e 
documenti  di  storia  e  diritto,  1898,  t.  xix;  Pinzi,  Storia  délia  città  di  Viterbo, 
1887-1889;  Signorelli,  Il  poteslà  del  comune  di  Viterbo,  dans  Studi  e  documenti 
di  storia  e  diritto,  1894. 

Sardaigne,  Toscane,  Ombrie,  Lombardie  :  Astegiano,  Il  comune  di  Cremona  e 

CONCILES  —  V  -   75 


11&6  LIVRE     XXXV 

défunt  en  faveur  de  Jean  Colonna,  cardinal  de  Saint-Paul.  Cette 
élection  si  rapide  et  si  unanime  témoignait  d'une  confiance  par- 
ticulière, car  les  temps  étaient  plus  difTiciles  que  jamais  :  le  dogme 
mis   en   péril   par   des   hérésies    très    dangereuses,    la    liberté   de 


il  possesso  di  Guastalla  e  Luzzara  nel  secolo  xii,  dans  Archwio  slorico  lomhardo, 
1 882  ;  Besta,  Nuovi  studi  su  le  origine,  la  storia  e  V or ganizzazione  dei  giudicali 
sardi,  à&ws  Arcldvio  storico  italiano,  1901;  Bonazzi,  Storia  di  Perugia,  1875,  t.  i; 
Davidsohn,  Geschichte  von  Florenz,  1896,  t.  t,  le  chapitre  intitulé  :  Florenz  unter 
Heinrich  VI  und  der  Tuscische  Bund;  Forschungen  zur  àlteren  Geschichte  von 
Florenz,  1896,  t.  i,  le  chapitre  intitulé  :  Kardinal  Pandulf  und  die  Vorhereitung 
des  Tusken  Bundes;  1908,  t.  iv  :  Toskana  zur  Zeit  Kaisers  Otto  IV  :  Die  Populàr 
Bewegung  in  ilalienischen  Stàdten  bis  zur  Mille  des  xiii  Jalirhunderts;  Dove, 
Corsica  und  Sardinien  in  den  Schenkungen  an  die  Pdpsle,  dans  Sitzungsberichte 
der  philosophisch-plnlologischen  und  der  historischen  Classe  der  Kôn.  Akad.  der 
Wissensch.  zu  Mûnchen,  1894;  Ficker,  Forschungen  zur  Reichs- und  Rechtsgc- 
schichte  Italiens,  4  vol.  in-8,  1868-1874;  Gasparolo,  Codex  qui  Liber  crucis  nun- 
cupatur  e  tabulario  Alexandrino  descriptus  et  editus,  dans  Biblioteca  delV  Acca- 
demia  storico- giuridica,  1889;  Ghiron,  La  credenza  di  Sant'  Ambrogio  e  la  lotla 
dei  nobili  e  del  popolo  in  Milano,  1198-1292,  dans  Archivio  storico  Lombardo, 
1876;  Holder-Egger,  De  Sicardi  Cremonensis  vita,  dans  Monum.  Germ.  hist.. 
Script.,  t.  XXXI,  p.  902;  G.  Levi,  Documenti  ad  illustrazione  del  registro  del 
cardinale  Ugolino  d'Oslia,  dans  Archivio  délia  Società  roinana  di  storia  patria, 
1889;  Regisiri  dei  cardinali  Ugolino  d'Oslia  e  Otlaviano  degli  Ubaldini,  1890; 
A.  M.  Maicolini  et  A.  Rossi,  Innocenzo  III  papa  [Lotario,  dei  conti  di  Segni) 
lettera  data  nell  di  8  maggio  1201,  diretta  al  clero  Venelo,  in-8,  Padova,  1859; 
Pinna,  U origine  dei  giudicali  di  Sarde gna,  1900;  Salvemini,  Le  lotte  fra  Statoe 
la  Chiesa  nei  Comuni  italiani  durante  il  secolo  xiii,  dans  Studi  storici,  1901  ;  San- 
tini,  Studi  suW  antica  costituzione  del  commune  di'  Firenze,  dans  Archivio  storico 
ilaliano,  1900,  t.  xxvi;  Tola,  Codex  diplomaticus  Sardinise,  1861-1868;  Vanni, 
Pisani,  Langobardi  e  la  Sardegna,  1898;  Verci,  Storia  délia  marca  Trivigiana, 
1786-1791;  Vignati,  Storia  diplomatica  délia  lega  lombarda,  1866. 

Empire,  y  compris  la  Sicile  :  Die  Regesten  des  Kaiserreichs  unter  Philipp, 
Otto  IV  (1198-1212),  neu  herausgegeben  und  ergànzt  von  J.  Ficker  und  E.  Win- 
kelmann,  in-8,  Innsbrûck,  1881-1901;  Huillard-Bréholles,  Historia  diplomatica 
Friderici  II,  in-8,  Paris,  1852;  Abel,  Kônig  Philipp  der  Ilohenstaufe,  in-8,  Ber- 
lin, 1852;  Kaiser  Otto  IV  und  Kônig  Friedrich  II,  in-8,  Berlin,  1856;  Raumer^ 
Geschichte  der  Ilohenslaufen,  4^  édit.,  Leipzig,  1871,  t.  ii,  m;  Winkelmann, 
Philipp  von  Schwahen  und  Otto  IV  von  Braunschwcig,  dans  Jalirbûcher  der  deut- 
schen  GescJdchte,  2  vol.  in-8,  Leipzig,  1873-1878;  Ficker,  Ueber  das  Testament 
Ileinriclis  VI,  dans  Sitzungsberichte,  philos.-hist.  Klasse,  Wien,  t.  lxvii;  E.  Win- 
kelmann,  Ueber  das  Testament  Kaiser  Heinrichs  VI,  dans  Forschungen  zur 
deulschen  Geschichte,  t.  x;  Gerlich,  Das  Testament  Heinrichs  VI,  1907;  E.  Win- 
kelinann,  Geschichte  Kaiser  Friedrichs  II,  2  vol.,  Leipzig,  1889-1897;  K.  Hampe, 
Aus  der  Kindheit  Kaiser  Freicdrichs,  dans  JMitllieihingen  des  Instituts  fiXr  œslerrei- 
chische  Geschichlsforschung,  1901,  t.  xxii;  Deutsche  Angriffe  auf  das  KiJnigreich 


693.  ÉLECTIONS  DU  ROI  ET  DU  PAPE  1187 

l'Eglise  menacée  par  la  politique  des  Hohenstaufcn,  l'indépendance 

des  papes  compromise  par  l'alliance  de  la  Basse-  Italie  avec  l'empire, 

les  droits  de  suzeraineté  du  Saint-Siège  sur  Naples  et  sur  la  Sicile 

L''-]  réduits  à  n'être  plus  guère  qu'un  vain  mot,    enfin    les    États    de 

Sizilien  im  Anfang  des  xiii  J ahrhunderls ,  dans  Historische  Vierteljahrschrift, 
t.  VII  ;  Paolucci,  La  giovinezza  di  Federico  II  di  Suevia  ed  i  prodromi  délia  sua 
lotta  col  Papato,  1901;  Kap-Herr,  Die  «  Unio  regni  ad  imperium)),  dans  Deutsche 
Zeitschrift  fur  Geschichtswissenschaft,  1889;  Prinz,  Markward  von  Anweiler,  1875; 
E.  Winkelmann,  Geschichte  Kaiser  Friedrichs  II  und  seiner  Reiche,  2  vol.  in-8, 
Berlin,  1863,  1865;  Lindemann,  Kritische  Darstellung  der  Verhandlungen  Inno- 
cenz  III  mit  den  deutschen  Gegenkônigen,  in-8,  Magdeburg,  1885;  Schwemer, 
Innocenz  III  und  die  deutsche  KircJie  wàhrend  des  deutschen  Thronstreites  von 
1192  bis  1208,  in-8,  Strassburg,  1882;  Engelmann,  Philipp  von  Schwaben  und 
Papst  Innocenz  III  wàhrend  des  deutschen  Thronstreites,  Berlin,  1896;  A.  Hauck, 
Kirchengeschichte  Deutschlands,  t.  iv,  p.  683  sq.  ;  J.  Losertli,  Geschichte  des 
spàteren  Mittelalters,  von  1197-1492,  in-8.  Munster,  1903. 

Curie  :  K.  Hampe,  Eine  Schilderung  des  Sommer aufcnthaltes  der  romischen 
Kurie  unter  Innocenz  III  in  Suhiaco,  1202;  dans  Historische  Vierteljahrschrift, 
1905,  t.  VIII  ;  Spathen,  Geraldus  Cambrensis  und  Thomas  von  Evesham  Uber  die 
von  ihnen  an  der  Kurie  gefiihrten  Prozesse,  dans  Neues  Archiv,  1906,  t.  xxxi; 
E.  ^\inkelmann,  Eine  Consistorialrede  des  Papstes  Innocenz  III,  vom  Jahre 
1199,  dans  Sitzungsberichte  pitil.-hist.  Akad.  Wissensch.,  Mûnchen,  1875,  t..  i, 
p.  345-360. 

Croisade  des  albigeois  :  P.  Alphandéry,  Les  idées  morales  chez  les  hétérodoxes 
latins  au  début  du  xiii^  siècle,  dans  Bibliothèque  de  l'École  des  hautes  études, 
Sciences  religieuses,  1903,  t.  xvi,  fasc.  1;  Balme  et  Lelaidier,  Cartulaire  ou  his- 
toire diplomatique  de  Saint-Dominique,  2  vol.  in-8,  Paris,  1893-1901;  M.  Dieula- 
foy,  La  bataille  de  Muret,  dans  les  Mémoires  de  l'Académie  des  inscriptions  et  b.-L, 
1901,  t.  xxxvi,  2e  partie;  J.  Dôllinger,  Beitràge  zur  Sektengeschichte  des  Mittel- 
alters, 1890,  11^  part.  :  Dokumente  vornehmlich  zur  Geschichte  der  Valdesier  und 
Katharer;  C.  Douais,  Les  albigeois,  leurs  origines,  action  de  l' Église  au  xii^  siècle, 
1879;  Les  sources  de  l'histoire  de  l' Inquisition  dans  le  Midi  de  la  France  aux  xiii® 
et  xiv^  siècles,  1881;  L'Église  et  la  croisade  contre  les  albigeois,  dans  les  Annales 
du  Alidi,  1890,  t.  ii;  La  soumission  de  la  vicomte  de  Carcassonne  par  Simon  de 
AI  ont  fort  et  la  croisade  contre  Raymond  VI,  1884;  Les  hérétiques  du  comté  de  Tou- 
louse dans  la  première  moitié  du  xiii^  siècle,  dans  les  Comptes  rendus  des  séances 
du  congrès  des  savants  catholiques,  1891;  L'Inquisition,  ses  origines,  sa  procédure, 
in-8,  Paris,  1906;  Dulaurier,  Les  albigeois  ou  les  cathares  du  Midi  de  la  France, 
dans  le  Cabinet  historique,  1880;  Frédéricq,  Die  Inquisition  und  die  Geschichts- 
forschung,  in-8,  Leipzig,  1905;  J.  Guiraud,  Étude  sur  l'albigéisme  languedocien 
aux  xii^  et  xm®  siècles,  introduction  au  Cartulaire  de  Prouille,  in-8,  Paris,  1907, 
t.  i;  J.  Havet,  La  répression  de  l'hérésie  et  le  bras  séculier  au  moyen  âge,  in-8, 
Paris,  1895,  t.  ii  des  Œuvres  complètes;  Ch.-V.  Langlois,  L'Inquisition  d'après 
les  travaux  récents,  in-12,  Paris,  1902;  Lea,  Histoire  de  l'inquisition  au  moyen  âge, 
trad.  franc,   par  S.  Reinach,  3  vol.  in-8,  Paris,  1900-1902;  La  Chanson  de  la  croi- 


1188  LIVRE     XXXV 

l'Église  grandement  diminués  par  les  attaques  des  Allemands 
et  de  leurs  alliés.  De  rudes  assauts  attendaient  donc  le  nou- 
veau pape,  s'il  ne  transigeait  pas  avec  ses  devoirs;  il  aurait 
à  déployer  tour  à  tour  l'impétuosité  de  la  jeunesse  et  la  ma- 
turité de  l'expérience. 


sade  contre  les  albigeois,  édit.  P.  Meyer,  1875,  Introd.;  A.  Molinicr^  Catalogue  des 
actes  de  Simon  et  d'Amaury  de  Montforf,  dans  la  Bibliothèque  de  V  École  des  chartes, 
1873;  Ch.  Molinier,  L'Inquisition  dans  le  midi  de  la  France  aux  xiii^  et  xiv^  siè- 
cles, in-8,  PariS;  1880;  L' Eglise  et  la  société  des  cathares,  dans  la  Reloue  historique, 
1907,  t.  xciv,  xcv;  Preger,  Ueber  die  Verfassung  der  franzôsischen  Waldesier  in 
der  àlteren  Zeit,  1891,  dans  Abliandlungen  der  historischen  Classe  der  Kônigl. 
Akad.  d.  Wissenschaften,  Mûnchen,  t.  xix;  C.  Schniidt,  Histoire  et  doctrine  de  la 
secte  des  cathares  ou  albigeois,  2  vol.  in-S,  1848;  Ch.  de  Smedt,  Les  sources  de 
l'histoire  de  la  croisade  contre  les  albigeois,  dans  la  Revue  des  questions  historiques, 
1  874,  t.  XVI  ;  E.  Vacandard,  Les  origines  de  l'hérésie  albigeoise,  dans  même  revue 
1894,  p.  50-83;  de  Vic-Vaissete,  Histoire  générale  de  Languedoc,  édit.  Molinier, 
Toulouse,  t.  VI  ;  Canet,  Simon  de  Mont  fort  et  sa  croisade  contre  les  albigeois,  iii-8, 
Lille,  1891, 

Vaudois  :  E.  de  Bourbon,  Anecdotes  historiques,  in-8,  Paris,  1877,  p.  290  sq.; 
Chronicon  anonymi  canonici  Laudunensis,  dans  Bouquet,  Recueil  des  histor.  de 
la  France,  t.  xiii,  p.  680  sq.  ;  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xxvi,  p.  447  sq.  ; 
Dieckhofï,  Die  Waldenser  im  Mittelalter,  in-8,  Gottingen,  1851;  Herzog,  Die 
romanischen  Waldenser,  in-8.  Halle,  1853;  Chabraud,  Vaudois  et  protestants 
des  Alpes,  in-8,  Grenoble,  1886;  K.  MûIIer,  Die  Waldenser  und  ihre  einzelnen 
Gruppen  bis  zum  Anfang  des  xiv  Jahrh.,  Gotha,  1886;  Preger,  Bcitrdge  zur 
Geschichte  der  Waldesier,  dans  Abliandlungen  der  hist.  Klasse  d.  bayer.  Akad.  der 
Wissensch.,  Munchen,  1875,  t.  xiii,  part.  1  ;  Der  Traktat  des  David  von  Augsburg 
ûber  die  Waldesier,  dans  même  recueil,  1878,  t.  xiv,  part.  2;  Ueber  die  Verfas- 
sung der  franzôsischen  Waldesier  in  der  àlteren  Zeit,  dans  même  recueil,  1890, 
t.  XIX,  part.  3;  Haupt,  Waldensia,  dans  Zeitschrift  fur  Kir chen geschichte,  1888, 
p.  311  sq.  ;  Neue  Beitrâge  zur  Geschichte  des  Mittelaltcrl.  W aldenserlums ,  dans 
Historische  Zeitschrift,  1888,  p.  39;  Waldensertum  und  Inquisition  im  siidôstl. 
Deutschland  bis  zur  Mitte  des  xiv  Jahrh.,  dans  Deutsche  Zeitschrift  fur  Gesch., 
1889,  p.  285  sq.  ;  Wattembach,  Ueber  die  Inquisition  gegen  die  Waldenser  in 
Pommern  und  in  der  Mark  Brandenburg,  dans  Berliner  Akad.  der  Wissensch. ■> 
phil.-liist.  Klasse,  1886;  Bruzes,  Les  vaudois  des  Alpes  françaises,  Paris,  1888; 
Comba,  Histoire  des  vaudois  d'Italie,  in-8,  Paris,  1887;  2^  édit.,  Paris,  1901; 
Huck,  Dogmenhist.  Beitrag  zur  Gesch.  der  Waldenser,  in-8,  Freiburg,  1897; 
Friedrich,  La  Vauderye  [Valdesia).  Ein  Beitrag  zur  Geschichte  der  Waldesier, 
dans  Sitzungsberichte  der  bayerischen  Akademie  der  Wissenschaft,  1898,  t.  i, 
p.  163  sq.  ;  F.-X.  Funk,  dans  Kirchenlexicon,  t.  xii,  p.  1185-1195. 

Empire  et  papauté  :  E.  Winkelmann,  Philipp  von  Schwaben  und  Otto  IV  et 
Kaiser  Friedrich  II,  déjà  mentionnés;  Jastrow^  et  Winter,  Deutsche  Geschichte 
im  Zeitalter  der  Hohenstaufen,  2  vol.,  1901  ;  A.  Hauck,  Kirchen geschichte  Deutsch- 
lands,  Leipzig,  1902,  t.  iv;  Die  Hohenstaufenzeit,  p.  683-744  (sectarisme  confes- 


639.     lÎLECTiONS     DU     ROI     ET     DU     PAPE  1189 

Ces  raisons  déterminèrent  les  cardinaux  à  porter  leur  choix  sur 
un  pape  âge  à  peine  de  trente-sept  ans;  ce  qui,  d'ailleurs,  ne  lais- 
sait pas  d'alarmer  quelques-uns  ^   Dès    le    début,    il    fit    preuve 

sionnel);  Schwcmer,  Innocenz  III  und  die  deutsche  Kirchc  wcihrend  des  Tltron- 
slreilcs  von  119S-1208,  in-8,  1882;  Engelmann,  P/u7(pp  t^o?!.  Schwahen  und  Inno- 
cenz III  wàhrend  des  deutschen  Tlironstreites,  1198-1208,  in-8,  1896. Voir  la  biblio- 
graphie de  l'empereur  Frédéric  II  que  nous  donnerons  plus  loin. 

Orient  et  croisade  :  L.  Brchier,  U  Église  et  l'Orient  au  moyen  âge.  Les  croisades, 
ia-12,  Paris,  1907,  p.  144-181;  Michael,  Hat  Papsl  Innocenz  III,  sich  das  Redit 
zuerkannt,  auch  die  Laïen  fiir  Kreuzzugszwecke  zu  hesteuern?  dans  Zeitschrift 
fur  kaihol.  Théologie,  1895,  t.  xix,  p.  753-756;  A.  Gottlob,  Hat  Papst  Inno- 
cenz III,  sich  das  Recht  zuerkannt  auch  die  Laïen  fur  Kreuzzugszwecke  zu  he- 
steuern? dans  Hisforisches  Jahrbuch,  1895,  t.  xvi,  p.  312-319;  Riant,  Innocent  III 
Philippe  de  Souahe  et  Boniface  de  Montferrat,  dans  la  Revue  des  quest.  histor., 
1875;  W.  Norden,  Das  Papslum  und  Byzanz,  in-8,  Berlin,  1903,  p.  133-164; 
Gerlaud,  Der  Vierte  Kreuzzug  und  seine  Problème,  dans  Neue  Jahrbûcher  fur  das 
klassische  Altertum,  Geschichtc  ui^d  deutsche  Liieratur,  t.  xiii;  Geschichie  der 
Kaiser  Balduin  I  und  Heinrich,  1204-1216,  in-8,  Hamburg,  1905. 

Espagne  :  F.  Fita  y  Colome,  Biografîa  inedita  de  Alfonso  IX  rey  de  Léon,  por 
G  il  de  Zamora,  dans  Boletin  de  la  Academia  de  la  Historia,  1888,  t.  xiii;  Gams, 
Kirchengeschichte  von  Spanien,  in-8,  Regensburg,  1876,  t.  m;  Herculano,  His- 
toria de  Portugal,  5^  édit.,  1888,  t.  ii. 

Hongrie  :  Fermendzin,  Acta  Bosniœ  pofissimum  ecclesiastica,  925-1752,  dans 
Monumenfa  spectantia  historiam  Slavorum  meridionalium,  1892;  Fraknoi,  Rela- 
tions ecclésiastiques  et  politiques  de  la  Hongrie  avec  la  cour  de  Rome,  1900,  t.  i, 
(en  magj'ar)  ;  G.  Lanczy,  Saint  Etienne  et  la  papauté,  in-12,  Paris,  1901. 

Serbie,  Bulgarie,  etc.  :  L.  de  Ilorumzaki,  Documents  relatifs  à  l'histoire  rou- 
maine (en  roumain),  1887  (lettres  d'Innocent  III  au  roi  Johannitza)  ;  Jirecck, 
Geschichtc  der  Bulgaren  (trad.  allem.),  1876;  Novakovitch,  Introduction  au 
Code  d' Etienne  Douchan,  empereur  serbe,  1898;  Ouspenski,  Formation  du  second 
empire  bulgare,  1879;  Theiner,  Vetera  monumenta  Slavorum  meridionalium, 
in-4,  Roma',  1863;  Xénopol,  L'empire  valacho-bulgare,  dans  la  Revue  histo- 
rique,  1891,   t.   xLvii. 

Angleterre  :  Else  Giitschow,  Innocenz  III  und  England,  in-8,  Berlin,  1904; 
Ladenbauer,  Wie  wurde  Kônig  Johann  Vasall  des  rômischen  Sluhles?  dans  Zeit- 
schrift fiir  katholische  Théologie,  1882;  Lehmann,  Johann  ohne  Land,  dans  His- 
torische  Studien  d'Ebering,  1904,  t.  xlv;  H.  Lucas,  King  John  and  pope  Inno- 
cent III,  dans  The  Month,  1879;  K.  Norgate,  England  under  Ihe  Angevin  kings, 
2  vol.  in-8,  London,  1887;  John  Leckland,  1902;  W.  Slubbs,  Histoire  constitu- 
tionnelle de  l'Angleterre,  trad.  Lefebvre,  1907,  t.  i,  note  x.  Les  deux  procès  de  Jean 
sans  Terre. 

France  :  Davidsohn,  Philipp  II  August  von  Frankreich  und  Ingeborg,  1888, 
cf.  Michael,  dans  Zeitschrift  fiir  kalholische  Théologie,  1890;  P.  Fournier,  Les 
conflits  de  juridiction  entre  V Église  et  le  pouvoir  séculier  de  11 W  à  1328.  (H.  L.) 

1.  Le  cardinal  Lothaire  était  sinon  disgracié,  du  moins  tenu  à  l'écart  sous 
le  pontificat  précédent,  ce  qui  est  toujours  la  plus  eflicace  recommandation  pour 


1190  LIVRE     XXXV 

d'une  activité  intense  et,  dès  avant  son  sacre  ^  (22  février),    lors- 
(fu'on  travaillait  encore  à  préparer  le  sceau  pour  les  bulles(on  y  voit 


lin  candidat.  Hurler,  Gesch.  Innoc.  III,  2'^  édit.,  t.  i,  p.  51  ;  Aboi,  Kônig 
Philipp  der  Hohenstaufe,  p,  12,  et  Winkelmann,  op.  cil.,  n'en  doutent  pas;  cepen- 
dant Tôche,  Henrich  VI,  p.  171,  note  2,  soutient  le  contraire;  il  est  vrai  que  rien 
n'est  plus  difficile  à  dcteirniner  que  ce  qu'on  entend  par  tenir  à  l'écart.  Ficker, 
Forscliungen  zur  Redits-  und  Reichsgeschichte  Italiens,  t.  ii,  p.  369,  et  Winkel- 
mann,  Philipp  von  Schwahen,  t.  i,  p.  35  sq.,  croient  cependant  que  Lothaire 
i'ul,  employé  dans  les  opérations  tendant  à  la  reprise  du  patrimoine  pontifical, 
lesquelles  commencèrent  presque  aussitôt  après  la  mort  d'Henri  VI  et  sous  le 
règne  de  Célestin  III.  (H.  L.) 

1.  L'élection  avait  eu  lieu  au  Septizonium  de  Sévère;  dès  le  lendemain  le  pape 
annonçait  à  l'Europe  le  résultat  de  l'élection.  Il  y  avait  eu  deux  tours  de  scru- 
tin; au  second,  Innocent  avait  recueilli  la  majorité  des  suffrages.  «  Tous,  écrit- 
il,  ont  dirigé  les  yeux  sur  notre  insuffisance,  se  souvenant  sans  doute  que  c'était 
Benjamin  qui  avait  trouvé,  au  fond  du  sac,  la  coupe  d'argent.  Plusieurs,  cepen- 
dant, auraient  été,  par  l'âge,  la  situation  et  le  mérite,  i:>lus  dignes  que  nous  d'un 
tel  honneur.  »  Voilà  les  candidats  évincés  dûment  embaumés  et  enguirlandés. 
Puis'le  pape  passe  aux  protestations  obligées  :  «  Pénétré  de  notre  incapacité,  nous 
avons  d'abord  refusé  cette  charge  trop  lourde  pour  nos  faibles  épaules; mais  il  a 
fallu  se  rendre  aux  instances  de  nos  frères.  En  prolongeant  la  résistance,  nous 
aurions  pu  ouvrir  la  porte  à  un  schisme  dangereux  ou  paru  nous  opposer  aux 
décrets  de  la  volonté  divine.  «  Quoi  qu'il  en  soit.  Innocent  se  montra  dès  le 
premier  moment  l'homme   et   le  chef  qu'il  serait  pendant  tout  son  pontificat. 

Innocent  III  entrait  en  scène  au  moment  où  Henri  VI  la  quittait,  c'était 
un  rude  adversaire  de  moins  et  dont  la  disparition  jetait  l'empire  dans  l'anar- 
chie spontanée  et  inaugurait  la  décadence  visible.  Rencontres  singulières  de  la 
fortune,  a  dit  à  ce  propos  un  grand  historien.  Un  empereur  jeune  et  entrepre- 
nant, tel  qu'Henri  VI,  avait  tout  pu  sans  qu'un  pape  aussi  débile  que  le  vieux 
Célestin  III  l'arrêtât  en  rien;  et  un  pape  dans  la  vigueur  de  l'âge,  comme  Inno- 
cent III,  unissant  la  grandeur  de  l'esprit  à  la  supériorité  du  savoir,  appliquant 
avec  le  caractère  le  plus  résolu  les  maximes  les  plus  ambitieuses,  proclamant  la 
suprématie  universelle  du  pontificat  sur  toutes  les  autorités  de  la  terre,  établis- 
sant la  souveraineté  temporelle  du  Saint-Siège  dans  Rome  et  sur  l'Italie  cen- 
trale, ne  trouva  ni  contradicteur  de  ses  théories  dans  le  monde  obéissant,  ni 
adversaire  de  sa  domination  dans  l'empire  désuni. 

Innocent  III  atteignit  les  divers  buts  que  bien  de  ses  prédécesseurs  avaient 
vainement  poursuivis,  et  ce  que  les  plus  hardis  d'entre  eux  avaient  conçu,  il 
le  réalisa  pleinement.  Il  fit  prévaloir  dans  la  ville  de  Rome  et  dans  le  centre  de 
l'Italie  l'autorité  politique  et  territoriale  du  Saint-Siège.  Le  sénateur  qui  pré- 
sidait à  l'administration  de  la  municipalité  romaine  fut  désigné  par  lui.  Le  pré- 
fet de  Rome  qui,  jusqu'à  lui,  y  représentait  rempire,dont  il  exerçait  les  pouvoirs, 
devint  alors  un  magistrat  pontifical,  et  il  prêta  désormais  au  pape  le  serment 
de  fidélité  qu'il  prêtait  auparavant  à  l'empereur.  Tirant  parti  des  dispositions 
des  peuples  qui  s'étaient  insurgés,  après  la  mort  d'Henri  VI,  contre  les  chefs  aile- 


639.  ÉLECTIONS   DU  ROI  ET  DU  PAPE  1191 

d'un  côté  l'image  des  princes  des  apôtres,  mais  l'autre  côté  ne 
porte  juis  encore  celle  du  pape),  il  publia  un  nombre   de   décrets 

mands  que  ce  prince  leur  avait  imposés,  Innocent  III  se  mit  en  possession  des 
terres  que  le  Saint-Siège  n'avait  cessé  de  revendiquer  sans  pouvoir  les  obtenir 
Innocent  III,  Epist.,  1.  I,  n.  27.  Ainsi  le  patrimoine  de  saint  Pierre,  formé  du 
vieux  duché  de  Rome  et  s'étendantde  Radicofani,  vers  les  limites  de  la  Toscane, 
jusqu'à  Ceprano  et  Terracine  sur  les  frontières  du  royaume  de  Naples,  si  souvent 
occupé  par  les  troupes  impériales;  le  duché  de  Spolète,  placé  au  milieu  de  l'A- 
pennin et  comprenant  l'ancienne  Ombrie;  la  Marche  d'Ancùne  bordant  l'Adria- 
tique; la  Romagne  et  le  reste  de  l'Exarchat,  y  compris  la  Pentapole,  s'avançant 
vers  le  nord,  du  côté  des  États  lombards  :  tous  ces  pays,  presque  constamment 
soumis  à  des  ducs,  à  des  marquis,  à  des  comtes  militaires,  passèrent  du  régime 
de  ces  grands  vassaux  de  l'empire  sous  le  gouvernement  de  l'Église.  La  Toscane 
soulevée  eut  son  dernier  duc  dans  Philippe  de  Souabe,  et  ses  villes,  devenues 
libres,  formièrent  pour  la  plupart,  à  l'exemple  des  villes  lombardes,  une  ligue 
dont  Florence,  Lucques,  Pistoie  firent  partie,  et  qui  fut  particulièrement  dévouée 
au  Saint-Siège. 

Souverain   territorial   dans   l'Italie  centrale.    Innocent   III,   qui   était  pontife 
universel  comme  chef  de  la  société  chrétienne,  devenait  en  quelque  sorte  monar- 
que universel  comme  juge  de  la  conduite  et  dispensateur  de  la  puissance  dans 
la  société  politique.  Il  rendit  les  papes  arbitres  du  droit  et  maîtres  des  couron- 
nes. Nul  ne  fit  un  plus  fréquent  usage  de  l'excommunication,  de  l'interdit  et 
même  de  la  déposition  à  l'égard  des  princes.  Par  Texcommunication,  il  les  excluait 
de  la  société  chrétienne;  par  l'interdit,  il  suspendait  dans  les  pays  de  leur  obéis- 
sance l'exercice  du  culte,  afin  de  les  forcer  à  se  soumettre  ou  de  pousser  les  peu- 
ples à  se  soulever;  parla  déposition,  il  les  dépossédait  du  pouvoir  et  déliait  leurs 
sujets  du  serment  de  fidélité.  Il  intervint  dans  le  gouvernement  des  États  aussi 
bien  que  dans  l'administration  de  l'Église  et  les  rois  lui  furent  subordonnés  sous 
le  rapport  politique,  presque  autant  que  l'étaient  les  évêqnes  sous  le  rapport 
religieux.  A  son  autorité  générale  sur  les  pays  chrétiens  s'ajouta  son  droit  de 
suzeraineté  sur  beaucoup  d'entre  eux.  Cette  suzeraineté,  forme    plus    particu- 
lière envers  le  Saint-Siège  pour  ceux  qui  la  reconnurent,  faisait  des  papes  les 
seigneurs  des  rois  et  des  rois  les  vassaux  des  papes.  Elle  prit    la    plus  grande 
extension  sous  Innocent  III.  Les  Deux-Siciles,  la  Suède,  le  Danemark  s'étaient 
déjà  placés  dans  les  liens  du  vasselage  pontifical,  d'autres  s'y  mirent  alors.   Le 
roi     Sanche,    de    Portugal,  renouvela  en  1199  l'engagement  qu'avait  pris  à  ce 
sujet,  en  1144,  son  prédécesseur  Alphonse  l^^,  et  paya  tribut  au  souverain  pon- 
tife. Le  roi  Pierre  d'Aragon  fit  de  même  en  1204;  il  déposa  sur  le  maître-aulcl 
de  Saint-Pierre  à  Rome  sa  couronne,  qu'Innocent  III  lui  remit  sur  la  tête  pour 
qu'il  la  tînt  désormais  du  Saint-Siège,  envers  lequel  il  dut  acquitter  une  rede- 
vance annuelle.   En  1207,  la  Pologne  se  soumit  à  cette  suzeraineté  que  subit 
en  1213  l'Anglctorro  elle-même,  dont  le  roi,  Jean  sans  Terre,  afin  d'éviter  une 
dépossession  semblable  à  celle  qui  avait  dépouille  la  maison  de  Saint-Gilles  du 
comté  de  Toulouse,  se  reconnut  feudataire  du  Saint-Siège  et  lui  paya  chaque 
année  mille  marcs    sterling  comme  signe  de  vasselage  et  prix  de  sa  protection. 
(H.  L.) 


1192  LIVRE    XXXV 

tel  qu'aucun  pape  n'en  avait  public  avant  lui  ^.  Il  entreprit  sur- 
le-champ  la  réforme  de  la  cour  pontificale,  se  montra  d'une  sim- 
plicité exemplaire  pour  ce  qui  concernait  la  table  et  le  service,  etc., 
renvoya  les  pages  nobles,  donna  trois  fois  par  semaine  audience 
publique  et  chercha  à  mettre  un  terme  à  la  falsification  des  bulles 
et  au  scandale  que  donnaient  à  la  chrétienté  l'avarice  et  la  corrup- 
tion des  membres  de  la  curie  ^.  L'un  de  ses  premiers  soins  fut  la 
restauration  de  la  puissance  des  papes,  aussi  bien  dans  la  ville  de 
Rome  que  dans  les  autres  parties  des  Etats  de  l'Eglise  ^,  Le  préfet 


1.  Epist.,  ],  83,  P.L.,  t.  ccxiv,  col.  72;  Potthast,Rcgesta  pontificum  romanorum, 
ab  ann.  1198-1304,  Berolini,  1874,  p.  9.  Il  existait  des  offices  de  fausses  bulles 
et  faux  diplômes  pontificaux  qui  vivaient  doucement  à  l'ombre  des  bureaux 
de  la  chancellerie  romaine.  Innocent  III  supprima  les  officines  clandestines  et  fit 
poursuivre  les  faussaires.  Reg.,  1.  I,  n.  235,  P.L.,  t.  ccxiv,  col.  202;  1.  I,  n.  262, 
ihid.,  col.  221  ;  1.  I,  n.  349,  ihid.,  col.  322;  n.  456,  ibid.,  col.  430;  1.  III,n.37,iijd., 
co\.  Sil'd;  K.  \l3i\xc\i,  KirchengeschichleDeu.stildands,  t.  iy,Y>-  685,  n.  2.  Défense 
fut  faite  à  tout  membre  de  la  curie  d'exiger  ou  de  solliciter  une  rétribution,  à 
l'exception  des  scribes  et  expéditionnaires  de  bulles  qui  recevaient  un  taux  lixe. 
Gesta,  c.  xli,  P.  L.,  t.  ccxiv,  col.  80;  "Tângl,  dans  MiUheilungeii  d.  Iiislit.  /. 
œsterreisch.   Gesch.,  t.  xiii,  p.  5.  (H.  L.) 

2.  Tout  cela  ne  s'avoue  guère  que  sous  cette  forme  détournée  de  réformes, 
mais  les  réformes  impliquent  les  abus  antécédents.  Cette  vénalité  de  la  curie 
à  tous  les  degrés  est  une  des  plaies  dont  les  rois  de  France  et  d'Angleterre  se 
plaignaient  alors  assidûment.  Cardinaux,  prélats,  envoyés  spéciaux  déguisés 
sous  des  titres  ingénieux  s'abattent  de  temps  à  autre  sur  un  pays  d'Occident 
comme  une  nuée  de  sauterelles.  Nous  avons  vu  les  évêques  anglais  proposer  de 
fixer  eux-mêmes  la  rançon  dont  ils  s'acquitteront,  plutôt  que  de  laisser  les 
romains  venir  chez  eux  quêter,  soutirer  par  tous  les  moyens  et  surtout  prendre 
bonnes  notes  des  ressources  d'une  contrée  et  du  moment  oîi  on  pourra  revenir 
la  gruger.Leur  besogne  achevée,  tous  ces  parasites  regagnaient  Rome;  cette  fois, 
le  pape  était  jeune,  décidé  à  la  lutte  et  avait  ses  fripons  sous  la  main.  Depuis  les 
rudes  nettoyages  du  pontificat  de  Grégoire  VII,  pareille  ingérence  du  pape  ne 
s'était  vue  dans  la  curie.    (H.   L.) 

3.  On  a  prétendu  que  le  cardinal  Lolhaire  diflërait  fort  du  pape  Innocent  III, 
on  n'en  a  pas  de  preuve.  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'Innocent  n'a  guère  varié 
dans  sa  conception  du  pontificat.  Reg.,  1.  II,  n.  209,  P.  L.,  t.  ccxiv,  col.  759  : 
Petro  non  soluni  universam  Ecclesiam  sed  totum  reliquil  sseculum  gubernanduni; 
Reg.,  I.  I,  n.  171,  P.  L.,  t.  ccxiv,  col.  148  :  ut  non  soluni  cum  principibus  sed 
principihus  judiccmus;  Reg.,  1.  XV,  n.  189,  P.  L.,  t.  ccxvi,  col.  1048  :  [Im- 
periuni  l'omanum)  quod  ad  nos  principalitcr  et  fïnaliter  noscitur  pertinere; 
Reg.,  1.  I,  n.  27,  P.  L.,  t.  ccxiv,  col.  21  :  Nusquam  inelius  ecdesiasticœ  consu- 
lilur  libertati  quant  ubl  Ecdesia  roniana  tain  in  lemporalibus  quam  spiritualibus 
plenam  ohtinel  poleslatern.  Cum  e?iim  apostolica  Scdes  maler  sil  Ecclesinrinn  om- 
nium cl  magistra,  tanlo  jortius  subjeclos  suie  temporali    jurisdictionl  populos  ab 


639.     ÉLECTIONS     DU     ROI    ET    DU    PAPE  1193 

de  Rome,  qui  jusqu'alors  avait  représenté  l'empereur,  et  le  séna- 
teur qui  gouvernait  la  ville  au  nom  du  peuple  durent  l'un  et  l'au- 
tre prêter  serment  au  pape  et  le  reconnaître  pour  leur  suzerain  ^. 
Innocent  était  arrivé  à  ce  résultat,  parce  qu'il  avait  su  tirer  parti 
des  circonstances,  déployer  de  l'énergie  et  faire  à  propos  montre  de 
volonté;  enfin  il  avait  su  gagner  le  peuple  par  sa  bienveillance 
et  ses  largesses  ^.  Peu  après,  les  comtes,  seigneurs  et  villes  voisines 
furent  obligés  de  faire  hommage  au  pape  ^,  et  bientôt  Markwald 
d'Anweiler,  sénéchal  d'empire  et  favori  d'Henri  VI,  à  qui  il  devait 


Ecclesiarum  et  ecdcsiaslicoriim  injuriis  cohihet,  quanto  amplius  in  ejus  injuriam 
et  Ecclesiarum  omnium  prsejudicium  rcdundaret,  si  Ecclesias  in  ejus  patrimonio 
constitutcts  non  servaret  in  statu  debitse  libertatis.  Reg.,  1.  II,  n.  4,  P.  L.,  t.  ccxiv, 
col.  541  :  Cum  apostolicse  Sedis  jurisdictio  spiritualis  nullis  terminis  coarctetur, 
immo  super  gentes  et  régna  soriita  sit  potestatem,  in  multis  etiam  per  Dei  gratiam 
ejus  exienditur  jurisdictio  temporalis.  Cf.  J.  Haring,  Kirche  und  Staat,  part.  XII  : 
Glaube  und  Wissen,  in-8,  Mûnchen,  1907^  p.  48  sq.,  55  sq.  (H.  L.) 

1.  Au  sujet  de  la  formule  obligatoire  du  serment  du  préfet  de  la  ville  cl  du 
sénateur,  cf.  Regest.  Innocenta  III,  t.  i,  p.  577,  et  Gregorovius,  Gesch.  der 
Stadt  Rom,  t.  v,  p.  24. 

2.  Les  papes  précédents  avaient  fait  au  moins  autant,  sinon  plus,  de  largesses  ; 
quant  à  ce  qu'on  nomme  bienveillance,  c'est  de  son  nom  vrai  :  la  jeunesse. 
Innocent  III  était  jeune,  on  le  savait,  on  le  voyait  et,  par  son  activité,  on  le 
sentait.  Après  un  pape  plus  que  nonagénaire,  cela  changeait  et  on  supposait 
que  celui  qui  était  parvenu  si  jeune  devait  être  très  habile  et  très  fort;  on  lui 
faisait  crédit  de  tout  le  reste.  D'un  tel  homme  on  s'attendait  à  des  actes,  et  les 
attendre  c'est  y  avoir  déjà  à  moitié  obéi.  Le  23  février,  Pierre  de  Vico,  préfet 
de  Rome,  vint  au  Latran  et  en  plein  consistoire  prêta  pour  son  office  serment 
de  fidélité;  Innocent  l'investit  de  la  préfecture  non  par  l'épée,  mais  par  le  man- 
teau. Le  préfet  lui  fit  hommage  lige  pour  tous  les  biens  attachés  à  sa  dignité  et 
le  pape  l'accepta  en  lui  remettant  une  coupe  d'argent.  Le  serment  imposé  à 
Pierre  de  Vico  était  d'une  si  minutieuse  précision  que  le  pape  pouvait  désormiais 
se  flatter  de  tenir  le  préfet  de  la  ville  en  son  entière  dépendance.  Le  sénat,  les 
préfets  et  les  nobles  avaient  abdiqué  en  fait.  Un  pareil  début  fit  impression, 
mais  le  peuple  romain  change  vite  et  bientôt  l'impression  fut  effacée,  l'accord 
du  pape  et  du  peuple  rompu.  Dès  le  lendemain,  à  l'occasion  du  donativum  un 
peu  retardé,  il  y  eut  une  révolte.   (H.  L.) 

3.  Dès  le  mois  de  février,  la  Campanie,  la  Sabine,  la  Maritime  et  la  Toscane 
pour  les  parties  relevant  du  Saint-Siège,  furent  obligées  à  se  soumettre  au  ser- 
ment de  fidélité.  Innocent  III  ne  visait  dès  lors  à  rien  moins  qu'à  reconstituer 
le  patrimoine  tel  qu'il  existait  sous  les  princes  carolingiens.  Cf.  Ficker,  For- 
schungen  zur  Rechts-  und  Reichsgeschichte  Italiens,  l.  ii,  p.  378  sq.  Lu  vacance 
impériale  était  une  chance  qu'Innocent  III  ne  laissa  pas  échapper.  Epist., 
I.  \  III,  n.  228,  P.  L.,  t.  ccxv,  col.  549;  Ficker,  Forschungen  zur  Rechts-  und..., 
t.  II,  p.  386.  (H.  L.J 


1194  LIVRE     XXXV 

le  duché  de  Ravenne,  la  marche  d'Ancône^et  la  Romagne,  se  vit 
forcé  par  l'excommunication  et  par  la  guerre  à  renoncer  à  toutes 
ses  possessions  et  à  évacuer  l'Italie  centrale  (automne  1198)  ^. 
Ravenne  et  quelques  autres  territoires  revinrent  à  l'archevêque 
de  Ravenne;  dans  les  autres  villes  et  les  autres  marches,  la  puis- 
sance du  pape  fut  rétablie.  De  même  Conrad  de  Uerslingen,  che- 
valier souabe,  dut  renoncer  au  duché  de  Spolète  ^  que  l'empereur 
lui  avait  donné  *.  En  Toscane,  que  l'empereur  Henri  avait  donnée  [773] 
à  son  frère  Philippe,  les  droits  du  pape  furent  généralement  recon- 
nus, car  Innocent  autorisa  à  certaines  conditions  l'établissement 
de  la  ligue  des  villes  toscanes,  fondée^,  comme  autrefois  la  Ligue 
lombarde,  pour  en  finir  avec  la  domination  allemande;  la  Ligue 
lombarde  elle-même  fut  reconstituée,  de  telle  sorte  que  la  puis- 
sance impériale  fut  presque  anéantie  dans  l'Italie  du  nord  et  du 
centre  ®.  Dans  le  royaume  des  Deux-Siciles,  aussitôt  après  la  mort 
de  son  mari,  Constance  avait  éloigné  les  Allemands  détestés  et 
avait  associé  au  gouvernement  son  fils  Frédéric  II  '.  Afin  d'affer- 
mir sa  situation,  Constance  renouvela  son  lien  de  vassalité  au 
Saint-Siège,  sacrifia  les  trois  premières  clauses  des  privilèges 
ecclésiastiques  que  le  roi  Guillaume  I^^  avait  extorqués  au  pape 
Hadrien  IV,  et  laissa  modifier  la  quatrième  ^.    Avant    de   mourir, 

1.  Epist.,  II,  4  (17  mars  1199),  P.  L.,  t.  ccxv,  col.  541;  Ficker,  op.  cit.,  t.  ii, 
p.  380  sq.  (H.  L.) 

2.  J.  Mayr,  Markward  von  Anweiler.  Reichlruchsess  und  kaiserl.  Lehensherr 
in  Italien,  in-8,  Innsbriick,  1876;  G.  Prinz,  Markward  von  Anweiler  Truchsess 
des  Reiches,  Markgraf  von  Ancona,  Herzog  der  Romagna  und  von  Ravenna,  Graf 
von  Abruzzo  und  Molise,  in-8,  Emden,  1875.   (H.  L. 

3.  Innocent  III,  Epist.,  1.  I,  n.  356,  P.  L.,  t.  ccxiv,  col.  331  ;  cf.  Gesta,  c.  ix, 
P.  L.,  t.  ccxiv,  col.  2'i.  (H.  L.) 

'i.  Conrad  de  Uerslingen,  duc  de  Spolète,  a  été  souvent  confondu  par  les 
historiens  avec  Conrad  de  Liitzelhard,  appelé  Miick-im-Hirn  [Musca  in  cere- 
hro).  Frédéric  P""  nomma  ce  dernier  margrave  d'Ancône  et  prince  de  Ravenne. 
Il  était  déjà  mort  en  1197.  Cf.  Stalin,  Wirtemb.  Gesch.,  t.  ii,  p.  586  sq. 

5.  11  novembre  1197.  Cette  alliance  fut  confirmée  par  le  pape  le  30  octobre 
1198.  Innocent,  Epist.,  1.  l,  n.  555,  P.  L.,  t.  ccxiv,  col.  507  :  Prior  et  alii  civita- 
tum  rectores...  tractatum  concordiœ  nobis  obtulerunt  in  quo  post  correctionem 
adhibitam,  nihil  invrnimus  quod  in  ecclesiasfici  jwis  pr.TJudicium  redundarel. 
Cf.  Ficker,  Forschungen,  t.  ii,  p.  383  sq.  (H.  L.) 

6.  Gesta  Innocenta,  c.  xvir,  P.  L.,  t.  ccxiv,  col.  30  :  Labor  cral  magnus,  fru- 
ctus  pnrvus.  (H.  L.) 

7.  Couronné  à  Palermc,  le  17  mai  1198.  (H.  L.) 

8.  Dans  la  convention  conclue  àBénévenl,  juin   1156.  Cf.  Watterich.   op.  cit., 


639.  ÉLECTIONS   DU  ROI  ET  DU   PAPE  1195 

le  27  novembre  1198,  elle  désigna  le  pape  comme  tuteur  de  son 
fils  âgé  de  quatre  ans  et  administrateur  du  royaume  de  Sicile  ^. 
On  sait  que  le  pape  n'épargna  ni  efTorts  ni  sacrifices  pour  assurer 
au  jeune  Frédéric  la  couronne  des  Deux-Siciles;  il  eut  en  parti- 
culier à  lutter  contre  Markwald  d'Anweiler,  qui,  chassé  de  l'Italie 
centrale,  envahit  la  Sicile  dans  l'automne  de  1198  et  se  prétendit 
autorisé,  par  un  testament  d'Henri  VI,  à  prendre  la  régence  jus- 
i[u'îx  la  majorité  de  Frédéric  ^,  Il  était  soutenu  par  plusieurs  sei- 
gneurs normands  et  allemands,  en  particulier  par  Diepold  de 
[774]  Vohbourg,  auquel  Henri  VI  avait  donné  le  comté  d'Acerra;  aussi 
Markwald  ne  tarda  pas  à  ambitionner  la  couronne^,  affirmant  que 

t.  iij  p.  333  sq.  ;  Monum.  Germ.  liisL,  Leges,  secl.  iv,  Constitut.  et  acia,  1,  n.  413- 
414^  p.  588-591;  II.  Simonsfeld,  JahrhUcher,  t.  i,  p.  454  sq.;  Huillard-Bréholles, 
Historia  diplomatica  Friderici  II,  in-4,  Paris,  1852,  t.  i,  part.  1,  p.  19,  ouvrage 
indispensable  à  l'ctude  du  règne  de  Frédéric  II  et  des  événements  contempo- 
rains. (H.  L.) 

1.  Gesta  Innocenta,  c.  xxiii;  cf.  Epist.,  1.  II,  n.  563,  dans  Huillard-Bréholles, 
op.  cit.,  t.  I,  p.  22;  d'ailleurs  l'impératrice  n'avait  guère  eu  le  choix  :  le  .pape 
avait  fait  connaître  ses  prétentions  à  la  régence  du  royaume  de  Sicile.  Epist., 

I.  IX,  n.  249,  à  Frédéric  II,  29  janvier  1207;  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  i, 
p.  125  sq.  :  Balium  qiiod  non  tam  ex  dispositione  paterna  qiiam  jure  regni  su- 
scepimus  exsequendum;  Hurter,  Gesch.  d.  Papst  Innocenz  III  iind  seiner  Zeit- 
genossen,  2^  édit.,  t.  i,  p.  254;  Winkelmann,  Geschichte  Kaisers  Friedrich  II, 
Leipzig,  1889,  t.  i,  p.  124  sq.  (H.  L.) 

2.  Ce  prétendu  testament  fut  trouvé,  après  la  bataille  de  Monreale,  dans  les 
bagages  de  Markwald  fugitif.  Il  renfermait  plusieurs  stipulations  très  favora- 
bles à  l'Église  romaine,  par  lesquelles  Henri  VI  cherchait  visiblement  à  se 
réconcilier  avec  la  curie  et  à  la  rendre  favorable  à  l'héritage  de  son  fils  en  ce 
qui  concernait  l'empire  et  la  Sicile.  Cf.  le  fragment  du  testament  dans  les  Gesta 
Innoc,  c.  XXVII,  P.  L.,  t.  ccxiv,  col.  52;  Monum.   Germ.  hist.,  Leges,  sect.  iv, 

II,  p.  530  sq.,  n.  379.  On  considérait  ce  fragment  comme  apocryphe  jusqu'à  ce  que 
Winkelmann,  dans  Forschungen  zur  deutschenGescfnchte,iS10,  t.  x,  p.  467  ;  Philipp 
von  Schwahen,  1. 1,  p.  18,  483  sq.,  s'appuyant  sur  des  preuves  certaines  à  mon  avis, 
eût  défendu  et  prouvé  l'authenticité  de  ce  document.  [Cette  authenticité  est 
également  admise  par  Ficker  dans  Wiener  Sitzungsb.  pliil.-hist.  KL,  t.  lxvii  , 
p.  257.  (H.  L.)] 

3.  Gesta  Innocentii  III,  c.  xxiii,  P.  L.,  t.  ccxiv,  col.  43;  cf.  Epist.,  1.  II, 
n,  221,  P.  L.,  t.  ccxiv,  col.  781,  le  24  nov.  1199  :  Siciliam  est  ingressus  et  non 
regni,  sed  régis  etiam  [ohlitus  hencftciorum  patris)  excidium  nicditatur;  Beg.  de 
neg.  imp.,  n.  15,  P.  L.,  t.  ccxiv,  col.  1011  (août  1200)  :  volens  seipsum.  sicut 
pro  certo  cognovimus,  facere  regeni.  Winkelmann,  Plnlipp  von  Schwaben,  t.  n, 
p.  11.  Sur  l'appel  adressé  aux  Sarrasins,  Epist.,  1.  II,  n.  221,  226,  P.  L.,  t.  ccxiv, 
col.  781,  786;  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  37;  Gesta  Innocentii,  c.  xxvi, 
P.  L.,  t.  ccxiv,  col.  'i9.  (II.  L.) 


1106  LIVRE     XXXV 

Frédéric  était  un  enfant  trouvé,  qui  n'avait  eu  ni  Henri  pour  père  ni 
Constance  pour  mère.  Il  fit  au  pape  les  plus  brillantes  promesses, 
afin  de  le  déterminer  à  lui  abandonner  le  royaume,  employa  tour  à 
tour,  pour  réussir,  la  diplomatie  et  la  force  en  deçà  et  au  delà  du 
détroit.  Chose  plus  grave  :  le  grand-chancelier  de  Sicile,  Walter, 
évêque  de  Troja,  conspirait  secrètement  avec  Markwald  et  s'op- 
posait de  toutes  ses  forces  au  plan  du  pape  ^.  Innocent  com- 
battit Markwald  par  l'excommunication  et  des  troupes  presque 
entièrement  levées  à  ses  frais.  Il  exploita,  pour  mieux  réduire 
Markwald,  la  haine  des  Italiens  contre  les  Allemands,  aussi  bien 
en  Sicile  qu'en  Toscane,  insistant  sur  les  actes  de  férocité 
accomplis    sous    Henri  VI  '^. 

Les  efforts  du  pape  en  faveur  du  royaume  des  Deux-Siciles 
furent  tout  d'abord  infructueux.  Markwald  s'empara  du  jeune 
roi  et  de  toute  l'île,  sauf  Messine  ^;  mais  en  deçà  du  détroit, 
Diepold  et  d'autres  s'étaient  rendus  indépendants.  Sur  ces 
entrefaites  parut,  au  commencement  du  xiii^  siècle,  le  che- 
valier français  Walter,  comte  de  Brienne;  il  était  gendre  de  Tan- 
crède  *,  le  dernier  roi  normand,  et,  en  cette  qualité,  il  émit  des  pré- 
tentions à  la  principauté  de  Tarente  et  au  comté  de  Lecce  ^; 
Innocent  lui  promit  de  reconnaître  ses  prétentions  s'il  tournait 
ses  armes  contre  les  adversaires  du  jeune  roi.  Soutenu  par  le  pape 
et  par  ses  partisans,  Walter  commença  alors,  dès  1201,  une  guerre 
incessante  contre  Diepold  et  les  siens,  le  vainquit  dans  plusieurs 
rencontres  et  lui  enleva  une  grande  partie  de  la  Basse- Italie.  Mal-  ['75] 
heureusement,  il  fut  tué  dans  un  combat  ^,  à  la  suite  d'une  impru- 


1.  Ce  Walter  poursuivait  sa  propre  querelle.  La  reine  Constance  lui  a  fait 
remettre  les  sceaux;  quant  au  pape,  il  avait  refusé  de  confirmer  son  élection  au 
siège  de  Palerme.  Ge.'ita  Innocenta  III,  c.  xxiii,  P.  L.,  t.  ccxiv,  col.  38;  c.  xxxv, 
ibid.,  col.  49;  c.  xxix,  ihid.,  col.  53;  Winkelmann,  op.  cit.,  t.  ii,   p.  23.  (H.  L.) 

2.  Innocent  III,  Epist.,  1.  I,  n.  555,  557-566;  1.  II,  n.  221,  P.    L.,    t.    ccxiv- 

CCXVIII. 

3.  Gesta  Innocenta  III,  c.  xxxiv,  xxxv,  P.  L.,  t.  ccxiv,  col.  61,  6'2; 
Wiukelmann,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  45  sq.,  49  sq.  (H.  L.) 

4.  Il  avait  épousé,  en  1198,  Albine,  fille  de  Tancrède. 

5.  Henri  VI  avait  promis,  par  traité,  ces  possessions  à  la  famille  du  roi  Tan- 
crède, mais  il  les  lui  enleva  sur  des  soupçons  non  fondés.  Gesta  Innocenta  III, 
c.  xxv,  P.  L.,  t.  ccxiv,  col.  46;  Sur  le  droit  de  Walter  à  la  succession  des  rois 
normands,  cf.  Winkclmann,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  29,  n.  3;  p.  45,  n.  2.  (H.  L.) 

6.  Gesta  Innocenta  III,  c.  xxxviii,  P.  L.,  I.  ccxiv.  col.  67  sq.;  A)inal. 
Casinenses,  dans  Monum.  Germ.  hial.,  Script.,  t.  xix,  p.  318  sq.  ;  Ryccardus   de 


640.    LUTTE     POUR     LE    TRONE     d'aLLEMAGNE  1107 

dencc,  le  [14  juin]  1205;  mais  Dicpold  n'en  était  pas  moins  si 
affaibli,  qu'il  dut  reconnaître  la  suzeraineté  du  pape  et  se  contenter 
d'clre  son  représentant  ^.  Vers  cette  même  époque  (1205),  la  situa- 
tion s'améliorait  en  Sicile  :  Markwald  était  mort  en  1202,  à  la 
suite  d'une  opération  de  la  pierre  ^,  et  quoique  l'ordre  ne  se  réta- 
blît pas  aussitôt  et  que  cette  mort  eût  pu  paraître  un  instant  le 
signal  d'une  conflagration  générale,  les  amis  du  pape  prirent  fina- 
lement le  dessus.  Sur  ces  entrefaites,  Frédéric  ayant  atteint  sa 
quatorzième  année,  Innocent  le  déclara  majeur^  et  le  roi  pro- 
clama de  son  côté  Innocent  III  son  protector  et  henefactor.  Le 
dernier  acte  de  la  régence  du  pape  fut  de  marier  Frédéric  avec 
Constance  d'Aragon  et  d'assurer  la  paix  du  royaume  par  la  diète 
de  San  Germano  (1208)  \ 


640.  Innocent  III  et  la  lutte  pour  le  trône  d'Allemagne 

jusqu'en  1204. 

Dès  le  début  de  son  pontificat.  Innocent  avait  envoyé  en  Alle- 
magne lettres  et  légats.  L'évêque  de  Sutri,  Allemand  d'origine, 
et  l'abbé  de  Sant'  Anastasio  avaient  mission  d'obtenir  de  Philippe 
de  Souabe,  héritier  d'Henri  VI,  et  du  fils  du  feu  duc  Léopold 
d'Autriche,  la  restitution  de  la  rançon  extorquée  à  Richard  Cœur 
de  Lion.  Ils  devaient  réclamer  la  mise  en  liberté  de  Sibylle,  reine 

San  GermanOj  dans  Monitm.  Germ.  hisL,  Script.,  t.  xix,  p.  332;  Carin.  Ceccan., 
vs.  161-180,  dans  Monum  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  292. 

1.  Gesta  Innocenta  III,  c.  xxxviii;  Ryccardus  de  San  Germano,  dans  Monum. 
Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  333  :  Innocentius  papa  Romam  vocal  Dyapuldum 
ad  se,  ipsitmque  et  siios  a  i'inculo  excommiinicationis  absolvit;  tune  cum  ipsius 
licentia  Salernum  reversas  est.  Les  Annal.  Casinenses,  ad  ann.  1205,  dans  Monum- 
Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  313,  ne  disent  pas  que  Diepold  fut  mandé  à  Rome 
mais  que  missis  nuntiis  suis  fecit  ipsum...  absolvi,  credens  eum  Ecclesise  profu-'. 
lurum.  Cf.  Winkelmann,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  65  sq.  (H.  L.) 

2.  Gesta  Innocentii  III,  c.  xxxv,  P.  L.,  t.  ccxiv,  col.  62.  Cf.  Episl.,  1.  V, 
n.  89;  1.  IX,  n.  195;    Winkehnann,  op.  cit.,  t.  n,  p.  53.  (II.  L.) 

3.  26  décembre  1206. 

4.  Innocent  III,  Epist.,  1.  XI,  n.  13-14;  IIuillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  i, 
p.  139  sq.  ;  Winkelmann,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  80;  Gesta  Innocentii  III,  c.  xl,  P.  L., 
t.  ccxiv,  col.  74  .•  apud  S.  Germanum  convocatis  et  congregatis  comilibus,  haro- 
nibus  et  prioribus  civilatum.   (H.  L.) 


1198  LIVRE    XXXV 

de  Sicile,  de  ses  enfants  et  de  ses  partisans,  en  particulier  de  l'ar- 
chevêque deSalerne  ;  enfin  ils  étaient  autorisés  à  relever  de  l'excom- 
munication le  duc  Philippe,  s'il  leur  prêtait  appui  et  donnait  satis- 
faction à  l'Église  sur  les  points  qui  avaient  amené  son  excommu- 
nication par  Célestin  III.  Le  pape  avait  surtout  en  vue  les  pro- 
cédés que  le  duc  s'était  permis  contre  les  biens  de  l'Eglise,  lors- 
qu'il était  duc  de  Toscane  ^.  A  leur  arrivée  en  Allemagne,  les  légats  [776] 
du  pape  trouvèrent  Philippe  élu  roi  par  certains  princes,  et 
l'évêque  de  Sutri  poussa  la  complaisance  jusqu'à  l'absoudre  de 
l'excommunication,  à  Worms  (Pâques  1198).  Sur  le  désir  de  Phi- 
lippe, l'absolution  fut  donnée  en  secret  et  sous  condition  de  donner 
pleine  satisfaction  aux  demandes  de  Rome  ^.  Les  légats  séjour- 
nèrent quelque  temps  auprès  de  Philippe  qui,  voyant  sa  situation 
améliorée,  les  chargea  d'une  lettre  pour  le  pape  etles  supplia  de  vive 
voix  de  faire  confirmer  son  élection  par  Innocent  s.  Celui-ci  fut 
tellement  outré  de  l'initiative  de  l'évêque  de  Sutri,  qu'il  le  relégua 
dans  un  monastère,  où  ce  prélat  ne  tarda   pas  à  mourir  «. 

Otton  mena  ses  affaires  avec  Rome  plus  vigoureusement  que 
Philippe.  Aussitôt  couronné  à  Aix-la-Chapelle,  il  députa  au  pape 
l'abbé  de  Inden,  les  prévôts  de  Bonn  et  de  Saint-Géréon  à  Cologne 
et  un  chapelain  anglais,  porteurs  d'une  lettre,  dans  laquelle  Otton 
opposait  les  services  rendus  à  l'Église  par  son  père  et  son  oncle, 
Richard  Cœur    de   Lion,    aux    méfaits    des    Hohenstaufen,    tou- 


1.  Innocent  III,  Deliheratio,  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  29,  33,  62,  P.  L.,  t.  ccxvi, 
col.  1027,  1036,  1065  sq.;  Winkelmann,  op.  cit.,  t.  i,  p.  81  sq. 

2.  Deliheratio,  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  29,  P.  L.,  t.  ccxvi,  col.  1027.  (H.  L.) 

3.  Il  est  étrange  que  Philippe  ait  nié  son  excommunication  par  Célestin  III 
[Reg.  de  neg.  imp.,  n.  136),  tandis  qu'Innocent  assure  que  Philippe  envoya  des 
messagers  à  Rome  pour  traiter  cette  affaire.  Abel,  Konig  Philipp,  p.  332.  Win- 
kelmann, op.  cit.,  p.  493  sq.  ;  Tôche,  op.  cit.,  p.  434,  note  3.  Philippe  remit  en  li- 
berté l'archevêque  de  Salcrne  et  d'autres  prisonniers.  Quant  à  la  reine  Sibylle, 
elle  avait  pris  la  fuite  avec  ses  fdles,  mais  son  fils  Guillaume  était  mort  dans  la 
forteresse  de  Hohenen. 

4.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  12;  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  ii,  p.  201;  Gesta 
Innocenta  III,  n.  22,  P.  L.,  t.  cciii-v,  col  se,;  Ahe],  op.  cit.,  p.  86,  333.  Hurter, 
Gesch.  d.  Papst  Innocenz  III,  t.  i,  p.  154,  253,  place  à  tort  cette  lettre  de  Phi- 
lippe au  28  mai  1199,  c'est-à-dire  qu'il  suppose  envoyée  en  même  temps  que  la 
lettre  écrite  au  pape  par  les  princes  allemands  du  parti  de  Philippe.  Bôhmer, 
Regesten  des  Kaiserreichs  miter  Philipp,  p.  364,  est  mieux  inspiré  lorsqu'il  place 
cette  lettre  de  Philippe  au  mois  de  mai  1198  et  Winkelmann  [Pliilipp  von  Schwa- 
ben,  p.  82)  au  mois  de  septembre  de  cette  même  année. 


640.      LUTTE    POUH      LE    TRONE     d'aLLEMAGNE  1199 

jours  si  ombrageux;  il  annonçait  au  pape  son  élection  et  y  joignait 
sa  renonciation  aux  regalia  et  aux  héritages  des  évêques  et  des 
[777]  abbés  ^.  Il  priait  le  pape  de  l'appeler  à  Rome  et  de  l'y  couronner 
empereur,  d'excommunier  publiquement  Philippe,  de  délier  ses 
partisans  du  serment  de  fidélité  et  de  les  obliger,  par  les  censures 
ecclésiastiques,  à  obéir  au  souverain  légitime.  Les  électeurs  et  les 
amis  d'Otton,  ainsi  que  son  oncle,  le  roi  d'Angleterre,  écrivirent 
dans  le  même  sens  ^.  Mais  avant  l'arrivée  de  la  réponse,  et  sans 
doute  même  avant  l'arrivée  des  lettres  et  des  ambassadeurs,  dès  le 
mois  de  septembre  1198,  la  guerre  civile  avait  éclaté  en  Allema- 
gne. Elle  se  poursuivit  avec  des  fortunes  diverses,  jusqu'à  la 
mort  de  Philippe  survenue  en  1208;  son  résultat  le  plus  clair  fut 
l'affaiblissement  de  l'empire  et  l'aliénation  d'une  immense  quan- 
tité de  fiefs  distribués  par  chaque  compétiteur  pour  se  faire  des 
partisans  ^ 

Dès  le  début  de  la  guerre  civile,  le  pape  envoya  une  circulaire  à 
tous  les  princes  allemands  sans  exception.  Il  rappelait  les  bienfaits 
de  l'union,  quand  elle  existe,  entre  le  sacerdoce  et  l'empire  et 
déplorait  la  nouvelle  mésintelligence  entre  Allemands,  laquelle  ne 
pouvait  que  leur  être  nuisible  et  fâcheuse  à  toute  la  chrétienté 
et  à  l'Eglise.  Quelques  écrivains  hostiles  soutiennent  qu'Innocent 
travaillait  à  la  ruine  de  l'Allemagne;  auquel  cas  il  eût  dû  se  ré- 
jouir de  ce  qui  arrivait,  mais  c'est  là  une  imagination  que  rien 
n'appuie.  Le  silence  du  pape  s'explique  :  il  attendait  de  voir 
les  Allemands  s'adresser  d'eux-mêmes  à  lui,  que  le  conflit  regar- 
dait plus  que  personne  *.  Ils  n'en  avaient  rien  fait.  Il  les  engageait 

1.  Winkelmann^  op.  cit.,  t.  i,  p.  88  sq.,  511.  Ces  promesses  et  renonciations 
sont  en  date  du  8  juin  1198;  elles  furent  renouvelées  à  Neuss,  le  8  juin  1201; 
avec  des  différences  toutefois.  Delisle,  Rouleaux  de  Clumj,  p.  285,  n.  xv;  Monum. 
Germ.  hist.,  Leges,  sect.  iv,  t.  ii,  p.  20,  n.  16;  Theiner,  Codex  diplomaticus  dom. 
temp.,  t.  i,  p.  36;  Ficker,  Forschungcn  zur  Redits-  und  ReicIisgescli.Raliens,  t.  ii, 
p.  389,  II.  1.  Cf.  Lindemann,  Forschungcn  zur  Geschichte,  t.  xxii,  p.  224;  Ficker, 
Reg.  imp.,  t.  v,   p.    217;  Krabbo,  dans  Neues  Archiv,  t.  xxvii,  p.  515  sq.  (H.  L.) 

2.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  3-10;  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,t.  ii,  p.  203  sq.;  Abel, 
op.  cit.,  p.  333  sq.  ;  Winkelmann,  op.  cit.,  t.  i,  p.  139  sq.,  154  sq. 

3.  Abel,  op.  cit.,  p.  243  sq.  ;  Winkelmann,  op.  cit.,  p.  131  sq. 

4.  Sa  maxime  était  que  l'affaire  lui  revenait  principaliter  parce  que  le  Siège 
apostolique  avait  transféré  le  pouvoir  impérial  d'Orient  en  Occident,  finaliler 
parce  que  le  pape  couronne  les  empereurs.  Pour  le  premier  point,  il  est  clair 
qu'Innocent  III  s'occupait  peu  d'histoire  ancienne,  il  n'eût  pas  manqué  d'y  voir 
que  le  Saint-Siège,  en  la  personne  de  Léon  III,  avait  laissé  en  Orient  —  et  pour 


1200  LIVRE     XXXV 

donc  sérieusement  à  s'entendre  et  à  remédier  à  la  situation  de 
l'empire;   dans  le  cas  contraire,    il   prendrait  l'affaire  en  mains  ^. 

cause  —  le  véritable  héritier  des  empereurs,  le  continuateur  de  Constantin;  il  ne 
l'avait  ni  scindé  ni  dédoublé,  niais  il  avait  donné  une  unité  verbale  aux  régions 
d'Occident  depuis  plus  ou  moins  longtemps  échappées  à  l'empereur  byzantin, 
demeuré  en  droit,  sinon  en  fait,  l'empereur  romain.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  2,  P.  L., 
t.  ccxvi,  col.  997  sq.  ;  SchefTer-Boichorst,  Forschungen  zur  dnttschen  Geschi- 
chte,  t.  VIII,  p.  505  ;  Ficker,  Forschungen  zurlieichs-  und  Bechisgesch.  Italiens,  t.  ii, 
p.  386;  Winkelmann,  Philipp  von  Scliwahcn,  t.  i,  p.  1G2,  n'hésitent  pas  à  ran- 
ger dès  le  début  du  conflit  le  pape  Innocent  III  parmi  les  partisans  d'Otton  IV. 
Entre  l'empereur  souabc  et  le  concurrent  saxon,  Innocent  III  eut  tôt  fait  de 
choisir,  mais  il  "ne  montra  sa  décision  que  peu  à  peu,  à  mesure  que  l'ambi- 
tion permettait  de  se  découvrir.  Si  Grégoire  VII  avait  pu  revenir  en  ce  monde, 
il  eût  pris  un  plaisir  infini  à  voir  son  successeur  faire  tour  à  tour  l'homme  trop 
occupé  pour  s'occuper  des  prétendants  impériaux,  trop  indécis  sur  leur  mérite 
réciproque  pour  faire  un  choix  rassurant,  trop  réservé  pour  signaler  son  pré- 
féré aux  princes  allemands  dont  il  respectait  fort  le  droit  électif  en  se  réservant. 
Vraiment  la  fortune  avait  tourné.  Dans  ses  plus  hautes  ambitions,  Gré- 
goire VII  n'imaginait  que  d'être  le  chef  de  l'Europe  sans  trop  savoir  peut- 
être  comment  cela  pourrait  se  faire  et  moins  encore  comment  cela  pourrait  durer, 
mais  il  marchait  dans  son  rêve;  cette  fois,  sous  Innocent,  le  rêve  était  devenu 
réalité.  La  Deliheralio  domini  papse  super  facto  imperii  de  tribus  electis  est  un 
des  produits  les  plus  extraordinaires  de  toute  la  littérature  pontificale.  Le  pape 
calcule  à  son  aise,  il  donnera  l'empire  à  celui-ci,  il  le  refusera  à  celui-là, et,  ce  fai- 
sant, aura  en  vue  les  intérêts  du  Saint-Siège  :  des  intérêts  de  l'empire,  on  ne  voit 
guère  qu'il  soit  question.  Frédéric  II  est  évincé,  car  «  il  réunirait  à  l'empire 
ses  États  héréditaires  (les  Deux-Siciles)  et  cette  réunion  perdrait  l'Eglise  ro- 
maine. »  Philippe  de  Souabe  a  prêté  serment  à  ce  Frédéric  que  le  pape  écarte  : 
il  sera  donc  relevé  de  son  serment?  non  pas;  il  gardera  sa  fidélité  à  celui  à  qui 
il  ne  peut  servir.  De  plus,  Philippe  est  frère  d'Henri  VI,  et  les  collatéraux  sont 
encore  une  façon  d'hérédité.  Le  fin  du  fin,  le  voici  :  il  n'est  pas  question  de  ser- 
ment, d'hérédité  ou  le  reste,  il  est  simplement  à  redouter  qu'«  issu  d'une  race 
qui  a  persécuté  l'Église,  persécuteur  lui-même,  il  tournerait  contre  l'Église 
l'arme  que  nous  aurions  mise  dans  sa  main.  »  De  l'empire,  je  le  répète,  il  n'est 
pas  question.  L'homme  providentiel,  le  candidat  inespéré,  c'est  Otton  de 
Brunswick,  d'autant  plus  parfait  que  ses  aptitudes  exceptionnelles  sont  fondées 
sur  l'utilité  du  Siège  apostolique.  Cet  Otton  est  cependant  une  sorte  de  soudard 
grossier,  bruyant,  médiocrement  capable,  sans  ressort  et  plus  brutal  qu'éner- 
gique. Un  jour,  le  pape  le  découvrira  à  fond,  miais  trop  tard.  Otton  le  trahira  et 
les  historiens  pousseront  des  clameurs  :  ingratitude,  prince  dénaturé.  Peut- 
être,  mais  ajoutez  :  pape  impérieux,  politique  excessif  et  psychologue  à  courte 
vue  qui  ne  connaît  pas  les  hommes.  Le  véritable  candidat  et  l'empereur  légi- 
time, c'était  Philippe  de  Souabe,  brave,  intelligent  et  modéré  à  sa  façon  pour 
un  Hohenstaufen  (H.  L.) 

1.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  2.  Cette  lettre  porte  l'unique  date  :  Pontificaius 
nostri  anno  II,  d'après  Bôhmer,  op.  cit.,  p.  393;  Potthast,  op.  cit.,  p.  66,  et 
Winkelmann  op.  cit.,  p.  162,  note,  et  du  3  mai  1199.  Cette  opinion  ne  peut  être 


640.     LUTTE      POUR     LE     TRONE     d'aLLEMAGNE  1201 

La  réponse  donnée  par  Innocent  en  consistoire  aux  ambassa- 
deurs de  Philippe,  est  conçue  à  peu  près  dans  le  même  sens  i. 
Celui-ci  avait  envoyé  à  Rome  de  nouveaux  messagers  :  Frédéric, 
prévôt  de  Saint-Thomas  à  Strasbourg,  et  le  sous-diacre  romain 
778]  Jean  2.  En  leur  donnant  audience,  le  pape  exposa  la  supériorité 
du  sacerdoce  sur  la  royauté  et  soutint  qu'autrefois,  comme 
alors,  l'unité  avait  été  plusieurs  fois  mise  en  péril  aussi  bien 
pour  le  sacerdoce  que  i)our  la  royauté.  Au  temps  de  l'empereur 
Lothaire  et  du  pape  Innocent  II,  l'Église  et  l'empire  avaient  été 
divisés  par  l'antipape  Anaclet  et  par  le  prétendant  (Conrad  de 
Hohcnstaufen),  mais  on  avait  pu  éteindre  ces  deux  schismes.  Sous 
Alexandre  III,  l'Église  avait  été  affligée  d'un  schisme,  tandis  que 
l'unité  de  l'empire  demeurait  hors  d'atteinte.  Vainement  l'empe- 
reur Frédéric  avait  favorisé  le  schisme;  aujourd'hui  c'était  l'empire 
qui  était  divisé,  tandis  que  l'Église  était  unie;  mais  celle-ci  ne 
voulait  pas  user  envers  l'empire  des  mômes  mauvais  procédés. 
Elle  s'affligeait  d'une  division  dont  la  solution  devait  lui  être 
déférée  pour  deux  motifs  :  principaliter  et  finaliler;  princip aliter, 
parce  que  le  Siège  apostolique  avait  transféré  d'Orient  en  Occi- 
dent la  dignité  impériale;  finaliter,  parce  que  c'était  lui  qui  donnait 
cette  même  dignité.  Pour  le  moment,  le  pape  se  bornerait  à 
examiner  les  lettres  de  Philippe,  remettant  à  plus  tard  sa  déci- 
sion qui  serait  prise  en  conseil  de  cardinaux. 

Au  printemps  de  1199,  le  roi  de  France  intervint  de  son  côté 
en  faveur  de  Philippe  ^;    mais  Innocent  éluda    toute  décision  et 

facilement  défendue  si  la  réponse  du  prince  de  Hohcnstaufen  est  bien  datée  du 
28  mai  1199. 

1.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  17;  Aloinim.  Germ.  hisf.,  Leges,  sect.  iv,  t.  11,  p.  4, 
1).  4;  Responsio  d.  papœ  facta  nuiiliis  iii  consistorio,  dans  Reg.  de  neg.  imp., 
n.  18. 

2.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  18,  P.  L.,  t.  ccxvi,  col.  1015.  Bôhmer,  op.  cit.,  p.  295, 
et  Potthast,  op.  cil.,  p.  98,  placent  la  Responsio  en  mai  1200. 

3.  Lorsqu'Innocent  III  faisait  son  choix  entre  les  prétendants  à  l'empire, 
accueillant  Otton,  écartant  Philippe,  il  se  contentait  de  mettre  en  réserve  Fré- 
déric :  Nos  igitur  ex  prsedictis  causis  pro  puero  non  credimus  insislendum,  ul 
ad  prjEsens  debeat  imperium  oblinere.  Quand  Innocent  III  eut  l'occasion  de 
se  convaincre  à  loisir  qu'il  avait  fait  un  mauvais  choix,  il  se  rappela  le  petit 
garçon  qu'on  avait  mis  en  réserve.  Otton  IV  occupait  le  territoire  pontifical, 
tenait  Rome  assiégée  ou  peu  s'en  faut  par  un  cercle  de  garnisons  et  de  postes, 
possédait  Salerne,  Capoue,  Naples,  Aversa  et  s'apprêtait  à  conquérir  la  Sicile. 
Cela  dépassait  toutes  les  bornes  permises:  le  pape  excommunia  Otton  et  tira 

en  évidence  son  ancien  pupille,  Frédéric.  Celui-ci  était  assez  mal  en  point,  mais 

CONCILES—  V  —  TU 


1202  LIVRE     XXXV 

brave  et  aventureux,  vrai  Ilohenslaufen  avec  l'cnergic,  l'audace  et,  en  plus  que 
ses  ancêtres,  la  capacité.  Tandis  qu'Olton  révolutionnait  l'Italie,  le  pape  lui 
rendait  chez  lui  la  pareille  et  révolutionnait  l'Allemagne,  faisait  revivre  le  parti 
gibelin.  Ce  que  les  contemporains  devaient  penser  de  ces  volte-faces  pon- 
tificales, ils  ne  nous  le  disent  pas  très  longuement  ni  très  clairement.  Peut-être 
pensaient-ils  qu'ils  n'y  comprenaient  qu'une  chose,  c'est  qu'on  allait  une  fois  de 
plus  donner  des  coups  et  en  recevoir.  La  perspective  pouvait  n'agréer  qu'à 
moitié  à  certains,  elle  enchanta  le  petit  Frédéric,  un  garçon  de  seize  ans.  Il  vit 
arriver  à  Messine  deux  légats  pontificaux  délégués  de  l'Allemagne  qui,  avec 
l'agrément  du  pape,  venaient  lui  offrir  la  couronne  impériale.  L'offre  tombait 
d'autant  mieux  que  Frédéric  avait  déjà  perdu  tout  le  royaume  de  Naplcs  et  ne 
pouvait  douter  d'être  prochainement  déchargé  du  soin  do  faire  le  bonheur 
de  la  Sicile.  Il  ne  balança  pas  un  instant  et  répondit  :  Oui  !  de  grand  cœur.  Sa 
fennne,  ses  gens  voulaient  le  retenir  en  Sicile,  mais  il  fait  taire  les  uns  et  les  au- 
tres et  sacrer  son  fils  Henri,  un  enfant  de  deux  ans.  Alors,  sans  troupes,  sans 
argent,  ayant  à  traverser  l'Italie  supérieure  que  défendent  les  milices  de  la 
Ligue  lombarde,  ennemies  invétérées  des  Hohenstaufen,  devant  ensuite  franchir 
les  Alpes,  dont  les  passages  sont  gardés  par  les  troupes  d'Otton,  qui  s'est  de 
sa  personne  transporté  en  Allemagne  pour  la  contenir  et  en  interdire  l'approche, 
il  part  dans  cet  âge  des  résolutions  hardies, sur  la  foi  de  sa  fortune,  avec  l'appui 
du  Saint-Siège,  pour  se  rendre  à  l'appel  du  pays  de  ses  ancêtres  et  ne  pas  man- 
quer aux  grandes  destinées  de  sa  maison.  Il  traverse  la  mer,  arrive  à  Gacte, 
se  rend  à  Rome  où  il  prend,  entre  les  mains  d'Innocent  III,  les  engagenaents 
les  plus  formels  à  l'égard  du  Saint-Siège.  Il  prête  au  souverain  pontife  l'hom- 
mage du  vassal  envers  le  suzerain  pour  le  i-oyaume  que  celui-ci  lui  a  conservé,  et  il 
promet,  lorsqu'il  sera  victorieux,  de  séparer  la  Sicile  de  l'empire  et  de  cesser 
d'être  roi  en  devenant  empereur.  Monté  sur  des  galères  génoises  qui  le  condui- 
sent jusque  dans  leur  ville,  qu'attachent  à  un  prince  souabe  les  affections  riva- 
les de  la  république  maritime  de  Pise,  déclarée  cette  fois  en  faveur  d'un  prince 
guelfe,  il  descend  par  le  conaté  d'Asti  et  les  terres  du  Montferrat,  vers  la  fidèle 
cité  de  Pavie.  Alors  les  aventures  se  succèdent  :  au  passage  du  Lambro,  la  rive 
est  gardée  par  les  milices  milanaises;  au  pied  des  Alpes,  les  milices  de  Crémone  et 
de  Bergame  se  retirent  et  il  faut  gravir  les  plus  hauts  pics  afin  dépasser  entre  les 
piquets  de  surveillance  établis  par  Otton  dans  les  vallées;  une  des  ascensions  les 
plus  rudes  est  celle  de  la  cime  neigeuse  d'où  découlent  en  sens  opposé  l'Adda  et 
rinn;  puis  la  descente  de  l'Appenzell  boisé  et  l'arrivée,  avec  cinquante  hommes 
d'armes  fournis  par  l'évêque  de  Coire  et  l'abbé  de  Saint-Gall,  au  bord  du  lac 
de  Constance,  devant  la  ville  qui  est  la  porte  d'Allemagne,  son  empire.  Quand 
Frédéric  se  présenta,  la  ville  était  close,  les  ponts  levés,  les  murailles  gardées 
et  les  fourriers  de  l'empereur  Otton  venaient  d'y  entrer  pour  préparer  dans 
l'évêché  le  logement  de  leur  maître  qui  se  trouvait  déjà  sur  la  rive  opposée  du 
lac.  La  petite  troupe  crie  du  bas  de  la  muraille  :  Ilolieiislaujen.  Personne  ne 
bouge,  les  portes  restent  fermées.  C'était  la  fin.  Lorsque  l'évoque  de  Constance 
vient  sur  le  rempart,  aperçoit  son  ami  l'abbé  de  Saint-Gall  dans  l'entourage  de 
Frédéric,  il  fait  abaisser  le  pont-levis  et  introduit  Frédéric  en  terre  allemande. 
Tout  n'était  pas  fini  pour  cela.  Il  fallut  arracher  pied  à  pied  le  pays  à  Otton. 
Le  nom  de  Hohenstaufen  avait  encore  quelque  prestige  parmi  les  vieilles  gens, 
l'appui  du  pape  comptait  aux  yeux  des  gens  débonnaires,  tout  cela  ne  formait 


640.     LUTTE    POUR     LE    TRONE      u'aLLEMAGNE  1203 

pas  un  gros  appoint.  Ce  qui  valut  mieux  et  décida  tout,  ce  i'ul  l'argent  du  roi 
Philippe-Auguste  et  la  victoire  de  Bouvines.  Philippe-Auguste  était  l'allié  na- 
turel de  la  maison  de  Souabe,  il  fut  prodigue  avec  sagesse  et  donna  à  Frédéric, 
sachant  les  Allemands  gens  rapaces,  la  somme  de  20  000  marcs,  équivalant  à 
plus  de  6  000  000  de  notre  monnaie.  Ce  ne  fut  pas  du  premier  coup  que  Phi- 
lippe-Auguste arriva  à  jouer  le  rôle  d'arbitre  de  la  succession  impériale.  Il  ne 
s'était  jamais  habitué  à  voir  l'empire  lui  rogner  un  vaste  territoire  connu  sous 
le  nom  de  royaume  d'Arles  et  qui  appartenait  par  sa  langue,  ses  coutumes, 
à  la  France.  Sans  doute  Innocent  III  fut  habile  et  vigoureux,  mais  les 
excommunications  dont  il  était  prodigue,  les  dépositions  mêmes  étaient 
dès  le  xii*^  siècle  des  armes  encore  redoutables,  mais  déjà  un  peu  émous- 
sées.  Le  roi  de  France,  avec  ses  piquiers,  ses  chevaliers,  son  trésor,  était  différem- 
ment pourvu  et  non  moins  redoutable  que  le  pape.  Dans  les  événements  qui 
décidèrent  du  triomphe  de  Frédéric  II,  candidat  pontifical,  rinOuenco  et  l'ac- 
tion de  la  France  furent  décisives,  encore  que  Philippe-Auguste  se  souciât  très 
peu  de  faire  le  jeu  des  Romains;  cependant  son  intervention  avait  un  but  tout 
national  et  la  politique  extérieure  n'était  qu'un  moyen  de  déblayer  la  France  des 
Plantagenets  et  des  Hohenstaufen.  Il  se  trouvait  qu'Otton  de  Saxe  était  neveu 
de  Richard  Cœur  de  Lion  et,  à  ce  titre,  encombrant,  avec  la  perspective  de 
devenir  peut-être  quelque  jour  redoutable,  du  chef  de  son  comté  de  Poitou; 
au  contraire,  Frédéric  II  n'avait  rien  de  menaçant  et,  bien  que  Philippe-Auguste 
fût  assez  homme  d'État  pour  croire  très  peu  à  la  reconnaissance,  il  put  esti- 
mer que  le  service  rendu  au  prétendant  procurerait  dans  la  suite  quelques  avan- 
tages solides.  Philippe-Auguste  avait  commencé  à  régner  âgé  de  quinze  ans,  au 
temps  où  Frédéric  Barberousse,  dans  son  éclat,  paraissait  l'empereur  de  l'Europe, 
Le  roi  de  France  reconnut  implicitement  la  suzeraineté  impériale  et  fut  trop 
heureux  d'empêcher  Frédéric  de  s'adjoindre  à  la  coalition  des  hauts  barons  de 
Flandre,  de  Champagne  et  de  Bourgogne,  qui  l'avaient  mis  en  péril.  La  ques- 
tion alors  était  de  doser.  Philippe  n'hésita  pas  et  fit  alliance  avec  Barberousse 
contre  Henri  Plantagenet  et  avec  Henri  VI  contre  Richard.  Mais  l'Allemagne 
changea  de  politique,  s'allia  aux  Anglais  et  menaça  l'indépendance  du  roi  de 
France,  de  qui  la  bonne  étoile  emmena  Henri  VI  en  Italie,  puis  en  Sicile  d'oij  il 
ne  revint  jamais.  «  Quand  l'empereur  passait  les  Alpes  et  s'enfonçait  dans 
le  guêpier  d'Italie,  a  dit  Luchaire,  les  rois  pouvaient  respirer.  »  Philippe-Au- 
guste respira,  et  comme  la  mort  d'Henri  VI  lui  donnait  des  loisirs  et  mettait 
les  Allemands  en  branle,  il  s'employa  de  son  mieux  à  leur  procurer  des  occu- 
pations. Innocent  III  déclarait  sa  préférence  pour  Otton  IV,  Philippe-Auguste 
déclara  la  sienne  pour  Philippe  de  Souabc.  Pour  la  première  fois,  un  roi  de 
France  intervenait  dans  les  all'aires  de  l'Allemagne.  Les  deux  Philippe  firent 
alliance  (juin  1198)  et  le  roi  de  France  écrivit  au  pape  pour  l'inviter  à  renoncer 
à  son  candidat,  lequel  est  ennemi  de  la  France  :«  La  mesure  que  vous  allez  pren- 
dre en  faveur  d'Otton,  lui  disait-il,  est  de  nature  à  nuire  à  ma  couronne,  à 
léser  gravement  les  intérêts  de  la  royauté  en  France  et  je  ne  le  tolérerai  jamais. 
Si  vous  persistez,  nous  agirons  en  temps  et  lieu  et  nous  défendrons  coinmo  nous 
pourrons.  » 

Innocent  se  fit  très  humble,  très  insinuant,  raconta  pis  que  pendre  du  Ho- 
henstaufen et  prévint  le  roi  de  France  que  son  homonyme  appartenait  à 
une  «  race  de  tigres  )'.  Philippe-Auguste  ne  s'en  eiîrayait  pas  du  tout;  au  con- 


1204  LIVRE    XXXV 

traire,  quand  il  s'aperçut  que  ce  «  tigre  »  s'humanisait  et  concluait  une  trêve 
avec  Otton,  il  en  fut  mécontent  et  récrimina.  Tout  son  intérêt  n'allait  qu'à 
faire  durer  la  division  dans  l'empire  et  il  put  craindre  sa  politique  inutile  lors- 
que l'assassinat  du  Souabe  unifia  un  moment  l'empire  sous  le  Saxon.  «  Otton  de 
Brunswick  n'a  plus  d'adversaire,  mais  le  roi  de  France  veut  lui  en  trouver 
un.  Le  pape  lui  afiirme  inutilement  qu'il  tient  d'Otton  l'engagement  écrit,  scellé 
d'une  bulle  d'or,  de  s'en  remettre,  pour  ses  relations  avec  la  France,  à  la  direc- 
tion de  l'I'glise.  Peine  perdue.  Philippe  s'obstine  à  repousser  Otton.  Il  a  son 
candidat,  le  duc  de  Brabant,  Henri,  un  de  ces  petits  princes  d'Europe  que 
le  roi  de  France  prenait  à  sa  solde.  Deux  mois  après  l'assassinat  de  Philippe  de 
Soiiabe,  le  roi  de  France  et  son  pensionnaire  traitaient  à  Soissons  :  Henri  de 
Brabant  sera  candidat  à  l'empire  :  la  France  lui  avance  3  000  marcs  d'argent 
pour  les  frais  de  l'entreprise;  le  duc  ne  les  rendra  pas  s'il  parvient  à  se  faire 
nommer  empereur.  Mais  la  somme  était  mince  pour  une  aussi  grosse  besogne  et 
le  candidat  manquait  encore  plus  de  prestige  que  d'argent.  L'Allemagne  pres- 
que entière  se  ralliait  à  Otton  de  Brunswick.  La  mort  de  Philippe  de  Souabe 
semblait  un  jugement  de  Dieu.  Henri  de  Brabant  fit  comme  les  autres  et  s'en 
alla  à  Wurzbourg,  où  le  Guelfe  résidait,  protester  de  sa  fidélité. L'élection  d'Otton 
fut  renouvelée.  La  diplomatie  française  était  battue.  »  A.  Luchaire,  Louis  VII 
Philippe-Auguste,  Louis  VIII,  p.  154-155.  Ce  qui  pouvait  rendre  Philippe- 
Auguste  soucieux,  c'était  l'accord  existant  et  encore  raffermi  entre  Otton  et 
Jean  sans  Terre  (1209)  et  la  possibilité  d'une  invasion  de  la  France.  Si  Otton  IV 
y  songea  un  moment,  lui  aussi  s'en  laissa  détourner  par  la  séduction  de  l'Italie. 
Arrivé  à  Rome,  il  fut,  malgré  l'opposition  de  quelques  cardinaux  et  de  quelques 
nobles,  couronné  empereur.  Peu  après,  il  jeta  le  masque,  se  déclara  contre  le 
pape  et  Innocent  III  écrivait  à  Philippe-Auguste  :  «  Ah  !  si  nous  avions  péné- 
tré aussi  bien  que  vous  le  caractère  d'Otton,  il  ne  nous  aurait  pas  trompé!  Ce 
fils  impie  persécute  sa  mère  :  il  étend  même  ses  mains  sur  la  Sicile,  non  content 
d'avoir  dépouillé  de  l'héritage  paternel  notre  fils  et  pupille  chéri  (Frédéric  II). 
Qui  peut  désormais  avoir  confiance  en  lui,  puisqu'il  ne  nous  tient  même  pas 
parole,  à  nous,  le  vicaire  du  Christ?  Nous  vous  parlons  à  notre  honte,  car  vous 
nous  aviez  bien  dit  de  nous  méfier  de  cet  homme.  Mais  nous  nous  consolons 
avec  Dieu  qui,  lui-même,  s'est  repenti  d'avoir  établi  Said  roi  d'Israël.  »  En 
même  temps  le  pape  dénonce  à  Philippe-Auguste  les  intentions  d'Otton  et  pro- 
teste de  son  dévouement  à  la  France.  C'était  le  pape  maintenant  qui  avait  be- 
soin du  roi,  lui  demandait  de  l'argent  et  des  hommes.  Philippe-Auguste  n'avait 
rien  dont  il  voulût  se  priver  et  il  écrivait  cette  lettre,  à  la  lecture  de  laquelle  le 
pape  dut  se  dire  qu'il  avait  trouvé  son  maître  :  «  Nous  sommes  désolé  que  le 
soi-disant  empereur  Otton  ait  la  possibiUté  de  vous  faire  du  mal  et  cette  pen- 
sée nous  remplit  le  cœur  d'amertume.  Quant  à  vous  envoyer  par  mer  deux  cents 
chevaliers,  comment  pourrions-nous  le  faire,  puisque  la  Provence  est  un  terri- 
loire  impérial  et  que  les  ports  de  ce  pays  appartiennent  aussi  à  l'empire?  Vous 
voudriez  que  nous  poussions  les  princes  allemands  à  se  révolter  contre  Otton 
iiliii  de  les  forcer  de  quitter  l'Italie.  Croyez  que  nous  n'y  avons  pas  manqué; 
mais  les  princes  nous  demandent  des  lettres  signées  de  vous  et  des  cardinaux, 
par  lesquelles  vous  preniez  l'engagement  de  ne  plus  vous  réconcilier  avec  Otton. 
Il  faut  que  nous  ayons  ces  lettres.  Il  faut  même  d'autres  lettres  de  vous  qui 
délient  tous  les  sujets  d'Otton  de  leur  serment  de  fidélité  et  leur  donnent  l'auto^ 


640.     LUTTE    POUR     LE      TRONE      d'aLLEMAGNE  1205 

écrivit  le  3  mai,  en  Palestine,  à  Conrad,  archevêque  de  Mayence  : 
«  Malgré  plusieurs  engagements  entre  Otton  et  Philippe, 
aucun  des  deux  ne  peut  encore  se  dire  vainqueur.  Le  pape  n'a 
point  pris  parti,  quoique  chaque  prétendant  se  vante  d'avoir  ses 
préférences;  il  veut  attendre  et  voir  si  les  Allemands  ne  remé- 
dieront pas  eux-mêmes  à  la  situation.  Mais  il  ne  peut  se  taire 
plus  longtemps  sur  les  résultats  déplorables  de  cette  division,  et 
il  a  besoin  de  l'opinion  et  du  secours  de  Conrad.  En  ce  qui  regarde 
son  séjour  en  Palestine,  il  lui  laisse  décider  s'il  doit  demeurer  ou 
revenir,  étant  mieux  à  même  que  personne  de  connaître  la  situa- 
tion en  Terre  Sainte,  mais  il  peut  envoyer  son  vote  écrit  et  adhé- 
rer à  la  décision  du  pape  et  des  cardinaux.  Il  doit,  en  outre,  écrire 
[779]  à  son  archidiocèse  de  Mayence  de  reconnaître  le  roi  que  le  pape 
aura  proclamé  ^.  »  Quinze  jours  plus  tard.  Innocent  repoussa  l'ar- 
chevêque de  Cologne  et  d'autres  personnages,  qui  lui  demandaient 


risation  d'élire  un  autre  empereur.  Alors^  l'été  prochain^  nous  nous  mettrons 
en  campagne  et  nous  envahirons  l'empire  avec  notre  armée.  Votre  légat,  maître 
Pèlerin^  nous  a  parlé  des  sommes  qu'il  faudrait  verser  aux  marchands  italiens 
(les  banquiers  d'Innocent  III)  pour  la  défense  du  Siège  apostolique.  Nous  lui 
avons  répondu  ceci  :  que  les  archevêques,  les  évêques,  les  abbés,  les  moines  noirs 
et  blancs,  et  tous  les  clercs  de  l'Eglise  de  France  commencent  par  vous  venir 
en  aide,  et  nous  vous  aiderons  volontiers  à  notre  tour.  Il  faut  les  obliger  à  donner 
le  tiers  de  leurs  revenus  (1210).»  Les  politiques  de  Rome,  fort  habitués  aux 
récriminations,  durent  se  trouver  abasourdis  par  ce  pince-sans-rire  ;  malgré 
tout,  comme  le  roi  de  France  avait  raison,  force  fut  de  délier  les  sujets  d'Otton 
du  serment  de  fidélité  et,  pour  remplacer  l'empereur  dont  il  ne  voulait  plus, 
Innocent  III  fut  réduit  à  choisir  le  dernier  représentant  de  la  «  race  des  tigres  » 
comme  il  disait  :  un  Hohenstaufen. 

Même  aux  «  âges  de  foi»,  ainsi  qu'on  nomme  le  moyen  âge,  les  désignations 
pontificales,  renforcées  d'excommunications,  de  bénédictions,  de  recomman- 
dations, avaient  moins  d'effet  que  les  marcs  d'argent  du  roi  de  France.  Philippe 
les  prodigua  et  il  put  se  dire  que,  désormais,  la  papauté  n'était  pas  seule  à  faire 
des  empereurs;  la  royauté  française  s'en  mêlait.  La  politique  générale  de  Phi- 
lippe-Auguste deviendra  la  formule  séculaire  de  la  politique  française  en  Alle- 
magne. L'empire  allemand  n'avait  jamais  été  fortement  amalgamé,  dès  lors  on 
travaille  régulièrement  à  le  concasser  en  menus  territoires  et  à  insérer  entre  les 
grands  Etats  l'entrave  des  minuscules  principautés.  Capétiens,  Valois,  Bourbons 
n'auront  pas  d'autre  méthode  et  en  face  de  la  France  unie  conserveront  atten- 
tivement cette  poussière  d'Etat.  La  Révolution  oubliera  cette  tradition  et  le 
«  Recez  de  1803  »  en  consommera  l'abandon;  alors  s'introduira  à  la  faveur  de 
a  politique  écrasante  de  Napoléon  l'idée  de  revanche  et  d'union,  en  attendant 
que  l'aberration  des  «nationalités»  vienne  donner  le  dernier  coup.  (H.  L.) 

1.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  1  (3  mai  1199),  P.  L.,  t.  ccxvi,  col.  995  sq. 


1206  LIVRE     XXXV 

de  reconnaître  Otton^.  Si  donc  le  pape  ne  se  hâtait  pas  d'intervenir 
dans  le  conflit  allemand,  il  maintenait  son  droit  de  le  trancher 
définitivement,  si  les  Allemands  ne  pouvaient  s'entendre  sur  un 
candidal   miiiinc. 

Blessés  par  cette  lettre  du  pape,  plusieurs  princes,  imbus  des 
idées  traditionnelles  des  Ilohenstaufen,  se  réunirent  dans  une 
grande  assemblée  à  Spire,  le  28  mai  [1200],  et  envoyèrent  au  pape 
une  lettre  acerbe,  pour  se  plaindre  de  son  intervention  dans  les 
affaires  d'Allemagne  ^.  Ils  le  menaçaient  de  conduire  bientôt  Phi- 
lippe à  Rome  et  terminaient  en  invitant  le  pape  à  se  montrer  plus 
bienveillant  pour  son  ennemi  mortel,  Markwald  d'Anweiler,  dont 
ils  identifiaient  à  tort  la  cause  avec  la  question  allemande  ^. 

Le  pape  répondit  avec  calme  et  profita  de  l'occasion  pour 
affirmer  une  fois  de  plus  son  droit  sur  la  couronne  impériale.  Il  se 
disculpa  du  reproche  d'empiéter  sur  les  droits  de  l'empire,  mais 
revendiqua  la  charge  de  sauvegarder  ceux  de  l'Eglise,  et  avant 
tout  celui  de  conférer  la  couronne  impériale.  Il  convoquerait  à 
Rome,  pour  le  couronner,  l'élu  légal.  Il  était  suffisamment  ren- 
seigné pour  savoir  auquel  des  deux  prétendants  devait  revenir 
la  faveur  du  Siège  apostolique.  Quant  à  Markwald,  les  princes 
allemands  n'eussent  pas  intercédé  pour  lui  s'ils  avaient  connu  ses 
trahisons,  en  particulier  son  projet  d'enlever  la  couronne  à  Fré- 
déric de  Sicile  ^.  Ainsi  donc  Innocent  reconnaît  aux  princes  aile-  [780] 
mands  le  droit  d'élire  un  roi,  sans  intervention  du  pape,  et  de 
couronner  l'élu;  mais  la  couronne  impériale  dépend  exclusi- 
vement du  pape.  Aussi  sera-t-il  amené  à  déclarer  le  roi  légitime 


1.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  11   (20  mai  1199). 

2.  Ihid.,  n.  14  (28  mai  1199  [1200]),  P.  L.,  t.  ccxvi,  col.  1008  sq.  Abel,  op.  cit., 
p.  339  sq.;  Scheiïer-Boichorst,  dans  Sybel's  hist.  Zeilschrifl,  t.  xxxiii,  p.  144  sq., 
et  Ficker,  Reg.  imp.,  p.  11,  ont  soutenu  la  date  de  1199;  mais  dans  une  discus- 
sion très  détaillée,  Winkelmann  étudie  encore  une  fois  la  question  de  la  date 
de  la  déclaration  de  Spire  et,  après  un  sérieux  examen  des  arguments  pour  et 
contre,  conclut  que,  selon  toute  vraisemblance,  l'assemblée  eut  lieu  en  1200; 
cependant  il  constate  que  d'après  certains  documents  on  pourrait  aussi  admet- 
tre qu'elle  fut  tenue  en  1199.  Schwemer,  Innocenz  III  iind  die  deutsche  Kirche, 
Strasbourg,  1882,  p.  12,  faisant  preuve  en  cela  de  la  plus  grande  ignorance, 
regarde  a  lettre  citée  plus  haut  et  adressée  par  le  parti  des  Hohenstaufen  comme 
une  réponse  à  la  sentence  prononcée  par  le  pa  lpe,e  21  août  1198,  contre  Conrad 
de  Wurzbourg. 

3.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  14. 

4.  Ibid.,  n.  62,  P.  L.,  t.  ccxvi,  col.  10G5  sq. 


640.     LUTTE     POUR     LE    TRONE     d'aLLEMAGNE  1207 

d'Allemagne;  si  le  conflit  se  prolonge  et  que  les  Allemands  ne 
s'entendent  pas,  il  fera  connaître  le  souverain  légitime  qui  doit 
recevoir  la  couronne  impériale. 

Nous  verrons,  deux  ans  plus  tard,  Innocent  développer  com- 
plètement ses  idées  dans  une  lettre  au  duc  de  Zâhringen.  Pour 
l'instant,  la  question  était  de  savoir  pour  lequel  des  préten- 
dants, sans  oublier  Frédéric  II  des  Deux-Siciles,  le  pape  se  pron- 
nonçait.  Il  fit  sa  déclaration  dans  un  document  resté  célèbre  et 
intitulé  Deliheratio  ^.  Innocent  le  composa  sans  doute  dans  les 
derniers  mois  de  1199,  pendant  le  séjour  à  Rome  de  Conrad, 
archevêque  de  Mayence,  retour  de  Palestine.  Conrad  et  les  autres 
princes  de  la  croisade  allemande  en  Palestine  s'étaient  déclarés 
pour  le  jeune  Frédéric  II;  à  son  tour,  le  pape  développait,  dans 
cette  Deliheratio,  ses  raisons  d'écarter  Frédéric  et  Philippe  et 
[781]    d'exposer  sa  conduite  dans  toute  cette  affaire  ^. 

«  Pour  chacun  des  trois  candidats  il  faut,  dit-il,  considérer  trois 
choses  :  ce  qui  est  permis,  ce  qui  est  convenahle,  ce  qui    est   utile. 

I.  De  Frédéric  on  peut  dire  :  à)  Il  n'est  pas  permis  de  s'oppo- 
ser à  son  élection  que  les  princes  avaient  juré  de  faire. Si,  au  début, 
ce  serment  n'a  pas  été  entièrement  libre,  ils  l'ont  renouvelé 
depuis    en  toute  liberté;  et  d'ailleurs  même  des  serments  extor- 

1.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  29,  P.  L.,  t.  ccxvi,  col.  1027  sq.  ;  Huillard-Bréholles, 
op.  cit.,  t.  I,   p.  70  sq. 

2.  Bôhmer,  op.  cit.,  p.  296,  et  tous  les  autres  historiens  placent  ce  docu- 
ment un  an  plus  tard  :  ils  oublient  qu'au  commencenient  de  1201,  il  n'était 
plus  question  de  Frédéric  II  comme  roi  d'Allemagne.  Winkelmann,  op.  cit., 
p.  198,  note  1,  fait  au  contraire  remarquer  que«  cette  objection  s'applique  aussi 
à  l'année  1199.»  Mais  ceci  n'est  qu'à  moitié  vrai,  surtout  si  l'on  considère  le  rôle 
des  princes  allemands  dans  l'élection  do  Frédéric;  Innocent  n'en  a  certaine- 
ment pas  tenu  compte  lorsqu'il  présente  Frédéric  comme  prétendant  à  la  cou- 
ronne. Cette  réflexion  concerne  incontestablement  Conrad  de  Mayence.  Celui- 
ci,  après  son  retour  de  Palestine  et  pendant  son  séjour  à  la  cour  deRome  jusqu'à 
la  fin  de  1199,  s'était  formellement  déclaré  en  faveur  de  Frédéric  et  avait  fidè- 
lement soutenu  sa  cause  jusqu'à  son  retour  en  Allemagne.  Il  comprit  alors 
l'impossibilité  absolue  de  faire  élire  son  candidat,  et  ne  négligea  certainement 
pas  d'en  avertir  le  pape.  C'est  pourquoi  au  printemps  de  1200  la  De/i&eraYio  du 
pape  au  sujet  de  Frédéric  n'avait  plus  sa  raison  d'être  et  on  doit  admettre 
qu'elle  fut  écrite  à  la  fin  de  1199.  A  cette  époque  nous  apprenons  du  pape  lui- 
même  qu'il  a  fait  connaître  ti'ès  explicitement  à  l'archevêque  Conrad,  pendant 
son  séjour  à  Rome,  ses  idées  au  sujet  du  conflit  concernant  la  couronne  d'Alle- 
magne. Quatenus  cum  plene  intenlionem  nostram,  dum  adhuc  prsesens  apud  nos 
existeres,  intellexeris.  Innocent  III,  Rcg.  de  neg.  imp.,  n.  22,  P.  L.,  t.  ccxv, 
col.  1022.  Mais  nous  trouvons  dans  la  Deliberatio  une  instruction  précise. 


1208  LIVRE    XXXV 

qués  peuvent  lier  la  conscience,  b)  Il  ne  paraît  pas  convenable 
que  le  pape,  tuteur  de  Frédéric,  lui  soit  opposé,  c)  Cette  attitude 
ne  serait  pas  utile,  Frédéric  se  vengerait  dans  l'avenir  sur  l'Église 
romaine. 

D'autre  part,  on  peut  répondre  :  a)  que  l'élection  de  Frédéric, 
un  enfant  dont  on  ignorait  les  aptitudes,  n'a  pas  été  régulière; 
on  ne  peut  d'ailleurs  attendre  qu'il  ait  grandi;  l'empire  ne 
comporte  pas  un  régent  et  l'Eglise  ne  doit  ni  ne  peut  être  privée 
d'empereur;  b)  le  pape  n'est  tuteur  de  Frédéric  que  pour  la 
Sicile;  c)  il  ne  serait  pas  utile  à  l'Église  que  Frédéric  unît  la  cou- 
ronne impériale  à  celle  de  Sicile. 

II.  Pour  Philippe,  a)  il  n'est  pas  permis  de  s'opposer  à  son 
élection,  faite  par  la  majorité  des  princes,  b)  Cela  n'est  guère 
convenable,  on  y  verrait  une  revanche  prise  sur  ses  aïeux  si  hos- 
tiles à  l'Eglise,  c)  Ce  n'est  guère  utile,  à  cause  de  la  grande  puis- 
sance de  Philippe. 

D'autre  part,  cette  opposition  serait  permise  :  a)  parce  que 
Philippe,  excommunié,  n'a  pas  été  ségulièrement  absous  par 
l'évêque  de  Sutri,  lors  de  son  élection.  De  plus,  il  est  en  rapport 
avec  des  excommuniés  et  n'a  pas  tenu  compte  du  serment  prêté 
à  son  neveu  :  il  l'a  rompu  sans  avoir  écouté  l'Église  ^.  b)  Il  est  con- 
venable de  résister  à  Philippe,  afin  que  la  couronne  ne  devienne 
pas  héréditaire,  c)  Cela  est  utile,  car  Philippe,  membre  d'une  fa- 
mille ennemie  de  l'Église,  a  déjà  laissé  entrevoir  ses  sentiments 
personnels  d'inimitié.  (Preuves.) 

III.  Pour  Otton,  on  peut  dire  :  a)  Le  pape  ne  devrait  pas  sou- 
tenir l'élu  de  la  minorité;  b)    cette  préférence  serait  imputée  à  la    [782] 
rancune  à  l'égard  des   Hohenstaufen.  c)   Elle  serait  vaine,  vu  le 

peu  de  puissance  d' Otton. 

Mais  ce  dernier  a  été  élu  par  un  grand  nombre,  voire  môme  par 
les  meilleurs  ^;  il  est  personnellement  plus  capable  que  Philippe 
et  n'est  pas,  comme  lui,  hostile  à  l'Église.  Le  préférer  ne 
serait  pas  rendre  le  mal  pour  le  mal,  mais  refuser  des  armes  à  ses 
propres  ennemis.  Il  est  donc  permis,  convenable  et  utile  que  nous 
nous   déclarions   pour   Otton.  «  Nous   voulons,   du  reste,  envoyer 


1.  Ainsi  que  les  autres  princes  allemands,  il  avait  prêté    serment   au   jeune 
Frédéric  du  vivant  même  d'Henri  VL 

2.  Cf.  à  ce  sujet  Pliillipps,  Die  deulsche  Kônigswahl  bis  zur  goldenen  Bulle, 
Wien,  1860,  t.  m,  p.  289  sq. 


e'iO.     LUTTE    POUR     LE    TRONE     d'aLLEMAGNE  1209 

aux  princes  allemands  un  légat,  qui  leur  recommandera  l'union 
pour  élire  le  candidat  le  plus  apte  aux  fonctions  souveraines  ou 
nous  remettre  la  décision  de  l'aiïaire. S'ils  ne  prennent  aucun  de 
ces  deux  partis,  nous  nous  déclarons  ouvertement  pour  Otton^.» 

Cette  Deliheratio  avait  été  conçue  et  rédigée  dans  l'intention 
de  détacher  l'archevêque  de  Mayence  du  parti  de  Frédéric,  pour 
l'attacher  à  celui  d'Otton;  mais  Conrad  se  contenta  de  promettre 
de  ne  rien  faire  de  définitif  en  Allemagne  sans  s'être  préalablement 
entendu  avec  le  pape.  Revenu  dans  sa  patrie  (début  de  1200),  il  fit 
tous  s'es  efforts  pour  procurer  le  triomphe  de  Frédéric;  mais 
s'étant  convaincu,  à  la  diète  de  Nuremberg  (mars  1200),  que  le  suc- 
cès ne  dépendait  pas  de  lui,  il  lança  dans  une  délibération  tenue 
entre  Andernach  et  Coblentz  un  autre  projet.  Il  obtint  un  armi- 
stice entre  les  partis  (la  guerre  civile  continua  pourtant  en  Saxe) 
et  la  constitution  d'un  tribunal  arbitral,  désigné  par  les  deux 
prétendants  sous  la  présidence  de  l'archevêque,  tribunal  qui  se 
réunirait  le  28  juillet,  non  loin  d'Andernach  et  de  Coblentz,  et 
désignerait  celui  des  prétendants  appelé  au  trône  d'Allemagne  ^, 

Sur  ces  entrefaites,  Otton  avait  perdu  son  principal  appui, 
Richard  Cœur  de  Lion,  mort  le  6  avril  1199  ^,  et  n'avait  pas 
tardé  à  voir  que  le  frère  et  successeur  de  Richard,  Jean  sans 
Terre,  ne  pouvait  ni  ne  voulait  l'aider,  en  dépit  de  ses  belles 
paroles.  Aussi,  dans  l'été  ou  l'automne  de  1199,  Otton  écrivit-il 
au  pape  pour  lui  recommander  sa  cause:  il   avouait  que,  depuis 

1.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  29,  P.  L.,  t.  ccxvi,  col.  1025;  Huillard-Bréholles,  fl^ts^ 
diplom.  Frid.  Il,  t.  i,  part.  1,  p.  70. 

2.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  20,  22;  Abel,  op.  cit.,  p.  109-112,  345;  Winkelmann, 
op.  cil.,  p.  168  sq. 

3.  Borelli  de  Serres,  La  réunion  des  provinces  seplenrionales  à  la  couronne  par 
Philippe- Auguste  [Amiénois,  Artois,  Vermandois,  Valois),  in-8,  Paris,  1899;  A. 
Cartellieri,  Philippe  II  Augusl,  von  Frankreich,  bis  zuni  Tode  seines  Valers  [1165- 
1180),  ein  Bcitrag  zu  seiner  Biographie,  Inaug.  Dissert.,  in-8,  Berlin,  1891  ;  Le 
même,  Philip  II  August,  Kônig  von  Frankreich  :  I.  Bis  zum  Tode  Ludwigs  VII 
(1165-1180);  II.  Philip  August  und  Graf  Philip  von  Flandern  [1180-1186); 
III.  Philip  August  und  Heinrich  II  von  England  [1186-1189),  3  vol.  in-8,  Leip- 
zig, 1898-1900;  L.  Delisle,  Catalogue  des  actes  de  Philippe-Auguste,  avec  une 
introduction  sur  les  sources,  les  caractères  et  l'importance  historique  de  ces  docu- 
ments, in-8,  Paris,  1856;  M.  Demetresco,  Sur  les  rapports  politiques  de  Philippe- 
Auguste  avec  Richard  Cœur  de  Lion,  1189-1199,  in-8,  Leipzig,  1897;  M.  de  Ger- 
migny,  La  réunion  des  provinces  septentrionales  à  la  couronne  par  Philippe-Au- 
guste, dans  la  Rev.  des  quesl.  histor.,  1900,  t.  lxvii,  p.  245-253;  A.  Luchaire 
Philippe-Auguste,  in-8,  Paris,  1881.   (H.  L.) 


1210  LIVRE    XXXV 

la  mort  de  Richard,  Innocent  était  son  unique  soutien^.  L'arche-  [783] 
vêque  de  Mayence  ayant  fait  connaître  son  projet  d'arbitrage, 
Otton,  q\ii  ne  l'acceptait  qu'avec  méfiance,  revint  à  la  charge 
et  demanda  au  pape  de  vouloir  bien,  avant  le  28  juillet,  jour  de 
l'ouverture  du  tribunal  arbitral,  menacer  des  peines  ecclésias- 
tiques les  membres  de  ce  tribunal,  s'ils  agréaient  un  candidat 
qui  déplût  à  Rome  ^.  Innocent  écrivit  aussitôt  à  l'arche- 
vêque de  Mayence,  lui  rappelant  qu'il  avait  promis  à  Rome 
de  ne  prendre  en  Allemagne  aucune  mesure  définitive  à  l'insu 
du  pape.  Celui-ci  espérait  (|ue  Conrad  agirait  vigoureuse- 
ment selon  les  intentions  du  Siège  apostolique,  intentions  qu'il 
avait  appris  à  connaître  à  Rome,  et  continuerait  à  faire 
preuve  de  ce  zèle  pour  les  intérêts  de  l'Eglise  qu'il  avait  manifesté 
dès  sa  jeunesse.  Innocent  envoyait  en  Allemagne  l'acolyte 
Gilles,  porteur  de  lettres,  chargé  de  donner  aux  princes 
des  conseils  salutaires  ^.  On  peut  voir,  au  n^  21  du  Registrum 
de  negotio  imperii,  cette  lettre  pontificale  confiée  à  Gilles.  Le  pape 
y  loue  d'abord  les  princes  de  s'employer  à  rétablir  l'unité  de  l'em- 
pire, et  développe  les  raisons  cjui  militent  en  faveur  des 
divers  prétendants.  Inutile  de  dire  que  son  exposé  trahit  sa  pré- 
férence pour  Otton.  Toutefois  il  ne  prend  pas  ouvertement  parti 
et  se  borne  à  écarter  certains  points  qui  auraient  pu  nuire 
à  la  cause  d'Otton.  Ainsi,  il  ne  dit  rien  de  l'empêchement 
de  parenté  qui  s'opposait  au  mariage  d'Otton  avec  sa  fiancée,  la 
fille  du  duc  de  Brabant;  en  outre,  il  se  porte  caution  de  l'accom- 
plissement des  traités  conclus  par  divers  princes  avec  Otton.  De 
plus,  il  délie  le  roi  de  France  des  obligations  contractées  à  l'égard 
de  Philippe,  et  il  écrit  de  nouveau  en  faveur  d'Otton  à  Jean  sans 
Terre  et  aux  archevêques  de  Trêves  et  de  Mayence  *.  Dès  le  mois 
de  mai  1200,  ce  dernier  était  allé  en  Hongrie,  pour  mettre  fin  à 
un  conflit  et  à  une  guerre  survenus  entre  les  hls  du  feu  roi  Bêla  III 
et  pour  prêcher  une  nouvelle  croisade.  On  ne  sait  comment  s'ex- 
pliquer ce  voyage  imprévu  dans  une  contrée  éloignée  et  avec  la 
perspective  de  la  réunion  arbitrale  fixée  au  28  juillet  que  Conrad 


1.  Reg.  de  neg.  imp..  n.  19;  Abcl,  op.  cit.,  p.  105^  343;  Winkelmann,  op.  cil., 
p.  164. 

2.  lieg.  de  neg.  imp.,  n.  20;  Winkelmann,  op.  cil.,  p.  173. 

3.  Reg.  de  neg.  imp..  n.  21,  P-  L.,  t.  ccxvi,  col.  1019  sq. 

4.  Ibid.,  11.  24-28;  Wiiikelmann,  op.  cil.,  p.  181   sq. 


G40.     LUTTE     POUR    LE     TRONE     d'aLLEMAGNE  1211 

[784]  devait  présider,  à  moins  d'admettre  que  le  projet  de  tribunal 
eût  échoué.  Ce  fut  certainement  le  parti  des  Hohenstaufen  qui, 
convaincu  de  son  bon  droit  et  conscient  de  sa  puissance,  rejeta 
l'arbitrage.  Malheureusement  l'archevêque  Conrad,  le  principal 
médiateur  indique  entre  les  deux  partis  adverses,  mourut  le 
20  octobre  1200,  entre  Nuremberg  et  Wurzbourg,  à  son  retour 
de  Hongrie  ^. 

A  cette  nouvelle,  le  pape  écrivit,  le  5  janvier  1201,  à  l'archevê- 
que de  Cologne  et  à  plusieurs  autres  évêques  et  seigneurs;  de  même 
il  adressa  une  encyclique  à  tous  les  princes  allemands,  leur  disant 
que,  puisque  toutes  les  tentatives  du  défunt  archevêque  de 
Mayence  pour  la  paix  avaient  été  infructueuses,  il  envoyait  en 
Allemagne  Gui,  cardinal-évêque  de  Préneste  (plus  tard  archevê- 
que de  Reims),  et  le  notaire  Philippe,  pour  travailler  à  procurer 
cette  paix  nécessaire  ^.  Vu  l'importance  de  l'affaire,  il  avait  pres- 
crit à  son  légat  en  France,  Octavien,  cardinal-évêque  d'Ostie, 
de  se  rendre  en  Allemagne  le  plus  tôt  possible.  La  division  persis- 
tante avait  eu  des  résultats  désastreux  :  aux  princes  de  s'entendre 
sans  délai  sur  un  candidat,  qu'Innocent  s'empresserait  de  couronner 
empereur.  S'ils  ne  pouvaient  s'accorder,  ils  n'avaient  qu'à  prendre 
le  pape  comme  arbitre,  et  si  cette  dernière  combinaison  échouait, 
lui-même  prendrait  alors  une  décision  en  vertu  de  l'autorité  de  sa 
charge  ^.Mais  dès  le  1^^  mars  1201, Innocent,  renonçant  à  la  tem- 
porisation, se  prononça  ouvertement  pour  Otton  dont  les  affaires 
commençaient  à  se  gâter  *.  «  L'Eglise,  dit  le  pape,  ne  peut  ni 
ne  veut  être  privée  plus  longtemps  d'un  protecteur  idoine  ^; 
lui-même  ne  peut  supporter   plus   longtemps   la  ruine    du  peuple 

1.  Winkelmann,  op.  cit.,  p.  189;  C.  Will^  Konrad  von  Wittelsbach,  Cardinal, 
Erzbischof  von  Mainz  und  von  Salzbilri;,  deutscher  Reichskanzler,  in-8,  Regens- 
burg,  1880;  Abel,  op.  cit.,  p.  121,  348. 

2.  Winkelmann,  op.  cit.,  p.  204. 

3.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  30  et  31  ;  à  la  fin  du  n.  30  se  trouve  cette  date  :  Non. 
januarii  (ponlif.  nostri  anno  quarto)  au  lieu  de  anno  tertio,  car  ii  est  impossible  de 
placer  cette  lettre  plus  tard  que  le  comniencement  de  l'année  1201. 

4.  Peut-être  parce  que  le  traité  de  paix  conclu  entre  la  France  et  l'Angle- 
terre, et  par  lequel  le  roi  d'Angleterre  s'engageait  «  à  ne  venir  en  aide  à  son 
neveu  d'aucune  façon  »,  décida  le  pape  à  faire  ce  pas  décisif.  Forschungen  zur 
deutschen  Geschichte,  t.  \iu,  p.  508.  D'après  Winkelmann,  op.  cit.,  p.  206-209'j 
note  2,  le  pape  s'était  laissé  déterminer  par  le  prétendu  succès  d'Otton  IV  eu 
\liemagne. 

5.  Diutius  nec  vult  nec  débet  idoneo  defensore  carere.  (H.  Le) 


1212 


LIVRE     XXXV 


chrétien.  D'un  autre  côté,  comme  il  lui  est  impossible  d'accor- 
der sa  faveur  à  l'un  des  deux  élus,  à  cause  de  l'excommunication  [^85] 
qui  pesait  sur  Philippe,  de  la  violation  de  son  serment  (à 
l'égard  de  Frédéric  II),  enfin  parce  que  lui  et  ses  aïeux  avaient 
été  les  ennemis  du  Siège  apostolique  et  des  églises,  il  a  dû  se 
décider  pour  Otton,  d'autant  plus  que  l'empire  ne  doit  pas  deve- 
nir héréditaire  ^.  » 

La  décision  d'Innocent  III  était  la  mise  en  ])ratique  d'un  droit 
jusqu'alors  purement  théorique,  celui  de  décider,  dans  les  cas  dou- 
teux, (lu  légitime  possesseur  de  la  couronne  d'Allemagne,  parce 
que  l'élu  se  trouvait  être  nécessairement  désigné  pour  l'empire; 
le  jour  où  il  prit  sa  décision,  il  n'écrivit  pas  moins  de  dix-huit 
lettres  ^.  Tout  d'abord,  un  grand  nombre  de  princes  allemands,  sans 
partager  les  principes  des  Hohenstaufen,  furent  si  outrés  de  voir  le 
pape  s'immiscer  dans  la  question  de  la  royauté,  qu'ils  faillirent,  par 
opposition  contre  Rome,  préférer  à  Otton  un  troisième  candidat^. 
Heureusement,  l'arrivée  et  l'énergique  activité  du  cardinal-légat 
Gui  de  Préneste  les  en  empochèrent.  Le  légat  se  fit  précéder  en  Alle- 
magne par  Gilles  et  le  notaire  Philippeporteur  de  la  lettre  du  pape; 
ils  devaient  négocier  avec  Otton  et  convoquer  tous  les  princes  à  une 
assemblée.  Otton  jura,  le  8  juin  1201,  à  Neuss  (près  deDusseldorf)^ 
de  maintenir  de  toutes  ses  forces  les  possessions,  honneurs  et  droits 
de  l'Eglise  romaine  et  de  lui  restitvier  tout  ce  qu'elle  pourrait  récla- 
mer, comme  les  biens  de  Mathilde,  etc.,  ou  de  travailler  à  les  lui 
faire  rendre.  Il  promettait  également  de  soutenir  l'Eglise  dans 
ses  prétentions  sur  le  royaume  de  Sicile,  d'obéir  au  pape  comme 
l'avaient  fait  ses  prédécesseurs,  d'être  d'acord  avec  lui,  aussi 
bien  pour  ce  qui  concernait  le  maintien  des  traditions  du  peuple 
romain  que  les  Ligues  lombarde  et  toscane.  C'était  aban- 
donner les  anciennes  prétentions  des  empereurs  sur  Rome,  la 
Toscane  et  la  Lombardie.  De  même,  sur  les  conseils  et  le  désir  du 
pape,    il  devait  conclure  la  paix  avec  la  France  ^.  Aussitôt  après,    [^786] 


1.  Reg.  de  neg.  mp.,  n.  32,  33,  P.  L.,  t.  ccxvi,  col  103''>.  Au  n.  33,  le  pape 
s'explique  comme  si  le  cardinal  de  Préneste  avait  déjà  fait  le  voyage  d'Allem?- 
gne;  il  est  probable  cependant  qu'il  ne  quitta  Rome  qu'après  le  1^''  mars  1201. 
et  qu'il  remit  les  lettres  datées  de  ce  jour. Cf.  Hurter,  t.  i,  p.  386,  note. 

2.  Reg.  de  neg.^  imp.,  n.  32-49;  Winkelmann,  op.  cit.,  p.  210. 
3    Reg.  de  neg.  imp.,  n.  51,  P.  L.,  t.  ccxvi   col.  1052. 

4.  Winkelmann,  Philipp  von  Schwahen,  p.  88,  210  et  511.  s'efforce  de  prouver 


640.     LUTTE     POUR     LE    TRONE     d'aLLEMAGNE  1213 

car  Otton  avait  représenté  l'aHaire  comme  pressante,  le  cardinal 
Gui  arriva  en  Allemagne,  à  Aix-la-Chapelle,  avec  Otton,  et  vint 
avec  lui  dans  une  réunion  de  princes  à  Cologne  (3  juillet  ^).  Il  lut 
dans  cette  assemblée  les  décrets  pontificaux,  proclama  Otton 
roi  des  Romains  et  (futur)  auguste,  et  menaça  d'excommu- 
nication tous  les  opposants,  en  particulier  Philippe.  Toute- 
fois, la  réunion  n'avait  pas  été  très  nombreuse,  et  le  légat 
dut  renouveler  cette  cérémonie  dans  une  seconde  diète  des  prin- 
ces à  Corvey  (23  août)  à  laquelle  il  avait  convoqué  tous  les  grands 
de  l'empire,  sous  la  menace  de  l'excommunication  ^.  Déjà  cepen- 
dant, Gui  était  allé  de  Cologne  à  Maestricht,  pouréclaircir  l'afï'aire 
des  fiançailles  de  la  fille  du  duc  de  Brabant  avec  Otton  et 
regagner  au  parti  de  ce  dernier  le  père  de  la  princesse,  le  duc 
Henri,  et  plusieurs  autres  grands  des  Pays-Bas.  Il  réussit  à  sou- 
hait ^.  Le  légat  fortifia  encore  le  parti  d'Otton,  en  reconnaissant 
Siegfried  d'Eppenstein  comme  archevêque  de  Mayence  (septem- 
bre 1201),  quoique  la  majorité  lui  préférât  Luipold  de  Schônfeld, 
évêque  de  Worms,  qui  penchait  pour  les  Hohenstaufen  *.  Otton 
lui-même  intercéda  pour  Siegfried  auprès  d'Innocent,  et  bientôt 
arriva  la  confirmation  du  pape,  quoique  le  chapitre  et  la  bour- 
geoisie de  Mayence  fissent  des  remontrances  et  reprochassent 
au  légat  de  s'être  laissé  gagner  à  prix  d'argent.  Le  parti  de  Phi- 
lippe diminua  petit  à  petit,  et  il  n'y  eut  que  quelques  personnages, 
des  évèques  pour  la  plupart  (car,  au  début,  Philippe  avait  compté 
un  grand  nombre  de  prélats  dévoués  à  sa  cause),  à  oser  encore  se 
prononcer  ouvertement  pour  lui.  Les  autres  étaient  ou  gagnés  ou 
hésitants  ^.  Otton  reconnut  sans  difficulté  qu'il  devait  tout  au 
pape;  (jue,  sans  son  secours,  «sa  cause  serait  tombée  en  pous- 
sière, »  et  «  que  c'était  par  sa  grâce  qu'il  avait  pu  revêtir  la  pour- 

que  cette  promesse,  sauf  le  dernier  point,  n'était  qu'une  répétition  du  serment 
qu'il  avait  déjà  prêté  le  9  juin  1198. 

1.  Au  sujet  de  la  date,  cf.  Winkelmann.  op.  cit..  p.  219. 

2.  Reg.  de  iieg.  imp.,  11.  5\,  P.  L.,  t.  cc^xi,  col.   1052;   Abel,    op.   cit.,  p.    135- 
137,  353;  Winkelmann,  op.  cit.,  p.  219. 

3.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  52,  P.  L.,  t.  ccxvi,  co!.  1053;  Abel,  op.  cit.,  p.    13G   sq. 
/,.  Innocent  III,  Episl.,  ).  V,  n.  14,  P.  L.,  t.  ccxiv,  p.  964  sq.  ;  Rc g.  de  neg. 

imp.,  n.  136;  AnnaL  Colon,  maximi,  dans  Monum.  Germ.  hisl.,  Script.,  t.  xvii, 
p.  809;  Gesta  Trei'irorum.  Continuât.,  l.IV,  c.  i,  dans  Monum.  Germ.  Itist.,  Script., 
t.  XXIV,  p.  391  ;  Winkelmann,  op.  et/.,  p.  191;  Hurter,  Gesch.  d.  Papsts  Inno- 
cenz  III,  t.   I,  p.   365  sq. 

5.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  51,  52. 


1214 


LIVRE      XXXV 


pre  comme  un  bienfait  pai'ticulier  de  l'Église  romaine.  »  Il  alla 
jusqu'à  écrire  dans  la  suscription  de  ses  lettres  au  pape  :   «  Roi 
des  Romains,  par  la  grâce  de  Dieu  et  par  la  tienne  ^.  »  Ces  expres- 
sions, inouïes  jusqu'alors,  durent  blesser  plus  d'un  cœur  patrio- 
tique et  donnèrent  du  crédit  à  ces  représentations  de  Philippe  :  [787] 
«  La  liberté  de  l'Allemagne  et  en  particulier  celle  de  l'élection 
des  rois  étaient  mises  en  péril  par  la  conduite   du  pape;   Innocent 
ne  le  haïssait  que  parce  qu'il  avait  osé  gouverner  sans  son  assen- 
timent ^.  »  Plusieurs  amis  de  Philippe  relevèrent  la  tête  et  lui  re- 
nouvelèrent leurs   serments  de  fidélité   dans  la  diète  de  Bamberg 
(8   septembre    1201),   où    fut    exposé    le  corps    de   l'impératrice 
sainte  Cunégonde,   épouse  d'Henri  II.    Quelque   temps  après,  ils 
lancèrent  une  énergique  protestation  contre  les  agissements  du 
cardinal  Gui  en  Allemagne,  disant  que  jusqu'alors  un  pape  ou  son 
légat  ne  s'étaient  jamais  permis  de  s'ériger  en  juges  delà  valeur  des 
voix  pour  l'élection  d'un  roi,  moins  encore  en  électeurs  pour  choisir 
eux-mêmes  le  roi  d'Allemagne.  Cette  protestation  porte  les  noms 
des   archevêques   de   Magdebourg  et  de  Brème,   des   évêques   de 
Worms,  Passau,  Ratisbonne,  Eichstâdt,  Havelberg,  Brandebourg, 
Meissen,  Naumbourg  et  Bamberg;  des    abbés  de  Fulda,  Hersfeld 
et  Kempten;  du  roi    de  Bohême,  des  ducs  de  Zâhringen,  de  Saxe, 
d'Autriche  et  de  Méran.  du  landgrave  de  Thuringe    et  d'autres; 
elle  fut  envoyée  à  Rome  par  une  ambassade,  à  la  tête  de  laquelle 
se  trouvait  l'archevêque  Eberhard  II  de  Salzbourg  (écuyer  tran- 
chant de  Waldbourg  ^). 

Cet  écrit,  les  hésitations  de  l'archevêque  de  Cologne  à  cette 
époque  (beaucoup  de  princes,  du  reste,  passaient  d'un  parti 
dans  un  autre),  et  de  vagues  rumeurs  venues  d'Italie  firent 
grande  impression  sur  Otton  :  il  perdit  de  son  assurance  et 
conçut  des  soupçons  contre  le  pape.  Aussi  Innocent  crut-il 
devoir,  au  début  de  1202,  l'assurer  de  son  appui  et  faire 
appel  à  sa  fermeté.  Si  Rome  n'avait  pas  pris  les  devants,  lui 
écrivait-il,  on  n'aurait  jamais  eu  raison  de  Philippe;  toutefois  il 
ne  convenait  pan  à  un  roi  d'exposer  follement  sa  vie,   comme    il 


1.  Ibid.,  n.  53,  81,  106,  P.  L.,  t.  ccxvi,  col.  1054,  1088,  1108  :    Dei  gratia  et 
sua  (papw)  Romanorum  rex. 

2.  Reg.  de  neg.  imp..  n.  52. 

3.  Eeg.  de  neg.  imp.,  n.  52,  61;  Bôhmer,  Reg.  imp.  .p.  xii,  12-1 1;  Abcl  op.  cit., 
p.  138  sq.;  Winkplmann,  op.  cit.,  p.  237  sq.,  253  sq. 


640.    LUTTE     POUR     LE      TRONE    d'aLLEMAGNE  1215 

l'avait  fait  dernièrement.  Le  pape  lui  recommandait  d'écrire  plus 
souvent  aux  Romains  et  aux  ducs  et  évêques  de  Toscane  et  de 
Lombardie,  et  d'y  joindre  des  promesses,  pour  les  gagner  entiè- 
rement à  lui  ^.  Dans  une  autre  lettre,  adressée  à  l'archevêque  de 
Cologne,  qui  avait  fait  beaucoup  pour  l'élection  d'Otton,  Inno- 
[788]  cent  III  demandait  au  prélat  de  continuer  son  dévouement  à  ce 
prince;  il  écrivit  dans  le  même  sens  au  roi  d'Angleterre  et  à  pres- 
que tous  les  évêques  et  seigneurs  allemands.  Il  ne  voulait  rien 
négliger  pour  qu'Otton  fût  reconnu  par  tous;  cependant,  afin  de 
ne  pas  pousser  à  bout  le  parti  opposé,  il  défendit  au  cardinal  Gui 
d'employer  contre  lui  les  peines  ecclésiastiques  ^  ;  lui-même 
répondit  avec  calme  et  modération  à  la  protestation  des  Hohen- 
staufen.  Sa  lettre  au  duc  de  Zahringen,  en  mai  1202,  est  devenue 
très  célèbre,  parce  qu'il  y  expose  les  droits  de  la  papauté  à 
propos  de  l'élection  du  roi  d'Allemagne.  C'est  ]a  Décrétale 
Venerabilem,  insérée  au  Corpus  juris  canonici  ^,  1.  I,  tit.  vi.  De 
elect.^  c.  34.  Le  pape  n'a  point  songé  à  mettre  en  question  le 
droit  des  princes  allemands  d'élire  celui  auquel  revenait  la  cou- 
ronne impériale.  Il  sait  fort  bien  que  depuis  longtemps  ce 
droit  leur  appartient,  grâce  au  Siège  apostolique,  qui  avait 
transféré  l'empire  romain  des  Grecs  aux  Germains  *.  Aux  princes 
à  reconnaître,  de  leur  côté,  que  c'est  au  pape  qu'appartient  le 
droit  d'apprécier  le  candidat  de  la  royauté,  destiné  par  le  fait 
de  l'élection  à  devenir  empereur.  C'est  le  pape  qui  doit  oindre, 
sacrer  et  couronner  l'élu.  En  principe,  l'appréciation  est  toujours 
réservée  au  consécrateur  (par  exemple,  dans  l'ordination  sacerdo- 


neg.  imp.,  n.  57. 

2.  Ibid.,  n.  55,  58,  59,  60,  62,  P.  L  ,  t.  ccxvi,  col.  1055  sq.,  1061  sq. 

3.  Ibid.,  n.  62,  P.  L.,  t.  ccxvi,  col.  1065-1067.  Cf.  Zeumer,  ÇueWensamm^ung 
zur  Geschichte  d.  Reichsi'erfassung  in  Miltelalter  und  Neuzeit,  Leipzig,  1904, 
p.  26;  Phillipps,  Kirchcnrcchi,  t.  m,  §  127,  p.  194.  (H.  L.) 

4.  Après  la  chute  de  l'empire  romain  d'Occident,  celui  d'Orient  prétendit 
îivoir  hérité  de  ses  droits,  et  certains  empereurs  de  Conslantinoplc,  Justinicri 
par  exemple,  furent  réellement  empereurs  d'Occident.  Innocent  III  veut  dire 
que  les  papes  donnèrent  ensuite  la  dignité  d'empereur  d'Occident  à  des 
princes  de  la  Germanie,  et  comme  ils  unirent  cette  même  dignité  impériale 
à  celle  de  roi  d'Allemagne,  ils  mirent  ainsi  les  Allemands  dans  l'obligation  de 
choisir  pour  roi  non  pas  un  candidat  ordinaire  (ce  que  d'ailleurs  ils  n'auraient 
pu  faire  en  dehors  de  Rome),  mais  un  candidat  également  digne  de  devenir 
empereur. 


1216 


LIVRE     XXXV 


taie);  autrement  un  pape  pourrait  être  contraint  d'oindre,  sacrer 
et  couronner  un  sacrilège,  un  excommunié,  un  hérétique  ou  un 
païen,  qui  se  réclamerait  de  l'élection  des  princes.  Son  légat 
ne  s'est  donc  pas  interposé  comme  électeur  :  il  n'a  élu  ni  fait 
élire  personne.  Il  ne  s'est  pas  davantage  érigé  en  juge  [cogni- 
tor),  n'ayant  confirmé  ou  rejeté  ni  l'élection  d'Otton  ni  celle  de 
Philippe;  il  s'est  renfermé  dans  son  rôle  de  rapporteur  [clenun-  [789] 
ciator)  :  envisageant,  non  le  vote,  mais  uniquement  les  qualités 
personnelles  du  candidat,  il  s'est  borné  à  déclarer  [denun- 
tiavit)  le  duc  de  Souabe  indigne  et  le  roi  digne  (d'occuper  le 
pouvoir).  Que,  dans  une  élection  disputée,  le  pape,  voyant  ses 
exhortations  superflues,  sa  longanimité  inutile,  ait  le  droit  de 
témoigner  sa  préférence  pour  un  candidat,  surtout  quand  les  com- 
pétiteurs —  et  ils  ne  s'en  étaient  pas  privés — sollicitent  de  lui 
l'onction  impériale,  c'est  ce  qui  résulte  du  droit  et  des  précédents. 
En  effet,  si  les  princes,  sourds  à  toutes  les  exhortations,  ne  peu- 
vent s'accorder,  le  Siège  apostolique  n'en  doit  pas  supporter  les 
conséquences,  ayant  besoin  d'un  avocat  et  d'un  défenseur.  C'est 
ainsi  qu'autrefois  le  pape  avait  fait  choix  entre  Lothaire  et 
Conrad  III,  prenant  parti  pour  ce  dernier. 

Voici  donc  les  principes  d'Innocent  III  : 

a)  Les  princes  allemands  ont  pleinement  le  droit  de  choisir  leur 
roi  en  toute  liberté. 

h)  Depuis  que  les  papes  ont  donné  pour  l'Occident  aux  rois  de 
Germanie  (Charlemagne  et  Ottonl^^)  la  dignité  impériale,  jadis  pos- 
sédée par  les  Byzantins,  les  princes  allemands  continuent  à  élire 
librement,  et  en  pleine  indépendance  du  pape,  leur  roi,  qui  sera 
couronné  empereur. 

c)  Ici  intervient  le  droit  du  pape  :  le  roi  élu  de  Germanie  ne  peut 
devenir  empereur  cjue  par  l'onction  du  pape;  à  celui-ci  d'apprécier 
l'aptitude  du  candidat  à  l'empire.  Si  le  ju^gement  du  pape  lui  est 
défavorable,  les  Allemands  feront  un  nouveau  choix  ;  s'ils  s'y 
refusent,  le  pape  restera  libre  d'offrir  à  un  autre  roi  la  couronne 
impériale,  l'Eglise  ayant  besoin  d'un  avocat  et  défenseur. 

cl)  Au  cas  où  l'élection  uu  trône  d'Allemagne  prête  à  discus- 
sion, la  mission  du  pape  peut  se  résumer  ainsi  :  1)  il  doit,  avant 
tout,  exhorter  les  princes  allemands  à  s'accorder  sur  un  seul  can- 
didat; 2)  s'il  n'obtient  rien,  il  se  décidera  pour  l'un  des  pré- 
tendants, soit  en  qualité  d'arbitre,  soit  en  vertu  de  son  droit  supé- 
rieur et  de  l'autorité  de  sa  charge.   Il  doit  ainsi  agir,  l'Eglise   ne 


G'iO.     LUTTE     POIR     I.  K    TRONE    d'aLLEMAGNE  1217 

[790]  pouvant  indéfiniment  rester  sans  défenseur.  3)  En  cette  occur- 
rence, le  pape  fait  abstraction  des  indications  fournies  par 
1  élection  (priorité,  majorité  des  voix,  légitimité)  :  il  considère 
uniquement  la  qualité  des  personnes  et  choisit  le  candidat  qui  lui 
paraît  promettre  à  l'Église  un  meilleur  défenseur,  etc. 

Vers  ce  temps.  Innocent  engagea  le  roi  Otton  à    agir   avec   la 
plus  grande  prudence,   pour    raffermir  la  fidélité  de    ses  amis  et 
tâcher  de  gagner  ses  adversaires.  Il  écrivit  aussi  aux  rois  d'Angle- 
terre et  de  France  pour  les  rendre  favorables  à  son  candidat,  et 
prononça  des  peines  canoniques  contre  les  princes  ecclésiastiques 
du  royaume    demeurés    fidèles    à    Philippe  ^.  Dès  lors,    la    situa- 
tion d'Otton  s'améliora    de    jour    en  jour.   Il  s'unit  à    son   beau- 
frère  Knut,  roi  de  Danemark,  s'empara  de  Stade  et  de  Brème,  fit 
prisonnier  Hartwig,  archevêque  de  Brème,  et  le  força  à  lui  rendre 
tous  les  biens  jadis  confisqués  à  son  père  Henri  le  Lion.    Poussant 
son  succès,  il  partagea  avec  ses  deux  frères  les  biens  des  Welfes 
dans  le  nord,  puis  gagna  les  pays  du  Bas-Rhin,   où  il  mit   fin  par 
la  force    aux   conflits   survenus  parmi   ses  partisans;  enfin  il   fut 
reconnu  par  tous  les  princes  de  ces  contrées.  Il  s'assura  une  fois 
de  plus  de  la  fidélité  de  l'archevêque  de  Cologne  et,  dans  l'été  ou 
l'automne  de  1202,  put  écrire  au  pape  qu'il  s'attendait   à  de  pro- 
chains   et    importants    progrès.    Jean   sans    Terre,    si    longtemps 
insensible  aux  exhortations  du  pape,  commença  alors  à  soutenir 
son  royal  neveu  avec  l'argent  et    l'influence  de  l'Angleterre,  et 
dans  l'automne  de  1202  conclut  avec  lui  un  traité  formel  d'alliance 
offensive  et  défensive  ;   il  fut  suivi  dans  cette  voie  par  le  landgrave 
de  Thuringe  et  par  le  roi  de  Bohême^;  peu  après,  le  chancelier  de 
Philippe,  Conrad,  évêque  de  Wurzbourg,  passa  au  parti  d'Otton. 
Mais,  le  4  décembre  1202,  Conrad  tombait  [assassiné  par  Bodon 
et   Henri  de   Ravensburg]  :  il  terminait  sa   carrière  comme    son 
ami   d'enfance   Thomas   Becket  ^.    Malgré   toutes     les    représen- 

1.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  64,  65,  69;  Winkelmann,  op.  cit.,  p.  260. 

2.  Beg.  de  neg.  imp.,  n.  106  (décembre  1203)  :  Regem  Boemix,  lanlgravium 
Thuringiœ,  marchionem  Moravise  per  pote ntiam  non  habuimus,  sed  per  magnam 
vestram  soUiciludinem  et  frequentem.  (H.  L.) 

3.  Michel  de  Leone,  fondateur  de  la  nouvelle  cathédrale  de  Wurzbourg, 
mort  en  1355,  appelle  Conrad  :  con^emporaneus  et  cornbur salis  b.  Thomx  de  Kan- 
telbug.  Autrefois  on  donnait  comme  date  de  la  mort  de  Conrad  le  3  décembre. 
Winkelmann,  op.  cit.,  p.  269,  indique  le  6;  mais  le  Corpus  regale  seu  calendariurn 
necrologicum  domus  S.  Kiliani,  édité  par  Wegele,  Wurzbourg  1877,  p.  63,  rap- 

CONCILES  —  V  -  77 


1218  LIVRE    XXXV 

talions,  Philippe  ne  voulut  pas  punir  les  meutriers,  que  le  pape   (791] 
s'efforça    de  ramener  à  la  pénitence    en   leur  infligeant   les    cen- 
sures ecclésiastiques  ^. 

L'année  suivante,  la  Thuringe,  déjà  prise  une  première  fois 
par  le  roi  Philippe  et  ses  Souabes,  fut  épouvantablement  rava- 
gée par  Ottocar  et  ses  Bohèmes.  Cependant  Otton  avait  si  bien 
progressé  que  toute  l'Allemagne  du  nord  et  du  centre,  à  l'ouest 
de  l'Elbe,  le  reconnaissait  pour  roi,  et  qu'il  pouvait  déjà  songer 
à  s'emparer  du  sud.  Un  grand  nombre  d'évêques,  d'abord  par- 
tisans de  Philippe,  par  exemple  Eberhard,  archevêque  de  Salz- 
bourg,  avaient  été  gagnés  à  Otton  par  l'influence  du  pape  et 
de  ses  légats  ;  ceux  qui  se  montrèrent  intraitables,  comme  les 
archevêques  de  Magdebourg,  de  Trêves,  de  Besançon  et  de  Taren- 
taise,  furent  punis  ou  menacés  de  peines  2.  Dans  l'été  de  1203, 
Otton  se  trouvait  à  l'apogée  de  sa  puissance,  et  toutes  les  tenta- 
tives du  parti  des  Hohenstaufen  pour  gagner  le  pape  par  des  pro- 
messes et  tromper  l'opinion  publique  en  Allemagne  restèrent 
sans  résultat.  Vers  cette  époque  (1203),  Philippe  envoya  à  Rome 
le  prieur  des  camaldules,  Martin,  et  le  moine  Otton  de  Salmons- 
weiler  (près  de  Constance)  notifier  au  pape  son  projet  d'organi- 
ser une  croisade  et  son  intention  de  restituer  tous  les  biens 
ecclésiastiques  pris  par  les  anciens  empereurs,  de  renoncer  au 
jus  spolii,  de  respecter  la  liberté  absolue  des  élections  épiscopales, 
de  soutenir  fidèlement  l'Eglise  romaine  et  d'opérer  l'union  de 
l'Eglise  de  Constantinople,  si  lui-même  ou  son  beau-frère  par- 
venaient à  occuper  le  trône  de  Byzance  ^.  Le  pape  lui  répondit 
ce  qu'il  aurait  pu  répondre  à  tout  chrétien,  à  savoir  qu'on  ne 
mettait   aucun   obstacle  à    son  retour  dans  le  sein  de  l'Eglise,  et 


porte  cette  mort  au  4  décembre  :  11  nouas  dec,  Conradus  episcopus  et  cancella- 
rius  interfeclus  est.  Cette  dernière  date  doit  être  la  plus  exacte. 

1  Innocent  III,  Epist.,  1.  V,  n.  155,  P.  L.,  t.  ccxiv,  col.  1167;  1.  VI,  n.  51, 
P.  L.,  t.  ccxv,  col.  53  sq.;  n.  113,  114,  ibid.,  col.  128;  Winkelmann,  op.  cit., 
p.  269. 

2.  Bôhmer,  Reg.  irnp.,  p.  302-306;  Abel,  op.  cil.,  p.  166-173;  Winkelmann, 
op.  cit.,  p.  301  sq. 

3.  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  sect.  iv.  t.  n,  p.  208  (mai  1203)  ;  Winkelmann, 
op.  cit.,  t.  I,  p.  295  sq.;  Abel,  op.  cit.,  p.  173.  Philippe  avait  épousé  Irène,  fille 
d'Isaac,  empereur  de  Constantinople,  et  sœur  d'Alexis  IV.  C'était  précisément 
le  moment  (dans  l'été  de  1203)  où  les  croisés  latins  assiégeaient  Constantinople 
pour  réintégrer  l'empereur   Isaac  et  son   fils  Alexis. 


641.  CONCILKS  DE  1198  A  1208  1219 

publia  cette  réponse  dans  une  lettre  aux  Allemands  ^  destinée  à 
faire  cesser  de  faux  bruits  d'après  lesquels  il  aurait  invité  Phi- 
lippe à  recevoir  la  couronne  impériale.  Il  dut  également  protes- 
[792 1  ter  contre  des  bulles  apocryphes  mises  en  circulation,  toutes  à 
l'avantage  de  Philippe.  On  avait  fait  courir  le  bruit  de  la  mort 
d'Innocent  et  on  publiait  les  lettres  de  son  successeur  Clément  IV. 
Philippe  n'épargna  ni  argent  ni  promesses  pour  se  faire  des  par- 
tisans à  Rome  et  donner  courage  aux  adversaires  du  pape  2.  Mais 
celui-ci  surmonta  tous  les  obstacles  et,  en  décembre  1203,  écrivit 
toute  une  série  de  lettres  en  faveur  d'Otton^.  De  cette  époque 
cependant  date  le  changement  qui  modifie  la  situation  des  pré- 
tendants et  que  nous  ferons  connaître,  après  avoir  parlé  des 
autres  événements  et  analysé  les  conciles  tenus  à  cette  même 
époque  dans  les  diverses  contrées  de  l'Orient  et  de  l'Occident. 


641.  Conciles  de  1198  à  1208. 

En  France,  la  question  du  mariage  de  Philippe-Auguste  et  les 
progrès  de  la  secte  des  cathares  attirèrent  dès  le  début  l'attention 
du  pape.  Innocent  employa  d'abord  de  bienveillantes  admones- 
tations pour  rappeler  au  roi  son  devoir  :  il  en  écrivit  direc- 
tement à  Philippe  et  aussi  à  l'évêque  de  Paris  *.  En  sep- 
tembre 1198,  il  manda  à  son  légat,  Pierre  de  Capoue,  de  réitérer 
les  observations,  et,  si  elles  restaient  sans  effet,  d'y  joindre  une 
menace  d'interdit  ^.  En  cette  même  année  1198,  quelques  conciles 
français  s'occupèrent  de  découvrir  et  de  châtier  les  partisans  de 
Vhseresis  Populicana  (publicains,  cathares).  Michel,  archevêque 
de  Sens  et  métropolitain,  réunit  à  la  Charité-sur-Loire  ^  les 
évêques  d'Auxerre,  de  Nevers  et  de  Meaux,    avec   de    nombreux 

1.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  90,  91,  P.  L.,  t.  cxxvi,  col.  1095  sq. 

2.  Ibid.,  n.  70,  85,  96;  Abel,  op.  cit.,  p.  175;  Winkelmann,  op.  cit.,  p.  300  sq. 

3.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  96-103. 

4.  Gesta  Innocenta  III,  c.  lu;  Innocent  III,  Epist.,  I.  I,  n.  171,  P.  L.,  t.  ccxiv, 
col.  148  sq.  (H.  L.) 

5.  Epist.,  1.  I,  n.  4,  171,  347,  348,  P  L.,  t.  ccxiv,  col.  148,  320;  Hurter,  Gesch. 
d.  Papsts  Innocenz  III,  t.  i,  p.  177  ;  Potthast,  Regesta,  p.  35,  fixe  la  lettre  au  car- 
dinal Pierre  au  mois  d'août  1198. 

6.  Arrondissement  de  Cosne,  département  de  la  Nièvre.  (H.  L.) 


1220  LIVRE   XXXV 

clercs  et  laïcs,  pour  découvrir  les  hérétiques.  Le  doyen  de 
Nevers  et  Rainald,  abbé  de  Saint-Martin,  furent  particulière- 
ment dénoncés.  L'archevêque  les  suspendit  tous  deux  ab  officio 
et  beneficio,  et  convoqua  un  deuxième  concile  à  Auxerre,  où  les 
accusés  présenteraient  leur  défense.  S'il  ne  se  présenta  aucun 
accusateur  proprement  dit  contre  le  doyen,  il  s'en  trouva  contre 
l'abbé,  car  le  prieur  de  son  monastère  l'accusa  de  beaucoup  de 
crimes,  en  particulier  d'adultère  et  d'usure,  et  des  témoins  sou- 
tiiarent  l'accusation.  Néanmoins  on  donna  aux  deux  accusés  un  [7931 
nouveau  délai  jusqu'au  synode  qui  allait  se  tenir  à  Sens  ^.  Cette 
dernière  assemblée  ne  voulut  ni  absoudre  ni  condamner  le  doyen; 
elle  se  contenta  de  déférer  sa  cause  à  Rome.  Dès  le  début  du  sy- 
node, l'abbé  avait  interjeté  à  Rome  un  appel  qui,  bien  qu'illégal  en 
droit  strict,  fut  accueilli;  on  abandonna  au  pape  la  décision  sur 
le  fait  d'hérésie.  Mais  l'accusé  fut  déposé  à  cause  de  ses  autres 
méfaits.  Innocent  écrivit  à  ce  sujet  deux  lettres  (mai  et  juin  1199). 
Il  décida  que  le  doyen  devait,  avec  des  co-jureurs,  affirmer  par  ser- 
ment son  innocence,  auquel  cas  on  devait  le  réintégre  r  dans  son  bé- 
néfice, mais  non  dans  son  office,  jusqu'à  réparation  du  scandale 
causé  par  ses  rapports  avec  les  hérétiques.  Quant  à  l'abbé,  son 
affaire  serait  examinée  attentivement  par  le  légat  cardinal 
Pierre  de  Sancta  Maria  in  via  La  ta,  et  une  fois  le  procès  instruit 
et  la  preuve  faite,  il  serait  dépouillé  du  sacerdoce  et  enfermé 
dans  un   monastère. 

On  se  souvient  qu'à  la  nouvelle  de  la  mort  d'Henri  VI  (1197) 
la  plupart  des  croisés  allemands  alors  en  Palestine  se  hâtèrent  de 
retourner  dans  leur  pays,  malgré  les  représentations  de  Conrad, 
archevêque  de  Mayence,  et  de  plusieurs  autres.  Pour  beaucoup 
d'entre  eux,  le  retour  fut  désa  streux.  Pendant  l'été  de  l'année 
suivante  (1198),  l'archevêque  Conrad  et  les  autres  princes  et  sei- 
gneurs se  virent  à  leur  tour  obligés  au  départ,  et  ce  fut  unique- 
ment grâce  au  comte  Simon  de  Montfort  et  aux  croisés  français 
que  Tyr  et  Saint- Jean-d' Acre  n'eurent  pas  le  sort  de  Joppé,  qui  fut 
prise  par  les  Sarrasins,  et  ses  habitants,  tous  chrétiens,  passés  au  fil 
de  l'épée.  Après  avoir  obtenu  un  armistice  de  six  ans  et  assuré 
la  sécurité  aux  pèlerins,  Simon  de  Mon  tfort,  trop  faible  pour  con- 

1.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  3-6;  Ilardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col. 
1947;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  739;  Mansi,  Conc.  amp  liss.  coll.,  t.  \^u,  co] 
698;  Innocent,  Episl.,  1.  I,  n.  63,  99.  (H.  L.1 


641.  CONCILES  DE  1198  A  1208  1221 

tiniier  la  guerre,  reprit  à  son  tour  le  chemin  de  l'Europe.  En  cette 
même  année  1198, Isabelle,  reine  de  Jérusalem,  ayant  perdu  son 
troisième  mari,  Henri  de  Champagne,  épousa  Amaury,  roi  de  Chy- 
pre. Dès  son  avènement  au  pouvoir,  le  pape  Innocent  ne  négligea 
rien  pour  soutenir  le  roi  de  Jérusalem  et  amener  les  chrétiens  de 
la  Palestine  à  lui  obéir,  pour  rétablir  la  concorde  parmi  eux,  pour 
les  décider  à  mener  une  vie  irréprochable,  afin  d'obtenir  par  là  le 
secours  de  Dieu.  En  même  temps,  il  fit  connaître  son  projet  arrêté 
de  délivrer  la  Terre  Sainte  par  une  nouvelle  croisade  et,  dans  ce  but, 
l^94j  il  écrivit  un  nombre  presque  infini  de  lettres  aux  rois,  princes, 
comtes,  seigneurs,  évêques  et  abbés,  aux  laïcs  et  clercs  d'Occi- 
dent. On  le  voit  tour  à  tour  se  plaindre,  exhorter,  stimuler, 
appeler  au  secours  de  la  Terre  Sainte,  promettre  dans  ce  but 
toutes  les  grâces  de  l'Église  ^  D'après  ces  lettres,  tout  état, 
mais  surtout  le  clergé,  devait  faire  des  sacrifices  à  cette  intention. 
Innocent  lui-même  commença  par  répandre  de  grandes  largesses 
et  prit  toute  une  série  de  mesures  en  vue  de  faciliter  l'entreprise; 
il  s'efforça  surtout  de  gagner  à  son  projet  l'empereur  de  Cons- 
tantinople,  Alexis  III,  qui  manifestait  du  reste  un  vif  désir  de 
rétablir  l'union  des  Églises.  Le  pape  espéra  qu'il  réparerait  le 
tort  causé  par  ses  prédécesseurs  à  la  grande  cause  des  croisades. 
Comme  chefs  de  l'expédition.  Innocent  désigna  les  deux  cardinaux 
SofFred  de  Sainte-Praxède  et  Pierre  de  Sancta  Maria  irn^iaLata. 
Il  leur  imposa  lui-même  la  croix  et  les  envoya,  le  premier  à  Venise, 
le  second  en  France  et  en  Angleterre,  recruter  des  combattants 
et  recueillir  de  l'argent  pour  la  guerre  sainte.  Il  engagea  les  arche- 
vêques à  tenir  dans  le  même  but  des  synodes  provinciaux,  et 
exhorta  les  rois  Philippe-Auguste  et  Richard  Cœur  de  Lion  à 
conclure  entre  eux  la  paix,  ou  du  moins  un  armistice  de  cinq  ans, 
afin  de  tourner  contre  les  Sarrasins  ce  glaive  qu'ils  ne  savaient 
tirer  que  l'un  contre  l'autre.  Le  cardinal-légat  Pierre  parvint,  dans 
un  synode  tenu  en  1199  entre  Vernon  et  les  Andelys,  sur  les  limites 
de  la  France  et  de  la  Normandie  ^,  à  faire  conclure  l'armistice  de- 
mandé parinnocent  ;mais  cet  armistice  ne  dura  guère, malgré  la  con- 


1.  L.  Bréhier,  U  Eglise  et  l'Orienl  au  moyen  âge.  Les  croisades  iii-12,  Paris, 
1907,  p.  144-150.  (H.  L.) 

2.  13  janvier.  Rigord,  Liber,  édit.  Delaborde,  t.  i,  p.  144;  Roger  de  Howeden, 
Chronica,  édit.  Stubbs,  t.  iv,  p.  79-80;  H.  Froidevaux,  Deregiis  conciliis  Phi- 
lippo  II  Auguste  régnante  habitis,  in-8,  Paris    1891,  p.  97. 


1222  LIVRE     XXXV 

firmation  papale. Dans  ce  morne  synode,  les  deux  rois  instituèrent 
une  commission  pour  examiner  si  les  censures  (  à  raison  des  attein- 
tes portées  aux  biens  des  Églises)  décrétées  par  Walter,  archevêque 
de  Rouen,  étaient  légitimes.  Le  pape  rejeta  cette  commission  et 
déclara  que  l'archevêque  avait  pleine  juridiction  dans  sa  province^. 
En  1199,  le  pape  Innocent  III  convoqua  l'important  concile  de 
Diocléa  en  Dalmatie  ^.  Siméon  Etienne,  grand-schupan  de  Serbie, 
s'était  rendu  maître  de  la  Dalmatie,  de  Diocléa,  de  Tribur- 
nia,  etc.,  et  avait  pris  le  titre  de  roi  de  Rascia.  A  sa  mort,  lui 
succéda  son  fils  aîné  Etienne;  mais  celui-ci, vaincu  par  Emerich, 
roi  de  Hongrie,  dut  abandonner  la  couronne  à  son  jeune  frère 
Vulcain  ^,  Etienne  et  Vulcain  finirent  par  conclure  la  paix  aux  [795] 
conditions  suivantes  :  Vulcain  devait  être  roi  de  Dalmatie 
et  de  Diocléa,  et  Etienne  grand-schupan  de  Rascia.  Très  dé- 
voués à  l'Eglise  catholique,  ils  formèrent  le  projet  de  détacher 
leurs  sujets  de  l'Eglise  de  Byzance  pour  les  rattacher  à  celle  de 
Rome.  Aussi,  presque  aussitôt  après  l'avènement  d'Innocent  III, 
ils  lui  demandèrent  d'envoyer  des  légats  dans  leur  pays  pour 
régulariser  la  situation  de  l'Église.  Le  pape  accepta  avec 
joie  cette  proposition  et,  au  début  de  1199,  chargea  Jean 
de  Casemario,  sacriste  pontifical,  prœpositus  sacello  ponti- 
ficio,  et  le  sous-diacre  Siméon,  de  porter  ses  lettres  à  Vulcain  et 
à  sa  femme,  au  grand-schupan  Etienne  et  à  sa  femme,  à  Jean, 
archevêque  de  Diocléa,  et  à  tous  les  autres  archevêques,  évêques 
et  abbés  du  pays.  Les  messagers  furent  bien  accueillis  :  ils  remirent 
le  pallium  à  l'archevêque  de  Diocléa,  et  en  cette  même  année 
1199  (il  n'est  pas  possible  de  préciser  la  date),  ils  tinrent  à 
Diocléa  un  concile  provincial  dont  nous  possédons  les  actes.  Les 
légats  commencèrent  par  prohiber  la  simonie  et  introduire  le 
célibat    ecclésiastique,    jusqu'alors    peu    en    honneur   en    Serbie. 


1.  Bessin,  Conc.  Rolomag.,  1717,  l.  i,  p.  102;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,.  col.  743; 
Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col.  1951;  Mansi,  Conc.  ampUss.  coll., 
t.  XXII,  col.  697;  Hurter,  op.  cit.,  t.  i,  p.  196  sq.,  205  sq. 

2.  Antivari  (Ante,  Bari)  en  Albanie.  Farlati,  lllyricum  sacrum,  t.  vu,  p.  8-190, 
292;  t.  VI,  p.  435;  t.  viii,  p.  45;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  743;  Hardouin, 
Conc.  coll.,  t.  VI,  part.  1,  col.  195  sq.;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  1748, 
t.  Il,  col.  779;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  706. 

3.  Salbas,  le  troisième  frère,  devint  moine  et  plus  tard   archevêque   de    Ser- 
bie; après  sa  mort^  il  fut  le  saint  national  de  ce  pays. 


G'il.     CONCILES     DE     1108    A     1208  1223 

Les  prêtres  cl  les  diacres  mariés  avant  la  réception  des  saints 
ordres  furent  autorisés  à  garder  leurs  églises,  à  condition  que  leurs 
femmes  émissent  entre  les  mains  de  l'évêque  le  vœu  de  chas- 
teté; sinon,  ces  clercs  pouvaient  garder  leurs  femmes,  mais 
non  leurs  églises.  Par  contre,  les  mariages  conclus  par  des 
clercs  après  la  collation  des  ordres  étaient  déclarés  nuls  et  sans 
valeur.  On  prescrivit  aux  évéques  de  ne  conférer  à  l'avenir  les 
ordres  qu'aux  quatre-temps  et  en  faisant  observer  les  inter- 
stices. La  dîme  devait  être  partagée  en  quatre  parts,  pour 
l'évêque,  l'église,  les  pauvres  et  le  clergé.  La  violation  du  secret 
de  la  confession  et  d'autres  fautes  graves  furent  prohibées  sous 
peine  d'une  déposition  absolue.  On  menaça  d'excommunication 
quiconque  lèverait  la  main  contre  un  clerc;  on  déclara  tout  mem- 
bre du  clergé  exempt  du  tribunal  séculier  ;  on  défendit  les  mariages 
entre  parents  jusqu'au  septième  degré;  la  collation  des  églises 
par  les  laïcs  fut  déclarée  de  nulle  valeur.  On  prescrivit  la  mise 
en  liberté  de  tous  les  chrétiens  latins  retenus  en  esclavage.  On  fixa 
l'âge  de  trente  ans  pour  recevoir  la  prêtrise,  etc.  Dominique,  évê- 
que  de  Sfacia,  Suacinum,  ayant  été  accusé  de  meurtre,  une  enquête 
fut  ordonnée  sur  ce  point.  L'évêque  nia  d'abord  le  fait,  mais  le 
lendemain  il  déposa  volontairement  les  insignes  épiscopaux  aux 
[796]   pieds  des  légats  ^. 

Deux  autres  conciles  également  célébrés  en  1199,  l'un  à  West- 
minster, l'autre  à  Constantinople  (celui-ci  pour  une  question  de 
mariage),  sont  peu  importants  et  d'ailleurs  fort  peu  connus  ^. 
L'année  suivante,  il  se  tint  encore  à  Westminster  un  synode  sous 
la  présidence  de  Hubert,  archevêque  de  Cantorbéry.  Cette  as- 
semblée décréta  quatorze  canons  en  partie  empruntés  au  concile 
de  Latran  de  1179.  Chacun  de  ces  canons  se  termine  par  ces  mots  : 
Saho  in  omnibus  SS.  romanse  Ecclesiss  honore  et  prii>ilegio.  Les 
voici  en  résumé  : 

1.  Les  prêtres  qui  disent  la  messe  doivent  prononcer  intégra- 
lement et  exactement  les  paroles  du  canon,  ni  trop  vite  ni  trop 
lentement,  et  ne  pas  s'arrêter  aux    distractions;  de  même    pour 


1.  Mansi,  Conc.  ainpliss.  coll.,  t.  xxii.  col  694,  697. 

2.  Raynaldi,  Annales,  1646,  ad. ami.  1200,  n.  16-17;  Labbe,  Concilia,  t.  xi, 
col.  13-20;  Hardouin,  Conr.  coll.,  I.  vi,  part.  2,  col.  1957;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii, 
col.  751;  Wilkins,  Conc.  Britann.,  l.  i,  col.  505-508;  Mansi,  Conc.  amplisn.  coll., 
t.  XXII,  col    1714.   (H.  L.  ) 


1224  LIVRE     XXXV 

les    heures    canoniales,    etc.    Le    clerc    qui    ne     s'amenderait    pas 
après  trois  avertissements   sera    frappé  de  suspense. 

2.  Aucun  prêtre  ne  doit  dire  deux  messes  le  même  jour,  si  ce 
n'est  dans  les  cas  de  nécessité,  auquel  cas  il  ne  devra  pas,  lors  de 
la  première  messe,  purifier  le  calice  en  y  mettant  du  vin.  Il 
devra  se  purifier  les  doigts  avec  sa  langue;  l'ablution  sera  con- 
servée dans  un  vase,  pour  être  bue  après  la  seconde  messe,  à  moins 
qu'il  ne  se  trouve  un  diacre  ou  un  autre  servant  qui  puisse  con- 
sommer l'ablution  dès  la  première  messe.  L'eucharistie  sera 
gardée  dans  un  vase  propre  et  convenable;  on  recouvrira  ce  vase 
d'un  linge  de  lin  fin  pour  porter  la  sainte  communion  aux  malades, 
et  si  ceux-ci  ne  sont  pas  trop  éloignés,  le  prêtre  se  fera  précéder 
de  la  croix  et  de  lanternes.  Les  hosties  doivent  être  renouvelées 
chaque  dimanche.  On  ne  doit  jamais  apporter  en  secret  l'eucha- 
ristie à  qui  ne  la  demande  pas;  mais  on  la  portera  publique- 
ment à  quiconque  la  demandera  clairement,  sauf  s'il  était  cou- 
pable d'un  crime  notoire. 

3.  Le  baptême  et  la  confirmation  doivent  être  conférés  à  toute 
personne,  sï  on  n'est  pas  sûr  qu'elle  ait  reçu  ces  sacrements.  Le 
père,  la  mère,  le  beau-père  et  la  belle-mère  ne  peuvent  servir  de 
parrains  pour  la  confirmation.  Les  diacres  ne  peuvent  ni  baptiser 
ni  imposer  la  pénitence,  si  ce  n'est  en  danger  de  mort  et  en  l'ab- 
sence de  tout  prêtre.  Si,  en  cas  de  nécessité,  un  enfant  a  été 
baptisé  par  un  laïc,  le  prêtre  devra' ensuite  suppléer  les  cérémo- 
nies qui  suivent  l'immersion,  mais  non  celles  qui  la  précèdent.  Si, 
en  cas  de  nécessité,  un  enfant  reçoit  le  baptême  des  mains  de 
son  père  ou  de  sa  mère,  il  n'en  résultera  aucune  restriction  au 
commerce  conjugal.  ['^Q'] 

4.  En  donnant  la  pénitence,  les  prêtres  doivent  considérer 
attentivement  les  circonstances,  la  qualité  des  personnes  et  la 
grandeur  du  méfait.  Ils  auront  soin  de  ne  jamais  imposer  à  une 
personne  mariée  une  pénitence  qui  pourrait  faire  naître  des  soup- 
çons à  l'autre  conjoint. Un  prêtre  tombé  dans  une  faute  ne  pourra 
pas  dire  la  messe  avant  de  s'être  confessé.  On  ne  devra  jamais 
imposer  comme  pénitence  à  un  laïc  de  faire  célébrer  un  certain 
nombre  de  messes. 

5.  Les  supérieurs  ecclésiastiques  ne  doivent  pas  molester  leurs 
inférieurs  ^. 

1.  Coiic.  Laterati.,  1179,  eau.  4. 


641.    CONCILES    DE    1198    A    1208  1225 

6.  Nul  ne  doit  otre  ordonné  s'il  n'a  un  litre  ^ 

7.  Nul  ne    doit  être  excommunié  à    la    légère  2;  au   contraire, 
pour  inspirer  une  juste  terreur  aux  méchants,   on  doit  prononcer 
chaque  année  solennellement  l'excommunication  générale  contre 
les  augures,  les  parjures,   les  incendiaires,  les  voleurs  et   les    bri- 
gands. 

8.  On  ne  doit  rien  exiger  pour  l'administration  des  sacre- 
ments ^. 

9.  On  doit  prélever  intégralement  la  dîme,  sans  en  rien  retirer 
pour  payer  les  moissonneurs  ou  les  domestiques.  Les  prêtres 
devront  excommunier  tous  ceux  qui  les  tromperont  au  sujet  des 
dîmes.  Quant  aux  terres  nouvellement  défrichées,  la  dîme  en  sera 
exclusivement  réservée  à  l'église  paroissiale  du  district.  Quiconque 
garde  la  dîme  sera  frappé  d'anathème,  s'il  ne  s'amende  pas  après 
trois  admonestations  successives. 

10.  Sur  la  conduite  des  clercs  ^. 

11.  Aucun  homme  ne  peut  épouser  une  parente  de  sa  pre- 
mière femme,  ni  aucune  femme  un  parent  de  son  premier 
mari.  Nul  ne  peut  épouser  la  fille  de  son  parrain  ou  de  la  per- 
sonne qui  lui  a  donné  le  baptême.  Aucun  mariage  ne  sera  conclu 
avant  qu'on  ne  l'ait  annoncé  trois  fois  dans  l'église.  On  ne  doit 
pas  marier  des  personnes  inconnues;  tout  mariage  doit  avoir 
lieu  en  public,  in  facie  Ecclesise  et  prsesente  sacerdote.  Aucune 
personne  mariée  ne  pourra  entreprendre  un  grand  voyage  sans 
l'assentiment  de  l'autre  conjoint. 

12.  Quiconque  est  généralement  soupçonné  d'un  crime  qu'on 
ne  peut  prouver,  devra  être  exhorté  par  trois  fois  à  confesser  sa 
faute  et  à  donner  satisfaction.  S'il  ne  le  fait  pas,  on  lui  donnera 
pour  se  purger  un  délai  qui  ne  pourra  jamais  être  prolongé  à  prix 
d'argent. 

13.  Les  lépreux  doivent  avoir  une  église  particulière  ■''. 

14.  On  renouvelle  les  canons  9  et  10  du  synode  de  Latran 
sur  les  ordres  de  chevalerie  et  sur  les  moines;  on  y  ajoute  que 
les  moines,  chanoines  et   religieuses,  habitués  à  se  vêtir  de  noir, 


1.  Conc.  Laleran.,  1179,  caii.  5. 

2.  Ibid.,  caii.  (i. 

3.  Ibid..  can.  7. 
k.  Ibid.,  can.  11. 
5.  Ibid.,  can.   23. 


1226 


LIVRE       XXXV 


ne  doivent  porter  aucun  manteau  de  couleur  {cappœ),  mais  seu- 
lement des  coopertoria  blancs  ou  noirs,  en  peaux  d'agneau,  de 
chat  ou  de  renard.  Les  moines  et  religieux  ne  doivent  ni  se 
faire  escorter  d'une  garde  ni  quitter  le  couvent.  Dans  chaque  [798] 
église  appartenant  à  un  couvent  l'évêque  placera  un  vicaire, 
auquel  il  assurera  un  traitement  convenable  sur  les  revenus  de 
cette  église. 

Voyant  l'inutilité  de  ses  efforts  pour  dissoudre  l'union  illégi- 
time du  roi  de  France  avec  Agnès  de  M  ér  a  nie,  le  cardinal-légat 
Pierre  réunit,  le  6  décembre  1199,  à  Dijon,  un  grand  concile  qui 
dura  sept  jours  et  s'occupa  surtout  de  l'interdit  dont  le  légat 
avait  déjà  menacé  de  frapper  la  France  ^,  Plusieurs  bourgeois 
de  la  Charité-sur-Loire  furent  absous  dans  cette  assemblée  de 
l'excommunication  encourue  pour  soupçon  d'hérésie.  Afin  d'éviter 
cette  sentence  d'interdit  de  plus  en  plus  menaçante,  Philippe- 
Auguste  avait  envoyé  une  ambassade  spéciale  à  Rome.  Mais, 
sans  se  laisser  arrêter  par  cette  manœuvre,  le  légat  décida  que 
l'interdit  serait  décrété  le  vingtième  jour  après  Noël,  14  jan- 
vier 1200,  dans  un  nouveau  concile  célébré  à  Vienne  ^,  et  que 
la  proclamation  aurait  lieu  au  nom  du  concile  de  Dijon;  ce 
qui  fut  fait.  Vienne  fut  probablement  choisie  parce  que,  faisant 
partie  de  la  Bourgogne,  elle  appartenait  alors,  non  pas  à  la 
France,  mais  à  l'Allemagne.  Plusieurs  évêques  français  assistè- 
rent à  ce  concile  de  Vienne,  et  on  donna  par  écrit  aux  absents 
connaissance  de  l'interdit,  en  menaçant  de  suspense  quiconque 
ne  s'y  conformerait  pas  ^.  Plusieurs  évêques    français    s'adresse-   [799] 


1.  Coll.  regia,  t.  xxvii,  col.  84;  Labbe^  Concilia,  t.  xi,  cul.  ll-l;];  llardoiiin, 
Conc.  coll.,  l.  VI,  part.  2,  col.  1955;  Martène,  Thés.  nov.  aiiecd.,  t.  iv,  col.  147- 
148;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  747;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  ii,  col.  777; 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  708;  Gira\i\t,  Discussion  historique  sur  le  con- 
cile tenu  à  Dijon  en  1199  et  sur  les  clironiques  de  Saint-Bénigne,  dans  Acad.  des  ^t 
sciences  de  Dijon,  1818^  p.  132.  (H.  L.) 

2.  Labbe^  Concilia,  t.  xi  col.  11-13;  Ilardouin,  Conc.  co//.,  t.  vi,  part.  2,  col. 
1955;  Coleti,  Concilia,  t.  kïu,  col.  747;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  l.  ii,  col. 
777;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  708.  (H.  L.) 

3.  Voici  la  formule  de  l'interdit  :  Omnes  ecclesice  sint  clausie,  nec  aliquis  adinilta- 
lur  in  cisnisi  ad  pari^ulos  baplizandos,  nec  aliqualenus  aperiantur,  nisi  pro  lumina- 
ribus  accendendis,  vel  quando  sacerdos  accipiet  eucharistiam  et  aquam  henedi- 
clam  ad  opus  infinnorum.  Sustinemus  missam  semel  in  hebdomada  celebrari  in 
die  Veneris  suinmo  mane  pro  eucliaristia  ad  opus  inftrmoruni,  adniisso  uno  solo 


1 


6'il.  CONCILES  DE  1198  A  1208  1227 

rent  au  pape,  afin  de  différer  la  pu])licalion  de  l'interdit.  Inno- 
cent n'approuva  pas  ces  délais  et,  à  l'exception  de  Hugues, 
évêque  d'Auxerre,  tous  les  évêques  obéirent,  quoique  le  roi  les 
molestât,  les  maltraitât  même  et  en  chassât  un  grand  nombre. 
Philippe  était  si  irrité  qu'il  estima  Saladin  très  heureux  a  de 
n'avoir  aiîaire  à  aucun  pape.»  L'union  du  pape  et  des  évêques 
(l'oncle  du  roi  Guillaume,  archevêque  de  Reims,  qui  avait  prononcé 
la  rupture  du  mariage  avec  Ingeburge,  s'était  rétracté)  et  aussi 
la  crainte  qu'avait  le  roi  de  se  voir  excommunié  amenèrent  enfin 
ce  dernier  à  nouer  des  négociations  avec  Rome  et  à  se  soumettre  ^. 
Innocent  envoya  comme  légat  en  France  (été  de  1200)  Octavien, 
cardinal-évêque  d'Ostie,  parent  du  roi  de  France  :  il  avait  pour 
mission  de  lever  la  sentence  d'interdit  si,  auparavant,  le  roi  don- 

clerico,  qui  sacerdoti  ministrat.  Preedicenl  sacerdotes  diehus  dominicis  in  atriis, 
et  loco  jnissœ  dissenïinent  verhum  Dei.  Horas  canonicas  dicant  extra  ecclesias, 
non  audieniihus  laicis;  si  dicant  epistolam  vel  euangelium,  caveant  ne  audian- 
tur  a  laicis,  nec  in  cimiterio  supra  terram  vel  infra  permiitant  corpus  sepe- 
liri.  Dicant  prœterea  laicis,  quod  ipsi  graviter  peccant  et  excedunt  tumulando 
corpora  in  terris  [terra]  etiam  non  henedicta,  alienum  sibi  ofpcium  in  hac 
parte  usurpando.  Prohiheant  parochianis  suis  intrare  ecclesias  apertas  in  terra 
doniiiii  régis  (le  roi  ne  fit  pas  fermer  les  églises  qui  étaient  sur  son  domaine), 
non  henedicant  peras  père grinorum  nisi  extra  ecclesiam.  In  septimana  psenosa 
(semaine  sainte)  non  célèbrent,  sed  usque  in  diem  Paschse  celebrare  differaiitj 
et  tune  célèbrent  prii>ate,  nullo  admisso  nisi  uno  clerico,  sicut  superius  est  expres- 
sum;  nec  communicet  aliquis  etiam  in  Pascha,  nisi  infirmus  in  periculo  mortis. 
In  eadem  septimana  vel  in  ramis  palmarum  parochianis  prœdicent,  ut  die 
Paschse  mane  coni>eniant  ante  ecclesiam,  et  dabitur  eis  licentia  comedendi  carnes, 
panem  benedictum  diei.  Firmiter  prohibentur ,  mulieres  in  ecclesia  ad  purifica- 
tionem  ne  admittant,  sed  eas  moneant,  ut  die  purifie ationi s  congregatis  vicinis 
suis  orent  extra  ecclesiam,  nec  intrent  ecclesiam  mulieres,  quse  purificandx  erant 
etiam  ad  levandos  de  sacro  fonte  parvulos  baptizandos,  donec  post  interdictum 
inlromittantur  per  sacerdotem.  Omni  petenti  dent  pœnitentias  in  porticu  ecclesiœ; 
si  tum  ecclesia  non  habuerit  porticum,  sustinemus,  ut  in  limine  proximioris  portée 
ecclesia',  quse  pro  intempérie  aeris  et  pluvise  aperiri  poterit,  et  non  aliter  dent  pœni- 
tentias, omnibus  exclusis  prseter  illum  et  illam,  quœ  confitebitur ,  ita  quod  sacerdos 
et  confitens  possit  audiri  ab  illis,  qui  fuerint  extra  ecclesiam.  Si  tamen  serenum 
fuerit  tempus,  dentur  psenitentise  ante  januas  ecclesise  clausse.  Non  ponantur  extra 
ecclesiam  vasa  cum  aqua  henedicta,  nec  clerici  ferant  aquam  benedictam,  cum  omnia 
sacramenta  ecclesiastica  prseter  illa  duo,  quœ  excepta  sunt,  constet  esse  prohibila. 
Extremam  unctionem,  quse  maximum  est  sacramentum,  non   licct  dure. 

1.  Sur  l'aspect  du  royaume  pendant  l'interdit  et  le  mécontentement  grandis- 
sant qui  força  le  roi  à  se  soumettre,  voir  l'ancienne  et  très  satisfaisante  disser- 
tation de  H.  Géraud,  Ingeburge  de  Danemark,  dans  la  Bibliothèque  de  V  École 
des  chartes,  t.  v.  (H.  L.) 


1228  LIVRE     XXXV 

liait  des  compensations  aux  clercs  maltraités,  renvoyait  Agnès 
et  reprenait  Ingeburge.  Tout  étant  rétabli,  le  légat  devait,  si  le 
roi  le  demandait  absolument,  examiner  au  point  de  vue  du 
droit  la  validité  de  son  mariage  avec  Ingeburge.  Philippe-Auguste 
ayant  rempli  ces  conditions,  sinon  intégralement,  du  moins  de 
manière  satisfaisante,  dans  une  réunion  des  grands  du  royaume, 
près  de  Saint-Léger,  à  Nesle  (en  Vermandois),  l'interdit  fut  [800] 
levé  le  7  septembre  1200  ^.  Le  roi  persistant  à  soutenir  que  son 
mariage  avec  Ingeburge  devait  être  cassé  pour  cause  de  parenté, 
le  légat  décida  qu'au  bout  de  six  mois,  six  semaines  et  six  jours, 
cette  affaire  serait  examinée  avec  le  plus  grand  soin  dans  un  concile 
de  Soissons^.  Le  pape  avait  réclamé  qu'Agnès  sortît  du  royaume; 
mais  on  se  borna  à  l'éloigner  du  voisinage  du  roi,  car  elle  était 
sur  le  point  d'accoucher  et  ne  pouvait  voyager.  Ingeburge  ne 
reçut  qu'un  moment  les  honneurs  royaux  à  Saint-Léger;  elle  fut 
aussitôt  conduite  à  Étampes  et  traitée  en  prisonnière.  Sur  ses 
plaintes,  le  pape  engagea  le  légat  à  exécuter  avec  plus  de  fidélité 
ses  instructions.  Il  écrivit  à  Ingeburge  et  à  son  frère  le  roi  de 
Danemark,  demandant  à  ce  dernier  d'envoyer  des  ambassadeurs 
à  Soissons  et  de  tout  faire  pour  protéger  sa  sœur.  Des  lettres 
furent  aussi  adressées  à  Philippe-Auguste,  afin  de  toucher  son 
cœur  à  l'égard  de  sa    femme. 

Le  2  mars  1201,  le  légat  ouvrit  le  synode  de  Soissons.  Le  roi 
et  Ingeburge  y  assistèrent  en  personne;  le  premier  y  vint  avec 
une  foule  de  jurisconsultes.  Le  roi  Knut  députa  quelques  évêques 
et  gens  de  savoir  pour  défendre  sa  sœur;    dès  le  début  des  délibé- 


1.  Nesle^  arrondissement  de  Péronne  (Somme).  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  20- 
21;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col.  1963;  Coleti,  Concilia,  l.  xiii,  col. 
759;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  722;  P.  de  Cagny,  Réhabililctlion 
du  concile  national  de  Nesle  en  Vermandois,  dans  ïe  Bull.de  la  Soc.  des  antiq.  de 
Picardie,  1877,  t.  xvi,  p.  308-310;  Dubamel,  dans  même  recueil,  1889,  t.  xviii, 
p.  23-24;  H.  Froidevaux,  De  regiis  conciliis  Philippo  II  Augusto  régnante  liabi- 
tis,  1891,  p.  98,  n.  62.  (H.  L.) 

2.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  22-23;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col. 
1963;  Coleti,  Concilia,  t.  xni,  col.  773;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col. 
728-738;  Innocent  III,  Epist.,  1.  III,  n.  13-18,  P.  L.,  t.  ccxiv,  col.  884  sq.  ;  Hur- 
ter,  Gesch.  d.  Innocenz  III,  t.  i,  p.  381-404,  439  sq.  ;  Rigord,  Liber,  édit.  Dela- 
borde,  t.  i,  p.  149;  Roger  de  Howeden,  Chronica,  édit.  Stubbs,  t.  iv,  p.  146-148; 
Annal,  monast.  Aquicinclensis,  dans  Bouquet,  Hec.  des  hisl.  de  la  France,  t.  xviii, 
p.  553;  L.  Delisle,  Catalogue  des  actes  de  Philippe-Auguste,  n.  667,  p.  502-503. 
(H.  L.) 


6'il.  coNGir.ES   DR  1198   A    1208  1229 

rations,  ces   Danois  émirent  un  aj^pel  au   pape,  n'ayant  aucune 
confiance  dans  le  létrat.  On  leur  demanda  d'attendre  l'arrivée  du 
cardinal  Jean  de  Paul,  ([ue  le  pape  envoyait  également  à  Soissons, 
mais  ils  n'en   firent   rien  et  se   mirent  immédiatement  en  route. 
Trois  jours  plus    tard,   le    cardinal    Jean    arriva   et    prit   la    pré- 
sidence du  concile;    pendant  quatorze  jours,  on    délibéra    sur   la 
valeur  du    mariage   du   roi  avec    Ingeburge.    Lorsque  le   cardinal 
Jean    voulut   rendre    sa    sentence,    le   roi   déclara    spontanément 
qu'il  voulait  reconnaître  Ingeburge  pour  sa  femme  et  que  jamais 
plus   il   ne   s'en   séparerait.    Aussitôt   il   monta   à   cheval   devant 
l'abbaye   où   il  était  descendu,   fit  monter   Ingeburge  en  croupe 
derrière  lui  et  sortit  au  galop  de  Soissons.  Le  concile  fut  dissous. 
C'était  précisément  ce  que  voulait  le  roi;    il  avait  usé    de   ruse, 
car  aussitôt  après  Ingeburge    fut    de    nouveau   enfermée.    Agnès 
mourut,  cette  même  année,  au  château  de  Poissy,  près  de  Paris, 
et,  au  grand  scandale  de  plusieurs,  le  pape  déclara,  à  la  demande 
du  roi,  les  deux  enfants  Philippe  et  Marie,  issus  de  l'union  d'Agnès 
[801]  et  de  Philippe-Auguste,  légitimes  et  aptes   à   succéder   au   trône, 
par  la  raison  qu'après  la  sentence  de  dissolution  prononcée    par 
l'archevêque    de    Reims,    le   roi   avait    conclu    de   bonne    foi    un 
nouveau  mariage. 

Le  cardinal  Jean  revint  à  Rome;  Octavien  resta  en  France. 
En  1201,  il  célébra  à  Paris  un  concile,  dans  lequel  le  chevalier 
Evrau,  intendant  du  comte  de  Nevers,  convaincu  de  professer 
l'hérésie  des  bulgares  (cathares),  fut  livré  au  bras  séculier,  qui 
le  condamna  à  être  brûlé  ^.  Le  6  décembre  de  la  même  année,  un 
concile  célébré  à  Perth-sur-la-Tay,  en  Ecosse,  et  présidé  par  Jean, 
cardinal-légat  de  Saint-Etienne,  régla  un  différend  entre  les 
moines  de  Kelsoé-sur-la-Tweed  et  les  évêques  de  Saint-André  et 
de  Glasgow,  au  sujet  de  la  possession  de  quelques  églises.  On 
ne  sait  si  ce  fut  ce  synode  ou  un  autre  synode  écossais  qui  s'occupa 
d'une  prétendue  lettre  tombée  du  ciel  et  concernant  la  sanctifica- 
tion du  dimanche  ^. 

1.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  24;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col.  1569; 
Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  775;  Mansi,  Conc.  ampl.  coll.,  t.  xxii,  col.  740. 
(H.  L.) 

2.  \Yilkiiis^  Conc.  Britann.,  t.  i,  col.  508;  M&n^i,  Concilia,  Supplem.,  (.  ii,  col. 
783;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  740;  D.  Dalrymple,  Ilistorical  memoriah 
concerning  the  provincial  councils  of  the  Scotish  clergy,  dans  Annals  of  Scotland, 
Edimbourg,  1797,  t.  m,  p.  208.   (H.   L.) 


1230  LIVRE     XXXV 

Quelques  années  avant  sa  mort,  Richard    Cœur  de  Lion  avait 
désigné  pour  successeur    son    neveu  Arthur,  fils  de  Godefroy,  son 
frère  défunt;  mais  il  changea  ensuite  de  sentiment  et  nomma  pour 
lui  succéder  son  jeune  frère  Jean.  Celui-ci  fut  en  effet    reconnu, 
sauf    par  la    Bretagne  et  les  comtés    d'Anjou,    du    Maine    et    de 
Touraine,  qui    prêtèrent    serment    au    prince    Arthur.    La    mère 
de  ce  dernier  lui  procura  la  protection  du  roi  de  France,  suze- 
rain supérieur,    qui    ne    vit    dans    cette    affaire    qu'une    occasion 
favorable    de    continuer    la    guerre    contre    son    puissant    vassal. 
Quoique  une  première  paix  eût  été  conclue  en  1200,1a  guerre  se 
ralluma   plus  féroce,   plus   terrible  que  jamais   (Pâques  1202).  La 
mollesse  de  Jean  et  la  réprobation  universelle  qu'il  s'attira  pour 
avoir  massacré  de  ses  propres  mains  son  neveu  Arthur   lui   firent 
perdre  l'une  après  l'autre  au  profit  de  Philippe-Auguste  ses  pro- 
vinces du  continent.  En  sa  qualité  de  suzerain,  le  roi  de  France 
avait  cité  à  son  tribunal  Jean  sans    Terre,  pour  y  répondre  de  la 
mort  d'Arthur.  Contumace,  la  guerre  contre  lui  devint  légitime. 
Le  roi  d'Angleterre,  cherchant  partout  du  secours,  s'adressa  au 
pape,  qui,  en  1203,  députa  en  France  l'abbé  des  cisterciens,  Jean 
de  Casamari  pour  y  négocier  la  paix.  Nous  savons  le  zèle  qu'Inno-   [802] 
cent  déploya  dans  cette  affaire,  par  ses  lettres  163    à   167  dans 
le  sixième  livre  de   son  registre.   L'année  suivante  (1204),  Inno- 
cent    écrivit    à    tous    les    évêques    de    France    qu'il    ne    voulait 
nullement    réduire  la  juridiction  du  roi  de  France    (sur  ses  vas- 
saux), et  qu'il  s'agissait  non   de    feudo,    mais  de  peccato.    Chacun 
savait  que  le    pape  a  qualité  pour  blâmer  tout  chrétien  coupable 
d'une  faute  mortelle,  et  le  punir  au   besoin,  le  coupable  fût-il  roi. 
Or,  ici  il  s'agissait   d'une   faute,     à    savoir   de    la    violation    d'un 
serment   prêté    pour    assurer  la   paix  et  l'exécution  d'un  traité. 
Aussi  l'abbé  de  Casamari  avait-il  pour  mission  d'engager  le  roi  à 
conclure  avec   Jean  un  nouveau  traité,  ou  du  moins  une  trêve. 
S'il   n'y  pouvait  réussir,  le   pape    demandait   au   roi   que    l'abbé 
des  cisterciens    examinât,    d'accord   avec  l'archevêque  de    Bour- 
ges,   si   les   plaintes    du    roi    d'Angleterre  étaient  fondées;    Inno- 
cent   III    écrivit    dans    le    même    sens    à  l'abbé  de    Casamari  ^. 
Après  avoir  négocié  en  vain    pendant  une  année  entière,    tantôt 
avec    le   roi     de    France,   tantôt   avec  le  roi    d'Angleterre,    l'en- 
voyé du  pape    se  décida   à  célébrer  en   1204,  à  Meaux,  un  grand 

1.  Innocent  III,  EpisL,    1.    VII,  n.  42,    44. 


641.    CONCILES    DE     1198    A    1208  1231 

concile  auquel  le  roi  Jean  ne  se  fit  pas  représenter,  et  que  les 
prélats  français  n'acceptèrent  pas  non  plus,  car  ils  en  appelèrent 
aussitôt  à  Rome.  Casamari  accueillit  cet  appel,  à  condition 
que  chaque  prélat  français  consentirait  d'avance  à  être  sus- 
pens, si  l'appel  n'était  pas  exécuté  dans  le  délai  fixé.  De  son 
côté,  le  pape  décida  qu'il  suffirait  que  quelques  évêques  fran- 
çais vinssent  à  Rome  au  nom  de  tous,  en  même  temps  que 
les  fondés  de  pouvoirs  du  roi  d'Angleterre,  Mais  Jean  n'en- 
voya pas  de  représentants,  ce  qui  refroidit  le  zèle  du  pape 
pour  ses  intérêts,  d'autant  que  les  évêques  français  venus  à 
Rome  protestèrent  qu'ils  étaient  pleinement  convaincus  du 
bon  droit  de  leur  souverain.  Le  résultat  final  fut  qu'en  1206 
le  roi  Jean  sans  Terre  ne  possédait  plus  une  seule  ville  sur  le 
continent  ^. 

Prescjue  en  même  temps  que  le  synode  de  Meaux,  se  tint  celui 
d'Antioche,  réuni  par  le  légat  Pierre  de  Saint-Marcel,  L'Ar- 
ménie était  alors  gouvernée  par  le  roi  Léon,  qui  s'était  adressé 
à  l'empereur  Henri  VI  pour  obtenir  le  titre  de  roi,  offrant  en  retour 
[803]  de  faire  partie  de  l'empire  romain.  Ayant  été  solennellement 
couronné  durant  la  croisade  allemande  par  Conrad  de  Wittels- 
bach,  archevêque  de  Mayence,  Léon  fit  connaître  au  pape  son 
désir  et  celui  de  son  kalholicos,  de  rétablir  l'union  avec  l'Église 
romaine.  Il  demandait  en  compensation  qu'Innocent  voulût 
bien  reconnaître  son  arrière-neveu  Rupin  comme  héritier  de  la 
principauté  d'Antioche. 

Le  comte  Raymond,  aîné  des  fils  de  Boémond  III,  prince  d'An- 
tioche, avait  épousé  une  nièce  de  Léon  et  de  ce  mariage  était  né 
Rupin,  qui,  après  la  mort  de  son  père,  avait  été  reconnu  héri- 
tier présomptif  par  les  vassaux  de  son  grand-père  et  par  son 
grand-père  lui-même.  Mais  son  oncle,  le  comte  Boémond  de 
Tripoli,  le  plus  jeune  des  fils  de  Boémond  III,  s'opposa  à  cette 
décision  et  émit  lui-même  des  prétentions  sur  Antioche,  dont 
il  chercha  à  s'emparer  par  la  force.  Innocent  III  répondit  au 
roi  qu'il  enverrait  prochainement  en  Orient  des  légats,  chargés 
d'examiner  les  prétentions  des  deux  partis.  En  attendant,  il 
expédiait  au  souverain  un  drapeau  bénit    pour    qu'il    s'en   servît 

1.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  27-70;  Hardouiii,  Conc.  cuil.,  t.  vi,  part.  2, 
col.  1069;  Coleti,  Concilia,  t.  xm,  co],  T]^;  Mansi,  Conc.  anipliss.  coll.,  t.  xxii, 
col.  746.  (H.   L.) 


1232 


LIVRE    XXXV 


dans  les  conil)ats  contre  les  infidèles,  et  il  l'engageait  à  vivre  en 
paix  avec  le  comte  de  Tripoli  ^.  La  guerre  continua  par  la  faute  de 
ce  dernier,  qui,  avec  l'aide  des  Templiers,  finit  par  s'emparer 
d'Antioche.  Pendant  ce  temps,  en  1202,  le  roi  Léon  s'unissait  à 
Rome  encore  plus  étroitement  et  obtenait  ce  privilège,  que  nul, 
sauf  le  pape,  ne  pût  prononcer  contre  l'Arménie  une  sentence 
d'excommunication  ^.  Peu  de  jours  après,  les  cardinaux-légats 
Sofî'red  et  Pierre  cherchèrent  à  terminer  le  conflit  existant  entre 
Léon  et  le  comte  de  Tripoli  et  à  amener  une  pacification  complète 
dans  toute  l'Arménie  (1203).  Le  second  but  fut  atteint,  mais  non 
le  premier,  car  le  cardinal  Pierre  fit  preuve  de  partialité  en 
faveur  du  comte  et,  dans  un  synode  célébré  à  Antioche  (1204),  il 
prononça  contre  l'Arménie  une  sentence  d'excommunication 
(c'est-à-dire  d'interdit),  nonobstant  l'appel  émis  par  Léon  ^. 

Immédiatement  après  le  synode  d'Antioche,  Mansi  place  un 
concile  tenu  à  Lambeth  en  Angleterre,  sous  la  présidence  de  l'ar- 
chevêque Etienne  Langton;  d'après  Mansi,  cette  assemblée  eut 
lieu  en  1204;  d'après  Hardouin  et  Labbe,  en  1206*.  Elle  promul- 
gua trois  canons.  En  donnant  ces  dates,  les  deux  historiens  ont 
oublié  qu'Etienne  Langton  ne  vint  en  Angleterre  comme  arche- 
vêque qu'en  1213.  Il  faut  donc  retarder  la  date  de  ce  synode,  dont 
les  trois  canons  n'ont  du  reste  aucune  importance.  On  peut  en 
dire  autant  de  deux  synodes  célébrés  à  Londres  et  à  Oxford, 
et  dans  lesquels  Etienne  Langton,  ainsi  que  l'archevêque  [804] 
d'York,  s'opposèrent  aux  exactions  pécuniaires  ordonnées  par 
le  roi  Jean.  Mansi  donne  à  tort  à  ces  synodes  la  date  de  1207  ^. 
Il  se  tint  en  1207,  apud  Vallem  Guidonis,  c'est-à-dire  à  Laval, 
un  concile  qui  prescrivit  de  composer  et  de  garder  des  archives 
indiquant  d'une  manière  exacte  le  nombre  et  la  situation  des 
biens    ecclésiastiques    ^.    Nous    reviendrons    plus    tard    sur    deux 


1.  Innocent  III,   Epist.,  1.   II,  n.   252,  253;  Hurter,  op.  cit.,  t.  i.  p.   284  sq. 

2.  Innocent  III,  Epist.,    1.  V,     n.     43-'i8. 

3.  Innocent  III,  Epist.  1.  VIII,  n.  119,  120;  Gesta,  n.  116;  Coleti,  Concilia, 
t.  XIII,  col.  781:  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  ii,  col.  787;  Conc.  ampliss.  coll., 
t.    XXII,  col.    749.     (H.  L.) 

4.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  30-31;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2, 
col.  1971;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  783;  Wilkins,  Conc.  Brilann.,  t.  i,  p.  530- 
531;   Mansi,    Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  752.   (II.  L.) 

5.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxu^    col.   758. 

6.  Ibid.,  col.  758. 


642.    COMPÉTITION      AU     TRONE     d'aLLEMAGNE  1233 

synodes  célébrés  dans  le  midi  de  la  France  au  sujet  des  affaires  des 
albigeois.  Navarrus,  évoque  de  Conserans,  présida,  en  octobre 
1208,  dans  le  monastère  de  Saint-Sever  (diocèse  d'Aire),  un 
synode  destiné  à  régler  un  différend  entre  les  habitants  du  lieu 
et  le  monastère,  au  sujet  de  certains  droits  et  redevances  ^.  Ce 
qu'on  a  appelé  le  concilium  Ardreatinum  en  Sardaigne  n'ap- 
partient pas,  en  réalité,  aux  conciles,  pas  plus  que  les  Consti- 
tutiones  du  cardinal  Galo,  augmentées  des  additions  de  Guil- 
laume,  évêque  de  Paris  ^.  Mansi  et  Labbe  placent  au  commence- 
ment du  xiii^  siècle  deux  conciles  qui  ne  méritent  guère  notre 
attention  3;  on  en.  ignore,  en  effet,  et  le  lieu  et  la  date;  leur 
existence  même  est  fort  problématique  et  leurs  canons  ne  sont 
qu'une  compilation  de  diverses  ordonnances  empruntées  à  divers 
synodes. 


642.  Compétition  au  trône  d'Allemagne  jusqu'à  la  mort 
de  Philippe  de  Souabe,   en   1208. 

De  nouveau,  l'étoile  d'Otton  avait  commencé  à  pâlir  en  Alle- 
magne. Dans  l'été  de  1203,  il  se  trouvait  à  l'apogée  de  sa  puissance  ; 
la  cause  de  Philippe  de  Souabe  semblait  perdue  sans  remède. 
Mais  des  malentendus,  des  maladresses  firent  le  plus  grand  tort 
à  Otton.  Le  pape  l'avait  souvent  averti  de  ne  pas  désaffectionner, 
comme  il  le  faisait,  ses  partisans  par  de  fâcheux  procédés.  Sous 
ce  rapport,  il  ressemblait  trop  à  son  oncle  Richard  Cœur  de  Lion, 
il  blessait  tantôt  l'un,  tantôt  l'autre  de  ses  plus  fidèles  amis.  Rien 
de  surprenant  si,  dès  l'été  de  1203,  plusieurs  de  ses  partisans  se 
laissèrent  ébranler  dans  leur  fidélité.  Lorsque,  à  Pâques  de  1204, 
[805]  Philippe  se  rendit  dans  le  nord  pour  délivrer  Goslar  et  envahit 
la  Thuringe  pour  châtier  le  landgrave  Hermann,  Otton  et 
son  frère  aîné,  le  comte  palatin  Henri,  vinrent  au  secours  du 
landgrave,     avec     de     nombreuses     troupes.     Au     moment     de 

1.  Conserans,  aujourd'hui  Saint-Liziers^  Ariège.  Mansi,  op.  cit.,  t.    xxii,   col. 
758. 

2.  Ihid.,  col.   755,  763;    Coleti,  Concilia^  t.  xiii,  col.  685  sq. 

3.  Coleti^  Concilia,  t.  xiii^  col.  759;  Mansi,  Conc.   ampliss.  coll.,  t.   xxu,  col. 
723. 

CONCILES  —  V  —78 


1234  LIVRE    XXXV 

livrer  bataille  au  sud  de  Wolfenbiittcl,  instante  hora  helli, 
comme  dit  un  ancien  chroniqueur,  Otton  fut  abandonné  par 
le  comte  palatin  Henri  qui  passa  au  parti  de  Philippe,  parce 
qu'Otton  refusait  de  lui  donner  Braunschweig.  Cette  trahison 
obligea  le  landgrave  Hermann  à  se  rendre  à  merci  (17  septembre  ■ 

1204)  et  avec  lui  le  roi  Ottocar  de  Bohême,  venu  à  son  aide  et  qui 
fut  obligé  à  son  tour  d'embrasser  le  parti  de  Philippe.  Au  mois 
de  novembre  1204,  l'archevêque  de  Cologne  abandonna  aussi 
Otton,  à  qui  il  devait  son  élévation  ^,  et  bientôt  après,  le  futur 
beau-père  d'Olton.  Henri  duc  de  Brabant,  rompit  les  fiançailles 
conclues  entre  sa  fille  et  ce  prince  et.  mettant  à  contribution  les 
bons  offices  de  Philippe,  songea  à  la  marier  au  jeune  Frédéric  II  ^. 
Le  6  janvier  1205,  Philippe  se  fit  de  nouveau  couronner  avec  sa 
femme  Irène,  qui  prit  le  nom  de  Maria.  Le  sacre  fut  accompli  à 
Aix-la-Chapelle  par  Adolphe  de  Cologne,  comme  pour  réparer  ce 
qui    aurait    manqué    au   premier    couronnement.    Sur  la   plainte  I 

d'Otton,    Innocent     excommunia    sur-le-champ  l'archevêque    de  f 

Cologne  et  bientôt  après  le  déposa.  Le  prévôt  Bruno  fut  élu  au 
siège  de  Cologne,  et  cette  ville,  toute  dévouée  à  Otton,  prit  parti 
pour  Bruno.  La  grandeur  et  la  puissance  de  Cologne  à  cette  épo- 
que nous  sont  attestées  par  le  pape  Innocent,  au  dire  duquel 
Vienne  est,  post  Coloniam,V une  des  principales  villes  de  l'Alle- 
magne 3.  Dès  ce  moment,  Cologne  devint,  comme  autrefois 
Mayence,  un  foyer  de  dissensions  et  les  partis  s'y  livrèrent  à  de  , 

continuelles  représailles  *.  On  s'explique  sans   peine  les   perplexi-  [806] 
tés  où  se  trouvaient  à  cette  époque  les  chefs  des  évêchés  et  églises 
pour  savoir    à    qui    obéir.    Toutefois    le    chroniqueur    d'Ursperg, 

1.  Eiim  prodidit,  quem  crearat,  dit  le  pape  à  son  sujet,  et  il  ajoute  :  Utinam 
numquam  natus  hoino  ille  fuisset,  vere  filius  Belial.  Reg.  deneg.  imp.,  n.  116  (cf. 
p.  684,  note  2),  et  Bohmer,  iîegesfm,  1198-1254,  p.  313.  Au  sujet  de  la  défec- 
tion des  princes  allemands  qui  abandonnèrent  Otton,  cf.  Winkelmann,  Philipp 
von  Schwab  en,  1873,  t.  i,  p.  319-337.  Innocent,  par  ses  lettres  de  mai  1205,  cher- 
cha à  ramener  au  parti  d'Otton  le  comte  palatin  Henri,  le  duc  de  Brabant,  le 
landgrave  Hermann  de  Thuringe  et  le  roi  de  Bohême.  Innocent  III,  Reg.de 
neg.   imp.,  n.  120-122;  Potthast,  Regesta   pontif.  roman.,   p.  213. 

2.  Le  pape  défendit  cette  union  sous  la  menace  des  peines  ecclésiastiques; 
cf.  Innocent  III,  Epist.,  1.  VII,  n.  111. 

3.  Bohmer,  Regesten,  p.  315. 

4.  Saint  Engelbert,  alors  prévôt  de  la  cathédrale  de  Cologne,  prit  parti  pour 
son  cousin  l'archevêque  Adolphe,  banni,  et  fut  exilé  à  son  tour.  Ficker,  Engel- 
bert der  Heilige,  1853,  p.  38,  40  sq.;  cf.  Wnkelmann,  op.  cit.,  p.  365. 


\ 


642.    COMPÉTITION      AU     TRONE     d'aLLEMAGNE  1235 

Burchard  de  Biberach,  en  Souabe,  exagère  sans  doute  en  disant 
qu'il  n'y  avait  alors  aucun  évêché,  aucune  église  paroissiale 
dont  la  possession  ne  fût  disputée,  et  que  chaque  parti  succes- 
sivement avait  dû  comparaître  à  Rome,  en  y  apportant  de 
quoi  se  faire  bien  venir.  D'après  lui,  toutes  les  sources  de  la 
richesse  publique  en  Allemagne  avaient  été  dérivées  vers  Rome 
et  la  désunion  des  églises  particulières  servait  toujours  à  en- 
graisser la  curie  romaine  ^. 

En  raison  de  l'importance  de  Cologne,  Philippe,  d'accord  avec 
l'archevêque  Adolphe,  excommunié  par  Innocent,  commença  en 
[septembre  1205]  le  siège  de  la  cité  et  inaugura  la  guerre  civile.  Elle 
traîna  en  longueur,  et  tous  les  efforts  du  pape  pour  fortifier  le 
parti  d'Otton  restèrent  infructueux.  Dans  l'été  de  1206,  Philippe 
reprit  le  siège  de  Cologne  qu'il  avait  dû  lever  l'année  précédente, 
et  Otton,  surpris  dans  une  rencontre,  fut  complètement  battu 
[Wassenberg,  27  août  1206];  il  eut  à  peine  le  temps  de  fuir;  son 
archevêque  Bruno  tomba  au  pouvoir  de  Philippe,  qui  le  fit  trans- 
porter à  Trifels.  Une  entrevue  eut  lieu  quelque  temps  après  entre 
les  deux  rois  devant  Cologne,  mais  sans  aucun  résultat.  Cologne 
dut  se  soumettre,  et  Otton  se  réfugia  derrière  les  murs  de  Braun- 
schweig  :  c'était  presque  l'unique  forteresse  qui  lui  restât.  Jean 
sans  Terre,  sur  les  instances  du  pape,  lui  envoya  6  000  marcs, 
somme  insuffisante  pour  relever  ses  affaires  ^. 

Pendant  ce  temps,  le  parti  de  Philippe  avait  fait  de  grands  pro- 
grès en  Italie.  Luipold,  l'archevêque  exilé  de  Mayence,  qu'il  avait 
envoyé  dans  ce  pays  en  1204,  causa  les  plus  grands  dommages 
à  la  puissance  papale  dans  les  marches  du  centre  de  l'Italie 
et  fortifia  le  pouvoir  du  Hohenstaufen.  Walter,  comte  de  Brienne, 
le  principal  capitaine  du  pape,  succomba  dans  une  de  ses  inces- 
santes escarmouches  contre  Diepold  de  Vohbourg.  Sans  attendre 
ces  derniers  événements,  Philippe  avait  renoué  des  négociations 
avec  le  pape.  Il  se  rendait  bien  compte  qu'avec  la  versatilité 
des  princes,  il  ne  serait  vraiment  roi  qu'après  avoir  été  reconnu 
par  Innocent  III.  Dans  cette  conviction,  il  envoya   en   Italie   (été 


1.  Chron.  Ursperg.    a.  1540. 

2.  Beg.  de  neg.  imp.,  n.  131,  132  et  134;  Abel,  Kônig  Philipp,  p.  178-197  et 
363  sq.;  Bohmer,  Regeslen,  p.  15  sq.,  36  sq.,  309  sq.  ;  Winkelmann,  Philipp 
von  Schwaben,  p.  392  sq. 


123() 


LIVRE    XXXV 


1205)  son  chancelier  Conrad,  évêque  de  Ratisbonne,  et  peu  après, 
afin  de  prouver  au  pape  ses  bonnes  intentions,  il  rappela  [807] 
des  marches  d'Italie  le  batailleur  Luipold  ^.  Ce  furent  surtout 
Wolfger,  patriarche  d'Aquilée,  auparavant  évoque  de  Passau  (alle- 
mand et  gibelin),  et  Martin,  prieur  des  camaldules,  qui  furent 
chargés  de  négocier  la  paix.  Tous  deux  arrivèrent  en  Allemagne 
au  printemps  de  1206;  mais  leurs  pouvoirs  n'avaient  pas  l'éten- 
due qu'eût  souhaitée  Philippe  ^.  Ils  n'étaient  autorisés  qu'à 
conclure  une  trêve  entre  les  deux  partis  et  à  demander  la  dépo- 
sition de  Luipold.  Afin  d'obtenir  davantage,  Philippe  envoya  au 
pape  une  apologie  fort  adroite  de  toute  sa  conduite  :  «  La 
mort  de  son  frère  Henri  VI,  disait-il,  avait  occasionné  dans  tout 
l'empire  un  grand  bouleversement,  et  chacun  avait  agi  à  sa 
fantaisie.  Lui-même  se  trouvait  alors  en  Toscane;  rentré  en  Alle- 
magne à  travers  mille  dangers,  il  avait  engagé  tous  les  princes 
à  remplir  leur  engagement  en  faveiar  du  jeune  Frédéric.  Mais 
aucun  n'avait  voulu  l'écouter;  on  avait  déclaré  cette  promesse 
sans  valeur,  parce  que  faite  avant  le  baptême  de  l'enfant.  Il 
n'était  pas  possible  que  l'empire  tombât  aux  mains  d'un  enfant 
ou  demeurât  sans  un  empereur;  enfin,  l'élection  de  cet  enfant 
avait  été  extorquée  par  le  père.  Quelques  princes  avaient  alors 
proposé  la  couronne  à  Berthold,  duc  de  Zâhringen,  et,  sur  son 
refus,  à  Bernard,  duc  de  Saxe;  mais  ce  dernier  refusa  également. 
Alors  tous  les  princes  de  Saxe,  de  Bavière,  d'Autriche,  de  Fran- 
conie,  etc.,  avaient  pressé  Philippe  de  prendre  la  couronne;  ils  y 
joignaient  de  vifs  reproches  sur  son  hésitation  antérieure  et  lui 
promettaient  un  soutien  d'autant  plus  efficace  qu'il  dépassait  tous 
les  autres  en  puissance  et  en  richesse.  Voyant  que,  sur  son  refus, 
on  allait  élire  un  prince  ennemi  de  sa  maison,  il  avait  cédé,  mais 
non  par  jalousie  et  avarice,  lui  le  plus  riche  et  le  plus  puissant 
des  princes,  qui  savait  de  reste  qu'un  empereur  quel  qu'il  fût  aurait 
certainement  plus  besoin  de  lui  que  lui  de  l'empereur.  Depuis  son 
élévation,  il  s'était  surtout  appliqué  au  rôle  de  défenseur  et  res- 
taurateur des  églises  et  à  la  pratique  de  la  justice.  Durant  dix 
semaines,  il  était  resté  le  chef  incontesté  de  l'empire.  En  se  ren- 


1.  Cf.  Winkelmann,  Philipp  von  Schtvaben,  p.  385,  note  1. 

2.  Cf.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  139,  surtout  sur  la  fin.  Sur  Wolfger  d'Aquilée, 
cf.  Mufîat,  dans  \qs  Comptes  rendus  de  l'Académie  royale  des  sciences  de  Bavière, 
1862,  t.  II,  p.  2. 


642.   COMPÉTITION      AU    TRONE      d'aLLEMAGNE  1237 

508]    dant   à  Aix-la-Chapelle   pour  le   couronnement,  il   avait  renvoyé 
son  armée,  sur  les  instances  de  ses  ennemis  secrets,  qui  lui  avaient 
cependant   promis   leurs   voix;  mais  ces  perfides,  gagnés  par  l'or 
anglais,  avaient  élu  à  sa  place  Otton,  comte  de  Poitou  et  neveu  du 
roi    d'Angleterre.   Telle  était  la  pure  vérité    sur   les  événements, 
quoi  qu'on  ait  pu  rapporter   au    pape   de    divers    côtés.   Philippe 
ajoutait  que   Luipold  avait  été    réellement   élu   par  la   majorité, 
c'est     pourquoi    il    lui     avait    donné    l'investiture    des    regalia. 
Néanmoins   il  ne  s'obstinera  pas  à  le  soutenir,   si  de  son  côté  le 
pape  abandonne  la  cause  de  Siegfried  :  quoique  ce  dernier  se  fût 
montré   très   hostile    à    son    égard,    il    consent    à    pourvoir  à  ses 
besoins.  Un  armistice,  poursuit  Philippe,  ne  peut  en  aucune  façon 
favoriser  ses  intérêts  :  il  l'accordera  cependant,    si    les   ambassa- 
deurs du  pape  l'obtiennent  d'Otton.   Quant  au  rétablissement  de 
la  paix  et  de  la  concorde  entre   le  pape  et  lui,  c'est-à-dire  entre  le 
sacerdoce  et  l'empire,  il  est  prêt  à  se  soumettre  à  ce  qu'en  décide- 
ront  les  cardinaux  et  les  princes  allemands.  Il   demande   seule- 
ment   qu'on  envoie  comme  légats  en  Allemagne   des    cardinaux 
gens  d'honneur  et  décidés   à    travailler  pour  la    paix.   S'il  a  lésé 
en  quoi  que  ce  soit  le  pape  et    l'Eglise   romaine,    il    est    disposé 
à  leur  donner  satisfaction  et,    pour  le  cas  où  le   pape   aurait  nui 
à  l'empire,    il  s'engage    à   n'exiger    aucune    satisfaction,  le  pape 
ne  ]iouvant  être    jugé    par    personne.    Enfin    Innocent    n'ignore 
pas  que  Philippe  n'a  pas  été  excommunié  par  Célestin  III,  quoi 
que  certains  en  aient  dit  ^.  » 

Innocent  reçut  avec  joie  cette  lettre  où  Philippe  étalait 
tant  d'orthodoxie  et  de  piété.  Il  rejeta  la  proposition  concer- 
nant les  deux  archevêques  de  Mayence,  mais  le  projet  d'ar- 
mistice lui  sourit  et  il  écrivit  à  Otton  pour  lui  demander  d'y 
accéder,  arguant  que  cette  trêve  lui  fournirait  le  moyen  de 
mieux  s'occuper  des  intérêts  de  l'empire.  Otton  pouvait  être 
persuadé  de  la  bienveillance  du  pape  et  devait  se  garder  de  prêter 
l'oreille  aux  brouillons.  En  même  temps  Innocent  écrivit  à  l'arche- 
vêque de  Salzbourg,  pour  couper  court  à  tout  soupçon  et  protes- 
ter qu'il  n'abandonnerait  pas  Otton  pour  reconnaître  Philippe  '-. 
Ce  bruit,  en  effet,    avait    couru    en     Allemagne;    en    réalité,    les 


1.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  136,  P.  L.,  t.  ccxvi,  col.  1132  sq.;    Monum.    Germ. 
hist.,  Leges,  sectio  iv,  t.  ii,  p.  10,  n.  10;  Winkelmann,  op.  cit.,  t.  i,  p.  388  sq.(H,  L.) 

2.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.   137-139. 


1238  LIVRE     XXXV 

efforts  du  pape  tendaient  à  ceci  :  a)  obtenir  une  trêve  en  Aile-  [8091 
magne;  h)  à  la  faveur  de  cette  trêve,  engager  des  négociations 
entre  les  prétendants,  et  obtenir  le  désistement  de  l'un  par  la 
grandeur  des  concessions  de  l'autre.  Le  pape  avait,  dès  l'origine, 
visé  à  celte  solution.  Il  avait,  à  plusieurs  reprises,  exhorté  les 
Allemands  à  une  solution  pacifique.  Voyant  ses  paroles  sans 
écho,  il  avait  fini  par  se  décider  pour  Otton,  escomptant  le 
poids  de  son  vote  pour  imposer  l'union  et  sauvegarder  ainsi  les 
intérêts  de  l'Église  et  de  l'empire.  Dans  l'été  de  1203,  sa  politique 
avait  été  sur  le  point  de  réussir  -.elle  eût  réussisanslafauted'Otton; 
Innocent  revenait  maintenant  à  son  premier  plan,  se  persuadant 
que  les  souffrances  et  les  malheurs  d'une  longue  guerre  civile 
avaient  du  rendre  les  partis  plus  accessibles  à  la  conciliation. 
Sans  accepter  positivement  les  avances  de  Philippe  ^,  il  envoya  en 
Allemagne,  en  1207,  Hugolin,  cardinal-évêque  d'Ostie  (le  futur 
Grégoire  IX),  et  Léon,  cardinal-prêtre  de  Sainte-Croix  ;  il  leur 
remit  à  l'adresse  de  tous  les  princes  allemands  une  lettre  ency- 
clique dépeignant  les  tristes  effets  d'un  conflit  qui  privait  la  Terre 
Sainte  de  secours  et  conduisait  l'Allemagne  à  la  ruine.  Les  héré- 
sies, le  meurtre,  le  vol,  la  débauche,  etc.,  régnaient  dans  ce  pays. 
Sa  charge  faisait  au  pape  un  devoir  de  remédier  à  ces  maux,  et 
il  envoyait  deux  légats  ^. 

Le  premier  acte  des  légats  fut  de  relever  solennellement 
Philippe  de  l'excommunication,  à  Worms  (août  1207).  Aupa- 
ravant le  roi  avait  juré  de  donner  satisfaction  au  pape  sur  tous 
les  points  qui  avaient  motivé  son  excommunication.  Philippe 
et  les  légats  se  rendirent  alors  par  Nordhausen  à  Quedlinbourg, 
afin  de  mener  plus  facilement  les  négociations  avec  Otton,  qui 
habitait  dans  le  voisinage,  à  Harlingenbourg.  Philippe  proposa 
à  son  adversaire,  s'il  se  désistait,  la  main  de  sa  fille  Béatrix,  avec 
le  duché  de  Souabe  ou  le  royaume  d'Arles.  Mais  Otton  ne  vou- 
lut rien  entendre,  et  le  seul  résultat  obtenu  fut  la  conclusion  d'un 
armistice  d'un  an;  pour  complaire  au  pape,  Philippe  renvoya  la 
grande  armée  qu'il  avait  sous  ses  ordres  ^.    Pendant    deux  mois 

1.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  140.  Bôhmer,  Rcgest.,  25,  donne  à  ce  fait  une  date 
plus  ancienne.  Cf.  Abcl^  op.  cit.  p.  37'i.  Au  sujet  de  la  médiation  du  pape  eu  1207, 
cf.  Winkclmann,  Philipp  von  Scluvaben,  p.  414  sq. 

2.  Reg.  de  neg.   imp.,  n.   141. 

3.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  142;  Abel,  op.  cil.,  p.  211,  220;  Bohmer,  op.  cit.,  p.  24 
et  38. 


642.    COMPÉTITION     AU    TRONE      d'aLLEMAGNE  1239 

[810]  encore  on  agita  l'épineuse  question  des  deux  archevêchés  de 
Mayence  et  de  Cologne,  pourvus  chacun  de  deux  prétendants,  en 
même  temps  qu'on  délibérait  sur  les  moyens  de  rendre  la  paix  à 
l'empire.  Le  pape  était  informé  des  discussions  par  de  fré- 
quentes lettres  des  légats.  Il  écrit,  le  l^^^"  novembre  1207,  à 
Philippe,  auquel  il  ne  donne  encore  que  le  titre  de  duc.  Il  le  féli- 
cite d'avoir  été  relevé  de  l'excommunication  et  l'assure  qu'il  fera 
pour  lui  tout  ce  que  Dieu  permettrait.  Le  porteur  de  la  missive 
était  chargé  de  donner  de  vive  voix  tous  les  autres  renseigne- 
ments. En  même  temps  Innocent  III  chargeait  ses  légats 
d'absoudre  Luipold  et  Adolphe,  qui  se  donnaient  comme  titu- 
laires légitimes  des  sièges  de  Mayence  et  de  Cologne,  moyen- 
nant le  serment  d'obéissance  au  Saint-Siège  et  la  promesse 
jurée  de  se  rendre  à  Rome,  dans  le  délai  d'un  mois,  afin  d'y 
recevoir  oralement  les  ordres  du  pape  ^. 

Tout  espoir  d'accommodement  étant  abandonné,  Innocent, 
d'accord  avec  Philippe  ^,  imagina  de  mander  à  Rome  les 
représentants  d'Otton  et  de  Philippe,  pour  y  traiter,  sous  ses 
propres  yeux  et  avec  ses  conseils,  l'œuvre  si  désirée  du  rétablis- 
sement de  la  paix.  Il  chargea  donc  ses  légats  de  gagner  Otton  à  ce 
projet  et  d'obtenir  de  Philippe  la  liberté  de  Bruno,  archevêque 
de  Cologne.  Le  pape  priait  également  Philippe  de  confier  pro- 
visoirement à  un  vicaire  l'administration  du  diocèse  de  Mayence, 
tout  en  réservant  les  droits  de  Siegfried.  Le  roi  décida  que  Lui- 
pold renoncerait  au  siège  de  Mayence  (il  eut  en  revanche  l'évêché 
de  Worms)  ;  mais  comme  compensation,  il  exigeait  que  Siegfried 
n'administrât  pas  en  personne  le  diocèse  de  Mayence  ^.  Se  rendant 
à  l'ordre  du  pape,  Luipold  entreprit  en  effet  le  voyage  de  Rome; 
mais  il  s'oublia  longtemps  dans  des  battues   militaires   non    loin 


1.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  I'i3-145;  Hurter,  Iimocenz  III,  t.  ii,  p.  50,  note  83. 

2.  De  la  diète  d'Augsbourg  {30  novembre  1207)  date  l'acceptation  par 
Philippe  de  l'arbitrage  du    pape;    cf    AYinkelmann,    op.  cil.,    p.    432. 

3.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  142-146;  Winkelmann,  op.  cit.,  p.  429  sq.  Déjà,  lors 
des  délibérations  d'Augsbourg  (nov.  1207)  et  plus  encore  dans  celles  de  Rome 
(commencement  de  1208)  l'opinion  s'était  montrée  de  plus  en  plus  favorable  à 
Siegfried;  mais  après  le  meurtre  de  Philippe  il  retourna  aussitôt  dans  son  arche- 
vêché et,  tandis  qu'Otton  effectuait  divers  déplacements  dans  le  royaume,  l'ar- 
chevêque s'efforça  de  diminuer  dans  son  diocèse  les  tristes  conséquences  du 
schisme,  en  particulier  par  la  convocation  d'un  synode  provincial  à  Mayence 
en  février  1209.  Cf.  Winkelmann,  OUon  IV,  t.  ii,  p.  143  et  484. 


1240  LIVRE      XXXV 

de  Sienne,  si  bien  que  le  pape  se  plaignit  à  ses  légats  de  ce  [811  ) 
long  retard.  Dans  sa  lettre,  il  exprimait  tout  son  méconten- 
tement contre  le  traître  Waldemar,  archevêque  désigné  de 
Brème,  qui  avait  failli  troubler  la  bonne  entente  entre  lui  et 
Philippe.  Deux  autres  lettres  engageaient  les  légats  à  faire  tou- 
jours preuve  du  même  zèle,  et  leur  transmettaient  copie  de 
deux  lettres  antérieures,  mais  égarées;  le  pape  ajoutait  que 
Rome  n'avait  rien  à  redouter  de  leur  publication  qui  montrerait 
sa  franchise  et  sa  droiture  ^. 

Pour  se  conformer  à  ces  nouvelles  instructions,  lors  de  la  diète 
d'Augsbourg  (30  novembre  1207),  les  légats  relevèrent  de  l'excom- 
munication Adolphe,  archevêque  de  Cologne,  qui  partit  pour 
Rome,  ainsi  que  son  adversaire  Bruno.  Au  début  de  1208,  ils  fu- 
rent suivis  par  les  deux  cardinaux-légats  et  par  les  représentants 
des  deux  rois  :  une  lettre  particulière  du  pape  à  Otton  ayant 
fini  par  lui  faire  accepter  son  projet.  Il  se  faisait  représenter  par 
l'évêque  de  Cambrai,  qui,  presque  seul  entre  tous  les  évêques,  lui 
était  resté  fidèle;  le  patriarche  d'Aquilée  était  à  la  tête  des 
envoyés  de  Philippe  ^.  Les  négociations  s'ouvrirent  à  Rome  en 
février  1208,  et  Innocent  y  soutint  si  bien  les  intérêts  d'Otton, 
que  les  ambassadeurs  de  Philippe  firent  observer  que  leur 
maître  se  serait  plus  facilement  entendu  avec  Otton  lui-même 
qu'avec  le  pape  ^.  Une  lettre  d'Innocent  III  (13  mai  1208), 
à  l'Église  de  Cologne,  nous  apprend  qu'on  ne  put  s'entendre  à 
Rome  sur  le  légitime  possesseur  de  ce  siège.  Le  pape  déclarait 
qu'Adolphe  et  Bruno  pouvaient  provisoirement  rester  en  posses- 
sion des  châteaux  et  des  biens  de  l'archidiocèse  de  Cologne  qu'ils 
détenaient  en  ce  moment,  mais  que  l'autorité  ecclésiastique 
revenait  sans  partage  à  Bruno  *. 

Au  cours  de  ces  délibérations,  les  partis  s'organisaient  en  Alle- 
magne pour  recommencer  la   guerre  après  la  trêve  d'un  an,  et  [812] 

1.  Reg.  de  neg.  irnp.,  n.  147-149.  Winkelmann,  op.  cit.,  p.  432,  note  2,  attribue 
la  lettre  n.  148  au  début  de  1208  et  celle  n.  149  au  mois  d'avril  de  la  même 
année.  Potthast,  Regesl.,  p.  278,  les  date  de  nov.-déc.  1207.  Au  sujet  de  l'affaire 
de  Waldemar,  cf.  Winkelmann,  op.  cit.,  p.  145  sq. 

2.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  142^  150;  Bôhmer,  op.  cit.,  p.  25;  Abel^  op.  et/.,  p.  223  ; 
Winkelmann,  op.  cit.,  p.  433  sq. 

3.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  151. 

4.  Bôhmer,  op.  cit.,  p.  315.  Winkelmann,  op.  ci7.,  p.  452-460,  rapporte  que  les 
négociations  se  poursuivirent  à  Rome  de  mars  à  la  mi-mai,  époque  à  laquelle 
le  pape  reconnut  formellement  Bruno. 


642.  COMPÉTITION    AU     TRONE     d'aLLEMAGNE  1241 

Philippe  réunissait  ses  troupes  à  Bamberg  lorsque,  le  21  juin  1208, 
il  fut  assassiné  dans  une  chambre  du  palais  épiscopal  de 
Bamberg,  frappé  d'un  coup  de  poignard  à  la  veine  jugulaire 
par  Otton,  comte  palatin  de  Wittelsbach  (neveu  du  défunt  ar- 
chevêque de  Mayence  et  d'Otton,  premier  duc  de  Bavière,  issu 
de  la  maison  de  Wittelsbach).  il  est  avéré  que  ce  crime  n'eut 
aucun  rapport  avec  la  question  des  deux  prétendants;  le  meur- 
trier était  gibelin  décidé.  Le  chroniqueur  Arnold  de  Lubeck  parle 
d'une  lettre  perfide  que  Philippe  aurait  adressée  à  Otton  de 
Wittelsbach,  concernant  la  fille  du  duc  de  Pologne,  qu'Otton 
voulait  épouser,  etc.  Mais  tout  cela  est  si  absurde  que  ce  n'est  pas 
la  peine  de  le  réfuter.  Quoi  qu'il  en  soit,  ce  ne  fut  là  qu'une  ven- 
geance privée  ^  à  laquelle  Egbert,  évêque  de  Bamberg,  et  son  frère 
Henri,  duc  d'Andechs  et  d'Istrie,  furent  soupçonnés  d'avoir  pris 
part.  La  douceirène  ou  Marie,  veuve  de  Philippe,  se  retira  àHohen- 
staufen,  où  elle  mourut  des  suites  d'une  fausse  couche  au  mois 
d'août  de  la  même  année.  Elle  fut  ensevelie  dans  le  monastère 
voisin  de  Lorsch.  Le  corps  de  son  mari,  d'abord  déposé  dans  la 
cathédrale  de  Bamberg,  fut  transféré  à  Spire,  en  1213,  sur  l'or- 
dre de  Frédéric  IP.  La  mort  de  Philippe  produisit  un  immense 

1.  Pour  amener  la  rupture  des  fiançailles  d'une  fille  de  Philippe  avec  le 
comte  palatin. 

2.  Dans  cette  circonstance,  Frédéric  II  donna  à  l'église  cathédrale  de  Spire 
l'église  qui  lui  .  ppartenait  à  Esslingen,  ainsi  que  le  droit  de  patronage  et  tous 
les  autres  droits  et  revenus.  L'acte  de  donation  se  trouve  dans  Remling,  Ur- 
kund.  der  BB.  zu  Speier,  p.  147,  et  Huillard-BréhoUes,  op.  cit.,  t.  i,  p.  283.  Cf.  des 
renseignements  plus  récents  sur  le  meurtre  de  Philippe,  ses  motifs,  les  com- 
plices de  l'assassinat  et  leur  châtiment,  dans  Winkelmann,  op.  cit.,  t.  I,  p.  464- 
479  et  563  sq.;  t.  ii,  p.  438 

L'assassinat  de  Philippe  de  Souabe  laissait  le  champ  libre  à  Otton;  en  très 
peu  de  temps  tout  fut  régularisé  et  le  gagnant  fut  couronné  empereur  par  le 
pape.  Innocent  III  avait  son  empereur;  sa  satisfaction  ne  fut  pas  de  longue 
durée.  Dans  cette  fastidieuse  lutte  du  sacerdoce  et  de  l'empire  qui  occupe  une 
partie  de  l'histoire  du  moyen  âge  occidental,  nous  sommes  obligé  de  noter  les 
principales  phases  de  ce  conflit  aussi  fameux  que  regrettable,  afin  de  préciser 
le  caractère  général  et  philosophique  des  conceptions  en  présence.  L'avènement 
du  Saxon  montra  une  fois  de  plus  jusqu'à  l'évidence  combien  était  inéA'itable, 
chronique,  même  avec  un  prince  guelfe,  la  guerre  entre  le  sacerdoce  et  l'empire. 
La  nature  des  choses  y  conduisait  et  la  situation  respective  des  papes  et  des 
empereurs  les  mettait  tôt  ou  tard,  mais  forcément,  en  lutte.  Les  papes  ayant 
rétabli  l'empire,  et  consacrant  l'autorité  des  empereurs  par  leur  couronnement, 
s'arrogeaient  sur  l'empire  un  droit  et  sur  l'empereur  une  supériorité  que  ne 
pouvaient  pas  souffrir  longtemps  les  empereurs  même  qui  y  avaient  un    mo- 


1242  LIVRE     XXXV 

désordre  dans  tout  l'empire;  lorsque  le  calme  fut  un  peu  rétabli, 
le  roi  Otton  fut  acclamé  par  tous  les  princes,  même  par  ceux  du 
parti  de  Hohenstaufen,  dans  la  diète  de  Francfort  (novembre 
1208),  et  on  lui  remit  les  joyaux  de  la  couronne  restés  en  possession 

ment  acquiescé.  Une  fois  couronnés  à  Rome  après  avoir  été  élus  en  Allemagne» 
ceux-ci  aspiraient  à  l'exercice  de  la  pleine  puissance  et  à  la  possession  de  tout 
le  territoire  qu'avaient  les  anciens  empereurs,  dont  ils  se  portaient  les  héri- 
tiers et  se  croyaient  les  continuateurs.  Ils  affectaient  la  même  autorité  et  con- 
voitaient les  mêmes  États.  Ils  devenaient  despotes  et  se  faisaient  conquérants. 
Leur  souveraineté  violente  et  leur  menaçante  conquête  rencontraient  alors  la 
résistance  des  papes,  qui  s'étaient  établis  gardiens  du  droit,  défenseui-s  de  la 
liberté  et  protecteurs  de  l'Italie,  qu'ils  étaient  intéressés  à  ne  pas  laisser  passer 
sous  la  même  domination  et  tomber  dans  un  assujettissement  qui  les  eût  éga- 
lement asservis.  Leur  lutte,  qui  avait  pour  point  de  départ  des  origines  histori- 
ques un  peu  confuses,  pour  cause  des  droits  contraires^  et  pour  objet  la  pour- 
suite d'intérêts  incompatibles,  devait  durer  tant  que  l'empire  ne  se  dégagerait 
pas  du  sacerdoce,  tant  que  les  souverains  élus  de  l'Allemagne  aspireraient  à  se 
rendre  maîtres  de  l'Italie.  Pour  qu'elle  cessât,  il  fallait  la  séparation  des  pouvoirs 
et  des  pays,  séparation  qui  ne  s'accomplit  réellement  que  plus  tard. Les  commen- 
cements du  xiii^  siècle  en  fournirent  deux  éclatants  exemples.  Jamais  les  cir- 
constances ne  semblèrent  plus  favorables  à  l'accord  entre  la  papauté  et  l'empire 
par  la  suprématie  un  moment  reconnue  de  l'une  et  la  subordination  acceptée 
de  l'autre,  et  jamais  le  désaccord  ne  survint  d'une  manière  plus  soudaine,  ou 
n'eut  une  issue  plus  tragique  après  une  durée  plus  longue.  Deux  fois,  la  papauté 
disposa  de  l'empire,  deux  fois  le  plus  habile  sinon  le  plus  grand  des  papes,  et 
certainement  le  plus  puissant,  l'infatigable  Innocent  III,  qui  eut  le  protectorat 
difficile  de  l'Italie  et  le  gouvernement  laborieux  du  monde,  éleva  des  emp-^reurs 
comme  Otton  IV,  de  la  maison  des  Welfs,  zélée  pour  le  Saint-Siège,  comme 
Frédéric  II,  le  pupille  royal  et  protégé  du  Saint-Siège,  qui,  soutenus  l'un  et  l'au- 
tre par  le  souverain  pontife,  furent  appelés,  <à  la  suite  l'un  de  l'autre,  «  rois  des 
prêtres  »  en  Allemagne,  et  tous  deux,  poussés  par  les  mêmes  ambitions  et  mar- 
chant vers  les  mêmes  buts,  aspirèrent  successivement  à  maîtriser  l'Italie  et  se 
tournèrent  contre  la  papauté,  dès  qu'ils  se  crurent  affermis  sur  le  trône  où  la 
papauté  les  avait  portés. 

Celui  qui  prêta  le  serment  de  Ness  en  1201,  entre  les  mains  des  légats  d'Inno- 
centlll,  était  un  fourbe;  ceux  qui  le  transmirent  et  le  pape  qui  y  ajouta  foi  étaient 
des  dupes.  A  peine  couronné  empereur,  en  1208,  Otton  réclanae  contre  ces  con- 
cessions excessives  et  les  annule;  on  lui  rappelle  ses  engagements  et  il  répond  : 
«  Sachez  qu'un  serment  antérieur,  fait  en  Allemagne  après  notre  élection,  nous 
oblige  non  seulement  à  maintenir  dans  leur  intégrité  les  biens  et  les  droits  ac- 
tuels de  l'empire,  mais  à  récupérer  ceux  dont,  au  mépris  de  toute  justice,  on  a 
dépouillé  nos  prédécesseurs.»  Et  tout  aussitôt  Otton  descend  en  Italie,  espère 
brusquer  les  choses  et  emporter  la  situation.  En  réalité,  élu  ou  non  d'Inno- 
cent III,  Otton  n'avait  pas  d'autre  conduite  à  tenir  :  pour  lui  comme  pour  ses 
prédécesseurs  et  pour  son  successeur  Frédéric,  il  s'agit  avant  tout  et  par-dessus 
tout  de  soumettre  l'Italie  à  l'Allemagne.  (H.  L.) 


643.    LE    PAPE    INNOCENT    III    ET    l'emPEREUR     OTTON   IV    1243 

de  ses  adversaires.  Le  pape  Innocent  s'était  donné  beaucoup  de 
peine  pour  obtenir  cette  solution  ^,  c'est  grâce  à  lui  que  le  jeune 
Frédéric  II  ne  posa  pas  sa  candidature  à  la  place  de  Philippe. 
A  cette  diète,  Béatrix,  l'aînée  des  filles  de  Philippe,  vint  deman- 
der vengeance  du  meurtrier  de  son  père.  Otton  le  mit  au  ban 
de  l'empire  et  se  fiança  même  avec  Béatrix.  Henri  de  Ka- 
1^813]  lintin,  ancien  maréchal  du  roi  Philippe,  se  mit  à  la  poursuite 
d'Otton  de  Wittelsbach,  le  découvrit  et  le  tua  de  sa  propre  main 
dans  une  cour  près  de  Ratisbonne  (février  1209).  Egbert,  évêque 
de  Bamberg,  et  Henri,  duc  d'Andechs,  furent  longtemps  suspects; 
mais  leur  participation  au  crime  demeurant  douteuse,  Frédéric  II 
finit  par  les  gracier  ^. 


643.  Le  pape  Innocent  III  et  1  empereur  Otton  IV. 

En  apprenant  que,  suivant  ses  conseils,  les  princes  alle- 
mands proclamaient  le  roi  Otton  et  rétablissaient  la  concorde 
dans  l'empire.  Innocent  exprima  sa  satisfaction  dans  une  suite 
de  lettres,  sans  oublier  de  recommander  à  son  ancien  protégé  de 
montrer  plus  de  tact  que  par  le  passé.  Il  l'exhorta  à  honorer  et  à 
protéger  le  clergé  et  l'Eglise,  à  s'employer  pour  que  «  les  deux 
sceptres  »  restassent  en  bonne  harmonie;  le  tranquillisa  au  sujet 
du  jeune  Frédéric,  de  qui,  disait-il,  il  n'avait  rien  à  craindre. 
Innocent  se  déclarait  disposé  à  soutenir  toutefois  Frédéric  pour 
tout  ce  qui  concernait  la  Sicile  ^.  Le  document  solennel  signé  par 
Otton  à  Spire,  au  mois  de  mai  1209  '*,  nous  indique  à  quelles 
conditions  le  pape  élevait  à  l'empire  Otton  ou  tout  autre  candidat. 
Il  est  identique,  pour  le  fond,  à  la  formule  du  serment  prêté  le 


1.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  153-158,  P.  L.,  t.  ccxvi,  col.  1147  sq.;  Winkelmann, 
Philipp  von  Schwaben  und  Otto  IV  von  Braunschweig,  1878,  t.  ii,  p.    109   sq. 

2.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  153-174  ;Mon.Ge/-7n.  hist..  Script.,  t.  xx,  p.  332.  Cf.Inno 
cent  \\\,Epist.,  XIII,  n.  118;Abel,  op.  cit.,  p.  228  sq.  ;Winkelmann,  op.  cit.,  Tp.fill. 

3.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  168-179,  187,  188. 

4.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  153, 179, 187, 188, 189,  P.  L.,  t.  ccxvi,  col.  1147,  1162, 
1167,  1169;  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  sect.  iv,  t.  ii,  p.  36,  n.  31  :  Promissio 
[Spirie]  romanse  Ecclesise  fada.  Cf.  Hauck,  Kirchengeschichte  Deutschlands, 
t.  IV,  p.  733,  n.  3;  Ficker,  Forschungen,  t.  n,  p.  395;  Winkelmann,  op.  cit., 
t.  II,  p.  193,  489.  (H.  L.) 


1244  LIVRE     XXXV 

8  juin  1201,  par  Otton,  à  Neuss  près  de  Dusseldorf,  ainsi  qu'aux 
engagements  contractés  plus  tard  par  Frédéric  II  en  1213,  à  Eger. 
Tout  futur  empereur  devait  s'engager  à  ce  qui  suit  : 

1.  Se  montrer  à  l'égard  du  pape  et  de  ses  successeurs  aussi  obéis- 
sant et  respectueux  que  les  anciens  empereurs  ^. 

2.  Les  élections  des  évêques  devront  être  complètement  libres 
et  faites  d'après  les  règles  canoniques. 

3.  On  ne  pourra  empêcher  les  appels  à  Rome. 

4.  Le  jus  spolii  établi  par  quelques  empereurs  sur  l'héritage  des 
évêques  défunts  sera  aboli. 

5.  Les  spiritualia  seront  exclusivement  du  ressort  des  supérieurs 
ecclésiastiques. 

6.  L'empereur  aidera  le  pape  à  l'extirpation  de  toutes  les  héré- 
sies. 

7.  L'Eglise  restera  en  possession  incontestée  des  biens  détenus 
par  les  anciens  empereurs  ou  d'autres  personnages,  mais  qu'elle 
a  recouvrés.  L'empereur  s'emploiera  également  à  lui  faire  re- 
couvrer ce  qui  ne  lui  a  pas  encore  été  restitué.  Si  ces  biens  revien- 
nent au  pouvoir  de  l'empereur,  il  les  rendra  sans  délai  à  l'Eglise. 
De  ce  nombre  sont  les  pays  situés  entre  Radicofani  et  Cepe- 
rano  (c'est-à-dire  le  patrimoine  de  Saint-Pierre  au  sens  res- 
treint, soit,  du  nord  au  sud,  depuis  la  limite  du  territoire  de 
Sienne  jusqu'à  celle  du  territoire  de  Naples),  la  marche  d'Ancône, 
le  duché  de  Spolète,  les  biens  de  Mathilde,  le  comté  de  Bricti- 
norium  (Bertinoro  en  Romagne),  l'exarchat  de  Ravenne,  la 
Pentapole,  etc. 

8.  Si  l'empereur  vient  en  Italie  pour  y  recevoir  la  couronne,  ou 
sur  l'invitation  du  pape,  pour  porter  secours  à  l'Eglise,  il  aura 
dans  ces  pays  le  droit  de  jodrum  (c'est-à-dire  le  droit  de  faire 
héberger  sa  cour  et  son  armée). 

9.  Enfin  l'empereur  soutiendra  l'Eglise  romaine  dans  la  reven- 
dication de  ses  droits  sur  la  Sicile  (comme  fief  de  l'Église  romaine), 
et  en  général  dans  la  revendication  de  tous  ses  droits. 

Otton  célébra  en  grande  pompe  les  fêtes  de  la  Pentecôte  de 
1209  à  Braunschweig,  puis  se  rendit  à  Wurzbourg  où  il  avait  con- 
voqué les  princes  de  l'empire  à  une  diète  pour  le  24  mai.  Le  voyage 
de  Rome  fut  alors  définitivement  fixé  au  25  juillet;  c'est  à  cette 
diète  de  Wurzbourg  (1209)  qu'il  se  fiança     solennellement    avec 

1.  Lesquels,  en  vérité?  (H.  L.) 


[814] 


643.    LE    PAPE  INNOCENT    III   ET   l'eMPEREUR     OTTON    IV      1245 

Béatrix,  la  fille  de  son  ancien  rival  (avec  dispense  du  pape  sur 
la  parenté).  Il  réunit  ensuite  une  armée  à  Augsbourg,  tra- 
versa les  Alpes  au  mois  d'août  1209,  et,  le  4  octobre  de  cette  même 
année,  fut  couronné  empereur  à  Saint-Pierre  de  Rome  ^.  Durant 
ces  solennités,  des  rixes  sanglantes  s'élevèrent  entre  Romains 
et  Allemands;  mais  un  conflit  bien  autrement  sérieux  ne  tarda 
pas  à  éclater  entre  le  pape  et  l'empereur.  Aussitôt  après  son  cou- 
ronnement, celui-ci,  se  croyant  sûr  de  l'avenir,  rejeta  toutes  les 
traditions  welfes  et  ses  propres  serments,  pour  se  lancer  à  la  pour- 
suite de  ce  césaro-papisme  si  funeste  aux  Hohenstaufen  ^. 
Une  entrevue  secrète  proposée  au  pape  pour  expliquer  ce  ren- 
versement fut  repoussée  par  Innocent  pour  divers  motifs  et 
surtout  à  cause  de  l'attitude  menaçante  des  Romains  ^.  Otton, 
[bl5]  oubliant  ses  serments,  s'empara  des  biens  de  Mathilde,  d' An- 
cône,    de   Spolète,    etc.,    qui    appartenaient   à   l'Église    romaine, 

1.  Les  partisans  du  roi  de  France  firent  probablement  des  tentatives  pour 
empêcher  le  couronnement  de  l'empereur.  Trithème,  Annal.  Hirsang.,  ad  ann. 
1209. 

2.  Otton  IV  de  Braunschweig,  né  vers  1175  à  Argentan,  comte  d'York  (1190), 
duc  d'Aquitaine  et  comte  de  Poitou  (1196),  roi  des  Romains,  élu  à  Cologne,  mars 
1198;  couronné  à  Aix-la-Chapelle,  9  juin;  vaincu  à  Wassenberg,  27  juillet  1206; 
réélu,  28  septembre  1208;couronné  à  Rome  empereur  d'Occident,  4  octobre  1209; 
excommunié,  18  novembre  1210  et  31  mars  1211;  mort  à  Harzbourg  le  19  mai 
1218.  Cf.  Abel,  A'atser  OUo  IV  und  Kônig  Friedrich  II,  1208-1212,  in-8,  Berlin, 
1856  ;  V.-N.Bonam-y, Éclaircissements  sur  l'histoire  de  l'empereur  Otton  IV , aupara- 
vant duc  d'Aquitaine  et  comte  de  Poitiers,  dans  Mém.  Acad.  inscr.  et  bel.-let.,  1770, 
t.  XXXV,  p.  702-746;  Baugeois,  Recherches  historiques  sur  l'empereur  Otton  IV, 
où  l'on  examine  si  ce  prince  a  joui  du  duché  d'Aquitaine  et  du  comté  de  Poitou 
en  qualité  de  propriétaire  ou  de  simple  administrateur,  avec  l'abrégé  de  sa  vie, 
in-8,  Amsterdam  [Paris],  1775;  J.  Ficker,  dAns  Mittheilungen  d.  Instit.  f.  œster- 
reichische  Geschichtsforschung,  1883,  t.  iv,  p.  337-351;  G.  Langerfeld,  Kaiser 
Otto  der  Vierte,  der  Welfe,  in  Lebensbild,  in-8,  Hannover,  1872;  V.  Lindemann, 
dans  Forschungen  zur  deutschen  Geschichte,  1882,  t.  xxii,  p.  224-232;  H.  Mei- 
bomius,  Apologia  pro  Ottone  IV  contra  falsas  criminationes  et  convitia  quibus 
eum  Conradus  Urspergensis  et  alii  insectari  non  sunt  veriti,  in-4,  Helmstadii 
1624;  G.  H.  R.  Wichert,  De  Ottonis  IV  et  Philippi  Suevi  certaminibus  atque 
Innocenta  labore  in  sedandam  regum  contentionem  insumto,  in-8,  Regiomonti, 
1834;  H.  Wichhorst,  Dissertatio  de  iniqua  expulsione  Ottonis  IV  e  regno,  in-4, 
Lipsiœ,  1690;  Wiederhold,  De  bello  quod  Otto  IV  gessit  cum  Frederico  II,  in-4, 
Regiomonti,  1857;  Wilmans,  Reorganisation  des  Kurfiirstencollegiums  durch 
Otto  IV  und  Innocenz  III,  in-8,  Berlin,  1873;  Winkelmann,  Philipp  von 
Schwaben  und  Otto  IV  von  Braunschweig,  2  vol.  in-8,  Leipzig,  1873-1878. (H.  L.) 

3.  Reg.  de  neg.  imp.,  n.  193,  194;  Abel,  Kaiser  Otto  IV  und  K.  Friedrich  II 
p.  50;  Winkelmann,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  209. 


1246  LIVRE      XXXV 

et  les  donna  en  fiefs  à  ses  serviteurs.  «  L'histoire,  dit  Bôhmer,  offre 
heureusement  peu  d'exemples  d'une  aussi  noire  ingratitude  ^.  » 
Le  pape  protesta,  et  Otton,  accusé  de  félonie,  répondit  qu'il  avait 
juré  le  rétablissement  de  l'empire  ^,  Il  se  ligua  avec  les  ennemis 
du  jeune  Frédéric  de  Sicile,  afin  de  lui  enlever  son  héritage  ma- 
ternel et  de  dépouiller  le  pape  de  sa  suzeraineté  sur  ce  pays.  Il 
envahit  la  Fouille,  quoique  Frédéric  lui  eût  proposé  la  paix  et 
eût  même  renoncé  à  l'héritage  paternel  en  Allemagne  ^.  Le  pape 
menaça,  et  Otton  se  montrant  sourd  à  toute  représentation, 
il  l'excommunia,  le  18  novembre  1210  et  le  jeudi  saint  1211,  dans 
un  synode  romain.  Le  motif  de  la  condamnation  était  la  violation 
du  serment  d'Otton  qui  avait  envahi  les  États  de  l'Eglise  et  la 
Sicile  *.  On  rapporte  que,  dans  l'un  de  ces  deux  synodes,  le  pape 
accorda  aux  vaudois  du  parti  de  Bernard  quelques  concessions. 
Mais  il  est  probable  qu'il  s'agit  non  de  vaudois  proprement 
dits,  mais  d'une  confrérie  qui,  tout  en  ayant  avec  les  vaudois 
certains  traits  de  ressemblance,  ne  professait  pas  leur  hostilité 
contre  l'Eglise.  Ce  sont  probablement  ces  paiwres  catholiques 
fondés  par  Durand  de  Huesca  (voir  plus  loin)  qui  reconnais- 
saient pour  leur  second  chef  Bernardus  Primus,  vaudois  converti^. 
De  ce  moment.  Innocent  employa  tour  à  tour  tous  les  moyens 
spirituels  et  temporels  pour  renverser  Otton.  Il  s'unit  au  roi 
de  France,  excita  les  princes  allemands  ^,  leur  faisant  tout  [816] 
appréhender  d'un  tel  homme,  reconnaissant  sans  ambages  s'être 

1.  Regesten  des  Kaiserreichs  unter  Philipp,  Otto,  p.  xix. 

2.  Monum.  Gcrm.  hist.,  Script.,  t.  xvi,  col.  663.  Cf.  aussi  Forsch.  z.  deulsch. 
Gesch.,  t.  VIII,  p.  527  sq.  ;  Winkelmann,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  497. 

3.  Comme  fiancé  de  Béatrix,  Otton  s'était  déjà  emparé  des  biens  des  Hohen- 
staufen  en  Allemagne. 

4.  Mansi,  t.  xxii,  col.  814  sq;  Hardouin,  t.  vi,  part.  2,  col.  1999;  Coleti,  Con- 
cilia, t. -kui, -p.  SU  •fWinkelinann,  op.  cit.,  t.  II,  249,  260;  Forsch.  z.  deutsch. 
Gesch.,  t.  XV,  376.  Winkelmann,  p.  260,  n'admet  pas  l'existence  d'un  concile 
romain  qui  aurait  condamné  Otton  :  les  passages  cités  plus  haut  auraient  pu  le 
renseigner  à  ce  sujet. 

5.  Dieckholï,  Die  Waldenser,  1851,  p.  343  sq. 

6.  D'après  Schefîer-Boichorst,  Philippe-Auguste,  sur  l'invitation  du  pape, 
s'était  séparé  d'Otton.  Forschung.  z.  deutsch.  Gesch.,  t.  viii,  p.  528.  Philippe  avait 
au  préalable  proposé  aux  Allemands  l'élection  de  Frédéric  de  Hohenstaufen 
et  avait  poussé  le  pape  à  approuver  cette  élection.  Op.  cit.,  p.  533  sq.;  lettre  du 
pape  aux  Allemands  du  l^'  février  1211,  op.  cit.,  p.  531.  Au  sujet  des  lettres  du 
pape  contre  Otton  IVécrites  en^l210  et  1211,  cf.  aussi  Ficker,  Mittheilungen  des 
Instituts  fur  ôsterr.  Geschichtsforsch.,  1883,  t.  iv,  p.  337. 


6'i3.   LE    PAPE   INNOCENT    III    ET    l'eMPEREUR     OTTON    IV     1247 

absolument  trompé  à  son  égard,  et  avouant  que  cette  erreur  lui  coû- 
tait cher  à  expier.  Le  résultat  de  ses  appels  réitérés  fut  que  les 
archevêques  de  Mayence,  de  Trêves  et  de  Magdebourg,  le  roi  de 
Bohême,  Hermann,  landgrave  de  Thuringe,  et  d'autres  seigneurs 
spirituels  et  temporels,  tous  plus  ou  moins  froissés  par  la  grossiè- 
reté d'Otton,  le  déposèrent  comme  hérétique  dans  la  diète  de 
Nuremberg  (septembre  1211)  et  élurent  à  sa  place  le  jeune  Fré- 
déric. Deux  chevaliers  souabes,  Anselme  de  lustingen  et  Henri 
de  NeufTen,  furent  chargés  de  lui  porter  cette  nouvelle  et  de  traiter 
avec  lui  d'autres  questions.  Siegfried,  archevêque  de  Mayence, 
Albrecht,  archevêque  de  Magdebourg,  et  d'autres  personnages 
prononcèrent  également  l'excommunication  contre  Otton  :  aussi 
les  évêchés  de  Mayence  et  de  Liège  furent-ils  ravagés  par  les  parti- 
sans de  ce  dernier.  Au  printemps  de  1212,  Otton  accourut  d'Italie, 
espérant  par  sa  présence  rétablir  ses  affaires  en  Allemagne  et 
triompher  de  ses  adversaires  par  les  armes.  Ce  fut  le  commence- 
ment d'une  nouvelle  guerre  civile.  Il  épousa  Béatrix  de  Souabe, 
espérant  gagner  à  sa  cause  beaucoup  de  partisans  des  Hohen- 
staufen  et  les  détacher  du  parti  de  Frédéric.  Mais  quatre  jours 
après  le  mariage,  Béatrix  mourut  empoisonnée,  suivant  la  croyance 
générale,  par  les  maîtresses  qu'Otton  avait  amenées  d'Italie.  Les 
Souabes  et  les  Bavarois  achevèrent  de  se  détacher  de  lui. 

Contre  l'avis  des  grands  de  la  Sicile  et  de  sa  propre  femme, 
Constance  d'Aragon,  Frédéric  accepta  l'élection  des  Alle- 
mands, et  Innocent,  faisant  taire  les  craintes  que  pouvait  lui 
inspirer  la  réunion  sur  une  même  tête  des  couronnes  de  Sicile 
et  d'Allemagne,  donna  son  assentiment  à  la  résolution  du  jeune 
prince.  Frédéric  dut  cependant,  avant  son  départ  pour  la 
Sicile,  fournir  une  caution  suffisante;  il  prêta  au  pape  serment 
de  fidélité  et  fit  couronner  roi  de  Sicile  son  fils  Henri,  jeune  en- 
fant âgé  d'un  an  environ  ^;  il  promit  en  outre  l'abandon  complet 
de  la  Sicile,  dès  qu'il  serait  empereur  ^. 

1.  Iluillard-Bréholles,  Hist.  dipl.  Frid.  II  imp.,  t.  i,  p.  200,  201,    203;   Win- 
kelmann,  Otton  IV,  t.  ii,  p.  315  sq. 

2.  Monum.  Gerni.  hist.,  Leges,  t.  iv.  Dans  ce  document,  qui  date  du  1'^'' juillet 
1216,  Frédéric  dit  lui-même  que  c'est  surtout  sur  les  instigations  du  pape  qu'il 
a  fait  couronner  sou  fils  roi  de  Sicile,  et  cette  promissio  n'est  évidemment  qu'une 
répétition  d'une  promesse  faite  antérieurement,  mais  en  secret.  Winkelmann, 
Die  Wahl  Heinrich  VII,  dans  les  Forsch.  z.  deutsch.  Gesch.,  1862,  t.  i,  p.  14; 
Otto  IV,  t.  II,  p.  437  sq. 


1248  LIVRE    XXXV 

Frédéric  laissa  le  gouvernement  de  la  Sicile  à  sa  femme  et, 
abondamment  muni  d'argent  par  le  pape,  il  gagna  l'Allemagne 
durant  l'été  de  1212,  en  passant  par  Trente,  Coire  et  Saint-Gall 
sur  le  lac  de  Constance.  Otton  se  hâta  d'accourir  à  sa  rencontre; 
mais  il  le  manqua  de  deux  heures,  ce  qui  permit  à  Frédéric  de 
débarquer  et  de  gagner  Constance,  de  s'attacher  l'évêque,  la 
ville  et  tous  les  environs,  et  de  se  faire  une  base  d'opérations. 
Bâle  ouvrit  ses  portes  avec  empressement;  grâce  au  secours  des 
évêques  de  Strasbourg  et  de  Spire,  le  nouveau  prétendant  traversa 
l'Alsace,  s'empara  de  Ilaguenau  et  gagna  la  frontière  de  l'ouest 
en  vue  de  s'allier  avec  la  France  contre  Otton.  L'empereur 
essaya  d'arrêter  son  rival  à  Brisach,  mais  les  bourgeois  de 
cette  ville  chassèrent  les  soudards  qui  composaient  la  garnison 
impériale.  Pendant  ce  temps,  Frédéric  s'attachait  plus  étroi- 
tement encore  par  ses  présents  et  ses  manières  affables  le  roi 
de  Bohême,  le  duc  de  Lorraine,  l'archevêque  de  Mayence,  etc.  ^. 
Au  mois  de  novembre,  Frédéric  eut  à  Vaucouleurs  ^,  près  de 
Toul,  une  entrevue  avec  Louis,  prince  royal  de  France,  et  d'au- 
tres grands  seigneurs  du  royaume  ^.  La  France  donna  pour  sou- 
tenir la  cause  de  Frédéric  20  000  marcs  d'argent,  qui  servirent 
à  acheter  bon  nombre  de  princes  allemands.  Dès  cette  époque  les 
contemporains  se  plaignent  du  peu  de  conviction  de  ces  derniers 
et  de  la  facilité  avec  laquelle  ils  se  vendent  à  un  parti  ou  à  un  autre. 

Le  [5]  décembre  1212,  une  diète  tenue  à  Francfort  renouvela 
l'élection  de  Frédéric  comme  roi  d'Allemagne,  en  présence 
d'ambassadeurs  du  pape  et  du  roi  de  France  *.  Frédéric  gagna, 
par  la  Souabe  et  la  Bavière,  Eger  en  Bohême,  où,  dans  une  diète 
célébrée  le  12  juillet  1213,  il  fit  au  pape,  qu'il  proclame  son 
«  bienfaiteur  et  son  protecteur,  »  des  promesses  presque  iden- 
tiques à  celles  qu'Otton  avait  faites  naguère  à  Spire.  Les 
élections  des  prélats  seraient  libres,  les  appels  auraient  à  Rome  [818] 
libre  cours,  le  jus  s polii  éla.it  aboli,  les  biens  de  l'Eglise  romaine 
étaient  reconnus,  on  devait  lui  rendre  tous  les  pays  situés 
entre  Radicofani  et   Ceperano,  etc.  ^. 

1.  Huillard-Bréholles,  Historia  diplom.  Fridericl  II,  t.  i,  part.  1,  p.  218  sq. 

2.  Vaucouleurs,  arrondissement  de  Comnaercy,  Meuse.  (H.  L.) 

3.  Mon.  Germ.  hist.,  Leg.,  t.  ii,  p.  223;  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  p.  227. 

4.  Winkelmann,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  333  sq. 

5.  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  sect.  iv,  t.  ii,  p.  224;   Huillard-BréhoUes,  op. 
cit.,  p.  269-273;  Winkelmann,  Otto  IV,  p.  342  sq. 


643.    LE    PAPE  INNOCENT    III     ET    l'emPEREUR    OTTON    IV    1249 

Otton  commença  alors,  avec  son  oncleJean  sans  Terre,  la  guerre 
à  la  France.  Le  roi  d'Angleterre  espérait  recouvrer  ses  provinces 
continentales  et  Otton  voulait  punir  la  France  de  l'appui  prêté 
à  «  l'enfant  sicilien  »  et  «  au  roi  des  prêtres  )>.  Otton  croyait  qu'il 
lui  serait  ensuite  facile  de  renverser  celui-ci  et  de  châtier  les 
clercs,  qui  s'obstinaient  à  le  traiter  en  excommunié,  et  refusaient 
même  de  le  marier  avec  son  ancienne  fiancée  Marie  de  Brabant, 
à  laquelle  il  était  revenu.  Mais  les  subsides  anglais  avec  lesquels 
Otton  comptait  recruter  une  grande  armée  en  Allemagne  n'arri- 
vèrent pas.  Ses  amis  levèrent  pour  lui  cent  mille  hommes  dans 
les  Flandres  et  le  Brabant,  etc.  Il  se  mit  à  leur  tête,  et  le  27  juillet 
1214,  il  perdit  contre  les  Français  la  célèbre  bataille  deBouvines, 
près  de  Lille,  en  dépit  de  sa  bravoure  personnelle  et  de  la  supério- 
rité numérique  de  son  armée  ^.  Otton  fit  sa  retraite  sur  Cologne, 
qui  ne  parvint  à  se  débarrasser  de  lui  qu'au  prix  de  sommes  énor- 
mes, et  gagna  ensuite  ses  biens  patrimoniaux  de  Braunschweig. 
Après  avoir  livré  plusieurs  combats  indécis  et  'exercé  de  nom- 
breux ravages  dans  le  nord  de  l'empire  et  en  Saxe,  il  fut  soudai- 
nement atteint  d'une  violente  dyssenterie    et    mourut   à    Harz- 


1.  Bouvines,  arrondissement  de  Lille  (Nordl.  Ce  que  Philippe-Auguste 
avait  commencé  en  se  déclarant  pour  Otton,  ce  que  le  procédé  incorrect  d'In- 
nocent III  l'avait  empêché  d'achever  au  moment  du  projet  de  descente  en 
Angleterre,  il  allait  enfin  pouvoir  l'accomplir  comme  il  convient  à  un  homme 
de  sa  capacité  :  les  armes  à  la  main.  Je  n'ai  pas  à  raconter  les  opérations  straté- 
giques si  sûrement  conduites  de  la  campagne  de  Flandre  et  de  la  bataille 
de  Bouvines,  le  premier  événement  national  de  notre  histoire.  Cf.  Lebon,  Mé- 
moire sur  la  bataille  de  Bouvines  en  1214,  in-8,  Paris  1835;  Winkelmann,  Ge- 
schichte  des  Kaisers  Friedrich  II,  1864;  Hortzschansky,  £)ie  Schlacht  an  dcr 
Briicke  von  Bovines,  1883;  J.  Zeller,  La  bataille  de  Bouvines,  da.ns  Comptes  reji- 
dus  de  l'Acad.  des  se.  mor.  et  politiques,  1884,  t.  xxi,  p.  140-154,  268-280;  Le 
même.  Histoire  d'Allemagne,  t.  v;  Delpech,  La  tactique  au  xiii^  siècle,  in-8, 
Paris,  1886,  t.  i;  Kohler,  Die  Entwicklung  des  Kriegswesens  und  der  Krieg- 
fahrung  an  der  Ritterzeit,  1886,  t.  i;  Die  Schlacht  Bovines,  1886;  A.  Luchaire, 
Louis  VII,  Philippe  Auguste,  Louis  VIII,  dans  Histoire  de  France  de  Lavisse, 
t.  III,  part.  2,  1901,  p.  184-197. 

La  victoire  de  Bouvines  avait  décidé  bien  des  questions,  notamment  celle  de 
l'empire.  Otton,  gueux  comme  un  rat,  courut  s'enfermer  à  Cologne,  dont  les 
habitants  le  trouvèrent  trop  onéreux  et,  après  avoir  payé  ses  dettes  criardes 
le  prièrent  d'aller  chercher  fortune  où  bon  lui  semblerait;  il  se  retira  à  Braun- 
schweig et  s'occupa  à  faire  pénitence  de  ses  péchés.  Frédéric  trouva  place  nette 
et  commença,  sous  la  haute  protection  du  roi  de  France  et  du  pape,  un  règne 
qui  allait  être  mouvementé.  (H.  L.) 

CONCILES  — V  —  79 


1250 


LIVRE    XXXV 


bourg  le  19  mai  1208,  déplorant  le  mal  qu'il  avait  fait  à  l'Église  ^. 
Après  la  bataille  de  Bouvines,  Frédéric  gagna  beaucoup  de  par- 
tisans; le  25  juillet  1215,  il  fut  solennellement  couronné  par  Sieg- 
fried, archevêque  de  Mayence  (le  siège  de  Cologne  étant  vacant). 
La  fcte  fut  rehaussée  par  la  translation  solennelle  du  corps  de 
Charlemagne,  que  l'on  plaça  dans  un  riche  sarcophage  offert  par 
les  habitants  d'Aix-la-Chapelle.  Par  respect  pour  le  grand  empe- 
reur, Frédéric  voulut  travailler  de  ses  propres  mains  à  ce  trans- 
fert et  ne  dédaigna  pas  de  clouer  le  cercueil.  Ce  fut  alors  qu'avec 
plusieurs  membres  de  la  noblesse  il  fit  vœu  de  prendre  la  croix  ^. 


644.  Innocent  III  et  Jean  sans  Terre.  Conciles  anglais         [819] 

de  i206  à  1215. 

La  mort  de  Hubert,  archevêque  de  Cantorbéry  (12  juillet  1205), 
fit  renaître  le  différend  entre  les  évêques  de  cette  province  et  les 
moines  de  Christ  Church  à  Cantorbéry,  touchant  le  droit  à  l'élec- 
tion de  l'archevêque.  Les  évêques  protestèrent  que  les  moines 
n'avaient  pas  à  eux  seuls  le  droit  d'élection,  et  en  obtinrent 
la  promesse  de  ne  rien  faire  avant  la  Saint-André  (30  novembre 
1205)  ^.  Avant  cette  date,  à  l'insu  des  évêques  et  du  roi,  les  moines 
élurent  archevêque  le  sous-prieur  Réginald,  en  lui  imposant 
silence  jusqu'à  nouvel  ordre.  Par  crainte  du  roi  et  des  évêques, 
les  moines  voulaient  tenir  secrète  l'élection  jusqu'à  ce  qu'elle  eût 
été  confirmée  par  le  pape.  Ils  envoyèrent  à  Rome  quatre  ou  cinq  des 
leurs  et  Réginald  avec  eux.  A  peine  arrivés  en  Flandre,  Réginald 
se  donna  des  airs  d'archevêque.  Les  évêques  suffragants  de 
Cantorbéry,    ainsi   informés,    envoyèrent    de    leur    côté   à   Rome 

1.  Winkelmann,  Otto  IV,  t.  ii,  p.  464  sq.  Son  manteau  impérial  a  été  retrouvé, 
il  y  a  quelques  années,  à  Braunschweig.  Cf.  Baudry,  Organ  fur  christl.  Kunst, 
1858,  n.  11. 

2.  Bohmer,  Regesleti,  p.  xviii,  34  sq.,  55  sq.,  68  sq.,  319  sq.,  368  sq.  ;  Huil- 
lard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  i,  p.  ii,  395;  \Yiederhold,  De  bello  quod  Otto  IV 
gessit  cum  Friderico  II,  Kœnigsberg,  1857;  Abel,  Kaiser  Otto  IV  und  K. 
Friedrich  II,  1856;  Schirrmacher,  Kaiser  Friedrich  II,  t.  i,  p.  46-104; 
Winkelmann,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  392.  [H.  Leclercq,  dans  Dict.  d'arch.  chrét.,  au  mot 
Charlemagne.  (H.  L.)] 

3,  Innocent  III,  EpisL,  1.  IX,  xx.  34. 


644.    INNOCENT    III     ET    JEAN    SANS  TERRE  1251 

maître  Pierre  d'Anglesham,  porteur  d'une  accusation  formelle 
contre  les  moines.  Ceux-ci,  pris  de  panique,  cassèrent  l'élec- 
tion de  Réginald,  sous  prétexte  de  ne  s'être  pas  conformés  à 
la  condition  imposée,  puis,  afin  de  regagner  les  bonnes  grâces  du 
roi,  ils  le  supplièrent  de  leur  désigner  un  candidat  qui  lui  fût 
agréable.  Il  indiqua  l'évêque  de  Norwich,  que  les  moines  élurent 
le  11  décembre  1205. 

Pierre   d'Anglesham   arriva   à   Rome   presque   en   môme  temps 
que  Réginald  et  ses  amis.  Les  deux  partis  reçurent  l'ordre  de  faire 
parvenir  leurs  pièces  à  Rome  avant  le  1^^  mai  1206.  Telles  furent 
les  instructions  que  les  compagnons  de  Réginald  (mais  non  Régi- 
nald)  ap])ortèrent   en   Angleterre.  Peu  de  temps  après,  arrivèrent 
à  Rome  six  autres  moines  de  Christ  Church,   à  la  suite  d'Honorius, 
archidiacre  de  Richmond  :  ils  déclarèrent  que,  moines  et  évêques 
8201  s'étant  entendus  pour  élire  Jean  de  Norwich,  on  demandait  au 
pape  confirmation  de  ce  choix.  Mais  à  ce  moment  on  sut  à  Rome, 
par  plusieurs  lettres  de  moines  de  Cantorbéry,  que  l'élection   de 
l'évêque  de  Norwich  n'avait  été   rien   moins    que    libre,  et  l'ami 
de  Réginald,  le  moine  Guillaume,  demeuré  avec  lui  à   Rome,    fit 
valoir  cet  argument   avec   quelques   autres   à   l'encontre  de   ceux 
des  messagers  anglais.  Ces  derniers  niaient  une  élection  régulière 
de  Réginald  :  tout  s'était  borné  à  un  témoignage  d'élection  en  sa 
faveur,  pour  le  cas  où  le  roi  et  les  évêques  auraient  déjà  envoyé 
à  Rome  un  autre  nom.  Cette  assertion  fut  vivement  combattue 
par  l'ami  de  Réginald,  et  les  preuves  apportées  ayant  paru  insuf- 
fisantes, le  pape  ordonna  qu'avant  le  1^^  octobre,  quinze  moines, 
dont  neuf  désignés  nommément,  se  rendissent  à    Rome  munis  des 
pouvoirs  illimités   de   leur   chapitre,   de   sorte   que   la    vérité   fût 
mise    en     pleine     lumière.    Que  si   l'élection    de     Réginald    ett.it 
déclarée  nulle,  on  procéderait  à  une  autre  à   Rome  même.   Des 
députés  du  roi  et  des  évêques  devaient  également  se  trouver  pré- 
sents ^.  L'ordre  du  pape  fut  exécuté;    on  examina  en  sa    présence 
si  les  moines  avaient  le  droit    exclusif    d'élire    l'archevêque,    ou 
si  les  évêques  devaient  participer  à   cette    élection.    Les    députés 
des  deux  partis    exposèrent   raisons    et   répliques;  enfin,   en    dé- 
cembre 120G,  le  pape    décida    en    faveur    des    moines  ^.    Puis    il 
déclara    nulle    l'élection    de    Réginald,    parce    que    faite    malgré 


1.  Innocent  III,  EpisL,  1.  IX,  n.  34-37. 
2.  Ibid.,  1.  IX,  n.  205. 


1252 


LIVRE     XXXV 


un  appel  au  Saint-Siège,  et  que  la  condition  imposée  à  l'élu 
n'avait  pas  été  remplie.  Après  quoi,  Innocent  III  ordonna  aux 
moines  présents  à  Rome  d'élire  en  sa  présence  un  autre  archevêque  ; 
après  de  longues  délibérations,  ils  portèrent  leurs  voix,  confor- 
mément au  désir  du  pape,  sur  le  cardinal  Etienne  Langton,  An- 
glais d'origine,  compagnon  d'études  d'Innocent  à  Paris,  profes- 
seur et  chancelier  en  cette  même  ville  et  depuis  peu  appelé  à  Rome. 
Le  pape  demanda  aux  ambassadeurs  du  roi  d'Angleterre  de  rati- 
fier, au  nom  de  leur  maître,  cette  élection;  mais  ils  refusè- 
rent. Innocent  sollicita  directement  du  roi  cette  ratification  par 
une  longue  lettre;  quoique,  ajoutait-il,  une  élection  faite  sous  les 
yeux  mêmes  du  pape  n'eût  pas  besoin  d'être  confirmée  par 
un  prince  séculier,  le  Saint-Siège  étant  l'asile  de  tous  les  droits 
(Innocent  affecte  de  le  redire  aux  princes)  et  étant  présumé  agir 
en  parfaite  justice. 

Les  longues  explications  du  pape  au  roi  Jean  sans  Terre  1°"^^] 
laissent  voir  qu'il  n'escompte  aucune  bienveillance  du  prince 
pour  Etienne  Langton  ^.  Il  ne  se  trompait  pas  :  Jean  sans 
Terre  fut  très  irrité  de  ce  choix.  Précisément  à  cette  épo- 
que, le  légat  du  pape,  Jean  de  Florence,  venait  de  lever  en  An- 
gleterre une  très  grosse  somme  pour  le  denier  de  Saint-Pierre;  le 
19  octobre  1206,  il  tint  à  Reading  un  concile  dont  les  détails 
ne  nous  sont  pas  connus  ^.  Jean  sans  Terre  répondit  qu'il  ne 
s'expliquait  pas  que  le  pape  voulût  lui  faire  agréer  l'élection  de 
ce  Langton,  à  lui  inconnu,  alors  qu'aucun  royaume  n'envoyait 
à  Rome  autant  d'argent  que  l'Angleterre.  Il  briserait  plutôt 
tout  rapport  avec  Rome  et  défendrait  jusqu'à  la  mort  son  bon 
droit.  En  février  1207,  il  envoya  à  Rome  cette  lettre  menaçante 
et  munit  ses  envoyés  de  beaucoup  d'argent.  Innocent  lui  répon- 
dit le  26  mai  avec  fermeté;  il  lui  adressait  les  avertissements  que 
nécessitait  sa  résistance,  lui  rappelant  le  souvenir  de  Thomas 
Becket,  et,  presque  aussitôt,  sacra  de  sa  propre  main  le  nouvel  ar- 
chevêque, à  Viterbe,  le  17  juin  1207.  A  cette  nouvelle,  Jean  chassa 
les  moines  de  Cantorbéry;  le  pape  menaça  de  son  côté  de  jeter 
l'interdit  sur  l'Angleterre  et  d'excommunier  le  roi,s'il  ne  reconnais- 


1.  Innocent  III,  Episl.,  1.   IX,  n.  206. 

2.  Reading,  comté  de  Berkshire.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  31-32;  Hardouin, 
Conc.  coll.,  t.  VI,  part.  2,  col.  1973  ;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  p.  783  ;  Wilkins,  Conc. 
Britanniœ,  1737,  t.  i,  p.  515;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  753.  (H.L.) 


644.     INNOCENT    III     ET    JEAN     SANS    TERRE  1253 

sait  pas  Etienne  Langlon  ^  Jean  sans  Terre,  fou  de  rage,  hurla 
contre  le  pape  et  les  cardinaux,  jura«  de  par  les  dents  de  Dieu  «de 
chasser  tous  les  prêtres,  si  l'interdit  était  prononcé,  et  de  couper 
le  nez  et  les  oreilles  aux  messagers  du  pape.  Cela  n'empêcha  pas 
les  évêques  de  Londres,  d'Ely  et  de  Worcester  d'obtempérer  aux 
ordres  du  pape  et  de  prononcer  l'interdit  le  24  mars  1208.  Ils  se 
hâtèrent  toutefois  de  s'enfuir  aussitôt,  ainsi  que  les  autres  évê- 
ques de  l'Angleterre,  pour  échapper  à  la  persécution  ^.  Le  roi 
ne  put  exercer  sa  vengeance  que  sur  leurs  parents  :  il  ordonna 
que  tous  les  clercs  fussent  expulsés  de  leurs  charges,  sans  dis- 
tinction de  rang  et  d'emploi,  et  leurs  biens  confisqués.  Cette 
dernière  mesure  fut  partout  exécutée;  mais  la  dépossession  ne  fut 
pas  possible  pour  tous  les  clercs  parce  qu'on  n'osa  pas  toujours 
employer  la  force.  Beaucoup  de  clercs  furent  maltraités  ou  même 
tués  par  les  gens  du  roi  ou  d'autres  mécréants.  Seuls,  quatre 
)22]  évêques  restèrent  sur  leurs  sièges  et  se  soumirent  aux  ordres 
du  roi,  ce  qui  leur  valut  le  mépris  universel.  On  engagea  des 
négociations  avec  le  pape  et  avec  Langton,  qui,  comme  autrefois 
Thomas  Becket,  avait  trouvé  asile  à  Pontigny.  Mais  le  roi  ne  vou- 
lut rien  entendre,  et  le  pape  l'excommunia  en  1209.  Cette  mesure 
redoubla  la  fureur  de  Jean  sans  Terre  contre  les  partisans  du 
pape  et  d'Etienne  Langton;  intérieurement  il  en  fut  bouleversé, 
craignant  constamment  de  se  voir  trahi  et  abandonné.  La  nouvelle 
de  l'excommunication  papale  fut  en  effet  une  précieuse  occasion 
de  révolte  fournie  à  la  noblesse  que  le  mauvais  gouvernement 
du  roi  avait  depuis  longtemps  mécontentée  (1211).  Le  roi  parvint 
à  réprimer  cette  révolte;  mais  il  se  montra  ensuite  si  cruel  envers 
les  coupables  et  les  innocents,  et  se  conduisit  d'une  manière 
si  odieuse  à  l'égard  des  femmes  et  des  filles  des  victimes,  que,  sur 
les  représentations  des  évêques  d'Angleterre,  le  pape  prononça 
contre  lui  la  déposition  et  proposa  au  roi  de  France  de  s'emparer 
du  trône  d'Angleterre  :  toute  expédition  entreprise  contre  Jean 
devait  être  regardée  comme  une  croisade,  et  ceux  qui  y  participe- 
raient gagneraient  les  mêmes  indulgences  que  s'ils  s'étaient  ren- 
dus   à    Jérusalem  ^.    Bientôt    Philippe-Auguste,   sollicité  par   de 

1.  Innocent  III,  EpisL,  1.  X,  n.  113  et  219;Potthast,  Regest.  PP.  RR.,  n.  3111; 
Pauli,  Gesch.  von  England,  t.  iii^  p.  318-338. 

2.  Reg.  de  neg.  imp.,  1.  XI,  n.  102,  P.  L.,  t.  ccxvi,  col.  1422  sq.;  n.;.214,  215, 
216,  ihid.,  col.  1529.  (II.  L.) 

3.  C'est  ce  que  nous  raconte  Mathieu  de  Paris,  Hinioria  Jngloruni~ixd  ann. 


1254  LIVRE    XXXV 

nom})reux  barons  anglais,  déclara  la  guerre  à  Jean  sans  Terre, 
dans  l'assemblée  de  Soissons  (8  avril  1213)  ^.  Le  roi  d'Angle- 
terre s'allia  aussitôt  avec  son  neveu  l'empereur  Otton  IV, 
également  excommunié,  et  avec  les  comtes  de  Flandre,  de  Bou- 
logne, de  Bar,  etc.  Cependant  le  danger  lui  parut  si  menaçant, 
qu'au  dernier  moment  il  chercha  à  le  détourner  de  lui  autant 
que  possible  en  se  réconciliant  avec  le  pape.  Son  orgueil  intrai- 

1212.  Cet  auteur,  il  est  vrai,  n'est  pas  toujours  exact.  Roger  de  Howeden,  Con- 
tinuai, in  Memoriale  Fr.  Walteri  de  Coventria,  édit.  Stubbs,  t.  ii,  p.  209.  Cf. 
aussi  Winkelmann,  P/ii/ipp  ron  iÇc/Kraèen,  t.  ii,  p.  357,  note  5;  W.  Ladenbauer, 
Wie  wurde  Kônig  Johann  von  England  Vasall  des  rômischen  Sluhles  ?  dans 
Zeitschrijl  fur  kalholische  Théologie,  1882,  p.  201  sq.,  392  sq.;  Jungmann, 
Dissertât,  ecclesiast.,  t.  v,  p.  267;  E.  Giitschow,  Innocenz  III  und  England. 
Eine  Darstellung  seiner  Beziehungen  zu  Staat  und   Kirche,  Miinchen,  1906. 

Le  projet  de  descente  en  Angleterre  en  1210  est  un  de  ces  sujets  mélangés  de 
politique  et  de  stratégie  dont  se  détournent,  conscients  de  leur  inaptitude  à  les 
traiter,  les  historiens  de  l'Eglise.  Le  dessein  de  Philippe-Auguste  avait  été  mûri 
longuement;  avec  une  cervelle  comme  celle  de  Jean  sans  Terre,  il  suffirait  d'at- 
tendre le  moment  immanquable  où  l'aubaine  serait  bonne  à  prendre.  Le  roi  de 
de  ï'rance  cut,dit-on,  une  flotte  de  1  500  voiles  et  un  corps  de  débarquement  prêt 
à  partir.  Mais  le  pape  Innocent  III,  sans  lequel  il  semblait  que  rien  ne  pût  se 
faire  désormais  en  Europe,  déclara  l'expédition  sainte,  le  royaume  anglais  de 
bonne  prise  et  le  futur  roi  de  cette  conquête  désigné.  Le  8  mai,  la  flotte  était  à 
Boulogne,  port  de  mobilisation;  on  se  dirigea  sur  Gravelines,  port  d'embarque- 
ment (22  mai).  Là,  Philippe-Auguste  apprit  une  nouvelle  invraisemblable  :  Jean 
sans  Terre  et  Innocent  III  s'étaient  réconciliés.  Survint  l'archevêque  de  Can- 
torbéry  qui,  au  nom  du  pape,  défendit  au  roi  de  passer  outre.  La  croisade 
était  décommandée;  de  dédommagement  pour  les  sommes  énormes  déboursées 
par  le  roi  de  France,  60  000  livres,  dit-on,  il  n'était  pas  question.  On  ne 
saurait  être  trop  sévère  pour  le  pape  Innocent,  et  le  tort  de  Philippe-Auguste 
fut  incontestablement  de  ne  pas  embarquer  l'archevêque  de  Cantorbéry  à 
son  bord  et  de  faire  voile  vers  l'Angleterre,  croisé  ou  non.  On  a  su  depuis 
que  toutes  les  excitations,  les  promesses  adressées  au  roi  de  France  n'étaient 
qu'une  frime  pour  l'entraîner  à  déployer  toutes  ses  forces  face  à  l'Angleterre. 
Le  pape  comptait  que  le  misérable  Jean  sans  Terre  se  laisserait  épouvanter 
et  céderait  :  aussi  avait-il  pourvu  son  légat  de  tous  les  anathèmes  et  de  toutes 
les  absolutions  pour  en  user  suivant  l'occasion.  Pendant  qu'on  mobilisait  à  Bou- 
logne, le  légat  traversait  la  Manche  à  Wissant  et  obtenait  du  lâche  roi  d'An- 
gleterre toutes  les  concessions  demandées.  Ainsi  tout  ce  grand  mouvement, 
toute  cette  mise  en  branle  d'une  croisade,  ces  grâces  spirituelles  annoncées, 
ces  avantages  temporels  promis,  simple  expédient  de  la  politique  pontificale  en 
vue  de  procurer  à  la  cour  romaine  les  avantages  très  positifs  que  l'Angleterre 
répugnait  à  accorder.  Jean  sans  Terre  se  tira  d'affaire  avec  une  rente  de 
1  000  marcs  par  an  à  payer  au  pape.  (H.  L.) 

1.  Bouquet,  Rec.  des  hist.  de  la  France,  t.  xviii,  p.  281,  603;  II.  Froidevaux, 
op.  cit.j  p.  100;  Pauli,  Geschichte  von  England,  t.  m,  p.  318-1338  sq.    (H.  L.) 


644.  INNOCENT  III   ET  JEAN  SANS  TERRE  1255 

table  fut  subitement  brisé.  Des  négociateurs  pour  la  paix  furent 
envoyés    à  Rome    et    Innocent    consentit    à    les    écouter    malgré 
ses  tristes    expériences  antérieures  et  sa    méfiance   trop    justifiée 
contre      le    roi.     Il    adressa     aussitôt     une    lettre    à    son    légat, 
le    sous-diacre    romain     Pandulf,    le     chargeant     de    faire     con- 
naître  au   roi   d'Angleterre  les  conditions  de  la  paix  ^.    Pandulf 
[823]  rencontra  les  deux  armées  ennemies  prêtes  à  se  livrer  bataille  et 
séparées  seulement   par  un  détroit   peu  étendu;  il   défendit  à   la 
flotte   française   de   le   traverser,    suivant  l'ordre   qu'il   en   avait 
reçu,  puis  il  se  rendit  à  Douvres,  où  il  fut  accueilli  par  Jean   avec 
mille  démonstrations    d'amitié    et    de   respect  -.    Le   roi,    assailli 
des  plus  tristes  pressentiments,  conscient  de  son  impopularité  et 
redoutant  l'issue  funeste  de  la  lutte,    se    déclara    prêt  à    accep- 
ter les  conditions   du   pape;   il   promit  par    serment,    le    13   mai, 
de  se  soumettre  au  jugement  de   Rome.   L'archevêque  Langton 
et  tous  les  autres  clercs  et  laïcs  qui  avaient     été    exilés,    purent 
rentrer  librement  en    Angleterre;  on  leur  assura  des  compensa- 
tions pour  les  dommages  causés,  à  condition  qu'ils  reconnaîtraient 
le  roi  pour  seigneur  et  lui  garderaient  fidélité.  Jean  fit  plus;    le 
15  mai,  il  déclara  que  la  couronne  d'Angleterre  et  d'Irlande  devait 
être  tenue  comme  un  fief  du  pape  et  s'engageait  à  payer  pour  ce 
motif  à  Rome  un  tribut  annuel  de  mille  livres  sterling  ^.  Le  pape,  en 

1.  Je  crois  pouvoir  placer  en  1213  les  deux  lettres  au  roi  Jean  et  à  Pandulf 
datées  du  28  février  et  aussi  celle  de  pacis  et  reconciliationis  leges  (Inno- 
cent III,  Regest.,  1.  XV,  n.  234),  tout  d'abord  parce  que,  d'après  le  texte  de  la 
réponse  du  pape,  Jean  avait  déjà  envoyé  à  Rome  ses  messagers  de  paix.  Cette 
ambassade  ne  put  être  envoyée  à  Rome  à  la  On  de  1211  :  étant  donnée  l'attitude 
du  roi,  il  serait  difficile  d'en  trouver  les  motifs  à  la  fin  de  1212;  au  contraire, 
après  la  sentence  de  déposition  prononcée  par  le  pape  et  en  présence  des  arme- 
ments du  roi  de  France^  son  envoi  devient  tout  naturel.  Innocent  fait  en  outre 
ressortir  dans  sa  réponse  que  le  roi  n'a  prêté  aucune  attention  aux  avertisse- 
ments qui  lui  ont  été  transmis  par  Pandulf  et  Durandus  et  qu'il  a  même  surpassé 
si  possible  ses  crimes  antérieurs  (et  postca  pe/'ora  priorihus  atlentaveris)  et 
qu'il  s'est  ainsi  montré  indigne  du  pardon  qu'il  sollicite.  Il  en  résulte,  à  mon 
avis,  qu'entre  l'ambassade  du  pape  (août  1211)  et  celle  du  roi,  il  a  dû  néces- 
sairement s'écouler  un  intervalle  d'un  an  au  moins  et  que  la  seconde  n'a  pu 
talonner  pour  ainsi  dire  la  première. 

2.  Winkelraann,  Otto  IV,  t.  ii,  p.  361.   (H.  L.) 

3.  W.  Ladenbauer,  Wie  wurde  Kunig  Johann  von  England  Vasall  des  rômi- 
schen  Stuhles  ?  dans  Zeilschrijl  fiir  kathol.  Théologie,  1882,  p.  201  sq.,  392  sq.; 
Reg.de  neg.  imp.,  1.  XV.  n.  233,  234;  1.  XVI,  n.  76-82,  P.  L.,  t.  ccxvi,  col. 
771  sq.,  876  sq.  (H.  L.) 


1256  LIVRE     XXXV 

retour,  interdit  au  roi  de  France  toute  attaque  contre  l'Angleterre. 
Le  16  juillet  1213,  Etienne  Langton  débarqua  en  Angleterre, 
avec  les  évoques,  retour  de  l'exil.  Il  fut  reçu  avec  respect  par 
le  roi.  Le  20  juillet,  Jean  fut  solennellement  relevé  de  l'excom- 
munication à  Winchester;  mais  l'interdit  subsista,  parce  que, 
avant  de  l'abroger,  on  voulait  fixer  les  compensations  dues  au 
clergé,  etc.  Dans  ce  but,  le  roi  réunit,  le  4  août  1213,  un  synode 
à  Saint-Albans,  pour  faire  estimer  les  dommages  de  chacun.  Les 
lois  d'Henri  I®^  furent  remises  en  vigueur  et  beaucoup  d'ordon- 
nances injustes  furent  abolies  ^. 

De  ce  jour,  on  retrouve  constamment  Langton  à  la  tête  de  la  [824] 
noblesse,  dirigeant  l'opposition  au  roi,  et  s'employant  à  amoin- 
drir les  droits  de  la  couronne.  Au  synode  de  Londres,  le  25  août 
1213,  il  prit  sur  lui  de  permettre  à  tous  les  clercs  de  réciter  à 
voix  basse  les  heures  canoniales  ^.  Peu  après  arriva  le  légat 
Nicolas,  cardinal-évêque  de  Tusculum  (Frascati).  Il  fut  reçu 
en  grande  pompe  (29  septembre  1213)  et  tint  aussitôt,  à  Lon- 
dres, un  synode  où  le  roi  offrit  au  clergé  un  dédommagement 
de  100  000  marcs  d'argent.  Le  légat  trouva  la  compensation 
équitable,  mais  les  évêques  demandèrent  à  réfléchir.  Le  3  octo- 
bre, dans  une  seconde  session  du  concile  tenue  à  Saint-Paul  de 
Londres,  la  couronne  d'Angleterre  fut  de  nouveau  déclarée 
fief  du  pape.  Jean  prêta  entre  les  mains  du  légat  l'/iommage /l'ge  et 
paya  le  premier  tribut  de  vassalité.  Deux  autres  sessions,  tenues 
à  Wallingford  et  à  Reading,  le  3  novembre  et  le  6  décembre, 
furent  consacrées  à  la  discussion  du  tarif  des  compensations, 
mais  sans  qu'on  pût  arriver  à  une  solution.  On  solda  néanmoins 
une  somme  de  15  000  livres. 

Entre  le  roi  et  le  haut  clergé  allié  à  la  noblesse,  qui  ne  cachaient 
pas  leur  mécontentement,  le  légat  prit  ouvertement  parti  pour 
le  souverain  :  il  autorisa  le  don  des  charges  ecclésiastiques  aux 
créatures  du  roi,  empiéta  sur  les  juridictions  épiscopales,  etc. 
De  là  d'ardentes  récriminations.  Le  14  janvier  1214,  Langton 
tint  à  Dunstaple  ^  un  concile  provincial,  dans  lequel  on  se  plaignit 

1.  Sainl-Albans,  Ilertfordshire.  Wilkins,  Conc.  Brilann.,  1737,  t.  i,  col.  540; 
Mansi,  Concilia,  Suppl.,  t.  ii,  col.  487;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxn,  col.  897; 
W.  Ladenbauer,  op.  cit.,  p.  411,  417.   (H.  L.) 

2.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  935;  Pauli,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  384. 

3.  Comté  de  Bedford.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  102;  Hardouin,  Conc.  coll., 
t.  VI,  part.  2,  col.  2039;  Coletij  Concilia,  t.  xiii,  col. 863;  Mansi^  Conc.  ampliss. 


644.    INNOCENT    III     ET    JEAN     SANS   TERRE  1257 

du  concours  prêté  par  le  légat  à  l'occupation  des  sièges  épiscopaux 
par  des  titulaires  indignes  ou  par  des  intrus.  D'après  Burton,  l'ar- 
chevêque, étant  encore  au  concile,  envoya  deux  clercs  avertir  le  car- 
dinal-légat de  l'appel  à  Rome  contre  ses  empiétements  et  lui 
interdire  de  nommer  à    n'importe  quelque    charge   ecclésiastique 


coll.,  t.  XXII,  col.  896.  En  Angleterre,  il  se  tint  à  la  fin  de  l'année  1213 
une  réunion  d'évêques  et  de  seigneurs  dans  la  cathédrale  de  Saint-Paul  de 
Londres.  L'archevêque  leur  montra  une  charte  du  roi  Henri  I",  renouvelant  la  loi 
du  roi  Edouard, laquelle  contenait  un  certain  nombre  de  concessions  à  rÉglise,aux 
nobles  et  au  gros  de  la  nation.  Après  Bouvines,  ce  fut  bien  autre  chose.  Au 
retour  du  roi  à  Londres  (25  déc.  1214), on  l'alla  trouver  en  armes,  exigeant  de  lui 
le  serment  d'accorder  les  libertés  contenues  dans  la  charte  du  roi  Henri.  Même 
pétition  à  Brackley  (27  avril  1215)  et,  sur  le  refus  du  roi  Jean,  tout  le  monde 
est  bientôt  sous  les  armes.  Le  15  juin  1215,  dans  la  plaine  de  Runnymead,  près 
de  Windsor,  le  roi  d'Angleterre,  entouré  de  ses  barons,  signa  la  grande  charte, 
acte  solennel  qui  limitait  le  pouvoir  royal:  Maintien  des  privilèges  du  clergé; 
liberté  des  élections  ecclésiastiques;  confirmation  des  droits  de  la  noblesse; 
sauvegarde  royale  accordée  aux  marchands;  reconnaissance  royale  des  droits 
et  privilèges  des  villes,  bourgs,  et  de  Londres  surtout;  règlement  de  l'impôt; 
restriction  du  pouvoir  des  fonctionnaires;  droit  de  navigation  sur  les  rivières; 
interdiction  d'étendre  les  forêts  royales  ;  nomination  d'un  comité  de  vingt  mem- 
bres élus  par  l'assemblée  chargés  de  veiller  à  l'exécution  des  promesses  royales 
et  de  contraindre  «  par  la  force,  s'il  en  est  besoin,  »  le  roi  à  respecter  la  charte. 
La  Magna  Caria  n'allait  pas  préserver  l'Angleterre  des  maux  sans  nombre 
de  la  guerre  civile  et  de  l'erreur  de  la  guerre  continentale,  mais  elle  insérait  au 
cœur  de  la  nation  le  principe  d'une  union  sans  arrière-pensée  entre  la  noblesse, 
la  bourgeoisie  et  le  peuple  en  vue  de  régler  l'Etat  et  de  fixer  l'impôt.  C'était  le 
début  du  régime  constitutionnel. Le  roi  devenait  ce  qu'il  est  resté,  un  personnage 
représentatif  de  mince  conséquence. 

Jean  sans  Terre  ne  perdit  pas  la  tête  et  joua  au  croisé. C'était  un  petit  inter- 
mède qu'on  tenait  pour  inofîensif  dans  ces  vies  agitées.  Barberousse  en  avait 
fait  usage  et,  bien  sottement,  s'était  noyé  en  chemin.  Jean  sans  Terre  se  croisa 
et  ne  partit  point.  Le  pape  attendri  prit  le  nouveau  croisé  sous  sa  protection 
et  se  mêla  de  mettre  à  la  raison  ces  indociles  barons  nnglais.  Etienne  Langton 
reçut  de  Rome  une  lettre  acerbe,  les  nobles  eurent  ordre  de  cesser  leurs  réunions, 
de  payer  l'impôt  de  l'écuage  et  d'être  bien  dociles.  Jean  imagine,  pour  opposer 
les  laïcs  au  clergé,  d'accorder  à  l'Eglise  anglaise  complète  liberté  d'élection  : 
vite  une  bulle  papale  approuve,  confirme;  mais  les  Anglais  sont  sur  leurs  gardes 
et  restent  unis.  Ce  qui  est  tragique  ou  plaisant,  on  ne  sait,  c'est  la  bulle  datée 
d'Anagni,  24  juin  1215,  par  laquelle  Innocent  annule  la  Grande  Charte  et  dé- 
fend sous  peine  d'anathème  au  roi  de  la  subir,  aux  seigneurs  de  l'imposer.  Seule- 
ment Innocent  III,  qui  savait  tant  de  choses,  ne  savait  pas  ses  Anglais. En  appre- 
nant qtie  la  Magna  Caria  était  abolie,  ceux-ci  coururent  aux  armes  et  se  résolu- 
rent à  changer  de  dynastie.  Les  révoltés  choisirent  le  fils  du  roi  de  France. 
Celui-ci,  très  tranquille,très  paternel,  laissait  faire,  blâmait  un  peu"pour  la  forme 


1258  LIVRE     XXXV 

vacante  dans  la  province  de  Cantorbéry,  ces  nominations  apparte- 
nant exclusivement  à  l'archevccfue.  Le  légat  ferma  l'oreille  à  ces 
remontrances  et  envoya  à  Rome  Pandulf  pour  contre-lialancer  ce 
que  l'archevcque  et  ses  collègues  pourraient  alléguer.  Pandulf  s'ap- 
pli(|ua  à  noircir  Langton  et  décerna  les  plus  grands  éloges  au  roi 
Jean  sans  Terre,  Maître  Simon  Langton,  frère  de  l'archevêque,  eut 
beau  travailler  en  sens  contraire ;Pandulf  trouva  d'autant  plus  de 
créance  qu'il  remit  le  document  officiel,  scellé  de  la  bulle  d'or,  par 
lequel  le  roi  acceptait  la  situation  de  vassal  de  Rome.  Il  accusa 
en  même  temps  les  évêques  anglais  d'empiéter  à  tort  sur  les  droits  [825] 
royaux  et  d'avoir  refusé  par  pur  esprit  d'avarice  les  sommes 
à    eux  offertes  à  titre  de  compensation. 

Dès  avant  l'arrivée  de  Pandulf,  le  pape  avait  écrit,  le  21  jan- 
vier 1214,  au  cardinal-légat,  que  le  roi  avait  remis  100  000  marcs 
d'argent  entre  les  mains  de  Langton,  de  Pandulf  et  de  l'évêque 
d'Ely.  Si  cette  somme  était  plus  que  suffisante  pour  réparer  les 
dommages  causés,  on  devait  rendre  le  surplus.  Dans  le  cas  con- 
traire, le  roi  avait  donné  par  écrit  l'assurance  qu'il  compléterait 
ce  qui  manquerait.  Si  ces  stipulations  avaient  été  remplies,  le 
légat  devait  sans  délai  lever  l'interdit,  quelque  objection  qu'on 
})ût  lui  faire,  et  répartir  la  somme  au  prorata  des  pertes  d'un 
chacun  ^.  Le  pape  était  mal  informé  :  en  réalité,  le  roi  avait 
promis  les  100  000  marcs,  il  ne  les  avait  pas  donnés.  La  fin 
de  la  lettre  montre  également  que  le  pape,  impressionné  par  de 
faux  rapports,  était  prévenu  contre  l'archevêque  Langton.  Dans 
une  autre  lettre  du  28  janvier  1214,  Innocent  se  plaint  des 
prélats  anglais,  qui  gardaient  pour  eux  les  trois  quarts  du  denier 
de  Saint- Pierre  ^. 

Après  l'arrivée  à  Rome  de  Pandulf,  le  pape  connut  la  vérité 
au  sujet    des    100  000    marcs;    mais,    entouré    de    gens   intéressés 

et  fournissait  les  hommes  et  rargent,ou  du  moins  ne  les  refusait  pas, qui  s'embar- 
quaient pour  l'Angleterre.  C'était  la  revanche  de  Gravelines.  On  pouvait  s'at- 
tendre à  voir  bientôt  fulgurer  les  anathèmes  contre  les  envahisseurs  de  l'Angle- 
terre, «  propriété  du  Siège  apostolique,»  quand  Innocent  III  et  Jean  sans  Terre 
moururent  (16  juillet,  19  octobre  1216).  Quant  à  la  Grande  Charte, ce  fut  la  pre- 
mière  chose  qu'on  fit  jurer  au  fils  et  successeur  de   Jean  sans  Terre.  (H.  L.) 

1.  Innocent  III,  Epist.,  1.  XVI,  n.  164,  P.  L.,  t.  ccxvi,  col.  953  sq.  La  lettre  est 
datée  du  x  cal.  febr.  pontificatus  arino  XVI,  cest-à-dirc  le  21  janvier  1214,  car 
Innocent  compte  à  partir  de  son  sacre  (22  février  1198)  et  non  pas  du  jour  de 
son  élection. 

2.  IbicL,  I.  XVI,  n.  173. 


644.  INNOCENT  m  ET  JEAN  SANS  TERRE        1259 

à  lui  faire  le  plus  grand  éloge  du  roi,  il  permit  la  levée  de  l'in- 
terdit dès  que  Jean  aurait  versé  40  000  marcs,  y  compris  la 
somme  déjà  versée.  Quant  aux  60  000  marcs  restant  dus, 
il  s'en  acquitterait  à  raison  de  6  000   marcs    par  semestre^. 

A  l'arrivée  de  cette  lettre,  le  cardinal-légat  réunit  (été 
de  1214)  à  Saint-Paul  de  Londres,  un  concile  national  anglais, 
auquel  assistèrent  un  grand  nombre  de  seigneurs.  Il  y  publia  l'or- 
donnance pontificale  touchant  les  40  000  marcs,  et  on  y  pro- 
clama officiellement  les  versements  déjà  faits.  En  somme,  l'ar- 
chevêque et  quelques  évêques  avaient  reçu  12  000  livres  avant  leur 
[826]  retour  de  l'exil;  depuis  leur  retour  ils  avaient  touché,  avec  quel- 
ques moines,  au  concile  de  Reading,  une  somme  de  15  000  livres. 
Il  manquait  donc  encore  13  000  livres  pour  parfaire  les  40  000. 
Les  évoques  de  Winchester  et  de  Norwich  se  firent  caution  pour 
le  roi  touchant  ce  reliquat,  et  Jean  sans  Terre  signa  l'engage- 
ment d'observer  fidèlement  les  prescriptions  dictées  par  le  pape. 
Le  jour  de  la  fête  des  saints  Pierre  et  Paul  1214  (d'après  d'autres 
données,  ce  fut  le  2  juillet),  l'interdit  fut  donc  solennellement 
levé  par  le  légat  dans  la  cathédrale  de  Londres  :  il  avait  duré 
six  ans  et  trois  mois  ^. 

Un  synode  se  tint  vers  la  même  époque  à  Dublin  en  Irlande,  et 
rendit  plusieurs  décrets  réformateurs  courts  mais  pratiques;  ce  ne 
fut  sans  doute  (ju'un  synode  diocésain  :  car  il  y  est  uniquement 
question  des  clercs  du  diocèse  ^ 

Entre  temps,  le  roi  Jean  sans  Terre  avait  commencé  la 
guerre  avec  la  France  pour  reprendre  ses  anciennes  possessions 
sur  le  continent.  Une  première  tentative  au  printemps  de  1214 
échoua,  et  le  pape  Innocent  s'employa  par  tous  les  moyens  à  réta- 
blir la  paix;  mais  le  roi  reprit  les  armes  dans  l'été  de  1214.  Il 
s'allia  aux  Pays-Bas  et  à  son  neveu,  l'empereur  Otton  IV,  déjà 
déposé.  On  agita  de  grands  projets,  dont  le  premier  était  d'humi- 
lier la  France  et  de  rendre  à  l'Angleterre  son  ancienne  puissance. 
Otton  espérait  que  cette  guerre  raffermirait  sur  sa  tète  la  couronne 
impériale;  en  effet,  si  la  fortune   avait    été   favorable   aux   alliés, 

1.  Innocent  III,  dans  P.  L.,  t.  ccxvii,  col.  237. 

2.  Coll.  regia,  t.  xxviii,  col.  113;  Labbe,  Concilia,  t.  xl,  col.  102-103;  Har- 
douin,  Conc.  co/^,  t.  VI,  part.  2,  col.  2039;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  885; 
Wilkins,  Concilia  Britanniœ,  t.  i,  p.  544-545;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll., 
t.  XXII,  col.  934.  (II.  L.) 

3.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  925. 


12G0 


LIVRE    XXXV 


ils  devaient  employer  leurs  armes  à  rétablir  en  Allemagne 
l'autorité  d'Otton.  Mais  la  défaite  des  coalisés  à  Bouvines  ruina 
tous  ces  projets.  Après  la  victoire,  Philippe-Auguste  envoya  au 
jeune  Frédéric  II  l'étendard  d'Otton  décoré  de  l'aigle  de  l'empire; 
effectivement,  Frédéric  avait  autant  gagné  dans  cette  journée 
que  le  roi  de  France  lui-même.  Le  roi  Jean  conclut  sa  paix  avec 
la  France,  après  avoir  renoncé  à  presque  toutes  ses  possessions 
sur  le  continent.  Quelque  temps  après,  la  noblesse,  révoltée  contre 
lui,  l'obligea  à  signer  la  Magna  Charta  (15  juin  1215)  ^.  Quant  à 
Otton  IV,  on  sait  qu'après  Bouvines  il  se  retira  à  Braunschweig 
et  l'histoire  n'a  plus  à  s'occuper  de  lui. 

Le  pape  blâma  la  conduite  des  barons  anglais  à  l'égard  du  roi, 
se  fit  le  défenseur  des  droits  delà  couronne,  rejeta  la  MagnaCharta, 
frappa  de  suspense  Etienne  Langton  pour  n'avoir  pas  excommu- 
nié les  seigneurs  anglais  et  prononça  l'excommunication  contre  [827] 
tous  les  ennemis  de  Jean  sans  Terre.  Celui-ci  envoya  des  dépu- 
tés à  Rome,  pour  se  ]>laindre  des  prélats  et  de  la  noblesse,  et 
en  particulier  du  primat,  qui,  contre  la  volonté  du  roi,  avait 
nommé  son  frère  Simon  de  Langton  au  siège  d'York  ^.Cette  plainte 
parvenait  à  Rome  au  moment  même  où  le  pape  convoquait  le 
douzième  concile  général,  auquel  fut  aussi  déférée  l'affaire  qui 
intéressait  l'Église  d'Angleterre, 


645.  Conciles  relatifs  aux  albigeois,  de  1204  à  1215. 

A  l'avènement  d'Innocent  III,  la  secte  des  cathares  s'était 
développée  dans  l'Europe  centrale,  de  l'embouchure  du  Da- 
nube au  delà  des  Pyrénées,  et  de  Rome  en  Angleterre,  Elle 
régnait  en  Bosnie  et  en  Bulgarie,  dans  le  nord  de  l'Italie  et 
dans  le  sud  de  la  France,  étendant  ses  rameaux  jusque  dans 
les  Pays-Bas,  l'Angleterre,  l'Allemagne.  Aux  ii^  et  iii^  siè- 
cles de  l'Eglise,  la  question  avait  pu  se  poser  qui  l'emporte- 
rait,   le  christianisme  ou    le    dualisme    manichéen  et   gnostique. 

1,  \V.  Mac  Ivecknie,  Mogna  Caria  :  a  commciUanj  on  the  Great  Charter  of 
king  John  with  an  historical    introduction,   in-8,  Glascow,  1905.  (H.  L.) 

2.  Pauli,  op.  cit.,  p.  411,  417,  442,  443,  448,  sq.;  Ranke,  Englische  Ge- 
schichte,  t.  i,  p,  45  sq. 


645.   concii.es   relatifs  aux    albigeois  1261 

Mille  ans  plus  tard,  la  même  question  reparaissait,  et  le  danger 
jque  coururent  alors  l'Eglise  et  la  civilisation  chrétiennes  fut  infini- 
ment plus  grave.  Pour  retrouver  une  crise  aussi  terrible,  il  faut  se 
reporter  au  viii^  siècle,  lorsque  l'islamisme,  établi  en  Espagne 
et  sur  la  côte  de  l'Afrique,  menaçait  de  recouvrir  l'Occident  tout 
entier.  Toutefois  ce  dernier  péril  fut,  somme  toute,  moins  grave 
que  celui  dont  nous  allons  nous  occuper  et  pour  le  combattre  on 
pouvait  faire  appel  au  sentiment  religieux  et  à  l'honneur  national. 
Aux  XII®  et  xiii®  siècles,  le  sentiment  national  faisait  le  plus  souvent 
cause  commune  avec  l'erreur,  par  exemple  dans  son  pays  d'origine, 
chez  les  Gréco-Slaves,  et  dans  les  contrées  où  elle  s'implanta  plus 
profondément,  comme  le  sud  de  la  France.  Dans  la  lutte  avec 
le  catharisme,  il  ne  s'agissait  plus  de  dogme  chrétien,  ni  de 
hiérarchie  ou  de  discipline  ecclésiastique.  Pas  de  conflit  confes- 
sionnel comme  nous  en  voyons  dans  l'Europe  contemporaine  : 
en  un  mot,  la  bataille  ne  se  livrait  pas  sur  le  terrain  du 
christianisme.  Chez  les  cathares,  l'écorce  et  non  la  moelle, 
les  mots  et  non  les  idées  fondamentales  étaient  chrétiens.  Dans 
[828]  l'interminable  catalogue  des  sectes  hérétiques,  ils  rappellent  ces 
gnostiques  et  ces  manichéens  dont  ils  partageaient  le  dualisme. 
Rien  d'étonnant  qu'on  ait  cherché  une  filiation  historique  entre 
ces  hérétiques  du  moyen  âge  et  leurs  prédécesseurs  des  premiers 
siècles  de  l'Église  et  que,  par  exemple,  on  ait  pensé  découvrir  dans 
les  pauliciens  de  Bulgarie  le  trait  d'union  qui  les  unit.  Cette  ori- 
gine et  ces  liens  ont  été  mis  en  doute.  C.  Schmidt  a  voulu  leur 
substituer  une  pure  hypothèse  ^.  Nous  irions  volontiers  avec  lui 
chercher  chez  les  Gréco-Slaves  la  première  apparition  des  ca- 
thares^; mais  en  voir  l'origine  dans  l'antipathie  des  moines  gréco- 
slaves  contre  le  culte  latin,  c'est  aller  plus  loin  que  ne  le  permettent 
les  documents  originaux  ^.  Schmidt  croit  que,  dans  la  solitude 
des  cloîtres,  cette  haine  des  moines  gréco-slaves  de  Bulgarie 
contre  l'envahissement  de  l'Eglise  latine  leur  suggéra    peu  à  peu 


1.  C.  Schmidt^  Histoire  et  doctrine  de  la  secte  des  cathares  ou  albigeois,  in-8, 
Paris,  1849,  t.  ii,  p.  252  sq. 

2.  Ibid.,  t.  I,  p.  2  sq. 

3.  Ibid.,  t.  I,  p.  7. [L'aigreur  produite  parmi  les  Gréco-Slaves  par  la  liturgie  im- 
posée est  incontestable.  Quant  à  dire  la  part  de  cette  aigreur  dans  la  tendance 
sécessioniste  et  la  conception  dualiste,  je  ne  crois  pas  que  personne  soit  jamais 
en  mesure  de  le  faire;  question  de  plus  ou  moins,  qu'il  y  a  utilité  à  soulever 
et  outrecuidance  à  résoudre.   (H.  L.)] 


1262  LIVRE    XXXV 

des  idées  étranges,  germe  d'une  doctrine  appelée  à  de  plus  grands 
développements  et  au  plus  déplorable  succès.  Mais  pour  expliquer 
l'évolution  de  ces  idées  vers  le  système  dualiste,  il  faut  recourir 
à  ces  pauliciens  qui  s'étaient  fixés  en  Bulgarie  depuis  le  ix^  siècle  ^. 
Il  existe  des  difl'érences  notables  entre  cathares  et  pauliciens  :  ces 
derniers  n'avaient  pas  de  culte,  tandis  que  celui  des  cathares  est 
assez  développé  ^.  Rien  n'empêche  d'admettre  que  le  principe  fon- 
damental du  dualisme  ait  passé  des  pauliciens  aux  Gréco-Slaves 
qui  l'ont  propagé.  Les  anciens  gnostiques  et  manichéens  ne  for' 
mèrent  jamais  une  secte  proprement  dite,  pourvue  d'une  doc- 
trine particulière  et  précise;  il  en  fut  de  même  pour  les  dualistes 
du  moyen  âge,  souvent  fort  éloignés  les  uns  des  autres.  Il  serait 
peut-être  plus  exact  d'envisager  ceux-ci  comme  une  confédération 
de  sectes  analogues  variant  leur  vocable  ^  suivant  les  pays,  mais 
pénétrées  du  sentiment  de  leur  confraternité,  malgré  les  diffé- 
rences qui  les  caractérisaient.  Ainsi,  dans  le  nord  de  la  France  et 
en  Angleterre,  les  cathares  sont  le  plus  ordinairement  appe- 
lés publicani,  poblicani  ou  populicani  (de  TrauXiy.tavoî),  parfois 
aussi  textores,  parce  qu'ils  exerçaient  souvent  le  métier  de 
tisserand,  en  Flandre  piphili  *,  en  Allemagne  Runharier  ou  Bun-  [829] 
keler  ^,  en  Italie  patariner,  pateriner,  patriner,  patarelli,  pateliner  ^, 
ou  encore  speronistes  '.  A  partir  du  xiii^  siècle,  on  les  désigna 
sous  le  nom  de  bulgares,  par  allusion  au  pays  d'où  était  partie 
la  secte  ^.  Quant  à  eux,  ils  se  nommaient  eux-mêmes  les  cathares, 
xa6apoÉ,  les  purs,  en  italien  gazari,  en  allemand  ketzer,  parce  que 
le  6  grec  se    prononçait  comme  une  sifflante  ^.  Dans  le  sud  de  la 

1.  Ibid.,  t.  I,  p.  3. 

2.  Ibid.,  t.  II,  p.  261-263. 

3.  C.  Schmidt,  op  cit.,  t.  i,  p.  275-284.  Sur  les  noms  donnés  aux  cathares  : 
(\^)  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  280;  (l*)  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  281. 

4.  Voir  §  620.  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  281. 

5.  Peut-être  de  Runkel,  village,  ou  de  Runco,  qui  signifie  «  courte  épée  »  en 
vieil  allemand.  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  283. 

6.  Quoiqu'ils  n'eussent  rien  de  commun  avec  les  anciens  patarins  et  leurs 
continuateurs.  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  278-280. 

7.  Du  nom  de  Robert  de  Sperone,  disciple  d'Arnaud  de  Brescia.  C.  Schmidt, 
op.  cit.,  t.  I,  p.  282. 

8.  Bulgares,  boulgres.  Villehardouin  emploie  déjà  Bougrie  pour  Bulgarie. 
En  France,  bougre  fut  un  terme  très  généralement  employé.  C.  Schmidt,  op. 
cit.,  t.  I,  p.  282.  (H.  L.) 

9.  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  276-278. 


645.    CONCILES    RELATIFS    AUX    ALBIGEOIS  1263 

France,  la  ville  d'Albi  ayant  été  longtemps  le  centre  de  la  secte, 
on  donna  indistinctement  le  nom  d'albigeois  à  tous  les  cathares  ^. 
Parlant  du  principe  de  l'éternité  et  de  la  perfection  absolue 
de  Dieu,  ils  niaient  que  le  inonde  visible  put  être  regardé  comme 
sa  création,  car,  transitoire  et  imparfait,  il  n'échappait  pas  à  la 
loi  qui  proportionne  l'eflet  à  la  cause.  Ce  monde  imparfait  et  mau- 
vais provenait  d'un  principe  mauvais,  que  la  Bible  désigne  sous 
le  nom  de  «  prince  de  ce  monde  ^  ».  Plus  tard,  certains  disciples 
des  cathares  amendèrent  ce  qu'avait  de  trop  absolu  ce  dualisme 
en  ajoutant  qu'à  l'origine,  lorsqu'il  était  sorti  des  mains  de  Dieu, 
ce  principe  mauvais  était  bon  et  qu'il  ne  s'était  corrompu  que 
par  la  suite  et  de  son  plein  gré.  Mais  c'est  ce  dualisme  non  édulcoré 
qui  est  le  dogme  primitif  et  universellement  accepté  des  cathares. 
Chaque  principe  créa  son  monde  à  lui  :  le  Dieu  bon  créa  le  monde 
invisible  des  esprits  et  le  Dieu  mauvais  créa  le  monde  visible. 
De  celui-ci  proviennent  tous  les  phénomènes,  ordinaires  ou  fu- 
nestes :  orages,  inondations,  etc.;  par  lui  poussent  les  herbes  et 
les  fruits.  Le  monde  visible  est  également  responsable  de  toutes 
les  iniquités  :  mauvaises  lois,  guerres,  persécutions,  cruautés. 
Tout  cela  est  né  de  la  haine  contre  le  Dieu  bon  et  contre  ses  ado- 
rateurs. Le  Dieu  mauvais  a  créé  le  corps  de  l'homme  et  se  trouve 
être  ainsi  la  première  cause  du  péché,  qui  provient  non  de  l'esprit, 
mais  de  la  matière.  Lorsque  le  Christ  dit  :  «  Mon  royaume  n'est 
pas  de  ce  monde  ^,  »  il  rappelle  que  le  Dieu  mauvais,  Lucifer  ou 
[830]  Lucibel,  est  prince  de  ce  monde.  Le  Dieu  bon  a  peuplé  son  monde 
d'hommes  célestes,  possédant  des  corps  immatériels.   Ils  ont  été 


1.  Le  nom  d'albigeois,  que  plusieurs  auteurs  postérieurs  étendent  aux  cathaies 
de  tous  les  pays,  se  trouve  pour  la  première  fois  chez  le  moine  Gaufrid,  auteur 
de  la  Chronique  du  monastère  de  Vigeois,  fin  du  xii^  siècle.  Il  s'en  sert  à  l'année 
1181  pour  désigner  les  cathares  du  pays  albigeois.  Ce  nom  ne  devint  général 
que  depuis  le  commencement  du  xiii^  siècle,  surtout  depuis  la  croisade;  à  cette 
époque,  on  s'habitua  à  appeler  albigeois  tous  les  adversaires  des  croisés  :  catha- 
res, vaudois,  catholiques;  on  le  fit,  parce  que  sous  le  nom  d'Albigeois  on  compre- 
nait une  grande  partie  de  la  France  méridionale.  Plus  tard  ce  nom  fut  réservé 
aux  seuls  cathares  que  parfois  on  se  bornait  aussi  à  appeler  les  hérétiques  tou- 
lousains ou  provençaux.  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  283.  (H.  L.) 

2.  Les  livres  des  cathares  ont  été  anéantis  par  leurs  adversaires;  mais  il  est 
très  facile  de  reconstruire  tout  l'édifice  de  cette  doctrine  avec  les  données  qu 
nous  ont  été  fournies  par  ces  adversaires  eux-mêmes.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  ii, 
p.  1-175. 

.3.  Joa.,  XVIII,  3G. 


1264  LIVRE     XXXV 

créés  unisexiiels  et  tous  à  la  fois;  à  chaque  Ame  d'homme  céleste 
Dieu  a  donné  un  esprit  céleste  (ou  esprit  saint)  à  titre  de  défenseur 
ou  de  protecteur.  Le  Dieu  mauvais  est  Jéhovah  :  Dieu  de  l'Ancien 
Testament;  le  Dieu  ])on  s'est  manifesté  dans  le  Nouveau  Testa- 
ment ^.  La  loi  du  premier  est  mauvaise  et  ses  observateurs  ont  été 
maudits  par  saint  Paul  ^.  Les  cathares  ne  s'accordaient  pas  entre 
eux  sur  la  question  de  savoir  si  l'Ancien  Testament  était  entière- 
ment ou  partiellement  mauvais.  Plusieurs  ne  découvraient  pas 
la  trace  du  Dieu  mauvais  dans  les  livres  prophétiques,  dans  les 
Psaumes,  Job,  etc.,  mais  seulement  dans  les  livres  historiques. 
Il  se  présentait  cependant  une  objection  :  si  le  Dieu  mauvais  a 
créé  les  corps  et  le  Dieu  bon  les  âmes,  comment  a  donc  pu  se 
faire  l'union  du  corps  et  de  l'âme  dans  l'homme?  Les  cathares  y 
répondaient  par  un  mythe  biblique  :  selon  eux,  le  Dieu  mauvais, 
jaloux  du  monde  de  lumière,  ayant  pris  la  forme  d'un  ange  de 
lumière,  put,  grâce  à  ce  travestissement,  entrer  dans  le  monde 
céleste,  et  trompa  les  hommes  célestes,  qui  ne  soupçonnaient 
pas  le  piège.  Sous  la  promesse  de  grandes  jouissances,  il  les  déter- 
mina à  venir  habiter  la  terre  et  ces  hommes  célestes  abandon- 
nèrent leurs  anges  gardiens,  auxquels  ils  ne  seront  réunis  qu'après 
une  pénitence.  Au  cours  d'une  seconde  invasion  dans  le  royaume 
de  lumière,  le  Dieu  mauvais  fut  vaincu  par  Michel.  Dès  lors  relé- 
gué dans  son  domaine,  il  voulut  se  façonner  un  peuple  soumis 
comme  le  peuple  céleste  l'est  au  Dieu  bon.  Les  âmes  célestes  en- 
traînées sur  terre  durent  alors  abandonner  leur  corps  éthéré  pour 
s'unir  à  des  corps  terrestres.  Le  Dieu  mauvais  a  créé  dès  l'origine  et 
revêtu  de  corps  quelques  démons  qui  sont  les  pires  ennemis  de  Dieu 
et  des  cathares.  Le  Dieu  bon  a  permis  l'emprisonnement  des  âmes 
célestes  dans  des  corps  matériels,  pour  les  punir  d'avoir  écouté, 
dans  le  ciel,  les  perfides  avances  du  Dieu  mauvais.  La  terre  est 
donc  un  lieu  de  pénitence  et  un  enfer  (il  n'y  en  a  même  pas  d'autre). 
Mais  les  âmes  célestes  ne  seront  pas  éternellement  pénitentes  et 
leur  nature  divine  rend  nécessaire  leur  délivrance  et  la  délivrance  [831] 
de  toutes  sans  exception.   Un  Dieu  qui  ne  sauverait  pas  tout  le 


1.  Les  cathares  possédaient  le  Nouveau  Testament  dans  une  traduction 
faite  d'après  un  texte  grec;  ils  avaient  aussi  quelques  livres  apocryphes,  ainsi 
une  Visio  Isaiœ,  et  un  questionnaire  de  Jean  au  Christ.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  ii, 
p.  5  sq.  ;  Thilo,  Cod.  apocr.  N.  T.,  t.  i,  p.  885. 

2.  Gai.,  III,  10. 


645.    CONCILES    RELATIFS     AUX     ALBIGEOIS  1265 

monde  serait  un  Dieu  ])erfide  (les  cathares  regardaient  comme 
une  énormité  la  doctrine  augustinienne  sur  la  prédestination). 
Il  n'y  aura  d'éternelle  damnation  que  pour  les  esprits  créés  par 
le   Dieu  mauvais,   c'est-à-dire  les  démons. 

Après  avoir  laissé  durant  des  milliers  d'années  les  âmes  célestes 
au  pouvoir  de   Lucifer,  le   Dieu  bon  décida  de  mettre  lin  à  son 
triomphe  et  de  délivrer  les  âmes.  Il  envoya  son  fds  Jésus-Christ 
sur  la  terre.   Afin   d'empêcher  la  rédemption,  le   Dieu   mauvais 
fit  précéder  Jésus  par  son  serviteur,  le  baptiseur  Jean.  Le  Christ 
est  plus  élevé  en  dignité  que  tous  les  anges  :  il  n'est  cependant 
qu'une  créature  de   Dieu,  la  sagesse    totalement    subordonnée    à 
Dieu  (les  cathares  n'avaient  pas  de  doctrine  émanatiste).  Le  dogme 
de  l'Incarnation   de    Dieu    est    une    folie.    Le    Sauveur    ne    peut 
s'unir  à  un  corps  matériel,  sous  peine  de  tomber  au  pouvoir  du 
Dieu  mauvais.  Son  corps  est  céleste  comme  celui  de  tous  les  habi- 
tants du  ciel.  C'est  avec  ce   corps    qu'il    est   descendu   en    Marie 
(par  l'oreille)  et  qu'il  a   semblé   naître   d'elle,   aussi    par  l'oreille. 
Marie  était  un  ange,  revêtu  d'un  corps  céleste  et  asexuel,  n'ayant 
que    l'apparence    d'une    femme  (d'après   d'autres  cathares,  Marie 
était  un  homme,  né  d'une  vierge).  Le  corps    céleste    du    Christ    ne 
ressentit  jamais  aucune  douleur.    Il  ne  mourut  qu'en  apparence, 
mais,  par  une  disposition  spéciale  de  Dieu,  il  parut  aux  disciples 
un  corps  réel.  Après  sa  mort,  le  Christ    est   remonté   aux  cieux. 
Ce  corps  céleste    était   venu   sur   la  terre  détacher  de  l'adoration 
de    Jéhovah    (le    Dieu    mauvais)    les    âmes    prisonnières,  et  leur 
apprendre  les  moyens  de  se  délivrer  de  ce  Jéhovah  et  de  la  tyran- 
nie de  la  matière.  La  rédemption  consiste  donc  dans  une  doctrine; 
aussi  la   mort   du   Christ  n'occupe-t-elle   qu'une    place   restreinte 
dans  l'économie  du  système  des    cathares.    Jésus-Christ    fut    une 
victime,  en  ce  sens  que  les  Juifs  le  mirent  à  mort  à  cause  de  son 
opposition  à  leur  Dieu.  Quelques  cathares  poussèrent  leur  docé- 
tisme  jusqu'à  affirmer  que  le   Christ  historique,  venu   en    Pales- 
tine, était  une  créature  du  Dieu  mauvais  chargée   de  tromper  les 
âmes.  Le  Christ  véritable  est  en  même  temps  un  Christ  idéal,    qui 
n'a  parlé  que  par  ses    disciples,   surtout   par   saint    Paul,    et    qui 
n'a  paru  qu'en  eux.  Quant  au  Saint-Esprit,  les  cathares  le  sub- 
ordonnaient   au     Christ  et  en  faisaient    aussi    une    créature;   ils 
le    plaçaient    comme    spiritus  principalis   à   la   tête   des   esprits 
célestes  (anges  gardiens  des  âmes),  cju'ils    désignaient    également 
sous  le  nom  de  spiritus    sancti.  —  Quiconque  veut  être  racheté 

CONCILES  —  V—  80 


1260  LIVRE     XXXV 

doit  accepter  la  doctrine  du  Christ  (celle  des  cathares)  et  en- 
trer dans  son  Église.  C'est  là  ciu'à  la  suite  de  l'acte  du  sacre  [832] 
(nous  y  reviendrons),  l'âme  est  purifiée  de  toutes  ses  fautes, 
y  compris  la  faute  originelle  commise  dans  le  ciel,  et  que  sa 
pénitence  est  achevée.  Si  le  corps  terrestre  meurt,  l'âme  purifiée 
retourne  au  ciel.  Il  ne  saurait  être  question,  dans  la  doctrine  des 
cathares,  de  résurrection  de  la  chair,  car  pour  eux  toute  chair 
a  un  cachet  satanique;  pour  ces  hérétiques,  la  résurrection  du 
corps  n'est  autre  que  la  réunion  de  l'âme  à  son  corps  céleste 
d'autrefois  ^. 

Du  dualisme  des  cathares  dérive  ce  principe  fondamental  de 
leur  morale  :«  La  matière  est  mauvaise,  tu  dois  t'en  abstenir;»  le 
résultat  pratique  fut  un  ascétisme  rigoriste  tout  en  pratiques  exté- 
rieures. Le  péché  originel  consiste  dans  l'égarement  des  âmes 
célestes  trompées  par  le  Dieu  mauvais  jusqu'à  le  suivre  dans  son 
monde  matériel,  et  les  péchés  actuels  consistent  en  des  faibles- 
ses à  l'égard  de  la  matière.  Tout  contact  avec  elle  est  coupable  : 
ainsi  la  possession  de  biens  terrestres,  le  commerce  avec  les  gens 
du  monde,  la  guerre,  l'emploi  du  jus  gladii  par  l'avitorité  civile, 
toute  défense  par  la  force,  même  la  plus  justifiée,  la  mise  à  mort 
d'un  animal  (sauf  les  serpents),  l'usage  de  la  viande,  des  œufs, 
du  lait,  etc.,  et  surtout  les  rapports  conjugaux,  qui  sont  non 
seulement  le  rapport  le  plus  grossier  avec  la  nature,  mais  encore 
un  malicieux  artifice  pour  emprisonner  de  nouveau  des  âmes. 
La  morale  des  cathares  fut  donc  nécessairement  toute  négative 
et  extérieure,  une  liste  de  prohibitions,  une  suite  de  noli  tangere. 
D'ailleurs  ces  pratiques  n'étaient  obligatoires  que  pour  les  catha- 
res du  rang  supérieur,  pour  ceux  qui  avaient  reçu  l'acte  du  sacre, 
ou  consolamentum  (consolation  2).  Ce  consolamentum  était   conféré 


1.  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  u,  p.  S-52. 

2.  J.  Guiraud,  La  morale  des  albigeois,  et  Le  consolamentum  ou  initiation 
cathare,  dans  Questions  d'histoire  et  d'archéologie  chrétienne,  in-12,  Paris,  190G, 
p.  47-150.  Le  culte  et  la  liturgie  des  cathares  apportent  une  somme  assez  nota- 
ble de  connaissance  sur  la  secte.  On  a,  pour  les  étudier,  des  textes  précis.  Ce 
sont  d'abord  deux  traités  théoriques  provenant  de  sources  entièrement  opposées 
et  qui  néanmoins  se  confirment  mutuellement.  C'est,  d'une  part,  le  rituel  héré- 
tique publié  par  Clédat,  le  Nouveau  Testament,  traduit  au  xiii^  siècle  en  langue 
provençale,  suivi  d'un  rituel  catJtare,  dans  Bibliothèque  de  la  Faculté  des  lettres 
de  Lyon,  in-8,  Paris,  1888;  ce  rituel  a  été  écrit  au  xiii^  siècle  dans  la  langue 
qui  se  parlait  alors  dans  les  pays  de  la  Garonne,  de  l'Ariège  et  de  l'Aude;  il  nous 


645.     CONCILES     RELATIFS     AUX    ALBIGEOIS  1267 

par  l'imposition  des  mains,  après  des  exercices  de  pénitence  et  un 
jeûne  absolu  de  trois  jours.  C'est  le  véritable  baptême  spirituel 
(le  baptême  d'eau  est  une  institution  du  Dieu  mauvais),  qui  unit 
l'âme  à  l'Esprit-Saint  (c'est-à-dire  à  son  ange  gardien)  et  la  délivre 
du  pouvoir  de  la  matière  et  de  Satan.  Quiconque  l'a  reçu  est  un 
parfait,  un  ami  de  Dieu,  un  Jjon  chrétien  et  un  bon  homme  (les 
bons  hommes  et  les  bons  chrétiens),  un  consolateur  et  un  para- 
clet  pour  ceux  qui  ne  sont  pas  encore  parfaits.  Ces  cathares  de 
l'ordre  supérieur  étaient  plus  particulièrement  désignés  par  les 
catholiques  comme  les  hœretici;  parfois  encore,  les  f^estiti, initiés, 
parce  qu'ils  recevaient  le  consolamentum,  complètement  nus,  sans 
autre  vêtement  qu'une  ceinture  symbolique,  une  corde  ou  un  lien 
[833]  de  lin  ou  de  laine  ^.  Ils  pratiquaient  une  rigoureuse  abstinence, 
ne  mangeant  que  du  pain,  des  fruits  et  du  poisson  c{ui  leur 
étaient  offerts  par  les  credentes  {c\a.sse  inférieure); ils  observaient 
des  jeûnes  longs  et  sévères  ^,  renonçaient  à  la  famille  et  à  toute 
propriété,  abandonnaient  à  la  caisse  commune  leurs  biens,  leurs 
revenus  et  tous  les  présents  qu'ils  recevaient  pour  la  collation 
du  consolamentum,  ou  que  leur  offraient  les  credentes.  Hommes 
et  femmes  portaient  constamment  des  manteaux  noirs  munis 
d'un  sac  de  cuir,  qui  contenait  un  exemplaire  du  Nouveau  Tes- 
tament; ils  vivaient  le  plus  souvent  dans  des  cabanes  soli- 
taires, dans  les  forêts,  ou  encore,  quand  les  persécutions  ne  les 
en  empêchaient  pas,  dans  des  maisons  communes,  où  ils  travail- 
laient de  leurs  mains,  élevaient  des  jeunes  filles  ou  soignaient 
des  malades.  Le  nombre  des  perfecti  ne  fut  jamais  considérable; 
celui  des  credentes,  au  contraire,  était  fort  grand.  Tout  en  adhé- 
rant    à    la    doctrine   des    perfecti,    les    credentes   vivaient   dans   le 

renseigne  d'une  manière  authentique  et  en  quelque  sorte  officielle  sur  les  rites 
cathares,  en  usage^  à  cette  époque,  dans  le  Haut-Languedoc.  C'est,  d'autre  part, 
la  Practica  inquisitionis  heretiae  pravllatis,  édit.  Douais,  in-4,  Paris,  1886,  écrit 
catholique  dont  les  détails  relatifs  au  rituel  hérétique  se  retrouvent  dans  le 
rituel  cathare.  Un  autre  groupe  de  documents  se  trouve  constitué  par  les  procès- 
verbaux  de  l'Inquisition  qui  nous  décrivent  les  cérémonies  auxquelles  les  accu- 
sés avaient  pris  part.  Cette  source  offre  l'avantage  de  faire  saisir  sur  le  vif 
les  rites  dont  les  deux  livres  précédents  nous  décrivent  le  mécanisme  :  à  côté 
de  la  formule  liturgique,  nous  avons  la  liturgie  en  action.  (H.  L.) 

1.  C.  Schmidt,  op.  cil.,  t.  ii,  p.   127. 

2.  C'est  pour  cela  qu'ils  étaient  d'ordinaire  assez  pàleâ;  aussi  plusieurs  per- 
sonnes furent-elles  soupçonnées  d'hérésie  uniquement  à  cause  de  la  pâleur  de 
leur  visage. 


1268 


LIVRE     XXXV 


monde  et  mariés,  possédaient  des  biens  terrestres,  faisaient 
la  guerre;  ils  étaient  jiourtant  tenus  de  se  soumettre  à  la  conve- 
nance [convenientia,  pactuni,  promesse),  c'est-à-dire  s'engager  à 
recevoir  le  consolamentum  avant  leur  mort.  Ils  avaient  la  plus 
grande  vénération  pour  les  perfecli  :  certains  signes  tracés  même 
sur  les  maisons  leur  permettaient  de  se  reconnaître    entre  eux. 

L'âme  de  celui  qui  a  reçu  le  consolamentum  retourne  au  ciel 
aussitôt  après  la  mort  du  corps;  au  contraire,  l'âme  du  simple 
credens  mort  sans  avoir  reçu  le  consolamentum^  et  de  quiconque 
n'est  pas  affilié  aux  cathares,  doit  se  résigner  à  passer  en  divers 
corps  de  bêtes  ^,  jusqu'à  ce  qu'enfin  elle  soit  trouvée  digne  du 
consolamentum.  Du  reste,  on  peut  pécher  après  avoir  reçu  le 
consolamentum;  le  Saint-Esprit  abandonne  alors  l'âme  péche- 
resse, par  exemple  si  un  perfectus  mange  de  la  viande  ou  tue 
un  animal.  Il  retombe  alors  en  la  puissance  de  Satan;  toutefois, 
il  peut  être  sauvé,  si,  après  une  nouvelle  pénitence,  il  reçoit  la 
reconsolatio  animœ,  renouvellement  du  consolamentum.  Beaucoup 
reçurent  donc  à  plusieurs  reprises  le  consolamentum,  pour  être 
sûrs  d'être  justifiés  ;  d'autres,  après  l'avoir  reçu,  se  condamnèrent 
volontairement  à  V endura  (mort  d'inanition)  pour  être  assurés  de 
ne  plus  pécher  «  et  de  faire  une  bonne  fin.  »  Ainsi  faisaient 
notamment  les  malades  et  les  prisonniers,  quand  ils  ne  préfé- 
raient pas  s'ouvrir  les  veines,  prendre  du  poison,  etc.,  toutes 
choses  très  méritoires  à  leurs  yeux  et  preuve  d'une  foi  sublime  et  [834 
d'une  grande  sainteté.  On  vit  même  des  enfants  condamner  leurs 
parents  à  V endura,  et  des  parents  y  soumettre  leurs  enfants,  afin 
de  leur  assurer  une  heureuse  fin  2. 

On  pense  bien  que  les  cathares  tenaient  leur  secte  pour  l'Eglise 
véritable.  Ils  soutenaient  que  le  mal  s'était  introduit  dans  l'Église 
par  la  «  donation  de  Constantin  »  et  que  le  pape  Sylvestre,  qui 
l'avait  acceptée,  était  l'Antéchrist  3.  Dans  l'Église  catholique,  tout 
était  dol,  mensonge  et  diablerie  :  ainsi  les  sacrements,  qui  ne  ser- 
vaient qu'à  ruiner  tout  ce  que  le  Dieu  bon  avait  fait  pour  le  salut 


1.  C'est  pour  cela  que  les  cathares  refusaient  absolument  de  tuer  aucun  ani- 
mal; aussi,  pendant  la  guerre  des  albigeois,  lorsqu'on  soupçonnait  quelqu'un 
de  faire  partie  de  la  secte,  lui  ordonnait-on  de  tuer  un  coq  ou  autre  animal. 
S'il  s'y  refusait,   il  était  présumé  cathare. 

2.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  11,  p.  71-103. 

3.  Que  ne  savaient-ils  l'histoire  et  n'étaient-ils  critiques?  ils  eussent  été  plei- 
nement rassurés  sur  la  Donation  et  sur  le  pape  Sylvestre.  (H.  L.) 


645.    CONCILES     RELATIFS     AUX    ALBIGEOIS  1269 

des  âmes.  Les  cathares  célébraient  leur  culte  partout  où  ils 
pouvaient  le  faire  en  sûreté,  et  dans  leurs  cérémonies  particulières 
tout  se  passait  avec  la  plus  grande  simplicité.  Sur  une  table  recou- 
verte d'un  linge  blanc  ils  plaçaient  le  Nouveau  Testament  ouvert 
au  premier  chapitre  de  l'évangile  de  saint  Jean.  Ils  rejetaient 
les  images,  comme  une  invention  démoniaque  et  ne  pouvaient  com- 
prendre qu'un- chrétien  exposât  une  croix,  souvenir  de  l'oppro- 
bre du  Christ  et  qui  rappelle  le  triomphe  du  Dieu  mauvais.  Leurs 
cérémonies  commençaient  par  la  lecture  du  Nouveau  Testament  ; 
venaient  ensuite  le  sermon  et  la  bénédiction.  Les  credentes  se  pros- 
ternaient devant  les  perfecti  et  leur  demandaient  de  les  bénir 
(ce  que  les  auteurs  catholiques  appellent  Vadoratio  hsereticorum 
ou  perjectorum).  Puis  on  récitait  le  Pater  noster,  seule  prière  per- 
mise (avec  la  doxologie  des  grecs),  et  la  séance  se  terminait  par 
une  nouvelle  bénédiction.  Au  nombre  des  cérémonies  du  service 
divin  se  trouvait  la  benedictio  panis  (mais  non  celle  du  vin).  A 
chaque  repas,  si  des  perfecti  y  prenaient  part,  l'un  d'eux  bénis- 
sait un  ]iain,  dont  chacun  recevait  ensuite  une  bouchée  :  c'était, 
dans  leur  pensée,  une  imitation  des  anciennes  agapes  et  un 
signe  de  communion.  Quoique  ce  pain  fût  très  différent  de  l'eu- 
charistie, qu'ils  rejetaient  formellement,  ils  l'appelaient  néanmoins 
un  «  pain  de  Dieu  »,  et  le  gardaient  chez  eux  dans  des  vases 
à  ce  destinés,  comme  les  anciens  chrétiens  gardaient  l'eucha- 
ristie. On  retrouve  aussi  chez  les  cathares  un  rite  analogue  au 
sacrement  de  pénitence.  On  devait  régulièrement  se  confesser 
tous  les  mois  {servitium^  appareiUamentum) .  Les  grands  pécheurs 
(parmi  les  credentes)  devaient  faire  une  confession  spéciale,  les 
autres  se  confessaient  tous  ensemble.  Le  pénitent  se  mettait 
à  genoux  devant  le  clerc  et  faisait  l'aveu  de  ses  fautes.  Le 
rg35|  clerc  lui  mettait  ensuite  le  Nouveau  Testament  sur  la  tête, 
tous  les  perfecti  présents  touchaient  le  livre  de  la  main  droite 
et,  après  un  Pater  noster  récité  en  commun,  prononçaient  tous 
ensemble  la  formule  d'absolution.  A  l'égard  des  fêtes,  les  cathares 
suivaient  l'usage  de  l'Eglise,  mais  ils  donnaient  à  leurs  solennités 
une  tout  autre  signification  :  ainsi,  pour  eux,  la  fête  de  la  Pen- 
tecôte était  le  souvenir  de  la  fondation  de  l'Eglise  des  cathares. 
Tout  en  rejetant  la  hiérarchie  ecclésiastique,  ils  en  avaient  gardé 
quelque  chose  :  ils  avaient  des  évoques  et  des   diacres  ^,  ordonnés 

1.  Cela  explique  comment  le  peuple  ne  vit  pas  l'énorme  différence    qui  exis- 
tait en  réalité  entre  cette  secte  et  l'Église  orthodoxe. 


1270  LIVRE    XXXV 

par  l'imposition  des  mains.  Tout  cvêque  avait  comme  deux  vicaires 
généraux,  un  filius  major  et  jninor.  Le  premier  était  toujours  le 
successeur  présomptif  de  l'évcque;  les  anciens  devaient,  en  l'ab- 
sence des  clercs,  accomplir  les  cérémonies  ^. 

Il  ne  semble  pas  que  les  cathares  aient  traduit  en  pratique 
])ar  une  vie  désordonnée  l'antinomie  qui  existait  dans  leurs 
théories.  Si  l'on  a  parfois  émis  sur  leur  vie  privée  des  supposi- 
tions injurieuses,  il  est  certain  que  la  plupart  de  leurs  adver- 
saires reconnaissent  leur  vie  sévère  et  irréprochable.  Ceci  est 
surtout  vrai  pour  les  perfecti;  si  quelques  credentes  ont  mérité 
des  reproches,  il  faut  l'attribuer  au  relâchement  des  mœurs  qui 
caractérise  cette  époque,  plutôt  qu'aux  principes  religieux  des 
cathares  ^.  Quoi  qu'il  en  soit,  on  ne  saurait  nier  la  justesse 
de  cette  parole  du  pape  Innocent  III  :  «  Les  cathares  sont 
pires  que  les  Sarrasins,  »  car  leurs  principes  n'avaient  rien  de 
chrétien,  et  les  conséquences  qu'ils  en  tiraient,  tout  en  ayant 
une  apparence  chrétienne  et  précisément  à  cause  de  cette  appa- 
rence, étaient  pour  la  vie  et  la  société  chrétiennes  plus  dangereu- 
ses que  le  Coran. 

Nous  avons  vu,  dès  les  xi^  et  xii^  siècles,  divers  conciles  et 
quelques    évoques    s'efforcer  d'enrayer    ces    périlleuses  erreurs  ^. 

1.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  104-150. 

2.  Ihid.,  p.  150  sq. 

3.  Il  faut  cependant  prendre  garde  d'englober  tous  ces  hérétiques  et  de  les 
mettre  tous^conime  on  dit  vulgairement^dans  le  même  sac.  Albigeois  est  un  terme 
commode  qui  ne  reste  exact  qu'à  la  condition  d'y  faire  entrer  les  rebelles  à 
l'Église  :  dès  l'instant  qu'on  précise  et  qu'on  distingue,  il  ne  suffit  plus.  Les  vau- 
dois,  notamment^  ont  droit  à  une  mention  séparée.  Pierre  Valdo  commence  sa 
prédication  à  Lyon,  abandonne  son  commerce  et  ses  biens  pour  pratiquer  la  pau- 
vreté, prêcher  la  réforme  de  l'Eglise.  C'est  une  manifestation  de  cet  esprit  dé 
générosité  emportée  qui  saisit  tant  d'âmes  parmi  les  contemporains  de  saint 
François  et  de  saint  Dominique.  Ces  initiatives  aboutiront,  les  unes  à  des  ordres 
religieux  disciplinés  et  hiérarchisés,  les  autres  à  des  agglomérations  désordon- 
nées qui  d'abord  s'étendent  de  Lyon  à  Metz  et  à  Montpellier,  puis  se  ramassent 
et  se  laissent  parquer,  obstinées  dans  leur  croyance  mais  stériles  dans  leur  action^ 
dans  les  hautes  vallées  des  Alpes.  On  a  fait  venir  le  mot  vaudois,  non  de  Pierre 
Valdo  ou  Waldo,  mais  de  vallis  et  valles  du  Piémont;  cela  importe  assez  peu, 
les  étymologies  historiques  sont  d'honnêtes  récréations  que  nous  devons  nous 
refuser  ici.  Cf.  sur  les  vaudois  :  Bossuet,  Histoire  des  variations  des  Eglises  pro- 
testantes, 1688,  1.  XI;  Charvaz,  Origine  de'  Valdcsi  e  caraltere  dclle  primitive  loro 
doitrine,  in-8,  Torino,  1834;  Recherches  historiques  sur  l'origine  des  vaudois 
Paris,  1836;  A.  W.  Dieckhofî,  Die  Waldenser  im  Mittelalter,  in-8,  Gottingen, 
1851   p.  ll-14'i  ;  Ueber  die  Manuscripte  der  Literatur  der  Waldenser;  J.  J.  Herzog, 


C45.    CONCILES     RELATIFS    AUX    ALBIGEOIS  1271 

Alexandre  III  prit  l'aiTaire  à  cœur  :  non  seulement  il  fil  rendre, 
dans  le  onzième  concile  œcuménique,  le  canon  rigoureux  concer- 
nant les  cathares  ;  mais  il  fui  le  premier  à  faire  prêcher 
par  son  légat  Henri,  cardinal-évcque  d'Albano  (ancien  abbé  de 
Clairvaux),  la  croisade  contre  les  hérétiques  du  midi  de  la  France 
(1180).  Beaucoup  cédèrent  à  la  force,  mais  sans  conviction  inté- 
[836]  rieure,  et,  le  danger  passé,  se  hâtèrent  de  revenir  à  la  secte  i.  Sous  le 
règne  des  cinq  successeurs  immédiats  d'Alexandre  III,  la  troisième 
grande  croisade  et  les  longues  luttes  avec  Frédéric  l^^  et  Henri  VI 
absorbèrent  le  Saint-Siège,  et  les  cathares  purent  fonder,  au  milieu 
du  monde  orthodoxe,  une  Église  fortement  organisée,  puissante 
par  le  zèle  et  l'union  de  ses  membres.  Innocent  III  ^  ne  craignait 
pas  d'affirmer  que,  dans  le  sud  de  la  France,  Manès  comptait 
déjà  plus  de  disciples  que  le  Christ.  Des  centaines  de  localités 
étaient  infectées  de  cette  erreur,  presque  tous  les  comtes  et 
barons  de  cette  contrée  étaient  des  credentes,  ou  du  moins  les 
protecteurs  et  défenseurs  de  la  secte.  Raymond  VI,  comte  de 
Toulouse  et  marquis  de  Provence,  leur  était  dévoué  (quoique 
avec  des  périodes  d'hésitation).  Raymond-Roger,  vicomte  de 
Béziers  et  de  Carcassonne.  et  les  comtes  de  Béarn,  d'Arma- 
gnac, de  Comminges  et  de  Foix  déployaient  une  grande  ardeur 
pour  la  cause,  sans  parler  de  nombreux  chevaliers  et  seigneurs  de 
moindre  ({u alité.  Le  service  divin  des  hérétiques  se  célébrait 
dans  les  châteaux  qui,  à  l'occasion,  donnaient  asile  aux  fugitifs, 
abritaient  des  écoles  pour  les  fils  et  les  filles  des  frères  plus  pauvres, 
des  séminaires  pour  la  formation  des  perfecti,  etc.  Plusieurs  grandes 
familles  avaient  quelques-uns  de  leurs  membres  dans  l'ordre  des 
perfecti  et  se  trouvaient  étroitement  unies  à  la  secte.  L'imagination 

Die  romanischen  Waldenser,  ihre  Reformalion  im  xvi  J ahrhundert  und  die  Rûck- 
wirkung  derselben,  iri-8,  Halle,  1853;  Friedrich,  Die  Ver/dlschung  der  Lehre  der 
Waldenser  durch  die  fraiizôsische  reformierte  Kirche,  dans  Œsterreich.  Vierlel- 
jahrschrift  fur  TheoL,  1866,  t.  v,  part.  1,  p.  41  sq.;  Ebrard,  dans  Zeitschrifl  fïir 
hislor.  Théologie,  1864,  t.  ii;  1865,  t.  m;  Herzog,  Ueber  das  Aller  des  Nobla 
Leiczon,  dans  même  revue,  1865;  J.  Goll,  Die  Waldenser  im  Miitelalter  und 
ihre  Literatur,  Bericht  iiber  neuere  Schriften  und  Publikationen,  dans  Miliheil 
des  Inslit.  ôsterr.,  1888,  t.  ix,  p.  326-351;  Jostes,  Die  W aldenserbibeln  und 
Meister  John  Rellach,  dans  Histor.  Jahrbuch,  1894,  p.  771,  et  une  bibliographie 
complète  dans  Chevalier,  Répertoire  des  sources  historiques,  au  mot  Vau- 
dois.    (H.  L.)  ♦ 

1.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  83  sq. 

2.  Innocent  III,  Episl.,  1.  I,  n.  9'i. 


1272 


LIVRE    XXXV 


brillante  des  Méridionaux  s'accommodait  volontiers  de  ces  rêve- 
ries. L'autorité  ecclésiastique  qui,  en  d'autres  pays,  maintenait 
l'orthodoxie  et  comprimait  les  écarts,  a^•ait  peu  de  prise  sur 
ces  populations  avides  de  liberté.  La  richesse,  les  chants  d'a- 
mour, l'organisation  bizarre  de  la  chevalerie,  avaient  produit 
une  sorte  d'indiiïérentisme  religieux;  aussi,  pour  beaucoup,  quit- 
ter l'Eglise  importait  peu.  En  outre,  le  clergé  était  tombé,  à  cause 
de  son  ignorance  et  de  sa  dissipation,  dans  le  dernier  mépris.  Une 
vieille  locution  proverbiale  :  «  Plutôt  que  de  faire  cela,  je  veux 
être  juif,  »  était  devenue  :  «  Plutôt  que  de  faire  cela,  je  veux 
être  prêtre.  ^» 

Comme  Toulouse  était  le  boulevard  des  cathares  dans  le  sud 
de  la  France,  Milan  était  leur  métropole  en  Lombardie.  Dans 
presque  toutes  les  villes  de  la  Haute-Italie,  sans  en  excepter  les 
villes  guelfes,  s'organisaient  des  communautés  de  cathares.  Les  [837] 
Etats  de  l'Eglise  n'en  étaient  pas  exempts,  et  à  Rome  même  ils 
avaient  des  écoles  ^.  Au  début    de   son   pontificat,    Innocent   III, 

1.  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  66  sq.^  188-200;  Uurter, Gesch.  d.  Papsts  Inno- 
cenz  III,  t.  II,  p.  273. 

2.  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  144  sq.,\^l  sq.  Milan  fut  de  bonne  heure  un  des 
foyers  les  plus  actifs  de  la  secte.  Les  prédicateurs  cathares  ne  se  cachaient  pas 
et  prêchaient  en  public.  Quand,  en  1166,  Galdinus  monta  sur  le  siège  épiscopaj 
de  Milan,  il  trouva  la  ville  plus  hérétique  que  catholique.  II  montra  un  grand 
zèle  contre  eux,  mais  ne  fut,  paraît-il,  aucunement  soutenu  par  le  magistrat. 
Accablé  par  l'âge,  il  prêchait  encore  dans  la  cathédrale;  on  dit  qu'il  mourut  en 
chaire  en  1113. Acta  sanct.,  april.  t.  ii,  p.  595;  Ughelli,  //a/iasacra,  t.  iv,  p.  156  sq.  ; 
Bonacursus,  Manifestata  hxresis  catharorum,  dans  d'Achery,  Spicilegium,  t.  i. 
p.  209.  Dès  1150,  on  trouve  les  cathares  à  Florence;  c'est  de  cette  ville  qu'est 
originaire  le  premier  évêque  de  la  branche  de  Concorezo  en  Italie;  les  Floren- 
tines ne  sont  pas  les  moins  ardentes.  En  1173,  les  cathares  sont  assez  puissants 
pour  occasionner  une  révolution  dans  le  gouvernement  de  la  ville.  A  Orvieto 
ils  régnent  en  maîtres  dès  1125,  mais  ils  sont  défaits  dans  une  bagarre  avec  ler 
catholiques  et  doivent,  pendant  quelques  années,  redevenir  plus  moHestes. 
En  1150,  l'hérésie  fut  prêchée  de  nouveau,  à  Orvieto,  par  Diotesalvi  de  Flo- 
rence et  par  Gérard  de  Marsano.  Chassés  par  l'évêque,  ils  furent  remplacés 
par  deux  femmes,  Milita  de  Monte-Meato  et  Julitta  de  Florence. En  1163,  nom- 
breuses arrestations,  pendaisons,  brûleries,  tout  ce  qu'on  ne  tue  pas  est  exilé; 
mais  à  quelque  temps  de  là,  la  communauté  se  reforme  plus  nombreuse  sous 
l'impulsion  et  la  direction  de  Pierre  le  Lombard.  A  Viterbe,  presque  toute  la 
population  passe  au  catharisme.  A  Vérone,  en  1184,  le  pape  Lucius  III  peut 
constater  la  grande  prospérité  des  cathares  dans  cette  ville.  A  Ferrare,  ils  sont 
si  puissants  que,  pour  les  chasser,  l'évêque  doit  recourir  au  pouvoir  civil  :  In 
veiuslissimis  quoque  staliUis  populi  Ferrariensis  legilur  :  Et  fortiam  dabo  domino 
episcopo,    ut  patareni  excant  de  civitate  Ferrarise  et  districtu.  Muratpri,  Antiq 


645.     CONCILF.S    RELATIFS     AUX    ALBIGEOIS  1273 

conscient  du  péril,  vit  que  son  devoir  était  de  combattre  avec 
d'autant  jdus  d'énergie  les  cathares  qu'ils  formaient  une  ligue 
avec  les  vaudois  et  d'autres  hérétiques.  Dès  1198,  il  chargea 
son    légat    en    Lombardie    d'obtenir  l'exclusion    des    hérétiques 


liai.,  t.  V,  p.  89.  A  Modène,  on  fit  démolir,  en  1192,  les  mo/enrfina  patarinorum 
où  les  sectaires  avaient  placé  le  siège  de  leurs  assemblées.  A  Prato,  ils  furent 
l'objet,  en  1194,  d'un  édit  sévère  de  l'empereur  Henri  VI  qui  prononça  contre 
eux  l'emprisonnement,  la  confiscation  des  biens  et  la  démolition  des  maisons  : 
beaucoup  d'entre  eux  se  réfugièrent  alors  à  Florence.  Vers  la  même  époque, 
il  y  avait  un  grand  nombre  de  cathares  en  Calabre;  l'abbé  Joachim  de  Flore 
s'occupa  de  leur  conversion;  il  parvint  à  en  raniener  plusieurs   avec  d'autant 
moins  de  peine   sans  doute  qu'ils  l'entendaient  lui-même    élever  des  plaintes 
contre  les  abus  et  les  vices  du  clergé,  et  qu'ils  pouvaient  trouver  dans  les  rêve- 
ries du  convertisseur  ample  matière  à  divaguer  suivant  le  goût  de  la    secte. 
Outre  ces  communautés  et  leurs  chefs,  nous  connaissons  deux  évêques  dualistes 
(nuance   mitigée),   ce   sont  :    Nazaire,  qui  apporta  de  Bulgarie  l'évangile  apo- 
cryphe de  saint  Jean;  et  Didier,  auteur  d'un  livre  en  faveur  des  doctrines  de  la 
secte.  Moneta,  Adversus  catharos  et  waldenses  libri  V ,  in  fol.,  Roma,  1743, p.  248, 
347,  357.  Dans  cette  période,  les  cathares  italiens  entretenaient  déjà  des   rela- 
tions intimes  avec  ceux  du  midi  de  la  France;  à  l'époque  oîi  il  n'y  avait  encore 
qu'un  seul  évêché  national  en  Lombardie,   on  rencontre  dans  cette  province 
une   église  française   dont  l'Italien  Robert  de  Spérone   était  l'évêque  :  Ecclesia 
Francigenarum,  dans  Bouquet,  Recueil  des  histor.  de  la  France,  t.  xiv,    p.  449  : 
elle  était  composée  sans  doute  de  Provençaux  que  soit  des  persécutions,   soit 
des  intérêts  commerciaux  avaient  engagés  à  s'établir  parmi  leurs  voisins,  les 
Lombards.  Robert  de  Sperone.  qui  a  laissé  son  nom  à  un  parti  delà  secte  et  qui, 
avec  l'évêque  Marc,  de  Lombardie,  s'était  laissé  gagner  à  l'ordre  de  Bulgarie,  fut 
de  nouveau  reçu  par  Nicétas  dans  la  communion  de  Tragurium    (Bouquet,  op. 
cit.,  t.  XIV,  p.  449;  ;  plus  tard,  l'église  française,  dont  Vérone  devint  le  principal 
centre,  adopta  les  opinions  particulières  d'une  branche  dite  de  Bagnolo.  Tous 
ces  témoignages,  si  clairsemés  qu'ils  soient  et  espacés  sur  une  longue  période 
d'années,  prouvent  cependant,  à  ne  pouvoir  s'y  méprendre,  la   puissance  et 
l'activité  des  cathares  en  Italie;  aussi,  vers  1190,  Bonacursus,  un  de  leurs  évê- 
ques, revenu  à  l'Eglise  romaine,  put  s'écrier  avec  effroi  :«  Ne  voyons-nous  pas  les 
villes,  les  bourgs,  les  châteaux  remplis  de  ces  faux  prophètes?»  Bonacursus,  op. 
cit.,  dans  Spicil.,  t.  i,  p.  209.  Ce  nouveau  converti  adressa  au  peuple  de  Milan 
un  long  discours  pour  lui  démontrer  la  fausseté  des  doctrines  cathares  et  pour 
l'exhorter  de  la  manière  la  plus  pressante  à  venir  «  à  l'aide  de  Dieu  en  résistant 
vigoureusement  à  cette  effroyable  et  dangereuse  hérésie.»  Mais  ni  les  exhorta- 
tions, ni  les  décrets  ne  purent  arrêter  la  secte. Outre  les  cathares,  il  faut   réserver 
une  place  aux  partisans  toujours  représentés  des  réformes  d'Arnauid  de  Bres- 
cia,  aux  vaudois  désignés  sous  le  Jiom  de  Pauvres  Lombards  et  qui  descendaient 
directement  des  vaudois  français,  aux  pasagiens,  judaïsants  qui  niaient  que  la 
loi  de  Moïse  eût  été  aboHe  par  Jésus-Christ,  enfin  aux  communiati  ou  coinnninclli, 
désignés  dans  la  loi  de  Frédéric  II  (Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  583), 
et  ainsi   décrits   :   riuia  communia  omnia  dicunl  esse  debere...   Rebaptisati,  qui 


1274  LIVRE     XXXV 

des  emplois  civils  et  la  privation  du  droit  de  vote.  Il  imposa 
au  clergé  de  Vcrone  l'excommunication  des  hérétiques;  l'or- 
donnance envoyée  au  clergé  et  aux  magistrats  de  Viterbe  est 
jiarliculièrement  importante.  Le  pape  y  défend,  sous  peine 
d'infamie,  de  recevoir  ou  de  soutenir  un  hérétique;  il  exclut 
l'hérétique  de  toutes  les  élections  et  de  tous  les  emplois,  le  dé- 
clare inhabile  à  témoigner  et  à  hériter  et  prescrit  la  confiscation 
de  ses  biens  ^.    Il  renouvelle  les  mêmes  sanctions  dans  ses  lettres 


rehaplisandos  ah  Ecclesia  esse  dlcunl.  Les  plus  puissants  de  tous  étaient  les 
cathares.  De  tous  les  pays  de  rOccident  on  venait  en  Lombardie,  sous  prétexte 
de  pèlerinage  à  Rome,  en  réalité  pour  visiter  les  hérétiques  et  s'y  faire  donner 
ou  renouveler  le  consolamentum  par  les  évèques  des  différentes  branches  de  la 
secte.  Trente  ans  auparavant,  on  ne  trouvait  qu'un  seul  évêque  pour  toute  la 
Lombardie;  lorsqu'Innocent  III  devint  pape,  on  comptait  plusieurs  diocèses. 
Les  dualistes  absolus  ou  cathares  albanais  ou  de  Tragurium  avaient  un  évêque 
à  Sorano,  un  autre  à  Vicence;  le  premier  s'appelait  Marchisio,  le  second  Nicolas; 
leurs  fils  ou  vicaires  généraux  résidaient  dans  d'autres  villes.  Les  dualistes 
mitigés,  se  rattachant  à  l'ordre  de  Bulgarie  ou  de  Corize,  avaient  également 
un  évêque  en  Lombardie,  Garatus,  dont  les  fils  résidaient  à  Brescia  et  à 
Corize.  La  branche  d'Esclavonie  avait  un  siège  épiscopal  à  Mantoue  où 
résidait  Casciano,  ayant  ses  fils  à  Milan  et  à  Bagnolo.  Milan  était  la  capitale 
du  catharisme  italien.  On  lit  dans  le  Fragmentum  incerii  nuctoris,  publié 
par  Urstisius,  Germanicse  historise  scriptores,  in-fol.,  Francfort,  1585,  t.  ii, 
p.  90  :  Mediolanum,  ubi  diversarum  hieresium  primatus  agebalur.  Erat  enim 
civitas  illa  omnium  hsereticorum  refugium  et  receptaculum,  dit  à  son  tour 
Matthieu  Paris.  Innocent  III  désigne  Milan  quasi  quandam  enoris  senti- 
nam.  Epist.,  1.  XV,  n,  189.  Etienne  de  Belleville  assure  qu'un  vaudois,  venant 
de  Milan  où  il  avait  passé  dix-huit  ans,  lui  assura  que  cette  ville  comptait  dix- 
sept  sectes,  o  se  im'icem  divisée  et  adversse,  ce  qui  probablement  se  réduit  à  des 
groupes  qu'on  pourrait  ramener  sans  trop  de  peine  aux  vaudois  ou  aux  catha- 
res. Ce  pullulement  des  sectes  à  Milan  s'explique  d'autant  mieux  que  le  magis- 
trat municipal  les  protégeait  et  opprimait  les  catholiques;  il  céda  aux  vaudois 
un  emplacement  pour  bâtir  une  école  (Innocent  III,  Epist.,  1.  XII,  n.  17),  et 
donna  un  asile  aux  hérétiques  chassés  des  autres  villes.  Partout  où  on  rencon- 
trait des  cathares,  on  retrouve  à  l'avènement  d'Innocent  III  les  communautés 
accrues  et  fortifiées;  elles  remplissent  Vérone, Viterbe,  Ferrare,  Florence,  Prato, 
Orvieto,  Faenza,  Rimini,  Côme,  Parme,  Crémone,  Plaisance,  Desenzano  sur 
les  bords  du  lac  de  Garde.  Dans  la  marche  de  ïrévise,  le  gibelin  Ezzeliu  le  Moine 
les  protège;  on  assure  même  que,  sur  la  fin  de  sa  vie,  il  devint  un  de  leurs  adeptes. 
Enfin, à  Rome  même,  les  cathares  possèdent  des  écoles  publiques  où  leurs  doc- 
teurs enseignent  l'Évangile.  Innocent  III,  Epist.,  1.  II,  n.  1  ;  1.  VII,  n.  37;  1.  IX, 
n.  7,  166  à  169;  1.  X,  n.  54;  Muratori,  Antiq.  Ilalica',  t.  v,  p.  89;  Script,  rer. 
Italie,  t.  VIII,  col.  665;  Acta  sanct.,  maii  t.  v,  p.  86,  Vita  Parcntii.  (H.  L.) 

1.  Innocent  III,  Epist.,  1.  I,  n.  298;  1.  II,  n.  1,  228;  1.  VIII,  n.  85,  105;  Mansi, 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  'i76;  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  64.  (H.  L.J 


6'i5.     CONCILES    RELATIFS     AUX    ALBIGEOIS  1275 

aux  archevêques  d'Auch,  d'Aix,  de  Narbonne,  de  Vienne,  d'Arles, 
etc.,  et  à  leurs  sufl'ragants.  11  veut  que  ceux  qui  sont  déjà  infectés 
par  l'hérésie  soient  chassés,  et,  s'il  est  nécessaire,  livrés  au 
bras  séculier  et  qu'on  invoque  contre  eux  le  secours  du  peuple. 
Les  deux  légats,  Rainier  et  Gui,  qu'Innocent  III  envoyait 
en    France  ^.    devaient    veiller    spécialement   à  l'observation   de 

1.  Innocent  III,  Epist.,  1.  I,  n.  81,  94.  Sauf  une  croisade  de  courte  durée  et 
de  nul  efïet  entreprise  en  1181  par  le  légat  Henri  d'Albano  contre  les  cathares 
méridionaux,  aucune  mesure  n'avait  été  prise  coijtre  eux.  Depuis  le  colloque 
de  Lombez,  dont  nous  avons  parlé,  un  certain  nombre  de  réunions  analogues 
s'étaient  tenues,  sans  résultat,  cela  va  sans  dire,  dans  les  premières  années 
du  XIII®  siècle.  Guillaume,  évêque  d'Albi,  de  passage  à  Lombez  où  rési- 
dait Sicard  Cellerier,  fut  sollicité  de  prendre  part  à  un  colloque,  refusa,  puis 
céda  pour  ne  pas  sembler  craindre  sa  peine  et  douter  de  sa  science,  mais  après 
avoir  discuté  on  se  sépara  comme  on  était  venu.  Quelques  écrits  dirigés  contre 
la  secte  n'avaient  produit  aucun  efïet.  L'ouvrage  de  maître  Alain,  écrit  en  latin, 
demeura  confiné  parmi  les  clercs  et  restait  inutile  et  ignoré.  La  décadence 
profonde  du  clergé  catholique  contre-balançait  tous  les  efforts  :  on  ne  pouvait 
nier  que  la  vraie  cause  du  mal  ne  fût  là.  Innocent  III,  Epist.,  1.  VII,  n.  75,  écrit 
en  1204  :  Hœretici  incauios  iaitto  facilius  post  se  trahunt,  quanio  ex  vita  archi- 
episcopi  et  aliorum  prselatorum  Ecclesise  contra  Ecclesiam  sumunl  perniciosius 
argumentum  et  aliquorum  crimina  rejundunt  in  Ecclesiam  gêneraient.  Le  concile 
d'Avignon  en  1209  n'hésite  pas  à  inculper  «  la  coupable  négligence  des  prélats 
qui,  plus  mercenaires  que  pasteurs,  ne  protègent  plus  la  maison  d'Israël  et  ne 
prêchent  plus  la  doctrine  évangélique  aux  peuples  confiés  à  leurs  soins.» 

L'opposition  trop  facile  à  établir  entre  les  mœurs  relâchées  du  clergé  et  l'aus- 
térité des  réformateurs  attirait  et  retenait  parmi  ces  derniers  beaucoup  d'affi- 
liés de  bonne  foi.  Le  vieux  chevalier  Pons  Adhémar  de  Rodilia  se  contente  de 
répondre  à  l'évêque  de  Toulouse  qui  l'engageait  à  renoncer  à  la  secte  :  «  Nous 
les  voyons  vivre  honnêtement.»  L'évêque  d'Osma,  qui  tente  de  convertir  les 
égarés,  leur  rend  ce  témoignage  :  En  hseretici,  dum  speciem  prseferunt  pietatis, 
dum  evangelicx  parcimonias  et  ausleritatis  mentiuntur  exempla,  persuadent 
simplicibus  vias  suas,  dans  Acta  sanct.,  aug.  t.  i,  p.  547.  L'hérésie,  écrit  Guil- 
laume de  Tolède,  avait  en  son  pouvoir  tout  l'Albigeois,  le  Carcassais,  le  Laura- 
gais;  elle  régnait  dans  la  plus  grande  partie  du  pays  de  Béziers  à  Bordeaux  et, 
ajoute-t-il,  qui  dirait  plus  ne  mentirait  pas.  Presque  toute  la  noblesse  appar- 
tenait à  la  secte  et  cette  circonstance  assurait  aux  prédicateurs  cathares  la 
sécurité  et  de  sérieux  moyens  de  propagande.  Les  barons,  que  nous  voyons  au- 
trefois si  soumis  aux  évêques  et  au  pape,  reconnaîtraient  sans  peine  leurs  descen- 
dants remplis  de  déférence  pour  l'évêque  cathare.  Un  jour,le  chevalier  d'Auriac, 
Olivier  de  Cuq,  fils  de  Pierre-Raimond,  un  parfait  de  la  secte,  rencontre  l'évêque 
cathare  de  Toulouse,  descend  de  son  cheval  et  l'offre  à  ce  personnage.  Archives  de 
r  Inquisition  de  Carcassonne,  1243,  Doat,  xxiv,  fol.  123.  Les  par/ctiis  sont  appelés 
encore  dans  les  châteaux  pour  remplir  les  fonctions  de  précepteurs;  au  château 
de  Fradelles,  le  parfait  Mathieu  est  gouverneur  des  fils  du  chevalier  Bernard 
d'Aide;  les  jeunes  filles  sont  élevées  dans  les  maisons  de  femmes  parfaites.  Il  y 


1276 


LIVRE     XXXV 


ces  instructions.  Rainier  ne  put  lon^rtemps  s'y  employer,  car  il 
fut  bientôt  envoyé  en  Espagne^;  mais  à  son  retour  le  pape  étendit 
ses  pouvoirs  et  exhorta  les  évcques  du  sud  de  la  France  à  secon- 
der son  zèle  ^.  Lorsque  Rainier  tomba  malade,  le  pape  le  remplaça 
par  Jean-Paul,  cardinal  de  Sainle-Prisque  (1200),  qui  devait  être 
soutenu  par  le  comte  de  Montpellier,  resté  fidèle  à  l'orthodoxie  ^. 
Nous  ignorons  le  résultat  de  ces  efforts,  en  France  comme  en 
Italie;  mais  vers  l'an  1200  l'hérésie  releva  la  tcte  en  Bosnie  et  en 
Bulgarie  avec  plus  d'audace  que  jamais  *. 

a,  pour  ainsi  parler,  des  vocations  écloses  comme  celle  de  Matfrcd  de  Poalhac 
qui  fut  reçu  parmi  les  parfaits  à  l'âge  de  quinze  ans.  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i, 
p.  196,  a  fait  remarquer  que,  dans  les  provinces  où  fleurissait  la  f^aie  science 
des  troubadours,  et  où  le  service  des  dames  était  une  des  principales  vertus  che- 
valeresques, on  voyait  très  souvent  les  femmes  renoncer  au  monde  pour  se  vouer 
au  dur  ascétisme  de  la  perfection  cathare. Vers  1203,  Esclarmonde,  fille  du  comte 
Roger-Bernard  de  Foix  et  épouse  de  Jourdain,  seigneur  de  l'Isle-Jourdain,  fut 
consolée  au  château  de  Fanjeaux;  eu  1206,  Philippa  d'Aragon  habitait  Mirepoix 
avec  d'autres  femmes  parfailes. 

Depuis  le  commencement  du  xmesiècle,  on  voit  faire  mention  de  maisons  dans 
lesquelles  vivaient  les  femmes  parfaites  sous  la  direction  d'un  parfait  ou  d'un 
diacre;  il  y  avait  des  maisons  à  Fanjeaux,  à  Gaian,  à  Montréal,  à  Mirepoix;  on 
cite  même  un  couvent  catholique  dont  toutes  les  nonnes  étaient  cathares. 

Le  centre  de  l'ÉgHse  cathare  dans  le  Midi  était  Toulouse;  c'était  le  centre 
de  la  communauté  et  de  l'organisatic  n.  A  Toulouse  venaient  conférer  et  se 
retremper  les  chefs  hérétiques;  de  là,  partaient  les  missionnaires  à  destination 
de  l'Espagne.  Les  principaux  Toulousains  étaient  cathares  et  bravaient  tous  les 
anathèmes  et  toutes  les  menaces.  Désormais,  par  leur  exemple,  et  par  leur  in- 
fluence, ni  dîmes  ni  rentes  n'  talent  plus  payées  à  l'évêque.  «  Ce  serait  trop 
dire,  sans  doute,  si  on  voulait  prétendre  que  tous  les  habitants  de  Toulouse  et 
du  Midi  en  général  ont  été  de  la  secte  cathare;  car,  outre  qu'il  y  avait  à  côté  des 
cathares  des  vaudois,  il  se  trouvait  toujours  un  grand  nombre  d'habitauts  qui 
ne  se  séparaient  pas  du  catholicisme.  Mais  l'hérésie  avait  exercé  son  influence 
sur  la  grande  majorité  de  ces  derniers  eux-mêmes;  elle  avait  réagi  sur  les  dispo- 
sitions de  toute  la  population  naéridionale.  De  même  que  les  hérétiques  s'étaient 
propagés  à  la  faveur  des  tendances  libres  et  indépendantes  du  Midi,  ils  avaient 
contribué  à  leur  tour  à  donner  à  ces  tendances  plus  d'extension  et  de  force;  l'es- 
prit d'opposition  contre  Rome  s'était  emparé  des  catholiques  eux-mêmes;  on 
rencontrait  des  troubadours,  qui,  tout  en  faisant  profession  de  convictions  ortho- 
doxes, attaquaient  avec  véhémence  le  pape  de  Rome  et  ses  prêtres  et  pendant  la 
croisade  tout  le  Midi  se  leva  pour  défendre  son  indépendance  contre  lesRomienx, 
les  porte- gour don,  les  faux  pèlerins  du  nord.  »C.  Schmidt,op.c^^,  1. 1,  p.  201.(11.  L.) 

1.  Linocent  III,  EpisL,  \.  I,  n.  165,  13  mai  119S.  (H.  L.) 

2.  Innocent  III,  Epist.,  1.  1,  n.  165;  1.  11,  n.  122,  123,  12  juillet  1199.  (H.  L.) 

3.  Jean,  cardinal  de  Sainte-Prisque,  avait  à  faire  exécuter  le  décret  rendu 
contre  les  cathares  de  Viterbe  en  juillet  1199.  (H.  L.) 

4.  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  112,  113,  148,  20'i. 


645.     CONCILES    RELATIFS     AUX      ALBIGEOIS  1277 

Vers  la  fin  de  cette  même  année,  le  pape  Innocent  envoya  dans 
le  sud  de  la  France  de  nouveaux  missionnaires  et  légats.  C'étaient 
deux  cisterciens  du  monastère  de  Fontfroide^,  Raoul  et  Pierre 
[838]  de  Castelnau  -.  Celui-ci  avait  été  pendant  (juelque  temps  le  colla- 
borateur de  Rainier.  Ils  commencèrent  leur  mission  par  Toulouse 
dont  le  magistrat  leur  fit  la  promesse  solennelle  de  défendre  la  foi. 
Mais  la  bourgeoisie  n'en  tint  aucun  compte  et  resta  attachée  à 
la  secte  3.  Les  envoyés  du  Saint-Siège  ne  furent  en  aucune  façon 
soutenus  par  la  noblesse.  Le  roi  d'Aragon,  Pierre  II,  suzerain  de 
diverses  parties  du  Languedoc,  se  borna  à  faire  tenir  à  Carcas- 
sonne  (février  1204),  un  colloque  religieux  dans  lequel  les  héré- 
tiques exposèrent  leurs  sentiments  et  furent  réfutés  par  les  ora- 
teurs orthodoxes.  Certains  évcques  du  sud  de  la  France,  entre 
autres  ceux  de  Xarbonne  et  de  Béziers,  jaloux  des  pouvoirs  étendus 
confiés  aux  légats,  leur  faisaient  une  sourde  opposition,  au  point 
que  les  envoyés  du  pape  sollicitèrent  leur  rappel.  Innocent  s'obs- 
tina, leur  adjoignit,  pour  les  encourager,  Arnaud,  abbé  de  Cîteaux, 
et  prescrivit  de  nouveau  l'exil  des  hérétiques  opiniâtres  par  les 
seigneurs  temporels  et  la  confiscation  de  leurs  biens.  Pour  mieux 
assurer  l'exécution  de  ses  ordres,  le  pape  écrivit  au  roi  de  France, 
suzerain  de  presque  tous  ces  pays  *,  l'exhortant  à  tirer  l'épée, 
à  tenir  l'hérésie  en  échec,  et  à  exiger  des  comtes  et  barons 
l'expulsion  des  hérétiques  et  la  confiscation  de  leurs  biens.  Le 
pape  autorisait  le  roi  à  réunir  à  ses  propres  domaines  les  possessions 
de  tout  baron  qui  se  refuserait  à  ce  devoir  ^. 

Troublé,  Raymond  VI,  comte  de  Toulouse,  promit  l'expulsion 
des  hérétiques  de  son  territoire.  Vaine  promesse,  tous  les  efforts 


1.  Fontfroide,  commune  de  Narbomie,  département  de  l'Aude.  (H.  L.) 

2.  Pierre  de  Castelnau,  archidiacre  de  Maguelone,  cistercien  à  Fontfroide 
vers  1200,  légat  et  inquisiteur,  1203;  mort  le  15  janvier  1208, canonisé  le  10  mars 
1208.  Acta  sancL,  mart.  t.  i,  p.  411-417;  3^  édit.,  p.  409-415.  (H.  L.) 

3.  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  205.  (H.  L.) 

4.  La  plus  grande  partie  du  midi  de  la  France  (Languedoc,  Provence,  etc.) 
était  sous  la  suzeraineté  du  roi  de  France.  Une  partie  bien  moindre  reconnais- 
sait, au  contraire,  le  roi  d'Aragon  pour  son  suzerain  supérieur.  Dans  le  sud- 
est,  Arles  reconnaissait  la  suzeraineté  de  l'empereur  d'Allemagne. 

5.  Innocent  III,  Episl.,  1.  VII,  n.  76,  77,  79;  Hurter,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  277; 
C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  204,  qui  se  trompe  en  disant  que,  dès  ce  moment, 
le  pape  prêcha  contre  les  hérétiques  une  croisade  proprement  dite.  Le  pape  dit 
seulement  [Epint.,  1.  VII.  n.  76),  que  celui  qui  s'employait  contre  les  hérétiques 
gagnait  la  même  indulgence  que  s'il  combattait  pour  la  cause  de  la  Terre  Sainte. 


1278»  LIVRE     XXXV 

des  légats  demeuraient  si  stériles  que  Pierre  de  Caslelnau  solli- 
cita de  nouveau  avec  instance,  mais  inutilement,  d'être  relevé 
de  sa  mission.  Peu  de  temps  après,  les  légats  obtinrent  de 
Raymond  Rabastens,  archevêque  intrus  de  Toulouse  et  créature 
du  comte,  sa  démission  (printemps  de  1205);  le  chapitre  le  rem- 
plaça par  Foulques  de  Marseille,  troubadour  devenu  moine.  Cet  [8391 
homme,  plein  d'une  bouillante  énergie,  permit  aux  légats  d'entre- 
voir un  meilleur  avenir  ^. 

Le  pape  adjoignit  encore  comme  auxiliaires  à  ses  envoyés  quel- 
ques autres  cisterciens  ^,  et  tous  ensemble  célébrèrent  avec 
les  évêques  du  sud  de  la  France,  durant  l'été  de  1206,  un 
concile  à  Montpellier,  pour  délibérer  sur  la  meilleure  conduite 
à  tenir  ^.  Ils  s'y  rencontrèrent  avec  l'évêque  Diego  d'Osma  et 
son  sous-prieur  Dominique  de  Guzman,  qui  venaient  de  Rome 
et  retournaient  dans  leur  pays.  Diego  ne  tarda  pas  à  se  con- 
vaincre que  le  train  de  vie  relativement  somptueux  des  légats, 
notamment  leur  cortège  de  chevaux  et  de  domestiques,  était 
une  des  causes  de  leur  insuccès.  En  efïet,  les  hérétiques,  qui 
pratiquaient  bruyamment  la  pauvreté  apostolique,  ne  taris- 
saient pas  sur  ces  équités,  qui  se  disaient  les  envoyés  du  Christ, 
lecjuel  vécut  pauvre  et  marcha  à  pied.  Diego  conseilla  aux 
légats  d'étaler  moins  de  faste,  répondit  aux  objections  et,  don- 
nant l'exemple,  renvoya  ses  chevaux,  ses  serviteurs  et  commença 
])auvre,  avec  saint  Dominique,  sa  mission.  Presque  en  même 
temps,  le  pape  Innocent,  d'accord  avec  les  missionnaires  espagnols, 
prescrivit  (17  novembre  1206)  ce  changement  de  tactique*.  Les 
missionnaires  durent  prêcher  pieds  nus,  pauvrement  vêtus,  comme 
jadis  les  apôtres  ;  on  leur  prescrivit  de  parcourir  le  sud  de  la  France, 
en  faisant  des  haltes  et  en  engageant  des  colloques  et  des  discus- 
sions avec  les  députés  des  hérétiques,  pour  gagner  ainsi  les  âmes 
par   des   discussions   pacifiques.    Ainsi   on   procéda   à    Verfeuil   ^, 


1.  Innocent  III,  EpisL,  I.  VII,  n.  210;  1.  VIII,  n.  115;  Hurler,  op.  cit.,  t.  ii, 
p.  278;  C.  Schnaidt,  op.  cil.,  l.  i,  p.  208. 

2.  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  208.  (H.  L.) 

3.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  32;  De  Vie  et  Vaissete,  Hisi.  génér.  de 
Languedoc,  t.  m,  p.  560;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col.  1973; 
Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  785  ;  Mausi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col. 
753.  (H.  L.) 

4.  Innocent  III,  EpisL,  1.  IX,  n.  185. 

5.  C.    Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  211.  (H.  L.) 


6'i5.     CONCILES    RELATIFS    AUX    ALBIGEOIS  1279 

Caraman  ^,  Béziers  ^,  Careassonne  ^,  Monlrcjeau  ^  et  Pamiers  ^. 
Dans  cette  dernière  ville,  Diego  acheva  de  se  convaincre  que, 
malgré  tous  ces  sacrifices,  l'opiniâtreté  des  hérétiques  rendrait 
tous  les  efforts  infructueux  et,  en  1207,  il  regagna  Osma^.  Domi- 
nique resta  en  France,  poursuivit  avec  les  cisterciens  l'œuvre 
commencée,  fonda  à  Prouille,  près  de  Fanjeaux,  au  milieu  du 
pays  des  hérétiques,  une  maison  d'éducation  pour  les  filles  des 
habitants  de  la  campagne,  afin  de  combattre  l'influence  des 
établissements  analogues  fondés  par  les  cathares  '.  Cette  mai- 
son de  Prouille  fut  le  berceau  de  l'ordre  de  Saint -Dominique, 
tandis  qu'une  autre  fondation  du  même  genre,  a  la  confrérie  des 
catholiques  pauvres  »,  ne  tarda  pas  à  disparaître.  Elle  avait  été 
fondée  par  Durand  de  Huesca,  ancien  cathare  converti  par  Diego 
[840]  d'Osma,  et  s'employa  d'abord  à  la  conversion  des  hérétiques  et 
à  la  pratique  de  la  pauvreté  apostolique.  Mais  elle  ne  tarda  pas 
à  être  soupçonnée  elle-même  d'hérésie,  et  elle  donna  assez  de  scan- 
dale à  cause  de  diverses  singularités  dans  le  culte  et  dans  la  con- 
duite de  ses  membres  ®. 

Pierre  de  Castelnau  s'eiïorca  de  rétablir  la  paix  entre  le  comte 
de  Toulouse  et  plusieurs  barons  de  Provence,  pour  les  mettre  à 
même  de  réunir  ensuite  leurs  forces  contre  les  hérétiques.  Le 
comte  ayant  repoussé  cette  paix,  Pierre  de  Castelnau  prononça 
contre  lui  et  son  comté  une  sentence  d'excommunication  et  d'in- 
terdit que  le  pape  confirma  dans  une  lettre  énergique  adressée  au 
comte  le  29  mai  1207.  S'il  commence  par  lui  souhaiter  spiritus 
consilii  sanioris,  il  ne  craint  pas,  dans  le  contexte,  de  l'appeler  ç'i'r 
pestilens.  Innocent  voulait  l'épouvanter  et  y  réussit  en  par- 
tie. Le  comte  promit  de  s'amender  et  entra  en  négociations  avec 
Pierre  de  Castelnau;  mais  à  peine  avait-il  fait   ces   promesses  que 

1.  C.  Schmidt,  op  cit.,  t.  i.  p.  211.  (H.  L.) 

2.  Ibid.,  p.  212.  (H.  L.) 

3.  Ibid.,  p.  212.  (H.  L.) 
/..  Ibid.,  p.  212.  (H.  L.) 

5.  Ibid.,  p.  213.  (H.  L.) 

6.  Ibid.,  p.  214.  (H.  L.) 

7.  Prouille,  commune  de  Fanjeaux,  département  de  l'Aude.  J.  Guiraud, 
Cartulaire  de  Notre-Dame  de  Prouille.  Recueil  de  textes,  précédé  d'une  étude 
sur  l'albigéisme  languedocien  au  xii^  et  au  xiii®  siècle,  in-8,  Paris,  1907;  Saint 
Dominique  a-t-il  copié  saint  François  ?  dans  Questions  d'histoire  et  d'archéologie 
chrétienne,  1906,  p.  153-165.  (H.  L.) 

8.  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  216  sq.  ;  Hurler,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  283  sq. 


1280 


l.IVRE    XXXV 


le    légat    était    assassiné    à    Saint-Gilles,     en    janvier    1208,    par 
deux  inconnus  ^. 

Deux  mois  auparavant  (novembre  1207),  le  pape  avait  écrit 
au  roi  de  France,  lui  exposant  qu'un  mal  aussi  invétéré  et  qui 
défiait  Ions  les  ofTorIs  des  médecins,  ne  pouvait  être  guéri  que 
par  le  feu.  Aussi  engageait-il  le  roi,  en  sa  qualité  de  suzerain 
du  comté  de  Toulouse,  à  extirper  l'hérésie  par  les  armes. 
Pendant  ce  temps,  il  prendrait  la  France  sous  sa  protection 
spéciale  et  accorderait  à  ceux  qui  combattraient  les  hérétiques 
les  mêmes  indulgences  qu'aux  croisés.  Innocent  III  adressa 
des  lettres  analogues  aux  comtes  de  Troyes,  de  Vermandois  et 
de  Blois,  et  en  général  à  tous  les  grands  barons  du  nord  de 
la  France  ^.  A  la  nouvelle  de  l'assassinat  du  légat,  le  pape, 
qui  par  erreur  attribuait  ce  crime  au  comte  de  Toulouse,  renou- 
vela son  appel  aux  armes  ^,  et  un  grand  nombre  de  barons  du  nord 
de  la  France,  même  des  Allemands  et  des  Frisons,  y  répon- 
dirent eu  prenant  la  croix.  Philippe-Auguste,  roi  de  France, 
approuvait  pleinement  l'entreprise,  sans  toutefois  se  décider  à  se  18411 
mettre  à  sa  tête,  ainsi  c(ue  le  pape  l'aurait  désiré  *.  Arnaud, 
abbé  de  Cîteaux,  et  les  évêques  de  Conserans  et  de  Riez  furent 
nommés  légats  pour  l'expédition,  dont  ils  eurent  la  conduite.  Le 
pape  leur  recommanda  de  ne  pas  perdre  de  vue  l'importante 
maxime  :  Diuide  et  impera,  de  ne  pas  s'attaquer  tout  d'abord  au 
puissant  comte  de  Toulouse,  mais  de  vaincre  successivement  les 
barons,  afin  que  Raymond,  se  voyant  abandonné,  se  convertît 
ou  qu'on  eût  plus  facilement  raison  de  lui  ^.  Innocent  III  adressa 
aussi  à  tous  les  croisés  des  lettres  pleines  de  feu  pour  exciter  leur 
zèle  et  leur  courage  en  faveur  de  l'expédition  ^. 

Le  comte  Raymond  promit  de  se  soumettre  à  l'Eglise,  si  le  pape 
lui  envoyait  un  autre  légat  que  l'abbé  Arnaud  de  Cîteaux,  son 
ennemi  personnel.    Innocent  envoya  son  notaire  Milo  et    maître 

l.^C.Schmidt,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  219;  Hurter,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  290. 

2.  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  218-219;  Innocent  III,  Epist.,  1.  X,  n.  149. 

3.  Innocent  III,  Epist.,  1.  XI,  n.  26-33. 

4.  Ibid.,  n.  229. 

5.  Ibid.,  n.  232.  Potthast  place  cette  lettre  au  3  février  1209.  C.  Schmidt, 
op.  cit.,  t.  I,  p.  223,  qui  a  un  ressentiment  personnel  contre  Innocent  III 
—  de"^pareilles  choses  font  sourire  —  a  interprété  ces  instructions  du  pape 
comme  si  Innocent  III  demandait  l'écrasement  du  comte,  au  lieu  de  sa  con- 
version.   (H.   L., 

6.  Innocent  III,  Epist.,  1.  XI,  n.  230-231. 


645.     CONCILES    RELATIFS     AUX    ALBIGEOIS  1281 

Théodose,  chanoine  de  Gênes.  Milon  réunit  (été  de  1209)  un  con- 
cile à  Montélimar  sur  le  Rhône,  au  sud    de    Valence^,  pour   déli- 
bérer avec  les  évoques  du  sud  de  la  France,  sur  le  rétablissement 
de  la  paix   dans   le   sud-est   et   le  sud-ouest,   notamment   avec  le 
comte  de  Toulouse.  Sur  le  conseil  de  l'abbé    de    Cîteaux,    Milon 
posa  aux  évoques  présents  une  série  de  questions,  auxquelles   ils 
devaient    répondre    par   écrit.   Les    votes    furent   émis,  paraît-il, 
à  l'unanimité.   Milon  convoqua  ensuite  le  comte  Raymond  à  Va- 
lence, pour   négocier  avec  lui.  Raymond  vint  et,    comme  d'habi- 
tude, promit  tout  ce  qu'on  voulut.   Le  légat,   justement   méfiant, 
lui  demanda  de  livrer,   comme  gage  de   sa   sincérité  et  de   l'exé- 
cution de  ses  promesses,   sept  de   ses   châteaux    en    Provence,    et 
réclama     d'autres     garanties.     Le     comte    s'exécuta;   le    18  juin 
1209,    il  fut  solennellement    relevé  de  l'excommunication  par  le 
légat,    à    Saint-Gilles,    en    présence    de    plus    de    vingt  évêques, 
après  avoir  juré  de  donner  satisfaction  au  pape  ou   à  son  légat, 
sur   tous    les  points  qui  avaient  motivé  sa  condamnation.    Dans 
l'acte  rédigé  à  cette  occasion,  Raymond  a  soin  de  faire  parade 
de  sa  puissance  et  d'insérer  tous  ses  titres  :  «  Duc  de  Narbonne, 
[842]  comte  de  Toulouse   et  marquis  de  Provence.»  Divers  détails    de 
cette   pièce   prouvent    combien    Raymond    avait  été  fauteur  de 
l'hérésie  et  avait  nui  à  l'Église.   Non  seulement  on  y  rappelait  les 
soupçons  provoqués  par  son  bon  accueil  aux  meurtriers  de  Pierre 
de  Castelnau;  mais  on    l'accusait    d'avoir    emprisonné  ou  chassé 
plusieurs  évêques  et  clercs,  brûlé  leurs  maisons,  pillé  des  églises  et 
des  monastères,  changé  plusieurs  églises  en  citadelles,  donné  aux 
juifs  des  emplois  publics,  etc.  Un  second  document    contient  les 
conditions  imposées  au  comte  par  le   légat.    Par  le  troisième,  le 
comte    garantit    aux    églises   et   monastères   des   cinq   provinces 
ecclésiastiques  (tant   son  territoire  était  considérable)    leurs  im- 
munités et  libertés  ^. 

Se  conformant  à  l'exemple  du  comte  de  Toulouse,  la  plupart 

1.  Montélimar,  sous-préfecture  de  la  Drôme.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  35, 
39;  Percin,  Monum.  conv.  Tolos.  prsedic,  1693,  t.  ii,  p.  20-21,  36;  Hardouin, 
Conc.  coll.,  t.  VI,  part.  2^  col.  1979;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  791;  Mansi,  Con- 
cilia, Supplem.,  t.  II,  col.  297;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  768;  C.  Schmidt, 
op.  cil.,  t.  I,  p.  215;  llurter,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  293-299.  (H.  L.) 

2.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  771,  774-784.  Sur  le  personnat^e 
et  le  caractère  du  comte  Raymond  VI  de  Toulouse,  cf.  C.  Schmidt  op.  cit. 
t.  II,  p.  196-198.  (H.  L.) 

CONCILES  -  V  —81 


1282 


LIVRE     XXXV 


des  seigneurs  du  midi  de  la  France  firent  leur  soumission  et  répon- 
dirent aux  demandes  des  légats  par  les  plus  belles  promesses.   Les 
consuls  d'un  grand  nombre  de  villes,  Avignon,  Saint-Gilles,  Arles, 
Nîmes,  Orange,  etc.,  s'engagèrent  par  écrit  à  obliger  le  comte  de 
Toulouse  à  remplir  ses  promesses,  à  observer,  pour  leur  compte,  les 
prescriptions  des  légats  et  à  confisquer  les  biens   des  hérétiques  ^. 
Le  jeune  Roger,  vicomte  de  Béziers,  jusqu'alors  très  dévoué  à  la 
secte  des  cathares,  voulut  à  son  tour  négocier  pour  éloigner  l'ar- 
mée des  croisés  de  son  territoire.  Mais  l'abbé  Arnaud  ne  se  méprit 
pas  sur  le  véritable  mobile  de  cette  proposition  et  refusa  d'entrer 
en  pourparlers;  Roger,  soutenu  par  un   grand    nombre  d'amis  et 
de  villes,  risqua  le  sort  des  armes.  L'aversion    contre  les    croisés 
du    nord    lui  valut  des   partisans    jusque   parmi  les   catholiques 
méridionaux;  mais  ses  principales  forteresses,  Béziers  et  Carcas- 
sonne,    tombèrent    promptement    au    pouvoir    des    croisés  ^.    Le 
vicomte     fut    fait    prisonnier   et   mourut   peu  après  ^.  L'abbé  de 
Cîteaux  convoqua  alors  les  chefs  de  l'armée   des   croisés,  afin  de 
choisir    parmi   eux   un   seigneur  pour  les  pays  que  l'on  venait  de 
conquérir.  Plusieurs  refusèrent  les  offres  à  eux  faites  :  ainsi  le  duc 
de  Bourgogne,  les  comtes  de  Nevers  et  de  Saint-Paul,  disant  qu'ils 
étaient  venus  pour  combattre  les  hérétiques,  mais  non  pour  s'em- 
parer d'un  bien  qui  ne  leur  appartenait  pas.  Le  choix  tomba  enfin  [843] 
sur  Simon  de  Montfort,  revenu  depuis  peu  de  Palestine.   Simon 
accepta;  mais  sa  situation  fut  tout  d'abord  assez  critique,  car  il 
se  vit  abandonné  par  la  plupart  des  croisés,  qui  ne  s'étaient  enga- 
gés que  pour  une  période  de  quarante  jours  *.  Simon  fut  néanmoins 


1.  Innocent  III,  Epist.,  1.  XII,  n.  108;  Hurter,  Gesch.  d.  Papsts  Innocenz  III, 
t.  II,  p.  307. 

2.  C.  Douais,  Un  épisode  des  croisades  contre  les  albigeois.  Le  siège  de  Carcas- 
sonne,  1^^-15  août  1209,  dans  la  Revue  des  questions  historiques,  1882,  t.  xxxi, 
p.  121-159.  (H.  L 

3.  Ibid.,  p.  157-159.  (H.  L.) 

4.  Voyez  la  lettre  de  Simon  au  pape,  dans  Innocent  III,  Epist.,  1.  XII,  n.  109. 
Simon  IV,  baron  de  Montfort  (1181  ),  comte  de  Leicester,  croisé  en  Orient(1202), 
chef  de  la  croisade  contre  les  albigeois  (1208),  comte  de  Toulouse  et  duc  deNar- 
bonne  (1215),  mort  devant  Toulouse  le  25  juin  1218.  V.  Canet,  Simon  de  Mont- 
fort et  la  croisade  contre  les  albigeois,  in-8,  Lille,  1891;  C.  Douais,  Soumission  de 
Toulouse  (août  1207-avril  1210),  in-8,  Paris,  1884;  A.  du  Velay,  Simon 
de  Montfort  et  la  croisade  des  albigeois,  1207-1226,  in-32,  1875;  F.  Laferrière, 
Lois  de  Simon  de  Montfort  et  coutumes  d'Albi  des  xiii^,  xiv^  et  xv^  siècles,  dans 
Rei>ue  de  législation,  1838,  t.  viii;  le  même,  Mémoire  sur  les    lois   de   Simon  de 


645.     CONCILES    RELATIFS    AUX    ALBIGEOIS  1283 

assez  fort  pour  s'emparer  de  quelques  autres  villes,  et,  abusant 
de  l'autorité  des  légats,  il  commença  dès  lors  ses  opérations  contre 
le  comte  de  Toulouse,  dont  il  convoitait  les  possessions. 

Il  se  fia  surtout  à  la  force  et  fut  féroce;  mais  les  cathares 
furent  sauvages,  et  il  était  d'autant  plus  difficile  d'en  venir  à 
bout  que  des  perfecti  s'étaient  cachés  dans  des  châteaux  éloi- 
gnés ^. 

Le  G  septembre  1209,  le  légat  Milon,  d'accord  avec  son  collè- 
gue, Hugues,  évêque  de  Riez,  essaya  de  réformer,  dans  un  concile 
tenu  à  Avignon,  la  situation  religieuse  de  la  Provence,  pour  mieux 
s'opposer  à  la  propagation  de  la  secte  ^.  Les  archevêques  de  Vienne, 
d'Arles,  d'Embrun  et  d'Aix,  vingt  évêques  et  bon  nombre  d'abbés, 
prirent  part  à  l'assemblée,  qui  décréta  les  vingt  et  un  canons  sui- 
vants : 

1.  Par  la  coupable  négligence  des  prélats,  plus  mercenaires  que 
pasteurs,  des  hérésies  abominables  se  sont  propagées.  A  l'avenir, 
chaque  évêque  devra  prêcher  dans  son  diocèse  plus  fréquemment 
et  avec  plus  de  soin,  et  choisir  des  prédicateurs  capables. 

2.  Chaque  évêque  devra  exiger  de  ses  comtes,  châtelains, 
bourgeois,  etc.,  au  besoin  par  les  censures  ecclésiastiques,  le  ser- 
ment, déjà  prêté  par  ceux  de  Montpellier,  d'expulser  les  hérétiques, 
de  punir  les  opiniâtres,  d'éloigner  les  juifs  de  tous  les  emplois  et 
de  leur  défendre  d'avoir  des  domestiques  chrétiens.  Afin  que 
chaque  évêque  puisse  extirper  totalement  l'hérésie  de  son  diocèse, 
il  y  aura  dans  chaque  paroisse  un  prêtre  et  au  moins  deux  ou 
trois  laïcs  de  bonne  réputation,  qui  émettront  entre  ses  mains 
le  serment  de  dénoncer  tous  les  hérétiques,  leurs  protecteurs 
et  lôurs  receleurs,  tant    à  l'évêque  qu'aux  consuls   des  villes,  au 

Monlfort  et  sur  les  coutumes  d'Albi  des  xiii^,  xiv^  et  xv^  siècles,  appréciation 
de  leur  esprit  par  rapport  au  droit  féodal  et  au  droit  civil,  criminel,  administratif 
jusqu'à  la  Révolution  de  89,  dans  Comptes  rendus  de  l'Acad.  des  se.  mor.  et  polit., 
1856,  III«  série,  t.  xvi,  p.  161-183,  373-401  ;  A.  MolinieT,  Catalogue  des  actes  de 
Simon  et  d'Amauri  de  Monlfort,  dans  la  Bibliothèque  de  V École  des  chartes,  1873, 
t.  XXXIV,  p.  153-203,  445-501.  (H.  L.) 

1.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  227,  236;  Hurter,  op.  cit.,  l.  ii,  p.  303  sq. 

2.  L.  d'Achery,  Spicilegium,  t.  ii,  p.  609-618;  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  41- 
49;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col.  1985;  Coleli,  Concilia,  t.  xiii,  col. 
795;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  ii,  col.  809;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col. 
784;  Vic-Vaissete,  Hist.  génér.  de  Languedoc,  11 3&,  t.  m,  p.  560-561;  S^édit., 
t.  VII,  p.  46-47;  V.  Le  Clerc,  Hist.  littér.  de  la  France,  t.  xxi,  p.  603-604;  C. 
Schmidt,  Histoire  et  doctrine  des  cathares  ou  albigeois,  t.  i,  p.  237.  (H.  L.) 


1284  LIVRE     XXXV 

seigneur  du  Heu  ou  à  son  représentant,  afin  qu'ils  soient  punis 
comme  ils  le  méritent  et  que  leurs  biens  soient  confisqués  (com- 
mencement de  l'incjuisition  épiscopale).  Si,  malgré  les  admonesta-  [844] 
lions  de  l'évcque,  les  consuls  ou  autres  autorités  négligent  de 
punir  les  hérétiques,  ils  seront  personnellement  excommuniés  et 
les  villes  ou  localités  seront  frappées  d'interdit.  Si  l'un  d'entre 
eux  possède  un  fief  ecclésiastique,  il  le  perdra.  Quiconque  défen- 
dra, recevra,  protégera  ou  favorisera  un  hérétique,  sera  puni 
comme  hérétique. 

3.  Les  pratiques  usuraires  s'étant  grandement  répandues,  on 
prononcera,  les  jours  de  fête  et  dimanches,  une  sentence  d'ex- 
communication contre  les  usuriers.  Quiconque  sera  notoirement 
connu  comme  usurier  ou  convaincu  d'usure,  sera  tenu  de  don- 
ner satisfaction,  et,  s'il  s'y  refuse  après  trois  monitions,  il  sera 
nommément  excommunié  et  passible  des  peines  prononcées  par 
le  concile  de  La  Iran  contre  les  usuriers. 

4.  On  interdira  aux  juifs  l'usure,  en  excommuniant  tous  les 
chrétiens  qui  font  négoce  avec  eux.  Conformément  au  décret 
du  pape  Innocent  III,  ces  juifs  seront  forcés  de  rendre  tout  l'ar- 
gent acquis  par  l'usure  [Décrétai.^  1.  V,  tit.  xixZ)e  usuris,  c.  12  et  13). 
Ils  ne  pourront  ni  travailler  en  public  les  dimanches  et  fêtes,  ni 
manger   de  viande  en  public  les  jours  d'abstinence. 

5.  La  dîme  sera  levée  exactement  et  intégralement,  sans  s'ar- 
rêter aux  prétextes  pour  en  différer  le  paiement.  Les  évêques 
ne  confieront  pas  à  demeure  à  un  laïc  la  perception  des  dîmes. 
La  vallée  de  Trets  près  d'Aix  ^,  qui,  dit-on,  n'appartient  à 
aucun  diocèse,  sera  soumise  à  l'adininistration  de  l'évêque  de  Riez, 
chargé  d'en  chasser  les  hérétiques  qui  s'y  trouvent,  jusqu'à  ce 
que  le  pape  ait  pris  sur  ce  point  une  décision. 

6.  Clercs  et  laïcs  seront  obligés,  au  besoin  par  l'excommu- 
nication et  l'interdit,  à  renoncer  aux  redevances  injustes, 
comme  les  pedagia,  quidagia  (impôt  sur  les  voyageurs),  sali- 
naria  (impôt  sur  le  sel),  sauf  les  redevances  autorisées  par  le 
roi  ou  l'empereur. 

7.  Les  églises,  les  monastères  et  les  ecclésiastiques  ne  doivent 
pas  être  soumis  à  d'injustes  redevances  de  la  part  des  laïcs.  A  la 
mort  d'un  évêque  ou  d'un  clerc,  on  devra  respecter  son  hé- 
ritage. 

1.  Arrondissement   d'Aix,    département   des    Bouches-du-Rhône.     (H.    L.) 


645.     CONCILES    RELATIFS     AUX     ALBIGEOIS  1285 

8.  Les  laïcs  ne  doivent  ni  s'immiscer  dans  les  élections  ecclé- 
siastiques, ni  exiger  d'aucune  église  ou  monastère,  ni  d'aucun 
clerc,  le  vingtième  du  revenu,  suivant  la  pratique  de  quelques 
pays. 

9.  Aucune  église  ne  sera  transformée  en  citadelle,  pour  repous- 
ser les  attaques  des  païens.  Les  fortifications  de  cette  nature 
seront  détruites. 

10.  Les  évoques  obligeront  les  barons,  etc.,  à  observer  la  trêve 
de  Dieu,  au  besoin  sous  peine  des  censures  canoniques.  L'ordon- 
nance d'Alexandre  III  contre  les  Aragonais,  Brabançons,  etc., 
est  remise  en  vigueur. 

11.  Les  évéques  et  supérieurs  ecclésiastiques  expédieront  les 
affaires  à  eux  soumises  avec  plus  d'attention  et  de  fidélité  ;  de  nom- 
breuses plaintes  ayant  été  portées  au  concile  contre  leur  négli- 
gence. 

12.  L'évêque  ne  doit  jamais  lever  une  sentence  d'excommu- 
nication ou  d'interdit,  avant  satisfaction  suffisante. 

13.  Les  parjures  publics  et  tous  ceux  c[ui  restent  six  mois 
sous  le  coup  de  l'excommunication,  ne  peuvent  être  absous 
par  l'évêque,  mais  seront  renvoyés  au  Siège  apostolicjue.  S'ils 
sont  clercs,  ils  seront  dépouillés  de  tout  office  et  bénéfice  et  ne 
pourront  être  réintégrés  c|ue  par  le  pape  ou  son  légat. 

14.  La  présentation  à  une  église  vacante,  quelle  que  soit 
la  personne  qui  a  le  droit  de  la  faire,  aura  lieu  dans  le  délai  de  six 
mois;  faute  de  quoi,  l'évêque  nommera  pour  cette  fois  à  l'église 
vacante. 

15.  Les  évêques,  abbés,  etc.,  ne  permettront  pas  à  leurs  sujets 
de  posséder  des  biens  après  leur  profession,  car  Innocent  III 
a  déclaré  que  le  pape  lui-même  ne  pourrait  donner  une  telle  au- 
torisation. 

IG.  Les  voleurs  et  perturbateurs  de  la  paix  publique  seront 
anathématisés  par  leur  évêque;les  évêcjues  voisins  donneront 
aide  à  leur  collègue  pour  faire  observer  cette  sentence,  en  em- 
ployant même  la  force,  s'il  le  faul. 

17.  Aux  vigiles  des  fêtes  des  saints,  on  ne  tolérera  dans  les 
églises  ni  danses  théâtrales  (lisez  hislrionicse  au  lieu  de  histo- 
rinp),  ni  des  courses  ou  jeux  déplacés,  ni    des   chansons  éroticpies. 

18.  Beaucoup  de  clercs,  réguliers  et  séculiers,  n'ont  rien,  dans  leur 
habit  ni  dans  leur  conduite,  cjui  rappelle  leur  état.  Ils  scandalisent 
et  sont  pareils  à  des  aveugles  conduisant  des  aveugles.  A  l'avenir 


1286  LIVRE     XXXV 

les  moines  devront  porter  l'habit  et  la  tonsure  conformes  à 
leur  état;  leurs  habits  seront  de  staminé  forti  (étoffe  de  laine,  en 
français  étamine);  les  habits  de  couleur,  de  soie,  et  en  général 
tout  vêtement  précieux,  leur  sont  interdits.  Les  clercs  séculiers, 
en  particulier  ceux  qui  ont  reçu  les  ordres  majeurs,  doivent  porter  [846] 
la  tonsure  et  des  habits  fermés,  qui  ne  seront  ni  rouges,  ni  verts, 
ni  en  soie. 

19.  Lorsqu'un  évêque  veut  promouvoir  un  clerc  à  un  ordre 
supérieur,  celui-ci  ne  peut  s'y  refuser.  Les  clercs  qui  ont  reçu  les 
saints  ordres  et  qui  sont  entretenus  par  l'église  ne  doivent  pas 
remplir  les  fonctions  d'avocat  devant  les  tribunaux  civils.  Aucun 
clerc  ne  doit  se  laisser  entraîner  dans  une  conjuration. 

20.  Réprouvant  le  récent  assassinat  de  Pierre  de  Castelnau, 
de  Gaufred,  chanoine  de  Vienne,  et  des  autres  clercs,  nous 
ordonnons  qu'aucun  parent  des  meurtriers,  jusqu'au  troisième 
degré,  ne  puisse   recevoir  de   bénéfice. 

21.  Les  archevêques  et  évêques  observeront  et  feront  observer 
les    présentes   prescriptions   par  leurs   inférieurs. 

L'histoire  du  concile  d'Avignon  est  complétée  par  deux  lettres 
des  légats  au  pape.  Dans  la  première,  Milon  et  Hugues,  évêque 
de  Riez,  rapportent  qu'avec  l'assentiment  du  concile  ils  ont 
excommunié  Raymond,  comte  de  Toulouse,  et  jeté  l'interdit  sur 
ses  terres  pour  le  punir  d'avoir  violé  les  promesses  faites  à  Milon 
[à  Saint-Gilles]  pour  en  obtenir  l'absolution.  Cette  sentence, 
ajoutent  les  légats,  n'aura  pas  force  de  loi  si  Raymond  se  présente 
devant  eux  avant  la  Toussaint  et  donne  une  réparation  suffi- 
sante. Le  comte,  disent-ils  encore,  veut  aller  à  Rome  arguer  de 
l'appui  des  rois  de  France  et  d'Allemagne  pour  recouvrer  son 
territoire,  maintenant  entre  les  mains  du  pape  (c'est-à-dire 
de  l'armée  des  croisés).  A  Innocent  de  se  montrer  ferme.  Dans 
ce  même  synode,  les  légats  avaient  anathématisé  Roncellin, 
moine  apostat  de  Saint- Victor  de  Marseille,  ses  protecteurs  et 
ses  complices,  et  frappé  d'interdit  la  ville  de  Marseille,  qui  lui 
avait  prêté  assistance.  De  l'avis  de  tous  les  prélats  présents 
à  l'armée,  l'abbé  de  Cîteaux  avait  excommunié  les  consuls  ou 
capitouls  de  Toulouse  et  frappé  la  ville  de  l'interdit,  sur  leur 
refus  de  livrer  aux  croisés  les  hérétiques  et  les  credentes  (classe 
inférieure  de  cathares)  en  grand  nombre  dans    la    ville  ^. 

1.  Mansi,  Conc.  atnpUss.  coll.,  t.  xxii^  col.  793  sq.  ;  Innocent  III,  EpisL,  1.  XII, 
n.  107;  Hurter,  Ge^ch.  d.  Papsts  Innocenz  III,  l.  ii,  p.  317. 


645.     CONCILES     RELATIFS     AUX    ALBIGEOIS  1287 

Dans  une  seconde  lettre, Milon  annonce  au  pape  ({u'il  a  pu  déter- 
[847]  miner  à  Avignon  le  comte  de  Forcalquier  à  prêter  le  même  serment 
que  les  autres  grands  seigneurs  du  sud  de  la  France  ont  prêté  à 
Saint-Gilles.  Milon  demandait  au  pape  de  ne  pas  donner  créance 
au  comte  de  Toulouse,  s'il  venait  à  Rome,  car  il  ne  savait  que 
mentir  et  outrager.  Ayant  manqué  à  sa  promesse  jurée,  faite  au 
légat,  il  avait  justement  perdu  les  châteaiix  et  villes  donnés  en 
garantie  de  sa  parole  avec  tous  les  droits  relatifs.  Milon  les  retenait 
maintenant  au  nom  du  pape;  grâce  à  ces  places  fortes  et  avec 
le  secours  des  barons  et  des  comtes  dévoués  à  l'Eglise,  il  devenait 
possible  de  chasser  Raymond  de  ce  pays  qu'il  avait  souillé  de  ses 
crimes. Si  Raymond  recouvrait  ses  biens  sans  avoir  donné  la  satis- 
faction nécessaire,  tous  les  efforts  pour  l'extirpation  de  l'hérésie 
et  le  rétablissement  de  l'ordre  en  Provence  auraient  été  en  pure 
perte.  Milon  termine  en  accusant  le  comte  de  Toulouse  et  le 
chevalier  Guillaume  Porcelleti  d'avoir  voulu  le  tuer,  car  ils 
avaient  trempé  dans  le  meurtre  de  Pierre  de  Castelnau^. 

Peu  après  le  concile  d'Avignon,  Simon  de  Montfort  fut  en  grand 
péril;  Pierre  II,  roi  d'Aragon,  qui  lui  avait  juré  amitié,  travaillait 
secrètement  la  noblesse  contre  lui  ^.  Toutefois  des  lettres  de  Rome 
encouragèrent  Montfort  :  elles  le  confirmaient  dans  la  possession 
et  seigneurie  du  pays  conquis  {salvo  jure  principalium  domino- 
ruin,  c'est-à-dire  des  suzerains  supérieurs),  et  lui  faisaient  espé- 
rer des  secours  matériels.  De  peur  d'alTaiblir  la  croisade  que  le 
Saint-Siège  prêchait  en  ce  moment  en  faveur  de  la  Terre  Sainte, 
le  pape  ne  pouvait  en  prêcher  une  autre  contre  les  hérétiques 
du  sud  de  la  France.  Mais  il  écrivit  à  beaucoup  de  princes  et 
de  princesses  pour  les  engager  vivement  à  aider  Simon  de 
Montfort  '^. 


1.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  p.  795  sq.  ;  Innocent  III,  Episl.,  I.  XII, 
n.  106. 

2.  C.  Schmidt,  op.  cil.,  t.  i,  p.  238.  Aussitôt  tous  les  chevaliers  du  pays  de 
Béziers,  de  Carcassonne  et  d'Albi  reprennent  les  armes.  Simon  éprouve  une  série 
d'échecs:  Castres,  Montréjeau,  Lombez  rejettent  sa  domination;  le  comte  de 
Foix,  Raymond-Roger,  qui  avait  olîert  la  paix  aux  légats,  refuse  leurs  dures 
conditions  et  continue  avec  succès  la  guerre,  de  sorte  qu'à  la  fin  de  1209  il  ne 
reste  plus  à  Simon  qu'un  petit  nombre  de  places.  De  Vic-Vaissete,  Hist.  génér. 
de  Languedoc,   t.  m,  p.  184  sq.   (H.  L.) 

3.  Innocent  III,  Episl.,  1.  XI,  n.  122-125;  C.  Sohmidt,  op.  cil.,  t.  i,  p.  239; 
Hurter,  op.  cil.,  t.  ii,  p.  319. 


1288  LIVRE    XXXV 

Vers  ce  temps,  le  comte  de  Toulouse  arriva  à  Rome  accompagné 
de  quelques  députés  de  la  ville,  qui  en  avaient  appelé  de  l'interdit 
prononcé  par  l'abbé  de  Cîteaux.  Le  pape  les  reçut  avec  bienveil- 
lance et  rapporta  la  sentence  ^.  Quant  au  comte,  il  ordonna  que 
les  places  livrées  en  garantie  et  passées  au  pouvoir  du  Saint- 
Siège  lui  fussent  rendues  et  défendit  à  l'armée  de  le  molester,  s'il  [848] 
voulait  remplir  les  conditions  imposées  et  se  disculper  des  deux 
graves  accusations  portées  contre  lui.  Les  deux  légats  du  pape, 
l'évêque  de  Riez  et  maître  Théodose  (Milon  venait  de  mourir) 
devaient  réunir,  dans  un  délai  de  trois  mois,  un  concile  pour 
examiner  si  Raymond  de  Toulouse  avait  abandonné  la  foi  et 
participé  au  meurtre  de  Pierre  de  Castelnau.  Si,  sur  ces  deux 
points,  l'accusation  était  maintenue,  on  devait  suivre  le  procès, 
en  envoyer  les  actes  à  Rome  et  fixer  aux  deux  partis  un  délai 
pour  comparaître  en  personne  devant  le  pape.  A  défaut  d'accu- 
sateur, le  concile  indiquerait  au  comte  la  manière  de  se  disculper. 
Si  ce  dernier  remplissait  les  conditions  imposées,  les  légats  lui 
rendraient  ses  châteaux  et  le  déclareraient  publiquement  bon  catho- 
lique; s'il  ne  les  remplissait  pas,  on  garderait  ses  châteaux  et  on 
poursuivrait  à   Rome  la  procédure  2. 

Conformément  à  ces  ordres,  maître  Théodose  et  l'évêque  de 
Riez  réunirent  à  Saint-Gilles,  en  septembre  1210,  un  concile 
auquel  ils  citèrent  le  comte  de  Toulouse,  qui  s'y  rendit  et  se 
déclara  prêt  à  se  disculper  sur  ces  principaux  chefs  d'accusation. 
Mais  les  légats  se  dérobèrent,  sous  prétexte  qu'il  avait  contrevenu 
aux  ordres  reçus  du  pape  (ils  avaient  surtout  en  vue  l'expulsion 
des  hérétiques  et  des  soldats  pillards).  Il  s'était,  disaient-ils,  par- 
juré si  facilement  sur  les  petites  choses  qu'il  ne  tiendrait  pas  mieux 
sa  parole  sur  les  plus  importantes.  Le  comte  pleura;  mais  les 
légats  ne  jugèrent  pas  ses  larmes  sincères  et  l'excommunièrent 
de  nouveau.  Sans  confirmer  ce  décret,  le  pape  engagea  le  comte 
à  chasser  de  ses  Etats  tous  les  hérétiques  :  faute  de  quoi,  ses  biens 
appartiendraient  à  celui  qui  exécuterait  cette  mesure  ^. 

1.  Innocent  III,  EpisL,  1.  XII,  n.  156. 

2.  Innocent  III,    EpisL,  1.  XII,  n.  152,  153,    155;  Hurtor,    op.    cil.,   t.   n, 
p.  354  sq. 

3.  Saint-Gilles,    arrondissement     de    Nîmes,    département    du    Gard.  Labbe, 
Concilia,   t.  xi,  col.  54-55;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col.  1995;  Coleti 
Concilia,  t.  xiii,  col.  813;  Percin,  Mon.  conu.  Tolos.  prœdic,  1693,  t.  11,  p.    24; 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  812,  818;  Innocent  III,  EpisL,  1.  XIII, 


G'iS      CONCILES     RELATIFS     AUX     ALBIGEOIS  1289 

Une  réunion  tenue  à  Narbonne  en  janvier  1211  fit  une  nouvelle 
[849]  tentative  pour  réconcilier  Raymond  et  lui  rendre  l'entière  pos- 
session de  ses  biens.  On  y  mettait  pour  unique  condition  l'expul- 
sion des  hérétiques.  Ses  droits  et  revenus  sur  les  châteaux  dépen- 
dant de  sa  suzeraineté  et  appartenant  aux  hérétiques  lui  demeu- 
reraient intégralement;  quant  aux  châteaux  (une  cinquantaine) 
qui  n'étaient  pas  sous  sa  suzeraineté  et  appartenaient  aux  héré- 
tiques, on  lui  en  offrait  un  quart  et  même  un  tiers  en  toute  pro- 
priété ^  Le  comte  fit  la  sourde  oreille  à  toutes  ces  propositions, 
et  la  paix  ne  put  se  conclure,  quoique  le  roi  d'Aragon,  beau-frère 
de  Raymond,  se  fût  rendu  à  cette  délibération.  On  ne  fut  pas  plus 
heureux  dans  des  pourparlers  avec  le  comte  de  Foix,  ennemi  obs- 
tiné de  l'Église.  Le  roi  d'Aragon,  suzerain  de  la  plus  grande  partie 
du  comté  de  Foix,  s'employa  en  vain.  Le  comte  devait  promettre 
d'obéir  à  l'Église,  de  ne  plus  attaquer  l'armée  des  croisés,  en  par- 
ticulier le  comte  de  Montfort;en  retour,  on  lui  rendrait  ses  châ- 
teaux, sauf  celui  de  Pamiers.  Le  comte  de  Foix  ayant  refusé 
de  se  soumettre  à  ces  conditions,  le  roi  d'Aragon  occupa  le  châ- 
teau de  Foix  et  s'engagea  à  le  livrer  à  Simon  de  Montfort,  si  le 
seigneur  de  Foix  abandonnait  l'Église  et  se  déclarait  ennemi  de 
Montfort;  mais  il  ne  tint  pas  sa  promesse. 

Les  conditions  proposées  à  Narbonne  au  comte  de  Toulouse 
furent  renouvelées  dans  une  assemblée  tenue  à  Montpellier.  Le 
comte  parut  accepter,  mais  le  lendemain  il  disparut  au  moment 
où  on  allait  {préciser.  Les  légats  le  sommèrent  de  se  rendre  au 
synode  d'Arles  (1211)  et,  dès  son  arrivée,  ils  lui  défendirent  de 
quitter  la  ville  sans  leur  permission  expresse  ^.  Voici  les  condi- 
tions qui  lui  furent  posées  dans  ce  concile  : 


n.  188;  I.  XVI,  n.  39;  Hurter,  op.  ci..,  t.  ii,  p.  363;  C.  Schmidt,  op.ciL,  t.  i,  p.  812, 
244.  (H.  L.) 

1.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  55-56;  Hardouin,  Cane,  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col- 
1997;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  815;  De  Vic-Vaissete,  Hisl.  génér.  de  Langue- 
doc, l.  III,  p.  561  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  813.  Le  texte  est  in- 
complet dans  Hardouin  et  dans  Mansi;  pour  le  trouver  intégralement, il  faut  se 
reporter  au  concile  de  Lavaur;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  334;  Hardouin, 
Conc.  coll.,  t.  VI,  part.  2,  col.  2020;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  886; 
C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  244;  Ilurter,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  387.  (H.  L.) 

2.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  2329-2330;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2, 
col.  1997;  De  Vic-Vaissete,  Ilisl.  génér.  de  Languedoc,  1771,  t.  m,  p.  561  ;  Coleti, 
Concilia,  t.  xiii,  col.  817;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxn,  col.  816.  (H.  L.) 


1290 


LIVRE     XXXV 


1.  11  (loA  ait  déposer  les  armes  et  licencier  ses  troupes  auxiliaires. 

2.  Il  obéirait  à  l'Enlisé  et  réparerait  tous  les  dommages  causés. 

3.  Nul  ne  pourrait,  sur  son  territoire,  manger  plus  de  deux 
sortes  de  viandes  au  même  repas^. 

4.  Il  chasserait  de  ses  possessions  tous  les  hérétiques  et  leurs 
alliés. 

5.  Il  livrerait  au  légat  et  au  comte  de  Montf(jrt  tous  ceux  de 
ses  sujets  que  ceux-ci  réclameraient. 

6.  Dans  ses  domaines,  nul  ne  porterait  d'habit  précieux,  mais 
seulement  des  manteaux  noirs  et  étroits  ^.  [850] 

7.  Tous  les  châteaux  et  citadelles  de  ses  domaines  seraient 
démantelés. 

8.  Aucun  noble  de  ses  vassaux  ne  pourrait  demeurer  dans 
tine  ville  ou  forteresse,  mais  seulement  dans  les  villages  (les 
hérétiques  résidaient  surtout  dans  les   villes  et  forteresses). 

9.  Il  s'en  tiendrait  aux  redevances  anciennes  et  légales,  sans 
se  permettre  d'en  introduire  d'autres  sur  ses  terres. 

10.  Tout  père  de  famille  devra  payer  annuellement  au  légat 
quatre  deniers  de  Toulouse. 

11.  La  dîme  sera  de   nouveau   levée   sur  les   biens   du    comte. 

12.  Le  légat  et  sa  suite  pourront  voyager  librement  sur  les 
terres  du  comte. 

13.  Après  avoir  exécuté  toutes  ces  conditions,  le  comte  devra 
prendre  la  croix  et  aller  au  delà  des  mers  combattre  les  infi- 
dèles, avec  les  johannites,  aussi  longtemps  que  le  légat  le  lui 
ordonnera. 

14.  Le  légat  et  le  comte  de  Montfort  lui  remettront  ensuite 
toutes  ses  possessions. 

Le  roi  d'Aragon,  présent  au  concile,  excita  tellement  son  J)eau- 
frère  que  celui-ci  [devant  cet  excès  d'humiliation]  quitta  l'assem- 
blée et  sortit  de  la  ville,,  décidé  à  résister  ouvertement.  La  publi- 
cation des  conditions  qu'on  lui  voulait  imposer  suffit  à  décider 
ses  sujets  à  prendre  les  armes.  Beaucoup  de  barons  et  de  villes 
se  rallièrent  à  lui,  et  jusqu'à  des  évêques  catholiques,  ré- 
voltés   de     lui    voir   infliger    un    tel    traitement  ^.    Quant     aux 


1.  Voir  la  note  suivante. 

2.  Les  orthodoxes  ne  pouvaient  espérer  de  gagner  les  cathares  qu'en  menant 
une  vie  sévère  et  en  pratiquant  les  vertus  apostoliques. 

3.  En  vérité,  cela  a  l'air  de  surprendre  Hefele.  Mais  il  faudrait  remonter  à 


645.    CONCILES    RELATIFS     AUX     ALBIGEOIS  1291 

légats,  ils  déclarèrent  Raymond  ennemi  de  l'Eglise  et  donnè- 
rent ses  possessions  à  qui  voudrait  s'en  emparer.  Innocent  III 
confirma  leur  sentence  ^. 

La  croisade  contre  les  hérétiques  se  poursuivit  alors  avec  une  nou- 
velle ardeur^;  on  la  prêcha  successivement  en  France,  en  Allema- 
gne, en  Lombardie  et  en  Slavonie.De  tous  côtés  arrivèrent  bientôt 
à  Simon  de  Montfort  de  nombreuses  bandes  de  croisés,  certaines 
même  commandées  par  de  grands  personnages,  le  duc  [liéopold] 
d'Autriche  par  exemple.  Simon,  soutenu  par  tous  ces  renforts, 
s'empara  de  Lavaur  ^  et  d'autres  châteaux.  Il  ne  laissa  aux  cathares 
faits  prisonniers  d'autre  alternative  que  d'abjurer  ou  d'être  brûlés 
vifs  :  la  plupart  préférèrent  la  mort  *.  Grâce  à  ses  pilleries  et  aux 
biens  des  hérétiques  que  le  pape  lui  donna  pour  l'indemniser  des 
frais  de  guerre  ^,  Simon  de  Montfort  put  augmenter  son  armée  de 
nombreux  mercenaires  et  attaquer  Toulouse,  «  la  tête  du  dragon,  » 
[851]  défendue  par  Raymond  et  par  les  comtes  de  Foix  et  de  Commin- 
ges.  Le  roi  d'Angleterre  ayant  envoyé  du  Poitou  des  secours  au 
comte  de  Toulouse,  Simon  dut  lever  le  siège,  après  avoir  ravagé 
les  environs  et  fait  périr  un  grand  nombre  de  cathares  ^.  — 
Pendant  cette  guerre,  poursuivie  avec  des  chances  diverses  pour 
les  deux  partis,  le  pape  se  vit  obligé,  dans  l'intérêt  de  la  justice 
(été  de  1212),  de  prendre  sous  sa  protection  les  biens  du 
comte  de  Toulouse  et  d'empêcher  sa  dépossession  définitive. 
Sa  raison  était  que  Raymond,  bien  qu'accusé  d'hérésie,  n'avait 
pas  été  convaincu  et  jugé  :  on  devait  donc  se  contenter  de    met- 


l'antiquité,  aux  férocités  orientales  pour  rencontrer  quelque  chose  d'analogue. 
Hefele  aurait  dû  se  ressouvenir  de  la  France  de  1792,  de  l'Allemagne  de  1813  et 
les  évêques  languedociens  ne  l'eussent  plus  scandalisé.   (H.  L.) 

1.  Episl.,  1.  XIV,  n.  36-38;  Hurter,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  388;  Schmidt,  op.  cit., 
t.  I,  p.  2'i6.  L'irritation  et  l'exaspération  était  à  son  comble.  Toulouse,  IMontau- 
ban,  Agen,  les  comtés  de  Foix  et  de  Comminges  étaient  soulevés. Les  prédicateurs 
cathares  prêchaient  la  guerre  sainte;  l'archevêque  d'Auch,  les  évêques  de  Car- 
cassonne  et  de  Rodez  blâmaient  la  conduite  des  légats.  Celui  de  Rodez  démis- 
sionna, celui  de  Carcassonne  y  fut  contraint,  celui  d'Auch  tint  bon  trois  ans  et 
dut  céder.  (H.  L.) 

2.  C.  Schmidt,  Histoire  et  doctrine  de  la  secte  des  cathares  ou  albigeois,  t.  i, 
p.  247.  (H.  L.) 

3.  Lavaur,  département  du  Tarn. 

4.  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  247-248.  (H.  L.) 

5.  Ibid.,  p.  248.  (H.  L.) 

6.  Ibid.,  p.  249.  (IL  L. 


1292 


LIVRE     XXXV 


tre  ses  biens  sous  séquestre.  Le  comte  Simon  ne  se  mit  guère  en 
peine  de  se  conformer  à  cette  décision;  il  se  hâta  de  porter  la 
guerre  dans  les  comtés  de  Foix,  de  Béarn  et  de  Comminges.  Le 
1®^  décembre  1212,  il  réunit  à  Pamiers  une  assemblée  de  seigneurs 
spirituels  et  temporels,  ]iour  statuer  sur  la  situation  ecclésiasti- 
que et  civile  des  provinces  conquises.  Ce  statut,  en  cinquante  et 
un  articles,  traite  surtout  des  questions  politiques,  de  la  condi- 
tion des  chevaliers,  des  bourgeois  et  des  barons  vis-à-vis  de  leur 
suzerain,  le  comte  de  Montfort.  Certains  de  ces  articles  assuraient 
à  l'Eglise  et  au  clergé  de  nombreux  privilèges,  l'exemption  des 
redevances,  etc.  On  y  ordonnait  d'assister  à  la  messe  et  au  ser- 
mon les  dimanches  et  jours  de  fête,  sous  peine  d'une  amende 
de  six  deniers;  s'il  n'y  avait  ni  église  ni  presbytère,  les  maisons 
des  hérétiques  devaient  servir  d'église  et  d'habitations  pour 
les  clercs.  Quiconque  laisse  un  hérétique  habiter  sur  son  bien 
perd  ce  bien  par  le  fait  même.  Ni  les  anciens  hérétiques  récon- 
ciliés avec  l'Eglise,  ni  les  juifs  ne  pourront  obtenir  de  charges; 
aucun  hérétique  réconcilié  ne  pourra  revenir  dans  la  ville  qu'il 
habitait  auparavant.  La  confiscation  des  biens  est  prononcée 
contre  quiconque,  pouvant  faire  prisonnier  un  ennemi  de  la  foi, 
néglige  de  le  faire,  ou  aura  fourni  des  moyens  de  subsistance 
aux  ennemis  du  Christ.  Cependant,  on  ne  pourra  traiter  per- 
sonne en  hérétique  sans  l'attestation  d'un  évêque  ou  d'un 
prêtre.  Enfin,  toute  maison  située  sur  les  domaines  con<fuis 
par  Simon  de  Montfort  payera  annuellement  trois  deniers  au 
pape  ^. 

Pendant  ce  concile  de  Pamiers,  les  consuls  de  Toulouse  et  le  [852] 
comte  Raymond  avaient  imploré  le  secours  de  Pierre  II,  roi 
d'Aragon,  contre  Simon  de  Montfort  et  Arnaud  de  Cîteaux 
(devenu  archevêque  de  Narbonne),  déjà  maîtres  de  presque 
tout  le  territoire  de  Toulouse,  sauf  la  ville  et  ses  environs. 
Le  roi  se  plaignit  à  Rome  que  Simon  de  Montfort  étendait 
sa  rapacité  jusque  sur  les  fiefs  du  roi  d'Aragon  et  sur  des  con- 
trées où  il  n'y  avait  pas  l'ombre  d'un  hérétique.  Simon  empêchait 


1.  Pamiers,  déparlemenl  de  l'Ariègc.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  180;  Percin, 
Mon.  conv.  Tolos.  priedic,  1693,  t.  ii,  p.  25;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2, 
col.  2017;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  841;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii, 
col.  856;  Hurter,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  390,  461,  465;  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  251, 
252.  (H,  L.) 


G'iS.     CONCILES     RELATIFS    AUX    ALBIGEOIS  1293 

systématiquement  le  comte  de  Toulouse  de  donner  satisfaction, 
bien  qu'il  fût  prêt  à  remplir  toutes  les  conditions  imposées  par 
le  pape  et  à  combattre  les  infidèles,  soit  en  Orient,  soit  en  Espagne  ; 
il  demandait  seulement  que  son  héritage  fût  assuré  à  son  fils, 
innocent  de  ces  démêlés.  Après  avoir  reçu  les  Aragonais,  le  pape 
ordonna  à  l'archevêque  de  Narbonne,  à  l'évêque  de  Riez  et  à 
maître  Théodose  de  tenir  un  concile  pour  délibérer,  tout  peser  et  lui 
faire  rapport.  Dans  gne  autre  lettre.  Innocent  défendit  à  l'arche- 
vêque de  continuer,  sans  autorisation  spéciale  de  sa  part,  à  prê- 
cher la  croisade  contre  les  hérétiques,  la  cause  de  la  foi  ayant  fait, 
dans  le  sud  de  la  France,  de  rapides  progrès,  et  les  intérêts  delà 
Palestine  devant  l'emporter.  Simon  de  Montfort  reçut  ordre  de 
rendre  les  fiefs  aragonais  et  de  prêter,  pour  Carcassonne.  serment 
de  vassalité  au,  roi  d'Aragon  ^. 

Ces  lettres  du  pape  sont  datées  des  15,  17  et  18  janvier  1213; 
au  moment  où  Innocent  les  signait,  ses  légats  réunissaient  un 
synode  à  Lavaur  ^.  Conformément  aux  ordres  du  Saint-Siège,  l'évê- 
que de  Riez  et  maître  Théodose  avaient  d'abord  convoqué  un  con- 
cile à  Avignon  pour  y  examiner,  en  qualité  de  légats, la  cause  du 
comte  de  Toulouse.  MaisThéodose  tomba  malade,  la  peste  survint, 
ce  qui  fit  que  le  synode  se  réunit  à  Lavaur,  janvier  1213  ^.  A  l'appel 
de  l'évêque  de  Riez  et  de  Théodose,  les  archevêques  de  Narbonne 
et  de  Bordeaux,  un  grand  nombre  d'évêques  et  d'abbés,  se  ren- 
dirent à  ce  synode.  Quelques  jours  auparavant,  Pierre,  roi  d'Ara- 
[8531  gon,  alors  à  Toulouse,  avait  invité  à  une  conférence  l'archevêque 
de  Narbonne  et  le  comte  Simon  de  Montfort  auxquels  il  proposa 
divers  moyens  pour  la  réconciliation  du  comte  de  Toulouse  et  de 


1.  Innocent  III,  EpisL,  1.  XV,  n.  212-215. 

2.  Lavaur,  département  du  Tarn. 

3.  Pierre  des  Vaux-de-Cernay,  Histor.  albigensium,  édit.  Camusat,  1615, 
p.  206-128;  Catel,  Histoire  des  comtes  de  Tolose,  1623,  p.  275-288;  CoW.  regia, 
t.  XXVIII,  col.  110;  Manrique,  Ann.  Cisterc,  t.  iv,  p.  2-9;  Baronius-Raynaldi, 
ad  ann.  1213,  n.  26-44;  du  Chesne,  Hist.  Franc,  script., i&^9,  t.  v,  p.  624-631; 
Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  81-99;  Fantoni,  Hist.  Avignone,  1678,  t.  i,  p.  120- 
126;  Baluze,  Innocenta  III  episl.,  1682,  t.  ii,  p.  765;Percin,  Mon.Tolos.  pnedic, 
1693,  t.  II,  p.  26;  Hardouiii,  Conc.  fo/^,  t.  VI,  part.  2,  col.  2019;  Coleti,  Concilia, 
t.  XIII,  col.  841;  Dunod,  Hist.  de  Bourgogne,  1737,  t.  ii,  p,  145;  Aguirre,  Conc. 
Hispan.,  t.  v,  p.  174-176;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  ii,  col.  837;  Conc.  am- 
pliss.  coll.,  t.  XXII,  col.  864;  Bouquet-Brial,  Recueil  des  hist.  de  la  France,  1833, 
t.  XIX,  p.  569-575;  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  256;  Hurter,  Gesch.  d.  Papsls 
Innocenz  III,  t.  i,  p.  518.  (H.  L.) 


1294  LIVRE     XXXV 

ses  amis.  L'archevêque  engagea  le  roi  à  envoyer  des  propositions 
écrites  au  concile  et,  le  16  janvier  1213,  le  roi  d'Aragon  lui  adressa 
une  lettre,  dont  voici  le  résumé  : 

1)  Si  le  comte  de  Toulouse  remplit  ses  engagements  pour  expier 
ses  fautes  et  réparer  ses  torts  envers  les  églises  et  les  clercs,  on  lui 
restituera  ses  possessions.  Si  l'Eglise  n'agrée  pas  la  demande  du 
roi  en  faveur  du  comte  de  Toulouse,  il  intercède  pour  le  fds  de 
ce  dernier,  un  enfant,  qu'on  mettra  sous  une  tutelle  sûre  jusqu'à 
ce  qu'il  donnât  des  preuves  de  sa  bonne  conduite.  La  pénitence 
du  comte  serait  une  expédition  contre  les  infidèles,  soit  en 
Espagne,  soit  en  Palestine. 

2)  Le  comte  de  Comminges  n'ayant  jamais  été  ni  hérétique, 
ni  protecteur  des  hérétiques,  les  ayant  au  contraire  poursuivis  et 
ayant  perdu  ses  biens  uniquement  pour  avoir  soutenu  son  cousin 
et  seigneur,  le  comte  de  Toulouse,  le  roi  demande  qu'on  lui  res- 
litue  ses  vassaux  et  ses  biens.  Il  donnera  satisfaction  à  l'Eglise 
s'il  a  failli  en  quelque  chose. 

3)  Le  roi  fait  la  même  demande  pour  son  cousin  le  comte  de 
Foix,  qui,  lui  non  plus,  n'a  jamais  été  hérétique. 

4)  Enfin,  le  roi  sollicite  la  restitution  des  biens  de  son  vassal, 
Gaston  de  Béarn,  prêt  à  se  soumettre  à  toute  juste  condition 
et  à  donner  satisfaction  à  l'Eglise.  Le  roi  d'Aragon  prie  le 
concile  de  préférer  la  miséricorde  à  la  justice  et  rappelle  combien 
le  secours  de  ces  barons  et  du  comte  de  Montfort  serait  utile, 
en   Espagne,  contre  les  Sarrasins. 

Le  18  janvier,  le  concile  répondit  : 

1)  En  ce  qui  concerne  le  comte  de  Toulouse  et  son  fils,  l'assem- 
blée est  incompétente,  le  pape  ayant,  à  la  requête  du  comte,  remis 
cette  affaire  à  l'évêque  de  Riez  et  à  maître  Théodose.  Au  roi  de  se 
rappeler  les  conditions  peu  onéreuses  imposées  au  comte,  deux    [854 
ans   auparavant,   à   Narbonne   et   à   Montpellier,   et  rejetées   par 

lui  avec  dédain,  pour  s'unir  aux  ennemis  de  l'Eglise  et  se  rendre 
indigne  d'indulgence. 

2)  En  ce  qui  concerne  le  comte  de  Comminges,  le  concile  sait 
qu'après  un  accord  avec  les  hérétiques  et  leurs  protecteurs,  il 
avait  attaqué  l'Eglise.  Ainsi  s'expliquent  son  excommunication  et 
son  anathème.  Le  comte  de  Toulouse  prétend,  pour  son  compte, 
avoir  été  poussé  à  la  guerre  par  les  excitations  du  comte  de  Com- 
minges. L'Eglise  ne  lui  refusera  pas  une  légitime  restitution  de 
ses  biens,  s'il  se  rend  digne  de  l'absolution. 


Gj5.  conciles  relatifs   aux   albigeois  1295 

A  l'égard  du  comte  de  Foix  et  de  Gaston  de  Béarn,la  décision 
était  conçue  dans  les  mêmes  termes,  malgré  la  gravité  de  leur 
faute.  Ainsi  les  reîtres  de  Gaston  avaient  profané  la  cathédrale 
d'Oloron,  s'étaient  emparés  de  la  pyxide  suspendue  devant 
i'autel  et  avaient  jeté  à  terre  les  saintes  hosties.  En  termi- 
nant, le  concile  rappelait  au  roi  les  honneurs  à  lui  accordés 
par  le  pape  et  les  promesses  faites  lors  de  son  sacre. 

Le  concile  écrivit  aux  deux  légats,  l'évêque  de  Riez  et  maître 
Théodose,  alors  à  La^■aur,  touchant  l'affaire  du  comte  de  Tou- 
louse :  en  raison  de  ses  nombreux  méfaits,  le  comte  ne  méritait 
aucune  grâce,  et  son  excommunication  ne  pouvait  être  levée 
que  par  le  pape  ^. 

Se  rangeant  à  cet  avis,  l'évêque  de  Riez  et  maître  Théodose 
notifièrent  au  comte  de  Toulouse  cju'ils  ne  pouvaient  l'admettre 
à  se  purger  par  serment,  et,  sur  ses  nouvelles  instances,  persis- 
tèrent dans  leur  décision.  Après  quelques  nouvelles  démarches 
tout  aussi  infructueuses,  le  roi  d'Aragon  en  appela  au  pape  et 
se  posa  dès  lors  en  protecteur  déclaré  des  comtes  de  Toulouse, 
de  Comminges,  de  Foix  et  de  Béarn,  et  delà  municipalité  de  Tou- 
[855]  louse.  Une  monition  de  l'archevêque  de  Narbonne  resta  sans 
résultat  ^. 

De  leur  côté,  les  comtes  remirent  sans  réserve  leurs  intérêts 
entre  les  mains  du  roi  et  lui  promirent  de  faire  tout  ce  que  le  pape, 
d'accord  avec  lui,  exigerait  d'eux.  Afin  de  donner  plus  de  poids 
à  son  appel,  le  roi  d'Aragon  envoya  au  pape,  par  l'entremise  de 
l'archevêque  de  Tarragone,  tous  les  documents  relatifs  à  la  der- 
nière phase  de  cette  affaire  ^. 

De  son  côté,  le  concile  fit   connaître  au  pape    l'état    des  afîai- 


1.  Innocent  III,  Epist.,  1.  XIV,  n.  39;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  859;  Har- 
douin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col.  2034;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii, 
col.  882. 

2.  Innocent  III,  Episl.,  1.  XVI,  n.  39,  43,  46;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col. 
846,  857,  860;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col.  2022,  2033,  2036;  Mansi, 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  868,  869,  880-884. 

3.  Innocent  III,  EpisL,  1.  XVI,  n.  47;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  851;  Har- 
douin, Conc.  coll.,  t.  VI,  part.  2,  col.  2028;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii, 
col.  874-878.  Les  documents  sont  datés  de  janvier  1212;  en  France,  l'année 
commençait  alors  à  Pâques.  Cf.  Ideler,  Lehrbuch  der  Chronologie,  p.  339- 
401. 


1296  LIVRE     XXXV 

res  et  lui  envoya  une  longue  liste  des  crimes  du  comte  de 
Toulouse  ^. 

Plusieurs  évoques  écrivirent  au  pape  pour  le  détourner  d'agréer 
la  satisfaction  proposée  par  le  comte  de  Toulouse,  déclarant  que, 
dans  ce  cas,  le  clergé  aurait  tout  à  craindre,  tandis  que  l'hérésie 
serait  au  comble  de  ses  vœux  2. 

Lorsque  les  ambassadeurs  du  concile  et  ceux  du  roi  d'Aragon 
furent  arrivés  à  Rome,  Innocent  pencha,  au  début,  du  côté  de  ces 
derniers;  mais  peu  à  peu  les  rapports  que  lui  firent  les  envoyés 
de  l'assemblée  de  Lavaur  le  déterminèrent  à  changer  d'avis.  Il 
révoqua  l'ordre  d'admettre  le  comte  de  Toulouse  à  résipiscence 
et  défendit  au  roi  d'Aragon  de  se  mêler  de  cette  affaire  ^.  Les 
évoques  de  Toulouse  et  de  Narbonne  avaient  mission  de  récon- 
cilier avec  l'Eglise  ceux  qui  voudraient  revenir  de  leurs  égare- 
ments, et  Innocent  annonçait  l'envoi  prochain  d'un  légat 
a  latere.  Enfin,  il  mandait  au  roi  la  nécessité  de  prêcher  de 
nouveau  la  croisade  contre  les  hérétiques  du  Midi  et  l'avertissait 
du  péril  où  il  se  mettrait  à  vouloir  les  protéger  plus  longtemps  ■*. 

Le  roi  d'Aragon  prit  alors  les  armes  avec  les  cathares;  mais, 
le  12  septembre  1213,  il  fut  vaincu  et  tué  dans  la  bataille  de  Muret 
{Murettum)  au  sud  de  Toulouse  ^.  Le  lendemain,  les  évêques   qui  [856J 


1.  Innocent  III,  Epist.,  1.  XVI,  n.  41;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  847;  Har- 
douin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col.  2023,  incorrect;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll., 
t.  XXII,  col.  869,  887  :  Adhuc  summopere  timendum  est  et  cauendum  ne  venenum 
hydrse,  hoc  est  dolosissimse  civitatis  Tolosse,  si  non  tanquam  mernbrum  putri- 
dissimum  succidatur,  et  ipsa  circumstantia  loca  jani  plene  purgata  et  saluhria 
infîciat  iterum  et  corrumpat,  et  quod  œdificalum  est  et  reforniaturn  a  vohis  mullis 
laboribus  et  expensis,  in  antiquum  chaos  recidat,  aut  in  multo  deterius  relahatur . 
Pioinde  benignitati  veslrse  cum  devotione  omnimoda,  flexis  genibus  et  profusis 
lacrymis  supplicamus  quatenus  secundum  zelum  Phinees,  quem  habetis,  arripiat 
judicium  manus  vestra,  et  fermentatissima  civitas  illa  cum  sceleratis  omnibus 
spurcitiis  et  sordibus  quse  se  infra  tumidum  ventrem  viperx  receperunt,  cum  in 
sua  malitia  non  sit  inferior  Sodoma  et  Gomorrha,  débita  exterminio  radicitus  ex- 
plantetur.  (H.  L.) 

2.  Mansi,  Conc.  ampliss.  col.,  t.  xxii,  col.  890;  Innocent  III,  Epist.,  1.  XVI, 
n.  40,    42,   44,  45. 

3.  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  257.  (H.  L.) 

4.  Innocent  III,  Epist.,  1.  XVI,  n.  48;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  855;  Har- 
douin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col.  2031  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii 
col.  878;  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  257;  Hurter,  op.  cit.,  t.  n,  p.  523. 

5.  Muret,  département  de  la  Haute-Garonne.  A,  Couget,  Note  sur  le  champ  de 


645.     CONCILES    RELATIFS     AUX    ALBIGEOIS  1207 

avaient  acc()ini)agiu'  J'arinée  des  croisés  se  réunirenL  à  Muret, 
sous  la  présidence  de  l'archevêque  de  Narbonne,  légat  du  pape, 
et  exposèrent  dans  une  lettre  synodale  l'historique  des  événements, 
rappelant  leurs  efforts  aussi  nombreux  que  stériles  pour  dé- 
tourner le  roi  d'Aragon  de  la  guerre  dont  ils  célébraient  la  lin  ^. 
Les  alliés  du  roi  défunt,  très  alîaiblis  après  la  défaite  de  Muret, 
offrirent  à  plusieurs  reprises  leur  soumission;  mais  Simon  de  Mont- 
fort  continua  sa  marche  conquérante.  Peu  après,  le  pape  envoya 
avec  le  titre  de  légat  a  latere  le  cardinal-diacre  Pierre  de  Santa  Maria 
in  Aquiro,  avec  mission  de  recevoir  à  la  communion  de  l'b^glise 
le  comte  de  Comminges,  Gaston  de  Béarn  et  les  Toulousains,  s'ils 
donnaient  satisfaction  suffisante  ;  auquel  cas  le  légat  les  protége- 
rait contre  Simon  de  Montfort  et  les  catholiques.  S'ils  s'obstinaient, 
on  prêcherait  de  nouveau  la  croisade  contre  eux^.  Par  d'autres 
lettres  le  pape  engageait  le  comte  de  Montfort  et  les  évêques 
du  Midi  à  obéir  aux  légats;  de  plus,  il  demandait  à  Simon  de 
remettre  aux  légats  le  fils  du  feu  roi  d'Aragon  3. 

L'archevêque  de  Bourges  voulut,  vers  cette  époque,  célébrer 
un  concile  dans  sa  métropole  et,  en  sa  qualité  de  légat,  y  invita 
l'archevêque  de  Bordeaux.  Celui-ci  refusa,  d'où  un  conflit  qui  ne 
fut  terminé  que  par  une  décision  du  pape.  Innocent  III  chargea 
les  évêques  d'Orléans  et  d'Auxerre  de  rédiger  un  statut  pour 
l'Église  de  Bourges,  et  en  particulier  pour  les  chanoines  de  la 
cathédrale  ^ 

bataille  de  Muret  pendant  la  guerre  des  albigeois,  dans  le  Bull.  Soc.  archéol.  de 
Tarn-et- Garonne ,  1881,  t.  ix,  p.  22Q-22^;V esliges  du  champ  de  bataille  de  Muret, 
dans  Revue  de  Gascogne,  1882,  t.  xxiii,  p.  384-391;  H.  Delpech,  La  bataille  de 
Âluret  et  la  tactique  de  la  cavalerie  au  xiii^  siècle,  in-8,  Toulouse,  1878;  Un  der- 
nier mot  sur  la  bataille  de  Muret,  in-8,  Montpellier,  1878;  Ducos,  Notes  sur  une 
circonstance  de  la  bataille  de  Muret,  dans  Mém.  Acad.  se.  de  Toulouse,  1847, 
IV  série,  t.  m,  p.  388-396;  A.  Molinier,  La  bataille  de  Muret  d'après  les  chroni- 
ques contemporaines,  dans  de  Vic-Vaissete,  Hist.  gêner,  de  Languedoc,  1879, 
t.  VII,  p.  254-259;  Revue  critique,  1878,  série  IP,  t.  vi,  p.  300-308;  A.  Dieulafoy, 
La  bataille  de  Muret,  dans  Mémoires  de  l'Académie  des  inscript,  et  belles-lettres^ 
1901,  t.  XXXVI,  p.  75-134  (capital).  (H.  L.) 

1.  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  861;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col. 
2035;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  893  sq. 

2.  Ces  prédications   réitérées  s'expliquent  par  la   courte   durée  —  quarante 
jours  —  d'un  engagement  de  croisé. 

3.  Innocent  III,  Epist.,  1.  XVI,  n.  167,  170,  171,  172;  C.  Schmidt,  op.  cit., 
t.  1,  p.  257  sq.  ;  Hurter,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  527  sq. 

4.  Innocent  III,  Epist.,  1.  XVI,  n.  65;  Mansi,  Concilia,  Suppléni.,  t.  ii,  col. 

CO.NCILliS  —  V  —  8'-> 


1298  LIVRE     XXXV 

Le  légat  Pierre  de  Santa  Maria  n'exécuta  qu'à  demi  les  ordres 
du  pape  :  sans  doute,  il  réconcilia  avec  l'Église  les  comtes  de  Foix 
et  de  Comminges,  le  comte  et  les  bourgeois  de  Toulouse,  après 
en  avoir  obtenu  soumission  complète  et  des  garanties;  mais 
il  ne  protégea  pas  leurs  biens,  il  favorisa  au  contraire  les  plans  [8571 
de  Simon  de  Montfort  qui,  aidé  par  de  nouveaux  croisés, 
continua  la  guerre  et  devint  presque  l'unique  seigneur  sou- 
verain du  sud  de  la  France.  Raymond,  comte  de  Toulouse,  se 
vit  forcé  de  devenir  le  vassal  de  Montfort,  qui  persista  à  le 
dépouiller,  malgré  sa  réconciliation  avec  l'Église.  Outre  le 
légat  Pierre,  le  cardinal  Robert  de  Courçon,  légat  en  France, 
s'employa  à  cette  triste  tâche.  Robert  devait  prêcher  la  croisade 
de  Palestine  :  il  préféra  la  prêcher  contre  les  albigeois,  amena 
lui-même  au  comte  de  Montfort  de  nombreuses  bandes  de  croi- 
sés, et,  sans  mission  du  pape,  lui  fit  donation  écrite  de  toutes 
les  principautés  et  seigneuries  dont  il  s'était  emparé  ^.  Le  concile 
de  Montpellier  devait  couronner  ces  efforts.  Il  fut  convoqué 
par  Pierre  de  Bénévent,  cardinal-prêtre  de  Saint-Étienne  in 
monte  Cœlio,  légat  pour  toute  la  France,  dans  le  but  d'extirper  les 
derniers  restes  de  l'hérésie  albigeoise  dans  les  quatre  provinces 
ecclésiastiques  de  Bourges,  de  Narbonne,  d'Auch  et  de  Bor- 
deaux. Il  choisit  Montpellier,  parce  que,  tout  en  offrant  une 
absolue  sécurité,  cette  ville  n'était  pas  éloignée  de  Toulouse, 
la  sentina  hsereticse  praçitatis.  Le  8  janvier  1215,  s'ouvrit  le  sy- 
node où  siégèrent  les  cinq  archevêques  de  Narbonne,  d'Auch, 
d'Embrun,  d'Arles  et  d'Aix,  vingt-huit  évêques,  beaucoup  de 
barons,  etc.  '^.  Le  comte  de  Montfort  ne  put  obtenir  l'entrée  de 
la  ville  et  dut  négocier  hors  les  murs  avec  les  évêques,  afin  de 
satisfaire  la  susceptibilité  des  bourgeois  de  Montpellier,  soucieux 
de   leurs   franchises.    Le  légat   ouvrit  le   concile   dans  l'église   de 


847;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  891;  Martèiic,  Scripl.  vet.  coll.,  1733    t.  vu, 
p.  1422-1423;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xxii,  col.  932.  (H.  L.) 

1.  Hurtcr^  op.  cit.,  t.  ii,  p.  587,  590;  G.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  259.  (H.  L.) 

2.  Coll.  regia,  t.  xxviii,  col.  114;  du  Chesne,  Hist.  Franc,  script.,  1649,  t.  v^ 
p.  654-655;  Gallia  chrisliana  [vêtus],  t.  m,  col.  581;  Baluze,  Conc.  Narbonn., 
1668,  p.  38-58;  Manrique,  Annal,  Cisterc,  t.  iv,  p.  50;  hahhe.  Concilia,  t.  x, 
col.  105-116,  2330-2333  ;Baronius-Raynaldi,^;maies,  ad  ann.  1214,  n.  19-20  ; 
Perciii,  Mon.Tolos.  prxdic,  t.  ii,  p.  28-29;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  \i,  part.  2, 
col.  2041;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  887;  Mausi,  6'w/ic'.  ampliss.  coll.,  t.  xxii, 
col.  936.  (H.  L.) 


645.     CONCILES    RELATIFS    AUX    ALBIGEOIS  1299 

Sainte-Marie,  par  un  discours,  qu'il  Lerniina  en  demandant,  à 
tous  les  évoques,  à  qui,  pour  le  bien  de  l'Eglise,  attribuer  les  par- 
ties conquises  du  comté  de  Toulouse.  Après  de  longues  délibé- 
rations, tous  les  prélats  proposèrent  le  comte  de  Montfort  pour 
prince  et  monarque  de  ces  pays,  qu'ils  demandèrent  au  légat 
de  lui  donner;  mais  celui-ci  n'ayant  pas  d'ordres,  on  envoya  à 
Rome  l'archevêque  d'Embrun  solliciter  du  pajjc  cette  dévolu- 
tion. Dans  ses  autres  sessions,  le  concile  promulgua  les  (jua- 
ranle-six  canons  suivants  : 
[858]  1.  Les  évcques,  lorsqu'ils  sortent  à  pied,  et  même  lorsqu'ils 
reçoivent  chez  eux  des  étrangers,  doivent,  pour  éviter  tout 
scandale,  être  toujours  revêtus  d'une  soutane  et  d'un  surplis 
de  lin. 

2.  Aucun  chanoine  ou  clerc  bénéficier  ne  doit  se  servir 
de  brides  ou  d'éperons  dorés.  Il  ne  doit  pas  fréquenter  les  mai- 
sons et  les  sociétés  de  femmes,  ce  que  l'on  appelle  domuciare 
(plus  exactement  domneare,  en  italien  donneare,  service  de  fem- 
mes). 

3.  Aucun  chanoine  ou  bénéficier  ne  doit  porter  des  habiis  et 
des  bottes,  etc.,  rouges  ou  verts  ;  encore   moins  un  anneau. 

4.  La  tonsure  doit  être  ronde  et  les  cheveux  doivent  simuler 
une  couronne. 

5.  Aucun  clerc  ne  doit  prêter  sur  gage  ni  pratiquer    l'usure. 

6.  Un  clerc  qui  n'est  pas  vêtu  convenablement  n'aura  pas  de 
bénéfice. 

7.  Les  évêques  et  les  clercs  ne  doivent  pas  avoir  chez  eux  de 
faucon  de  chasse,  et  si  jamais  ils  vont  à  la  chasse,  ils  ne  doivent 
pas  porter  eux-mêmes  ces  faucons  sur  le  poing. 

8.  Les  laïcs  ne  peuvent  obtenir  ni  canonicats  ni  autres  pré- 
bendes. 

9.  Tout  clerc  qui,  dans  un  délai  de  quinze  jours,  ne  se  con- 
formera pas  aux  présentes  ordonnances  sera  suspens  ah  offtcio 
et  beneficio. 

10.  Le  prélat  qui,  dûment  informé,  ne  prononcera  pas  cette 
sentence  de  suspense  dans  le  délai  de  huit  jours,  a  défense  d'en- 
trer dans  l'église  jusqu'à  ce    (pi'il    ail;  rempli   son  devoir. 

11.  Les  évêques  doivent  donner  gratuitement  les  bénéfices  à 
des  clercs  dignes,  et  s'abstenir  de  molester  les  églises,  aux  ter- 
mes du  can.  4  du  concile  de  Latran  de  1179. 

12.  L'administration  des    églises  paroissiales  ne  doit  pas  être 


1300  LIVRE     XXXV 

confiée  à  des  jeunes  gens  ou  à  dus  minores,  ainsi  que  l'a  interdit 
le  can.  3  du  mcnie  concile  de  Latran. 

13.  Dans  les  monastères  et  dans  les  maisons  de  chanoines  doit 
régner  une  sévère  discipline  [texte  incomplet). 

14.  Les   abbés,   moines   et   chanoines    réguliers   doivent   s'abs- 
tenir complètement  de  la  chasse  et  des   affaires  séculières. 

15.  Ils  ne  doivent  se  servir  ni  de  brides  ni  d'éperons  dorés  ou 


argentés. 


l(i.  Ils  ne  porleroni  ni  lialiil   courl  ni  habit  ouvert. 

17.  Leurs  vêlemenls  ne  doivent  pas  être  faits  avec  l'étoffe  de 
laine  claire  ou  noire  qu'on  appelle  hruneta  [burneta],  mais  seu- 
lement d'étamine  ou  de  camelote. 

18.  Ils  ne  doivent  avoir  aucun  bien  personnel,  pas  même  avec 
la   ])ermission    de    leur   supérieur. 

19.  Quiconque  parmi  eux  sera  propriétaire  devra  être  excom- 
munié, 

20.  On  ne  payera  rien  pour  être  admis  dans  un  couvent  ou  dans 
une  maison  de  chanoines. 

21.  Aucun  moine  ou  chanoine  régulier  ne  devra  se  présenter 
comme  avocat  dans  uije  affaire  étrangère,  sauf  par  ordre  de  son 
supérieur. 

22.  Dans  les  couvents  et  maisons  de  chanoines,  les  restes 
des  repas  seront  recueillis  par  celui  c[ui  est  chargé  du  réfec- 
toire et  distribués  aux  pauvres,  d'après  les  instructions  de 
l'abbé. 

23.  Chez  les  moines,  la  couronne  de  cheveux  {corona)  doit  être  [859] 
large  de  trois  doigts  ;  de  même  chez  les  chanoines  réguliers. 

24.  Leurs  souliers  ne  doivent  pas  être  ornés  de  petits  nœuds 
ni  entr'ouverts;  ils  seront  fermés  et  hauts. 

25.  Nul  ne  peut  san^  motif  grave  ])asser  d'une  église  dans 
une  autre,  ni  avoir  plusieurs  canonicats. 

26.  Les  chanoines  réguliers  doivent  porter  constamment  le 
surplis,  super pelliceum  (habit  de  chœur). 

27.  Lorsqu'ils  iront  à  cheval,  ils  porteront  un  manteau  noir 
et  fermé   [cappà). 

28.  Aucun  moine  ou  chanoine  régulier  ne  doit  posséder  en  pré- 
bende une  église  ou  un  revenu. 

29.  Quiconque  n'observera  pas  les  précédentes  ordonnances 
sera  frappé  de  suspense. 

30.  Les    moines    ne    doivent     admettre     aux     sacrements    ni 


645.     CONCILES     RELATIFS     AUX     ALBIGEOIS  1301 

ensevelir  aucun  excommunié  ou  interdit.  Si  un  couvent  ou 
maison  de  chanoines  réguliers  possède  un  prieuré  ou  iiik^  obé- 
dience, cette  seconde  maison  devra  être,  autant  que  possi])le, 
occupée  par  trois  frères. 

31.  Si  les  revenus  sont  trop  minimes  pour  faire  une  telle  dé- 
pense, on  réunira  deux  églises,  afin  que  la  '^'iia  canonica,  qui 
comiiorlo  la  présence  d'au  moins  trois  personnes,  soit  pos- 
sible. 

32.  Quinze  jours  après  que  l'évoque  aura  proclamé  la  paix 
générale,  quiconque  ne  voudra  pas  jurer  de  l'observer  devra 
y  être  forcé  par  les  censures  de  l'Eglise.  Lui-même  sera  exclu 
de  cette  paix,  ainsi  que  ses  inférieurs,  s'il  s'en  trouve  à  faire 
cause  commune  avec  lui. 

33.  Quiconque,  méprisant  les  exhortations  à  la  paix,  persiste 
durant  quinze  jours  à  refuser  de  s'y  prêter,  sera  excommunié 
par  l'évoque  et  son  territoire  frappé  d'interdit. 

34.  Tout  perturbateur  de  la  paix  devra  être  appréhendé  au 
corps  par  les  seigneurs  du  pays,  en  quelque  endroit  qu'il  se  soit 
réfugié,  et  retenu  prisonnier  ou  livré  aux  hommes  de  paix,  jus- 
qu'à ce  qu'il  ait  donné  satisfaction. 

35.  Quiconque  reçoit  volontairement  un  perturbateur  sera 
excommunié  et  exclu  de  la  paix  jusc{u'à  ce  qu'il  ait  donné 
satisfaction. 

36.  Si  une  armée  se  met  en  marche  contre  les  perturbateurs 
de  la  paix,  le  chef  de  ces  factieux  ne  sera  admis  à  merci  qu'a- 
près avoir  réparé  les  dommages  causés  aux  animaux,  à  l'agricul- 
ture et  aux  routes. 

37.  Quinze  jours  après  la  publication  de  ce  décret,  tout 
laïc  renouvellera  le  serment  de  maintenir  la  paix  et  le  réitérera 
tous   les  cinq  ans. 

38.  Quant  aux  perturbateurs  de  la  paix,  on  ne  se  contentera 
pas  de  leur  serment  (s'ils  affirment,  par  exemple,  ({u'ils  veu- 
lent s'amender);  mais  on  les  obligera  à  donner  des  garanties  ou 
bien  à  se  livrer  eux-mêmes  aux  hommes  de  paix. 

39.  Ceux  c|ui  auront  promis  par  serment  de  respecter  la  paix 
seront  punis  par  les  deux  autorités  s'ils  viennent  à  la  violer. 

40.  Si  un  vassal  se  met  en  rébellion  contre  son  seigneur,  la 
ligue  de  la  paix  devra  prêter  main-forte  au  seigneur. 

41.  On  j)ubliera  tous  les  dimanches  l'excommunication  contre 
les   perturbateurs   de   la   paix. 


1302  LIVRE     XXXV 

42.  Chaque   année,   au   commencement   du   mois   de   mai,    les  [860] 
])rincipaux   d'entre   les    hommes   de   paix   se   réuniront   pour   ré- 
soudre les  diflicultés  occurrentes. 

43.  On  n'établira  pas  de  nouveaux  impôts. 

44.  Celui  qui  perçoit  l'impôt  doit  pourvoir  à  la  sûreté  des 
routes. 

45.  Dans  aucune  localité  on  ne  pourra  organiser  de  confrérie 
(ligue),  sans  l'assentiment  du  seigneur  du    lieu    et    de  l'évéque. 

46.  Ainsi  que  l'a  prescrit  le  concile  d'Avignon,  tout  évoque 
devra,  dans  chaque  paroisse,  obliger  un  prêtre  et  au  moins 
deux  ou  trois  laïcs  de  réputation  intacte,  à  faire  serment  de 
dénoncer  à  l'évcque,  aux  consuls  des  villes,  aux  seigneurs  du 
lieu  ou  à  leurs  fonctionnaires,  les  hérétiques  [perjecti]  et  les 
credentes  (classe  inférieure),  qui  se  trouveraient  sur  la  paroisse, 
ainsi  que  leurs   protecteurs,   défenseurs  ou  receleurs. 

A  l'issue  du  concile,  le  légat  fit  occuper  par  Foulques,  archevê- 
que de  Toulouse,  la  citadelle  de  cette  ville  et  le  château  comtal, 
et  le  fds  du  comte,  le  jeune  Raymond,  qui  y  avait  séjourné  jus- 
que-là, fut  expulsé  par  la  municipalité  de  Toulouse,  alors  très 
intimidée.  Raymond  et  son  père  se  réfugièrent  auprès  de  Jean, 
roi  d'Angleterre.  Peu  après  (Pâques  1215),  Louis,  héritier  pré- 
somptif de  la  couronne  de  France,  arriva  dans  le  Midi  avec  une 
armée  de  croisés,  en  accomplissement  d'un  vœu  qui  datait  déjà 
de  trois  ans.  Au  début,  son  intervention  ne  fut  pas  vue  d'un 
bon  œil  par  le  légat  et  le  comte  de  Montfort,  craignant  que 
le  prince,  loin  de  ratifier  le  fait  accompli,  ne  vînt  traverser 
leurs  plans  futurs,  improbation  d'autant  plus  à  redouter  que 
Toulouse  était  un  fief  de  la  couronne  de  France.  Mais  Louis  res- 
pecta la  volonté  du  légat.  Pendant  le  séjour  du  prince,  du  légat 
et  du  comte  de  Montfort  à  Saint-Gilles,  l'archevêque  exhiba  une 
lettre  du  pape,  qui,  sans  ratifier  absolument  la  décision  du 
concile  de  Montpellier  en  faveur  de  Montfort,  lui  accordait 
(sous  réserve  de  la  décision  du  prochain  concile  œcuménique, 
déjà  convoqué)  l'administration  provisoire  de  tout  le  terri- 
toire du  comté  de  Toulouse  et  des  autres  pays  conquis  par  les 
croisés,  et  la  perception  des  revenus.  Aussitôt  eut  lieu  à  Carcas- 
sonne  la  remise  au  comte  de  Montfort,  en  présence  du  futur 
Louis  VIII,  du  gouvernement  à  lui  octroyé  par  le  2)ape.  Toute 
résistance  était  brisée,  et,  pour  mieux  assurer  l'avenir,  la  cita- 
delle de  Toulouse  fut  rasée.  Le  prince  français  regagna  ses  do- 


646.    CONCILES    DU    NORD    DE    LA    FRANCE  1303 

[861]  maines.  mais  Philippe-Auguste,  son  père,  ne  voulut  jamais  approu- 
ver son  expédition  dans  le  sud  de  la  France.  Simon  de  Montfort 
s'intitula  dès  lors  :  «  Par  la  grâce  de  Dieu,  comte  de  Tou- 
louse, vicomte  de  Béziers  et  de  Carcassonne  art  duc  de  Nar- 
bonne,  »  au  mépris  des  droits  que  son  ancien  ami,  Arnaud  de 
Cîteaux,  archevcqve  de  Narbonne,  prétendait  avoir  à  ce  dernier 
titre  1. 


646.  Conciles  du  nord  de  la  France,  de   1209  à  1215. 


Amaury,  né  au  village  de  Bcne  ^  près  de  Chartres,  enseigna 
longtemps  à  Paris  la  logique  et  les  autres  arts  libéraux,  puis 
la  théologie,  et  affectionna  toujours  les  opinions  singulières 
et  les  expressions  étranges.  Ainsi,  dans  ses  leçons  de  théo- 
logie, il  répétait  souvent  cette  phrase  :  «  Tout  chrétien  doit 
se  regarder  comme  un  membre  du  Christ,  et  quiconque  n'a  pas 
cette  croyance  ne  sera  pas  sauvé  3.»  Beaucoup  l'ayant  con- 
tredit sur  ce  point,  il  se  rendit  à  Rome,  où  le  pape  lui  donna 
tort,  et  à  son  retour,  il  dut  reconnaître  son  erreur.  Il  ne  le  fit  que 
de  bouche   et  en   mourut   de    chagrin   en   1204.    Après   sa   mort, 


1.  Hurter,  op.  cit.,  t.  ii.  p.  628  sq.;  C.  Schmidt^  op.  cit.,  t.  i,  p.  261. 

2.  Bène,  département  d'Eure-et-Loir.  (H.  L.) 

3.  Daunou,  dans  Hist.  littér.  de  la  France,  1824^  t.  xvi^  p.  586-591;  J.  G.V. 
Engelhardt,  Amalrich  von  Bena,  dans  Kirchengeschichtliche  Ahhandlungen, 
1832;  Féret,  Histoire  de  la  faculté  de  théologie  de  Paris,  1894,  t.  \,  p.  200-204; 
C.  U.  Hahn,  Amalrich  von  Bena,  dans  Theolog.  Studien,  1846;  F.  G.  Hann, 
Ueber  Amalrich  von  Bena  und  David  von  Dinant,  ein  Beitrag  zur  Geschichte  der 
religiôsen  Bewegungen  in  Frankreich  zu  Beginn  des  xiii  Jahrh.,  in-8,  Villach, 
1882;  B.  Hauréau,  Hist.  de  la  philos,  scolastique,  1880,  t.  ii,  part.  2,  p.  83-107; 
Ch.  Jourdain,  Mémoire  sur  les  sources  philosophiques  des  hérésies  d'Amaury  de 
Chartres  et  de  David  de  Dinant,  dans  les  Mém.  de  l'Acad.  des  inscript,  et  belles- 
lettres,  1870,  t.  XXVI,  part.  2,  p.  467-498;  J.  H.  Kroenlein,  De  genuina  Amalrici 
a  Bena  ejusque  sectalorum  ac  Davidis  de  Dinanto  doctrina,  iii-8,  Giessse,  1842; 
Amalrich  von  Bena  und  David  von  Dinant,  dans  Theol.  Studien  und  Kritiken, 
1847,  p.  271  sq.;  Zeitschrift  fur  hist.  Théologie,  1840,  t.  x,  i).  kSsq.;  Zeitschrift 
fur  Kirchengeschichte,  1889,  t.  x,  p.  316;  Baumlcer,  Ein  Traktal  gegen  die  Amal- 
rizianer  aus  dem  Anfang  des  xiii  Jahrli.  nach  der  Handschrift  zu  Troyes,  in-8, 
Paderborn,  1893;  P.  Alphandéry,  Les  idées  jnorales  chez  les  hérétiques  latins  au 
début  du  xiiie  siècle,  Paris,  1903.  (H.  L.) 


1304  LIVRE    XXXV 

on  s'aperçut  (priin  orand  nombre  de  ses  disciples  partageaient 
son  erreur  cl  la  propageaient  avec  beaucoup  de  zèle  et  quelque 
succès.  Le  fond  de  son  système  était  le  panthéisme,  compliqué 
d'une  théorie  sur  les  trois  âges  du  monde  empruntée  à  Joachim 
de  Flore.  Tout  ce  qui  existe  est  un,  et  cet  un  est  Dieu;  il  est  tout, 
et  ce  tout  est  Dieu;  il  est  l'être  et  la  substance  de  tous  les  êtres; 
le  Créateur  et  la  créature  ne  font  qu'un.  Tout  homme  est  l'esprit 
de  Dieu.  Dieu  a  parlé  aussi  bien  par  Ovide  que  par  saint  Augustin. 
Dieu  se  réalise  dans  les  trois  âges  du  monde  ou  périodes.  Il  y  a 
eu  une  période  du  Père  dans  laquelle  a  régné  lu  loi  mosaïque; 
elle  s'est  terminée  au  début  de  la  seconde  période,  celle  du  l'ils, 
où  le  culte  judaïque  a  été  remplacé  par  les  sacrements  :  la  pé- 
nitence, le  baptême  et  l'eucharistie.  Ces  sacrements  avaient 
atteint  leur  but  au  commencement  de  la  période  du  Saint-Esprit, 
qui  s'inaugurait  en  ce  moment  par  Amaury  et  ses  disciples.  Le 
Saint-Esprit  est  l'âme  d'un  chacun,  il  s'incarne  dans  tous;  c'est 
pour  cela  qu'un  chacun  est  Dieu,  tout  comme  le  Christ  était 
Dieu.  Or,  toute  personne  dominée  par  le  Saint-Esprit  ne  peut 
plus  pécher,  quelque  abus  qu'elle  fasse  de  son  corps;  il  ne  saurait  [862] 
plus  être  question  dans  cette  période  de  la  punition  des  pécheurs. 
De  là  cette  proposition  :  dans  la  troisième  période.  Dieu  n'est 
plus  qu'amour,  il  a  cessé  d'être  la  justice.  Comme  conséquence  de 
son  système,  Amaury  niait  aussi  la  transsubstantiation,  disant 
que  le  corps  du  Christ  n'était  pas  plus  présent  dans  le  pain  con- 
sacré que  dans  tout  autre  pain;  il  niait  aussi  la  résurrection  de 
la  chair.  Dédier  des  autels  aux  saints,  les  invoquer,  brûler 
de  l'encens  devant  leurs  images,  était  pour  lui  une  idolâtrie, 
etc..  1. 

Lorsque  Pierre,  évêque  de  Paris,  et  le  johannite  Guérin,  con- 
seiller du  roi  et  plus  tard  chancelier,  eurent  vent  de  ces  doc- 
trines, ils  chargèrent  maître  Raoul  de  Nemours  de  découvrir 
les  secrets  de  la  secte.  Raoul  feignit  de  vouloir  y  adhérer; 
il  apprit  ainsi  le  nom  des  membres  de  la  société  et  les  dénonça 
à  l'évêque  de  Paris.  Il  y  avait  des  laïcs  et  des  clercs, 
des  hommes  et  des  femmes.  Tous  furent  arrêtés,  conduits 
à  Paris  et,  en  1209  ou  1210,  cités  à  comparaître  par-devant 
un    concile     et    enfin    livrés    à    Philippe-Auguste,     qui    en    fit 


1.  Coleti.  Concilia,  t.  xiii,  col.  1029. 


646,     CONCILES     DU     NORD     DE     LA     FRANCE  1305 

brûler  un  grand  nombre  le  20  décembre  1210  ^  Le  synode  pro- 
nonça en  même  temps  l'excommunication  contre  Amaury,  fit 
retirer  ses  restes  du  cimetière  de  Saint-Martin  des  Champs  et 
interdit  la  lecture  des  écrits  de  physique  et  de  métaphysique 
d'Aristote,  comme  pernicieux  à  l'orthodoxie  '^.  Henri  d'Ostie 
rapporte  que  ce  concile  condamna,  en  même  temps  qu' Amaury. 
le  livre  De  dUnsione  naturas  de  Scot  Érioène  ^.  A  l'année  1209 
appartiennent  également  les  statuts  de  l'Église  d'Utrecht,  rédi- 
gés probablement  par  l'évêque  Thierry  dans  un  synode  diocé- 
sain de  cette  ville.  Ces  statuts  n'ont  qu'une  importance  pure- 
ment locale  et  concernent  principalement  les  églises  cathédrale 
et  collégiale  d'Utrecht,  leur  clergé  et  leurs  biens.  Le  can.  19 
mérite  de  retenir  l'attention  :  il  veut  que  les  chanoines  qui  sont 
en  jouissance  complète  de  bénéfices  habitent  m  domo  claustrali, 
c'est-à-dire  in  vita  communi.  Ce  même  canon  interdit  égale- 
ment à  une  même  personne  de  posséder  plusieurs  bénéfices  *. 
Après  la  mort  d'Agnès  de  Méranie  (1201),  Philippe-Auguste 
continua  à  demander  sa  séparation  d'avec  sa  femme  Ingeburge. 
A  l'issue  du  concile  de  Soissons,  Ingeburge  avait  été  réintégrée, 
en  apparence  du  moins,  et  vivait  à  la  cour  dans  un  palais,  bien 
qu'en  réalité  sa  situation  eût  empiré.  Elle  ne  tarda  pas  à  écrire 
au  pape  sa  détresse  :  elle  était  étroitement  enfermée,  sans  rapport 
avec  aucune  personne  de  sa  confiance,  espionnée  par  les  favo- 
ris du  roi.  On  lui  refusait  toutes  les  commodités  de  la  vie,  des 
habits  et  une  nourriture  convenables,  et  jusqu'aux  consolations 
de  la  religion;  on  la  pressait  sans  cesse  de  renoncer  au  mariage, 
c'est-à-dire  de  se  faire  nonne.  Innocent  écrivit  au  roi  (juin  1203), 
lui  représentant  à  quel    point  il  offensait  Dieu  et  l'Eglise  et   nui- 


1.  B.  Hauréau,  Le  concile  de  Paris  de  l'an  1210,  dans  les  Comptes  rendus  de 
l'Acad.  des  inscriptions,  1864,  t.  viii,  p.  291-303;  dans  Rame  archéologique, 
1864,  11^  série,  t.  x,  p.  417-434;  Revue  des  questions  historiques,  1873,  t.  xiii, 
p.  314-316;  1896,  t.  lx,  p.  111.    (H.  L.) 

2.  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  803,  813,  donne  le  20  novembre  comme  date 
de  l'exécution;  col.  814,  liste  des  clercs  chargés  de  l'accomplir;  Hardouin,  Conc. 
coll.,  t.  VI,  part.  2,  col.  1991  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  807;  Stau- 
denmaier,  Lehre  von  der  Idée,  p.  633;  Hahn,  Geschichte  der  Ketzer  irn  Mittel- 
alter,  t.  m,  p.  176  sq. 

3.  Cf.  Huber,  Scotus  Erigena,  Munchen,  1861,  p.  435  sq. 

4.  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  809;  Binterim,  Deutsche  Concilien,  t.  iv, 
p.  458  sq. 


1306  LIVRE    XXXV 

sait  à  sa  propre  réputation;  il  envoya  l'abbé  Jean  de  Casamari, 
en  qualité  de  nonce  en  France,  pour  négocier  de  vive  voix  avec 
le  roi  et  parler  à  la  reine.  En  décembre,  le  pape  revint  à  la 
charge,  mais,  dans  une  lettre  à  Ingeburge,  il  avoue  que  tous 
ses  efforts  sont  restés  infructueux  et  que  le  roi  demandait  la 
cassation  du  mariage,  non  seulement  pour  cause  de  parenté, 
mais  parce  que,  par  l'effet  d'un  sortilège,  il  ne  pouvait  avoir 
avec  elle  de  commerce  conjugal.  Innocent  ajoutait  qu'il  allait 
lui  envoyer  son  chapelain,  homme  très  prudent,  auquel  elle 
pourrait  se  confier  entièrement;  que  ni  elle  ni  le  roi  ne  devaient 
rester  dans  cette  situation  périlleuse. 

Deux  ans  plus  tard,  le  pape  exhorta  encore  le  roi  à  traiter  Inge- 
burge comme  sa  femme  et  à  vivre  avec  elle  ainsi  qu'il  convient 
à  des  gens  mariés,  afin  de  ne  pas  tomber  dans  les  pièges  de 
Satan;  que  si  l'impossibilité  du  commerce  conjugal  était  avé- 
rée, il  n'en  devait  pas  moins  traiter  Ingeburge  selon  son  rang. 
Le  roi  fit  dire  au  pape  qu'il  consentait  à  un  essai  de  vie  com- 
mune avec  Ingeburge,  mais  à  la  condition  qu'en  cas  d'échec,  on 
n'en  fît  pas  un  empêchement  à  la  rupture  de  son  union.  Le  pape 
accepta  et  promit,  en  cas  d'échec,  l'ouverture  de  la  procédure 
de  séparation.  En  1208,  Innocent  chargea  le  cardinal  Gualo, 
qui  se  rendait  en  France  pour  y  prêcher  la  croisade,  d'exa- 
miner avec  soin  cette  question  du  sortilège,  dès  c[ue  la  reine 
jouirait  de  toute  sa  liberté.  Gualo  à  peine  arrivé,  le  roi  vint 
invoquer  une  troisième  raison  pour  faire  prononcer  sa  sépa- 
ration. Grâce  à  des  chicanes  de  toutes  sortes,  après  promesse  [864] 
d'une  rente  annuelle  de  mille  livres,  le  roi  avait  fini  par  faire 
déclarer  à  Ingeburge  le  désir  de  se  retirer  dans  un  monastère; 
et  comme  le  mariage,  d'après  lui,  n'avait  jamais  été  con- 
sommé, il  prétendit  que  la  profession  religieuse  de  la  reine 
le  rendait  libre  de  se  remarier.  Philippe-Auguste  sollicitait  du 
pape,  pour  le  cardinal  Gualo,  le  pouvoir  de  casser  le  mariage, 
soit  pour  sortilège,  soit  pour  parenté,  soit  parce  que  l'un  des 
conjoints  embrassait  la  vie  religieuse,  soit  enfin  pour  tout  au- 
tre motif  canonique;  il  demandait  que  cette  décision  fût  sans 
appel. 

Innocent  III  écrivit  au  roi  une  longue  lettre,  lui  expliquant 
que  les  précédents  sur  lesquels  il  prétendait  s'appuyer  n'a- 
vaient aucun  rapport  avec  son  affaire.  Ainsi  :  a)  Ingeburge 
soutenait  que  le  roi  avait  eu  plusieurs  fois    rapport  avec  elle,  et 


646.     CONCILES     DU    NORD    DE    LA     FRANCE  1307 

ui-mème  avouait  plusieurs  tentatives;  &)  Ingeburge  n'avait  pas 
pris  de  plein  gré  le  parti  d'embrasser  la  vie  religieuse,  mais  seu- 
lement après  une  captivité  de  huit  ans  et  sur  la  promesse  de 
sommes  d'argent.  Le  roi  ne  pouvait  se  plaindre  de  la  rigueur 
du  pape  :  en  réalité,  il  avait  montré  beaucoup  plus  d'indulgence 
que  son  prédécesseur  Nicolas  I^^'  n'en  avait  témoigné  à  Lo- 
thaire  II;  actuellement  il  se  rendait  encore  aux  désirs  du  roi 
en  donnant  au  cardinal  Gualo  pleins  pouvoirs  pour  examiner 
les  trois  raisons  invoquées  pour  la  cassation  du  mariage.  Le 
pape  consentait  à  ce  que  la  sentence  du  cardinal  Gualo  fût  inap- 
pelable;  mais  il  exigeait  au  préalable  une  enquête  sévère  et 
parfaitement  régulière.  Dans  une  covirte  lettre  de  la  même  épo- 
que, Innocent  tenta,  une  fois  de  plus,  de  détourner  le  roi  de 
toute  idée  de  séparation  avec  Ingeburge  ^. 

Le  cardinal  Gualo  utilisa  son  séjour  en  France  pour  opérer  des 
réformes  dans  l'Église  et  promulgua,  vers  1210,  dans  une  réu- 
nion d'évêques  français,  dix  canons  contre  la  luxure,  l'avarice 
et  le  luxe  des  clercs  et  des  moines.  Guillaume,  évêque  de  Paris,  y 
ajouta  plus  tard  seize  canons  ^. 

Le  cardinal  ne  put  venir  à  bout  de  cette  affaire  du  mariage 
du  roi;  Ingeburge  resta  reléguée  comme  auparavant,  néanmoins 
on  eut  pour  elle  un  peu  plus  d'égards. 
[865]  Le  principal  obstacle  à  la  cassation  du  mariage  venait  de  ce  que 
tout  le  monde  croyait  à  l'existence  de  rapports  conjugaux  entre 
le  roi  et  Ingeburge.  Celle-ci  se  laissa  décider  à  faire,  en  présence 
de  l'abbé  de  la  Trappe  et  de  maître  Robert  de  Courçon,  une  décla- 
ration contraire;  une  fois  nanti  de  cette  pièce,  Philippe-Auguste 
s'adressa  de  nouveau  à  Rome.  L'abbé  de  la  Trappe  et  un  second 
ecclésiastique  furent  chargés  de  soutenir  ses  intérêts;  mais  le 
pape  déclara  que,  sans  l'assentiment  d'un  concile  général,  il 
ne  pouvait  pas  plus  que  par  le  passé  se  rendre  à  la  volonté  du  roi 
et  qu'il  aurait  à  craindre  pour  lui-même  la  déposition,  s'il  accor- 
dait une  dispense  injuste.  Le  roi,  disait-il,  devrait  ne  plus  par- 
ler de  cette  affaire,  de  peur  de  paraître  profiter  de  la  détresse 
du  pape  pour  lui  arracher  une  impossible  concession  ^.  —   Enfin, 

1.  Ijuiocent  III,  EpisL,  I.  VI,  n.  85,  86,  182;  1.  VIII,  n.    11. 

2.  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  785  sq.;  Hardoiùn,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2, 
co'.  1975;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  763. 

3.  Innocent  III,  Episl.,  1.  XV,  n.  lOG-107. 


1308  LIVRE    XXXV 

en  1213,  Pliilippe-Augustc  finit  pas  reprendre  Ingeburge,  à  la 
grande  joie  du  peuple  de  France,  et  les  deux  époux  vécurent  en 
paix.  Dans  son  testament,  le  roi  exprima  toute  l'estime  qu'il 
gardait   à  «   son   excellente    épouse  ^  ». 

Robert  de  Courçon,  célèbre  professeur  de  l'UniNcrsilé  de  Paris 
et  ancien  condisciple  d'Innocent  III,  nommé  par  celui-ci  cardi- 
nal et  légat  en  France,  réunit  à  Paris,  en  1212  ou  1213,  un  concile 
([ui  s'occupa  de  la  discipline  ecclésiastique  :  ses  ordonnances 
sont   distribuées  en  quatre  sections  ^. 

La  première  partie  traite  des  clercs  séculiers,  dans  les  vingt 
canons   suivants   : 

1.  Les  clercs  auront  les  cheveux  coupés  en  forme  de  cou- 
ronne; ils  n'auront  dans  leurs  vêtements  et  en  toute  leur  conduite 
rien  que  de  convenable.  Ils  éviteront  de  ])arler  à  l'église  et  au 
chœur;  pendant  l'office  choral  et  la  messe,  ils  ne  c|uitteront  pas 
leur  place  et  ne  sortiront  pas  de  l'église  avant  la  fin  de  l'office; 
le  tout,  sous  peine  de  suspense  et,  au  besoin,  d'excommunica- 
tion. 

2.  On  devra  supprimer  la  pratique  abusive  de  quelques  églises, 
oîi  les  chanoines  et  autres  clercs  n'assistent  qu'au  commence- 
ment et  à  la  fin  des  offices  faits  pour  des  anniversaires,  afin 
de  percevoir  leurs  honoraires. 

3.  Les  clercs  bénéficiers  n'auront  ni  chiens  de  chasse  ni  fau- 
cons; ils  s'abstiendront  même  de  la  chasse  aux  oiseaux.  En 
voyage,  ils  n'auront  ni  train  fastueux  ni  des  selles  de  plu- 
sieurs couleurs. 

4.  Aucun    clerc    dans   les    ordres    majeurs    ne    devra    avoir   de  [8C6] 
gouvernante  {focaria),  même  s'il  n'a  pas  de  bénéfice. 

5.  Tout  clerc  doit  se  confesser  à  son  supérieur,  et  ne  pouria  se 
confesser  à  un  autre  prêtre  qu'avec  l'autorisation  de  ce  supérieur. 

6.  Aucun  clerc  ne  devra  exercer  à  prix  d'argent  l'office  d'a- 
vocat, s'il  a  un  bénéfice  suffisant  pour  assurer  sa  subsistance; 
il  n'acceptera  jamais  de  mauvaise  cause,  ne  fera  pas  malicieu- 
sement traîner  les  procès  en  longueur,  s'abstiendra  d'insulter  la 


1.  Hiirter,  op.  cit.,  l.  ii,  p.  477  sq. 

2.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  57-80;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vi,  part.  2,  col. 
1991;  Martène,  Script,  vel.  coll.,  t.  vu,  p.  97-106;  Coleti,  Concilia,t.  xiii,  col. 
819;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  ii,  col.  827;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  ce'. 
818.  (H.  L.) 


G4G.     CONCILES     DU     NORD     DE     LA    FHA.\CE  1309 

1  artie  adverse.  Les  avocats  (jui  n'ont  pas  de  bénéfice  ecclé- 
siastique ne  doivent  pas  exiger  des  honoraires  trop  considéra- 
bles. 

7.  Aucun  clerc  et,  en  général,  aucun  ecclésiastique  ne  doit 
s'engager  par  serment  à  ne  jamais  prêter  à  intérêt,  à  ne  ja- 
mais emprunter,  ou  enfin  à  ne  jamais  se  porter  caution  pour 
un  autre. 

8.  Défense  d'exiger  pour  les  prédications  un  salaire  ou  un 
prix  fait.  On  interdira  la  prédication  à  ceux  qui  agissent  ainsi; 
qu'ils  aient  ou  qu'ils  n'aient  pas  de  reliques  avec  eux,  on  ne  leur 
permettra  pas  de  faire  ad  fîrmam  (moyennant  une  redevance 
annuelle)  des  sermons  dans  un  district. 

9.  On  n'admettra  à  célébrer  les  clercs  inconnus  que  s'ils 
ont  des  lettres  testimoniales. 

10.  On  n'admettra  aucun  excommunié,  interdit  ou  étranger 
inconnu,  ni  à  la  communion,  particulièrement  à  Pâques,  ni  à 
la  sépulture  ecclésiastique. 

11.  Afin  de  mettre  un  terme  à  l'avarice  des  clercs,  on  rap- 
pelle aux  laïcs  qu'ils  ne  sont  pas  obligés  de  laisser,  par  testa- 
ment, de  quoi  faire  dire  des  messes  pendant  un  an,  ni  môme 
pendant  sept  ou  trente  jours.  Les  prêtres  n'accepteront  pas  un 
trop  grand  nombre  d'anniversaires,  ce  qui  les  obligerait  ensuite 
de  prendre  des  ecclésiastiques  à  gages  pour  les  célébrer.  Dé- 
fense aussi  de  dire  pour  les  défunts  des  messes  sèches^;  en 
général,  les  sacrements  et  sacramentaux  ne  doivent  être  l'objet 
d'aucun  trafic. 

12.  Quiconque  a  une  église  en  bénéfice  ne  doit  pas  en  accep- 
ter une  autre  en  ferme  {ad  firmam);  ni  abandonner  la  sienne 
pour  devenir  chapelain  dans  une  autre.  Sans  la  permission  de 
l'évêque  et  du  curé,  aucun  prêtre  ne  doit  confesser  sur  une  pa- 
roisse étrangère,  sauf  les  cas  de  nécessité. 

13.  Suivant  le  canon  du  concile  de  Tours  -,  on  ne  doit  pas 
diviser   les   bénéfices   et   prébendes    ecclésiastiques. 

1.  Outre  la  messe  proprement  dite,  plusieurs  célébraient  une  sorte  de 
seconde  messe,  disant  toutes  les  paroles  de  la  messe  ordinaire,  mais  sans  con- 
sacrer et  sans  communier.  Cette  pratique  paraît  avoir  été  permise  à  ceux  qui 
avaient  déjà  célébré  une  messe  véritable,  et  ils  percevaient  pour  cela  un  nouvel 
honoraire.  Cf.  Du  Cange,  au  mot  Missa  sicca,  et  Binterim,  Denkw.,  t.  iv, 
pars  3,  p.  245  sq.  Cf.  Histoire  liltér.,  t.    xxiv,  p.    357. 

2.  Voir  §  624. 


1310  LIVRE    XXXV 

14.  Défense   de  vendre  les   cliarges   de  doyen. 

15.  L'archidiacre  ne  doil  rien  exiger  des  églises  qu'il  n'a  pas 
visitées  personnellement. 

16.  Défense  de   tenir  dans  les  maisons  des  clercs,  dans  les  mo-   [867J 
nastères  et  dans  les  dépendances  des   églises,    des    festins  incon- 
venants, des  jeux  de  hasard  ou  des  réunions  de    rihaldi  (débau- 
chés). 

17.  Les  chapitres  des  églises  cathédrales  doivent  élire  pour 
prélat  un  étranger,  s'il  n'y  a  pas  dans  leur  sein  d'homme  ca- 
pable. 

18.  Lorsqu'un  chapilre  devra  procéder  à  une  élection,  on 
la  fixera  à  un  jour  déterminé,  en  sorte  que  les  absents  puis- 
sent en  être  informés. 

19.  Nul  ne  doit  avoir  à  la  fois  deux  bénéfices  avec  charge 
d'âmes. 

20.  Les  bénéfices  ne  doivent  pas  être  héréditaires;  on  ac- 
cordera gratuitement  la  venia  docendi  et    les    places    de     maître 

d'école. 

La  seconde  partie  renferme  vingt-sept  ordonnances  pour 
l'amélioration  de  la  vie  monastique  : 

1.  Aucun  moine  ne  doit  rien  posséder.  Néanmoins  les  prieurs 
et  administrateurs  pourront  posséder  ce  qui  leur  est  nécessaire 
pour  remplir  leurs  fonctions  et  ce  qui  est  d'un  intérêt  général; 
les  simples  moines  seront  également  autorisés  à  avoir  quelques 
objets  pour  leur  usage,  si  les  supérieurs  ne  s'y  opposent  pas. 

2.  Personne  ne  sera  admis  dans  un  monastère  avant  l'âge 
de  dix-huit  ans. 

3.  Les  évêques  feront  murer  dans  les  monastères  les  portes 
dérobées  et  toutes  les  issues  suspectes. 

4.  Les  moines  doivent  prendre  soin  des  malades  et  des  infir- 
mes, ne  pas  détourner  à  d'autres  usages  les  aumônes  faites  à 
cette    intention    et    ériger  des   maisons  de   malades  [infirmaria). 

5.  Les  monastères  doivent  exercer  l'hospitalité,  surtout  à 
l'égard  des  pauvres  et  des  personnes  de  condition  modeste. 

G.  On  ne  peut  refuser  l'entrée  d'un  menas  1ère  à  un  postu- 
lant,  sous   prétexte  qu'il   est  étranger. 

7.  C'est  un  grave  manquement  que  commettent  beaucoup  de 
monastères  en  admettant,  par  un  motif  d'avarice,  aux  sacre- 
ments ou  à  la  sépulture  ecclésiastique  des  excommuniés,  des 
interdits,  des  usuriers  publics. 


I 


64C.     CONCILES    DU     NORD     DE     LA     FRANCE  1311 

8.  Désormais,  aucun  membre  d'un  monastère  ne  devra  cher- 
cher à  passer  dans  un  autre  pour  devenir  prieur,  etc. 

9.  Les  moines  doivent  «s'abstenir  de  porter,  à  la  façon  des 
laïcs,  des  gants  de  cuir  l)lancs,  des  souliers  mondains,  des 
chapeaux,  des  habits  bariolés,  etc.  Ils  ne  mangeront  rien  hors  du 
réfectoire. 

10.  Aucun  moine  ne  doit  avoir  sa  chambre  à  coucher  hors  du 
dortoir  commun,  à  moins  que  ses  fonctions  ne  l'exigent.  Sont 
également  prohibes  toute  discussion  au  chapitre,  tout  bruit 
dans  le  monastère,  toute  visite  de  personnes  du  sexe,  tout  jeu 
interdit,  la  chasse  aux  oiseaux,  la  chasse  en  général,  etc.  Dans 
tout  le  monastère,  au  dortoir,  dans  la  clôture,  au  réfectoire  et 
ailleurs,  régnera  un  silence  sévère. 

11.  Si  un  moine  ou  un  chanoine  régulier  entreprend  un  voyage 
[868]  avec  la  permission  de  son  supérieur,  celui-ci  aura  soin  de  le  munir 

de  chevaux  et  de  tout  ce  qui  est  nécessaire  pour  la  route,  afin 
qu'il  ne  fasse  pas  déshonneur  à  sa  condition. 

12.  Les  inférieurs  doivent  obéir  humblement  et  les  supérieurs 
commander  sans  passion  et  avec  prudence. 

13.  En  certaines  régions  s'est  implantée  une  détestable  pra- 
tique :  l'abbé  donne  les  prévôtés  dépendant  des  monastères 
à  des  moines  qui  ne  demandent  pas  mieux  que  de  vivre  en 
dehors  du  monastère;  en  retour,  l'abbé  reçoit  une  certaine 
somme  ad  firmam.  Ce  que  la  prévôté  rapporte  en  dehors  de 
cette   somme   appartient   au    moine    en    toute    propriété.    Si  la 

ï  prévôté    rapporte     moins     que     ce    que    l'abbé    exige,    le    moine 

t  cherche    per    fas    et    nejas  à  améliorer  sa    situation.    Les  abbés 

P  désormais   devront    s'abstenir  de  cette    pratique,  sous    peine  de 

suspense. 

14.  Un  moine  qui  abandonne  volontairement  son  monastère 
et  porte  des  habits  séculiers,  devra  être  excommunié. 

15.  Un  excommunié,  un  interdit,  un  irrégulier  qui  veut 
entrer  dans  un  monastère,  doit  avant  tout  faire  connaître  sa  si- 
tuation à  l'abbé,  lequel,  suivant  les  circonstances,  accordera 
ou  refusera  la  dispense,  ou  la  demandera  au  supérieur.  Qui- 
conque dissimulera  sa  véritable  situation  sera  sévèrement 
puni. 

16  et  17.  Rappel  des  canons  10  et  13  du  troisième  concile  de 
Latran. 

18.  Rappel  du  dix-huitième  canon   du   concile   de    Chalccdoine 


1312  LIVRE    XXXV 

commcnçanL  par  ces  mots  :  «  Celui  qui,  ù  rép;ard  des  quatre  con- 
ciles  œcuméniques,  «  etc. 

1*J.  Aucun  moine  ne  peut  exercer  la  charge  d'avocat  pour  une 
affaire  qui  n'intéresse  ni  son  couvent  ni  un  autre  monastère. 

20.  Aucun  moine  ne  doit,  sous  prétexte  de  donner  des  consul- 
talions  de  droit  ou  de  médecine,  habiter  en  dehors  du  monastère, 
pas  même  avec  la  permission  de  son  abbé  :  car  celui-ci  ne  peut  pas 
le  ])er mettre  ^. 

21.  Doux  moines  ou  deux  chanoines  ne  doivent  jamais  coucher 
dans  le  même  lit;  chacun  aura  son  lit  séparé  et  ne  couchera 
qu'avec  le  costume  prescrit.  (On  rappelle  ici  la  seconde  partie 
du   can.   11  du  troisième  synode  de  Latran.) 

22.  On  ne  doit  pas  diminuer  le  nombre  des  moines  d'un  mo- 
nastère, tant  que  les  revenus  restent  les  mêmes. 

23.  Les  moines  ne  doivent  pas  faire  serment  de  ne  pas  prê- 
ter de  livres  :  c'est  là  une  œuvre  de  miséricorde. 

24.  Plusieurs  troublent  la  paix  des  monastères  aûn  d'obtenir 
des  habitations  séparées  :  on  les  obligera  à  rester  dans  le  mo- 
nastère où  ils  seront  plus  étroitement  tenus    qu'auparavant. 

25.  Quiconque  vend  ses   marchandises   à    terme,   pour    gagner    [869] 
davantage,  sera  puni  comme  usurier. 

26.  On  ne    peut  être  investi  à  vie  d'un  prieuré. 

27.  On  ne  demandera  rien  pour  l'admission  des  postulants 
dans    un  monastère. 

La  troisième  partie,  qui  concerne  les  moniales,  renferme  quel- 
ques dispositions  intéressant  aussi  les  abbés  et  les  moines  : 

1.  Les  évêques  ne  doivent  pas  permettre  que  les  religieuses 
reçoivent  la  visite  des  clercs  ou  de  serviteurs  capables  de  susciter 
des  soupçons,  ou  bien  cjue  des  ecclésiastiques  séculiers  aient 
avec  de  jeunes  religieuses  des  entretiens  inutiles.  Les  parents 
eux-mêmes  {parentes)  ne  pourront  parler  à  une  religieuse  qu'en 
présence  d'une  de  ses  compagnes  plus  âgée  ou  d'une  personne  à 
l'abri  de  tout  soupçon,  et  pouvant  ailirmer  si  les  visiteurs  sont 
oui  ou  non  des   parents. 

1.  On  reproduit  dans  ce  canon  les  paroles  du  can.  8  du  concile  de  Tours  de 
1163,  en  ajoutant  que  le  concile  de  Latran  s'était  prononcé  dans  ce  sens.  Ce 
passage  se  trouve  en  effet  dans  VAppendix  au  troisième  concile  œcuménique, 
pars  XXVII,  c.  2.  On  peut  donc  conclure  de  là  que  cet  Appeiidix  existait 
dès  l'année  1212. 


Cl  G.     CONCILES     DU     NOHD    DE     LA     FliANCE  1313 

2.  Que  les  religieuses  aient  chacune   leur  lit. 

3.  Toute  religieuse,  obligée  de  sortir  pour  rendre  visite  à  ses 
j)arents,  devra   être  accompagnée  et  revenir  à    bref   délai. 

4.  Les  danses  sont  interdites  aux  religieuses,  soit  dans  le 
monastère,  soit   au  dehors. 

5.  Ce  qu'on  a  dit  ])lus  haut  des  moines,  de  leurs  vêtements 
et  de  leur  renoncement  à  toute  possession,  est  applicable,  pro- 
portion gardée,  aux  religieuses. 

6.  C'est  un  abus  criant  qu'en  certains  monastères  on  assigne  aux 
religieuses,  pour  leur  entretien,  une  somme  d'argent  insuffisante, 
ce  qui  les  oblige  à  chercher  ailleurs  le  nécessaire.  Le  monastère 
doit  pourvoir,  sur  les  biens  communs,  à  tous  les  besoins  des 
nonnes;  si  ces  revenus  sont  insuflisants,  l'évèque  diminuera  le 
nombre  des  religieuses. 

7.  Les  évêques  assureront  aux  religieuses  le  ministère  de  con- 
fesseurs expérimentés. 

8.  Les  abbesses  et  prieures  négligentes  seront  suspendues, 
et   au  besoin  déposées. 

9.  Ceux  qui  habitent  dans  les  léproseries,  hôpitaux,  etc., 
doivent,  sî  les  ressources  de  l'établissement  le  permettent, 
pratiquer  la  vie  commune,  c'est-à-dire  :  renoncer  à  leurs  biens, 
faire  vœu  de  chasteté,  porter  le  saint  habit  et  obéir  aux  su- 
périeurs. Mais  dans  de  telles  maisons,  il  ne  devra  jamais  y 
avoir  plus  de  bien  portants  que  de  malades,  car  une  personne 
bien  portante  peut  servir  plusieurs  malades  et  ceux  ([ui  sont  en 
santé  ne  doivent  pas  dépenser  le  bien  destiné  aux  malades.  Si 
des  personnes  mariées  viennent  se  retirer  dans  ces  sortes  de 
maisons,   elles  y  mèneront   la  vie  religieuse   ou   seront  chassées, 

10-12.  On  menace  de  déposition  les  abbés  et  prieurs  négli- 
gents,  indignes   et   dépensiers. 

13.  Et  de  même  ceux  qui  enrichissent  leurs  parents  avec  les 
biens  des  églises. 

14.  On  n'admettra  pas  de  femmes  jeunes  ou  susi)ectes  dans 
les  maisons  des  religieux  (moines  et  chanoines),  sauf  en  des 
appartements  distincts  et  éloignés.  Les  abbés  ne  doivent  pas 
retirer  aux  prieurs  ou  a  des  employés  du  couvent  [ohedientiarii) 
les  fonctions  qu'ils    exercent,    pour    les    donner    à    des    parents. 

[870 J  Au  moins  deux  fois  par  an,  les  prieurs  et  les    ohedientiarii   ren- 
dront compte  de  leur  gestion  par-devant  l'abbé  et    sept  moines 


âges. 


CONCILES  —    V  —  su 


1314 


LIVRE    XXXV 


15.  Sans  l'assenliment  d'au ,  moins  sept  moines  âo;és,  l'abbé 
ou  le  prieur  ne  doit  prendre  aucune  décision  importante,  ni 
en  particulier   emprunter   une   somme    d'argent   considérable. 

IG.  Que  les  abbés  ne  soient  pas  trop  durs  pour  les  frères  repen- 
tants, ((ui  veulent  revenir.  Les  emplois  des  monastères  [obe- 
dientiœ)  ne  doivent  pas  être  donnés  à  vie. 

17.  Que  les  abbés  ou  prieurs  n'osent  pas,  sans  consulter  leur 
chapitre,  menacer  ou  punir  ceux  ([ni  proposent  en  chapitre 
des  mesures  pour  la  réforme  de  la  maison;  sinon  leurs  actes 
seront  sans  valeur. 

18.  On  ne  doit  pas  laisser  indéfiniment  un  moine  vivre  dans 
une  s'illa,  etc.,  en  dehors  des  règles. 

19.  Défense  aux  moines  de  manger  dans  des  chambres  sé- 
parées,   d'une    manière   désordonnée  et  dans  des  temps  défendus. 

20.  Quiconque  est  entré  dans  un  monastère  ne  doit  pas  le 
quitter  pour  aller  étudier  ailleurs;  qu'il  étudie  dans  le  monas- 
tère même,  et  que  ceux  qui  sont  absents  rentrent  dans  le  délai 
de  deux  mois. 

21.  Que  les  abbés  n'aient  pas  de  chapelains  de  vie  peu  reli- 
gieuse,   ni  des  compagnons  d'âge  ou    de    mœurs   suspects. 

Les  vingt  et  un  canons  de  la  quatrième  partie  concernent  les 
évêques. 

1.  Ils  porteront  une  ample  tonsure  circulaire.  Leurs  cheveux 
ne  devront  pas  dépasser  trop  la  mitre  ;  pour  la  longueur,  la  largeur, 
la  couleur,  leurs  hahits  seront  conformes  à  la  règle.  Qu'ils  aient 
la  physionomie  sérieuse,  la  démarche  calme,  la  j^arole  modeste; 
qu'ils  s'abstiennent  de  serments  et  de  paroles  malséantes,  et 
ne  les  tolèrent   pas  en  leur  présence. 

2.  Que  les  évêques  ne  demeurent  pas  dans  leur  lit  tandis 
([u'on  chante  les  matines.  Durant  le  service  divin,  ils  ne  s'oc- 
cuperont ni  d'affaires  ni  de  discours  mondains. 

3.  Les  jours  de  grande  fête,  ils  célébreront  et  prêcheront  eux- 
mêmes,  ou  du  moins  feront  prêcher. 

4.  Ils  ne  seront  pas  chasseurs,  ne  porteront  pas  d'hermine,  ne 
joueront  pas  aux  dés,  etc. 

5.  Au  commencement  et  à  la  fin  de  leur  repas  aura  lieu  une 
lecture  édifiante;  ils  écarteront  de  leur  table  les  histrions,  les 
mimes  et  leurs  instruments. 

6.  Ils  auront  des  aumôniers  prudents  et  honnêtes,  exerce- 
ront   l'hospil alité,    donneront    audience  aux  j)auvres,  entendront 


646.    CONCILES     DU     NORD     DE     LA     FRANCE 


1315 


par  eux-mêmes  les    confessions   et    se    confesseront   eux-mêmes. 

7.  Ils  résideront  dans  leurs  églises,  surtout  les  jours  de  fête  et 
pendant  le  carême. 

8.  Ils  renouvelleront  au  moins  deux  fois  par  an  la  profession 
qu'ils  ont  émise  lors  de  leur  consécration  :  une  fois  pendant 
le  synode  (diocésain),  et  une  autre  fois  devant  le  chapitre  réuni. 

9.  Ils  n'auront  pas  d'escorte  trop  nombreuse,  ils  éviteront 
d'être  à  charge  à  leurs  inférieurs  par  les   procurations. 

10  et   11.   Les  familiers    et    serviteurs    de    l'évêque,    valet    de 

chambre,     cuisinier,      maréchal,      portier,      sénéchal,     échansons 

[871]   {buticularii),    boulanger  (panetarii),  etc.,  doivent    être  de  bonne 

réputation.   Ils   se    garderont  d'extorquer   de  l'argent  à  ceux  qui 

veulent  parler  à  l'évêque,  ou  aux  ordinands,  etc. 

12.  Les  évêques  éviteront   tout   acte  de  simonie, 

13.  Eux-mêmes  et  leurs  officiers  ne  doivent  rien  exiger  pour 
le  sceau,  pour  la  justice  sommaire;  ils  ne  recevront  rien  pour 
rachat  des  procurations,  absolution  ou  sépulture  des  excom- 
muniés défunts,  enfin  composition  avec  les  clercs  concubinaires. 

14.  Ils  ne  donneront  pas  de  bénéfices  ecclésiastiques  à  des 
indignes,  éviteront  la  précipitation  à  porter  des  sentences 
d'excommunication  ou  de  suspense;  ils  n'absoudront  pas  un 
excommunié  moyennant  une  simple  amende.  Ils  n'exigeront 
rien  pour  dispense  des  trois  proclamations  qui  précèdent  le  ma- 
riage; ils  ne  conféreront  pas  de  bénéfice  qui  ne  soit  pas  vacant, 
et  n'ordonneront  pas  de  clercs  sans  examiner  leur  science  et  leurs 
mœurs. 

15.  Les  combats  singuliers  et  les  actes  de  la  justice  séculière 
sont  interdits  dans  les  lieux  sacrés,  les  cimetières,  ou  en  pré- 
sence  de   l'évêque. 

IG.  Les  fêtes  des  fous  seront  abolies. 

17.  Dans  chaque  diocèse  il  y  aura  au  moins  un  synode 
par  an.  Les  prélats  administreront  la  confirmation  en  temps 
voulu. 

18.  Les  évêques  ne  doivent  pas  tolérer  les  danses  dans  les 
cimetières  et  autres  lieux  sacrés,  même  sous  prétexte  de  cou- 
tume existante.  Ils  prohiberont  les  travaux  serviles  le  dimanche 
et  ne  permettront  pas  la  célébration  des  mariages  illicites,  sur- 
tout aux  degrés  défendus. 

19.  Ils  feront  respecter  les  testaments  légitimes  et  les  dernières 
volontés  des  défunts. 


1316  LIVKE     XXXV 

20  et  21.  Les  l'aules  charnelles  contre  nature,  commises  par 
louLe  personne  âgée  de  plus  de  quinze  ans,  surtout  par  des  clercs, 
seront  punies  très  sévèrement,  conformément  au  can.  11  du 
concile  de  Latran  ^. 

L'année  suivante,  tandis  qu'il  prêchait  la  croisade  en  Nor- 
mandie, le  légat  Robert  de  Courçon  tint  à  Rouen  un  synode 
(1214)  auquel  assistèrent  les  prélats  de  la  contrée.  L'assemblée 
reproduisit,  en  trois  ])arties  et  prestiue  mot  à  mot  (dans  un 
texte  ordinairement  meilleur),  les  canons  du  concile  de  Paris  -. 
Le  légat  avait  convoqué  un  concile  à  Bourges  pour  cette  même 
année  (1214),  mais  les  évoques  français,  qui  reprochaient  au 
légat  son  excessive    dureté,    refusèrent  de  s'y  rendre  ^. 


647.  Douzième  concile  œcuménique.  [8721 

Quatrième  de  Latran. 

Cependant,  le  19  avril  1213,  le  ])apc  Innocent  III  avait 
lancé  les  lellres  d'indiction  du  douzième  concile  œcumé- 
nique, adressées  à  tous  les  patriarches,  archevêques  et 
évêques  de  l'Orient  et  de  l'Occident.  «  Deux  choses,  y  disait 
le  pape,  me  tiennent  surtout  à  cœur  :  la  délivrance  de  la 
Terre  Sainte  et  la  réforme  de  l'Eglise  universelle.  Le  soin 
de  ces  deux  affaires  ne  peut  être  différé  plus  longtemps, 
sans  nous  faire  courir  de  graves  dangers.  Après  avoir  souvent 
prié  Dieu,  lui  avoir  demandé  sa  lumière,  après  de  nombreuses 
délibérations    avec   des    cardinaux   et   des    hommes   prudents,   je 

1.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  818  sq.  A  partir  de  la  col.  843, 
Mansi  dotme  des  extraits  (d'après  Martèiie)  d'un  codex  Aquiscinclum 
(l'abbaye  d'Achin  ou  d'Anchin,  près  de  Douai)  qui  permet  de  corriger 
plusieurs  phrases  défectueuses  ou  incomplètes  de  ces  canons.  A  la  col.  854, 
des  corrections  analogues  sont  fournies  par  les  notes  de  Dubois  et  par  le 
texte  des  canons  de  Rouen,  dont  nous  allons  maintenant  parler.  Mais  ce  qui, 
col.  844,  est  donné  comme  de  nouveaux  canons,  ne  provient  pas  de  notre 
synode,  mais  de  synodes  ultérieurs. 

2.  Bessin,  Conc.  Rotomag.,  p.  110;  Coleti,  Concilia,  t.  xni,  col.  865;  Mansi, 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  814.  (H.  L.) 

3.  Martène,  Script,  vet.  coll..  t.  vu,  col.  1422-1423;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii^ 
col.  865  sq.,  901;  Mansi,  Concilia.,  Supplem.,  t.  ii,  col.  857;  Conc.  ampliss.  col .. 
t.  XXII,  col.  932.  (H.  L.) 


G47.     DOUZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1317 

me  suis  décidé,  à  l'exemple  des  anciens  Pères,  à  convoquer 
un  concile  général,  qui  exterminera  les  vices,  fera  fleurir  les  vertus, 
redressera  les  torts,  réformera  les  mœurs,  anéantira  les  hérésies, 
fortifiera  la  foi,  mettra  fin  aux  discussions,  établira  la  paix, 
protégera  la  liberté,  gagnera  à  la  cause  de  la  Terre  Sainte  les 
princes  et  les  peuples  chrétiens,  et  enfin  rendra  de  sages  ordon- 
nances pour  le  haut  et  bas  clergé  ^. 

«  Toutefois,  comme  le  concile  général  ne  peut  se  réunir  avant 
deux  ans,  je  ferai,  dans  l'intervalle,  rechercher  dans  toutes 
les  provinces  ce  qui  a  besoin  de  la  lime  apostolique,  et  j'enverrai 
des  hommes  de  talent  plaider  la  cause  de  la  Terre  Sainte,  afin 
de  prendre  ensviite  la  direction  de  l'expédition,  si  le  concile  l'ap- 
prouve. 

«  Préparez-vous  donc  à  vous  rendre  au  concile  dans  deu;s  ans 
et  demi,  le  l^''  novembre  1215.  Il  ne  restera  cjue  deux  évêques 
par  province,  pour  l'expédition  des  affaires  courantes;  encore 
ces  deux  évêques  et  tous  ceux  c{ui  auront  une  raison  canonique 
de  ne  pas  venir  au  concile  y  enverront  des  délégués.  Conformé- 
ment à  l'ordonnance  du  troisième  concile  de  Latran^,  chac|uo 
évêque  n'amènera  qu'une  modeste  escorte;  il  restera  même 
au-dessous  de  la  limite  fixée.  Les  chapitres  des  cathédrales 
et  des  collégiales  enverront  leurs  délégués,  car  le  concile  aura 
à  s'occuper  d'evix.  Les  évêques  examineront  dès  mainte- 
nant et  noteront,  dans  leurs  diocèses,  ce  qui,  à  leur  connais- 
sance, a  besoin  de  réforme,  afin  de  s'en  ouvrir  devant  le  concile. 
Ils  aideront,  dans  la  mesure  du  possible,  les  prédicateurs  ponti- 


1.  G.  Singletonus  [Léo  Lessius],  Discussio  decreti  magni  concilii  Lateranensis 
et  quarundam  rationum  annexarum  de  potestate  Ecclesiss  in  temporalibus  et  in- 
commoda diverses  sententise,  in-8,  Albini,  1613.  Cf.  Widdringtonius,  Z)isf ussio 
discussionis  decreti  magni  concilii  Lateranensis,  m-^,  Augustae,  1618;  Binius, 
Concilia,  t.  m,  col.  1449-1468;  Coll.  regia,  t.  xxviii,  col.  116;  Maririque,  AnnaL 
Cisterc,  t.  iv,  p.  56-64;  Th.  Vane^  Vindicise  concilii  Lateranensis  adi>.Joh. 
Cosenum,  in-8,  Paris^  1650;  d'Achery,  Spicilegium,  t.  vu,  p.  209-211;  Labbe, 
Concilia,  t.  xi,  col.  117-240;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  1  ;  J.  G.  Walchius 
et  J.  F.  Buddœus,  Commentatio  hislorico-theologica  de  conciliis  Lateranensi- 
hus  rei  christianœ  noxiis,  in-4,  lenœ,  1725;  P.  F.  Hané  et  J.  H.  Twietmeyer, 
Ex  historia  ecclesiasiica,  de  conciliis  Lateranensibus,  in-4,  Kelia;,  1726;  Coleti, 
Concilia,  t.  xiii,  col.  9015;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  ii,  col.  861;  Conc.  ani- 
pliss.  coll.,  t.  XXII,  col.  95o;  A.  Luchaire,  Le  concile  de  Latran  cl  la  ré/orme  de 
l'Église,  ia-12,  Paris,  1908.    (H.  L.) 

2.  Voir  §  634. 


1318  LIVRE      XXXV 

ficaux  pour  la  Terre  Sainte;  aucun  d'eux  ne  se  soustraira,  sous 
peine  de  censure  canonique,  à  ces  prescriptions  et  recomman- 
dations.   )) 

Des  lettres  analogues  furent  envoyées  aux  grands-maîtres 
des  ordres  de  clievalerie,  à  l'empereur  de  Constantinople,  aux  [873] 
rois  chrétiens,  aux  généraux  des  ordres  monastiques,  au  chapi- 
tre de  Constantinople  (l'élection  du  nouveau  patriarche  latin 
n'étant  pas  encore  confirmée),  au  katholicos  d'Arménie  et  aux 
patriarches  d'Antioche  et  de  Jérusalem.  Le  pape  exhortait 
ce  dernier  à  solliciter  la  réforme  des  mœurs  des  chrétiens  de 
Palestine  pour  mériter  le  secours  de  Dieu;  il  lui  mandait  qu'il 
avait  écrit  au  sultan  de  Damas  et  de  Bagdad  une  lettre  (qui 
existe   encore)    pour  le  décider  à  rendre  la  Terre  Sainte  ^. 

Ces  lettres  décidèrent  quatre  cent  douze  évêques,    huit    cents 
abbés  et  prieurs,  et  un  grand  nombre  de  représentants  d'évêques 
absents  et  de  chapitres  à  se  rendre  au  concile.  Comme  à  cette 
époque  deux  prétendants  se  disputaient  le  siège  patriarcal  latin 
de  Constantinople,  le  curé  de  Saint-Paul  de  cette  ville  (Vénitien) 
et  l'archevêque  d'Héraclée,  tous   deux  vinrent  à   Rome  peu  de 
temps  avant  l'ouverture  du  concile,  afin  de  soutenir  leurs  droits. 
Le   pape   cassa   les   deux   élections,   et,   de  l'avis   des   cardinaux, 
institua  le  prêtre  toscan  Gervais,  qui  siégea  sur-le-champ    à  son 
nouveau  titre.    Le    patriarche    de    Jérusalem    (résidant    à    Saint- 
Jean-d'Acre)    et    le    patriarche    des    Maronites    unis     assistaient 
au  concile;  quant  au  patriarche  latin  d'Antioche,  retenu  par  la 
maladie,  il  se  fit  représenter  par  l'évêque  d'Antarade.  Le  patriar- 
che   d'Alexandrie     (Melchite),    soumis    à    la    domination    musul- 
mane,   n'avait    pu    envoyer   qu'un    diacre.     Un     grand    nombre 
de  princes  envoyèrent    au  concile    des   ambassadeurs,   en    parti- 
culier   Frédéric    II,    Henri,    empereur   latin    de     Constantinople. 
les    rois    de    France,     d'Angleterre,      de    Jérusalem,     d'Aragon, 
de  Hongrie,  etc.   Peu  auparavant,  André   II,  roi  de   Hongrie,  se 
rendant   en   pèlerinage   à    Jérusalem,    avait    écrit   au    pape   qu'il 
voulait  confier  à  l'archevêque  et  primat  de  Gran  la  régence  du 
royaume  en  son  absence.  Ce  choix  avait  une  grande  importance, 
parce    que    ses    magnats    étaient    toujours    prêts    à    se    quereller. 
André  demandait  donc  au  pape  la  dispense  de  se  rendre  au  con- 
cile, tant  pour  cet  archevêque  que  pour  quelques  autres  prélats 

1.    Iniiorenl   TU,  Epist..  1.  XVI,  n.  30,  3^i,  35,  3G. 


647.     DOUZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1319 

qui  devaient  l'accompagner  en  Terre  Sainte.  L'empereur  déposé 
Otton  IV  envoya  un  député,  qui,  avant  l'ouverture  du  concile, 
[874]  dans  une  réunion  préliminaire,  plaida  la  cause  de  son  maître, 
protesta  de  son  obéissance  inaltérable  à  l'Eglise  et  pour  ce  motif 
demanda  son  rétaljlissement.  Mais  le  marquis  de  Montferrat 
le  réfuta  et  montra  que  la  requête  d'Otton  devait  être  rejetée 
pour  six  raisons  :  1°  il  avait  violé  le  serment  prêté  à  Rome  ;  2^  il  n'a- 
A  ait  pas  restitué  les  biens  à  cause  desquels  il  avait  été  excommu- 
nié; 3°  il  avait  protégé  un  évêc|ue  déposé;  4°  il  avait  fait  jeter  en 
prison  un  légat;  5'^  il  avait  traité  le  roi  Frédéric  de  «roi  des  prê- 
tres», montrant  ainsi  son  mépris  pour  l'Eglise  romaine,  et  6°  enfin 
il  avait  transformé  en  forteresse  un  monastère  de  femmes.  L'o- 
rateur ajouta  à  cette  réfutation  des  invectives  contre  les  Mila- 
nais, partisans  d'Otton  et  protecteurs  des  patares  (cathares),  ce 
qui  souleva  un  violent  tumulte,  dont  le  pape  ne  put  avoir  rai- 
son qu'en  levant  la  séance.  On  ignore  comment  furent  conduites 
les  délibérations  relatives  à  cette  question,  mais  le  30  novembre, 
Innocent  la  termina  en  confirmant  l'élection  de  Frédéric  et  la 
déposition  d'Otton. 

Rodrigue     Ximénès,    archevêque    de    Tolède,     provoqua    une 
scène     analogue,    en     soutenant,     dans  une    autre    session    pré- 
liminaire,   le  8  octobre  1215,    la    primauté  de   son  Église    sur  fies 
archevêchés  de  Braga,  de  Compostelle,  de  Tarragone  et  de  Nar- 
bonne.  Il  présenta  des  bulles  des    papes  Honorius  II,    Gélase  II, 
Lucius   II,   Hadrien  IV  et  Innocent  III,  pour  prouver  la  prima- 
tie  de  l'archevêque  de  Tolède  sur  toute  l'Espagne,  et  lut  deux 
décrets  du  cardinal-légat  Hyacinthe  (sous  Alexandre  III)  enga- 
geant l'archevêque  de  Braga  à  se  soumettre  au  primat  de  Tolède. 
L'archevêque    de    Braga    refusa    de    répondre,    alléguant    qu'il 
n'avait  pas  été  cité  pour  ce  motif;  il  n'avait  aucun  sovivenir,  du 
reste,   de    cette   sentence   du   cardinal    Hyacinthe.    Le   primat   le 
traita   de   menteur   et   se   mit   à   parler  longuement   de   Maurice 
Burdin,  ancien  archevêque  de  Braga,    qui   s'était   élevé    d'abord 
contre  le  primat,  ensuite  contre  le  pape  lui-même,  et  avait  fini 
par  devenir  antipape  sous  le  nom  de   Grégoire  VIII.  Sur  quoi, 
le  primat  pria  l'assemblée   de    jeter  un    regard    sur  les  peintures 
murales  de    la  salle  des    séances    qui   représentaient  toute    cette 
histoire  de  Burdin.  L'archevêque  de  Compostelle  déclara  ridicule 
la  prétention  de  soumettre  au  siège  de  Tolède  son  Église,  si  an- 
cienne et  si  no])le,   dédiée  à  l'apôtre  saint  Jacques  et  la  première 


1320  LIVRE    XXXV 

évangélisée  de  loulc  l'Espagne.  Xiinénès  répliqua  que  le  siège 
de  Compostelle.  n'avait  pas  même  cent  ans  d'existence,  puisque 
c'était  en  1124  que  le  pape  Calixte  II  avait  transféré  à  [°75] 
Compostelle  l'évêché  de  Mérida,  tombé  sous  la  puissance  des 
Sarrasins,  Auparavant,  il  n'y  avait  à  Compostelle  qu'un  petit 
oratoire  en  l'iionneur  de  saint  Jacques;  il  est  vrai  que  le  corps 
de  ce  dernier  avait  été  apporté  par  ses  disciples  de  Jérusalem 
en  Espagne;  mais  durant  sa  vie  l'apôtre  n'était  jamais  venu 
dans  ce  pays,  il  avait  été  décapité  à  Jérusalem  ^. 

L'évêque  de  Vich  ^  mit  en  doute,  au  nom  de  son  métropoli- 
tain absent,  l'archevêque  de  Tarragone,  les  droits  primatiaux 
de  l'archevêché  de  Tolède,  et,  dans  une  autre  session,  l'archevê- 
que de  Narbonne  déclara,  d'accord  avec  l'archevêque  de  Braga, 
que,  n'ayant  pas  été  cité  pour  discuter  cette  affaire,  il  ne  la  dis- 
cuterait pas.  Le  pape  ne  jugea  pas  opportun  de  trancher  le  diffé- 
rend, mais  chercha  à  calmer  l'archevêcjue  de  Tolède,  et  le  nomma 
pour  dix  ans  légat  apostolique  pour  l'Espagne,  plaça  toutes  les 
églises  qui  seraient  enlevées  aux  Maures  sous  sa  juridiction  et 
lui  accorda  divers  droits  de  dispenses.  Ainsi,  on  lui  permettait 
d'admettre  axix  saints  ordres  et  aux  charges  ecclésiastiques 
trois  cents  enfants  naturels,  Ximénès  donna,  en  cette  circon- 
stance, une  preuve  éclatante  de  sa  facilité,  en  expliquant  pour 
les  laïcs,  en  cinq  langues  difi'érentes,  français,  allemand,  anglais, 
navarrais  (basque)  et  espagnol,  les  principaux  arguments  d'un 
discours  latin  qu'il  venait  de  prononcer  sur  la  primauté.  Gar- 
cias  Loaisa  déclare  que,  depuis  les  apôtres,  on  n'avait  pas 
vu  pareil  miracle  du  don  des  langues  ^, 

Avant  l'ouverture  du  concile,  quelques  envoyés  de  Jean  sans 
Terre,  roi  d'Angleterre,  vinrent  se  plaindre,  au  nom  de  leur  maî- 
tre, de  ce  qu'Etienne  Langton,  primat  de  Cantorbéry,  soutenait  les 
barons  rebelles  dans  leurs  tentatives  pour  détrôner  le  roi,  Etienne 
avait  repoussé  l'ordre  du  pape  de  menacer  les  barons  des  cen- 
sures ecclésiastiques;  pour  ce  motif,  il  avait  été  suspendu  par 
l'évêque  de  Winchester  et  les    autres    commissaires    pontificaux. 


1.  Sur  cette  légende,  cf.  L.  Duchesne,  Saint-Jacques  en  Galice,  dans  Annales 
du  Midi,  1900,  t.  xii,  p.  145-180.  (H.  L.) 

2.  Vieil,  province  de  Barcelone,  Espagne.    (H.  L.) 

3.  Qu'cût-il  dit  de  Giuseppe  Mezzofanti,  qui    parlait  cinquante-huit  langues 
avec  leurs  dialectes  !  Pour  sa  peine,  on  le  fit  cardinal.  (H.L.) 


fj'i7.     DOUZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1321 

Langton  ne  jxmxaiiL  se  disculper,  le  pape  prononça  contre  lui,  le 
4  novembre  1215,  un  décret  de  suspense.  Les  chanoines  d'York 
comparurent  ensuite  et  sollicitèrent  la  confirmation  de  l'élection 
à  ce  siège  archiépiscopal  de  Simon  Langton,  frère  du  primat.  Mais 
Innocent  cassa  cette  élection  et  fit  procéder  à  une  nouvelle  :  le  choix 
[876]  tomba  alors  sur  Walter  de  Gray,  évcque  de  Worcester.  L'intégrité 
reconnue  de  ses  mœurs  lui  valut  sur-le-champ  la  confirmation  ^. 
Ces  préliminaires  terminés,  le  concile  fut  solennellement  ou- 
vert au  Latran,  le  jour  de  la  Saint-Martin,  11  novembre  1215  ^; 
ce  concile  a  reçu  le  nom  de  quatrième  de  Latran.  Il  n'eut 
que  trois  sessions,  les  11,  20  et  30  novembre  3.  Le  pape 
ouvrit  la  première  session  et  discourut  sur  ce  texte  :  «  J'ai 
désiré  célébrer  encore  une  fois  la  Pâque  avant  de  souffrir  *.  » 
«  La  sainte  Écriture,  dit  le  pape,  emploie  le  mot  Pâque  en  des 
sens  différents  :  en  hébreu,  il  signifie  passage,  iransitus.  Dans 
les  livres  des  Rois  ^  et  dans  les  Paralipomènes  ^,  on  lit  qu'en  la 
dix-huitième  année  du  roi  Josias,  on  célébra  une  Pâque  solen- 
nelle entre  toutes.  Puisse  le  présent  concile  célébrer  la  dix-hui- 
tième année  de  mon  pontificat  par  une  Pâque  aussi  solennelle, 
c'est-à-dire  par  un  passage  du  vice  à  la  vertu  !  »  Le  pape  voulait 
célébrer  une  triple  Pâque  avec  le  concile  :  une  corporelle, 
une  spirituelle  et  une  éternelle.  D'abord  a)  une  Pâque  cor- 
porelle,  afin  qu'il  se  produisît  un  passage  temporel,  c'est-à- 
dire  afin  que  la  malheureuse  Jérusalem  fût  délivrée;  h)  en  se- 
cond lieu,  une  Pâque  spirituelle,  c'est-à-dire  le  passage  d'un 
état  à  un  autre,  le  passage  à  la  réforme  de  l'Eglise;  c)  enfin, 
une  Pâque  éternelle,  c'est-à-dire  le  passage  d'une  vie  tempo- 
relle à  la  gloire  céleste.  Quant  à  la  Pâque  temporelle,  c'était 
Jérusalem  elle-même  qui  nous  répétait  les  paroles  des  Lamen- 
tations  de   Jérémie  '    :  «   0   vous   to,us   qui  passez,   considérez   et 

4.  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,    col.  1019-1027;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  \u,  col. 
79-83;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  955,  1070-1076,  1083  sq. 

2.  Sur  les  bousculades  de  la  foule,    les  deux  ou  trois  évêques  étouffés,    cf. 
A.  Luchaire,  Le  concile  de  Latran  et  la  réforme  de  l'Église,  in-12,  Paris,  1908. 

p.  7.  (H.  L.) 

3.  Colcti,  Concilia,  t.  xui,  col.  1020;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col. 

1081. 

-j.   11  prit  pour  texte  le  passage  de  saint  Luc,  xxii,  15. 

5.  IV  Reg.,  XXIII,  22  sq. 

6.  Paralip.,  xxxv,  18,  19. 

7.  Jerem.,  12. 


1322 


LIVRE     XXXV 


voyez  s'il  est  une  douleur  semblaljle  à  la  mienne  !  )>  c'est-à-dire  : 
«  0  vous  tous  qui  m'aimez,  délivrez-moi  de  ma  misère.  »  Descrip- 
tion de  la  misère  actuelle  de  Jérusalem  et  de  la  Terre  Sainte; 
exhortation  à  lui  venir  en  aide  ^.  Si  le  synode  l'approuve,  [877] 
le  pape  est  tout  prêt  à  se  rendre  auprès  des  rois  et  des  princes, 
afin  de  les  engager  à  prendre  part  à  la  croisade. 

Quant  au  transitus  spirituel,  continue  Innocent,  il  est  symbo- 
lisé dans  ce  passage  d'Ezéchiel  ^  :  «  Il  était  un  homme  revêtu 
de  lin,  portant  un  instrument  pour  écrire,  et  le  Seigneur  lui  dit  : 
Va  dans  la  ville  et  trace  un  T  {tau)  sur  le  front  des  hommes  qui 
soupirent  et  gémissent  sur  tous  les  scandales  qui  se  commet- 
tent dans  cette  ville.  L'habit  de  lin  signifie  les  bonnes  mœurs, 
le  tau  est  le  signe  de  la  croix,  et  celui-là  porte  ce  signe  sur  le  front 
qui  manifeste  par  ses  œuvres  la  force  de  la  croix.  Le  véritable 
écrivain  est  l'Esprit  de  Dieu  et  l'instrument  pour  écrire  est  la 
connaissance  de  la  divine  vérité,  le  doniun  scientiœ.  Le  tout  si- 
gnifiait que  le  pape  (l'homme  revêtu  de  lin)  devait  traverser 
l'Eglise  [transire,  transitus)  pour  constater  ce  qu'il  y  avait  de  bien 
et  ce  qu'il  y  avait  de  mal  et  pour  tracer  un  tau  sur  les  fronts  des 
justes.  Dans  ce  même  passage,  Ezéchiel  parle  aussi  de  six  hom- 
mes qui  ont  le  pouvoir  de  faire  mourir  et  qui  perdront  les  mé- 
chants qui  se  trouvent  dans  la  ville.  Le  prophète  a  voulu  évidem- 
ment désigner  par  là  les  évêques  qui  doivent  frapper  d'ana- 
thème,  etc.,  ceux  que  le  pape  n'aura  pas  marqués  du  fau,  c'est- 
à-dire  les  ma\ivnis  clercs,  car  la  corruption  du  peuple  provient 
du  clergé. 


1.  Le  26  avril  1213,  Innocent  s'était  personnellement  adressé  au  sultan 
Malik  al  Adil,  frère  de  Saladin,  et  lui  avait  demandé  la  cession  de  Jérusalem 
et  la  liberté  des  prisonniers  chrétiens.  Les  Templiers  avaient  en  particulier  fourni 
au  pape  ces  renseignements  :  Volunt  isti  (les  successeurs  de  Saladin)  lihenter 
rpddere  in  manus  domini  papae  terram  sanclam  quam  tenent...  et  ut  certi  sinl  et 
securi  de  alla  terra  a  populo  cliristiano  singulis  annis  volunt  esse  sub  certo 
tributo  Jerusah/mitano  et  dabunt  inde  cartelam  romanse  Ecclesiœ  de  non  inipe- 
dienda  amplius  Terra  Sancta,  qua  dominus  nosler  J.  Chr.  suis  pedibus  ambulavit. 
Ce  fut  aussi  probablement  le  motif  de  la  mission  de  l'archevêque  Giovanni 
Cicala  de  Cefalù  à  la  cour  du  Caire  et  de  Damas,  mission  dont  le  résultat  fut  des 
plus  médiocres  ;  aussi  cette  question  de  la  Terre  Sainte  fut-elle  traitée  avec  la 
plus  grande  énergie  au  concile  de  Latran.  Innocent  III,  Epist.,  1.  XVI, 
n.  37;  Potthast,  Regesta,  4719,  5186;  Ryccard,  dans  Monum.  Germ.  Idst.,  Script., 
t.  XIX,  p.  335  sq.  ;  Rôhricht,  app.  I,  p.  56,  n.  25. 

2.  Lzech.,  IX,  2'.. 


6^i7.     DOUZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1323 

«  Enfin,  au  sujet  du  transitus  œternalis,  le  Seigneur  dil  -.«Bien- 
heureux les  serviteurs  que  leur  maître  trouvera  éveillés  lorsqu'il 
viendra;  en  vérité  je  vous  le  dis,  il  se  ceindra,  les  fera  asseoir 
à  table  et,  allant  de  l'un  à  l'autre,  il  les  servira  »  {transiens 
ministrahit  e/5^).  Chaque  martyr  se  glorifie  d'un  transitus  àe,  ceWe 
sorte  et  répète  avec  le  psalmiste:  Transwimus  per  ignem  et  aquam^. 

i  Le  pape    désire    cette    dernière     Pâque,     qu'il   aspire    à   célébrer 

f  dans  le   royaume   de    Dieu,   avec    tous  les    membres   du   synode, 

c'est-à-dire  jouir    dans    le    ciel    de    la    gloire    éternelle.    Alors  ils 

•  passeront  tous   du   travail  au  repos,    de  la  douleur  à  la    joie,    du 

malheur  à  la  gloire,  de  la  mort  à  la  vie,    du  temps  à  l'éternité    : 
que  Dieu  veuille  vous  l'accorder  par  Jésus-Christ,  etc.  ^.  » 

k  [878]  Le  texte  intégral  du  discours  montre  mieux  que  cette  courte 
analyse  combien  le  pape  était  familier  avec  la  sainte  Ecriture. 
Dans  tous  ses  autres  discours,  il  utilise  ainsi,    presque   à   chaque 

.  phrase,  des    textes    bibliques,    en    les    interprétant  dans    le    sens 

allégorique.  L^n  second  discours  du  pape  ^  porte  la  mention  :  m 
concilio  generali  Lateranensi  habitus  ;  mais  comme  il  ne  renferme 
aucune  allusion  à  cette  circonstance,  j'ai  peine  à  croire  qu'il  ait  été 
réellement  prononcé  à  la  fin  du  concile,  ainsi  que  l'affirme  Fleury. 
Nous  ne  possédons  plus  de  ce  concile  que  soixante-dix  capi- 
tula et  un  décret  pour  la  reprise  de  la  Terre  Sainte.  Ces 
capitula  nous  sont  parvenus  dans  des  manuscrits  contempo- 
rains, en  particulier  dans  le  codex  Mazarinus,  utilisé  par  les 
collecteurs  de  conciles.  Comme  plusieurs  prélats  grecs  assistaient 
au  synode  et  que  les  décisions  de  l'assemblée  étaient  aussi  des- 
tinées aux  chrétiens  de  l'Orient,  on  en  fit  une  traduction  grec- 
que qui,  sauf  quelques  lacunes,  est  arrivée  jusqu'à  nous. 

DÉCRETS    DU    DOUZIÈME    CONCILE   ŒCUMÉNIQUE 

Le  premier  capitulum  est  la  célèbre  profession  de  foi 
émise  par  le  synode,  contre  les  erreurs  des  cathares  et  des 
vaudois.  Elle  commence   par  la  doctrine  des   trois    personnes   en 

1.  Luc,  XII,  37. 

2.  Ps.  Lxv,  12. 

3.  Innocent  III,  clans  Coleli,  Concilia,  t.  xiii,  col.  917:  Mansi,  Conc.  anipliss. 
coll.,  t.  XXII,  col.  968;  P.  L.,  t.  ccxvii,  col.  674. 

4.  Sur  le  Ps.  lxvii,  14. 


1324  LIVRE     XXXV 

un  seul  Dieu.  Dieu  est  déclaré  l'unique  principe  de  toutes 
choses,  créateur  de  l'univers  entier,  des  corps  et  des  esprits,  des 
anges  et  des  hommes.  Le  diable  et  les  démons  ont  été  égale- 
ment créés  par  Dieu;  mais  au  moment  de  leur  création,  ils 
n'étaient  pas  maiivais  :  ils  le  sont  devenus  par  leur  propre  faute 
et,  depuis  lors,  ils  s'occupent  de  tenter  les  hommes,  La  seconde 
partie  parle  de  l'incarnation  du  Fils,  de  ses  deux  natures,  du  sa- 
crifice de  sa  mort,  de  sa  résurrection,  de  son  ascension  et  de  son 
retour  à  la  fin  du  monde,  de  la  résurrection  de  tous  les 
hommes  et  du  jugement  général.  Enfin,  la  troisième  partie 
traite  de  l'Eglise  et  des  sacrem.ents  :  presque  chaque  mot  y  est 
dirigé  contre  les  cathares.  Là  se  trouve  pour  la  première  fois 
le  mot  transsubstantiatio.  On  y  affirme  la  matière  nécessaire  aux 
sacrements,  afin  de  l'opposer  au  faux  spiritualisme  des 
cathares;  on  déclare  en  dernier  lieu  que  les  prêtres  ont  seuls 
le  pouvoir  d'administrer  certains  de  ces  sacrements.  En 
terminant,  le  synode  affirme  (jue  les  fidèles  mariés  peuvent 
arriver  aussi  au  ])()nheur  éternel,  ce  que  les  calliares  avaient 
nié.   Voici  ce   premier  cauou   : 

Can.  L 

Firmiter  credimus,  et  simpliciter  confitemur,  qnod  unxis  solus  r879] 
est  verus  Deus,  seternus,  et  iminensus,  omnipotens,  incommutabilis, 
incomprehensibilis  et  inefjabilis,  Pater,  et  Filius,  et  Spiritus  San- 
ctus  :  très  qiiidem  personas,  sed  una  essentia,  substantia,  seu  natura 
simplex  omnino.  Pater  a  nullo,  Filius  autem  a  solo  Pâtre,  ac  Spi- 
ritus Sanctus  ah  utroque  pariter,  ahsque  initia  semper  et  fine.  Pater 
generans,  Filius  nascens,  et  Spiritus  Sanctus  procedens  :  consub- 
stantiales  et  coœquales,  coomni patentes  et  coœterni,  unum  uni- 
versarum  principium,  creator  omnium  invisibilium  et  visihilium, 
spiritualium  et  corparalium,  qui  sua  amnipotenti  virtute  simul 
ab  initia  temporis  utramque  de  nihilo  condidit  creaturam,  spiri- 
iualem  et  carporalem  ^,  angelicam  i'idelicet  et  mundanam,  ac  deinde 
humanam  quasi  cammunem  ex  spiritu  et  carpore  constitutam. 
Diabolus  enim  et  dœmones  alii,  a  Dca  quidem  natura  creati  sunt 
boni,  sed  ipsi  per  se  facti  sunt  mali  :  homo  vera  diaboli  sugge- 
stione  peccavit. 

1,  Cette  phrase  semble  répondre  à    David    de    Dinant,    disciple  d'Amaury, 
qui  soutenait  que  Dieu  était  matériel    prima.   Cf.   Coleti,  Concilia,    t.   xiii,  col. 
1U29. 


047.    DOUZIÈME    CONCILE    ŒCUMENIQUE  1325 

]hec  vero  Trinitas  secundum  communem  essentiain  indwidua, 
et  secundum  personales  proprietates  discreta,  per  Mosen  et  sanclos 
prophetas,  aliosque  jamulos  suos,  juxta  ordinatissimam  disposi- 
iionem  temporum,  doctrinam  humano  generi  trihuit  salutarem. 
Et  tandem  unigenitus  Dei  Filius  Jésus  Christus  a  tola  Trinitale 
communiter  incarnatus,  ex  Maria  semper  virgine  Spirilus  Sancti 
cooperatione  conceptus,  verus  homo  factus,  ex  anima  rationali  et 
humana  carne  compositus,  una  in  duabus  naturis  persona,  çiam 
vitœ  jnanijestius  demonstravit.  Qui  cum  secundum  divinitatem 
sit  immortalis  et  impassibilis,  idem  ipse  secundum  humanitatem 
factus  est  passibilis  et  mortalis  :  quin  etiam  pro  salute  humani 
generis  in  ligno  crucis  possus  et  mortuus  descendit  ad.  inferos, 
resurrexit  a  mortuis,  et  ascendit  in  cœlum.  Sed  descendit  in  anima, 
resurrexit  in  carne,  ascenditque  pariter  in  ulroque  :  venturus  in 
fine  sseculi  judicare  vivos  et  mortuos,  et  redditurus  singulis  secun- 
dum opéra  sua,  tam  reprobis,  quam  electis.  Qui  omnes  cum  suis 
propriis  cor poribus  résurgent,  quse  nunc  gestant,  ut  recipiant  secun- 
dum mérita  sua,  sii^e  bona  juerint,  sivemala,  illi  cum  diabolo  pœ- 
nam  perpetuam,  et  isti  cum  Christo  gloriam  sempiternam. 

Una  vero  est  fidelium  universalis  Ecclesia,  extra  quam  nullus 
omnino  sahatur.  In  qua  idem  ipse  sacerdos,  et  sacrificium  Jésus 
Christus  :  cujus  corpus  et  sanguis  in  sacramento  altaris  sub  spe- 
ciebus  panis  et  vini  veraciter  continentur  ;  transsubstantiatis,  pane 
[880]  in  corpus,  et  vino  in  sanguinem,  potestate  divina,  ut  ad  perficien- 
dum  mysterium  unitatis  accipiamus  ipsi  de  suo  quod  accepit  ipse 
de  nostro.  Et  hoc  utique  sacramentum  nemo  potest  conficere,  nisi 
sacerdos,  qui  fuerit  rite  ordinatus  secundum  claves  Ecclesiœ, 
quas  ipse  concessit  apostolis  et  eorum  successoribus  Jésus  Christus. 

Sacramentum  vero  haptismi,  quod  ad  invocationem  indwiduas 
Trinitatis,  videlicet  Patris,  et  Filii,  et  Spiritus  Sancti,  consecratur 
in  aqua,  tam  parvulis  quam  adultis,  in  forma  Ecclesi se  a  quocum- 
que  rite  collatum,  proficit  ad  salutem. 

Et  si  post  susceptionem  baptismi  quisquam  prolapsus  fuerit  in 
peccatum,  per  veram  pœnitentiam  semper  potest  reparari.  Non 
solum  autem  virgines  et  continentes,  verum  etiam  conjugati,  per 
fidem  rectum  et  operationem  bonam  placentes  Deo,  ad  œternam 
merentur  beatitudinem  pervenire  ^. 

1.  Coleli,  op.  cit.,  t.  XIII,  col.  '.)27;  Ilardouin,  op.  cil.,  t.  vu,  col.  15;  Mansi, 
op.  cil.,  t.  xxii,  col.  982.  Ce  capitulum  a  été  (comme  presque  tous  les   suivants) 


1326  LIVRE     XXXV 

Le  second  canon,  qui  est  assez  long  (lib.  I,  lit.  i,  De  sutnma 
Trinit.,  ca]).  2),  concerne  Joachim,  abbé  de  Flore  en  Calabre  ^, 
et  condamne  son  livre  contre  Pierre  Lombard  intitulé  :  De  uni- 
taie  seu  essentia  Trinitalis.  Joachim  déclarait  hérétique  cette 
jtroposition  :  «  Le  Père,  le  Fils  et  l'Esprit  sont  quœdam  summa 
res,  laquelle  n'est  ni  engendrant  ni  engendrée.  »  Joachim  de 
Flore  soutenait  ([uc  ce  langage  introduit  ime  quaternité  dans  la 
divinité,  c'est-à-dire  trois  personnes,  et  cette  summa  res  comme 
quatrième  entité.  Le  Père,  le  Fils  et  l'Esprit  sont,  il  est  vrai, 
una  essentia,  una  substantia,  una  natura;  mais  cette  substance 
n'est  pas  quelque  chose  de  réellement  distinct  des  personnes 
[vera  et  proprm),  elle  n'est  qu'une  entité  collective  et  similitudina- 
ria,  tout  comme  on  appelle  peuple  une  collection  d'hommes,  ou 
comme   plusieurs   fidèles  forment   (nominativement)    une   Église. 

Puis  le  concile  analyse  dans  quel  sens  les  trois  personnes 
peuvent  être  appelées  consuhstantiales.  Le  Père  a  communi- 
qué son  être  [substantia]  au  Fils  par  la  génération,  non  en 
réservant  pour  lui  une  partie  de  sa  substance,  mais  sine  ulla 
diminutione  Filius  nascendo  substantiam  Patris  accepit  ut  ita 
Pater  et  Filius  habent  eamdern  substantiam  et  sic  eadem  res  est 
Pater  et  Filius  necnon  et  Spiritus  Sanctus  ab  uiroque  procedens. 
En  terminant,  le  concile  déclare  hérétique  quiconque  défendra 
sur  ce  point  l'opinion  de  Joachim  ;  le  tout  sans  })réjudice  pour 
le  monastère  de  Flore,  qui  se  trouve  dans  une  condition  régu- 
lière; d'ailleurs  Joachim  lui-même,  avant  sa  mort,  a  soumis  tous 
ses  écrits  au  jugement  du  Saint-Siège  apostolique. 

Puis  vient  une  courte  condamnation  d'Amaury    de    Chartres 


inséré  dans  le  Corpus  jiir.  can.,  lil).  I,  lit.  ^,  De  summa  Trinitate,  cap.  \,  c'est-à- 
dire  qu'il  est  deveiui  le  premier  texte  ou  canon  des  DécréUdes  de  Grégoire  IX. 
1.  Joachim,  ne  à  Celico,  en  Calabre,  vers  lloO,  cistercien  à  Sambucina,  abbé 
de  Corazzo  en  1176,  fonde  la  congrégation  de  Flore,  vers  1190;  mort  à  San 
Martine  (Cosenza),  le  30  mars  1202,  honoré  le  29  mai.  (>!'.  P.  Fournier,  Joachim 
de  Flore  et  le  «Liber  de  vera  philosopliiai),  dans  Rev.  d'hist.  el  de  litt.  relig.,  1899, 
t.  IV,  37-66;  Féret,  Hist.  de  la  faculté  de  théologie  de  Paris,  1895,  t.  ii,  p.  85-94; 
L.  de  Persils,  Il  venerahile  Gioacchino,  abatc  Floreiise,  e  le  sue  reliquie  a  Casa- 
mari,  memoria  storico-critica,  in-8,  Roma,  1890;  E.  Renan,  Joachim  de  Flore  et 
V Évangile  éternel,  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes,  1866,  t.  lxiv,  p.  94-142, 
réimprimé  dans  Nouvelles  études  d'histoire  religieuse,  iSSi,  p.  217-322;  X.  Rous- 
selot,  Ftude  d'histoire  religieuse  aux  xii^  et  xiii^  siècles  :  Joachim  de  Flore,  Jean 
de  Parme  el  lu  doctrine  de  l' Évangile  éternel,  in-8,  Paris,  1867.  (11.  L.) 


647.     DOUZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1327 

dont  l'esprit  a  été  si  obscurci  par  le  père  du  mensonge,  que 
sa  doctrine  n'est  même  plus  hérétique,  mais  plutôt  une  pure 
folie. 

Can.  2. 

Dainnamus  ergo,  et  reprobamus  libeUuin,  su^e  tractatum,  queni 
abbas  Joachim  edidit  contra  magistrurn  Petruin  Lombardum  de 
unitate  seu  essentia  Trinitatis,  appellans  ipsum  hsereticum  et 
insanum,  pro  eo  quod  in  suis  dixit  sententiis,  quoniam  quœdani 
summa  res  est  Pater  et  Filins  et  Spiritus  Sanctus,  et  illa  non  est 
generans,  neque  genita,  nec  procedens.  Unde  asserit  quod  ille 
non  tam  Trinitatem  quam  quaternitatem  adstruebat  in  Deo,  i^ide- 
licet  très  personas,  et  illam  comniuneni  essentiam  quasi  quartam  : 
manifeste  protestans  quod  nulla  res  est  quœ  sit  Pater  et  Filius  et 
Spiritus  Sanctus,  nec  est  essentia,  nec  substantia,  nec  natura  ' 
quamvis  concédât  quod  Pater  et  Films  et  Spiritus  Sanctus  sunt 
una  essentia,  una  substantia,  unaque  natura.  Veruni  unitatem 
hujusnwdi  non  veram  et  propriam,  sed  quasi  collectivam  et  simi- 
litudinariam  esse  jatetur  :  quemadmodum  dicuntur  multi  homines 
unus  populus,  et  multi  fidèles  una  ecclesia,  juxta  illud  :  Multitu- 
dinis  credentium  erat  cor  unum  et  anima  una.  Et  :  Qui  adhœret 
Deo,  unus  spiritus  est  cum  illo.  Item  :  Qui  plantât  et  qui  rigat 
unum  sunt.  Et  :  Omnes  unum  corpus  sumus  in  Christo.  Rursus 
in  libro  Regum  :  Populus  meus  et  populus  tuus  unum  sunt.  Ad 
hanc  autem  sententiam  adstruendam  illud  potissimum  çerbum 
inducit,  quod  Christus  de  fidelibus  inqiiit  in  Evangelio  :  Volo, 
Pater,  ut  sint  unum  in  nobis,  sicut  et  nos  unum  sumus,  ut  sint 
consummati  in  unum.  Non  enim,  ut  ait,  fidèles  Christi  sunt 
unum,  id  est,  una  quœdam  res  quœ  communis  sit  omnibus,  sed  hic 
modo  sunt  unum,  id  est  una  ecclesia  propter  catholicss  fldei  uni- 
tatem, et  tandem  unum  regnum  propter  unionem  indissolubilis 
caritatis.  Quemadmodum  in  canonica  Joannis  epistola  legitur  : 
Quia  très  sunt  (jui  testimonium  dant  in  cselo,  Pater,  Verbum, 
et  Spiritus  Sanctus;  et  hi  1res  unum  sunt.  Statimque  subjungitur : 
Et  très  sunt  qui  testimonium  dant  in  terra,  spiritus,  aqua,  et 
sanguis,  et  hi  très  unum  sunt,  sicut  in  codicibus  quibusdam  in- 
venitur. 

Nos    autem,    sacra   et    unii^ersali   concilio   approbante     (c'est    le 
pai)c    ({ui  parle),    credimus   et   confitemur   cum   Petro    (Lombardo), 


1328  LIVRE    XXXV 

quud  iiiia  quœdain  suiiiina  res  est,  incomprehensibilis  quidein  et 
ine/]ahilis  quse  çeraciter  Pater  et  Filius,  et  Spiritus  Sanctus,  très 
simul  personse  ;  ac  singulatim  quœlihet  earumdem.  Et  ideo  in  Deo 
trinitas  est  solummodo  non  quaternitas  ;  quia  quselibet  triuni  per- 
sonarum  est  illa  res,  videlicet  substantia,  essentia,  sive  natura 
diidna,  quve  sola  est  uniçersorum  principium,  prseter  quod  aliud 
inveniri  non  potest.  Et  illa  res  non  est  generans,  neque  genita,nec  [881] 
procedens  :  sed  est  Pater  qui  générât,  Filius  qui  gignitur,  et  Spi- 
ritus Sanctus  qui  pvocedit  :  ut  distinctiones  sint  in  personis  et  uni- 
tas  in  natura^.  Licet  igitur  alius  sit  Pater,  alius  Filius,  alius  Spi- 
ritus Sanctus,  non  tamen  aliud  :  sed  id  quod  est  Pater,  est  Filius, 
et  Spiritus  Sanctus,  idem  omnino  :  ut  secundum  orthodoxam  et 
cutholicam  fidem  consubstantiales  esse  credantur.  Pater  enim  ab 
seterno  Filium  generando,  suani  substantiam  ei  dédit,  juxta  quod 
ipse  testatur  :  Pater  quod  dédit  mihi,  majus  est  omnibus.  Ac  dici 
non  potest  quod  partem  sux  substantise  illi  dederit,  ei  partent  re- 
tinuerit  ipse  sibi  :  cum  substantia  Patris  indÏA'isibilis  sit,  utpote 
simplex  omnino.  Sed  nec  dici  potest  quod  Pater  in  Filium  trans- 
tulerit  suaiu  substantiam  generando,  quasi  sic  dederit  eam  Filic, 
quod  non  retinuerit  ipsam  sibi  :  alioquin  desiisset  esse  substantia. 
Patet  ergo  quod  sine  ulla  diminutione  Filius  nascendo  substantiam 
Patris  accepit,  et  ita  Pater  et  Filius  habent  eamdem  substantiam, 
et  sic  eadem  res  est  Pater  et  Filius,  nec  non  et  Spiritus  sanctus 
ab   utroque  procedens  ^ 

Cum  ergo  Veritas  pro  fidelibus  suis  ad  Patrem  orat  :  Volo, 
inquiens,  ut  ipsi  sinh  unum  in  nobis  sicut  et  nos  unum  sumus  : 
hoc  nomen,  unum,  pro  fidelibus  quidem  accipitur,  ut  ititelh gatur 
unio  caritatis  in  gratia  :  pro  personis  i^ero  divinis,  ut  attendatur 
identitatis  in  natura  unitas,  quemadmodum  Veritas  alibi  ait  : 
Estote  perfecti  sicut  et  Pater  vester  cœlestis  pcrfectus  est  :  ac 
si  diceret  manifestius  :  Estote  perfecti  perfectione  gratise,  sicut 
Pater  vester  cœlestis  perfectus  est  perfectione  naturse  :  utraque 
videlicet  suo  modo  :  quia  inter  creatorem  et  creaturam  non  potest 
ianla  similitudo  notari,  quin  inter  eos  major  sit  dissimilitudo 
notanda. 

Si    quis    igitur   sententiam     siçe    doctrinam    prsefati    Joachim   in 

1.  Le  pape  et  le  synode  prennent  ici  en  main  la  cause  de  Pierre  Lombard, 
tandis  que  peu  de  temps  auparavant  le  pape  Alexandre  voulait  le  condamner; 
§G25,  634. 


647.     DOUZIÈME    CONCILE     ŒCUMENIQUE  1329 

hac  jjarte  dejendere  \>el  approbare  prsesumpserii  :  tanquam  haere- 
ticus  ah  omnibus  conjutetur.  In  nullo  lamen  per  hoc  Florensi  mo- 
nasierio,  cujus  ipse  Joachim  extitit  institutor,  volumus  derogari  : 
quoniam  ihi  et  regularis  institutio  est  et  observantia  salutaris, 
maxime  cum  idem  Joachim  omnia  scripta  sua  nohis  assignan 
mandaverit  apostolicse  Sedis  judicio  approbanda,  seu  etiam  corri- 
genda  :  dictans  epistolam  cui  propria  manu  subscripsit,  m  qua 
firmiter  confitetur  se  illam  fidem  tenere,  quam  romana  tenet  Eccle- 
sia,  quas  cunctorum  fidelium,  disponente  Domino,  mater  est  et 
magistra. 

Reprobamus  etiam  et  damnamus  per^'ersissimuiit  dogiiia  impii 
Almarici,  cujus  mente  m  sic  paler  mendacii  excseca^'il,  ut  ejus  do- 
ctrina  non  tam  hseretica  censenda  sit,  quam  insana^. 

Can.  3. 

Tous  les  hérétiques  convaincus  de  culpabilité  devront  être  livrés  à  leurs 
supérieurs  laïques  et  à  leurs  baillis  (fonctionnaires  civils)  pour  recevoir 
leur  châtiment.  S'ils  sont  clercs,  ils  seront  au  préalable  dégradés.  Les  biens 
des  coupables  seront,  s'ils  sont  laïcs,  confisqués,  s"ils  sont  clercs,  attri- 
bués à  l'église  dont  ils  touchaient  les  revenus.  Ceux  qui  seront  suspects 
d'hérésie,  s'ils  ne  peuvent  se  disculper  entièrement,  seront  excommuniés 
et  on  évitera  d'avoir  des  relations  avec  eux;  sils  demeurent  pendant  un 
an  sous  le  coup  de  la  censure,  ils  seront  condamnés  comme  hérétiques. 
Tous  les  seigneurs  laïques  devront  jurer  de  protéger  la  foi  et  d'expulser 
tous  les  hérétiques  de  leurs  domaines.  Quiconque,  sur  l'invitation  de 
l'Église,  ne  purgera  pas  son  territoire  des  hérétiques  sera  excommunié  par 
lesévêquesdela  province.  S'il  ne  donne  pas  satisfaction  dans  le  délai  d'un 
an,  on  le  signalera  au  pape  pour  que  celui-ci  déHe  ses  vassaux  du  serment 
de  fidélité,  et  ses  biens  seront  livrés  aux  catholiques,  tout  en  sauvegar- 
dant les  droits  du  seigneur  suzerain. 
[882]  Quiconque  prendra  part  à  la  croisade  contre  les  hérétiques  jouira  des 
mêmes  privilèges  que  les  croisés  qui  se  rendent  en  Terre  Sainte. 

Tous  ceux  qui  donnent  créance,  accueil,  défense  ou  protection  aux 
hérétiques  sont  excommuniés;  s'ils  ne  donnent  pas  satisfaction  dans  le 
délai  d'un  an,  ils  seront  déclarés  ipso  facto  infâmes  et  incapables  d  occu- 
per un  emploi  public,  de  servir  de  témoins,  etc.  Ils  ne  pourront  faire  de 
testament  valable  ni  recevoir  d'héritage;  s'ils  sont  juges,  ils  ne  pourront 
prononcer  aucun  jugement;  s'ils    sont    notaires,    les   pièces    qu'ils    feront 

1.  Corp.  jur.  can.,  lib.  1,  lit.  i,  De  sutnma  'J'rinit.,  cap.  2. 

CONCILES  —  V  —  S'i 


1330  LIVRE    XXXV 

n'auront  aucune  valeur;  s'ils  sont  clercs,  ils  seront  déposés  ab  officio 
et  heneficio. 

Quiconque,  après  que  leurs  noms  auront  été  publiés  dans  l'église,  entre- 
tiendra conunerce  avec  eux,  sera  également  excommunié;  aucun  clerc 
sans  aucune  exception  ne  pourra  leur  conférer  les  sacrements,  etc. 

Comme  certains  s'arrogent  le  droit  de  faire  des  prédications,  à  l'avenir 
quiconque  prêchera  sans  la  permission  du  Saint-Siège  apostolique  ou  d'un 
évècpic  catholique  sera    excommunié. 

Tout  évêque,  s'il  a])prend  que  des  hérétiques  résident  dans  son  diocèse, 
devra  le  visiter  en  personne  une  ou  deux  fois  par  an,  ou  le  faire  visiter  par 
un  archidiacre  ou  par  tout  autre  conmu'ssaire  capable  :  il  fera  jurer  ù  trois 
ou  à  plusieurs  personnes  estimables  et  même  à  tout  le  voisinage  de  signaler 
à  l'évêque  tous  les  sectaires  qu'il  peut  y  avoir.  L'évêque  fera  alors  compa- 
raître devant  lui  l'accusé  et  le  frappera  des  peines  canoniques  s'il  ne  peut 
se  disculper  ou  s'il  est  de  nouveau  retombé  dans  sa  faute.  Quiconque  ne 
prêtera  pas  le  serment  exigé  sera  lui-même  considéré  comme  héréticjue. 
Tout  évêque  qui  sera  convaincu  de  négligence  à  ce  sujet  sera  lui-même 
déposé. 

Excommunicamus  et  anathernatizamus  omnem  hœresim  extol- 
lentein  se  adversus  hanc  sanctam,  orthodoxam,  catholicam  fidem, 
quaîïi  superius  exposuimus  :  condemnanles  unwersos  hœreticos, 
quihuscumque  iioininibus  censeantur  ;  faciès  quidem  habentes 
di^ersas,  sed  caudas  ad  inçicem  colligatas,  quia  de  vanitate  con- 
veniunt   in   idipsum. 

Damnati  vero,  ssecularihus  potestatihus  prœsentibus,  aiU  eorum 
hallù'is,  relinquantur  animad^ersione  débita  puniendi,  clericis 
prius  a  suis  ordinibus  degradatis  ;  ita  quod  bona  hujusmodi 
damnatoruîn,  si  laici  fuerint,  confiscenlur  :  si  \'ero  clerici,  appli- 
centur  ecclesiis  a  quibus  stipendia  perceperunt. 

Qui  aulein  i.m>enti  juerint  sola  suspicione  notabiles,  nisi  juxta 
considerationes  suspicionis,  qualitatemque  personœ,  propriam 
innocentiam  congrua  purgatione  nionstraverint,  anathematis  gla- 
dio  feriantur,  et  usque  ad  satisfactionem  condignam  ab  omnibus 
evitentur ;  ita  quod  si  per  annum  in  excommunicatione  perstiterini, 
extunc  velut  hœretici  condeninenlur. 

Moneantur  autem  et  inducantur,  et,  si  necesse  fuerit,  per  censu- 
ram  ecclesiasticani  compellantur  sœculares  potestates,  quibuscuin- 
que  jungantur  o/ficiis,  ut  sicut  reputari  cupiunt  et  haberi  fidèles, 
ita  pro  defensione  fidei  prsestent  publiée  jwamentum,  quod  de 
terris   sux  jurisdictioni   subjectis     universos   hœreticos   ab    Ecclesia 


647.     DOUZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1331 

denotatos  hona  fide  pro  virihus  exlerminare  studebunl  :  lia  quod 
antodo,  quandociunque  qiiis  fuerit  in  potestatem  sive  spiritalem, 
sive  teinporalem  assuiuptus,  hoc  teneatur  capitulum  jurainento 
firmare. 

Si  vero  duiniiiua  teinporalis,  vequimlus  et  inoniius  ah  Ëcclesia, 
lerraiii  suain  purgare  neglexerit  ah  hac  heeretica  fœditate,  per 
iiietropolitanum  et  ceteros  comprof^inciales  episcopos  excommuni- 
cationis  çinculo  innodetur.  Et,  si  satisjacere  contempserit  infra 
anniuii,  significetur  hoc  suinmo  pontifiai  :  lit  extiinc  ipse  çassallos 
ah  ejus  fidelitate  denunciet  ahsolutos,  et  terram  exponat  catholicis 
occupandam,  qui  eam  exterminatis  hœreticis  sine  iilla  contradi- 
ctione  possideant,  et  in  fidei  puritate  consentent  :  salço  jure  domini 
principalis,  diuninodo  super  hoc  ipse  nulluni  prsestet  obstaculum, 
nec  aliquod  impedimenturn  opponat  :  eadem  nihiloininus  lege 
servata  circa  eos  qui  non  hahènt  dominos  principales. 

Catholici  çero,  qui  crucis  assumpto  charactere  ad  hœreticorum 
exterminium  se  accinxerint,  illa  gaudeant  indulgentia  illoque 
sancto  prii^ilegio  sint  muniti,  quod  accedentibus  in  Terrœ  Sanctas 
suhsidium  conceditur. 

Credentes  <^>ero,  prseierea  receptores,  defensores  et  fautores  hœre- 
ticorum, excommunicationi  decernimus  subjacere  :  firmiter  sta- 
tuentes,  ut  postquam  quis  talium  fuerit  excommunicatione  notatus, 
si  satisfacere  contempserit  infra  annum,  extunc  ipso  jure  sit  factus 
infamis,  nec  ad  puhlica  officia  seu  consilia,  nec  ad  eligendos  ali- 
quos  ad  hujusmodi,  nec  ad  testimonium  admittatur.  Sit  etiaminte- 
stahilis,  ut  nec  testandi  liheram  haheat  facultatem,  nec  ad  hseredi- 
tatis  successionem  accédât.  Nulliis  prseterea  ipsi  super  quocumque 
negotio,  sed  ipse  aliis  respondere  cogatur.  Quod  si  forte  judex 
extiterit,  e/us  sententia  nullam  ohtineat  firmitatem,  nec  causse  aliquas 
ad  ejus  audientiam  perferantiir.  Si  fuerit  advocatus,  ejus  patroci- 
nium  nullatenus  admittatur.  Si  tahellio,  ejus  instrumenta  confecta 
per  ipsum  nullius  penitus  sint  momenti,  sed  cum  authore  dam- 
nato  damnentur.  El  in  similihus  idem  prsecipimus  ohservari.  Si 
vero  clericus  fuerit,  ah  omni  ofjicio  et  heneficio  deponatur  :  ut  in 
quo  major  est  culpa,  grai'ior  exerceatur  vindicta. 

Si  qui  autem  taies,  postquam  ah  Ecclesia  denotati  fuerinl,  e\'i- 
tare  contempserint  :  excommunicationis  sententia  usque  ad  salis- 
factionem  idoneam  percellanlur.  Sane  clerici  non  exhiheant  Inijus- 
modi  pestilentihus  ecclesiaslica  sacramenta,  nec  eos  christianes 
prœsumant     sepuUurue    Iradere,     nec     eleemosynas,    aut    oblationes 


1332  LIVRE    XXXV 

eorum  accipiant  : alloquin  suo  privenlur  officio,  ad  quod  iiuiiquam 
restituantur  absque  indullo  Sedis  apostoliae  speciali.  Similiter 
quilihet  regulares,  quihus  hoc  eliain  infligatur,  ut  eorum  privilé- 
gia in  illa  diœcesi  non  serçenlur,  in  qua  taies  excessus  prsesum- 
pserint  perpelrare. 

Quia  vero  nonnulli  sub  specie  pietatis,  virlutem  ejus,  juxta 
quod  ait  apostolus,  abnegantes,  authoritatem  sibi  <^>indicant  pree- 
dicandi,  cuîh  idem  apostolus  dicat  :  Quomodo  praedicabunt, 
nisi  millantur?  omnes  qui  prohibiti,  vel  non  missi,  prseter  autho- 
ritatem ab  apostolica  Sede,  vel  catholico  episcopo  loci  susceptam, 
publiée  çel  privatim  prœdicationis  officium  usurpare  prassum- 
pserint,  excommunicationis  vinculo  innodentur  :  et  nisi  quantocius 
resipuerint,    alia  competenti  pana  plectantur. 

Adjicimus  insuper,  ut  quilibet  archiepiscopus  vel  episcopus, 
per  se,  aut  per  archidiaconum  suum,  vel  idoneas  personas  honestas, 
bis  aut  saltem  semel  in  anno  propriam  parochiam,  in  qua  fama 
fuerit  hœreticos  habitare,  circumeat  :  et  ibi  très  çel  plures  boni 
testimonii  viros,  vel  etiam,  si  expedire  çidebitur,  totam  i'iciniam, 
jurare  compellat  :  quod  si  quis  ibidem  hsereticos  sciçerit,  vel  ali- 
quos  occulta  conventicula  célébrantes,  seu  a  communi  conversatione 
fidelium  vita  et  moribus  dissidentes,  eos  episcopo  studeat  indicare. 
Ipse  autem  episcopus  ad  prsesentiam  suam  convocet  accusatos  : 
qui  nisi  se  ab  objecto  reatu  purgaverint,  i>el  si  post  purgationem 
exhibitam  in  pristinam  juerint  relapsi  perftdiam,  canonice 
puniantur.  Si  qui  i'ero  ex  eis  juramenti  religionem  obstinations 
damnabili  respuentes,  jurare  noluerint  ;  ex  hoc  ipso  tanquam 
hseretici  reputentur. 

Volumus  igitur  et  mandamus,  et  in  virtute  obedientise  districts 
prsecipimus,  ut  ad  hsec  efficaciter  exequenda  episcopi  per  diœceses 
suas  diligenter  ijwigilent,  si  canonicam  efjugere  voluerinl  ultionem. 
•Si  quis  enim  episcopus  super  expurgando  de  sua  diœcesi  hœreticœ 
pravitatis  jermento  negligens  fuerit  vel  remissus  :  cum  id  certis 
indiciis  apparuerit,  et  ab  episcopali  ofjicio  deponatur,  et  in  locum 
ipsius  alter  substituatur  idoneus,  qui  velit  et  possit  hœreticam  con- 
fundere  pravitatem. 

Il  est  certain  que  ce  grand  capitulum,  inséré  dans  le  Corpus 
jur.  can.,  lil).  V,.  lit  vu,  De  hœreticis,  cap.  13,  est  dirigé  en 
entier  contre  les   albigeois;  il   établit   par  ses   dernières  prescrip- 


6'i7,      DOUZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1333 

tiens   l'Inquisition    épiscopale,    conformément  aux    décisions  des 
conciles  de    Vérone,   d'Avignon  et  de  Montpellier. 

Can.  4. 

Sous  peine  d'excommunication  et  de  déposition  de  toute  dignité  sacer- 
dotale, les  grecs-unis  ne  devront  plus,  ainsi  que  certains  l'ont  fait,  rebap- 
tiser les  enfants  déjà  baptisés  par  les  latins,  ni  laver  les  autels  sur  lesquels 
les  latins  ont  célébré. 

Licet  Grœcos  in  diehus  nostris  ad  ohedientiam  Sedis  apostolicœ 
revertentes  fo^'ere  et  honorare  çelimus,  mores  ac  ritus  eorum,  in 
quantum  cum  Domino  possumus,  sustinendo  :  in  his  tamen,  illis 
déferre  nec  9olumus  nec  dehemus,  quse  péri culum  générant  anima- 
runi.  et  ecclesiasticœ  derogant  honestati.  Postquam  enim  Grseco- 
rum  Ecclesia  cum  quibusdam  complicibus  ac  fautoribus  suis  ah 
obedientia  Sedis  apostolicœ  se  suhtraxit  :  in  tantum  Grseci  cœpe- 
runt  abominari  Latinos,  quod  inter  alia  quse  in  derogationem 
eorum  impie  committehant,  si  quando  sacerdotes  Latini  super 
eorum  célébrassent  altaria,  non  prius  ipsi  sacrificare  volehant 
m  illis,  quam  ea  tanquam  per  hoc  inquinata  lavissent.  Baptizatos 
etiam  a  Latinis  ipsi  Grceci  rebaptizare  ausu  temerario  prœsume- 
bant  :  et  adhuc,  sicut  accepimus,  quidem  agere  hoc  non  verentur. 
Volentes  ergo  tantum  ab  Ecclesia  Dei  scandalum  amovere,  sacra 
suadente  concilio,  districte  prœcipimus,  ut  talia  de  cetera  non  prse- 
sumant,  conformantes  se  tanquam  obedientise  filii  sacrosanctae 
romanse  Ecclesiœ  matri  suse,  ut  sit  unum  ovile,  et  unus  pastor. 
Si  quis  autem  quid  taie  prœsumpserit,  excommunicationis  mucrone 
percussus,   ab  omni   officio   et   beneficio  ecclesiastico  deponatur. 

A  été  inséré  dans  le  Corpus  fur.  can.^  lib.  III,  tit.  xlii,  De 
baptismo,  cap.    6, 

Can.    5. 

Renouvelant  les  anciens  privilèges  des  sièges  patriarcaux,  nous  déci- 
dons qu'après  l'Église  romaine  qui  est  la  mère  et  ia  maîtresse  de  tous  les 
fidèles,  l'Eglise  de  Constantinoplc  tiendra  la  première  place,  l'Eglise 
[883]  d'Alexandrie  la  deuxième,  l'Église  d'Antioche  la  troisième,  et  l'Eglise  de 
Jérusalem  la  quatrième.  Lorsque  les  chefs  de  ces  Églises  auront  reçu  du  pape 
le  pallium  après  avoir  prêté  le  serment  de  fidélité  et  d'obéissance,  ils  devront 
également  conférer  le  pallium  aux  évêques  placés  sous  leur  juridiction. 
Ils  pourront  faire  porter  la  croix  devant  eux  partout,  sauf  à  Rome  et  dans 
les  endroits  où  le  pape  ou  ses  légats  seront  présents. 


1334  LIVRE     XXXV 

Dans  toutes  les  provinces  placées  sous  leur  juridiction  on  pourra  leur 
soumettre  le  jugement  des  évêques,  tout  en  sauvegardant  les  appels  au 
Saint-Siège  apostolique  qui  doivent  être  respectés  par  tous. 

Antiqua  patj'iorchalium  sedium  priçilegia  renommantes,  sacra 
universali  synodo  approbante,  sancimus  ut  post  romanam  Eccle- 
siam,  quœ  disponente  Domino  super  omnes  alias  ordinarise  pote- 
statis  ohtinet  principatum,utpote  mater  uniçersorum  Christifidelium 
et  magistra,  Constantinopolitana  primum,  Alexandrina  secundum, 
Antiochena  tertium,  Hierosolymitana  quartum  locum  obtineant, 
serçata  cuilibet  propria  dignitate  :  ita  quod  postquam  eorum  an- 
tistites  a  romano  pontifîce  receperint  pallium,  quod  est  plenitu- 
dinis  officii  pontificalis  insigne,  prœstito  sibi  fideUtatis  et  obedien- 
tise  juramento,  licenter  et  ipsi  suis  suf/raganeis  pallium  largiantur, 
recipientes  pro  se  professionem  canonicam,  et  pro  romana  Eccle- 
sia  sponsionem  obedientise  ab  eisdem. 

Dominicse  vero  crucis  vexillum  ante  se  faciaiit  ubique  deferri, 
nisi  in  urbe  Romana,  et  ubicumque  summus  pontifex  prœsens 
extiterit,   çel  ejus  legatus   utens   insigniis  apostolicse  dignitatis. 

In  omnibus  auiem  propinciis  eorum  jurisdictioni  subjectis,  ad 
eos,  cum  necesse  fuerit,  provocetur  :  saUns  appellationibus  ad 
Sedem  apostolicam  interpositis,  quibus  est  ab  omnibus  humiliier 
deferendum. 

A  été  inséré  dans  le  Corus  jur.  can.,  lib.  V,  tit.  xxxiii,  De 
priçilegiis,  cap.  23. 

Can.  6. 

Les  métropolitains  devront  tenir  tous  les  ans  des  synodes  provinciaux 
avec  leurs  sulTragants.  Afin  que  ces  synodes  soient  profitables,  on  désignera 
dans  chaque  diocèse  des  hommes  capables,  qui  pendant  le  cours  de  l'année 
prendront  note  de  tout  ce  qui  demande  une  amélioration,  et  le  soumettront 
au  métropolitain  et  au  synode  provincial.  Les  décisions  prises  devront 
être  publiées  dans  les  synodes  diocésains. 

Sicut  olim  a  sanctis  patribus  noscitur  institutum,  melropoli- 
tani  singulis  annis  cum  suis  suffraganeis  provincialia  non  omit- 
tanl  concilia  celebrare.  In  quibus  de  corrigendis  excessibus,  et 
moribus  rejormandis,  prsesertim  in  clero,  diligentem  habeant 
cum  Dei  timoré  tractatum,  canonicas  régulas,  et  maxime  quœ  sta- 
tutse  sunt  in  hoc  generali  concilio,    relegentes,    ut  eas  faciant   obser- 


647.     DOUZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1335 

\a7-i,  dehitam  panam  transgressoribus  infligendo.  Ut  autem  id 
iûleat  efficacius  adiwpleri,  per  singulas  diœceses  statuant  idoneas 
personas,  proi'idas  videUcet  et  honestas,  qux  per  totum  annum 
simpliciter,  et  de  piano,  ahsque  ulla  jurisdictione  sollicite  investigent 
quae  correctione  çel  rejonnatione  sint  digna,  et  ea  fideliter  perferant 
ad  metropolitanum  et  sufjraganeos,  et  alios  in  concilio  subsequenti  : 
ut  super  his  et  aliis,  prout  utilitati  et  honestati  congruerit,  provida 
deliberatione  procédant  ',  et  quse  statuerint,  faciant  ohservari, 
publicantes  ea  in  episcopalibus  synodis  annuatim  per  singulas 
diocceses  celebrandis.  Quisquis  autem  hoc  salutare  statutum  ne- 
gleaerit  adimplere,  a  suis  beneficiis  et  eccecutione  ofpcii  suspenda- 
tur,  donec  per  superioris  arbitrium  ejus  relaxetur. 

A  été  inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lil),  V,  tit.  i,  De  accu- 
sationibus,  cap.  25. 

Can.     7. 

Les  prélats  ecclésiastiques  devront  réformer  les  mœurs  des  clercs  qui 
leur  sont  soumis,  et  leur  droit  de  punir  ne  devra  être  entravé  par  aucune 
coutume  ni  appel. 

Les  chapitres  auxquels  appartient  le  droit  de  punir  leurs  chanoines 
devront  faire  exécuter  les  peines  infligées  dans  le  délai  fixé  par  Févêque, 
sinon  le  droit  de  punir  sera  dévolu  à  l'évêque.  Si  les  chanoines,  sans  motif 
valable,  et  surtout  par  esprit  d'opposition  contre  leur  évêque,  ont  suspendu 
le  service  divin  dans  la  cathédrale,  l'évêque  pourra  cependant  y  célébrer, 
et  sur  sa  plainte,  le  métropolitain  délégué  par  nous  (le  pape)  punira  les 
chanoines   ^. 

Irrefragabili  constiiutione  sancimus,  ut  ecclesiarum  prselati 
ad  corrigendos  subditorum  excessus,  maxime  clericorum,  et  refor- 
mandos  mores,  prudenter  et  diligenter  intendant,  ne  sanguis  eorum 
de  suis  manibus  requiratur.  Ut  autem  correctionis  et  reformatio- 
nis  ofjicium  libère  valeant  exercere  :  decernimus  ut  executionem 
ipsorum  nulla  consuetudo  vel  appellatio  valeat  impedire,  iiisi  for- 
mam  excesserint  in  talibus  observandam. 

Excessus  tamen  canonicorum  ecclesiœ  cathedralis,  qui  consue- 
verunt  corrigi  per  capitulum,  per  ipsum  in  illis  ecclesiis  [quae  ta- 

1.  Dans  ce  canon,  de  même  que  dans  le  can.  2  :  Nos  sacro...  concilio  appro- 
hanie,  etc.,  et  dans  le  can.  8:  Sacri  approbatione  concilii  confirmamus,  c'est  ie 
pape  qui  parle;  les  canons  sont  publiés  en  son  nom.  Nous  retrouverons  plusieurs 
fois  des  fornuilos  analogues,  par  exemple  can.  44,  47. 


1336  LIVRE     XXXV 

lem  hactenus  consuetudiuem  hahuerunt)  adcommonitionem  vel  jus- 
sionem  episcopi  corriganiur  injra  terminum  competentem  ah  epi- 
scopo  prsefigendum.  Alioquin  extunc  episcopus  Deum  hahens  prœ 
oculis,  ornni  contradictlone  cessante,  ipsos,  prout  animarum  cura 
exegerit,  per  censuram  ecclesiasticam  corrigera  non    postponat. 

Sed  et  alios  eorum  excessus  corrigera  non  omittat,  prout  anima- 
rum causa  raquirit,  debito  tamen  ordine  in  omnibus  ohservato. 
Ceterum  si  canonici,  absque  manifesta  et  rationabili  causa,  ma- 
xime in  contemptum  episcopi,  cessaverint  a  divinis,  episcopus  nihi- 
lominus,  si  i^oluerit,  celebret  in  ecclesia  cathedrali  :  et  metropolitanus 
ad  querelam  ipsius,  tanquam  super  hoc  delegatus  a  nobis,  taliter 
eos  per  censuram  ecclesiasticam  cognita  weritate  castiget,  quod 
pasnas  inetu  talia  de  cetero  non  prsesumant. 

Provideant  itaque  diligenter  ecclesiarum  prselati,  ut  hoc  salu- 
tare  statutum  ad  quœstum  pecunise,  vel  gravamen  aliud  non  con- 
certant, sed  illud  studiose  ac  fideliter  exequantur,  si  canonicam 
voluerint  efjugere  ultionem  :  quoniam  super  his  apostolica  Sedes, 
authore  Domino,  attentissime  çigilabit. 

A  été  inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lil).  I,  lit.  xxxi,  De 
officio  judicis,  cap.   13. 

Can.  8. 

Si  la  culpabilité  d'un  clerc  de  rang  supérieur  ou  inférieur  est  insi- 
nuée aux  oreilles  d'un  supérieur,  non  par  des  personnes  méchantes  et 
de  mauvaise  réputation,  mais  par  des  personnes  honnêtes  et  prudentes, 
et  non  pas  seulement  une  fois,  mais  souvent,  le  supérieur  devra  faire 
examiner  le  cas  par  les  anciens  de  l'Eglise,  afin  d'appliquer  les  peines 
ecclésiastiques  au  coupable,  sans  que  le  supérieur  soit  pour  cela  en  même 
temps  accusateur  et  juge;  car  l'accusation  est  constituée  par  la  ruuieur 
générale.  Si  ces  prescriptions  doivent  être  observées  scrupuleusement  [884] 
lorsqu'il  s'agit  d'un  inférieur,  elles  devront  l'être  bien  davantage 
lorsqu'il  s'agira  d'un  supérieur,  car  ce  sont  surtout  ces  derniers  qui  ser- 
vent de  cible  à  la  rumevu'  publique  et  on  ne  peut  sans  examen  faire 
créance  à  tous  ces  bruits.  C'est  pourquoi  les  saints  Pères  ont  expressément 
ordonné  que  toute  plainte  portée  contre  un  prélat  no  soit  pas  admise  à 
la  légère  et  qu'on  n'accueille  pas  une  accusation  criminelle  entraînant 
la  diminutio  capitis,  c'est-à-dire  la  dégradation,  ?iisi  légitima  prœce- 
dat  inscriptio  (c'est-à-dire  l'accusateur  devra  s'engager  à  subir  la  peine 
si  son  accusation  n'est  pas  fondée).  Mais  si,  pour  ses  excès,  un  cou- 
pable; a   soulevé   la    rumeur    pul)lif[uo  au  point   (ju'on  ne  puisse   l'ignorer 


G47.     DOUZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1337 

sans  scandale,  on  devra  sans  scrupule  se  hâler  de  faire  examiner  son 
cas  et  lui  applicpier  la  sanction  convenable.  S'il  s'agit  d'une  faute  grave, 
mais  n'entraînant  pas  la  déposition,  le  coupable  devra  être  écarté  de 
tout  emploi,  comme  l'intendant  dont  parle  l'Evangile.  On  ne  traitera 
pas  l'aiïaire  en  dehors  de  la  présence  de  l'accusé,  sauf  s'il  est  con- 
tumace, et  on  lui  communi;,uera  tous  les  points  de  l'accusation, 
afin  qu'il  soit  en  mesure  de  se  défendre.  On  lui  fera  connaître  non 
seulement  les  dépositions,  mais  aussi  les  noms  des  témoins,  afin  (piil 
sache  qui  l'accuse  et  ce  dont  ou    l'accuse. 

Le  prélat  sera  d'autant  plus  zélé  à  corriger  les  manquements  de 
ses  subordonnés  qu'il  serait  plus  blâmable  de  laisser  leurs  excès  impu- 
nis.  Contre  les  coupables,  outre  le  cas  de  notoriété,  on  pourra  procéder  de 
trois  manières  :  par  accusation  (accusatio),  par  dénonciation  [denunciatio), 
par  inquisition  (inquisitio),  mais  dans  tous  les  cas  on  devra  observer 
les  précautions  nécessaires.  La  légitima  inscriptio  (engagement  de  l'accu- 
sateur de  subir  lui-même  le  châtiment  si  son  accusation  n'est  pas  fon- 
dée) devra  précéder  l'accusation.  L'avertissement  amical  {caritativa 
admonitio)  devra  précéder  la  dénonciation,  et  la  clamosa  insinuatio 
(^  difjamatio)  devra  précéder  l'inquisition.  La  sentence  sera  conforme 
aux  formalités  de  la  procédure  judiciaire. 

Cependant  tout  ce  qui  précède  ne  trouvera  pas  son  application  s'il 
s'agit  de  clercs  réguliers  qui  peuvent  être  déposés  plus  facilement  et  plus 
promptement. 

Quahter  et  quomodo  debeat  prœlatus  procedere  ad  inquirendum 
et  puniendum  suhditorum  cxcessus,ex  aiuhoritatibus  JS  oi'i  et  Vete- 
ris  Testamenti  colligitur  evidenter  :  ex  quitus  postea  processerunt 
canonicss  sanctiones  ;  sicut  olim  aperte  distinximus,  et  nunc  sancti 
approhatione  concilii  confirmamus.  Legitur  enim  in  Evangelio, 
quod  villicus  ille  qui  diffamatus  erat  apud  domiiium  suum,  quasi 
dissipasset  bona  ipsius,  audivit  ab  illo  :  Quid  hoc  audio  de  te  ? 
Redde  rationem  villicationis  tua?  :  jani  enim  non  poteris  villl- 
care.  Et  in  Genesi  Doininus  ait  :  Descendam,  et  videbo,  utriini 
clamorem,  qui  venit  ad  me,  opère  compleverint.  Ex  quibus  au- 
thoritatibus  manifeste  comprobatur,  quod  non  solum  cum  subditus, 
i'eruju  etiam  cum  prœlatus  excedit,  si  per  clamorem  et  famam  ad 
aures  superioris  pervenerint,  non  quidem  a  malevolis  et  maledicis, 
sed  a  proçidis  et  honestis  :  nec  semel  tantum.  sed  sœpe  [quod  cla- 
mor  innuit,  et  difjamatio  manifestât)  débet  corarn  ecclesiœ  senio- 
ribus  veritatem  diligentius  perscrutari  :  ut,  si  rei  poposcerit  qua- 
litas,  canonica  districtio  culpam  feriat  delinquentis  :  non  tanquam 
sil   actnf  ri  jitdrx  sed  quasi  déférente  fanui,   <,'el    denunciante    cla- 


1338  LIVRE     XXXV 

more,  officii  siii  dehitum  exequatur.  Licet  autem  hoc  sit  ohservan- 
clum  in  suhditis,  diligentius  iamen  ohservandum  est  in  prœlatis, 
gui  quasi  signum  sunt  positi  ad  sagiltarn,  et  quia  non  possunt 
omnibus  compJacere,  cum  ex  officia  teneantur  non  solum  arguere, 
sed  etiam  increpare,  quin  etiam  interdum  suspendere,  nonnun- 
quam  vero  ligare,  fréquenter  odium  multorum  incurrunt,  et 
insidias  patiuntur.  Ideo  sancti  patres  provide  staluerunt^  ut 
accusatio  prselatorum  non  facile  admiitatur,  ne  concussis  columnis 
corruat  œdificium  :  nisi  diligens  adhibeatur  cautela,  per  quam 
non  solum  falsœ,  sed  etiam  malignse  criminationi  janua  prseclu- 
datur.  Verum  ita  voluerunt  providere  prœlatis,  ne  criminarentur 
injuste,  ut  tamen  caverent  ne  delinquerent  insolenter  :  contra 
morbum  utrumque  invenientes  congruam  medicinam,  ^ideli- 
cet,  ut  criminalis  accusatio,  quse  ad  diminutionem  capitis  [id 
est  degradationem)  intenditur,  nisi  légitima  prœcedat  inscriptio  ^, 
nullatenus  admiitatur.  Sed  cum  super  excessibus  suis  quisquam 
fuerit  infamatus,  ita  ut  jarn  clamor  ascendat,  qui  diutius  sine 
scandalo  dissimulari  non  possit,  çel  sine  periculo  tolerari,  absque 
dubitationis  scrupulo,  ad  inquirendum  et  puniendum  ejus  ex- 
cessus,  non  ex  odii  fomite,  sed  caritatis  procedatur  afjectu  :  quate- 
nus,  si  gravis  fuerit  excessus,  etsi  non  degradetur  ab  ordine,  ab 
administratione  tamen  amoveatur  omnino,  quod  est  secundum 
evangelicam  sententiam,  a  villicatione  villicum  amoveri,  qui  non 
potest  villicationis  suse  dignam  reddere  rationem. 

Débet  igitur  esse  prsesens  is,  contra  quem  facienda  est  inquisitio.^ 
nisi  se  per  contumaciam  absentaverit  :  et  exponenda  sunt  ei  illa 
capitula,  de  quibus  fuerit  inquirendum,  ut  facultatem  habeat  de- 
fendendi  seipsum.  Et  non  solum  dicta,  sed  etiam  nomina  ipsa 
testiuin  sunt  ei,  ut  quid  et  a  quo  sit  dictum  appareat,  publicanda  : 
nec  non  exceptiones,  et  replicationes  legitimœ  adfnittendse,  ne  per 
suppressionem  nominum,  infamandi,  per  exceptionum  vero  ex- 
clusionem,   deponendi   falsum   audacia   prsebeatur. 

Ad  corrigendos  itaque  subditorum  excessus  tanto  diligentius 
débet  prœlatus  assurgere,quanto  damnabilius  eorum  offensas  dese- 
reret  incorrectas.  Contra  quos,  ut  de  notoriis  excessibus  taceatur,  etsi 
tribus  modis  possit  procedi,  per  accusationem  videlicet,  denunciatio- 

1.  C'est-à-dire  que  celui  qui  porte  une  accusation  doit  s'engager  à  subir  la 
peine  qui  reviendrait  au  coupable,  dans  le  cas  où  il  ne  pourra  pas  établir  cette 
culpabilité. 


647.     DOUZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1339 

nem  et  inquisitionem  eorum  :  ut  tamen  in  omnibus  diligens  adhi- 
heatur  cautela,  ne  forte  per  levé  compendium  ad  grave  dispendium 
veniatur  :  sicut  accusationem  légitima  prœcedere  débet  inscriptio  ^, 
SIC  et  denunciationem  caritativa  admonitio,et  inquisitionem  clamosa 
insinuatio  prœvenire  :  illo  semper  adhibito  moderamine,  ut  juxta 
formant  judicii,  sententise  quoque  forma  dictetur.  Hune  tamen 
ordinem  circa  regulares  personas  non  credimus  usquequaque 
servandum,  quee,  cum  causa  requirit,  facilius  et  liberius  a  suis 
possunt    administrationibus    amoveri. 

Ce  célèbre  chapitre  :  Qualiter  et  quomodo,  qui  a  fixé  la  pro- 
cédure ecclésiastique  criminelle,  a  été  inséré  dans  le  Corpus 
fur.   can.,    lil).  V,  tit.  i,  De  accusationibus,  cap,  24. 

Can.  9. 

[885]  Dans  les  diocèses  et  localités  où  se  trouvent  des  personnes  de  diiïé- 
rentes  nationalités  ayant  une  langue  et  des  rites  particuliers,  l'évêque 
devra  désigner  des  hommes  capables  qui  célébreront  le  service  divin 
pour  chaque  nation  dans  sa  langue  et  d'après  ses  rites  ;  mais  il  ne 
pourra  y  avoir  plusieurs  évêques  dans  un  niême  diocèse  :  ce  serait  un 
monstre,  un  corps  avec  plusieurs  têtes.  S'il  le  faut,  l'évêque  s'ad- 
joindra   pour    chaque    nation    un    prélat    qui    sera    comme    son  vicaire. 

Quoniom  in  plerisque  partibus  intra  eamdem  civitatem  atque 
diœcesim  permiati  sunt  populidiversarum  linguarumhabentes  sub 
una  fide  varios  ritus  et  mores;  districte  praecipimus,  ut  pontifices  hu- 
jusmodi  civitatum  sive  diœcesum  provideant  viros  idoneos,  qui  secun- 
dum  diversitates  rituum  et  linguarum  divina  officia  illis  célèbrent, 
et  ecclesiastica  sacramenta  ministrent,  instruendo  eos  verbo  pariter 
et  exemple.  Prohibemus  autem  omnino,  ne  una  eademque  civitas 
sive  difi'cesis  diverses  pontifices  habeat,  tanquam  unum  corpus 
diversa  capita,  quasi  monstrum.  Sed,  si  propter  prsedictas  causas 
urgens  nécessitas  postulaverit,  ponlifex  loci  catholicuni  prœsulem 
nationibus  illis  conformem  provida  deliberatione  constituât  sibi 
vicarium  in  prsedictis  ^,  qui  ei  per  omnia  sit  obediens  et  subjectus. 
Unde  si  quis  aliter  se  ingesserit,  excommunicationis  se  noverit 
mucrone  percussum  :  et,  si  nec  sic  resipuerit,  ab   omni  ecclesiastica 

1.  Voyez  la  note  précédente. 

2.  Sorte  d'évêque  coadjuteur  pour  un  autre  rite. 


1340 


LIVRE     XXXV 


minisierio  deponatur,  adhihito,  si  necesse  jiierit,   brachio  sseculari 
ad  tantam  insolentiarn  compescendam. 

A  été  inséré  dans  le  Corpus  jiir.  can.,  lih.  I,  lit.  xxxi,  De 
officio  judicis  ordinarii,  cap.  14.  Hurter  op.  cit.,  t.  ii,  p.  651,  a 
mal  expliqué  ce  capitulum,  croyant  qu'il  permettait  des  prédi- 
cations dans  des  langues  difîrronles.  mais  exigeait  (pio  le  rullo 
fur.  toujours  célébré  en  latin. 

Can.  10. 

Lorsque,  pour  divers  motifs,  en  particulier  dans  les  diocèses  trop  éten- 
dus, les  évèques  ne  pourront  prêcher  eux-mêmes,  ils  devront  désigner 
pour  cet  ofTice  des  hommes  capables,  surtout  dans  les  églises  cathédrales 
et  conventuelles;  ces  hommes  pourront  aussi  entendre  les  confessions 
et  s'occuper  du  soin  des  âmes. 

Inter  cetera  quse  ad  salutem  spectant  populi  christiani,  pabulum 
çerbi  Dei  permaxime  noscitur  sihi  esse  necessarium,  quia  sicut  corpus 
matericdi,  sic  anima  spirituali  cibo  nutritur,  eo  quod  non  in  solo 
pane  vivit  home,  sed  in  omni  verbo  quod  procedit  de  ore  Dei. 
Unde  cum  sœpe  contingat,  quod  episcopi  propter  occupationes  mul- 
tipliées, vel  inçaletudines  corporales,  aut  hostiles  incursus,  seu  occa- 
siones  alias  [ne  dicamus  defectum  scientise,  quod  in  eis  est  repro- 
bandum  omnino,  nec  de  cetero  tolerandum)  per  se  ipsos  non  suffîciunt 
ministrare  populo  verbum  Dei,  maxime  per  amplas  diœceses  et 
diffusas,  generali  constitutione  sancimus,  ut  episcopi  viros  ido- 
neos  ad  sanctse  prsedicationis  ofpcium  salubriter  exequendum  assu- 
mant, potentes  in  opère  et  serjuone,  qui  plèbes  sibi  commissas,  vice 
ipsorum,  cum  per  se  idem  nequiverint,  sollicite  (visitantes,  eas  verbo 
œdificent  et  exemplo  : quibus  ipsi,  cum  indiguerint,  congrue  neces- 
saria  ministrent,  ne  pro  necessariorum  defectu  compellantur  desi- 
stere  ab  incœpto.  Unde  prsecipimus  tam  in  cathedralibus,  quam 
in  cdiis  conventualibus  ecclesiis  viros  idoneos  ordinari,  quos  epi- 
scopi possintcoadjutores  et  cooperatores  habere,  non  solum  in  prœ- 
dicationis  officio,  verum  etiam  in  audiendis  confessionibus,  et 
psenitentiis  injungendis,  ac  ceteris  quse  ad  salutem  pertinent  ani- 
marum.  Si  quis  autem  hoc  neglexerit  adimplere,  districtse  subja- 
ceat  ultioni. 

A  été  inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  I,  til.  xxxi.  De  officio 
judicis  ord.,  cap.  15. 


G47.    DOUZIÈME    CONCILE     ŒCUMENIQUE  1341 


Can.  U. 

HenouvclaiiL  le  can.  18  du  troisième  concile  de  Latran,  nous  ordonnons 
qu'à  l'avenir,  non  seidement  dans  chaque  cathédrale,  mais  aussi  dans  toute 
église  suffisamment  riche,  on  désignera  un  magisler  pour  instruire  les  clercs 
de  cette  église  et  des  autres  voisines.  Le  choix  du  magister  appartient 
à  l'évêque  et  au  chapitre.  Toute  église  métropolitaine  possédera  un 
théologien  qui  enseignera  aux  prêtres  et  aux  autres  la  sainte  Ecriture 
et  le  soin  des  âmes.  Le  magister  et  le  théologien  recevront  une  prébende 
sans  devenir  pour  cela  chanoines,  et  ils  conserveront  ce  bénéfice  aussi 
longtemps  qu'ils  occuperont  leur  emploi.  Si  l'Eglise  métropolitaine  ne  peut 
payer  deux  maîtres,  le  magister  recevra  sa  prébende  par  les  soins  d'une 
autre  éghse  de  la  ville  ou  du  diocèse. 

Quia  nonnullis  propter  inopiam,  et  legendi  studium  et  oppor- 
tunitas  profîciendi  subtrahitur,  in  Lateranensi  concilio^  pia  fuit  in- 
stitutione proi'isum,ut  per  unamquamque  cathedralem  ecclesiam  magi- 
stro,  qui  clericos  ejusdem  ecclesise,  aliosque  scholares  pauperes  gratis 
instrueret,  aliquod  competens  benefîcium  prœberetur,  quo  et  docentis 
relevaretur  nécessitas,  et  via  pateret  discentibus  ad  doctrinam. 
Veruni  quoniam  in  multis  ecclesiis  id  minime  observatur  :  tios 
prœdictutn  roborantes  statutum,  adjicimus,  ut  non  sohnn  in  qua- 
libet  cathedrali  ecclesia,  sed  etiam  in  aliis,  quorum  sufficere  pote- 
runi  facultates,  constituatur  magister  idoneus  a  prselato  cum  ca- 
pitulo,  seu  majori  ac  saniori  parte  capituli,  eligendus,  qui  clericos 
ecclesiarum  ipsarum  et  aliarum,  gratis  in  grammaticse  facultate 
ac  aliis  instruat  juxta  posse.  Sane  metropolitana  ecclesia  theolo- 
gum  nihilominus  habeat,  qui  sacerdotes  et  alios  in  sacra  pagina 
doceat,  et  in  lus  prœsertim  informet  quse  ad  curam  animarurn  spe- 
ctare  noscuntur.  Assigneiur  autem  cuilibet  magistrorum  a  capitula 
unius  prsebendse  pro<>entus,  et  pro  theologo  a  metropolitano  tan- 
tumdem  :  non  quod  propter  hoc  efjiciatur  canonicus,  sed  tcundiu 
reditus  ipsius  percipiat,  quamdiu  perstiterit  in  docendo.  Quod  si 
forte  de  duobus  magistris  metropolitana  ecclesia  gravetur,  theologo 
juxta  modum  prsedictum  ipsa  provideat  :  graimnatico  vero  in  alia 
ecclesia  suse  cù'itatis  sive  diœcesis,  quod  sufficere  valeat,  facial  pro- 
videri. 

1.   Il  s'agit  du  IS'^  canon  du  troisième  concile  de  Latran;  cf.  §  634. 


1342 


LIVRE    XXXV 


A  été  inséré  ilaus  le  Corpus  jur.  caii.^  lib.  V,  lit.  v,  De  inagislris, 


cap.    4. 


Can.  12. 


Dans  cliaque  province  ecclésiastique  on  tiendra  à  l'avenir  tous  les  trois 
ans  un  chapitre  général  des  ordres  religieux  (pii  jusqu'à  ce  jour  n'avaient 
pas  riiabitude  d'en  tenir.  Y  assisteront  tous  les  abbés,  et  les  prieurs  des 
monastères  qui  n'ont  pas  d'abbés.  Aucun  n'amènera  avec  lui  plus 
de  six  chevaux  el  de  huit  personnes.  Au  début  de  ce  nouveau  régime,  on 
invitera  à  ce  chapitre  général  deux  abbés  de  l'ordre  des  cisterciens,  car 
dans  cet  ordre  des  réunions  de  ce  genre  fonctionnent  depuis  longtemps. 
Ces  deux  cisterciens  s'adjoindront  deux  des  assistants  et  tiendront  la 
présidence  conjointement  avec  eux.  Les  chapitres  des  cisterciens  doivent  [886] 
servir  de  modèle  en  tout;  ceci  est  à  conseiller  pour  la  réforme  de  l'ordre  et 
l'observation  des  règles.  Ce  qui  aura  été  décidé  par  la  majorité  et  approuvé 
par  les  quatre  présidents  devra  être  observé  par  tous.  Dans  chacun  de 
ces  chapitres  généraux,  on  fixera  l'endroit  où  devra  se  tenir  le  suivant. 

Tous  ceux  qui  assisteront  à  un  de  ces  chapitres  généraux  devront  mener 
la  vie  commune,  même  s'ils  habitent  dans  des  demeures  différentes,  et 
participer  à  la  dépense  commune  au  prorata. 

On  y  élira  des  personnes  capables  qui,  au  nom  du  pape,  visiteront 
tous  les  couvents  d'hommes  et  de  femmes  de  la  province  et  y  prescriront 
les  réformes  nécessaires  ;  ils  signaleront  à  l'évêque  les  supérieurs  inca- 
pables, dans  le  but  de  les  faire  déposer. 

Tout  évêque  devra  soccuper  d'améliorer  les  monastères  de  son  diocèse 
placés  sous  sa  juridiction. 

Enfin  les  évêques,  aussi  bien  que  les  visiteurs  dont  nous  venons  de  parler, 
devront  par  la  menace  de  censures  ecclésiastiques  empêcher  tous  les  em- 
ployés laïques  de  léser  les  droits  des  couvents. 

In  singuUs  regnis  sive  proi^inciis  fiât  de  triennio  in  triennium, 
saU'o  jure  diœcesanorum  pontificum,  commune  capituluni  abbalum 
atque  priorum  ahhates  proprios  non  hahentiuin,  qui  non  consue- 
verunt  taie  capituluni  celebrare  :  ad  quod  universi  com'eniant,  prsepe- 
ditionem  canonicam  non  habentes,  apud  unum  de  inonasteriis  ad  hoc 
aptum;  hoc  adhibito  moderamine,  ut  nullus  eoruni  plus  quam  sex  ei^e- 
ctiojies,  et  octo  personas  adducat.  Adiwcent  autem  caritatwe  in  hujus 
novitatis  primordiis  duos  Cisterciensis  ordinis  abbates  i'icinos. 
ad  prœstandum  sibi  consilium  et  auxilium  opportunum,  cum  sint 
in  hujusmodi  capitulis  celebrandis  ex  longa  consuetudine  plenius 
informati.  Qui  absque  contradictione  duos  sibi  de  ipsis  associent 
quos  'y'iderint  expedire.    Ac  ipsi  quatuor  prœsint  capitulo    universo, 


647.     DOUZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1343 

lia  quod  ex  hoc  nullns  eoriun  authoritatem  prselationis  assumât  : 
unde  cum  expedierit,  provida  possint  deliberatione  mutari.  JIujus- 
modi  i'ero  capitulum  aliquot  certis  diebus  continue  juxta  morem 
Cisteraensis  ordinis  celehretur,  in  quo  diligens  haheatur  traclatus 
de  rejonnatione  ordinis  et  observatione  regulari  :  et  quod  statutum 
fuent.  illis  quatuor  approbantibus,  ab  omnibus  im'iolabililer 
observetur,  omni  excusatione  et  contradictione  ac  appellatione 
remotis.  pro<>'iso  Jiihilojninus,  ubi  sequenti  termina  debeat  capitu- 
lum celebrari  :  et  qui  convenerint,  vitam  ducant  communem,  et 
faciant  proporiionabiliter  simul  omnes  communes  expensas  :  ita 
quod  SI  non  omnes  potuerint  in  eisdem,  saltem  plures  simul  in 
diversis  domibus  commorentur. 

Ordinentur  etuim  in  eodem  capitulo  religiosœ  ac  circumspectse 
personsp.  qme  singulas  abbatias  ejusdem  regni  sii>e  provincix, 
non  solum  monackorum,  sed  etiam  nwnialiuni,  secundum  formam 
sibi  prœfixam,  vice  nostra  studeant  visitare,  corrigentes  et  refor- 
mantes quae  correctionis  et  reformationis  officio  viderint  indigere  : 
ita  quod  si  rectorem  loci  cognoverint  ab  administratione  penitus 
amoi'endum,  denuncient  episcopo  proprio,  ut  illum  amovere  pro- 
curet  :  quod  si  non  jecerit,  ipsi  visitatores  hoc  référant  ad  apostolicse 
Sedis  examen.  Hoc  ipsum  regulares  canonicos  secundum  ordinem 
suum  volumus  et  prœcipimus  observare.  Si  vero  in  hac  novitate 
quidquam  diffîcultatis  emerserit,  quod  per  prsedictas  personas  ne- 
queat  expediri  :  ad  apostolicœ  Sedis  judicium  absque  scandalo 
référât ur,  ceteris  irrefragabiliter  observatis,  quœ  concordi  fuerint 
deliberatione  provisa. 

Porro  diacesani  episcopi  monasteria  sibi  subjecta  ita  studeant 
reformare.  ut  cum  ad  ea  prsedicti  visitatores  accesserint,  plus  in 
illis  inventant  quod  commendatione,  quam  quod  correctione  sit 
dignum  :  attentissime  prsecaventes,  ne  per  eos  dicta  monasteria 
indebitis  oneribus  aggraventur.  Quia  sic  volumus  superiorum  jura 
servari,  ut  inferiorum  nolimus  injurias  sustinere. 

Ad  hoc  districte  prœcipimus  tam  diœcesanis  episcopis,  quam 
personis  quas  prseerunt  capitulis  celebrandis,  ut  per  censuram  eccle- 
siasticam,  appellatione  remota,  compescant,  advocatos,  patronos, 
vicedominos,  rectores  et  consules,  magnâtes  et  milites,  seu  quosli- 
bet  alios,ne  monasteria  prsesumant  ofjendere  in  personis  ac  rébus  : 
ac  si  forsitan  offenderint,  eos  ad  satisfactionem  compellere  non  omit 
tant,  ut  libenus  et  quietius  omnipotenti  Deo  valeanl  fanmlari. 


^o44  LIVRE    XXXV 


îiisrrc  dans  le  C(>rj>u^  jur.  van.,   lib.    111,    lit.    xxxv,    De    statu 
monachorum,  cap.  7. 

Can.   13. 

De  ])cur  (luiiiie  trop  «frande  variété  d'ordres  religieux  ne  soil  une 
cause  do  confusion  dans  l'Eglise,  nous  défendons  à  raveiiir  d'élaldir 
aucun  ordre  nouveau.  (Quiconque  voudra  se  faire  moine  ou  fonder  un  nou- 
veau couvent  devra  entrer  dans  un  ordre  déjà  approuvé  ou  choisir  une  règle 
déjà  acceptée.  Personne  ne  pourra  être  moine  ou  abbé  dans  plusieurs  mo- 
nastères à  la  fois. 

Ne  nimia  religioniun  dwersitas  grai'ejn  in  Ecclesia  Dei  confu- 
sionein  inducat,  firmiler  prohihemius,  ne  qjiis  de  cetera  noK>ani  reli- 
gionem  ingéniât  :  sed  quicumcjue  voluerit  ad  religionem  converti, 
unam  de  approbatis  assumât.  Similiter  qui  voluerit  religiosam 
domuni  fundare  de  noi'o,  regulam  et  institutionem  accipiat  de  reli- 
gionihus  approbatis. 

Illud  etiam  prohibemus,  ne  c/uis  in  dii>ersis  monasteriis  locum 
ïnonachi  liabere  pr;esuniat,  nec  unus  abhas  plurihus  inonasteriis 
prsesidere. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can..  lib.  111,  tit.  xxxvi,  De  reli- 
giosis,   cap.   9, 

Can.  14. 

Les  clercs  incontinciils  devront  être  punis  coiilormément  aux  prescrip- 
tions des  anciens  canons  et  suivant  la  gravité  de  leur  faute.  Celui  <pii 
célébrera,  bien  que  suspens  pour  cause  (riructilinence,  perdra  ses 
bénéfices  ecclésiastiques  et  sera  déposé  à  perpétuité. 

De  même  seront  frappés  les  prélats  (pii.  pour  de  l'argent,  etc.,  toléreront 
un  pareil  scandale. 

Les  clercs  qui,  conformément  aux  usages  de  leur  pays,  n  oui  pas  renoncé 
au  mariage  (  les  grecs,  etc.)  et  tombent  cependant  dans  l'impureté,  devront 
être  punis  encore  plus  sévèrement,  puisqu'ils  auraient  pu  profiter  des 
avantages  d'une  union  légitime. 

»  ■ 

Ut  clericorum  mores  et  actus  in  melius  reformentur,  continenter 
et  caste  vivere  studeant  universi,  prœsertim  in  sacris  ordinibus  con- 
stituti,   ab  omni  libidinis  vitio  prsecaventes,   maxime  illo,  propter 


G47.     DOUZIÈME     CONCILE    ŒCUMENIQUE  1343 

qiiod  ira  Dei  venii  de  cœlo  in  filios  dilJidentix,  qucdenus  in  con- 
speclu  Dei  omnipolentis,  puro  corde  ac  mundo  corporc  valeanl 
minislrare.  Ne  s'cro  facilitas  veniœ  incetitiviun  irihual  delinquendi  : 
statuimus  ut  qui  deprehensi  fuerint  incontinentise  vitio  laborare, 
prout  juagis  aut  minus  peccaç>erint,  puniantur  secundum  cano- 
nicas  satictiones,  quos  cfjicacius  et  districlius  prsecipimus  ohser- 
i'ori  :  ut  quos  dii'inus  tiinor  a  malo  non  revocat,  temporalis  saltem 
psena  a  peccato  cohibeat. 

Si  quis  igitur  hac  de  causa  suspensus,  divina  celebrare  prœsum- 
pserit  :  Tien  solum  eccîesiasticis  beneficiis  spolietur,  veruin  eliani 
pro  hac  duplici  culpa  perpétua  deponatur. 

Prselati  9ero,  qui  taies  prœsumpserint  in  suis  iniquitatibus  su- 
slinere,  maxime  obtentu  pecuniœ,  çel  alterius  commodi  temporalis, 
pari  subjaceant  ultioni. 

Qui  autem  secundum  regionis  suse  morem  non  ahdicarunt  co- 
pulam  conjugalem  ^,  si  lapsi  fuerint,  gravius  puniantur,  cum  lé- 
gitima mairimonio  possint   uti. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  III,  tit.  i,  De  vita  et  ho- 
nestate  clericorum,  cap.  13. 

Can.  15. 

Il  est  interdit,  sous  peine  de  suspense,  à  tous  les  clercs  de  s'adonner  à 
l'ivrognerie,  mère  de  la  débauche  ;  ils  éviteront  en  particulier  ces  festins 
où  les  buveurs  se  provoquent  à  qui  aiira  vidé  le  plus  grand  nombre 
de  coupes. 

Il  leur  est  interdit  également  de  se  livrer  à  la  chasse  et  à  l'oisellerie,  ils 
ne  pourront  posséder  ni  chiens  de  chasse  ni  faucons. 

A  crapula  et  ebrietate  omnes  clerici  diligenter  absiineant.  Unde 
i'inum  sibi  tempèrent,  et  se  vino  :  nec  ad  bibendum  quispiam  inci- 
tetur,  cum  ebrietas  et  mentis  inducat  exilium,  et  libidinis  provo- 
cet  incentivum.  Unde  illum  abusum  decernimus  penitus  abolen- 
dum,  quo  in  quibusdam  partibus  ad  potus  sequcdes  suo  modo  se 
obligant  potatores,  et  ille  fudicio  talium  plus  laudatur,  qui  plures 
inebriat,  et  calices  fecundiores  exhaurit.  Si  quis  autem  super  his 
culpabilem  se  exhibuerit,  nisi  a  superiore  commonitus  salisfecerit 
competenler,  a  beneficio  vel  ofpcio  suspendatur. 

1.  Les  Grecs,  etc. 

CONCILES  —  V  -  85 


1346  LIVRE    XXXV 

Venationem   et   aucupationetn   unwersis    clericis    inlerdiclmus    : 
unde  nec  canes,  nec  m>es  ad  aucupandum  habere  prœsumant. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.   III,  lit,   i,  De  vila   et  ho- 
nestate  clericoi'um,  cap.  14. 


jAN, 


16. 


Les  clercs  ne  pourront  s'occuper  d'affaires  temporelles,  surtout  si  elles 
sont  malhonnêtes;  qu'ils  évitent  les  représentations  des  mimes,  des  jon- 
gleurs, etc.  ;  qu'ils  ne  fréquentent  pas  les  cabarets,  sinon  en  voyage  ;  qu"i!s  ne 
jouent  pas  aux  dés  et  n'assistent  pas  à  ces  jeux  ;  qu'ils  portent  la  cou-  [oo/l 
ronne  et  la  tonsure  prescrites,  s'appliquent  aux  offices  divins  et  aux 
autres  études  profitables.  Leurs  vêtements  seront  fermés,  ni  trop  courts 
ni  trop  longs.  Ils  éviteront  les  étoffes  de  couleur  rouge  ou  verte,  les  gants 
brodés,  les  souliers  à  la  poulaine,  des  brides,  des  selles,  des  éperons  et  des 
poitrails  dorés  (harnachement  des  chevaux),  etc..  Dans  le  service  divin,  il 
leur  sera  interdit  de  porter  des  manteaux  de  chœur,  avec  des  manches, 
et  les  prêtres  et  dignitaires  ne  pourront  s'en  servir,  sauf  dans  des  cas 
de  nécessité,  quand,  par  suite  d'un  danger,  ils  sont  dans  l'obligation  de 
rcA^êtir  d'autres  vêtements.  Ils  ne  devront  porter  ni  boucles,  ni  ceinture 
ornée  d'or  ou  d'argent,  ni  d'anneau,  à  moins  que  leur  dignité  ne  les  y 
autorise.  Tous  les  évêques  devront  paraître  revêtus  d'habits  de  lin,  à 
l'exception  de  ceux  qui  sont  moines  et  qui  conserveront  l'habit  de  leur 
ordre;  ils  n'auront  pas  en  public  de  manteaux  ouverts,  mais  bien  fermés 
par  derrière  sur  le  cou  ou  par  devant  sur  la  poitrine. 

Clerici  officia  vel  commercia  ssecularia  non  exerceant,  maxime 
inhonesta.  Mimis,  joculatoribus  et  histrionihus  non  intendant, 
et  tabernas  prorsus  évitent,  nisi  forte  causa  necessitatis  in  itinere 
constituti.  Ad  aléas  i'el  taxiUos  non  ludant,  nec  hufusmodi  ludis 
intersint.  Coronam  et  tonsuram  habeant  congruentem,  et  se  in  offi- 
ciis  divinis  et  aliis  bonis  exerceant  studiis  diligenter.  Clausa  défé- 
rant desuper  indumenta,  nimia  brei'itaie  vel  longitudine  non 
notanda.  Pannis  rubeis  aut  viridibus,  necnon  manicis  aut  sotu- 
laribus  consutitiis  seu  rostratis,  frsenis,  sellis,  pectoralibus  ^  et 
calcaribus  deauratis,  aut  aliam  super  fluitatem  gereniibus  non 
utantur.  Cappas  manicatas  ad  dis^inum  officium  intra  ecclesiam 
non  gérant  :  sed  nec  alibi,  qui  sunt  in  sacerdotio  i>el  personatibus 
constituti,   nisi  justi  causa  timoris  exegerit  habitum  transformari. 

1.  Harnachement   des   chevaux. 


647.    DOUZIÈME    CONCILE    ŒCUMENIQUE  1347 

Fihulas  ouinino  non  ferant,  neque  corrigias  auri  vel  argenti  orna- 
tuin  Jiobentes,  sed  nec  annulas,  nisi  quihus  compelit  ex  officio  di- 
gnitaiis.  Pontifices  autem  in  publico  et  in  ecclesia  superindumentis 
lineis  omnes  utantur,  nisi  monachi  fuerint,  quos  oportet  déferre 
hahituin  luonachalem  :  palliis  diffibulatis  non  utantur  in  publico; 
sed  vel  post  collum,  vel  ante  pectus  hinc  inde  connexis. 

Inséré  dans  le  Corpus  fur.  can.,  lib.  III,  til.  i,  De  snta  et  lione- 
state  clericorum,  cap.  15. 

Can.  17. 

11  est  tout  à  fait  regrettable  que  certains  clercs,  voire  même  des  prélats, 
après  avoir  passé  la  moitié  de  leurs  nuits  à  de  joyeux  festins  et  à  des 
bavardages  inutiles,  manquent  l'office  du  matin;  d'autres  célèbrent  la 
messe  à  peine  quatre  fois  dans  le  cours  de  l'année,  et  négligent  d'y  assis- 
ter; quand  ils  y  viennent,  ils  se  livrent  à  des  conversations  avec  les  laïcs 
et  ne  prêtent  nullement  attention  au  service  divin.  Nous  défendons  tous 
ces  abus  sous  peine  de  suspense,  et  nous  ordonnons  aux  clercs  de  fré- 
quenter avec  assiduité  et  avec  dévotion  l'office  divin,  tant  de  jour 
que  de  nuit. 

Dolentes  referimus,  fjuod  non  soluni  quidam  minores  clerici, 
verum  etiam  aliqui  ecclesiarum  prœlali,  circa  comessationes  su- 
perfluas  et  conjabulationes  illicitas,  ut  de  aliis  taceamus,  jere 
medietatem  noctis  expendujit  :  et  somno  residuum  relinquentes, 
s'ix  ad  diurnum  concentum  avium  excitantur,  transcurrendo  un- 
dique  continuata  syncopa  matutinum.  Sunt  et  alii  qui  missarum 
célébrant  solemnia  i>ix  quater  in  anno,  et,  quod  deterius  est,  interesse 
contemnunt  :  et  si  quando  dum  hœc  celebrantur  intersunt,  chori 
silentium  fugientes,  intendunt  exterius  collocutionibus  laicorum  : 
dumque  auditum  ad  indebitos  sermones  efjundunt,  aures  intentas 
non  porrigunt  ad  divina.  Hœc  igitur  et  similia  sub  pœna  suspen- 
sionis  penitus  inhibemus  :  districte  prsecipientes  in  virtute  obedien- 
tiœ,  ut  divinum  officium  diurnum  pariter  et  nocturnum,  quantum 
eis    Deus    dederit,    studiose    célèbrent    pariter    et    deiwte. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  III,  tit  xli,  De  célébrât, 
missar.,  cap.  9. 


1348  liviie  xxxv 

Can.   18. 

Aucun  clerc  ne  pourra  dicter  ni  porter  une  sentence  de  mort,  ni  l'exé- 
cuter ni  assister  à  son  exécution,  ni  composer  aucun  écrit  tendant  à 
une  sentence  de  mort.  Tout  cela  relève  des  tribunaux  si'-culiers  et  dor 
être  confié  à  des  laïcs. 

Aucun  clerc  ne  devra  servir  de  chef  aux  ro'larii  {ruplarii,  bandes  de 
pillards  composées surtoiTt  de  paysans),  aux  archers  [halistarii)  nia  d'autres 
groupes  de  ce  genre  ;  aucun  sous-diacre,  diacre  ou  prêtre  ne  pourra 
exercer  cette  partie  de  la  chirurgie  qui  consiste  à  couper  ou  à  brûler;  ils 
ne  prononceront  aucune  bénédiction  à  l'occasion  d'un  jugement  de  Dieu, 
les  anciennes  défenses  concernant  le  duel  conservant  toute  leur  vigueur. 

Senteniiam  sanguinis  niillus  clericus  dictet  aut  proférât  :  sed  nec 
sanguinis  vindictam  exerceat,  aut  ubi  exercetur  intersit.  Si  quis 
autem  hujusmodi  occasione  statuti,  ecclesiis,  vel  personis  ecclesia- 
sticis  aliquod  prsesumpserit  inferre  dispendium,  per  censuram 
ecclesiasticam  compescatur.  Nec  quisquam  clericus  litteras  scrihat 
aut  dictet  pro  vindicta  sanguinis  destinandas.  Unde  in  curiis 
frincipum  hsec  soUicitudo  non  clericis,  sed  laicis  conimittatur. 

NuUus  quoque  clericus  rottariis,  aut  balistariis,  aut  hujusmodi 
viris  sanguinum  prseponatur,  nec  illam  chirurgise  partem  suhdia- 
conus,  diaconus,  vel  sacerdos  exerceant,  quse  ad  ustionem  vel  inci- 
sionem  inducit.  Nec  quisquam  purgationi  aquse  ferventis  vel  fri- 
gidœ,  seu  ferri  candentis,  ritum  cujuslibet  benedictionis  aut  conse- 
crationis  impendat  :  salvis  nihilo  minus  prohibitionibus  de  mono- 
machiis   sif^e  duellis  antea  promulgatis. 

Inséré  dans  le  Corpus  fur.  cati.,  lib.  111,  tit.  l,  Ne  clerici  vel 
monachi,  cap.  9. 

Can.  19. 

On  ne  tolérera  plus  que  des  clercs  placent  dans  l'église  des  objets    pro- 
fanes ^,  si  ce  n'est  en  cas  de  nécessité  temporaire,   comme   par   exemple 
lors  d'une  invasion,  d'un  incendie,  etc.  D'autre  part,  en  certaines  églises,  [888] 
on  laisse  les  objets  du   culte   et   jusqu'aux    corporaux    dans  un    état  de 
malpropreté  qui    fait    horreur.  Cet  abus  sera  formellement  interdit. 

Relinqui  nolumus  incorrectum  quod  quidam  clerici  sic  exponunt 
ecclesias  supellectilibus  propriis,  et  etiam  alienis,  ut  poiius  domus 
laicse  quam  Dei  basilicse  videantur  :  non  considérantes,  quod 
Dominus   non  sinebat,    ut  vas  transferretur  per  templum. 

1.   Pour  les  protéger  contre  le  vol,  sic... 


647.     DOUZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1349 

Sunt  et  alii,  qui  non  sohun  ecclesias  dimittunt  incultas,  verum 
etiam  i'asa  ministerii,  et  vestimenta  ministrorum,  ac  pallas  altaris, 
necnon  et  ipsa  corporalia,  tain  immunda  relinquunt,  quod  inter- 
dum  aliquibus  sunt  horrori.  Quia  vero  zelus  nos  comedit  dotnus 
Dei,  firmiter  prohibemus,  ne  hujusmodi  supellectilia  in  ecclesiis 
admittantur  :  nisi,  propter  hostiles  incursus,  aut  incendia  repen- 
ti na,  seu  alias  nécessitâtes  urgentes,  ad  eas  oporteat  hahere  refu- 
gium.  Sic  tamen  ut  necessitate  cessante,  res  in  loca  pristina  repor- 
tentur.  Prsecipimus  quoque,  ut  oratoria,  vasa,  corporalia,  et  i>esti- 
menta  prœdicta,  munda  et  nitida  conserçentur.  Nimis  enim  videtur 
absurduni,  in  sacris  sordes  negligere,  quse  dedecerent  etiam  in 
profanis. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.    III,    tit.    xliv,    De  custo- 
dia  eucharistise,  cap.  2. 


.AÏS 


20. 


Le  saint  chrême  et  la  sainte  eucharistie  devront  être  gardés  sous  clef 
avec  le  plus  grand  soin  et  soustraits  à  toute  profanation.  Celui  cpu  négli- 
gera d'observer  cette  règle  sera    suspendu   pendant  trois   mois. 

Statuimus,  ut  in  cuiictis  ecclesiis  chrisma  et  eucharistia  sub 
fideli  custodia  clavibus  adhibitis  conserventur  :  ne  possit  ad  illa 
temeraria  manus  extendi,  ad  aliqua  horribilia  vel  nef  aria  exer- 
cenda.  Si  i'ero  is  ad  quem  spectat  custodia,  ea  incaute  reliquerit, 
tribus  mensibus  ab  ofjlcio  suspendatur.  Et  si  per  ejus  incuriam 
aliquid  nejandum  inde  contigerit,   graviori  subjaceat   ultioni. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  III,  tit.  xliv,  De  custo- 
dia eucharistise,  cap.  1. 

Can.    21. 

Tout  fidèle  de  l'un  et  l'autre  sexe  qui  a  atteint  l'âge  de  raison  devra  con- 
fesser ses  fautes  à  son  propre  prêtre  avi  moins  une  fois  chaque  année, 
accomplir  dans  la  mesure  de  ses  moyens  la  pénitence  qui  lui  a  été  imposée 
et  recevoir  dévotement,  au  moins  à  Pâques,  le  sacrement  de  l'eucharistie  \ 

1.  Dès  les  premiers  siècles  de  l'Église,  c'était  la  règle  de  confesser  ses  fautes 
pendant  le  saint  temps  du  carême;  c'est  ce  que  nous  apprennent  des  écrits  de 
saint  Chrysostome  et  de  saint  Ambroisc.  Cf.  Frank,  Die  Buszdisciplin  der 
Kirche,  Mainz,  1867,  p.  366  sq. 


1350  LIVRE    XXXV 

sauf  si,  pour  de  bons  motifs,  sur  le  conseil  du  prêtre,  il  diiïère  à  plus 
tard  la  réception  de  ce  sacrement.  Celui  qui  ne  se  conformera  pas  à  cette 
prescription  sera  exclu  de  l'Église  et,  s'il  vient  à  mourir,  ne  recevra  pas 
la  sépulture  ecclésiastique. 

Cette  ordonnance  devra  être  souvent  publiée  dans  les  églises,  afin  que  nul 
ne  puisse  alléguer  l'ignorance  pour  excuse.  Si  quelqu'un,  pour  des  motifs 
valables,  désire  se  confesser  à  vm  prêtre  étranger,  il  devra  obtenir  la  per- 
mission de  son  prêtre  (curé),  car  tout  autre  ne  peut  le  lier  et  délier. 

Le  prêtre  (confesseur)  devra  être  prudent  et  sage,  savoir  verser  le 
vin  et  l'huile  sur  les  blessures,  discerner  les  circonstances  du  péché  et  l'état 
d'âme  du  pécheur,  afin  de  pouvoir  trouver  les  conseils  à  donner  et  les 
moyens  à  employer  pour  guérir  le  malade. 

11  prendra  bien  garde  de  ne  pas  trahir  le  pécheur  par  quelque  parole 
ou  quelque  signe  imprudent;  s'il' a  besoin  de  solliciter  les  conseils  d'un 
clerc  plus  instruit,  qu'il  le  fasse  prudemment,  sans  indication  du  nom. 
Le  prêtre  qui  dévoilera  une  faute  confiée  en  confession  sera  non  seule- 
ment déposé,  mais  encore  enfermé  dans  un  monastère  rigoureux  pour  y 
faire  pénitence. 

Omnis  utriusque  sexiis  fidelis,  poslquam  ad  annos  discretionis 
peri>enerit,  omnia  sua  solus  peccata  confiteatur  fideliter,  saltem 
semel  in  anno,  proprio  sacerdoti,  et  injunctam  sibi  pseniteniiam 
studeat  pro  virihus  adimplere,  suscipiens  reuerenter  ad  minus 
in  Pascha  eucharistise  sacramentum  :  nisi  forte  de  consilio  proprii 
sacerdotis,  oh  aliquam  rationahilem  causam,  ad  tempus  ah  ejus 
perceptione  duxerit  ahstinendum  :  alioquin  et  i'ivens  ah  ingressu 
ecclesise  arceatur,  et  moriens  christiana  careat  sepultura.  Unde 
hoc  salutare  statutum  fréquenter  in  ecclesiis  publicetur,  ne  quis- 
quam  ignorantise  csecitate  velamen  excusationis  assumât.  Si  quis 
autem  alieno  sacerdoti  voluerit  justa  de  causa  sua  confîteri  peccata. 
licentiam  prius  postulet  et  obtineat  a  proprio  sacerdote  ^,  cum  aliter 
ille  ipse  non  possit  solvere,  çel  ligare. 

Sacerdos  ^  autem  sit  discretus  et  cautus,  ut  more  periti  medici 
superinfundat  vinum  et  oleum  çulnerihus  sauciati;  diligenter 
inquirens  et  peccatoris  circumstantias  et  peccati,  per  quas  prudenter 
intelligat,  quale  illi  consilium  deheat  exhibere,  et  cujusmodi  reme- 
dium  adhibere,  dif^ersis  experimentis  utendo  ad  sanandum  œgro- 
tum. 


1 .  Le  curé. 

2.  Le  confesseur. 


647.     DOUZIÈME    CONCILE    ŒCUMENIQUE  1351 

Caçeat  autem  omnino  ne  verbo,  vel  signo,  uel  alio  quovis  modo 
prodat  aliquateniis  peccatorem;  sed  si  prudentiori  consilio  indi- 
guérit  ^,  illud  ohsque  uUa  expressione  personas  caute  requirat  : 
quoniam  qui  peccatuiu  in  pœnitentiali  judicio  sibi  detectum  prse- 
sumpserit  revelare,  non  solum  a  sacerdotali  offîcio  deponendum 
decernimus,  verum  etiam  ad  agendam  perpetuam  psenitentiam  in 
arctum   monasterium  detrudendum. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  V,  tit.  xxxviii,  De  pœniten- 
iiis  et  reniissionibus,  cap.  12. 

Can.  22. 

Comme  parfois  la  maladie  vient  du  péché,  nous  ordonnons  formelle- 
ment à  tous  les  médecins  d'exhorter  leurs  patients  à  faire  appeler  avant 
tout  le  médecin  des  âmes.  Si  leur  âme  est  soignée,  la  guérison  du  corps 
[889]  n'en  sera  que  plus  facile.  Il  arrive  en  effet  que  des  malades,  quand  leur 
médecin  leur  conseille  de  songer  au  salut  de  leur  âme,  se  désespè- 
rent  et  tombent  ainsi  dans  un  plus  grand  danger. 

Le  médecin  qui  ne  tiendra  pas  compte  de  notre  ordonnance  se  verra 
interdire  l'entrée  de  l'église  jusqu'à  ce  qu'il  ait  donné  satisfaction. 

L'âme  étant  plus  précieuse  que  le  corps,  on  interdit,  sous  peine  d'ana- 
thème,  avi  médecin  de  conseiller  au  malade  l'emploi  d  un  remède  cou- 
pable ■-. 

Cum  infirmitas  corporalis  nonnunquam  ex  peccato  pro^>eniat, 
dicente  Domino  languido  quem  sanai'erat  :  Vade,  et  amplius  noli 
peccare,  ne  deterius  aliquid  tibi  contingat  :  décréta  prsesenti 
statuimus,  et  districte  prsecipimus  medicis  corporum,  ut  cum  eos 
ad  infirmas  vocari  contigerit,  ipsos  ante  omnia  moneant  et  indu- 
cant,  quod  medicos  advocent  animarum  :  ut  postquam  infirmis 
fuerit  de  spiritali  salute  provisum,  ad  corporalis  medicinse  reme- 
dium  salubrius  procedatur,  cum  causa  cessante  cesset  effectus.  Hoc 
quidem  inter  alia  huic  causam  dédit  edicto,  quod  quidam  in  œgritu- 
dinis  lecto  jacentes,  cum  eis  a  medicis  suadetur  ut  de    animarum 

1.  A  propos  de  la  confession. 

2.  Ce  cas  s'est  présenté  assez  souvent,  vu  l'état  où  se  trouvait  alors  la  méde- 
cine. Ainsi  les  médecins  déclarèrent  au  fils  de  Barberousse,  au  duc  Frédéric, 
qui  fit  avec  son  père  la  troisième  croisade  et  mourut  eu  Palestine  :  Posse  curari, 
si  rébus  Venereis  uti  vcllet.  Le  prince  répondit  :  Se  malle  mori,  quam  in  peregri- 
nalione  divina  (croisade)  corpus  suum  per  libidinem  maculare.  Cf.  Raumer,  Gesch. 
d.  Hohenst.,  t.  ii,  p.  'io8.  lîoniface  Ferrier  dans  Martène,  Thésaurus,  t.  ii. 
p.  1457,  parle  aussi  de  médecins  qui  indiquaient  de  pareils  remèdes. 


1352  LIVRE     XXXV 

saillie  disponanl,  in  desperationi^  arliculum  incidunt,  iinde  faci- 
lius   mords   periculurn   incurrunt. 

Si  quis  aiitem  medicorum,  hujus  nostrse  constitutionis,  postquam 
per  prœlatos  locorum  fuerit  publicata,  transgressoi'  exiiterit,  tamdiu 
ah  ingressu  ecclesise  arceatur,  donec  pro  transgressione  hujusmodi 
satisjecerit  competenter. 

Ceterum  cum  anima  sit  multo  pretiosior  corpore,  suh  intermi- 
natione  anathematis  prohibemiis,  ne  quis  medicorum  pro  corpo- 
rali  sainte  aliquid  œgroto  suadeat,  quod  in  periculurn  animse  con- 
çertatur. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  V,    lit.    xxxviii,    De   pse- 
niteniiis  et  remissionihus,  cap.  13. 

Can.  23. 

Aucune  église  cathédrale  ou  régulière  ne  devra  rester  vacante  plus  de 
trois  mois.  Si  ceux  qui  ont  le  droit  d'élire  n'élisent  pas  un  prélat  dans 
cet  intervalle,  le  droit  d'élection  reviendra  au  supérieur  ecclésiastique 
iminédiat;  eelui-ci,  ayant  pris  conseil  de  son  chapitre  et  de  quelques 
autres  personnes  prudentes,  désignera  également  dans  l'intervalle  de  trois 
mois  une  personne  capable  d'occuper  la  place  dans  l'église  privée  de  son 
chef,  que  cette  personne  appartienne  à  cette  église  ou  qu'elle  ait  été 
choisie  ailleurs. 

Ne  pro  dejectu  pastoris  gregem  dominicum  lupus  rapax  invadat, 
aut  iji  facultatibus  suis  ecclesia  viduata  grave  dispendium  patia- 
tur  :  i'olentes  in  hoc  etiam  occurrere  periculis  animarum,  et  eccle- 
siarum  indemnitatihus  proi'idere  :  statuimus,  ut  ultra  très  menses 
cathedralis  vel  regularis  ecclesia  prselato  non  vacet  :  injra  quos,  justo 
impedimento  cessante,  si  electio  celehrata  non  juerit,  qui  eligere 
debuerant,  eligendi  potestate  careant  ea  vice,  ac  ipsa  eligendi 
poteslas  ad  eiim  qui  proximo  prseesse  dignoscitur  devolvatur.  Is 
vero  ad  quem  devoluta  fuerit  potestas,  Dominum  habens  prœ  ocu- 
lis,  non  différât  ultra  très  menses,  cum  capituli  sui  consilio  et  alio- 
rum  virorum  priidentium ,  çiduatam  ecclesiam  de  persona  idonea, 
ipsius  quidem  ecclesise,  wel  allerius,  si  digna  non  reperiatur  in  illa, 
canonice  ordinare,  si  canonicam  voluerit  effugere  ultionem. 

Inséré  dans   le    Corpus  jur.   can.,    lib.   1,    lit.   vi,  De  eleciione, 
cap.  41. 


647.     DOUZIÈME    CONCILE     ŒCUMENIQUE  1353 

Can.     24. 

Quand  on  procédera  à  une  élection,  les  électeurs  choisiront  dans  leur 
collège  trois  scrutateurs  qui,  à  voix  basse  et  séparément,  recueilleront 
les  votes,  les  mettront  par  écrit  et  ensuite  les  publieront;  sera  proclamé 
élu,  sans  appel  possible,  celui  qui  aura  réuni  les  voix  de  tous  ou  de  la  frac- 
tion la  plus  nombreuse  ou  la  plus  saine  du  chapitre.  Le  droit  d'élection 
peut  aussi  être  délégué  à  quelques  personnes  de  confiance  {i^ia  compro- 
missi).  Il  y  a  encore  une  autre  forme  d'élection  per  quasi  inspirationem. 
Celui  qui  dérogera  à  ces  formes  d'élection  perdra  son  droit  d'électeur. 

Seul  celui  qui  est  enqiêché  d'assister  personnellement  à  l'élection  d'une 
manière  canonique,  pourra  se  faire  représenter  par  une  autre  personne; 
il  pourra,  s'il  le  désire,  confier  son  vote  à  im  de  ses  collègues. 

L'élection  accomplie  sera   aussitôt   publiée   solennellement. 

Quia  propter  electionum  formas  dwersas,  quas  quidam  inçenire  co- 
nantur,  et  milita  impedïjnenta  proveniiint,  et  magna  pericula  immi- 
nent ecclesiis  i'iduatis'  statuimus,  ut  ciim  electio  fuerit  celehranda, 
prsesentihus  qui  dehent  et  i'olunt  et  possunt  commode  interesse, 
assumantur  très  de  collegio  fîde  digni,  qui  secrète  et  singulalim 
voces  cunctorum  diligenter  exquirant,  et  in  sci-iptis  redacta  mox 
puhlicent  in  communi,  îiuUo  prorsus  appeUationis  ohstaculo 
interjecto  :  ut  is  coUatione  adhihita  eligatur,  in  quem  omnes,  vel 
major,  i'el  sanior  pars  capituli  consentit.  Vel  saltem  eligendi 
potestas  aliquihus  viris  idoneis  committatur  qui  i^ice  omnium,  eccle- 
sise  i'iduatas  provideant  de  pastore.  Aliter  electio  facta  non  valeat, 
nisi  forte  communiter  esset  ah  omnibus,  quasi  per  inspirationem 
divinam,  ahsque  i'itio  celebrata.  Qui  çero  contra  prsedictas  formas 
eligere    aitentai'erint,  eligendi  ea  vice  potestate  priventur. 

lllud  penitus  interdicimus,  ne  quis  in  electionis  negotio  procu- 
ratorem  constituât,  nisi  sit  ahsens  in  eo  loco  de  quo  deheat  advocari, 
justoque  impedimento  detentus  venire  non  possit  :  super  quo, 
si  fuerit  opus,  fidem  faciat  juramento  :  et  tune,  si  voluerit,  uni 
committat  de  ipso  collegio  vicem  suam.  Electiones  quoque  clande- 
stinas  reprobamus,  statuentes,  ut  quam  cito  electio  fuerit  celebrata, 
solemniter   publicetur. 

Inséré  dans  le  Corpus  fur.  can.,  lih,  I,  tit.  vi,  De  eleclione, 
cap.   42. 


1354  LIVRE    XXXV 


Can.  25. 


Quiconque  aura  osé  consentir  à  l'élection  faite  de  sa  personne  par  un 
abus  du  pouvoir  séculier,  outre  qu'il  ne  retire  aucun  avantage  de  cette 
élection,  sera  inéligible  et  ne  pourra  être  élevé  à  aucune  dignité  sans  [8901 
une  dispense  du  pape;  ceux  qui  auront  pris  part  à  une  telle  élection, 
nulle  de  plein  droit,  seront  pendant  trois  ans  suspens  de  leurs  charges 
et  bénéfices,  et  privés  de  leur  droit  d'électeur, 

Quisqiiis  electioni  de  se  factse  per  sœcularis  potestatis  abusum 
consentire  prœsumpserit  contra  canonicam  lihertatem  :  et  electionis 
commodo  careat,  et  ineligibilis  fiât,  nec  ahsque  dispensatione  possit 
ad  aliquam  eligi  dignitatem.  Qui  vero  electionem  hujusmodi,  quam 
ipso  jure  irritant  esse  censemus,  prsesumpserint  celebrare,  ah  offi- 
ciis  et  beneficiis  penitus  per  triennium  suspendantur,  eligendi 
tune    potestate    privati. 

Inséré  dans  le  Corpus  fur.  can.^  lib.  I,  lit.  vi,  De  electione, 
cap.    43.    Cf.   Kober,    Die    Suspension,  etc.,   p.    255  sq. 

Can.     26. 

Rien  ne  cause  un  plus  grand  dommage  à  l'Eglise  que  de  confier  le  soin  des 
âmes  à  des  prélats  indignes.  Pour  prévenir  ce  mal,  nous  prescrivons  d'une 
manière  irrévocable  que,  lorsque  quelqu'un  sera  appelé  au  gouvernement 
des  âmes,  celui  auquel  revient  le  droit  de  confirmation  devra  examiner 
attentivement  et  les  opérations  électorales  et  la  personne  de  l'élu;  il  ne 
donnera  la  confirmation  que  si  tout  est  régulier.  Car  si  on  a  manqué  à 
la  loi,  non  seulement  on  rejettera  celui  qui  aura  été  promu  à  tort,  mais 
encore  on  punira  l'auteur  de  cette  promotion.  Les  peines  à  appliquer  à 
ce  dernier  seront  les  suivantes  :  si,  par  sa  négligence  coupable,  il  a  approuvé 
l'élection  d'un  homme  de  science  insuffisante  ou  de  mauvaises  mœurs,  ou 
d'un  âge  illégitime,  non  seulement  il  sera  déchu  du  droit  de  confirmer 
l'élection  du  successeur  de  cet  homme,  mais  encore  il  sera  suspendu  de  la 
jouissance  de  son  propre  bénéfice,  tant  qu'on  ne  lui  aura  pas  accordé 
son  pardon.  S'il  a  péché  non  pas  seulement  par  négligence,  mais  par 
mauvais  vouloir,  il  sera  puni  plus  sévèrement. 

¥.n  ce  qui  concerne  les  saints  ordres  et  les  charges  ecclésiastiques,  les 
évêques  ne  devront,  sous  peine  des  sanctions  ecclésiastiques,  promou- 
voir que  des   personnes  aptes  et  capables. 

Ceux  qui  sont  directement  soumis  à  Rome,  et  doivent  solliciter  du  pape 
leur  confirmation,  devront  se  présenter  à  lui  personnellement  ou,  s'ils  ne 
peuvent  le  faire,  envoyer  des  représentants  pour  fournir  tous  les  rensei- 
gnements nécessaires  sur  les  opérations  de  l'élection  et  la  personne  de  l'élu. 


647.    DOUZIÈME    CONCILE    ŒCUMENIQUE  1355 

Ce  n'est  qu'après  cet  examen  du  pape  que  les  élus  pourront  jouir  complè- 
tement de  leur  charge  [plenitudinem  o/Jicii).  Cependant  ceux  qui  seront 
très  éloignes  de  Rome,  c'est-à-dire  hors  de  l'Italie,  pourront,  s'ils  ont  été 
élus  exceptionnellement  sans  opposition,  administrer  les  églises  tant 
au  spirituel  qu'au  temporel,  sauf  à  ne  pouvoir  rien  aliéner  des  biens 
de  l'Église.  Ils  recevront  la  consécration  ou  la  bénédiction  suivant  la  forme 
habituelle. 

Nihil  est  qiiod  Ecclesiœ  Dei  magis  officiât,  quam  quod  indigni 
assiimantur  prœlati  ad  regimen  animarum.  Volentes  igitur  Inde 
morbo  necessariam  adhibere  medelam,  irrejragabili  constituti one 
sancimus,  quatenus  cum  quisquam  fuerit  ad  regimen  animarum 
assumptus,  is  ad  quem  pertinet  ipsius  confirmatio,  diligenter  exa- 
minât, et  electionis  processum,  et  personam  electi,  ut,  cum  omnia 
rite  concurrerint,  munus  ei  confirmaiionis  impendat,  quia,  si 
secus  fuerit  incaute  prsesumptum,  non  solum  dejiciendus  est  in- 
digne promotus,  çerum  etiam  indigne  promovens  puniendus. 

Ipsum  quoque  decernimus  hac  animadi'ersione  puniri,  ut  cum 
de  ipsius  constiterit  negligentia,  maxime  si  hominem  insufficientis 
scientiœ,  vel  inhonestee  vitse,  aut  setatis  illegitimœ  approbave- 
rit  :  non  solum  confirmandi  primum  successorem  illius  careat 
potestate,  i'erum  etiam  ne  aliquo  casu  psenam  effugiat,  a  perce- 
ptione  proprii  beneficii  suspendatur,  quousque  si  œquum  fuerit, 
indulgentiam  i^aleat  promereri  :  si  convictus  fuerit,  in  hoc  par 
malitiam  excessisse,   graviori  subjaceat  ultioni. 

Episcopi  quoque  taies  ad  sacros  ordines  et  ecclesiasticas  digni- 
tates  promoi^ere  procurent,  qui  commissum  sibi  offîcium  digne 
valeant  adimplere  :  si  et  ipsi  canonicam  cupiunt  effugere  ultionem. 

Ceterum,  qui  ad  romanum  pertinent  immédiate  pontificem, 
ad  percipiendam  sui  confirmationem  officii,  ejus  se  conspectui,  si 
commode  potest  fieri,  personaliter  représentent;  vel  personas  trans- 
mittant  idoneas,  per  quas  diligens  inquisitio  super  electionis  pro- 
cessu  et  electis  possit  haberi  :  ut  sic  demum  per  ipsius  circumspe- 
ctionem  consilii  sui  plenitudinem  assequantur  officii,  cum  eis  nihil 
obstiterit  de  canonicis  institutis  :  ila  quod  intérim  valde  remoti,  vi- 
delicet  ultra  Italiam  constituti,  si  electi  fuerint  in  concordia,  dis- 
pensatiue  propter  nécessitâtes  et  utilitates  ecclesiarum,  in  spiritua- 
libus  et  temporalibus  administrent  :  sic  tamen  ut  de  rébus  eccle- 
siasticis  nil  penitus  aliènent.  Munus  vero  consecrationis  seu  be- 
nedictionis    recipiant,  sicut  hactenus  recipere  consueverunt. 


1356  LIVRE    XXXV 

Inséré   dans  le  Corpus  jur.   can.,  lib.  I,    lil.    vi,   De    electione. 
cap.  44. 

Can.  27. 

Le  gouvernement  des   âmes    étant  l'art  des  arts,  les  évêques   devront 
instruire  ou   faire  instruire   avec  le  plus  grand  soin  des  offices  divins    et   [891] 
de  l'administration   des  sacrements  de  l'Eglise  les   prêtres  à   promouvoir. 
S'ils  ordonnent  des  ignorants,  les  uns  et  les  autres    devront   s'attendre   à 
de  graves  châtiments. 

Cum  sit  ars  artium  regîmen  animarum,  districte  prœcipimus, 
ut  episcopi  promoçendos  in  sacerdotes  diligenter  instruant  et  in- 
forment, vel  per  se  ipsos,  pel  per  alios  çiros  idoneos,  super  divinis 
ojficiis  ^,  et  ecclesiasticis  sacramentis,  qualiter  ea  rite  valeant 
celehrare  :  quoniam  si  ignaros  et  rudes  de  cetera  ordinare  prœsum- 
pserint  {quod  quidein  facile  poterit  deprehendi)  et  ordinatores  et 
ordinatos  grasd  decrevimus  suhjacere  ultioni.  Satins  est  enim, 
maxime  in  ordinatione  sacerdotuin,  paucos  honos  quam  multos 
rnalos  habere  muiistros  :  quia  si  cœcus  caecum  duxerit,  ainho  in 
joveam  dilahuntur. 

Inséré  dans  le  Corpus  juris  can.,  lib.  I,  lit.  xiv,  De  œtatf. 
cap.   14. 

Can.    28. 

Celui  (lui  aura  demandé  et  ol)(enu  Tautorisation  de  résigner  sa  charee. 
devra  la  résigner  réellement. 

Quidam  licentiam  cedendi  cum  instantia  postulantes,  ea  ohtenta, 
cedere  prmtermittunt.  Sed  cum  in  postulatione  cessionis  hujusmodi, 
aut  ecclesiarum  commoda,  quibus  prsesunt,  aut  salutem  videantur 
propriam  attendisse,  quorum  neutrum  suasionibus  aliquorum  quœ- 
rentium  quse  sunt  sua,  seu  etiam  levitate  qualibet,  volumus  impediri, 
ad  cedendum  eos   decernimus   compellendos. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.   I,  tit.  ix,  Derenunliatione^ 
cap.    12. 

I,  Voy.  le  capitulum  18. 


647.    DOUZIÈME    CONCILE    ŒCUMENIQUE  1357 

Can.    29. 

Le  liuisièinc  concile  tic  Latrau  a  sagement  établi  ([ue  personne  ne 
pourrait  obtenir  plusieurs  dignités  ecclésiastiques  ou  plusieurs  paroisses, 
le  bénéficier  de\ant  perdre  ce  qu'il  avait  reu,  et  le  collateur  son 
droit  d'attribution.  Mais  celte  prescription  n'ayant  donné  jusqu'à  ce 
jour  que  de  maigres  résultats,  nous  décidons  formellement  que  celui 
qui  aura  accepté  un  bénéfice  avec  charge  d'âmes,  alors  qu'il  en  possédait 
déjà  un  semblable,  perdra  celui-ci  (le  premier)  de  plein  droit,  et  s'il 
veut  conserver  les  deux,  il  les  perdra  tous  les  deux.  Celui  auquel  appartient 
le  soin  de  pourvoir  au  premier  bénéfice,  l'attribuera  immédiatement  à  une 
autre  personne  aussitôt  que  le  premier  possesseur  en  aura  accepté  un 
deuxième;  s'il  diffère  plus  de  trois  mois  à  le  faire,  cette  attribution, 
d'après  les  prescriptions  du  troisième  concile  de  Latran  (can.  8), 
sera  dévolue  à  un  autre;  de  plus,  il  devra  rembourser  à  1  église  tout 
ce  qu'elle  aura  fourni  de  ses  revenus  pendant  la  vacance.  La  même  règle 
devra  être  observée  au  sujet  des  dignités  (personatus)  ;  de  plus,  personne 
ne  pourra  posséder  dans  la  même  église  plusieurs  dignités  ou  personats, 
même  sans  charge  d'âmes.  Seules  les  personnes  de  rang  élevé  et  ins- 
truites, qui  doivent  être  honorées  de  plus  grands  bénéfices,  pourront, 
en  cas  de  nécessité,  être  dispensées  par  le  Saint-Siège  apostolique. 

De  mulia  providentia  fuit  in  Laleranensi  concilio  prohibitum  ^, 
ut  îiullus  dii'ersas  dignitates  ecclesiasticas  et  plures  ecclesias  paro- 
chiales  reciperet,  contra  sacrorum  canonuni  instituta.  Alioquin, 
et  recipiens  sic  receptum  amitteret,  et  largiendi  potestate  conferens 
privaretur.  Quia  vero  propter  prassumptiones  et  cupiditates  quorum- 
dam  nullus  hactenus  fructus  aut  rarus  de  prsedicto  statuto  pro<,>enit  : 
nos  ei'identius  et  expressius  occurrere  cupientes,  prsesenti  décréta 
statuimus,ut  quicumque  receperit  aliquod  heneficiumhahens  curam 
animarum  annexam,  si  prius  laie  heneficium  ohtinehat,  eo  sit 
jure  ipso  privatus  :  et,  si  forte  ilhid  retinere  contenderit,  alio  etiam 
spolietur.  Is  quoque  ad  quem  prioris  spectat  donaiio,  illud  post 
receptionem  alterius  libère  conférât  cui  merito  i'iderit  conferendum  : 
et  si  ultra  très  menses  conferre  distulerit,  non  solum  ad  alium,  se- 
cundum  slatutum  Lateranensis  concilii,  ejus  collatio  devoh'atur  : 
verum  etiam  tantum  de  suis  cogatur  pro^^entibus  in  utilitatem  Eccle- 
sise,  cujus  illud  est  benefîcium,  assignare,  quantum  a  tempore  vaca- 
tionis  ipsius  constiterit  ex  eo  esse  perceptum.  Hoc    idem    in  perso- 

1.  Cau.  13  du  troisième  concile  de  Latran;  cf.  §  634. 


1358 


LIVRE    XXXV 


natihus  decernimus  obserçandum  :  addentes,  ut  in  eadem  ecclesîa 
nullus  plures  dignitates,  aut  personatus  habere  prœsumat,  etiamsi 
curam  non  habeant  animarum.  Circa  sublimes  tamen  et  litteratas 
personas,  quse  majoribus  sunt  beneficiis  honorandœ,  cum  ratio 
poslulayerit,   per   Sedem  apostolicaia  poterit  dispensari. 

Inséré  dans  le  Corpus  fur.  can.,  lib.    III,  tit.  v,  De  prsebendis 
cap.  28. 

Can.    30. 

Les  synodes  provinciaux  devront  veiller  à  ce  que  les  évêques  et  les  cha- 
pitres n'attribuent  de  bénéfices  ecclésiastiques  qu'à  des  hommes  dignes 
de  les  occuper  par  leurs  mœurs  et  leurs  connaissances.  Si  un  double  avertis- 
sement est  demeviré  sans  effet,  l'évêque  ou  le  chapitre  perdront  le  droit 
de  collation.  Le  manquement  du  métropolitain  sera  déféré  par  le  synode 
provincial  au  jugement  du  supérieur.  Personne,  sauf  le  pape  ou  un  des 
quatre  patriarches  (chacun  sur  le  territoire  de  son  patriarcat),  ne  pourra 
lever  cette  suspense;  en  ceci  les  quatre  sièges  des  patriarches  sont  par- 
ticulièrement honorés. 

Grave  nimis  est  et  absurdum,quod  quidam  prselati  ecclesiarum,cuin 
possint  <.'iros  idoneos  ad  ecclesiastica  bénéficia  promovere,  assumere 
non  verentur  indignos,  quibus  nec  moruni  honestas,  nec  litterarum 
scientia  sufjragatur,  carnalitatis  sequentes  afjectum,  non  judiciuin 
rationis.  Unde  quanta  ecclesiis  damna  proveniant,  nemo  sanat 
mentis  ignorai.  Volentes  igitur  huic  morbo  mederi,  prœcipimus  ut 
prsetermissis  indignis  assumant  idoneos,  qui  Deo  et  Ecclesiis  velint 
et  i'aleant  gratum  impendere  famulatum,  fiatque  de  hoc  in  prosnn- 
ciali  concilio  diligens  inquisitio  annuatim  :  ita  quod  qui  post  pri- 
mam  et  secundam  correctionem  fuerit  repertus  culpabilis,  a  con- 
ferendis  beneficiis  per  ipsum  concilium  suspendatur  :  instituta 
in  eodem  concilio  persona  provida  et  honesta,  quse  suppléai  suspensi 
defectum  in  beneficiis  conjerendis  :  et  hoc  ipsum  circa  capitula 
quse  in  his  deliquerint  observetur.  Metropolitani  vero  delictum,  su- 
perioris  judicio  relinquatur  ex  parte  concilii  nunciandum.  Ut 
autem  hsec  salubris  prowisio  pleniorem  consequatur  efjectum, 
hujusmodi  suspensionis  sententia,  prseter  romani  pontificis  autho- 
ritatem,  aut  proprii  patriarchse  ^,  minime  relaxetur  :  ut  in  hoc 
quoque  quatuor  patriarchales  sedes  specialiter  honorentur. 

1.  Sur  le  territoire  de  leurs  patriarcats. 


647.     DOUZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1359 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  III,  tit.   v,  De  pnebendis^ 
cap.  29. 

Can.  31. 

89:2]  Il  faut  abolir  labus  que  les  fils  et  surtout  les  fils  illégitimes  tics  cha- 
noines deviennent  chanoines  dans  la  même  église  séculière  que  leur 
père.  Cette  situation  est  sans  valeur  et  celui  qui  aura  nommé  un  de  ces 
chanoines  sera  suspendu  de  son  bénéfice. 

Ad  aholendain  pessimam,  quse  in  plerisque  inolevit  ecclesiis 
corruptelam,  fîr miter  prohibemus  ne  canonicorum  fllii,  maxime 
spurii,  canonici  fiant  in  ssecularibus  ecclesiis,  in  quibus  instituti 
sunt  patres  :  et  si  fuerit  contra  prœsumptum,  decernimiis  non  <,>alere  : 
qui  vero  taies  [ut  dictum  est)  canonicare  prsesumpserint,  a  suis  b^ene- 
ficiis  suspendantur. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  I,  tit.  xvii,  De  filiis 
presbyterorum,   cap.  16. 


>AN, 


32. 


C'est  une  pratique  abusive  que  les  patrons  d'une  église  et  d'autres 
(même  les  évêques)  gardent  pour  eux  les  revenus  de  cette  église,  ne  lais- 
sant aux  prêtres  qu'une  faible  partie  des  revenus  insuffisante  à  les  faire 
vivre  décenunent.  C'est  ainsi  que  dans  quelques  contrées  les  curés  ne 
reçoivent  que  la  quarta  quartse,  c'est-à-dire  1/lG  de  la  dîme;  aussi  Irouve- 
t-on  rarement  dans  ces  contrées  un  curé  un  peu  instruit.  Aucun  usage  établi 
par  les  patroiiS  ou  les  évêques  ou  par  d'autres  ne  pourra  s'opposer  à  ce  que 
le  prêtre  reçoive  une  portio  sufjiciens.  Celui  qui  possédera  une  église 
paroissiale  devra  l'administrer  en  personne  et  non  par  l'entremise  d'un 
vicaire,  à  moins  que  l'église  paroissiale  ne  soit  annexée  à  une  prébende 
ou  à  une  dignité.  Dans  ce  cas,  le  titulaire  de  cette  prébende  devra  dési- 
gner un  vicaire  pour  l'église  paroissiale  et  lui  laisser  une  part  suifisantc 
des  revenus  de  l'église,  sinon  il  perdra  cette  église.  Nous  défendons  for- 
mellement de  prélever  une  part  sur  les  revenus  d'une  église  qui  doit  avoir 
son  propre  prêtre,  pour  l'attribuer  frauduleusement  à  une  autre  per- 
sonne comme  pension  et  par  manière  de  bénéfice. 

Exstirpandœ  consuetudinis  vilium  in  quibusdam  partibus  ino- 
levit,  quod  scilicet  patroni  ecclesiarum  parochialium,  et  alise 
qusedam  personse  ^,  proi'entus  ipsarum  sibi  penitus  çindicantes, 
presbyteris  earumdem  sennlio  deputatis  relinquunt  adeo  exiguain 
portionem,  ut  ex  ea  congrue  nequeant  sustentari.  Nam  ut  pro  certo 

1.  Sans  excepter  les  évêques. 


13G0  LIVRE    XXXV 

didiciinus,  in  quihusdain  reglonibus  parvchlales  yreshyleri  jiro 
suslentalione  non  ohtinent  n'isi  quariam  quarlse  ^,  id  eut,  seiixun 
deciinam  deciinaruni.  Unde  fit,  ut  in  his  regionihus  pêne  nidlua 
inveniatur  sacerdos  parochialis,  qui  çel  modicam  habeat  periiiam 
litlerarum.  Cum  igitur  os  hovis  alligari  non  debeal  triturantis,  sed 
qui  cdtari  servit,  vivere  debeat  de  altari  :  statuimus  ut  consuetudine 
qualibet  episcopi  vel  patroni  seu  cujuscumque  alterius  non  obstante, 
portio  presbyteris  ipsis  sufficiens  assignetur.  Qui  vero  parochialein 
habet  ecclesiam,  non  par  vicarium,  sed  per  se  ipsum  illi  deserviat, 
in  ordine  quem  ipsius  ecclesiœ  cura  requirit,  nisi  forte  prœbendœ 
vel  dignitati  parochialis  ecclesia  sit  annexa  :  in  quo  casu  concedimus, 
ut  is  qui  talem  habet  prsebendam  vel  dignitatem,  cum  oporteat  eum 
in  majori  ecclesia  deservire,  in  ipsa  parochiali  ecclesia  idoneum 
et  perpetuum  studeat  habere  vicarium  canonice  institutum  :  qui, 
ut  prsedictuin  est,  congruentem  habeat  de  ipsius  ecclesise  provenii- 
bus  portionem  :  alioquin  illa  se  sciât  hujus  decreti  authoritate  pri- 
vatum,  libère  alii  conjerenda,  qui  velit  et  possit  quod  prsedictum 
est  adimplere.  Illud  autem  penitus  interdicimus,  ne  quis  in 
jraudem,  de  proventibus  ecclesiœ,  quœ  curam  proprii  sacerdotis 
débet  habere,  pensionem  alii  quasi  pro  beneficio   conferre  prsesumat. 

Inséré  dans  le  Corpus  fur.  can.,  ïih.  III,  lit.  v,  De  prœbendis, 
cap.  30. 

Can.   33. 

Les  évêques,  les  arcliidiaeres  et  aussi  les  légals  du  pape  et  les  nonces 
ne  réclameront  les  procurations  dues  en  raison  de  leur  visite,  que  lors- 
qu'ils font  les  visites  personnellement;  encore  devront-ils  se  contenter 
des  chevaux  et  de  la  suite  fixes  par  le  troisième  concile  de  Latran.  En 
particulier,  les  légals  du  pape,  pour  ne  pas  être  trop  à  charge  aux 
églises,  feront  aussi  paye:  les  procurations  par  les  églises  voisines. 

Procurationes  quse  visitationis  ralione  debentur  episcopis,  archi- 
diaconis,  vel  quibuslibet  aliis,  etiam  apostolicee  Sedis  legatis  aut 
nunciis,  absque  manifesta  et  necessaria  causa  nullatenus  exigan- 
tur,  nisi  quando  prœsenti aliter  officium  visitationis  impendunt  : 
et  tune  evectionum  et  personarum  mediocritatem  observent  in  Late- 

1.  C'est-à-dire  un  seizième. 


G47.     DOUZIEME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  iLiGl 

rciueusi  concilio  defiiiiiain  ^.  Hoc  acUnbilo  modercunine  circa  le'^atos 
et  nuncios  opostolicae  Sedis,  ut  curti  oportuerit  eos  apud  aliqueni 
locum  moram  facere  necessariam,  ne  locus  ille  propter  illos  nimium 
aggrai'etur,  procurationes  recipiant  moderatas  ah  aliis  ecclesiis 
vel  personis,  quœ  nondum  juerunt  de  suis  procuralionihus  aggra- 
vatœ  :  ita  quod  numerus  procurationum.  numerum  dierum  quibus 
hujusmodi  moram  fecerint,  non  excédât;  et  cum  aliqua  non  suffe- 
cerit  per  ipsam,  duse  i'el  plures  conjunganlur  in   unani. 

Porro  visitationis  offîcium  exercentes  non  quserant  quas  sua  sunt, 
sed  quœ  Jesu  Christi,  prsedicationi  et  exhortationi,  correctioni 
et  reformalioni  %'acajido,  ut  fructum  référant  qui  non  périt.  Qui 
auteni  contra^enire  prœsumpserit,  et  quod  acceperat  reddat,  et  eccle- 
sise,  quani  taliter  aggraçui'it,  tantumdem  rependat. 

Inséré  d&ns  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  111,  tit.  xxxix,  De  censi- 
6us,  cap.  23. 

Can.  34 

Souvent  des  prélals  ayant  à  payer  des  procurations  ou  au  Ire  service 
à  un  légat  du  pape,  ex'orquent  à  leurs  subordonnés  plus  qu'ils  n'ont 
dû  fournir.  C'est  une  pratique  interdite.  Quiconque  se  rendra  cou- 
pable de  cet  abus  devra  restituer  ce  qu'il  aura  extorqué,  et,  de 
plus,  donner  aux  pau\Tes  une  somme  égale;  son  supérieur  sera  puni 
si,  ayant  reçu  une  plainte  à  ce  sujet,  il  ne  fait  pas  observer  le  présent 
édit. 

Quia  prœlati  plerique,  ul  procurationem  aut  senntium  aliquod 
impendant  legato  vel  alii.  plus  extorquent  a  suhditis  quam  solvant; 
et  in  eorum  damnis  lucra  sectantes,  quserant  prsedam  potius  quam 
subsidium  in  subjectis  :  id  de  cetera  fieri  prohibemus.  Quod  si  quis 
jorte  prœsumpserit  :  et  sic  extorta  restituât,  et  tantumdem  cogatur 
pauperibus  elargiri.  Superior  autem,  cui  super  hoc  fuerit  que- 
rela  deposita,  si  negligens  fuerit  in  hujusjnodi  executione  statuti, 
canonicse  subjaceat  ultioni. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  Ul.  lit.  xlix,  De  inunu- 
nitate   ecclesiarum,  caj).  8. 

Ca.n.  35. 

Un   ne    i>cul,    sans    niolif    sérieux,    cl    axani     luule    sentence,    })orler 
1893]   une  atl'aire  devant   un  juge   supérieur.    Si   on  croit  avoir  des  motifs   de 
faire  appel,   on  les   soumettra  au   juge   (de   première   instance)    et   si   ces 

1.  Quatrième  canon  du  tioislcme  concile  de  Lalran;  cf.  §  Go'i. 

CONCILES   —  V  —   80 


1362  /  LIVRE    XXXV 

motifs  bien  prouvés  sont,  de  telle  nature  qu'on  puisse  légalement  le:: 
considérer  comme  valables,  le  juge  supérieur  décidera  de  la  suite  à 
donner  à  l'appel.  Si  cet  appel  ne  se  trouve  pas  fondé,  il  renverra  l'appe- 
lant devant  le  juge  de  première  instance  et  le  condamnera  aux  frais 
envers  la  partie  adverse  ;  sinon,  il  procédera  lui-même.  I-.e  tout,  sans 
préjudice  des  ordonnances  qui  réservent  les  causie  majores  au  Siège 
apostolique. 

Ui  debilus  lionor  deferatur  judicibufi,  el  lili^cUoribus  consulaLur 
super  laboribus  el  expensis  :  statui?nus  ut  ubi  quis  coratn  idoneo 
judice  com'enerit  ad^ersanum,  ille  ante  sententiam  ad  superiorem 
judicem  absque  ralionabili  causa  non  provocet,  sed  coram  illo^  suam 
justitiam  prosequatur  :  non  obslante  si  dicat  quod  ad  superiorem  judi- 
cem nuncium  deslinaverit,  aut  eliam  lilteras  impetraverit  ab  eodem, 
priusquam  delegato  fuerint  assignatœ.  Cum  autem  ex  rationabili 
causa  putai^erit  appellandum,  coram  eodem  judice  causa  probabili 
appellationis  exposita,  tali  ndelicet,  cpiœ  si  foret  probata,  deberet 
légitima  reputari,  superior  de  appellatione  cognoscut  :  et  si  minus 
eum  rationabililer  appellasse  cognoverit,  illum  ad  inferiorem 
reniitlat,  et  in  expensis  alteri  parti  condemnet.  Alioquin  ipse  pro- 
cédai, saUds  constitutionibus  de  majoribus  causis  ad  Sedem  apo- 
stolicam    perjerendis. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  Il,  lit.  xxviii,  De  appella- 
tionibus,  cap.  59. 


>AN, 


36. 


Si  le  juge  ordinaire  ou  délégué  a  menacé  de   peines  ou  porté   une  sen 
tence  interlocutoire   dont    l'exéciilion    serait    préjudiciable   à   l'une    des 
parties,  et  si,   se  ravisant,  il  laisse  sans  effet  la   menace   ou   la  décision 
interloculoire,  il  pourra  continuer  à  s'occuper  du  procès,  même  si  on  a  fait 
appel  à  l'occasion  de  cette  menace  ou  de  la  sentence  interlocutoire. 

Cum  cessante  causa  cesset  efjectus,  statuimus  ut  sis'e  judex  ordi- 
narius  sive  delegatus,  aliquid  comminando  i'el  interloquendo  pro- 
tulerit,  quo  executioni  mandato  aller  litiganlium  gravaretur,  et  sano 
usas  consilio,  ab  hujusmodi  comminalionis  vel  interloculionis 
efjectu  destiterit,  libère  in  causse  cognilione  procédai,  non  obslante, 
si  a  tali  comminalione  çel  interlocutione  fuerit  appellatum  [dum- 
modo  non  sil  ex  cdia  légitima  causa  suspectus),  ne  processus  negotii 
fri^'olis  occasionibus  retardetur. 

1.  C'est-à-dire  devant  le  juge  en  première  instance. 


G47.     DOUZIÈME    CONCILE     ŒCUMENIQUE  1363 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  II.  lit.  xxviii,  De  appel- 
lationibus,  cap.   60. 

Can.   37. 

Certains  abusent  de  la  bonne  foi  du  Saint-Siège  pour  obtenir  des  lettres 
qui  confient  leur  procès  à  des  juges  éloignés.  Ils  agissent  ainsi  pour 
lasser  leurs  adversaires.  A  l'avenir,  personne  ne  pourra  être  cité  devant 
un  juge  babilant  à  plus  de  deux  jours  de  marche  de  son  diocèse  natal,  à 
moins  que  les  deux  parties  ne  soient  d'accord  sur  ce  point. 

Les  autres  chicanes  et  les  ruses  des  marchands  de  procès  seront  interdites. 

NoniiuUi,  gratia  Sedis  apostolicœ  abutentes,  liiteras  ejus  ad  re- 
motos judices  impelrare  nituntur,  ut  reus  fatigatus  lahorihus  et 
expensis,  liti  cedere,  vel  importunitatem  actoris  redimere  cornpella- 
tur.  Cutn  autem  per  judicium  injuriis  aditus  patere  non  de- 
beat  quas  juris  obseri'antia  interdicit  :  statuimus,  ne  quis  ultra 
duas  disetas  extra  sua  m  diœcesim  per  litteras  apostoUcas  ad  judi- 
cium trahi  possit,  nisi  de  assensu  partium  juerint  impetratoe, 
v'el    expressam    de    hac    constitutione    fecerint    mentionem. 

Sunt  el  (du  qui  se  ad  îujvuin  genus  mercimonii  convertenles,  ut 
vel  sopitas  possint  suscitare  querelas,  aut  novas  immittere  qux- 
sliones,  fingunt  causas,  super  quibus  a  Sede  apostolica  litteras 
impétrant  absque  dominorum  mandato,  cjuas  vel  reo,  ne  propter 
eas  laborum  vel  expensarum  dispendio  molestetur,  aut  actori,  ut 
per  ipsas  adversariuîii  indebita  vexatione  fatiget,  vénales  exponunt. 
Cum  autem  lites  restringendse  sint  potius  quam  laxandse,  hac 
generali  constitutione  sancimus,  ut  si  quis  super  aliqua  quœstione 
de  cetera,  sine  mandato  speciali  domini,  litteras  apostoUcas  impe- 
rare  prsesumpserit,  et  litterse  illse  non  valeant,  et  ipse  tanquam 
falsarius  puniatur  :  nisi  forte  de  illis  personis  extiterit,  a  quibus 
non  débet  exigi  de  jure  mandatum. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lilj.  I,  lit.  m,  De  rescriptisj 
cap.  28. 

Can.  38. 

Tout  juge  devra  faire  dresser  les  actes  complets  du  procès  par  des  personnes 
sûres  et  communiquer  ces  pièces  aux  parties.  C'est  ainsi  que  la  vérité  pourra 
être  reconnue  et  prouvée,  s'il  s'élève  un  conflit  au  sujet  du  jugement  qu'il 
aura   prononcé. 


Quoniam    contra    jalsam    assertiunem    iniqui     judicis     innocens 


13G4  LIVRE    XXXV 

liligalar  quandoque  non  pulesL  s'cvuni  Jiegalionein  probare,  cum 
ne  gant  is  jactnm  per  rerum  naluram  nulla  sit  direcla  probatio  : 
ne  falsitas  verilati  prœjudicel,  aut  iniquitas  prsei>aleat  œquilati, 
statuimus  ut  tani  in  ordmario  judicio,  quam  extraordinario,  judex 
semper  adhibeat  aut  publicam  [si  potest  habere)  personam,  aut  duos 
viros  idoneos,  qui  fidehler  universa  judicii  acta conscribant,  i'ide- 
licet  citationes  et  dilationes,  recusationes  et  exceptiones,  petitiones 
et  responsiones,  interrogatioiies  et  confessiones,  testiurn  depositio- 
nés  et  instrumentorum  productiones,  interlocutiones,  appellationes, 
renunciationes,  conclusiones,  et  cetera  quas  occurrunt  competenti 
ordine  conscribenda,  designando  loca,  tempora  et  personas  :  et 
omnia  sic  conscripta  partibus  tribuantur  :  ita  quod  originalia  pênes 
scriptores  renianeant  :  ut,  si  super  processu  judicis  fuerit  suborta 
contentio,  per  hsec  possit  veritas  declarari.  Hoc  adhibito  modéra- 
mine,  quatenus  sic  honestis  et  discretis  deferatur  judicibus  : 
quod  per  improvidos  et  iniquos,  innocentum  justitia  non  lœdatur. 
Judex  autem  qui  constitutionem  istam  neglexerit  obsen'Cire,  si 
propter  ejus  negligentiam  aliquid  difficullatis  emerserit,  per  supe- 
riorem  judicem  animads'ersione  débita  castigetur  :  nec  pro  ipsius 
prœsumatur  processu,  nisi  quatenus  in  causa  legitimis  constiterit 
documentis. 

Inséré  clans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  II,  lit.  xix,  De  proba- 
tionibus,  cap.  11. 

Can.  39. 

Celui  qui  succède  sciemnicnl  à  uu  injiisle  acquéreur  est  tenu  à 
reslitution  envers  celui  qui  a  été  injustement  dépouillé,  tout  comme  le 
spoliateur. 

Ssepe  contingit  quod  spoliatus  injuste,  per  spoliatorem  in  alium 
re  translata,  dum  adversus  possessorem  non  suh'enilur  per  resti- 
tutionis  beneficium  spoliato,  commodo  possessionis  amisso  propter 
difficultatem  probationis,  jus  proprietatis  amitlit  efjectum.  Unde 
non  obstante  ciç>ilis  juris  rigore  sancimus,  ut  si  quis  de  cetero  scien- 
ter  rem  talem  acceperit,  cum  spoliatori  quasi  succédât  in  iùtium, 
eo  quod  non  multum  intersit,  prœsertim  quoad  periculum  animse 
detinere  injuste  ac  im>adere  alienum,  contra  possessorem  hujusmodi 
spoliato  per  restitutionis  beneficium  succurratur. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  II,  lit.  xiii,  De  resiitu- 
tione  spoliatorum,  cap.  18. 


647.     DOUZIÈME     CONÇU. F.     ŒCUMKMQTK  1365 

Can.  40. 

Il  arrive  souvent  que  lo  ilemandeur  à  qui  le  juge,  pour  punir  la 
contumace  du  défendeur,  a  allribuc  la  possession  de  l'objet  litigieux, 
ne  peut,  durant  une  année  entière,  entrer  en  possession  par  suite  de  la 
violence  du  défendeur  ou  de  son  astuce,  si  bien  que  ses  droits,  de  l'avis  de 
certains,  disparaissent  par  suite  de  la  prescription.  Afin  que  la  condition 
du  défaillant  ne  soit  pas  meilleure  que  celle  de  celui  qui  s'est  montré  do- 
cile, nous  ordonnons  que  le  plaignant  obtiendra  la  remise  de  l'objet  même 
après  le  délai  d'un  an. 

Défense  de  faire  un  laïque  compromissaire  sur  des    affaires  spirituelles. 

Contingit  interdum.  quod  cum  actori  oh  contumaciam  partis 
adverScB  adjxidicatur  causa  rei  servandse  possessio,  propter  rei 
potentiam  si(,'e  dolum  actor  infra  annuin  rem  custodiendam  nancisci 
non  potest,  vel  nactam  amittit  :  et  sic  cum  secundum  assertionem 
multorum  verus  non  efficeretur  post  lapsum  ctnni  possessor,  repor- 
tât commodum  de  malitia  sua  reus.  Ne  igitur  contumax  melioris, 
quamohediens,  conditionis  existât:  de  canonica  sequitate  sancimus, 
ut  in  casu  prsemisso  actor  verus  constituatur  elapso  anno  possessor. 

Ad  hsec  geîieraliter  prohibemus  ne  super  rébus  spiritualibus  com- 
promittatur  in  laicum  :  quia  non  decet  ut  laicus  in  talibus  arbi- 
tretur. 

Inséré  dans  le   Corpus  jur.   can.,   lib.     II,    tit.    xiv,    De  dolo, 
cap.  9,  et  lib.  I,  tit.  xliii,  De  arbitris,  cap.  8. 

Can.  41. 

Aucune  prescription  n'aura  de  valeur  si  elle  n'est  accompagnée  de   la 
bonne  foi. 

Quoniam  omne  quod  non  est  ex  fide,  peccatum  est,  synodali  judi- 
cio  definimus,  ut  nuUa  çaleat  absque  hona  fide  prsescriptio,  tam  cano- 
nica,  quam  civilis;  cum  sit  generaliier  omni  constitutioni  atque 
consuetudini  derogandum,  quœ  absque  mortali  non  potest  obser- 
vari  peccato.  Unde  oportet,  ut  qui  prœscribit,  in  nulla  temporis 
parte  rei  habeat  conscientiam   aliénée. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  II,  tit.  xxvi,  De  prœ- 
script.,  cap.  20. 


1366 


LIVRE    XXXV 


Can.  42. 


Aucun  clerc  ne  pourra  ctendrc  sa  juridiction  au  préjudice   d'un  juge 
séculier. 

Sicui  vohiiniis  lit  jura  chricorum  non  usurpent  laici,  ita  velle 
dehemus  ne  clerici  jura  sihi  vindicent  laicorum.  Quocirca  iinù>ersis 
clericis  interdicimus,  ne  quis  prœteatu  ecclesiasticse  lihertalis  suarn 
de  cetera  jurisdictionem  extendat  in  prœjudicium  justitice  ssecu- 
laris,  sed  contentus  existât  constitutionibus  scriptis.  et  consuetu- 
dinihus  liactenus  approbatis  :  ut  quœ  sunt  Cœsaris,  reddantur 
Csesari;    et  quœ  sunt  Dei,  Deo  recta  distributione  reddantur. 

Can.  43. 

Les  clercs  ne  pourront  prêter  le  serment  de  fidélité  à  un  laïc  dont 
ils  ne  détiennent    pas  de  biens  temporels. 

Nimis  de  jure  divino  quidam  laici  usurpare  conantur,  cum  inros 
ecclesiasticos,  nihil  temporale  detinentes  ab  eis,  ad  prœstandum  sibi 
fidelitatis  juramenta  compellunt.  Quia  vero,  secundum  aposto- 
lum,  servus  suo  domino  slat  aut  cadit,  sacri  authoritate  concilii 
prohibemus,  ne  taies  clerici  personis  sœcularibus  prsestare  cogan- 
tur  liujusmodi  juramentum. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  II,  lit.  xxiv,  De  jure- 
juvando,  cop.  30 

Can.  44. 

Les  actes  des  laïcs  même  pieux  concernant  l'aliénation  des  fiefs  et 
des  autres  possessions  des  églises,  etc.,  sont  sans  valeur  aux  yeux  de 
l'Église. 

Cum  laicis,  quamçis  religiosis,  disponendi  de  rébus  ecclesiasti- 
cis  nulla  sit  attributa  potestas,  quos  subsequendi  manet  nécessitas, 
non  authoritas  imperandi  :  dolemus  sic  in  quibusdam  ex  illis  refri- 
gescere  caritatem,  quod  immunitatem  ecclesiasticse  libertatis,  quam 
nedum  sancti  patres,  sed  etiam  principes  sœculares  multis  j:)ri- 
i'ilegiis  munierunt,  non  formidant  suis  constitutionibus,  vel 
potius  confictionibus  impugnare,  non  solum  de  feudoruin  cdiena- 
tione,  ac  aliarum  possessionuin  ecclesiasticarum,  et  usurpatione 
jurisdictionum,  sed  etiam  de  mortuariis,  nec  non  et  aliis  quse  spiri- 
tuali  juri  videntur  annexa,  illicite  prsesumendo.  Volentes  igitur 
super  his  ecclesiarum  indemnitati  consulere,  ac  tantis  gravaminibus 


G47.    DOUZIÈME    CONCILE    ŒCUMENIQUE  1367 

proi'idere  :  constitutiones  hujusmodi  et  vindicationes  feudorum, 
seu  aliorum  bonorinn  ecclesiasticorum,  sine  légitima  ecclesiasti- 
cariivi  personarum  assetisu  prsesumptas  occasione  constitutionis 
laicse  potestatis  {cum  non  constitutio,  sed  destitutio  vel  destructio 
dici  possit,  nec  non  usurpatio  jurisdictionum)  sacri  approbatione 
concilii  decernimus  non  tenere,  prœsumptoribus  per  censuram 
ecclesiasticam  compescendis. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  III,  tit.  xiii,  De  rébus 
écoles,  alienandis.  cap.    12. 

Can.  45. 

Les  patrons  des  églises,  les  vidâmes,  les  avocats  cesseront  de  molester 
les  églises,  d'usurper  sur  leurs  droits,  etc.. 

S'ils  mettent  à  mort  ou  nuililent  un  clerc  de  leurs  églises,  par  eux- 
mêmes  ou  par  d'autres,  le  patron,  l'avocat,  le  vassal,  le  vidame  perdront 
leurs  droit  eu  charge...  Leurs  héritiers  seront  déchus  de  ces  mêmes 
charges  ;  de  plus,  jusqu'à  la  quatrième  génération,  leurs  descendants  ne 
pourront  devenir  ni  clercs  cans  une  église  séculière  ni  prélats  dans  un 
monastère. 

In  quibusdam  provinciis  ecclesiarum  patroni,  seu  vicedomini, 
et  advocati  se  in  tantam  insolentiam  erexerunt,  quod  non  soluin, 
cum  vacantibus  débet  ecclesiis  de  pastoribus  idoneis  provideri, 
difficultates  ingerunt,  et  malitias  :  i'erum  etiam  de  possessionibus 
et  aliis  bonis  ecclesiasticis  pro  sua  i'ohintate  ordinare  prsesumunt, 
et  [quod  horrendum  est  dicere)  in  necem  prœlatorum  prorumpere 
non  jormidant.  Cum  igitur  quod  ad  defensionis  subsidium  est 
inventum,  ad  depressionis  dispendium  non  debeat  retorqueri  : 
prohibemus  expresse,  ne  patroni,  vel  adi'ocati,  seu  i'icedomini, 
super  prœmissis  de  cetero  plus  usurpent,  quam  reperiatur,  in  jure, 
permissum  :  et,  si  contra  praesumpserint,  districtissime  per  se^>eri- 
tatem  canonicam  compescantur.  Sacri  nihilominus  concilii  appro- 
batione statuimus,  quatenus  si  patroni,  vel  advocati,  aut  feudatarii, 
seu  vicedomini,  seu  alii  beneficiati,  alicujus  ecclesise  rectorem,  <^'el 
clericum  alium  ipsius  ecclesise,  per  se  vel  per  cdios  occidere  vel 
mutilare  ausu  nefando  prsesumpserint  :  patroni  jus  patronatus, 
advocati  beneficium  prorsus  amittant.  Et  ne  minus  vindictes  quam 
excessus  memoria  prorogetur  :  non  solum  de  prœmissis  nil  perve- 
niat  ad  heredes,  sed  etiam  usque  ad  quartam  generationem  posteri- 
tates  talium  in  clericorum  collegium  nullatenus  admittantur,  nec 
in  regularibus  domibus  alicujus  prcclationis  assequantur  honorem, 
nisi  cum  eis  fuerit  misericorditer  dispensatum. 


1368  LIVRE    XXXV 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.    can.,  lil).  V,  tit.   xxxvii,  De  pœnis^ 
cap.  12. 

Can.  46. 

Le  troisième  concile  de  Latran  (can.  19)  a  défendu  aux  laïcs,  sous  peine 
d'excommunication,  d'imposer  des  redevances  aux  clercs.  Toutefois,  si  un 
évêque,  conjointement  avec  son  clergé,  reconnaît  que  pour  im  service  public 
les  subsides  des  laïcs  ne  sont  pas  suffisants  et  qu'il  est  juste  d'y  faire 
participer  Tcglise  par  l'attribution  d'un  secours  en  argent,  les  laïcs 
pourront  accepter  ce  secours  volontaire  :  cependant  le  pape,  auquel  il  appar- 
tient de  s'occuper  de  toutes  les  questions,  devra  être  consulté  à  ce  sujet. 

Toutes  les  prescriptions,  tous  les  ordres  donnés  par  quiconque  aura  été 
excommunié  à  cause  d'impôts  dont  il  aura  frappé  les  églises,  seront  consi- 
dérés comme  nuls.  L'excommunication  continue  à  peser  sur  le  fonction- 
naire après  le  temps  de  sa  cbarge;  mais  elle  atteindra  aussi  son  suc- 
cesseur, s'il  ne  satisfait  pas  dans  le  mois,  car  celui  qui  succède  à  quel- 
qu'un dans  un  emploi  lui  succède  aussi  dans  ses  obligations. 

Adf^ei'sus  consules  ac  redores  civitaium,  et  alios  qui  ecclesias  et 
viros  ecclesiasticos  tolliis  seu  coîlectis  et  eaactionibus  aliis  aggra- 
vare  iiituntur,  volens  immunitati  ecclesiasticse  Lateranense  conci- 
lium  ^  proi^idere,  prsesumptionem  hujusmodi  sub  anathematis  distri- 
ctione  prohihuit  :  transgressores  et  fautores  eorum  excommunica- 
tionis  prsecipiens  subjacere,  donec  satisjactionem  impendant  com- 
petentetn. 

Verum  si  quando  jorsan  episcopus  sirnul  cum  clericis  tantam 
necessitatem  vel  utilitatem  prospexerint,  ut  absque  uUa  coactione, 
ad  relevandas  utilitates  vel  nécessitâtes  communes,  ubi  laicorum 
non  suppetunt  facultates,  subsidia  per  ecclesias  duxerint  confe- 
renda  :  prxdicti  laici  humiliter  et  décote  recipiant  cum  actionibus 
gratiarum.  Propter  imprudentiam  tamen  quorumdam  romanum 
prius  consulant  pontificem,  cujus  interesl  communibus  utilitati- 
bus  proi'idere. 

Quoniam  vero  nec  sic  quorumdam  malitia  contra  Dei  Ecclesiam 
conquievit  :  adjicimus,  ut  constitution  es  et  sententise  quœ  ab  excom- 
municatis  hujusmodi,  vel  de  ipsorum  mondato,  fuerint  promul- 
gatse^  mânes  et  irritas  habeantur,  nuUo  unquam  tempore  valiturse. 

Ceterum  quia  jraus  et  dolus  alicui  patrocinari  non  debent  : 
nullus  vano  decipiatur  errore,  ut  injra  tempus  regiminis  sustineat 

1.  Can.  19  du  troisième  concile  de  Latran;  cf.  S  634, 


eW.     DOrziÈ-VIE     COXCIT.E     ŒCUMENIQUE  1369 

anathema,  quasi  post  iUud  non  sil  ad  sadsfactionem  debilam 
compeUendns.  JSom  et  ipsum  qui  satisjacere  recusaverit,  et  succes- 
sorem  i psi  us,  si  non  satisfecerit  injra  uiensem,  manere  decernimus 
ecclesiastica  eensura  conclusuîn,  donec  satisfecerit  competenter  : 
cum  succédât  in  onere  qui  suhstituitur  in  honore. 

Inséré  dans  le  Corpus  jiir.  can.,  lib.  III,  lit.  xlix,  De  immu- 
nitate  eccles.,  cap.  7. 

Can.  47. 

On  ne  procédera  pas  à  une  excommunication  sans  monition  préalable 
faite  devant  témoins.  Celui  qui  manquerait  à  cette  prescription,  même 
si  la  sentence  d'excommunication  est  justifiée,  se  verra  interdire  l'entrée 
de  l'église  pendant  un  mois.  On  ne  portera  de  sentence  d'excommunication 
[895]  que  pour  des  motifs  certains  et  fondés;  si  cependant  une  sentence  injustifiée 
a  été  prononcée  et  que  celui  qui  l'a  prononcée  ne  veut  pas  la  retirer, 
l'excommunié  pourra  se  plaindre  au  juge  supérieur;  si  le  temps  le 
permet,  celui-ci  renverra  le  plaignant  à  son  prélat  avec  mandat  de 
l'absoudre  dans  un  délai  fixé.  Dans  les  cas  pressants,  le  juge  supé- 
rieur absoudra  lui-même. 

Celui  qui  aura  prononcé  sans  motif  valable  une  sentence  d'excommu- 
nication devra  dédommager  l'excommunié,  et  sera  puni  dans  la 
mesure  convenable  par  le  juge  supérieur;  de  même  celui  qui  aura  sou- 
levé à  la  légère  une  plainte  contre  une  sentence  d'excommunication 
pleinement  justifiée.  Ce  qu'il  faut  faire  quand  le  premier  juge  reconnaît 
son  erreur,  tandis  que  celui  qui  a  été  frappé  à  tort  persiste  à  exiger  satis- 
faction. 

Sacro  approhante  concilio  prohihemus,  ne  quis  in  aliquem  excom- 
municationis  sententiam .  nisi  competenti  commonitione  prseniissa, 
et  prsesentihus  idoneis  personis,  per  quas,  si  necesse  fuerit,  possit 
probari  monitio,  promulgare  prsesumat.  Quod  si  quis  contra  prse- 
sumpserit,  etiamsi  justa  fuerit  eacomniunicationis  sententia,  in- 
gressum  ecclesise  per  mensem  ununi  sihi  noverit  interdictum  :  alia 
7iihilo  jninus  pana  mulctandus,  si  visum  fuerit  expedire. 

Caveat  etiam  diligenter,  ne  ad  excommunicationem  cujusquam 
ahsque  manifesta  et  rationabili  causa  procédât  :  ad  quam  si  forte 
taliter  processerit,  et  requisitus  humiliter,  processuni  hujusmodi 
non  curaverit  absque  gravamine  revocare  :  gravatus  apud  supe- 
riorein  deponat  de  infusta  excommunicatione  querelam  :  quod  si 
absque  periculo  morse  potesf,  ad  excommunicatorem  illum  cum 
sua  mandata  remiitat,  infra  competentem  terminum  absohendum  : 


1370  LIVRE    XXXV 

aUoquin  ipse  per  se,  vel  per  alium,  prout  viderit  expedire,   sufficienti 
cautione  recepta,  munus  ei  absolutionis  impendat. 

Clinique  adversus  excommunicatorem  de  injusta  excommunica- 
tione  constiterit,  excommunicator  condemnetur  excommunicato  ad 
interesse;  alias  nihilo  minus,  si  culpse  qualitas  postulaverit,  supe- 
rioris  arhitrio  puniendus  :  cum  non  levis  sit  culpa  tantam  infli- 
gere  pœnam  insonii,  nisi  forsan  erraçerit  ex  causa  probabili,  ma- 
xime si  laudabilis  opinionis  existât. 

Verum  si  contra  excommunicationis  sententiam  nihil  rationabile 
juerit  a  conquerente  probatum  :  idem  et  super  injusta  conquestio- 
nis  molestia  pœnam  ad  interesse,  vel  alias  secundum  superioris 
arbitrium,  condemnetur,  nisi  forsan  et  ipsum  probabilis  error 
excuset  :  et  super  eo,  pro  quo  justa  juerit  excommunicatione  liga- 
tus,  per  cautionem  receptam  satisfacere  compellatur,  vel  in  pri- 
stinam  reducatur  sententiam,  usque  ad  satisfactionem  condignam 
inviolabiliter  observandam. 

Si  vero  judex  suum  recognoscens  errorem,  paratus  sit  talem  re<^o- 
care  sententiam,  et  is,  pro  quo  lata  juerit,  ne  absque  satisjactione 
rei'ocet  illam,  appellet  :  appellationi  non  dejerat  in  hac  parte,  nisi 
talis  sit  error,  de  quo  merito  possit  dubitari  :  et  tune,  sufficienti 
cautione  recepta  quod  coram  eo,  ad  quem  extitit  appellatum,  dele- 
gato  ab  ipso,  juri  parebit,  excommunicatum  absoU>at,  sicque  pœnse 
prœscriptse  minime  subjacebit  :  cavens  omnino,  ne  voluntate  per- 
versa  in  alterius  prœjudicium  mentiatur  errorem,  si  disinctiotiis 
canonicse    vult    efjugere    ultionem. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  eau.,  lib.  V,  lit.  xxxix,  De  sen- 
tentia  excom.,    cap.  48. 

Can.  48. 

Celui  qui  veut  récuser  un  juge  comme  suspect  devra  en  indiquer  le 
motif;  Texamen  en  sera  confié  à  des  arbitres.  Si  le  motif  allégué  est 
sans  valeur,  l'aiïiare  sera  reprise  par  le  même  juge;  s'il  est  valable  et 
prouvé,  la  cause  sera  déférée  à  un  juge  délégué  ou  à  un  juge  supérieur. 
Quant  à  l'appel,  s'il  est  évidemment  injustifié,  il  n'aura  aucune  suite. 
Si  le  motif  en  esl  au  moins  plausible,  l'appelant  sera  admis  à  en  faire 
la  preuve,  et  le  juge  supérieur  portera  sa  sentence:  si  la  preuve  n'est 
pas  faite,  il  renverra  l'appelant  devant  le  juge  inférieur.  Ces  prescriptions 
ne  s'appliquent  pas  aux  moines. 

Cum  speciali  sit  prohibitione  proinsum,  ne  quis  iji  aliquem  ex- 


647.     DOUZIÈME    CONCILE    ŒCUMENIQUE  1371 

conimitnicationis   sententiam.    nisi   competenti   commonitione   prœ- 
missa,   promulgare  prsesumat  ;  volentes    etiam    providere,   ne  forte 
commonitus,    frustratoriss    recusationis     vel    appellationis    obtentu, 
moneiitis    decUnare  possit  examen  :  statidmiis,   quod  si    allegaverit, 
se  judlceni  hohere  suspectum,  coram  eodem  caiisam  justse  suspicionis 
assignet.  Et  ipse  cum  adversario,  vel,  si  forte  adversarium  non  habeat, 
cil  m  jitdice,  arbitros  communiter  eligat;    aut,  si    forte  communiter 
com'enire   non  possunt,   eligant  absque   malitia    ipse   ununi  et  ille 
aliiim,  qui  de  suspicionis  causa  eognoscant  :    et  si    nequii'erint    in 
unam   concordare   sententiam,    advocent   tertium,     ut   quod   duo   ex 
ipsis  decreverint,  robur  ohtineat  firmitatis.    Sciant  quoque  se  ad  id 
fideliter   exequendum,    ex   injuncto    a    nobis    in   virtute    obedientise, 
sub  attestatione  divini  judicii  districto  prœcepto,  teneri.  Causa  vero 
suspicionis    légitima    coram    ipsis    infra     competentem    terminum 
non  probata,  sua  jurisdictione  judex  utatur.    At  ipsa  probata  légi- 
time,  de  recusatoris   assensu  personse  idoneœ    committat  negotium 
recusatus,  vel  ad  superiorem  transmittat,  ut  in   eo  ipse  procédât  se- 
cundum    quod    fuerit    procedendum. 

Porro  commonito  ad  appellationem  consolante,  si  ejus  excessus, 
evidentia  rei,  vel  ipsius  conjessione,  aut  alio  modo  légitime  fuerit 
manifestatus,  cum  appellationis  remedium  non  sit  ad  defensionem 
iniquitatis,  sed  in  prsesidium  innocentise  institutum,  non  est  provo- 
cationi  hujusmodi  deferendum.  Excessu  quoque  dubio  existente, 
ne  frivolse  appellationis  difjugio  appellans  judicis  processum  im- 
pediat,  coram  eodem  probabilem  causam  appellationis  exponat, 
talem  videlicet,  quse  si  foret  probata,  deberet  légitima  reputari. 
Et  tune,  si  habuerit  adversarium,  infra  terminum,  secundum  loco^ 
rum  distantiam,  et  temporis  qualitatem,  et  naturam  negotii,  ah 
eodem  fudice  moderandum,  appellationis  causam  prosequatur  : 
quam  si  prosequi  non  curaverit,  extunc  ipse  judex,  non  obstante 
appellatione,  procédât.  Nullo  autem  adversario  comparente,  cum 
ex  suo  judex  procédât  officio,  appellationis  causa  coram  superiore 
probata,  superior  suœ  jurisdictionis  officium  exequatur.  Sed  si 
appellans  in  ejus  probatione  defecerit,  ad  eiim,  a  qiio  ipsiim  mali- 
tiose    appellasse    constiterit,    remittatur. 

Ceterum  has  diias  constitutiones  prsemissas,   noliuniis  ad  regu- 
lares  extendi,  qui  suas  habent  observantias  spéciales. 

Inséré   dans  le  Corpus  jur.  can.,   lib.   Il,  tit.    xxviii,Z)e  appel- 
lat.,   cap.  61.  Cf.  supra,  can.   25. 


1372  livre   xxxv 

Can.  49. 

Défense  slricle  de  porter  ou  de  lever  une  excommunication  pour  de 
l'argent,  sur  ton  I  dans  les  contrées  où  c'est  1  usage  de  frapper  d'une 
peine  pécuniaire  celui  qu'on  relève  de  l'excommunication.  Si  l'excommu- 
nication est  injuslifiée,  celui  qui  l'a  portée  devra  rendre  l'argent  extor- 
qué et   verser  autant  à  l'innocent. 

Sub  inlerminalione  divini  judicii  penitus  interdicimus,  ut  causa 
cupiditatis  Jiullus  audeat  excommunicationis  çinculo  aliquem  inno- 
dare,  vel  absolvere  innodatum  :  in  illis  maorime  regionibus,  in  quibus 
ex  consuetudine,  cum  excommunicatus  absolvitur,  pecuniaria  pœna 
mulclatur  :  statuentes  ut  cum  excommunicationis  sententiam  in- 
justam  fuisse  constiterit,  excommunicator  ad  restituendam.  pecu- 
niam  sic  extortam  per  censuram  ecclesiasticam  compellatur  :  et, 
nisi  probabili  fuerit  errore  deceptus,  tantumdem  injuriam  passo 
persohat  :  et,  si  forte  soh'endo  non  fuerit,  animadi'ersione  alia 
castigelur. 

Can.   50. 

Est  supprimée  l'interdiction  de  contracter  mariage  en  raison   de  l' affi- 
nité du  second  et  du    troisième    genre;    de   même  la   loi   qui  interdit  le 
mariage  entre  les  enfants  d'un  second  lit  et  les  parents  du  premier  mari 
de  leur  mère.  L'empêchement  de  mariage  pour  consanguinité   et  affinité 
est  restreint  aux  quatre   premiers  degrés. 

Non  débet  reprehensibile  judicari,  si  secundum  i>arietatem  tem- 
porum  statuta  quandoque  varientur  humana,  prsesertim  cum  urgens 
nécessitas  i>el  evidens  utilitas  id  exposcit  :  quoniam  ipse  Deus  ex 
iis,  quse  in  Veteri  Testamento  statuerai,  nonnuîla  muta^'itin  Noi'o. 

Cum  igitur  prohibitiones  de  conjugio  in  secundo  et  tertio  affi- 
nitatis  génère  minime  contrahendo,  et  de  sobole  suscepta  ex  secundis 
nuptiis  cognationi  viri  non  copulanda  prioris,  et  difficultalem  fré- 
quenter inducant,  et  aliquando  periculum  pariant  animarum  :  ut 
cessante  prohibitione  cesset  effectus,  constitutiones  super  hoc  éditas, 
sacri  approbatione  concilii  revocantes,  prœsenti  constitutione  decer- 
nimus,  ut  sic  contrahentes  de  cetera  libère  copulentur. 

Prohibitio  quoque  copulœ  conjugalis  quartum  consanguinitatis 
et  affînitatis  gradum  de  cetera  non  excédât  :  quoniam  in  ulterio- 
ribus  gradibus  fam  non  potest  absque  gravi  dispendio  hujusmodi 
prohibitio  generaliter  observari.  Quaternarius  enim  numerus  bene 
congruit  prohibilioni   conjugii   corporalis.   de  quo    dicit    apostolus 


G47.      DOUZIÈME    CONCILE     ŒCUMENIQUE  1373 

qiiod  vir  iioii  liuJjel   jiulL'sla'.cni  sui  curpoiis,  scd  iiiulier  :  neque 
niulier  habct  poteslatem  sui  corporis,  sed  vir  :  quia  quatuor  sunt 
humores    in     corpore,    quod   constat   ex   quatuor   elementis. 

Inséré  dans  le  Corpus  jiir.  can.,  lib.  IV,  tit.  xiv,  De  consan- 
guinitate,  cap.  8. 

Can.  51. 

Les  mariages  clandestins  sont  interdits,  aucun  prêtre  ne  pourra  s'y 
[ggo]  prêter.  Tout  mariage  projeté  devra  auparavant  être  publiquement  annoncé 
dans  l'église  par  le  prêtre,  a^  ec  indication  d'un  délai  pour  faire  con- 
naître les  empêchements.  Les  prêtres  devront  eux-mêmes  s'informer  s'il 
n'existe  aucun  empêchement. 

Si  un  mariage  clandestin  a  été  contracté  à  un  degré  pidliibé,  les  enfants 
issus  de  ce  mariage  seront  considérés  comme  illégitimes,  même  si  les 
contractants  étaient  de  bonne  foi.  11  en  sera  de  même  si  deux  personnes 
se  sachant  liées  par  un  empêchement  ont  néanmoins  contracté  mariage 
en  face  de  l'Eglise. 

Le  curé  qui  ne  s'opposera  pas  à  de  pareilles  unions,  le  clerc,  même 
régulier,  qui  s'y  prêtera,  seront  suspendus  ab  officia  pendant  trois  ans,  et 
même  punis  plus  sévèrement  s'il  y  a  lieu.  Celui  qui  contractera  un 
mariage  clandestin,  même  aux  degrés  autorisés,  sera  soumis  à  une 
pénitence.  Sera  également  puni  celui  qui,  pour  empêcher  une  union  per- 
mise,  fera  opposition  par  malice. 

Cum  ergo  jam  usque  ad  quartum  gradum  prohibitio  conjugalis 
copulae  sit  restricta  :  eam  ita  esse  çolumus  perpetuam,  non  obstan- 
tibus  constitutionibus  super  hoc  dudum  editis,  çel  ab  aliis,  vel  a 
nabis,  ut  si  qui  contra  prohibitionem  hujusmodi  prsesumpserint 
copulari,  nulla  longinquitate  defendantur  annorum  :  cum  diutur- 
nitas  temporum  non  minuat  peccatuni,  sed  augeat;  tantoque  gra- 
viora  sint  crimina,  quanto  diutius  infelicem  detinent  animam  cdli- 
gatam. 

Cum  inhibitio  copulœ  conjugalis  sit  in  tribus  ultifuis  gradibus 
revocata  :  eam  in  aliis  volumus  districte  observari.  Unde  prsedeces- 
sorum  nostrorum  inhœrendo  vestigiis,  clandestina  conjugia  penitus 
inhibemus  :  prohibentes  etiam  ne  quis  sacerdos  talibus  interesse 
prsesumat.  Quare  specialem  quorumdam  locorum  consuetudinem 
ad  alia  generaliter  prorogando,  statuimus.  ut,  cum  matrimonia 
fuerinl  contrahenda,  in  ecclesiis  per  presbyteros  publiée  propo- 
nantur,  competenti  termina  prœfinito,  ut  infra  illum,  qui  çoluerit 
et  valuerit,  legitimum  impedimenlum  opponat.  Et  ipsi  presbyteri 
nihilominus    im>estigent,    utrutn    alicjuod    impedimentum   obsistat. 


1374 


LIVRE     XXXV 


Cum  autem  prohabilis  apparueril  conjectura  contra  copulani  con- 
trahendam,  contracliifi  inlerdicatur  expresse,  donec  quid  fieri 
deheat  super  eo,    manijestls  constiierit  docunientis. 

Si  quis  vero  hujusinodi  clandeslina  vel  interdicta  conjugia  inire 
prœsumpserit  in  gradu  prohihito,  etiani  ignoranter  :  soholes  de 
tali  conjunctione  suscepla,  prorsus  illegitima  censeatur,  de  paren- 
iuni  ignorantia  nulluin  habitura  suhsidium,  cum  illi  taliler  con- 
traJiendo  non  expertes  scientiœ,  vel  saltem  afjectatores  ignorantise, 
videantur.  Pari  modo  illegitima  proies  censeatur,  si  amho  parentes, 
impedimentum  scientes  legitimum,  prœter  omne  interdictum  in 
conspeclu  Ecclesise  contrahere    prœsumpserint. 

Sane  parochialis  sacerdos  qui  taies  conjunctiones  prohibere  con- 
tempserit,  aut  quilibet  etiam  regularis  qui  eis  prœsumpserit  inter- 
esse, per  triennium  ab  officia  suspendatur,  gravius  puniendus, 
si  culpx  qualitas  postulaverit.  Sed  et  iis,  qui  tcditer  copulari  prse- 
sumpserint,  etiam  in  gradu  concesso,  condigna  pœnitentia  injun- 
gatur.  Si  quis  autem  ad  impediendam  legitimum  copulam  mali- 
tiose  impedimentum  objecerit,  ecclesiasticam  non  efjugiet  uhionem. 

Ijiséré  tiaiis  le  Corpus  jur.  caii.,  liJ).  l\  ,  liu  ni,  De  clandest, 
despons.,  cap.  3, 

Can.  52. 

Jusqu'à  ce  jour,  ou  adineUail,  pour  prouver  les  degrés  de  ])arcuLc  ou 
d'alliance,  des  témoins  informés  seulement  par  ouï-dire,  car  il  est  difii- 
cile  d'avoir  des  témoins  directement  informes  de  la  parenté  jusqu'au 
septième  degré.  Mais  il  en  est  résulté  de  gra\es  dommages  pour  des 
unions  légitimes;  c'est  pourquoi,  maintenant  que  l'interdiction  a  élé 
restreinte  au  quatrième  degré,  nous  défendons  de  recevoir  des  témoignages 
de  auditu,  à  moins  qu'il  ne  s'agisse  de  personnes  graves,  dignes  de 
créance,  tenant  leur  information  de  plusieurs  personnes  décédées  parfai- 
tement dignes  de  foi. 

De  plus,  ces  personnes  devront  affirmer  par  semnent  qu'elles  n'agissent 
ni  par  haine,  ni  par  crainte,  ni  par  afl'eclion,  ni  par  intérêt;  indiquer 
exactement  les  auteurs  de  leurs  infonuations  et  le  i!egré  de  la  parenté; 
conclure  en  affirmant  que  telle  osl  leur  conviction.  Mieux  vaut  laisser 
des  gens  unis  à  l'encontre  dcî  lois  humaines,  que  de  les  séparer  à 
rencontre  des  lois  de  Dieu. 

Licet  ex  quadam  necessitate  prseter  communem  jormam  alias  fuerii 

institutum,    ut   in   consanguinitatis   et   affinitatis   gradibus   compu- 

landis  valeret  tcslimonium  de  auditu,  cum  propter  brevem  hominum 


647.    DOUZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1375 

ritam  testes  de  visu  deponere  non  valerent  usque  ad  gradum  septimum 
computando ;  quia  tamen  plurihus  exemplis  et  certis  experimentis 
didicinius,  ex  hoc  multa  pericula  contra  légitima  conjugia  prove- 
nisse,  statuinius  ne  super  hoc  recipiantur  testes  de  cetera  de  au- 
ditu,  cuin  jain  quartuni  gradum  prohihitio  non  excédai  :  nisi 
personne  grai>es  extiterint  quibus  fides  merito  sil  adhibenda,  et  unie 
motain  litein  testificata  didicerint  ah  antiquiorihus  quidem  suis, 
non  utique  uno.  cu)n  non  sufficerel  ille,  si  viveret,  sed  duohus  ad 
minus:  nec  ah  infamibus  et  suspectis,  sed  a  fide  dignis,  et  omni 
exceptione  majorihus  :  cuiu  satis  K'ideretur  absurdum,  illos  admitti 
quorum  repeUerentur  authores.  Nec  tamen  si  ujius  a  pluribus, 
vel  infamis  ah  hominibus  bonœ  jamse  acceperint  quod  testentur  : 
tanquam  plures  et  idonei  testes  debent  admitti  :  cum  etiam  secundum 
solitum  ordinem  judicioru?n,  non  sufficiat  unius  testis  assertio, 
etiamsi  prœsidaJi  dignitate  prsefulgeat.  et  actus  legitimi  sint  infa- 
mibus   interdicti. 

Testes  autem  hujusmodi,  proprio  juramento  firniantes,  quod  ad 
ferendum  in  causa  ipsa  testimonium,  odio,  vel  timoré,  vel  amore, 
vel  comriiodo  non  procédant,  personas  expressis  nominibus,  vel 
demonstratione,  sive  circumlocutione  sufpcienti,  désignent,  et  ah 
utroque  latere  clara  computatione  gradus  singidos  distinguant  : 
et  in  suo  nihilominus  juramento  concludant,  se  accepisse  a  suis 
majorihus  quod  deponunt,  et  credere  ita  esse.  Sed  nec  taies  sufjîciant, 
nisi  jiirati  deponant,  se  vidisse  personas  saltem  in  uno  prsedicto- 
rum  graduum  constitutas  pro  consanguineis  se  habere.  Tolerahilius 
est  enim  aliquos  contra  statuta  hominum  copulatos  dimittere,  quam 
conjunctos  légitime  contra  statuta  Domini  separare. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  II.  tit.  xx,  De  testibus, 
cap.  47. 

Can.  53. 

Dans  certaines  contrées  résident  des  chrétiens  de  diverses  races  (sur- 
tout des  Grecs)  qui,  d'après  les  usages  établis,  ne  paient  pas  la  dîme. 
Certains  propriétaires  fonciers  leur  donnent  à  cultiver  leurs  propres  biens 
pour  se  dispenser  de  payer  la  dîme  à  l'Eglise.  A  l'avenir,  dans  ce  cas,  la 
dîme  devra  être  payée. 

In  aliquihus  regionibus  qusedam  perinixtœ  sunt  génies,  quse  se- 
cundum suos  ritus  décimas  de  more  non  solvunt,  quamvis  censean- 


1376 


LIVRE     XXXV 


tur  nomine  christiano.  Ilis  nonnuUi  duiitini  prœdiorumea  trihuunt 
excolenda,  ut  decimis  defraudantes  ecclesias,  majores  inde  reditus 
assequanlur.  Volentes  igitur  super  lus  ecclesiarum  indemnitatihus 
procidere,  statuimus  ut  ipsi  dominl  talibus  personis,  et  taliter, 
sua  prsedia  excolenda  committant,  quod  absque  contradictione 
décimas  ecclesiis  cum  integritate  persohant,  et  ad  id,  si  necesse 
fuerit,  per  censuram.  ecclesiasticam  compellanlur.  Jllse  quippe 
decimse  necessario  sunt  solvendsc,  quse  debentur  ex  lege  di^'ina, 
vel  loci  consuetudine  approbala. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  III,  liL.  xxx,  De  decimis, 
cap,  32. 

Can.  54. 
On  devra  prélever  la  diuic  avant  tout  autre  cens,  impôt  ou  redevance. 

Cu7n  7?on  sH  m  homine  quod  semen  serenli  respondeat,  quoniam 
juxla  verbu}n  apostoli  :  Nequc  qui  plantât  est  aliquid,  neque  qui 
rigat,  sed  qui  incrementum  dat  Deus  :  ipso  quidem  de  mortificato 
semine  plurimum  fructum  afférente  :  nimis  ai'are  in  decimis  qui- 
dam defraudare  nituntur,  census  et  tribula,  quse  interdum 
indecimata  prxtereuntur,  de  frugibus  et  primitiis  educentes.  Cum 
autem  in  signum  universalis  dominii,  quasi  quodam  iitulo  speciali 
sibi  Dominus  décimas  reserçaçerit  :  nos  et  ecclesiarum  dispendiis  et 
animarum  periculis  obi^iare  volentes,  statuimus,  ut  in  prserogativa 
dominii  generalis  exactionem  tributorum  et  censuum  prsecedat 
solutio  decimarum  :  vel  saltem  hi,  ad  quos  census  et  tributa  inde- 
cimata pervenerint,  quoniam  res  cum  onere  suo  transit,  ea  per  cen- 
suram ecclesiasticam  decimare  cogantur  ecclesiis  quibus  jure 
debentur. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  III,  lit.  xxx,  De  decimis^ 
cap.    33. 

Cam.   55. 

Les  cisterciens  et  les  moines  des  au  Ires  ordres  continueront  à  payer  à 
^'Église  la  dîme  sur  les  biejis  sujets  à  la  (Inné  (juils  ont  accjuis  ou  acquer- 
ront, niênje  s'ils  les  cultivent  de  leurs  propres  mains. 

Nuper  abbates  Cisterciensis  ordinis,  in  generali  cupitulo  con- 
gre gati,  ad  commonitionem  noslram  provide  statuerunt,  ne  de 
cetero  jratres  ipsius  ordinis  emant  possessiones,  de  quibus  decimx 
debentur   ecclesiis,    nisi   forte    pro    monasteriis    noviter  fundandis. 


647.    DOUZIÈME    CO.NCILE    ŒCUMENIQUE  1377 

Et  SI  taies  possessiones  eis  fuerint  pia  fidelium  devoiione  collalse, 
aut  emptse  pro  monasteriis  de  novo  fundandis,  committant  exco- 
lendas  aliis,  a  guibus  ecclesiis  decimse  persohantui-,  ne  occasione 
privilegiorum  suorum  ecclesise  ulterius  prsegraventur.  Decernimus 
ergo,  ut  de  alienis  terris,  et  arnodo  acquirendis,  etiamsi  eus  propriis 
manibus  aut  sumptibus  deinceps  excoluerint,  décimas  persohant 
ecclesiis,  quibus  ratione  prœdiorum  antea  solvebantur,  nisi  cum 
ipsis  ecclesiis  aliter  duxerint  componendum.  Nos  ergo  statutum 
hujusmodi  gratum  et  ratum  habentes,  hoc  ipsum  ad  alios  regulares, 
qui  gaudent  similibus  priçilegiis,  extendi  volumus  :  et  mandamus 
ut  ecclesiarum  prselati  proniores  et  efflcaciores  existant  ad  exhiben- 
dum  eis  de  suis  malefactoribus  justitise  complementum,  eorumque 
privilégia  diligentius,  et  perfectius  studeant  obserç>are. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib,  III,  tit.  xxx,  De  decimis, 
cap.   34, 

Can.  56. 

[897]  Certains  réguliers  et  clercs  séculiers  louent  des  maisons  et  concèdent 
des  fiefs  en  convenant  que  les  locataires  ou  vassaux  leur  donneront 
la  dîme  et  se  feront  enterrer  par  eux.  Ainsi  les  curés  se  trouvent  lésés  et 
ce  pacte  est  répréhensible;  ce  qui  a  été  perçu  de  ce  chef  devra  être  res- 
titué à  l'église  paroissiale. 

Plerique,  sicut  accepimus,  regulares  et  clerici  sœculares,  inter- 
dum  cum  i^el  domos  locant,  velfeuda  concedunt,  in  prsejudicium  paro- 
chialium  ecclesiarum  pactum  adj'iciunt  ut  conductores  et  feudatarii 
décimas  eis  solvant,  et  apud  eosdem  eligant  sepulturam.  Cum  autem 
id  de  açaritise  radice  procédât,  pactum  hujusmodi  penitus  repro- 
bamus  :  statuentes,  ut  quidquid  fuerit  occasione  hujusmodi  pacti 
perceptum,    ecclesise    parochiali    reddatur. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  I,  tit.  xxxv,  De  pactis, 
cap.  7. 

Can.  57. 

Pour  éviter  les  abus,  certains  privilèges  accordés  par  le  Saint-Siège  à 
divers  ordres  religieux  seront  l'objet  d'explications  plus  précises.  Le 
premier  est  celui  qui  autorise  pour  les  confrères  de  l'ordre  la  sépulture 
ecclésiastique,  même  si  l'église  dont  ils  dépendent  est  interdite,  sauf 
sils   étaient  eux-mêmes    nommément   excommuniés    ou    interdits.    Sous 

CONCILES  —  V  —87 


1378  LIVRE    XXXV 

ce  nom  de  confrères,  on  doit  comprendre  seulement  ceux  qui,  ayant 
quitté  l'habit  séculier,  ont  pris  la  robe  de  moine  et  ceux  qui,  de  leur 
vivant,  ont  donné  leurs  biens  au  monastère,  n'en  conservant  que 
l'usufruit  viager,  mais  non  pas  ceux  qui  se  contentent  de  payer  chaque 
année  un  tribut  de  deux  deniers. 

Un  autre  privilège  permet  que,  dans  un  lieu  interdit,  les  églises 
soient  ouvertes  une  fois  dans  l'année  pour  ceux  qui  ne  sont  pas  excom- 
muniés, lorsqu'un  moine  appartenant  à  un  ordre  désigné  se  rend  dans 
ce  lieu  pour  y  recevoir  les  collectes;  il  faut  l'entendre  dans  ce  sens  que, 
dans  la  localité  frappée  d'interdit,  on  ne  pourra  ouvrir  qu'une  seule  église 
et  cela  une  seule  fois  dans  l'année. 

Ut  pj'ipilegia  quse  quibusdam  religiosis  personis  romana  con- 
cessit  Ecclesia  permaneant  inconvulsa  :  qusedam  in  eis  declaranda 
duximus,  ne  minus  sane  intellecta  pertrahant  ad  ahusum,  propter 
quem  merito  possint  revocari  :  quia  prii^ilegia  meretur  amittere 
qui   permissa  sibi  abutitur  poteslate. 

Sane  quibusdam  regularibus  Sedes  apostolica  induisit,  ut  iis, 
qui  eorum  fraternitatem  assumpserint,  si  jorsan  ecclesiœ,  ad  quas 
pertinent,  a  divinis  fuerint  officiis  interdictse,  ipsosque  mori  contin- 
gat,  sepultura  ecclesiastica  non  negetur,  nisi  excommunicati, 
vel  nominatim  fuerint  interdicti,  suosque  confratres,  quos  ecclesia- 
rum  prselati  apucl  ecclesias  suas  non  permiserint  sepeliri,  nisi 
excommunicati  vel  interdicti  fuerint  nominatim,  ipsi  ad  ecclesias 
suas  déférant  tumulandos.  Hoc  autem  de  illis  confratribus  intelh- 
gimus  qui  vel  adhuc  manentes  in  sœculo,  eorum  ordini  sunt  oblati, 
mutato  habitu  sseculari;  i^el  qui  eis  inter  vi<>'os  sua  bona  dederunt 
retento  sibi  quamdiu  in  sœculo  vixerint  usufructu  :  qui  tamen 
sepeliantur  apud  ipsorum  regularium  vel  aliorum  non  interdi- 
ctas ecclesias,  in  quibus  elegerint  sepulturam  :  ne  si  de  quibuslibet 
ipsorum  fraternitatem  assumentibus  fuerit  intellectum,  pro  duobus 
aut  tribus  denariis  annuatim  sibi  collatis  dissolvatur  pariter  et 
vilescat  ecclesiastica  disciplina.  Certam  tamen  et  ipsi  remissionem 
obtineant  ab  apostolica  sibi  Sede  concessam. 

Illud  etiam  quod  hujusmodi  regularibus  est  indultum,  ut  si  qui 
fratrum  suorum,  qui  ab  eis  missi  fuerint  ad  recipiendas  fraternila- 
tes  sii'e  collectas,  in  quamlibet  civitatem,  castellum,  vel  vicum  adve- 
nerint,  si  forte  locus  ille  a  divinis  sit  officiis  interdictus,  in  eorum 
jucundo  adçentu  semel  in  anno  aperiantur  ecclesise,  ut  exclusis 
excommunicatis  divina  ibi  officia  celebrentur  :  sic  intelligi  volumus, 
quod  in  eadem  civitate,  aut  castro,  vel  villa,   una  tantum  ecclesia 


647.     DOUZIÈME    CONCILE    ŒCUMENIQUE  1379 

ejusdem  ordijiis  fratribus,  ut  dictum  est,  semel  aperiatur  in  anno  : 
quia  licet  plur aliter  dictum  sit  quod  in  eorum  jucundo  adi>entu 
aperiantur  ecclesiœ,  non  tamen  ad  ecclesias  ejusdem  loci  divisim, 
sed  prœdictorum  locorum  conjunctim  sano  référendum  est  intel- 
lectu  :  lie  si  hoc  modo  singulas  ejusdem  loci  ecclesias  çisitarent, 
nimium  vilipendi  contingeret  sententiam  intei'dicti.  Qui  vero  contra 
declarationes  prœscriptas  quidquam  sibi  prsesumpserint  usurpare 
gravi  subjaceant  ultioni. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  V,  tit.  xxxiii,  De  privi- 
legiis,  cap.  24. 

Can.  58. 

Nous  étendons  aux  évêques  le  privilège  accordé  à  certains  ordres  reli- 
gieux; dans  une  région  frappée  d'interdit,  ils  pourront  cependant  quel- 
quefois célébrer  en  excluant  les  excommuniés  et  les  interdits,  les  portes 
fermées,  sans  chanter,  sans  sonner  les  cloches,  à  moins  que  cela  même 
ne  leur  ait  été  défendu  formellement.  La  concession  est  faite  à  ceux 
qui  n'ont  donné   aucun  motif  à  l'interdit. 

Quod  nonnullis  est  religiosis  indultum,  in  favorem  pontificalis 
offîcii  ad  episcopos  extendentes,  concedimus,  ut,  cum  commune  terrse 
fuerit  interdictum,  exconununicatis  et  interdictis  exclusis,  possint 
quandoque  januis  clausis,  suppressa  voce,  non  pulsatis  campanis, 
celebrare  officia  divina,  nisi  hoc  ipsum  eis  expresse  fuerit  interdi- 
ctum. Verum  hoc  illis  concedimus,  qui  causam  aliquam  non  prœ- 
stiterint  interdicto,  nec  quidquam  doli  vel  fraudis  ingesserint,  taie  ' 
compendium    ad    iniquum    dispendium  pertrahentes. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  V,  tit.  xxxiii,  De  pri- 
vilegiis,    cap.    25. 

Can.     59.  " 

Aucun  moine  ne  pourra,  sans  l'autorisation  de  son  abbé  et  du  cha- 
pitre, être  caution  ou  emprunter  de  l'argent  au  delà  d'une  somme 
déterminée.  Autrement  le  couvent  ne  pourra  être    rendu    responsable. 

Quod  quibusdam  religiosis  a  Sede  apostolica  est  prohibitum^ 
volumus  et  mandamus  ad  universos  exlendi  :  ne  quis  videlicet 
religiosus  absque  abbatis  et  majoris  partis  sui  capituli  licentia, 
pro  aliquo  fidejubeat,  vel  ah  alio  pecuniam  mutuo  accipiat  ultra 
summam  communi  providentia  constitutam.  Alioqui  non  teneatur 
conventus  pro  his  aliquatenus  respondere,   nisi  forte  in  utilitatem 


1380  LIVRE    XXXV 

domus  ipsius  manifeste  constiterit  redundasse  :  et  qui  contra  statu- 
tum  istud  venire  prœsujnpserit,  gra^^iori  disciplina  suhdatur. 

Inséré  dans  le  Corpus  fur.  can.,  lib.  III,  tit.  xxii,  De  fide- 
jussoribus,  cap.  4. 

Can.  60. 

De  nombreux  évêques  se  plaignent  que  des  abbés  empiètent  sur  leurs 
droits,  jugent  des  causes  matrimoniales,  imposent  des  pénitences  publi- 
ques, accordent  des  lettres  d'indulgences,  etc..  Ces  abus  ne  devront  plus 
se  produire,  sauf  si  l'abbé  peut  se  couvrir  par  une  concession  spéciale 
ou  un  autre  titre  légitime. 

Accedentihus  ad  nos  de  diversis  mundi  partibus  episcoporum 
querelis  intelleximus  -graves  et  grandes  quorumdam  abbatum  ex- 
cessus,  qui  suis  fînibus  non  contenti,  manus  ad  ea  quse  sunt  epi- 
scopalis  dignitatis  extendunt,  de  causis  matrimonialibus  cogno- 
scendo,  injungendo  publicas  pœnitentias,  concedendo  etiam  indul- 
gentiarum  litteras,  et  similia  prsesumendo,  unde  contingit  interdum 
quod  vilescat  episcopalis  authoritas  apud  multos.  Volentes  igitur 
171  iis  et  episcoporum  dignitati  et  abbatum  providere  saluti,  pres- 
senti decreto,  firmiter  prohibemus,  ne  quis  abbatum  ad  talia  se 
prsesumat  extendere,  si  proprium  voluerit  periculum  evitare;  nisi 
forte  quisquam  eorum  speciali  concessione,  vel  alia  légitima  causa, 
super  hujusmodi  valeat  se  tueri. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.,  lib.  V,  tit.  xxxi,  De  excessibus 
prselatorum,  cap.   12. 

Can.  61. 

On  renforce  l'ordonnance  du  troisième  concile  de  Latran  (can.  10)  défen- 
dant de  recevoir  delà  main  des  laïcs  des  églises  régulières  ou  des  dîmes,  sans 
l'assentiment  de  l'évêque,  comme  aussi  d'admettre  au  service  divin  aucun 
excommunié  ou  interdit  nommément.  Pour  les  églises  qui  ne  leur  appar-  IgQSj 
tiennent  pas  pleno  jure,  les  laïques  devront  présenter  à  l'institution  de 
l'évêque  les  clercs  susceptibles  d'occuper  la  charge.  Ceux-ci  seront  res- 
ponsables vis-à-vis  de  l'évêque  de  tout  ce  qui  concerne  le  soin  des  âmes 
et,  vis-à-vis  des  patrons,  de  ce  qui  regarde  les  choses  temporelles.  Ils  ne 
pourront  être  renvoyés  sans  le  consentement  de  l'évêque.  Les  patrons  ne 
présenteront   que    des  prêtres  de  bonne  conduite. 

I?T.  Lateranensi  concilio  ^  noscitur  fuisse  prohibitum  ne  quilibet 
1.  Can.  10  du  troisième  concile  de  Latran;  cf.  §  634. 


647.    DOUZIÈME     CONCILE    ŒCUMENIQUE  1381 

regulares  ecclesias,  seu  décimas,  sine  consensu  episcoporum,  de 
manu  prsesumat  recipere  laicali;  nec  excommiinicatos  vel  nomi- 
natim  interdictos  admiitant  aliquatenus  ad  divina.  Nos  autem  id 
fortius  inhibentes,  transgressores  condigna  curabimus  animad^er- 
sione  puniri,  statuentes,  nihilo  minus,  quatenus  in  ecclesiis,  quse 
ad  ipsos  pleno  jure  non  pertinent,  juxta  ejusdem  statuia  con- 
cilii,  episcopis  instituendos  presbyteros  reprsesentent,  ut  illis  de 
plebis  cura  respondeant;  ipsis  vero  pro  rébus  temporalibus  ratio- 
nern  e.vhibeant  competentem.  Institutos  vero  removere  non  audeant 
episcopis  inconsultisi  Sane  adjicimus,  ut  iUos  reprsesentare  pro- 
curent quos  i'el  conversatio  reddit  notos,  vel  commendat  probabile 
testimonium  prœlatorum. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lih.   III,  tit.  v,    De  prsebendis, 
cap.  31. 

Can.   62. 

Les  reliques  anciennes  ne  pourront  être  exposées  que  dans  un  reliquaire; 
on  n'en  mettra  pas  en  vente;  quant  aux  nouvelles,  personne  ne  les  expo- 
sera à  la  vénération    publique   sans  l'approbation  du  pape. 

Trop  souvent,  par  avarice,  on  trompe  les  pèlerins  étrangers  par 
toutes  sortes  de  mensonges  et  de  faux  documents.  Les  prélats  devront 
réprimer  cet  abus.  De  même  des  collecteurs  d'aumônes  ont,  dans  leurs 
prédications,  exposé  des  choses  erronées  :  c'est  pourquoi  on  n'admettra 
plus  aucun  de  ces  prédicateurs  sans  une  lettre  du  pape  ou  de  l'évêque 
du  diocèse;  et  ils  ne  pourront  traiter  en  présence  du  peuple  que  des 
sujets  indiqués  dans  la  lettre. 

On  a  inséré  dans  ce  capitulum  le  modèle  d'une  lettre  du  pape  destinée 
aux  prédicateurs. 

En  outre,  ces  collecteurs  d'aumônes  seront  modestes  et  discrets  :  ne 
logeant  pas  dans  des  auberges,  ne  faisant  pas  de  dépenses  exagérées,  ne 
portant  pas  de  costume  d'un  ordre  imaginaire.  On  ne  devra  pas  accorder 
d'indulgences  indiscrètes  et  excessives,  afin  de  ne  pas  amoindrir  la 
satisfaction  réservée  à  la  pénitence.  En  particulier,  l'indulgence  accordée 
à  l'occasion  de  la  consécration  d'une  nouvelle  église  ne  pourra 
excéder  un  an,  même  si  plusieurs  évêques  y  participent,  et  quarante 
jours  pour  l'anniversaire.  Les  indulgences  accordées  dans  certains  cas 
particuliers  de\Tont  avoir  une  durée  encore  moindre,  suivant  l'exemple 
du  pape  lui-même. 

Cum  ex  eo  quod  quidam  sanctorum  reliquias  exponunt  vencdes, 
et  cas  passim  ostendunty  chrisiianse  religioni  sit  detractum  sœpius  : 


1382 


LIVRE     XXXV 


ne  detrahatur  in  posterum,  prœsenti  decreto  statuimiis,  ut  antiquce 
reliquiœ  amodo  extra  capsam  non  ostendantur,  nec  exponanlur 
vénales.  Inventas  autem  de  novo  nemo  publiée  venerari  prœsumat, 
nisi  prius  authoritate  romani  pontifiais  fuerint   approbatœ. 

Prselati  vero  de  cetero  non  permittant  illos,  qui  ad  eorum  ecclesias 
causa  venerationis  accedunt,  vanis  figmentis,  aut  falsis  decipi 
documentis,  sicut  et  in  plerisqne  locis  occasione  quœstus  fieri 
consuevit.  Eleemosynarum  quoque  quœstores  quorum  quidam  se 
alios  mentiendo  abusiones  nonnullas  in  sua  prœdicatione  propo- 
nunt,  admitti,  nisi  apostolicas  vel  dioccesani  episcopi  litteras 
veras  exhibeant,  prohibemus.  Et  tune,  prœter  id  quod  in  ipsis  con- 
tinebitur  litteris,  nihil  populo  proponere  permittantur.  Formam 
vero,  quant  communiter  talibus  apostolica  Sedes  indulget,  duximus 
exprimendam  :  ut  secundum  eam.,  diœcesani  episcopi  suas  litteras 
moderentur.  Ea  siquidem  talis  est  : 

FORMA    LITTERARUM     PRiEDICATORUM 

Quoniam  [ut  ait  apostolus)  omnes  stabimus  ante  tribunal  Christi, 
recepturi  proul  in  corpore  gessimus,  sive  bonum,  sive  malum  fuerit  : 
oportet  nos  dieni  messionis  extremse  misericordise  operibus  prse- 
venire ;  ac  œternorum  intuitu  seminare  in  terris,  quod  reddente 
Domino  cum  multiplicato  fructu  colligere  debeamus  in  cselis  : 
firmam  spem,  fiduciamque  tenentes,  quoniam  qui  parce  seminat, 
parce  et  metet,  et  qui  seminat  in  Lenedictionibus,  de  benedi- 
ctionibus  et  metet  vitam  aeternam.  Cum  igitur  ad  sustentationem 
fratrum  et  egenorum  ad  taie  confluentium  hospitale  propriœ  non 
suppetant  facultates,  universitatem  vestram  monemus,  et  exhortamur 
in  Domino,  atque  in  remissionem  vobis  injungimus  peccatorum  : 
quatenus  de  bonis  a  Deo  vobis  collatis  pias  eleemosynas  et  grata 
eis  caritatis  subsidia  erogetis;  ut  per  subventionem  vestram  ipsorum 
inopiœ  consulatur,  et  vos  per  hsec  et  per  alia  bona,  quse  Domino 
inspirante  feceritis,  ad  seterna  possitis  gaudia  pervenire. 

Qui  autem  ad  quœrendas  eleemosynas  destinantur,  modesti  sint 
et  discreti,  nec  in  tabernis  aut  locis  aliis  incongruis  hospitentur, 
nec  inutiles  faciant  aut  sutnptuosas  expensas  :  caventes  omnino, 
ne  falsse  religionis  habitum  gestent. 

Ad  hsec  quia  per  indiscretas  et  superfluas  indulgentias,  quas 
quidam  ecclesiarum  prœlati  facere  non  verentur,  et  claves  Eccle- 
sise    contemnuntur ,    et    pœniientialis    satisfactio    enervatur   :  decer- 


6'i7.     DOUZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1383 

nimus  id,  cum  dedicofur  basilica^  non  extendatur  indulgentia  ultra 
onnunt,  sive  ah  uuo  solo,  sive  a  pluribus  episcopis  dedicetur  :  ac 
deinde  in  anîiiversario  dedicationis  tempore  quadraginta  dies  de 
injunctis  pœniteniiis  indulta  remissio  non  excédât.  Ilunc  qiioque 
dierum  numerum  indulgentiarum  litteras  prœcipimus  moderari, 
quse  pro  quihuslihet  causis  aliquoties  conceduntur  :  cum  romanus 
pontifex,  qui  plenitudinem  ohtinet  potestatis,  hoc  in  talihus  mo- 
deramen  consueçerit  obserçare. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib,  III,  lit.  xlv,   De   reliquiis,- 
cap.  2;  lib.  \,  lit.  xxxviii,   De  pœnitentiis,  cap.  14. 

Can.  63. 

La  pratique  trop  répandue  d'exiger  des  taxes  déterminées  pour  la 
consécration  des  évêques,  la  bénédiction  des  abbés  et  l'ordination  des 
clercs,    est  sinioniaque  et  doit  être  supprimée. 

Sicut  pro  cerio  didicimus,  in  plerisque  lacis,  et  a  plurimis  per- 
sonis  quasi  columhas  in  templo  vendentihus,  fiunt  exactiones  et 
extorsiones  turpes  et  pravse  pro  consecrationibus  episcoporuin, 
benedictionibus  abbatum  et  ordinibus  clericorum,  estque  taxatum 
quantum  sit  isti  vel  iUi,  quantumçe  alteri  pel  alii  persoU'endum  : 
et  ad  cumulum  damnationis  majoris,  quidam  iurpitudinem  et 
pravitatem  hujusmodi  nituntur  defendere  per  consuetudinem 
longo    tempore  obsen^atam. 

Tantum  igitur  abolere  volentes  abusum,  consuetudinem  hujus- 
modi, quse  magis  dicenda  est  corruptela,  penitus  reprobamus  : 
firmiter  statuentes,  ut  pro  iis,  sive  conferendis,  sive  collatis, 
nemo  aliquid  quocumque  prsetextu  exigere  ac  extorquera  prsesu- 
mat.  Alioquin  et  qui  receperit  et  qui  dederit  hujusmodi  pretium 
omnino  damnatum,  cum   Giezi  et  Simone  condemnetur.        ^ 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib,  V.  tit.  m,  De  simonia, 
cap.  39. 

Can.  64. 

Dans  les  couvents  de  femmes,  la  simonie  a  fait  de  tels  progrès  que  pres- 
que toujours,  lors  de  la  réception  d'une  sœur  et  sous  prétexte  de  pauvreté, 
on  réclame  une  certaine  somme  d'argent.  Pour  extirper  cet  abus,  à  l'avenir 
toute  religieuse  reçue  de  cette  n.anière  et  celles  qui  l'auront  reçue  seront 
éloignées  du  couvent  et  transff'rées  dans  un  monastère  plus  sévère,  afin 
[899]  d'y  faire  pénitence.  Les  nonnes  qui,  avant  la  publication  de  cette  ordon- 


1384  LIVRE     XXXV 

nance,  auront  été  reçues  pour  de  l'argent,  seront,  si  possible,  transférées 
dans  un  autre  couvent  du  même  ordre.  Cette  prescription  s'appliquera 
également  aux  moines  et  aux  autres  réguliers;  et  afin  que  personne  ne 
pèche  par  ignorance,  elle  sera  publiée  tous  les  ans  dans  les  diocèses,  par  le 
soin  des  évêques. 

Quoniam  simoniaca  lahes  adeo  plerasque  moniales  injecit,  ut 
vix  aliquas  sine  pretio  recipiant  in  sorores,  paupertatis  prœtextu 
volentes  hujusmodi  viiium  palliare  :  ne  id  de  cetera  fiât,  penitus 
prohihemus;  statuentes  ut  qusecumque  de  cetero  talem  pravitatem 
commiserit,  tam  recipiens  quant  recepta,  sive  sit  subdita  sive  prse- 
lata,  sine  spe  restitutionis  de  suo  monasterio  expellatur,  in  locum 
arctiorisregulœ  ad  agendam  perpétuant  psenitentiam  retrudendse.  De 
his  autem quse  antehoc  synodale  statutum  taliter  sunt  receptœ,  itaduxi- 
mus  proi'idendum,  ut  remotse  de  monasteriis,  quse  perperam  sunt 
ingressœ,  in  aliis  lacis  ejusdetn  ordinis  collocentur.  Quod  si  pro- 
pter  nimiam  multitudinem  alibi  forte  nequiçerint  commode  collocari  : 
ne  forte  damnabiliter  in  sseculo  evagentur,  recipiantur  in  eodem 
monasterio  dispensatii>e  de  novo,  mutalis  prioribus  locis,  et  infe- 
7-ioribus   assignatis. 

Hoc  etiam  circa  monachos  et  alios  regulares  decernimus  obser- 
vandum.  Verum  ne  per  simplicitatem  vel  ignorantiam  se  valeant 
excusare,  prsecipimus  ut  diœcesani  episcopi  singulis  annis  hoc 
faciant  per  suas  diœceses  publicari. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  V,  lit.  m,  De  simonia, 
cap.  40.  Cf.  Kober,  Suspension,  p.  358. 


jAn, 


65. 


Certains  évêques  frappent  d'interdit  les  églises,  à  la  mort  de  leurs 
recteurs,  jusqu'à  ce  qu'on  leur  ait  payé  une  certaine  somme  d'argent.  De 
même  ils  exigent  des  taxes  lorsqu'un  chevalier  {miles)  ou  un  clerc  entre 
dans  une  maison  religieuse  ou  y  fait  élection  de  sépulture.  A  l'avenir, 
celui  qui  prélèvera  une  pareille  taxe  devra  rembourser  le  double. 

Audi<>>imus  de  quibusdam  episcopis,  quod,  decedentibus  eccle- 
siarum  rectoribus,  ipsas  interdicto  subjiciunt,  nec  patiuntur  ali- 
quos  in  eisdem  institui,  donec  ipsis  certa  summa  pecunise  persol- 
vatur.  Prseterea  cum  miles  aut  clericus  domum  religionis  ingre- 
ditur,  vel  apud  religiosos  eligit  sepulturam,  etiamsi  nihil  loco  re- 
ligios'o  reliquerit,  difficultates  ingerunt  et  malitias,  donec  aliquid 
muneris  manus  contingat  eorum.   Cum  igitur  non    solum  a  malo, 


647.     DOUZIÈME    CONCILE    ŒCUMENIQUE  1385 

sed  etiam  ah  omni  specie  mali  sit  secundum  apostolum  ahstinendum, 
exactiones  Jiujusmodi  penitus  inhibemus.  Quod  si  quis  transgresser 
extiterit,  exacta  duplicata  restituât,  iji  iitilitates  locorum,  in  quo- 
rum fuerint  soluta  dispendium,  fîdeliter  convertenda. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.   can.,  lib.   V,    lit.    m,    De  simonia, 
cap.   41. 

Cax.  66. 

Certains  clercs  exigent  et  extorquent  de  l'argent  pour  les  obsèques,  les 
mariages,  etc.,  et  opposent  des  empêchements  fictifs  si  on  ne  satisfait  pas 
leur  cupidité.  D'autre  part,  certains  laïcs,  pour  des  motifs  hérétiques, 
mais  sous  prétexte  de  piété,  se  dispensent  d'observer  les  coutumes 
recommandables  (l'habitude  de  faire  un  don  volontaire  à  l'occasion 
d'une  cérémonie  ecclésiastique).  On  interdit  les  exactions,  et  on 
maintient  les  louables  coutumes.  Les  évêques  devront  veiller  à  ce  que 
les  sacrements  soient  conférés  gratuitement,  tout  en  réprimant  ceux  qui 
veulent  malicieusement  modifier  les  usages. 

Ad  apostolicam  audieniiam  frequenii  relatione  pervenit,  quod 
quidam  clerici  pro  exequiis  mortuorum,  et  henedictionibus  nuhen- 
tium,  et  similibus,  pecuniam  exigunt  et  extorquent  :  et,  si  forte 
cupiditati  eorum  non  juerit  satisjactum,  impedimenta  fictitia  frau- 
dulenter  opponunt.  E  contra  vero  quidam  laici  laudahilem  con- 
suetudinem  erga  sanctam  Ecclesiam,  pia  deçotione  fidelium  intro- 
ductam,  ex  fermente  hsereticse  pravitatis  nituntur  infringere  sub 
prœtextu  canonicce  pietatis.  Quapropter  et  pravas  exactiones  super 
his  fieri  prohibemus,  et  pias  consuetudines  prsecipimus  obserçari, 
staiuentes.  ut  libère  conferantur  ecclesiastica  sacramenta,  sed  per 
episcopum  loci,  veritate  cognita,  compescantur  qui  malitiose 
nituntur    laudabilem  consuetudinem   immutare. 

Inséré    dans  le  Corpus  jur.   can.,  lib.   V,  tit.    m,    De  simonia, 
cap.  42. 

Can.   67. 

Plus  les  chrétiens  s'abstiennent  de  l'usure,  plus  les  Juifs  se  livrent  à 
cette  pratique  coupable,  si  bien  qu'en  peu  de  temps  les  chrétiens  se  trou- 
vent complètement  ruinés.  Afin  de  protéger  les  chrétiens,  nous  ordonnons 
que.  lorsqu'un  juif  aura  molesté  un  chrétien  en  exigeant  des  intérêts 
excessifs,  tous  les  autres  chrétiens  devront  s'abstenir  de  tout  commerce 
avec  lui,  jusqu'à   ce   qu'il   ail   fourni   un    dédommagement,    et    les    chré- 


1386 


LIVRE     XXXV 


tiens  y  seront  obligés,  s'il  le  faut,  par  les  censures  ecclésiastiques.  Les 
princes  ne  devront  pas  pour  ce  motif  en  vouloir  aux  chrétiens,  ils 
devront  au  contraire  empêcher  les  Juifs  de  se  livrer  ainsi  à  l'usure.  De 
plus,  les  Juifs  devront  être  forcés,  par  une  menace  analogue  (de  cesser 
tout  commerce  avec  eux),  de  donner  satisfaction  aux  églises  en  ce  qui 
concerne  les  dîmes  et  les  offrandes  qui  étaient  auparavant  payées  pour  les 
maisons  et  les  biens  passés  entre  leurs  mains. 

Quanto  amplius  christiana  religio  ah  exactione  compescitur 
usurarum.  toïito  gravius  super  his  Judœorum  perfdia  inolescit, 
iia  quod  hrevi  iempore  christianorum  exhauriunt  foculiates.  Vo- 
lentes  igitur  in  hac  parte  prospicere  christianis,  ne  a  Judscis  imma- 
niter  aggraveniur  :  synodali  décréta  statuimus,  ut  si  de  cetera  qua- 
cumque  prsetextu  Judsei  a  christianis  graves  et  immoderatas  usu- 
ras  extorserint,  christianorum  eis  participium  subtrahaiur,  donec 
de  immoderato  gravamine  satisfecerint  competenter.  Christiani 
quoque,  si  opus  fuerit,  per  censurant  ecclesiasticam,  appellatione 
postposita,   compellantur  ah  eorum  commerciis  ahstinere. 

Principihus  autem  injungimus,  ut  propter  hoc  non  sint  cJiri- 
stianis  infesti,  sed  potius  a  tanto  gravamine  Judseos  studeant 
cohibere. 

Ac  eadem  pœna  Judseos  decernimus  compellendos  ad  satisfa- 
ciendum  ecclesiis  pro  decimis  et  obJaiionibus  dehitis,  quas  a  chri- 
stianis de  domihus  et  possessionihus  aliis  percipere  consuev'erant, 
antequam  ad  Judseos  quocumque  titulo  devenissent  :  ut  sic  Eccle- 
siêe  conserventur  indemnes. 

Inséré  dans  le  Corpus  fur.  can.,  lib.  V,  tit.  xix,  De  usuris, 
cap.   18. 

Can.    68. 

Les  Juifs  et  les  Sarrasins  devront  porter  des  vêtements  différents  de 
ceux  des  chrétiens,  pour  éviter  les  mariages  ou  relations  entre  chrétiens 
et  eux.  Dans  quelques  provinces,  cette  distinction  du  vêtement  existe 
déjà;  elle  sera  introduite  partout. 

Comme  certains  Juifs,  pendant  les  jours  de  la  Passion  du  Christ,  se  pro- 
mènent pompeusement  parés,  par  dérision  pour  les  chrétiens  remplis  de 
tristesse,    à    l'avenir   il   leur   sera    interdit    de    sortir   pendant    ces    jours.  [9001 

In    nonnuUis    provinciis     a    christianis    Judseos    seu    Saracenos 

hahilus  distinguit  diversitas  :  sed  in  quibusdam  sic  qusedam  ino- 

levit    confusio,    ut    nulla  difjerentia    discernantur.   Unde    contingit 


647.     DOUZIÈME     CONCILE    ŒCUMENIQUE  1387 

interdum,  qnod  per  errorcm  christiani  Judœorutn  seu  Saraceno- 
rum,  et  Jiidan  seu  Saraceni  christianorum  mulierihus  commi- 
sceantur.  Ne  igitur  tam  damnatse  commixtionis  excessiis,  per  ve- 
lamentum  erroris  hujusmodi,  excusationis  ulterius  possint  habere 
difjugiuni;  statuiwus  ut  taies  utriusque  sexus,  in  omni  christia- 
norum provincia,  et  omni  tempère,  qualitate  hahitus  publiée  ab 
aliis  populis  distinguantur,  cum  etiam  per  Mosen  hoc  ipsum 
legatur  eis  injunctum. 

In  diebus  autem  lamentationis,  et  Dominicse  passionis,  in  pu- 
blicum  minime  prodeant,  eo  quod  nonnulli  ex  ipsis,  talibus  diebus 
{sicut  accepimus)  ornatius  non  erubescunt  incedere,  ac  christia- 
nis,  qui  sacratissimse  passionis  memoriam  exhibentes  lamenta- 
tionis signa  prsetendunt,  illudere  non  formidant. 

Illud  autem  districtissime  inhibemus,  ne  in  contumeliam  Re- 
demptoris  prosilire  aliquatenus  prsesumant.  Et  quoniam  illius 
dissimulare  non  debemus  opprobrium,  qui  probra  nostra  delevit: 
prsecipimus  prœsumptores  hujusmodi  per  principes  sœculares 
condigme  animadversionis  adjectione  compesci,  ne  crucifixuni 
pro  nobis  présumant  aliquatenus  blasphemare. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  V,  tit,  vi,  De  Judœis, 
cap.  15.  En  581,  un  synode  célébré  à  Tolède  avait  porté  dans  son 
can.   14  une  ordonnance  analogue. 

Can.  69. 

Les  Juifs  ne  pourront  exercer  aucun  emploi  public  leur  conférant  un 
pouvoir  sur  des  chrétiens,  ainsi  que  l'a  déjà  prescrit  le  concile  de  Tolède. 
Celui  qui  leur  aura  confié  un  emploi  de  cette  nature  sera  puni  par  le  synode 
provincial;  quant  au  Juif  qui  aura  été  investi  de  cet  emploi,  il  sera  exclu 
de  tout  commerce  avec  les  chrétiens  jusqu'à  ce  qu'il  l'ait  résilié  et  qu'il 
ait  restitué  à  des  chrétiens  pauvres  tout  ce  qu'il  aura  acquis  des  chrétiens 
à  l'occasion  de  cet  emploi.  Cette  règle  est  valable   pour  les  païens. 

Cum  sil  niinis  absurdum,  ut  Christi  hlasphemus  in  christianos 
vim  potestatis  exerceat,  quod  super  hoc  Toletanum  concilium  pro- 
vide staiuit,  nos  propter  transgressorum  audaciam  in  hoc  capitula 
innoçamus  :  prohibentes,  ne  Judœi  officiis  publicis  prœferantur, 
quoniam  sub  tali  prsetextu  christianis  plurimum  sunt  infesti. 
Si  quis  autem  ofjicium  eis  taie  commiserit,  per  proi'inciale  con- 
cilium [quod  singulis  prœcipimus  annis  celebrari)  monitione 
prœmissa,    districtione    qua    convenil,    compescatur.   Ofjiciali     vero 


1388  LIVRE    XXXV 

hujusmodi,  tamdiu  chrislianorum  communio  in  commerciis  et 
aliis  denegetur,  donec  in  usus  pauperum  chrislianorum,  secun- 
dum  pros'identiam  diœcesani  episcopi,  convertatur  quidquid  fuerit 
adeptus  a  christianis  occasione  ofllcii  sic  suscepti  :  et  officium 
cum  pudore  dimittat,  quod  irreverenier  assumpsit.  Hoc  idem  ex- 
tendimus  ad  paganos. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  V,  lit.  vi,  De  Judseis, 
cap.  16. 

Can.    70. 

Les  Juifs  qui  se  feront  baptiser  devront  abandonner  tous  leurs  anciens 
rites. 

Quidam,  sicut  accepimus,  qui  ad  sacri  undam  haptismatis 
voluntarii  accesserunt,  veterem  hominem  omnino  non  exuunt,  ut 
novum  perfectius  induant  :  cum  prioris  ritus  reliquias  retinentes, 
christianœ  religionis  decorem  tali  commixtione  confundant.  Cum 
autem  scriplum  sit  :  Maledictus  homo  qui  terram  duabus  viis 
ingreditur  :  et  indui  vestis  non  debeat  lino  lanaque  contexta  :  sta- 
tuimus  ut  taies  per  prselatos  ecclesiarum  ah  ohservantia  i'eteris 
ritus  omnimodo  compescantur  ut  quos  christianœ  religioni  liherse 
voluntatis  arhitrium  obtulit  salutiferœ  coactionis  nécessitas  in  ejus 
obserçatione  conservet  :  cum  minus  malum  existât  idam  Domini 
non  agnoscere  quam  post  agnitam  retroire. 

Inséré  dans  le  Corpus  jur.  can.,  lib.  V,  lit.  ix,  De  apostatis, 
cap.  4. 

Le  décret  du  pape  concernant  une  nouvelle  croisade  et  approuvé  par 
le  concile,  constitue  le  dernier  document  du  concile  de  Latran, 

Le  l''^'  juin  de  l'année  prochaine  (1217),  tous  ceux  qui  ont  pris  la  croix 
et  ont  choisi  la  voie  de  mer  devront  se  trouver  en  Sicile,  où  nous-même 
(le  pape)  serons  pour  organiser  l'armée  et  la  bénir.  A  la  même  date, 
ceux  qui  ont  choisi  la  voie  de  terre  devront  également  se  tenir  prêts;  nous 
leur  adjoindrons  un  légat  a  latere.  Les  clercs  de  tout  rang  présents  à 
l'armée  des  croisés  s'efforceront  d'empêcher,  par  leurs  prières  et  leurs 
exhortations,  que  n'importe  quel  croisé  ne  commette  une  action  suscep- 
tible d'offenser  Dieu  ;  ils  s'empresseront  de  réconcilier  les  pécheurs  avec  Dieu. 

Les  clercs  perceveront  les  revenus  de  leurs  bénéfices  pendant  trois 
ans,  comme  s'ils  avaient  continué  à  résider;  ils  pourront  même,  si  c'est 
nécessaire,  mettre  pendant  ce  temps  leurs  bénéfices  en  gage. 

Les  prélats  ne  se  lasseront  pas  d'avertir  tous  ceux  qui  ont    pris  déjà  la 


647.    DOUZIÈME    CONCILE    ŒCUMENIQUE  1389 

croix  et  la  prennent  encore  maintenant  qu'ils  doivent  accomplir  le  vœu  fait 
au  Seigneur,  en  les  menaçant  même,  si  c'est  nécessaire,  de  l'excommunica- 
tion et  de  l'interdit.  Ceux-là  seuls  qui  auront  im  empêchement  majeur 
pourront  voir  leur  vœu  retardé  ou  commué  en  quelque  autre  œuvre 
méritoire. 

Tous  les  patriarches,  archevêques,  etc.,  et  tous  ceux  qui  ont  charge 
d'âmes  devront  prêcher  la  croisade  à  leurs  sujets,  et  adjurer  tous  les  rois, 
princes,  seigneurs,  villes  et  bourgades  pour  que  les  personnes  qui  ne  pour- 
ront effectivement  prendre  part  à  la  croisade  se  fassent  suppléer  par  un 
nombre  suffisant  de  soldats  dont  elles  assureront  la  subsistance  pendant 
trois  ans. 

Participeront  à  l'indulgence,  non  seulement  ceux  qui  fourniront  leurs 
propres  navires,  mais  aussi  quiconque  contribuera  à  la  construction  des 
navires  destinés  à  la  croisade;  celui,  au  contraire,  qui  ne  s'intéressera  pas 
à  cette  œuvre,  encourra  la  plus  grave  responsabilité. 

Nous-même,  nous  donnons  pour  la  croisade  tout  ce  que  nous  avons 
[901]  pu  mettre  de  côté,  à  force  d'économie,  30000  livres;  en  outre,  un  navire 
pour  les  croisés  de  Rome  et  des  environs  et  3  000  marcs  d'argent  qui  nous 
restent  du  produit  des  aumônes  fournies  par  quelques  fidèles.  Nous  avons 
remis  le  reste  pour  les  besoins  de  la  Terre  Sainte  entre  les  mains  du  pa- 
triarche Albert  de  Jérusalem  et  des  grands -maîtres  des  Templiers  et  de 
l'Hôpital. 

Tous  les  clercs,  de  quelque  rang  qu'ils  soient,  devront,  pendant 
trois  ans,  prélever  la  vingtième  partie  de  leurs  revenus  ecclésiasti- 
ques pour  les  besoins  de  la  Terre  Sainte;  sont  seuls  exceptés  certains 
ordres  religieux  et  les  clercs  qui  prendront  personnellement  part  à  l'expé- 
dition. 

Nous-même  et  les  cardinaux  nous  offrirons  la  dixième  partie  de  nos 
revenus. 

Pendant  leur  absence,  les  croisés  seront  exempts  de  toute  taille  et 
redevance.  Leurs  personnes  et  leurs  biens  seront  placés  sous  la  protection 
du  pape,  des  évêques  et  de  protecteurs  spécialement  désignés,  et  ces 
biens  demeureront  intacts  tant  qu'on  n'aura  pas  appris  leur  mort  avec 
certitude  ou  jusqu'à  leur  retour  de  la  croisade. 

Si  des  croisés  se  sont  engagés  par  serment  à  payer  des  intérêts,  leurs 
créanciers  devront  leur  faire  remise  du  serment  et  ne  pas  percevoir  ces 
intérêts;  et  cela,  sous  peine  de  restitution.  Les  Juifs  seront  obligés  par 
le  bras  séculier  de  remettre  les  intérêts.  Ceux  qui  ne  pourront  acquitter 
maintenant  une  dette  contractée  envers  un  juif  seront  exonérés  de  tout 
intérêt  pendant  leur  absence.  De  plus,  les  Juifs  devront  imputer  sur  le 
capital,  frais  déduits,  les  revenus  des  gages  à  euK  remis.  Les  prélats  qui 
auront  montré  peu  de  zèle  pour  faire  rendre  justice  aux  croisés  ou  à  leur 
famille  seront  sévèrement  punis. 


1390  LIVRE     XXXV 

Comme  il  est  arrivé  que  des  corsaires  et  des  pirates  ont  pris  et 
pillé  les  pèlerins  de  Terre  Sainte,  soit  à  l'aller,  soit  au  retour,  nous 
excommunions  tous  ceux  qui  aident  ces  pirates  et  les  protègent. 

Personne  ne  devra  faire  conimerce  avec  eux  et  les  gouverneurs  des  villes 
devront  les  empêcher  de  commettre  leurs  crimes. 

Nous  excommunions  également  ces  faux  chrétiens  qui  fournissent  aux 
Sarrasins,  ennemis  du  Christ  et  du  peuple  chrétien,  des  armes,  du  fer, 
du  bois  destiné  à  construire  des  navires,  qui  leur  vendent  des  galères 
ou  s'emploient  à  leur  service;  ces  coupables  verront  leurs  biens  confis- 
qués et  eux-mêmes  deviendront  les  esclaves  de  ceux  qui  les  saisiront. 
Cette  sentence  sera  publiée  tous  les  dimanches  et  jours  de  fêtes  dans  tous 
les  ports  de  mer. 

Pendant  quatre  ans,  aucun  chrétien  ne  devra  envoyer  de  navire  dans  les 
pays  d'Orient  occupés  par  les  Sarrasins,  afin  que  les  infidèles  ne  puissent 
en  tirer  parti,  et  qu'au  contraire  les  chrétiens  puissent  avoir  une  réserve  de 
bateaux  pour  les  transporter  en  Terre  Sainte.  #  [9021 

Nous  interdisons  de  nouveau  pendant  trois  ans  l'usage  des  tournois  qui 
sont  susceptibles  de  porter  préjudice  à  la  cause  de  la  croix. 

En  outre,  dans  l'intérêt  de  la  Terre  Sainte,  tous  les  princes  chrétiens 
devront  conclure  entre  eux  une  paix  de  quatre  ans;  si  c'est  nécessaire,  les 
évêques  les  y  obligeront  en  les  menaçant  de  l'excommunication. 

Enfin  nous  accordons  : 

a)  A  tous  ceux  qui  prennent  part  à  la  croisade  personnellement  et  à 
leurs  frais, 

b)  A  tous  ceux  qui  y  prennent  part  personnellement,  mais  avec  un  se- 
cours pécunier  fourni  par  d'autres, 

c)  A  ceux  qui  offrent  une  partie  de  leurs  revenus  pour  la  Terre 
Sainte,  la  remise  complète  de  leurs  fautes  [plenam  suorum  peccaminum 
veniam  indulgemus),  pourvu  toutefois  qu'ils  s'en  repentent  et  s'en  soient 
confessés. 


EXPEDITIO  PRO  RECUPERANDA  TERRA  SANCTA 

Ad  liberandam  Terrara  Sanctam  de  manibus  impiorum  ardenti 
desiderio  aspirantes,  de  prudentum  fdrorum  consilio,  qui  plene 
noverant  circumstantias  temporum  et  locorum,  sacro  approbante 
concilio,  diffinimus  :  ut  ita  cruce  signati  se  préparent,  quod  in 
kalendas  junii  sequentis  post  proximum,  omnes  qui  disposue- 
runt  transire  per  mare,  conveniant  in  regnum  Siciliœ  :  alii,  sicut 
oportuerit  et  decuerit,  apud  Brundusium,  et  alii  apud  Messanam, 
et  partes  utrobique  vicinas  :  ubi  et  nos  personaliter,  Domino  an- 
nuente,     disposuimus    tune    adesse,     quatenus    nostro     consilio    et 


647.     DOUZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1391 

aiixilio  exercitus  chrislianus  salubriter  ordinetur,  cum  henediclion 
divina  et  apostolica  projectxirus.  Ad  eumderti  quoqiie  terminiun  se 
sludeant  prœparare  qui  proposiierunt  per  terrain  proficisci  :  signi- 
ficaturi  hoc  intérim  nobis,  ut  eis  ad  consilium  et  auxilium  legatum 
idoneum  de  nostrolatere  coricedamus.  Sacerdotes  autem,et  alii  cle- 
rici,  qui  fuerint  in  exercitu  christiano,  tani  suhdili  quam  prœlati, 
orationi  et  exhortationi  dilisenter  insistant  :  docentes  eos  verho  pari- 
ter  et  exemplo  ut  timorem  et  amorem  seinper  habeant  dii>i?ium 
ante  oculos,  ne  quid  dicant  aut  faciant  quod  dii^inam  majestatem 
offendat.  Et  si  aliquando  lapsi  fuerint  in  peccatum,  per  veram 
psenitentiam  mox  resurgant,  gerentes  humilitatem  cordis  et  cor  po- 
rts, et  tain  in  victu,  quam  in  vestitu  mediocritatem  sen'antes, 
dissensiones  et  semulationes  omnino  vitando,  rancore  ac  liçore 
a  se  penitus  relegatis  :  ut  sic  spiritalibus  et  materialibus  armis 
muniti,  adi'ersus  hostes  fidei  securius  prselientur;  non  de  sua  prœ- 
sumentes  potentia,  sed  de  divina  virtute  sperantes. 

Ipsis  auiem  clericis  indulgemus,  ut  bénéficia  sua  intégra  per- 
cipiant  per  triennium,  ac  si  essent  in  ecclesiis  résidentes  ;  et,  si  ne- 
cesse  juerit,  ea  per  idem  tempus  pignori  valeant  obligare. 

Ne  igitur  hoc  sanctum  propositum  impediri  çel  retardari  con- 
tingat,  unii>ersis  ecclesiarum  prselatis  districte  prsecipimus,  ut  sin- 
guli  per  loca  sua  illos  qui  signum  crucis  disposuerunt  resumere 
ac  tam  ipsos,  quam  alios  crucesignatos,  et  quos  adhuc  signare 
contigerit,  ad  reddendum  vota  sua  Domino  diligenter  moneant  et 
inducant,  et,  si  necesse  juerit,  per  excommunicationis  in 
personas,  et  interdicti  sententias  in  terras  eorum,  omni  tergiver- 
satione  cessante  compellant  :  illis  dumtaxat  exceptis,  quibus  taie 
impedimentum  occurrerit,  propter  quod,  secundum  Sedis  apo- 
stolicse  providentiam,  i'otum  eorum  commutari  debeat  merito  çel 
differri. 

Ad  hsec,  ne  quid  in  negotio  Jesu  Christi  de  contingentibus  omit- 
tatur  :  volumus  et  mandamus  ut  patriarchse,  archiepiscopi,  episcopi, 
abbates,  et  alii  qui  curam  obtinent  animarum  studiose  proponant 
sibi  commissis  verbum  crucis,  obsecrantes  per  Patrem,  et  Filium, 
et  Spiritum  Sanctum,  unum  solum  ç'eruin  seternum  Deum,  reges, 
duces,  principes,  marchiones,  comités  et  barones,  aliosque  magnâ- 
tes, necnon  communiones  civitatum,  villarum,  oppidorum,  ut  qui 
personaliter  non  accesserint  in  subsidium  TerrseSanctee,  competentem 
conférant  numerum  bellatoruin,cuin  expensis  ad  triennium  necessariis 
secundum  proprias   facultates,  in  remissionem  peccatorum  suorum 


1392  LIVRE     XXXV 

prout  in  generalibus  litteris  est  expressum,  et    ad    majorera  cauie- 
lam  etiam  injerius  exprimetur. 

Hujus  remissionis  volumus  esse  participes,  non  solum  eos  qui 
naçes  proprias  exhibebunt,  sed  etiam  illos  qui  propter  hoc  opus 
naçes  studuerint  fabricare.  Renuentibus  auiem,  si  qui  forte  tam 
ingrati  fuerint  Domino  Deo  nostro,  ex  parte  apostolica  firmiter 
protestentur,  ut  sciant  se  super  hoc  nobis  in  noi>issimo  districti 
examinis  die  coram  tremendo  judice  responsuros  :  prius  tamen 
considérantes,  qua  conscientia,  quaçe  securitate  comparere  pote- 
runt  coram  unigenito  Dei  Filio  Jesu  Christo,  cui  omnia  Pater 
dédit  in  manus,  si  ei  pro  peccatoribus  crucifixo  ser^'ire  renuerint 
in  hoc  negotio  quasi  proprie  sibi  proprio,  cujus  munere  idvunt, 
cujus  beneficio  sustentantur ,  quinetiam  cujus  sanguine  sunt  re- 
dempti. 

Ne  vero  in  humeros  hominum  onera  gracia  et  importabilia  im- 
ponere  videamur,  quse  digito  nostro  movere  nolimus,  similes  illis 
qui  dicunt  utique,  sed  non  faciunt  :  ecce  nos  de  his,  quse  ultra  ne- 
cessaria,  et  moderatas  expensas  potuimus  reservare,  triginta  millia 
librarum  in  hoc  opus  concedimus  et  donamus  :  proster  nai'igium, 
quod  crucesignatis  de  Urbe,  atque  vicinis  partihus  conferimus  : 
assignaturi  nihilo  minus  ad  hoc  ipsum  tria  millia  marcarum  ar- 
genti,  quae  apud  nos  de  quorumdam  fidelium  eleemosynis  reman- 
serunt  :  aliis  in  nécessitâtes  et  utilitates  prsedictse  terrse,  per  manus 
felicis  mémorise  Alherici  H ierosolymitani  patriarchse,  ac  magi- 
strorum  T empli  et  Hospitalis  fideliter  distributis. 

Cupientes  autem  alios  ecclesiarum  prœlatos,  nec  non  clericos 
universos,  et  in  merito  et  in  prsemio  habere  participes  et  consortes  : 
ex  communi  concilii  approbatione  statuimus,  ut  omnes  omnino 
clerici,  tam  subditi,  quam  prselati,  çigesimam  partem  ecclesiastico- 
rurn  proventuum  usque  ad  triennium  conférant  in  subsidium 
Terrse  Sanctse,  per  manus  eorum  qui  ad  hoc  apostolica  fuerint 
providentia  ordinati  :  quibusdam  dumtaxat  religiosis  exceptis,  ab 
hac  pr setaxatione  merito  eximendis,  et  illis  similiter  qui  assumpto 
vel  assumendo   crucis   signaculo   sunt  personaliter  profecturi. 

Nos  autem,  et  fratres  nostri  sanctse  romanse  Ecclesise  cardina- 
les, plenarie  decimam  persolvemus  :  sciantque  se  omnes  ad  hoc 
fideliter  obseri^andum  per  excommunicationis  sententiam  obligatos  : 
ita  quod  illi,  qui  super  hoc  fraudera  scienter  commiserint,  senten- 
tiam excommunicationis  incurrant. 

Sane   quia  justa  judicio,    cselestis    imperatoris   obsequiis    inhse- 


647.    DOUZIÈME    CONCILE    ŒCUMENIQUE  1393 

rentes  speciali  decet  prœrogativa  gaudere,  cum  tempus  profîci- 
scendi  annum  excédât  in  modico,  crucesignati,  a  collectis,  i>el  a  taillis, 
aliisque  gravaminihus  sint  inimunes,  quorum  personas  et  bona, 
post  crucem  assumptam,  sub  beati  Pétri  et  nostra  protectione 
suscepimus  :  statuentes,  ut  sub  archiepiscoporum,  episcoporum, 
ac  omnium  prselatorum  Ecclesise  defensione  consistant  :  propriis 
nihilo  minus  protectoribus  ad  hoc  specialiter  deputandis,  ita  ut, 
donec  de  ipsorum  obitu  vel  reditu  certissime  cognoscatur,  intégra 
maneant  et  quieta  :  et  si  quisquam  contra  prœsumpserit,  per  cen- 
surant ecclesiasticam  compescatur. 

Si  qui  i^ero  profîciscentium  illuc  ad  prsestandas  usuras  juramento 
tenentur  adstricti  :  creditores  eorum,  ut  remittant  eis  prœstitum 
juramenturn,  et  ab  usurarum  exactione  désistant,  eadem  prœcipi- 
îuus  districtione  compelli.  Quod  si  quisquam  creditorum  eos  ad 
solutionem  coegerit  usurarum  :  eum  ad  restituiionem  earum  simili 
cogi  animadversione  mandamus. 

Judseos  vero  ad  remittendas  usuras  per  ssecularem  coiiipelli 
prsscipimus  potesiatem  :  et  donec  illas  remiserint,  ab  uni<^ersis 
Christi  fidelibus  per  excommunicationis  sententiam  eis  omnino 
communio  denegetur.  His  autem,  qui  Judseis  débita  sohere  ne- 
queunt  in  prœsenti,  sic  principes  sseculares  utili  dilatione  provi- 
deant;  quod  post  iter  arreptum,  usquequo  de  ipsorum  obitu  vel 
reditu  certissime  cognoscatur,  usurarum  incommoda  nonincurrant; 
compulsis  Judseis  proventus  pignorum,  quos  intérim  ipsi  per- 
ceperint,  in  sortem,  expensis  deductis  necessariis,  computare  : 
cum  hujusmodi  beneficium  non  multum  videatur  habere  dispen- 
dii,  quod  solutionem  sic  prorogat,  quod  debitum  non  absorbet. 
Porro  ecclesiarum  prselati,  qui  in  exhibenda  justitia  crucesignatis 
et  eorum  familiis  négligentes  extiterint,  sciant  se  granter  puniendos. 

Ceterum  quia  cursarii  et  piratse  nimium  impediunt  subsidium 
Terras  Sanctœ,  capiendo  et  exspoliando  transeuntes  ad  illam,  et  re- 
deuntes  ab  ipsa  :  nos  spéciales  adjutores  et  fautores  eorum  excom- 
municationis vinculo  innodamus,  sub  interminatione  anathema- 
tis  inhibentes,  ne  quis  cum  eis  scienter  communicet  aliquo  venditionis 
vel  emptionis  contractu  :  et  injungentes  rectoribus  civitatum  et 
locorum  suorum,  ut  eos  ab  Jiac  iniquitate  revocent  et  compescant  : 
alioquin,  quia  nolle  perturbare  perversos,  nihil  aliud  est  quam 
fovere,  nec  caret  scrupulo  societatis  occultas,  qui  manifesto  faci- 
nore  desinit  obi^iare  :  in  personas  et  terras  eorum  per  ecclesiarum 
prœlatos  sei^eritatem  ecclesiasticam  volumus  et  praecipimus  exerceri. 

CONCILES—  V  —  88 


1394  LIVRE     XXXV 

Excommunicamus  prœterea  et  anathematizamus  illos  falsos  et 
impios  christianos,  qui  contra  ipsum  Christum  et  populum  chri- 
stianum  Saracenis  arma,  jerriiin  et  Ugnamina  deferunt  galearum  : 
eos  etiam  qui  galeas  eis  vendunt,  vel  naves,  quique  in  piraticis 
Saracenorurn  nai'ibus  curam  gubernationis  exercent,  vel  in  niacîii- 
nis  aut  quibuslibet  aliis  aliquod  eis  impendunt  consilium  vel  au- 
xilium,  in  dispendium  Terrse  Sanctœ,  ipsarum  rerum  suarum 
privatione  mulctari,  et  capientium  servos  fore  censemus.  Prseci- 
pientes  ut  per  omnes  urbes  maritimas,  diebus  dominicis  et  festivis 
Jiujusmodi  sententia  innovetur,  et  talibus  gremium  non  aperiatur 
Ecclesiœ,  nisi  totum,  quod  ex  substantia  tani  damnata  perceperint, 
et  tantumdem  de  sua,  in  subsidium  prœdictœ  terrce  transmiserunt  : 
ut  sequo  judicio,  in  quo  deliquerint,  puniantur.  Quod  si  forte  sol- 
vendo  non  fuerint,  alias  sic  reatus  talium  castigetur,  quod  in  pœna 
ipsarum  aliis  interdicatur  audacia  similia  prœsumendi. 

Prohibemus  insuper  omnibus  chrislianis,  et  sub  analhemate 
interdicimus,  ne  in  terras  Saracenorurn,  qui  partes  orientales  in- 
habitant,  usque  ad  quadriennium  transmittant  aut  transeant 
naves  suas:  ut  per  hoc  volentibus  transfretare  in  subsidium  Terrse 
Sanctse  major  navigii  copia  prseparetur,  et  Saracenis  prsedictis 
subtrahatur  auxilium,  quod  eis  consue^nt  ex  hoc  non  modicum  pro- 
venire, 

Licet  autem  torneamenta  sint  in  dii'ersis  conciliis  sub  certa 
pœna  generaliter  interdicta  :  quia  tamen  hoc  tempore,  crucis  nego- 
tium  per  ea  plurimum  impeditur,  nos  illa  sub  pœna  excommuni- 
cationis  firmiter  prohibemus  usque  ad  triennium   exerceri. 

Quia  vero  ad  hoc  negotium  exequendum  est  permaxime  necessa- 
rium  ut  principes  populi  christiani  ad  invicem  pacem  observent  : 
sancta  universali  sijnodo  suadente  statuimus,  utsaltem  per  quadrien- 
nium in  toto  orbe  christiano  servetur  pax  generaliter,  ita  quod 
per  ecclesiarum  prselatos,  discordantes  reducantur  ad  plénum  pa- 
cem aut  firmam  treugam  inviolabiliter  obseri>a?idam  :  et  qui  acquie- 
scere  forte  contempserint,  per  excommunicationem  in  personas, 
et  interdum  in  terras  arctissime  compellantur  :  nisi  tanta  fuerit 
injuriarum  malitia,  quod  ipsi  tali  non  debeant  pace  gaudere. 
Quod  si  forte  censuram  ecclesiasticam  çilipenderint,  poterunt 
non  immerito  formidare,  ne  per  authoritatem  Ecclesise,  circa  eos, 
tanquam  perturbatores  negotii  crucifixi,  sœcularis  potentia  indu- 
catur, 

Nos   igitur  omnipotentis  Dei   misericordia,   et   beatorum  aposto- 


:  647.    DOUZIÈME    CONCILE     ŒCUMENIQUE  1395 

Joriim  Pétri  et  Paidi  authoritate  confîsi,  ex  illa,  quam  nohis,  licet 
indignis,  Deus  ligandi  atque  soli>endi  conlulit,  poleslate,  omnibus 
qui  lahorem  propriis  personis  subierint  et  expensis,  plenam 
suorum  peccaminum,  de  quibus  veraciter  fuerint  corde  contriti 
et  ore  conjessi,  veniarn  indulgemus,  et  in  retributione  justorum 
salutis  œternœ  pollicemur  augmentum.  Eis  autem  qui  non  in  per- 
sonis propriis  illuc  accesserint,  sed  in  suis  dumtaxat  expensis  juxla 
facultatem  et  quaUtatem  suam  piros  idoneos  destinarint;  et  illis 
similiter,  qui  licet  in  alienis  expensis,  in  propriis  tamen  personis 
accesserint,  plenam  suorum  concedimus  veniam  peccatorum.  Hu- 
jus  quoque  remissionis  i'olumus  et  concedimus  esse  participes, 
juxta  quaUtatem  subsidii,  et  devotionis  affectum,  omnes  qui  ad 
subi'entionem  ipsius  ternie  de  bonis  suis  congrue  ministrabunt, 
aut  consilium  et  auxilium  impenderint  opportunum.  Omnibus 
etiam  pie  proficiscentibus  in  hoc  opère  in  communi  universalis 
synodus  omnium  beneficiorum  suorum  suffragium  impartitur, 
ul  eis  digne  proficiat  ad  salutem.   Amen. 

Nous  avons  vu  ^  qu'on  avait  réservé  au  concile  de  Latran  le 
règlement  définitif  de  la  question  des  biens  enlevés,  durant  la 
guerre  des  albigeois,  aux  comtes  de  Toulouse,  de  Foix,  etc.;  aussi 
un  grand  nombre  de  seigneurs,  Raymond  VI,  comte  de  Toulouse, 
avec  son  fils,  les  comtes  de  Foix,  de  Comminges  se  rendirent-ils 
au  concile,  pour  demander  la  restitution  de  ces  biens.  De  son 
côté,  le  comte  Simon  de  Montfort  confia  ses  intérêts  à  son  frère 
Gui  et  à  d'autres  délégués.  Le  comte  de  Toulouse  et  ses  amis, 
admis  dans  l'assemblée  (ce  n'était  pas  une  session  solennelle), 
vinrent  s'agenouiller  devant  le  pape,  qui  les  releva  avec  bien- 
veillance. Ils  se  plaignirent  alors  de  ce  que  Simon  de  Montfort 
ne  voulait  pas  leur  rendre  leurs  biens,  quoique  le  Saint-Siège 
les  eût  déclarés  absous.  Plusieurs  cardinaux  et  prélats  prirent 
parti  pour  le  comte  de  Toulouse,  tandis  que  Foulques,  arche- 
vêque de  Toulouse,  fidèle  à  sa  vieille  inimitié,  représenta  le 
comte  comme  le  protecteur  obstiné  des  hérétiques  et  formula 
la  même  accusation  contre  le  comte  de  Foix.  Mais  on  lui  repro- 
cha à  son  tour  sa  haine  passionnée  et  on  le  chargea  fortement, 
ainsi  que  le  légat  et  le  comte  de  Montfort  :  dans  ce  sens  parlè- 
rent surtout  le  chiuoine-chantre  de  Lyon  et  l'archevêque  de 
Narbonne,  bien  que  celui-ci   en  eût  fait    tout    autant  à   l'époque 

1.  Voir  §  645. 


1396  LIVRE     XXXV 

de  sa  légation.  Toutes  ces  discussions  firent  impression  sur 
Innocent  III,  et  ses  interruptions  montrent  sa  crainte  qu'on  eût 
été  injuste  à  l'égard  des  plaignants.  Les  prélats  du  Midi  décla-  [903] 
rèrent  énerglquement  que,  si  l'on  restituait  ces  biens  à  leurs 
anciens  possesseurs,  tous  les  résultats  obtenus  seraient  perdus 
et  il  serait  impossible  de  venir  à  bout  de  l'hérésie.  Pour  ces 
raisons,  la  majorité  du  concile  prit  les  décisions  suivantes  : 

a)  Le  comte  Raymond  de  Toulouse  sera  à  tout  jamais  dépouillé 
de  toutes  ses  possessions;  il  s'exilera,  fera  pénitence  et,  tant  qu'il 
restera  pleinement  soumis,  touchera  sur  les  revenus  de  ses  biens 
confisqués    une   somme   annuelle    de   400   marcs. 

h)  Sa  femme,  sœur  du  feu  roi  d'Aragon,  universellement  esti- 
mée, conservera  en  paix  sa  dot  intégrale,  mais,  conformément 
aux  ordres  de  l'Église,  elle  devra  veiller  à  ne  pas  laisser  trou- 
bler la  paix  et  la  foi.  Si  elle  le  désire,  elle  peut  échanger  ses 
possessions  contre  une    compensation. 

c)  Tout  ce  qui  a  été  conquis  par  les  croisés,  y  compris  Tou- 
louse et  Montauban,  reviendra  au  comte  de  Montfort,  qui 
recevra  ces  biens  en  fief  de  la  main  de  ceux  qui  ont  le  droit 
de  les  donner. 

d)  Toutes  les  autres  possessions  du  comte  Raymond  (celles 
de  Provence),  non  conquises  par  les  croisés,  seront,  conformé- 
ment aux  ordres  de  l'Eglise,  administrées  par  des  vicaires 
et  rendues  plus  tard  en  totalité  ou  en  partie  au  fils  unique  du 
comte  de  Toulouse,  si,  parvenu  à  l'âge  d'homme,  il  s'en  montre 
digne  ^. 

1.  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1009;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  79; 
Mansi,  op.  cit.,  t.  xxii,  col.  1069;  Hurter,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  567;  C.  Schmidt,  op. 
cit.,  t.  I,  p.  262.  Les  bénédictins,  dom  De  Vie  et  dom  Vaissete,  auteurs  de  l'His- 
toire générale  de  Languedoc,  t.  m,  p.  285,  apprécient  avec  sévérité  ce  décret 
dont  l'audace  dépassait  peut-être  tout  ce  que  Grégoire  VII  avait  jamais  osé 
imaginer.  Ce  n'était  plus  une  déposition  comme  pour  Otton  IV  et  le  retrait 
du  titre  impérial,  c'était  la  confiscation  d'un  État  hérité  par  droit  patrimonial, 
son  dépècement,  son  transfert,  la  consécration  du  droit  do  conquête,  sous  pré- 
texte de  servir  et  de  glorifier  l'Église  de  Dieu.  «  C'est  ainsi,  disent  les  bénédic- 
tins, que  Raymond  fut  dépouillé  de  tous  ses  États,  sans  que  les  liens  du  sang  qui 
rattachaient  à  presque  tous  les  souverains  de  l'Europe  fussent  capables  de  le 
mettre  à  l'abri  des  entreprises  de  ceux  qui  en  voulaient  plus  à  ses  domaines  qu'à 
sa  croyance.  »  Innocent  III  a  assumé,  en  rendant  ce  décret,  une  responsabilité 
historique  si  grave  qu'on  ne  peut  que  s'étonner  de  voir  un  pape  intelligent,  ins- 
truit, inaugurer  une  politique  à  ce  point  discutable.  (H.  L.) 


647,     DOUZIÈME     CONCILE     ŒCUMENIQUE  1397 

A  l'égard  des  comtes  de  Foix  et  de  Comminges,  Innocent  pres- 
crivit à  ses  légats  un  minutieux  examen,  à  la  suite  duquel  le  comte 
de  Foix  recouvra  ses  châteaux  sous  Honorius  III.  On  prit  proba- 
blement une  mesure  analogue  au  sujet  du  comte  de  Comminges  ^ 
Foubjucs,  archevêque  de  Toulouse,  emmena  avec  lui  à  Rome, 
au  concile  de  Latran,  saint  Dominique,  qui  avait  prêché  avec  le 
plus  grand  succès  dans  son  diocèse  et  avait  institué  à  Toulouse 
une  sorte  de  couvent  de  prêcheurs.  Foulques  et  Dominique 
voulaient  présenter  au  pape  le  projet  d'un  ordre  de  prêcheurs. 
Le  pape,  se  conformant  au  canon  13  du  concile  de  Latran, 
prescrivit  d'adopter  l'une  des  règles  existantes;  c'est  pourquoi 
[904]  saint  Dominique  et  ses  amis  choisirent  la  règle  de  saint  Augus- 
tin, avec  les  additions  de  saint  Norbert.  On  raconte  que,  vers 
cette  même  époque,  saint  François  d'Assise  vint  aussi  à  Rome 
pour  obtenir  du  pape  la  confirmation  de  son  ordre.  Si  le  fait 
est  vrai,  saint  François  a  dû  recevoir  une  réponse  analogue  à 
celle  qu'avait  reçue  saint  Dominique.  Dans  ce  même  concile 
de  Latran,  Innocent  III  rétablit  l'ordre  des  Porte-Croix,  qui 
s'était  naguère  éteint;  ses  membres,  qui  portaient  habituellement 
une  croix  à  la  main,  s'occupaient  de  .soigner  les  malades  et  de 
rechercher  les   voyageurs    errants  ou  égarés  ^. 

Le  concile  de  Latran  régla  aussi  la  situation  ecclésiastique  de 
l'île  de  Chypre.  Depuis  son  occupation  par  Richard  Cœur  de 
Lion  en  1191,  cette  île  avait  eu  différents  souverains,  en  der- 
nier lieu  des  membres  de  la  famille  de  Lusignan,  anciens  rois 
de  Jérusalem.  A  l'époque  du  concile,  Hugues  I^^,  de  la  famille 
de  Lusignan,  était  roi  de  Chypre.  Occupé  à  faire  la  guerre  aux 
Turcs,  il  envoya  au  concile  la  reine  Alisia.  Sur  son  désir,  le 
concile  de  Latran  transféra  l'archevêché  de  Salamine  à  Nicosie, 
résidence  de  la  cour,  et  on  nomma  à  ce  siège  un  archevêque 
latin.  On  créa  en  outre,  dans  l'île,  trois  évêchés  latins,  tandis  que 
les  évêchés  grecs  furent  réduits  de  quatorze  à  quatre,  parce  que 
plusieurs  des  anciennes  villes  épiscopales  grecques  tombaient 
en    ruines^.  On  s'occupa    d'améliorer    la    situation  religieuse    des 

1.  Hurter,  op.  cit.,  t.  ii^  p.  660;  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  265. 

2.  Coletij  Concilia,  t.  xiii,  col.  1026;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  83; 
Mansi,  Conc.  amplins.  coll.,  t.  xxn,  col.  1077. 

'3.  Coleli,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1025;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  H^i; 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxn,  col.  107G,  lOS-i;  Wiltscli,  Kirchl.  Georg. 
und  Stalislik,  l.  ii,  p.  119. 


1398  LIVRE     XXXV 

maronites,  dont  le  patriarche  Jérémie  assistait  au  concile.  A 
l'égard  de  l'Allemagne,  on  confirma  la  fondation  de  l'évêché 
de  Chiemsee,  par  Éberhard,  archevè(pie  de  Salzbourg.  L'élection 
deWaliher  à  l'évêché  de  Bâle  fut  cassée,  sur  les  réclamations  de 
plusieurs  chanoines,  et  on  régla  diverses  questions  ^.  L'une  des 
plus  épineuses  fut  celle  du  mariage  de  Burchard  d'Avesnes, 
qui,  étant  sous-diacre,  avait  caché  sa  condition  ecclésiastique 
et  épousé  Marguerite,  princesse  de  Flandre.  Mais  Jeanne,  sœur 
de  Marguerite,  ayant  attaqué  ce  mariage,  il  fut  déclaré  nul 
par  le  concile  de  Latran,  et  Burchard  fut  excommunié.  Il 
résista  cependant  jusqu'en  1223,  mais  tous  ses  efforts  pour  [905] 
faire  admettre  par  Rome  son  mariage  demeurèrent  inutiles  ^. 
Les  prélats  français  formulèrent  de  nombreuses  plaintes  contre 
le  cardinal-légat  Robert  de  Courçon;ce  dernier  se  trouva  dans 
le  plus  grand  embarras,  et  le  pape  ne  put  le  sauver  qu'en  deman- 
dant aux  évoques  français  de  lui  pardonner  ses  fautes  ^. 
Enfin,  on  proposa  de  frapper  toutes  les  provinces  chrétiennes 
d'un  impôt  au  profit  de  Rome;  mais,  sur  le  désir  du  pape,  ce  projet 
ne  fut  pas  pris  en  considération  *. 


1.  Mansi^  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  1086;  Wiltsch,  op.  cit.,  t.  ii^  p.  88^ 
89;  Ilurtcr,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  651;  la  fondation  d'un  évêché  à  Chiemsee  avait  été 
autorisée  par  Frédéric  II.  Huillard-Bréholles,  Hist.  dipl.  Frederlcill,  t.  i,  part.  1, 
p.  256;  part.  2,  p.  366;  Hansiz,  Gennania  sacra,  t.  ii,  p.  322. 

2.  Innocent  III,  Epist.,  Appendix  ad  lib.  XIV,  P.  L.,  t.  ccxvi,  col.  529  sq.; 
Hurter,  t.  ii,  p.  654  sq.  ;  Scholten,  Gesch.  Ludwigs  IX,  des  Heiligen,  Munster, 
1850,  t.  I,  p.  236  sq. 

3.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  954. 

4.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  1086.  Mathieu  do  Paris,  dont  on 
connaît  l'esprit  prévenu  contre  Rome,  rapporte  ces  faits  en  leur  donnant  une 
tournure  des  plus  malicieuses.  D'après  lui,  le  pape  n'aurait  donné  aux  prélats 
l'autorisation  de  rentrer  dans  leurs  diocèses  que  moyennant  une  certaine  somme 
d'argent  exigée  à  titre  de  subvention,  et  que  ces  prélats  eussent  été  dans  l'obli- 
gation d'emprunter  aux  négociants  romains,  à  des  conditions  très  onéreuses,  en 
mênae  temps  qu'il  aurait  aussi  fallu  emprunter  l'argent  nécessaire  à  leur  voyage. 
Cf.  aussi  Winkelmann,  OUo  IV,  t.  ii,  p.  424,  note  1.  Winkelmann  exprime 
aussi  l'opinion  que  ces  prélats  rapportaient  avec  eux  une  sorte  de  protocole 
du  concile  dont  il  trouve  les  traces  dans  les  nombreux  récits  à  peu  près  identi- 
ques d<^s  auteurs  contemporains.  Cf.  sa  Gcsch.  Kaiser  Friedriclis  II,  Berlin, 
1863,  t.  1,  p.  105,  et  Otto  IV,  t.  ii,  p.  513. 


648.    DERNIERS   CONCILES     SOUS    INNOCENT    III  1399 


648.  Derniers  conciles  sous  Innocent  III.  —  Sa  mort. 

On  tint  sans  doute  un  grand  nombre  de  synodes  provinciaux 
pour  faire  exécuter  les  décisions  du  concile  de  Latran;  mais 
nous  n'en  connaissons  qu'un  très  petit  nombre;  ainsi  un  synode 
espagnol  {incerto  loco)  ;  un  synode  tenu  à  Salzbourg  par  l'arche- 
vêque Eberhard,  peu  après  son  retour  de  Rome;  un  synode  de 
trois  jours,  à  Gênes,  sous  la  présidence  de  l'archevêque  Otton. 
Plusieurs  personnes  y  prirent  la   croix  ^. 

Un  synode  célébré  à  Aquilée,  sous  le  patriarche  Wolfger,  du- 
rant le  carême  de  1216,  releva  de  l'excommunication  le  comte 
de  Goritz,  qui  avait  été  excommunié  pour  avoir  ravagé  Fara, 
près   de   Goritz  ^. 

Pierre,  archevêque  de  Sens,  réunit  un  synode  à  Melun  ^.  A 
la  nouvelle  que  Louis,  prince  royal  de  France,  voulait  tenter  une 
descente  en  Angleterre,  pour  enlever  ce  royaume  à  Jean  sans 
Terre,  le  pape  Innocent  avait  manifesté  son  vif  mécontente- 
ment, Jean  étant  vassal  de  Rome  et  croisé.  Le  pape  se  refusait 
à  croire  que  le  roi  de  France  Philippe- Auguste  n'eût  pas  ap- 
prouvé cette  expédition;  non  content  d'excommunier  le  jeune 
prince,  il  écrivit  plusieurs  lettres  au  clergé  de  France  pour 
menacer  aussi  d'excommunication  Philippe-Auguste.  Le  synode 
de  Melun  (1216)  soutint  que  le  roi  était  hors  de  cause.  On  lui 
doit  aussi  sept  canons  pour  la  réforme  des  monastères.    L'arche- 

1.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  1086,  1103;  Dalham,  Couc. 
Salisb.,  p.  94.  Ce  concile  de  Salzbourg  est  certainement  celui  dont  Honorius  III. 
confirma  les  décisions  le  14  décembre  1217.  Ces  décisions  portent  que  les  abbés 
qui  installent  des  prêtres  chargés  du  soin  des  âmes  dans  les  paroisses  incorpo- 
rées à  leurs  monastères  doivent  présenter  ces  prêtres  aux  évêques  du  diocèse 
dont  ils  dépendent;  ces  prêtres  doivent  se  soumettre  aux  évêques  pour  tout  ce 
qui  regarde  le  soin  des  âmes,  tandis  qu'ils  doivent  rendre  compte  au  monastère 
pour  ce  qui  touche  au  temporel.  Cf.  aussi  plus  haut  le  can.  61  du  concile  de 
Latran,  p.  1380.  Meiller,  Regeslen  der  Salzburger  Erzbischufe,  n.  195;  Binterim, 
Deutsche  Concil.,  L.  iv,  p.  442. 

2.  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1031;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col. 
1086. 

3.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  240-241;  Hardouin,  Conc.  coll.,  i.  vu,  col.  85; 
Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1031;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  n,  col.  865; 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  1088. 


1400  LIVRE    XXXV 

vêque  de  Tyr,  envoyé  par  Innocent,  s'employa  beaucoup  dans 
cette  assemblée  pour  la  cause  de  la  Terre  Sainte.  Simon,  évêque 
de  Meath,  tint,  dans  la  cathédrale  SS.  Pétri  et  Pauli  noine  villœ 
juxta  Athrumiam,  un  concile  qui  porta  douze  canons  concernant 
les  délimitations  de  pouvoirs,  les  droits  et  les  devoirs  des  chor- 
évcques  et  l'installation  des  arcliiprêtres;  on  y  prit  pour  base 
le  concile  de  1152^.  Le  16  juillet  1216,  le  i)ape  mourut  à  Pé- 
rouse;  il  se  rendait  dans  la  Haute- Italie  pour  voir  les  choses 
par  lui-même,  organiser  une  grande  croisade  et  aplanir  par  sa 
présence  certaines  difficultés  et  en  particulier  un  différend 
entre  Pise  et  Gênes  ^.  II  fut  alors  saisi  par  la  fièvre  ;  l'ignorance 
des  médecins  et  l'abus  des  oranges  qu'il  aimait  avec  passion  lui 
valurent  une  attaque  de  paralysie,  qui  l'enleva  subitement 
dans  la  cinquante-sixième  année  de  son  âge  et  la  dix-neuvième 
de  son  pontificat  ^. 

1.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  1101. 

2.  Peu  de  temps  auparavant,  il  avait  aussi  envoyé  à  Paris  le  cardinal-légat 
Gualo  pour  détourner  le  prince  français  Louis  d'entreprendre  une  expédition 
contre  le  jeune  roi  d'Angleterre  Henri  (cruce  signatum).  JMJhriclit,  Beitrdge  zur 
Geschichte  der  Kreuzzûge,  in-8,  Berlin,  1874,  t.  i,  p.  57.  Cf.  Potthast,  Regesla, 
n.  5299  et  5300. 

3.  Hurter,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  690;  Potthast,  Regesla,  p.  460.  L'histoire  politi- 
que et  la  «  transfiguration  »  posthume  d'Innocent  sont  un  des  spectacles  les 
plus  instructifs  pour  l'historien.  Daunou,  peu  suspect  de  faire  aux  papes  la  part 
trop  belle,  déclarait  que,  «  parmi  trois  cents  papes  ou  antipapes  dont  l'histoire 
nous  offre  les  noms,nous  n'en  connaissons  pas  de  plus  imposant  qu'InnocentlII,  » 
et  ce  jugement  doit  s'expliquer,  croyons-nous,  par  ce  fait  que,  trouvant  le  nom 
de  ce  pape  mêlé  à  tous  les  événements  qui  ont  agité  la  chrétienté,  la  plupart 
des  historiens  ont  été  amenés,  suivant  la  remarque  de  M.  F.  Rocquain,  à  donner 
à  la  figure  d'Innocent  III  des  proportions  au-dessus  de  la  vérité.  On  le  voit, 
en  elTet,  intervenir  dans  le  gouvernement  des  Etats  presque  au  même  degré 
que  dans  l'administration  de  l'Eglise,  et  l'action  de  ce  pape  sur  ses  contempo- 
rains semble,  à  certains  égards,  avoir  été  plus  considérable  qu'en  son  temps 
ne  l'avait  été  celle  de  Grégoire  VII.  A  y  regarder  de  plus  près  et  au  delà  des 
apparences,  on  voit  très  vite  que  cette  posture  d'autocrator  n'a  aucune  solidité 
et  très  peu  de  réalité.  Innocent  III,  juriste  avisé  et  érudit,  voulait  faire  ce  qu'on 
n'appelait  pas  encore  de  son  temps  de  la  politique  mondiale  et  ne  montra  guère, 
au  cours  de  son  long  pontificat,  qu'une  médiocrité  politique  toujours  égale. 
Non  seulement  il  n'a  pas  compris  que  la  centralisation  administrative  à  outrance 
entraînait  à  tous  les  degrés  de  la  hiérarchie,  exonérés  pour  autant  de  leur  respon- 
sabilité, une  déperdition  de  spontanéité,  de  capacité  et  d'activité;  non  seulement 
il  a  pensé  faire  merveille  en  organisant  une  sorte  d'hypertrophie  bureaucratique, 
mais  encore  il  a  cru  que  le  prestige  officiel  du  pape  ainsi  magnifié  lui  permettait 
d'intervenir  et  de  décider  à  son  gré  en  Europe.  Il  eut  de  rudes  mécomptes  qu'il 


648.     DERNIERS    CONCILES    SOUS    INNOCENT    III  1401 

f autj  sans  trop  hésiter,  mettre  sur  le  compte  de  son  inintelligence  des  événements 
Dans  l'empire,  nous  l'avons  vu  engoué  d'Otton  de  Brunswick  pour  des  raisons 
sans  valeur,  mettre  au  service  de  son  protégé  un  immense  prestige  moral,  une 
autorité  disciplinaire  considérable,  des  fonds  et  des  ressources  de  toute  sorte.  Au 
contraire,  Philippe  de  Souabe,  l'empereur  élu  et  vraiment  national,  ne  recueille 
qu'excommunications,  menaces  et  paroles  fâcheuses.  La  lutte  dure  huit  années, 
le  pape  s'obstine,  les  partis  font  de  même  et,  malgré  le  secours  du  pape,  Otton 
ne  triomphe  que  grâce  à  la  mort  de  son  rival.  Aussitôt  le  protégé  se  découvre  ce 
qu'il  a  toujours  été,  ce  que  Philippe-Auguste  n'a  pu  manquer  de  voir  et 
de  dire  ;  il  attaque  le  pape,  qui  se  lamente  et  excommunie.  Dans  tout  ce 
conflit,  le  pape  se  laisse  conduire  uniquement  ou  du  moins  principalement  par 
le  souci  des  intérêts  du  Siège  apostolique.  Il  n'a  pas  tous  les  torts,  puisque  l'em- 
pereur doit  être  le  défenseur  de  ce  Siège,  mais  en  outre  l'empereur  est  chef  de 
rAllemagne,ce  dont  Innocent  III  ne  se  préoccupe  guère;  puisque  les  princes  alle- 
mands ont  en  majorité  élu  Philippe,  c'est  à  eux  de  savoir  s'ils  en  veulent  à  titre 
électif  ou  héréditaire. Ainsi,  d'une  question  nationale, Innocent  fait  une  question 
personnelle  et,  ce  faisant,  sa  sympathie  pour  Otton  redouble  de  la  confiance  qu'il 
a  en  un  prince  qui,  selon  lui,  protégera  l'Église,  s'accordera  avec  le  pape  et  réa- 
lisera l'union  idyllique  du  sacerdoce  et  de  l'empire.  Il  se  trompe,  c'est  son  affaire 
et  c'est  son  droit,  à  la  rigueur,  quoique  son  erreur  atteigne  le  droit  électoral  des 
princes  et  compromette  la  paix. Mais  en  définitive, Otton  n'a  pas  recueilli  grand '- 
chose  de  cette  persévérante  protection  et  le  pape  a  montré  à  nu  son  peu  de  sens 
politique  et  son  manque  de  clairvoyance. 

Dès  qu'il  se  trouve  en  face  de  Philippe-Auguste,  Innocent  III  n'est  plus  de 
taille  à  lutter.  Tout  ce  qu'il  tenle  en  faveur  d'Ingeburge  est  peine  perdue.  Le 
jour  où  il  plaira  au  roi  de  France  de  reprendre  sa  femme,  il  le  fera  de  son  gré,  et 
jusque-là  ni  remontrances,  ni  conciles,  ni  bulles  ne  viendront  à  bout  de  le  forcer. 
Ingeburge  était  d'autant  plus  touchante  qu'on  n'avait  aucune  faute  à  lui  repro- 
cher qu'un  soi-disant  sortilège;  sa  cause  était  d'autant  meilleure  que  le  mariage, 
selon  elle,  avait  été  consommé.  Malgré  cela,  malgré  des  enquêtes,  des  contre- 
enquêtes,  des  distinctions  et  des  subtilités,  malgré  cette  mesure  si  grave  et  si 
discutable  de  l'interdit  jeté  sur  un  royaume  chrétien  afin  de  châtier  dans  les 
fidèles  l'obstination  de  leur  maître,  malgré  tout  cela,  nouA'el  échec  pour  le  pape. 
Et  dans  une  cause  si  juste,  cette  impuissance  d'Innocent  III  semble  inexpli" 
cable,  si  l'on  n'admet  que,  malgré  le  grand  prestige  apparent,  plus  décoratif  que 
réel,  la  papauté  s'est  singulièrement  affaiblie  et  le  pape  ne  commande  pas  et 
n'intervient  pas  comme  on  pourrait  le  croire  dans  les  affaires  des  États  étran- 
gers. Les  lettres  pontificales  à  Philippe-Auguste  sont  affectueuses,  pressantes, 
jamais  cassantes.  Ce  qui  est  très  remarquable,  c'est  l'appréhension  d'un  échec 
et  de  ses  résultats.  Ce  sera,  dit-il,  la  confusion  du  ridicule.  Après  avoir  tout 
mis  en  œuvre,  obtenir  rien  ou  si  peu.  La  montagne  accouchait  d'une  souris. 
La  citation  est  du  pape  Innocent.  Et  celui-ci,  qui  ne  peut  mettre  d'accord  un 
ménage,  voudrait  régler  les  querelles  des  rois.  Halte  !  Philippe-Auguste  le  pré- 
vient :«  En  ce  qui  concerne  mes  rapports  avec  mes  vassaux,  je  ne  suis  point 
obhgé  d'obéir  aux  ordres  du  Saint-Siège  ni  ne  relève  de  son  jugement,  et  vous 
n'avez  rien  à  voir,  quant  à  vous,  dans  une  affaire  qui  se  passe  entre  rois.»  Inno- 
cent III,  Epist.,  1.  VI,  n.  163.  Les  légistes  de  Philippe  le  Bel  n'auront  qu'à 
mettre  l'axiome  en  forme,  mais  ils  ne  feront  qu'affirmer  un  principe  posé. Dès  le 


1402  LIVRE    XXXV 

temps  d'Innocent  III,  la  papauté  est  invitée  à  demeurer  chez  elle  et  à  ne  plus 
sortir  de  sa  sphère  d'action  spirituelle. La  notion  de  l'Église  et  de  l'État,  encore 
un  peu  brumeuse  et  comme  atténuée,  s'insinue  néanmoins;  elle  se  précise  lente- 
ment.Pape  et  rois  n'ont  plus  le  même  point  de  vue,  surtout  plus  le  mémo  champ 
d'action.  Les  pouvoirs  diffèrent,  les  idées  aussi,  et  cette  scission  va  s'accuser  dans 
l'a  (Taire  de  la  Terre  Sainte. 

Le  projet  de  croisade  est  un  de  ceux  qu'Innocent  caressa  avec  le  plus  d'ob- 
stination (cf.  L.  Bréhiev,  L' Église  et  V Orient  au  moyen  âq^e.  Les  croisades,  1907, 
p.  144-181  ;  Innocent  III  et  les  principes  de  sa  politique  orientale)  ;  ce  fut  l'occa- 
sion d'un  nouvel  échec.  Échec  d'autant  plus  douloureux  que  cette  expédition 
d'Orient  tenait  à  cœur  plus  profondément.  Pendant  les  cinq  premières  années 
de  son  pontificat, le  pape  ne  néglige  rien  pour  réussir  et  croit  à  tout  instant  passer 
du  projet  à  l'exécution.  S'il  cherche  à  remettre  la  paix  en  Europe,  c'est  en  prévi- 
sion du  départ  des  princes  pour  la  croisade.  Celle-ci  se  met  en  branle  et  dévie 
complètement  du  but  entrevu  et  proclamé  par  le  promoteur  de  l'entreprise, 
Il  devait  aller  de  déceptions  en  surprises.  Après  l'arrêt  à  Constantinople,  la  créa- 
tion d'un  empire  latin  dans  cette  ville,  la  captivité  de  l'empereur  Baudouin, 
autant  d'événements,  autant  de  mécomptes.  Ne  sachant  plus  comment  faire 
revivre  ce  projet  défloré,  usé,  dont  plus  personne  ne  voulait,  il  convoqua  le 
concile  de  Latran  et  mourut  sans  voir  la  croisade,  qui  ne  se  fit   jamais. 

La  croisade  des  albigeois  se  termina  assurément  par  la  destruction  des  héré- 
tiques, mais  il  est  malaisé  d'y  voir  autre  chose  que  l'avantage  de  Simon  de 
Montfort.  Ici  encore  le  pape  fut  dupé.  Il  lançait  sur  les  hérétiques  des  hommes 
qui  s'inquiétaient  très  peu  de  la  religion  et  beaucoup  de  leur  fortune.  La  sévé- 
rité de  la  répression,  sans  être  directement  imputable  au  pape,  reste  néanmoins 
une  fâcheuse  note  pour  son  pontificat. 

Si,  pour  être  un  grand  politique,  il  suffisait  d'avoir  vécu  un  siècle  en  arrière 
de  son  temps.  Innocent  III  aurait  droit  incontestablement  à  ce  titre.  Ce  n'est 
pas  qu'il  fût  précisément  un  conservateur,  car  il  exigeait  plus  qu'on  n'avait 
jamais  fait  avant  lui,  se  montrait  audacieux  dans  son  omnipotence  verbale 
pour  devenir  timide  dans  sa  conduite  pratique.  Si  les  formules  et  les  protocoles 
ne  sont  pas  plus  et  sont  même  moins  que  des  mots,  il  n'a  recueilli  que  ce  vent 
et  il  s'en  est  rassasié.  Le  réel,  le  solide,  lui  a  été  moins  à  cœur  que  la  sonorité 
majestueuse  des  déclarations.  En  politique,  son  pontificat  a  marqué  une  apogée, 
à  condition  que,  par  apogée,  on  entende  le  point  d'arrêt  au  delà  duquel  commence 
la  décadence;  en  administration,  ce  même  pontificat  a  marque  l'exaspération 
d'un  système,  la  centralisation,  dont  il  a  inauguré  et  hiérarchisé  le  côté  excessif; 
en  gouvernement,  il  a  introduit,  malgré  sa  clémence  et  sa  douceur  personnelles, 
une  innovation  destinée  à  procurer  des  succès  redoutables,  la  guerre  civile 
entre  chrétiens,  car,  si  les  cathares  étaient  à  peine  chrétiens,  du  moins  l'avaient- 
ils  été  et  la  plupart  d'entre  eux  avaient-ils  encore  le  sceau  du  baptême.  La  dé- 
vastation du  Languedoc  et  le  sac  de  Constantinople,  non  condamnés,  non  approu- 
vés par  le  pape, demeurent  néanmoins  le  résultat  de  ses  excitations  belliqueuses. 
C'est  une  grave  et  solennelle  épreuve  pour  un  chef  de  l'Église  de  s'engager  en 
dehors  des  voies  spirituelles  de  sa  charge  pour  se  jeter  parmi  les  pièges  et  les 
périls  de  la  politique  profane.  Aventure  redoutable  que  bien  peu  ont  affrontée 
avec  succès  et  presque  aucun  avec  profit  pour  les  intérêts  de  la  foi,  autant  du 
moins  qu'on  en  peut  juger  par  l'équilibre  des  progrès  et  des  ruines. Le  long  pon- 


648.    DERNIERS    CONCILES    SOUS    INNOCENT    III  1403 

tificat  d'Innocent  III  (8  janvier  1198-16  juillet  1216)  est  comntiunément  regardé 
comme  un  des  plus  glorieux  de  l'histoire  de  l'Église;  il  serait  plus  exact  de  n'y 
voir  qu'un  des  plus  significatifs.  L'apogée  du  pouvoir  théocratique  ne  durera 
qu'un  instant  et  aussitûl  la  décadence  va  commencer  et  se  précipiter.  Ce  ponti- 
ficat, de  l'activité  duquel  témoignent  près  de  6000  lettres,  a-t-il  été  aussi  bien- 
faisant qu'actif?  Il  est  fort  possible  que  les  intentions  soient  pures,  mais  les  actes 
sont  souvent  entachés  de  conditions  regrettables.  Le  personnage  d'Innocent  III, 
il  est  vrai,  n'est  pas  responsable  moralement  de  tout  ce  qui  s'est  fait  sous  son 
nom,  mais  il  en  est  historiquement  responsable.  Si  le  pape  reconnaît  que  bon 
nombre  de  lettres  sont  expédiées  par  sa  chancellerie  sans  qu'il  en  eût  connais- 
sance, si  d'autres  sont  envoyées  à  leurs  destinataires  après  une  lecture  sommaire 
et  grâce  à  une  approbation  peu  attentive,  ce  ne  sont  guère,  on  en  conviendra, 
des  excuses  à  faire  valoir.  Que  le  pape  se  soit  réservé  les  réponses  à  faire  à  Phi- 
lippe-Auguste dans  l'affaire  d'Ingeburge,  à  OttonlV  dans  le  cas  de  sa  déposition, 
on  en  peut  à  peine  douter,  et  le  contraire  témoignerait  d'une  incurie  dont  per- 
sonne ne  songera  à  accuser  le  pape.  Mais  il  n'y  a  pas  que  ces  lettres  si  graves, 
il  y  a  nombre  de  pièces  d'une  importance  qui  ne  semble  moins  grande  que  parce 
qu'elles  auront  un  retentissement  moins  immédiat.  Ce  sont  ces  pièces  qui  sont 
abandonnées  au  savoir-faire  et  au  bon  esprit  des  cardinaux,  des  scribes  et  no- 
taires de  chancellerie;  les  plus  humbles  ont  la  perspective  de  mettre  la  main, 
plus  ou  moins  subrepticement,  dans  les  affaires  de  l'Eglise,  et  on  ne  peut  alors 
se  défendre  de  constater  que  cette  majestueuse  machine  pontificale  est  surtout 
un  vaste  engrenage  administratif.  Le  gouvernement  de  l'Eglise  se  mue  en  une 
reconstitution  de  l'empire  romain  avec  son  omnipotence,  son  immensité,  ses 
abus  et  son  inefficacité. 

II  s'en  faut  cependant  que  tout  soit  matière  à  critique  dans  ce  régime.  Eu 
égard  à  l'époque,  on  peut  dire  que  les  affaires  litigieuses  sont  généralement 
étudiées  avec  un  soin  véritablement  sincère  d'arriver  à  une  solution  conforme 
à  la  justice.  Sans  doute,  on  n'épargne  pas  au  défendeur  et  au  plaignant  l'inter- 
minable et  coûteuse  enquête  des  juridictions,  mais  en  somme,  le  droit  est  discuté, 
établi,  commenté  avec  compétence  et  probité  relative.  Les  privilèges,  la  légis- 
lation sont  matière  à  bien  des  abus;  povir  la  législation  du  moins,  le  pape  ne 
s'en  désintéresse  jamais.  Au  reste,  le  pape  en  est  venu  à  exercer  sur  la  chrétienté 
un  pouvoir  d'une  nature  singulière.  A  tout  instant,  dans  les  conciles,  dans  les 
assemblées,  dans  les  conflits  senai-privés,  on  voit  surgir  l'appel.  Ainsi  étendu, 
vulgarisé,  l'appel  interrompt  tout,  suspend  tout.  Le  pouvoir  royal,  le  pouvoir 
métropolitain,  le  pouvoir  épiscopal  sont,  en  réalité,  toujours  à  la  merci  de  l'ap- 
pel (jue  peut  formuler  un  inculpé.  Dès  lors  la  papauté  intervient  partout,  à  tout 
moment,  elle  intervient  sans  trop  tarder,  sans  trop  brusquer,  avec  une  informa- 
tion à  peu  près  suffisante,  et  néanmoins  l'appel  est  une  sorte  de  perturbation  orga- 
nisée. Par  ce  moyen,  les  faibles  auxquels  on  l'a  ménagé  demeurent  faibles,  parce 
que  l'appel  est  compliqué,  coûteux,  lent  à  produire  ses  effets  et  que  les  faibles  ont 
peu  de  temps  à  perdre  et  d'argent,encore  moins;  les  opprimés  abusent  contre  leurs 
oppresseurs  de  la  perspective  de  l'appel  dont  ils  font  une  menace  et,  selon  une 
expression  moderne, «  un  moyen  de  chantage»;  les  oppresseurs  que  leurs  propres 
violences  ont  jetés  dans  l'embarras  y  trouvent  une  issue  et  une  façon  agréable 
de  passer  au  Saint-Siège  la  décision  platonique  dont  on  tiendra  compte  peu 
ou  pas  du  tout.  En  arrivant  à  Rome,  une  cause  litigieuse  s'est  un  peu  déformée 


1404  LIVRE     XXXV 

en  chemin;  il  y  aurait  un  moyen  d'éviter  cet  inconvénient,  ce  serait  de  remettre 
cette  ca\tse  au  tribunal  do  l'évêquc,  mais  l'autorité  du  Siège  apostolique  y  per- 
drait et  Innocent  III  se  montrera  plus  attentif  qu'aucun  de  ses  prédécesseurs 
à  ne  rien  laisser  distraire  du  prestige  séculaire  attaché  à  sa  magistrature  su- 
prême. Ce  qui  assure  et  accroît  ce  prestige,  c'est  malheureusement  les  débris  du 
prestige  épiscopal  qui  s'en  va  en  miettes.  Nulle  sentence  épiscopale  qui  ne  soit 
désormais  susceptible  de  revision,  de  cassation. 

Les  concessions  de  privilèges  sont  un  autre  moyen  d'affaiblir  et  d'énerver 
le  prestige  épiscopal  local  au  profit  de  l'épiscopat  universel.  Chapitres,  monas- 
tères, ordres  religieux  de  type  nouveau  s'en  montrent  avides  et  les  privilèges 
qu'ils  sollicitent  du  Siège  apostolique  vont  accroître  l'ascendant  du  pape,  la 
fidélité  intéressée  des  corps  ecclésiastiques  aux  dépens  de  l'évêque,  de  plus  en 
plus  désemparé.  Les  évêques  qu'on  dépouille  ne  semblent  que  plus  empressés 
à  se  priver  du  peu  qu'on  leur  laisse.  C'est  de  leur  part  un  mouvement  ininter- 
rompu de  consultations  minuscules,  parfois  puériles,  ou  bien  de  questions  inat- 
tendues en  matière  de  dogme,  de  morale,  de  discipline,  témoignant  d'une  sin- 
gulière ignorance.  Ainsi,  ils  donnent  barre  sur  eux,  et  on  le  leur  fait  sentir.  Lors- 
qu'il s'agit  de  concessions  de  bénéfices,  les  solliciteurs,  tout  mandataires  qu'ils 
sont  des  évêques,  se  morfondent  à  Rome,  attendant  la  solution  demandée  et 
dont  le  recul  systématique  donne  lieu  à  des  sollicitations  multipliées  qu'appuie 
l'argument  pécuniaire.  D'autre  part,  les  évêques,  les  chapitres  reçoivent  de  cha- 
leureuses recommandations  qui  ressemblent  trop  à  des  injonctions  en  faveur  de 
tels  ou  tels  sujets  que  le  pape  veut  caser  et  qui  s'insinuent, grâce  à  ce  haut  patro- 
nage, dans  des  charges  pour  lesquelles  il  semble  que  rien  ne  les  recommande. 

«  Tout  cela  est  caractéristique.  Ce  pape  qui  répond  à  toutes  les  questions, 
qui  tranche  tous  les  doutes,  qui  agit  et  pense  à  la  place  des  évêques,  qui  règle 
dans  les  monastères  le  vêtement  et  le  sommeil,  qui  juge,  légifère,  administre, 
qui  fixe  le  droit,  proclame  le  dogme,  dispose  des  bénéfices,  c'est  la  monarchie 
absolue  assise  au  sein  de  l'Eglise.  L'œuvre  de  Grégoire  VII  est  enfin  consommée 
dans  la  mesure  de  ce  qu'elle  avait  de  praticable,  et  cette  mesure  même  ne  pourra 
durer.  Au  lieu  de  ce  clergé  d'humeur  fièrc  et  quelquefois  rebelle  contre  lequel 
ce  pape  se  vit  contraint  de  lutter,  on  aperçoit  un  clergé  soumis  et  toujours  dé- 
férant à  la  voix  du  pontife.  Les  rares  symptômes  d'indépendance  qu'on  parvient 
à  saisir  se  manifestent  uniquement  chez  quelques  évoques  mêlés  à  la  querelle 
de  l'empire  et  aux  événements  de  l'hérésie  albigeoise,  »  F.  Rocquain,  La  pa- 
pauté au  moyen  â^e,  in-8,  Paris,  1881,  p.  171, 

Depuis  longtemps  les  théologiens  et  les  historiens  gallicans  et  joséphites  ont 
marqué  tous  ces  traits;  ils  ont  également  relevé  la  tendance  délibérément  avouée 
des  papes  à  exercer  sur  l'épiscopat  un  pouvoir  arbitraire  pouvant  aller  jusqu'à 
la  désignation,  la  nomination  et  la  déposition  des  sujets,  et  comme  conséquence 
l'amoindr  ssement  du  pouvoir  épiscopal,  l'obstacle  apporté  aux  synodes,  l'in- 
signifiance grandissante  des  assemblées  partielles.  Les  contemporains  n'ont  pas 
attendu  Je  xvii^  et  le  xvin^  siècle  pour  faire  des  remarques  analogues  en  un 
langage  moins  juridique  et  plus  acerbe,  et,  de  nos  jours,  C.  Schmidt  et  J.  Dôl- 
linger  ont  eu  beau  jeu  d'enfiler  des  brochettes  de  textes  virulents.  M.  F.  Roc- 
quain, op.  cit.,  p.  173  sq.,  s'est  fait  l'interprète  bienveillant  de  ces  récriminations 
rétrospectives,  il  y  a  mis  sans  doute  plus  de  bonne  foi  que  de  mesure  en  expo- 
sant ainsi  la  situation  de  l'Eglise  sous  Innocent  III  :   «Après  avoir  constaté  le 


648.  DERNIERS    CONCILES    SOUS    INNOCENT    III  1405 

pouvoir  absolu  de  la  papauté,  il  faudrait  rechercher  les  effets  de  ce  pouvoir 
sur  l'ensemble  de  l'Fglise.   II  faudrait  montrer  les  évêques  se  désintéressant  de 
leurs  devoirs  pastoraux  en  proportion  du  peu  d'étendue  laissée  à  leur  action, 
les  discussions  naissant  du  droit  d'appel  au  sein    des  églises  comme    dans  les 
monastères,  une  sorte  de  désorganisation  se  substituant  peu  à  peu  à  l'unité 
par  les  régimes   d'exception  qu'à  des  degrés   divers  créaient  les  privilèges,  le 
clergé  transformé,  pour  ainsi  dire,  en  un  monde  de  plaideurs,  les  églises  appau- 
vries par  les  frais  énormes  des  procès,  les  évêques  chargés  de  dettes,  la  justice 
à  Rome  achetée  trop  souvent  à  prix  d'argent;  en  un  mot,    l'Église  déviant  de 
sa  voie  (  !).  atteinte  en  sa  vitalité,  se  désagrégeant  par  les  dissensions  intestines, 
rompue  dans  son  unité  et  s'altérant  déjà  par  la  corruption.  Il  faudrait  montrer 
enfin  cette  Église  romaine,  dans  laquelle  s'étaient  absorbées  les  églises  locales, 
se  viciant  à  son  tour  et  devenant  un  champ  de  bataille  pour  les  plaideurs,  une 
espèce  de  bureau  européen  où,  au  milieu  de  notaires,  de  scribes  et  d'employés 
de  toute  sorte,  on  ne  s'occupait  que  de  procès  et  d'affaires,  —  en  d'autres  ter- 
mes, cessant  d'être  une  véritable  Église  pour  n'être  plus  que  la  Cour  de  Rome 
ou  la  Curie  romaine.  Cette  situation,  signalée  avec  amertume  par  les  contempo- 
rains, et  dont  on  saisit  la  trace  dans  la  correspondance  d'Innocent  III,  a  été 
plus  d'une  fois  constatée  par  les  historiens. Toutefois, on  aurait  tort  de  faire  peser 
sur  la  seule  époque  d'Innocent  III  la  responsabilité  d'une  telle  situation.  Née 
du  pouvoir  excessif  de  la  papauté,  cette  situation  avait  commencé  avant   lui; 
elle  s'aggrava  sous  ses  successeurs.  La  lecture  attentive  des  documents  permet 
de  suivre,  à  leur  véritable  date,  les  progrès  d'un  état  de  choses  dont  l'on  n'a  pas 
suffisamment  marqué  la  succession.  Ainsi,  à  ne  parler  que  du  changement  de 
l'Église  romaine  en  Cu?*i>,changement  considéré  par  les  hommes  pieux  du  temps 
comme  funeste  pour  la  religion,  on  peut  en  placer  l'origine  vers  le  milieu  du 
xii^  siècle  (Gerhôh,  Liber  de  corrupto  statu  Ecdesiœ    ad  Eugenium  III  papam, 
dans  Baluze,  Miscellanea,  édit.  Mansi,  1761,t.  ii,p.  197),un  peu  avant  le  moment 
où  le  collège  des  cardinaux  se  vit  chargé,  à  l'exclusion  du    clergé  et  des  fidèles, 
de  pourvoir  à  l'élection  des  papes.  Ce  qu'on  peut  dire,  en  somme,  c'est  que  le 
pontificat  d'Innocent  III,  qui  marque,  pour  la  papauté,  l'apogée  du  pouvoir 
absolu,    marque    aussi,  pour  l'Église,  le  commencement  d'une  décadence  qui 
un  siècle  après,  arrivera  au  dernier  degré  sous  les  papes  d'Avignon.  Ainsi  fut 
viciée,  dans  ses  effets,  l'œuvre  de  Grégoire  VII.  Il  s'était  servi  de  la  puissance 
du  Saint-Siège  pour  réprimer  les  désordres  de  l'Église,  et  cette  puissance,  éten- 
due inconsidérément  par  ses  successeurs,     avait  produit     d'autres    désordres. 
En  même  temps  que  l'Église  s'altérait  (  !  —  il  va  sans  dire  que  je  cite),  la  pa- 
pauté, à  son  insu  et  par  les   mêmes  causes,  se  trouva  transformée.    Elle  se  vit 
amenée  à  déserter  les  choses  spirituelles  pour  le  tracas  des  affaires,  la   théolo- 
gie pour  le  droit.  DôUinger  remarque  avec  raison  que,     dans    le   même    temps 
que  grandissait  la  puissance  pontificale,  une  nouvelle   législation   — dont    les 
fausses  décrétales,  les  travaux  de  l'école    grégorienne    et    le    décret    de    Gra- 
tien  constituaient  les  principaux  cléments  —  s'était    élevée    pour    la    soutenir. 
Obligé,  dans    ses    rapports    avec   l'I'glisc,   d'invoquer   ce   nouveau   droit,   d'en 
faire  l'application  constante  et  minutieuse,  le  pape  devait,  avant  tout,  être  un 
juriste.  C'était  là,  en  effet,  le  côté  dominant  de  la  personnalité  d'Innocent  III 
et  son  titre  principal  à  l'admiration  de  ses  contemporains.  Mais,  pas  plus  pour 


1406  LIVRE    XXXV 

l'époque  d'Innocent  III  que  pour  celle  de  Grégoire  VII,  nous  ne  saurions  être 
d'accord  avec  Dôllinger  sur  l'importance  qu'il  attache  aux  falsifications  intro- 
duites dans  cette  législation.  En  attribuant,  au  degré  où  il  l'a  fait,  les  progrès 
de  la  puissance  pontificale  aux  efforts  réunis  de  l'ambition  et  de  la  fraude,  il  a 
méconnu  les  convictions  sincères  qui  portèrent  les  papes  à  se  regarder  tout  en- 
semble comme  les  successeurs  de  l'apôtre  et  les   magistrats  suprêmes  de   la  chré- 
tienté. Il  a  méconnu  aussi  les  tendances  générales  dont  Grégoire  VII  lui-même, 
malgré  l'indépendance  de  son  génie,  avait  subi  l'effet,  et  qui,  au  temps  d'Inno- 
cent III,  entraînaient  non  seulement  les  pouvoirs  spirituels,  mais  les  pouvoirs 
séculiers  vers  la  forme  autocratique.  S'il  ne  nous  fallait  sortir  de  notre    cadre, 
il  ne  serait  pas  sans  intérêt  d'établir,  sur  ce  point,  un  parallèle  entre  la  société 
laïque  et  la  société  religieuse,  de  montrer  dans  celle-là  la  royauté  attirant  peu  à 
peu  à  elle  toutes  les  affaires  au  moyen  des  appels,  substituant  dans  ses  conseils 
les  légistes  aux  grands  vassaux,  propageant  dans  les  écoles  un  droit  nouveau 
où  le  prince  était  tout,  affaiblissant  ainsi  daiîs  leur  indépendance  les  barons 
féodaux,  comme  la  papauté,  les  évèques,  et  s'avançant  comme  elle,  mais  plus 
tardivement,  vers  la  domination  absolue.  La  papauté  ne  déviait  pas  seulement 
de  son  caractère  par  la  nécessité  où  elle  était  d'abandonner   la   théologie  pour  le 
droit.  Noyée  sous  le  flot  des  affaires  sans  nombre  qui  affluaient  vers  elle,elle  per- 
dait de  vue  les  horizons  de  la  spiritualité.  Nous  avons  montré  Nicolas  I®''  parta- 
geant avec  peine  son  attention  entre  les  occupations  incessantes  qui  s'impo- 
saient à  sa  sollicitude.  Déjà,  plus  de  deux  siècles  avant  lui,  Grégoire  le  Grand 
se  plaignait  que  son  esprit,  fatigué  de  soucis,  ne  fût  plus  capable  de    s'élancer 
vers  les  régions  supérieures.  Combien,  depuis  cette  époque,  les  choses  s'étaient 
aggravées  !    «  Emporté,   écrivait   Innocent   III,   dans   le   tourbillon  des  affaires 
«  qui  m'enlacent  de  leurs  nœuds,  je  me  vois  livré  à  autrui  et  comme  arraché  à 
«  moi-même.  La  méditation  m'est  interdite,  la  penséepresque  impossible;  à  peine 
«  puis-je  respirer.  »  Une  autre   particularité  sur  laquelle   se   tait   Innocent   III, 
mais  qui  résulte  de  faits  épars  dans  sa  correspondance,  c'est  que,  forcé  par  la 
multiplicité  des  affaires,  auxquelles  il  ne  pouvait  suffire,  d'élargir  en  proportion 
la  sphère  d'action  ou  d'influence  de  ses  cardinaux  et  des  légats,  il  les  laissait 
empiéter  sur  son  autorité  et  s'arroger  une  indépendance  qu'il  était  impuissant 
à  réprimer.  On  peut  même  dire,  sans  outrepasser  la  vérité,  que,  dans  ses  lettres, 
Innocent  III  apparaît  plus  d'une  fois  comme  captif  dans  le  cercle  que  forment 
autour  de  lui  ses  cardinaux.  Et  ainsi,  quand  on  y  regarde  de  près,  on  s'aperçoit 
que  ce  pape,  maître  absolu  de  l'Église,  était  écrasé  parles  affaires,  dominé  par 
ses  conseils.  Si  les  modifications  que  subissait  la  papauté  échappaient    à    l'at- 
tention d'Innocent  III,  entrevit-il  du  moins  la  décadence  de    l'Église?     Rien 
dans  ses  lettres  ne  le  fait  supposer.  Si,  dès  le  commencement  de   son  pontificat, 
des  symptômes  de  désorganisation  fussent  apparus  à  son  esprit,  il  eût  formé  sans 
doute  cjuelque  projet  d'amélioration,   quelque   plan   de  réforme.  Or  il  n'en  est 
rien.  Les  lettres  où  il  notifie  son  élection  ne  révèlent  aucune  idée  de    ce  genre. 
Il  n'y  fait  guère  que  s'excuser  d'avoir  été  porté   si  jeune    au    pontificat.  Dans 
ses  dernières,  années  il  laisse   percer    toutefois    quelque    préoccupation    sur   la 
situation  de  l'Église,  mais  sans  que  cette  préoccupation  semble  lui  avoir  sug- 
géré aucun  dessein  réparateur.  » 

Les  vues  très  justes,  les  rapprochements  ingénieux  dont  l'auteur  a  fortifié 
celte  synthèse  nous  ont   décidé  à  la    transcrire  ici,  malgré  quelques  expressions 


648.    DERNIERS    CONCILES    SOUS    INNOCENT  III  1407 

inacceptables  en  elles-mêmes  et  dans  leur  application  à  l'Église.  La  papauté 
a  subi,  parce  qu'elle  ne  pouvait  et  ne  devait  pas  s'y  soustraire,  les  conditions 
du  milieu  social  et  politique  des  temps  qu'elle  traversait.  Il  est  aise  à  l'historien 
de  marquer  des  directions  idéales  qu'il  est  seul  à  apercevoir  et  d'oublier  que  les 
hommes  vivent  dans  l'espace  et  le  temps,  subissent  ces  deux  contingences, 
s'en  accommodent  et  s'en  aflranchissent  dans  la  mesure  du  possible,  mais  jamais 
absolument.  Ceux  qui  auront  lu,  dans  cette  Histoire  des  conciles,  le  récit  des  pon- 
tificats du  s.^  siècle  et  du  xi^  jusqu'à  celui  de  Léon  IX,  s'expliqueront  sans 
peine  que,  sous  l'impression  vive  et  la  menace  constante  de  cet  état  de  choses, 
un  plan  ait  été  conçu  et  un  effort  tenté  pour  y  échapper  à  tout  jamais.  Le 
plan  et  l'effort  peuvent,  à  distance  des  siècles,  nous  paraître  excessifs,  fautifs; 
on  ne  saurait  prétendre  les  justifier  sans  réserve;  mais  si  on  considère  leur  carac- 
tère essentiel,  leur  inspiration  primitive,  on  doit  constater  que  le  plan  dispropor- 
tionné et  l'effort  excessif  sont  une  réaction,  ce  qui  explique  du  reste  les  imper- 
fections. LTne  fois  le  projet  énoncé,  adopté,  entré  dans  la  voie  de  l'exécution, 
c'est  la  logique  de  la  vie  qui  s'en  empare,  comme  la  réaction  contre  la  Ligue  et 
la  Fronde  conduira  Richelieu  et  Louis  XIV  à  la  monarchie  absolue.  Cette  logi- 
que irrésistible  s'enipare  des  plus  robustes  esprits,les  entraîne  et  les  fait  employer 
leur  volonté  et  leur  puissance  à  procurer  le  triomphe  d'un  plan  qui  a  pu  sembler 
une  rêverie  et  qui  ne  cesse  de  l'être  que  pour  devenir  funeste  par  l'impitoyable 
rigueur  de  la  logique  même.  On  voudrait  l'atténuer,  on  ne  peut;  on  voudrait  le 
morceler,  on  ne  peut  pas  non  plus. C'est  un  engrenage  qui  saisit  l'un  après  l'autre 
tous  les  rouages,  les  règle,  les  meut  et,  à  cause  de  cela,  se  fatigue  et  se  détruit 
rapidement.  Grégoire  VII  n'a  pu  vouloir  la  réforme  du  clergé  sans  l'abaissement 
de  l'empereur,  parce  que  la  corruption  des  clercs  tenait  à  la  source  bilatérale 
de  leur  ordination  et  de  leur  charge  :  dès  lors,  toute  entente  durable  étant,  en 
fait,  impossible  entre  deux  pouvoirs  collaborateurs,  l'un  doit  dominer  l'autre  et 
celui  qui  ne  dominera  pas  sera  asservi  :  ainsi  l'Eglise  doit  dominer  l'empire. 
D'abord  accablée  et  près  de  sa  ruine,  en  apparence,  déchirée  parles  schismes, 
trahie  par  les  nobles  romains,  l'Église,  par  le  seul  fait  qu'elle  a  duré,  voit  venir 
pour  elle  des  jours  meilleurs.  Elle  n'a  pas  encore  de  gros  bataillons,  mais  la  peste 
réduit  l'armée  impériale,  au  point  d'égaliser  les  effectifs  en  présence,  elle  n'a  plus 
de  schismes  et  d'antipapes  et  c'est  au  tour  des  empereurs  de  se  disputer  à  deux 
à  trois,  la  couronne  que  le  pape  ne  se  hâte  pas  trop  de  donner.  Sortis  avec  avan- 
tage d'une  passe  redoutable,  les  papes  sont  maintenant  en  mesure  d'imposer 
aux  empereurs  l'abandon  de  leurs  prétentions  à  l'investiture  des  évêques  et  ceux- 
ci  se  trouvent  du  même  coup  rejetés  du  côté  de  Rome,  dispensatrice  des  sièges 
épiscopaux  et  abbatiaux  toujours  convoités.  Bien  plus,  la  guerre  civile,  la  guerre 
étrangère,  la  politique,  ont  si  bien  travaillé  d'accord  que  l'empereur,  qui  jadis 
donnait  son  consentement  à  l'élection  du  pape,  en  est  réduit  à  solliciter  humble- 
ment l'élection  impériale  de  ce  même  pape  qu'on  élit  et  qu'on  couronne  sans 
s'occuper  désormais  de  l'empereur.  La  situation  s'est  donc  retournée.  Comment 
cela  s'est-il  fait?  A  force  de  temps,  de  patience,  de  déboires,  à  force  surtout  de 
vouloir  toujours  la  même  chose  et  de  ne  jamais  s'attacher  à  telle  ou  telle 
manière  d'y  atteindre.  Une  pensée  unique,  dominante,  logique,  a  tout  fait. 
Les  papes  n'ont  été  que  les  metteurs  en  œuvre  géniaux  ou  habiles  ou  médio- 
cres, tous  attachés  à  procurer  le  but  assigné  à  leur  effort.  Peut-être  n'est-il  pas 
exact  de  dire  que  l'œuvre  de  Grégoire  VII  fut  viciée;  elle  s'accomplit,  s'épanouit 


1408  Livre    xxxv 

un  instant  et  mourut  l'instant  d'après,  parce  qu'elle  portait  en  elle  le  vice  de 
trop  vastes  desseins  politiques  :  l'exclusivisme.  L'empire  d'Alexandre,  celui  de 
Charlemagne,  celui  de  Charles-Quint,  celui  de  Napoléon,  fondés  sur  des  victoires 
brutales,  sont  infiniment  moins  dignes  d'attention  pour  l'historien  que  ces  hautes 
conceptions  d'où  la  force  armée  est  presque  absente  et  qui  s'accomplissent 
néanmoins;  mais  les  empires  miilitaires  et  les  empires  théocra tiques  sont  éphé- 
mères, parce  qu'ils  visent  à  une  universalité,  à  un  absolu  qui  sont  comme  la 
contradiction  flagrante  du  particularisme  et  du  relatif  de  tout  état  politique. 
Ce  qui  fait  que  l'Église  est  universelle,  catholique,  et  qu'elle  dure  et  qu'elle 
durera  avec  ce  caractère,  c'est  précisément  l'absence  de  contingences  politiques 
dans  cette  domination  purement  spirituelle.  (H.  L.) 


[907]  LIVRE    TRENTE-SIXIÈME 

FRÉDÉRIC  II,  1216-1250 


CHAPITRE  PREMIER 

L'EMPEREUR  FRÉDÉRIC  II  ET  LE   PAPE  HONORIUS  III 


649.    Aperçu  historique. 

Trois  jours  après  la  mort  d'Innocent  III  à  Pérouse,  le  18  juil- 
let 1216,  le  cardinal-prêtre  Cencius  Savelli  fut  élu  pape,  sous  le 
nom  d'Honorius  III  ^,  C'étiait  un  vieillard  qui,  sans  posséder 
l'énergie  et  le  talent  de  son  prédécesseur,  en  avait  du  moins  les 
principes  ^.     Il    désirait    surtout     réaliser    le    plus     promptement 

1.  Les  cardinaux  chargèrent  du  soin  de  l'élection  les  deux  cardinaux-évêques 
d'Ostie  et  de  Préneste,  et  ceux-ci  élurent  le  cardinal-prêtre  Cencius  Savelli.  For- 
schungen  zur  deutschen  Geschichte,  t.  xv,  p.  376. 

2.  Honorius  III,  cardinal-diacre  du  titre  de  Sainte-Lucie  i'nOri/iert,  cardinal- 
prêtre  du  titre  des  Saints-Jean-et-Paul,  le  23  novembre  1201  ;  élu  pape  le  18  juil- 
let 121G;,  sacré  et  couronné  le  25  à  Pérouse,  mort  au  Latran  le  18  mars  1227. 
Jacques  de  Vitry,  dans  Mémoires  de  V Académie  de  Bruxelles,  t.  xxiii,  p.  30, 
représente  Honorius  III  comme  bonum  senem  et  religiosum,  simplicem  valde  et 
benignuni,  qui  fere  omnia,  qux  habere  polerat,  pauperibus  erogaverat.  C'est  à 
Cencio  Savelli  que  nous  devons  le  Lifcer  censuum  dans  lequel  sont  catalogués  et 
décrits  les  biens  pati'imoniaux  et  les  cens  de  l'Eglise  romaine;  en  outre,on  possède 
de  lui  quelques  sermons  suivant  la  triple  division  :  de  tempore,  de  sanctis,  de  i>ariis 
festis,  des  décrétales  et  des  lettres.  Aguirre,  Conc.  Ilispan.,  1755,  t.  v,  col.  181- 
184;  Analecta  juris  pontificii,  1881,  t.  xx,  p.  897-904;  X.  Barbier  (de  Montault), 
Bulle  ou  sceau  pendant  en  plomb  du  pape  Honorius  III,  dans  Soc.  sphragisl., 
Paris,  1855,  t.  iv,  p.  357;  Bohmer  et  Ficker-Winkelmann,  Regesta  imperiij  1892, 
t.  V,  p.  1120-1170,  2136;  E.  Caillemer,  Le  pape  Honorius  III  et  le  droit  civil- 
in-8,  Lyon,  1881;  D.  J.  Clausen,  Papst  Honorius  III  (1216-1227),  eine  Mono- 
graphie, in-8,  Bonn,  1895;  Damberger,  Syjiclironist,Gesch.  Mittelalt.,  \85&,  t.  ix, 

CONCILES  -  V   —89 


1410  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE     I 

possible  le  plan  d'Innocent  III  pour  une  grande  croisade,  et  dès 
le  jour  de  son  sacre,  25  juillet,  il  écrivit  au  roi  Jean  de  Jérusa- 
lem^. Dans  le  même  but,  il  adressa,  dès  le  mois  d'août,  de  Pérouse 
d'abord,  puis  de  Rome,  de  pressantes  exhortations  à  tous 
les  princes  et  évoques  de  l'Occident  et  à  l'empereur  latin 
de  Constantinople    ".     On    peut   s'éloner   <|ue,     de   ces  premières 

p.  817-1014;  Kritikheft,  p.  83-99;  R.  Davidsohn,  Process  «-egen  Ffl7sc/iun.g  emer 
pàpstliclien  Bulle,  1216,  dans  Neues  Archiv,  1894,  t.  xix,  p.  232-235;  Paul 
Fabre,  dans  Mélanges  d'archéologie  et  d'histoire,  1883-1886,  t.  m,  p.  328-372; 
t.  VI,  p.  147-161;  Liber  censuum  Ecclesise  romanse,  édit.  P.  Fabre  et  L.  Du- 
chesne,  1885,  t.  i  sq.  ;  J.  A.  Fabricius,  Bibliotheca  medii  x\>i,  t.  i,  p.  1018-1019; 
t.  III,  p.  809-813;  édit.  Harlès,  t.  i,  p.  366;  t.  m,  p.  276;  F.  Fita  y  Colome,  dans 
Boletin  de  la  Acad.  de  la  historia,  1883,  t.  xiii,  p.  237-240;  1889,  t.  xiv,  p.  461- 
464;  B.  Haurcau,  Quelques  lettres  d'IIonorius  III,  extraites  des  manuscrits  de  la 
Bibliothèque  impériale,  dans  Notices  et  extraits  des  manuscrits, X'èÇtb,  t.  xxi,  part.  2, 
p.  163-201;  Horoy,  Ilonorii  III  opéra  omnia,  édit.  Horoy,  dans  Medii  sévi 
bibliotheca  patristica,  t.  i-v,  in-8,  Paris,  1879-1883;  t.  i,  p.  i-xlvi,  1-22;  t.  ii, 
p.  xiii-xxiv,  p.  401-438.  Cf.  Ul.  Robert,  dans  Bibliolh.  de  l'École  des  chartes, 
1879,  t.  XL,  p.  478-482;  P.  Jafîé,  Regeeta  pontif.  roman.,  1851,  p.  886-887;  Kohl- 
mann,  dans  Jahrb.  Ces.  Kunst  Emden,  1883,  t.  v,  part.  2,  p.  108-122;  Liber 
pontificalis,  édit.  Duchesne,  1892,  t.  ii,  p.  453;  'Li\eT3im,Spicilegium  Liberianum, 
1863,  p.  707-709;  A.  Mai,  Spicilegium  romanum,t.  y,v  614-620;  t.  vi,  p.  299; 
P.  T.  Masetti,  /  pontifici  Onorio  III,  Gregorio  IX  ed  Innocenzo  a  fronte  dell' 
imperatore  Federico  II  nel  secolo  xiii,  in-8,  Roma,  1884;  P.  L.,  t.  lxxviii, 
col.  1065;  t.  xcc,  col.  979;  t.  ccvii,  col.  479;  t.  ccxv,  col.  1635;  Pertz,  Archi^', 
t.  V,  p.  89-99;  t.  xi,  p.  343-346;  A.  Pokorny,  Die  Wirksamkeit  der  Legaten 
des  Papstes  Honorius  III  in  Frankreich  und  Deu<sc/i?and,  in-8,  Krems,  1886  ; 
Potthast,  Reg.  pont,  roman.,  1873-1875,  p.  463,  466,  468-679,2056-2099,2135- 
2136;  P.  Pressuti,  Regesti  dei  romani  pontefici,  1874,  p.  21-133;  P.  Pressutti, 
/  Regesti  del  pontefice  Onorio  III,  dalV  nnno  1216  aW  anno  1227 ,  compilati  sui 
codici  delV  archivio  Vaticano  ed  altre  fonti  storiche,  in-8,  Roma,1884;  P.  Pressutti, 
Regesta  Honorii  papse  III...  ex  Vaticanis  archelypis  [edidit]  aliisque  fontibus 
a6soZfi<,  2  vol.  in-4,Romœ,  1888-1895;  C.  Rodenberg,  Ueber  die  Register  Hono- 
rius III,  Gregors  IX  und  Innocenz  IV,  dans  Neues  ^rc/uV,  1885,  t.  x,  p.  507- 
578;  F.  Vernet,  Études  sur  les  sermons  d' Honorius  III.  Thèse,  in-8,  Lyon,  1888; 
Watterich,  Pontif.  roman,  vitse,  1862,  t.  i,  p.  lxxi-lxxxiv.  (H.  L.) 

1.  Potthast,   Regesta,   n.   5317.    (H.   L.) 

2.  Huillard-Dréholles,  Historia  diplomatica  Friderici  II,  t.  i,  p.  503;  Baronius- 
Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1216,  n.  18  sq.;  Ex  Honorii  III  registro,  dans  Mo- 
num.  Germ.  hist.,  Epistolœ  sœc.  xiii,  t.  i,  p.  1  sq.,  7;  Potthast,  Regesta,  p.  468. 
Le  concile  de  Latran,  en  1215,  avait  édicté  une  sorte  d'impôt  du  vingtième  pour 
fournir  aux  frais  de  la  croisade.  Honorius  se  montre  très  empressé  à  le  faire 
acquitter.  Cf.  Vressutù,  Regesta  Hojwrii  ///,p.  19-21,60,  n.  337;  p.  186,  n.  1110; 
p.  187,  n.  1116;  p.  190,  n.  1285;  p.  248,  n.  1498;  p.  249,n.  1499;Potthast,  Rçgest. 
pont,  roman. ^  p.  514,  n.  5858;  p.  515,  n.  5859;  Clausen,  op.  cit.,  p.  93  sq.  Sur  la 


G49.    Al'EllÇU    HISTORIQUE  1411 

lettres  du  pape,  aucune  n'ait  été  adressée  à  Frédéric  II; 
90ô]  sans  doute,  ce  dernier  était  alors  occupé  de  sa  lutte  avec 
Otton  IV  1.  II  semble  bien  que,  dès  le  début  de  1217,  Frédé- 
ric envoyait  uno  ambassade  à  Honorius,  pour  le  féliciter 
et  traiter  de  la  croisade  à  laquelle  l'empereur  s'était  en- 
gagé à  Aix-la-Chapelle;  c'est  du  moins  ce  qu'on  peut  in- 
duire de  la  réponse  du  pape  en  date  du  8  avril  1217  ^.  Le 
21  août  1215,  Frédéric,  dans  un  chapitre  général  des  abbés 
réunis  à  Saint-Avold,  leur  avait  demandé  de  prier  pour  qu'il 
pût  exécuter  son  ardent  désir  de  délivrer  la  Terre  Sainte  des 
mains  des  ennemis  du  Christ  3;  mais  bientôt  après  il  fut  absorbé 
par  d'autres  affaires.  En  1216,  il  fit  venir  de  Sicile  en  Allemagne 
son  fils  Henri  pour  lui  octroyer  la  couronne  de  Sicile  *;  d'autre 
part,  il  n'accorda  aucun  soutien  au  roi  André  II  de  Hongrie  ^, 
lorsque  celui-ci  conduisit  en  Syrie  ^  (été  de  1217)  une  nombreuse 


situation  des  États  chrétiens  d'Orient  au  début  du  xiii^  siècle,  cf.  L.  Brchier, 
L'Église  et  l'Orienl  au  moyen  âge.  Les  croisades,  in-12,  Paris,  1907,  p.  182-190. 
(H.  L.) 

1.  Nous  n'apercevons  pas  la  raison;  d'ailleurs,  depuis  la  journée  de  Bouvines, 
Otton  IV  ne  comptait  plus  comme  rival,  à  peine  était-il  un  peu  encombrant 
dans  sa  retraite  de  Brunswick.  (H.  L.) 

2.  Monumenta  Germanise  historica,  Epist.  sseculi  xiii,  t.  i,  p.  22. 

3.  \Vinkelmann,  Acta  imperii  inediia  sseculi  xiii,  Innsbriick,  1880,  p.  110. 

4.  Relativement  aux  négociations  engagées  avec  la  Curie,  cf.  Winkelmann, 
Forschungen  zur  deutschen  Geschichte,  t.  i,  p.  16;  Geschichte  Kaiser  FriedrichsII 
und  seiner  Reiclie,  Berlin,  1863,  t.  i,  p.  79  sq.  Dans  une  lettre  du  l^r  juillet  1216 
(cf.  Huillard-Bréholles,  Ilislor.  diplomal.  Friderici  II,  t.  i,  p.  469  sq.), Frédéric  II 
renonçait  non  seulement  à  l'inséparabilité  politique  de  la  Sicile  et  de  l'Allemagne^ 
mais  il  y  renonçait  personnellement  et,le  10  février  1220,  il  s'engageait,  à  Hague- 
nau,  à  opérer  la  séparation  effective  entre  l'empire  et  la  Sicile.  Monum.  Germ. 
hisU,  Leges,  sect.  iv,  t.  ii,  p.  82,  n.  70.  (H.  L.) 

5.  André  II,  dit  le  Hiérosolymitain,  roi  de  Hongrie,  1205;  croisé,  1217;  mort 
le  7  mars  1235;  il  fut  le  père  de  sainte  Elisabeth  de  Hongrie,  Cf.  J.-B.  Szegedi, 
Andréas  II  assertor  libertatis  Hungarise,  Croatir,  Dalmatise  et  Slavonise,  in-8^ 
Jaurini,  1750;  Andréas  II  dictas  Hierosohjmitanus,  rex  Hungarise  XIX,  Sa.ro- 
rum  in  Transylvania  libertatis  assertor,  in-8,  Jaurini,  1751;  P.  Walter,  Assertor 
libertatis  Uungaricse,  Dalmaticœ,  Croaticse  et  Slavonicse,  Andréas  II  rex  Hiero- 
sohjmitanus, in-8,  Cassoviœ,  1752.   (H.  L.) 

6.  En  1216,  Frédéric  s'était  fait  exempter  par  la  diète  de  Nuremberg,  tenue 
en  décembre,  de  faire  acte  de  présence  en  Terre  Sainte  pour  le  moment.  En 
France,  où  la  croisade  avait  été  prèchée  par  Jacques  de  Vitry,  qui  devint  évèque 
d'Acre,  puis  par  le  légat  Simon,  archevêque  de  Tyr,  il  y  eut  de  nombreuses  résis- 
tances.  En  revanche,  la  croisade  excita  l'enthousiasme  en  Hongrie  où  le  roi 


1412  LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE     I 

armée  de  croisés  ^.  Il  était  accompagné  de  Léopold  VI,  duc  d'Au- 
triche ^,  d'Otton  de  Méranie  el  de  plusieurs  autres  seigneurs  et 
prélats  allemands,  qui  tous  prirent  la  route  de  Chypre  ^.  Mal- 
heureusement le  défaut  d'union  fit  échouer  l'expédition,  et  le 
seul  résultat  de  la   croisade   fut   qu'André  rapporta  l'année  sui- 


André  II  avait  résolu  d'accomplir  le  vœu  fait  par  son  père;  en  Allemagne^  où  le 
duc  Léopold  d'Autriche  et  un  grand  nombre  d'évêques  et  de  seigneurs  de  Bra- 
bant  ou  de  Hollande  prirent  la  croix;  enfin  dans  les  pays  Scandinaves,  où  deux 
expéditions  s'organisèrent  :  l'une,  sous  le  commandement  de  Casimir,  duc  de 
Poméranie,  et  du  prince  lorvégien  Sigurd  Konungsfraendi,  traversa  l'Alle- 
magne et  alla  s'embarquer  à  Venise  et  à  Spalato  avec  le  roi  de  Hongrie  et  les 
princes  allemands;  l'autre  quitta  la  Norvège  par  mer,  recueillit  sur  sa  route 
des  croisés  rhénans  et  frisons,  fit  escale  en  Galice  afin  d'accomplir  le  pèlerinage 
de  Saint-Jacques  de  Compostelle,  aida  les  Portugais  à  prendre  une  ville  musul- 
mane et  rejoignit  la  grande  croisade  en  mai  1218.  Cf.  Riant,  Expéditions  et  pelé' 
rinages  des  Scandinai>es  en  Terre  Sainte,  p.  320-327;  L.  Bréhier,  op.  cit.,  p.  190- 
191;  Rohricht,  Quinti  helli  sacri  scriptores  minores,  in-8,  Genevœ,  1879;  Testi- 
monia  de  quinto  hello  sacro  minora  e  clironicis  occidentalibus,  in-8,  Geneva-, 
1882;  Sludien  zur  Geschichte  des  funjten  Kreuzzuges,  in-8,  Innsbrïick,  1891, 
Beitrdge,  t.  ii,  p.  232  sq.  ;  Geschichte  der  Kreuzziige  im  Umriss,  p.  193  sq.;  Ge- 
schichte des  Konigreichs  Jérusalem,  p.  717;  Jacques  de  Vitry,  Epistolse  de  expe- 
ditione  Damiatina  sex,  édit.  Rohricht,  dans  Zcitschrift  fitr  Kirchengeschichte, 
t.  XIV,  p.  97-118;  t.  XV,  p.  568-587;  t.  xvi,  p.  72-114;  Olivier  de  Cologne,  Epist. 
ad  Engelhertum  archiep.  Coloniensem  de  ohsidione  Damiatœ,  1218-1219,  édit. 
Rohricht,  dans  Westdeutsche  Zeitschrift  fi.r  Geschichte  und  Kunst,  t.  x,  p.  161- 
208;  Die  Kreuzzugsbevvegung  1217,  dans  Forschungen,  t.  xvi,  p.  139-156,  et 
Histor.  Taschenbuch,  1876,  p.  59-98;  W.  Oncken,  Allgemeine  Geschichte  in 
Einzeldarsiellungen,  1891,  part.  V,  p.  310  sq.;  H.  Hoogeweg,  Der  Kreuzzug  von 
Damiette,  dans  Mittheil.  d.  Instit.  f.  ôsterreich.  Gesch.,  1887,  t.  viii,  p.  188- 
218;  1888,  t.  ix,  p.  249-288,  414-447;  Clausen,  Papst  Honorius  III,  in-8,  Bonn, 
1895,  p.  93-126,  170-183.  (H.  L.) 

1.  Les  premiers  contingents  arrivèrent  à  Samt-Jean-d'Acre  au  mois  de  sep- 
tembre 1217.  L'armée  chrétienne  comptait  2  000  chevaliers,  1000  sergents  à 
cheval,  20  000  sergents  à  pied  et  un  grand  nombre  de  valets  et  conducteurs  d'é- 
quipages. (H.  L.) 

2.  Continuatio  Claustroneoburgensis,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  ix 
p.  622. Ce  prince  fit  le  trajet  de  Spalato  à  Acre  en  seize  jours, ce  qui  parut  d'une 
rapidité  inouïe.  A  Acre,  il  convoqua  un  conseil  de  guerre.  Cf.  Jacques  de  Vitry 
Epist.  III  de  expedit.  Damiatina,  dans  Zeitschrift  fur    Kirchengeschichte,  t.  xv,^ 
p.  568.  (H.  L.) 

3.  Potthast,  Regesta,  p.  491;  Rohricht,  Die  Kreuzzugs-bewegung  im  Jahre 
1217,  dans  Forschungen  zur  deutsch.  Gesch.,  1876,  t.  xvi,  p.  141  sq.;  de  Mas- 
Latrie,  Histoire  de  Vile  de  Chypre  sous  le  règne  des  princes  de  la  maison  de  Lusi- 
gnan,  in-8,  Paris,  1861,  t.  i.  (H.  L.) 


649.    APERÇU     HISTORIQUE  1^13 

vante,   dans    son   pays,  de   nombreuses   reliques,  par  exemple   les 
six  urnes  qui  avaient  servi  au  miracle  de  Cana  en  Galilée  ^. 

Après  que  le  roi  André  eut  quitté  la  Syrie  (mi-janvier  1218)  ^, 
arrivèrent  à  Acre  (26  avril  1218)  des  croisés  du  nord  de  l'Alle- 
magne et  du  pays  des  Frisons.  Le  roi  de  Jérusalem,  Jean  de 
Brienne,  utilisa  ces  renforts  pour  entreprendre,  contre  l'Egypte 
(mai  1218).  l'expédition  projetée  l'année  précédente  3.  Il  voulait 
attaquer  le  sultan  chez  lui,  afin  de  pouvoir  s'emparer  ensuite 
de  la  Palestine.  Léopold  d'Autriche  s'était  joint  à  cette  expédi- 
tion ^.  Damiette,  la  clef  de  l'Egypte,  fut  assiégée  et  complètc- 
[909]  ment  investie  ^,  mais  les  forces  et  les  ressources  de  l'armée  chré- 
tienne étant  insufTisantes,  les  assiégeants  s'adressèrent  au  pape 
et  réclamèrent  l'envoi  immédiat  d'un  secours  important;  le  pape 
désigna  (18  mai)  Pelage,  évêque  d'Albano,  comme  légat  auprès  de 
la  croisade,  avec  charge  de  faire  une  armée  de  ces  bandes  disparates. 
Honorius  ordonna  des  processions  et  exhorta  toute  la  chrétienté  à 
venir  au  secours  de  l'armée  de  Damiette.  De  fait,  de  nombreuses 
troupes  venues  de  presque  toutes  les  contrées  de  l'Occident  parti- 
rent pour  T  Egypte.  Il  s'éleva  malheureusement  un  conflit  entre  le 
légat  et  le  roi  de  Jérusalem  ^. Une  épidémie  de  peste  emporta  un 

1.  Wilken,  Gesch.  der  Kreuzziige,  t.  vi,  p.  128-158;  Rôhricht,  op.  cit.,  append. 
II,  p.  230  sq.;  H.  Leclercq,  au  mot  Cana,  dans  Cabrol  et  Leclercq  Dictionn. 
d'archéol.  chrét.,  t.  ii,  col.  1802  sq.  Outre  les  urnes  de  Cana.  il  emportait  une 
excommunication.  Olivier  de  Cologne,  op.  cit.,  t.  v.  (H.  L.) 

2.  André  II,  jugeant  son  vœu  accompli,  se  retira  par  l'Arménie  et  l'Asie 
Mineure;  le  roi  de  Chypre,  Hugues  l",  mourut  à  l'âge  de  vingt-trois  ans, 
laissant  pour  lui  succéder  un  enfant  d«  neuf  mois;  Jean  de  Brienne,  roi  de  Jéru- 
salem, restait  seul;  le  duc  Léopold  d'Autriche,  les  Allemands  et  la  moitié 
des  Hongrois  lui  tinrent  conipagnie  en  attendant  l'arrivée  des  renforts. 
(H.  L.) 

3.  L.  Bréhier,  op.  cit.,  p.  192  sq. ;  Olivier,  Ilistor.  Damiat.,  c.  vu;  Annal.  Colo- 
nienses  maximi,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xvii,  p.  830;Clau§en, 
op.  cit.,  p.  114  sq. 

4.  Il  abandonna  la  croisade  de  Damiette  le  8  mai  1219,  pour  retourner  dans 
son  pays. 

5.  Cf.  Rôhricht,  Belagerung  von  Damiette,  1218-1220,  dans  l'Almanach  hist. 
de  Raumers,  1876. 

6.  Ce  Pelage  d'Albano  prétendait  tout  gouverner,  régenter  tout  le  monde;  on 
comprend  que  Jean  de  Brienne,  qui  se  battait  presque  tous  les  jours  et  ne  man- 
geait pas  à  sa  faim,  fut  vite  fatigué  de  cet  évcque  non  combattant  qui  imposait 
des  jeûnes  au  corps  de  siège  et  ne  distribuait  que  des  indulgences.  Pour  chrétiens 
que  fussent  les  hommes  du  xiii^  siècle,  ils  ne  pouvaient  s'interdire  de  trouver 
la  méthode  impraticable  et  le  renfort  de  mince  utilité.  (H.  L.) 


1414  LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE     I 

grand  nombre  de  croisés.  Cependant,  le  sultan  Malek-al-Kamel 
ayant  dû  abandonner  le  camp,  pour  aller  ctoufîer  une  révolte 
de  son  propre  frère  i,  les  croisés  attaquèrent  le  camp  des 
Sarrasins,  mais  ils  furent  vaincus,  un  grand  nombre  furent 
faits  prisonniers  et  vingt  mille  environ  regagnèrent  l'Eu- 
rope 2.  Heureusement  des  renforts  arrivèrent;  le  sultan  entra 
en  négociation  et  proposa,  contre  la  levée  du  siège  de  Da- 
miette,  l'abandon  de  Jérusalem,  presque  ruinée.  Le  roi  de 
Jérusalem  voulait  accepter  cette  proposition,  mais  le  légat,  le 
patriarche  de  Jérusalem  et  les  grands-maîtres  des  ordres  conseillè- 
rent de  continuer  la  guerre.  Le  pape  Honorius,  berné  par  Fré- 
déric II,  avait  fait  dire  au  légat  que  ce  prince  ne  tarderait  pas  à 
partir  pour  la  croisade  avec  une  grande  flotte.  La  flotte  ne  vint 
pas,  Damiette  fut  prise  d'assaut  (novembre  1219);  les  mosquées 
furent  changées  en  églises,  les  maisons  et  les  tours  distribuées 
aux  chefs  de  l'armée.  Toutefois,  on  laissa  échapper  l'instant 
favorable  pour  compléter  ce  succès.  Saint  François  d'Assise 
vint  [en  1219]   au  camp  des   croisés  3,  à   Damiette,  après  avoir 

1.  Voici  l'ordre  des  événements  :  mai  1218,  la  flotte  croisée  aborde  en  face 
de  Damiette;  24  août,  prise  du  principal  ouvrage  de  la  place,  une  tour  placée 
au  milieu  du  Nil  (cf.  Roliricht^  Sludieii,  p.  15,  note  26;  Archives  de  l'Orient  latin, 
t.  II,  p.  95  sq.  ;  Rohricht,  Geschichte  des  Konigreichs  Jérusalem,  p.  732;  Clauscn, 
op.  cit.,  p.  116  sq.)  ;  mort  du  sultan  Malek-el-Adil,  son  successeur  comme  Soudan 
d'  Lgypte  est  Malek-el-Kamel.  Arrivée  de  Pelage  d'Albano,  septembre  1218  (Pot- 
thast,  Reg.,  n.  5810)  ;  conflit  avec  Jean  de  Brienne.  Clausen,  op.  cit.,  p.  118- 
On  fit  circuler  une  sorte  d'apocalypse  annonçant  la  victoire  des  chrétiens  et 
décrivant  en  langage  prophétique  le  légat  Pelage  (Rohricht,  Quinti  belli  sacri 
scriptores  minores,  Praf.,  p.  xli-xlvi,  p.  205-228)  ;  peste,  inondations,  cyclones, 
bouleversement  des  travaux  du  siège.  Malek-el-Kamel  quitte  son  camp  pour 
courir  au  Caire,  4-5  février  1219;  les  chrétiens  peuvent  enfin  entourer  la  ville 
de  Damiette  par  terre  et  par  mer.  Le  31  mars,  le  corps  de  siège  repousse  victo- 
rieusement un  effort  tenté  pour  débloquer  la  ville  (Olivier  de  Cologne,  Hist, 
Damiat.,  c.  xxii;  Jacques  de  Vitry,  Episl.,  v;  Rohricht,  .Scripi.  minores,  p.  171- 
180;  Clausen,  op.  cit.,  p. 119)  ;  en  mai,  départ  de  l'archiduc  Léopold  et  d'un  grand 
nombre  de  croisés.  Rohricht,  Die  Deutschen  im  II eiligen  Lande,  p.  109-111; 
Clausen,  op.  cit.,  p.  120;  Rohricht,  Geschichte  des  Konigreichs  Jérusalem,  p.  735. 
Le  1^"^  novembre  1219,  le  soudan  offre  la  paix,  que  le  roi  Jean,  les  Allemands  et 
les  Français  voulaient  accepter;  mais  le  légat  s'y  oppose.  4-5  novembre,  prise 
de  Damiette.  (H.  L.) 

2.  Vingt  mille,  je  n'en  crois  rien;  peut-être  dix  fois  moins.  Les  croisés 
n'avaient  guère  été  plus  de  20  000  devant  Damiette  et  ils  fondaient  vite  au  soleil 
d'Egypte.  (H.  L.) 

3.  Moinun.   Gcrni.  liial.,  Epist.  sœculi  xiii,  t.  i,  n.  77,  78,  80,  91,  125,  183; 


649.     APERÇU     HISTORIQUE  1415 

cherché    à    convertir   le    soudan    d'Egypte;    mais    les    scandales 
dont  il  y  fut  témoin  le  décidèrent  à  regagner  l'Italie  ^. 

Parlant  sans  cesse  de  son  zèle  pour  la  croisade,  Frédéric  II  avait 
[910]  toujours,  sous  divers  prétextes,  dilféré  son  départ  ^.  La  preuve 
s'en  trouve  dans  la  lettre  au  pape  du  12  janvier  1219;  Frédéric 
y  fait  parade  de  son  zèle  dévorant  pour  la  cause  de  la  Terre 
Sainte,  ce  qiii  ne  l'empcche  pas  de  traîner  les  affaires  en  longueur, 
car  en  réalité  il  ne  vise  qu'à  obtenir  du  pape  l'ordre  adressé  à 
Henri,  duc  de  Brunswick,  de  restituer  les  insignes  impériaux  res- 
tés en  sa  possession  depuis  la  mort  de  son  frère  Otton  IV,  Afin  de 
mieux  berner  le  pape  3,  Frédéric  sollicitait  l'anathème  en  expec- 
tative sur  tous  les  princes,  nobles  et  roturiers  qui,  ayant  fait 
vœu  de  prendre  la  croix  (il  était  du  nombre),  ne  seraient  pas  en 
route  à  la  fête  de  saint  Jean-Baptiste  (24  juin  1219)  *.  Le  pape 
répondit  à  Frédéric  dès  le  mois  de  février  1219  et  envoya  un 
nonce  au  duc  de  Brunswick.  En  même  temps  il  prit  Frédéric 
et  son  empire  sous  sa  protection  apostolique  et  confirma  l'ad- 
ministrateur du  royaume  désigné  pour  la  durée  de  la  croisade, 
mais  il  se  plaignit  aussi  de  ce  que  Frédéric  voulût  assurer  à  son 
fils  Henri  la  couronne  d'Allemagne.  Il  l'accusait  d'attenter 
à  la  liberté  des  élections  épiscopales  et  de  conserver  le  titre  de  duc 
au  fils  de  Conrad,  ancien  duc  de  Spolète,  ce  qui  équivalait  à 
tolérer  des  prétentions  sur  une  partie  des  Etats  de  l'Eglise.  — 
Nous  ne  possédons  plus  la  lettre  du  pape,  mais  seulement  la 
réponse  de  Frédéric,  du  10  mai  1219^.  Ce  prince  y  expose  que,  s'il 

Potthast,  Regesta,  p.  517,  518,  521,  526;  L.  Bréhier,  Les  croisades,  p.  212-213. 
(H.  L.) 

1.  Jacques  de  Vitry,  Epist.,  vu,  ne  dissimule  pas  cette  déchéance  morale 
profonde  dans  l'armée  des  croises  :  segnitiei  et  libidiiiibus  se  dederitnt.  Cf.  S.  Bona- 
veiiture,  Vita  S.  Francisci,  I.  III,  part.  II,  c.  viii;  Wadding,  Annales,  ad  ann. 
1219,  n.  32;  Clausen,  op.  cit.,  p.  174;  Hu  Wand-BréhoUes,  II istor.diplomat.  Fri- 
derici  II,  t.  ii,  p.  221.  (H.  L.) 

2.  Huillard-BréhoUes,  Hist.  diplomat.  Fiiderici  II,  Préface,  p.  ccxii.  Schirr- 
macher,  Kaiser  Friedrich  II,  1861,  t.  ii,  p.  57  sq.,  prétend  justifier  tous  ces  dé- 
lais :  il  s'applique  du  reste  à  idéaliser  son  héros;  en  revanche,  il  noircit  les  ad- 
versaires de  Frédéric.  Un  historien  qui  définit  la  situation  de  la  papauté  vis-à- 
vis  de  l'empire  «  comme  une  seconde  puissance  absolument  contre  nature»  (V. 
t.  I,  p.  112)  ne  peut  guère,  il  est  vrai,  comprendre  le  moyen  âge. 

3.  Honorius  III  était  l'ancien  précepteur  do  Frédéric  II.  (H.  L.) 

4.  Winkclmann,  Acta  imp.  inedila  sœc.  xiii,     Innsbriick,  1880,  p.  127,  n.  151. 

5.  Sur  la  date  de  cette  lettre,  cf.  Bohmer-Ficker,  Reg.  imp.  Frid.  II, 
n.  1014. 


1416 


LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE    1 


veut  faire  nommer  son  fils  roi  d'Allemagne,  ce  n'est  pas  pour 
réunir  la  Sicile  à  l'empire  ^,  mais  dans  l'espoir  que,  pendant 
son  séjour  en  Palestine,  ces  divers  États  seront  mieux  gouver- 
nés (son  fils  Henri  n'avait  que  sept  ans  !),  et  que,  s'il  mourait, 
son  fils  hérilerait  de  ses  biens  patrimoniaux  en  Allemagne.  Quant 
aux  élections  épiscopales,  il  ne  s'en  était  jamais  mêlé,  tout  au 
plus  avait-il  recommandé  tel  ou  tel  candidat.  Enfin,  en  Allemagne  [911] 
la  coutume  voulait  que  le  fils  d'un  duc  conservât  le  titre  de 
duc,  fût-il  dépossédé  du  duché  ^. 

A  la  prière  de  Frédéric,  le  pape  retarda  la  date  fixée  pour  le  départ 
de  la  croisade,  d'abord  de  la  Saint- Jean  à  la  Saint-Michel,  et  en- 
suite au  21  mars  de  l'année  suivante.  En  retour,  Frédéric  renouvela 
toutes  ses  promesses  d'Eger;  en  1213,  il  voulut  donner  pleine  sécu- 
rité pour  les  Etats  de  l'Eglise  et  se  montra  disposé  à  accueillir  les  do- 
léances que  le  pape  lui  fit  transmettre  par  le  sous-diacre  Alatrinus. 
Cependant,  dans  sa  lettre  du  1^^  octobre,  le  pape  ne  put  s'empê- 
cher de  lui  faire  observer  que  sa  promesse  de  départ  était  fort 
sujette  à  caution.  On  ne  remarquait  aucun  préparatif  de  voyage, 
il  n'armait  aucun  vaisseau,  etc.;  il  ne  devait  cependant  pas 
oublier  la  menace  d'excommunication  et  sa  lourde  responsabilité, 
si,  par  sa  faute,  l'expédition  contre   Damiette  échouait  ^. 

Afin  d'empêcher  Frédéric  de  réunir  la  Sicile  à  l'empire,  le  pape 
lui  fit  poser,  par  le  sous-diacre  Alatrinus,  les  deux  conditions 
suivantes,  au  moment  de  franchir  les  Alpes  pour  venir  recevoir 
la  couronne  impériale. 

1°  Il  renouxellerait  solennellement  sa  promesse  du  1^^  juil- 
let, de  1212  et  121G,  de  céder  à  son  fils  le  royaume  des  Deux- 
Siciles. 

2°  11  ne  chercherait  plus  à  faire  nommer  son  fils  roi  d'Alle- 
magne. 


1.  Le  plan  de  Frcdcric  était,  et  Schirrmacher  le  reconnaît  (l.  ii,  p.  i'i2  sq.), 
de  réunir  la  Sicile  à  l'empire,  mais  d'une  manière  moins  étroite  que  ne 
l'avait  voulu  Henri  VI. 

2.  Monum.  Gcrm.  hist.,  Epist.  saec.  xin,  t.  i,  p.  65-69;  Huillard-Bréholles, 
Ilist.  diplomat.  Friderici  II,  t.  i,  p.  584-591,  592,  628;  Préface,  p.  437;  Bôhmer, 
Regesten  unter  Philipp,  p.  98. 

3.  Monum.  Germ.  Iiist.,  Epist.  sœc.  xiii,  t.  i,  p.  97,  106;  Winkelmann,  Acta 
inedita,  p.  145  ;  Forscliungen  zur  deutschen  Geschichte,  t.  xv,  p.  377  ;  Huillard- 
Bréholles,  Ilisloria  diplomaiica  Friderici  II,  t.  i,  p.  630,  637,  670,  673, 
675,  691. 


649.    APERÇU    HISTORIQUE  1417 

Une  lettre  de  Frédéric,  datée  du  13  juillet  1220,  prouve  qu'il 
accepta  sans  difficulté  la  seconde  condition  [super  hoc  amplio- 
rem  curam  et  sollicitudinem  spopondimus  minime  habituros) -,  mais 
la  suite  montre  que  cette  promesse  n'était  pas  sincère.  Quant  à 
la  première,  Frédéric  commença  par  la  repousser  et  il  fit  deman- 
der au  pape  par  l'évcque  de  Tarente  de  le  laisser,  sa  vie  durant, 
souverain  des  Deux-Siciles  :  il  accordait  que  les  deux  cou- 
ronnes fussent  séparées  après  sa  mort.  Le  pape  refusa  et  alors 
Frédéric  signa,  le  10  février  1220,  le  document  réclamé,  avec 
cette  clause  acceptée  par  Honorius  :  «  Au  cas  où  le  fils  de  Fré- 
déric mourrait  avant  son  père  et  sans  avoir  d'enfant  ou  de  frère, 
[912]  le  père  lui  succéderait  dans  la  souveraineté  de  la  Sicile  ^.  » 
Dans  une  lettre  du  19  février  qui  accompagne  ce  document, 
Frédéric  ajoute  «  qu'il  persiste  à  espérer  que,  lors  de  leur 
entrevue,  le  pape  lui  accordera  de  posséder,  sa  vie  durant,  la 
Sicile,  car  personne  n'est  plus  dévoué  que  lui  à  l'Eglise  romaine  ^  ». 
Frédéric  cherche  à  rejeter  sur  autrui  la  responsabilité  du  retard 
apporté  à  la  croisade;  il  insinue  la  nécessité  d'un  nouveau  délai 
et  engage  les  Romains  à  se  montrer  obéissants  à  l'égard  du  pape; 
il  obtient  ainsi  ce  nouveau  délai  jusqu'au  1^^  mai.  Honorius,  tou- 
tefois, le  fit  avertir  que,  s'il  ne  pouvait  partir  à  cette  date,  il  ne 
retînt  pas  plus  longtemps  les  autres  croisés  ^. 

Quelque  temps  après  (avril  1220),  Frédéric  fit  élire  son  fils 
Henri  roi  d'Allemagne  et  roi  des  Romains,  dans  la  grande  diète 
de    Francfort  *.    Il    avait    gagné    les   princes   ecclésiastiques    par 


1.  Bôhmer-Ficker-Winkelmann,  Regesien,  n.  1091.  (H.  L.) 

2.  Bôhmer-Ficker,  op.  cit.,  n.  1092;  Winkelmann,  Acta,  l.  i,  p.  150.  (H.  L.) 

3.  Monum.  Germ.  hist.,  Epist.  xiii  ssec,  t.  i,  n.  108,  112;  Loges,  sect.  iv,  t.  ii, 
p.  242;  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Friderici  II,  t.  i,  p.  740-744;  Winkel* 
maun,  Acta  ined.,  p.  150,  156.  Il  y  a  lieu  de  mentionner  avec  quelle  précision  et 
quelle  assurance  Winkelmann,  parlant  du  zèle  du  pape  pour  la  croisade,  accom- 
pagne ce  zèle  d'une  ambition  chimérique  et  d'une  basse  jalousie  qui  l'aurait 
poussé  à  ne  vouloir  partager  la  gloire  éventuelle  d'un  succès  avec  personne 
et  en  particulier  avec  l'empereur  Frédéric.  C'est  dans  le  même  sens  qu'il  parle 
aussi  d'une  «  présence  trop  politique))  qu'il  croit  pouvoir  qualifier  de«  tromperie 
perfide  »  dans  la  lettre  adressée  au  pape  par  Frédéric.  Cf.  Gesch.  Friedrichs  II 
t.  I,  p.  110-123,  126,  169. 

4.  Conrad  de  Metz,  Epist.,  en  date  du  31  juillet  1220;  Epist.  ponlif.  roman., 
t.  I,  p.  92;  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  sect.  iv,  t.  n,  p.  89-91  ;  Huillard-Bréholles, 
Ilist.  diplom.,  t.  i,  p.  765-768;  Bôhmer-Ficker,  Reg.,  n.  1114  ;  Winkelmann. 
Kaiser  Friedrichs  II  Jarhbiicher,  t.  i,  p.  64  sq.  (II.  L.) 


1418  LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE    I 

la  célèbre  patente  du  2G  avril  1220  :  il  y  renonçait  au  droit  de 
dépouille;  il  promettait  de  n'établir  aucun  nouvel  impôt  ou 
redevance  sur  les  territoires  des  évoques,  sans  leur  assenti- 
ment préalable;  il  s'engageait,  en  outre,  à  ne  bâtir  aucune  ville 
ou  forteresse  sur  ces  territoires,  à  maintenir  le  droit  de 
certaines  églises  à  battre  monnaie,  à  ne  pas  recevoir  dans  les 
villes  impériales  les  sujets  rebelles  des  églises;  enfin,  il  devait 
également  obliger  les  protecteurs  déloyaux  des  églises  à  fournir 
des  compensations,  etc.  ^.  C'est  à  Francfort  que  fut  décidé  le 
prochain  couronnement  à  Rome,  mais  Frédéric  tarda  trois 
mois  avant  de  faire  connaître  au  pape  ces  décisions  ^.  «  J'ai  appris, 
écrit-il  au  pape,  que  vous  êtes  mécontent  de  l'élection  de  mon  fils 
comme  roi  d'Allemagne,  comme  vous  comptiez  sur  ma  promesse 
de  ne  rien  faire  en  faveur  de  cette  élection.  J'avoue  que,  comme 
l'eût  fait  à  ma  place  tout  autre  père,  j'ai  travaillé  à  l'élévation 
de  mon  fils;  mais  mes  efforts  ont  été  en  pure  perte.  Pendant  que 
j'assistais  à  la  diète  de  Francfort,  la  vieille  querelle  entre  l'arche-  [913] 
vêque  de  Mayence  et  le  landgrave  de  Thuringe  s'est  ravivée 
plus  violente  c{ue  jamais,  au  grand  préjudice  de  l'empire.  Vu 
l'impossibilité  de  réconcilier  les  deux  adversaires,  les  princes  ont 
craint  que  mon  absence  (à  Rome  et  en  Terre  Sainte)  n'entraînât 
de  graves  dommages  pour  l'empire,  et  pour  y  parer,  ils  ont  élu  roi 
mon  fils,  sans  me  prévenir  aucunement.  Cette  élection  a  eu  lieu  ino- 
pinément, surtout  de  la   part  de  ceux  qui,  auparavant,   avaient 

1.  Moniim.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  ii,  p.  236;  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplovi. 
Friderici  II,  t.  i,  p.  765.  Ces  mêmes  droits  durent  être  accordés  plus  tard  aux 
princes  séculiers. 

2.  Ce  n'est  que  par  la  lettre  du  13  juillet  1220  que  le  pape  fut  averti.  Bôhmer- 
Ficker,  Reg.,  n.  1145;  Winkelmann,  Acta,  t.  i^  p.  156-158;  Prsesentes  principes 
et  maxime  illi  qui  priiis  promolioni  dicti  nostri  filii  obidarunt,  nohis  insciis  et 
absentibua  eJegerunt  eundcm.Cujus  electio  cum  nobis  patefieret,  siculjuerat  celebrala 
absque  veslra  nolitia  seu  mandalo,  sine  qito  nihil  prsesumimus  nec  volumus  ali- 
quid  attentare,  ipsi  electioni  contradiximus  consentire...  Videtur  autem  nobis... 
beatissime  pater...  quod...  non  ob  aliud  promotionem  nostri  filii  gravem  jertis,  nisi 
quia  de  unione  regni  cum  imperio  dubilatis.  Quod  equidem  timere  aut  suspicari 
non  debeat  Ecclesia,  mater  noslra.  quia  cum  sequestralionem  ipsorum  modis  omni- 
bus a/jectemus,  nobis  in  vestra  pnesentia  constitulis  mandatum  et  desiderium  ve- 
strum  de  omnibus  adimplebitur  juxtavotum.  Absit  enim  quod  imperium  commune 
aliquid  habere  debeat  cum  regno,  aut  occasione  filii  nostri  de  electione  sua  ipsa 
ad  invicem  uniamus  ;  immo  eorum  unioni  ne  possit  esse  tem pari  bus  aliquorum 
lotis  viribus  obriamus...  Unde  de  tam  evidentl  et  manifesta  turbatione  Ecclesias 
atque  \'eslra,quam  super  promotione  dicti  nostri  filii  assumpsistis,  miramur.{K.  L.) 


1 


6'i9.      APERÇU     HISTORIQUE  1419 

fait  le  plus  d'opposition  à  l'élection  de  mon  fils.  Quant  à  moi,  je 
n'ai  pas  confirmé  cette  élection;  mais  j'ai  demandé  aux  princes 
de  faire  approuver  leur  choix  par  Rome  ^.  Si  vous  n'avez  pas 
reçu  plus  tôt  ces  nouvelles,  cela  tient  à  la  maladie  de  l'évêque 
de  Metz,  chargé  de  vous  les  apporter.  Ce  qui  évidemment 
vous  mécontente  dans  l'élection  d'Henri,  c'est  votre  appré- 
hension de  voir  la  Sicile  unie  à  l'empire.  Mais  je  n'y  songe 
même  pas  et  suis  décidé  à  séparer  les  deux  pays.  Dans  notre 
prochaine  entrevue,  je  vous  donnerai  toute  satisfaction  à  ce  sujet. 
Si  je  meurs  sans  héritier,  je  préfère  laisser  la  Sicile  à  l'Eglise 
romaine,  quoiqu'elle  n'eût  aucun  droit  sur  ce  pays,  plutôt  qu'à 
l'empire.  Je  ne  puis  croire  ce  qu'on  me  répète,  qu'au  fond  le 
jiajie  ne  m'aime  pas,  et  je  me  mets  de  nouveau  sous  sa  pro- 
tection. J'ai  déjà  fait  connaître  à  plusieurs  reprises  les  motifs 
du  relard  de  la  croisade.  11  v  en  a  actuellement  deux  nouveaux 
détails  sur  ce  point),  mais  la  campagne  se  fera  et  pendant 
mon  absence  le  pape  lui-même  prendra  soin  des  intérêts  de 
l'empire  ^.  » 

Honorius  crut  en  effet  que  Frédéric  finirait  par  se  mettre 
en  route  pour  la  fête  de  saint  Michel  et  fit  de  son  côté  tous  les 
préparatifs  nécessaires;  par  sa  lettre  du  24  juillet,  il  en  avisa 
son  légat  Pelage  ^.  Le  voyage  à  Rome  devait  précéder  immédia- 
tement la  croisade.  A  la  fin  d'août  ou  au  commencement  de 
[914]  septembre  1220,  Frédéric  passa  le  Brenner  et  adressa  au  pape,  de 
Vérone  (13  septembre)  et  de  Bologne  (4  octobre),  des  lettres  fort 
bienveillantes.  11  accepta  la  pénitence  qu' Honorius  lui  imposa 
pour  les  nombreux  délais  apportés  à  la  croisade;  afin  de  prouver 
ses  bonnes  intentions,  il  cassa  des  décrets  rendus  par  plusieurs 
villes  lombardes  contre  les  droits  de  l'Église.  Il  prit  les  églises 
et  leurs  biens  sous  sa  protection  spéciale  et  restitua  les  proprié- 
tés  provenant  de  la   donation    de    IMathilde  *.    Le  10  novembre, 


1.  A  la  demande  de  l'empereur,  les  princes  allemands  réunis  à  Francfort, 
le  23  avril  1220,  avaient  confirme  tous  les  privilèges  accordes  par  Frédéric  à 
l'Église  romaine  et  décidé  que  la  Sicile  ne  serait  jamais  réunie  à  l'empire.  Baro- 
nius-Raynaldi,  Annal.,  ad  ann.  1275,  n.  41  ;  Monuin.  Germ.  hist.,  Leges,  sect.  iv, 
t.  II,  p.  397. 

2.  ^Vinkelmann,  Acta  ined.,  p.  ir)6. 

3.  Moitum.  Germ.  hist.,  Epist.  xiii  sœc,  t.  i,  p.  105,  n.  124;  Huillard-Bréhol- 
les,  HUt.  (iiplom.  Friderici  II,  t.  i,  p.  802,  805,  822. 

4.  Huillard-BréhoUes,  Historia  diplom.  Frider.  Il,  t.  i,  p.  815,  82G,  827,  843, 


1420  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE   I 

le  pape  chargea  ses  légats  de  s'assurer  des  intentions  de  Frédéric 
au  sujet  de  la  croisade  et  de  la  réunion  de  la  Sicile  à  l'empire; 
ils  devaient  lui  re})réscn1er  qu'après  Dieu  c'était  de  l'empereur 
principalement  que  dépendait  la  conquête  de  la  Terre  Sainte. 
Quant  à  la  Sicile,  Frédéric  avait  manqué  doublement  à  ses  pro- 
messes, puisque,  après  avoir  fait  donner  à  son  fds  la  couron]\e 
d'Allemagne,  il  mandait  à  son  propre  couronnement  plusieurs 
seigneurs  siciliens  auxquels  il  faisait  prêter  serment.  Les  légats 
devaient  faire  signer  à  l'empereur  certains  capitulaires,  qui  seraient 
lus  comme  lois  de  l'empire  le  jour  de  son    couronnement  ^. 

Ces  concessions  accordées,  Frédéric  et  sa  femme  Constance 
reçurent  la  couronne  impériale  à  Saint-Pierre,  le  22  novembre 
1220.  L'empereur  prit  de  nouveau  la  croix  des  mains  de  Hugolin, 
cardinal-évêque  d'Ostie  (plus  tard  Grégoire  IX  ^).  En  même 
temps,  nombre  de  grands  personnages  allemands  et  siciliens 
l^rirent  la  croix;  comme  nouveau  terme  de  la  croisade,  l'empe- 
reur fixa  pour  lui  le  mois  d'août  de  l'année  suivante,  tandis 
c^ue  les  autres  princes  croisés  devaient  faire  voile  pour  l'Orient 
au  mois  de  mars.  Honorius  fit  aussitôt  connaître  à  son  légat 
Pelage,  à  Damiette,  les  promesses  de  Frédéric  ^.  Le  jour  du  cou- 
ronnement, furent  promulguées  les  lois  sollicitées  par  le  pape   : 

1.   Toutes    ordonnances    et    statuts    de  n'importe   quel   prince 


846,  849,  854,  555,  860-876;  Bôhmer,  Reg.,  p.  110;  Monum.  Germ.  hisL,  Epist. 
XIII  sxculi,  t.  I,  n.  140,  143;  Winkelmann,  Acta  inedita,  p.  161. 

1.  Huillard-Bréholles,  Histor.  diploni.  Friderici  II,  t.  i,  p.  880;  Monum. Germ. 
hlst.,  Epist.  xiii  sœc,  t.  i,  n.  144;  Leges,  sect.  iv,  t.  ii,  p.  238-240,  242.  [Win- 
kelmann, Kaiser  Friedrichs  II  Jahrhvcher,  t.  i,  p.  109  sq.  (H.  L.)] 

2.  Honorais  III,  Epist.  ad  Conradum  Moguntinensem  archiepisc,  27  nov. 
1220,  dans  Epist.  pontif.,  t.  i,  p.  104;  Frédéric,Epis/.,  10  février  1221,  6  décem- 
bre 1227,  dans  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Friderici  II,  t.  ii,  p.  123-127; 
t.  III,  p.  37-48;  Grégoire  IX,  Epist.,  10  octobre  1227,  dans  Epist.  pontif.,  t.  i, 
p.  282;  Richard  a  San  Germano,  op.  cit.,  p.  340  :  Per  manus  Osliensis  episcopi 
resumpsit  crucem...  multosque,  qui  intererant,  nobiles  idem  facere  animavit.  Cf. 
Clausen,  Papsl  Honorius  III,  p.  164  sq.  ;  Winkelmann,  Geschichte  Friedrichs  II, 
t.  I,  p.  110,  123,  169;  Jahrbucher,  t.  i,  p.  151  ;  A.  llsi\ic\i,Kirchengesch.  Deutsch- 

jaiids,t.  IV,  p.  760,  imaginent  gratuitement  qu'Innocent  III  et  Honorius  III 
ne  se  souciaient  d'autre  chose  que  de  ne  pas  voir  partir  l'empereur  à  la  croisade- 
Si  on  se  reporte  aux  registres  de  ces  deux  papes.cela  ne  peut  être  pris  au  sérieux. 
8  avril  1217,  24  juin,  29  sept.  1219.  21  mars,  1"  mai  1220,  Epist.  pontif.,  t.  i, 

p.  22,  n.  26,  70,  75,  79,  89.  (H.  L.) 

3.  Honorius  III,  Epist.,  27,  30  nov.,  15  déc.  1220.  Monum.  Germ.  hist.,  Epist. 
xiii  ssec,  t.  I,  n.  146,  148,  157. 


649.    APERÇU      HISTORIQUE  1421 

sont  abrogés,  dans  la  mesure  où  ils  portent  atteinte  aux  liber- 
tés des  églises  et  des  personnes  ecclésiastiques, 

2.  Nul    ne    doit    exiger   des    redevances    d'une    église    ou    d'un 
[9151  ecclésiastique. 

3.  Toute  communauté  ou  individu  s'obstinant  une  année 
entière  dans  l'excommunication  encourue  pour  avoir  lésé  la  paix 
de  l'Eglise,  sont  mis  par  le  fait  même,  après  ce  terme,  au  ban 
de   l'empire. 

4.  Défense  de  citer  un  ecclésiastique  au  civil  ou  au  criminel 
devant  un  tribunal  laïque. 

5.  Les  cathares,  patares,  spéronistes,  léonistes,  arnoldistes, 
circoncis,  et  tous  autres  hérétiques  sont  déclarés  frappés  d'infa- 
mie   et    tous    leurs   biens  seront  confisqués. 

,         6.   Les    magistrats    jureront    d'expulser   les    hérétiques. 

7.  Le  droit  de  rivage  est  aboli, 

8.  Les  voyageurs  sont  libres  d'aller  à  l'hôtellerie  qui  leur 
plaît.  Ils  auront  soin  de  faire  leur  testament  avant  de  se 
mettre  en  route. 

9.  Les  paysans  devront  jouir  constamment  de  la  trêve  de  Dieu, 
L'empereur  envoya  sans  retard  ces  lois  aux  professeurs  et  aux 

étudiants  de  Bologne;  elles  seraient  insérées  dans  leur  recueil, 
pour  être  observées  à  l'avenir;  de  son  côté,  le  pape  donna  le 
même  ordre  à  son  légat,  le  cardinal  Hugolin.  Lui-même  pro- 
nonça, après  la  cérémonie  du  couronnement,  l'excommunication 
contre  quiconque,  à  l'avenir,  protégerait  les  hérétiques,  se 
prévaudrait  des  lois  attentatoires  à  la  liberté  de  l'Éorlise 
qui  venaient  d'être  abolies  par  l'empereur,  ou  en  porterait  de 
semblables,  Mansi  attribue,  avec  peu  de  vraisemblance,  cette 
dernière  déclaration  au  pape,  dans  un  synode  romain  ^, 

Après  avoir  nommé  l'évêque  de  Metz  son  vicaire  pour  la 
Lombardie  et  toute  l'Italie,  et  saint  Engelbert  de  Cologne  admi- 
nistrateur du  royaume  d'Allemagne,  Frédéric  se  rendit  à  Naples, 
son  royaume  héréditaire,  pour  y  rétablir,  non  sans  rigueur  et 
dureté,  le  pouvoir  royaP,  Dès  le  10  février  1221,  il  écrivit,  de  Na- 
ples, aux  habitants  de  l'Italie  septentrionale  et  centrale,  pour  les 


1.  Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  ann,  1220,  n.  21-24;  Huillard-BrélioIIes, 
Histor.  diplom.  Friderici  11,  t.  u,  p.  1-7  ;  Mansi,  Concil.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  co'. 
il'Sl ;Momun.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  ii,  p.  243  sq.;  Epist.,  t,  i,  n,  160-1G9. 

2,  Cf.  Winkelmann,  Gesch.  Friedrich^  II,  t.  i,  p.  159  sq. 


1422  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    I 

engager  à  prendre  part  à  la  croisade,  faisant  les  plus  grands  éloges 
de  Hugolin,  cardinal  d'Ostie,  que  le  pape  avait  envoyé  prêcher 
cette  croisade  en  Toscane  et  en  Lombardie  ^,  Honorius  ne  tarda 
pas  à  voir  que  Frédéric  se  contentait  comme  toujours  de  belles 
paroles;  le  13  juin,  il  lui  écrivit  une  lettre  très  énergique,  bien 
que  paternelle,  l'exhortant  à  envoyer  au  secours  de  l'armée  chré- 
tienne de  Damiette  au  moins  les  galères  prêtes  à  partir.  De  fait,  rg^Qi 
Frédéric  fit  partir  quarante  trirèmes  sous  les  ordres  d'Henri  de 
Malte;  le  pape  l'en  remercia  le  20  juillet,  tout  en  relevant  que,  s'il 
n'avait  pu  partir  lui-même  avec  ses  trirèmes,  il  aurait  dû  les 
envoyer  plus  tôt;  car  le  secours  risquait  fort  d'arriver  trop 
tard  ^,  Honorius  ne  disait  que  trop  vrai:  les  quarante  vaisseaux 
assistèrent  en  témoins  impuissants  à  la  perte  de  Damiette.  En 
effet,  sur  la  proposition  du  légat  Pelage,  l'armée  chrétienne  qui 
était  à  Damiette,  renforcée  de  croisés  allemands  dès  le  printemps 
et  pendant  l'été  de  l'année  1221,  tenta  au  milieu  de  juillet  une 
expédition  contre  le  Caire^.  La  campagne  fut  si  malheureuse  que 
les  chrétiens  durent  signer  le  traité  du  30  août  1221,  par  lequel  une 
paix  de  huit  années  fut  conclue  ;  les  chrétiens  livraient  de  nouveau 
Damiette,  moyennant  la  remise  delà  vraie  croix  et  la  liberté  de 
tous  les  chrétiens  esclaves  ^.  Dans  une  lettre  du   19    noA-embre.  le 


1.  Baronius-Raynaldi.  Annales,  ad  ann.  1221,  n.  3-4;  Huillard-Bréholles, 
Hist.  (Uplom.  Friderici  11^  t.  n,  p.  122-127  ;  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  ii, 
p.  2i2  sq.;  Epist.,    t.   i,  p.  113. 

2.  Baronius-Raynaldi^  Annales,  ad  ann.  1221,  n.  6-7;  Huillard-Bréholles, 
Hist.  diplom.  Friderici  II,  t  ii,  p.  190;  Bohmer,  Reg.,  p.  32S;  Monum.  Germ. 
liisl.,  Episl.,  t.  I,  n.  175,  177,  178;  [L.  Bréhier,  Les  croisades,  p.  198.  (H.  L.)] 

3.  Pierre  de  Montagne,  maître  de  l'ordre  du  Temple,  Epist.  ad  episcop.  Ehjen- 
sem  (Ely),  20  septembre  1221  :  Gentes  nostre  in  aqua  erant  usque  ad  braccarios 
et  cinctoria;  Olivier  de  Cologne  :  Populus  spe  predœ...  properabat  alacriter  sicut 
aves  ad  laqueum  et  pinces  ad  megarim;  ils  avaient  trouvé  le  inoyen  de  choisir  le 
temps  de  l'inondation  du  Nil.   (H.  L.) 

'j.  Olivier  de  Cologne,  Hist.  Damiat.,  c.  lxxix;  Rohricht,  Studien,  p.  50  sq., 
n.  12,  13;  Chronique  de  Tours,  dans  Bouquet,  Recueil,  t.  xviii,  p.  300;  Raoul  de 
Coggeshale,  op.  cit.,  p.  189;  Annal. ]]'igorn.,  p.  41 'i.  Cf.  Winkclmann,  Jahrbiicher 
Friedriclis  II,  t.  i,  p.  155;  JiUhricht, GescIticlUe  desKônigreichs  Jérusalem,  p.  751. 
Malek-el-Kamel  se  montra  humain  et  épargna  les  croisés,  il  semble  avoir  appré- 
hendé un  retour  offensif  et  la  vengeance  des  gens  d'Occident.Olivier  de  Cologne 
crut  le  moment  propice  pour  essayer  de  le  convertir.  Epistola  salutaris  régi 
Babylonis  et  Epistola  salutaris  doctoribus  Egypti  transmissa,  dans  Hoogerveg, 
Der  Kreuzzug  i^oti  Damiette,  dans  Millheilung.  d.  Instit.  d.  œster.  Gesch.,  1887, 


C'iO.     APERÇU     HISTORIQUE  1423 

pape  exhala  toule  sa  douleur,  d'avitant  plus  vive,  disait-il, 
qu'on  lui  imputait  en  partie  ce  malheur,  pour  n'avoir  pas  forcé 
l'empereur,  par  l'excommunication,  à  s'acquitter  de  son  vœu  ^. 
Il  énumère  les  délais  successifs  réclamés  ou  imposés  par  Fré- 
déric. C'est  dans  l'attente  de  son  intervention  qu'on  avait 
refusé  de  traiter  avec  le  Soudan  offrant  de  rendre  Jérusalem. 
Maintenant  c'était  bien  fini  des  atermoiements,  il  fallait  agir 
SOUS  peine  d'encourir  l'excommunication.  Quelques  jours  avant 
(25  octobre), Frédéric  avait  écrit  au  pape  que  la  chute  de  Damiette 
l'affectait  d'autant  plus  qu'il  était  prêt  au  départ;  maintenant 
il  demandait  ([ue  faire  2.  Voulait-il  seulement,  en  parlant  ainsi, 
calmer  sa  conscience,  on  ne  sait;  quoi  qu'il  en  soit,  le  pape 
envoya  Nicolas,  évéque  de  Tusculum,  lui  porter  ses  instructions 
et  l'amener,  s'il  était  dévoué  à  la  Terre  Sainte,  à  une  entrevue. 
Frédéric  accepta  et  se  rencontra  avec  le  pape,  le  12  avril,  à 
Véroli,  non  loin  de  Rome  ^.  Les  deux  chefs  de  la  chrétienté  déli- 
[917]  bérèrent  ([uatorze  jours  sur  les  affaires  de  la  Terre  Sainte  *.  Ils 
résolurent  de  réunir,  à  Vérone,  à  la  Saint-Martin,  une  sorte  de  con- 
grès des  princes  chrétiens  pour  élaborer  un  plan  définitif.  Le  roi 
de   Jérusalem  et  le   cardinal-légat    Pelage,  rentrés  en    Palestine, 


1888;  Rohricht;  Reg.,  n.  947-948;  Geschichte  des  Kôtiigreichs  Jérusalem,  p.  752; 
Westdeutsche  Zeitschrift,  t.  x^  p.  1G5-168.  (H.  L.) 

1.  Oii  mit  aussi,  et  non  sans  raison,  l'issue  lamentable  de  l'expédition  à  la 
charge  du  légat  Pelage,  notamment  Guillaume  le  Breton, la  Chronique  de  Tours, 
Albéric  de  Trois-Fontaines,  Chron.  univers.,  dans  Monum.  Genn.  hist.,  Script., 
t.  xxin,  p.  911;  Richard,  Chron.,  dans  Mon.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xxv,  p.  303; 
Chron.  regia  Colonens.,  Rohricht,  Studien,  p.  118  sq.;  Winkelmann,  Gesch. 
Friedrichs  II,  Berlin,  1863,  t.  i.  p.  111;  Jahrbiicher  Friedrichs  II,  t.  i,  p.  157  sq. 
(H.  L.) 

2.  Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1221,  n.  18  sq.;  ad  ann.  1222,  n.  5; 
Bôhmer,  Reg.,  p.  119,  328;  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Friderici  II,  t.  n, 
p.  20G,  220;  Winkelmann,  Acta  inedita,  p.  213;  Monum.  Germ.  hist.,  Epist., 
t.  I,  n.  183. 

3.  Chartarium  Casrmariense,  dans  Rondini,  Ilistoria  monasterii  de  Cas:e- 
mario,    p.    50. 

4.  Emonis,  Chronicon,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xxiii,  p.  496; 
Epislola  Ilonorii  ad  Pelagium  et  Joannem  regem  Hierosolymitanum,  25  avril 
1222;  Potthast,  n.  6816;  Epist.  ponlif.  roman.,  t.  i,  p.  137;  Frédéric  II  au  roi  de 
France,  vers  1236,  Huillard-Bréholles,  Histor.  diplom.  Friderici  II,  t.  iv,  p.  874; 
Richard  de  San  Germano,  Clironique,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix, 
p.  342;  \Yinkelmann,  Jahrbiicher  Friedrichs  II,  t.  i,  p.  178;  Clausen,  Papsi 
Honorius  III,  p.  187  sq.  (H.  L.) 


1424  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    1 

depuis  la  chute  de  Damiette,  furent  invités,  après  entente,  à 
se  rendre  en  personne  à  Vérone  ou  à  y  envoyer  des  lettres 
et  des  représentants  ^.  Mais  le  pape  étant  tombé  malade, 
et  les  Sarrasins,  sous  les  ordres  de  Mirabellus,  ayant  fait  une  in- 
cursion en  Sicile,  il  ne  fut  possible  d'avoir  une  nouvelle  réunion 
qu'au  mois  de  mars  1223,  à  Férentino  ^.  Le  roi,  le  patriarche  de 
Jérusalem  et  les  grands-maîtres  des  ordres  y  assistèrent.  On 
accorda  un  délai  de  deux  ans  pour  préparer  tout  ce  qui  était 
nécessaire  à  une  grande  croisade,  et  comme,  depuis  le  mois  de 
juin  1222,  l'empereur  était  veuf,  on  lui  proposa  d'épouser  la  fille 
du  roi  de  Jérusalem,  la  belle  Yolande  (ou  Isabelle).  On  espérait 
par  là  intéresser  vivement  Frédéric  à  la  cause  de  la  Palestine. 
L'empereur  accepta  le  mariage  et  promit  de  partir  pour  la  croi- 
sade à  la  Saint- Jean  de  1225.  En  même  temps  le  pape  engagea 
les  autres  princes  chrétiens,  en  particulier  les  rois  de  France  et 
d'Angleterre,  à  prendre  part  à  la  sainte  expédition  ^. 

Le  peu  de  zèle  de  Frédéric  pour  la  cause  de  la  Terre  Sainte 
n'était  pas,  du  reste,  le  seul  chagrin  qu'il  causait  au  pape 
Honorius.  Celui-ci  voyait  trop  bien  que,  malgré  ses  belles  pa' 
rôles,  sa  prétendue  reconnaissance  et  son  respect,  Frédéric  ne 
laissait  échapper  aucune  occasion  d'empiéter  sur  les  Etats  de 
l'Eglise  et  de  traiter  les  sujets  du  pape  comme  ses  propres 
sujets.  Dans  ses  domaines,  il  écrasait  de  contributions  et  de 
taxes  les  ecclésiastiques,  donnait  les  sièges  épiscopaux  suivant 
son  caprice  et  niait  le  droit  de  confirmation  du  Saint-Siège. 
Honorius  se  plaignit  à  plusieurs  reprises,  mais  Frédéric  sut 
toujours    se    dérober,     alléguant    tantôt     un   motif,   tantôt    un 


1.  Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1222,  n.  2;  Bôhmer,  Reg.,  p.  120, 
328;  Huillard-Brcholles,  Hist.  diplom.  Friderici  II,  t.  ii,  p.  240;  Monum.  Germ. 
hist.,  Epist.,  t.  I,  n.  183-185,  196;  Potlhast,  Reg.  pontif.,  n.  590.  (H.  L.) 

2.  Epist.  pontif.  roman.,  t.  i,  p.  153;  Bôhmer-Fickcr,  Reg.,  n.  1454  a;  Huil- 
lard-BiéhoUes,  Hist.  diplom.  Friderici  II,  t.  i,  p.  89r3;  Potthast,  iîeg'.,  n.  6994, 
6969,  7035;  Annal.  Salisbur.,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  ix,  p.  782; 
Annal,  de  Dunstaplia,  édit.  Luard,  Annal.  Monast.,  t.  m,  p.  81,  et  Monum.Germ' 
hist.,  Script.,  t.  xxvii,  p.  505.  Cf.  Winkelmann,  Jahrbïœher,  t.  i,  p.  194  sq.; 
Clausen,  Papst  Honorius  III,  p.  189  sq.  (H.  L.) 

3.  Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1223,  n.  1;  Monum.  Germ.  hist., 
Epist.,  t.  I,  n.  220,  225,  227,  229-231;  Bôhmer,  Reg.,  p.  124,  329;  Huillard-Bré- 
holles,  Hist.  diplom.  Friderici  II,  t.  ii,  p.  376,  429;  Potthast,  Reg.,  p.  603;  Win- 
kelmann, Acta  ined.,  p.  237;  Sudendorf,  Registr.,  t.  i,  p.  87;  Winkelmann,  Fried- 
rich  II,  p.  174  sq. 


649.    APERÇU    HISTORIQUE  1425 

autre;    parfois    s'inclinant,  afin  de    ne    pas    pousser    à    bout    le 
pape  ^. 
[918]      I>o  roi  de  Jérusalem  s'était  rendu  en  France  et  en   Angleterre 
pour  gagner  à  la  cause  de  la  Terre  Sainte  les  souverains    de  ces 
deux  pays,   mais   il  ne  put  y   parvenir.   Philippe-Auguste,    déjà 
âgé,    se  borna    à  inscrire  dans  son  testament,  le    don   d'une   im- 
portante somme  d'argent  pour   la  croisade  2.    Le  roi   de   Jérusa- 
lem fut  plus  heureux  en  Allemagne,  où  le  célèbre  Conrad,  cardi- 
nal-évêque    de    Porto,    issu    de   la    famille    des    comtes    d'Urach, 
et  le  sous-légat  Conrad,  abbé  de  Bebenhausen  (près  de    Tubin- 
gue),  prêchèrent  la   croisade  avec  le  plus    grand    succès.   Si   les 
résultats  ne  furent  pas   plus    considérables,    ce    fut,    au    dire   de 
Frédéric,  la  faute  du  pape,   qui    avait    refusé  de     faire    prêcher 
la    croisade     par     plusieurs     prélats    de    haut    rang,    munis    de 
toutes   les   faveurs   spirituelles.    L'empereur    écrivit   de     Catane, 
le  3  mars    1224,   pour   montrer   son    zèle   en   faveur  de  la   Terre 
Sainte  :  100  galères  et  50  chalands  se  trouvaient  prêts  dans  les 
ports  de  son  royaume;  retenu  en  Sicile  par  ses  luttes  avec  les 
Sarrasins,  il  avait  envoyé  en  Allemagne  son  grand-maître  Her- 
mann  de  Selza,  tout  préparer  pour    la    croisade  ^.    Il  avait  en- 
voyé en   Palestine   chercher    sa    fiancée    Isabelle;    de  son    côté, 
e  pape  devait,  par  une  ambassade  spéciale,    s'employer   à  ra- 
mener la  paix  entre  la  France  et  l'Angleterre,  dans  l'intérêt  de 
la  croisade.  Quoi  qu'il  en  eût,  Honorius  se  vit  obligé,   le  25  juil- 
let 1225,  d'accorder  à  Frédéric,  par  le  traité   de    San   Germano, 
un  nouveau   délai   de   deux  ans,   jusqu'au  mois   d'août  1227.  A 
cette  occasion,  l'empereur  se  fit  donner   quantité  de    détails  sur 
le    nombre    de   navires    qu'il    devrait    armer,  etc.  *. 


1.  Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1221,  n.  32;  1222,  n.  26-32;  1223, 
n.  15,  19;  Monum.  Germ.  hist.,  EpisL,  t.  i,  p.  125,  135,  141,  143  sq.,  147  sq., 
160-164;  IIuillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Friderici  II,  t.  n,  p.  139,  200,  239, 
258,  272  sq.,  283,  286,  431. 

2.  Annal.  Colon.  Maximi,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvii,  p.  837. 

3.  Annales  Colon.  Max.,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvii,  p.  837; 
Richard  de  San  Germano,  Chron.,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xix, 
p.  343;  Winkelmann,  Acta  inedita,  p.  237.  (H.  L.) 

4.  Baronius-Raynaldi,  Aimales,  ad  ann.  1224,  n.  4-12;  ad  ann.  1225,  n.  2  sq.; 
Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  11,  p.  255;  Bôhmer,  Reg.,  p.  128,  329  sq.,  373; 
Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Friderici  II,  t.  11,  p.  498,  501  ;  Winkelmann, 
Friedrich  II,  t.  i,  p.  189  sq.  ;  Richard  de  San  Germano,  Chronicon,  dans  Monum. 

CONCILES  —  V  —  90 


1426  LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE     I 

Pendant  tout  ce  temps  Frédéric  s'était  appliqué  à  organiser 
les  Deux-Siciles,  suivant  son  plan  autocratique.  Il  avait  brisé, 
au  mépris  des  traités,  l'indépendance  de  la  noblesse;  il  transporta 
à  Lucéra,  dans  la  Capitanate  (au  nord  de  Naples),  une  colonie 
de  Sarrasins  domiciliés  dans  l'ouest  de  la  Sicile,  et  en  forma 
une  colonie  militaire,  qui  devait  plus  tard  lui  rendre  de  très 
grands  services  dans  sa  lutte  avec  le  pape  ^.  Le  9  novembre  1225,  [919] 
il  célébra  à  Brindisi  son  mariage  avec  Isabelle  de  Jérusalem, 
obtint  de  son  nouveau  beau-père  la  renonciation  à  la  couronne 
et  ajouta  à  ses  titres  celui  de  «roi  de  Jérusalem^  ».  Il  obligea 
son  beau-père  à  lui  céder  les  50000  marcs  d'argent  que  Philippe- 
Auguste  avait  destinés  à  la  Terre  Sainte  ^,  ce  qui  ne  l'empêcha 
pas  d'emprisonner  et  de  maltraiter  bientôt  sa  jeune  épouse, 
pour  mieux  faire  la  cour  à  sa  cousine,  la  fille  de  Walter,  comte 
de  Brienne  *. 


Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  344,  345;  Chron.  Sicul.,  p.  896;  Roger  de  Ho- 
weden,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xxvii^  p.  189;  Bôhmer-Ficker,  -Reéfv 
n.  1569  sq.  L'empereur  s'engageait  à  fournir  1  000  chevaliers,  100  navires  et 
50  trirèmes,  le  déchet  serait  compensé  en  argent  comptant.  En  outre,  des  bâti- 
ments en  nombre  pour  le  transport  de  2  000  chevaliers  et  leurs  gens;  enfin  une 
pension  de  100  000  pièces  d'or  (=11  000  000).  La  conférence  de  San  Germano 
se  tint  entre  l'empereur  et  des  cardinaux.  Richard  de  San  Germano,  Chron., 
dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  344;  Chron.  Sicul.,  p.  896;  Monum. 
Germ.  hist.,  Leges,  sect.  iv,  t.  ii,  p.  129,  n.  102,  103;  IIuillard-Bréholles,  His<. 
diplom.  Friderici  II,  t.  ii,  p.  501-503;  Bôhmer-V icker,  Regesta,  n.  1569-1570; 
Roger  de  Howeden,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xxvii,  p.  189;  Win- 
kfclmann,  Jahrhûcher  Friedrichs  II,  t.  i,  p.  238  sq.  ;  Clausen,  Papst  Honorius  III 
p.  201.   (H.  L.) 

1.  Richard  de  San  Germano,  Chron.,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix, 
p.  343;  Winkelmann,  Gesch.  Friedrichs  II,  t.  i,  p.  177  sq.  Après  s'être  rendu 
maître  de  l'insurrection  des  Sarrasins,  Frédéric  fonda  en  juillet  1224  l'université 
de  Naples,  bien  certainement  surtout  pour  des  motifs  politiques. 

2.  Albéric,  Chronicon  unis'ersale,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xxiii, 
p.  913;  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Friderici  II,  t.  ii,  p.  291.  (H.  L.) 

3.  Chron.  S.  Martini  Turonensis,  dans  Monum,  Germ.  hist..  Script.,  t.  xxvi, 
p.  471.  Philippe-Auguste  avait  légué  (Bouquet,  Recueil  des  historiens  de  la 
France,  t.  xvii,  p.  115)  la  somme  de  157  500  marcs  d'argent,  ce  qui  fait  environ 
7  775  000  francs.  Cf.  de  Cherrier,  Histoire  de  la  lutte  des  papes  et  des  empereurs  de 
la  maison  de  Souabe,  2^  édit.,  Paris,  1858,  t.  ii,  p.  24;  Winkelmann,  Ja/'/tèu- 
cher    Friedrichs  II,  p.  199,  217,  note  3,  p.  245.  (H.  L.) 

4.  Barouius-Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1226,  n.  11;  Bohmer-Ficker,  i?eg., 
p.  129;  \Vinkelmann,  Friedrich  II,  t.  i,  p.  194;  Nicolas  de  Curbio,  Chron.  Turon., 
ad  ann._1225;  Clausen,  op.  cit.,  p.  203.  (H.  L.) 


649.     APERÇU     HISTORIQUE  1427 

Frédéric  ne  tarda  pas  à  être  en  désaccord  complet  avec  le  pape, 
qui  pourvut  à  divers  évêchés  de  la  Basse-Italie,  dont  la  vacance 
se   prolongeait   trop   longtemps.    De   son   côté,   l'empereur  avait 
intercepté  des  lettres  du  pape  et  traitait  les   habitants  de  la  pro- 
vince pontificale  de  Spolète  comme  ses  propres  sujets.  Les  rap- 
ports se  firent  de  plus  en  plus  tendus  et  les  lettres  échangées  de 
plus  en  plus  aigres.    Frédéric  cependant  ne  voulut    pas  rompre 
définitivement  avec  le  pape,  dont  il  avait  besoin  pour  mainte- 
nir  contre  les   Français   ses   possessions   du  royaume   d'Arles   et 
pour  résister   à   la   ligue    des    villes    lombardes.     Les    Lombards 
avaient  déjà  fermé  la  route  de  l'Italie  au   jeune    roi  Henri    et 
refusé  d'envoyer  des  députés  à  la  diète  de  Crémone  (Pentecôte 
de  1126).  A  la  demande  de  l'empereur,  Honorius  accepta  les  fonc- 
tions d'arbitre;  il  invita  les  chefs  de  la  ligue  à  envoyer  à  Rome, 
pour  le  1^^  novembre,  des  délégués  à  une  conférence;  vingt-deux 
d'entre  eux  se  réunirent  le  21  novembre,  dans  le  palais    épiscopal 
de  Bologne,  et  désignèrent  des  fondés  de  pouvoir  pour  négocier 
de  la  paix.  A  l'issue  des  négociations,  le  5  janvier  1227,  le  pape 
prit  les  décisions.  Dans  les  deux  camps,  on  reviendra  à  la  paix, 
tous  les   édits  et   décrets   publiés   contre   chacun   des   adversaires 
seront  cassés,  les  peines  remises,  les  biens  restitués  et  les  prison- 
niers   rendus    à    la    liberté;    les    Lombards    devront     entretenir 
pendant  deux  ans  quatre  cents  chevaliers  à  la  croisade.   Aussi- 
tôt après,  le  pape  prit  sous  sa  protection  apostolique  l'empereur, 
son   fils  Henri  et  leurs  royaumes  et  rappela   aux   Allemands  et 
[9201  ^^^^  Hongrois  que  tous  leurs  préparatifs    en  vue   de    la    croisade 
devaient    être    terminés    pour    le    prochain    mois   d'août.     Dans 
l'intérêt  de  la  Terre  Sainte,  il  éleva  la  voix  en  faveur  du  roi  Jean 
de  Brienne,  chercha  à  le  réconcilier  avec  l'empereur,  son  gendre, 
et  lui  confia  le  gouvernement  de  quelques  parties  des  Etats  de 
l'Église,  pour  le  sauver  de  la  misère.    Mais  Honorius  ne  vit  pas 
cette    croisade    si    ardemment   souhaitée;   il  mourut   à  Rome,    le 
18  mars  1227,   dans  la   onzième  année   de  son  pontificat  ^. 

1.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Friderici  II,  t.  ii,  p.  703,708-710,  712, 
715;  t.  III,  p.  3;  Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1226,  n.  20  sq.;  Bôhmer, 
Reg.,  p.  133,  330;  Pottliast,  Reg.,  p.  611;Monum.  Germ.  hist.,  EpisL,  t.  i,  n.  283, 
296,  30G,  308,  309,  319-322,  327-342  ;  Winlcelmann,  Acla  inedita,  p.  261,  263  ;  Mo- 
num.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  ii,  p.  258;  Forschungen  zur  deiUschenGeschichte,  t.  vu, 
p.  391;  Winkelmann,  Friedrich  II,  t.  i,  p.  196  sq.  Honorius  III  doit  avoir  aussi 
publié  une  constitution  pour  la  protection  de  la  personne  et  de  la  propriété  des 


1428  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    I 


650.  Conciles  célébrés  pendant  le  pontificat  dHonorius  III, 

1216-1222. 

Il  y  eut  certainement  un  très  grand  nombre  de  conciles  sous 
le  pontificat  d'Honorius  III,  soit  pour  promulguer  et  appli- 
quer les  prescriptions  du  XI I^  concile  œcuménique,  soit  pour 
préparer  la  croisade.  La  situation  particulière  de  l'Église,  et 
la  lutte  contre  les  cathares,  occasionna  aussi  plusieurs  sy- 
nodes. Outre  les  assemblées  de  Salisbury  et  de  Durham, 
simples  synodes  diocésains  qui  ne  firent  guère  que  publier  les 
décrets  du  XII^  concile  œcuménique,  nous  connaissons  un  con- 
cile anglais  de  Bristol.  Après  la  mort  du  roi  Jean  (16  octobre 
1216),  le  pape  chargea  son  légat  pour  l'Angleterre,  Gualo,  de 
soutenir  par  tous  les  moyens  le  jeune  Henri  III,  âgé  de  dix  ans 
(couronné  à  Glocester  le  28  octobre)  et  de  le  maintenir  en  posses- 
sion du  royaume  de  son  père,  malgré  la  rébellion  de  quelques 
barons  et  les  tentatives  de  Louis,  prince  de  France.  Gualo 
réunit  en  concile  à  Bristol,  le  11  novembre,  onze  évêques 
d'Angleterre  et  du  pays  de  Galles,  et  de  nombreux  prélats, 
comtes,  barons  et  chevaliers.  Le  légat  les  obligea  à  jurer 
fidélité  au  roi  Henri,  mais  frappa  d'interdit  le  pays  de  Galles  [921] 
qui  s'était  rangé  du  parti  des  barons  rebelles  ^. 

En  1218,  Henri,  évêque  de  Gnesen,  tint  un  synode  où 
ses  prêtres  durent  jurer  d'abandonner  les  femmes  et  con- 
cubines qu'ils  retenaient  encore  pour  la  plupart.  L'année  sui- 
vante (1219),  l'illustre  archevêque  de  Salzbourg,  Eberhard  II  de 
Waldbourg,  de  la  famille  souabe  des  écuyers  tranchants,  tint  en 
cette  ville  un  concile  qui  s'occupa  de  concentrer  les  offrandes 
du    clergé    pour    la  croisade    (un    vingtième  du  revenu)  ^. 

cardinaux.  Cf.  la  bulle  de  Léon  X  dans  la  xxu^  session   du    cinquième   concile 
de  Latran.  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  ix,  col.  1847. 

1.  Raynaldi,  Annal.,  ad  ann.  1216,  n.  34  sq.  ;  1217,  n.  75  sq.  ;  Potthast,  Reg., 
n.5378j  5417;  Haddan-Stubbs,Counciis  and  ecclesiastical  documents ,  t.  i,  p.  457; 
Wilkins,  Conc.  i^rtiann.,  1737,  t.  i,  p.  54G;  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  ii, 
col.  865;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  1085.  (II.  L.) 

2.  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  p.  1065;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col. 
1132;  Dalham,  Conc.  Salisbwg.  Ce  concile  doit  être  placé  entre  le  concile  de 


650.    CONCILES    SOUS    nONORlUS    III  1429 

En  cette  même  année,  un  synode  célébré  à  Toulouse  défendit 
à  tout  cathare  d'exercer  une  fonction  ou  d'être  administrateur; 
on  y  recommanda  de  sanctifier  les  dimanches  et  on  y  fixa  le 
nom])re  des  jours  de  fêtes.  Un  synode  des  grecs  schismatiques 
se  tint  à  Nicée,  en  1220,  sous  la  présidence  du  patriarche  Manuel^. 
Il  résolut  une  série  de  questions  disciplinaires  de  valeur  très 
inégale,  entre  autres  :  une  femme  dont  le  mari  est  absent  depuis 
cinq  ans  peut  se  remarier;  celui  qui  a  dépassé  quarante  ans  ne 
peut  contracter  un  troisième  mariage;  il  est  défendu  de  bénir 
un  mariage  pendant  le  carême  ^.  En  1221,  Jacques,  chanoine 
de  Saint-Victor  à  Paris,  envoyé  comme  légat  apostolique  en 
Ecosse  et  en  Irlande,  réunit  à  Perth  un  concile  général  écossais 
qui  dura  quatre  jours,  mais  dont  les  décisions  nous  sont  abso- 
lument inconnues  ^. 

Quelque  temps  après,   un  synode  tenu  à  Cantorbéry,  sous  la 

présidence  d'Etienne  Langton,   condamna  plusieurs  imposteurs, 

entre  autres  un  prétendu  stigmatisé  *.  En  1222,  l'assemblée  d'Ox- 

[922]  ford,  sous  le  même  archevêque,  promulgua,    pour   la    réforme  de 

l'Eglise  d'Angleterre,  quarante-neuf  canons  dont  voici  le  résumé  ^  : 

Latran  et  la  mort  de  l'archevêque  Henri  (f  en  1219)  et  fut  tenu  probablement 
à  l'occasion  de  la  consécration  de  l'évèque  Ivo  de  Cracovie  (1218).  Monum. 
Germ.  hist.,  Script,,  t.  xix,  p.  595. 

1.  Lorsque^  en  1204,  Constantinople  tomba  au  pouvoir  des  Francs,  le  patriar- 
che de  cette  ville,  Jean  Camaterus, appelé  Siméon  par  les  latins,  s'enfuit  à  Dido- 
matichium  où  il  mourut.  Son  successeur,  Michel  Autorianus  ou  Saurianus,  fixa 
son  siège  à  Nicée,  où  résida  également  l'empereur  Théodore  Lascaris.  Auto- 
rianus eut  pour  successeurs  Théodore  II  (1213-1215),  Maxime  II  (mort  en  dé- 
cembre 1215),  Manuel  I"^'  Charitopulus  ou  Sarantenus  qui  célébra  le  présent 
synode  (mort  en  1221),  Germain  II  (mort  en  1240),  Méthodius  qui  nç  resta  que 
trois  mois  au  pouvoir. Après  une  vacance  du  siège  de  près  de  quatre  ans,Manuel  II 
fut  patriarche  à  partir  de  1245,  et  puis  Arsène  (déposé  en  1260),  Nicéphore  II 
(mort  en  1262);  Arsène  fut  réintégré  lorsque  les  grecs  eurent  repris  Constanti- 
nople. Cf.  Le  Quien,  Oriens  christ.,  t.  i,  p.  276  sq. 

2.  Baronius-Raynaldi,  Annales,  t.  xx,  col.  453,  édit.  Mansi  ;  Mansi,  Conci/ia, 
Supplem.,  t.  II,  col.  901;  Conc.  antpliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  1181.  (H.  L.) 

3.  Wilkins,  Conc.  Britann.,  1737,  t.  i,  col.  524;  Mansi,  Co/iciV/a,  Supplem., 
t.  II,  col.  887;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  1147.  (H.  L.) 

4.  Wilkins,  Conc.  Britann.,  t.  i,  col.  584-585;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll., 
t.  XXII,  col.  1147.  (H.  L.) 

5.  Co^L /eg/fl,  t.  xxviii,  col.  237;  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  270-287;  Ilar- 
douin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  113;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1005  ;  Wilkins, 
Conc.  Britann.,  t.  i,  col.  585-597;  Mansi, Concilia,  Supplem.,  t.  ii,  col.  887;  Conc. 
ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  1147.  (H.  L.) 


1430 


LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE    I 


1.  Sont  excommuniés  tous  ceux  qui  lèsent  malicieusement 
les  droits  et  biens  de  l'Eglise,  ceux  qui  se  révoltent  contre  le 
roi,  ceux  qui  sciemment  font  ou  font  faire  un  faux  témoignage, 
en  particulier  dans  les  questions  de  mariage  et  de  succession; 
les  avocats  qui,  par  malice,  font  des  oppositions  injustifiées 
dans  les  affaires  de  mariage;  ceux  qui,  par  sentiment  de  lucre 
ou  de  haine,  introduisent  des  accusations  calomnieuses,  qui  sou- 
lèvent ou  font  soulever  malicieusement  la  question  du  patronat 
lorsqu'une  église  est  vacante. 

2.  Tout  évoque  doit  avoir  d'honnêtes  aumôniers,  se  montrer 
hospitalier,  donner  audience  aux  pauvres  à  jour  fixe;  entendre 
les  confessions,  se  confesser  lui-même  les  jours  de  grandes  fêtes, 
au  moins  dans  le  carême,  observer  la  résidence  et  se  faire  relire 
deux  fois  par  an  la  profession  émise  lors  de  son  sacre  (cf.  con- 
cile de  Paris  de  1212). 

3.  Aucun  évêque  ne  doit,  en  conférant  une  église  ou  pré- 
bende, se  réserver  des  fruits  non  perçus  de  ce  bénéfice;  il  n'exi- 
gera et  ne  permettra  pas  à  ses  officiers,  archidiacres  ou  doyens, 
d'exiger  quoi  que  ce  soit  pour  l'institution,  la  mise  en  posses- 
sion ou  le  document  écrit. 

4.  Le  sujet  présenté,  s'il  est  idoine,  sera  investi  du  bénéfice 
par   l'évêque,  dans  le   délai   de   deux   mois. 

5.  Si  on  présente  deux  sujets  pour  une  seule  église,  on  évi- 
tera, pendant  toute  la  durée  du  conflit,  de  confier  à  l'un  des 
deux  prétendants  l'administration  intérimaire  de  l'église.  En 
cas  de  conflit  entre  deux  patrons,  le  droit  de  collation  revient 
à  l'évêque,  conformément  à  la  décision  du  troisième  concile 
de  Latran  (can.  17);  l'évêque  ne  nommera  pour  cette  fois  aucun 
des  présentés,  pour  éviter  de  porter  préjudice  au  droit  de 
patronat. 

6.  Le  service  divin,  tant  de  jour  que  de  nuit,  doit  être  célébré 
attentivement  ainsi  que  le  prescrit  le  can.  17  du  XII^  concile 
œcuménique. Si  un  prêtre  doit  biner,  il  ne  prendra  pas  à  la  première 
messe  les  ablutions.  Le  prêtre  ne  peut  célébrer  deux  fois  qu'à 
Noël,  Pâques  et  pour  les  obsèques.  Dans  ce  dernier  cas,  il  dira 
une  messe  de  die  et  une  seconde  pro  defuncto. 

7.  Tout  clerc  pourvu  d'un  bénéfice  ou  entré  dans  les  ordres 
majeurs  ne  peut  exercer  une  administration  séculière  qui  oblige 
à  rendre  des  comptes  ni  faire  partie  d'un  tribunal  criminel 
séculier,  ainsi  que  l'a  défendu  le    can.  18    du    XII^  concile   œcu- 


650.   CONCILES  sors  honorius  m  1431 

ménique.  Aucune  cause  de  sang  ne  pourra    être   jupce   dans   un 
lieu  sacré,  éorlise  ou   cimetière. 

8.  Les  fêtes  à  observer  sont  :  tous  les  dimanches,  cinq  jours 
à  Noël,  la  Circoncision,  l'Epiphanie,  toutes  les  fêtes  de  Marie, 
sauf  la  Conception,  qui  n'est  pas  une  fête  d'obligation;  la 
Conversion  de  saint  Paul,  la  Chaire   de  saint    Pierre,   toutes    les 

[923]  fêtes  des  apôtres,  saint  Grégoire,  le  vendredi  saint,  les  lundi, 
mardi  et  mercredi  après  Pâques  et  après  la  Pentecôte,  l'As- 
cension, saint  Augustin  (de  Cantorbéry),  les  deux  fêtes  de  la 
sainte  Croix,  la  translation  de  saint  Thomas  (Becket),  les  deux 
fêtes  de  saint  Jean-Baptiste,  sainte  Marguerite,  sainte  Made- 
leine, saint  Pierre  es  liens,  saint  Laurent,  saint  Michel, 
la  Toussaint,  saint  Martin,  saint  Edmond  le  Confesseur, 
saint  Edmond  roi  et  martyr,  sainte  Catherine,  saint  Clément, 
saint  Nicolas,  la  Dédicace  et  le  Titulaire  de  chaque  église 
(viennent  ensuite  plusieurs  demi-fêtes,  les  vigiles  et  les  quatre- 
temps). 

9.  Les  prêtres  chargés  des  paroisses  devront  prêcher  avec 
zèle  et  visiter  souvent  les  malades. 

10.  Toute  église  doit  avoir  un  calice  d'argent,  et  les  autres 
vases  nécessaires,  un  linge  blanc  (corporal)  de  la  longueur  voulue, 
les  livres  de  rigueur  et  au  moins  deux  vêtements  sacerdotaux. 
Les  anciens  corporaux  seront  conservés  avec  les  reliques  ou  brû- 
lés en  présence  de  l'archidiacre.  Les  ministres  doivent  servir 
à  l'autel  en  surplis. 

11.  Celui  qui  a  résigné  un  bénéfice  ne  doit  pas  exiger  une 
pension  de  son  successeur. 

12.  Aucune  église  ne  sera  divisée  entre  plusieurs  recteurs; 
dans  celles  où  il  s'en  trouve  plusieurs,  on  procédera  par  extinc- 
tion jusqu'à  ce  qu'il  n'en  reste  plus  qu'un  seul. 

13.  Celui  que  l'évêque  a  admis  à  une  vicairie  doit  l'administrer 
en  personne  et  se  faire  ordonner  prêtre  à  bref  délai. 

14.  Les  églises  dont  les  revenus  ne  dépassent  pas  cinq  marcs 
ne  doivent  être  conférées  qu'à  des  personnes  qui  observent  la  ré- 
sidence et   qui  administrent   par  elles-mêmes   ces   églises, 

15.  On  donnera  au  moins  cinq  marcs  au  vicaire  perpétuel, 
sauf  dans  le  j'ays  de  Galles,  où  les  églises  sont  vraiment 
trop  pauvres  pour  cela.  L'évêque  devra  décider,  en  tenant 
compte  des  revenus  de  l'église,  si  les  charges  de  l'église  doi- 
vent   être    supportées   par    le    vicaire,   par    le    bénéficier  princi- 


1432 


LIVRE     XXXVI,    CHAPITRE    I 


paP,  ou  par  tous  les  deux.  Dans  tous  les  cas,  l'archidiacre  n'a 
droit  qu'à  une  seule  procuration,  qu'elle  soit  payée  par  tous 
les    deux   ou   par  l'un  d'eux  seulement. 

16.  On  établira  deux  ou  trois  prêtres  dans  toute  paroisse 
d'une  étendue  assez  considérable,  suivant  la  grandeur  de  la 
paroisse  et  les  revenus  de  l'église,  afin  que,  si  un  prêtre  est  ma- 
lade ou  fatigué,  les  paroissiens  ne  soient  pas  privés  des  secours 
de  la  religion  ni  des  offices. 

17.  Si  l'cvcque  a  des  soupçons  à  l'endroit  d'un  candidat  qui 

lui  est  présenté,  il  pourra  exiger  de  lui  le  serment  que,  pour  cette  [924] 
présentation,   ce  dernier  n'a  rien  promis  ni  donné. 

18.  Les  doyens  ruraux  et  les  bénéficiers  pouvant  parfois 
éprouver  quelque  gêne  à  se  confesser  à  leur  prélat,  l'évêque 
devra  désigner  dans  chaque  archidiaconé  des  confesseurs 
prudents  qui  entendront  les  confessions  des  doyens  ruraux, 
des  prêtres  et  des  bénéficiers.  Dans  les  églises  cathédrales 
desservies  par  des  chanoines  séculiers,  ces  derniers  se  con- 
fesseront à  l'évêque  ou  au  doyen,  ou  enfin  à  un  prêtre  établi 
pour  cela  par  l'évêque  et  le  chapitre. 

19.  Les  questions  matrimoniales  ne  doivent  plus  être  confiées 
aux  doyens  ruraux,  mais  à  des  hommes  choisis. 

20.  Nul  ne  doit  prendre  des  voleurs  à  son  service  ni  les  lais- 
ser habiter  sciemment  sur  ses  terres. 

21.  Les  archidiacres  ne  doivent  pas  être  trop  à  charge  aux 
églises  placées  sous  leur  juridiction;  lors  de  leur  visite,  ils  n'a- 
mèneront pas  plus  de  chevaux  qu'il  n'est  permis  (cf.  can.  4 
du  troisième  concile  de  Latran)  ;  ils  n'inviteront  pas  d'étrangers 
et  ils  ne  demanderont  de  procuration  que  lorsqu'ils  seront 
personnellement  présents. 

22.  L'archidiaconat,  le  décanat  et  autres  charges  qui  ne 
consistent  qu'en  une  juridiction  spirituelle  {quce  in  spirituali- 
bus  mère  consistunt)  ne  peuvent  être  donnés  en  ferme  {ad  fir- 
mam).  Mais  si  un  revenu  se  trouve  joint  à  cette  charge,  il  peut, 
avec  l'autorisation  des  supérieurs,  être  affermé. 

23.  Lors  de  sa  visite,  l'archidiacre  veillera  à  ce  que  le  texte  du 


1.   C'est-à-dire  le  curé  proprement  dit,  <jiii  n'administre  pas  l'église  par  lui- 
même,  mais  la  fait  administrer  par  un  vicaire.  On  voit  que  cet  abus    est  très 


ancien  dans  l'Église  anglicane. 


650.    CONCILES    sous    HONORIUS    III  1433 

canon  de  la  messe  soit  correct;  que  les  prêtres  prononcent  exacte- 
ment et  comprennent  au  moins  les  paroles  du  canon  et  celles  du 
baptême;  et  que  les  laïcs,  puisqu'ils  sont  quelquefois  dans  la 
nécessité  de  baptiser,  sachent  le  faire  dans  leur  langue  accou- 
tumée. 

24.  Los  archidiacres  auront  soin  que,  conformément  au  can. 
20  du  quatrième  concile  de  Latran,  l'eucharistie,  le  chrême 
et  l'huile  sainte  soient  toujours  convenablement  gardés  sous 
clefs. 

25.  Les  archidiacres  devront  aussi  tenir  des  registres  de 
tous  les  ornements  et  objets  mobiliers  des  églises  et  se  faire 
présenter  tous  les  ans  les  ornements  et  les  livres  ecclésiastiques, 
pour  constater  ce  qu'on  y  a  ajouté  ou  ce  qu'on  en  a  laissé 
dépérir. 

26.  Ils  contrôleront  chaque  année  les  possessions  des  églises 
pour  n'en  rien  laisser  perdre. 

27.  Les  archidiacres,  doyens  et  leurs  officiers  n'imposeront 
à  leurs   inférieurs   aucune   exaction  ni  taille. 

28.  Les  archidiacres  et  leurs  ofpciales  ne  doivent  excommu- 
nier, suspendre  ou  interdire  personne  sans  monition  canonique 
préalable,  sauf  le  cas  de  délit  notoire.  Sinon,  ils  seraient  eux- 
mêmes  punis,  conformément  au  can.  47  du  quatrième  concile 
de  Latran. 

29.  Il  est  formellement  interdit  de  refuser,   pour    de  l'argent, 
[025]  la  sépulture,  le  baptême,  le  mariage,  etc.    Les  pieuses   oblations 

en  usage  dans  certaines  contrées  seront  maintenues  par  l'évêque, 
suivant  le  can.  66  du  quatrième  concile  de  Latran;  en  tout  cas, 
on  n'exigera  rien  pour  le  saint  chrême  et  l'huile  sainte. 

30.  Les  archidiacres  et  doyens  ne  doivent  jamais  mettre  obs- 
tacle aux  réconciliations  et  arrangements,  sauf  si  la  cause 
en  litige  ne  comporte  pas  de  transaction. 

31.  Ils  n'obligeront  pas,  sur  la  simple  accusation  de  leur 
hérault  (employé  de  police),  une  personne  à  prouver  son  inno- 
cence, si  elle  n'a  pas  mauvaise  réputation  auprès  des  honnêtes 
gens.  Enfin,  les  archidiacres  ne  seront  jamais  juge  et  partie 
dans  leur  propre  cause. 

32.  Tous  les  archidiacres,  doyens,  ceux  qui  ont  des  person- 
nets  et  dignités,  les  doyens  ruraux  et  les  prêtres,  porteront 
constamment  le  costume  ecclésiastique  et  des  manteaux 
fermés. 


1434  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    I 

33.  Tous  ceux-là  et  les  autres  clercs  porteront  la  tonsure  et 
la  couronne,  sauf  excuse  légitime.  Ils  s'abstiendront  de  l'ivro- 
gnerie et  de  toute  autre  chose  inconvenante,  et  se  confor- 
meront aux  can.   15-17  du  quatrième  concile  de  Latran. 

34.  Que  les  clercs  bénéficiers  ou  dans  les  ordres  sacrés  n'osent 
pas  avoir  ouvertement  des  concubines  chez  eux,  ni  donner  le 
scandale  d'aller  les  voir  chez  elles. 

35.  La  concubine  qui,  après  monition,  n'abandonne  pas  un 
clerc,  sera  exclue  de  l'église  et  des  sacrements.  Si  elle  continue, 
elle  sera  excommuniée  et  on  invoquera  contre  elle  le  bras  séculier. 
Quant  aux  clercs,  ils  seront  punis  par  le  retrait  de  tout  office 
et  bénéfice,  après  monition  canonique.  Quoiqu'ils  aient,  d'une 
manière  générale,  le  droit  de  tester,  ils  ne  pourront  cependant 
rien  léguer  à  leur  concubine;  sinon,  l'évêque  donnerait  ce  legs 
à  l'église  où  a  vécu    le  clerc   défunt. 

36.  Aucun  abbé,  prieur,  archidiacre  ou  clerc  quelconque  ne 
doit  ni  vendre,  ni  engager,  ni  inféoder,  ni  aliéner  d'une  manière 
anticanonique  les  revenus  de  sa  place  au  profit  de  ses  parents 
ou  de  ses  amis. 

37.  Que  désormais  aucun  clerc  n'inféode  à  des  laïques  les 
revenus  ecclésiastiques,  afin  d'acheter  ou  de  bâtir  des  maisons 
pour  leurs  enfants  ou  concubines. 

38.  Deux  fois  par  an,  les  administrateurs  des  biens  des 
monastères  et  les  prélats  devront,  par-devant  une  commis- 
sion de  frères  ou  leurs  supérieurs,  rendre  compte  de  leurs 
recettes  et  dépenses.  Les  religieuses,  et  en  général  les  fem- 
mes consacrées  à  Dieu,  n'auront  ni  voile  ni  manteau  de 
soie;  ni,  pour  ce  voile,  des  agrafes  d'or  ou  d'argent;  enfin,  ni 
elles  ni  aucun  religieux  n'auront  des  ceintures  avec  des  orne- 
ments d'or  ou  d'argent.  Leurs  robes  ne  seront  pas  démesu-  [9261 
rément  longues,  assez  seulement  pour  couvrir    les    pieds.   Seule 

la  religieuse  consacrée  (l'abbesse)  pourra  porter  un   anneau,  mais 
un   seul. 

39.  On  n'exigera  rien  pour  admettre  quelqu'un  dans  un 
couvent,  sauf  pour  ses  vêtements  si  le  couvent  est    pauvre. 

40.  On  ne  donnera  les  églises  en  ferme,  ad  firmani,  que  pour 
de  bons  motifs,  avec  l'agrément  de  l'évêque,  et  seulement  à 
des  personnes  honorables  dont  on  })eut  présumer  qu'elles  em- 
ploieront à  de  bonnes  œuvres  les  revenus  de  ces  églises  (voyez 
le  can.  22). 


650.     CONCILES    sous    HONORIUS    III  1435 

41.  Celui  qui  possède  un  bénéfice  avec  charge  d'âmes  ne 
peut  recevoir  l'assignation  d'autres  revenus  dans  l'église,  sous  le 
moyen  de  bénéfices,  contre  la  défense  du  eau.  29  du  quatrième 
concile   de  Latran. 

42.  Un  avocat  qui,  par  malice,  met  des  entraves  à  un 
mariage,  sera  pendant  un  an  privé  de  sa  charge  (cf.  can.  1). 

43.  Les  moines,  les  chanoines  réguliers  et  les  nonnes  doivent 
coucher  au  dortoir  commun,  chacun  dans  un  lit  séparé;  ils 
mangeront  aussi  la  même  nourriture  dans  un  même  réfectoire. 
On  ne  donnera  plus  à  chacun  une  somme  annuelle  pour  son 
habillement  ;  les  habits  seront  faits  pour  tous  sans  distinction 
par  les  ouvriers  du  couvent.  Sans  des  motifs  très  graves,  nul 
ne   sera   reçu   moine   avant   l'âge   de    dix-huit  ans. 

44.  A  part  les  servantes  indispensables,  les  religieuses 
n'admettront  pas  dans  leurs  cloîtres  des  personnes  étrangères 
sans  la  permission  de  l'évêque.  Dans  tous  les  couvents,  on  gar- 
dera le  silence  aux  heures  et  aux  lieux  prescrits.  Ni  les  moi- 
nes ni  les  religieuses  ne  pourront  sortir  sans  la  permission 
des  supérieurs,  qui  ne'  la  donneront  pas  sans  des  motifs 
suffisants.  Un  moine  peut,  pour  certaines  fautes,  être 
relégué  pour  un  temps  dans  un  autre  couvent,  afin  d'y  faire 
pénitence. 

45.  Au  réfectoire,  les  mets  seront  les  mêmes  pour  tous.  On 
ne  fournira  de  mets  particuliers  qu'aux  malades  et  aux  infirmes. 
On  donnera  aux  pauvres  les  restes  de  la  table. 

46.  Les  moines,  les  chanoines  et  les  religieux  ne  seront 
admis  dans  un  autre  couvent  que  sur  des  lettres  de  leurs  supé- 
rieurs. On  n'acceptera  pas  dans  les  couvents  de  femmes  plus 
de  religieuses  que  les  ressources  ne  permettent  d'en  nourrir. 
Les  religieuses  auront  des  confesseurs  à  elles  destinés  par 
l'évêque.  Enfin  les  clercs  et  les  laïcs  ne  doivent  pas,  sans  des 
motifs  raisonnables,  faire  de  fréquentes  visites  dans  des  cou- 
vents de  femmes. 

47.  Aucun  membre  d'un  ordre  religieux  ne  peut  faire  de 
testament,  puisqu'il  ne  possède  plus  rien.  De  même,  aucun 
chanoine  ou  moine  ne  doit  avoir  ad  firmam  une  église  ou  un 
manerium  (manoir)  ou  un  bien  ecclésiastique  ^. 

48.  Les   membres   des   ordres   religieux    ayant    à    redouter   les 

1.  Au  lieu  de  monasterium,  il  faut,  avec  la  Collectio  AngUcana,\iT&  manerium. 


1436  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    I 

péchés  de  gourmandise,  les  chanoines  réguliers  et  les  moines  ne 
mangeront  et  boiront  qu'aux  endroils  déterminés  et  au  moment    [927J 
fixé. 

40.  Lorsque,  pour  cause  de  maladie  ou  pour  tout  autre  motif 
raisonnable,  des  moines  passent  un  temps  assez  long  hors  du 
couvent,  dans  un  manerium  ^,  on  les  fera  acôompagner  par  des 
frères  âgés,  pour  les  préserver  de  toute  légèreté  et  pour  qu'ils 
rendent  témoignage  d'eux  en  rentrant  au  couvent.  On  agira  de 
même  à  l'égard  des  chanoines  réguliers  et  des  religieuses.  En- 
fin les  ordonnances  sur  les  dîmes  et  autres  points,  rendues  par 
le  concile  de  Latran  sous  le  pape  Innocent,  seront  lues  dans 
tous  les  synodes  diocésains  et  observées,  ainsi  que  les  pré- 
sents canons.  Les  excommunications  prononcées  par  le  pré- 
sent synode  seront  solennellement  renouvelées  tous  les  ans 
dans  le  synode  diocésain  et  quatre  fois  par  an  dans  les  églises 
paroissiales. 

La  Collectio  Anglicana  cite  plusieurs  autres  canons  qui  auraient 
été  portés  ovi  remis  en  vigueur  par  ce  concile  d'Oxford;  par 
contre,  elle  en  omet  quelques-uns  de  ceux  qui  précèdent. 

On  se  demande  si  le  concile  de  Cologne  célébré  en  1222  a  été 
un  concile  diocésain  ou  provincial.  On  ne  connaît  qu'une  seule 
décision  de  cette  assemblée.  Césaire  d'Heisterbach  raconte  qu'une 
jeune  juive  miraculeusement  convertie  s'était  fait  baptiser  et 
avait  pris  le  voile  dans  un  monastère  de  cisterciennes,  près  de 
Liège.  Hugues,  évoque  de  Liège,  trompé  par  les  parents  de 
la  jeune  fille,  avait  ordonné  qu'elle  fût  rendue  à  sa  famille; 
mais  saint  Engelbert,  archevêque  de  Cologne,  prescrivit  dans 
son  concile  à  l'évcque  de  Liège  de  ne  plus  fatiguer  ce  monastère, 
au    sujet   de    ceMe    affaire  ^. 

Mansi  place  en  1222  un  synode  des  grecs  schismatiques, 
sous  le  patriarche  Germain  IL  On  se  souvient  que  l'île  de 
Chypre  avait  été  conquise  par  les  latins,  qui  y  avaient  érigé 
des  évêchés  latins.  L'archevêque  grec  fut  exilé,  mais  les 
autres  évêques  grecs  restèrent  et  purent  continuer  leurs  fonc- 
tions auprès  de  leurs  compatriotes,  moyennant  trois  condi- 
tions, à  savoir  :  a)  tous  les  clercs   grecs  devaient  mettre    leurs 

1.  11  faut,  avec  la  CollectioAnglicana,  lire  in  manerin  au  lieu  de  in  misericordia. 

2.  Haitzheim,  Conc.  Germ.,  t.  m,  p.  514;  Binterim,  Deutsche  Concilien,  t.  m, 
p.  421;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  1182. 


651.    CONCILES    RELATIFS    AUX    ALBIGEOIS  1437 

mains   dans   celles   des   évoques   latins,   c'est-à-dire   se   soumettre 
[928]  à  eux  et  entrer  ainsi  dans  l'union;  h)  les   clercs   et  les  laïcs   grecs 
devaient  en  appeler  aux    latins  des   décisions   de  leurs  évéques; 
c)  tout  évé([ue  grec,  de  même  que  tovit  clerc  ou  moine,  ne  pou- 
vait être  ordonné  ou  installé  qu'avec  la  permission  de  l'évêque  latin 
—  Les  Cypriotes  envoyèrent  alors  deux  ambassadeurs  au  patriar- 
che grec  de    Constantinople    (qui  résidait    alors    à   Nicée)    pour 
savoir  s'ils   devaient  accepter   ces    conditions.    Le   patriarche   y 
consentait;  mais  son  entourage  fut  plus  rigoureux,  et  l'affaire  fut 
traitée  en  un  concile  ;  on  y  décida  que  la  première  condition  était 
inadmissible;  si  quelques  clercs  cypriotes    s'y   sont  laissé    entraî- 
ner, ils  imiteront  la  conduite  de  plusieurs  clercs  de  Constantinople, 
entrés   dans   l'union,    mais   revenus   repentants  à  leur  mère.  Les 
deux    autres    conditions    sont    acceptables,    vu    la    nécessité,     et 
parce     qu'elles     n'entraînaient     guère      qu'une     perte     d'argent. 
Mansi    place    ce  synode    à    Constantinople,    à  cause    des    mots  : 
matrem  dico  hanc  Constantini  urhein\  mais  ces  mots  manquent  dans 
le   texte    grec    original,    et    ce    qui   précède    témoigne  de  la  pré- 
sence dans  l'assemblée  de  plusieurs  émigrés  de   Constantinople^, 
Le  concile  a  probablement  eu  lieu    à    Nicée,    résidence    des    pa- 
triarches  de   Constantinople   après  la   prise   de    cette    ville   par 
les  latins. 


651.  Conciles  relatifs  aux  albigeois,  de  1222  à  1225. 

Au  mois  d'août  1222,  Conrad,  cardinal-évêque  de  Porto,  légat 
apostolique,  tint  un  synode  au  Puy;  il  y  excommunia  Boson, 
abbé  d'Aleth,  près  de  Narbonne,  et  les  moines,  tous  devenus 
albigeois,  et  soumit  la  ville  et  le  monastère  d'Aleth  au  chapitre 
de  Narbonne,  qui  avait  fait  preuve  de  fermeté  et  prudence 
dans  toutes  ces  luttes.  Les  moines  d'Aleth  furent  expulsés  et 
remplacés  par  douze  chanoines  ^. 
[929]  L'hérésie  des  patares,  qui  avait  tant  d'analogie  avec  celle  des  albi- 
geois, motiva  vers  cette  même  époque  (1222)  la  tenue  d'un  concile 

1.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  1082  (erreur  pour  1182). 

2.  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  ii,  col.  913;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col. 
1193.  (H.  L.) 


1438  LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE     I 

à  Raguse  en  Dalmatie  ^.  Le  pape  Honorius  III  avait  envoyé  en 
Bosnie  et  en  Dalmatie  le  légat  Acontius  combattre  cette  héré- 
sie et  engager  les  Dalmates  à  faire  la  chasse  aux  pirates,  qui, 
sur  l'Adriatique,  causaient  de  réels  dommages  aux  croisés. 
Avant  de  quitter  la  Dalmatie  pour  la  Bosnie,  Acontius  célébra 
le  synode  dont  nous  venons  de  parler  et  obtint  l'expulsion  des 
patares. 

Le  synode  provincial  de  Rouen,  célébré  sous  l'archevêque 
Théobald,  publia,  le  27  mars  1223,  dix-neuf  canons,  abrégé 
de  ceux  du  douzième  concile  œcuménique  ^.  En  l'octave  de  la 
fête  des  saints  Pierre  et  Paul,  en  1223,  le  légat  Conrad,  car- 
dinal-évêque  de  Porto,  convoqua  les  évêques  français  à  Sens, 
pour  y  traiter  des  albigeois  ^.  Quoique  dépossédé  de  tous  ses  biens 
par  sentence  du  concile  de  Latran,  Raymond  VI,  comte  de  Tou- 
louse, avait  été  traité  avec  mansuétude  par  le  pape  Innocent  III, 
qui  s'était  employé  à  adoucir  sa  situation*.  Le  pape  garda  quel- 
ques semaines  auprès  de  lui  Raymond  VII,  fils  du  comte  Ray- 
mond VI,  pour  le  conseiller  et  l'endoctriner.  Le  père  et  le  fils 
regagnèrent  Gênes  et  la  Provence,  où  Raymond  VII  conservait 
un  lambeau  du  patrimoine  paternel,  de  par  une  décision  du  con- 
cile de  Latran.  Sur  ces  entrefaites,  Simon  de  Montfort,  ayant  prêté 

1.  Farlati,  Illyricum  sacrum,  t.  vi,  p.  92;  C.  Schmidt,  Histoire  et  doctrine  de 
la  secte  des  cathares  ou  albigeois,  t.  i,  p.  114. 

2.  Hardouiiij  Concil.  coll.,  t.  vu,  col.  127;  Martène,  Thés.  nov.  anecd.,\l\l , 
t.  IV,  p.  173-176;  Bénin,  Conc.  Rotomagensia,  p.  130;  Coleti,  Concilia,  X.  xiii, 
col.  1083;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  1198.  (H.  L.) 

3.  Martène,  Thés.  nov.  anecd.,  t.  i,  p.  901-903.  (H.  L.) 

4.  Ceci  donne  un  son  de  cloche,  mais  il  y  a  un  autre  son  et  il  est  difficile  de  sup- 
poser que  Raymond  YI  appréciât  comme  un  bienfait  l'intervention  d'Inno- 
cent III  dans  ses  affaires.  Si  c'était  adoucir  une  situation  périlleuse  que  d'empê- 
cher d'en  sortir  par  une  issue  hasardeuse,  mais  triomphante  peut-être,  tel  aurait 
été  en  effet  le  rôle  d'Innocent  III,  un  des  ennemis  les  plus  acharnés  du  comte 
de  Toulouse  qu'il  déposséda.  En  réalité,  Innocent  III  appliqua  en  toute  sécurité 
sur  un  prince  de  second  rang  les  maximes  intransigeantes  dont  il  n'avait  pu 
trouver  l'emploi  avec  des  princes  plus  puissants,  qui,  comme  Philippe-Auguste, 
l'invitaient  à  contenir  son  dévouement  dans  les  bornes  de  sa  charge  spirituelle. 
Le  roi  de  France,  après  Bouvines,  pouvait  impunément  donner  ces  sortes  de 
conseils  que  le  comte  de  Toulouse  n'était  pas  assez  grand  seigneur  pour  se  per- 
mettre. Du  moment  où  le  pape  avait  livré  les  belles  provinces  du  Languedoc 
à  la  brutalité  des  pires  brigands  venus  de  partout  et  enrégimentés,  sous  l'estam- 
pille de  croisés,  par  un  des  forbans  les  plus  méprisables  du  moyen  âge,  Simon 
de  Monfort,  de  ce  moment,  le  comte  de  Toulouse  avait  été  de  moins  en  moins 
en  état  d'apprécier  la  mansuétude  du  pape  Innocent  à  son  égard.  (H.  L.) 


651.    CONCILES    RELATIFS     AUX    ALBIGEOIS  1439 

le  serment  de  vassalité  au  roi  de  France  pour  le  comté  de  Tou- 
louse, avait  distribué  ses  châteaux  à  ses  amis,  pour  recevoir  d'eux, 
à  son  tour,  serment  de  vassalité.  A  leur  arrivée  en  Provence,  à 
Marseille,  à  Avignon  et  ailleurs,  Raymond  et  son  fils  furent 
reçus,  par  la  noblesse  et  par  le  peuple,  avec  une  joie  infinie, 
et  ils  se  virent  moralement  contraints  de  tenter  un  nouvel 
effort  contre  l'odieux  Montfort.  D'anciens  croisés  embrassè- 
rent leur  parti,  non  pour  soutenir  les  hérétiques,  que  les 
comtes  de  Toulouse  avaient  complètement  abandonnés,  mais 
pour  arracher  à  des  forbans  (c'est  ainsi  que  l'on  jugeait  mainte- 
nant Montfort  et  sa  bande)  les  biens  de  cette  antique  famille. 
Se  [déliant]  de  la  parole  donnée  à  Rome,  les  Raymond  com- 
mencèrent une  nouvelle  guerre  purement  politique.  Mais  les 
cathares,  mettant  à  profit  les  victoires  des  deux  comtes,  sor- 
tirent de  leurs  retraites,  tandis  que  les  comtes  étaient  ame- 
[930]  nés,  par  la  force  des  choses,  à  accepter  le  concours  des  barons 
et  des  villes  hérétiques,  non  pour  relever  les  affaires  de  la 
secte,  mais  pour  recouvrer  les  pays  perdus.  Dans  ce  but,  les 
deux  Raymond  n'hésitèrent  pas  à  sacrifier  les  cathares.  Leurs 
adversaires  ne  poursuivaient,  de  leur  côté,  que  la  fondation 
d'une  grande  principauté  sous  Simon  de  Montfort  et  son  étroite 
union  avec  la  monarchie  française.  S'ils  semblaient  se  préoccu- 
per de  la  défense  de  l'Église,  c'était  pour  gagner  le  pape  et  le 
clergé.  Le  jeune  Raymond,  à  la  tête  d'une  armée  improvisée, 
ouvrit  la  campagne  en  attaquant  Beaucaire,  sur  le  Rhône. 
Montfort  tenait  une  garnison  dans  cette  ville,  bien  qu'elle  fût 
en  Provence  et  dans  les  possessions  conservées  au  jeune 
Raymond.  Ceux  de  Beaucaire  ouvrirent  les  portes  au  comte  de 
Toulouse,  à  la  barbe  de  Montfort  accouru  avec  un  gros  renfort 
qu'il   dut   faire   replier  sur   Nîmes  ^. 

Sur  ces  entrefaites,  Raymond  VI  était  allé  en  Aragon  deman- 
der le  concours  de  son  neveu,  Jayme  I^''.  Craignant  une  attaque 
de  ce  côté,  Simon  de  Montfort  regagna  Toulouse,  dont  la  fidélité 
lui  semblait  ébranlée.  Il  y  entra  en  conquérant,  la  livra  au 
pillage,  la  taxa  d'une  énorme  contribution  et  en  fit  raser  les 
remparts.  Malgré  la  défense  formelle  du  pape  et  les  admo- 
nestations   des    commissaires    et     légats,    Simon    s'empara    du 

1.  Hahn,   Geschichte  der  Kelzer    im    Mittelalter,  t.    i,    p.    302    sq.;    Hurter, 
op.  cit.,  t.  II,  p.  683  sq.;  Schmidt,  op.  cit.,  t.  ii,  p.  268  sq. 


1440  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    I 


comté  de  Foix  et  des  biens  situés  dans  la  vallée  du  Rhône  dont 
on  avait  assuré  la  possession    au  jeune   Raymond,    On  en  était 
là    quand     Raymond     VI   amena   de     vieilles     bandes     aragon- 
naises;  Toulouse,  foulée  dejjuis  si  longtemps,  leur  ouvrit  ses  portes 
(13  septembre  1217).  Simon  de  Montfort  essaya  en  vain  de  repren- 
dre la  ville;  il  fut  tué  d'un  coup  de    pierre  sous  ses  murs  (25  juin 
1218)  ^,  et  son  fils  aîné  et  héritier,  Amaury,  dut  lever  le  siège. 
Il  ne  put  continuer  la  guerre  ^,  si  bien  que  le  jeune  Raymond  et  [931] 
ses    amis  ^   remportèrent    presque    journellement    des    avantages 
sur  l'armée  des   croisés.    Honorius   III  renouvela   à   Amaury  de 
Montfort  la  donation  de  tous  les  biens  donnés  à  son  père,  déclara 
les     deux    Raymond    usurpateurs,    excommuniés    et    fit    prêcher 
contre  eux  la  croisade  *.  Peines  inutiles,  le  jeune  Raymond  (son 
père  était  mort  en  1222)  vola  de  victoire  en  victoire  ^.    Amaury 
se  vit  bientôt  obligé  de  traiter;  mais  le  légat  Conrad,   cardinal  de 
Porto,     très    mécontent    des     propositions    de     Raymond,    con- 
voqua  à   Sens,   en   1223,  les   prélats   français,  pour  prendre  leur 
avis   sur   cette   affaire   et  sur  quelques   autres,   notamment   celle 
de  Bosnie,  où  un    évèque    cathare    avait    commencé    à   jouer   le 
rôle  d'un  pape  des  sectaires  et  avait  institué  pour    son  vicaire 
général  en  France  un  certain  Barthélémy  Cartes,  de  Carcassonne. 
Le    roi    Philippe-Auguste    désirant    prendre    part    à    l'assemblée, 
elle    fut    transportée    de    Sens    à     Paris    et    compta    un    grand 
nombre  d'évêques.  Sur  ces  entrefaites,  le  roi  mourut  le  14  juillet 
1223,  à   Mantes,  et  le  concile  fut  abandonné,   semble-t-il  ^.  Peu 


1.  Une  pierre  «  vint  tout  droit  où  il  fallait,  »  dit  un  contemporain.  Guillaume 
de  Tudèle  rapporte  l'épitaphe  de  l'aventurier  et  ajoute  :  «  Son  épitaphe,  à  qui 
bien  la  sait  lire,  dit  qu'il  est  saint,  qu'il  est  martyr  et  qu'il  doit  ressusciter  pour 
hériter  du  ciel  et  fleurir  dans  la  joie  éternelle.  Et  moi  j'ai  ouï  dire  qu'il  en  doit 
être  ainsi  :  si  pour  avoir  occis  des  hommes  et  répandu  du  sang;  si  pour  avoir 
perdu  des  âmes  et  consenti  des  meurtres;  pour  avoir  cru  de  faux  conseils  et  al- 
lumé des  incendies;  pour  avoir  détruit  les  barons  et  honni  la  noblesse;  pour  avoir 
ravi  des  terres  et  encouragé  la  violence;  si  pour  avoir  attiré  le  mal  et  éteint  le 
bien,  égorgé  des  femmes  et  massacré  des  enfants,  un  homme  peut  en  ce  monde 
conquérir  le  règne  de  Jésus-Christ,  le  comte  doit  recevoir  sa  couronne  et  res- 
plendir dans  le  ciel.  »  (H.  L.) 

2.  Qu'en  se  tenant  sur  la  défensive.  (II.  L.) 

3.  Bernard  de  Comminges  et  Raymond-Roger  de  Foix.   (H.  L.) 

4.  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  271.  (H.  L.) 

5.  Ibid.,  t.  I,  p.  272. 

G.  Hardouin,  Concil.  coll.,  t.  vu,  col.  129;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1085; 


! 


65  1.    CONCILES    RELATIFS    AUX    ALBIGEOIS  1441 

après  mourut  le  jiape  cathare  et  la  <î:uerre  des  albigeois  prit  pour 
Amaury  une  tournure  si  déplorable  que,  le  14  janvier  1224, 
il  conclut  une  trêve  avec  les  comtes  de  Toulouse  et  de  Foix, 
vint  à  Paris  et  céda  au  jeune  roi  Louis  VIII  tous  ses  droits 
sur  le  sud  de  la  France  ^  De  son  côté,  le  comte  Raymond  s'a- 
dressa au  pape;  celui-ci,  au  lieu  d'acquiescer  au  désir  du  roi  de 
France,  chercha  à  s'entremettre;  Louis  VIII,  irrité,  réunit 
à  Paris,  en  mai  1224,  les  grands  de  son  royaume  et  leur 
déclara  qu'à  l'avenir  il  ne  s'occuperait  plus  de  la  guerre  des  albi- 
geois. A  la  demande  du  pape,  Arnaud  de  Cîteaux,  archevêque 
de  Narbonne,  entra  en  négociations  avec  le  comte  Raymond, 
au  concile  de  Montpellier,  le  25  août  1224;  Raymond  promit 
fidélité  à  la  foi  catholique  et  l'expulsion  des  hérétiques,  la  con- 
fiscation de  leurs  biens  et  leurs  châtiments  corporels.  Il  s'enga- 
[932]  geait  en  outre  à  maintenir  une  paix  profonde  et  à  chasser  les 
ruptuarii  (routiers,  vagabonds).  Il  devait  rendre  aux  églises  et 
aux  clercs  tous  leurs  anciens  droits  et  libertés.  A  titre  d'indemnité 
aux  églises  et  pour  obtenir  du  pape  le  rejet  des  prétentions 
du  comte  de  Montfort,  il  offrait  20  000  marcs  d'argent  payables 
à  Rome  à  date  fixée.  Si  la  somme  ne  suffisait  pas,  le  comte  de 
Toulouse  en  donnerait  une  plus  considérable  et  ferait  tout  ce 
que  le  pape  demanderait,  cum  servire  sanctœ  Ecclesiœ  regnare 
sit.  D'ailleurs  les  droits  suzerains  du  roi  de  France  et  de  l'em- 
pereur d'Allemagne  sur  les  pays  de  la  vallée  du  Rhône  demeu- 
reraient intacts.  Roger  Bernard,  comte  de  Foix,  et  Trencavel, 
vicomte  de  Béziers,  firent  les  mêmes  promesses.  Ce  même 
concile  de  Montpellier  réintégra  quelques  évêques,  prescrivit  une 
collecte  de  1  000  marcs  d'argent  et  envoya  au  pape,  en  ambas- 
sade solennelle,  l'archevêque  d'Arles,  quelques  autres  évêques  et 
deux  abbés  ^. 

Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  1198-1206;  C.  Schmidl^  op.  cit.,  t.  i, 
p.  275;  Hahn,  op.  cit.,  p.  309-332. 

1.  Hahn,  op.  cit.,  p.  336-341;  C.  Schmidt,  op.  cit.,  p.  276;Mansi,  op.  cit. y 
t.  XXII,  col.  1206;  Vaissete,  Hist.  génér.  de  Languedoc,  t.  m,  Preuves,  p. 282  sq., 
n.  147;  p.  293,  n.  155.  (H.  L.) 

2.  Baluze,  Conc.  Narbonn.,  1668,  p.  58-64;  Manrique,  Annal,  cisterc,  1649, 
t.  IV,  p.  266;  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  289-290,  2333-2335;  Hardoiiin,  Conc. 
coll.,  t.  VII,  col.  131;  Colcti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1087;  Mansi,  Conc.  ampliss. 
coll.,  t.  XXII,  col.  1026  sq.  ;  Albéric  des  Trois-Fontaines,  dans  Monum.  Gerni. 
hist..  Script.,  t.  xxiii,  p.  914;  Hahn,  op.  cit.,  p.  341;  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i, 
p.  277.  (H.  L.) 

CONCILES-  V  -  91 


1442  LIVRE     XXXVI,      CHAPITRE     I 

Dans  une  lettre  aux  évêques  du  synode, Amaury  de  Montfort 
protesta  contre  le  traité  conclu  avec  Raymond,  et  le  roi  de 
France  soutint  à  Rome  ces  réclamations  ;  Honorius  rejeta 
donc  les  propositions  de  Raymond  et  envoya  en  France  un 
nouveau  légat,  le  cardinal  Romain,  qui,  en  novembre  1225, 
présida  les  synodes  de  Melun  et  de  Bourges.  Le  premier  ^, 
qui  s'ouvrit  le  8  novembre,,  s'occupa,  outre  la  question  des  albi- 
geois, d'un  conflit  de  compétence  entre  les  tribunaux  civils  et 
ecclésiastiques,  mais  ne  put,  sur  ce  dernier  point,  aboutir  à  un  ré- 
sultat. Le  second,  tenu  à  Bourges  le  30  du  même  mois  ^,  eut  des  con- 
séquences plus  importantes.  Outre  les  deux  adversaires, Raymond 
et  Amaury,  on  y  vit  cent  évêques  français,  venus  de  neuf  provin- 
ces ecclésiastiques,  un  grand  nombre  d'abbés  et  de  députés  des 
chapitres.  Raymond  renouvela  sa  promesse  de  Montpellier  et 
demanda  instamment  à  être  relevé  de  l'excommunication. 
Amaury  soutint,  à  grand  renfort  de  décrets  d'Innocent  III  et  du 
roi  Philippe-Auguste,  ses  prétentions  sur  la  plus  grande  partie 
des  biens  reconquis  par  le  comte  Raymond.  Après  une  intermi- 
nable discussion,  le  légat  demanda  à  chaque  archevêque  et  à  ses  [933-1 
sufîragants  une  consultation  écrite  qui  serait  communiquée 
au  pape  et  au  roi  de  France.  C'était  une  manière  d'ajournement. 

Peu  de  temps  auparavant,  le  légat,  sur  l'opposition  des 
chanoines  de  Paris,  avait  refusé  à  l'Université  un  sceau  parti- 
culier; ce  qui  lui  valut,  à  quelques  jours  de  là,  d'être  presque 
massacré  dans  une  sédition  des  maîtres  et  étudiants.  Le  légat 
les  avait  excommuniés,  mais  à  Bourges  il  releva  de  cette  censure 
quatre-vingts  maîtres  de  Paris  qui  lui  avaient  adressé  force  sup- 
plications. Le  concile  ne  trancha  pas  la  controverse  entre  les 
archevêques  de  Lyon  et  de  Rouen  sur  les  droits  à  la  primatie.  Deux 
ordonnances  pontificales  valurent  au  légat  bien  des  désagré- 
ments :  l'une  réservait  au  Saint-Siège  une  prébende  dans  chaque 
cathédrale  et  dans  chaque  église  de  quelque  importance; l'autre 

1.  Labbe,  Concilia^  t.  xi,  col.  290-291;  Ilardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  133; 
Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1089;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii^col.  1214. 
(H.  L.) 

2.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  91-94;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  133; 
Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  91  ;  De  Vic-Vaissete,  Histoire  génér.  de  Languedoc, 
1736^  t.  III,  Preuves,  p.  299;  3^  édit.^  t.  viii,  p.  315;  Mansi, Concilia,  Supplém., 
t.  Il,  col.  291;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  1214;  C.  Schmidt^  op.  cit.,  t.  i, 
p.  278-279.  (H.  L.) 


652.     CONCILES    ALLEMANDS     ET    ANGLAIS  1443 

imposait  une  redevance  annuelle  à  tous  les  monastères,  col- 
légiales et  menses  épiscopales,  au  profil  du  pape.  Les  évêques 
et  les  chapitres  protestèrent  dans  les  termes  les  plus  énergi- 
ques; ils  protestèrent  également  contre  le  privilège  accordé 
au  roi  de  prélever  pendant  cincf  ans  la  dîme  sur  tous  les  biens 
ecclésiastiques  de  France  pour  continuer  la  guerre  contre  les 
albigeois  ^. 

\ers  la  même  époque,  un  synode  provincial  de  Sens  censura 
le  livre  de  Scot  Érigène  intitulé  :  De  divisione  naturœ,  parce 
que  les  cathares  s'en  servaient  pour  propager  leurs  doctrines, 
et  le  pape  Honorius  aggrava  cette  sentence  ^. 


652.  Conciles  allemands  et  anglais  de  1222  à  1225. 

En  Allemagne  et  ailleurs,  quelques  conciles  de  cette  période  méri- 
tent notre  attention.  En  1222,  le  cardinal-légat  Grégoire  en  célébra 
un  à  Schleswig  ^.Outre  certaines  prescriptions  relatives  à  la  réforme 
[934]  et  la  discipline  ecclésiastique,  on  y  recommanda  expressément 
aux  majorités  l'observation  du  célibat;  leurs  enfants  devaient 
être  déchus  de  tout  héritage.  Le  mariage  des  prêtres  était  alors 
considéré  en  Danemark  comme  chose  permise  :  c'est  pourquoi 
les  clercs  les  plus  haut  placés  se  mariaient  librement. Le  pape  le 
leur  ayant  défendu,  ils  en  appelèrent  à  un  concile  général.  L'an- 
née  suivante    (1223),    le  synode   célébré  à  Erf urt  4,  sous  la    pré- 

1.  Coleti/ Co7ici7ia,  t.  xiii^  col.  1089  sq.  ;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vii^  col. 
134  sq.  ;  Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1227,  n.  57,  61;  Mansi,  Conc. 
ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  1214-1220;  H.  Scholten,  Geschichte  Ludwigs  IX  des 
Heiligen,  in-8,  Munster,  1850,  t.  i,  p.  17,  41. 

2.  Albéric  des  Trois-Fontaines,  dans  Monum.  Germ.  hisL,  t.  xxiii,  p.  914; 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  1212  (pour  1112).  Floss  croit  (^lsc/i6ac/iS 
Kirchenlex.,  t.  iv,  p.  877)  que  le  synode  de  Sens  a  eu  lieu  en  1229,  tandis  qu'Ho- 
norius  mourut  dès  le  mois  de  mars  1227.  Grégoire  IX,  dans  trois  bulles  datées 
d'avril  1231  (Potthast,  Reg.,  p.  7-8  sq.),  confirma  la  condamnation  du  livre 
d'Érigène  De  dwis.  nat.,  prononcée  par  un  concile  provincial  de  Paris,  et,  par  là 
môme,  l'opinion  d'Henri  d'Ostie. 

3.  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1083;  Annal.  Erfurd.,  dans  Monum.  Germ. 
hist.,  Script.,  t.  xvi,  p.  27;  Chron.  Erfurd.,  dans  Menken,  Scripl.  rer.  German., 
t.  III,  p.  253;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  1198. 

4.  Mansi,  Concilia,  Supplem.,  t.  Il,  p.  920;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col. 
1205.  (H.  L.) 


1444 


LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE     I 


sidence  de  Siegfried,  archevêque  de  Mayence,  prescrivit  que  toutes 
les   fêtes   ayant  des  laudes   particulières   seraient   célébrées  avec 
neuf    leçons.     Plusieurs    conciles    furent     motivés    par     l'affaire 
du    prévôt    Henri    Mimique    [Mundikinus)     de    Goslar.    Ce    reli- 
gieux prémontre  avait  été    élu    prévôt    du    couvent    des    cister- 
ciennes de  Neuwerk  près  de  Goslar.  Bientôt  il  se  rendit  suspect 
d'hérésie    et    s'obstina    à    mépriser    les    monitions    de     l'évêque 
d'Hildesheim,    son    ordinaire.    Conrad    de    Reichenberg,  succes- 
seur de    Siegfried  ^  sur  le  siège  d'Hildesheim,   s'attaqua  aussitôt 
au  prévôt  récalcitrant.   11  vint    à    Goslar   et,  en  présence  de  plu- 
sieurs   prélats,    examina  dans    le    couvent    môme    de    Neuwerk 
l'orthodoxie  du  prévôt.   On  trouva  celui-ci  en  faute    aussi   bien 
sur  les  actes  que  sur   la    foi    et    on    lui    interdit  la    prédication. 
Mimique  s'étant  rebiffé,   Conrad  convoqua   à  Hildesheim   (1222) 
un    synode    diocésain,  auquel    assistèrent    plusieurs  abbés   cister- 
ciens, et    Mimique  fut  cité  à  y  comparaître.   Après   un    examen 
des  plus     sérieux    qui    dura    trois    jours,   la     faute     fut   déclarée 
évidente   et   l'évêque,    de  l'avis   du  synode,  porta    une   sentence 
de   suspense    et  de   déposition   contre   Mimique,  qu'il    obligea    à 
réintégrer    son     monastère     de    prémontrés  ;    en    même    temps 
les     religieuses     furent    invitées    à    élire     un     nouveau     prévôt. 
Mimique  ne  se   soumit    pas   et   les  religieuses  refusèrent  aussi  de 
procéder  à  une  nouvelle    élection.  Conrad  porta    donc   l'aiïaire  à 
Rome.  11  y  arriva  à  la  fin  de  1222  ou  au  commencement  de  1223, 
porteur  d'un    abondant    dossier  ^.    Par    un    bref    du   19   janvier    [935'] 
1223  à  l'abbé  de  Steinhausen  et  au  doyen  de  Nordhausen,  Hono- 
rius  m  confirmait  le  jugement  de  l'évêque  et  ordonnait  d'appli- 
quer au  prévôt    récalcitrant    les   censures    ecclésiastiques.   Mais, 
de     leur    côté,  les   religieuses   de   Neuwerk   avaient    envoyé    des 
plaintes  à  la  fois  au  pape  et  à  l'empereur;  ce  dernier  soumit  l'affaire 
aux  évêques  réunis  au  camp  impérial,  à  Ferentino,  et   leur  de- 
manda leur  avis  ^.  Les  évêques  déclarèrent  que  la  résistance  obs- 

1.  Par  son  bref  du  26  juin  1221  (manque  d^ans  Potthast,  Reg.),  Honorius  III 
confirma  la  résignation.  Venerabilis  frater  n.  Hildesh.  episcopus  per  suas  nobis 
literas  supplicavit,  pluribus  inlercedenlibus  pro  eodem,  ut  cum  nimia  seneclute 
gravatus  nequeat  exercere  officium  pastorale... cedendi  sibi  pastorali  officio  licen- 
tiam  concedere  dignaremur.  Cf.  Parer  g.  Gotting.,  t.  i,  fasc.  4^  p.  6. 

2.  C'est  ce  qui  ressort  du  texte  même  de  la  lettre  du  pape  :  exposuit  (episc, 
Hildesh.)  coram  jiobis,  etc..  Parerg.  Gotting.,  t.  i,  fasc.  ^i,  p.  11. 

3.  A  ce  fait  se  rapporte  bien  certainement  la   remarque  du  légat    Conrad   de 


652.    CONCILES    ALLEMANDS    ET    ANGLAIS  1445 

tinée  à  son  évêque  vaudrait  au  prévôt  la  rigueur  des  lois  et 
la  prison,  afin  de  préserver  les  fidèles  delà  contagion.  Les  évoques 
réunis  à  Ferentino  écrivirent  également  aux  religieases  de 
NeuAverk,  blâmant  leur  vénération  insensée  pour  le  prévôt  et 
leur  conseillant  une  humble  soumission  à  l'évêque  d'Hildesheim. 
Le  pape,  à  son  tour,  leur  écrivit  dans  le  même  sens  (9  mai  1223); 
elles  devaient  abandonner  la  cause  de  Mimique  et  accepter 
le  prévôt  désigné  par  l'évêque  ^.  Conrad  dut  recourir  à  la  force 
contre  le  prévôt  obstiné  et  le  fit  jeter  en  prison.  Mimique 
protesta  et  fit  appel  à  Rome  :  il  disait  qu'à  la  suite  d'une 
dénonciation  calomnieuse,  il  avait  été  jeté  en  prison  pour  crime 
d'hérésie,  sans  avoir  été  entendu,  ni  cité  ni  convaincu;  il  deman- 
dait au  pape  d'exposer  librement  sa  doctrine,  acceptant,  s'il 
était  coupable,  de  subir  le  châtiment  mérité.  Le  pape  répondit, 
23  mai  1224,  en  invitant  l'évêque  Conrad  et  le  cardinal-légat 
Conrad  de  Porto  à  reprendre  l'examen  de  l'affaire  du  pré- 
vôt en  s'adjoignant  quelques  autres  prélats.  Cet  appel  du 
[936]  prévôt  lui  valut  de  la  part  de  Conrad  une  sanction  encore 
plus  sévère.  Au  commencement  de  septembre  1224,  les 
seigneurs  s'étaient  réunis  à  Bardewick  ^,  au  sujet  du  roi  Wal- 
demar  de  Danemark  et  de  son  fils,  que  le  comte  Henri  de 
Schwerin  retenait  prisonniers  ^.  A  cette  réunion  assistaient  le 
légat  du  pape,  Conrad  de  Porto,  les  évêques  de  Brème,  d'Hal- 
berstadt,  de  Naumbourg,  de  Mersebourg,  de  Minden,  de  Muns- 
ter et  de  Schwerin,  les  évêques  élus  de  Paderborn  et  d'Osna- 
bruck,  les  abbés  de  Verden  et  d'Hersfeld  *,  enfin  d'autres  prélats 

Porto  :  postmodum  hahito  consilio  super  eo  archiepiscoporum,  episcoporum  et 
quorumdam  cardinalium,  ne  ex  illiiis  doctrina  et  consortio  christifidelihus  anima- 
rum  periculum  amplius  et  personarum  infamia  immineret,  ipsum  fecit  carcerali 
custodia  mancipari.  On  ne  peut  supposer  qu'il  y  ait  eu  en  Allemagne  une  réunion 
des  archevêques,  des  évêques  et  des  cardinaux  convoqués  pour  prononcer  un 
jugement  contre  Mimique. 

1.  Sudendorf,  Registr.,  t.  ii,  p.  160-163;  Potthast,  Reg.,  n.  7013. 

2.  Bardewick^  près  Lunebourg  (Hanovre).   {H.  L.) 

3.  Cf.  la  lettre  du  pape,  de  novembre  1223,  à  Engelbert  de  Cologne. Mo/ium. 
Germ.  hist.,    Epist.,  t.  j,    n.    238.    Cf.    aussi    Winkelmann,      Friedrich  II,  t.  i 
p.  240  sq. 

h.  Il  est  surprenant  qu'on  ne  mentionne  pas,  parmi  les  membres  du  concile 
do  Bardewick,  Engelbert,  archevêque  de  Cologne,  qui  s'y  trouvait  pré- 
sent. La  Chron.  Luneburg.  (lEccard,  Corp.  hist.,  t.  i,  p.  1403)  s'exprime  ainsi  : 
Dur  dat  Gedinge  vor  Koniiig  Heinric  undc  Bischop  i-'an  Culne  unde  andere  Vorsten 
unde  Herren  vêle  mil  grolemc  Ilere  des  anderen  Jares  to  Sente  Mechelis  Missen 


1446  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE     1 

et  des  clercs.  L'évêque  Conrad  d'Hildesheim  soumit  à  cette 
assemblée  la  question  du  prévôt  Mimique  et  sollicita  la  confir- 
mation des  décisions  prises.  Toute  la  procédure  fut  examinée 
par  le  concile,  la  sentence  déclarée  juste  et  équitable  et,  sur  l'avis 
du  synode,  confirmée  par  le  légat  du  pape.  A  peine  cette  décision 
prise,  le  légat  reçut  la  lettre  du  pape  prescrivant  une  nouvelle 
audition  du  prévôt.  Il  convoqua  aussitôt  à  Hildesheim  un  con- 
cile, dans  lequel  Mimique  fut  condamné  de  nouyeau  et  solennel- 
lement dégradé  (22  octobre  1224  ^).  La  sentence  entraînait  la  con- 
damnation au  bûcher,  châtiment  que  le  prévôt  subit  le  29  mars 
1225  2. 

Voici  les  chefs  d'accusation  formulés  contre  lui,  lors  du  premier 
examen  de  la  question  à  Goslar  :  le  jour  de  son  élection,  il  fut 
reçu  dans  le  monastère  en  grande  solennité;  les  religieuses,  exagé- 
rant le  respect  qu'elles  lui  devaient,  le  proclamèrent  le  plus  illus- 
tre de  tous  ceux  qui  étaient  nés  de  la  femme,  et  il  avait 
accepté  cette  flatterie;  il  avait  violé  la  règle  des  cisterciens  en 
permettant  aux  religieuses  de  manger  de  la  chair  hors  les  cas  [937] 
de  maladie,  et  de  porter  des  vêtements  de  lin.  Des  erreurs  sur  la 
foi  on  se  bornait  à  dire  :  quod  scripserat  plurima  et  prsedicaverat 
contra  fidem.  Cette  accusation  fut  ensuite  précisée  plus  claire- 
ment au  concile  d'Hildesheim  :  1*^  Mimique  avait  dit  :  Le  Saint- 
Esprit  est  le  Père  du  Fils,  par  inclination  [affectu).  2°  Par  un 
respect  exagéré  de  la  virginité,  il  avait  déprécié  le  mariage. 
3°  Il  avait  attribué  au  démon  un  certain  désir  de  se  convertir. 
4°  Enfin  il  avait  soutenu  qu'il  y  avait  au  ciel  une  souveraine 
bien  supérieure  à  Marie,  à  savoir  la  «  Sagesse  ». 

Pour  examiner  ces  chefs  d'accusation  et  les  apprécier  à 
leur  valeur,  il  faudrait  pouvoir  se  reporter  aux  écrits  de  Mi- 
mique. On  y  verrait  le  sens  qu'il  donnait  à  ces  propositions  para- 
doxales. Mais  ces  ouvrages  furent  brûlés  par  ordre  du  concile; 
nous  devons  donc  nous  en  remettre,  sur  l'appréciation  de  la  sen- 

na  de  Koniges  Vangnisse  to  Bardewic,  dannen  poren  se  to  Blekede.  Cf.  Annal. 
Colon,  max.,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvii^  p.  838. 

1.  Mansi^  Conc.  anipliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  1212. 

2.  Monum.  Germ.  hist.,  Leg.,  t.  ii,  p.  252;  Chronicon  Erfurtense,  dans  Menken, 
Script,  rcr.  Germ.,  t.  m,  p.  252,  place  à  tort  le  supplice  ad  ann.  1223.  Historia 
de  landgraviis  Thuring.,  ad  ann.  1222.  Ces  deux  ouvrages  rapportent  égale- 
ment :  IV  col.  april.  Heinricus  Mundikinus srculari    judicio    pro    haresi 

est  crematus. 


652.    CONCILES    ALLEMANDS    ET    ANGLAIS  1447 

tence,  aux  deux  lettres  de  Conrad  de  Porto.  Sur  le  premier 
point,  Ilausrath  ^  a  démontré  que  le  prévôt  avait  en  vue  l'incar- 
nation du  Fils  par  l'opération  du  Saint-Esprit,  ce  qui  lui  avait 
donné  occasion  de  dire  que  le  Saint-Esprit  est  le  Père  du  Fils, 
Sur  la  deuxième  proposition,  les  termes  mêmes  de  l'accusation  : 
ExtoUendo  vir  ginitateni  videhatur  condemnasse  matrimonium, 
semblent  bien  exclure  de  la  proposition  de  Mimique  le  sens 
d'une  condamnation  manicliéenne  et  gnostique  du  mariage. 
Que  le  prévôt  ait  été  un  admirateur  trop  enthousiaste  de  la 
virginité,  sans  doute,  mais  on  ne  peut  en  déduire  une  con- 
damnation positive  du  mariage.  Je  tiens  pour  injuste,  sur  le 
troisième  point  d'accusation,  d'imputer  à  Mimique  l'erreur  néo- 
manichéenne d'une  réintégration  de  Satan  dans  le  sens  du 
dualisme  absolu.  Sans  doute,  le  prévôt,  dans  ses  prédications  et 
ses  ouvrages,  aura-t-il  exprimé  l'opinion  que  même  Satan  pou- 
vait manifester  envers  Dieu  une  crainte  respectueuse  [se 
vidisse  angelum  malum  coram  Deo  geniculasse)  et  éprouver  un 
certain  repentir  pour  son  acte  coupable  [quem  jam  veïle  redire 
scio).  Sur  la  quatrième  proposition,  on  ne  trouve  aucune 
explication  dans  les  écrits  du  prévôt  et  l'acte  d'accusation 
ne  fournil  aucun  éclaircissement.  Il  semble  impossible  qu'Henri 
ait  prétendu  faire  une  personne  distincte  de  la  «  sagesse  » 
divine,  la  considérant  dans  un  sens  gnostique,  comme  un  Eon 
féminin;  cela  supposerait  tout  un  système,  ce  que  l'acte  d'ac- 
[938]  cusation   n'aurait   pas    manqué   de   relever^. 

Dans  un  concile  de  Paderborn  en  1224,  l'évêciue  Olivier  fit 
rassembler  dans  une  seule  collection  toutes  les  décisions  et  ordon- 
nances des  conciles  antérieurs  de  son  diocèse,  pour  les  mettre 
à  la   portée   de   ses    diocésains  ^. 

Au  concile  d'Halberstadt,  du  25  mars  1224,  l'évêque  Fré- 
déric confirma  une  donation  du  landgrave  Louis  de  Thuringe 
à  l'église  de  Saint-Etienne  à  Méring  *.   En  septembre    1225,    le 


1.  Parer  g.  Gotting.,  p.  20. 

2.  Parerg.  Gotting.,  Gôttingen,  1736;  Schminke,  Leben  des  Mag.  Konrad  von 
Marhurg,  ms.  136  de  la  bibliothèque  royale  de  Cassel;  Kaltner,  Konrad  von 
Marhurg,  Prague,  1882,  p.  90  sq.  ;  liartzheim,  Conc.  Germ.,  t.  m.  p.  515;  Mansi, 
op.  cit.,  t.  XXII,  col.  1200,  1211;  Binterim,  Deutsche  Conc,  t.  iv,  p.  345   sq. 

3.  En  1418,  la  collection  des  décisions  du  concile  de  Paderborn  existait  encore. 
Hartzlieim.   op.   cit.,   t.   m,   p.    514   sq. 

4.  Méring,  cercle  de  Haute-Bavière.  (II.  L.) 


1448  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    I 

cardinal-légat  Conrad  convoqua  à  Magdebourg  plusieurs  cvêques 
du  nord  de  l'Allemagne;  c'est   sans     doute    dans    cette    réunion 
qu'il  trancha,  le    20  septembre,  le  conflit  entre  le  monastère    de 
Quedlinbourg  et    son    abbesse    Sophie.    Celle-ci,  apparentée   à   la 
famille     royale     de    Danemark,    avait    été    attaquée    dans    son 
monastère   par    certains    de    ses    serviteurs    et    de    ses   vassaux 
et   gravement   outragée;    sa   résistance    provoqua    les    attaques 
des  adversaires    du    monastère,    elle-même  fut  déposée    et    rem- 
placée par  Bertrade  de  Croszeck,  prieure  du  monastère  et  sœur 
de  Conrad,    évêque   d'Halberstadt.  Citée    à    comparaître    devant 
un    tribunal     à    Nuremberg,    Sophie    fut    de    nouveau    déposée 
à    cause    de    sa    prétendue    prodigalité   et  autres  manquements; 
l'élection   de    l'intruse    Bertrade     ne     fut    pas     confirmée,    mais 
on  prescrivit    de   procéder   à    une   nouvelle  élection   et    Bertrade 
fut    réélue.    Pour  assurer    l'avenir,    Bertrade    et   son    monastère 
s'adressèrent  au  pape  et  sollicitèrent   une   enquête    sur   les    faits 
de    prodigalité    et    les     autres     fautes     reprochées      à     Sophie. 
Honorius    chargea    de   cette    enquête   l'évêque    d'Halberstadt    et 
quelques-uns  de  ses  collègues.  Cependant    Sophie    recourut  éga- 
lement au     pape   qui,   mieux  renseigné  sur  les  dissensions  dont 
le  monastère  de  Quedlinbourg  avait  été  le  théâtre,  remit  à  l'ar- 
chevêque de  Magdebourg  et  aux    évêques    d'Hildesheim    et    de 
Mersebourg  le  jugement  du  différend  (14  août  1224).    Tout  d'a- 
bord ils   devaient  rétablir   Sophie,  faire   donner   satisfaction  par   [939] 
Bertrade,    puis   examiner   les    plaintes    portées    contre   l'abbesse. 
Les  évêques  commissaires  pontificaux  négligeant  l'affaire,  Sophie 
s'adressa    au    légat    Conrad  de    Porto,    qu'elle  pria    de    rappeler 
les  évêques    à  leur  devoir.   Le  légat    prit   l'affaire    en    main.      Il 
rétablit   l'abbesse   déposée,    qu'il     obligea,     sous    peine    de   sup- 
pression des    privilèges,    à   se    réconcilier  avec   ses    adversaires. 
Sur  nouveau  recours,  le    pape   cassa,    le  30   mai    1226,    la    sen- 
tence de  son  légat  et  chargea  Henri,  évêque  de  Worms,  de   pro- 
céder  à   une    restitutio   in   integrum^. 

En  octobre  1225,  le  légat  devait  célébrer  un  concile  à  Cologne, 
Mais  l'assassinat  d'Engelbert,  archevêque  de  Cologne,  le  saint 
administrateur  de  l'empire,  massacré   près  d'Essen,    le  7  novem- 


1.   Hartzheinij  op.  cil.,  p.  518;  Moniini.Gcrm.  hist.,  Episl.,  l.  i,  n.  258,  297; 
Binterim,  op.  cit.,  p.  451  sq. 


652.    CONCILES    ALLEMANDS    ET    ANGLAIS  1449 

bre,  par  son  cousin  Frédéric,  comte  d'Isenboiirg  ^,  fit  déplacer 
el  retarder  le  concile,  qui  fut  tenu  à  Mayence,  en  décembre  1255  ^  ; 
on  y  vil  nombre  de  prélats  et  de  seigneurs,  de  retour  de  Nuremberg, 
où  l'on  venait  de  célébrer  le  mariage  du  jeune  roi  Henri  avec  Mar- 
guerite d'Autriche.  On  présenta  au  concile  le  chapeau  et  les 
vêtements  d'Engelbert  tachés  de  sang.  Le  légat  prononça  un 
émouvant  discours  en  l'honneur  du  «  martyr  »  et  lança  l'ana- 
thème  contre  le  meurtrier  et  ses  complices,  ordonnant  la  promul- 
gation solennelle  de  cette  sentence,  chaque  dimanche,  dans  tou- 
tes les  églises  du  territoire  de  la  légation.  Théodéric,  évêque  de 
Munster,  et  Engelbert,  évêque  élu  d'Osnabruck  et  frère  du 
comte  d'Isenbourg,  furent  cités  à  Liège,  en  la  prochaine  fête  de 
la  Purification,  pour  se  disculper  de  toute  complicité  dans  le 
meurtre    de   l'archevêque. 

Le  concile  de  Mayence  publia  quatorze  canons  relatifs  à  de 
[940]  graves  abus  de  l'Église  d'Allemagne  :  1-3.  Renouvellement  des 
prescriptions  concernant  le  célibat  des  clercs.  —  4.  Qu'aucun 
prélat  ne  porte  d'excommunication  sans  raison  suffisante  et 
sans  monition  préalable.  —  5.  Les  clercs  ne  pourront  léguer  des 
fruits  de  leurs  prébendes  à  leurs  concubines  et  bâtards. — 6.  Un 
clerc  excommunié  ou  suspens  qui  célèbre  sera  déposé.  —  7. 
Quiconque  célèbre  en  présence  d'un  excommunié  tombe  sous  le 
coup  de  l'excommunication.  —  8.  Un  évoque  doit  faire  connaître 
aux  évêques  voisins  la  sentence  d'excommunication  portée  par 
lui.  —  9-11.  Mesures  contre  la  simonie.  —  12.  Les  églises  ne  doi- 
vent pas  être  administrées  par  des  mercenaires,  mais  par  leurs 
curés,  ou  du  moins  par  des  vicarii  perpetui.  —  13.  La  sollicitation 
au  mal  d'une  religieuse  ou  chanoinesse,  et  à  plus  forte  raison 
tout  commerce  charnel  avec  elle  entraîneront  l'excommunication. 
—  14.  Les  présents  statuts  seront  souvent  promulgués  par  les 
évêques  dans  leurs  synodes    diocésains  et    par    les    abbés     dans 


1.  Dans  ses  efforts  pour  défendre  l'Église  contre  ses  curateurs  attitrés,  l'ar- 
chevêque était  entré  en  lutte  avec  ce  cousin  qui  exerçait  un  droit  de  patronat 
sur  le  monastère  d'Essen.  Aussi  sa  mort  fut-elle  un  martyre  pour  soutenir  les 
droits  de  l'Église.  Il  eut  pour  successeur  sur  le  siège  de  Cologne  Henri  de  Mole- 
nark,  auparavant  prévôt  de  Bonn.  Louis  de  Bavière,  surnommé  le  Kelilheimer , 
devint  administrateur  du  royaume.  Cf.  Ficker,  Engelbert  der  Ileilige  von  Coin, 
1853,  p.  152  sq.  ;  Winkelmann,  Friedrich  II,  t.  i,  p.  235. 

2.  9-10  décembre  1225.  Manrique,  Annal,  cisterc.,  t.  iv,  p.  278-286;  Gallia 
christiana  nova,  1731,  t.  v,  col.  483. 


i450  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE     1 

leurs  monastères  ^  —  Harlzheim  dédouble  ce  concile  en  deux 
sections,  dont  il  fait  un  concilium  Germanicum  et  un  concilium 
Moguntinum.  Mais  Binterim  a  montré  qu'il  s'agit  d'un  seul 
concile  en  plusieurs  sessions,  appelé  Germanicum  parce  qu'il 
réunit  des  évêques  de  toute  l'Allemagne,  et  non  seulement  de 
la    province    de    Mayence. 

L'assemblée  tenue  à  Liège  le  2  février,  pour  juger  les  évê- 
ques de  Munster  et  d'Osnabruck,  fut-elle  un  vrai  concile?  Quoi 
qu'il  en  soit,  elle  rendit  un  jugement  défavorable  aux  deux 
inculpés,    qui    furent    suspendus    ab    officio    et   heneficio  ^. 

Afin  d'introduire  en  Ecosse  les  salutaires  réformes  du  IV^ 
concile  de  Latran,  le  pape  Honorius  décida  que,  malgré  l'absence 
de  métropolitain,  les  évêques  écossais  se  réuniraient  en  conciles 
provinciaux,  sous  la  présidence  d'un  conservateur  temporaire. 
En  conséquence,  les  décrets  de  Latran  furent  promulgués,  avec 
d'autres  formant  en  tout  quatre-vingt-quatre  chapitres,  par  un 
synode  écossais,  tenu  en  1225  3. 

A  la  Chandeleur  de  1225,  on  tint  à  Westminster  une  grande 
assemblée  de  prélats  et  de  notables,  qui  promirent  au  roi  [941] 
Henri  III  la  quinzième  partie  de  tous  les  biens  meubles,  en 
compensation  de  ce  qu'il  avait  perdu  sur  le  continent.  En 
retour,  le  roi  dut  leur  accorder,  par  une  charte  écrite,  les  liber- 
tés  depuis  longtemps  réclamées  *. 

1.  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  137;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1093; 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  1  ;  Hartzheim,  Conc.  Germ.,  t.  m,  col. 
520-524;  Binterim,  Deutsche  Concilien,  t.  m,  p.  348,  465;  Opel,  Chronicon  Monlis 
Sereni,  1859,  p.  136;  Ficker,  op.  cit.,  p.  176. 

2.  Hardouin,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  vu,  col.  142;  Coleli,  Concilia,  l.  xiii, 
col.  1101;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  11  sq.;  Hartzheim,  Conc. 
Germ.,  t.  m,  p.  524  sq.  ;  Monum.  Germ.  Iiist.,  Script.,  t.  xxiii,  p.  917. 

3.  Cette  date  de  1225,  pour  les  Statuta  generalia  Ecclesise  Scoticanas  et  leur  pro- 
mulgation par  un  concile  réuni  à  Perth  deux  ans  avant  la  mort  d'Honorius  IIL 
est  insoutenable.  Cette  date  ne  peut  être  maintenue,  puisque  le  canon  1  de  ces 
statuta  fait  allusion  à  Honorius  en  ces  termes  :  felicis  recordationis  Honorius 
papa,  ce  qui  ne  se  dit  que  des  défunts.  Sir  David  Dalrymple,  Historical 
memorials  concerning  the  provincial  councils  of  the  Scottish  clergy,  dans  Annals 
of  Scotland,  Edinburgh,  1797,  t.  m,  p.  145,  215,  218,  219,  reporte  cette 
importante  compilation  pour  l'histoire  ecclésiastique  de  l'Ecosse  à  des  conciles 
tenus  à  Perth  en  1242  et  1-G9.  (H.  L.) 

4.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  1220  sq. 


653.  CONCILES  DE  1226  ET  1227  1451 


ft 


653.   Conciles  de  1226  et  1221. 

Nous  avons  vu  qu'au  concile  de  Bourges,  le  cardinal-légat 
Romain  n'avait  pas  osé  résoudre  l'affaire  de  Raymond  VII 
de  Toulouse.  11  s'était  Ijorné  à  réclamer  des  évoques  des  con- 
sultations écrites  destinées  au  pape  et  au  roi  de  France.  La  ques- 
tion religieuse  n'offrait  plus  rien  d'embarrassant,  car  sur  ce  point 
Raymond  avait  donné  pleine  satisfaction;  restaient  seulement  les 
prétentions  d'Amaury  de  Montfort.  Les  décisions  des  évêques 
durent  être  défavorables  à  Raymond,  car  dès  ce  moment, 
Louis  VIII.  roi  de  France,  et  le  légat  projetèrent  une  nouvelle 
croisade  contre  lui  et  les  albigeois;  le  28  janvier  1226,  ils  tin- 
rent à  Paris  une  grande  réunion,  moitié  parlement,  moitié 
concile,  où  les  barons  promirent  au  roi  de  soutenir  la  croisade, 
tandis  que  le  légat  y  excommuniait  Raymond,  ses  partisans  et 
auxiliaires.  Le  légat  confirma  définitivement  au  roi  de  France 
la  possession  de  tous  les  biens  de  Raymond,  traité  de  hœre- 
ticus  damnatus  ^.  Deux  jours  plus  tard,  le  roi,  avec  les  barons, 
prit  la  croix  des  mains  du  légat,  qui  plaça  pour  tout  le  temps 
de  l'expédition  les  croisés  et  la  France  entière  sous  la  protec- 
tion spéciale  de  l'Eglise.  En  février,  Romain  publia  un  décret, 
déclarant  qu'avec  l'assentiment  du  concile  de  Bourges  et  pour 
soutenir  les  frais  de  l'expédition,  il  concédait  au  roi,  pendant 
cinq  ans,  si  la  guerre  durait  tout  ce  temps,  la  dîme  de  tous  les 
revenus  ecclésiastiques  existant  sur  le  territoire  de  sa  légation. 
Les  évêques  français  devaient  publier  ces  décisions  dans  leurs 
[9i2]  diocèses,  prendre  la  croix,  prêcher  la  croisade,  enrichie  des 
mêmes  faveurs  spirituelles  que  celle  de  Terre  Sainte.  En  outre, 
les  rois  Henri  III  d'Angleterre  et  Jacques  I^^  d'Aragon  furent 
instamment  priés  de  ne  pas  prêter  secours  à  leur  allié  Ray- 
mond, ce  qu'ils  durent  accorder.  Un  second  concile,  célébré 
à  Paris  le  29  mars  1226  ^,  fixa   le   début  de  la  croisade   au  qua- 


1.  On  se  souvient  qu'Amaury  de  Montfort  avait  cédé  au  roi  tous  ses  droits 
sur  le  sud  de  la  France. 

2.  28  janvier  et  29  mars  1226.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  300-301  ;  Hardouin, 
Conc.  coll.,  t.  VII,  col.  lU  ;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1099;  Mansi,  Conc.  ampliss. 
coll.,  t.  xxiii,  col.  10;  C.  Schmidl,  op.  cit.,  p.  i,  p.  279. 


1452  LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE     I 

trième  dimanche  après  Pâques  et  désigna  Bourges  comme  point 
de  concentration.  Presque  en  même  temps,  Frédéric  II  tenait 
à  Crémone  une  diète,  pour  aviser  aux  moyens  d'exterminer  les 
cathares  dans  la  Haute- Italie,  diète  souvent  comptée  au  nombre 
des   synodes  ^ 

L'armée  des  croisés,  très  nombreuse  pour  l'époque,  inspira  dans 
le  sud  de  la  France  de  telles  craintes  que  beaucoup  de  villes  et 
de  seigneurs,  jusqu'alors  partisans  de  Raymond,  l'abandonnèrent; 
quelques  amis  intimes,  le  comte  de  Comminges  par  exemple, 
en  firent  autant.  Louis  et  le  légat  convoquèrent,  pour  le  mois  d'oc- 
tobre 1226,  un  synode  à  Pamiers,  au  sud  de  Toulouse'^.  On  sait 
seulement,  par  le  can.  1  du  concile  de  Narbonne,  que  cette 
assemblée  menaça  de  peines  sévères  ceux  qui  ne  tenaient  pas 
compte  de  l'excommunication.  L'armée  des  croisés  approchait 
de  Toulouse,  lorsque,  le  8  novembre,  Louis  VIII  mourut  de  la 
dysenterie  à  Montpensier  ^.  Cette  mort  paralysa  l'entreprise  : 
les  gens  du  Midi  reprirent  courage  et  Raymond  passa  de  la  défen- 
sive à  l'oiïensive. 

Dans  le  carême  de  1227,  Pierre  Amelii,  depuis  peu  arche- 
vêque de  Narbonne,  réunit  un  concile  provincial,  tant  au  sujet 
des  albigeois  qvie  pour  introduire  quelques  réformes  *.  On  lui 
doit  les  vingt  canons  suivants  : 

1.  Aux  termes  de  la  décision  prise  au  concile  de  Pamiers, 
quiconque,  après  une  triple  monition,  se  laisse  excommunier, 
encourt  une  amende  de  9  livres  1  denier.  S'il  demeure  une 
année  entière  sous  le  coup  de  l'excommunication,  tous  ses 
biens  seront  confisqués  ^ 

2.  Les  juifs  qui  perçoivent  sur  les  chrétiens  des  intérêts  usu- 
r aires  seront  contraints  à  restitution;  ils  n'auront  ni  esclaves 
chrétiens  ni  nourrices  chrétiennes;  ils  seront  inhabiles  à  tous  les 

1.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  301  ;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  141  ;  Coleti, 
Concilia,  t.  xiii,  col.  1101;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  12.  (H.  L.) 

2.  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  143  sq.  ;   Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1105; 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  19. 

3.  Petit-Dutaillis,  Étude  sur  la  vie  et  le  règne  de  Louis  VIII,  in-8,  Paris,  1894. 
(H.  L.) 

4.  Catel,  Histoire  des  comtes  de  Toulouse,  1623;    Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col. 
304-309;  Percin,  Monum.  conv.  Tolos.  prœdic,  t.  ii,  p.  32;  Hardouin,  Conc.  coll. 
t.  VII,  col.  143;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1103;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll. 
t.  XXIII,  col.  20.  (H.  L.) 

5.  Au  sujet  de  ces  amendes,  cf.  Kober,  Der  Kirchenbann,  p.  434  sq. 


» 


653.  CONCILES  DE  1226  ET  1227  1453 

emplois  ;  ils  ne  pourront  pas  vendre  ou   manger  ouvertement  de 
la  viande  aux  jours  d'abstinence;   ils  ne  mettront  pas    en   vente 
dans  les    boucheries    des    chrétiens    les    viandes    préparées    pour 
[943]  leur  usage. 

3.  Pour  se  distinguer  des  chrétiens,  les  juifs  porteront  sur  la 
poitrine,  par-dessus  les  vêtements,  un  signe  en  forme  de  roue. 
Les  dimanches  et  jours  de  fêtes,  ils  ne  travailleront  pas  en 
public;  durant  la  semaine  sainte,  ils  ne  sortiront  pas  de  chez 
eux,  sauf  les  cas  de  nécessité.  En  revanche,  les  évêques  les  pro- 
tégeront contre  tout  mauvais  traitement  de  la  part  des  chré- 
tiens, surtout  durant  la  semaine  sainte. 

4.  A  Pâques,  chaque  famille  juive  paiera  6  deniers  à  l'église 
paroissiale. 

5.  Les  testaments  doivent  être  faits  en  présence  de  témoins 
catholiques,  du  curé  ou  d'un  autre  clerc,  le  tout  sous  peine  de 
privation  de  la  sépulture  ecclésiastique. 

6.  Tout  parjure  doit  être  dénoncé  à  l'Église,  et  s'il  ne  donne 
pas  satisfaction,  il  sera  solennellement  excommunié,  privé  du  droit 
détester  et  déclaré  infâme.    Il  en  sera  de  même  des  faux  témoins. 

7.  Les  confesseurs  tiendront  exactement  note  des  noms  de 
ceux  qui  viennent  se  confesser,  afin  de  pouvoir  en  témoigner. 
Celui  qui,  à  partir  de  quatorze  ans,  ne  se  confesse  pas  au  moins 
une  fois  l'an,  sera  exclu  âe  l'église  et,  après  sa  mort,  privé  de  la 
sépulture    ecclésiastique. 

8.  Les  dimanches  et  jours  de  fête,  on  excommuniera  solennelle- 
ment les  usuriers,  incestueux,  concubinaires,  adultères,  les  voleurs 
et  ceux  qui  n'exécutent  pas  les  dernières  volontés    des   défunts. 

9.  x\ux  termes  du  can.  32  du  IV^  concile  de  Latran,  ceux  de  qui 
relèvent  les  églises  doivent  présenter  aux  évêques  des  personnes 
idoines  pour  les  desservir,  et  assigner  à  celles-ci  un  revenu 
suffisant. 

10.  Suivant  le  can.  31  du  concile  de  Montpellier  de  1215,  il  n'y 
aura  pas  moins  de  trois  moines  ou  chanoines  réguliers  dans  ces 
églises. 

11.  Les  moines,  chanoines  réguliers  et  prêtres  ne  peuvent  être 
avocats,  si  ce  n'est  en  faveur  de  leur  église  ou  des  pauvres. 

12.  Les  clercs  ne  doivent  pas  être  soumis  aux  tailles  et 
autres  redevances. 

13.  Les  nouveaux  péages  et  taxes  analogues  seront  prohibés, 
s'il  est  nécessaire,  par  les  juges  ecclésiastiques. 


1454  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    I 

14.  Les  évoques  établiront  dans  chaque  paroisse  des  témoins 
synodaux  qui  enquêteront  sur  l'hérésie  et  les  autres  méfaits 
publics  et  en  référeront  à  l'évêque. 

15.  Tous  les  dépositaires  de  l'autorité  publique  devront 
renier   les    hérétiques,  leurs  fauteurs  et  receleurs. 

16.  On  enlèvera  aux  hérétiques  les  fonctions  publiques 
dont   ils    sont  titulaires. 

17.  On  promulguera  solennellement  chaque  dimanche,  dans 
toutes  les  églises  paroissiales,  l'excommunication  contre  le  comte 
Raymond,  le  comte  de  Foix,  le  vicomte  de  Béziers  Trencavel, 
contre  les  hérétiques  de  Toulouse  et  ceux  qui  leur  donnent 
créance,  faveur,  défense  ou  asile,  en  particulier  contre  ceux  de 
Limoux  (près  de  Carcassonne)  et  autres  qui,  après  avoir  juré 
fidélité  au  roi  Louis  de  pieuse  mémoire,  se  sont  ensuite  séparés  [944] 
de  l'Eglise;  enfin,  contre  tous  ceux  qui  fournissent  aux  héréti- 
ques des  armes,  subsides,  chevaux,  et  on  abandonnera  leurs  per- 
sonnes   et  leurs  biens  à  quiconque  pourra  s'en  emparer. 

18.  Les  archiprêtres,  prévôts,  abbés  et  tous  autres  ayant  charge 
d'âmes  devront  avoir  reçu  la   prêtrise  et  faire  leur   service. 

19.  Conformément  au  can.  62  du  IV^  synode  de  Latran,  on 
ne  laissera  pas  les  quêteurs  prêcher  dans  les  églises,  mais 
seulement  y  lire  leurs  lettres,  s'ils  en  ont. 

20.  Dans  les  années  bissextiles,  la  fêté  de  saint  Matthias  doit 
toujours  se  célébrer  un  jour  plus  tard.  Les  quatre-temps  de  l'au- 
tomne commenceront  le  troisième  mercredi  de  septembre  ;  le 
concile  provincial  aura  lieu  tous  les  ans,  le  dimanche  de  Lsetare 
(quatrième   dimanche   de   carême). 

La  question  des  albigeois  ne  prit  fin  que  sous  Grégoire  IX. 
Dans  les  dernières  semaines  du  pontificat  d'Honorius,  le  1®^  mars 
1227,  il  se  tint  dans  l'église  de  Notre-Dame  [Marienkirche)  à 
Trêves,  sous  la  présidence  de  l'archevêque  Théodoric,  un  concile 
qui  donna  un  pastoral  au  clergé  du  diocèse  ^.  Binterim  et  d'autres   [945] 


1.  Martène  a  donné  pour  la  première  fois,  dans  le  vii^  volume  de  sa  Collectio 
amplissima,  les  actes  de  ce  synode,  extraits  d'un  manuscrit  de  Trêves.  Déjà 
Noël  Alexandre,  Hist.  eccles.,  t.  xv,  p.  356,  a  mis  en  doute  l'authenticité  de  ce 
concile,  parce  que  son  7^  canon  reproduit  le  13^  canon  du  IP  concile  de 
Lyon  de  1274.  Mgr  de  Lorenzi  a  également  manifesté  des  doutes  bases  sur 
les  arguments  suivants  :  1°  l'église  de  Marie,  oîi  le  concile  fut  célébré  le 
1"  mars  1227,  d'après  les  termes  mêmes  de  la  finale  des  actes,  ne  pouvait   être 


ï 


653.  CONCILES  DE  1226  ET  1227  1455 

historiens  font  de  cette  assemblée  un  concile  provincial;  mais 
comme  l'évèque  de  Trêves  ne  parle  que  de  lui,  de  son  diocèse, 
de  ses  ofpciales,  je  crois  que  ce  fut  seulement  un  synode 
diocésain,   mais  important,    en  raison  des  décisions  qui  y    furent 


que  l'église  de  Notre-Dame;  rodais,    d'après  une  inscription,  on    ne    commença 
qu'en  1227  la  reconstruction  de  cette  église,  l'ancienne  étant  tombée  en  ruines. 
2°  Il  est  surprenant  que  le  célèbre  évêque  Théodoric  II,  qui  siégeait  en  1227, 
n'ait  pas  été  désigné  par  son  nom. 

3°  les  actes  supposés  ordonnent  de  célébrer,  avecla  fête  de  sainte  Catherine, 
celle  de  sainte  Elisabeth  de  Thuringe;  or  celle-ci  ne  mourut  que  cinq  ans  plus 
tard  et  ne  fut  canonisée  qu'en  1235. 

4'*  Il  est  extraordinaire  qu'après  le  6^  canon  on  ait  laissé  deux  pages  blanches. 
5°  Le  principal  argument  contre  l'authenticité  consiste  en  ce  que  les  pres- 
criptions les  plus  importantes  de  notre  concile  sont  reproduites  littéralement 
dans  le  concile  provincial  de  1310,  dont  l'existence  n'est  pas    contestable,  sans 
indication  de  source. 

Pour  ces  motifs,  Lorenzi  croit  que  notre  concile  n'a  jamais  existé  et  que  ses 
prétendus  actes  seraient  ou  un  simple  exercice  de  style  ou  un  travail  prépara- 
toire aux  délibérations  de  1310. 

Au    premier   abord,    ces    objections   paraissent   sérieuses;    mais  un   examen 
approfondi  permet  de    conclure  que,  prises  séparément    ou  ensemble,  elles   ne 
suffisent  pas  à  prouver  la  non-existence    du    concile.    En   ce   qui    concerne   le 
principal  argument  (n"  5),  une  comparaison  attentive  des    décisions    des    con- 
ciles de  1227  et  de  1310  établit-qu'il  n'y  a  vraiment  pas  de  reproduction  ver- 
bale des  prescriptions  du  premier  par  le  deuxième;  l'analogie  entre  ces  décisions 
demeure  moins  frappante  que  celle   qu'on   peut  observer   entre  les   canons  de 
divers  conciles,  parfaitement  authentiques;  au  contraire,  les  divergences  sont 
assez  importantes  pour   qu'on  ne   puisse    voir    dans  le  premier   un    projet    ou 
une  copie   du   deuxième.    Les    canons    de    1310    sont  généralement  plus  longs 
que  ceux  de  1227,  traitent  d'autres  sujets  et  parlent  des  mêmes  questions  en 
termes  différents.    L'objection  tirée  de  ce  que  le  concile  de  1310  ne  cite  jamais 
la  source  de    ses  canons  n'a  guère  de  valeur;   on    ne    mentionne   pas  toujours 
en  détail  les  vieux  textes,  quand    on    répète    qu'on    a   voulu    renouveler    des 
prescriptions    antérieures,  et  rien  n'empêche    de  supposer  qu'il   en  a  été   ainsi 
pour  notre  concile.  Au  canon  95,    les  décisions  concernant  le  mariage  sont  don- 
nées formellement  comme  une  reproduction    de  constitutions   antérieures     du 
proi>incialis   coiicilii;   il   serait  difficile  de   prouver  que  l'on  n'a   pas  visé  par  là 
le  canon  5  du  concile  de  1227. 

En  ce  qui  concerne  la  reconstruction  de  l'église  de  Notre-Dame  de  Trêves,  il 
nous  semble  qu'il  n'y  a  pas  incompatibilité  entre  la  célébration  d'un  concile  le 
1"  mars  dans  l'ancienne  église  tombant  en  ruines  et  l'entreprise  d'une  nouvelle 
construction  dans  le  cours  de  la  même  année. 

L'absence  du  nom  de  l'archevêque  Théodoric  me  semblerait  plutôt  favorable 
que  contraire  à  l'authenticité  des  actes.  Un  faussaire,  aussi  bien  informé 
de  l'histoire  de  l'Église  de  Trêves  que   le  supposent  les  actes,  aurait  connu  le 


1456  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    I 

prises.  On  commence  par  dire  que  désormais  les  prêtres  devront 
venir  au  synode  avec  des  chapes  noires  et  rondes  ^,  ou  avec  [946] 
le  surplis  de  chœur  et  l'étole.  Sous  peine  de  suspense,  tout  prêtre 
sera  tenu  d'observer  les  statuts  du  concile  de  Trêves  (un  ancien 
concile)  et  d'apporter  avec  lui  les  statuts  synodaux,  qu'il  lira  ou 
se  fera  lire  tous  les  mois.  A  près  cette  introduction  viennent 
dix-sept  capitula  : 

1.  Le  baptême  doit  être  adnùnisLré  avec  respect,  conformé- 
ment aux  règles,  avec  de  l'eau  naturelle  et  cette  f ormule  :  «  Je  te 
baptise,  »  etc..  Les  prêtres  instruiront  les  laïcs  et  les  femmes, 
pour  qu'ils  sachent  administrer  ce  sacrement  en  cas  de  nécessité. 
Les  paroles  sacramentelles  doivent  être  prononcées  exactement 
et  distinctement.  Les  prêtres  français  enseigneront  aux  laïcs 
la  formule  en  langue  romane  :  Je  te  haptoi  en  nomine  Pâtre  et 
do  Fis  et  do  Sainte  Esperit.  Les  Allemands  diront  :  Ich  duffen 
dich  in  deme  Name  des  Vaders,  inde  des  Sonnes,  inde  des  heiligen 


nom  de  l'évêque  qui  gouvernait  cette  Église  à  l'époque  du  prétendu  concile 
dont  il  parlait,  et  il  n'aurait  pas  manqué  de  le  citer;  il  est  plus  naturel 
d'admettre  qu'en  publiant  des  actes  authentiques  on  a  négligé  de  mention- 
ner le  nom  de  l'évêque. 

La  mention  de  la  fête  de  sainte  Elisabeth  est  évidemment  une  addition  ulté- 
rieure; à  la  fin  du  canon  6,  on  lit  simplement  :  item  festum  sancta;  Elisabeth, 
et  il  reste  à  se  demander  s'il  s'agit  bien  de  sainte  Elisabeth  de  Thuringe. 

La  mention  du  canon  13  de  Lyon  au  canon  7  est  aussi  une  addition  ulté- 
rieure; je  suppose  qu'on  aura  mis  plus  ou  moins  volontairemment  ce  canon 
de  Lyon  à  la  place  des  prescriptions  du  quatrième  concile  de  Latran;  nous 
trouverons  une  substitution  analogue  dans  les  can.  20-24  du  concile  de 
Mayence  de  1233  (§659).  Enfin  les  deux  pages  blanches,  si  même  elles  sont 
autre  chose  qu'une  négligence  d'un  copiste,  ne  peuvent  avoir  aucune  signifi- 
cation pour  ni  contre  l'authenticité  des  actes. 

A-insi  toutes  les  objections,  aussi  bien  prises  séparément  que  dans  leur 
ensemble,  ne  prouvent  pas  que  ces  actes  sont  apocryphes;  tout  au  plus,  pour- 
raient-elles faire  penser  que  le  manuscrit  de  Trêves  n'est  pas  l'original 
des  actes,  mais  seulement  une  copie  postérieure;  elles  ne  démontrent  pas  la 
non-existence  du  concile.  D'autre  part,  je  vois  une  autre  preuve  convain- 
cante de  son  authenticité  dans  ce  fait  que,  dès  1233,  un  concile  de  Mayence 
contient  de  nombreuses  références  certaines  aux  décisions  de  notre  concile. 
Voir  §  659. 

1.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  26  sq.;  Hartzheim,  Conc.  Germ., 
t.  m,  col.  526  sq.  ;  Binterim,  Deutsche  Concilien,  t.  iv,  p.  402,  483,  entend  par  là 
des  barrettes.  Quant  à  moi,  j'y  verrais  plutôt  des  manteaux  de  chœur  sans  man- 
ches et  ronds  par  conséquent. 


653.  CONCILES  DE  122G  ET  1227  1457 

Ceistes.  Lorsqu'un  laïc  aura  administré  le  baptême  dans  un 
cas  de  nécessité,  le  prêtre  se  fera  répéter  les  paroles  dites  et 
expliquer  le  rite  employé.  S'il  a  bien  prononcé  les  paroles  sacra- 
mentelles avec  l'intention  réelle  de  baptiser,  le  prêtre  ratifiera 
ce  qui  s'est  fait,  sans  rebaptiser  l'enfant;  il  se  bornera  à  faire 
l'onction  chrismale.  Il  n'y  aura  pas  plus  de  trois  ou  quatre 
parrains. 
P  2.   Les  prêtres  exhorteront  le  peuple  à  recevoir  la  confirmation, 

et   les    adultes    devront    se    confesser   avant    de   la  recevoir.  De 

(même  le  prêtre  exhortera  le  peuple  à  recevoir  le  sacrement  de 
l'extrême-onction  {extrema  unciio),  une  médecine  pour  le  corps 
et  pour  l'âme  que  l'on  peut  renouveler  chaque  fois  qu'un  chré- 
tien tombe  gravement  malade.  On  ne  doit  rien  exiger  pour 
l'administration  des  saintes   huiles. 

3.  Tout  laïc  doit  recevoir  au  moins  une  fois  l'an  l'eucha- 
ristie, après  s'être  confessé  humblement  à  son  prêtre  (son  propre 
curé)  ou,  avec  l'assentiment  de  celui-ci,  à  un  autre  clerc  instruit 
et  délégué  pour  les  confessions.  Quiconque  omet  de  se  confesser, 
sauf  autorisation  de  son  curé,  sera  dénoncé  à  l'évêque  ou  à  son 
ofTicial  afin  d'être  châtié.  On  portera  le  viatique  aux  malades  de 
manière  décente,  c'est-à-dire  avec  une  clochette  et  un  cierge, 
et  les  prêtres  recommanderont  aux  laïcs  de  s'agenouiller  sur 
[947]  le  passage  de  l'eucharistie,  de  se  frapper  la  poitrine,  de  joindre 
les  mains,  etc.,  et  d'accompagner  respectueusement  et  en  silenc-3 
le  corps  du  Christ.  On  ne  doit  pas  faire  l'élévation  de  l'hostie 
avant  la  transsubstantiation.  Le  prêtre  obligé  de  biner  ne  pren- 
dra pas  les  ablutions  de  la  première  messe,  mais  les  fera  boire 
par  une  personne  de  réputation  intacte  et  à  jeun.  Le  célébrant 
doit  lui-même  consommer  l'hostie  qu'il  a  consacrée  et  ne  pas 
la  donner  à  un  autre;  il  ne  doit  pas  non  plus  communier  lui- 
même  à  la  place  d'un  malade.  Le  célébrant  doit  réellement  con- 
sacrer et  lire  le  canon;  sinon  il  commet  un  péché  mortel  et  fait 
que  le  peuple  adore  un  simple  morceau  de  pain.  Aucun  prêtre  ne 
doit  célébrer  la  messe  avec  une  hostie  déjà  consacrée.  On  ne 
doit  donner  à  personne  une  hostie  non  consacrée,  au  lieu  du 
corps  du  Christ.  On  ne  donnera  pas  l'eucharistie  aux  petits 
enfants,  ni  aux  malades  qui  ne  peuvent  pas  garder  de  nourri- 
ture. Le  prêtre  ne  doit  jamais  refuser  publiquement  la  commu- 
nion en  raison  de  fautes  secrètes  qu'il  ne  connaît  que  par  la 
confession.  A  l'avenir,   les    prêtres   ne   permettront    plus    à    leurs 

CONCILES  —  V  -  9  2 


1458  LIVRE     XXXVI,      CHAPITRE     I 

ouailles  de  communier  à  Pâques  sans  confession,  parce  qu'ils 
ont  négligé  de  les  entendre  tous  en  confession.  Cet  abus  est 
défendu,    sous    peine    de    suspense    et    d'excommunication. 

4.  Le  prêtre  doit  confesser  en  un  endroit  public  et  absoudre 
ceux  qui  promettent  de  faire  pénitence.  Est  réservée  à  l'évêque 
ou  à  son  oIFicial  {primarius)  l'absolution  pour  tous  les  péchés 
plus  graves  :  le  meurtre,  le  sacrilège,  surtout  celui  qui  est 
commis  sur  le  corps  du  Christ,  sur  l'huile  sainte,  le  chrême  et 
l'eau  baptismale;  le  parjure,  le  faux  témoignage,  les  fautes 
contre  nature,  la  simonie,  la  luxure  avec  des  religieuses  et  avec 
des  parentes,  le  rai)t  des  jeunes  filles,  l'empoisonnement,  les 
voies  de  fait  contre  ses  parents,  la  rupture  des  vœux,  l'incen- 
die volontaire,  l'usure,  le  péché  de  ceux  qui  étoufl'ent  leurs  enfants 
(pendant  leur  sommeil)  ou  qui  les  laissent  mourir  sans  bap- 
tême. Aucun  prêtre  ne  doit  absoudre  un  pécheur  (reum)  des 
cas  réservés  au  pape  ou  à  son  légat,  à  moins  qu'il  n'en  ait  le 
pouvoir,  ou  que  le  malade  n'ait  donné  une  satisfaction  suiTisante 
ou  ne  se  trouve  à  l'article  de  la  mort.    Ces    cas   réservés    sont    : 

a)  les  mauvais    traitements   infligés   à  un  clerc   ou    à   un    moine; 

b)  l'incendie  d'une    église   puni  de   l'excommunication   publique 
par  l'évêque  ;  c)  l'introd  uction  avec  effraction  dans  une  église  punie 
d'excommunication  par  l'évêque;  c^)  les  rapports   sciemment    et  [948] 
volontairement     entretenus    aveo    une    personne    excommuniée 

par  le  pape  ou  sa  réception  au  service  divin;  e)  la  falsifica- 
tion de  lettres  pontificales;  /)  le  secours  prêté  à  une  personne 
excommuniée  par  le  pape.  —  Dans  les  cas  douteux,  les  prêtres 
renverront  leurs  pénitents  à  des  ecclésiastiques  plus  savants 
et  munis  de  pouvoirs  plus  considérables.  On  gardera  sévère- 
ment le  secret  de  la  confession,  sous  peine  de  dégradation;  on 
n'y  manquera  ni  directement  ni  indirectement,  ni  par  paroles 
ni  par  signes.  Celui  qui  s'est  enrichi  par  l'usure,  le  vol  ou  le 
mensonge,  doit  rendre  le  bien  mal  acquis  ou  fournir  caution 
avant  d'être  admis  à  la  pénitence.  Le  prêtre  ne  doit  pas,  par 
avarice,  imposer  pour  pénitence  des  messes  à  faire  célébrer,  le 
septième  ou  le  trentième  jour,  ou  des  messes  d'anniversaire.  On 
ne  célébrera  pas  de  trentième  jour  ou  d'anniversaire  pour  des 
vivants.  En  confession,  le  prêtre  ne  demandera  pas  le  nom 
du  pénitent  :  il  ne  s'informera  que  des  circonstances  et  du 
degré  de  gravité  de  la  faute,  suivant  le  dicton  :  Quis,  quid,  ubi, 
per  qiios,  quoties,  cur,  quotnodo,  quando.  Le    confesseur    sera  pru- 


I 


653.  CONCILES  DE  122G  ET  1227  1459 


denl  dans  ses  questions  pour  ne  pas  initier  les  pénitents  à  des 
péchés  qu'ils  ignorent  et  les  y  induire.  Aucun  prêtre  ne  doit 
ni  absoudre  ni    refuser    d'absoudre    le    paroissien    d'un    autre 

t  prêtre,    sans   l'assentiment   de  ce  dernier  prêtre  ou    de    son    évê- 

que.  Le  confesseur  prononcera  en  ces  termes  la  formule  d'abso- 
lution :  Authoritate,  qua  jnngor,  ego  te  absoU'o  a  idnculo  excom- 
municationis,  et  restituo  te  unitati  Ecclesise  sanctœ,  in  nomine 
Patris  et  Filii  et  Spiritus  Sancti.  Amen.  Pour  les  cas  réser- 
vés, les  prêtres  ne  doivent  pas  écrire  les  péchés  de  leurs  péni- 
tents dans  des  lettres  ouvertes,  mais  seulement  dans  des  lettres 
fermées. 

5.  Les  mariages  seront  célébrés  avec  décence,  in  jade  Eccle- 
siie.  Ils  seront  précédés  d'une  triple  proclamation.  La  cérémo- 
nie se  fera  suivant  les  prescriptions  des  libri  ovdinarii.  Les 
mariages  secrets  sont  défendus.  Aucun  prêtre  n'admettra  au 
mariage  un  étranger  qu'avec  des  lettres  de  son  évêque  ou  de  son 
officiai.  Les  laïcs  ne  peuvent  marier.  La  formule  des  fiançailles 
est  celle-ci  :  Accipiam  te  in  ineam  uxorem  ou  in  meuni  marituni; 
et  celle  du  mariage  :  Accipio  te  in  meam  uxorem  (ou  meum  mari- 
tum).  Le  prêtre  ne  doit  rien  exiger,  pour  le  mariage  pas  plus  que 
pour  les  autres  sacrements;  les  parents  des  futurs  ou  autre 
personne  ayant  autorité  sur  eux  ne  devront  rien  exiger  pour 
consentir  au  mariage. 

6.  Les    vases     de    l'église,    les    linges    et    ornements    seront 
tenus  avec  une  extrême  propreté.  Les  ampoules  pour  le  chrême 

[949]  seront,  non  de  verre,  mais  de  métal,  surtout  de  zinc.  Le  prêtre 
marquera  de  signes  distincts  les  vases  destinés  à  contenir  le 
chrême,  l'huile  sainte  [catechumenorum)  et  l'huile  des  infirmes. 
L'église  sera  toujours  convenablement  ornée  et  munie  délivres, 
tapis,  etc.  Les  hosties,  qui  doivent  être  toujours  fraîches  et 
entières,  seront  placées  par  le  prêtre  dans  un  vase  très  propre. 
Lorsqu'il  faut  laver  les  corporaux,  le  prêtre  les  passera  une  pre- 
mière fois  dans  l'eau;  il  pourra  ensuite  laisser  à  une  personne 
pieuse  le  soin  de  les  laver.  L'eau  baptismale,  l'huile  sainte  et 
le  corps  du  Seigneur  doivent  être  gardés  avec  le  plus  grand 
soin  et  j)lacés  dans  des  vases  d'un  transport  facile.  Les  autels 
ne  seront  pas  tellement  exigus  qu'on  puisse  à  jieine  y  célébrer. 
Les  cimetières  seront  soigneusement  clos;  on  n'y  laissera  pas 
paître  les  animaux.  Défense  d'hypothéquer  les  biens  d'une 
église   pour  payer   des    dettes     étrangères     à     cette     église;     une 


1460  LIVRE    XXXVI,      CHAPITRE    I 

telle    hypothèque    serait    sans  valeur  et  exposerait  son  auteur 
à  la  suspense.  Même  mesure  pour  le  cas  où    un  moine  se    porte - 
rail    caution    pour   les    dettes    d'un    laïc.   Aucun    prêtre  ne  doit 
diminuer  les    revenus  existants  de  son  église,   ni  laisser   grever 
celle-ci   de  nouvelles  redevances.  On  ne  fera  point  dans  les  égli- 
ses de  pièces  de  théâtre   ni  autres  jeux  profanes.   Il  y  a  lieu  de 
procéder  à  la    purification   d'une  église  lorsc{ue  deux    })ersonnes, 
fût-ce   deux  époux,   y  ont  eu    commerce   charnel,   ou  lorsqu'il  y 
a  eu  meurtre  ou  effusion    de  sang.  Même   règle  pour  les  cimetiè- 
res.   Interdiction    de    pratiques   criminelles    ou    superstitieuses  : 
pour  attirer  du  mal  sur  vin  ennemi,  découvrir  les   autels,  empor- 
ter le   crucifix,   ou  le   couronner   d'épines;     chanter     une    messe 
de    mort  à  l'intention    d'une    personne    vivante    que   l'on   hait; 
chercher  à  avancer  sa  mort  en  plaçant  dans  l'église  un    cercueil 
avec  son  nom  et  en  chantant  ensuite   l'office  des  morts  devant 
ce    cercueil.    Les    femmes    ne    peuvent   pas    servir   à  l'autel.    La 
charge  de  sonneur  de  cloches  ne  sera   pas   vendue,  mais  confiée  à 
des    personnes    de    bonnes   vie   et    mœurs.    On  ne  rendra  aucun 
culte  aux  arbres,  aux  sources,  pas  plus  qu'aux     ossements     que 
l'on  trouve  dans  les  murs  et   dont  on  ii^nore    l'orisfine  :  ce  sont 
là,  en  effet,  des  coutumes   païennes.  On  célébrera   solennellement 
la   fête   de  sainte   Catherine,  vierge  et  martyre,  et  celle  de  sainte 
Elisabeth  ^ 

7.  Tous  les  chanoines  doivent  se  faire  ordonner  sous-diacres, 
diacres  ou  prêtres,  suivant  que  l'évêcjue,  le  doyen  et  le  chapitre 
le  trouvent  bon.  Ils  auront  soin  de  ne  pas  dilapider  le  patrimoine 
du  Crucifié  (les  revenus  ecclésiastiques).  Conformément  aux  [950] 
prescriptions  du  concile  de  Lyon  ^,  tous  les  bénéficiers  avec 
charge  d'âmes  devront  se  faire  ordonner  prêtres  dans  le  délai 
d'un  an  et  observer  la  résidence.  On  ne  présentera  pas  pour 
remplir  une  charge  ecclésiastique  un  candidat  qui  n'a  pas 
atteint  l'âge  requis.  (Viennent  ensuite  dans  le  manuscrit  deux 
pages  blanches.) 

8.  Les    doyens    des    collégiales    et    des    chrétientés    (chapitres 


1.  Binterim^  Deutsche  Concilien,  t.  iv^,  p.  402  et  493,  croit  qu'il  s'agit  ici 
de  sainte  Elisabeth  do  Thuringe;  ce  serait  alors  une  interpola  lion  posté- 
rieure. 

2.  Célébré  en  1274,  can.  13.  Interjiolation  ou  erreur  de  copie  ultéreure  : 
Lugdunensi  au  lieu  de  Laleranensi.  Cf.  Binterim,  o/».  cil.,  t.  iv,  p.  49'i. 


^ 


653.  CONCILES  DE  122G  ET  1227  14G1 

de  campagne)  feront  lire  dans  les  chapitres  les  statuts  du  con- 
cile de  Trêves  ainsi  que  les  statuts  synodaux;  ils  dénonceront  à 
l'évêque  ou  à  son  officiai  tous  les  clercs  qui  se  livrent  au  jeu,  fré- 
quentent les  auLerges,  se  conduisent  mal,  bénissent  des  mariages 
clandestins,  pratiquent  l'usure,  etc.  Les  autres  clercs  en  feront 
autant  à  l'égard  des  doyens.  Aucun  prctre  ne  devra  dire  la 
messe  sans  avoir  auparavant  dit  matines  et  les  heures 
prescrites;  il  s'abstiendra  de  célébrer  s'il  est  en  état  de  péché 
mortel.  On  n'exigera  rien  pour  la  sépulture  ni  pour  l'adminis- 
tration des  sacrements,  mais  on  maintiendra  les  pieuses  cou- 
tumes (oblations).  Les  prêtres  devront  engager  le  peuple  à 
se  confesser.  On  observera  les  jeûnes.  Les  prêtres  instruiront 
le  peuple  sur  les  péchés  mortels  en  général  et  en  particulier 
sur  certains  péchés  mortels  plus  fréquents,  comme  le  vol, 
l'usure,  etc.  Ils  indiqueront  en  outre  les  articles  de  foi  et  les  dix 
commandements.  Les  prêtres  ignorants  ne  doivent  pas  prêcher, 
mais  ils  assisteront  aux  prédications  des  prêtres  plus  instruits  : 
c'est  pourquoi  on  recevra  avec  plaisir  les  moines  prêcheurs  et 
les  minorités.  Les  autres  étrangers  ne  seront  admis  à  prêcher 
et  à  confesser  que  moyennant  la  permission  de  l'évêque.  Les 
prêtres  ne  laisseront  pas  prêcher,  même  en  dehors  de  l'église, 
les  ignorants,  les  béghards  par  exemple,  et  engageront  le  peuple 

Ià  ne  pas  écouter  de  pareilles  gens,  semeurs  d'hérésies  et  d'er- 
reurs. Lorsque  les  quêteurs  n'observent  pas  les  règles  prescrites 
par  le  concile  général  de  Lyon  ^  et  prêchent  des  faussetés,  on  doit 
les  reprendre  publiquement  en  présence  du  peuple.  Plusieurs 
d'entre  eux  présentant  des  lettres  apocryphes(du  pape),  on  exigera 
qu'ils  aient  une  permission  expresse  de  l'évêque  ou  de  son  officiai. 
Aucun  prêtre  ne  doit  avoir  chez  lui  de  femme  pouvant  donner 
[951]  prise  au  soupçon;  les  doyens  dénonceront,  sous  peine  de  sus- 
pense, les  prêtres  qui  n'observeront  pas  cette  règle.  Les  prêtres 
porteront  constamment  des  habits  longs,  qui  ne  seront  pas  de 
couleur  verte  ou  rouge,  ils  auront  aussi  un  cingulum  recouvert 
d'un  surplis   de  chœur  "^  ou   bien   un  manteau  rond.    Il  leur  est 


1.  Binterim  croit  qu'on  fait  ici  allusion  au  can.  23  du  deuxième  concile  de 
Lyon;  mais  c'est  une  erreur;  en  réalité,  il  s'agit  du  can.  62  du  quatrième  concile 
de  Latran.  Peut-être  y  avait-il  dans  le  manuscrit  de  Trêves  :  iti  generaU  coiici- 
lio  L.,  et  le  copiste  aura  écrit  Lugduucnsi  au  lieu  de  Laleranensi. 

2.  Il  faut  lire  :  cingulum  conlectum  auperpellicia  (ce  dernier  mot  s'emploie 


1462  LIVRE     XXXVI,    CHAPITRE     I 

clcfendvi  d'avoir  sur  les  babils  des  ornements  d'or  et  d'argent 
(suit  dans  le  manuscrit  un  mot  incomplet:  ona...,  ininteibgible). 
Les  prêtres  porteront  la  tonsure,  auront  une  conduite  irrépro- 
chable, ne  toléreront  jias  les  danses  ni  les  jeux  dans  les 
cimetières  et  dans  les  églises;  ils  inscriront  les  revenus  de  leurs 
éolises  dans  leurs  livres  de  messes  à  célébrer,  ils  ne  vendront 
aucun  ornement  de  l'église,  surtout  aux  juifs,  sans  la  permis- 
sion de  l'évcque.  Les  vicaires  perpétuels  ne  mettront  pas  à 
leur  place  des  remplaçants  à  gages,  sous  peine  de  déposition 
pour  le  remplaçant  et,  le  remplacé  ^  Aucun  prêtre  ne  doit 
avoir  plusieurs  églises.  Tout  prêtre  employé  dans  une  pa- 
roisse devra,  dans  le  délai  d'un  mois,  se  procurer  un  sceau. 
Nul  ne  doit  desservir  comme  prêtre  une  église  en  même  temps 
que  son  père  ou  immédiatement  après  lui.  Les  prêtres  devront 
confesser  aussi  les  pauvres  avec  zèle  et  ne  rien  leur  demander 
pour  l'administration  des  sacrements.  Le  prêtre  qui  a  sollicité 
une  personne  à  l'occasion  de  la  confession  perd  sa  dignité  et 
sera  excommunié.  Les  prêtres  suspens,  excommuniés,  simo- 
niaques,  etc.,  ne  doivent  pas  célébrer,  ni  pour  eux  ni  pour  les 
autres,  sans  une  dispense  expresse.  Les  prêtres  ignorants  ne 
doivent  pas  discuter  avec  les  juifs  en  présence  de  laïcs.  On  ne 
doit  pas  accepter  de  médecine  de  la  part  des  juifs.  Les  fils  et 
les  filles  de  prêtres  ne  doivent  pas  se  marier  avec  des  personnes 
baptisées  par  leurs  pères  ;  de  pareils  mariages  seraient  nuls. 
Les  femmes  recevront,  après  leurs  couches,  la  bénédiction  des 
relevailles  ;  jusqu'alors  elles  peuvent  s'abstenir  de  relations 
avec  leurs   maris,   bien    que    pouvant   les   permettre. 

9.  Tout  prêtre  doit  avoir  un  bréviaire,  dans  lequel,  même  en 
voyage,  il  puisse  réciter  les  heures.  Nul  ne  célébrera  sans  avoir 
un  autre  clerc  pour  servant.  Les  prêtres  prieront  avant  et 
après  le  repas,  et,  pendant  le  repas,  ils  s'entretiendront  d'une 
manière  édifiante.  Aucun  prêtre  ne  pourra  célébrer  plusieurs 
messes  le  même  jour,  sauf  les  trois  messes  de  Noël.  Les  autres 
jours,  il  pourra  dire  une  messe  pro  dejunctis  et  une  autre  de  [952] 
dÀe,  si  elle  est  nécessaire  pour  les  étrangers,   les   malades,  etc.,  ou 


aussi  àu  féminin).  Nous  avons  déjà  vu  (p.  1456)  qu'on  avait  laissé  lès  clercs  libres 
de  porter  l'habit  de  chœur  ou  le  manteau  (cappa).  Binlerim  me  paraît  n'avoir 
pas  compris   ce   passage. 

1.  Nous  lisons  avec  Martèno  :  Ne  vicarii  perpetui  ponant  mercenarios. 


653.  CONCILES  DE  1226  ET  1227  1463 

pour  un  mariage.  Défense  à  tout  prêtre  d'employer  les  vases 
de  l'cglise  à  des  usages  profanes;  défense  à  tout  clerc  de  porter 
les  armes,  de  bénir  un  fer  chaud  (pour  les  jugements  de  Dieu), 
d'oindre  les  malades  avec  de  l'huile  bénite  ^,  d'assister  à  un  duel, 
à  un  tournoi  ou  à  une  exécution. Les  prêtres  étrangers  et  inconnus 
ne  pourront  pas  exercer  de  fonctions  dans  le  diocèse.  On  ne 
doit  laisser  chanter  pendant  le  service  divin  ni  les  trutannes 
(mendiants  vagabonds  qui  racontent  des  bouffonneries),  ni  les 
scholares  de  passage  ni  les  goliards  (semblables  aux  trutannes)  : 
ils  troublent  le  célébrant  et  scandalisent  le  peuple.  Aucun 
laïc  ne  doit,  sous  peine  d'excommunication,  mettre  obstacle 
à  la  juridiction  ecclésiastique.  Tous  les  clercs  c{ui  ont  des  concubi- 
nes  doivent  les  renvoyer  dans  le  délai  de  quinze  jours. 

10.  On  renouvelle  le  25^  canon  du  troisième  synode  de  Latran 
concernant  Vusure  et  on  défend  les  difTérents  genres  d'usures. 
Ainsi,  à  l'époque  de  la  moisson  ou  des  vendanges,  les  clercs  ne 
doivent  pas  acheter  à  bas  prix,  aux  pauvres,  du  grain  et  du  vin, 
pour  les  revendre  ensuite  avec  profit.  On  ne  doit  jamais  acheter 
une  chose  volée;  sinon,  on  doit  la  restituer. 

IL  Les  nobles  et  les  propriétaires  terriens  doivent  permet- 
tre à  leurs  gens  de  célébrer  les  jours  de  fête.  A  l'égard  des 
cavercini  (ou  caorsini,  marchands  italiens,  qui  faisaient  un 
marché  d'échange,  surtout  à  Cahors  en  France;  les  Lombards, 
qui  sont  venus  plus  tard,  ont  beaucoup  d'analogie  avec  eux)  et 
des  autres  usuriers,  on  s'en  tiendra  exactement  aux  prescrip- 
tions du  concile  général  (can.  67  du  quatrième  concile  de  Latran). 
Les  juifs  ne  doivent  pas  exercer  les  fonctions  de  médecin. Certains 
nobles  et  fonctionnaires  du  diocèse  de  Trêves  cherchant  à 
imposer  leur  juridiction  aux  clercs  et  aux  moines  qu'ils  empê- 
chent d'en  appeler  aux  tribunaux  ecclésiastiques,  nous  recom- 
mandons    aux   prêtres   d'exhorter  ces  personnes  à  résipiscence, 


1.  Ce  passage  est  probablement  altéré  :  Martcne  croit,  et  à  mon  avis  il  a  raison, 
que  le  mot  non  a  été  omis  et  que  le  véritable  texte  devrait  être  :  nidlus  sacerdos 
inunget  infirmas  oleo  non  benedicto.  Binterim,  au  contraire^  croit  qu'il  faut  lire 
preshyteris  simplicihus,  c'est-à-dire  que  l'administration  de  l'extrème-onction 
aux  malades  devait  être  réservée  aux  curés  ayant  charge  d'âmes  et  défendue 
aux  simples  prêtres.  Pour  faire  suit»  à  ces  deux  opinions  contraires,  on  pourrait 
aussi  admettre  qu'il  s'agit  ici  d'un  mauvais  usage  de  l'huile  sainte  employée 
comme  médecine. 


14G4  HVUE     XXXVI,     CHAPITRE    I 

sous  peine  de  se  voir  frappées  crexcommunication.  L'usage  étant 
aujourd'hui  que  les  procès  n'aient  lieu  que  dans  les  grandes 
villes,  où  se  trouve  un  nombre  suffisant  de  jurisconsultes,  les 
vicaires,  recteurs  et  doyens  ruraux  n'accepteront  plus  de  causes, 
sauf  les  causes  sommaires  [de  piano  =  sine  strepitu  ac  figura  [9o3j 
judicii),  ou  celles  que  les  parties  leur  déféreraient  en  vue  d'une 
transaction.  Trois  choses  sont  nécessaires  pour  tout  serment  : 
i'eritas,  judicium  et  justitia;  si  l'un  de  ces  éléments  vient  à 
manquer,  il  y  a  parjure.  La  «  vérité»  consiste  dans  une  exacte 
connaissance  des  choses;  le  «jugement»,  à  ne  pas  jurer  sans 
nécessité;  la  «  justice  »,  à  ne  déposer  que  sur  ce  qu'il  est  permis 
de  dire.  Celui  qui,  par  contrainte,  rend  sciemment  un  faux 
témoignage,  est  cependant  coupable  de  parjure;  celui  qui  ex- 
torque par  la  force  une  pareille  déposition  ne  l'est  pas  moins. 
On  ne  doit  pas  prêter  serment  trop  souvent  ni  pour  de  trop 
petites  choses.  Les  prêtres  devront  autant  que  possible  empê- 
cher tous  les  mauvais  serments. 

12.  Les  bénédictins  et  les  augustins  doivent  être  réformés  et 
ramenés  à  l'exacte  observance  de  leur  règle.  Sauf  les  cas  de 
nécessité,  aucun  moine  et  aucune  religieuse  ne  rempliront  si- 
multanément deux  fonctions  dans  le  couvent.  Après  l'année 
de  probation,  les  novices  feront  profession  entre  les  mains  de 
l'abbé. 

13.  Les  moines  et  les  religieuses  devront,  sous  peine  de  sévères 
punitions,  renoncer  à  toute   propriété.    Détails. 

14.  Les  abbés  dormiront  dans  le  même  dortoir  que  leurs 
moines,  et  les  abbesses  dans  celui  de  leurs  religieuses;  seuls 
les  malades  ne  coucheront  pas  au  dortoir.  Sont  prohibés 
les  couvertures  de  lit  de  diverses  couleurs  et  les  rideaux  [cor- 
tinse).  Les  abbés  et  abbesses  devront  donner  à  leurs  inférieurs 
tout  ce  qui  leur  est  nécessaire  pour  la  nourriture  et  le  vêtement. 
Le  pain,  le  vin  et  les  autres  aliments  seront  les  mêmes  pour  tous; 
on  ne  donnera  à  personne  de  portions  particulières.  Les  restes 
seront  gardés  pour  la  communauté  ou  pour  les  pauvres.  11  y 
aura  dans  tous  les  couvents  des  hôpitaux  pour  les  pauvres 
Aucun  moine,  aucune  i-eligieuse  n'aura  à  son  service  des 
personnes  consacrées  à  Dieu,  à  moins  que  ses  fonctions  ne  lui 
en  fassent  nécessité  et  qu'il  n'ait    la  permission  de  son  prélat. 

15.  Le  moine,  la  religieuse  ([ui  se  sont  rendus  coupables 
d'impureté  sont    inaptes   à  toute  dignité  et  charge    dans    leur 


C53.  CONCILES  DE  1226  ET  1227  1465 

monastère,  sauf  dispense  du   pape,  du  légat  ou  de  l'évêque  diocé- 
f.  sain.  Si  un  abbé  ou  un  moine  revêtu   d'une   fonction  est  notoire- 

'?i'  ment   tombé   dans   un   péché   charnel,  il    sera    aussitôt    dépouillé 

de  sa  charge  et    prendra  au  chœur  la  dernière  place;  il    n'aura 
plus  de  voix  au   chapitre;  il  ne  prendra   part   à   aucune   délibé- 
i  ration  concernant   le   monastère,  à  moins  que  l'abbé,  ayant  con- 

Sf  staté  une  correction,    ne    le    lui    permette  avec  l'assentiment  du 

fe  chapitre.   Il  en  sera   de   même   pour  les   abbesses,   les   religieuses 

*  [954]  et  les  chanoinesses  régulières.  Les  abbés  défendront  à  leurs 
inférieurs  toute  intimité  suspecte  avec  des  femmes.  Qu'aucun 
ne  se  trouve  jamais  en  causerie  soins  cum  sola.  On  défend 
également  aux  moines  et  aux  religieuses  la  danse,  les  jeux  de 
dés  et  échecs,  le  port  de  bagues,  etc. 

16.  Sur    les    vêtements     des    abbés,    abbesses,     moines,    reli- 
gieuses, etc. 

17.  Aucun  abbé  ne  permettra  à  un  moine  de  sortir  sans 
compagnon  et  sans  un  motif  sufïisant.  Celui  qui  sortira  sans 
permission  perdra  sa  voix  au  chapitre  et  prendra  au  chœur 
la  dernière  place.  Les  clefs  du  monastère  seront  toujours  chez 
le  prieur.  Aucune  femme,  de  quelque  rang  qu'elle  soit,  ne  peut 
entrer  dans  un  monastère  sans  la  permission  expresse  de  l'abbé; 
elle  ne  pourra,  sous  aucun  prétexte,  manger  dans  le  monastère. 
L'abbesse  aura  toujours  sur  elle  les  clefs  du  monastère;  si  elle 
s'absente,  elle  les  remettra  à  la  prieure  (le  texte  est  incomplet 
dans  Mansi).  Sans  une  nécessité  pressante,  il  ne  sera  pas  per- 
mis à  une  religieuse  de  sortir,  pas  même  pour  visiter  ses  parents, 
etc.  Il  y  aura,  dans  chaque  monastère  de  femmes,  une  sœur  de  la 
fenêtre  (fenestraria)  qui  surveillera  la  fenêtre  destinée  aux  entre- 
tiens ;  elle  aura  soin  de  fermer  cette  fenêtre  lors  du  chant  des 
compiles  et  n'y  laissera  plus  parler  personne  jusqu'après  prime 
et  le  chapitre  du  lendemain.  Lorsque  des  amis  et  des  parents 
d'une  religieuse  viennent  la  voir,  il  lui  est  défendu  de  leur  parler 
sans  la  permission  de  l'abbesse  ou  de  la  supérieure.  Lorsqu'elle 
ira  à  la  fenêtre  aux  entretiens,  elle  sera  toujours  avec  une  de  ses 
compagnes  et  ne  pourra  parler  qu'avec  l'autorisation  de  la  sœur 
préposée  à  la  fenêtre  {fenestraria).  Ce  qui  a  été  dit  plus  haut  des 
moines  devra  également  être  observé  par  les  chanoines  réguliers. 

Martène  a  donné  sous  le  titre   :   Concilium  incerti  loci  ^,    une 

1.  Martène,  Thesaur.  anecd.,  t.  iv,  p.  188  sq. 


1466  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    I 

collection  de  statuts  analogues  distribuée  en  vingt-trois  numéros; 
Binterim  ^  les  croit  d'un  autre  synode  provincial  de  Trêves 
tenu  avant  celui-ci,  mais  sous  le  même  archevêque  Théodoric. 
On  se  demande  si  le  synode  polonais  célébré  à  Leczyz  ou  Len- 
ciez,  dans  la  province  de  Gnesen,  s'est  tenu  en  l'année  1226, 
sous  l'archevêque  Vincent  I^'',  ou  plus  tard,  sous  son  successeur 
Foulque  (1230-1258).  L'historien  polonais  Damalewicz  raconte 
que  Conrad,  duc  de  Masovie,  avait  frappé  d'une  peine  désho- 
norante le  scolastique  Jean  Czapla  de  Ploczk  :  c'est  pour- 
quoi l'archevêque  de  Gnesen  frappa  d'interdit  tout  le  diocèse 
de  Ploczk.  Le  duc  Conrad  ne  tarda  pas  à  se  repentir  et  promit  [955] 
satisfaction  :  on  réunit  un  synode  pour  le  réconcilier  solennel- 
lement avec  l'Eglise.  Les  deux  évêques  de  Cracovie  et  de 
Breslau,  qui  y  prirent  part,  eurent  peu  après  un  conflit  de 
préséance;  Yves  de  Cracovie  eut  beau  présenter  des  privilèges 
pontificaux,  Laurentius  de  Breslau  ne  voulut  pas  céder.  Yves 
vint  alors  en  Italie  et  obtint  du  pape  Grégoire  IX,  alors  à 
Pérouse,  l'érection  de  Cracovie  en  archevêché;  mais  Yves  mourut 
en  Italie,  près  de  Modène,  et  ses  successeurs  ne  revendiquèrent 
pas  des  droits  métropolitains  ^. 

1.  Binterim^  Deutsche  Concilien,  p.  404^  471  sq. 

2.  Hcyne,  Cesch.  des  Bisth.    Breslau,  1860^  t.  i^  p.  329  sq. 


CHAPITRE  II 

L'EMPEREUR    FRÉDÉRIC    II    ET     LE    PAPE     GRÉGOIRE    IX 


654,  Croisade  simulée  et  ensuite  réelle  de  Frédéric  IL 
Deux  conciles  romains  en  1227  et  en  1228. 

Après  la  mort  du  pape  Hôhoriùs  III,  Conrad,  le  cardinal 
d'Urach  que  nous  avons  souvent  rencontré,  fut  élu  pape;  mais,  sur 
son  refus  ^,  on  choisit,  le  19  mars  1227,  Hugolin,  cardinal-évêque 
d'Osiie,  qui  prit  le  nom  de  Grégoire  IX  ^.  11  descendait  des  com- 
tes de  Segni,  était  parent  d'Innocent  III  3,  qui  l'avait  fait 
cardinal  et  chargé  souvent,  comme  le  fit  aussi  Honorius,  de 
missions  importantes.  Frédéric  II  en  avait  fait  un  éloge  que 
justifiaient  ses  vertus  et  son  expérience  des  affaires  *.  Il  avait, 
comme  son  cousin  Innocent  III,  une  rhâle  énergie  et  un  zèle 
brûlant  pour  la  cause  de  l'Eglise.  Matthieu  Paris  avance  sans 
preuve  que  Grégoire  IX  était  trop  âgé  au  moment  de  son 
élection  ^.  Le  nom  choisi  par  le  nouveau  pape  équivalait  à  un 
programme.    Comme     Grégoire    VII     avait    poussé    sa    réforme 

1.  Cf.  Forschungen  zitr  deutschen  Gesch.,  t.  vu,  p.  365. 

2.  L.  Auvray,  Les  registres  de  Grégoire  IX,  Paris,  1890-1896,  t.  i;  1899-1909, 
t.  II  ;  Vita  Gregorii  IX,  dans  Muratori,  Scriptores  rer.  Italicar.,  t.  m,  part.  \, 
p.  575-585;  Felten,  Papst  Gregor  IX,  in-8,  Fribourg,  1886;  J.  Marx,  Die  Vita 
Gregorii  IX,  in-8,  Berlin,  1889.  (H.  L.) 

3.  Tertio  gradu  consanguinitatis.  Cf.  Felten,  op.  cit.,  p.  6.  (H.  L.) 

4.  Bôhmer-Ficker,  Regesta,  n.  1274  :  intuitu  amici  noslri  Hugonis;  1286,  1287, 
1288.  Il  avait  surtout  déployé  son  activité  dans  le  projet  de  croisade.  Cf.  Winkel- 
mann,  Forschungen  zur  deutsclien  Geschichtc,  1867,  t.  viii,  p.  291-318;  Kaisers 
Friedrich  II  Jahrhùcher,  t.  i,  p.  148  sq.  ;  Felten,  Papst  Gregor  IX,  p.  30-41; 
E.  Brem,  Papst  Gregor  IX  als  Kardinal  lis  zur  Kaiserkrônung  Friedrichs  II, 
in-8,  Heidelbcrg,  1911.  (H.  L.) 

5.  Cf.  Bôhmer,  Kaiserregesten  unlcr  Philipp,  p.  332;  Potthast,  Reg.,  p.  680. 
Rohricht,  vol.  i,  p.  17,  appelle  Grégoire  un  vieillard  ùgé  de  plus  de  quatre-vingts 
ans;  Potthast  également  le  fait  naître  en  1147. 


1468  LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE     II 

avec  l'aide  des  moines  de  Cliiny,  ainsi  Grégoire  IX  confia  [956] 
le  triomphe  de  ses  plans  à  l'appui  des  ordres  mendiants, 
dont  il  avait  été  le  protecteur  avant  son  pontificat.  11  s'oc- 
cupa d'abord  de  la  croisade,  fixée,  d'après  le  traité  de 
San  Germano,  au  mois  d'août.  Sa  première  lettre  {primitias 
litterarum  nostrariim)  à  l'empereur  ^  l'exhortait  vivement  à 
prendre  en  main,  en  qualité  de  prince  chrétien,  les  intérêts  de  la 
Terre  Sainte  et  à  diriger  la  croisade  imminente,  afin  de  combat- 
tre avec  un  cœur  pur  et  une  foi  vive  les  combats  du  Seigneur. 
Le  même  jour,  23  mars  1227,  Grégoire  adressa  une  encyclique 
aux  évêques  de  la  chrétienté,  annonçant  son  élection,  se  recom- 
mandant à  leurs  prières  et  enjoignant  à  tous  ceux  qui  avaient 
pris  la  croix  de  remplir  leur  vœu,  s'ils  ne  voulaient  s'exposer  aux 
peines  canoniques.  Dès  les  premiers  jours  de  son  pontificat,  il 
engagea  les  rois  de  France  et  d'Angleterre  à  fournir  leur 
contingent  pour  la  croisade,  et  chercha  à  faire  aboutir  le  projet 
de  conciliation  préparé  par  son  prédécesseur  entre  l'empereur 
et  les  Lombards,  tout  en  rappelant  à  ces  derniers  leur  promesse 
d'entretenir  quatre  cents  chevaliers  pour  l'expédition.  L'envoi 
des  pièces  relatives  à  la  négociation  fournit  à  Grégoire  IX 
l'occasion  de  rappeler    à    Frédéric  la  croisade    projetée  ^. 

Dans  sa  première  lettre  à  l'empereur,  le  pape  avait  fait  une 
allusion  indirecte  à  l'inconduite  du  prince;  le  8  juin,  il  écrivit 
d'Anagni  une  lettre  beaucoup  plus  vigoureuse,  rappelant 
Frédéric  à  l'observation  de  la  loi  morale.  Il  a})préhendait  que 
l'abus  du  plaisir  ne  rendît  l'empereur  impropre  à  supporter  les 
fatigues  d'une  croisade  et  que  la  grâce  divine  ne  fût  refusée  à 
une  expédition  ainsi  entreprise  par  un  pécheur.  «  Dieu,  écrit  le 
pape,  lui  a  donné  intelligence  et  volonté;  il  en  doit  faire  usage 
pour  éclairer  l'humanité  et  pour  procurer  les  biens  célestes; 
car,  esclave  des  voluptés,  il  ne  pourrait  montrer  le  chemin  du 
salut.  Comme  la  colonne  de  feu  avait  introduit  les  Juifs  dans 
la  Terre  promise,  ainsi  il  y  pénétrera  par  le  feu   de  la    justice  et 


1,  Huillard-BréhoIIcs,  Hist.  diplom.  Friderici  II,  t.  m,  p.  G;  Epist.  pontif. 
roman.,  t.  i^  p.  261  sq.;  Votihast,'Regesta,  n.  7864;  \Yinkelmann,  op.  cit.,  p.  320. 
Cette  lettre  est  du  23  mars  1227.  (H.  L.) 

2.  Hviillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Friderici  II,  t.  m,  p.  1,  6;  Baronius- 
Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1227,  n.  17,  18, 19;  Bôhmer,  Reg.,  p.  332;  Potthast, 
Reg.,  p.  681  sq.;  Monum.  Germ.  hist.,  Epist.,  t.  i,  n.  343,  345,  349-354. 


( 


G5'i.     FRÉDÉRIC    II    ET    LE    PAPE    GREGOIRE  IX  14G9 

[9571  P'^^'  '^  iiuag'î  rafraîchissant  de  la  miséricorde.  11  doit  imj)lorer  le 
secours  de  Dieu  et  vaincre  ses  passions.  »  Pour  rendre  sa  leçon 
plus  frappante,  le  pape  développait  à  l'empereur  la  signification 
des  insifriies  impériaux  ^. 

A  cette  époque  ^,  des  groupes  de  croisés  vinrent  en  Fouille  se 
joindre  à  la  grande  expédition.  Beaucoup  avaient  perdu  le  pre- 
mier cnlliousiasme;  un  aventurier,  mettant  à  profit  cette  circon- 
stance, se  donna  à  Rome  pour  le  vicaire  du  pape,  alors  absent,  et, 
moyennant  finance,  releva  les  croisés  de  leur  vœu,  jusqu'à  ce 
que  la  fourberie  fût  dévoilée  et  le  coupaljle  châtié.  Mais  l'empe- 
reur commit  une  faute  autrement  grave  en  licenciant  la  magni- 
fique armée  déjà  réunie,  afin  de  continuer  plus  librement  sa  vie 
de  débauches  ^. 

Dès  le  mois  de  juillet,  Louis,  landgrave  de  Thuringe,  le  mari 
de  sainte  Elisabeth,  réunissait  dans  la  Fouille  une  foule  de  croi- 
sés allemands  *,  qui  s'y  rencontraient  avec  environ  60  000  croi- 
sés venus  d'Angleterre.  Des  signes  parus  dans  le  ciel  exaltè- 
rent le  courage  et  les  espérances.  Dans  son  royaume  de  Sicile, 
l'empereur  avait  établi  des  impôts  pour  la  croisade  et  s'était 
rendu  en  personne  dans  la  Fouille.  Môme  il  était  entré  en  rela- 
tions avec  Kamel,  Soudan  d'Egypte,  lui  avait  pi  omis  son  con- 
cours contre  son  frère,  le  sultan  de  Damas,  si  Kamel  s'engageait 
à  lui  céder  Jérusalem,  etc.  L'armée  des  croisés  campait  autour 
de  Brindisi.  Les  préparatifs  étaient  achevés,  les  navires  armés, 
le  signal  de  départ  attendu  avec  d'autant  plus  d'impatience  que 
la  peste  commençait  à  sévir  ^.  Le  signal  tardait  encore,  lorscjue, 


1.  Huillard-BréhollcS;,  Hist.  diplom.  Friderici  II,  t.  m,  p.  7  sq.;  Baronius- 
Raynakli,  Annales,  ad  ann.  1227,  n.  21  sq.;  Hôfler,  Kaiser  Friedrich  II,  p.  29; 
Moiiuiu.  Gerrn.  hist.,  Epist.,  t.  i,  p.  365. 

2.  Entre  mai  et  juillet  1227.  (H.  L.) 

3.  Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  ami.  1227,  n.  25. 

4.  Cf.  Rohrichl,  op.  cit.,  t.  i,  p.  19,  les  noms  des  principaux.  Emon,  dans 
Mon.  Gcrm.  liisl.,  Script.,  t.  xxiii,  p.  511.  Le  chiffre  de  GO  000  Anglais  paraît 
devoir  être  abaissé  à  40  000.  Cf.  \Vinkelniann,  Jahrbucher,  1.  i,  p.  325,  327,  n.  5. 
Au  mois  de  mars,  la  seule  ville  de  ^Yo^ms  envoyait  400  croisés  au  rendez-vous 
(Annal.  Wormat.,  dans  Monum.Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvii,  p.  38);  beaucoup  de 
riches  parmi  les  croisés,  à  tel  point  qu'on  disait  que  c'était  Vexpeditio  nohilinm 
el  divitum;  notamment  en  Thuringe  avec  le  landgrave  Louis,  i/uem  secuti  sunt 
multi  nobiles  el  harones.  Winkehnann,  op.  cit.,  p.  32G.  (H.  L.) 

5.  Environ  40  000  prohie  juventutis  semblent  avoir  péri  dans  cette  circon- 
stance. Grégoire  IX,  Epist.,  1.  I,  p.  283  :  Tarn  diu  in  esti^'i  fcrvoris  incendia  in 


1470  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    II 

le  jour  de  la  Nativité,  8  septembre  1227,  l'empereur  fit  lever  l'an- 
cre et  s'embarqua  avec  une  nombreuse  suite.  Le  landgrave 
de  Thurlnge  l'accompagnait;  mais  après  quelques  milles,  les  na- 
vires rebroussèrent  vers  Otrante,  l'empereur  se  plaignant  d'une 
rechute  de  quelque  maladie.  Impossible  de  démêler  le  vrai  du 
faux  ^.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'indisposition  de  l'empereur  ne  dura  [958] 
pas;  mais  le  landgrave  de  Thuringe  mourut  (11  septembre)  et  le 
bruit  courut  à  Rome  (|ue  Frédéric  aurait  empoisonné  le  land- 
grave et  imposé  le  séjour  à  Brindisi  pour  épuiser  l'armée; 
c'étaient  là  des  calomnies    inspirées  par  l'esprit  de  parti  ^. 


regione  moviis  el  aeris  corruplcla  dclinuil  [iiuperaloi]  exercitum  chrisliaimtn,  quod 
non  solum  magna  pars  plehis,  verum  eliam  non  modica  multitiulo  nobiliurn  et  ma- 
gnalum  peslilentia,  sitis  aridilate,  ardoris  incendia  et  mullis  incommodilalibus 
expiravit...  Pars  vero  non  minima  infirmilate  gravata  regrediens,  occubuit  jani  ex 
parte.  Cf.  Baudouin  de  Ninove,  dans  Monuin.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xxv,  p.  542. 
Richard  de  San  Germano,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  348,  dit  : 
Pars  non  modica  cecidit  per  mortis  occasum.  Beaucoup  se  lassèrent  d'attendre  et 
retournèrent  chez  eux. Annal.  Plac.Guelfi  :  Videntcs  se  transitum  habere  non  posse, 
ad  propriam  sunt  conati  redire patriam.  Cf.  Epist.  pont,  rom.,  t.  i,  p.  283,  octobre 
1227  :  [Imperator  immemor)  omnium  promissorum,  que  aposiolice  Sedi  et  crues 
signatis  per  litteras  suas  fecerat  de  sponsione  passagii,  necessariorum  et  victus... 
licet  galee,  calendre  ac  naves  sufficientes  ad  transitum  victualium,  hominum  et  equo- 
rum  ut  promiserat  non  adessent;  6  décembre  1227  :  Copiam  vero  navium  tanlam 
habuimus,  quod  pro  defectu  peregrinorum  multa  in  portu  navigia  remanserunt. 
Huillard-Brcholles,  Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  m,  p.  43;  Winkelmann,  ylc/a,  t.  ii, 
p.  718;  Felten,  op.  cit.,  p.  63  sq.  (H.  L.) 

l.Cf.  Winkelmann,  Friedrich  II,  t.  i,  p.  280  sq.,  335  sq.  Plusieurs  contempo- 
rains ont  mis  en  doute  la  sincérité  de  l'empereur  [Monum.  Germ.  hist.,  Script., 
t.  XXIII,  p.  920)  et,  de  fait,  on  ne  peut  croire  à  une  maladie  de  Frédéric.  Le  main- 
tien pendant  doux  longs  mois  de  l'armée  des  croisés  dans  le  climat  fiévreux 
de  la  Fouille  est  inexcusable  et  criminel.  Le  pape  ne  crut  pas  à  une  maladie. 
Epist.,  I,  2S3  :  Rétro rsum  abiit  altractus  et  illectus  ad  consuetas  delicias  regni  sui, 
abjectionem  cordis  sui  frivolis  excusationibus ,  ut  dicitur,  gestiens  palliare;  en 
1239,  après  la  deuxième  excommunication  de  Frédéric,  il  y  revient  :  infirmus 
fide,  sanus  corpore  in  lecto  egritudinis  diebus  aliquot  simulatus  dccubuit...  cum 
de  conficta  egritudine  et  aliis  premissis  nobis  per  lilleras  prelalorum  ibi  morantiurn 
constitisset.  Cf.  Albéric  de  Trois-Fontaines,  Chronique,  dans  Monum.  Germ.  hist., 
Script.,  t.  XXIII,  p.  920;  Huillard-BréhoUes,  Hist.  diplom.  Frider.  II,  t.  m, 
p.  44;  Richard  de  San  Gcnnano,  dans  Monum.Germ.  hist..  Script.,  t.  xix,  p.  348; 
Winkelmann,  Geschichte  Kaiser  Friedrichs,  t.  i,  p.  280  sq.,  335  sq.  ;  Jahrbiicher, 
X.  i,  p.  332  sq.  ;  Felten,  op.  cit.,  p.  64.  (H.  L.) 

2.  Annal.  Reinhardbrunn.,  édit.  \Yegele,  p.  204;  Annal.  Scheft.,  p.  338: 
Ajinal.  Marbacens.,  p.  175;  Chron.  minor.  Euphord.,  dans  Monum.  Germ.  hist., 
t.  xxiv,  p.  198;  IIuilkrd-Bréhollcs,  Hist.  dipl.  Frid.  II,  t.  v,  p.   329.  (H.  L.) 


I 


eS-'i.     FRÉDÉRIC    II     ET     LE     PAPE     GRÉgOIRE    IX  1471 

En  débarquant  à  Otranle,  l'empereur  avait  déclaré  qu'il  re- 
prendrait la  mer  quelques  jours  plus  tard;  mais  après  la  mort 
du  landgrave,  Frédéric  abandonna  définitivement  l'idée  de  con- 
duire lui-même  la  croisade  :  il  désigna  comme  généralissime  le 
duc  de  Limbourg,  donna  au  patriarche  de  Jérusalem  et  à  d'au- 
tres personnes  les  cinquante  navires  qui  avaient  dû  le  transpor- 
ter avec  sa  cour  et  se  réserva  seulement  d'aller  rejoindre  l'expé- 
dition au  mois  de  mai  de  l'année  suivante  ^,  Mais  les  troupe? 
se  dispersèrent;  le  plus  grand  nombre  regagna  ses  foyers;  ceux 
qui  restèrent  étaient  trop  peu  pour  influer  utilement  sur  la 
situation  de  la  Terre  Sainte. 

Le  pape,  exaspéré,  invoqua  le  traité  de  San  Germano  dans 
lequel  Frédéric  s'était  soumis  d'avance  à  l'excommunication,  s'il 
dépassait  le  dernier  délai  marqué  pour  la  croisade.  En  consé- 
quence, Grégoire  IX  lança  d'Anagni,  le  29  septembre  1227,  une 
sentence  d'excommunication  et,  le  10  octobre,  promulgua  une 
encyclique  au  monde  chrétien  où  il  flétrissait  la  conduite 
de  Frédéric  depuis  1215  :  ses  promesses  fallacieuses,  ses  ser- 
ments violés,  le  séjour  empesté  à  Brindisi  et  la  reculade 
finale  pour  venir  retrouver  ses  compagnons  de  débauche.  Le 
pape  met  ensuite  dans  la  bouche  de  l'Eglise  romaine  ces 
[959]  paroles  du  prophète  :  «  Voyez  s'il  est  une  douleur  semblal)le 
à  ma  douleur^  !»  Elle  se  plaint,  dit-il,  de  ce  fils  ingrat  qu'elle  a 
nourri  et  qui  mérite  tant  de  reproches  pour  ses  nombreux  torts 
envers  le  clergé,  elle-même  et  ses  Etats.  Elle  pleure  sur  l'armée, 
épargnée  par  le  glaive  ennemi,  pour  fondre  misérablement; 
elle  gémit  sur  les  débris  de  cette  armée,  qui,  sans  chef  et  par 
conséquent  sans  espoir  possible,  a  continué  le  pèlerinage  en 
Orient;  elle  pleure  sur  la  Terre  Sainte,  de  nouveau  frustrée  dans 
son  espoir  de  libération.  Le  pape  impute  aussi  à  l'empereur  la 
perte  de  Damiette  et  ordonne  aux  évêques  de  publier  partout 
cette   sentence   d'excommunication  ^.    Quelques   jours   plus   tard, 

1.  Wilken^  Gesch.  der  Kreuzzûge,  t.  vi,  p.  429,  dit  que^  pour  tenir  sa  parole 
impériale  et  remplir  un  devoir  sacré,  Frédéric  aurait  dû^  aussitôt  après  sa 
guérison,  au  plus  tard  dans  l'automne  de  1227  (combien  de  temps  avait-il 
donc  été  malade?),  s'embarquer  pour  l'expédition. 

2.  Jerem.,  Lament.,  i,  22. 

3.  lit  maris  amplUiidine.  Potthast,  Rcg.,  n.  8044;  Baudouin  de  Ninove,  dans 
Moniini.  Germ.  hisl.,  Script.,  l.  xxv,  p.  542;  Moniim.  Gerin.  hiaf.,  Epist.  pontif., 
t.  I,  p.  281-285;  Vila  Gregorii,  p.  576;  Bohmer,  Regesla  imperii,  n.  1198-1254, 


1472  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    It 

Grégoire  écrivit  de  Rome  à  l'empereur  ^,  pour  lui  représenter  sa 
faute  et  lui  expliquer  les  mesures  prises  contre  lui.  Par  affection, 
le  pape  s'était  contenté  de  prononcer  l'excommunication,  consé- 
quence des  engagements  pris  à  San  Germano.  Quant  aux  dom- 
mages que  l'empereur  s'infligeait  dès  lors  par  avance  (par 
exemple,  la  perte  de  la  Sicile),  le  pape  n'en  avait  rien  dit.  Il 
avait  bien  dû  montrer  un  peu  de  rigueur,  pour  apaiser  les 
réclamations  motivées  par  son  indulgence  à  l'égard  de  1  em- 
pereur, qui  dépouillait  à  l'aise  clercs,  églises,  hôpitaux,  orphe- 
lins, et  commettait  tant  d'excès  en  Sicile,  domaine  du  Saint- 
Siège  -. 

Frédéric   répondit    par   une    circulaire    datée    du    6    décembre 
1227   : 

«  S'il  parle,  c'est  à  contre-cœur,  mais  il  ne  peut  se  taire  plus 
longtemps.    La     fin    du     monde    approche,    car   la     sève    de    la  [960] 
charité  est   desséchée    dans    les    rameaux  et   dans    les    racines. 
Le    représentant   de    Jésus-Christ,    successeur    de    Pierre,     cher- 


p.  333;  Huillard-Brcholles,  Ilisi.  cUplom.  Friderici  II,  t.  m,  p.  100.  Hermaun  de 
Suiza  écrit  que,  le  17  mars  1229,  rempercur  s'exprimait  ainsi  en  public  :  Domi- 
mim  apostolicum  et  Ecclesiam  in  mitltis  coram  omnibus  excusavit,  eo  quod... 
denunciaverit  euni ,  quia  non  poterat  (diler  apudhomines  blasphemias  et  infamiam 
de\:itare.  A  la  nouvelle  de  son  excommunication,  Frédéric  avait  pris  un  autre 
ton,  comme  on  va  le  voir.  \Yinkelmann,  Friedrich  II,  t.  i,  p.  281,  croit  que  Gré- 
goire avait  alors  déclaré  que  «  tout  ce  qui  avait  été  préparé  pour  la  croisade 
jusqu'à  ce  jour  était  devenu  sans  objet  et  avait  délié  les  croisés  de  leur  serment,  » 
et  cependant  les  lettres  du  pape  des  8  et  20  octobre  et  du  23  décembre  1227 
nous  prouvent  le  contraire,  puisqu'il  y  engage  arvac  instance  tous  les  fidèles,  et 
en  particulier  les  Allemands,  à  accomplir  leur  vœu  et  à  marcher  au  secours  de 
la  Terre  Sainte  aussitôt  que  possible.  (H.  L.) 

1.  Probablement,  en  réponse  à  l'ambassade  envoyée  par  Frédéric;  ce  dernier 
avait  envoyé  au  pape  les  archevêques  de  Reggio  et  de  IJari,  le  duc  Raynald  de 
Spolète  et  le  comte  Henri  de  Malte,  pour  s'excuser  de  son  retard.  Epist.  poniif., 
t.  I,  p.  286,  n.  380;  Richard  de  San  Germano,  dans  Monum.  Germ.  hisL,  t.  xix, 
p.  348;  Potthast,  Reg.,  n.  8049  :  datum  Laterani.  (H.  L.) 

2.  IIuillard-Bréholles,  Ilisl.  diplom.  Friderici  II,  p.  32;  Potthast,  Reg.,  place 
cette  lettre  :  exeunte  octobre.  C'est  un  examen  de  conscience  qui  vaut  la  peine 
d'être  retenu.  11  est  fâcheux  de  voir  im  pape  accabler  Raymond  de  Toulouse, 
le  dépouiller,  le  déposer,  transmettre  ses  biens  à  un  forban,  et  un  autre  pape 
tolérer  des  abus,  des  exactions,  des  excès  de  Frédéric,  qui  est  de  force  à  se  faire 
respecter.  Le  bullaire  d  Innocent  III  ni  celui  d'Honorius  III  n'offrent  pas  de 
pièces  comparables  à  celle  de  Grégoire  IX,  s'excusant  de  la  liberté  grande  prise 
d'excommunier  un  empereur  qui  serait  en  mesure  de  l'en  faire  repentir.  (H.  L.) 


654.    FRÉDÉRIC    II     ET    LE    PAPE    GREGOIRE    IX  1473 

che  à  exciter  contre  lui  la  liaiiic  de  tous.  L'Eglise  lui  est  devenue 
une  marâtre.  Avant'sa  mort,  la  pieuse  impératrice  Constance  l'avait 
confié  à  l'Église,  qui  lui  servirait  de  mère;  mais  le  Siège  apos- 
tolique fut  un  tuteur  infidèle,  laissant  en  proie  aux  voleurs 
le  patrimoine  de  l'orphelin.  Otton  IV,  le  protégé  du  Siège 
apostolique,  l'avait  frustré  de  ses  droits  (à  la  couronne  impériale) 
et  avait  tenté  de  lui  enlever  son  patrimoine  héréditaire  (la 
Sicile);  Dieu  en  avait  décidé  autrement  et  Otton  s'était  tourné 
contre  le  pape  et  le  Saint-Siège.  Frédéric,  appelé  par  les  princes 
allemands,  avait  ceint  sa  couronne  déjà  obtenue  par  l'élection 
de  ces  mêmes  princes.  Dieu  l'avait  piotégé.  A  travers  les 
l)érils  il  était  arrivé  en  Allemagne;  après  son  couronnement  à 
Aix-la-Chapelle,  il  avait  pris  la  croix;  il  eût  été  heureux  d'ac- 
complir aussitôt  son  vœu,  mais  cela  ne  lui  fut  pas  possible. 
Après  son  couronnement  impérial  à  Rome,  le  pape  actuel, 
alors  cardinal,  lui  avait  de  nouveau  remis  la  croix;  mais  l'état 
des  affaires  avait  exigé  un  nouveau  délai.  Il  n'a  rien  négligé 
pour  sauver  Damiette,  et  seule  l'imprudence  des  croisés  a  causé 
le  désastre.  Il  ne  s'est  pas  opposé  à  l'échange  de  Damiette  con- 
tre Jérusalem,  et  c'est  uniquement  sur  l'ordre  du  légat  du  pape 
que  le  maréchal  Anselme  de  Justingen  a  rendu  Damiette  au 
Soudan.  Après  la  perte  de  cette  ville,  l'empereur  eut  des  pour- 
parlers avec  le  pape  à  Veroli  et  à  Ferentino.  Sur  le  désir  du 
jDape,  il  a  épousé  l'héritière  de  Jérusalem;  vint  alors  le  traité  de 
San  Germano,  et  il  n'a  rien  omis  pour  organiser  la  croisade  où  il 
avait  engagé  le  landgrave  de  Thuringe  et  de  puissants  barons. 
Il  n'a  aucunement  désigné  Brindisi  comme  port  d'embarque- 
ment; ce  choix  était  antérieur.  Tombé  gravement  malade  en 
se  rendant  à  Brindisi,  il  a  méprisé  les  avis  des  médecins  et  con- 
tinué sa  route  pour  achever  tous  les  préparatifs.  A  peine  réta- 
bli, il  s'est  embarqué  avec  le  landgrave  et  toute  l'expédition; 
[9G1J  mais  il  a  sulji  une  rechute,  et  le  landgrave  est  mort  àOtrante. 
Plusieurs  Orientaux,  gens  de  qualité,  lui  ont  conseillé  de  sur- 
seoir à  l'expédition  plutôt  que  d'exposer  une  vie  espoir  de  tant 
de  peuples.  Du  reste,  il  n'a  pas  abandonné  le  projet  de  croisade; 
il  l'a  seulement  différé  jusqu'à  sa  guérison.  Il  a  cependant  confié 
à  son  cousin  le  duc  de  Limbourg  le  soin  de  l'armée  et  donné  au 
patriarche  de  Jérusalem  les  cinquante  navires  destinés  d'abord 
à  son  propre  service.  Son  intention  est  de  rejoindre  l'expédi- 
tion   au  mois  de    mai  de  l'année  suivante.  11    a    informé   le  pape 

CONGLLES- V  -  03 


1474  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    II 

de  tout  celu  pur  deux  grands  juges  de  sa  cour  et  attendu  une 
réponse.  Mais  le  pape  a  éconduit  ses  ambassadeurs  sans  vou- 
loir les  entendre;  il  l'a  lui-mônie  excommunié  pour  trois  rai- 
sons :  a)  pour  n'être  pas  allé  en  personne  en  Orient;  b)  pour 
n'avoir  pas  donné  100  000  marcs  pour  l'expédilion;  c)  pour 
n'avoir  pas  envoyé  mille  soldais  entretenus  à  ses  frais  pen- 
dant deux  ans.  Le  pape  ayant  convoqué  les  évoques  italiens 
(à  Rome),  pour  leur  soumettre  cette  affaire,  l'empereur  a 
envoyé  des  rejirésentants  munis  des  preuves  de  sa  bonne  foi 
sur  tous  ces  points.  On  aurait  dû  interroger  ces  envoyés  avant 
les  délibérations  du  concile;  loin  de  là  :  à  peine  les  a-t-on 
écoutés,  et  on  a  renouvelé  l'excommunication.  Il  publie  tous 
ces  détails  pour  faire  éclater  son  innocence;  il  est  fermement 
décidé  à  bénir  ceux  qui  le  maudissent  et  à  ne  pas  abandon- 
ner son  projet  de  croisade  ;  au  contraire,  il  y  convie  tout  le 
monde  ^.  » 

Dans  sa  lettre  au  roi  d'Angleterre,  Frédéric  s'exprime  avec 
encore  plus  de  véhémence  contre  Rome  ^.  Il  lui  rappelle  tout 
ce  qu'Innocent  III  avait  fait  contre  son  père  Jean  sans  Terre. 
Tel  est  le  traitement  auquel  tout  prince  doit  s'attendre.  La 
cupidité  des  légats  dépouille  tous  les  pays  et  toutes  les  églises; 
si  le  Christ  a  fondé  l'Église  sur  la  pauvreté,  il  n'y  paraît 
guère,  à  voir  le  luxe  excessif  des  prélats.  A  considérer  comment 
le  pape  traite  l'empereur,  chaque  prince  peut  s'appliquer  ce 
vers  du  poète  :  Tune  tua  res  agitur,  paries  cum  proximus  ardet  ^. 
Il  menace   enfin    de    confiscation    tous    les    clercs    de   ses  Etats 


1.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Friderici  II,  t.  m,  p.  37-48  :  In  admini' 
sirationem  verlimur  vehementem.Gi.  Bôhmer-Ficker,  Reg.  imper.,  n.  1715;  Monum. 
Germ.  hist.,  Leges,  sect.  iv,  t.  ii,  p.  148-156,  n.  116;  Felten,  op.  cit.,  p.  69.  (II.  L.) 

2.  Epist.  missa  ad  Jleiiricum  III.  Il  y  traite  la  curie  romaine  d'iiisatiubilcs 
aanguisugae;  il  s'adressait  sur  ce  point  à  un  converti  qui  savait  à  quoi  s'en  tenir 
sur  la  rapacité  romaine.  Cf.  V,  A.  Gasquet,  Henry  the  Third  and  the  Church  : 
a  study  oj  lus  ecclesiastical  policy  and  of  the  relations  between  England  and  Rome, 
in-8,  London^  1905.  L'Angleterre  fut,  en  efl'et,  un  des  pays  catholiques  les  plus 
méthodiquement  rançonnés  par  les  légats  romains;  nous  avons  vu  qu'à  un 
moment  donné,  le  clergé  imagina  de  se  taxer  lui-même  pour  échapper  à  ces 
dévorants.   (H.  L.) 

3.  Huillard-BréhoUes,  Hist.  diplom.  Friderici  II,  t.  m,  p.  48-50;  \Yinkelmann, 
Ceschiclile  Kaisers  Friedrich  II,  t.  j,  p.  284^  n.  2,  ne  tient  pas  la  lettre  au  roi 
d'Angleterre  pour  authentique. 


654.     FRÉDÉRIC    II     ET     LE    PAPE     GREGOIRE    IX  1475 

héréditaires  qui,  à  cause  de  l'interdit ,  se  refuseraient  à  célé- 
brer le  service  divin  ^. 
[962]  Le  jeudi  saint  1228  (23  mars),  dans  un  grand  concile  romain 
du  carême  -,  le  pape  répondit  à  ces  menaces  par  une  nouvelle 
sentence  dexcommunication  qu'il  communiqua  aux  archevê- 
ques et  évêques  de  la  Fouille.  «  Au  mois  de  septembre  précé- 
dent, il  avait,  dit-il,  excommunié  l'empereur,  dans  l'espoir  de 
le  ramener  à  résipiscence;  mais  Frédéric  a  multiplié  ses  man- 
quements et,  sans  tenir  compte  de  l'excommunication,  a  fait 
célébrer  le  service  divin  en  sa  présence.  Alors  il  a  envoyé  deux 
cardinaux  3  lui  faire  des  remontrances,  mais  sans  aucun  effet.  C'est 
pourquoi  il  a  renouvelé  la  sentence  d'excommunication,  le  jeudi 
saint,  parce  que  l'empereur  n'est  pas  allé  en  personne  en  Pales- 
tine, n'a  pas  donné  la  somme  d'argent  stipulée,  n'a  pas  permis 
à  l'archevêque  de  Tarente  de  revenir  dans  son  diocèse,  a  con- 
fisqué les  biens  des  templiers  et  des  hospitaliers,  a  violé 
son  traité  avec  les  comtes  de  Célano  et  d'Aversa,  pour  l'exé- 
cution duquel  l'Eglise  romaine  s'était  portée  caution  en  sa 
faveur;  enfin  parce  qu'il  a  confisqué  les  biens  d'un  croisé,  le 
comte  Roger,  et  même  emprisonné  son  fils.  Tous  les  lieux  où 
séjournera  l'empereur  seront  frappés  d'interdit,  et  quiconque 
célébrera  devant  lui  sera  suspens  ab  officio  et  beneficio.  Si 
l'empereur  persiste  à  vouloir  assister  au  service  divin,  il  sera 
traité  comme  hérétique;  s'il  no  cesse  pas  d'opprimer  les  clercs 
et  ne  revient  repentant  à  l'Église,  ses  sujets,  particulièrement 
ceux  des  Deux-Siciles,  seront  déliés  du  serment  de  fidélité,  et 
il  courra   le  risque  de  perdre  son  fief  *.  » 

Lorsque,  le  jeudi  saint,  le  pape  proclama  la   sentence    contre 
Frédéric,     les    Frangipani,    alliés    de    l'empereur,     ourdirent    une 


1.  Huillard-Bréliolles,  Hisl.  dt'plom.  Friderici   II,   t.   m,   p.   51.    (H.  L.) 

2.  D'après  Richard  de  San  Germano,  dans  Monum.Cerm.  hisi..  Script.,  t.  xi, 
p.  348,  Grégoire  avait  déjà  prononcé  publiquement  rexcomniunicatiou  contre 
l'empereur,  le  18  novembre  1227,  dans  un  grai^d  ccyncile  célébré  à  Rome.  Coll. 
regia,  t.  xxviii,  col.  342;  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  413-414;  Hardouin,  Co/ic. 
coll.,  t.  VII,  col.  163;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1223;  Mans'uConc.  ampliss. 
coll.,  t.  xxiii,  col.  162;  Potthast,  Reg.  pont,  rom.,  t.  i,  p.  703.  (H.  L.) 

3.  En  janvier  1228,  ces  deux  cardinaux  furent  envoyés  à  Foggia;  c'étaient 
les  cardinaux  Thomas  de  Capoue  et  Otton  de  Saint-Nicolas.  Cf.  Bôhmer-Ficker- 
Winkelmann,  Reg.,  n.  6721.  (H.  L.) 

4.  Potthast,  Reg.,  p.  704;  Monum.  Germ.  hist.,  Epist.,  t.  i,  n.  372. 


l47G  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    II 

sédition,  qui  éclata  le  troisième  jour  après  Pâques.  Au  moment 
où  le  pape  se  rendait  du  Latran  à  Saint-Pierre,  il  fut  grossière- 
ment insulté   et  chassé.  11  gagna  Rieti,   d'où  il  adressa,  le  7  mai, 
une  nouvelle   lettre   à   l'empereur   par  l'entremise   de   deux  fran- 
ciscains; il  lui  reprochait  de  continuer  à    maltraiter    les  clercs  et 
les    églises   de    son  royaume    héréditaire  ^.    Sur   ces    entrefaites,  [963] 
Frédéric  apprit  par  son  représentant  à  Ptolémaïs,  Thomas,  comte 
d'Aquin  et  d'Acorra,  la    mort    du    sultan    de    Damas,    ce    redou- 
table   ennemi    des    chrétiens  ;    aussitôt    il   envoya    en    Palestine 
cinq  cents  chevaliers,  conduits  par  son  maréchal  Richard,  pour 
renforcer  les  troupes  du  duc  de  Limbourg,  Se  proposant  de  partir 
bientôt  lui-mcme,  il   tint   une   dièle  à   Barletta    et   y   publia    des 
ordonnances  pour    la    durée  de  son  absence.  Tous  les  sujets    de 
son  royaume  devaient  vivre    en    paix   et   en  tranquillité,  comme 
sous  le  roi    Guillaume    II;    Raynald    de    Spolète    était    nommé 
administrateur    du    royaume.     Si    l'empereur     mourait,    son    fils 
aîné    Henri   lui   succéderait   en   Allemagne    et   en    Sicile    (trans- 
gression formelle  du  serment  prêté  lors    de    son    couronnement 
et  souvent  réitéré).  Si  Henri  mourait  sans  héritier,  il  aurait  pour 
successeur  Conrad,  fils  de  l'empereur  et  de  Yolande  de  Jérusa- 
lem,  né  à  Andria  le  26  avril  ^.  Enfin,  si  ces  deux  princes  mou- 
raient sans  héritier,  le   royaume  des   Deux-Siciles   passerait  aux 
filles  légitimes  de  l'empereur,  Frédéric  nomma  Raynald  de  Spo- 
lète 3  vicaire  impérial  pour  la  marche  de  Spolète  et  pour  les  biens 

1.  Polthast,  Reg.,  p.  704;  Monum.  Germ.  hist.,  Episl.,  t.  i,  n.  372. 

2.  Yolande  mourut  des  suites  de  ses  couches^  le  6  mai  1228. 

3.  Cette  nomination  fut  faite  malgré  le  pape  :  contra  consilium  nostrum  (Rai- 
naldum]  suum  in  regno  vicarium  Fridericus  reliquerat.  Episl.  poul.  roni.,  t.  i, 
p.  647,  n.  750,  en  date  du  1"  juillet  1239.  Au  sujet  de  cette  désignation  de 
Piaynald,  cf.Ficker,  Ilaliciiisclie Forscli.,  t.  ii,  p.  437,  et  ISIiUheilungen  des  Insti- 
liils  jiir  oslerreich.GeschiclUsforschung,  1883,  t.  iv,  p.  352  sq.  ;  d'après  ces  docu- 
ments, cette  désignation  n'était  qu'éventuelle.  Huillard-Bréhollo3,op.  cit..  t.  m, 
p.  65  sq.;  Bohmer-Ficker,  Reg.,  n.  1728.  Un  manifeste  daté  du  21  juin  1228  fut 
lancé  de  Bénévent  :  Concessionem  nostram  prediclain  ipsi  romane  Ecclesie  de 
vohis  merito  duximus  revocandani,  volentes  et  imperiali  sancientcs  edicto,  ut  de 
cetera  sub  nostro  et  imperiali  dominio  debeatis  semper  consistere  et  manere,  nec 
per  nos  et  successores  nostros  debeatis  unquam  alienari  seu  subtralii  ab  imperii 
potestate.  Le  30  août  1228,  Grégoire  IX  s'exprime  ainsi  :  In  portu  paulo  ante 
[transitum]  staluta  edidit  (impcrator)  et  Ulteras  deslinavit  ad  impugnandum  cl 
usurpandum  patrimonium  apostoliae  Sedis.Benei'cntanarn  obsideri  faciens  civita- 
tem...  ita  quod  nulli  ingressus  et  egressus  pateret.  Huillard-BrélioUes,  Ilist, 
diplom.  Frid.  IL  t.  m,  p.  495.  (H.  L.) 


65'i.     FRÉDF.RIC     II     ET    LE     PAPE     GREGOIRE     IX  1477 

de  Mathilde,  qu'il  déclarait  appartenir  à  l'empire,  le  pape,  par  son 
attitude  envers  l'empereur,  ayant  perdu  son  droit  sur  ces  biens  ^. 
Le  28  juin  1228,  l'empereur  mit  à  la  voile  à  Brindisi,  emmenant 
avec  lui  cent  chevaliers  et  vingt  navires  de  guerre  ^.  Il  s'était 
fait  précéder  de  cjuelques  groupes  de  croisés  et  avait  continué 
ses  négociations  avec  le  soudan  d'Egypte. Rendu  à  bord,  il  expé- 
dia une  circulaire  à  tous  les  fidèles,  dénonçant  l'injustice  de  son 
excommunication  et  la  dureté  du  pape  tiui  le  frappait  3.  «  Récem- 
ment il  lui  a,  dit-il,  envoyé  l'archevêque  de  Mayence  et  deux 
assistants  pour  en  obtenir  une  réconciliation  et  sa  bénédiction. 
[964]  -Mais  le  pape  a  fait  la  sourde  oreille  ;  après  avoir  naguère  poussé 
ceux  de  Rieti  à  faire  la  guerre  à  l'empereur,  il  cherche  aujour- 
d'hui à  lui  susciter  des  ennemis  et  à  lui  nuire  par  tous  les 
moyens.  Rien  cependant  n'a  pu  détourner  Frédéric  du  service 
du  Christ;  il  s'est  embarqué  à  Brindisi  avec  soixante  galères  et 
se  dirige  vers  Chypre,  rendez-vous  de  l'armée  des  croisés.  »  Le 
pape,  au  contraire,  accusait  Frédéric  d'avoir,  jusqu'au  dernier 
moment,  nui  aux  églises  et  aux  clercs,  lésé  le  patrimoine  de 
Saint-Pierre  au  profit  des  Sarrasins  (la  colonie  de  Lucera),  et  fait 
alliance  avec  les  infidèles  pour  la  destruction  des  templiers  et 
des  hospitaliers.  Son  représentant  à  Ptolémaïs,  Thomas,  comte 
d'Acerra,  faisait  ouvertement  cause  commune  avec  les  Sarra- 
sins, et  certainement  sur  l'ordre  de  son  maître.  Celui-ci  partait 
pour  la  Palestine  avec  un  petit  nombre  de  barons  et  laissait  der- 
rière lui  une  armée  de  chrétiens  et  de  Sarrasins,  avec  mission 
d'attaquer  les  États  de  l'Église  *. 

1.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Friderici  II,  l.iu,  p.  65  sq.;  Bôhmer- 
Ficker,  Regest.,  n.  1728.  (H.  L.) 

2.  Chron.  Sicul.  hreve,  dans  Huillard-Bréhollcs,  Ilist.  diplom.  Frid.  II,  t.  i, 
p.  898  :  cum  quadraginta  galets;  Richard  de  San  Germano,  dans  Monum.Germ. 
hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  350;  Winkelmann,  Acta,  t.  i,  p.  272  :  cum  sexaginta  galeis; 
Bôhmer-Ficker^  Reg.,  n.  1732  :  60  Galecren;  Gxiillaume  de  Tyr,  Continuatio, 
Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  m,  p.  483  :  a  brandis  XXII  galies,  cent  chevaliers', 
Gerold  patriarche,  dans  Huillard-Brcholles,  op.  cit.,  t.  m,  p.  135  sq.  :  vix  secuni 
ducens  milites  quadraginta  et  sine  pecunia,  sperans  quod  de  spoliis  Iiabitatorum 
Syrie  posset  suam  inopiam  sustentare.  Par  contre,  Frédéric  cum  strenua  militum 
comiiiva  et  multitudine  bellatorum.  IIuillard-BréhoUes,  op.  cit.,  t.  m,  p.  73.  (H.  L.) 

3.  Winkelmann,  Acta,  t.  ii,  p.  29  sq.  :  Absohdionis  beneficium...  postulantes, 
dum  nos  ad  transilum  pnraremur  instanter.  Quo  petite  suppliritcr  et  injuriose 
negato.  (H.  L.) 

4.  Huillard-BrcholleSj  Hist.  diplom.  Frid.  II,  X.  m,  p.   71-73;   Bohmer-Ficker, 


1478  iivnE  XXXVI,    chapitre   ii 

Bientôt,  en  ciïcl,  le  pape  délia  du  serment  de  fidélité  les 
sujets  de  Frédéric  dans  le  royaume  des  Deux-Siciles,  parce 
que  le  roi  n'avait  cessé  de  s'attaquer  au  clergé  et  aux  égli- 
ses, en  particulier  au  patrimoine  de  Saint-Pierre  ^.  Frédéric, 
disait  le  pape,  venait  de  s'embarquer  à  Brindisi  avec  une  faible 
escorte  pour  une  destination  inconnue.  S'il  se  rendait  en 
Palestine,  le  petit  nombre  de  ses  soldats  rendrait  les  chrétiens 
ridicules.  Avant  son  départ,  il  avait  encore  ordonné  une  nouvelle 
attaque  contre  les  États  de  l'Église,  fait  mettre  le  siège  de- 
vant Bénévent,  suscité  des  émeutes  dans  les  villes  du  patri- 
moine, etc.  ^. 

Frédéric  approchait  de  Chypre,  lorsqu'il  reçut  (21  juillet)  la  visite 
de  cinq  barons  cypriotes  mécontents  de  Jean  d'Ibelin,  administra- 
teur du  royaume  et  tuteur  du  jeune  roi  Henri  I^^  de  Lusignan. 
A  peine  débarqué  à  Chypre,  Frédéric  invita  à  sa  table  Ibelin,  ses  ]965] 
fils  et  le  jeune  roi;  pendant  le  dîner,  il  les  fit  cerner  par  ses  sol- 
dats, afin  d'en  extorquer  des  concessions.  Ibelin  résista  et  se 
tira  d'affaire  avec  un  compromis.  L'empereur  le  regretta  ensuite, 
assiégea  le  régent  dans  sa  forteresse  de  Nicosie,  et  le  força  à 
signer  un  nouveau  traité,  qui  attribuait  à  l'empereur  les  reve- 
nus du  royaume  de  Chypre  jusqu'à  la  majorité  du  roi.  De 
plus,  en  sa  qualité  de  seigneur  de  Beyrouth  en  Palestine,  Jean 
d'Ibelin  dut  prêter  serment  de  fidélité  entre  les  mains  de  l'em- 
pereur, roi  de  Jérusalem  ^. 


Reg.,  n.  1731;  Winkelmann,  Acta  incdila,  p.  271;  Monum.  Germ.  hist.,  Leges, 
sect.  IV,  t.  II,  p.  158  sq.,  n.  119.  (H.  L.) 

1.  IIuillard-Bi'éholles,  Ilisl.  diploin.  Frid.  II,  t.  m,  p.  49'i-49G  :  30  août; 
Bôhmer-Ficker-Vinkelmanii;  Reg.,  n.  6737;  Albéric  de  Tiois-Fontaines,  dans 
Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xxiii,  p.  921  ;  Epist.  poniij.,  t.  i,  p.  732,  n.  831. 
(H.  L.) 

2.  Grégoire  IX,  lettre  du  30  août  1228;  IIuillard-Brcholles,  Hist,  diplom., 
FriJcJ-. //,  t.  m,  p.  495;  Monum.  Germ.  hist.,  Epist.,  t.  i,  p.  831.  Dans  une 
lettre  du  5  août  au  légat  pontifical  de  France,  Romain,  le  pape  appelle  Frédéric 
dictus  imperator.  Potthast,  Regesta,  n.  8251,  8254  :  Monum.  Germ.  hist. 
Script.,  t.  xxni,  p.  921  ;  Bohmer-Ficker,  Reg.,  n.  1729. 

3.  Henri  de  Lusignan  régnait  sous  la  tutelle  de  sa  mère  Alix  de  Champagne  et 
de  son  oncle  le  sire  de  Beyrout^li,  véritable  régent.  Nous  avons  dit  déjà  par  quel 
tour  de  déloyauté  Frédéric  avait  évincé  de  Jérusalem  Jean  de  Brienne.  Cf. 
Pli.  de  Nevairre,Ges/es  des  Chiprois,  p.  40  sq.  ;  Rôhricht,  Gesch,  des  Kônigreichs 
Jérusalem,  p.  772  sq.  ;  Winkelmann,  Jahrbiicher  Friedrichs  II,  t.  ii,  p.  85  sq.  ; 
Richter,  dans  MiltJicilung.  d.  Instit.,  t.  xui,  p.  255.  (H.  L.) 


654.     FRÉDÉRIC    II     ET   LE     PAPE     GREGOIRE   IX  1479 

La  veille  de  la  Nativité  de  la  sainte  Vierge  (7  septembre  1228), 
Frédéric  arriva  à  Ptolémaïs.  Le  clergé  et  le  peuple  le  reçurent 
avec  solennité,  mais  évitèrent  tout  rapport  particulier  avec  lui, 
exprimant  le  désir  qu'avant  tout  il  se  réconciliât  avec  l'Eglise  ^. 
11  essaya  de  prouver  par  une  nouvelle  proclamation  que  son 
excommunication  était  nulle;  mais  on  demeura  sceptique.  Les 
croisés  qui  l'avaient  précédé  s'étant  emparés  de  Césarée  et  de 
quelques  autres  positions,  plusieurs  estimèrent  leur  vœu  rempli 
et  s'empressèrent  de  quitter  la  Palestine.  Il  y  resta  huit  cents 
chevaliers  et  dix  mille  fantassins  qui,  joints  à  la  maigre  troupe  de 
Frédéric,  promettaient  peu  de  succès.  De  plus,  les  tiraillements 
entre  l'empereur  et  les  templiers  et  les  hospitaliers  (il  était,  au  con- 
traire, en  bons  termes  avec  les  chevaliers  teutoniques),  paraly- 
saient tous  les  efforts.  Pour  assurer  les  communications  entre 
Ptolémaïs  et  Jérusalem,  on  releva  les  remparts  de  Joppé,  dès 
la  mi-novembre;  templiers  et  hospitaliers  ne  consentirent  à  prê- 
ter leur  aide  que  si  les  ordres  étaient  transmis  au  nom  du  Seigneur 
et  non  pas  au  nom  d'un  prince  excommunié.  A  Joppé,  Frédéric 
se  trouva  à  proximité  des  camps  sarrasins.  D'un  côté  se  trou- 
vait son  allié  Kamel,  soudan  d'Egypte,  venu  pour  s'emparer,  avec  le 
secours  de  l'empereur  et  de  plusieurs  cheiks,  du  royaume  de  son 
neveu,  le  jeune  sultan  de  Damas,  qui  campait  en  face.  A  Pto- 
lémaïs, Frédéric,  en  grand  secret,  entretenait  des  relations  avec 
[966]  Kamel,  relations  auxquelles  le  voisinage  donna  un  caractère  plus 
intime,  dont  les  chrétiens  ne  tardèrent  pas  à  se  scandaliser. 
En  revanche,  Frédéric  fut  bientôt  en  grande  réputation  auprès 
des  Sarrasins,  conquis  par  sa  dialectique  habile  et  son  absolue 
tolérance.  Ses  sentiments  plus  que  libéraux,  sur  le  christianisme 
et  sur  l'islamisme,  confondaient  les  mahométans.  Néanmoins 
les  négociations  traînèrent  :  Frédéric  persista  à  exiger,  au  cas  où  on 
enlèverait  au  sultan  de  Damas  son  royaume,  Jérusalem  et  ses 
environs,  qui  lui  furent  abandonnés.  Kamel  hésitait,  redoutant 
le  fanatisme  des  croyants;  enfin,  il  céda,  s'efîorçant  de  répan- 
dre l'opinion    que   Jérusalem    n'était    plus    qu'une   ruine  ^. 

1.  Roger  de  Wendover,  Chronique  :  Non  ci  communicaverunt  inosculo  neque 
in  mensa,  sed  consuluerunt  lit  domino  pape  salisfacieiis  rediret  ad  sancie  ecdesie 
unitatem,  templarii  vero  in  adi'entu  ejiis  flexis  genibus  adorai^erunt  cum  genua 
ejiis  deosculanies.  Recueil  des  hisl.  des  croisades,  Histor.  occidentaux,  t.  ii  ; 
Huillard-Bréholleg,  op.  cit.,  t.  m,  p.  483  sq.  (H.  L.) 

2.  Wilken,  op.  cit.,  p.  458-478;    Rohricht,  op.  cit.,  t.  i,  p.  73,  n.  147. 


1 'tSO  LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE    II 

On  raconte  ((ue,  de  Joppé,  l'empereur  projeta  un  pèlerinage 
au  Jourdain;  les  templiers  et  les  hospitaliers  firent  connaître 
ce  dessein  aux  Sarrasins  qui  envoyèrent  la  lettre  établissant  cette 
trahison  à  Frédéric;  dès  lors  celui-ci  réduisit  ses  exigences  à 
l'égard  du  soudan  ^.  Frédéric  dit  j)Ourtant,  dans  sa  circulaire  de 
Jérusalem  (18  mars  1229),  que  les  ordres  de  chevalerie  l'ont  gran- 
dement secouru  par  leurs  conseils    et  leur  concours  matériel^. 

Cependant  le  pape,  écrivant  aux  Génois  (30  novembre), 
accusait  l'empereur  d'être  en  Palestine  plus  nuisible  aux  chré- 
tiens qu'aux  Sarrasins,  tandis  qu'en  Occident,  il  avait  fait 
attaquer  plusieurs  fois,  au  mépris  de  tous  les  serments, 
le  patrimoine  de  Saint-Pierre,  la  marche  d'Ancône,  le  duché  de 
Spolète.  Rainald,  le  fils  de  l'ancien  duc  de  Spolète,  avait  parti- 
culièrement servi  d'instrument  à  l'empereur  :  ses  soldats  sarra- 
sins s'étaient  conduits  d'une  manière  épouvantable  ^.  Si  l'empe- 
reur avait  envoyé  au  pape,  pour  traiter  de  sa  réconciliation, 
l'archevcque  de  Bari  et  Henri,  comte  de  Malte,  c'était  pour 
donner  le  change.  En  réalité,  son  unique  négociateur  était  ce 
Rainald  que  le  pape  avait  excommunié,  ainsi  que  ses  pareils  ^ 
Grégoire  IX  ne  se  borna  pas  aux  seules  armes  spirituelles;  il  [9G7] 
fit  appel  à  la  chrétienté,  jusqu'en  Suède  et  en  Portugal,  et 
réunit  une  armée  considérable,  à  la  tête  de  laquelle  il  plaça  un 
capitaine  expérimenté,  Jean  de  Brienne,  beau-père  de  l'empe- 
reur et  ancien  roi  de  Jérusalem.  Les  «  soldats  des  clefs  »  chas- 
sèrent le  duc  Rainald  des  États  de  l'Église  et  une  autre  portion 
de  l'armée  pénétra  sur  le  territoire  napolitain  ^.  Les  deux  corps 

1.  Rôliricht,  op.  cit.,  t.  i,  p.  74,  n.  202,  accusations  analogues,  mais   sujettes 
à  caution.  Winkelmann,  Acta  inedita,  t.  ii,  p.  301. 

2.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  FrUl.  II,  p.  97. 

3.  Epist.  ponlif.  roman.,  t.  i,  p.  G47;  Richard  de  San  Germano^  dans  illo/ium. 
Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  350;  Fîcker,  Der  Einfall  Rainalds  von  Spoleto  in 
der  Kirchenstaat,  1228,  dans  Mittheilung.  d.  Instit.  f.  ôsterreich.,  t.  iv,  p.  351  ; 
Winkelmann,  Jahrbiicher  Friedrichs  II,  t.  ii,  p.  33;  Felten,  op.  cit.,  p.  83  sq., 
89  sq.   (H.  L.) 

4.  Huillard-Brcholles,  Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  m,  p.  79,  82;  Moniim.  Germ. 
hist.,  Epist.,  t.  1,  n.  376;  Potthast,  Reg.,  n.  8284. 

5.  Roger  de  Wendover,  Chronicon,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xxviii^ 
p.  67  ;  Huillard-Bréholles,  Ilistor.  diplom.  Friderici  II  :  thesauris  apostolicis  suis 
militibus  stipendia  ministrat;  Alhéric  de  Trois-Fontaines,  dans  Monum.  Germ. 
hist.,  Script.,  t.  xxiii,  p.  925  :  Rex  Joliannes  cl  comcs  Galterus,  nepos  ejus,  et 
quidam  principes  Apulie,  quorum  erat  unus  comes  Thomas    quondam  imperalor 


65^1.     FRÉDÉRIC    II    ET    LE     PAPE     GREGOIRE    IX  1481 

ayant  opéré  leur  jonction,  après  la  libération  des  Etats  de  l'K,- 
glise,  ils  remportèrent  de  tels  succès  que  l'on  songea  un  moment 
à  donner  à  Jean  de  Brienne  la  couronne  des  Deux-Siciles  ^,  Les 
frères  mineurs  mirent  grand  zèle  à  détacher  partout  le  peu- 
ple et  le  clergé  du  parti  de  l'empereur  2,  et  Frédéric  faillit  per- 
dre son  royaume  héréditaire  ^  pendant  qu'il  s'occupait,  en  Orient, 
à  reconquérir  Jérusalem  pour  la  chrétienté.  Tel  était  le  dernier 
résultat  de  cette  malheureuse  division. 

Avant  que  la  nouvelle  des  succès  remportés  par  les  soldats 
pontificaux  {clawi  signali)  fût  parvenue  en  Palestine,  le  traité 
conclu  entre  Frédéric  et  les  Sarrasins  avait  été  signé  le  18  février 
1229  par  Kamel  et  son  jeune  frère  Aschraf,  d'une  part,  et  Frédé- 
ric, de  l'autre  ^.  Les  deux  partis  avaient  d'abord  juré  une  trêve 
de  dix  ans.  Sur  ce  point,  seulement,  les  relations  des  Sarrasins 
sont  d'accord  avec  celles  de  Frédéric  et  de  ses  amis;  pour  le  reste, 
les  relations  des  impériaux  présentent  le  traité  comme  beaucoup 
plus  favorable  aux  chrétiens  que  ne  le  font  les  récits  des  Sarra- 
sins. Il  est  facile  de  présumer  que,  pour  mieux  apaiser  l'Occi- 
dent chrétien,  Frédéric  aura  atténué  devant  le  public  certaines 
clauses,  alors  que  le  soudan  Kamel  aura  cherché  à  représenter  ses 
propres  concessions  comme  insignifiantes  afin  de  ne  pas  exciter 
le  fanatisme  des  musulmans  ^ 

bajulus...  recuperare  ceperunt  contra  imperatorem  civitates  et  castella.  C.  Winkel- 
mann^  Jahrbucher  Friedrichs  II,  p.  44  sq.  ;  Bôhmer-Fickerj  op.  cit.,  n.  6769. 
(H.  L.) 

1.  Quelque  temps  après,  Robert  de  Courtenay  étant  mort  (1228),  Jean  de 
Brienne  devint  empereur  do  Byzance,  ou,  comme  on  disait,  du  royaume  de 
Roumanie,  pour  lequel  il  s'embarqua  le  1"  août  1231.  Potthast,  Reg.,  n.  8738. 
Richard  de  San  Germano,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  350,  a 
raconté  en  détail  l'expédition  des  soldats  des  clefs. 

2.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frider.  II,  t.  m,  p.  110  sq.  ;  Richard  de 
San  Germano,  dans  Monitnt.  Ccrm.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  353;  Epist.,  t.  i, 
n.  378,  389. 

3.  Hefele  n'en  revient  pas.  Le  chef  de  la  chrétienté  causant  le  détrônement 
d'un  Allemand  au  profit  d'un  Français  !  Ce  que  Hefele  en  pense  nous  importe 
peu,  c'est  seulement  la  tendance  chauvine  que  nous  mettons  en  vue,  elle  fait 
comprendre  la  disproportion  qui  s'accuse  de  plus  en  plus  dans  l'ordonnance  du 
récit,  à  mesure  que  cette  Histoire  des  conciles  nous  amène  à  rencontrer  des  prin- 
ces allemands.  Les  moindres  gestes  de  ceux-ci  sont  rappelés,  racontés  et  déduits 
avec  un  détail  qui  eût  pu  demeurer  étranger  à  la  narration.    (H.  L.) 

4.  L.  Brchier,  L' Église  et  l'Orient  au  moyen  âge.  Les  croisades,  1907,  p.  202. 
(H.  L.) 

5.  Hermann  de  Salza,  Epist.  ad  pontif.,  mars  1229;  Huillard-Bi-éhoUes,  Hist, 


H82  LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE    II 

Le  récit  qu'IIermann  de  Salza,  grand-maître  de  l'Ordre  teuto- 
nique,  envoya  aussitôt  après  au  pape,  par  ordre  de  l'empereur, 
énumère  les  conventions  suivantes  :  1°  Le  sultan  restitue  à  l'em-  [968] 
pereur  et  aux  chrétiens  la  sainte  ville  de  Jérusalem  avec  ses 
ténements  [teni mentis),  c'est-à-dire  son  district  ^,  à  l'exception  du 
couvent  iempluniDomini^,  qui  reste  à  la  garde  des  Sarrasins  parce 
qu'ils  ont  l'habitude  d'aller  y  prier  3;  cependant,  il  est  aussi 
permis  aux  chrétiens  d'aller  prier  en  ce  lieu.  2°  On  restituera 
aux  chrétiens  la  villa  de  SainL-Georges,  c'est-à-dire  Tibuin,  et 
les  villages  des  deux  côtés  de  la  route  qui  mène  à  Jérusalem; 
Bethléem  avec  les  districts  et  les  villages  entre  Jérusalem  et 
Bethléem;  Nazareth  avec  le  district  et  les  villages  entre  Acre  et 
Nazareth  ;  la  citadelle  et  le  territoire  de  Toron  (un  peu  au  nord 
de  Ptolémaïs),  enfin  la  ville  de  Sidon  (Soiette)  avec  la  plaine  (sur  les 
bords  de  la  Méditerranée),  3^  Les  chrétiens  posséderont  en  toute 
sécurité  ce  qu'ils  possédaient  lors  de  la  conclusion  du  présent 
traité.  4°  11  leur  est  permis  de  fortifier,  s'ils  le  désirent,  Jérusa- 
lem et  Joppé,  Césarée  et  la  nouvelle  citadelle  de  Montfort  *, 
tandis  que  le  sultan  s'engage  à  n'élever  aucune  citadelle, 
à  ne  faire  aucune  fortification  durant  les  dix  ans  de  l'armis- 
tice. 5*^  Les  chrétiens  prisonniers  seront  mis  en  liberté. 
—  Le  grand-maître  de  l'Ordre  teutonique  fait  remarquer  avec 
raison  que  l'accord  entre  le  pape  et  l'empereur  eût  procuré  de 

diplom.  Frider.  II,  t.  m,  p.  91,  et  le  manifeste  de  Frédéric,    ihid.,  p.  95;  Win- 
kelmaiin,  Jahrhiicher  Friedrichs  II,  t.  ii,  p.  103  sq.  ;  Friedrich  II,  t.  i,  p.  303. 

1.  D'après  le  récit  des  Sarrasins,  il  resta  partout  des  gouverneurs  sarrasins, 
ce  qui  s'accorde  avec  le  n.  5  du  traité. 

2.  La  mosquée  El  Aksa  (=  templum  Salomonis)  et  la  mosquée  d'Omar 
(=  templum  Domini).  Cf.  Gérold,  Episl.  ad  papam  du  26  mars  1229;  Huillard- 
Bréholles,  Ilist.  diplom.  Frid.  II,  p.  102;  Monum.  Germ.  liist.,  Epist.  pontif., 
t.  I,  p.  299;  Bohmer-Ficker,  I\egesl.,  n.  1740;  Rôhricht,  Reg.,  n.  997,  1001; 
Epist.  Frider.,  du  18  mars,  dans  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.,  t.  m,  p.  97, 
96;  Hermann  de  Salza,  Epist.,  12  mars,  dans  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  p.  90; 
Continuât.  Fusiac,  dans  Mon.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xx,  p.  3M  ;  Winkelmann, 
Jahrhiicher,  t.  n,  p.  113.  (H.  L.) 

3.  Il  semblerait,  d'après  ce  passage,  qu'on  ne  laissât  aux  Sarrasins  qu'une 
seule  église;  ils  en  eurent  cependant  deux,  mais  comme  elles  étaient  dans  le 
rayon  du  Temple,  on  pouvait  les  réunir  sous  ce  nom  :  templum  Domini. 

k.  D'après  les  historiens  musulmans,  l'empereur  s'était  engagé,  dans  un  article 
secret,  à  ne  pas  rebâtir  les  fortifications  de  Jérusalem;  de  fait,  il  ne  les  a  pas 
relevées,  quoiqu'il  ait  parlé  de  le  faire.  Or,  Jérusalem  sans  fortifications  n'avait 
guère  de  valeur  stratégique.  (H.  L.) 


654.     FRÉDÉRIC    II     ET    LE     PAPE    GRÉGOIRE    IX  1483 

meilleures  conditions,  au  lieu  que  des  bruits  fâcheux  couraient 
à  ce  sujet  en  Orient  ^  Il  fait  probablement  allusion  à  l'invasion 
de  la   Sicile  par  l'armée  pontificale. 

De  son  côté,  l'empereur  expose  son  accord  avec  les  Sarrasins, 
dans  une  circulaire  dont  nous  possédons  encore  quelques  exem- 
plaires, entre  autres  celui  adressé  au  pape.  Il  débute  par  le  texte 
Lœtentur  omnes  in  Domino,  et  annonce  la  recouvrance  de  Jéru- 
salem et  de  tant  d'autres  lieux  de  la  Terre  Sainte.  Il  rappelle  les 
bons  services  des  ordres  de  chevalerie  et  ajoute  que,  le  17  mars, 
[969]  il  est  entré  dans  la  Ville  sainte  où,  le  lendemain  dimanche,  il 
a  porté  la  couronne  en  l'honneur  du  grand  roi  -.  Mais  ni  Fré- 
déric ni  le  grand-maître  de  l'Ordre  teutonique  ne  disent  que 
les  territoires  et  villes  cédés  par  le  Soudan  Kamel  appartenaient 
au  neveu  de  celui-ci,  le  jeune  sultan  de  Damas,  que  de  grands 
revers  venaient  de  priver  d'une  partie  de  son  royaume,  mais 
on  pouvait  être  sûr  qu'à  la  première  occasion  favorable  il  cher- 
cherait à  le  reprendre. 

Dans  une  lettre  dont  le  destinataire  est  inconnu,  le  grand-maître 
de  l'Ordre  teutonique  donne  de  nouveaux  détails  sur  le  couron- 
nement de  Frédéric  à  Jérusalem  :  «  L'empereur  étant  entré  à 
Jérusalem,  le  17  mars,  beaucoup  lui  conseillèrent  de  faire  célé- 
brer un  service  divin,  pour  fêter  la  délivrance  de  la  Terre  Sainte 
des  mains  des  Sarrasins,  malgré  son  excommunication.  Pour 
moi,  je  l'en  dissuadai;  aussi  l'empereur  prit  sur  l'autel  la 
couronne  non  bénile  et  en  dehors  du  service  divin.  Le  même  jour, 
il  prononça  (en  italien),  devant  une  nombreuse  assistance,  un  dis- 
cours que,  sur  son  ordre,  je  répétai  en  latin  et  en  allemand.  Il 
racontait  comment,  après  avoir  pris  la  croix  à  Aix-la-Chapelle, 
il  avait  dû  ensuite  demander  des  délais  à  cause  des  affaires 
de  l'empire.  Il  affectait  d'excuser  la  rigueur  déployée  par  le 
pape  envers  lui  et  les  accusations  formulées  à  son  endroit  : 
Grégoire  ne  pouvait  autrement  éviter  les  reproches  et  les 
injures.  Enfin  l'obstination  du  pape  à  le  relancer  au  delà 
des    mers    par    ses    lettres    hostiles     s'explicjuait     par    les    faux 


1.  Huillard-Bréholles,  Ilis/.  cliplom.  Frid.  II,  t.  iii^  p.  90  sq.  ;  Monum.  Germ. 
hisl.,  Legcs,  sect.  iv^  t.  ii,  p.  2G3  sq. 

2.  Iluillard-Bréhollos,  îlisl.  diplorn.  Frid.  II,  t.  m,  p.  93  sq.  ;  Monum.  Germ. 
hist.,  Leges,  sect.  iv^  t.  ii,  p.  261  sq. 


1484  LIVUE    XXXVI,     CHAPITRE     II 

bruits  qu'on  avait  fait'  courir,  que  Tempereur,  au  lieu  de  se  rendre 
en  Palestine,  allait  organiser  ailleurs  une  armée  contre  l'Église.  Si  le 
pape  avait  mieux  connu  l'empereur,  il  lui  aurait  écrit  des  louanges 
et  non  des  menaces  ^.  —  Frédéric  protesta  de  son  désir  de  se  ré- 
concilier avec  l'Église  et  de  donner  satisfaction.  .Cette  déclara- 
tion et  l'entrée  de  l'empereur  à  Jérusalem  causèrent  une  grande  [970] 
joie;  mais  le  surlendemain  (19  mars),  le  patriarche  de  Césarée 
^•inl,  sur  l'ordre  du  patriarche  de  Jérusalem,  jeter  l'interdit  sur 
l'église  du  Saint-Sépulcre  et  tous  les  autres  lieux  -.  L'empe- 
reur se  plaignit  hautement  de  ce  que  le  patriarche  soumettait 
ainsi  à  une  autre  captivité  les  Lieux  saints  qui  venaient  à  peine 
d'échapper  à  la  tyrannie  des  Sarrasins.  Si  le  patriarche  avait 
été  blessé  par  l'empereur  ou  cjuekju'un  de  ses  gens,  Frédéric 
était  prêt  à  lui  donner  satisfaction.  Ayant  ordonné  la  reconstruc- 
tion des  murs  de  Jérusalem,  Frédéric  revint  le  même  jour  à 
Joppé  3.  On  sut  dans  la  suite  que  le  patriarche  avait  lancé  l'in- 
terdit, parce  que  les  Sarrasins  devaient  garder  le  templum  Do- 
mini  *  et  le  templum  Salomonis  s,  où  ils  n'ont  que  quelques 
vieux  prêtres  relégués  dans  l'intérieur  des  bâtiments  ^,  tandis 
que  les  portes  extérieures  étaient  gardées  par  les  gens  de  l'empe- 
reur, sans  la  permission  desquels  personne,  pas  même  un  Sar- 
rasin, ne  pouvait  entrer.  Les  chrétiens  percevaient  aussi  les 
offrandes  placées  dans  le  templum  Domini  sur  la  pierre  où 
le  Christ  a  été  livré  aux  Juifs  {lithostrotos).  Ces  concessions 
n'avaient  été  consenties  par  l'empereur  que  malgré  lui  et  parce 
qu'il  n'avait  pu  y  échapper.  En  terminant,  le  grand-maître  de 


1.  Dominum  apostoUcum  et  Ecclesiam  in  multis  coram  omnibus  excusavit,  eo 
quod...  denunciaverit  eum,  quia  non  potcrat  aliter  apud  homines  hlasphemias  et 
infamiam  dev'itare.  il  .mars  1229;  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Friderici  IJ, 
t.  III,  p.  100.   (H.  L.) 

2.  Hermann  de  Salza,  Epist.,  dans  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frid.  II, 
t.  II,  p.  101;  Matthieu  Paris,  édil.  Luard,  t.  m,  p.  177;  Monum.  Germ.  hist., 
Script.,  t.  XXVIII,  p.  447;  Rôhricht,  Reg.  Hierosol.,  n.  998  :  Fridericum  desti- 
luisse  domum  Templi  ex  eo,  quod  ipsi  fratres  domus  Tcmpli  copere  i'olehant  in 
Accon  impcratorem  de  mandato  pontificis.  (II.  L.) 

3.  Il  y  arriva  le  25  mars.  (H.  L.) 

4.  La  mosquée  d'Omar.  (H.  L.) 

5.  La  mosquée  El  Aksa.  (H.  L.) 

6.  On  lit  dans  le  texte  :  templum  ipsum,  ce  qui  implique  certainement  les  deux 
églises,  parce  que  l'une  et  l'autre  étaient  situées  sur  l'emplacement  de  l'ancien 
temple. 


G54.  friîdéric  h  et  le   pape   Grégoire  ix  1485 

l'Ordre  Icutonique  priait  son  correspondant  d'uliliscr  ces  infor- 
mations pour  réconcilier  le  pape  et   l'empereur^.» 

Quelques  jours  après  l'entrée  de  Frédéric  à  Jérusalem,  le 
26  mars  1229,  Gérold,  patriarche  de  Jérusalem,  écrivil  au  pape 
une  lettre  importante.  «  Il  y  rapporte  les  humiliations  infli- 
gées à  Frédéric  par  les  Sarrasins,  comment  son  manque  d'é- 
nergie et  de  volonté  lui  a  valu  le  mépris  des  Sarrasins.  C'est 
ainsi  qu'pyant  vu,  durant  les  négociations,  les  Sarrasins  massa- 
crer deux  pèlerins,  il  n'a  pas  bronché  et  a  même  continué 
avec  les  infidèles  ses  bonnes  relations.  Le  sultan,  informé  qu'il 
vivait  comme  un  Sarrasin,  lui  a  envoyé  une  troupe  d'aimées. 
Le  dimanche  de  la  Septuagésime,  11  février,  peu  de  temps 
avant  la  publication  du  traité,  il  manda  quatre  barons 
L"'1J  chrétiens  de  Syrie,  et  déclara  qu'il  était  trop  pauvre  pour 
rester  plus  longtemps  en  Syrie,  mais  que  le  sultan  lui  avait  offert 
la  Ville  sainte,  sauf  que  le  templiun  Domini  resterait  aux 
Sarri  sins,  qui  y  entreraient  librement,  etc.  Or,  ajoute  la 
lettre,  il  faut  savoir  qu'on  n'a  pas  restitué  un  pied  de  terre 
hors  de  la  ville  de  Jérusalem,  ni  au  patriarche  ni  au  mona- 
stère du  Saint-Sépulcre  ni  à  l'hôpital  de  Saint- Jean.  Les 
autres  restitutions  sont  insignifiantes.  —  Après  son  entretien 
avec  ces  quatre  barons,  l'empereur  demanda  leur  avis  aux 
grands-maîtres  des  ordres  et  aux  évêques  anglais  présents  en 
Palestine;  ils  répondirent  que  le  patriarche  devait  être  entendu 
le  premier,  comme  patriarche  et  comme  légat  ;  après  quoi, 
ils  donneraient  leur  avis.  Mais  l'empereur  ne  voulut  pas  en 
référer  au  patriarche,  et  signa  le  traité  avec  les  Sarrasins  sans 
en  faire  connaître  les  dispositions.  Les  Allemands,  satisfaits, 
chantaient;  le  jeune  sultan  de  Damas,  spolié,  protesta  que  son 
oncle  ne  pouvait  pas  céder  ce  qui  ne  lui  appartenait  pas.  Le 
grand-maître  de  l'Ordre  teutonique  supplia  vainement  le  i)a- 
triarche  d'assister  à  l'entrée  de  l'empereur  à  Jérusalem;  le 
prélat  refusa  de  consacrer  par  sa  présence  cette  fourberie 
imaginée  pour  rendre  possible  le  retour  de  l'empereur  en 
Europe.  Ce  traité  sans  garanties  est  inexécutable;  mais,  en 
perdant  de  nouveau  Jérusalem,  l'empereur  veut  pouvoir  dire  : 
«  Voyez,  j'avais  tout  gagné,  c'est  le  patriarche  qui  a  tout  perdu.  » 


1.  Gérold,  Epist.,  dans  Huillard-Bréholles,  op.    cil.,   t.  m,  p.  138,  139;  Roger 
de  Wendover,  Chtonicon,  t.  iv,  p.  199.  (II.  L.) 


1486  LIVRE    XXXVI,      CHAPITRE    II 

C'est  pourquoi,  avant  de  donner  une  réponse,  le  patriarche  a  ré- 
clamé une  copie  du  traité.  On  la  lui  a  remise  et  il  l'envoie  au 
pape,  car  elle  contient  des  particularités  plus  que  surprenantes. 
Jérusalem  étant  donnée  à  l'empereur  et  non  aux  chrétiens  et 
l'empereur  s'étant  réservé  de  la  fortifier,  le  patriarche  ne  peut 
s'en  occuper,  puisque,  dès  le  départ  de  l'empereur,  le  sul- 
tan chassera  les  chrétiens.  D'ailleurs,  le  sultan  de  Damas,  qui 
a  protesté  contre  ce  traité,  tirera  vengeance  des  chrétiens  de 
la  Palestine  si,  en  vertu  de  cette  convention,  ils  prennent  pos- 
session de  Jérusalem.  N'est-il  pas  scandaleux  de  laisser  aux 
Sarrasins  le  templum  Domini  ?  Lui,  patriarche,  a  défendu 
de  purifier  les  Lieux  saints  ainsi  recouvrés  et  d'y  célébrer  le 
service  divin;  il  a  interdit  aux  pèlerins  la  visite  de  Jérusa-  [972] 
lem  et  du  Saint-Sépulcre,  aux  termes  d'une  ancienne  bulle 
pontificale  défendant  ce  pèlerinage  quand  il  pouvait  en  ré- 
sulter du  dommage  pour  les  chrétiens.  La  veille  du  troisième 
dimanche  de  carême,  l'empereur  est  entré  à  Jérusalem  et,  le 
lendemain,  il  a,  en  appareil  impérial,  visité  le  tombeau  du 
Soigneur  et  placé  la  couronne  sur  sa  tête.  Dans  cette  circon- 
stance, le  grand-maître  de  l'Ordre  teutonique  a  prononcé  un 
grand  discours  et  invité  tous  les  nobles  à  s'employer  aux  forti- 
fications de  Jérusalem.  L'après-midi,  l'empereur  a  convoqué  au- 
près de  lui  un  grand  nombre  de  nobles  et  de  supérieurs  des  Lieux 
saints,  et  les  a  consultés  sur  les  meilleures  fortifications  à 
élever.  L'assemblée  demanda  un  jour  de  réflexion;  mais  le  lende- 
main, dès  l'aube,  il  était  reparti  (pour  Joppé)  sans  attendre  les 
réponses  sollicitées  la  veille.  Tous  les  pèlerins  (à  l'exception  des 
chrétiens  nés  ou  domiciliés  en  Palestine)  l'avaient  suivi.  \ers 
la  mi-carême,  il  était  revenu  à  Ptoléinaïs,  avec  le  dessein  de 
regagner  le  plus  tôt  possible  ses  Etats.  » 

Nous  possédons  encore  ^  cette  coj)ic  du  traité  conclu  entre 
Frédéric  et  les  Sarrasins,  avec  les  remarques  du  patriarche 
sur  chaque  stipulation:  1.  Le  sultan  donne  Jérusalem  à  l'em- 
pereur et  à  ses  préfets;  l'empsreur  pourra  en  disposer  comme 
il  voudra  et  la  fortifier  —  Note  du  patriarche  :  Comme  il 
n'est  ici  question    que   de   l'empereur  et  de  ses  baillis,    et  nulle- 


1.  Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1229,  n.  15  sq.;  Huillard-Brcliolles, 
Hisl.  dipîom.  Frider.  Il,  t.  m,  p.  86  sq.  ;  Monum.  Germ.  hist.,  Episl.  sœc.  xiii^ 
t.  I,  n.  380. 


654.    FRÉDÉRIC    II    ET  LE    PAPE    GRÉGOIRE     IX  1487 

ment  de  l'Eglise  ou  de  la  chrétienté,  ou  des  pèlerins,  il  en  résulte 
qu'à  prendre  cette  disposition  à  la  lettre,  l'empereur    ou    un    de 
ses  employés  peut  seul  occuper  Jérusalem  et  la  fortifier.  En  outre, 
le  Soudan  (d'Egypte)  ne  peut  disposer  ainsi  de  Jérusalem,  qui  ap- 
})artient  au  sultan  de  Damas,  lequel   n'a  pas  adhéré  au   traité.  — 
2.  L'empereur  n'aura  pas  en  son    pouvoir  Géémélaza   (Djami  al- 
Aksa,  c'est-à-dire  la  mosquée  isolée),  qui  est   le  temple  de  Salo- 
nion,  non  plus   que  le  templum  Doinini   et   ses   dépendances;   ces 
lieux    resteront  aux  Sarrasins,  qui  ont  l'habitude  d'y  venir   prier 
[973]  vi  d'y  promulguer  leurs  lois.   —  Note  :   C'est  là  une   convention 
entre  le  Christ  et  Bélial.  Les  villages  des  environs  de  la  ville  res- 
tant aux  infidèles,    il  y  aura  constamment  plus  de  Sarrasins  au 
templum  Domini  que  de  chrétiens  au  Saint-Sépulcre. — 3.  Les  Sarra- 
sins pourront  en  toute  liberté  se  rendre  à  Bethléem.  —  4.  Si  un 
Franc  (un  chrétien)  a  une  dévotion  plus  particulière  au  templum 
Domini  et  veut  aller  y  prier,  il  sera  libre  de  le  faire.  Mais  s'il  ne 
croit  pas  à  la  majesté  et  à  la  dignité  de  ce  temple,  il  ne  doit  pas 
stationner  dans  son  voisinage  immédiat.  —  Note  :  Quelle  inégalité  ! 
des    Sarrasins    peuvent    aller   librement    à    Bethléem    sans    avoir 
à   subir   d'interrogatoire   sur  leur   foi;  un   chrétien,   au  contraire, 
ne  peut  pas  entrer  dans  le  templum  Domini  sans  subir  un  examen 
de    la    part   des    Sarrasins.    Et   ce    templum  Domini,    maintenant 
la  résidence  de  Mahomet,  était  auparavant  l'Eglise  patriarcale! 
— 5.   Si,  à  Jérusalem,  un  Sarrasin  a  une  discussion  avec  un  autre 
Sarrasin,  l'affaire   sera   déférée   à  un  tribunal  sarrasin,   —  Noie  : 
Les   Sarrasins    ont   donc   à   Jérusalem   une   juridiction   au   même 
tilre  que  les  chrétiens.  —  6.  Durant  la  trêve  de  dix  ans,  l'empereur 
ne  prêtera  son  appui  à  personne  pour  faire  la  guerre  aux  Sarra- 
sins. —  Note:  L'empereur  a  cependant  promis  à  l'Église  par  ser- 
ment d'entretenir  pendant  deux  ans  mille  soldats    et    cinquante 
navires  (contre  les  infidèles).  —  7.  L'empereur  défendra  à  tous  les 
siens   d'attaquer  les   terres   du   sultan    Kamel.    —  Note:   Ce   seul 
jioint    devrait    soulever   l'univers    entier    contre    l'empereur,    car 
c'est  une  injure  à   la    chrétienté  et  même  à  la  dignité  impériale, 
—    8.    Si   des    Francs    veulent    violer   le  présent   traité,    l'empe- 
reur  j^rendra   le   parti   du    sultan.   —    9.   Tripolis   et    son    terri- 
toire, ainsi  que  Crachum  ^,   Castelblancum,   Tortosa,   Margatum, 

1.  La  citadelle  de  Crak,  près  de  Jérusalem,  n'appartenait  pas  aux  chré- 
tiens; mais  peut-être  veut-on  parler  ici  d'une  seconde  citadelle  do  Crak,  celle 
des  Kurdes. 


l/l88  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE   II 

et  Anlioclio  demeurenL  dans  \v  aUilu  quu;  rempercur  défendra 
à  ses  gens  de  prêter  secours  aux  seigneurs  de  ces  villes.  — Note: 
Un  pareil  secours  n'a  jamais  été  prêté,  si  ce  n'est  lorsque  le 
royaume  de  Jérusalem   était  en  pleine  paix  ^. 

Pendant  son  court  séjour  à  Jérusalem,  Frédéric  visita  la 
mosquée  d'Omar  {templum  Domini),  et  un  mufti  assure  que  les  [974] 
paroles  de  Frédéric  prouvaient  qu'il  ne  croyait  pas  à  la  reli- 
gion chrétienne  ^.  Au  témoignage  du  même  mufti,  Frédéric 
était  petit,  rouge  et  chauve,  en  sorte  que,  si  on  l'eût  vendu  comme 
esclave,  on  n'en  eût  pas  tiré  plus  de  200  dirhèmes.  Si  les  pro- 
cédés de  l'empereur  lui  gagnèrent  beaucoup  de  mahométans, 
l'opinion  publique  n'en  fut  pas  moins  très  opposée  au  traité;  et 
le  jeune  sultan  de  Damas  sut  tirer  parti  de  ce  sentiment  pour 
nuire  à  son   oncle  ^. 

Durant  son  séjour  à  Ptolémaïs,  Frédéric  eut  de  nouveaux 
conflits  avec  le  patriarche,  et  le  traité  l'empêchant  de  rien  faire 
contre  les  musulmans,  il  s'embarqua  [le  1^^']  mai  1229  et  en  juin 
débarqua  dans  la  Fouille.  Le  13  juin,  le  pape,  écrivant  aux  Mila- 
nais, s'exprimait  très  sévèrement  sur  le  traité  conclu  entre  Fré- 
déric et  les  Sarrasins  ■*.  Il  s'exprima  avec  plus  de  véhémence 
encore  dans  deux  lettres  adressées  au  roi  de  France  Louis  IX 
et  au  duc  Léopold  d'Autriche,  leur  citant  une  nouvelle  lettre 
du  patriarche  avec  le  récit  des  brutalités  dont  Frédéric  s'était 
rendu  coupable  à  Ptolémaïs.  Il  y  avait  traité  le  patriarche  en 
prisonnier  et  avait  pris  ou  donné  aux  Sarrasins  les  provisions 
de  guerre  amassées  pour  la   Terre  Sainte  ^ 

1.  II  est  évident  que  ces  neuf  conditions  ne  renferment  pas  toutes  les  stipu- 
lations du  traité.  Ainsi  on  n'y  parle  pas  des  villes  et  villages  qui^  sans  compter 
Jérusalem^  devaient  être  restitués  aux  chrétiens.  On  ne  dit  rien  non  plus  de  la 
reddition  des  prisonniers  de  guerre.  Schirrmacher,  Kaiser  l-'rlednch  II,  l.  ii, 
p.  198j  croit  quCj  par  haine  contre  Frédéric^  le  patriarche  n'avait  pas  voulu  faire 
connaître  les  conditions  du  traité  favorables  aux  chrétiens. 

2.  Winkelmann,  FriedricJi  II.  t.  i,  p.  311  sq. 

3.  Wilkon,  op.  cit.,  p.  491,  492,  495. 

4.  Baronius-Raynaldi,  Annal.,  ad  ann.  1229,  n.  2.  Raynaldi  commence  le 
paragraphe  suivant  par  ces  mots  :  Non  multo  posl  Gregorius  Gcroldi  patriarchœ 
tristes  litteras  accepit;  il  s'agit  de  la  lettre  du  patriarche  dont  nous  avons  parlé 
plus  haut. Raynaldi  n'a  pas  compris  que  le  pape  avait  évidemment  reçu  les  lettres 
du  patriarche  lorsqu'il  a  écrit  aux  Milanais.  Les  détails  donnés  par  ce  même 
historien  sur  l'opposition  faite  par  le  patriarche  établissent  le  fait  dont  nous 
parlons. 

5.  Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1229,  n.  23  sq.  ;  Bohmer,  Rcg.,  p.  335; 


546.  FRÉDÉRIC    II    ET    LE    PAPE    GREGOIRE    IX  1489 

La  nouvelle  des  succès  de  l'armée  pontificale  dans  la  province 
[^75]  de  Naples  avait  contribué  à  hâter  le  retour  de  l'empereur.  Aus- 
sitôt arrivé,  Frédéric  députa  au  pape,  et  avec  le  grand- 
maître,  plusieurs  chevaliers  de  l'Ordre  teutonique,  les  arche- 
vêques de  Reggio  et  de  Bari,  pour  négocier  la  paix;  mais  ils 
revinrent  sans  avoir  rien  obtenu.  Cependant  l'empereur  réunit 
une  armée  formée  principalement  des  croisés  de  retour  de  Palestine, 
et  rejeta  les  soldats  pontificaux  jusqu'en  Campanie  ^.  Il  rétablit 
aussitôt  son  autorité  dans  les  pays  reconquis  et  dans  le 
royaume  de  Naples  "-;  (juelques  places  seulement,  Gaëte  et 
Sainte-Agathe-des-Goths,  restèrent  au  pouvoir  du  pape.  Celui- 
ci  maintint  l'attitude  prise,  demanda  aux  fidèles  de  tous  les 
pays  du  secours  contre  Frédéric,  qu'il  excommunia  une  fois 
de  plus,  déliant  tous  ses  sujets  du  serment  de  fidélité  (août 
1229).  Il  pressa  surtout  les  Lombards  de  lui  envoyer  le  se- 
cours promis  contre  l'ennemi  commun.  Au  mois  de  novembre, 
écoutant  les  suggestions  de  Hermann  de  Salza  ^,  Grégoire  se  mon- 
tra plus  disposé  à  la  paix;  des  négociations  furent  entamées, 
durèrent  jusqu'à  l'été  de  l'année  suivante  et,  par  l'entremise  de 
plusieurs  princes  allemands  et  italiens,  se  terminèrent  par  la  paix 
de  San  Germano  *,  conclue  le  23  juillet  1230  ^  Frédéric  jura  de 


Huillard-Bréholles^  Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  ii,  p.  147,  se  demande  si  cette  lettre 
n'est  pas  du  mois  de  juin,  quoiqu'elle  soit  datée  du  18  juillet,  car  elle  ne  dit 
rien  de  l'arrivée  de  Frédéric  dans  la  Basse- Italie.  Mais  le  pape  dit  nettement 
que,  le  dimanche  après  la  fête  des  Apôtres  (saint  Pierre  et  saint  Paul,  le  29 
juin),  il  a  reçu  une  nouvelle  lettre  du  patriarche  de  Jérusalem.  La  lettre  du  pape 
est  donc  du  mois  de  juillet. 

1.  Sur  cette  rapide  campagne,  cf.  Richard  de  San  Gerniano,  dans  Moniim.  Germ. 
hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  353,  355;  Frédéric,  Epistulie  duo  ad  Fachreddinum,  dans 
Amari,  Archii'.  slor.  Sicil.,  nouv.  série,  t.  ix,  p.  119  sq.  ;  Winkelmann,  Ja/jrtù- 
cher,  t.  H,  p.  147  sq.  (H.  L.) 

2.  Les  vengeances  commencèrent  aussitôt.  Cf.  Roger  de  Wendover,  t.  iv, 
p.  209  :  Quoscumque  ex  adversariis  cœpil,  aut  iwos  excoriavit  aut  patibulo  suspen- 
dit; Albéric  de  Trois-Fontaines,  Chronicon,  p.  925  :  jactainlerfectione  maxima 
nimis  crudeliter  se  vindicavit  et  muUa  mala  commisit.  Cf.  Winkelmann,  Jahrbii- 
cher  Friedrichs  II,  t.  ii,  p.  157.  (H.  L.) 

3.  Richard  de  San  Germano,  dans  Monum.Gcrm.  hist..  Script.,  t.  xix,  p.  357. 

4.  Le  duc  Léopold  d'Autriche  mourut  à  San  Germano,  le  28  juillet. 

5.  F.  Fehling,  Kaiser  Friedrich  II  und  die  rômischen  Kardiniile  in  den  Jahren 
1227-1229,  Berlin,  1901;  C.  Rodengerg, /)ic  Voruerhandlung  eti,  zumFrieden  i>on 
San  Germano  (1229-1230),  dans  Neues  Archiv,  t.  xviii,  p.  177-205  ;C.  Falco, 
I  preliminari  délia  pace  di  S. Germano  (novembre  1229-luglio    1230),    dans    Ar- 

CON  CILES   -  V  -  Ut 


1490  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    II 


se  soumettre  à  l'Église  sur  tous  les  points  qui  avaient  provoque 
son  excommunication;  le  28  août,  il  fut  solennellement  relevé 
de  cette  peine  et,  le  l^'"  septembre,  il  eut  une  entrevue  avec  le  pape 
à  Anagni  ^.  Des  lettres  du  pape  et  de  l'empereur  expriment  leur 
satisfaction  réciproque.  Voici  les  principaux  points  promis  par 
Frédéric  :  évacuer  les  États  de  l'Église  et  restituer  aux  églises, 
monastères,  clercs  ou  laïcs,  tout  ce  qui  leur  avait  été  confisqué 
à  cause  de  leur  attachement  à  l'Eglise;  réintégrer  les  évêques 
exilés  et  chassés,  et  assurer  une  amnistie  absolue  à  tous  ceux 
qui  avaient  tenu  pour  l'Église  contre  l'empereur.  A  l'égard  du 
royaume  des  Deux-Siciles,  Frédéric  promit  d'observer  le  privi- 
lège du  for,  de  garantir  l'immunité  de  toutes  les  personnes  et 
de  tous  les  biens  d'Église,  de  laisser  libres  les  élections  et 
postulations  ecclésiastiques,  etc.,  et  d'indemniser  le  comte  de 
Célano,  les  templiers  et  hospitaliers.  Enfin,  sur  la  possession  [9%\ 
de  Gaëte  et  de  Sainte-Agathe-des-Goths,  on  se  mettrait  d'ac- 
cord dans  le  délai  d'un  an  ^. 


chivio  délia  Socie,ià  romand  di  aloria  pahiu,  191 0^  t.  xxxui^  p.  441-479;  Bôhmer- 
Ficker-Winkelmaim,  Regest.,  n.  11053-1105G,  llOGl,  110G2,  11069-11072,11074; 
Richard  de  San  Germano,  dans  Monuin.  Gerin.  Jiist.,  Script.,  t.  xix,  p.  357;Win- 
kelmann,  Jahrhùcher,  t.  ii,  p.  166-202;  Ficker,  dans  Mitlheilunge/i,t.  iv,  p.  377; 
Felten^  op.  cit.,  p.  96;  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  sect.  iv,  t.  ii,  p.  178,  n.  141; 
p.  176,  n.  137;  p.  180,  n.  145;  p.  170-183,  n.  126-149;  }la.nck,  KirchengescJnchte 
Dcutschlands,  t.  iv,  p.  779  sq.  (H.  L.) 

1.  Richard  de  San  Germano,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  362; 
Monum. Germ.  hist.,Leges,  sect.  iv,  t.  ir,  p.  181,  n.  147;  Huillard-Bréholles,  Hist. 
diplom.  Frid.  II,  t.  m,  p.  227  sq.  ;  Bôhmer-Ficker,  Reg.,  n.  \%12.\Epist.  ponlij. 
roman.,  t.  i,  n.  416,  p.  335  sq.  ;  Bohmer-Ficke^-^Yinkelmann,  n.  6817,  6818,6823; 
Winkelmann,  Jahrbucher,  t.  ii,  p.  211;  G.  Noi'l,  Der  Friede  von  San  Germano 
1230,  Berhn,  1891;  Guillaume,  Chron.  Andr.,  dans  Monum. Germ.  hist.,  Script., 
t.  xxiv,  p.  769  :  Pax  ficta  potius  quant  perfecta.  (H.  L.) 

2.  Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1229,  n.  32-43;  1230,  n.  3-16;  Huil- 
lard-Bréholles, Ilist.  diplom.  Fridcrici  II,  t.  m,  p.  141,157,  162,  164,166,  169, 
170, 172, 176, 197,  206-220;  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  l.  ii,  p.  269-276;  Richard 
de  San  Germano,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xix,  p.  355  sq.;  Episl., 
t.  I,  p.  304-327,  333,  338  sq.;  Rôhricht,  Die  Kreuzfahrt  Kaiser  FriedrichsII  et 
Beitrdge  zur  Geschiclite  der  KreuzzUge,  Berhn,  1874,  t.  i,  p.  3  sq.  (sectaire).  (H.  L.) 


655.     FIN    DE    LA    GUERRE    DES    ALBIGEOIS  1491 


655.  Fin  de  la  guerre  des  albigeois  et  concile 
de  Toulouse  en  1229. 


La  paix  de  Paris  mit  fin  à  la  guerre  des  albigeois.  Nous  avons 
vu  comment  la  mort  de  Louis  VIII  (8 novembre  1226)  avait  relevé 
les  aiTaires  des  albigeois.  Aussi  le  pape  Grégoire  IX  aecorda-t-il 
[le  13  novembre  1227]  à  Louis  IX  une  dime  sur  Ions  les  revenus 
ecclésiastiques  déjà  accordée  à  son  père  par  le  concile  de  Bourges, 
pour  soutenir  la  guerre  contre  les  albigeois.  Bientôt  après, 
le  pape,  annonçant  à  Louis  IX  l'arrivée  de  son  légat,  Romain, 
l'exhortait  vivement  à  suivre  les  exemples  de  ses  ancêtres  et 
à  combattre  les  hérétiques  ^.  La  guerre  continua  sans  grands 
événements;  et  les  deux  partis  manifestèrent  bientôt  un  égal 
désir  de  paix  ^.  Le  cardinal-légat  Romain  envoya  au  comte 
Raymond  VII  (automne  de  1228)  Elie  Guarin,  abbé  de  Grand- 
selve,  pour  préparer  un  rapprochement.  Une  première  entre- 
vue eut  lieu  à  Basiège,  au  sud  de  Toulouse;  après  en  avoir 
conféré  avec  ses  barons  et  les  consuls  de  Toulouse,  Raymond 
nomma  l'abbé  de  Grandselve  son  procureur,  le  chargea  de  voir 
le  roi  et  le  cardinal  et  de  les  assurer  de  son  grand  désir  d'être 
réconcilié  avec  l'Église.  Il  se  déclara  disposé  à  accepter  tout 
ce  que  l'abbé  conclurait  d'accord  avec  Thibault,  comte  de 
[9771  Champagne.  On  s'occupa  alors  des  préliminaires  de  paix  et 
le  cardinal  tint  à  cet  effet  un  concile  à  Sens,  à  Noël  1228,  et 
un  autre  à  Senlis,  à  la  Chandeleur  de  1229  3.  Afin  de  poursui- 
vre les  négociations,  on  convint  d'une  entrevue  personnelle 
du  comte  Raymond  avec  le  légat,  et  Meaux  fut  choisi  *.  L'ar- 
chevcque    de    Narbonne  et  ses   sulfragants   y  assistèrent;    après 


1.  Baronius-Raynaldij  Annales,  ad  ann.  1227,  n.  Gl  ;  1228,  n.  20  sq.  ;  Potthast, 
ne^esla,  n.  8053,  8150. 

2.  C.  Schmidt,  Histoire  cl  doctrine  de  la  secte  des  cathares  ou  cdhigeois,    in-8, 
Paris,  1849,  t.  i,  p.  283.  (H.  L.) 

3.  Albéiic   de  Trois-Fontaiues,   dans  Monum.    Germ.  hisl.,  Script.,   t.   xxiii, 
p.  922;  Baroiiius-Raynaldi,  Anncdes,  ad  ann.  1228,  n.  23,  2'i. 

4.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  414;  Ilaidouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  1G5;  Coleti, 
Concilia,  t.  xiii,  col.  1225;  Mansi,  Conc.  ampliss.  a  IL,  t.  xxiii,  col.  163.  (II.  L.) 


1492  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    II 

qu'on  fui    loiiiljc    d'accord,    les    contractants  partirent  signer  la 
paix  dclinilive  en  présence  du  jeune  roi,  à    Paris,    le    12    avril 
1229,  sous  le  grand  portail  de  l'église  Notre-Dame;  elle  conte- 
nait   les    stipulations    suivantes  ^  : 

1.  Raymond  engage  son  dévouement  à  l'Église  romaine  et  au 
roi  de  France  et  sa  fidélité  jusqu'à  sa  mort. — 2.  Il  combattra  de 
toutes  ses  forces  les  hérétiques,  leurs  protecteurs  et  défenseurs, 
tant  sur  son  propre  territoire  que  sur  celui  de  ses  vassaux,  sans 
égard  aux  liens  de  parenté,  clientèle,  voisinage  et  amitié.  Il 
purgera  le  pays  des  hérétiques  et  de  l'hérésie,  et  aidera  le  roi  à 
remplir  la  même  tâche  et  à  conserver  ses  possessions  actuelles. — 
3.  Il  punira  sans  pitié  les  hérétiques  connus  et  les  fera  punir  par 
ses  haillis.  —  4.  Il  fera  rechercher  les  hérétiques  et  leurs  parti- 
sans suivant  la  méthode  que  les  légats  lui  indiqueront.  —  5.  Il 
donnera  d'abord  deux  marcs  pour  tout  hérétique  découvert; 
plus  tard,  un  seul  marc.  —  6.  A  l'égard  des  hérétiques  douteux 
ou  secrets  et  de  leurs  partisans  et  amis,  il  se  conformera  aux 
prescriptions  du  légat  et  de  l'Eglise  romaine.  —  7.  Il  pro- 
tégera les  églises  et  les  gens  d'Eglise,  respectera  leurs  droits  et 
libertés;  s'inclinera  devant  les  sentences  d'excommunication 
et  les  fera  appliquer. — 8.  Il  forcera,  par  la  confiscation,  à  se 
réconcilier  avec  l'Eglise  quiconque  reste  une  année  pleine 
excommunié.  Il  ne  prendra  pour  baillis  que  des  catholiques,  [978] 
point  de  juifs  ni  de  gens  d'une  foi  douteuse.  —  9.  Il  rendra  aux 
églises  et  aux  clercs  tous  leurs  droits  et  leurs  immeubles  tels  qu'ils 
étaient  avant  la  première  guerre  des  albigeois.  En  compensation 
de  la  perle  des  biens  meubles,  etc.,  Raymond  donnera  10  000 
marcs  d'argent.  La  dîme  sera  levée  exactement  sur  son 
territoire.  Il  payera  comme  indemnité  2  000  marcs  à  l'abbaye 
de  Citeaux,  500  à  l'abbaye  de  Clairvaux,  1  000  à  l'abbaye 
de  Grandselve,  300  à  l'abbaye  de  Belleperche  et  200  à  celle 
de  Candcil;  il  donnera  en  outre  6  000  marcs  pour  les  fortifi- 
cations de  Narbonne  et  autres  places  que  le  roi  gardera  dix  ans 
pour  sa  sécurité  et  celle  de  l'Église.  Il  consacrera  4  000  marcs 
à     l'entretien     de    douze    professeurs    à    Toulouse,    dont    deux 


1.  Le  document  porte  la  date  de  1228;  mais  en  France,  la  nouvelle  année 
commençait  à  Pâques;  en  1229,  Pâques  tombait  le  15  avril,  de  telle  sorte  qu'en 
France  le  12  avril  1229,  suivant  notre  manière  de  compter,  n'était  que  Je 
12  avril  1228. 


655.    FIN     DE     LA     GUERRE     DES     ALBIGEOIS  1493 

enseigneront  la  théologie,  deux   la    jurisprudence,    six    les    arts 
libéraux  et   deux  la   grammaire;   chacun    des    deux    professeurs 
de    théologie   recevra    50    marcs    par    an,    chaque   juriste  30    et 
chacun  des  autres  20,  cela  durant  dix  ans  (fondation   de   l'uni- 
versité  de    Toulouse).    —   10.  Aussitôt   après  avoir  reçu  l'abso- 
lution,   le    comte    Raymond     prendra     la      croix    des   mains   du 
légat  et  ira  dans  le  délai  de  deux  ans  en   Palestine  où  il  passera 
cinq  ans.  — 11.  Il  fera  bon  accueil  à  tous  ceux  qui    ont    tenu  le 
parti  du  roi  de   France   ou  du  comte  de    Montfort.     L'Église  et 
le    roi    agiront  de    la    même    manière     à    l'égard    des  partisans 
du   comte     Raymond.    —  12.     Le  roi    mariera  à    son  frère  une 
fille    de    Raymond;    il  abandonnera    à     Raymond  tout    l'évêché 
de     Toulouse,    sauf  la     terre    du   maréchal;   mais   après  la   mort 
de  Raymond,  Toulouse  et  l'évêché  reviendront   au   frère   du   roi 
qui  épousera  la  fille  du  comte.  Si  ce  frère   meurt    sans    héritier, 
Toulouse  et  l'évêché  appartiendront  au  roi.  — 13.  Le  roi  aban- 
donne au  comte  Raymond  les  évêchés  d'Agen,  de  Cahors  et  une 
partie  de  l'évêché  d'Albi,  mais  l'autre  partie  ainsi   que  la    ville 
d'Albi  resteront   au    roi.    Si    Raymond    meurt    sans    laisser    de 
fils  légitime,   ces    possessions     reviendront  aussi    à  la    princesse 
qui  épousera  le  frère    du  roi.    Pour    tous    ces    biens,     Raymond 
prêtera    entre    les    mains    du    roi    l'hommage  lige  et  le  serment 
de   fidélité  [fidelitatem),  et  avec  lui  les  autres  barons.  — 14.  Ray- 
mond abandonne  au  roi  le  territoire  situé  de   ce  côté  du  Rhône 
et  en  France,  et  au  légat,  entant  qu'il  représente  l'Église,  les 
pays   situés  au  delà  du  Rhône  et  qui  font  partie  de  l'empire.  — 
15.  Tous    les  habitants  nés   dans   ces  contrées  et  qui  avaient  dû 
prendre  la  fuite  à  la  suite  des  victoires  du  roi  ou  de   son  père  et 
du   comte    de   Montfort,    ou   bien    qui    se    sont    volontairement 
exilés,  seront  réintégrés   dans   leurs   anciennes  possessions,  sauf 
[979]   cependant    les    hérétiques    formellement     condamnés.     Si    quel- 
ques seigneurs  des  territoires    laissés    à    Raymond,    par    exem- 
ple le  comte  de  Foix,  ne  voulaient  pas  se  soumettre  à  l'Église, 
Raymond  les  y  obligerait  par  la  force,  etc..  — 16.    11    détruira 
les  fortifications  de  la  ville  de  Toulouse  et  fera  combler  les  fossés; 
on  rasera  de  même  trente  autres  citadelles  et  villas  ^. 


1.  «  Le  jour  où  fut  conclu  l'arrangement,  Raymond  traita  le  roi  à  sa  table, 
quand,  au  milieu  du  repas,  on  frappa  à  la  porte.  C'était  un  prieur  qui  plaidait 
entre  le  comte  à  la  cour  de  France.  L'écuycr  de  service  le  reconnut  et  dit  à  son 


1494  LIVRE    XXXVI      CnAPITRE    II 

Pour  s'assurer  que  le  comte  de  Toulouse  exécuterait  fidèle- 
ment un  traité  qui  no  lui  enlevait  pas  moins  des  deux  tiers  de 
ses  possessions,  on  exigea  de  lui  à  Paris  d'importantes  et  nom- 
breuses garanties;  il  fut  solennellement  absous  le  jeudi  saint 
par  le  légat  à  Notre-Dame,  et  le  3  juin  1229  le  roi  le  fit  chevalier. 
Presque  en  même  temps  eut  lieu  le  mariage  de  sa  fille  avec  le 
prince  Alphonse.  Le  comte  de  Foix  fit  aussi  sa  paix  avec  l'Eglise, 
mais  dut  subir  de  sévères  conditions  analogues  à  celles  imposées 
à    Raymond  ^. 

Louis  IX  promulgua,  pour  les  provinces  du  sud  de  la  France 
que  cette  convention  plaçait  en  son  pouvoir,  le  statut  Cupientes, 
dans  lequel  il  s'oblige  à  peu  près  aux  mêmes  obligations  impo- 
sées à  Raymond.  Les  églises  et  les  clercs  du  Languedoc  jouiront 
des  libertés  de  l'Eglise  gallicane;  les  hérétiques  convaincus 
seront  punis  sans  délai;  toute  la  contrée  sera  purgée  d'héré- 
tiques; ceux  que  l'on  découvrira  après  une  enquête  sévère  seront 
traduits  devant  les  évoques  ou  leurs  officiaux;  on  récompensera 
les  dénonciateurs  ;  les  ruptuaires  qui  troublent  le  pays  seront 
expulsés;  on  évitera  tout  rapport  avec  les  excommuniés;  les  biens 
de  ceux  qui  resteront  plus  d'un  an  sous  le  coup  de  l'excommu- 
nication seront    confisqués    par   les    baillis    royaux,  etc.  ^. 

Au  mois  de  novembre  1229,  le  légat  du  pape  réunit  le  célèbre 
concile  de  Toulouse  auquel  prirent  part  les  archevêques  de  Nar- 
bonne,  de  Bordeaux  et  d'Auch,  et  un  grand  nombre  d'évêqueset  de 
prélats  3.  Raymond  VII  y  assista  avec  beaucoup  de  comtes  et  de 


maître  :«  Messire,  c'est  ce  prieur  que  vous  savez.  —  C'est  bon,  cria  Raymond, 
«  diles-lui  de  compter  les  clous  de  la  porte;  je  dîne  avec  le  roi.  —  Très  bien,  rc- 
«  pliqua  le  religieux  quand  la  commission  lui  fui  faite,  mais  dis  à  ton  maître 
«  de  manger  le  plus  qu'il  pourra,  car  il  a  vendu  aujourd'hui  l'héritage  de  ses 
«  pères.  »  A.  Langlois.  dans  Hist.  de  France  de  Lavisse,  1901,  t.  m,  part.  2, 
p.    8.    (H.    L.) 

1.  Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1228,  n.  24  sq.  ;  Hahn,  Geschichte 
der  Ketzer  im  Mitlelaller,  t.  i,  p.  354  sq.  ;  C.  Schmidt,  Histoire  et  doctrine  de  la 
secte  des  cathares  et  des  albigeois,  in-8,  Paris,  1849,  t.  i,  p.  284;  Mansi,  Cane, 
ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  163-175;  Hardouin,  Concii.  coll.,  t.  vu,  col.  lG5sq.; 
Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1228  sq.  ;  Monum.  Germ.  hist.,  Epist.,  t.  i  n.  576, 
577,  624. 

2.  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  171;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1231; 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  186. 

3.  A.  SoThin, Conciles  de  Tholose,  Béziers  et  Narbonne,  ensemble  les  ordonnances 
du  comte  Raimond...  contre  les  albigeois  et  l'instrument  d'accord  entre   ledit  Rai- 


655.    FIN     DE    LA    GUERRE    DES     ALBIGEOIS  1495 

barons,    le   sénéchal  de   Carcassonne    et    deux    consuls  de  Tou- 
louse;    ces     derniers     prêtèrent    serment    aux    statuts   de    paix, 
[980]  ^^^     i^*^"i  f^c  la   commune  entière.   Le  légat  ordonna   une    inqui- 
sitio   contre    ceux  qui    étaient    soupçonnés  d'hérésie  ^.  Guillaume 


mond  et  saint  Loys^  arrests  et  statuts  pour  l'entretien  d'iceluy  et  pour  V extirpation 
de  r hérésie,  rendu  de  latin  en  français,  in-8,  Paris,  1569;  d'Achery,  Spici- 
legium,  t.  II,  p.  621-629;  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  425;  Hardouin,  Conc. 
coll.,  t.  VII,  col.  173;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1233;  Martène,  Script,  vet. 
coll.,  t.  VII,  col.  106-107;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  192  ;  V.  Le  Clerc, 
dans  Ilist.  litt.  France,  1847,  t.  xxi,  p.  604;  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  293  sq.; 
C.  Douais,  L'Inquisition,  ses  origines,  sa  procédure,  in-8,  Paris,  1906,   p.   63-83. 

1.  Ph.  a  Limborch,  Historia  Inquisitionis,  in-^,  Amstelodami,  1692;  Nicolas 
Eymeric,  Directorium  inquisitorum,  impressum  Barchinonse,  1503,  cum  Comment. 
Franc.  Pegnse,  RomEe,  1580;  Bernard  Guy,  PracZica  Inquisilionis  hser.  pravitatis, 
édit.  C.  Douais,  Paris,  1886;  Doctrina  de  modo  procedendi  contra  hœreticos,  dans 
Martène  et  Durand,  Thés.,  t.  v,  col.  1795-1822;  Paul  Fredericq,  Corpus  docu- 
mentorum  Inquisit.  hœret.  pravit.  Neerlandicœ,  Gent,  1889-1905;  Saint  Raymond 
de  Penafort  et  les  hérétiques.  Directoire  à  l'usage  des  inquisiteurs  aragonais,  1422, 
édit.  C.  Douais,  dans  Le  moyen  âge,  1899,  t.  xii,  p.  305-325  ;  C.  Douais,  Les  sources 
de  l'histoire  de  l'Inquisition,  in-8,  Paris,  1881;  Documents  pour  servir  à  l'histoire 
de  l'Inquisition  dans  le  Languedoc,  1902;  L'Inquisition,  ses  origines,  sa  procé- 
dure, in-8,  Paris,  1906;  Lea,  A  history  of  the  Inquisition  in  the  middle  âges, 
3  vol.  in-8,  New  York,  1888;  trad.  franc,  par  S.  Reinach,  3  vol.,  Paris,  1900- 
1902;  J.  Havet,  L'hérésie  et  le  bras  séculier  au  moyen  âge  jusqu'au  xiii^  siècle. 
in-8.  Paris,  1881;  Mobilier,  L'Inquisition  dans  le  Midi  de  la  France  aux  xiii*^  et 
xiv^  siècles,  in-8,  Paris,  1880;  Fredericbs,  Robert  le  Bougre,  premier  inquisiteur 
général  en  France,  Gand,  1892;  Tanon,  Histoire  des  tribunaux  de  l'Inquisition 
en  France,  in-8,  Paris,  1893;  Langlois,  L' Inquisition  d'après  des  travaux  récents, 
in-8,  Paris,  1901;  Duverger,  L'Inquisition  en  Belgique,  in-8.  Viviers,  1889;  Ama- 
bile.  Il  santo  uficio  delV  Inquisizione  in  Napoli,  2  vol.,  in-8,  Città  di  Castello; 
La  Maiitia,  Origine  éi>>icende  delV  Inquisizione  in  Sicilia,  dans  Riwista  stor.  ital., 
1887,  p.  481  sq.  ;  F.  Savio,  Per  la  storia  delV  Inquisizione  in  Italia,  dans  Civiltà 
cattolica,  1911,  t.  ii,  p.  423-432;  E.  Vacandard,  L'Inquisition,  étude  historique 
et  critique  sur  le  pouvoir  coercitif  de  l'Église,  in-12,  Paris,  1907;  J.  Ficker, 
Die  gesetzliche  Einfiihrung  der  Todesstrafe  fiir  Ketzerei,  dans  M itlheilujigen  des 
Inslit.  fiir  iisterr.,  1880,  t.  i,  p.  177-225,  430  sq.  ;  Henner,  Beilràge  zur  Organi- 
sation und  Kompetenz  der  pâpstlichen  Ketzergeschichte,  in-8,  Leipzig,  1890; 
Michael,  Zur  Rechts geschichte  der  Inquisition,  dans  Zeitschrift  fur  katholische 
Théologie,  1891,  p.  363  sq.  ;  Geschichte  des  deutschen  Volkes,  1899,  t.  ii,  p.  301  sq.  ; 
Flade,  Das  romische  Inquisitionsverfahren  in  Deutschland  bis  zu  den  Ilexenpro- 
zessen,  in-8,  Leipzig,  1902;  Fiiike,  Studien  zur  Inquisitionsgeschichte,  dans 
Romische  Quartalschrift,  1892,  p.  190  sq.  ;  Zur  neuesten  Inquisitionsliteratur, 
dans  GiJtt.  Jahrb.,  1893,  p.  332  sq.  ;  Uansen, Inquisition  und  Ilexenwahn  im  Mittel- 
alter,  dans  Ilistorische  Zeitschrift,  1898,  p.  385  sq.;  Zauberwahn,  Inquisition  und 
Ilexenprozess  im  Miitelaller  und  Entstehung   der   grossen  Ilexenverfolgung,   in-8, 


149G  LIVRE     XXXYI,       CHAPITRE    II 

de  Solério,  ancien  hœreticus  çeslitus,  iut  gracie  et  réhabilité,  afin 
de  pouvoir  témoigner  contre  les  hérétiques.  Vinquisitio  se  fit 
ainsi  :  tous  les  évêques  présents  examinèrent  les  témoignages 
produits  par  l'évoque  de  Toulouse,  consignèrent  par  écrit 
leurs  avis  et  les  remirent  en  garde  à  l'évêque.  Les  catholiques 
déposèrent  les  premiers;  ensuite  ceux  qui  étaient  soupçonnés 
d'hérésie;  mais  ceux-ei  se  refusèrent  aux  aveux.  Quelques-uns 
cependant  devancèrent  les  autres,  se  soumirent  au  légat  et 
obtinrent  miséricorde.  On  fit  venir  les  autres  par  la  force  et  on 
leur  imposa  des  peines  sévères.  Un  certain  nombre  demandèrent 
à  présenter  leur  défense  et  voulurent  connaître  les  noms  de 
leurs  délateurs,  quelques-uns  étant  peut-être  leurs  ennemis  mor- 
tels et  leur  témoignage  n'étant  pas  recevable;  ils  poursuivi- 
rent le  légat  de  ces  demandes  jusqu'à  Montpellier.  Celui-ci, 
qui  craignait  des  vengeances  contre  les  délateurs,  se  contenta 
de  livrer  une  liste  générale  de  tous  les  témoins,  leur  disant  de  voir 
si  dans  ce  nombre  ils  n'auraient  pas  d'ennemis  à  signaler.  Ils 
finirent  néanmoins  par  se  soumettre  à  l'autorité  du  légat.  —  Tel 
est  le  récit  de  Guillaume  de  Puy-Laurent  dans  son  Chronicon 
Albigensium  ^. 

Nous  possédons  quarante-cinq  capitula  que  le  cardinal-légat 
Romain  Frangipani  publia  à  Toulouse.  Ils  traitent  principalement 
de  l'extinction  de  l'hérésie,  du  rétablissement  de  la  paix  et  de 
l'ordre  dans  le  midi  de  la   France. 

1.  Dans  chaque  paroisse  de  la  ville  et  hors  de  la  ville,  les  évê- 
ques désigneront  un  prêtre  et  deux  ou  trois  laïcs,  ou  même 
davantage,  s'il  le  faut,  de  réputation  intacte,  qui  s'engageront 
par  serment  à  rechercher  assidûment  et  fidèlement  les  héré- 
tiques vivant  sur  la  paroisse.  Ils  visiteront  minutieusement 
les  maisons  suspectes,  les  chambres  et  caves,  et  les  recoins 
les  plus  dissimulés  qui  devront  être  démolis.  S'ils  découvrent 
des  hérétiques  ou  des  personnes  donnant  créance  ou  faveur, 
asile  ou  protection  aux  hérétiques,  ils  prendront  des  mesures 
pour  les  empêcher  de  fuir,  et  les  dénonceront  le  plus  tôt  pos- 
sible à  l'évêque  et  au  seigneur  du  lieu  ou  à  son  bailli  (Institu-  [981] 
tion    de    l'inquisition    épiscopale,    d'après    les    ordonnances    des 

Mûnchen^  1900;  de  Cauzons, //i'sioiVe   de   l'Inquisition   en   France,  ia-8,    Paris^ 
1909,  t.  I,  Origines  de  l'Inquisition.   (H.  L.) 
1.  Mansi^  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxni^  col.  191. 


055.     FIN     DE    LA     GUERRE    DES    ALBIGEOIS  1497 

conciles  de  Vérone,  d'Avignon,  de  Bourges,  de  Narbonne   et  du 
douzième  concile  œcuménique  ^). 

2.  Les  abbés  exempts  en  feront  autant  pour  leurs  territoires 
qui  ne  sont  pas  soumis  à  une  juridiction  épiscopale. 

3.  Les  seigneurs  temporels  feront  rechercher  avec  soin  les 
hérétiques  dans  les  villas,  les  maisons,  et  les  forêts  où  ils  se 
réunissent,  et  feront  détruire  leurs    repaires. 

4.  Quiconque  laissera  un  hérétique  séjourner  sur  sa  terre, 
soit  à  prix  d'argent,  soit  pour  tout  autre  motif,  qu'il  avoue 
sa  faute  ou  qu'il  en  soit  convaincu,  perdra  à  tout  jamais  sa 
terre  et  sera  passible  de  peines  personnelles  de  la  part  de  son 
seigneur,  suivant  sa   culpabilité. 

5.  Sera  également  puni  celui  sur  les  terres  duquel  on  rencon- 
tre fréquemment  des  hérétiques,  bien  qu'à  son  insu,  mais  par 
suite  de  négligence. 

6.  La  maison  dans  laquelle  un  hérétique  est  découvert  sera 
rasée,  le  terrain  sera  confisqué. 

7.  Le  bailli  en  résidence  dans  une  localité  où  l'on  soupçonne 
la  présence  des  hérétiques,  qui  ne  les  recherchera  pas  avec  zèle, 
perdra  sa  place  sans  compensation. 

8.  Pour  éviter  que  les  innocents  ne  soient  punis  comme  cou- 
pables et  qu'il  n'y  ait  des  accusations  calomnieuses  d'hérésie, 
nous  ordonnons  que  personne  ne  soit  puni  comme  hérétique 
ou  credens  sans  avoir  été  d'abord  formellement  déclaré  héré- 
tique   ou  credens   par  l'évêque  ou  une  autre  personne  autorisée 

9.  Chacun  peut  rechercher  les  hérétiques  sur  les  terres  de  son 
voisin,  et  les  baillis  devront  se  prêter  à  ces  enquêtes.  Ainsi  le 
roi  pourra  rechercher  les  hérétiques  svir  les  terres  du  comte  de 
Toulouse  et  réciproquement. 

10.  h'hdereticus  vestitus  qui  abandonne  spontanément  l'hé- 
résie ne  doit  pas  garder  la  même  habitation,  si  la  localité 
passe  i)0ur  contenir  des  hérétiques  :  on  le  placera  dans 
une  localité  catholique  et  bien  famée.  Ces  convertis  porteront 
sur  leurs  habits  deux  croix,  une  à  droite  et  l'autre  à  gauche,  d'une 
autre  couleur  que  celle  de  l'habit;  ce  qui  ne  les  dispense  pas  de 
l'obligation    d'avoir    des    lettres    testimoniales    de  réconciliation 


1.  HefelCj  Kardinal  Ximenes  iind  die  kirchlichen  Zustânde  Spaniens  am  Ende 
des  XV  und  Anfang  des  xvi  Jalirh.,  insbes.  ein  Beilrog  zur  Geschichte  undWûrdi- 
gung  der  Inquisition,  2<^  édit.,  Tùbingen,  1851,  p.  249  sq. 


1498  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    II 

délivrées  par  l'évêque.  Ils  seront  inhabiles  aux  fonctions 
publicfues  et  aux  actes  légaux  jusqu'à  réhabilitation  par  le 
pape  ou  son  légat,  après  une  pénitence  convenable^, 

11.  Celui  qui  revient  à  l'unité  catholique,  non  spontanément, 
mais  par    crainte    de    la   mort    ou  tout    autre    motif,    sera    mis 

par  l'évêque  en  prison,  pour  y   faire  pénitence,  avec  les  précau-  [982] 
tions    requises    pour    qu'il    ne    puisse    pas    entraîner   les    autres. 
Les   héritiers    du    prisonnier  auront    à    pourvoir   à    ses  besoins, 
conformément  à   l'ordonnance   du   prélat.  S'il  n'a  pas  de    biens, 
le  prélat  y  pourvoira. 

12.  Tous  les   fidèles  adultes    devront    promettre    par    serment 
à    l'évêque    de    garder   la    foi    catholique    et    de    poursuivre    les 
hérétiques  dans  la    mesure   de  leurs   moyens.   Ce  serment  devra 
être  renouvelé  tous  les  deux  ans. 

13.  Tout  fidèle  des  deux  sexes  parvenu  à  l'âge  de  discerne- 
ment devra,  trois  fois  par  an,  confesser  ses  fautes  à  son  propre 
prêtre  ou,  avec  là  permission  de  celui-ci,  à  un  autre  prêtre;  il 
accomplira  humblement,  suivant  ses  forces,  la  pénitence  impo- 
sée, et  recevra  trois  fois  par  an,  après  ces  confessions,  la 
sainte  communion,  à  Noël,  à  Pâques  et  à  la  Pentecôte.  Est 
seul  excusé  celui  qui,  sur  le  conseil  de  son  curé  et  pour  de 
bons  motifs,  s'abstient  durant  quelque  temps  de  la  commu- 
nion. Les  prêtres  examineront  avec  soin  quels  sont  ceux  qui  ne 
communient  pas;  car  ceux  qui  s'abstiennent  de  communier  sans 
le  conseil  de  leur  propre  prêtre  doivent  être  soupçonnés  d'hérésie. 

14.  Il  n'est  pas  permis  aux  laïcs  d'avoir  les  livres  de  l'Ancien 
et  du  Nouveau  Testament;  sauf  le  Psautier,  le  Bréviaire  et  les 
Heures  de  la  sainte  Vierge;  défense  rigoureuse  d'avoir  ces  livres 
traduits  en  langue    vulgaire. 

15.  Quiconque  est  accusé  {infamati)  ou  soupçonné  d'hérésie 
ne  pourra  être  médecin  ^.  Lorsqu'un  malade  aura  reçu  de 
son  curé  la  sainte  communion,  on  veillera  soigneusement  à  ne 
laisser  approcher  de  lui  aucun  hérétique  ou  suspect  d'hérésie, 
car   ces  visites  ont  eu  de    tristes  conséquences. 

16.  Quiconque   veut  faire  son  testament  doit  prendre  comme 


1.  U.  Robert,  Les  signes  d'infamie  au  moyen  âge  :  Juifs,  Sarrasins,  hérétiques, 
lépreux,  cagols,  filles  publiques,  in-16,  Paris,    1891.    (H.  L.) 

2.  Voir  concile  de  Béziers,  1246. 


655.    FIN     DE     LA     GUERRE     DES     ALBIGEOIS  1499 

témoin  son  curé  ou,  en  l'absence  de  celui-ci,  un  autre  prêtre 
et  quelques  autres  personnes  de  réputation  intacte.  Les  testa- 
ments faits  autrement  seront  sans  valeur  ^. 

17.  Aucun  prélat,  baron  ou  seigneur  ne  doit  confier  aux  héré- 
tiques ou  à  leurs  adeptes  une  place  de  bailli  ou  d'intendant;  ils 
éloigneront  aussi  de  leur  service  et  de  leurs  conseils  tout  héréti- 
que et  toute    personne    suspecte   d'hérésie. 

18.  Seront  regardés  comme  diffamés  d'hérésie  ceux  que  la 
voix  publique  désigne  comme  hérétiques,  ou  dont  la  mauvaise 
réputation  auprès  des  personnes  honorables  aura  été  prouvée 
légalement  par-devant  l'évêque. 

19.  Les  privilèges  et  les  libertés  de  l'Eglise  et  des  maisons  re- 
ligieuses seront  soigneusement  respectés;  on  paiera  exactement 
la   dime  et  les  prémices. 

20.  On  ne  doit  pas  imposer  de  tailles  aux  clercs  à  l'occasion 
[983]  des  héritages,  à  moins  qu'ils  ne  soient  (clercs  des  degrés  infé- 
rieurs) marchands  ou  mariés.  Si  un  clerc  hérite  d'un  fief  ou  d'un 
bien  grevé  d'un  cens,  il  remplira  les  obligations  et  les  devoirs 
inhérents  à  cette  possession,  mais  sera  exempt  d'autres  tailles 
ou  charges. 

21.  Clercs,  moines,  pèlerins,  soldats  n'ont  à  payer  de  droits 
de  péage  que  s'ils  sont  marchands.  On  ne  doit  réclamer  que 
les  droits  de  péage  accoutumés;  celui  qui  demandera  davantage 
sera  puni  par  l'évêque  diocésain. 

22.  Ceux  qui  perçoivent  des  droits  de  péage  doivent  pourvoir 
à  l'entretien  et  à  la  sûreté  des  routes  et  à  la  réparation  des  dégâts, 
à  part  ceux  occasionnés  par  les  guerres. 

23.  Aucun  laïc  ne  doit  lever  de  tailles  sur  les  gens  attachés  à 
des  églises  ou  au  service  des  clercs , sauf  s'ils  ont  des  propriétés  à  eux. 

24.  Celui  qui  se  sera  saisi  d'un  clerc,  même  simplement  tonsuré, 
pour  un  crime  ou  autre  motif,  en  donnera  avis  au  curé  du  lieu 
qui  préviendra  l'évêque;  sur  l'ordre  de  l'évêque  ou  de  l'archi- 
diacre, le  clerc  sera  immédiatement  remis  à  la  justice  ecclésias- 
tique  pour  être  jugé  par  elle.  Sinon,  le  coupable  sera  excommunié. 

25.  Les  paroissiens,  en  particulier  le  maître  et  la  maîtresse  de  cha- 
que maison,  devront  venir  à  l'église,  les  dimanches  et  fêtes,  assister 
au  sermon  et  à  toutroiïice  divin.  Ils  ne  sortiront  pas  avant  la  fin 
de  la  messe.  Si,  pour  quelque  raison  plausible,  l'un  des  deux  ne  peut 

1.  Voir  concile  de  Narbonne,  1227,  can,  5. 


1500  LIVRE     XXXVl,    CHAPITRE     II 

venir,  l'autre  ne  devra  pas  manquer.  Celui  qui  manquera  sans 
motif  payera  douze  deniers  de  Tours,  à  partager  entre  le  sei- 
gneur du  lieu  et  le  prêtre  ou  l'église.  Le  samedi,  à  l'heure 
des  vêpres,    on    visitera  l'église  en  l'honneur  de  la  Vierge  Marie. 

26.  Les  jours  de  fête  sont  :  Noël,  saint  Etienne,  saint  Jean 
l'Evangéliste,  les  saints  Innocents,  saint  Sylvestre,  la  Circon- 
cision, l'Epiphanie,  la  Purification,  l'Annonciation,  l'Assomption 
et  la  Nativité  de  la  sainte  Vierge,  Pâques  et  les  deux  jours 
suivants,  les  trois  jours  des  Rogations,  la  Pentecôte  et  les 
deux  jours  suivants,  la  Nativité  de  saint  Jean-Baptiste, 
l'Invention  et  l'Exaltation  de  la  sainte  Croix,  les  fêtes  des 
douze  apôtres,  sainte  Marie-Madeleine,  saint  Laurent,  saint  Mar- 
tin, saint  Nicolas,  saint  Michel,  la  Dédicace  et  le  titulaire  de 
chaque  église    (manque  la  fête  de  l'Ascension  de  Notre-Seigneur). 

27.  Ces  jours  sont  chômés  et  annoncés  au  peuple  le  dimanche 
précédent. 

28.  Toute  personne  âgée  de  quatorze  ans  jurera  de  garder 
la  paix  et  renouvellera  ce  serment  tous  les  trois  ans. 

29.  Celui  qui  rompra  la  paix  et  commencera  des  hostilités 
sera  excommunié  et  exclu  de  la  paix,  s'il  ne  s'amende  dans  un 
délai  de  quinze  jours  à  compter  de  la  monition  et  s'il  ne  répare 
les  dommages  causés.  Tout  le  monde  pourra  l'attaquer  ainsi  que 

ses  hommes,   ses  domaines  seront  occupés  militairement,  jusqu'à  [9841 
ce  qu'il  vienne    à  résipiscence,   et     ses    revenus  seront  employés 
à  la  réparation  des  torts  occasionnés  par  lui. 

30.  S'il  est  fait  prisonnier,  ses  biens  seront  confisqués,  et  le 
seigneur  décidera  de  sa  personne. 

31-35.    Mesures  contre  ceux  qui  rompent  la    paix. 

36.  Défense  de  recevoir  des  voleurs  ou  des  ruptuaires. 

37.  On  prêtera  serment  contre  les  violateurs  de  la  paix,  à 
savoir  Guillaume,  seigneur  de  Petra  Pertusa,  Gausserand  qui 
possède  Puy-Laurent,  et  Raymond  de  Mort.  Ils  sont  excom- 
muniés, à  tout  jamais  déshérités  et  ne  pourront  être  absous 
que  par  le  pape  ou  son  légat. 

38.  Les  barons, châtelains  et  bourgmestres  des  villes  et  des  campa- 
gnes ne  formeront  ni  conjurations  ni  ligues,  sous  peine  d'amendes  ^. 

1.  Les  hommes  libres  des  communes  formaient  souvent^  soit  pour  se  défendre, 
Boit  pour  attaquer,  des  communiee,  conjwationes,  dirigées  contre  la  vieille  no- 
blesse; «  en  France  ces  ligues,  qui  se   servaient  de   moyens    révolutionnaires. 


656.    AUTRES    CONCILES    DE    1228    A     1230  1501 

39.  Quiconque  s'emparera  d'un  château  ou  d'une  idlla  tenus 
en  fief  de  l'Église  ou  du  roi,  sera  puni  par  la  confiscation  des 
biens  et  l'excommunication. 

40.  Nul  ne  doit  prendre  par  violence  le  bien  d'autrui;  on  fera 
valoir  ses  droits  devant  le  juge. 

41.  Dans  l'intérêt  de  la  paix,  défense  de  bâtir  de  nouveaux 
châteaux  sous  le  prétexte  de  protéger  les  hovaria,  ou  pour  tout 
autre  motif,  et  de  relever  les  fortifications  ruinées. 

42.  Les  femmes,  veuves  ou  héritières,  qui  possèdent  des  places 
fortes  ou  des  châteaux  ne  doivent  pas  se  marier  avec  des  enne- 
mis  de  la  foi  et  de  la  paix. 

43.  Aucun  juge  ne  doit  exiger  de  l'argent  pour  rendre  la 
justice. 

44.  La  curie  devra,  si  la  cause  l'exige,  donner  un  avocat  aux 
plaideurs  trop  pauvres  pour  en  avoir  un. 

45.  Les  présentes  ordonnances  seront  expliquées,  quatre  fois 
par   an,  par  les  curés  à  leurs  paroissiens. 


656.  Autres  conciles  de  1228  à  1230. 

Peu  après  le  concile  de  Toulouse,  le  légat  convoqua  à  Orange  ^  un 
concile  qui  s'occupa  des  mêmes  affaires;  nous  en  connaissons  l'exis- 
[9851  t^ïice  par  Guillaume  de  Puy-Laurent.  A  la  suite  de  cette  assemblée 
le  légat  donna  à  l'archevêque  de  Toulouse  des  lettres  de  pénitence 
destinées  à  ceux  qui,  après  l'enquête  de  Toulouse,  étaient  soup- 
çonnés d'hérésie;  l'archevêque  les  publia  dans  l'église  Saint- 
Jacques.  Le  légat  reprit  ensuite  la  route  de  Rome,  emportant 
les  procès-verbaux  de  cette  enquête  pour  que  les  noms  des  dénon- 
ciateurs ne  fussent  pas  connus  et  ceux-ci  par  conséquent  expo- 
sés à  la   vengeance.   En   Espagne,  depuis  le   concile   de    Gérone 


parvinrent,  surtout  dans  les  villes  épiscopales,  à  avoir  leur  part  dans  le  gouver- 
nement de  la  cité.  Les  rois  de  France  favorisèrent  ce  mouvement,  qui  eut  pour 
résultat  final  de  médiatiser  les  princes  évêques  français  et  d'augmenter  dans 
de  grandes  proportions  la  puissance  do  la  royauté.»   Hist.  polit.  Blciltcr,  t.   li, 

p.  507. 

1.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  427;  Percin,   Monum.   conv.  prsedic.Tolos.,  1693, 

t.  11,  p.  34;Hardouin,  Cenc.  coll.,  t.  vu,  col.  183;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1245; 

Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  205.  (H.  L.) 


1502  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE   U 

célébré  en  1197,  on  ne  peut  signaler  aucun  synode  proprement 
dit;  cependant,  sur  l'avis  et  avec  l'approbation  des  évê([ues, 
les  princes,  à  l'occasion  de  réceptions  à  la  cour,  publièrent 
une  série  de  constitutions  relatives  à  des  questions  ecclésias- 
tiques :  ordonnances  contre  les  hérétiques,  ordonnances  desti- 
nées à  la  protection  des  personnes  et  des  choses  de  l'Eglise, 
etc.  ^.  Cependant,  à  l'époque  dont  nous  nous  occupons,  le  légat 
du  pape,  le  cardinal-évêque  Jean  de  Sabine,  célébra  plusieurs 
conciles  importants  dont  le  but  principal  l'ut  le  rétablissement 
de  la  discipline  et  l'application  des  décisions  du  IV^  concile 
de   Latran, 

Le  premier  de  ces  conciles  se  tint  à  Valladolid  en  1228;  tous 
les  évêques  du  Léon  et  de  la  Castille  y  assistèrent.  Dès  le  début, 
on  prescrivit  l'observation  rigoureuse  de  toutes  les  prescriptions 
du   IV^  concile  de  Latran  ^. 

1.  Deux  fois  par  an,  on  célébrera  des  synodes  diocésains,  le 
lendemain  de  la  fête  de  saint  Luc  et  le  lundi  après  le  deuxième 
dimanche  après  Pâques;  secle  çacante, les  archidiacres  tiendront 
ces  réunions. 

2.  Dans  toute  cathédrale,  on  désignera  les  personnes  les  plus 
capables  pour  prêcher  et  entendre  les  confessions.  Dans  clia- 
que  église  de  monastère,  l'évcque  choisira  de  même  un  des 
moines  les  plus  aptes  à  remplir  cet  ofîice. 

3.  Tous  les  bénéficiers  devront  connaître  le  latin;  ils  pourront 
être  dispensés  pendant  trois  ans  de  la  résidence,  pour  s'adonner 
à   des  études  en  vue  du  service  de  l'Eglise. 

4.  Dans  le  premier  synode  diocésain,  chaque  évoque  devra 
suspendre  les  clercs  qui  possèdent  encore  des  concubines.  Ces 
clercs  seront  excommuniés  et,  en  cas  de  mort,  ne  recevront  pas 
la  sépulture  ecclésiastique,  leurs  noms  seront  ])ubliés  pendant 
le  service  divin.  Les  concubinaires  obstinés  perdront  leurs  béné- 
fices d'après  les  ordonnances  du  concile  de  Latran,  leurs  fils  se- 
ront déchus  de  leur  héritage  et  déclarés  inaptes  à  embrasser  l'état 
ecclésiasli<|ue. 


1.  Pierre  de  Marca,  Concord.  saca-d.  et  imper.,  Parisiis^  1G88,  I.  IV,  p.  520; 
Append.,  p.  1397,  140G,  1412,  1417,  etc. 

2.  H.  Florez,  Espana  sagrada,  contin.  Manuel  Risco,  Madrid,  1877,  t.  xxxvi  ; 
Tejada  y  Ramiro  (f  18G3),  Coleccion  de  concilios,  t.  m,  p.  324-399;  Garas, 
Kirchengeschichle  <f'on  Spunieti,  Ratisbonnc,  187G,  vol.  m,  p.  143. 


656.  AUTRES  CONCILES  DE  1228  A  1230         1503 

[986[  0.  Les  clercs  devront  s'abstenir  de  LouL  excès  de  nourriture 
et  de  boisson,  n'exercer  aucun  métier  indigne,  éviter  toute  so- 
ciété suspecte,  ne  pas  jouer  pour  un  gain  quelconque  et  ne  pas 
fréquenter  les  cabarets.  Ils  porteront  la  tonsure  et  des  vêtements 
convenables. 

6.  Les  ustensiles  de  l'Eglise  devront  être  conservés  en  bon 
état,  l'eucbaristie,  le  saint  chrême  et  l'huile  sainte  seront  gar- 
dés avec  le  plus  grand  soin,  et  les  saintes  hosties  renouvelées 
tous  les  huit  jours. 

7.  Tout  clerc  devra  recevoir  l'ordination  nécessaire  pour  rem- 
plir   son  ministère  et  requise  par  son  bénéfice. 

8.  Les  Maures  et  les  Juifs  devront  aussi  acquitter  les  dîmes 
et  offrandes  dues  pour  les  biens  qui  leur  viennent  des  chré- 
tiens. 

9.  La  consécration  des  évêques,  la  bénédiction  des  abbés  et 
l'ordination  des  clercs    seront  conférées   gratuitement. 

10.  Défense  de  rien  exiger  pour  les  obsèques  et  la  bénédic- 
tion des  mariages;  mais  on  maintiendra,  par  contre,  les  louables 
coutumes  des  laïcs  (dons  volontaires). 

11.  Les  supérieurs  des  monastères  ne  changeront  pas  de 
siège  sans  la  permission  de  l'évêque. 

12.  Les  moines  ne  porteront  pas  de  costume  laïque,  ils  no 
posséderont  aucun  bien  propre  et  n'habiteront  pas  en  dehors  de 
leur  monastère. 

13.  Les  clercs  coupables  de  crimes  seront  soumis  à  un  juge- 
ment ecclésiastique  et  dégradés  à  perpétuité. 

14.  Défense  de  diviser  les  prébendes. 

Vers  la  fin  de  cette  même  année  1228,1e  roi  Jacques  P^  d'Ara- 
gon tint  à  Barcelone  une  curie  générale  en  présence  de  l'archevê- 
que de  Tarragone  et  des  évêques  de  Barcelone, de  Yich  et  de  Gé- 
rone.  On  s'y  occupa  surtout  de  prendre  des  mesures  contre  les 
usuriers  juifs  ^.  Il  fut  décidé  que  les  Juifs  ne  pourraient  prendre 
au  delà  de  20°/o  d'intérêts  annuels,  que  leur  serment  en  vue  du 
recouvrement  des  dettes  n'aurait  aucune  valeur  et  on  leur  défendit 
d'aN  oir  chez  eux  aucun  domestique  chrétien.   On  promit  au   roi 


1.  Le  roi  Louis  de  France  prit  en  1230,à  Meaux,des  mesures  analogues  contre 
les  usuriers  juifs  et  chrétiens.  Cf.  Albéric  de  Trois-Fontaincs,  dans  Monum. 
Germ.  hial.,  Script.,  t.  xxni,  p.  927. 


1504  LIVRE     XXXVl,  CHAPITRE    II 

Pierre  de  Catalogne  de  venir  à  son  secours  pour  chasser  les  Sarra- 
sins et  on  renouvela  les  décisions  antérieures  sur  la  paix. 
Puis  on  décida  une  expédition  pour  reprendre  les  Baléares 
aux  Sarrasins;  elle  eut  lieu  en  eiïet  en  1230. 

Le  29  mars  1229,1e  cardinal-légat  Jean  ouvrit  le  très  impor- 
tant  concile   de   Lérida  ^   (province   de   Tarragone)   pour  rétablir   [987] 
la  discipline  ecclésiastique  dans  cette  ville. 

Y  assistaient  :  l'archevêque  Sperago  de  Tarragone,  les  évêques 
de  Barcelone,  Gérone,  Vich,  Urgel,  Lérida,  Tortose  et  Huesca. 
Les  37  canons  de  ce  concile,  que  l'on  avait  crus  perdus,  se 
rapprochent  beaucoup  de  ceux  de  Valladolid,  et  comme  eux  ont 
surtout  pour  but  de  promulguer  les  décisions  du  IV^  concile 
de  Latran. 

Avant  tout  ils  prescrivent  la  tenue  régulière  de  conciles 
provinciaux  et  diocésains  (can.  1  de  Valladolid).  Dans  toutes 
les  églises  cathédrales  et  collégiales  les  évêques  désigneront 
un  prêtre  spécialement  chargé  des  prédications  et  d'entendre 
les    confessions. 

Dans  chaque  archidiaconé,  on  créera  des  écoles  et  on  installera 
des  professeurs  de  grammaire  auxquels  les  évêques  assigneront 
une  rétribution  convenable. 

Les  bénéficiers  trop  peu  instruits  dans  la  langue  latine  seront 
suspens  et  obligés  de  fréquenter  l'école  pendant  trois  ans. 
Personne  ne  pourra  recevoir  les  ordres  supérieurs  s'il  ne  con- 
naît le  latin. 

Décisions  contre  les  concubinaires  (can.  4  de  Valladolid). 

Les  laïcs  cjui  ne  recevront  pas  au  moins  une  fois  par  an  la 
sainte  communion  seront  excommuniés  et  privés  de  la  sépul- 
ture ecclésiastique. 

La  dîme  est  obligatoire  pour  les  Juifs  et  les  Sarrasins  (can.  8 
de  Valladolid). 

Toute  église  paroissiale  devra  avoir  son  curé;  deux  paroisses 
ne  pourront  être  réunies  dans  une  seule  main  que  si  cette  mesure 
est  reconnue    nécessaire   pour    subvenir   à   l'entretien   du   curé. 


1.  D'Aguirre,  Conc,  Hispan.,  t.  ni,  col.  491;  t.  v,  col.  184;  Coleti,  Concilia, 
t.  XIII,  col.  1245;  Mansi,  Coiic,  ampl.  coll.,  t.  xxiii,  col.  205;  Florez,  Espana 
sflgr«(/«,  t.  xLViii,  p.  308-325;  Tejada  y  Ramiro,  op.  cit.,  t.  m,  p.  329;  Gams, 
op.  cit.,  t.  III;  part.  2,  p.  321.  (H.  L.) 


656.  AUTRES  CONCILES  DE  1228  A  1230  1505 

On  placera  à  la  tcte  de  chaque  paroisse  un  seul  curé,  et  plu- 
sieurs clercs,  et  c'est  ce  curé  qui  recevra  les  oiîrandes  pour  les 
confessions. 

Ce  n'est  pas  le  patron,  mais  l'évêque  qui  donne  la  charge  d'âmes. 

Suivent  des  prescriptions  analogues  aux  canons  10-14  de  Val- 
ladolid. 

Tous  les  dimanches  on  pii]»licra  l'excommunication  contre 
les  chrétiens  cjui,  soit  par  eux-mêmes,  soit  par  des  tiers,  vendent 
aux  Sarrasins  des  armes,  des  chevaux  ou  tout  autre  denrée. 
Seront  également  excommuniés  tous  les  chrétiens  qui  prendront 
du  service  dans  les  armées  des  Sarrasins  ou  leur  vendront  des 
chrétiens  comme  esclaves. 

Un  mois  plus  tard  (29  avril  1229),  le  même  cardinal-légat  célé- 
bra un  concile  encore  plus  important  à  Tara  zona  dans  la  pro- 
vince de  Saragosse  ^.  Y  assistèrent  les  archevêques  de  Tolède  et  de 
Tarragone,  et  dix  autres  évêques  des  provinces  de  Castille  et 
d'Aragon.  Le  principal  objet  des  délibérations  fut  la  nullité  du 
mariage  du  roi  Jacques  1^^'  d'Aragon  avec  Eléonore  de  Castille, 
[988]  célébré  en  1221.  Ce  mariage  fut  cassé  à  cause  de  la  proche  pa- 
renté des  deux  époux,  tous  deux  arrière-petits-fils  d'Alphonse; 
toutefois  le  prince  Alphonse,  né  de  cette  union,  fut  reconnu 
légitime,  en  raison  de  la  bonne   foi  des  époux  putatifs. 

L'archevêque  Sparago  tint  à  Tarragone,  le  1^^  mai  1230,  un 
autre  synode,  dont  nous  savons  c£u'il  a  promulgué  divers  statuts 
réformateurs  ". 

Le  même  jour  que  le  concile  de  Tarazona,  (29  avril  1229), 
un  autre  concile  fut  célébré  à  Westminster.  Le  pape  Grégoire  IX 
y  demanda  cjue,  dans  toute  l'Angleterre,  l'Irlande  et  le  pays  de 
Galles,  on  payât  la  dîme  pour  les  biens  meubles.  En  même  temps 
on  invita  tous  les  clercs  et  tous  les  laïcs  à  continuer  la  lutte 
contre  l'empereur  Frédéric  ^. 

1.  Tarazona,  province  de  Saragosse.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  437-438;  Har- 
douin,  Conc.colL,  t.  vu,  col.  183;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1247;  Aguirre,  Cane. 
Ilispan.,  t.  V,  p.  184-187;   Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxin,  col.  205.  (H.  L.) 

2.  Martène,  Thés.  nov.  anecd.,  \1\1,  t.  iv,  p.  284;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col. 
1245-1251;  Aguirre,  Conc.  Ilisp..  t.  v,  p.  187;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col. 
183;  Mansi;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  200-214;  Vlore/.,  Es pail a  sagrada, 
t.  xi.ix,  p.  167;  Tejada  y  Ramiro,  op.  cit.,  t.  m,  p.  348;  Ganis,  o/).  cil.,  t.  m, 
part.  1,  p.  223  sq. 

3.  Wilkins,  Conc.  Britann.,  t.  i,  p.  622-623;  Haddan-Stubbs,  Councils  and 
eccles.  docum.,  t.  i,  p.  462. 

GO.VJILSS   -  V  -  9  5 


1506  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    II 

Dans  les  derniers  mois  de  1228,  au  plus  fort  du  conflit  entre  le 
pape  et  l'empereur  et  tandis  que  ce  dernier  était  encore  en 
Palestine,  Grégoire  IX  envoya  en  Allemagne  le  cardinal-diacre 
Otton  de  Saint-Nicolas,  pour  y  divulguer  l'excommunication 
prononcée  contre  Frédéric  et  remédier  à  de  nombreux  abus. 
Le  cardinal  aurait  eu  aussi  pour  mission  de  pousser  Otton, 
duc  de  Brunswick-Lunebourg  et  neveu  de  l'ancien  empereur 
Otton  IV,  à  se  faire  proclamer  roi  contre  Frédéric  II  et  contre 
son  fils,  et  l'Angleterre  aurait  favorisé  ce  mouvement,  tout 
comme  autrefois  l'élection  d'Otton  IV.  Mais  le  duc  refusa  de 
marcher  sur  les  traces  de  son  oncle  ^.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  jeune 
roi  Henri  voulut  interdire  au  légat  d'entrer  en  Allemagne  et 
n'y  consentit  qu'après  le  début  des  négociations  qui  amenè- 
rent la  paix  de  San  Germano,  Du  coup,  tombait  la  mission  de 
publier  en  Allemagne  l'excommunication  contre  Frédéric.  Aussi 
le  légat  tourna-t-il  tous  ses  efforts  vers  la  réforme  des  monastères  [989J 
allemands,  qu'il  fit  visiter  par  des  religieux  de  Cîteaux  et  de  Saint- 
Dominique  munis  de  pleins  pouvoirs.  Les  réformes  imposées  et 
les  punitions  infligées  déplurent  fort  aux  réguliers,  bien  irrégu- 
liers cependant;  ainsi,  à  Saint-Gall,  à  Reichenau  et  à  Erfurt, 
ces  réformes  soulevèrent  une  violente  opposition;  à  Liège, 
le  légat,  ayant  voulu  faire  disparaître  la  choquante  inégalité  qui 
existait  entre  les  revenus  des  canonicats,  rencontra  une  telle 
résistance  qu'il  jeta  l'interdit  sur  la  ville  ^. 

C'est  sans  doute  à  propos  de  l'agitation  provoquée  par 
cette  mesure^ que  l'évêque  Jean  de  Liège  célébra,  le  2  juin  1230, 
un  grand  synode  à  Huy  *.  Après  un  séjour  de  quelques  mois  en 
Danemark,  où  il  termina  heureusement  le  conflit  concernant 
l'évêché  de  Riga,  le  légat  revint  à  Cologne  pour  la  Noël  de 
1230;  c'est  de  là  qu'il  lança  les  convocations  à  un  concile 
général     allemand     à    Wurzbourg.     Cette    assemblée   s'ouvrit   au 


1.  Annal.  Colon,  max.,  dans  Monum.Germ.  hist.,  Script.,  t,  xvii,  p.841  ;  Win- 
kelmann,  Friedrich  II,  t.  i,  p.  319  sq. 

2.  D'après  les  Annal.  Colon.  Max.,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvi, 
p.  841,  le  légat  avait  déjà  frappé  d'excommunication  dès  1228  les  villes  de  Liège 
et  d'Aix-la-Chapelle  à  cause  de  leur  attitude  hostile  à  son  égard. 

3.  Albéric  de  Trois-Fontaines,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xxiii^ 
p.  926;  t.  xvi^p.  680. 

4.  Huy,  province  de  Liège.    (H.   L.) 


656.  AUTRES  CONCILES  DE  1228  A  1230        1507 

commencemenl  de  1231,  mais  ne  compta  que  peu  de  prélats,  car  les 
princes    allemands,    à  commencer   par  le   roi    Henri,    se  montrè- 
rent   hostiles  et  le  duc  Albert  de   Saxe  envoya    une   circulaire  à 
tout  le  haut  clergé   allemand,   l'exhortant    à  conserver   ses  anti- 
ques libertés  et  à  se  défier  de    Rome    et    de   ses    légats  ^.    Cette 
lettre,  lue  devant  le  concile,  y  causa  un  tel  trouble  que  le  légat 
fut  obligé  de  congédier   les    membres    de   l'assemblée.    L'inspira- 
teur   de    cette     circulaire    était    l'évêque    Engelhard    de  Naum- 
bourg;    le    légat    le    frappa    de    suspense,    et    le    pape    confirma 
cette    sentence    par   une  lettre    du    G   décembre   1232  à  l'évêque 
Conrad  d'Hildesheim,   à    moins  qu'Engelhard   ne   pût    se  purger 
de     cette    accusation  ^.    Aussitôt    après,    le    légat  convoqua    un 
synode    provincial    à    Mayence,    pour    essayer    sur    un    théâtre 
plus  modeste  ce  qu'il  n'avait  pu  faire  à  Wurzbourg.  Mais  Conrad, 
abbé  de  Saint-Gall  et  l'un  des  plus  intimes  conseillers  du  jeune 
roi,  fit  encore  échouer  cette  tentative;    Henri  défendit,   sous  les 
peines  les   plus   sévères,   d'assister  à   un    synode    convoqué  par 
d'autres  que  par  les  évêques  allemands.    Le   légat,    accompagné 
de   l'abbé   de    Saint-Gall,    se   rendit   à    Ratisbonne   d'où  il  rega- 
gna l'Italie.   Quelques   historiens   ont  avancé   que  ce  légat  était 
allé    trop   loin   dans    son    opposition    contre   les     Hohenstaufen, 
[990J  et  même  avait  pris  part  à  la  trahison  du  duc  de  Bavière  (1229); 
cette  supposition  est   inadmissible,    car   plus    tard   le    pape    put 
confier  au   même   prélat   une   négociation   à  suivre  avec  l'empe- 
reur Frédéric,  à  propos   de  l'affaire  des  Lombards  ^. 


1.  La  lettre  du  duc  Albert^  dans  Albéric  de  Trois-Fontaines^  dans  Monum. 
Germ.  hist.,  Script.,  t.  xxiii/p.  928;  Monum.  Germ.  hist.,  Epist.  xiii'  s.,  t.  i, 
n.  496. 

2.  Scheid,  Orig.  Guelf.,  t.  iv,  p.  33.  (H.  L.) 

3.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  m,  p.  416,  448;  Bohmer, 
Kaiserregesten  unter  Philipp,  p.  377-379;  Forschungen  zur  deutschen  Geschichte, 
t.  viii^  p.  47  sq.  ;  Schirrmacher,  Die  Mission  des  Cardinaldiakons  Otto  v'on 
St  Nikolaus  in  carcere  Tulliano,  in  den  Jahren  122S  bis  1231. 


1508  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE     II 


657.  Frédéric  II  et  Grégoire  IX  de  1230  à  1239. 

On  a  dit  à  tort  qu'après  la  paix  de  San  Germano,  Grégoire  IX 
avait  harcelé  sans  relâche  l'empereur  de  sa  malveillance.  Les 
documents  prouvent  le  conLraire.  Si  le  pape  blâma  Frédéric  — 
et  il  devait  le  faire  —  de  se  dérober  à  l'amnistie  promise  en  diffé- 
rant les  garanties  stipulées,  l'empereur  accabla  telles  villes  et 
tels  personnages,  ses  adversaires,  pendant  qu'il  était  excommunié, 
et  confisqua  plusieurs  biens  aux  chevaliers  du  Temple  et  à  ceux 
de  Saint- Jean.  Malgré  ces  écarts,  le  pape  aida  l'empereur  à 
réduire  les  Lombards  à  l'obéissance  et  seconda  ses  plans  en  Pa- 
lestine et  en  Allemagne  ^, 

Après  la  croisade  et  sa  paix  faite  avec  le  pape,  Frédéric  voulut 
améliorer  par  de  nouveaux  codes  de  lois  la  situation  de  ses  Etats. 
Il  nomma  donc  chancelier  d'Allemagne  Siegfried,  évéque  de 
Ratisbonne,  le  plaçant  auprès  du  jeune  roi  Henri,  et  au  printemps 
de  1231  lui  fit  publier  à  Worms  plusieurs  lois  de  la  plus  haute  [991] 
importance.  Comme  son  grand-père  Barberousse,  Frédéric,  en- 
nemi-né des  libertés  municipales,  cherchait  à  les  balancer  ^,  en 
augmentant  la  force  des  princes.  Aussi  les  édits  de  Worms  ne  se 
contentaient  pas  de  réduire  les  droits  des  villes,  ils  attribuaient 
aux  princes  des  privilèges  jusqu'alors  réservés  à  l'empereur. 
Les  terres  de  l'empire  avaient  beaucoup  diminué  depuis  les  lut- 
tes entre  Otton  IV  et  Philippe  de  Souabe  :  c'étaient  maintenant 
les  droits  de  l'empire  qui  étaient  donnés  aux  princes  par  Frédéric, 
et  un  grand  pas  vers  cette  souveraineté  proprement  dite 
que  les  princes  d'Allemagne  ^  devaient  posséder  plus  tard;  tou- 
tefois les  édils  de  Worms  déclaraient  que  les  princes  ne  pour- 
raient   publier    des    lois    qu'avec    l'assentiment   des    meliores   et 


1.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  ii,  p.  245,  246,  247,  255,  264, 
265,  266,  267,  280,  282,  498;  t.  iv,  p.  377  sq.,  479,  481  sq.;  Monum.  Germ.  hisl., 
Episi.  xiii'  s.,  t.  I,  n.  421-423,  425-431,  435,  439,  440-442,  467,  468;  sur  l'exécu- 
tion par  Frédéric  des  stipulations  du  traité  de  San  Germano,  cf.  Winkelmann, 
Friedrich  II,  t.  i,  p.  341  sq. 

2.  Disons  donc  à  les  détruire.  (H.  L.) 

3.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  m,  p.  444,  445,  457,  460,  461;  Monum.  Germ. 
hist.,  Leges,  t.  u,  p.  282;  Winkelmann,  Friedrich  II,  t.  i,  p.  394  sq. 


057,     l-RÉDÉRIC     II     ET    GRÉGOIRE    IX  1509 

des  tna/ores  (c'était  le  th'liul  des  assemblées  parlementaires  en 
Allemagne). 

Quelques  mois  aj)rès  (août-se|)tenil)re  1231),  l'empereur  puhlia 
à  Melli  un  nouveau  code  pour  son  royaume  héréditaire  des 
Deux-Siciles  ^.  A  côté  d'excellentes  prescriptions  pour  l'ordre, 
la  sécurité  des  routes,  etc.,  ce  code  en  contenait  d'autres  qui 
favorisaient  singvdièrement  le  pouvoir  absolu  du  roi  aux 
dépens  du  pouvoir  ecclésiastique;  à  la  différence  des  édits  de 
Worms,  il  centralisait  tous  les  pouvoirs  dans  la  personne  du  roi  ^. 

Dès  la  première  nouvelle  des  projets  de  Frédéric,  le  pape 
l'avait  fait  avertir,  ainsi  que  son  confident,  l'archevêque  de  Ca- 
poue;  mais  comme  Frédéric  se  montra  froissé  de  cet  avertisse- 
ment, Grégoire  s'efforça  d'effacer  cette  fâcheuse  impression  ^.  Sur 
son  conseil,  l'empereur  réunit,  le  l<^r  jjQyejj^]jj.g  1231,  une  grande 
diète  à  Ravenne,  afin  de  consolider  la  paix  dans  l'empire  et  de 
terminer  les  conflits  entre  les  cités  italiennes.  Auparavant, 
Frédéric  ayant  donné  au  pape  l'assurance  qu'il  n'empiéterait 
ni  sur  les  droits  de  l'Eglise  ni  sur  ceux  de  la  Ligue  lombarde, Gré- 
goire  IX  engagea  les  chefs  de  la  ligue  à  ne  pas  entraver  la  diète 
et  à  donner  passage  à  travers  la  Lombardie  au  jeune  roi  Henri 
[992]  et  aux  jirinces  allemands  *  qui  se  rendaient  nombreux  à  Ravenne. 

1.  Constilutiones  nove,  que  Augustales  dicuntur,  apud  Melfiam  augusto  maii' 
dante  conduntur .  Cf.  Brandileone,  Il  diritto  romano  nelle  leggi  normanne  e  sueve 
del  regno  di  Sicilia,  Torino,  1884.  (H.  L.) 

2.  Huillard-Bréliolles,  op.  cit.,  t.  iv,  p.  1-178,  Iiitrod.,  p.  cdvi;  Raumer,  Holien- 
slaufen,  t.  m,  p.  462;  ^^  inkelmann,  op.  cit.,  t.  i,  p.  346  sq. 

3.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  m,  p.  289  sq.,  498  sq.;  Monum.  Germ.  hist., 
EpisL,  t.  I,  11.  443,  447. 

4.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  iv,  p.  266-268;  Mon.  Germ. 
hist.,  Epist.,  t.  I,  II.  452,  454,  455,  457,  prétend  conclure  de  ces  paroles  du  pape  : 
«  Dans  le  cas  où  la  rencontre  de  l'empereur  avec  son  fils  viendrait  malheureu- 
sement (minus  provide)  à  être  empêchée  par  les  Lombards,  on  ne  devrait  cepen- 
dant pas  croire  qu'il  fût  personnellement  pour  quelque  chose  dans  cette  conduite 
des  Lombards,»  que  Grégoire  IX  n'a  pas  agi  d'une  manière  honorable  et  a  voulu 
détourner  toute  accusation  pour  le  cas  où  cette  entrevue  serait  empêchée  d'une 
manière  par  trop  brutale.  Mais  le  pape  s'opposa  à  tout  cinpêchement  apporté 
à  cette  rencontre,  toute  entrave  lui  parut  être  minus  provida  et  il  ordonna  d'une 
manière  générale  aux  chefs  des  Lombards  :  ne  eidem  (au  roi  Henri)  ad  hoc  (c'est- 
à-dire  pour  le  voyage)  impedimcnlum  patiantur  oppuiii:  il  leur  recommandait 
expressément  de  laisser  leur  roi  et  son  escorte  voyager  librement  dans  toute  la 
Lombardie.  Cf.  à  ce  sujet  en  particulier  les  lettres  du  pape  giux  évêques  de 
Reggio,  de  Modène,  de  Mantoue  et  de  Brixen.  Monum.  Germ.  hist.,  Epist.,  t.  i, 
n.  452,  454,  455,  456. 


1510  LIVRE     XXXVI,    CHAPITRE    II 

Cependant  le  roi  Henri  resta  avec  son  escorte  en  deçà  des  Alpes, 
non  que  les  Lombards  lui  en  eussent  fermé  les  dclilés,  mais 
parce  que  le  jeune  prince  songeait  dès  lors  à  s'émanciper 
de  l'autorité  de  son  père.  Le  moment  lui  parut  favorable  : 
les  Lombards  avaient  recommencé  les  hostilités  contre  l'empe- 
reur et  le  bruit  courait  que  l'empereur  avait  fait  massacrer  Louis, 
duc  de  Bavière.  Le  16  septembre  1231,  le  duc  avait  été  assassiné 
à  Kelheim  sur  le  pont  du  Danube  (au-dessus  de  Ratisbonne) 
par  un  inconnu  à  qui  les  tortures  ne  purent  arracher  le  nom  d'un 
complice;  on  le  tint  pour  un  cn^•oyé  du  Vieux  de  la  montagne 
avec  lequel  Frédéric  était  très  lié  ^. 

Dans  ces  circonstances,  la  diète  de  Ravenne  ne  pouvait  pas 
donner  de  résultats;  Frédéric  y  déclara  les  Lombards  au  bande 
l'empire  et  publia  plusieurs  lois.  11  promulgua  alors  le  célèbre  édit 
contre  V autonomie  des  villes  épiscopales  destiné  à  détruire  les 
commencements  des  libertés  municipales  et  politiques  dans  les 
villes  et  à  les  ramener  complètement  sous  la  puissance  des  évê- 
(jues.  Quatorze  ans  plus  tard,  lorsqu'un  grand  nombre  d'évcques 
eut  abandonné  son  parti,  il  s'en  vengea  en  abrogeant  son  édit  et 
il  commença  à  favoriser  les  villes  ^.  Un  second  édit  contre  les 
hérétiques  n'est  que  la  simple  reproduction  des  art.  5  et  6  du  dé-  [993] 
cret  publié  lors  du  couronnement  (novembre  1220).  Dans  un 
troisième  édit,  l'empereur  prend  sous  sa  protection  spéciale  les 
dominicains  inquisitores  hœreticœ  pravitatis  pour  toute  l'Alle- 
magne, les  recommande  aux  fidèles,  et  parle  des  hérétiques  de 
manière  à  rendre  jaloux  Torquemada.  Il  regarde  comme  son 
devoir  le  plus  sacré  de  poursuivre  ces  vipereos  perfidise  filios  et 
de  ne  plus  souffrir  ces  maleficos.  Tous  ceux  d'entre  eux  qui  seront 
condamnés  par  l'Église  et  livrés  au  bras  séculier  seront  punis 
(c'est-à-dire  brûlés),  et  si  la  crainte  de  la  mort  les  décide  à 
faire    pénitence,    in   perpeiuum   carcerem    retrudantur  ^ 

1.  Bôhmer,  Kaiserregesien  unter  Philipp,  p.  381  sq.  ;  Hist.  polit.  Bl.,  t.  lxix, 
9  Heft;  Hôf  ei%  Ruprecht  v.  d.  Pjalz,  p.  21  sq.  En  sens  contraire,  Schirrmacher, 
t.  I,  p.  197  sq.;  Winkelmann,  Friedrich  H,  t.  i^  p.  399,  où  se  trouvent  aussi 
consignés  les  récits  des  contemporains. 

2.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frider,  II,  t.  iv,  p.  366. 

3.  Ibid.,  t.  IV,  p.  285  sq.,  298  sq.,  300  sq.;  Momint.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  ii, 
p.  285  sq.  Le  Code  pour  le  royaume  des  Deux-Siciles  renferme  des  prescriptions 
aussi  sévères.  Le  principe  était  de  châtier  plus  sévèrement  les  hérétiques  que  les 
coupables  de  lèse-majesté,  puisque  les  premiers  avaient  tout  à  la  fois  ofTensé 
Dieu,  les  hommes  et  eux-mêmes.  Schirrmacher,  t.  ii.  p.  250. 


657.     FRÉDÉniC    II     ET    GRÉCOIRE    IX  1511 

frécléiif,  alors  sans  armée,  ne  pouvait  exécuter  la  sentence 
qu'il  avait  portée  contre  les  Lombards;  il  laissa  donc  les  légats 
du  pape,  Otton  de  Saint-Nicolas  et  Jacques  de  Palestrina,  s'en- 
tremettre entre  eux  et  lui,  et,  sans  attendre  le  résultat  de  ces 
pourparlers,  publié  à  Padoue  le  13  mai,  gagna  Venise,  puis  Aqui- 
lée,  où  il  rencontra  son  fils  et  en  obtint  une  nouvelle  soumis- 
sion (avril  et  mai  1232).  A  Cividale,  il  renouvela  et  confirma 
la  loi  sur  les  droits  des  princes  déjà  promulguée  à  Worms  en  1231, 
enfin,  le  10  mai,  il  conclut  à  Pordenone  (nord-ouest  d'Aquilée) 
avec  Louis  IX,  roi  de  France,  une  nouvelle  ligue  dirigée  contre 
l'Angleterre;  il  regagna  ensuite  la  Basse-Italie^. 

Au    cours   de    cette    même    année    1232,    Frédéric    donna    de 
nouvelles   preuves  de  son  zèle  contre  les  hérétiques;    cependant 
le  pape  lui  reprocha  d'avoir,  sous   prétexte  de   punir    les   héréti- 
ques, fait  périr  plusieurs  catholiques  dont  il  était  mécontent,  et 
d'avoir  permis  aux    Sarrasins    de    Lucera,    si    on   en  croyait    le 
bruit    public,    de    dévaster  une    église  ^.   Dans   une  lettre    écrite 
[994]  au  pape,  à  cette  époque    (3    décembre  1232)   l'empereur    confond 
intentionnellement  les  Lombards,  les   hérétiques    et  les  rebelles; 
il  revendique   pour  lui-même  et  pour   le    pape   la    même   divine 
origine   et     proclame    qu'ils    ont   mission  de  défendre  en  commun 
les  droits  de  l'Eglise  et  de  l'empire,    manière   de   dire    que,   dans 
les  négociations  avec  les   Lombards,   Grégoire   IX  n'a    pas    suffi- 
samment sauvegardé  les  droits    de   l'empire;   néanmoins,  l'année 
suivante,    Frédéric   accepta   le  compromis  proposé    par   le    pape, 
à  qui    il   confia    le    soin    de    régler    les    détails    de    l'accommode- 
ment ^.  Cette  assimilation  des  hérétiques   aux  rebelles  cachait  un 
calcul  et  mettait  aux  mains  de  l'empereur  une  arme    dont  il  sau- 
rait se   servir  dans  ses  futurs   démêlés   avec  le   sacerdoce.    Ainsi 


1.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  iv,  p.  325,  331  sq.,  344-356;  Monum.  Germ. 
hist.,  Script.,  t.  ii,  p.  290,  293,  294;  Bôhmer,  Reg.,  p.  140-163;  Monum.  Germ. 
hist.,  Epist.,  t.  I,  p.  466,  p.  376;  Winkelmann,  Forschungen  zur  deutschen  Gesch., 
t.  I,  p.  26;  Friedrich  II,  t.  i,  p.  409  sq.  et  469;  Rohden,  Der  Sturz  Heinrichs  VII, 
Forschungen,  t.  xxii,  p.  354. 

2.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  iv,  p.  405,  435,  457;  Monum.  Germ.  hist., 
Epist.,  t.  I,  n.  494,  550. 

3.  Huillard-Bréholles,  Histor.  diplom.  Frider.  II,  t.  iv,  p.  366,  409,  431  sq., 
441,  442,  447,  449,  451,  465  sq.,  490;  Monum.  Germ.  hist.,  Epist.,  t.  i,  n.  505, 
506,  531,  548,  549,  552;  Leges,  t.  ii,  p.  299,  303;  Winkelmann,  Friedrich  II,  t.  i, 
p.  420,  424. 


151i  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    II 

on  verra,  au  xix<^  siècle,  Napoléon  K'^'  dénoncer  Pie  VII  comme 
l))(»tecteiir  des  hérétiques,  sur  son  refus  de  casser  le  mariage  du 
prince  Jérôme  avec  miss  Patterson  ;  ainsi  on  vit  alors  Frédéric 
prendre  occasion  de  ce  ([ue  plusieurs  patares  ou  cathares  hahi- 
taient  les  a  illes  lombardes,  pour  dénoncer  le  pape  comme  défen- 
seur des  }iéréti([ucs.  Les  empiétements  de  Frédéric  sur  l'Eglise 
et  son  désir  de  subjuguer  les  Lombards  rendaient  toute  paix 
nécessairement  précaire;  toutefois  ce  n'était  encore  qu'un  ma- 
laise, la    blessure   mortelle   n'était  pas  encore  donnée. 

En  1232,  les  Romains  se  révoltèrent  contre  Grégoire  IX,  qui, 
le  24  juillet,  appela  l'empereur  à  son  secours.  Celui-ci  |)romit 
tout  ce  qu'on  voulut,  mais  ne  fit  rien  (peut-être  se  trouva-t-il 
empêché  d'agir  par  un  soulèvement  en  Sicile  ^).  Le  pape  se  tira 
seul  d'afl'aire  et  fit  son  raccommodement  avec  les  Romains.  Au 
mois  de  mai  1233,  il  rentra  dans  Rome,  à  la  grande  joie  du  peu- 
ple ;  nuiis  au  début  de  1234  l'émeute  grondait  de  nouveau  :  les 
Romains  voulaient  enlever  au  pape  son  pouvoir  temporel,  le 
donner  à  un  sénateur  choisi  par  eux  et  rétablir  la  république.  [995] 
Grégoire  prit  la  fuite  avec  ses  cardinaux;  alors  l'empeteur  vint 
en  toute  hâte  à  son  secours  et  le  rencontra  à  Rieti  (été  de  1234). 
Il  proposa  au  pape  de  lui  laisser  son  fils  Conrad  en  gage  de  sa 
bonne  foi  ^  et  assiégea  Viterbe  avec  le  cardinal  Rainer; en  août, 
à  Spolète,  il  eut,  avec  le  pape  et  les  patriarches  latins  de  Jérusa- 
lem, d'Antioche  et  de  Constantinople,  une  conférence  comptée 
souvent,  mais  à  tort,  au  nombre  des  conciles.  On  y  discuta  les  affai- 
res de  Terre  Sainte,  et  on  y  prit  deux  graves  décisions.  En 
vue  du  prompt  rétablissement  de  la  paix  dans  le  royaume  de 
Jérusalem,  Théodoric,  archevêque  de  Ravenne,  fut  nommé 
légat  du  Sainl-Siègc  et  envoyé  en  Syrie,  porteur  de  lettres  pour 
les  évêques,  les  barons  et  les  chevaliers  établis  à  Jérusalem  qu'il 
s'agissait  de  gagner  à  la  pacification.  La  trêve  de  Frédéric  avec 
les  Sarrasins  tirant  vers  sa  fin,  on  décida  la  prédication  d'une 
nouvelle  croisade,  que  le  pape  lui-même  se  mit  à  prêcher,  tandis 
qu'il  écrivit  aux  princes  et  aux  peuples  de  l'Occident  pour  les 
attirer  à  cette  idée  ^. 

1.  Monum.  Geini.  Iiisl.,  Epist.,  t.  i,  n.  'i73^  488,  510. 

2.  Winkelmann,  Forschungen,  1.  i,  p.  32,  et  Friedrich  II,  t.  i,  p.  452  sq.,  croit 
que  l'empereur  voulait  gagner  le  pape  à  sa  cause  dans  sa  lutte  contre  son  fils 
Henri.  De  même,  Rohden,  Forschungen,  t.  xxii,  p.  364. 

3.  Cf.  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  239;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1315; 


1 


C57.    FRÉDÉRIC     II     ET    GRÉGOIRE    IX  1513 

En  sc])tcinl)re  rio'i,  rciiijxTCur  clail  rc\enu  dans  la  Basse- 
Italie,  sans  avoir  rien  fait  d'important  pour  la  cause  du  pape. 
Il  préférait  la  chasse  à  la  guerre,  aussi  beaucoup  de  ses  contem- 
j)orains  se  plaignirent-ils  vivement  et  Grégoire  l'accusa  sans  dé- 
tours de  trahison  ^  Sous  prétexte  d'aider  l'Eglise,  il  l'avait  en 
réalité  empêchée  de  reprendre  ses  biens.  Cependant,  les  rapports 
entre  le  pape  et  Frédéric  restèrent,  extérieurement  du  moins, 
ce  qu'ils  étaient  auparavant,  et  Grégoire  trouva  dans  les  éve- 
({ues  et  seigneurs  d'Italie,  de  France,  d'Allemagne  et  d'Angle- 
terre un  ajtpui  si  solide  que  les  Romains  [gens  circonspects] 
entamèrent  des  négociations  et  firent  leur  soumission  en 
mai  1235.  Quelque  temps  auparavant,  l'empereur  avait  recom- 
[996]  mandé  au  ])ape  et  aux  cardinaux  de  tenir  rigueur  aux  Ro- 
mains; bien  qu'il  se  rendît  en  Allemagne,  il  ne  laisserait  pas 
l'Eglise  sans  défense.  C'était  précisément  la  situation  de  l'Alle- 
magne qui  lui  faisait  désirer  d'avoir  de  bonnes  relations  avec  le 
pape  -. 

En  effet,  le  roi  Henri  venait  de  se  révolter  une  fois  de  plus. 
Le  père  et  le  fils  n'avaient  jamais  vécu  ensemble  et  s'aimaient 
peu.  Ils  avaient  l'un  à  l'égard  de  l'autre  une  défiance  qu'enve- 
nimaient d'anciens  griefs.  Henri,  de  seize  ans  seulement  plus 
jeune  que  son  père,  aspirait  vivement  à  gouverner  par  lui-même 
avec  le  titre  de  «  roi  d'Allemagne».  Aussi  fut-il  exaspéré  lorsque 
Frédéric,  de  retour  en  Allemagne,  annula  plusieurs  actes  de  sa 
régence  et  blâma  sa  conduite  (légèreté,  farces,  etc.).  La  première 
tentative  d'émancipation  avait  valu  à  Henri  la  scène  d'humilia- 
tion d'Aquilée.  Durant  l'été  de  1234,  peu  après  avoir  empêché, 
par  un  prétendu  zèle  pour  les  intérêts  de  son  père,  la  continua - 
lion  de  la  grande  diète  de  Francfort  ^,  il  risqua  une  révolte  ouverte 
et  il  publia  au  mois  de  septembre  un  manifeste  formellement 
dirigé  contre  l'empereur. 

A  cette  nouvelle,  le  pape  rappela  au  prince  ses  devoirs  et   or- 

Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  i.  xxiii,  col.  344;  Monum.  Germ.  hisl.,    Epist.,  t.  i, 
n.  594  ;  Winkelmann,  Friedrich  II,  t.  i,  p.  452,  498. 

1.  Cf.,  par  contre,  la  lettre  du  pape  à  l'archevêque  do  Salzbourg  datée  du 
25  novembre  1234.  Monum.  Germ.  hisl.,  Epiai.,  t.  i,  n.  G07. 

2.  Huillard-Bréholles,  op.  f(7.,  t.  iv,  p.  472,  513,  535;  Papencordt,  Geschichte 
der  Siadl  Rom,  p.  290  sq.  ;  Bohmer,  Regeslen,  p.  157;  Monum.  Germ.  tiinL,  Episl., 
t.  I,  n.  635,  636. 

3.  Nous  parlerons  plus  tard  de  cette  réunion. 


1514  LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE    II 

donna    à    l'arclievrciue    de    Trêves    d'exconinuinier    le    coupable 

s'il  ne  venait  à  résipiscence;  il  annula  les  serments  prêtés  de  s'as-  l 

socier    à   la    trahison,    suspendit    les    évêques    de    Wurzbourg, 

d'Augsbourg  et  l'abbé  de   Fulda,  compromis  dans  la  révolte,  et 

les  cita  à  comparaître  à   Rome  ^.  > 

En  mai  1235,  l'empereur,  cheminant  d'Italie  en  Allemagne, 
où  il  arriva  au  mois  de  juin,  se  trouvait  à  Rimini,  lorsqu' Henri, 
qui  assiégeait  Worms,  abandonné  de  ses  partisans,  promit  de 
se  soumettre  et  obtînt  sa  grâce.  Mais,  sur  son  refus  de  rendre 
Trifels,  il  fut  emprisonné  (juillet  1235),  d'abord  à  Heidelberg, 
puis  en  d'autres  places  et  enfin  à  Martorano  en  Calabre,  où  il 
mourut  le  12  février  1242.  On  raconte  que  Frédéric,  décidé  à  lui  [997] 
pardonner,  était  sur  le  point  de  l'appeler  près  de  lui;  mais  Henri, 
qui  l'ignorait,  se  désespéra  et  se  jeta  avec  son  cheval  dans  un 
abîme  ^.  Il  fut  enseveli  à  Cosenza.  Ses  deux  fils,  Frédéric  et  Henri, 
exclus  de  sa  succession,  moururent  jeunes  (1251  et  1254);  sa 
femme,  Marguerite  d'Autriche,  se  retira  à  Wurzbourg,  où  elle 
vécut  dans  la  piété  et  la  pauvreté  jusqu'en  1252;  elle  épousa  alors 
Ottocar  II,  roi  de  Bohême,  qui  l'abandonna  en  1261  ^. 

Tout  comme  Honorius  III  avait  conseillé  le  mariage  de  Fré- 
déric avec  Yolande  de  Jérusalem,  ainsi  Grégoire  IX  s'em- 
ploya à  marier  l'empereur  avec  Elisabeth,  sœur  d'Henri  III, 
roi  d'Angleterre.  Il  en  écrivit  à  Louis  IX,  roi  de  France, 
discutant  les  objections  que  ce  prince,  pour  des  raisons  politi- 
ques, soulevait  contre  cette  union  des  maisons  régnantes 
d'Allemagne  et  d'Angleterre.  Le  mariage  fut  célébré  à  Worms, 
le  15  juillet  1235,  avec  une  grande  solennité  *.  Un  mois  plus  tard, 

1.  Dès  le  i®""  août  1235,  le  pape  avait  chargé  l'archevêque  de  Salzbourg  de 
relever  Henri  de  l'excommunication  prononcée  contre  lui  à  cause  de  son  parjure^ 
cum  jam  ad  gratiam  imperatoris  reversus  sit.  Monum.  Germ.  liist.,  Epist.,  t.  i, 
n.   651. 

2.  Huillard-Bréholles,  Hisf.  diplom.  Frider.  II,  t.  iv,  p.  473,  524,  527  sq., 
530  sq.,  738;  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  ii.  p.  305;  Epist.,  t.  i,  n.  630,  631; 
Hôfler,  Kaiser  Friedrich  II,  p.  80,  85;  Winkelmann,  Forschungen,  t.  i,  p.  36; 
Friedrich  II,  t.  i,  p.  454  sq. 

3.  Bôhmer,  Regesten,  p.  lix,  p.  161,  254  sq.;  Hôfler,  op.  cit.,  p.  88;Winkel- 
mann,  Forschungen,  1. 1,  p.  39  sq.,  et  Friedrich  II,  1. 1,  p.  473  et  481  sq.Cf.  Richard 
de  San  Germano,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xix,  p.  382,1a  lettre  de 
Frédéric  à  l'abbé  du  Mont-Cassin,  à  l'occasion  de  la  mort  de  son  fds. 

4.  Iluillard-BréhoUes,  Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  iv,  p.  503,  515,  522,  536, 
539,  541;  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  ii,  p.  307;  Bôhmer,  Regesten,  p.  161; 
Winkelmann,  Friedrich  II,  t.  i,  p.  469. 


657.    FRÉDÉRIC    II    ET    GRÉGOIRE    IX  1515 

Je    15    août,    l'enipereur    ouvrit    à    Mayence    une    diète    générale. 
Presque  tous  les  princes  et  douze  mille  chevaliers  y  assistèrent. 
On    y    publia    un    règlement    important    sur   la    paix   intérieure; 
l'empereur  se  réconcilia  avec  Otton  de  Brunswick,  solennellement 
reconnu   duc  de  Brunswick  et  de  Lunebourg,   ce   qui   mit    fin  en 
Allemagne   à   la   rivalité  séculaire   des   Guelfes  et  des   Gibelins  ^ 
L'empereur    séjourna    une    année    entière    en    Allemagne,    à    Ha- 
guenau;  en  décembre   1235,   il  fit  chevalier   le    comte   Raymond 
de  Toulouse   et  reçut  son  serment   comme   comte   de   Provence. 
[998]  De  llaguenau  il  ordonna    une    enquête    sur   l'accusation,    portée 
contre    les  juifs   de    Fulda,  d'avoir  massacré,    le   vendredi  saint, 
plusieurs  enfants  d'un  meunier;  l'enquête  ne   fit  rien  découvrir. 
Le  l^ï"  mai  1236,  à  Marbourg,  Frédéric  prit  part   à  la  cérémonie  de 
l'élévation    des    restes   de    sainte   Elisabeth  ^,   et    réunit   ensuite 
une  armée  contre  les  Lombards  ^.  Tous  les  efforts  du  pape  pour  ré- 
concilier ces  derniers  avec  l'empereur  avaient  échoué,  principale- 
ment par  la  faute  des  Lombards;  il  n'en  était  résulté  qu'une  cor- 
respondance très  active  et  un  peu  aigre  entre  le  pape  et  l'empe- 
reur ^.    Grégoire  se  plaignit  tout  d'abord  (20  septembre   1235)  de 
ce  qu'on  eût  répandu    de  fausses    lettres    papales  concernant  la 
Terre  Sainte   et  la   Lombardie,  dans  le  but  de  susciter  un  dés- 
accord entre  lui  et  l'empereur.  11  demanda  de  publier  partout  la 
vérité  sur  ce  point.   Quelques    mois    après    (29   février    1236),    il 
dut    se    plaindre  encore    de  ce    que  Frédéric   prêtait  l'oreille  aux 
calomniateurs    et    de     ce     que    ses      officiers    dans    le    royaume 
de     Sicile    avaient     exilé     ou     emprisonné    des    ecclésiastiques, 
et,     au     mépris     de     l'amnistie,     chassé    des     partisans     de    la 
cause   de   l'Eglise  ^    L'empereur,   de   son   côté,   reprocha  au  pape 


1.  Schirrmacher^  op.  cit.,  t.  ii^  p.  318  sq.;  Bohmer,  op.  cit.,  p.  161  sq.  ;  Hôfler^ 
op.  cit.,  p.  95  sq.;  Huillard-BréhoUes.  Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  iv,  p.  740j  754; 
Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  ii,  p.  313,  318;  Winkelmann,  op.  cit.,  t.  i,  p.  474. 

2.  Dans  une  lettre  adressée  aux  frères  mineurs,  il  raconte  la  guérison 
miraculeuse;  au  cours  de  la  cérémonie,  d'un  homme  qui  était  paralytique  de- 
puis dix  ans,  et  dont  il  avait  été  lui-même  témoin.  Winkelmann,   Acta,   p.  299. 

3.  Bôhmer,  Regeslen,  p.  164-168;  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  iv,  p.  789-802, 
809  ;  Winkelmann,  Friedrich  II,  t.  ii,  p.  3  sq. 

4.  Voir  les  lettres  du  pape  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Epist.,  t.  i,  n.  580-584 
587,  603,  648,  657-662,  678,  682. 

5.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  iv,  p.  810;  Monum.  Germ.  hist. 
Epist.,  t.  I,  n.  655,  676. 


1516  LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE    II 

l'excessive  erodulilé  ([ui  lui  faisait  accueillir  les  calomnies  des 
brouillons.  «  S'il  s'est  commis  des  irrégularités  en  Sicile  durant 
son  absence,  il  n'en  est  pas  responsable;  l'œil  même  du  lynx 
ne  pourrait  d'Allemagne  voir  le  détail  de  l'administration  en 
Sicile.  Le  pape  n'ayant  pas  précisé,  il  ne  peut  que  répondre 
d'une  manière  générale  et  affirmer  son  ignorance  des  faits  dénon- 
cés.Tout  fait  croire  que  le  pape  a  pris  pour  des  injustices  quel- 
ques décisions  })arfaitement  fondées  en  droit.  A  l'égard  des 
évêques  et  des  églises,  il  n'a  revendiqué  (juc  ses  droits  ;  il 
préfère  laisser  des  églises  sans  pasteur  ])lulôt  ffue  de  les  confier 
à  des  traîtres.  La  situation  de  plusieurs  villes  auparavant  hostiles 
montre  son  respect  pour  l'amnistie;  mais  il  est  obligé  de  réprimer 
les  désobéissances.  Quant  à  faire  de  lui  un  protecteur  des  Sarrasins,  [999] 
un  impie,  c'est  une  plaisanterie  un  peu  usée  et  passablement  dé- 
placée puisque,  grâce  à  lui,  un  tiers  de  ce  peuple  s'était  converti  ^.  » 
Dans  une  seconde  lettre,  Frédéric  déclara  au  pape  ne  pouvoir 
rien  faire  pour  la  Palestine,  se  trouvant  obligé  de  combattre 
d'abord  les  hérétiques  de  la  Lombardie;  en  effet,  à  la  fin  d'avril 
1236,  il  envoya  contre  eux  une  partie  de  son  armée  commandée 
par  Gebhard  d'Arnstein,  A  cette  même  date,  il  publia  une 
circulaire,  où  il  se  re})résentait  comme  visiblement  protégé  de 
Dieu.  «  Par  un  insigne  bienfait  de  Dieu,  sa  femme  lui  a  apporté 
le  royaume  de  Jérusalem,  sa  mère  celui  des  Deux-Siciles, 
enfin  il  a  reçu  l'empire  d'Allemagne  qui  surpasse  tous  les 
autres  en  puissance.  Il  ne  lui  reste  qu'à  ramener  à  l'obéis- 
sance la  Haute-Italie,  placée  au  centre  de  ses  États.  Il  s'occu- 
pera ensuite  de  la  Palestine,  car  l'Italie  est  très  peui>lée, 
voisine  de  la  mer  et  très  fertile,  surtout  en  blé.  Son  intention 
est  donc  d'aller  premièrement  en  Italie,  afin  de  tenir  à  Saint- 
Jacques  de  Plaisance  une  diète  solennelle  pour  réduire  les 
hérétiques  (c'est-à-dire  les  Lombards),  rétablir  les  droits  de 
l'Eglise  et  de  l'empire,  pacifier  tout  ce  pays  et  prendre  des 
mesures  contre  les  ennemis  du  christianisme  en  Orient,  car  la 
trêve  conclue  avec  le  sultan  touche  à  sa  fin.  A  cette  diète  sont 
invités  les  députés  de  toutes  les  villes  au  nord  de  Rome;  on  es- 
pérait y   voir   plusieurs   princes   allemands   et   les   ambassadeurs 


1.   Huillard-Bréholles,  Ilist.  diplom.  Frid.  Il,  t.  iv,  p.  810;  Bohmer,  Regeslen, 
p.  166;  Winkelmann,  Friedrich  II,  t.  ii,  p.  18. 


657.     FRÉDÉRIC    II    KT    GRÉOOIRE    IX  1517 

de  tous  les  rois  de  l'Occident.  Si  les  rebelles  portent  quel- 
que tort  à  la  cause  de  Dieu  (au  sujet  do  la  Terre  Sainte)  ou  à 
l'honneur  de  l'empire  et  de  l'I^glise,  ils  seront  sévèrement 
punis  ^.  «Frédéric  écrivit  aux  rois  de  France  et  d'Angleterre  pour 
protester  de  son  droit  contre  les  Lombards  et  dénoncer  la  par- 
tialité du  pape.  Vers  le  même  temps  il  demandait  à  Grégoire 
d'envoyer  aux  Loml)ards  le  patriarche  d'Antioche,  pour  qu'il 
1000  s'entremît  en  faveur  de  la  paix.  On  ignore  pourquoi  Gré- 
goire confia  cette  mission  au  cardinal-évéque  de  Préneste 
(Palestrina),   de  préférence  au  patriarche  ^. 

Dans  une  diète  célébrée  à  Augsbourg,  en  juin  et  juil- 
let 1236,  l'empereur  mit  au  ban  de  l'empire  Frédéric,  duc 
d'Autriche,  coupable  de  divers  crimes,  et  confia  au  roi  de  Bohème 
et  à  d'autres  princes  le  soin  de  guerroyer  contre  lui  ;  pour  lui,  il  des- 
cendit en  Italie  (fin  juillet  1236),  avec  une  armée  considérable  et, 
grâce  au  secours  des  villes  et  des  bandes  gibelines,  il  put  com- 
mencer le  siège  de  Mantoue.  Il  avait  réclamé  du  pape  l'excom- 
munication des  Lombards  obstinés.  Mais  Grégoire  chargea 
son  légat,  le  cardinal-évêque  de  Palestrina,  de  ne  pas  ménager 
les  calomniateurs  des  Lombards  à  la  cour  impériale,  en  même 
temps  qu'il  lui  adressait  toute  une  série  de  plaintes  contre 
Frédéric  ^.  Ce  dernier  y  répondit  de  la  manière  la  plus  mali- 
cieuse et  la  plus  blessante  :  «  On  a  prétendu  que  des  fonc- 
tionnaires impériaux  avaient  pillé  des  églises  et  que  les  pierres 
de  ces  monuments  avaient  servi  à  construire  les  gymnases  pour 
les  Sarrasins;  tout  cela  est  faux.  Ce  n'est  pas  injustice,  c'est 
justice  d'obliger  les  clercs  à  certaines  redevances.  A  l'égard  de  la 
collation  des  places  de  l'Église,  l'empereur  a  simplement  usé 
des  droits  de  ses  prédécesseurs.  Il  est  plus  que  personne 
favorable  à  la  croisade,  mais  il  ne  supportera  pas  que, 
sous  prétexte  de  croisade,  des  prédicateurs  viennent  soulever 
le  peuple  et  gruger  les  fidèles  pour  leur  faire  remplir 
leurs  vœux.  C'est  ainsi  que  plusieurs  fripons  ont  pu  acquérir 
de  grands  domaines,  par  exemple  Jean  (de  Vicence)  dans  la 
marche  de   Vérone   et  un  certain  minoré  dans  la   Pouille.  Tous 


1.  Huillard-Bréholles,  Ilist.  diplom.  Friderici  II,  t.  iv,  p.  847;  Monum.  Germ. 
Iiinl.,  Leges,  t.  ii,  p.  319  sq. 

2.  iluillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  iv,  p.  873-884. 

3.  Monum.  Germ.  hist.,  Epist.,  t.  i,  n.  695,  n.  700. 


1518  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE   II 

ses  sujets  sont  libres  de  prendre  la  cToix.  sauf  son  droit  de  con- 
trôler l'usage  qu'ils  font  de  leurs  biens  pour  la  cause  de  la  Terre 
Sainte,  On  l'accuse  d'avoir  mis  des  chrétiens  sous  l'autorité  des  Sar- 
rasins et,  au  mépris  de  l'amnistie,  d'avoir  molesté  plusieurs  no- 
bles. Au  sujet  de  Bénévent,  il  ne  veut  que  maintenir  son  droit... 
Il  ne  fait  pas  relever  les  églises  de  Sora  parce  qu'elles  seraient 
inutiles,  la  ville  ayant  été  détruite  par  une  sentence  légale  et 
la  charrue  ayant  passé  sur  ses  ruines  (au  retour  de  Frédéric 
de  la  Palestine).  En  se  plaignant,  les  moines  de  Cîteaux  font 
preuve  d'ingratitude,  car  l'empereur  a  fait  beaucoup  pour 
leur  ordre.  On  l'accuse  aussi  de  distribuer  les  charges  ecclé- 
siastiques à  des  indignes;  la  réponse  est  facile,  puisque  le  code 
de  Sicile  déclare  sacrilège  quiconque  blâme  les  ordonnances^.  On  1001 
ne  peut  cependant  pas  regarder  comme  sacrilèges  de  saints 
personnages  (le  pape).  Est-ce  que  le  pape  tient  pour  indignes 
tous  les  serviteurs  de  l'empereur?...  Quant  au  neveu  du  roi  de 
Tunis,  qui  sollicite  du  pape  le  baptême  (l'empereur  s'y  oppo- 
sait), il  promet  de  s'informer  s'il  agit  avec  le  consentement 
de  son  roi  et  sans  être  entraîné  par  d'autres  personnes.  Le  pape 
se  plaint  que  Frédéric  ait  accepté  les  serments  du  comte  de 
Toulouse  excommunié;  mais  l'excommunication  ne  peut  dis- 
penser le  comte  de  remplir  ses  devoirs  de  vassal,  sinon  elle 
serait    un    privilège,    etc.  ^.  » 

L'empereur,  ayant  échoué  devant  Mantoue,  revint  à  Crémone 
et  y  passa  le  mois  d'octobre.  Le  23,  le  pape  lui  écrivit  de  Rieti, 
—  depuis  deux  ans,  à  cause  surtout  des  Frangipani,  il  avait  quitté 
Rome.  Grégoire  se  plaignait  du  ton  irrité  des  dernières  lettres 
de  l'empereur,  en  particulier  de  celle  (aujourd'hui  perdue)  où 
Frédéric  attaquait  l'évcque  de  Palestrina  qu'il  supposait  d'ac- 
cord avec  le  pape  ^.  Au  contraire  le  pape  a  engagé  les  Lombards 
à  l'obéissance  et  ne  s'est  jamais  arrogé  des  droits  impériaux, 
lia  choisi  un  légat  bien  vu  des  deux  partis,  l'évêque  de  Pales- 
trina. Le  grand-maître  de  l'Ordre  teutonique,  Hermann  de 
Salza,    conseiller  intime    de     l'empereur,   a    été    le    premier    à 


1.  Huillard-BréliolleSj  op.  cit.,  t.  iv,  p.  9. 

2.  IbicL,  t.  IV,  p.  905-913. 

3.  Cette  lettre  devait  contenir  aussi  des  griefs  contre  le  pape,  car  on 
voit  celui-ci  préoccupé  de  s'en  disculper  spécialement  dans  la  suite.  Cf.  Monum. 
Germ.  hist.,  Epist.,  t.  j,  n.  702. 


657.    FRÉDÉRIC    II    ET    GRÉGOIRE     IX  1519 

rendre  de  lui  bon  témoignage.  Est-ce  donc  pour  avoir  arrêté  la 
guerre  civile  à  Plaisance,  et  pour  avoir  pacifié  plusieurs  autres 
villes  de  la  Lombardie  désolées  par  la  guerre,  que  le  légat 
1002  mérite  un  blâme^?  Le  pape  n'a  ni  oublié  ni  négligé,  comme  le 
dit  ironiquement  l'empereur,  de  lui  répondre  sur  la  meilleure 
manière  de  maîtriser  ce  qu'il  appelait  la  contumacia  Lomhar- 
dorum.  Le  grand-maître  de  l'Ordre  teutonique  peut  en  rendre 
témoignage,  car  c'est  sur  son  conseil  que  le  pape  a  envoyé 
son  chapelain  négocier  pour  la  paix.  Mais  la  réponse  du  pape 
a  déplu  à  l'empereur,  décidé  d'avance  à  repousser  toute  solution 
pacifique.  D'ailleurs  le  pape  n'a  pas  constaté  cette  prétendue 
contumacia  des  Lombards;  car,  si  leurs  députés  ont  repoussé 
les  conditions  de  l'empereur,  les  Lombards  ont  cependant 
manifesté  l'intention  d'accepter  la  décision  d'un  tribunal 
arbitral.  Si  l'empereur  était  un  véritable  disciple  du  Christ, 
il  prêterait  l'oreille  aux  plaintes  réitérées  du  pape  et  mettrait 
fin  à  ses  injustices  (en  Sicile).  Grégoire  maintient  les  faits 
allégués  dans  les  lettres  précédentes,  sauf  ceux  pour  lesquels 
il  avait  été  mal  informé,  et  sur  lesquels  l'empereur  s'est  expli- 
qué. L'empereur  l'accuse  de  garder  la  ville  de  Guastella,  au 
mépris  de  tous  les  droits;  l'accusation  est  sans  valeur,  car 
de  ce  que  les  bourgeois  de  Guastella,  foulant  aux  pieds 
leurs  serments  envers  l'Église,  se  sont  donnés  autrefois  à 
l'empereur,  il  n'en  résulte  pour  l'empire  aucun  droit  sur  cette 
ville.  Ce  n'est  pas  à  l'empereur  de  juger  la  conscience  du 
pape  :  les  princes  doivent  s'incliner  devant  les  prêtres,  et  le 
Siège  apostolique  ne  peut  être  jugé  par  personne  sur  la  terre. 
Le  pape  réfute  ou  rectifie  ensuite  plusieurs  assertions  de  l'em- 
pereur, touchant  ses  droits  dans  les  choses  de  l'Eglise;  il 
prouve  par  l'Écriture  que  le  prince  de  Tunis  peut  recevoir   le 


1.  Le  légat  était  arrivé  à  Plaisance  en  juillet  1236^  au  moment  où  une 
partie  de  la  ville  était  en  guerre  ouverte  avec  l'autre.  Il  rétablit  la  paix  dans  la 
cité,  tout  en  réservant  les  droits  do  l'empereur  et  de  l'empire.  Toutefois,  comme 
les  Guelfes  prirent  dôs  lors  le  dessus,  Frédéric  fut  si  irrité  contre  le  légat 
qu'il  refusa  de  lui  donner  audience.  Ce  changement  survenu  dans  la  situa- 
tion de  Plaisance  empêcha,  du  reste,  la  réunion  de  la  diète  dans  cette  ville. 
Le  légat  donna  aussi  à  Mantoue  une  direction  très  guelfe.  Huillard-Bréholles, 
op.  cit.,  t.  IV,  p.  904,  et  t.  v,  part.  1,  p.  337:  part.  2,  p.  842;  Mon.  Germ.  hist., 
Epist.,  t.  I,  n.  699;  Bohmer,  Regesten,  p.  344,  n.  117;  ^Yinkelmann,  Friedrich 
II,  t,  II,  p.  33. 


1520  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    II 

baptême  sans  aucune  permission;  enfin,  à  l'égard  du  comte 
de  Toulouse,  Grégoire  déclare  avoir  voulu  faire  une  simple 
allusion  à  l'amitié  existant  entre  lui  et  l'empereur,  puis  il  re- 
lève l'argumentation  sophistique  de  l'empereur  à  son  égard. 
Que  Frédéric  se  souvienne  de  ses  prédécesseurs  Constantin  et 
Charlemagne,  etc..  Constantin,  nuiître  de  toutes  les  provinces, 
avait  jugé  convenable,  du  consenlement  de  Rome  et  de  toutl'em- 
pire  romain,  que  le  successeur  de  Pierre,  possédant  plein  pouvoir 
sur  les  âmes,  eût  aussi  un  principat  sur  les  choses  de  ce  monde 
et  les  individus,  et  gouvernât  le  temporel  suivant  la  justice,  1003 
puisque  Dieu  lui  a  confié  la  direction  sur  la  terre  des  intérêts 
célestes.  C'est  pourcjuci  Constantin  avait  donné  au  pape  les 
insignes  impériaux,  la  ville  de  Rome,  cjue  l'empereur  cher- 
che maintenant  à  troubler  à  prix  d'argent,  et  l'empire  tout 
entier,  puis,  abandonnant  l'Italie,  s'était  allé  établir  en  Orienta 
Plus  tard,  le  Siège  apostolique  avait  transféré  l'empire  aux  Ger- 
mains. —  L'empereur  manque  gravement  de  respect  en  accu- 
sant le  pape  de  sacrilège,  pour  avoir  jugé  défavorablement  les 
clercs  nommés  par  l'empereiir.  C'est  une  fâcheuse  confusion  que 
le  fils  veuille  en  remontrer  à  son  père  et  le  disciple  à  son  maî- 
tre -.  Le  plus  déplorable  est  que  l'empereur  empêche  la 
prédication  de  la  croisade  dans  son  royaume  et  défende  à  ses 
sujets  d'aliéner,  sans  son  assentiment,  une  partie  de  leurs  biens 
pour   la   cause   de   la   Terre   Sainte  ^. 

Sur  ces  entrefaites,  les  Lombards  avaient  risqué  une  expé- 
dition contre  Vérone,  fidèle  à  l'empereur,  et  assiégé  la  forteresse 
de  Rival  ta  près  de  Mantoue,  occupée  par  les  troupes  de  Frédéric. 
Ezzelin  de  Romano,  célèbre  gibelin,  avait  essayé,  non  sans 
grands  risques,  d'arrêter  les  Lombards.  L'empereur  accourut 
au  plus  vite  et  parut  le  l^r  novembre  devant  Vicence.  Après 
un  siège  assez  court,  la  ville  fut  prise  d'assaut  et  mise  à  sac  *. 

1.  Toujours  la  donation  de  Constantin]  (H.  L.) 

2.  On  avait  décidément  des  trésors  de  mansuétude  à  l'égard  de  l'empereur. 
Celui-ci  accusait  le  pape  de  sacrilège  et  le  pape,  tout  en  déclarant  que  le  Siège 
apostolique  ne  doit  être  jugé  par  personne,  recourait  à  des  explications,  à  des 
objurgations.  S'il  s'était  agi  du  comte  de  Toulouse,  on  l'eût  bousculé  de  belle 
façon,  excommunie,  dépossédé.  (H.  L.) 

3.  Huillard-Bréholles,  Ilist.  diploin.  Friderici  II,  L.  iv,  p.  914-923;  Monuin. 
Germ.  hisl.,  Epist.,  t.  i,  n.  703. 

4.  Huillard-BréhoUes,  Hisl.  diplom.  Frid.  II,  t.  iv,  p.  02'i;  Raumer,  op.  cit., 
t.  III,  p.  738. 


657.     FRÉDÉRIC     II    ET     GRÉGOIRE    XI  1521 

Sur  le  désir  de  l'empereur,  le  pape   envoya   en  légation  aux 
Lombards,  le  29  novembre  1236,   non  plus  le  cardinal    de    Pa- 
lestrina  dont  Frédéric  ne  voulait   plus,    mais  le    cardinal-évêque 
d'Ostie  et   Thomas,   cardinal-prêtre  de   Sainte-Sabine.    L'empe- 
reur se  hâta  de  regagner   l'Allemagne   avec   une   partie    de   son 
armée,   pour   achever   de  réduire  Frédéric,  duc   d'Autriche.  Bien- 
tôt, en  effet,  les  deux  duchés  d'Autriche  et  de  Styrie  tombèrent 
pour  un  temps  aux  mains  de  l'empereur,  qui    fit  élire  à  Vienne 
son   second    fils    Conrad   roi   d'Allemagne  ^.  Alors  Frédéric   jugea 
bon    d'améliorer  ses  relations   avec  Grégoire  IX  et  lui  députa  le 
grand-maître  de   l'Ordre   teutonique   avec   le    grand-juge    Pierre 
des  Vignes,  porteurs  d'une  lettre    conciliante.    Les    négociations 
avec  les  Lombards   furent  reprises.  En   septembre  1237,  l'empe- 
reur regagna  l'Italie.  Pendant  son  absence,  Ezzelin,  aidé  par  son 
frère  Albéric  et  le  comte  d'Arnstein,  avait  pris  Padoue  et  d'autres 
villes;  les  Padouans  surent  vite  en  quelles  mains  ils   étaient  tom- 
bés, car,  après  la  prise  de  cette  ville,  «  Ezzelin  parut   un  suppôt 
de  l'enfer;  tout  ce  qu'il  y  avait  de  grand  et  de  noble   dans  sa 
nature  fit  place  aux  côtés  mauvais    qui  se   développèrent  d'une 
manière  épouvantable  ^.  » 

Toute  entente  avec  les  Lombards  étant  impossible  ^,  Frédéric 
commença  la  guerre  et  s'empara  rapidement  de  Montechiaro 
et  d'autres  places  fortes.  Mantoue  et  Ferrare  se  rendirent  sans 
combat;  les  Milanais  et  leurs  alliés  furent  complètement  bat- 
tus, le  27  novembre  1237,  à  Cortenuovo  (au  sud-est  de  Ber- 
game);  le  Carroccio  tomba  au  pouvoir  de  l'empereur,  qui  l'envoya 
aux  Romains  pour  flatter  leur  vanité.  Il  annonça  partout  ses 
récents  succès  et  demanda  ironiquement  au  pape  et  aux  car- 
dinaux de  se  réjouir  avec  lui.  Toutes  les  villes  de  la  Haute- 
Italie,  sauf  Milan  et  deux  autres,  s'étaient  soumises;  encore  ces 


1.  Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1236,  n.  13;  Huillard-BréhoUes,  op.  cit., 
t.  V,  p.  33;  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  n,  p.  322;  Epist.,  t.  i,  n.  704;  Bohmer, 
Regeslen,  p.  170;  Winkelmann,  Friedrich  II,  t.  n,  p.  52,  130.  Frédéric  soutint 
plus  tard  que  le  pape  avait  écrit  secrètement  aux  princes  allemands  à  Mayence 
pour  les  engager  à  n'élire  aucun  Hohenstaufen.  Huillard-Bréholles,  op,  cit., 
t.  IV,  p.  842;  t.  VI,  p.  389. 

2.  Piaumer,  op.  cil.,  t.  m,  p.  743. 

3.  Monum.  Germ.  hist.,  Epist.,  t.  i,  n.  707-709.  [^Vinkelmann,  Geschichte 
Kaiser  Friedrichs  II  und  seiner  Reiche,  Berlin,  1865,  t.  ii,  p.  76;  Felten,  op.  cit., 
p.  262.  (H.  L.)] 

CONCILES  —  V-96 


1522  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE     II 

dernières  demandaient-elles  à  conclure  la  paix.  Mais  l'em- 
pereur exigeait  qu'elles  se  rendissent  à  merci;  il  parcourut 
l'Italie,  se  fit  reconnaître  et  proclamer  partout.  A  Vérone 
(Pentecôte  de  1238),  il  s'unit  plus  étroitement  Ezzelin  en  lui 
faisant  épouser  sa  fille  naturelle  Selvaggia;  il  prépara  une  nou- 
velle campagne  et  fit  venir  d'Allemagne  son  fils  Conrad  avec 
une  armée,  pour  avoir  raison  de  ses  derniers  adversaires^.  Il 
était  alors  au  plus  haut  point  de  sa  puissance;  dès  lors  son 
étoile  déclina.  Son  dessein  avoué  d'anéantir  Milan,  comme  avait 
fait  jadis  son  grand-père  Barberousse  ^,  avait  exaspéré  les  1005 
Milanais  qui  préféraient  tomber  les  armes  à  la  main  plutôt 
que  de  livrer  leur  ville  à  la  destruction. 

Le  22  mai  1238,  le  margrave  Lancia,  vicaire  de  l'empereur 
pour  la  Ligurie,  père  ou  aïeul  de  Bianca  Lancia  qui  eut  de  l'em- 
pereur un  fils  devenu  le  célèbre  Manfred  ^,  s'unit  à  plusieurs 
villes  et  seigneurs  gibelins,  pour  attaquer  la  forteresse  d'Alexan- 
drie. A  une  tentative  de  médiation  faite  par  le  pape,  Frédé- 
ric répondit  brièvement  qu'il  ne  pouvait  y  consentir,  car  les 
Lombards  n'avaient  pas  encore  sollicité  leur  grâce;  il  refusa 
aussi  la  mise  en  liberté  du  légat  du  pape  Pierre  Saracenus 
et  au  milieu  de  juillet  commença  le  siège  de  Brescia;  le  tour  de 
Milan   devait   suivre  aussitôt  *. 

Afin  de  détacher  de  la  cause  des  Lombards  le  pape  Grégoire  IX, 
très  attristé  de  leur  défaite,  Frédéric  lui  envoya  (août  1238) 
une  ambassade  à  Anagni  négocier  la  paix  avec  l'Eglise.  A  la 
tête  se  trouvait  l'archevêque  de  Palerme.  Le  pape  se  déclara 
prêt  à  traiter  et,  au  départ  des  ambassadeurs,  leur  adjoignit 
l'archevêque  de  Messine.  Mais  tout  échoua  une  fois  de  plus, 
par  la  déloyauté  de  Frédéric,  qui,  au  moment  où  ses  envoyés 
promettaient  au  pape  satisfaction  pour  tous  les  torts  causés 
et  toutes  les  injustices  commises,  prenait  à  l'Église  la  Sardaigne 
et  Massa  dans  le  diocèse  de  Lucques.   L'empereur  n'en  prétendit 

1.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  v,  p.  112,  114,  121,  123,  12G, 
131-139,142-149,152,  157,  161,  203-206,  21G  sq.,  218;  A/onu/n.  Germ.  hist., 
Leges,  t.  Il,  p.  324;  Bôhmer,  Regesten,  p.  176-180;  Raumer,  op.  cit.,  t.  m, 
p.  745  sq.  ;  \Yinkelmann,  Friedrich  II,  t.  ii,  p.  77. 

2.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  v,  p.  217. 

3.  Ihid.,  Préface  et  Introduction,  p.  clxxxiv  sq. 

4.  Ihid.,  t.  V,  p.  217,  note  1,  p.  219,  272;  Winkelmann,  Acta  inedita,  juillet 
1238;  Winkelmann,  Friedrich  II,  t.  ii,  p.  96,  rem.  1. 


657.     FRÉDÉRIC     II     ET    GREGOIRE     IX  1523 

pas  moins  que  le  pape  avait  tous  les  torts  et  n'avait  député 
aux  Lombards  le  sous-diacre  et  notaire  Grégoire  de  Monte- 
longo  ^  que  pour  les  exciter  de  nouveau  contre  lui.  A  un  nou- 
veau mémoire  du  pape,  articulant  contre  lui  quatorze  chefs  d'ac- 
cusation,  Frédéric  ne  répondit   que  d'une  manière  évasive  -. 

Le  conflit  entre  les  deux  chefs  de  la  chrétienté  s'accentuait. 
Tandis  que  l'empereur  accusait  le  pape  de  malveillance  ou  d'hos- 
tilité, ce  dernier  était  très  irrité  du  mariage  d'Enzio  ^,  fils  naturel 
de  Frédéric,  avec  Adelasia,  héritière  de  la  moitié  du  nord  de  la 
Sardaigne  (octobre  1238);  Frédéric  lui  avait  donné  le  titre  de 
«  roi  de  Sardaigne»  ,  quoique  le  pape  regardât  cette  île  comme  la 
propriété  de  l'Église. 

Frédéric  apprit  à  Padoue  que  le  pape  songeait  à  l'excom- 
munier. Il  pria  les  cardinaux  de  détourner  le  pontife  de  cette  pen- 
sée; mais,  le  dimanche  des  Rameaux,  20  mars  1239,  pendant 
que  Frédéric  célébrait  à  Padoue  la  fête  du  jour,  la  sentence  fut 
prononcée  à   Rome  * 


1.  Patriarche  d'Aquilée  de  1251  à  1269.  Adversaire  résolu  des  Gibelins, 
homme  d'un  caractère  batailleur,  adroit,  hardi  et  entreprenant,  mais  n'ayant 
rien  de  sacerdotal.  Sa  phrase  favorite  aurait  pu  être  :  Si  non  caste,  tamen  caute. 
F.  C,  Aquileja's  Patriarchengrâber ,  Wien,  1867,  p.  94  sq. 

2.  Huillavd-Bréholles,  op.  cit.,  t.  v,  p.  218,  249-258,  301,  337,  843;  Winkel- 
mann,  Gesch.  des  Kaiser  Fricdrichs  II,  t.  ii,  p.  101-114  ;  Felten,  op.  cit.,  p.  267  sq.  ; 
C.  Kohler,  Das  T>/7(à7//H's  Kaiser  Friedrichs  II  zu  den  Pàpsten  seiner  Zeit,  mit 
Rucksicht  auf  die  Frage  nach  der  Entstehung  des  V ernichtungskampfes  zwischen 
Kaiserlum  und  Papsttum,  in-8,  Breslau,  1888,  p.  62  sq.  (H.  L.) 

3.  Entius,  Hentius,  c'est-à-dire  Heinz,  Henri.  Il  était  né  en  1220;  on  ne  sait  si 
c'était  d'une  Italienne  ou  d'une  Allemande.  Annal.  Plac.  Gib.,  dans  Monum. 
Germ.  hist..  Script.,  t.  xvii,  p.  480;  F.  W.  Grossmann,  Kônig  Enzio,  in-8,  Gôttin- 
gen,  1883;  H.  Blasius,  Kônig  Enzio,  in-8,  Breslau,  1884.  (H.  L.) 

4.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  v,  p.  237,  245,  267,  269,  271,  277,  279,  282, 
285,  1221,  1223,  1226;  Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1239,  n.  1;  Annal. 
Stad.,  dans  Mon. Germ.  hist..  Script.,  t.  xvi,  p.  363;  les  motifs  de  l'excommunica- 
tion dans  Monum.  Germ.  hist.,  Epist.,  t.  i,  n.  741,  du  7  avril  1239;  Winkelmann, 
Friedrich  II,  t.  ii,  p.  125  sq. 


1524  LIVRE    XXXVI.     CHAPITRE    II 


658.   Conciles  français  et  anglais  en   i231. 

Durant  les  neuf  années  qui  vont  de  la  paix  de  San  Germano 
à  la  nouvelle  excommunication  de  Frédéric  II,  le  20  mars 
1239,  il  se  tint  plusieurs  conciles  qui,  sans  se  rattacher  direc- 
tement au  grand  conflit  entre  le  pape  et  l'empereur,  s'occupè- 
rent en  différentes  manières  de  réformer  tel  ou  tel  point  de 
discipline.  En  tête  de  cette  liste  se  trouve  le  synode  provincial 
de  Rouen,  sous  l'archevêque  Maurice,  en  1231.  Cette  assem- 
blée s'efforça  de  remettre  en  vigueur  dans  les  monastères  la 
stricte  observance  de  la  règle  de  Saint-Benoît  et  d'extirper 
plusieurs  abus  qui  avaient  envahi  le  clergé  et  le  peuple.  Elle  a 
porté  quarante-neuf  canons  (cinquante-deux,  d'après  une  autre 
manière  de  compter);  presque  la  moitié  concerne  les  monastères 
et  les  huit  premiers  sont  une  répétition  d'anciennes  ordon- 
nances promulguées  trois  cents  ans  auparavant,  en  912,  par 
un  synode  de  Sens  ^. 

1-3.  Les  abbés  et  supérieurs  de  couvents  ne  feront  pas,  sans 
permission,  d'emprunts  considérables,  surtout  aux  juifs;  tous 
les  ans,  ils  rendront  au  chapitre  leur  compte  exact  en  recettes 
et  en  dépenses. 

4.  Les  nonnes  noires  (bénédictines)  n'accepteront  pas  de 
dépôt  en  garde;  elles  n'élèveront  pas  d'enfants  dans  les  1007 
couvents;  elles  mangeront  ensemble  dans  le  même  réfec- 
toire et  dormiront  dans  le  même  dortoir,  chacune  dans  un  lit 
séparé.  Les  chambres  particulières  pour  les  nonnes  seront  dé- 
truites, sauf  celles  que  l'évêque  jugera  bon  de  garder  pour 
l'infirmerie.  L'abbesse  ne  permettra  à  aucune  religieuse  de 
sortir,  sinon  pour  de  graves  motifs  et  rarement,  et  avec 
l'ordre  de  rentrer  promptemenl;  elle  lui  assignera  une  compa- 
gne prudemment  choisie.  Les  portes  du  couvent  inutiles  ou  sus-  J 
pectes  seront  murées.  Les  évêques  veilleront  sur  tous  ces  détails  ^ 


1.  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  185;  Martène,  Thés.,  t.  iv,  p.  175-182; 
Dessin,  Conc.  Rotomag.,  col.  134;  Coleti,  t.  xiii;  col.  1251;  Mansi,  Conc.  ampliss. 
coll.,  t.  XXIII,  col.  1214.  (H.  L.) 


I 


658.     CONCILES    FRANÇAIS     ET    ANGLAIS  1525 

et  régleront  la  conduite   des    nonnes,  afin  qu'il  ne  se  produise 
aucun  scandale. 

5.  Défense  de  porter  des  excommunications  générales. 

6.  On  rétablira,  partout  où  elle  existait,  dans  les  prieurés 
la  vie  conventuelle,  si  les  revenus  des  églises  sont  suffisants. 

7.  Les  abhés  et  prieurs  établiront  dans  les  abbayes  et  les 
prieurés  autant  de  factores  ^  qu'il  en  existait  auparavant  et  ne 
leur   imposeront   aucune   nouvelle   redevance. 

8.  Les  clercs  ribauds  (débauchés)  et  goliards  (clercs  jouant 
des  comédies)  seront,  sur  l'ordre  des  supérieurs  ecclésiastiques, 
tondus  ou  rasés,  de  sorte  qu'ils  ne  gardent  plus  la  tonsure  clé- 
ricale. 

9.  Les  juges  indiqueront  exactement  dans  leurs  citations  et 
mandats  le  nom,  le  lieu,  le  diocèse,  etc. 

10.  Nul  ne  doit  se  faire  ordonner  par  un  évèque  étranger, 
sauf  permission   de  son   propre  évêque. 

11.  Les  concubines  des  prêtres  seront  publiquement  rasées 
dans  l'église,  un  jour  de  dimanche  ou  de  fête,  et  condamnées  à 
faire  pénitence. 

12.  Que  personne  n'ose  dire  deux  messes  le  même  jour  ou 
avec  un  double  introït,  sauf  en  cas  de  nécessité,  c'est-à-dire  pour 
des  enterrements  à  faire  le  dimanche  ou  autre  jour  de  fête,  puis 
à  Noël  et  à  Pâques,  et  cela  lorsqu'il  n'y  a  qu'un  seul  prêtre. 
Dans  ce  cas,  le  célébrant  ne  boira  pas  lui-même  le  vin  des 
ablutions,  mais  le  fera  boire  par  un  servant  qui  sera  en  état 
de  grâce. 

13.  Aucun  archidiacre,  doyen  rural  ou  moine  n'a  le  droit 
de  connaître  des  causes  de  mariage;  ils  renverront  les  affaires 
qui  se  rencontreront  à  l'évêque  ou   à  son   ofïicial. 

14.  Défense  de  faire  des  danses  dans  les  églises  et  cimetières. 

15.  Défense  également  de  faire  des  veillées  dans  les  églises, 
sinon  le  jour  de  la    fête  du  saint  de  chaque  église. 

16.  Défense  aux  laïcs  de  faire  des  constructions  dans  les 
cimetières  ou  d'y   faire  des  amas  de  fumier. 

17.  Défense   aux  clercs  bénéficiers    ou    dans    les    ordres    ma- 
1008    jeurs  d'être,   à  prix  d'argent,  avocats,  etc. 

18.  Aucun  prêtre  n'acceptera  une  église  ad  firmam  s'il  n'a 
charge  d'âmes,   ou  si,  ayant  charge  d'âmes,  il  n'a  pas  un  vicaire 

1.  Le  synode  de  Sens  de  912  les  appelle  servitores  =  desservants. Ci.  can.  29  et  30. 


152G  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE     II 

perpétuel;    encore  lui  faut-il  une  permission  spéciale    de    l'évê- 
que. 

19.  Les  donnés  ou  oblats  des  couvents  auront  un  signe  dis- 
tinctif  et  des  habits  de  tournure  religieuse;  ils  seront  protégés 
par  l'Église  comme  s'ils  étaient  de   véritables    moines. 

20.  Les  prêtres  ne  porteront  ni  longs  couteaux,  ni  poi- 
gnards, ni  sabres;  leurs  clercs  n'en  porteront  pas  non  plus,  sauf 
s'ils  ont   de  justes  raisons  de  crainte. 

2L  On  fera  toujours  les  testaments  en  présence  d'un  prêtre, 
sauf  le  cas  de  nécessité,  malgré  la  coutume  contraire  existant 
en    Normandie. 

22.  Les  ofTiciaux,  et  en  général  tous  ceux  qui  ont  mandat 
d'exercer  la  juridiction  épiscopale,  jureront  de  ne  recevoir 
aucun  présent,  aucun  cadeau,  sauf  les  dons  trop  insignifiants 
pour  faire  dévier  un  juge  de  la  voie  de  la  justice. 

23.  Défense  aux  moines  et  autres  personnes  d'Eglise  de 
déférer  aux  tribunaux  laïques  les  procès  qui  d'ordinaire  se 
traitent    devant    les    tribunaux    ecclésiastiques. 

24.  Les  évêques  et  les  archidiacres  ne  doivent  pas  vendre  ni 
donner  en  ferme  les  charges  de  doyen. 

25.  Dans  un  procès  porté  devant  un  tribunal  ecclésiasti- 
que, si  les  parties  plaidantes  conviennent  d'une  transaction  o  u 
arrangement,  aucune  des  parties  n'est  tenue  de  faire  un  verse- 
ment au  juge. 

26.  Les  affaires  ecclésiastiques  déférées  aux  doyens  ruraux 
ou  à  tous  autres  juges  ecclésiastiques  seront  traitées  selon 
le  droit  ecclésiastique  et  non  à  la  manière  des  tribunaux  civils. 

27.  Ceux  qui  prennent  la  croix  ne  jouissent  de  la  protection 
de  l'Église  que  pendant  un  an  et  un  jour,  à  moins  qu'ils  n'aient 
dû  différer  leur  voyage  par  ordre  du  Siège  apostolique  ou  du 
légat  ou   pour   d'autres    justes  et  graves    motifs. 

28.  Le  juge  séculier  qui,  malgré  la  réquisition  du  juge  ecclé- 
siastique, refuse  de  livrer  un  clerc  emprisonné  pour  un  méfait, 
tombe  sous  le  coup  de  l'excommunication.  S'il  y  a  lieu  de  pro- 
céder à  l'arrestation  d'un  clerc,  on  s'abstiendra  de  toute  vio- 
lence au  delà  du  nécessaire,  et  on  donnera  immédiatement 
connaissance   de   cette   arrestation   au   juge   ecclésiastique. 

29.  Les  clercs  qui  ont  des  vicaires  perpétuels  dans  leurs 
églises  et  peuvent  faire  des  études,  doivent  étudier  surtout 
la   théologie,   sauf    dispense    de    l'évêque.    S'ils    n'ont    pas    reçu 


658.    CONCILES    FRANÇAIS    ET    ANGLAIS  1527 

les  ordres  majeurs,  ils  auront  à  les  recevoir.    Quant    aux    clercs 
dont  on  ne  peut  attendre   de  progrès   dans    l'étude,    ils    seront 
ordonnés    et    devront  desservir     (deserviant)    effectivement  leurs 
1009    églises  ou  d'autres. 

30.  Si  un  vicaire  perpétuel  se  retire  ou  décède,  la  vicairie 
fait  retour  au  personat  et  dès  lors  ce  sera  le  dignitaire  ou  béné- 
ficier qui  devra  desservir  l'église  par  lui-même  et  non  par  un 
vicaire. 

31.  Pendant  la  vacance  d'une  église  qui  peut  être  desservie 
par  un  seul  prêtre,  le  desservant  provisoire  recevra  au  moins 
quinze  livres  tournois  par  an;  si  l'église  exige  deux  prêtres,  ils 
recevront  vingt -deux  livres  tournois  et  demie  sur  les  revenus 
de    l'église. 

32.  On  suivra  la  même  règle  pour  toutes  les  églises  qui  ne  sont 
pas  vacantes,  mais  dont  les  titulaires  sont  absents  avec  la  per- 
mission de  l'évêque,  enfin  pour  les   églises  qui   ont   un  vicaire. 

33.  Les  titulaires  des  églises  paroissiales  qui  ont  des  revenus 
suffisants  doivent  faire  élever  sur  le  terrain  appartenant  à 
l'église  les  constructions  nécessaires;  si  les  revenus  des  vicaires 
perpétuels  ne  leur  permettent  pas  de  le  faire,  ils  demanderont 
à  leurs  bénéficiers  de  leur  aider.  S'il  n'y  a  pas  d'emplacement 
convenable  pour  ces  constructions,  le  clerc  patron  qui  perçoit; 
une  part  de  dîme  ou  autres  revenus  de  cette  église  sera  con- 
traint de  fournir  cet  emplacement,  s'il  le  possède. 

34.  Défense  au  diacre  de  donner  l'eucharistie  aux  mala- 
des, d'entendre  des  confessions  et  de  baptiser,  sauf  les  cas  de 
nécessité  ^. 

35.  Qu'aucun  prêtre  ou  prior  forensis  (prieur  d'une  maison 
située  à  la  campagne  et  dépendante  d'un  couvent)  n'ait  de 
femme  à  demeure  chez  lui,  sauf  sa  mère  ou  une  personne 
assez  âgée  pour   être  à  l'abri  de  tout  soupçon. 

36.  Défense  de  lancer  l'excommunication  générale,  sauf  pour 
les  choses  volées  ou  perdues  dans  la  paroisse,  et  après  trois 
monitions  préalables. 

37.  Tous  les  moines  qui  vivent  isolés  seront  rappelés  parleurs 
abbés  dans  leur  couvent  respectif,  sauf  si  le  prieuré  suffit  à 
nourrir  au  moins  deux  moines;  auquel  cas,  l'abbé  devra  les  y 
placer. 

1.   Jusqu'au  moyen  âge,  les  diacres  ont  pu  confesser  dans  les  cas  de  nécessité. 


1528  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    II 

38.  Nous  confirmons  le  statut  promulgué  par  la  réunion 
générale  des  moines  noirs  (bénédictins)  sur  l'usage  de  la  viande 
et  les  jeûnes. 

39.  Les  moines,  sans  en  excepter  les  abbés,  ne  porteront  pas 
d'habits  somptueux  et  les  religieuses  n'auront  pas  de  pro- 
priété privée.  Les  évêques  devront  y  veiller. 

40.  Un  moine  ne  doit  rien  donner  à  son  abbé  pour  un  prieuré, 
et  l'abbé  ne   doit  rien  recevoir. 

41.  Sauf  le  prieuré,  un  moine  ne  doit  accepter  aucune 
autre    charge    ad  firmam  de  son  abbé  ni  de  personne. 

42.  Défense  aux  abbés  de  l'ordre  noir  (bénédictin)  de  recevoir  1010 
un  cistercien  déjà  profès. 

43.  Sont  révoquées  les  augmentations  ou  impositions  de  pen- 
sions, qui  ne  remontent  pas  à  quarante  ans,  que  les  prieu- 
rés doivent  payer  aux  couvents  ;  même  défense  concernant 
l'avenir. 

44.  Les  bénéliciers,  prêtres  et  religieux  de  tout  orare 
devront  s'abstenir  de  faire  du  commerce. 

45.  Les  avocats  feront  serment  de  s'acquitter  en  justice 
et  conscience  de  leur  charge,  de  ne  pas  accepter  de  causes  injus- 
tes, de  ne  pas  soustraire  de  pièces,  de  ne  pas  en  produire  de 
fausses,  etc. 

46.  Aucun  moine  ou  chanoine  régulier  ne  peut,  de  lui- 
même,  recevoir  d'un  laïc  un  droit  de  patronat,  une  dîme,  ure 
pension  sur  une  église;  de  même  il  ne  placera  pas,  sans  une 
permission  expresse  de  l'évêque,  un  chanoine  dans  un  poste 
occupé  auparavant  par  un  prêtre  séculier. 

47.  A  l'avenir,  aucun  abbé  ne  pourra,  sans  l'assentiment 
de  l'évêque,  lancer  une  sentence  générale  d'excommunication, 
par  exemple,  contre  tous  ceux  qui  bavardent  dans  le  couvent 
ou   qui  sortent  sans   permission,   etc. 

48.  Défense  d'admettre  à  la  profession  monacale  avant  l'âge 
de  dix-huit   ans. 

49.  Renouvelant  les  prescriptions  du  concile  général  (IV^  de 
Latran,  can.  68),  nous  ordonnons  que  les  juifs  se  distinguent  des 
chrétiens  par  leurs  habits  et  qu'ils  aient  sur  la  poitrine  un  signe 
très  facile  à  reconnaître.  Aucun  chrétien  [ni  chrétienne  ne  doit 
entrer  à   leur  service. 

En  cette  même  année  1231,  un  synode  de  la  province  ecclé- 
siastique de   Reims,  célébré  à  Saint-Quentin  sous  la   présidence 


658.     CONCILES     FRANÇAIS     ET     ANGLAIS  1529 

de  l'archevêque  Henri,  assigna  au  comte  de  Flandre  un  terme 
d'un  mois  pour  remettre  en  liberté  certains  clercs  de  Bruges  qu'il 
avait    emprisonnés;     on    lui    doit   en    outre     dix-sept    canons  ', 

1.  Sur  l'ordre  des  sessions  et  le  cérémonial  à  suivre  dans  les 
synodes    provinciaux. 

2.  Afin  d'extirper  l'usure,  les  évêques  obligeront  ceux  qui 
sont  soupçonnés  de  la  pratiquer  à  se  soumettre  à  une  en- 
quête, même  sans  plainte  préalable   contre  eux. 

3.  Aucun  avocat  ne  défendra  un  pareil  accusé,  s'il  ne  peut 
affirmer  par  serment  qu'il  tient  son  client  pour  innocent. 

4.  On  placera  dans  chaque  église    le  nombre  de  clercs  néces- 
1011  saires;   les   visiteurs   auront  soin   d'examiner  si  les  abbés   n'ont 

pas  réduit  outre  mesure  le  nombre  des  servitores  dans  les 
prieurés,   ce  qu'ils  font  souvent  par  esprit  d'avarice. 

5.  Souvent  les  seigneurs  temporels  ne  craignent  pas  de 
saisir  les  biens  d'un  clerc,  sur  la  simple  requête  d'un  créan- 
cier, sans  en  avoir  d'abord  informé  les  supérieurs  ecclé- 
siastiques. Ces  coupaliles  seront  frappés  des  censures  ecclé- 
siastiques. 

6.  Le  violateur  du  droit  d'asile  sera  excommunié;  celvii  qui 
aura  tué  quelqu'un  dans  une  église  sera  excommunié  pour  le 
reste  de  ses  jours. 

7.  Il  n'y  aura  pas  de  prédicateurs  à  gages. 

8.  Celui  qui  veut  céder  à  un  tiers  son  droit  de  poursuite 
judiciaire  doit  faire  cette  cession  par-devant  l'évêque  ou  son 
archidiacre. 

9.  L'abbé  ne  doit  pas  élever  les  redevances  accoutumées  que 
ses  prieurs  ont   à  lui  verser. 

10.  Le  can.  47  du  quatrième  concile  de  Latran  défend  de 
porter  une  excommunication  sans  suivre  la  procédure  requise; 
de  même,  pour  relever  un  censuré  de  l'excommunication, 
on  suivra  les  règles  prescrites. 

11.  Lorsque    des   laïcs    ont    usurpé   des    biens    d'Église,    si   le 


1.  Ils  manquent  dans  toutes  les  collections  des  conciles,  mais  se  trouvent  dans 
Gousset,  Actes  de  la  province  ecclésiastique  de  Reims,  t.  ii,  p.  357  sq.  [J'ignore  ce 
que  veut  dire  Hefele;  ces  actes  se  trouvent  dans  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col. 
445-446;  Hardouin,  Co;ic(7.  coW.,  t.  VII,  col.  197;  Aub.  Miraus,  Opéra  diplom., 
t.  III,  p.  90  ;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1267;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii, 
p.  250;  Vaiin,  Archiv.  administr.  de  Reims,  1839,  t.  i,  p.  548-558.   (H.   L.)] 


1530  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE      II 

juge  civil  se  refuse  à  y  remédier,  l'évêque  pourra  interdire  tout 
service  divin  dans  son  diocèse,  à  l'exception  du  baptême  et  de 
la  confession  des  malades. 

12.  Un  moine  ne  peut  prêcher,  confesser,  etc.,  que  dans  les 
localités  où  existe   un  couvent  de  son  ordre. 

13.  Si  des  moines  privilégiés  (exempts)  commettent  une 
faute,  il  faut  procéder  contre  eux  suivant  les  règles  du  droit. 

14.  Quiconque  soutiendra  un  laïc  dans  ses  attaques  contre 
l'Eglise  sera  frappé  de  la  peine  méritée. 

15.  Les  laïcs  ne  peuvent  pas  exercer  l'office  de  juges  à  l'égard 
des  clercs. 

16.  Détail  des  peines  réservées  à  ceux  qui  dérobent  le  bien  des 
églises. 

17.  Le  religieux  qui  se  montre  en  habits  laïques  et  avec  des 
armes  sera    saisi  et  livré  à  ses  supérieurs. 

Le  synode  de  Reims  rendit  aussi  une  intéressante  décision 
concernant  les  manquements  à  l'égard  des  évêques  :  Si  quel- 
qu'un attaque  un  évcque,  son  conseil  ou  sa  famille,  l'évêque 
l'excommuniera  si,  après  monition,  il  ne  donne  pas  satisfaction. 
Puis  l'évêque  recourra  au  seigneur  de  cet  homme,  réclamant 
son  intervention  auprès  du  vassal,  sous  peine  d'excommuni- 
cation et  d'interdit.  On  remonte  ainsi  jusqu'au  roi.  Si,  dans  le 
délai  de  quarante  jours,  le  roi  ne  prend  pas  les  mesures  néces- 
saires, l'évêque  lésé  pourra  défendre  la  célébration  de  tout 
ofTice  divin  dans  son  diocèse;  si  une  première  monition  adres- 
sée au  roi  demeure  sans  résultat,  l'archevêque  et  les  autres 
évêques  agiront  de  même  dans  leurs    diocèses. 

Vers  cette  même  époque,  les  évêques  de  la  province  de  Tours,  1012 
réunis  en  synode  à  Château-Gontier,  sous  la  présidence  de   Juhel 
de  Mayenne,  publièrent  les  trente-sept  canons  suivants  motivés 
par  le   souci  des  réformes  ^   : 

1.  Les  mariages  clandestins  ne  seront  plus  tolérés  et  seront 
cassés   par  les   évêques. 

2.  Les  archiprêtres  et  doyens  ruraux  ne  connaîtront  plus  de 
leur  propre  autorité  les  causes  de  mariage. 

3.  Lorsqu'une     église    vient    à    vac{uer,    le    patron      prcsen- 


1.   Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1261;  Hardouin,  Conc.  coll.,   t.  vu,    col.    191; 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  p.  223  sq. 


658.    CONCILES    FRANÇAIS    ET    ANGLAIS  1531 

tera  dans  le  délai  légal  son  candidat  d'abord  à  l'archidiacre 
ou  au  doyen  rural  et  ensuite  à  l'évèque  ou  à  celui  (abbé)  qui 
a  le  jus  episcopale.  Le  candidat  prêtera  alors  serment  qu'il 
n'a  rien  donné  ni  promis  par  lui-même  ou  par  un  tiers 
pour  se  faire  présenter.  Après  quoi,  si  le  candidat  est  idoine, 
l'évèque  ou  celui  qui  a  le  jus  episcopale  lui  confiera  la  cura 
animarum;  alors  l'élu  prêtera  le  serment  d'obéir  à  l'évèque  et  à 
ses  autres  supérieurs,  de  se  faire,  ordonner  quand  l'évèque  le 
prescrira,  de  défendre  les  droits  de  son  église  et  d'en  revendi- 
quer les  biens  aliénés.  Cette  forme  est  imposée  à  peine  de 
nullité. 

4.  Les  évêques  obligeront  tous  les  clercs  ayant  des  églises 
avec  charge  d'âmes  à  les   desservir  eux-mêmes. 

5.  Si,  pour  un  motif  pressant,  on  donne  à  un  clerc  une 
église  ad  firmam,  on  réservera  sur  les  revenus  de  l'église  de  quoi 
sufTire  à  l'entretien  du  chapelain. 

6.  Le  nombre  des  chanoines  doit  être  fixé  dans  tous  les  cha- 
pitres. 

7.  Il  est  défendu  de  nommer  dans  les  cathédrales  à  des  pré- 
bendes   à  vaquer. 

8.  Les  observances  coiisuétudinaires  des  églises  cathédrales 
seront  fixées  par  écrit. 

9.  Le  prêtre  qui  voit  quelqu'un  fréquenter  un  excommunié 
l'avertira;  si  cette  monition  est  sans  effet,  il  lui  défendra 
l'entrée  de  l'église. 

10.  On  doit  s'abstenir  des  sentences  générales  d'excommuni- 
cation. 

il.   Aucun  clerc  ne  doit  se  constituer  le  tributaire  d'un  laïc. 

12.  Les  archidiacres,  archiprêtres,  etc.,  n'auront  pas  d'official 
hors  des  villes;  ils  s'y  rendront  pour  traiter  par  eux-mêmes  les 
affaires    de  leur  ressort. 

13.  Défense  aux  prélats  de  recevoir  les  procurations  sous 
forme  d'une  somme  fixe  d'argent,  selon  le  statut  du  qua- 
trième concile  de  Latran  (can.  33). 

14.  Défense  aux  prélats  d'exiger  ou  d'extorquer  de  l'argent 
des  ^rmaru,  pour  les  placer  dans  leurs  églises  ^  ;  et  cela  sous  peine 
d'amende  du   double. 

1 .  Firmarius,  qui  a  une  église  ad  firmam.  Vicarius  seu  presbyter,  cui  ecclesia 
deservienda  commitlitur.  Du  Gange,  à  ce  mot. 


1532  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    II 

15.  Le  patron  ([ui  présente  un  candidat  illettré  perd  pour 
cette  fois  le  droit  de  présentation. 

16.  Qu'on   ne    place  pas  à   la    tête    d'une    église    avec    charge  1013 
d'âmes  un  prêtre  qui    ne    comprendrait  et   ne   parlerait  par    l'i- 
diome de  la  localité. 

17.  Défense  de  vendre  la  tutelle  des  orphelins,  des  mineurs,  etc. 

18.  Aucun  prêtre  ne  sera  admis  à  exercer  ses  fonctions  sans 
la  permission   de   son    évoque. 

19.  Défense  aux  laïcs  de  céder  leurs  actions  (judiciaires)  à 
des  clercs  pour  se  ménager  le  passage  du  tribunal  séculier  au 
tribunal  ecclésiastique. 

20.  Les  clercs  coupables  d'un  délit  énorme  seront  livrés  à 
l'évêque,  qui  les  dégradera  s'ils  le  méritent;  et  s'ils  ne  s'amendent 
pas  par  la  suite,  l'Église  ne  les  protégera  plus. 

21.  Les  clercs  ribauds,  en  particulier  les  goliards,  seront  ton- 
dus ou  même  rasés  de  façon  à  faire  disparaître  la  tonsure  cléricale 
(p.  152:5). 

22.  Les  graves  délits  des  croisés  doivent  être  jugés  par  les  tribu- 
naux ecclésiastiques;  le  juge  devra  retirer  au  coupable  la  croix 
et  tous  les  privilèges  réservés  aux  croisés;  les  délits  moindres 
seront  punis    suivant  leur  gravité. 

23.  Certains  tyrans,  usant  de  gens  insolvables,  capturent  des 
personnes  d'Eglise,  en  dévastent  les  biens,  sans  paraître  y  pren- 
dre part.  Les  tyrans  de  ce  genre  seront  mis  en  demeure  par 
l'évêque  de  se  justifier;  et  s'ils  ne  peuvent  le  faire,  ils  devront 
réparer  les  dommages. 

24.  Les  moines  devront  observer  le  silence  et  connaître  les 
signes  qui  leur  servent  à  se  faire  comprendre  (sans  parler). 
Leurs  habits  seront  uniformes. 

25.  Les  moines  qui  n'ont  pas  quinze  ans  ne  seront  placés  que 
dans   les   prieurés   conventuels   (qui   ont    la   i'ita  communis). 

26.  Les  moines  ne  doivent  rien  posséder  en  propre;  l'abbé 
lui-même  ne   peut  les   y  autoriser. 

27.  Les  moines  et  tous  les  réguliers  observeront  leurs  rè- 
gles concernant  l'abstinence. 

28.  Aucun  abbé  ne  doit  voyager  sans  un  moine,  aucun  moine 
sans  un  serviteur. 

'^9.  On  ne  laissera  jamais  des  moines  seuls  dans  les  prieurés  : 
mais  on  en  groupera  au  moins  deux  dans  chaque  prieuré.  Si 
cela  n'est  pas  possible,  le  moine  ainsi  isolé  devra  revenir  au  cou- 


658.    CONCILES     FRANÇAIS     ET     ANGLAIS  1533 

vent  et  remplir  roliice  que  son  supérieur  voulait  lui  faire  rem- 
plir dans  le  prieuré.  L'cvêque  s'emploiera  pour  que  le  patron 
accepte  cette  solution. 

30.  Dans  les  églises  paroissiales,  on  interdira  chaque  diman- 
che de  pratiquer  l'usure  sous  peine  d'excommunication.  Quicon- 
que est  soupçonné  de  la  pratiquer  devra  y  rononcer  par  ser- 
ment, puis  se  justifier  et,  s'il  n'y  réussit  pas,  il  sera  excommunié 
jusqu'à  restitution  et  privé   de   la  sépulture   ecclésiastique. 

31.  Les  juifs   ne  doivent  pas  devenir  fonctionnaires. 

32.  Si  un  juif  injurie  la  foi  chrétienne  ou  le  Sauveur,  aucun 
1014    chrétien  ne  devra  ensuite  avoir  commerce  avec  lui. 

33.  Aucun  juif  ne  peut  servir  de  témoin  contre  un  chrétien. 

34.  Les   mariages   clandestins   sont   défendus. 

35.  Tous  les  officiaux  et  autres  juges  délégués  prêteront  ser- 
ment, à  leur  entrée  en  charge,  de  ne  pas  accepter  de  présents 
et  de  pratiquer  la  justice. 

3G.  Les  avocats  prêteront  un  serment  analogue  dont  on  donne 
la    formule. 

37.  Les  ordonnances  du  synode  de  Laval  de  1207  doivent  être 
observées. 

Le  20  juin  1231,  Henri  III  d'Angleterre  convoqua  tous  les 
sufTragants  de  Cantorbéry  et  les  évêques  du  pays  de  Galles,  de 
Llandaff  et  de  Saint-David  à  un  concile  fixé  le  13  juillet  à  Oxford  ; 
on  devait  y  aborder  l'affaire  du  duc  Lewelin  de  Northwallia, 
excommunié  et  interdit  depuis  1223.  Le  duc  et  ses  partisans 
furent  de  nouveau  frappés  d'anathème.  Le  primat  Richard 
de  Cantorbéry  n'assistait  pas  au  concile,  étant  alors  à  Rome. 
L'évêque  de  Winchester  était  en  Terre  Sainte  ^.  La  même  année, 
1231,  commença  en  Angleterre  une  persécution  violente  et  très 
bien  organisée  contre  tous  les  Romains;  beaucoup,  venus  en  An- 
gleterre avec  les  légats  du  pape,  s'étaient  fait  attribuer  d'opulents 
bénéfices.  Dans  beaucoup  d'églises  épiscopales,  il  n'y  avait  pas 
moins  de  cinq  Italiens  occupant  de  grasses  prébendes.  En  vertu 
d'un  prétendu  édit  royal,  ils  en  furent  dépouillés  et  menacés  de 
mort,  eux  et  leurs  protecteurs.  Roger,  évêque  de  Londres,  réunit, 
le  11  février  1232,  dans  sa  ville  épiscopale,  un  concile  qui  excom- 

1.  Haddan-Stubbs,  Councils  and  ecdesiastical  documents,  t.  i,  p.  462.  Lewelin 
avait  déjà  été  excommunié  par  Etienne  Langton  et  ses  sutïragants  et  la  sentence 
avait  été  confirmée  par  le  pape  Honorius.  Haddan-Stubbs,  op.  cit.,  p.  459; 
Potthast,  Reg.,  n.  7083. 


1534  LIVRE    XXXVI.     CHAPITRE    II 

munia  les  auteurs  de  ces  excès;  plusieurs  furent  jetés  en  prison 
par  ordre  du  roi  et  leurs  chefs  furent  envoyés  à  Rome  ^. 


659.   Conciles  touchant  les  Stedinger  et  autres  hérétiques 

allemands. 

Dès  le  temps  de  saint  Bernard,  l'Allemagne  était  travaillée  1015 
par  des  erreurs  d'un  gnosticisme  manichéen;  au  xiii^  siècle, 
cette  fermentation  recommença.  En  1220,  Frédéric  II  publia 
contre  les  hérétiques  des  édits  sévères  qu'il  renouvela  à  Ravenne 
en  février  et  mars  1232^,  et  qui  gardèrent  force  de  loi;  mais 
ce  furent  surtout  de  simples  particuliers,  sans  mission  officielle, 
qui,  dès  1231,  commencèrent  en  Allemagne  à  persécuter  les  héré- 
tiques. Les  Annales  de  Worms  rapportent  qu'en  cette  année, 
un  frère  lai  de  l'ordre  des  dominicains,  Conrad  Dorso,  de  compa- 
gnie avec  un  laïc  nommé  Jean,  borgne  et  mutilé,  commença 
à  parcourir  la  Haute-Allemagne,  s'attribuant  le  don  de  connaître 
les  hérétiques,  et,  sous  ce  prétexte,  persécutant  cruellement 
les  petites  gens.  Un  grand  nombre  furent  brûlés,  et  comme 
quelques-uns  étaient  réellement  coupables,  le  peuple  fit  éclater 
sa  joie.  Enhardis,  les  deux  inquisiteurs  improvisés  s'attaquèrent 
aux  gens  d'un  rang  plus  élevé;  ils  se  contentaient  de  dire  aux 
juges  :  «  Ce  sont  des  hérétiques,  nous  retirons  nos  mains  de 
dessus  eux.»  Et,  sans  procédure  légale,  les  juges  étaient  obligés 
de  les  condamner  au  feu,  ce  que  le  clergé  déplorait  extrêmement. 
Un  grand  nombre  d'excellents  chrétiens  furent  ainsi  condamnés; 
les  juges  impitoyables  compromis  dans  ces  exécutions  cher- 
chèrent à  se  rendre  favorables  le  roi  Henri  et  d'autres  seigneurs, 
en  attribuant  les  biens  des  hérétiques  brûlés  à  leurs  seigneurs,  et 
dans  les  villes  épiscopales  moitié  au  roi  et  moitié  à  l'évêque. 
Cette  décision  plut  aux  seigneurs,  dit  l'annaliste  de  Worms,  et  ils 
laissèrent  brûler  dans  leurs  villes  et  villages  un  grand  nombre 
d'innocents.  Les  deux  inquisiteurs  disaient:"  On  doit  brûler  cent 
innocents   pour  un  coupable.  »  Tout  le  pays  trembla  devant  eux  ^. 

1.  Coleti,  Concil.,  t.  xin^  col.  1267;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  124. 

2.  Monum.   Germ.  hist.,  Leges,  t.  iii^  p.  287. 

3.  Bôhmer,  Fontes,  t.  ii^  p.  175  sq;  Mon.   Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvii,  p.  38  sq. 


659.     CONCILES    TOUCHANT     LES     STEDINGER  1535 

Ce  récit  est  en  partie  confirmé,  en  partie  rectifié  pa»  le 
décret  du  2  juin  1231,  où  Henri,  roi  d'Allemagne  (fils  de 
Frédéric  II),  rapporte  qu'à  la  diète  de  Worms  (mai  1231), 
on  s'était  demandé  à  qui  appartenaient  les  biens  des  héré- 
tiques condamnés  ;  or  on  avait  conclu  que  les  biens  des 
condamnés  appartiendraient  à  leurs  héritiers  naturels,  et  les 
fiefs  à  leurs  suzerains  ^ 

A  cette  époque,  Frédéric  II  s'occupa  aussi  des  hérétiques  ;  il  re- 
nouvela les  anciennes  ordonnances  et  prit  sous  sa  protection 
1016  spéciale  les  dominicains,  qu'il  nomma  juges  des  hérétiques  pour 
toute  l'Allemagne. 

D'accord  avec  les  Annales  de  Worms,  les  Gesta  Tre^drensium 
archiepiscoporum  racontent  qu'en  1231  éclata  dans  toute  l'Al- 
lemagne une  grande  persécution  contre  les  hérétiques,  à  l'égard 
desquels,  convaincus  ou  suspects,  on  procéda  d'une  manière 
sommaire  et  brutale.  Beaucoup  d'innocents  furent  brûlés,  faute 
d'avoir  pu  se  disculper,  et  la  terreur  était  si  grande  que  nul 
n'osait  se  porter  caution  pour  un  autre.  «  Le  diocèse  de  Trêves 
lui-même,  continuent  les  Gesta,  n'a  pas  échappé  à  ce  déshonneur, 
et  on  a  prétendu  avoir  trouvé  trois  écoles  d'hérétiques  dans  la 
seule  ville  de  Trêves.  Une  femme  nommée  Luckardis,  qui  pas- 
sait pour  très  pieuse,  fut  brûlée  pour  avoir  tenu  comme  imméri- 
tée la  chute  de  Lucifer  et  voulu  le  réintégrer  dans  les  cieux  ^. 
On  rencontra  des  sectes  analogues.  Beaucoup  de  ces  hérétiques 
avaient  des  traductions  allemandes  de  la  Bible;  certains  renou- 
velaient le  baptême,  plusieurs  ne  croyaient  pas  à  l'eucharistie, 
d'autres  pensaient  que  les  mauvais  prêtres  ne  pouvaient  con- 
sacrer; d'autres  soutenaient  que  la  consécration  pouvait  se  faire 
en  tout  lieu,  dans  un  vase  quelconque  et  par  le  premier  venu^ 
homme  ou  femme.  Les  uns  rejetaient  comme  inutiles  la  confirma- 
tion et  l'extrême-onction,  le  pape,  le  clergé  et  la  religion,  enfin 
les  prières  pour  les  morts.  Les  autres  épousèrent  leur  propre 
mère,  après  avoir  racheté  pour  dix-huit  deniers  l'empêchement 
de  parenté;  quelques-uns  affectèrent  d'embrasser  im  homme 
blond  ou  un  chat,  d'autres  dirent  qu'il  ne  fallait  nulle  distinction 
entre  les  jours,  point  d'observance  des  fêtes  et  des  jeûnes,  et  ils 

1.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  m,  p.  465  sq.  ;  Monwm.  Germ,  hisl.,  Leges, 
t.   II,  p.   284. 

2.  A  ce  sujet,  voir  plus  haut,  p.  1447,  les  plaintes  contre  le  prévôt  Mimique. 


1536  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    II 

mangeaient  de  la  viande  le  vendredi  saint.  Tliéodoric,  archevêque 
de  Trêves,  découvrit  qu'un  groupe  avait  un  évêque  également 
nommé  Théodoric.  Le  même  fait  se  produisit  ailleurs.  Ils  avaient 
aussi  imposé  à  leur  pape  le  nom  de  Grégoire;  aussi,  interrogés 
sur  leur  foi,  ils  répondaient  :  «  Nous  suivons  la  foi  du  pape  Grégoire 
et  de  l'évèque  Théodoric.» — L'archevêque  de  Trêves  convoqua 
dans  sa  ville  épiscopale  (1231)  un  concile,  devant  lequel  compa- 
rurent trois  hérétiques  :  deux  furent  renvoyés  et  un  fut  brûlé. 
On  excommunia  aussi  dans  ce  concile  plusieurs  faux-mon- 
nayeurs  ^.  « 

Les  mêmes  Gesta  Trevirorum  rapportent  que  Mayence  fut,  1017 
après  Trêves,  le  boulevard  de  ces  hérétiques;  Albéric  raconte 
qu'ils  avaient,  dans  les  environs  de  Cologne,  une  synagogue  dans 
laquelle  se  trouvait  une  image  de  Lucifer.  Cette  statue  répondait 
aux  questions;  mais  elle  s'écroula  en  présence  d'une  hostie  con- 
sacrée ^.  Sur  les  bords  du  Rhin,  le  principal  adversaire  des 
hérétiques  fut  le  célèbre  Conrad  de  Marbourg,  le  confesseur  de 
sainte  Elisabeth  de  Thuringe  :  sa  procédure  à  leur  égard  était 
aussi  sommaire  que  celle  dont  nous  avons  parlé  plus  haut.  L'an- 
naliste de  Worms  écrit  à  ce  propos  :  «  Pour  fortifier  leur  autorité, 
Dorso  et  Jean  s'unirent  au  frère  Conrad  de  Marbourg  qui  avait 
le  prestige  d'un  prophète  ^.  Ils  le  gagnèrent  à  leur  parti,  car  c'était 
un  judex  sine  misericordia,  et  ils  poursuivirent  leur  œuvre  sur 
de  larges  proportions.  Ceux  qui  s'avouèrent  coupables  d'hérésie 

1.  Martène  et  Durand,  Veter.  acript.  ampliss.  coll.,  t.  iv,  p.  242;  Mansi,  Con- 
cilia, Supplem.,  t.  II,  col.  978;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  241-244;  Hartz- 
heim,  Conc.  Germanise,  t.  m,  p.  539;  Binterim,  Deutsche  Concilien,  t.  iv,  p.  400, 
a  tort  de  soutenir  que  ce  synode  est  le  même  que  celui  de  Trêves  de  1238. 
A  cette  dernière  date,  il  n'était  plus  question  de  ces  hérétiques. 

2.  Albéric  de  Trois-Fontaines,  Chron.,  dans  Mon.  Gerin.  hist.,  Script.,  t.  xxiii, 
p.  931.  Au  sujet  de  monach.  Trium  Fontium,  ci.V enquête  approfondie  et  savante 
de  Scheffer-Boichorst,  dans  la  préface  de  Chron.,  p.  631. 

3.  Conrad  de  Marbourg  ne  faisait  pas  partie  d'un  ordre  religieux,  ainsi  qu'on 
pourrait  le  conclure  du  mot  «  frère  ».  Mais  comme  il  est  souvent  appelé  prsedi- 
calor,  par  suite  de  ses  nombreuses  prédications  pour  la  croisade  et  contre  les 
hérétiques,  plusieurs  le  regardaient  comme  un  dominicain.  Cf.  Kaltner,  Kon- 
rad  wn  Marburg  und  die  Inquisition  in  Deutschland  aus  den  Quellen  bearbeitet, 
Prag,  1882,  p.  76  sq.  ;  J.  Beck,  Konrad  von  Marburg,  Inquisilor  in  Deutschland, 
in-8,  Breslau,  1871;  L.  Cuno,  Conrad  von  Marburg,  ein  Sucher  der  Ketzer  und 
ein  Mehrer  des  Christenglaubens,  Bilder  aus  dem  xiii  Jahrh.,  in-8,  Marburg, 
1877;  ^Yinkelmann,  Deutschlands  ersler  Inquisitor,  dans  Deutsche  Rundschau, 
août  1881.   (H.  L.) 


G59.    CONCILES    TOUCHANT      LES      STEDINGER  1537 

—  et  beaucoup  le  firent  pour  sauver  leur  vie  —  furent  rasés  ;  ceux 
qui  niaient  étaient  brûlés^;  et  ceux-ci  furent  en  plus  grand 
nombre  que  les  autres.  Ces  trois  hommes  acquirent  un  pou- 
voir illimité;  d'ailleurs  Conrad  de  Marbourg  était  fort  savant 
et  très  aimé.  Ils  s'adjoignirent  plusieurs  franciscains  et  domi- 
nicains, quoiqu'ils  n'eussent  eux-mêmes  aucun  mandat  du  Saint- 
Siège  ^.  » 

Cette    dernière     remarque     ne    concerne    que    les    débuts    de 
l'œuvre  de  Conrad  de  Marbourg,   car  il  ne   tarda   pas   à  devenir 
officiellement    inquisitor  hsereticœ   praçitatis.   A  lire  la  Chronique 
d'Erfurt,  on  pourrait  croire  que,  dès  le  mois  de  mai  1232,  lors- 
qu'il fit  brûler  à  Erfurt  quatre  hérétiques  ^,  Conrad  possédait  déjà 
ces  pouvoirs;  mais  la  lettre  du  pape  à  l'archevêque    de    Mayence 
1018    (29  octobre  1232)  ne    parle    pas  d'une    pareille    mission  confiée  à 
Conrad;  elle   ordonne   seulement  à  l'archevêque  de   choisir    des 
hommes  pieux  et  savants  et  de  les  envoyer  dans  tout    son  dio- 
cèse pour  rechercher  les   hérétiques  et  les  suspects;  ce  fut  alors 
sans  doute  que    Conrad    reçut,    soit    de    l'archevêque,     soit    du 
pape    lui-même,    son     mandat     contre    les     hérétiques.    D'après 
cette  lettre,  si  l'enquête  démontrait  la  culpabilité  d'un  suspect 
qui   refusait    d'obéir    aux    préceptes     de     l'Eglise,    l'archevêque 
devait   se    conformer   au   nouveau   statut    du   pape    relatif    aux 
hérétiques.  Quant  à  ceux  qui,  abjurant  l'hérésie,  demandaient  à 
rentrer  dans  le  sein  de  l'Église,  le  prélat  leur  donnerait  l'absolu- 
tion, après  leur  avoir    recommandé  de  ne    plus    retomber    dans 
l'erreur.   Quiconque  prêchait  contre  les  hérétiques  gagnait  pour 
chacune  de  ses  stations  une  indulgence  de  vingt  jours  ;  celui  qui  co- 
opérait à  l'extirpation  violente  des  hérétiques,  devenue  nécessaire, 
obtenait  une  indulgence  de  trois  ans;  enfin,  celui  qui  trouverait  la 
mort   dans    cette  lutte  après  s'être  confessé  avec  des   sentiments 
de    contrition,    obtenait     une   rémission    complète    de    tous    ses 
péchés  (c'est-à-dire  de  toutes  les  peines   méritées  par  ses  péchés)  *. 

1.  La  Chronique  d'Erfurt  raconte  avec  plus  de  détails  en  ces  termes  les 
procédés  de  Conrad  :  «  Tout  homme  soupçonné  d'hérésie  était  soumis  à  une 
enquête  publique  :  s'il  reconnaissait  son  erreur  et  déclarait  vouloir  rentrer  dans 
l'Église,  il  était  rasé;  si  au  contraire  il  soutenait  son  innocence  et  si  son  hérésie 
était  constatée  (pro  hœrelico,  et  non  per  hsereticum) ,  il  était  brûlé.  »  Bohmer, 
Fontes,  t.  n,  p.  391  sq. ;  Mon.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvi,  p.   29;  t.  xxiii^  p.  931. 

2.  Bohmer,  Fontes,  t.  ii,  p.  176. 

3.  Ibid.,  p.  389. 

4.  Wùrdtwein,  Nova  subsidia  diplom.,  t.  vi,  p.  28  sq. 

CONCILES  —    V     —    97 


1538 


LWRE    XXXVI,    CHAPITRE    II 


L'année  précédente,  le  pape  avait  adressé    à    l'évoque    Jean 
de  Lubeck,  au  prieur  des  dominicains  de  Brème  et  à  son  propre 
pénitentiaire,  Jean  de  Vicence,  une  bulle  au  sujet  des  Stedinger^. 
C'étaient  les  descendants  de     Frisons  et    de    Saxons    qui,    vers 
la    fin    du    xii^    siècle,    avaient    émigré    sur    les    territoires    du 
Weser  inférieur  et  défriché  la  contrée.    On   les  distingua  d'après 
le  lieu  de  leur  résidence  sur  les  deux  rives  du    Weser,    en    Ste- 
dinger  de    l'est  et  Stedinger   de    l'ouest  ^  ;    un    demi-siècle   leur 
avait  sufTi  pour  devenir  riches  et  puissants,  et  former  une  classe 
de    paysans  libres  assez  forts  pour   repousser  toutes  les  tentati- 
ves des  soldats  des  ducs  d'Oldenbouro;  de  réduire  la  contrée  sous 
leur  obéissance.  Les  garnisons    de    deux    places   fortes   apparte- 
nant aux    ducs    d'Oldenbourg  ayant    manqué   d'égards    envers 
des  femmes  et  des  filles  de  colons,  ceux-ci  attaquèrent  les   deux 
villes,  s'en  emparèrent  et  les  détruisirent.   Toutefois    l'archevê- 
que  Hartwig    II    réussit  à   les    empêcher    de     se    soustraire    au 
paiement  de  l'impôt  et  de  la  dîme  due  à  l'archevêché  de  Brème;    1019 
mais,  à  la  mort  de  cet  archevêque,  les  Stedinger  prirent  part  aux 
luttes   qui    eurent   lieu   de  1207   à   1217    pour   la  possession    de 
l'archevêché    de    Brème,    et  remportèrent    certains    avantages. 
Gerhard  II,  archevêque   de  Brème  de  1219  à   1258,   ayant  voulu 
exiger  de  nouveau  le  paiement  de   ces  impots,    les  habitants  des 
marches  du  Weser  refusèrent    et   attaquèrent   les     propres     mes- 
sagers   de     l'archevêque    chargés     du     recouvrement.     Gerhard 
envoya    alors    une   armée    contre   les    paysans  rebelles,  sous  les 
ordres  de   son   frère    Hermann   de    Lippe  ;    mais     Hermann    fut 
vaincu  et  tué   dans  une   bataille  livrée  la  veille  de    Noël   1229. 
L'archevêque,  décidé  à  faire  valoir  ses  droits  par  la  force    des 
armes    contre    ces    colons    obstinés,    résolut    de    faire    appel    au 
bras  séculier;  il  convoqua    donc   à  Brème,  le   17  mars  1230,  un 
synode  diocésain;  les  iS'iec^mge?' y  furent    déclarés    hérétiques    et 
condamnés    comme  tels.   Les  actes   du  synode  •'  leur    imputent 
les  crimes  suivants   :  mépris  absolu    de   la    puissance   ecclésias- 


1.  La  bulle  est  datée  de  Rieti,  le  26  juillet  1231  ;  elle  est  imprimée  dans  la  collec- 
tion de  documents  de  Brème,  t.  i,  n.  166,  p.  196;  en  allemand,  dans  Schumacher, 
Die  Stedinger,  Beitrag  zur  Gesclvchte  der  Wesermarschcn,  Brème,  1865. 

2.  Au  sujet  de  l'étymologie  du  nom  Stedinger,  cf.  Schumacher,  op.  cit.,  p.  25, 
148,  note  1. 

3.  On  trouve  le  même  dans  Sudendorf,  t.  ii,  n.  71,  p.  156;  en  allemand,   dans 


659.    CONCILES    TOUCHANT    LES    STEDINGER  1539 

tique,  des  sacrements  et  des  enseignements  de  l'Eglise. 
Hostilité  contre  les  clercs  dont  ils  ont  tué  plusieurs,  contre 
les  monastères  et  églises  qu'ils  brûlent  et  pillent.  Violation 
des  serments.  Profanation  effroyable  du  corps  de  Notre-Seigneur. 
Invocation  des  démons.  Pratique  de  l'envoûtement.  Recours 
aux  diseuses  de  bonne  aventure,  et  autres  œuvres  exécrables. 
Ces  accusations,  dont  quelques-unes  sont  incontestablement 
très  graves,  ne  sont  pourtant  pas  toutes  des  aberrations  dog- 
matiques et  de  véritables  hérésies  ^.  La  principale  faute  des  Stedin- 
ger  était  leur  opposition  armée  aux  prétentions  de  l'archevêque 
de  Brème  :  c'était  mépriser  l'autorité  de  l'Eglise,  faire  fi  de 
ses  enseignements  et  fouler  aux  pieds  les  serments.  Ceux  que 
l'archevêque  envoya  pour  faire  valoir  ses  droits  et  lever  ses 
taxes  étaient  pour  la  plupart  clercs  ou  moines;  ils  furent  ac- 
cueillis de  la  pire  façon,  non  comme  des  clercs,  mais  comme 
des  ennemis  politiques. 

Quant  aux  clercs  qui  figuraient  dans  les  rangs  de  ces  révoltés, 

020    c'étaient    de    piètres    ecclésiastiques,  profanateurs    de    leur  état 

et  des  sacrements.   Les  superstitions  à  demi    païennes    des  Ste- 

dinger  n'ont    rien     d'extraordinaire   et   leur  présence    chez   eux 

au    xiii^    siècle    ne  suffit  pas   pour  les  accuser  d'hérésie  ^. 

Les  Stedinger,  qui  avaient  affronté  les  gens  d'armes  de  l'ar- 
chevêque, ne  se  soumirent  pas  à  son  jugement  ecclésiastique 
et  refusèrent  de  le  reconnaître.  Ils  justifiaient  ainsi  l'accusa- 
tion de  mépriser  l'autorité  de  l'Eglise  :  aussi  l'archevêque,  le 
chapitre,  le  clergé  et  la  noblesse  du  diocèse  s'adressèrent  à 
Rome  et  formulèrent  cette  accusation  dont  s'inspire  la  bulle 
de  Grégoire  IX  du  6  juillet  1231.  Le  pape  y  reproduit  les 
chefs  d'accusation  contenus  dans  les  actes  du  concile  de  1230; 
il  y  ajoute  le  mépris  de  l'excommunication.  On  engageait  ceux 
qui  s'étaient  adressés  à  Rome  à  faire  tous  leurs  efforts  pour 
ramener  les  révoltés  à  l'obéissance  au  siège  de  Brème  et  à  la 
communion    de    l'Eglise.    Toutefois     le   pape   réclama    de    plus 


Schumacher,  op.  cit.,  p.  81.  En  ce  qui  concerne  la  date  du  synode,  cf.  Schuma- 
cher, p.  222. 

1.  C'est  ce  qui  découle  de  la  manière  la  plus  évidente  des  lettres  du  pape    des 
18  mars  1234  et  21  août  1235,  citées  plus  loin. 

2.  Knopfler  a  des  trésors  d'indulgence  pour  les  Sledinger,  c'est  de  l'indulgence 
peu  justifiée.  (H.  L.) 


IB'^lO  LIVRE    XXXVI 


CHAPITRE    II 


amples  renseignements  et  chargea  les  trois  évêques  de  Minden , 
de  Lubeck  et  de  Ratzebourg  d'une  enquête  approfondie. 
Cette  enquête  dut  mettre  en  lumière  les  accusations  déjà 
contenues  dans  la  plainte  de  l'Eglise  de  Brème,  car  elle  eut  pour 
conséquence  la  première  bulle  de  croisade  contre  les  Stedinger 
datée  du  29  octobre  1232.  Le  pape  les  décrit  en  ces  termes  : 
Ils  méprisent  l'enseignement  de  l'Lglise,  combattent  sa  liberté, 
ne  respectent  dans  leur  cruauté  ni  l'âge  ni  le  sexe,  versent  le 
sang  comme  l'eau,  ont  crucifié  au  mur  des  ecclésiastiques,  pro- 
fanent la  sainte  eucharistie  d'une  manière  honteuse,  consul- 
tent les  démons  et  vénèrent  des  idoles  de  cire  :  aussi  les  évê- 
ques doivent-ils  exciter  les  fidèles  contre  ces  adorateurs  impies 
des  démons  et  les  enrôler  dans  une  croisade  en  leur  promettant 
des  indulgences  ^.  Une  autre  bulle,  datée  du  12  novembre  de  la 
même  année  ",  accorde  à  l'archevêque  le  droit  absolu  de  frapper 
tous  les  clercs  accusés  d'hérésie. 

La  première  croisade  contre  les  Stedinger  ne  fut  pas  heureuse  :  1021 
les  habitants  des  Marches  bien  entraînés  à  la  lutte  demeurèrent 
vainqueurs  et  encore  plus  hostiles  aux  gens  et  aux  choses  d' l'glise. 
Sur  ces  entrefaites,  le  pape,  par  une  bulle  du  19  janvier  1233, 
ordonnait  aux  évêques  de  Paderborn,  Hildesheim,  Verden, 
Munster  et  Osnabruck  de  joindre  leurs  efforts  à  ceux  des  évê- 
ques de  Minden,  Lubeck  et  Ratzebourg,  pour  prêcher  la 
croisade  contre  les  révoltés  ^.  Il  exhorta  également  les  citoyens 
de  Brème  à  seconder  leur  évêque  et  il  semble  certain  que 
telle  fut  la  cause  de  l'alliance  entre  l'évêque  et  les  citoyens, 
conclue  en  mars  1233  *.  Pendant  l'été  de  1233  eut  lieu 
une  deuxième  croisade  contre  les  Stedinger  de  l'est  ;  ils 
furent  vaincus  et  leur  territoire  ravagé.  A  la  nouvelle  de 
cette  première  victoire,  parut  une  nouvelle  bulle  de  croisade 
publiée    le    17     juin    1233  ^  ;    elle    accorde     à     tous     ceux    qui 

1.  Baronius-Raynaldi,   Annales,  ad   ann.   1238,   n.   8;   Monum.    Germ.    hist., 
Epist.,  t.  I,  p.  489. 

2.  Lùnig,  Spicileg.  eccles.,  t.  m,  ^    950  ;  Schumacher,  op.  cit.,  p.  97. 

3.  Hartzheim,  Conc.    Germanise,  t.   m,  p.   553;    Lindenbrog,   Scriptores  rer. 
Germ.  septenlr.,  Hamburgi,  1706,  p.  171;  Schumacher,  op.  cit.,  p.  184,  note  53. 

4.  Cf.  la  collection  des  documents  de  Brème,  t.  i,  p.  204  sq.  ;  Schumacher, 
op.  cit.,  p.   103. 

5.  Sudendorf,  Registr.,  t.  ii,  p.  79,  p.  167;  Monum.  Germ.  hist.,  Epist.,  xiii   s., 
t.  I,  n.  539. 


659.     CONCILES    TOUCHANT    LES     STEDINGER  1541 

ont  pris  les  armes  contre  les  habitants  des  marches,  hé- 
rétiques et  incorriifibles,  les  mêmes  indulgences  qu'aux  croi- 
sés de  Terre  Sainte.  Cependant  le  pape  insiste  pour  qu'on 
s'assure  de  la  réalité  des  crimes  reprochés  aux  Stedinger,  de 
peur  que  les  mesures  prises  contre  eux  ne  frappent  des  inno- 
cents sous  prétexte  de  prétendues  erreurs.  Et  en  effet,  dans  une 
lettre  du  18  mars  1234  à  son  légat  dans  l'Allemagne  sep- 
tentrionale, l'évoque  Guillaume  de  Modène,  Grégoire  parle 
tout  autrement  des  Stedinger.  Il  n'est  plus  question  d'hé- 
résies ni  d'actes  de  révolte  contre  l'Eglise,  mais  seulement 
d'un  conilit  effroyable  entre  l'archevêque  et  les  Stedinger, 
qui  a  occasionné  quantité  de  meurtres,  d'incendies  et  de  rava- 
ges. Le  légat  devra  s'efforcer  de  réconcilier  les  deux  partis  ad- 
verses; sinon,  il  enverra  de  nouveaux  renseignements  au  pape, 
1022  qui  doit  être  exactement  renseigné  ^.  Mais  cette  lettre  ne  put 
empêcher  la  ruine  totale  des  Stedinger.  Au  printemps  de  1234, 
une  armée  considérable  de  croisés  marcha  contre  les  Stedinger 
de  l'ouest  qui  périrent  ou  furent  complètement  ruinés  à  la 
journée  d'Altenesch  (27  mai  1234)  ^  ;  quelques-uns  seulement 
échappèrent  au  massacre  en  se  réfugiant  dans  la  Frise,  pays 
voisin  du  leur  ^.  L'ordre  ainsi  rétabli  dans  les  marches  du 
Weser,  le  pape,  par  sa  lettre  du  21  août  1235,  manda  à  l'ar- 
chevêque de  Brème  de  lever  l'excommunication  si  les  Stedinger 
donnaient  satisfaction  à  l'Eglise  et  fournissaient  des  gages  pour 
l'avenir.  Il  n'est  plus  question,  dans  cette  lettre,  d'hérésie  ni 
d'erreurs  dogmatiques  ;  le  pape  ne  parle  que  de  la  résistance 
à  la  domination  de  l'archevêque  *.  Si  donc,  jusqu'à  ces  derniers 
temps,  on  a  pu  accuser  les  Stedinger  à^ètvQ  tombés  dans  l'hérésie, 
c'est  à  cause  des  lettres  du  pape  inspirées  par  les  rapports  de 
l'archevêque  de  Brème,  mais  surtout  à  cause  d'Albert  de  Stade. 
Ce  dernier  parle  des  Stedinger  dans  les  mêmes  termes  que  les  actes 
du  synode  de  Brème;   de  son  propre  chef,  il  en  fait  des  lucifériens 

1.  Collection  des  documents  de  Brème,  t.  i,  p.  215  ;  Schumacher,  op.  cit.,  p.  116. 

2.  Au  sujet  du  lieu  et  de  la  date  de  la  bataille,  cf.  Schumacher,  op.  cit.,  p.  241. 

3.  Mon.  Gcrm.  hisL,  Script.,  t.  xvi,  p.  361  sq.  D'après  les  Annales  Colonienses 
maximi,  2  000  Stedinger  perdirent  la  vie.  Momun.  Gcrm.  Jiist.,  Script.,  t.  xvii, 
p.   844. 

4.  Cf.  la  bulle  dans  Lindenbrog,  op.  cit.,  p.  172;  en  allemand,  dans  Schu- 
macher, op.  cit..  p.  127. 


1542  LIVRE    XXXVl,  CHAPITRE    II 

adorateurs  d'un  faux  dieu  {deus  contrarius),  Asmodée  ^,  et  qui 
auraient  séduit  grand  nombre  de  paysans  dans  les  provinces 
tant  voisines  qu'éloignées.  Les  Annales  Colonienses  maximi 
sont  moins  défavorables  aux  Siedinger  et  disent  seulement 
qu'ils  refusaient  de  payer  les  dîmes  et  méprisaient  l'excom- 
munication de  l'Église^.  En  somme,  c'est,  à  mon  avis,  com- 
mettre une  profonde  erreur  que  d'attribuer  aux  Siedinger 
l'horrible  description  des  hérétiques  allemands  que  fait  le 
pape  dans  ses  lettres  des  11  et  14  juin  1233  ^  La  première 
de  ces  lettres  est  adressée  à  maître  Conrad  de  Marbourg*; 
la  deuxième  fut  envoyée,  tant  au  roi  d'Allemagne  Henri  ^ 
qu'à  l'archevêque  de  Mayence,  à  l'évêque  d'Hildesheim  et 
enfin  à  maître  Conrad®;  c'étaient  des  réponses  aux  rapports  que  1023 
lui  avaient  envoyés  ces  trois  derniers  évèques.  «  Parmi  toutes 
les  hérésies  qui  affligent  l'Allemagne,  dit  le  pape,  il  en  est  une 
bien  pKis  pernicieuse  et  plus  répandue  que  les  autres...  Le  novice 
qui  entre  dans  la  secte  et  est  admis  dans  cette  école  infâme 
est  mis  d'abord  en  présence  d'une  grenouille  ou  d'un  crapaud. 
Les  uns  le  baisent  par  devant,  les  autres  par  derrière,  et 
mettent  sa  langue  dans  leur  bouche.  Cette  bête  a  d'ordinaire 
la  taille  naturelle,  parfois  cependant  elle  atteint  celle  d'un 
canard,  d'une  oie  ou  même  d'un  bœuf.  Le  novice  rencontre 
ensuite  un  homme  très  blond  avec  des  yeux  noirs  comme 
le  jais,  et  si  maigre  qu'il  semble  n'avoir  que  la  peau  et  les  os;  le 
novice  doit  aussi  l'embrasser  et  a  l'impression,  en  le  faisant, 
d'embrasser  un  bloc  d'acier.  Ce  baiser  fait  perdre  au  novice 
tout  souvenir  de  la  foi  catholique.  Les  personnes  présentes  pren- 


1.  Monum.  Germ.  hisl.)  Script.,  t.  xvi,  p.  361;  Hartzheim,  Conc.  Germanise, 
t.  m,  p.  551. 

2.  Mon.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvii,  p.  843. 

3.  Baronius-Rayzialdi,  Mon.  Germ.  hist.,  Script.,  ad  ann.  1233,  n.  41  et  437,  a, 
le  premier,  eu  le  tort  d'appliquer  aux  Siedinger  cette  lettre,  et  tous  les  autres 
historiens  ont  adopté  son  erreur.  Cf.  à  ce  sujet  Schumacher,   op.  cit.,  p.  224. 

4.  Reproduite  par  Ripoll,  Bullarium  ord.  S.  Dom.,  Romae,  1729,  t.  i,  p.  50. 

5.  Baronius-Raynaldi,  ylnnaZes,  ad  ann.  1233,  n.  42-45;  Martène  et  Durand, 
Thés,  anecd.,  t.  i,  p.  950;  Hartzheim,  op.  cit.,  t.  m,  p.  544;  Mansi,  Conc.  ampliss. 
coll.,  t.  XXIII,  p.  323. 

6.  Ripoll,  op.  cit.,  p.  52. 

7.  Schminke,  op.  cit.,  p.  553,  voit  dans  ce  passage  une  «  expression  hessoise  » 
et  en  conclut  que  maître  Conrad  doit  être  l'auteur  de  ce  rapport  au  pape. 


659.     CONCILES    TOUCHANT    LES     STEDINGER  1543 

nent  alors  part  àun  banquet,  après  lequel  on  voit  sortir  à  reculons 
d'une  statue —  il  s'en  trouve  toujours  une  dans  les  écoles  de  ces 
hérétiques  —  un  chat  noir  de  la  grosseur  d'un  chien  de  moyenne 
taille,  et  la  queue  coupée.   Le    novice    d'abord   et,    après    lui,    le 
chef  de  la  secte  et  tous  ceux  qui  en  sont  dignes  baisent  l'animal 
sous  la  queue  :  les  indignes  ne  reçoivent  que  le  baiser  du  maître. 
On  exécute  ensuite  plusieurs    chants  et,    tandis    que    tous    sont 
prosternés    devant  le   chat,   le    maître   dit    :    Aie  pitié  de  nous! 
épargne-nous^  et  le  second  répond  :  Qui   comprend  cela?  (c'est-à- 
dire  :  à  qui    cette  demande  est-elle  adressée?)  Le  troisième  dit  : 
C'est  le  grand-maître  (c'est-à-dire  :  c'est  le  grand-maître  qui  aura 
pitié  de  nous),  et  vm   quatrième  ajoute   :   Nous  devons  obéir.   On 
éteint    aussitôt  les    lumières    et   il   se    commet   d'épouvantables 
péchés    de    luxure,    y     compris     les    abominables    rapports   des 
hommes   entre   eux   et   des   femmes    avec   d'autres  femmes.    Ces 
infamies    terminées,    on   rallume  les  flambeaux,    chacun  se  rend 
à  sa  place  et  alors,  dans  un  coin  sombre  de  l'école,    apparaît   une 
forme     humaine     visible    jusqu'à     la    ceinture,     très    brillante, 
1024  plus  lumineuse  que  le   soleil,   mais   ayant  le   bas   du   corps   poilu 
comme     celui     d'un     chat.     Le    maître    prend    un    morceau    de 
l'habit    du    novice    et    s'adresse    à    l'homme    brillant    :    Grand- 
maître,   ce  qui  m'a  été  donné,    je  te  le  donne.   L'homme  brillant 
répond  :  Tu  m'as  bien  sen'i,  tu  me  serviras  encore  mieux  et  plus 
souvent,  je  confie  à  ta  garde  ce  que    tu    m'as    donné.    Aussitôt   il 
s'évanouit      brusquement.    Ces    hérétiques    reçoivent    tous    les 
ans  à  Pâques  le  corps  du  Seigneur  de  la  main  d'un  prêtre;  mais 
ils   ont   soin   de    garder   la    sainte    hostie   dans    leur   bouche   et 
l'apportent   chez  eux,   où  ils  la  jettent  dans  un    cloaque  pour 
insulter    au     corps     du     Christ.    Ils   soutiennent    que   Lucifer  a 
été     injustement    précipité    dans    les    enfers.    Ils   le    regardent 
comme    le    créateur   du    ciel   et   prétendent    qu'après    la    chute 
du  Seigneur   il  recouvrera    son   antique  gloire   et    leur    donnera 
le   bonheur   éternel.     D'après     eux,    on      ne    doit    rien   faire   de 
ce    qui  plaît  à   Dieu,  mais  bien  tout  ce    qui  peut   lui   déplaire. 
Le  pape   engage   les    évêques    de    Mayence    et    d'Hildesheim,   et 
Conrad    de    Marbourg    à    employer    d'abord    la    douceur    pour 
ramener  ces  égarés.    Ce   n'est    que   s'ils    s'obstinent    dans    leurs 
erreurs,  qu'on  organisera    contre  eux    une    croisade^.»  Le   pape 

1.  Baronius-Raynaldi,  Ammles,  ad  ann.  1233,  n.  42-45;  Martène   et  Durand, 


1544  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    II 

envoya,    dit-on,     des   lettres   analogues    à    tous    les    suiïragants 
de  la  province  de  Mayence  ^. 

D'après  divers  indices,  les  hérétiques  ainsi  décrits  par  le  pape 
habitaient  les  bords  du  Rhin  et  non  les  environs  de  Brème  : 
en  premier  lieu  le  pape  charge  les  suiïragants  de  Mayence  de 
procéder  contre  eux  et  confie  cette  même  mission  à  Conrad 
de  Marbourg,  lequel  n'a  guère  déployé  son  activité  que  dans 
la  Haute-Allemagne  et  jamais  contre  les  Siedinger.  —  D'autre 
part,  les  hérétiques  visés  par  le  concile  de  Trêves  de  1231  res- 
semblaient fort  à  ceux  dont  il  est  ici  question.  Les  uns  et  les 
autres  sont  lucifériens,  veulent  réintégrer  Lucifer,  baisent  un 
homme  blond  et  un  chat;  tous  s'accordent  de  honteuses  licences 
charnelles,  et  on  retrouve  sur  les  bords  du  Rhin  jusqu'au 
baiser  de  la  grenouille  ou  du  crapaud.  Siegfried,  archevêque  de 
Mayence,  et  le  dominicain  Bernard  écrivent  au  pape,  en  1234, 
au  sujet  de  Conrad  de  Marbourg  et  de  ses  auxiliaires  :  «  Maître 
Conrad  est  plein  de  zèle  contre  l'astuce  des  pauvres  de  Lyon 
et  croit  avoir  trouvé  le  moyen  de  dévoiler  l'hérésie  mani- 
chéenne (l'archevêque  identifie  vaudois  et  cathares),  dissimulée 
dans  ces  nouvelles  erreurs  :  il  interroge  à  part  les  anciens 
membres  de  la  secte  et  utilise  les  dénonciations  ainsi  obte-  1025 
nus  pour  baser  de  nouvelles  accusations;  ces  accusés  devaient 
avouer  leur  culpabilité  s'ils  voulaient  la  vie  sauve,  et  couraient 
le  risque  d'être  brûlés  s'ils  persistaient  à  se  dire  innocents- 
Mais  le  démon,  ajoutent  les  deux  rapporteurs,  suscita  de  faux 
témoins  ^.  Une  femme  nommée  Alaïdis  vint  à  Bingen,  se  donna 
pour  hérétique,  raconta  que  son  mari  avait  été  brûlé,  mais 
qu'elle  était  décidée  maintenant  à  dénoncer  les  hérétiques  ca- 
chés et  leurs  protecteurs.  Conrad  la  crut  et  l'envoya  d'abord  à 
Clavelt,  où  elle  dénonça  comme  hérétiques  ses  propres  parents 
et  les  fit  condamner  à  mort.  Elle  avait  pour  complice  de  ses  cou- 
pables   manœuvres   un   certain    Amfried,    que    nous    avons    fait 


Thés,  anecdol.,  t.  i,  p.  950;   Hartzheim^  Conc.   German.,  t.  n,  col.  544;  Mansi, 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  323. 

1.  Baroiiius-Raynaldi;,  Annales,  ad  ann.  1223,  n.  46. 

2.  Les  Gesta  Trev.  disent  également  :  «  Les  hérétiques  imaginèrent  d'or- 
donner à  certains  d'entre  eux  de  se  présenter  pour  être  rasés  (comme  péni- 
tents), pour  pouvoir  ensuite  dénoncer  à  leur  aise  de  très  bons  catholiques.  » 
Martène  et  Durand,  Coll.  ampl.,  t.  iv,  p.  243. 


659.     CONCILES    TOUCHANT    LES     STEDINGER  1545 

emprisonner  (disent  l'évèque  et  le  dominicain  Bernard),  et  qui 
reconnaît  ({ue,  sur  son  témoignage,  plusieurs  innocents  ont 
été  brûlés  par  ordre  de  maître  Conrad.  Tout  d'abord,  ils 
n'avaient  incriminé  que  des  paysans,  mais  plus  tard  ils  s'étaient 
attaqués  à  des  notables  des  villes,  voire  à  des  nobles  et  à  des 
comtes,  et  maître  Conrad  ne  permettait  à  personne  de  se  défen- 
dre ou  de  se  confesser  à  son  propre  curé. Tous  devaient  commen" 
cer  par  avouer  qu'ils  avaient  touché  un  crapaud  et  baisé  un 
homme  blond,  etc.  Plusieurs  excellents  catholiques  préférè- 
rent mourir  que  de  se  reconnaître  coupables  de  tels  crimes; 
d'autres  rachetèrent  leur  vie  par  des  mensonges,  mais  on 
les  obligeait  à  indiquer  l'école  où  ils  avaient  appris  de  pareilles 
choses.  Ne  sachant  qui  accuser,  ils  demandaient  qu'on  leur  indi- 
quât les  personnes  suspectes,  et  comme  on  leur  citait  les  comtes 
de  Sayn  et  d'Aneberg  et  la  comtesse  de  Lotz,  ils  se  hâtaient  de 
dire  :«  Oui,  ce  sont  les  coupables,  ils  étaient  dans  la  même  école 
«que  nous.»  C'est  ainsi  qu'on  vit  le  frère  dénoncé  par  son  frère, 
etc.  Quant  à  moi  (conclut  l'archevêque  de  Mayence),  j'ai,  d'abord 
en  tète-à-tête,  puis  en  compagnie  des  archevêques  de  Colo- 
gne et  de  Trêves,  engagé  maître  Conrad  à  plus  de  mo- 
dération ;  mais  il  n'a  pas  écouté  mes  conseils  et,  en  dernier 
lieu,  il  a  prêché  ouvertement  la  croisade  contre  les  héréti- 
ques ^.  » 

Cette  lettre  nous  montre  ce  qu'il  faut  penser  des  énormités 
imputées  aux  hérétiques.  Il  se  peut  qu'on  ait  eu  à  leur  reprocher 
des  folies  et  des  crimes  ;  les  cathares  en  firent  autant,  mais, 
1026  tout  comme  plus  tard,  lors  des  procès  de  sorcellerie,  la  torture 
devait  provoquer  quantité  de  fausses  dépositions,  de  même  ici  la 
crainte  du  bûcher  a  provoqué  des  aveux  auxquels  les  inquisi- 
teurs  ont  eu  le  tort  d'ajouter  foi  "^. 

Le  comte  de  Sayn,  que  Conrad  de  Marbourg  menaçait  de  dépouil- 


1.  Albéric  de  Trois-Fontaines,  Chronicon,  dans  Moniim.  Germ.  hist.,  Script., 
t.  xxni,  p.  931;  Hartzheim,  Conc.  Germ.,  t.  lu,  col.  543;  Huillard-Bréholles, 
Histor.  diplom.  Frid.  II,  t.  iv,  p.  649. 

2.  Les  renseignements  fournis  par  Albcric  sur  l'origine  de  cette  secte  diabo- 
lique sont  également  fort  intéressants.  D'après  lui,  le  fondateur  de  cette  secte 
serait  un  sorcier  de  Maestricht,  auquel  se  joignirent  huit  clercs  indignes  dans  le 
but  d'assouvir  leurs  passions  charnelles.  Ce  sorcier  se  noya  eu  se  rendant  en 
Angleterre  et  ses  partisans  se  répandirent  dans  les  contrées  baignées  par  le 
Rhin.   Monum.    Germ.  hist..  Script.,  t.  xxiii,  p.  932. 


1546  LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE     II 

1er  de  ses  châteaux  s'il  ne  reconnaissait  son  hérésie,  sollicita  de 
l'archevêque  de  Mayence  la  réunion  d'un  concile,  qui  eut  lieu  en 
elîet  à  Mayence  le  25  juillet  1233,  en  présence  du  roi  Henri,  de 
l'archevêque  Siegfried  et  de  plusieurs  seigneurs  ecclésiastiques 
et  laïques;   Conrad   de   Marbourg  y   assista  ^. 

Le  principal  objet  des  délibérations  fut  naturellement  la  question 
des  hérétiques  et  la  discipline  de  l'Eglise;  mais  à  l'exception  de  ce 
qui  concernait  le  comte  de  Sayn,  on  ne  possédait  jusqu'à  ces  der- 
niers temps  aucune  donnée  sur  les  points  discutés;  cependant  ce 
concile  est  l'un  des  plus  importants  conciles  allemands,  tant  par 
le  nombre  que  par  la  qualité  de  ses  membres.  Mone  a  décou- 
vert dans  un  manuscrit  de  Reichenau  du  xiii®  siècle  ^  un  statut 
provincial  de  Mayence  non  daté,  en  51  articles,  qui  ne  peut  se  rap- 
porter qu'au  concile  dont  nous  parlons  ^.  On  y  déplore  avant 
tout  les  progrès  effroyables  de  l'hérésie  en  Alamanie,  à  tel  point  1027 
qu'on  ne  peut  trouver  un  seul  endroit  qui  n'en  soit  infecté.  On 
prit  donc  les  décisions  suivantes  : 

1.  Tout  évêque  devra  observer  fidèlement  les  constitutions  du 
pape  et  de  l'empereur  récemment  {noçiter)  promulguées  contre 
les  hérétiques;  ces  constitutions  seront  lues  et  expliquées  dans 
le  synode  diocésain,  de  sorte  que  leur  contenu  soit  porté  à  la 
connaissance  de  tous  les  fidèles. 

2.  Si  un  grand  du  royaume,  soupçonné  d'hérésie,  cité  trois 
fois  pour  présenter  sa   justification,  ne   se  présente  pas  et,    con- 

1.  Hartzheim^  Conc.  Germanise,  t.  m,  p.  546,  ô^S;  Annal.  Col.  max.,  dans 
Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvii,  p.  843. 

2.  Aujourd'hui  à  la  bibliothèque  grand-ducale  de  Karlsruhe. 

3.  Zeitschrift  fiXr  die  Geschichte  des  Oherrheins,  1852,  t.  ii,  p.  135  sq.  Par 
défaut  de  place,  le  copiste  a  omis  les  formules  accoutumées  d'introduction  et  de 
conclusion,  ainsi  que  les  données  chronologiques,  mais  Mone  a  conclu  que  ce 
statut  devait  concerner  notre  concile  :  «  L'art.  3  se  rapporte  à  l'ordonnance 
impériale  du  22  février  1232  (Mon.  Germ.  lilurg.,  Leges,  t.  ii,  p.  288)  et  l'art. 
1  parle  des  décisions  du  pape  et  de  l'empereur  contre  l'hérésie  noviter  pro- 
mulgatœ.  L'ordonnance  de  Frédéric  II  de  1232  et  les  statuts  du  pape  de  1231 
ont  également  le  même  objet.  Bôhmer,  Acta  imp.,  p.  665;  Baronius-Raynaldi, 
Annales,  ad  ann.  1231,  n.  14;  Potthast,  Reg.,  n.  8753,  8754.  Le  synode  provin- 
cial de  Fritzlar  en  1243  reproduit  plusieurs  des  canons  presque  mot  pour  mot. 
Le  statut  en  question  n'a  donc  pu  être  composé  qu'entre  1232  et  1243;  mais, 
dans  cet  intervalle,  seul  le  synode  du  25  juillet  1233  correspond  aux  décisions 
citées;  de  plus,  ces  décisions  s'accordent  incontestablement  avec  la  lettre  du 
pape  à  Siegfried  de  Mayence,  en  date  du  29  octobre  1232.  Mon.  Germ.  hist., 
Episl.,  t.  I,  p.  3. 


659.     CONCILES    TOUCHANT    LES    STEDINGER  1547 

fiant  dans  ses  forteresses  et  dans  le  secours  de  ses  sujets,  per- 
siste dans  son  erreur,  l'évèque  du  lieu  engagera  vivement  le  peu- 
ple, avec  concession  d'indulgences,  à  prendre  les  armes  con- 
tre cet  ennemi  de  la  foi  orthodoxe.  D'après  les  mêmes  consti- 
tutions,  on  assimilera  à   l'hérétique   ceux  qui  le   protégeront. 

3.  Si  celui  qui  est  soupçonné  d'hérésie  se  déclare  prêt  à 
comparaître,  ses  biens  demeureront  inviolables  jusqu'à  ce  que 
son  crime  ou  son  innocence  aient  été  reconnus.  S'il  est  innocent 
ou  s'il  avoue  son  erreur,  il  sera  de  nouveau  admis  à  la  commu- 
nion de  l'Église  et  conservera  tous  ses  biens;  s'il  est  coupable  et 
s'il  est  condamné,  on  disposera  de  ses  biens  suivant  l'ordre  du 
pape  et  de  l'empereur. 

4.  Tous  ceux  qui  entrent  en  service  chez  des  Juifs  seront  ex- 
communiés. 

5.  Tous  les  sacrements  seront  administrés  avec  le  plus 
grand  respect;  pour  administrer  le  baptême,  le  saint  viati- 
fjue  et  l'extrême-onction,  les  prêtres  prendront  toujouTS  le 
surplis. 

6.  Rappel  d'un  canon  d'un  précédent  concile  de  Mayence  : 
pour  l'administration  du  baptême,  les  mots  essentiels  sont  :  «  Je 
te  baptise,  N....  au  nom  du  Père  et  du  Fils  et  du  Saint-Esprit.» 
Ces    paroles    seront    prononcées    exactement    et     clairement. 

7.  Les  prêtres  devront  apprendre  aux  laïcs  l'administra- 
tion du  baptême  en  cas  de  nécessité;  la  mère  elle-même  pourra 
employer  la  formule  citée.  En  cas  d'urgence  donc,  les  parents 
devront  baptiser  leurs  enfants.  Du  reste,  on  devra  renseigner 
exactement  le  prêtre  sur  la  manière  dont  le  baptême  a  été 
administré;  s'il  estime  que  le  sacrement  a  été  bien  conféré 
il  ratifiera  ce  qu'on  a  fait;  sinon,  il  l'administrera  d'une  façon 
régulière. 

8.  A  cause  des  empêchements  de  parenté  spirituelle,  on  n'ad- 
mettra pas  plus  de  trois  parrains.  (Ce  canon  et  plusieurs  des 
suivants  offrent  une  analogie  frappante  avec  les  décisions  du 
concile  de  Trêves  de  1227.) 

9.  Pour   éviter  la  sorcellerie,  on  gardera    le    saint  chrême,    la 
1028  sainte  eucharistie,  l'eau   baptismale,  l'huile  sainte  et   les   corpo- 

raux  dans  des  endroits  parfaitement  clos  (cf.  can.  20  du  con- 
cile de  Latran,  p.  1349).  Les  diacres  et  clercs  inférieurs  ne  pour- 
ront administrer  la  sainte  eucharistie  que  dans  des  cas  de  né- 
cessité, en  l'absence  de    tout  prêtre. 


1548  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE     II 

10.  Dans  l'administration  du  sacrement  de  pénitence,  les  prê- 
tres seront  très  prudents  dans  leurs  questions,  de  peur  d'ap- 
prendre aux  pénitents  des  choses  que  ceux-ci  ignoraient.  Ils 
entendront  les  confessions  dans  un  lieu  convenable. 

11.  Le  confesseur  encore  peu  expérimenté  dans  l'assigna- 
tion des  œuvres  de  pénitence  réservera  les  plus  sévères  pour  les 
fautes  les  plus  graves  :  meurtre,  sacrilège,  fautes  contre  nature, 
inceste,  viol,  violences  contre  les  parents,  rupture  des  vœux, 
etc. 

12.  S'il  y  a  vol,  usure,  pillage  ou  fraude,  on  imposera  la  res- 
titution en  tenant  compte  de  la  gravité  de  la  faute  et  des  res- 
sources  du   pénitent. 

13.  Aucun  confesseur  ne  devra  jamais  rien  dévoiler  de  ce 
qui  lui  a  été  confié  en  confession  :  le  coupable  sera  dégradé 
sans  rémission. 

14.  Aucun  prêtre  ne  pourra  célébrer  lui-même  les  messes  qu'il 
aura  données  comme  pénitence.  On  ne  pourra  recevoir  ni  tren- 
tain  ni  service  annuel  pour  les  vivants. 

15.  Il  est  formellement  interdit  à  un  prêtre  de  s'enquérir  près 
d'un  de  ses  pénitents  des  péchés  d'une  autre  personne  dési- 
gnée  nommément. 

16.  Sous  peine  d'excommunication,  il  est  défendu  au  clergé 
d'une  paroisse  d'imposer  aux  paroissiens,  soit  pendant  leur  vie, 
soit  à  leur  lit  de  mort,  soit  sous  forme  de  pénitence,  de  ne  pas 
faire  élection  de  sépulture  dans  une  église  de  réguliers. 

17.  Les  mariages  seront  célébrés  in  facie  Ecclesise;  pendant 
trois  dimanches  ou  jours  de  fête,  les  prêtres  inviteront  le  peu- 
ple à  faire  connaître  in  facie  Ecclesise  les  empêchements  à 
la  célébration  des  mariages  :  parenté,  vœux,  ordination  sacer- 
dotale, religion  différente  [dispar  cultus),  parrainage,  etc.  Qui- 
conque ne  dévoilera  pas  ces  empêchements  tombera  sous  le 
coup   de   l'excommunication. 

18.  Tout  prêtre  devra  posséder  un  rituel. 

19.  On  renouvelle  l'ordonnance  d'un  précédent  concile  de 
Mayence  :  aux  principales  fêtes  de  l'année,  les  évêques  devront 
en  personne  prêcher  et    célébrer  dans  leurs  églises    cathédrales. 

20-24.  Pour  l'attribution  de  la  charge  d'âmes,  on  observera 
soigneusement  les  décisions  du  concile  de  Latran  (cf.  supra, 
p.  1254).  Il  ne  doit  pas  y  avoir  de  factions  intérieures  dans  les 
chapitres. 


659.     CONCILES     TOUCHANT    LES     STEDINGER  1549 

25.  Les  ecclésiastiques  ne  pourront,  sans  la  permission  de  l'é- 
vêque,  ni  construire  des  églises,  ni  les    transférer. 

26.  Dans  toutes  les  églises  non  conventuelles,  il  n'y  aura  que 
trois  autels,  les  autres  seront  supprimés. 

27.  En  ce  qui  concerne  les  biens  mis  en  gage,  ce  sera  le  pos- 
sesseur qui  aura  le  droit  de  patronage  et  non  le  créancier. 

28.  L'attribution  d'églises  séculières  aux  templiers,  aux 
hospitaliers  et  autres  religieux  ne  sera  valable  qu'avec  l'assen- 
timent  de   révoque. 

1029  29  et  30.  Les  collecteurs  d'aumônes  ne  seront  autorisés  à  quêter 
que  pour  des  motifs  sérieux  et  avec  la  permission  de  leurs  évo- 
ques ;  ils  ne  pourront  ni  prêcher  dans  les  églises,  ni  exhiber  des 
reliques. 

31.  Les  contrats  privés  où  l'excommunication  est  prévue 
pour  celui  qui  les   violerait  seront  tenus  comme  sans  valeur. 

32-37.  Décisions  concernant  l'administration  et  l'emploi  des 
revenus   du   chapitre, 

38.  Aucun  prêtre  ne  peut  juger  les  causes  matrimoniales 
que  par  délégation  spéciale  de  l'évêque. 

39.  Défense  aux  clercs  de  fréquenter  les  théâtres,  les  bals 
publics  et  les  auberges;  ils  porteront  des  vêtements  qui  con- 
viennent  à   leur   condition. 

40.  Les  patrons  temporels  qui  s'empareront  des  biens  d'un 
clerc  décédé  seront  excommuniés. 

41.  La  clôture  des  couvents  de  femmes  sera  rigoureusement 
observée. 

42-44.  Les  religieux  et  religieuses  ne  pourront  être  parrains 
ou  marraines;  ils  porteront  le  costume  de  leur  ordre,  ils  ne 
pourront  accepter  de  présents  ou  dons,  même  si  leur  couvent  est 
pauvre,  qu'avec  la  permission  de  l'abbé  ou   de   l'abbesse. 

45.  Les  femmes  qui  font  des  vœux  privés  de  chasteté  sans  en- 
trer au  couvent  devront  vivre  dans  leurs  maisons  sous  la  di- 
rection de  leur  pasteur. 

46.  Les  écoliers  vagabonds  ordinairement  appelés  everhar- 
dini  ne  seront  reçus  par  aucun  membre  du  clergé. 

47.  On  observera  contre  les  usuriers  les  prescriptions  du  con- 
cile de  Latran. 

48.  Les  bénéfices  ecclésiastiques  ne  seront  pas  attribués  sans 
certaines  charges  ou   taxes. 

49.  Chaque    évêque    aura    un    cachot    où  seront  emprisonnés 


1550  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    It 

les  faux  monnayeurs,  les  clercs  incorrigibles    et    tous    ceux    qui 
mériteront  un  châtiment. 

50.  Tout  spoliateur  des  églises  ou  des  personnes  d'Église, 
tout  receleur  des  biens  ainsi  volés  tombera  sous  le  coup  de 
l'excommunication  s'il  ne  restitue  ces  biens  dans  le  délai  de 
huit  jours;  le  lieu  où  les  biens  volés  auront  été  déposés  sera 
frappé  d'interdit. 

51.  En  raison  de  la  malice  des  temps,  il  est  prescrit  que,  sur- 
tout dans  les  cas  spécialement  graves,  l'évêque  du  diocèse 
devra  informer  le  métropolitain  et  les  évêques  de  la  province 
pour   qu'ils    puissent  aussi  publier  la  même  sentence. 

Le  concile  de  Mayence  s'occupa  encore  tout  spécialement 
de  l'affaire  du  comte  de  Sayn.  Les  Annales  de  Worms  le 
présentent  comme  un  bon  chrétien  et  un  seigneur  riche  et 
puissant;  que  si  les  Gesta  Trevirorum  parlent  de  sa  magna 
crudelllas  ^,  il  faut  lire  credulitas,  au  sens  de  droiture  dans 
la  foi,  sens  fréquent  dans  le  latin  du  moyen  âge.  Le 
comte  avait  amené  avec  lui  comme  témoins  plusieurs 
hommes  pieux  et  distingués  ;  les  évêques  et  le  clergé  regar-  1030 
dèrent  ces  dépositions  comme  suffisantes,  et  les  témoins 
cités  par  Conrad  retirèrent  leurs  premières  dénonciations, 
avouant  que,  s'ils  avaient  accusé  le  comte,  c'était  sous  l'em- 
pire de  la  crainte.  Malgré  le  dépit  de  Conrad,  on  remit  à 
plus  tard  la  décision  sur  cette  affaire.  Sur  l'ordre  du  roi, 
l'archevêque  de  Trêves  publia  la  résolution  de  l'assemblée, 
et  de  son  côté,  le  roi  Henri  assura  que  le  comte  de  Sayn 
avait  prouvé  son  orthodoxie  et  sortait  du  concile  sans  au- 
cune tache  d'hérésie.  Conrad  ne  se  tint  pas  pour  battu  et  s'a- 
charna contre  le  comte;  celui-ci  en  appela  à  Rome,  et  sut 
députer  au  pape  des  clercs  intelligents,  entre  autres  le  doyen  de 
Mayence  et  Wolzo,  chanoine  de  Worms  ^.  En  même  temps, 
les  archevêques  de  Mayence  et  de  Trêves  envoyaient  au  pape 
Conrad,  scolastique  de  Spire,  pour  se  plaindre  de  Conrad  de 
Marbourg  '\    Malgré    les    avis    des    archevê({ues     de    Mayence, 


1.  Bôhmer,  Fontes,  t.  ii,  p.  176;  Martène,  op.  cit.,  t.  iv,  p.  244. 

2.  Je  réunis  les  données  fournies  par  les  Annales  de  Worms  et  les  Gesta  Trev. 
dans  Bôhmer,  Fontes,  t.  ii,  p.  176  sq.  ;  Martène,  op.  cit.,  t.  iv,  p.  244  sq.  ;  Ilartz- 
heim,  Conc.  Germaniœ,  t.  m,  p.  546  sq. 

3.  Bôhmer.  Fontes,  t.  ii,  p.  392;  Monum.  Germ.  Iiist.,  Script.,  t.  xvi,  p.  28. 


659.     CONCILES     TOUCHANT     LES     STEDINGER  1551 

de  Cologne  et  de  Trêves,  Conrad  commença,  à  Mayence 
même,  à  prêcher  la  croisade  contre  ceux  qui  ne  s'étaient  pas 
rendus  au  synode;  mais  bientôt  après,  rentrant  à  Marbourg 
avec  le  franciscain  Gerhard  de  Lutzelkolb,  il  fut  assassiné, 
le  30  juillet  1233,  par  certains  nobles  qu'il  avait  poursuivis 
(on  prétend  qu'ils  étaient  de  la  famille  des  Dernbach).  Les  Gesta 
Trevirorum  ajoutent  :  A  la  mort  de  Conrad  de  Marbourg, 
cessa  cette  bruyante  persécution  des  hérétiques,  et  ces  jours 
pleins  d'angoisses,  tels  qu'on  n'en  avait  pas  connus  depuis  Con- 
stance l'Arien  et  Julien  l'Apostat,  firent  place  à  des  temps  plus 
tranquilles  ^. 

Réconfortés  à  la  nouvelle  de  la  mort  de  Conrad,  cinquante 
hommes  environ  que  le  terrible  inquisiteur  avait  fait  raser  se 
déclarèrent  (30  novembre.  1233)  prêts  à  se  soumettre,  eux  et 
leurs  biens,  aux  tribunaux  tant  ecclésiastiques  que  civils;  c'é- 
tait avouer  qu'ils  avaient  fait  de  faux  témoignages  par  crainte 
de   la    mort,    et    solliciter    une    nouvelle   instruction.    Six    hom- 


1.  Martène,  op.  cit.,  t.  iv,  p.  245;  Hartzheim,  op.  cit.,  t.  m,  col.  548;  Bôhmer, 
Fontes,  p.  177,  390;  Monutn.  Germ.  hisl.,  Script.,  t.  xvi,  p.  28.  Montalembert 
a  fait  connaître  en  France  le  confesseur  de  sainte  Elisabeth  de  Hongrie,  qui  fut 
une  des  premières  victimes  de  ce  n^aniaque  sanguinaire.  Pour  la  petite  duchesse 
de  Thuringe,  Conrad  la  fit  mourir  exténuée.  L'histoire  de  ces  quelques  années 
est  un  des  épisodes  les  plus  instructifs  du  moyen  âge;  le  reste  de  la  vie  de  Conrad, 
une  fois  redevenu  libre,  ouvre  un  des  drames  les  plus  effroyables  de  ce  xiii^ 
siècle  qui  devait  dépasser  en  horreur  tout  ce  qui  s'était  vu  jusque-là.  Après  les 
monstruosités  de  Simon  de  Montfort,  celles  de  Conrad.  Nous  avons  vu  le  premier 
se  conduire  à  Toulouse,  à  Béziers,  comme  feront  en  des  temps  plus  rapprochés 
les  c(  conventionnels  en  mission  »,  Fouché  à  Lyon,  Canclaux  en  Vendée;  avec 
Conrad  la  scène  change,  et  le  drame  et  les  procédés. Si,  au  cours  de  cette  histoire, 
j'ai  rencontré  Constance,  Valentinien,  Henri  IV  et  Barberousse;  si,  devant 
ces  existences  criminelles,  j'ai  condamné  sans  réserve,  je  croirais  manquer  au 
premier  devoir  de  l'historien,  l'impartialité,  en  ne  signalant  pas  ce  monstre  que 
fut  Conrad  de  Marbourg.  En  lui  cherchant  un  semblable,  je  m'occupe  beaucoup 
moins  de  surprendre  que  de  rendre  plus  vive  l'idée  que  nous  devons  nous  faire 
de  l'homme.  Ces  hommes  disparus  dans  le  lointain  des  siècles,  nous  les  savons 
cruels,  scélérats,  mais  nous  n'en  sommes  pas  touchés,  nous  ne  les  voyons  pas 
et  le  sang  et  les  larmes  qu'ils  ont  fait  couler  ne  nous  émeuvent  guère. Pour  les  ren- 
dre à  la  répulsion  qui  s'attache  à  eux,  il  faut  les  rapprocher  de  nous,  les  voir 
tels  que  d'autres  monstres  encore  en  possession  d'inspirer  le  dégoût.  Pour  Con- 
rad de  Marbourg,  je  ne  vois  que  Marat  de  qui  il  puisse  être  rapproché.  Tous  deux 
finiront  de  même  façon,  assassinés.  Ce  n'est  peut-être  pas  très  juridique,  mais 
c'est  dans  l'ordre  des  choses  de  ce  monde;  Conrad  et  Marat  se  comportaient 
comme  des  bêtes  féroces,  on  les  a  traités  en   conséquence.  (H.  L.) 


1 


1552 


LIVRE     \XXVI,     CHAPITRE     II 


mes  présents  au  meurtre  de  Conrad  voulurent  aussise  pré- 
senter devant  le  tribunal  et  vinrent  à  Francfort.  Cette 
assemblée,  à  la  fois  diète  et  synode,  s'ouvrit  le  2  février  1234. 
Le  roi  Henri  et  un  grand  nombre  de  princes,  d'évêques  et 
d'abbés,  une  foule  de  cisterciens,  de  franciscains  et  de  domini- 
cains y  assistèrent,  et,  a\i  dire  de  la  Chronique  d'Erfurt,  on  y 
discuta  longuement  la  lettre  du  pape.  On  a  vu  qu'après  le 
synode  de  Mayence  (juillet  1233),  les  archevêques  de  Mayence 
et  de  Trêves  avaient  envoyé  un  député  à  Rome  pour  protester 
contre  les  procédés  de  Conrad  de  Marbourg.  Le  pape  désap- 
prouva la  conduite  de  Conrad,  s'étonna  d'une  si  longue  patience 
et  ajouta  :  «  Les  Allemands  ont  toujours  été  des  furieux;  rien 
d'étonnant  qu'ils  aient  pour  juges  des  furieux^.»  Il  prescrivit 
aux  archevêques  de  Mayence  et  de  Trêves  et  au  provincial  des 
dominicains  en  Allemagne  (21  octobre  1233),  de  se  conformer, 
dans  la  recherche  des  hérétiques,  à  l'ordonnance  du  IV^  concile 
de  Latran,  de  façon  à  punir  les  coupables,  mais  non  les  inno- 
cents. Tous  les  inquisiteurs  devaient  se  régler  d'après  ces  ins- 
tructions, sous  peine  d'encourir  les  censures  ecclésiastiques,  et 
cela  sans  appel  ^. 

Au  dire  des  Annales  de  Worms,  le  pape  renvoya  immédiate- 
ment les  messagers  allemands  avec  cette  lettre.  La  Chronique 
d'Erfurt  dit  au  contraire  :  «Conrad,  le  scolastique  de  Spire  (l'am- 
bassadeur des  archevêques),  n'avait  pas  encore  la  permission 
de  revenir,  lorsqu'on  apprit  à  Rome  l'assassinat  de  Conrad  de 
Marbourg;  le  pape  déchira  sa  lettre,  et  voulait  même  dépouil- 
ler l'ambassadeur  allemand  de  son  bénéfice.  Mais,  grâce  à  l'inter- 
vention des  cardinaux  et  des  dominicains,  Conrad  put  revenir 
avec  une  autre  lettre,  celle  dont  il  a  été  question  plus  haut  ^.  » 


1031 


1.  Bôhmer,  Fontes,  t.  ii,  p.  177,  391,  392;  Mon.Germ.  hi st., Script.,  t.  xvii,  p.  40. 

2.  Hartzheim,  Conc.  Germanise,  t.  m,  p.  540,  et  Wûrdtwein,  op.  cit.,  p.  36.  sq. 
Les  deux  lettres  sont  absolument  semblables.  Mon.  Germ.  hist.,  Epist.  xiii 
sœc,  t.  I,  n.  558. 

3.  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xvi,  p.  29.  Le  passage  comporte  en  allemand 
plusieurs  interprétations  différentes.  Dans  l'original  ou  lit  :  a)  magistri  Cunradi 
formarn  noi>is  lilteris  irritam  judicaverat  [papa),  h)  Sed  anlequam  nuncius  Citnra- 
dus  redeundi  licentiam  assumptis  litteris  accepisset,  ecce  quidam...  A  l'arrivée  de 
ce  nouveau  messager  chargé  d'annoncer  le  meurtre  de  Conrad,  le  pape  chan- 
gea d'avis  :  litteras  contra  formarn  magistri  Cunradi  nuper  scriptas  discerpcns; 
mais  il  se  laissa  de  nouveau  adoucir  :  c)  Sed  per    cardinalium    et    prsedicatorum 


659,    CONCILES    TOUCHANT    LES    STEDINGER  1553 

1032  La  Chronique  d'Erfurt  fait  allusion  à  cette  lettre  du  31  octo- 
bre 1233,  où  le  pape,  déplorant  amèrement  le  meurtre  de  Conrad 
de  Marbourg,  réclame  la  prédication  d'une  nouvelle  croisade 
contre  les  hérétiques  ^.  Si  cette  lettre  fut  l'objet  de  longs  dé- 
bats à  Francfort,  on  ne  trouve  nulle  part  la  décision  de  l'as- 
semblée sur  cette  nouvelle  ordonnance  du  pape;  cependant  la 
Chronique  d'Erfurt  laisse  entendre  que  la  lettre  pontificale  fit 
beaucoup  de  mécontents  ;  elle  raconte  que  le  roi  Henri  blâma 
l'évéque  d'IIildesheim.  ({ui,  continuant  les  traditions  de  Conrad 
de  Marbourg,  avait  prêché  une  croisade  cou  Ire  les  hérétiques, 
L'évé(jue     put    cependant    défendre    sa    cause,   ainsi    que    celle 


interventuDi  adjiUits  (Conrad  de  Spire)  acceptis  aliin  supra  dictis  liUeris  reversus 
esl.  Il  découle  évidemment  de  ce  qui  précède  que  la  première  lettre  du  pape 
blâmait  les  procédés  absolument  incorrects  de  Conrad  ;  mais,  irrité  du 
meurtre  de  Conrad,  le  pape  déchira  sa  lettre,  puis,  grâce  à  l'intervention 
de  ceux  qui  l'entouraient,  il  renvoya  le  messager  de  l'archevêque  avec 
d'autres  lettres.  Reste  à  savoir  ce  que  signifie  notre  texte  au  sujet 
des  lettres  du  pape  et  le  sens  des  §  i  et  c.  6  peut  signifier  :  avant  qu'il  ait 
obtenu  l'autorisation  de  repartir  après  avoir  reçu  la  lettre  ;  ou  bien  : 
avant  qu'il  ait  reçu  la  lettre  et  l'autorisation  ...  De  même  c  peut 
vouloir  dire  :  il  partit  après  avoir  reçu  d'autres  lettres  à  la  place  de 
celles  qui  lui  avaient  été  remises  précédemment  ou  bien  :  il  partit  avec 
d'autres  lettres,  celles  dont  nous  avons  parle.  Je  considère  le  premier  sens 
comme  plus  naturel  et  j'estime  que  le  §  a  vise  les  lettres  adressées,  le  21 
octobre  1233,  aux  archevêques  de  Trêves  et  de  Mayence,  et  cela  pour  deux 
motifs  :  1°  dans  sa  lettre  le  pape  désavoue  formellement  les  procédés  de  Con- 
rad; si  ce  dernier  n'est  pas  désavoué  directement  et  nommément,  il  l'est 
cependant  indirectement  d'une  manière  sévère  et  intelligible.  Sur  les  ques- 
tions de  foi,  les  hommes  craignant  Dieu  et  experts  dans  la  jurisprudence 
sauront  qu'à  l'avenir  ils  devront,  sous  peine  d'excommunication^  observer 
les  prescriptions  du  concile  de  Latran  et  les  statuts  pontificaux  et,  par  suite,  ne 
pas  agir  suivant  leur  caprice  ;  2"  les  lettres  ne  font  aucune  allusion  au  meurtre 
de  Conrad;  si  l'on  compare  les  lettres  des  23  et  31  octobre,  on  est  amené  à  con- 
clure que  la  première  a  dû  être  écrite  avant  que  le  pape  ait  eu  connaissance 
de  ce  meurtre.  La  lettre  dont  on  parle  en  a)  ne  peut  donc  être  que  celle  dont 
le  messager  allemand  était  déjà  porteur,  d'après  h);  avant  de  la  restituer,  ce 
messager  en  prit  sans  doute  une  copie  ou  plutôt,  puisque  le  Re'j,isl,um  a  le 
même  texte,  il  en  reçut  un  nouvel  exemplaire.  Du  reste,  on  doit  entendre  le 
mot  discerpens  dans  le  sens  d'une  intention  non  réalisée:  au  premier  moment, 
le  pape  voulut  réclamer  sa  lettre  et  la  détruire,  puis  il  se  laissa  calmer  par 
les  cardinaux,  c)  signifierait  donc  :  a])rc3  (jue,  avec  les  lettres  précédentes,  il  en 
eut  reçu  d'autres. 

1.  Wurdtwein,  op.  cit.,  p.  38  sq.;  Mon.  Germ.  Iiist.,  Kpist.,   t.  xni,  t.  i,  n.  561. 

CONCILES-  V  —  <JS 


1554  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    II 

du  feu  maître  de  Murbourg.  Les  prélats  se  réunirent,  en  l'ab- 
sence du  roi  et  des  autres  laïcs  pour  y  traiter  de  la  foi  :  les  uns 
parlèrent  pour,  les  autres  contre  Conrad  de  Marbourg,  et  l'un  1033 
des  prélals  demanda  que  son  corps  fût  brûlé  comme  celui 
d'un  hérétique.  Lorsque  ceux  qui,  au  mois  de  novembre  pré- 
cédent, avaient  demandé  une  enquête  judiciaire  sur  leur  pro- 
cès, entrèrent  dans  l'assemblée,  précédés  de  la  croix  et  se  plai- 
gnant hautement  des  injustices  de  Conrad,  il  y  eut  une  telle 
émotion  que  les  défenseurs  du  maître  de  Marbourg  craignirent 
pour  leur  propre  sûreté.  Peu  de  temps  après,  le  G  février,  le  roi 
tint  avec  tous  les  grands  de  son  royaume,  clercs  et  laïcs,  une 
séance  judiciaire  solennelle,  devant  les  portes  de  la  ville;  le  comte 
de  Sayn  y  démontra  son  innocence  avec  le  secours  de  huit  évo- 
ques, douze  abbés  cisterciens,  autant  de  franciscains,  trois 
dominicains  et  un  grand  nombre  d'autres  clercs  et  laïcs.  (Par 
où  l'on  voit  que  le  parti  opposé  à  Conrad  de  Marbourg  était 
très  fort  aussi  bien  dans  le  clergé  que  parmi  les  moines.)  Le 
comte  de  Solms  en  fit  autant  avec  ses  témoins,  et  déclara  avec 
larmes  f[ue  seule  la  crainte  de  la  mort  l'avait  déterminé  à  se  dire 
coupable.  Personne  ne  s'étant  présenté  pour  les  accuser,  ils 
furent  tous  admis  à  prêter  serment  de  leur  innocence.  Cela  fait, 
Conrad,  évêque  d'Hildesheim  et  représentant  du  pape,  de- 
manda instamment  au  comte  de  Sayn  de  pardonner  à  ses  ac- 
cusateurs, ce  que  le  comte  lit,  quoique  à  contre-cœur.  A  l'égard 
des  hérétiques,  le  premier  article  de  la  loi  décrétée  à  Francfort 
prescrivit  à  tous  les  juges  de  s'appliquer  à  extirper  l'hérésie, 
mais  leurs  jugements  seraient  équitables  et  l'enquête  ne  devait 
être  ni  excessive  ni  injuste  ^. 

D'après  la  Chronique  d'Albéric,  quelques  semaines  après  l'as- 
semblée de  Francfort  et  le  dimanche  de  Lœtare  (2  avrill234),  eut 
lieu,  à  Mayence,  un  nouveau  synode  où  le  comte  de  Sayn  et  tous 
ceux  qui  avaient  été  accusés  avec  lui  fuicnl  réintégrés  dans 
leur  honneur,  leur  bonne  renommée  et  tous  leurs  biens. Quant 
à  ceux  qui  s'étaient  sauvés  par  le  mensonge  et  s'étaient  fait 
passer  pour  hérétiques,  on   leur  imposa    sept   ans   de   pénitence 


1.  Bôhmer,  op.  cil.,  p.  392,  393;  Monum.  Germ.  hist.,  ScrlpL,  t.  xvi,  p.  29; 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  333;  Ilaitzheim,  Coiic.  Germ.,  t.  m, 
p.  549  sq.;  HuillarJ-Bréliolles,  Hisl.  diplom.  Frid.  II,  t.  iv,  p.  636- 


660.    CONCILES    RELATIFS    AUX    ALBIGEOIS  1555 

pour  leur  fausse  dépositiou  ;  on  déféra  au  pape  ceux  qui 
avaient  accusé  des  innocents;  enfin  les  meurtriers  de  maître 
Conrad  furent  excommuniés  ^. 
1034  Le  pape  fut  mécontent  de  l'indulgence  do  ces  mesures  du  con- 
cile de  Mayence.  Dans  ses  lettres  à  l'archevêque  de  Salzbourg 
(22  et  31  juillet  1235), il  se  })laint  de  ce  que,  sans  enquête  sérieuse, 
on  renvoie  absous  les  suspects  d'hérésie  et  qu'on  laisse  impunis 
les  meurtriers  de  Conrad,  simplement  envoyés  à  Rome  pour  y 
être  relevés  de  l'excommunication.  Dans  une  autre  lettre,  il 
ordonne  que  les  meurtriers  s'enrôlent  dans  la  |)rochaine  croi- 
sade en  Palestine,  et  que,  demi-nus  et  la  corde  au  cou,  ils  fas- 
sent pénitence  et  soient  fouettés  dans  les  principales  églises 
des  environs  du  lieu  où  ils  ont  accompli  leur  crime  2. 


660.  Conciles  relatifs  aux  albigeois,  de  1232  à  1235. 

Les  hérétiques  provoquèrent  en  France  la  réunion  de  plusieurs 
conciles.  D'abord,  à  la  fin  de  l'année  1232,  l'assemblée  de  Melun, 
que  Gautier,  évêque  de  Tournai  et  légat  du  pape,  réunit  d'ac- 
cord avec  l'archevêque  de  Narbonne  et  d'autres  évêques.  Sur 
l'ordre  de  Louis  IX,  roi  de  France,  Raymond  VII,  comte  de  Tou- 
louse, s'y  rendit  et  entendit  le  légat  se  plaindre  de  son  peu  de 
respect  pour  les  clauses  du  traité  de  paix  signé  à  Paris  en  1229  ;  on 
décida  que  l'évêque  de  Toulouse  et  Gilles  de  Flajac,  commissaire 
royal,  signaleraient  au  comte  les  changements  à  apporter  dans 
sa  conduite.  Le  résultat  fut  la  promulgation,  par  le  comte  Ray- 
mond (printemps  de  1233),  d'un  statut  prescrivant  un  redou- 
blement de  zèle  pour  l'extirpation  de  l'hérésie  des  albigeois    et 


1.  Hartzheim,  Conc.  Geini..  t.  ni,  col.  544;  Huillard-Biéholles,  op.  cil.,  l.  iv, 
p.  651;  Moniun.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xxiii^  p.  932;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll., 
t.  XXIII,  col.  334,  se  sont  trompés  au  sujet  de  ce  synode  de  Mayence  du  diman- 
che de  Lœtare  1234.  L'année  précédente  (1233),  l'archevêque  de  Mayence  avait 
célébré  un  autre  synode,  ce  même  dimanche  de  Lœtare  (13  mars),  mais  nous 
n'avons  aucun  détail  sur  cette  assemblée.  Bôhmer,  op.  cit.,  p.  391. 

2.  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  iv,  col.  241  sq.;  Hartzhcim,  Conc.  Germ.,  t.  ni, 
col.  554  sq.;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  1.  xxiii,  col.  344;  Monuni.  Germ.  hist,. 
Epiai.,  t.  1,  a.  647;  Potthast,  Heg.,  p.  847  sq. 


1556  LIVRE     XXXVI,    CHAPITRE     II 

renouvelant  diverses  mesures  de  la  paix  de  Paris  et  du  concile 
de  Toulouse,  sur  les  peines  des  hérétiques,  de  leurs  défen- 
seurs  et    des    perturbateurs   de    la    paix   publique,   etc.  ^ 

Le  comte  Raymond  déploya  alors  contre  les  héréti([ues  un 
zèle  infatigable  qui  mérita  les  éloges  de  saint  Louis  et  du  pape; 
ce  dernier  le  recommanda  vivement  aux  évêques  de  la  Pro-  1035 
vence^.  Grégoire  IX  confirma  la  création  de  l'université  de  Tou- 
louse, «  pour  faire  fleurir  la  foi  catholique  dans  ces  contrées  ^,  » 
et  nomma  les  dominicains  inquisiteurs  pour  le  midi  de  la 
France.  Le  légat  du  pape,  Gautier  de  Tournai  *,  nomma  Pierre 
Cellani  et  Guillaume  Arnauld  inquisiteurs  à  Toulouse,  et  Arnaud 
Catalan  et  Guillaume  Pelisse  inquisiteurs  à  Albi  ^.  Des  religieux 
d'autres  ordres  leur  furent  associés,  tandis  que  des  conciles 
ordonnaient  aussi  d'extirper  les  restes  de  la    secte   des   cathares. 

De  ce  nombre  fut  le  concile  réuni  à  Béziers  en  1233  par  le  légat 
Gautier;  on  s'y  préoccupa  aussi  de  réformer  l'Eglise  de  France  ®. 
Voici  le  résumé  de  ses  ordonnances  : 

1.  Les  hérétiques  [perfecti]  et  les  credentes,  leurs  protecteurs, 
défenseurs  et  receleurs  doivent  être  excommuniés  tous  les  di- 
manches. Le  coupable  qui,  après  une  monition  et  une  excom- 
munication, ne  s'amende  pas  dans  le  délai  de  quarante  jours, 
sera  lui-même  traité  en  hérétique. 

2.  Tout  particulier  peut  faire  prisonnier  un  hérétique,  à 
condition  de  le  livrer  ensuite  à  l'évêque, 

3.  On  ne  vendra  aux  credentes  et  aux  protecteurs  des  héré- 
tiques aucune  charge  de  bailli, 

4.  Tout    hérétique  réconcilié   qui   ne  porte  pas  les  deux  croix 


1.  Hardouin.  Conc.  coll.,  t.  vii^  col.  203  sq.  ;  Coleli,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1277; 
Mansi^  Conc.  ompliss.  coll.,  t.  xxiii^  col.  264  ;  C.  Schmidt^  llist.  de  la  secte  des 
cathares  et  des  albigeois,  t.  i,  p.  297.  (H.  L.) 

2.  Baroniiis-Raynaldi^  Annules,  ad  anii.  1234^  ii.  15,  cdil.  Mansi;  Mansi, 
Conc.  ampliss.  coll.,  l.  xxiii.  col.  103;  Scholten,  Liidwig  der  IJeilige,  p.  86. 

3.  Bulle  du  29  avril  1233.  Potthast,  Reg.,  n.  9173. 

4.  Cf.  à  son  sujet  Scholteii,  op.  cit.,  p.  79. 

5.  C.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  297  sq. 

6.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  452-460;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vn,  col.  207; 
Colcti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1281;  de  Vic-Vaissele,  Hist.  génér.  de  Languedoc, 
t.  m,  p.  583;  3^  édit.,  t.  a-ii,  p.  89-90;  E.  Cabic,  Date  du  concile  de  Béziers,  tenu 
par  Gautier,  légat  du  Saint-Siège.  Itinéraire  de  ce  légat  de  1231  à  1233,  dans  les 
Annales  du  Midi,  1904,  1.  xvi,  p.  3'i0-357.  (II.  L.) 


fifiO,     CONCILES    RELATIFS     AUX    ALBIGEOIS  1557 

sur  ses  habits  sera  traité  comme    relaps    et  ses  Ijiens  seront  con- 
fisqués. 

5.  Ceux  qui,  étant  suspects  d'hérésie,  d'après  lecan.  25du  con- 
cile de  Toulouse,  n'assistent  pas  aux  offices  de  l'Et^lise,  seront 
sévèremenl  punis.  Les  ecclésiastiques  devront  être  très  vigi- 
lants sur  ce  point. 

6.  Défense  d'ordonner,  dans  le  district  de  cette  légation,  des 
clercs  indignes.  Ils  seront  examinés  sur  leur  science  et  leurs 
mœurs,  et  nul  ne  sera  ordonné  s'il  ne  peut  justifier  d'un  titre 
patrimonial  d'au  moins  cent  sous  tournois,  ou  d'un  bénéfice 
suffisant. 

7.  On  ne  donnera  la  tonsure  qu'à  des  jeunes  gens  qui  savent 
lire  et  chanter,  de  condition  libre  et  de  naissance  légitime. 

8.  On  abolit  la   pratique    simoniaque    adoptée    par    plusieurs 
1036    évcques  qui    font   jurer    aux    ordinands    de    ne    rien     demander 

à  eux-mêmes    ni    à    leurs    successeurs,   quoique  leur   patrimoine 
ou  leur  bénéfice  soient  insuffisants  ^. 

9.  On  ne  choisira  pour  archidiacres  que  des  hommes  zélés 
pour  le  salut  des  âmes  et  capables  de  prêcher  au  clergé  et  au 
peuple. 

10.  Les  canons  47  et  49  du  IV^  concile  de  Latran  relatifs  aux 
excommunications  injustes  seront  publiés  de  nouveau. 

11.  Les  monastères,  les  chapitres  et  autres  patrons  des  églises 
paroissiales  doivent,  avant  la  Toussaint  prochaine,  présenter  à 
l'évêque,  pour  chacune  de  ces  églises,  un  vicaire  perpétuel  idoine 
et  pourvu  de  revenus  suffisants. 

12.  Quiconque  a  reçu  un  titre  entraînant  charge  d'âmes  doit 
recevoir  le  plus  tôt  possible  les  saints  ordres.  Si  une  église  parois- 
siale est  unie  à  une  prébende  ou  dignité,  le  prébende  ou  digni- 
taire, devant  lui-même  desservir  l'église  principale,  doit  pré- 
senter à  l'évêque,  pour  l'autre  église,  un  vicaire  perpétuel  avec 
des  revenus  suffisants.  Toute  église  paroissiale  doit  avoir  son 
propre  prêtre  établi  d'une  manière  durable;  d'après  le  can.  29 
du  IV^  concile  de  Latran,  nul  ne  doit  avoir  deux  bénéfices 
comportant   l'un   et   l'autre   charge  d'ànies. 


1.  Si  l'évêque  a  ordonné  un  clerc  sans  titre  suffisant,  il  est  lui-même  tenu^ 
d'après  le  can.  5  du  III«  concile  de  Latran,  de  faire  vivre  ce  clerc.  Pour  ne  pas 
contracter  cette  oLlifrntion,  plusieurs  cvêques  faisaient  promettre  à  leurs  ordi- 
nands de  ne  leur  demander  aucun  secours. 


1558  LIVRE    XXXVI.     CHAPITRE    II 

13.  Sur  la  conduite  des  clercs,  on  se  conformera  aux  can.  15 
et  16  du  IVe  concile  de  Latran.  De  plus,  que  les  clercs  ne 
portent  pas  de  couteau,  sabre  ou  lance,  etc.,  ni  en  général 
aucune  armo  offensive,  sauf  en  temps  de  guerre.  Les  chanoines 
(fui  ne  sont  pas  encore  ordonnés  n'ont  ni  stalle  au  chœur  ni  ^■olx 
au  chapitre. 

14.  Tous  les  réguliers,  moines,  chanoines  ou  nonnes  doivent 
exactement  observer  leurs  règles  et  en  particulier  ne  rien  pos- 
séder en  propre.  Le  religieux  qui,  à  sa  mort,  laisse  quelque  bien, 
sera  privé  de  la  sépulture  dans  le  monastère,  d'après  l'ordon- 
nance de    Grégoire  le    Grand. 

15.  Les  abbés  et  les  moines  observeront  aussi  leurs  règles 
concernant  leurs  habits, 

16.  Le  luxe  des  habits  est  interdit  aux  chanoines  réguliers. 

17.  Les  monastères  doivent  être  soigneusement  fermés. 

18.  Dans  les  monastères,  on  fera  la  lecture  pendant  les  repas 
et  on  tiendra  tous  les  jours  le  chapitre  des   coulpes. 

19.  Les  moines  ne  doivent  pas  s'absenter   de   leur  monastère. 

20.  Dans  chaque  monastère,  il  y  aura  au  moins  toutes  les  se- 
maines un  mandatum  ^  pour  les  pauvres. 

21.  Dans  chaque  monastère,  il  y  aura  un  maître  chargé  d'en- 
seigner la  grammaire. 

22.  A  l'avenir,  les  laïcs   ne  devront  plus   se  donner  eux-mêmes 

et  donner  leurs  biens  à  un  monastère,  dans  l'espoir  d'ol)tenir  ainsi  1037 
un  bénéfice  ecclésiastique  :  c'est  là  de  la  simonie. 

23.  Défense  de  vendre  du  vin  dans  les  couvents,  et  surtout 
d'y  faire  venir,  pour  attirer  les  chalands,  des  bateleurs,  des 
bouffons,  et  même  des  femmes  de  mauvaise  vie.  Ces  faits 
regrettables  se  sont  produits  surtout  dans  les  monastères 
exempts. 

24.  Dans  aucune  église,  on  ne  devra  désormais  recevoir  des 
laïcs  comme  ohlati  ou  donati  pour  une  prébende,  car  c'est  souvent 
une  cause  de  scandale. 

25.  Il  devra  y  avoir  désormais  plus    d'un    moine  par  prieuré. 

26.  Conformément  au  can.  28  du  IV^  concile  de  Latran, 
toute  personne  âgée  de  quatorze  ans  devra  faire  serment  de 
ne  pas  troubler  la  paix  . 

1.  Lavement  des  pieds^  ou  lavement  des  mains  suivi  d'un  repas  ou  d'une 
distribution;  le  mot  est  emprunté  à  la  cérémonie  bien  connue  du  jeudi  saint. 


6G0.     CONCILES    RELATIFS    AUX    ALBIGEOIS  1559 

Comme  dans  le  sud  de  la  France,  on  dut  prendre,  dans  le 
nord-ouest  de  l'Espagne,  des  mesures  contre  les  hérétiques  : 
en  février  1233,  le  roi  d'Aragon,  Jayme  I^r,  promulgua,  dans 
une  assemblée  tenue  à  Tarragone,  un  statut,  en  vingt-six 
articles,  rédigé  de  concert  avec  l'épiscopat.  Voici  les  plus  impor- 
tantes de  ces  mesures  : 

1.  Défense  à  tout  laïc  de  disputer  sur  la  foi,  soit  en  public, 
soit  en  particulier. 

2.  Défense  à  tous  prêtres  ou  laïcs  d'avoir  une  traduction 
de  la  sainte  Ecriture  en  langue  romane. 

3.  On  ne  confiera  aucune  charge  à  quiconque  est  suspect 
d'hérésie. 

4.  Si  les  maisons  où  sont  reçus  les  hérétiques  sont  propriétés 
privées,  elles  seront  détruites;  si  ce  sont  des  fiefs,  elles  revien- 
dront au  seigneur. 

5.  Nul  ne  doit  être  puni  pour  hérésie,  s'il  n'a  été  déclaré  héré- 
tique ou  credens  par  l'évêque  ou  par  un  ecclésiastique. 

6  et  7.  Quiconque  laisse,  sciemment  ou  par  négligence,  un  héré- 
tique demeurer  sur  son  bien,  perd  ce  bien.  Si  c'est  un  fief,  il  re- 
vient au  seigneur;  si  c'est  un  alleu,  il  revient  au  roi. 

8.  Partout  où  il  sera  nécessaire,  l'évêque  aura  un  clerc,  et  le 
roi  ou  son  représentant  auront  deux  ou  trois  laïcs  pour  recher- 
cher dans  les  paroisses  les  hérétiques,  leurs  partisans  et  défen- 
seurs; ils  auront  le  droit  de  faire  des  recherches  partout  où 
ils  jugeront  à  propos. 

9.  S'ils  découvrent  un  hérétique,  etc.,  ils  le  feront  aussitôt 
connaître  à  l'employé  du  roi, 

17.  Les  clercs,  les  religieux  et  ceux  qui  sont  à  leur  service  ne 
1038  payeront  que  les  droits    de    péage    et    redevances    {leuda)    déjà 

observés  sous  le  feu  roi    Pierre  II. 

18.  Quiconque  s'obstine  une  année  entière  dans  l'excommuni- 
cation sera  contraint  par  le  roi  ou  son  vicaire  à  se  faire  relever  de 
la   censure. 

19.  Chacun  peut  donner  de  son  bien  ce  qui  lui  plaît  aux  églises, 
sans  préjudice  du  droit  et  du  domaine  suréminent  du  roi. 

24.  Les  évêques  feront  jurer  à  quiconque  est  âgé  de  quatorze 
ans,  de  respecter  la  paix  ^. 

1.   Pierre  de  Marca,  Concord.  sacerd.  et  imper.,  Append.,  p.  1425;  Martène^ 
Vel.  moimm.,  t.  vu,  roi.  123;  Mansi,  Coirc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.    293. 


i 


1560 


LIVRE    XXXVI,     CHAPITRi:    H 


Le  synode  eélébré  à  Arles  en  123'i,  sous  rarcliev(M{uo  Jeun  Je 
Bausson,  promulgua  vingt-quatre  canons  analogues  à  ceux  que 
nous  venons  d'analyser  ^  : 

1.  Les  ordonnances  du  IV^  concile  de  Latran  doivent  cire 
observées  avec  soin. 

2.  Ainsi  qu'elles  le  prescrivent,  les  évoques  devront  prêcher 
souvent  et  désigner  des  prédicateurs  idoines. 

3.  Les  évêques  exigeront  de  tous  les  magistrats  et  seigneurs 
le  serment  de  faire  disparaître  l'hérésie  de  leurs  territoires. 

4.  Tous  les  dimanches  et  jours  de  fête,  on  prononcera  l'ex- 
communication et  l'anathème  contre  les  hérétiques  et  leurs 
partisans,  etc. 

5.  Dans  chaque  paroisse,  tant  à  la  ville  qu'à  la  campagne, 
l'évoque  obligera  par  serment  un  prêtre  et  plusieurs  laïcs  de 
réputation  intacte  à  rechercher  assidûment  les  hérétiques 
et  leurs  partisans  et  à  les  dénoncer  à  l'évoque,  aux  recteurs  des 
villes,  aux  seigneurs  et  à  leurs  baillis  pour  qu'ils  soient  punis. 

6.  Beaucoup  d'hérétiques  faisant  seulement  mine  de  se  con- 
vertir n'en  sont  ensuite  que  plus  dangereux;  désormais,  tous 
ceux  qui  ont  été  convaincus  d'hérésie  et  qui  ne  sont  pas  punis 
(de  mort)  seront  emprisonnés  pour  le  reste  de  leurs  jours 
(même  si  leur  conversion  est  sincère).  Ils  seront  entretenus  avec 
les  revenus  de  leurs  biens  ^. 

7-9.  La  paix  devra  régner  dans  toute  la  province  d'Arles;  on 
n'y   tolérera    aucune   association. 

10.  On  ne  doit  pas  absoudre  un  excommunié  avant  qu'il 
ait  donné  satisfaction. 

11.  Les  corps  des  hérétiques  et  de  leurs  credentes  seront  exhu- 
més et  livrés  au  juge  séculier, 

12.  Aucun  laïc  ne  peut  obtenir  une  église  ou  un  bénéfice  ec- 
clésiastique, ni  en  son  propre  nom  ni  au   nom  d'un    tiers. 

13.  xSul  ne  peut  être  excommunié  sans  monition  préalable. 
Quiconque  reste  plus  d'un  mois  sous  le  coup  de  l'excommunica- 
tion doit  payer,  lorsqu'il  sollicite  l'absolution,  50  so/irfi  pour  cha- 


1.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  2339-2345;  Hardouin^  Conc.  coll.,  t.  vii^  col.  235; 
Coleti,  Concilia,  t.  xin,  col.  l.'îll;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  336. 
(H.  L.) 

2.  Cf.  Ift  can.  1 1  du  concile  de  Toulouse  et  la  confirmation  de  Grégoire  IX  en 
1231.  Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1231,  n.  14. 


660.     CONCILES    RELATIFS    AUX    ALBIGEOIS  1561 

(fuo  mois  suppli'-menlaire   de  relard.   La  moitié  de  cette  amende 
1039   ^^   ^"  seigneur  temporel,  et  l'antre    à    l'évèque  pour   les   causes 
pies. 

14.  Les  évêques  s'appliqueront  à  la  réforme  des  mœurs  et 
chargeront  dans  leurs  diocèses  des  personnes  idoines  de  leur 
signaler  les   abus  à  corriger. 

15.  Dans  chaque  synode  et  tous  les  jours  de  dimanche  et  de 
fête,  on  excommuniera  les  usuriers,  les  adultères  notoires,  les 
devins  et  ceux  qui  les  consultent, 

16.  Les  juifs  doivent  porter  sur  leurs  habits  des  signes  qui  per- 
mettent de  les  reconnaître,  et  leurs  biens  seront  soumis  à  la  dîme 
ecclésiastique. 

17.  Les  privilégiés  (les  exempts)  ne  peuvent  pas  infirmer  les 
sentences  des  prélats  ni  les  censures  ecclésiastiques. 

18.  Tous  les  sufïragants  doivent  soutenir  les  droits  de  l'E- 
glise  d'Arles  sur  ses  regalia. 

19.  Toute  église  de  campagne  doit  avoir  son^  propre  prêtre  ou 
du  moins  être  administrée  conformément  à  l'ordonnance  de 
l'évèque. 

20.  A  l'égard  des  dîmes  et  des  dispositions  testamentaires,  les 
évêques  se  conformeront  aux  prescriptions  communes  du  droit 
canonique. 

21.  Les  testaments  seront  rédigés  en  présence  du  curé 
ou  de  son  chapelain;  sinon,  le  notaire  sera  excommunié  et  le 
testateur  privé  de  la  sépulture  ecclésiastique. 

22.  On  ne  doit  réclamer,  sur  les  péages  et  sur  les  sels,  que  les 
redevances  en  usage. 

23.  -Nul  ne  peut  céder  à  des  moines,  sans  l'assentiment  de  l'é- 
vèque, des  dîmes  ou  autres  droits  des  églises  paroissiales,  ni 
transférer  les  droits  d'une  église  à  une  autre  église. 

24.  Nul  ne  peut  être  dépouillé  d'un  bénéfice  ecclésiastique 
sans  enquête  préalable. 

Au  mois  de  novembre  1236,  ces  statuts  furent  renouvelés  dans 
un  nouveau  synode  provincial  célébré  à  Arles  ^;  nous  parlerons 
plus  loin  d'un  concile  de  Xarbonne  que  les  collections  des  con- 
ciles placent  en   1235,  parce  qu'en  réalité  il  date  de   1243. 

,1.  Comme  la  note  précédente. 


1562  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRK     II 


661.  Conciles  français  dans  le  conflit  avec  saint  Louis. 

1232-1235. 

Plusieurs  conciles  français,  en  particulier  ceux  de  la  province 
de  Reims,  dont  Henri  de  Braine  était  métropolitain,  cherchèrent 
à  maintenir  en  face  du  roi  et  des  villes  les  privilèges  ecclésiasti- 
ques. Dans  une  de  ces  assemblées  célél)rée  à  Noyon  dans  la  pre- 
mière semaine  du  carême  1233^,  Milon,  évêque  de  Beauvais,  fit  1040 
déclarer  par  son  archidiacre  Pierre  que,  de  temps  immémorial, 
le  droit  de  justice  sur  la  ville  de  Beauvais  et  ses  habitants 
appartenait  à  l'évêque.  C'est  que,  vers  la  Chandeleur  de  1233, 
le  roi  Louis  IX  était  venu  dans  la  ville  avec  de  nombreux 
hommes  d'armes  pour  punir  un  récent  sacrilège  et,  malgré  les 
protestations  de  l'évcque,  il  avait  exercé  la  justice,  exilé  ou 
emprisonné  cjuinze  cents  habitants,  et  rasé  plusieurs  maisons. 
Il  demeura  cin(j  jours,  après  lesquels  il  avait  réclamé  à 
l'évêque  huit  cents  livres  parisis^,  à  titre  d'indemnité.  L'évêque 
avait  demandé  à  consulter  son  chapitre;  mais  Louis  IX  s'y  était 
refusé,  avait  fait  main  basse  sur  tout  ce  qui  appartenait  à  la 
maison  épiscopale  et  fait  placer  des  gardes  dans  la  ville  et 
dans  la  maison  de  l'évêque.  Milon  demandait  donc  à  l'assem- 
blée de  Noyon  aide  et  conseil.  Le  concile  chargea  une  commis- 
sion de  trois  évêques,  accrédités  auprès  du  roi  et  de  l'évêque 
de  Beauvais,  d'examiner,  d'accord  avec  les  commissaires  royaux, 
les  revendications  de  l'évêque  et  enquêter  sur  les  dommages  à 
lui  causés.  Ces  évêques  firent  leur  rapport  au  concile  de  Laon, 
qui  se  tint  la  semaine  de  la  Passion,  et  le  concile  envoya  une 
députation  renouveler  ses  plaintes  au  roi.  Celui-ci  ayant  refusé 
satisfaction  à  l'Eglise  de  Beauvais,  les  évêques  revinrent  à 
Senlis  et  décidèrent  que,  si,  dans    un  délai  déterminé,    le  roi  ne 


1.  Et  non  en  1231  ou  1232.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  446;  Hardouin,  Conc. 
coll.,  t.  vu,  col.  197;  Martène,  Thés.  nov.  anecd.  \1\1,  t.  iv,  col.  181;  cf.  t.  i, 
col.  975;  Colcli;  Concilia,  t.  xiii^  col.  1267;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxni, 
col.  250  ;  Gousset,  Actes  de  la  prov.  ecclés.  de  Reims,  1842,  t.  ii,  p.  363.  (H.  L.) 

2.  C'est  octingentas  et  non  pas  octoginia  qu'il  faut  lire.  Cf.  Mansi,  op.  cil., 
t.  xxiii,  p.  251,  257. 


G61.     CONFLIT     AVEC     SAINT    LOUIS  1563 

chanoreait  d'avis,  chacun  d'eux  mettrait  son  diocèse  en  inter- 
dit.  Ils  allèrent  aussitôt  informer  le  roi  de  leur  décision,  mais 
Louis  IX  n'écouta  rien.  Aussi,  dans  un  quatrième  concile  célébré 
à  Saint-Quentin  ^  quelques  jours  avant  la  Nativité  de  la  sainte 
Vierge,  on  décida  que  la  province  de  Reims  serait  frappée  d'inter- 
dit, si  l'Église  de  Beauvais  n'avait  pas  obtenu  satisfaction  pour 
l'octave  de  la  Toussaint.  Le  délai  passé,  la  menace  fut  exécutée. 
L'évêque  de  Noyon  et  plusieurs  chapitres  des  cathédrales  ayant 
protesté,  l'archevêque  Henri  de  Braine  réunit,  peu  avant  Noël 
1041  1233,  un  autre  concile  à  Saint-Quentin^;  mais  là,  contre  toute 
attente.  ])lusieurs  sufTragants  changèrent  d'avis  et  demandèrent 
la  levée  de  l'interdit.  Pour  éviter  un  plus  grand  scandale,  l'arche- 
vêque céda  et  fit  connaître  sa  décision  au  pape.  De  son  côté, 
l'éA'êque  de  Beauvais  fit  appel  au  Saint-Siège  ^. 

En  1235,  de  nouveaux  troubles  religieux  éclatèrent  dans  la 
province  ecclésiastique  de  Reims.  Les  bourgeois  de  cette  ville 
travaillaient  à  se  rendre  indépendants  de  l'archevêque;  celui-ci, 
d'accord  avec  le  chapitre,  ayant  réclamé  ses  droits,  les  bourgeois 
se  révoltèrent,  dressèrent  des  barricades,  attaquèrent  les  maisons 
des  chanoines,  qu'ils  chassèrent  ainsi  que  l'archevêque.  Les  biens 
de  ce  dernier  furent  mis  sous  séquestre,  son  château  assiégé  et  ses 
gens  massacrés.  L'archevêque  excommunia  les  rebelles,  le  pape 
eur  envoya  deux  commissaires,  ce  fut  peine  perdue  :  la  rébellion 
s'obstina,  soutenue,  croyait-on,  par  saint  Louis.  De  nouvelles 
plaintes  ayant  été  formulées  contre  le  roi,  l'archevêque  convo- 
qua à  Saint-Quentin,  le  23  juillet  1235,  un  concile  provincial,  qui 
adressa  au  roi  les  demandes  suivantes*  : 


1.  3  sept.  1233.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  447;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu, 
col.  199;  Martène,  Thés.  nov.  anecdot.,  \1\1,  t.  iv^  col.  183-184;  Coleti,  Concilia, 
t.  XIII,  col.  1273;  Mansi^  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  260;  Vaiin,  Archiv. 
adminislr.  de  Reims,  1839,  t.  i,  p.  558-575;  Gousset,  Actes  de  la  prov.  ecclés.  de 
Reims,  t.  ii,  p.  365-366.  (H.  L.) 

2.  18  décembre  1233.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  447-448;  Martène,  Thés, 
nov.  anecdot.,  t.  iv,  col.  184;  Varin,  Archives  administr.  de  Reims,  t.  i,p.  574- 
575.    (H.    L.) 

3.  Bien  que  prévôt  de  l'église  métropolitaine,  il  n'était  que  sous-diacre  (Mansi, 
loc.  cit.,  col.  367,  501);  plus  tard  il  fut  nommé  archevêque  de  Reims. 

4.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  501-503  [497-499];  Hardouin,  Conc.  coW.,  t.  vu, 
col.  257;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1335;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxin, 
col.  365;  Varin,  Archiv.  administr.  de  Reims,  t.  i,  p.  584-587;  Gousset,  Actes  de  la 
prov.  ecclés.  de  Reims,  t.  ii,  p.  375.  (H.  L.) 


1564  MVRE     XXXVI,     CHAPITRE     IF 

a)  Plaise  au  roi  de  soutenir  l'Eglise  de  Reims  contre  les  excès 
notoires  des  bourgeois  et  d'ajouter  foi  aux  paroles  de  l'archevê- 
que, qui  déclare  fondée  en  droit  canon  sa  sentence  contre  ces 
rebelles. 

h)  Plaise  au  roi  de  ne  pas  exiger  de  l'archevêque  de  s'expli([uer 
dans  la  curie  de  Reims,  contradictoirement  avec  les  bourcfeois  de 
la  ville,  à  l'égard  de  certaines  violences. 

c)  Plaise  au  roi  de  ne  pas  laisser  au  ban  du  royaume  le  chanoine 
de  Reims  Thomas  de  Beaumets  [Bellomanso)  ^.  (En  insistant 
outre  mesure  sur  les  principes  canoniques,  ce  chanoine  avait 
occasionné  la  sédition.) 

d)  Plaise  au  roi  de  ne  plus  exiger  des  ecclésiastiques  d'ajou- 
ter l'épreuve  du  duel   à  certaines   décisions   canoniques. 

e)  Plaise  au  roi  de  revenir  sur  la  confiscation  des  biens  du  cha- 
pitre do  Soissons,  ordonnée  parce  que  ce  chapitre  ne  voulait  pas 
reconnaître  sa  juridiction  sur  un  point. 

/)  Plaise  au  roi  de  ne  plus  refuser  les  regalia  à  l'abbesse  élue 
de  Sainte-Marie  de  Soissons  et  de  ne  pas  empêcher  l'évêque  de 
Soissons  de  la  Ijénir.  \ 

Lorsque  les  membres  du  synode  parurent  devant  le  roi,    celui-  f 

ci   leur  dit  que    l'affaire    méritait   un    examen    plus    approfondi, 
c'est  pourquoi  il   invitait  les  prélats  à  Melun  pour  l'Assomption. 
Ils  acceptèrent  et  se  contentèrent  d'attirer  l'attention  du  roi  sur  1042 
deux  points  :  l'affaire  de  l'archevêque    de  Reims    et   la   mise   au 
ban    de  Thomas  de  Beaumets. 

Les  évêques  se  réunirent  donc  à  Compiègne  ^  (août  1235)  et 
firent  au  roi  de  nouvelles  représentations.  Louis  IX  n'ayant 
pas  répondu,  une  troisième  assemblée  se  tint  à  Senlis  après  la 
fête  de  saint  Martin.  On  discuta  sur  les  mesures  à  prendre,  si 
le  roi  persistait  à  ne  pas  tenir  compte  des  observations  et  à 
ne  pas  reconnaître  les  droits  de  l'Eglise.  Quelques  évêques 
pensèrent  qu'il  suffisait  de  faire  célébrer  le  service  divin 
sans  aucune  pompe  dans  les  églises  cathédrales  et  dans  les 
chapelles    épiscopales;   l'archevêque  et  les  autres   évêques   vou- 

1.  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vii;,  col.  197  sq.,  incomplet;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii, 
col.  1267-1272;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxni,  col.  249-264;  Gousset^  Actes 
de  la  prov.  ecclés.  de  Reims,  t.  ir,  p.  363. 

2.  5  août  1235.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  503  [499];  Hardouin,  Conc.  coll., 
t.  VII,  col.  259;  Coleli,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1337;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.. 
U  xxiii,  col.  368. 


662.   CONCILES   GRECS,    1232-1235  1565 

laient  que  toute  la  province  ecclésiastique  de  Reims  fût  frap- 
pée d'interdit.  Le  roi  se  rendit  alors  à  Ileims  et  obligea  la 
bourgeoisie  à  donner  satisfaction  à  l'archevêque  et  au  chapitre  ^ 


662.  Conciles  grecs,  1232-1235.  Tentative  d'union. 

Trois  conciles  grecs  célébrés  dans  l'empire  de  Nicée  entre  1232 
et  1235  s'occupèrent  de  rétablir  l'union.  En  1228,  le  quatrième 
empereur  latin  de  Constantinople,  Robert  de  Courtenay,  mourut 
ne  laissant  qu'un  frère,  Baudouin,  âgé  de  neuf  ans.  Les  barons  de 
l'empire,  d'accord  avec  Grégoire  IX,  donnèrent  pour  tuteur  et 
régent  à  Baudouin  l'ancien  roi  de  Jérusalem,  Jean  de  Brienne, 
qiii  devait  porter  le  titre  d'empereur  avec  les  droits  attachés 
à  ce  titre;  Baudouin  ne  ceindrait  la  couronne  cju'après  sa 
mort.  Quoique  octogénaire,  Jean  de  Brienne  était  robuste  et 
énergique  ;  c'était  un  capitaine  renommé  et  cjui  avait  gardé 
les  meilleurs  rapports  avec  le  pape.  Tout  le  monde  espérait 
qu'il  relèverait  l'empire  de  Romanie,  trop  ébranlé.  Le  nou- 
veau souverain  était  à  peine  arrivé  à  Constantinople  (fin 
de  1231),  c|ue  son  adversaire  naturel,  Jean  Vatazes,  empereur 
grec  de  Nicée,  successeur  et  gendre  de  Théodore  Lascaris,  mani- 
1043  festa  l'intention  de  rétablir  l'union  avec  l'Église  latine.  Agis- 
sait-il par  politique,  pour  gagner  le  pape  à  sa  cause,  ou  par  con- 
viction? On  ne  sait.  Le  patriarche  Germain  II,  installé  à  Nicée, 
mais  avec  le  titre  de  Constantinople,  sembla  partager  les  désirs 
de  son  maître.  L'occasion  d'entrer  en  pourparlers  se  présenta 
en  1232.  Cinq  franciscains,  missionnaires  en  Asie  et  devenus 
esclaves  des  Turcs,  furent  rachetés  et  passèrent  par  Nicée  en  se 
rendant  à  Constantinople.  Non  contents  de  les  recevoir  hono- 
rablement, le  patriarche  et  l'empereur  les  chargèrent  de  lettres 
pour  le  pape  et  les  cardinaux.  A  ce  moment  même,  Germain, 
patriarche  de  Nicée,  tenait  un  synode  pour  savoir  si  certains 
monastères  et  oratoires  relevaient  de  l'autorité  des  évêques  diocé- 
sains, ou  devaient  être  gouvernés  par  un  comm'ssaire  spécial 
du  patriarche  ^. 


1.  Gousset,  op.  cit.,  p.  375  sq. 

2.  Mansi,  Conc.  amplis'i.  cuil.,  l.  xxiii,  col.  245. 


1566 


LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE     II 


La  lettre  du  patriarche  au  pape  débutait  par  une  prière  au 
Christ  pour  l'union.  Le  prélat  espérait  que  cette  œuvre  serait 
surtout  celle  du  pape,  qui  possédait  la  primauté  du  Siège 
apostolique;  il  déplorait  la  séparation  de  rE<2;lise,  la  scis- 
sion do  la  robe  de  l'épouse  du  Christ,  non  par  le  fait  de 
soldais  brutaux,  mais  bien  par  celui  des  chefs  de  l'Eglise. 
L'inimitié  entre  Caïn  et  Abel,  entre  Esaii  et  Jacob,  a  reparu,  et 
chacun  n'est  occupé  qu'à  dévorer  son  voisin,  à  l'exemple  des 
poissons  voraces.  L'apôtre  Paul  avait  menacé  d'anathème 
quiconque  enseignerait  une  doctrine  étrangère^;  l'anathème 
atteint  les  latins,  non  les  grecs.  L'univers  entier  déplore  cette 
divergence  dans  le  dogme,  ce  mépris  des  canons,  cet  abandon 
des  anciennes  traditions,  et  surtout  les  barrières  élevées  entre 
frères  jadis  unis.  De  là  des  guerres  cruelles,  la  dévastation 
des  villes,  la  fermeture  des  églises,  etc.  En  plusieurs  lieux  on  a 
préféré  interrompre  le  service  divin,  plutôt  que  de  laisser 
louer  Dieu  en  langue  grecque.  Les  jours  du  martyre  ont  reparu 
pour  les  grecs  de  Chypre.  Tout  cela  n'est  guère  conforme  à  l'en- 
seignement de  saint  Pierre  '^,  Que  le  pape  ne  prenne'pas  en  mal  ces 
paroles  sévères,  mais  qu'il  s'efforce  de  retrouver  la  drachme 
perdue  (l'unité).  Les  grecs  sont  prêts  à  lui  prêter  un  loyal  con- 
cours. Des  deux  côtés,  grecs  et  latins  croient  avoir  raison;  en 
effet,  on  ne  peut  voir  les  taches  de  son  visage  qu'en  se  regardant 
dans  un  miroir.  Or,  ce  miroir,  ce  sont  les  saintes  Écritures  et  les 
livres  des  Pères  :  que  chacun  s'en  serve  pour  voir  ses  défauts  ^. 
Dans  sa  lettre  aux  cardinaux,  le  patriarche  exalte  la  grandeur 
de  l'Église  grecque,  qui  comprend  les  Éthiopiens,  les  Syriens, 
les  Ibères,  les  Lazes,  les  Alanes,  les  Goths,  les  Chazares,  les 
Assares,  les  Russes  et  les  Bulgares  *. 

Le  jiape  répondit  au  patriarche  une  lettre  dont  voici  le  résumé  : 
Pierre  a  incontestablement  reçu  la  primauté  sur  tous  les  apôtres, 
y  compris  saint  Paul.  Aussi  toutes  les  questions  dogmatiques  relè- 
vent-elles du  ])ape.  L'Église  grecque  s'est  séparée  de  l'unité;    elle 


1044 


1.  Gai.,  I,  9. 

2.  I  Petr.,  V,  1. 

3.  Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  aiin.  1232,  n.  46  sq.,  donne  les  principaux 
;>assages;  Coleli,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1119;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col. 
149  sq.,  1961  sq.;  ]\Iansi,  Conc.  ampUss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  47. 

4.  Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1232,  n.  50. 


662.     CONCILES    GRECS,    1232-1235  1567 

est  punie  d'avoir  méconnu  la  primauté  du  pape,  ayant  été  asser- 
vie au  pouvoir  politique;  sa  décadence  est  visible,  sa  foi  inactive 
et  sa  charité  refroidie.  Si  l' Église  grecque  prétend  revendiquer  pour 
elle  saint  Paul,  qu'elle  n'oublie  pas  que  Paul  est  venu  s'établir  et 
mourie  à  Rome.  Lorsque  le  patriarche  aura  dépouillé  tout  préjugé, 
il  se  convaincra  (jue  l'Eglise  romaine,  chef  et  maîtresse  de  toutes 
les  Eglises,  peut  se  regarder  dans  les  miroirs  de  la  sainte  Ecriture 
et  des  Pères,  sans  trouver  en  elle  rien  que  de  conforme  à  l'unité 
de  la  foi  et  de  l'esprit;  il  verra  que  l'évèque  de  Rome  s'est  fait 
tout  à  tous  pour  tout  sauver;  qu'il  est  un  mur  élevé  en  faveur 
de  ses  frères  dans  l'épiscopat  pour  lutter  contre  les  hérétiques, 
les  schismatiques  et  les  tyrans;  qu'il  est  enfin  le  défenseur  de 
la  liberté  ecclésiastique.  L'Église  grecque,  au  contraire,  a  perdu 
la  liberté  et  avili  la  dignité  sacerdotale  ^. 

Au  début  de  celte  lettre,  écrite  à  Riati  le  26  juillet  1232; 
le  pape  manifeste  l'intention  d'envoyer  quelques  moines  au 
patriarche  Germain.  Ce  furent  deux  dominicains,  Hugues  et 
Pierre,  et  deux  franciscains,  Haimo  et  Raoul.  Rs  étaient  partis 
lorsque,  le  18  mai  1233,  le  pape  écrivit  au  patriarche  une  seconde 
10 45    lettre  dans  laquelle  il  développait  les  deux  points  suivants  : 

1.  L'Eglise  de  Jésus-Christ  a  reçu  les  deux  sceptres,  le  sceptre 
temporel  et  le  sceptre  spirituel  :  elle  ne  garde  que  le  der- 
nier, elle  conhe  l'autre  à  un  guerrier  qui  s'en  servira  d'après  ses 
ordres  ^. 

2.  Si  les  liturgies  eucharistiques  sont  différentes,  le  patriarche 
sait  bien  que  grecs  et  latins  célèbrent  un  seul  et  même  mystère 
du  corps  de  Jésus-Christ.  Le  grec,  figuré  par  saint  Jean  ^,  arrive 
le  premier  au  sépulcre  et  se  sert  de  levain  {jermentum  corruptio- 
nis),  pour  signifier  qu'avant  sa  résurrection  le  corps  du 
Christ  était  corruptible.  Le  latin,  au  contraire,  à  l'exemple  de 
Pierre,  arrive  plus  tard  au  sépulcre;  mais  il  y  entre  le  premier, 
il  a  constaté  la  résurrection:  c'est  pourquoi  il  se  sert  du  pain 
sans  levain  comme  symbole  du  Christ  glorifié  *. 

1.  Hardouin,  Cofic.  coll.,  t.  vu,  col.  153  sq.;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1127; 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  55  sq. 

2.  Après  tout  ce  qui  sétait  passé,  il  fallait  avoir  l'illusion  tenace  pour  écrire 
pareille  chose.  (H.  L.) 

3.  Joa.,  XX,  4. 

'i.   ilardouiii,  Conc.   coll.,   l.  vu,  coi.    15G;   Colati,  Concilia,    t.   xiii,  col.    1129; 


1568  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    II 

Les  en^ oyés  i)oulilicaiix,    aiiivôs    à    Nicée   en    janvier    1234^, 
furent   bien  reçus,  remirent  la  lettre  du   pape  (la   première)  et, 
dans  le  })alais  impérial  ou  chez    le    patriarche,    eurent    avec  les 
grecs   sept   conférences.     Dans    les    six    premières,  on     s'occupa 
exclusivement  du  Fiiioque.  Une  fois  de  plus  les  grecs  déclarèrent 
qu'on  ne  devait  rien  ajouter  au  symbole  de  Nicée;  les  latins  invo- 
({uèrent    l'addition    dn    second    concile    général   et    demandèrent 
s'il  avait  eu  le  droit  de  la  faire.  Les  grecs    rétorquèrent  «  que  ce 
n'était  pas  là  une  additio  (c'est-à-dire  un  nouveau  dogme),  mais 
une   expressio  veritatis  »  et  les  latins   reprirent  l'argument  pour 
le    Fiiioque.     Ils     démontrèrent     que     Cyrille     d'Alexandrie    et 
Athanase  le  Grand    avaient    enseigné    que    le    Saint-Es[)rit    pro- 
cède   du    Fils,     ce     que    la     sainte     Ecriture     donne    à    entendre 
en    appelant    le    Saint-Esprit  «   l'Esprit    de     Vérité    »,    car  «   la 
Vérité  »  n'est  autre  que  le  Fils  de  Dieu.  A  la  demande  des  grecs, 
les  latins  remirent  par  écrit    cette    argumentation  scripturaire  ; 
les   premiers    y    répondirent    par    un    long    mémoire,    dont   les    1046 
latins   montrèrent  les    points   faibles.    Afin  d'apaiser    le   débat, 
l'empereur,  qui    y   assistait   en   personne,    demanda    l'abandon, 
de  part   et  d'autre,  de  ce  texte  de  la  sainte  Ecriture  et  engagea  les 
latins  à  énoncer  leurs  preuves  patristiques   au  sujet    du  Fiiioque', 
ce  ((u'ils  firent  dans  six  conférences.  Dans  la  septième,  on  voulut 
passer  au  deuxième  dissentiment  entre  les  Églises  :  l'eucharistie. 
Mais  le  patriarche  annonça  son  intention  de   convoquer  en  con- 
cile ses    collègues    d'Alexandrie,  d'Antioche  et   de    Jérusalem,  ce 
qui  lui   permettrait   de  donner  vers    la    mi-mars  prochaine    une 
déclaration    sur    la    sainte     eucharistie;     les     latins    pourraient 
assister     à     la      réunion.      Ceux-ci     répondirent    que     le     pape 
ne    les     avait    envoyés     qu'au    patriarche     de    Nicée    et    nulle- 
ment à  un    concile   grec.    Libre  au   patriarche   d'examiner  en  ce 
synode  ce  (fui  importait  à  la   ])aix   et   à   la   réforme  de   l'Eglise; 


Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii^  col.  59L  Les  nonces  du  pape  ne  remirent 
cette  lettre  que  lors  de  leur  seconde  entrevue  avec  les  grecs,  ce  qui  permet  de 
supposer  qu'ils  ne  l'avaient  reçue  qu'après  leur  arrivée. 

1.  Dans  le  rapport  sur  leur  mission  auquel  nous  empruntons  les  renseigne- 
ments qui  vont  suivre  (Mansi,  op.  cit.,  t.  xxiii^  col.  279-319),  ils  indiquent  le 
mois  de  janvier  1233  comme  époque  de  leur  arrivée;  mais  ils  suivent  le  calcul 
florentin  qui  faisait  commencer  l'année  au  25  mars,  Voy.  la  note  de  Mansi  sur 
Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1233,  n.  1. 


662.   CONCILES   GRECS,   1232-1235  1569 

il    n'aurait    quîx     leur    envoyer    sa    réponse     à     Constantinople, 
où    eux-mêmes    se    rendraient    en     quittant    Nicée.     Lorsqu'ils 
vinrent   prendre   congé   de  l'empereur,   et    que   celui-ci,   selon  sa 
coutume,    leur    demanda  comment  on  pourrait    réaliser    l'union, 
les  nonces  répondirent  :«  Elle  se  réalisera:  a)  si  les  grecs  croient 
et  professent  la  même  foi  que  l'Église   romaine,  qui    alors    n'in- 
sistera peut-être  pas  pour  les  obliger  à  chanter  le  FlUoqiie;  b)  si 
les  grecs  obéissent  à  l'Eglise  romaine  comme  avant  le  schisme.  » 
L'empereur  demanda  si  le  pape  laisserait  au  patriarche  ses  droits. 
Les   nonces  répondirent   que.  «.  s'il  se  soumettait   à  sa   mère,   il 
serait  traité  par  elle  avec  plus  de  douceur  qu'il  ne  pensait.  )i  Vers 
le  milieu  de  mars,  le  patriarche  envoya  à  Constantinople  deman- 
der aux  latins  de  venir  à  Lescara,  maison  de  campagne  de  l'em- 
pereur \  atazes,  où  devait  se  célébrer  le  concile  grec.  Les  nonces 
protestèrent  d'abord;  mais,  sur  le  conseil  de  Jean  de  Brienne  et 
d'autres,  ils  se  laissèrent  déterminer,  dans  l'intérêt  de  la  bonne 
cause,  à  aller  à  Lescara  et  de  là  à  Nympha  (en  Bithynie),  où  ils 
se  rencontrèrent  avec  l'empereur  grec  et  les  patriarches,  la  se- 
maine avant  les  Rameaux.  Beaucoup  d'évêques  et  le  patriarche 
d'Antioche  arrivèrent   un  peu  plus  tard;  les   autres   patriarches 
grecs  ne  vinrent  pas  du  tout.  Lorsque,  le  lundi  de    Pâques    1234, 
eut  lieu  à  Nympha  la  ]»remière  session  du  synode.  Germain  de- 
manda la  discussion  du  Filioque.  tandis  cjuc  les    latins  réclamè- 
rent la  déclaration  promise  sur  l'eucharistie.  Le  patriarche  Ger- 
1047   main  finit  par  s'engager  à  la  leur  donner  et  leva  la  session.  Dans 
la  seconde,  cjui  eut  lieu  le  mercredi   26  avril  1234.  l'archevêque 
de  Samastria,  en  Paphlagonie,  fit  des  observations   sur  la    fin  de 
la  seconde  lettre  du  pape,  que  les  nonces  venaient  de  remettre. 
En  parlant,  comme  il  le  faisait,  des  deux  apôtres  Pierre  et  Jean, 
le  pape  ne  ^oulait-il  pas    indiquer   deux   traditions  ?    Les   latins 
ne  virent  là  quune   ruse  pour  es([uiver  la  déclaration  sur  l'eu- 
charistie.   Aussi    signifièrent-ils    aux    grecs    qu'ils    les    tenaient 
pour   hérétiques   sur   ce   pninl.  ))Our  diverses    raisons,    eu    parti- 
culier parce  qu'ils  faisaient   laver   tous   les   autels   où   les   latins 
avaient  célébré,   qu'ils  avaient  rayé    des    diptyques    le    nom    du 
pape  et  qu'ils  prononçaient  tous  les  ans  contre  lui  une  sentence 
d'excommunication.  Les   grecs   jiro lestèrent    que    cette   dernière 
accusat'on  n'était  pas  fondée;  quant  aux  autres,  ils  cherchèrent 
à  s'excuser,  en  rappelant  (jue,  lors  de  la  prise  de  Constantinople, 
les  latins  a^  aienl  jùllé  et  ravagé  les  églises  grecques,  et  en  avaient 

C  0  .N  C 1  L  E  s   —  V  —  9'J 


1570  LIVRR    XXXVI,    CHAPITRE    II 

empoiLé  les  reliques  oL  les  images.  Il  fut  l'acilc  aux  nonces  du 
pape  de  répondre  que,  loin  d'avoir  été  commis  sur  l'ordre  de 
l'Eglise  romaine,  ces  sacrilèges  avaient  eu  pour  auteurs  des  laïcs 
excommuniés  ^.  En  ce  qui  concerne  les  diptyques,  le  patriarche 
ayant  dit  :  «  Le  pape  a  été  le  premier  à  m'exclure,  »  les  nonces 
lui  rétorquèrent  :  «  Ton  nom  n'a  jamais  été  effacé  des  diptyques 
de  Rome,  car  il  n'y  a  jamais  figuré;  (jiiant  à  tes  prédécesseurs, 
comment  pourrais-tu  savoir  celui  ([ui  a  inauguré  ce  système 
d'élimination  ?  »  Les  envoyés  de  Rome  demandèrent  à  l'empe- 
reur de  consentir  à  leur  départ  et  de  les  pourvoir  d'un  sauf- 
conduit;  ils  ajoutèrent  au  nom  du  pape  que  celui-ci  ne  recevrait 
aucun  présent  avant  le  plein  accord  sur  les  choses  de  la  foi.  Sur 
le  désir  de  l'empereur,  ils  assistèrent,  le  vendredi  suivant,  à  une 
nouvelle  session  où  on  leur  donna  enfin  la  déclaration  si  long- 
temps promise  sur  la  sainte  eucharistie;  elle  portait  :  «  On  ne 
peut  consacrer  le  pain  azyme,  parce  qu'en  instituant  l'eucharis- 
tie, Jésus-Christ  s'est  servi  de  pain  levé.  «Les  grecs  affirmèrent 
que  telle  était  leur  foi,  se  déclarant  prêts  à  la  consigner  par 
écrit,  en  échange  de  la  proposition  des  latins  :  «  Quiconque  nie 
formellement  que  le  Saint-Esprit  procède  du  Fils  est  un  enfant  1048 
de  perdition.  »  Ces  deux  écrits  furent  échangés  dans  la  qua- 
trième session;  les  originaux  existent  encore^.  Dans  cette  même 
session,  les  latins  voulurent  prouver  que  Jésus-Christ  avait  ins- 
titué l'eucharistie  avec  du  pain  azyme  et  non  levé;  mais  on  ne 
put  leur  procurer  un  exemplaire  de  la  Rible  (  !  )  et  ils  durent  se 
contenter  de  citer  de  mémoire  les  principaux  textes  à  l'appui  de 
leur  thèse.  Vinrent  ensuite  les  preuves  tirées  des  écrits  des  Pères. 
La  discussion  se  prolongea  longtemps  dans  la  nuit  et  l'empereur 
leva  la  séance.  Quelques  jours  après,  les  nonces  ayant  de  nou- 
veau demandé  à  se  retirer,  l'empereur  leur  [)roposa  ce  com- 
promis :  les  grecs  adopteraient  la  doctrine  des  latins  sur  l'eucha- 
ristie, el  de  leur  côté  les  latins  abandonneraieni  le  Filioque. 
Les  nonces  évidemment  repoussèrent  cette  proposition,   ce   ((ui 

1.  Innocent  III  avait  excommvniié  les  croisés,  parce  que,  au  lieu  de  se  rendre 
à  Jérusalem,  ils  avaient  tourné  leurs  armes  contre  les  chrétiens  (Zara  et  Con- 
stantinople).  En  outre,  lors  de  la  prise  et  du  pillage  de  Constantinople  en  1204, 
les  évêqucs  frappèrent  d'excommunication  quiconque  commettrait  des  abomi- 
nations, profanerait  les  vases  sacrés,  etc. 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xxiii,  col.  298  sq.,  62  sq.;  Hardouin,  Conc.  coll..  t.  vu, 
col.  158  sq.,  214  sq.;  Coleti,  Concilia,  l.  m,  p.  1289  sq.,  1131  sq. 


6G2.    CONCILES     GRECS,     1232-1235  1571 

mécontenta  l'empereur  et  ses  évoques.  Dans  la  session  dvi  jeudi 
suivant,  le  patriarche  promit  de  répandre  en  Orient  la  décla- 
ration dogmatique  des  latins  sur  le  Saint-Esprit,  et  la  fit  lire 
aussitôt,  mais  avec  une  altération  :  «  Quiconque,  faisait-on  dire 
aux  latins,  ne  croit  pas  que  le  Saint-Esprit  procède  du  Fils,  est 
un  enfant  de  perdition.  »  Tandis  qu'ils  avaient  dit  :  «  Quicon- 
que soutient  que  le  Saint-Esprit  ne  procède  pas  du  Fils,  etc..» 
Les  nonces  protestèrent;  à  quoi  les  grecs  répondirent  par  des 
citations  des  Pères  paraissant  favorables  à  leur  sentiment  et 
cherchèrent  à  Iraîner  l'aflaire  en  longueur;  mais  les  latins,  fati- 
gués, posèrent  catégoriquement  ces  deux  questions  :  «  Cïoyez- 
vous,  oui  ou  non,  que  le  Saint-Esprit  procède  du  Fils?  Croyez- 
vous  <{uc  le  sacrement  de  l'autel  peut  se  célébrer  avec  du  pain 
azyme  ou  du  pain  levé?  »  Les  grecs  ayant  répondu  négative- 
ment sur  les  deux  points,  les  nonces  les  déclarèrent  hérétiques 
et  quittèrent  le  concile  tandis  que  les  grecs  leur  criaient  :  «  C'est 
vous  ({ui  êtes  hérétiques  !  »  Désolé,  l'empereur  consentit  au 
départ  des  latins  ;  mais  aussitôt  il  les  fit  prier  de  revenir  pour  faire 
leurs  adieux  au  patriarche  et  au  synode.  De  son  côté,  l'assem- 
blée avait  envoyé  aux  nonces  un  autre  ambassadeur,  le  charto- 
phylax  du  patriarche,  chargé  de  leur  remettre,  pour  la  faire 
parvenir  au  pape,  une  déclaration  dogmatique;  en  retour  le  char- 
tophylax  devait  redemander  les  pièces  échangées  sur  le  Filioque 
et  l'eucharistie.  Les  nonces  se  refusant  à  cet  échange,  le  char- 
tophylax  menaça  d'excommunication  les  gardes  préposés,  par 
ordre  de  l'empereur,  au  service  des  nonces,  s'ils  ne  les  aban- 
donnaient immédiatement.  Les  latins  furent  obligés  de  laisser 
là  leurs  bagages  et  leurs  livres  et  de  reprendre  à  pied  la  route 
de  Constantinople.  Bientôt  ils  furent  rejoints  par  un  haut  oflicier 
de  l'empereur,  (|ui  j)ro testa  des  excellentes  intentions  de  son 
maître  à  leur  égard  et  leur  conseilla  d'attendre,  dans  iwu-  pro- 
priété   voisine,    larrivée   do    leurs    bagages.    Deux   d'entre    eux 

1.  or? 

cependant  retournèrent  à  l'endroit  où  se  trouvaient  leurs  bagages, 
et  ils  y  arrivèrent  à  temps  pour  voir  le  charlophylax  visiter  leurs 
coffres  et  leurs  habits  et  finir  par  trouver,  à  sa  grande  satis- 
faction, la  déclaration  grecque  sur  l'eucharistie.  Les  grecs  sen- 
taient évidemment  qu'ils  étaient  allés  beaucoup  trop  loin  en 
soutenant  que  le  pain  azyme  ne  pouvait  être  consacré.  Ils  ne 
voulaient  pas  laisser  ce  document  parvenir  jusiju'à  Rome;  mais 
ils  ignoraient  (juc  les  nonces  en  a\aienl  déjà  fait  faire  une    tra- 


1572  LIVRE    XXXVI,     CHAi>II«K     II 

duetion  laliiic,  déposée  en  lieu  sur.  Quanl  à  la  déclaraLion 
dogmatique  remise  au  iu>m  du  synode  par  le  chartophylax,  elle 
ne  traite  pas  de  l'eucharistie,  mais  cherche  à  démontrer  par  les 
écrits  des  Pères,  notamment  par  ceux  du  «  treizième  apôtre  », 
Denis  l'Aréopagite,  que  dans  la  divinité  il  no  saurait  y  avoir 
qu'un  principe,  une  source,  une  racine,  par  conséquent  que  le 
Saint-Esprit  ne  procède  que  du  Père,  et  que  l'addition  Filioque 
était  aussi  fausse  qu'insoulcnable  ^  Le  seul  fait  de  l'envoi  de 
cet  exposé  montre  que  les  grecs  ne  songeaient  plus  sincèrement 
à  l'union. 

En  1235,  ce  même  i)atriarche  célébra  un  second  synode  à  ?sicée. 
Cette  assemblée  rendit  à  l'évoque  d'Arta  les  droits  et  les  monas- 
tères que  l'archevêque  de  Naupactus  lui  avait  enlevés,  et  donna 
en  même  temps  la  décision  suivante  sur  un  cas  de  mariage,  in 
homme  s'était  marié  par-devant  l'Eglise  avec  une  jeune  fille 
qui  n'était  pas  encore  nubile,  et  il  avait  eu  commerce  avec  elle. 
Le  synode  regarda  le  mariage  comme  nul,  ordonna  que  les  pré- 
lendus  é])()ux  fussent  séparés  et  que  le  prêtre  qui  avait  bénit  une 
pareille  union  fut  déposé  ^. 


663.  Conciles  réformateurs  de  1235  à  1238.  1050 

Plusieurs  conciles  célébrés  à  cette  époque  en  différents  ])ays 
s'occupèrent  de  la  réforme  de  nombreux  abus  existant  dans  leclergé 
et  parmi  les  laïcs.  Une  assemblée  tenue  à  Raguse,  le  13  avril 
1235,  promulgua  des  ordonnances  contre  le  luxe  des  femmes, 
contre  les  noces  trop  somptueuses^. 

Le  mardi  avant  la  Saint-Barnabe  (10  juin)  1236,  l'archevêque 
Juhel  promulgua.  d;ui.s  un  synode  célébré  à  Tours,  les  quatorze 
canons  suivants^: 

1.  Si  un  croise  esl    couduil    dc\uul    un  jugc  séculier  à  la  suite 

1.  Hai'douin,  Conc.  coll.,  l.  vu,  col.  219;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1295; 
Mansi,  Conc.  amplias.  coll.,  t.  xxiii,  col.  307  sq. 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xxiii,  col.  405. 
'S.   Farlati,  Illyr.  sacr.,  t.  vi,  p.  OG. 

4.  Maaii,  Conc.  Tiiron.,  1667,  t.  ii,  p.  54;  Labbo^  Concilia,  t.  xi,  col.  503; 
Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  263;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1367;  Mansi, 
Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii^  col.  412.  (H.  L.) 


663.     CONCILES    RÉFORMATEURS  1573 

d'un  «rave  méfait,  ce  luge  doit  le  renvoyer  an  tribunal  ecelésias- 
tique.  Si  ce  dernier  le  reconnaît  coupalilo.  le  croisé  perdra  tous  les 
])rivilèi;es  de  la  croisade  (cl  sera  livré  au  bras  séculier).  Mais 
s'il  ne  s'agit  que  d'une  faute  légère,  le  juge  ecclésiastique  lui  infli- 
gera la  ])unition  méritée.  Défense  aux  croisés  de  maltraiter,  lucr, 
voler,  etc.,  les  juifs. 

2-4.  On  n'admettra  conuue  a\ocal,  notaire  ou  ollicial,  que  les 
candidats  instruits  dans  le  droit  et  la  procédure  et  ayant  fait 
leurs  preuves.  Les  ofïiciaux  devront  avoir  étudié  le  droit  pendant 
cinq  ans  et  les  avocats  pendant  trois  ans. 

5.  Certains  abusant  des  lettres  apostoliques,  on  établit,  dans 
la  province  de  Tours,  diverses  précautions  que  les  juges  délé- 
gués par  le  pape  auront  à  prendre  pour  éviter  les  fraudes. 

6.  Les  suffragants  et  leurs  olTiciaux  devront  déférer  aux  appels 
faits  au  métropolitain. 

7.  Afin  que  la  volonté  du  testateur  soit  fidèlement  exécutée, 
tout  testament  sera,  dans  les  dix  jours  ([ui  suivent  la  mort, 
apporté  à  l'évèque  ou  à  l'archidiacre.  S'il  n'existe  pas  de  testa- 
ment écrit,  les  témoins  feront  connaître,  sous  la  foi  du  serment, 
les  intentions  du  défunt.  Les  exécuteurs  testamentaires  ne  doi- 
vent d'eux-mêmes  rien  prendre  de  ce  qui  a  été  laissé  par  le  mort. 

8.  On  publiera  tous  les  dimanches,  dans  les  églises  parois- 
siales, la  défense  de  contracter  à  la  fois  deux  mariages  ou  deux 
fiançailles,  sous  peine  d'infamie  et  de  s'exposer  à  recevoir  le 
fouet.  Si  le  juge  commue  la  peine  du  fouet  en  une  amende, 
cette  amende  reviendra  à  la  fabrique  de  l'église. 

9.  Tous  les  dimanches,  on  rappellera  au  peuple  la  défense  de 
se    livrer  à  des  sortilèges,  sous  j)eine  d'excommunication,  etc. 

10.  Si  un  ecclésiastique  a  des  rapports  avec  un  excommunié 
(ju'il  pourrait  éviter,  il  sera  puni  d'une  amende  dont  la  moitié 

1051  reviendra  à  la  fabritjue  de  la  cathédrale,  et  l'autre  à  celui  qui 
l'aura  dénoncé  (cette  ordonnance  est  beaucoup  moins  sévère  ({ue 
les  anciennes  lois  concernant  le  même  délit). 

11.  Quiconque  se  prétend  exempt  doit  faire  la  preuve  de  son 
privilège. 

12.  Les  faux  témoins  seront  fustigés,  à  moins  que  le  juge  ne 
les  autorise  à  racheter  cette  peine  par  une  amende. 

13.  Les  nouveaux  convertis  seront  instruits  et  secourus  avec  soin, 
de  peur  ([ue  la  pauvreté  ne  les  ramène   à  leurs  anciennes  erreurs. 

14.  Les  abbés  et  prieurs   doivent  exercer  l'hospitalité. 


1574  LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE     II 


En  123G,  saint  Edmond,  archevêque  de  Cantorbéry,  ])ublia  un 
statut  compose  de  ([uarante  cl  un  cliapitres,  dont  certains  au- 
raient été  décrétés,  prétend-on,  dans  un  synode  provincial.  Le 
contenu  de  ces  canons  indiquerait  plutôt  (ju'ils  ont  été  promul- 
p;ués  parmi  synode  diocésain,  car  Edmond  y  doilhe  des  conseils 
à  ses  ofliciaux,  elc.  Ces  prescriptions  ]>résentant  un  certain 
intérêt   historique,  nous   en  consignorons  ici  les  plus   importantes. 

I.  Tout  ministre  de  l'Eglise  doit  s'examiner  avec  soin  pour 
voir  s'il  n'est  pas  irrégulier. 

'2.  Quiconque  a  reçu  les  ordres  en  état  de  péché  mortel  ne 
doit  pas  exercer  ses  fonctions  avant  de  s'être  confessé. 

3.  Les  officiaux,  doyens,  etc.,  doivent  faire  exécuter  très  exac- 
tement l'ordonnance  du  concile  de  Latran  contre  les  clercs  in- 
continents. 

4.  Les  concubines  des  prêtres  seront  obligées  par  l'archidiacre 
à  se  marier  ou  à  entrer  au  couvent.  Si  elles  ne  le  font  pas,  elles 
seront  excommuniées  et  livrées  au  bras  séculier. 

5.  Les  clercs  doivent  travailler  à  conserver  la  paix  dans  leurs 
paroisses. 

G.  Les  clercs  ne  doivent  pas  boire  immodérément,  ni  prendre 
part  à  des  orgies  {scotaUis). 

8.  On  veut  supprimer  toute  vénalité  des  messes.  Défense  d'o- 
l)liger  les  laïcs  à  laisser  par  testament  un  certain  nombre  de 
messes,  etc.  Défense  au  prêtre,  sOus  peine  de  suspense,  d'accepter 
un  trop  grand  nom])re  de  messes  de  façon  à  devoir  louer  des 
prêtres  pour  les  célébrer  ou  vendre   les  messes. 

9.  L'eau  liaptismale  et  les  saintes  huiles  doivent  être  tenues 
sous  clef. 

l(t.  Toute  église  baptismale  doit  avoir  des  fonts  baptismaux 
en  pierre,  qui  ne  serviront  pas  à  d'autres  usages  et  seront  con- 
stamment couverts.  L'eau  qui  aura  servi  à  baptiser  un  enfant 
ne  devra  ])as  rester  plus  de  sept  jours  dans  le  baptistère.  Si  un 
enfant  a  été  baptisé  par  un  laïc  à  la  maison,  l'eau  sera  jetée  au 
feu  ou  versée  dans  le  baptistère.  Quant  au  vase  dont  nu  se  sera  1052 
servi,  il  sera  i)rûlé  ou  donné  à  l'église. 

II.  Si  un  laïc  a  conféré  le  I)aptême.  le  prêtre  devra  exami- 
ner avec  soin  s'il  la  conféré  suivant  les  règles,  soit  en  latin,  soit 
en  gallois,  soit  en  anglais. 

12.  Les  diacres  ne  peuvent  baptiser  et  imposer  la  pénitence 
que  dans  les  cas  de  nécessité. 


663.     CONCILKS     RKFORMATEURS  1575 

13.  Les  étoles  et  les  ustensiles  de  l'église  bénits  par  l'évcque  ne 
devront  pas  être  employés  à  des  usages  profanes. 

14.  Si  une  femme  meurt  en  couches,  et  que  l'on  croit  l'enfant 
vivant,  on  devra  ouvrir  le  sein  de  la  mère,  mais  on  aura  soin 
de  lui  maintenr  la  bouche  ouverte. 

15.  On  recommandera  aux  femmes  de  ne  ])as  placer  auprès 
d'elles,  la  nuit,  leurs  enfants  tout  petits,  de  peur  de  les  étouf- 
fer. On  ne  doit  pas  non  plus  laisser  les  enfants  sans  gardien  près 
du  feu  ou  près  de  l'eau.  On  aura  soin  de  faire  aux  femmes  ces 
recommandations  tous  les  dimanches. 

Kl.  On  répétera  souvent,  surtout  aux  fêtes,  que  tout  commerce 
charnel  entre  un  homme  et  une  femme  en  dehors  du  mariage  est 
un  péché  mortel. 

17.  La  confession  des  femmes  se  fera  le  rideau  tiré  et  à  la  vue 
de  tous,  bien  qu'on  ne  puisse  les  entendre. Dès  le  début  du  carême, 
on  exhortera  les  laïcs  à  se  confesser.  Ils  doivent  en  outre  recourir 
au  sacrement  de  pénitence  dès  qu'ils  sont  tombés  dans  le  pé- 
ché. Le  confesseur  ne  doit  pas  imposer  comme  pénitence  un 
certain  nombre  de  messes  à  faire  dire,  bien  qu'il  puisse  le  con- 
seiller. 

18.  Trois  fois  l'an,  à  Pâques,  à  la  Pentecôte  et  à  Noël,  on  devra 
se  confesser  et  communier.  Celui  qui  ne  remplit  pas  ce  devoir 
au  moins  une  fois  l'an  et  ne  reçoit  pas  l'eucharistie  à  Pâques, 
sera  exclu  de  l'Église,  et,  s'il  vient  à  mourir,  on  lui  refusera 
la  sépulture  ecclésiastique.  On  rappellera  souvent  cette  ordon- 
nance. 

20,  Durant  la  confession,  le  prêtre  doit  avoir  les  yeux  baissés 
et  ne  pas  fixer  les  pénitents,  surtout  les  femmes.  Il  écoutera  avec 
patience  ce  qu'on  lui  dira,  exhortera  à  ne  cacher  aucun  péché, 
interrogera  en  détail  le  pénitent  sur  les  fautes  ordinaires,  mais 
avec  beaucoup  de  prudence  sur  les  fautes  extraordinaires,  afin 
de  ne  pas  scandaliser.  Il  ne  demandera  jamais  les  noms  des 
personnes  avec  lesquelles  le  pénitent  aurait  péché.  Les  fautes 
plus  graves  seront  déférées  aux  supérieurs  ecclésiastiques.  Il  y 
a  même  des  cas  pour  lesquels  le  pape  seul  ou  son  légat  peu- 
vent absoudre.  Toutefois,  à  l'article  de  la  mort,  on  ne  refusera 
pas  l'absolution  à  ces  pécheurs. 

21.  Il  y  aura  dans  chaque  doyenné  deux  ou  trois  hommes 
craignant  Dieu  chargés  de  faire  connaître  à  l'archevêque  ou  à  son 
oHicial  les  manquements  publics  des  clercs. 


1576  LIVRE    XXXVI,     CHAPlTRi;     II 

25.  Pour  porLer  l'eucharistie  à  un  malade,  le  prêtre  prendra 
une  pyxide  propre,  convenable,  munie  d'un  lin^re  de  lin  très 
blanc.  Si  le  malade  n'est  pas  trop  éloicrné,  le  prêtre  se  fera  pré-  1053 
céder  des  lumières  et  de  la  croix,  une  petite  sonnette  avertira  le 
peuple.  Le  prêtre  sera  revêtu  de  l'étole  et,  si  le  malade  n'est  pas 
trop  loin,  d'un  surplis.  Il  aura  éf^alement  un  vase  d'argent  ou 
d'étain,  exclusivement  destiné  à  faire  boire  aux  malades,  après  la 
réception  de  l'eucharistie,  l'ablution  de  ses  doigts. 

30.  Les  recteurs  des  églises  veilleront  à  ce  que  les  clercs 
placés  sous  leurs  ordres  vivent  dans  la  continence.  Si  l'évêque  ap- 
prend qu'un  prêtre  a  commis  une  faute  sur  ce  point  avant  que  le 
recteur  de  l'église  la  lui  ait  fait  connaître,  celui-ci  sera  égale- 
ment puni. 

31.  Aucune  personne  mariée  ne  peut  entrer  en  religion  sans  la 
permission  de  l'évêque. 

32.  De  même,  une  femme  ne  peut  prononcer  des  vœux  sans 
l'autorisation  de  son  mari  et  le  conseil  d'un  prêtre. 

34.  Aucun  médecin  ne  doit  conseiller  à  un  malade  un  remède 
qui  serait  nuisible  à  son  âme.  Avant  tout  il  engagera  les  malades 
à  appeler  d'abord    le  médecin  des  âmes. 

36.  Que  le  prêtre  s'abstienne  de  baiser  l'hostie  consacrée,  avant 
de  se  donner  la  paix,  car  avant  de  communier  il  ne  doit  pas 
toucher  la  sainte  hostie  avec  ses  lèvres.  S'il  prend  l'hostie  de  la 
patène,  ainsi  que  le  font  certains,  il  devra,  après  la  messe,  puri- 
fier avec  de  l'eau  la  patène  et  le  calice,  sinon  le  calice  seul. 
Il  y  aura  aussi  près  de  l'autel  un  linge  très  propre,  qui  servira 
au  prêtre,  après  avoir  reçu  les  sacrements,  à  se  purifier  les 
doigts  et  les  lèvres. 

37.  Les  femmes  enceintes  doivent  se  confesser  avant  de  faire 
leurs  couches.  Au  moment  des  couches,  on  préparera  de  l'eau 
en    cas    qu'il  faille   baptiser  immédiatement  l'enfant. 

39.  Les  prêtres  exhorteront  souvent  les  fidèles  à  faire  confir- 
mer leurs  enfants,  car  la  confirmation  est  obligatoire  après  le 
baptême.  Si  le  confirmand  est  adulte,  il  devra  se  confesser 
avant  de  recevoir  ce  sacrement.  On  ne  doit  pas  attendre,  pour 
faire  confirmer  un  enfant,  que  l'évêque  vienne  dans  l'endroit 
même,  mais  ou  le  lui  amènera  en  ayant  soin  d'apporter  des  ban- 
deaux assez  larges  et  assez  longs.  Trois  jours  après  la  confirma- 
tion, le  confirmé  doit  être  conduit  au  baptistère,  où  le  prêtre 
le  lavera,  et  les  bandeaux  seront  brûlés. 


663.     CONCILES    RÉFORMATEURS  1577 

-^il.    Les  laïcs  ne  devront  pas  s'emparer  des  hiens  de  ri'^iïlise  ^. 

Henri  III,  roi  d'Angleterre,  avait  hérité  de  son  père  Jean  sans 
1054  Terre  une  grande  aversion  contre  la  wagna  cfuirta  et  contre  les 
barons.  Aussi  s'entoura-t-il  volontiers  d'étrangers  et  clierclia- 
t-il  à  faire  de  son  royaume  une  monarchie  absolue.  Les  représen- 
tations de  saiul  Edmond  de  Cantorbéry  amenèrent,  il  est  vrai, 
({uel([uc  cliangement  dans  sa  conduite;  jnais  il  n'en  continua 
pas  moins  à  traiter  les  grands  de  son  royaume  comme  ses  enne- 
mis et  à  leur  faire  jurer  de  ne  pas  s'attaquer  aiix  jjrérogatives 
de  la  couronne.  Alin  de  mieux  dominer  les  barons  et  surtout  les 
hauts  prélats  de  son  royaume,  il  sollicita  de  Grégoire  IX  l'envoi 
d'un  légat.  Au  mois  de  juin  1237,  arriva  en  Angleterre  le  car- 
dinal-diacre Otton  de  Saint-Nicolas  in  carcere  Tulliano,  au  grand 
déplaisir  des  barons  et  des  prélats,  sans  en  excepter  Edmond  de 
Cantorbéry.  Le  légat  fut  reçu  avec  grand  respect  par  le  roi,  les 
évèt|ues  et  les  abbés,  et  sa  manière  d'agir,  surtout  son  désinté- 
ressement, qualité  rare  chez  les  légats,  ne  tardèrent  pas  à  lui 
gagner  l'estime  des  Anglais.  Après  avoir  réconcilié  plusieurs 
grands  qui  se  haïssaient  mortellement,  il  convoqua  à  Saint-Paul 
de  Londres,  pour  l'octave  de  la  Saint-Martin,  les  prélats  du 
royaume;  il  leur  lut  les  lettres  pontificales  qui  lui  donnaient 
pleins  pouvoirs.  Il  dit  aussi  son  intention  de  délibérer  en  concile 
sur  la  réforme  de  l'Eglise  d'Angleterre.  Auparavant,  le  roi  con- 
voqua à  York,  pour  l'Exaltation  de  la  Sainte-Croix  (14  sep- 
tembre), divers  personnages,  parmi  lesquels  le  légat;  grâce  à  ce 
dernier,  un  accord  fut  conclu  dans  cette  réunion  entre  les  rois 
d'Angleterre  et  d'Ecosse.  Celui-ci  renonça  à  quelques-unes  de 
ses  prétentions,  obtint  des  compensations,  prêta  entre  les  mains 
du  roi  d'Angleterre  serment  de  fidélité,  mais  ne  permit  pas  au 
légat  de  venir  en  Ecosse.  Pour  ne  pas  trop  mécontenter  Otton 
de  Saint-Nicolas,  il  anoblit  un  de  ses  parents  el  l'enrichit. 

Le  premier  jour  du  concile  de  Londres,  19  novembre  1237',  le 
légat  ne  parut  pas,  les  évoques  voulant  examiner  ses  pouvoirs 
et  se  consulter  entre  eux  sur  la  manière  de  sauvegarder  tous  leurs 


1.  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1371;  Hardouiii;,  Conc.  coll.,  t.  vii^  col.  266  sq.; 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  416  sq. 

2.  Coll.  regia,  t  xxviii,  col.  343;  Baroniiis-Raynaldi,  Amiales,  ad  ami.  1237, 
n.  38-50;  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  525-544;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  viii,  col. 
287;  Coleti,  Concilia,  t.  xin,  col.  1395;  Wilkins,  Conc.  Brilaim.,  t.  i,  col.  647-656; 
Mansi,  Conc.  ampliss.    coll.,  t.  xxiir,  col.    441.  (H.  L.) 


1578  LIVRE    XXXVI,     CIIAPITRK    II 

droits.  Le  lendemain,  en  la  première  session,  le  légat  vint  de  grand 
matin  à  l'église  de  Saint-Paul,  déjà  si  remplie  qu'il  eut  peine  à 
se  frayer  un  passage.  Sur  le  désir  d'Otton,le  roi  avait  fait  placer 
en  différents  postes  deux  cents  hommes,  soldats  ou  serviteurs. 
Le  cardinal  n'était  pas  en  effet  sans  appréhension,  parce  qu'il 
se  proposait  de  lutter  vigoureusement  contre  le  cumul  des 
bénéfices  et  contre  les  vices  du  clergé.  Entré  dans  l'église,  le 
légat  revêtit  les  «  habits  pontificaux  »,  c'est-à-dire  le  sur- 
plis, puis  la  chape  de  chœur,  garnie  de  fourrures,  et  la  mitre  \  1055 
A.  sa  droite  prit  place  l'archevêque  de  Cantorbéry,  et  à  sa 
gauche,  celui  d'York  qui  ne  manqua  pas  de  protester.  Le  légat 
le  fit  taire  et  discourut  sur  un  texte  de  l'Apocalypse  (iv,  6), 
comparant  lés  évêques  à  ces  figures  apocalyptiques  couvertes 
d'yeux,  pour  tout  voir  dans  l'Église.  Le  discours  terminé,  il  fit 
lire  une  partie  des  statuts  qu'il  avait  apportés,  on  lut  le  reste 
le  lendemain  et  le  surlendemain  ^. 

Dans  la  seconde  session,  quelques  députés  du  roi  vinrent  dé- 
clarer au  concile  que  le  légat  ne  devait  porter  aucune  ordon- 
nance empiétant  sur  les  droits  de  la  couronne  et  du  royaume. 
Un  de  ces  députés,  Guillaume,  chanoine  de  Saint- Paul,  resta  dans 
l'assemblée  afin  de  voir  si  la  prescription  du  roi  était  observée.  On 
lut  alors  trois  lettres  du  pape  :  celle  qui  conférait  au  légat  tous 
ses  pouvoirs,  une  autre  prescrivant  de  célébrer  en  Angleterre  la 
fête  de  saint  Edouard,  et  enfin  une  ordonnance  sur  la  canoni- 
sation de  saint  Dominique  et  de  saint  François  d'Assise.  On 
continua  la  lecture  des  statuts;  lorsqu'on  en  vint  à  ce  qui  con- 
cernait le  cumul  des  bénéfices,  Walter  de  Cantilupe,  évêque  de 
Worcester,  se  leva  et  dit  :  «  Un  grand  nombre  de  nobles  possèdent 
plusieurs  bénéfices  et  s'en  servent  pour  répandre  des  bienfaits. 
Plusieurs  sont  des  vieillards  qu'il  serait  dur  de  réduire  à  la  pau- 
vreté. Quant  aux  jeunes,  ils  sont  très  ardents  et  feront  tout  au 
monde  avant  de  se  laisser  ravir  leurs  revenus.  Sur  ce  point  donc, 
vous  devez  consulter  le  pape,  comme  aussi  sur  les  statuts  concer- 
nant les  bénédictins  (can.  19);  car  ils  sembleront  aussi  très  durs 
surtout  pour  les  religieuses.  »  —  Le  légat  répondit  :  «  Si  tous  les 
prélats    présents    au    synode   sont   d'accord   avec   l'orateur   pour 

1.  Otton  était  cardinal  et  évêque  de  Porto.  Mansi,  Conc.  arnpUss.  coll.. 
t.  xxin,  col.  1216;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  G16;  Coleti,  Concilia,  t.  xiv.? 
col.   40'i. 

2,  C'est  ce  qui  résulte  de  plusieurs  passages  des  actes. 


b63.     CONCILUS     RÉFORMATEURS  1579 

écrire  an  pape,  je  ne  m'y  oppose  pas.  »  [Le  premier  de  ces  deux 
points  ne  fut  pas  inséré  dans  les  statuts,  mais  le  second  y  resta.) 

Quelcfues  membres  de  l'assemblée  ayant  opiné  que  les  ordon- 
nances du  légat  n'avaient  de  valeur  que  pour  le  temps  de  sa  léga- 
tion, Otton  fit  lire  par  un  de  ses  clercs  une  décrétale  du  pape,  réfu- 
tant cette  erreur. 

Lorsque,  dans  la  troisième  session,  on  eut  terminé  la  lecture 
des  statuts,  le  légat  leva  la  séance  par  la  prière  et  la  bénédiction. 
Ses  trente  et  un  capitula  «  promulgués  en  vertu  des  pouvoirs  qui 
lui  avaient  été  confiés  et  avec  la  délibération  et  l'agrément  du 
synode,  »  peuvent  se  résumer  ainsi  : 

1.  On    ne  différera  pas  au  delà    de    deux  ans   la   consécration 
1056  des    églises  cathédrales,    conventuelles   et   paroissiales.  Si,  après 

deux  ans,  elles  n'ont  pas  été  consacrées,  on  ne  devra  plus  y 
dire  la  messe.  Les  abbés  et  les  recteurs  des  églises  ne  devront 
pas,  sans  la  permission  de  l'évêque,  faire  démolir  d'anciennes 
églises    consacrées,    pour   en    bâtir  de  plus  belles. 

2.  Les  sacrements  doivent  être  administrés  par  les  ministres 
de  l'Eglise  sans  esprit  d'avarice,  et  on  n'exigera  rien  pour  leur 
administration.  Les  sacramenta  principalia  sont  :  le  baptême, 
la  confirmation,  la  pénitence,  l'eucharistie,  l'extrême-onction, 
l'ordre  et  le  mariage.  Dans  les  conférences  du  doyenné,  les  archi- 
diacres doivent  indiquer  exactement  aux  prêtres  ce  qu'ils  ont  à 
faire  pour  l'administration  des  sacrements. 

3.  On  réagira  contre  la  crainte  superstitieuse  très  répandue 
qu'il  est  dangereux  de  faire  baptiser  les  enfants  les  samedis  de 
Pâques  ou  de  la  Pentecôte.  Le  pape  lui-même  baptise  en  ces 
deux  jours. 

4.  Quiconque  diffère  d'administrer  un  sacrement  jusqu'à  ce  qu'il 
ait  reçu   de    l'argent   sera   dépouillé  de  tout  office  et   bénéfice. 

5.  L'évêque  nommera  dans  chaque  doyenné  des  confesseurs 
prudents  pour  entendre  les  confessions  des  ecclésiastiques  qui 
ne  voudraient  pas  se  confesser  au  doyen.  On  établira  dans  les 
églises  cathédrales  des  confessores  générales. 

6.  On  examinera  avec  soin  les  ordinands,  afin  qu'aucun  can- 
didat  indigne   ne   soit    ordonné. 

7.  La  coutume  de  confier  des  églises  à  des  vicaires  ou  à  des 
fermiers  (^rmarii)  ne  peut  être  approuvée;  on  ne  l'abolira  cepen- 
dant pas,  à  cause  des  circonstances.  Mais  à  l'avenir  les  charges  et 
dignités,    par  exemple  celles  de  doyen    et  d'archidiacre,    et,    de 


1&80 


LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    II 


même,  les  revenus  de  la  juridiction,  de  la  ])énitenee,  de  l'autel  et 
des  autres  sacrements  ne  doivent  plus  cire  donnés  ad  firmam. 

8.  Une  éolise  ne  doit  jamais  être  donnée  ad  firmam  à  un  laïc, 
ot  on  ne  pourra  la  donner  à  un  clerc  que  pour  cinq  ans;  à  l'expira- 
tion de  temjjs,  le  contrat  avec  la  même  personne  ne  pourra  être 
renouvelé. 

9.  Désormais,  celui  ({ui  a  déjà  un  hénélice  ne  pourra  plus 
recevoir  pour  toujours  ad  firmam  une  église  riche  sur  les  revenus 
de  laquelle  il  n'affecte  qu'une  faible  partie  au  titulaire. 

10.  Pour  être  nommé  vicaire,  il  faut  être  déjà  prêtre  ou 
diacre  avec  obligation  de  recevoir  la  prêtrise  aux  quatre-temps 
suivants;  puis  renoncer  à  tout  autre  bénéfice  avec  charge  d'âmes, 
et  promettre  par  serment  d'observer  constamment  la  résidence. 
Les  vicaires  déjà  établis  ([ui  ne  sont  pas  encore  prêtres  devront 
se  faire  ordonner  au  moins  dans  le  délai  d'un  an. 

11.  Le  bénéfice  appartenant  à  un  absent  ne  sera  pas  conféré  à 
un  tiers    avant  que  la  mort  du  titulaire   soit  constatée. 

12.  Défense  de  diviser  une  église  entre  plusieurs  titulaires  ou 
plusieurs  vicaires.  On  évitera  tout  scandale  à  l'occasion  de  la 
collation   des  églises. 

13.  Recommandation  du  devoir  de  la  résidence. 

14.  Certains  clercs  ressemblent  plutôt  à  des  soldats  :  on   obser-  1057 
vera     exactement     les     prescriptions    du    quatrième   synode    de 
Latran  sur  les  vêtements  des  clercs. 

15.  Plusieurs  se  marient  secrètement,  acceptent  ensuite  des 
églises  et  des  bénéfices  et,  plus  tard,  prouv^ent  qu'ils  sont  réelle- 
ment mariés,  afin  que  ces  bénéfices  reviennent  à  leurs  enfants.  Il 
n'en  sera  plus  ainsi  à  l'avenir.  Les  églises  et  bénéfices  n'a]>par- 
tiendront  jdus  aux  personnes  mariées,  et  ce  qu'elles  auront 
perçu  des  biens  ecclésiastiques  après  leur  mariage  devra  revenir 
à  l'église. 

16.  Tous  les  clercs  qui,  dans  le  délai  d'un  mois,  n'auront  pas 
renvoyé  leurs   concubines  seront  déposés. 

17.  Désormais  les  fils  des  clercs  ne  pourront  plus  hériter  des 
bénéfices  de  leurs  pères,  et  ceux  qui  en  auraient  obtenu  de  cette 
manière  devront  en  êlre  privés. 

18.  L'Angleterre  est  infestée  de  voleurs,  parce  ([ue  les  grands 
les  protègent.  Les   protecteurs    des  voleurs  seront  excommuniés. 

19.  Les  bénédictins  anglais,  réunis  en  chapitre  général,  ont 
décidé  d'observer  à  l'avenir  la  règle    qui  défend   de    manger  de 


063.    CONCILES    RÉFORMATliURS  1581 

lu  viande,  à  moins  ({ii'oii  ne  soit  malade  ou  infirine;  cette  déci- 
sion est  confirmre  ])ar  le  légat;  de  plus,  après  une  année  entière 
de  noviciat,  on  devra  faire  j)rofession,  et  personne  ne  pourra  être 
abbé  ni  prieur  sans   avoir    d'abord    lait    profession. 

20.  Les  arcliidiacres  doivent  fairt^  régulièrement  la  visite  des 
églises,  ne  percevoir  f{ue  des  i)rocurations  modérées,  ne  pas 
renoncer  })0ur  de   l'argent  à   faire  la  visite,  elc. 

21.  Les     juges     ecclésiasticpies   ne    doivent   pas  empècber  les 
transactions  ou   arrangements   entre    les    parties,    ni    rien    leur 
demander  pour  cela. 

22.  Les  évoques  doivent  résider  auprès  de  leur  catbédrale, 
y  célébrer  la  messe  les  jours  de  fête  et  dimanches,  pendant  F  Avent 
et  le  Carême,  visiter  leur  diocèse,  etc. 

2o.  Les  causes  matrimoniales  ne  doivent  être  confiées  ([u'à  des 
juges  intègres  et  connaissant  le  droit. 

24-31.  Détails  sur  la  manière  de  rendre  la  justice. 

En  1237,  on  liul  à  Lérida  un  concile  qui  confia  avix  domini- 
cains et  aux  franciscains  la  charge  d'inquisiteurs  dans  le  royaume 
d'Aragon.  Rien  ne  prouve  que  le  concile  convoqué  au  Mans  par 
Juhel,  archevêque  de  Tours,  ait  eu  lieu  ^.  Le  12  avril  1238,  Gérard, 
archevêque  de  Bordeaux,  présida  à  Cognac  '^  [Campinacuni)  un 
1058  synode  provincial  qui  jiromulgua  trente-huit  canons.  Ces  canons 
n'offrent  rien  de  particulièrement  nouveau;  ils  traitent  de  l'excom- 
munication, des  vicairies,  de  la  procédure  judiciaire,  des  moines, 
de  l'entretien  des  clercs,  etc.  Le  synode  célébré  à  Trêves  sous 
l'archevêc^ue  Théodoric,  le  21  septembre  1238,  promulgua  des 
ordonnances  analogues  à  celles  de  Cognac  ^.  Ses  ciuarante-cinq 
canons  traitent  de  la  punition  des  sacrilèges,  qui  pillent  ou  incen- 
dient les  églises  et  les  couvents,  qui  maltraitent  les  clercs,  n'ob- 
servent pas  l'interdit  ou  battent  de  la  fausse  monnaie.  Viennent 
ensuite  des  règlements  sur  les  habits  et  la  conduite  des  clercs,  la 
visite  des  malades,  la  fréquentation  des  auberges,  le  concubinage 
des  clercs;  sur  leurs  jeux  et  les    fonctions    publiques    qu'ils    peu- 

1.  Mansij  Conc.  anipliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  477;  Hahn,  Gesch.  d.  Kelzer,  t.  i, 
p.  375. 

2.  Labbe,  Concilia,  1.  xi,  col.  556-565;  Ilardouin,  Conc.  coll.,  t.  viii,  col.  315; 
Coleli,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1425;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiiii^  col.  485. 

3.  Martène,  Thés.  nov.  anecd.,  t.  iv,  col.  183-186;  ScripL,  t.  vu,  col.  126-131; 
Lunig,  Spic.  eccles.,  1721,  t.  ii,  col.  88;  Coleli,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1435;  Mansi, 
Concilia,  Suppl.,  t.  ii,  col.  1040;  Conc.  aniplisa.  coll.,  L.  xxiii,  col.  478.  (H.  L.) 


1582  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    II 

vent  acccplor;  sur  la  solde  des  vicaires,  le  i-enouvellenient  des 
saintes  hosties  (tous  les  quinze  jours),  sur  la  garde  de  l'eucha- 
ristie, des  saintes  huiles  et  de  l'eau  baptismale,  sur  le  chant  des 
heures  canoniales  dans  les  églises  paroissiales,  etc.  Tous  les  héré- 
tiques doivent  être  dénoncés  à  l'évêque,  les  usuriers  excommu- 
niés, les  adultères  condamnés  à  une  pénitence  publique.  Quant 
aux  femmes  qui  se  rendent  coupables  d'adultère,  elles  devront,  à 
l'intérieur  de  la  paroisse,  porter  un  chilTon  ^  sur  l'épavile  et  faire 
quarante  jours  de  pénitence.  Celui  (|ui  s'obstine  six  semaines 
dans  l'excommunication  sera  forcé  de  se  réconcilier.  La  dîme  sera  i" 

perçue  dans  les  champs  et  non  pas  dans  les  maisons  ^. 


664.  Dernières  luttes  entre  Frédéric  II  et  Grégoire  IX 

de  1239  à  1241. 

Lorsque,  le  20  mars  1239,  Grégoire    IX  prononça  l'excommu- 
nication contre   Frédéric   II,  il  assigna    à    sa  sentence    dix-sept 
motifs  ^  : 

1.  Frédéric  a  ourdi  une  sédition  à  Rome  pour  en  faire  chasser 
le  pape  et  les  cardinaux. 

2.  Il  empêche  le  cardinal-évêque  de  Préneste  de  se  rendre 
comme  légat  dans  l'Albigeois,  pour  y  raffermir  la  foi. 

3.  Il  ne  permet  pas  de  ]iourvoir  à  la  vacance  des  églises  épisco- 
pales    et    autres    des    Deux-Siciles.   (Liste  de  ces  églises.) 

4.  Dans  ce  même  royaume  il  a  emprisonné,  tué  et   exilé    plu-  1059 
sieurs  clercs. 

5.  Les  églises  y  ont  été  dévastées  et  profanées. 

6.  Frédéric  n'a  ]ias  autorisé  le  rétablissement  de  l'église  de 
Sova. 

1.  Cyphuin  portantes  in  scapula.  Cypliuni  signifie  le  vieux  mol  français 
c/a//'e=chifïon  et  ne  doit  pas  être  confondu  avec  scyphus—  gobelet. 

2.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiiii,  col.  477;  Hartzheim,  Conc.  Germ., 
t.  III,  p.  558;  Coleti^  Concilia,  t.  xiii,  p.  1435.  En  allemand,  dans  Binterim, 
Deutsche  Concil.,  t.  iv,  p.  510  sq.  ;  Ilisioria  Trei'crens.,  cdit.Hontheim,  t.  i,  p.  720. 

3.  Annal.  SlacL,  dans  Monum.  Germ.  Jiisi.,  Script.,  t.  xvi,  p.  363;  Huillard- 
Bréholles,  Hist.  diplom.  Friderici  II,  t.  v,  p.  286-289;  Potthast,  Reg.,  p.  908;  les 
causes  de  l'excommunication^  7  avril  1239,  dans  Huillard-Bréholles,  op.  cit., 
t.  V,  p.  290-294;  Epist.  pontif.,  t.  i,  741,  742,  747;  Potthast,  op.  cit.,  p.  907  sq.  ; 
Fellen,  op.  cit.,  p.  270  sq.  (H.  L.) 


G6't.  DERNIÈBES  LUTTES  DE  1239  A  1241         1583 

7.  Il  n'a  pas  permis  au  prince  de  Tunis  de  venir  à  Rome  rece- 
voir le  baptême. 

8.  Il  a  fait  ])risonnier  Pierre  Sarasin,  Romain  de  famille 
noble,  se  rendant  près  du  Siège  apostolique  avec  une  mission  du 
roi  d'Angleterre,  et  il  le  retient  encore  ainsi  que  son  fils  ^. 

9.  Au  mépris  de  ses  serments,  il  s'est  emparé  des  possessions  de 
l'Église,  en  particulier  de  Ferrare,  de  Pigognana,  de  Bondenum, 
etc.,  et  de  la  Sardaigne. 

10.  Il  a  pris  et  ravagé  les  biens  de  quelques  nojjles  du  royaume, 
biens   alors    occupés    par  l'Église, 

11.  Il  a  spolié  les  cathédrales  de  Monreale,  Cefalù,  Catane  (en 
Sicile)  et  Squillacic  (enCalabre),  ainsi  que  plusieurs  monastères, 

12.  Par  d'injustes  poursuites,  il  fait  perdre  à  un  grand  nombre 
de  cathédrales  et  d'autres  églises  ou  monastères  presque  toutes 
leurs   possessions. 

13.  Au  mépris  des  engagements  du  traité  de  paix  (de  San 
Germano).  il  a  enlevé  aux  templiers  et  aux  johannites  une 
grande  partie  de  leurs  biens,  meubles  et  immeubles. 

14.  Il  a  exigé  des  églises  et  monastères  du  royaume  d'injustes 
redevances. 

15.  II  a  imposé  aux  supérieurs  ecclésiastiques  et  aux  abbés 
des  redevances  mensuelles  pour  la  construction  de  nouvelles 
forteresses. 

10.  Au  mépris  des  clauses  du  traité  (de  San  Germano),  il  a 
confisqué  les  biens  de  plusieurs  qui,  durant  le  conflit,  avaient 
soutenu  la  cause  de  l'Église;  il  les  a  exilés  et  mis  en  prison  leurs 
femmes   et   leurs   enfants. 

17.  Il  a  empêché  le  secours  de  Terre  Sainte  et  le  rétablissement 
de  l'empire  de  Romanie  (l'empire  latin  de  Constantinople). 

En  conséquence,  tous  ceux  qui  lui  avaient  prêté  serment  do 
fidélité  en  étaient  relevés  et  ne  lui  devaient  plus  obéissance 
tant  qu'il  serait  sous  le  coup  de  l'excommunication.  Quant  aux 
jjaroles  et  aux  actes  de  Frédéric,  d'orthodoxie  douteuse,  le  pape 
se  réservait   une   décision   équitable. 

Le  lendemain,  Grégoire  ordonna  à  l'archevêque  de  Milan  et  à 
ses  suiïragants  de  promulguer  cette  sentence  tous  les  dimanches 
et  jours  de  fête,  au  son  des  cloches  et  les  cierges  allumés,  et  de  la 
faire  jiromuloucr  dans  leurs  diocèses. Le  7  avril  et  le  22  mai,  il  noti- 

1.  Monum.    Gcrm.  hinl.,  Epist.,   l.   i,  n.  730. 


1584  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE     il 

fiait  ces  mesures  à  touU;  la  chrétienté  clans  une  encyclique 
solennelle  :  tout  lieu  où  séjournait  Frédéric  était  par  le  fait 
interdit,  il  était  défendu  d'y  célébrer  la  messe,  soit  publique- 
ment, soit  en  privé.  Tout  clerc  (jui  violerait  cet  interdit  serait  1060 
suspens  pour  toute  sa  vie.  Aucun  clerc  ne  devait  avoir  de  rap- 
ports avec  Frédéric.  La  lettre  de  ce  dernier  aux  cardinaux 
(10  mars)  ne  fut  remise  au  ])ape  qu'après  la  promulgation  de  la 
sentence;  elle  montrait  le  peu  de  respect  de  l'empereur  pour  le 
Saint-Siège,  dont  il  était  le  vassal  en  qualité  de  roi  de  Sicile;  dans 
cette  lettre  il  promettait  au  pape  de  tirer  vengeance  comme  «les 
empereurs  »  le  savaient  faire  ^. 

A  peine  en  possession  de  la  J)iilie  d'excommunication,  l'empe- 
reur réunit,  à  l'hôt'el  de  ville  de  Padoue,  une  assemblée  solen- 
nelle dans  laquelle  Pierre  des  Vignes  prononça  un  discours  indi- 
quant les  moyens  de  parer  ce  coup  '^.  Frédéric  se  rendit  à  Trévise 
d'où  il  envoya  une  circulaire  apologétic{ue  à  tous  les  princes  ^. 
«  La  méchanceté,  disail-il,  est  assise  sur  le  trône  du  Seigneur,  Le 
pape,  bien  disposé  à  son  égard  lorsqu'il  n'était  encore  que  cardi- 
nal, s'est  retourné  depuis  son  élévation  au  pontificat.  Grégoire  IX 
l'a  harcelé  et  forcé  à  faire  ses  préparatifs  pour  la  croisade,  puis  l'a 
excommunié,  lorsque  la  maladie  le  terrassa  sur  la  route  de  Terre 
Sainte.  Parti  à  peine  rétabli,  il  n'a  pu  avoir  du  jiajie  l'ab- 
solution et,  débarqué  en  Terre  Sainte,  il  a  su  que  Grégoire  IX 
avait  osé  correspondre  avec  le  sultan,  pour  détourner  celui-ci 
de  restituer  Jérusalem.  On  a  saisi  les  lettres  du  pape.  A 
la  même  époque,  Grégoire  s'est  adroitement  servi  du  prétexte 
fourni  par  Rainald  de  Spolète,  pour  attaquer,  à  l'insu  de  l'empe- 
reur, les  Etats  de  l'Église,  envahir  à  main  armée  le  royaume 
des  Deux-Siciles  et  semer  partout  la  trahison  et  le  parjure. 
Les  troupes  du  pa])e  avaient  juré  f{ue  l'empereur  était  prisonnier 
en  Svric.  A  son  retour  de  l*alestine,  Frédéric  s'est  réconcilié 
avec  l'Eglise;    mais   le   pape,   resté  hostile,    lui  a   sournoisement 

1.  Huillaid-Bréhollep,  Hinl.  diplom.  Friderici  11,  t.  v^  p.  289-294;  Monum. 
Germ.  hist.,  EpisL,  t.  j,  n.  741,  742,  747;  Potthast,  Reg.,  p.  907,  908. 

2.  La  circulaire  de  l'empereur  est  du  20  avril  1239.  Huillard-Bréholles,  op.  cit., 
t.  V,  p.  295-307;  Matthieu  Paris,  Ann.,  ad  ann.  1239,  dans  Monum.  Germ.  hist.. 
Script.,  t.  XXVIII,  p.  1G2-1G9;  Winkelmann,  Friedrich  11,  p.  129  sq.  ;  Felten, 
op.  cit.,  p.  319  sq.(  H.  L.) 

3.  L'original  était  adressé  à  Richard  de  Cornwallis.  Bohmer,  Kaiser- 
regesten  unter  Philipp,  p.  183;  Bôhmer-Ficker,  Reg.  Frid.,  t.  ii,  n.   2341. 


6Gi.  DEKNIÈRES  LUTTES  DE   1239  A   1241         1585 

conseillé  de  venir  sans  armée  dans  la  Haute-Italie  (à  la  diète  de 
Ravenne),  s'engageant  à  ramener  et  à  maintenir  la  paix.  C'est 
le  contraire  (pii  e\it  lien,  et  le  fils  de  l'empereur  avec  les 
princes  d'Allemagne  ne  purent  pénétrer  en  Italie,  les  rebelles 
en  ayant  fermé  les  passages.  Quelque  temps  après,  le  pape  a 
demandé  à  l'empereur  de  prendre  les  armes  contre  les  Romains, 
dans  l'intérêt  de  l'Église,  tandis  qu'il  affirmait  aux  Romains 
1061  qu'il  n'y  était  pour  rien  (son  intention  étant  de  faire  haïr  l'em- 
pereur par  les  Romains),  et  il  finit  par  conclure  avec  eux  sa  paix 
séparée.  Par  respect  pour  sa  mère  la  sainte  Eglise  romaine, 
l'empereur,  oubliant  les  sentiments  du  pape  à  son  égard,  le  char- 
gea de  le  réconcilier  avec  les  Lombards;  il  le  soutint  à  grands 
frais  dans  une  nouvelle  rébellion  des  Romains,  et  alla  jus- 
qu'à lui  proposer  son  fils  Conrad  comme  garant  de  sa  fidélité. 
Grégoire  IX,  faisant  preuve  d'une  insigne  ingratitude,  s'employa 
à  faire  de  l'opposition  à  l'empereur,  soit  en  Palestine,  soit  dans 
la  Haute- Italie  ^;  il  refusa  de  rendre  la  ville  de  Castella  et  défen- 
dit à  Frédéric  d'employer  les  armes  pour  soumettre  les  Lombards 
révoltés,  sous  prétexte  qu'il  venait  de  prescrire  une  trêve  géné- 
rale   à  la   chrétienté   dans  l'intérêt  de  la   Terre   Sainte. 

«La  trêve  promulguée,  le  pape  n'en  combattait  pas  moins  les 
Romains.  Grégoire  exigeait  que  Frédéric  lui  confiât  la  négocia- 
tion avec  les  Lombards,  sans  la  clause  ordinaire  {jure  et  honore 
iinperii  reservatis).  L'empereur  s'y  étant  refusé,  Grégoire  envoya 
aussitôt  dans  la  Haute- Italie  l'évèque  de  Palestrina,  ce  loup  vêtu 
d'une  peau  de  brebis,  chargé  de  détacher  du  parti  de  Frédéric 
ses  fidèles,  et  qui  parvint,  par  trahison,  à  livrer  aux  Milanais  la 
ville  de  Plaisance.  Le  pape  avait  promis  secrètement  des  secours 
aux  rebelles  et  suscité  à  l'empereur  mille  obstacles.  Celui-ci  avait 
envoyé  à  Grégoire  une  nouvelle  ambassade,  conduite  par  l'arche- 
vêque de  Palerme;  le  pape  avait  prodigué  les  promesses  et,  à 
leur  retour,  avait  adjoint  aux  ambassadeurs  l'archevêque  de  Mes- 
sine. Mais,  trois  jours  plus  tard,  il  avait  envoyé  en  Lombardie 
Grégoire  de  Montelongo  avec  d'autres  instructions  et  écrit  à 
quelques  évêques  allemands  et  italiens  une  lettre  acerbe  contre 
l'empereur.  Frédéric  tenait  à  citer  cette  lettre  et  à  transcrire  sa 
réponse;  il  avait  renvoyé  l'archevêque  ^le  Palerme  au  pape,  lui 
oiïrant  satisfaction  sur  les  divers  reproches  à  lui  adressés;   mais, 

1.  Cf.  Wilken,  Gescli.  der  Kreuzziige,  t.  vi^  p.  551  sq. 

CUNCI  LliS  —  V  —  lUU 


1586  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE     II 

à  la  nouvelle  que  les  ambassadcvirs  impériaux  n'étaient  qu  à  une 
journée  de  Rome,  Grégoire  IX,  hors  de  lui,  avait,  au  mépris  des 
canons  ecclésiastiques,  excommunié  l'empereur  le  jour  des  Ra- 
meaux. Il  avait  réitéré  la  sentence  le  jeudi  saint,  et  les  ambassa-  1062 
deurs  impériaux  étant  arrivés,  il  les  avait  empochés  de  défendre 
la  cause  de  leur  maître,  grâce  à  des  satellites  soudoyés  avec  l'ar- 
gent des  pauvres  ^. 

«Le  pape  étant  donc  son  ennemi  mortel,  Frédéric  ne  peut  voir 
en  lui  un  juge  équitable.  Il  protège  et  aime  les  Milanais,  bien  ({ue 
la  i)lupart  hérétiques;  il  s'inquiète  peu  de  l'avis    des   cardinaux, 
distribue   des   dispenses,  les  unes   achetées,  les  autres  gratuites, 
mais  destinées  à  assouvir  sa  haine  contre  l'empereur,  et  il  dila- 
pide les  biens  de  l'Église  pour  gagner  à  son  parti   les  Romains  de 
qualité.  Ce  n'est  pas  contre  l'institution,  c'est  contre    le    titulaire 
que    s'élève    l'empereur,    et    tout  l'univers    reconnaîtra  le  bien- 
fondé  de  sa  conduite.    11    adjure    les    cardinaux,  par  le  sang  du 
Christ,  de  convoquer  un  concile  général;  là  il  prouvera  toutes  ses 
allégations  et  pire  que  cela.    La    haine    du  pape  s'expli([ue    par 
le  refus  opposé  par  l'empereur  au   mariage  de  son  bâtard  Enzio 
avec  une  nièce  du  pontife.  En  terminant,    Frédéric    fait    remar- 
quer aux  autres  princes   que  sa  cause  est  celle  de  tous  les  rois, 
chacun    d'eux  risquant    d'encourir   un  traitement  semblable   au 
sien.»  La  fin '^,  formant  une  sorte  de  post-scriptuin,  quitte   le   Ion 
oratoire    et   paraît  être   de  la  propre  main   de  l'empereur   :  «  La 
principale  préoccupation  du  pape  est  la  question  des  Lombards. 
Si  j'avais  voulu  lui  céder  sur  ce  point,  il   m'eût  volontiers  aban- 
donné, ainsi  que  le  dit  son  légat,   toutes  les  dîmes  prélevées  pour 
la  Terre  Sainte.   En  effet,    comme  j'étais  encore  en  Palestine,  il 
jura  aux  Lombards  de  les  aider  contre  moi.  Il  est  honteux  d'avoir 
prononcé    contre  moi    cette    sentence    sans    attendre    le    délai 
fixé  par  ses  })ropres  légats  pour  les  négociations^.» 

Dans  une  seconde  lettre  de  la  inome  date,  Frédéric  fait 
aux  Romains  des  reproches  entremêlés  de  flatteries.  11  leur 
demande  comment  ils  n'ont  pas  empêché  l'évêque  de  Rome,  ce 
blasphemalor  (dans  sa  précédente  lettre,  l'empereur  s'était  servi 


1.  Frédéric   prétendit   même   plus   tard    que   ses   ambassadeurs   avaient   été 
emprisonnés.  Huillard-Bréholles^  Hist.  diplom.  Friderici  II,  t.  v,  p.  844. 

2.  Ibid.,  t.  V,  p.  305. 

3.  Ibid.,  1.  V,  p.  2!)5-;}07. 


1063 


664.  DERNIÈRES  LUTTES  DE  1239  A  1  J  4  1         1587 

d  injures  analogues),  de  vomir  ses  impiétés  contre  l'empereur 
romain,  leur  Lienfaiteur.  A  eux  maintenant  de  faire  leur  devoir 
et  de  venger  l'empereur,  qui  veut  rendre  à  l'empire  romain 
son  antique  splendeur. S'ils  se  montrent  indolents,  il  leur  retirera 
tous   ses    bienfaits  ^. 

Pendant  que  l'empereur  délibérait  à  Vicence  (mai  1239)  avec 
les  seigneurs  trévisans,  Albéric  de  Romano,  frère  d'Ezzelin,  aban- 
donna son  parti  et  causa  la  perte  .de  Trévise.  Frédéric  occupa  le 
château  de  Castelfranco  situé  entre  Vicence  et  Trévise,  appar- 
tenant à  cette  dernière  ville.  La  révolte  se  propageant,  l'empereur 
donna  à  ses  fidèles  Padouans  les  villes  de  Castelfranco  et  de  Tré- 
vise, avec  une  notable  partie  du  territoire  appartenant  à  cette 
dernière  cité.  De  son  côté,  le  pape  loua  Albéric,  le  prit  sous  sa 
protection  spéciale  et  écrivit  aux  évéques  plusieurs  lettres  en  sa 
faveur  -.  D'autres  défections  ne  tardèrent  pas  à  se  produire  et 
le  13  juin,  dans  la  diète  de  Vérone,  l'empereur  mit  solennellement 
au  ban  de  l'empire  les  marquis  d'Azzo  et  d'Esté,  le  comte  Uguc- 
cio  de  Vicence,  Pierre,  comte  de  Montebello,  Richard,  comte  de 
San  Bonifacio,  et  plus  de  cent  autres  nobles  italiens  ^.  Il  fit 
de  plus  occuper  les  défilés  des  Alpes,  pour  interdire  à  ces  prin- 
ces des  démarches  qui  pourraient  lui  être  funestes  et  prit,  dans 
son  royaume  héréditaire,  une  série  de  mesures  destinées  à  atté- 
nuer leffet  de  l'excommunication  et  à  lui  procurer  les  moyens 
de  faire  une  nouvelle  campagne  contre  le  pape  et  les  Lombards. 
Tous  les  dominicains  et  tous  les  franciscains  nés  dans  les 
provinces  rebelles  de  la  Lombardie  et  plus  tard  tous  les  religieux 
de  ces  deux  ordres  furent  chassés  du  royaume  des  Deux-Siciles, 
et  les  autres  moines  durent  donner  des  preuves  de  sentiments 
irréprochables  à  l'égard  de  l'empereur.  On  chassait  quiconque  se 
trouvait  en  rapports  avec  la  curie  romaine  ;  nul  ne  pouvait  se 
rendre  à  Rome  sans  autorisation  spéciale;  tout  porteur  des 
lettres  du  pape  serait  pendu.  C'est  alors  aussi  que  Frédéric  prit 
fait  et  cause  pour  le  général  des  franciscains,  Élic  de  Cortone, 
et  prétendit,  bien  à  tort,  que  le  pape  ne  l'avait  déposé  (mai 
1239)  que  pour  le  seul  crime  d'être  gibelin  déclaré  *. 

1.  Huillard-BréhoUes,  op.  cil.,  t.  v^  p.  307. 

2.  Ibid.,  t.  V,  p.  315-318;  Potthast,  Reg.,  p.  910  sq.;  Bôhmer,  Reg.,  p.  183. 

3.  Hiiillaid-Bréholles,  op.  cit.,  t.  v,  p.  318  sq.  Fiédcric  prétendit  plus  tard 
qu  ils  avaient  été  gagnés  par  le  pape  à  prix  d'argent,  ainsi  que  la  ville  de  Ravenne^ 
qui  se  détacha  aussi  de  son  parti. 

4.  lluillard-Biéhollcs,  op.  cit.,  t.  v,  p.  318,  343,  346,  435,  785,  866,  903,  1057. 


1588  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE     II 

Le  20  juin  1230  ^,  le  pape  répondit,  dans  une  encyclique  adrcs-  1064 
sée  à  tous  les  princes  et  évêques,  a\ix  accusations  que  l'empereur, 
«  ce  monstre  de  calomnie  f[ui  s'était  élevé  de  la  mer  ^,  »  avait 
portées  contre  lui  le  20  avril.  Pour  réfuter  le  récit  de  Frédéric,  il 
se    propose    d'exposer  tous   les    faits   avec  une  rigueur  absolue. 
L'empereur    avait    immobilisé    les    croisés  à    Brindisi,  sous  une 
chaleur  accablante,    et    beaucoup    en  moururent.    Il    avait  feint 
une  indisposition  et  gardé  le  lit  quelques  jours  pour  se  dispenser 
de  partir;  il  avait  abandonné  la  Terre  Sainte   aux   ennemis   du 
Christ,    insensible  au   trépas    du   landgrave   Louis   de    Thuringe, 
qui,  au  su  de  l'univers  entier,  mourut  empoisonné.  Le  pape,  par- 
faitement instruit  de  tout,  informa  Frédéric  qu'il  avait  encouru 
l'excommunication  latse  senteniix,  dont  on  l'avait  menacé  sous 
Honorius.    En  même  temps  il  lui  proposait  l'absolution,  s'il  par- 
tait aussitôt  pour  la  Terre  Sainte.  Frédéric  était  cependant    parti 
sans  absolution  :  il  avait  conclu  avec  le    sultan  une    paix  dés- 
avantageuse,  avait    abandonné    aux   mahométans  le  temple  de 
Dieu  et  persécuté  le  patriarche  de  Jérusalem   et   les   templiers. 
Jamais    esprit  raisonnable  n'admettra  que  le  pape  ou  son    légat 
l'ait  empêché    de   reconquérir    la    Terre    Sainte,   pour  la   recou- 
vrance  de  laquelle  l'Église  avait  fait  tant   de  sacrifices;  l'empe- 
reur avait,  au  contraire,  molesté  l'Eglise  pendant  son  séjour   en 
Syrie,  comme  il  l'avait  fait  molester  en  Italie   par   son  représen- 
tant, Rainald  de  Spolète,  et  c'est  uniquement  pour    mettre  fin  à 
cet  état  de  choses  que  les  amis  du  pape  avaient  organisé   l'inva- 
sion  du   royaume   des    Deux-Siciles.    L'Eglise   avait   consenti    à 
absoudre    Frédéric    à    son   retour    d'Orient;    il    affirmait    main- 
tenant,  à  tort,   que  le   pape  lui  avait   conseillé    astucieusement 
de    se    rendre    sans    armée    en    Lombardie;    Grégoire   lui   avait 
donné  cet  avis  loyalement  et  chacun  sait  du  reste   que  les   Lom- 
bards, belliqueux  et  bien  équipés,  seraient  plutôt  gagnés  par  de 
procédés  pacifiques  que    par    des    moyens    violents.    Mais    l'em- 
pereur  avait  rendu    toute    négociation    impossible,    en    prenant 
parti  pour  Crémone  et  en  menaçant    Milan.  Alors  sans  doute   il 


1.  Matthieu  de  Paris  donne  comme  date  le  21  mai;  HuilIai'd-BréhoUes  et 
Potthast,  Reg.,  p.  911,  le  20  juin  ;  Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1239,  n.  20,  et  Ro- 
denberg,  Mon.  Germ.  hist.,  Epist.,  p.  G5'i,  le  1'^''  juillet,  et  ce  dernier  croit  que  le 
pape  envoya   plusieurs  lettres   analogues. 

2.  Apoc,  XII 1,  1. 


664.  DERNIÈRES  LUTTES  DE  1239  A  1241         1589 

s'était  déclaré  disposé  à  défendre  la  liberté  de  l'Eglise  et  à  extir- 
per   l'hérésie;  mais    le    pape    lui    avait    répondu    que,    dans    son 
royaume   héréditaire,    où  personne,  sans  sa   permission,   ne   pou- 
vait remuer  pied  ni  main,  l'hérésie    faisait    des  progrès  considé- 
1065  râbles  et  la  liberté  de  l'Église  n'était  qu'un  mot.  On  était  en  droit 
de  se  demander  s'il  parlait  sérieusement  lorsqu'il  olîrail  ses  bons 
offices  au  chef  de  l'Église,  et  les   faits   ne  devaient  pas  tarder  à 
montrer  combien  cette   défiance   était    fondée;    car,    à    la    pre- 
mière  nouvelle    d'une    sédition    des    Romains,    Frédéric    s'était 
hâté  de    gagner   la  Sicile,  au  lieu  de  secourir  le  pape.  Plus  tard, 
lors  d'une  nouvelle  rébellion  des    Romains,   il   est   venu   sponta- 
nément à  Riéti  se  mettre  à   la    disposition   du   pape;  en   réalité, 
il  n'avait  fait   qu'empêcher  l'Eglise  de  reprendre  ses  biens.   Tout 
cela,  Grégoire  IX  peut  le   prouver  par  les  actes  de  l'empereur  et 
par  des    lettres,  témoignages    irrécusables    de    sa    trahison,  qui 
faisait  de  lui  dans  l'Église  comme  un  nouveau  Judas.  Il  s'est  mis 
traîtreusement    d'accord    avec   les  ennemis   de   l'Église   pour   se 
retirer   à   une   date    convenue  et   permettre  à  ces    ennemis   d'oc- 
cuper le  patrimoine.   Le  pape  n'en  a  pas  moins    chargé   l'arche- 
vêque de  Ravenne,  son  légat  en  Orient,  de  faire  réintégrer  l'em- 
pereur et  son  fils  Conrad  dans  leurs  droits  en  Palestine,  que  Jean 
d'Ibelin  et  d'autres  avaient  voulu  leur  enlever.  Mais   comme,  en 
remplissant    cette  mission,  le  légat  avait  jeté   l'interdit    sur   la 
Terre  Sainte,  sans    égard    pour  l'appel    à    Rome,    chassant  ainsi 
les  croisés  de  la  Terre  Sainte,  le  pape  s'est  vu    obligé   de    casser 
cette  sentence  d'interdit,  sans  toutefois  retirer  au  légat  ses  pou- 
voirs (pour  maintenir  les   intérêts   de   l'empereur).   Tout  ce  que 
h  Frédéric  avance  est  faux.  Il  u'a  aucun  droit  sur  Castella,  et   son 

récit  des  événements  (durant  l'été  de  1236)  est  entièrement 
fantaisiste.  L'Église  l'a  soutenu  depuis  son  enfance  et,  récem- 
ment encore,  contre  son  fils  Henri.  Lui,  au  contraire,  a  détruit 
en  Sicile  les  libertés  de  l'Église,  privé   les    églises  de  leurs  pas- 

I  leurs,  transformé  les  églises  en  temples  de  Mahomet,  interdit  la 
prédication  du  Crucifié,  et  défendu  les  dons  en  faveur  de  la 
Terre  Sainte.  A  ces  causes,  le  pape  lui  a  envoyé  plusieurs  fois 
des  lettres  et  des  nonces,  et  montré  à  son  égard  une  incroyable 
patience.  Au  cours  de  sa  campagne  en  Lombardie,  Grégoire, 
toujours  bienveillant,  a  prescrit  la  célébration  de  la  messe 
partout  où  passerait  l'empereur,  l'endroit  fût-il  interdit;  il 
écrivait  à  l'empereur  de  le  prendre  pour  arl)itre  dans  son  conflit 


1590  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    II 

avec  les  Lombards  et  de  ne  pas  donner  ce  détestable  exemple  de 
porter  la  guerre  dans   un   pays   jouissant   de    la    trêve    de    Dieu. 
En  vue  de  s'entremettre  entre  Frédéric  et  les  Lomljards,  le  pape  1066 
envoya   comme   légat   l'évêque   de    Palestrina,    bien  vu  des  deux 
partis,  et  ce  n'est  la  faute  ni  de  ce  légat  ni  du  pape  si.  à  Plaisance, 
la  paix  n'avait  pas  été  signée  sans  préjudice  des  droits  de  l'empe- 
reur et  de  l'empire.  Il  est  honteux  pour  Frédéric   d'avoir  empê- 
ché  les   autres   légats,   le   cardinal-évêque   d'Ostie  et  le  cardinal- 
prêtre     de     Sainte-Sabine,    de    conclure     la    paix,    après    avoir 
tenté  pour  cela  tout  ce  qui  était   en  leur   pouvoir.    L'empereur 
a  suscité,  à  prix  d'argent,  plusieurs  séditions  des  Romains  contre 
le  pape;  il  s'est  emparé  de  Ferrare,  etc.,  et,  au  temps  même  où 
l'archevêque    de    Palerme    offrait   à    Grégoire   satisfaction  sur  ce 
point,  Frédéric  faisait  occuper  la  Sardaigne  et  Massa  dans  le  dio- 
cèse  de    Luna,  deux  pays  appartenant  à  l'Eglise  romaine,  mon- 
trant  ainsi  clairement  qu'on  ne  pouvait  avoir  aucune  confiance 
dans  ses  ambassadeurs.  Pour  ces  motifs  et  pour  d'autres,  le  pape, 
les  cardinaux  consultés, désespérant  du  retour  de  l'empereur  à  de 
meilleurs    sentiments,    l'a    excommunié.    Cette    sentence    a    jeté 
hors  de  lui  Frédéric,  qui,  non  content  d'injurier  personnellement 
le  pape,  s'était  attaqué,  dans  ses  lettres,  à  l'autorité  pontificale. 
Le  pape  n'a  pas  dilapidé  les  biens  de  l'Eglise,  il  n'a  pas  poursuivi 
l'empereur  pour  un  projet  de  mariage,  ni  juré  aux  Lombards  de 
les  aider  contre  l'empereur,  ni  enfin  proposé  à  Frédéric    de    lui 
donner  toutes  les  dîmes  destinées  à  la  Terre  Sainte,  s'il  aban- 
donnait l'affaire  des  Lombards.  Le  pape  accuse  ensuite  l'empe- 
reur d'avoir,  par  avarice,  réduit  à  l'extrême  misère  son  royaume 
des  Deux-Siciles,  d'avoir  vendu  la  justice,  vendu  les   charges  de 
l'Église  et  de  s'être  laissé  appeler»  le  précurseur  de  l'Antéchrist». 
Il  a,  grâce  à   Dieu,  dévoilé  lui-même  son  hérésie,    en    affirmant 
que  le  pape  ne  pouvait  l'excommunier.    De  plus,  il  a  émis   ces 
propositions  :  «  Trois  imposteurs,  le  Christ,  Moïse  et  Mahomet, 
conduisent  le  monde    à  sa  ruine;  deux  d'entre  eux  sont   morts 
pleins  de  gloire,  tandis  que  Jésus  est  mort  sur  la  croix;    il    faut 
être  fou  pour  croire  que  Dieu,  le  créateur  du  monde,  est   né    de 
Marie  i.  » 

1.  Huillard-Bréholles,  Hisf.  diplom.  Frid.  II,  l.  v,  p.  327-340;  Winkelmann, 
op.  cit.,  t.  II,  p.  132  sq.  ;  Felten,  op.  cit.,  p.  322  sq.  L'exemplaire  de  cette  circu- 
laire est  adresse  à  l'archevêque  de  Cantorbéry  et  à  ses  sufîragants.  Ce  que 
Bôhmer,  Kaiseiregesten,  p.  347^  n.  144,    donne  comme  l'encyclique    du  pape  à 


664.     DERNIÈRES      LUTTES     DE     1230    A     1  2 'i  1  150i 

1067  Dans  une  lettre  un  peu  postérieure,  le  pape  chercha  à  convain- 
cre Louis  IX,  roi  de  France,  de  la  culpabilité  de  l'empereur;  il 
lui  recommanda  par  la  même  occasion  le  cardinal-évêque  de 
Palestrina,  comme  légat  pour  le  pays  des  albigeois  ^. 

Frédéric  répondit  au  pape  dans  une  lettre  adressée  aux  cardi- 
naiix  (juin  1239)  :  «  La  divine  Providence  a  établi  deux  lumières 
au  firmament  céleste,  une  grande  et  une  petite,  et,  loin  de  se  nuire» 
la  ])lus  grande  communique  sa  clarté  à  la  plus  petite  :  ainsi  elle 
a  établi  sur  la  terre  deux  puissances,  la  puissance  sacerdotale 
et  la  puissance  impériale,  la  première  chargée  de  la  surveillance 
(rautela),  la  seconde  de  la  protection.  Mais  le  pharisien  qui  est 
assis  sur  la  chaire  de  pestilence,  oint  de  l'huile  de  la  méchanceté, 
a  cherché  à  troul)ler  cet  ordre  divin  et  à  obscurcir  l'éclat  de 
la  majesté  impériale,  car  ses  lettres  mensongères  calomnient 
la  pureté  de  notre  foi.  Cet  homme  n'a  de  pape  que  le  nom,  il 
nous  a  appelé  «  le  monstre  de  calomnie  qui  s'élève   de  la  mer;  » 

tous  les  princes  (celle  du  1'^'^  juillet  1239)  n'est  que  la  fin  de  cette  longue  lettre 
à  l'archevêque  de  Cantorbéry.  Rodenberg,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Epist 
pontif.,  t.  I,  n.  750,  donne  un  exemplaire  de  cette  lettre  du  pape  adressée  à  l'ar- 
chevêque de  Reims  et  à  ses  suflragants,  d'après  une  nouvelle  et  soigneuse 
collation  du  Regislrum  avec  de  nombreuses  améliorations  du  texte  par  Matth. 
Paris;  cf.  aussi  Polthastj  iîeg.j  n.  10766.  Dans  une  autre  lettre  du  pape  adressée  à 
l'évêque  de  Sens,  lettre  dont  fait  mention  Albéric  [Mon.  Germ.  hist.,  Script., 
t.  XXIII,  p.  944),  l'empereur  est  accusé  de  s'être  exprimé  dans  des  termes  ana- 
logues; le  pape  ajoute  même  que  Frédéric,  voyant  un  jour  un  prêtre  porter  le 
Saint-Sacrement  à  un  malade,  s'était  écrié,  s'adressant  à  un  de  ceux  qui  l'entou- 
raient :  Heu  me!  qiiamdiu  durabit  truffa  ista.  Winkehnann,  Friedrich  II,  t.  ii, 
p.  134  sq.,  voudrait,  pour  soutenir  que  Frédéric  n'a  pas  pu  prononcer  ce  blas- 
phème, fournir  une  preuve  dont  Rodenberg,  op.  cit.,  conteste  la  valeur.  Le  livre 
De  tribus  impostoribus  fut  publié  en  2^  édition  par  E.  Weller,  Heilbronn,  1876. 
En  ce  qui  concerne  l'époque  où  il  fut  composé,  cf.  aussi  une  dissertation  dans 
VAllg.  Zeitung,  1877,  Supplément  n.  58,  d'après  laquelle  ce  méchant  ouvrage 
n'aurait  paru  pour  la  première  fois  que  vers  la  fin  du  xvii*^  siècle.  [Cf.  Chron. 
Aug.,  dans  Mon.  Germ.  hist..  Script.,  t.  m,  p.  123  sq.  ;  Chronica  minor  auct. 
Minorita  Erphordensi,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xxiv,  p.  178  sq.  ; 
Ricordano  Malespina,  Istoria  Fiorentina,  c.  cxxxii,  dans  Muratori,  Script,  rer. 
Italie.,  t.  VIII,  p.  966;  Reuter,  Geschichte  der  religiosen  Aufklârung  im  Mittel- 
aller,  t.  n,  p.  297;  Hase,  Kirchengeschichte  auf  Grand  akadem.  Vorlesungen, 
Leipzig,  1890,  t.  ii,  p.  308;  Felten,  op.  cit.,  p.  323  sq.  Pour  le  De  tribus  impo- 
storibus, Lipsia",  1846,  cum  prœf.  a  Weller  (édition  abrégée  :  De  imposturis 
religionum  brève  compendium,  edit.  Genthe,  Lipsiœ,  1833);  trad.  H.  J.  Aster, 
Die  drei  BetrUger  nach  der  i.  J.  1598  erscheinen,  Schrift:  De  trib.  imp.,  2^  édit., 
E.  Weller,  Heilbronn,  1876.   (H.  L.)] 

1.  Huiilard-lircholles,  Hist.  diplom.  Frid.  II   t.  v,  p.  457. 


1502  LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE    II 

mais  c'est  bien  ]>lutôl  lui  dont  ou  pcul  dire  :  «  Et  il  sortit  aussi 
de  la  mer  un  autre  cheval  roux,  cL  celui  qui  s'assit  sur  ce  cheval 
enleva  toute  paix  à  la  terre  ^,  »  Depuis  sou  élévation,  ce  père,  non 
de  miséricorde,  mais  de  discorde,  a  jeté  le  trouble  dans  le  monde 
entier.  Ce  grand  dragon  n'est  lui-même  que  l'Antéchrist  dont  il 
a  prétendu  que  nous  étions  le  précurseur.  Nous  n'avons  jamais  1068 
parlé  de  trois  imposteurs,  car  nous  professons  publiquement  que 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  est  le  jils  unique  de  Dieu,  égal  au  Père 
et  au  Saint-Esprit  en  éternité  et  en  magnificence...  né  selon  la 
chair,  ou  selon  sa  nature  humaine,  de  la  glorieuse  Vierge  Marie  et  • 

ressuscité  le  troisième  jour  par  la  vertu  de  sa  nature  divine.  Nous  ; 

savons,  au  contraire,  que  le  corps  de  Mahomet  est  dans  les  airs 
et  sous  la  puissance  des  démons,  tandis  que  son  âme  est  torturée 
en  enfer.  Enfin  la  sainte  Ecriture  nous  apprend  que  Moïse  fut 
un  ami  de  Dieu,  avec  qui  il  s'est  entretenu  sur  le  Sinaï,  qu'il  a 
opéré  un  grand  nombre  de  signes  et  de  miracles  et  qu'il  a  donné 
la  loi.  »  Frédéric  reproche  ensuite  aux  cardinaux  de  n'avoir  pas 
abandonné  le  pape;  il  proteste  de  son  respect  absolu  pour  l'E- 
glise, mais  condamne  les  indignes.  Il  menace  en  terminant  le  pape 
et  les  cardinaux  de  la  colère  impériale,  s'ils  s'obstinent  dans  leur 
iniquité  ^.  Dans  une  autre  lettre,  Frédéric  reprocha  au  pape  de    10G9 


1.  Apoc.^  VI,  4. 

2.  Huillard-Brcholles,  op.  cit.,  t.  \,  p.  348  sq.  Winkelmann,  dans  ses  Acla 
inedita,  p.  314,  publie  une  lettre  plus  calme  et  plus  digne  et  qui,  bien  que  conçue 
en  termes  énergiques,  ne  contient  rien  de  blessant;  nous  croyons  devoir  la  citer  : 
«  ...Chose  extraordinaire  !  Le  soleil  veut  ravir  à  la  lune  son  éclat  et  sa  lumière, 
le  prêtre  cherche  à  détruire  la  grandeur  impériale  et  la  souveraineté  apostolique 
s'efforce  de  ternir  notre  majesté  impériale  que  nous  tenons  de  Dieu  même. 
Ainsi,  nous  le  disons  avec  douleur,  Pierre  est  devenu  un  roc  de  scandale  et  Paul 
s'est  transformé  en  Saul,  et  celui  qui  devrait  avoir  pour  but  unique  d'assurer 
la  paix,  que  nous  désirons  également,  pose  de  nouveau  les  fondements  d'une 
œuvre  de  mort.  Le  verbiage  (fabula)  du  pape  a  lancé  à  la  face  du  monde  des  accu- 
sations contre  l'empereur,  dont  la  réalité  des  faits  et  un  examen  loyal  auraient 
prouvé  le  néant  à  tous  ceux  qui  auraient  connu  la  vérité.  Comment  l'autorité 
apostolique  pourrait-elle  être  froissée  de  ce  que  nous  ayons  châtié  les  Liguriens 
rebelles  et  révoltés  contre  l'empire,  et  relevé  l'honneur  du  royaume  ?  le  pape 
n'a-t-il  pas  cure^  de  son  côté,  de  l'exaltation  de  l'Église?  Pourquoi  ne  veut-il 
pas  nous  permettre  de  lutter  pour  la  grandeur  de  l'empire  ?  Si  le  pape  nous  re- 
proche, ce  dont  Dieu  nous  préserve,  de  connnettre  des  erreurs  en  ce  qui  concerne 
la  foi,  nous  pouvons  lui  répondre  qu'il  agit  précisément  contrairement  à  la  foi, 
car  lui,  représentant  de  cette  foi,  qui,  lorsqu'on  le  maudit,  ne  devrait  pas  mau- 
dire, et  lorsqu'il  souffre,  ne  devrait  pas  proférer  des  menaces,    n'aurait    pas  dû 


6G4.  DERNIÈRES  LUTTES  DE  1239  A  1241         1593 

ne  pas  assez  soutenir  les  intérêts  de  la  Terre  Sainte  ^.  Il  se  plai- 
gnit aussi  très  amèrement  de  ce  que  son  beau-frère,  le  roi  d'An- 
gleterre, laissât  publier  sans  obstacle  dans  son  royaume  la  bulle 
portant  l'excommunication  de  l'empereur  et  de  ce  qu'il  envoyât 
à  Rome  l'argent  accoutumé,  ce  qui  permettait  au  pape  de  secou- 
rir vigoureusement  les  Milanais  ^. 

La  situation  en  Allemagne,  par  suite  de  ce  nouveau  et  grave 
conflit  entre  le  pape  et  l'empereur,  parut  tout  à  l'avantage 
de  ce  dernier.  La  plupart  des  princes  de  l'empire  et  en  particulier 
tous  les  évoques  se  rangèrent  au  parti  de  Frédéric,  dont  ils  ne 
voulurent  pas  se  séparer.  Aussitôt  après  la  publication  de  la  sen 
tence  d'excommunication,  les  trois  prélats  bavarois,  l'archevêque 
Eberhard  II  de  Salzbourg,  l'évêque  Rudiger  de  Passau  et  Conrad 
de  Freisingen,  alors  à  Padoue  près  de  l'empereur,  adressèrent  au 
pape  une  lettre  très  judicieuse  et  susceptible  de  faire  la  plus 
grande  impression,  le  sollicitant  de  se  réconcilier  avec  l'empereur 
et  offrant  dans  ce  but  leur  médiation.  «  Les  deux  glaives,  écri- 
vaient-ils, sont  si  intimement  unis  l'un  à  l'autre  qu'on  ne  peut 
émousser  ou  briser  l'un  sans  occasionner  un  grand  dommage  à 
l'autre  ;  on  ne  peut  les  séparer  dans  son  affection  ni  dans  son 
aversion.  Pour  eux,  membres  de  l'organisme  de  l'Église  et  de 
l'Etat,  il  ont  à  tenir  compte  des  deux  puissances,  la  papauté 
et  l'empire,  et  ne  rempliraient  pas  leur  devoir  s'ils  négligeaient 
une  de  ces  puissances.  Ils  supplient  donc  leur  Père  vénéré 
d'accueillir  avec  bienveillance  cet  exposé,  qui  leur  était  dicté 
autant  par  la  conscience  de  leur  devoir  que  par  le  désir  du  bien 
commun. Voulant  avant  tout  remplir  leur  devoir  envers  l'Eglise, 


subitement  proférer  contre  nous  des  paroles  de  malédiction.  Ainsi  celui  qui 
n'agit  pas  avec  Dieu  ne  peut  avoir  les  mêmes  sentiments  que  Dieu.  Nous  voyons 
surtout  avec  la  plus  grande  douleur  que  vous,  les  colonnes  de  l'Église,  les  asses- 
seurs de  Pierre...  si  vous  ii'avez  pu  apaiser  l'irritation  du  juge  courroucé,  vous 
n'ayez  pas  au  moins  essayé  de  le  retenir.  La  puissance  du  royaume  romain, 
déjà  fréquemment  ébranlée,  no  tombera  pas  sous  une  seule  atteinte.  »  W  inkcl- 
mann  estime  que  cette  lettre  sous  cette  forme  fut  adressée  aux  cardinaux,  tandis 
que  celle  publiée  par  Bréholles  fut  écrite  pour  être  livrée  à  la  publicité.  Je  croi- 
rais plutôt  que  cette  dernière  est  apocryphe,  car  la  lettre  que  nous  transmet 
\Ainkelmann,  par  son  ton  mesuré  et  sa  douceur  relative,  était  susceptible  de 
faire  la  plus  grande  impression,  même  livrée  à  la  publicité. 

1.  Iluillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  v,  p.  360-426. 

2.  Ibid.,  t.  V,  p.  464-460. 


1594  LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE    II 

mais  redoutant  aussi  les  dommages  que  pourrait  entraîner  le 
conflit,  ils  se  voient  forcés  d'intervenir  par  leurs  prières.  Ils 
y  ont  été  invités  par  l'empereur  lui-même,  près  duquel  ils  se 
trouvaient  lorsque  le  conflit  avait  éclaté;  sur  leur  demande, 
l'empereur  leur  en  a  exposé  les  points  spéciaux  et  les  a  chargés, 
avec  les  autres  princes,  de  dénouer  ce  conflit  en  protestant 
de  sa  déférence  envers  Dieu  et  envers  l'Eglise.  Ils  conseillent 
donc  au  pape,  leur  père  et  leur  pasteur,  de  ne  pas  pousser  à 
bout  ce  souverain  fils  de  l'Eglise;  quanta  eux,  obligés  d'inter- 
venir dans  le  conflit,  s'ils  doivent,  comme  fils  de  l'Église, 
observer  \m\  respect  filial,  en  même  temps,  comme  princes  de 
l'empire,  ils  ne  peuvent  oublier  leur  serment  de  fidélité  ni 
laisser  empiéter  sur  les  droits  de  leur  maître  et  empereur.  Ils  1070 
ne  peuvent  taire  les  griefs  formulés  contre  l'Eglise  :  c'est  la  pré- 
dilection du  pape  pour  les  Milanais  et  leurs  alliés  qui  est 
l'unique  cause  des  mesures  rigoureuses  prises  contre  l'empereur, 
comme  le  prouve  l'attitude  du  légat,  Grégoire  de  Montelongo, 
qui  a  constamment  usé  de  son  influence  sur  les  Milanais  pour 
détourner  par  tous  les  moyens  possibles  ceux  qui  étaient  restés 
fidèles  à  l'empire,  ce  que  l'empereur  peut  prouver  par  des 
documents  écrits  et  le  témoignage  d'hommes  véridicfues.  En  ter- 
minant, ils  répètent  encore  qu'ils  ne  peuvent  ni  ne  doivent  aban- 
donner l'empereur;  qvie  le  pape  ne  se  laisse  pas  guider  par  les  faux 
rapports  d'un  prince  qui  sème  la  désunion  pour  pouvoir  ensuite 
pêcher  en  eau  trouble.  Sa  fidélité  ne  sera  pas  durable  et  sa 
puissance  ne  lui  suffira  pas  pour  mener  cette  affaire  à  bonne  fin  ^.  » 
Cette  dernière  partie  de  la  lettre  fait  évidemment  allusion  aux 
menées  du  duc  Otton  de  Bavière  qui,  avec  le  duc  Frédéric  d'Au- 
triche et  le  roi  Wenzel  de  Bohême,  organisa  le  7  mars  1238,  à  Pas- 
sau,  une  réunion  dirigée  co.ntre  l'empereur.  Le  négociateur  de 
cette  alliance  des  princes  fut  Albert  de  Béhaim^,  archidiacre  de 


1.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  v,  p.  398-'i00,  place  cette  lettre  en  septembre 
1239.  Cf.  aussi  à  ce  sujet  Ratzinger  dans  IJist.  polit.  Blàtler,  1869,  p.  340  sq.! 
Riezler,  Gesch.  Dayerns,  t.  ii,  p.  72. 

2.  C'est  seulement  au  cours  des  dix  dernières  années  qu'on  a  eu  quelques  ren- 
seignements plus  précis  sur  la  vie  et  l'activité  de  cet  adversaire  déclaré  de  la  mai- 
son royale  des  Hohenstaufen,  de  ce  «  perturbateur  de  toute  la  Bavière,»  comme 
le  nomma  Eberhard  de  Salzbourg;  il  était  issu  de  la  famille  de  Béhaim  deKager 
près  de  Cham.  Cf.  les  dissertations  d'Otto  von  Lerchenfeld-Aham,  dans  les 
Histor.  polit.  Blàlter,  1874,  p.  352  et  421,  et  celles  du  D'  Ratzinger,  ibicL,  1869, 


I 


6G4.  DERNIÈRES  LUTTES  DE  1239  A  1241        1595 

Passai!,  envoyé  par  Grégoire  IX  en  Allemagne  avec  pleins  pou- 
voirs pour  s'occuper  des  (juestions  pendantes.  Albert  s'employa 
sans  relâche  à  soutenir  et  à  fortifier  le  parti  opposé  à  l'empereur 
et  à  affaiblir  et  disjierser  les  partisans  de  Frédéric. 

Peu  de  lemps  après  la  pulilication  de  la  sentence  d'excommuni- 
cation et  prol>al)lement  à  l'époque  où  fut  lancée  l'encyclique  dont 
nous  avons  parlé  plus  haut  (p.  1584),  l'empereur  convoqua  pour 
le  l'^'"  juillet  1230  les  jirinces  allemands  à  une  diète  qui  devait  se 
1071    tenir  à  Egra  ^,  pour  leur  faire  connaître,  par  l'intermédiaire  de  ses 
messagers,  la   sentence   du   pape    et    solliciter   leur   aide   et  leur 
entremise.  La  réunion,  composée  de  la  plupart  des  princes,  re- 
nouvela son  serment  de  fidélité  à  l'empereur  et  promit  de  s'em- 
plover  jn'ès  du  pape  pour  obtenir  la  paix.    Otton  de   Bavière   et 
le    roi    \\  enzel    de    Bohême,    avec  une    escorte  armée,   s'arrêtè- 
rent à  Elnbogen;  mécontents  des  décisions  prises  à  Egra,  ils  décla- 
rèrent la  guerre   au  roi  Conrad  et    décidèrent,    de    leur  autorité 
privée,  de  s'employer  à  l'élection  d'un  nouveau  roi.  Déjà,  en  juin 
1239,  Albert  Béhaim  annonçait  au  pape  que  le  roi  d'Allemagne, 
Conrad,    avait  réuni  à  Eger,  le    l^r   juin,    avec   l'archevêque    de 
Mayence,   plusieurs   princes   allemands  et   avait   fait   de   grands 
elforts  pour  les  gagner  à  la  cause  de    son    père.    Il    avait   réussi 
auprès  du  landgrave  de  Thiiringe  (Henri  Raspe)et  du  margrave 
de     Meissen;     mais    le    roi     de    Bohême    et    le     duc    Otton     de 
Bavière    s'étaient    retirés    très    mécontents,    annonçant     au     roi 
Conrad  la  reprise  des  hostilités.   La  brouille   n'avait   fait   qu'em- 
pirer depuis  lors.   Le  duc  d'Autriche  Frédéric  était  sur  le  point 


t.  i.xiv,  p.  1  sq.;  1879,  t.  lxxxiv,  p.  565  sq.  ;  1880,  t.  lxxxv  ;  Schirrmacher, 
Albert  von  Possemimster,  genannt  der  Bôhme,  Weimar,  1871.  Les  principales 
sources  pour  l'histoire  de  Béhaim  sont  tirées  des  extraits  aventiniens  des  actes 
d'Albert  et  aussi  des  minutes  de  ce  dernier  publiées  par  Hofler,  dans  Bibliothek 
des  Hier.  Vereiiies  in  Stuttgart,  1847,  t.  xvi.  Extraits  d'un  deuxième  livre  de 
notices  d'Œfele,  Script,  rer.  Boic,  t.  i,  p.  787-800.  Cf.  aussi  Braunmûller,  Her- 
mann  Aht  von  Niederaltaich,  Metten,  1876.  [P.  Kehr,  Hermann  von  Altaich, 
Gottingen,  1883,  p.  28;  Felten,  op.  cit.,  p.  349  sq.  (H.  L.)] 

1.  Les  Annal.  Erjord.,  dans  I\Jonuni.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvi,  p.  32,  rappor- 
tent :  Hoc  anno  in  die  palinarum  domnus  papa  imperatorem  denunciavit.  Qua- 
propler  ah  ipso  imperatore  circa  kalendas  junii  in  Eger  principum  conventus 
procuralus  est;  quo  ipse  imperator,  manens  in  Langobardia,  nuncios  dirigens, 
illatam  sibi  a  papa  senlenfiam  ipsis  significavit.  Principes  autem  prresente  Cun- 
rado  rege  cautione  curaloria  se  imperatori  obligantes,  papani  ipsi  reconciliare 
promiserunt. 


1596  LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE    II 

de  reprendre  Vienne.  11  avait  ponr  cela  sollicité  le  secours  du  roi  de 
Bohême  et  du  duc  de  Bavière,  lequel  avait  promis  de  venir  avec 
quatre  mille  hommes,  tandis  que  le  roi  de  Bohême  devait  se  rendre 
à  Lebus  dans  le  Brandebourg,  pour  y  choisir,  d'accord  avec  les 
princes,  un  nouveau  roi  d'Allemagne  dans  la  personne  du  prince 
danois  Abel,  le  jour  de  la  fête  de  saint  Pierre  (29  juin  ou 
1er  août)  \ 

Béhaim  ajoute  que  son  maître  Otton  de  Bavière  désirait  l'envoi 
d'un  nouveau  légat  pour  excommunier  le  landgrave  de  Thuringe    1072 
et  son  frère  Conrad  (qui  ne  tarda  pas  à  devenir  grand-maître  de 
l'Ordre   teutonique). 

Béhaim  prétend  aussi  avoir  appris  du  prévôt  de  Lubeck  ({u'à 
l'exception  des  deux  fous  de  Thuringe  et  de  Meissen,  tous  les 
autres  princes  allemands  avaient  embrassé  le  parti  du  pape  ^. 

Les  23  et  24  novembre  1239,  le  pape  Grégoire  IX  écrivit 
quatre  lettres  à  ses  légats,  Albert  de  Béhaim  et  Philippe 
d'Assise.  !«  La  première  les  informe  qu'une  sentence  d'excom- 
munication et  d'interdit  a  été  portée  contre  Frédéric,  et  (ju'ils 
ont  le  devoir  d'obliger,  sous  peine  d'excommunication,  tous  les 
évêques  allemands  à  publier  cette  sentence.  2°  La  seconde 
lettre  les  engage  à  utiliser  cette  sentence  d'excommunication 
pour  détacher  du  parti  de  Frédéric  tous  les  fidèles,  clercs 
ou  laïcs.  3^  La  troisième  lettre  se  plaint  de  l'archevêque 
de  Salzbourg,  qui  cherchait  à  réconcilier  le  duc  d'Autriche 
avec    l'empereur    excommunié  ;    Grégoire    demande     aux   légats 

1.  La  réunion  ne  put  avoir  lieu  à  cette  époque  (Bôhmer,  op.  cit.,  p.  257),  et 
lorsque  plus  tard  on  proposa  au  prince  Abel  la  couronne  d'Allemagne,  il  la  refusa. 
Sur  le  conseil  de  son  père,  on  la  proposa  alors  à  Otton,  duc  de  Brunswick,  qui 
la  refusa  également,  disant  qu'il  ne  voulait  pas  partager  le  sort  de  son  oncle 
Otton  IV.  De  même  Robert^  frère  du  roi  de  France,  auquel  la  couronne  avait  été 
offerte  par  ordre  du  pape  (cf.  Potthast^,  Reg.,  n.  10806),  la  refusa  sur  le  conseil 
de  sa  mère.  Matth.  Paris  fait  le  même  récit.  D'après  les  Annal.  Pantal.,  dans 
Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xxii,  p.  5.31,  le  pape,  dès  1239,  avait  fait  offrir 
la  couronne  au  roi  Louis  de  France  lui-même  par  l'entremise  du  cardinal  de 
Palestrina,  mais  il  avait  également  essuyé  un  refus.  Si  ce  fait  est  exact,  on  y  trou- 
verait l'explication  des  motifs  qui  poussèrent  Frédéric  à  faire  jeter  ce  cardinal 

en  prison  en  employant  contre  lui  les  mesures  les  plus  rigoureuses.  Huillard  ■ 
Bréholles,  Hist.  diplom.  Friderici  II,  t.  \,  p.  345;Albéric  de  Trois-Fontaines, 
dans  Hlonuni.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xxiii,  p.  949;  Schirrmacher,  op.  cit.,  p.  80  sq. 

2.  Cf.    les   extraits   aventiniens   des   actes   d'Albert   de  Béhaim   publiés   par 
Hofler,  à  Stuttgart,  1847,  vol.  xvi,    2^   part.,  p.    i,  m    et   5,    6.    De  même  dans  ^ 
Huillard-BrélioUcs,  op.  cit.,  p.  344  sq.  Cf.  Bôhmer,  op.  cit.,  p.  257. 


6G4.  DERNIÈRES  LUITES  DK  1230  A  1241         1597 

de  l'excommunier,  s'il  persiste  clans  cette  ligue  de  conduite. 
40  Ils  doivent  également  menacer  d'interdit  et  d'excommuni- 
cation le  duc  d'Autriche,  s'il  se  refusait  plus  longtemps  à  faire 
la  chose  indiquée  (était-ce  l'élection  d'un  nouveau  roi  ^?). 

Sur  ces  entrefaites  (juin  1239),  Frédéric  se  rendit  de  Vérone 
à  Bologne  pour  s'en  emparer  avant  de  revenir  s'attaquer  à  Milan. 
Il  ravagea  les  environs  et  s'empara  de  deux  forteresses  de  second 
ordre;  mais  il  ne  put  prendre  la  ville  ;  Ra  venue  se  rallia  alors  au 
parti  du  pape  2.  Frédéric  confia  les  opérations  militaires  en  Roma- 
gne  à  sou  fils  Enzio.  nommé  légat  impérial  pour  l'Italie,  tandis 
((u'il  se  rendait  de  sa  personne  dans  le  Milanais.  Il  n'y  fut  pas 
])lus  heureux,  et,  après  avoir  ravagé  la  banlieue  au  sud  de  Milan 
1073  i)Oussé  une  pointe  de  l'est  à  l'ouest  et  avoir  fait  prisonniers 
nombre  de  Lombards,  il  regagna  au  mois  de  novembre  la  Toscane 
par  Crémone,  afin  de  s'attaquer  à  l'État  de  l'Église  ^. 

Peu  auparavant  il  avait  délié  du  serment  de  fidélité  envers  le 
pape  et  poussé  à  la  révolte  les  villes  de  la  marche  d'Ancône  et  du 
duché  de  Spolète.  Il  avait  fait  occuper  Ancône  par  Enzio  et  s'était 
attaché  des  Romains  par  une  distribution  de  fiefs.  De  son  côté,  le 
pape  s'apprêtait,  à  l'aide  des  Vénitiens,  à  attaquer  le  royaume 
des  Deux-Siciles,  et  signait  avec  Raymond  Bérenger  IV,  comte 
de  Provence,  une  alliance  f[ui  devait  causer  beaucoup  d'embar- 
ras à  l'empereur  ^. 

Lorsqu'au  mois  de  janvier  1240  Frédéric  arriva  sur  les  confins 
de  l'Etat  de  l'Église,  il  invita  les  habitants  de  Foligno,  de  Viterbe 
et  de  Tibur  à  se  déclarer  pour  lui.  Le  l^r  février  il  se  trouvait  déjà 
à  Foligno  et  fit  connaître  son  intention  de  détacher  à  tout  jamais 
de  l'État  de  l'Église  le  duché  de  Spolète  et  la  marche  d'Ancône. 
Un  grand  nombre  de  villes  et  de  châteaux  se  rendirent  sans  com- 
bat, certains  même  à  une  faible  distance  de  Rome;  la  puissante 

1.  Albert  de  Béhaim,  dans  le  t.  xvi  de  la  Bibliothek  des  litterarischen  Vereins  in 
SluUgart,  p.  6-10;  nuillaid-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  v,  p.  526;  Bôhmer, 
Regesten,  p.  348;  Potlhast,  Reg.,  p.  915;  Schirrmacher,  op.  cit.,  p.  46. 

2.  Gagnée  par  le  cardinal  Sinibaldo,  plus  tard  Innocent  IV.  ^/ma/.  Panlal. 
dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xxii,  p.  531. 

3.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frid.    II,  t.  v,  p.  351  sq.,  357,  362  sq. 
365,  367  sq.,  371,  373  sq.,  379,  383,  390,  845;  Moiuim.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  11' 
p.  330. 

4.  Huillard-BréhoUes,  Hist.  diplom.  Frid.  II,  l.  v,  p.  374,  385,  390,  395,  401- 
408,  451,  488,  498  sq.,  541,  549,  551,  654,  661,  694,  710,  749,  763;  Monum. 
Germ.  hisL,  EpisL,  l.  1,  a.   76  1;   Potthast,  Reg.,  p.  917. 


1598  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE   II 

Yiterbe  ouvrit  ses  portes  ;  d'autres  furent  enlevées  de  force.  De  son 
côté,  Enzio  avait  gagné  du  terrain  dans  la  marche  d'Ancône,  et  Fré-  \ 

déric  se  flattait  déjà  d'être  reçu  dans  Rome  aux  acclamations  du  < 

peuple.  Il  promit  aux  Romains  un  grand  nombre  des  charges  les  ' 

plus  importantes  de  l'empire  ^.  Ceux-ci  commençaient  déjà  à  fai- 
blir et  s'apprêtaient  à  livrer  le  pape,  lorsque  Grégoire  IX,  voulant 
réveiller  les  consciences,  ordonna  pour  le  22  février,  fête  de  la 
Chaire  de  saint  Pierre,  une  procession  solennelle  dans  laquelle  on 
devait  porter  la  vraie  croix  et  les  chefs  des  deux  apôtres  à  Saint- 
Pierre  (dans  le  cas  où  l'empereur  entrerait  dans  la  ville,  ces  pré- 
cieuses reliques  se  trouveraient  au  château  Saint-Ange).  Cette 
cérémonie  enflamma  d'ardeur  des  Romains  et  nombre  d'en- 
tre eux  prit  des  mains  du  pape  la  croix  pour  une  croisade  contre 
l'empereur.  Tel  est  le  récit  de  Grégoire  IX  dans  une  lettre  où  il  se 
plaint  de  ce  que  Frédéric  fait  sans  vergogne  célébrer  le  service 
divin  par  Elie  (général  déposé  des  franciscains)  et  d'autres 
clercs,  de  ce  qu'il  force  sous  peine  de  mort  les  clercs  à  mépriser 
l'interdit,  enfin  de  ce  qu'il  délie  du  serment  de  fidélité  les  sujets  1074 
du  pape,  comme  s'il  était  pape  lui-même;  Grégoire  IX  terminait 
en  disant  que  Frédéric  voulait  anéantir  l'État  de  l'Église  et  tuer 
le  pape  ^. 

Frédéric  manifesta  son  mécontentement  de  la  nouvelle  atti- 
tude des  Romains  dans  une  circulaire  adressée  à  tous  les 
princes  et  à  tous  les  évêques,  dont  nous  ne  possédons  plus 
que  l'exemplaire  adressé  au  roi  d'Angleterre  (daté  du  16  mars 
1240).  L'empereur  y  renouvelle  ses  plaintes  contrôle  pape,  ajoute 
de  nouveaux  griefs;  à  répo<iue  où  Conrad,  second  fils  de  Frédé- 
ric, fut  nommé  roi  d'Allemagne,  Grégoire  aurait,  d'après  l'empe- 
reur, fait  secrètement  conseiller  aux  princes  allemands  de  refuser 
leurs  voix  à  un  Hohenstaufen.  De  plus,  Grégoire  IX  s'arrogeait 
le  pouvoir  civil  sur  Milan.  En  terminant,  Frédéric  parle  de  ce  qui 
vient  de  se  passer  à  Rome,  Il  prétend  que.  grâce  à  des  larmes 
feintes,  le  })apc  a  déterminé  quelques  enfants  et  quelques  vieilles 
femmes  à  prendre  la  croix  sous  le  faux  prétexte  que  l'empereur 
voulait  déshonorer  les  saintes  reliques  des  apôtres  ^. 


1.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  v,  p.  362,  702,  708,  743,  760,  763, 

2.  Ibid.,  p.  77G;  Potlhast,  op.  cit.,  n.  10849. 

3.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  v,  p.  S'iO  sq. 


■1 


664.  DERNlhRES  LUTTES  'DE  1239  A  1241         1599 

Frédéric  ne    tarda    pas    à    voir    ([iiil    lui    serait    difTicile    d'en- 
trer dans    Rome    en    triomphateur;    à    Pâques   (1240),  il    tint  à 
Foggia,  dans  la  Fouille,  un  conseil  de  guerre  avec  les  gouverneurs 
et  les  notables  de  son  royaume  héréditaire,  pour  aviser  aux  moyens 
de  continuer  la  campagne  i.  Pendant  que  l'empereur  prenait  des 
mesures  et  publiait  des  édils  pour  mobiliser  en  juin  une  grande 
armée    à    Capoue,    les    princes    allemands,    clercs  et  laïcs,  clier- 
chaient    à  jjrocurer    une  réconciliation    entre    Grégoire  IX  et  lui. 
L'année  précédente,    ils    avaient   abordé  ce    sujet    dans  une   as- 
semblée tenue  à  Eger,  et,  en  mai  1240,  ils  se  décidèrent  à  envoyer 
au   pape   Conrad   de  Thuringe   (frère   d'Henri    Raspe)    et    grand- 
maître  do    rOrdre  teutonique.    Dans  leurs  lettres,  ils  insistaient 
sur  ce  que  le  conflit  entre  le   pape  et  l'empereur  causait  bien  des 
maux  et  empêchait  la  conquête  de  la   Terre  Sainte.   L'empereur 
ayant  fait  écrire  partout  qu'il  se  soumettrait  à  une  décision  équi- 
table,   les    seigneurs    allemands    demandaient    au    pape    de    faire 
bon   accueil  au  grand-maître  de  l'Ordre  teutonique.  Que  le  pape, 
ajoutaient-ils,  soit  convaincu  qu'il  ne  serait   pas  si  facile  de  ren- 
verser (c'est-à-dire  de  déposer)  l'empereur;  qu'il  se  défie  de  ceux 
qui,  pour  des   motifs   égoïstes,   cherchent   à   lui  prouver   le   con- 
1075  traire.  Le  pape  dut  surtout  être  frappé  de  la  lettre  d'Otton,  duc  de 
Brunswick,  qui,  comme  on  le  sait,  avait  refusé,  ainsi  que  le  prince 
Abel,  de  disputer  à  Frédéric  la  couronne  d'Allemagne   et  était  le 
premier  à  hâter  cette  œuvre  de  conciliation  ^, 

De  la  même  époque  date  cette  lettre  niaise  d'un  gibelin 
qui  parle  tour  à  tour  grec,  latin  et  hébreu,  pour  accuser  le  pape 
d'avarice  et  de  gourmandise,  prétendant  que,  dans  ses  orgies, 
après  avoir  vidé  un  grand  nombre  de  coupes,  il  est  comme  trans- 
porté au  troisième  ciel  ^ 


1.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  v,  p.  793-798,  801,  806,  861,  875,  876  sq. 

2.  Mottum.  Germ.  hiat.,  Lc^es,  t.  ii,  p.  334-337;  Huillard-Bréholles,  op.  cit., 
t.  V,  p.  985  sq.  ;  Bôhnier,  p.  384  sq.  Au  sujet  de  cette  lettre  des  princes  allemands 
tt  do  sa  date,  cf.  Ficker  :  Zur  Vermiltlung  der  deutsclien  Fursten  zwischen  Papst 
und  Kaiser,  1240,  dans  les  Mitlltcilungen  des  Instituts  fur  ôslerr.  Geschichtsforsch., 
1882,  t.  III,  p.  337  sq.  ;  Monum.  Germ.  hist.,  Epist.,  t.  i,  n.  768;  Schirrmacher, 
op.  cit.,  p.  41   sq. 

3.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frider.  II,  t.  v,  p.  308.  La  fin  de  ce  docu- 
ment fait  voir  qu'il  a  été  écrit  à  une  époque  où  l'empereur  voulait  se  réconcilier 
avec  l'Église,  c'est-à-dire  pendant  l'été  de  1240.  Schirrmacher,  op.  cit.,  p.  61. 
Mais  l'auteur  de  la  lettre  était  évidemmeiil  un  bien  pauvre  négociateur. 


^ 


1600  LIVRE    XXXVl,     CHAPITRE    11 

De  l'aveu  niriiie  de  Frédéric,  le  pajje  était  disposé  à  faire  la 
paix,  et  l'empereur  déclara,  de  son  côté,  à  ses  partisans  d'Alle- 
magne et  de  Lombardie  qu'il  désirait  vivement  cette  prochaine 
réconciliation.  Mais,  dans  une  lettre  intime  à  son  fils  Conrad,  il 
dit  que,  malgré  les  propositions  raisonnables  à  lui  faites  par  le 
pape  devenu  plus  humble,  il  veut  poursuivre  cette  affaire,  l'épée 
à  la  main,  qu'il  compte  bien  humilier  l'orgueil  du  «  grand - 
prêtre  »  grâce  à  l'armée  levée  dans  son  royaume  héréditaire 
et  qu'il  traitera  le  pape  de  façon  à  lui  ôter  pour  toujours  la 
tentation  d'ouvrir    la    bouche   contre  l'empereur  ^. 

Au  mois  de  juin  1240,  Frédéric  quitta  avec  son  armée  San 
Germano  et  se  dirigea,  à  travers  Sora  et  le  pays  des  Marses,  vers 
la  marche  d'Ancône;  au  commencement  de  juillet,  il  mit 
le  siège  devant  Ascoli,  forteresse  de  la  frontière  pontificale. 
Grégoire  IX  fit  une  dernière  tentative  et  envoya  quelques  car- 
dinaux demander  à  Frédéric  un  armistice  à  la  faveur  duquel  on 
poursuivrait  les  négociations.  Mais  Frédéric  refusant  de  com- 
prendre les  Lombards  dans  cet  armistice,  il  fallut  y  renoncer  et  1076 
la  guerre  continua.  La  marche  d'Ancône  fut  conquise  et 
Ravennc  succomba.  Frédéric  espérait  que  Bologne  et  Faënza  ne 
tiendraient  guère  -, 

Mais,  le  9  août,  Grégoire  IX  convoqua  tous  les  évêques  de  la 
chrétienté  à  Rome  pour  les  Pâques  prochaines  :  les  circonstances 
que  traversait  l'Église  rendant  nécessaire  un  concile  général. 
Les  chapitres  des  cathédrales  et  les  monastères  devaient  aussi  en- 
voyer des  députés,  et  les  princes  séculiers  des  représentants  3.  Dans 
une  lettre  au  cardinal-évêque  d'Ostie  et  aux  rois  d'Angleterre  et 
de  France,  Frédéric  manifesta  son  mécontentement  de  cette 
décision.  Lorsque,  naguère,  lui-même  avait  demandé  un  concile, 
le  pape  n'avait  pas  voulu  se  prêter  à  son  désir;  maintenant, 
voyant  ses  amis  les  Milanais  hérétiques  et  rebelles  sur  le  point 


1.  Huillard-Bréholles,  Ilisl.  diplorn.  Frider.  Il,  t.  v,  p.  1003,  1005,  1007; 
Ficker,  op.  cil.,  p.  344,  croit  que  l'empereur,  pressé  par  les  événements,  était,  à 
cette  époque,  prêt  à  conclure  la  paix  et  la  désirait  sincèrement. 

2.  Huillard-Brcholles,  Hist.  diplorn.  Friderici  II,  t.  v,  p.  1001  sq.,  1014  sq. 
1029  sq.,  1042.  >;oter  que  la  lettre  impériale  (Huillard-Bréholles, //is<.  diplorn. 
Friderici  II,  t.  v,  p.  1014)  est  adressée  au  grand-maître  de  l'Ordre  teutonique 
qui,  peu  de  temps  après,  mourut  à  Rome,  le  24  juillet. 

3.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplorn.  Friderici  II,  t.  v,  p.  1020;  Potthasl. 
Reg.,  p.  024  sq.  ;  Monnni.  Germ.  Iiisl.,   Epist.,  t.  i,  sq.  n.  781. 


G64.  DERNIÈRES  LUTTES  DE  1239  A  1241         1601 

d'être  châtiés,  il  convoquait  un  concile  dans  l'unique  dessein 
de  nuire  à  l'empereur;  il  s'opposait  donc  à  la  réunion  d'une 
assemblée   qui  s'annonçait  comme  devant  lui  être  hostile  ^. 

Frédéric  s'était  fait  illusion  sur  le  siège  de  Faënza.  Il  dura  huit 
mois,  de  la  fin  d'août  1240  au  mois  d'avril  de  l'année  suivante  ^. 

Pendant  ce  temps,  le  pape  apprit  qu'en  Allemagne,  au  dire 
d'Albert  de  Béhaim,  un  grand  nombre  de  princes  et  de  seigneurs 
s'étaient  réunis  à  Bautzen  pour  procéder  à  l'élection  d'un  roi; 
mais,  à  la  suite  de  nouvelles  négociations  avec  l'empereur,  le  roi 
de  Bohême,  jusqu'alors  le  chef  du  parti  pontifical,  l'abandonna 
et  c'est  à  peine  si  Otton,  duc  de  Bavière,  put  l'empêcher  de  faire 
alliance  avec  Frédéric  et  le  décider  à  remettre  la  décision  défi- 
nitive de  cette  affaire  à  une  nouvelle  assemblée  qui  se  tiendrait  à 
Elnbogen.  Le  duc  Otton  était  persuadé  qu'un  accord  entre  l'em- 
pereur et  le  roi  de  Bohême  serait  pour  lui  et  pour  ses  États  (Ba- 
vière et  Palatinat)  uije  menace  toujours  instante;  aussi  le 
légat  supplia  le  pape  de  secourir  le  duc  et  d'écrire  au  roi  de 
Bohême,  pour  empêcher  l'alliance  projetée.  Il  racontait  en 
outre  que  les  évêques  des  bords  du  Rhin,  par  crainte  pour  eux- 
1077  niêmes  et  pour  leurs  églises,  se  disposaient  enfin  à  publier  la  sen- 
tence portée  contre  Frédéric;  en  revanche,  l'archevêque  de  Salz- 
bourg  s'était  ligué  avec  le  duc  d'Autriche,  qui  avait  trahi  la  cause 
du  pape,  et  il  engageait  les  autres  évêques  bavarois  à  ne  plus  obéir 
au  Saint-Siège.  L'archevêque  de  Brème  déployait  vis-à-^is  de 
l'empereur  le  courage  d'un  lion;  l'évêque  de  Strasbourg  était  va- 
cillant. Albert  de  Béhaim  a\'ait  peu  auparavant  déclaré  au  duc  de 
Bavière  que  tous  les  princes  allemands  électeurs,  sauf  lui,  avaient 
perdu  le  droit  de  vote  pour  n'en  avoir  pas  fait  usage  en  temps 
opportun;  aussi  l'Eglise  romaine,  abandonnant  l'Allemagne,  son- 
geait-elle à  faire  élire  en  France,  en  Lombardie  ou  ailleurs,  un 
roi,  un  patrice,  un  protecteur,  ce  ([ui  pourrait  faire  passer  la 
dignité  impériale  à  une  autre  nation.  Le  duc  lui  avait  répondu 
(sans   grand  patriotisme)  :  «  l*lut  à    Dieu    que  le    pape   eût   déjà 


I 


1.  Huillard-BrcholIes///rs<.  diplom.  Friderici  II,  t.  v,  p.  1027,  1037  sq.,  1075 
sq.  Ce  que  donne  Pertz,  Legum,  t.  ii,  p.  337  sq.,  n'est  autre  que  la  lettre  de 
Frédéric  au  roi  d'Angleterre  (Huillard-Brcholles.  flist.  diplom.  Friderici  II,  t.  v, 
p.  1037),  mais  sans  le  comniencement. 

2.  Iluillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Friderici  II,  t.  v,  p.  1050  sq.,  1092  sq.j 
Annal.  Pantal.,  dans  Monum.  Gerni.  Itist.,  Scripl.,  l.  xxii,  p.  534. 

CONCILES-  V    -  lui 


1602  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    II 

fait  ce  que  vous  dites,  j'aurais  pour  ma  part   volontiers  renoncé 
à  mes  deux  voix  (pour  le  Palatinat  et  pour  la  Bavière)  ^.  » 

Dans  une  lettre  écrite  un  peu  plus  tard,  le  5  septembre,  Albert 
de   Béhaim   se   plaint   des   conspirations   tramées   contre   l'Eglise 
romaine  par  les  évêques  allemands.  «L'archevêque  de  Salzbourg 
et  l'évêque    de    Brixen    ont    fait    occuper    tous    les    défilés    des 
Alpes  conduisant  en  Italie  et  le   légat  se   voit    obligé   d'envoyer 
sa  lettre  par  l'intermédiaire  d'une  vieille  femme.  Aussitôt  après 
la  Pâque,   il   a   excommunié   les   archevêques   de   Mayence  et  de 
Salzbourg,  les  évêques  de  Passau,  de  Ratisbonne  et  de  Freising,  le 
duc  d'Autriche    et    les  princes  de  Meissen    et    de  Thuringe...   et 
suspendu  de  leurs  prébendes  les  chanoines  de    Ratisbonne,   parce 
qu'ils  employaient  leurs   revenus    à    équiper   des  soldats  pour  la 
cause  de  l'empereur.  Cette  mesure  a  elTrayé   les   autres   chanoines 
et,  en  un  mois,  tous  les  évêques  de  la   Bavière   seraient   revenus, 
sur   les    instances    de   leurs    chanoines,    à   la    cause    du    pape,    si 
l'évêque  de  Ratisbonne  n'avait  inquiété  le  duc  de  Bavière.  Mais 
les  sentences  portées  par  Béhaim  ont    été    cassées    par   le    pou- 
voir    séculier,    et    les    clercs    obéissants    ont    été    punis.    Depuis 
que  les  chanoines  bavarois  et  les  autres  prélats    sont  assurés  de 
garder  leurs  bénéfices,  ils  ne   redoutent  plus  les   foudres  pontifi- 
cales et  affectent  de   ne   jjIus  s'inquiéter    de  la  suspense.  Le  pape 
doit  donc  s'employer   tout  d'abord  à  regagner  le  duc  de  Bavière, 
écrire  au  roi  de  Bohême  et  à  sa  sœur,  etc.  Qu'il  cite  à  Rome  les   1078 
trois  chanoines    de  Ratisbonne    qui  ont  fait   changer  les  disposi- 
tions du  duc  de  Bavière,  et  quelques  chanoines  d'autres  diocèses. 
Qu'il  engage  enfin  tous  les  clianoines  allemands  à  élire  d'autres 
évêques,    si    les    leurs    désobéissaient    à    Rome,    etc.    L'élection 
d'un  nouveau  roi  a   été   différée  parce  que.  sur  le  conseil  de  son 
père  et  après  la   défection  du    roi    de  Bohême,  Abel,    prince  de 
Danemark,    a    retiré    sa    parole.    On    songe    mainlenant   au    duc 
d'Autriche  et  au  fils  de  sainte  Elisabeth  (le  landgrave  Hermann), 
mais  on  ne  peut  dire  s'ils  sont  disposés  à  accepter.  Si  le  pape  veut 
se  rendre  compte  des    dispositions    des   princes   allemands,   clercs 
ou  laïcs,    pour   le  cas  où  il  voudrait  élire  un  nouveau  roi  ou  un 
capitaine  pour  la  Lombardie  ou  la    Toscane,    qu'il    demande    à 


1.   Huillard-Bréholles;,  op.  cit.,  t.  v,  p.  1023  sq.  ;  Ilôfler,     dans  la  Bibliothek 
dei  liUerarischen  Vereiiis,  t.  x-vi,  p.  14  sq.  Cf.  aussi  Schirrmachcr,  op.  cit.,  p.  62. 


664.  DERNIÈRES  LUTTES  DE  1239  A  1241        1603 

l'évêque  de  Strasbourg  d'envoyer  à  Rome  son  fidèle  stmi,  Henri 
de  Neufïen,   etc.  ^  » 

Grégoire  répondit  par  trois  lettres  adressées  à  Albert  Béhaim, 
au  roi  de  Bohème  et  au  duc  de  Bavière.  Il  loue  modérément  le  pre- 
mier pour  son  zèle,  recommande  au  second  de  ne  pas  soutenir 
l'empereur,  excommunié,  et  enfin  engage  le  duc  de  Bavière  à 
soutenir  maître  Albert  (de  Béhaim)  contre  ses  ennemis.  De  son 
côté,  l'empereur  demandait  au  duc  de  Bavière  d'expulser  de  ses 
États  ce  prêtre  odieux.  Le  duc  Otton  ne  tarda  pas  à  incliner  de 
nouveau  du  côté  du  pape.  Béhaim,  au  contraire,  fut  très  mécon- 
tent, parce  qu'on  n'avait  pas  envoyé  de  légat  et  qu'à  Rome  on 
avait,  pour  des  raisons  politiques,  traité  de  venerahiles  fratres 
quelques  évêques  allemands  excommuniés.  Le  duc  de  Bavière 
et  le  roi  de  Bohème  étaient  mécontents  parce  que  le  pape  se  refu- 
sait à  envoyer  en  Allemagne  un  autre  cardinal-légat  qui  pût,  avec 
plus  d'autorité  que  maître  Albert,  tenir  tête  aux  évêques  ^. 

L'empereur  Frédéric  prit  des  mesures  pour  empêcher  la  réunion 
1079  du  concile,  et  parmi  les  amis  de  l'Eglise,  on  s'effraya  des  dangers 
que,  pouvait  entraîner  un  voyage  à  Rome.  Aussi,  en  octobre  1240, 
le  pape  exhorta-t-il  tous  les  évêques,  princes,  etc.,  à  ne  pas  se 
laisser  intimider,  en  même  temps  que  son  légat,  Grégoire  de  Re- 
mania, concluait  avec  le  podestat  et  le  conseil  de  Gênes  un  traité, 
par  lequel  cette  ville  s'engageait  à  conduire  par  mer  en  toute  sû- 
reté les  prélats  à  Rome  et  à  les  ramener.  De  "plus,  les  légats  en 
France  et  ailleurs  réunirent  des  dons  considérables  qui  permet- 
taient de  couvrir  les  frais  de  cette  traversée  et  de  pourvoir  d'une 
manière  générale  à  la  sûreté  de  l'Eglise;  le  légat  de  Hongrie 
reçut  en  particulier  l'induit  de  commuer  en  un  vœu  d'une  croisade 
contre  Frédéric  les  vœux  de  la  croisade  pour  Jérusalem.  Grégoire 
obtint  en  outre  que  les  Vénitiens,  exécutant  un  traité  conclu  avec 
eux  au  mois  de  septembre  de  l'année  précédente,  envahissent  la 
Fouille,  afin  de  nuire  à  Frédéric  dans  son  royaume   héréditaire  ^. 

1.  nuillard-Bréholles,  Ilisl.  iliplom.  Frid.  II,  t.  v,  p.  1035  sq.,  1047  sq.,  1094 
sq.,  1110  sq.;  Potthast,  Reg.,  p.  925  sq.;  Hofler,  op.  cit.,  t.  xvi,  p.  2G-30;  Schirr- 
macher,  op.  cit.,  p.  89. 

2.  Huillard-Bréholles,  Uisl.  diplom.  Frid.  II,  l.  v,  p.  1052-1058,  lOGl  sq., 
1077  sq.,  1095;  Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  aiin.  1240,  n.  57;  Monum.  Germ. 
hisL,  Epist.,  t.  I,  n.  784,  785,  787,  791,  792,  793,  800,  801,  806,  833-838. 

3.  Huillard-Bréholles,  IlisL  diplom.  Frid.  II,  t.  v,  p.  1089,  1091  nota,  1092, 
1096,  1099,  1108. 


1604  LIVRE    XXXVI,     CHAPItRE    II 

En  retour  Frédéric  ordonna  à  tous  les  siens,  au  début  de  l'an- 
née suivante,  de  capturer  et  piller  tous  les  évoques  et  abbés  qui 
se  rendraient  au  concile.  11  conspira  avec  une  partie  des  Génois,  fit 
surveiller  avec  soin  les  côtes,  chercha  même  à  gagner  à  sa  cause 
les  dominicains  qui,  en  février  1241,  célébraient  à  Paris  un  chapi- 
tre général,  et  lorsque  Faënza  fut  sur  le  point  de  succomber,  il 
se  fit  précéder  par  son  fils  Enzio  en  Lombardie,  afin  de  tout  pré- 
parer pour  faire  la  guerre  aux  rebelles.  Son  dessein  était  de  sui- 
vre son  fils  de  très  près.  Faënza  dut  se  rendre  le  13  avril.  Le 
3  mai,  la  flotte  impériale  vainquit,  près  de  l'île  d'Elbe,  la  flotte 
génoise  qui  transportait  à  Rome  les  évêques  français.  Vingt- 
deux  navires  furent  pris,  trois  coulés  à  fond;  cent  évêques  et 
délégués,  y  compris  les  trois  légats,  le  cardinal-évêque  de  Pa- 
lestrina  et  les  cardinaux  Otton  et  ^Grégoire  de  Romania,  tombè- 
rent au  pouvoir  des  impériaux  avec  les  députés  des  Lombards 
et  quatre  mille  Génois  ^. 

A  la  suite  de  ce  triomphe,  l'empereur  changea  ses  premiers  ■ 

plans  ;  au  lieu  de  s'attaquer  à  Bologne  pour  se  tourner  ensuite 
contre  la  Lombardie,  il  se  décida  à  porter  immédiatement  contre  IO8OI 
Rome  ses  armes  victorieuses.  Pendant  sa  marche,  ou  peut-être 
même  pendant  son  séjour  à  Faënza,'  il  écrivit  en  Allemagne 
plusieurs  lettres  pour  paralyser  les  efl'orts  d'Albert  de  Béhaim 
et  mettre  fin  aux  conférences  inquiétantes  qui  avaient  lieu  entre 
plusieurs  princes.  Le  20  juin,  il  parut  devant  Spolète,  qui  se 
rendit  sans  coup  férir.  Fano  et  Assise  fermèrent  leurs  portes,  et 
Frédéric  les  en  punit  en  ravageant  leur  territoire  ^.  Or,  tandis 
que  le  défenseur  de  l'Eglise,  oubliant  son  rôle,  marchait  en  ennemi 
contre  Rome,  les  Tartares,  menaçant  la  chrétienté  tout  entière, 
envahirent  l'est  de  l'Europe.  Au  lieu  de  défendre  contre  eux 
l'empire  romain,  l'empereur  romain  ne  sUt  que  continuer  la  guerre 
contre  le  chef  spirituel  de  cet  empire.  Frédéric  comprit  cependant 
ce  que  cette  situation  avait  d'odieux  et,  pour  en  rejeter  la  faute 
sur  le  pape,  il  écrivit  (fin  juin)  une  série  de  lettres  aux  rois  d'Eu- 

1.  Huillard-Bréholles,  Ilist.  diplom.Frid.  II,  t.  v,  p.  1112  sq.,  l\lS-il2S;  Annal. 
Slad.,  dans  Monum.  Genn.  hist.,  Script.,  t.  xvi,  p.  367.  Cf.  à  ce  sujet  les  lettres 
des  évêques  français  et  espagnols,  ainsi  que  les  conseils  donnés  par  les  Gé- 
nois au  pape,  le  10  mai,  Monum.  Germ.  hist.,  Epist.,  t.  i,  n.  812  et  813.  Le  pape 
consola  les  prisonniers.  Ibid.,  p.  1136  sq.;  Monum.  Germ.  hist.,  Epist.,  t.  i, 
n.    820-827. 

2.  Huillaid-Bréholles,  IIisl.  diplom.  Frid.  II,  t.  v,  p.  1128,  1130,   1134,  1139. 


664.  DERNIÈRES  LUTTES  DE  1239  A  1241        1605 

rope  et  au  sénat  romain.  Depuis  longtemps,  dit-il,  il  songe  à  dé- 
tourner le  danger  que  les  Tartares  font  'oouriv  à  l'Europe  et 
s'est  résigné  à  subir  en  Sicile  de  graves  désagréments,  afin  de 
combattre  les  Tartares  dès  qu'il  aurait  eu  raison  de  la  rébellion 
de  son  fils  Henri  et  de  celle  des  Lombards  ^.  Mais  le  pape  a  empê- 
ché la  soumission  des  Lombards  et  par  là  fait  courir  à  la 
chrétienté  un  très  grand  danger.  Le  roi  de  Hongrie  l'ayant 
naguère  informé,  par  l'évèque  de  Waissen.  de  l'approche  des 
Tartares,  il  se  décide  à  marcher  vers  Rome  ^,  afin  de  tourner 
immédiatement  toute  sa  puissance  contre  les  ennemis  de  la  foi, 
si  le  pape  le  reçoit  paternellement  et  lui  donne  des  conseils 
apostoliques.  Jusque-là  il  ne  peut  rien  faire,  car  le  pape  recom- 
mencerait ce  qu'il  avait  fait  lors  de  la  croisade,  pendant  laquelle  il 
avait  abusé  de  l'absence  de  l'empereur  pour  envahir  le  royaume 
|L  des    Deux-Siciles.  Si  le    pape     trahit   la    cause    commune    et  la 

t  foi  chrétienne,  les  Romains  et  tous  les  princes  chrétiens  devront 

soutenir  l'empereur  dans  sa  lutte  pour  la  cause  de  Dieu.  La  divine 
1081  Providence,  non  contente  de  protéger  l'empire,  en  augmente 
la  puissance  :  c'est  ainsi  que  le  roi  de  Hongrie  a  proposé  de  se 
soumettre  à  l'empire  si  on  veut  le  protéger  contre  les  Tartares  ^. 
Dans  sa  lettre  au  roi  de  Hongrie,  Frédéric  incrimine  encore  le 
pape;  il  l'engage,  en  attendant  d'avoir  fait  sa  paix  avec  le  Saint- 
Siège,  à  s'entendre  avec  le  roi  d'Allemagne  Conrad,  qui  avait  fait 
des  préparatifs  pour  résister  aux  Tartares  *.  A  cette  époque,  en 
effet,  le  pape  et  l'empereur  entamèrent  des  négociations  en  vue 
de  la  paix  et  le  pape  fit  connaître  tout  son  bon  vouloir  dans 
ses  lettres  au  duc  de  Carinthie  et  au  roi  de  Hongrie.  Grégoire  dé- 
puta donc  à  Frédéric  le  dominicain  Barthélémy,  prieur  du  couvent 


1.  Auparavant  il  avait  coutume  de  dire  qu'il  se  proposait  de  venir  au  se- 
cours de  la  Terre  Sainte  dès  qu'il  aurait  eu  pacifié  la  Lombardie,  mais  que  le 
pape  l'empêchait  de  le  faire.  Huillard-Brcholles,  Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  v, 
p.  360-841,  921  sq.,  985.  Au  lieu  de  la  Terre  Sainte,  il  parlait  maintenant  des 
Tartares. 

2.  Était-ce  bien  là  le  véritable  motif  de  son  invasion  des  États  de  l'Église? 

3.  Huillard-Bréholles,  Hisl.  diplom.  Frid.  II,  t.  v,  p.  1139  sq.,  1148  sq.; 
Bôhmer,  Regesten,    p.     190. 

4.  Huillard-Bréholles,  Hisl.  diplom.  Frid.  II,  t.  v,  p.  1143;  Pertz,  Lcg.,  t.  ii, 
p.  338  sq.;  Bôhmer,  Regesten,  p.  259;  Annal.  Pantah,  dans  Monum.  Germ.  hist., 
Script.,  t.  XXII,  p.  535.  Cf.  G.  Strakosch-Grassmann,  Der  Einfall  der  Mongolen 
in  Mitteleuropa  in  den  Jahren  1241  und  1243,  in-8,  Innsbriick,  1893.  (H.  L.) 


160G  LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE     II 

de  Trente,  mais  Frédéric  ne  voulut  pas  se  soumettre  à  l'Église  à  la 
façon  d'un  pénitent.  11  espéra  que  les  armes  lui  obtiendraient 
une  paix  plus  favorable  et  il  prêta  l'oreille  aux  perfides  excita- 
tions du  cardinal  Jean  de  Colonna,  ennemi  déclaré  du  pape.  Celui- 
ci  lui  conseilla  des  mesures  si  violentes  que  l'empereur  lui-même 
s'étonna  de  les  voir  proposées  par  un  prêtre.  11  promit  pourtant 
de  les  suivre;  il  vint  jusqu'à  Tivoli  par  la  route  de  Terni,  Narni 
et  Riéti;  il  s'empara  de  Tivoli  et  déjà  ravageait  les  environs  de 
Rome,  lorsque  le  pape  mourut,  le  21  août  1241  ^ 


665.  Conciles  de  1239  à   1241. 

Le  premier  des  conciles  célébrés  pendant  les  deux  dernières 
années  du  pontificat  de  Grégoire  IX  (1239-1241)  est,  dans  l'ordre 
chronologique,  celui  de  Tarragone,  réuni  le  18  avril  1239,  par  Pierre 
Albalatius,  archevêque  de  Tarragone  ^.  Nous  ne  possédons  plus, 
de  cette  assemblée,  les  actes,  mais  seulement  un  court  résumé  des 
délibérations. 

1.  Les  clercs  ne  doivent  pas  s'immiscer  dans  les  affaires  laïques. 

2.  Les  incendiaires  et  voleurs  de  grands  chemins  doivent 
être  évités  comme  des  excommuniés  et  privés  de  la  sépulture 
ecclésiastique. 

3.  On  ne  doit  faire  aucune  donation  secrète  des  bénéfices  ecclé- 
siastiques. 

4.  Défense  de  recevoir  deux  canonicats  ou  deux  prébendes  dans 
des  églises  différentes. 

5.  Les   moines    et   chanoines    réguliers    fugitifs   doivent  être    1082 
invités  à  retourner  dans  leur   monastère. 

En  outre,  ce  concile  renouvela  les  constitutions  du  cardinal-légat 
de  Sainte-Sabine  et  insista  sur  leur  observation   : 

1.  Les  juges  et  avocats  doivent,  sous  peine  d'excommunication,  l 


1.  Huillard-Bréholles,  Hisl.  diplom.  Frid.  II,  t.  v,  p.  1145-1148,  115G, 
1157-1159,  1162,  1165;  Bôhmer,  Regesten,  p.  190  sq.,  351;  Monum.  Germ.  hist., 
EpisL,  t.  I,  n.  823-826. 

2.  Martène,  Thés.  nov.  anccd.,  t.  iv,  col.  285;  Script,  vet.  coll.,  t.  vu,  col.  132- 
137;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1437;  Aguirre,  Conc.  Hispan.,  t.  v,  p.  188- 
189;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  514.  (H.  L.) 


665.    CONCILES    DE    ï'239    A     1241  1607 

s'abstenir   d'assister  à  une  justa  ^  qui  se  tiendrait  dans   un   mona- 
stère ou  sur  un  terrain  appartenant  à  un  monastère. 

2.  Ceux  qui  recueillent  des  aumônes  pour  les  églises,  les  hôpi- 
taux et  les  ponts  ne  peuvent  quêter  que  s'ils  ont  des  lettres  de 
l'évêque,  et  même  alors  ils  ne  pourront  prêcher,  mais  se  contente- 
ront de  lire  les  lettres  épiscopales. 

3.  On  célébrera  dans  toute  la  province  les  fêtes  de  sainte  Thè- 
cle,  de  saint  François,   de   saint  Dominique  et  de  saint   Antoine. 

4.  Les  juifs  et  les  sarrasins  doivent  se  distinguer  des  chrétiens 
par  leurs  vêtements.  Ils  n'auront  jamais  ni  femme  ni  nourrice 
chrétienne.  Les  chrétiennes  qui  vivent  avec  des  juifs  ou  des 
sarrasins,  et  qui  ne  les  auront  pas  quittés  dans  le  délai  de  deux 
mois,  seront  privées  de  la  sépulture  ecclésiastique,  quelque  lon- 
gues pénitences  qu'elles  aient  pu  faire,  à  moins  d'une  permission 
expresse  du  métropolitain. 

5.  Enumération  des  jours  de  fête. 

6.  On  ne  pourra  célébrer  trois  messes  que  le  jour  deNoël;en 
d'autres  jours  on  en  pourra  célébrer  deux  en  cas  de  nécessité, 
on  consultera  le  pape  sur  ce  point.  A  la  première  messe,  le  prêtre 
ne  prendra  pas  les  ablutions. 

7.  La  demeure  du  meurtrier  d'un  clerc  ou  d'un  moine  est  frappée 
d'interdit. 

8.  Le  prêtre  doit  préparer  lui-même  les  hosties  avec  du  pur 
froment,  sans  sel  et  sans  levain. 

9.  Les  églises  paroissiales  ne  doivent  pas  être  administrées  par 
des  laïcs.  ,.' 

10.  Les  associations  secrètes  des  clercs  ou  contre  des  clercs 
sont  défendues. 

11.  De  même  les  libelles  contre  le  clergé. 

12.  Est  excommunié  quiconque  a  dérobé  un  bien  d'Eglise, 
quiconque  le  recèle  ou  l'achète.  Le  lieu  où  se  trouve  le  bien 
dérobé   à   l'Eglise  sera  frappé  d'interdit. 

13.  L'évêque  visitant  une  église  doit  être  reçu  avec  honneur 
par  le  clergé, 

14.  Le  clerc  présenté  pour  une   église   paroissiale  ne   doit  pas 


1.  On  appelle  justa  une  sorte  de  duel  ou  tournoi.  Cf.  du  Gange,  Glossarium, 
à  ce  mot.  Mais  ici  ne  s'agit-il  pas  tout  simplement  d'une  séance  de  tribunal  dans 
le  sens  ordinaire  du  mot? 


1608  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    II 

en    prendre     l'administration    avant  d'avoir    obtenu    la  conrir- 
mation  épiscopale. 

15.  Contre  ceux  qui  usurpent  les  biens  des  églises. 

16.  Au  décès  de  tout  évoque,  prélat  ou  autre  bénéficier,  on 
nommera  des  administrateurs  pour  gérer  les  biens  de  l'église 
qu'il  avait  en  bénéfice,  et  on  fera  un  inventaire  ^. 

Un  concile  célébré  à  Tours  en  1239,  sous  l'archevêque  Jubel,  1083 
s'occupa  surtout  de  la  réforme  du  clergé  ^  :  le  clerc  convaincu  d'un 
méfait  pour  la  seconde  fois  perdra  son  bénéfice.  Les  prêtres  ne 
doivent  paraître  en  public  qu'avec  des  manteaux  fermés;  ils  ne 
pourront  recevoir  qu'après  et  non  avant  l'administration  des  sa- 
crements, les  oblations  consacrées  par  une  pieuse  coutume.  Ils 
n'ont  pas  qualité  pour  prononcer  des  sentences  d'excommu- 
nication; ils  ne  testeront  pas  en  faveur  de  leurs  fils  illégitimes  et 
de  leurs  concubines.  Ils  ne  prendront  pas  de  femmes  à  leur  ser- 
vice. On  ne  remplacera  pas  les  dons  en  nature  par  l'argent,  en  ce 
qui  regarde  les  moines.  Les  moines  ne  peuvent,  sans  l'agrément  de 
i'évêque,  exercer  des  fonctions  paroissiales.  L'Inquisition  fut  éta- 
blie à  cette  date  dans  la  province  de  Tours  par  le  canon  1.  Dans 
chaque  paroisse,  I'évêque  aura  trois  clercs  ou  trois  laïcs,  gens 
de  bonne  foi, "qui  jureront  défaire  connaître  à  lui  ou  à  son  archidia- 
cre tous  les  délits  commis  sur  la  paroisse  ou  dans  les  environs, 
et  en  particulier  les  délits  contre  la  foi. 

Un  concile  provincial  célébré  à  Mayence,  en  juillet  1239, 
sous  l'archevêque  Siegfried  III,  et  auquel  assista  Conrad,  roi 
d'Allemagne,  fils  de  Frédéric  II,  s'occupa  du  conflit  entre  le  pape 
et  l'empereur;  I'évêque  d'Eichstadt  se  plaignit  amèrement  des 
magistrats  et  bourgeois  de  sa  ville  épiscopale,  qui,  excommuniés 
endurcis,  l'avaient  chassé,  lui  et  son  clergé,  avaient  forcé  et  pillé 
la  sacristie  de  la  cathédrale.  Le  concile  s'acheva  par  la  consécra- 
tion de  la  cathédrale  de  Mayence  ^. 


1.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii^  col.  513  sq.,  'j97.  En  ce  dernier  endroit, 
Mansi  donne  d'autres  canons  comme  étant  de  ce  synode.  Gams,  KirchengC' 
schicJite  Spaniens,  t.  m,  l""^  part.,  p.  225  sq. 

2.  Maan,  Conc.  Turon.,  t.  ii^  p.  57;  Labbe_,  Concilia,  t.  xi,  col.  565-5G8;  Har- 
douin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  323;  Coleti,  Concilia,  t.  xin^  col.  1437;  Mansi,  Conc. 
ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  498.  (H.  L.) 

3.  Ilartzheim,  Conc.  Gerin.,  t.  m,  p.  567  sq.;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.. 
t.  xxiii,  col.  501,  512;  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  v,  p.  1182: 
Binterim,  Deutsche  Concilien,  t.  iv,  p.  375  sq.  ;  Annales  Erfordienses,  dans  Monun} 


665.  CONCILES  DE  1239  A  1241  1609 

Mentionnons  à  titre  de  curiosité  historique  un  ordre  du  roi  Con- 
rad interdisant  à  l'avenir  d'obliger  les  filles  et  les  veuves  des  bour- 
geois de  Francfort  à  épouser  les  employés  de  la  cour  ^. 

L'invasion  des  Tartares  dont  on  était  menacé  obligea  l'arche- 
1084  vêque  Siegfried  de  Mayence,  qui  était  en  même  temps  procura- 
teur du  royaume,  à  convoquer  en  avril  1241  un  nouveau  concile 
provincial  à  Erfurt,  pour  aviser  à  ce  péril.  On  y  décréta  plusieurs 
statuts  :  le  pouvoir  ecclésiastique  fut  autorisé  à  prêcher  partout 
la  croisade  et  à  absoudre  tous  les  excommuniés  qui  prendraient  la 
croix,  même  pour  les  cas  réservés  au  pape  -. 

Au  mois  de  novembre  1239,  un  synode  célébré  à  Saint-Quentin 
dans  la  province  de  Reims,  sous  la  présidence  de  l'archevêque 
Henri  de  Braine,  exhorta,  sous  peine  d'excommunication  et  d'in- 
terdit, les  nobles  qui  avaient  fait  prisonnier  le  chanoine  et  prévôt 
Thomas  de  Beaumets  à  lui  rendre  la  liberté  et  à  lui  donner 
satisfaction,  ainsi  qu'à  son  Eglise.  S'ils  ne  tenaient  compte  de 
la  présente  admonestation,  les  supérieurs  temporels  de  ces  nobles 
devaient,  sous  peine  d'être  eux-mêmes  excommuniés  et  interdits, 
rendre  la  liberté  aux  prévôts,  et  on  devait  remonter  ainsi  jusqu'au 
roi.  Le  synode  rendit  en  même  temps  deux  édits  généraux  pour 
la  punition  graduée  des  auteurs,  complices  et  auxiliaires  de 
l'incarcération  d'un  chanoine  ^. 

Le  cardinal-légat  Otton  convoqua  deux  synodes  à  Londres  : 
l'un  le  dimanche  de  Lsetare^  l'autre  le  31  juillet  1239.  Dans  le 
premier,  il  donna  aux  bénédictins  des  règles  moins  sévères,  et 
dans  le  second,  il  demanda  des  procurations  et  d'autres  rede- 
vances qui  lui  furent  refusées.  On  a  vu  que  le  cardinal  avait 
voulu  réunir  aussi  un  synode  en  Ecosse;  le  roi  Alexandre  II, 
qui  s'y  était  refusé,  y  consentit  enfin,  mais  à  condition  que  cette 


Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvi,  p.  33;  Bôhmer,  Kaiserregesten,  p.  257;  Pastoralblatt 
fur  das  Bisthuni  Eichstadl,  1854,  p.  44. 

1.  Hiiillard-Brchollcs^  op.  cit.,  t.  v.  p.  1186;  Bohmer,  Urkuudenhuch  der 
Reichstadt  Frankfurt,  p.   68. 

2.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  v,  p.  1214;  Schirrmacher,  op.  cit.,  p.  96 

3.  Saint-Quentin,  sous-préfecture  du  département  de  l'Aisne^  28  novembre 
1239.  Marlot,  Remensis  historia,  1679,  t.  ii,  p.  527;  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col. 
568-571  ;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  325;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1439; 
IMansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  502;  Varin,  Archii^".  administr.  de  Reims, 
1839,  t.  I,  p.  632-636;  Gousset,  Actes  de  la  pro\>.  ecclés,  de  Reims,  t.  ii,  p.  384. 
(H.  L) 


1610  LIVRE     XXXVI,      CHAPITRE    II 

concession  ne  constilAierait  pas  un  précédent. Le  18  octobre  1239, 
fête  de  saint  Luc,  le  légat  célébra  donc  à  Edimbourg  un  synode 
dont  nous  ignorons  les  résolutions  ^. 

Le  concile  provincial  célébré  à  Sens,  sous  l'archevêque  Gautier 
Cornut,  en  1239  ^,  renouvela  les  statuts  du  synode  de  Rouen  de 
1231,  en  particulier  les  canons  4,  5,  6  et  8,  qui,  à  Sens,  devinrent 
les  canons  2  à  7  et  10  à  13.  Cette  assemblée  menaça  d'excommu-  1085 
nication  les  abbés  et  prieurs  qui  ne  se  rendaient  pas  aux 
synodes  (can.  1);  elle  recommanda  dans  les  églises  cathédrales 
la  célébration  solennelle  de  l'office  de  jour  et  de  nuit  (can.  8). 
Elle  rappela  les  ordonnances  du  IV®  concile  de  Latran  concernant 
les  vêtements  des  moines  et  des  chanoines  (can.  9).  Enfin,  elle 
défendit  de  lever  une  sentence  d'interdit  avant  satisfaction 
(can.  14). 

Afin  de  rétablir  en  Bavière  la  paix  troublée  par  Albert  de  Bé- 
haim  et  ses  excommunications  contre  plusieurs  évêques  ba- 
varois, l'archevêque  de  Salzbourg  convoqua  en  1240  un  synode 
à  Straubing  ^  et  le  duc  de  Bavière  y  réunit  une  diète;  mais  le 
défaut  d'entente  entre  évêques  et  seigneurs  empêcha  d'obtenir  au- 
cun résultat.  Le  duc  Otton  promit  simplement  à  l'archevêque  de 
défendre  la  mise  en  circulation  dans  les  villes  et  bourgades  des 
libelles  hostiles;  on  finit  cependant  par  décider  la  réunion  à  Mu- 
nich, au  mois  de  juin,  d'une  nouvelle  assemblée  de  clercs  et  de 
laïcs.  Mais  il  ne  semble  pas  que  cette  assemblée  ait  réalisé  l'u- 
nion. Du  moins,  le  duc  ne  renonça  pas  à  poursuivre  son  projet  de 
faire   élire   un  nouveau  roi*. 

On  a  vu  qu'en  1239  le  pape  avait  envoyé  au  roi  de  France 
Jacques,  cardinal-évêque  de  Palestrina,  pour  le  tourner  contre 
l'empereur  excommunié  ^  et  recueillir  de  l'argent  afin  d'entamer 
la  campagne.  Dans  un  synode  célébré  à  Senlis  en  1240,  l'épis- 
copat  français  accorda  le  vingtième  des  revenus  de  tous  les  pré- 

1.  Wilkins,  Conc.  Britann.,  t.  i^  p.  663-664;  Mansi;,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii, 
col.  511.  (H.  L.) 

2.  Wilkins^  Conc.  Britann.,  t.  r^,  col.  665;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii, 
col.  512,  515. 

3.  Marlène,  Script,  vet.  coll.,  t.  vu,  col.  137-138;  Mansi,  Concilia,  Supplem., 
t.  II,  col.  1055;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  509.  (H.  L.) 

4.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  517;  Binterim,  Deutsche  Concilien. 
t.  IV,  p.  444  sq.  ;  Schirrmacher,  op.  cit.,  p.  59  sq. 

5.  D'après  d'autres  sources,  il  lui  fit  proposer  la  couronne  impériale. 


665.  CONCILES  DE  1239  A  1241  1611 

lats  et  églises  ^  Le  pape  invita    aussi   les    évoques    français    au 
concile  général  qui  devait  se  tenir  à  Rome,  à  Pâques  de  1241. 

Frédéric  II,  voulant  empêcher  la  réunion  de  cette  assemblée, 
fit  occuper  tous  les  passages  débouchant  en  Italie.  Le  cardinal- 
légat  déclara  alors  aux  évoques  français,  dans  un  synode  célé- 
bré à  Meaux  (fin  de  1240)  ^,  qu'il  faisait  préparer  à  [Gênes]  le  maté- 
riel de  la  flotte  nécessaire  pour  les  transporter  à  Rome  par  mer. 
Ils  devaient  en  revanche  lui  promettre  de  répondre  à  l'appel  du 
pape.  Nous  avons  dit  comment  cette  flotte  fut  faite  prisonnière 
près  de  l'île  d'Elbe. 
1086  En  septembre  1240,  ce  même  cardinal-légat  assista,  à  Bour- 
ges, à  une  assemblée  que  Mansi  ^  a  comptée  à  tort  pour  un 
synode.  En  1224,  le  vicomte  Roger  Trincavel  avait  repris 
Béziers,  etc.,  s'était  révolté  contre  Louis  IX  et  emparé  de 
presque  toutes  les  places  du  roi  de  France  dans  les  évêchés  de 
Narbonne  et  de  Carcassonne.  Louis  IX  tint  à  Bourges  un  conseil 
avec  le  légat  et  divers  seigneurs,  barons  et  évêques  ;  il  envoya  une 
armée  à  Carcassonne,  dont  Roger  dut  lever  le  siège  *. 

Dans  un  synode  célébré  à  Tarragone  en  1240,  l'archevêque  de 
Tolède  fut  menacé  d'excommunication  parce  que,  en  sa  qualité 
de  primat,  il  faisait  porter  la  croix  devant  lui  dans  la  province  de 
Tarragone,  etc.  Les  statuts  de  Worcester  sont  de  1240,  et  intéres- 
sants;  mais  simples  décisions  d'un  synode  diocésain,  ils  ne 
rentrent  pas  dans  le  plan  de  notre  ouvrage  ^ 


1.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  571;  Hardouin^  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  329; 
Coleti,  Concilia,  t.  xui,  col.  1443;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  522. 

2.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  571  ;  Hardouin,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  vu,  col. 
327;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1443;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii, 
col.  522.  (H.  L.) 

3.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  520;  Scholten,  Gescliichte  Ludwigs 
des  Heiligen,  t.  i,  p.  161. 

4.  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1443;  Aguirre,  Conc.  Hispan.,  t.  v,  p.  189. 
Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  330;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  521. 

5.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  572-589;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  329 
Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1415;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  524, 
(H.  L.) 


CHAPITRE  III 

L'EMPEREUR  FRÉDÉRIC  II  ET  LE   PAPE  INNOCENT  IV 


666.   Frédéric  II  et  Innocent  IV 
jusquau    treizième    concile    général. 

Frédéric  II  ravageait  la  campagne  romaine  lorsque  mourut 
Grégoire  IX,  le  21  août  1241.  L'annonce  de  cette  mort  aux 
princes  de  la  chrétienté  par  Frédéric  fut  révoltante.  La  mort  venait 
de  le  délivrer  d'un  puissant  adversaire,  vieillard  que  lui-même 
avait  autrefois  vénéré;  il  osa  cependant  commencer  sa  lettre 
par  ce  triste  jeu  de  mots  :  «  Le  mois  d'Auguste  (août)  a  enlevé  1087 
celui  qui  avait  osé  s'attaquer  à  Auguste;  celui-là  est  mort  qui 
avait    jeté  tant  d'hommes  en  péril  de  mort  ^ 

«  Quoique  le  défunt  méritât  notre  haine,  nous  lui  aurions  dé- 
siré plus  longue  vie,  afin  qvi'il  pût  réparer  le  scandale  causé.  Mais 
Dieu,  qui  connaît  les  secrètes  pensées  des  méchants,  en  a  décidé 
autrement;  il  fera  monter  maintenant  sur  le  Siège  apostolique  un 
homme  selon  son  cœur,  qui  réparera  les  fautes  du  défunt.  Nous 
désirons  vivement  nous  réconcilier  avec  l'Église;  nous  ferons  tout 
ce  qui  dépendra  de  nous  pour  protéger  la  foi  catholique  et  la 
liberté  de  l'Église;  nous  n'avons  pris  en  main  le  sceptre  de  l'em- 
pire qvie  pour  défendre  contre  tous  ses  ennemis  la  foi  catholique 
et  notre  mère  l'Église.  Cette  défense  est  maintenant  nécessaire 
contre  les   Tartares,   etc.  » 

A  la  mort  de  Grégoire  IX,  les  cardinaux  peu  nombreux 
qui    se     trouvaient     à      Rome    demandèrent    à    l'empereur    de 

1.  Iluillard-Brcholles,  Hist.  diplom.  Frlderici  11,  t.  v,  p.  1165-1167  :  Vt  qui 
pacem  et  iracialvm  pacis  recipere  denegahni,  ad  universalem  dissensionem  aspirons, 
i'ix  idioris  Augusti  mêlas  excederet,  qui  Augustum  ofjeudere  nitebaiur.  Rêvera 
mortuus  est,  per  quem  pax  deerat  et  vigehat  dissidium  et  quamplures  in  mortis 
periculum  incidebant.  Cf.  Felten.  op.  cit.,  p.  376  sq.  (H.  L.) 


666.    FRÉDÉRIC    II    ET    INNOCENT    IV  l6l3 

remettre  en  liberté  leurs  collègues  Jacques  de  Palestrina  et 
Otton  de  Saint-Nicolas,  prisonniers  depuis  la  bataille  navale  de 
l'île  d'Elbe.  D'après  Matthieu  Paris,  l'empereur  y  consentit,  à 
condition  (pie,  l'élection  faite,  les  cardinaux  reviendraient  en  cap- 
tivité; mais,  d'après  Richard  de  San  Germano,  on  peut  douter 
({ue  ces  cardinaux  aient  pris  part  à  l'élection  ^. 

Au  début,  les  dix  cardinaux  réunis  en  conclave  à  Rome  disper- 
sèrent leurs  voix,  et  aucun  des  deux  candidats  ne  put  réunir  les 
deux  tiers  des  voix  nécessaires  pour  l'élection,  laquelle  n'eut  lieu 
1088  qu'au  mois  d'octobre  2.  Gottfried  ou  Galfrid,  de  Milan,  cardinal- 
évêque  de  Sabine,  fut  élu  pape  sous  le  nom  de  Célestin  IV.  C'était 
un  homme  digne  et  pacifique,  qui  avait  déjà  eu  la  majorité  sim- 
ple des  voix  lors  des  premières  élections,  et  ce  choix  était  agréable 
à  l'empereur.  Mais  le  nouveau  pape  était  âgé  et  malade,  et  mou- 
rut seize  jours  plus  tard.  Plusieurs  cardinaux  s'enfuirent  de  Rome 
à  Anagni,  dans  la  crainte  d'être  forcés  de  procéder  à  une  nouvelle 
élection.  La  vacance  du  siège  dura  un  an  et  demi.  Il  se  peut  que 
plusieurs  cardinaux  qui  aspiraient  à  la  tiare,  ainsi  que  l'empereur  le 
leur  reprocha,  aient  refusé  de  nommer  un  de  leurs  collègues.  Mais 
avant  l'élection  les  cardinaux  exigèrent  de  l'empereur  la  retraite 
de  son  armée,  pleine  liberté  pour  les  membres  du  Sacré-Collège  se 
rendant  au  lieu  de  l'élection,  et  mise  en  liberté  des  cardinaux  ^. 
L'élection  traîna  en  longueur,  parce  que  l'empereur  rejeta  ces 
conditions  ou  du  moins  ne  conforma  pas  ses  actes  à  ses  paroles. 
En  février   1242,    Frédéric   envoya   des   ambassadeurs   à    Rome 

1.  Baronius-Raynaldi,  AntiaL,  ad  ann.  1241,  n.  85,  8L  croit  que  ces  deux  car- 
dinaux ont  pris  part  à  l'élection  de  Célestin  IV;  Bôhmer,  Kaiser regesien,  p.  352, 
ne  le  croit  pas. 

2.  Les  cardinaux  furent  enfermés  dans  le  Septizonium  par  le  sénat  et  1©  peuple 
pour  les  contraindre  à  s'occuper  de  l'élection  d'un  pape;  l'un  d'eux  y  mourut, 
d'autres  furent  sérieusement  malades.  A  la  mort  d'Innocent  IV,  en  1254,  les 
cardinaux  furent  également  enfermés  à  Naples  par  les  citoyens  de  cette  ville, 
si  bien  que  l'élection  fut  faite  au  bout  de  peu  de  temps.  Ce  sont  les  premiers 
exemples  du  conclave  proprement  dit,  et  ce  ne  fut  pas  en  1268,  lors  de  l'élection 
de  Grégoire  X  à  Viterbe,  ainsi  que  le  rapporte  à  tort  le  Kirchenlex.,  2®  édit., 
t.  III,  p.  814,  qu'on  enferma  les  cardinaux  pour  la  première  fois.  Cf.  Vila  Inno- 
cent. IV,  auct.  Nicol.  de  Curbio,  dans  Baluze,  MiscelL,  t.  vu,  p.  356,  405;  Richard 
de  San  Germano,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  381  ;  Potthast, 
Reg.,  p.  940. 

3.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  vi,  p.  92,  94,  97,  204;  Baronius-Raynaldi, 
Annal.,  ad  ann.  1241,  n.  87;  Richard  do  San  Germano,  dans  Monum.  Germ.  hist., 
Script.,  t.  XIX,  p.  382. 


1614  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE   III 


pour  activer  l'élection,  et  écrivit  aux  cardinaux  que,  pour  aplanir 
toute  difficulté,  il  permettait  à  Jacques  de  Palestrina  et  à  Otton 
de  Saint-Nicolas  de  prendre  part  au  vole.  Ils  furent,  en  effet, 
en  avril  1242,  comme  précédemment  après  la  mort  de  Gré- 
goire, transférés  de  Capoue  à  Tivoli,  mais  n'obtinrent  pas  leur 
liberté  ^. 

Frédéric  renouvela  aux  cardinaux  ses  exhortations  entremêlées 
de  reproches,  et  au  mois  de  juillet  il  parlait  «  de  la  profonde  dou- 
leur qu'il  ressentait  du  long-  veuvage  de  l'Eglise  romaine;»  ce  qui 
ne  l'empêchait  pas  d'assiéger  Rome  et  de  ravager  les  environs. 
En  vain  Louis  IX,  roi  de  France,  écrivit  deux  fois  à  l'empereur 
au  sujet  des  évêques  français  prisonniers.  Ses  lettres  n'eurent  au- 
cun résultat,  pas  plus  que  celle  d'un  cardinal  à  Pierre  des  Vi- 
gnes, protonotaire  et  conseiller  intime  de  l'empereur,  pour 
se  plaindre  du  traitement  indigne  et  cruel  infligé  au  cardinal 
de  Palestrina.  Ce  cardinal  fut  gardé  comme  otage,  tandis 
que  le  cardinal  Otton  fut  rendu  à  la  liberté  au  mois  d'août  ^.  Si  1089 
l'on  tient  pour  authentique  une  lettre  mise  sous  le  nom  de  saint 
Louis,  dans  laquelle  il  supplie  les  cardinaux  de  procéder  à  une  au- 
tre élection  pontificale,  il  faut  en  conclure  que,  d'accord  avec 
beaucoup  de  ses  contemporains,  le  roi  de  France  croyait  que 
l'empereur  empêchait  l'élection  ^. 

Il  parut  à  cette  époque,  sous  le  nom  de  Frédéric,  une  violente 
invective  contre  les  cardinaux  ;  Huillard-Bréholles  présume 
avec  raison  qu'elle  n'est  pas  de  l'empereur,  mais  de  l'un  de  ses 
partisans.  En  mai  1243,  l'empereur  marcha  contre  Rome  pour 
la  troisième  fois  avec  une  forte  armée,  dévastant  tout  sur  son 
passage;  il  était  plein  d'espoir,  parce  que  Romanus  de  Porto,  son 
principal  adversaire  parmi  les  cardinaux,  venait  de  mourir  *.  Il 
espérait  voir  bientôt  un  pape  à  son  gré.  Les  cardinaux  dévoués  à  la 


1.  Huillard-Bréholles^  Ilisl.  diplom.  Frid.  II,  l.  vi^  p.  37  sq.  44;  Moniim. 
Germ.  hisl.,  Leges,  t.  ii^  p.  339;  Baronius-Raynaldi,  Annal.,  adann.  1242,  n.  4; 
Richard  de  San  Gemiano,  dans  Monum.   Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  381  sq. 

2.  Huillard-Bréholles,  Ilist.  diplom.  Frid.  II,  t.  \i,  p.  2,  18,  59-63;  en  partie 
dans  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  ii,  p.  340;  Baronius-Raynaldi,  Annal.,  ad  ann. 
1242,  n.  2,  5;  Richard  de  San  Germano,  dans  Monum.  Germ.  ItisL,  Script., 
t.  XIX,  p.  583. 

3.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  vi,  p.  68,  70;  Bôhmer,  op.  cit., 
p.  352,  doute  qu'elle  soit  authentique. 

4.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frid.  II,  i.  vi,  p.  87  sq. 


666.     FRÉDÉRIC    II     ET    INNOCENT    IV  1615 

cause  de  l'Eglise  avaient  enfin  obtenu,  avec  la  liberté  de  leurs 
collègues  prisonniers  eL  de  plusieurs  autres  prélats,  l'éloigne- 
ment  des  troupes  qui  investissaient  Rome  ^,  Enfin,  le  25  juin 
1243,  à  Anagni,  le  cardinal-prêtre  Sinibald  de  Saint-Laurent 
in  Lucina  fut  élu  pape  sous  le  nom  d'Innocent  IV.  L'em- 
pereur, alors  à  Melli,  apprit  cet  événement  avec  grande 
joie;  car  Sinibald  avait  toujours  été  à  son  égard  i>erbo  et  opère 
henevolus  et  ohsequiosus  ;  en  outre,  il  descendait  d'une  des 
plus  nobles  familles  de  l'empire  ^.  Dans  sa  lettre  de  félicitations 
au  nouveau  pape,  l'empereur  l'appelle  son  vieil  ami,  «  et  il  espère 
que,  grâce  à  lui,  sa  réconciliation  avec  l'Église  ne  saurait  tar- 
der ^.  » 
1090  Innocent  IV  exhorta  d'abord  tous  les  évêques  à  remplir  leurs 
devoirs,  à  prier  pour  la  paix  de  l'Église  et  sa  victoire  contre 
les  païens.  Il  engagea  les  Allemands  à  une  croisade  contre  les 
Tartares,  plus  menaçants  que  jamais.  Il  se  félicita  des  progrès 
du  christianisme  en  Prusse  et  tenta  vainement  de  sauver  Jéru- 
salem, qui  l'année  suivante  fut  perdue  à  jamais,  après  le  massa- 


1.  Frédéric  écrit  lui-même  que^  sur  la  prière  des  cardinaux,  il  avait  rendu 
à  la  liberté  leurs  deux  collègues  ainsi  que  de  nombreux  prélats  et  clercs,  et 
avait  renvoyé  l'armée  qui  se  trouvait  devant  Rome.  Winkelmann,  Acta  ined,, 
p.  330.  Cf.  aussi  le  récit  de  Matthieu   Paris.  Potthast,  Reg.,  p.  942. 

2.  La  famille  Fiesco,  de  Gênes,  appartenait  à  la  noblesse  de  l'empire  et  pos- 
sédait plusieurs  fiefs  impériaux.  Raumer,  Holienslaufen,  t.  iv,  p.  121;  Potthast, 
Reg.,  p.  943;  [E.  Berger,  Les  Registres  d'Innocent  IV,  in-4,  Paris,  1884-1897; 
Nicolas  de  Curbio,  Vita  Innocenta,  dans  Muratori,  Script,  rer.  Italie,  t.  m, 
part.  1,  p.  592  ;  Weber,  Der  Kanipf  zwischen  Innocenz  IV  und  Friedrich  II  bis 
zur  Flucht  des  Papstes  nach  Lyon,  Berlin,  1900;  Tammen,  Friedrich  II  und  Inno- 
cenz IV  (1213-1245),  in-B,  Leipzig,  1886;  J.  Maubach,  Die  Kardinàle  und  ihre 
Polilik  um  die  Mitte  des  xiii  Jahrhunderls,  in-8,  Bonn,  1902;  Hauck,  Kirchen- 
geschichle  Deutschlands,  t.  iv,  p.  808  sq.  (H.  L.)  | 

3.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  vi,  p.  90-105,  et  Bôhmer 
(p.  194)  ne  sont  pas  d'accord  sur  la  date  de  cette  lettre.  On  rapporte  aussi 
que  l'empereur,  pressentant  l'avenir,  aurait  dit  :  «  Je  crains  d'avoir  perdu  un 
ami  parmi  les  cardinaux  et  d'avoir  pour  toute  compensation  un  pape  ennemi.  » 
Le  seul  fait  que  le  nouvel  élu  avait  pris  le  nom  d'Innocent,  en  souvenir 
d'Innocent  III,  témoignait  de  ses  sentiments.  D'après  Richard  de  San  Ger- 
mano,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xix,  p.  384,  Frédéric  envoya  au  pape 
pro  hono  pacis,  dès  le  mois  de  juillet,  l'archevêque  Bernard  de  Palerme,  son  pro- 
tonotaire Pierre  des  Vignes  et  Thaddéc  de  Suessa;  ils  furent  reçus  amicalement 
par  Innocent  IV.  Cf.  la  lettre  de  l'empereur  du  26  juillet.  Mon.  Germ.  hist., 
Leg.,   t.  II,  p.  341. 


161G  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    III 

crc  de  tous  les  habitants  chrétiens  ^.  Il  envoya  des  représentants 
demander  à  Frédéric  de  remettre  en  liberté,  suivant  sa  pro- 
messe, tous  les  prisonniers,  clercs  et  laïcs,  détenus  depuis  le 
combat  de  l'île  d'Elbe.  L'empereur  était  invité  à  dire  ({uelles 
satisfactions  il  était  prêt  à  donner  pour  réparer  les  fautes 
qui  lui  avaient  valu  l'excommunication.  De  son  côté,  le  pape 
était  disposé  à  réparer  tous  les  préjudices  causés  par  l'Eglise 
à  rcm])ereur,  et  à  convoquer,  si  besoin  était,  les  rois  et  les 
princes  ecclésiastiques  et  laïques  pour  servir  d'arbiti-cs.  Mais 
il  demandait  que  tous  les  partisans  de  l'Eglise  fussent  compris 
dans   sa   paix  avec  l'empereur  ^. 

Au  lieu  d'accepter  ces  propositions, Frédéric  formula  des  griefs. 
C'est  ce  que  nous  apprend  une  lettre  écrite,  le  26  août  1243,  par 
Innocent  aux  prélats  chargés  de  négocier  avec  l'empereur.  Le 
pape  se  plaint  d'abord  de  ce  que  l'empereur  ^continue  à  s'atta- 
quer au  patrimoine  de  saint  Pierre,  après  en  avoir  envahi,  sous 
Grégoire  IX,  la  plus  grande  partie.  L'empereur  reproche  au 
pape  de  n'avoir  pas  rappelé  ses  légats  de  Lombardie;  mais 
l'Eglise  est  tenue  de  s'occuper  des  Lombards,  ses  alliés, 
jusqu'à  ce  qu'ils  soient  compris  dans  la  paix.  D'ailleurs, 
ce  point  n'avait  pas  été  indiqué  pendant  la  vacance  du 
siège  (durant  laquelle  on  avait  cependant  beaucoup  négocié). 
L'empereur  s'est  honoré  en  rendant  la  lil)erté  au  cardinal  de 
Palestrina  et  à  d'autres,  mais  il  aurait  bien  dû  en  faire  autant  1091 
pour  tous  les  prisonniers.  Si  Frédéric  prend  souvent  le  titre 
de  fils  de  l'Église,  que  ses  œuvres  ne  soient  pas  en  contra- 
diction avec  ce  titre.  Le  pape  serait  bien  empêché  de  rendre 
la  liberté  à  Salinguerra  (seigneur  de  Ferrare),  qui  n'est  pas 
son  prisonnier  ;  le  serait-il,  le  pape  pourrait  le  retenir  en 
toute  justice  parce  (fu'il  avait  excité  contre  l'Eglise  romaine 
la  ville  de  Ferrare,  fief  du  Saint-Siège  et  pour  laquelle  Salin- 
guerra  était  vassal    du    pape.    L'empereur    reproche    en^re   au 


1.  Baronius-Raynaldi,  Annal.,  ad  auii.  l'i'±3,  n.  7,  32,  36,;.52,  et  1244,  ii.  2; 
Potthast,  Reg.,   p.   945-946. 

2.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frid.  Il,  t. y,  p.  112;  Mon.  Genn.  hisL, 
Leges,  t.  II;  p.  342;  Baronius-Raynaldi,  Annal.,  ad  aan.  1243,  n.  14;  Potthast, 
Reg.,  p.  947. 

3.  Dans  cette  lettre  et  ailleurs,  Frédéric  n'est  pas  appelé  imperator,  mais  prin 
ceps,  parce  qu'il  était  excommunié. 


666.    FRÉDÉRIC    II    ET     INNOCENT    IV  1617 

pape  d'avoir  fait  bon  accueil  aux  envoyés  de  l'archevêque  de 
Mayence  (Siegfried  III)  et  d'avoir  donné  à  ce  prélat  des  pou- 
voirs de  légat.  Mais  cet  archevêque  est  un  zélé  partisan  de 
l'Eglise,  et  le  pape  compte  bien  l'honorer  encore  plus  dans  la 
suite.  C'est  à  tort  qu'on  accuse  le  pape  de  ne  vouloir  écou- 
ter aucune  accusation  contre  cet  archevêque,  il  est  au  contraire 
disposé  à  rendre  à  tous  exacte  justice,  et  il  a  recommandé 
à  cet  archevêque  et  à  tous  les  autres  amis  de  l'Église  de  rendre 
à  l'empereur  l'hoiineur  requis.  L'empereur  se  plaint  encore  de 
ce  que,  pour  le  braver  et  pour  favoriser  le  comte  de  Provence, 
le  pape  a  nommé  l'évêque  élu  d'Avignon  légat  dans  ces  con- 
trées. Mais  le  pape  a  fait  cette  nomination  sur  la  demande 
expresse  des  dominicains,  et  sans  aucune  intention  de  braver 
l'empereur.  Le  pape  est,  du  reste,  disposé  à  faire  encore  plus 
pour  le  comte  de  Provence,  à  cause  des  services  qu'il  a  ren- 
dus. C'est  à  tort  qu'on  reproche  au  pape  de  poursuivre  au 
loin  les  hérétiques  (les  albigeois),  tandis  qu'il  laisse  vivre  en 
paix  ceux  de  Lombardie  et  de  Toscane.  Avant  la  rupture  avec 
l'empereur,  l'Église  pourchassait  partout  les  hérétiques,  mais 
depuis,  cela  lui  était  impossible.  Enfin  l'empereur  ne  s'éton- 
nera pas  que  le  pape  refuse  de  recevoir  ses  ambassadeurs,  il 
en  sera  ainsi  tant  qu'il  sera  excommunié.  Les  envoyés  du  pape 
ont  mission  de  déterminer  l'empereur  à  faire  la  paix  avec 
l'Église  et  à  tourner  contre  les  hérétiques  et  les  schismatiques 
les  armes  qu'il  emploie  honteusement  contre  elle;  s'il  s'obs- 
tine,  ils   reviendront  ^. 

L'empereur  ayant  envoyé  au  pape  de  nouveaux  ambassadeurs, 
celui-ci  les  releva  de  l'interdit  pour  qu'il  lui  fût  possible  de  les  rece- 
1092  voir.  Mais  cette  tentative  de  réconciliation  échoua  et  la  guerre 
recommença  ^.  Frédéric  assiégea  Viterbe  qui  venait  d'embrasser 
le  parti  du  pape,  la  citadelle  seule  lui  étant  restée  fidèle;  le  car- 
dinal-diacre Rainier  commandait  les  troupes  pontificales.  Cinq 
semaines  plus  tard,  l'empereur  leva  le  siège,   à  la  suite  d'un  traité 


1.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  v,  p.  113;  Monum.  Germ.  hist.,  Lcges,  t.  ii, 
p.  342  sq.;  Baronius-Rayiialdi,  Annal.,  ad  ann.  1243,  n.  17;  Potthast,  Reg., 
p.  947. 

2.  Au  sujet  d'un  prétendu  voyage  «  secret  »  accompli  à  cette  époque  par  l'em- 
pereur qui  se  serait  rendu  en  Allemagne  pour  se  rencontrer  avec  Henri  Raspe, 
cl'.  Forschungen  zur  deulschen  GeschicIUe,  t.  x,  p.  649. 

CONCILES  —   V  -    102 


1618  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE     III 

conclu  avec  Otton  de  Saint-Nicolas,  commissaire  du  pape  i;  mais 
les  clauses  convenues  n'ayant  pas  été   observées   par  les   soldats 
romains  et  les  bourgeois  de  Viterbe,  plusieurs  partisans  de  l'em- 
pereur tiyant  été  pillés  et  maltraites,  Frédéric  se   plaignit  haute- 
ment de  la  violation  de  la  foi  jurée  et  l'imputa  au  pape,  quoiqu'il 
fût  obligé  de  reconnaître  l'innocence  du  cardinal  Otton  qui  s'é- 
tait trouvé  en  danger  en  voulant  arrêter  les  coupables.  C'est   alors 
que  l'empereur   menaça  les   Romains   de   faire  de  leur  ville  une 
seconde    Babylone  2.    Mais    l'exemple    de    Viterbe    avait    décidé 
plusieurs  villes  et   seigneurs   à   abandonner   la    cause   impériale, 
si  bien  qu'à  la    fin  de  1243,    Frédéric    crut   prudent   de   renouer 
des  négociations  avec    le    pape.    Baudouin,    empereur    de    Cons- 
tantinople,  qui  avait    fui   devant   Vatazes,   et  Raymond,    comte 
de   Toulouse,    réconcilié  depuis  peu  avec  l'Eglise,  s'abouchèrent 
avec  Pierre  des  Vignes  et  Taddée  de    Suessa   et,  le   jeudi   saint 
(31     mars    1244),    la    paix   fut    solennellement   jurée    à    Rome. 
L'Église  et  ses    partisans    devaient    recouvrer    tous    leurs    biens 
tels   qu'au  moment    de    l'excommunication.    L'empereur    devait 
déclarer  ses  regrets  d'avoir  méprisé  les  sentences  de  l'Eglise,  car 
en  matière    spirituelle,    le    pape,    même   pécheur,    a    plein    pou- 
voir sur  les  clercs    et  sur    les   laïcs.    En    satisfaction,   l'empereur 
voulait   fournir    des  soldats  et  de  l'argent  pour  telle  bonne  œuvre 
que  le  pape  indiquerait  ;  il  s'imposerait  des  jeûnes,  rendrait  aux 
prisonniers    tous    leurs    biens    et    doterait     les    hôpitaux    et    les 
églises.  Quant  aux  motifs   qui    lui    avaient    valu    l'excommuni- 
cation,   il      se    conformerait    aux    prescriptions    du    pape,    sauf 
l'honneur    de    l'empire.   Des    stipulations    très  précises  devaient 
garantir  une  sécurité  complète  aux  Lombards  et  aux  autres  alliés  1093 
de  l'Eglise,  dans  la  Romagne  et  dans  la  marche  de  Trévise  ^. 

Quelques  jours  après,  un  cardinal    écrivit    à    l'empereur   Bau- 
douin que  le  pape  ne  croyait  pas  à  la  sincérité  de  Frédéric,  car 


1.  Winkelmann^  Kaiser  Friedrichs  II  Kampf  um  Viterbo,  dans  Historische 
Aufsàtze,  dem  Andenken  von  G.  Waitz  gewidmct,  in-8,  Hannover,  1886,  p.  227- 
305.   (H.   L.) 

2.  Huillard-Bréhollcs,  op.  cit.,  t.  v,  p.  123-416;  Baronius-Raynaldi,  Annal.,  ad 
ann.  1243,  n.  23-28;  Bohmer,  op.  cit.,  p.  196;  Winkelniann,  Acta  inedita,  p.  330. 

3.  Huillard-Bréholles,  up.  cit.,  t.  vi,  p.  140,  146,  168-178;  Mon.  Germ. 
hisL,  Leges,  t.  11,  p.  344-346;  Barouius-Raynaldij  Annales,  ad  ann.  1244,  n.  16, 
17-29. 


666.     FRÉDÉRIC    II    ET    INNOCENT    IV  1619 

ce  qui  se  passait  à  Rome  était  en  contradiction  avec  la  paix  con- 
clue. Le  pape  était  prêt  cependant  à  toutes  les  concessions  possi- 
bles, pour  que  l'on  pût  venir  au  secours  de  la  Terre  Sainte  et  de 
l'empire  de  Constantinople.  Un  autre  cardinal  fit  connaître  à  Fré- 
déric qu'on  s'autorisait  de  son  nom  pour  provoquer  des  trou- 
bles à  Rome  et  pour  exciter  les  Romains  contre  l'Église.  L'empe- 
reur nia  tout  et  cependant  il  entretenait  des  rapports  clandes- 
tins avec  divers  partisans,  notamment  avec  les  Frangipani  ^. 

Le  30  avril,  dans  une  lettre  à  Henri  Raspe,  landgrave  de  Thu- 
ringe,  le  pape  se  plaignit  que  l'empereur  ne  voulût  pas  remplir 
sa  promesse;  il  engageait  donc  le  landgrave  à  poursuivre  l'œuvre 
commencée  dans  l'intérêt  de  la  foi  et  promettait  son  secours  2. 
Huillard-Bréholles   croit   que   ceci  entraîna  la  défection  du  land- 
grave. L'empereur,  qui  faisait  toujours  parade  de  ses  prétendues 
dispositions  pour  la  paix  ^,  invita  alors  le  pape  à  une  entrevue  à 
Narni;  mais  Innocent,  redovitant   quelque   piège,    se  fit   rempla- 
cer par  Otton,  cardinal  de  Porto    (auparavant  de  Saint-Nicolas) 
et    de    sa  personne  se  dirigea,  le  28    juin,  vers  Gênes  par  Sutri, 
De  Gênes  le  pape  s'adressa  au  roi  de  France  et  lui  demanda   de 
se  retirer  à    Reims,    Louis    promit   de    prendre   le  pape   sous  sa 
protection  si  les  pairs    du  royaume  y  consentaient;  mais    ceux-ci 
s'y  opposèrent  par  crainte  de  se  trouver  mêlés  au    conflit  avec 
l'empereur.  Le  pape,  guéri  d'une  cruelle  maladie,  se  rendit   alors 
à    Lyon.  Quoique    appartenant   nominalement   à  l'empire,  cette 
ville   était   à    peu    près   indépendante    et,    presque     enclavée    en 
France,  présentait    un  asile  sûr.  Avant  de  partir,    Innocent  IV 
avait  nommé  le  cardinal  Rainier  son  vicaire  pour  le  Patrimoine, 
le  duché    de    Spolète    et   la    marche    d'Ancône.    Il   justifia    son 
départ  sur  ce  qu'il  ne  se  sentait  plus  en  sûreté  à  Rome  *. 

Pour  parer  ce  coup,  l'empereur  écrivit  aux  princes  (été  de  1244) 
des  lettres  et  un  long  mémoire  destiné  à  rejeter  sur  le  pape  toute 


1.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  L.  vi,  p.  183-I8S. 

2.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  VI,  p.  190;  Monum.  Gerin.  hist.,  Leges,  l.  11^ 
p.    346. 

3.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  vi,  p.  192  sq.,  197. 

4.  Huillard-Bréholles,  Ilist.  diplom.  Frid.  II,  t.  vi,  p.  199-202;  Baronius- 
Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1244,  n.  32  sq.  ;  Nicol.  de  Curbio,  Vita  Innoc.  IV, 
dans  B^luze,  Mise,  t.  vu,  p.  366;  Potthast,  Reg.,  p.  970  sq.  ;  Scholten,  Ludwig 
der  Heilige,  t.  i,  p.  215  sq. 


1620  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE     III 

la  responsabilité.  Il  y  raconte  comment,  aussitôt  après  l'élection 
du  nouveau  pape,  il  s'est  empressé  de  négocier  en  faisant  les  plus 
grandes  concessions  et  les  plus  grandes  promesses,  comment  le 
cardinal  Rainier  a  utilisé  ce  temps  des  négociations  pour  prépa- 
rer la  défection  de  Viterbe,  comment  enfin  on  a  violé  audacieu- 
sement  le  traité,  lorsque  fut  levé  le  siège  de  cette  ville.  Sans 
doute,  la  paix  a  été  conclue,  le  jeudi  saint;  mais  même  alors  le 
pape  a  refusé  d'absoudre  l'empereur,  parce  que  celui-ci  n'avait 
pas  voulu  prendre  Innocent  IV  pour^  arbitre  dans  la  question 
de  ses  droits  et  régales  en  -Lombardie  ^...  Voulant  se  faire 
relever  de  l'excommunication,  Frédéric  avait  demandé  au  nou- 
veau pape  de  lui  faire  connaître  les  motifs  de  la  censure;  mais 
le  pape  y  avait  mis  pour  condition  la  restitution  des  biens  enle- 
vés à  l'Eglise.  L'empereur  avait  déclaré  ne  pouvoir  aller  plus 
loin,  sous  peine  de  se  livrer  désarmé  avant  l'absolution,  ce 
qui  l'eût  mis  entre  les  mains  du  pape,  libre  d'imposer  telle 
condition  qui  lui  plairait.  Les  ambassadeurs  impériaux  avaient 
donc  demandé  à  nouveau  ces  motifs  et  exigé  l'absolution 
de  leur  maître,  dès  qu'il  aurait  satisfait  sur  les  points  indis- 
cutés et  donné  des  garanties  sur  les  faits  douteux.  L'empereur 
de  Constantinople  et  le  comte  de  Toulouse  avaient  vainement 
appuyé  ses  demandes.  Durant  ces  négociations,  les  amis  de  l'em- 
pereur avaient  été  traîtreusement  attaqués  par  les  gens  de 
Viterbe,  etc.  Il  est  vrai  qu'avant  la  signature  du  traité  de  paix 
définitif,  le  jeudi  saint,  un  traité  préliminaire  avait  été  conclu 
avec  le  pape  à  propos  des  Lombards.  Mais  ce  traité  avait  été 
interprété  mal  à  propos. 

Les  ambassadeurs  impériaux  avaient  promis  la  libération  des 
Lombards  prisonniers  et,  en  général,  pour  les  Lombards  la  paix, 
moyennant  le  serment  de  fidélité  à  l'empereur  et  satisfaction 
aux  tribunaux  impériaux  à  propos  des  régales,  etc.  Le  pape  refu- 
sait maintenant  de  faire  exécuter  cette  condition  et  de  convenir  1095|} 
que  les  Lombards  dussent  comparaître  devant  les  tribunaux 
impériaux;  il  demandait  pour  les  prisonniers  la  mise  en  liberté 
sans  condition.  Afin  de  témoigner  de  ses  bonnes  intentions, 
l'empereur  avait  promis  la  restitution  d'une  partie  du  territoire 
pontifical,    si    le  pape    accej^tait   une  entrevue  et  fournissait  la 

1.  Dans  ce  qui  suit,  l'empereur  revient  à  ce  qui  s'était  passé  avant  le  jeudi 
saint. 


666.    FRÉDÉRIC    II     ET    INNOCENT    IV  1621 

garantie  qti'il  ne  s'emparerait  pas  de  l'autre  partie  contre  la 
volonté  de  l'empereur.  Le  pape  avait  refusé,  puis  s'était  décidé 
à  veniràNarni;  il  avait  encore  change  de  résolution  et  s'était 
fait  remplacer  par  le  cardinal  Otton,  auquel  l'empereur  avait 
envoyé  au  sujet  des   Lombards  rebelles  le  mémoire    suivant  : 

«  A  l'égard  des  Lombards  en  rébellion  avant  le  conflit  entre 
l'Église  et  l'empire,  le  pape  décidera  en  qualité  d'arbitre,  mais  il 
exigera  d'eux  au  moins  les  promesses  faites  après  leur  défaite 
de  Cortenuova  (1237),  ou  immédiatement  avant.  Dans  ce  der- 
nier cas,  ils  donneront  autant  d'otages  que  le  pape  le  jugera 
nécessaire  aux  intérêts  de  l'empereur  et  de  l'empire.  C'est  le 
pape  qui  décidera  sur  les  points  douteux  présentés  par  les  deux 
partis  dans  les  deux  projets  de  traité.  »  (Suit  le  texte  des  deux 
traités.)  A  Narni  encore  Frédéric  avait  demandé  qu'au  cas  où 
il  devrait  admettre  le  pape  comme  arbitre,  celui-ci  rompît 
d'abord  son  alliance  avec  les  Lombards  et  n'obligeât  pas  l'em- 
pereur à  exécuter  les  clauses  de  la  paix  de  Constance,  par  la 
raison  que  les  princes  allemands  avaient  regardé  cette  paix 
comme  un  déshonneur  pour  l'empire.  Si  le  pape  n'acceptait  pas 
le  rôle  d'arbitre  à  ces  conditions,  les  députés  des  Lombards 
viendraient  à  Rome  y  conclure,  sous  les  yeux  du  pape,  un 
compromis  avec  l'empereur.  En  toute  hypothèse,  l'empereur 
serait  relevé  de  l'excommunication  :  ses  devoirs  comme  ses 
droits  (au  sujet  de  la  marche  d'Ancône,  du  duché  de  Spolète, 
etc.)  seraient  exactement  fixés.  Il  formulait  ces  demandes,  parce 
que  le  pape  gouvernait  sans  les  cardinaux  (Innocent  IV  avait 
probablement  exclu  de  ses  conseils  les  cardinaux  gibelins)  et 
avait  plusieurs  fois  donné  carrière  à  son  antipathie  contre  l'em- 
pereur et  à  ses  préférences  pour  les  rebelles  Lombards  (exem- 
ples). Il  ne  pouvait  donc  s'en  remettre  à  la  bonne  volonté  du 
pape,  avec  qui  il  eût  désiré  avoir  une  entrevue;  mais  Innocent 
s'était    enfui   vers    Sutri  ^,   déguisé,  à    l'insu   des    cardinaux  et 


1.  Peu  de  temps  auparavant,  le  pape  avait,  dans  l'intérêt  de  l'Église,  créé 
dix  cardinaux  (douze  d'après  Nicol.  de  Curbio),  car  il  n'en  restait  plus  que  sept. 
De  ces  cardinaux,  quatre  restèrent  en  Italie  comme  ses  légats;  les  autres 
prirent  avec  lui  la  route  de  Lyon,  mais  quelques-uns  gardèrent  l'incognito, 
partirent  avant  Innocent  et  se  joignirent  à  lui  à  Suse  en  Piémont.  Baronius- 
Raynaldi,  Annal,  ad  ann.  1244,  n.  31;  Theiner,  Die  zwei  allg.  Concilien,  etc., 
^862,  p.  10-12;  Baluze,  Miscell,,  t,  vu,  p.  362, 


1622  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    III 

accompagne  de  son  seul  neveu.  On  voyait  l>ien  le  vrai  violateur  1096 
de  la  paix  ^.  Après  le  départ  du  pape,  l'empereur  déclara  de 
nouveau  aux  cardinaux  de  Porto  et  d'Albano  qu'il  était  tou- 
jours disposé  à  faire  la  paix,  et  il  chercha  à  gagner  les  Anglais  à 
sa  cause  en  leur  promettant  de  les  exonérer  des  tributs  qui 
leur   avaient   été   imposés    depuis  Innocent    III  ^. 

Le  3  janvier  1245,  le  pape  écrivit  à  tous  les  rois,  prélats  et  prin- 
ces pour  les  convoquer  à  Lyon,  le  jour  de  la  Saint-Jean-Baptiste, 
afin  de  délibérer  sur  le  conflit  entre  l'Eglise  et  l'empereur  et 
aviser  à  secourir  la  Terre  Sainte;  car,  le  17  octobre  1244, 
les  chrétiens  avaient  essuyé  une  terrible  défaite,  dans  laquelle 
presque  tous  les  chevaliers  des  ordres  et  les  barons  avaient  trouvé 
la  mort.  Enfin,  pour  aider  l'empire  romain  qui  courait  grand 
danaer,  concerter  les  movens  d'action  contre  les  Tartares  et  au- 
très  ennemis  de  la  foi,  le  pape  invita  l'empereur  à  assister  per- 
sonnellement au  concile  ou  à  s'y  faire  représenter  ^.  Albert, 
patriarche  latin  d'Antioche,  essaya  encore  une  fois,  sans  succès,  de 
réconcilie!"  le  pape  et  l'empereur  *;  Frédéric  envoya  à  Lyon  Taddée 
de  Suessa  et  d'autres  conseillers  intimes  pour  se  plaindre,  en  pré- 
sence des  cardinaux,  de  la  conduite  illégale  du  pape  et  en  appeler 
à  Dieu,  au  futur  pape,  au  concile  œcuménique,  aux  princes  alle- 
mands et  à  tous  les  rois.  Les  cardinaux  reçurent  vers  ce  temps  un  1097 
mémoire  du  pape  très  vif,  accusant  Frédéric,  de  plusieurs  crimes 
et  recommandant  aux  cardinaux  de  se  garder  des  fausses  appa- 
rences ^ 


1.  Huillard-Bréholles,  Hisl.  diplom.  Frid.  II,  t.  vi,  p.  203-221.  Moins  bien 
dans  Monum.  Germ.  hisl.,  Leges,  t.  ii,  p.  346-352;  cf.  Raynaldi,  1244,  n.  33  sq. 

2.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  vi,  p.  222,  260. 

3.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  vi,  p.  247  sq.  ;  Baronius- 
Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1245,  n.  1;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii, 
p.  608  sq.  ;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  p.  375  sq.  ;  Coleti,  Concilia,  t.  xiv,  p.  42; 
Annal.  PanlaL,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xxii,  p.  539;  Potthast, 
Eeg.,  p.  976.  Cf.  aussi  E.  Berger,  Les  registres  d'Innocent  IV,  Paris,  1881  sq.; 
Scholten,  op.  cit.,  t.  i,  p.  213. 

4.  L'auteur  anonyme  dont  parle  Albert  de  Béhaim  rapporte,  au  sujet  du  pa- 
triarche d'Aquilée,  Berthold  de  Méranie  (frère  de  sainte  Hedwige  de  Pologne 
et  de  la  célèbre  Agnès  de  Méranie),  qu'il  s'était  employé  à  faire  épouser  à  l'em- 
pereur une  princesse  autrichienne  pour  fortifier  en  Allemagne  le  fils  (c'ést-à-dire 
l'empereur)  contre  la  mère  (c'est-à-dire  l'Église).  Cf.  Stuitg.  lit.  Vereirt,  t.  xvi, 
p.  67;  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  vi,  p.  282;  Schirrmacher,  op.  cit.,  p.    129, 

ô.^Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  vi,  p.  266  sq.,  271  sq.,  277- 


667.   CONCILES    DE   1241    A  1245  1623 

Au  mois  de  juin  1245,  tandis  que  Frédéric,  entouré  d'un  grand 
nombre  d'évêques  et  de  princes  allemands,  présidait  à  Vérone 
une  diète  où  il  renouvelait  les  privilèges  accordés  au  duché  d'Au- 
triche et  permettait  à  Henri  de  Hohenlohe,  grand-maître  de 
l'Ordre  teutonique,  de  s'emparer  de  la  Prusse,  le  pape  ouvrait  à 
Lyon  le  treizième  synode  œcuménique  ^. 

Nous  nous  occuperons  de  ce  concile  après  avoir  parlé  de  quelques 
autres  moins  considérables  qui  l'ont  précédé. 


667.  Conciles  de  la  mort  de  Grégoire  IX  (i2êl) 
au  XII I^  concile  général. 

En  1241,  après  la  mort  de  Grégoire  IX  et  pendant  la  vacance 
du  siège,  les  évêques  anglais  célébrèrent  un  concile  à  Oxford.  Cette 
assemblée  prescrivit  des  jeûnes  et  des  prières  pour  l'élection 
d'un  nouveau  pape,  et  décida  l'envoi  à  l'empereur  d'un  député 
pour  lui  demander,  au  nom  de  son  salut  éternel,  de  ne  pas  empê- 
cher l'élection  du  souverain  pontife.  Henri  III,  roi  d'Angleterre, 
appréhendant  de  ce  concile  des  résolutions  fâcheuses,  s'y  fit  re- 
présenter, afin  d'en  appeler  immédiatement  si  ce  qu'il  redoutait 
venait  à  se  produire  -. 

Après  la  mort  de  Célestin  IV,  un  concile  célébré  à  Laval  {Vallis 
Guidonis)  sous  Juhel,  archevêque  de  Tours,  en  1242,  promulgua 
neuf  canons,  visant  l'extirpation  de  certains  abus  dans  les  mo- 
nastères, la  limitation  des  pouvoirs  des  archidiacres  et  des 
doyens,  l'interdiction  aux  clercs  et  aux  moines  de  déférer  leurs 
procès  à  des  tribunaux  civils,  enfin  la  menace  d'interdit  sur  la 
demeure  de  ceux  qui  s'obstinent  une  année  entière  dans  l'excom- 
munication. Remarquons,  en  passant,  le  can.  6  :  certains  chapi- 
tres avaient,  comme  l'évêque,  le  droit  de  jeter  l'interdit  sur  la 


290;  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  ii,  p.  352-354;  Baronius-Raynaldi,  Annales, 
ad  ann.  1245,  n.  2-4;  Alb.  de  Béhaim,  VonHofler,  dans  Bibl.  des  Slutlg.  lit. 
Vereins,  t.  xvi_,  p.  61  sq.,  73  sq. 

1.  Huillard-Bréholles,  Uisl.  diplom.  F  rid.  II,  l.    vi,    p.    291-306;    Bôhmer, 
p.  199. 

2.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xxiii,  p.  549, 


1624  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    III 

cathédrale.    Il  n'était  alors  permis  de  célébrer  le  service  divin  1098 
dans  cette  église  qu'à  huis  clos  ^. 

Le  concile  espagnol  célébré  à  Tarragone  en  1242  s'occupa 
principalement  des  hérétiques,  surtout  des  cathares  et  des  vau- 
doîs.  On  y  détermina,  avec  l'assistance  de  saint  Raymond  de 
Pennafort,  pénitencier  apostolique,  ex-général  des  dominicains, 
qui  l'on  devait  tenir  ])our  hérétique,  ou  credens,  ou  fautor, 
receptor,  defensor  des  hérétiques,  ou  enfin  relapsus,  et  de  quelles 
peines  on  devait  les  punir.  Les  hérétiques  obstinés  seraient 
livrés  au  bras  séculier;  les  repentants,  enfermés  pour  le  reste 
de  leurs  jours;  les  credentes,  fautores,  etc.,  condamnés  à  des 
peines  dont  le  détail  était  spécifié.  On  donna  aussi  des  formu- 
laires pour  la  condamnation  ou  l'absolution  d'un  hérétique,  etc. 
Cette  assemblée  promulgua  quelques  canons  sur  la  fréquenta- 
tion des  conciles  provinciaux,  le  droit  de  jugement  gratuit  des 
évcques.  Elle  défendit  aussi  de  célébrer  plusieurs  messes  le 
même  jour,  etc.  Il  est  utile  de  remarquer,  pour  l'histoire  de 
la  confession,  la  réponse  faite  par  ce  concile  à  la  question  sui- 
vante :  que  doit-on  faire  lorsqu'un  hérétique  ou  un  protecteur 
des  hérétiques  a  confessé  sa  faute  à  un  prêtre  avant  que  l'Inqui- 
sition procédât  contre  lui?  Le  concile  répond  :  «  S'il  résulte  de  la 
déclaration  du  prêtre  que  le  pénitent  s'est  confessé  de  cette  faute, 
on  doit  le  mettre  en  liberté,  quoique  le  prêtre  ait  mal  agi  en  ne 
renvoyant  pas    à   l'évêque  ce  pénitent^.» 

En  1242,  les  évêques  d'Ecosse  se  réunirent  à  Perth,  où  le  roi 
Alexandre  TI  se  rendit  de  son  côté  pour  défendre  aux  barons  et 
aux  chevaliers  les  troj^  fréquentes  attaques  contre  les  biens 
de  l'Église  ^. 

Siegfried  III,  archevêque  de  Mayence,  qu'on  a  vu  en  1239 
réunir  un  concile,  lors  de    la  consécration    de  son  église  cathé- 


1.  Mansi,  op.  cit.,  p.  549  sq.  ;  Hardouin,  Conc.  ampîiss,  coll.,  t.  vii,  p.  347; 
Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  p.  1465. 

2.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  553  sq.;  Hardouin,  Conc.  coll., 
t.  VII,  col.  350;  C.  Schmidt,  Hist.  de  la  secte  des  cathares,  t.  i,  p.  373;  Gams, 
Kirchengesch.  Spaniens,  t.  m,  l''^  part.,  p.  229.  Il  est  bon  de  noter,  au  sujet 
de  cet  usage  de  la  confession  :  1°  que  l'hérésie  était  et  est  un  cas  réservé; 
2°  que  l'intervention  du  confesseur  était  expressément  au  profit  et  à  la 
décharge  du  pénitent.  Cf.  Bertrand  Kurtscheid,  Das  Beichlsiegel  in  seinem 
geschiclitlichen  Entwicklung,  Fribourg-en-Brisgau,  1912. 

3.  Maosi,  Conc.  ampliss,  coll.,  t.  xxiii,  coj.  601, 


i 


1099 


667.   CONCILES   DE    1241    A   1245  1625 

drale,  en  réunit  un  second  le  25  juin  1243,  jour  de  l'éleclion  du 
pape  Innocent  IV,  après  l'achèvement  du  monastère  et  du  cloître 
annexés  à  l'éfrlise.  Dans  cette  assemblée,  Frédéric,  évêque  d'Eich- 
stâdt,  défendit  avec  énergie  et  talent  les  privilèges  et  la  pré» 
séance  de  son  siège  sur  tous  les  autres  sièges  épiscopaux  de  la 
province,  pour  la  raison  que  saint  Boniface,  l'apôtre  des  Alle- 
mands, aurait  nommé  l'évêque  d'Eichstsedt  chancelier  de  l'Église 
de  Mayence  et  représentant  du  métropolitain.  Il  fit  comparaître 
des  vieillards  pour  témoigner  de  la  justice  de  sa  demande,  et  on 
lui  donna  raison.  Aussi,  le  troisième  jour  du  synode,  put-il  procéder, 
en  l'absence  de  l'évêque,  à  la  consécration  des  nouveaux  bâti- 
ments ^. 

Siegfried,  archevêque  de  Mayence,  avait  abandonné,  à  la  fin 
de  1241,  le  parti  de  l'empereur  pour  se  ranger  du  côté  du  pape; 
le  jour  octave  de  l'Epiphanie  de  l'année  1243,  il  frappa 
d'interdit  la  ville  d'Erfurt,  c^ui  avait  pris  parti  pour  Frédéric.  Le 
dimanche  Lœtare,  13  mars  1243,  il  publia  à  Weimar  l'excommuni- 
cation contre  Frédéric  et  contre  les  habitants  d'Erfurt,  et,  le 
30  mai  1243,  confirma  cette  sentence  dans  un  concile  provincial 
à  Fritzlar  ^.  Cette  assemblée  a  publié  toute  une  série  de  statuts 
qui  ont  été  en  partie  renouvelés  par  le  concile  de  1310.  Nous 
n'en  possédons  plus  que  quatorze. 

1.  On  doit  administrer  le  baptême  avec  l'attention  la  plus 
respectueuse,  surtout  en  prononçant  ces  paroles,  desquelles 
dépend  toute  la  valeur  du  sacrement  :  Ego  te  baptizo.  Les  prê- 
tres doivent  enseigner  aux  laïcs  comment,  dans  les  cas  de 
nécessité,  ils  doivent  baptiser  dans  leur  langue  maternelle.  Les 
parents  ne  pourront  baptiser  leurs  propres  enfants  que  dans  le 


1.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  688;  Hartzheim^  Conc.  Germ., 
t.  III,  p.  569;  Binterim,  Deutsche  Concil.,  t.  iv,  p.  378  sq.  ;  Pastoralblatt  d. 
Dioc.  Eichsiâdt,  1854,  p.  12  et  46.  Ficker,  Mittheilungen  des  Instit.  fiir 
ôsterr.Geschichte,  12>è2,  t.  m,  Tp.  sa  sq.,  défond,  en  s'appuyant  sur  des  motifs 
sérieux,  la  distinction  contre  les  deux  conciles  de  1239  et  de  1243  contre  les  Bohé- 
miens, il  les  (Reg.  Conrad  \I,  n.  11)  considère  comme  identiques.  Le  roi  Conrad 
n'a  pu  assister  au  deuxième  de  ces  conciles,  car,  depuis  la  fin  de  1241,  l'arche- 
vêque de  Mayence  avait  changé  de  parti. 

2.  Annal.  Erford.,  dans  Monum.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvi,  p.  34;  Hartzheim, 
Conc.  Germ.,  t.  m,  p.  571,  et  d'autres  historiens  se  trompent  en  plaçant  en  1246 
le  synode  de  Fritzlar.  Cf.  Binterim,  Deutsche  Concilien,  t.  iv,  p.  392;  Schirrmg- 
çher,  op.  cit.,  p.  116,  124, 


1626  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    III 

cas  d'une  extrême  nécessité.  Quand  le  baptême  a  été  ainsi  ad- 
ministré dans  les  formes  voulues,  le  prêtre  doit  le  tenir  pour 
valide  et  se  contenter  de  suppléer  les  cérémonies  et  les 
onctions. 

2.  Dans  chaque  église,  l'eau  baptismale,  le  chrême  et  l'eucha- 
ristie doivent  être  sous  clef,  afin  qu'on  ne  puisse  en  mésuser.  Les 
linges  d'autel  et  les  habits  des  ministres  sacrés  doivent  être  très 
propres  et  convenables.  Il  est  honteux  que  des  prêtres  se  servent, 
pour  traiter  les  saints  mystères,  d'objets  dont  on  ne  voudrait 
pas  dans  le  monde. 

3.  L'église  ou  le  cimetière  pollués  par  l'effusion  du  sang,  ou 
delà  semence  humaine,  ou  par  l'enterrement  d'un  excommunié, 
ne  pourront  être  purifiés  que  par  l'évêque. 

4.  Dans  la  confession,  le  prêtre  ne  doit  interroger  qu'avec  la    liOO 
plus  grande  prudence    sur    les    fautes  extraordinaires,    afin    que 

nul  ne  soit  tenté  de  commettre  une  faute  qu'il  ignorait  jusque- 
là.  Le  prêtre  doit  se  garder  de  trahir  son  pénitent,  fût-ce 
par  un  mot,  ou  un  signe,  même  lorsqu'il  demande  le  con- 
seil d'un  homme  prudent  pour  résoudre  un  cas  de  conscience. 
Celui  qui  commettrait  une  révélation  de  ce  genre  serait 
non  seulement  déposé,  mais  aussi  enfermé  dans  un  monastère 
rigide  pour  y  faire  pénitence.  On  doit  même  s'interdire  toute 
allusion  qui  permettrait  de  découvrir  la  personne  du  pénitent, 
en  indiquant,  par  exemple,  son  ordre  ou  son  rang.  Il  arrive 
aussi  parfois  qu'en  racontant  des  fautes,  on  excite  les  autres 
à  les  commettre.  Le  confesseur  ne  doit  pas  interroger  son  péni- 
tent sur  les  fautes  d'une  autre  personne  connue  de  lui;  il  ne  doit 
pas  non  plus  accepter  de  dire  lui-même  la  messe  qu'il  impose 
comme  pénitence.  Lorsque  la  maladie  le  permet,  on  doit  d'abord 
confesser  en  secret  le  malade  et  lui  apporter  ensuite  avec  solen- 
nité la  sainte  eucharistie.  Trois  péchés  sont  réservés  au  pape  :  les 
voies  de  fait  contre  un  clerc  ou  un  religieux,  l'incendie  des  églises 
et  des  bâtiments  ayant  une  destination  pieuse,  et  enfin  la  simonie 
exercée  à  propos  des  ordinations.  Un  certain  nombre  d'autres 
fautes  graves  sont  réservées  à  l'évêque  :  l'homicide,  le  sacrilège, 
l'incendie  volontaire,  les  péchés  contre  nature,  les  péchés  de 
luxure  avec  des  religieux  et  religieuses,  surtout  les  religieux  déjà 
dans  les  saints  ordres  ;  tout  commerce  incestueux  avec  des  parents, 
des  alliés,  avec  son  compère,  avec  une  personne  ayant  fait  vœu 
de  chasteté,  l'action  de  battre  ses  parents,  l'étouffement  des  en- 


667.    CONCILES     DE    12  il     A    1245  1627 

fants  par  la  négligence  des  parents,  le  fait  de  les  laisser  tomber 
dans  l'eau  ou  dans  le  feu,  l'empoisonnement,  le  parjure  solennel, 
la  violation  de  la  foi  jurée,  la  violation  d'un  vœu,  la  simonie,  l'a- 
dultère, l'hérésie,  l'apostasie,  les  maléfices  qui  empochent  les 
époux  d'accomplir  l'acte  du  mariage,  ou  rendent  les  femmes 
stériles  ou  sujettes  à  des  avortements;  en  outre,  la  falsification 
des  sceaux,  des  lettres,  des  monnaies,  des  documents,  le  faux 
témoignage,  le  blasphème  contre  Dieu  et  contre  les  saints,  la 
bonne  aventure.  Les  prêtres  qui  n'ont  pas  de  pouvoirs  extraor- 
dinaires ne  peuvent  absoudre  de  ces  péchés  que  in  periculo 
juortis.  Ceux  qui  ont  le  pouvoir  d'en  absoudre,  ne  sauraient  com- 
muniquer à  d'autres  ces  pouvoirs. 

5.  On  ne  doit  jamais  conférer  les  bénéfices  ecclésiastiques 
de  façon  que  le  clerc  ne  reçoive  qu'une  portion  du  revenu,  le 
patron  gardant  l'autre  pour  lui.  Celui  qui  est  ainsi  frustré  dans 
son  revenu  doit  le  déclarer  à  l'évêque.  Le  clerc  qui  néglige  de  faire 
cette  déclaration  est  suspens  ipso  jure  et  perd  son  église.  Quant 
au  patron,  on  se  servira  des  censures  ecclésiastiques  pour  l'em- 
1101    pêcher  de  causer  un  pareil  tort  à  l'église. 

3.  On  ne  doit  pas    nommer  de    chanoine    s'il  n'y  a  une    pré. 
bende  vacante,  quand  même  l'intérêt  de  l'Église  semblerait  de 
mander  cette  nomination. 

7.  Avant  d'être  admis  par  l'évêque  à  la  charge  pastorale, 
tout  clerc  devra  jurer  qu'il  n'a  pas  obtenu  son  bénéfice  par 
des  moyens  simoniaques  et  qu'il  ne  laissera  pas  aller  en  des 
mains  étrangères  les  biens  de  son  bénéfice. 

8.  Sauf  les  cas  de  nécessité,  on  ne  peut  ni  entendre  les  confes- 
sions des  fidèles,  ni  leur  administrer  un  sacrement,  sans  l'assenti- 
ment de  leur  propre  curé,  car  il  est  hors  de  doute  qu'un  étranger 
ne  peut  être  ni  absous  ni  condamné  par  un  autre  étranger.  Ceux 
qui  prêchent  au  peuple  devront  répéter  cette  règle  tous  les 
dimanches  et  jours  de  fête. 

9.  Les  recteurs  des  églises  doivent  donner  à  leurs  vicaires  une 
portion  suffisante  des  revenus  de  la  paroisse.  Ils  ne  peuvent  pas 
les  renvoyer  arbitrairement,  mais  seulement  pour  des  motifs 
léo-itimes,  ou  encore  si  le  recteur  veut  lui-même  administrer  sa 
paroisse. 

10.  On  ne  doit  n"  ordonner  ni  placer  les  clercs  étrangers  ou 
inconnus,  s'ils  n'ont  des  lettres  testimoniales  ou  un  dimissoire 
de  leur  évêque. 


1628  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    III 

11.  Les  clercs  ne  peuvent  pas  disposer  par  testament  des 
économies  de  leurs  Lénéfices  en  faveur  de  leurs  bâtards  ou  de 
leurs  concubines. 

12.  Tout  clerc  qui  continue  à  exercer  ses  fonctions,  étantexcom- 
munié  ou  suspens,  sera  déposé  à  tout  jamais  et  déclaré  infâme; 
il  ne  pourra  plus  obtenir  de  bénéfice  ecclésiastique,  sauf  dispense 
du  Siège  apostolique. 

13.  Les  clercs  et  moines  refusent  souvent  d'obéir  à  leurs 
prélats,  craignant  d'être  punis  (par  l'empereur)  soit  de  châti- 
ments corporels,  soit  de  la  confiscation  de  leurs  biens.  Mais  ce 
danger  ne  suffit  pas  à  dispenser  de  l'obéissance.  Seul  celui  qui 
pourra  prouver,  non  par  serment,  mais  par  des  documents 
authentiques  exhibés  à  ses  supérieurs,  qu'il  a  couru  un  danger 
de  mort,  pourra  être  excusé,  mais  il  devra  quitter  sa  place  pour 
ne  pas  paraître  désobéissant.  Dans  les  cas,  au  contraire,  où  il 
s'agit  de  simples  défenses,  par  exemple,  d'éviter  les  excommu- 
niés, ou  de  ne  pas  célébrer  devant  les  personnes  interdites,  une 
crainte,  même  moindre,  suffira  à  excuser. 

14.  Plusieurs  faussaires  étant  parvenus  à  tromper,  à  l'aide  de 
faux  diplômes  pontificaux,  etc.,  les  clercs  n'admettront  dans  les 
églises  et  dans  les  maisons  ceux  qui  les  exhibent  que  si  ces 
pièces  ont  été  examinées  et  déclarées  authentiques  par  l'évêque 
ou  par  son  chapitre;  quiconque  reçoit  ces  documents  sans 
cette  garantie  est  ipso  jure  dépouillé  pour  trois  ans  de  son  office 
et   de   son   bénéfice  ^. 

Si  la  lettre  publiée  par  Hartzheim,  où  le  pape  Innocent  IV  1102 
confirme  les  statuts  d'un  synode  de  Siegfried,  se  rapporte  au 
présent  synode,  ainsi  qu'une  encyclique  de  l'archevêque  faisant 
suite  à  la  lettre  du  pape,  il  faut  en  conclure  que  le  synode  de 
Fritzlar  avait  aussi  publié  contre  ceux  qui  prenaient  les  biens 
des  églises  un  édit,  maintenant  perdu  et  tout  à  fait  semblable  à 
celui  du  concile  de  Trêves  de  1238  ^. 

Deux    conciles    français   de   1243    s'occupèrent    des    cathares. 
En   dépit  de  la   sévérité   avec  laquelle  les  inquisiteurs   domini- 


1.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  725;  Hartzheim,     Conc.   Germ., 
t.  m,  p.  571. 

2.  Hartzheim,  Conc.  Germ.,  t.  iii^  p.  575  s(j.  ;  Binterim,  Deutsche  Concilien, 
%.  IV,  p.  387  8^. 


667.  CONCILES  DE  1241  A  1245  1629 

cains  les  avaient  traités  dans  le  sud  de  la  France  depuis  1233,    ces 
hérétiques  ne  disparaissaient  pas;  ils  se  réorganisaient,  se  choi- 
sissaient des  évêques  et  des  diacres,  célébraient  le  service  divin 
et  des  synodes,  et  trouvaient  un  asile  sûr  dans  plusieurs  châteaux 
de  la  noblesse,  en  particulier  à   Monségur   (aujourd'hui  dans  le 
département  de  la  Gironde).  D'un  autre  côté,  comme  les  domini- 
cains faisaient  emprisonner  un  grand  nombre  de  personnes  sur  de 
simples   dénoncialions  et  en   poursuivaient    beaucoup    d'autres 
sur    de    simples    suspicions,     comme    ils    allaient    jusqu'à    faire 
relever    de   terre    les    corps    de    ceux    qu'on    leur    représentait 
comme    ayant    été    suspects    durant    leur    vie,     ils     devinrent 
bientôt  si  impopulaires  et  si  exécrés,  même  chez  les  catholiques, 
qu'en  1233  trois  d'entre  eux  furent  massacrés  à  Cordes;  les  années 
suivantes,  d'autres  furent  massacrés  ou  chassés  en  divers  endroits. 
A  la  suite  de  nombreuses  plaintes,  le  pape   Grégoire   IX  jugea 
nécessaire,  en  1237,  de  suspendre  les  dominicains  de  leurs   fonc- 
tions dans  le  diocèse  de  Toulouse;  mais  après  sa  mort,   pendant 
la  vacance   du   siège,   l'inquisition   des    dominicains   reparut   en 
décembre    1241,   et   aussitôt   commença   une   persécution    géné- 
rale contre  les  hérétiques.    Quelques  autres    inquisiteurs    furent 
massacrés,  et  Raymond  VII,  comte  de  Toulouse,  fut  excommunié 
comme  modéré.  Ce  seigneur  avait  recommencé  (1242)  la  guerre 
contre  Louis   IX,  roi  de  France,  pour  reconquérir  ce  qu'il  avait 
perdu  en  vertu  du  traité  de  Paris.  Mais  la  défection  de  son  allié, 
le   comte   de   Foix,   et  d'autres  personnages   (1242),   l'obligea   à 
demander  la  paix.  Il  l'obtint,  mais  sur  la  base  des  conventions  du 
traité  de  Paris  et  sur  la  promesse   de  s'employer  contre  les  héré- 
tiques. A  la  suite  de  cet  arrangement,  il  déclara,  dans  un  concile 
tenu  à  Béziers  le  18  avril  1243,  que  les  deux  dominicains  Vincent 
Ferrier  et  Guillaume  Raymond  l'avaient  excommunié  sans  égard 
pour  son  appel  à  Rome.  Sa  ferme  volonté  était  de  purger  son  pays 
de  tous  les  hérétiques;  mais  puisque  son  conflit  avec  les  domini- 
cains (il  ne  les  voulait  pas  comme  inquisiteurs)    ne  pouvait    être 
1103   déféré  au  Saint-Siège,  alors  vacant,  il  consentait,  pour  l'Inqui- 
sition dont  il  ne  voulait   pas  entraver  l'œuvre  et  pour  sa  propre 
personne,  à  s'en  remettre  à  l'arbitrage  des  deux  archevêques   de 
Narbonne  et  d'Arles. 

Deux  jours  après,  Raymond  demanda  aux  évêques  de  ses 
États  :  Toulouse,  Agen,  Cahors,  Albi  et  Rodez,  de  prendre  en 
main    la  direction  de    l'Inquisition,  ou  de  la  laisser  fonctionner 


1630  LIVRE    XXXVI^     CHAPITRK    111 

en  leur  nom.  Mais,  tout  en  relevant  Raymond  de  l'excommu- 
nication, le  pape  Innocent  IV  ne  voulut  pas  que  l'Inquisition 
fût  confiée  d'une  manière  absolue  aux  cvêques,  et,  par  un 
décret  du  10  juillet  1243,  il  rendit  aux  dominicains  leurs  pou- 
voirs, tout  en  imposant  une  certaine  modération  ^, 

Pour  régler  la  procédure  de  l'Inquisition,  les  évêques  des  trois 
provinces  ecclésiastiques  de  Narbonne,  d'Arles  et  d'Aix  se  réu- 
nirent en  concile  à  Narbonne  et  promulguèrent  les  décisions 
suivantes  ^   : 

1.  Les  hérétiques,  leurs  partisans  ou  protecteurs   qui  se  présen- 
tent d'eux-mêmes  au  tribunal,  qui  donnent  des  preuves  de  repen- 
tir,  disent  sur  eux  et  sur    les    autres  toute  la  vérité    et   par   là 
obtiennent  la  remise  de  la  peine  de  l'emprisonnement  (can.  6  du 
synode  d'Arles,   p.    1560),    seront  néanmoins  soumis    aux    péni- 
tences suivantes  :  ils  porteront  la  croix,    et   tous  les  dimanches, 
entre  l'épître  et  l'évangile,  ils  se  présenteront  avec  une  verge  au 
prêtre  pour  en  recevoir  la  discipline.  Ils  seront  soumis  à  la    même 
peine   dans   toutes   les   processions   solennelles.    Le   premier   di- 
manche de  chaque    mois,    après   la    procession  ou    la    messe,    ils 
se    présenteront,    sans    être    habillés    (en    costume    de    pénitent) 
et  avec  une  verge  à  la  main,  dans  toutes  les  maisons  de  la  ville  ou 
de  la  villa    où   ils    ont   autrefois   visité   les    hérétiques;    tous    les 
dimanches  ils  assisteront  à  la  messe,  aux  vêpres  et    au  sermon; 
ils  jeûneront,   et,    au    lieu    d'un    pèlerinage    d'outre-mer    qu'on 
imposait  autrefois  aux  gens   de  leur  espèce,  ils  seront  tenus   de 
visiter  les   limina  sanctorum   (divers   lieux  de   pèlerinage)   et   de 
défendre  pendant  un  certain  temps  à  leurs  propres  frais,  soit  en 
personne,  soit  par  des  représentants,   l'Église  et  les    fidèles    con- 
tre les  Sarrasins  ou  les  hérétiques  ou  les  rebelles,  sui\ant  l'ordre 
du  pape  ou  de  son  légat  ou  des  évêques. 

2.  A  l'avenir,  on  ne  leur  imposera  plus  de  voyage  d'ouirc-mer, 
parce  que  le  pape  les  a  récemment  défendus. 

3.  Si  cela  semble  utile,  on  les  fera  changer  de  résidence. 


1.  Schmidt,  Hist.  de  la  secte  des  cathares,  t.  i,  p.  297-325;  Hahn,  Gesch.  der 
Ketzer  im  Millelalier,  t.  i,  p.  371-385;  Scholten,  Ludwig  der  Heilige,  t.  i, 
p.  899  sq.  Potthast,  Reg.,  p.  944. 

2.  Schmidt,  op.  cit.,  t.  i,  p.  323;  Hahii,  op.  cit.,  t.  i,  p.  385;  Hardouin,  Co?ic. 
coll.,  t.  VII,  col.  250;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1325  sq.;  Mansi,  Conc.  ampliss, 
coll.,  t.  XXIII,  col.  353  sq. 


■S, 


667.    CONCILES    DE     1241     A    1245  1631 

4.  On  construira  des  pi'isons  pour  y  renfermer  les  pauvres 
convertis  de  l'hérésie.  Les  inquisiteurs  devront  pourvoir  à  leur 
entretien,  afin  que  les  évêques  ne    soient  pas  trop  grevés  de  ces 

1104  frais  et  ne  se  trouvent  dans  l'impossibilité  de  subvenir  à  l'entre- 
tien de  tant  de  pauvres. 

5.  Les  inquisiteurs  n'appliqueront  pas  toujours  les  mêmes 
peines,  ils   varieront  selon  les  circonstances. 

6.  Tous  les  coupables  devront  confesser  publiquement  leurs 
fautes,  et  de  leurs  abjurations  on  dressera  ensuite  des  procès- 
verbaux. 

7.  Les  inquisiteurs  peuvent  aggraver  ou  adoucir  les  peines 
décrétées. 

8.  C'est  au  curé  de  surveiller  l'exécution  des  pénitences  impo- 
sées; il  dénoncera  les  négligents  aux  inquisiteurs. 

9.  Le  nombre  des  hérétiques  et  des  credentes  qui  devraient 
être  enfermés  pour  le  reste  de  leurs  jours  (parce  qu'ils  n'ont  pas 
dit  toute  la  vérité  ou  qu'ils  ne  se  sont  pas  présentés  d'eux- 
mêmes  au  tribunal)  étant  très  considérable,  au  point  que  l'on 
trouve  à  peine  les  pierres  nécessaires  pour  construire  les  pri- 
sons indispensables,  sans  parler  des  autres  frais  occasionnés 
par  cette  multitude  de  prisonniers,  on  différera  de  les  amener  en 
prison  jusqu'à  ce  qu'on  ait  consulté  s\ir  ce  point  les  intentions  du 
pape  ;  néanmoins  les  plus  suspects  seront  enfermes  sans  délai. 

10.  Ceux  qui  se  soustraient  à  la  pénitence  sont  des  rebelles  et 
prouvent  ainsi  que  leur  conversion  n'a  pas  été  sérieuse. 

11.  Quiconque  retombe  dans  l'hérésie  après  l'avoir  abjurée 
sera,  sans  autre  procédure,  livré  au  bras  séculier  pour  être  puni. 

12.  Celui  qui,  après  avoir  abjuré,  reçoit  sciemment  ou  favorise 
des  hérétiques  sera  regardé  comme  relaps;  s'il  y  a  des  circon- 
stances atténuantes,  on  se  contentera  de  l'enfermer  pour  le  reste 
de  ses  jours. 

13.  Celui  qui,  sans  être  hérétique,  a  protégé  ou  favorisé  les 
hérétiques  et  retombe,  après  abjuration,  dans  la  même  faute, 
devra  donner  des  garanties  spéciales  et  se  rendre  à  Rome  pour 
que  le  pape  décide  sur  son  fait. 

14.  Sera  regardé  comme  fauteur  des  hérétiques  quiconque 
s'oppose  à  l'extirpation  ou  à  la  punition  des  hérétiques  ou  des 
credentes,  ou  ne  remplit  pas  avec  assez  de  zèle  son  devoir  (sa 
charge  officielle)    contre   ces   hérétiques.  Il   peut   y   avoir   sur   ce 

point  différents   degrés. 


1632  i-lVRE    XXXVI,     CIlAI'lTRE    III 


15.  Sera  également  regardé  comme  fauteur  des  hérétiques 
tout  dépositaire  de  l'autorité  publique  qui  n'en  fait  pas  usage 
contre  eux, 

16.  et  celui  qui,  le  pouvant,  ne  se  saisit  2)as  de  leurs  per- 
sonnes. 

17.  Les  inquisiteurs  dominicains  ne  doivent  pas  imposer  pour 
pénitence  des  amendes;  cela  ne  convient  pas  à  leur  ordre,  et  ils 
doivent  s'en  remettre  sur  ce  point  aux  évêques  et  au  légat  ponti- 
fical chargé  des  pénitences   {legatus  psenitentiarum). 

18.  Aucun  de  ces  coupables  ne  peut  devenir  moine  sans  la 
permission  expresse  du  pape  ou  de  son  légat. 

19.  Nul  n'est  excusé  de  l'emprisonnement,  en  raison  de  l'état 
de  mariage,  des  parents,  des  enfants,  de  l'âge  ou    de  la  santé. 

20.  Relèvent  des    inquisiteurs  ceux    qui  commettent  une  faute 
dans  le  district  ressortant  de  l'inquisition,  ceux  qui  ont  domicile 
sur  ce  district   ou  l'y   avaient   au    début   de   l'enquête,    ou  enfin 
ceux     qui,    sans  y    avoir  de   demeure  fixe,    y  ont  été  cités    ou  ij^05 
arrêtés. 

21.  Tout  inquisiteur  doit  communiqner  à  ses  collègues  les  ren. 
seignements  qu'il  possède  sur  un  accusé. 

22.  Les  noms  des  témoins  ne  seront  pas  publiés;  cependant 
l'accusé  donnera  les  noms  de  ses  ennemis  (ceux-ci  ne  peu- 
vent ensuite  servir  de  témoins)  ;  on  pourvoit  ainsi  suffisamment 
à  la  défense  de  l'inculpé  et  à   la  protection  des  témoins 

23.  Nul  ne  doit  être  condamné  sans  preuves  suffisantes  ou  sans 
son  propre  aveu;  mieux  vaut  laisser  un  coupable  impuni  que 
punir  un  innocent. 

24.  En  matière  d'hérésie,  on  admet  n'importe  qui  à  être  accu- 
sateur  ou  témoin,  sans  en  excepter  les  criminels,  les  infâmes 
ou  les  complices. 

25.  On    n'écartera   comme    sans    valeur    que   les   dépositions  , 
inspirées   par  la  malice  ou  l'inimitié.                                                                  ; 

26.  Celui  qui  nie  obstinément   une  faute   prouvée   sera   traité  ; 
comme  un  hérétique  impénitent.                                                                            a 

27.  Le  témoin  qui  a  déposé  ne  doit  pas  être  interrogé  de  nou-  ;o^ 
veau,  si  ce  n'est  pour  donner  d'autres  renseignements.  ]}j 

28.  Doit-on  ajouter  foi  à  un  confesseur  qui,  seul  et  contre  les  j 
vraisemblances,  affirme  avoir  donné  l'absolution  ou  imposé  la  y 
pénitence  à  un  inculpé  mort  ou  vivant?  On  attendra  sur  ce 
point  la  réponse  du  pape, 


668.    TREIZIÈME     CONCILE    GENERAL    (lyON,    1245)  1633 

29.  Divers  signes  auxquels  on  peut  reconnaître  les  credenies 
(on  voit  que  l'assemblée  ne  distingue  pas  entre  les  cathares  et 
les  vaudois).  Le  concile  termine  en  déclarant  que,  par  ces  règles, 
il  n'entend  i)as  obliger  les  inquisiteurs,  mais  les  soutenir  et 
les    conseiller,  conformément    aux    ordres    du  pape. 

Mentionnons,  en  terminant,  un  synode  espagnol  tenu  à  Tarra- 
gone  en  janvier  1244  i,  et  un  synode  danois  à  Odensée  {Othonien- 
sis),  en  1245,  sous  la  présidence   d'Uiïo,   archevêque  de   Lund  -. 

Le  premier  a  renouvelé  plusieurs  anciennes  ordonnances, 
en  particulier  du  quatrième  concile  de  Latran  et  du  concile 
de  Lérida  (1229).  Le  second  a  menacé  d'anathème  les  usurpa- 
teurs des  biens  des  églises  et  ceux  (|ui  méprisaient  le  service 
divin. 


668.  Treizième  concile  général  célébré  à  Lyon  en  1245  ^. 

Les  opérations  du  XII I^  concile  œcuménique  nous  sont  con- 
nues   par    deux    documents    contemporains   de    grande    impor- 
tance  :   le   premier  est  l'ouvrage  de   Matthieu   Paris:   le  second, 
anonyme,    a    pour  titre  :  Brevis  nota  eorutti.   quee  in  primo  con- 
106  cilio  Lugdunensi    generali    gesta   sunt.    Ces    deux    documents    se 


1.  Martène,  Thés.,  t.  iv,  p.  288-289;  Coleti,  Concilia,  t.  xiv,  col.  37;  Aguirre, 
Conc.  Hispan.,  t.  v,  p.  193-194;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxni,  col.  604. 
(H.   L.) 

2.  Odensée,  capitale  de  l'île  de  Fionie.  Labbe,  Concilia,  t.  xr,  col.  2348;  Har- 
douin,  Conc.  coll.,  t.  vn,  col.  375;  Coleti,  Concilia,  t.  xiv,  col.  37;  Mansi,  Conc. 
ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  404.  (H.  L.) 

3.  JJrevis  nota  eorum  qusa  in  primo  concilia  Lugdunensi  generali  gesta  sunt, 
daus  Monum.  Germ.  hist.,  Leges,  scct.  iv,  t.  ii,  p.  513,  n.  401  ;  Relatio  de  concilio 
Lugdunensi,  dans  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  G10-G13;  Matthieu 
Paris,  dans  Monum.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xxviii,  p.  25G-266;  Paco,  cdit.  Th.  G. 
V.  Carajan,  Zur  Geschichte  des  Konzils  ^>on  Lyon,  dans  Denkschrijten  der  Wie- 
ner yl/iadcmte,  1851,p.  67sq.;  Winkelmann,  Actainedita,t.  u,\i.  717;  Wilhelm, 
Die  Schriften  des  Jordancs  von  Osnabrlick,  dans  Mitlheil.  d.  Instil.  ôsterr.,  t.  xix, 
p.  615  sq.  ;  t.  xxiv,  p.  353;  Graucrt,  Jourdain  d'Osnabriick  et  la  Noticia  sœculi, 
dans  Mélanges  Paul  Fabre;  Michacl,  Zum  Pavo  des  Jordanes  von  Osnabriick, 
dans  Zeitschrift  fur  katholische  Théologie,  t.  xxiv,  p.  751  ;  Binius,  Concilia,  1618, 
t.  III,    col,   1482-1490;  Severt,  //te/-.  Lugdun.,  1628,  p.   271-272;    Coll.    regia 

CONCILES-  V  -  103 


1634  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    III 

trouvent  dans  les  collections  de  Coleti,  Ilardouin  et  Mansi  ^. 
La  Breuis  nota  est  identique  au  récit  des  Annales  Cesenates^. 
Th.  G.  von  Carajan  a  publié  à  Vienne,  en  1850,  un  troisième 
document  intitulé  Pavo-,  c'est  une  pièce  de  vers,  œuvre  d'un 
gibelin  anonyme.  Tous  les  membres  du  synode  y  sont  repré- 
sentés sous  forme  d'oiseaux,  et  le  pape  comme  un  paon.  Mais  l'ap- 
port historique  de  cette  satire  est  insignifiant.  D'après  la 
Brevis  nota,  le  concile  s'ouvrit  la  veille  de  la  fête  de  saint 
Pierre  et  saint  Paul,  28  juin  1245,  dans  la  cathédrale  de  Lyon; 
tandis  que  Matthieu  Paris  place  la  première  session  au  26  juin,  et 
dans  le  réfectoire  du  monastère  de  Saint- Just,  En  réalité,  la  pre- 
mière session  de  la  Bre<^is  nota  coïncide  avec  la  seconde  session 
de  Matthieu  Paris;  aussi  peut-on  regarder  la  session  du  26  juin, 
dans  le  réfectoire  de  Saint-Just,  comme  une  réunion  prélimi- 
naire. 

Au  dire  de  Matthieu  Paris,  des  prélats  de  presque  toute  la 
chrétienté  assistaient  au  concile  ou  y  étaient  représentés.  Y 
étaient  aussi  les  ambassadeurs  de  l'empereur  et  de  plusieurs 
princes.  Beaucoup  d'évêques  s'étaient  excusés  sur  des  motifs 
canoniques.  Il  ne  vint  personne  de  la  Hongrie,  encore  occu- 
pée   par    les    Tartares;    et   de    l'Allemagne    peu    d'évêques    ^, 


t.  XXVIII,  col.  413;  Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1240,  n.  52-58;  ad  ann. 
1245,  n.  1,  n.  24-64;  Labbe,  Concilia,  t,  xi,  col.  633-675;  Hardouin,  Conc.  coll., 
t.  VII,  col.  375-406;  Colonia,  HisU  litt.  Lyon,  1730,  t.  n,  p.  254-282;  Coleti,  Con- 
cilia, t.  XIV,  col.  39;  Van  Espen,  Opéra,  1753,  t.  iv,  p.  99-137;  Mansi,  Concilia, 
Supplem.,  t.  II,  col.  1071;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  606;  A.  Maret,  Pre- 
mier concile  général  tenu  à  Lyon,  en  1245,  dans  la  Revue  des  Lyonnais,  1837, 
t.  VI,  p.  417-461  ;  A.  Thciner,  /  due  concilii  generali  di  Lione  del  1245  e  di  Costanza 
del  1414,  inlorno  al  dominio  temporale  délia  S.  Sede,  considerazioni,  Roma,  1861  ; 
trad.  franc.,  Bar-le-Duc,  1877  ;  Tangl,  Die  sogenannle  Brebis  nota  iiher  das  Lyoner 
Concil  1245,  dans  Mittheil.  d.  Instit.  ôslerr.  Geschichsf.,  189",  t.  xii,  p.  246-253; 
Potthast,  p.  992  sq.  ;  Bôhmer,  Regesl.,  p.  536  ;  Huillard-BréhoUes,  Hist.  diplom, 
Frid.  IL,  t.  vi,  p.  278-290.  (H.  L.) 

1.  Bôhmer,  Kaiserregesten  unter  Philjpp,  p.  536,  donne  les  deux  documenta 
qui  se  trouvent  dans  le  Lii're  des  missives,  d'Albert  de  Béhaim  {Stuttg.  litcrar. 
Verein,  t.  xvi,  p.  61  et  73),  comme  des  sources  d'une  grande  imporlaiico  pour 
l'histoire  du  j)rcsent  synode.  Il  oublie  que  ces  deux  documents  se  rapportent 
à  une  époque  un  peu  antérieure,  aussi  les  avons-nous  plusieurs  fois  cités  dans  l© 
§  666. 

2.  Muratori,  Script,  rer.  Ital..  l.  xiv,  col.  1098. 

3.  Huillard-Bréholles  se  trompe  lorsque  (t.  vi,  p.  317,  note)  il  soutient,  sur 
l'autorité  d'Albert  de  Stade,  qu'aucun  évêque    allemand  ne  parut  au  synode. 


668.     TREIZIÈME     CONCILE     gÉ.nÉHAL    (lYOX,      1245)  1635 

beaucoup  d'entre  eux  se  trouvant  avec  l'empereur  à  Vérone 
L107  ot  d'autres  n'osant  pas  braver  la  défense  expresse  de  Frédéric. 
Le  pape  le  dit  sans  détours  à  Thaddée  de  Suessa.  Mansi  a  pu- 
blié deux  lettres  où  il  a  cru  voir  les  efforts  de  l'empereur  ou 
de  l'un  de  ses  partisans  pour  empêcher  la  réunion  du  con. 
cile  ^.  Mais  il  s'est  trompé  :  ces  deux  lettres  n'ont  pas  trait  au 
concile  de  Lyon,  mais  au  concile  convoqué  à  Rome  par  Gré- 
goire IX  "^.  La  première  de  ces  lettres,  écrite  par  un  clerc  français 
ou  espagnol,  dépeint  les  dangers  auxquels  s'exposent  les  pré- 
lats qui  se  rendent  au  concile  convoqué  par  le  pape.  L'autre 
est  une  lettre  de  l'empereur  au  cardinal-évèque  d'Ostie,du  mois 
d'août  1240.  Nous  avons  déjà   utilisé  ces   documents. 

L'évèque  de  Beyrouth  représentait  les  chrétiens  de  Terre  Sainte. 
Munster  ^  a  montré  que  plusieurs  évêques  danois  avaient  assisté 
au  concile;  Farlati  ^  a  constaté  la  présence  de  Jean,  archevêque 
de  Raguse;  enfin  la  collection  des  documents  faite  d'après  les 
ordres  du  pape  contient  les  signatures  des  prélats  suivants  : 
patriarches  Nicolas  de  Constantinople,  Albert  d'Antioche,  Ber, 
thold  d'Aquilée;  les  archevêques  Philippe  de  Bourges,  Boniface 
de  Cantorbéry,  Albert  d'Armagh  (primat  d'Irlande),  Joël  (Juhel) 
de  Reims,  Américus  de  Lyon,  Gérard  de  Bordeaux,  Gilonde  Sens, 
Odon  de  Rouen,  Gaufrid  de  Tours,  Guillaume  de  Besançon, 
Jean  d'Arles,  Jean  de  Compostelle,  Pierre  de  Tarragone, 
Jean  de  Braga,  Léon  de  Milan,  Vital  de  Pise,  Marin  de  Bari, 
Ispanus  d'Auch.  Parmi  les  évêques,  on  cite  Robert  de  Liège 
et  Nicolas  de  Prague,  tous  les  deux  faisant  partie  de  l'empire 
d'Allemagne  s.  Outre  l'archevêque  de  Bari,  Marin,  déjà  men- 
tionné, se  trouvait  au   concile    un    autre    évêque    du     royaume 

Albert  dit  au  contraire  :  Plures  episcopi  Teuionise  ad  concilium  non  werunt. 
Mon.  Germ.  hisL,  Script.,  t.  xvr,  p.  369.  D'après  les  Annal.  Wormat.,  dans  Mon. 
Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvii,  p.  49,  les  archevêques  de  Cologne  et  de  Mayonce 
se  trouvaient  à  Lyon  à  Pâques  de  1245,  et  promirent  d'apporter  leur  con- 
cours au  pape  dans  sa  lutte  avecrempereur.  C'est  seulement  à  la  sentence  con- 
tre 1  empereur  qu'aucun  prince  allemand  ne  %  oulut  prendre  part,  du  moins 
d'après  le  récit  de  l'empereur  Frédéric.  Cf.  IIuillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  vi, 
p.  336. 

1.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxui,  col.  677,  682. 

2.  Voir  §  664. 

3.  Beitràge,  t.  i,  p.  109. 

4.  Illyricum  sacrum,  t.  \i,  p.  101. 

5.  Huillard-Bréholles,  llist.  diplom.  Frid.  II,  t.  vi,  p.  317. 


1636  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    III 

de  Naples,  celui  de  Calénum,  L'archevêque  de  Païenne  y 
assistait  à  titre  de  représentant  de  l'empereur.  Dans  la  réu- 
nion préliminaire  tenue  par  le  pape  avant  l'arrivée  de  tous 
les  prélats,  au  rapport  de  Matthieu  Paris,  on  remarqua,  outre 
les  cardinaux  et  patriarches  (latins),  Baudouin  empereur  de 
Constantinople,  le  comte  de  Toulouse,  les  envoyés  de  l'Angle- 
terre et  cent  quarante  évêques  ^.  Le  patriarche  de  Constanti- 
nople exposa  le  premier  la  triste  situation  de  son  Église,  Il 
avait  plus  de  trente  évêques  suffragants,  il  lui  en  restait  à  1108 
peine  trois.  Les  Grecs  et  les  autres  adversaires  avaient  con- 
quis l'empire  de  Romanie  presque  jusqu'aux  portes  de  Con- 
stantinople. 

Plusieurs  évêques  sollicitèrent  la  canonisation  d'Edmond,  mort 
récemment  archevêque  de  Cantorbéry;  mais  le  pape  répondit  que 
le  concile  avait  à  s'occuper  immédiatement  d'affaires  plus  impor- 
tantes. Thaddée  de  Suessa  proposa  alors,  de  la  part  de  son  maî- 
tre, de  nouvelles  conditions  de  paix.  Frédéric  se  faisait  fort  de 
ramener  à  l'unité  ecclésiastique  romaine  tout  le  royaume  de 
Romanie  :  il  annonçait  qu'il  allait  combattre  énergiquement  les 
Tartares,  les  Chorosmines,  les  Sarrasins  et  autres  ennemis  de 
l'Eglise;  il  voulait,  ajoutait-il,  améliorer  à  ses  dépens  et  par  lui- 
même  la  triste  situation  de  la  Terre  Sainte;  enfin  il  consentait 
à  rendre  à  l'Église  romaine  ce  qu'il  lui  avait  pris  et  à  donner  sa- 
tisfaction pour  le  reste.  Le  pape  répondit  :  «  Voilà  de  belles 
promesses,  mais  qui  ne  seront  jamais  exécutées.  Aujourd'hui  que 
la  cognée  est  à  la  racine,  elles  doivent  servir  à  tromper  le  concile, 
à  le  dissoudre  et  à  faire  différer  la  sanction.  Que  l'empereur  res- 
pecte d'abord  la  paix  jurée  en  son  nom  le  jeudi  saint,  et  je  n'au- 
rai plus  d'arrière-pensée.  Mais  comment  saisir  ce  Protée  qui 
change  constamment  de  figure?  Qui  se  fera  sa  caution?  »  Thad- 
dée pro})Osa  alors  les  rois  de  France  et  d'Angleterre  comme 
caution  de  son  maître;  mais  le  pape  refusa  et  répondit  :  «  Si 
l'empereur,  ainsi  que  tout  son  passé  le  fait  supposer,  man(|ue  une 

1.  Cette  réunion  préliminaire  avant  l'arrivée  de  plusieurs  prélats  ayant  compté 
cent  quarante  évêques,  on  peut  en  conclure  que  le  nombre  des  évêques  a  été 
encore  plus  considérable  dans  les  sessions  proprement  dites.  L'auteur  contem- 
porain de  la  Chronique  d'Erfurt  parle  de  deux  cent  quarante  évêques.  Bôhmer, 
Fontes,  t.  ii,  p.  403  ;  Monurn.  Germ.  hist..  Script.,  t.  xvi,  p.  34.  Sur  le  nombre 
des  membres,  cf.  Carajan,  op.  cit.,  p.  12  sq.  Le  troisième  document  édité  par  lui 
prétend,  mais  à  tort,  que  saint  Louis  était  au  concile  de  Lyon.  Ibid.,  p.  14  sq. 


668,   TREIZIÈME    CONCILE    GENERAL   (lYON,     1245)  1637 

fois  de  plus  à  sa  parole,  il  faudra  faire  auprès  de  ces  deux  rois  des 
instances  fâcheuses,  et  l'Église  aura  trois  ennemis.  »  Ce  raison- 
nement troubla  Thaddée.  En  terminant,  l'évêque  de  Beyrouth 
lut  une  lettre  des  barons  restés  en  Terre  Sainte  qui  racontaient  le 
triste  état  de  leurs  affaires  et  demandaient  du  secours. 

La  première  session  proprement  dite  eut  lieu  le  28  juin,  dans  la 
cathédrale  de  Saint- Jean.  A  l'issue  de  la  messe,  le  pape  monta 
sur  un  trône.  A  sa  droite  s'assit  l'empereur  de  Constantinople,  à 
sa  gauche  quelques  princes  temporels  et  les  secrétaires,  c'est-à- 
dire  le  vice-chancelier  pontifical  et  cardinal-diacre  Martin  de 
1109  Naples  avec  les  notaires,  etc.  Au-dessous  les  prélats  avaient  pris 
place,  en  sorte  que  les  patriarches  de  Constantinople,  d'Antioche 
et  d'Aquilée  étaient  en  face  du  pape.  Une  discussion  s'éleva  au 
sujet  de  ce  dernier  (Berthold  de  Méran,  auparavant  partisan 
de  l'empereur),  les  autres  patriarches  ne  voulant  pas  le  souffrir 
à  leur  rang,  parce  qu'il  n'était  pas  du  nombre  des  quatre  patri- 
arches proprement  dits.  Son  siège  fut  renversé,  puis,  sans  doute 
pour  éviter  d'autres  scandales,  rétabli  sur  l'ordre  du  pape.  Dans 
la  nef  de  l'église  se  trouvaient,  à  droite  sur  des  sièges  élevés,  les 
cardinaiix-évêques,  à  gauche  les  cardinaux-prêtres,  après  eux 
les  archevêques  et  les  évêques;  les  autres  sièges  de  la  nef  étaient 
occupés  par  les  autres  évêques,  les  abbés,  les  envoyés  des  chapi- 
tres, les  ambassadeurs  des  rois  et  de  l'empereur,  d'autres  per- 
sonnes  encore.  Lorsque  tous  eurent  pris  place,  le  'pape  entonna 
le  Veni  Creator  Spiritus,  dit  ensviite  les  oraisons  accoutumées 
et  prononça  un  beau  discours  {satis  déganter)  sur  le  verset 
19  du  psaume  xciii  :  '(  Après  mes  nombreuses  douleurs,  des 
consolations  ont  réjoui  mon  âme^.  »  Il  compara  ses  cinq  dou- 
leurs aux  cinq  plaies  de  Notre-Seigneur.  Sa  première  douleur 
provenait  des  péchés  du  haut  et  du  bas  clergé,  il  s'exprima  sur 
ce  point  avec  assez  de  détails;  sa  seconde  était  causée  par  les 
Sarrasins,  qui  avaient  pris  Jérusalem,  ravagé  le  Saint-Sépulcre, 
tué  une  multitude  de  chrétiens;  la  troisième,  par  les  grecs  schis- 
matiques,  dont  l'empereur  Vataze  avait  presque  tout  conquis 
jusqu'aux  portes  de  Constantinople,  et  cette  ville  courait  grand 
risque,  si  on  ne  la   secourait   promptement.    La    quatrième  dou- 


1,  D'après  Matthieu  Paris,  le  pape  aurait  prêché  sur  ce  passage  des  La- 
mentations, I,  12  :  «  O  vous  tous  qui  passez,  voyez  s'il  est  une  douleur  sem- 
blable à  ma  douleur  !» 


1 


1638 


LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    III 


leur  était  causée  par  la  sauvagerie  des  TarLares,  envahisseurs 
de  la  Hongrie  où  ils  massacraient  tout,  sans  distinction  d'âge  et 
de  sexe.  Enfin  la  cinquième  douleur  provenait  de  la  persécution 
dirigée  contre  l'Église  par  l'empereur.  Frédéric  prétendait, 
dans  ses  lettres  répandues  partout,  n'avoir  pas  combattu  l'Eglise, 
mais  Grégoire  IX.  Explication  inadmissible,  car  pendant  la 
vacance  du  siège  il  n'avait  cessé  de  persécuter  l'Église;  bien 
plus,  il  avait  alors  poursuivi  le  clergé  et  l'Église  avec  plus  de 
rigueur.  A  la  fin  de  son  discours,  le  pape  parla  des  différents  griefs 
contre  l'empereur  :  hérésie,  sacrilège,  etc.  Il  avait,  en  plein 
pays  chrétien,  fait  bâtir  pour  les  Sarrasins  une  grande  et  forte 
ville  (Lucéra).  îl  avait  eu  avec  le  soudan  d*  Egypte  et  d'autres 
princes  sarrasins  des  relations  intimes.  Sa  luxure  l'avait  jeté 
dans  les  bras  des  filles  des  Sarrasins;  enfin  il  avait  souvent  violé  IHO 
ses  serments.  En  preuve  de  ce  dernier  jjoint,  le  pape  fit  lire  une 
série  de  documents  établissant  le  serment  de  fidélité  autrefois 
prêté  par  Frédéric  en  qualité  de  vassal  au  pape  Honorius  et  la 
reconnaissance  que  le  royaume  de  Sicile  et  la  Fouille  étaient  la 
propriété  de  saint  Pierre, dont  lui-même  était  feudataire;  en  outre, 
Frédéric  avait  renoncé  à  tous  ses  droits  éventuels  sur  la  collation 
des  places  ecclésiastiques  dans  ce  royaume;  enfin  il  confirmait 
à  l'Église  romaine  ses  possessions  de  Radicofani  à  Ceperano  avec 
la  marche  d'Ancônc,  le  duché  de  Spolète,  l'exarchat  de  Ravenne, 
la  Pentapole,  la  Romagne  et  les  biens  de  la  comtesse  Mathilde. 
Sur  tout  cela  Thaddée  de  Suessa  répondit  avec  grand  talent.  Il 
produisit  des  bulles  de  papes  qu'il  prétendait  être  en  opposi- 
tion avec  les  accusations  portées  par  le  souverain  pontife;  mais 
Matthieu  Paris,  cependant  ])eu  favorable  au  ])ape,  écrit  :  «  Il 
ne  fut  pas  possible  de  montrer  cette  opposition,  car  les  lettres  du 
pape  étant  conditionnelles,  et  celles  de  l'empereur  absolues,  il 
devint  évident  que  l'empereur  n'avait  pas  tenu  sa  parole.  » 
Thaddée  chercha  du  moins  à  excuser  son  maître.  11  voulut  prouver 
par  une  autre  série  de  lettres  pontificales  que  l'Église  n'avait  pas 
rempli  ses  promesses,  et  avait  rendu  à  l'empereur  sa  parole.  Lors- 
qu'on arriva  au  second  grief,  l'hérésie,  Thaddée,  regardant  l'as- 
semblée d'un  air  narquois,  dit:«  Mes  seigneurs,  sur  ce  point,  le 
plus  grave  de  tous,  on  ne  peut  rien  dire  de  positif  en  l'absence  de 
l'empereur;  c'est  lui-même  qu'il  faudrait  entendre;  ce  sont  ses 
paroles  seules  qui  pourraient  nous  dévoiler  le  secret  de  son  cœur. 
Mais  ce  qui  prouve  qu'il  n'est  pas  hérétique,  c'est  (Ju'il  ne  souffre 


668.    TREIZlÈMr    CONCÎLE    GÉNÉRAL   (LyON,     1245)  1639 

pas  un  seul  usurier  dans^  toute  l'étendue  de  son  empire.  »  «  Ces 
derniers  mots,  dit  Matthieu  Paris,  étaient  une  malice  contre  Rome 
où  l'usure  s'épanouissait  à  l'aise.  »  «  Si  l'empereur,  continua  Thad- 
dée,  est  lié  d'amitié  avec  le  soudan  d'Egypte,  etc.,  et  s'il  laisse 
habiter  les  Sarrasins  dans  son  royaume,  c'est  par  esprit  de 
prévoyance;  car  il  se  sert  ensuite  de  ces  Sarrasins  pour  apai- 
ser les  révoltes  de  ses  sujets  (parfois  aussi  pour  attaquer  l'État 
de  l'Église).  Il  épargne  ainsi  le  sang  chrétien;  et  lorsque  ces  soldats 
infidèles  viennent  à  périr,  aucun  chrétien  ne  les  pleure.  Quant  aux 
filles  des  Sarrasins,  il  ne  les  a  pas  attirées  pour  pécher  avec 
elles,  mais  seulement  pour  jouir  de  leurs  chants,  et  il  les  a  ren- 
voyées dès  qu'il  s'est  aperçu  qu'elles  donnaient  lieu  à  des  soup- 
çons, »  A  la  fin  de  son  discours,  Thaddée  demanda  que  la 
sentence  fût  différée,  pour  lui  laisser  le  temps  d'informer  l'em- 
1111  pereur  et  lui  conseiller  de  se  rendre  en  personne  au  concile. 
Le  pape,  dit  Matthieu  Paris,  aurait  répondu  :  «  Telle  n'est 
pas  ma  pensée;  s'il  vient,  je  pars  immédiatement,  car  je  n'ai 
envie  ni  de  souffrit  le  martyre  ni  d'aller  dans  un  cachot.  »  D'a- 
près la  Brevis  nota,  le  pape  aurait  fort  bien  répondu  sur  tous  les 
points  allégués  par  Thaddée,  comme  s'il  les  avait  prévus  d'avance, 
et  solidement  défendu  l'Église.  Ainsi  se  termina  la  première 
session. 

Dans  la  seconde  ^,  le  5  juillet,  un  évêque  cistercien  du  sud 
de  l'Italie  —  l'évoque  de  Calenum,  Carinola  près  de  Capoue, 
d'après  la  Brebis  nota  ^,  l'évêque  de  Catane  en  Sicile,  d'après 
les  Annales  Cesenates  ^  —  prononça  un  violent  réquisitoire  contre 
l'empereur  dont  toute  la  vie,  depuis  sa  jeunesse,  avait  été  un 
tissu  d'ignominies  et  d'entreprises  contre  l'Église.  Thaddée  de 
Suessa  répondit  :  «  Tes  paroles  ne  méritent  point  créance,  car 
ce  n'est  pas  le  zèle,  c'est  la  vengeance  qui  t'inspire;  fils  d'un 
traître  pendu  par  ordre  d'un  tribunal  impérial,  tu  veux  marcher 
sur  les  traces  de  ton  père.»  Un  archevêque  espagnol  se  leva  alors  * 
et  supplia  le  pape  de  procéder  contre  F'rédéric.  L'épiscopat  espa- 

1.  Matthieu  Paris  dit  :  sequenti  die. 

2.  Pierre,  évêque  de  Calenum,  qui  était  en  fuite  ou  banni,  fut  un  des  hommes 
les  plus  considérables  de  la  curie  pontificale.  Voir  Meyer  von  Khonau,  dans 
Archii',  t.  III,  p.  'i;  Huillard-BréhoUes,  Hist.  diplom.  Friderici  II,  t.  vi,  p.  333. 

3.  La  première  indication  est  la  vraie.  Voyez  la  note  de  Frédéric  aux  Anglais. 

4.  Il  y  eut  même  deux  évêques  à  se  lever,  celui  de  Compostelle  et  celui  de 
Tarragone.  Voyez  la  lettre  de  Frédéric  aux  Anglais^  Mon.  Germ.  hisL,  Leges, 
sect.  IV,  t.  II,  p.  363 


1640  LIVRE    XXXM,     CHAPITRE    III 

gnol,  ])It]s  nombreux  au  concile  que  celui  d'aucun  autre  pays, 
l'appuya  et  promit  de  soutenir  le  pape  de  ses  biens  et  de  son  sang. 
Beaucoup  d'autres  évoques  s'engagèrent  do  même.  Thaddée  de 
Suessa  cbercba  à  infirmer  les  arguments  de  l'Espagnol  en  disant 
que,  comme  étranger,  il  ne  pouvait  bien  connaître  la  situa- 
tion, et  que,  comme  clerc,  il  ne  devait  pas  pousser  à  la  guerre, 
mais  à  la  paix. 

Le  premier  orateur,      l'évêque   de   Calenum,   ayant  parlé  des 
mauvais  traitements  infligés  aux  évoques  faits  prisonniers  près 
de  l'île  d'Elbe,  Tbaddée  de  Suessa  s'efTorça  de  justifier  son  maî- 
tre sur  ce  point  :  «  Tout  cela,  dit-il,  s'est  fait  contre  la  volonté  de 
Frédéric;  les  prélats  s'étaient  trouvés  mêlés  aux  ennemis  de  l'em- 
pereur (les  Génois)  et,  dans  le  tumulte  de  la  bataille,  on  n'avait   1112 
pu  facilement  les  distinguer.  Si  l'empereur  s'était  trouvé  en  per- 
sonne à  cette  affaire,  il  les  eût  délivrés.  »   Le  pape    répondit   que 
Frédéric  les  avait  cependant  tenus  longtemps  prisonniers  et  mal- 
traités. Thaddée  insista,   disant  que   la   «  convocation  des   prélats 
par  Grégoire  IX  avait  été  illégale  et  avait  grandement  mécontenté 
l'empereur  ;   car   le   pape  n'avait  pas    convoqué   tous    ceux    qui 
avaient  droit  de  venir  au  concile,  mais  les  seuls  ennemis  notoires 
de  l'empire,  y   compris    des    laïcs,    comme    le     comte     de     Pro- 
vence,  dont  la  présence  n'était  justifiée  ni  pour  leur  sagesse  ni 
dans  l'intérêt  de  la  paix.   Aussi  l'empereur    avait-il    envoyé    en 
tous  pays   une  circulaire  aux  évêques  pour  les  exhorter  à  rester 
chez  eux  et  leur  déclarer  qu'il  leur  refuserait  tout  sauf-conduit 
à   travers   ses  domaines;   mais   ces   orgueilleux   évêques    avaient 
méprisé  son  avis,  ils  n'avaient  donc  à  s'en  prendre  qu'à  eux-mêmes 
de  leur  fâcheuse  aventure.  Toutefois  l'empereur,  n'écoutant  que 
sa  douceur,  avait  voulu  rendre  la  liberté  aux  évêques  et  aux  autres 
non-combattants  ;  mais  le  cardinal  dePalestrina  et  qvielques-uns  de 
ses  compagnons  de  captivité  avaient  insulté  l'empereur  en  face  et, 
tout   prisonniers  qu'ils   étaient,   l'avaient  excommunié.  »  Le  pape 
reprit  :  «   Si  l'empereur  avait  eu  confiance  en  sa  propre  cause,  il 
aurait  dû  attendre  une  sentence  d'absolution  et  non  d'excommuni- 
cation de  la  part  d'une  si  grande  assemblée,  composée  de  tant 
d'hommes    éminents    (il    s'agit     du    concile    convoqué    par    Gré- 
goire  IX).  »  Thaddée    répondit    :    «    Comment    mon    maître    au- 
rait-il pu  avoir  confiance  en  un  concile  présidé  par  son  principal 
ennemi  et  dont  les  membres,  même  prisonniers,  le  menaçaient?» 
l^e  pape  réplicjua  ;  «  Alors  mêjne  qu'un  de  ces  membres  se  serait 


668.    TREIZIÈME    CONCILE    GENERAL    (lyON,     1245)  1641 

rendu  indio-nc,  par  ses  injures,  d'obtenir  de  l'empereur  sa  mise 
en  liberté,  pourquoi  tous  les  innocents  ont-ils  subi  un  pareil  trai- 
tement? Pour  tant  de  motifs,  l'empereur  ne  peut  attendre  qu'une 
prompte  et  honteuse  déposition.  »  Ces  dernières  paroles  déter- 
minèrent les  Anjïlais  à  intercéder  en  faveur  des  enfants  (Henri  et 
Mathilde)  que  l'empereur  avait  eus  de  sa  femme  la  princesse 
anglaise  Elisabeth,  morte  récemment  (1242),  afin  que  la  faute  du 
père  ne  retombât  pas  sur  eux. 

Thaddée  de  Suessa  insista  surtout  pour  faire  retarder  la  pro- 
chaine  session  :  il  attendait  incessamment,  disait-il,  l'arrivée  de 
l'empereur  qu'il  savait,  de  source  certaine,  en  route  pour  se  ren- 
dre au  concile  (en  réalité,  il  était  encore  à  Vérone^).  La  Brevis  nota 
rapporte  que  le  pape,  souhaitant  une  entente  avec  l'empereur, 
AAAo  avait  fixé  la  prochaine  session  au  17  juillet,  contre  le  vœu  d'un 
crrand  nombre  de  prélats,  notamment  des  templiers  et  des  hos- 
pitaliers, qui,  pour  protéger  le  pape  et  le  concile,  avaient  amené 
avec  eux  un  grand  nombre  d'hommes  d'armes  et  s'étaient  par  là 
engagés  dans  de  grands  frais.  Cependant  le  pape  ne  désirait  pas 
très  vivement  se  rencontrer  à  Lyon  avec  l'empereur,  puis- 
qu'il avait  dit  dans  la  première  session  :  «  S'il  vient,  je  pars.  »  Il 
avait  alors  refusé  tout  délai;  s'il  changea  d'avis,  ce  fut,  au  dire 
de  Matthieu  Paris,  sur  les  instances  de  plusieurs  évêques  anglais 
et  français,  des  anglais  surtout  qui  s'intéressaient  au  beau-frère 
de  leur  roi. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  pape  n'accorda  qu'un  délai  de  douze 
jours,  lequel,  vu  l'état  des  communications  au  moyen  âge, 
suffisait  à  peine  à  l'aller  et  au  retour  entre  Lyon  et  Vérone. 
On  rapporte  que  l'empereur,  à  ces  nouvelles,  aurait  dit  :  «  Il  est 
évident  que  le  pape  veut  me  perdre  et  assouvir  sa  vengeance,  parce 
que  j'ai  retenu  et  enfermé  quelques-uns  de  ses  parents,  les  pirates 
génois  et  de  vieux  ennemis  de  l'empire  avec  ces  prélats  (ceux 
du  combat  de  l'île  d'Elbe).  C'est  l'unique  luit  de  ce  concile  et  il 
serait  contraire  à  la  dignité  de  l'empire  de  se  soumettre  au  ju- 
gement d'un  concile  ennemi.  »  Matthieu  Paris,  qui  place  à  tort 

1.  Thaddée  semble  avoir  cru  qu'à  cette  date  du  5  juillet  l'empereur  était 
déjà  en  route  et  rendu  à  Turin.  Cf.  Roland  de  Padoue^  Chron.,  dans  Monum.Germ, 
hist.y  Script.,  t.  xix,  p.  82  :  Exwit  igitur  dominus  imperalor  de  civitate  Verona  die 
octavo  inlranle  julio  eodem  anno.  Et  dicebat  se  velle  ad  domnum  papam  accédera, 
qui  nunc  erat  et  dudum  jam  steterat  apud  Lugdunum  causa  reconciliandi  impera- 
torem  Ecclesise.  (H.  L.) 


1642  Livre   xxxvi,  chapitre  m 

cette  sortie  au  milieu  de  son  récit  de  sa  seconde  session,  raconte 
qu'elle  fut  connue  à  L^^on  et  nuisit  fort  à  la  cause  de  l'empereur; 
elle  valut  aussi  des  reproches  à  ceux  des  Anglais  qui  avaient 
pris  sa  défense. 

Dans  l'intervalle  entre  la  deuxième  et  la  troisième  session,  le 
pape  fit  réunir,  en  un  recueil  qu'il  fit  signer  le  13  juillet  par  qua- 
rante prélats  ^,  tous  les  privilèges  accordés  à  diverses  époques 
à  l'Eglise  romaine  par  l'empereur  et  les  rois.  Il  demanda  alors 
à  chaque  membre  de  l'assemblée  s'il  croyait  que  l'on  pût 
procéder  contre  l'empereur  en  raison  des  griefs  établis  contre  lui, 
et,  sur  leur  réponse  affirmative,  il  fixa  la  session  au  17  juillet  ^. 
Ce  jour-là,  après  les  cérémonies  d'usage,  le  pape  ordonna,  avec 
l'assentiment  du  concile,  qu'à  l'avenir  la  Na,tivité  de  la  sainte 
Vierge  fût  célébrée  avec  octave  3;  aussitôt  après,  il  fit  promul-  1114 
guer  une  série  de  statuts  relatifs  à  la  conquête  de  la  Terre  Sainte, 
à  la  défense  du  royaume  de  Romanie  et  à  la  lutte  contre  les  Tar- 
tares.  Tel  est  le  récit  de  la  Bre<,>is  nota,  qui  n'attribue  à  notre 
concile  qUe  dix-sept  canons;  nous  ferons  remarquer  que  ces 
canons  ne  se  bornent  pas  aux  trois  sujets  indiqués  plus  haut; 
les   voici 

Can.  1. 

Comme  il  y  a  lieu  de  blâmer  l'indétermination  clans  les  termes  judi- 
ciaires, nous  statuons  que  la  clause  générale  quidam  alii  incertains  autres), 
si  souvent  insérée  dans  nos  lettres  pontificales,  ne  permet  pas  de  citer 
en  justice  plus  de  trois  ou  quatre  personnes,  dont  les  noms  seront 
indiqués  dès  la  première  citation  par  celui  qui  a  obtenu  le  rescrit,  de 
manière  à  écarter  la  fraude,  tiop  aisée,  s'il  pouvait  varier  sur   ce   point. 

Cum  in  rnultis  juris  articulis  infinitas  reprobetur,  proinde  duxi- 
mus  statuendum  ut  per  illam  généraient  clausulam  :  «  Quidam  alii» 


1.  Cf.  Carajan,  op.  cit.,  p.  25  ;  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  vi,  p.  316  ;  Potthast, 
Reg.,  p.  994.  Ces  mêmes  quarante  prélats  signèrent  également  les  copies  réunies 
do  plusieurs  documents  ayant  trait  à  la  Hongrie.  Theiner,  Die  zwei  allgemeinen 
Konzilien  i-on  Lyon,  Freiburg  im  Br.,  1862,  p.  26  et  61. 

2.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  613;  Potthast,  Reg.,  p.  994-995 
sq.  ;  Carajan,  op.  cit.,  p.  23  sq.  D'après  Nicolas  de  Curbio,  la  troisième  session 
eut  lieu  un  jour  plus  tard. 

3.  Cette  octave  était  déjà  prescrite,  mais  n'était  pas  toujours  célébrée.  Mansi, 
Conc,  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  675 


668.    TREIZIÈME    CONCILE    GENERAL    (lYON,    1245)  1643 

quœ  fréquenter  in  nostris  litleris  inseritur,  ultra  très  i^el  quatuor  in 
judicium  non  trahantur;  quorum  nomina  in  primo  citatorio  expri- 
mat impetrator,  ne  fraudi  locus  jorsitan  relinquatur,  si  circa  ea 
possit  libère  variare. —  Corp.  jur.  can.,  Sexti  Décret.,  I.  I,  tit.  m,  De 
rescriptis,   c.    2. 

Can.  2. 

Le  Siège  apostolique  et  ses  légats  ne  de^Tont  confier  les  affaires  judi- 
ciaires qu'à  des  personnes  ou  constituées  en  dignité,  ou  établies  dans 
les  églises  cathédrales  ou  collégiales.  On  ne  traitera  ces  causes  que  dans 
les  villes  ou  localités  célèbres,  et  peuplées,  où  on  pourra  trouver  un  nom- 
bre convenable  de  personnes  compétentes.  Si  un  juge  cite  les  parties 
ailleurs,  on  ne  répondra  pas  à  sa  citation,  à  moins  qu'elle  ne  soit  faite 
du  consentement  des  deux  parties. 

Prsesenti  decreto  duximus  statuendum,  ne  a  Sede  apostolica, 
vel  delegatis  ipsius  causas  aliquibus  committantur,  nisi  personis, 
quSè  vel  dignitate  sint  prœditse,  wel  in  ecclesiis  cathedralibus,  seu 
aliis  collegiatis  honorabilibus  constitutse,  nec  alibi  quam  in  civita- 
iibus,  vel  locis  magnis  et  insignibus,  ubi  haberi  valeat  juris  copia 
peritorum,  causas  hujusmodi  agitentur.  Judicibus  ç>ero,  qui  contra 
hoc  statutum  ad  alia  loca  alterutram  partium  citaverint  vel  utram- 
que,  non  pareatur  impune  :  nisi  citatio  de  communi  utriusque  partis 
prœcesserit  voluntate. 

Can.   3. 

Dans  les  élections,  postulations  et  scrutins  d'une  élection,  les  votes 
conditionnels,  alternatifs  et  incertains  sont  entièrement  réprouvés; 
ces  votes  étant  tenus  pour  nuls,  l'élection  résultera  des  votes  incondi- 
tionnés, les  voix  de  ceux  qui  n'ont  pas  ainsi  voté  étant  reportées  pour 
cette  fois  sur  les  autres  candidats. 

In  electionibus  et  postulationibus,  ac  scrutiniis,  ex  quibus  fus 
oritur  eligendi,  vota  conditionalia,  alternativa,  et  incerta  penitus 
reprobamus  :  statuentes.  ut  hujusmodi  votis  pro  non  adfectis  habitis, 
ex  pufis  consensibus  celebretur  electio  :  voce  illorum,  qui  non  pure 
consenserint,  ea  vice  in  alios  recidente.  —  Sexti  Décret.,  1.  I,  tit.  vi, 
De  elect.,   c.   2. 


1644 


•IVRE     XXXVI,    CHAPITRE     III 


Can.  4. 

Les  consetvatores ,  que  nous  accordons  fréquemment,  devront  protéger 
ceux  dont  nous  leur  confions  la  garde  contre  toute  injure  et  violence 
manifeste;  mais  leur  pouvoir  ne  s'étend  pas  aux  affaires  qui  exigent  la 
procédure  judiciaire. 

Statuimus  ut  conservatores,  quos  plerumque  concedimus,  a  mani- 
festis  injuriis  et  çiolentiis  defendere  possint  quos  eis  committimus 
defendendos,  nec  ad  alla  quse  judicialem  indaginem  exigunt,  suam 
valeant  extendere  potestatem.  —  Sexti  Décret.,  1.  I,  tit.  xiv,  De 
officio  et  potest.  judicis  delegati,  cl. 

Can.    5. 

Il  n'est  pas  douteux  en  droit  qu'un  juge  délégué,  à  moins  qu'il  n'ait  reçu 
du  Siège  apostolique  un  mandat  spécial  à  cet  effet,  ne  puisse  contrain-  1115 
dre  aucune  des  parties  à  comparaître  personnellement  devant  lui  en 
jugement,  si  ce  n'est  pour  une  cause  criminelle,  ou  si  l'obligation  de  prêter 
serment  de  dire  la  vérité  ou  de  jurer  de  son  intention  droite  ne  rend 
indispensable  une  comparution  personnelle. 

Juris  esse  ambiguum  non  fidetur,  judicem  delegatum  (qui  a  Sede 
apostolica  ad  hoc  mandatum  non  receperit  spéciale)  jubere  non  posse 
alterutram  partiuni  coram  se  personaliter  in  judicio  comparere  : 
nisi  causa  fuerit  criminalis,  vel  nisi  pro  veritate  dicenda,  çel  jura- 
mento  calumniœ  faciendo  juris  nécessitas  partes  coram  eo  persona- 
liter exegerit  prsesentari.  — Sexti  Décret.,  1.  II,  tit.  i,  De  judiciis,  c.  1. 

Can.    6. 


La  proposition  d'une  exception  péremploire  ou  défense  principale 
ne  pourra  empêcher  la  litis  contestatio,  à  moins  que  le  plaideur  n'excipe 
d'une  chose  jugée,  d'une   transaction  ou  d'une  affaire  terminée 

Exceptionis  peremptoriœ,  seu  defensionis  cujuslibet  principalis 
cognitiotiem  negotii  continentis  ante  litem  contestatam  objectus, 
nisi  de  re  judicata  vel  transacta  seu  finita  excipiat  litigator,  litis 
contestationem  non  impediat,  nec  retardet,  licetdicat  objector  non 
fuisse  rescriptum  obtentum,  si,  quse  sunt  impetranti  opposita,  fuissent 


668.    TREIZIÈME     CONCILE    gÉnÉRAL    (lYON,     1245)  1645 

exposita  deleganti.  —  Sexti  Décret.,  1.  II,  tit.  ni,  De  litis  contest.. 
c.   1. 

Can.  7. 

Le  demandeur  qui  ne  se  présente  pas  au  terme  auquel  il  a  fait  citer 
son  adversaire,  devra  rembourser  à  ce  dernier,  s'il  s'est  présenté,  les 
débours  qu'il  lui  a  occasionnés,  et  ne  sera  pas  admis  à  le  faire  citer  de 
nouveau,  s'il  ne  donne  une  garantie  suffisante  qu'il  se  rendra  fidèlement 
au  terme   fixé. 

Actor,  qui  vcnire  ad  terminum  ad  quem  citari  adçersariujn  fecerat, 
non  curavit,  venienti  reo,  in  expensis  propter  hoc  factis  légitime  con- 
demnetur^  ad  citationem  aliam,  nisi  sufjîcienter  caverit  quod  in 
termino  fidehter  compareat,  minime  admittendus.  —  Sexti  Décret., 
1.  II,  tit.  VI,  De  dolo  et  contumacia,  c.  1. 

Can.    8. 

Pour  réduire  les  procès,  celui  qui  veut  intenter  plusieurs  affaires 
personnelles  contre  la  même  personne  ne  pourra  en  saisir  plusieurs 
juges  différents,  mais  un  seul.  De  même  le  défendeur  devra  exercer 
devant  le  même  juge  l'action  reconventionnelle. 

Dispendia  litium  œquitatis  compendio  i^olentes  qua possumus  in- 
dustria  coarctare,  statutum  felicis  recordationis  Innocentii  papœ  III, 
super  hoc  editum  ampliantes,  decrevimus  ut  si  quis  contra  alium 
plures  personales  voluerit  movere  quaestiones,  non  ad  diversos  ju- 
dices,  sed  eosdem,  super  omnibus  hujusmodi  qusestionibus  lit- 
teras  studeat  impetrare.  Qui  uero  contrarium  fecerit,  omni  commodo 
careat  litterarum,  nec  processus  valeat  habitus,  per  easdem  alias  reo, 
si  eum  per  ipsas  jatiga\>erit,  in  expensis  legitimis  condemnandus. 
Reus  quoque  si  eodem  durante  judicio  actorem  sibi  obnoxium  dixe- 
rit  reconventionis  beneficio,  vel  conventionis,  si  litteras  contra  eum 
impetrare  maluerit,  de  jure  suo  débet  apud  eosdem  judices  experiri, 
nisi  ut  eos  suspectas  poterat  recusare,  simili  pxna,  si  contra  fecerit, 
puniendus.  — Sexti  Décret.,  1.  I,  tit.  m,  De  rescriptis,  c.  3. 


.an. 


9. 


Lorsqu'un  clerc,  pour  l'obtention  d'une  dignité,  d'un  personat  ou 
d'un  bénéfice,  est  en  procès  avec  le  possesseur  contumace,  nous  défen- 
dons de  le  mettre  en  possession  de  l'objet  du  conflit,  pyr    mesure   con^ 


1646 


LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    III 


servatoire,  de  peur  que  l'accès  au  bénéfice  ne  soit  vicié;  mais  qu'alors, 
la  présence  de  Dieu  suppléant  à  l'absence  du  contumace,  on  pourra  exa- 
miner soigneusement  et  trancher  l'afïaire,  même  sans  litis  contestatio. 

Eum  qui  super  dignitate,  personatu,  vel  beneficio  ecclesiastico 
obtinendis,  cuui  aliquo  litigal  possessore,  ob  partis  adversae  contu- 
maciarn  causa  rei  sen>andw  in  ipsorum  possessionem  statuimus 
non  mittenduni,  ne  per  hoc  ad  ea  ingressus  patere  valeal  vitiosus; 
sed  liceat  in  hoc  casu  contumacis  absentiam  divina  replenle 
prsesentia,  etiam  lite  non  contestata,  diligenter  examinato  negotio, 
ipsum  fine  débita  terminare.  —  Sexti  Décret.,  1.  II,  tit.  vu,  De  eo 
qui  mittitur  in  possessionem  causa  rei  serrandae,  c.  1. 

Can.   10. 

Les  propositions  négatives  qui  ne  peuvent  être  prouvées  que  par 
l'aveu  de  l'adversaire  pourront  être  admises  par  le  juge,  si  l'équité  le 
lui  conseille. 

Statuimus,  ut  positiones  negativas,  quse  probari  non  pbssunt 
nisi  per  confessionem  adversarii,  judices  admittere  possint,  si  sequi- 
taie  suadente,  çiderint  expedire.  —  Sexti  Décret.,  1.  II,  tit.  ix,  De 
confessis,   c.   1. 


Can.  11 

Lorsqu'un  motif  de  suspicion  légitime  a  été  soulevé  contre  un  juge 
et  que  les  parties  ont  choisi  des  arbitres,  il  est  souvent  arrivé  que  ces 
derniers  n'ont  pu  se  mettre  d'accord  et  n'ont  pas  voulu  désigner  un  troi- 
sième arbitre  et  que  l'excommunication  a  été  prononcée  contre  eux  par  le 
juge,  mais  ils  ont  fait  peu  de  cas  de  cette  peine  et  ont  négligé  de  prendre  mg 
une  décision.  A  l'avenir,  le  juge  fixera  aux  arbitres  un  délai  dans  lequel 
ils  devront  se  mettre  d'accord  ou  désigner  un  troisième  arbitre;  s'il  ne  le 
fait  pas,  le  juge  devra  lui-même  trancher  le  différend 

Légitima  suspicionis  causa  contra  judicein  usaignala,  et  arbiiris 
a  partibus  secundum  formam  juris  electis,  qui  de  ipsa  cognoscant, 
sœpe  contingit  quod  ipsis  in  idem  convenire  nolentibus,  nec  tertium 
ad'^'ocantibus,  cum  quo  ambo,  vel  alter  ipsorum  procédant  ad  deci- 
sionem  ipsius  negotii,  ut  lenentur,  judex  proférât  excommunica- 
tionis  sententiani  contra  eos,  quaiu  ipsi  tum    propier  odiuiu    tum 


668.    TREIZIÈME    CONCILE     GÉNÉRAL    (l,YON,     1245)  1647 

propter  fui^orem  partium,  diutius  çilipendunt.  Qiiare  causa  ipsa 
plus  debito  prorogata,  non  procediiur  ad  cognitionem  negotii  prin- 
cipalis.  Volentes  igitiir  morho  hujusmodi  necessariam  adhibere 
medelam,  staluimus,  ut  ipsis  arbitris  per  judicem  terminus  compe- 
tens  prsefigalur;  injra  quem  in  idem  conveniant,  uel  tertium  concov' 
diter  adi'ocent,  cum  quo  ambo,  ^el  aller  ipsoruni,  ejusdem  suspi- 
cionis  negotiurn  terminare  procurent.  Alioquin  judex  extunc  in 
principali  negotio  procedere  non  omittat.  — ■  Sexti  Décret.,  1.  Hj 
tit.   XV,  De  appellationibus,  c.  2. 

Can.    12. 

Aucun  juge  ne  devra  frapper  d'excommunication  majeure  sans  monition 
canonique  préalable  ceux  qui  auront  communiqué  avec  les  personnes 
par  lui  excommuniées  en  paroles  ou  autres  rapports  entraînant  l'excom- 
munication mineure;  sans  préjudice  des  constitutions  contre  ceux  qui 
participent  à  un  crime  condamné.  Que  si  ces  conversations  ou  autres 
rapports,  qui  entraînent  l'excommunication  mineure,  contribuent  à  en- 
durcir l'excommunié,  le  juge,  après  monition  canonique  préalable,  pu- 
nira les  participants  de  la  même  peine,  mais  l'excommunication  portée 
autrement  sera  sans  valeur. 

Slatuimus  ut  nullus  judicum  participantes  cum  excommunicatis 
ab  eo  in  locutione,  et  aliis,  quibus  ligatur  participans  excommuni- 
catione  minori,  ante  commonitionem.  canonicam,  excommunicare 
niajori  excommunicatione  prsesumat  :  salais  constitutionibus  contra 
illos  légitime  promulgatis,  qui  in  crijnine  prsesumunt  participare 
damnato.  Quod  si  ex  locutione,  et  aliis  quibus  participans  labitur 
in  minorent,  excommunicatus  fortius  indurescat  :  poterit  judex 
post  commonitionem  canonicam  hujusmodi  participantes  consimili 
damnare  censura.  Aliter  autem  in  participantes  excommunicatio 
prolata  non  teneat,  et  proferentes  po^nam  legilimam  poterunt  jor-^ 
midare.  — Sexti  Décret.,  1.  V,  tit.  xi,  De  sententia  excomm.,  c.  3; 
cf.   Kober,  Der  Kirchenbann,  p.  412,  415. 

Can.  13. 

Déjà  l'usure  vorace  a  presque  détruit  de  nombreuses  églises,  car 
beaucoup  de  prélats  négligent  de  solder  les  dettes  de  leurs  prédéces- 
seurs, font  de  plus  grosses  dettes  encore  et  mettent  en  gage  les  biens  de 
l'église,  etc..  A  l'avenir,  tous  les  évêques,  abbés,  doyens  et  d'une  manière 
générale    tous  les   administrateurs   des   églises,    devront,    dans   le   délai 


1648  LIVRE    XXXVl,     CHAPITRE    III 

d'un  mois  après  leur  entrée  en  fonctions,  procéder  à  l'inventaire  de  tous 
les  biens  d'Église  qu'ils    auront    reçus,   en  présence    de    leur    supérieur 
immédiat  ou  de  son  représentant  ;  cet  inventaire  comprendra  tous  les  biens, 
meubles  et  immeubles,  de  l'église,  ses  livres,  ses  chartes,   ses   ornements, 
etc.,  ainsi  que  ses  dettes  et  créances,   en  sorte  qu'il  soit  facile  de  constater 
en  quel  état  ils  ont  reçu  l'église  et  dans  quelle  situation   ils  la  laissent. 
Les  archevêques  placés  immédiatement  sous  la  juridiction  de  Rome  dési- 
gneront, pour  procéder  à  cet  inventaire,  un  de  leurs  sufîragants  ou  son 
fondé  de  pouvoir.  Les  abbés  et  les  autres  prélats  mineurs  exempts  auront 
recours  à  un  des  évêques  voisins.  L'original  de  l'inventaire  revêtu  des 
signatures  régulières  sera  placé  dans  les  archives  de   l'église,  une  copie 
sera  remise  au  bénéficier  et  une  seconde   copie  au  prélat  invité  comme 
témoin.  Le  bien  de  l'église  sera  conservé  fidèlement  tel  qu'il  existe,  et 
administré  avec  soin;  les  dettes  seront  acquittées  aussi  vite  que  possible 
avec  les  revenus  de  l'église.  Si  ces  revenus  sont  insuffisants,  toutes  les 
ressources,  à  l'exception  de  celles  indispensables    aux  dépenses    normales, 
seront  consacrées  à  l'extinction  des  dettes,  à  moins  que  ces  dernières  ne 
soient  usuraires  ou  trop  onéreuses;  auquel  cas,  on  emploiera  le  tiers  des 
ressources  à  éteindre  les  dettes.  Les  supérieurs  des  églises  ne  devront  en  1117 
outre  engager  en  caution  pour  d'autres  ni  leurs  personnes  ni  leurs  églises, 
il  ne  leur  sera  pas  permis  d'engager  des  dettes  onéreuses  ni  pour  eux  ni 
pour  leurs  églises.  Si  la  nécessité  ou  les  besoins  de  l'Eglise  les  obligent  à 
emprunter  de  l'argent,  les  prélats  devront  procéder  à  cet  emprunt  avec 
l'assentiment  de  leurs  supérieurs,  les  archevêques  et  les  abbés  exempts 
avec  l'assentiment  des  personnes   que  nous  avons  indiquées  et  de  leurs 
collègues,  mais  jamais  sur  les  marchés  publics  ou    d'une    manière    usu- 
raire.  Dans  le  contrat  écrit  figureront    les  noms    des  créanciers  et  des 
débiteurs,  ainsi  que  les  motifs  de  l'emprunt.  Même  dans  le  cas  où  l'argent 
serait  employé  pour  le  bien   de   l'église,   on   ne   pourra  hypothéquer  ni 
les  personnes  ecclésiastiques  ni  les  églises.    De   même  les   documents  de 
l'église   ne   pourront   être   mis   en    gage,   ils   devront   au   contraire    être 
soigneusement  conservés.   Les  autres    possessions    de    l'église    ne    pour- 
ront être  consacrées  à  éteindre  que  les  dettes  contractées  de  la  manière 
indiquée  ci-dessus  et  pour  le  bien  de  l'église.   Afin  que  ces  prescriptions 
soient  fidèlement  observées,  à  l'avenir  tous   les    abbés,    prieurs,    doyens 
et  supérieurs  des  cathédrales    ou    autres    égUses,    produiront    au  moins 
une  fois  l'an,  en  présence  de  leurs  collègues  (chapitre),  les  comptes  régu- 
liers de  leur  administration  et  soumettront  ces  comptes  écrits  et  dûment 
signés  aux  supérieurs  chargés  de  les  visiter.  Les  archevêques  et  évêques 
en  ce  qui  concerne  l'administration  de  leur  mense,   devront  soumettre 
les  comptes  à  leur  chapitre,  et  en  outre  les  évêques  les  transmettront  à 
leur  métropolitain,  et  ceux-ci  au  légat  ou  au  mandataire  désigné  par  le 
pape    Les  comptes  écrits  seront  conservés  dans  le  trésor  de  l'église,  afin 


I 


668.    TREIZIEME     CONCILE    GENERAL    (lYON,     1245)  1649 

qu'on  puisse  les  comparer  et  se  rendre  coiaple  du  soin  ou  de  la  négli- 
gence de  l'administrateur.  Les  administrateurs  négligents  seront  punis 
par  leurs  supérieurs. 

Cura   nos   pastoralis   sollicitât  et  hortatur    ut   lapsis   consulamus 
ecclesiis,    et,    ne   lahantur   in    posterum,   proindeamus   constitutione 
saluhri.  Cum  igitur  usuraruni  vorago  inultas  ecclesias  pêne  destru.re- 
ril.   et   nonnuUi  prœlati  circa  solutionem  debitorum.    prœsertim  a 
suis    pnedecessovihus     contractorum     négligentes    in\>eniantur    ad- 
niodum  et  remissi.  oc  ad  contrahenda  majora  débita,  et  obligandas 
res  ecclesise  nimis  proni,  desides  etiam    in  custodiendis    rébus     m- 
ventis,   malentes  in  propriam  laudem  modicum  novi  facere,  quarn 
hona  custodire,  dimissa  recuperare,  deperdita  restaurare,  ac  resar- 
cire  ruinas  :  nos,  ne  de  cetera  se  de  administratione  tam  utili  excu- 
sare,  ac  in  prœdecessores  sii^e  alios  fundere   valeant   culpam    suam, 
pressentis  concilii  approbatione    sancimus    ut    pontifices,    abbates, 
decani,  ceterique  legitimam  et  communem  administrationem  geren- 
tes,    injra    unum    mensem,    postquam    administrationem    adierint, 
intimato  prius  proxime  superiori,  ut  per  se  <,>el  per  aliquam  perso- 
nam  ecclesiasticam  idoneam  et  fidelem  intersit  prsesentibusque  capi- 
tula vel  conventu  pr  opter  hoc  specialiter  evocatis,  im^entarium  rerum 
administrationis  susceplse  confici  faciant,  in  quo  mobilia  et  iinmo- 
bilia,  libri,  charlse,  instrumenta,  prii'ilegia,  ornamenta.  seu  para- 
menta  ecclesiastica,  et  cuncta,  quœ  ad  instructionem  urbani  fundi 
seu  rustici  pertinent,  necnon  débita  ac   crédita,    diligentissime   con- 
scribantur  :  ut  in  quo  statu  ecclesiam  i>el  administrationejn  suscepe- 
rint,   et  procedente  tempore   gubernarint,   ac   in    morte   vel   cessione 
dimiserint,  per  superiorem.  si  necesse  fuerit,  et  eos,  qui  sunt  eccle- 
siarum  deputati  senntiis,   liquida  cognoscatur.   Archiepiscopi    \'ero 
qui  prseter  romanum   pontificem  superiorem   non   liabent,    aliquem 
ex  suffraganeis,    ut   personaliter,    i^el  per   alium,  ut   est   expressum 
superius,  et  abbates,  ac  alii  prœlati  minores  exempti,    unum    s'ici- 
num  episcopum,   qui   nihil  juris  in  exempta  ecclesia  sibi   vindicet, 
ad    id   studeant   es'ocare    :   diclumque    ins>entarium    tam    substiluli 
prœlati,   quam  sui   collegii,    necnon  et  superioris   suffraganci,   seu 
i^icini  episcopi,  ad  hoc  vocatorum,  muniatur  sigillis,    in    archiçiis 
ecclesiœ  cum  cautela  débita  conservandum.   Et  nihil  minus  in\'en- 
tarii  ejusdetn  transcriptum  tam  idem  institutus,  quam   prœlatus   ad 
hoc  vocatus,  pênes  se  habeat  simile  sigillalum.    Inventa  quoque  eu- 
stodiantur  fideliter,  et  de  ipsis  administratio  digna  geratur  :  et  com- 
perta  débita  de  mobilibus  ecclesise,  si  fieri  potest,  cum   celeritale  sol' 

CONCILKS  —V  —    10 't 


1650 


LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    IIl 


vantur.  Si  vero  mohilia  non  sufficiant  ad  solutioneni  celerem  facien- 
dani,  omnes  pro<^entus  in  solutioneni  convertantur  debitorum,  quds 
usuraria  juerint,  pel  etiam  onerosa,  deductis  de  ipsis  proventihus 
expensis  duntaxat  necessariis,  prœlato  coUegioque  rationahiliter 
computandis.  Si  autem  débita  non  juerint  onerosa,  vel  usuraria, 
terlia  pars  eorumdem  proventuum,  vel  major,  cum  illorum  consilio, 
quos  ad  conficiendum  inventarium  f'ocandos  diximus,  pro  satisja- 
ctione  hujusmodi  deputentur.Porro  ejusdem  concilii  auctoritate  jir- 
miter  inhibemus,  ne  prsedicti  personas  suas,  vel  ecclesias  sibi  com- 
missas,  pro  aliis  obligent,  nec  pro  se  vel  ipsis  ecclesiis  contrahant 
débita,  quibus  possit  imminere  gravamen.  Si  vero  e^'idens  urgeat  né- 
cessitas, vel  ecclesiarum  rationabilis  suadeat  utilitas  :  prselati  cum 
superiorum,  archiepiscopi  et  abbates  exempti  cum  prsedictorum 
colle giorumque  suorum  consilio  et  consensu  débita  non  usuraria, 
si  potest  fieri,  nunquam  tamen  in  nundinis  vel  mercatibus  publicis 
contrahant.  Et  contractum  litieris  debitorum  et  creditorum  nomina, 
et  causse,  quare  contrahatur  debitum  etiamsi  in  utilitatem  eccle- 
sise  sit  conversum.  :  et  ad  id  personas  ecclesiasticas  vel  ecclesias,  nul- 
latenus  volumus  obligari.  Privilégia  siquidem  ecclesiarum,  quse 
securo  loco  fideliter  custodiri  mandamus,  nequaquain  pignori  obli- 
gentur  nec  etiam  res  alise  nisi  jorte  pro  necessariis  et  utilibus  debitis 
cum  prsedicta  solemnitate  contractis.  Ut  autem  hsec  salubris  con- 
stitutio  inviolabiliter  observetur,  et  jructus  appareatquem  ex  ipsa 
provenire  speramus  :  ordinandum  duximus,  et  irrejragabiliter  sta- 
tuendum,  quod  omnes  abbates,  et  priores,  necnon  et  decani,  vel  prse- 
positi  cathedralium  seu  aliarum  ecclesiarum,  semel  saltem  in  anno 
in  ipsorum  colle giis  districtam  suse  administrationis  jaciant  ra- 
tionem  :  et  coram  superiore  visitante  conscripta  et  consignata 
hujusmodi  ratio  fideliter  recitetur.  Archiepiscopi  vero,  et  episcopi, 
statum  administrationis  bonorum  ad  mensam  propriam  pertinen- 
tium,  similiter  singulis  annis  capitulis  suis,  et  nihilo  minus  epi- 
scopi metropolitanis,  et  metropolitani  legatis  apostolicse  Sedis,  vel 
aliis,  quibus  fuerit  ab  eadem  Sede  suarum  ecclesiarum  visitatio  dele- 
gala,  insinuare  débita  fidelitate  procurent.  Computationes  vero 
conscriptse  semper  in  thesauro  ecclesise  ad  menioriam  reserventur 
ut  in  computatione  annorum  sequentium  prseteriti  temporis  et  in- 
stantis  diligens  habeatur  collatio,  ex  qua  superior  administrantis 
diligentiam  vel  negligentiam  comprehendat  :  quam  siquidem  negli- 
gentiam,  solum  Deum  habens  prse  oculis,  hominis  amore,  odio  vel 
timoré  postpositis,  tanta  et  iali  animadversioiie  custiget,  quod  nec  a 


668.  TREIZIÈME    CONCILIA   gknéral  (lyon,    1245)  1651 

Deo,  uec  a  suo  superiore,  vel  Sede  apostolica,  inereatur  propter  hoc 
recipere  uhionem.  Non  soIudi  aiilein  a  futuris  prœlatis,  sed  etiain 
a  jain  promotis  prœsenteni  constitutioneiii  prœcipimus  observari. 

Can.    14. 

Pour  procurer  à  l'empire  de  Constantinople  et  par  là  même  à  la  Terre 
Sainte  un  secours  rapide  et  indispensable,  nous  ordonnons,  avec  l'appro- 
bation du  concile,  à  tous  les  possesseurs  de  prébendes  ecclésiastiques,  de 
personats  ou  de  dignités,  qui  n'y  résident  pas  depuis  six  mois  et  au-dessus, 
de  fournir  pendant  trois  ans,  aux  collectevirs  désignés  par  le  pape,  la  moi- 
tié de  leurs  revenus  (ecclésiastiques).  Seront  exceptés  ceux  qui  ont  obtenu 
l'autorisation  de  fréquenter  les  écoles  ou  sont  partis  en  pèlerinage,  etc. 
L118    Si   cependant   leurs   revenus   dépassent   100   marcs   d'argent,  ils   devront 
donner  le  tiers  de  leur  revenu.  Les  croisés  seront    seuls    complètement 
exempts  de  toute  redevance.  Nous-même  (le  pape),  après  avoir  prélevé 
la  dixième  partie  des  revenus  de  l'Eglise  romaine  en  faveur  de  la  Terre 
Sainte,  nous  donnerons  une  seconde  dîme  de  ces  revenus  à   l'empire   de 
Constantinople.    Enfin    nous   accordons   à   tous    ceux    qui    marcheront 
au    secours    de   cet   empire    la    même    absolution    (des    peines     tempo- 
relles) de    leurs  péchés  et  les  mêmes    privilèges  que  ceux   accordés   aux 
croisés. 

Arduis  mens  nosLra  occupata  negociis,  curisque  distracta  diçer- 
sis,  inter  cetera,  circa  quse  attentionis  invigilat  oculo,  ad  Constanti- 
nopoli  liherationem  imperii  suas  considerationis  aciem  specialiter 
dirigit;  hanc  ardenti  desiderio  concupiscit;  erga  eam  jugi  cogita' 
tatione  versatur.  Et  licet  apostolica  Sedes  pro  ipsa  grandis  diligentise 
studio  et  multiplicis  suhventionis  remedio  jerv'enter  institerit,  ac 
diu  catholici  non  sine  gra^ibus  laboribus,  et  onerosis  sumptibus, 
anxiisque  sudoribus,  et  deflenda  sanguinis  efjusione  certaverint^ 
nec  tanti  auxilii  dextera  imperiuni  ipsum  totaliter  de  inimicorum 
jugo  potuerit,  iinpedientibus  peccatis,  eripere,  propter  quod  non 
immerito  dolore  turbamur  :  quia  tamen  Ecclesiœ  corpus  ex  membri 
causa  cari,  iddelicet  imperii  pnefati  carentia,  notant  probrosse 
deformitatis  incurreret,  et  sustineret  debilitatis  dolendve  jacturam., 
possetque  digne  nostne  ac  ipsius  ecclesiie  desidise  impulari,  si 
fideliufn  destiluerelur  sufjragio  et  relinquereiur  hostibus  libère  oppri- 
menduin,  firma  intentione  proponimus,  eideni  iniperio  ejjicaci  et 
céleri  subsidio  subvenire,  ut,  Ecclesia  ferventi  ad  illius  exurgente 
succursum  manimique  porrigente  munitam,  imperium  ipsum  de 
adi'crsariorum  dominio  erui  yaleat,  et  reduci,  auctore  Domino,  ad 
ejusdem  corporis  unilalcni,  sentiatque  post  conterentem  inimicuruni 


1652  LIVRE    XXXVI,     CfiAPITRE     Itl 

malleum  dexteram  malris  Ecclesiœ  consolantem,  et  post  assertionis 
errotiese  cœcitatem,  çisum,  catholicie  fidei  professione,  résumât.  Ad 
liber ationem  autem  ipsiiis  eo  magis  ecclesiarum  prselatos,  aliosque 
viros  ecclesiasticos  vigiles  et  intentos  existere,  ac  opem  et  operam  con- 
tenu exhibere,  quo  aniplius  ejusdem  fidei  ecclesiasticœ  libertatis 
auginentum,  quod  per  liberationeni  hujusmodi  principaliier  pro- 
ueniret,  procurare  tenentur  :  maxime  quia  dum  prssdicto  suhvenitur 
imperio,  consequenler  subsidium  impenditur  T errse  Sanctse.  Sane  ut 
festina  fiât  et  utilis  imperio  prœfato  subi^entio,  ex  communi  concilii 
approbatione  statuitnus,  ut  medietas  omnium  proventuumtam  digni- 
tatum,  et  personatuum,  quam  prsebendarum  ecclesiasticarum,  alio- 
rumque  benefîciorum,  quœ  in  ipsis  residentiam  non  faciunt  perso- 
nalem  per  sex  menses  ad  minus,  sive  unum  habeant,  sive  plura,  eis 
qui  nostris,  et  fratrum  nostroruni,  ac  suorum  prselatorum  immoran- 
tur  obsequiis,  aut  sunt  in  peregrinatione,  vel  scholis,  seu  ecclesia- 
rum suarum  negotio  de  ipsorum  mandata  procurant  aut  assum- 
pserunti'el  assument  crucis  signaculuminprsedictaeterrse,vel  perso- 
naliter  ejusdem  imper ii  profîciscentur  succursum,  exceptis,  et  si 
aliqui  eorumdem  exceptorum,  prseter  hujusmodi  cruce  signatos,  et 
proficiscentes,  de  redditibus  ecclesiasticis  ultra  valentiam  centum 
marcarum  argenti  percipiunt,  annuatim  tertia  pars  residui,  ipsius 
imperii  subsidio  coUigenda,  per  eos  qui  hoc  ab  apostolica  fuerint 
ordinati  pro^'identia,  usque  ad  triennium  intègre  deputentur.  Non 
obstantibus  quibuscumque  consuetudinibus  vel  statutis  ecclesia- 
rum, seu  quibuslibet  indulgentiis  ipsis  ecclesiis  ç^el  personis  ab 
apostolica  Sede  concessis,  juramento  aut  quacumque  firmilate  alia 
roboratis.  Et  si  forte  super  hoc  scienter  fraudem  commiserint, 
sententiam  excommunicationis  incurrant.  Nos  i>ero  de  obventionibus 
Ecclesise  romanse,  deducta  prius  ex  eis  décima  succursui  terrse  de- 
puianda  prœdictœ,  decimam  prœdicti  pro  subventione  imperii  ple- 
narie  tribuemus.  Porro,  cum  idem  jui>atur  imperium,  auxilium 
prœstatur  potissime  ipsi  terne,  ac  ad  recuperationem  ejus  praecipue 
insistitur,  dum  ad  ipsius  liberationeni  imperii  laboratur  :  de  omni- 
polentis  Dei  misericordia,  ac  beatorum  Pétri  et  Pauli  apostolorum 
auctorilate  confisi,  ex  illa,  quam  nobis,  licet  indignis,  ligandi  atque 
solvendi  contulit  potestate,  omnibus  eidem  imperio  succurrentibus 
illam  suorum  peccaminum  çetiiam  indulgemus,  ipsosque  illo  pri- 
vilegio,  eaque  i^olumus  immunitate  gaudere,  qàse  prœdictœ  terrae 
sabi^enientibus    conceduntur. 


668.    TREIZIÈME     CONCILE     GENERAL     (lYON,    1245)  1653 

Can.  15. 

Tous  les  clercs  devront,  dans  leurs  prédications  et  au  tribunal  de  la  péni- 
tence, engager  les  fidèles  à  léguer  quelque  chose  dans  leurs  testaments 
en  faveur  de  la  Terre  Sainte  ou  de  l'empire  de  Constantinople.  L'argent 
consacré  à  cet  usage  devra  être  déposé  dans  un  endroit  désigné  après 
avoir  été  mis  sous  scellés,  les  autres  dons  (comme,  par  exemple,  les  biens- 
fonds)  seront  désignés  par  écrit  de  la  manière  la  plus  explicite. 

Perennis  ohtentu  patrise  a  longis  rétro  temporibus  pro  redimenda 
terra,  quam  Dei  FiUus  aspersione  siii  sanguinis  consecra^'it,  unwer- 
sitas  filiorum  Ecclesise  non  solum  expensas  innumeras,  sed  inaesti- 
mahilem  cruoris  affluentiam  noscitur  efjudisse  :  sicut  ex  eo  mœsti 
corde  colligimus,  quod  pridem  contra  fidèles  pugnantihus  impiis 
accidit  in  partibus  transmarinis :  vermn  ciun  propter  hoc  sit  in  Sedis 
apostolicœ  voto  potissimum,  ut  de  ipsius  redemptione  terrse,  com- 
munis  desiderii  cito  Deo  propitio  proi>eniot  complementum  :  digne 
proi'idimus,  ut  ad  procurandum  Dei  favorem  vos  nostris  litteris 
excitemus.  Rogamus  itaque  universitatem  vestram,  et  obsecramus 
in  Domino  Jesu  Christo.  mandantes  quatenus  singuli  vestrum  fidè- 
les populos  vestrse  curse  commissos  in  vestris  prœdicationibus,  vel 
quando  pœnitentiam  ipsis  injungitis,  piis  monitis  inducatis,  con- 
cessa  super  hoc.  prout  expedire  videritis,  indulgentia  speciali,  ut 
in  testamentis,  quse  pro  tempore  fecerint,  aliquid  inTerrse  Sanctse, 
vel  imperii  Romanise  subsidium.,  pro  suorum  peccaminum  remis- 
sione  relinquant:  attentius  provisuri,  ut  quodipsi  adCrucifixi  reve- 
rentiam  habendo  respectum  in  pecunia  pro  hujusmodi  suhventione 
dederint,  in  certis  locis  sub  sigillis  vestris  conservari  fideliter,  et 
illa,  quœ  in  rébus  aliis  ad  hoc  legata  fuerint,  diligenter  in  scriptis 
redigi  faciatis.  Hoc  autem  pietatis  opus,  in  quo  sala  causa  Dei  quœ- 
ritur,  et  salus  fidelium  procuratur,  sic  vestra  sinceritas  promptis 
prosequatur  affectibus,  ut  tandem  securi  de  manu  superni  Judicis 
cœlestis   gloriœ  prsemium  expectetis. 

Can.    16. 

Les  Tartares  ont  envahi  la  Pologne,  la  Russie,  la  Hongrie,  et  encore 
d'autres  territoires  chrétiens  ;  ils  se  sont  livrés  à  toutes  sortes  d'excès  sans 
distinction  d'âge  ni  de  sexe.  Ils  menacent  encore  d'autres  contrées  et  il 
est  grand  temps  de  s'opposer  à  leur  invasion.  C'est  pourquoi  on  fortifiera 
au  moyen  de  retranchements,  de  murs  et  de  tours,  etc.,  tous  les  chemins 
et  tous  les  défilés  par  lesquels  ils  pourraient  pénétrer  en  territoire  chré- 
tien; de  plus,    on  avertira  le  pape  de  toutes  leurs  tentatives,  afin  qu'il 


1654  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    III 

puisse  convoquer  toute  la   chrétienté  à  se  porter  au  secours  des    pays 
menacés. 

Lui-même  contribuera  à  réunir  les  ressources  nécessaires  à  cet  eiïet  et 
demandera  aux  autres  chrétiens  de  lui  fournir  le  supplément  indispensable. 

Chrislianœ  religionis  cultum.  longius  latiusque    per    orhem    dif- 
fundi  super  omnia   ciipientes,    insestimahilis  doloris  telo  transjodi- 
mur,  si  quando  aliqui  sic  nostro  in  hac  parte  ohi>iant  desiderio,  affe- 
ctu  contrario  et  effectu,  quod  ipsum  cultum  delere  penitus  de  terrse 
superficie  omni  studio  totaque  potentia  moliuntur.  Sane  Tartarorum 
gens  impia,  christianum  populum  subjugare  sibi,    i>el  potius  peri- 
mere,     appetens,     collectis    jamdudum    suarum    çiribus  nationum, 
Poloniam,   Rusciam,  Hungariam,     aliasque    christianorum    regio- 
nes   ingressa,   sic  m  cas  depopulatrix  insseçit,   ut   gladio   ejus   nec 
setati  parcente  nec  sexui,  sed  in  omnes  indifferenter  crudelitate  hor- 
ribili  debacchante,  inaudito  ipsas  exterminio  devdstarit,  ac  aliorum 
régna  continuato  progressa  illa  sibi,  eodein  in  vaginaotiari  gladio 
nesciente,    incessabili   persecutione  substerjiit;    ut  subsequenter  in 
robore  fortiores  exercitus  christianos    in^adens,    suam    plenius    in 
ipso  possit   sœvitiani    exercera,  sicque  orbato,  quod  absit,  fulelibus 
orbe,  fides  exorbitet,  dum  sublatos   sibi  genuerit  ipsius   gentis  feri- 
tate   cultores.    Ne   igitur    tain    detestanda    gentis    ejusdeni    intentio 
proficere     i'cdeat,     sed     deficiat    auctore    Deo    potius,    et    contrario 
concludatur  eventu  :  ab  universis  christicolis    attenta    est  conside- 
ratione  pensandum,  et  procurandum  studio  diligenti,  ut  sic   illius 
impediatur    processus,    quod    nequeat    ad    ipsos  ulterius  quanturn- 
cumque    potenti    armato    brachio    pertransire.  Ideoque    sacro  sua- 
dente  concilio,  uniç>ersitatem    i>estram  monemus,  rogamus,  et  horta- 
mur,    attente    mandantes,    quatenus    wiam   et    aditus,    unde    in  ter- 
ram  nostram  gens  ipsa   posset   ingredi,    solertissime   perscrutantes , 
illos  fossatis  vel  mûris,  seu  aliis  sedificiis,  prout  expedire  uideritis, 
taliter  prsemunire  curetis,   quod  ejusdem  gentis  ad    i>os    ingressus 
patere  de  facili  nequeat.  Sed  prius  apostolicseSedi  suus  denunciari 
possit  adventus  :  ut,  ea  vobis  fidelium  destinante  succursum,  contra 
conatus  et  insultas  gentis  ipsius  tuti  esse,   adjutore  Domino  \'alea- 
iis.  Nos  enim  in  tam  necessariis  et  utilibus  expensis,    quas   ob   id 
feceritis,   contribuemus    magnifiée,    ac   ab    omnibus   christianorum 
regionibus,  cum  per  hoc  occurratur  comniunibus  periculis,  propot- 
tionaliter    contribui     faciemus,     et     nihilominus     super     his     aliis 
christifidelibus,   per  quorum  partes  habere  posset  adilum   gens  prse- 
dicta^  litteras  prassentibus  similes  destinamus. 


668.    TREIZIÈME    CONCILE    GENERAL    (lYON,     1245)*  1655 

Can.  17. 

Tous  ceux  qui  ont  pris  la  croix  devront  se  préparer  et  se  réunir  en 
temps  utile,  pour  accomplir  leur  passage  en  Terre  Sainte,  dans  les 
villes  désignées  par  les  prédicateurs  et  *les  nonces  particuliers  du 
pape.  Tous  les  clercs  accompagnant  l'armée  des  croisés  devront  prier 
assidûment  et  exhorter  les  croisés,  en  leur  donnant  eux-mêmes  l'exemple 
par  leurs  paroles  et  leurs  actes,  à  avoir  toujours  Dieu  présent  dans  leur 
pensée  et  à  ne  rien  faire  qui  puisse  blesser  la  majesté  du  Roi  éternel.  Celui 
qui  (parmi  les  croisés)  aura  commis  une  faute  devra  se  réconcilier  par  une 
véritable  pénitence.  Tous  devront  pratiquer  l'humilité  aussi  bien  dans  leur 
conduite  privée  que  dans  leur  manière  d'être  extérieure,  et  observer  la 
modestie  dans  leur  costume  et  leur  nourriture  ;  ils  éviteront  toute  dis- 
corde et  tout  sentiment  de  haine,  etc..  On  exhortera  les  chefs  de  l'ar- 
mée  et  ceux  qui  possèdent  de  la  fortune  à  s'abstenir,  par  égard  pour  la 
sainte  croix,  de  toute  orgie  et  de  tout  festin,  etc.,^t  à  consacrer  les 
sommes  qu'ils  auraient  employées  à  cet  usage  au  bien  de  la  Terre  Sainte, 
ce  qui  leur  vaudra  l'attribution  d'indulgences  par  leurs  prélats.  Les  clercs 
qui  accompagneront  l'armée  des  croisés  jouiront  pendant  trois  ans  de 
1119  leurs  bénéfices,  tout  comme  s'ils  avaient  continué  à  résider,  et  ils 
pourront,  si  c'est  nécessaire,  mettre  en  gage  ces  bénéfices  pour  ce 
même  temps.  Tous  ceux  qui  ont  pris  la  croix  seront  obligés  par  la 
menace  de  l'excommunication  et  de  l'interdit,  si  c'est  nécessaire,  à 
accomplir  leur  vœu;  tous  les  patriarches,  archevêques,  évêques,  etc., 
et  en  général  tous  ceux  qui  ont  charge  d'àmes,  devront  prêcher  la 
croisade  à  tous  ceux  qui  sont  sous  leur  juridiction,  rois,  ducs,  princes, 
comtes,  barons,  villes  et  bourgades,  et  les  adjurer,  s'ils  ne  peuvent  en 
personne  marcher  au  secours  de  la  Terre  Sainte,  de  lever  un  nombre 
convenable  de  soldats  et  de  pourvoir  pendant  trois  ans  à  leur  entretien; 
ils  obtiendront,  par  contre,  la  rémission  de  leurs  péchés,  ainsi  que  nous 
l'avons  déjà  fait  connaître  par  notre  précédent  rescrit  général. 

Participeront  à  cette  rémission  non  seulement  ceux  qui  fourniront 
eux-mêmes  des  navires,  mais  aussi  ceux  qui  auront  contribué  à  les  con- 
struire. Celui  qui  refusera  de  prêter  son  concours  en  rendra  compte  au 
jugement  dernier. 

Nous  ordonnons  en  outre,  avec  l'approbation  du  concile,  que  tous  les 
clercs,  tant  inférieurs  que  prélats,  fourniront  pour  la  Terre  Sainte,  pen- 
dant trois  ans,  le  vingtième  des  revenus  de  leur  église,  à  l'exception 
de  certains  ordres  religieux  et  de  ceux  qui  auront  pris  la  croix.  Nous- 
même  et  nos  frères  les  cardinaux  de  l'Eglise  romaine,  nous  consacrerons  à 
la  même  œuvre  la  dixième  partie  de  nos  revenus  (cf.  can.  14).  Quiconque 
s'affranchira  de  cette  obligation  sera  excommunié. 

Les  croisés  seront  exempts  des  tailles  et  autres  redevances  et  seront 


1656 


LIVRE     XXXVf,    CHAPITRE      III 


placés,  eux  et  leurs  biens,  sous  la  protection  particulière  de  saint  Pierre,  du 
pape,  des  évêques  et  de  tous  les  prélats.  En  outre,  on  désignera  pour  eux- 
mêmes  des  protecteurs  spéciaux;  on  ne  pourra  porter  atteinte  à  leurs 
biens  jusqu'à  leur  retour  ou  jusqu'à  ce  que  leur  mort  ait  été  certaine- 
ment constatée. 

Si  un  croisé  s'est  engagé  ^ar  serment  à  payer  des  usures  (intérêts),  le 
créancier  devra  remettre  ce  serment  et  ne  pas  poursuivre  le  recouvre- 
ment des  usures,  on,  s'il  les  aperçues,  il  devra  les  restituer. 

Les  juifs  seront  contraints  par  le  pouvoir  laïque  à  faire  remise  des 
usures  à  leurs  débiteurs,  et  jusque-là  ils  seront  tenus  à  l'écart  par  tous 
les  chrétiens.  Si  avant  son  départ  un  croisé  n'a  pu  payer  un  juif,  sa  dette 
sera  suspendue  pendant  son  absence  jusqu'à  son  retour  ou  jusqu'à  sa 
mort.  Si,  pour  cette  detle,  le  juif  a  reçu  un  gage,  il  devra  imputer  au 
paiement  du  capital  le  produit  de  ce  gage,  déduction  faite  des  dépen- 
ses nécessaires. 

Les  corsaires  et  pirates  ne  mettant  que  trop  d'entraves  aux  secours 
envoyés  en  Terre  Sainte,  capturant  et  spoliant  ceux  qui  s'y  rendent  ou  qui  1120 
en  reviennent,  nous  les  frappons  d'excommunication,  eux,  leurs  protec- 
teurs et  auxiliiares,  interdisant,  sous  peine  d'anathème,  tout  négoce  avec 
eux  et  enjoignant  aux  autorités  locales,  sous  peine  d'anathème  et  d'in- 
terdit, de  les  détourner  de  cette  iniquité  et  de  réprimer  leurs  méfaits. 
Nous  excommunions  également  et  anathématisons  ces  chrétiens  faux 
et  impies  qui  livrent  des  armes,  du  fer  ou  du  bois  de  construction 
pour  navires  aux  ennemis  du  Christ  et  du  peuple  chrétien,  qui  leur  vendent 
des  navires,  prennent  du  service  sur  les  vaisseaux  des  pirates  sarrasins 
ou  leur  prêtent  secours  de  toute  autre  manière.  Ils  seront,  en  outre, 
déchus  de  leurs  biens  et  deviendront  esclaves  de  ceux  qui  les  feront  pri- 
sonniers. 

Cette  sentence  sera  publiée  dans  les  ports  tous  les  dimanches  et  jours  de 
fête,  et  pour  être  admis  dans  l'église,  les  coupables  devront  restituer 
ce  qu'ils  auront  acquis  d'une  manière  si  détestable  et  en  donner  autant 
sur  leurs  propres  biens  en  faveur  de  la  Terre  Sainte.  S'ils  ne  peuvent 
satisfaire    de  cette  façon,  ils  devront  être  châtiés   d'une  autre  manière. 

Sous  peine  d'anathème,  nous  interdisons  à  tous  les  chrétiens  d'envoyer 
pendant  quatre  ans  des  navires  en  Orient  dans  les  territoires  des  Sarrasins, 
afin  que  les  croisés  puissent  avoir  à  leur  disposition  de  nombreux  vais- 
seaux et  que  les  Sarrasins  ne  puissent,  de  leur  côté,  utiliser  ces 
vaisseaux.  De  même,  comme  les  tournois,  déjà  défendus  par  plusieurs 
conciles,  portent  préjudice  à  la  cause  de  la  croix,  nous  les  interdisons 
de  nouveau  pendant  trois  ans,  sous  peine  d'excommunication.  Comme, 
pour  le  bien  de  la  croisade,  il  est  indispensable  avant  tout  que  l'union 
règne  parmi  tous  les  princes  et  tous  les  peuples  chrétiens,  nous  ordonnons, 
sur  le  conseil  de  ce  saint  concile  général,  que  pendant  trois  ans  la  paix 
régnera  dans  tout  le  moiide  chrétien.  Les  prélats  devront   engager  tous 


668.    TREIZIÈME     CONCILE    GENERAL     (lYON,     1245)  1657 

ceux  qui  sont  en  lutte  à  conclure  une  paix  définitive  ou  tout  au  moins 
une  trêve;  ils  devront  nicrne  les  y  forcer  en  les  menaçant  de  l'excom- 
munication et  de  l'interdit.  Seuls  les  méchants  obstinés  ne  pourront  jouir 
de  cette  paix.  On  emploiera  le  bras  séculier  contre  ceux  qui  mépriseraient 
les    censures  ecclésiastiques. 

A  tous  ceux  qui  prendront  part  à  l'expédition,  soit  personnellement,  soit 
par  leur  contribution  en  nature,  nous  accordons  la  remise  complète  (des 
peines  temporelles)  de  leurs  péchés  dont  ils  seront  contrits  et  confessés, 
et  aux  autres,  une  indulgence  proportionnelle  à  leurs   offrandes. 


Afflicti  corde  pro  deplorandis  Terrse  Sanctse  periculis,  sed  pro 
illis  prœcipue,  quœ  constituiis  in  ipsa  fldelihxis  noscuntur  noviter 
accidisse,  ad  liberandam  ipsam,  Deo  propitio,  de  impiorum  manibus, 
lotis  afjectihus  aspiramus,  deffinientes,  sacro  approhante  concilio, 
ut  ita  crucesignati  se  prœparent,  quod  opportuno  tempore  universis 
insinuando  fidelibus  per  prœdicatores,  et  nostros  nuncios  spéciales, 
omnes,  qui  disposuerint  transjretare,  in  locis  idoneis  ad  hoc  conve- 
niant.  de  qiiibus  in  ejusdem  terrœ  subsidium  cum  dii^iîia  et  apo- 
stolica  benedictione  procédant.  Sacerdotes  autem,  et  alii  clerici  qui 
juerint  in  exercitu  christiano,  tani  subditi  quam  prselati,  orationi  et 
exhortationi  diligenter  insistant,  docentes  eos  çerbo  pariter  et  exemplo, 
ut  timorem  et  amoreni  Domini  semper  habeant  ante  oculos,  ne  quid 
dicant  aut  jaciant  quod  ceterni  Régis  majestatem  offendat.  Et  si 
quando  in  peccatum  lapsi  juerint,  per  verarn  psenitentiam  moxresur- 
gant,  gerentes  humilitatem  cordis  et  corporis,  et  tam  in  victu  quam 
in  i^estitu  mediocritatem  servantes,  dissensiones  et  semulationes 
omnino  evitando,  rancore  ac  lii'ore  a  se  penitus  relegatis  :  ut  sic 
spiritualibus  et  materialibus  armis  muniti,  adversus  hostes  fidei  se- 
curius  prœlientur,  non  de  sua  prsesumentes  potentia,  sed  de  divina 
virtute  sperantes .N ohiles  quidem  et  potentes  exercitus,ac  omnes  dii^itiis 
abundantes,  piis  prxlatorum  monitis  inducantur,  ut  intuitu  cru- 
cifixi,  pro  quo  crucis  signaculum  assumpseruni,  ab  expensis  inu- 
tilibus  et  superfluis,  sed  ab  illis  prsecipue,  quœ  fiunt  in  comessatio- 
nibus  et  conviviis,  abstinentes,  eas  commutent  in  personarum  illa- 
rum  subsidium,  per  quas  Dei  negotium  valeat  prosperari  :  et  eis 
propter  hoc,  juxla  prœlatorum  ipsorum  providentiam  peccatorum 
suorum  indulgentia  tribuatur.  Prœdictis  autem  clericis  indulge- 
mus,  ut  bénéficia  sua  intègre  percipiant  per  triennium,  ac 
si  essenl  in  ecclesiis  résidentes,  et,  si  necesse  fuerit,  ea  per 
idem,    tempus    pignori     valeant     obligare.     Ne    igitur     hoc     san- 


1658  LIVRE    XXXVl,     CHAPITRE     Itl 

ctum  propositum  impediri  çel  reiardari  contingdt,  universis 
ecclesiarum  prœlatis  districte  prœcipimus,  ut  singuli  per  loca  sua 
illos,  qui  signum  cruels  deposuerunt,  resumere,  ac  tant  ipsos  quam 
alios  crucesignatos,  et  quos  adhuc  signari  eontigerit,  ad  redden- 
dum  Domino  i^ota  sua  diligenter  moneant,  inducant,  et,  si  necesse 
fuerit,  per  excommunicationis  in  personas,  et  interdicti  sententias 
in  terras  ipsorum,  omni  tergiversatione  cessante,  compellant.  Ad- 
huc ne  quid  in  negotio  Dotnini  nostri  Jesu  Christi  de  contingenti- 
bus  ornittatur,  çolumus  et  mandamus,  ut  patriarchse,  arcliiepiscopi, 
episcopi,  ahhates,  et  alii,  qui  curam  obtinent  animarum,  studiose 
proponant  comrnissis  sibi  verbum  crucis,  obsecrantes  per  Patrem, 
et  Fiiium,  et  Spiritum  Sanctum,  unum,  solum,  verum,  seternum 
Deum,  reges,  duces,  principes,  marchiones,  comités  et  barones,  alios- 
que  magnâtes,  nec  non  communia  civitatum,  villarum  et  oppido- 
rum,  ut  qui  personaliter  non  accesseririt  in  subsidium  Terrœ  Sanctse, 
competentem  conférant  numerum  bellatorum,  cum  expensis  ad 
triennium  necessàriis,  secundum  proprias  facultates,  in  remissio- 
nem  suorum  peccaminum,  prout  in  generalibus  litteris,  quas  pri- 
dem  per  orbem  terrse  misimus,  est  expressum,  et  ad  majorem  cau- 
telam   inferius   etiani  exprimelur. 

Hujus  remissionis  volumusesse  participes  non  solum  eos,qui  ad 
hoc  nai>es  proprias  exhibebunt,  sed  illos  etiam,  qui  propter  hoc  opus 
naves  studuerint  fabricare.  Renuentibus  àutem,  si  qui  forte  tam 
ingrati  fuerint  Domino  Deo  nostro,  ex  parte  apostolica  firmiter  pro- 
testentur,  ut  se  sciant  super  hoc  nobis  in  novissima  districti  examinis 
diecoram  tremendo  judice  responsuros  :  priustamen  considérantes, 
qua  scientia  quave  securitate  comparere  poterunt  coram  unigenito 
Dei  Filio  Jesu  Christo  cui  omnia  dédit  Pater  in  manus,  si  ei  pro 
peccàtoribus  crucifîxo  sentir e  renuerint  in  hoc  negotio  quasi  proprie 
sibi  proprio,  cujus  munere  çiuunt,  cujus  beneficio  sustentantur, 
quin  etiam  cujus  sanguine  sunt  redempti.  Ceterum  ex  communi  con- 
cilii  approbatione  statuimus,  ut  omnes  omnino  clerici,  tam  sub- 
diti  quam  pnclati,  iàgesimam  ecclesiarum  proventuum  usque  ad 
triennium  conférant  in  subsidium  Terrœ  Sanctae  per  manus  eorum, 
qui  ad  hoc  apostolica  fuerint  propidentia  ordinati,  quibusdam  dun- 
taxât  religiosis  exceptis,  ab  hac  prœstatione  merito  eximendis, 
illisque  similiter  qui'  assumpto  vel  assuniendo  crucis  signaculo  sunt 
personaliter  profecturi.  Nos  et  fratres  nostri  sanctse  tomanse  Eccle- 
sice  cal'dinales  plendrie  decimam  persoh'emus,  scientque  se  omnes  ad 
hoc  fideliter  observandum  per  excommunicationis  sententiam  obli- 


G68.    TREIZIÈME     CONCILE    GENERAL    (lyON,      1245)  1659 

gatos  :  ita  quod  illi,  qui  super  hoc  fraiidem   scienter   commiserint, 
sententiam   excommunicationis   incurrant. 

Sane  quia  justo  judicio,  cœlestis  imperatoris  obsequiis  inhœren- 
tes,  speciali  decet  prœi'ogatica  gaudere,  crucesignati  a  collectis  i'el 
talliis  aliisque  gravaminihus  sint  immunes,  quorum  personas  et 
bona  post  crucem  assumptam  suh  beati  Pétri  et  noslra  protectione 
suscipimus  :  statuentes,  ut  sub  archiepiscoporum.,  episcoporum 
ac  o?nnium  prselatoruin  Ecclesiœ  Dei  defensione  consistant  :  pro- 
priis  nihilominus  protectoribus  ad  hoc  specialiter  deputandis,itaut, 
donec  de  ipsorum  reditu  vel  obitu  certissime  cognoscatur,  intégra 
maneajit  et  quieta  :  etsi  quisquam  contra  prsesumpserit,  per  censuras 
ecclesiasticas  compescatur. 

Si  qui  vero  proficiscentium  illuc  ad  prœstandas  usuras  juratnento 
tenentur  adstricti,  creditores  eorum  ut  remittant  eis  prsestitum  jura- 
mentum,  et  ab  usurarum  exactione  désistant,  prsecipimus  distri- 
ctione  compelli.  Quod  si  quisquam  creditorum  eos  ad  solutionem  coe- 
gerit  usurarum,  eum  ad  restitutionem.  earum  simili  cogi  animadver- 
sione    mandamus. 

Judseos  vero  ad  remittendas  usuras  per  ssecularem  compelli 
prsecipimus  potestatem,  et  donec  illas  remiserint,  ab  uniuersis 
christifidelibus  per  excommunicationis  sententiam  eis  omnino  com- 
munio  denegetur.  lis,  qui  Judseis  nequeunt  solvere  débita  in  pree- 
senti,  sic  principes  seculares  utili  dilatione  profideant,  quod  post 
iter  arreptum,  quousque  de  ipsorum  reditu  vel  obitu  cognoscatur , 
usurarum  incommoda  non  incurrant,  compulsis  Judseis  proventus 
pignorum,  quos  ipsi  intérim  perceperint  in  sortem,  expensis  dedu- 
ctis  necessariis,  computare  :  cum  hujusmodi  beneficium  non  multum 
i'ideatur  habere  dispendii,  quod  solutionem  sic  prorogat,  quod 
debitum  non  absorbet.  Porro  ecclesiarum  prselati,  qui  in  exhibenda 
justitia  crucesignatis  et  eorum  familiis  négligentes  extiterint,  sciant 
se  graviter  puniendos. 

Ceterum  quia  cursarii  et  pirata-  nimis  impediuntsubsidiumTerrse 
Sanctœ,  capiendo  et  spoliando  transeuntes  ad  illam,  et  redeuntes  ah 
ipsa  :  nos,  eos  et  principales  adjutores  et  fautores  eorum  excommuni- 
cationis çinculo  innodamus;  sub  interminatione  anathematis  inhi- 
bentes,  nequis  scienter  cum  eis  communicet  in  aliquo  venditiojiis 
vel  emptionis  contractu,  et  injungentes  rectoribus  cii^itatum,  et  loco- 
rum  suorum,  ut  eos  ab  hac  iniquitate  revocent,  et  compescant.  Alio- 
quin,  quia  nolle  perturbare  perversos,  niJiil  est  aliud  quam  jovere, 
nec  caret  scrupulo  societatis  occultas  qui  manifesto  facinori  desinit 


1660  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    II! 

ohviare,  in  personas  et  terras  eorum  per  ecclesiarum  prselatos  seve- 
ritatem  ecclesiasticam  çolumus  et  prsecipimus  exerceri.  Excommuni- 
camus  prœterea  et  anathematizamus  illos  falsos  et  inipios  christia- 
nos  qui  contra  ipsum  Christum  et  populum  christianum  arma,  jer- 
rum  et  ligamina  deferunt  galearum  :  eos  etiam,  qui  galeas  eis  {>en- 
dunt  vel  naves,  quique  in  piraticis  Saracenorum  navihus  curam  gu- 
hernationis  exercent,  vel  in  machinis,  aut  quibuslibet  aliis,  aliquod 
eis  impendunt  auxilium  velconsiliurn,  indispendiumTerrœ  Sanctse^ 
ipsosque  rerum  suarum  privatione  mulctari  etcapientium  fore  cen- 
semus  senws.  Prsecipientes,  ut  per  omnes  urhes  maritimas  omnibus 
diehus  dominicis  et  jestivis  hujusmodi  sententia  publiée  innoi^etuVy 
et  talibus  gremium  non  aperiatur  Ecclesise,  nisi  totum  quod  decom- 
mercio  tam  damnato  perceperunf,  et  tantumdem  de  suo,  in  subsi- 
dium  prsedictse  Terrse  transmiserint,  ut  œquo  judicio  in  quo  pecca- 
verint,  puniantur.  Quod  si  forte  non  fuerint  soli^endo,  sic  alias  reatus 
talium  castigetur,  quod  in  pœna  ipsorum  aliis  interdicatur  audacia 
similia  prœsumendi. 

Prohibemus  insuper  omnibus  christianis,  et  sub  anathemate 
interdicimus  ne  in  terras  Saracenorum,  qui  partes  orientales 
inhabitant,  usque  ad  quadriennium  Iransmiltant  vel  trans^>eliant 
7iaçes  suas,  ut  per  lias  i^olentibus  transfretare  in  subsidium  Terrœ 
Sanctse  major  nai'igii  copia  prœparetur,  et  Saracenis  prœdictis 
subtrahatur  auxilium  quod  eis  consuei'it  ex  hoc  modicum  provenire. 
Licet  autem  torneamenta  sint  in  dii^ersis  conciliis  sub  certa  pœna 
generaliter  interdicta,  quia  tamen  hoc  tempore  crucis  negotium  per 
ea  plurimum  impeditur,  nos  ea  sub  pœna  excommunicationis  fir- 
miter  inhibemus  usque  ad  triennium  exerceri.  Quia  vero  ad  hoc 
negotium  exequendum  est  permaxime  necessarium,  ut  principes 
et  populi  christiani  ad  invicem  pacem  obser^^ent,  sancta  et  unifier- 
sali  synodo  suadente,  statuimus  ut  per  quadriennium  in  toto  orbe 
christiano  pax  generaliter  obsen^etur,  ita  quod  per  ecclesiarum  prse- 
latos discordantes  reducantur  ad  plenam  pacem,  aut  firmam  treu- 
gam  imnolabiliter  observandam:  et  qui  acquiescere  forte  contempse- 
rint,  per  excommunicationem  in  personas,  et  interdictum  in  terras, 
arctissime  compellantur,  nisi  tanta  fuerit  injuriarum  malitia,  quod 
ipsi  non  gaudere  debeant  tali  pace.  Quod  si  forte  censuram  eccle- 
siasticam vilipenderint,  poterunt  non  immerito  formidare,  ne  per 
authoritatem  Ecclesise  contra  eos,  tanquam  perturbatores  negolii 
crucifixi,  sœcularis  potentia  inducatur.  Nos  ergo  de  omnipotentis 
Dei  misericordia  et  beatorum  apostolorum  Pétri  et  Pauli  authori- 


668.    TREIZIÈME    CONCILE    gÉnÉRAL    (lYON,    1245)  1661 

'Me  confisi,  ex  illa,  quam  nobis,  licet  indignis,  Deus  ligandi  atque 
solvendi  contulit  potestale,  omnibus  qui  laborein  islum  in  propriis 
personis  subierint  expensis,  plenam  suorum  peccatninuni,  de  quibus 
juerint  corde  contriti,  et  ore  confessi,  çeniarn  indulgemus,  et  in  re- 
trihutione  justorum  salutis  seternse  pollicemur  augmentum.  Eis  au- 
tem,  qui  non  in  propriis  personis  illuc  accesserint,  sed  in  suis  dun- 
taxât  expensis,  juxla  facuhatemetqualitatem  suam^nros  idoneos  de- 
stinauerint,  et  aliis  similiter,  qui  licet  in  alienis  expensis,  in  propriis 
tam  personis  accesserint,  plenam  eorum  concedimus  çeniam  pecca- 
torum.  Hujusmodi  quoque  remissionis  concedimus  esse  parti- 
pes,  juxta  quantitaiem  subsidii  et  devotionis  affectum,  omnes  qui  ad 
subventionem  ipsius  Terrve  de  bonis  suis  congrue  ministrabunt,  aut 
circa  prœdicta  consilium  et  auxilium  impenderint  opportunum. 
Omnibus  etiam  pie  proficiscentibus  in  hoc  opère  sanctaetunis'ersa- 
lis  synodus  orationum  et  beneficiorum  suorum  suffragium  impar- 
titur,  ut  eis  digne  proficiat  ad  salutem.  Amen. 

Outre  ces  dix-sept  canons,  promulgués  au  concile  de  Lyon, 
Innocent  IV  a  encore  donné,  d'accord  avec  cette  assemblée,  une 
autre  série  de  décrets;  peu  de  temps  après,  il  envoya  ces  deux 
1121  collections  réunies  à  l'université  de  Bologne  pour  y  être  ensei- 
gnées dans  les  écoles.  Nous  avons  sous  les  yeux  deux  éditions 
de  ces  canons  et  de  ces  décrets,  celle  de  Bôhmer,  dans  son 
Corpus  juris  can.  imprimée  d'après  un  manuscrit  de  Berlin  ^, 
et  celle  de  Mansi  qui,  ignorant  le  travail  de  Bôhmer,  utilisa  en 
1779  un  manuscrit  de  Lucques  -.  Les  deux  éditions  présentent 
quarante-deux  canons,  identiques  de  part  et  d'autre,  sauf  quel- 
ques légères  variantes  3;  mais  il  est  facile  de  constater  qu'ils  ne 
sont  pour  une  part  que  des  abrégés  du  texte  primitif.  Ces  qua- 
rante-deux canons  se  divisent  ainsi  :  «)  les  douze  premiers  des 
dix-sept  canons  donnés  par  la  Brei'is  nota  (leur  ordre  est 
ici  modifié);  b)  un  certain  nombre  d'autres  ordonnances  pro- 
venant   également    du    concile    de     Lyon;     c)    quelques    canons 


1.  Bôhmer,  Dissert,  de  Décrétai,  pontij.,   etc.,§  16,   qui  sert    d'Introduction 
à  la  seconde  partie  du  Corpus  fur.  can.,  1747,  t.  ii,  Appcndix,  p.  351  sq. 

2.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  650.  Cf.  Coleti,  Concilia,  t.  xiv, 
col.  78. 

3.  Dans  Bohnaer,  le  n.  6  n'est  que  le  commencement  du  n.  6  de  Mansi;  le  n.  27 
Jans  Bôhmer  est  bien  plus  complet  que  dans  Mansi. 


1662  IIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    11^ 

d'Innocent  IV,  qui  n'ont  pas  été  publiés  dans  cette  assemblée 
du  synode  de  Lyon  ^.  Il  est  difficile  de  classer  les  textes  des 
deux  sections  h)  et  c),  parce  que  les  inscriptions  Idem  (Inno- 
cent IV)  in  eodeni  [concil.  Lugd.)  ne  sont  pas  toujours  exac- 
tement placées.  Cette  collection  du  pape  Innocent  IV  et,  plus 
tard,  celle  de  Grégoire  X  ont  été  réunies  par  Boniface  VIII, 
qui,  avec  ses  propres  décrets,  en  forma  le  liher  sextus,  une 
continuation  des  cinq  livres  des  décrétales  du  pape  Grégoire  IX. 
Toutes  les  décrétales  du  pape  Innocent  IV  sont  donc  passées,  à 
peu  d'exceptions  près,  dans  le  liber  sextus.  En  tenant  compte 
des  données  chronologiques  qui  se  trouvent  dans  ces  canons  et 
qui  obligent  à  retarder  certains  d'entre  eux  dans  les  dernières 
années  du  pape  Innocent  IV,  nous  croyons  pouvoir  ajouter 
aux  dix-sept  canons  précédents  les  douze  qui  suivent,  comme 
étant  aussi  du  concile  de  Lyon  : 

Can.   1. 

Lorsqu'une  élection,  postulation  ou  provision  est  attaquée  pour 
vice  de  forme  ou  à  cause  de  la  personne  de  l'élu,  et  que  l'affaire  vient  en 
apj.el  devant  le  pape,  les  deux  parties  et  en  général  tous  les  intéressés 
devront,  dans  le  délai  d'un  mois,  se  rendre  à  Rome  personnellement  ou 
par  procureur.  Si,  vingt  jours  après  l'arrivée  d'une  des  parties,  l'autre  ne 
s'est  pas  encore  présentée,  on  tranchera  la  question  sans  tenir  compte  1122 
de  cette  absence.  Cette  mesure  s'appliquera  aux  dignités,  personats 
et  canonicats.  Quiconque  aura  opposé  un  vice  de  forme  et  ne  pourra 
le  prouver  devra  dédommager  l'autre  partie  des  débours.  Quiconque 
n'aura  pu  prouver  les  accusations  portées  par  lui  contre  la  personne 
(de  l'élu)  sera  suspens  de  ses  bénéfices  pendant  trois  ans,  et  s'il  s  y 
ingère,  il  en  sera  privé. 

Statuiiiius,  ui  si  quis  electionem,  postulalionein  vel  provisionem 
jactam  impugnat  in  formam  objiciens  aliquid,  vel  personain,  et 
propter  hoc  ad  nos  appellari  contigerit,  tam  is  qui  opponit,  quam  qui 
défendit  et  generaliler  oinnes  quorum  interest,  et  quos  causa  contin- 
git,  per  se  vel  procuratores  idoneos  ad  causant  sufficienter  in- 
structos,  ad  Sedem  apostolicam  a  die  ohjectionis  iter  arripiant  intra 
mensem.  Sed  si  pars  aliqua  non  çenerit  per  viginti  dies  post  ad- 
ventum  alterius  partis  expectata  in  electionis   negotio   non  obstante 

1.  Bôhmer^  DisnerL,  loc.  cit.,  §  17,  note  103;  Walter,  Kirchenrecht,  %  106; 
Schmidt,  Geschichte  der  Quellen,  p.  492  sq. 


668.    TREIZIÈME     CONCILE    GENERAL     (lyON,     1245)  1663 

ciqusquam  ahsentia,  sicut  de  jure  fuit,  procedatur.  Hoc  autem  irp 
dignitatibus,  personatihus  et  canonicis  observari  volumus  et  man- 
danius.  Adjicimus  etiam,  ut  qui  non  plene  prohavit,  quod  in  for- 
mam  opposuit,  ad  expensas,  quas  propler  hoc  pars  altéra  se  fecisse 
docuerit,  condemnetur.  Qui  vero  inprohatione  defecerit  ejus,  quod 
ohjicit  in  personam,  a  beneficiis  ecclesiasticis  triennio  noverit  se 
suspensurn,  ad  quœ  si  injra  illud  tempus  se  propria  temeritate  in- 
gesserit,  tune  illis  ipso  jure  perpetuo  sit  priçatus,  nullam  super  hoc 
de  misericordia  spem  aut  fiduciam  habiturus,  nisi  manij estissimis 
constiterit  argumentis  quod  ipsum  a  calumniœ  i'itio  causa  proba- 
bilis,  et  manifesta  excusât.  —  Sexti  Décret.,  1.  I,  tit.  vi,  De  electione 
et  electi  potestate,   c.    1. 

Can.     2. 

Défense  à  l'archevêque  de  Reims  d'établir  des  officiaux  dans  les  dio- 
cèses de  ses  sufTragants,  etc..   (juridiction  des  juges  d'appel). 

Romana  Ecclesia.  Et  infra,  Prohibemus  quoque,  ne  Remensis 
archiepiscopus  diœcesibus  suffraganeorum  suorum  foraneos  officiales 
constituai  :  quia  cuin  metropolitanis  ne  suorum  suffraganeorum 
ingrediantur  diœceses,  ut  in  eis  autJioritate  propria  judicent,  dispo- 
nant, oliquidi'e  oliud  agant  canonica  prohibeant  instituta  :  nequa- 
quam  hoc  possunt  in  illis  per  alias  exercere.  Nec  pro  eo  quod  cau- 
sas per  appellationem  delatas  ad  ipsos  possunt  in  suffraganeorum 
suorujn  diœcesibus  delegare,  similiter  licet  eis  taies  officiales  insti- 
tuere  in  eisdem,  qui  eorum  vice,  cumappellatur  ad  ipsos,  citationes, 
i'cl  inhihitiones  faciant,  seu  compescant  in  hac  parte  rebelles;  quia 
in  causis  per  appellationes  devolutis  ad  ipsos  jam  jurisdictionem 
obtinere  noscuntur,  propter  quod, licite  possunt  super  illis  committere 
vices  suas.  Non  sic  autem  in  aliis,  in  quibus  nondum  exstitit  ap- 
pellatum,  et  idcirco  non  debent  aliquos  constituere  pro  citationibus 
in  futuris  causis  appellationum,  et  inhibitionibus  faciendis  :  nisi 
aliud  Remensis  Ecclesia,  civca  talium  officialium  institutionem 
de  consuetudine  obtineat  speciali.  A  quibus  etiam  si  de  consuetu- 
dine  hujusmodi  possint  in  Remensi  provincia  constitui  :  inhibi- 
tiones  tamen,  ne  procedatur  in  causis  prias  quant  ad  Remensem 
curiam  appellalur,  fieri  penitus  inhibemus.  Officiales  autem  Remen- 
sis archiepiscopi  [quamdiu  in  sua  provinciavelcircaillamextiterit) 
in  suffraganeos  interdicti,  suspensionis,  \>el  excommunicationis 
proferre  sententias  ne  attentent.  Et  hoc  idem  ab  offlcialibus  alio- 
rutn    melropolilanorum    circa     ipsorum     suffraganeos,    quibus    oh 


1664  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    III 

reverentiam  poniificalis  ofjicii  deferri  çolumu.s  in  hac  parte  prœ- 
cipimus  ohservari.  —  Sexti  Décret.,  1.  I,  til.  xvi,  De  ofjîcio  ordi- 
narii,  c.  1, 

Can.  3. 

Dans  les  causes  civiles,  le  juge  ne  devra  pas  remettre  le  jugement 
de  la  question  principale  pour  Vexceptio  spolii  proposée  par  une  personne 
autre  que  le  plaignant.  Si  l'accusé  estime  qu'il  a  été  spolié,  dans  une 
cause  civile  par  le  plaignant,  dans  une  cause  criminelle  par  toute  autre 
personne,  il  devra  en  apporter  la  preuve  dans  le  délai  de  quinze 
jours,  etc.. 

Frequens  et  assidua  nos  querela  circunusirepit,    qiiod    spolialio- 
nis  exceptio  nonnunquam,  in  judiciis  calumniose  proposita,  causas 
ecclesiasticas  impedit  et  perturbât:  dum  eniin  exceptioni  insistitur, 
appellationes  interponi  contingit,  et  sic  intermittitur,  et  plerumque 
perimitur     causas     cognitio     principalis.    Et     propterea     nos,     qui 
voluntarios  labores  appetimus,  ut  quieteni  aliis  prasparemus,  finein 
litihus   cupientes   imponi,   et  calumniœ   materiam  amputare,     sta- 
tuimus,   ut  in  ci^'ilibus  negotiis  spoliationis  objectu  [quse  ab  alio, 
quant  ab  actore  facta  proponitur)  judex  in  principali  procedere  non 
postponat.   Sed  si  in  civilibus    ah    actore,    in    criminalibus  autem 
se  spoliatuni  reus  asserat  a   quocuinque  :   inlra  quindecim  dierum 
spatium  post  dient   in  quo  proponitur  quod   asserit  comprobabit   : 
alioquin   in   expensis,quas    intérim   actor    oh    hoc   fecerit,  judiciali 
taxatione    pra'hahita,    condemnetur;  alias  si  judici    sequuin    visujn 
fuerit,    puniendus.    Illum    autem   spoliatuni    intelligi    volumus    in 
hoc  casu,  cum  criminaliter  accusatur,   qui   iota  sua   substantia   vel 
majore    parte    ipsius   se    per    i'iolentiam    destitutum    affirmât,    et 
secundum  hoc  loqui  canones,   sano  credendum    est  intellectu  :  quia 
nec  nudi  contendere,  nec   inermes    inimicis  nos  opponere  debemus; 
habet  enim  spoliatus  privilegium  ut  non  possit  exui  jam   nudatus. 
Solet  autem   inter  scholasticos  dubitari,  si  expoliatus  a    tertio,  de 
expoliationc  contra  suum  accusatoremexcipiat,  aneitenipus  ajudice 
debeat  indulgeri,  infra  quod  restitutionem  imploret,  ne  forte  sici>elit 
existere  ut  omnem  accusationem  éludât,  quod  salis  sequitati,  etjuri 
consonum   existimamus.   Quod  si   mfra  tempus  indultum  restitutio- 
nem non  petierit,  et  causam  cum  potuerit  non  ducat  ad  finem,  non 
obstante   spoliationis    exceptione,     deinceps     poterit    accusari.    Ad 
hoc  sancimus  ut  rerum  prii^atarum    spoliatio    agenti    super    eccle- 


668.    TREIZIÈME     CONCILE    gÉnÉRAI.    (lvON,     1245)  1065 

sîaslicis,   vel  e  contrario,   nullatenus  opponatiir.   —  Sexti  Décret., 
1.   H,  lil.  V,  De  rcfitilutionc  spultaturuni,  c.  1. 

Can.   4. 

Dans  une  instance  d'appel,  on  ne  pourra  adtneltre  comme  témoin  celui 
qui  en  première  instance  étail  le  j)iocureur  ou  l'avocal  de  l'appelant;  on 
ne  devra  pas  toujours  faire  prêter  serment  à  l'appelant,  si  la  présomption 
est  en  sa  faveur,  mais  seulement  si  les  circonstances  et  les  personnes 
semblent  l'exiger. 

Romana  Ecclesia,  etc.  Et  infra.  In  appellationis  causa,  is,  qui 
appellantis  procurator  çel  adi^ocaius  in  priori  judicio  fuerit^ 
non  recipiatur  in  testeni.  Neque  indistincte  ipsi  appellanti,  prse- 
sumptione  faciente  pro  eo,  deferatur  etiam  juramentum;  sed 
tune  cunt  inspectis  personarum,  et  ipsius  causse  circumstantiis,  id 
fuerit  jaciendum.  —  Sexti  Décret.,  1.  II,  tit.  x,  De  testibus  et  attest., 
c.  3. 

Can.   5. 

Comment  peut  être  proposée  et  doit  être  prouvée  l'exception  d'ex- 
communication. 

Pia  consideratione  statuit  mater  Ecclesia,  quo  majoris  excommu- 
nicationis  exceptio,  in  quacumque  parte  judiciorum  opposita  lites 
différât  et  repellat  agentes,  ut  ex  hoc  magis  sententia  ecclesiastica 
timeatur,  communionis  periculum  epitetur,  contumaciœ  l  vitium 
reprimatur,  et  excommunicati  {dum  a  communibus  actibus  exclu- 
duntur)  rubore  suffusi  ad  humilitatis  gratiam,  et  reconciliationis 
ajj'ectuin  inclinentur  ;  sed  hominum  succrescente  malitia,  quod 
provisum  est  ad  remedium,  tendit  ad  noxam.  Dum  enim  in  causis 
ecclesiasticis  frequentius  hœc  exceptio  per  malitiam  opponitur, 
contingit  interdum  differri  negotia,  et  partes  jatigari  laboribus  et 
expensis  :  proinde  {quia  morbus  iste  quasi  communis  irrepsit)  di- 
gnum  duximus  communem  adhibere  medelam.  Si  quis  igitur  ex- 
communicationem  opponit,  speciem  illius  et  nomen  excommunica- 
toris  exprimat,  sciturus  eam  rem  se  déferre  debere  in  publicam  no- 
tionem,  quam  intra  octo  dierum  spatium  {die  in  quo  proponitur 
minime  computato)  probare  valeat  apertissimis  documentis.  Quod 
si  non  probaçerit,  judex  in  causa  procedere  non  omittat,  reum  in 
expensis,  quas  actor  ob  hoc  diebus  illis  se  fecisse  docuerit,  prce- 
habita  taxatione  condemnans.  Si  i'cro  postmodum  instantia  du- 
rante judicii  et  probationis  copia  succedente,  deeadem  excommuni- 

CONGILES  —  V  —  105 


1666  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    III 

catione,  vel  alla  excipiatur  iteruin,  et  probetur,  actor  in  sequentihus 
excludatur,  donec  meruerit  ahsolutionis  gratiam  obtinere,  iis,  quse 
prœcesserunt,  in  suo  robore  duraturis.  Proi>iso  quod  ultra  duas 
vices,  hœc  non  opponatur  exceptio  :  praeterquam  si  excommunica- 
tio  noça  emerserit,  vel  eçidens,  et  prompta  probatio  supervenerit 
de  antiqua.  Sed  si  post  rem  judicatam  talis  exceptio  propona- 
tur,  executionem  impediet,  sed  sententia,  quse  prsecessit,  non  minus 
robur  debitum  obtinebit,  eo  tamen  salvo,  ut  si  actor  excommunicatus 
sit  publiée  et  hoc  judex  noverit  quandocumque,  etsi  de  hoc  reus 
non  excipiat,  judex  officio  suo  actorem  repellere  non  postponat.  — • 
Sexti  Décret.,  1.  II,  tit.  xii.  De  exceptionibus,  c.  1. 

Can.  6, 

Le  juge  ecclésiastique  prévaricateur  sera  déposé  de  sa  charge  pendant 
un  an  et  devra  indemniser  la  partie  lésée. 

Cuju  œterni  tribunal  Judicis  illum  reum  non  habeat,  quem  in- 
juste judex  condemnat,  testante  Propheta,  non  damnabit  eum, 
cum  judicabitur  illi^:  caveant  ecclesiastici  judices,  et  prudenter 
attendant  ut  in  causarum  processibus  nihil  çindicet  odium,  vel  fa<,>or 
usurpet,  timor  exulet,  prsemium  aut  expectatio  prsemii  justitiam 
non  eçertat,  sed  stateram  gestent  in  ?nanibus,  lances  appendant 
sequo  libramine,  ut  in  omnibus,  quse  in  causis  agenda  fuerint, 
prsesertim  in  concipiendis  sententiis  et  ferendis,  prse  oculis  habeant 
solum  Deum,  illius  imitantes  exemplum,  qui  querelas  populi  taber- 
naculum  ingressus  ad  Dominum  referebat;  ut  secundum  ejus  im- 
perium  judicaret.  Si  quis  autem  judex  ecclesiasticus,  ordinarius 
aut  etiam  delegatus,  famas  suse  prodigus,  et  proprii  persecutor  ho- 
noris contra  conscientiam  et  contra  justitiam  in  gravamen  partis 
alterius  in  judicio  quicquam  fecerit  per  gratiam,  vel  per  sordes,  ab 
executione  officii  per  annum  noverit  se  suspensum;  ad  œstimatio- 
nem  litis  parti  quam  laeserit  nihilominus  condemnandus  :  sciturus 
quod  si  suspensione  durante  damnabiliter  ingesserit  se  diç>inis,irre- 
gularitatis  laqueo  se  involvet  secundum  canonicas  sanctiones,  a  qua 
nonnisi  per  Sedem  apostolicam  poterit  liberari,  suivis  aliis  con- 
stitutionibus ,  quse  judicibus  maie  judicantibus  psenas  ingerunt  et 
infligunt.  Dignum  est  enim,  ut  qui  in  tôt  prœsumpserit  offendere, 
pœna  multiplici  castigetur.  —  Sexti  Décret.,  1.  II,  tit.  xiv,  De  senten- 
tia et  re  judicata,  c.  1  ^. 

1.  Ps.  XXXVI,  ûo3. 

2.  Kober,  Kirchenbann,  p.  215. 


668.    TREIZIÈME    CONCILE    GENERAL    (lyON.      1245)  1667 

Can.   7. 
Extrait  de  la  bulle  d'excommunication  de  Frédéric  II. 

Ad  apostoUcse  dignitatis  :  et  infra.  Sane  cum  dura  guerrarum 
commotio  nojinuUas  professionis  christianx  provincias  diutius 
afjlixisset,  nos  toto  cupientes  mentis  affectu  tranquillitatem,  et 
pacem  Ecclesise  sanctse  Dei,  ac  generaliter  cuncto  populo  chri- 
stiano,  ad  Fredericum,  prœcipuum  principem  sœcularem,  hujus 
dissensionis  et  trihulationis  auctorem,  a  felicis  recordationis  Gre- 
gorio  papa  prsedecessore  nostro  pro  suis  excessihus  anathematis 
vinculo  innodatum,  spéciales  nunlios  et  tnagnae  authoritatis  viros  vi- 
delicet  ven.  fratres  nostros  P.  Albanensem,  et  H.  Sahinensem,  episco- 
pos,  ac  dilectum  filium  Guilielmum.Basilicas  XI I  Apostolorum  pres- 
byterum  cardinalein,qui  salutem  zelahantur  ipsius.duximus  destinan- 
dos,facientes  sibi  proponi  per  ipsos,quod  nos,et  fratres  nostri, quantum 
m  nobis  erat,  pacem  per  omnia  secum  habere,  nec  non  cum  omnibus 
hominibus  optabamus,  parati  sibi  pacem  et  tranquillitatem  dare, 
ac  mundo  etiam  unii'erso.  Et  quia  prœlatorum,  clericorum,  omnium- 
que  aliorum,  quos  detinebat  captivos,  et  omnium  tam  clericorum 
quam  laicorum,  quos  ceperat  in  galeis,  restitutio  poterat  esse  pacis  plu- 
rimum  inductiua,  unde  illos  restituera;  et  cum  idem  tam.  ipse,  quam 
sui  nuncii  antequam  ad  apostolatus  vocati  essemus  ofjicium  pro- 
jnisissent,  rogari  et  peti  ab  ipso  fecimus  per  eosdem,  ac  proponi 
msuper  quod  iidem  pro  nobis  parati  erant  audire  et  tractare  pacem, 
ac  etiam  audire  satisfactionem,  quam  facere  vellet  princeps  de  om- 
nibus, pro  quibus  erat  vinculo  excommunicationis  adstrictus;  et 
offerri  prœterea  quod  si  Ecclesia  eum  in  aliquo  contra  debitum 
lœserat,  quod  non  credebat,  parata  erat  corrigere  ac  in  statum 
debitum  reformare.  Et  si  diceret  ipse  quod  in  nullo  contra  justitiam 
Ecclesiam  Iseserat  vel  quod  nos  contra  justitiam  lœsissemus,  parati 
eramus  vocare  reges,  prœlatos,  et  principes  tam  ecclesiasticos,  quam 
sœculares  ad  aliquem  tutum  locum,  ubi  per  se,  vel  per  solemnes 
nuncios  convenirent;  eratque  parata  Ecclesia  de  consilio  concilii 
sibi  satisfacere  si  eum  lœsisset  in  aliquo  ac  revocare  sententiam  si 
quam  contra  ipsum  injuste  tulisset,  et  cum  omni  mansuetudine 
et  misericordia,  quantum  cum  Deo  et  honore  suo  fieri  poterat,  reci- 
pere  de  injuriis  et  offensis  ipsi  Ecclesise  suisque  per  eum  irrogatis 
satisfactionem  ab  ipso  volebat,  et  omnes  amicos  suos  sibi  adhœrentes 
in  pace  ponere  plenaque  securitate  gaudere,  ut  nunquam  hac 
occasione  possent  aliquod  subire  discrimen.  Sed  licet  sic  apud  eum 


^C68  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    III 

paternis  monitis  pro  pace  curaremus  et  precum  insistere  lenitate' 
idem  tamen  Pliaraonis  imiiatus  duritiam,  et  ohturans   more  aspidis 
aures  suas,  preces  hujusmodi,  et  monita  elata  ohstinatione,  ac  ohsti- 
nata  elatione  despexit  :  propier    quod    non    valentes    ahsque  graçe 
Christi   offensa  ejus  iniquitates  amplius   tolerare,   cogimur,  urgente 
nos  conscientia,  juste  animadvertere  in  eumdem;  ut  ad  prsesens  de 
cœteris    ejus    scelerihus   taceamus,    quatuor    graçissima,    quœ.  nulla 
possunt    tergiçersatione    celari,    commisit.  Dejeraçit  enim  multoties 
pacem  quondam  inter  Ecclesiam  et'imperium  reformatam    temere 
violando,  etc.  Et  infra.   Perpetravit  etiam  sacrilegium  capi  faciens 
cardinales  S.    R.    E.,   ac  aliarum   Ecclssiarum  prselatos  et  clericos 
religiosos  et  sœculares  venientes  ad  concilium  quod  idem  prsedeces- 
sor  duxerat  convocandum,  etc.    Et  infra.  De  hœresi  quoque  non  du- 
hiis  et  levihus,  sed  difpcilibus  et  e^'identibus    argumentis   suspectus 
hahetur,  etc.  Et  infra.  Prseter  hoc  regnum  Sicilise,  quod  est  spéciale 
patrimonium  B.  Pétri  et  idem  princeps  ah  apostolica  Sede  hahehat 
in  feudum,  jam  ad  tantam  in  clericis  et  laicis  exinanitionem  servi- 
tutemque  redegit,  quod  eis  pêne  penitus  nihil  habeniibus  et  omnibus 
exinde  fere  probis  ejectis,  illos,  qui  remanserunt  ibidem  sub  serçili 
quasi   conditione   vivere   ac  romanam.   Ecclesiam,  cujus  sunt  prin- 
cipaliter  homines  et  çassalli,  offendere  multipliciter  et  hostiliter  im- 
pugnare  compellit.  Posset  etiam,  merito  reprehendi,  quod  mille  qui- 
dam fartorum  annuam  pensionem,  in  qua  pro  eodem    regno    ipsi 
romance  Ecclesiœ  tenetur,  per  novem    annos    et     amplius     solçere 
prcetermisit.  Nos  itaque  super  prœmissis,  quam  pluribus  aliis  ejus 
nefandis  excessibus  cum  fratribus  nostris,  et  sacri  concilii  delibe- 
ratione  prœhabita  diligenti,  cum  Jesu  Christi  çices,  licet  immeriti, 
teneamus  in  terris,  nobisque  in  B.  Pétri  persona  sit  dictum  :  Quod- 
ciinique    ligaveris     super   tcrram,    erit   ligatiim     et    in    cselis,   et 
(juodciimqiie   solveris    super   terrain,    erit    solutum    et    in    cselis; 
memoratum  principem,  qui  se  imperio  et  regnis  omniumque  honore 
et  dignitale  reddidit  tam  indignum,  quippe  propter    suas    iniqui- 
tates ne  regnet  vel  imperet  est  abjectus,  suis    ligaium   peccatis,    et 
ahjectum  omnique  honore  et  dignitate  privatum   a  Domino  osten- 
dimus,  denunciamus,  et  nihilominus  sententiando  privamus.Omnes 
qui  ci  juramento  fidelitatis  tenentur  adstricti  a  juramento  absoU>en- 
tes  auctoritate  apostolica  fir miter  inhibendo,    ne    quisquam    de    cx- 
tero  sibi  tanquam  imper atori,  vel  régi  pareat,  i'el  intendat.  Et  decer- 
nendo  quoslibet  qui  deinceps  ci  veluti  imperatori  vel  régi  consilium 
vel  auxilium  prœstiterint,  seu    javorem,    ipso  facto    excommunica- 


6G8.    TREIZIÈME     CONCILE    GENERAL    (lYON,     1245)  1669 

tionis  vinculo  suhjacere.  Illi  autem,  ad  quos  in  eodem  iinperio 
imperaloris  spectat  electio,  eligant  libère  successorem.  De  prsefato 
Sicilise  regno  providere  curabimus  cum  eorumdem  fratrum  no- 
stronnn  consilio,  aicut  i^idcbiiuus  expedire.  —  Sexli  Décret.^  1.  II, 
til.  XIV,  G.  2. 

Can,     8. 

Prescriptions  sur  l'appel  à  Rome  de  sentence  interlocutoire,  et  les  écrits 
aposloli  à  accorder  à  l'appelant. 

Cordi  nobis  estlites  ininuere  et  a  laboribus  reles'are  subjectos. 
Sanciinus  igitur,  ut  si  qiiis  in  judicio  ç>el  extra  super  interlocu- 
toria  vel  graçamine  ad  nos  duxerit  appella/idum,  causant  appella- 
tionis  in  scriptis  assignare  deproperet,  pelât  apostolos,  quos  ei 
prœcipimus  exhiberi;  in  quibus  appellationis  causam  exprimat  et 
cur  appellaiio  non  sit  admissa  vel  si  appellationi  forsan  ex  supe- 
rioris  reverentia  sit  delatum.  Post  hoc  appellatori  secundum  loco- 
rum  distantiam,  personaruni,  et  negotii  qualitatem  tempore 
prosecutionis  indulto.  si  i^oluerit  appellatus  et  petierit,  principales 
personœ  per  se,  vel  per  procuratores  instructos  cum  mandata 
ad  agendum,  et  cum  rationibus  et  munimentis  ad  causam 
spectantibus,  accédant  ad  Sedem  apostolicam  sic  parati,  ut,  si 
nobis  visum  fuerit  expedire,  finito  appellationis  articulo,  vel  de 
partium  voluntate  omisso,  procedalur  in  negotio  principali, 
quantum  de  jure  poterit  et  debebit  :  his  quœ  in  appellationibus 
a  definitivis  sententiis  interpositis  antiquitas  statuit,  non  muia- 
tis.  Quod  si  appellator,  quse  prsemissa  sunt,  non  observet,  reputa- 
bilur  non  appellans,  et  ad  prioris  judicis  redibit  examen  in  expen- 
sis  legitimis  condemnandus.  Si  autem  appellatus  contempserit  hoc 
slatutum,  in  eum  tanquam  in  contumacem  tam  in  expensis  quam  in 
causa  [quantum  a  jure  permiititur)  procedatur.  Justumest  equidem 
ut  in  eum  jura  insurgant,  qui  jus  et  judicem  et  partem  eludit.  — 
Sexti  Décret.^  1.  II,  tit.  xv.  De  appellationibus,  c.  1.  Les  trois  capi- 
tula suivants  de  ce  même  titre  : /)e  appellationibus,  sont  aussi 
d'Innocent  IV,  mais  il  n'est  pas  certain  qu'ils  soient  du  concile 
de  Lyon. 

Can.  9. 

Ceux   qui  soudoient    des   assassins,    qui   les   recueillent,  les   défendent 
123    ou  les  cachent,  encourent    eo  ipso   la   déchéance   de  leurs   dignité,   rang 


1670  LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE     III 

charge,    olTice   et    bénéfice,  et  seront  pour  toujours  considérés  {dijfidalu^ 
par  tous  les  chrétiens  comme  des  ennemis  de  la  religion  chrétienne. 

Pro  humani  redemplione  generis  de  summis  cœlorum  ad  ima 
inundi  descendens  et  mortem  tandem  subiens  temporalem  Dei 
Filius  Jésus  Christus,  ne  gregem  sui  pretio  sanguinis  gloriosi 
redemptnm,  ascensurus  post  resurrectionem  ad  Patrem,  absque  pa- 
store  desereret,  ipsius  curam  B.  Petro  apostolo  [ut  suse  stahilitate 
fidei  csnteros  in  christiana  religione  firmarel,  eorumque  mentes  ad 
salutis  opéra  suœ  accenderet  dei'otionis  ardore)  commisit.  Unde  nos 
ejusdem  apostoli  effecti,  disponente  Domino,  licet  immeriti,  suc- 
cessores,  et  ipsius  Redemptoris  locum  in  terris  quamquam  indigne 
tenentes,  circa  gregis  ejusdem  custodiam  sollicitis  excitati  çigiliis 
et  animarum  saluii  jugis  attentione  cogitationis  intendere  submo- 
vendo  noxia,  et  agendo  profutura  debemus,  ut  excusso  a  nobis  negli- 
gentise  somno,  nostrique  cordis  oculis  diligentia  sedula  vigilantibus, 
animas  ipsas  Deo  lucrifacere,  sua  nobis  coopérante  gratia,  valea- 
mus. 

Cum  igitur  illi,  qui  sic  horrenda  inhumanitate,  detestandaque 
ssevitia,  mortem  sitiunt  aliorum,  ut  ipsos  faciant  per  assassinos 
occidi,  non  soliun  corporum  sed  mortem  procurent  etiam  anima- 
rum [nisi  eos  exuberans  gratia  dii'ina  prseçenerit,  ut  sint  armis 
spiritualibus  prœmuniti,  ac  omnis  potestas  tribuatur  a  Domino 
ad  justitiam,  rectumque  judicium  exercendum)  :  nos  tanto  peri- 
culo  i'olentes  occurrere  animarum,  et  tam  nefarias  prœsumptio- 
nes  ecclesiasticœ  animadversionis  mucrone  ferire,  ut  metus  pœnœ 
meta  hujusmodi  prœsumptionis  existât  :  prœsertim  cum  nonnulli 
magnâtes  taliter  perimi  formidantes,  coacti  fuerint  securiiatem  ab 
eorumdem  assassinorum  domino  impetrare,  sicque  ab  eo  non  absque 
christianse  dignitatis  opprobrio  redimere  quodammodo  uitam  suam. 
Sacri  approbatione  concilii  statuimus,  ut  quicumque  princeps,  çel 
prselatus,  seu  qusevis  alia  ecclesiastica  sécularisée  persona  quem- 
piam  christianorum  per  prœdictos  assassinos  interfici  fecerit,  vel 
mandtti'erit,  quamquam  mors  ex  hoc  forsitan  non  sequatur,  aut 
eos  receptaverit,  vel  defenderit,  seu  occultai' erit,  excommunicationis 
et  depositionis  a  dignitale,  honore,  ordine,  ofjicio,  et  benefîcio  in- 
currat  sententias  ipso  facto  :  et  illa  libère  aliis  per  illos,  ad  quos 
collatio  pertinet,  conferantur;  sit  etiam  cum  suis  bonis  mundanis 
omnibus  tanquam  christianse  religionis  semulus  a  toto  christiano 
populo  perpetuo  di/fidatus;  et  postquam  probabilibus  constiterit 
argumentis  aliquem  scelus  tam  execrabile  commisisse,     nullatenus 


668.     TREIZIÈME    CONCILE    GENERAL     (lYON,     1245)  1671 

alla  excominunicationis  çel  deposltionis  seu  diffidationis  adversus 
euni  sententia  requiratur.  —  Se.vti  Décret.,  1.  V,  t.  iv,  De  Jiomicidlo, 
c.   1. 

Can.  10. 

Dans  quels  cas  les  exempts  doivent  être  jugés  par  l'évêque  du  diocèse. 

Volantes  libertatem  [quain  nonnullis  apostolica  Sedes  privilegio 
exemptionis  induisit)  sic  integram  conserçari,  ut  contra  illam  alii 
non  insurgant,  et  ipsi  ejus  limites  non  excédant;  declaratione  irre- 
fragabili  definimus,  ut  quantumcumque  sic  exempti  gaudeant 
liber tate,  nihilominus  tamen  ratione  delicti,  sive  contractus,  aut  rei, 
de  qua  contra  ipsos  agitur,  rite  possint  coram  locoruin  ordinariis 
conveniri,  et  illi,  quoad  hoc,  suam  in  ipsos  jurisdictionem,  possunt 
prout  jus  exigit,  exercere.  Numquid  ergo  carent  omnino  in  his  com- 
modo  libertatis  ?  non  utique  :  quia  nec  coram  ordinariis  ipsis,  dum- 
modo  sit  in  loco  exempto  commissum  delictum,  çel  contractus 
initus,  aut  res  litigiosa,  nec  uhi  domicilium  habent,  si  alibi  dé- 
linquant, çel  contrahant,  aut  res  ipsa  consistât,  conçeniri  possunt 
aliqualenus  super  istis,  neque  domiciliorum  prsetextu  locorum  diœ- 
cesani  [si  ubi  deliquerunt  çel  contraxerunt,  aut  res  ipsa  exigit, 
illic  conçeniantur)  remittendi  eos  illuc,  çel  ipsis,  ut  illic  responde- 
ant,  injungendi  habeant  aliquam  potestatem,  sahns  nihilominus 
casibus  aliis,  in  quibus  eos  episcoporum  jurisdictioni  subesse 
canonica  prœcipiunt  instituta.  Etiam  idipsum  decernimus  circa 
illos,  quibus  ut  nonnisi  sub  uno  certo  judice  teneantur  de  se  con- 
querentibus  respondere,  apostolico  priçilegio  est  concessum.  In  eos 
autern,  quibus  ne  interdici,  siispendi,  çel  exconimunicari  a  quoquam 
çaleant  a  Sede  apostolica  estindultum,  sicut  suntreligiosi  quamplu- 
res,  in  quorum  priçilegiis  continetur,  ne  quisquam  episcopus  siçe 
archiepiscopus  monasteriorum  suorum  monachos  pro  ulla  causa, 
ulloçe  loco  interdicere,  suspendere,  çel  excommunicare  prsesumaty 
iidem  Ordinarii  jurisdictionem  suam,  quantum  ad  ista,  ubicumque 
illi  fuerint,  penitus  exercere  non  possint.  Nisi  forsan  ipsi  monachi 
ad  monasteriorum  suorum  prioratus  Ordinariis  eisdem  subjectos 
(ut  çel  gérant  eorum  regimen,  çel  in  eis  tanquam  proprii  locorum 
ipsorum  monachi  resideant)  fuerint  destinati  :  tune  enim,  etsi  libère 
possint  ad  eadem  monasteria  revocari,  ac  tam  illorum,  quarn  ipso- 
rum prioratuum  monachi  reputentur  [cum  [non  sit  inconçeniens 
aliquem  sic  utrobique  locum  habere  monachicum)  unum  alteri  sub- 
esse monasterio,  çel  ab  ipso    noscitur    dependere;     ratione  -tamen 


1672  LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE    III 

eorumdein  prioraluuni  dicli  Ordinarii  sua  jurisdiciione  in  ipsis 
etiain  quoad  prœmissa,  quandiu  moranlur  in  illiti,  licite  uii  possunt. 
—  Sexti  Décret.,  1,  V,  tit.  vu,  De  privilegiis,  c.  1. 

Can.  11. 

L'archevêque  de  Reims  ne  devra  pas  accorder  aux  quêteurs  de  la 
fabrique  de  l'Eglise  de  Reims  les  pouvoirs  de  citer  par-devant  eux 
les  sujets  des  évêchés  sulTragants.  Toutefois  ces  quêteurs  peuvent  cha- 
ritablement demander  aux  sulîragants  et  autres  chrétiens  de  la  province 
de   Reims   une   réception   amicale   et  des    secours    pour  cette   fabrique. 

Romana  Ecclesia:  et  inha.  Qussstoribus  autern  fabricœ  Remensis 
Ecclesise,  Remensis  arcliiepiscopus,siveejus  ofjlciales  ciiandi  suf- 
fraganeorum  ipsius  Ecclesise  subditos  [quos  iidem  qusestores  sibi 
resistere,  aut  nolle  parère  dixerint)  ut  super  hoc  compareant  co- 
ram  ipsis,  nequaquam  tribuant  potestatem.  Super  benigna  ç'ero 
eorum  receptione  aut  subventione  ipsi  fabricœ  jacienda  possunt 
eosdem  sufjraganeos,  et  alios  christi fidèles  Remensis  provinciœ,  cha- 
ritative  monere.  In  concedendis  uero  indulgentiis  non  excédât 
Remensis  archiepiscopus  statutum  concilii  generalis.  —  Sexti  Dé- 
cret., ].  V,  tit.  X,  De  psenitentiis  et  remissionibus,  cl. 

Can.   12. 

Enfin  le  titre  onzième  du  livre  V^  du  Sexte  contient  sept  chapitres 
concernant  l'excommunication,  l'interdit  et  la  suspense.  Le  troisième 
de  ces  canons  a  déjà  été  cité  (sous  le  n.  12).  Le  principal  objet  de  ces 
canons  est  de  remédier  aux  scandales  que  produit  l'emploi  trop  facile 
de  l'excommunication,  et  de  régler  la  conduite  à  tenir  à  cet  égard  ^. 

Solet  a  nonnulUs  in  dubiuni  revocari,  an  cum  aliquis  per  supe- 
riorem  absolvi  postulat  ad  cautelam,  dum  in  se  latam  excommuni- 
calionis  sentenliam  asserit  esse  nullam,  sine  contradictionis  obsta- 
culo  munus  ci  debeat  absolutionis  impendi?  Et  an  ante  abso- 
luiionem  hujusmodi,  'is  qui  se  offert  in  judicio  probaturum  se  post 
appellationem  legitimam  excommunicatione  innodatum,  vel  intole- 
rabilem  errorem  in  sententia  fuisse  patenter  expressum,  sit  in  csete- 
ris,  excepta  probationis  illius  articulo,  evitandus?  In  prima  igitur 
dubitatione   sic   statuimus  observandum,  ut   petenti   absolutio   non 

\.  Kober,  Kirchenhann,  p.  172  sq. 


668.    TREIZIÈME    CONCILE     GENERAL    (lYON,     1245)  1673 

negetur,  quanuds  in  hoc  excommunicalor  i>el  adversarius  se  op- 
ponai  :  nisi  eum  excommunicatum  pro  manijesta  dicat  ofjensa. 
In  quo  casu  terminus  octo  dierum  indulgebitur  sic  dicenti,  ut  si 
prohm>erit  quod  opponit,  non  relaxetur  sententia,  nisi  prius  suj- 
ficiens  prœstetur  emenda  vel  competens  cautio  de  parendojuri,  si 
ofjensa  dubia  proponatur.  In  secunda  çero  qusestione  statuinius 
ut  is,  qui  ad  prohandum  admittitur,  pendente  probationis  arti- 
cula in  cœteris,  quas  ut  actor  in  judiciis  attentaverit,  intérim 
e\'itetur.  Extra  judicium  çero  in  ofjiciis,  postulationibus,  et  ele- 
ctionibus  et  aliis  legitimis  actibus  nihilominus  admittatur. 

Cum  medicinalis  sit  excommunicatio,  non  mortalis,  discipli- 
nans,  non  eradicans,  dum  tamen  is,  in  quem  lata  fuerit,  non  com- 
temnat  :  caute  proi>ideat  judex  ecclesiasticus  ut  in  ea  ferenda  os- 
tendat  se  prosequi  quod  corrigentis  est  etmedentis.  Quisquis  igitur 
excommuTiicat,  excommunicationem  in  scriptis  proférât,  et  causam 
expresse^conscribat,  propter  quam  excommunicatio  proferatur.  Exem- 
plumverohujusmodi  scripturse  teneatur  excommunicato  tradere  in- 
tra  mensem  post  diem  sententise  si  fuerit  requisitus;  super  qua  requisi- 
tione  fieri  volumus  publicuminstrumentum^  vellitter as  testimoniales 
confici  sigillo  authentico  consignatas.  Si  quis  autem  judicum  hufus- 
modi  constitutionis  temerarius  extiterit  violator,  per  mensem  unum 
ab  ingressu  ecclesise  et  divinis  noverit  se  suspensum.  Superior  çero» 
ad  quem  recurritur,  sententiam  ipsam  sine  difficultate  relaxans, 
latorem  excommunicato  ad  expensas,  et  omne  interesse  condemnet, 
et  alios  puniat  animadi^ersione  condigna,  ut  pœna  docente  discant 
judices  quam  grave  sit  excommunicationum  sententias  sine  maturiiate 
débita  fulininare.  Et  Jiœc  eadem  in  suspensionis,  et  interdicti  sen- 
tenliis  i^ohnnus  observari.  Caveantaulemecclesiarumprsdati  et  judi- 
ces universi  ne  prœdictam  pœnam  suspensio?iis  incurrant  :  quoniam 
si  contigerit  eos  sic  suspensos  divina  officia  exequi  sicut  prius, 
irregularitatem  non  effugient  juxta  canonicas  sanctiones,  super  qua 
nonnisi  per  summum  pontificem  poterit  dispensari  ^. 

Quia  periculosum  est  episcopis  et  eorum  superioribus  propter 
executionem  pontificalis  officii,  quod  fréquenter  incumbit,  ut  in  ali- 
quo  casu  interdicti,  wel  suspensionis  incurrant  sententiam  ipso 
facto;  nos  deliberatione  provida  duximus  statuendum  ut  episcopi, 
et  alii  superiores  prœlati  nullius  constitutionis  occasione  sen- 
tentise   sive    mandati    prœdictam    incurrant   sententiam     ullatenus 

1.  Suit  le  texte  même  du  canon  12  :  Statuimus  ut  nullus. 


1674  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    III 

ipso  jure  :  nisi  in  ipsis  de  episcopis  et  superioribus  expressa 
mentio  habeatur.  Huic  etiam  adjicimus  sanctioni^  ut  illud  quod 
in  constitutione  solet  apponi  in  nonnullis  a  nobis  hactenus 
promulgata  fuerat  constitutum,  ut  cum  aliquis  se  offert  in  judicio 
probaturum  se  per  apostolorum  limina  excommunicationis  senten- 
tia  innodatum  pendente  appellationis  articulo,  in  his,  quœ  extra 
judicium  agitantur,  electionibus,  postulationibus,  officiis,  ac  aliis 
legitimis  actibus,  non  debeat  antari,  quod  ad  episcoporum,  et 
archiepiscoporum  sententias  nullatenus  extendatur ;  sed  illud  obti- 
neat   in  futurum,   quod  oliin  in  talibus    extitit  observatum. 

Romana  Ecclesia  :  et  infra.  Caeterum  interdicti,  suspensionis, 
vel  excommunicationis  sententias  latas  ab  officialibus  archidia- 
conorum  seu  quibuslibet  aliis  jurisdictionem  habentibus  suffra- 
ganeorum  Remensis  Ecclesiss  subditis,  Remensis  archiepiscopus, 
et  ejus  officiales  [omissis  ipsis  excommunicatoribus)  non  relaxent, 
salva  contraria  super  hoc  consuetudine,  si  quam  habent.  Porro 
excommunicationum  sententise  a  Remensi  archiepiscopo,  suisque 
officialibus  generaliter  promulgatae  subjectos  ejusdem  jurisdictioni 
archiepiscopi  tantum  ligant.  Sed  nec  in  specie,  nec  in  génère  pro 
culpis,  vel  offensis  prseteritis,  vel  prsesentibus  excommunicationum 
sententias  absque  competenti  monitione  prsemissa  promulgent  :  et 
si  contra  prsesumpserint,  injustas  noçerint  esse  illas.  Caveant  etiatn 
ne  taies  sententias  sive  specialiter  si^^e  generaliter  in  aliquos  pro 
futuris  culpis,  videlicet  si  taie  aliquid  fecerint,  vel  etiam  pro  jam 
commissis  sub  liac  forma  :  si  de  illis  intra  taie  tempiis  minime 
satisfecerint,  proferre  prœsumant,  nisi  mora  in  exhibenda  satis- 
factione,  vel  culpa,  seu  offensa  prsecesserit,  quibus  merito  ad  injun- 
gendam  satisfactionem  hujusmodi  causa  subsil.  In  ums'ersitatem,  vel 
collegium  proferri  excommunicationis  sententiam  penitus  prohi- 
bemus,  volentes  animarum  periculum  evitare,  quod  exinde  sequi 
possit,  cum  nonnunquam  contingeret  innoxios  hujusmodi  senten- 
tia  irretiri,  sed  in  illos  duntaxat  de  collegio,  vel  universitate  quos 
culpabiles  esse  constiterit,  promulgetur. 

Dilecto  fîlio  decano  Aurelianen.,  et  mira.  Prseterea  cum  omnes 
leges  omniaque  jura  çim  vi  repellere  cunctisque  sese  defensare  per- 
mittant;  licuit  itaque  ipsi  decano,  si  prœdictus  ballivus  cum  bonis 
suis  mandanis  injuriosos  spoliare  vel  ea  çiolenter  occupare  prse- 
sumpseriî,  ut  superius  est  expressum,  contra  illius  violentiam  et 
injuriam  se  tueri.  Et  quoniam  adversus  ejus  nimiam  potentiam 
sufficiens  temporalis  defensio  sibi  forte  non  aderat,  et  potuit  etiam 


668.    TREIZIÈME    CONCILE    GÉNÉRAL    (lyON,    1245  1675 

se  spiritualiter,  gladio  i'idelicet  utendo  ecclesiastico,  defensare  ac 
recurrere  propier  hoc  ad  arma  spiritualia,  quse  sunt  Ecclesise  pro- 
pria, et  pro  sua  muniiione  illis  uti.  Prsesertim  cuin  dictus  balliçus, 
post  latas  in  eum  ah  eodem  decano  ex  aliis  causis  excommunica- 
tiojiis  sententias,  sicut  idem  decanus  asseruit,  ipsum  tanquam 
exinde  provocatus,  sententiis  ipsis  contemptis,  bonis  spoliasset  eis- 
dem,  et  propter  hoc  postmodum  ipse  decanus  senientiam  tulerat 
interdicii  tanquam  spirituali  se  mucrone  defendens  contra  illius 
injuriam,  et  i'iolentiam  sibi  ab  eodem  occasione  prsedictarum  sen- 
tentiarum,  et  in  ipsarum  contemptum  illatam.  Et  quidem  cum  liceat 
cuilibet  suo  i'icino  et  proximo  pro  repellenda  ipsius  injuria  suum 
impertiri  auxiliuin;  imo,  si  potest,  etiam  negligat,  i'ideatur  inju- 
rantem  fovere  ac  esse  particeps  ejus  culpie;  licuit  profecto  ipsi 
decano  proprio  sibimet  suhi>enire  subsidio;  et  suam  et  temporalem 
injuriam  sua  propria  spirituali  defensione  tueri;  sicque  utrumque 
quodammodo  gladium,  et  temporalem,  et  ecclesiasticum,  alterum 
videlicet  aliero  adjui'are.  Maxime  quia  hi  duo  gladii  consueverunt^ 
exigente  necessitate,  sibi  ad  invicem  suffragari,  et  in  juvamen  alte- 
rius  subçentione  mutua  frequentius  exerceri. 

Veniens^  :  et  infra.  Per  illa  verha  privilegii  :  in  spéciales,  etpro- 
prios  Ecclesiae  romanœ  filios  vos  recipimus,  dictos  fratres  exem- 
ptos  non  intelligi  et  illos,  et  ipsos  in  proprios  ejusdem  Ecclesise 
filios  fuisse  receptos,  quod  ab  alio,  quam  a  romane  pontifice  vel 
legato  ab  ejus  latere  destinato  interdici  ce/  excommunicari  a  quo- 
quam  declaramus.  Illum  locum  desertum  in  prsemissis  intelli gimus 
qui  non  habitatus  penitus,  neque  cultus  fuerit  ultra  memoriam  ho- 
minum;  vel  secundum  indulgentiam  Lucii'  est  sub  Saracenorum 
potestate  detentus.  Censemus  Ecclesias  in  talibus  desertis  locis  a 
fralribus  istis  constructas,  seu  etiam  construendas  in  eo  plena  li- 
bertate  gaudere,  ut  secundum  indulgentiam  Lucii  nihil  ab  ipsis 
Icgis  diœcesande  nomine  valeat  per  episcopos  exigi.  Quia  secundum 
privilegium  Alcxandri  non  possunt  interdicto,  vel  excommunica- 
tioni  supponi  quasi  in  locis  hujusmodi  dicti  fratres  haheant  pote- 
stalem  petita  a  Sede  apostolica  licentia  construendi  easque  cum  suis 
plehibus  per  suos  clericos  gubernent  idoneos;  qui  ratione  plebium 
examinandi  causam  episcopis  prsesententur,  ut  ab  eis  curam  acci- 
piant  animarum,  cum  plèbes  episcopis  sint  subjectœ.  Cseterum 
dicti  fratres  décimas  de  laboribus  et  novalihus    suis,  quos  propriis 

1.  Sexti  Décret.,  lib.  V,  lil.  xi,  De  verhorum  significatione  c.  1. 


1676  LIVRE     XXXVI,    CHAPITRE    III 

inanihus  aut  sumplibus  exculunl,  et  aliis  habitis  sihl  a  Deo  prœ- 
stitis  conventihus  clericorum  ordinis  sui,  a  quibus  quarla,  çel  ter- 
tia  niillatenus  exigatur,  ciitn  inlegritale  persolvant,  salva  mocle- 
ratione  concilii  generalis  in  aliis  eorum  possessionibus  jure  com- 
jnuni,  seii  quolibet  alio  ecclesiis  parochialibus  et  diœcesano  epi- 
scopo  reservato.  Per  declarationem  hujusmodi  autein  nolumus  dejen- 
sionibus  seu  juribus  partium  derogari. 

Après  la  publication  de  ces  canons,  le  pape  fit  lire  la  collection 
déjà  mentionnée  des  privilèges  de  l'Eglise  romaine,  et  ajouta 
que  cette  copie  aurait  la  valeur  des  originaux.  Les  ambassadeurs 
anglais  élevèrent  des  objections  sur  certaines  concessions  faites 
aux  papes  par  des  rois  d'Angleterre  (en  particulier  par  Jean  sans 
Terre),  et  qui  n'avaient  jamais  été  approuvées  par  les  grands  du 
royaume.  Mais  le  concile  les  confirma  toutes.  Matthieu  Paris 
s'explique  sur  ce  point  avec  plus  de  détails  :  Guillaume  de  Powe- 
ric,  procureur  de  la  nation  anglaise  [uni^'ersitas]^  exposa  dans  un 
discours  remarquable  que,  pendant  la  guerre  (entre  Jean  sans 
Terre  et  ses  barons),  la  curie  romaine  avait  établi  un  impôt  in- 
juste, qui  n'avait  jamais  eu  l'assentiment  des  nobles  et  ne  l'aurait 
jamais.  Il  était  temps  de  revenir  à  la  justice.  Le  pape  n'ayant  pas 
répondu,  l'ambassadeur  anglais  lut  un  mémoire  adressé  à  Inno- 
cent IV  par  les  barons  et  par  tout  le  peuple;  on  y  montrait  com- 
ment l'Angleterre  avait,  souvent  et  généreusement,  soutenu  de 
son  argent  le  Siège  apostolique.  Mais,  dans  les  derniers  temps, 
les  papes  avaient  introduit  une  foule  d'Italiens  dans  les  bénéfices 
de  l'Église  d'Angleterre,  au  détriment  du  clergé  national,  et  ac-  11-4 
tuellement  les  Italiens  prélevaient  tous  les  ans  sur  l'Angleterre 
plus  de  (iO  000  marcs,  revenu  qui  dépassait  celui  du  roi.  Depuis 
l'avènement  du  nouveau  pape,  maître  Martin  se  montrait  en 
Angleterre  plus  rapace  que  par  le  passé.  11  avait  plus  d'autorité 
qu'aucun  légat,  sans  en  avoir  le  titre.  Il  était  venu  sans  avoir  été 
demandé  par  le  roi,  quoique, en  vertu  d'un  antique  privilège  accordé 
aux  rois  d'Angleterre,  aucun  légat  ne  pût  venir  dans  ce  pays  sans  y 
avoir  été  mandé.  Sans  doute  le  pape  n'était  pas  informé  de  la  con- 
duite de  Martin;  on  lui  demandait  d'affranchir  l'Angleterre  de 
pareilles  exactions.  Le  pape  se  contenta  de  répondre  qu'une  affaire 
si  importante  méritait  un  examen  approfondi,  et  comme  les 
ambassadeurs  insistaient  pour  obtenir  une  réponse  moins 
vague,   il   ajouta   simplement  qu'il  aviserait  le  plus  tôt  possible. 


668.    TREIZIÈME     CONCILE     GÉNÉRAL    (lYON,     1245)  1677 

Tliaddce  de  Sucssa  reprit  la  défense  de  son  maître  et  insista 
d'autant  plus  que  la  fiancée  de  l'empereur,  une  princesse  autrî- 
cliienne,  avait  déclaré  qu'elle  ne  l'épouserait  que  s'il  était  relevé 
de  l'excommunication  ^.  Thaddée  multiplia  les  arguments  pour 
justifier  son  maître,  mais  sans  succès.  Prévoyant  la  sentence,  il 
la  déclara  d'avance  nulle  et  sans  valeur,  par  la  raison  que,  tant 
en  droit  canonique  qu'en  droit  civil,  la  citation  était  nulle, 
n'étant  pas  motivée,  et  que  le  pape  était  juge  et  partie,  etc. 
Que  si  cette  sentence  était  soutenue,  il  en  appelait,  en  vertu 
dos  pleins  pouvoirs  de  l'empereur,  au  futur  pape  et  à  un  concile 
véritablement  œcuménique,  comprenant  les  rois,  les  princes  et 
les  évêques  :  le  concile  actuel  n'étant  pas  œcuménique  ^.  Le 
pape  répondit  :  «Tous  les  prélats  et  princes  ont  été  convoques 
et  le  concile  comprend  un  assez  grand  nombre  de  patriarches, 
d'archevêques  et  d'évêques,  etc.,  qui  ont  longtemps  attendu,  au 
risque  de  supporter  des  dommages  et  sans  aucun  profit,  que  ton 
maître  consentît  à  s'humilier.  Si  les  évêques  ne  sont  pas  venus 
au  concile  en  plus  grand  nombre,  la  faute  en  est  à  l'empereur, 
qui  a  empêché  de  venir  tous  ceux  qui  dépendaient  de  lui.  On 
ne  saurait  donc  différer  la  sentence,  afin  qu'il  ne  retire  aucun 
avantage  de  sa  perversité  ^.  » 
1125  ^^  sentence  fut  promulguée;  le  pape  y  exposait  au  début  toutes 
ses  démarches,  depuis  son  élection,  pour  réconcilier  l'empereur 
avec  l'Église.  Mais  Frédéric  ayant  rendu  vains  tous  ses  efforts,  le 
pape  se  voyait  obligé  de  procéder  contre  lui.  Sans  parler  de  ses 
autres  méfaits,  Frédéric  s'était  notoirement  rendu  coupable 
de    quatre  crimes  : 

o)   Mépris  des  traités  conclus  avec  l'Église,  violation  répétée 
de  son  serment; 

b)  Crime  de  sacrilège; 

c)  Orthodoxie    suspecte. 

Avant  de  passer  au  quatrième  point,  le  pape  donna  immédiate- 
ment les  preuves  de  ces  trois  premiers. 

a)   Il  établit   que,   depuis  son   premier  serment  au  pape  Inno- 

1.  Lo  mariage  n'eut  pas  lieu,  en  effet. 

2.  La  Brevis  nota  et  Matthieu  Paris  ne  s'accordent  pas  tout  à  fait  au  sujet 
de  cet  appel;  mais  Huillard-Bréhollos,  t.  VI,  p.  318,  nous  a  donné,  d'après  un 
ancien  manuscrit,  le  texte  nirmc  de  la  déclaration  faite  par  Thaddée. 

3.  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  012  sq.,  038;  Ilardouin,  Conc.  coll. 
t.  vil,  col.  380,  399;  Coleti,  Concilia,  t.  xiv,  col.  AG,  70. 


1678  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    II! 

cent  III,  avant  son  voyage  d'Allemagne,  Frédéric  a  violé 
toutes  ses  promesses  et  tous  ses  serments  faits  à  l'Eglise,  b)  Il 
parle  des  nombreux  évoques  faits  prisonniers  au  combat  de  l'île 
d'Elbe,  de  leur  emprisonnement,  des  mauvais  traitements  par 
eux  subis,  etc.  c)  La  suspicion  d'hérésie  n'est  pas  moins  fondée; 
Frédéric  a  méprisé  l'excommunication  et  l'interdit,  a  eu  avec 
les  Sarrasins  une  déplorable  intimité,  a  échangé  des  présents 
avec  eux  et  toléré  leurs  rites;  à  la  façon  des  Sarrasins,  il  a 
des  eunuques  pour  garder  ses  femmes,  et,  par  son  traité  avec 
le  Soudan,  a  permis  la  transformation  du  temple  de  Dieu  à  Jéru- 
salem en  mosquée.  Naguère  encore  il  a  reçu  avec  de  grandes  dé- 
monstrations les  ambassadeurs  du  Soudan  d'Egypte  qui  venait 
de  ravager  atrocement  toute  la  Terre  Sainte,  et  il  n'a  eu  que  des 
louanges  à  adresser  à  ce  païen.  Il  abuse  des  Sarrasins  (de  Lucera) 
pour  opprimer  les  chrétiens;  il  a  donné  une  de  ses  filles  à  Vatazes 
(empereur  de  Nicée),  un  ennemi  de  l'Église;  en  [revanche,  il  a  fait 
assassiner  par  un  émissaire  du  Vieux  de  la  Montagne  le  duc  de 
Bavière,  tout  dévoué  à  l'Eglise,  etc. 

d)  Le  pape  arrive  enfin  au  quatrième  point.  Dans  son  royaume 
des  Deux-Siciles,  tenu  en  fief  du  Siège  apostolique,  Frédéric 
a  réduit  à  la  misère  et  en  esclavage  des  clercs  et  des  laïcs. 
Il  a  forcé  presque  tous  les  honnêtes  gens  à  s'expatrier.  Ceux  qui 
restent  ont  été  contraints  à  se  déclarer  contre  l'Eglise.  Depuis 
plus  de  neuf  ans  il  n'acquitte  plus  la  redevance  due  au  Siège 
apostolique.  «  Pour  ces  crimes  et  beaucoup  d'autres,  conclut  le 
pape,  après  mûre  réflexion  avec  nos  frères  et  le  saint  concile, 
nous,  représentant  du  Christ  sur  la  terre,  déclarons  ce  prince, 
coupable  de  tous  ces  péchés,  dépouillé  de  par  Dieu  de  tous  ses 
honneurs  et  dignités.  Nous  le  proclamons  et  déposons  Frédéric 
en  vertu  de  la  présente  sentence.  Nous  délions  à  tout  jamais 
du  serment  de  fidélité  tous  ceux  qui  le  lui  ont  prêté,  et  défen- 
dons, en  vertu  de  l'autorité  papale  et  sous  peine  d'excommuni-  1126 
cation,  à  toute  personne  de  lui  obéir  à  l'avenir  à  titre  d'empereur 
ou  de  roi.  Ceux  à  qui  appartient  l'élection  d'un  nouvel  empereur 
doivent  y  procéder;  quant  aux  Deux-Siciles,  nous  y  pourvoirons 
après  avoir  pris  l'avis  de  nos  frères  les  cardinaux  ^, 

1.  Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1245,  n.  33;  Hardouin,  Conc.  coll., 
t.  VII,  col.  381  ;  Coleti,  Concilia,  t.  xiv,  col.  47  ;  Mansi,Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii, 
col.  613;  Potthast,  Reg.,  p.  997;  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplorn.  Frid.  II, 
t.  VI,  p.  319-377;  Monum.  Genn.  hist.,  Leges,   sect.  iv,  t.  ii,  p.  508,    n.  400; 


669.      DERNIÈRES    ANNÉES    DE    FRÉDÉRIC     II  1679 

Pendant  la  lecture  de  cette  bulle,  Tliaddée  de  Suessa  et  les 
autres  ambassadeurs  de  l'empereur  exprimèrent  leur  douleur; 
Thaddée  cria  :  Dies  iste,  dies  irse,  calamitatis  et  miserise,  en  se 
frajipant  la  poitrine.  Le  pape  et  les  prélats  prononcèrent  avec  la 
solennité  accoutumée  l'excommunication,  y  compris  l'extinc- 
tion des  cierges  allumés  qu'ils  avaient  à  la  main.  Ainsi  se 
termina  le  concile  ^. 


669.  Dernières  années  de  Frédéric  II. 

Le  8  juillet  1245, trois  jours  après  la  seconde  session  du  concile, 
l'empereur  Frédéric  II  était  parti  de  Vérone,  annonçant  qu'il  se 
rendait  à  Lyon.  Mais  il  y  mit  si  peu  d'empressement,  s'arrêta 
si  longtemps  à  Pavie  et  à  Alexandrie  qu'il  apprit  à  Turin  sa 
déposition  ^.  Il  éclata  de  colère  et,  plaçant  sur  sa  tête  une  de  ses 
couronnes,  s'écria  :  «  J'ai  encore  ma  couronne,  et  ni  pape  ni  concile 
ne  pourront  me  l'enlever  qu'après  une  lutte  sans  merci  ^.«Le  31 
juillet,  il  envoya  de  Turin  un  mémoire  aux  évêques  et  aux  fidèles 
de  l'Angleterre  déclarant  la  sentence  injuste  *.  «  Sans  doute,  dit-il, 
le  pape  a  plein  pouvoir  dans  les  choses  spirituelles,  et  ce  qu'il  lie 
sur  la  terre  est  lié  dans  le  ciel,  mais  aucune  puissance,  divine  ou 
humaine,  ne  lui  a  donné  le  pouvoir  de  disposer  des  empires  sui- 
1127  vant  son  caprice  et  de  frapper  d'une  peine  temporelle  les  rois  et 
les  princes  en  leur  enlevant  leurs  États.  Quoique,  en  droit  et  sui- 
vant une  ancienne  tradition,  il  sacre  l'empereur,  c'est-à-dire  le 
couronne  et  l'oint,  il  n'a  point  le  droit  de  le  déposer,  pas  plus 
que  les  évêques  qui  bénissent  les  seigneurs  de  leurs  pays  n'ont  le 

Episl.  ponlij.,  t.  ii,  p.  88,  n.  124;  Bôhmer-Ficker-Winkelmann,  Reg.,  n.  7552, 
7986;  Annal.  Placid.,  dans  Monum.  Germ.  hisL,  Script.,  t.  xvin,  p.  489; 
Mallhieu  Paris,  Chron.,  dans  Monum.  Germ.  hisl.,  Script.,  t.  xxviii,  p.  268;  cf. 
p.  289  sq.  (H.  L.) 

1.  Ilardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  381,  401;  Coleti,  Concilia,  t.  xiv,  col.  46, 
73;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  613,  641. 

2.  Huillard-BréhoUes,  Hist,  diploni.  Frid.  II,  l.  vi,  p.  316;  Bohmer,  Regesten, 
p.  201. 

3.  Raumer,  Iloheiistau/en,  t.    iv,  p.  173. 

4.  Lorsque  Lorentz  [Deutsche  Geschichte,  t.  i,  p.  40)  rapporte  que,  dans  ce 
mémoire  justificatif,  Frédéric  avait  adopté  les  idées  de  l'antiquité,  c'est  une 
allégation  qui  ne  peut  s'accorder  qu'avec  le  propre  sentiment  de  l'auteur. 


I 


1680  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    II! 


droit  de  les  déposer.  En  eûl-il  le  droit,  il  ne  devrait  pas  l'exercer 
sans  procédure,  comme  il  l'a  fait.  Il  a  rendu  sa  sentence  contre  nous, 
négligeant  les  trois  modes  de  procédure  indiqués  par  la  loi  :  Vordo 
accusationis,  la  denuntiatio  ou  inquisitio  (car  il   n'y  a   eu   contre 
nous   ni  accusator  ni  denuntiator),  et   le    modus  inquisilionis   «(iii 
aurait  dû  être  précédé  de  la  clamorosa  insinuaiio.   Il  dit  que  nos 
crimes  sont  notoires.  Nous  le  nions,  et  ce  serait  bouleverser  tout 
droit,  si  un  juge  pouvait  déclarer  notoire   ce   qui  lui  plaît  et  con- 
damner sur  cette  déclaration.  Le  concile  n'a  reçu    contre  nous 
f[ue  les  témoignages  de  quelques  personnes  tarées  :  l'évêque  de 
Calenum,  qui,  en  droit,  n'aurait  pas  dû  être  entendu  contre  nous, 
étant  notre  ennemi  avéré  depuis  l'exécution,  pour  haute  trahison, 
de  son  frère  et  de  son  neveu;  les  deux  évêques  espagnols  de  Com- 
postelle  et  de  Tarragone  ne  savent  rien  de  l'Italie  et  sont  ani- 
més d'une  aveugle  colère.  Mais,  pût-on  produire,  conformément 
à  la  loi,  des  témoins,  des  accusateurs  et  des  juges,  l'accusé,  qui  ne 
peut  être  condamné  que  présent  ou  contumace,  faisait  défaut. 
En  réalité,  il  n'a  été  ni  présent  ni  absent  par   sa   faute  ...  Nous 
étions  absent  pour  de  justes    motifs,    mais    nos    ambassadeurs 
n'ont  pu  les  faire  connaître  ^.  La  citation  à  nous  adressée  n'é- 
tait pas  libellée  selon  les  formes,  par  conséquent  nulle;  elle   n'ac- 
cordait pas  un  délai  raisonnable,   etc.   La   sentence   du   concile 
parle   de  plusieurs  parjures...   mais  la   vérité  et  des   documents 
aujourd'hui   publics    montrent   notre   innocence,    la    preuve   s'en 
trouve  dans  les  pièces  que  mon  messager  vous  remettra.  Tout  ce 
qu'on  arguë  fût-il  véritable,  il  n'y  aurait  pas  matière  à  sentence 
contre  l'empereur  romain.  La  sentence  a  été  rendue  hâtivement 
et  de  parti  pris,  car  le  pape  n'a  pas  voulu  attendre  trois  jours  l'ar- 
rivée de  l'évêque  de  Freisingen,  du  grand-maître  de  l'Ordre  teuto- 
nique  et  de  maître  Pierre  des  Vignes,  notre  grand-juge,    députés 
au  concile  pour  y  traiter  de  la  paix.  On  n'a  même  pas  attendu  le 
retour  de  notre  chapelain  Walter  d'Okra,  député  vers    nous  de 
l'assentiment  du  pape  et  de  quelques  cardinaux,  et  qui  n'était  plus 
qu'à  deux  jours  de  Lyon,  tandis  que  plusieurs    évêques    et    sei- 
gneurs demandaient  qu'on  différât  jusqu'à  son  arrivée.  Quant  à    112^ 
la  redevance  pour  la   Sicile,  nous  avons   toujours  recommandé, 
avant  nos  démêlés  avec  le  pape,  qu'elle  fût  acquittée  avec  soin,  et 
nul  no  nous  a  dit  qu'on  y  manquât;  depuis  le  conflit,  nous  avons 

1.  Qui  donc  les  en  a  empêchés? 


6G9.     DERNIÈRES     ANNEES     DE     PrÉdÉRIC     II  1681 

fait  déposer  sous  scellés  dans  les  églises  le  montant  de  ce  tribut. 
La  sentence  portée  contre  nous  est  injuste  et  excessive,  eu  égard 
à  la  peine;  en  elîet,  elle  condamne  l'empereur  romain  pour 
crime  de  lèse-majesté,  c'est-à-dire  soumet  ridiculement  à  une  loi 
l'empereur  qui  est  au-dessus  de  toute  loi  {qui  omnibus  legibus 
imperialiter  est  solutus),  et  contre  lequel  aucun  homme,  mais 
Dieu  seul  peut  prononcer  des  peines  temporelles.  Quant  aux  péni- 
tences spirituelles,  nous  les  acceptons  sans  difficulté  de  tout  prê- 
tre, sans  parler  du  pape.  On  a  suspecté  à  tort  notre  foi  catholi- 
que; Dieu  nous  en  est  témoin:  nous  croyons  tous  les  articles  du 
symbole  de  l'Eglise  romaine  et  les  professons  en  toute  simplicité. 
Songez  que  cette  sentence  a  été  prononcée  sans  la  participation 
d'aucun  prince  allemand  ayant  pouvoir  de  nous  élire  ou  de  nous 
déposer,  ce  qui  constitue  un  danger,  non  seulement  pour  nous, 
mais  pour  tout  prince  temporel.  On  commence  par  nous,  à  bientôt 
le  tour  des  rois  et  des  princes.  Défendez  donc  en  moi  votre  propre 
cause.  Votre  roi,  étant  mon  beau-frère,  devrait  me  défendre  et  ne 
pas  favoriser  en  secret  ou  à  découvert  mon  adversaire  ou  son 
légat.  Avec  l'aide  de  Dieu,  nous  tiendrons  en  échec  la  malice  du 
pape,  à  moins  que  les  rois  ne  nous  en  empêchent,  ces  rois  qui 
devraient  faire  cause  commune  avec  nous^.» 

En  septembre  1245,  Frédéric  écrivit  une  lettre  identique  à 
Louis  IX,  dont  il  connaissait  le  profond  attachement  à  l'E- 
glise;  il  y  ajouta  une  lettre  pour  le  clergé  et  la  noblesse  française, 
pour  les  gagner  à  son  parti  et  les  faire  influencer  le  roi.  «  Le 
pape,  y  disait-il,  a  procédé  injustement  à  son  égard  et  empiété 
sur  le  pouvoir  civil.  Déjà  lui-même  a  député  au  roi  de  France 
Pierre  des  Vignes  et  Walter  d'Okra,  pour  le  lui  faire  observer. 
Que  si  le  roi  de  France  ne  veut  pas  se  déclarer  pour  l'empe- 
reur, que  du  moins  il  ne  l'empêche  pas  de  faire  valoir  son  droit, 
et  s'abstienne,  durant  ce  conflit,  de  donner  au  pape  asile  et  pro- 
1129  tection  dans  son  royaume.  Si,  avec  ses  pairs,  le  roi  veut  bien 
s'entremettre  dans  cette  affaire  et  engager  le  pape  à  retirer  sa 
sentence,  l'empereur  est  disposé  à  remettre  sa  cause  entre  les 
mains  du  roi  et  à  donner  toutes  les  satisfactions  que  celui-ci 
jugera  légitimes,  après  avoir  pris  conseil    de    ses  nobles,    si    ces 

1,  Monum.  Gerni.  hist.,  Leges,  sect.  iv,  t.  ii,  p.  3G0,  n.'  2G2  :  Encijdica  contra 
deposUionis  sentenliam,  31  juillet  1245;  IIuillard-Brcholles,  llisl.  diplom. 
Frid.  n,  t.  VI,  p.  331-337;  HoUer,  Friedrich  II,  p.  212  sq.;  Biblioth.  d.  SluUgart 
Hier.  Vereins,  t.  xvi,  p.  81  sq. 

CONCl  LliS   —  V  —  10  U 


1682  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    Ilï 

satisfactions  ne  lèsent  pas  les  droits  de  Vempereur  et  de  Vem- 
pire.  Cela  fait,  et  les  Lombards  étant  complètement  réduits  ou  du 
moins  privés  de  l'appui  de  rÉ<i,lise,  l'empereur  est  décidé  à 
faire  une  croisade  avec  ou  sans  le  roi  de  France.  11  s'enj^age,  en 
outre,  à  rendre  à  l'Eglise  et  au  royaume  de  Jérusalem  toutes 
leurs  anciennes  possessions  ^.  » 

Cette 'lettre  était  rédigée  avec  d'autant  plus  d'astuce  qu'à  ce 
moment  Louis  IX  faisait  prêcher  la  croisade  en  France.  Ainsi, 
au  milieu  d'octobre  1245,  il  fit  prendre  la  croix  à  un  grand  nom- 
bre d'évêques  et  de  barons  réunis  à  Paris.  Le  roi  de  France,  ({iii, 
suivant  les  principes  de  la  vieille  politique  française,  était  favo- 
rable aux  Hohenstaufen,  chercha  ^,  dans  une  entrevue  avec  le  pape 
à  Cluny  (novembre  1245),  à  réconcilier  les  deux  chefs  de  la  chré- 
tienté, et,  n'ayant  pu  y  parvenir,  il  projeta  une  seconde  entrevue 
pour  Pâques  de  l'année  suivante  ^. 

Les  ordres  donnés  à  ce  moment  par  l'empereur  n'indiquaient 
guère  des  intentions  pacifiques.  «  Désirant,  déclara-t-il,  faire 
succéder  les  actes  aux  paroles,  il  demanda  à  chaque  église  le 
tiers  de  son  revenu  pour  faire  la  guerre  au  pape  et  aux  Lom- 
bards *.  »  Il  chassa  de  son  royaume  héréditaire  et  de  tous  les  pays 
où  il  dominait  les  clercs  qui  avaient  publié  la  sentence  de  l'Eglise, 
ou  qui  s'y  conformaient  en  interrompant  le  service  divin,  et  ^30 
ordonna  la  confiscation  de  leurs  biens.  Il  poursuivit  surtout  les 
franciscains  et  les  dominicains,  qui  avaient  déj)loyé  un  grand  zèle 
pour  publier  son  excommunication.  11  organisa  une  mise  en 
quarantaine  du  pape  pour  empêcher  tout  envoi  d'argent  eL  un 
système  d'espionnage  pour  punir  ceux  ({ui  s'y  emploieraient  et, 

1.  Mon.  Gcrm.  hisi.,  Leges,  sect.  iv,  t.  ii,  p.  370.  n.  264;  IIuillard-Brcholles, 
Hist.  diplom.  Fr'id.  II,  t.  vi,  p.  349-352;  Wiiikelmann,  Acla  incdlta,  t.  ii,  p.  53, 
n.  49.  Hôfler,  Friedrich  II,  p.  202,  croit  que  l'empereur  Frédéric  avait  promis 
de  livrer  Jérusalem  à  la  France.  Mais  la  phrase  prouve  qu'il  s'agit  de  restitution 
au  royaume  de  Jérusalem.  Voyez  le  passage  correspondant  dans  la  lettre  de 
saint  Louis. 

2.  Louis  IX,  comme  s'il  n'avait  pas  connaissance  de  la  sentence  du  concile 
de  Lyon,  continua  à  donner  à  Frédéric  les  titres  d'empereur  et  de  roi,  et  il  en- 
tretint avec  lui  des  rapports  politiques.  Huillard-BréhoUes,  Ilisl.  dipl.  Frid.  II, 
t.  VI,  p.  501. 

3.  Matthieu  Paris,  C/tron.,  Odil.  Luard,  t.  iv,  p.  484;  Guillaume  de  Nangis, 
Vie  de  saint  Louis,  dans  Bouquet,  Rec.  des  hist.de  la  France,  t.  xx,  p.  352  ;Huillard- 
Bréholles,  op.  cit.,  t.  vi,  p.  372.  Sur  la  réunion  à  Pâques  1246,  Matthieu  Paris, 
op.  cit.,  p.  522;  Ficker,  Reg.,  n.  3541  ;  Winkelmann,  Reg.,  n.  7G05  a.  (H.  L. 

4.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  vi,  p.  357-363. 


669.     DERNIÈRES    ANNÉES     DE     FREDERIC    II  1683 

avec  le  fidèle  concours  d'Enzio,  il  fit  brutaliser  plusieurs  de    ses 
prisonniers,  notamment  les  parents  du  pape  ^. 

En  février  1246,  Frédéric  s'adressa  de  nouveau  à  Louis  IX  et 
aux  autres  princes.  Dans  une  longue  lettre  dont  nous  n'avons  plus 
que  le  début,  il  cherche  à  prouver  au  roi  de  France  que,  depuis 
Innocent  III,  les  papes  l'ont  constamment  traqué;  son  tuteur, 
Innocent  III,  lui  avait  enlevé  l'empire  d'Allemagne  pour  le  don- 
ner à  Otton  de  Saxe,  et,  sous  prétexte  de  lui  octroyer  un  pro- 
tecteur dans  son  royaume  héréditaire  des  Deux-Siciles,  il  y 
avait  envoyé  Gautier  de  Brienne,  un  ennemi  mortel.  Grégoire  IX 
l'avait  injustement  excommunié;  il  avait  insidieusement  attaqué 
son  royaume  héréditaire,  violé  la  paix  de  San  Germano,  et, 
tout  en  l'assurant  de  son  amitié,  poussait  les  princes  allemands 
à  n'élire  pour  roi  aucun  de  ses  enfants.  Dans  sa  lettre  à  tous 
les  princes  et  rois  de  la  chrétienté,  Frédéric  s'efforce  de  mon- 
trer que  le  clergé  abuse  grandement  de  la  simplicité  des  laïcs 
et  s'enrichit  de  leurs  offrandes.  Aussi  s'était-il  toujours  pro- 
posé de  ramener  le  clergé  à  la  vie  apostolique  de  l'Eglise  pri- 
mitive. Enlever  au  clergé  des  richesses  nuisibles,  c'est  faire 
œuvre  pie.  Tous  les  princes  lui  doivent  leur  concours  pour 
arriver    à    ce   résultat  ^. 

Dans  une  circulaire  adressée,  en  mars  1246,  à  tous  les  rois  et 
princes  chrétiens,  le  pape  expliqua  de  son  côté  sa  conduite  à 
l'égard  de  Frédéric.  «  L'épouse  de  l'Agneau,  dit-il,  la  sainte  Eglise, 
règne  sur  l'univers  entier,  de  même  que  son  époux  Jésus-Christ, 
duquel  dérive  tout  pouvoir...  Ses  fils  (les  prêtres)  reçoivent  de 
leur  Père  la  grâce  de  la  toute-puissance  pour  déraciner  et  pour 
détruire,  pour  bâtir  et  pour  planter...  Les  amis  de  l'époux 
leur  ont  donné  des  biens  considérables...  Ainsi  ornée  du  dia- 
dème d'un  tel  époux,  l'Eglise  ne  craint  rien...  mais  tout  homme 
I  sensé  peut  constater  de  quel  esprit   est   animé    ce  fils   de   perdi- 

tion, ce  précurseur  de  l'Antéchrist,  , monstre  d'ingratitude  à 
1131  l'égard  de  l'Église  qui  l'a  nourri  et  élevé  depuis  son  enfance, 
qui,  dans  les  lettres  qu'il  vient  de  vous  écrire,  ô  rois  et  princes,  a 
imité  l'endurcissement  de  Pharaon...  Il  prétend  dans  ses  let- 
tres que  son  droit  a  été  méconnu, que  notre   conduite  est  insoute- 

1.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  vi,  p.  366,  374,  375;  Raumer,  op.  cit.,  t.  iv, 
p.  189;  Hôfler,  Friedrich  II,  p.  227. 

2.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  vi,  p.  389-393;  Monum.  Germ.  hist.,  Leges, 
p.  371,  n.  265. 


1684  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    III 

nable, comme  si  l'Église  n'avait  pas  le  droit  de  juger  au  spirituel 
des  choses  temporelles;  il  a  excité  les  esprits  contre  sa  mère  l'E- 
glise, et  a  dit  qu'un  sort  pareil  au  sien  vous  était  réservé.  11  a 
avoué  le  projet  de  rendre  les  serviteiirs  de  l'Eglise  aussi  pauvres 
que  dans  les  temps  apostoliques,  et,  en  effet,  il  a  déjà  dépouillé 
à  maintes  reprises  les  églises  de  son  empire.  Rois,  princes  et  pieux 
fidèles,  comprenez  donc  combien  le  Christ  est  blessé  par  tous  ces 
outrages  prodigués  à  son  épouse.  Frédéric  s'est  attaqué  au  Christ 
en  s'attaquant  à  Pierre  et  à  ses  successeurs...  Voyez  maintenant 
si  ses  crimes  contre  l'Eglise  pouvaient  rester  impunis.  Celui 
qui  maudit  son  père  ou  sa  mère  mérite  la  mort;  aussi  vous  pren- 
drez les  armes  pour  châtier,  et  non  pour  défendre  celui  qui  est 
privé  de  la  bénédiction  maternelle  pour  avoir  persécuté  sa  mère, 
etc.  1.  » 

Auparavant  le  pape  avait  expliqué,  dans  ime  lettre  au  cha- 
pitre général  des  cisterciens,  l'excommunication  lancée  contre 
Frédéric,  et  avait  surtout  fait  ressortir  ces  deux  points  :  a)  il 
s'était  servi  contre  Frédéric  du  glaive  spirituel;  6)  l'affaire  avait 
été  traitée  sans  précipitation  et  avec  la  coopération  des  car- 
dinaux. Tout  avait  été  sagement  pesé.  La  procédure  instruite 
selon  les  formes  avait  eu  lieu  en  consistoires  secrets.  Certains 
des  cardinaux  y  avaient  tenu  le  rôle  des  avocats  de  l'empereur, 
et  certains  autres  celui  d'accusateurs  ^. 

Pour  faire  exécuter  sa  sentence  contre  Frédéric,  le  })ape  devait 
s'adresser  à  l'Allemagne,  et  inviter,  conformément  à  la  bulle, 
les  Allemands  à  procéder  sans  retard  à  l'élection  d'un  autre 
empereur.  Pour  faire  obstacle  à  cette  élection,  Frédéric  envoya 
son  fils  Conrad  en  Allemagne;  il  comptait  réussir,  la  plupart  des 
évêques  ayant  pris  parti  pour  lui,  et,  dès  1241,  le  principal 
de  ses  anciens  rivaux,  Olton  de  Bavière,  s'était  réconcilié  1132 
avec  lui  et  avait  chassé  Albert  de  Béhaim  '^.  Mais  la  sentence 
d'un  concile  œcuménique  avait  trop  il'autorité  pour  que  les 
évêques  allemands  n'en  tinssent  pas  compte,  et  comme  il  y 
avait  en  Allemagne  un  grand   mécontentement  contre  Frédéric, 


1.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.   vi,  p.  396  sq.  ;  lloWeT,  Friedrich  II,  p.  209, 
413  sq.;  Potthast,  Reg.,  p.  1021. 

2.  Huillard-BréhoUes,  op.  cit.,  t.  vi,  p.  346. 

3.  StuUgart  lilerarischer  Verein,  t.  xvi,   p.  v,    33;    Polit,    und    hist.    Blàtter, 
1869,  p.  606  sq.;  Schirrmacher,  Albert  von  Possemùnster,  p.  97  sq. 


669.     DERNIÈRES     ANNÉES     DE     FREDERIC     11  1685 

plusieurs  évêques  passèrent  du  côté  du  pape,  par  exemple  le 
chancelier  impérial  Conrad,  évêque  de  Freisingen,  les  évêques 
de  Ratisbonne,  Bamberg,  etc.  ^. 

Au  printemps  de  1246,  l'opinion  publique  avait  été  travaillée 
en  Allemagne  grâce  aux  efforts  de  Philippe,  évêque  élu  de  Ferrare, 
envoyé  par  le  pape  en  Allemagne  en  qualité  de  légat;  elle  était 
devenue  si  contraire  à  Frédéric  ^  que  le  parti  du  pape  pvit  indi- 
quer Henri  Raspe,  landgrave  de  Thuringe,  comme  futur  empereur. 
Le  pape  s'employa  fort  à  cette  élection,  qui  eut  lieu  le  22  mai  1246, 
à  Hochheim  près  de  Wurzbourg,  par  les  archevêques  de  Mayence, 
de  Trêves,  de  Cologne  et  de  Brème,  les  évêques  de  Wurz- 
bourg, Naumbourg,  Ratisbonne,  Strasbourg  et  Spire,  les  ducs 
Henri  de  Brabant  et  Albrecht  de  Saxe,  etc.  ^. 

Sur  ces  entrefaites,  au  mois  de  mars  1246,  Frédéric  prétendit 
avoir  découvert  une  conjuration  ourdie  par  le  pape  pour  l'assas- 
siner. Il  désignait  comme  les  principaux  conjurés  Pandulfe  de 
Fazanella,  gouverneur  de  Toscane,  Jacques  de  Morra,  Théobald 
Francesco,  Guillaume  de  San  Severino,  et  d'autres  de  ses  plus  inti- 
mes conseillers.  Les  frères  mineurs  auraient,  d'après  lui,  distribué 
des  croix  parmi  les  conjurés,  mais  la  conjuration  avait  été  décou- 
verte à  Grosseto  *. 

Le  pape  tint  un  autre  langage.  Il  ne  savait  rien  de  cette  conju- 
ration; il  savait  seulement  que  Théobald  Francesco  et  ses  amis 
avaient  abandonné  le  tyran  et  étaient  venus  se  ranger  sous  l'o- 
béissance de  l'Eglise.  11  les  loue  d'avoir  retiré  leurs  services  au 
nouveau  pharaon,  de  s'être  sacrifiés  pour  le  salut  de  la  Sicile  et 
la  paix  de  l'Eglise.  Quant  à  lui  personnellement,  il  est  prêt  à 
1133  tous  les  sacrifices  pour  délivrer  ce  royaume.  Dans  une  seconde 
lettre  encyclique  adressée  à  tous   les   clercs  et   laïcs   de   la  Sicile, 


1.  Huillard-BréholleSj  op.  cit.,  t.  vi,  p.  337;  Schirrmacher,  op.  cit.,  p.  131  sq. 

2.  Non  sine  magiïis  sumptibus  et  expensis  Ecclesise,  dit  Nicolas  do  Curbio, 
dans  sa  Vita  Innocenta  IV,  d'après  Baluze,  Miscell.,  t.  vu,  p.  375. 

3.  Huillard-Bréholles^  op.  cit.,  t.  vi.  p.  400-402,  429  sq.  ;  Monum.  Germ.  hist., 
Leges,  sect.  iv,  t.  ii,  p.  3G1  sq.  ;  Bôhmer,  Reg.,  p.  265  ;  Reuss,  Die  Wahl  Heinrich 
Raspes  von  Thiiringen,  in-8,  Liidenscheid,  1878;  Ugeii  iind  Vogel,  Kri- 
tische  Darstellung  des  Thuring.  und  Iless.  Erbfolgeskrieges,  1247-1264,  dans 
Zeitschrijt  d.  hessische  Gesch.,  nouv.  série,  t.  x;  A.  Rubesamen,  Landgraf  Hein- 
rich Raspe  von  Thiiringen,  in-8,  Halle,  1885;  Reuss,  Kënig  Conrad  IV,  und  sein 
Gegenkunig  Ileinricit  Raspe  von  Thuringen,  Halle,  1885.  (H.  L.) 

4.  Huillard-BréhoUes,  Hist.  diplom.  Frid.  Il,  t.  vi,  p.  403,  411. 


1686  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    IIl 

îl  s'étonne  de  la  longanimité  qu'ils  apportent  à  secouer  le  joug 
du  nouveau  Néron,  et  il  prophétise   une   délivrance   prochaine^. 

Deux  nouvelles  tentatives  de  Louis  IX,  au  mois  d'avril  et 
durant  l'automne  de  1246,  pour  réconcilier  le  pape  et  l'empereur 
échouèrent  encore.  Matthieu  Paris  prétend  que  l'empereur  avait 
promis,  au  cas  où  il  serait  absous,  trois  choses  importantes  : 
une  croisade,  la  conquête  de  tout  l'ancien  royaume  de  Jérusalem, 
abdication  de  la  couronne  impériale  en  faveur  de  son  fils,  et  le  roi 
Louis  IX  avait  reproché  au  pape  la  trop  grande  dureté  qui  lui 
faisait  repousser  ces  conditions.  Il  est  vrai  que,  dans  sa  lettre 
à  la  noblesse  française,  Frédéric  offre  les  deux  premières  con- 
ditions, mais  ne  parle  pas  d'abdication,  ni  alors  ni  plus  tard; 
les  négociations  de  Frédéric  avec  le  pape  (mai  1246)  ne  repo- 
saient pas  sur  ces  bases;  il  ne  voulait  que  se  purger  du  soup- 
çon d'hérésie  et  garder  sa  couronne  ^.  Frédéric  ne  cessa  de  tra- 
vailler à  gagner  le  roi  de  France,  à  qui  il  offrit  de  riches  subsides 
pour  sa  croisade.  A  la  suite  de  toutes  ces  machinations  (novem- 
bre 1246),  les  seigneurs  de  France  formèrent  une  ligue  contre  le 
clergé  pour  limiter  à  quelques  cas  l'exercice  des  tribunaux  ecclé- 
siastiques (hérésie,  mariage,  usure),  ramener  le  clergé  à  la  pau- 
vreté, et  ne  tenir  avicun  compte  des  censures  ecclésiastiques. 
Ce  programme  était  à  peu  près  celui  de  Frédéric;  quant  à 
Louis  IX,  qui  n'approuvait  pas  cette  ligue,  il  se  borna  à  défen- 
dre le  prélèvement  dans  ses  Etats  de  subsides  pour  combattre 
l'empereur,  et  il  désapprouva  en  général  les  redevances  exorbi- 
tantes servies  à  la  curie  romaine  ^.  • 

Quelques  mois  auparavant,  dans  un  décret  du  27  juin  1246  à 
l'archevêque  de  Mayence,  Innocent  IV  avait  prescrit  une  croi- 
sade contre  Frédéric  et  ses  partisans,  croisade  enrichie  des 
mêmes  indulgences  qu'une  expédition  en  Terre  Sainte,  Phi- 
lippe de  Ferrare,  légat  pontifical  en  Allemagne,  excommunia 
tous  les  prélats  absents  de  Francfort,  le  25  juillet,  c'est-à-dire  1134 
les  archevêques  de  Salzbourg  et  de  Brème,  les  évêques  de  Pas- 
sau,    Freisingen,  Brixen,    Prague,    Utrecht,    Worms,    Constance, 


1.  Baronius-Raynaldi,  ^nnaZes^  ad  ann.  1246,  n.  11  sq.  ;  Huillard-BréhoUes, 
op.  cit.,  t.  VI,  p.  411  sq. 

2.  Baronius-Raynaldi,   Annalefs,   ad   ann.    1246,   n.    18;    Huillard-Bréholles, 
Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  vi^  p.  425,  615. 

3.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  vi,  p.  467,  528. 


669.     DERNIÈRES    ANNÉES     DE     FREDERIC    II  1687 

Augsbourg,  Paderborn,  Hildesheim,  ainsi  que  les  abbés  de  Saint- 
Gall,  Ellwangen,  Reichenau    et    Kempten  ^. 

Phisieurs  de  ces  prélats  avaient  probablement  hésité  à  prendre 
un  parti  définitif,  parce  qu'à  cette  époque  le  fils  de  Frédéric,  le 
roi  Conrad,  marchait  avec  une  armée  contre  Henri  Raspe.  Celui-ci 
fut  vainqueur  dans  une  grande  bataille  livrée  près  de  Francfort,  le 
5  août  1246  ^,  et  le  pape  continua  à  s'occuper  activement  de  faire 
reconnaître  Raspe  par  les  villes  et  les  princes  ^. 

En  revanche,  l'empereur  était  heureux  en  Italie.  En  vain  le 
cardinal  d'Albano  vint  avec  une  armée  au  secours  des  insurgés 
de  la  Fouille  :1a  citadelle  de  Capaccio  succomba  le  18  juillet  et 
les  chefs  de  la  rébellion  y  furent  faits  prisonniers  avec  cent  cin- 
quante hommes  de  garnison  et  vingt-deux  femmes  de  la  noblesse. 
Ces  dernières  furent  mises  en  prison,  la  citadelle  fut  brûlée,  les 
hommes  eurent  les  yeux  crevés,  le  nez,  les  mains  et  les  pieds  cou- 
pés. Théobald  et  cinq  autres  furent  promenés  à  travers  tout  le 
pays,  portant  au  front,  pour  faire  honte  au  pape,  la  lettre  de  ce 
dernier.  Tel  est  le  récit  de  Walter  Okra,  qui  ajoute  que  la  défaite 
de  Conrad  à  Francfort  vint  surtout  de  la  défection  des  deux  com- 
tes souabes  de  Wurtemberg  et  de  Grœningen  ^. 

Frédéric  avait  différé  jusqu'alors  de  faire  baptiser  son  troisième 
fils  légitime  Henri,  né  de  la  princesse  anglaise  Elisabeth,  en  1238; 
il  espérait  que,  lors  de  sa  réconciliation,  le  pape  ferait  la  cérémo- 
nie; mais  en  1246,  il  se  décida  à  faire  baptiser  solennellement  cet 
enfant  et  à  le  laisser  comme  régent  dans  son  royaume  héréditaire, 
pendant  que  lui-même  se  dirigeait  avec  son  armée  vers  le  centre 
et  le  nord  de  l'Italie.  En  route,  ou  avant  de  quitter  la  Fouille, 
1135  Frédéric  apprit  que  Henri  Raspe,  qui,  peu  de  temps  auparavant, 
avait  assiégé  inutilement  Ulm  et  peut-être  Reutlingen,  était 
mort  à  la  Wartbourg,  le  17  février  1247,  des  suites  d'une  chute. 
L'empereur  reçut  cette  nouvelle  avec  plaisir  et  voulut  se  pré- 
senter aux  Lombards  en  prince  pacifique,  se    déclarant  décidé 

1.  Huillard-BréhoUes,  op.  ci<.,  t.  VI,  p.  434,  449;  Hôfler,  FnVdric/j  //,  p.  374, 
410;  Monuiii.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  ii,  p.  362. 

2.  Huillard-BréhoUes,  op.  cit.,  t.  vi,  p.  451  ;  Bôhmer,  Kaiserregesten  unter 
Philipp,  1198-1254,  p.  266. 

3.  Les  efforts  du  pape  sont  rappelés  dans  un  autre  volume  de  Bôhmer,  de 
années  1246-1313,  p.  313;  Huillard-Brcholles  donne  également  quelques  preu- 
ves de  cette  activité  du  pape.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  vi,  p.  489,  490,  506. 

4.  Winkelmann,  Acta  inedita,  p.  338,  339,  517,  438  sq.,  440  sq.,  457  sq.; 
Bôhmer,   Kaiserregesten   unter   Philipp,    1198-1254,   p.  204. 


1688  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    III 

à  donner  satisfaction  au  pape  et  à  l'Eglise  et  à  procurer  la  paix  à 
la    chrétienté  ^. 

On  reprit  les  négociations,  et  le  roi  de  France  conseilla  à  Fré- 
déric l'envoi  au  pape  des  ambassadeurs  du  ])lus  haut  rang.  C'é- 
tait aussi  le  dessein  de  Frédéric,  qui  ne  voulait  le  mettre  à  exécu- 
tion qu'après  avoir  gagné  l'Allemagne  à  marches  forcées  et 
avoir  eu,  le  24  juin  1247,  une  entrevue  avec  ses  partisans,  de 
sorte  que  ses  ambassadeurs  pussent  se  présenter  au  pape  au  nom 
des  princes  allemands  ^.  La  lettre  à  la  noblesse  française  n'indique 
pas  un  vif  désir  de  paix,  car  elle  reproduit  contre  Grégoire  IX 
et  Innocent  toutes  les  anciennes  accusations.  Innocent  IV  y  est 
représenté  comme  auteur  du  complot  contre  la  vie  de  Frédéric, 
qui  donne  comme  certain  que  le  pape  a  entretenu  à  Anagni,  avec 
les  biens  de  l'Église,  les  conjurés  en  fuite.  En  revanche,  Frédéric 
proteste  n'avoir  jamais  songé  à  faire  assassiner  le  pape;  allusion 
aux  trois  tentatives  qui  avaient  eu  lieu  à  Lyon  à  la  fin  de  1246  ou 
au  commencement  de  1247  pour  mettre  à  mort  Innocent  IV, 
tentatives  inspirées,  disait-on,  par  Frédéric  et  Walter  Okra. 
Il  est  vrai  que,  d'après  Matthieu  Paris,  ces  tentatives  sont  pure 
invention  pour  faire  pendant  au  complot  de  Grosseto  ^. 

Les  esprits  s'aigrissaient.  Le  pape  ne  montrait  aucune  inclina- 
tion vers  la  paix.  Au  mois  de  mars  1247,  il  engagea  Milanais  et 
Lombards  à  ne  pas  se  laisser  décourager  par  la  mort  de  Henri 
Raspe,  à  se  confier  au  Saint-Siège  et  à  résister  vigoureusement 
«  au  fils,  ou  plutôt  au  père  de  la  méchanceté.  )>  Il  envoyait  en  1136 
Allemagne  Pierre,  cardinal-diacre  de  Saint-Georges,  pour  y 
hâter  l'élection  d'un  nouveau  roi;  dans  toute  l'Allemagne, 
partout  où  se  réuniraient  des  foules,  on  promulguerait  l'ex- 
communication et  l'interdit  prononcés  contre  les  partisans  de 
Frédéric,  on  défendrait  à  tous  les  fidèles  d'entretenir  des  rap- 
ports avec  eux  enfin;  tous  les  clercs  qui  ne  secondaient  pas 
la  cause  de  l'Église  seraient  dépouillés  de  leurs  fonctions  et 
prébendes  *. 

1.  Huillard-Brcholles,  op.  cit.,    t.  vi,  p.    502-504,    513    sq.;  Bôhmer,  Kaiser- 
regesten  uider  Philipp,  1246-1313,  p.  2. 

2.  Au  sujet  de  ce  voyage  projeté  de  l'empereur,  cf.  Winkelmann,  Acta  inedita, 
p.   344. 

3.  Huillard-Brcholles,  op.  cit.,  t.  vi,  p.  514-518;  Raumer,  t.  iv,  p.  194. 

4.  Baronius-Raynaldi,  Annales,  ad  ann.  1247^  n.  3;  Huillard-BréhoUes,  op.  cit., 
t.  VI,  p.  510. 


669.     DERNIÈRES    ANNEES    DE     FREDERIC     II  il689 

En  avril  1247,  Frédéric  projetait  de  se  rendre  de  Crémone 
en  Allemagne,  aussitôt  a])rès  le  mariage  de  son  fds  naturel 
Manfred  avec  Béatrix,  fille  du  comte  Amédée  de  Savoie.  Tou- 
tefois, au  mois  de  mai,  il  changea  d'avis  et  décida  de  se  rendre  à 
Lyon  pour  défendre  sa  cause  en  présence  du  pape  et  devant  la 
multitude  de  ses  partisans  d'au  delà  les  Alpes.  Il  sollicitait  les 
membres  de  la  ligue  de  la  noblesse  française  de  venir  à  sa  ren- 
contre en  grand  nombre,  espérant  ainsi  réunir  une  armée  à  Cham- 
béry  :  ce  qui  explique  l'assertion  du  chroniqueur  Salimbene,  que 
l'empereur  nourrissait  des  plans  grandioses.  Innocent  efîrayé 
appela  près  de  lui  les  évêques  de  France.  Le  roi  Louis  IX  et 
d'autres  seigneurs  promirent  au  pape  de  le  défendre,  les  armes  à 
la    main,    s'il  était   nécessaire  ^, 

Frédéric  était  arrivé  au  pied  des  Alpes  lorsqu'il  apprit,  le  16 
juin  1247,  la  reddition  de  Parme  à  ses  ennemis,  ayant  à  leur 
tête  un  neveu  du  pape.  Il  regagna  l'Italie  à  marches  forcées;  mais 
peut-être  le  vrai  motif  de  sa  démarche  était-il  cjue  le  roi  de 
France  n'avait  pas  favorisé  ses  projets  ^.  Si  Parme  avait  été  aussi 
peu  fortifiée  qu'il  le  disait,  si  ceux  qui  venaient  de  s'en  emparer 
étaient  aussi  ignorants  des  choses  de  la  guerre,  si  les  habitants 
du  i)ays  entier  étaient  dévoués  à  l'empereur,  on  ne  comprend  pas 
comment  la  prise  de  cette  ville  a  pu  déterminer  l'empereur  à 
changer  son  plan  et  à  ne  plus  se  rendre  à  Lyon,  d'autant  plus  que 
ses  deux  fils  Enzio  et  Frédéric  d'Antioche  se  trouvaient  avec  une 
armée  dans  la  Haute- Italie.  Mais  l'affaire  était  sérieuse,  il  ne 
s'agissait  de  rien  moins  que  d'une  révolte  imminente  de  toute 
ll^'j  la,  Ligurie.  L'empereur  parut  le  comprendre.  Il  réunit  une  grande 
armée  pour  assiéger  Parme;  mais,  en  dépit  de  tousses  efforts,  la 
ville  lui  opposa  une  résistance  héroïque,  et,  le  18  février  de  l'an- 
née suivante,  remporta  une  magnifique  victoire.  Frédéric,  sûr  du 
succès,  avait  fait  élever  devant  les  murs  de  Parme  une  nouvelle 
ville,  nommée  Victoria;  cette  ville  fut  prise  et  brûlée  par  les 
Parmesans,  ({ui  s'emparèrent  du  trône  et  du  sceau  de  l'empereur, 
lui  tuèrent  quinze  cents  hommes,  y  compris  Thaddée  de  Suessa, 
et  lui  firent  trois  mille  prisonniers.  L'empereur  s'enfuit  à  Crémone, 
et  toutes  ses  tentatives  pour  se  venger  de  Parme  demeurèrent 
sans  succès.  Le  pape  exhorta  les  Lombards  à  ne  pas  se  lasser,  à 

1.  Huillard-Bréholles,  op.  cit.,  t.  vi,  p.  525-529,  537,  545  sq. 

2.  Ibid.,  t.  VI,  p.  551-557, 


1690 


LIVRE     XXXVI.     CHAPITRE    III 


faire   de    nouveaux   efforts   pour    compléter   leur   triomphe    sur 
le  tyran  ^. 

Il  est  facile  de  constater  la  haine  dont  se  poursuivaient  les 
deux  partis,  en  voyant  la  sévérité  des  édits  de  Frédéric  contre 
les  clercs  qui,  conformément  à  la  décision  du  concile  de  Lyon, 
interrompaient  le  service  divin  et  contre  tous  ceux,  les  moines 
surtout,  cjui  publiaient  en  Italie  les  lettres  du  pape.  On  devait 
les  attacher  deux  à  deux  comme  des  renards  et  les  brûler  ^. 
Quant  à  l'amertume  dont  le  parti  du  pape  était  rempli,  elle  pa- 
raît au  grand  jour  dans  les  proclamations  du  cardinal  Rainier,  qui 
traite  l'empereur  de  dragon  empoisonné,  de  vicaire  de  Satan  et 
de  précurseur  de  l'Antéchrist,  ivre  du  sang  des  saints^. 

Le  jeudi  saint  1248,  le  pape  jeta  de  nouveau  l'interdit  et  l'ana- 
thème  sur  Frédéric.  D'autres  décrets  pontificaux  frappaient  éga- 
lement d'interdit  les  fils  et  petits- fils  de  Frédéric  et  ses  partisans. 
Tout  le  royaume  des  Deux-Siciles  fut  de  même  frappé  d'interdit, 
la  croisade  partout  prêchée  contre  l'empereur;  on  dépouilla  ses 
partisans  de  leurs  dignités;  leurs  biens  furent  confisqués,  et  les 
édits  impériaux  annulés.  Innocent  poursuivit  Frédéric  jusqu'en 
Palestine,  cherchant  à  y  détruire  les  restes  d'autorité  qu'il  gar- 
dait dans  ce  pays.  Le  pape  repoussa  en  outre  de  façon  sommaire 
une  tentative  de  rapprochement  essayée  par  Louis  IX,  peu  de 
temps  avant  son  départ  pour  la  croisade  (25  août  1248).  Innocent 
déclara  les  fils  de  Frédéric  à  jamais  exclus  du  pouvoir.  Ce  fut  dans  1138 
ces  circonstances  que  Frédéric  félicita  son  gendre  Vatazes,  em- 
pereur de  Nicée,  de  n'avoir  rien  à  craindre  de  ses  prélats  *. 

A  la  nouvelle  de  la  mort  du  landgrave  de  Thuringe,  le  pape 
envoya  en  Allemagne  un  nouveau  légat,  Pierre  Capoccio,  cardinal- 
diacre  de  Saint-Georges,  pour  y  préparer  à  l'élection.  Le*légat  con- 
voqua d'abord  les  archevêques  et  évêques  allemands  à  un  concile  à 
Cologne,  le  29  septembre  1247.  L'objet  principal  et  presque  unique 
des  délibérations  devait  être   le  choix  d'un   nouveau  roi  ^,   dont 

1.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  vi,  p.  592,  591,  596,  598,  600 
sq.;  Vita  Innocent.  IV,  et  Baluze,  Miscell.,  t.  vu,  p.  379;  Bôhmer,  Regesta  unter 
Philipp,  p.  206;  Raumer,  op.  cit.,  p.  223  sq. 

2.  Huillard-Bréholles,  Hist.  diplom.  Frid.  II,  t.  vi,  p.  581,  701,  702. 

3.  Ibid.,  t.  VT,  p.  603. 

4.  Ibid.y  t.  VI,  p.  617,  618,  641,  643    sq.,  646  sq.,  676  sq.,  685. 

5.  Les  Annal.  Sladens.,  dans  Monum.  Gerni.  hist..  Script.,  t.  xvi,  p.  371,  disent  : 
Evocatis  archiepiscopis  et  episcopis,  quos  potuit,  concilium  prope  Coloniam  celé- 
hravit  festo  Michaelis. . .  Willhelmus. . .  a  quibusdam  episcopis  et  comitibus  in  Nussia 


669.     DERNIÈRES     ANNÉES    DE     FrÉDKRIC    II  1691 

l'élection  aurait  lieu  immédiatement  (le  30  octobre),  à  Neusz  près 
de  Diisseldorf.  Le  choix  tomba  sur  Guillaume,  comte  de  Hollande, 
jeune  homme  de  vingt  ans,  neveu  d'Henri,  duc  de  Brabant. 
qui  fut  élu  par  les  archevêques  de  Mayence  et  de  Trêves,  de  Colo- 
gne et  de  Brème,  et  par  son  oncle  Henri  de  Brabant,  Ce  dernier 
prince  était  le  seul  laïc  qui  eût  coopéré  à  cette  élection.  Beau- 
coup de  seigneurs  voulaient  voir  les  événements  avant  de 
prendre  un  parti;  d'autres  soutenaient  les  Hohenstaufen,  par 
exemple  Otton  de  Bavière,  qui  peu  de  temps  auparavant  avait 
marié  au  roi  Conrad  (1®^  septeml)re  1246)  sa  bile  Elisabeth, 
mère  de  Conradin.  Le  parti  des  Hohenstaufen  était,  du  reste, 
sensiblement  plus  fort  ([u'à  l'époque  de  l'élection  d'Henri  Raspe. 
Innocent  IV  publia  toute  une  série  de  lettres  pour  avancer  les 
affaires  du  nouvel  élu. Il  permit  à  ses  légats  de  commuer  les  vœux 
de  ceux  qui  avaient  promis  d'aller  en  Terre  Sainte,  s'ils  accep- 
taient de  soutenir  le  roi  Guillaume  contre  Frédéric  et  son  fils 
par  services  personnels  ou  par  argent.  Les  foudres  de  l'Eglise 
frappèrent  de  nouveau  Frédéric  ^.  Le  désordre  ne  fit  alors  que 
s'accroître  en  Allemagne,  et  l'on  vit  souvent  les  princes  et  les  évê- 
1139  ques  passer  d'un  parti  à  l'autre,  comme  autrefois  dans  la  guerre 
entre  Otton  IV  et  Philippe  de  Souabe.  Les  villes  prirent  surtout 
parti  pour  l'empereur.  La  ville  du  couronnement,  Aix-la-Chapelle, 
se  distingua  par  son  attachement  à  cette  cause.  Elle  ferma  ses 
portes  au  roi  Guillaume  et  se  défendit  pendant  un  an  avec  la  plus 
grande  vaillance.  Mayence  et  Cologne  soutenaient  au  contraire 
le  parti  de  Guillaume,  et  ce  dernier  était  certainement  présent 
lorsque,  le  15  août  1248,  fut  posée  la  première  pierre  de  la  cathé- 
drale de  Cologne.  Après  avoir  pris  Aix-la-Chapelle,  Guillaume 
y  fut   {'ouronné  le   l^r  novembre  1248,  et    le    19  février  il  prêta 


in  regem  ..  est  electus.  Le  récit  de  la  Chron.  Menkonis,  dans  Monum.  Germ. 
hist.,  Script.,  t.  xxiii,  p.  541,  est  encore  plus  explicite  :  Qui  (se.  legatus  Petrus) 
i'eniens  Coloniam,  coiwocavit  omnes  episcopos  et  principes  totius  Alamanniie  in 
festo  Michaelis,  qui  omnes  unanimiter  convenerunt,  nec  deerat  aliquis,  quin  vel 
per  se  venisset,  vel  per  certum  nuntium  vel  per  litteras  se  excusasset.  Il  ne  cite 
corame  ayant  pris  part  à  l'élection  que  les  archevêques  de  Mayence,  de  Trêves 
et  de  Cologne;  il  en  ajoute  d'autres  qu'il  ne  désigne  pas  autrement  :  et  epi- 
scopi  qucunplurimi  et  alii  principes  ad  quos  pcrtinct  electio. 

1.  Huiilard-BréhoUes,  op.  cit.,  t.  vi,  p.  575,  682;  Monum.  Germ.  hist.,  Leges, 
t.  II,  p.  364;  Baronius-Raynaldij  Annal.,  1247,  n.  5-8;  Bôhmer,  Regesten,  1246- 
1313,  p.  3-8,  314-318. 


1692  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    111 

au  pape,  à  Ingelheim,  le  même  serment  rnie   lui  avait  prêté  au- 
trefois Frédéric  II  ^. 

Ces  années  se  passèrent  en  combats  entre  Guillaume  et  Conrad, 
soucieux  d'augmenter  et  de  fortifier  leur  parti,  fût-ce  aux  dé])ens 
de  l'empire.  Beaucoup  de  villes,  de  forteresses  et  de  villages  alle- 
mands furent  terriblement  ravagés,  et  la  peste  ne  tarda  pas  à  se 
joindre  à  la  guerre.  Les  quêtes  organisées  pour  subvenir  à  la 
croisade  contre  l'empereur  se  poursuivirent  et  donnèrent  parfois 
de  grands  résultats.  Mais,  en  revanche,  la  haine  du  peuple  contre 
Rome  et  le  clergé  monta  si  loin  en  certains  endroits  qu'elle  abou- 
tit à  l'hérésie.  Ainsi,  à  Schwâbisch-Hall  (Wurtemberg),  on  prêcha 
ouvertement  que,  puisque  les  clercs  vivaient  dans  le  péché,  ils 
n'avaient  plus  le  pouvoir  de  lier  et  de  délier  et  ({u'ils  ne  pouvaient 
même  pas  consacrer  ^,  etc. 

Guelfes  et  gibelins  continuèrent  à  se  battre  en  Italie  avec  dos 
fortunes  diverses.  Plusieurs  tentatives  de  réconciliation  entre  le 
pape  et  l'empereur  demeurèrent  encore  sans  résultat  ^.  Tandis 
que  l'empereur  parcourait  la  Haute- Italie  pour  tenir  tête  à  ses 
ennemis,  Pierre  des  Vignes,  son  protonotaire  et  conseiller  le 
plus  intime,  tomba  en  disgrâce,  Matthieu  Paris  raconte  que  le 
médecin  dePierre  avait  mêlé  du  poison  à  une  tisane  offerte  à  l'em-  , 
pereur  alors  malade;  mais  Frédéric,  éventant  le  piège,  exigea  que 
Pierre  goûtât  d'abord  la  médecine.  Celui-ci  fit  tomber  la  coupe 
comme  par  maladresse,  mais  le  reste  suffit  pour  donner  la  mort  à 
un  malfaiteur.  Frédéric  se  hâta  d'écrire  que  le  pape  avait  séduit  1140 
un  médecin  et  lui  avait  fait  ])iésenter  une  boisson  empoison- 
née, mais  qu'il  avait  été  sauvé  par  la  grâce  divine.  Dans  cette 
lettre,  Frédéric  ne  parle  pas  de  Pierre  des  Vignes,  dans  une 
autre    il    le    traite    d'empoisonneur.   On    le  jeta  dans  un  cachot, 

1.  Bôhmer,  Fontes;  Mon.  Germ.  hist.,  Leges,  t.  u,  p.  365;  Huillard-Brcholles, 
Hisl.  diplom.  Frid.  II,  p.  vi^  p.  692.  Cf.  Meermann,  Geschiedenis  van  Graaf 
Willem  van  IloUand,  4  vol.,  1783-1797;  A.  Ulrich, Gesc/(.  d.  rôm.  Kimigs  Wilhclrn 
von  Holland,  in-8,  Hannover,  1882;  O.  Hintze,  Das  Konigtum  Wilhelms  von 
Holland,  Leipzig,  1885;  Th.  Hasse,  Kônig  Wilhehn  von  IloUand,  in-8,  Strassburg, 
1885;  Dôhmann,  Kônig.  Wilhehn  von  Holland,  die  rheinischen  Erzhischofe  und 
der  Ncuwahlplan  von  1255,  in-8,  Strasburg,  1887;  J.  Kempf,  Gesch.  d.  deulschen 
Reiches  wdhrend  des  Interregnums,  in-8,  Wi'irzburg,  1893.  (H.  L.) 

2.  Bôhmer,  Fondes,  t.  ii,  p.  406;  Mon.  Germ.  hist.,  Script.,  t.  xvi,  p.  371. 

3.  Le  8  novembre  1248,  Frédéric  donna  pleins  pouvoirs  aux  comtes  Thomas 
et  Amédée  de  Savoie  pour  négocier  la  paix  avec  le  pape.  Winkelmann,  Acta 
iaedita,  p.  352, 


669.     DERNIÈRES    ANNEES    DE    FuÉDKUIC    II  1693 

après  lui  avoir  crevé  les  yeux,  et  plusieurs  disent  qu'il  se  suicida^. 
Quelque  temps  après,  l'empereur   abandonna  à    ses  fils    Enzio 
et  Frédéric  la  conduite  des   opérations  dans  la   Haute- Italie,  et, 
en  mai   1249,   il  regagna   la    Fouille,  où  la  croisade  était  prêchée 
contre  lui  et  où  les  ordres    mendiants  entretenaient  une  grande 
efîervescence.     A    peine    arrivé    à    Naples,     son    fils    Enzio    fut 
fait  prisonnier  i)ar  les  Bolonais,  à  la   bataille  de  Fossalta  (26  mai 
1249).  Xi  les  menaces  de  l'empereur  ni  ses  prières  ne  purent  obte- 
nir sa  délivrance.   Les  Bolonais   firent  à    Frédéric    une    réponse 
ferme  et  hautaine,  et  Enzio  resta  prisonnier  jusqu'à  sa  mort,  en 
1272  ^.  Le  pape  envoya  alors  en  Italie,  comme  gouverneur  d'An- 
cônc  et  de  Spolètc,  le  cardinal  Pierre  de  Saint-Georges,  avec  la 
mission  de    s'emparer    du  royaume    des   Deux-Siciles  et  de  l'ar- 
racher à  la  tyrannie  de  Frédéric.  Mais  celui-ci  conserva  sa   supré- 
matie et  les  ecclésiastiques,  principalement  les  frères  mendiants, 
éprouvèrent  sa  vengeance;  enfin,  dans  l'Italie  centrale  et  en  Lom- 
bardie,  ses  affaires  prirent  une  tournure  meilleure  (1250).  Ses  ar- 
mées remportèrent  plusieurs  victoires;  beaucoup  de  villes  impor- 
tantes revinrent  à  son  parti,  l'État  de  l'Église  fut  occupé  et  Fré- 
déric  interdit   toute  relation  de  son  royaume  avec  Rome'^.  Arles 
et  Avignon  dans  le  royaume  d'Arles  se  soumirent  également,  et 
en  Allemagne,  durant  l'été  de  1250,  Conrad,  fils  de  Frédéric,  rem- 
porta quelques  avantages  sur  le  roi  Guillaume;   mais  l'empereur 
retomba    malade   de   la    dysenterie,   ses    forces    l'abandonnèrent 
rapidement,  et  il  mourut  le  13  décembre  1250,  à  Fiorentino,  dans 
la  Fouille,  à  l'âge  de  cinquante-six  ans,  ayant  été  relevé  de  l'ex- 
communication par  l'archevêque  de  Palerme  auquel    il  se  con- 
1141     fessa  *.  Plusieurs  clauses  de  son  testament  prouvent  que  son  inten- 
tion était  de   donner   satisfaction   à  l'Église.    Il  ordonna  le   ver- 
sement de  cent    mille  onces  d'or  pour  la  Terre  Sainte,    pour   le 

1.  Iluillard-Brcholles,  op.  cit.,  t.  vi,  p.  705,  706;  Ilôiler,  op.  cit.,  p.  421. 

2.  Huillard-BréholleS;  op.  cit.,  t.  vi,  p.  710,  733,  737  sq.;  Cipolla,  Kônig 
Enzios  Gefangenscliaft  in  Bologna,  dans  Mittheil.  d.  Inslit.  d.  œsterr.  Ge- 
schichisforsch.,  t.  iv',  p.  463.  (H.  L.) 

3.  Winkelmann,  Acta  inedita,  p.  369. 

4.  Le  13  décembre  1250  fut  incontestablement  la  date  du  décès  de  l'empe- 
reur. Bernhardi  (Matleo  di  Grovenazzo,  interpolation  du  xvi«  siècle,  p.  34  sq.) 
voudrait  prouver  que  ce  fut  le  19  décembre.  Cl.  à  ce  sujet  Minieri  Riccio,  /  nota- 
menti  di  Matleo  Spinelli  da  Giovenazzo  difesi  ed  iUustrati,  Naplos,  1870.  Cf.  aussi 
A.  Hartwig,  Leber  den  Todestag  und  daa  Testament  Kaiser  Friedrichs  II,  dans  lea 
Forschungen  zur  deutschen  GeschicIUe,  1872,  t.  xii,  p.  631  sq. 


1694 


LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    III 


salut  de  son  âme. On  devait  restituer  aux  templiers  leurs  biens, 
et  aux  églises  ainsi  qu'aux  monastères  et  couvents  tous  leurs 
droits  ;  les  églises  de  Lucéra  et  de  Sora  devaient  être  reconstruites  ; 
enfin  Frédéric  voulait  encore  que  l'on  rendît  à  l'Église  romaine 
tous  ses  biens,  si  celle-ci  consentait  à  rendre  son  dû  au  pouvoir 
civil.  En  revanche,  Conrad  IV  était  désigné  pour  succéder  à  Frédé- 
ric dans  l'empire  et  dans  la  royauté;  son  autre  fils  Henri  devait 
avoir  le  royaume  d'Arles  ou  celui  de  Jérusalem;  son  petit-fils  Fré- 
déric, les  duchés  d'Autriche  et  de  Styrie;  Manfred,  la  princi- 
pauté de  Tarente;  ce  dernier  devait  être  en  outre  le  représentant 
de  Conrad  pour  l'Italie  et  la  Sicile.  Frédéric  avait  choisi  pour  sa 
sépulture  la  cathédrale  de  Palerme,  où  il  repose  encore  dans  un 
magnifique  monument  de  porphyre  ^.  Exhumé  en  1783,  son  corps 
fut  retrouvé   parfaitement   conservé  et   orné   des   insignes  impé- 


riaux 2. 


670.    Conciles  de  1246  à  1250. 

Après  sa  réconciliation  avec  Louis  IX,  Raimond  VII,  comte 
de  Toulouse,  soutenu  par  l'archevêque  de  Narbonne,  assié- 
gea la  forteresse  de  Monségur,  devenue  l'asile  des  cathares.  Beau- 
coup d'évêques  et  de  diacres  de  la  secte,  ainsi  qu'un  grand  nom- 
bre de  leurs  pei-fecti,  s'y  étaient  réfugiés  et,  devant  la  mort  immi- 
nente, beaucoup  des  credentes  avaient  aussi  accepté  le  consola, 
mentum,  ou  du  moins  émis  la  corn^enza.  Au  mois  de  mars  1244, 
après  vine  défense  opiniâtre,  la  forteresse  dut  se  rendre  ;  deux  cents 
perfecti  furent  brûlés  et  leurs  amis  cl  défenseurs  furent  frappés 
des  peines  ecclésiastiques.  Ce  fut  pour  la  secte  un   coup  dont  elle 

1.  On  trouve  un  autre  testament  dans  Winkchnann,  Acta  ineiL,  p.  371  : 
Nos  iniperalor  l'riderUus  etc.  Iiiprimin  relinquimus  el  legamus  teinplariis  et  ho- 
spitalariis  superhiam,quum  ipsi  dehent  hahere  in  perpeluum,  quamdiu  ipsorum 
ordo  dura'.  Item  relinquinius  et  legamus  prsedicatoribun  el  minoribus  discor- 
diam  quam  dehent  hahere,  quamdiu  iposrum  carnem  et  ossa  spirilus  ^'egelahit. 
Fratrihus  griseis  atque  nigris  relinquinius  et  legamus  avaritiam  quamdiu  mundus 
siahit.  Fratrihus  autem  alhi  ordiiiis  relinquimus  luoruriam  per  omnia  secula  secu- 

lorum.  Amen. 

2,  Bôhmer,  Regesten  unter  Philipp,  etc.,  p.  210;  Raumer,  t.  iv,  p.  262; 
Huillard-BréhoUes,  op.  cit.,  t.  vi,  p.  805  sq.;  Monum.  Germ.  Iiist.,  Leges,  t.  ii, 
p.  35G  sq. 


670.     CONCILES     DE     12/i6Al250  1695 

1142  110  se  releva  jamais;  elle  languit  encore  un  demi-siècle,  mais  n'osa 
plus  se  montrer  à  découvert  et  son  influence  sur  les  populations  du 
midi  de  la  France  disparut  peu  à  peu.  Contre  les  cathares  fut  égale- 
ment dirigé  le  concile  que  Guillaume  de  la  Broue,  archevêque  de 
Narbonne,  tint  avec  ses  sufîragants,  à  Béziers,  le  19  avril  1246. 
La  préface  détermine  en  ces  termes  le  but  de  cette  assemblée  : 
«  L'Église  romaine  ayant  publié,  soit  par  elle-même,  soit  par 
ses  légats,  des  ordonnances  salutaires  contre  l'hérésie  et  pour 
la  paix,  nous  voulons  à  notre  tour,  avec  nos  sufîragants,  notre 
cha})itre  et  tout  le  concile,  apporter  notre  contingent  à  cette 
sainte  institution.  «  L'archevêque  publia,  avec  l'assentiment  du 
concile,  quarante-six  chapitres  ou  canons,  qui  s'inspirent  visi- 
blement des  prescriptions  du  IV^  concile  de  Latran  et  de  divers 
conciles  français  de  cette  époque. 

1.  Afin  d'extirper  l'hérésie  dans  la  province  de  Narbonne, 
chaque  évêque  aura,  dans  les  endroits  suspects  de  son  diocèse, 
deux  ou  trois  laïcs  de  réputation  intacte  qui  s'obligeront  par 
serment,  ainsi  que  le  curé  ou  son  représentant,  à  rechercher  assi- 
dûment les  hérétiques  {perfecti)  ou  leurs  credentes,  protecteurs, 
receleurs,  soutiens,  et  à  les  dénoncer  immédiatement  à  l' évêque 
du  lieu  ou  au  seigneur  de  l'endroit,  ou  à  ses  employés,  et  en  ayant 
soin  que  les  coupables  ne  puissent  prendre  la  fuite. 

2.  Celui  qui,  pour  de  l'argent  ou  pour  tout  autre  motif,  laisse 
un  hérétique  séjourner  sur  son  bien,  encourt  non  seulement  les 
peines  décrétées  par  le  concile  de  Toulouse  (en  1229),  mais 
encore  l'excommunication  nominative,  jusqu'à  ce  qu'il  ait  donné 
satisfaction  à  l'Eglise  dans  la  mesure  indiquée  par  l'évêque. 

3.  On  ne  doit  pas  confisquer  les  biens  d'un  hérétique  jusqu'à 
ce   qu'il    ait  éLé  condamné  par  sentence  légale. 

4.  Les  biens  de  l'Église  détenus  par  des  hérétiques  con- 
damnés  doivent  revenir    librement    à   l'Église. 

5.  Les  quêteurs  ne  doivent  prêcher  que  ce  qui  est  contenu  dans 
les  lettres  du  pape  ou  de  l'évêque. 

6.  Les  pénitents  auxquels,  en  punition  de  leurs  anciennes 
hérésies,  on  impose  de  porter  des  croix,  ne  doivent  pas  être 
tournés  en  dérision  ni  exclus  de  tout  commerce  avec  leurs 
semblables. 

7.  Tous  les  dimanches,  les  curés  de  paroisses  devront  expliquer 
d'une  manière  claire  et  simple  les  articles  du  symbole.  Depuis 
l'âge  de  sept  uns  tous  les  eui'anLs  devront  être  amenés  à  l'église 


1696  LIVRE     XXXVI,     CHAPITRE    III 


par  leurs  parents,  tous  les  dimanches  et  fôLcs.  On  leur  enseignera 
le  Pater  noster,  Y  Ave  Maria  ^  et  le  Credo. 

8.  Les  hérétiques  {perfecli),  leurs  credentes,    protecteurs,   recé-  1143 
leurs,  défenseurs  doivent  être  excommuniés  tous  les  dimanches. 
Quiconque,  après  avoir  été  personnellement  averti  et  excommunié 
nommément,  ne  revient  i)as  à  résipiscence  dans  le  délai  de  qua- 
rante jours,  mais  au  contraire  continue  à  protéger  les  hérétiques 

ou  empêche   qu'on  ne  les  recherche,  sera  lui-même  puni   comme 
hérétique. 

9.  Les  seigneurs  temporels  doivent  jurer  d'aider  eflicacemcnt 
l'Eglise  contre  les  hérétiques  et  d'extirper  ces  derniers  de  leur 
territoire.  S'il  est  nécessaire,  on  les  y  forcera  par  les  censures 
ecclésiastiques. 

10.  11  en  sera  de  même  pour  tous  ceux  qui,  publiquement  ou 
en  secret,  donnent  conseil,  appui  ou  faveur  aux  hérétiques  ou  à 
leurs  partisans,  etc. 

11.  De  môme  pour  tous  les  notaires  et  scribes  qui  rédigent 
sciemment  les  testaments  des  hérétiques  ou  de  leurs  protecteurs. 

12.  Les  médecins  seront  traités  de  la  même  manière. 

13.  Les  hérétiques  ou  suspects  d'hérésie  seront  écartés  de 
tout  em])loi  public. 

14.  Celui  qui,  ayant  conlié  à  l'un  d'eux  une  charge,  ne  l'en 
écarte  pas  après  monition  sera  excommunié. 

15.  Les  prêtres  ayant  charge  d'âmes  devront  annoncer  souvent 
au  peuple   ces  dis})Ositions  pénales. 

16.  Conformément  aux  ordonnances  du  concile  de  Toulouse 
(de  1229,  can.  28  sq.),  on  renouvellera  le  serment  pour  la  paix. 

17.  Nul  ne  doit  être  chassé  de  sa  propriété  sans  procédure 
judiciaire,  et  si  on  l'a   chassé,  qu'on  le    remette  en  possession. 

18.  Seront  excommuniés  ceux  qui  décrètent  des  statuts  atten- 
tatoires à  la  liberté  de  l'Église,  ceux  qui  portent  ou  rédigent  des 
sentences  conformément  à  ces  statuts,  ceux  qui  refusent  aux  clercs 
et  aux  moines  l'accès  des  moulins,  des  fours,  ou  l'usage  des 
châteaux,  des  villas,  des  eaux,  ceux  enfin  qui  ravagent  les 
vignes,    les  blés,   les  arbres    et  les  autres    biens  de   l'Eglise. 

1.  Salutationes  B.  Marise.  Le  premier  texte  connu  qui  impose  d'enseigner 
la  salutation  angélique  date  de  la  fin  du  xii'^  siècle  et  se  trouve  dans  les  inté- 
ressantes Cons<i<u<iones  sj/norftcœ  df  l'évoque  de  Paris  Eudes  de  Sully.  Cf.  à  ce 
sujet  la  dissertation  de  Essex,  Geschichte  des  en'j,lischenGruszes,  dans  les  Annales 
/iis^  de  G ôrrcs,  t.  v,  année  188't,  p.    92   sq.  Voir   Appendices,   p.  1738  sq. 


670.    CONCILES    DE    124G     A    1250  1697 

19.  Sur  la  vie  et  honnêteté  des  clercs,    on   rappelle   les    canons 
14,  15  et  11)  du  IV®    concile  de  Latran;   les   clercs  n'auront   chez 
eux    aucune    personne    du    sexe     pouvant    éveiller    le    moindre 
soupçon. 

20.  Aucun  clerc  ou  moine  ne  peut  être  avocat  au  for  sécu- 
lier et  en  causes  séculières,  si  ce  n'est  pour  son  église  ou  pour 
les   pauvres. 

21.  Tous  ceux  qui  ont  charge  d'âmes  doivent  recevoir  le  sacer- 
doce et  desservir  eux-mêmes  leurs  églises. 

22.  Les  chanoines  séculiers  ne  peuvent  avoir  de  stalle  au 
chœur  et  voix  au  chapitre  que  s'ils  sont  dans  les  ordres  sacrés, 
sauf  dispense   légitime  de  l'évèque. 

23.  Les  réguliers,  moines  et  chanoines  ne  doivent  pas  se  sin- 
gulariser par  leurs  vêtements  (détails);  on  ne  doit  pas  leur  remet- 
tre de  l'argent  pour  leurs  vêtements;  ils  les  recevront  tous  du 
même  vestiaire, 

24.  Ils  ne  doivent  rien  posséder  en  propre. 

25.  Ils  ne  seront  pas   parrains. 

26.  On  rappelle  aux  abbés,  prieurs  et  à  ceux  qui  possèdent 
des  églises  l'ordonnance  du  concile   de   Latran  (can.  32)  exigeant, 

1144    pour  tous  ceux  qui  exercent  les  fonctions  de  curé   dans  les  égli- 
ses des  moines   ou  d'autres,  une  sustentation  suffisante. 

27.  Il  n'y  aura  pas  moins  de  deux  ou  trois  moines  ou  chanoi- 
nes réguliers  à  demeure  dans  les  églises  conventuelles. 

28.  Les  clercs  et  leurs   patrimoines   sont  exempts    d'impôts. 

29.  Quiconque  impose  de  nouveaux  péages  ou  augmente  les 
anciens    sera  excommunié. 

30.  On  devra  fidèlement  accomplir  l'office  divin  dans  les 
églises  de    campagne. 

31.  Que  les  églises  soient  pourvues  des  livres  et  ornements 
nécessaires,  et  en  particulier  de  calices  d'argent. 

32.  Si  un  laïc  est  excommunié  pour  un  méfait  commis 
envers  l'Église,  les  baillis  et  autres  seigneurs  Icmporols  ne  doi- 
vent pas  pour  cela  toucher  à  ses  possessions,  ni  lui  défendre  d'user 
comme  les  autres  des  moulins,  des  fours,  etc. 

33.  Les  usuriers  publics,  les  incestueux,  les  concubinaires, 
les  adultères,  sorciers,  devins,  auteurs  de  rapt  seront  publique- 
ment excommuniés  dans  les  églises,  lous  les  dimanches  et 
jours  de  fête.  De  même  ceux  qui  cachent  les  testaments  ou  ne 
les  exécutent  pas. 

CONCILES  —  V  -  107 


1G98  LIVRE    XXXVI,    CHAPITRE    III 

34.  Rappel  du  canon  8  de  Béziers  de  1233  sur  la  simonie. 

35.  La  cure  des  âmes  ne  doit  être  confiée  qu'à  des  clercs  idoines. 
Les  revenus  échus  pendant  la  vacance  du  bénéfice  doivent  être 
réservés  pour  le  successeur,  déduction  faite  des  frais  pour  le 
service  intérimaire. 

36.  Au  sujet  de  l'excommunication  et  des  mesures  contre 
ceux  qui  n'en  tiennent  pas  compte  (il  y  avait  aussi  des  amendes 
d'argent),  on  lut  le  can.  47  du  quatrième  concile  de  Latran,  deux 
canons  du  concile  de  Lyon  {Sexti  Décret.,  1.  V,  tit.  xi,  De  sen- 
tentia  excomm.,  c.  1  et  4)  et  le  can.  1  de  Narbonne  de  l'année 
1227^.  Puis  on  approuva  l'amende  décrétée  par  le  roi  contre  les 
contempteurs  de  l'excommunication. 

37.  Les  juifs  doivent  restituer  tout  intérêt  qui  dépasse  la  me- 
sure. S'ils  s'y  refusent,  tout  chrétien  qui  traitera  avec  eux  sera 
excommunié. 

38.  Les  juifs  ne  doivent  avoir  ni  esclaves  ni  nourrices  chré- 
tiennes ;  ils  seront  inhabiles  aux  emplois  publics;  ils  ne  vendront 
pas  de  viande  les  jours  maigres  et  en  général  ils  n'en  vendront 
que  dans  l'intérieur  de  leurs  maisons,  et  non  pas  dans  les  bouche- 
ries des  chrétiens. 

39.  Ils  porteront  sur  leurs  vêtements,  sur  la  poitrine,  un  signe 
en  forme  de  roue  (ou  cercle). 

40.  Ils  ne  travailleront  pas  les  dimanches  et  jours  de  fête. 

41.  Du  jeudi  saint  au  lundi  de  Pâques,  il  leur  est  défendu  do 
sortir  de  chez  eux,  sauf  nécessité;  cependant  les  prélats  devront 
les  protéger  contre  les   mauvais  traitements  des  chrétiens. 

42.  Toute  famille  juive  payera,  le  jour  de  Pâques,  six  deniers 
de  Melgueil   à  son  curé. 

43.  Excommunication  pour  les  chrétiens  qui  recourent  dans 
leurs  maladies  aux  soins  de  médecins  juifs. 

44.  Sur  les  testaments,  rappel  du  can.  5  de  Narljonne  de  1227.  1145 

45.  Punition  des  parjures,  ibid.,  can.  6. 

46.  De  la  confession,  ibid.,  can.  7'^. 

Conformément  aux  exhortations  du  légat  pontifical,  le  cardinal- 


1.  Kober,  Kirchenbann,  p.  435. 

2.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  676-695;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vn^  col.  405; 
Coleti,  Concilia,  t.  xiv,  col.  85  sq.;  Vic-Vaissete,   Hisi.    génér.    de   Languedoc, 
t.  III,  p.  585-586;  3^  édit.,  t.  vu,  p.  94-95;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,   t.  xxiii 
col.  690  ;  Hist.  litt.  de  la  France,  t.  xxi,  p.  604.  (H.  L.) 


670.    CONCILES   DE  1246  A  1250  1699 

évêqiie  d'Albano,  le  concile  de  Béziers  rédigea,  sous  le  nom  de 
consilium,  des  instructions  a,ux  inquisiteurs.  C'est  presque  une 
réédition  des  dispositions  du  concile  de  Narbonne  de  1243.  On  y 
trouve  cependant  des  indications  nouvelles,  le  premier  canon 
par  exemple. 

1.  Les  inquisiteurs,  ne  pou\  ant  sans  didiculté  visiter  chaque 
localité  en  particulier,  devront,  suivant  l'ordre  du  pape, 
choisir  une  résidence  spéciale  et  exercer  de  là  leur  pouvoir  in- 
quisitorial  sur  tout  le  voisinage.  Ils  devront  convoquer  le  clergé 
et  le  peuple,  lire  leur  mandat  et  ordonner  à  toute  personne  tom- 
bée dans  l'hérésie  ou  connaissant  des  hérétiques  de  comparaître 
et  de  dire  la  vérité. 

2.  Les  inquisiteurs  leur  assigneront  un  certain  délai,  appelé 
le  temps  de  grâce;  quiconque,  durant  ce  délai,  se  présentera 
librement  et  avec  repentir  et  avouera  toute  la  vérité  sur  lui  et 
sur  les  autres,  ne  sera  condamné  ni  à  morl,  ni  à  la  détention 
perpétuelle  (cf.  can.  28  et  23),  ni  à  l'exil,  ni  à  la  conliscation  des 
biens. 

3.  La  citation  générale  des  habitants  des  autres  localités  aura 
lieu,  sur  l'ordre  des  inquisiteurs,  par  une  personne  d'Eglise  et 
qui  aura  reçu  mandat  des  inquisiteurs. 

4.  Tous  ceux  qui  comparaîtront  dans  le  délai  de  grâce  doi- 
vent jurer  de  dire  toute  la  vérité  sur  eux  comme  sur  les  autres, 
sur  les  vivants  comme  sur  les  morts.  On  passera  ensuite 
à  un  interrogatoire  minutieux.  Les  dépositions  seront  reçues  par 
une  personne  publique  ou  par  deux  personnes  assermentées. 
Ces  actes  seront  ensuite  placés  dans  les  archives   de  l'inquisition. 

5.  Celui  qui  avoue  ainsi  sa  faute  dans  le  délai  de  grâce,  dé- 
clarant vouloir  revenir  à  l'unité  de  l'Eglise,  doit  être  absous; 
mais  il  devra  abjurer  toute  espèce  d'hérésie  et  s'engagera  par 
serment  à  maintenir  et  à  défendre  la  foi  calholique,  à  poursui- 
vre et  à  dénoncer  les  héréti([ues,  soit  <^>estilos,  soit  les  antres, 
ainsi  (}ue  tous  leurs  partisans  et  à  faire  la  pénitence  ({ui  lui  sera 
imposée. 

6.  Le  coupable  <pii,  i)ar  mépris,  ne  se  présente  })as  dans 
le  délai  de  grâce  et  celui  ([ui  malicieusement  dissimule  la  vérité, 
seront   cités  nommément  plus  tard. 

7.  A  celui  qui  ne  veut  pas  avouer  la  vérité  établie  con- 
tre lui,  on  communiquera  les  chefs  d'accusation  et  on  publiera 
les  dires  des  témoins. 


1700  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE    Hl 

8.  On  lui  assicrncra  un  délai  compétent,  on  lui  donnera  fa- 
culté de  se  défendre,  et  ou  admettra  ses  exceptions  et  répliques 
légitimes. 

9.  A    celui  dont    la    défense    est    inefficace,    à   moins    qu'il    ne  1146 
préfère  avouer  sa  faute,  on  assignera  un  délai  péremptoire    pour 

la   sentence,    après   lequel   il   sera    condamné.    Il   n'y   aura    plus 
alors  place  pour  la  miséricorde. 

10.  Les  noms  des  témoins  ne  doivent  pas  être  communiqués. 
Cependant,  l'accusé  doit  donner  la  liste  de  ses  ennemis,  afin  que 
ceux-ci  soient  exclus  de  la  liste  des  témoins.  On  pourvoira  ainsi 
aux  intérêts  de  l'accusé  et  à  ceux  des  témoins. 

11.  Nul  ne  doit  être  condamné,  si  ce  n'est  sur  son  aveu  ou 
sur  des  preuves  convaincantes;  il  vaut  mieux  laisser  un  coupable 
impuni  que  condamner  un  innocent. 

12.  Pour  le  crime  d'hérésie,  on  admet  comme  accusateurs  et 
comme  témoins  même  les  criminels,  les  infâmes  et  les  complices. 

13.  On  pourra  cependant  détruire  la  portée  de  certains  témoi- 
gnages en  excipant  qu'ils  sont  l'œuvre  d'ennemis  capitaux 

14.  Les  contumaces  seront  solennellement  cités  dans  l'église 
de  leur  paroisse  ou  dans  le  lieu  habituel  de  leur  résidence.  On 
leur  donnera  un  délai,  et  leur  aflaire  sera  ensuite  instruite  avec 
soin,  et,  si  cela  est  nécessaire,  on  conclura  à  une  condamnation, 
après  avoir  pris  l'avis  des  prélats. 

15.  S'ils  veulent  ensuite  comparaître  après  que  leur  procès 
aura  été  jugé,  ils  devront  fournir  une  caution;  i'  en  sera  de  même 
pour  ceux  dont  on  redoute  qu'ils  ne  prennent  la  fuite,  à  moins 
qu'on  ne  juge  meilleur  de  se  saisir  de  leur   personne. 

16.  Les  hérétiques  perfecli  ou  i>estiti  seront  interrogés  en  secret, 
en  présence  seulement  de  quelques  personnes,  par  les  inquisi- 
teurs, qui  les  engageront  à  se  convertir.  S'ils  y  consentent,  on 
devra  les  traiter  avec  bienveillance  et  leur  imposer  des  péniten- 
ces aussi  douces  ({ue  possible. 

17.  Quant  à  ceux  qui  refusent  de  se  convertir,  on  ne  doit  pas 
les  condamner  immédiatement,  mais  ils  seront  exhortés  à  plu- 
sieurs reprises,  soit  par  les  inquisiteurs,  soit  pas  d'autres  person- 
nes; s'ils  s'obstinent  dans  leur  malice,  ils  seront  contraints 
d'avouer  publiquement  leur  erreur;  ils  seront  ensuite  condamnés 
par  les  inquisiteurs,  et  enfin,  conformément  aux  instructions 
du   pape,  livrés   au   bras  séculier. 

18.  S'il  s'agit  de  la  condamnation  d'hérétiques  ou  de  credentes 


670.  CONCILES  DE  124G  A  1250  1701 

déjà  morts,  on  citera  leurs  héritiers  et  antres  personnes  intéressées 
à  l'aiTaire,  et  après  assignation  du  terme,  on  leur  laissera  toute 
latitude  pour  se  défendre. 

19.  Les  héritiers  de  ceux  qui,  ayant  avoué  leur  hérésie,  ont 
été  réconciliés,  mais  qui,  prévenus  par  la  mort,  n'ont  pu  accom- 
plir leur  pénitence,  seront  tenus  de  satisfaire    pour   eux. 

20.  Les  hérétiques  condamnés,  relaps  les  contumaces  et  fugi- 
tifs, ceux  qui  n'ont  pas  comparu  dans  le  délai  prescrit  et  ne 
l'ont  fait  (jue  sur  une  citation  particulière,  ceux  qui,  au 
mépris  de  leur  serment,  cachent  la  vérité,  seront,  d'après 
les    instructions    apostoliques,   enfermés   pour   le   reste   de   leurs 

1147  jours,  peine  que  plus  tard  les  inquisiteurs  pourront  mitiger  ou 
commuer,  si  les  coupables  sont  repentants,  avec  le  conseil  des 
prélats  dont  ils  relèvent. 

21.  Mais  ils  devront  auparavant  garantir  qu'ils  accompliront 
exactement  leur  pénitence  et  s'engager  par  serment  à  combat- 
tre l'hérésie;  et  s'ils  retombent,  ils  seront  punis  sans  miséricorde. 

22.  Les  inquisiteurs  ont  du  reste  le  droit,  si  bon  leur  semble, 
de  remettre  en  prison  ceux  qui  avaient  été  graciés. 

23.  Les  emmurés  (emprisonnement  pour  la  vie)  seront,  con- 
formément à  l'ordonnance  du  Siège  apostolique,  placés  en 
des  chambres  séparées  et  isolées,  afin  qu'ils  ne  puissent  se  cor- 
rompre eux-mêmes  ni  les  autres.  Suivant  l'ordonnance  du  con- 
cile de  Toulouse,  ceux  qui  détiennent  leurs  biens  auront  à  leur 
fournir  le  nécessaire. 

24.  On  ne  remettra  en  entier  la  peine  de  l'emprisonnement 
perpétuel  que  pour  de  très  graves  raisons,  par  exemple,  si  l'ab- 
sence du  prisonnier  exposait  des    enfants    au  danger  de  mort. 

25.  La  femme  peut  visiter  son  mari  emmuré,  et  réciproque- 
ment; on  ne  leur  refusera  pas  la  cohabitation,  qu'ils  soient  l'un 
et  l'autre  emmurés  ou  l'un  d'eux  seulement. 

26.  A  ceux  qui,  pour  une  raison  quelconque,  ne  sont  pas  con- 
damnés à  être  emmurés,  on  imposera  les  pénitences  suivantes. 
Ils  devront,  soit  personnellement,  soit  par  d'autres,  servir 
pendant  un  certain  temps  la  foi  et  l'Église  qu'ils  ont  niées,  en 
combattant,  au  delà  ou  en  deçà  des  mers,  les  Sarrasins,  les  héré- 
ti({ues  ou  autres  rebelles  (Frédéric  II).  Ils  ])orl(n(>ut  sur  leur 
vêtement  extérieur  deux  croix  rouges,  longues  de  deux  palmes  et 
demie  et  larges  de  deux,  l'une  sur  la  poitrine,  l'autre  entre  les 
épaules.  S'ils  ont  été  hœretici  i^estili  ou  damnati,  ils  eu  auront  une 


1702 


LIVRE     XXXVl,     CHAPITRE     111 


troisième  sur  leur  coiffure.  Ceux  qui  traversent  la  mer  pour  la 
défense  de  l'Eglise  doivent  porter  ces  croix  jusqu'au  pays  où 
ils  vont,  et  les  reprendre  à  leur  retour.  Tous  les  dimanches  et 
jours  de  fête,  ils  assisteront  à  la  messe,  aux  vêpres  et  au  sermon; 
les  autres  jours,  ils  entendront  la  messe,  ou  du  moins  ils  iront  prier 
dans  l'église,  avant  le  repas.  Tous  les  dimanches  et  jours  de 
fête,  entre  l'épître  et  l'évangile,  ayant  quitté  leur  vêtement  ex- 
térieur, ils  se  présenteront  au  prêtre,  une  verge  à  la  main,  et 
recevront  de  lui  la  discipline;  le  prêtre  aura  soin  de  déclarer 
qu'ils  sont  ainsi  traités  à  cause  de  leurs  anciennes  hérésies.  Lors 
des  processions,  ils  se  tiendront  entre  le  peuple  et  le  clergé,  en 
ayant  à  la  main  de  longues  verges,  et,  à  la  dernière  station,  ils 
se  présenteront  au  prêtre  qui  préside  la  procession. 

27.  On  imposera    aussi    aux    coupables    des    pèlerinages,   des  1148 
amendes   pécuniaires  pour  subvenir  à  la  construction  des  prisons, 

à  l'entretien  des  prisonniers,  aux  besoins  des  inquisiteurs.  On 
leur  recommandera  de  ne  pas  pratiquer  l'usure  et  de  restituer 
celles   qu'ils  auraient    perçues. 

28.  Ils  ne  pourront  être  investis  de  charges  publiques;  ils  ne 
seront  ni  médecins  ni  notaires;  ils  ne  porteront  pas  de  broderies 
d'or  ni  autres  ornements,  et,  si  cela  paraît  nécessaire,  on  pourra 
leur  assigner  une  autre  résidence  temporaire. 

2i).  On  n'imposera  pas  toujours  à  tous  la  même  pénitence, 
mais  on  se  réglera  d'après  les  circonstances.  Toutes  ces  péniten- 
ces seront  imposées  publiquement,  à  moins  qu'il  ne  s'agisse 
d'une  faute  secrète.  Il  y  aura  pour  chaque  condamné  un  docu- 
ment particulier.  Les  inquisiteurs  pourront,  du  reste,  aggraver 
ou   adoucir   les   peines. 

30.  Aucun  des  coupables  ne  pourra  entrer  ensuite  dans  un 
ordre  religieux,  sauf  le  cas  de  conversion  évidente  et  l'absence 
de  tout  scandale. 

31.  Pour  mieux  assurer  la  destruction  de  l'hérésie,  les  inquisi- 
teurs ferouL  ol)server  avec  soin  les  prescriptions  du  pape  et  de 
ses  légats  ;  de  plus,  ils  obligeront  tous  les  hommes,  à  partir  de 
quatorze  ans,  et  toutes  les  femmes,  à  partir  de  douze,  à  abjurer 
toute  hérésie,  à  jurer  de  rester  fidèles  à  la  foi  catholique,  de  la 
défendre  et  de  poursuivre  les  hérétiques.  Quiconque  refusera  de 
prêter  ce  serment  sera  déclaré  suspect  d'hérésie. 

32.  A  ce  serment,  les  comtes,  barons,  consuls,  etc.,  ajou- 
teront   celui    de    défendre    l'Église    contre    les    hérétiques,  si   on 


670.  CONCILES  DE  1246  A  1250  1703 

le    leur  demande,  et  de  purger  leurs  domaines  de   toute  hérésie. 

33.  Quiconque  est  relaps  ou  n'accomplit  pas  la  pénitence  im- 
posée encourt  la  peine  des  relaps. 

34.  Dans  chaque  paroisse,  un  prêtre  et  deux  ou  trois  laïcs 
de  bonne  réputation  devront  prêter  serment;  les  inquisiteurs 
pourront,  du  reste,  les  remplacer  par  d'autres,  s'ils  le  jugent 
à  propos.  Ces  hommes  devront  rechercher  assidûment  et  fré- 
quemment les  hérétiques,  fouiller  leurs  souterrains,  cabanes  et 
cachettes,  qu'ils  feront  obstruer  ou  démolir.  Les  inquisiteurs 
pourront  aussi  confier  à  ces  mêmes  personnes  le  soin  de  surveil- 
ler   l'accomplissement  des  pénitences. 

35.  Les  maisons  dans  lesquelles  se  trouvaient  des  hérétiques 
avec  l'assentiment  des  propriétaires  seront  démolies  et  les  biens 
de  tous  ceux  qui  y  habitaient  seront  confisqués,  à  moins  qu'ils 
ne  puissent  prouver  clairement  leur  innocence  et  leur  bonne  foi. 

36.  Que  les  inquisiteurs  fassent  observer  soigneusement  les 
règlements  concernant  les  baillis  négligents  ou  suspects,  ou 
autres  coupables  à  écarter  des  fonctions  publiques,  la  défense 
aux  laïcs  d'avoir  des  livres  de  théologie  en  latin,  à  eux  et  aux 
clercs  d'en  avoir  en  langue  vulgaire,  et  autres  mesures  destinées 
à  extirper  l'hérésie.  En  particulier  les  descendants  des  hérétiques 
et  de  leurs  fauteurs  ou  défenseurs,  jusqu'à  la  seconde  génération, 
ne    pourront   avoir  aucun    bénéfice   ni    office  ecclésiastique. 

1149  37.  Dans  leurs  amples  et  laborieuses  fonctions,  les  inquisi- 
teurs doivent  surtout  veiller  à  observer  la  procédure,  encore  que 
privilégiée,  et  adresser  de  tous  les  actes  delà  procédure  des  ins- 
truments circonstanciés  et  en  forme  légale  par  des  personnes 
assermentées  ^. 

Cinq  autres  conciles  se  sont  tenus  en  1246  :  dans  le  premier, 
célébré  à  Lenczig  en  Pologne,  Foulques,  archevêque  de  Gnesen, 
confirma  l'anathème  décrété  par  Prandotha,  évêque  de  Craco- 
vie,  contre  Conrad,  duc  de  Massovie,  qui  s'était  emparé  de  biens 
ecclésiastiques  ^.  Le  concile  de  Tarragone,  célébré  le  1^^  mai 
1246,  sous  la  présidence  de  l'archevêque  Pierre  Albalatius, 
remit  en  vigueur,  avec  certaines  restrictions,  d'anciennes  lois 
contre    les   agresseurs   des   personnes  et  des  biens  de  l'Eglise,  il 

1.  Coloti,  Concilia,  t.  xiv,  col.  99  sq.  ;  Hardouin,  Conc.  coll.,   t.   vu,  col.  415; 
Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  715  sq. 

2.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  675-676;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  405; 
Coleti,  Concilia,  t.  xi\,  col.  83  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxni,  col.  689.  (H.  L.) 


1704  LIVRK     XXXVI,     CHAPITRE     III 

prescrivit  aux  curés  de  ne  pas  se  hâter  de  baptiser  les  Sarrasins, 
qui  demandaient  le  baptême  pour  redevenir  libres,  mais  d'at- 
tendre (iuel([ue  temps  pour  apprécier  leur  sincérité  ^. 

Au  mois  d'octobre  1246,  ce  même  archevêque  présida  un  con- 
cile à  Lérida  (Illerda)  ^.  Avant  son  mariage  avec  Yolande,  Jac- 
ques I^^,  roi  d'Aragon,  avait  vécu  avec  Térèse  Vidaure.  Celle- 
ci  se  plaignit  au  pape,  disant  que  le  roi  lui  avait  promis  de  l'épou- 
ser. Elle  s'adressa  pour  cela  à  Bérenger,  évêque  de  Girone,  qui 
écrivit  au  pape  Innocent  IV.  Le  roi  accusa  l'évêque  d'avoir  dé- 
voilé le  secret  de  la  confession  et  dans  sa  colère  fit  arracher  la 
langue  à  ce  prélat.  Le  pape  l'excommunia  et  jeta  l'interdit  sur 
ses  Etats.  Au  concile  de  Lérida,  le  roi  reconnut  et  déplora  sa 
faute  en  présence  des  deux  nonces  du  pape.  Il  reçut  la  promesse 
de  l'absolution,  à  la  condition  de  terminer  la  construction 
d'un  couvent  et  d'un  hôpital  dont  les  travaux  avaient  été  in- 
terrompus et  de  fonder  une  nouvelle  chapellenie  dans  la  cathé- 
drale de  Girone.  Moyennant  ces  satisfactions,  le  pape  le  releva 
de  l'excommunication  ^. 

D'un  concile  que  l'archevêque  d'Arles  fit  célébrer  dans  cette 
ville,  le  11  novembre  1246,  nous  savons  seulement  qu'il  renou- 
vela les  décisions  du  concile  de  1234,  sauf  les  prescriptions  con- 
cernant l'usure  et  dirigées  contre  les  juifs  *. 

Nous  avons  déjà  parlé  du  concile  tenu  à  Cologne  par  le  légat  1150 
du  pape   Capoccio,  en    la   fête   de    saint   Michel    de    1247;    c'est 
alors  sans  doute  que   le    légat    provoqua    l'élection    d'Henri    de 
Geldern  au    siège    épiscopal    de  Liège  ^. 

Un  concile  célébré  à  Paris  en  1248,  sous  la  présidence  de  Gilon 
Cornu,  archevêque  de  Sens,  promulgua  les  canons  suivants^  : 


1.  Martène,  Thés.,  t.  iv,  p.  289-290;  Coleti,  Concilia,  t.  xiv,  col.  107;  Aguirre, 
Conc.  Hispan.,  t.  v,  col.  194;  Mansi,  op.  cit.,  t.  xxiii,  col.  723.  (H.  L.) 

2.  Aguirre,  Conc.  Hispan.,  t.  m,  col.  503;  t.  v.  col.  194;  Coleti,  Concilia, 
t.  XIV,  col.  107;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  729.  (H.  L.) 

3.  Gams,  Kirchengeschichte  Spaniens,  t.  m,  part.  1,  p.  233  sq. 

4.  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  2339-2345,  2348;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu, 
col.  235;  Coleti,  Concilia,  t.  xiii,  col.  1311  ;  t.  xiv,  col.  109;  Mansij  Conc.  ampliss. 
coll.,  t.  XXIII,  col.  336,  731.  (H.  L.) 

5.  Coleti,  Concilia,  t.  xiv,  col.  109;  Mansi,  Conc.  otnpliss.  coll.,  t.  xxiii,  col. 
733:  Bohmer,  Regesten,  n.  12'.6-1313,  p.  348.  (H.  L.) 

G.  Martcne,  Script,  veter.  coll.,  t.  vu,  col.  139-142;  Mansi,  Concilia,  Supplem., 
t.  II,  col.  1159;  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col,  765.  (H.  L.) 


670.  CONCILES  DE  124G  A  1250  1705 

1.  Les  abbés  et  prieurs  ({ui  manquent  au  synode  sans  excuse 
canonique  seront  exclus  de  l'église  pendant  un  mois. 

2.  Celui  qui,  devant  se  rendre  au  concile  provincial,  en  est 
empêché  doit  transmettre  ses  excuses  écrites  par  un  représentant 
qui  fera  valoir  les  motifs  canoniques  de  l'absence. 

3.  Dans  les  monastères  et  prieurés  où  l'on  observait  la  vie 
commune,  on  aura  soin  de  la  rétablir  si  les  revenus  de  l'Eglise 
le  permettent. 

4.  Dans  les  anciens  prieurés,  on  aura  soin,  si  les  revenus 
de  l'Église  le  permettent,  de  confier  de  nouveau  le  soin  du  ser- 
vice divin  à  des  moines  ou  à  des  chanoines  réguliers. 

5.  Les  abbés  et  prieurs  conventuels  auront,  dans  leurs 
églises,  si  les  revenus  le  permettent,  le  nombre  accoutumé  de 
desservants  {desennentes),  dont  ils  n'exigeront  que  les  redevances 
autorisées   par  l'évêque  pour  de  justes  raisons. 

6.  Tous  les  abbés,  abbesses  et  supérieures  de  couvent  doivent 
présenter  tous  les  ans  un  compte  exact  de  leurs  recettes  et 
de  leurs  dépenses,  en  deux  exemplaires,  l'un  pour  l'abbé  et 
l'autre  pour  le  couvent. 

7.  Aucun  abbé  ne  doit,  sans  l'assentiment  du  chapitre  ou  de  la 
majorité,  emprunter  une  somme  plus  élevée  que  le  chiffre  fixé 
par  l'évêque. 

8.  Les  abbés  et  abbesses  doivent  porter  des  habits  conformes 
à  leur  état.  L'évêque  punira  les   manquements   à  cette  règle. 

9.  Aucun  prieur  conventuel  ne  peut,  sous  peine  de  déposition, 
emprunter  sans  la  permission  de  l'abbé,  ou  de  l'évêque  s'il  n'y  a 
pas  d'abbé,  une  somme  dépassant  40  solidi. 

10.  Pour  éviter  les  scandales,  les  religieuses  noires  (bénédictines) 
ne  recevront  aucun  dépôt  sans  la  permission  de  l'évêque. 

11.  Toutes  doivent  manger  au  réfectoire  et  coucher  au  dortoir. 
Les  chambres  particulières  des  religieuses  seront  détruites,  sauf 
celles  que  l'évêque  jugera  nécessaires  pour  l'infirmerie  ou  d'au- 
tres usages  particuliers. 

12.  Aucune  religieuse  ne  doit  sortir  ou  passer  la  nuit  hors  du 
couvent  sans  une  très  grave  raison.  On  murera  dans  les  couvents 
les  portes  inutiles    ou    suspectes.    Les    évêques   doivent   veiller  à 

1151   éviter  le  retour  des  scandales  qui  se  sont  produits  à  notre  époque 
dans  les    couvents  de  religieuses. 

13.  Les  chapitres  des  églises  séculières,  et  en  particulier  des 
cathédrales,    doivent,     avec    leurs     clercs,    chanter    au    choeur 


1706  LIVRE    XXXVI,     CHAPITRE     III 

l'oflice  de  niiît  ci  de  jour.  On  observera  la  pause  au  milieu  du 
verset,  et  on  évitera  de  commencer  un  verset  avant  que  l'autre 
soit  terminé.  Les  causeries  sont  défendues   au   chœur. 

14.  Les  chapitres  qui,  convoqués  aux  synodes,  n'y  envoient 
pas  leurs  représentants  en  noml)re  voulu,  seront  punis  par 
l'évêque,  qui  les  privera  pondant  huit  jours  des  distributions  quo- 
tidiennes, pour  les  donner  aux  pauvres  et  à  la  fabrique  de  l'église. 

15.  On  dressera  pour  chaque  église  et  chapellenie  un  tableau  de 
ses   revenus. 

16.  Les  recteurs  des  églises  ne  doivent  y  placer  des  vicaires  et 
des  chapelains  qu'avec  l'assentiment  de  l'évêque,  de  l'archidiacre 
ou  du  doyen. 

17.  Dans  les  affaires  peu  importantes,  on  suivra  une  procé- 
dure sommaire. 

18.  Ce  qui  est  laissé  à  une  église  ne  doit  pas  être  affecté  à 
l'usage  personnel  des  prêtres. 

19.  Les  quêteurs  ne  doivent  ni  prêcher  ni  exposer  des  reliques 
sans    la    permission    de  l'évêque    diocésain. 

20.  Si  un  fidèle  demeure  une  année  entière  sous  le  coup  de 
l'excommunication,  on  priera  le  pouvoir  civil  de  le  contrain- 
dre à  se  réconcilier  avec  l'Église  par  la  menace  de  confiscation 
des  biens.  D'ailleurs,  ce  contumace  étant  par  le  fait  même  suspect 
d'hérésie,  on  le  citera  à  comparaître  devant  le  synode  provincial. 

21.  Celui  ({ui  reçoit  d'un  juge  le  mandat  de  citer  une  per- 
sonne ne  doit  pas  exécuter  ce  mandat,  si  les  noms  du  lieu, 
des  parties,  ainsi  que  les  prénoms  et  tous  les  autres  détails,  ne  sont 
exactement  indiqués. 

22.  Tout  évêque  doit  avoir  dans  son  diocèse  des  hommes  ex- 
perts chargés  de  surveiller  l'exécution  des  testaments. 

23.  Tous  les  abbés,  prieurs  et  députés  des  chapitres  doivent 
accepter  les  statuts  du  présent  synode  et  les  publier  chez  eux 
dans  le  délai  d'un  mois. 

Dans  un  concile  célébré  à  Skeninge,  près  de  Linkôping  en 
Suède,  probablement  en  1248,  Guillaume,  évêque  de  Sabine, 
légat  du  pape  Innocent  IV,  introduisit  le  célibat  avec  le  concours 
du  roi  Eric  X  et  de  Jarler,  archevêque  d'Upsal.  Les  clercs  pro- 
mirent de  renvoyer  leurs  femmes  et  leurs  concubines,  et  on  me- 
naça de  peines  sévères  tous  ceux  qui  violeraient  cette  loi  ^. 

1,  Labbe,  Concilia,  t.  xi,  col.  695;  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  423  ;  Coleti, 


670.  CONCILES  DE  1246  A  1250  1707 

1152  En  cette  même  année,  un  synode  espagnol  célébré  à  Tarragone 
sous  l'archevêque  Pierre  All)alatius  (c'est  le  huitième  qu'il 
présidait)  prescrivit  qu'après  la  mort  de  chaque  prélat  de  la 
province,  cm  établît  un  homme  de  confiance  pour  administrer 
les  biens  de   l'église   vacante   ^. 

Le  10  octobre  1248,  Jacques  Pantaléon,  archidiacre  de  Liège 
et  fondateur  de  la  Fête-Dieu,  fut  envoyé  en  Pologne  en  qualité 
de  légat,  par  le  pape  Innocent  IV,  et  présida  à  Breslau  un  synode 
de  la  province  ecclésiastique  de  Gnesen.  Foulques,  archevêque  de 
Gnesen,  y  assista  avec  les  évêques  Thomas  de  Breslau,  Pran- 
dotha  de  Cravovie.  Michel  de  Wladislaow,  Boguphal  de  Posen, 
Pierre  de  Ploczk,  Nanker  de  Lébus  et  Henri  de  Culm.  Ces  prélats 
consentirent  à  ce  qu'on  prélevât  pendant  trois  ans  la  cinquième 
partie  des  revenus  de  l'Église,  pour  soutenir  le  pape  dans  sa  lutte 
contre  Frédéric  II;  de  plus,  ils  adoptèrent  un  statut  en  vingt 
paragraphes,  que  le  légat,  selon  l'habitude,  ne  publia  pas  au  nom 
du  synode,  mais  en  son  propre  nom  et  qu'il  confirma  plus  tard,  en 
1263,  lorsqu'il  fut  devenu  pape  sous  le  nom  d'Urbain  IV. 

1.  On  recommande  aux  prélats  d'employer  dans  toute  leur 
rigueur  les  censures  ecclésiastiques  contre  ceux  qui  s'attaquent 
aux  biens  et  aux  personnes  de  l'Église,  allant  même  parfois 
jusqu'à  l'homicide. 

2  Sur  la  punition  des  faux  témoins.  Celui  qui  sera  convaincu 
de  faux  témoignage  sera  mis  en  prison;  ensuite,  delà  première  à  la 
neuvième  heure,  on  l'exposera  devant  l'église  cathédrale,  pieds 
et  mains  liés;  enfin  on  le  livrera  à  un  prêtre  pour  ([u'il  fasse  sa 
pénitence. 

3.  Celui  qui  accepte  d'un  laïc  un  bénéfice  qui  n'est  pas  vacant 
sera  exhorté  par  l'évêque  à  le  restituer.  S'il  ne  le  fait  pas  dans 
le  délai  de  huit  jours,  il  sera  excommunié.  Sans  doute  tout  con- 
fesseur peut  l'absoudre  in  articula  mords,  mais  on  lui  refusera 
la  sépulture  ecclésiastique. 

5-7.  Sur  les  dîmes  et  contre  les  nobles  venus  de  l'Allemagne 
dans  ce  pays,  qui  ne  veulent  donner  que  la  dixième  partie  de 
la  dîme  et  qui  empêchent  les  paysans,  soit  par  menaces,  soit  par 
voies  de  fait,  de  payer  au  clergé  la  dîme  entière. 

Concilia,  t.  xiv,   col.  109;  M^ansï,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.   xxiii,  col.  768.    (H.  L.) 
1.  Coleti,  Concilia,  t.    xiv,  col.  110;Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col. 
768,  777;  Gams,  op.  cit.,  t.  ni,  part.  1,  p.  235. 


1708  LIVRE     XXXVT,     CHAPITRE    III 

8.  Lorsqu'on  porte  l'eucliaristie  à  un  malade,  le  peuple  doit 
l'accompagner;    on    accorde    pour    cela   dix    jours    d'indulgence. 

9.  Les  évêques  doivent,  par  eux-mêmes  et  non  par  un  chape- 
lain, bénir  la  table  ainsi  que  les  mets  et  les  personnes  prenant 
part  au  repas. 

10.  Les  évoques  n'ordonneront  pas  de  clercs  étrangers  à  leurs  1153 
diocèses,  sauf  s'ils  ont  des  testimoniales  de  leurs  propres  évêques, 

ou  s'ils  ont  séjourné,  dans  le  diocèse  oii  ils  veulent  être  or- 
donnés, assez  longtemps  pour  que  l'évoque  puisse  les  connaître 
et  les  traiter  comme  ses  sujets.  Les  fils  de  prêtre  ne  peuvent  être 
ordonnés  qu'avec  la  dispense  du  pape. 

11.  Les  évêques  doivent  garder  la  résidence  et  remplir  eux- 
mêmes  leurs  fonctions, 

12.  Les  Allemands  émigrés  dans  les  diocèses  de  Breslau  et  de 
Cracovie  se  plaignent  que  les  évêques  de  ces  deux  diocèses 
veulent  leur  imposer  la  coutume,  en  vigueur  en  Pologne  et  en 
Silésie,  de  ne  plus  manger  de  viande  depuis  la  Septuagésime, 
tandis  qu'en  Allemagne  l'abstinence  ne  commence  qu'avec  le 
mercredi  des  Cendres  ;  les  évêques  s'abstiendront  désormais 
d'insister  et  ceux  qui  jeûnent  plus  longtemps  ne  devront  pas  mé- 
priser ceux  qui  jeûnent  moins  longtemps.  Les  excommunications 
prononcées    contre    les   Allemands    seront   levées. 

13.  Conformément  à  l'ordonnance  du  pape  Innocent  IV,  l'arche- 
vêque de  Gnesen  doit  visiter  ses  suffragants  une  fois  l'an, 

14.  Aucun  prêtre  ne  doit  avoir  plus  d'un  bénéfice  avec  charge 
d'âmes. 

15.  Les  abbés  doivent  observer  la  résidence,  dormir  au  dortoir 
et  manger  au  réfectoire  avec  les  autres  moines. 

16  et  17.  Aucun  curé  ne  doit  bénir  le  mariage  de  fiancés  d'une 
paroisse  étrangère;  si  les  époux  sont  de  deux  paroisses  différentes, 
ce  sera  au  curé  de  l'épouse  à  faire  le  mariage,  parce  que  le  mariage 
tire  son  nom  de  la  femme,  matrimonium  a  maire.  Il  y  aura  trois 
publications  des  bans. 

18,  Il  arrive  souvent  qu'on  enlève  des  femmes  auxquelles  on 
arrache  ensuite  leur  consentement  au  mariage.  Un  consentement 
de  ce  genre  est  nul;  on  doit  d'abord  rendre  à  ses  parents  la 
personne  qui  a    été  l'objet   du  rapt, 

19.  Celui  qui  met  le  feu  ^  à  une  église  où  se   trouvent  des  pér- 
it Eoleslas  II,  duc  de   Silésie,  avait  fait  brûler  en  1245  plusieurs  personnes 


670.  CONCILES  DE  124G  A  1250  1709 

sonnes  qui  sont  venues    y    chercher  asile    sera  excommunié;  le 
pape  seul    ou    son    délégué     pourra    absoudre    d'un    tel    crime. 

20.  La  même  peine  atteindra  ceux  qui  soutiennent  les  païens 
contre  les  chrétiens,  leur  livrent  des  armes,  etc. 

21.  L'eau  baptismale,  la  sainte  eucharistie  et  les  saintes  huiles 
doivent  être  sous  clef,  afin  d'éviter  les  profanations  superstitieuses. 

22.  Les  archidiacres  feront  exactement  leurs  visites;  ils  ne  peu- 
vent exiger  les  procurations  que  s'ils  sont  personnellement  pré- 
sents. S'ils  y  manquent,  ils  seront  condamnés  à  payer  le  double. 

23.  Les  évêques  doivent  recueillir  avec  soin  le  denier  de  Saint- 
Pierre. 

llo4        24.  Ils  ne  toléreront  pas  de  mariages  incestueux. 

25.  Les  cimetières  doivent  être  respectés. 

26.  Tous  les  dimanches  et  jours  de  fête,  on  expliquera  au  peu- 
ple, après  l'évangile,  le  Pater  noster  et  le  Credo  ^. 

Le  dernier  des  synodes  de  1248  est  celui  de  Valence,  ou  mieux 
de  Monteil  près  de  Valence,  célébré  le  5  décembre  par  les  deux 
légats  du  pape,  Pierre,  cardinal-évêque  d'Albano,  etHugues,  cardi- 
nal-prêtre de  Sainte-Sabine.  Le  pape  lui-même  avait  convoqué 
à  cette  assemblée  les  évêques  des  quatre  provinces  ecclésiastiques 
de  Narbonne,  de  Vienne,  d'Arles  et  d'Aix,  avec  d'autres 
évêques  et  prélats  voisins.  Outre  les  quatre  métropolitains, 
l'assemblée  compta  quinze  évêques,  parmi  lesquels  l'évêque 
d'Agen,  sufîragant  de  Bordeaux.  Voici  les  vingt-trois  capitula 
de  cette  assemblée  : 

1.  Les  statuts  de  la  présente  assemblée,  comme  ceux  des  sy- 
nodes précédemment  tenus  par  les  légats  apostoliques,  doivent 
être    fidèlement  observés. 

2.  La  paix  sera  jurée  tous  les  trois  ans.  On  ajoutera  actuelle- 
ment à  ce  serment  la  promesse  de  ne  pas  soutenir  le  schismatique 
Frédéric  (l'empereur)  et  de  ne  pas  le  recevoir  s'il  vient  dans 
ce  pays  (c'est-à-dire  le  royaume  d'Arles). 

3.  Les  clercs  dans  les  ordres  sacrés,  les  chanoines  et  bénéficiers 
ne  doivent  pas  accepter  de  charges  publiques;  ceux   qui  les   ac- 

qui  s'étaient  réfugiées  dans  l'église  de  Saint-André  à  Neumarkt.  Heyne,  Gesch. 
des  Bisthums  Breslau,  1860,  t.  i,  p.  348,  3G9. 

1.  M.  de  Montbach,  Statuta  synodalia  Ecclesiœ  Wratislw.,  1855,  p.  307  sq.  ; 
Heyne,  Gesch.  des  Bisthums  Breslau,  1860,  t.  i,  p.  364  sq.;  Annal.  Cracov.,  dans 
Monum.  Germ.  hist.,Scripl.,  t.  xix,  p.  599  et  note  87;Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu, 
col.  430  (partie). 


1710  LIVUE    XXXVl,     CHAPITRE     III 

cepteraient  devront  les   résigner   dans   le   délai  d'un    mois,    sous 
peine    de    suspense,   et  ensuite  de   privation    de  leurs  bénéfices. 

4.  Les  chanoines  des  églises  régulières  ou  séculières  et  les  autres 
bénéficiers  doivent  recevoir  les  ordres  du  sous-diaconat,  du  diaco- 
nat et  de  la  prêtrise,  lorsque  l'évêtfue  l'ordonne. 

5.  On  observera  au  sujet  des  juifs  les  anciennes  ordonnances. 
Ils  porteront  un  signe  particulier,  et  s'ils  ne  le  font  pas,  tout  chré- 
tien s'abstiendra  d'avoir  commerce  avec  eux. 

6-8.  Rappel  des  anciennes  ordonnances  concernant  les  parjures, 
surtout  ceux  qui  avaient  juré  la  paix;  on  publiera  fré([uemment 
les  censures  contre  eux  dans  les  églises. 

9. Celui  qui,  après  monition,  n'exécute  pas  la  sentence  prononcée 
par  les  inquisiteurs,  sera  censuré,  puis  traité  comme  défenseur 
et  fauteur  des  hérétiques. 

10.  L'évoque  qui  se  refuse  à  dénoncer  ou  à  observer  la  sen- 
tence prononcée  contre  ce  coupable,  se  verra  interdire  l'entrée  de 
l'église. 

11.  Les    procès  d'inquisition  ne  comportent  pas  d'avocat. 

12.  Les  sacrilèges  et  les  sorciers  seront  livrés    à   l'évêque,    et 

s'ils  ne  s'amendent  pas,  ils  seront  emmurés  ou  autrement  punis  1155 
par  l'évêque. 

13.  Celui  qui,  ayant  été  poursuivi  comme  hérétique,  est  obligé 
de  porter  une  croix  sur  ses  habits,  ne  doit  jamais  la  quitter.  S'il 
la  quitte  et,  après  monition,  ne  la  reprend  pas,  il  sera  tenu 
pour  hérétique.  Même  règle  pour  ceux  qvii  se  sont  échappés  de 
prison  et,  malgré  la  monition,  ne  se  représentent  pas.  Quant  à  ceux 
qui  méprisent  l'excommunication,  s'ils  appartiennent  au  royaume 
de  France,  on  leur  appliquera  la  constitution  Cupientes  de 
saint  Louis  (cf.  §  655)  et  l'ordonnance  du  synode  de  Pamiers  (cf. 
§652);  les  autres,  après  six  mois  de  contumace,  seront  déclarés  in- 
fâmes   et   excommuniés,   et  le    pape    seul    pourra    les    absoudre. 

14.  On  ne  confiera  pas  de  charge  pul)lique  à  des  excommuniés. 

15.  Certains  excommuniés  ayant  porté,  contre  ceux  ([ui  les 
ont  excommuniés  ou  dénoncés,  des  statuts,  préceptes,  bans, 
interdit  de  l'usage  des  fours,  des  moulins,  etc.,  on  ordonne 
qu'ils  soient  pour  cela  aussi  dénoncés  comme  excommuniés.  Si, 
après  monition,  ils  ne  s'amendent  dans  le  délai  de  dix  jours,  on 
dénoncera  leur  excommunication  dans  toute  la  province  et 
même  dans  les  provinces  voisines.  Partout  où  ils  se  trouveront, 
et  tant  ([u'ils  y  seront,  on  cessera  le  service    divin    et  on  ne    les 


670.  CONCILES  DE  1246  A  1250  1711 

absoudra   que   s'ils   ont    donné    satisfaction    aux   églises   et   aux 
personnes  de  l'Eglise  pour  les  dommages  causés. 

16.  Tous  les  prélats  informés  par  l'évêque  d'un  diocèse  des  ex- 
communications portées  par  lui  devront  les  publier  et  les  observer- 

17.  L'excommunié  qui  s'est  ingéré  dans  une  charge  ecclésias- 
tique et  ne  veut  pas  s'en  retirer  sera  derechef  excommunié  pour 
cela,  et  le  pape  seul  pourra  l'absoudre. 

18.  Celui  qui  entretient  sciemment  de  fréquents  rapports  avec 
un  excommunié  sera  exclu  de  l'église;  si  c'est  un  prélat,  il  sera 
puni  par  ses  supérieurs  d'une  manière  canonique. 

19.  On  rappelle  les  anciennes  ordonnances  touchant  les 
meurtriers  des  clercs,  les  spoliateurs  des  biens  de  l'Églisî,  les 
ligues  défendues  [conjurationes,  p.  1500)  et  les  prescriptions  pour 
l'amélioration  des  mœurs  du    clergé  séculier  et  régulier. 

20.  Sont  dissoutes  toutes  les  ligues  opposées  aux  règlements 
ecclésiastiques  (par  exemple,  la  ligue  conclue  par  la  noblesse  fran- 
çaise, p.  1686).  Quiconque  ne  se  retirera  pas  de  ces  ligues  dans  le 
délai  de  deux  mois,  après  la  publication  du  présent  édit,  sera 
excommunié.  Cette  dissolution  devra  être  plusieurs  fois  promul- 
guée par  les  prélats  dans  leurs  diocèses  et  dans  leurs  synodes. 

21.  Quiconque  refuse   de  jurer  la  paix  sera  excommunié. 

22.  Promulgation  de  l'excommunication  contre  Frédéric,  au- 
trefois empereur,  contre  ses  partisans,  conseillers,  etc.,  con- 
tre ceux  qui  l'ont  appelé   ou  l'appelleraient  dans  ce  pays,  etc.  Si> 

1156  dans  le  délai  de  trente  jours,  ils  ne  se  soumettent  pas  à  l'église, 
ils  seront  déclarés  infâmes  et  exclus  de  toute  charge  laïque. 
Tous  les  endroits  où  ils  seraient  reçus  seront  frappés    d'interdit. 

23.  Tous  les  prélats  et  clercs  qui  lui  prêteraient  secours  seront 
excommuniés;  s'ils  l'appellent  dans  le  pays,  ils  perdront  leurs 
bénéfices  et  dignités,  et  ne  pourront  être  relevés  de  ces  peines  que 
par  le  pape  ou  par  son  ordre  formel  ^. 

(îuillaume,  roi  romain  d'Allemagne,  le  cardinal    Pierre  Capoc- 
cio  et  l'archevêque  de  Cologne  assistèrent  au  synode  d'Utrecht 
célébré  en  1249;  Goswin  d'Amstel,  évêque  élu  d'Utrecht,  se  dé- 
sista de  son  évêché,  parce  qu'il  semblait    inapte  à  cette    haute 
,  fonction  et,  de  plus,  parce  que  sa  famille  était  mal  vue  du  roi 

[  Guillaume.   En  celte  même  année,  sur  l'ordre  du  pape,  Philippe, 

\  1.  Hardouin,  Conc.  coll.,  t.  vu,  col.  423;  Coleti,  Concilia,  t.  xiv,  col.  111; 

MaQsi,  Conc.  amplias.  coll.,  t.  xxm,  col.  769. 


1712 


LIVRE    XXXVI,    CHAPTRE    III 


archevêque  de  Salzbourg  (successeur  d'Eberhard  II,  mort  le  l^'* 
décembre  1245,  alors  qu'il  était  encore  excommunié),  tint  avec 
ses  suiïragants  un  synode  à  Mûhldorf  (sur  l'inn,  au  nord-ouest 
de  Salzbourg)  pour  forcer,  soit  par  l'interdit,  soit  par  la  me- 
nace des  armes,  Otton,  duc  de  Bavière,  à  reconnaître  le  roi  Guil- 
laume et  à  abandonner  Frédéric.  Selon  sa  coutume,  Aventin  fait 
tenir  au  duc,  à  cette  occasion,  un  discours  véhément  contre  le 
clergé.  Il  aurait  dit  que  c'était  précisément  sur  le  conseil  des  évê- 
ques  qu'il  avait  embrassé  le  parti  de  Frédéric,  et  maintenant  on 
voulait  le  forcer  à  faire  le  contraire;  il  n'avait  jamais  fait  de  tort 
à  l'Eglise.  On  lui  donna  un  délai  s'étendant  jusqu'au  l*^''  mai. 
délai  que  le  pape    prolongea  jusqu'au  15  août  ^. 

Dans  la  dernière  année  de  la  vie  de  Frédéric  11,  il  ne  se  tint  au- 
cun concile  de  quelque  importance,  car  les  constitutions  de  Wal- 
ter  Grey,  archevêque  d'York,  n'ont  pas  été  promulguées  en  con- 
cile, mais  à  la  suite  de  visites  diocésaines. 

L'assemblée  appelée  parfois  Synodus  Oxoniensis  n'est  qu'une 
réunion  de  prélats  convoqués  par  le  roi  pour  entendre  la  lec- 
cure  de  la  défense  d'exercer  une  juridiction  quelconque  sur  les 
chapelles  de  la  cour  ou  de  prélever  sur  elles  une  redevance  quel- 
conque ^. 


1.  Riezler,  Geschichle  Baycrns,  vol.  ii,  p.  93. 

2.  Hardouin,  op.  cit.,  t.  vu,  col.  430  (iiicomplot)  ;  Coleti,  Concilia,  t.  xiv,   coi. 
121  ;  Mansi,  Conc.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  780,  789-793. 


APPENDICE    I 
SUR   UN   CONCILE  TENU  A  TOULOUSE,  EN   1160 


M.  Léopold  Delisle  a  consacré  une  notice  à  La  prétendue  célébration 
d'un  concile  à  Toulouse  en  1160,  dans  le  Journal  des  sai^ants,  1902,  p.  45- 
51.  Nous  en  extrayons  les  passages  qui  concernent  notre  sujet. 

M.  Delisle  a  étudié  dans  un  cartulaire  de  l'évêché  d'Arras  une  lettre  du 
roi  Louis  VII,  qui  a  été  copiée  au  bas  du  fol.  313  en  caractères  de 
l'extrême  fin  du  xiv^  siècle  et  qui  a  trait  aux  troubles  qui  désolèrent  les 
débuts  du  pontificat  d'Alexandre  III. 

«  On  sait  que  l'élection  du  successeur  d'Iîadrien  IV  ^  faillit  amener  un 
schisme.  Deux  cardinaux  prétendaient  avoir  été  régulièrement  élus  le 
7  septembre  1159  :  Roland,  chancelier  du  Saint-Siège,  prêtre  du  titre  de 
Saint-Marc,  et  Octavien,  prêtre  du  titre  de  Sainte-Cécile.  Ils  furent  in- 
tronisés, le  premier  sous  le  nom  d'Alexandre  III,  à  Nympha,  le  19  du 
même  mois;  le  second,  sous  le  nom  de  Victor  III,  à  Saint-Pierre  de  Rome, 
le  jour  même  de  l'élection.  Tous  les  deux  trouvèrent  d'ardents  défenseurs 
dans  les  différents  pays  de  la  chrétienté.  Octavien,  soutenu  par  l'empereur, 
et  reconnu  par  le  concile  de  Pavie  en  février  1160,  conserva  des  partisans 
jusqu'à  sa  mort,  arrivée  en  1164.  Mais  Alexandre  III,  grâce  à  l'appui 
des  rois  de  France  et  d'Angleterre,  ne  tarda  pas  à  faire  pencher  le  balance 
de  son  côté.  Dès  avant  la  fin  de  l'année  1160,  l'issue  de  la  lutte  n'était  plus 
douteuse. 

«  C'est  à  l'intervention  du  roi  Louis  VII  que  se  rapporte  la  lettre  co- 
piée dans  le  cartulaire  de  l'évêché  d'Arras.  En  voici  le  texte  : 

L.,  Dei  gratia  Francorum  rex,dilecto  suo  illustri  eadem  gratia  Magalo- 
nensi  episcopo,  salutem.  Celebravimus  consiliuni  nos  rex  Anglie  super 
discordia  romane  Ecclesie,  uhi  archiepiscopi,  episcopi  et  çiri  religiosi  quain- 
plures  affuerunt.  Ordinante  etiam  Domino,  cardimdes  partium  astiterunt 
très  pro  domino  Alexandro,  et  duo  pro  domino  Octaviano,  qui  prosequentcs 
seriatim  negocium,  in  auribus  nostris  suas  raciones  protulerunt.  Cum  vero 
finem  dicendi  fecissent,  nos  antedicti  negocii  examen  clericis  imposuimus, 
quod  a  laycis  discuti  non  decebat.  Itaque  archiepiscopi  et  episcopi  et  cleri 
corum  conventus  in  dominum  papam  Alexandrum  tandem  consenserunt, 
et  nos  cum  terra  nostra,  et  similiter  rex  Anglie  cum  sua,  dictum  Alexandrum 

1.  Sur  cette  élection,  voir  plus  haut,  Hisl.  des  conciles,  §  622, 

CONÇU,  ES  —  V     -   108 


1714  APPENDICE    I 

in  patrem  et  papam  recepimus  ;  et  ut  vos  pariter  ei    obediatis    çestram  in 
Domino  sanctliateni  exhortamur.   Valete. 

«  Par  cette  lettre,  le  roi  annonce  à  l'évêque  de  Maguelone  que  lui  et  le 
roi  d'Angleterre  ont  réuni  clans  un  concile  beaucoup  d'archevêques, 
d'évêques  et  de  personnages  religieux,  pour  s'occuper  des  troubles  de 
l'Eglise  romaine.  Les  deux  prétendants  y  étaient  représentés,  Alexandre  III 
par  trois  cardinaux,  et  Octavien  par  deux.  Après  que  les  raisons  des  deux 
parties  eurent  été  exposées,  Louis  VII  chargea  les  clercs  d'examiner 
l'affaire,  parce  que  les  laïcs  n'étaient  pas  compétents  pour  la  discuter. 
Les  archevêques,  les  évêques  et  les  autres  gens  d'Eglise  finirent  par  s'en- 
tendre et  se  déclarer  pour  Alexandre  III.  Après  quoi,  Alexandre  fut 
reconnu  comme  père  et  pape  par  les  deux  rois,  en  leur  nom  et  au  nom  de 
leurs  sujets. 

«  Rien  ne  peut  faire  soupçonner  l'authenticité  de  la  lettre,  dont  le  des- 
tinataire, Jean  de  Montlaur,  est  connu  pour  avoir  entretenu  de 
bons  rapports  avec  le  roi  de  France  ^  et  pour  avoir  été  un  des  premiers 
prélats  français  à  reconnaître  Alexandre   III  ^. 

«  Le  contenu  de  cette  lettre  est  parfaitement  d'accord  avec  celle  par 
laquelle  Henri  II,  roi  d'Angleterre,  notifie  à  Alexandre  III  que,  d'accord 
avec  le  clergé  et  le  peuple  de  ses  Etats,  il  l'a  reconnu  pour  régulièrement 
élu  souverain  pontife.  La  lettre  fut  expédiée  de  Rouen,  en  présence  du 
chancelier.  J'en  donne  le  texte,  cjui  paraît  avoir  échappé  au  Rév.  R.  W, 
Ey ton  3  ;  il  est  d'autant  plus  intéressant  pour  nous  qu'une  lettre  analogue 
a  dû  être  adressée  par  le  roi  de  France  à  Alexandre  III  •*  : 

Carissimo  domino  et  patri  suo  Alexandro,  Dei  gratia  summo  pontifîci, 
Henricus,  rex  Anglic,  dux  Normannie  et  Aquitanie  et  cornes  Andegacensis, 
salutem  et  dehilam  in  Christo  suhjectioncm.  Nouit  salis  ç>estra  discretio 
quam  fidèles  sancte  romane  Ecclesie  antecessores  nostri  sem.per  extiterint, 
qui  in  simili  casu  nonnunquam.  probaverunt,  cum.  in  sancta  Ecclesia,  pecca- 
tis  exigentibus,  ex  orto  schismate,  catholicam  secuti  sunt  unitatem.  Hanc 
ergo  patrum  meorum  approbans  et  sequens  devotionem,  quia  vestram  ele- 
ctionem  veritate  credo  subnixam.  i'os  in  patrem  et  dominum,  vos  in  summum 

1.  Call.  christ.,  t.  vi,  col.  752  d. 

2.  Ibid.,  col.  752;  D.  Vaissetc,  Hisl.  génér.  de  Languedoc,  t.  ii,  p.  487;  nouv. 
édit.,  t.  III,  p.  816;  Fabiège,  Hist.  de  Maguelone,  t.  i,  p.  273. 

3.  Cette  lettre  aurait  pu  être  citée  à  côté  de  plusieurs  chartes  d'Henri  II, 
datées  de  Rouen,  que  le  Rév.  R.  W.  Eyton  a  rapportées  au  commoncement 
de  l'année  1161.  Ilinerary  of  Henri  II,  p.  52,  53. 

4.  Dans  une  lettre  écrite  le  17  janvier  1161,  AlexandrelII  remercie  Louis  VII 
de  l'appui  qu'il  lui  avait  donné,  comme  l'attestaient  les  rapports  des  trois  car- 
dinaux envoyés  en  France  et  surtout  une  lettre  du  roi  lui-même  :  Sicut  tu  ipse 
hac  vice  nohis  propriis  Utteris  innuisti.  La  lettre  du  pape  (n.  10644  des  Reg. 
pont,  rom.)  est  inséré©  dans  le  Recueil  des  hist.  de  la  France,  t.  xv,  p.  766. 


SUR     U.N     CONCILE    TENU     A    TOULOUSE,     EN     1160  1715 

pontificem  et  catholicum.  cum  unii>ersis,  tam  clero  quam  populo,  mee  pote- 
stati  a  Deo  commissis,  in  vestris  legatis,  recepi,  solennitate  débita  et  venera- 
tione.  Vos  igitur,  demetitissime,  rogo  et  cum  omni  humilitate  ohsecro,  ut 
me  m  proprium  et  spirilualem  filium  recipiatis,  et  in  meis  petitionibus  me, 
SI  vobis  placet,  cxaudiatis.  Latorem  presentium  fratrem  R.,  in  cujus  ore  mea 
negotia  posui,  plenius  çobis  exprimenda,  bénigne  suscipiatis,  et  his  quse 
ex  parte  mea  vohis  dixerit,  assensum  et  effectum  exhibeatis.  Ego  ad  vestram 
voluntatem  sum  paratus,et  me  et  mea  vobis  expono  arbitrio  vestro  penitus 
exponenda.  Teste  cancellario.  apud  Rothomagum  ^. 

«  La  lettre  de  Louis  VII  est  aussi  en  parfaite  harmonie  avec  une  lettre 
adressée  le  20  janvier  1161  par  Alexandre  III  à  Eberhard,  évêque  de  Salz- 
bourg,  pour  lui  annoncer  Téchec  de  son  compétiteur  Octavien.  «  L'Église 
«  d  Orient,  dit-il,  dans  un  concile  solennellement  célébré  à  Nazareth^, 
«  en  présence  du  roi  de  Jérusalem,  et  l'Église  d'Occident,  c'est-à-dire  les 
«  rois,  les  archevêques,  les  évêques,  tout  le  clergé  et  le  peuple  de  France, 
«  d  Angleterre  et  d'Espagne,  après  avoir  anathématisé  Octavien  et  les 
«  partisans  d'Octa^^en,  nous  ont  reconnu  comme  leur  père  spirituel  et 
«  comme  souverain  pontife  ^.  » 

«  Il  nous  est  parvenu  deux  relations  de  l'assemblée  dont  il  est  question 
dans  la  lettre  adressée  par  Louis  VII  à  l'évêque  de  Maguelone.  La  pre- 
mière est  une  sorte  de  procès-verbal,  que  Fastrade,  abbé  de  Clairvaux, 
envoya,  sous  forme  de  lettre,  à  l'évêque  de  Vérone.  Il  est  indispensable 
d'en  mettre  un  extrait  sous  les  yeux  du  lecteur,  pour  montrer  que  cette 
relation  cadre  exactement  avec  la  lettre  de  Louis  VII  : 

...Post  longam  dilationem  que  facta  est  cardinalibus  Henrico  et  Willelino 
preshjteris  et  0.  diacono,  quos  dominus  Adexander  papa  in  Gallium  delega- 
verat...  duo  cardinales  quos  solos  de  curia  romana  Octavianus  secum  habebat, 
venerunt  cum  Caesarianis,  in  magna  pompa  et  gloria,  ad  diem  et  locum  quem 
reges  Francie  et  Anglie  cum  tota  Ecclesia  sua  ad  exponendum  suum  assensum 
praefixerunt  supradictis  cardinalibus.  Quid  plura?  Auditi  sunt  prinium 
Octaviani  cardinales  Johannes  et  Wido;  responderunt  alii  ex  adi^erso.  Cogni- 


1.  Vêlera  monumenta  contra  schismaticos  jam  olini  pro  Greg.  \  IJ  aliisquc 
nonnullis  pontif.  rom.  conscripta,  édit.  Séb.  Tengnagel,  1612^  p.  411. 

2.  Les  décisions  de  l'assemblée  qu'Alexandre  III  qualifie  ici  de  concile  de 
Nazareth  lui  avaient  été  notifiées  paru  ne  lettre  émanée  d'Amauri,  patriarche 
de  Jérusalem.  Op.  cit.,  p.  410. 

3.  Orientalis  namque  Ecclesia  in  concilia  Nazareth,  présente  illustri  J erosoly- 
morum  rege,  sollenniter  celebrato,  Francorum,  Anglorum,  Hispanorum  et  tota 
Occidentalis  Ecclesia,  cum  regibus,  archiepiscopis,  episcopis  et  loto  clero  et  populo 
suo,  predictuiii  scliisnialicur»  ejusque  principales  faxilores  perpétua  analheniate 
damnarunl,  nosque  in  palrem  spiritualein  et  summum  pardi ficein...  unaniiniter  et 
magnifiée  recepcruiU.  Ibid.,  p.  408.  Cette  lettre  es;t  le  ii.  10645  des  Reg.  pont. 

ramanorum. 


1716  APPENDICE    1 

tum  est...  Octavlani  nullam  fuisse  electionem...  Cognitum  nihilominus  est 
Alexandrum  ah  omnibus  aliis  cardinalibus  qui  aderant  electum...  Communi 
itaque  consilio  predictorum  regum  et  totius  ipsorum  Ecclesie  reprobatus  est 
schismaticus  Octavianus,  susceptus  Alexander  papa  et  legati  ejus  condigno 
honore  et  reverentia  ^. 

«  Tel  est,  en  abrégé,  le  compte  que  rend  Fastrade  de  ce  qui  s'était  passé 
dans  l'assemblée  convoquée  par  les  rois  de  France  et  d'Angleterre.  Trois 
cardinaux  délégués  par  Alexandre  III  s'y  rencontrèrent  avec  deux  cardi- 
naux partisans  d'Octavien.  Ceux-ci  étaient  venus  en  grande  cérémonie 
accompagnés  de  députés  de  l'empereur.  On  entendit  d'abord  les  défenseurs 
d'Octavien,  puis  ceux  d'Alexandre.  Le  discours  de  ces  derniers  et  les  dé- 
clarations de  plusieurs  témoins  levèrent  tous  les  doutes.  Octavien  fut 
condamné  comme  schismatique,  et  Alexandre  reconnu  pour  pape. 

«  A  côté  de  la  relation  de  Fastrade  se  place  celle  de  Gerhoh,  prévôt 
de  l'Eglise  de  Reichersberg,  en  Bohême,  qui  devait  écrire  dans  les  premiers 
mois  de  l'année  1161,  alors  qu'il  n'avait  pas  encore  d'opinion  bien  arrêtée 
sur  les  droits  respectifs  d'Alexandre  III  et  d'Octavien. 

De  concilio  apud  Tolosam  celehrato,  ubi  pars  Octai^iani  damnatur. 

Intérim  vero,  dum  hec  scribimus  et  ad  preferendam  partem  Victoris,  pro 
reverentia  maxime  concilii  Papie  celebrati,  articulum  jamjam  fere  inclina- 
mus,  eo  quod  eidem  concilio  Victor  presentiam  suam  humiliter  exhibuit, 
Alexander  çero  quasi  judicium  humanum  dedignans,  aut  forte,  quod  est 
credibilius,  suspectam  imperatoris,  quem  ipse  in  aliquo  of/enderat,  habens 
presentiam,  semetipsum  causamque  suam  eidem  concilio  credere  noluit, 
aut  quia  Octavianum,  qui  causam  suam  concilii  cognicioni  offerebat,  audi- 
tione,  fuxta  Nicolai  pape  statuta,  indignum  censebat,  atque  idcirco  ubi  ille 
audiendus  adventabat  illi  se  ipse  subtrahebat,  dum,  inquam,  pro  causis 
prelibatis  jamjam  Victoris  pars  in  mentis  nostre  trutina.  vincere  ac  prepon- 
derare  inciperet,  ecce  alii  ac  novi  rumores  per  certos  internuncios  adçolitant, 
in  occiduis  partibus,  regno  i^idelicet  Francie,  civitate  Tolosa,  celebratum  esse 
concilium,  cui  centum  patres  inter  episcopos  et  abbates  ^  interfuerunt, 
una  cum  regibus  Francie  et  Anglie,  quorum  studio  iidem  patres  convocati 
convenerunt,  ubi  et  Octa^^iani,  quem  Victorem  dicunt,  simul  et  Alexandri 
pape  atque  imperatoris  augusti  Frederici  necnon  et  régis  Hispanie  legati 
aderant.  Illic  sane  utriusque  partis  defensoribus  sufficienter  auditis,  eidem 
concilio,  tandem  in  Alexandrum  complacuit.  Octavianus  vero,  qui  et  Victor^ 
ab  universo  concilio  cum  suis  principalibus  defensoribus  excommunicatus  est. 

«  Ainsi  s'exprime  Gerhoh,  au  livre   III  du  traité  qu'il  a  intitulé  De 


1.  Tengnagel,  op.  cit.,  p.  412;  Watterich,  Vitx  pontif.  rom.,  t.  n,  p.  511  sq. 

2.  Le  ms.  d'après  lequel  a  été  publiée  l'édition  do  M.  Scheibelberger  porte  : 
centum  parles  inter  episcopos  abbates. 


SUR     UN     CONCILE     TENU     A    TOULOUSE,     EN     1160  1717 

investi gatione  Antichristi,  et  dont  une  édition  a  été  donnée  en  1875  par 
Frédéric   Scheibelberger  ^. 

«  Le  témoignage  du  prévôt  de  Reichersberg  est  bien,  dans  son  ensem- 
ble, conforme  aux  textes  qui  ont  été  rapportés  un  peu  plus  haut.  Il  men- 
tionne toutefois  une  particularité  importante,  à  laquelle  il  n'est  point 
fait  allusion  ailleurs  :  c'est  que  l'assemblée  convoquée  par  les  rois  de  France 
et  d'Angleterre  aurait  eu  lieu  à  Toulouse. 

«  Il  y  a  là  une  assez  grosse  difficulté,  à  laquelle  n'ont  pas  assez  fait 
attention  les  éditeurs  des  collections  conciliaires.  Sur  la  foi  de  Gerhoh,  ils 
ont  enregistré  dans  leurs  recueils,  sous  la  date  de  1161  ^,  le  concile  toulou- 
sain qui  s'était  prononcé  pour  la  reconnaissance  d'Alexandre  III 

«  Admis  sans  aucune  réserve  par  dom  Vaissete  ^,  il  a  pris  place  dans 
les  listes  des  conciles  les  plus  répandues  en  France,  celle  de  VArt  de  vérifier 
les  dates  et  celle  du  Trésor  chronologique,  du  comte  de  Mas-Latrie.  Des 
doutes  sur  la  tenue  d'un  concile  à  Toulouse  se  sont  élevés,  à  deux  reprises  ^, 
dans  l'esprit  de  dom  Brial,  qui  n'a  pas  hésité  à  le  qualifier  de  concilium 
fictitium.  Il  ne  trouvait  pas  trace  d'un  voyage  fait  alors  à  Toulouse  par 
les  rois  de  France  et  d'Angleterre,  et  le  résultat  des  recherches  du 
Rév.  R.  W.  Eyton  sur  l'itinéraire  d'Henri  II  est  de  nature  à  fortifier  les 
doutes  du  savant  bénédictin. 

♦«  Abstraction  faite  du  témoignage  de  Gerhoh,  tout  ce  que  nous  savons 
sur  les  localités  françaises  dans  lesquelles  furent  discutées  les  questions 
se  rattachant  à  l'élection  des  successeurs  d'Adrien  IV  se  réduit  à  ces 
lignes  de  la  Chronique  de  Robert  de  Torigni  ^  : 

Mense  julio,  Henricus,  rex  Anglorum,  congregavit  omnes  episcopos 
N ormannie  et  abbates  et  barones  apud  Novum  Mercatum,  et  Ludovicus,  rex 
Francorum,  adunavit  suos  Belvaci,  et  ibi  tractatum  est  de  receptione  pape 
Alexandri  et  re/utatione  Victoris,  et  consenserunt  Alexandro,  reprobato 
Victore. 

«  Après  les  conférences  qui  eurent  lieu  à  Neufmarché  et  à  Beauvais, 


1.  Gerhohi,  Reichersbergensis  prsepositi,  Opéra  hactenus  inediia,  in-8,  Lincii, 
1875,  t.  I.  Le  chapitre  ci-dessus  transcrit  est  imprimé  à  la  page  122. 

2.  En  tout  cas,  il  eût  fallu  placer  sous  l'année  IIGO  un  concile,  dont  le  résultat 
(la  reconnaissance  d'Alexandre  III  par  l'Église  de  France)  est  le  sujet  des  deux 
lettres  de  ce  pape  datées  d'Anagni,  le  17  et  le  20  janvier  llGl  ;  n.  10644  et  10645 
de  la  dernière  édition  des  Regesta  pontificum  romanorum.  Sur  le  concile  «  dit  de 
Toulouse  »,  je  dois  renvoyer  à  une  note  de  l'ouvrage  de  Hermann  Reuter,  Ge- 
schichte  Alexanders  des  Dritlen,  2^  édit.,  Leipzig,  1860,  t.  i,  p.  490. 

3.  Histoire  générale  de  Languedoc,  t.  ii,  p.  487;  nouv.  édit.,  t.  m,  p.  816. 

4.  Recueil  des  histor.  de  la  France,  t.  xiv,  p.  406,  note;  t.  xvi,  p.  32,  note. 

5.  Édit.  comprise  dans  les  Monum.  Germ.  hislor.,  Scriptores,  t.  vi,  p.  511; 
édit.  de  la  Société  de  l'hisl,  de  Normandie,  t.  ii,  p.  328. 


1718  APPENDICE    I 

pendant  l'été  de  l'année  1160  \  se  tint-il  une  assemblée  dans  laquelle  la 
déchéance  d'Octavien  et  la  reconnaissance  d'Alexandre  III  auraient  été 
définitivement  proclamées  ^?  C'est  ce  que  la  lettre  de  Louis  VII  à  l'évêque 
de  Maguelone,  rapprochée  du  récit  de  Gerhoh,  autoriserait  peut-être  à 
supposer.  Dans  tous  les  cas,  il  est  peu  probable  que  Toulouse  ait  été  le 
lieu  de  la  réunion.  Tout  porte  à  croire  qu'il  s'était  glissé  des  inexactitudes 
dans  les  bruits  irumores)  qui  circulaient  en  Allemagne,  et  que  Gerhoh 
se  hâta  de  recueillir,  sur  la  façon  dont  les  Eglises  de  France  et  d'Angleterre 
venaient  de  reconnaître  Alexandre  III  comme  souverain  pontife.  » 


1.' C'est  à  tort  que  les  listes  de  conciles  ci-dessus  mentionnées  raneent  ces 
conférences  sous  l'année  1161. 

2.  Dans  une  lettre  adressée,  le  7  avril  1161,  à  Henri,  évêque  de  Beauvais, 
(n.  10660  des  Reg.  pont,  rom.),  Alexandre  III  qualifie  expressément  de  concile 
l'assemblée  dans  laquelle  le  clergé  français  le  reconnut  pour  pape  :  Nostrnm  vero 
receptionem,  quse  in  concilio  in  Francia  celebrato  solemniler  facta  est,  magis  quam 
tibi  nulli  morlalium  impulamus.  Rec.  des  hist.  de  la  France,  t.  xv,  p.  7684 
D.  Brial  suppose  que  lo  pape  avait  en  vue  l'assemblée  de  Beauvais  dont  a  parlé 
Robert   de   Torigni. 


APPENDICE    II 


UN  CONCILE  ET  UN  HÉRÉTIQUE  INCONNUS 


La  notice  qui  suit  a  été  insérée  sous  le  titre  qu'on  vient  de  lire  dans  le 
Journal  des  sat^ants,  1889,  p.  505-507;  elle  est  de  Benjamin  Hauréau. 

«  Parmi  les  manuscrits  latins  de  la  Bibliothèque  nationale,  le  n.  338 
des  nouvelles  acquisitions  est  un  volume,  provenant  de  Cluny,  qui  ren- 
ferme un  grand  nombre  de  sermons  prêches  à  Paris  vers  l'année  1230.  Cette 
date  peut  être  admise  sans  hésitation.  M.  Delisle  confirme  notre  conjecture, 
d'ailleurs  fondée  sur  plus  d'une  preuve,  lorsqu'il  rapporte  tous  ces  sermons 
au  temps  de  saint  Louis  ^.  Or  il  s'en  trouve  un,  au  folio  152,  dont  le  titre 
nous  apprend  qu'il  fut  prononcé  le  jour  de  la  Cène,  après  midi,  par  le  chan- 
celier de  Paris.  Il  est  donc  du  célèbre  Philippe  de  Grève,  chancelier  de 
l'année  1218  à  l'année  1237,  Notons  d'abord  que  nous  n'avons  pas  ren- 
contré jusqu'à  ce  jour  une  autre  copie  de  ce  sermon.  C'est  pourquoi  nous 
allons  signaler  ce  qu'il  contient. 

«  Ce  sermon  ayant  donc  été  fait  pour  le  jour  de  la  Cène,  l'orateur  a 
choisi  le  pain  pour  matière  de  sa  paraphrase  théologique  et  morale. 
Il  y  a  trois  fours  où  se  fabriquent  diverses  sortes  de  bon  pain,  et  où 
les  fourniers  sont  les  Pères  de  l'Eglise,  les  confesseurs,  les  prêtres,  dont  le 
noble  mandat  est  d'offrir  aux  fidèles  le  pain  vivant,  l'hostie  consacrée. 
Mais,  à  l'opposite,  sont,  en  nombre  égal,  les  fours  du  diable,  d'où  sortent 
les  pains  corrupteurs  des  âmes.  La  description  des  premiers  est  sans  inté- 
rêt; celle  des  derniers  est  au  contraire,  on  ne  tardera  pas  à  le  reconnaître, 
très  intéressante. 

«  Malheur  à  nous  !  s'écrie  l'orateur.  Voilà  que  le  diable  vient  de  bâtir 
fours  sur  fours  dans  l'Albigeois,  la  Romagne,  le  Milanais  et  dans  ce  pays 
même.  «  Le  premier  four  du  diable  est,  ajoute-t-il,  la  cachette  de  tout 
«  enseignement  suspect;  les  fourniers  de  ce  four  sont  les  pseudo-prédica- 
«  teurs;  le  pain  de  ce  four  est  la  fausse  doctrine  que  l'on  dissimule.  Un  de 
«  ces  fourniers  était  le  fournier  Guichard  ^,  condamné  par  le  synode  de 
a  Reims.  Ses  imitateurs  sont  tous  ceux  qui  prêchent  en  secret.  » 


1.  L.  Delisle,  Inventaire  du  fonds  de  Cluny,  p.  140. 
2-  De  istis  furnariis  erat  Ilyechardus  furnarius. 


1720  APPENDICE    11 

«  Nous  ne  manquons  pas  d'informations  sur  les  hérétiques  de  la  Ro- 
magne  et  du  Milanais;  mais  vainement  nous  en  avons  recherché  d'autres 
sur  ce  Guichard  et  ce  concile  de  Reims  dans  lequel  il  fut  condamné.  Il 
n'existe  aucune  mention  ni  de  cet  hérétique  ni  de  ce  concile  dans  les  nom- 
breux documents  qu'ont  mis  au  jour  Marlot,  M.  Varin  et  M.  le  cardinal 
Gousset;  on  nous  assure  même  qu'on  n'a  rien  trouvé  tant  sur  l'un  que  sur 
l'autre  dans  le  fonds  inédit  des  archives  rémoises. 

«  Nous  ne  pouvons  donc  pas  assigner  une  date  précise  à  l'événement. 
Nous  croyons  néanmoins  qu'il  devait  être  récent  quand  Philippe  de 
Grève  en  parlait,  car  il  n'achèvera  pas  son  sermon  sans  en  parler  plus 
d'une  fois  encore,  et  en  des  termes  d'une  égale  vivacité.  Le  souvenir  d'un 
fait  ancien  n'agite  pas  ainsi.  On  le  cite  et  on  s'en  tient  là.  Pour  obséder 
et  passionner  l'esprit  d'un  orateur,  il  n'y  a  qu'un  fait  nouveau. 

«  Nous  lisons  plus  loin  :  «  Le  troisième  four  du  diable  est  l'agrégation 
«  de  gens  formant  une  société  pernicieuse.  Les  fourniers  de  ce  four  sont 
«  les  semeurs  de  schismes.  Tel  était  Guichard,  le  fournier  rémois,  et  tels 
«  sont  ses  imitateurs.  Ce  fournier  de  Reims,  de  son  triple  four,  scilicet 
«  doctrinse  corruptœ,  confessionis  seductoriae  et  congre gationis  unitatis 
«  perniciosse,  fut  transféré  dans  le  four  de  la  peine  temporelle,  de  là 
«  dans  le  four  de  l'enfer.  »  Ainsi  Guichard  fut  brûlé.  Il  fut  brûlé  pour  avoir 
mis  en  avant  des  opinions  contraires  aux  articles  de  la  foi  traditionnelle, 
pour  les  avoir  secrètement  propagées,  pour  s'être  concilié  des  partisans  et 
avoir  commis  avec  eux  le  délit  d'association  clandestine. 

«  Il  est  regrettable  que  Philippe  de  Grève  ne  nous  apprenne  pas  quelles 
étaient  ces  doctrines  dont  l'impiété  révolta  l'Eglise  et  fit  conduire  Guichard 
au  bûcher.  Il  y  avait  alors  un  grand  courant  de  subtilités  théologiques, 
et  toute  nouveauté  de  langage  inquiétait  les  gens  soupçonneux.  Nous  ne 
croyons  pourtant  pas  que  l'hérésie  de  Guichard  ait  été  sophistiquement 
dogmatique,  car  il  paraît  avoir  cherché  des  disciples  plutôt  parmi  les  laïcs 
que  parmi  les  clercs.  «  Il  fut  interdit  par  le  concile  de  Reims,  »  ajoute 
Philippe,  «de  traduire  en  français,  comme  on  l'avait  fait  jusque-là, sicui 
«  hactenus,  les  livres  de  la  sainte  Ecriture.  »  On  aurait  offensé  les  clercs 
en  paraissant  douter  qu'ils  fussent  tous  capables  d'entendre  le  latin. 

«  Cette  hérésie  de  Reims  semble  donc  avoir  eu  beaucoup  de  ressemblance 
avec  celle  que  Bertrand,  évêque  de  Metz,  dénonçait  comme  troublant 
son  diocèse  dans  les  dernières  années  du  siècle  précédent.  Les  hérétiques 
de  Metz  étaient  aussi,  pour  la  plupart,  des  laïcs  qui,  dédaignant  les  en- 
seignements de  l'Eglise  officielle,  allaient  prêter  l'oreille,  en  des  conven- 
ticules  illicites,  à  des  prédicateurs  sans  mandat.  Ils  avaient,  eux  aussi, 
quelques  livres  de  l'Ecriture  traduits  en  français,  les  Evangiles,  les  épî- 
tres  de  saint  Paul,  le  psautier  et  plusieurs  autres.  Or  quelle  réponse  fit 
à  cette  dénonciation  le  grand  pape  Innocent  III?  Il  ne  faut  pas,  écrit- 
il  à  l'évêque  de  Metz,  impatiemment  heurter  la  pieuse  simplicité  des  fidèles 
et  leur  donner,  par  excès  de  zèle,  l'occasion  de  se  révolter  contre  l'Eglise. 


UN    CONCILE    ET    UN    HÉRÉTIQUE    INCONNUS  1721 

Dissuadez-les  de  se  réunir  secrètement,  mais,  avant  de  les  condamner  pour 
ce  fait  informez-vous  de  ce  qu'ils  vont  entendre  prêcher  dans  leurs  assem- 
blées   et  dans  quelle  intention  ils  se  sont  fait  traduire  les  Livres  saints. 
Le  concile  de  Reims  a-t-il  instruit  l'afTaire  de  Guichard  avec  cette  chari 
table  circonspection?» 


APPENDICE   III 

LISTE  DES  ÉVÊCHÉS  REPRÉSENTÉS  AU  CONCILE 

DE    1215 


Sur  le  concile  de  Latran,  en  1215,  les  chroniqueurs  contemporains 
paraissent  peu  renseignés,  malgré  l'importance  de  cette  assemblée  et  les 
sujets  abordés  dans  ses  canons.  La  plupart  semblent  n'avoir  eu  à  leur  dis- 
position qu'une  source  unique  de  renseignements,  le  récit  contenu  dans  le 
protocole  officiel  du  concile.  Ce  document  émané  de  la  chancellerie  pon- 
tificale était  ainsi  formulé  :  «  L'an  de  l'Incarnation  1215,  le  saint  concile 
universel  a  été  célébré  à  Rome,  dans  l'église  du  Sauveur  appelée  Constan- 
tinienne,  au  mois  de  novembre,  sous  la  présidence  du  seigneur  pape  Inno- 
cent III,  l'an  dix-huitième  de  son  pontificat.  A  ce  concile  prirent  part 
quatre  cent  douze  évêques. Parmi  eux,  deux  des  principaux  patriarches,  celui 
de  Constantinople  et  celui  de  Jérusalem.  Le  patriarche  d'Antioche,  gra- 
vement malade,  n'a  pas  pu  venir,  mais  s'est  fait  représenter  par  l'évêque 
de  Tortose.  Le  patriarche  d'Alexandrie,  dont  le  siège  est  compris  dans  un 
État  sarrasin,  a  fait  ce  qu'il  a  pu  :  il  a  envoyé  à  sa  place  un  diacre,  son  frère. 
Le  chiffre  des  prélats  et  des  archevêques  présents  s'éleva  à  soixante  et 
onze;  celui  des  abbés  et  des  prieurs,  au  delà  de  huit  cents.  On  n'a  pu  cal- 
culer avec  certitude  le  nombre  des  personnes  chargées  de  représenter  les 
archevêques,  les  évêques,  les  abbés,  les  prieurs  et  les  chefs  de  chapitre 
absents.  Il  faut  y  ajouter  enfin  la  multitude  considérable  des  représen- 
tants des  pouvoirs  laïques  :  le  roi  de  Sicile  élu  empereur  des  Romains 
(Frédéric  II),  empereur  de  Constantinople,  roi  de  France,  roi  de  Hongrie, 
roi  de  Jérusalem,  roi  de  Chypre,  roi  d'Aragon,  autres  princes  et  barons, 
cités  et  autres  lieux.  » 

Ce  «  communiqué  officiel  »  est  bien  sommaire;  longtemps  il  a  fallu 
s'en  contenter,  aujourd'hui  nous  avons  mieux,  grâce  à  une  heureuse  dé- 
couverte de  A.  Luchaire  dont  je  transcris  ici  le  travail  ^  : 

«  On  sait  que  le  registre  d'Innocent  III,  qui  contenait  les  lettres  de  la 
dix-huitième  et  de  la  dix-neuvième  année  du  pontificat,  ne  nous  est  pas 


1.  A.  Luchaire,   Un  document  retrouvé,  dans  le  Journal    des  savants,  1905, 
p.  557-568.  Cf.  Holder-Egger,  dans  Neues  Archiv,  1906,  t.  xxxi,  p.  259;  Werner 
dans  Neues  Archiv,  1906,  t.  xxxi,  p.  584  sq. 


LES    KVÊCHÉS    REPRÉSENTÉS    AU    CONCILE     DE     1215        1723 

parvenu.  Nous  n'en  connaissons  que  quelques  lettres  et  les  rubriques 
découvertes  par  le  P.  Theiner  et  publiées  au  tome  i®""  de  ses  Vetera  monu- 
menta  Slaiforum  meridionalium  historiam  illustrantia  ^.  A  la  page  63  de 
cette  publication  se  trouvent,  d'après  le  fol.  72  du  registre  perdu,  les  in- 
dications suivantes  relatives  au  IV^  concile  de  Latran,  qui  s'ouvrit  le 
11  novembre  1215  : 

Incipit  quaternus  decinuis  et  undecimus  et  continent  capitula  infrascripta. 

Sermo  de  Trinitate  in  concilio  seu  sancta  universali  synodo  Rome  in  ecclesia 
S.  Sahatoris  celebrata,  in  quo  sermone  fuit  reprohatus  lihellus  sive  tractatus 
ahhatis  Joachim  contra  magistrum  P.  Lombardum. 

Sequuntur  niulte  ordinationes  per  diversa  capitula  /acte  et  ordinale  in 
dicta  concilio;  quod  concilium  fuit  factura  et  celebratum  ubi  supra,  anno 
ab  Incarnatione  Domini  miUesimo  ducentesimo  XV,  die...  mensis  novem- 
bris.  Et  sunt  in  summa  lxviii  capitula. 

Item  sunt,  ibi  nomina  cardinalium,  patriarcharum,  archicpiscoporuni 
et  episcoporum,  qui  interfuerunt  in  dicta  concilia. 

«  On  peut  conclure  de  là  que  le  rédacteur  du  registre  pontifical  avait 
inséré,  dans  son  recueil,  des  pièces  officielles  extraites  du  protocole  du 
concile  et  des  documents  annexes.  Le  copiste  qui  a  reproduit  les  rubriques 
du  registre  mentionne  :  1°  un  sermon  sur  la  Trinité  prononcé  à  Saint- 
Jean  de  Latran  et  où  le  pape  avirait  condamné  le  livre  de  l'abbé  Joachim 
de  Flore  contre  Pierre  Lombard  ;  2°  les  canons  du  concile;  3°  une  liste 
des  évêques  y  ayant  assisté.  Mais  il  y  a  dans  ce  résumé  peut-être  une  erreur 
et  sûrement  une  omission. 

Le  sermon  sur  la  Trinité  et  sur  le  livre  de  l'abbé  Joachim  ne  nous  est 
pas  parvenu.  Les  recueils  de  sermons  d'Innocent  III  ne  contiennent 
que  deux  sermons  prononcés  par  lui  au  concile  de  Latran  ^.  Le  premier 
en  date  et  le  plus  célèbre  est  celui  qui  commence  par  :  Desiderio  desideravi  ^; 
mais  il  n'y  est  nullement  question,  pas  plus  que  dans  l'autre,  de  la  Trinité 
ni  de  Joachim.  On  peut  se  demander  si  le  copiste  des  rubriques  n'aurait 
pas  confondu  avec  le  premier  décret  du  concile,  où  il  s'agit  en  efiet  de  la 
Trinité  et  de  l'abbé  de  Flore.  Mais  comme  le  chroniqueur  Richard  de  San 
Germano  affirme  que  le  pape  a  prononcé  sur  ce  sujet  Un  discours,  dont  la 
substance  fit  ensuite  la  matière  d'un  canon  de  l'assemblée,  notre  opinion 
n'est  que  conjecturale. 

«  Les  multe  ordinationes  (au  nombre  de  68  d'après  le  texte  de  Theiner^) 
sont  les  canons  du  concile,  dont  un  certain  nombre  de  manuscrits  nous 
ont  conservé  le  texte. 

1.  Theiner,  op.  cit.,  Romse,  1863. 

2.  P.  L.,  t.  ccxvii,  col.  673,  679. 

3.  Richard  de  San  Germano,  Chronicon,  édit.  Gaudenzi,  p.   90-93. 

4.  Presque  tous  les  mss.  donnent  71   canons;  Richard  de  San  Germano  en 
donne  70. 


1724  APPENDICE    III 

«  Quant  aux  nomina  cardinalium,  etc.,  il  s'agit  certainement  là  d'une 
énumcration  détaillée  des  évêchés  représentés  au  concile.  Mais  ce  que 
l'abréviateur  édité  par  Theiner  a  passé  sous  silence,  c'est  que  dans  le  pro- 
tocole du  concile  se  trouvait  aussi  une  pièce  beaucoup  plus  courte  don- 
nant l'indication  du  nombre  des  patriarches  et  archevêques,  des  évêques, 
des  abbés  et  prieurs  et  mentionnant  les  délégués  des  principaux  souverains. 
C'est  cette  liste  brève  qui  commence  par  les  mots  :  Anno  ab  Incarnatione 
Verbi  MCCXV  celebrata  est  sancta  synodus  unlversalis  Rome  in  ecclesia 
Salvatoris,  etc.,  et  se  termine  par  :  aliorumque  locorum  ingens  affuit  mul- 
titudo.  Elle  a  été  bien  des  fois  publiée,  puisque  les  chroniqueurs  de  tous  les 
pays  qui  ont  parlé  du  concile  de  Latran  se  sont  généralement  contentés 
de  la  donner  in  extenso,  en  fragment  ou  en  résumé.  Ed.  Winkelmann 
a  très  clairement  établi  ce  point  et  dressé  la  liste  (encore  incomplète)  des 
ouvrages  historiques  où  elle  figure  ^.  Dans  quelques  manuscrits,  cette 
liste  brève  accompagne  le  texte  des  canons  de  1215  ^  :  ailleurs  elle  se 
trouve  isolée  ^. 

«  Les  quelques  renseignements  qu'elle  donne  sont  précieux;  mais  ce 
qui  était  fort  regrettable,  c'était  la  perte  de  la  liste  détaillée.  Une  énumé- 
ration  faisant  connaître  tout  au  moins  les  évêchés  représentés  au  concile, 
sinon  les  noms  des  évêques,  devait  présenter  un  intérêt  liistorique  multi- 
ple, sur  lequel  il  est  inutile  d'insister.  Or  nous  avions  vainement  cherché 
ce  document  dans  les  recueils  conciliaires  (il  est  resté  inconnu  de  Labbe, 
de  Mansi  et  d'Hefele)  et  dans  d'autres  catégories  d'imprimés.  M.  Holder- 
Egger,  l'éminent  éditeur  de  tant  de  textes  historiques,  nous  écrivait  que 
cette  liste,  signalée  par  Winkelmann  d'après  les  rubriques  de  Theiner, 
était  considérée  comme  perdue;  que,  si  elle  avait  été  publiée  quelque  part, 
il  en  aurait  eu  certainement  connaissance,  et  qu'il  serait  fort  à  désirer 
qu'on  pût  la  retrouver.  Faute  de  ce  document,  en  effet,  les  savants  qui  ont 
composé  des  monographies  sur  les  grands  personnages  d'Eglise  contem- 
porains d'Innocent  III  et  du  IV^  concile  de  Latran  ont  regretté  l'impos- 
sibilité où  ils  se  trouvaient  d'affirmer,  par  une  preuve  c/ûecie,  la  présence 
de  tel  archevêque  ou  de  tel  évêque  *  à  cette  assemblée  solennelle  où  tant 
de  questions  vitales  pour  l'Europe  du  moyen  âge  ont  été  agitées,  sinon 
résolues. 


4.  E.  Winkelmann,  Philipp  von  Schwahen  und  Otto  IV  von  Braunschweig, 
1878,  t.  II,  p.  513,  Erlàuterung  XIV. 

2.  Par  exemple,  dans  le  ms.  lat.  12249  de  la  Bibl.  nat.,  fol.  108  v»;  et  le  C  148 
de  la  Bibl.  cant.  de  Zurich,  fol.  46. 

3.  Par  exemple,  dans  le  ms.  168  de  la  Bibl.  de  Carpentras,  elle  vient  à  la  suite 
des  canons  du  111°  concile  de  Latran  1179. 

4.  Par  exemple,  Bôhmer  et  Will,  Regesten  zur  Geschichte  der  Mainzer  Erzbi- 
schôf  6,^88(3,  p.  257,  sur  la  question  de  savoir  si  l'archevêque  Siegfried  II  a  assisté 
au  concile  de  Latran, 


LES    ÉVÊCHÉS    REPRIÎSENTÉS    AU    CONCILE    DE    1215  1725 

«  D'autre  part,  les  manuscrits  contenant  le  texte  des  canons  du  con- 
cile et  les  pièces  annexes,  du  moins  ceux  dont  nous  avons  pu  prendre  direc- 
tement connaissance,  ne  possèdent  pas  cette  liste.  Elle  ne  se  trouve  ni 
dans  le  n.  420  du  fonds  grec  de  la  Bibliothèque  nationale,  qui  a  fourni  à 
Labbe  et  à  Mansi  leur  texte  bilingue,  ni  dans  le  beau  manuscrit  de  Saint- 
Germain-des-Prés,  latin  12249  (du  xiii®  siècle)  où  les  canons  sont  accom- 
pagnés d'une  table  des  rubriques  (fol.  107),  de  la  liste  brève  (fol.  108),  de 
la  lettre  sur  le  secours  de  la  Terre  Sainte  :  Adliberandum  Terram  (fol.  125), 
du  sermon  d'Innocent  III  prononcé  en  concile  (fol.  127).  de  la  sentence 
rendue  dans  l'aiïaire  des  albigeois  (fol.  129).  Le  manuscrit  1232  de  la  Bi- 
bliothèque de  Rouen  n'offre  que  le  texte  des  canons.  Ceux  de  Rome,  fonds 
du  Vatican  2692  et  3.J.5.5,  signalés  par  Hardouin  ^,  ne  semblent  pas  con 
tenir  autre  chose. 

«  II  s'en  faut  certes  que  notre  exploration  des  manuscrits  ait  été  com- 
plète, et  nous  nous  garderons  d'une  affirmation  absolue.  Mais  si  l'on  s'ex- 
plique très  bien  que  la  liste  brève  ait  été  répandue  et  copiée  à  profusion, 
on  comprend  aussi  qu'il  n'en  ait  pas  été  de  même  de  la  liste  détaillée  des 
évêchés,  vu  la  longueur  relative  du  document  et  surtout  la  difficulté  de 
transcrire  des  noms  de  diocèses  appartenant  à  tous  les  pays  de  l'Europe 
et  dont  beaucoup  étaient  mal  connus  et  difficilement  lisibles. 

«  Pendant  ime  très  courte  villégiature  à  Zurich,  le  hasard  nous  a  fait 
mettre  la  main  sur  un  manuscrit  qui  contient  cette  liste  qu'on  croyait 
perdue.  11  appartient  à  la  Bibliothèque  cantonale,  où  il  est  conservé  sous 
la  cote  C  14S.  Ce  manuscrit  in-4o,  d'une  fine  écriture  qui  semble  appartenir 
à  la  première  moitié  du  xiii^  siècle,  renferme  les  ouvrages  suivants  :  fol.  1 
à  22,  une  Summa  mairimoiiii ;  fol.  22  à  24,  un  Poème  sur  Vénus;  fol. 
25  à  48,  les  Décréta  concilia  Lateranensis  a.  1215  celehrati  et  pièces  annexes. 
Ces  pièces  sont  les  suivantes  :  fol.  43,  lettre  d'Innocent  III  sur  la  Terre 
Sainte  :  Ad  liherandam  Terram;  fol.  46 r^,  la  liste  brève;  fol.  46  à  48,  la 
liste  détaillée;  fol.  48  v^,  la  lettre  bien  connue  d'Innocent  III  au  Soudan 
d'Egypte  (Mâlik  al-Muazzam),  du  26  avril  1213  ",  mais  plus  complète  que 
dans  le  texte  des  registres  d'Innocent  vulgarisé  par  Migne  ^. 

«  La  liste  détaillée  dont  nous  donnons  ci-dessous  la  transcription,  avec 
la  traduction  des  noms  latins  d'évêchés  en  noms  géographiques  mo- 
dernes, est  disposée  sur  trois  colonnes  dans  chaque  folio.  Elle  est  métho- 
dique, en  ce  sens  que  les  évêchés  y  figurent  dans  un  certain  ordre  topo- 
graphique, sauf  pour  les  églises  immédiatement  dépendantes  du  siège 
de  saint  Pierre,  considéré  comme  métropole,  et  que  les  noms  d'archevêchés 
y  sont  suivis  régulièrement  des  noms  des  évêchés  suffragants  ^.  Plusieurs 

1.  Coleti,  ConctZia^  t.  XIII,  col.  926,  note  1. 

2.  Rôhricht,  Regesta  regni  Hierosolymitani,  n.  864. 

3.  P.  L.,  l.  ccxvi,  col.  831-832. 

4.  Sauf  quelques  exceptions  peu  nombreuses  que  nous  signalons  en  note. 


1726  APPENDICE    m 

de  ces  noms  d'évêchés  ont  été  altérés  par  le  copiste  au  point  d'être 
méconnaissables  :  nous  avons  rectifié  les  erreurs  par  trop  évidentes,  mais 
laissé  pour  les  noms  qu'on  peut  reconnaître  (et  c'est  l'immense  majorité) 
rorlliograj)he  du  texte. 

«  Les  listes  brèves  donnent,  en  général,  un  cliifïre  de  412  évêques  '  et 
de  71  patriarches,  primats  et  archevêques.  Ce  dernier  chiffre  correspond 
exactement  à  celui  de  notre  liste  détaillée;  mais  il  est  possible  que  le  co- 
piste du  ms.  C  148  ait  omis  quelques  noms,  car  si  l'on  ne  tient  pas  compte 
de  deux  répétitions  qu'il  semble  avoir  commises  ^,  le  total  des  évêchés 
qu'il  indique  est  de  401. 

Fol.  46  v°  :  Nomina  cardinaliurn,  patriarcharum,  arcJiiepiscoponim,  epi- 
scoporum  ^  qui  interfuerunt  universali  concilia  Innocenta  pape 

I.  Innocentlus  catollce  Ecclesle  eplscopus.  Tusculanus,  Palestrlnus,  Ho- 
stlensls,  Portuensls,  Albanensls,  episcopl.  Cintlus  Item  Sanctl  Laurentil 
in  Luclna,  Cintlus  Item  Sanctorum  Johannls  et  Paull,  Léo  Item  San- 
cte  Crucis  et  (leg.  in)  Jherusalem,  Petrus  Item  Sancte  Pudentlanc ,  Guala 
item  Sanctl  Martini,  Johannes  item  Sancte  Praxedes,  presblterl.  Stephanus 
haslllce  XII  Apostolorum,  Robertus  Sanctl  Stephanl  In  Cello  Monte,  Guida 
Sanctl  Nlcolal  In  carcere  TulUano,  Octananus  Sanctorum  Sergll  et  Bachl, 
Gregorlus  Sanctl  Theodorl,  Johannes  Sanctorum  Cosme  et  Damlanl,  Petrus 
Sancte  Marie  In  Aqulro,  Berterannus  Sanctl  Gregorli  (pour  Georglï)  In 
Vélum. 

II.  A.  u.  R.  Tlburtlnus,  Anagnlnus,  Slgnlnus,  Ferentlnus,  Verulanus, 
Teracensls,  Fundanus,  Sutrlnus  Nepeslnus,  Cwltatlscastellanus,  Orla- 
nus,  Narnlensls,  Amellensls,  Balneoregensls,  Urbei^elanus,  Tudertlnus, 
Peruslnus,  Cluslnus,  Castellanus,  Aretlnus,  Fesulanus,  Florentlnus,  Ca- 
strensis,  Susanus,  Vulterranus,  Plstorlensls,  Lucensls,  Lunensls,  Ferra- 
riensis,  Placentlnus  electus,  Paplensls,  Anlclensls,  Ovetensls,  Burgensls, 
Legionensls,  Marslcanus,  Val^ensls,  Pennensis,  Theatlnus,  Trolanus, 
Melfiensls,  Rapollanus,  Raçellensls,  Blssianus,  De  Lwlonla,  De  Hestla. 

m.  Patrlarcha  Constantlnopolltanus.  Archleplscopus  Aradlensls,  idem 
archleplscopus  Thessalonlcensls.  Archleplscopus  Patracensls,  Motho- 
nensls,  Coroncnsls  [fol.  47  r°],  Amlclensls.  Archleplscopus  N eopatrensls . 
Archleplscopus  Corlnthlensis.  Argollcensls  eplscopus.  Archleplscopus  The- 
banus.  Castorlensls  eplscopus.  Archleplscopus  Methellnus.  Archleplscopus 
Athenlensls.   Abelonensls,   l\lgrlpontensls,De  provlnlca  Larlssensl,  Cardl- 


1.  Celle  du  C 148  de  Zurich  porte  CCCCXV ;  l'Annaliste  de  Ceccano,  dans 
Monum.  Gcrm.  hist.,  Script,  t.  xix,  p.  300,  donne  412,  mais  Richard  de  San 
Germano,  témoin  oculaire,  dit  «  environ  400  »,  ce  qui  concorde  avec  notre  ma- 
iiuscrit.  Sur  le  chiffre  de  71  nous  n'avons  pas  constaté  de  divergence?. 

2.  Relativement  aux  cvêchés  de  Liège  et  de  Nicastro,  voir  plus  loin. 

3.  Le  mot  abbatunt  a  été  effacé. 


LES  ÉVÊCHÉS  REPRÉSENTÉS  AU  CONCILE  DE  1215    1727 

censis  episcopus,  Anteradensis  episcupus,  vlcarlus  patriarche  Antiocensis. 
Patriarcha  seu  primas  Marronitarum.  Patriarcha  Jerosolijmitanus.  Archi- 
episcopus  Tirensis.  Sehasteiisis    episcopus.  Bethelemitanus  episcopus. 

l\ .  ArcJiiepiscopus  Salzhurgensis,  Gurcensis,  Brixensis,  Pactai^iensis 
electus.  Archiepiscopus  Maguntinus,  Curiensis,  Conslantiensis,  Pragensis, 
Herbipoleusis,  Ulmoncesis,  Bahenhergensis,  Leodicnsis,  Mindensis,  Lu- 
bicensis,  Iluerineiisis.  Archiepiscopus  Treverensis,  Virdunensis.  Episco- 
pus quondam  Tulloisis.  Archiepiscopus  Magdehurgensis,  Havelburgensis, 
Brandenburgensis.  De  Datia  episcopus. 

V.  Archiepiscopus  Lugdunensis,  Lingonensis,  Matisconensis.  Archiepi- 
scopus Senonensis,  Carnotensis,  Aurelianensis,Autissiodorensis,  Trecensis. 
Archiepiscopus  Remensis,  Behacensis,  Cameracensis,  Atrebatensis,  Tor- 
nacensis,  Morinensis,  Ambianensis,  Laudunensis.  Archiepiscopus  Roto- 
magensis,  Baiocensis,  Lexoviensis,  Ebroycensis,  Sagiensis.  Archipiscopus 
Turonensis,  Nannetensis,  Briocensis,  Trecorensis,  Leonensis.  Archiepi- 
scopus Bituricensis,  Claromontensis,  Lemovicensis ,  Caturcensis,  Rutenen- 
sis,  Albiensis.  Archiepiscopus  Burdegalensis,  Pictat'iensis,  Petragoricensis, 
Agennensis.  Archiepiscopus  Auxitanus,  Baionensis,  Aquensis,  Basatensis, 
Lascurtensis,  Ellorensis,  Coseranus. 

VI.  Archiepiscopus  Cantuariensis,  Ro/fensis,  Elicensis  electus,  Lincol- 
niensis,  Conventrensis,  Exoniensis,  Cicestrensis,  Norwincensis  electus, 
Landavensis,  Menevensis.  Archiepiscopus  Eboracensis.  Episcopus  Sancti 
Andrée,    Glasguensis,  Moraviensis,  Catinensis, 

VII.  Archiepiscopus  Armachanensis,  Midensis,  Ratbotanus,  Cluvonensis 
(fol.  47  yo),  Dunensis.  Archiepiscopus  Dublinensis,  Dariensis,  Fernensis. 
Archiepiscopus  Cassellensis,  Rossensis,  Limeriacensis,  Waltefordensis, 
Imliacensis.  Archiepiscopus  Tuemensis,  Enachadensis,  Achiadensis,  Ala- 
densis. 

VIII.  Archiepiscopus  Toletanus,  Concennensis,  Segobiensis,  Oxomensis, 
Secobriensis.  Archiepiscopus  Coinpostellanus,  Salamantibus,  E gitaniensis , 
Ulixbonensis,  Cii^itatensis,  Abulensis.  Archiepiscopus  Tarraconcnsis, 
Gerundensis,  Barchinoniensis,  Vicensis,  Urgellensis,  Calaguritanus.  Ar- 
chiepiscopus Bracariciensis,  Astoricensis,  Mindoniensis,  Auriensis,  Colin- 
briensis,  Portugalensis. 

VIII.  Archiepiscopus  Narbonensis,  Bitterrensis,  Agalhensis,  Lodovensis, 
Magalonensis,  Nemausetisis,  Carcassensis,  Tolosanus,  Elnensis,  Archiepi' 
scopus  Ebreduncnsis,  Nicietisis,  Antipolituiiùs,  Vinciensis.  Archiepiscopus 
Aquensis,  Forojuliensis,  Vapicensis,  Cestericcnsis.  Archiepiscopus  Arela- 
tensis,  Masseliensis,  Tricastinensis,  Aurasicensis,  Avinionensis ,  Carpen 
tatensis.  Bisuntinus  archiepiscopus,  Basiliensis  electus,  Lausannensis, 
Bellicensis.  Archiepiscopus  Tarantasiensis,  Augustcnsis,  Sedunensis,  Va- 
lentinus,   Maurianensis,  Diensis,   Vivariensis. 

X.  Guesnensis  archiepiscovus,  Cracoi>iensis,  Yratislaviensis,  Ceyaviensis^ 
Lupusensis, 


1728  APPENDICE    III 

XI.  Archiepiscopus  Strigoniensis,  Agriensis,  Geuriensls,  Wespcrmien- 
sis,  Waticetisis.  Archiepiscopus  Colossensis,  Waradiensis,  Ceitadiensis. 
Archiepiscopus  Spalatensis.    Pharanus,    Nonensis. 

W\.  Archiepiscopus  Turritanus,  Sormnus,  Castrensis,Ottanensis,  Empu- 
riensis,  Gisarclensis.  Suellensis  episcopus.  Archiepiscopus  Arborensis, 
Terralbensis,  Sancte  Juste. 

XIII.  Patriarcha  Aquilegensis,  Tridentinus,  Mantuanus,  Veronensis, 
Tervisinus,  Paduanus,  Tergestinus  electus,  Cenetensis,  (fol.  48  r°)  Peten- 
nensis,  Polensis.  Patriarcha  Gradensis,  Castellanus,  Caprulanus,  Clugiensis, 
Mediolanus  electus,  Vigintimiliensis,  Terdonensis,  Estensis,  Taurinensis, 
Iporiensis,  Pergamensis,  Brixiensis,  Vercellensis,  Novariensis,  Aquensis. 
Archiepiscopus  Januensis,  Bobiensis,  Maranensis,  Albiganensis  electus. 
Archiepiscopus  Ravennatensis,  Parmensis,  Regensis,  Bononiensis,  Inco 
lensis,  Liç>iensis,  Popliensis,  Cesenatensis.  'Archiepiscopus  Pisanus,  Mas 
sanus,  Aleriensis.  Archiepiscopus  Beneventanus,  Lucerimus,  Dra- 
gonariensis,  Florentinus,  Tortibulensis,  Montiscorbini,  Montisnarini, 
Frequentinus,  Sanctagathanus,  Ciçitatensis,  Termulanus,  Larinensis, 
Guardiensis,  Alifanus,  Telesinus,  Vicanus,  Arianus.  Archiepiscopus 
S  alernitatus ,  Capudaquensis,  Sarnensis,  Policastrensis,  Nuscanus, 
Neopolitanus  electus,  Aversanus,  Nolanus,  Putcolanus,  Teanensis,  Sues- 
sanus,  Cahensis,  Calinensis,  Caiacensis,  Aquinensis,  Venefranus,  Iser- 
niensis,  Botentinus,  Melfitensis,  Cupersanensis,  Pollinianensis,  Rubensis, 
Vitecensis,  Cannensis,  Minen>iensis,  Catarensis,  Juçeniacensis.  Syponti- 
nus  electus.  Archiepiscopus  Tranensis.  Archiepiscopus  Acherontinus,  Ve- 
nusinus,  Tricaricensis,  Anglonensis,  Gravincnsis.  Archiepiscopus  Taren- 
tinus,  Mutillensis,  Austunensis.  Archiepiscopus  Idrontinus,  Castrensis, 
Leucadensis,  Calipolitanus,  Liciensis,  Molopolitanus.  Archiepiscopus  Sur- 
rentinus,  Stabiensis.  Archiepiscopus  Almafîtanus ,  Minorensis,  Litter- 
nensis.  Archiepiscopus  Consanus,  Bisaciensis,  Laquedemonensis,  Satria- 
nus,  Miranensis.  Archiepiscopus  Cusentinus.  Archiepiscopus  Reginensis, 
Squillacensis,  Neo castrensis,  Catacensis,  Geratensis  (fol.  47  v°),  Cassanensis. 
Archiepiscopus  Sancte  Séverine,  Electus  Insuie. 

XIV,  Archiepiscopus  Messanensis,  Cathaniensis,  Gerentinus,  [f/m]  bria- 
citensis.  Panormitanus  archiepiscopus,  Cephaludensis,  Syracusanus,  Ceno- 
castrensis,  Strogonensis,  Mazariensis,  Pactensis,  Nycosiensis  archiepisco- 
pus, Nicastrensis,  Sancti  Leonis,  Agrigentinus.  Archiepiscopus  Montis 
Regalis,  Famagustanus. 

I.  Le  pape  et  les  cardinaux. 

Innocent  III.  Évêque  de  Tusculum  (Frascati),  Palestrina,  Ostie,  Porto, 
Albano.  Cenzio,  de  Saint-Laurent  in  Lucina;  Cenzio,  des  Saints- Jean-et- 
Paul;  Léon,  de  Sainte-Croix  de  Jérusalem;  Pierre,  de  Sainte-Pudentienne; 
Guala,  de  Saint-Martin ;  Jean,  de  Sainte-Praxède,  prêtres.  Etienne,  de  If 


LES     ÉVÈCHÉS     HKl'llliSIiN  TÉS     AU     CONCILE     DE     1215         1729 

basili(|iie  des  Douzc-Apùlios;  Uoborl,  de  Saiut-Êliemie  au  luuiil  Celio  '; 
Gui,  de  Saint-Nicolas  in  carcere  Tulliano;  OcLavien,  des  Sainls-Serge-et- 
Bacchus;  Grégoire,  de  Saint-Théodore;  Jean,  des  Saints-Cosme-et-Damien, 
Pierre,  de  Sainte-Marie  in  Aquiro;  Bertrand,  de  Saint-Georges  in  Velabro. 

II.  Évêques  Immédiatement  soumis  au  pape. 

Évèques  de  Tivoli,  Anagni,  Segni,  Ferentio,  Veroli,  Terracine,  Fondi, 
Sutri,  INepi,  Cività  Castellana,  Orte,  Narni,  Amelia,  Bagnorea,  Orvieto, 
Todi,  Pérouse,  Chiusi,  Caslello,  Arezzo,  Fiesole,  Florence,  Castro  ^,  Soana, 
Volterra,  Pistoia,  Liicques,  Luni,  Ferrare.  Élu  de  Plaisance.  Evêques  de 
Pavie,  duPuy  (en  Velay),  d'Oviedo,  Marsi,  Valve-Suhnona,  Penne,  Chieti, 
Troja,  Melli,  Rapolla,  Ravello,  Bisignano,  Livonie  ^,  Esthonie  '*. 

III.  Orient. 

Patriarche  de  Constantinople.  Archevêque  de  Makri  ^.  Archevêque  de 
Thessalonique.  Archevêque  de  Patras.  Evêques  de  Modon,  Coron,  Aniy- 
clcE.  Archevêque  de  N  opatras  (Palradjik).  Archevêque  de  Corinthe. 
Évêque  d'Argos.  Archevêque  de  Thèbes.  Évêque  de  Castoria.  Archevêque 
de  Metelin.  Archevêque  d'Athènes.  Evêques  d'Abelona,  N'grepont,  de 
la  province  de  Larissa.  Évêque  de  Gardiki.  Evêque  d'Antaradus  (Tor- 
tosa),  délégué  du  patriarche  d'Antioche.  Patriarche  ou  primat  des  maro- 
nites. Patriarche  de  Jérusalem.  Archevêque  de  Tyr.  Evêques  de  Sébaste 
(en    Palestine),   Bethléem. 

IV.    Allemagne. 

^  Archevêque  de  Salzbourg.  Evêques  de  Gurk,  Brixen,  Passau.  Archevêque 
de  Mayence,  Evêques  de  Coire,  Constance,  Prague,  Wurzbourg,  Olmutz  ^, 
Bamberg,  Liège,  Minden  ■*,  Lubeek,  Schwerin  s.  Archevêque  de  Trêves. 
Évêque  de  Verdun.  Ex-évêque  de  Toul  ^.  Archevêque  de  Magdebourg. 
Évêque  de  Havelberg,  Brandebourg.  Évêque  de  Danemark. 

1.  On  remarquera  qu'Élieiuic  ol  Robert,  cardinaux-prêtres,  sont  inscrits 
parmi   les   diacres. 

2.  Siège  transféré  dans  les  temps  iriodciracs  à  Aoquapcndentc. 
o.  L'archevêché  de  Livonie,  plus  tard  Riga. 

4.  Plus  tard  évêché  de  Dorpat. 

5.  Le  copiste  du  manuscrit  a  lu^  par  une  erreur  très  facile  à  expliquer,  Ara- 
dieiisis  au  lieu  de  Macrensis.  L'archevêché  de  Makri,  en  Thrace,  était  eu  effet 
suffragant  de  Constantinople. 

G.   L'évêché  d'Olmut/.,  autrefois  sulïragant  de  Mayence. 

7.  La  province  de  Cologne  n'est  représentée  que  par  les  deux  évêchés  de  Liéga 
et  de  Minden. 

8.  Lubeek  et  Schwerin  représentent  la  province  de  Brème. 

9.  S'agirait-il  de  l'évêquo  déposé,  le  trop  célèbre  Matthieu  de  Lorraine? 

CONCILEï>  —  V  —10'.) 


1730  APPENDICE    111 

V.   France  proprement  dite. 

Archevêque  de  Lyon.  l'^\è(jues  de  Langres,  Màcon.  Archevêque  de 
Sens.  Evêques  de  Chartres,  Orléans,  Auxerre,  Troyes.  Archevêque  de 
Reims.  Evêques  de  Beauvais,  ('ambrai.  Arias,  Tournai,  Thérouanne, 
Amiens,  Laon.  Archevêque  de  Rouen,  Evêques  de  Bayeux,  Lisieux, 
Evreux,  Séez.  Archevêque  de  Tours.  Evêques  de  Nantes,  Saint-Brieuc, 
Tréguier,  Saint-Pol-de-Léon.  Archevêque  de  Bourges.  Evêques  de  Cler- 
mont,  Limoges,  Cahors,  Rodez,  Albi.  Archevêque  de  Bordeaux.  Evêques 
de  Poitiers,  Périgueux,  Agen.  Archevêque  d'Auch.  Evêques  de  Rayonne. 
Dax,  Bazas,  Oloron,  Conserans  ^. 

VL  Angleterre  et  Ecosse. 

Archevêque  de  Cantorbéry.  Evêques  de  Rochester,  Lincoln,  Coventry, 
Exeter,  Chichesler,  Llaudaiï,  Saint  Davids,  Élus  d'Ely  et  de  Norwich. 
Archevêque  d'York.  Evêques  de  Saint]  Andrew,  Glascow  ^,  Moray, 
Caitness. 

Vn.    Irlande. 

Archevêque  d'Armagh.  Evêques  de  Meath,  Rathboten,  Clonmacnois, 
Doron.  Archevêque  de  Dublin.  Evêques  de  Kildare,  Ferns.  Archevêque  de 
Cashel.  Evêques  de  Ross,  Limerick,  Waterford,  Emly.  Archevêque  de 
Tuam.  Evêques  de  Aunaghdown,  Achoury,   Killaloe. 

Yin.  Espagne  et  Portugal. 

Archevêque  de  Tolède.  Evêques  de  Cuença,  Segovie,  Osma,  Segorve  ^. 
Archevêque  de  Santiago  (C.ompostelle).  Evêques  de  Salamanque,  Idauna, 
Lisbonne,  Ciudad-Rodrigo,  Avila.  Archevê(jue  de  Tarragone.  Evêques 
de  Gérone,  Barcelone,  Vico,  Urgel,  Calahorra  *.  Archevêque  de  Braga. 
Evêques  d'Aslorga,  Mondoncdo  ^,  Orense,  Coïmbre,  Porto 

IX.  Province  et  royaume  d^ Arles  [France  du  Midi). 

Archevêque  de  Narbonne.  Evêques  de  Béziers,  Agde,  Lodève,  Mague- 
lonc,  Nmies,  Carcassonne,  Toulouse,  Elne.  Archevêque  d'Embrun.  Evêques 

1.  Ou    Sainl-Lizier. 

2.  Saint  Andrew  et  Glascow  sont  cités  dans  Eubel  comme  immédiatement 
soumis  à  l'Église  romaine.  Faut-il  en  conclure  qu'ils  ne  l'étaient  pas  encore  en 
1215? 

3.  Indiqué  dans  Eubel   comme  suffragant  de  Saragosse, 

4.  Indiqué  par  Eubel  comme  sufTragant  de  Saragosse. 

5.  Ce  n'est  qu'en  1346  que  cet  évêché  est  devenu  suffragant  de  Compostelle. 


LES      ÉvÉChÉS     r.EI'KÉSKNTKS     AU      CONÇUE     DE     1215        1731 

de  Nice,  Antibes  ^,  Vence.  Archevêque  d'Aix.  Evêques  de  Fréjus,  Gap, 
Sisteron.  Archevêque  d'Arles.  Evêques  de  Marseille,  Saint-Paul-Trois- 
Chàteaux,  Orange,  Avignon,  Carpentras.  Archevêque  de  Besançon.  Élu 
de  Bàle.  Evêques  de  Lausanne,  Belley  ^.  Archevêque  de  Taranlaise  (Mou- 
tiers).  Evêques  d'Aoste,  Sion,  Valence,  Maurienne,  Die,  Viviers  ^. 

X.  Pologne. 

Archevê((ue  de  Gnesen.  Evêques  de  Cracovie,  Brcslau,  Cujavie  (Wlo- 
claweck-Leslau),  Lebus  4. 

XI.  Hongrie  et  Dalmatie. 

Archevêque  de  Gran.  Evêque.i  de  Eger  (Erlau),  Guôr  (Raab),  Wesprim, 
Wacz.  Archevêque  de  Kalocza.  Evêque  de  Nagy-Varad  (Grosswardein), 
Csanad.  Archevêque  de  Spalato.  Evêques  de  Hvar  (Lésina),  Noua  (Nin). 

X  n .    Sardaigne. 

Archevêque  de  Terres.  Evêques  de  Sorra,  Castro,  Ottana,  Ampurias, 
Bisarchio,  Suelli  ^.  Archevêque  d'Arborea.  Evêques  de  Terralba,  de  Sancta 
Giusta. 

XI II.  Italie  et  Corse. 

Patriarche  d'Aquilée.  Evêques  de  Trente,  Mantoue,  Vérone,  Trévise, 
Padoue,  élu  de  Trieste,  Pedena,  Pola,  Ceneda,  patriarche  de  Grado, 
Castello,  Caorle,  Chioggia.  Elu  de  Milan.  Evêques  de  Vintiniille,  Tortona, 
Asii,  Turin,  Ivrée,  Bergame,  Brescia,  Verceil,  Novare,  Acqui.  Archevêque 
de  Gênes.  Evêques  de  Bobbio,  Mariana  (en  Corse).  Elu  d'Albenga.  Arche- 
vêque de  Ravenne.  Evêques  de  Parme,  Reggio,  Bologne,  Imola,  Forlii, 
Forliinpopoli,  Cesena  ^.  Archevêque  de  Pise.  Evêques  de  Massa  (Mari- 
tima),Ah;ria  (en  Corse).  Archevêque  de  Bénévent.  Evêques  de  Lucera, 
Dragonara,  Fiorentino,  Tortiboli,  Montecorviao,  Montemarano,  Fri- 
gento,  Sant'  Agata  de' Goti,  CiUà,  Terrnoli,  Lariuo,  Guardialliera,  Alife, 
Telese,  Trevico,  Ario.  Archevêque  de  Salerne.  Evêques  de  Cappaccio, 
Acerno,  Policastro,  Nusco.  Elu  de  Naples.  Evêques  de  Pouzzolcs,  Trano, 


1.  liubel  no  ruotilioniuio  p.is  révêché  d'Antibes. 

2.  Le  copiste  aura  mal  hj  (.b'<((;().  Il  ne  peut  s'agir  ici  que  de  l'évêché  de  Belley. 
le  troisième  sufîragaut  de  Besançon. 

8.  Valence,  Die,  Viviers  représentent  l'archevêché  de  Vienne, 

4.  Lcbus  fut  ensuite  sufïragant  de  Magdebourg, 

5.  Suelli  représente  l'archevêché  de  Cagliari  dont  il  était  sulîragaut. 

6.  Cité  par  Eubel  comme  immédiat. 


1732 


APPENDICE     m 


Siiessa,  Caivi,  Carinola,  Gacla  ^,  Aquino,  Venafro,  Iscrnia  -,  Jiilonlo, 
Molfcl  la.  ('(HiversaDo,  l'olignano,  Ixiivo,  Bilonto,  Caiiosa,  Minerviiio,  Cat- 
taio  (Kotor)  en  Dalnialie,  Giovinazzos.  Elu  de  Sipoiito  (Manfredonia). 
Archevêque  de  Trani.  Archevêque  d'Acerenza.  Evêques  de  Venosa,  Tri- 
carico,  Anglona,  Gravina.  Archevêque  de  Tarente.  Évêque  de  Motala. 
J:ll\'êque  d'Ostuni  *.  Archevêque  d'Olrante.  Evêques  de  Castro,  Alessano, 
GalUpoli,  Lecce,  MonopoH.  Archevêque  de  SorrctiLe.  Evêque  de  Slabies. 
Archevêque  d'Anialii.  Evêques  de  Minori,  Lettere.  Archevêque  de  Conza. 
Evêques  de  Bisaccia,  Lacedogna,  Satriano,  Mura.  Archevêque  de  Co- 
senza.  Archevêque  de  Reggio.  Evêques  de  Squillace,  Nicastro,  Catanzaro, 
Gerace,  Cassano.  Archevêque  de  Santa  Severina.  Élu  d' Isola. 

XIV.  Sicile  et  Chypre  ^. 

Archevêque  de  Messine.  Evêque  de  Catana  ^,  Cerenza  ',  Umbriatico. 
Archevêque  de  Palernic.  Evêques  de  Cefalù  ^,  Syracuse  ■',  Belcastro, 
Strongoli  ^*',  Mazzara,  Patti  ^i.  Archevêque  de  Nicosie  ^^.  Evêques  de  San 
Leone  ^-^j  Agrigenle^'*.  Archevêque  de  Montréal.  Evêque  de  Faniagousle  ^^. 

* 
*   * 

«  Nous  faisons  suivre  cette  liste  de  la  lettre  de  1213  adressée  par  Inno- 
cent III  au  Soudan  d'Egypte  et  déjà  indiquée  plus  haut.  Cette  lettre, 
à  laquelle  il  manque  quelques  mots  de  la  fin  dans  le  manuscrit  C  148,  s'y 
présente  comme  il  suit  : 

1.  Gaëte  et  Aquino  sont,  mentionnés  par  Euhel  comme  immédiats. 

2.  Ces  derniers  évêchés  représentent  la  province  de  Capoue. 
o.   Ces  dix  derniers  évêchés  représentent  la  province  de  IJari. 

4.  Ostuni  représente  la  province  de  Brindisi. 

5.  La  fin  de  la  liste  présente  un  désordre  évident.  Les  évêchés  siciliens  y  sont 
entremêlés  avec  les  évêchés  chypriotes  et  calabrais.  Le  copiste  aura  mal  placé 
les  derniers  noms  do  la  liste  officielle. 

6.  Catane  est  mentionné  par  Eubel  comme  immédiat. 

7.  Cerenza  ot  Umbriatico  apparaissent  dans  Eubel  comme  sulïragunts  de 
Santa-Severina. 

8.  Sulïragant  de  Messine,  d'après  Eubel. 

9.  Sulïragant  de  Montréal,  d'après  Eubel. 

10.  Belcastro  et  Strongoli  dépendaient  de  Santa  Severina,  d'après  Eubel. 

11.  Suft'ragant  de  Messine^  d'après  Eubel. 

12.  Le  texte  latin  reproduit  ici  le  nom  Nicastrensis.  S'il  ne  s'agit  pas  d'une 
répétition  portant  sur  l'évêché  de  Nicastro,  il  faut  pe»it-être  supposer  qu'il  est 
question  de  l'évêché  de  Nicotora,  Nicolerensis,  en  Calabre,  près  de  la  Sicile 

13.  Sulïragant  de  Saiita  Severina,  d'après  Eubel. 

14.  Sulïragant  de  Palermo,  d'après  Eubel. 

15.  Sufïragant  de  Nicosie. 


LES     ÉVKCHÉS     REPRESENTES     AU     CONCILE     DE     1215  1733 

Nohili  idro  Saphadino,  soldano  Damascal  et  Babilonie,  timnrem  divini 
nominis  et  amorem.  Audisse  te  credimiis  qiiod  multi  reges  et  principes  chri- 
stiani  cum  innumeris  populis  dei^otionis  et  fidei  zelo  succensi  ad  recupera- 
tionem  Jerosolimilane  proi>incie  se  patenter  accingunt,  out  pincere  aut 
mori  parati,  non  tantum  de  sua  presumentes  potentia  quantum  de  divina 
virtute  sperantes.  Hoc  autein  lihi  non  scribimus  ad  terrorem,  sed  potius 
ad  cautelam,  ut  sano  utens  consilio  sponte  restituas  alienum;  quod  utique  tihi 
et  genti  tue  nec  injuriosum  nec  dampnosum  existet,  cum.  humiliter  hoc  pe- 
tamus  et  suppliciter  impîoremus,  maxime  ne  propter  çiolentam  delenlionem 
prejate  proi>incie  plus  adhuc  humani  sanguinis  efjundatur.  De  cujus 
quidem.  detentione  prêter  quandam  inanem  gloriam  forte  plus  difpcultatis 
quam  utilitatis  accrescit.  Daniele  ^  namque  propheta  testante  didicimus  quod 
est  Deus  in  celo  qui  révélât  misteria,  mutât  tempora  et  transfert  régna,  ut 
universi  cognoscant  quod  dominatur  excelsus  in  régna  hominum  et  cui  valuerit 
dabit  illud.  Hoc  autem  evidenter  ostendit  quoniam  Hierusalem  et  fines  ipsius 
in  manus  fratris  tui  tradi  permislt,  non  tam  propter  ejus  virtutem  quam 
propter  offensa  populi  christiani  ipsum  ad  iracundiam  provacantis.  Nunc 
autem  ad  Dominum  coni>ersi  speramus  quod  ipse  miserebitur  nostri  qui 
secundum  prophetam  cum  irascitur,  non  obliviscitur  misereri.  Unde  illum 
imitari  i>olentes  qui  de  se  dicit  in  Evangelio  :  Discite  a  me  quia  mitis  sum 
et  humilis  corde,  magnitudinem  tuam  humiliter  obsecramur  quatinus  re- 
stituas eam  nobis,  ipsaque  reddita  et  dimissis  utriusque  captivis  quiescamus 
a  mutuis  impugnationum  offensis,  ita  quod  apud  te  non  sit  deterior  conditio 
gentis  nostre  quam  apud  nos  conditio  gentis  tue.  Latores  erga  presentium 
mugistium  P.  scriptorem  et  Rogeriuni  militie  Templi.  Ici  s'arrêle  le  texte 
dans  le  nis  C  14S;  clans  Richard  de  San  Germano  on  trouve  en  plus:  ad 
tuam  presentiam  destinatos  rogamus  bénigne  suscipias  et  honeste  pertractes 
dignum  eis  responsum  tribuens  cum  efjectu.  Datum  Laterani,  vi  [kL  maii, 
pantificatus  nostri  anno  XVI. 

«  Il  est  probable  que  lo  copiste  du  manuscrit  de  Zurich  a  transcrit 
exactement  sur  une  expédition  ou  copie  de  l'original  cette  lettre  curieuse 
que  le  rédacteur  du  registre  d'Innocent  a  ensuite  écourtée  (et  modifiée 
même  intérieurement)  de  façon  à  lui  enlever  une  partie  de  son  intérêt 
historique.  Cet  exemple  nous  donne  une  idée  plutôt  fâcheuse  des  libertés 
que  les  clercs  de  la  chancellerie,  à  qui  on  doit  ce  recueil  de  la  correspondance 
papale,  prenaient  avec  certaines  lettres.  Ici,  ils  ont  supprimé  tout  le  début, 
et  à  la  fin  les  noms  des  délégués  de  Rome  chargés  île  porter  Va  lettre 
au  Soudan.  On  remarquera  (|uc  le  chroniqueur  Richard  de  San  Germano, 
qui  cite  la  lettre  d'Innocent  111,  a  reproduit  le  texte  du  registre  et  non 
celui  de  l'original   '.    » 

1 .  Or  ce  mot  commence  la  lettre  au  Soudan  dans  le  registre  ;  cf.  P.  L.,  t.  ccxvi, 
col.  381. 

2.  Richard  de  San  Germano,  édit.  Gaudenzi,  p.  85-86. 


APPr^NDICK  IV 
SUR  LA  SALUTATION  ANGÉLIQUE 

prescrite  par  le  canon    7  du  concile  rie  Béziers    en   1246. 


Un  ostrakon  ^  acheté  en  1896  à  Lonqsor  (Egypte)  est  entré  dans  les 
collections  de  la  Bibliothèque  de  Strasbourg  sous  le  numéro  669.  Ce  frag- 
ment de  poterie  a  été  brisé  dans  le  sens  de  la  longueur,  ce  qui  permet  de 
proposer  des  restitutions  pour  presque  toutes  les  lignes  qui  sont  au  nombre 
de  vingt-quatre.  L'écriture  est  une,  courante,  régulière,  bien  formée,  que 
M.  Reitzenstein  attribue  au  vi^  siècle  et  que  M.  Crum  incline  à  retarder 
jusqu'au  vii^.  Les  lignes  1  à  9  donnent  la  Salutation  angélique  suivie 
(lignes  9-24)  d'une  prière  à  la  Vierge  Marie. 

Nous  pouvons  fournir  à  ce  texte  des  testimonia  à  peu  près  parallèles. 
Dans  un  sermon  de  Théodote  d'Ancyre,  intitulé  :  «  Sur  la  sainte  Mère  de 
Dieu  et  Siméon,  won  ht  :  "HxwjJiev  rot^xtio-jv  sûaya»;  èTtlTÔv  {I[x.vov,  fjX(o[ji£v  y_a:'povT£;> 
àv£-J9Yi[j.o'jvT£ç,  ôoEoXoyo-JvTE;  y.al  jj.syaA-Jvovrî:  to  ÔTiàp  vo-jv  y.xi  Xôyov  (j-oc-r^piov,  è?ip- 
•/0VT£;  TO-j  fj-Jpvo7TO>,cTO'j  raêp'.f,)-  Ttôv  Oct'ojv  TtpciT^Ôsy/.Tripfd)'/  y.al  Aî'yovTî;'  X*'P^' 
X£y_aptTW[X£vr|*  ô  x-jptoç  (j.srà  to-j,    ij.îO'  où  Sî-jT£p(i)(7(i)|j,=v"  xatps  tÔ  i-A.iiij^r-.w  TiIJLcôv  ôùspav- 

rripiov,  /aTpE,  tô  âxxXr.acairt/.bv  àyaA>tau.a  •/..  t.  X  ^.  «  Venons-en  avec  piété  et  ten- 
dresse au  cantique,  venons-y  pleins  de  joie,  célébrons,  glorifions,  magnifions 
ce  qui  dépasse  l'intelligence  et  le  verbe, et  entraînés  par  le  début  de  Fange, 
disons  :  Je  vous  salue,  pleine  de  grâce,  le  Seigneur  est  avec  vous.  Et  re- 
prenons :  Je  vous  salue,  joie  attendue;  je  vous  salue,  splendeur  de  l'Eglise,» 
et  la  suite.  —  Dans  un  sermon  mis  sous  le  nom  de  saint  Athanase  et  inti- 
tulé :  «  Sur  l'annonciation  de  la  mère  de  Dieu,  »  nous  lisons  :  Eï  tiç  àp£Tr,  xal 

ii  Tiç  £Traivoç  upoTâysTat  «roi  Tiap'  r,(Aa)V  xal  ^zy.'yr^:,  'j\vinz  f^,  x£/_aptT(i)[X£vr,  tïj  xupcu,  -?^ 
ixriTpi  Toy  Oso-J  xal  xt6a)-(o  toû  àYc'aa-jjLaro;"  tSo-j  ôt,  xal  aTib  -o\j  'i~ri  xal  à.^yj\Z  rdxî'pa; 
(I):  àTiapy/ôv  éYxci)[j.iov  upoa£7t>.£'$a-rô  soi  xal  £7rwvu[jL0v  £Yxtô[j.iov  ô  à.çyâ-^^ti.oç,  êowv  xaîp£, 
/.ï/aptTtofjiî'vri,  ô  xûptoç  péri  aou  '.  «  Si  hous  avons  quelque  force,  si  nous 
avons  quelque  louange,  oiïrons,  et  toute  créature  avec  nous,  un  chant 
à  la  pleine  de  grâce,  à  la  souveraine,  à  la  mère  de  Dieu  et  à  l'arche 
sainte.  Voici  que,  dès   le  commencement  de  l'aube  de  ce  jour,  l'archange 

1.  Je  ne  crois  pas  avoir  à  expliquer  ici  la  nature  et  l'importance  des  oslraka. 
J"espère  donner  prochainement  un  recuaû  de  Papyrus  et  ostraka  liturgiques  con- 
tenant environ  soixante-quinze  textes  traduits  et  commentés  en  tcle  du  tome  ii 
des  Monumcnta  Ecclesiie  liturgica  qui  paraîtra  en   novembre. 

2.  Théodote  d'Ancyre,  Tlomilia  IV,  dans  Galland,  Biblioth.  vet.  Patrum,  t.  ix, 
col.  460;  P.  G.,  t.  i.xxvii,  col.  1393. 

3.  S.  Athanase^  Opéra,  édit.  Bénédict.,  t.  ii,  col.  342  d. 


SUR     LA     SALUTATION    ANGELIQUE  1735 

tisse  les  prémices  de  louanges  en  criant  :  Je  vous  salue,  pleine  de  grâce, 
le  Seigneur  est  avec  vous,  »  et  ce  qui  suit,  sorte  de  glose  du  texte  de 
saint  Luc  logé  dans  une  déclamation  d'aspect  euchologique.  Nous  pour- 
rions ajouter  à  ces  citations  six  extraits  d'un  sermon  de  saint  Jean 
Damascène  développant  le  même  thème,  mais  la  date  tardive  de  cet 
écrivain  nous  engage  à  n'en  faire  ici  qu'une  simple  mention  ^. 

D'après  ces  exemples,  on  peut  se  faire  une  idée  du  genre  en  faveur 
duquel  les  prédicateurs  ne  se  faisaient  pas  faute  de  sacrifier.  Il  consistait 
à  faire  servir  la  salutation  angélique  de  point  de  départ  à  un 
commentaire  plus  ou  moins  lyrique,  mais  qui,  à  l'occasion,  prenait 
volontiers  la  forme  poétique.  Les  indigents  qui  n'avaient  pas  le 
moyen  de  se  procurer  en  manuscrit  ces  pompeuses  amplifications  se  te- 
naient pour  satisfaits  s'ils  pouvaient  transcrire  sur  une  poterie  brisée 
quelque  passage  de  ces  louanges  magnifiques  qui  leur  remettaient  en 
mémoire  les  discours  qu'ils  avaient  ouïs  et  les  hymnes  qu'ils  avaipnt 
chantées  en  un  jour  de  fête  solennelle.  Peut-être,  s'ils  se  défiaient  de  leur 
mémoire,  prenaient-ils  soin  de  rapporter  leur  ostrakon  au  retour  de  la 
même  fête,  afin  de  prendre  part  aux  chants.  L'humble  fidèle,  possesseur 
de  la  poterie  brisée  qui  s'est  conservée  jusqu'à  nous,  était  du  nombre  de  ceux 
qui  avaient  expérimenté  les  lacunes  de  leur  mémoire,  aussi  avait-il  pris 
soin  de  tracer  quelques  marques,  des  points  de  repère,  sur  son  ostrakon. 
Lignes  4  et  6,  il  a  marqué  un  croisillon  après...  6r,a^£Tat  ;  ligne  12,  un  trait. 
M.  Keil  ne  doute  pas,  et  cela  semble  en  efl'et  évident,  que  ces  indications 
ne  répondent  à  des  observations  relatives  au  chant  liturgique. 

Voici  maintenant  le  texte  de  l'ostrakon,  tel  qu'il  a  été  déchiffré  par 
M.  0.  Plasberg  et  accepté  par  M.  R.  Reitzenstein  -  : 

ç6  y.aips  y.exapfrotJLSvr]  o  •/.-  [j-sra  crou  zy 
•/.■XK  ôcoBwxov  y.at  atTCt^ov  supïjç  yap  -/ap 
•/.z'.  y.zASj'.ç  To  ovo'jJia  auTOU  tJ  ojto? 
6r/5£Tat  X   coj's  auTw  xç  o  G;  tov  0 
5  AS  lis:  =z'.  tov  o'.y.ov  taxoiô  £iç  tov 
ojy.  î"£  TîAo;  -\-  TToOsv  :a,c  to'jto  ys 
ZM'^y.  xytov  î-sXsjrsTac  zr,\  z'j  y.x'. 

1.  P.  G.,  t.  xcvi,  col.  650,  651,  655,  658,  659,  695. 

2.  R.  Reitzenstoin,  Zwei  religionsgeschichtliche  Frageii  nach  ungedruckten 
griechischen  Texte  der  Strassburger  Bibliothek,  in-8,  Strassburg,  1901,  p.  112-132, 
pi.  n  ;  Stending,  dans  Wochenschrift  fur  klassische  Philologie,  1902,  p.  7;  Studi 
religiosi,  1902,  t.  iv;  Anricht,  dans  Theologische  Literaturzeitung,  1902.  p.  10; 
C.  Schmidt,  Christliche  Texte,  dans  Archiv  jiir  Papyruslorschiing,  1903,  t.  ii, 
part.  2,  3,  p.  384;  U.  Wilcken,  dans  la  même  Revue,  1903,  t.  ii,  p.  140,  a  relevé 
une  mauvaise  lecture  du  sigle  de  début  que  R.  Reitzenstein  lisait  lô,  tandis  qu'il 
y  a  «70. 


17.')n  APPENDICE     IV 

c'.o  y.-jx  70  ysvyojxevov  ay.o 

^  10     ÀaXïjJS  (jS  xat  euayyeXcffOa'.  sx 

OigaeTat  xacrat  xaxptat  ty]ç 

£Ov(.)v  [j.îTa  TOD  apya-c^z'k 

xpoay.uvT)  crw^ev  auTO)  x 
.  j;.3VY)  Tou  -/.u  /atpe  xapso 

15     y.atps  Osoow/.Y)  •/)  a^j^xa 

L»  xsptŒTspa  Y]  ayayd)? 

avouç  ^at  xapOsvotoi 

Xatps  Oeoowxr^  sso 

ev  oupavotç  xatps  vu 
20     cpY]ç  y.atps  ^aptoc 

xapôevotot  ^tSX 

ot  §[6Xoç  otot 

çwTOç  -/a 

yaip 

lign.  1  :  le  ■;  de  sy  est  douteux,  c'est  peut-être  un  p  ou  même  un  -.  ;  —  Hgn. 
2  :  le  p'  de  yap  serait  aussi  bien  v  ou  -j  ;  — lig.  4  :  ajTw  (sic);  —  lign.  5  : 
£7tt,  on  lisait  d'abord  s-o  ;  —  lign.  10  :  s/.,  ou  •; ,  ou  ctc;  —  lign.  13  :  Tîoo^y.u-r/], 
on  lisait  d'abord  rpoo^/.vvf.);  tt  dernière  lettre,  simplement  probable;  — 
lign.  14  :  TiapsS,  d'abord  on  lisait  un   6   à  la  place  de  z  . 

Ce  texte  peut  être  complété,  et  pour  certains  passages  avec  une  entière 
certitude,  notamment  de  la  ligne  3  à  la  ligne  8,  grâce  au  texte  de  saint 
Luc,  I,  32-38.  Voici  cette  section  : 

3  ■/.«[  xaAstjtç  TO  ovotj.a  auTOu  lu  outoç  [è'—xt  ^.éyaç  xa;   ulô;  utj^t'cjTOu 

xXt]] 

4  OïjJSTac   X    Sojjs  «utco  y.ç  o  Oç  tov  G  [povov  AausiB  loîi    xa-rpôç    -/.ocl 

5  \eusi  ext  tov  oixov  taxwS  sta  tov  [at'wva  xat  tyjç  ^aatAeîaç  auTOû] 

G     oux  ecze  tsXoç    X    xoOev  ^s  touto  ys  [vr^csTat,  Ixsl  avopa  où  yivo)- 

ax(o  ;  xv] 

7  £i);xa  ayiov  sxeXsucisTac  sxi  au  xat  [ouva[j.cç   ù^'ItJTOu  èxtcx'.asct  sot,] 

8  010  x«t  ysvvo'txsvov  ayi  [ov  xXT]6Y]c7£Tat  ucô^;  ou.  cooù  xj  coj] 

9  Xy]  xu  ysvsTo  [j.s  xaTa  to  pY]tJi.[a;  cou] 

Quelques  autres  lignes  peuvent  être  également  rétablies  à  coup  sûr,  grâce 
aux  citations  littérales  qu'elles  contiennent  : 

10  ..,..,,,.,.    [ co).] 


SUR     LA    SALUTATION     ANGELIQUE  1737 

11  OYjaeTOJt  xacat  za-rptat  tv;ç  ['loucafaç  xac  xâv-ra:  Ta  YsvTj  tojv]. 

12  sOvfov 

Les  cit'ux  premières  liones  suivent  le  Icxtc  de  saint  Luc,  non  sans  pren- 
dre avec  lui  quekpie  liberté.  Le  début  appartient  au  verset  28  et,  après 
quelques  mots  étrangers  à  Févangile,  passe  au  verset  30,  puis,  omettant 
cinq  mots,  reprend  le  texte  sacré  et  poursuit  juscpiau  verset  37  en  faisant 
les  coupures  qu'il  juge  utiles.  Nous  pouvons  dès  lors  rétablir  avec  beau- 
coup de  vraisemblance  les  lignes  1-2  : 

1  X^tpe  y.£-/apcTotx£Vï)  o    xq  \ie-:a  cod  h(['k£\z'(\xéy(]  au  à-(jziov  à^c'avrov]. 

2  xal  GsocoV/.ov  xat  âtTt[j.ov  supïjç  yap    7.ap[tv  irapà  xto  Oo)  xat  tcoù  xé^f) 

ucovj. 

3  xal  xaXéacç  /,.  t.  X. 

Nous  avons  quelques  autres  exemples  de  ces  libertés  prises  avec  le  texte 
évangélique,  par  exemple  :  lign.  6  :  ttoOev  [j.01  iojto  ^zv-r^aezai  avi  lieu  de 
■Kàiç  èatat  toCto    (Luc,   I,   34)   et  lign.   8   :   -jibç  Oïo-j   (Luc,    I,   36-37    omis, 

ainsi  que  le  début  de  38)  i5oJ  r, ,[de   même  que  lign.  2  on  a  omis  :   ... 

•/ai  îSoù  ou>,)-r,[j.'l/rj  Èv  ^;oi.a-çl,  pour  attacher  immédiatement  /.al  tôoj  à  ce  qui 
suit  :  (xal)  T£?f,  uiôv  x.  t.  l. 

La  reconstitution  des  lignes  13-24  a  été  tentée  par  M.  R.  Rietzenstein 
en  s'inspirant  d'un  passage  du  sermon  de  pseudo-Athanase,  cité  plus  haut. 
Malgré  la  part  d'arbitraire  que  renferme  cet  essai,  nous  le  donnons  ici; 
on  gagnerait  peu  de  chose  probablement,  ou  même  rien  du  tout,  à  pro- 
poser d'autres  bouts  de  lignes. 

Xatps  X£)^aptT(ojj.évrj*  6  xuptoç  [J-cTa  aoû.  éx  [XeXsy^lvT]  cù  wç  àyysTov 

à^tavTOv] 
xal  Oeooôxov  xal  àe'.':i[).ov.  siipsç  yàp  xâp[tv  xapà  tw  Oew,  xal  îooù  tI^jj 

uiovj 
xal  xaXéasts  t6  ovojjia  aÙTOÛ  'Iy](joû{v).  Oùtoç  [awcst  toùç  Xaoùç    xal 

uîôç  0eoû  xXy]-] 
0TQC£Tar   coVjet  aùro)  xûptoç  6  Qehq  tôv     [Opôvov  Aauslc  toù  zarpôç, 

xal  ^aat-] 

5     'kz'j{a)ei  £7ïl  TGV  oixov  'Iax(o6  dq  tôv  [atVôva,  xal  ty]?    ^aaiXecaç    aùxoû] 

oùx  ecxat  xIXoç.  —  IloOev  [xoi  to'jto  y£[vTQC7eTat,  éxsl  avopa  où  ytvo')- 

axw  ;  —  llv-] 
eû^xa  aytov  èTekzùaeiai  i%\  us,  xal  [otJva[/,iç  toQ  Qsoii  ixcaxtâaet  aot]. 
ciô  xal  t6  y£vv(i')txevov  ayto[v  xAYjOiQceTat  utoç  Osoû.  — 'lÔoù  t^  Boû-] 
?.rj  xupîou"  yévQtTÔ  [xot  y.axà  xo  pfj^[acou.  — EùXoyrj^évï)  ev  yuvat^c'v 

Q  XWpiOÇ  Ç-] 


1738  .\PPENDICE     IV 

10     ÂaXr^aé  sot  xal  s'JaYysAtsOat  â-/.[sA£Uj£v  ort   o'.à  toj   utoû  cou  ffw-] 

ÔT^asTat  xâaat  al  xocTpiai  ty];    ['loucxfaç    -/.a:  zâvra  -rà  ysvr,  Tôjv] 

eOvciiv.    IMcTà   TOÛ    àp7o:yYéÀ[ou    -/.'A   twv   àyyéXdJV    y.xl    f^astç] 

TCpoaxuvrît:(o^£v  a-jT-^  x[dtvTS(;-  y^oâps,  T^yaxw] 

[xsvï]  TO'J  -/.'jptou,  '/^OLlpz,  Tzàpeclçz  ToiJ  'j(];î"0u], 
15     xatps,  Osoûôxr],  à[i\ià  [tou  cwTTipos  ilt^-wv], 

fi  xeptcTspà  Y]  àyayo'jj[a  Iç  ôXIOpou  toùç] 

âv6pwxouç.   Xat<^p£Ts^,  ■zapOévstoi.     .     . 

7atp£  Bsooôxr^,  (0)£6[ôexT£] 

|y  o'jpavoTç,  "/aTp£,  v6[ti] 
20     çï],  y,oâçz,  Mapfa,  [a[] 

TîapOlvctot  ^î5X 

ot,  ^t6Xoç  àr:ct[ou] 

Ç)(.)Trj.;.  Xa[îp£], 

Xatp[£]. 

«  Salut,  pleine  de  grâce,  le  Seigneur  est  avec  toi.  Tu  as  été  chois  e, 
comme  un  vase  très  pur,  à  jamais  précieux,  pour  recevoir  Dieu  en  toi. 
Car  tu  as  trouvé  grâce  devant  Dieu,  et  voici  que  tu  donneras  le  jour  à  un 
fils  et  (tu)  lui  donneras  le  nom  de  Jésus.  Il  sauvera  les  peuples,  et  on  l'ap- 
pellera le  Fils  de  Dieu;  le  Seigneur  Dieu  lui  donnera  le  trône  de  David, 
son  père,  et  il  régnera  sur  la  maison  de  Jacob  à  jamais,  et  son  règne  n'aura 
point  de  fin.  —  D'oix  (=  comment)  cela  m'adviendra-t-il,  puisque  je 
ne  connais  point  d'homme?  —  Le  Saint-Esprit  viendra  sur  toi  et  la 
puissance  du  Très-Haut  te  couvrira  de  son  ombre,  et  l'enfant  qui  naî- 
tra sera  appelé  saint.  Fils  de  Dieu.  —  Voici  la  servante  du  Seigneur, 
qu'il  me  soit  fait  selon  ta  parole. 

«  0  bénie  entre  les  femmes,  le  Seigneur  t'a  parlé,  il  t'a  fait  porter  la 
bonne  nouvelle  que,  par  ton  Fils,  seront  sauvées  toutes  les  tribus  de  la 
Judée  et  toutes  les  races  des  gentils.  Avec  l'archange  et  les  anges,  nous 
aussi,  vénérons-la  tous  :  Salut,  bien-aimée  du  Seigneur,  salut,  toi  que  le 
Très-Haut  a  fait  asseoir  à  son  côté,  toi  qui  as  contenu  Dieu  dans  ton  sein. 
Mère  ^  de  notre  Sauveur,  colombe,  qui  as  arraché  les  hommes  à  la  mort. 
Réjouissez-vous,  vierges...  Salut,  toi,  qui  as  reçu  Dieu  en  toi,  toi  que  Dieu 
a  reçue  dans  les  cicux;  salut,  ô  Vierge;  salut,  ô  Marie,  ô  Hvre  des  vierges. 
Livre  de  la  lumière  éternelle,  salut,  salut.  » 

Ce  (jui  ajouterait  encore  à  l'intérêt  de  cet  ostraJwn,  c'est  si  nous  pouvions 
savoir  que  son  propriétaire  appartenait  au  neslorianisme.  Or,  nous  y 
lisons  très  clairement,  sans  erreur  possible,  à  Irois  reprises,  le  mot  ôcoSôy-oç 
adopté  par  Nestorius  pour  introduire  une  confusion  sur  le  titre  de  ôsotoxo; 

1.  Sur  le  sens  de  ce  terme  amn,  amma,  cf.  Cabrol  et  Leclercq,  Dictionn.  d'ar- 
chéol.  chrét.  et  de  liturg.,  1907^  t.  i,  col.  1306  sq. 


SUR     LA     SAI.UTATIO.X     ANGELIQUE  1739 

donné  à  la  Mère  de  Dieu.  Les  quelques  textes  suivants  mettront  en  évi- 
dence cette  ruse  :  Dominicae  itaque  humanitatls  susceptionem  colamus,  incar- 
nationis  saframentuni  hymnis   incessabilibus    extollamits,   susceptricem  dei 

virginem    cuni   deo ratiocinemur,    cum   deo   ad   dwina    non   elei>emus. 

ûsoco/ov  dico,  non  6îot6xov,  S  lilteram<Znon  -  et  y^  non  est  x  exprlmi 
^olens ;  unus  est  enint,  ut  ego  secundum  ipsos  dicam,  pater  deus  ôeotôxo? 
id  est  genitor  dei,  qui  hoc  nomen  compositum  habet  ^.  —  «  Non  dicit,  » 
itiquiunt,  «  ôîotùxov  id  est  genitricem  dei,  »  et  hoc  est  totum  quod  nostris 
sensibus  ab  illis  opponitur.  «  Nemo  enim,  »  aiunt,  «rectani  fidei  gloriam 
sequens  s'ocem  hanc  aliquando  déclinant.  »  Multa  dogmatum  ibi  expéri- 
menta suppeditant,  maxime  quidem  quœ  sunt  Apollinaris  sectse  et  Arii  i>el 
Eunomii,  si  inçestiges,  unusquisque,  eorum,  ôïotoxov,  id  est  genitricem,  ap- 
pellavit  virginem  sanctam...  scis  hoc  Apollinarem  dicentem,  scis  hanc 
vocem  id  est  bzo-ô/.oy ,  apud  Arium  plausus  maximos  excitare,  scis  hanc 
quoque  apud  Eunomium  frequentari'^.  —  Dignare  unam  lectionem  donare 
offensis  auribus,  dei  puerperam,  id  est  6îotôxov,  pronuntiaus  virginem 
sanctam  ^. 

M.  Reitzenstein,  se  fondant  sur  l'orthographe  ôïooôxo;  ^,  a  soutenu 
que  cette  formule  était  contemporaine  de  Tarianisme  et  M.  Cari  Schmidt 
a  sagement  observé  qu'on  ne  pouvait  prendre  des  conclusions  de  cette 
importance  lorsqu'elles  ne  trouvent  pour  s'appuyer  qu'une  base  si  étroite 
que  la  prononciation  et  l'emploi  écrit  de  &  pour  -  ;  alors  surtout  que  de 
nombreux  exemples  nous  apprennent  que  cette  confusion  était  fréquente 
en  Egypte. 

\Jn  autre  ostrakon  va  nous  offrir  une  transcription  moins  développée 
de  la  Salutation  angélique.  Ce  débris  a  été  découvert  par  le  D^'  Naville 
dans  les  ruines  d'un  monastère  copte  ^,  il  est  opistographe,  sa  date  est 
incertaine,   probablement   du   vi^-vii^  siècle  ^. 


1.  Galland,  Bihlioth.  veter.  Patrum,  t.  viii,  col.  633. 

2.  Ibid.,  t.  VIII,  col.  634. 

3.  Ibid.,  t.  VIII,  col.  641. 

4.  Lignes  2,  15,  18. 

5.  W.-E.  Crum.  Coplic  ostrnca.  Egypt.  exploration  fund,  1002,  p.  3,  n.  518, 
pi.  i.xxxii,  n.  518;  L.  Ducliesne,  Christian  worsliip,  in-8,  London,  1904,  2^  cdit., 
p.  546,  note;  II.  Leclcrcq,  dans  Cabrol  et  Leclercq,  Dictionu.  d'archéoJo'j..  clirél. 
et  de  liturg.,  t.  i,  col.  2069,  au  mol  Angélus. 

6.  «  Je  n'ai  malheureusement,  m'écrivait  M.  W.  E.  Crum,  aucun  renseigne- 
ment sur  l'âge  de  mon  numéro  518  à  vous  olïrir.  Je  n'ai  que  très  peu  de  fac-si- 
similés  d'écriture,  celui-là  n'y  est  pas.  Je  n'ai  toutefois  aucune  raison  pour  le 
croire  d'une  autre  époque  que  la  plupart  des  ostraca  sur  calcaire,  c'esl-à-dire 
environ  vi^  et  vii^  siècles.  Leur  provenance  est  presque  toujours  la  même,  à 
Thèbes.  Le  calcaire  paraît  avoir  été  à  la  mode  juste  à  cette  époque  et  point  plus 
tard,  n  Lettre  du  28  juin  1905. 


17/iO 


APPENDICE     IV 

Xalps  Map  t'a  xe/apcxo) 

[tÂ^-q-  à  Kuptoç  [lexix  aou  xat  to 

nv£Û[jLa  TO  aytov 

Ot]  îspslç  cTou  evôuaovtat  ctxato- 
5  ajvYjv  xal  o!  o-to(  cou  àyaXXta- 

ast  ayaXXcdjovTizt   :  svsxev  Aau- 

slo  Toû  ooûXou  cou  Kupts. 

Swjcov  Ivjpts  TGV  Àaov  [cou 

xal  eùXôyYjcov  tyjv 
10     yAY]povo[j.fav  cou. 

'EvJÔô^o)  xapOsv[c;). 

Xatps   /.s^apctoi^é- 

VY]  Mapt'a-  6  Kupcoç  ^sxà  cou"  eùXo- 

yr/ji,£VY]  cù  év  yuvat^t 
15     xal  £ÙXoyrî[j,£VOi;  6  -/.ap- 

xôç  Tfjç  xotAÎaç  cou  OTt 

XptcTov  cuvéXaoeç 

TOV    1  tOV  -OU    fc)£OU   TGV 


X 


UTp(.)tY)V   T(OV    OU- 


20     ^cov  rjîj-ojv. 

Lign.  2  :  Luc,  28:  —  lign.  7  :  Ps.,  cxxxi,  9,  10;  — lign.  10  :  Ps.,  xxvii, 
9;  —  lign.  12-20  :  Luc,  i,  28-48;  —  lign.  16-17  :  remarquer  la  variante  : 
Ij'i  XptijT'jv  cruvî/.aCsç,  moins  fréquente  ([ue  :   on  îtexe;    rj^rr^rjct,  t'ov  'h-jyuyj  ■}^[j.ôy/. 

Recto  :  «  Je  vous  salue,  Marie,  pleine  de  grâce;  le  Seigneur  est  avec  vous 
et  le  Saint-Esprit.  —  Les  prêlres  se  revêtiront  lIo  la  justice  et  ceux  qui  te 
sont  consacres  se  rcjouironl  do  joie,  à  cause  de  David,  ton  serviteur,  Sei- 
gneur. 

«  Sauve  ton  peuple,  Seigneur,  et  bénis  ton  héritage.  » 

Verso  :   «  A  Filliistre  Vierge. 

«  Salut,  Marie,  pleine  de  grâce;  le  Seigneur  est  avec  vous;  vous  êtes 
bénie  entre  toutes  les  femmes  et  le  fruit  de  vos  entrailles  est  béni,  parce 
que  vous  avez  contju  le  Christ,  lils  de  Dieu,  le  rédemptevir  de  nos  âmes.  » 

Ce  texte' et  le  précédent  sont  restés  ignorés  des  liturgistes  qui,  au  cours 
de  ces  dernières  années,  ont  étudié  l'histoire  des  accroissements  successifs 
du  texte  de  VAce  Maria  que  nous  allons  rappeler  rapidement. 

Chacun  sait  que  les  éléments  de  V Ave  Maria  se  trouvent  au  début  de 
l'évangile  selon  saint  Luc.  L'ange  Gabriel  dit  à  Marie  :  Xaïpî,  xé/apiTWîxévri. 

ô    /.jptoç    \xt-y.    <70v,^   Elisabeth  dit  de  son  côté  :   E0).OYr|jAc'vr,    n-j    iv  7uvai:iv,    xal 

\.  Luc,  I,  28. 


bUPx    LA     SALL'TATION     ANGELIQUE 


1741 


i-ji.v;r,\i.i'i'Ji  'i  •/.af.Tio;  t?,:  -/.oi/t'a;  to-j  >.  A]irès  celle  al leslalioii  ai)oslolii[iie,  nous 
passons  plusieurs  siècles  sans  aucun  indice  mettant  sur  la  voie  d'un  essai 
tenté  pour  rapprocher  ces  deux  passages  et  les  souder  l'an  à  l'autre.  11 
faut,  pour  renc<Hilrer  un  tel  essai,  attendre  l'apparition  des  liturgies  grec- 
ques mises  sous  les  noms  de  saint  Jacques,  de  saint  Basile,  [de  saint  Jean 
Chrysostome]  et  de  saint  Marc. 

Liturgie  de  saint  Jacques  ^.      Liturgie    de     saint   Marc  ^.       Liturgie  de   saint   Basile  *. 

Xarpî    y.î/apiTwasvr,,     ô  XaTpî     ■/.îjraptTùi'jisvri,    ô           Salut,  ô  Marie,   pleine 

y.-jp'.o;  [j-îTà  <70-j"  £0).oYr,[xï'vr,  •j/.p'.o;  [xôrâ  ffou'  vjXqj r,[j.iyr,  de  grâce.  Le  Seigneur  est 

(j-j  £v  r-jvat?l -/.al  c-J/.OYy,[j.£-  <tù  èv  yjvat^lv     xaî    £-j),oy/,-  avec  vous.  Vous  êtes  bé- 

vo:  ô  y-ap-b;  TT.çxoO-ta?  (70J  |j.î/o:    ô    /ap-rro;  tt,;  y.ot'/.ta:  nie  parmi  les  femmes.  Et 

ÔTi  lycoT-ripa  k'-cxs;  twv  'î/-j-/(".)v  ao-j  OTt   iT£/.s;   nMir^px  Toiv  béni  est    le  fruit    de  vos 

fijjiwv.  ii-jy&v  r,pLwv  entrailles. 

Si  haut  qu'on  entreprenne  de  relever  la  date  de  ces  liturgies  —  et  on 
promettait  récemment  de  les  ramener  à  une  époque  peu  éloignée  des  temps 
apostoliques  (?)  —  même  en  prodiguant  les  remaniements  et  les  infdtra- 
tions  postérieures,  il  faut  reconnaître  une  certaine  unanimité  des  Eglises. 
Et  si,  à  ce  propos,  on  a  été  jusqu'à  insinuer  que  «  ce  serait  le  cas  de  ne  pas 
hésiter  davantage  à  reconnaître  ici  une  origine  apostolique  ^,  »  n'est-ce 
pas  l'eflet  d'une  sorte  de  hantise  et  le  résultat  de  «  l'esprit  de  système  ainsi 
que  la  tentation  des  conclusions  prématurées  ^?   » 

Les  variantes  se  réduisent,  on  le  voit,  à  peu  de  chose.  La  liturgie  dite  de 
saint  Marc  omet  Mapi'a  que  donnent  quelques  copies  de  la  liturgie 
de  saint  Jacques;  de  plus,  elle  intervertit  atoTf.pa  £T£/.£ç  en  £7£y.£;  awTfipa. 
Les  Eglises  d'Orient  ont  «  de  toute  antiquité  et  invariablement  '  »  la  clau- 
sule  :  OTt  £T£y.£;  o-rjjTT.pa  T'i>v  'Vj/f;)-/ riiJLwv,  «parce  que  tu  as  engendré  le  Sau- 
veur dans  nos  âmes.   »  Quelques  Eglises  grecques  ajoutent  aussi  Deipara 

1.  Luc,  I,  42. 

2.  F.  E.  Brij^htman,  Lilurgies  castern  and  western,  iu-8,  Oxford,  1896,  t.  i, 
p.  56,  lign.  25  sq.  ;  Daniel,  Codex  liliirglcus.  in-8,  Lipsia-,  1853,  t.  iv,  p.  119,  donne  : 
Xarp£y.£/_ap'.ro)[j.£vr,  IMapta,  ô... 

3.  V.  E.  Brighlmaii,  op.  cit.,  t.  i,  p.  128,  lign.  30  sq. 
'i.   Ibid.,  t.  I,  p.  218,  lign.  23  sq. 

5.  P[aul  Cagiii],  Sur  l'Ave  Maria,  dans  Le  mois  l)iblioiiraphi<]ue,  1895,  t.  m, 
p.  2'i6;  le  vénérable  iiturgiste  mentionne  la  formule  dans  la  liturgie  do  saint 
Jean  Chrysostome. 

G.  P.  Lejay,  Ancienne  philosophie  chrétienne,  dans  Revue  d'histoire  et  de  lilté- 
raturc  religieuses,  1902,  t.  vu,  p.  285. 

7.  P...,  dans  Le  mois  bibliographique,  p.  2'i7.  A  cclto  dissertation  aussi  modeste 
d'apparence  que  forlilc  en  aperi;us,  nous  empruulerons  beaucoup. Notre  excuse, 
à  supposer  qu'elle  fût  nécessaire,  serait  dans  1©  mérite  de  cette  note  et  dans  son 
accès  presque  impossible  parmi  les  recousions  de  livres  dans  un  périodique  heu- 
reusement éphémère. 


1742  APPENDICE    IV 

Virgo  après  Maria.  La  formule  d'ensemble,  encore  de  nos  jours,  est  celle 
que  nous  venons  de  transcrire,  elle  n'a  pas  varié  depuis  le  iv®  ou  le  v*^ 
siècle.  On  reaiar([uera  que  dans  nos  deux  oslraka  nous  avons  des  rédac- 
tions extra-liturgiques,  encore  que  M.  F.  E.  Brightman  conjecture  que  le 
deuxième  texte  devait  être  chanté  avant  l'Evangile,  comme  ÏAllcluia, 
poiii'  une  fête  de  la  Vierge,  peut-être  la  Purification.  Dans  Vostrakon  de 
Louqsor,  la  salutation  de  l'ange,  seule  conservée,  introduit  une  sorte  de 
centonisation  évangéli(jue  aboutissant  au  dialogue  de  l'Annonciation; 
dans  Vostrakon  sur  calcaire,  il  faut  distinguer  entre  le  recto  et  le  verso.  Au 
recto,  c'est  encore  une  centonisation  biblique;  au  verso,  nous  avons  les 
deux  salutations  rapprochées  comme  dans  les  liturgies  ^,  mais  la  clausule 
finale  diffère  notablement  :  or;  [Xpiutov  (jjvsXaosç  tbv  Yiôv  tov  WeoO  tqv  XMxçûnrci] 

Avant  de  quitter  l'Orient,  nous  devons  signaler  l'inattention  géné- 
rale des  Pères  de  l'Eglise  grecque  de  la  période  la  plus  ancienne  à  l'égard 
de  la  salutation  angélique.  S'ils  ont  rencontré  et  paraphrasé,  au  cours  de 
leurs  homélies  sur  saint  Luc,  de  leurs  sermons  et  de  leurs  commentaires 
le  texte  de  V Ave  Maria  et  de  la  salutation  adressée  par  Elisabeth,  ils  n'en 
ont  jamais  pris  occasion  de  nous  renseigner  sur  l'emploi  liturgique  de  ces 
formules,  leur  papprochement,  leur  développement.  Les  plus  anciens  parmi 
les  écrivains  ecclésiastiques  qui  glosent  sur  le  texte  en  question  sont  déjà 
bien  éloignés  de  la  vénérable  antiquité;  ce  sont  :  saint  Jean  Damascène, 
dans  un  sermon  sur  l'Annonciation,  saint  André  de  Crète,  dans  un  sermon 
sur  l'Assomption,  le  prêtre  Ilésychius  de  Jérusalem,  dans  un  sermon  sur 
la  Vierge^.  Beaucoup  plus  anciennement,  saint  Ephrem  d'Edesse  commente 
éloquemment  le  salut  de  l'ange  dans  un  panégyrique  de  Marie,  mais  son 
exubérance  orientale  ne  nous  vaut  pas  un  seul  renseignement  liturgi(ple 
positif  3.  Il  faut  en  dire  autant  pour  le  sermon  sur  l'Annonciation  attribué 
à  saint  Athanase  sans  aucun  fondement,  mais  (pii.  pour  n'être  pas  anté- 
rieur à  l'hérésie  monothélite,  ne  nous  oll're  i)as  moins  un  ouvrage  pou- 
vant remonter  au  début  du  vii^  siècle  et  qui  s'achève  par  une  invocation 
présentant  quol(|ue  analogie  avec  les  dévelojtpements  i>ostérieurs,  et  qu'on 
supposait  exclusivement  occidentaux,  de  la  salutation  angéhque.  Voici 
cette  curieuse  formule  : 

1.  Ce  qui  ne  veut  pas  dire  que  l'idée  de  ce  rapprochement  prouve  ni  insinue 
un  emprunt  liturgique  direct.  Dans  le  Prolévangile  do  Jacques  (ii<^-iiic  siècle), 
on  lit  :  «  Et  ayant  pris  une  cruche,  elle  (Marie)  ella  puiser  de  leau  et  voilà  qu'elle 
entendit  une  voix  (pii  disait  :  «  Je  te  salue,  Marie,  pleine  de  grâce;  le  Seigneur 
«  est  avec  toi,  tu  es  bénie  entre  toutes  les  femmes.»  Prolévangile  de  Jacques, 
XI,  1,  dans  Évangiles  a[W(ri/phes,  par  Ch.  Michel,  in-12,  Paris,  1911,  p.  22. 

2.  P.  Canisius,  De  Maria  virgine  iiicomparabili  et  Dei  génitrice  sacrosancla, 
Ingolstadii,  1577,  1.  III,  ch.  x,  p.  278  sq. 

3.  Assémani,  S.  Ephrem  Syri.  Sermo  de  SS.  Dei  genitricis  virginis  Mariée 
laudibus,  in-fol.,  Venetiis,  1755,  t.  i,  p.  570. 


SUR     LA    SALUTATION     ANGELIQUE  1713 

Xatps,  xsxûtpcTcoiJLévrj,  6  Kûpto>;  [LcTÙ  joû.  riplj&cLis,  Kupta,  xal  ôécixoiva, 
^aat'Xtjji  Ts  y.at  MTr;TT]p  0eoû,  ùxàp  t;[J.(Î)V  otc  I^  t^^^-wv  œû  ts  •/,«:  6  é*/.  aoû 
-£-/Oetç  aapxoçopos  Osôs  rj^xcôv  m  'irpéxet  tq  GoEaxal  1^  ^eyaloxplTTEta,  xâaà 
TS  Ttfjif,  xa:  xpoaxûvTjatç  xal  £Ù"/aptJTta,  cùv  tw  àvàp'/w  aùxoQ  IlaTpr,  y.at 
T(ô  âyîw.  7.at  àyaOw.  */.al  ^woxouô  nv£ujj.aTt  vùv  y.at  àct  àet  ct^;  toùç 
atcôvas  'wv  atwvwv.  'A^.-r;v  ^. 

Beaucoup  plus  curieuse  encore  est  une  dernière  formule  qui  se  trouve 
rangée  parmi  les  Preces  abecedarix  Sijrorum,  à  la  suite  d'un  Ordo  haptisrni 
longtemps  attribué  à  un  certain  Sévère,  patriarche  d'Alexandrie,  lequel 
n'a  jamais  existé,  du  moins  avec  ce  titre,  et  provisoirement  placé  sous  le 
nom  de  Sévère  d'Antioclie  '^;  bref,  dont  on  ne  connaît  exactement  ni  la 
date  ni  l'auteur.  La  pièce,  fait-on  observer,  n'en  a  pas  moins  son  intérêt, 
bien  qu'elle  se  présente  à  l'état  de  témoignage  oriental  tout  à  fait  excentri- 
que et  isolé. On  la  rencontre  un  peu  partout, je  veux  dire  dans  les  différentes 
collections  patrisliques  du  xvii^  siècle.  Voici  la  formule  :  Pax  tibi,  Maria, 
plena  gratia,  Dominus  tecum.  Benedicta  tu  inter  mulieres  et  benedictus  est 
/ructus  qui  est  in  utero  tuo  Jésus  Christus.  Sancta  Maria,  mater  Dei,  ora  pro 
nobis,  inquam,  peccatoribus.  Amen  ^.  Quoi  qu'il  en  soit  du  caractère  offi- 
ciel ou  privé  de  ce  texte  et  de  l'isolement  de  son  témoignage  pour  l'Orient, 
il  aurait  ici  une  véritable  valeur  si  on  pouvait  fixer  avec  précision  sa  date 
et  sa  provenance.  Il  est  vrai,  la  question  n'en  serait  peut-être  pas  plus  ré- 
solue pour  l'Occident,  à  moins  qu'on  ne  puisse  établir  une  fdiation  —  tar- 
dive et  bien  tardive  à  coup  sûr  (si  on  se  prononce  pour  Sévère  d'An- 
tioclie) —  entre  les  deux  fornmles,  orientale  et  occidentale  ^. 

En  Occident,  à  la  faveur  de  la  longue  ignorance  du  moyen  âge,  une 
opinion  se  vulgarisa  qui  faisait  remonter  au  concile  d'Éphèse  (431)  la 
Salutation  angélique,  sous  sa  forme  intégrale  actuelle.  En  réalité,  VAve 
Maria,  dans  sa  première  partie  au  moins,  a  été  introduit  dans  la  liturgie 
latine  par  saint  Grégoire  le  Grand,  au  vi^  siècle  ou  vers  cette  époque,  par 
quelque  personnage  moins  célèbre,  car  on  n'est  pas  en  mesure  d'attribuer 
avec  certitude  au  jiape  Grégoirel'^i'  l'olferloire  de  la  messe  du  IV^  dimanche 
de  l'Avent,  le  plus  rapproché   de     Noël,    tel    que    nous   le   lisons   encore 


1.  Ps.-Athanase;  Senno  i)i  annuntiationem  SS.  Dominie  nostrx  Deipane,  P.  G., 
t.  XXVIII,  col.  940.  Cf.  Tilleirioiit.  Méni.  Iiisl.  ecclés.,  t.  viii,  p.  729-731. 

2.  Sévère  d'Antiocho  écrivait  en  grec.  Cf.  Rubeiis  Duval,  Lo  littérature  sijr la- 
que, iii-12,  Paris,  1899,  p.  5.  Sur  VOrclo  baplismi  qui  lui  est  attribué,  cf.  Cabrol 
et  Leclercq,  Dict.  d'archéol.  et  de  lilur^.,  t.  ii,  col.  273-274;  Resch,  Agrapha, 
p.  361  sq.,  372  ;  F.  H.  Chase,  The  Lord' s  praijer  in  the  early  Church,  in-8,  Cam- 
bridge, 1891,  p.  37. 

3.  Margariii  de  la  Bigne,  JJibliolhccu  magna  Palruni,  3^  cdit.,  1 GIO,  l.  vi,  col.  32. 

4.  P...,  dans  Le  mois  bibliographique,  p.  248. 


1744  APPENDICE     IV 

aujoiii'd  liiii  :  Ave  Maria,  ^ralia  plciui,  Dominu.s  Lccnin,  bcnedicla  lu  m 
mulieribus,  cl  hcncdiclas  fnictus  veiUris  lui.  >•  Quumodo  in  me  fiel  hoc, 
quse  virum  non  cognosco.  «'.  Spiritus  Domini,  etc.  ^.  L'anliphouaire  am- 
brosien  donne  le  même  résultat,  sauf  la  variante  inler  niulieres,  au  même 
dimanche,  dans  le  Confractorium  et  le  Transitorium  ^.  Ce  qui  n'est  pas  moins 
remarquable,  c'est  que,  les  plus  anciens  manuscrits  de  l'antiphonaire  gré- 
gorien sont  unanimes  à  présenter  la  double  salutation,  celle  de  l'ange  et 
celle  d'Elisabeth,  tandis  que  dans  l'antiphonaire  du  Cursus  tant  grégorien 
que  milanais  et  mozarabe,  les  antiennes,  répons,  etc.,  où  l'on  rencontre 
le  texte  évangélique,  n'en  offrent,  par  contre,  que  la  péricope  de  l'ange,  à 
l'exclusion  de  celle  de  sainte  Elisabeth.  Néanmoins,  ce  fait  n'infirme  pas 
l'argument  qui  peut  se  tirer  du  rapprochement  entre  les  liturgies  de  saint 
Jacques,  de  saint  Marc  et  de  saint  Basile  et  les  liturgies  grégorienne  et 
ambrosienne  conformes  entre  elles  sur  le   point  des    deux   salutations. 

Mais  de  ce  que  les  premières  paroles  de  ï'Ai'elMaria  étaient  employées 
dans  un  ollice  liturgique,  pouvait-on  ^en  conclure  légitimement  que  les 
fidèles  en  fissent  alors  généralement  usage?  Mabillon  le  premier  en  douta. 
Avant  lui,  Baronius  ^  et  le  liturgisle  Bona  *  adoptaient,  sans  l'apparence 
d'une  hésitation,  l'opinion  commune  de  leur  temps.  Mabillon  aborda  la 
question  à  propos  de  l'institution  du  petit  office  de  la  sainte  Vierge  ^. 
Mabillon  commençait  par  distinguer  dans  la  Salutation  angélique  deux 
parties  bien  distinctes  :  les  salutations  et  les  implorations,  dont  l'antiquité 
diffère  du  tout  au  tout.  Plus  anciennes,  incontestablement,  les  salutations 
ne  peuvent  cependant  se  réclamer  d'attestations  très  lointaines  ^.  Toutes 
les  prescriptions  des  siècles  antérieurs,  se  rapportant  aux  prières  qu'un 
chrétien  doit  savoir,  mentionnent  uniquement  le  Pater  et  le  Credo,  sans 
aucune  allusion  à  VAve  Maria.  Ainsi,  saint  Éloi,  évêque  de  Noyon,  au 
vii^  siècle,  dans  les  homélies  à  son  peuple  recueillies  par  saint  Ouen, 
donne  cet  avis  :  Symholum  et  Oratioiiem  doniinicain  cum  jide  et  devo- 
tione  dicite  ''.  Au  viii*^  siècle,  le  vénérable  Bcde,  dans  une  lettre  au  roi 


1.  S.  Grégoire,  Opéra,  cdit.  Bénéd.,  t.  m,  p.  657. 

2.  Paléographie  musicale,  iu-^,  Solcsmos.  1900,  t.  vi,  p.  ''lO  :  Coiifr.,  Ave  gratia 
plena,  Doiidiius  tecuin  :  bcnedicla  lu  inler  mulieres,  et  benediclus  fruclus  venlris  lui, 
—  Traiisitor.,  Ave  Alaria,  gralia  plena,  Dominas  lecum  :  benedicla  lu  inler  mu- 
lieres,  et  benediclus  fruclus^enlris  lui. 

3.  Baronius,  Annales,  ad  ann.  431^  ii.  179. 

4.  Boiia,  De  divina  psalmodia,  c.  xvi,  2,  n.  1,  2. 

5.  Mabillon,  Acta  sancl.  O.  S.  li.,  SiBC.  \,  Prœf.,  n.  119  sq.,  Veiietiis,  l.  vu, 
p.  Lix  ;  Prxfaliones,  iii-4,  Trideiili,  Xll^i,  p.  452. 

G.  L'olTcrtoiro  de  la  messe  votive  De  beala  préseiitu  la  jikiiio  foriuiile;  ccLte 
messe  est  attribués  à  Alcuiu?  Ou  y  trouve  l'addiliou  :  el  benediclus  fruclus  ven- 
iris  lui. 

7.  MabilloDj  Pncfaliones,  p.  4oo. 


Sun    LA   SALUTATION     ANGELIQUE  1745 

Egbert,  et  saint  Pirmin,  abbé;  au  ix^  et  au  x*^  siècle,  les  évêques  Atton  de 
Bûle,  Théodulphe  et  Walter  d'Orléans,  dans  leurs  «  Capitulaires  »  ou 
«  Actes  synodaux  »,  n'enseignent  pas  autre  chose,  et  le  pape  Léon  IV  dit 
dans  un  sei'inon  :  Atlendile  ut  parochianis  vestris  Symbolum  apostolorum 
et  Orationem  dominicain  insinuetis  ^,  avertissement  que  Rathier  de  Vérone 
fait  sien  dans  une  lettre  synodale  et  auquel  se  ramènent  les  canons  des 
conciles  de  cette  époque  tenus  à  Cloveshoe  en  Angleterre,  à  Francfort,  à 
Mayence  (813). 

On  pourrait  objecter  que,  sous  le  nom  d'Oraison  dominicale,  est  com- 
prise la  Salutation  angélique;  mais,    outre  qu'on  ne    pourrait    apporter 
une  seule  bonne  raison  pour  justifier  cette  interprétation,   il   est  aisé   de 
montrer  qu'elle  est  insoutenable.  En  effet  ^  :  le  livre  d'Jieures  de  la  reine 
Emma,  femme  de  Lothaire,  reproduit  intégralement  le  Pater  et  le  Credo, 
tels  que  Nolker  les  traduit  dans  son  Psautier.  Bède,    dans    la    lettre    à 
Egbert  à  laquelle  nous  avons  fait  allusion  il  n'y  a  qu'un  instant,  demande 
que  l'on  enseigne  aux  fidèles  la  foi  catholique,  telle  qu'elle  est  contenue 
dans  le  Pater  et  le  Credo  et  qu'on  les  fasse  réciter  dans  leur  langue  mater- 
nelle aux  ignorants  :  c'est  dans  ce  but  qu'il  a  pris  soin  de  traduire  lui-même 
en  anglais  le  Pater  et  le  Credo.  Il  n'est  nulle  part  question  de  V Ave  Maria  ^. 
Au  xii^  siècle  et  au  xiii®,  dans  les  statuts  de  l'ordre  des  chartreux  compo- 
sés par  le  prieur  Guigues,  dans  les  règles  des  templiers,  dans  celle  des  car- 
mes, dans  celle  des  frères  mineurs,    dans  le  testament  de  saint  François 
d'Assise,  dans  les   Us  et  coutumes  des  humiliés  au  rapport  de  Jacques  de 
Vitry,  VAve  Maria  n'est  pas  prescrit  aux  frères  lais  illettrés  ^.  Même  chez 
les  frères  prêcheurs,  ÏAve  Maria  ne  faisait  pas  partie  des  prières  de  règle 
des  frères  lais,  il  ne  fut  introduit  qu'un  certain  temps  après  la  fondation, 
A  Cîteaux,  où  le  culte  de  la  Vierge  prit  de  très  bonne  heure  un  grand 
développement,  on  cite  le  cas  d'un  frère  lai  attaché  à    l'administration 
d'une  ferme  éloignée  du   monastère   et  qui  s'efforçait  d'y  suivre  en   tous 
points  la  règle.  La  nuit,  il  récitait  les  prières  prescrites  aux  frères  à  la  place 
des  matines.  Cela  dit,  pour  remplir  la  veille,  il  ne  trouvait  rien  de  mieux  à 
faire  que  de  répéter  la  Salutation  angélique  qu'il  avait  apprise  tant  bien  que 
mal,  utcumque^.  Un  trait  de  cette  nature  montre  bien  que  VAve  Maria n'ap- 

1.  Mabillon,  op.  cit.,  p.  453. 

2.  Les  Monumenla  calechelica  theotisca,  dans  Schiller,  Thés,  anliquilalum 
Tculonicarum,  iu-4,  Uhnœ,  1728,  t.  i,  donnent  plusieurs  fois  le  Pater  sans  VAve 
Maria. 

3.  HiEC  utraque  et  Symbolum  videlicel  et  Dominicam  orationem,  in  linguam 
Anglorum  translatlonem  obtulil.  Cf.  Mabillon,  Privfallones,  p.  453. 

4.  Guigues  exige  300  Pater  pour  chaque  défunt;  il  parle  plusieurs  l'ois  de 
l'oraison  dominicale,  jamais  de  VAve  Maria;  cf.  c.  xliii. 

5.  Les  «  Us  »  de  Cîteaux  prescrivent  à  tous  les  frères  lais  ut  dicto  completorio 
signent  se.  et  dicto  Amen  dicant  orationem  Pater  noster  et  ('redo  in  Deum.  Cepen- 
dant l'impulsion  est  donnée.  A  Clairvaux,  au  temps  de  saint  Bernard,  le  moine 

CONCILES—  V  -  110 


1746 


APPENDICE    IV 


partint  pas  encore  aux  prières  usuelles  et  prescrites  auxquelles  on  l'oppose. 
Au   sein  de  cette  ignorance  presque  générale,  la  formule  grégoriano- 
milanaise  des  deux  salutations  surgit  au  vii^  siècle,  en  plein  pays  de  li- 
turgie mozarabe.  Nous   lisons   dans   la  \  ie  de  saint   Ildefonse  de  Tolède, 
attribuée  à  un  de  ses  successeurs,  Julien,  qu' Ildefonse  eut  une  vision  de  la 
\ierge  et  son  biographe  rapporte  que  :  genlhus  flexis  illum  ei  versum  an- 
gelicas  salulationis  recolere  cœpit,   niulloties  dicendo  :  Ave,  Maria,   gratia 
plena,  Dominus  tecum  ;   benedicta  tu  in  mulieribus  et  benedictus  /ructus 
vcntris  tui,   ipsumque    versum   finitum    assidue  iterando  repetebat^.   Pour 
rencontrer  un  nouveau  témoignage  aussi  formel,  il  faudra  attendre  le  xi^ 
siècle.  Saint  Pierre    Damien  (f  1072)  rapporte    d'un  clerc    qu'il  récitait 
chaque  jour  V  Ave  Maria  jusqvi'à  benedicta  tu  in  mulieribus^.  Dans  le  même 
opuscule,  le  saint  mentionne  la  récitation  de   l'office  de  la  sainte   Vierge 
et  la  consécration  du  samedi  à  son  culte,  pratiques  qui  commençaient 
alors  à  se  répandre.  L'opposition  qu'il  établit  entre  V Ave  Maria  et  le  petit 
ollice  montre  à  quel  point  la  Salutation  angélique  isolée  était  encore  chose 
insolite,  car,  dans  le  petit  office,  l'invitatoire  (ps.  xciv)  est  composé  de  ces 
mots  :  Ave  Maria,  gratia  plena,  Dominus  tecum.   «  Si  donc,  dit  le  saint, 
ce  clerc,  parce  qu'il  chantait  seulement  un  verset  en  l'honneur  de  Marie, 
en  obtint  la  conservation  de  son  corps,  combien  plus  ne  doivent  pas  en 
attendre  la  récompense  éternelle  ceux  qui  disent  à  cette  Reine  de  l'univers 
tout  le  petit  office.  »  Enfin,  saint  Pierre  Damien  a  composé  une  paraphrase 
rimée   de  la   Salutation  angélique  sous  forme  d'acrostiche  dont  chaque 
mot  commence  une  strophe;  voici  la  formule  qu'il  obtient  :  Ave,  Maria, 
gratia  plena,  Dominus  tecum,  benedicta  tu  in  mulieribus,  et   benedictus  fru- 
ctus  ventris  tui'^.   Formule  identique  chez  un  ermite  du   Hainaut,  saint 
Albert  ou  Aybert,  mort  en  1140.  Suivant  une  dévotion  d'origine  orientale, 
ce  personnage  se  livre  à   des  «  métanies  »  :  Centies  in  die  flectebat  genua 
et   quinquagesies   prostrato    corpore,   scilicet    articulis    et   digitis  sublevato, 
in  unaquaque  flcctione  dicens  :  Ave,  Maria,  gratia  plena,  Dominus  tecum, 
benedicta  tu  in  mulieribus,  et  benedictus  /ructus  ventris  tui  ^. 

Renaud  récitera  plusieurs  fois  VAve  Maria  avant  d'expin  r.  D'après  le  «  Grand 
Exorde  »  de  Cîteaux,  dist.  IV,  c.  xiii;,  les  frères  lais  récitent  la  Salutation  angé- 
lique; d'après  les  «  Institutions  »  colligées  au  xiii^  siècle^  il  est  prescrit  ut  nullus 
conversas  habeat  librum  nec  discat  aliquid  nisi  tantunt  Pater  noster  et  Credo  ÎJi 
Deum,  Miserere  mei  Deus  et  Ave  Maria.  Dist.  XIV,  c.  ii.  Les  «  Constitutions  » 
des  chanoines  réguliers  de  Nicosie,  au  xiii®  siècle,  part.  II,  c.  xvi,  prescrivent 
la  récitation  de  VAve  Maria  en  réparation  de  certains  jurements. 

1.  Mabillon,  Acla  sanct.  O.  S.  B.,  saic.  ii,  in-fol.,  Veneliis,  1733,  p.  499. 

2.  Opuscul.,  XXXIII  :  De  bono  suffragiorum  et  variis  miraculis,  édit.   Caietani, 
Parisiis,  1743,  t.  m,  p.  289. 

3.  S.  Pierre  Damien,  Opéra,  Venetiis,  1743,  t.  iv,  p.  12. 

4.  .Ic/aso/if/.,  aug.  t.  T, 'i  août,  p.  435,  uole404.  Témoignages  divers  recueillis 
par  Trombelli,  Summa  aurea,  édit.   Aligne,  t.  iv,  col.  222. 


sua     LA    SALUTATION    ANGELIQUE  1747 

Au  xii*'  siècle,  Aniédée  de  Lausanne,  abbé  de  Haulecombe,  termine 
sa  iii^  homélie  :  De  laudibus  virginis  Alarise,  par  l'invocation  suivante  : 
Ai^e,  gratia  plena,  Dominus  tecum  :  henedlcta  tu  in  mulieribus  et  benedictus 
fructus  ventris  tui  Jésus  Chrisius,  qui  est  super  omnia  benedictus  Deus  in 
sœcula  sœculorum.  C'est  en  ce  même  xii^  siècle  que  nous  rencontrons  la 
première  prescription  concernant  la  Salutation  angélique.  Elle  est  l'ou- 
vrage de  l'évêque  de  Paris,  Odon  de  Soliac,  qui,  dans  un  concile  tenu  eu 
1198,  promulgue  le  canon  suivant  :  Exhortentur  populum  semper  presby- 
teri  ad  dicendamOrationem  dominicam  et  Credo  in  Deum  et  S alutationem 
beatse  Virginis  ^.  La  même  ordonnance  avait  déjà  été  portée  peut-être 
par  un  concile  d'Orléans  (can.  85)  ";  elle  fut  renouvelée  presque  dans  les 
mêmes  termes  au  concile  de  Durham  (1217)  ^  et  dans  un  concile  provincial 
de  Trêves  (avant  1227)  *.  Dans  les  constitutions  de  Coventry  en  Angle- 
terre (1237),  il  est  dit  :  «  Nous  ordonnons  que  tout  chrétien,  homme  ou 
femme,  récite  chaque  jour  sept  fois  son  Pater  noster,  parce  que,  d'après 
le  prophète,  on  doit  louer  Dieu  sept  fois  le  jour;  de  même  sept  fois  VAi^e 
Maria  et  deux  fois  son  Credo  et  qu'on  les  y  exhorte  souvent  et  qu'on  les 
oblige  à  les  savoir  ^.  »  Le  concile  de  Béziers  (1246)  prescrit  que  les  enfants, 
à  partir  de  l'âge  de  sept  ans,  soient  conduits  les  dimanches  et  jours  de  fête 
à  l'église  pour  y  recevoir  l'instruction  religieuse;  ils  apprendront  le  Pater, 
VAve  et  le  Credo  ^.  Les  statuts  synodaux  du  Mans  (1247)  font  la  même 
recommandation  aux  curés  et  aux  vicaires  :  Doceant  Pater,  Açe,  Credo,  si 
fieri  potest  "^  ;  ordonnance  semblable  rendue  par  le  concile  d'Albi  (1254), 
pour  les  diocèses  d'Albi,  Avignon,  Narbonne,  Bourges,  Bordeaux  S; 
de  même  dans  les  conciles  de  Valence  en  Espagne  (1255),  de  Norwich 
(1257),  de  Rouen  (1278),  de  Liège  (1287),  d'Exeter  (1287).  Ces  deux  der- 
niers conciles,  pour  expliquer  les  mots  :  B. Virginis  salutationem,  ajoutent  : 
Id  est  :  Ave  Maria  ^.  En  1266,  le  chapitre  général  de  l'ordre  des  frères 
prêcheurs  ^^,  réuni  à  Trêves,  impose  aux  frères  lais  la  récitation  de    Y  Ave 

1.  Prsccepla  communia,  n.  x,  dans  Mansi,Cont'î7.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  861. 

2.  Labbo,  Concilia,  t.  viii,  col.  1282. 

3.  Maiisi,  Concil.  ampliss.  coll.,  t.  xxii,  col.  1108,  cap.  i,  n.  4. 

4.  Binterim,  Gescftichte  der  deutschen  Concilien,  t.  iv,  p.  480. 

5.  Mansi,  op.  cit.,  t.  xxiii,  col.  432. 
G.  Ibid.,  t.  xxiii,  col.  G93. 

7.  Ibid.,  t.  xxm,  col.  756. 

8.  Ibid.,  t.  xxm,  col.  837. 

9.  Ibid.,  t.  XXIII,  col.  892,  966;  t.  xxiv,  col.  846;  Hartzheiin,  Concil.  Germa- 
niœ,  t.  III,  col.  684. 

10.  On  rapporte  que  1.;  bienheureux  Gauthier  d'Amarantho  (f  1259)  riçut  de  la 
Vierge  rindicalion  de  l'ordre  religieux  dans  lequel  il  devait  entrer;  ce  l'ut  celui 
dans  lequel  on  commençait  et  on  terminait  l'olTice  De  beala  par  la  Salutation 
angélique.  Le  bienheureux  Gauthier  s'enquit  où  il  rencontrerait  cette  particu- 
larité —  unique  évidemment  —  et  il  entra  dans    l'ordre   de  saint    Dominique. 


1748  APPENDICE  IV 

Maria  en  nombre  égal  à  celui  des  V  Pater  noster  de  leur  office.  Enfin,  à 
partir  du  xiv*^  siècle,  nous  pourrions  citer  une  interminable  série  de  con- 
ciles prescrivant  la  récitation  de  V Ave  Maria  ^.  11  est  vrai  qu'en  regard 
de  ces  prescriptions  conciliaires  on  en  placerait  d'autres,  où,  à  côté  du  Paier 
et  du  Credo,  il  n'est  fait  aucune  mention  de  V Ai>e.  C'est  le  cas  pour  les  sta- 
tuts synodaux  de  l'évêque  Arnaud  de  Valence  (1273)  ^;  pour  le  canon  lie 
du  concile  d'Utrecht  (1294)  3.  Néanmoins,  cette  omission  devient  de  plus 
en  plus  exceptionnelle,  et  si,  en  1582,  un  concile  provincial  tenu  dans  les 
Indes  ne  comprend  pas  VAve  Maria  parmi  les  notions  dont  il  faut  instruire 
les  sauvages  :  quse  singuli  barbari  docendi  sunt,  on  ne  peut  rien  conclure 
de  cette  omission  ^,  car,  dès  le  xiii^  siècle,  YAi'e  Maria  fait  partie  de  l'en- 
seignement inculqué  aux  fidèles  par  les  prédicateurs. 

Maurice  de  Sully,  évêque  de  Paris  (f  1196),  est  peut-être  un  des  der- 
niers témoins  à  citer  parmi  ceux  qui  passent  sous  silence  la  Salutation 
angélique.  En  efïet,  dans  une  suite  de  sermons  sur  le  Credo,  le  Pater,  les 
évangiles  des  dimanches  et  fêtes,  il  traite  méthodiquement  tous  les  sujets 
qui  appartiennent  à  la  foi  et  à  la  vie  chrétienne,  mais  il  ne  fait  aucune 
mention  de  ÏAt^e  Maria  ^.  Par  contre,  dès  que  nous  pénétrons  dans  le 
xiii^  siècle,  les  attestations  se  présentent  nombreuses  et  formelles.  Un  re- 
cueil de  sermons  porte  à  la  première  page  cette  indication  :  Pater  noster. 
Renonciation  au  démon,  Symbole  de  foi  et  Aç'e  Maria^.  Un  sermon  du 
frère  Berthold  de  Ratisbonne  (1^^  moitié  du  xiii®  siècle)  énonce  les  de- 
voirs des  parrains.  «  Les  toteu  (parrains)  de  l'enfant  doivent  lui  apprendre 
le  Credo  et  le  Pater  noster,  dès  qu'il  a  l'âge  de  sept  ans,  car  ils  le  lui  doivent, 
étant  son  père  et  sa  mère  spirituels.  Ils  doivent  dire  à  son  père  ou  à  sa 
mère  :  «  Compère,  vous  devez  apprendre  à  mon  fîUot  le  Pater  noster  et 
le  Credo,  ou  bien  le  faire  venir  chez  moi  pour  que  je  les  lui  apprenne. 
S'ils  peuvent  y  ajouter  VAf^e  Maria,  c'est  admirablement  bien  '^.  »  Dans 
plusieurs  sermons,  le  même  prédicateur  franciscain  invite,  en  terminant 
l'introduction,  suivant  un  usage  que  noxis  retrouvons  dans  la  chaire  fran- 
çaise jusqu'au  xvii^  siècle,  à  réciter  le  Pater,  et,  ceux  qui  le  savent,  VAve 
Maria.  Des  livres,  remplis  de  merveilleux,  vantent  le  pouvoir  surnaturel 
de  V Ave  Maria  et  nous  en  montrent  la  récitation  répandue  dans  toutes  les 
classes  de  la  société  :  un  voleur,  un  écolier,  un  fondeur  de  cloches,  un  bri- 
gand, un  chevalier,  etc.,    doivent  à  VAve   Maria   une  protection  ou  un 

1.  Cambrai,  1300;  Paris,  1350,  etc.,  etc. 

2.  Mansi,  Concil.  ampliss.  coll.,  t.  xxiii,  col.  1058. 

3.  Hartzheim,  Conc.  Gerin.,  t.  iv,  col.  22. 

4.  Aguirre,  Conc.  Hispan.,  t.  vi,  col.  29. 

5.  Lecoy  de  la  Marche,  La  chaire  française  au  tnoyen  âge,  spécialement  au 
xin^  siècle,  in-8,  Paris,  1868. 

6.  Haupt  et  Iloflmaiiii,  AUdeulsche  Blàtter,  in-8,  Leipzig,  1836,  t.  ii,  p.  159. 

7.  Berthold,  Predigten  im  Originallexte,  t.  i,  p.  44. 


SUR     LA     SALUTATION    ANGELIQUE  1740 

prodige  qui  leur  conservent  la  vie  ^.  Chaque  pays  rivalise  avec  le  pays 
voisin  en  fait  de  légendes  merveilleuses  et  les  hommes  les  plus  savants 
s'en  font  les  vulgarisateurs  convaincus.  Tandis  que  Vincent  de  Beauvais 
mentionne  un  moine  de  l'abbaye  de  Saint-Bertin,  près  de  Saint-Omer, 
qui  alterne  la  récitation  de  cinq  psaumes  -  avec  autant  d'Ai'e  Maria  ^, 
Thomas  de  Cantinipré  cite  un  fait  semblable  dun  moine  de  Déols,  près  de 
Bourges  ^. 

Au  xiii*^  siècle,  VAce  Maria  se  généralise  en  tant  que  dévotion,  mais  la 
formule  nest  pas  encore  immuablement  fixée.  Parfois,  on  entend  par 
Ave  Maria  ces  denx  mots  sans  plus;  le  reste  de  la  Salutation  angélique 
est  omis.  Le  i'ieux  passionnai  allemand  raconte  d'un  gentilhomme,  devenu 
frère  lai  dans  l'ordre  de  Cîteaux,  quil  était  si  borné  qu'il  n'avait  jamais  pu 
apprendre  que  ces  seuls  mois  A('e  Maria,  qu'il  répétait  sans  relâche^. 
Nous  savons  également  que  saint  Gerlach  de  Falkemberg  (f  vers  1170) 
répétait  fréquemment  ces  mots  Kyrie  eleison,  Christe  eleison,  Pater  noster, 
Ave  Maria  ^.  Ln  historien  byzantin,  Théophylacte  Simocata,  rapporte 
que,  dans  une  guerre  contre  les  Perses,  en  591,  l'empereur  Maurice  avait 
donné  aux  siens  comme  cri  de  ralliement  ces  deux  simples  mots  :  Ka-.ps 
Mapia  {Ave  Maria)  '.  Il  est  probable  aussi  que  c'est  seulement  de  ces  deux 
mots  qu'il  s'agit  lorsque  le  concile  national  d'Ofen  (en  1279)  ordonne 
dans  son  canon  13^,  à  tous  les  clercs,  de  courber  la  tête  et  de  fléchir  les  ge- 
noux, chaque  fois  que  dans  l'office  divin  ils  entendent  ^  :  ^pe  Maria.  Volu- 
mus  quod  omnes  clerici,  quotiescumque  in  divinis  officiis  Ave  Maria  audive- 
rint,  flexis  genibus  se  reverenter  inclinent^. 

1.  Fr.  Pfeifîer.  Marienlegenden  Dichtungen  des  xiii  Jahrhunderls,  in-8,  Wien, 
1863,  p.  47,  53,  69,  77,  94. 

2.  Magnificat.  Ad  dominum  cum  tribularer.  Rétribue.  In  couver tendo.  Ad  te 
levavi.  Les  initiales  donnent  M.  A.  R.   I.  A. 

3.  Specul.  hist.,  in-8,  Venetiis,  1494,  1.  VII,  c.  cxvi. 

4.  De  apihus,  J.  II,  c.  xxix;  cf.  Barthélémy  de  Trente,  Vitse  et  actus  sanctorum 
per  aiini  circulum,  c.  cv,  cxxxiii,  cxxxiv,  cr.iii,  ccxxx,  dans  Trombelli, 
Summa  aurea,  col.  224.  Césairc  d'Hesterbach,  Hist.,  1.  VII,  c.vi,  ne  peut  manquer 
au  rendez-vous  des  conteurs  légendaires. 

5.  Fr.  Pfeiiïer,  Marienlegenden,  XV^  légende. 

6.  Acta  sanct.,  jan.  t.  i,  p.  304  sq. 

7.  Corp.  script,  hist.  byzant.,  in-8,  Bonn,  1834,  p.  223. 

8.  Peltrfy,  Sacra  concilia  Eccle.iiœ  romanss  catholiav  in  regno  Hungarix  cele- 
brala,  Vindabona;,  1742,  t.  i,  p.  109, 

9.  M.  Louis  Antheunis,  professeur  à  l'Athénée  royal  de  Verviers,  veut  bien  me 
signaler  un  passage  d'un  auteurnéerlandais  du  xiii^  siècle  où  il  est  fait  mention 
de  l'Ai'e  Maria.  Il  s'agit  de  la  Vie  de  sainte  Lutgarde  par  Guillaume  d'Alïlighem, 
Vie  retrouvée  et  publiée  en  1899  :  F.  van  Weerdeghem,  ]Villem  van  Afjlighem's 
Sinte  Lutgart,  dans  Bulletin  de  l'Académie  royale  des  sciences  lettres  et  beaux-arts  de 
BeZgîgué-,  1897,  lire  série,  t.  xxxiv,  p.  1055-1086,  d'après  le  ms.  in  4  i6<Ç  delà  bi- 
bliothèque royale  de  Copcnhnirue.  C'est  nue  tradiiflion  libre  en  y'^f''    lliioi?:  de  la 


1750  APPENDICE    IV 

Au  xiv^  siècle,  Pierre  Pahidanus  assigne  la  Salutation  parmi  les  prières 
que  les  fidèles  doivent  réciter  avec  le  Pater  et  le  Credo  :  quia  ista  sunt  fidei 
rudimenta  et  quasi  principia,  quse  omnem  discipulum  habere  oportet. 

Au  xv^  siècle,  V Ave  Maria  a  pris  place  définitivement  dans  la  dévotion 
chrétienne,  dans  les  manuels  de  piété  et  jusque  dans  les  catéchismes.  L'un 
des  plus  anciens,  celui  du  franciscain  Christian  de  Honeff  (1400),  men- 
tionne V Ave  Maria  dans  son  titre  ^.  Etienne  Lanzkranna,  prévôt  de  Sainte- 
Dorothée,  à  Vienne,  consacre  un  chapitre  de  son  Hymelstrasse  à  VAve 
Maria  ^.  Une  ordonnance  de  police,  à  Nuremberg,  concernant  les  men- 
diants étrangers  (1476)  ne  leur  concède  la  permission  de  mendier  dans  la 
ville  que  s'ils  savent  réciter  Pater,  Ave,  Credo  et  les  dix  commandements  ^. 

On  s'explique  maintenant  comment  Mabillon  pouvait  s'inscrire  en  faux 
contre  l'opinion  des  cardinaux  Baronius  et  Bona,  qui  était  l'opinion  com- 
mune, à  savoir  :  que  VAve  Maria  n'a  commencé  que  fort  avant  dans  le 
moyen  âge  à  être  en  usage  parmi  les  chrétiens  et  que,  dans  sa  forme 
actuelle,  avec  sa  seconde  partie,  il  ne  date  guère  que  du  xvi^  siècle  ^  et 
n'a  été  généralisé  que  vers  la  fin  de  ce  siècle  ou  le  début  du  xvii®.  Mabillon 
écrivait  donc  qu'il  n'avait  rencontré  la  deuxième  partie  :  Sancta  Maria... 
dans  aucun  manuscrit  ou  imprimé  antérieur  à  l'an  1500.  Ainsi  deux  livres 
imprimés  à  Paris,  l'un  par  Simon  Vostre,  en  1498,  l'autre  (une  exposition 
de  la  Salutation  angélique),  en  1494,  ne  la  contenaient  pas  encore.  Par 
exemple,  il  la  trouvait  dans  un  bréviaire  chartreux  de  1521  et  dans  un 
diurnal,  du  même  ordre,  imprimé  en  1551;  mais  à  l'exclusion  du  nutic 
et  in  hora  mortis  nostrœ.  Amen.  Seuls,  un  bréviaire  franciscain  de  1525  et 
un  bréviaire  des  mercédaires  (ou  trinitaires),  imprimé  en  1514,  lui  don- 
naient la  formule  complète.  En  revanche,  il  ne  rencontrait  absolument 
rien  ressemblant  à  cette  deuxième  partie  de  l'Ave  dans  le  bréviaire  d'Autun 

latine  de  la  sainte  morte  en  1246;  quant  à  Guillaume  d'Afflighem,  il  nriourut 
en  1297.  Cette  Vie,  dont  la  valeur  philologique  et  littéraire  est  très  grande,  fut 
dérigée  entre  1262  et  1272.  Au  chapitre  xiii  de  la  II®  partie,  Guillaume 
d'Afïlighem  raconte  coninient  la  sainte  convertit  une  nonne  de  Moustier-sur- 
Sambre  et  comment  celle-ci,  après  sa  mort,  apparut  à  Lutgarde,  qui,  pour  s'as- 
surer que  Tolende  venait  de  la  part  de  Dieu,  lui  recommanda,  en  s'approchant 
d'elle,  de  réciter  le  Bcnedicite,  V Ave  Maria  et  le  Pater. 

Dans  un  récit  poétique  de  la  même  époque  — Beatrys  — ■  et  qui  a  pour  ol)j('t 
la  glorification  des  miracles  opérés  par  l'intervenlion  de  Marie,  on  trouve  encore 
la   mention  de  ]'Are. 

1.  Bintorim,  Geschichte  der  deutschen  Concilien,  in-8,  Mainz,  1849,  t.  vu, 
p.  565. 

2.  Hymelstrasse,  Augsbourg,  1484;  cf.  Gefîcken,  Der  Bilderkatechisinus  des 
XV  J ahrhundcrts y  in-8,  Leipzig,  1855. 

3.  J.  Baader,  Nûrnberger  Polizeiordnungen  nus  dem  xiii  bis  xv  Jahrh.,  dans 
Bibl.  Hier.  Ver.  Stuttgart,  1861,  t.  lxiii. 

4.  Vers  1568  principalement. 


SUR    LA   SALUTATION    ANGELIQUE  1751 

de  1540,  non  pins  qnc  dans  une  méthode  de  confession  éditée  l'année 
suivante.  Bref,  avant  saint  Pie  V,  le  fameux  bréviaire  de  Quignonez  était 
seul,  parmi  les  livres  romains,  à  présenter  la  formule  en  question  ^.  Mabillon 
ne  poussa  pas  plus  loin  ses  recherches.  Mais  il  est  à  croire  que,  dans  sa 
congrégation,  q\ielques  esprits,  mis  en  éveil,  voulurent  suivre  la  piste 
qu'il  venait  de  tracer.  La  bibliographie  tracée  par  dom  Le  Cerf  2  mentionne 
un  écrit  de  dom  Massuet,  dans  lequel  l'éditeur  de  saint  Irénée  défendait 
l'orthodoxie  de  ses  confrères  contre  la  condamnation  prononcée  par  l'évê- 
que  de  Baveux  sur  le  travail  d'un  moine  bénédictin  de  Saint-Maur  qui 
soutenait  que  :  Angelica  salutatio  duodecimo  sseculo  in  usu  esse  cœpit,  at 
voces  hœ  :  Sancta  Maria  et  subséquentes  alise  diu  post  sextum  decimum  sse- 
culum  adjunctœ  esse  videntur  ^.  Depuis  lors,  la  question  fut  souvent  abor- 
dée sans  que  chaque  étude  ait  toujours  marqué  un  progrès  sur  l'étude 
qui  l'avait  précédée. 

Voici  les  principaux  parmi  ces  travaux:  F.  M.  Magi,  De  sacris  cserimoniis 
circa  Salutationem  angelicam,  in-fol.,  Panormi,  1654.  —  Grancolas,  His- 
toire du  bréviaire  romain,  t.  i,  c.  11.  —  Catalani,  Pontificale  romanum, 
édit.  1851,  t.  II,  p.  406.  —  A.  Zaccaria,  Onomasticon  rituale,  p.  37,  au 
mot  A^'e  Maria.  —  Le  même,  Dissertazioni  parie  italiane,  Roma,  1780, 
t.  II,  p.  242.  —  Gavanti-Merati,  Thésaurus  sacrorum  rituum,  t.  m,   sect.  v, 

c.  I,  p.  123  sq.  —  Trombelli,  Marise  sanctissimse  cita  ac  gesta  cultusque 
illi  adhibitus,  6  vol.,  Bononii,  1761-1765,  principalement  t.  v  (1764), 
Dissertatio  quarta  secundse  partis,  qusest.  m,  p.  249-266"*.  —  Moroni, 
Dizionario  di  erudizione  storico-ecclesiastico,  t.  m,  p.  154.  —  A.  J.  Binterim, 
Die  voruzglichsten  Denkwiirdigkeiten  der  christl.-katholischen  Kirche, 
Mainz,  1831,  t.  vu,  p.  125. —  Fr.  Meyrick,  dans  Dictionary  of  Christian 
antiquities,  t.  i,  p.  754.  —  F.  Probst,  dans  Kirchenlexicon,  2^  édit.,  col. 
1743-1744.  —  Th.  Esser,  Geschichte  d.  engl.  Crusses,  dans  Historisches 
Jahrbuch  der  Gorres  Gesellschaft,  1884,  p.  88  sq.  —  A.  Lury,  L'ylpe  Maria, 
son  origine  et  ses  transj ormations ,  dans  le  Bull,  d'arch.  et  d'hist.  du  Tarn- 
et- Garonne,  1886,  t.  xiv,  p.  145-171.  —  Th.  Esser,  Beitrâge  zur  Geschichte 

d.  R'jsenkranzes,  dans  Der  Katholik,  Mainz,  1897,  p.  346  sq.,  409  sq., 
51'î  sq.  —  P...  (^  Paul  Cagin),  Sur  V Ai'e  Maria,  dans  Le  mois  bibliogra- 
phique, 1895,  t.  m,  p.  243-251.  —  Zockler,  dans  Realencyklopddie  fur 
protest.  Theol.  und  Kirche,  1906,  t.  xvii,  p.  144-160. 

1.  P...,  dans  Le  mois  bibliographique,  1895,  p.  244. 

2.  Ph.  Le  Cerf^  Bibliothèque  historique  et  critique  des  écrivains  de  la  congréga- 
tion des  bénédictins  de  Saint-Maur,  in-12,  La  Haye,  1726,  p.  342-343, 

3.  D.  Massuet,  Lettre  à  Mgr  l'évêque  de  Bayeux  sur  so7i  mandement  du  5  mai 
1707  portant  la  condamnation  de  plusieurs  propositions  extraites  des  thèses  sou- 
tenues par  les  religieux  bénédicticns  la  congrégation  de  Saint-Maur,  dans  l'abbaye 
de  Saint- Etienne  de  Caen,  au  diocèse  de  Bayeux,  in-12,  La  Haye,  1708. 

4.  Réimprimé  en  entier  par  Bourassé,  Summa  aurea,  édit.  Migue,  t.  iv,  col. 
219  sq. 


1752  APPENDICE    IV 

Le  grand  intérr-l  de  la  disserta  lion  de  Tronibelli  est  non  seulement 
dans  son  érudition  étendue,  mais  dans  l'enquête  qu'il  a  poursuivie  en  Ita- 
lie, enquête  qui  a  porté  non  seulement  sur  les  livres  liturgiques  propre- 
ment dits,  dont  il  avait  feuilleté  un  nombre  respectable,  imprimés  et  ma- 
nuscrits, à  la  bibliothèque  du  monastère  de  Saint-Sauveur  de  Bologne, 
mais  encore  sur  les  livres  appartenant  à  la  littérature  de  dévotion  et  à  la 
littérature  dantesque.  Il  tire  de  tout  ce  qu'il  a  lu  un  parti  très  ingénieux, 
quelquefois  un  peu  subtil,  pour  marquer  les  étapes  à  travers  lesquelles 
on  s'acheminait  vers  la  formule  définitive.  Le  terrain  ne  laisse  donc  pas 
d'être  déjà  suffisamment  défriché  pour  qu'on  puisse  soupçonner  ce  qu'il 
produira.  Ce  qui  complique  les  choses,  c'est  que  —  rien  de  plus  naturel, 
du  reste  —  ce  n'est  pas  partout  ;i  la  fois,  ni  de  la  même  manière,  qu'on  voit 
progresser   la   formule. 

C'est  sous  la  forme  que  nous  avons  rencontrée  dans  les  livres  liturgiques 
que  la  Salutation  angélique  se  généralisa  peu  à  peu  au  xiii^  siècle.  On  se 
bornait  à  dire  :  Ai^e,  Maria,  gratia  plena,  Dominus  tecum,  benedicta  lu  in 
mulieribus :  et  hemdiclus  fructus  ventris  tui.  Rien  de  plus.  Ainsi  Albert  le 
Grand  se  demande  pourquoi  l'Eglise  a  uni  les  paroles  de  sainte  Elisabeth 
aux  paroles  de  l'ange  Gabriel;  il  ne  mentionne  rien  au  delà  ^.  Un  autre 
traité  sur  la  Vierge  Marie,  consacré  à  l'explication  de  ÏAt^e  Maria,  a  proba- 
blement pour  auteur  Richard  de  Saint-Laurent,  cette  fois  encore  l'explica- 
tion prend  fin  après  les  paroles  de  sainte  Elisabeth^,  De  mêmepour  la  brève 
exposition  de  la  Salutation  angélique  attribuée  à  saint  Thomas  d'Aquin^. 
Saint  Bonaventure  ne  cite  rien  au  delà  des  mots  fructus  ventris  tui  ^,  pas 
plus  d'ailleurs  que  Thomas  de  Cantimpré^.  On  voit  que,  depuis  le  temps 
de  saint  Ildefonse  de  Tolède,  de  saint  Pierre  Damien,  de  saint  Aubert 
et  tous  ceux  que  nous  avons  nommés,  la  formule  n'a  subi  aucune  modi- 
fication, aucune  addition.  Elle  se  maintiendra  ainsi  pendant  plusieurs 
siècles  encore  dans  certaines  contrées.  Une  source  assez  abondante  d'in- 
formation, les  cantiques  populaires  sur  V Ave  Maria,  au  xiv^  et  au  xv® 
siècle,  composés  les  uns  en  latin,  les  autres  dans  la  langue  du  pays  qui  en 
fait  usage,  s'arrêtent  à  lui  ^.  Quelques-uns  seulement,  parmi  ces  cantiques, 

1.  Albert  le  Grand,  Mariale  swe  questiones  super  evangelium  Missus  est,  Lug- 
duni,  1651,  p.  194-197. 

2.  De  laudibus  beatx  Maria'  Virs;inis,  Lugduni,  1651,  p.  156  sq.,  traité 
attribué,  sans  vraisemblance,  à  Albert  le  Grand. 

3.  In  Salut,  angel.  vulgo  Ave  Maria  exposilio,  dans  Opéra,  Parmœ.  t.  xvi,  p.  13.3. 

4.  Spéculum  beatse  MariseVirginis,  lect.  xvi,  dans  Opéra,  Lugduni,  1688,  t.  vi, 
p.  455,  traité  appartenant  à  saint  Bonaventure  ou  à  saint  Amselme  de  Lucques. 

5.  De  apibus,  1.  II,  c.  xxix,  part.  29. 

6.  Mone,  Lateiiiische  Hymnen  des  Mittelallers,  t.  ii^  p.  133,  n.  392-403;  Quellen 
und  Forschungen,  p.  109  ;  Uebersicht  der  niederland.  Volksliieralur,  p.  166-239; 
Van  der  Hagen,  Grundriss  zur  Geschichte  der  deutscfien  Poésie,  p.  458  ;  Trombelli, 
édit.  Migne,  t.  iv,  col.  229-230. 


SUR     TA     SALUTATION     ANGKLIQUE  1753 

dont  les  strophes  débutent  ordinairement  par  un  mot  de  VAt^e  Maria, 
ont  aussi  une  strophe  commençant  par  le  nom  de  Jésus  ou  par  Christus. 
Une  hymne  pubhée  par  Mone  ajoute  à  Jésus  ces  mots  :  Sancta  Maria,  ora 
pro  nobis  (n°  392);  une  autre  :  Mater  Dei,  ora  pro  nobis  peccatoribus 
(n"  400);  un  cantique  italien  manuscrit,  dont  l'écriture  reporte  au  xn*-' 
siècle,  donne  :  Jhesus,  sancta  Maria,  ora  pro  nobis,  nunc  et  in  hora  mortis 
Mais  il  en  est  qui  résistent  à  cette  addition.  Un  petit  livre  de  piété  imprimé 
à  Mayence,  en  1561,  dit  formellement,  dans  l'explication  qu'il  consace  à 
y  Ave  Maria,  qu'on  n'ajoute  rien  à  tui.En  voici  le  titre  :  Brevis  ad  christia- 
nam  pietatem  institutio  composita  a  Michaele  episcopo  Maspurgensi  superiori 
tempore  suffra ganeo  Moguntinensi  in  puerorum  usum  conscripta.  Le  caté- 
chisme de  Jean  Hessels,  imprimé  à  Louvain,  en  1571,  s'arrête  à  fructus 
ventris  tui.  Un  autre  écrivain  belge,  Colvenerius,  dans  son  calendrier  de 
la  très  sainte  Vierge,  imprimé  à  Douai,  en  1639,  dit  que,  de  son  temps, 
l'addition  Jésus  à  la  fin  de  la  première  partie  n'est  pas  encore  générale- 
ment usitée  parmi  les  fidèles  ^.  Il  s'en  rapporte  sur  ce  point  aux  caté- 
chismes du  pays.  Enfin,  les  chartreux,  au  xiv^  siècle,  n'ajoutaient  encore 
rien  à  tui,  si  leur  bréviaire  de  cette  époque,  cité  par  Trombelli,  peut  faire 
foi  pour  l'ordre  tout  entier. 

Povir  l'addition  di' Amen  à  tui,  D.  Cagin  ne  trouve  dans  ses  notes,  dit-il, 
qu'une  paraphrase  acrostiche  en  français  du  xv^  siècle  (manuscrit  de  Bo- 
logne) ^. 

L'addition  Jésus  à  tui  n'a  été  relevée  jusqu'à  présent  que  dans  un  petit 
nombre  de  cas.'  Outre  le  petit  office  de  la  Vierge  chez  les  dominicains  ^, 
nous  signalerons  qiielques  hymnes  sur  V Açe  Maria  du  livre  de  prières 
imprimé  en  1498,  chez  Simon  Vostre,  où  on  lit:  Fructus  ventris  lui  Jésus. 
Amen,  et  Oswald  Pelbard  de  TemesMar  termine  l'explication  de  VAve 
Maria  par  le  mot  Jésus. 

L'addition  Jésus  Chi-istus  est  beaucoup  ntiieux  pourvue  d'attesta- 
tions. La  Chronique  de  Windesheim  ^,  près  Zwolle,  mentionne  le  chanoine 
régulier  Jean  Celé  qui  terminait  la  Salutation  par  ces  mots  :  ...ventris  tui 
Jésus  Christus  qui  est  gloriosus  Deus  henedictus  in  ssecula  ;  chose  notable, 
nous  retrouvons  cette  même  conclusion  à  une  distance  considérable  de  la 
province  d'Overyssel,  en  Suisse  cette  fois,  où  Amédée  de  Lausanne  ter- 
mine la  Salutation  par  ces  mots  :  ...ventris  tui  Jésus  Christus,  qui  est  su- 
per omnia  benedictus  Deus  in  ssecula  sœculorum.  Amen^.Ce  développe- 
ment insolite  procède    très    vraisemblablement    de    la    clausule    finale  : 

1.  Calendarium  S.  V.  Marise,  au  10  janvi:;r,  p.  1,  n.  10. 

2.  Le  mois  bibliographique,  p.  248. 

3.  C'est  le  seul  cas  relové  par  D.  Cagin,  op.  cit.,  p.  249. 

4.  Chronicon  canonicorum  regular.  ord.  S.  Augustini,  capiluli   Windesemensis, 
édit.  H.  Rosweyde,  1621,  1.  I,  c.  lxx. 

^,  Amédée  de  Lausanne,  fjomil.,  lu.  De  laudihy.s  Virginis  Marias. 


1754  APPENDICE    IV 

...fructus  çentris  tui,  Jésus  Christus.  Amen,  introduite  par  Urbain  IV,  disent 
les  uns,  par  Sixte  IV,  disent  les  autres,  et  ils  ajoutent  que  le  pape  concéda 
une  indulgence  de  trente  jours  à  tous  ceux  qui  diraient  la  Salutation 
avec  la  dite  clausule.  Ce  renseignement,  emprunté  par  Mabillon  à  un  petit 
livre  anonyme  du  xv^  siècle  contenant  dilTérentes  indulgences  accordées 
par  les  papes,  se  trouve  confirmé  par  l'explication  manuscrite  inédite  de 
Henri  de  Langensheim,  sur  VAve  Maria,  en  1397.  Il  termine  la  Salutation 
par  les  mots  :  Jésus  Christus.  Amen,  et  assure  que  le  pape  — qu'il  ne  nomme 
pas  —  a  fait  cette  addition  et  y  a  ajouté  une  indulgence  ^.  Au  xv^  siècle, 
Michel  de  Lille  rapporte  encore  à  Urbain  IV  la  concession  des  trente 
jours,  auxquels  Jean  XXII  aurait  ajouté  trente  autres  jours,  comme  on 
peut  le  voir,  dit-il,  dans  la  bulle  authentique  conservée  en  Avignon'-^.  Par 
contre,  beaucoup  d'auteurs  ignorent  l'origine  de  cette  addition,  qu'ils 
attribuent  sans  plus  d'hésitation  à  l'Église:  Fructus  autem  istius  nomen 
non  expressit  Elisabeth,  verum  addidit  Ecclesia  :  Jésus  Christus,  dit  le  cardi- 
nal Hosius  ^ 

Ceci  explique  suffisamment  la  rapide  expansion  de  la  clausule.  Si,  plus 
d'un  siècle  après  Urbain  IV,  saint  Anlonin  de  Florence  semble  encore 
l'ignorer  ^,  on  la  rencontre  presque  universellement.  Thomas  a  Kempis 
en  fait  usage  dans  ses  écrits  ^  et  le  dominicain  Michel  Vebe  dans  ses  can- 
tiques 6.  Trombelli  mentionne,  parmi  les  livres  de  sa  bibliothèque,  un  Ofli- 
cium  B.  Mariae  Virginis  imprime  à  Venise  au  début  du  xvi^  siècle.  Ce  livre 
contient  un  Rosarium  deauratum  B.  M.  V.  que  précède  la  Salutation 
angélique  avec  ces  mots  :  ...ventris  tui  Jésus  Christus,  Amen,  qui  repa- 
raissent dans  VHortulus  animas  (jadis  très  répandu  en  Allemagne)  sous 
cette  forme  :  ...ventris  tui  Jésus  Christus  "•.  Le  concile  de  Strasbourg,  en 
1549,  fait  usage  de  la  clausule  totale  ^  qui  peut  se  réclamer  d'un  grand 

1.  Bibl.  Conv.  Vienn.  ord.  prœdic,  MiscelL,  35. 

2.  Quodlibetum  de  veritate  fraterniiatis  Rosarii,  ColonicT,  1M9,  c.  v.  Alain  de 
la  Roche  confirme  le  fait  de  l'indulgence  de  soixante  jours,  octroyée  par  .Jean 
XXII  ;  il  est  suivi  par  Cornélius  de  Suekis,  Paris,  1514,  et  Marcus  a  Veida,  Leip- 
zig, 1515. 

3.  J.  Mauburnus,  Rosetum  exercitiorum  spiritualium,  Parisiis,  1510,  37^  alpha- 
bot;  G.  Witzel,  Caiechismus  Ecclesiœ.  Lipsia;,  1535-153G;  Opéra,  Coloniae,  1559, 
t.  II,  p.  136;  Hosius,  Confessio  catholiae  fidei  christiana,  c.  lx.  Opéra,  Coloni, 
1584,  t.  I,  p.  542;  Fr.  Nausea,  Homiliatica  pro  Salutatione  angelica  adi>ersus 
schismaticos  apologia,  Vienne,  1537;  Nausea,  Catechismus  catholicus,  Coloniaf, 
1543. 

4.  Summa  theologica,  part.  IV,  tit.  xv,  c.  xiii-xv. 

5.  Soliloqulurn  animée,  cap.  xxiii,  n.  6;  Sermones  ad  novitios,  p.  m,  serm.  ii, 
n.   7. 

6.  Leipzig,  1537;  réédités  par  Hoffmann  de  Fallersleben,  Hannoverj  1853. 

7.  Antwerpiœ,  1568,   p.   202. 

8.  Hartzheim,  Conc.  Germ.,  t.  vi,  p.  443. 


SUR     LA     SALUTATION     ANGELIQUE  1755 

nombre  d'autres  attestations,  notamment  les  catéchismes  du  xvi^  siècle  ^. 
Thalhofer  constate  donc  avec  raison  que  l'usage  en  est  demeuré  général 
dans  le  peuple  du  sud  de  l'Allemgne  et  Probst  fait  observer  qu'un  décret 
des  Rites  défend  d'ajouter  Christus  dans  le  texte  latin.  Toutefois  rappelons 
que,  d'après  la  Brei^is  ad  cliristianam  pietatem  institutio,  dont  nous  avons 
parlé  plus  haut,  on  constate  que  la  clausule  était  tombée  en  désuétude 
dans  le  diocèse  de  Mayence  aux  environs  de  l'année  1561  ^;  ce  qui  justi- 
fierait une  fois  de  plus,  s'il  était  nécessaire,  la  remarque  de  D.  Cagin  qu'  «  il 
est  nécessaire  de  procéder  à  la  fois  chronologiquement  et  topographique- 
ment  et  d'interroger  les  manifestations  de  la  piété  des  diverses  Eglises 
occidentales  et  orientales,  tant  dans  la  liturgie  que  dans  la  dévotion 
privée  et  dans  les  écrits  parénétiques  ou  autres  qui  peu\  ent  témoigner 
pour  chacune  d'elles  ^.  »  La  clausule  était  encore  en  usage  dans  les  églises 
du  diocèse  d'Augsbourg  en  1543;  en  1567,  il  n'en  était  plus  question.  Il  y 
aurait  peut-être  lieu  de  rechercher  la  survivance  de  la  clausule  après 
l'adoption  de  la  formule  telle  que  nous  la  récitons.  Citons  le  bréviaire  de 
Constance  de  1575  qui  maintient  Christus  disparu  dans  le  bréviaire  de  1599; 
le  bréviaire  de  Coire,  de  1595,  qui  maintient   le  mot  Christus. 

En  ce  qui  regarde  la  seconde  partie  de  la  formule,  nous  avons  dit  que 
Mabillon  et  ses  confrères  de  la  congrégation  de  Saint-Maur  soutenaient 
que  ces  «  paroles  Sancta  Maria...  semblent  avoir  été  ajoutées  longtemps 
après  le  xvi^  siècle.  »  Sous  cette  forme  trop  concise,  l'affirmation  était  peu 
exacte.  Sans  doute,  les  réformés  d'Allemagne  se  scandalisaient  bien  haut 
de  ce  que  la  Salutation  angélique  n'était  suivie  d'aucune  demande  : 
Recitant  hanc  salutationem  pro  oratione  cum  tamen  nihil  in  ea  petatur,  écrit 
le  luthérien  Brentius.  Ce  à  quoi  l'évêque  Nauséa  répond  que  VAmen 
final  lient  lieu  de  prière,  tandis  que  le  dominicain  Dietenberger  déclare 
que  VAfe  Maria  n'est  pas  une  demande,  mais  une  louange,  et  un  concile  de 
Mayence,  en  1549,  fait  sienne  cette  explication,  qui  nous  intéresse  en  ce 
qu'elle  reconnaît  implicitement  l'absence  de  la  seconde  partie  de  la  Salu- 
tation. Tous  cependant  ne  tenaient  pas  VAçe  Maria  pour  dépourvu  de 
valeur  impétratoire.  Depuis  longtemps  l'usage  était  établi  parmi  les  pré- 
dicateurs d'introduire  au  début  de  leurs  sermons  la  Salutation  angélique  '* 

1.  Moufang,  Kathol.  Catech.  des  xvi  Jahrhunderis  in  deutscher  Sprache,  in-8, 
Mainz,  1881. 

2.  Trombelli,  op.  cit.,  édit.  Migne^  t.  iv,  col.  231. 

3.  P...^  dans  Le  mois  bibliographique,  p.  246. 

4.  Ferrari,  De  ritu  sacrarum  Ecclesiœ  veteris  concionum,  Venetiis,  1618.  Un 
traité  anonyme  de  1390,  intitulé  :  Ars  faciendi  sermones,  dans  Échard,  Script, 
ord.  predic,  t.  i,  p.  739,  contient  un  chapitre  intitulé  :  Docet  varias  modos  de- 
scendendi  ad  Ave  Maria.  Cet  usage  existait,  dès  le  xv^  siècle,  dans  la  basilique 
Vaticane,  ainsi  qu'on  le  voit  par  VOrdo  romanus  de  Pierre  Amelius,  évêque  de 
Sinigaglia,  écrit  en  1390,  et  publié  par  Mabillon,  Musaeum  Italicum,  Paris,  1724, 


î7o6  APPENDICE    IV 

et  saint  Antonin  de  Florence  dit  à  ce  propos  :  Ilanc  {Mariam)  cjuoque 
heatam  prsedicent  et  benedicunt  omnes  sermocinantes  et  prœdicantes  christi- 
colis  exordium  pro  gratia  impetranda  a  Scdutatione  angelica  facientes  ^ 
Érasme  n'en  reprenait  pas  moins  à  son  compte  Tobjection  des  adversaires^ 
et  on  lui  répondait,  pertinemment  cette  fois,  qu'à  la  suite  de  la  Salutation, 
on  ajoutait  ces  mois  :  Sancta  Maria,  Mater  Dei,  ora  pro  nohis  peccatorlbus  ^. 
Dans  l'intervalNî,  il  s'était  glissé,  çà  et  là,  une  prière  proprement  dite  à 
la  Vierge.  Un  des  plus  précieux  et,  jus(prici,  le  plus  ancien  témoignage 
que  nous  en  ayons,  est  celui  de  saint  Bernardin  de  Sienne  (t  l''i''t4) 
qui,  dans  un  sermon  sur  la  Passion,  dtmne  cette  fornuile  :  ...ventristui. 
Nec  insuper  svd)dere  possum  :  Sancta  Maria,  ora  pro  nohis  peccatori- 
hus  *.  Vn  autre  franciscain,  presque  contemporain,  Oswald  Pelbard  de 
Temeswar.  cite  deux  ])rières  qu'il  assure  avoir  été  révélées  par  la  Vierge 
même.  C.e  sont  :  Sancta  Maria,  Mater  Dei  et  Domini  nostri  Jesu,  ora 
pro  me  et  pro  omnibus  peccatorlbus  ^,  et  Virgo  benedicta  est  mihi 
adjutrix  in  hora  mortis  ^.  Le  bréviaire  des  chartreux,  imprimé  à  Paris,  en 
1531,  chez  Thielmann  Kerver,  et  le  diurnal  des  mêmes  religieux,  imprimé 
en  1551,  ofTre  la  Salutation  avec  ces  mots  :  Ora  pro  nobis  peccatorihus. 
Amen.  Le  bréviaire  de  1587  la  reproduit  identiquement.  Plusieurs  con- 
ciles de  ce  temps  adoptent  cette  formule.  Concile  de  Narbonne,  en  1551  : 
...  ventris  tui  Jesu.  Ora  "^ ;  conciles  d'Augsbourg  et  de  Constance,  en  1567  : 
...ventris  tui  Jésus  Christus.  Ora  ^.  Ces  Ouctuations,  ces  hésitations,  ces 


t.  II,  p.  448;  voir  le  c.  xi.iii,  p.  469  :  dum  dicitur  Ave  Maria  in  principio  sermo- 
nis.  Même  en  admettant  des  interpolations  dans  VOrdo  par  Pierre  Oloycensis,  au 
xv^  siècle,  le  renseignement  subsiste. 

1.  Summa  theologica,  part.  IV,  tit.  xv,  c.  xxiv,  n.  3. 

2.  Ecclesiasles,  1.  II,  Opçra,  édit.  J.  Clericus,  Lngdnni  Batavorum,  1703,  t.  v, 
p.   873. 

3.  Joh.  Gen.  Sepulveda,  Parisiis,  1531.11  est  surprenant  que  personne,  enitalie, 
n'ait  songé  avant  Trombelli,  op.  cit.,  édit.  Migno,  t.  iv,  col.  235,  à  invoquer  un 
bréviaire  romain  du  xiv^  ou  du  début  du  xv*'  siècle,  dans  lequel  on  lit  après 
complies  :  Ave  Maria,  gratia  plena,  Dominus  tecurn,  benedicta  tu  in  niulieribus 
et  benedictus  fructus  ventris  tui  Jésus  Christus.  Sancta  Maria,  Mater  Dei,  ora  pro 
nobis  nunc  et  in  hora  mortis  nostrse.  Amen.  On  peut  juger,  d'après  la  date  de  ce 
bréviaire,  de  quelle  créance  est  digne  l'affirmation  de  Berthold  de  Henneberg, 
archevêque  de  Mayence,  qui,  dans  une  ordonnance  de  l'année  1493,  attribue  la 
clausule  finale  à  Alexandre  VI  :  Antequam  dicatur  Amen,  addita  est  oratio 
Alexandri  papœ  VI.  Le  plus  qu'on  puisse  lui  accorder,  c'est  que  ce  pape  y  aurait 
attaché  une  indulgence. 

4.  Serm.,  u,  De  passions  Domini,  édit.  Venise,  1745,  t.  i,  p.  237. 

5.  Pomarium,  1.  I,  part.  IV,  art.  3,  c.  iv. 

6.  Ibid.,  pars  ultima,  c.  xii,  mirac.  2. 

7.  Hardoiùn,  Coll.  concil.,  t.  x,  col.  452. 

8.  Hartzbeirn,  rojfr,  (7erm.,  t,  VII,  p.  161,  535, 


SUR    LA    SALUTATION     ANGÉLIQUE  1757 

retouches  marquent,  somme  toute,  un  recul  par  rapport  à  la  formule 
donnée  par  saint  Bernardin  de  Sienne  dans  un  de  ses  sermons  :  Sancta 
Maria,  Mater  Dei,  ora  pro  nobis  peccatoribus.  Amen  ^.  Trombelli  a  collec- 
tionné diverses  compositions  poétiques  dans  lesquelles  la  pensée  approche 
de  celle  qui  est  exprimée  dans  la  deuxième  partie  de  la  Salutation,  mais 
l'expression  s'en  éloigne  toujours  plus  ou  moins.  Une  collection  de  louanges 
niétriques  ayant  pour  auteur  le  frère  de  saint  Laurent  Justinien,  en  1477, 
paraphrase  VAi>e  Maria  et  demande  ut  pro  nobis  oret  ^.  Néanmoins  le  meil- 
leur résultat  du  rapprochement  de  ces  paraphrases  poétiques  est  de 
montrer  la  formule  complète  en  quelque  manière  répandue  dans  l'air. 
En  débarrassant  ces  pièces  mi-latines  mi-italiennes  de  leur  appendice, 
en  isolant  la  partie  latine,  on  arrive  à  d'heureux  résultats,  tels  que  ceux-ci  : 
Ave  Maria,  gratia  plena,  Dominas  tecum,  benedicta  tu  in  mulieribus  et 
benedictus  .fructus  ventris  Jesu  :  Sancta  Maria  [nostra  advocata  )  Mater  Dei, 
ora  pro  nobis,  nunc  et  in  hora  mortis  ^.  Et  encore  :  Maria  adçocata.  Ora  pro 
nobis,  nunc  et  in  hora  '*...  Trois  paraphrases  parues  en  italien  à  Venise, 
en  1519,  donnent  les  formules  :  nunc  et  in  hora  mortis,  in  hora  mortis,  nunc 
in  hora  mortis,  qui  évidemment  s'imposent  de  plus  en  plus  et  conquièrent 
leur  place  définitive  ^. 

Les  livres  liturgiques  apportent  des  faits  plus  formels  et  mieux  vérifiés. 
Trombelli  cite  deux  Officia  pan^a  B.  M.  V .,  du  rite  chartreux;  le  plus 
ancien  remonte  à  1563  ^,  on  y  lit  :  Ave,  Maria,  gratia  plena,  Dominus 
tecum,  benedicta  tu  in  mulieribus,  et  benedictus  fructus  ventris  tui  Jésus. 
Sancta  Maria,  Mater  Dei,  ora  pro  nobis  peccatoribus,  nunc  et  in  hora  mortis 
nostrae.  Amen  (fol.  14).  Nous  pouvons  suivre  dans  le  bréviaire  la  progres- 
sion qui  aboutit  finalement  à  cette  formule  désormais  acquise.  Un  bréviaire 
de  l'ordre  de  la  Merci,  imprimé  à  Paris  en  1514,  porte  :  nunc  et  in  hora 
mortis.  Amen;  le  bréviaire  camaldule,  imprimé  à  Venise  en  1514,  donne  : 
Sancta  Maria,  Mater  Dei,  ora  pro  nobis  peccatoribus,  nunc  et  in  hora 
mortis.  Amen  (p.  246).  Le  bréviaire  franciscain,  imprimé  à  Paris  en  1525, 
porte  la  formule  dont  il  aura  pu  suggérer  l'insertion  au  cardinal  Quignonez, 
franciscain,  chargé  de  préparer  le  bréviaire  romain  qui  fut  imprimé  à 
Rome  en  1536  et  à  Venise  en  1537;  on  y  lit,  Dominica  prima  Adventus, 
la  clausule  :  Ora  pro  nobis  peccatoribus.  Amen  "^ .  Après  toutes  ces  tentatives 

1.  Serni.,  vi,  In  annuntialione  B.  V.,  édit.  Venise,  1745,  l.  iv.  p.  94. 

2.  Laude  delV  excelleiitissiino  Missier  Lunardo  Giusliniano,  palricio  Veneliano, 
e  de  'allri  sapientissimi  uornini,  Vincenzia,  1477. 

3.  Trombelli,  op.  cit.,  édit.  Migne,  t.  iv,  col.  23G. 

4.  Ibid. 

5.  Ibid.,  t.  IV,  col.  236-237;  ces  paraphrases  sont,  en  grande    partie,  l'ou* 
vrage  d'Antonio  Cornazano,  poète. 

6.  Imprimé  à  la  Chartreuse  de  Pavie,  le  l^""  mars  1563. 

7.  Breviarium  cardlnalis  Sanctx  Crucis,  Antwerpiai,  1561,  fol.  49. 


1758  APPENDICE    IV 

plus  OU  moins  heureuses,  nous  voyons  l'ylpc  Maria  faire  son  apparition 
dans  le  bréviaire  romain  édité,  en  1568,  ])ar  saint  Pie  V,  qui  en  prescrit 
la  récitation,  conjointement  avec  celle  du  Pater  noster  avant  chaque 
heure  canoniale.  Dans  les  années  qui  précèdent  ou  qui  suivent  cette  date 
de  1568,  on  peut  encore  noter  quelques  variantes  de  peu  d'importance  : 
Specchio  cristiano,  1577  :  Sancla  Maria,  Mater  Dei,  ora  pro  nohis  peccato- 
ribus  nunc,  et  semper.  —  Manuale  orationum,  1572  :  Ave  Maria,  gratia 
plena  :  Dominus  tecuni  :  henedicta  ta  in  inulieribus,  et  benedictus  fructus 
ventris  tui  Jésus.  Sancta  Maria,  Mater  Dei,  ora  pro  nobis  peccatoribus. 
Amen.  —  Institutiones  christianse  pietatis,  1583  :  Sancta  Maria,  Mater 
Dei,  ora  pro  nobis  peccatoribus.  Amen. 

La  bulle  de  saint  Pie  V  prescrivant  l'adoption  du  nouveau  bréviaire 
romain  déclarait  positivement  que  les  bréviaires  existant  depuis  deux 
cents  ans  et  plus  devaient  être  conservés.  Ce  fut  le  cas  pour  le  bréviaire 
des  frères  prêcheurs  qui  nous  oU're  encore  VAçe  Maria,  avant  les  heures 
de  roffîce  de  la  sainte  Vierge,  sous  sa  forme  antique,  c'est-à-dire  jusqu'à 
Jésus  et  sans  la  prière  Sancta  Maria,  Mater  Dei,  etc.  Il  se  passerait  encore 
bien  du  temps  avant  qu'on  atteignît  à  l'uniformité.  En  1571,  nous  enten- 
dons un  concile  de  Besançon  s'exprimer  ainsi  :  Ex  Ecclesise  ritu  ^  adji- 
cimus  :  Jésus  Christus.  Amen.  Et  quamvis  hac  salutatione  sufficienter  peti- 
tur,  quidquid  impetrare  petimus  cupimus  ab  eo,  qui  cota  nostra  et  cogita- 
tiones  novit,  tamen  addi  solet,  non  absque  pietate  :  Sancta  Maria,  Dei  Geni- 
trix,  Virgo,  ora  pro  nobis  peccatoribus.  Amen  ^. 

Le  bienheureux  Pierre  Canisius,  que  les  nécessités  de  la  polémique  qu'il 
soutient  contre  les  réformés  d'Allemagne  rendent  nécessairement  très  at- 
tentif sur  ces  questions  délicates,  écarte,  en  1554,  la  clausule  Nunc  et  in  liura 
mortis  nostrse^,  qu'accepte  au  contraire  Basœus,  en  1569,  celui-ci  s'a[)- 
puyant  sur  le  nouveau  bréviaire  édité  par  ordre  du  concile  de  Trente. 
Toutefois,  on  ignore  si,  sur  ce  point  particulier,  Basœus  était  d'accord 
avec  Pierre  Canisius  qui,  en  1577  %  1578-1583  ^,  continue,  dans  de  nou- 
velles éditions  de  ses  ouvrages,  à  écarter  la  clausule.  En  1586,  un  livre 
de  chant  et  de  psaumes  imprimé  à  Munich;  en  1610,  un  livre  de  chant 
impiimé  à  Cologne  termine  encore  V Ave  Maria  par  ces  mots  :  Jésus 
Christus,  Amen.  En  1613,  à  Lyon,  et  généralement  en  France,  l'addition 
7iunc  et  in  hora  moi-tis  nostrse  n'est  pas  reçue  ^  et  on  recommande  pour  la 
récitation  du  rosaire  de  s'en  tenir  à  l'usage  du  pays.  En  1619,  à  Cologne, 

1.  On  retrouve  ici  l'opinion  notée  plus  haut. 

2.  Hartzheim,  Conc.  Germ.,  t.  viii,  col.  44. 

3.  Catechismus,  Vienne,  1554. 

4.  De  Maria  Virgine  incomparahili  et  Dei  Génitrice   sacrosancla,  Ingolstadii, 
1577, 1.  III,  c.  IX,  p.  271  ;  2«  édit.,  1583. 

5.  Catechismus,  Cologne,  1578;  Turin,  1583. 

G.   Pierre  de  Bollo,  Le  Rosaire  de  la  Mère  de  Dieu,  Lyon,  1613. 


SUR     LA    SALUTATION    ANGELIQUE  1759 

un  livre  de  chant  marque  la  fin  de  VA(^e  Maria  aux  mots  Jésus  Christus; 
en  1638,  en  Belgique,  on  n'avait  pas  encore  ajouté  le  mot  Jésus  à  la  pre- 
mière partie  de  VAi^e  Maria,  ni  par  conséquent  aucune  parole  de  la  deu- 
xième partie  ^. 

Il  résulte  de  tout  ceci  que  les  deux  attestations  les  plus  anciennes  de 
la  deuxième  partie  (à  peu  près  totale)  de  VAi^e  Maria  se  trouvent  dans 
un  bréviaire  romain  du  xiv^-xv^  siècle  et  dans  un  acrostiche  italien  du 
xv^  siècle;  à  moins  toutefois  qu'on  ne  tienne  pour  absolument  authen- 
tique le  Credo  de  Dante  Alighieri.  On  obtiendrait  en  ce  cas  une  date  plus 
ancienne  d'un  siècle  environ  pour  la  deuxième  partie  de  la  Salutation,  qu'il 
paraphrase  ainsi  en  terminant  sa  profession  de  foi  ^  : 

Ave   Regina    Vergine   Maria 

Piena  di  grazia  :  Iddio  e  senipre  teco. 

Sopra  ogni  donne   henedetta  sita. 
E  'l  frutto  del  tuo  ventre,  il  quai  io  preco 

Che  ci  guardi  di  mal,  Cristo  Gesu. 

Sia    benedetto   e   noi   tiri   con   seco. 
Vergine    henedetta    sempre    tu, 

Ora  per  noi  a  Dio,  che  si  perdoni 

E  diaci  grazia  a  viver  si  quaggiu 
Che  'l  paradiso  al  nosiro  fin  ci  doni. 

H.    Leclercq. 


1.  J'arrête  à  cette  date  l'histoire  de  ces  variantes,  mais  on  trouverait  jusqu'à 
nos  jours  des  vestiges,  des  survivances  qu'il  serait  intéressant  de  noter.  J'ai 
entendu  dans  ma  jeunesse  une  personne  qui  n'omettait  pas  une  fois  :  Sainte 
Marie,  Mère  do  Dieu,  priez  pour  nous,  pauvres  pécheurs  que  nous  sommes,  main- 
tenant et  à  l'heure  de  notre  mort.  Ainsi  soit-il. 

2.  «  Je  vous  salue,  Reine,  Vierge  Marie,  pleine  de  grâce,  le  Seigneur  est  tou- 
jours avec  vous.  Sur  toute  autre  femme,  soyez  bénie  et  le  fruit  de  vos  entrailles, 
que  je  prie  de  nous  garder  du  mal,  Jésus-Christ,  soit  béni  et  nous  attire  avec 
lui.  Vierge  toujours  bénie,  ô  Vous,  priez  Dieu  pour  nous  de  nous  pardonner  et 
de  nous  donner  la  grâce  de  vivre  de  telle  sorte  ici-bas  qu'il  nous  donne  le  para- 
dis à  notre  mort.  » 


KRRATA  Kï  ADDENDA 


Page  36,  note  1  :  W.  M.  Peitz,  S.  J.,  Das  Originaire gister  Gregors  VII  im  Vati- 
kanischen  Archiv  (Reg.  Vatic,  2)  nebst  Beitràgen  zur  Kenntniss  der  Original- 
regisler  Innozenz'III  undHonorius  III  (Reg.  Vat.,  4-11)  in-8,  Wien,  1911,  dans 
Sitzungsherichte  der  Kais.  Akad.  der  Wissenschajten  in  Wien,  Pliilos.-hist. 
Klasse,t.  clxv.  Sui-  celte  publication  qui  prouve  que  Reg.Vat.,  2,  est  bien  le 
registre  original  de  Grégoire  VII,  cf.  Anal.  holL,  1912,  p.  379-380;  Rev.  hist. 
ec6Zes.,1911,  p.  814-815. 

Page  121,  note,  ligne  1,  lire  :   «  grands  feudataires.  » 

Pages  131  et  165  :  les  Dictatus  papse  se  trouvent,  de  par  l'édition  du  Registre 
de  Grégoire  VII,  devenus  indubitablement  authentiques. 

Page  425  :  Sainsot,  Pierre  l'Ermite  est-il  chartrain,  in-8,  Chartres,  1911. 

Page  496  :  N.  Pellicelli,  Concilio  di  Guasialla,  22  oitobre  1106,  in-8,  Parma,  1906. 

Page  562  :  F.  Fita  y  Colomé,  Concilios  di  Gerona,  Segovia  y  Tuy,  en  1117  y 
1118,  dans  Boletin  de  la  Acad.  d'hist.,  1906,  t.  xlviii,  p.  501-509;  Concilio 
national  de  Burgos,  18  fehrero  1117 ,  texlo  inedito,  dans  Boletin  de  la  Acad.  de 
hist..  1906,  t.  XLVIII,  p.  387-406. 

Pages  570-573  :  cf.  Rev.  des  quest.  hist.,  1894,  t.  lv,  p.  67. 

Page  620  :  H.  Rudorft',  Zur  Erklàrung  des  Wormser  Konkordals,  dans  Quellen 
und  Studien  zur  Verfassungsgescliichte  des  deutschen  Reiches  im  Mitielaller  und 
Neuzeit,  Weimar,  1906;  Bernheim,  Die  Prœsentia  Régis  im  Wormser  Konkor- 
dat,  dans  Historische  Vierteljahrschrift,  Leipzig.  1907,  t.  x,  p.  196-212. 

Page  631  :  Can.  1  et  2;  cf.  P.  Viollet,  dans  Rei'ue  historique,  1876,  p.  602. 

Page  648  :  Fr.  X.  Barth,  Hildebert  i'on  Lavardin  1056-1133  und  das  kirchliche- 
Stellenbeselzungsrecht,  Stuttgart,  1906. 

Page  668  :  A  l'occasion  du  concile  de  Nantes,  cf.  Des  conciles  provinciaux  et  de  leur 
revision  par  le  Saint-Siège,  dans  Analecta  juris  ponlificii,  t.    i,  p.  1261-1280. 

Page  670  :  Concile  de  Troyes;  cf.  Revue  bénédictine,  1904,  t.  xxi,  p.  82-83. 

Page  674  :  Concile  de  Londres,  1129;  cf.  S.  Bâumer,  Hist.  du  bréviaire  roiiutiu, 
trad.  Biron,  t.  ii,  p.  61. 

Page  694^:  Concile  de  Reims,  1131;  ci.  Revue  bénédictine,  1901,  t.  xviii,  p.  282- 
283. 

Page  721  :  Concile  de  Latran,  1139;  cf.  Aîni  du  clergé,  1905,  p.  763-766. 

Page  747,  lire  :  1140  et  non  1148. 

Page  799  :  L.  Halphen,  Eudes  sur  l'administration  de  Rome  au  moyen  âge,  752- 
1252,  Paris,  1907  :  à  la  suite  de  l'expédition  de  Tivoli,  les  Romains  occupent 
le  Capitole,  y  installent  un  sénat  dont,  après  deux  années  de  lutte,  le  pape 
reconnaît  l'existence  légale  (1143). 

Page  800  :  H.  Hagenmayer,  Chronologie  de  l'histoire  du  royaume  de  Jérusalem, 
Règne  de  Baudouin  ier^  dans  Revue  de  l'Orient  latin,  1911,  t.  xii. 

Page  812  :  cf.  Revue  historique,  1876,  p.  597. 

CONCILES  —  V  —  111 


1762  ERlîAlA     ET    ADDENDA 

Page  912  :  II.  Pachali,  Noch  einmal  die  Jahreszahl  der  II  Synode  gegen  Solerl- 
chos  Pantcugenos,  1157,  dans  Bijzanlinische  Zeiischrift,\9i0,  t.  xix,  p.  46-58. 

Page  918  :  Amelli,  La  Cliiesa  di  Roma  e  la  CIdesa  di  Milanu  nella  elezione  di 
papa  Aletisandio  III,  in-8,  Fiiciizo,  1910. 

Page  952  :  J.  Ghiron,  La  credenza  di  S.  Amhrogio  o  la  lolla  dei  nobili  e  del  populo 
in  Milano,  1198-1202,  Milano,  1877. 

Page  952  :  V.  Lege,  Federico  Barharossa  alVassedio  di  Torlona,  ms.  inedito, 
1910. 

Page  958  :  A.  Troubat,  Barberousse  et  Louis  VII  à  Saint- J ean-de-Losne,  La 
journée  du  22  septembre  1162,  dans  Revue  de  Bourgogne,  avril  1911  ;  H.  Reichel, 
Die  Ereignisse  an  der  Saône  im  Augustund  September  des  Jahres  1162,  Halle. 
1908. 

Page  963  :  Eni.  Seckel,  Canonislische  Quellensludien.  I,  Die  Westminster  synode 
1175,eine  Quellefalscher  oder  verjàlschter  Canonen  in  den  nachgratianischenSamm- 
lungen,  dans  Deutsche  Zeitschrijt  fur  Kirchenrecht,  1899,  t.  ix,  3^  série, 
p.  159-186,   186-189.  Die  12  falschen  Canonen  des  Concils  von  Tours  1163. 

Page  1059  :  voir  la  note  précédente  :  E.  Seckel,  etc. 

Page  1045  :  F.  Fita,  Concilio  inedito  de  San  Celoni  en  116S.  Bulas  inedilas  de 
Alesandro  III,  Benedicto  VIII  [1167-1179  et  1023),  dans  Boletin  de  la  Acad. 
de  la  hist.,  1902,  t.  xli,  p.  256-270. 

Page  1132  :  Sur  cette  diète  de  Gelnhausen,  A.Knôpfler,  pris  à  partie  par  Schefîer- 
Boichorst,  s'est  défendu  dans^la  jiréface  du  tome  vi  de  la  Conciliengeschi- 
chte,  p.  VII  sq.  Il  y  a  quatre  pages  auxquelles  je  renvoie  dans  l'édition  alle- 
mande; c'est  une  polémique  dans  le  goût  germain  et  je  me  suis  fait  une  loi 
d'écarter  cette  littérature.  D'ailleurs  les  conclusions  de  Knopfler  et  la  date 
fixée  par  lui  demeurent. 

Page  1137  :  A.  ïraub,  Der  Kreuzzugplan  Kaiser  lleinriclis  VI  im  Zusariiincn- 
hang  mit  der  Politik  der  Jahre  1195-1197 ,  Jena,  1910. 

Page  1219  :  J.  Guiraud,  Le  consolamentum  cathare,  dans  Rev.  quest.  hist.,  1904, 
t.  Lxxv,  p.  74-112;  Ch.  Molinier,  L' Église  et  la  secte  cathare,  dans  Revue  his- 
torique, t.  xciv,  p.  225-248;  t.  xcv,  p.  1-22,  263-291. 

Page  1226  :  Girault,  Discussion  historique  sur  le  concile  tenu  à  Dijon  en  1199  et 
sur  les  Chroniques  de  S.  Bénigne,  dans  Séance  publique  de  l'Acad.  des  se.  de 
Dijon,  4  juillet  1818,  p.  132. 

Page  1256  :  II.  W.  G.  Davis,  The  St.  Albans  council  of  1213,  dans  The  English 
historical  review,  1905,  t.  xx,  p.  289-290;  G.  T.  Turner,  The  St.  Albans  council 
oj  1213  (discussion  d'un  passage  de  la  chronique  de  Roger  de  ^V'endover),  dans 
même  revue,  1906,  t.  xxi,  p.  297-299. 

Page  1270  :  G.  Cantvi,  Glieretici  d'Italia,  discorsi  storici,  3  vol.  in-8,  1865-1868, 
trad.  franc.  d'Anicet  Digard  et  E.  Martin,  La  Réforme  en  Italie  et  le  concile  de 
Trente,  in-8,  Paris,  18G8;  Revue  historique,  t.  xxxvi,  p.  412-417. 

Page  1270  :  cf.  Rev.  historique,  t.  xxxv,  p.  152-156;  E.  Comba,  Histoire  des  vau- 
dois,  in-8,  Paris,  1901. 

Page  1271  :  Au  xu^  siècle,  un  schisme  se  manifesta  dans  la  secte  des  bogoniiles, 
où  régnèrent  deux  systèmes,  le  èuZgare  et  le  drogo^'icien.Ce  schisme  s'introduisit 
chez  les  patarins  et  les  cathares  d'Italie  et  de  là  en  France,  oîi  les  cathares 
se  multiplièrent  rapidement.  L'évêque  bogoniile  de  Constantinople,  Nicétas, 
y  pourvut.  En  1167,  il  se  rendit  eu  Occident,  d'abord  en  Italie,  puis  en  France, 


ERRATA    ET    ADDENDA 


1763 


où  il  décida  la  réunion  d'un  concile  de  cathares  et  de  patarins  en  1167,  à  Saint- 
Félix  de  Caraman,  arrondissement  de  Villefranche,  département  delà  Haute- 
Garonne.  Parmi  les  représentants  des  cathares  français  qui  assistèrent  à  ce 
conc'lc.  on  mentionne  l'évêque  d'Albi,  Sicard;  Bernard,  représentant  l'évê- 
ché  de  Carcassonne.  alors  vacant,  et  Toulouse,  dont  le  siège  était  également 
vacant,  avait  envoyé  aussi  un  représentant.  Les  patarins  d'Italie  étaient 
représentés  par  Marc  et  Robert.  En  outre,  on  y  voyait  beaucoup  de  partisans 
de  la  secte.  La  question  principale  fut  résolue  conformément  aux  désirs  de 
Nicétas  :  le  dualisme  absolu  triompha  et  fut  accepté  comme  doctrine  oflicielle. 
Cf.  Bcssc,  H ist.  des  ducs  de  JS'arboniie,  1660,  p.  483;  Percin.  Aloiium.  coiwent. 
Tolos.  praedic,  1693,  p.  1  ;  Brial,  dans  Bouquet,  Recueil  des  hist.  de  la  France, 
t.  XIV,  p.  448-350;  Notifia  conciliabuli  apud  S.  Felicemde  Caraman  sub  papa 
hsereticorum  Niquinta  celebrati  ;  Rivet,  Hist.  litt.  de  la  France,  t.  xiii, 
p.  391;  L.  Léger,  L'hérésie  des  bogomiles  en  Bosnie  et  en  Bulgarie  au  moyen 
âge,  dans  la  Revue  des  questions  historiques,  1870,  t.  viii,  p.  503 

Le  concile  de  Saint-Félix  de  Caraman  opéra  dans  une  tranquillité  parfaite. 
L'Éghse  de  Toulouse  se  donna  un  évêque,  Bernard  Raimond;  celle  de  Carcas- 
sonne élut  Guirald  Mercier,  celle  du  Val  d'Aran  Raimond  de  Casalis;  tous 
trois  furent  institués  par  jNicétas.  Les  Églises  de  Toulouse  et  de  Carcassonne 
avaient  eu  quelques  contestations  sur  les  limites  des  deux  diocèses  ;  on  demanda 
à  l'évêque  de  Constantinople  comment  les  Églises  d'Orient  maintenaient  la 
paix  entre  elles,  et  il  expliqua  que  les  églises  cathares  de  la  Grèce,  de  la  Macé- 
doine, de  la  Bulgarie  et  de  la  Dalmatie  étaient  séparées  de  manière  que  leurs 
intérêts  ne  puissent  entrer  en  conflit.  Le  concile  décida  d'imiter  cet  exemple 
et  nomma  ce  que  nous  appellerions  aujourd'hui  une  commission  chargée 
d'étudier  le  règlement  des  limites  des  diocèses  de  Toulouse  et  de  Carcassonne. 
On  convint  d'adopter  comme  ligne  de  démarcation  dans  les  deux  diocèses 
une  Hgne  partant  de  Pons,  passant  près  de  Cabarède,  Hautpoul,  Saissac,  des 
châteaux  de  Verdun,  de  Montréal,  Fanjeaux  et  remontant  le  grand  Lers 
jusqu'à  sa  source.  L'acte  de  délimitation  fut  signé  pour  l'Église  de  Toulouse 
par  les  perfecti  Bernard  Guillaume,  Guillaume  Garcias,  Ermengaud  de  Forest, 
Raimond  de  Baymiac,  Guillabert  de  Bonvillars,  Bernard-Guillaume  Contor, 
Bernard-Guillaume  de  Bonneville  et  Bertrand  d'Avignon;  pour  l'Éghse  de 
Carcassonne,  par  l'évêque  Guirald  Mercier,  Bertrand  Catalan,  Grégoire  et 
Pierre  des  Mains-Chaudes,  Raimond  Pons,  Bertrand  du  MouHn,  Martin  de 
Salles  et  Raymond  Guibert.  Chacune  des  deux  Éghses  déposa  un  exemplaire 
de  l'acte  dans  ses  études.  (H.  L.) 

Page  1282  :  FI.  Ducos,  Note  sur  les  paroles  attribuées  au  légat  Arnaud,  au  sac 
de  Béziers  :  «  Tuez-les  tous,  car  Dieu  connaît  ceux  qui  sont  à  lui  »,  dans  Méni. 
de  l'Acad.  de  Toulouse,  1848,  t.  xix  (IIP  série,  t.  iv),  p.  128. 

Page  1303  :  Cf.  Revue  historique,  1877,  t.  iv,  p.  241-277. 

Paf^e  1316:  Sur  la  confession  proprio  sacerdoti,  cf.  Rev.  quesl.  /««<.,  1905, 
t.  Lxxviii,  p.  644;  cf.  1874,  t.  xvi,  p.  455;  Revue  du  clergé  français,  1-15  oct. 
1905. 

Page  1449,  ligne  2,  lire  :  1225  et  non  1255. 

Pa<^e  1509  :  E.  Lagenpusch,  Kaiser  Friedrich  II  und  die  Constitutionen  von 
Melfi,  in-8,  Memel,  1910. 

Page  1633  :  cf.  Anal.  iur.  pont.,  t.  vi,  p.  525-539. 


1764  ERRATA     ET     ADDENDA 

Page  1687  :  A.  W.  Canz.  PliUipp  Foniana  in  Dienste  der  Kurie  unter  den  Paps- 

ten  Gregor  IX  und  Innocent  IV,  in-8,  Heidelberg,  1910. 
Page  1695  :  F.  Schneider,  Die  Geheirnltallung  des  Todes  Kaiser   Friederich  II. 

Eine  Antikrilik,  dans   Quellen    und   Forschungen,  1910,  l.    xiii,    p.    255-272; 

R.  Davidsohn,  Die  angebliche  Geheimhallung  des  Todes  Kaiser   Friedrich  II, 

dans  même  recueil,  1910,  t.  xiii,  p.  245-25'i. 
Page  1709  :  F.  Fita  y  Colome,  Concilios  Tarraconenses  en  1248,    1249  y  12S0, 

dans  Bolotin  de  la  Acad.  de  la  hisl.,  1912,  t.  xl,  p.  444-460. 


TABLE  ANALYTIQUE 


(f.e.';   chiffres   gras  donnent  la  date  des  conciles.) 


Abélard,    593-602,  747-790. 
Adalbéron    de    Wurzbourg,    66    note. 
Adelbert   de   Mayence,   653,   661. 
Alexandre   II,  13,  22. 
Alexandre     III,    887,    907,    916-927, 

943,    1023,    1064-1073,    1114. 
Alexis  Jer  Comnène,    275,    294,    389, 

429-434,   437,   439,    537. 
Altman    de    Passau,     66     note,    105, 

106,  180,  290,  348. 
Amaury  de  Chartres,  1303. 
Anaclet    II,    676-677,    680,    681,    700, 

717,   723. 
Anastase  IV,  864,  868. 
Angoulême,    1117,  560. 
Angoulême,     1118,    567. 
Annon    de    Cologne,    118,    133,    146. 
Anse,    1076-1077,   219. 
Anse,    1100,   467. 
Anse,   1112,  535. 
Anselme     de      Cantorbéry,      373-379, 

457-460,    461,    467,    484-487,    1503- 
1505. 
Antioche,   1139,  30  nov.,  745-740. 
Antioche,    1204,   1231. 
Aquilée,    1181,  1114. 
Aquilée,     1184,    1128. 
Aquilée,    1216,  1399. 
Arles,  1211,  1289. 
Arles,    1234,    1560-1561. 
Arles,    1236,  1561. 
Arles,    1246,  1706. 
Arles-sur-Tech,   1157,  915, 
Armagh,    !I58,    n^, 


Armagh,    1171,    1052. 

Arnaud     de     Brescia,     734-737,     798, 

839,  870. 
Arras,    1097,    févr.,    456. 
Arras,   1097,  oct.,  456. 
Arras,  1128,  10  mai,  671. 
Autmi,    1077,    219-220,    221. 
Autun,     1093,    16    octobre,    387. 
Ave    Maria,    1734-1759. 
Avignon,    1080,   282. 
Avignon,"  1209,  1283. 
Avranches,      1172,     21     mars,     1054- 

1055. 
Avranches,      1172,     27     sept.,     1056- 

1057. 

Bamberg,   1134,  704. 

Bamberg,    1149,    841. 

Barcelone,    1126,    mars,    661. 

Barcelone,    1228,   1503. 

Bardewick,   1224,  1445. 

Bari,    1098,    18     octobre,    459-460. 

Baudouin     P'     de     Jôiiisalem,      483, 

592,    800,    801. 
Baudouin   II,   802. 
Bazas,    I  180-1 181,    1112. 
Beaugency,    1152,   845. 
Beauvais,    I  117,   548. 
Beauvais,    1120,   18    oct.,    592. 
Beauvais,    1124,    647. 
Bénévent,    1075,    1er    avril,    140, 
Bénévent,     1087.     août,    334-335. 
Bénévent,     1091,    28    mars,    352, 
Pénéyent,    (|02,  478, 


1766 


TABLE     ANALYTIQUE 


Bénévent,    1108,    oct.,    504. 
Bénévent,     1113,    février,    î>W. 
Bénévent,    1117,   562. 
Bénévent,     1119,    10    mars,    569. 
Bérenger     de     Tours,     136-138,      243- 

244,   249-250,   281. 
Bernard  de  Clairvaux,  G68,  700,  708, 

752-790,  805,  809,  844. 
Bernard  de  Tolède,  340. 
Besalù,    1077,    6   décembre,    228-229. 
Besançon,   1124,  648. 
Bèze,   1118,  8  juin,  558. 
Béziers,   1090,  351. 
Béziers,    1233,    1556-1558. 
Béziers,     1243,    1629. 
Béziers,  1246,  19   avril,   1697,  1738. 
Bohème,    67. 
Bohémond,  329,  345,   439,  440,   483, 

495 
Bordeaux,    1093,    373. 
Bordeaux,   1098,  oct.,  460. 
Bourges,    1124,   647. 
Bourges,    I  145,    Noël,   803. 
Bourges,    1224     1611. 
Bourges,     1225,    1442. 
Bourges,     1240,    1611. 
Bourgueil,    1154,    864. 
Breslau,    1248,    1709. 
Bristol,    1216,  1428. 
Brixen,   1080,  25  janv.,  269. 
Bruno  de  Scgni,  529. 
Burchard    d'Halberstadt,    172. 
Burgos,    1(17,  1761. 
Burgos,   1136,  714. 
Burgos,   1080,  284. 

Caen,    1182,  1115. 
Calliste  II,  568-592,  611-630,  645-647. 
Canior,    |||0,  507. 
Canossa,     183-200. 
Cantorbéry,   1093,  4  déc,  373-377. 
Cantorbéry,    1189,    1158. 
Cantorbéry,    M  91,    1165. 
Cantorbéry,    1221,    1429. 
Cantorbéry,    1236,    1574-1577. 
Capoue,     1087,  7  mars,  332. 
Capoue,   1118,  7  avril,  564. 
Carrion,   1130,  4  févr.,  674. 


Cartilage,   65. 

Cashel,    1171,   6   nov.,   1053. 

Cathares,  1119,  1219,  1260-1303,1429, 
1437,  1452,  1491,  1555,  1628,1696. 

Célestin  II,  651,  786. 

Célestin    III,    1163,    1174,    1178. 

Célibat  des  clercs,  90,  99,  100,  101, 
102,  105,  106,  113,  114,  119,  215, 
230,   245,  464. 

Cencius,    149-151,    332. 

Ceprano,    1 1 14,   544. 

Chàlons-sur-Marne,    1108,   286. 

Chàlons-sur-Marne,    1113,   542. 

Châlons-sur-Marne,    1115,  549. 

Chàlons-sur-Marne,  1129,  673. 

Charité-sur-Loire,   1198,  1219. 

Charroux,    ||86,  1134. 

Chartres,   (124,  647,  648-651. 

Chartres,  1150,  843. 

Chateauroux,   Il  15,  18  mars,  549. 

Chester,    1157,    915. 

Clarendon,    M64,   30   janv.,     981-989. 

Clément  III.  Voir  Guibert  de  Ra- 
venne. 

Clergé  romain,  103  note  3. 

Clermont,    1076-1077,  219. 

Clermont,    1095,    18    nov.,    398-423. 

Clermont,   1109,  506. 

Clermont,   1125,  647. 

Clermont,   1 130,  18  nov.,  687-688. 

Clonnard,    1163,   977. 

Cognac,    1238,    1581. 

Cologne,  1098,  473. 

Cologne,     1115,    19    avril,    549. 

Cologne,   1118,  19  mai,  565. 

Cologne,   1131,  Noël,  699. 

Cologne,  1138,  Pâques,  718. 

Cologne,    1152,   846. 

Cologne,   1187,  1136. 

Cologne,    1222,  1436. 

Cologne,    1247,   1707. 

Compiègne,    1085,   286. 

Compiègne,    1193,    5    nov.,    1166. 

Compiègne,    1235,    1564. 

Compostelle,    |  |I4,  547. 

Compostelle,    |||4,    808. 

Confirmation  du  pape  par  l'empe- 
reur, 37-42,  69  note  2,-86. 


TABLE     ANALYTIQUE 


1767 


Conrad  de  Hohenstaufen,  379,381- 
385,  396,  473,  474,  G72,  700,  718, 
796,  811-820,  949. 

Constance,    1086,  avril,  328. 

Constance,  1094,  382-383. 

Constance,    1183,  1117. 

Constantinople,   1140,  746. 

Constantinople,   I  143,  746. 

Constantinople,   1147,  808. 

Constantinople,   1156,  911,  913. 

Constantinople,   1157,  22  mai,  912. 

Constantinople,   1166,  1045-1050. 

Constantinople,  1168,1051. 

Constantinople,   1170,  1052. 

Constantinople,  1176,  1052. 

Constantinople,    1177,   1086. 

Constantinople,  1 186,  1136. 

Constantinople,  1199,  1223. 

Crémone,   1  148,  7  juill.,  839. 

Croisade,  93,  116,  117,  406-444,  803, 
809,  810,  817,  843,  1137-1157, 
1172-1174,  1220,  1410-1428,  1468- 
1472,  1488. 

Daimbert  de  Jérusalem,  466,  483. 
Dicia'.us  papœ,  131,  165,  1761. 
Didier  du  Mont-Cassin,  289,297,305, 

329-331,  335. 
Dijon,    1076-1077,  219,  220. 
Dijon,    1177,  560. 
Dijon,    1199,  6  déc,  1226. 
Dioclea,    1199,   1222. 
Dominique  de  Guzman,   1278. 
Drogon  de  Térouanne,  226-228. 
Dublin,   1176,  1063. 
Dublin,   1186,  1135. 
Dublin,   1214,  1289. 
Dunstaple,    1214,    14  janv.,  1256. 
Durham,  1216,  1428. 

Ecosse,  1076,   217. 

Edimbourg,    1177,    1"   août,   1063. 

Edimbourg,    1180,    8  juin,   1113. 

Edimbourg,    1239,   12  oct.,  1610. 

Egencsham,    1186,  1134. 

Elne,    I  I  14,  542. 

Erfurt,  1074,  oct.,  105. 

Erfurt,   Il 05- Il 06,  mars,  495. 


Erfurt,    1148.  841. 
Erfurt,    1223,  1443. 
Étampes,    1091,  353. 
Étampes,    1099    fin,   466. 
Étampes,  1130,  682-686. 
Étampes,   M47  févr.,  810. 
Etienne  du  Puy,  219. 
Eugène  III,  797,  863. 

Poligno,    1146,    807. 

Forscheim,    1077,  14  mars,  207. 

France  et  les  papes,  107,   108. 

Francfort,    1234,  2  févr.,   1652. 

Frédéric  I"  Barberousse,  850,  857, 
864,  870,  875,  877-681,  885,  943, 
958-960,  1021,  1024,  1064,  1073, 
1147. 

Frédéric  II,  1178,  1195-1197,  1201, 
1207-1219,  1246-1260,  1415,  1420- 
l'i28,  1468,  1471-1490,  1508-1523, 
1582-1606,     1612-1623,     1681-1696. 

Friesach,    1 160-1 161,  949. 

Fritzlar,    |||8,   28   juillet,   565. 

Fritzlar,   1243,  1625. 

Gebhardt  de  Constance,  341,  342. 

Gebhardt   d'Helfenstein,   65. 

Geddington,   1188,  1142. 

Gélase  II,  563,  566,  567. 

Gelnhausen,  M86,  1132. 

Gênes,   1215,  1399. 

Gerstungen,    I085,''^20  janv.,  311-314. 

Gibelin,  855. 

Gilbert  de  la  Porée,  812-817,  832-838. 

Girone,    1078,   245-248. 

Girone,   1097,  13  déc,  457. 

Girone,  MOI,  févr.,  471. 

Girone,    1117,    1761. 

Girone,    1143,   795. 

Girone,   1197,  1178. 

Gisolfe  de  Salerne,  91. 

Glavornia,    1190,  1161. 

Glocester,    1085,   286. 

Glocester,    1190,   1161. 

Gnesezi,  1218,  1428. 

Godefroi  de  Bouillon,   427.  435,   443, 

466,  483. 
Gottfried  le  Bossu,  49,  50. 


1768 


TABLE     ANALYTIQUE 


Grado,    1152,  8'iG. 

Gran,   1114,  542-54/i. 

Gran,    1169,  1052. 

Grégoire    VII,    13-22,    23-36,    43-53, 

62,    103,    119,    142,    146-167,    172- 

178,  185-200,  251-323,  1761. 
Grégoire  VIII,  1134-1139. 
Grégoire   IX,  1467,  1471-1490,  1508- 

1523,  1582-1606. 
Grégoire  de  Verceil,  185. 
Grossolanus,  408-481. 
Guastalla,  1 106,  22  oct.,  496-497,  1761. 
Guelfes,  855. 
Guibert   de   Ravenne,   271,   292,   296, 

299,  303,  318,  329,  334,  346,  349, 

384,  460,  473,  1139-1163. 
Guillaume    le    Conquérant,    112,    276, 

377. 
Guillaume    de   Sicile,    881,-885,    1020. 

Hadrien  IV,  868-874,  904,  916. 

Halberstad,  1224,  25  mars  1447. 

Hall,   1146,  808. 

Henri  IV,  41,  53-60,  88,  115,  128- 
131,  132,  141-158,  161-167,  171, 
180,  183-200,  201-207,  215,  237- 
240,  251,  286,  296,  327,  328,  335. 
352,  379,  488-492,  494. 

Henri  V,  473,  478,  488-492,  493, 
496,  498,  508,  510-527,  528,  549, 
552-553,  560-562,  563,  5G4,  566, 
574,    584,    591,    611-630,    645. 

Henri    VI,    1130,    1161,    1174,    1177. 

Henri   de  Cluny,  710-713. 

Henri  Mimique,  1444-1447. 

Herlembald,  143,  144. 

Hermann  de  Bamberg,  124-126,  145. 

Hermann   de   Luxembourg,   295,   298, 

Hildebert  do  Lavardin,  648-651,  711. 

Hildesheim,   1224,  lVi6. 

Hildesheim,    1222,   1444. 

Hohenau,    1178,   1er  féyr.,  1084. 

Ilonorius  11,  652,  657,  676. 

Honorius  III,  1409,  1467. 

Hugues  Candide,  23,  48,  49,  152,  271. 

Hugues  de  Cluny,  119,  120,  398,  479- 

Hugues    de    Die    (de   Lyon),  99,    110, 
217,  221-226,   228,  243,  268,  280, 


300,   333,  388,   404,   'j50,  467,    468. 
Ilusillos,    1088,  350^ 
Husillos   1104,  483. 
Huy,   1230,  2  juin,  1506. 

Innocent  II,    677,  679,  722,  739,  795. 
Innocent  III,  1182-1191,    1193,    1201- 

1219,    1234-1240,    1246,    1399-1408. 
Innocent  IV,  1613-1696. 
Investiture  laïque,  128-131,  241,  263, 

496,   503,    527,   574,    611-630,    691. 
Irish  bull,  915,  1053,  1061. 
Irlande,   1096,  453. 
Isaac  l'Ange,  1148-1149. 
Issoudun,    1081,  18  mars,  282. 

.Jaromir  de    Prague,  68,  327. 
Jean  sans   Terre,  1250-1260. 
Jérusalem,   1099,  Noël,  466. 
Jérusalem,    Il  12,   537,   540. 
Jouarre,  1134,  704-705. 

Kena,  1152,  847. 

Lagny,  1 142,  791. 

Lambeth,    M  00,  471-473. 

Lambeth,    1213,   1232. 

Lanfranc,    139,    21.5,    244,    278,    286, 

288,  341,  367. 
Langres,  (116,  558. 
Laon,   1150,  843. 
Laon,  1233,  1562. 
Latran,    1123,  18  mars,  630-644. 
Latran,    1139,    4   avril,  721-738,1761. 
Latran,   1179,   1086-1112. 
Latran,  1215,  1316-1398. 
Latran,    1225,  1726-1737. 
Laui'en,   1129,  l^'"  août,  675. 
Laufen,    1166,   29   mars,   1018. 
Laval,    1207,   1232. 
Laval,  1242,  1623. 
Lavaur,  1213,  1293. 
Légats  pontilicaux,  99,  100,  147,  20 J-^ 

217,  219.  284,  906. 
Lenczig,   1180,  1113. 
Lenczig,  1197,  1178. 
Lenczig.  1226,  1466. 
Lenczig,    1246,  1706. 


lAHLE     ANALVTIQIE 


1769 


Loon,    1091,   352. 

Léon,    I  i  13,    546. 

Léon,    1135,    713. 

Lérida,  1229,  29  mars,  1504. 

Lérida,   1237,  1581. 

Lérida,  1246.  1706. 

Liège,    1131,   22  mars,  G90-692. 

Liège,   1152,  846. 

Liège,    1188,   2  févr.,  1143. 

Liège,   1225,  1450. 

Liémard  de  Brème,  101,  118,  122. 

Ligue  lombarde,  1025. 

Lillebonne,    1080.    Pentecôte,   279. 

Limoges,   1095,  Noël,  445. 

Limoges,    1 180-1  181,  1112. 

Linkoping,    (148,  840. 

Lodi,    1161,    950. 

Lombez,    1165,    lOOG-1010. 

Londres,    1070,   140. 

Londres.    1075,   138-140. 

Londres,   1102,  29  sept.,  476-478. 

Londres,    1108,  503-504. 

Londres,   1109,  Pentecôte,  506. 

Londres,    1125,  9   sept..   658-660. 

Londres,    1127,   13-15   mai,   667. 

Londres,  1129,  l^r  août,  674,  1761. 

Londres,    1 143,   795. 

Londres,    1151,  842. 

Londres,   1 154,  864. 

Londres,    1(66.   101J?1019.   1030. 

Londres,    ((84,   UKi. 

Londres.  ((85,  1128. 

Londres.    (2(3.   1232. 

Londres,  (2(3,  1256. 

Londres,  (2(3,  1256-1257. 

Londres,    (2(4,  1259. 

Londres,    (237,   1577-1581. 

Londres,    (239,   1609. 

Lothaire  II,  654,  688,  690,  699,  700, 

702,  703,  715,  717. 
Loudun,   ((09,  506. 
Louis  VI  le  Gros,  577,  668,  680,  695, 

707. 
Louis    VII,    803-820,    845,    931,    951, 

957-960. 
Louis    IX,    1491,    1494,    1562,    1683. 
Liicius  II,  796. 
Lucius  lîl,  1114-1129. 


Lucques,    (079,    114. 

Lyon,   (080,  janv.-févr.,  268,  281. 

Lyon,    1082,   283. 

Lyon,    (245,  1633-1681. 

Magdebourg,    ((76,    1063. 
Madgebourg,    (225,  sept.,  1448. 
Manassès  de  Reims,  221-226,  228,  287. 
Mans  (le),  ((66,  1052. 
Manuel    Comnène,    867,     879,    1021, 

1050,  1051,  1086. 
Mathilde    de   Toscane,    50,    116,    188- 

200,  290,  293,  297,  300,  347,  .348, 

349,  385,  511,  528,  552,  703,  1131. 
Matthieu  d'Albano,  668,  670,  672. 
Maurice    Burdin,    561-562,    564,    591, 

608,  609. 
Mayence,   (075,  oct.,  133. 
Mayence,   (080,  Pentecôte,  269. 
Mayence,   (085,  mai,  317. 
Mayence,  (086,  319. 
Mayence,  (094,  12  mars,  384. 
Mayence,  ((02,  478. 
Mayence,  (  (05,  décembre,  492. 
Mayence,    (((4,  7  janv.,  549. 
Mayence,   (((7,  6  juill.,  564. 
Mayence,    ((22,  8  sept.,  616. 
Mayence,   ((25,  18  oct.,  663. 
Mayence,    ((49,  841. 
Mayence,    (  (54,  864. 
Mayence,   ((59,  oct.,  914. 
Mayence,    (225,   déc,  1449,   1450. 
Mayence,    (232?,  1546-1550,  1555. 
Mayence,   (239,  1608. 
Mayence.   (243.  25  juin.  1625. 
Meath,  (2(6,  l'iOO. 
Meaux,  (08(,  283. 
Meaux,    (20(,  12.39. 
Meaux,    (240,'"  1611. 
Melii,  1509,  1763. 
Melfi,  (089,  10  sept.,  344-345. 
Melfi,  ((00,  oct.,  471. 
Mellifont,  ((52,  846. 
Melun,    (2(6,  1399. 
Melun,   (225,  1442. 
Melun,   (232,  1555. 

Mersebourg,    (((0,  11    mars,  507-508. 
Mersebourg,   |(57j  23  janv,,  914, 


1770 


TABLE     ANALYTIQUE 


Metz,  1152    845. 
Milan,  143-144,  952-956. 
Milan,  1098,  avril,  457. 
Milan,  Il  17,  févr.,  559. 
Monteil,    1248,  1711. 
Montélimar,  1209,  1281. 
Montpellier,   1134,  706. 
Montpellier,   1162,  17  mai,  956. 
Montpellier,    1195,  1171. 
Montpellier,  1215,  129^-1302. 
Montpellier,  1224,  25  août,  1441. 
Moret,    1154,   864. 
Mouzon,   1187,  1134. 
Mozarabe  (rite),  94,  284,  351. 

Nantes,   1127,  oct.,  668,  1761. 

Naplouse,  1120,  23  janv.,  592. 

Narbonne,   1090,  26  mars,  350. 

Narbonne,    1128,    808. 

Narbonne,    1134,  705. 

Narbonne,   1211,  1289. 

Narbonne,   1227,  1452-1454. 

Narbonne,  1243,  1630,  1561,  1701. 

Nazareth,  1160,  949. 

Neuf-Marché,    1160,    juillet,    946. 

Nicée,   1220,  1429. 

Nicée,   1222,  1436-1437. 

Nicée,  1232,  1565. 

Nicée,  1235,  1572. 

Nîmes,  1096,  8  juill.,  4 'i  7-453. 

Norbert     de     Magdebourg,   565,    665, 

696,  703. 
Norham,   1164,  977. 
Northampton,   1138,  719. 
Northampton,   1157,  915. 
Northampton,    1164,   8   oct.,   992-998, 
Northampton,    1176,    25   janv.,   1062. 
Noyon,  1233,  1562. 
Nympha,  1234,  1569. 

Octavien  (Victor  IV),  918,    921,    962, 

981,  1003. 
Odensée,   1245,  1633. 
Odon   d'Ostie    (voir   Urbain    II). 
Orange,    1229,  1501. 
Orléans.  1129,  675. 
Otton    IV,    1181,    1198,     1201-1219. 

1233,  1243,  1260. 


Ovido,  1115,  6  juin,  550. 
Oxford,  1139,  24  juin,  741. 
Oxford,  1160?,  950. 
Oxford,   1213,  1232. 
Oxford.  1222,  1429-1436. 
Oxford,   1241,  1623. 

Paderborn,   1224,  1447. 

Palencia,  1 1 14,  25  oct.,  546. 

Palencia,    1129,   674. 

Pamiers,    1212,  1292. 

Pampelune,   1073,  49. 

Paris,   1074,  107-111. 

Paris,   1092,  368. 

Paris,  1104,^^2  déc,  483. 

Paris,    1129,    673. 

Paris,  1147,  812-817. 

Paris,    1185,  1128. 

Paris,   1188,  1142. 

Paris,  1201,  1229. 

Paris,   1210,  1305. 

Paris,    1212  ou    1213,  1308-1316. 

Paris,  1226,  28  janv.,  1451. 

Paris,   1226,  29  mars,  1451. 

Parme,   1187,  1136. 

Pascal   II,   352,   465,    474,   488,  498, 

508,    512,   527,    529-534,    558,    562. 
Pascal  III,  1004,  1064. 
Passau,   1074,  106. 
Patares  à  Milan,  143,  203,  'iSO. 
Pavie,  1128,  672. 
Pavie,    1128,  été,  672. 
Pavie,    1160,   13   janv.,   928,   932-942. 
Perth,  1201,  1229. 
Perth,  1221,  1429. 
Perth,  1239,  1624. 
Philippe    I"    de    France,    107,    108- 

110,  121,  128,  386,  388,  445,  469, 

481,  483,  498. 
Philippe-Auguste,    1166,    1167,    1203, 

1219,  1226,  1249,  1254,  1305,  1440. 
Philippe  de  Souabe,  1179,  1197,  1201, 

1201,   1207,   1219,   1234,  1241. 
Pierre  de  Bruys,  570,  710. 
Pierre  de  Castelnau,  1278-1280. 
Pierre  l'Ermite,  425,  429,  436,    1761. 
Pierre    le    Vénérable,    660,    687,    752- 

790. 


Table    analytiql'E 


1771 


Pipe-svell,    1189,  15  sept.,  1158. 
Pise,   1135,  70G-71.'i. 
Plaisance,   1095,  7  mars,  388-395. 
Poitiers,   1074,  été,  113. 
Poitiers,   1074,  ou   1075,  25  juin,  13fi. 
Poitiers,    1078,   15   janv.,   229-232. 
Poitiers,   1100,  18  nov.,  468-471. 
Poitiers,   1106,  25  juin,  495. 
Poitiers,   Il  10,  507. 
Ponce  de  Cluny,  600-661. 
Puy-en-Velay,    1130,  686. 
Puy-en-Velay,   11801181,    1112. 
Puy-en-Velay,    1222.   1437. 

Quedlimbourg,    1085,    20    avril,    315- 
317 

Raguse,  1222,  1437-1438. 
Raguse,   1235,  13  avril,  1572. 
Rainai  de   Dassel,  887,  889,   910,968, 

1003,  1011. 
Rainer  d'Orléans,  229. 
Ratisbonne,    1103,   Noël,  481. 
Ravenne,  1177,  2  févr.,  1071. 
Ravenne,  1231,  1er  ^ov.,  1509-1510. 
Raymond  VI  de  Toulouse,  1271,  1277, 

1280,  1281,  1286-1291,  1295. 
Raymond     VII     de    Toulouse,    1438- 

1442,  1451,  1491-1494. 
Reading,   1206,  19  oct.,  1252. 
Réforme  de  l'Église,  64,  86. 
Reggio,   1141,  avril,  790. 
Reims,    1074,   114. 
Reims,    1093,  août,  372. 
Reims,    1094,   sept.,   387. 
Reims,    1097,   456. 
Reims,  1105,  483. 
Reims,   1112,  539. 
Reims,    1 1  13,  541. 
Reims,   Il  14,  544. 
Reims,  1115,  28  mars,  549. 
Reims,   1119,  20  oct.,  576-591. 
Reims,  1128,  672. 

Reims,  1131,  18  oct.,  694-699  1761. 
Reims,    1141,   791. 
Reims,  1148,  21  mars,  823-838. 
Reims,  1157,  25  oct.,  913-914. 
Reims,    1230,  1723-1725. 


Rcordinations,  342-344. 

Richard   de  Capoue,  63-92. 

Robert  Guiscard,  61,  63,  91,  123,  172, 

274,  289,  294,  304,  329. 
Robert  de  Lorilello.  123,  289. 
Rockingham,    1095,    377. 
Rodolphe    de    Souahe,  52,    117,    207- 

215,  237-240,  251-274. 
Roger  de  Sicile,  329,    331,    334,  345, 

J96,   458-715,    724,    738,    796. 


Rome, 
Rome, 
Rome, 
Rome, 
Rome, 
Rome, 
Rome, 
259. 
Rome, 
Rome, 
Rome,  I 
Rome, 
Rome, 
Rome, 
Rome, 
Rome, 
Rome, 
Rome, 
Rome, 
Rome, 
Rome, 
Rome, 
Roncag 


074,  30   nov.,  104. 

074,  10  mars,  87,  88-89. 

075,  carême,  121-131. 

076,  14  févr.,  144,  148,  158. 
078,   25   févr.,   232-230. 

078,  19   nov.,   240-244. 

079,  11   févr.,  248-254,  254- 


080,  7  mars,  262. 

081,  févr.,  288. 
083,  20  nov.,  300-310. 

089,   juin,   346. 

097,  janv.,  453-456. 

099,  avril,  461-464. 

102,  carême,  474-476. 

105,  4  mars,  483-484. 

MO,  7  mars,  508-510. 

1112,   18   mars,   531-534. 

116,  6  mars,  554-557. 

126,  21  juillet,  661. 

121,  3  janv.,  608. 

132,  13  juin,  700. 
ia,  1158,  11  nov.,  901. 
Roscelin,   365-367. 
Roscommon,    1158?,  916. 
Rouen,    1074,    112. 
Rouen,   1074,  113. 
Rouen,   1096,  févr.,  445. 
Rouen,    1118,   567. 
Rouen,  1119,  nov.,  591. 
Rouen,    1128,    oct.,   672. 
Rouen,   1190,  11  févr.,  1158-1161. 
Rouen,    1214,    1316. 
Rouen,    1223,   1438. 
Rouen,   1231,  1524. 
Roxl)urg,   1124,  658. 

Saint-Albans,  1213,  4  août,  1256,1762. 


1772 


TABLE     ANALYTIQUE 


Saint-Benoît-sur-Loire,    IMO,  507. 
Saint-David,  1197,  1178. 
Saint-Félix  de  Caramaii,    1167,    1763. 
Saint-Gilles,  1210,  sept.,  1288. 
Saint-Maxence,     1075     ou     1076,     13 

janv.,  136. 
Saint-Omer,    1099,    14   juill.,   464. 
Saint-Quentin,   1233,  1563. 
Saint-Quentiji,    1235,  1563. 
Saint-Quentin,    1239,  1609. 
Saint-Sever,    1208,   1233. 
Saintes,  1075,  141. 
Saintes,   1080,  282. 
Saintes,    1096,  mars,  447. 
Salamanqiie,   (154,  911. 
Salamanque,    1190,   1164. 
Salisbury,  M  16,  20  mars,  557. 
Salisbury,    1216,   1428. 
Salzbourg,    1215,  1299. 
San  Celoni,    1168,1762. 
San    Germano,    1230,  23    juilL,    1489. 
Sardaigne,   65. 

Savigny,  1172,  17  mars,  1054. 
Saxe,  55,  88,  132,  145,  167,  273,  327. 
Schleswig,  1222,  1443. 
Ségovie,  1117,1761. 
Senlis,   1233,  1562. 
Senlis,  1240,  1610. 
Sens,   1140,  747-790. 
Sens,   1225,  1443. 
Sens,   1239,  1610. 
Siegfried   de  Mayenre,  104,  105,  11."), 

133,    153,    238. 
Simon  de  Montfort,  1287,  1291,  1298, 

1439,  1440. 
Simonie,  90,  99,»  100,  112,  141,  245- 

248. 
Skeninge,  1248,  1709. 
Soissons,   1079,  118. 
Soissons,  1092,  365. 
Soissons,    1115,    548. 
Soissons,    1121,    593-602. 
Soissons,    1155,    911. 
Soissons,    1201,   1228. 
Spalato,   Mil,  527. 
Spalato,    1075,  141. 
Spalato,  1185,  1129. 
Spire,    !I46,    Noël,   809. 


Spire,    1193,    1166. 
Stedinger,   1538-1549. 
Strasbourg,   ||26,  665. 
Straubing,    1240,    1610. 
Sutri,    llll,   516-527. 
Syrie,    M  15,   550. 
Szaboles,   1092,  369. 

Tarazona,    1229,  29  avril,  1505. 

Tarragone,    1146,   807. 

Tarragone,    (180,    1114. 

Tarragone,    1230,    l^r  mai,   1505. 

Tarragone,   1233,  1559. 

Tarragone,   1239,  1606. 

Tarragone,    1240,  1611. 

Tarragone,   1242,  1624. 

Tarragone,   1244,  1633. 

Tarragone,    1246,   1"  mai,   1706. 

Tarragone,    1248,   1709,  1764. 

Tarse,     1177,    1084. 

Templiers,    669,    713. 

Thomas    Becket,    964-968,    978-1002, 

1010,  1027-1044. 
Thurstin   d'York,   578,   606,  657. 
Torcello,  1227,  667. 
Toul,   1127,  13  mars,  667. 
Toulouse,   1079,  141. 
Toulouse,    1118,    567. 
Toulouse,    1119,   8  juin.,   570-573. 
Toulouse,    1119,   651. 
Toulouse,  1160,  oct.,  946,  1717,  1722. 
Toulouse,    1218,    1429. 
Toulouse,    1229.    675. 
Toulouse,   1229,  1494-1501. 
Tournus,   1115,  15  août,  551. 
Tournus,    1117,  560. 
Tours,   1096,  16  mars,  446. 
Tours,    1163,  963,  968-977. 
Tours,   1236,  1572. 
Tours,    1239,  1608. 
Transsuhstantlatio,    913. 
Trêves,    1131,  693. 
Trêves,    1147,    821. 
Trêves.    (152,    845. 
Trêves,    ((89,   1161. 
Trêves,     (227,    l'^''    mars,    1454-1466. 
Trêves,    (238,   1581. 
Tribur,  1076,  oct.,  178-183, 


TABLE    ANALYTIQUE 


1773 


Tribur,    1119,  2i  juin,  574. 

ïroia,   1093,   11   iuais,  ;f71. 

Troia,    1127,   nov..  GG8. 

Troycs,    1104,   avril,   482. 

Troyes,    1107,  23  mai,  499-503. 

Troyes,    1128,   13  ja.iv.,  670-671, 1761. 

Tuy,  1118.   17G1. 

Ulni,    1076,    178. 

Urbain   II,   296,   311,  331,    333,   335, 

337,  384,  396,  461,  465. 
Urbain    III,   1129-1134. 
Usneach,   1112,  540. 
Ulrecht,  1209,  1305. 
UlrechL.    1249,  1714. 
Uzès,    1139,  709. 

Valence,    1100,  30   sept.,  467-468. 

Valladolid,    1137,    714. 

Valladolid,   1155,  25  janv.,  911. 

Valladolid,   1228,  1502. 

Vaudois,  1270. 

Venise,   1152,  845. 

Venise,    1177,   1073-1083. 

Verneuil,   1098,  9  oct.,  460. 

Vernon,    1199,  1221. 

Veroli,  MM,  527. 

Vérone,    M84,  1117-1127. 

Vezelay,    (146,  807. 

Victor     III     (voir     Didier    du    Mont- 

Cassin) . 
Victor,    IV,    717. 
Vienne,    M 12,  16  sept.,  535-536. 
Vienne,    M  19,   567. 
Vienne,    M 24,   648. 
Vienne,    M4I,  790. 
Vienne,  I  164,  juin,  1004. 
Vienne,   1200,  1226. 
Villabcrtran,    MOO,    11    nov.,   471. 


VVelf  de  Bavière,  347,  384. 
^Vestminster,    M  36,   719. 
Westminster,    M38,  13  déc,  720-721. 
Westminster,   M4I,  7  déc,  794. 
Westminster,    1162,    966. 
Westminster,    M63,  l^r  oct.,  978-980. 
Westminster,    M  73,  3  juin,  1057. 
Westminster,  M75, 18mai,  1059-1061. 
Westminster,      M76,     1061-1062. 
Westminster,    MOO,   1161. 
Westminster,   M  93,  1161. 
Westminster,   M  99,  1223. 
Westminster,     1200,     1223-126. 
AVestminster,    1225,   1450. 
Westminster,   1229,  29  avril,  1505. 
Wibald,  861,  864,  867,  887. 
Winchester,  1076,  215-217. 
Winchester,    M 39,  742-743. 
Winchester,    M4I,  791-793. 
Winchester,    M  43,   795. 
Windsor,    I  M4,    542.  ■ 

Windsor,    M  75,   1061. 
Windsor,    M 84,   1128. 
Woodstock,    M  75,  1061. 
Worcester,    1240,  1611. 
Worius,   1076,  24  janv.,  148,  151-158. 
Worms    (Concordat     de),    M 22,    602- 

630,  1761. 
Worms,  M 27,  667. 
Worms,    M  53,   863. 
Wratislas,   328. 
Wurzbourg,  1127,  666. 
Wurzbourg,  I  130,  688-690. 
Wurzbourg,   1165,1012-1018. 
Wurzbourg,    1231,   1506. 

York,'  M  95,   1169. 

Yves  de  Chartres,  354-365,  386,  395, 
447,  470,  481,  482,  531. 


TABLE   DES  MATIERES 


LIVRE    TRENTE    ET    UNIEME 


CONCILES      SOUS      LE      PONTIFICAT     DE      GREGOIRE     VU 

;j  568   Débuts  de  Grégoire    VII 13 

§  569  Vaste  plan  de  Grégoire  VII  ot  concile  du  carême  de  1074 68 

§  570  Conciles  à  Rome,  à  Erfurt  et  à  Passau  dans  l'automne  de  1074  .  .  103 

§  571   Conciles  à  Paris,  à  Rouen  et  à  Reims  en  1074 107 

§  572  Concile  romain  du  carême  de  1075 115 

§  573  Guerre  contre  les  Saxons;  concile  de  Mayence  d'octobre  1075  ..  132 

§  574  Autres  conciles  de  l'année  1075 135 

§  575  Le  roi  Henri,  Cencius  et  Guibert  contre  Grégoire.  Question  de 

l'Église   de    Milan 147 

§  576  Grégoire  est  déposé  au  conciliabule  de  \A  omis,  on  1076 151 

§  577  Publication  des  décrets  de  Worms 156 

§  578  Concile  romain  du  carême  de  1076 158 

§  579  L'opinion  sauvegarde  le  pape  de  la  vengeance  du  roi 167 

§  580  Diète  à  Tribur  en  octobre  1076 178 

§  581   Henri  IV  à  Canossa 183 

§  582   Henri  viole  le  traité  de  Canossa 201 

§  583   Élection  de  Rodolphe  de   Souabc 207 

§  584  Conciles  en  Angleterre,  en  Ecosse,  en  Espagne  et  en  France  ....  215 

§  585  Concile  romain  du  carême  de    1078 230 

§  586  Conférence   et   guerre    civile 236 

§  587  Concile  romain  de  novembre  1078    242 

§  588  Conciles  à  Girone  et  à  Boissons  en  1078  et  1079 245 

§  589   Réunion  à  Fritzlar.  Concile  romain  carême  de  1079 248 

§  590  Grégoire  VII  tente  une  solution  pacifique  du  conflit 254 

§  591   Concile  romain  do  carême  de  1080.  Rodolphe  est  reconnu  par  le 

pape 262 

S  592  ConciliabulcsdeMayenceetdeBrixen  en  1080. Grégoire  est  déposé  269 

§  593  Mort  de  Rodolphe.  Alliance  de  Grégoire  avec  les  Normands  ....  273 

§  594  Conciles  en  Normandie,  en  France  et  en  Espagne,  de  1079  à  1085  276 

§  595   Henri  va  en  Italie.  Synode  du  carême  de  1081 286 

§  596   Henri  assiège  Rome  et  s'en  empare.    Grégoire   à   Salerne 295 

§  597    Réunions  et  conciles  en  Allemagne  en  1085.  Mort  de  Grégoire  VII  311 


1776 


TABLE    DES      MATIEHHS 


LIVRE     TRKM'E-DEUXIÈME 

DE  LA  MORT  UE  GREGOIRE  VII  AU  CONCORDAT  DE  WORMS 
ET   AU   NEUVIÈME    CONCILE    ŒCUMÉNIQUE 

§  598  De  la  mort  de  Grégoire  VII  à  lu  inorl  de  Victor  III 325 

§  599  Les  cinq  premières  années  d'Urbain  II,  1088-1093 337 

§   600   Conciles  de  l'année  1094 379 

^'601   Conciles  de  Plaisance  et  de  Clermont  en  109Ô.    Première  croisade  388 

§  602  Autres  conciles  sous  Urbain  II,  1095-1099 445 

§  603  Conciles  depuis  l'élection  de  Pascal  II  jusqu'à  la  mort  d'Henri  IV, 

1099-1106 465 

§  604   Conciles  depuis  l'avènement  d'Henri  V  jusqu'au  traité  de  Sutri  .  .  496 

§  605   Concordat  de  Sutri  et  couronnement  d'Henri  V,  en  1111 510 

§  606  Conciles  de  1112  à  1115.  Opposition  contre  l'empereur  et  contre 

le  décret  des  investitures    528 

§  607  Second  voyage  d'Henri  V  à  Rome  et  derniers  conciles  célébrés 

sous  Pascal  II    553 

§  608  Conciles  sous  le  pape  Gélase  II 563 

§  609   Premiers  conciles  sous  Calixte  IL  II  échoue  dans  une  tentative  de 

réconciliation   avec  Henri  V    568 

§  610  Abélard  et  le  concile  de  Soissons  en  1121 593 

§  611   Le  concordat  de  Worms  en  1122   602 

§  612   Neuvième  concile  général  au  Latran,  en  1123 630 

LIVRE   TRENTE-TROISIÈME 

CONCILES      DU     IX^      CONCILE       ŒCUMENIQUE     AU     CONFLIT 
AVEC      LES      IICHENSIAUFEN,     1124-1152 

§  613   Conciles  sous  le  pape  Honorius  II  et  l'empereur  Lothaire  111  ....  645 
§  614   Conciles  sous  le  pape  Innocent  II  et  les  empereurs  Lothaire  III  et 

Conrad  III,  jusqu'au  dixième  concile  œcuménique 676 

§  615   Dixième  concile  œcuménique  en  1139  et  conciles  des  années  sui- 
vantes   721 

§  616  Abélard  et  le  concile  de  Sens  en  1148 747 

§  617   Derniers  conciles  sous  le  pape  Innocent  II 790 

§  618  Eugène  III  et  la  seconde  croisade 795 

LIVRE    TRENTE-QUATRIÈME 

CONCILES  DE  1152  A  1198 

§  619  L'empereur  Frédéric  P'"  et  le  pape  Hadrien  IV 849 

§  620  Conciles  sous  Hadrien  IV   911 

§  621    Élection  d'Alexandre  III,  en  1159 916 


TABLE    DES     MATIERES  1777 

§  622  Conciliabule  de  Pavie  en  1160   927 

S  G23   Conciles  du    printemps    de    IIGO    à    la    lin    de    1163.    Dclrosse 

d'Alexandre  III 945 

§  624   Concile  de  Tours,  niai  1163. 'Débuts  de  l'archevêque]  Thomas 

Becket 963 

§  625   Réunions  de  Wesiminster  et  de  Clarendon,  en  1163  et  1164.  .  .  .  978 

§  626  Convent  de  Northampton,  octobre  1164.  Fuite  de  Becket 992 

§  627  Lutte  de  Pascal  III  avec  Alexandre  III  depuis  1164 1002 

§  628  Concile  de  Lombez  en  1165  contre  les  bonshommes 1006 

S  629   Danger  et  salut  d'Alexandre  III     1010 

§  630   Luttes  et  mort  de  Thomas  Becket 1027 

§  631   Conciles  orientaux  de  1166  à  1176 1045 

§  632  Conciles  occidentaux  de  1166  à  1176   1052 

§  633  Concile  de  Venise  en  1177;  autres  conciles  de  ce  temps 1064 

§  634  Onzième  concile   œcuménique  troisième  de  Latran,   en  1179  .  .  1080 

§  635   Derniers  conciles  sous  Alexandre    III    1112 

§   636   Conciles  célébrés  sous  le  pap^  Lucius  III,  1181-1185 1114 

§  637  Conciles  célébrés  sous  les  papes  Urbain  III  et  Grégoire  VIII,  1185- 

1187 1129 

§  638   Troisième  grande  croisade  et  conciles  de   cette  époque  jusqu'à 

Innocent    III 1137 


LIVRE   TRENTE-CINQUIÈME 

INNOCENT  III  ET  LES  CONCILES  TENUS  SOUS  SON  REGNE 
DOUZIÈME    CONCILE    GÉNÉRAL 

§  630   Elections  du  roi  et  du  pape 1179 

^  640   Innocent  III  et  la  lutte  au  sujet  du  trône  d'Allemagne  jusqu'en 

1204 1197 

§  641  Conciles  de  1199  à  1208 1219 

§  642  Continuation  du  conflit  au  sujet  du  trône   d'Allemagne  jusqu'à 

la  mort  de  Philippe  de  Souabe,  en  1208 1233 

§  643   Le  pape  Innocent  III  et  l'empereur  Otton  IV 1243 

§  64'!  Innocent  III  et  Jean  sans  Terre.  Conciles  anglais  entre  1206  et  1215  1250 
§  645  Les  albigeois  et  les  conciles  tonus  depuis  le  commencement  du 

xiii^  siècle  jusqu'au  douzième  concile  œcuménique 1260 

§  646   Conciles  du  nord  de  la  France,  de  1209  à  1215 1303 

§  647   Douzième  concile  œcuménique,  quatrième  de  La  Iran 1316 

?j  6'i8   Derniers  conciles  sous  Innocent  III;   sa   mort 1399 

LIVRE     TRENTE-SIXIÈME 
FRÉDÉRIC  II,  1216-1250 

Chapitre   premier.    L'empereur  Frédéric    II   et   le     pape    Honoriu-;    III. 

S  649  Aperçu    historique 1409 


1778  TABLE     DES    MATIERES 

§  650   Conciles  célébrés  pendant  le  pontificat  d'Honorius  III,  1219-1222  1428 

§  651   Conciles  tenus  au  sujet  des  albigeois,  de  1222  à  1225 1437 

§  652  Conciles  allemands  et  anglais  de  1222  à  1225 1443 

§  653  Conciles  de  1226  et  1227 1451 

Chapitre  II.  L'empereur  Frédéric  II  et  le  pape  Grégoire  IX. 

§  654  Croisade  simulée  et  réelle  de  Frédéric  II.  Deux  conciles  romains 

en  1227  et  en  1228 1467 

§  655   Fin  de  la  guerre  d  >s  albigeois  et  concile  de  Toulouse  en  1229  .  .  1491 

§  656  Autres  conciles  de  1229  à  1230 1501 

§  657   Rapports  entre  Frédéric  II  et  Grégoire  IX,  de  la  paix  de  San  Ger- 

mano  jusqu'à  l'excommunication  de  l'empereur  en  1239  ....  1508 

§  658  Conciles  français  et  anglais  en  1231   1  524 

§  659  Conciles  touchant  les  stedinger  et  autres  hérétiques  allemands.  .  1534 

§  660  Conciles  touchant  les  albigeois,  de  1232  à  1235 1555 

§  661   Conciles  français  lors  du  conflit  avec  saint  Louis,  1232-1235.  ..  .  1562 

§  662  Conciles  grecs,  1232-1235.  lentc.tive  d'union 1565 

§  663  Conciles  réformateurs  célébrés  de  1235  à  1238 1572 

§  664   Deruièris  luttes  entre  Frédéric  II  et  Grégoire  IX,  de  lî;;39  à  1241  1582 

§  665  Conciles  de  1239  à  1241 1606 

Ch.vpitre  III.  L'empereur  Frédéric  II  et  h  pape  Innocent  IV. 

§  666  Rapports  entre  Frédéric  II  et  Innocent  IV  jusqu'à  la  convocation 

du  treizième  concile  général   1612 

§  667   Conciles  de  la  mort  de  Grégoire  XI  (1241)  au   treizième  concile 

général    1623 

§  668  Treizième  concile  général  célébré  à  Lyon  en  1245 1633 

§  669   Dernières  années  de  Frédéric  II 1679 

§  670  Conciles  de  1246-1250 1694 

APPENDICES 

I.  Sur  un  concile  tenu  à  Toulouse,   en  1160 1713 

II.  Un  concile  ot  un    hérétique   inconnus 1719 

III.  Liste  des  évêchés  représentés  au  concile  de  1215 1722 

IV.  Sur  la  Salutation  angélique  prescrite  par  le  canon  7  du  concile  de 
Béziers,  en  1246 1734 

Errata  et   Addenda 1761 

Table    analytique 1765 

Table  des  matières 1775 


DOCUMENTS   POUR    UETUDE    DE    LA    BIBLE 

PVBLlis    SOUS  X.A  DIRECTION   DE    FRANÇOIS  MARTIN 
PKOVX8SBU&  DE  LANGUES  SÉMITIQUES    A  L'INSTITUT     CATHOLIQUE   DE  PARIS 

LES   APOCRYPHES 

DE 

L'ANCIEN  TESTAMENT 


EN  VENTE  : 

Le  Livre  d'Hénoch,  traduit  sur  le  texte  éthiopien  par  François  Martin,  pro- 
fesseur de  langues  sémitiques  à  l'Institut  catholique  de  Paris,  et  les  membres 
de  la  Conférence  d'éthiopien  (1904).  Un  vol.  in-8  de  CLn-320  pages.  7  fr,  50 
Ouvrage  couronné  par  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles- Ltttres. 

Histoire  et  Sagesse  d'Ahikar  l'Assyrien,  traduction  des  versions  syriaques 
avec  les  principales  variantes,  accompagnée  d'une  introduction  et  de  notes, 
par  F.  Nau,  diplômé  de  l'École  des  Hautes-Études,  professeur  k  l'Institut 
catholique  de  Paris.    Un  vol.  in-8  de  312   pages , 5    fr. 

Ascension  d'Isaïe,  traduction  de  la  version  éthiopienne  avec  les  [principales 
variantes,  par  Eugène  Tisserant,  diplômé  de  langues  sémitiques  de  l'Institut 
catholique  de  Paris,  professeur  d'assyrien  à  l'Apollinaire.  Un  vol.  in-8  de 
256  pages 4  fr. 

Les  Psaumes  de  Salomon,  introduction,  texte  grec,  traduction  et  notes, 
par  J.  ViTEAU,  professeur  à  l'Institut  Catholique  de  Paris,  avec  les  prin- 
cipales variantes  de  la  version  syriaque,  par  F.  Martin.  Un  vol.  in-8  de 
430   pages 6  fr.  75 

EN   PRÉPARATION  : 

La  lettre  d'Aristée  et  la  prière  de  Manassé,  par  J.  Viteau,  docteur  is  lettres. 

Les  Testaments  des  douze  Patriarches,  par  J.  Viteau,  et  le  Testament 
de  Nephtali  (en  hébreu),  parTouzARD. 

L'ApocaI]rpse  d' Abraham,  par  Gratieux  et  Vaganay. 

Le  IV*  Livre  d'Esdras,  par  J.  Labourt,  docteur   es  lettres  et  en  théologie. 

Les  Livres  Sibyllins,  par  A.  Boxler,  agrégé  de  l'Université,  professeur  k 
l'Institut  catholique  de  Paris. 

Le  III«  Livre  d'Esdras,  les  III*  et  IV*  Livres  des  Macchabées,  par 
J.  Labourt,  docteur  es  lettres  et  en  théologie. 

Assomption  de  Moïse,   par  E.   Tisserant,   professeur  à   l'Apollinaire. 

Les  Secrets  d'Hénoch.  par  Gratieux  etFraiçois  Martin,  professeur  à  l'Ins- 
ilut  caihoiique  de    Paris. 

Le  Livre  des  Jubilés,  par  François  Martin,  professeur  à  l'Institut  catho- 
lique de  Paris. 


OESTECKERTâC^ 
(ALFRED  HAFNER)