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HISTOIRE
DIS
DUCS DE BOURGOGNE.
TOME V.
HISTOIRE
DUCS DE BOURGOGNE
DE LA MAISON DE VALOIS,
1364.-1177.
M. DE BARANTE,
ClNQVrÈME ÉDITION.
PARIS.
miFÉY, ÉDITEUR, HUE DES HAItAIS 8. G. i7.
H nccc xxxvii.
PHILIPPE-LE-BON.
TOMK ▼. 5* SOIT.
LIVRE SECOND.
SOMMAIRE.
Séjour du Duc à Paris. — Le comte de Richemont con-
nétable. -^ Lettres de défi entre le Duc et le duc de
Glocester. — Lettre du pape au Duc. — Guerres du
Hainaut et de Hollande entre madame Jacqueline et
le duc de Glocester. — Tentatives pour faire la paix
entre la France et la Bourgogne. — Le connétable
travaille à la paix. — Continuation de la guerre de
Hollande. — Bataille de Brawhershauven. — Discus-.
sions avec la ville de Dijon. — Désordres dans le
gouvernement du royaume. — Siège d'Orléans. —
Histoire de Jeanne d'Arc. — Prédications de frère
Thomas Connette. — De frère Richard. — Délivrance
d'Orléans. — Prise de Jargeau. — Bataille de Patai.
— Fin de la prospérité des Anglais.
M-^t'
-■,-lt
,'11.1
PHIUIPPE-LE-BON.
14Î24— 1429.
AHAis la cause du roi Charles
n'avait paru en si mauvais point;
alors,jpIusquejamais, les Anglais,
par raillerie, le nommaient le roi
de Bourges ou le comte de Pon-
tliieu. Une seule chose consolait les seigneurs de
France de la journée de Verneuil , c'est que les
4 SÉJOUR
Écossais y avaient été exterminés. Ils disaient
que la France était heureuse de se voir délivrée
de ces alliés insolens et barbares; que s'ils eus-
sent gagné la victoire, ils se seraient trouvés
maîtres de tout , et que leur projet était de s'em-
parer des seigneuries , des manoirs et même des
femmes de tous les gentilshommes d'Anjou et de
Touraine \
Aussitôt après cette malheureuse bataille de
Verneuil, des ambassadeurs furent envoyés au
duc de Savoie pour rengager à reprendre les né-
gociations avec le duc de Bourgogne. Ce prince
s'était empressé de mettre à profit le premier bruit
de ce désastre. Il se présenta devant les forteresses
de Tournas, de la Bussière et de la Roche-Solutry.
Elles ne firent nulle résistance. Le Duc , ayant ainsi
entre ses mains toutes les places qui assuraient
ses frontières, se prêta volontiers à une4;rève de
cinq mois , que ses ambassadeurs signèrent avec
ceux du roi , le 28 septembre, à Chambéry. Le duc
de Savoie, outre la volonté qu'il pouvait avoir de
rétablir la paix , trouvait toujours un grand avan-
tage à éloigner les gens de guerre des pays où ses
sujets faisaient un commerce journalier '.
•
' Amelgard. — ' Histoire de Bourgogne et Preuves,
DU DUC A PARIS (1424). S
Le duc Philippe se rendit ensuite à Paris. Le
duc de Glocester et sa femme Jacqueline de Hai-
naut venaient de débarquer à Calais avec cinq ou
six mille Anglais. On commençait, dans le pays
de Flandre , à craindre une guerre dont on voyait
tous les apprêts. Cependant le Duc se fia aux pa-
roles du régent anglais, qui lui semblaient sin-
cères; des ambassadeurs ftirent envoyés au duc
de Glocester pour lui porter la sentence qui,
après beaucoup de délibérations, avait été réglée
par les deux arbitres. En attendant sa réponse ,
le duc de Bedford faisait à son beau-frère de Bour-
gogne plus grand accueil que jamais. Ce n'étaient
que fêtes, réjouissances, tournois, festins et
danses, dont le malheureux peuple de Paris mur-
murait fort'. Il y eut même une sorte de sédi-
tion que le duc de Bourgogne s'employa à apai-
ser'. Pour avoir une occasion de plus de se diver-
tir, les deux cours célébrèrent avec une grande
solennité le mariage du sire Jean de la Tremoille
et de la demoiselle de Roche-Baron. Le duc Phi-
lippe brillait au milieu de tous les seigneurs et
chevaliers par sa courtoisie, sa bonne grâce aux
' Journal de Paris.
^ Histoire de Bourgogne.
6 SÉJOUR
joutes , à la danse et à toutes sortes d'exercices.
Il engagea même son beau-frère le régent à pa-
raître dans un tournoi , ce qui jamais ne lui était
encore arrivé. C'était surtout aux dames que le
duc de Bourgogne s'empressait de plaire; nul
n'était plus amoureux et plus galant. La com-
tesse de Salisbury était pour lors la plus belle des
nobles dames d'Angleterre qui étaient venues à
Paris. Le Duc lui montra un grand amour, et
s'efforça de gagner ses bonnes grâces. Ce fut un
sujet de jalousie pour le comte de Salisbury, et
un motif de plus pour faire naître la malveillance
entre le duc de Bourgogne et les Anglais".
Il n'y avait point des divertissemens pour les
seigneurs seulement; le peuple avait aussi les
siens. Durant six mois, depuis le mois d'août
jusqu'au carême, on représenta au cimetière des
Innocensla J^an^e des Morts, qu'on nommait aussi
Dan^eilfoco^re.Les Anglais surtout s'y plaisaient,
dit-on ; c'étaient des scènes entre gens de tout état
et de toutes professions, où , par grande moralité,
la Mort faisait toujours le personnage principal*
Aprèç toutes ces fêtes, le Duc, qui venait d'a-
voir des dispenses de Rome, se hâta de célébrer
* Fcnin.
DU DUC A PARIS (1494). 7
son mariage avec la comtesse de Nevers ; la céré-
monie se fit à Moulins-en-Gilbert, dans le comté
de Nevers. Le comte de Richemont s'y était rendu*
Son voyage était une chose importante dans les
affaires de France. Lorsqu'il iut revenu en Bre-
tagne, mécontent des Anglais, qu'il n'avait jamais
aimés réellement, le conseil du roi essaya bien-
tôt de le mettre du parti de la France. Le prési-
dent de Provence , Tanneguy Duchâtel , la reine
de Sicile , vinrent , les uns après les autres, lui faire
des propositions. Mais le comte de Richemont n'a-
vait aucune confiance dans les conseillers du roi ;
il se défiait surtout du président de Provence,
qui passait pour avoir été le principal auteur de
la détention du duc de Bretagne. Cependant les
seigneurs bretons et les États de la province dé-
siraient la paix, et avaient, comme toujours, le
cœur plus français qu'anglais.
Il fut donc résolu de donner suite à ces pour-
parlers ; toutefois le comte de Richemont déclara
qu'il ne ferait rien sans consulter le duc de Bour-
gogne. Il lui envoya d'abord deux de ses conseil-
lers. Bientôt après, l'office de connétable étant
devenu vacant par la mort du comte de Buchan ,
le conseil de France le fit offrir à messire de
Richemont. Pour lors il consentit à avoir une
8 LE COMTE DE RICHE MONT
entrevue à Angers avec le roi. Il y arriva entouré
des principaux seigneurs de Bretagne ; le roi lui
fit un grand accueil. Le comte se réserva d'obte-
nir le consentement des ducs de Bourgogne et de
Savoie; en attendant, il exigea pour otages le
bâtard de Dunois et le sire d' Albret , et pour places
de sûreté, Lusignan, Loches, Chinon et Mung-
suf-Yèvres; puis il partit pour la Bourgogne \
Le moment était favorable; car le duc de
Glocester, sans écouter en rien les conseils et
les instancesi de son frère, au risque de mettre
la discorde entre la Bourgogne et l'Angleterre ,
s'avançait à main armée vers le Hainaut. Une
nouvelle circonstance rendit bientôt cette que-
relle plus grande et plus obstinée. Le comte Jean
de Bavière, ancien éveque de Liège, mourut
empoisonné, dit-on, par des seigneurs hollandais
du parti de sa nièce. Le sire Van-Wlyet fut même
décapité comme accusé de ce crime'. Le comte
fit le duc de Bourgogne son héritier, au préjudice
de madame Jacqueline. En outre, la Hollande et
la Zélande, dont il avait seulement la jouissance^
revenaient à sa nièce. Ainsi il s'agissait de savoir
' Histoire de Bourgogne.
* Chrontqiie de Hollande.
EST FAIT CONNÉTABLE (1484). 9
qui disposerait de plusieurs pays vastes^ riches
et d'un grand commerce. Le duc de Glocester
avait plus que jamais la volonté de soutenir ses
droits.
Le duc de Savoiç demanda une nouvelle entre-
vue au duc Philippe ; elle fut fixée à Mâcon. Le
comte de Richemont et le comte de Clermont,
fils du duc de Bourbon , s'y trouvèrent ; le duc de
Savoie y amena trois envoyés du roi , l'archevê-
que de Rheims et les évéques de Chartres et du
Puy ". Le duc de Bourgogne consentit qu'ils lui
fussent présentés ; il les accueillit avec cette cour-
toisie que nul n'avait plus que lui ; mais à toutes
leurs propositions il ne répondit qu'en rappelant
le meurtre de son père. Les prélats excusaient
doucement le roi sur sa jeunesse, sur les conseil-
lers qui l'avaient entouré : c Hé bien donc , re-
€ prit le duc Philippe , que ne s'est-il encore défait
< de ses méchans conseillers ! » Du reste , il parla
avec bienveillance du roi, et protesta du désir
qu'il avait de lui rendre service *. Il fut impossi-
ble d'aller plus loin. Le Duc consentit à ce que le
comte de Richemont acceptât l'épée de connéta-
» Mémoires de Richemont. — Histoire de Bretagne.
* Histoire de Bourgogne.
10 LETTRES DE DÉFI ENTRE LE DUC
ble , prolongea la trêve , et fiança madame Agnès ,
sa sœur, avec le comte de Glermont.
Cependant il lui fallait songer à défendre le
Hainaut contre le duc de Glocester et madame
Jacqueline » qui avaient traversé ses propres do-
maines pour aller porter la guerre au duc de
Brabant, son cousin '. Ils étaient entrés dans la
village Mons, qui était la principale du pays de
Hainaut : un fort parti s'était déclaré pour eux,
et ils avaient assemblé les trois États. Là, madame
Jacqueline exposa conunent elle avait accompli
son devoir de bonne catholique en quittant le duc
de Brabant, dont elle était cousine germaine et
marraine, et qui ne pouvait être son mari. Aussi
disait-elle que , tant que ce mariage avait duré ,
elle s'était crue en péché mortel , et qu'elle trem-
blait comme la feuille toutes les fois que le duc de
Brabant entrait en sa chambre \
Le duc de Bourgogne publia ses mandemens,
et enjoignit à tous ses vassaux de Flandre et
d'Artois de prendre les armes sous les ordres
des sires de Luxembourg, de Croy et de l'Isle-
Adam, afin de s'opposer à l'entreprise du duc de
> Monstrelet.
3 Sainl-Remi.
ET LE DUC DE GLOCESTER (iAW). 11
Glocester. Le comte de Saint-Pol, frère du duc
de Brabant, fut chargé de ccmunander toute Far-
mëe, et pour lors commença une cruelle guerre,
où les Anglais ne ménageaient pas le pays \
Dès que le duc de Glocester eut connaissance
des lettres patentes du dm^ de Bourgogne, il lui
écrivit à peu près en ces termes :
c Haut et puissant prince , très-cher et trè&aifflé
cousin , nouvelles me sont venues qu'en vos terres
et seigneuries on a publié et crié de par vous que
toutes gens disposés aux armes soient prêts pour
aller à rencontre de moi, de mes amis> de mes
bienveillans et de mes sujets. J'en ai vu autant
ou plus dans d'autres lettres , qu'on m'a dit venir
aussi de vous; elles viennent en effet, je crois, de
votre su et ordonnance. Vous savez assez pour-
tant ce qu'au temps passé j'ai fait à votre prière ,
contemplation et requête ; conunent je m'en suis
remis à vous et à mon frère le régent pour apai-
ser le différent entre mon cousin de Brabant et
moi ; conmient j'ai accepté des journées de juge-
ment ; comment j'ai fait faire des offi*es à mon
propre préjudice. Vous savez que, de la part
■ 1425-1424, Y. st. L'année commença le 8 avril.
* Monstrelet.
12 LETTRES DE DÉFI ENTRE LE DUC
du duc de Brabant, on ne voulut condescendre à
rien , ni entendre à aucun traité. Ces lettres pour-
raient donc être supposées, feintes; vous pourrez
vous en assurer, je vous en envoie copie; car je
ne puis croire que tout ce que j'ai fait soit éloigné
de votre bonne mémoire.
< Et si proximité de lignage devait vous émou-
voir, ne devriez-vous pas être plus enclin à aider
mon parti, puisque ma compagne et épouse est
deux fois votre cousine germaine ' ; et mon cou-
sin de Brabant ne vous tient pas autant?
€ En outre , vous y êtes obligé par le traité de
paix que nous avons juré ensemble solennelle-
ment, et jamais le duc de Brabant ne le jura;
mais il a , comme vous savez , des alliances con-
traires , qui devraient vous émouvoir contre lui " .
Ce traité n'a jamais été enfreint par moi. Loin de
là, je me regarderais conmie coupable d'y avoir
même pensé, et il me semblerait que rien ne
pourrait plus désormais me réussir ; je me tiens
certain aussi que de votre vie vous ne voudrez
rien faire de contraire.
* Le duc Jean avait épousé Marguerite de Bavière , fille du comte
de Hainaut , et Guillaume de Hainaut son frère avait épousé Mar-
guerite de Bourgogne.
^ Avec la France.
ET LE DUC DE GLOCESTER (1421$). 13
< D'autre part, vous n'avez pas dû apercevoir
qu'avant et depuis que je suis en-deçà de la mer,
je n'aie pas eu le désir de complaire à vous et
imx vôtres ; que j'aie fait ou supporté qu'on fît
maint grief ou dommage à vous et à vos sujets.
J'ai traité vosdits sujets comme miens propres ,
ainsi que vosdits sujets peuvent vous en donner
connaissance. Vous savez aussi, et je vous l'ai
écrit, que je ne me suis entremis de demander
autre chose , de ce côté de la mer, que ce qui m'ap-
partient à cause de ma compagne votre cousine,
et que je compte , avec l'aide de Dieu, garder tant
qu'elle vivra ; cela est bien suffisant.
€ Et s'il a convenu que je fisse quelque chose
contre mon cousin de Brabant , vous savez que ce
n'est point ma faute; j'y ai été contraint par ses
entreprises , pour garder mon honneur et défen-
dre mon pays.
< Je ne puis donc croire , d'après toutes ces
choses qui sont assez notoires , que lesdites lettres
et publications aient été faites de votre su et de
votre parfaite connaissance. Pour ce , très-haut et
très-puissant prince , mon trèsKîher et très-aimé
cousin , je vous prie de vouloir bien considérer
tout ce que j'ai ci-dessus exposé ; et quand il se-
rait vrai , comme on l'assure , que les lettres sont
14 LETTttES DE DÉFI ENTRE LE DUC
de VOUS , en y pensant bien , vous prendrez d^au-
tres conseils et serez d'opinion contraire. Si vous
voulez faire autrement, Dieu, à qui Ton ne peut
rien celer , gardera mon bon droit, et feu appelle
aux sermens que vous avez faits. Faites^moi donc
savoir votre intention par le porteur de celle-ci.
Avec ce, s'il y a aucune chose que je puisse faire
pour vous, je m'y emploierai de bon cœur; le
Seigneur le sait , et qu'il vous garde de tous maux.
Ëcrit en ma ville de Mons, le 12 janvier. »
Le duc de Bourgogne examina, dans son con-
sdl, cette lettre du duc de Glocester ; puis il y ré-
pondit qu'il passait, sans les rappeler ou sans y
répondre, sur la plus grande partie des choses
qui y étaient contenues : < Car elles ne me font
rien ou guère , dit-il , fors ce qui touche mon hon-
neur, que je ne veux souffrir qui soit blâmé et
accusé contre le droit et la raison. Pourtant je
vous écris que les lettres et publications dont vous
parlez procédaient de mon su, et que j'avais com-
mandé qu'elles fussent faites. A quoi j'ai été mû
par le refus que vous avez fait d'obtempérer aux
articles avisés , après grande délibération du con-
seil de Paris , par votre frère le régent et moi, et,
depuis, présentés à vous pour l'apaisement des
contentions et discordes entre mon cousin le duc
ET LE roc BE GLOCESTER (148»). 15
de Brabant et vous; lesquels articles le duc de
Brabant , pour mettre Dieu de son côté et com-
plaire à mon beau-frère le r^ent, avait octroyés
et accordés. Mais vous, après votre reius, et sans
vouloir attendre la fin du procès pendant en la
cour de Rome, vous êtes entré « à puissance d*ar-
mes et de guerre, au pays de Hainaut, vous ef-
forçant d'en débouter mon cousin de Brabant et
de lui en ôter la possession. Telles furent les
causes de mes lettres , qui sont certaines et vé-
ritables, comme vous ne pouvez Tignorer ni le
nier. En cela je n*ai rien donné à entendre
contre la vérité et mensongèrement , conune à
tort vous me Timputez, à ce qu*il semble par vos
lettres , lesquelles je garde par-devers moi , pour
y aviser quand il sera temps. Ce que vous avez
fait et vous efforcez de faire à mon cousin de
Brabant était déjà assez et trop de déshcmneur
pour moi, sans vouloir charger mon honneur
et ma renommée de ce que je ne voudrais ni ne
veux endurer de vous ni de nul autre ; et je crois
que ceux à qui je tiens et qui me tiennent par le
sang , le lignage et l'affinité , que mes loyaux et
féaux vassaux et sujets , qui ont servi si grande-
ment et si loyalement messeigneurs mes prédé-
cesseurs et moi , ne le voudraient pas non plus
16 LETTRES DE DÉFI ENTEE LE DUC
passer ni souffrir. Pour ce, je vous somme et
requiers de rétracter de vos lettres ce que vous
y dites, que j'ai donné à entendre quelque chose
contre la vérité. Si vous ne le voulez , et que vousi
veuillez maintenir ladite parole , qui peut charger
mon honneur et ma renommée, je suis et serai
prêt à m'en défendre de mon corps contre le
vôtre , et à combattre , avec Taide de Dieu et de
Notre-Dame, en prenant jour convenable, par-
devant très-haut, très-excellent et très-puissant
prince l'empereur , mon très-cher cousin et sei-
gneur. Et afin que vous et tout le monde voie que
je veux abréger cette chose et garder mon hon-
neur étroitement, si cela vous plaît mieux , je serai
content que nous prenions pour juge mon très-
cher et très-aimé cousin, votre frère le régent,
lequel vous ne pouvez raisonnablement refiiser ,
car c'est un tel prince , qu'à vous , à moi ou à tous
autres, il voudra toujours être un droiturier juge.
Pour l'honneur et la révérence de Dieu , pour
éviter l'efftision du sang chrétien et la destruction
du peuple, dont en mon cœur j'ai compassion , il
doit mieux convenir à vous et à moi, qui sommes
chevaliers adolescens , au cas où vous voudriez
maintenir lesdites paroles, de mener cette que-
relle à fin^ corps à corps, sans plus. Autrement
ET LE DUC DE GLOGEdTEft (I4M). 17
maints gentilshommes et autres» tant de votre
est que du mien, finiraient leurs jours piteuse-
ment : laquelle chose me déplairait et devrait
vous déjdaire aussi» vu que la guerre entre chré-
tiens doit déplaire à tout prince catholique.
Haut et puissant prince» veuillez me faire ré-
ponse par vos lettres patentes» ou par le jk>r-
teur de celles-ci, et le plus tôt que Êdre se
pourra» sans prolonger la chose par écritures;
car j'ai désir que cette a£Eaire prenne une
prompte conclusion pour mon honneur» et je
ne dois pas la laisser et ne la laisserai pas en
ce point Je vous eusse fait plus tôt réponse»
n'eussent été plusieurs grandes occupations qui
me sont survenues et m'ont retardé. Et afin qu'il
vous paraisse que ceci vient de .mon su et pro-
pre mouvement» j'ai écrit mon ncon en ces pré-
sentes» et j'y fais mettre mon signet Écrit le 3
de mars 1424. >
Le duc de Glocester repartit presque aussitôt;
il disait. : < Vous parlez du refiis que» selon vous»
j'sd fait de vouloir apaiser le discord qui est entre
mon cousin le duc de Brabant et moi : cela est
moins que vérité; car mon très-cher et très^aimé
frère le régent» tout le conseil de France et vous-
même savez ce qui en est; vous voudriez l'igno-
TOHB ▼. 5* ion. a
18 LETTRES DE DÉFI ENTRE LE DUC
rer, que vous ne le pouvez. Quant k ce que vous
dites de mes lettres, je' vous fais savoir que j'en
tiens le contenu pour vrai, et que je veux m'y
tenir; cela est même déjà prouvé par ce que vos
gens ont fait, sur votre mandement, dans mon
comté de Hainaut; ainsi, ni pour vous, ni pour
tout autre , je n'en rétracterai ri^i. Au contraire,
avec l'aide de Dieu, de Notre-Dame et de mon-
seigneur saint George, je vous ferai, par mon
corps contre le vôtre, connaître et confesser que
c'est la vérité, par-devant un des juges que vous
avez désignés; car tous deux me sont indifférens.
Vous désirez que la chose soit brève , et moi pa-
reillement; ainsi, mon frère étant plus près, je
suis content d'accomplir la chose par-devant lui,
et je l'accepte pour juge. Vous avez remis le jour
à mon choix, et j'assigne le jour de la Saint-
George prochaine , ou tout autre à la discrétion
de mon frère; s'il plaît à Dieu, je serai prêt et
n'y manquerai pas. Mais comme je ne sais si vous
voudrez maintenir votre signature, je vous somme
et vous requiers de m'envoyef , par le porteur,
d'autres lettres scellées de vbtre sceau , comme les
présentes le sont du mien. Quant audit de Brabant,
si vous voulez ou osez dire qu'il ait meilleur droit
que moi , je suis prêt de vous faire confesser, par
ET LE DUC DE GLOGESTER (142IS). 19
mon corps contre le vôtre, au jour dit, que j'ai
le meilleur droit. »
Pendant que ces lettres étaient écrites ou en-
voyées , le duc Philippe avait quitté la Bourgogne ,
après avoir, au grand déplaisir des Anglais, oélé^
bré à Decize en Nivernais les fiançailles de sa
sœur Agnès avec le comte de Clermont II avait
voulu , à cette occasion , obtenir la délivrance du
duc de Bourbon, prisonnier depuis dix ans en
Angleterre; mais le duc de Bedford la lui avait
refiisée. Arrivé à Hesdin^ il répondit au due de
Glocester qu'il était content du jour assigné et du
juge choisi par lui, et qu'il enverrait des am-
Ixassadeurs pour prier le régent d'accepter ce
choix ; autrement il faudrait avoir recours à l'em-
pereur, c Quant à ce que mes gens^ disait*il^ ont
fait au pays de Hainaut , quelque diose qu'ils
aient faite pour l'honneur ou le profit de mon cou-
sin de Brabant, j*en suis content et joyeux« Vous
dites que vous me ferez confesser que vous avez
meilleur droit que lui; je vous réponds que, par
la sentence de notre Saint-Père le pape , il pourra
clairement apparaître qui aura droit ou tort ; je
ne voudrais pour rien déroger ou désobéir à une
telle puissance et autorité ; ce n'est pas à nous
deux de déterminer et d'ordonner à qui le droit
20 GUEiinE
appartient J'espère , par Notre Seigneur Jésus-
Christ et sa glorieuse Vierge mère, qu'avant l'is-
sue de la journée acceptée par tous, j'aurai si
bien défendu ma bonne querelle^ qu'il ne vous
sera ^jdus pôsisible de mettre en avant de telles
nouveautés. »
Pendant que les princes donnaient ces marques
éclatantes de haine et de colère, la guerre avait
cruellement continué en Hainaut; le comte de
Saint-Pol, à la tête des hommes d'armes de son
frère le duc de Brabant et des communes du pays,
ayant avec lui une foule de chevaliers bourgui-
gnons, était entré en Hainaut, et avait mis le
siège devant la ville de Braine ; il avait même dans
son armée des chevaliers de France". SàintraiUe,
se trouvant de loisir, y était venu avec les sei-
gneurs de Picardie , contre lesquels il guerroyait
d'habitude. Il n'y avait que deux cents Anglais
dans la ville ; mais les bourgeois avaient pris les
armes pour eux. Les assiégeai^s étaient nom-
breux; ils avaient de fortes machines de guerre.
La garnison n'espérait point être secourue; elle
se rendit sous condition d'avoir la vie sauve, et
que la ville pourrait se racheter moyennant une
* Monstrelet.
EN fiTAirrÂtT (148^). 21
somme (Târgent. Mais comme les Anglais, ayant
reçu lem* sauf- conduit , allaient se mettre en
route 9 les communes de Brabant, sans écouter
ni ordres, ni nfessages, ni prières du comte de
Saint-Pd et de tous les seigneurs, se jetèrent
dans la yille de tous côtes, la pillèrent, mirent
le feu partout , massacrèrent les bourgeois î ce fut
k grand'peine que les capitaines parvinrent à sau-
ver la vie à quelques Anglais.
Peu après, on fat informë^que]|le duc de Bour-
gogne et le duc de Glocester s'étaient défiés ; puis-
qu'ils allaient combattre de leurs personnes, leurs
gens cessèrent de se faire la guerre. Le comte de
Saint-Pol reprit avecTson armée la route^du Bra-
bant ; il lui fallait passer devant les Anglais et les
gens du Hainaut qui se tenaient a Soignes , sous
les ordres du duc de Glocester. La nouvelle de
la suspension d'armes' n'était pas encore arrivée ;
chacun mit ses gens en ordre de combat; déjà
même les coureurs des deux partis s'étaient ren-
contrés, et il y en avait eu de tués de part et
d'autre. Les communes de Brabant, §e trouvant
près de chez elles, et ne voulant point combattre,
se mirent tout à coup en grande déroute , laissant
même leurs charrettes et leurs bagages; leurs
chefs ne purent en retenir qu'un petit nombre.
22 LE RÉGENT ESSAIE DE PACIFIER
Le comte de Saint-Pd et ses chevaliers se trou-
virent ainsi livres à un ennemi beaucoup plus
nombreux; leur position était periUeuse; ils fi-
rent bonne contenance. Enfin arriva la nouvelle
certaine que les deux princes avaient pris jour
pour leur combat corps à corps, qu'ainsi toute
guerre était suspendue.
Le duc de Glocestèr retourna en Angleterre,
où le rappelaient de vifs démêlés avec l'évéque de
Winchester; sur les instances des gens du Hai-
naut, il laissa madame Jacqueline sous la garde
de la ville de Mons. Le duc Philippe lui envoya
un sauf-conduit afin qu'il traversât paisiblement
ses États, et qu'il allât faire ses préparatife pour
leur combat. De son côté, il s'apprêta pour cette
journée; tout habile qu'il était aux joutes et aux
faits d'armes, il se livra avec ardeur aux exercices
de chevalerie. U manda à lui les maîtres les
plus Ëoneux ; à peine prenait-il le temps de s'as-
seoir pour ses repas. II avait fait établir une foi^e
dans son château de Hesdin ; là , sous ses yeux
et d'après ses idées , on fabriquait toutes sortes
d'armes et de harnais de guerre , magnifiques ,
commodes et de résistance \
« Monstrelct. — Saint-Remi. — Fenin.
LES D£UX PRINCES (I42S). 23
Une telle discorde rompait toutes les mesures
du régeut anglais. Lorsque la bataille de Yerneuil
venait d'abattre le parti du Dauphin , son frère
lui enlevait les moyens de continuer vivement la
guerre en France; il allumait la guerre entre le
duc de Bourgogne et les Anglais ; en même temps
ses querelles avec Févêque de Winchester trou-
blaient toute r Angleterre. C'était fort à Êdre pour
un hiHnme si sage et si habile , de réparer les
fautes d'un homme violent et insensé. Afin de
prévenir les suites du défi que les deux princes
s'étaient porté, il vint d'abord avec sa femme, et
en grand appareil, trouver le duc Philippe, qui
alla aurdevant de lui à Doullens, puis le conduisit
jusqu'il son château d'Hesdin. Là, au milieu des
fêtes qui durèrent six jours, le bâtard de Saint-
Pol et d'autres dievaliers de Bourgogne portèrent
au bras droit une plaque d'argent ou ils avaient
fait graver un rayon de soleil : c'était là marque
du vœu qu'ils avaient fait de défendre le droit,
plus clair que le jour , du duc de Brabant contre
le duc de Glocestet. En vain le régent mécontent
voulul-il leur faire quitter ce médaillon; ils s'y re-
fusèrent, et il se contenta de leurs explications.
De retour à Paris , il convoqua plusieurs pré-
lats, comtes, barons, docteurs et licenciés en
24 LE RÉGENT ESSAIE DE PACIFIER
droit divin , canonique et civil , plusieurs cheva*
liers , ëcuyers» et autres notables et sages person-
nages de France et d'Angleterre pour donner avis
sur cette affaire par-devant le grand conseil. La
matière fut solennellem^at traitée : les uns furent
charges de soutenir Taffirinative ; ils démontrèrent
par plusieurs raisons et exemples , et par le droit
des armes, qu'il y avait gage de combat; d'autres
défendirent la négative. Les lettres des deux prin-
ces furent lues mot à mot ; puis le régent prît
l'avis de chacun, et il fut déclaré que, d'après les
lois , raisons , les coutumes et droits des armes , il
n'y avait ni ne pouvait y avoir gage de combat,
qu'ainsi les parties ne pouvaient être reçues à
combattre l'une contre l'autre. D'après cela, le
r^ent leur imposa silence perpétuel'. Quant aux
paroles hautaines contenues dans les lettres des
princes, après avoir été grandement notées et
avisées par le régent, le ctHiseil et tous les assis-
tans, il fut dit qu'elles avaient été écrites par cha»
que partie, de grand courage, pour garder et
maintenir son honneur ; qu'elles pouvaient et de^
vaient se prendre en toute égalité; que chacun
d'eux avait donc montré vaillamment la grande
* Preuves de l'Histoire de Boargegne.
LES DEUX PRINCES (148»). 2S
yerta et noblesse de son courage, et avait youIu
étroitement garder sa bonne et haute renom-
mée; qu'enfin chacun restait dans son entier
honneur.
Le régent envoya cette déclaration aux deux
princes, et j9t en même temps représenta forte-
ment à son frère Fimprudence de sa conduite.
Elle fot blâmée de tous en Angleterre , et il lui
fîit signifié qu'aucun subside ne lui serait fourni
eii hommes ou en argent pour accomplir une telle
entreprise. Ses querelles avec Févêque de Win-
chester n'en continuaient pas moins à troubler le
royaume , et le régent se vit contraint a quitter
la France vers le mois de décembre pour aller
remettre le bon ordre en Angleterre '.
Il laissait ses affaires de France en mauvaise
disposition. Plus les Anglais y prolongeaient leur
séjour^ plus la haine contre eux s'en allait crois-
sant; c'était à eux que le peuple imputait cette
guerre qui ravageait tout; les discordes des prin-
ces en avaient été la première cause ; mais main-
tenant y voyant ces étrangers dans le royaume, il
semblait que leur présence fut cause de tous les
maux. On les avait pris en horreur ; il n'y avait
' Monstrelet.
26 ÉTAT
rien qu'on ne leur attribuât. Lès Écossais eux-mê-
mes n'étaient pas mieux voulus ; ils pariaient le
màne langage , ils Tenaient du même pays que les
Anglais. Le vulgaire méfiant, et m^e les chefs,
s'imaginaiesit parfois qu'ils avaient intelligence
entre eux pour soumettre et partager la France!
En même temps le royaume jusqu'à la Loire
était devenu comme une vaste solitude ' ; les cam-
pagnes était désertes ; il n'y avait plus d'babitans
que dans les bois et dans les forteresses ; encore
les villes étaient bien plutôt des logis pour les gens
de guerre que des demeures pour les citoyens.
La culture était délaissée, hormis à l'entour des
murailles, sous l'abri des remparts et à portée
de la vue de la sentinelle du clocher. Dès qu'elle
voyait l'ennemi , les doches étaient sonnées , les
laboureurs en toute hâte rentraient dans la ville;
les troupeaux , aussitôt qu'ils entendaient le son
du tocsin, avaient pris l'instinct de s'énfiiir d'eux-
mêmes, et se pressaient aux portes pour se mettre
en sûreté.
Le larcin et la rapine étaient devenus la pro-
fession commune de tant de malheureux sans
asile. Les magistrats anglais avaient mis à prix
' GoUut. — Meyer. — Amelgard.
DU ROYAUME EN FRANCE (1425). 27
la tête de ces brigands, comme on aurait pu £adre
d'animaux carnassiers; &i eussent* ils justicié
dix mille par an^ ils n'eussait pas sensiblement
diminué le desordre. < Mais qu'y faire donc? »
disait un jour l'un d'eux à un digne prtoe. —
c Ah ! si les Anglais n'y étaient pas ! > répondit-il.
Il n'y a^ait donc pas un homme sage , pas un
loyal Français qui ne désirât la paix. Il était ma*
nifeste qu'elle dépendait du duc de Bourgogne}.
Par bonheur, chaque jour tendait à rapprocher
cette puissante maison de la maison de France,
dont elle était le plus noble rameau.
Non seulement le duc de Savoie, mais le papv_
Martin Y s'occupaient sans relâche d'amener ?hU
lippe à des dispositions pacifiques. Depuis quil
avait été élu par le concile, sa principale pensée
avait été de faire cesser cette longue et abomi-
nable guerre , cette cruelle efifosion du sang chré-
tien. < Dernièrement, écrivait-il au duc de Bour-
gogne', nous avons appris par gens dignes de
foi que tes adversaires, inspirés par le Seignau*,
pencfaaiait vers une paix raisonnable et hono-
rable, telk que, sans encourir le blâme d'une
coupable cruauté, on ne saurait la rejeter ; mais,
' Lettres du 22 mai 1425.
28 LE DliC ET LE PAPE
dil-on, tes alliés réviseront de Faccepter. La no-
blesse de ton âme nous encours^e à f exhorter, à
te requérir » à te supplier avec une affection pater-
nelle, au nom de JésusrClhrist qui disait à ses disci-
ples y en remontant vers son père : < le vous donne
ma paix, je vous laisse la paix >, d'incliner ton
cœur à la paix, et de t'efforcer d'amener aussi tes
alliés à cette paix, qui sera d'autant meilleure,
d'autant plus utile , d'autant plus agréaMe à nous ,
qu'elle sera plus universelle. Mais s'ils s'obsti-
naient dans cette passion de guerre qui fait la
ruine de tant de provinces > la désolation de tant
le peuples , qui est une offense exécrable envers
Dieu et la destruction de la république chrétienne ,
considère ce qu'il te convient de faire pour satis-
faire à ton honneur et à ta conscience , et pour ne
point, au jugement de Dieu et des hommes, être
regardé comme l'auteur de tant de maux. Nous
ne croyons pas que les motifs humains puissent
avoir assez de force pour être préférés à un si
grand et si universel bien&it , surtout lorsque le
salut de ton âme y est attaché ; lorsque tu es me-
nacé de la perdition étemelle , si , pouvant donner
la paix aux fidèles désolés , tu la leur refuses. Tu
diras peut-être qu'il te faut garder tes promesses
et tes alliances. Mais, répondrons-nous» à suppo-
TRAVAILLENT À LA PAIX (I422S). 29
ser qu'elles n'offensent point Dieu , que tu dois
respecter plus que les hommes, esfroe que Famour
de ta patrie » la restauration du royaume de tes
aJteux, les liens du sang, ne doivent pas te tou-
cher davantage? Et, pardessus toutes les affec-
tions mondaines , ne dois-tu pas être ému de la
crainte de Dieu, dont le jugement est plus formi-
dable que les propos et les langages humains,
toujours pleins de passions et étrangers à la vé-
rité? Le bonheur de cette paix tant désirée par
le peuple chrétien sera si grand, que, si tu en es
l'auteur, ton nom aura désormais une gloire sans
tache^ sera illustre à jamais, et à l'égal des plus
grands prii^ces. >
Outre ces paternelles instances du souverain
pontife , le Duc se trouvait de tous côtés, environné
par des cœurs tout français. Sa nouvelle femme
était petite-fille du duc de Berri ; sa sœur Agnès
venait d'épouser le comte de Glermont , qui était
du parti français ; madame de Guyenne avait pour
mari le connétable de Richemont Le conseil de
Bourgogne était plein de prud'hommes, qui ne
désiraient rien tant que de réconcilier leur prince
et la France'. Récemment encore, pour soulager
* Histoire de Bourgogne.
£'•
]
J
30 SENTIMENS FRANÇAIS
leur pays, ses conseillers avaient, en son absence,
dooné ordre à toutes les troupes étrangères de
vider la province; et lorsque Perrîn Grasset, cet
aventurier qui avait surpris la forteresse de la
Charité, se refusa à congédier les étrangers de sa
compagnie , menaçant de livrer la place aux An-
glais , ce fiit parmi les Bourguignons une alarme
et une indignation aussi grandes qu'elles eussent
pu Fêtre parmi les Français^ Le maréchal de
Bourgogne s'entr^oiit pour traiter avec ce rude
capitaine, ce qui n'était pas chose facile. Le con*
seil de Bourgogne écrivit en mâne temps au
comte de Clermont et au connétable de Riche*
mont pour qu'ils eussent à prendre des précau-
tions, car les Bourguignons aimaiept mieux voir
cette forteresse tomber aux mains des Français
leurs ennemis qu'aux mains des Anglais leurs
alliés* Le duc Pl^ilippe lui-même gourmanda for-
tement Perrin Grasset ; mais c'était un homme
qui ne respectait rien, voyant bien qu'on avait
besoin de lui. Pour l'adoucir , il fallut employer un
autre aventurier nommé François l'Aragonais;
enfin on obtint de lui qu'il recevrait le sire de la
Tremoille en otage d'une forte somme d'argent
qui lui fut promise.
Mais ce qui pouvait surtout donner quelque
DES BOURGUIGNONS (142S). 3i
espérance de paîx> c'étaient les efforts du conné-
table ; il semblait n'être passé dans le parti du roi
qu'afin de travailler à la conclure. Pour com-
mencer , lorsqu'il était venu demander au duc de
Bourgc^ne de consentir à ce qu'il acceptât l'office
de connétable » il lui avait promis de faire ren-
voyer des conseils du roi ses ennemis et les as-
sassins de son père. Aussi , en recevant Fépée de
connétable, qui lui fut solennellement remise
dans la grande prairie de Chinon , au mois de
mars 1425, il exigea tout d'abord que Tanneguy
Duchâtel, le président de Provence, Frottier et
d'Avaugour fussent chassés du royaume. Cette
ccmdition lui fut jurée , et il partit aussitôt pour
aller assembler ses hommes d'armes en Bre-
tagne'.
Le désordre qui régnait dans les conseils du
roi, l'insolence de ceux qui le gouvernaient, fai-
saient de plus en plus le sôandale de ses fidâes
serviteurs et de tous les hommes sages *. Le pré-
sident de Provence, Tanneguy, et l'évêque de
Clermont, conduisaient tout. Souvent les con-
seillers n'étaient point d'accord entre eux, et
* Mémoires de Richemont. — Preuves de THistoire de Bourgogne.
* Chronique de Bcrri.
32 LE CONNÉTABLE
leurs disputes étaient si violentes, qu'un jour^ en
plein œnseil , devant le roi , Tannc^uy tira son
poignard et le leva sur le comte Beraud Dau-
phin ' ; le bruit se répandit même qu'il Tavait tué.
Mais le plus absolu et le plus hautain » c'était le
président Louvet ; il avait acquis de grands biens;
sa fille, madame de Joyeuse, était bienvenue du
roi ; il avait marié son autre fille au bâtard d'Or-
léans, qui commençait à devenir puissant et il-
lustre. Quant à l'évéque de Glermont, qui avait
exercé pendant quelque temps l'office de chance-
lier de France, ses conseils étaient plus sages;
c'était lui qui avait conduit tout le traité avec le
comte de Richemont ; il avait aussi assisté aux
pourparlers avec les ducs de Bourgogne et de
Savoie.
Tanneguy sentait la nécessité de s'en aller ;
mais le président se refiisait à tout ; il entendait se
maintenir contre le connétable. Dès que ce prince
eut quitté le roi, l'évéque de Glermont et le sire
de Trignac dirent renvoyés, et le pouvoir du pré-
sident sembla prévaloir. Mais presque tous les ser-
viteurs du roi et les bonnes villes du parti finan-
çais se déclarèrent contre lui ; la reine de Sicile ,
' Registres du Parlement. — Pasquier.
TRATAILLE A LA PAIX (142»}. 33
mère de la reine » qui avait été long-temps pour
lui., Tabandonna aussi; mais le président/ se
fiant aux Écossais, au maréchal de Boussac, et à
quelques gens de guerre , ne voulait point céder.
Bientôt le connétable revint avec ses Bretons ;
toute la noblesse de Poitou , d'Auvergne, de Berri ,
de Rouergue , vint se ranger de son côté. Le roi ,
emmené par le président, se retirait de ville en
ville, quitté de tous, les uns après les autres ; il
ne resta plus sous son autorité que Selles et Yier^
zon; enfin raccommodement se fit'. Tanneguy,
qui jamais n'avait demandé à rester, dit au con-
nétable : € A Dieu ne plaise qu'à cause de moi
c manque un aussi grand bonheur que la paix
c entre le roi et monseigneur de Bourgogne ! > Il
s'employa , tout le premier , à mettre dehors ceux
qui devaient s'en aller, jusque-là qu'il fit tuer,
par ses archers, un capitaine qui reAisait d'obéir;
puis il se rendit à Beaucaire, dont il fîit nommé
sénéchal. Le président de Provence, craignant
pous sa vie, voulut que le bâtard d'Orléans l'ac-
compagnât jusqu'à Avignon, non qu'ils hissent
de même parti, mais, outre que c'était son gen-
' Chroiii<{ue de Berri. — Chronique de la Pucelle. — Mémoires
de Richement.
TOM€ T. 5^ KBIT. 3
[
34 LE CONNÉTABLE
dre, il ne se fiait à nul autre. De commun accord
entre le connétable, la reine de Sicile et le roi , le
sire de Giac fiit mis à la tête du conseil.
Dès que le connétable fiit le maître , il com-
mença par réconcilier son frère le duc de Bre-
tagne avec le roi. L'entrevue eut lieu à Saumur,
au mois de septembre ; le comte de Clermont, la
reine de Sicile , la duchesse de Guyenne, s'y trou-
yèrent. Tous, dans cette réunion de la maison
de France , semblaient n'avoir d'autre désir que
la paix et la réparation du royaume. Le duc de
Bretagne rendit au roi son hommage, comme
vassal. Madame de Guyenne, qui avait été la belle-
sœur du roi, et qui en avait conservé les titres et
les honneurs, reçut de lui le plus grand accueil.
C'était la première fois qu'ils se revoyaient depuis
le malheureux jour de Montereau. Ce souvenir
leur arracha des larmes. Le roi parla de la grande
jeunesse où il était alors , des mauvais conseillers
dont il était entouré et qu'il venait de chasser,
des soupçons dont ils l'avaient rempli ; il témoi-
gna la volonté de se réconcilier avec le duc de
Bourgogne, et pria madame de Guyenne de tra-
vailler à cette paix '. Cet entretien et les assu-
* Histoire de Bourgogne et Preuves. — Mémoires de Richemont.
TRAVAILLE A LA PAIX (1426'). 35
rances que le roi donna publiquement à tous les
princes^ répandirent la joie autour d'eux; on fit
venir des ménétriers, et dans les cloîtres de la
belle abbaye de Saint-Florent, où logeait ma-
dame de Guyenne, on célébra par des cbants et
des danses cet heureux espoir d'une paix si né-
cessaire'.
Le connétable, le duc de Bretagne, le comte
de Clermont, la duchesse de Guyenne envoyèrent
au duc Philippe message sur message , pour lui
rendre compte de ce qui se passait , et le conju-
rèrent de commencer à traiter avec le roi. Rien
ne s'opposait plus, lui disait-on, à ce qu'une si
cruelle guerre fut promptement terminée; les
coupables de la mort du duc Jean étaient chassés ,
et s'il voulait fedre renvoyer encore quelques
uns des conseillers du roi , il n'avait qu'à le Ëdre
savoir; mais on pouvait l'assurer que tous étaient
maintenant pleins de bienveillance pour la mai-
son de Bourgogne. Le roi protestait de tout son
cœur qu'il désirait se conseiller et se gouverner,
au temps à venir, par les grands de son sang, et
ne plus Êdre qu'un avec le duc de Bourgogne ;
^ 1426-1425, T. st. L'année commença le 51 mars.
' Preuves de THistoire de Bourgogne.
36 LE CONNÉTABLE
les affaires du royaume et les finances se régle-
raient , d'accord avec lui , par tels gens et conseil-
lers qu'il aviserait.
On ajoutait que, sur tous les points à débattre,
le duc de Bourgogne aurait pleine satisfaction :
que le roi, les seigneurs de son sang, les comtes,
les barons, les nobles, les gens d'église, les
bonnes villes et les gens de tous états, voulaient
fermement la paix, lui accorderaient toutes ses
sûretés , et jureraient tous les sermens qu'il exi-
gerait; que le roi lui donnerait même son fils en
otage , et pour gage , tel gouvernement qu'il vou-
drait dans le royaume. « D'ailleurs, disaient le
connétable et le comte de Clermont, nous avons
assez dé puissance, à l'aide de nos seignem*s et
de nos amis, pour faire et accomplir cette paix,
pour la tenir et la faire tenir à perpétuité , et nous
aimerions mieux mourir que d'y manquer.
« Vous avez plusieurs fois fait savoir au comte
de Richemont, lui disaient les messagers, qu'il
n'avait qu'à avoir le Dauphin entre les mains; il
nous charge de vous dire qu'il l'a paisiblement
entre les mains , sans aucun empêchement. Tous
ceux qui sont présentement près de lui sont pour
le connétable , et nul autre n'a crédit ni puissance.
Depuis ce moment, les grands seigneurs lui ont
TRAVAILLE A LA PAIH (1426). 37
de toutes parts envoyé offrir leurs services, et se
sont présentes pour aider le roi ; mais M. de Ri-
chemont n'a voulu conclure aucune alliance avant
de savoir votre volonté. Si vous ne lui répondiez
points il pourrait lui en advenir grand préjudice ;
et il aurait déjà bien plus de puissance^ s'il avait
accepté les offres qui lui ont été faites; mais votre
réponse peut le fortifier de telle sorte, qu'il n'ait
aucun ennemi à craindre.
c II vous fait connaître aussi que la seigneurie
de France par-delà la Loire n'est pas si bas
qu'on a pu vous le rapporter ; il y a encore de
quoi résister aux adversaires du royaume; et,
puisqu'il a pris la chose entre les mains , dût-il
perdre cinquante seigneuries l'une après l'autre,
son intention n'est pas que les Anglais soient ja-
mais maîtres du royaume. En quelque façon que
tourne l'affaire, soit en bien, soit en mal, il est
et sera toujours votre fidèle serviteur, prêt à
faire tout ce qui vous plaira; mais si vous le per-
dez , vous aurez perdu le plus loyal ami et servi-
teur que vous ayez dans le monde.
c M. de Richemont croit donc s'être bien ac-
quitté et avoir accompli tout ce qu'il vous avait
promis ; cependant il ne peut longuement entre-
tenir la chose en cet état sans l'aide de vous ou
38 LE SIRE DE GIAG
d'autre ; plus tard il ne pourrait plus peut-être se
conformer à votre volonté , et ce lui sera un grand
déplaisir : c'est pourquoi il vous prie et vous re-
quiert de battre le fer tandis qu'il est chaud. >
Le connétable, en effet, n'était pas tell^nent
maître du roi et des affaires, qu'il ne courût le
risque d'être renversé dès qu'il était absent.
Après avoir assemblé son armée , il commença
par s'^nparer de Pontorson, puis s'en alla
mettre le siège devant Saint-James de Beuvr on ;
là, il éprouva bientôt les effets de la haine et du
mauvais gouvernement de ceux qu'il avait laissés
près du roi ; l'argent destiné à payer les honmies
d'armes n'arriva point ; le désordre commença
à se mettre dans l'armée ; chacun retournait chez
soi. Le connétable voulut tenter un assaut; les
mesures lurent mal prises > les assiégeans n^é-
taient plus en nombre suffisant; ils forent re-
poussés ; le feu fat mis à leur camp ; la déroute
ftit complète^ et le connétable abattu de son che-
val, au milieu de la foule, pensa y périr. Il laissa
des garnisons sur les frontières de Bretagne;
puis, faisant saisir le chancelier de Bretagne,
ministre de son frère, a qui il attribuait une part
dans cette trahison, et qui l'avait laissé sans ar-
gent , il se rendit près du roi.
EST MIS A MORT (1426). 39
Ce chancelier de Bretagne passait pour habile
et pour avoir du crédit à la cour de Bourgogne :
il promit de s'employer de son mieux pour con-
clure la paix, et fut envoyé en ambassade, car
sans cesse on s'efforçait de traiter.
Le sire de Giac, principal conseiller du roi , ne
piit s'en tirer si Êicilement ; il avait formé un parti
contre le connétable et contre l'alliance de Bout-
gogne, dont il avait tant à craindre, Jui qui au-
trefois avait trahi le duc Jean à Montereau. Le
comte de Clermont, à qui il avait fait donner le
duché d'Auvergne , le comte de Foix, qui avait eu
le Bigorre, étaient entrés dans sa cabale. Le
connétable, après s'être accordé avec les autres
seigneurs, se rendit auprès du roi à Issoudun,
où était le sire de Giac. Alléguant qu'il voulait ,
au point du jour, aller entendre la messe dans
l'église de Notre-Dame du bourg de Déol , hors la
ville, il se fit remettre les clefs des portes. Le
lendemain^ comme cette messe allait commencer,
on lui vint dire que tout était prêt; il laissa là son
prêtre, et rentra dans la ville. Le logis du sire
de Giac était déjà entouré des archers du conné-
table; on rompit la porte : € Qu'est-ce donc?
« s'écria Giac. — Le connétable, répondit-on. —
< Ah ! je suis mort ! > dit-il. On l'arracha de son
1
40 LE DUC NE SE DÉGIDE POINT
lit^ on le mit à demi-nu sm* un cheval^ et on l'em-
mena hors dlssoudun. Le roi s'était éveillé au
bruit 9 et il avait envoyé sa garde. € Ne bougez
c pas, leur signifia M. de Richemont, et retour-
< nez ; ce qui se fait est pour le service du roi* >
Le sire de Giac fut conduit à Dun-le-Roy , dont
la seigneurie appartenait au connétable. Ce fut
son bailli et ses gens de justice qui firent la pro-
cédure. Giac confessa» dit-on, mille horribles
crimes. Outre qu'il avait procuré la mort de son
ancien maître le duc de Bourgogne , il avait em-
poisonné sa première femme, afin de pouvoir
épouser Catherine de l'Isle-Bouchard , comtesse
de Tonnerre ; il avait dérobé les finances du
royaume ; enfin il avait donné, disait-on , une de
ses mains au diable , pour obtenir son alliance.
Il offrit cent mille écus pour se racheter , et pro-
mit de ne jamais approchei^ du roi de plus de
vingt lieues, laissant en gage sa femme, ses en-
fans, ses biens, ses forteresses. Ljg^connétable
répondit que tout l'argent du monde ne le sau-
verait pas. Pour lors il supplia du moins qu'avant
sa mort on lui coupât cette main qu'il avait donnée
au diable. D fut jeté à l'eau et noyé *.
* Mémoires de Richemont. — Chronique de Berri. — Chronique
de la Pucelle.
A LA PAIX (1426). 41
Le roi montra d'abord quelque courroux; on
Tapaisa ; bientôt après il tomba sous le gouver-
nement d'un écuyer d'Auvergne, nommé le Ca-
mus-de-Beaulieu, qui devint en peu de temps
aussi odieux à la plupart des seigneurs que l'a-
vait été le sire de Çiac.
Toutes ces marques de la puissance du conné-
table, ces instances de la cour de Bretagne, ces
soumissions de la France, ne décidaient point
encore le duc de Bourgogne ; il ne pouvait se ré-
soudre à rompre les sermens qu'il avait prêtés à
Troyes et à Amiens. Il était loin cependant d'être
satisfait des Anglais ; et les envoyés de Bretagne
prenaient soin de lui raconter , de la part de leur
maître, tout ce qui pouvait l'irriter davantage.
Tantôt le chancelier de Bretagne l'assurait que
les Anglais tramaient sa mort, ainsi que celle
de tous les princes de la maison de France , et
qu*on pourrait le lui prouver par des lettres
signées du jcpmte de Suffolk , ou même par
des hommes ayant reçu commission de lui :
tantôt on lui apprenait que les Anglais offraient
paix et alliance au duc de Bretagne aux dé-
pens de la Bourgogne, et que le comte de Suf-
folk, se plaignant ouvertement du duc Philippe,
avait dit à Rennes qu'on en aurait bientôt fait
n
42 LE DUC NE SE DÉGIDE POINT
de lui , si F Angleterre et la Bretagne étaient en
paix.
Le duc de Bourgogne ne faisait point savoir sa
volonté; seulement les messages et les pour-
parlers continuaient toujours , et le duc de Savoie ,
dont l'alliance avec son neveu devenait cliaque
jour plus étroite , avait prolongé les trêves. Par
malheur les désordres des deux partis venaient
sans cesse aigrir les esprits. Le bâtard de la
Baume avait surpris le château de Mailli près
d'Àuxerre durant la trêve ; de leur côté les Bour-
guignons étaient sans cesse contraints de désa-
vouer le capitaine de la Charité , qui n'obéissait à
personne , et traitait avec la plus hautaine inso-
lence les plus grands seigneurs de Bourgogne.
Ainsi se passèrent en France les années il2&
et 1426. C'était vers la fin de la première que
le régent avait été contraint de retourner en
Angleterre , laissant le pouvoir et le commande-
ment de l'armée au comte de Warwick. Celui-ci
avait surtout dirigé ses efforts du côté de la Bre-
tagne , afin d'effi*ayer le duc et de le ramener à
l'alliance des Anglais. Le mauvais gouvernement
du roi de France» les discordes de ses conseillers
avaient empêché le connétable de défendre suffi-
samment les États du duc son frère. C'était un
A LA PAIX (1426). 43
motif de plus pour que le comte de Richemont
pressât sans relâche le duc Philippe, soit de
traitet* avec le roi , soit d'arrêter la marche des
Anglais.
Mais en ce moment les ambassades qu'on lui
envoyait s'adressaient plutôt à son conseil de
Bourgogne qu'à lui-même. Son attention semblait
toute portée sur les affaires du Hainaut '. Il avait
à recueillir l'héritage de son oncle Jean-sans-Pi-
tié, l'ancien évêque de Liège. Sa tante, la du-
chesse d'Autriche , qui venait de mourir , lui avait
aussi laissé une riche succession. Sa femme.
Bonne d'Artois, morte après quelques mois de
mariage, lui laissait encore à régler les intérêts
des deux enfans qu'elle avait eus du comte de
Nevers, son premier mari. Ces intérêts de fa-
mille, tout puissans qu'ils étaient, l'occupaient
encore moins que les troubles suscités par ma-
dame Jacqueline.
Le duc de Glocester, en quittant la Flandre,
aivait publié de fausses lettres du pape, portant
qtie son mariage était confirmé ; mais ces lettres ,
qui depuis furent démenties par le pape, n'en
imposèrent à personne \ Les Brabançons et les
' Histoire de Bourgogne. — * Monstrelet. — Meyer.
/
44 SUITE
Picards recommencèrent une guerre rude et vive
contre le Hainaut. Le pays souffirait beaucoup de
tant de ravages; il n^y avait point d'armée pour
le défendre. La comtesse douairière de Hainaut
eut plusieurs entrevues avec le duc Philippe, afin
d'obtenir un traité. Il exigeait que le Hainaut fut
remis en Tobéissance du duc de Brabant, qui
promettait abolition à ses sujets rebelles ; il vou-
lait aussi que madame Jacqueline fût mise sous
sa garde pendant que le procès se jugeait à Rome ;
il s'engageait, moyennant un certain revenu, de
la maintenir dans un état honorable.
Pendant qu'on traitait , toutes les villes de Hai-
naut, l'une après l'autre, Valenciennes , Condé,
Bouchain , ouvraient leurs portes au duc de Bour-
gogne. Il ne restait presque plus à l'autre parti
que Mons , où madame Jacqueline était enfermée.
La ville fut entourée pour empêcher les vivres
d'y entrer et la prendre par famine. Dans cette
détresse, madame Jacqueline écrivit au duc de
Glocester pour lui demander secours; son mes-
sager fut pris en chemin , et les lettres furent
portées au duc de Bourgogne ; elles çtaiant à peu
près conçues ainsi :
€ Mon très-redouté seigneur et père, je me
recommande à votre bonté et à votre grâce le
DES AFFAIRES DE HAINAUT (1426). 45
plus humblement du monde ; sachez que j'écris
maintenant à votre glorieuse domination, conmie
la plus dolente femme, la plus perdue, la plus
faussement trahie; car dimanche 13 juin, les dé-
putés de votre ville de Mons rapportèrent un
traité fait et accordé par mon cousin de Bour-
gogne et mon cousin de Brabant; lequel traité a
été fait en Tabsence de madame ma mère , et sans
sa connaissance , comme elle me Ta fait certifier
par son chapelain; néanmoins, dans ses lettres,
elle &it mention de ce traité, et ne sait ou n'ose
pas me conseiller, car elle-même ne sait que
faire ; seulement elle me dit qu'il me faut prier les
bonnes gens de cette ville, pour savoir quelles
consolation et aide ils pom*ront me donner. Sur
cela, mon très-doux seigneur et père, j'allai le
lendemain k la maison de ville, et leur fis remon-
trer comment, à leur requête et prière, il vous
avait plu de me laisser sous lem* protection et
sauvegarde : comment ils vous avaient fait ser-
ment, sur le sacrement de l'autel et les saints
Évangiles, d'être vos bons et loyaux sujets, de
faire bonne garde de moi , et de vous en fendre
compte. Sur quoi ils répondirent qu'ils n'étaient
pas assez forts pour me garder. Ainsi parlant,
de propos délibéré, ils s'emportèrent et dirent
46 LETTRES D£ MADAME JACQUELINE
que mes gens les voulaient faire périr ; puis , en
dépit de moi, ils prirent un de mes sujets, le ser-
gent Macquart, et sur-le-champ lui firent preste-
ment couper la tête. Ensuite ils firent prendre
tous ceux qui vous aiment et tiennent votre parti ,
jusqu'au nombre de deux cent cinquante; enfin
ils me dirent tout à plein que si je ne traitais » ils
me remettraient aux mains de mon cousin de
Brabant. Je n'ai que huit jours de délai, puis je
serai contrainte d'aller en Flandre; ce qui m'est
chose douloureuse et dure^ car je crains de ne
plus vous voir de ma vie, s'il ne vous plaît de
venir, en toute hâte, m'aîder. Hélas! mon très<^
redouté seigneur et père, vous êtes toute ma
vraie espérance ; tout mon recours est en votre
pouvoir, vous êtes ma seule et souveraine joie,
et tout ce que je souffre est pour l'amour de vpus.
Je vous supplie donc très- humblement, ai^ssi
chèrement qu'on le peut faire en ce monde, pour
l'amour de Dieu, d'avoir compassion de moi, et
de venir en toute hâte au secours de votre dolente
créature, si vous ne voulez pas me perdre pour
toujours, ^'ai l'espoir que vous le ferez ; car ja-
mais je n'ai fait ni ne ferai de ma vie aucune chose
qui puisse vous déplaire; au contraire, je suis
toute prête à recevoir la mort pour l'amour de
AU DUC DE GLOGESTER (1426). 47
VOUS et de votre persoime, tant me plait votre
noble domination. Par ma foi , mon très-redouté
seigneur et prince, vous, ma consolation et mon
espérance, pour Famour de Dieu et de monsei-
gneur saint George , considérez le phis prompte-
ment possible ma très-douloureuse situation ; ce
que vous n'avez point encore £dt, car il me sem-
ble que vous m'avez mise entièrement en oubli.
Je ne sais, pour le présent, vous écrire autre
chose. Mandez-moi et commandez-moi votre bon
plaisir ; je le ferai de tout mon cœur : c'est ce
que sait bien le fils béni de Dieu. Puisse-t-il
vous accorder bonne et longue vie , et faire que
j'aie la joie de vous voir! Écrit dans la fausse et
traîtresse ville de Mons, le 6 juillet. Votre dolente
et très-aimée fille , souffrant très^grande douleur
pour votre commandement, votre fille Jacqueline
de Quienboiirg. >
Les députés de Mons retournèrent auprès du
duc de Bourgogne ; le traité se conclut au grand
déplaisir de la duchesse douairière et de ma-
dame Jacqueline qui n'y voulut point consentir.
Les portes de Mons furent ouvertes, et elle fut,
sous la garde du prince d'Orange et des Bour-
guignons , conduite à Gand. L'hôtel du Duc lui
servait de logement , et sa maison était honora-
48 GUERRE
blement tenue. Le Hainaut entier se soumit au
duc de Brabant; il y publia une abolition géné-
rale et en retira les gens de guerre. '.
Madame Jacqueline n'était pas à Gand depuis
plus de deux mois, qu'elle trouva moyen de s'é-
chapper. Elle s'était habillée en homme, ainsi
qu'une de ses femmes ; accompagnée seulement
de deux gentilshommes de Hollande qu'elle avait
secrètement mandés , et qui s'étaient travestis en
valets , elle chevaucha promptement jusqu'à An-
vers, y prit un chariot, se rendit à Breda, et de
là dans son comté de Hollande , où elle fut hono-
rablement reçue.
Ce pays était , depuis plus de soixante ans , di-
visé en deux factions qui se haïssaient mortelle-
ment ; elles avaient pris naissance sous Margue-
rite de Hollande, femme de l'empereur Louis de
Bavière. Une portion des seigneurs et des villes ,
mécontente de son gouvernement, avait appelé le
comte Guillaume , son fils , et avait prétendu que la
comtesse était tutrice et non pas seigneur par son
propre droit. La guerre s'était allumée ; elle avait
duré long-temps et avait engendré un esprit de
vengeance et une division qui semblaient ne de-
' Monslrelet. — Meyer.
DE HOLLANDE (1426). 49
Toir jamais finir ; car , en ce pays , les seigneurs
étaient plus puissans et lès peuples plus barbares
que dans la Flandre ou le royaume de France.
Ces deux factions avaient été surnommées les
Hoeks et les Kabeljauws, c*est'à-dire les Hame-
çons et les Morues. Les Hoeks, qui étaient Tan-
cienne faction de la comtesse Marguerite, avaient
été partisans de madame Jacqueline dans les
guerres qu*elle avait soutenues contre son on-
cle Jean-sans-Pitié, et se trouvaient ainsi liés
d'intérêt et d'affection avec elle. En arrivant,
elle manda les barons du pays, qui étaient de
cette faction. La guerre était déjà commencée
en son nom; les Hoeks s'étaient emparés de la
ville de Schoonhowe , et tout se fiiisait si cruel-
lement, qu'ils avaient enterré vif le seigneur de
BeyHink, pour le punir de sa vaiUaûte rési*
stance. Plusieurs villes se déclarèrent aussi pour
elle. Cela était d'autant plus facile que beaucoup
de nobles, selon l'usage des pays de Flandre,
étaient dans la bourgeoisie et se trouvaient pre-
miers magistrats.
La faction des Kabeljauws n'était pas moins
forte. Leyde, Harlem, Dordrecht, Rotterdam, et
en général les villes et communes, étaient rangées
de ce côté. Schoonhowe, Coude, Oudewater,
TUMI ▼• 5* îniT. 4
1
50 BATAILLE
Vianen, MiHifort, Alkmaer, étaient pour ma-
dame Jacqueline ; elle avait aussi un puissant allié
dans levéque souverain d'Utrecfat, et le duc.de
Glocester lui avait envoyé environ trois mille
Anglais, tous gens d'élite, sous le commande-
ment de lord Fitz-Walter.
Le duc de Boui^ogne ne perdit point de temps;
il se fit nommer par son cousin de Brabant
avoué ou gouverneur de Hollande et de tous les
domaines ' de madame Jacqueline ; il assembla
sur-le-diamp son armée, s'embarqua et se hâta
d'arriver.
Les Hoeks avaient déjà remporté une grande
victoire auprès de Goude , et les Anglais avaient
pris terre dans Schouwen, une des iles de la
Zélande. Le Duc y dirigea son convoi, et com-
mença à débarquer près du port de Braw-
faershauven , dans les environs de Ziricsée. Les
Anglais accoururent au moment où les Hol-
landais du parti de Bourgogne n'âaient encore
ni en position ni en ordre de bataille; pour
venir se ranger sur la plage, il leur fallait en-
trer dans la mer jusqu'à mi-corps. Les archers
commencèrent à tirer si serré, que l'avant-
* Chronique de Hollande.
DE BaAWHERSIIÀUYEN (1427'). SI
garde du Duc s'ébranla. Le premier rang des
Anghis avait mis le genou en terre , de telle
sorte que le second rang pouvait tirer aussi.
Le Duc, voyant de son vaisseau ses gens qui
reculaient, se fit aussitôt mettre à terre; ses
serviteurs voulurent le retenir; mais, sans les
écouter, saisissant la bannière de Bourgogne, il
s'âança sur le rivage , criant à haute voix : c Qui
< m'aime me suive. » En un instant, il Ait à
cheval; et, se mettant avec les gens de Dordrecht
et de Delft, il les ramena sur les Anglais. Tant
de vaillance allait lui devenir funeste ; il était de
toutes parts pressé par les ennemis , lorsque Jean
de Vilain , ce robuste chevalier du pays de Gand ,
qui l'avait si bravement secondé k la bataille de
Mons en Yimeu, vint encore cette fois à son
aide, et se fit jour jusqu'à lui Rien ne résistait
devant ce terrible champion; chacun de ses
coups jetait bas un Anglais. < Tuez, tuez-les, di-
€ sait-il à ceux de sa suite ; pour moi , je vous en
< abattrai assez. »
Animés par cet jex^n{de et par la merveilleuse
valeur de leur maître, les hommes d'armes de
Bourgogne, d'Artois, de Picardie, de Flandre,
' L'année commença le 31 mar»*
S2 SUITE DE LA GUEURE
de Brabant, de Hollande, combattirent avec une
ardeur extrême. Après un combat sanglant , la
victoire leur demeura. Un grand nombre d'An-
glais périt par les armes, d'autres se noyèrent en
essayant de regagner leurs vaisseaux.
Le sire de Heemstede, qui était le principal
partisan de madame Jacqueline, Ait pris, et son
frère fut tué, ainsi que beaucoup de gentils-
hommes des Hoeks. Quant à lord Fitz-Walter,
il ne put combattre de sa personne, parce
qu'ayant un peu auparavant reçu quelque bien-
fait du duc de Bourgogne, il lui avait £siit ser-
ment ; aussi dès qu'il avait su que ce prince était
lui-même présent, il avait remis ses soldats sous
les ordres du sii*e de Heemstede.
Le duc de Boui^ogne acheta cet avantage par
la mort de plusieurs de ses braves chevaliers,
Philippe de Montmorency, Guillaume de La
Laing, Robert de Brimeu, Adrien de Vilain,
Jacques de Borsel, Guillaume de ^eaufremont,
André de Mailli , Théodore de Bossut et beaucoup
d'autres. La saison était avancée ; on était au mois
de janvier 1426; l'hiver s'annonçait pour être
rude. Le duc Philippe , après avoir laissé de fortes
garnisons dans les villes de Hollande qui lui
obéissaient, retourna en Flandre, afin de réunir
DE HOLLANDE (1426). 53
des préparatifs plus redoutables encore pour Tan^
née suivante '.
Rien ne pouvait abattre madame Jacqueline.
Après le départ du Duc, elle alla mettre le siège
devant Harl^n, brûlant partout les villages, et
faisant rompre les digues. Le seigneur d'Utkerke
défendait la ville ; son fils Jean d'Utkerke rassem-
bla en Flandre des honmies d'armes et des gens
des communes pour aller le secourir. Mais ma-
dame Jacqueline, instruite de leur arrivée, les
attaqua comme ils débarquaient et les défit entiè-
rement. Jean d'Utkerke se sauva à grand'peine.
Les .^prisonniers furent, par les ordres de la
princesse, cruellement mis à mort. Elle avait as-
sisté au combat; et, ayant qu'il commençât, elle
avait créé plusieurs chevaliers.
Cependant le duc Philippe allait revenir avec
une forte armée ; elle se retira sur les frontières
de la Frise , et bientôt elle n'éprouva plus que des
revers. La Hollande et la Frise se soumettaient
de jour en jour aux capitaines du duc de Bour-
gogne. Son armée était munie d'artillerie et de
machines de guerre , dont manquaient les Hol-
landais. Luirmême assiégea une forte ville nommée
' Monstrelet. — Meycr. — Golint. — Chronique de Hollande.
SI SUITE DE LA GUERRE
Zewenbergh, dont le seigneur avait pris parti
contre lui , et faisait des courses par terre et par
mer sur ses sujets et ses partisans. La garnison
se défendit yaillanunent H long-temps; enfin le
seigneur de Zewenbergh fut contraint à se rendre,
sans obtenir d'autre condition qu'une prison
honnête. Le Duc s'empara de sa ville et de ses
domaines, puis l'enferma dans la citadelle de
Lille , où il mourut pauvre et malheureux.
A ce moment, au mois d'avril 1427, le duc de
Bedford revint d'Angleterre où il avait passé six
mois pour y apaiser les troubles que son frère
et l'évêque de Winchester y avaient élevés. Peu
après son arrivée à Paris, il fit un voyage, passa
par Lille , où le duc Philippe vint le recevoir. Le
régent s'efforçait toujours de se maintenir en
bonne intelligence avec lui , et de réparer de son
mieux les <rfîenses du duc de Glocester. En ce
moment encore, celui-ci préparait une expédi-
tion en Angleterre pour porter secours à ma-
dame Jacqueline. Le comte de Salisbury, qui
^it grand ennemi du duc Philippe d^uis que
ce prince] avait montré de l'amour à sa femme,
devait commander cette armée, et avait ^ugagé
un grand nombre de seigneurs d'Angleterre à y
prendre parti. Le duc de Bedford envoya sur-le-
DE HOLLANDE (1427). S 5.
champ un message en Angleterre , et réussit à
empêcher cette nouvelle entreprise. Déjà une or-
donnance avait été rendue au nom du jeune roi ,
par laquelle il prenait le duc de Bourgogne sous
sa protection, et défendait qu'aucun donunage
filt fait à ses sujets ni à ses domaines '. Ainsi le
commerce de Flandre souffrait peu de la guerre
de Hainaut et de Hollande ; par cette considéra-
tion le Duc avait obtenu des bonnes villes un
subside assez considérable \
Cette querelle , qui semblait uniquement préoc-
cuper le duc Philippe, allait prendre fin ; le pape
venait enfin de rendre sa sentence : il avait dé-
claré que madame Jacqueline n'était valablement
mariée qu'avec le duc de Brabant, et ordonné
qu'elle eût à se retirer, sous bonne garde, chez
le duc de Savoie, en attendant l'issue de tout
procès. Tel était le crédit de la cour de Bour-
gogne à Rome , que de plus le pape avait statué
qu'en cas de mort du duc de Brabant , la princesse
ne pourrait» sans adultère, épouser le duc de
Glocester. En effet, le duc de Brabant était de-
puis long*temps infirme et malade ; il mourut au
' Histoire de Bourgogne.
* Meycr. — Fenin.
56 SUITE DE LA GUERRE
mois d*avril 1427. Son frère Philippe, comte de
Saint-Pol, lui succéda en Brabant; le duc de
Bourgogne continua à se dire avoué de Hollande,
bien qu'il tint ses pouvoirs uniquement du duc
Jean qui venait de mourir. Quant à la seigneurie
du Hainaut, d'après l'avis d'un grand conseU de
seigneurs et de gens d'église qu'il rassembla à
Yalenciennes, il en conserva de même le gouver-
nement, et y établit des officiers. Louis, bâtard
de Hainaut, tenait encore en ce pays le parti de
madame Jacqueline sa sœur , et de son château
de Scandeiivre Êdsait des courses dans toute la
contrée; il fut enfin réduit et dépouillé de sa sei-
gneurie qui fut donnée au sire de Luxembourg '.
De là le Duc, après avoir fait de grands ap-
prêts, marcha pour achever la conquête de la
Hollande; car madame Jacqueline ne se soumet-
tait point encore à la sentence du pape, et faisait
une guerre obstinée. Il commença par mettre le
siège devant la forte ville d'Amersfort, située sur
la rivière d'Eme. Croyant l'emporter d'assaut, il
se jeta tout des premiars dans les fossés; les as*
sièges, sans se laisser épouvanter , fii*ent si bonne
contenance, que le Duc, après avoir couru de
' MoDslrelet. — Meyer.
DE UOLLANDE (1427). 57
grands jpérils et perdu beaucoup de monde , fut
contraint de se retirer et même de ne point conti-
nuer le siège \ Madame Jacqueline avait alors
pour principaux alliés les gens d*Utrecht, qui
étaient puissans sur la mer. Le Duc fit construire
à Amsterdam un grand navire » une sorte de
forteresse flottante , qu'on nomma le Chat ; on la
fit remonter la rivière pour fermer le passage
aux vaisseaux d*Utrecht, et Ton recommença le
siège d'Amersfort; en vain les ennemis tentèrent
de prendre ou de détruire cette machine de
guerre; elle résista à toutes leurs attaques. En
même temps, aidé des ducs de Gueldre et de
Clèves, ses alliés , le duc Philippe poursuivait en
Hollande une cruelle guerre, faisant mettre à
mort dans chaque ville les gens de l'autre parti,
surtout lorsqu'ils avaient, comme cela arrivait
souvent, tramé en son absence quelque com-
plot pour madame Jacqueline; à Delft surtout,
il vengea sév^ment la mort de Jean d'Egmont,
que les Hoeks - avaient massacré. Mais ce qui
abattit le plus ses ennemis, fut la victoire que la
flotte des Bourguignons remporta , avec le secours
des gens d'Amsterdam et de Harlem, sur Guil-
' Meyer. — Chronique de Hollande.
58 DISCUSSIONS
laume de Brederode, amiral de la princesse.
Plus de quatre-vingts prisonniers furent condam-
nés à mort. Il ne resta alors à Jacqueline que
Schoonhowen et Goude , où elle s'était renfermée.
L'hiver approchait; les affaires de Bourgogne et
de France rappelaient le Duc ; il laissa son armée
sous les ordres du maréchal de TIsle^Âdam et de
Lionel de Bournonville , et au mois de décem-
bre 1427 il se rendit à Dijon ".
Depuis long*temps il jugeait que son autorité
n'était pas suffisamment respectée dans cette ville.
Des arrêts du parlement de Paris avaient statué ,
dès le temps de son aïeul le duc Philippe-le-Hardi,
que la disposition et ordonnance de la chose pu-
blique, ainsi que la police de la ville, lui appar-
tenaient; du moins ses conseillers le prétendaient
ainsi. Cependant, en 1421, une ordonnance de
madame la Duchesse douairière , chargée du gou-
vernement du duché, ayant taxé les vivres et
denrées , ainsi que la journée de travail , le maire
et les échevins, au lieu de publier cette ordon-
nance, avaient, pour conserver leurs droits pré-
tendus , rendu une ordonnance pareille et attri-
bué les amendes des contrevenans , non au Duc ,
' MonstreJet. — Meyer.
AVEC ,LX VILLE DE DIJON (I4fi7). S9
mais à la ville. En 14ii0, un bourgeois de la ville
ayant réclamé centre un passage qu'on prenait ,
disait-il, sur son terrain, avait obtenu de la jus-
tice seigneuriale Tenvoi provisoire en possession ;
les armes du Duc avaient été posées sur la p(Ml;e
du passage pour marquer le séquestre; le maire
et les échevins éta^ent venus en grande pompe ,
portant la croix et la bannière, arracher Técus-
son , le jeter dans la boue, et rouvrir le passage '.
En 1419, ils avaient, nonobstant Tappel porté de-
vant le Duc , saisi les meubles et la couchette d'un
bourgeois débiteur de la vilte. On reprochait aussi
au maire d'avoir mis en prison divers particu-
liers, sans s'arrêter à leurs appds, d'avoir exercé
sur eux des violences , de les avoir maltraités de
sa main , de les avoir retenus aux fers sans com*
munication avec leurs parens et amis. 11 y avait
même un cordonnier qu'on avait tenu si sévère-^
ment au cachot, qu'on l'ayait privé de faire ses
dévotions le jour de Pâques. Le maire et les éche-
vins étaient venus une autre fois , en grand tu-
multe et accompagnés d'une foule de peuple,
prendre des pierres et des bois devant la maisoa
de deux officiers du Duc , et tous ceux qui avaient
' PfHfuves de THis foire de Bourgogne.
60 DÉSORDRES DANS LE GOUVERNEMENT
voulu s*y opposer avaient été assaillis par la po*
pulace ; enfin, et plus récemment, les officiers de
la ville avaient donné, à l'exclusion de tous au*
très, privilège à certains boulangers de cuire du
pain pour fournir les habitans. Lc^uc prétendait
que de telles ordonnances devaient venir de son
autorité ou être approuvées par lui, et en outre
il en résultait une cherté dont plainte lui avait été
portée.
Ainsi persuadé que son pouvoir avait été mé-
prisé et outragé, que les maires et échevins avaient
fdlement abusé de la juridiction qui leur avait été
octroyée par lui et ses prédécesseurs , le Duc avait ,
peu de mois avant son retour, remis en sa main
la justice de la ville de Dijon, ainsi que les émo-
lumens qui en provenaient.
Outre les affaires intérieures qui le rappelaient
en Bourgogne après une assez longue absence,
le duc Philippe avait encore à s'occuper des né-
gociations que son conseil et le duc de Savoie
n'avaient point cessé d'entretenir, soit pour main-^
tenir de bonnes relations entre les deux États,
soit pour traiter des trêves ou de la paix avec la
France. Pour s'assurer plus encore de la bien-
veillance du duc de Savoie , un secours de cinq
cents lances lui avait été donné contre le duc de
DU ROYAUME (1427). 61
Milan ; par ce moyen il avait reconquis Novarre,
et forcé son adversaire à la paix.
Pour les affaires de France, elles étaient en un
tel désordre , qu'il était impossible d'arriver a
aucun traité '. Le connétable , après avoir détruit
le sire de Giac, était retourné à son armée : il
avait mis une forte garnison à Pontorson , et ob-
tenu quelques avantages sur les Anglais. Mais in-
struit du mauvais gouvernement du sieur le
Camus de Beaulieu, il revint à Poitiers auprès
du roi , et se trouva d'accord avec tous les sei-
gneurs pour renverser ce nouveau conseiller. La
résolution fut bientôt prise. Le sire de Beaulieu
était allé se promener sur sa mule» dans les prai-
ries au bord de la rivière ; des gens du maréchal
de Boussac vinrent l'assaillir et le tuèrent Le
roi , qui était au château , vit ramener la mule de
son conseiller ; il sut comment il venait d'être as-
sassiné. Sa colère fut grande d'abord; U ordonna
qu'on poursuivit les meurtriers. Mais bientôt on
calma son courroux. Le connétable lui donna
pour conseiller le sire George de la Tremoille r
c'était le fils aine du fameux sire de la Tremoille,
' Mémoires de Richemont. — Chronique de la Pucelle.
Chronique de Bcrri.
62 DÉSORDRES DANS LE GOUVERNEMENT
mort à la croisade, ei le frère de Jean de la Tre-
moille , sire de Jonvelle , qui était au service de
Bourgogne ; il venait d'épouser Catherine de l'Isle-
Bouchard, veuve du sire de Giac, qu'il n'avait
pas été des moins ardens à détruire, d'intdligence
avec elle ^ disaiton. Le roi n'était point content
qu'on le lui donnât pour conseiller; le connétable
lui rejnrésenta que c'était un seigneur bien pois-
sant et en état d'être utile : c Mon cousin^ vous
c me le donnez , repartit le roi , mais vous vous en
c repentirez ; je le connais mieux que vous, »
Ceci se passait au commencement de 1427. Le
connâable reprit ensuite ses tentatives contre les,
Anglais^ Déjà son frère le duc de &*etagne, voyant
que le duc Philippe ne changeait point de parti ,
commençait à être moins déclaré pour le roi ; il
refusa de secourir Pontorson, et la ville fîit prise
après une longue résbtance. Mais peu après les
Français obtinrent un notable avantage» Le duc
de Bedford avait envoyé ses meilleurs capitaines
mettre le siège devant Montargis avec une armée
considérable; les troupes du roi, réunies a Gien ,
et conunandées par le bâtard d'Orléans et par la
Hire , surprirent les Anglais qui se gardaient mal ,
en tuèrent un grand nombre , et les forcèrent à
lever le siège.
BU ROYAUME (1427). 63
Pour pouvoir donner de l'argent aux hommes
d'armes et à leurs capitaines, le connétable avait
été contraint de mettre ses joyaux en gage. La
détresse des finances du roi arrêtait toutes les
entreprises qu'on aurait pu faire. Le duc de
Bedford, aussitôt après Féchec de Montargis,
avait de nouveau porté ses forces vers la Bre-
tagne , qui était presque sans cfêfense. Le duc de
Bretagne hésitait déjà depuis quelque temps dans
sa fidélité au parti des Français; il acheva son
traité avec les Anglais , et jura une seconde fois le
traité de Troyes. Son frère n'en demeura pas
moins serviteur du roi , et continua à s'efforcer
de défendre le royaume; mais bientôt les dis-
cordes fiurent si grandes auprès du roi , qu'il n'y
eut pas d'autres affaires. Le sire de la Tremoille
n'avait pas mieux réussi à contenter les seigneurs ;
le comte de Clermont, le comte de la Marche » le
maréchal de Boussac, et d'autres, firent inviter le
connétable de se joindre à eux pour renverser ce
nouveau conseiller '. Leur rendez -vous était à
ChâteUeraut; le sire de la Tremoille leur en fit
fermer les portes. Us se réunirent à .Chihon , où
' Mémoires de Richemont. — Chronique de Berri. — Chroni(]ue
de ia Pucelie.
'
64 DÉSORDRES DANS LE GOUVERNEMENT
habitait madame de Guyenne; les messages et
les pow*parlers commencèrent; mais la Tre-
moille ne se fiait à'personne et ne cédait en rien.
C'était en hiver ; les gens d*armes se dispersèrent;
les seigneurs se retirèrent chacun dans leurs do*
maines; le sire de la TremoiUe resta le nudtre.
Le connétable fut banni de la cour; Chinon fut
surpris par les partisans de la TremoiUe ; madame
de Guyenne» ainsi que son mari» se retira à Pàr-
thenay, qui lui avait été légué par le dernier
seigneur de cette ville ; sa pension lui fut retirée ;
il y eut défense à tout capitaine de ville ou de
forteresse de le recevoir. Au printemps, le
comte de Clermont et le comte de la Marche se
remirent en campagne , afin de se rendre maîtres
du roi. Ds surprirent la ville de Bourges » mais
non la forteresse , et firent savoir au connétable
qu'il eût à venir à leur aide le plus tôt possible.
Mais le roi et la TremoiUe se tenaient à Poitiers
avec leurs partisans, de sorte qu'il fallait , pour
se rendre en Berri» prendre un long détour
par le Limousin et l'Auvergne; les princes se
virent contraints de traiter ; le roi ne voulut pas
que le connétable fût compris dans cette paix. La
guerre continua entre eux dans le Poitou et la
Saintonge.
DU ROYAUME (1428). 65
Telle était la situation des a£Eaiires de France.
Durant le séjour de quatre mois que le duc Phi-
lippe fit en Bourgogne, il reçut des messages du
connétable 9 qui le conjurait sans cesse de faire la
paix et d'unir leurs communs efforts pour gou-
verner le roi. Il prolongea les trêves à la prière
du duc de Savoie , se réservant toutefois de four-
nir des hommes et des subsides aux Anglais;
puis , vers le mOieu de naai 1 428 , il reprit la route
de ses États de Flandre. En passant par Paris, il
n'y voulut point être connu, et y entra sur un
petit cheval 9 et avec si peu d'appareil, que le
peuple l'eût pris pour un archer % si le régent qui
était allé au-devant de lui n'eût chevauché à côté,
et si la litière de madame la régente n'eût pas été
du cortège.
Il ne demeura qu'une semaine à Paris. Déjà il
avait écrit à sa noblesse de Flandre qu'il était ré-
s(du de terminer cette fois la guerre de Hollapde.
De grands préparatifs avaient été faits au port de
l'Ëcluse. Il ne fiit pas nécessaire d'en faire usage;
la plus grande partie des seigneurs et des com-
munes de Hollande, jugeant la résistance impos^
sible , avai^fit abandonné le parti de madame Jae*
' Journal de Paris.
TOMc T. 5* imr. ^
66 FIN DE LA GUERRE
queline. Les gens de Goude, effirayés du siège
qu'ils allaient avoir à soutenir, la conjuraient de
traiter i D'ailleurs, le duc de Glocester, se sou-
mettant à la sentence du pape, en avait profite
pour épouser Alienor de Cohen , que depuis long-
temps il avait publiquement pour maîtresse. Ma-
dame Jacqueline céda enfin ' . Il fut convenu qu'elle
reconnaissait son cousin le duc de Bourgogne
pour héritier direct et légitime de tous ses pays
de Hainaut, Hollande, Zélande et Frise; qu'elle
l'en créait, dès à présent, gouverneur, avoué et
mainbourg; qu'il y mettrait telles garnisons et
tels capitaines qu'il lui plairait. Elle s'engageait
de plus à ne jamais se marier sans le consente^
ment du Duc, et réserva seulement pour sa nour-
riture et son entretien les seigneuries d'Ostrevant,
de Sud-Beveeland et de la Brille. Le traité fat con-
clu le 3 juillet; le duc Philippe, accomps^é des
plus illustres seigneurs de sa maiscm, s'en vint,
de concert avec sa cousine , recevoir le serment
des nobles et des villes de tous les pays qui pas-
saient sous sa domination. Tous les seigneurs et
les habitans étaient loin d'en être contens, car
le parti des Hoeks restait nombreux et violent
■ Monstreict. — Meyer. — Chronique de Hollande.
DE HOLLANDE (1428'). 67
dans sa haine; mais, pour le moment » la chose
était sans remède; il fallait se soumettre au plus
fort'.
Tout prospérait au duc de Bourgogne. Après
avoir assiste à de grandes fêtes câébrées à Bruxel-
les par son cousin le duc de Brabant , où se firent
de magnifiques tournois, des danses et des mas-
caradeSy il alla prendre encore possession d'un
nouTeau pays qui venait de lui échoir. En 1421 ,
il avait acheté 132,000 écus le comté de Namur et
la seigneurie de Béthune , au comte de Namur. Ce
même seigneur, qui était de Tancienne maison de
Flandre , dont Théritière avait autrefois épousé
Philippe-le-Hardi, n'avait point d'enfans. Du con-
sentement des États du pays, il avait vendu son
héritage, en s'en réservant la jouissance pour sa
vie. Il mourut le 16 mars 1429^
Pendant que tout augmentait aipsi la puissance
et la richesse de la Bourgogne, la France était
tombée dans la dernière détresse; la cause du roi
Charles semblait désespérée. Les Anglais, profi-
tant des discordes qui divisaient le connétable et
' 1428-1437, y. st. L*année commença le 4 avril.
' Monstrelet,
^ Monstrelet. — Meyer. — Histoire généalogique.
68 DÉTRESSE
le seigneur de la Tremoilie, avaient fait venir une
nouvelle et forte armée, commandée par le comte
de Salisbury. Bientôt toutes les villes et forte-
resses de la Beauce et de la rive droite de la Loire
se rendirent faute de secours. Nogent, Jargeau,
Sully, Janville, Beaugency, Marchenoir, Ram-
bouillet, Montpipeau, Thoury, Pithiviers, Roche-
{ori^ Chartres, et plus loin même l'importante
cité du Mans, tombèrent aux mains des Anglais.
Il ne restait plus de ce côté de la rivière que
Châteaudun, défendu par le vaillant sire d'Il-
liers.
Vers la fin de septembre , le comte de Salisbury
alla mettre le siège devant Orléans ; c'était une
grande et forte ville. Le duc de Bedford n'était
point d'avis qu'on tentât une entreprise m hasar-
deuse'. La circonstance semblait pourtant favo-
rable; le roi Charles était réduit à la dernière
extrémité. Beaucoup de grands seigneurs et de
princes, voyant que de toutes parts ses affaires
s'en allaient en ruine, et qu'elles étaient trop mal
gouvernées, l'avaient abandonné, ou le servaient
entièrement à leur guise % Le connétable, le plus
• Jeta publica , tome IV.
' Monstrelet.
SIEGE' ^^
C DJORLÉA^Sy^
Dressi- pnr A-MTERROT.
piiur,rermrà-la.lf<àirr.
d(^ll&itoU-p.W Duos defioi
u-gogne
\
DU ROYAUME (1428). 69
riche, le plus puissant, et peut-être le plus sage
de tous, était en guerre avec lui; ses services
étaient rejetés, et le sire de la Tremoille eùA mieux
aimé la j>erte du royaume' que les secours d'un
serviteur si hautain et si impérieux. Le maré^
chai de Severac écrivait aux trois États de Làn^
guedoc qu'il. mettrait la province à feu et à sang,
si le roi ne le payait pas de ce qu'il réclamait \
Le comte de Foix, tranchant du souverain, chas-
sait révêque de Béziers de son palais épiscopal, et
s'y maintenait contre tous les ordres du roi. René
d'Anjou, duc de Bar, frère de la reine, traitait
avec les Anglais.. Enfin, les plus grands étaient les
moins fidèles. Les garnisons se rendaient sans
plus se défendre ; les sujets les plus dévoués étaient
prêts à se livrer au désespoir ; des calamités hor^
ribles, la misère, la famine, les maladies rava-
geaient les provinces des bords de la Loire. Il
n'y avait plus d'argent ni dans le trésor du roi
ni dans la bourse des sujets. < Tant de la pé-
€ cune du roi que de la mienne, il n'y avait pas
< en tout, chez moi, quatre écus, > racontait
Renault de Bouligny , son trésorier \ Les dépenses
* Mémoires de Richeraont. — ' Histoire de Languedoc.
^ Déposition de la dame de Bouligny dans le procès de la Pucellc.
70 SIÈGE
de sa maison étaient réduites au plus exact néces-
saire. Il vivait conune le plus simple de ses ser-
viteurs. Un jour que Saintraille et la Hire vinrent
le voir, il ne put» dit-on » leur donner pour tout
régal 9 à leur repas» que deux poulets et une queue
de mouton'.
Au milieu de cette misère» le roi Charles ne
perdait point courage » ne se laissait point abattre »
avait toujours bonne espérance et mettait son re-
cours en Dieu ' . Il était d'un caractère facile et peu
disposé à prendre les choses trop à cœur; doux
pour ceux qui Fentouraient» d'un abord affable
et caressant ; populaire^» comme sont souvent les
princes dans le malheur ; n'imputant ses misères
à p^sonne» sans méfiance» se faisant aimer de
tous; chéri de ses serviteurs» leur pardcmnant les
tort& qu'ils avaient envers lui » et se laissant of-
fenser sans prendre de haine ni de rancune. Aussi »
quand les princes et les grands seigneurs le quit-
taient» ou même s'armaient contre lui dans sa
détresse» les simples gentilshommes et le peuple
s'empressaient à le vouloir défendre; ils arri-
' Vigiles de Charles VU.
> Monstrelet.
' Vigiles de Charles VII. — Eloge de Charles VII par un con-
temporain.
b'oRLÉANS (1428). 71
vaient du fond des provinces ^^ sans être mandés,
pour le servir, même sans exiger d'argent, car il
n'en avait pas à donner ^
On vit bien paraître ce zèle pour le roi et pom*
le royaume , et l'horreur que les Français avaient
pour le joug de leurs anciens ennemis, lorsque
commença le siège d'Orléans» C'était en effet à la
défense de cette ville que semblait s'attacher le
dernier espoir de la cause royale. Si Orléans était
perdu , les Anglais se répandaient au-delà de la
Loire; il ne restait plus au roi qu'à s'aller réfu-
gier dans les montagnes de l'Auvergne ou dans
le Dauphiné^ s'il les pouvait conserver. Chacun
parut se résoudre à tenter les derniers efforts pour
se préserver d'un tel malheur. Déjà, depuis quel-
que temps, on s'attendait que ce siège serait en-
trepris'. Le sire de Gaucourt avait été nommé
gouverneur : le bâtard d'Orléans, Saintraille, le
sire de Guitry , le sire de ViUars, et une foide de
braves capitaines s'y étaient enfermés. Les habi-
tans n'avaient pas moins bon courage ni moindre
envie de se signaler ; ils avaient voulu d'abord se
défendre seuls et ne point recevoir des gens de
» Vigiles Je Charles VII.
' Journal du liége d'Orléans.
72 SIÈGE
guerre , craignant d'en être , cosnme à rordinaire,
maltraités et pillés ; cependant le danger était si
grand qu'il fallait âfy résoudre. Les écheyins et
procureurs de la ville convoquèrent tous les bour-
geois , et ils se taxèrent volontairement ; beaucoup
donnèrent plus que leur taxe ; d'autres prêtèrent de
fortes sommes ; le chapitre de Sainte-Croix con-
tribua pour deux cents écus. Le faubourg du Porte-
reau, de l'autre côté de la rivière, ne pouvait être
défendu ; les chefs de guerre craignaient que l'en-
nemi ne vînt s^y loger : par la volonté et par Faide
des citoyens d'Orléans , il fut aussitôt abattu. Les
vignes , les arbres » les jardins , fiu'ent rasés a plus
d'une lieue d'alentour. C'est ainsi que ces braves
habitans se préparèrent à tous les sacrifices et à
toutes les sou&ances qui allaient tomber sur eux ' .
Et comme la guerre, qu^que bonne intention et
discipline qu'on y apportât, était néanmoins une
occasion de désordre et de lic^ce , on s'en excusa
d'avance à Dieu, en faisant de pieuses et solen-
nelles processions où l'on portait toutes les saintes
reliques des églises.
Mais ce n'était pas l'affaire des gens d'Orléans
seulement ; leur ville , depuis que Paris étiiit an-
' Journal du siège.
d'oRLÉANS (1498). 73
glais , passait pour le centre du royaume ; la plu-
part des bonnes villes voulurent aussi contribuer
à la munir d'argent et de vivres ; Bourges» Poi-
tiers» La Rochelle y envoyèrent de fortes sommes.
Les députés des trois États , assemblés à Chinon ,
où le roi était venu pour se rapprocher du siège ,
accordèrent une aide de quatre cent mille francs,
payables par toutes sortes de gens» hormis le
clergé 9 qui accordait son aide à part ; les nobles
suivant les armes ou ne pouvant plus les porter
par vieillesse, maladie ou blessure» les étudians»
les ouvriers des monnaies et les mendians ftirent
taxés» afin de secourir Orléans. Les États deman-
dèrent aussi que» durant cette extrémité» le roi
mandât» pour le servir» le comte de la Marche»
le comte de Glermont» le comte de Foix» le comte
d'Armagnac» et d'autres grands seigneurs qui
s'étaient retirés chacun chez soi '.
En même temps» pour encourager les Écossais
et en obtenir de nouveaux secours, le roi s'en-
gagea'» s'il recouvrait son royaume» à céder
au roi d'Ecosse le comté d'É vreux ou le duché
de Berri à son diok. Il fut aussi convenu d'a-
' Histoire de Languedoc.
* Traité du 10 novembre 1428.
74 SIÈGE
vance que le Dauphin , qui alors avait cinq ans
seulement, épouserait la fille du roi d'Ecosse.
Le comte de Salisbury vint commencer les
attaques devant Orléans le 12 octobre 1428 ; elles
furent vigoureusement repoussées. Il avait d'a-
bord voulu emporter le fort des Tournelles, qui
assurait les communications de la ville avec la
rive gauche ; son projet échoua. Tous les braves
chevaliers de France soutinrent l'assaut^ et reje-
tèrent les Anglais dans les fossés à mesure qu'ils
gravissaient par leurs échelles. Les bourgeois les
secondaient; les femmes apportaient des pierres,
faisaient bouillir de l'huile ou rougir du fer pour
lancer sur les assaillans. 11 fallut cependant se
retirer de ce fort ; mais un autre de meilleure
défense fut construit en arrière, sur le pont
même, dans une île de la rivière. Peu après , des
secours, que le bâtard d'Orléans était allé cher-
cher, arrivèrent. Il amena le maréchal de Bous-
sac, le sire de Chabannes, le sire de Beuil, la
Hire, le sire de Valperga, chevalier de Lombar-
die, et un renfort considérable de Français,
d'Écossais, d'Italiens, d'Aragonais.
Le comte de Salisbury vit bien alors qu'il s'a-
gissait d'un siège long et difficile; il résolut
d'entourer la ville de nombreuses bastilles , et de
d'orléàns (I4S9'). 75
ravoir par famine. Comme il était monté sur la
tour du fort des Toumelles pour voir de là
toute la TÎlle et son enceinte, un de ses plus cou-
rageux capitaines , sir Guillaume Gladesdale » lui
dit : € Milord, regardez ici votre ville, vous la
€ voyez bien à plein. > Tout à coup une pierre ,
lancée par un canon , vint firapper un des côtés
de la fenêtre. Le comte eut l'oeil et une partie de
la face emportée ; sir Thomas Sargrave fiit tué de
la même pierre \ Il fallut transporter à Meung-
sur-Loire le général des Anglais. Il manda ses
capitaines , leur recommanda de ne se point dé-
courager , de pousser vivement le siège, et mou-
rut huit jours après sa blessure. Cette mort réjouit
grandement les Français, et leur sembla une
vengeance du ciel exercée contre celui qui avait
fait tant de mal au royaume, commis tant de
cruautés, permis tant de pillages, profané tant
de saintes ^lises \ Elle répandit au contraire la
consternation parmi les ennemis ; le duc de Bed-
ford perdait Thabile capitaine sur qui reposait
toute la conduite de la guerre. En Angleterre , la
' 1429-1428, V. st. L'année commença le 27 mars.
<
^ Monstrelet. — HoUinshed. » Chartier. — Journal du siège
^ Journal du siège.
76 JOURNÉE
perte du comte de Salisbury fut regardée comme
une calamité puUique , une marque de la colère
divine y et un présage funeste pour les affaires des
Anglais en France \
Le comte de Suffolk fut choisi pour comman-
der le si^e ; il continua à investir la ville. Les
habitans brûlèrent tous les faubourgs de la rive
droite» comme ils avaient fait du faubourg du
Portereau ; nombre de riches églises ne furent
pas même épargnées, tant les pensées étaient por-
tées uniquement à se bien défendre. Ce fut de la
sorte que le siège se prolongea durant tout l'hiver.
Des attaques continuelles , de vaillantes i^rties ;
témoignaient l'ardeur des assaillans et l'admi-
rable constance des assiégés. Une si vaste en-
ceinte , que la Loire rendait encore plus difficile
à entourer, ne pouvait être entièrement gardée;
des secours en vivres et en munitions de guerre
entraient souvent dans la ville , le roi y envoyait
autant de renforts qu'il en pouvait réunir. Vers
le commencement de janvier, le sire de Culant,
amiral de France, y pénétra avec deux cents
lances; mais il fallait de plus grands efforts
pour sauver la ville. Les habitans et les capi-
* Jcla publica , suppl. Tome IV. — HoUinshed.
DES HARENGS (1429). 77
taines envoyaient sans cesse conjurer le roi de ne
les point abandonner. Ils obtinrent enfin que
le comte de Clennont, à la tête d'une foule
d'hommes d'armes de F Auvergne et du Bourbon-
nais » et Jean Stuart, avec ses Écossais, vien-
draient secourir Orléans \ Bientôt le maréchal
de La Fayette , Guillauiùe d' Albret et Guillaume
Stuart, arrivèrent avec plus de deux mille
hommes, pour s'enfermer avec la garnison.
Précisément dans ce moment le duc de Bedford
faisait partir de Paris un grand convoi de vivres
et de munitions que les bourgeois avaient été
contraints de fournir , et qu'on avait chargés sur
des charrettes exigées des pauvres gens de la
campagne. Le comte de Germont , avant de s'en-*
fermer dans Orléans, résolut d'empêcher ce
convoi d'arriver aux ennemis. Il était à Blois , et
marcha, le 12 février, pour lui couper la route
de Paris, tandis que la garnison d'Orléans était
sortie aussi de son côté pour venir se joindre à
lui. Elle arriva la première près du village de
Rouvrai, et peut-être aurait-elle surpris les An-
glais en marche et en mauvais ordre de défense ,
■ Monstrelet. — Journal du sîdge. — Journal de Paris. — Chro-
nique de la Pucelle. -- Chronique 10297.
DES HARENG6 (1429).. 79
à cheval , se lancèrent à toute course contre les
arbalétriers parisiens , mais sans pouvoir péné-
trer dans leur enceinte; ils forent repoussés
après un vif combat. Le trouble s'étant mis ainsi
parmi Tannée de France, sir Jean Fastolf, capi-
taine des Anglais, commanda à ses gens de faire
une sortie hors de leur enceinte; alors com-
mença le carnage. Le bâtard d'Orléans avait déjà
été blessé, et fot à grand'peine tiré de la presse.
Jean Stuart, connétable des Écossais, et Guil-
laume son frère , forent tués l'un près de l'autre ,
avec beaucoup de leurs gens. Les sires de Ro-
chechouart, Guillaume d'Âlbret^ de Chabot et
d'autres vaillans chevaliers y périrent aussi. Les
attaques des Gascons n'avaient pas mieux réussi ;
la milice de Paris, sous le commandement de
Simon Morbier que les Anglais avaient fait pré-
vôt, avait continué à tenir ferme, bien qu'elle fit
iie grandes pertes.
Cependant le comte de Clermont était arrivé
avec le gros de son armée. Il s*était fait armer
chevalier ce jour-là même par le maréchal de La
Fayette , etl'on s'attendait qu'il allait faire quelque
prouesse pour sauver l'honneur des Français ' ;
' Monstrelet.
80 ORLÉANS VEUT SE CONFIER
mais il vit, sans y porter nul secours» la dé-
route et le carnage. On avait désobéi à ses com-
mandemens , l'attaque avait commencé avant son
arrivée , on avait combattu à pied et non point à
cheval» ainsi qu'il l'avait voulu. Courroucé de ce
désordre» il ne se risqua point à en réparer le
triste effet ; il reprit sa route vers Orléans » où sa
conduite fiit jugée bien peu honorable par tant de
braves gens qui» depuis quatre mois» se défen-
daient avec un tel courage '. Il resta même peu
de jours avec eux» et les laissa» leur promettant»
pour les apaiser, des secours en vivres et en
munitions» qui même n'arrivèrent pas *.
Cette bataille de Rouvrai» qu'on appela aussi
la journée des Harengs» parce que le convoi
des Anglais était en grande partie composé
de barils de poisson salé» pour nourrir leur
armée durant le carême» fut un nouveau sujet
de honte et de désespoir pour le royaume.»
Une armée de huit mille hommes s'était lais-
sée vaincre par quinze cents Anglais» et s'était
dispersée devant eux. Ce fiit pour le coup qu'on
crut tout perdu» et qu'il fut question plus que
* Journal du siëge.
' Chronique de la Pucelle.
AU BUG (1429). 81
jamais d'emmener le roi dans les provinces du
Midi; la fortmie semblait lui être de plus en plus
contraire.
De tout le royaume, nuls ne devaient être plus
abattus que la garnison et les habitans d'Orléans ;
ils étaient maintenant livrés, sans espoir de se-
cours» à la puissance toujours croissante des
Anglais. Cependant, malgré leur détresse , ils ne
purent se résoudre à se livrer aux anciens enne-
mis de la France; et puisque le roi ne voulait
point les sauver, ils cherchèrent du moins à se
conserver pour leur seigneur, le duc d'Orléans,
prisonnier depuis quinze ans en Angleterre '.
Déjà , lorsque le comte de Salisbury avait passé en
France avec son armée, le duc d'Orléans avait
demandé qi;e ses domaines fussent exempts de
guerre, puisque, n'étant point en France, il ne
pouvait aviser à les défendre, ni prendre parti
pour ni contre les Anglais. Sa demande avait
semblé juste , et le conseil d'Angleterre la lui avait
accordée , sauf l'agrément du duc de Bedford ; le
régent anglais se refusa à ce traité. Le siège com-
mença, et lorsque le comte de Salisbury fut tué,
quelques uns pensèrent que la Providence le pu-
' Chronique de la Pucelle.
TOMB T. 5* iWT. €
AU DUC (1429). 83
Il y arriva le 4 avril ; beaucoup de conseils se
tinrent à ce sujet, et les propositions du duc Phi-
lippe y forent assez mal reçues. Les Anglais re-
présentèrent qu'ils avaient dëjà fait de grands
frais pour prendre cette ville , que leur plus vail-
lant capitaine y avait péri avec beaucoup de
braves hommes d'armes , qu'elle était prête à se
rendre, que nulle ville ne leur était plus impor-
tante, et qu'il n'était pas juste, après tant de
peines et de périls, de céder les honneurs et le
profit à celui qui les recueillait sans coup férir.
€ Nous ne sommes pas ici, disait un conseiller
c nommé Raoul le Sage , pour mâcher les mor-
c ceaux au duc de Bourgogne^ afin qu'il les
«avale". — -Oui, ajoutait le duc de Bedford,
< nous aurons Orléans à notre volonté , et nous
< nous ferons payer de ce que nous a coûté ce
< siège ; j'aurais trop de regret d'avoir battu les
c buissons pour qu'un autre prit les oiseaux \ »
De tels propos , que ne pouvait ignorer le duc
Philippe, l'offensaient et allumaient sa colère.
Les Anglais, se croyant maîtres de tout, pen-
saient peut-être qu'ils n'avaient plus à le ménager.
* Monstrelet.
' Chartier.
84 ORLÉANS VEUT SE CONFIER
mais lui ausisi, maître maintenant du Hainaul et
de la Hollande , avait moins de motifs pour les
craindre. Il se plaignit. Âl<»^ le régent anglais
lui reprocha ses pourparlers continuels et ses
négociations pour la paix ' ; il lui dit qu'il y avait
de la légèreté à prêter ainsi Foreille aux pro-
messes de celui qui avait tué son père, et qui,
sans doute, n'avait d'autre projet que de le cir-
convenir de même pour le faire périr; que du
moins s'effbrçaitron de le brouiller avec les An-
glais, afin de les détruire Tun après l'autre.
C'est ainsi que les deux princes s'aigrissaient
mutuellement , si bien qu'il échappa au duc de
Bedford de dire qu'il savait les moyens d'appor-
ter i^inède à tout ceci, et que le duc de Bour-
gogne pourrait bien s'en aller en Angleterre
boire de la bière plus que son soûl.
On raconte qu'alors le duc Philippe avisa qu'il
fallait songer à sa sûreté * ; il était venu h Paris
avec une nombreuse compagnie de ses chevaliers
de Bourgogne ; un jour qu'il était chez le duc de
Bedford, le sire de Vergi, accompagné d'un
grand nombre de gentilshommes, entra la hache
' Monstrelet. — Chronique de la Pucelle*
« Gollut.
AU BUG (f4S9).
8S
d'annes à la main : c Monseigneur , dit-il , il peut
faire bon ici , mais il fait meilleur en d'autres
lieux ; ailleurs, tous serez honore et obéi. Nous
TOUS conjurons de partir, et de laisser là ces
orgueilleux recueillir le fruit de leurs bra-
Tades. r— Est-ce donc Totre aTis ? reprit le Duc.
— Oui, oui, répondirent-ils tous à la fois; al-
lons , allons, nous n'aTons que Êdre de ceux qui
n^ont pas affaire de nous. > Pour lors le Duc s*a-
dressant au régent anglais : c Mon cousin , dit-il ,
TOUS Toyez ce que mes gentilshommes me con-
seillent ; il me faut les croire, et je tous dis
^dieu. »
Quoi qu'il en soit de ce récit que faisaient en-
core cent ans après , en Bourg<^ne y des Tieillards
qui disaient le tenir de leurs pères, toujours est-
il que le duc Philippe, après peu de séjour à Paris,
s'en retourna dans son pays, mécontent des An-
glais , et qu^il âUToya son héraut aTcc les députés
d'Orléans pour commande ^ tous ses h(»nmes
d^armes. et sujets de quitter sur-le-champ l'armée
anglaise et de laisser le siège : ce qu'ils firent
joyeusement \
Mais les Anglais n'en étaient pas moins forts
' Journal du siège. — Chronique de la Pucelle.
RETIRE SES TROUPES (I4S9). 87
jetaient ea confiance yers la Providence divine ,
qui 9 comme on disait , avait toujours prot^é le
noble pays de France , et l'avait souvent tire de
misère.
Un peu avant la mort du roi Henri d'Angle-
terre, un ermite de Saint"€laude, et qui était re-
nommé pour sa bonne et sainte vie , était venu
plusieurs fois parler au Dauphin , alors chassé et
fiigitif , lui notifiant que sa race ne périrait point »
qu'il aurait bientôt un enËmt mâle, et que sa
lignée resterait sur le trâoe de France. Il lui de-
manda s'il désirait vraiment la paix ; le Dauphin
ayant répondu que oui, s'il plaisait à Dieu, l'er-
mite promit qu'il l'aurait. Puis il se transporta
par devers le roi d'Angleterre, qui se tenait alors
dans le pays de France qu'il avait conquis. Il lui
demanda aussi s'il voulait la paix : à quoi le roi
Henri répondit : < Oui, après avoir conquis tout
< le royaume. » Alors l'ermite lui répondit que
c'était une orgueilleuse et vaine espérance , et
qu'il allait bientôt mourir, ce qui arriva. Lorsque ,
beaucoup d'années après , le royaume Ait délivré
des Anglais et en pleine et paisible gloire, on se
souvint des prédictions de firère Jean de Gand,
ainsi se nommait cet ermite ; le roi Louis XI fit
rechercher ce qu'il avait pu devenir. On découvrit
DE JEÂHMB d'arc (I4a9). 89
tout le canton. Elle était bien bonne Française,
et n*ainiait point les Bourguignons ni les An-
glais; car, dans ces temps de malheur, la dis-
œrde divisait même les gens de campagne , et Ton
voyait jusqu'aux petits en&ns se battre et se
meurtrir à coups de pierres, quand ils étaient
de deux villages de action différente '. Jeanne ,
qui n'avait pour lors que dix -sept ou dix -huit
ans, n'avait, depuis sa naissance, rien vu autre
chose que la misère du pauvre peuple de France,
et l'avait toujours entendu imputer aux victoires
des Anglais, à la haine des Bourguignons. Sou-
vent, à rapproche de quelques compagnies enne-
mies > elle avait en grande hâte conduit dans la
forte enceinte d'un château voisin le troupeau et
les chevaux de son père. Une fois même les Bour-
guignons vinrent piller le village de Domremy,
et Jeanne s'en alla avec son père et sa mère se
réft^er, durant cinq jours, dans une auberge à
Neufchâteau.
De bonne heure, et vers l'âge de treize ans, ses
visions avaient commencé. Elle avait d'abord vu
une grande lumière et entendu une voix qui lui
recommanda seulement d'être bonne et sage > et
* Ii]terrogatoii:e de la Pucelie.
90 HISTOIRR
d'aller souvait à l'élise. Une autre fois elle en-
tendit encore la voix , vit encore la clarté , mais
il lui apparut aussi des personnages d'un bien
noble maintien. L'un d'eux avait des ailes aux
épaules, et semblait un sage prud'homme; il lui
dît d'aller au secours du roi , et qu'elle lui rendrait
tout son royaume.
Elle répondit 9 assuraitelle , qu'étant une pauvre
fiUe des champs, eUe ne sauraU ni monter à ch^
val , ni conduire les hommes d'armes. Mais la voix
lui dît d'aller trouver messire de Baudricourt,
capitaine en la ville de Yaucouleurs, qui la fe-
rait mener vers le roî> ajoutant que sainte Cathe-
rine et sainte Marguerite viendraient l'assista de
leurs conseils.
Une troisième fois, elle connut que ce grand
personnage était saint Michel. Elle commença à
se rassurer et à le croire. Il lui parla encore de la
grande pitié que faisait le royaume de France, lui
recommanda d'être bonne et sage enfant» et que
Dieu lui aiderait.
Puis les deux saintes lui apparuraoït, toujours
au milieu d'une clarté; elle vit leur tête couron-
née de pierreries; elle entendit leur voix, belle,
douce et modeste ; elle ne remarqua pas si elles
avaient des bras ou d'autres membres; toute-
Biiim it 3tantu bICtt.
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DE JEANNE d'aRG (1499). 91
fois elle disait aussi qu'dle avait embrasse leurs
genoux.
Depuis, elle les voyait souvent , et elles lui sem-
blaient parfois très- petites» parfois de grandeur
naturelle ; mais elle les entendait plus souvent
encore, surtout lorsque les cloches sonnaient.
Dans ses récits elle disait toujours : c Ma voix
€ m'a ordonne; mes voix m'ont fait savoir. »
Saint Michel lui apparaissait moins souvent.
Pourtant elle assurait que toujours elle avait trois
conseillers ' : Fun était avec elle ; l'autre allait et
venait; le troisième délibérait avec ceux-là. Quel-
quefois on pouvait croire qu'dle parlait de la
sainte Trinité, car elle appelait son conseil € Mes-
< sire, le conseil des messires; > et quand on lui
demandait qui était Messire, elle disait que c'était
Dieu'.
Du reste , ces visions n'avaient rien de terrible
pour Jeanne; elle les désirait plutôt que de les
craindre. Dès qu'elle entendait les voix qu'elle
avait appris à connaître , elle se mettait à genoux^
et se prosternait pour montrer son respect et son
obéissance. La présence des saintes l'attendrissait
' DëpositioQ de Daulon , écuyer de la Pucelle.
^ Chronique de la Pucelle.
DE JEANNE d'aRG (i4ft9)* 93
de son seigneur, à qui appartenait le royaume
de France, et non pas au Dauphin; mais que ce
seigneur voulait bien donner le royaume en garde
au Dauphin , et qu'elle le mènerait sacrer* c Qui
c est ce seigneur? demanda le sire de Baudri-
c court. — Le roi du ciel , » répondit -• elle. Il
ne changea point de jugement sur elle, et la
renvoya*.
Cependant elle s'était établie chez un charron
à Yaucouleurs , et sa piété faisait l'admiration de
toute la ville ; elle passait les journées à l'église
en ferventes prières; elle se confessait sans cesse;
elle communiait fréquemment ; elle jeûnait avec
austérité , et toujours elle continuait à dire qu'il
lui fallait aller vers le noble Dauphin pour le faire
sacrer a Rheims« Peu à peu tant d'assurance et
de sainteté commençait a persuader les gens de
la ville et des environs. Le sire de Baudricourt,
ébranlé par tout ce qu'il entendait dire , s'en vint
voir Jeanne avec le curé ; et la , enfermés avec elle,
le prêtre, tenant sa sainte étole, l'adjura, si elle
était mauvaise , de s'éloigner d'eux. Elle se tnuna
sur les genoux pour venir adorer la croix ; rien
en elle ne témoigna ni crainte ni embarras.
' Déposition de Bertrand de Poulengi, t<hnoiD oculaire.
94
HISTOIRE
Pen aprèâ, un gentilhomme des environs,
nomme Jean de Novelompont» la rencontra' :
Ah! que faites -vous ici, ma mie? lui dit-*il; ne
Ëiut-il pas se résoudre à voir le roi chassé et
à devenir Anglais? -r- Ah! dit -elle, le sire
de Baudricourt n'a cure de moi ni de mes pa-
roles ; cependant il faut que je sois devers le
roi avant la mi-carême , dussé-je user mes jam-
bes jusqu'aux genoux pour m'y rendre en per-
sonne ; car personne au monde, ni roi, ni ducs,
ni fille du roi d'Ecosse, ni aucun autre ne peut
relever le royaume de France. Il n'y a de se-
cours pour lui qu'en moi. Si pourtant j'aimerais
mieux rester à filer près de ma pauvre mère,
car ce n'est pas là mon ouvrage ; mais il faut que
j'aille et que je le fasse, puisque mon seigneur
le veut. — <îui est votre seigneur ? reprit le
gentilhomme. — C'est Dieu , » répliqua-t-elle.
Le sire de Novelompont se sentit persuadé; il
lui jura aussitôt, par sa foi, la main dans la
sienne , de la mener au roi , sous la conduite de
Dieu.
Un autre gentilhomme des amis du sire de
Baudricourt, nommé Bertrand de Poulengi, se
' Déposition de Jean de NoYelompont.
DE JEANNE u\kC (1429). 95
»
laissa aussi toucher, et crut, comme toute la
contrée , que cette pauvre fille était conduite par
l'esprit du Seigneur. 11 résolut de la mener au roi
avec le sire de Novelompont , et ils se préparèrent
à ce voyage.
La renommée publiait de plus en plus les mer-
veilles de la dévotion de Jeanne et de ses visions,
si bien que Charles II, duc de Lorraine, se sen-
tant malade et voyant que les médecins ne le
guérissaient point, envoya chercher cette sainte
fille. Elle lui dit qu'elle n'avait aucune lumière
du ciel pour lui rendre la santé ; mais comme
en toute occasion elle recommandait toujours la
sagesse et la crainte de Dieu, elle lui conseilla de
mieux vivre avec la duchesse , de la rappeler près
de lui et de renvoyer Âllizon du May, sa maî-
tresse, avec laquelle il vivait publiquement. Du
reste, elle demanda au prince, comme elle faisait
à tout le monde , de la faire conduire vers le roi ,
et promit de dire alors des prières pour sa guéri-
son. Le duc de Lorraine la remercia et lui donna
quatre francs.
Quand elle fut de retour à Yaucouleurs, le sire
de Baudricourt consentit enfin à l'envoyer au
roi. On assura depuis, tant chacun était porté à
rendre toute cette histoire plus merveilleuse
96 HIStOIRE
encore» que ce capitaine s'était laissé persua->
der seulement, lorsque recelant la nouvelle de
la journée des Harengs» il avait eu souvenir que
Jeanne, à pareil jour» lui avait dit : c Âujour-
c d'hui le gentil Dauphin a reçu près d'Orléans
c un assez grand donunage. > Mais connue elle
partit de Yaucouleurs lé matin même dé la
bataille'^ la chose ne put se passer ainsi. Il
paraît au contraire que Robert de Baudricourt
céda plus à la voix publique qu'à sa propre con-
science.
Dès que les gens de Yaucouleurs surent qu'on
allait envoyer Jeanne vers le roi » ils lui fournirent
avec grand empressement tout ce qu'il fallait pou^
l'équiper. Les voix lui avaient ordonné depuis
long-temps de prendre un vêtement d'homme
pour s'en aller parmi les gens de guerre ; on lui
en fit faire un avec le chaperon ; elle chaussa des
houzeaulx ^ et attacha des éperons. On lui acheta
un cheval ; sire Robert lui donna une épée » puis
reçut le serment que Jean de Novelompont et
Bertrand de Poulengi firent» entre ses mains»
de la conduire fidèlement au roi. Tandis que
toute la ville en grande émotion s'assemblait pour
' 13 février 14S9-1428, t. st.
DE JEANNE D^AnC (1429). 9?
b voîjp partir : « Va, lui dit -il, et advienne que
« pourra '. *
Outre les deux gentilshommes qui avaient cru
en ses paroles , et qui emmenaient chacun un de
leurs serviteurs , elle voyageait encore avec un
archer et un messager attaché au service du roi.
C'était une entreprise difficile que de traverser un
si grand espace de pays parmi les compagnies de
Bourguignons, d'Anglais et de brigands qui se
répandaient de tout côté. Il fallait s'écarter des
chemins fréquentés, prendre gite dans les ha-
meaux, chercher route à travers les forêts, pas-
ser les rivières à gué , durant Fhîver. Jeanne au-
rait eu peu de souci de telles précautions ; elle ne
craignait rien : rassurée par ses visions , elle ne
doutait pas d'arriver jusqu'au Dauphin. Son seul
déplaisir, c'est que ses conducteurs ne lui per-
mettaient point d'entendre chaque jour la messe.
Eux , au contraire , ne partageaient guère sa con-
fiance. Souvent ils hésitaient dans la croyance
qu'ils devaient ajouter à ses discours. Parfois
ils la prenaient pour folle. L'idée leur venait aussi
que ce pourrait bien être une sorcière, et alors
' Dépositions de Novelompont et de Poulengi. — Interrogatoires
de la Pacelle.
roM» T. 5* éoiT. 7
1
98 jiisTomE
U$ pensaicait à la jeter dans qv^lqqe carrière. Ce*
pendant elle faisait paraître tant de dévotion, tant
de modeatie, tant de fermeté , que plus ils avan-
çai^t dans le voyage , plus ils prenaient de res-
pf)ct pour elle ^ plus ils la croyai^it euvoyée de
Dieu'.
Arrivée à Gie^ , ^e se trouva sur terre fran^
çaise ; là elle aigrit plus mk détail les malheurs et
les dangers de la ville d'Orléans. Elle dit haute*
ment qu^etle était envoyée de Dieu pour la déli*
vrêr, puis faire sacrer le Dauptuu^ Le bruit de ces
paroles se répandit ^ et vint jeter quelque lionne
espérance au cœur des pauvres assiégés*
Les voyageurs ne voulurent point arriver droit
auprès du roi à Chinon« Ils s'arrêtèrent ^»jt village
de Sainte-Catherinenie-Fierbûis. Là , Jeanne fit
écrire au roi une lettre pour lui dire qu'elle ve-
nait de loin à son secours, et qu'elle savait beau-
coup de bonnes choses pour lui. L'église de
Sainte^Catherine était un saint lieu de pèlerinage;
Jeanne s'y rendit, et y passa un long tempa de la
journée, entendant trois messes l'une après l'au-
tre \ Bientôt elle reçut la permission de venir à
> DéposiUoo de Mai^gucirit^ 4^ la Touroulcie.
> Interrogatoires de la Pucelle,
DE JEANNE d'aRC (1429). 99
Oman. EHe y prit gite en une hôtellerie ; et parut
peu après devant les conseillers du roi pour être
interrc^ee ; dUè refiisa d'abord de répondre à tout
autre qu'au roi ; ce^néajot eàle finit pat dire les
choses qu'elle venait accomplir par Tordre du roi
des deux*.
Rien ne fut décidé : beaucoup de conseillers
croyaient qu'il ne fallait pas écouter une fille in-
sensée; d'autres disaient que le roi devait pour
le moins Tentendre, et envoyer en Lorraine pour
avoir des informations. En attendant , elle fut lo-
gée au château du Coudray, sous la garde du sire
de GaiH^ourt, grand-maitre de la maison du roi.
Là, coinme àYaucouleurs, elle commença à
étonner tous oeuz qui la voyaient, par ses paro*
les, par la sainteté de sa vie, par la ferveur de
ses prières , durant lesquelles on la voyait souvent
verser des larmes. Elle communiait fréquemm^it,
eDe jeûnait avec sévérité. Ses discours étaient
toujours les mânes, notant avec assurance les
promesses de ses voix; au reste, simple, douce,
modeste et raisonnable. Les plus grands seigneurs
étaient curieux de venir voir cette merveilleuse
fille , et de la faire parler.
' DiépositioD de Simon Charles , président de la chambre des
comptes.
100 LÀ PUCELLE
Après trois jours de consultation » le roi coU'*
sentit enfin à la voir. Il en avait peu d'envie;
mais on lui représenta que Dieu protégeait
sûrement cette fille, puisqu'elle avait pu venir
jusqu'à lui par un si long chemin , à travers tant
de périls. Ce motif le toucha. D'ailleurs le bâ-
tard d'Orléans et les assiégés avaient déjà en-
voyé à Chinon pour éclaircir les bruits qui cou-
raient touchant cette pucelle d'où leur devait ve-
nir du secours.
Le roi, pour l'éprouver, ne se montra point
d'abord, et se tint un peu à l'écart'. Le comte de
Vendôme amena Jeanne, qui se présenta bien
humblement , comme une pauvre petite berge-
rette. Cependant elle ne se troubla point ; et, biai
que le roi ne fût pas si richement vêtu que beau-
coup d'autres qui étaient là, ce fut à lui qu'elle
vint. Elle s'agenouilla devant lui, embrassa ses
genoux, c Ce n'est pas moi qui suis le roi , Jeanne ,
« dit-il en montrant un de ses seigneurs : le voilà.
« — Par mon Dieu , gentil prince , reprit-elle ,
c c'est vous , et non autre. > Puis elle ajouta :
c Très-noble seigneur Dauphin , le roi des cîeux
< vous mande par moi que vous serez sacré et
I Dépositions du sire de Gaucourt et de Simon Charles.
S£ PRÉSENTE AU ROI (1489). lOf
€ couronné en la vîUe de Rheims, et tous serez
c soQ lieutenant au royaume de France. >
Le roi , pour lors, la tira à part, et s'entretîht
arec elle l<mg-temps ; il semblait se plaire à ce
qu'elle disait , et son visage devenait joyeux en
Fécoutant. Il fut raconté que, dans cet entre-
tien, elle avait dit au roi des choses si secrètes,
que lui seul et Dieu les pouvaient savoir; elle-
même rapporta qu'après avoir répondu à beau-
coup de questions , elle avait ajouté : c Je te dis ,
€ de la part de Messire, que tu es vrai héritier de
€ France et fils de roi ". * Et il se trouvait préci-
sément que peu auparavant le roi , accablé de ses
chagrins et presque sans espérance , s'était retiré
en son. oratoire ; là il avait ^ au fond de son cœur
et sans prononcer de paroles , prié Dieu que s*il
était véritable héritier descendu de la noble mai-
son de France^ et que le royaume dût justement
lui appartenir, il plût à sa divine bonté de le lui
garder et défendre ; du moins , de lui épargner la
prison et la mort, en lui accordant reftige chez
les Écossais ou les Espagnols , anciens amis et
frères d'armes des rois de France \
* BëpositioD de frère Pasquerel.
* Sala , Exemples de hardiesse de plusieurs rois et empereurs.
Manuscrit de la Bibliothèque du roi.
102 hk PUCELLE
(la autre incident accrut encore la renommée
de Jeanne et tourna les esprits vers die. Un ca-
yalier vint k se noyer; on assura que, peu de
momens àup9a*ayant, il avait grossièrement in-
sulté Jeanne ; et comme les paroles déshonnétes
qu'il lui adressait étaient mêlées de mauvais jure-»
mens : c Ah ! tu renies Dieu, avait-elle dit, quand
c tu peux être si proche de la mort' ! >
D'ailleurs la prophétie de Merlin semblait s'ap-
pliquer a cette j^ime fille : o^le qui était destinée
à délivrer le royaume devait venir è nemate co
nuto; et lorsqu'on lui demanda le nom, des forêts
de sodl pay», elle dit que tout auprès de Domremy
il y avait le bois Chesnu. .
. Ainsi > de moment en moment, elle gagnait fii-
veur auprès de tous ; elle avait un visage agréable,
une voix douce, un maintien honnête et conve^
nable. Le roi, depuis ce secret qu'elle lui avait
dit, l'avait prise e^ gré, et la faisait appeler sou-
vent pour parler avec elle. Le duc d'Alençon,
qui avait payé rançon pour se racheter des. An-
glais dpnt il était prisonnier depuis Yerneuil,
arriva au premier biniit de la venue miracideuse
de cette Pucelle. Il la vit , et l'écouta aussi très-fa-
* Déposition de frère Pasquerel.
SE PRÉSENTE AU ROI (1429). lOÏ
Yoràblement Ott la Élisait tnoiiter à cheval , et
Toti trouvait qit'elle s'y tenait fort biea^avec beau*
coup de grâce ; on lui fit même courir des lanœs y.
et elle y montra de radresâë. Les ser^^teurs du
roi et les seigneurs étaient donc presque tous
d'avis de croire à ses pardles, et de l'envoyer,
comme die le demandait, contre les Âxiglais. Les
députés d'Orléans étaient repartis pleins d'eiq[)oir
dans les promesses qu'elle leur avait fiiites.
Mais les conseillers , et surtout le chancelier,
n'étaient pas si prompts à ajouter foi à tout ce
qu'dle promettait; c'était chose périlleuse au roi
de régler sa conduite sdr \eê discours d'une vi^
lageoise que quelques uns regardaient emnme
fdle'. Les Français ne passài^t point pour un
peuple crédule' ; oéla pouvait donn^ beauooup
à parler au monde et jeter un grand ridicule* En
outre , et ceci semblait bien plus grave , quelle as*
surance avatt^on que les visions et l'ifii^ration
de cette fille ne vinssent pas dtt démon ^ o» de
quelque pacte fiiit avec lui ? Pouvait-on encourir
ainsi la colèfre de Dieu, en usant des arts diabo-
liques^?
' Edmond Richer.
* De SifyUd/rancicd , par un Alleiïiaild contettiporaiii.
^ MoDstrelet.
AU SUJET DE LÀ PUCELLE (1489). 105
tous san$ s'épouvanter. Elle raconta comment
une voix lui était apparue; comment, pendant
plusieurs années , elle avait eu les mêmes vi*
sions et reçu les mêmes ordres de la part du
ciel. € Mais si Dieu veut délivrer la France, lui
c disait-on, il n'a pas besoin de gens d'armes.
€ — Eh! mon Dieu, répliqua- t-elle^ les gens
c d'armes batailleront, et Dieu donnera la vie-
c toire. »
c Et quel langage parlent vos voix? > lui dit,
avec son accent limousin , frère Seguin qui l'in-
terrogeait plus aigrement que les autres, c Meil-
leur que le vôtre, > répondit-elle avec un peu de
vivacité'.
c Si vous ne donnez pas d'autre signe pour
€ faire croire à vos paroles, ajouta-t-il, le roi ne
€ pourra point vous prêter d'hommes d'armes ,
« car vous les mettriez en p^il* — Par mon
« Dieu, dit-elle > ce n'est pas à Poitiers que je
« suis envoyée pour donner des signes; mais
« conduisez-moi à Orléans avec si peu d'hommes
< d'armes que vous voudrez, et je vous mon-
< trerai des signes pour me croire. Le signe
€ que je dois donner, c'est de faire lever le
•
' Dëposition i\e frère Séguin.
AU SUJET DE LA PUGELLE (1429). i&t
rcadre a Vaucouleurs, en rapportèrent les meil-
leures informations ; chaque jour le clergé et les
conseillers se laissaient persuader davantage.
Christophe de Harcourt, évêque de Castres et
confesseur du roi , fut des premiers à dire hau-
tement que c'était la fille annoncée par la pro-
phétie.
On consulta aussi un des plus sages et des plus
habiles prélats de France, Jacques Gelu, arche-
vêque d'Embrun, qui avait été membre du Parle-
ment. Il composa tm traité sur les questions qu'on
lui présentait ' ; il montra bien doctement , p^ des
citations de l'Écriture , qu'il n'était point étrange
que Dieu s'enb'emit directement dans les afEûres
d'un royaume; que Dieu pouvait, pour cela, au lieu
de se servir des anges, employer les créatures hu-
maines , et que même des animaux avaient accom-
pli des miracles; qu'il pouvait aussi chai-ger une
femme de faire dés choses qui sont de l'office des^
hommes; qu'ainsi il ne fallait point se scandaliser,
comme beaucoup semblaient luette , de voir une
femme, contre l'ordre précis du Deutéronome,
porter des vétemens d'hommes ; qu'une fille pou-
vait donc être chargée de commander à des gens.
' De Pueild aitrelianensi : Jacoùus Gelu : Manuscrit 6199.
108 LE ROI ACCEPTE LES SERVICES
de guerre. C'était un mystère, sans doute; mais
Dieu a souvent dit à des vierges des secrets qu'il
a cachés aux hommes, témoin la sainte Vierge et
les savantes sibylles. Quant à la crainte de tomber
dans un artifice du démon , le prélat convenait
qu'on ne peut juger d'où vient le pouvoir d'une
personne que par sa conduite , par ses œuvres
et par le bien qu'elle fait. Enfin il ajoutait qu'en
ceci il était à propos d'employer toutes les relies
de la prudence humaine; car elle peut et doit être
consultée dans toutes les choses qui se font ici-bas
par Tordre de la Providence.
On écrivit au célèbre Jean Gerson , qui , après
le concile de Constance où il avait si fortement
poursuivi la condamnation de la doctrine de Jean
Petit , s'était retiré à Lyon et y vivait pour ainsi
dire caché, se dérobant aux vengeances du duc
de Bourgogne.
Soit curiosité, soit par la vulgaire croyance que
le démon ne pouvait conclure aucun pacte avec
une vierge, le roi résolut de s'assurer si Jeanne
avait toujours été sage ' ; pour ne la point offen-
ser, ce fiit la reine de Sicile, mère de la reine de
France, et la dame de Gaucourt, qui reçurent
' D(^posilion de Jean Daulon , écuyer de la PucellcK
D£ LA PUGELLE (14119). 109
cette commission ; elles rendirent un témoignage
favorable. On sut aussi que Jeanne n'avait point
les infirmités attachées à son sexe, ainsi que cela
se remarque souvent parmi les femmes qui ont
des visions. Enfin les docteurs firent leur rapport
au conseil ; ils déclarèrent qu'ils n'avaient vu , su,
ni connu en cette pucelle rien qui ne fût conforme
à une bonne chrétienne et une vraie catholique;
qu'à leur avis c'était une personne très-bonne, et
qu'il n'y avait rien que de bon en son fait. Attendu
ses réponses si prudentes, qu'elles semblaient
inspirées, ses manières, son langage, sa sainte
vie, sa louable renommée ; attendu aussi le péril
imminent de la bonne ville d'Orléans dont les
habitans ne devaient attendre secours que de
Dieu, les docteurs furent d'opinion que le roi
pouvait accepter les services de cette jeune fille.
Plusieurs même parlaient d'elle avec une foi plus
ardente, et tenaient pour assuré qu'eUe venait de
la part de Dieu*
La chose ainsi conclue, on donna à Jeanne
l'état d'un chef de guerre. Jean sire Daulon , du
conseil du roi, un brave et sage chevalier, fut
placé près d'elle pour la conduire et la servir
comme son écuyer. Dès son arrivée, Louis de
Contes avait été mis à son service comme page ;
DE LA PUCELLE (1489). lit
de fleurs de lîs^ sur lequel était figure le Sauveur
des hommes, assis en son tribunal dans les nuées
du ciel, tenant un globe à la main. Deux anges
étaient en adoration , et Fun d'eux portait une
branche de lis ; de l'autre côté , elle avait fait
écrire : Jhems, Maria. Elle ordonna aussi à son
aumôniw de faire faire une autre bannière,
afin de la porter. e^ procession avec les autres
prêtres qui viendraient en la compagnie des gens
d'armes.
Vers la fin d'avril, elle se rendit à Blois, où
l'on achevait de rassembler des vivres pour en
charger le convoi. Le sire de Gaucourt, le chan*>
celier, le maréchal de Boussac, le sire de Raiz, de
la maison de Laval, et qui, bientôt après, fut
maréchal de France; la Hire, Âmbroise de Lore,
l'amiral de Culant, en un mot tous les principaux
capitaines du roi , étaient arrivés en cette ville ,
sur la renommée de la venue de cette miraculeuse
Pucelle.
Cependant le commun des gens d'armes qu'on
destinait à conduire le convoi n'avait pas grande
confiance dans tout ce qu'on leur disait de cette
fille ' ; volcmtters ils s'en seraient raillés. Il n'y
' Déposition de Louis de Contes.
n
112 PRÉDICATIONS
avait rien alors de si déréglé que les hommes de
guerre. Depuis si long-temps qu'on guerroyait et
qu'on vivait dans le désordre , ils avaient appris
à ne rien respecter. Mais Jeanne n'entendait point
que cela se passât ainsi ; elle avait horreur du
péché et de la mauvaise conduite. Elle ordonna à
tous ces gens de guerre de renvoyer les fillettes
qu'ils menaient avec eux ; ^le n'en voulait rece-*
voir aucun dans sa troupe qui ne se £(it confessé*
Lorsqu'on proférait quelques méchans juremens,
elle se fâchait, et ne le pardonnait pas même au
brave capitaine la Hire, qui d'habitude jurait et
maugréait comme les moindres gens d'armes,
dont il avait toutes les façons. Aussi, s'amusant à
la courroucer f lui criait-il parfois en tenant le
bois de sa lance, « Jeanne, je renie mon bâ-
ton, > Elle le força même de se confesser". Soir
et matin , frère Pasquerel prenait sa bannière et
s'en allait par la ville, suivi de tous les prêtres
deBlois, chantant des hymnes et des cantiques.
Jeanne était au milieu d'eux , priant de tout son
cœur, et se mettant sans cesse à genoux*
De si saintes pratiques donnaient à la Pucelle
un prodigieux renom dans l'esprit des peuples. Ils
' Déposition de Pierre Compaing , chanoine d'Orlëan».
DE FRÈRE THOMAS CONNECTE (1429). 113
souffraient de si grands maux» et depuis si long-
temps ils étaient témoins de tant de crimes; cha-
cun avait tellement oublié tous les devoirs envers
Dieu et envers le prochain ; les riches avaient un
luxe si offensant pour la misère des pauvres ' ;
ceux-là avaient si peu de respect pour le bien
d'autrui ; la noblesse était si fort livrée à ses pas-
sions ; le clergé menait une vie si dissolue ; les
femmes, et surtout celles de haute lignée , avaient
si peu de retenue, et portaient des ajustemens èi
indécens et §i ridicules, qu'on ne savait qui était
le, plus fort ou du scandale , ou de la calamité.
Tous les gens de bien , et même le commun peu-
ple, ne pouvaient donc attribuer de si grands
malheurs qu'à la colère de Dieu.
Aussi conmiençaient à se montrer de saints et
éloquens prédicateurs qui blâmaient avec ru-
desse, et sans ménagement, les vices et les pé-
chés du temps. Plus leurs discours étaient sévères
et emportés , plus le peuple se portait en foule
pour les entendre.
Il n'y avait pas un an qu'un carme, nommé
frère Thomas Connecte , était venu de Bretagne en
Flandre, en Artois et en Picardie. Il avait voyagé
' MoDstrelet.
TOMI T. 5* ÉDXT. 8
111 PRÉDICATIONS
de ville en ville, en faisant de beaux sermons' :
les églises ne suffisaient point à contenir tous ceux
qui voulaient l'entendre. On dressait pour lui, sur
la grande place, un échafaud orné des plus belles
tapisseries ; là , il célébrait la messe , puis faisait
ses prédications. Le commun peuple s'y plaisait
surtout, parce qu'il n'épargnait personne, et
moins encore les gens d'église que les autres. Il
jetait surtout grand ennemi de ces hautes coiffures
que portaient alors les nobles dames, et qu'on
nommait des henins; même il excitait les petits
enfans à poursuivre et à insulter en pleine rue les
dames qui n'avaient point quitté cette parure;
cela occasiona d'abord des tumultes dans quelques
villes. Cependant les plus grandes dames finirent
par porter de simples béguins, comme les femmes
du petit état, et il se faisait apporter les henins
pour les brûler devant tout le monde. Il fallait
bien aussi , sous peine d'excommunication , venir
livrer au feu les cartes, les dés, les damiers,
les échiquiers , les quilles , et les jeux de toute
sorte. Du reste, c'était un honune triste, et qui
ne se laissait point parler. Hormis aux heures
de ses prédications, il vivait seul et renfermé. En
' Monstrelet. — Argentré.
DE FRÈRE RICHARD (1429). 116
peu de temps il Ait honore et exalte comme mi
apôtre. Nobles, cierge, bourgeois, Tenaient à sa
rencontre. Les plus notables cheyaliers tenaient
à honneur de marcher à pied devant lui en con*
duisant son mulet par la bride. On en vit même ,
et entre autres un seigneur d' Antoing , laisser là
père, mère, femme, en£ms, amis, richesses,
pour se Ëdre ses disciples et le suivre partout.
Depuis il s'en alla en Italie > et continua à vouloir
réformer les moines et le clergé; le pape le fit
prendre et juger par Tinquisition; il fut con-
damné et brûlé comme hérétique.
Mais il y en avait alors un autre, nommé
frère Richard, de Tordre des cordeliers, dis-
ciple de saint Vincent Ferrier , qui avait encore
plus grande renommée'. Il était venu a Paris au
commencement d'avril, et avait prêché presque
tous les jours, tantôt dans les églises, tantôt sur
un écha&ud au cimetière des Innocens; jamais
le peuple de Paris ne s'était senti touché d'une si
grande dévotion, et l'on disait que frère Richard
avait converti plus de pécheurs en un jour que
tous les prédicateurs passés en deux cents ans.
Les tables de jeu , les billards , les billes furent je-
* JoarDal de Paris.
116 PRÉDICÂTIOirS
tes au feu. Les femmes des bourgeois accouraient
pour faire brûler leurs grands chaperons sou-
tenus par des pièces de cuir ou de baleine, et les
nobles demoiselles leurs coiffures à grandes cor-
nes, d'où pendaient de longs voiles à queue. Il
sut même persuader à beaucoup de personnes de
toutes sortes de livrer au feu les mandragores
qu'elles gardaient précieusement : c'étaient des
racines de forme singulière que les sorcières don-
naient à ceux qui croyaient à leur méchante
science , persuadant à ces gens-là que tant qu'ils
les garderaient, ils seraient en prospérité et ri-
chesse. Il y avait de crédules personnes qui, de-
puis beaucoup d'années , conservaient leur man-
dragore avec un soin particulier, enveloppée de
soie ou de toile de lin, sans pour cela avoir jamais
eu un denier de plus ; mais elles vivaient en bonne
espérance de s'enrichir. Frère Richard leur fit
honte et reproche d'avoir foi en de telles ordures.
Il faisait aussi de grandes prédictions tirées de
l'Apocalypse ; enfin il mettait un tel mouvement
dans la ville de Paris, que les Anglais en prirent
ombrage ; ils lui ordonnèrent de s'en aller. Alors
il fit son dernier sermon, recommanda le peuple
à Dieu, demanda à chacun de prier pour lui,
comme aussi il prierait pour tous. Il distribua
DE FRÈRE RICHARD (1429). 117
des pièces d'étain où était gravé le nom de Jésus ;
il conjura les fidèles de ne pas oublier leurs
bonnes résolutions. L'entendant parler ainsi»
grands et petits pleuraient à chaudes larmes,
comme s'ils eussent vu porter en terre le meil-
leur de leurs amis. On accorda encore quelques
jours aux instances de toute la ville. 11 annonça
un grand sermon à Montmartre; les Parisiens
accoururent de tous les quartiers; plus de six
mille personnes couchèrent dans les masures des
environs ou en plein champ, pour avoir de meil-
leures* places ; maiis quand vint le matin , il fut
interdit par les Anglais à frère Richard de faire
sa prédication. Il lui Mlut partir aus^tôt. C'était
juste dans le moiaent où la Pucelle s'apprêtait à
secourir Orléans.
Elle partit de Blois avec le convoi , accompa-
gnée des principaux chefs de guerre. Elle eut
voulu qu'on se dirigeât tout droit vers Orléans ,
par la rive droite de la Loire et par la Beauce ;
c'était de ce côté que les Anglais avaient leurs
plus grandes forces, leurs bastilles les mieux
fortifiées, leurs boulevards les mieux assis.
Jeanne s'en inquiétait peu; mais les capitaines
voulaient plus de prudence, et le bâtard de Du-
nois avait recommandé qu'on ne risquât point
SE REND A ORLÉANS (1429). 119
dit-elle. — Oui, reprit-il, et bien joyeux de
votre venue. — C'est Vous, ajouta-trelle, qui
avez conseillé de passer par la Sologne et non
par la Beauce, tout au travers de la puissance
des Anglais. — C'était, répliqua-t-il , le conseil
des plus sages capitaines. — Le conseil de Mes-
sire est meilleur qiie le vôtre et que cdui des
hommes, reprit Jeanne; c'est le plus sûr et le
plus sage. Vous avez cru me décevoir , et vous
êtes déçu vous-même , car je vous amèie le
meilleur secours que reçut jamais chevalier
ou cité : le secours du roi des cieux, donné,
non pour l'amour de moi , mais procédant pu-
rement de Dieu ; lequel , à la requête de saint
Louis et de saint Charlemagne , a eu pitié de la
ville , et n'a pas voulu que les ennemis eussent
à la fois le corps du duc d'Orléans et sa ville. »
Le Bâtard proposa de suivre la rivière à deux
lieues plus haut, jusqu'au château de Checy, qui
avait garnison française; là, les barques d'Or-
léans remonteraient et pourraient être facilement
chargées. Mais le vent était contraire ; naviguer
à la rame était lent et partant fort dangereux.
Rien n'inquiétait la Pucelle. Dès le commence-
ment elle avait dit : t Nous mettrons les vivres
c dans Orléans à notre aise, et les Anglais ne
120 LA PUGELJLE
€ feront pas semblant de Fempécher. > Elle as-
sura que le vent allait changer. Le tempsétait ora-
geux, la pluie tombait par torrens ; le jour finis-
sait, du moins les Anglais le racontèrent ainsi' ;
et le vent ayant en effet tourné , les barques re-
montèrent sans être attaquées. Ghacmi commen-
çait k prendre meilleure espérance aux promesses
de Jeanne; tout semblait miracle dans ce qui se
faisait sous sa conduite ; il y avait même des gens
qui voyaient, disaient-ils^ croître tout à coup les
eaux du fleuve pour hâter le voyage des barques \
On y chargea les munitions; la garnison prit les
armes, attaqua les Anglais sur la rive droite,
pour les occuper de ce côté , et l'entreprise réussit
de tous points.
Mais les chefs n'avaient pas l'ordre de conduire
leurs gens d'armes dans la ville ; ils n'étaient ve-
nus que pour garder le convoi, et devaient re-
tourner à Blois, où l'on rassemblait encore plus
de gens. Jeanne, à qui on l'avait caché, se mon-
tra fort courroucée. Le bâtard d'Orléans et les
gens de la ville voulaient absolument qu'elle y
' HoUinshed.
* Déposition du comte de Dunois. — Journal du siég^. — Chro-
nique de la Pucelle.
SE REND A ORLÉANS (i4fi9). 121
entrât, mais elle disait : c II me ferait peine de
c laisser mes gens, et je ne le dois pas faire; ils
€ sont tous bien confessés » et en leur compagnie
c je ne craindrais pas toute la puissance des
c Anglais. » Ënfi^ elle céda aux prières des gens
d^Orléans et aux promesses que lui firent les ca-*
pitaines, de venir au plus tôt, en grande force,
pour secourir la ville ; mais elle voulut que son
confesseur et les prêtres reprissent la même
route avec ses gens pour les maintenir en sainte
disposition, et les accompagner quand ils revien*
draient à Orléans. Puis elle y entra avec la Hire
et deux cents lances. Le maréchal de Boussac
ne la voulut point quitter qu'elle ne fût dans
la ville et en sûreté.
Elle fit son entrée, tout armée, montée sur
un cheval blanc, ayant à sa gauche le bâtard
d'Orléans, et suivie de tous les vaillans seigneurs
de sa suite et de la garnison. Le peuple , les gens
de guerre, les femmes , les enfans, se pressaient
autour d'elle , tous se tenaient pour délivrés et
arrivés à la fin de leurs maux et de leurs périls ;
ils se sentaient tout réconfortés et comme désas-
si^és par la vertu divine qu'on leur avait dit
être en cette simple pucelle. Il semblait qu'ils
vissent un ange de Dieu, ou Dieu lui-même des-
SE REND À ORLÉANS (1429). 123
pays '• Qd disait surtout qu'elle était douée du don
de prophétie, que le roi et son conseil en avaient
eu des preuves. On savait que ce n'était point
légèrement qu'elle avait été admise, et seulement
après de grands doutes et beaucoup d'examens-
L'idée que tout allait changer en France , et que
Dieu, après avoir rudement châtié le royaume
pour les péchés qui s'y commettaient , allait enfin
le prendre en pitié, se répandait dans la chré-
tienté.
D'ailleurs Jeanne, dès le temps qu'elle était à
Poitiers, avait dicté une lettre pour les diefs an-
glais , puis la leur avait envoyée de Blois. Telle
était cette lettre :
t
JHESUS MARIA.
<
Roi d'Angleterre, et vous, duc de Bedford,
qui vous dites régent le royaume de France;
* Lettre du seigneur Rotsiaer de Lyon , 23 aTrîl 1489. -^ Joornal
de Paris. — Monstrelet. — Henri de Gorcum. — SibyUaJrancica,
— Amelgard. — Saint-Remi.
124 LETTRE DE LA PUGELLE
VOUS Guillaume de la Poule comte de Sulford,
Jehan sire de Talbot, et vous Thomas sire de
Scales, qui vous dites lieutenant dudit duc de
fiedford^ faites raison au roi du ciel; rendez à la
Pucelle, qui est ici envoyée de par Dieu le roi du
ciel, les clefs des bonnes villes que vous avez
prises et violées en France. Elle est ici venue de
par Dieu, pour réclamer le sang royal. Elle est
toute prête de faire paix si vous lui voulez faire
raison ; par ainsi que vous laisserez là la France,
et paierez ce que vous y avez pris. Et entre vous,
archers, compagnons de guerre, gentilshommes
ou autres , qui êtes devant la ville d'Orléans , al-
lez-vous-en en votre pays , de par Dieu. Et si
ainsi ne le faites, attendez nouvelles de la Pu-
celle, qui vous ira voir bien fièrement, à votre
grand dommage. Roi d'Angleterre , si ainsi ne le
faites pas, je suis chef de guerre, et en quelque
lieu que j'atteindrai vos gens en France, je les
en ferai aller , qu'ils le veuillent ou non. Et s'ils
ne veulent obéir , je les ferai tous occire. Je suis
ici envoyée de par le roi du ciel, pour vous
bouter hors de toute France; et s'ils veulent
obéir , je les prendrai à merci ; et n'ayez point en
votre opinion que vous tiendrez le royaume de
Dieu , le roi du ciel , fils de sainte Marie ; ains le
AUX ANGLAIS (1429). 125
ê
tiendra le roi Charles, le vrai héritier, car Dieu
le roi du ciel le veut. Et cela lui est révélé par la
PttceUe, et il entrera dans Paris avechcome com-
pagnie. Si vous ne voulez croire les nouvelles de
par Dieu et la Pucelle, en quelque lieu que nous
vous trouverons, nous frapperons tout a travers^
et ferons un si grand hahay, qu'il n'y en a pas
eu un si grand en France depuis mille ans, si
vous ne faites raison. Et croyez fermement que
le roi du ciel enverra plus de force à la Pucelle
que vous ne sauriez en mener à tous vos assauts
contre elle et ses bons gens d'armes ; et aux ho-
rions, l'on verra qui a meilleur droit. Vous, duc
de Bedford, la Pucelle vous prie que vous ne
vous Êissiez point détruire; si vous lui faites
raison, vous pouvez venir en sa compagnie, où
les Français feroiit le plus beau fait qui oncques
fut fait par la chrétienté ; et faites réponse si vous
voulez faire la paix en la cité d'Orléans : et si
vous ne la faites, de vos biens grands dommages;
il vwis souviendra brièvement. Écrit ce samedi
de la semaine sainte. »
Entrée dans Orléans, elle prit soin d'envoyer
encore signifier une lettre pareille aux chefs an-
glais; ils s'en montrèrent fort courroucés; ils
dirent de grandes injures de la pucelle, l'appe-
|2Ç DÉLIVRANCE
lèrent ribaude et vachère * , menacèrent de la
brûler, s'ils la tenaient ; leur colère était même si
grande , qu'ils retinrent ub des hérauts , et vour
laient le condamner au feu eonune hérétique.
Cependant ils en écrivirent auparavant à rUni-
versité de Paris "•
Si les chefe étaient troublés de la sorte, il est à
croire que les simples gens d'armes et les archers
avaient l'esprit encore plus ému de tout ce qui
se passait. Déjà une des prophéties de la Pucelle
venait de s'accomplir : les vivres étaient entrés à
Orléans, et même 3ans combat, au moment où il
importait si fort de l'empêcher, car la Êonine
commençait à être assez cruelle dans la ville*
Pourquoi n'avait-on pas même essayé d'arrêter
les bateaux qui deux fois avaient passé à un
trait d'arc des bastilles anglaises ^ ? cela n'était-il
pas merveilleux? En outre, il y avait déjà sept
mois que le siège durait; il s'était dès le commen-
cement élevé des doutes parmi les Anglais sur
l'issue de cette entreprise difficile. Leur capi-
taine le comte de Salisbury y avait péri; les Bour-
' Journal da siège. — Chronique de la Pucelle.
* Chartier. — Chronique de Berri.
^ Journal de Paris.
D'obLÉANS (1429).
127
guignons, les Picards, les Flamands venaient de
se retirer en nombre assez grand. On commen-
çait à remarquer quelque ennui et quelque
abattement parmi les gens du si^e. D'ailleurs
ces archers des communes d'Angleterre; qui
étaient les meilleurs du monde, et qui avaient
fait gagner tant de grandes batailles, valaient
toujours mieux dans les premiers temps de leur
service \ Ils savaient mal supporter la misère et
les fatigues de la guerre ; il leur fallait être bien
nourris % Plus ils allaient, moins ils obéissaient
à leurs capitaines; surtout ils se gardaient fort
mal , comme on avait déjà vu au siège de Mon-
targis ^
Lorsque Jeanne sut qu'on retenait Guyenne,
son héraut, elle voulut renvoyer Ambleville
pour redemander son compagnon ; et comme il
avait peur ^, c En mon Dieu, ils ne feront, disait-
< elle, aucun mal à toi ni à lui ; tu diras à Talbot
< qu'il s'arme, et je m'armerai aussi : qu'il se
« trouve devant la ville; s'il me peut prendre,
c qu'il me fasse brûler ; si je le déconfis , qu'il
' Philippe de Comines.
^ Shakspeare.
' HoUÎDshed.
4 Chronique de la Pucclle. — Déposition de TEsbahi.
128 ^ DÉLIVRANCE'
€ lève le siège, et que les Anglais s'en aillent
c dans leur pays. » Tout cela ne rassurait pas
Âmbleville; mais le Bâtard le chargea de dire
que les prisonniers anglais et les hérauts envoyés
pour traiter des rançons répondaient de ce qui
serait fait aux hérauts de la Pucelle. De la sorte»
Guyenne fut renvoyé.
Dès le lendemain de son arrivée, Jeanne avait
voulu que> sans plus attendre, on allât attaquer
les Anglais. La Uire et le brave sire d'Illiers
étaient assez de cet avis ; le Bâtard et les autres
capitaines ne pensaient nullement que ce f&t une
chose à entreprendre. Ils concertaient leurs pro-
jets avec plus de prudence. Un secours considé-
. rable devait être envoyé de Blois , et une portion
de toutes les garnisons françaises des environs
avait ordre de venir se réunir à Orléans. Mais
Jeanne, qui obéissait à ses voix, et qui croyait
que le roi l'avait faite maîtresse de Tannée, ne cé-
dait pas facilement. Le sire de Gamachès^ irrité
de ce ton de commandement et de la soumission
qu'on lui montrait, ne put se contenir ' : c Puis-
€ qu'on écoute, dit-il, l'avis d'une péronnelle de
< bas lieu mieux que celui d'un chevalier tel que
* Vie de Guillaume de Gamaches.
d'oRLÉÀNS <I4&9}. 1S9
c je suis, je ne me rebifferai |duâ ^onti^; en
€ temps et lieu ce sera ma bonne épëe qui pat* •"
« lera, et peut-^tre y përirai-je, mais le roi et
€ mon honneur le veulent ; désormais je dé&is
c ma bannière , et je ne suis plus qu^un pauvre
c écuyer. J'aime mieux avoir pour maître un no-
c ble homme , qu'une fille qui, auparavant, a peut-
€ être été je ne sais quoi. » Ployant sa bannière ^
il la remit au Bâtard.
Celui-ci n^était point de l'avis de Jeanne , mais
il voyait qu'elle était fort à ménager, et mettait
bonne espérance en elle '. Il s'employa à apaiser
elle et le seigneur de Gamaches. Ils s'embrassè-
rent fort en rechignant, et l'on fit enfin entendre
raison à Jeanne. Elle consentît à remettre l'atta-
que; le Bâtard et le sire Daulon promirent de se
rendre à Blois pour hâter le départ des renforts.
Dès le lendemain , elle alla avec la Uire et une
bonne partie de la garnison les escorter sur la
route de Blois. Les Anglais les laissèrent passer ;
ils n'attaquaient plus, et ne faisaient que se dé-
fendre dans leurs bastilles contre les escarmou-
ches des gens d'Orléans.
' Dépositions de Loub de Contes, de Jean Danlon , dii comte de
Dunois.
TOMI T. 5' KOIT. Q
130 DâUVRANCË
La PuGçUe aTsdt voulii répéter de vive yoix aux
ennemis les avertissemens de sa lettre ; montant
sur un des boulevards des assiégés » en face de la
bastille anglaise des Tournelles, à portée de la
voix., elle leur avait commandé de s'en aller,
sinon il leur adviendrait malheur et honte. C'était
sir Guillaume Gladesdale , que les Français nom-
maient Glacidas , qui commandait en ce lieu '. Lui
et le bâtard de Granville ne répondirent que par
les plus vilaines injures ^ renvoyant Jeanne à gar-
der ses vaches, et traitant les Français de mé-
créans. « Vous mentez, s'écria-t-elle, et malgré
c vous bientôt vous partirez d'ici ; une grande
< part de vos gens seront tués; mais vous, vous
€ ne le verrez pas '. >
Pendant qu'on attendait les secours de Blois ,
et que les hommes des garnisons de Montargis ,
de Gien , de Château-Regnard et autres forteresses
arrivaient k Orléans, Jeanne, pour contenter le
peuple qui ne pouvait se lasser de la voir ^ , et qui
eût presque forcé la porte de son logis, se pro-
mena plusieurs fois par la ville. Du reste , c'était
' Journal du siëge.
> Journal de Paris.
3 Journal du siège.
d'Orléans (1429). 131
toujours la même piété , la même modestie ; tou-
jours de longues prières à l'église, qui la jetaient
dans les larmes ; toujours le nom de Notre-Dame
et de Dieu à la bouche; toujours le même cour-
roux contre les gens de mauvaise conduite ou
qui juraient par blasphème; toujours la même
assurance dans les promesses qu'elle faisait au
nom de Messire.
Le bâtard d'Orléans avait sagement fait de ve-
nir à Blois, car les conseillers et surtout le chan-
celier délibéraient tout de nouveau pour savoir si
l'on ferait une autre entreprise sur Orléans. Le
Bâtard et les autres représentèrent que tout était
perdu, si on laissait se rompre la compagnie des
gens d'armes qu'on avait. assemblés à Blois. Sur
ses prières et ses assurances, on se résolut à en-
voyer le convoi par la Beauce ; il était plus fort
que l'autre fois, et la garnison d'Orléans pouvait
aussi le seconder mieux '.
Dès qu'on sut qu'il arrivait, la Pucelle, à la
tête de ceux de la ville, avec la Hire, d'IUîers et
d'autres chevaliers, s'en alla au-devant du bâtard
d'Orléans, du sire de Raiz, du maréchal de Bous-
^ Chronique de la Pueelle. -— Dépositions de Dunois et de
Daulon. — Chartier.
132 DÉLIYRANCfi
sac. Les uns et les autres passèrent entré lé& hsts^
tiUes des Anglais, qui ne bougèrent point. Le
comte de Suffolk » inquiet de voir ses gens trou-
blés par l'idée du miracle de la Pucelle, ne
voulait point se risquer ^ De même qu'on avait
vu , peu auparavant, huit cents Français ne pas
oser attendre deux cents Anglais, maintenant
quelque centaines de Français tenaient enfermée
dans les bastilles toute la puissance des Anglais.
Et plus le comte de Suffolk et les chefs anglais
évitaient le choc , plus leurs hommes s'épouvan-
taient de la Pucelle. Le convoi de Blois entra donc
dans la ville, précédé de frère Pasquerel et de la
procession des prêtres.
Dès le jour même , le Bâtard vint visiter Jeanne ,
et lui dit qu'il avait su en route que Fastolf,
cdui qui avait gagné la journée des Harengs ,
allait venir pour conduire aux ennemis du ren-
fort et des vivres ; elle en sembla toute réjouie " :
c Bâtard , Bâtard , s'écria^-t-elle , au nom de Dieu ,
c je te commande , sitôt que tu sauras la venue de
c ce Fascot, de me le dire; cai^, s'il passe sans
c que je le sache ^ je te promets que je te ferai
' Hume. — Déposition da comte de Danois.
> Déposition de Daulon.
D*ORLÉAIfS (IM9). 133
< couper la tête. » Le bâtard d'Orléans l'assura
bien qu'elle le saurait.
La journée avait été fatigante; Jeanne se jeta
sur son lit et voulut dormir ; mais eUe était agitée.
Tout à coup elle dit au sire Daulon , son écuyer :
c Mon conseil m'a dit d'aller contre les Anglais ;
« mais je ne sais si c'est contre leurs bastilles ou
c contre ce Fascot II me Êiut armer. » Le sire
Daulon commença à l'armer ' ; pendant ce temps-
là elle entendit grand bruit dans la rue : on criait
que les ennemis disaient en cet instant grand
dommage aux Français. < Mon Dieu , dit-elle * , le
< sang de nos gens coule par terre ! Pourquoi ne
c m'a-t-on pas éveillée plus tôt? Âh! c'est mal
< Êdt... Mes armes, mes armes!... mon cheval! »
Laissant là son écuyer, qui n'était pas encore
armé, elle descendit; son page était sur la porte
à s'amuser : < Ah! médiant garçon, dit^lle, qui
< ne m'êtes point venu dire que le sang de France
c est répandu! ÂUons vite, mon cheval! > On le
lui amena; elle se fit donner, par la fenêtre, sa
bannière qu'elle avait laissée; sans rien attendre ,
elle partit, et arriva au plus vite à la porte Bour-
' Déposition de Daulon.
> Déposition de lirère Païquçre).
1 34 DÉLIVRANCE
gogne, d'où seoiblait venir le bruit Gomme elle
y arrivait, elle vit porter \m (tes gens de la ville
qu'on ramenait tout blessé. < Hélas! diteHe, je
« n'ai jamais vu le sang d'un Français sans que
« les cheveux se dressent sur ma tête ' ! >
Encouragés par l'entrée du convoi et par la
cont^Eiance timide des Anglais « quelques hommes
d'armes , sans consulter les chefs» avaient, c(»nme
cela était assez la coutume, &it une sortie et
poussé jusqu^à la bastille Saint -Loup, la plus
forte qu'eussent les Anglais du côté du levante
L'assaut avait été fier et mervdlleusement rude;
le {premier boulevard était anporté, mais les as-
saillans étaient en trop petit nombre , et ils étaiait
obligés de prendre la Aûte '. Pour lors arrivèrent
la Pucelle, le Bâtard et une foule d'hommes d'ar-
mes. Jamais, depuis le commencement du siège,
il n'y avait eu autant de gens pour défimdre Or-
léans. A la vue de la Pucelle et d'un si puissant
secours , les Français poussèrent des cris de joie
et retournèr^t à l'assaut. Le capitaine anglais,
novuné sir Thomas Guerrard , se trouvait absent ^.
> Déposition de Daulon.
* Chonique de la Pucelle. — Journal du çiége.
^ Chronique de Berri.
D^ORLÉANS (i»9). 136
Néanmoins la bastille fut vaillamment défendue
pendant près de trois heures. Talbot et les autres
chefs anglais voulurent la secourir; mais il y avait
des sentinelles sur les clochers, et le beffroi aver-
tissait de tous les mouvemens de l'ennemi ; ainsi
les gens de la ville pou^ient toujours arriver les
premiers vers le lieu où se portaient les Anglais.
Talbot trouva le maréchal de Boussac, le sire de
GraviUe, le baron de Coulonges et bien d'autres
chevaliers , écuyers , gens de guerre et bourgeois
de la ville, en bataille devant lui. Il n'osa point
attaquer , et retourna plein de tristesse et de cour-
roux vers les boulevards du couchant , où il tenait
ses quartiers. Bientôt après, la bastille Saint-Loup
fat emportée. Presque tous les Anglais qui la dé-
nudaient périrent; on ne fit point de prisonniers;
tout fat passé au fil de l'épée. Jeanne était bien
triste de voir tant de gens mourir sans confes-
sion; elle en sauva quelques uns qui s'étaient
déguisés en prêtres, ayant pris des robes dans
l'église Saint-Loup \
Cette journée était bien grande pour la gloire
de la Pucelle ; elle avait combattu avec un courage
* Déposition de Louis de Contes et de frère Pasquerel. — Chro-
nique de la Pucelle.
d'oRLÉANS (1429). 137
ville ; c'était ce qu'elle-même avait demandé au-
paravant, mais elle vit bien qu'on lui cachait quel-
que chose. < Dites ce que vous avez conclu, ré-
c pondiirelle avec courroux ; je saurai garder ce
c secret et de plus grands. > Alors le Bâtard tâcha
de l'apaiser ; il lui dit qu'on lui avait bien déclaré
la vérité, mais que si les Anglais dégarnissaient
la rive gauche , alors on passerait la rivière pour
attaquer de ce côté'. Elle fut contente de ce
projet; tout Ait préparé; elle recommanda, plus
que jamais, qu'aucun homme d'armes n'eût
Faudace de venir à l'attaque sans s'être confessé.
Elle donna l'exemple elle-même, et reçut la
communion.
Puis elle voulut avertir encore les Anglais , et
alla près de leurs boulevards, où un archer, par
ses ordres, lança une flèche qui portait une troi-
sième copie de sa lettre. < Lisez , > leur cria-t-elle.
Ce fiit pour eux une occasion de lui adresser, de
toute leur voix, des injures si cruelles et si offen-
santes, qu'elle ne put s'empêcher de pleurer.
< Ah! dit-elle, Messire, le roi des cieux, voit que
ce ne sont que menteries. » Et bientôt après elle
* Chronique de la Pacellc. — Charticr. — Daulon. — > Journal
du siège.
d'oRLÉANS (1429). 139
traversa avec la Hire, dans une petite harque,
en traînant leurs chevaux par la bride, c Ah!
« mon Dieu» dit-elle, courons sur les Anglais. »
Ils couchèrent leurs lances, et tout des premiers
s*en allèrent frapper à travers les ennemis ; ceux-
ci épouvantés prirent la foite honteusement. Bien-
tôt le sire de Raiz et beaucoup d'autres arrivèrent ;
on poussa jusqu'aux palissades de la bastille an-
glaise ; c'était à qui marcherait le plus tôt avec la
Pucelle. Le sire Daulon, et un Espagnol nommé
le sire de Partada, avaient été commis à la garde
du pont de bateaux. Un homme d'armes vint à
passer ; ils voulurent qu'il restât avec eux pour
défendre ce passage, si important en cas de re-
traite'. L'autre répondit avec dédain t qu'il n'en
«ferait rien. — D'aussi vaillans que vous y de-
< meureait bien, reprit l'Espagnol. — Mais non
« pas nHH , » répliqua le chevalier. La querelle
s'engagea si bien qu'ils se défièrent à c[ui se mon-
trerait plus vaillant à l'attaque de la bastille. Se
prenant par la main , ils coururent alors de toutes
leurs forces jusqu'à l'assaut. Daulon les suivit, et
le pont ne Ait plus gardé par personne. Un grand
et fort Anglais défendait un des passages des pa-
' JDépositioD de Daulon.
i40 DÉLIVRANCE
lissades. Daulon alla appeler un fameux canon-
nier, maître Jean, du pays de Lorraine, qui avait
fait gr^d mal aux Anglais durant tout le siège.
Il ajusta cet Anglais, et du premier coup le jeta
mort par terre. Le sire de Partada et son com-
pagnon forcèrent la palissade ; tout le monde les
suivit; la bastille Ait prise, et presque tous les
Anglais tués. De peur que le pillage ne détournât
ses geiis, la Pucelle fit mettre le feu à la bastille.
On passa la nuit sur la rive gauche. La Pucelle
avait été un peu blessée au pied ; elle avait jeûné
tout le jour, parce que c'était vendredi , et ne vou-
lait cependant point rentrer en la ville, ni laisser
ses gens en péril. Elle y consentit enfin '.
Cependant rien ne se faisait et ne s'exécutait
selon ce que les capitaines avaient conclu dans
leur conseir. Toute Fattaque se portait sur la
rive gauche, et Ton ne tentait rien contre la plus
grande puissance des Anglais , qui se trouvait de
Tautre côté. La nuit même ils retirèrent leurs
gens de la bastille Saint-Privé, pour se renforcer
encore davantage sur la rive droite. Alors , dans
un esprit de prudence , il fiit résolu par les chefs
' Chronique de la Pucelle. — Déposition de Louis de Conter-
■ Char lier.
DORLËANS (I4d9). 14t
français, sinon d'attendre de nouveaux renforts
qui maintenant arriveraient sans obstacle , du
moins de ne plus laisser toute la ville se dégarnir
et rester sans défense contre les Anglais, tandis
qu'on assaillirait les Toumelles '•
Mais la Pucelle disait : c Vous avez été à votre
< conseU> et j'ai été au mien. Croyez que le con-
c seil de Messire tiendra, et que celui des hommes
< périra. Qu'on se tienne prêt de bonne heure,
c j'aurai demain beaucoup à faire, plus que je
c n'ai eu jusqu'à présent. Il sortira du sang de
c mon corps, je serai blessée/. »
Le sire de Gaucourt , gouverneur de la ville, et
tous les capitaines du roi, qui étaient restés, ré-
solurent de ne point céder à la volonté de Jeanne ,
et de ne point lui laisser eounener, comme elle le
voulait, de l'autre côté de la rivière, tous les gens
de la garnison et l'artillerie. Mais elle avait pour
elle les bourgeois et le peuple. On fit tout ce qu'on
put pour la retenir. Son hôte, trésorier du duc
d'Orléans, lui disait : « Jeanne, restez à dîner
c avec nous pour manger cette alose qu'on vient
€ d'apporter. — Gardez-la pour souper, reprit-
' Déposition de frère Pasquerel.
* Chronique de la Pucelle. — Dépositions de Louis de Contes et
de Simon Charles » d*après le sire de Gaucourt^
142 DÉLIVRANCE
c elle; je reviendrai ce soir» en repassant sur le
c pont de la ville» et vous ramènerai quelque
< goddem» pour en manger sa part. » EUe partit,
mais le sire de Gaucourt avait fait fermer la porte
Bourgogne, par où il fallait sortir, et avec quel-
ques hommes d'armes se tenait devant pour em-
pêcher le passage. Le peuple et même les gens
d'armes, émus par les paroles de la Pucelle, s'é-
taient assemblés en tumulte , et demandaient avec
menaces qu'on ouvrît la porte, c Vous êtes un mé-
c chant homme, cria la Pucelle au gouverneur;
c mais, que vous le veuilliez ou non, les gens
€ d'armes viendront et gagneront aujourd'hui,
< comme ils ont déjà gagné. » Tout le monde se
jeta sur le sire de Gaucourt et sur sa suite ; il y
faillit périr. La Pucelle sortit , emmenant une
foule avec elle. Durant ce temps , les bourgeois
s'apprêtaient aussi à attaquer la bastille des Tour-
nelles par la rivière, en se servant des arches
rompues du pont. Cette bastille, merveilleuse-
ment forte, était établie sur le bout du pont; un
fossé rempli par la rivière la fermait du côté de
la terre ' , et en avant de ce fossé, sur le rivage,
les Anglais avaient établi un redoutable boule-
' Monstrelet.
d'orléans (i4S9). 143
vard qu'il fallait emporter avant d'attaquer la
bastille* Sir Guillaume Gladesdale, un des plus
terribles chevaliers anglais, y commandait. Il
avait avec lui la fleur des meilleurs gens de guerre
et une nombreuse artillerie.
L'assaut fut rude; il conunença sur les dix
heures du matin; tous les chevaliers de France
étaient là; le bâtard d'Orléans, les sires de Raiz,
de Gaucourt, de Graville, de Guitry, de^ Villars,
deGhailly, deCoaraze, d'IUiers, de Thermes, de
Gontaut^ l'amiral Gukmt, la Hire, Saintraille.
Les Anglais se défendaient avec une vaillance et
une hardiesse de maintien que rien n'ébranlait.
A coups de canon et de flèches ils écartaient les
assaillans , et lorsque les Français dressaient leurs
échelles, ils les renversaient avec les haches, les
maillets de plomb et les guisarmes. Enfin , vers
une heure après midi , la Pucelle, qui s'était mon-
trée avec autant de valeur que personne, qui n'a-
vait cessé de les encourager tous et de crier que
l'heure approchait où les Anglais allaient être dé-
confits, voyant que les Français commençaient à
être las et abattus, prit une échelle, l'appliqua
contre le rempart, et y monta la première'. Au
* Dépositions de Thibaat d'Armagnac et de Robert, de Sariaux..
— Interrogatoires de la^ Pucelle.
d'oRLÉÂNS (1429). 14S
« Donc si Ton peut, sans pécher, guérir ma bles-
« sure , je le veux bien. » On mit sur sa plaie un
appareil d'huile et de vieux lard; elle continua à
prier avec ferveur.
Cependant sa blessure et tant d'heures passées
à un assaut inutile avaient jeté les Français dans
le découragement et la fatigue. Les capitaines
firent sonner la retraite, et ordonnèrent d'emme-
ner les canons. Jeanne pria le bâtard d'Orléans
d'attôndre encore un peu', c En mon Dieu, répé-
€ tait-elle, nous entrerons bientôt; Êiites un peu
€ reposer nos gens : buvez et mangez, i Elle re-
prit ses armes, remonta à cheval ; mais, avant de
retourner a l'attaque , elle se retira seule dans une
vigne voisine pour prier Dieu. '
Son étendard était resté aux mains de celui qui
le portait, au, bord du premier fossé, devant le
boulevard. Le sire Daulon , que cette retraite affli-
geait beaucoup , imagina que si cet étendard, au-
quel les gens de guerre avaient si grande affec-
tion, était porté en avant, on le suivrait. Il le
remit à un brave serviteur du sire de Villars, et
tous deux seuls ils descendirent dans le fossé. La
Pucelle, qui vit de loin remuer son étendard , ar-
' Dépositions de Dunois , de Daulon^ de Contes.
i
jout, r. j" eoiT. lo
146 DÉLITRANCK
rÎTa sor-le-champ, le saisit et voulut le ravoir.
Ces mouvemens, qui agitaient la bannière, paru-
rent aux Français un signal de la Puœlle, ^
^bientôt ils reprirent Tattaque avec un noweau
courage; tandis que les Anglais, eSrayés de la
revoir sur le bord du fosse, quafid ils la croyaient
à demi-morte de sa blessm^e , se troublèrent et se
remplirent d'épouvante.
En même temps Tattaque des bourgeois com-
mençaôC du côté de la ville ; les canons et les cou-
leuvrines tiraient ainsi de part et d'autre sur le
fort des Toumelles \ Les ÂnglaiS'Commençaient à
manquer de poudre. Bientôt les gens d'Orléans ,
à Taide d'un brave charpentier, placèrent une
poutre sur Tarche brisée qui les séparait des
Tournelles. Le commandeur de Giresmé yf
passa le premier. Les Anglais se trouvaient ainsi
entre deux assauts; leur firayeur s'en allait crois-
sant; il y en avait qui voyaient en l'air l'ar-
change saint Michel, et saint Aignan, le patron
d'Orléans, montés sur des chevaux blancs et
combattant pour les Français. Il n'y avait plus .
à se défendre. Sir Guillaume Gladesdale voulut
alors abandonner le boulevard qu'il avait si bien
* Journal du siëge. — Chronique de la Pucelle.
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celle, ainsi qu'elle lavriir - />* -o. /- .; ^ . . ^.)u
ville '^ar lejoiU. U;- ^I.i8:j\;»;i i.^ipef -, iim'»
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Elle avait iite îile^. : v. Tîr ;. : /v.^^t-.
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plus eu pîus niir:icu..ux, ^'..b a:;^!^.' • ,.;-.
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b'orléans (14129). 14T
gardé, et se retirer daps la bastille eUe-méme,
derrière le second fossé. < Rends-toi , lui criait de
< loin la Pucelle , rends-toi au Roi des cieux ' . Ah I
€ Glacidas, tu m'as vilainement injuriée; mais
€ j'ai grand'pitié de ton ^e et de celle des
€ tiens. » Un pont-levis conmiuniquait du bouje-
vard à la bastille. Pendant que le chef aillais y
passait avec une foule de ses gens» une bombarde
dir^ée par l'ordre du sire Baulon brisa ce pont
Sir Guillaume Gladesdale tomba dans Feau et se
noya. Avec lui périrent le sire de Pommiers , le
sire de Moulines et d'autres chevaliers anglais ou
du parti anglais^ au grand regret des assaiUans,
qui en espéraient de bonnes rançons. Oa entrai
donc dans la bastille sans nouveau combat ; le pont
fut rétabli à la hâte avec des planches, et la Pu-
celle , ainsi qu'elle l'avait annoncé , rentra dans la
ville par le pont. Glacidas avait aussi péri, comme
elle le lui avait dit quelques jours auparayanti
Elle avait été blessée, après l'avoir prévu souvent
et depuis long-temps. Tout se montrait en elle de
plus en plus miraculeux; Bien, qu'elle f&t accomr
pagnée de tant de braves chevaliers qui , certes ,
avaient vaillamment combattu , la victoire sem-
' Déposition de frère Pasquerel .
148 DÉLIVRANCE
blait seulement son ouvrage'. Aussi l'on peut
imaginer quel triomphe ce fut que sa ren-
trée dans Orléans; les cloches sonnèrent toute
la nuit; le Te Deumhit chanté; chacun répétait
à l'envi les merveilleuses circonstances de la
journée ; c'était à qui en ferait les plus incroyables
récits '.
Mais ce qui semblait plus surprenant, c'est que
les Anglais de la rive droite n'avaient pas fait le
moindre signe de secourir la bastille des Tour-
nelles, ni d'attaquer la ville, durant qu elle était
dégarnie de ses meilleurs défenseurs. Pendant la
nuit, et au bruit des réjouissances d'Orléans,
le comte de Suffolk , le lord Talbot et les autres
chefs anglais s'assemblèrent en conseil, et réso-
lurent de lever le siège, de crainte qu'il ne leur
en arrivât autant qu'à sir Guillaume Gladesdale.
Cependant ils ne voulurent point se retirer avec
honte. Dès la pointe du jour, après avoir mis le
feu à leurs logis et à leurs bastilles, ils rangèrent
tous leurs gens en bataille jusque sur les fossés
de la ville, et là ils semblaient offrir le combat
' Dunois , Daulon, Pasquerel, Gbronique de la Pucelle, Journal
du siège , Journal de Paris , Monstrelet.
' Interrogatoires de la Pucelle . — Lettres du seigneur de Rotslaër .
— Frère Pasquerel.
n'ORLÉANS (1429). 149
aux Français. A cette vue , les capitaines qui étaient
dans Orléans sortirent, et plusieurs d'entre eux
auraient voulu sans doute accepter ce défi ; mais
la Pucelle, que sa blessure tenait au lit, se leva
tout aussitôt, se revêtit de cette armure légère
faite en maille de fer qu'on nommait jaseron, et
courut aux portes de la ville. Les Français se met-
taient déjà en ordre pour combattre, mais elle
leur défendit d'attaquer. « Pour l'amour et l'hon-
€ neur du saint dimanche, ne les attaquez point
«les premiers, et ne leur demandez rien; car
€ c'est le bon plaisir et la volonté de Dieu qu'on
< leur permette de s'en aller, s'ils veulent partir;
« s'ils vous assaillent, défendez-vous hardiment ;
€ vous serez les maîtres '. >
Pour lors elle fit apporter une table et un mar-
bre béni; on dressa un autel, les gens d'église se
mirent à chanter des hymnes et des cantiques
d'actions de grâces, puis on célébra deux messes.
« Regardez, dit-elle; les Anglais vous tournent-ils
« le visage ou bien le dojs? » Ils avaient commencé
a faille leur retraite en bel ordre, leurs étendards
déployés.; «. Laissez-les aller ; Messire ne veut pas
€ qu'on combatte aujourd'hui; vous les aurez
• Journal du siège — Dépositions de divers liabifans d'Orléans,
150 1.A FirCELLE CONSEILLE
< une autre fois. > Mais elle eut beau dire : < Ne
c les tuez pas, il suffit de leur départ, » beaucoup
de gens se mirent à les poursuivre, et à firapper
sur les traînards et les bagages. Leurs bastilles
furent trouvées pleines de vivres, d'artillerie, de
munitions ; ils avaient abandonné leurs malades
et beaucoup de leurs prisonniers.
Jeanne, le bâtard d'Orléans et tous les chefs de
guerre retournèrent aussitôt après vers le roi.
Il fit, comme on peut penser, grand accueil et
grand honneur à la Pucelle. EUe, sans phis tar-
der , voulait qu'il allât se faire sacrer à Rheims.
«Je ne durerai qu'un an, ou guère plus, di-
« sait-elle, il me faut donc bien employer'. »
Cependant rien ne se décidait ; beaucoup de ca-
pitaines et de conseillers étaient d^opinion qu'il
fallait attaquer les Anglais en Normandie, où était
leur plus grande puissance , afin de les chasser
du royaume , tandis qu'en marchant vers la Cham-
pagne , on leur laissait libre tout le pays de France
à l'entour de Paris et d'Orléans. Jeanne donnait
pour ses raisons que sitôt après le sacre, la puis-
sance des ennemis s'en irait toujours diminuant ,
et que ses voix le lui avaient dit. Tant de retards
* Déposition du duc d'Alençon.
DE MAKGH£R SUR RHEIM8 (I4S9). 181
la chagrinaient beaucoup '• Enfin » un jour que le
roi tenait conseil àviec Tévéque de Castres son
confesseur» et Bobert-le-Masson sire de Trêves,
qui avait toujours grande part à sa confiancev et
qui avait exercé quelque temps Toffice de chan-
celier de France, la Pucelle viiit frapper douce-
ment à la porte. Le roi, sachant que c'était elle,
la fit entrer; elle embrassa ses genoux : c Noble
< Dauphin, dit-elle, ne tenez pas tant et de si
< longs conseils , venez recevoir votre digne sacre
c à Rheims. On me presse beaucoup de vous y
€ mener. » L'évéque de Castrer vit bien qu'elle
voulait parler de ses visions. < Jeanne, dit-il, ne
c pouvez-vous pas déclarer devant le roi la ma-
« nière dont votre conseil vous a parlé? — Ouï,
< ajouta le roi, voulez-vous pas nous le dire? —
c Ah! je vois, reprit-elle avec un peu d'embar-
c ras, vous pensez à la voix que j'ai entendue
< touchant votre sacre; eh bien! je vous le dirai:
c je me suis mise en oraison, en ma manière ac-
€ coutumée , et je me complaignais que vous ne
c vouliez pas croire ce que je disais ; pour lors la
c voix est venue, et a dit: Va, va, ma fille, je
< serai à ton aide, va! Quand cette voix me
* Déposition de Dunois. -* ChrpDique de ia Pucelle.
1
152 LA PCGELLE. CONSEILLE
c vient, je me sens réjouie merveilleàseioenf, et
c je voudrais que cela durât toujours. » Et elle
levait les yeux au cid , conune tout heureuse et
attendrie.
Tout ce qu^elle avait accompli déjà donnait tant
de confiance, le peuple avait tant de foi en elle,
et Tadorait si bien comme venant de Dieu, qu'on
résolut de songer au voyage de Rheims. Cepen-
dant il n'y aurait eu nulle prudence à l'entre-
prendre avant d'avoir chassé 1^ Anglais des viUes
qu'ils occupaient entre la Loire et la Seine, sur
les routes d'Orléans à Paris. On assembla de nou-
veau les nobleis et les gens de guwre, qui s'étaient
séparés faute d'argent. Le duc d'Alençon venait
d'achever le paiement de sa rançon; il fut le chef
de l'armée. La duchesse sa femme ne le voyait
point partir sans chagrin : < Nous venons ,' disait-
€ elle, de dépenser de grandes sommes pour le
« racheter des Anglais, et s'il me croyait, il de-
€ meurerait. — Madame, disait Jeanne, je vous
< le ramènerai sain et sauf, voire même en meil-
« leur contentement qu'a présent, soyez sans
« crainte. » Sur cette promesse, la duchesse fut
rassurée.
L'assemblée des hommes d'armes n'était pas
encore nombreuse. On partit de Selles en Berri,
DE MAHCHER SUR RHEIMS (1429). 1S3
OÙ était venu le roi , et lorsqu'on fut arrivé près
d*Orléans, un renfort, conduit par le Bâtard et
le sire d'IUiers, en sortit et vint rejoindre le duc
d'Alençon. Le tout ne faisait cependant que douze
cents lances ; avec leurs archers et leurs coutil-
liers, c'était trois mille six cents hommes. On avait
résolu d'attaquer Jargeau, qu^ défendaient lecomte
de Suffolk , ses deux frères et d'autres chefs an-
glais; mais il y avait du péril à tenter l'entreprise
avec si peu de monde. Les capitaines consulté-
rent entre eux ' ; la Pucelle voulait toujours qu'on
attaquât: c Ne faites point difficulté de donner
c assaut à ces Anglais , car Dieu conduit votre œu*
« vre ; et n'était cela , j'aimerais mieux garder mes
€ brebis que de venir en de tels périls. » Nonobs-
tant la puissance des paroles de Jeanne, on passa
par Orléans, où devaient encore s'assembler d'aur
très gens d'armes; car il en venait de tous côtés,
et c'était l'argent seul qui manquait pour payer
leur solde.
Enfin, le 11 juin, le duc d'Alençon, avec tous
les vaillans chevaliers qui avaient défendu Or-
léans , s'en vint devant Jargeau. Le comte de Suf-
folk était sorti de la ville et avait rangé sa garni-
V Déposition du duc d'Alençon.
1 S4 PRISE
son en bataille; les Français ne s'y attendaient
point; ils arrivaient en mauvais ordre. Assaillis
à la hâte, le trouble se mît parmi eux. Déjà la
journée semblait perdue; mais la Pucelle ne per-
dit point courage; die prit son étendard, et se
porta la première en avant contre les Anglais.
Ses paroles, son bon exemple, Fassurance que
tous les gens de guerre mettaient en elle , rétabli-
rent le combat. Les Anglais ne s'épouvantèrent
point; maïs ils ne purent soutenir l'effort des
Français ; ils rentrèrent dans Jargeau.
Le lendemain, les canons et les bombardes
commencèrent à tirer sur la ville. Les assiégés
avaient aussi une forte artillerie. Le duc d'Alen-
çon s'étant trop avancé, la Pucdle lui cria de
s'éloigner , que la bombarde ennemie allait tirer
sur lui. Il se recula, et au moment même le
sire du Lude fut tué au lieu où il était. Ce prince
était déjà un de ceux qui avaient le plus de
croyance et d'affection pour Jeanne; il admira
bien plus encore la science que Dieu avait mise-
en elle.
Il fallait presser ce siège, car les Anglais at-
tendaient de Paris un renfort considérable , qu'ils
demandaient sans cesse au duc de Bedford , et que
devait commander sir Jean Fastolf , ce capitaine
DE lARGEAU (1429). 1S&
si redouté des Français '. La crainte de le voir
arriver troublait le cœur de plus d'un honune
d'armés; la Pucelle les rassurait tous. Enfin, le
troisième jour, il y eut brèche suffisante. Le comte
de Suffolk demanda alors à traiter, promettant
de rendre la ville dans quinze jours , s'il n'était
pa6 secouru. On lui répondit que tout ce qu'on
pouvait accorder aux Anglais, c'était la vie sauve
et la permission d'emmener leurs chevaux. « Au-
Y trement , ils seront pris d'assaut , » disait là
Pucelle.
En effet, on s'apprêtait à le donner : < En
< avant, gentil duc; à l'assaut! » cria Jeanne. Le
prince pensait qu'on devait attendre encore un
peu. c N'ayez doute , répliqua-t-elle ; l'heure est
c prête quand il plait à Dieu; il veut que nous
^ allions en avant, et veut nous aider..... Ah!
c gentil duc, as-tu peur? Tu sais que j'ai promis
€ à ta femme de te ramener *. »
L'assaut commença ; les gens d'armes se jetè-
rent de tous côtés dans le fossé et le comblaient
de fascines. Ils dressaient leurs échelles ; mais les
Anglais se défendaient si bien, que le combat
' Continuation du Journal du siège.
^ Déposition du duc d'Âlençon.
156 LE CONNÉTABLE
était terrible. Il durait depuis quatre heures; le
comte de Suflblk fit crier qu'il voulait parler au
duc d' Alençon ; il ne fiit point écoute. La Pucelle ,
portant son étendard , fit planter une échelle à
l'endroit où la défense semblait la plus âpre , et
monta hardiment. Une grosse pierre , roulée du
haut de. la muraille, tomba sur sa tête, se brisa
sur le casque , et la renversa dans le fossé. On la
crut morte , mais elle se releva au même moment.
«( Sus, sus, amis, criait-elle; notre Sire a con-
c damné les Anglais ; à cette heure ils sont à
€ nous. »
L'assaut recommença avec une nouvelle vail-
lance, et sans tarder la ville fut emportée. Les
gens d'armes se mirent aussitôt à poursuivre lès
Anglais par les rues , et en faisaient un grand car-
nage jusque dans les maisons où ils se cachaient.
Le comte de Suffoll^ venait de voir périr son frère
Alexandre de la Poole , lui-même était prêt à tom-
ber entre les mains des gens des communes, qui
n'épargnaient personne '. Il s'adressa à un homme
d'armes qui le poursuivait : c Es-tu gentilhomme?»
lui demanda-t-il. « Oui i», répondit celui-là, qui
était un écuyer du pays d'Auvergne , nommé
' Chronique de la Pucelle.
VIENT A l'armée DU ROI (1429). 157
Guillaume Regnault. « Ës^tu chevalier? » continua
le chef des Anglais. « Non , > reprit loyalement
récuyer. < Tu le seras de mon fait, » dit le comte
de Suffolk. Il lui donna l'accolade avec son épée>
puis la lui remit et se rendit son prisonnier. Jean
de la Poole , son frère, s'était aussi livré à rançon.
Le duc d' Alençon et Jeanne réussirent à les sau*
ver avec une quarantaine d'autres Anglais, en les
envoyant à Orléans sur un bateau* Le reste fut
tué dans le désordre de l'assaut ; et même, comme
il advint quelques débats entre les gentilshonunes
sur le fait de leurs prisonniers , les gensde guerre
de moindre état en profitèrent pour les mettre à
mort. Le tumulte était si grand , qUe l'église ftit
pillée , malgré les ordres de la Pucèllé.
De retour a Orléans, on y trouva encore de
nouveaux capitaines « car les'^seigneurs arrivaient
maintenant de toutes parts. Ceux qui n'avaient
pas assez d'argent pour s'équiper y venaient
comme a)utilliers ou simples ai*chers, ïnontés
sur de petits chevaux. Le comte de Vendôme,
le sire de Loheac, son frère Guy de Laval, le
seigneur de la Tour -d'Auvergne, et beaucoup
d'autres encore, vinrent se joindre au duc d'A-
lençon et à la Pucelle. Tout aussitôt les Français
marchèrent vers Meung-^sur-Loire ; ils gagnèrent
Iâ8 L£ GONNÉTÀBI^E
le pont, et laissant le château occupé par «ne
petite garnison anglaise, que conunandait lord
Seadcây ils allèrent devant Beaugency , où com-
mandait le ^tBÊtanx. lord Talbot. Il ne se trouva
point assez fort; plaçant wae garnison dans la ci-
tadelle, il prit sa route vers JanviUe pour se join-
dre à la compagnie de gens de guerre qu'amenait
de Paris sir Jean Fastolf , et qui venait maint^mnt
trop tard pour sauver Jargeau.
Pendant que le duc d'Alençon mettait le siège
devant la forteresse de Beaugency, on sut que le
connétable arrivait avec quatre cents lances de
Bretagne ou de Poitou^ et huit centà archers. U
s'était lassé de sa longue retraite à Parthenay , et
avait résolu de servir le roi malgré lui; car le sire
de la Tremoille était plus que jamais en crédit au-
près du roi; et, craignant toujours d'être mis hors
du gouvernement, il tenait éloigné le connétable
et tous ses amis. Le royaume était delà sorte, privé
du service de beaucoiq^ de puissans. sdigneurs)
mais personne n'était assez; hardi pour parler
contre ce la Tremoille. Il était le maître de la vo^
lonté du roi , çt l'avait de [dus en plus irrité con^*
tre le connétable. Sitôt donc qu'on connut son
entreprise , on envoya, le sire de la Jaille à Lou-
dun lui signifier de ne pas être assez hardi pmur
TIENT A L ARMÉE DU ROI (1429). 1S9
passer outre ; sinon , le roi le ferait combattre,
c Ce que j'en fais , repartit le connétable , est pour
c le bien du roi et du royaume^ et si quelqti'unr
c vient à combattre , nous verrons ^ b
Le sire de la Jaille lui répondit : c Monseigneur,
c il me semblé que vous ferez bien. > Le capi-
taine à'Asnhmse lui livra le passage de la Loire,
malgré les ordres du roi. Il arriva ainsi devant
Béaugency , et eùvôya les sires de Rostrenen et
de Carmoisen demander logement pour lui et ses
gens.
Le duc d' Alençon se trouva fort en peine ; il
avait commandement précis du roi de ne point
recevoir le connétable \ Il commença par dire
qu'il s'en irait plutôt que de le laisser venir ; et la
Pucelle^ l'entendant parler ainsi, ne voyait d'à-
bord aucune difficulté à combattre le duc de Ri-
cliêmont. Cependant le connétable avait des amis
dans l'armée; d'ailleurs, combattre entre Fran-
çais lorsqu'on attendait à chaque moment l'at-
taque de Talbot et de Fastolf , n'était pas chose
raisonnable.; Aussi , ccaymie le duc d' Alençon et la
' Mémoires de Richemont. ■
^ Déposition du duc d*Alençon. — Mémoires de Richemont. —
Ghromque d« la Pucelle.
160 LE CONNÉTABLE
Puœlle allaient monter à cheval , la Hire et quel-
ques autres se mirent à dire que si la Pucelle mar-
chait contre le comte de Richemont, elle trouve-
rait à qui parler, et qu'il y avait assez de gens qui
aimeraient mieux le connétable que toutes les
pucelles du royaume.
La chose n'était point encore décidée lorsqu'on
apprit qu'en effet Talbot approchait. Pour lors la
Pucelle^ dit la première qu'il y avait besoin de
s'aider les uns des autres. D'autre part, le con-
nétable avait fait parler à Jeanne. On lui avait
expliqué que le roi était trompé par de faux
rapports ; que c'était à elle , par le pouvoir qu'elle
avait, à pardonner au connétable ses offenses,
s'il en avait commis, et à le recevoir dans l'as-
semblée des hommes d'armes dont elle était chef.
Plusieurs chevaliers lui garantirent, par serment
et sous leur sceau , la fidélité du connétable. Elle
se montra alors contente de sa venue ; et le len-
demain, avec le duc d'Alençon, le bâtard d'Or-
léans, le sire de Laval, et les autres chefs, elle
s'en vint à cheval à la rencontre du connétable.
Chacun mit pied à terre , et la Pucelle s'inclina
pour embrasser les genoux du prince. « Jeanne ,
« dit-il , on m'a dit que vous vouliez me combat-
<K tre ; je ne sais si vous venez de Dieu ou non : si
VIENT A l'armée du ROI (1429). 161
c VOUS êtes de Dieu , je ne vous crains en rien ;
c car Dieu sait mon bon vouloir ; si vous êtes du
« diabld , je vous crains encore moins. »
En effet, il n'y avait pas de plus grand ennemi
de la sorcellerie, des sorciers et des hérétiques
que le connétable'. Autant il en pouvait décou-
vrir en Bretagne et en Poitou » autant il en faisait
brûler sur l'heure même; parfois il trouvait les
évéques mêmes trop doux pour un crime si abo-
minable.
Ainsi donc» étant bienvenu de tous, le conné-
table joignit ses gens à ceux du duc d'Alençon.
Selon l'usage, il fat, comme nouveau venu, con-
traint à commander le guet durant la première
nuit; et certes, ce fat la première fois que le guet
fut mené par le connétable de France.
Le château de Beaugency ne pouvait plus se
défendre contre tant de gens; la garnison, que
commandait le sire de Gueten, bailli d'Évreux,
obtint de sortir, chaque homme gardant son
cheval, son armure, et la valeur d'un marc
d'argent.
Lord Talbot et lord Scales, ne pouvant se-
courir Beaugency, avaient marché sur Meung,
^ Mémoires de Richemont.
TOM« ▼. 5* «OIT. 1 i
DE PATÂI (1429). 163
Ce fut alors que Ton se résolut à marcher
après eux vers Janville , à travers la Beauce. La
Pucelle encourageait tout le monde : c En mon
< Dieu, disait-elle, il les faut combattre. Quand
< ils seraient pendus aux nues , nous les aurons ,
€ car Dieu nous a envoyés pour les punir. Le
c gentil roi aura aujourd'hui la plus grande vie-
c toire qu'il ait jamais eue; mon conseil m'a dit
€ qu'ils étaient à nous. >
En même temps le connétable fit porter son
étendard en avant, et chacun le suivit'.
On forma une forte avant-garde des gens d'ar-
mes les mieux montés, et pour les conduire on
choisit la Hire, Saintraille, Ambroise de Loré,
le sire de Beaumanoir , Jamet de Tillay et d'autres
braves chevaliers. Jeanne aurait bien voulu être
de cette avant-garde * ; on préféra qu'elle demeu-
rât au corps de bataille avec le duc d' Alençon ,
le connétable, le Bâtard, le maréchal de Boussac ,
l'amiral , les seigneurs d' AJbret , de Laval , de
Gaucourt.
La Hire et les chefs de l'avant-garde avaient
commandement de serrer les Anglais de Êiçon à
> Mémoirei de Bichemont.
* Dépositions de Louis de Contes.
164 BATAILLE
ne leur point laisser le temps de se ranger en un
lieu fort et de se retrancher. Ils s'en allaient che-
vauchant dans cette belle plaine de Beauce, où le
pays n'offrait nul lieu à s'appuyer , que de loin à
loin quelques jeunes bois\ Quand la Hire fut ar-
riyé, avec soixante ou quatre-vingts des siens , au
lien nommé les Goignées , près de la ville de Patai ,
un cerf partit tout d'un coup devant lui, et peu
après on entendit leâ cris et le bruit qu'avait élevés
ranimai parmi l'armée anglaise , où il s'alla jeter '.
Les capitaines français , ainsi avertis que l'ennemi
était là et que l'heure était venue , rangèrent leurs
gens en bon ordre.
De leur côté les Anglais étaient dans de grandes
incertitudes. Sir Jean Fastolf et d'autres étaient
d'avis de ne point combattre , mais dé se retirer
et de se mettre dans les châteaux , villes et forte-
resses, en abandonnant la campagne, afin d'at-
tendre les renforts qui viendraient bientôt d'An-
gleterre ; ils disaient que leurs gens étaient encore
tout efifrayés et ébahis des pertes qu'ils avaient
faites devant Orléans et à Jargeau ; qu'au con-
traire les Français étaient animés et enorgueillis;
> Mémoires de Richemont. — Monstrelet. — Chronique de la
Pocelle. — Tripaut.
> Monstrelet.
/
DE PÂTÂI (1499). 16S
qu'il fallait donner aux esprits le temps de se ras-
surer » et ne rien précipiter.
Lord Talbot fiit d'autre opinion , et voulut com-
battre 9 puisque les Français présentaient bataille.
Puis il y eut encore consultation sur l'ordonnance
du coml)at. Les uns voulaient qu'on mit pied à
terre à la place même où Ton était , et se trou-
vaient assez bien retranchés sur leur flanc par
une forte haie qui arrêterait les chevaux des Fran-
çais; d'autres voulaient prendre une meilleure
position , et s'appuyer d'une part sur une forte
abbaye du village de Patai , de l'autre sur un petit
bois. Pendant le mouvement d'un quart de lieue
qu'il fallut faire pour aller s'y placer, l'avant-
garde française avait galopé grand train, en sui-
vant la marche des ennemis '. Avant que les An-
glais fussent rangés, avant que tous leurs honunes
d*armes eussent mis pied à terre , avant que les
archers eussent planté devant eux leurs pieux
aiguisés, les Français, encouragés par la mau-
vaise défense qu'ils voyaient depuis quelque temps
faire à leurs anciens adversaires , se jetèrent de
plein choc tout au travers. Le combat ne fut pas
long. Sir Jean Fastolf , le b&tard de Thian, et eeux
*■ Mémoires de Bichemont. — MoDstrelet. -— Chartier.
DES ANGLAIS (1489). 167
un prisonnier fut frappe a la tête et abattu tout
sanglant, elle descendit de cheval, le soutint dans
ses bras, fit appeler un confesseur ; en attendant,
elle le soignait et s'efforçait de lui donner bonnes
pensées et bon courage \
Cependant le duc de Bedford était à Corbeil,
attendant des nouvelles des Anglais, lorsqu'il y
vit arriver sir Jean Fastolf en fugitif. Sa colère
fut si grande, que, sans se souvenir de la bataille
des Harengs , il lui ôta le ruban de la Jarretière.
Il revint à Paris ; la ville était toute troublée du
bruit de la victoire des Français. On disait que les
Armagnacs allaient arriver '. Le conseil fut as-
semblé et les serviteurs du roi anglais pleuraient
en écoutant le récit des misères et de la destruc-
tion de leurs gens. On travailla nuit et jour à for-
tifier la ville; on augmenta le guet. Pour plus de
i^ûreté, on changea le prévôt des marchands et
les échevins, et ils furent remplacés par des bour-
geois encore plus ennemis des Français.
Ce qui était le plus nécessaire , c'était d'avoir
des secours d'Angleterre. Le duc de Bedford en
demandait depuis long-temps ; mais les discordes
> Dëpoisition de Louis de Contes.
' Monstrelet. — Journal de Parie. — Registres du Parlement.
16à FIN D£ LA PROSPÉRITÉ
du duc de Glocester et dn cardinal de Winches-
ter troublaient toutes les affaires. Il écrivit de
nouveau.
« Toutes choses prospéraient ici pour vous,
disait sa lettre , jusqu'au temps du siège d'Or-
léans , entrepris Dieu sait par quels conseils. Après
la mort de mon cousin de Salisbury , que Dieu
absolve 9 qui est tombé, ce semble, par la main de
Dieu , vos troupes , qui étaient en grand nombi'e
à ce siège, ont reçu un terrible échec. Cela est
arrivé en partie, comme nous nous le persua-
dons, par la confiance que les ennemis ont eue
en une femme née du limon de l'enfer , et disciple
de Satan, qu'ils appellent la Pucelle, laquelle s'est
servie d'enchantemens et de sortilèges. Cette dé-
faite a non seulement diminué le nombre de vos
troupes, mais en même temps a fait perdre cou-
rage a celles qui restent, d'une manière éton-
nante. De plus elle a encouragé vos ennemis à
s'assembler incontinent en grand nombre. »
La ressource des chefs d'Angleterre contre
l'épouvante inspirée par la Pucelle était en effet
de la traiter de sorcière et de magicienne. Cepen-
dant la renommée ne publiait rien que d'édifiant
de cette sainte fille. Tous ceux qui l'approchaient
ne voyaient en elle que piété , douceur et courage.
DES ANGLAIS (i429). 169
Fût-elle venue de l'enfer, il n'y avait pas là de
quoi diminuer la frayeur des archers d'Angle-
terre; aussi leurs capitaines ne savaient quels
discours leur tenir *.
Le duc de Bedford avait maintenant grand re-
pentir de s'^e montre si hautain envers son
beau-frère de Bourgogne ; rien n'était plus pres-
sant que de l'apaiser. On résolut, d'accord avec
les Parisiens, de lui envoyer une solennelle am-
bassade, afin de lui exposer l'étrange état des
affaires, et de le conjurer de venir au plus tôt à
Paris , pour aviser ce qu'il était à propos de faire.
L'évêque de Noyon , deux docteurs de l'Université
et plusieurs notables bourgeois se rendirent h
Hesdin, où était pour lors le Duc, qui relevail
de maladie. Il les reçut bien et leur promit de
venir bientôt à Paris. Il y arriva le 10 juillet, avec
six ou sept cents combattans assemblés à la hâte
dans son comté d'Artois. Sa venue rendit courage
aux partisans dels Anglais et des Bourguignons.
De grands conseils furent tenus ; les promesses
et les alliances furent renouvelées et confirmées
entre les deux beaux-frères. Pour ranimer encore
mieux les esprits des Parisiens et réveiller leur
' Monstrelet. — Journal de Paris. — Registres du Parlement.
170 FIN DE LA PROSPÉRITÉ
vieille haine contre les Armagnacs, les deux ducs
ordonnèrent une grande cérémonie. Un sermon
fut d'abord prêché à Notre-Dame, devant eux ;
puis ils se rendirent en procession solennelle au
Palais. Là, en présence du Parlement, des maî-
tres des requêtes, de l'évêque, du chapitre, du
prévôt des marchands, des principaux bourgeois,
on donna lecture de lancien traité conclu au Pon-
ceau entre le feu duc Jean et le Dauphin, puis il
fut fait un récit de l'assassinat de Montereau, où
rien ne fut épargné pour rendre odieux le roi et
ses partisans. Après cette lecture , il s'éleva dans
toute l'assistance un grand murmure et des cris
contre les Armagnacs. Le duc de Bourgogne,
ayant demandé à parler, reproduisit sa plainte
contre Charles de Valois, et déclara qu'il voulait
venger le meurtre de son père. Alors les gens du
Parlement et les plus notables bourgeois renou-
velèrent par acclamations leur serment au traité
de Troyes. Durant un mois, on lie fit que deman-
der et recevoir de tous la confirmation de ce ser-
ment.
Le lendemain de cette cérémonie le duc de
Bourgogne repartit pour la Flandre , emmenant
avec lui sa sœur la duchesse de Bedford, qui
passait pour avoir quelque crédit sur son esprit.
DES ANGLAIS (1429). 171
Il laissa à Paris le sire de TIsle-Adam, avec envi-
ron sept cents cômbattans. Il envoya aussi, peu
après , une garnison à Meaux , sous le comman-
dement du bâtard de Saint-PoL C'eût été bien peu
pour rassurer et défendre les Parisiens ; mais
dans le même moment le régent recevait d'Angle-
terre un renfort de deux cent cinquante lances et
de deux mille archers. Cette assemblée de gens
de guerre avait été faite par le cardinal de Win-
chester, sur la demande du pape, afin d'aller
contre les hérétiques de la Bohême, qu'avaient
pervertis les erreurs de Jean Hus. Les affaires des
Anglais en France étaient devenues si difficiles ,
qu'il fallut bien que le conseil de Londres permit
au duc de Bedford de retenir, pour servir contre
les Français, tous ces gens de la croisade. Avec ce
secours et les garnisons de Normandie , le régent
espérait aviser au danger pressant où il se trou-
vait, et qui s'accroissait chaque jour; car, après
la bataille de Patai , et durant tous ces préparatifs
des Anglais, le roi Charles, ainsi qu'on va le ra-
conter, s'était emparé de la Champagne. Il ne
s'agissait plus maintenant de traiter le duc Phi-
lippe avec un superbe dédain. « Monseigneur de
Bourgogne , écrivait le duc de Bedford en Angle-
terre, a fait grandement et honorablement son
172 FIN DE LA PROSPÉRITÉ DES ANGLAIS.
devoir d'aider et de servir le roi, et s'est montré
en ce besoin, de plusieurs manières, vrai parent,
ami et loyal vassal du roi dont il doit être bien
honorablement recommandé ; n'eût été sa Êiveur ,
Paris el tout le reste étaient perdus de ce coup.
On vous dira comment le Dauphin s'est mis en
campagne de sa personne, à très-grosse puis-
sance; et pour la crainte qu'on en a d^à, plu-
sieurs bonnes villes, cités et châteaux , sans attenr
dre siège , se sont mis en obéissance. Aujourd'hui
16 de juillet, il doit arriver à Rheims; demain
on lui ouvrira les portes, lundi il se fera sacrer;
incontinent après son sacre, il a intention de
venir devant Paris, et espère y entrer*. »
* Rymer.
PHILIPPE-LE-BON.
LIVRE TROISIÈME.
SOMMAIRE.
Le roi est sacré à Rheims. — Lettre de Jeanne au Duc.
' — Comment se comportait la Pucelle. — Le roi et
le duc de Bedford sont en présence. — Le roi et le
Duc commencent à traiter^ — La Pucelle attaque Paris.
— Le Duc régent de France. — Son mariage. —
Création de la Toison-d'Or. — Joutes à Ârras. — Prise
de Saint- Pierre-ie-AIoutier. — Supplice de Franquet
d*Ârras. — Siège de Compiègne. — La Pucelle pri-
sonnière. — Guerre des Liégeois. — Succession de
Brabant. — Bataille d^Âuthon. — Levée du siège de
Compiègne. -— Combat de Gerraigny. — Combat de
Chappes. — Guerres en Champagne. — Procès de la
Pucelle. — Remontrances du Duc au roi d*Ângleterre.
— Guerre de LorraÎDe. — Bataille de Bulligneyille.
— Nouvelle négociation pour la paix. — Entrée
d'Henri VI à Paris.
PHILIPPE-LE-BON.
1429 — 145i.
ussiTÔT après la journée de Patai ,
I Jeanne étaU retournée auprès du
roi , et l'avait de nouveau pres-
sé d'entreprendre le voyage de
; Rheipis '. Les affmres étaient en
si bon train, qu'on se résolut à écouter son con-
seil, bien qu'il ne parût pas trè&<x>nforme à la
■ Cbartier. — Chronique de la Pacelle.
176 LE ROI
prudence. D^autres proposaient d'aller auparavant
réduire Cosne et la Charité , pour être entièrement
maîtres de la Loire ; mais ces villefs étaient com-
prises dans les trêves conclues par le duc de Sa-
voie entre la France et la Bourgogne. D'ailleurs
on prit bonne espérance aux promesses de la Pu-
celle, qui semblaient venir de Dieu. Elle ne réussit
pas aussi bien à persuader le roi de se réconcilier
avec le connétable. Il ne voulut jamais que ce
prince f&t du voyage de Rheims. En vain le con-
nétable fit-il supplier le sire de la Tremoille de le
laisser servir le roi , et qu'il ferait tout ce qu'il lui
plairait 9 fôt-ce même de lui embrasser les ge-
noux ' , le sire de la Tremoille fut inébranlable
dans son obstination, et maintint le roi en si
grande colère , qu'il fit dire au connétable de s'en
aller, et qu'il aimerait mieux ne jamais être cou-
ronné que de le voir au sacre. Le comte de la
Marche eut aussi ordre de ne point venir. C'était
perdre de puissans secours pour une entreprise
périlleuse.
Ce n'est pas qu'il ne continuât à arriver de tous
côtés des gentilshommes; mais ceux-là même
étaient assez mal reçus du sire de la Tremoille.
> Mémoires de Richemont.
SE REND A RHEIMS (1429). 177
li lui semblait toujours qu'il y eu eût trop; soit
qu'il u'eût poiut d'argent pour leur solde , car il
ne put faire dcmner que trois firaucs par homme
d'armes ; soit qu'il craignit cpie qudque cabale se
formât contre lui. Il était si méfiant , que le roi se
trouvant pour lors à Sully , près d'Orléans, ne
vint pas 9 bien que la Pucelle le lui demandât ,
visiter sa bonne ville, qui s'était si bravement
défendue* Les hatntans l'attendaient cependant
avec grand amour, et lui avaient préparé uiie
noble réception \
. On partit de Gien le 28 de juin. Hormis le con-
nétable et le comte de la Marche qui était aussi
dans la disgrâce du roi , tous les chefs de guerre
se trouvaient dans cette entreprise. Le maréchal
de Boussac avec le sire de Raiz, la Hire et Sain-*
traille étaient à l'avant-garde. On comptait envi-
ron douze mille combattans, tous vaillans, rem-*
plis de bonne espérance et de courage , s'inquié-.
tant peu de traverser un pays dont les villes, les
forteresses , les châteaux étaient garnis d'Anglais
et de Bourguignons '.
On arriva devant Auxerre ; le duc de Bourgogne
* Chronique de la Pucelle.
* Chartier. — Tripaut. — Chronique de la Pucelle. — Monstrelet.
TOMC T. 5* 8DIT. 12
178 SUtGE
leiiait alors cette ville en gage pour les sommes
qui kd étaient dues. Le conseil de Bourgogne
avait assemblé des forces à Autun^ afin de dé-
fendre le duché, s'il était attaqué» et envoya un
serviteur du sire Jean de la Tremoitte à son frère
George de la Tremoille» celui qui gouveiliait le
roi » pour savoir si les Français entendaient ob*-
servw les trêves. La viUe d^uta aussi vers le roi,
o£Erit de fournir, moyennant paiement, des vivres
à l'armée qui en avait un pressant besoin, et de
rendre obéissance au roi , si ceux de Troyes, de
Châlons et da Rheims se soumettaient'. Le traité
fot accepté , au grand dépit de la Pucelle et des
gens de guerre. On assura que le sire de la Tre^
moille avait reçu deux mille écus pour traiter si
favorablement une ville où, disait -on, il eût
fallu entrer d'assaut.
De là on marcha sur Troyes. La ville fut som*
mée de se rendre et s'y r^iisa. La garnison était
de cinq ou six cents Bourguignons ; ils firent d'à-»
bord une sortie sur l'avant * garde. Après avoir
passé cinq ou six jours campé devant la ville , le
roi se trouva dans une situation difficile. Tout son
monde manquait de vivres. Il y avait déjà huit
1 Histoire de Bonrgogne.
DE TROYES (1429). 179
jours que les sept ou huit mille bommes qu'il
aiFait aTec lui n'avaient mangé de pain, et se
soutenaient seulement en ëgrainant des épis ou
cuaUant des fèves vertes. On n'avait amené ni
bombardes ni artillerie. Gîen était le lieu le plus
proche dont on p& tirer des munitions, ^ il y
avait au mdns trente lieues de distance* Personne
dans le camp n'avait d'argent; on manquait de
tout. Sans cc^se on parlementaît.avee les geais de
la garnison et de la ville, mais ils ne semblaient
pas avoir envie de se soun^ttre , et l'on n'avait
paa de quoi leur fûre peur. Ce forent tc^ites ces
raisons que l'archevêque de Hheims, chancelier de
France , représenta au conseil du roi , et û pro-»
posa de revenir vers la Loire. Il n'avait jamais
^1 grande foi ai la Pucelle; ce jour-là, voyant
l'embarras où se trouvait le roi, presque tout
scm conseil fut de Favis du chancelier. Cepen*
dant Robert-lo-Masson , sire de Trêves, quand
vint son tour de parler, représenta qu'il fallait
envoyer quérir la Pucelle S c Lorsque le roi a
c entrepris ce voyage , dit-il , ce n'est pas à cause
« de la grande puissance de gens d'ai^mes qu'il
« Chartier. — Ckronique de la Pucelle. — Déposition de Dunois.
— Tripaut.
180
SIÈGE
pouvait avoir; ce n'est pas à eause de l'argent
qu'il avait poiu* les payer ; ce n'est point parce
que cette entreprise semblait possible., mais
par les avis de Jeanne la Pucelle , qui disait
que c'était la volonté de Dieu , et qu'on trouve-
rait peu de résistance. Donc il faut entendre
comment elle s'expliquera ; si elle n'a rien de
plus à dire que ce qui a été dit au conseil, alors
on suivra l'opinion commune, et le roi s'en re-
viendra. » Jeanne fut mandée : le chancelier lui
expliqua dans quelle perplexité on se trouvait,
les doutes qui avaient été débattus' dans le con-
seil, et lui demanda ce qu'elle croyait qu'il fal-
lait faire.
< Sèrai-je crue de ce que je dirai? demandâ-
t-elle au roi. — Si vous dites des choses raison-
nables et profitables, je vous croirai, répondit
le roî. — Serai-je crue ? répéta-t^lle. — Oui , dit
encore le roi , selon ce cpie vous direz. — Eh
bien , noble Dauphin , dites à vos gens de venir
et d'assaillir la ville, car, par mon Dieu, vous
entrerez en la ville de Troyes par amour ou par
puissance, d'ici à deux jours, et les traîtres
de Bourguignons en seront tous consternés.
— Jeanne, reprit le chancelier, qui serait cer-
tain de l'avoir dans six jours, il attendrait
DE TROYES (1429). 181
€ bien ; mais je ne sais si ce que vous dites est
€ véritable. — Oui, dit-«lle, vous en serez maître
c demain. »
Sur sa foi, on résolut de tenter Tassant. Elle
prit son étendard , et pressant tout le monde , elle
fit jeter dans le fossé les planches, les portes, les
chevrons, les bois de toute, sorte , dont les gens
d'armes avai^it fait les logis du camp ; on apporta
d^ fogots et des &scines pour se retrancher le
plus près possible de la muraille, et pour mas-
quer les petits canons qu'on menait en campagne.
Le lendemain matin, tout était prêt pour com-
mencer Fattaque.
Cependant la garnison n'était pas nombreuse ;
les bourgeois avaient peu d'envie de se défendre
contre leur seigneur et leur roi ; ils avaient passé
la nuit à prier dans les églises. Frère Richard, ce
£uneux prédicateur, était venu chez eux quand
on l'avait chassé de Paris , et il n'était pas pour
les Anglais. D'ailleurs le nom de la Pucelle , les
merveilles qu'on en racontait effrayaient les ha-
bitans et même la garnison. Ils doutaient beau-
coup qu'elle vînt de Dieu, mais ne l'en crai-
gnaient que davantage. De dessus les murailles ,
ils la voyaient agiter son étendard, et les plus
simples d'entre eux assuraient qu'une multi-
DE TROTES (1429). 183
guerre» som peine de la hart, de leur Mre le
moindre tort '.
Comme la garaiscm avait droit d'emporter ses
biens > les gens d'armes voulurent emmener leurs
prisonnienr, dont la rançon leur était bi^oi loya-^
lement acquise. Mais ces pauvres gens, lorsqu'on
les cômiaisait hors de la ville, supplièrent la Pu-»
celle de les délivrer, c Par mon Dieu, difrelie, ils
« ne les emmèneront pas ! » La querelle commen*
çait à s'émouvoir; le roi en fut informé, et paya
aussitôt la rançmi \
Jeanne allait ensuite entrer dans la ville » lors*
que frrare Ridiard se présoita devant elle » faisant
des signes de croisa et des aspersions d'eau bénite.
U venait de la part des habîtans s'assurer si elle
ne procédait point du dâncm. c Allons, appro-
t cdiez , dibelle, je ne m'envolerai pas. » Puis elle
retourna près du roi, et Iwsqu'il fit son entrée,
die était près de hii, portant son étendard K
D^^s ce jour frère Richard se mit à la suite
du roi » et dievauchait avec les geas d'armes , leur
' Môntlrdet. «— Ghartier . -*- Chronique de là Pocdk. -- Lettlrea
d'âbolition do 9 iaillel 4429.
* Vigiles de Charles VII. — Chartier. — Tripaut. — Chronique
de la Pacelle.
' Déposition de la Pucelle.
184 LE ROI
prêchant de bien &ire; il exhortait les villes à se
soumettre au roi, et souvent les persuadait par
son langage'. On disait aussi de lui des choses
merveiUeuses : on racontait que ces fèves que,
grâce à Dieu , les Français avaient trouvées aux
environs de la ville, et qui peutétre les avaient
empêchés de mourir de Êiim , provenaient des
bons soins de frère Richard ; selon ce qu'on rap-
portait, il avait beaucoup rq[>été dans ses prédi-
cations : c Semez toujours; celui qui doit cueil-
c llr viendra bientôt. » Quand les Parisiens su-
ivent qu'il s'étaitainsi fait Armagnac , ils perdirent
leur amour pour lui, et plusieurs en prirent oc-
(âu^iôn de retourner à leurs jeux de cafifes et
de dés.
Ghâlons ne fit aucune résistance au roi ; rêvé?
que et les principaux bourgeois vinrent au-devant
de lui présenter leur soumission. La Pucelle pro-
mit au roi qu'il en irait de même pour Rhèims.
En effet, le seigneur de Châtîllon et le sire de
Saveuse, n'ayant qu'une petite garnison, assem-
blèrent les habitans et voulurent leur persuader
de se défendre ; mais les bourgeois ne les écou-
tèrent point, et répondirent même avec assez de
' Journal de Paris.
ENTRE A RHmMS (1429). 185
duretë et d'insolence % Us avaient grande terreur
de la Pucelle, car chaque jour ce qu'on en pu-
bliait était plus miraculeux. D'ailleurs, le seigneur
Regnault de Trie, archevêque deRheims et chan-
celier de France, avait des inteffigences dans sa
ville. Les capitaines bourguignons furent donc
contraints à se retirer.
Le roi fit alors son entrée solennelle; deux
jours après, le 17 juillet 1429, il fiit sacré dans
la cathédrale de Rheims, après avoir été fait
chevalier par le duc d'Alençon '. Le duc de Bour-
gogne était alors le seul pair du royaume au triple
titre de Flandre-, d'Artois «t de Bourgogne. Sa
place et celle des autres pairies vacantes fut tenue
par les principaux seigneurs dé là suite du roi ;
mais aucun d'eux n'était regardé autant que
Jeanne la Pucelle : c'était à elle qu'on devait at-
tribuer ce voyage et ce couronnement. Pendant
la cérémonie , elle se tint près de l'autel , portant
son étendard ; et lorsqu'après le sacre elle se jeta
à genoux devant le roi , qu'elle lui baisa les pieds
en pleurant, personne ne pouvait retenir ses lar-
' Monstrelet. '
' Chartier. — Chronique de la Pucelle. -^ Interrogatoire» de la
Pucelle.
EST SACRÉ (1429). 187
t
jafiStJS MARIA.
c Hdot et redouté prince, duc de Bourgogne»
Jehaane la Pueellë vouç requiert, de par le roi
du del , mou droiturier souTerain Seigneur, que
le roi de France et vous fassiez bonne paix , ferme,
qui dure longuement. Pardonnez Fun à Tautre de
bon cœur, entièrement, ^si que doivent faire
loyaux chrétiens; et s'il vous plait guerroyer,
allez sur le Sarrasin. Prince de Bourgogne, je
vous prie , supplie et requiers tant humblement
que je vous puis requérir, que ne guerroyiez plus
au saint royaume de France, et faites retraîre in-
continent et brièvement vos gens qui sont en au-
cunes places et forteresses dudit royaume. De la
part du gentil roi de France , il est prêt de faire
paix avec vous , sauf scHd honneur ; et il ne tient
qu'à vous. Et je vous fais savoir, de par le roi du
ciel , mon droiturier et souverain Seigneur, pour
votre biaa et pour votre honneur, que vous ne
gagnerez point de bataille contre les loyaux Fran-
çais; et que tous ceux qui guerroyent audit saint
royaume de France guerroyent contre le roi
188 LETTEE
JhesuSt roi du ciel et de tout le monde, mon
droiturier et souverain Seigneur. Et vous prie et
vous requiers à jointes mains que ne fassiez nulle
bataille, ni ne guerroyiez contre nous, vous, vos
gens et vos sujets. Croyez sûrement, quelque
nombre de gens que vous ameniez contre nous ,
qu'ils n'y gagneront mie ; et sera grande pitié de
la grande bataille et du sang qui sera répandu de
ceux qui y viendront contre nous. Il y a trois
semaines que je vous ai écrit et envoyé de bonnes
lettres par un héraut pour que vous fiissiez au
sacre du roi qui, aujourd'hui dimanche, dix-^p-
tième jour de ce présent mois de juillet , se fait en
la cité de Rheims. Je n'en ai pas eu réponse, ni
onc depuis n'ai ouï nouvelle du héraut. A Dieu
vous reconunande et soit garde de vous, s'il lui
plaît, et prie Dieu qu'il y mette bonne paix. Écrit
audit lieu de Rheims, le 17 juillet. »
En attendant ce qui arriverait de ces proposi-
tions de paix , le roi se trouvait assez de puissance
pour entrer dans l'île de France, et se rapprocher
de Paris, où Jeanne avait plus d^une fois témoi-
gné l'espoir d'entrer '. Le régent anglais était sorti
de Paris pour hâter l'arrivée des gens d'armes
' Lettre de Guy de Laval. — Lettre de Jeanne au comte d'Ar-
magnac.
DE JEANNE AU DUC (1489). * 189
de la droisade que conduisait le cardinal de
Winchester. Quant au duc de Bourgogne, il n'a-
vait point assemble ses honunes ni en Picardie
ni dans son duché. René d'Anjou, héritier des
duchés de Lorraine et de Bar, le damoisel de
Gommercy, (pu précédemment avaient traité avec
r Angleterre ou les Bourguignons , étaient venus
à Rheims offrir leurs services au roi. Tout sem-
blait lui prospérer.
Il commença , selon Tusage des rois après leur
sacre, par se rendre en pèlerinage au tombeau
de saint Marcou à Corbeny, pour y recevoir, par
les mérites de ce saint, qui fut, disait-on^ de la
race royale, le pouvoir de guérir les écrouelles
en les touchant. De là on vint à la petite ville
de Yailly, du diocèse de Rheims, qui se rendit
tout aussitôt '. Bientôt arrivèrent les députés de
Laon et de Soissons , apportant la soumission de
ces deux bonnes et fortes villes. Le roi passa
trois jours à Soissons , où les habitans lui mon-
trèrent beaucoup d'amour et de joie. Pendant ce
temps, Crécy, Coulonuniers, Provins, et plusieurs
auîtres forteresses de la Brie reconnaissaient aussi
son obéissance.
' Chronique de la Pucelle. — Chartier. — Monstrelet.
199 LK HOI flNTRE
Il semblait que Châteaux-Thierry dût mieux se
défendre; Jean de Croy, le sire de Brimeu, le
sire de Châtillon et d*autres grands seigneurs
boui^gnons y étai^t renfermés, îA leur gar-
nison s'était augm^tée des gens qui avaient aban-
donné les autres forteresses. Mais les bourgeois
se montraient tout Français et voulaient recon-
naître le roi. La Pucelle parut a la vue des
murailles'; le bruit se répandit encore qu'on
voyait des papillons blancs voltiger autour de son
étendard ; la peur gagna dans la ville \ Les as-
siégeans crurent un instant que les Anglais ar-
rivaient du côté de Paris ; Jeanne maintint leur
courage ; un moment après, la garnison rendit la
ville et swtit sauve de corps et de biens.
S'approchant toujours de Paris, le roi arriva
a Provins* Déjà les Parisiens du parti anglais
et bourguignon CGonmençaient à s'effrayer. Ils
voyaient se réfugier dans la ville les habitans des
campagnes, qui, dans la crainte de voir arriver
les Armagnacs « s'enfuyaient, emmenant leurs
récoltes et leur bétail. H n'y avait en ce moment
aucun grand seigneur à Paris que le sire de l'Isle-
' Interrogatoires de la Pucelle.
* Monslrekt.
DANS l'iSLE de FRAIICE (1489). , 191
Adam avec quelques Bcmrgmgnûn& Cependant
le 24 juillet , les Parisiens furent rassures par le
retour du duc de Bedford, qui fit son entrée a^ec
le cardinal de Winchester et les gens qu'il ame^
nait d'Angleterre. En peu de jours, avec les
honunes qu'il avait tirés des garnisons de Nor-
mandie, les Bourguignons et la milice de la com-
mune de Paris» il se trouva à la tàe de dix mille
combattans. Le 4 août» il sortit de la ville et s'en
alla par Corbeil et Melun jusqu'à llcmtereau ;
de là il écrivit au roi une lettre où il le défiait» à
peu près esx ces termes:
c Nous, Jean de Lancastre, régent et gouver-
neur de France » savoir faisons à vous» Charles de
Valois » qui aviez coutume de vous nommer dau-
phin de Yiennois» et maintenant» sans causes»
yous dites roi : vous avez de nouveau formé en-
treprise contre la couronne et seigneurie de très-
haut et très-excellent prince Henri , par la grâce
de Dieu» vrai» naturel, droitnrier roi de France
et d'Angleterre; vous donnez à entendre au sim-
ple peuple que vous venez pour lui rendre paix et
sûreté» ce qui n'est pas et ne peut être d'après llfcs
moyens dont vous usez pour séduire ce peuple
ignorant; car vous vous aidez de gens supersti-
tieux et réprouvés» comme d'une femme désor-
^
193 DÉFI DU DUC DE BEDFORD
donnée et diffamée, portant habits d*homme/et
de conduite dissolue; et aussi d'un frère men-^
diant , apostat et séditieux ; tous les deux, comme
nous en sommes informés , abominables à Dieu^
Par force et par puissance d'armes, yousave^
occupé au pays de Champagne aucunes cités ^
yilles et châteaux appartenant à mon seigneur le
roi , et vous ayez contraint les sujets à se parjurer
de la paix jurée par les grands seigneurs, lesl
pairs , les pl'élats, les barons et les trois Ëtats du
royaume. Nous, pour garder et défimdre le vrai
droit de mon seigneur le roi, et nous rebouter
hors de sa seigneurie, nous sommes mis sus et
tenons les champs en notre personne ; et nous
avons poursuivi et poursuivons de lieu en lieu
sans avoir pu encore vous rencontrer. Nous , qui
désirons de tout notre cœur Fâbr^ement de la
guerre, nous vous sonunons et requérons, si
vous êtes un prince qui cherchez Fhonneur, d'a-
voir compassicm du pauvre peuple chrétien, le*-
quel tant longuement a été, pour votre cause,
foulé , opprimé et inhumainement traité ; et sans
phis continuer la guerre , de prendre au pays de
Brie, où nous sommes si proches Tun de l'autre,
une place convenable et raisonnable, et un jour
aussi prochain que peut le permettre notre proxi-
AU ROI (Ï429). 193
mite. Si vous voulez comparaître au jour et à la
place marquée, même avec cette femme indigne,
cet apostat, tous les parjures que vous voudrez,
et toute la puissance que vous pourrez avoir,
nous y comparaîtrons aussi par le bon plaisir de
notre roi, et pour représenter sa personne. Alors ,
si vous voulez offrir ou mettre en avant aucune
chose touchant le bien de la paix, nous ferons ce
qu'un bon prince catholique peut et doit faire;
car noas sommes toujours enclins à une bonne
paix non dissimulée, qui ne soit ni parjurée ni
violée, comme à Montereau , où par votre coulpe
et votre consentement s'ensuivit le terrible , dé-
testable et cruel meurtre commis contre l'hon-
neur et la loi de chevalerie sur la personne de
mon cher et très - aimé père le duc de Bourgogne ,
à qui Dieu pardonne ; par où les nobles et autres
sujets de ce royaume et d'ailleurs sont demeurés
quittes et exempts de vous, de votre seigneurie,
etde tous sermens de loyauté, subjectionet féauté,
comme vous l'aviez déclaré d'avance par vos let-
tres patentes , signée^ de votre main et de vôtre
scel.
c Toutefois, si par l'iniquité et la malice des
hommes, on ne peut obtenir le bien delà paix,
chacun de nous gardera et défendra' par l'épée
TOMB T. 5*^ KOtT. l3
194 DÉFI nu DUC DE BEDFORD
sa cause et sa querelle; et Dieu^ qm est le seul
juge, auquel mou seigneur éokrépooàre et ncm
à aucuu autre, lui ea doonera la grâœ. Noos le
supplions hmobl^nent, lui qui sait et cosmait le
vrai droit et la légitime querelle de mon seigneur,
de disposa à son plaisir, pour que le peuple de
ce royaume puisse demeurer^ sans tort de foule*
m^ et d'o{^essioii , en Icmgue paix et ^i t&^ ,
comme tous les rois et princes <dn*ëtî^is qui ont
gouvernement dmi/^ent le requérir et le d»ia&der*
Ainsi Êutes-nous savoir faâti vouent, sans plus dif-
férer, ni p^dre de temps en écritures ni en ar-
gumens, ce qi^e vous ^i voudrez &ire ; car si,
par votre dé&ut, ad viennent de plus grands
maui^« continiiattcm de la j^ierre, pillerie, ran*
çonnemeais» occisions, dépopidation du pays,
nous prenons Dieu à témoin , et protestons de*
vaut lui et devant les hommes, que nous n'en 3e»
roaç point cause, que nous avons fait notre de*
voir, ^que nous avons proposé des larmes de
raison et dlionneur , soit préabblement au moyen
de la paix, soit par journée de bataille, comme
il doit être par droit de prince , lorsqu'entre si
grandes et puissantes parties cm ne peut faire
autrement. »
Lorsque Bedford, héraut du régent anglais.
AU ROI (1429). 195
eut porté cette lettre au roi de France, ce j^inoe
et les chefs de guerre qui; rentouraient montrè-
rent joyeuse contenance, c Ton maitre, dit le
c roi, aura peu de peine h nie trourer ; c'est bien
« {^tttôt moi qui le cherche'. » Les Français sV
"vancèrent encore un peu vers Paris, et placèrent
leur camp près du château de Nan^s. Tout ftit
disposé pcar la bataille, avec prudence et habi^
leté. C'était plaisir de Toir le maintien guerrier
de Jeanne, et sa diligence a ordonner les apprêts
du combat. On disait qu'elle s'^y entendait aussi
bien qu'aucun homme d'armes, tant expert qu'il
put être*.
Le duc de Bedford avait bi^i l'intention de re*
cevoir la bataille, mais point de l'aller chercher ;
quand il vit que le roi tenait la campagne, mais
ne venait pas l'attaquer, il se hâta de revenn- à
Paris, dont les Français étaient en ce moment
plus près €pe lui. L'alarme y était déjà grande ;
on avait fermé la porte Saint^Martin, et la foire
Saint-Laurent, où du reste il ne vint pas nom-
breuse foule , se tint pour cette fdis dans la grande
cour de l'abbaye Saint-Martin *.
* Ho11insh€d.
* Chronique de la Pucclle. — Ch.irtier.
' Journal de Paris.
196 COMMENT SE COMPORTAIT
L'entreprise du roi sur Paris se trouvait ainsi
manquée. Plusieurs de ses conseillers propo-
sèrent alors de reyenir yers la Loire'. Les chefs
de guerre, étaient d'avis contraire ; ils disaient
que les ennemis n'ayant osé combattre, il fallait
pousser en avant, et toujours conquérir. Le roi
ne fut pas de leur opinion , et Ton marcha vers
Brai pour y passer la Seine sur le pont; mais les
Bourguignons s'étaient pendant la nuit empara
de la ville; ils défendaient le passage, et il fallait
le gagner par la force. Ceci fit changer la résolu-
tion prise, et, à la grande joie de la Pucelle, du
duc d' Alençon , du duc de Bar , et de la plupart
des capitaines, on revint à Château-Thierry ; puis
on s'avança jusqu'auprès de Dammartin, à dix
lieues de Paris. Partout les habitans des villages
et le pauvre peuple, espérant la fin de leurs mi-
sères , tîriaient c Noël ! » en voyant le roi , et cou-
raientdansleségliseschanter : TeDeumlaudamus.
La Pucelle^ touchée a cette vue, dit alors au bâ-
tard d'Orléans :c En mon Dieu, voici un bon
« peuple et bien dévot. Quand je devrai mourir,
« je voudrais que ce fût en ce pays. — Jeanne, dit
c le Bâtard , savez-vous quand vous mourrez et en
' Chronique de la Pucelle. — Char lier. — Tripaot.
1
198 LE ROI ET LE DUC DE BEDFORD
die passait la nuit sans se désarmer , et jamais ne
voulait quitter ses habillCTiens d'honmie , ajQû , di-
sait-elle, de mieux garder sa chasteté'. Elle était
douce, surtout pour les pauvres gens, et les se-
courait quand elle pouvait Pour ne les point ru-
doyer , et de crainte de leur faire de la peine , elle
ne les renvoyait point lorsqu'ils venaient baiser
ses mains et ses vétemens; cette swte d'adora?
tion lui semblait néanmoins messéante ; car , sauf
qu'elle se disait envoyée de Dieu, elle ne cher-
chait point à &ire croire qu'dle eût un pouvoir
miraculeux* Jamais on ne lui avait enteiriu dire,
ou qu'elle ne serait point blessée, ou qu'elle pou-
vait empêcher quelqu'un de l'être. Beaucoup
d'hommes d'armes, qui n'étaient pas, il est vrai,
de grands seigneurs , avaient quitté leur propre
bannière pour porter un étendard s^nblable au
sien; elle ne le donnait pourtant ni pour béni
ni pour merveilleux , pas plus que son ^ée. Elle
tâchait de prêter courage à tous par s(m exemple
et par sa confiance aux promesses de Dieu qu'elle
publiait : c'était tout son savoir-faire, c Mon taàt,
c disait-elle, n'est qu'un ministère'. 9 Et quand
I Dépositions de frère Pasquerel et du sire Daulon. — Inter-
rogatoires.
I * Déposition de frère Pasquerel.
I
SONX EN PRÉSENCE (1429). 199
on répondait que jamais cm n'avait rien vu de
pareil» même dans les livres: < Mon Seigneur,
c répliquaît-elley a un livre on aucmi clerc ne '
< peut lire» tant par&it qu'il soit en dérica-
€ ture*. >
Le duc de Bedford » sachant le roi si ptè& de
Paris, sortit encore une fois avec dix ou douze
mille combattans» et vint se camper dana une
forte position» au village de Mitri» près Dam-
martin. Les Fra]:àçais se placèrent de leur côté à
Lagni4e-Sec» et attasidirent la bataille. La Hire
et d'autres allèrent reconnaître l'ennemi» et il y
eut qudques escarmouches au viOage de Thieux»
sur la Beuvronne. Le régent anglais était résolu
à attendre l'attaque ; lorsqu'il vit que les Français
avai^t aussâ la même volonté» il retcHirna tout
aussitôt à Paris. Il était toujours inquiet de ce qui
pourrait s'y passer pendant que Le roi en était si
peu éloigné» et ne s'assurait pas beaucoup en la
fidélité des Parisiens» surtout lorsqu'il voyait
toutes les viUes du pays de France se soumettre
Tune a{»rès l'autre avec empressement '.
En effet» le roi reçut à ce moment même la
> Déposition de frère Pasqiierel.
> HoUinshed.
200 LE ROI ET L£ DUC DE BEDFORD
soumlssicm de Gompi^ne et de Beauyais, d'où
les habitans avaient chassé leur évêqiie, Pierre
' Cauchon; bien qu'il fôt natif de France, il était
toujours un des plus furieux pour le parti an-
glais.
Le duc de.Bedford, sur ces nouvelles , quitta
encore Paris , craignant que le roi ne prit route
vers la Normandie. Les Anglais voulaient, avant
tout, garder cette province. C'était làqu'ils avaient
jeté Fancre en France. Leurs conunnnications
avec l'Angleterre étaient promptes et faciles par
cette voie ; en outre , leur pensée était toujours
qu'ils la pourraient garder, même s'il leur fallait
traiter avec le roi de France. Le régent se porta
donc , avec toute sa puissance , vers Senlis. Le roi
était à Grespy. Il se rapprocha aussi de Senlis,
et campa près du village de Baron, sous le mont
Piloy. Saintraille et Ambroise de Loré furent en-
voyés pour reconnaître l'ennemi ; il était arrivé
par la route de Senlis, avait passé la rivière de
Nonette , qui coule de Baron à cette ville, et com-
mençait à se retrancher. Le duc de Bedford prit
soin de choisir une forte situation près de l'abbaye
de la Victoire, fondée jadis par Philippe-Auguste,
après la bataille de Bovines. Des haies et des
fossés couvraient les flancs ; la rivière et un grand
SONT EN PRÉSENCE (1429). 201
étang étaient par derrière. Sur lé front, les ar-
chers avaient planté leurs pieux aiguisés et se te-
naient serrés. Dans ce camp anglais , la bannière
de France était portée en même temps que la
bannière d'Angleterre; c'était le sire de l'Isle-
Adam qui la tenait. Toute la droite était formée
des Picards et des Bourguignons, au nombre de
sept ou huit cents hommes d'armes. Les meil-
leurs chevaliers du duc Philippe se trouvaient là.
Les sires de Croy, de Créquy, de Béthune, de
Fosseuse , de Saveùse , de Lannoy , de Lalaing ,
le bâtard de Saint-Pol, et d'autres jeunes sei-
gneurs, furent armés chevaliers par le duc de
Bedford. Personne ne doutait que quelque grande
bataille tie fut sur le point de se livrer.
Du c6té des Français, tout se disposait avec non
moins de prudence ; l'avant-garde était comman-
dée par le duc d'Alençon et le comté de Vendôme;
le corps de bataille par les ducs de Bar et de Lor-
raine ; les maréchaux de Boussac et de JElaiz con-
duisaient un troisième corps qui formait l'aile de
l'armée. Le sire de Gràville, grand-maître des
arbalétriers, et Jean Foucault, chevalier limou-
sin, menaient les archers.
Le roi avait pour la garde de sa personne le
comte de Glermont, le sire de la Tremoille, et
204 LE ROI ET LE DUC
serrés contre les Anglais ^ qui répondaient de la
même sorte. La foule des combattans s'accrois-
sait de moment en moment. Les hommes qui
avaient rexpériençe de la guerre, voyant comme
Taflaire s'engageait, n*hésitaient pas à croire
qu'elle finirait par la complète destruction d'un
des deux partis. Cependant, quand la nuit fut
tombée, les Français retournèrent à leur camp
sous le mont Piloy.
. Le duc de Bedford vint aussitôt le long de la
troupe des Picards, et il s'arrêtait de place en
place pour les remercier de leur vaillance : c Mes
€ amis, disait-il, vous êtes de braves gens; vous
€ avez supporté pour nous tout le poids de la ba-
€ taille ; nous vous remercions bien grandement,
« et nous vous prions, s'il nous survient d'autres
€ affaires, de vous comporter avec la même bar-
€ diesse. > Leb|tarddeSaint-Poletle sire Jean de
Groy s'étaient distingués entre tous. Le dernier
avait reçu une blessm^e à la jambe ' .
Le roi s'étant ainsi assuré que les eiinanis ne
voulaient jamais sortir de leurs remparts , revint
à Crespy, et prit sa route vers Compiègne, qui
venait de lui ouvrir ses portes. Le duc de Bedford
' Saiut'Remi.
COMMENCENT A TRAITER (1429). 205
retourna à Paris; mais, malgré l'inquiétude qu'il
avait sur cette ville , il n'y resta guère. Les affaires
des Anglais étaient chaque jour en plus mauvais
état. Toutes les villes se rendaient au roi. Le con-
nétable s'avançait dans le Maine; il avait pris
Gallerande , Rameffort et Malicome. On craignait
qu'il ne marchât sur Evreux. La Normandie
même commençait à né plus être si assurée aux
Anglais. De tous côtés les Français reprenaient
courage \ formaient des entreprises, et trouvaient
partout des intelligences. Ainsi revinrent entre
leurs mains Àûmale et Torcy près de Dieppe,
Estrepagny proche Gisors , Bôn-Mouîin et Saint-
Celerin du côté d'Alençon. .
Mais ce qui devait sembler plus grave au ré-
gent anglais, le duc de Bourgogne négociait avec
le roi ; il avait reçu ses ambassadeurs à Arras , et
depuis les premiers jours du mois d'août, de pu-
blics pourparlers avaient lieu dans cette ville.
C'était donc le moment de s'assurer de la Nor-
mandie , et de veiller sur la plus précieuse con-
quête des Anglais. Il envoya au duc de Bourgogne
deux de ses conseillers flamands, l'évéque de
Tourùay et le sire de Lannoy , pour lui rappeler
ses sermens et l'empêcher de traiter ' ; puis, lais-
' Hollinshed.
206 LE ROI ET LE DUC
sant Paris entre les mains de Louis de Luxem-
bourg, évêque de Thérouane , chancelier de France
pour les Âpglais, du sire de l'Isle-Âdam et des
capitaipes picards , de Simon Morhier , prévôt de
Paris, qui y avait grande autorité et avait com-
mandé la milice à la journée des Harengs, et de
sir Thomas Ratcliff, chef des Anglais qu'avait
amenés le cardinal de Winchester , le duc de
Bedford s'en alla à Rouen tenir les Ëtats de Nor-
mandie, et leur faire de grandes promesses pour
les engager à ne le point abandonner.
Le roi n'avait pas moins d'intérêt à 9e réconci-
lier avec le duc de Bourgc^ne, que les Anglaise
le conserver pour ami. Ainsi la puissance de ce
prince ne pouvait que s'accroître par le besoin
que les deux partis avaient de lui. Le chancelier
et les ambassadeurs de France avaient d'abord
été admis en sa présence, devant son conseil,
ses chevaliers ef ses principaux serviteurs " , et
s'étaient résolus a proposer les conditions sui-
vantes :
1^. Le roi Charles reconnaîtra par lui-même
ou par ses fondés de pouvoir que l'événement de
la mort du duc Jean était mauvais et damnable ;
que cette mort a été consommée damnablement
* Monstrelet. — Preuves de rHistoIrc de Bourgogne.
COMMENCENT A TRAITER (1429). 207
et par mauvais ccxifleil ; qa*elle lui déplaît de tout
son cœur, et que s'il avak alors eu autant d'âge
et d'entendement qu'aujourd'hui , il y eftt pourvu ;
^ mais il était en ce temps-là bien jeune, avait peu
de connaissance , et ne sut point y aviser. Il priera «
le seigneur de Bourgogne d'ôter de' son cœur la
rancune et la haine qu'il peut avoir dbnçues con-
tre lui à ce sujet, et d'avoir entre eux bonne paix
et amour.
2^. Le roi Chaiies abandonnera ceux qui ac-
complirent celte action ou y consentirent ; et s'il
les peut tenir, les punira; autrement, il les ban-
nira à jamais, sans grâce ni rappel , et ils seront
hors de tous traités.
3^. Le roi Châties fondera à Mmitereau une cha-
pelle de vingt-quatre diartreux pour le repos de
l'âme du feu duc Jean et des autres trépassés pen-
dant les guerres.
4^. On restituera les joyaux que le duc Jean
avait sur lui lors de son décès.
6®. Le duc de Bourgogne conservera les terres
et se^neuries provenant de la couronne qu'il tient
aujcHird'hui ; d'autres lui seront données.
6^. Les dettes pour pensions , dons ou autres
causes que le feu roi avait envers le duc de Bour-
gogne seront payées.
208 LE aOI ET LE DUC
7^. Le seigneur de Bourgc^e et ses sujets sont
exempts de £sdre aucun sèment de féauté au roi
Charles, et ledit seigneur n'aura aucune obliga-
tion envers lui.
8^. On restituera les biens et joyaux de ceux qui
furent présens au décès du duc Jean.
9®. Abolition générale sera accordée , et chacun
recouvrera ses biens , sauf certaines excepticms.
lO^*. Pour sûreté, il sera donné des otages et
consenti des peines corporelles et séculières , aussi
bien que des soumissions à l'Église.
Le Duc reçut avec bonté ces premières propo-
sitions , proniit d'y répondre, et commit plusieurs
de ses conseillers pour en conférer avec les am-
bassadeurs du roi, et aussi avec les ambassa-
deurs qu'avait envoyés le duc de Savoie ' , que
chacune des parties avait prié de se porter pour
médiateur.
Us ajoutèrent que , pour parvenir à une paix
générale, et même pour traiter celle-ci, il fallait
conclure une suspension de guerre, et assigner
un temps et un lieu convenables pour traiter.
Ce fut à ce moment qu'arrivèrent de Paris l'é-
vêque de Tournay et le sire de Lannôy, pour
* Guicbenon.
GOMMERCEIIT A TRAITER (1429). â09
représenter au duc Philippe , de la part du ri^nt
anglais » ses engagemens avec F Angleterre. Par«
là les négociations se trouvèrent retardées» et le
Duc résolut d'envoyer une ambassade au roi de
France pour connaître mieux ses intentions. Ce-
pendant tout le monde, et surtout les gens de bas
et de moyen état > se réjouissait de cette paix '.
Les ambassadeurs du roi de France étaient fêtés
de tous , et bien qu'il n'y eût encore ni paix ni
trêve, bien que ce fût dans une ville où le duc
de Bourgogne était seigneur direct, on venait en
foule s'adresser au chancelier pour avoir de lui
des lettres de rémission , des ordonnances royales,
et d'autres expéditions , comme si le roi eût re-
trouvé sa pleine puissance. Les chevaliers et les
conseillers de Bourgogne se montraient haute-
m^Qt favorables à la paix; ils avaient le cœur
français, et n'avaient jamais incliné pour l'An-
gleterre , comme les conseillers flamands; ceux-ci
songeaient toujours au commerce et à la richesse
de leur province.
J<ean de Luxembourg , l'évéque d' Arras et les
sires de Brimeu et de Chamy, arrivèrent à Com-
piègne avec les ambassadeurs de France et de
* MoDstrelet.
TOMt ▼. 5* tDIT. l4
^ I
210 smT£
Savoie'. Le roi fit mettre sous ses yeux lés ar-
ticles que ses ambassadeurs avaient cru néces-
saire de proposer. Ils forent examinés dans le
consul » où se trouvaient le duc de Bar, le comte
de Clertnont, M. de Vendôme, M. d'Albret, le
chancelier, les évéques de Seez et de Castres,
M, de la Tremoille , le bâtard d'Orléans , les sei-
gneurs de Trèvps , de Gaucourt , d* Argenton , de
Mareuil , de Mortemart , et le doyen du chapitre
de Paris.
Le roi qt son conseil firent peu d'observations
sur ces articles* ; on demanda, 1^. que le duc de
Bourgogne nommât une fois pour touteiâ ceux
qu'il suspectait de la mort de son père, afin
qu'il leur fût permis de présenter leur justifi-
cation selon le droit et la coutume, et qu'après
cette nomination personne ne pût être inquiété à
ce sujet.
2P. On désigna particulièrement les seigneuries
qui pourraient être détadiées de la couronne pour
être ajoutées à l'apanage du Duc; les principales
étaient les comtés d'Auxerre et de Mâcon.
3<>. On se réserva de discuter les dettes récla-
mées par le Duc.
• Preuves de l'Histoire de Bourgogne. — > Dutillet.
DES NÉGOCIATIONS (1429). 211
40. On expliqua formellement que lui seule-
ment » et non pas ses héritiers et successeurs ,
serait dispensé du serinent de féautë envers le
roi vivant» mais non pas envers les héritiers et
successeurs du roi.
S^. On ne voulut point d'exception à la remise
générale faite à chacun de ses biens , sans rem-
boursement de gommages.
6<^. Le roi se refusa absolument à donner des
otages pour sûreté du traite.
Enfin , comme le Duc voulait que les Anglais
fussent admis à traiter, le roi déclara qu'il y con-
sentait, pourvu que les. princes prisonniers en
Angleterre depuis quinze années fiissant délivrés
ou admis à rançon. Il s'engagea aussi d'avance à
abandcMmer toute la Guyenne jusqu'à la Dordogne.
Telles furent les ccMiditions arrêtées à Gom-
piègne le 27 août pour servir à négocier la paix
définitive. En attendant , une trêve fut conclue
le 28 pour les pays de la rive droite de la Sdne ,
depuis Nogent jusqu'à Honfleur« Paris était ex-
cepté , ainsi que les villas servant de passage sur
la rivière. Le roi se réservait de les attaquer,
et le Duc de les défendre. La trêve devait être
commune aux Anglais > toutefois après leur con-
sentement.
â'12 ATTAQUE
Pendant qu'on traitait ainsi à Compi^ne, la
guerre avait continué avec la même activité. La
Hire, avec quelques hardis compagnons , s'en alla
jusqu'à sept lieues de Rouen, devant la forte-
resse de Château-Gaillard, passa la Seine durant
la nuit , et donna l'assaut. Le commandant anglais,
qui se nommait Kingston, se voyant surpris, ob-
tint la vie sauve et se hâta de partir". On trouva
dans le château l6 brave sire de Barbazan , qui ,
depuis neuf ans qu'il avait été pris à Melun,
vivait en prison. Il était enfermé dans une étroite
cage de fer. On en rompit les barreaux ; mais le
chevalier ne voulut point sortir. Il avait promis
à Kingston d'être son loyal prisonnier, et il fallait
que sa parole fôt dégagée. On envoya courir après
ce capitaine anglais , qui revint délivrer le sire de
Barbazan. Le roi fut bien joyeux de revoir cet
illustre et vaillant chevalier, qu'on tenait presque
pour mort.
A peine les Anglais avaient- ils quitté Senlis,
que les habitans envoyèrent présenter leur sou*
mission au roi. Il résolut alors de s'approcher
encore de Paris , où le duc de Bedford n'était
plus". On eût été mieux assuré de trouver en
* Hollinshed. — » Chartier. — Chronique de Berri.
214 ATTAQUE
clareraient fortement. Néanmoins, tout le conseil
n'était pas d'opinion qu'il fallût essayer cette en-
treprise \ Le sire de la TremoiUe ne le voulait
point; d'autres aussi pensaient que les termes
où l'on était avec le duc de Bourgogne, que l'as-
surance donnée chaque jour par messire de
Luxembourg du désir de taire la paix, que les
paroles meilleures encore du sire de Gharny,
qui avait laissé penser que son maître remettrait
bientôt Paris aux mains du roi , que la médiation
du duc de Savoie , valaient mieux qu'une atta(|ue
incertaine, et que tout pourrait échouer ou se
retarder beaçcoup, si cette attaque venait à
manquer \
Mais la Pucel^e s'assurait d'entrer à Paris , et
elle avait alors plus grande renommée que ja»
inais *. Elle s'en vint avec l'avant^garde où com-
mandaient le duc d'Àlençon, les marédiaux de
Rais et de Boussac, le sire d'Àlbret, le comte de
Yendôme et les principaux chevaliers, loger k la
Chapelle Saint-Denis. Toute l'armée du roi se
' Chronique de Berri.
' Histoire de Bourgogne.
3 Lettre de Jeanne au comte d'Armagnac , Corapiègne , 22 août.
rrr Monstrelçt. — Saint-Remi.
1
216 ATTAQUE
Yalois et les Armagnacs; on lui fit accroire que
la ville de Paris devait, si elle était prise , être
renversée , et que la charrue devait en labourer
la place ••
La façon dont se comportaient les gens d'armes
de France ne pouvait que donner crédit à ces
mensonges; ils ne recevaient point de paie, et la
victoire les rendait insolens; de Storte qu'ils se
livraient à mille désordres; rien ne les pouvait
retenir. La Pucelle en cela n'était point écoutée.
Son courroux était si grand, cpi'un jour, rencon-
trant des gens d'armes qui faisaient la débauche
avoe une fille de mauvaise vie, elle se mit à les
battre du plat de son épée, si fort que l'arme se
rompit. C'était l'épée trouvée dans l'église de
Fierbois , et q^i venait de faire de si belles con^
quêtes. Ce fut un sujet de chagrin pour tous , et
même pour le roi. c Vous deviez, dit-il à Jeanne,
€ prenclre un bon bâton et frapper dessus, s^ns
€ aventi^rer ainsi cette épée qui vous est venue
« divineiment, comme vo^s dites*. ? La Pi4cell,e
en eut aussi beaucoup de regre^; elle était bien
attachée à cette épée, parce qu'elle venait de
< ^legistres du Parlement.
* Chartier. — Déposition du duc d'Alençon.
DE PARIS (1420). 217
Féglise de Saint^atherine qu'elle aimait tant.
Toutefois elle préférait beaucoup, yoire quarante
fois mieu^, son étendard, disaitrelle; car elle se
servait peu de Tépée \ Elle ne voulait tuer per*
sonne, ^ se contentait de s'en aller la première,
avec son étendard , écartant ceqx qui l'attaquaient
avec la lance ou avec une petite hache qu'elle por^
tait suspendue à sa ceinture.
Enfin , après huit jours passés à Saint-Denis ,
les Français se présentèrent devant la porte Saintp
Honoré, et se rangèrent en bataille dans le mar-
ché aux pourceaux, sous la butte des Moulins, à
peu près au lieu où est^ aujourd'hui la rue Tra-
versière. Ils amenaient avec eux une nombreuse
artillerie qu'ils placèrent sur la butte , et un grand
nombre de chariots remplis de fagots et de fascines
pour combler les fossés \
Les Parisiens étaient pour lors à la grand'-
^lçsse ; c'était le jour de la Nativité de la Vierge \
Tout à coup le bruit se répandit que les Armar
gnacs attaquaient la ville. Ceux qui les favori-
saient criaient : < L'ennemi est entré , tout est
' Interrogatoire de la Pucelle.
* Journal de Paris. — Chronique de la Pucelle. — Charliei:. -::
Monstrelet.
^ Registres du Parlement.
1
218 ATTAQUE
c perdu. » Mais il n'y eut aucune émeute; presque
tous les habitans rentrèrent aussitôt chez eux,
dans l'angoisse de ce qui allait advenir; d'autres
s'en allèrent bravement défendre Paris et se join-
dre aux Anglais , aux Bourguignons et à la milice ,
qui s'étaient portés au lieu attaqué. Les Français
voyaient aller et venir, le long des murailles, les
étendards des chevaliers bourguignons et la ban-
nière blanche à la croix rouge.
Bientôt le combat s'engageamain àmain. Jeanne
et quelque chevaliers , entre autres le sire de
Saint- Yallier, s'en allèrent attaquer la première
barrière; ils y mirent le feu et entrèrent ainsi
dans le boulevard du dehors. Il y avait encore
deux fossés avant d'arriver à la muraille. La Pu-
celle voulut continuer l'attaque ; elle voyait que le
premier fossé n'était pas difficile à passer, mais
le second était profond et rempli d'eau. Quel-
ques uns des hommes, d'armes auraient bien pu
le lui dire; mais sans doute parce que Jeanne
commençait à leur déplaire et à exciter leur en-
vie , ils la laissà:*ent aller '.
Si toute la puissance des Français se fût em-
ployée à cet assaut, les Anglais, pendant ce
' Chronique de la Pucclie.
1
220 IS BOI RETOURNE
pour Umte réponse qae des outrages grossiers et
des paroles déshonnétes. Rien ne pouvait l'ar-
rêter ni la troubler. Mais bientôt, atteinte d'une
flèche à la jambe, ayant vu tomber le vaillant
homme d'armes qui portait son étendard » elle
fut contrainte de se coucher par terre, sur le
revers du tertre qui séparait le$ deux fossés. Là
çUe ordonnait encore l'attaque, et ne voulait point
qu'on se retirât de l'assaut. Cependant la nuit
approchait; il n'y avait nul espoir de passer ce
fossié profond; on n'apercevait point qu'aucun
mouvement eût éclaté parmi les habitans de la
ville, ii'ordre arriva du seigneur de la TremoiUe
pour revenir vers Saint-Denis '. Jeanne ne vou-
lait point entendre parler de s'en aller ; chacun
s*en retournait qu'elle restait encore couchée
près du fossé, sans» écouter les remontrances
qu'on lut pouvait faire; toutes les instances
étaient inutiles. Le duc d'Alençon l'envoya con-
jurer de se laisser ramener; enfin il vint lui-
même la chercher, et psMrvint à la décider \
La retraite des Françs^is ne fut troublée par
auciinç i^rtie. Us ramassèrent leurs laorts qui
' Chartier.
^ Gàronique de la Pucelie. — Journal de Paris.
SUR LA LOIRE (1489). 221
étaient en assez grand nombre, les enfermèrent
dans une grange de la ferme des Mathnrins, et
les brûlèrent ".
Le voyage du roi vers Paris était maintenant
sans but; il manquait d'argent, U se trouvait loin
des provinces qui pouvaient lui en donner et
fournir des munitions '. Le régent allait revenir
avec de plus grandes forces. Les gens d'armes ne
se sentaient plus le même espoir ni le même cou-
rsée. La discorde régnait dans le conseil ; les uns
rappelaient qu'ils n'avaient pas voulu cette atta-
que de Paris ; les autres que , si elle eût été entre-
prise avec plus de forces et continuée avec plus
de constance, un parti se fût déclaré dans Paris
pour le roi. Beaucoup murmuraient contre la
Pucelle, qui leur avait promis, disaient-ils, de
coucher cette nuit même à Paris ^ Enfin , dans
ce chagrin de tous , il fut résolu de retourner vers
la Loire. Jeanne, sans doute avec la volonté de
quitter le service de guerre, suspendit son ar-
mure blanche sur le tombeau de saint Denis,
avec une épée qu'elle avait conquise sur un An-
' Jouraal de Paris.
* Amelgard.
3 Chartier. — Interrogatoires de la Pucellc. — Tripaut.
SS22 LE DUC
glais dans Fassaut de Paris. Mais on s'employa si
bien à la conspler, on loua si fort sa bonne vo-
lonté et sa vaillance , on lui répéta tdlement que
si Ton eût fait tout ce qu'elle avait dit , la chose
eût mieux réussi, qu'elle consentit à suivre le roi.
Depuis elle assura que T^itreprise sur Paris s'é-
tait faite contre le conseil de ses voix , et qu'dle
avait eu tort de ne leur point obéir.
Le roi laissa de fortes garnisons et de vaillans
capitaines dans les forteresses qu'il avait con-
quises. Guillaume de Flavy Ait capitaine de Com-
pi^ne ; Ambroise de Loré à Lagtty ; Jatques de
Chabannes à Creil ; le comte de Vendôme à Saint-
Denis et à Senlis. Le chancelier et le comte de
Clermont devaient se tenir à Beaùvais» pour
continuer à traiter avec les ambassadeurs de
Bourgogne. Puis le roi , prenant la route dé La-
gny, de Provins, de Bray et de Sens, revînt à
Gien et dans les provinces de la Loire.
A peine les Français se furent-ils éloignés,
que le duc de Bedford rentra à Paris; bientôt le
duc de Bourgogne se mit en route pour y venir
aussi, et ramener sa sœur qui venait de passer
deux mois avec lui. Il avait annoncé au roi de
France qu'il allait faire ce voyage, et qu'il s'em-
ploierait à traiter de la paix; aussi avait-il un
VIENT A PARIS (1429). 223
sauf-conduit \ En outre, les capitaines de Com-
piègne et de Pont-Sainte-^Maxence avaient ordre
de lui remettre ces villes pour assurer le passage
des rivières de l'Aisne et de FOîse. Mais Guil-
liiume de Flavy , désobéissant au commandement
qu'il avait reçu » refusa de donner ^oitrée dans sa
viUe \
Le Duc voyageait avec grand appareil , accom-
pagné de trois ou quatre mille combattans. Sa
soeur la duchesse de Bedfwd cheminait près de
lui, suivie de ses femmes, montées comme elle
sur de belles haquenées* Lorsque ce noble cor-
t^e passa devant la ville de Senlis , les Français
sortirent en foule pour voir le Duc. Le chance-
lier de France se présenta pour lui rendre ses
hommages, et bientôt après arriva aussi le comte
de Glermont, accompagné d'environ soixante
chevaliers. Les deux beaux-frères éterent leurs
chaperons, se saluèrent courtoisement ; mais ne
s'embrassàrent point , et leur maintien ne témoi-
gnait ni joie ni amitié. Le comte de Clermont se
tourna ensuite vers sa sœur madame de Bed-
ford j et l'embrassa. L'entrevue ne se prolongea
■ Cbartier.
' Monstrelef.
224 LE DUC
point dai^tage, et le Duc montr*, par Fair de
son visage , qu'il ne voulait point entrer en con-
férence avec son beau-firère ni avec le chancelier.
Il poursuivit sa route vers Paris. Son entrée ftlt
solennelle. Le duc de Bedford » les gens du con-
seil , les prévôts et les échevins vinrent au-devant
de lui. Le régent Tembrassa tendrement ; chacun
. lui faisait honneur. Le peuple criait c Noël ! > et ja-
mais ne lui avait montré tant d'affection. Précédé
des hérauts et des trompettes» il suivit la, rue
Saint-Martin et la rue Maubuée , pour aller rendre
grâces à Dieu dans l'église Sainte-Avoie. De là il
conduisit sa sœur à l'hôtel SaintrPaul, où demeu-
rait le régent '«
Pour lors commencèrent de grands conseils,
où voyant le désir général des Parisiens , et com-
bien ils étaient peu amis des Anglais, le duc de
Bedford, à son grand regret, sur la demande
expresse de l'Université , du Parlement et de la
bourgeoisie, consentit à remettre la régence au
duc de Bourgogne, et à se contenter du gouver-
nement de la Normandie ^
Le duc Philippe se fit beaucoup prier par son
• Journal de Parig. — Registres da Parlement. — Monstrelet.
» Monstrelet. — Registres du Parlepient.
RÉGENT DE FRANCE (1429). 22S
beau-frère , par le cardinal de Winchester, par
les Parisiens. La suite fit voir bientôt après que
les Anglais faisaient sagement de suivre enfin le
conseil de leur roi Henri V, et de ne rien ména-
ger pour conserver Tamitië du duc de Bourgogne.
Cependant il ne rompit point encore ouverte-
ment les négociations commencées avec la France.
Le chancelier et les conseillers du roi arrivèrent
sur un sauf-conduit^, de Senlis à Saint-Denis. Les
sires de Luxembourg et de Lannoy s'y rendirent
de leur côté. Par suite de ces pourparlers, la
trêve conclue à Gompiègne, qui avait, le 28 sep-
tembre, été étendue à la ville de Paris et aux
ponts de Saint-€loud et de Charenton , fut solen-
nellement publiée k Paris en même temps que la
régence du duc de Bourgogne. Deux jours après
il écrivit au duc de Savoie, lui témoigna encore
son désir de feire la paix, et l'espérance d'y voir
consentir son beau^-frère le duc de Bedford". Il
indiquait comme lieu de conférences la ville
d' Auxerre , et priait le duc de Savoie de s'y ren-
dre en personne pour servir de médiateur con-
jointement avec le sire de Luxembourg, les
cardinaux que le pape avait conjuré d'y envoyer,
' Preuves de THistoire de Savoie.
TOMI V. 5* ÎBIT. l5
226 LE DUC
et les ambassadeurs de Tempereur. Les envoyés
du duc de Savoie s*en allèrent de là auprès du
roi à Issoudun , et il écrivit dans le même sens à
leur maître.
Mais on ne croyait plus à toutes ces protesta-
tions pacifiques. Chacun , de son côté , s'apprêtait
à reprendre la guerre avec plus de force. La
trêve devait finir à Noël ; en attendant , elle n'était
observée par personne. Les capitaines des garni-
sons françaises n'obéissaient en aucune façon au
comte de Clermont , que le roi avait laissé pour
son lieutenant dans les pays de la rive droite de
la Seine. Chacun faisait à son gré des entreprises
sur l'ennemi; les Anglais et les Bourguignons
s'efforçaient aussi de reprendre les forteresses
qu'ils avaient perdues ". Ainsi la contrée était re-
devenue plus malheureuse que jamais. Les rava-
ges s'étendaient jusqu'à la porte de Paris; la
disette y avait recommencé , et les cinq ou six
mille Picards que le duc de Bourgogne avait
amenés ne faisaient qu'accroître le désordre.
Pour observer la trêve , on ne les employait pas
contre les Français, mais ils pillaient leurs hptes
à Paris et dans les villages où ils étaient logés.
' Chartier. — Monstrelet. — Journal de Paris.
RÉGENT DE FRANGE (1429). 227
Ce fut là tout ce que les Parisiens tirèrent de ce
duc de Bourgogne qu'ils avaient si bien reçu.
Après quinze jours , le duc de Bedford étant parti
pour Rouen avec les Anglais, le Duc s*en alla
aussi avec presque tous ses gens , laissant la ville
sans défense; seulement, pour apaiser les mur-
mures , il recommanda publiquement que si les
Armagnacs revenaient, on eût à se bien défendre,
et confia le gouvernement de Paris au maréchal
de risle-Adam.
Il était en effet pressé de retourner en Flan-
dre '. Déjà, depuis assez long-temps, il avait né-
gocié son mariage avec madame Isabelle , fille du
roi Jean I®' de Portugal et de madame Philippe
de Lancastre. Les sires de Roubais et de Toulon-
geon, de Noyelle et d'autres seigneurs bourgui-
gnons % étaient allés la chercher; elle s'était
embarquée avec un des infans ses frères, pour
arriver par mer en Flandre. Déjà elle était en vue
du port de l'Écluse , on s'assemblait sur le rivage
pour fêter sa venue, lorsqu'une fiirieuse tempête
la rejeta en mer. On fut plusieurs jours sans sa-
voir ce qui lui était advenu , et craignant qu'elle
n'eût péri dans quelque naufrage. C'était l'inquié-
' Journal de Paris. — * Sainl-Rerai.
xi
228 MARIAGE
tude qu'avait le duc Philippe lorsqu'il quitta
ainsi Paris en toute hâte. Peu après il sut que le
vaisseau, long-temps ballotté sur la mer, avait
enfin été jeté sur la côte d'Angleterre * ; la prin-
cesse avait reçu bon accueil des gouverneurs de
ce royaume, qui même lui avaient prêté cent li-
vres pour ses dépenses. A son arrivée en Flandre ,
elle fut reçue avec une magnificence jusqu'alors
inconnue , et qui surpassait le faste déjà si célèbre
de la maison de Bourgogne. Ce fut à Bruges , le
10 janvier 1430, que les noces se célébrèrent.
Le Duc avait fait construire des salles toutes
neuves pour agrandir son château. Les rues
étaient tendues de ces beaux tapis de Flandre,
tels qu'on n'en faisait nulle part de pareils. La
duchesse de Bedford, la duchesse de Clèves,
étaient venues faire honneur au mariage de leur
frère. La comtesse de Namur, la comtesse de
Lorraine, madame de Luxembourg et d'autres
nobles dames formaient aussi le cortège de la
nouvelle Duchesse. Les grands seigneurs et les
puissans gentilshommes étaient en foule à ces cé-
rémonies. Conune eux , les riches bourgeois de
Bruges, qui commerçaient dans tout le monde»
* jécta publica : Rymer.
DU DUC (1430"). 22*
rivalisaient de luxe et de dépense. Les fêtes du-
rèrent huit jours entiers sans interruption ; non
seulement le palais , mais la ville étaient nuit et
jour en festin, en danses, en courses de chevaux ,
en jeux de toute sorte. Rien ne parut plus splen-
dide que trois fontaines placées devant le palais.
L'une était un lion de pierre, et versait sans cesse
du vin du Rhin ; l'autre un cerf, d'où coulait du
vin de Beaune ; la troisième était une licorne qui^
aux heures des repas , faisait jaillir de l'eau de
rose pour se laver les mains, puis tour à tour du
vin de Malvoisie, du vin de la Romanée, du vin
muscat et de l'hypocras. Aussi ne voyait-on par
toute la ville que gens de la populace ivres ,. se
gourmant les uns les autres, ou couchés çà et
là dans les rues ; tandis que , dans le palais , ceux
qui approchaient du Duc se livraient à de plus
nobles divertissemens *. Il régla pour sa fenune
un train de maison bien plus magnifique et com-
posé d'un beaucoup plus grand nombre de servi-
teurs que n'en avait aucune reine de la chré--
tienté ^.
' 1430-1429 , y. st. L'année commença le 16 avriL
' Monstrelet. — Meyer. — Heaterus. — Saint-Bemi.
^ Preuves des Mémoires de France et de Bourgogne. — Ordon-
nance du 5 janyier 1429, y. st..
230 CRÉATION DE l'oRDRE
Il donna ainsi à ce troisième mariage un tout
autre éclat qu'aux deux premiers , soit qu'il se
trouvât alors plus comblé de gloire et de prospé-
rité , soit qu'il voulût faire paraître plus de galan-
terie envers cette nouvelle épouse. Ce fiit à cette
occasion et à cause d'elle , dit-on , qu'il prit la
devise, < Autre n'aurai, i» l'appliquant sans doute
au mariage seulement ; car pour les amours il ne
s'en fit faute pas plus après qu'auparavant. En
ce moment même on racontait qu'il aimait beau-
coup une dame de Bruges ; et ce ftit en son hon-
neur, selon le bruit populaire, qu'il institua ce
fameux ordre de la Toison-d'Or , le plus grand
ornement sans doute de la fête de son mariage,
et qui lui sembla toujours depuis un des plus
beaux signes de sa gloire et de sa puissance. On
disait qu'il avait voulu venger cette dame des mo-
queries de quelques seigneurs de sa cour, et leur
proposer pour objet d'ambition et d'envie un
souvenir de cette couleur dorée qu'ils avaient
indiscrètement raillée'.
Quoi qu'on en ait dit, le duc Philippe donna
et eut sans doute de plus dignes motifs pour in-
* Favin, Théâtre d'honneur. — Colomiès (d'après Vossius, qui
disait Tavoir lu dans une chronique ). Recueil de particidarités.
t ' .
DE LA TOISON b'oR (1430). 231
stituer , dans une occasion solennelle , une che-
valerie si conforme à ses nobles inclinations et
au goût qu'il montra toute sa vie pour ce genre
de cérémonies et de devoirs. Voici comment il
exposa sa pensée , lorsqu'un an après il régla en
définitif son ordre de la Toison-d'Or , dont les
vingt-quatre premiers chevaliers avaient paru
dans tout leur éclat au mariage.
« A tous présens, à venir, savoir Êdsons qu'à
cause du grand et parfait amour que nous avons
pour le noble état et ordre de chevalerie, dont,
par notre ardente et singulière affection nous
désirons accroître encore l'honneur, afin que,
par son moyen, la vraie foi catholique , l'état de
notre sainte mère l'Église, la tranquillité et la
prospérité de la chose publique, soiait, autant
qu'ils peuvent l'être, défendus, gardés et con-
servés; nous, pour la gloire et la louange du
Créateur tout-puissant et de notre Rédempteur,
pour la vénération de la glorieuse Vierge sa
mère, pour l'honneur de monseigneur saint
André , glorieux apôtre et martyr , pour l'exal-
tation de la foi et de la sainte Église , pour l'exci-
tation aux vertus et aux bonnes mœurs, le 10^
de janvier 1429 , qui était le jour de la solennité
du mariage célébré à Bruges entre nous et notre
232 JOUTES
ctrès-cbère et très -aimée épouse Elisabeth»
c avons institué, créé et ordonné, comme par
c les présentes nous instituons, créons et ordon-
c nous un ordre et confrérie de chevalerie et
€ d'association amicale d'un certain nombre de
c chevaliers que nous avons voulu appeler du
c nom de la Toison-d'Or conquise par Jason , et
€ sous les conditions ci-après \ »
L'ordre devait se composer de trente-un che-
valiers, gentilshommes de nom et d'armes et sans
reproche. Leur chef suprême devait être le duc
Philippe, sa vie durant, et après lui ses succes-
seurs ducs de Bourgogne.
Les chevaliers devaient quitter tout autre or-
dre, hormis les souverains, qui pouvaient garder
l'ordre dont ils étaient chefs.
Le collier qui portait la toison d'or était donné
par le Duc et devait lui être renvoyé après le dé-
cès du chevalier. Il se composait de briquets,
nommés alors fiisils, faisant jaillir des étincelles
de leurs pierres. C'était depuis long-temps la
devise du Duc; elle signifiait, disait-on, que le
heurter, c'était l'enflammer. Le grand manteau
' Meyer. — Pontus Heuteros (leurs textes offrent quelques dif-
férences ).
A ÀRRAS (1430). 233
de Tordre était d'écarlate, traînant jusqu'à terre,
avec fourrure de vair; le chaperon de même
couleur.
Les quatre-vingt-quatorze articles de cette or-
donnance contenaient les devoirs imposés aux
chevaliers, tous se rapportant a la fidélité envers
la sainte Église, à l'intégrité de la foi catholique,
à la loyauté envers le souverain , à l'amitié et à la
fraternité entre les chevaliers de l'ordre , à l'hon-
neur dans les armes, aux révélations qu'il leur
était prescrit de faire de tout ce qui serait con-
traire ou injurieux au souverain ou aux membres
de l'ordre. Les cérémonies, les réceptions, les
sermens , les procédures contre les chevaliers dé-
linquans, étaient aussi réglés par le plus menu
détail. Enfin le Duc désignait les articles de cette
longue ordonnance qui pouvaient être dans la
suite expliqués et changés par le chapitre de
l'ordre, et ceux qui devaient être immuables.
C'était assurément le plus beau code d'honneur
et 4e vertu chevaleresque, et aussi le moyen
d'attacher et de rendre de plus en plus docile au
duc de Bourgogne toute cette grande noblesse
qui l'environnait et le servait.
Après les fêtes de Bribes, le Duc se rendit à
Gand et dans les principales villes de Flandre >
1
234 GONTlIfUATION
pour montrer à ses sujets leur nouvelle souve-
raine. Elle reçut partout un grand accueil et de
riches présens. Ce fiit à ce moment qu'éclata une
sédition à Grammont. Les gens de métier se ré-
voltèrent contre les magistrats qui voulaient les
soumettre à une taxe ; mais le Duc , qui se sentait
puissant, fut sévère contre les rebelles, et tel il
se montra toujours. Son bailli , le sire d'Hallwin ,
fit trancher la tête aux che& des mutins, et les
autres furent bannis'.
Au mois de février, continuant toujours à se
faire voir à leurs bonnes villes, le Duc et la Du-
chesse se trouvèrent à Arras ; là ils publièrent un
grand tournoi ; cinq des plus illustres chevaliers
français , qui guerroyaient dans le voisinage , et
qui avaient, peu de jours auparavant, soutenu un
combat très-vif contre la garnison de Clermont
en Beauvoisis, vinrent défier cinq chevaliers
bourguignons; c'étaient Saintraille, Valperga,
d'Abrécy , Dubiet et de NuUy \ Leurs adversaires
furent le sire de Beaufremont, seigneur de Charny ,
le sire de Lalaing, Jean de Vauldrey , Nicolas et
Philibert de Menthon. La joute dura cinq jours.
* Meyer.
* Moiistrelet.
DE LA GUERRE (1429). 23S
Elle fut brillante ; le Duc et la Duchesse siégeaient
sur un échafaudy entourés de toute leur chevale-
rie. C'était Jean de Luxembourg qui approchait les
lances aux champions de Bourgogne, et Alard de
Mouhi aux Français. Le sire de Beaufremont
blessa grièvement le sire d'Abrécy , et le sire de
NuUy fîit aussi fortement atteint par Philibert
de Menthon; Yalperga, après un rude et long
combat contre le sire de Lalaing, fut abattu. Le
Duc fit rendre de grands soins aux blessés, et ac-
cueillit le plus courtoisement leurs compagnons.
Puis on recommença des deux parts à s'apprêter
à la guerre plus cruellement que jamais.
La trêve, comme on a vu, ne s'observait pas.
Les garnisons françaises, bourguignonnes, an-
glaises, sans obéir à personne, ne faisaient que
courir et piller le pays*. Le comte de Glermont,
que le roi avait laissé pour lieutenant, voyant que
nul ne voulait lui obéir, s'était en allé, laissant
le commandement au comte de Vendôme. Le
pays, qui commençait à se reposer lorsqu'un
seul parti y était ntaitre, n'avait jamais été plus
malheureux. Les habitans reprenaient leurs habi-
tudes de brigandages ; il y avait même des gens de
* Cbarticr.
236 PRISE
Paris qui, laissant femmes et enfans, s'en al-
laient par bandes piller sur les grandes routes
aux environs de la ville» et beaucoup de riches
bourgeois, pour trouver quelque sûreté, se réfu-
giaient dans les pays du duc de Bourgogne'.
De l'autre côté de la Loire, les trêves n'étaient
pas mieux gardées. Le duc d' Alençon avait voulu
s'en aller avec la Pucelle en Normandie , pour
reconquérir son apanage ; mais le sire de la Tre-
moille s'y opposa. Le duc d' Alençon alors y en-
voya ses gens, et manda le vaillant Ambroise de
Loré, capitaine de la forteresse de Lagny, pour
être le maréchal de cette entreprise. Pendant ce
temps, le conseil du roi revint au dessein de s'as-
surer de tout le cours de la Loire. Perrinet Gras-
set, cet aventurier bourguignon qui ne recon-
naissait de chef que le duc Philippe, encore sem-
blait-il que ce fût plus de nom que de fait , et (pii
traitait avec tant d'arrogance le maréchal de Bour-
gogne et tous les grands seigneurs du duché, te-
nait encore en ce moment la Charité et les places
de cette contrée \ On lui fit proposer de se décla-
» Journal de Paris. — Chartier. — Chronique de Berri* — Vi-
giles de Charles VIT.
> Preuyes de THistoire de Bourgogne.
DE SÂINT-PIERRE-LE-HOUTIER (1429). 237
rer pour le roi , mais il n'y voulut point entendre.
Alors on assembla à Bourges un certain nombre
de gens d'armes. Le sire d' Albret fiit leur chef, et
s'en alla, avec la Pucelle, assaillir Saint-Pierre-
le-Moutier.
Ce fut encore là un des plus beaux exploits de
Jeanne. Les Français n'étaient pas nombreux;
leurs plus fameux capitaines étaient occupés dans
d'autres entreprises ou dans diverses garnisons.
Le siège durait depuis quelques jours ; les assié-
gés se défendaient bien. Déjà plusieurs attaques
avaient échoué. Un jour que les Français repous-
sés se retiraient en désordre , et que les meilleurs
hommes d'armes pensaient à lever le siège,
Jeanne, demeurée presque seule, ne voulut point
s'éloigner du rempart'. Le sire de Daulon, son
écuyer, accourut pour l'emmener : € Vous êtes
€ seule, dit-il. — Non, dit-eUe en étant son cas-
c que; j'ai cinquante mille hommes, et il faut
c prendre la ville. » Elle lui saoïibla insensée ;
mais , sans s'arrêter à ses discours , la Pucelle se
mit à appeler tous ses gens, leur criant d'appor-
ter des claies et des fascines. Sa voix les ranima;
ils obéirent à ses ordres. Elle ne cessait de les
* Déposition de Daulon.
238 CATHERINE
presser. En un instant le fossé Ait comblé. Tassant
recommencé^ la ville prise. La Pucelle ne fit ja-
mais rien qui parût plus merveilleux ni plus
divin.
En ce temps-là il était venu près du roi une au-
tre sainte femme qui se disait aussi prophétesse '.
Elle se nommait Catherine, et venait de La Ro-
chelle , promettant de même de grandes dioses au
roi. Elle n'allait point à la guerre, mais sonjfait
était de prêcher, au nom du ciel, qu'on apportât
de l'argent au roi, et elle disait qu'elle saurait
bien connaître ceux qui tiendraient leurs trésors
cachés. Elle avait aussi des visions , et souvent ,
disait-elle, il lui apparaissait une dame blanche
vêtue d'or. Jeanne, nonobstant qu'il y eût grand
besoin d'argent pour payer les gens d'armes , ne
voulut point croire aux discours de Catherine.
Elle demanda à voir la dame blanche. Catherine
la fit coucher avec elle pour être témoin de la vi-
sion qui venait toujours la nuit. La Pucelle veilla
long-temps sans rien voir apparaître; mais s'étant
endormie, Catherine assura que c'était alors que
la dame était venue. Le lendemain Jeanne dormit
durant la journée pour pouvoir se tenir éveillée
* Journal de Paris. — Interrogatoires de la Pucelle.
BE LA ROCHELLE (1429). 239
toute la nuit. En efifet, elle ne ferma pas l'œil, et
elle demandait toujours à Catherine : c Yiendra-
€ t-elle point? — Oui, bientôt, * disait l'autre;
mais rien ne parut.
Cependant Jeanne ne pouvait pas plus montrer
ses visions que Catherine, et disait à œux qui lui
en parlaient, qu'ils n'étaient point assez dignes ni
vertueux pour voir ce qu'elle voyait. Il était donc
raisonnable qu'elle ne regardât point comme une
preuve contre cette femme de La Rochelle le fait
de ne pouvoir communiquer ses visions à d'au-
tres. Alors elle résolut d'en parler, ainsi qu'elle
le raconta, à sainte Catherine et à sainte Margue-
rite, qui lui dirent qu'il n'y avait que folie et men-
songe dans la femme de La Rochelle. Aussi voulut-
elle la renvoyer à son ménage nourrir ses enfans ,
et dit au roi qu'il ne la fallait point écouter. Ce
fiit, à ce qu'il semble, l'avis de tous. Frère Ri-
chard, toutefois, lui était favorable, et tous deux
étaient contraires à Jeanne '.
Après la prise de Saint-Pierre-le-Moutier, on
alla assiéger la Charité. Le maréchal de Boussac
et le sire d' Albret y étaient avec Jeanne. Catherine
avait conseillé de n'y point aller, parce qu'il fai-
' Déposition de Daulon. — Interrogatoires de la Pucelle.
240 LA PUGELLE
sait trop froid : on était au cœur de Fhiver. La
ville était merveilleusement bien fortifiée. Perri-
net Grasset était un habile et vaillant capitaine.
Les Français n'étaient pas fort nombreux. Us de-
meurèrent un mois devant les murailles sans
avancer en rien. On livra plusieurs assauts san-
glans, et toujours sans succès. Enfin une fausse
alerte, donnée par Perrinet Grasset, mit en dé-
route les Français , et ils revinrent laissant leurs
canon^s. Jeanne assura ensuite que son avis eût été
de ne point tenter cette entreprise.
Alors, après avoir assemblé un plus grand
nombre de combattans, le conseil du roi revint
au projet de porter la guerre dans les environs
de Paris, sur la Seine '. Les affaires du roi allaient
mieux de ce côte-là. Les garnisons françaises
avaient presque toutes réussi à se conserver et à
se défendre. Les habitans de Melun s'étaient dé-
livrés des Anglais , et avaient appelé chez eux le
commandeur de Giresme. Saint-Denis avait été
surpris. La Hire avait pris Louviers , et courait
jusqu'aux portes de Rouen. Cette ville même avait
failli revenir aux mains des Français par le com-
plot de quelques bourgeois. En outre, Paris se
■ Monstrelet. -^ Chronique de Berri. — Cbartier.
REYliNT VERS PARIS (I4S0). 241
remplissait chaque jour de mecontens. Abandon-
nés du duc de Bourgogne et du régent, affamés
par les compagnies qui dévastent la ccmtrée, se
voyant sans défense, aiq[)renant saûs cesse que les
Armagnacs avaient partout meilleure fortune , les
Parisiens détestaient de {dus en plus la guerre et
les Anglais. Une grande conjuration se forma
pour Êdre entrer dans la ville les gens de guerre
du parti du roi '. Un derc de la chambre des
comptes» deux procureurs au Ghâtelet, de riches
bourgeois, un religieux de Tordre des Carmes,
qui conduisait toute l'affaire ^ et environ cent
cinquante autres forent découverts. Les uns fo-
rent écartelés ou décapités ; d'autres jetés à la ri-
vière ; il y en eut qui moururent à la torture ;
les plus ridies se rachetèrent ; un grand nom-
bre s'enfuit. L'entreprise fut ainsi manquée.
Mais une autre pareille pouvait se former. Le roi
envoya donc toutes ses forces vers Paris ; la Pucelle
s'y rendit aussi ; son avis ' était qu'on ne pouvait
trouver la paix qu'au bout de la lance , tandis que
Catherine disait au contraire qu'il fallait traiter
avec le duc de Bourgogne, et que , si l'on voulait,
elle s'en irait persuader ce prince^
' Journal de Paris. — * Interrogatoires de la Pacelle.
TOMB T. 5* ÎD>r. lO
242 SUPPLICE
que Jeanne et les secours qu*elle amenait
furent arrivés, tout commença à prospérer mieux
encore pour les Français. La garnison an-
glaise de Corbeil, et le$ gens venus de Paris,
furent repoussés devant Melùn qu'ils voulaient
reprendre. Saint-Maur, proche Yincennes, lut
• • •
surpris. Une nouvelle conjuration éclata dans
Paris parmi les prisonniers qjaï étaient à la
Bastille ; ils étaient sur le point d'égorger le ca-
pitaine et de livrer la porte Saint-Antoine , lors-
que le sire de l'Isle-Adam arriva au plus vite;
frappant lui-même de sa hache ceux qui venaient
de tuer la garde des portes , il arrêta le succès de
cette entreprise , et fit noyer tous ces malheureux
prisonniers '.
Vers le même moment, un des plus vaillans
chefs des compagnies bourguignonnes , nommé
Franquet d' Arras , courait le pays avec trois cents
Anglais ou Bourguignons, et (commettait mille
cruautés. Jeannp s'en alla l'attaquer ; il avait de
bons archers, et se retrancha fortement; tout
son monde avait mis pied à terre; paf deux
fois, Jeanne et le$ Français furent repoussés,
bien que leur attaque fût hardie et vigoureuse ;
' Journal de Paris.
DE FRÀNQUET d'àRRÀS (1430). 243
enfin la garnison de Lagny, commandée par le
valeureux sire de Foucaud , arriva avec de Tar*
tillerie. Frainquet, après s*étre défendu obstiné-
ment; fiit forcé derrière son rempart '. Presque
tous ses gens fiirent passéià au fil de Tépée^ et lui
fut Élit prisonnier. La Pu(^llé voulait le garder
pour réchanger avec iln brave Parisien , mai-
tre d'une fameuse hôtellerie à renseigne /de
rOurs, que Ton retenait eu prison pour quelque
entreprise faite en faveur du roi*. Le bailli dé
Senlis et les juges de Lagny deiiiandaient, au con-
traire, que Franquet leur fût livré afin de punir
ses brigandages. Jeanne ayant appris que l'au-
bergiste était mort, ^ En ce cas, dit-elle, faites de
€ celui-ci ce que justice voudra. > Son procès fut
suivi , et il fut décapité. La mort de ce fameux chef
de guerre , que le duc de Bourgogne et les Anglais
aimaient beaucoup, et que sa grande vaiUance
avait rendu cher à tous les hommes d'armes,
donna un courroux extrême aux ennemis. On
assura que Jeanne avait violé la foi promise, et
avait manqué à toutes les lois de la guerre \ Cela
augmenta la réputation de cruauté qu'elle avait
' Momtrelet. -^ Chartier.
^ Interrogatoires de la Pucelle. — ^ ]IoUiii«lied.
244 GONTINUÀTIOn
parmi les adversaires du roi. Ils répandirent
même qu'elle avait tué Franquet de sa main. Ja*
mais elle n'avait inspiré tant de terreur aux An-
glais» et par conséquent une si graûde haine à
leurs chefs. Les archers et les gens d'armes qu'on
enrôlait en Angleterre prenaient la fuite » et se ca-
chaient plutôt que de venir en France combattre
contre la Pucelle,etron était contraint de publier
de sévères ordonnances contre les capitaines et
les soldats qui tardaient à partir, ou s'y refii-
saient, effrayés de ses sortilèges'.
Pour ranimer le courage des Anglais qui étaient
en France, pour relever l'espoir des Parisiens,
il fut résolu par le conseil d'Angleterre d'envoyer
le jeune roi Henri YI, qui avait pour lors neuf
ans, se faire couronner roi de France à Saint-
Denis. On fit grand bruit de cette nouvelle à Paris ;
on ordonna d'avance des fêtes ; on annonça qu'il
arriverait avec un grand nombre de soldats ; on
disait aussi, pour se rendre le peuple favors^le,
que le duc de Bourgogne assemblait une forte
armée.
11 semblait en effet que tout projet de faire la
paix fût maintenant bien éloigné. Le Duc , à qui
* Meyer. — Hollinshed. — Rymer : Àcta publicuf tonM X.
246 GONTINUÀTIOM
dans les pays du nord. Tinrent assiéger Gouritiay-*
sur-Aronde» forteresse qui appartenait au comte
de Cienncmt. Le capitaine promit de la rendre,
s*il n'était pas secouru avant le mois d'août, et
en attendant de ne commettre aucun acte de
guerre*. De là le sire de Luxembourg se portant
vers Beauvais, contraignit le sire Louis de Gau-
court de s'y renfermer, et délivra le pays d'une
bande de brigands anglais qui s'étaient saisis du
château de Provenlieu, ravageant toutela contrée,
sans connaître amis ou ennemis. Us furent pres-
que tous mis à mort. Le duc de Bourgogne alla
ensuite mettre le siège devant Cboisy-sur-Oise '•
La Pucelle, le comte de Vendôme et beaucoup
d'autres seigneurs partirent des bords delà Marne
pour venir secourir cette forteresse. H fallait pas-
ser la rivière d'Aisne. Ils se présentèrent devant
Sojsscms. Le comte de Glermoht y avait laissé
pour capitaine un écuyer picard, nommé Gui-
chard Joumel. Get homme traitait déjà avec le
duc de Bourgogne ; il ferma ses portes aux Fran-
çais , persuada aux habitans qu'une nombreuse
garnison, s'établissant dans la vUle, ne tarderait
pas à les affamer , et en même temps s'excusa au-
' Monstrelet. — ' Chartier. — Chronique de Bçrri,
D£ LÀ <ÏU£]UIE (1450). 247
près du comte de Vendôme sur la volonté du
peuple. La troupe française était nombreuse; il
y avait la plusieurs grands seigneurs avec un train
con^dérable. Voyant que la route n'était point
libre, que le pays manquait de vivres, ils s'en
retoui^nèrent dans le pays d'où ils venaient; la
Pucelle, avec quelques vaillans chevaliers, s'en
alla à Gompiègne, mais n'y daneura guère.
Le duc de Bourgogne, pour que les vivres qui
arrivaient à son camp devant Chôisy par Mont-
didier et Noyon, ne fussent point arrêtés par la
garnison fran^se de Compiègne, avait placé à
Pont-FÉvéque et dans les faubourgs de Noyon
yne garde d'Anglais et de Bourguignons. Un ma-
tin à la pointe du jour, la Pucelle, Sainiraille,
Vajperga , le sire de Chabannes et d'autres, au
nombre d'environ deux mille, tombèrent avec
vigueur sur les Anglais de Pont-l'É véque , dont
sir John Mongommery était chef. Déjà il était
contraint de plier, lorsque les sires de Brimeu et
de Saveuse arrivèrent de Noyon en toute hâte
avec leurs Bourguignons , et sauvèrent les An-
glais. A quelques jours de là, le sire de Brimeu
fut surpris par Saintraille pendant qu'il se ren-
dait devant Choisy, et mis à forte rançon.
Toutes ces entreprises ne purent sauver Choisy ,
248 siÉGfi
que le Duc assiégeait avec une redoutable artil-
lerie'.
U vint ensuite mettre le siège devant Com-
piègne ; c'était la principale ville que les Français
eussent dans le pays. Le sire Guillaume de Flavy,
que le roi y avait mis pour capitaine , et qui l'avait
conservée ensuite malgré ses ordres , était un
vaillant homme de guerre, mais le plus dur et le
plus cruel peut-être qu'on connût dans ce temps-
là, D n'y avait pas de crime qu'il ne commît
chaque jour. Il disait mourir toutes sortes de
gens, sans justice ni miséricorde, dans les plus
affreux supplices*.
Ce terrible capitaine avait fait les plus grands
préparatifs pour se bien défendre. La ville était
sufSsamment approvisionnée de vivres et de mu-
nitions. Les murailles étaient fortes et réparées à
neuf, Isi ganiison nombreuse, l'artillerie bien
servie. Aussi le duc de Bourgogne assembla toute
sa puissance pour un siège si difficile. Il fit
entourer la ville presque de tous les côtés : le
sire de Luxembourg , le sire Baudoin de Noyelles,
^ir JFohn liloiiigompdery , et le Duc lui^mémp
f Monstrelet.
? Mémoires de Duclercqt -** Saint-Reim.
DE GOHPIÈGNE (14^0). 249
commandaient chacun lés postes principaux '.
La Pucelle, dès qu'elle apprit que Compiègne
était ainsi resserrée, partit de Crespy pour aller
s'enfermer avec la garnison. Dès le jour même
de son arrivée, elle tenta une sortie par la porte
du pont de Tautre côté de la rivière d'Aisne. Elle
tomba à l'improviste sur le quartier du sir« de
Noyelles, au moment où Jean de Luxembourg et
quelques uns de ses cavaliers y étaient venus
pour reconnaître la ville de plus près. Le premier
choc Ait rude ; les Bourguignons étaient presque
tous sans armes. Le sire de Luxembourg se main-
tenait de son mieux , en attendant qu'on pût lui
amener des secours de son quartier, qui était
voisin, et de celui des Anglais. Bientôt le cri
d'alarme se répandit parmi tous les assiégeans , et
ils commencèrent à arriver en foule. Les Français
n'étaient pas en nombre pour résister. Us se
mirent en retraite \ La Pucelle se montra plus
vaillante que jamais ; deux fois elle ramena ses
gens sur l'ennemi; enfin, voyant qu'il fallait
rentrer dans la ville, elle se mit en arrière-garde
pour protéger Içur marche et les maintenir en
' Monstrelet.
^ Interrogatoires de la Pucelle.
250 PEISR
bon ordre contre les Bourguignons, qui, surs
maintenant d'être hieaoi appuyés, se lançaient vi-
goureusement à là poursuite, Ds reconnaissaient
rétendard de la Pucelle % et la distinguaient à sa
huque d'écarlate, brodée d'or et d'argoit; en6n
ils poussèrent jusqu'à elle. La foule se pressait
sur le pont. De crainte que l'ennemi n'^entrât dans
la ville à la faveur de ce désordre, la barrière
n'était point grande ouverte ; Jeanne se trouva
environnée des ennemis, elle se défendit coura-
geusement avec une forte épée qu'elle avait con-
quise à Lagny sur un Bourguignon \ Enfin^ un
archer picard , saisissant sa huque de velours , la
tira en bas de son cheval ; elle se releva , et corn-*
battant encore k pied. eUeparvint jusqu'au fossé
qui environnait le boulevard devant le pont. Po-
thon le Bourguignon, vaillant chevalier du parti
du roi , et quelques autres étaient restés avec elle
et la défendirent avec des prodiges de valeur.
Enfin il lui fallut se rendre à Lionel , bâtard de
Vendôme, qui se trouva près d'elle.
Elle fat aussitôt amenée au quartier du sire de
Luxembourg, et la nouvelle s'étant répandue
' Heuterus. — Saint-Remi.
* Interrogatoires de la Pucelle.
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Seannc bTtW faiU prftennim.
DE LA PUCGLLE (1430). ISt
parmi les assiégeans^ ce fut une joie smâ pa*
reille '. Qn aurait dit qu'ils eussent gagné quelque
grande bataille , ou que toute la Frsgice fût à eux ;
car les Anglais ne craignaient rien tant que cette
pauvre fille. Chacun accourait de tous côtes pour
la Toir^ Le duc de Bourgogne ne fut pas des der-
niers; il vint m logis où elle avait été amenée, et
lui parla , sans qu'on pût bien savoir ce qu'il lui
dit On écrivit tout aussitôt à Paris , en Angle-
terre, et dan^ toutes les, villes de la domination
de Bourgogne, pour annoncer cette grande nou-
velle. Le Te Devm fut. chanté en grande solen-
nité, par ol*dre du duc de Bedfwd ^
Ce fiit au contraire un grand sujet de tristesse
pour les Français. Aux regrets qu'excita cette
perte se mêlèrent de fôcheux sioupçons. On disait
parmi le peuple que les chevaliers et les sei-
gneurs , jaloux de sa grande renommée , avaient
tramé sa ruine. Le sire de Flavy, déjà si détesté,
fut surtout accusé ; on prétendît qu'il l'avait ven-
due d'avance au sire de Luxembourg, et qu'il
avait fait fermer la porte sur elle, pour qu'elle
demeurât aux mains des ennemis. Le bruit se ré-
' Monsfrelet (témoin oculaire). — Vigiles de Charles Vil.
* Hume.
1
262 LES ANGLAIS
pandit que ses voix lui avaient prédit sa perte , et
que le jour même, comme elle était allée com-
munier dévotement à l'église Saint4acques , elle
s'appuya tristement contre un des piliers, et dit
à plusieurs habitans et à un grand nombre d'en*
fans qui se trouvaient là : < Mes bons amis et mes
( chers enfans, je vous le dis avec assurance, il y
t a un homme qui m'a vendue; je suis trahie, et
c bientôt je serai livrée à la mort. Priez Dieu
c pour moi, je vous supplie; car je ne pourrai
c phis servir mon roi ni le noble royaume de
€ France \ » Cep^idant elle ne se plaignit jamais
de personne, se bornant à dire que depuis quet
que temps il lui avait été annoncé qu'elle tombe-
rait avant là Saint- Jean au pouvoir des ennemis.
Elle n'avait jamais parlé de cette prédiction à
personne. Au contraire, les hommes d'armes di-
saient qu'elle les avait encouragés à faire une
sortie, et leur avait promis la victoire contre les
Bourguignons'. Les récits qui s'accréditèrent
contre la trahison du sire de Flavy prouvaient
donc seulement la haine qu'on lui portait; et en
effet il défendit si vaillamment Compiègne , que
■ Chroniques de Bretagne.
2 Saint-Remi.
1
264 LES ANcaJkis
daas chaque diocèse, se faire dâivrer les procé-
dures faites contre des hérétiques, ou procéder
contre et^x. de leur propre mouvement, et implo-
rer, s'il le fallait, le bras séculier contre lesdits
hérétiques, à moins que les accusés ne se sou-
missent entièrement à TË^ise* Mais ceâ inquisi-
teurs ne pouvaient juger que d'accord avec Té-
véque du diocèse. C'est ainsi qu'on a vu qu'il
avait été procédé contre Jean Petit, pour son
apologie du meurtre du duc d'Orléans.
Le sire de Luxembourg , a qui le bâtard de Yen-
dôme avait vendu sa prisonnière, ne s'arrêta
point à l'injonction de l'inquisiteur; il envoya la
Pucelle dans sofi château de Beaurevoir en Pi-
cardie, où, bien qu^elle fôt gardée sévèrement,
les dames de Luxembourg lui firent un accueil
doux et consolant '.
Bientôt l'Université, c'est-à-dire ceux de ses
docteurs qui étaient restés à Paris et servaient
les Anglais , écrivirent au duc de Bourgogne pour
demander instamment que Jeanne fât remise à
l'inquisiteur de la foi et à l'évéque de Beauvàis ;
dans le diocèse duquel elle avait été prise. Le I>uc
ne répondit point, et l'Université envoya une
^ Procès de U Pacelle.
1
2S6
GUfiRUE
c Combien que, disait<«il en sa lettre, cette
femme qu'on nomme Jeanne la Pucélle ne
doive pas être regardée comme prisonnière de
guerre, néanmoins, pour la rémunération de
ceux qui Font prise et détenue, le roi veut libé-
ralement leur bailler jusqu'à la somme de six
mille francs , et pour ledit bâtard qui Fa prise ,
lui donner et assigner rente pour soutenir son
état jusqu'à deux ou trois cents livres^ »
Il ajoutait : c Enfin, si eux ou quelques uns
d'entre eux ne voulaient , pour les motifs sus-
dits, obtempérer à ce qui est demandé > bien
que la prise de cette femme ne soit point pa-
reille à cdle d'un roi, d'un prince ou d'autres
gens de grand état, toutefois, comme un roi,
un dauphin ou tout autre prince, pourraient,
< selon le droit, Fusage et la coutume de France,
« être retirés du preneur en lui baillant dix miUe
« francs, ledit évéque requiert les susdits que la
< Pucelle lui soit dâivrée, en donnant sûreté
< pour la somme de dix itiiUe francs, i»
Enfin le sire de Luxembourg se rendit à de si
fortes instances, et céda la Pucelle au gouverne-
ment des Anglais moyennant dix mille francs. Le
duc de Bourgogne venait de retourner dans ses
Ëtats de Flandre, laissant le siège de Comptine
D£S LIÉGEOIS (1430). 257
aux soins des sires de Brimeu , de Lannoy et de
Savense, et des comtes de Huntington et d'Ârun-
del , qui venaient d'y amener un renfort considé-
rable d'Anglais. Le sire de Luxembourg était
chargé d'être chef de toute cette armée.
Des motifs d'une haute importance rappelaient
le Duc. Les Liégeois, toujours orgueilleux , entre-
prenans, et portés de mauvaise volonté contre
les ducs de Bourgogne qui leur avaient fait tant
de mal et les avaient dépouillés de toutes leurs
libertés, venaient de contraindre leur évêque à
envoyer des lettres de défi au duc PhUippe '. Ils
étaient excités par le sire de la Mark et quelques
seigneurs que le roi de France avait mis dans ses
intérêts. Comme les Liégeois et les gens du comté
de Namur faisaient sans cesse des courses les uns
sur le pays des autres * , les motifs ne manquaient
jamais pour demander réparation, et ce fut la
cause que Jean de Uemberg, évêque de Liège,
allégua dans sa lettre de défi. Elle fut tout aussi-
tôt suivie d'une forte invasion dans le comté de
Mamur^ où les Liégeois commençaient à tout
mettre à feu et à sang.
I Monstrelet.
3 Philippe de Coinincs.
TOMB T. 5* BOIT. 17
258 SUCCESSION
«
Le Duc ne voulait plas d'abord laisser te si^e
de Compi^ne ; il se contenta d'envoyer le sire de
Croy ^vec huit cents combattans s'enfermer dans
Namur et défendre la ville contre cette multitude
de gens des communes liégeoises» hommes sans
connaissance de la guerre , qui n'agissaient qu'en
désordre et ne savaient obéir à aucun chef. En
effet, le sire de Croy arrêta leurs progrès» et sou-
vent les surprit avec grand avantage ; mais ils
étaient nombreux et fort animés. Deux des prin-
cipaux chevaliers du Duc» les sires de Ghistelles
et de Rubempré, périrent en combattant les
Li^eois. Le Duc vit bien que l'affaire était
grave» qu'il fallait la traîner en longueur et né-
gocier \
Une plus grande affaire encore exigeait la
présence du duc Philippe. Son cousin» Philippe
duc de Brabant » le second et le dernier fils d'An-
toine de Brabant» qui avaii^péri à Âzincourt,
venait de mourir le 4 août» n'ayant survécu à son
frère que trois ans. Il était âgé de vingtrsix ans
seulement. On crut d'abord qu'il avait été empoi-
sonné ; ceux que l'on soupçonnait furent empri-
sonnés et mis à la torture. Cependant les méde-
» Meyer.
DE BRABANT (1430). 289
cins ne trouvèrent, en ouvrant son corps, nulle
trace de poison , et pensèrent qu'il mourait épuisé
par les fatigues et les excès de la jeunesse. En
effet, il avait toujours aimé les plaisirs, les tour-
nois , les joutes et les aventures '. Quelques années
avant sa mort ^ il avait même voulu faire le voyage
de Terre-Sainte, et il était allé jusqu'à Rome. Il
n'avait encore contracté aucun mariage , et négo*
ciait seulement avec René de Sicile , héritier de
Lorraine , pour épouser lolande saî fille \
Le duché de Drabant se trouvant ainsi sans
héritier direct , trois branches pouvaient se pré-
senter pour recueillir la succession : Madame Mar-
guerite de Rourgogne, comtesse de Hainaut,
mère de madame Jacqueline, fille de Philippe-le-
Uardi et de Marguerite de Flandre , par laquelle
l'héritage féminin de Rrabant était venu dans la
maison de Rourgogne ; Charles et Jean de Rour-
gogne, fils et héritiers du comte de Ne vers, tué à
Âzincourt ; et en troisième lieu le duc Philippe ,
aine de Rourgogne.
Les États du duché de Rrabant, et spécialement
les nobles, se montrèrent aussitôt disposés à re*
I Monstrelet.
» Le P. Anselqne.
260 SUCCESSION
connailre de préférence les droits du duc Phi-
lippe, qui, mieux qu'aucun autre héritier,
pouvait favoriser et prot^er les habitans; ce-
pendant madame de Hainaut avait aussi ses par-
tisans.
Le Duc tint d*abord de grands conseils à Lille ,
où il fut décidé qu'il avait le meilleur droit , et
qu'il le devait soutenir. Il était le plus fort; c'é-
tait la volonté des gens du Brabant. Madame Mar-
guerite céda. Il ne fut pour le moment fait aucune
mention des jeunes princes de Nevers , dont le
Duc était tuteur. Après deux mois de négociations
sagement conduites, il se rendit en Brabant,
reçut a Malines le serment des États , et jura de
maintenir les privilèges et coutumes du Brabant :
il ajouta aux titres nombreux qu'il avait déjà
ceux de duc de Brabant, de Limbourg et de Lou-
vain, marquis d'Anvers et du Saint-Empire.
Quant aux domaines que le feu duc de Brabant
tenait de sa mère Jeanne de Luxembourg, ils re-
tournèrent dans cette maison , et une vieille de-
moiselle de Luxembourg, qui habitait alors le
château de Beaurevoir, où elle s'était montrée
toute bienveillante pour la Pucelle, hérita des
comtés de Saint-Pol et de Ligny ; elle donna le
premier à Pierre de Luxembourg, comte de Con-
DE BRÂBANT (1450). 261
versan et de Brîenne, l'aîné de ses neveux ; et le
comté de Ligny à Jean de Luxembourg, qui
commença k en porter le nom '.
Pendant que le duc Philippe augmentait ainsi
sa puissance dans les pays de Flandre, la guerre
it^était point heureuse pour lui en France. Dès le
mois de juin, Fentreprise du prince d'Orange
sur le Dauphiné avait honteusement échoué. Le
sire Raoul de Gaucourt, qui avait si vaillamment
défendu Orléans, venait d'être choisi pour gou-
verner cette province. Le roi n'avait pu lui
donner ni finance ni gens de guerre. Ce brave
seigneur, ne voulant pas cependant que la pro-
vince se perdit entre ses mains , prit courage, et
résolut de se défendre contre la forte armée qui
allait arriver de Bourgogne et de Savoie. Il s^ac-
corda avec le sire Imbert de GroUée, bailli du
Lyonnais et maréchal du Dauphiné , qui , depuis
plusieurs années , avait fait très-bonne guerre aux
Bourguignons. Ils allèrent chercher dans le Ve-
lay un capitaine espagnol nommé Rodrigue de
Yillandrada; il s'y trouvait avec une compagnie
de gens de toutes nations , qu'il amenait au roi
de France. On rassembla aussi des hommes de
■ Monstrelct. —Le P. Anselme.
1
262 BATAILIE
bonne volonté à Lyon et dans le Maçonnais. Un
emprunt Ait mis sur les plus riches de ces con-
trées, sauf à le leur rembourser par une taiBe,
Chacun était porté à faire de son mieux, et à ne
se point laisser conquérir ni opprimer par le
prince d'Orange, qui, depuis plusieurs années,
entretenait la guerre dans la proTÎnce '•
On se hâta de conunencer avant qu'il fiit ar-
rivé , et le sire de Gaucoutt s'empara d'abord de
la forteresse de Colombiers. Le prince d'Orange
fut surpris de voir qu'on avait eu l'audace d'atta-^
quer, quand il ne croyait pas qu'on pût essayer
de se défendre. Il s^empressa de venir offirir la
bataille. C'était pour les Français une chose grave
que de l'accepter. Ils étaient moins nombreux.
Le sire de VUlandrada n^était pas sûr de tous les
étrangers qui formaient sa compagnie. Si la ba-
taille était perdue, c'en était fait du Lyonnais , du
Dauphiné et même du Languedoc. Le roi pouvait
de cette affaire perdre son royaume. D'un autre
côté, lé prince allait ravager tout le pays; ses
forces devaient chaque jour s'augmenter. Ceux
qui étaient venus combattre sous le sire de Gau-
' Histoire manuscrite du Dauphiné, par Tbomassin , témoin
oculaire.
d'aUTHON (1450). 263
court, et qu^avait amenés le sire de Grollée,
avaient grande volonté de bien guerroyer» et
bonne idée de la justice de leur cause. Le capi-
taine espagnol d^ofianda qu^on lui donnât l'avant-
garde , afin qu'<»i pÛt mieux s^assbrer si ses gens
se conduisaient bien, c Faites-moi cet honneur,
c disaitril, et avec Taide de Dieu , je me coinpor-
< terai de façon que vous serez contens.— Allons ,
« Dieu nous aidera, dit le sire de Gaucdurt; ne
c soyons pas ébahis ; s'ils sont plus que nous , nous
c avons juste et raisonnable cause de nous dé-
€ fendre contre le prince d'Orange , qui nous vient
c assaillir malgré ses sermens. Si vous vous bat-
€ tez hardiment, vous ferez grand butin et serez
< riches à jamais. > On célébra la messe; lé sire
de GroUée se jeta à genoux et fit sa prière à
haute voix.
Cependant le prince d'Orange ne faisait pas
grand compte de cette armée de Dauphinois , si
petite en comparaison de la i^enne '. Il fut plus
content encore quand il vit que les Espagnds fai-^
saient l'avant-garde. Il ne doutait pas de les voir
s'enfuir au premier choc ; mais il en fiit tout au-
trement. Avant que les Bourguignons eussent dé-
' Chronique de Berri. — Monstrelet.
1
264 LEVÉE DU SIÈGE
bouché d'un bois qu'ils traversaient et se fussent
rangés dans la plaine, le sire de Yillandrada et
sa troupe se jetèr^it si vivement sur eux, ea
poussant de grands cris, qu'ils les ébranlèrent.
Bientôt l'attaque des Français devînt tellement
rude , que les ennemis furent rompus et mis dans
une complète déroute. Il en périt deux ou trois
cents, parmi lesquels de très -notables gentils-
hommes. Le prince d'Orange combattit brave-
ment et fut blessé. Plutôt que d'être pris, il se
jeta à cheval et tout armé dans le Rhône ; son
cheval, malgré le poids des armures^ traversa
le fleuve à la nage , ce qui sembla bien merveil-
leux. Le sire de Montaigu, de la maison de Neuf-
châtel, s'enfuit des premiers, et le duc de Bour-
gogne, irrité de ce manque de valeur, lui ôta le
collier de la Toîson-d'Or. Par cette victoire d' Au-
thon, tout le midi du royaume se trouva délivré
des Bourguignons.
Au nord, la prise de la Pocelle a^avaitpoint abattu
les Français ; Compiègne se défendaitcontre toutes
les attaques du sire du Luxembourg ; tout nom-
breux que fussent ses gens, il pouvait seulement
entourer la ville et en fermer toutes les avenues
par des bastilles et des boulevards ; de sorte que
rien n'arrivait plus ni par les routes ni par la ri-
DE COMPIÈGNE (143^0). 265
vière de TOîse'. Les assises, réduits aux ex-
Irémites de la famine, envoyèrent supplier le
maréchal de Boussac, le comte de Vendôme et
les autres capitaines du roi, de venir à leur
secours.
Après avoir assemblé environ quatre mfille com-
battans , avec beaucoup de paysans et d'ouvriers
pour couper les bois, combler les fossés, réparer
les chemins, et détruire ainsi les défenses dont
les assiégeans avaient entouré leurs logis, les ca-
pitaines français arrivèrent à Yerberie vers la fin
d'octobre.
Le sire de Luxembourg se consulta long-temps
sur ce qu'il avait à faire* S'il marchait avec toutes
ses forces aux ennemis , alors les bastilles et les
boulevards demeuraient dégarnis, la garnison
était nombreuse et vaillante ; elle sortirait pen-
dant ce temps-là , et pourrait détruire tous les ou-
vrages du si^e , ou du moins se retirer en sûreté.
Après beaucoup de conseils tenus entre les chefs
bourguignons et anglais , il fut donc résolu d'at-
tendre les attaques, de garder l'enceinte du siège
et de s'y défendre.
■ Monstrdet, témoin otulaire. — Chartier. — Chronique de
fierri.
266 LEVÉE DU «ÉGE
La Tille est située sur la riche gauche de TOise ;
le pont avait été coupé. En face était une forte
bastille commandée par le sire de NoyeBes* Plus
haut, en remontsmt la rivière, il y en avait trois
autres plus petites. Au-dessous de la ville, tou-
jours sur la rive droite , était le Ic^is des Anglais ,
à l'abbaye de Venette; lé duc de Bourgogne avait
fait jeter un pont en cet endroit. De l'autre côté
de ce pont, sur la rive gauche, était le sire de
Luxembourg, l<^é dans l'abbaye de Royaulieu,
sur la route de Yerberîe. Enfin tout auprès dé la
ville, sur le chemin qui conduit à Pierrefonds, à
travers la forêt, était une grande bastille où com-
mandaient les sires de Brimeu et de Gréqui.
Il fut réglé que les Anglais passeraient la ri-
vière, et viendraient , avec le sire de Luxembourg,
se mettre en bataille en avant de RôyauIieû , sur
la route de Verberie. Néanmoins chacjue bastille ,
chaque logis , devait demeurer "suffisamment dé-
fendu, et l'on devait envoyer du secours sur les
points attaqués.
Les Français se présentèrent en effet le lende-
main pour offrir la bataille , et avancèrent pres-
que jusqu'à la portée du trait. Us étaient à
cheval ; les Anglais et les Bourguignons s'étaient
mis à pied, selon leur coutume. Plusieurs gen-
DE GOMPIÊCNE (14S0). 267
tilshcmimes se firent armer chevaliers par le sire
de Luxembourg. Toute cette noblesse de Picardie
et d'Artois ei^rait et désirait le combat ; mais il
eût été imprudent de l'engager ; il fallait se tenir
prêt à secourir les bastilles si elles étaient assail-
lies. De leur côté , les Français ne tentaient rien
de plus que de fortes escarmouches.
Pendant ce tempshlà, deux troupes s'en al-
laient à travers la forêt» se dirigeant sur la ville.
L'une» de cent hommes seulement» pouvait arri-
ver facilement jusqu'aux portes sans être aper-
çue; elle amenait des vivres aux assiégés» et
devait leur ordonner de sortir tout aussitôt pour
attaquer la grande bastille» que Saintraille » avec
trois cents combattans» allait bientôt assaillir en
passant par la route de Pierrefonds; car cette
vaste forêt de Compîègne» qui vient jusqu'aux
portes de la ville » dérobait tous les mouvemens
des Français.
La chose réussit comme elle avait été résolue.
Au premier avis , les assiégés » avec une merveil-
leuse ardeur de vengeance , s'en allèrent en foule
donner l'assaut à cette bastille. Ds apportèrent
des échelles et tout ce qui est nécessaire dans de
telles attaques. Les sires de Brimeu et de Gréqui ,
avec leurs Picards, n'étaient pas nombreux. Ils
1
268 LEVÉE DU SIÈGE
se défendirent avec courage, et repoussèrent vi-
vement les gens de Compî^ne; mais ceux-ci
avaient une ferme volonté de détruire des enne-
mis qui, depuis six mois, leur faisaient tant de
mal. Les bourgeois^ les femmes même, sans
r^arder à aucun péril , se précipitaient dans les
fossés de cette bastille pour la forcer. Guillaume
de Flavy , le sire de Gamaches , abbé de Saint-
Pharon, qui avait si bien défendu la ville de
Meaux, d'autres encore, étaient là, excitant et
dirigeant ce brave peuple. Une seconde fois Fat-
taque fut repoussée ; mais en ce moment Sain-
trailleet sa compagnie débouchèrent de la forêt,
et Tassant recommença avec plus de vigueur en-
core. Cependant aucun secours n'arrivait de
Royaulieu aux gens de la bastille. Le sire de
Luxembourg n'avait pas trop de tout son monde
pour tenir en échec le maréchal de Boussac et les
Français. Enfin, après une vaiUante défense, la
bastille fiit emportée. Le cams^e y iîit grand,
près de deux cents hommes d'armes y périrent.
Les sires de Brimeu et de Créqui et d'autres
furent mis à forte rançon.
Le passage ainsi forcé , le maréchal de Boussac
et tous les Français entrèrent dans la ville. La fa-
•ê
mine y était déjà, et elle allait devenir plus
DE COMPIÈGNE (1450). 269
cruelle avec une si grande garnison. Néanioaoins
la joie était extrême, et Ton espérait chasser
tout-à-fait les ennemis. Sans plus tarder, on alla
attaquer une des bastilles du haut de la rivière ,
où se tenaient des Portugais venus de leur pays
avec la duchesse de Bourgogne. Cette bastille
n'était point forte ; elle fat prise. Une autre fut
abandonnée par ceux qui la tenaient^ et ils y
mirent le feu. La bastille du pont était mieux dé-
fendue ; elle ne put être emportée.
La journée ainsi passée , le sire de Luxem-
bourg et le comte de Huntington se trouvèrent
plus incertains qu'auparavant de ce qu'ils avaient
à faire. Ils résolurent que chacun retournerait
à son logis, qu'on y coucherait tout armé, et
que le lendemain la bataille serait offerte aux
Français, qui, nombreux comme ils étaient^ ne
pouvaient songer à rester enfermés dans Com-
piègne. Mais les Bourguignons et les Anglais
étaient effirayés; ce long siège avait lassé leur
patience. Sans prendre l'ordre de personne,
pendant la nuit ils s'en allèrent de tous côtés. Le
sire de Luxembourg, qui avait eu quelque mé-
fiance à ce sujet, avait fait promettre au comte de
Huntington de bien garder le passage du pont,
pour empêcher ses gens de s'en aller; cela fut
270 COiHlBAT
impossible, car les Anglais se dispersèrent aussi.
Les deux chefe, ainsi abandonnés de leurs
hommes, n'eurent autre chose à faire que de se
retirer pr(»nptement avec ce qui leur restait,
abandonnant dans les bastilles les munitions et
la belle artillerie du duc de Bourgogne. Ce fîit
sous leurs yeux et au moment de leur départ
que les gens de Compiègne vinrent s'emparer de
leurs logis et détruire leurs ouvrages en leur
criant mille injures. Ils s'en allèrent jusqu'en
Picardie. Les Français demeurant maîtres de la
campagne, y reprirent presque toutes les forte->
resses.
Le Duc était à Bruxelles, célébrant par de
belles fêtes la naissance de son fils, qui Ait
nommé Antoine de Bourgogne , lorsqu'il apprit
comment ses gens avaient été chassés de devant
Compiègne , et comment les grands frais qu'il
avait faits pour prendre cette ville se trouvaient
perdus. Il partit aussitôt pour Arras; il y convo-
qua toute la noblesse du pays et des provinces
voisines, ordonnant à chaque seigneur de venir
avec ce qu'il pourrait rassembler de gens de
guerre; puis s'avança jusqu'à Péronne, et en-
voya son avant-garde occuper Lihons en San-
terre. Elle était commandée par les sires Jacques
DE GERMIGNY (1430). 271
de Héilly et Antoine de Vienne. Sir Thomas Ky-
riel, cheyalier anglais^ en Élisait aussi partie
avec des hommes de sa nation* Le Duc devait
aller les rejoindre, et leur amener du monde à
Germigny : c'était une petite yille dont le château
était occiq>é par une garnison française fort peu
nombreuse. L'avant-garde s'en allait donc sans
nulle crainte; les hommes d'armes n'avaient
point. pris leurs armures; en arrivant devant la
forteresse , ces Bourguignons et ces Anglais vi*
rent tout à. coup partir un renard dans les
champs. Ne redoutant rien d'une garnison qu'ils
croyaient trop faible, ils se mirent en chasse,
sans précaution ni méfiance. Mais Saintraille
était arrivé la veiUe au soir dans Germigny. Il
sut par ses coureurs que l'ennemi s'avançait en
désordre. Les gens qu'il avait amenés étaient
vaillans et éprouvés. D les exhorta à bien faire,
et leur montra que si les ennemis étaient plus
nombreux , ils étaient pris au dépourvu. Aussitôt
ils tombèrent sur eux avec un grand élan et
poussant des cris ; ils eurent bientôt dispersé les
Bourguignons. Cependant- les capitaines se ras-
semblèrent avec quelques uns de leurs hommes
sous l'étendard de sir Thomas Kyriel , et se dé-
fendirent vaillamment. Ce courage ne put servir
272 COMBAT
qu'à leur honneur; en peu de momens ils furent
tués ou pris. Jacques de Heilly, Antoine de
Vienne , et environ cinquante ou soixante cheva-
liers bourguignons ou anglais périrent. Kyriel
fut fait prisonnier. Le bâtard de Brimeu , qui ar-
rivait avec la garnison de Roye pour se joindre
au sire de Heilly, se crut à temps de r^agner
sa ville; mais il avait une armure si riche et si
éclatante, qu'on le poursuivit vigoureusement,
et qu'il ne put échapper. Après cette heureuse
expédition, Saintraille retourna à Compiègne.
Le duc PhiKppe, irrité de la mort de ses che-
valiers , manda auprès de lui un plus grand nom-
bre de combattans , et envoya aussitôt le sire de
Saint-Remi ' au duc de Bedford , pour lui deman-
der des renforts. Le sire de Luxembourg, qui
maintenant se nommait comte de Ligny, le sire
de Saveuse, le vidame d'Amiens, le seigneur
d' Antoing , arrivèrent sans tarder.
Les Français , de leur côté , se rassemblaient à
Compiègne. Le maréchal de Boussac, le cœnte
de Clermont, Jacques de Chabannes, Guillaume
de Flavy, Amadoc de YignoUes, Louis de Gau-
court , Regnaud de Fontaine se trouvant en assez
■ Saint-Remi^ témoin oculaire.
DE GERMIGNY (1450). 27S
grand nombre et en bon courage ,* résohirent de
s'avancer jusqu'à Montdidier ; ils rencontrèrent
justement en route sir Louis Robsai't» qui, à la
tête d'une compagnie d'Anglais, arrivait au se-
cours du duc de Bourgogne. Les Français étaient
les plus forts. Les gens de sir Louis Robsart s'é-
pouvantèrent et prirent la fuite. Lui, qui était
chevalier de la Jarretière, craignant pour son
honneur et voulant s'acquitter de son devoir, se
fit vaillamment tuer en combattant. Encouragés
par cette heureuse journée, les capitaines de
France envoyèrent un héraut au Duc, pour le
défier et lui offrir la bataille. Il eût bien voulu
l'accepter ^ car nul n'était plus vaillant et cheva-
leresque. Mais son conseil lui représenta qu'il
n'avait pas assez de monde ; bien qu'il eût été re-
joint par lord WiUoughby et par une troupe
d'Anglais , ses gens étaient encore tout effrayés
de la levée du siège de Compiègne et dé la déroute
de Germigny . D'ailleurs , lui disait-on , il ne Êd-
lait pas risquer sa renommée et sa vie à com-
battre contre des capitaines de compagnie qui
s'étaient assemblés sans avoir pour chef un
homme de son rang. Ces motifs lui semblaient
appartenir a la sagesse plus qu'à la vaillance.
Cependant il les écouta, et le héraut rapporta
TONS T. 5' KDIT. |8
^
274 COMBAT
pour réponse aux Français, que s*fls voulaient
attendre un jour, le comte de Lîgny viendrait
les combattre. Durant ce message, les deux ar-
mées étaient en présence; un marais seulement
les séparait, et des deux parts on conmiençait à
se provoquer par des escarmouches. Les Français
répondirent qu'ils ne pouvaiait demeurer plus
long-temps en ce lieu, parce qu'ils manquaient
de vivres. Pour lors le duc Philippe leur fit offrir
de partager avec eux les vivres de son armée.
Gooune cependant il ne s'engageait point à com-
battre en personne, les Français s'en allèrent, et
retournèrent k Compiègnè, se raillant beaucoup
de lui , et bien glorieux de ce qu'il n'avait pas osé
combattre.
Ce n'étaient i^s là encore tous les revers des
Bourguignons'. Le roi, aussitôt après la déli-
vrance de Barbazan, l'avait nommé capitaine
de la province de Champagne. Il s'était d'abord
rendu à Sens, puis il avait surpris Yilleneuve-le-
Roi , sur Perrin Grasset, qui y tenait garnison,
et qui se sauva lui-même à grand'peine; puis
s'empara de Pont-sur-Seine, et vint mettre le
si^e devant la forteresse de Chappes, à deux
> Monstrelet. — Histoire de Bourgogne.
DE GHAPPES (1430). 27S
lieues de Troyes. Le sire d' AumcHit la défendait ,
et s'y maintint avec un grand courage durant
plusieurs semaines, bien que René d'Ajijou, duc
de Bar , fût venu se joindre aux Français ; enfin
il envoya demander des secours au conseil de
Bourgogne. Le sire de Toulongeon , maréchal du
Duché, manda une assanblée d'honmies d'armes
à Montbar » puis marcha au secoiu*s du château
de Chappes« Trois fois il offirit la bataille au sire
de Barbazan, qui la refusa constamment, guet-
tant Toccasion favorable. Enfin, le maréchal
ayant essayé de faire entrer une portion de ses
gens dans la forteresse, Barbazan chargea sur
eux; les Bourguignons vinrent les soutenir; la
bataille s'engagea , et bientôt après , les Français ,
qui avaient pris leurs avantages, mirent les en-
nemis en déroute. La fleur de la noblesse de
Bourgogne se trouvait à ce combat : les sires de
la Tremoille, de Yergy , de Chastellux, et bien
d'autres; mais ils ne purent rallier leurs gens. Le
sire de Plancy et le sire de Rochefort forent faits
prisonniers. La garnison de Chappes voulut sor-
tir pour venir à l'aide du maréchal de Toulon-
geon» Le sire d' Aumont fut pris aussi , et tomba
aux mains de Barbazan.
Il suivit sa route vers Châlons, s'empara de
"1
276 GUERRE
quelques autres places. Il étendait ses coui^i^s
jusqu'auprès de Laon. Les garnisons de Hheims
et des forteresses voisines se joignaient à lui de
tous côtés; les ccHupagnies françaises allaient
sans cesse tenter des entreprises. Souvent les gens
des conununes y venaient en foule; pour lors la
guerre était encore plus cruelle. Ils ne Élisaient
point de prisonniers ; quand les hommes d'armes
avaient reçu la foi de quelque ennemi vaincu , les
communes à qui il ne devait rien revenir de ces
riches rançons, n'en tuaient pas moins ceux
qu'on avait reçus à composition.
Une bataille plus forte fut bientôt encore ga-
gnée par le sire de Barbazan. Le duc dé Bedford ,
apprenant ses progrès , envoya contre lui le comte
d'Arundel, le jeune fils du comte de Warwick
qu'on nommait vulgairement l'enfant de War-
wick , le sire de l'Isle-Àdam, le seigneur de Châ-
tillon, et d'autres l)ons capitaines, avec environ
seize cents hommes d'armes. Barbazan et le siré
de Conflans, capitaine de la ville de Ghâlons,
vinrent à leur rencontre du côté d'Ânglures, et
le combat s'engagea dans un lieu nommé la Croi-
sette '. Durant la bataille, et pendant qu'on en
I Monstrelet. *— Chailier^
EN CHAMPAGNE (1430). 277
était rudemeot aux mains » Barbazan envoya
avertir un vaillant éouyer nommé Henri de
Bourges, qui tenait une petite garnison dans un
château voisin , de faire une sortie. Cette garnison
ne faisait que rentrer , revenant d'une course sur
le pays. Les hommes d'arme changèrent de che-
vaux, 9e coulèrent derrière des vignes, et tombè-
rent tout à coup. sur les ennemis. Ce renfort de
quatre cents combattans des plus vaillans, parmi
lesquels était Regnault de Yignolles, un frère de
la Hire, et bien digne de lui> jeta le trouble dans
les Anglais. Le. sire de FIsle-Adam fut blessé , et
toute cette troupe se retira en désordre*
Tant de déËdtes , que ne réparait point la prise
de quelques petites forteresses aux environs de
Paris, mettaient la rage au cœur des Anglais. Les
Parisiens ne disaient plus aucun compte de leur
puissance à la guerre, et tenaient pour assuré
qu'ils n'avsûent qu'à se présenter au combat pour
être vainous. Le duc de Bedford,. pour se les ren-
dre plus favorables, n'avait su rien de mieux que
d'annoncer toujours que le jeune roi Henri allait
arriver. En effet, il avait . débarqué à Calais au
mois d'avril; mais depuis lors on le tenait à
Rouen, bien qu'à Paris on fît sans cesse des
préparatifs pour le recevoir , et qu'on réglât les
278 F1I0CÈ8
I
fêtes de sa joyeuse enU'ée\ Les babitans de Pkris
ne mettarent d'eiqH)ir qn'au duc de Bourgogne;
mais il ne songeait point à eux , n'avait pas màne
fait renouveler le traité qui lui avait conféré le
titre de lieutenant général , et ne s'occiq[>ait que de
ses intérêts.
^ Ge OQurrcmx des Anglais, cette honte de leurs
revers, allumèrent encore plus la haine qu'ils
avaient contre la Pucelle; maintenant leilr pri-
sonnière. Elle était la première origine de la
ruine de leurs^afibires. Quand elle avait paru, ils
étaient ad oomble de leur glmre, et d^uis rien
ne leur avait prospéré. Gomme en gâiéral ils
étaient {dus portés à la superstition que les Fran*
çfilis, ils s'imaginaient que tout leur txnirBffltut à
mal, tâilt qQe Jeanne vivrait Leurs cbefs les (dus
sages avaient eui^-m^es conçu une ardeur in-
croyable de vengeance contre cette malheureuse
fille; ils avaient soif de sa mort. Ils voubuent
attS(û jeter un reprodie d'inÊunie sur les victoires
des Français et sur la cause du roi Charles VU,
en y montrant un mélange de sorcelleries et de
crimes contre la foi catholique. Leur rage était
si grande, qu'ils firent brûlera Paris une pauvre
> Registres du Parlement. — Journal de Paris.
D£ LA PUG£LL£ (1431'). 279
femme de Bretagne , seulement parce qu'elle affir-
mait, d'après le$ visions qu'elle avait souvent de
Dieu le Père , que Jeanne était bonne chrétienne ,
qu'elle n'avait rien fût que de bien» et qu'elle
était venue de la part de Dieu %
Les Anglais avaient, pour perdre h Pucelle,
un zélé et cruel serviteur dans la personne de
Pierre Caucbon, évéque de Beauvais. Excite sans
cesse par le duc de Bedford et le comte de War-
wick , il conduisit toute la procédure. Il pouvait
s'y entendre, car avant d'être homme d'alise, il
avait été homme.de justice; lorsque les Bourgui-
gnons, en 1418, avaient surpris Paris et massa-
it les Armagnacs, Pierre Cauchon. avait ét^é
pourvu de l'office de maître des requêtes ^ Les
docteurs de l'Université de Paris ne furent pas
moins ardens; ce sont eux qui, en ajqfMU'eDce,
mirent tout en mouvement
Après six mois passés dans les prisons de
Beaiîrevoir , d' Arras et du Crotoy , Jeanne avait
été conduite à Rouen , où se trouvaient le jeune
roi Henri et tout le gouvernement des Anglais.
> 1431-1430, T. st. L'année commença le l^'ayril.
> DépodtioDS direrses du procès de rérûion.
3 Registres du Parlement.
280 PROCÈS
Elle fut menée dans la grosse tour du château ;
on fit forger pour elle une cage de fer, et on lui
mit iSs fers aux pieds. Les archers anglais, qui
la gardaient, Thaisultaient grossièrement, et par-
fois essayèrent de lui Ëdre violence. Ce n'était
pas seulement les gens du oommun qvi se mon-
traient cruels et violens envers elle. Le sire de
Luxembourg, dont elle avait été prisonnière,
passant à Rouen, alla la voir dans sa prison avec
le comte de Warwick et le comte de Strafford :
< Jeanne, dit-il en plaisantant, je suis venu te
€ mettre à rançon i mais il faut promettre de ne
€ t'armer jamais contre nous. ^— Ah ! mon Diai,
< vous VOU& riez de moi, dit-relle; vous n'en avez
< ni le voulqir ni le pouvoir. Je sais bien que les
€ Anglais me feront mourir, croyant après ma
^ mort gagner le royaume de France; mais,
« fussent-ils cent mille Ooddem de plus qu'à pré-
« sent, ils n'auront pas ce royaume. » Irritç de
ces paroles, le comte de Strafford tira sa dague
pour la frapper, et ne fut arrêté que par le comte
de Warwick.
Il n'y avait pas en ce moment d'archevêque à
Rouen. Pour que l^'évéque de Reauvaispjât devenir
juge de la Pucelle, qi^i avait été prise dsuRS son
diocèse, il fallut que le chapitre de Rouen lui ac-
Bfi LA P1IG£LL£ (1451).
281
cordât territoire et juridiction. Le roi Heuri, sur
la demande de cet éyêque et de rUniversité de
Paris, ordonna ensuite, par lettres patentes, que
la fenune qui se fs^sait appdci* la Pucelle fût li-
vrée audit évéque pour Finterroger et procéder
contre elle^ sauf à reprendre la susdite, si eHe
n*était pas atteinte et convaincue de ce qui lui
éta^t imputé. Du peste , les Anglais ne voulurent
jamais consentir à la mettre, ainsi qu-elle aurait
dû être, dans la prison de Tarchevéque. Jeanne
elle-même, ainsi que quelques docteurs, remar-
qua cette violation du droit, mais Févéque de
Beauvais s'en inquiéta peu.
Il ne se trouvait guère d'ecclœiastiques a\issi
zél^ que Pierre Gauchon pour les Aillais, et
aussi furieux contre Jeanne. Cependant cet
évéque, tout emporté qu'il était, voulut par pré-
caution s'environner d'autant de gens lettrés et
habiles qu'il en pourrait réunir. Sa violence et
les menaces des Anglais lui firent trouver beau-
coup d'hommes faibles qui agissaient par. peur
et complaisance, et d'autres, mais en bien petit
nombre, qui, comme lui, se firent serviteurs
cruels et empressés du conseil d'Angleterre.
Jean Lemaitre, vicaire de l'inquisiteur général
du royaume, fiit des premiers. Il chercha tous les
382 PROCÈS
moyens de ne point prendre part aux iniquités
qu'il voyait préparer contre la malheureuse
Jeanne. Il prétendit que Tévéque de Beauvais
agissant comme sur son projM'e territoire, le
vicaire du diocèse de Rouen n'en devait point
ccHmaitre. Il fellut qu'une commission spéciale
de rinqut»teur général lui fût ^ivoyée.
Ce n'était pas dbose facile de donner à une telle
af&ire une apparence de justice, et de contenter
les Anglais en suivant les procédés des lois et des
coutumes ; car il était public que Jeanne était une
sainte personne, qui avait bravement combattu
contre les Anglais et les Bourguignons , qui avait
été prise à la guerre , et à qui l'on n'avait nul autre
reproche à faire* Aussi ce procès fiit-il une suite
de mensonges, de pièges dressés à l'accusée, de
violations continuelles du droit, avec l'hypocrisie
d'en vouloir suivre les règles*.
On commença par laisser pénétrer dans sa
prison un prêtre nommé Nicolas l'Oiseleur, qui
feignit d'être Lorrain et partisan secret du roi
de France. Il mit tout en œuvre pour avoir sa con-
jBance. Pendant ce temps-là, l'évêque de Beauvais
et le coiQte de Warwick , cachés tout auprès , écou-
' Amelgard.
DE LA PUCELLE (1431). 283
taient ce qu'elle disait* Les notaires» qu'ils avaient
amenés pour récrire^ en eurent hoate; ils dirent
qu'ils écriraient ce qu'elle répondrait devant le
tribunal;. mais que ceci n'était point diose hon-
nête. D'ailleurs qu'aurait dit Jeanne qu'elle ne
fut prêteà dire devant tout le monde? €e prêtre
devint ensuite son confesseur, et durant le ^oeès
lui conseilla toiigours les réponses qui pouvaient
lui nuire.
Les seuls juges qui eussent vqîx pour pronon-
cer étaient l'évéque et le vicaire de l'inquisiteur.
Les docteurs qu'on avait réunis presque jusqu'au
nombre de cent, lemr servaient seulement de con-
seil et d'assesseurs. Un chanoine de Beauvais,
nommé Estivet^ remplissait les foncticms de pro-
m^oteur, qui sont celles de procureur du roi. Ce
ftit, après l'évéque., le plus violent conlane l'accu-
sée. Il l'injuriait sans cesse, et s'emportait contre
ceux qui demandaient lies r^les de la justice.
Il y avait aussi un conseiller commissaire
examinateur pour faire les interrogatmres préli-
minaires.
On avait envoyé faire des informations à
Domremy , dans le jiays de Jeanne. Comme elles
lui étaient favorables, elles forait supprimées , et
Ton n'en donna point connaissance aux docteurs.
1
2g4
PROCÈS
Jeanne commença par subir six interrogatoires
de suite devant ce nombreux conseil. Elle y parut
peutnêtre plus courageuse et plus étonnante qde
lorsqu'elle combattait les ennemis du royaume.
Cette pauvre fille, si simple que tout au plus
savait-elle son Pater et son Jve, ne se troubla
pas un seul instant. Les violences ne lui causaient
ni frayeur ni colère. On n^vait voulu lui donner
ni avocat ni conseil ; mais sa bonne foi et son
bon s^iis déjouaient toutes les ruses qu*ion em-
ployait pour la foire répondre d'une manière qui
aurait donné lieu à la soupçonner d'hérésie ou de
magie. Elle faisait souvent de si belles réponses,
que les docteurs en demeuraient tout stupéfaits.
On hii demanda si die savait être en la ^race de
Dieu : c C'est une grande chose, dit^Ue, de ré-
pondre à une telle question. — Oui , interrompit
un des assesseurs nommé Jean Fabri , c'est une
grande question, et l'accusée n'est pas tenue
d*y répondre. ^ — Vous auriez mieux fait de
voug taire, s'écria l'évêque en ftœeur. — Si je
n'y suis pas, répondit-elle. Dieu m'y veuille re-
cevoir; et si j'y suis, Dieu m'y veuille conser-
ver. » Elle disait encore : c Si ce n'était la grâce
de Dieu, je ne saurais moi-même comment
agir. » Une autre fois, on l'interrogeait tou-
DE LA P1IGBLLE (1451). 28K
chant son étendard, c Je le portais àù lieu de
5 lance, disait-elle, pour éviter de tuer quel-
c qu'un, je n*ai jamais tué personnes » Et puis
quand on voulait savoir quelle vertu elle suppo-
sait dans cette bannière : c Je disais, entrez har-^
< diment parmi les Aillais, et j*y entrais moi-
c même. » On lui parla du sacre dé Rheims, où
elle avait tenu son étendard pfès de Tautel : < Il
< avait été a la peine, c'était bien raison, dit-elle,
c qu'il fôt à rhonneur. »
Quant à ses visions, elle racontait tout ce
qu'elle avait déjà dit à Poitiers^ Sa foi était la
même en ce que lui disaient ses voix. Elle les
entendait sans cesse dans sa prison , elle voyait
souvent les deux saintes; elle recevait leurs con-
solations et leurs encouragemens ; c'était par
leur conseil qu'elle répondait hardiment ; c'était
d'après elles qu'elle répétait tranquillement de-
vant ce tribunal tout composé de serviteurs des
Anglais, que les Anglais seraient chassés de
France.
Un point sur lequel on revenait souvent, c'é-
tait les signes qu'elle avait donnés au roi pour être
agréée de lui. Souvent elle refiisait de répondre
là-dessus; d'autres fois c'étaient les voix qui lui
avaient défendu d'en rien dire. Puis cependant
n
286 PROCÈS
elle £susait à ce sajet des récits étranges et divers,
d'un ange qui aurait remis une couronne au roi
de la part du ciel, et de la façon dont cette vision
se serait passée. Tantôt le roi seul l'avait vue ;
tantôt beaucoup d'autres en avaient été témoins.
D'autres fois c'était elle-même qui était cet ange ;
puis elle semblait confondre cette couronne avec
celle qu'on avait réellement fait fabriquer pour le
sacre de Rheims. Enfin ses idées sur les pre-
mières entrevues qu'elle avait eues avec le roi sem-
blaient confuses, sans suite et sans signification.
Plusieurs ont pu y voir des all^ories ou de
grands mystères. Dans les sermens qu'on lui fai-
sait; prêter de répondre vérité, elle mettait tou-
jours une réserve touchant ce qu'elle avait dit au
roi , et elle ne jurait de répondre que sur les faits
du procès. Du reste, rien n'était si pieux, si
simple, si vrai que tout ce qu'elle disait.
Par-là elle ne faisait qu'accroître la fureur des
Anglais et dé l'évêque. Les conseillers qui pre-
naient le parti de l'accusée étaient insultés, et
souvent menacés d'être jetés à la rivière. Les no-
taires étaient contraints d'omettre les réponses
favorables, et à grand'peine pouvaient-ils se dé-
fendre d'insérer des faussetés. Après les premiers
interrogatoires, l'évêque jugea à propos de ne
DE LA PUCELLE (1451). !â87
continuer la procédure que devant un très-*petit
nombre d'assesseurs : il dit aux autres qu'on leur
conununiquerait tout, et qu'on leur demanderait
leur avis sans requérir leur présence.
Le procès avait déjà éloigné tous les faits de
sorcelleries^ Aucun témoignage, aucbne réponse
de l'accusée ne pouvaient laisser sur cela le moin-
dre soupçon. Lorsqu'on lui avait parlé d'un arbre
des fées, fameux dans son village, elle avait dit
que sa marraine assurait bien avoir vu les fées ,
mais que pour elle, elle n'avait jamais eu au-
cune vision en ce lieu. D'ailleurs , on avait pro- ,
cédé aux mêmes visites qu^à Poitiers, et l'idée
que le diable ne peut faire de pacte avec une
vierge était encore une justification. Le duc de
Bedfwd eut la déshonnéte curiosité de se cacher
dans la chambre voisine, durant cette visite, et
de regarder par une ouverture de la muraille.
Ainsi l'accusation se dirigea sur deux points :
le péché de porter un habit d'homme, et le refus
de se soumettre à l'Église. Ce fut une chose sin-
gulière que son obstination à ne point porter l'ha-
bit de son sexe. Sans doute, les vêtemens qu'elle
conservait pouvaient mieux garantir sa pudeur
des outrages de ses gardiens; mais elle ne disait
point ce motif. C'était toujours l'ordre de ses voix
aSS PE0CÈ8
qu'elle all^piait; il semblait que 'àa volonté ne
fût pas libre sur cet article, cft qu'elle eût qfidque
devoir prescrit par la volonté divine. Quant à la
soumission à FËglise » c'était un piège où la M-
sait tomber la malice de son juge. On lui avait
fait une distinction savante et siû)tile de TËglise
triomphante dans le ciel et FËglise militante sur
la terre. Grâce à son perfide confesseur, elle se
persuadait que se soumettre à FËglise^ c'était
reconnaître le tribunal, qu'elle voyait composé
de ses ennanis^ et où elte demandait toujours
qu'il y eût aussi des gens de son parti.
Après ses premiers interrc^toires i le promo-
teur dressa lés articles sur. lesquels il faisait por-
ter l'accusation; car tout jusqu'alors n'avait été
qu'une instruction préparatoire. Les interroga-
toires recommencèrent alors devant un plus
grand nombre d'assesseurs ; il y en avait trente
ou quarante, mais non plus cent. Presque tous
ne cherchaient qu'à se dérober à ce crud office,
et les menaces des Anglais en avaient fait partir
plusieurs.
Cependant maître de la Fontaine , conunissatre-
examinateur, et deux autres assesseurs, émus de
pitié et de justice, ne purent endurer qu'on trom-
pât ainsi Jeanne sur le chapitre de la soumission
DE LA PUGELLE (1431). 289
à TÉglise. Ils allèrent la voir, et tachèrent de lui
expliquer que TÉglise militante , c'était le pape et
les saints conciles; qu'ainsi elle ne risquait rien
à s'y soumettre. Un d'entre eux eut même le cou-
rage de lui dire en plein interrogatoire de se
soumettre au concile général de Baie, qui pour
lors était assemblé. < Qu'est-ce, dit- elle, qu'un
« concile général? — C'est une congrégation de
«l'Église universelle, ajouta frère Isambard, et
< et il s'y trouve autant de docteurs de votre parti
« que du parti des Anglais. — Oh, en ce cas, je
< m'y soumets ! s'écria-t-elle. — Taisez-vous donc,
< de par le diable, » interrompit l'évéque, et il
défendit au notaire d'écrire cette réponse : « Hé-
« las ! vous écrivez ce qui est contre moi , et vous
« ne voulez pas écrire ce qui est pour, > dit la
pauvre fille.
Frère Isambart n'en fat pas quitte pour la co-
lère de l'évéque. Le comte de Warwick l'accabla
ensuite d'injures et de menaces. « Pourquoi as-tu
« ce matin soufflé cette méchante? lui dit-il; par
«là. morbleu, vilain, si je m'aperçois que tu
« veuilles encore l'avertir pour la sauver , je te
« ferai jeter à la Seine. > Le commissaire -exa-
minateur et l'autre assesseur se prirent tellement
de crainte, qu'ils s'en allèrent de la ville; il fut
TOM> ▼. 5* tlkiT. 19
1
290 PROCÈS
défendu que personne, hors Tévéque, pût entrer
dans la prison.
Les mterr<^atoires terminés, on rédigea en
donze articles latins la substance des réponses de
Faccusée , et connue un des assesseurs remarquait
que Ton en rapportait le sens inexactement , Té-
vêque , sans plus conférer avec personne, envoya
ces douze articles mensongers , comme mémoire
à consulter, sans nommer Taccusée, à l'Univer-
sité de Paris, au chapitre de Rouen, aux évéques
de Lisieux, d'Avranches et de Coutances, et à
plus de cinquante docteurs , la plupart assesseurs
dans le procès. Les juges voulaient ainsi , selon la
forme et la coutume, être éclairés sur les points de
doctrine et les faits qui concernaient la foi ca-
tholique.
Tous les avis fiirent contraires à Faccusée. Sans
parler du mauvais vouloir de ceux qui étaient con-
sultés, ils ne pouvaient guère répondre d'autre
sorte au faux exposé qu'on avait mis sous leurs
yeux. Tous pensèrent que Faccusée sur laquelle
on les consultait avait cru légèrement ou orgueil-
leusement à des apparitions et révélations qui
venaient sans doute du malin esprit ; qu'elle
blasphémait Dieu en lui imputant Fordre de
porter Fhabit d'homme , et qu'elle était hé-
DE LA PUCËIXE (1431). 291
rétîque en refiisant de se soumettre. à l'Église.
Pendant ce temps^là les juges, sans attendre
les réponses , faisaient à Jeanne des monitions ;
car un tribunal ecclésiastique n'était jamais censé
demander que la soumission du coupable. En ce
moment elle tomba fort malade, ce qui mit les
Anglais en grande inquiétude. <r Pour rien au
< monde , disait le comte de Warwick , le roi ne
< voudrait qu'elle mourût de mort naturelle ; il
« l'a achetée si cher, qu'il entend qu'elle soit
< brûlée. Qu'on la guérisse au plus vite. •
Lorsqu'elle ne fut plus malade, on reprit les
monitions; personi^ n'éclaircissait plus à son
esprit simple et ignorant fout le verbiage qu'on
lui tenait sur la soumission à l'Église ; aussi pa-
raissait-elle toujours s'en rapporter seulement à
ce qu'dle tenait elle-même de Dieu par ses voix ;
cependant elle pariait sans cesse avec respect de
l'autorité du pape. Son obstination à ne pas re-
prendre les habits de femme n'était pas moindre.
Enfin la sentence fut portée. C'était, comme les
jugemens ecclésiastiques , une déclaration faite h
l'accusée , que pour tels et tels motifs elle était re-
tranchée de l'Église , comme un membre infect ,
et livrée à la justice séculière. On ajoutait , toujours
pour la forme , que les laïques seraient engagés h
292 PRO€ÈS
modérer la peine , en ce qui touctie la mort ou la
mutilation.
Mais Ton voulut avoir d'elle , avant son sup-
plice , une sorte d'aveu public de la justice de sa
condamnation. Pour lors on commença à lui
faire donner par son faux confesseur le conseil
de se soumettre , avec la promesse d'être traitée
doucement, et de passer des mains des Anglais
aux mains de l'Église. Le 24 mai 1431 elle fut
amenée au cimetière Saint-Ouen ; là , deux grands
échafauds étaient dressés; sur l'un était le car-
dinal Winchester, l'évêque de Beauvais, les évê-
ques de Noyon et de Boulogne , et une partie des
assesseurs.
Jeanne fut conduite sur l'autre échafaud ; sur
celui-ci se trouvaient le docteur qui devait prê-
cher ^ les notaires du procès, les appariteurs qui
avaient été chargés de sa garde durant les inter-
rogatoires, maître l'Oiseleur et un autre asses-
seur qui l'avait aussi confessée. Tout auprès était
le bourreau avec sa charrette , disposée pour re-
cevoir la Pucelle et la conduire au bûcher préparé
sur la grande place. Une foule immense de Fran-
çais et d'Anglais remplissait le cimetière. Le
prédicateur parla longuement. < noble maison
< de France, dit- il entre autres choses, qui tou-
DE LA PUGEIXE (1431). 293
c jours jusqu'à présent t'étais gardée des choses «
c monstrueuses, et qui as toujours prot^éla foi,
< as-tu été assez abusée pour adhérer à une héré-
< tique et une schismatique ! c'est grand'pitié!
c Ah! France, tu es bien abusée, toi qui as tou-
c jours été la chambre très-chrétienne ; et Ghar-
< les, qui te dis son roi et son gouverneur, tu
c as adhéré, comme un hérétique que tu es, aux
€ paroles et aux faits d'une vaine femme diffamée
c et pleine de déshonneur. >
Sur ce, elle l'interrompit : c Parlez de moi,
< mais non pas du roi ; il est bon chrétien, et j'ose
« bien dire et jurer, sous peine de la vie , que c'est
<E le plus noble d'entre les chrétiens, qui aime le
c mieux la foi et l'Église. Il n'est point tel que
« vous dites. — Faites-la taire , > s'écria l'évêque
de Beauvais.
En finissant le sermon, le prédicateur lut à
Jeanne une formule d'abjuration , et lui dit de la
signer. « Qu'est-ce qu'abjuration? > dit-elle. On
lui expliqua que , si elle refusait les articles qu'on
lui présentait, elle serait brûlée , et qu'il fallait se
soumettre à l'Église universelle, c Eh bien , j'ab-
« jurerai, si l'Église universelle le veut ainsi. >
Mais ce n'était pas les soumissions à l'Église ni
au pape qu'on voulait avoir d'elle , c'était l'aveu
294 ' PROCÈS
que ses juges avaient bien jugé. Alors on redou-
bla de menaces, d'instances, de promesses. On
tenta tous les moyens de la troubler. Elle fut long-
temps ferme et invariable. < Tout ce cpie j'ai fait,
< j'ai bien fait de le faire, » disait-dle.
Celte scène se prolongeait. Pour lors les An*-
glais commencèrent à s'impatienter de ce qui leur
semblait de la miséricorde. Des cris s'élevaient
contre l'évêque de Beauvais, on l'appelait traître.
« Vous en avez mentir disaiirelle, mais c'est le
« devoir d'un évêque de chercher le salut de l'âme
€ et du corps de l'accusée. » Le cardinal de Win*-
chester imposa silence à ses gens.
Enfin l'on triompha de la résistance de Jeanne,
c Je veux, dit-dile , tout ce que l'Église voudra, et
€ puisque les gens d'église disent que mes visions
c ne sont pas croyables, je ne les soutiendrai pas.
« — Signe donc , ou tu vas périr par le feu > , lui
dit le prédicateur. Dans tout cet intervalle , un
secrétaire du roi d'Angleterre, qui se trouvait
près de l'échafaud de Jeanne, avait mis à la
place des articles qu'on lui avait lus et qu'on avait
eu tant de peine à lui faire approuver, un autre
papier contenant une longue abjuration, où elle
avouait que tout ce qu'elle avait dit était menson-
ger, et priait qu'on lui pardonnât ses crimes. On
J>E LA PUG£LLE (1431). 295
prit sa main, et (Ni lui fit mettre au bas de ce
papier mie croix pomr signature. Le trouble se
mit aussitôt parmi la foule ; les Français se ré-
jouissant de la voir sauvée» les Anglais furieux et
jetant des pierres.
L'éyêque de Beauvais et l'inquisiteur pronon-
cèrent alors une autre sentence qu'ils avaient ap-
portée, et condamnèrent Jeanne à passer le reste
de ses jours en prison, au pain de douleur et
à l'eau d'angoisse. Dès l'instant même , on man-
qua aux promesses qu'on venait de lui faire. Elle
croyait être remise au clergé , et ne plus être aux
mains des Anglais; quoi qu'elle pût dire, on la
ramena à la Tour.
Cependant les Anglais étaient en grande co-
lère ; ils tiraient leurs épées , et menaçaient l'é-
vêque et les assesseurs , criant qu'ils avaient mal
^gagné l'argent du roi. Le comte de Warwick
lui-même se plaignit à l'évêque : < L'affaire va
« mal, puisque Jeanne échappe, dit-il. — N'ayez
< pas de souci, dit un des assesseurs; nous la re-
« trouverons bien. »
Ce fut en effet à quoi l'on s'occupa sans tarder.
Elle avait repris l'habit de femme. On laissa son
habit d'homme dans la même chambre. En même
temps les Anglais qui la gardaient, et même un
296 PROCÈS
seigneur d'Angleterre , se portaient contre elle à
d'indignes violences. Elle était plus étroitement
enchaînée qu'auparavant , et traitée avec plus de
dureté. On n'omettait rien pour la jeter dans le
désespoir. Enfin , voyant qu'on ne pouvait réussir
à lui faire violer la promesse qu'elle avait faite de
garder les vétemens de son sexe , on les lui en-
leva durant son sommeil, et on ne lui laissa que
l'habit d'homme. < Messieurs, dit-elle en s'éveil-
< lant, vous savez que cela m'est défendu; je ne
< veux point prendre cet habit. > Mais pourtant
il lui fallut se lever et se vêtir. Alors ce fut une
joie extrême parmi les Anglais. « Elle est prise! »
s'écria le comte de Warwick. On fit aussitôt
avertir l'évêque. Les assesseurs, qui arrivèrent
un peu avant lui, furent menacés et repoussés
par les Anglais qui remplissaient la cour du d>â-
teau.
Sans vouloir écouter ses excuses , sans laisser
mettre dans le procès-verbal les outrages qu'on
lui avait faits et la nécessité où elle avait été
placée de changer de vétemens , sans s'arrêter à
ses justes plaintes, l'évêque lui dit qu'il voyait
bien qu'elle tenait encore à ses illusions. « Avez-
€ vous encore entendu vos voix ? ajouta-t-il. — Il
« est vrai, répondit - elle. — Qu'ont -elles dit?
DE LA PUGELLE (1431). 297
« poursuivit révêque. — Dieu m'a fait connaître,
c continua <^lle, que c'était grand'pitié d'avoir
< signé votre abjuration pour sauver ma vie. Les
€ deux saintes m'avaient bien dit sur l'échafaud
c de répondre hardiment à ce faux prédicateur ,
< qui m'accusait de ce que je n'ai jamais fait ;
< elles m'ont reproché ma faute. > Alors elle af-
firma plus que jamais qu'elle croyait que ses voix
venaient de Dieu ; qu'elle n'avait nullement com-
pris ce que c'était qu'abjuration ; qu'elle n'avait
signé que par crainte du feu ; qu'elle aimait
mieux mourir que de rester enchaînée; que la
seule chose qu'elle pût faire, c'était de porter
l'habit de femme. < Du reste, donnez -moi une
< prison douce ; je serai bonne et ferai tout ce cpie
n. voudra l'Église. »
C'en était assez , elle était perdue, c Farewell ! >
cria l'évêque aux Anglais et au comte de War-
wick , qui l'attendaient au sortir de la prison.
Les juges résolurent donc de la remettre à la
justice séculière, c'est-à-dire de l'envoyer au sup-
plice. Quand cette dure et cruelle mort ftit an-
noncée à la pauvre fille , elle se prit à pleurer et
à s'arracher les cheveux. Ses voix l'avaient sou-
vent avertie qu'elle périrait ; solivent aussi elle
avait cru que leurs paroles lui promettaient dé-
298 PROCÈS
livrance; mais aujourd'hui elle ne songeait qu'à
cet horrible supplice. < Hélas! disait-dle, réduire
< en cendres mon corps qui est pur et n'a rien
< de corrompu. J'aimerais sept fois mieux qu'on
< me coupât la tête. Si, comme je le demandais,
< j'eusse été gardée par les gens d'Église, et non
€ par mes ennemis, il ne me serait pas si cruel-
c lement advenu. Ah! j'en appelle à Dieu, le
< grand juge , des cruautés et des injustices qu'on
« me fait. >
Lorsqu'elle yit Pierre Cauchon : c Évêque,
c dit-elle, je meurs par vous. » Puis à un des as-
sesseurs : « Ah! maître Pierre, où serai-je au-
< jourd'hui? — N'avez-vous pas bonne espérance
« en Dieu? répondit-il. — Oui, reprit-elle; Dieu
« aidant, j'espère bien aller en paradis. » Par
une singulière contradiction avec la sentence, on
lui permit de communier. Le 30 mai, sept jours
après son abjuration, elle monta dans la char-
rette du bourreau. Son confesseur, non celui qui
l'avait trahie, mais frère Martin- l'Advenu et
frère Isambart, qui avaient au contraire plus
d'une fois réclamé justice dans le procès, étaient
près d'elle. Huit cents Anglais, armés de haches,
de lances et d'épées, marchaient à l'entour.
Dans le chemin, elle priait si dévotement.
DE LA. PUCELLE (1431). 299
et se lamentait avec tant de douceur, qu'aucun
Français ne pouvait retenir ses larmes. Quelques
uns des assesseurs n'eurent pas la force de la
suivre jusqu'à TéchaÊiud. Tout à coup un prêtre
perça la foule , arriva jusqu'à la charrette et y
monta. C'était maître Nicolas l'Oiseleur, son faux
confesseur , qui , le cœur contrit , venait deman-
der à Jeanne pardon de sa perfidie. Les Anglais
l'entendant , et fiirieux de son repentir, voulaient
le tuer. Le comte de Warwick eut grand'peine à
le sauver.
Arrivée à la place du supplice : < Ah ! Rouen !
« dit-elle , Rouen ! est-ce ici que je dois mourir? i
Le cardinal de Winchester et plusieurs pré-
lats français étaient placés sur un échafaud; les
juges ecclésiastiques et séculiers sur un autre.
Jeanne fut amenée devant eux. On lui fit d'abord
un sermon pour lui reprocher sa rechute; elle
l'entendit avec patience et grand calme. < Jeanne,
€ va en paix; l'Église ne peut plus te défendre,
« et te livre aux mains séculières. » Tels furent
les derniers mots du prédicateur.
Alors elle se mit à genoux , et se recommanda
à Dieu, à la sainte Vierge et aux saints, surtout
à saint Michel, sainte Catherine et sainte Mar-
guerite; elle laissait voir tant de ferveur, que
300
MORT
chacun pleurait» même le cardinal de Winchester
et plusieurs Anglais.
L'éyéque de Beajavais donna lecture de la sen-
tence qui la déclarait relapse et Fabandonnait au
bras séculier. Ainsi repoussée par TÉglise, elle
demanda la croix. Un Anglais en fit une de deux
bâtons , et la lui donna. Elle la prit dévotement
et la baisa; mais elle désira avoir celle de la pa-
roisse ; on alla la quérir, et elle la serrait étroite-
ment contre son cœur en continuant ses prières.
Cependant les gens de guerre des Anglais ^ et
même quelques capitaines, commencèrent à se
lasser de tant de délai. « Allons donc, prêtre,
< voulez -TOUS nous faire dîn^ ici? disaient les
< uns. — Donnez-la-nous , disaient les autres , et
« ce sera bientôt fini. — Fais ton officfr, > disaient-
ils au bourreau.
Sans autre commandement , et avant la sen-
tence du juge séculier, le bourreau la saisit. Elle
embrassa la croix, et marcha vers le bûcher. Des
hommes d'armes anglais Fy entrainaient avec
fureur. Jean de Mailly , évêque de Noyon et quel-
ques autres du clergé de France, ne pouvant
endurer un si lamentable spectacle , descendirent
de leur échafaud , et se retirerait.
Le bûcher était dressé sur un massif de plâtre.
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D£ LA PUCELLE (1431). 301
Lorsqu'on y fit monter Jeanne » on plaça sur sa
tête une mitre où étaient écrits les mots hérétique,
relapse, apostate, idolâtre. Frère Martin T Ad-
venu, son confesseur, était monté sur le bûcher
avec elle ; il y était encore , que le bourreau al-
luma le feu. c Jésus! » s'écria Jeanne. Et elle fit
descendre le bon prêtre. « Tenez-vous en bas,
€ dit-elle ; levez la croix devant moi , que je la
< voie en mourant, et dites-moi de pieuses pa-
< rôles jusqu'à la fin. »
L'évêque s'approcha; elle lui répéta : c Je
€ meurs par vous. » Et elle assura encore que les
voix venaient de Dieu, qu'elle ne croyait pas
avoir été trompée , et qu'elle n'avait rien fait que
par ordre de Dieu. < Ah ! Rouen , ajoutait-elle , j'ai
< grand'peur que tu ne souffres de ma mort. »
Ainsi protestant de son innocence , et se recom-
mandant au ciel, on l'entendit encore prier à tra-
vers la flamme : le dernier mot qu'on put distin-
guer fut : < Jésus ! »
D y avait peu d'hommes assez durs pour rete-
nir leurs larmes ; tous les Anglais , sauf quelques
gens de guerre qui continuaient à rire, étaient
attendris. < C'est une belle fin , disaient quelques
€ uns, et je me tiens heureux de l'avoir vue, car
€ elle fut bonne femme. » Les Français murmu-
}
302 MOftT
raient qœ cette mort était cruelle et injuste.
€ Elle meurt martyre pour son vrai Seigneur. —
€ Ah! nous sommes perdus; on a brûlé une
c sainte. — Plût à Dieu que mon âme fût où est
c la sienne ! » Tels étaient les discours qu'on te*-
nait. Un autre avait vu le nom de Jésus écrit en
lettres de flamme au-dessus du bûcher.
Mais ce qui fut plus merveilleux , c'est ce qui
advint à un honune d'armes anglais, n avait juré
de porter un fagot de sa propre main au bûcher;
quand il s'approcha pour faire ce qu'il avait dit,
entendant la voix étouffée de Jeanne , qui criait :
€ Jésus! » le cœur lui manqua, et on le porta en
défaillance à la prochaine taverne. Dès le soir , il
alla trouver frère Isambart, se confessa à lui , dit
qu'il se repentait d'avoir tant haï la Pucelle , qu'il
la tenait pour sainte femme ^ et qu'il avait vu son
âme s'envoler des flammes vers le ciel , sous la
forme d'une blanche colombe. Le bourreau vint
aussi se confesser le jour même, craignant de ne
jamais obtenir le pardon de Dieu.
Ce qui faisait encore crier au miracle, c'est
que, lorsque Jeanne fut étouffée, ce bourreau
avait écarté le feu pour montrer au peuple son
corps dépouillé, et qu'on avait Cru voir que la
flanune l'avait laissé presque entier. Pour qu'il
DE LÀ PUC£LL£ (1431). 303
n'^1 restât {dus de vestiges, le cardinal de Win-
diester ordonna que les cendres de la malheu-
reuse Jeanne fussent jetëes dans la Seine.
Cep^idant le gouvemement des Anglais n'avait
point obtenu , conune il le dirait tant , Taveu que
toutes les apparitions de Jeanne et les prédictions
de ses voix étaîmt autant de menscmges. Il pou-
vait voir par le bruit commun qu'on tenait la sen-
tence pour injuste , et rendue en haine de la Pu-
celle et du roi de France. D'autre part, l'évêque
de Beauvais était inquiet de ce qui pourrait lui
arriver pour avoir conduit une telle procédure ;
il voulut même avoir des lettres de garantie du
roi d'Angleterre , qui s'engagea à le soutenir et à
le défendre devant le concile et le pape, s'il en
était besoin.
Huit jours après la mort de Jeanne, on im^ina
donc de commencer une information, afin de prou-
ver par témoins qu'elle avait abjuré et reconnu
la fausseté de ses visions; on trouva encore, pour
être garans de ce récit, maître l'Oiseleur et quel-
ques autres. Les notaires du procès se refusèrent
à signer. Personne ne sembla croire à ces témoi-
gnages tardifs. Il était à croire que , si Jeanne se
fût ainsi démentie, on n'eût pas manqué à en
constater, de son vivant, la certitude juridique.
304 ttORT
Néanmoins le roi d'Angleterre écrivit à tous
les ptinces de la chrétienté une lettre pour leur
exposer comment il avait été procédé contre
Jeanne, et ce qui lui avait été imputé; il assurait
qu'elle avait reconnu à sa mort que des esprits
mauvais et mensongers l'avaient moquée et
déçue. Le même récit fut envoyé aux évêques, aux
^lises 9 aux principaux seigneurs et aux bonnes
villes du royaume. D n'en demeura pas moins
établi dans les esprits, en France et dans les
pays chrétiens , que les Anglais avaient cruelle-
ment mis à mort cette pauvre fille par une basse
vengeance, par colère de leurs défaites, et en
mettant leur volonté à la place de la justice. Les
Bourguignons eux-mêmes ne partageaient en
rien le ressentiment des Anglais, et chez eux '
on parla toujours de la Pucelle comme d'une
fille merveilleuse , vaillante à la guerre, et qui ne
méritait en rien cette horrible sentence.
Elle n'eut, ce semble, d'autres approbateurs
que parmi le peuple de Paris, où beaucoup de
gens avaient encore une si grande haine des Ar-
magnacs et du roi , que tout ce qui était contre
eux leur semblait croyable '. Le 4 juillet, confor-
' Monstrelet. — Chastelain. — Amelgard. — Saint-Remi.
* Journal de Paris.
DE LA PUGELLE (1451). 305
mément à ce que le roi d'Angleterre avait or-
donné dans sa tettre aux évéques , il Ait fait une
prédication pour informer le peuple du ji^ement
et des crimes de la Pucelle. Ce Ait un domini-
cain, inquisiteur de la foi, qui fit ce sermon. Il ne
se borna point aux imputations du procès ni
aux faux motifs du jugement, mais raconta en-
core aux Parisiens beaucoup d'autres mensonges
et rumeurs populaires; il dit entre autres que
c était frère Richard qui avait instruit Jeanne à
débiter de telles impostures, ainsi que Catherine
de La Rochelle, et Perrette-la-Bretonne , qu'on
avait. Tannée d'auparavant, brûlée à Paris.
Tous ces restes de la faction des bouchers
avaient assurément un très -mauvais vouloir
contre le parti des Français; néanmoins il s'en
fallait beaucoup qu'ils eussent le moindre amour
pour les Anglais'. Depuis la chute de leur for-
tune, les anciens ennemis du royaume perdaient
tout crédit sur les esprits. C'était de continuel- "
les railleries sur leurs défaites. On assurait que
lorsqu'ils étaient allés attaquer Lagny, toute
leur entreprise s'était réduite à tuer un coq;
et, quand ^ils en revinrent , on disait que c'é-
* Journal de Paris.
T»MI T. 5* UIT. 20
306 GONTINUATiOIV DE LÀ GUERRE.
tait pour se confesser et faire leurs paques'.
Louviers, que les Anglais assiégeaient depuis
long-temps, et qu'ils se vantaient de prendre aus-
sitôt après la mort de la Pucelle» continuait aussi
à se bien défendre ; la Hire était dans la ville avec
son frère Âmadoc et le sire d'Illiers.
Pendant ce temps, Ambroise de Loré, qui com-
mandait Farmée du duc d' Alençon , avait encore
de plus grands avantages dans la Normandie et le
Perche.
Le maréchal de Boussac et Saintraille se te-
naient à Beauvais ; ils furent avertis que , le 4 août,
le duc de Bedford devait se rendre, assez peu ac-
compagné, de Rouen à Paris. Ils tombèrent à
rimproviste sur lui auprès de Mantes ; il n'eut le
temps que de se jeter en un bateau, et de passer la
rivière pour gagner Paris en toute hâte ' ; presque
tous ses gens y périrent. Le bruit se répandit
même au camp des Anglais devant Louviers qu'il
avait été tué ou pris. Aussitôt le comte de War*
wick et le comte d' Arundel quittèrent le siège et
marchèrent contre le maréchal de Boussac, qui
menaçait aussi la Normandie et Rouen. Il n'avait
pas une armée nombreuse ; il se renferma dans
* Journal de Paris. — ^ Id, — Monstrelet. - Chartier. - HoUinshed.
GUILLÂUME-LE-PÂSTOUREL (1431). 307
Beauvais. Les Anglais le suivirent jusque-là.
Quelques jours après, les Français firent une
sortie 9 et se lancerait à la poursuite des ennemis
jusqu'au village de Nully; mais ils tombèrent
ainsi dans un piège. Tout à coup le comte d'A-
rundel déboucha d'un petit vallon. Les Français
furent surpris ; le maréchal de Boussac ordonna
aussitôt qu'on se mit en ordre et en bataille. Il
était trop tard; l'avant-garde que conunandait
Saintraille s'était emportée tpop loin. Elle fut
environnée; et, après s'être défendus de leur
mieux, les sires de Saintraille et de Gaucourt
furent faits prisonniers. Avec eux, tomba aux
mains des Anglais un jeune berger, que, depuis
la mort de la Pucelle, on tâchait de mettre en
crédit parmi les gens de guerre. Cet enfant était
une sorte de fou; il avait des visions, et montrait
ses mains et son côté tachés de sang , ainsi qu'un
autre saint François; il montait à cheval assis
comme une fenmie. On répandait qu'il n'avait
qu'à toucher les portes d'une ville pour les faire
ouvrir, et qu'il avait promis de mener les
Français à Rouen. On le nommait Guillaume-
le-Pastourel'.
* Journal de Paris. — Monslrelet . — Chartier .—Chronique de Berri .
n
308 REMONTRANCES BU BUG
Cette victoire des Anglais n'était pas grande,
et réparait mal leurs affaires. Elles déclinaient
d'autant plus que leur puissant allié, le duc de
Bourgogne, s'était lassé de faire tant de frais
pour recueillir si peu d'avantages. Peu après le
moment où il avait été défié par les Français , il
avait quitté son armée pour retourner près de la
Duchesse qui venait de perdre son fils, né depuis
cinq mois. < Plût à Dieu que je fiisse mort aussi,
c je me tiendrais pour plus heureux ! » s'était
écrié le Duc, en recevant cette triste nouvelle.
Au mois d'avril suivant, désirant enfin sortir
des embarras et des chagrins que lui causait cette
guerre , il envoya des ambassadeurs au roi Henri
à Rouen , et à Londres au conseil d'Angleterre ;
ils étaient chargés de remontrer fortement l'état
des affaires'.
Le duché de Bourgogne et le comté de Charo-
laîs étaient, sur une frontière de cent soixante
lieues, exposés aux courses des Français. Le
comte de Clermont attaquait le Gharolais, et s'avan-
çait jusqu'à Marcigny. Au nord, vers Auxerre, il
y avait deux ans que les moissons et les récoltes
Berri. — Abrégé chronologique. — HoUinshed. — Vigiles de Char-
les VIT. — Sainl-Remi.
' Preuves de l'Histoire de Bourgogne.
AU ROI d'aNGLETERRE (1451). 309
n'ayaient pu se faire. Crevant, Mailli, Mussi
étaient tombés aux mains des Français^ qui oc-
cupaient déjà Sens et Yilleneuve-le-Roi ; de sorte
que Auxerre était comme bloqué; la famine y ré-
gnait, il n'y pouvait entrer de grains que ce qu'ap-
portaient, dans leurs besaces, les fmunes et les
filles delà campagne. Le Due avait été obligé d'en-
voyer , à main armée, un convoi de vivres pour
soulager les malheureux habitans.
Le Nivernais était ravagé par les garnisons de
Saint-Pierre-le-Moutier et de Château-Chinon. Le
sire de Chabannes, avec six cents hommes d'ar-
mes, n'y trouvait que peu de résistance.
Le Rétheloîs était en proie aux attaques des
Français de la Champagne, que commandait le
sire de Barbazan.
L'Artois était la province la plus exposée à la
guerre. La ville de Corbie avait récemment été
presque surprise par une attaque imprévue. Les
riches terres de Péronne, de Roye, de Montdi-
dier, restaient sans culture, et il fallait tenir à
grande dépense des garnisons dans chaque ville
et dans chaque château.
Le comté de Namur était pressé par les Liégeois,
qui y menaient une forte guerre.
Ainsi les vastes États du Duc se trouvaient
310 REMONTRANCES DU DUC
épuises d'hommes et d'argent. Ses fidèles sujets
lui demandaient de tous côtes la fin de leurs mal-
heurs. Les seigneurs et les cheyaliers tombai^it
sans cesse aux mains des Français, et se minaiCTt
à payer leur rançon.
Les ambassadeurs du duc Philippe remontré-
rent que lui seul, de tous les parens et alliés du
roi d'Angleterre, se mettait de la sorte en frais et
en péril, contre le usages du temps passé, où le
roi entreprenait et conduisait les guerres à ses
frais et dépens.
Nonobstant la détresse de ses domaines , le Duc
promettait de donner encore mille combattans au
comte de Ligny, pour défendre la Picardie; d'en
confier autant à son maréchal de Bourgogne,
qui était venu lui demander secours pour le Du-
ché. Mais c'était pour deux mois seulement qu'il
s'engageait à soutenir la guerre; passé ce temps,
le roi Henri aurait à la faire à ses frais. Autre-
ment, il ne trouverait pas mauvais que le duc de
Bourgogne cherchât une manière de sauver ses
Ëtats. < Notre maître et seigneur souffrirait trop,
« disaient les ambassadeurs y de perdre ainsi des
« pays que lui ont laissés ses prédécesseurs, d'au-
<( tant que la conquête de la France ne sera pas à
<t son profit. »
AU ROI d'âIIGLETERRE (1451). 311
Lorsqu'on repondait que la guerre regardait au-
tant le Duc que le roi» les ambassadeurs disaient
que leur maître avait le cœur plein de pitié et de
douleur de voir ce noble et puissant royaume
dans une si grande misère, et que sans Tintérêt
particulier du roi il procéderait assurément d'au-
tre sorte.
Enfin» comme on roulait faire entendre que le
Duc avaiteutort de quitter le si^e de Compiègne,
les envoyés répondaient qu'il avait £sdt loyalement
son devoir, et que l'issue de ce siège le chagrinait
plus que nul autre; car il.y avait perdu un grand
nombre de ses gens tués ou mis à rançon. En
outre, il y avait déphasé une première somme
de 260,300 fr. argent de Flandre, où le franc va-
lait trente-deux gros, de huit deniers chaque,
tandis qu'il n'avait reçu que 54,000 saints , qui
étaient la monnaie d'or que les Anglais faisaient
frapper en France, et qui valaient 25 sous; puis,
une seconde somme de 57,500 francs d'or fran-
çais, à 20 sous le franc. Maintenant, pour assem-
bler des hommes d'armes en Picardie et en Bour-
gogne^ il allait lui en coûter, sans parler de l'ar-
tillerie , encore 50,000 fr.
c En un mot, il déplaît sans doute beaucoup
à monseigneur de Bourgogne que depuis le siège
312 remoutrànces du duc
d'Orléans les affaires aillent si mal; mais il sait
qu'en fait de guerre les choses ne vont pas tou-
jours comme on veut, et que Dieu est par-dessus
tout, qui en Eût à son plaisir et à sa volonté. »
Le conseil du roi d'Angleterre, séant à Rouen,
répliquait que le Duc devait se souvenir comment
les marches de Bourgogne étaient depuis long-
temps ravagées par la guerre, lorsque le comte
de Salisbury et les chefe anglais étaient venus les
dégager, de sorte qu'elles étai^it restées ensmte
deux ans en bonne situation: On ajoutait qu'au
mois de juillet on entretiendrait, aux frais de
l'Angleterre, dix-huit cents combattans en Picar-
die, pour seconder le comte de Ligni. Quant au
duché de Bourgogne, le conseil de Londres n'a-
vait pu le secourir; mais si le siège de Louviers
avait bonne conclusion^ on verrait ce qu'on pour-
rait faire.
Revenant sur le siège de Gompiègne, le roi
Henri disait qu'à lui aussi il avait coûté cher, et
offrait de montrer les dettes qu'il avait contractées
à ce sujet avec les marchands de Bruges et de
Gand.
Pendant que le duc de Bourgogne se plaignait
de la guerre et des maux qu'elle faisait, il s'enga-
geait dans mie guerre nouvelle.
AU ROI D'ANGLETERRE (1451). 313
Edouard lll» duc de Bar, tué à la bataille d'Â-
zincourt» n'ayait point laissé d'enfans mâles, et
son héritage avait passé à son frère le cardinal de
Bar, éyéque de Verdun. Ccnnme cette illustre
race, qui descendait par les femmes de Hugues-
le4!ïrand, duc de France, était éteinte, le cardi-
nal avait désigné pour son héritier le duc René
d'Anjou, son petit-neveu, fils dlolande d'Anjou et
petit-fils d'Iolande de Bar , reine d'Aragon. Pour
accroître encore la puissance du successeur qu'il
s'était choisi, il lui fit épouser, en 1418 , Isabelle,
fille aînée de Charles, duc de Lorraine. Quelques
années après, ce prince, qui était sans enfans
mâles ^ fit un testament par lequel il laissait son
duché à sa flUe et à son gendre '.
Le duc de Lorraine et le cardinal de Bar mou-
rurent l'un et l'autre en 1430, et le duc René
voulut tout aussitôt se mettre en possession de la
Lorraine; mais Antoine, comte de Yaudemont,
fils de Frédéric de Lorraine, firère du feu duc,
prétendit que le fief était masculin , et ne pouvait
passer au duc René par le droit des femmes.
Le comte de Yaudemont avait toujours été du
parti bourguignon. Le duc René était fils du roi
« Histoire de Lorniine et preuves. — Histoire du roi René.
314 SUCCESSION
de Sicile, un des plus grands ennemis qu'avait
jamais eus la maiscm de Bourgogne. Lui-même
s*était» depuis le sacre, déclaré pour les Français,
avait joint ses arnles à celles du roi , et en ce
moment même, avec le sire de Barbazan, faisait
une fâcheuse guerre aux Bourguignons. Le ma«
réchal de Toulongeon tenait pour lors les États
de Bourg(^e ; il était grand ami du comte de
Vaudemont, et se hâta de porter à la connais-
sance des États Tinjure qu'on faisait à son droit'.
Lesi États, voyant combien il serait dangereux
pour le Duché d'avoir sur sa frontière du nord
un nouvel ennemi aussi puissant que le serait le
duc René , résolurent de soutenir son adversaire;
d'ailleurs on répandait le bruit qu'après avoir
soumis le comté de Yaudemont , ce prince vou-
lait entreprendre la conquête de la Bourgogne.
Les États accordèrent un subside de 60,000
francs.
On manquait d'hommes ; la noblesse de Bour-
gogne ne suffisait pas même à garder la province
contre tant d'attaques. Le maréchal se rendit à
Bruxelles pour exposer au Duc la déiresse de son
principal domaine, et pour le prier d'y envoyer
' Histoire de Bourgogne.
DE LORRAINE (1451). 315
un renfort de ses gens de Picardie et d'Artois,
afin de défendre la Bourgogne et d'aider au comte
de Yaudemont Le conseil du Duc ne trouvait pas
que l'Artois f&t moins menace que le Duché» et
les seigneurs de cette province , qui avaient leurs
tûens à garder» ne se souciaient point d'aller si
loin» dans un pays où les Français étaient en
force » encore pour y être mal payés \ Alors le
maréchal de Toulongeon et le comte de Yaude-
mont s'adressèrent à quelques bâtards de gi^andes
maisons» à de pauvres gentilshommes» a des aven-
turiers dbefs de compagnies » tous gens qui n'a-
vaient que de petits revenus » et ne se trouvaient
pas dans leur pays en aussi bonne position qu'ils
auraient voulu. Les bâtards de Brimeu » de Fos-
seuse » de Neuville » le sire de Humières» un nommé
Robinet Huche^hien et quelques autres consen-
tirent volontiers à aller chercher aventure sur les
marches de Lorraine. Ds rassemblèrent mille ou
douze cents pauvres compagnons accoutumés de-
puis long-temps à courir les camps et à vivre de
pillage». de ces hommes qu'on voyait partir sans
trop s'inquiéter s'ils reviendraient» mais raides»
vigoureux et éprouvés à la guerre.
' Monstrelet.
1
316 GUERRE
Pendant ces apprêts, le duc René avait réuni
une nombreuse armée ; Tévêque de Metz , le comte
de Linanges , le comte de Salm , le seigneur d*Hei-
delberg , le sire de Saarbruck, le sire du Châtelet,
le damoiseau de Commerci, Robert de Baudri-
court, gouTemeur de Vaucouleurs, avaient amené
leurs hommes. C'était le brave sire de Barbazan,
ce noble et fameux chevalier, qui était maréchal
de Tannée. L'empereur d'Allemagne avait re-
connu les droits du duc René, qui trouva d'abord
peu d'obstacles à les faire valoir. Après avoir pris
possession de toute la Lorraine, il fit signifier au
comte de Vaudemont de lui rendre foi et hom-
mage. Sur son refiis , il vint mettre le siège de-
vant la forteresse de Vaudemont, proche Yezelize.
La garnison , qui avait l'assurance d'être secou-
rue , se défendit vaillanunent ; elle résistait depuis
trois mois.
L'armée de Bourgogne se réunit avec les Pi-
cards qu'amenait le maréchal de Toulongeon à
Mont-Saugeon près de Langres. Le comte de Vau-
demont y vint aussi avec ses partisans. On com-
mença par entrer dans le duché de Bar, et y met-
tre tout à feu et à sang, comme faisait le duc
René dans le comté de Vaudemont. Alors ce
prince , laissant assez de monde pour continuer
DE LORRAIHE (1451). 317
son siège, s'en vînt à la rencontre des Boui^i-
gnons. Ils n'étaient point assez nombreux pour
s'engager ainsi dans un pays difficile , tout coupe
de haies et de fosses; les yivres allaient leur man-
quer. Le maréchal ordonna prudemment, au
grand chagrUi du comte deVaudemont, de reve-
nir en Bourgogne.
Mais le duc René les avait gagnés de vitesse, et
se trouvait sur le chemin du retour. Dès qu'ils en
furent informés par leurs coureurs y ils tinrent
grand conseil. Quelques Anglais qui se trouvaient
en cette armée , les Picards qui avaient l'habitude
de combattre avec eux , furent aussitôt d'avis de
mettre les archers au front, retranchés derrière
leurs pieux , et de faire descendre de cheval tous
les hommes d'armes. Les Bourguignons n'étaient
pas accoutumés à cette façon de combattre ; les
gentilshommes ne voulaient pas mettre pied à
terre'. Cependant le maréchal l'ordonna sous
peine de mort , et tout se dii^posa selon l'usage
des Anglais , en plaçant par derrière et sur le flanc
gauche un rempart de charrettes et de bagages,
afin de ne pas être surpris de ce côté ; la petite ri-
vière de Yaire , des fossés et des haies achevaient
cette forte enceinte.
^ Chronique de Berri. — Monslrelet. — Saint- Rémi.
318 BATAILLE /
Les Lorrains aYanۏrent; le duc de Bar envoya
défier les Bourguignons; le sire de Toulongeon
répondit qu'il était prêt et ne désirait que co^^
battre. Barbazan, voyant la belle ordonnance de
Tennemi , n'était point d'avis d'attaquer ; il conseil-
lait d'attendre ; il représentait que les Bourgui-
gnons manquaient de vivres, qu'ils seraient obli-
gés de déloger; mais il ne put se faire écouter. Le
duc René se fiait au grand nombre de ses gens ;
il avait avec lui de jeunes seigneurs de Lorraine
et d'Allemagne qui n'avaient pas vu la guerre
comme les Français, les Anglais et les Bourgui-
gnons; dans leur présomption , ils s'assuraient
de forcer sans peine cette petite troupe, c II n'y a
c pas d'ennemis pour nos pages , » s'écriait le
comte de Saarbruck : c Quand on a peur des
c feuilles, il ne faut pas aller au bois, » disait au
brave Barbazan cette jeunesse sans expérience.
« Ces paroles ne sont pas pour moi , répondit-il ;
« Dieu merci, j'ai toujours vécu sans reproche;
c et encore aujourd'hui on verra i^i c'est la
c crainte ou le bon conseil qui me fcmt parler
< de la sorte. »
Le vaillant chevalier disposa de son mieux
cette attaque entreprise contre son gré; il
avait au moins deux hommes contre un, moins
D£ BULLIGNEYILLE (1431). 319
d'archers cependant que les Bourguignons.
Le maréchal de Toulongeon fit distribuer du
vin à ses gens , leur donna courage en ce grand
péril; ceux qui avaient haine ou rancune s'em-
brassèrent, le comte de Yaudemont parcourait
les rangs à cheval. Il protestait, sur le salut de
scm âme , que sa querelle était bonne et juste, et
que le duc René voulait à tort lui ravir son hé-
ritage; il rappelait que toujours il avait fidèle-
ment tenu le parti de Bourgogne; enfin, cette
petite armée prenait bon et joyeux courage.
L'attaque commença avec vigueur ; les Bour-
guignons avaient placé derrière le rempart de
leurs archers, à droite et à gauche, des canons et
des couleuvrines. Ils laissèrent avancer les Lor*
rains, puis tout à coup mirent le feu à l'artillerie
en poussant de grands cris. Les gens du duc de
Bar se jetèrent contre terre et parurent troublés.
Cependant Barbazan , qui conduisait l'aile droite,
n'en continua pas moins à assaillir vivement de
ce côté; déjà même il avait fait enlever un des
chariots qui formaient le rempart de l'ennemi, et
commençait à pénétrer dans son parc. Les Bour-
guignons se portèrent aussitôt vers cet endroit ,
et la mêlée y devint cruelle. Bientôt après le sire
de Barbazan fut tué. Dès que les Lorrains virent
320 NOUVELLES NÉGOCIATIONS
tomber sa bannière» le trouble se mit parmi eux.
Le duc René fit les plus yaillans efforts pour les
rallier; mais» blessé au visage, il fut forcé de se
rendre prisonnier à un écuyer du Hainaut , nommé
Martin Farmalt L'évéque de Metz Ait pris aussi ;
le comte de Linanges» le comte de Salm» le da-
moiseau de Rodemach et d'autres chevaliers alle-
mands fiurent tués. Le damoiseau de Conmierci
et le sire de Conflans avaient eu ordre ^ avec deux
cents chevaux » de charger sur Tennemi. Ils ne
purent pas un instant entamer les archers pi-
cards > qui les repoussèrent par ime grêle de flè-
ches. Jamais bataille n'avait été plus perdue; elle
se donna le 2 juillet» près du village de Bulligne-
ville; mais elle était si grande et si glorieuse pour
les Bourguignons» qu'ils la nommèrent la bataille
de Bar» ou de Lorraine» ou des Barons» à cause
du grand nombre de seigneurs qui s'y étaient
trouvés. Le maréchal. de Bourgogne revint en
grand triomphe a Dijon» ramenant son illustre
prisonnier. Comme c'était lui qui était chef de
l'armée » U refîisa au comte de Yaudemont de lui
remettre le duc René.
Peu de jours avant cette victoire inespérée » le
duc de Bourgogne » mécontent de la réponse des
Anglais» avait envoyé au roi de France une am-
AYËG L£ ROI (1451). 321
bassade composée de Jean de la Tremoille sire de
Jonvelle, et du sire de Jaucourt. Us étaient char-
gés de traiter de la paix générale ; mais , comme
il était difficile de la conclure promptement, ils
avaient commission de négocier une trêve y afin
de soulager le pauvre peuple , et le préserver
d'une ruine entière.
Le roi était à Chinon ; les députés du Duc y
passèrent long-temps avant de signer les trêves.
Pendant ce temps , la guerre continuait vivement
sur les frontières de Bourgogne ; elles étaient at-
taquées à la fois par le Nivernais et le Charolais.
D'un autre côté , les États , à qui Ton demandait
un nouveau subside de 50,000 francs , n'en vou-
laient donner que la moitié. Ils profitèrent de
l'occasion où l'on avait besoin d'eux pour exposer
leurs griefs; ils désiraient que le Duc abolit la
chambre du conseil qu'il avait établie en 1422, et
dont les seigneurs se plaignaient beaucoup , parce
qu'elle laissait les procès sans jugement, ou pre-
nait des frais énormes. Les États demandaient
encore l'abolition des droits du vin; enfin, ils
auraient souhaité que les coutumes de Bourgogne
fussent écrites en un seul corps de lois '.
' Histoire de Bourgogne.
TOMi r. 5* 4niT. 21
322 NOUVELLES NÉGOCIATIONS
Le duc Philippe, selon la sage politique de
ses prédécesseurs, sayait, quand il était dans
rembarras, se montrer complaisant aux dé-
sirs de ses sujets; sans s'arrêter aux récla-
mations de sa chambre du conseil, il la sup-
prima, et nomma un président du Parlement
de Paris , avec quelques conseillers , pour sié-
ger à Beaune et y recevoir les appels des par-
ties. Il se contenta de la moitié du subside, fit
un emprunt pour le reste , abolit le droit sur le
vin , et promit de faire rassembler et publier les
coutumes.
Durant les négociations des États avec le Duc ,
le maréchal de Toulongeon avait marché contre
les Français qui envahissaient les frontières vers
le Nivernais ; il avait repris Crevant et Mailli , il
avait fcdt lever le siège de Corbignî. Mais une plus
forte attaque se préparait contre le Charolais; le
comte de Clermont, le comte d'Albret, le maré-
chal de Boussac , le bâtard d'Orléans , le sire de
Gaucourt» avaient réuni huit mille combattans à
Moulins. Poifi» se préserver de cette redoutable
entreprise, il valait encore mieux négocier que
faire la guerre. Des pourparlers furent entamés ;
le duc de Savoie s'offrit pour médiateur ; Fabbé
de Cluny, la duchesse de Bourbon se montrèrent
AVEC LE ROI (1451). 323
bien disposés \ D'ailleurs les sires de la Tremoille
et de Jaucourt avaient signé à Chinon , le 8 sep-
tembre , une suspension d'armes de deux ans pour
toutes les frontières de Bourgogne, de Nivernais,
de Champagne et de Réthelois. Le comte de Cler-
mont suivit cet exemple , et le 24 du même mois
des trêves furent aussi signées avec lui à Bourg en
Bresse.
Aiiisi le désir de la paix semblait gagner peu à
peu tous les esprits. Nul n'était plus ardent à
l'obtenir que le cardinal de Sainte-Croix, légat
du pape Eugène IV ; il s'était rendu à ChinoU près
du roi, de là à Rouen, où se tenaient toujours le
jeune roi Henri et son conseil ; puis à Arras, chez
le duc de Bourgogne, à qui il avait remis une
lettre du pape.
Le roi, aussitôt après les trêves signées, en-
voya à son cousin de Bourgogne l'archevêque de
Rheims, Christophe de Harcourt, archevêque
d'Alby, et maître Adam de Cambrai, président
au Parlement, avec pouvoir de rendre la trêve
générale et de traiter de la pslix , sauf à lui d'exa-
miner en son conseil les propositions qui lui se-
raient faites.
' Preuves de l'Histoire de Bourgogne.
324 NOUVELLES NÉGOCIATIONS
Dès que le Duc semblait dispose à k paix , les
Anglais commençaient à s'inquiéter et s'effor-
çaient de ne point le laisser se séparer d'eux. Le
6 octobre » une lettre fut écrite au nom du jeune
roi à son oncle de Bourgogne. On lui rendait
compte des exhortations du pape , et des instances
du légat 9 on annonçait que, tout en remerciant
dévotement le Saint-Père de sa bénédiction , et le
légat des peines qu'il se donnait pour le bien de
la paix, le roi d'Angleterre avait répondu que
sans l'avis , le conseil et l'assentiment du duc de
Bourgogne, il ne pouvait traiter, pas plus que lé
duc de Bourgogne ne le pouvait sans lui. Le con-
seil d'Angleterre avait donné la même réponse
en ce qui touchait toute trêve ou suspension de
guerre.
Le Duc se serait aussi fait conscience de faire
une paix séparée; mais, quant aux trêves, il lui
semblait qu'il en pouvait conclure pour mettre
ses sujets à l'abri de la guerre; aussi, lorsque
les ambassadeurs du roi furent arrivés à Lille,
celles qui avaient été précédemment conclues à
Chinon furent étendues à tous les pays de France
et de Bourgogne , même à la ville de Paris. Toute-
fois le Duc , toujours fidèle à sa promesse et aux
traités d'Amiens, se réservait la faculté d'en-
AVEC LE ROI (1431). 325
voyer» soit au duc de Bretagne^ soit au duc de
Bedford » les mille lances promises .dans le cas
où il en serait requis. Il prenait soin aussi de ne
reconnaître dans aucun acte les droits du roi de
France. Il ne le traitait jamais que de Dauphin
ou de Charles de Valois. Parfois même les ambas-
sadeurs de France étaient eux-mêmes contraints
de ne donner, dans leurs écritures» aucun titre
royal à leur maître '.
Les deux partis s'engagèrent également à en-
voyer des ambassadeurs pour traiter de la paix
dans le lieu que désignerait le légat. Afin de mieux
maintenir la trêve, on stipulait que, de part et
d'autre, il serait nommé pour chaque frontière
des conservateurs auxquels on aurait recours
pour tous les griefs , et qui prononceraient sur les
cas de violation. Ces conservateurs étaient les
principaux seigneurs de chaque parti.
En traitant ainsi avec les Français , le Duc , pour
que les Anglais n'eussent rien à lui reprocher,
rendait compte de tout au roi d'Angleterre.
c Depuis que quelques uns de mes gens, écri-
vait-il , ont accordé certaines trêves pour mes pays
de Bourgogne , et que j'ai été contraint de les
* Preuves de THistoire de Bqurgogne. —Traité du 13 décembre.
326 ENTRÉE d'hENRI YI
cons^itir pour des causes que vous connaissez
bien au long» des ambassadeurs de votre adver-
saire et le mien sont venus par-devers moi. Après
diverses ouvertures de paix générale pour ce
royaume , à laquelle ils se disent enclins et dis-
posés à s'entendre avec vous et moi , il est vrai
que j'ai accordé et amplifié les trêves» comme vous
pourrez le voir dans les lettres ci-jointes. Laquelle
chose, mon très-cher et très-redoute seigneur» j'ai
faite principalement afin de parvenir à cette paix
générale» parce qu'aussi j'en étais requis par les
trois États de mes pays et par plusieurs de vos
bonnes villes» et parce que je ne pouvais plus
supporter à mes dépens la charge de la guerre ,
pour laquelle vous ne m'avez point aidé et se-
couru « comme besoin était» bien que je vous en
aie fait prier et requérir. Mon très-redouté sei-
gneur » qu'il vous plaise me signifier toujours vos
bons plaisirs et commandemens pour les accom-
plir selon mon empire et de bon cœur» à l'aide du
Saint-Esprit. »
Son zèle n'alla point cependant jusqu'à se ren-
dre à Paris pour assister au couronnement de ce
jeune roi Henri , qui fit enfin son entrée le 2 dé-
cembre 1431. Les Parisiens étaient simécontens,
se regardaient comme tellement abandonnés»
A PARIS (1431). 327
dans leurs misères » par tous les princes et les
gouverneurs 9 et même par le duc de Bourgogne,
en qui ils continuaient à se fier» qu'il avait paru à
propos de ranimer leur courage '. Le Parlement,
le prévôt des marchands, les échevins allèrent
solennellement au-devant du jeune roi anglais,
et le haranguèrent. Les échevins portaient un
dais au-dessus de sa tête. Le peuple criait : c Noël ! »
On s'était efforcé de rendre cette entrée magni-
fique. Dans chaque rue on avait dressé des écha-
fauds, et Ton y représentait de beaux mystères.
Chaque corps de métier prenait à son tour le dais.
Le cortège était magnifique , mais on n'y voyait
que des seigneurs anglais : le cardinal de Win-
chester , le cardinal d'York, le duc de Bedford, le
comte de Warwick , le comte de Suffolk et d'au-
tres. De Français il n'y avait que Louis de Luxem-
bourg, évêque de Térouanne, chancelier de France
pour les Anglais , Jean de Mailli , évêque de Noyon,
révêque de Paris, Guillaume d'Évreux, Pierre
Gauchon le juge de la Pucelle , le bâtard de Saint-
Pol, le bâtard de Thian, Gui le Bouteiller, celui
qui avait livré Rouen, le seigneur de Pacy et
quelques autres aussi peu notables. Parmi la
' Monstrelet. — Journal de Paris.
328 ENTRÉE D*H£NRI VI
suite on traînait, attaché avec des cordes » Guil-
laume-le-Pastourel , ce pauvre fou de berger pris
devant Beauvais.
Le cortège suivit la rue Saint -Denis» passa au
Châtelet, vint à la Sainte-Chapelle du Palais, où
le roi baisa les reliques ; puis la iiie de la Ca-
landre, la rue de la Yieille-Juiverie, le pont
Notre-Dame, le Petit -Saint- Antoine. Quand
on passa sous les fenêtres de Thôtel Saint-Paul ,
le jeune roi s'arrêta et salua la reine Isabelle
sa^ grand'mère , qui vivait à Paris , oubliée de
tous comme une étrangère , et menant fort pe-
tit train. Elle s'inclina respectueusement devant
ce roi anglais , à qui elle avait donné le royaume
de France, et détournant la tête, elle se mit à
pleurer.
Il alla descendre au palais des Tournelles, que
le duc de Bedford habitait d'ordinaire, et qu'il
avait fait orner; puis on le conduisit à Yincennes.
Le 16 décembre fut la cérémonie de son couron-
nement. Il fut sacré à Notre-Dame par le cardinal
de Winchester, ce qui offensa beaucoup Tévêque
de Paris. Après, il s'en vint dîner à la table de
marbre au Palais , dans la grand'salle. Le Parle-
ment, l'Université, les échevins devaient y dîner
aussi; mais les Anglais, qui réglaient tout, sa-
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lui donanaîre, ei qifi?
i
À PARIS (1451). 329
vaient si mal les usages de France ' , et prirent si
peu de soin , que la populace remplissait tout le
palais. Les magistrats furent repoussés et culbutés
par la foule ; ils n'arrivèrent dans la salle qu'en
fendant la presse. Leurs tables n'aiaient pas été
gardées , et ils se trouvèrent ainsi péle-méle avec
les savetiers et les derniers du peuple *.
Enfin 9 rien dans ces fêtes ne se passa honora-
blement , ni au gré des Parisiens. Ils disaient aussi
que lorsqu'un orfèvre ou quelque riche bourgeois
mariait sa fille , il faisait mieux les choses que tous
ces Anglais. La viande distribuée au peuple était
gâtée. On n'envoya aucune charité aux pauvres
malades de l' Hôtel-Dieu ; on ne délivra aucun pri-
sonnier. Ce qui était plus étrange , et qui ne s'était
jamais vu à aucun couronnement de roi^ il ne Ait
donné ni promis aucune abolition de gabelle » de
droit d'entrée, de quart sur le vin, et autres im-
positions qui étaient même levées contre le droit
et les lois ; de sorte que les pauvres habitans de
Paris qui n'avaient plus ni commerce ni ouvrage ,
qui payaient les vivres et le chauffage si cher,
et qui , nonobstant, s'étaient mis en si grands frais
pour bien recevoir ce roi, furent plus ennemis
* Journal de Pari». — * Idem.
330 ENTRÉE d'heure VE
des Anglais qu'auparavant ' ; mais il ne fallait pas
se risquer à le dire tout haut*
Tout était en un tel désordre dans ce gouver-
nement des Anglais qu'ils ne payaient pas même
les gages du Parlement. Quelque rempli qu'il fut
de leurs partisans, il fit de$ remontrances sévè-
res à ce sujet, et suspendit ses audiences. Si bien
qu'au moment de l'entrée du jeune joi , le Parle-
ment ne siégeait plus. Aussi le greffier écrivit-il
sur son registre, le jour de cette cérémonie, qu'il
n'en inscrirait point le récit, à cause de l'éclipsé
de la justice et du manque de parchemin. Les
Anglais ne donnaient pas même de quoi subvenir
^u^ moindres dépenses de la première cour du
royaume.
Néanmoins l'Université obtint une complète
exemption de toutes sortes de tailles , . aides et
subside^. La ville reçut aussi la confirmation et
l'accroissement de ses privilèges. Le préambule de
l'ordonnance célébrait pompeusement la renom-
mée et la noblesse de cette ajatique cité sancti-
fiée par les reliques des martyrs, décorée par les
lumières de l'Université, ornée de la justice du
Parlement , enrichie par le commerce des mar-
* Journal de Paris. — Registres du Parlement.
A PARIS (1431). 331
chands de toute nation et la résidence des rois.
Le roi d'Angleterre se louait aussi de la loyauté
et de Tobéissance que les habitans lui avaient
gardées, malgré tant de maux et de donunages,
et il déclarait qu'il voulait traiter et honorer sa
bonne ville de Paris » comme le roi Alexandre
traita la noble ville de Corinthe, dont il fit son
principal séjour , ou comme les empereurs traitè-
rent leur ville de Rome ; pour ces causes il donna
ou confirma aux bourgeois de Paris les privilèges
suivans ' :
Ils conservaient leurs hypothèques sur les biens
confisqués de leurs créanciers. Si , pour tout autre
motif que le crime de lèse-majesté, ils subissaient
confiscation, celui des deux époux survivant gar-
dait la moitié des meubles , créances et biens ac-
quis. Ils pouvaient saisir les biens de leurs débi-
teurs forains, et même leur personne, lorsque
ceux-ci étaient d'une ville ayant semblable privi-
lège. Ils pouvaient acquérir et posséder des fiefs
et francs-alleux , être réputés nobles et jouir des
privilèges de la noblesse , avoir la garde-noble et
tutelle de leurs enfans et neveux, mais non point
des collatéraux. Les denrées et maix)handises
' Ordonnances.
1
332 LE DUC
amenées à Paris étaient exemptes de toute saisie ,
et pour nul motif ne devaient être arrêtées dans
leur cours. Le même privilège s'étendait spécia-
lement au bétail destiné à la provision de Paris.
Les juridictions du prévôt de la ville et du prévôt
des marchands étaient confirmées, surtout en ce
qui concernait les dettes contractées par signa-
ture envers des bourgeois, à qui le droit était
accordé de citer à Paris même leurs débiteurs
quelconques.
De telles ordonnances ne touchaient en rien le
commun peuple, et n'allégeaient point ses souf-
frances ; la ville n'en demeurait pas moins dans
la détresse. Ce qui le témoigna bien , c*est qu'il
fallut , peu de jours après , rendre une autre or-
donnance, qui réglait la façon de mettre en vente
les maisons inhabitées, afin qu'elles ne vinssent
pas aux mains des gens qui voulaient seulement
les démolir , pour vendre les bois et les châssis
des fenêtres. On statua que les acquéreurs justi-
fieraient sous caution du moyen qu'ils avaient
pour payer la rente des maisons qu^ils achetaient.
En effet, l'aliénation des maisons et terrains se
faisait d'ordinaire en cens ou rentes,. non point
en capital.
Le roi d'Angleterre ne demeura qu'un mois à
SE REND EN BOURGOGNE (1432*). 333
Paris; il retourna à Rouen, et quelques mois
après eh Angleterre. Quant au duc Philippe , il
convenait si peu k ses desseins de se mêler des
affaires de France , que , se rendant en Bourgogne,
il ne passa seulement point à Paris. En arrivant
à Dijon, et peu de temps après qu'il fut descendu
en son palais , son premier soin fut d'aller rendre
visite à son prisonnier, le duc René^ qui depuis six
mois était sévèrement gardé , dans la crainte des
entreprises qu'on pouvait faire pour le délivrer. Il
traita courtoisement ce noble captif, et s'entre-
tint long-temps avec lui pour adoucir les loisirs
de sa prison. Le bon duc René, qui s'entendait
mieux qu'aucun prince de son temps aux lettres
et aux arts, avait peint sur verre les portraits du
feu duc Jean , et de Philippe lui-même. Il les lui
offrit, et ils furent placés dans les vitraux de la
chapelle des Chartreux.
Dès que madame Isabelle de Lorraine avait vu
son mari prisonnier , elle n'avait épargné aucune
déioiarche pour le délivrer. Elle s'était d'abord
adrejssée a l'empereur Sigismond, qui avait évoqué
la cause de l'héritage de Lorraine ; mais le duc
de Bourgogne n'avait pas voulu reconnaître l'au-
* 1431, V. 8. L*année commença le 20 avril.
334 LE DUC
torite des citations impériales , et TafËiire s'était
plutôt gâtée par cette tentative. Alors la duchesse
de Bar avait dirigé tous ses soins à se rendre le
duc de Bourgogne favorable. Elle avait eu recours
au duc de Savoie. Pour se donner un puissant
protecteur , elle avait même conclu un traité d'al-
liance avec un des principaux seigneurs de Bôur*
gogne, le sire Jean de Vergi, en lui promettant
cinq cents francs de rente annuelle , et cinq cents
francs par mois chaque fois qu'il ferait la guerre
pour le duc de Bar '. Le sire de Vergi avait réservé
ses devoirs envers le roi d'Angleterre, le ré-
gent et son seigneur le duc de Bourgogne ; c'était
même sous l'approbation de son conseil qu'il
traitait.
Toute la noblesse de Bar et de Lorraine n'était
pas moins empressée que la duchesse à obtenir
la liberté du duc René. Nul prince n*était plus
aimé que lui. Le traité de délivrance fut conclu
le 6 avril ; il ne touchait en rien au différent tou-
chant l'héritage de Lorraine; c'était seulement
un serment du duc René de venir se remettre
au 1^^ mai de l'année suivante à la disposition du
duc de Bourgogne; il donnait en même temps ses
* Histoire de Bourgogne et Preuyes.
SE REnD EN BOUGOGNE (143S). 335
deux fils en otages et quatre de ses forteresses en
dépôt. Le comte de Linanges, le comte de Salm,
les sires du Châtelet, de Ligniville, de Lenoncourt,
d'HaussonvUle, et les principaux seigneurs de
Lorraine se portèrent garans pour leur sou-
verain, et promirent de venir tenir prison à
sa place, s'il manquait à son, engagement. Une
suspension d'armes ^t aussi stipulée. En outre ,
le duc de Bar eut à payer 200,000 thalers d'or
au maréchal de Toulongeon, pour sa rançon.
PHILIPPË-LE-BON.
TOMI T
. 5* IDIT. 22
LIVRE QUATRIÈME.
SOMMAIRE.
Suite des négociations. — Sédition à Gand. — Complot
contre Dijon. — Continuation de la guerre. — Siège
de Saint -Celerin. — Pillage de la foire de Caen. —
Les Anglais surprennent Montargis. — Mésintelli-
gence entre le duc de Bourgogne et les Anglais. —
Nouveau mariage de madame Jacqueline. — Con-
férence de Saint -Port. — Disgrâce du sire de la
Tremoille. — Insurrection contre les Anglais en
Normandie. — Récit des ambassadeurs envoyés en
Angleterre. — Complot contre le chancelier de Bour-
gogne. -— Concile de Bàle. — Nouveaux efforts des
Français. — Guerre dans le Maii^ë.. — Guerre en
Picardie. — Guerre en Beaujolais. — Entrevue de
Nevers.
PHILIPPË-LE-BON.
1452 — 143S.
E cardinal de Sainte^roix était
revenu, et continuait ses démar-
ches pour la paix. D'accord avec
le duc Philippe, il fixa les confé-
rences au 8 ju'dlet, dans la ville
d'Auxerre. Les envoyés de Bourgogne furent
choisis au nombre de treize. C'étaient les évéques
340 CONFÉRENCES
de Langres et de Nevers , messire Raulin , dian-
celier, Tabbé de Saint-Seine, le prince d'Orange,
Guillaume de Vienne , le maréchal de Toulongeon,
Antoine de Vergi , les sires de la Tremoille , de
Saligny, de Chastellux , de Ville- Arnoul et maître
de Chancey. Ils avaient ordre de ne jamais être
moins de sept aux conférences.
Leurs instructions étaient d'écouter ce que pro-
poserait le légat pour arriver à une paix générale ;
de se réunir aux ambassadeurs du roi Henri toutes
les fois qu'ils soutiendraient ses droits à la cou-
ronne de France par le traité de Troyes et la vo-
lonté de Charles VI ; mais de se séparer d'eux ,
s'ils alléguaient des droits antérieurs.
D'accepter des réparations pour le meurtre du
duc Jean, si elles semblaient sufQsantes; et si
on voulait parler de la mort du duc d'Orléans,
de répondre qu'elle avait été couverte par des
traités.
De ne rien conclure sans les gens du roî Henri,
et cependant d'avoir des conférences , même en
leur absence, sauf à ne point terminer.
Peu après ces instructions, le Duc retourna en
Flandre. Sa femme venait d'accoucher d'un se-
cond fils qui n'avait point vécu. D'ailleurs, une
sédition très -grave venait d'éclater à Gand, et
POUR LA PAIX (1432). 341
demandait sa présence*. 11 avait bit, quelque
temps auparavant , une ordonnance sur les mon-
naies pour en abaisser la valeur. L'ancienne
monnaie d'or, d'après ce nouveau tarif, perdait
un tiers, et la monnaie d'argent un quart. C'est
ce que les conufnunes de Flandre , et Gand surtout,
ne purent endm*er. Elles voulaient que la perte
ne fût pas de plus d'un sixième. Les tisserandset
plusieurs gens des petits métiers se réunirent au
nombre de plus de cinquante mille sur la place
de Gand» Ils demandèrent à grands cris que les
magistrats sortissent de THôtel-de-Ville et leur
vinssent parler. 11 le fallut bien, car Os allaient
tout abattre sans rien écouter; ils commencèrent
par massacrer Jean Boele , leur propre doyen, et
deux ou trois autres citoyens respectables. De là,
déployant leijrs bannières, ils se portèrent aux
prisons, et délivrèrent un nommé Godescale, que
les gouverneurs avaient fait mettre en prison
comme mutin. Tous les officiers du Duc , les syn-
dics , les riches bourgeois se sauvèrent de la ville.
Les séditieux s'en allèrent après à l'église de Saint-
Bavon ; ils voulaient qu'on leur fit remise des
rentes qu'ils devaient au chapitre. L'abbé leur-
> M«ryer. — Oudeghert. — Monstrelet.
342 SÉDITIONS
parla doucement, leur fit donner à boire et à
manger, et les laissa assez contens. Us pillèrent
et démolirent quelques maisons.
Enfin , au bout de deux jours , leur fureur com-
mença à s'apaiser. Des gens sages s'entremirent;
on leur promit que le Duc leur ferait merci. Il
arriva, et approuva les promesses qu'on avait
faites en son nom. Il avait assez d'autres affaires
pour craindre de réveiller les terribles révoltes
des Gantois.
Pendant qu'il revenait aiii3i aviser au gouvei*^
nement de ses pays de Flandre et aux affaires de
Zélande et de Hollande, où madame Jacqueline
lui causait de nouveaux embarras, les négocia-
tions pour la paix semblaient chaque jour an-
noncer une plus mauvaise issue. De premières
conférences avaient eu lieu à Semur. Les Bour-
guignons étaient entrés en méfiance du légat;
tout en le trouvant un digne seigneur et un bon
prud'homme , il leur semblait qu'il inclinait un
peu vers le parti du Dauphin.
Ils s'étaient aperçus que les ambassadeurs fran-
çais n'avaient au fond aucune volonté de traiter
avec les Anglais, ne cherchaient qu'à conclure
une paix particulière avec la Bourgogne, et que
tout au plus, pour sauver l'apparence, donne-
A GAND (1438). 343
rait-ôn un sauf-conduit aux envoyés du duc de
Bedford.
En même temps le roi de France traitait à part
avec le prince d'Orange et avec le sire de Château-:
Vilain. Les Bourguignons se plaignaient qu'on
détournait ainsi les vassaux de la fidélité due à
leur seigneur.
Mais ce qui devait le plus s'opposer à la paix ,
c'est que les trêves n'étaient nullement observées*
Il s'était formé tant de compagnies de gens de
guerre qui n'obéissaient à personne, qui ne vi-
vaient que de rapines, et qui avaient leur refuge
dans des forteresses , qu'on ne pouvait en aucune
façon rendre le repos au pays. D'ailleurs les An-
glais n'étaient pas compris dans les trêves, et la
guerre continuait plus cruellement que jamais ;
de sorte que les compagnies bourguignonnes pre*
naient la croix rouge ' , et, pour continuer leurs
pillages, disaient qu'elles étaient anglaises, tandis
que les compagnies françaises prétendaient, de
leur côté, qu'elles faisaient la guerre aux Anglais
seulement. Il y avait d'autres chefs qui , ouverte-
ment, protestaient qu'ils n'obéiraient pas à la
trêve, comme Perrin Grasset, dont le Duc était
> Monsèrelet. — Preuves de T Histoire de Bourgogne.
344 TEnXAXIYES ikutues
tOUJQUirs «bUga de dëdaucer qu'il ne pouvait re-
pondre* Bref, il n'y avait dans les trois partis ni
raii^n*;m justice, ni foi dans les promesses. Le
l4us sûr » et encore il n'y avait pas à s'y fier beau-
coup , était d'adieter à haut prix des sauves-gardes
et des sauffrconduits aux capitaines des compa-
gnies. Le pauvre peuple et les gens d'église n'a-
vai^it aucune justice ou protection à espérer de
leurs princes ou seigneurs. Tout leur recours
âait seulement de crier misérablement vengeance
a. Dieu.
Enfin , le désordre était si grand que le légat et
Lfôs ambassadeurs eux*m4mes ne pouvaient se
rendront arriver en sûreté à Auxerre, parce que,
de toutes parts , les compagnies se portaient de
ce calé , occupaient les routes^, arrêtaient les vi-
vres, et menaçaient même la ville. Il fallut que le
maréchal de Toulongeon assemblât les États de
Bourgogne et s'occupât de rassembler des gens
d'armes afin de procurer un peu de repos au
pays, II mourut tout à coup pendant ces prépa-
ratifs; et ce fut encore un retard aux négocia-
tions. Le Duc le r^caplaça par un des plus con-
sidérables seigneurs de ses États , Pierre de Beau-
fremont, sire de Charni. 11 conduisit à grand' -
peine, et ^ii>iMrcbant avec d'extrêmes précau-
POUR PARVENIR A JLA PAIX (14511). 315
tiens, le légat et les sûmbassadears dans la ville
d'Auxerre.
Les gens des compagnies avaient une telle au-
dace, ils étaient si habiles à se iaire partout des
iafelligences , et à recruter les hommes de leur
espèce , qu'ils formèi'ent le projet de surprendre
Dijon'. Un marchand mercier, qui servait habi-
tuellement de guide aux courses que faisait la gar-
nison de Ghabli, ftit reconnu dans la ville. On le
mit à la question ; il confessa que Ton préparait
une escalade, et que Guyenne, héraut du roi de
France, qui était venu porter des lettres à Dijon,
savait toute l'affaire. Le héraut fiit saisi et appli-
qué aussi à la torturé. Il voulut d'abord nier, ou
dire qu'il avait seulement entendu parler de ce
projeta quelques chefs de compagnie; on le serra
plus fort, et il avoua que tout était prêt, que les
garnisons de Mussi, Grevant, Ghabli et Juili,
devaient se réunir pour faire le coup. Il ajouta
que les commandans de ces forteresses étaient
fort excités, par le conseil du roi, à ravager la
Bourgogne. Il avait lui-même, disait-il, trois se-
maines auparavant, comme il allait partir d'Am-
' Histoire de Bourgogne. — Recueil de Ptècei relatives à la Bour
gogne. Bibliothèque du roi.
346 COMPLOT
I
boise où était le roi, été appelé par le sire de la
Tremoille , rarchèvéque de Rheims et le sire de
Harcourt, et on Tavait chargé de dire aux chefs
des garnisons qu'ils eussent à faire la guerre en
Bourgogne le plus tôt qu'ils pourraient. Le sire
de la Tremoille avait ajouté : € Le duc de Bour-
c gogne garde ses alliances avec les Anglais,
c Quand il parle de monseigneur le roi, il Fap-
€ pelle notre adversaire Charles de Valois , qui
c se dit Dauphin i ses gens ne respectent pas
c les trêves. Hé bien, nous lui ferons aussi la
« guerre! »
Guyenne ajouta que le conseil du roi et les chefs
des compagnies s'entendaient en secret avec beau-
coup de seigneurs de Bourgogne , de ceux même
à qui le Duc se fiait le plus. Il nomma le sire de
Jonvelle, frère du sire de la Tremoille; les sei-
gneurs du Thil, de Cassigni de Yiteaux, de Sali-
gny, le comte de Joigni. Il dit que ces seigneurs
avaient obtenu ou sollicitaient secrètement pour
que leurs domaines fussent exempts de guerre,
et promettaient en retour leurs bons offices. Mais
celui qu'il chargeait le plus était le sire de Châ-
teau-Vilain. Il n'y avait pas en Bourgogne de plus
grand seigneur que lui. Il descendait des anciens
comtes de Bourgogne , et tenait immédiatemwt
CONTRE LA VILLE DE DUOIf (1438). 347
du royaume les seigneuries de Grancey et de
Pierrepont. Aussi, dans les traités de trêves ou
de paix que Élisait le Duc, le sire de Château-
Vilain intervenaitril comme aUié , et non comme
sujet. U était en ce moment dans de grandes dis-
cordes avec la maison de Yergi, et lui faisait une
cruelle guerre. Comme il la croyait plus favorisée
du Duc, il inclinait au parti du roi, et négociait
un accommodement qui tarda peu a être conclu.
Le prince d*Orange venait de faire le sien. Malgré
son dévouement au Duc, il était grand ennemi
des Anglais, n'avait jamais voulu combattre avec
eux, et s'était constamment refusé à reconnaître
le traité de Troyes.
Ainsi la noblesse de Bourgogne commençait à
murmurer et à vouloir fortement la paix. Guyenne
confessa aussi que le conseil du roi ne céderait
jamais la Champagne au Duc , et qu'en tout on
était peu disposé à lui tenir ce qu'on lui pro-
mettrait'.
Les aveux de ce héraut et toutes les preuves
que les Bourguignons pouvaient avoir de la mau-
vaise volonté du conseil de France , n'empêchè-
rent pourtant point les conférences d' Auxerre de
' Preuves de l'Histoire de Bourgogne.
348 CONFÉRENCES
commeDCer. Les envoyés d'Angleterre et de Bre-
tagne s'y trouvèrent ; là difficulté des routes , la
famine qui régnait dans le pays , avaient retardé
ces pourparlers de plusieurs mois. On vit bientôt
qu'il n'y avait nul moyen de s'entendre. Le car-
dinal de Sainte-Croix rendît compte au duc de
Bourgogne des efforts qu'il avait faits pour ob-
tenir une condusion pacifique, et lui raconta
comment il n'y avait, pour le moment, rien à es-
pérer quant à une paix générale. Les envoyés
d'Angleterre et les envoyés du roi Charles ne
pouvaient pas plus les uns que les autres mettre
en question la possession de la couronne de
France ; il n'y avait point de médiation possible
sur ce point. Les anibassadeurs français deman-
daient aussi qu'avant toute proposition le duc
d'Orléans et les princes et seigneurs, prisonniers
depuis Azincourt , fussent admis à passer la mer
et à venir débattre leurs intérêts dans les pour-
parlers de la paix. Les Bourguignons appuyaient
cette demande ; les envoyés anglais la trouvaient
aussi raisonnable , mais ils n'avaient point pou-
voir d'y consentir. Le cardinal avait saisi ce
moyen de prévenir une rupture ouverte. Il avait
renvoyé les conférences au mois de mars à Cor-
beil ou a Melun , afin que le conseil d'Angleterre
d'aUXERRE (1432). 349
eût le temps de donner réponse sur ce prélimi-
naire* Du reste» le légat témoignait hautement
combien les conseillers de Bourgogne avaient été
concilians , habiles » et portés d'un désir sincère
pour la paix. Les trêves furent de nouveau con-
firmées. Pour engager Perrin Grasset à les obser-
ver et à rendre les forteresses qu'il avait prises^
on promit à François l' Aragonais , son envoyé ,
qu'il lui serait compté 24,000 saluts d'or; les deux
tiers devaient être à la charge du roi Charles» Le
duc de Bourgogne et ses cousins , les comtes de
Nevers, devaient payer le reste, car le Duc re*
commandait toujours que» tout désobéissant et ia^
soient que fût ce Grasset, on restât en mesure de
s'aider de lui contre les Français*.
Les Anglais n'avaient pourtant point , dans le
cours de cette année, conduit leurs affaires de
guerre de façon à se rendre plus exigeans» Au
mois d'octobre 1431, il avaient pris Louviers,
qui se rendit après que la Hire eut été fait pri-
sonnier dans une course. Mais , au mois de fé-
vrier , il s'en était peu fallu qu'ils ne perdissent
Rouen ".
' Preuves de l'Histoire de Bourgogne.
^ Monstrelet. — Journal d^ Paris.
350 SURPRISE DE ROUEN
Un aventurier, Pierre Audebœuf, natif du pays
de Béarn, complota avec le sire de Ricarville,
gentilhomme normand, de livrer le château aux
Français. Le maréchal de Boussac fut averti,
quitta secrètement Beauvais avec sa troupe, et
vint s'embusquer dans un bois à une lieue de
Rouen. A Theure dite, le sire de Ricarville fut
introduit avec cent vingt hommes par Audebœuf.
Les Anglais étaient sans précaution et sans dé-
fense ; les gardes du château furent mis à mort ;
le comte d'Arundel eut grand'peine à se sauver.
Le jeune roi d'Angleterre était encore dans la
ville, il fallait, avant tout, aviser à son salut. La
plus forte tour du château était prise par les Fran-
çais; ils tournaient déjà les canons sur la ville.
Mais , passé le premier moment de surprise , un
si petit nombre de gens, tout vaillans qu'ils fus-
sent, ne pouvait résister aux Anglais. Le maré-
chal de Boussac n'arrivait point. Le sire de Ricar-
ville courut a l'embuscade pour hâter la marche
dés Français. 11 trouva le maréchal de Boussac
occupé à calmer sa troupe; elle refusait de le
suivre, et n'obéissait point à ses ordres. Tous ces
hommes de compagnie , qui n'étaient point payés
de leur solde et qui ne cherchaient que le pillage,
avaient pris querelle sur la façon dont se parta-
MANQUÉE (I45&). 3S1
gérait le butin de la ville. Vainement les chefs les
conjuraient de se hâter, de ne point manquer le
moment favorable; tout fut inutile. Sans rien
écouter y ils reprirent le chemin de Beauvais. L'en-
treprise se trouva aiqsi manquëe. Toutefois les
gçns qui, avec le sire de Ricarville, avaient sur-
pris la tour » se défendirent sans nul espoir de
secours durant douze jours, et ne se rendirent
que faute de vivres; tous furent mis à mort, et
Audebœuf fut écartélé.
La surprise de Chartres réussit mieux aux
Français '. Le bâtard d'Orléans et le sire d'Illiers
trouvèrent moyen d'avoir des intelligences dans
la ville ; en effet, il y avait partout un fort parti
opposé aux Anglais. Un bourgeois nominé le Petit-
Guillaume, qui faisait d'habitude le commerce de
sel avec ses charrettes, roulant d'Orléans à Blois
et à Chartres, se présenta, la veille du dimanche
des Rameaux, le matin de bonne heure, à la
porte. Il amenait avec lui plusieurs voitures et
des tonneaux dessus. Le marchand était connu;
on ne se défia de rien. Plusieurs portiers étaient
gagnés , d'autres se mirent tout aussitôt à em-
porter des paniers d'aloses que le marchand leur
' Chartier. — Journal de Paris. — Vigiles. — Monstrelet.
S52 SURPRISE
avait promis. Une des charrettes s'arrêta sur le
pont-levis. C'étaient des hommes d'armes qui,
vétos de blouses, chaussés en guêtres et le fouet
à la mam» conduisaient les Toitures> d'autres
étaient enfermés dans les tonneaux ; ils sortimit
de leur cachette , et tombèrent sur les gardiens
des portes. L'embuscade du sire d'IUierss» n^était
pas éloignée, elle arriva à leur aide. Un religieux
jacobin, nommé maître Sarrazin, qui était du
complot, avait justement fixé l'heure de son ser-
mon au moment où se devait faire l'attaque, et
av^t choisi une église à l'autre bout de la ville. La
garnison et les bourgeois du parti anglais furent
donc long^temps à se battre dans les rues. L'é-
vêque était un Bourguignon nommé Jean de
Fetigni ; U se mit vaillamment à la tête des défen-
seurs de la ville, mais bientôt après il fut tué» Le
bailli se sauva par-dessus les murs ; et le bâtard
d'Orléans étant arrivé à la tête de la Éîeconde em-
buscade, la ville fiit entièrement soumise^ Ce fut
une grande nouvelle pour les Parisiens. Chartres
n'est pas éloigné de Paris ; c'était de là qif arrivait
la plus grande partie des farines , et le pain allait
être encore plus cher. Tout semblait dégoûter les
bourgeois de cette domination anglaise, à laquelle
il n'arrivait plus que de fâcheuses aventures.
DE CHARTRES (1432). . 333
Il y en eut peu après une autre qui diminua en-
core davantage le crédit des Anglais. Ils assié-
geaient depuis long-temps la forte garnison de
Lagni, que commandait le sire de Foucauld' ; le
duc de Bedford voulut réparer Téchec cpTil y
avait éprouvé Tannée d'auparavant ; de nouveaux
préparatifs furent feits. Le sire de l'Isle-Adam , à
qui le roi d'Angleterre veiiait de reconnaître sa
cbai^e de maréchal de France , s'en alla com-
mander le si^e. Il y était depuis deux mois sans
profiter en rien. Alors le duc de Bedford s'y rén-
diten personne, amenant des renforts et beaucoup
de canons. La ville fat entourée de toutes parts ;
uii pont fiit construit sur la Marne pour que les
^assiégeans eussent d'une rive à l'autre leurs com-
munications sûres et faciles; le camp anglais fut
fortifié et mis à l'abri de toute attaque. Déjà la
ville, commençait à manquer de vivres. Le roi
de France résolut de secourir cette brave garni-
son. Le bâtard d'Orléans, le maréchal de Rieux ,
le sire de Gàucourt, et ce vaillant Rodrigue de
y illandrada , qui avait si bien combattu à Authon ,
assemblèrent une armée. Us arrivèrent à temps ;
les Anglais avaient déjà planté leur bannière sur
* Chartier. — Journal de Ptris. — > Vigiles.
VOMI T. 5* ioiT. a3
354 . LEVÉE DU SIÈGE
un des boulevards de la ville, mais ils se retirè-
rent dans leur camp, et les Français vinrent leur
présenter bataille. Le duc de Bedford resta en-
ferme dans son ^iceinte ; tout se borna à de fortes
escarmoudies et à des faits d^armes qui se pas-
sèr^fit dans l'intervalle des deux armées. Voyant
que les Anglais refusaient le combat, les chefs
français résolurent de &ire entrer un convoi
dans la ville. La garnison fit une sortie ; les An-
glais qui gardaient cette porte se trcMivèrent trop
faibles. Le duc de Bedford sortit alors de son
camp , et bientôt commença une effroyable mêlée,
où à peine amis et ennemis pouvaient se recon-
naître au milieu de la poussière. C'était le 10 août;
la chaleur était excessive ; les Français en souf-
fraient moins que les Anglais , qui , selon leur
coutume , combattaient à pied ; il en tomba plus
de trois cents étouffés dans leur armure. Leurs
chefs se hâtèrent de les ramener dans le camp; le
sire de Gaucourt entra dans la ville avec les vivres
et un puissant renfort. Le lendemain , le Bâtard
et le sire de Raiz s'éloignèrent en remontant la
rive gauche de la Marne. Lorsqu'ils furent près
de la Ferté-sous-Jouarre, ils commencèrent à
réunir des bateaux pour faire un pont, passer
la rivière et s'avancer vers Paris ; c'était le moyen
DE LAGNI (1452). 355
assuré de &ire lever le siège de Lagni, tant le
duc de Bedford avait toujours de crainte dès qu'il
s'agissait de Paris. Il quitta son camp avec une
telle hâte, qu'il abandonna ses canons et ses vi^
vres. Ce retour parut bien honteux aux Parisiens.
Us avaient payé de leurs deniers tant de prépara-
tifs qui se trouvaient inutiles. La campagne de-
venait plus que jamais livrée aux Arms^nacs ; les
arrivages étaient gênés de toutes parts ; la dis^e
était grande dans la ville ; les maladies y faisaient
de grands ravages. Aussi les murmures et le mé-
contentement s'en allaient croissant. L'abbesse de
Sain&>Antoine et plusieurs de ses religieuses fii-^
rent mises en prison , parce qu'on les soupçonnait
d'avoir^ en l'absence du régent, formé un com-
plot pour livrer aux Français la porte de la ville.
Dans le Maine et sur les marches de Bretagne,
la gn^re n'était pas plus favorable aux Anglais;
ils avaient pourtant, au commencement de cette
année, saisi une circonstance heureuse' pour
eux. Le duc d'Alençon réclamait depuis long-
temps du duc de Bretagne un dernier paiement
de la dot de Marie de foetagne, sa mère. Ne pou-*
vaut avoir son argent , il s'en vint rendre visité
» Mémoires de Richement. — D'Argentré, — Chartier.
356 GUERRE ENTRE LE DUC D'AXENÇOH
au duc, et passa quelque temps avec lui à Nantei^,
en recevant le meilleur accueils Peu de temps au-
paravant, le comte de Montfort, fills aîné du due
de Bretagne ^ avait épousé madame lolande de
Sicile^ sœur de la reine de France, et cette cour
était tout occupée de fêtes et de di vertissemens. Le
duc d' Alençon , pendant ce temps-là , ne songeait
qu'à se saisir du comte de Montfort pour l'eumie-
ner en otage de sa créance, mais il n'y put réus-
sir. Lorsqu'il prit congé du duc de Bretagne , ce
prince , pour le mieux honorer , le fit accompa-
gner jusqu'à la frontière par Jean de Malestroitv
son chancelier, évêque de Nantes. Le duc d'Âlen-
çon, feignant d'avoir dans sa seigneurie quelque
affaire sur laquelle il voulait consulter le docte
chancelier, l'engagea à venir plus loin avec lui.
Dès qu' il fiit sur ses terres , il l'arrêta , le fit mettre
en prison, et signifia à son oncle de Bretagne
qu'i^ne lui rendrait son chancelier que quand la
dette serait acquittée.
Le duc de Bretagne, se trouvant ainsi in-
sulté, assembla tout, aussitôt les nobles de ses
États. Les Anglais fiirent empressés de lui en-
voyer secours; lord Willoughby, sir Jean Fas?
tolf et sir Mathieu Goche, vinrent se joindre
aux Bretons pour mettre le siège devant Pouancé,
ET LE DUC DE BRETAGNE (1432). 357
dj le duc d'Alençon avait enfermé le chancelier;
Heureusement lé connëtable de Richemont,
bien qu'il fftt toujours dans la disgrâce du roi, ei
que depuis deux ans il lui fit une guerre obstinée
en Poitou ejt^n Saintonge, n^avait pas conservé
moins de haine pour les Anglais. Il n'eu voulait
point au roi , et ne cherchait qu'à renverser son
plus grand ennemi, le sire de la Tremoille, afin
de procurer ensuite la paix entré la France et I9
Bourgogne. Il s'entremit de son mieux pour cal-
mer cette nouvelle discorde qui venait d'éclater
entre son frère et le duc d' Alençon , et qui eût
ajouté^ encore aux maux du royaume.
Le duc d' Alençon était à Château -Gonthier,
rassemblsmt du monde pour secourir Pouancé,
où il avait laissé sa femme et sa mère» et où le
ctemcelier de Bretagne était enfermé. La duchesse
de Bourbon se déclara en sa faveur, et lui envoya
du secours ; le bâtard de Bourbon vint se joindre
a lui. Mais le temps pressait ; les Bretons et les
Anglais étaient en force; ila auraient pu même
emporter Pouancé, si le connétable n^avait pas,
sous divers prétextes, retardé Tassaùt. Enfin il
détermina le sire Ambroise de Loré, maréchal
de l'armée du duc d' Alençon , à aller trouver ce
prince, à lui remontrer le mauvais état de ses
358 siJÉCE
affaire et les périls où il se jetait. Le duc d'Â-
lençon revint enfin de son obstination , envoya
le sûre de Loré au duo de Bretiigne» fit agréer ses
e^umses, se contenta de la promesse d'être payé,
rendit le chancdier, et fit màne ssi^isiaction au
cbiqpitre de Nantes, qui s'ét^t pourvu ta répa*
ratio» d'injure pour l'enlèvffliaQt de son dvêque.
La paix se trouva aitist rétablie ; le sire de Loré et
}e9 autres capitaines de France tt'enra:it plus alors
que les Anglais à combattre.
. Ils s'étaient saisis de quelques forteresses dans
le MaiQe, P'ailleur&t de la|(ormapdie et d'Alençon
où ils étaient eu fwce, ils pouvaient faire des
courses sur le pays. Lord Willoughhy et sir
Mathieu Goche vinrent mettre le siège devant le
château de Sain&£elerin ' , un des plus forts qui
fût alors tenu par les Français. Le sire de Loré
en était capitaine ; )1 alla conjurer le duc d'Alen-
çon et monseigneur Charles d'Anjou , frère deia
reine, de lui donner quelques renforts. On ne put
réunir que huit cent$ hommes qui «'av^mc^ent
jusqu'à BeaumontJe-Vicomte, sous les ordres du
sire d^ Beîuil et d' Ambroise de Loré. D'autres vin-
rent aussi des garnisons voisines, et se logèreiit
* Chartior. -^ Hqllinshcd.
DE SAIKT-CELERIN (1432). 359
sur la rive gauche de la âartbe , de Tautre côté du
pont, am village de Yinaing* Les Anglais^ instruits
que lesr Françaiift étsaeot ainsi séparés y quittèrent
pendant la nuit le siège de Saint>Clelerin» et sor-
prir^nt la troupe qui étiàt au-delà de la rivière.
Ëtte se gardait si mal qu'elle ne put se défendre
un seul instant. Amhroise de Loré , entendant le
bruit, monta aussitôt à ebeval, et avec les pn»*
miers qu'O put réunir, accounrt de l'autre côté
du pont Les Anglais remplissaient le vilk^, et
n'ayant déjà plus à combattre , il$ ramassaient le
butin, liaient leurs prisonniers les mains derrière
le dos, emmenaient les chevaux dont ils venaient
de s'emparer : c'était un grand désordre» Les ar-
di^s du sire de Loré , quelque peu nombreux
qu'ils fussent, se lancèrent dans le viUage; lui-
mèoie vit qu'il n'y avait pas à balancer, et s'en
alla attaquer les enseignes anglaises qui se remet-
taient dqà en marche pour retourner au siège de
Saint-Celerin. La mêlée fut vive.
Les Français étaient en si petit no0ibre que
l'avantage ne fut pas d'abord pour eux. Ambroise
de Loré fiit blessé et {oîs ; d'autres braves che-
valiers fiirent aussi abattus. Cependant à chaque
instant leurs gens arrivaient de Beaumont à me-
sure qu'ils étaient armés ; le combat se mainte-
360 LEVÉE DU 81ÉGK
nait avec ardeur et eruaute; car les Français,
croyant que le sire de Lorë avait été tué» ne
fiusaient nul quartier. Enfin les Anglais , embar-
rassés de leur bagage et ne pouvant se rallier, se
trouvèrent plus faibles; la chance tourna ccMitre
eux. Loré fut repris, et au contraire sir Mathieu
Goche fiit emmené prisonnier. La déroute dura
pendant plus de deux lieues. Lord WiUoughby^
voyant revenir les fuyards, leva pr^ipitanunent
le^si^e de Saint-Celerin, y laissa une partie de
son artillerie , et regagna Alençon au plus vite.
Les garnisons et les compagnies des deux na-
tions continuèrent k se faire une guerre de tous les
jours. C'étaient sans cesse des défis et des joutes
k outrance, qui se passaient en grande pompe
pair-devant les maréchaux des deux partis^ D'au-
tres fois des troupes de vingt ou trente hommes
s'en allaient courir le pays chercher aventure.
Le i^^ de mai, les Anglais de la garnison de
Fresnai-le-Vicomte, pour braver les Français de
Saint-Celerin , s'en vinrent planter le mai k une
portée de canon des murailles ' ; aussitôt le sire
de Loré sortit avec sa troupe de la forteresse ;
prenant le mai, H le rapporta jusqu'à Fresnai,
"' Ghartier. — Vigiki.
DE SAINTrCEJLERl!! (1438). - 361
et le 4t planter à la barrière même. Les Anglais
se hâtèrent de punir cette témérité , et se lancèrrat
à la poursuite des Français. Mais le sire de Loré
avait placé une embuscade tout proche des rem-
parts; dès que les Anglais eurent passé, il leur
ferma le ch^nin du retour et les enveloppa. Ils se
défendirent vaillamment ; leur capitaine finit par
être &it prisonnier.
Au mois de sq[>t6mbre , le sire «de Loré fit une
entreprise bien plus pi^tabte. Il sortit secrète-
ment de SaiutrCelerin , se rendit en Normandie
par des chemins détournés, fit passer la rivière
d'Orne à la nage par ses gens d'armes, et parut
à Fimproviste, au milieu de la grande foire de
^nt- Michel, qui se tenait a Fabbaye Saint-
Etienne, près de la ville de Gaen\ Les Anglais
étaient sans nulle défense. Ambroise de Loré avait
placé une partie de. ses gens en réserve auprès de
la porte de la ville; ils suffirent à repousser le
peu d'ennemis qui essayèrent de combattre. Pent
dant ce temps^là on faisait un butin superbe ; et
comme il Mlait se biâter, on emmena prisonnier
tout ce qui se trouva là. Lorsqu'on eut repassé
FOrne et qu'on fut en sûreté » le sire de Loré fit
' Chartier. — HoUinshed.
362 LES ANGLAIS
arrêter sa compagme; là, devant une a*oix, de
Tautre côté de la nyière, il fit puMier à son de
trompe que, sous peine de la corde, tout homme
qui avait pour priscmnier un prêtre ou un homme
d'église, eut à le délivra; éê màne pour tous les
marchands v^ms à la foire munis de saufs-con-
duits du roi on des capitaines de France, et aussi
les laboureurs, les vieillards et les enians* Il per-
mit en outre k diacun de venir porter plainte
devant lui, pour qu'il en décidât et rendit justice.
Delà sorte, beaucoup de prisonniers furent remis
en liberté. II les fit conduire an sûreté à Tautre
bord de la rivière, de peur qu'ils ne ftissent mal-
traités ou repris par les gens de sa compagnie.
D'autres furent reçus à caution ; mais on en em-
miena bien trois mille. Le sire de Loré revint ^i-
suite avec tous ses hommes à Saiitt-Gderin ; il
avait mis huit jours à fmre cette course.
La seule aventure tout-à-fait favorable qui , du-
rant cette ann^ 1432 , répara le mauvais sortîtes.
Anglais, fut la prise de Montargis '. Le sire de
Villars en était capitaine pour le roi de France.
Sa femme, qui était de Gascogne, avait auprès
d'elle un jeune frère bâtard; il se laissa gagner
» Berri — Vigiles.
Sl]RPR£NN£irr MONTAiUaW (I48S). 363
par les Anglais ; c'était soas leur ddmiiiation qu'il
était ne et qu'il await tou}oiirs vécu dans sa pro-
vince« Pour rénsâir dans son projet^ il feignît
d'êti^ wmireuiK d'une jeun^ fitte qm était la
nmitresse du barbier dii sire de Yfllars; il lui fit
même aoeroire qu'il l'épousermt si eBe l'aidait a
Hytw le chàteaul Cette ffile ne pouvait rien a elle
toute seule ; elle mit donc le barbier dans son se-
cret, lui promettant une grosse somme d'argent
et lui cadnnt soa nouvel amour. Cet homme lo-
geait dans le cMteau; toat lecomplot fiit disposé
avec lûib FrâmçDÎs l'Aragonais^ cet aventurier de
la oonjq^gnie de Pwrîn Grasset, avait passé au
service. des Anglais; c'était lui qui meimit cette
affaire. U s'introduisit avec ses hommes dans la
viUe; la. demoiselle les cadia dans sa maiscm, et
pendant la nuit ils escaladèrent le château avec
l'aide du barbier, par la fenêtre de sa chambre.
Lie sire de YiUars» ainsi surpris, n'eut que le temps
de se sauver. Il fut l(Mig4emps dans la di^râce
du roi pour avoir rempli si négligemment son
devoir. Le bâtard fut richement récœnpensé par
les Anglais > et se moqua du barUer et de la
demoisdSe , qui moururent dans la misère et le
mépris.
Peu après, les sires de Graville et de Guitri
3A4 MÉSIIITELLIGEIIÇC ENTftC LE IHJG
entreprirent de ravoir Montâtes. Ik s'emparer
rmt de la ville et y passèrent cinq sepiaines^ % at-
tendant toujours les renforts et Tartillerie qui leur
avaiait été promis pour attaquer le château. Rien
n'arriva , et Us furent obligés de quitter Montar-
gis. Cette dernière aflhire mit le comble an mé-
contentaient des seigneurs et dn peuple contre
le sire de la Tremoille \ Sa n^ligence faisait
pa*dre au roi une bonne ville qui s'était vail-
lamment défendue les années précédentes, et tout
le pays de Gâtinais se trouvait livré aux ravages
des compagnies et des Anglais. Mailli, Male^eii)es
et d'autres lieux fiurent saccagés et brûlés. Dans
le même temps les Anglais s'emparèrent de Pro-
vins , dont ils passèrent la garnison par l'épée. Ce
mauvais état des choses fit résoudre la perte du
sire de la Tremoille ; tous les seigneurs et les
princes commencèrent à se réunir contre lui. Sa
haine fiirieuse contre le connétable était le plus
grand empéchemei^t à I9 paix entre la France et
la Bourgogne*
Dans le m^e temps advint une autre circon-
stance qui pouvait bien plus encore fevoriser cette
paix. Madame Anne de Bourgogne, duchesse de
' Bcrri. — Vigiles. — ' Ber.ri.
ET LE DUC DE BEttFOplD (1433'). 36S
Bedford, mourut à Paris lë 13 notembre. Elle
était fort aiihee des Français et des Parisiais, ils
troûyaient que c'était la plus aimable dame du
royaume, et qu'elle était bcmne et belle'. Elle
n'avait que yingt-huit ans, et ne laissa point
d'ën&ns. Ain» ^ toute alliance de Ëimille cessait
entre le duc Philippe et le régent anglais.
Bientôt se firent sentir les efifets de cette mort.
Le duc de Bedford regretta beaucoup sa femme ,
montra une doilleur publique, fit célébrer de so-
lennelles obsèques; mais il lui importait de con-
tracter quelque alliailce utile à son pouvoir en
France. En effet y les discordes qui régnaient en
Angleterre né permettaient point qu'il en espérât
des secours suffîsans. Messire Louis de Luxem-
bourg^ évêquë dé Therouanné, chancelier de
France pour les Anglais^ avait une nièce belle
et sage , fille de son frère le comte de SaintrPol.
Son crédit sur le duc de Bedford était grand;
d'aillèurà, la maison de Luxeinbourg était riche,
puissante, illustre. L'affaire fut conduite avec ha-
bileté et discrétion ^ Le régent avait quitté Paris
* 1452 i T. st. L'année dommen^ le i2 avril.
* Journal de Paris.
* HoUinshed. — Paradin. -^ Heuteras. -^ Abrégé chronologique.
— Monstrelet.
366 MÉSIRTELLIGElfCE ENTRE LE DUC
et s'était rendu à Rou^i pour y recueillir une
taille nouvelle et excessive qu'il avait ordonnée.
De là il s'en alla à Therouanne » où son mariage
avec madame Jacqueline de Saint-Pol fiit pom-
peusement célébré. Le duc de Bedford, pour
mieux montrer son contentement» fit venir d'An-
gleterre deux belles doches, qu'il donna à la ca-
thédrale de Therouanne.
Le duc de Bourgogne n'avait pas été consulté ;
c'était à son insu que son beau-frère contractait
un nouveau mariage ; c'était sans son agrément
et sans le consulter qu'un de ses vassaux et de ses
parens mariait sa fille. L'évéque de Therouanne,
qui avait conclu cette alliance, lui devait tout son
pouvoir et toute sa grandeur , et le trahissait ainsi.
Il se trouva indignement offensé; et l'on com-
mença à parler des Anglais et du duc de Bedftud
en assez mauvais termes à la cour de Bourgc^e.
Il ne manquait pSLS de gens pour rapporter ce qu'a-
vait dit ou même n'avait point dit le duc Philippe.
Le régent s'irrita à son tour, et ses discours le
témoignèrent. La chose allait ainsi s'envenimant;
les conseils des deux princes voyaient cependant
que cette discorde allait avoir les plus funestes
suites. Le succès de la cause des Anglais surtout
semblait tenir uniquement à leur conccMrde avec
ET LE DUC DE BEDFORD (1433). 967
les Bourguignons. Le cardinal de Winchester
s'entremit pour réconcilier les princes. Il obtint,
à grand prix, de son neveu le duc de Bedford,
qu'il se rendrait à SaintOmer. Le duc de Bour-
gogne consentit aussi à y yenir ; il voulut pour-
tant que d'avance il ittt r^lë que l'entrevue n'au-
rait lieu au logis d'aucun des deux » mais en un
lieu convenu.
Lors^'ils furent arrivés chacun de son côté à
Saint-Omer» le régent ne parla plus de se rendre
au lieu désigné, et attendit que le duc Philippe
vînt lui rendre la première visite. De son côté ,
le duc de Bourgogne protestait qu'il n'en ferait
rien , et ne bougeait point de son logis. Le car-
dinal de Winchester, ne pouvant rien gagner
sur l'esprit de son neveu, espéra que le duc de
Bourgogne se montrerait moins obstiné. Il re-
tourna le voir, c Comment, lui dit-il, mon cher
< neveu , car il était le mari de sa nièce Isabelle
€ de Portugal, laisserez-vous partir, sans lui faire
€ courtoisie, un si grand prince, fils, frère et
c onde des rois d'Angleterre ? Il a pris la peine
€ de venir de si loin et de se déranger pour vous
« visiter dans vos domaines , dans votre ville ; ne
< voudrez -vous point aller seulement de votre
< logis au sien pour lui faire honneur? » Rien ne
368
NOUYEAU MARIAGE
put taire changer la volonté dn dnc de Bour-
gogne. < En quoi, disait-il, ai-je motif pour lui
céder le pas? Il est de la maison de Lancastre,
fils d'un roi d'Angleterre ; et moi ne snis-je pas
de la maison de France, qui est la plus noble
du monde? Le père de mon aïeul n'étaitHU pas
rm dé France? Il est grand seigneur, dUril,
mais art-il seulement la moitié autant de terres
et de domaines que moi? Il est r^ent de ce
royaume ; il y est tout-puissant ; mais cette puis-
sance, qui la lui a donnée, si ce n'est moi? Et
s'il ne le sait pas, il l'apprendra quand je lui
aurai retiré ma faveur. » De tels propos n'é-
taient point faits pour ramener la bonne amitié
entre les princes. Le duc de Bedford et le cardinal
quittèrent Saint-Omer.
Le duc Philippe était pressé de retourner en
Bourgogne. Le comte de Clermont était entré
dans le Charolais, et avait, déjà pris quelques
forteresses. Les Français s'avançaient aussi du
côté d'Âuxerre , et menaçaient Ghâtillon et Dijon.
Le sire de Château-Vilain avait conclu avec le roi
le traité qu'il n^ociaîl déjà depuis quelque temps;
il avait renvoyé aux Anglais leur ordre de la
Jarretière, et, sous prétexte de faire la guerre
à la maison de Yergi , que le Duc prot^eait, il
DE MADAME JACQUELINE (1433). 360
avait armé et tenait la campagne en Bourgogne;
Toutefois, ayant de venir au secours de son
duché y le Duc avait de grandes af&ires à terminer
dans ses pays de Flandre. Les séditions qu'avaient
excitées les nouvelles monnaies danS' les bonnes
villes ne s'apaisaient point complètement , malgré
toute Tindulgence du Duc. Mais! son principal
souci lui venait encore de madame Jacqueline dé
Hainaut» qui courait toujours quelque nouvelle
aventure ' ; elle avait pourtant, depuis le dernier
traité , passé quatre années en repos et en silence,
mais elle se plaignait sans cesse de ne point avoir
assez d'argent. Son cousin de Bourgogne ne lui
en donnait guère, et elle en dépensait beaucoup.
Enfin , un jour que sa mère madame Marguerite
lui avait envoyé de beaux chevaux et de magnifi-
ques joyaux, eUe ne se trouva pas de quoi récom-
penser les gentilshonunes qui lui remettaient ces
présens. Ce ftit un tel chagrin pour elle , qui était
naturellement fort libérale , qu'elle se mit à pleu-
rer amèrement. Un gentilhomjne de ses domes-
tiques, la voyant dans cette douleur , lui conseilla
de s'adresser au sire François de Borssele. C'était
justement ce seigneur que le duc de Bourgogne
• Fabcrt. — ïleuterus. — Histoire de Bourgogne. — Mcyer.
TOME T. 5* KDIT. ^4
n
370 NOIJTEAQ MARIAGE
a'vait nommé son lieutenant en Zelande, lorsqu'il
s'était emparé du domaine de nkadame Jacqueline.
Elle ne pouvait croire d'abord qu'un serviteur du
Duc qui ne lui devait nulle reconnaîissance, et qui
avait toujours suivi un parti opposé au sien , fôt
empressé à lui rendre service. Ce fiit cependant
ce qui arriva; le sire de Borssele lui prêta tout
l'argent qu'elle voidait, et lui dit qu'elle pouvait
disposer de ses Uiens et de sa personne. Madame
Jacqueline, toudiée de ce t>on procédé, et trou-
vant d'ailleurs le sire de Borsselè fort à son goût,
ne tarda pqintà prendre pour lui un grand amour;
et, comme elle écoutait bien plus ses penchans
que la raison , eUç l'épousa secrètement. Bientôt
le Duc en fut informé par quelqii'un des domesti-
ques qui avaient assisté au mariage ; d'ailleurs
madame J^cqudinp n'était pas d'un caractère à
se cacher ni à se contraindre beauco|H>.
Le Duc, à son retour de Bourgogne, au mois
de jmllet 1432, se rçndit, avec six cents hommes
d'armes, à La Haye , fit pren<|re le sire de Borsselè,
et l'envoya prisonnier au château de Jlupelmonde.
La colère qu'il montrait était grande ; il ne parlait
pas moins que de faire couper la tête au vassal
insolent qui avait osé , sans sa permission , épou-
ser une princesse de son sang , engagée par un
DE MAIIAIME JAGQVSUNE (14X3). 371
traité à ne jamais se marier sans son consente-
ment , et dont il était héritier reconnu.
l^a^lame Jacqueline voulut sauver son mari /et
traita de nouveau avec le Duc '; cette fois elle
abandonna non seulement legouvemeipent et la
jpui$^sance de ses États, mais k possession ac-
tuelle, tant pour elle qnç pour les héritiers directs
qu'elle pouvait avoir. Le duc de Bourgogne lui
laissa pour domaines plusieurs riches et grandes
seigneuries qu'elle devait tenir en vassalité, avec
de grands privilèges, mais en renonçant à tout
droit de souveraineté ; seul^oaent isi le Duc mpu-
rait sans enfans, les pays céd^ par madame Jac-
qi(eline devaient retourner k elle ou a ses héri-
tiers. L'île de Sud-Beveland , la Brille , Woorn et
plusieurs; autres domaines lui furent donc affec-
tés , ayeç la permission d'y percevoir les trois
qnarte d^s aides accordées au Duc par les com-
iQfpips. Il fut réglé aussi qu'elliei porters^it désor-
mais les titres de madame Jacques , duchesse en
Ifs^yière, comtesse de Hollande et d'Ostrenant.
Un revenu de cinq cents ducats lui fut en outre
assise Stur ce comté d'Ostrenan^; elle se réserva
«inoore le droit de chasse dans tous ses anciens
* Pièces de THistoirc de Bourgogne. Traita du 12 avril 1433.
372 QUERELLE POUR l'ÉVÊCHÉ
États et daûs ceux du Duc, car c'était un de ses
grands passe4emps.
Du reste, dans ce traité, il ne fut en aucune
sorte question de son mariage, ni du sire de
Borssele; et lorsque peu de mois après elle an-
nonça au pape comment elle avait renoncé à toute
souveraineté , elle ne fit non plus nulle mention
de son nouveau mari. Toutefois il rentra en grâce
auprès du duc de Bourgogne , qui lui permit , sans
en faire pourtant l'objet d'aucun acte authentique,
de porter le nom de comte d'Ostrenant, et le créa
depuis * chevalier de la Toison-d'Or. C'était le
dernier trouble que madame Jacqueline devait
qauser au duc de Bourgogne; elle sembla satisfaite
de son état, et demeura fort tranquiUe. Sa mère
madame Marguerite de Hainaut fut au contraire
très-irritée de voir ainsi sa fille dépouillée de
toutes ses souverainetés; son ressentiment alla
si loin , qu'un gentilhomme de sa miaison , nonuné
Gilles Postel, ayant été mis en justice et con-
dami^ pour avoir comploté la mort du Duc ^ qu'il
se préparait à assassiner durant une partie de
chasse, il passa pour constant que ce crime avait
été suggéré par madame Marguerite. Trois ans
> Promotion de 1445.
DE TOURNAI (1433) • 373
aprè$r fe 8 octobre 1436, madame Jacqueline
mourut sans laisser de postérité.
Une autre affaire occupait en même temps le
duc Philippe; elle fut même long-temps à se ter-
miner. Jean de Thoisi , ancien chancelier de Bour-
gogne, évêque de Tournai , venait de mourir '. Le
Duc se proposait depuis long-temps de conférer
cet évêché a Jean Chevrot , archidiacre de Rouen ,
un de ses conseillers; mais le sire Jean de Har-
coûrt , évéque d'Amiens , avait secrètement agi
auprès du pape, et fat pourvu de Tévêché tout
aussitôt qu'il devint vacant. Le Duc ordonna a ses
sujets de ne le point ceconnaitre pour évêque, et
fit saisir les revenus. Jean de Harcourt était fort
aimé du roi de France ; il espérait que , dans les
circonstances où l'on se trouvait , cette protection
pourrait lui être favorable,, et qu'il n'y avait qu'à
gagner du temps. A ce moment l'archevêché de
Ijiarbonne vint aussi à vaquer; le pape , pour con-
tenter le duc de Bourgogne , transféra sur ce si^e
Jean de Harcourt. Mais l'évêché de Tournai avait
de plus grands revenus; il était plus à sa conve-
nance. La plupart des seigneurs qui devenaient
évêques ne considéraient guère autre chose ; ils
* Meyer. — Paradin. — Moîistrelet.
374 CONFÈRE If CE s
tenaient état de prinee ; oh be voyait dans leur
maison qu'un train brillant de domestiqués , un
grand bruit dé chevaux et de chiens, quelquefois
pis encore : c*étiBdt uû scandale pour les jpeuples ,
et ils attribuaient leurs horribles malheurs et la
colère de Dieu en grande partie au manque de
piété dés évêques.
Jean de Harcourt refusa donc Tarchevêché de
Narbonne. Le Duc usa d'autorité; il envoya le
comte d'Étampes son cousin, frère du comte de
Nevers, avec une compagnie de gens d'armes,
installer à Tournai maître Etienne Vivian , grand-
vicaire de révêque Chevrot. Mais le peuple de la
ville était du parti irançàis, et conséquenunent
favorable au sire de Harcourt, qui avait d^'à pris
possession et exercé les fonctions d'évêque. Dès
qu'on vit maître Vivian s'asseoir dans la chaire
épîscopale, et commencer, au nom de Jean Che-
vrot, les cérémonies de la prise de possession, la
foule se précipita en fureur sur le grand-vicaire,
l'airacha de la chaire, déchira son surplis. Il eût
été mis à mort sans les instances du sire de Har-
court, qui implora pour hii la popiilace, disant
que c'était en justice qu'il devait défendre sa cause.
Les gens de Tournai étaient si animés, ils ou-
bliaient tellement la puissance du duc de Bour-
DE SAINT-PORT (1435). 37S
gogne, que pour sauver nlaitr^ Chetrot, il fallut
le mettre ^oi prison et promettre qu'on lui ferait
son procès.
Presque tout le diocèse de Tournai était com-
pose du territoire du Duc, mais il n'avait pas ju-
ridiction dans la ville même, qui était une ocmi-
mune sous là souveraineté directe du roi de
France. Il fit confisquer tous les biests meubles
et immeubles qui, dans retendue de ses Ëtats,
appartenaient aux bdbitans de Tournai, et dé-
fendit à ses sujets de faire avec eux aucun com-
merce, même pour y porter dès vivres. Cette que-
relle dura cinq années , et Jean de Harcour t se vit
forcé d'aller à Narbônne.
Avant de retourner en Bourgogne, le Duc
réussit enfin à conclure la paix avec les Liégeois %
qui lui payèrent cent cinquante mille écus d'or
pour les dommages faits dans le comté de Namur,
et consentirent à démolir leur forteresse de Mont-
orgueil , qui menaçaittoujours la frontière.
Enfin, le 20 juin 1433 % il Ait possible au Duc
de se mettre en route pour venir porter à ses
Etats de Bourgogne un secours qu'ils imploraient
' Heuterus.
* P»rai1in.
376 CONFÉRENCES
depuis long4emps, et dont ils avaient un pressant
besoin. Bien que la guerre f&t ainsi devenue jdus
générale et plus cruelle que jamais» cependant de
nouvelles négociations avaient eu lieu , eonune on
en était convenu. Les ambassadeurs de France,
de Bourgogne et d'Angleterre avaient repris leurs
conférences en présence du cardinal de Sainte-
Croix, entre Melun et Corbeil, dans un petit vil-
lage nommé Saint-Port, que la guerre avait ruiné
et rendu désert ' ; le duc de Bedfof d était même
venu voir le cardinal. Mais quel que fiït le désir
de ce digne légat de rétablir la paix dans le mal-
heureux royaume de France, il ne put arriver à
nulle conclusion. La difficulté principale entre les
envoyés d^ Angleterre et de France était relative
aux princes de France prisonniers depuis Azin-
court. Les deux partis c(»isentaient et deman-
daient même qu'ils lussent appelés au traité ; mais
les Français voulaient qu'ils fussent libres, et dans
une ville du royaume, soit dans le voisinage de
Rouen, soit ailleurs. Les Anglais exigeaient au
contraire que ce fût à Calais , sauf ensmte , si l'on
était une fois^ombé d'accord, à transporter les
* Pièces de l'Histoire de Bourgogne. — Berri. — Journal de
Paris.
DE SÀINT*PORT (1435). 377
conférences dans une ville de Picardie. Ils étaient
même si empressée pour cette forme de oégocier,
que le duc d'Orléans et le duc de Bourbon étaient
dqà à Douvres V prêts à passer la mer et à venir
à Calais avec le duc de Glocester et les princi-
paux seigneurs du conseil d'Angleterre \
Il n'était pas étonnant que les ambassadeurs
de France ne voulussent pas céder sur ce point.
Le duc d'Orlàms, prisonnier depuis dix -sept
ans, n'avait qu'un désir» qu'une pensée^ sa li-
berté et son retour en France. Afin de hâter ce
moment , il avait offert aux Anglais de s'entre-
mettre pour leur faire conclure une paix avan-
tageuse *. Il proposait de se rendre à Calais ou
dans tout autre lieu désigné par le conseil d'An-
gleterre, et d'y réunir la reine de Sicile et les
princes de la maison d'Anjou, les princes de Bre-
tagne, le duc d'Alençon, le comte de Clermont et
les comtes d'Armagnac, de Perdriac et de Foix.
La paix se serait ainsi négociée avec tous les prin-
ces et les grands seigneurs de France. Pour lui ,
il s'engageait d^avance , quelle que fût l'issue du
pourparler , à faire hommage de ses seigneuries ,
' Lettres du roi d'Angleterre, 14 août 1455. — Pièces de VHis-
toire de Beiirgogne.
^ Ayiner> Acta public a, tome X , page 556.
1
378 DISGRACE m} SIRE
non plus à Charles, Dauphin de Yieimois , ear
c'est ainsi qu'il nommait le roi de France, mais
au roi Henri. Il promettait la mâme chote porar
tous ses vassaux, pour le dttc d'Âl^içon, le duc
de Savoie, le duc de Milan, les comtes d'Angou-
léme , d'Armagnac et de Perdriac. Il ofiSrait ^q-
core , au cas où Charles Dauphin ne se contente-
rait pas d'u^ simple apanage, et prétendrait en-
core au royaume de France , de livrer aux Anglais
Orléans, Blois et toutes les villes dCvSon apanage,
et de leur procurer La Rochelle , le mont Samt-
Midiel, Limoges, Bourges, Poitiers ,. Chinon ,
Loches, Beziers et Tournai; puis d'accepter, si le
roi Henri le trouvait à propos, une seigneurie en
Angleterre pour devenir son hommç lige, con-
sentant sdnsi à le servir contre la France. Enfin,
il jurait de revenir tenir prison jusqu'à ce que les
susdites conditions fossent remplies; ils les signa,
les revêtit de son sceau, et les remit au conseil
d'Angleterre.
Ainsi le duc d'Orléans, sous la main des An-
glais , eût été ou fort en peine de tenir ses pro-
messes , pu fâcheux pour les intérêts de la France.
Tout fut rompu sur cette seule difficulté , et le
cardinal de Sainte -Croix s'en retourna vers le
pape, en passant auparavant chez le roi de
DE Là TRfillOtLLB (1453). 37^
France, afin de le disposer favorablement a la
paix. En pàrlâiit, il écrivit tons ses regrets au
chancâier de Bourgogne. En effet, jcè n'étaient
point les Bouj^guîgnons qui mettaient obstade à
la conclusion d'un traite; te duc Philif^ seîi^
Maii préoccupé seuJem^mt de ne point manquer
à ses ehgagemens avec les Anglais; il ne vou-
lait point qu'on pttt lui reprocher de manquer de
loyauté.
La disgrâce du sire de la Tremoille procuta
une iptos grande espérance encore de réconcilier
le roi et le Duc. On ne s'y prit point, pour le ren-
verser, d'autre sorte qUe pour les précédons mi-
nistres qui , avant lui , avdent possédé toute la
confiance du roi et disposé de sa volonté '. La
cbose fut résolue et préparée chez le connétable,
dans son château de Parthenay. Le sire de Beuil,
neveu du sire de la Tremoille, le sire dé Ghau-
mont, le sire de Coetivi, furent piis à la tête dé
l'entref^ise ; le connétable leur donna un bon
nombre de gens d'armes bretons et de capitaines
de sa maison , sous les ordres du sire de Rosnie-
ven, son serviteur le plus dévoué. Le roi était à
Chinon et la Tremoille au (Mteau du Coudrai,
* Mémoires de Bichemont. — D*Ârgentré. — Chartier. — Berri.
380 DISGRACE DU SIRE
qui touche la ville; le sire de Gaucourt, gouver-
neur de la place, était du complot. Les Bretons
arrivèrent pendant la nuit; un lieutenant du gou-
verneur, nommé Olivier Fretard, leur ouvrit
une poterne , et ils parvinrent jusqu'à la cbambre
de la Tremoille. Il était couché ; on le saisit dans
son lit ; à la Êiveur de la nuit et du désordre , Bos-
nieven lui donna un coup d'épée, qui sans doute
était destiné à le tuer, et ne fit pourtant que le
blesser. Les autres ne voulaient point sa mort;
son neveu, le sire de Deuil, se chargea de lui et
renvoya prisonnier au château de Montrésor.
Cependant le roi avait entendu du bruit; il
s'effraya, et demanda ce qui se passait. On lui ré*
pondit que personne ne courait aucun danger ;
mais que pour le bien de son service, et par dé-
libératicm des princes, on voulait éloigner son
mauvais conseiller le sire de la Tremoille. Il s'in-
forma tout aussitôt si le connétable n'était point
là , et lorsqu'il sut que non , il commença à s'adou*
cir. La reine acheva de le calmer. Son frère, le
jeune Charles d'Anjou , comte du Maine , avait au-
torisé les conjurés à agir. Ce fut lui qui , pour le
moment , succéda à la &veur du sire de la Tre-
moille; car le roi, dans son insouciance, avait
besoin , disait-on , de se reposer de tout sur un
DE LA TREHOILLE (1433). 381
seul conseiller. Son royainne était dévasté, ses
sujets accablés de misère , les ennemis maîtres de
sa capitale et d'une partie de ses provinces, et lui
se tenait en repos de corps et d'esprit. Ses capi-
taines, les chefs qui soutenaient la guerre contre
les Anglais, n'avaient de lui ni ordre ni secours.
Chacun d'eux agissait à sa guise, selon l'occasion
et la fortune '.
La disgrâce du sire de la Tremoflle n'eut point
d'abord un grand ^et. Le roi ne le regretta pad
plus que ceux qu'il avait aimés avant lui. On lui
fit convoquer, à Tours, les États du royaume.
En son nom, l'archevêque de Rbeims, chancelier
de France , leur déclara que les sires de Beuil, de
Coetivi, et les autres, avaient agi pour le plus
grand bien du royaume, et que le roi les avouait
de tout ce qu'ils avaient fait. Cependant, peu
après, quelque autre changement advenu auprès
du roi fit renvoyer de la cour le sire de Chau-
mont et le sire de Beuil. Ce dernier tenait tou-
jours en prison son oncle de la Tremoille, et ne
consentit à le délivrer que moyennant une rançon
de six mille écus.
Malgré ce désordre et le mauvais gouverne-
« lyArgentré.
389 IlfSUliEEGTfON GONTIIE LES ANGLAIS
ment du royauBie, les af&ires des Anglais n'a-
vaient P9S mieux prospéré durant les premiers
mois de cette année 1433. Us avaient tellesnent
accablé la Normandie de tailles et <j[e tontes sortes
d'impôts , que le peuj^ les avait pris dans nne
haine toujours croissante. Enfin » convoie ils man-
quaient aussi. d'hoQanes pour faire la guerre, ils
voulurent en lever en Normandie , comme ils £eû-
saient ctie^s em^ pour recruter leurs arcliers. Pour
lors éclata une révolte terrible *• Elle commença
d'ab«rd du côté de Gaen ei de Bayeux. Soixante
mille hommes environ se réunirent;; Leur princi-
pal chef était un nommé Quaut^ié ; mais plusieurs
gentilsboinmeSt chevaliers on écuyers, a^étaiait
vm dv$c Qu^. Après avoir chastsié les garnisons
aQglaisç$^ de tpules les. fortwesses des aivirons,
ils se présentèrent devait la viUe de Gaen. Les
ducs d'York et de goomerset étaient alors en
Normandie; Us envoyèrent aussitôt le comte
d'Arqnd^l e^ lord WiUougU>y avec six mille ar-
chets et trois ceiits'g^s d'armes c(mtre ces gens
des^ çoqinimes* On le^ laissa arriver jusque sous
les murs de la ville de Gaen, et pow lors une
trçfipe^ qui avait été embusquée dans un des Êiu-
* Chartier. — HoUinshed.
EN NORMANDIE (1455). 383
bourgs, les attaqua par derrière. Ils étaient sans
connâissaiiee de la gneire et mal armes. Leur ré-
sistance ne fat pas de longue durée. Leur chef
QnantQpië fiit tué tout aussitôt, et comme ils
étaient enreioppés. de toutes parts , les Anglais en
firent un grand massacre. €e fut une véritable
boucherie; le comte d*Arundel ne pourait les
saurer de la Aireur de ses soldats.
Le duc d* Alençon , sur la nouvelle de cette ré-
volte, avait donné ordre au sire de Loré d'aller
appuyer les communes de Normandie ; il arriva
trop t^d, elles étaient déjà détruites. Le sire de
Beuil et lui s'avancèrent jusqu'auprès de Bayeux,
où ils recueillirent les débris^ de <je(te malheureuse
entreprise. Ils rassemblèrent environ cinq miUe
hommes , et les emmenèrent d'abord à Avranches ,
puis ils rentrèrent dans leur pstys du Maine. Les
Anglais livrèrent à de cruels supplices toui^ ceux
dont ils purent se saisir qui étaient soupçonnés
d'avoir excité la sédition ; ils reçurent le reste à
cojnposition.
Pendant ce même temps, la Hire et Saintraille
se tenaient vers les marches de la Picardie ou de
Champagne, et usaient aussi une guerre qui ne
profitait guère aux pays et aux habitans.
La Bourgogne recommençait aussi à être en-
384 LE DUC SE REND
yahie et rayagée par les compagnies françaises et
surtout par le sire de Château-Vilain et le da-
moisel de Conunerci , qui guerroyaient du côté de
Langres, et faisaient des courses jusqu'auprès de
Dijon. Le duc Philippe, en quittant la Flandre
pour venir au secours de ses États, envoya de
nouveaux ambassadeurs au roi d'Angleterre S
pour lui remontrer quelle était la désolation gé-
nérale du royaume de France, et comt»en il im-
portait ou de conclure une paix générale ou d'as-
sembler une armée formidable , afin de défendre
les provinces contre tant de ravages ; il parlait
aussi des excessives dépenses qu'il lui fdlait Eure
pour garder et conquérir ses frontières , de la
détresse de ses peuples, et de la difficulté de per-
cevoir de nouveaux impôts.
C'était avec une armée qu'arrivait le Duc; il
avait avec lui ses principaux chevaliers , une re-
doutable artillerie, et de grands préparatifs. Le
sire Jean de Croy commandait l'avant^arde , le
Duc le corps de bataille, et le seigneur de Créqui
l'arrière-^^arde. La Duchesse était de ce voyage ;
elle était grosse, et cheminait en litière, accom-
pagnée de ses serviteurs et de plus de quarante
' Histoire de Bourgogne. — Saint-Remi.
EN BOURGOGNE (1 4S5) . 38S
dames. Elle s'arrêta à Châtillon-siir-Seme, et le
Bue alla aussitôt mettre le siège devant Mussi<^
rÉvêque , forteresse du diocèse de Langres* Toute
la noblesse bourguignonne vint le joindre. La
garnison» se voyant si fortement assiégée, ne
tarda point à se rendre ; le château de Lézines ne
résista pas davantage, et le Duc accorda la vie
aux assiégés» sous la condition qu'ils procure*
raient le moyen de traiter avec la garnison de
Pacé, ville très-forte du voisinage. Heureusement
pour eux» les gens de Pacé consentirent à se
reiidre , si dans vingt jours ils n'étaient point se*
courus. Le Duc » qui ne désirait rien tant qu'une
journée de bataille» leur accorda un mois» et con-
tinua à soumettre quelques forteresses des envi-
rons. Sans craindre de s'affaiblir» il envoya Jean
et Antoine de Vergi» avec le comte de Fribourg
et le sire de Créqui» dans le pays de Langres»
pour repousser le damoiseau de Commerci et le
sire de Château-Vilain. On espéra pendant quel-
ques jours que les Français viendraient au se-
cours de Pacé; lord Talbot et le maréchal de
l'Isle-Adam arrivèrent pour assister à la bataille;
mais» au jour marqué» personne ne s'étant pré-
senté» la ville se rendit. Pendant ce temps» la
Duchesse était allée solennellement tenir à Dijon
TOMB T. 5* fOlT. a5
386 RÉGIT DES AMBASSADEURS
les États du duché. Il y eut de grandes réjouissan-
ces , et les États , heureux de voir la province hors
de péril , accordèrent un subside de 40,000 livres.
Les États de la Comté, assemblés à Dôle, don-
nèrent aussi 23,000 livres.
Le Duc était à son camp devant Ravières lors-
qu'il reçut une réponse du roi Henri. Le conseil
d'Angleterre protestait toujours de son désir de
faire la paix, imputait aux ambassadeurs français
la rupture des conférences d'Auxerre et de Cor-
beil, insistait beaucoup sur le projet de traiter au
moyen des princes de France prisonniers en An-
gleterre, et finissait par proposer de nouvelles
conférences à Calais pour le IS octobre.
Hugues de Lannoy, seigneur de Santés, et le
trésorier de Boulonnais , envoyés de Bourgogne
en Angleterre, rendaient compte en même temps
à leur maître des circonstances de l'ambassade; ils
avaient reçu du roi Henri un gracieux accueil ;
on leur avait appris que le conseil de France
proposait le mariage de la fille du roi avec le roi
Henri, mais cette offre n'avait pas été écoutée en
Angleterre.
La partie la plus curieuse de leur récit concer-
nait le duc d'Orléans, qui , comme on a vu, était
de grande importance dans les négociations. Ce
e^ilrt , tut t^l«m«.
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ENVOYÉS EN ANGLETERRE (1433). 387
malheureux prince , pour adoucir ses longs mal-
heurs, n'avait d'autre consolation que les lettres
qu'il avait toujours aimées. Il Élisait des vers
mieux que personne en France, et trouvait un
douloureux plaisir à célébrer, dans de touchantes
ballades ' , le regret de passer sa vie loin de son
pays, de sa famflle, de ses amours, et de rester
oisif et inutile, sans pouvoir gagner la gloire des
chevaliers. Il déplorait aussi les calamités, et rap-
pelait l'ancienne renommée du noble royaume de
France, lui reprochant ses désordres qui avaient
attiré la colère céleste. Il demandait à Dieu de lui
accorder, avant d'arriver à la vieillesse, les plai-
sirs de la paix «t du retour. D'autres fois il re-
prochait à la fortune d'exercer sur lui une si rude
seigneui'iè , et de faire si fort la renchérie :
tt Dois-je toujours ainsi languir?
« Hélas ! et n'est-ce pas assez? »
Ce triste refrain revenait à chaque couplet de la
ballade, et elle finissait ainsi:
« De ballader j*ai beau loisir ,
a Autres déduits me sont cassés ,
* Poésies de Charles duc d'Orléans.
388 nÉCIT DES AMBASSADEURS
« Prisonnier «aÎB , d'amour martyr ^
c Hélas! et n'est-ce pas assez? i»
Quand il avait rencontré chez le cotnte de
Sufiblk les ambassadeurs de Bourgognes il était
venu à eux , leur avait affectueusement pris les
mains ; et lorsqu'ils s'enquirent de sa santé : c Mon
c corps est bien , dit-il ; mais mon âme est dou-
c loureuse. Je meurs de chagrin de passer ainsi
c les plus beaux jours de ma vie en prison , sans
c que personne songe à mes maux. » Les ambas-
sadeurs repartirent que c'était à lui qu'on devrait
le bienfait de la paix, et qu'on n'ignorait point
qu'il y travaillait, c Messire de Suffolk pourra
vous dire, ajouta le prince, le soin que j'y
prends, et comment je ne cesse de presser le
roi et son conseil; mais je suis ici inutile
comme l'épée qu'on ne tire pas de son fourreau.
Je l'ai toujours dit, il faut que je voie mes pa-
rens et mes amis de France ; ils ne pourront
traiter sans en avoir consulté avec moi. Certes,
si la paix dépendait dé moi , quand je devrais
mourir sept jours après l'avoir jurée, je n'y
aurais pas de regret. Au reste, qu'importe ce
que je dis ; je ne suis maître de rien. Après les
' Histoire de Bourgogne.
ENVOYÉS EN ÀlfGLETERRE (1433). 389
€, deux rois 9 c'est le duc de Bourgogne et le duc
€ de Bretagne qui y peuvent le plus; » Sur ce , le
sire Hugues de Lannoy afBrjna que nul ne sou'^
haitait la paix plus que le duc Philippe, c Ne
€ vQKS Tavais-je point dit, monsieur? » ajouta le
comte de Suffolk. < Pourquoi , en effet, répliqua
€ le prince, mon cousin de Bourgogne ne pense-
< rait-il pas comme moi? Il doit bien savoir que
€ ce n'est ni lui ni moi qui avons suscite la guerre
< en France. Hugues de Lannoy, vous savez mes
c sentimens là-dessus ; je n'en veux point chan-
€ ger. » Alors il lui reprit la main , la pressa, et
lui serra même le bras comme pour signifier qu'il
avait bien des choses à lui dire. « Et ne viendrez-
c vous point me visiter? continua-t-il ; promettez-
« le-moi ; vous savez si je me tiendrai heureux de
« vous voir. — Ils vous verront avant leur dé-
< part, > interrompit le comte de Suffolk d'un ton
qui annonçait qu'aucun entretien particulier ne
leur serait permis.
Le lendemain , Jean Canet, barbier du comte
de Suffolk, vint trouver les ambassadeurs: < Je
c suis natif de Lille, leur dit-il, fidèle sujet du
« duc de Bourgogne, et tout prêt à le servir,
c Comme je parle français, c'est avec moi, plus
c qu'avec aucun autre de notre hôtel , que le duc
390 RÉCIT D£S AMBASSADEURS
c d'Oriéai^s aime à deviser. Si Y on vous a dit qu'il
< haïssait le duc de Bourgc^e et parlait de lui
€ en mauvais termes , on ypus a trompes : il Taime
« beaucoup, il le tient dans une bajate estime , et
€ voudrait la lui témoignier. Si vous croyez que le
« duc Philippe le trouve bon, il lui écrira, et je
c me ch^ge de vous apporter la lettre. » Les
ambassadeurs donnèrent leç mêmes assurances
au nom de leur seigneur « Le lendemain' ils revirent
le duc d'Orléans, mais toujours chez le comte de
Suffolk et en sa présence. < Pourrais^je écrire à
€ mon cousin de Bourgogne? > d^Banda-t-il. —
ç Vous y penserez pendant la nuit, monsieur, > ré-
pondit le comte de Suffolk. Lalettre que Jean Canet
vint ensuite remettre aux ambassadeurs n'avait
pu être écrite librement. 11 le leur dit, et leur
confia aussi que si le roi Charles se refusait à
faire la paix , le duc d'Orléans , pour sortir de sa
triste prison, traiterait enfin de son côté ; car il
ne pouvait plus endurer sa triste position.
Les ambassadeurs rendaient compte aussi de
leur visite au comte de W^rwick. Il ne leur avait
pas caché que la noblesse et le peuple d'Angle-
terre étaient offensés de ce que le duc de Bour-
gogne témoignait si peu d'égards à leur roi. < Il
« n'est pas venu une seule fois le visiter, dit-il,
ENVOYÉS EN ANGLETERRE (1453). 391
c durant son séjour en France. Je donnerais la
< moitié de mon bien pour que le Duc vint passer
€ seulement quinze jours à Londres; il verrait
c comment nous le recevrions ! Ne se souvient-il
c plus que son père , le dftc Jean , bien qu'il fût en
« pleine guerre avec le feu roi, vint le trouver à
c Calais et en fut accueilli avec une extrême
c courtoisie? » Les ambassadeurs répondirent
que leur seigneur aurait sans doute lieu d'être
mécontent, s'il savait les discours qu'on tenait
sur lui en Angleterre, les menaces qu'on faisait
contre lui et ses sujets. < Ce sont les gens du com-
€ mun, répondit le comte de Warwick; mais
< vous n'avez certes entendu rien de pareil des
< princes d'Angleterre, des seigneurs du conseil,
€ ni même d'aucun prud'homme. >
Ds étaient aussi allés r^idre leurs devoirs au
duc de Bedford; il leur aivait fait de même bon
accueil. < Messire Hugues, dit-il, vous aimez
< beaucoup mon frère de Bourgogne, et je pense
< que vous ne me devez pas haïr. Pourquoi se
« laisse-t-il aller à de mauvaises imaginations
c contre moi ? Je ne lui veux pourtant aucun mal.
c II n'est prince au monde après le roi que j'es-
c time autant que lui. Le mauvais vouloir qui
c 'semble être entre nous gâte les affaires du roi
392 SUITE DE LA GUERRE
€ et les siennes aussi; mais dites-lui que je n'en
< suis pas moins porte à le servir. »
Enfin les ambassadeurs racontaient qu'à leur
retour ils avaient rencontre à Calais Jean de
S^veuse, qui tenait du bâtard d'Orléans que le
conseil du roi Charles ne (eràii jamais la paix
tant que les Anglais prétendraient au royaume
de France, et tant qu'ils ne délivreraiept pas le
duc d'Orléans. Le Bâtard avait ajoute qu'on lui
avait ordonné d'attaquer le duc Philippe pendant
qu'il se rendait de Flandre en Bourgogne, et
qu'il s'y ét^it refusé, sachant que son frère comp-
tait sur le Duc pour obtenir sa délivrance. Le
sire de Saveuse croy^iit donc que le duc d'Orléans
avait parlé sincèrement aux ambassadeurs, et
leur avait fait dire vérité par Jeaq Canet,
Ces nouvelles , qui faisaient si bien connaître
l'état des choses, et d'où l'on pouvait prévoir ce
qui 2^'riverait, ne changèrent rien pour le mo*
meiit à 1^ conduite du duc de Bourgogne. Il ne
quitta point son armée, et continua à s'occuper
uniquement de délivrer son duché. La ville la
plus impof*tante qui fut tombée Bu:i maips des
Français était Avalon ' ; ^n fameux chef de com-
' Histoire de Bourgogne.
EN BaURGOGNE (1435). 393
pagnie, nommé Fortepice, s'en était emparé. Le
Duc vint s'établir à Ëpoisses, et commença le
siège. Il eût bien voulu ménager une ville qui
était à lui; mais la garnison répondit qu'elle
voulait du moins avoir la gloire de se bien dé-
fendre. Alors on rassembla de l'artillerie ; on fit
venir de Dijon, à grand'peine et à grands firais«
un gros canoin qui se nommait la Bombarde de
Bourgogne. Les États furent de nouveau réunis ,
car tous ces sièges coûtaient beaucoup; ils con-^
sentirent à avancer les termes de paiement du
dernier subside.
La garnison d'Âvalon résista vaillamment ; mais
enËfïf k>rsque la brèche fut grande et la ville
presque toute ruinée, après avoir soutenu un
premier assaut, les assiégés n'attendirent pas le
second , et trouvèrent moyen de s'échapper pe|i-
d^nt la nuit*. Le Duc entra dans Âvalon le 21 oe^
tobre, s'occupa de rétablir un peu cette malheu-
reuise ville et d'y rappeler les habitans ; puis il
laissa les sieurs de Chami et de Croy, diargés
de reprendre Grevant , Mailli et les autres forte-
resses du pays d' Auii^ois que les Français tenaient
encore.
* Monstrelet.
394 COMPLOT CONTRE LE CHANCELIER
 peine était-il de retour à Dijon, que la Du-
chesse accoucha d'un fils le 10 novembre 1433;
il eut pour parrains Charles de Bourgogne , comte
de NeverSt et le sire Jean de Croy ; sa marraine
fut madame Agnès de Bourgc^e, comtesse de
Clermont. Il ftit nommé Charles, du nom de son
parrain» et Martin, à cause du jour de son bap-
tême. Dès sa naissance il eut le titre et Tapanage
de comte de Charolais ; son père lui donna aussi
Tordre de la Toison-d'Or'. La Duchesse sa mère
voulut, contre Fusage, le nourrir de son pr(^re
lait ; elle avait perdu ses deux premiers enfans
lorsqu'ils suçaient le lait d'une nourrice étran-
gère, die pensa que cette fois elle serait plus heu-
reuse si elle remplissait tout son devoir de mère.
D'ailleurs on disait que son père , le roi de Por-
tugal, lui avait prédit, quand ils s'étaient séparés,
qu'elle consei'verait seulement l'enfant qu'elle
nourrirait.
 cette occasion , le Duc tint un chapitre so-
lennel de l'ordre ; il y nomma sept nouveaux che-
valiers, des premiers de sa cour et de ses princi-
paux capitsûnes. Ce fut dans cette cérémonie qu'il
fit au sire de la Tremoille, seigneur de Jonvelle,
< Chronique de Hollande.
DE BOURGOGNE (1454'). 395
scm premier chambellan, une réprimande frater*
nelle pour avoir gravanent manqué à ses devoirs
de chevalier de Fordre. .
Le chancelier de Bourgogne, Nicolas Raulin,
avait découvert, peu de mois auparavant, que le
sire Guillaume de liochefort tramait quelque mau-
vais dessein contre lui ; il avait fait arrêter ce gen-
tilhomme; puis, en prés^oe du sire de Charoi,
gouvet*neur de Boui^ogne, et de plusieurs con^
seillers, il lui avait fait subir plusieurs interroga-
toires. Le sirè de Rochefôrt avait raconté com^-
ment, l'année précédente, un peu avant les
confér^ices d' Auxérre , le sire George de la Tre-
moille^ alors principal conseiller du roi de F rance,
ayant fait un voyage en Bourgogne poyr conférer
de la paix avec le Duc, avait appelé près de lui le
sire de Rosimbos et lui déposant. Il avait com-
mencé par leur parler des bons services qu'ils
avaient rendus et rendaient encore au duc de
Bourgogne ; il s'était étonné de la modicité de leur
fortune, et du peu de générosité du Duc qui, di^
sait-il, ne savait faire de bien à personne. De là il
passa à leur offrir un moyen de s'enrichir à ja-
mais : il ne s'agissait que d'enlever le chancelier
* 1455; V. st. L'année commença je 27 mars.
396 CONCILE
de Bourgogne, dont les conseillers de France
étaient mécontens dans les négociations pour la
paix, et de le livrer au roi. La chose ne serait
pas difficile, continuait le sire de la TremoiUe. 11
promettait pour ce dessein Tappui secret de son
frère le sire de Jonvelle, et de son cousin le
comte de Joigny ; il annonçait aussi que la forte-
resse de Saint-Florentin serait ouverte comme
lieu de sûreté aux exécuteurs du complot. Le sa-
laire de cette entreprise devait être de cent mille
livres. Le sire de Roehefort ne s'était engagé à
rien, assurait-il; toutefois il confessait avoir reçu
à compte deux cents livres, et le sire de Rosimbos
soixante ou quatre-vingts. Puis il s'était rendu au-
près du sire de Jonvelle et du comte de Joigny,
qui l'avaient fortement pressé d'exécuter ce pro-
jet; mais il ne l'avait point voulu. Le sire de Ro-
simbos était revenu encore à son château de
Roehefort lui faire de nouvelles instances, et, à
son refiis , s'était chargé seul de l'afËdre. Deux
fois il s'était embusqué a^vec quarante honunes
sur la route de Dijon à Âuxerre, lorsque le chan-
celier se rendait dans cette ville, sans pouvoir
néanmoins accomplir son entreprise.
Le Duc voulut lui-même entendre le sire de
Roehefort ; devant le prince il accusa moins for-
DE BALB (1434). 397
traient le sire dé Rosimbôs, mais persista dans
son dire contre le sire de Jonvelle. C'était la se-
conde fois depuis un an que le nom de ce sei-
gneur, honoré de toute la Ëiveur du Duc, se
trouvait mêlé dans des desseins criminels. Toute*
fois ce ne ftit point en souverain que le duc de
Bourgogne lui parla , mais comme grand-maitre
de Tordre et frère en chevalerie.
Le Duc se rendit de là à Chambéri avec une
suite brillante , pour assister aux noces du comte
de Genève, fils du duc de Savoie. Ce fut à ce
prince une nouvelle occasion de presser son ne-
veu de Bourgogne de traiter de la paix '. Le duc
de Bar et le sire Christophe de Harcourt, qui se
trouvaient à ce mariage , tent^ent aussi de re-
commencer quelque négociation. Tout le soin du
conseil de France était toujours de conclure une
paix séparée avec lé duc de Bourgogne.
Quant à lui , il voulait tenir les promesses qu'il
avait faites aux Anglais, et proposait des confé*
rences entre toutes les parties; c'était aussi ce
que souhaitait le conseil du roi Henri. Ses am-
bassadeurs et ceux dé Bourgogne avaient at-
tendu vainement les ambassadeurs de France
' Guichenon.
A
398 CONGILÏ
à Calais depnis le 15 cdchte jusqu'à la fin du
mois.
Le conseil de France, qui voyait la guerre
rallumée sur les fronlières de la Bourgogne , et
qui attendait aiossi Fissue de quelques entreprises
tentées dans le Maine et en Picardie, s'était re-
iusé à ces négociations générales ; ilr mettait d'ail-
leurs quelque espérance dans le changaoaient qui
se faisait en ce moment dans l'esprit de T^npe-
reur Sigianond '• Après avoir été favorable au
parti du duc dé Bourgogne, il devenait chaque
jour {dus contraire à ce prince et plus fsvoraUe
au roi de France. Voici les causes qui amenaient
ce changement.
Le concile de Constance , en se sépaifunt , avait
réglé qu'un autre concile général s'assemblerait
cinq ans après; un second, après un autre in-
tervalle de sept ans; puis régulièrement de dix
ans en dix ans. Il y avait eu ^i eflfet, ea 1423, un
concile à Sienne; mais les troubles et les actions
l'empêchèrent de produire aucun finit; il se sé-
para en indiquant la prochaine réùnic a Baie.
Plus de sept ans étaient déjà passés, et le ccmdle
' Lettre de Guillaume Menard au duc de Bourgogne , 5 noyem-
bre 1455.
DE BAIE (1434). 399
ne s'assemblait pas. Cependant FÊglise avait de
graves affaires à régler ; on avait reconnu à Coor
stance la nécessité de la réformer dans son chef
et dans ses membres; les désordres du dergé
étaient un scandale pour les peuples; les hérésies
de Bohâne n'étaient point éteintes, et répan-
daient le trouble en Allemagne; FËglise grecque,
qui voyait les Turcs envahir les restes de Tempire
d'Orient et menacer Constantinople chaque jour
davantage , cherchait à se réunir à TËglise ro-
maine, afin de s'assurer l'appui de FOccident;
enfin les guerres des princes chrétiens et Thor-
rible état où était réduit le royaume de France ,
appelaient toute la pitié et tous les soins de l'Ë-
glise. Ce fut le clergé de France qui le premier
travailla à la réunion du concile ; ses députés
arrivèrent à Bâle , en 1431 , avant ceux d'aucune
autre nation, et obéissant de leur propre mouve-
ment aux décrets des conciles de Constance et de
Sienne. L'empereur Sigismond s'empressa d'y
envoyer aussi les députés de ses États. Son
royaume de Bohême était en grand désordre par
l'hérésie; d'ailleurs nulle part le dergé n'avait
plus besoin d'être réformé qu'en Allemagne \
■ Histoire ecclésiastique.
\
400 CONCILE
Le pape Eugène TV , qni aTait succédé à Mar-
tin y » vit avec chagrin ce concile qui s'assemUait
de 8oi*màne et sans son autorite; d'ailleurs il
redoutait la réfwme que tous les gens sages re-
gardaient comme si nécessaire » et voyait bien
qu'elle restreindrait son pouvoir. Il voulut dis-
soudre le concile de Baie, et le transférer à
Bologne, dcmnant pour cela des motifs qui n'a-
vaient rien de vrai , comme le peu de sûreté du
séjour de cette ville , à cause des querelles du duc
de Boiurgogne et du duc d'Autriche pour la suc-
cession de madame Catherine de Bourgogne,
duchesse d'Autriche; querelles qui furent aussitôt
apaisées. Le pape alléguait aussi que le concile
serait trop éloigné des pays de l'Église grecque,
tandis qu'on était beaucoup plus rapproché de la
Bohême, où régnait l'hérésie. Les pères du con-
cile, qui voulaient délibérer librement, et qui
savaient bien qu'en Italie on ne pourrait point
aussi facilement procéder à la réforme^ résis-
tèrent à la volonté du pape. Les choses s'enveni-
mèrent; le pape prononça la dissolution du
concile; les pères se refusèrent à obéir; ils pro-
clamèrent, comme on avait fait à Constance, que
l'autorité souveraine de l'Église résidait dans le
concile général, et que le pape, chef ministériel
DE BALE (1431 £T ANN. SUIY.). 401
(le l'Église, n'était pas au-dessus de ce corps
mystique ^ Bientôt il fut quei$tion de déposer le
pape.
L'Église de France montra un grand zèle pour
le maintien du concile. Les évéques s'assemblèrent
à Bourges et prièrent le roi d'envoyer des am-
bassadeurs au pape pour l'engager à ne pas dis-
soudre le concile 9 et au concile pour prendre
part à ses travaux. Le roi de France et l'empereur
Sigismond se trouvèrent ainsi les protecteurs du
concile. Le duc de Bourgogne inclina au contraire
vers le parti du pape.
Dès le commencement du concile * , il s'était
élevé des difficultés pour le rang que devaient
occuper les ambassadeurs de Bourgogne; ils
avaient réclamé le pas sur les ambassadeurs de
Savoie, et l'avaient obtenu, parce que leur sou-
verain avait le titre de duc plus anciennement
que le prince de Savoie , qui l'avait reçu en 1417
seulement. Mais les pères du concile, qui auraient
craint de mécontenter l'empereur, ne rendirent
pas un jugement si favorable dans la querelle de
préséance des ambassadeurs bourguignons avec
I Réponse synodale du concile de Baie.
* Ilisloire de Bourgogne. — Histoire ecclésiastique.
TOMt T. 5* «DIT. ' 20
402 CONCILE
les ambassadeurs des Électeurs de rÂllemagne.
Ils ne voulurent point prononcer définitivement»
et se contentèrent de régler que , par provision ,
le premier des ambassadeurs de Bourgogne,
mais non point l'ambassade entière , se placerait
tout de suite après les ambassadeurs des rois. Le
duc Philippe 9 qui était très-jaloux de sa propre
grandeur, se tint fort mal satisfait de ce juge-
ment du concile.
Dès qu'il fîit question de citer le pape au con-
cile, et de le déposer s'il ne se rendait point à la
citation , les ambassadeurs de Bourgogne et de Sa-
voie protestèrent contre le décret, c Nous voyons
avec douleur^ disaient-ils, qu'une telle discorde
entre le saint concile et notre très-saint père le
paj^e ramènera le schisme et le scandale dans la
chrétienté ; c'est pourquoi nous protestons, au nom
du Duc notre maître, dans la forme la meilleure,
contre le décret de citation, contre tout ce qui
s'ensuit ou peut s'ensuivre, jusqu'à ce que nous
ayons reçu des ordres contraires de la part du
duc de Bourgogne, notre souverain seigneur \ >
Le concile, affligé de la protestation d'un si
puissant prince, lui envoya une députation pour
* Guichenon. — Histoire de Bourgogne.
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DE BALE (1451 ET ANN. SUIV.). 403
lui rendre compte des motifs qui avaient dicté la
conduite du concile, et l'engager à faire la paix
avec la France. Mais avant que le Duc pût donner
sa réponse y il avait eu de nouveaux motifs de
plainte. Dans une assemblée du 17 août 1433, on
avait lu des lettres du roi d'Angleterre où il
prenait le titre de roi de France. Les arche-
vêques de Bourges et de Tours réclamèrent tout
aussitôt les droits de leur roi; les Bourguignons
prirent parti pour F Angleterre; une querelle
vive s'éleva. Les Français s'exprimèrent en pa-
roles injurieuses contre le duc Philippe. Le dés-
ordre se mit dans le concile ; les Bourguignons y
furent publiquement appelés du nom de traîtres.
Le Duc, apprenant ces nouvelles, envoya sa
réponse par une ambassade nombreuse et bril-
lante, composée des principaux évêques de ses
Ëtats, de seigneurs illustres et puissans, de quel-
ques uns de ses conseillers et d'habiles docteurs.
Ils étaient chargés de dire, 1^ que nul ne désirait
plus la paix que le Duc , comme en effet il y était
tenu pour l'honneur de Dieu et par compassion
des maux du royaume , où il possédait de si
grandes seigneuries; mais qu'on avait pu juger
qu'il était enclin à prendre tputes les voies rai-
sonnables pour terminer la gudrre.
404 CONCILE
^. Que le Duc était disposé à adhérer aux dé-
crets du saint concile, pour la réforme de l'Église
et la paix de la chrétienté ; mais que rien ne pou-
vait lui être plus déplaisant que le différent élevé
entre le saint père et le saint concile ; qu'il allait
employer ses soins et envoyer une ambassade
au pape pour l'apaisement de cette discorde, et
qu'il demandait qu'on différât de trois mois la
citation faite au pape«
S**. Que l'on avait fait injustice au Duc, en ne
reconnaissant point combien sa dignité était su-
périeure à celle des Électeurs.
Enfin les ambassadeurs étaient chargés de ré-
pondre à toutes les imputations injurieuses faites
par les partisans du roi Charles, et de produire
les pièces concernant le meurtre du duc Jean.
Les pères du concile accordèrent en effet un
délai au pape ; tous les princes de l'Europe, crai-
gnant le retour du schisme , avaient été sur ce
point du même avis que le duc de Bourg<^e,
sans toutefois donner des ordres si absolus à
leurs ambassadeurs. Les siens devaient se retirer
du concile , si satisfaction ne leur était pas donnée
à cet égard et sur l'article de la préséance.
Le pape céda aussi a la prière de tous les princes
de la chrétienté; il reconnut en ce moment le
DE BALE (1431 ET ANN. SUIY.). 405
concile de Baie , que plus tard il voulut encore
dissoudre.
Le duc de Bourgogne., après de nouvelles in-
stances et de nouvelles menaces, eut de même
satisfacàon pour le rang qu'il prétendait. Les
pères du concile reconnurent que ses ambassa-
deurs venaient inunédiatement après les ambassa-
deurs des rois. Malgré l'empereur, les Électeurs
d'Allemagne nepurent obtenir le pas. Sa mauvaise
volonté contre le Duc croissait de jour en jour.
Ce prince avait été obligé de quitter encore
une fois la Bourgogne, où sa présence était pour-
tant bien nécessaire; il y laissa la Duchesse, as-
sistée de sages conseillers , et surtout des sires
Jean et Antoine de Vepgi; puis, vers le mois
d'avril 1434, il retourna en Flandre. Les sédi-
tions des Gantois avaient continué ' ; cependant
les magistrats de la ville et les sages bourgeois
l'avaient emporté cette fois sur les gens des mé-
tiers. Sept des principaux mutins de la corpora-
tion des foulons avaient été mis à mort , et la ville
commençait à être tranquille. Le bon ovàre était
plus troublé encore par la guerre que les gens
d'Anvers faisaient à ceux de MaÙnes \ Ils s'é-
' Ilcuterus. — Monstrclct. — * Monstrelet.
406 l'empereur se décjlare
taient alliés à la ville de Bruxelles , et Q y avait
déjà eu de rudes rencontres. 11 s'agissait des
foires et marchés, pour lesquels les deux partis
étaient en grand procès. Le Duc réussit à les
pacifier.
Le but principal de son voyage avait été de se
procurer de l'argent; son duché de Bourgogne
était épuisé, et il était plus que jamais menacé de
toutes parts. L'empereur s'aigrissait de plus en
plus contre lui, et recherchait chaque jour de
nouveaux sujets de griefe. Gomme la Hollande et
une part de ses nouveaux domaines relevaient de
l'empire, il était £sicile d'élever quelques diffi-
cultés sur une possession qu'il devait à la puis-
sance de ses armes, et non à l'investiture impé-
riale. L'empereur tâchait màne de détacher de
lui son plus fidèle allié, le duc de Savoie'; il
écrivait en ces termes à ce prince :
€ Le noble Philippe duc de Bourgogne , vassal
et sujet de nous et du saint empire , méprise notre
majesté impériale et l'empire, auquel il doit
cependant soumission , au point de ne pas vou-
loir reconnaître ce qu'il tient de nous et de
l'empire , comme l'avait reconnu le Duc son père
1 Preuves de l'Histoire de Savoie.
CONTRE LE DUC (1434). 407
durant sa vie. En outre , il retient dans la basse
Allemagne plusieurs principautés et nobles sei-
gneuries qui devraient être dévolues à nous et h
l'empire; d'autres mêmes qui nous reviennent
par droit héréditaire ; et cela sans que nous en
soyons prévenus, bien plus, malgré nos réclama-
tions. Sous une feinte couleur de droit, dédai-
gnant tous les égards dus à son souverain , il a
usurpé ces domaines et s'y maintient indûment
Depuis long-temps nous aurions dû procéder
contre lui, en raison de son exécrable violation
de justice et de son esprit de révolte. Toutefois
nous avons retenu notre bras, et nous l'avons à
diverses reprises fait rappeler, par ses ambassa-
deurs, à des sentimens plus pacifiques, en ren-
gageant à accomplir ses devoirs envers nous et
l'empire. Cependant notre bonté n'a servi de rien
auprès dudit Duc ; tout a échoué devant sa négli-
gence ou plutôt devant sa vaine présomption.
C'est pourquoi, courroucés des méfaits dudit
Duc, pour réprimer son insolence > pour le rame-
ner à son devoir et à l'honneur, et pour recou-
vrer les droits du saint empire, nous avons
contracté alliance contre ledit Duc, avec le séré-
nissime prince Charles, roi des Français, notre
frère très-chéri. Nous avons voulu vous faire
408 NOUVEAUX EFFORTS
connaître nos desseins et les notifier a votre af-
fection , afin que vous puissiez vous conduire de
façon à ce que nos droits et ceuit de l'empire
soient recouvrés, pour que vous vous sépariez
dudit Duc , et que vous ne lui procuriez ni laissiez
procurer par vos peuples aucun aide ni secours. »
Peu après, Fempereur envoya ses lettres de
défi au duc de Bourgogne. Ce prince savait bien
que Fempereur. n'avait aucune armée en Alle-
magne , et n'y faisait même nuls préparatifs \ Ce
n'étaient que pures menaces; néanmoins l'al-
liance avec le roi Charles, solennellement re-
connue, rendait le conseil de France plus
exigeant, et ranimait l'espérance et l'audace des
capitaines français. Leurs forces n'étaient pas
grandes : l'argent leur manquait ; ils ne pouvaient
tenter d'autre guerre que par courses et par
compagnies; mais leurs attaques avaient recom-
mencé contre le pays d'Auxerrois. Le sire de
Château-Yiiain avait repris les armes; le comte
de Clermont, qui, l'année d'auparavant, avait
encore conclu une trêve, la rompit, et entra
dans le Charolais. Il venait de perdre son père
* Lettre tics ambassadeurs cVAnglcterrc près le concile au duc de
Bourgogne.
DES FRANÇAIS (1454). 409
le duc de Bourbon, mort en Angleterre» et c'était
un médiateur de moins pour la paix. Le roi de
France, afin de se procurer de l'argent» ayait
quitté les pays de la Loire , pour aller tenir les
Ëtats du Languedoc, a Vienne en Dauphiné*
Tout en ce moment semblait aller quelque peu
mieux pour la France» du moins dans sa guerre
contre la Bourgogne ; toutefois, de part et d'autre
les peuples étaient malheureux et épuisés , la no-
blesse fatiguée et sans ardeur.
Le Duc, dans ces circonstances, envoya encore
des ambassadeurs en Angleterre, pour engager
le roi Henri à traiter de la paix , ou du moins à
faire de son côté quelques efforts pour soutenir
la guerre. Le roi d'Angleterre les reçut solen-
nellement dans son conseil , et leur fil donner une
réponse, qu'il adressa aussi, le il juin, au duc
de Bourgogne '.
Il protestait de sa bonne volonté pour la paix ,
et déclarait que les conférences indiquées par lui
n'ayant eu aucun effet, ou n'ayant encore pas eu
lieu, il avait donné pouvoir à ses ambassadeurs
au concile de traiter de la paix , afin de relever
enfin son royaume de France du pauvre et misé-
rable état où il était tombé.
* Pièces de THis loi rc de Bourgogne.
410 NOUVELLE AMBASSADE
Quant à la guerre, il donnait au Duc les plus
grandes louanges sur ses exploits de Tannée pré-
cédente, sur la vaillance qu'il avait montrée,
sur Faccroissement de sa noble renommée. Il
promettait en même temps de le seconder de
tout son pouvoir, et s'attachait à bien faire voir
qu'il n'avait rien n^ligé pour soutenir la guerre
en France. Il parlait des nombreuses garnisons
qu'il y tenait, des fortes dépenses qu'il lui avait
Êdlu faire. Il avait encore trois armées en France,
sous le commandement du comte d' Arundel , de
lord Talbot et de lord Willoi:^hby , et il envoyait
en ce moment même de beaux et notables ren-
forts. U ajoutait que si les ennemis voulaient
réunir leurs forces et livrer bataille, toutes les
armées d'Angleterre avaient ordre de se joindre
avec les armées de Bourgc^e pour combattre
d'un commun accord.
U était vrai que les Anglais avaient, depuis
plusieurs mois , fait de nouveaux efforts et repris
quelque avantage. Les rebellions de Normandie
une fois étouffées , le comte d' Arundel était rentré
dans le Maine. Il avait mis le siège devant cette
redoutable forteresse de Saint-Celerin , où les
Français se tenaient depuis plus de deux années.
Le duc d' Alençon et son maréchal le sire de Loré
EN ANGLETERRE (1434). 411
n'ayaient pas les forces suffisantes pour défendre
le pays , ni pour secourir Saint-Gderin* Mais à
ce m(»nent le connétable de Richemont ' conh
mençait à se réconcilier avec le roi, qui n'avait
plus maintenant près de lui son cruel ennemi, le
sire de la Trémoille. 11 assembla à Saumur tout
ce qu'il put réunir de gens de guerre, pour mar-
cher au secours de Saint-Celerin. Il était trop
tard : la forteresse venait de se rendre après un
siège de trois mois , et lorsque les principaux ch^
valiers et écuyers qui la défendaient avaient été
tués sur la brèche \
Le comte d'Ârundel s'en alla ensuite assiéger
Sillé-le-Guillaume. Le capitaine de cette foi1:eresse
traita tout aussitôt , et promit de se rendre dans
six s^odaines, si auparavant les Français ne pa-
raissaient pas en force supérieure aux Anglais
sur la lande du Grand-Ormeau, à une lieue de là.
A cette nouvelle, les chefs français se pres-
sèrent de rassembler, chacun de son côté, le
plus de monde qu'ils purent. U se fit ainsi une
belle et nombreuse année. Le connétable, le duc
d'Alençon, Charles d'Anjou, comte du Maine;
^ Mémoires de Richemont. ■
' Chartier. — Hollinshed.
412 GUERRE
Ambroise de Loré, les maréchaux de Rieux et de
Raiz , Gautier de Brussac , étaient tous réunis. Us
avaient ayec eux une foule de gentilshommes de
Normandie et du Maine , qui , ne s'étant pas sou-
mis aux Anglais 9 vivaient pauvrement et dans la
détresse sur les marches des provinces conquises,
aussi près qu'ils pouvaient de leurs seigneuries
usurpées, de leurs domaines ravagés; toujours
disposés à faire quelque entreprise dans les can-
tons qu'ils connaissaient bien, et où ils avaient
des intelligences.
Le comte d'Arundel et lord Scales avaient
aussi amené toutes leurs forces. Les deux armées
ainsi rapprochées passèrent deux jours en pré-
sence , se bornant à des escarmouches. Cependant
les Français vinrent se ranger en bataille sur la
lande du Grand-Ormeau. Les Anglais étaient
aussi en belle et forte position ; on pensait que la
bataille allait se donner. Le comte du Maine requit
le connétable de lui conférer la chevalerie. Bien
que le duc d' Alençon fût un plus grand seigneur,
il lui sembla plus honorable de la tenir d'un ca-
pitaine aussi renommé que le connétable. Des
que le jeune comte du Maine fut chevalier, il
donna la chevalerie à beaucoup de gentilhommes
de cette armée, aux sires de Beuil, de Cœtivy,
DANS LE MAINE (1454). 413
de Chaumont, et d'autres. Le connétable fit
aussi chevalier Gille de Saint-Simon et quelques
autres hommes d'armes de sa maison.
Malgré tant d'apprêts, on ne combattit point;
chaque armée trouvait l'autre en trop bonne po-
sition. L'heure de midi du jour marqué étant
passée, le connétable envoya signifier que les
Français étaient au Grand-Ormeau , que les otages
donnés par la garnison de Sillé-le-Guillaume de-
vaient être rendus, et le traité regardé comme
non avenu. Les Anglais confessèrent qu'il en
était ainsi, et renvoyèrent les otages. C'était la
première fois , depuis long-temps, que les Fran-
çais venaient, au jour dit, secourir une de leurs
villes. Ce n'est pas que celle-là en valût beaucoup
la peine ; d'ailleurs elle était environnée de gar-
nisons ennemies, et loin des cantons où les Fran-
çais avaient leurs forces; mais on avait voulu
montrer qu'on ne craignait pas les Anglais. Dès
le lendemain, le connétable proposa de brûler
Sillé-le-Guillaume et de couper la tête à Aimery
d' Anthenèse , qui avait fait la capitulation. Le sire
de Beuil, dont il était le lieutenant, s'y opposa,
et promit que dorénavant il se défendrait bien.
L'armée de France se retira, et peu après le
comte d'Arundel revint sur Sillé et le prit; pous-
414 GUERRE
sant plus Imn , il vint presque jusqu'aux portes
d'Angers.
Le connétable avait quitté ce pays , et s'était en
aUé à Vienne en Dauphiné trouver le roi , pour
r^ler toutes les affaires de la guerre. Il en reçut
cette fois un fort bon accueil. Tout le conseil et
les chefs de France se trouvaient maintenant en
bon accord. Il fut convenu que le connétable
irait 9 avec une forte assemblée de gens d'armes ,
guerroyer sur les marches du Valois et de la Pi-
cardie, ou les Anglais et les Bourguignons fai-
saient de grands progrès \
C'était de ce côté-la que la Hire, Saintraille,
Antoine de Chabannes, le sire de Longueval, le
sire de Blanchefort, et d'autres capitaines se
maintenaient depuis environ deux ans, prenant
et perdant tour à tour des forteresses, courant le
pays avec des compagnies et des garnisons , à la
grande désolation des habitans. Ils poussèrent
jusqu'à Cambrai, dévastèrent tout sur leur pas-
sage, entrèrent dans les domaines du sire de
Luxembourg comte de Saint-Pol , et brûlèrent la
ville et le château de Beaurevoir. Ce seigneur,
après avoir repris la forteresse de Saint- Valeri
* Monstrelet. ~ Bidicmont.
EN PICARDIE (14S4). 415
sur le sire de Gaucourt qui s'en était emparé,
venait de mourir de l'épidémie qui désolait tous
ces malheureux pays. Son fils et son héritier
n'avait pour lors que quinze ans; personne ne
veillait plus à la défense de son héritage, au mo-
ment où la Hire s'y jeta à l'improviste.
Mais le comte de Ligni , frère du défunt comte
de Saint-Pol, se mit bientôt à la tête de quatre
ou cinq mille combattans, et, avec toute la no-
blesse de Picardie, il commença à faire une rude
guerre aux Français. Il reprit plusieurs forte-
resses, et n'accordait guère de merci aux garni-
sons ni aux prisonniers. Un jour, entre autres,
que la garnison française de Laon avait fait une
course, jusqu'à Vervîns, et brûlé les faubourgs
de Marie, le comte de Ligni, ayant réuni au plus
vite quelques garnisons bourguignonnes, che-
vaucha si promptement, qu'il rejoignit les Fran-
çais comme ils retournaient à Laon. Aussitôt il
se jeta tout au travers, sans même attendre que
tous ses gens fussent arrivés. La mêlée fut vive.
Le comte de Ligni fit de merveilleuses prouesses,
ainsi que le sire Simon de Lalaing. Les Français
furent entièrement défaits; près de deux cents
périrent, et l'on en prit soixante ou quatre-
vingts. Le comte ordonna qu'ils fussent tous mis
416 L£ DUC REVIENT
k mort. Parmi ces prisonniers était un gentil*
homme nommé Arcancel, qui, trois jours aupa-
ravant » avait sauvé la vie au sire de Lalaing , que
les gens de la commune de Laon avaient pris et
voulaient massacrer. Maintenant c'était à lui
qu' Arcancel venait de se rendre , et cependant il
ne put le sauver de Tordre du comte de Ligni. Il
n'y eut pas plus de merci pour lui que pour les
autres , malgré les instances du sire de Lalaing.
Ce jour-là le jeune comte de Saint-Pol avait, pour
la première fois, suivi son oncle, qui, pour l'ac-
coutumer à la guerre , lui fit tuer de sa main
quelques uns de ces prisonniers. Cet enfant y
prenait, dit-on, grand plaisir '. Ce fiit lui qui de-
vint par la suite connétable de France, et a qui le
roi Louis XI fit trancher la tête.
Le duc de Bourgogne, afin de pourvoir à la
défense de ses frontières du côté de la Picardie ,
y forma une armée considérable, et la mit sous
le commandement de son cousin Jean de Nevers,
comte d'Ëtampes, qu'il avait amené de Bour-
gogne. Avec lui se trouvaient les sires d' Antoing ,
Jean de Croy, de Saveuse, Baudoin de Noy elles,
Valeran de Moreul, le vidame d'Amiens et beau-
coup d'autres vaillans chevaliers.
* Monstrelet.
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EN BOURGOGNE (1434). 417
En même temps lord Talbot arrivait de Rouen
avec mie armée anglaise, et attaquait le pays de
Beauvais. Creil venait d'être pris, après qu'A-
madoc, frère de la Hire, qui défendait la ville,
eut été tué. C'était pour secourir ces contrées que
le connétable , d'après ce qu'on venait de régler
dans le conseil du roi, s'était mis en route avec
quatre cents lances et le bâtard d'Orléans. Ils
avaient passé par Blois, Orléans, Melun, Lagni,
Senlis, et ils étaient arrivés à Compiègne. Il
fallut tout aussitôt diviser les forces, en envoyer
une partie à Laon, sous les ordres du sire de
Saint-Simon, pour aider Saintraille, qui était
serré de près par le comte de Ligni ; une autre ,
avec le connétable lui^néme, porta secours à la
Hire, qui défendait Beauvais, menacé par lord
Talbot , et où les gens de la commune étaient en
grande discorde avec la garnison ; enfin le bâtard
d'Orléans et le maréchal de Rieux restèrent à
Compi^[ne, car les Anglais étaient en bon nom-
bre tout auprès, à Verberie.
A ce moment même, le duc Philippe s'en al-
lait avec deux mille combattans en Bourgogne ,
où le rappelaient encore ses sujets envahis et
menacés par le duc de Bourbon. Il se rencontra
presque avec les Français que le^sire de Saint-
TOMÏ y. 5* IDIT. ^7
418 GUERRE
Simon conduisait au secours de Laon. Il avait
bien plus de monde, et il aurait pu facilement
obtenir quelque avantage sur cette troupe '. Il
préféra continuer son chemin et se rendre sans
dâai dans son duché. Toutefois le comte de Ligni
le pria de ne point passer sans le secourir. Alors
il s'arrêta deux jours, non pour combattre , mais
pour conclure un traité avec les Français. Il fut
convenu que la forteresse de Saint-Yincent^ qui
était occupée par les gens du comte de Ligni , et
qui gênait beaucoup la ville de Laon, serait démo-
lie, mais qu'auparavant la garnison qui y était
assiégée sortirait sauve de corps et de biens.
On n'avait pas attendu le Duc pour commencer
la guerre en Bourgogne; les États s'étaient as-
semblés et avaient encore accordé des subsides.
Presque toute la noblesse avait pris les armes,
et , sous le commandement de sire Jean de Vergi,
était allée mettre le siège devant Grancey, la
principale forteresse du sire de Château-Vilain.
Elle était située de façon à se pouvoir défendre
facilement > et bien pourvue de toutes munitions.
Le si^e dura trois mois et entf ajna de grandes
dépenses. Le sire de Château-Vilain essaya tle le
' Monstrelet. --^ Rkhemont.
Eli BKAUIOLAIS (1454). 419
ùàte lever; mais les gens qu'il rassemUa n*é-
failli point assez nombrenx pour déloger les
assi^eans. N*ayaait pas Tespoir d'êlre secourue,
et sadant que le duc de Boui^ogne arrivait, la
gamiscm se rendit; pour ne pas retarder les
autres entrejvises, le sire de Vergî accorda de
bonnes conditicHis.
Le Duc, dès qu*il fut en Bourgogne, commença
par enkYoyer assi^er la forteresse de Chalamont
en Dorabes. La garnison avait peu d'espâramce de
résister à une armée si nombreuse et munie
d'une si forte artillerie ; cependant ^e se défendit
avec vaiBance. Le bâtard de Saint-Pol, qu'on
nommait maintenant le seigneur de Haultbour-
din , lorsqull l'eut forcée à se rendre à discrétion ,
fit pendre cent de ces malheureux prisonniers.
Parmi eux se trouvait le fils du seigneur Rodrigue
de YiBandrada \
En peu de jours, presque toutes les villes et
forteresses que les Français avaient prises dans
la Bourgogne rentrèrent sous le pouvoir du
Due. Pour lors> divisant son armée, il en en-
voya une partie , sous les ordres du seigneur de
Haultbourdin, courir sur le pays de Lyonnais;
' Monsirelet . — Abrégé ehronologiq. — Meyer . — Saint-Remi .
420 GUERRE
Tautre, commandée par Pierre de Beauffremont,
sire de Charni , alla dans le Beaujolais assiéger
Yillefranche, qui est la principale ville, et où se
trouvait le duc de Bourbon. Ses forces étaient
trop inégales pour pouvoir tenir la campagne.
Une compagnie de six cents hommes se retira
précipitamment dans la ville devant les Bourgui-
gnons, qui étaient à peu près trois fois autant.
Dès, que le sire de Charni fut arrivé devant les
portes, il rangea son armée; et envoya un pour-
suivant d'armes signifier son arrivée au duc de
Bourbon. Ce prince, après en avoir conféré avec
ses conseillers, ne se trouvant point en mesure
de recevoir la bataille, fit répondre que, puisque
le duc de Bourgogne ne se trouvait point là en
personne , il ne combattrait point '. Pour mieux
montrer que telle était sa volonté, il sortit de la
ville, un simple bâton a la main ; sans armure,
vêtu d'une robe longue, sur un cheval qui rie
portait point le harnais de guerre. Dans cet
appareil de paix , il rangea une partie de ses gens
devant les barrières, et il y eut seulement quel-
ques escarmouches et des faits d'armes de peu
d'importance. Les Bourguignons , voyant Villê-
' MoDstrelet.
EN BEAUJOLAIS (1434). 421
franche si bien défendue, allèrent mettre le siège
devant Belleville , que défendait le sire Jacques de
Chabanne. Quelle que fût sa vaillance, au bout
d'un mois il ftit contraint de se rendre.
Le duc de Bourbon était en grand risque de
voir conquérir tout son héritage. Cependant le
duc de Savoie , au lieu d'exécuter un traité qtf il
avait conclu Tannée précédente avec le duc Phi-
lippe, et de lui envoyer, ainsi qu'il en était re-
quis, un renfort de mille combattans pour con-
quérir en commun le pays de Dombes, s'entremit
à l'apaiser. Il traita même avec le duc de Bour-
bon, qui consentit a lui faire l'hommage qu'il
contestait depuis long-temps pour diverses sei-
gneuries.
Madame Agnès de Bourgogne, duchesse de
Bourbon , s'employait aussi de tout son pouvoir
à calmer le ressentiment de son frère. D'ail-
leurs toutes ces guerres, toute cette désolation
du royaume de France n'avançaient à rien pour
personne. Le duc de Bourgogne, loin d'en tirer
aucun avantage et de voir sa puissance s'ac-
croitre , pouvait à peine sauver ses États de la
conquête et des ravages. Les Anglais ne disaient
non plus aucun progrès en France, et n'y avaient
que bien peu de partisans.
422 KNTJVfiYUfi
D'autre part, Teaipereiir reooiunissait le roi
de France, et bien fu'an trouvât qu'A avait été
petitement' conseillé 4e 4éfier le duc 4e Bour-
gogne, son ressentiment était cependant à «consir
dérer. Le duc 4e Bretagne et son frère le conné-
table 4e France avaient recommencé à &ire con-
naître au 4ttc PhiUppe leur intention de traûter
avec la France. Les pères d|i concile de Bàle
renouvelaienl; sans cesse les exiiortatioiis les plus
toucbaatesi pour rappeler les princes à la paix.
Le pape joignait ses instances à celles du candie*.
Bécenunent encore il avait vivement juressé le
Duc de terminer lés maux delà guerre; pour lui
témoigner toute son aff^^etî<m et donner phis de
pouvoir à ses recommandations, il lui avait en-
voyé comme un don prédeux une hostie mirsKni-
leuf 3 qui s'était couverte de sang lorsqu'qn impie
l'avait percée d'un .poignard.
Mais le Duc, tout en se laissant toucher par
tant de puissans motifs, ne précipita rien, et se
montra comme de coutume sage et habile dans
sa conduite. Il donna, ainsi qu'avait Eût le roi
d'Ajqgleterre, plein pouvoir aux ambassadeurs
^ Lettre des ambussadeure anglais au concile^ adressée au duc de
Bourgogne. — * Histoire de Boqrgognf *
DE NBVERS (145IS'). 423
qu'il avait au concile de conclure la paix géniâ-
rale. En même temps , et cette démarche devait
être plus efficace, û traita, sous k médiation du
duc de Savoie, d'une suspension d'armes avec le
due de Bourbon, et convint qu'il se trouverait à
uqe entrevue avec ce prince ; elle fiit d'abord in-
diquée à Decize, en Nivernais; mais c'était un
trop petit lieu pour une telle solennité , et l'on
choisit ensuite Nevers.
Le Duc s'y rendit au mois de janvier 1435, avec
une pompeuse suite % Il avait avec lui son neveu
le comte de Nevers et le duc de Clèves , le inarquisi
de Rothelin et les principaux seigneurs de Bour-
gogne ; il se logea à l'évêché. Peu de jours après
arriva sa soeur, madame Agnès ; il alla au-devant
d'elle, lui donna la main pour descendre de son
chariot, et lui fil publiquement le plus tendre
accueil , car il y avait déjà plusieurs années qu'il
ne l'avait vue. Elle lui présenta ses deux jeunes
fils , qu'il ne connaissait pas encore. Le Duc la
conduisit par la main jusqu'à l'hôtel qu'il lui avait
fait préparer. Le lendemain elle vint le voir , et il
la reçut en lui Ëdsant grande fête ; les danses fu-
rent belles , et les bateleurs que le Duc avait ame^
' 1434, T. st. L'année commença le 17 ayril. — ' Mpnstrelet.
424 ENTREVUE
nés de Bourgc^ne firent de plaisantes momeries.
En* se quittant, Ton prit encore du vin et des
épiées, et il Ait convenu que le lendemain on
commencerait à tenir conseil.
La première chose qui y fiit arrêtée , c'est qu'on
manderait le comte de Richemont, connétables
et Tarchevêque de Rheims, chancelier de France.
Le Duc leur fit tout aussitôt envoyer des saufs-
conduits.
Peu après vint le duc de Bourbon, accompagné
de messire Christophe de Harcourt, du maréchal
de la Fayette , et de plusieurs autres notables che-
valiers du parti de France. Il y avait eu aupara-
vant quelques difficultés sur la préséance , qui
avaient été réglées à l'avantage du duc de Bour-
gogne. Il envoya les seigneurs de son hôtel au-
devant du prince, hors de la ville; lui-même vint
jusqu'à la porte le recevoir. Ils s'embrassèrent
fraternellement, et le Duc le mena souper chez
le sire de Croy . Là , le verre à la main , tous ces
princes et ces grands seigneurs se montraient si
bons amis et si joyeux , qu'il semblait que jamais
ils n'eussent été en discorde et en guerre. Voyant
cette cordiale affection , un des chevaliers de Bour-
' Richemont. — Saint-Reml.
DE NE VERS (1435). 42S
gogne se mit à dire d*im ton assez haut, et sans
se soucier d'être entendu : c Nous autres, nous
c sommes bien malavisés de nous aventurer et
c de mettre notre corps et notre âme en péril
c pour les singulières volontés des princes et des
€ grands seigneurs. Quand il leur plait, ils se ré«
c concilient ensemble , et alors il advient souvent
c que nous demeurons pauvres et détruits. >
Les fêtes recommencèrent pour l'arrivée du
duc de Bourbon , et la magnificence de la maison
de Bourgogne s'y montra dans tout son éclat.
Bientôt après commencèrent les conférences, et
un traité fut conclu entre les deux ducs. Le duc
de Bourbon consentit à rendre honunage de la
seigneurie de Belleville et de quelques autres qui
relevaient du duché de Bourgogne. On réussit en
même temps à déterminer Perrin Grasset à quit^
ter la Charité. C^était un grand motif pour espérer
que les trêves seraient désormais plus solides;
car il n'en respectait aucune , et sa désobéissance
était sans cesse le motif qui faisait reprendre les
armes, ou plutôt empêchait qu'on les quittât
jamais.
Pendant ce temps-là arriva le connétable. Il
avait défendu les marches de Picardie, de Valois,
de Champagne et de Lorraine contre les Anglais^
426 SlITRKVUfi
les Bourguignons et le comte de Ligm ; il s*éiait
efforcé de remettre un peu d'ordre parmi les com*
pagnies françaises', où la Hire, Saintraille et les
autres chefs n'en Élisaient qu'à leur ydonte ; puis,
traversant la Bourgogne, il avait reçu à Dijon
grand accueil de la Duchesse', et il était par-
venu à Nevers à travers les neiges et les glacœ
du plus rude hiver qui se fât vu depuis long*
temps. Le chancelier de France était avec lui. Les
deux ducs, accompagna de toute leur suite, vin-
rent au-devant du connétable et du chancelier, et
leur firent une honorable réception.
Les esprits étaient tout disposés; on avait dqà
parlementa, et dix jours aju^ès les oonventions
suivantes furent arràées entre rarchevéque de
Rheims, messire Christophe de Harcourt, le ma-
réchal de la Fayette, la sire de Croissi, de la part
du duc de Bourbon et du comte de Richemont;
et les sires de Groy, de Charni, de Baussignies,
de Ternant, le chancelier Raulin, seigneur d'Au-
thune, le prévôt du chapitre de Saint-Omer, delà
part du duc de Bourgogne \
' Eieheièoiii. '— Olivier de la Marche.
' SEoiMtrelet^
' Pièces de THistoire de Bourgogne.
DE IfEVEAS (ÎÂSÏ^). 427
Le roi Charles s'engageait à mvi>ye^ des ma^
bassadeurs à une journée cc^yenue d'avance en-
tre toutes les parties» et à faire au roi Henri des
offres raisonnables et tçUes qu'il en devrait être
content. Si en effet il en était contait» le duc de
Bourgogne promettait de ne rien d^odander de
plus pour son compte que les conditions dès à
à présent réglées à la journée de Nevers entre
ses apabassadeurs et ceux de France.
Mais si au contraire le roi d'Angleterre ne vou-
lait point accq;)ter les offres raisonnsd)les cpii lui
;seraient faUes» le Duc devait» de son cûté» faire
tout ce qu'il pourrait et devrait » sauf son bonn^ir»
pour rendre la paix au royaume et le tirer de la
désdaticm et de la destruction; tellement qu'il se-
rait clair qu'il en aurait fait assez.
Et dans le cas où le duc de Bourgogne» tout en
gardant son honneur» laisserait le parti du r<H
Henri pour le parti du rdi Charles , comme vrai-
semblablement le voisiiiage de ses Ëtats avec
TAngleterre et avec les pays occupés par les
Anglais lui serait une occa^on de dommages»
le roi Charles s'engageait k lui céder les villes »
terres et seigneuries situées sur les deux rives
de la Somme , c'est-à-dire le comté de Ponthieu ,
Amiens , Montreuil , Doullens , Saint-Riquier, avec
428 CONTENTIONS
tous les revenus, tant des domaines que des aides;
des tailles et autres redevances, sauf la souve-
raineté, la foi , rhommage et le ressort de justice.
Toutefois lesdites villes et terres seraient rache-
tables au prix de 400 mille écus d'or.
Il Alt aussi convenu qu'on s'occuperait du ma-
riage de monsieur de Charolais avec une des filles
du roi Charles, et des autres mariages qui pour-
raient être profitables au bien du royaume.
Enfin il était réglé qu'au 1^>^ juillet de la même
année on s'assemblerait à Arras pour traiter de
la paix générale. Le Duc se chargeait de le faire
savoir au roi Henri, et de l'engager à envoyer ses
ambassadeurs et des princes de son sang. Le duc
de Boyrbon et le comte de Richemont promet-
taient de s'y trouver; le Duc y serait en personne,
et emploierait ses bons offices pour amener les
Anglais à la paix.
Le roi Charles et le duc de Bourgogne devaient
aussi requérir le Saint-Père d'y envoyer les car-
dinaux de Sainte - Croix et d'Arles pour aider à
conclure la paix , et le prier d'écrire auparavant
au roi Henri ^ en l'exhortant à ne s'y point mon-
trer contraire. Il devait aussi proposer aux pères
' Histoire de Bourgogne.
DE NEYERS (145^). 429
du concile d'envoyer des ambassadeurs à Arràs
et d'écrire au roi d'Angleterre.
Le duc de Bourgogne revint à Dijon, et envoya
aussitôt des ambassadeurs , ainsi qu'il s'y était en-
gagé. La ville de Coulangesrla-Vineuse était en-
core au pouvoir de Fortepice, ce capitaine de
compagnie qui combattait au nom du roi Charles;
mais , comme ses pareUs , il n'agissait qu'à sa vo-
lonté. La Bourgogne était si épuisée d'argent,
qu'il fallut assembler les États et leur demander
un subside pour faire le si^e de Coulanges'.
Lorsqu'il fut entamé , Fortepice demanda à capi-
tuler y et rendit la ville moyennant cinq mille écus
d'or. Il s'en alla ensuite à Bourges, où le conné-
table voulait absolument le faire pendre; car, au
lieu de lui obéir , comme il le lui avait promis ,
après avoir reçu un cheval et de l'argent pour sa
troupe , il était allé courir le pays pour piller et
surprendre la forteresse en violant les trêves.
Cependant ce Fortepice avait rendu quelque bon
office à la ville de Bourges, et les habitans obtin-
rent sa grâce du connétable \
Après avoir nommé Jean de Fribourg, sire de
* Histoire de Bourgogne.
^ Richemont.
430 LE MC
Néufcbâtel, goaverneor ^e Bourgogne, le Doc
assembla ses hommes d'armes de Picardie et
d'Artois, et rq>rh la route de ses États de Fkn-
dre. Il emmenait ayee lui la Diichesse, et Toya-
geait en grand appareil. Elle avak trois chariots
couverts de drap d^or , et une litière 06 était son
fils le comte deCharolais, pour lors âgé d*un peu
plus d'un an. Le Duc avait avec lui trois jeunes
fils bâtards, qui chevauchaient à ses côtés, tout
jeunes qu'ils étaient , car Vaine n'avait que dix ans.
Le reste de son équipage se composait de pins de
cent dhariots chargés d'artillerie, d'armures, de
viviPes salés, de fromages de la Comté , de vins de
Bourgc^ne. On empwtait aussi de quoi dresser
des tentes et camper s'il en était besoin. Enfin
rien ne manquait à son noble cort^e , soit pour
la guerre, soit pour la paix.
Ce fitt de la sorte qu'il fit son entrée à Paris,
où depub si long-temps on se désolait de ne plus
entendre parler de lui '. Ce grand train donna
plus que jamais aux Parisiens l'idée de sa puis-
sance. Il reçut d'eux un joyeux accueil ; c'était en
lui qu'ils mettaient toute leur espérance.
On était à la fin de la semaine sainte ; il fit solen-
* Journal de Paru.
Passe a paris (I45tf). 431
ndiement ses pâques, puis tint cour pléuière, rece-
vant gracieusement tout venant L'Université se
présenta devant lui , et fit un grand discours pour
maintenir k nécessité de faire la paix. Deux jours
après, les daines et les bourgeoises de Paris vin-
rent ea àéfpatiAion à la Duchesse, et la prièrent
bien piteusenaent d'accorder sa recommandation
au rétablissmnent de la paix du royaume. Elle
leur répondit avec douceur et bonté : < Mes bon-
c nés amies, c'est la chose du monde dont j'ai le
< plus grand déiûr. J'en prie jour et nuit le Sel-
c gneur notre Dieu ; car je O'ois que nous en
c avons tous grand besoin, et je sais pour cer-
c tain que monsieur mon mari a très - grande
€ volonté d'exposer pour cela son corps et son
€ bien. > Les dames la remercièrent bien et pri-
rent congé de cette excellente princesse.
Le Duc, en effet, commença à expliquer au
conseil d'Angleterre', qui siégeait à Paris, com-
ment il avait dû , par raison et par justice , en-
tendre aux propositions que le duc de Bourbon et
le comte de Ricbemont lui avaient faites à Nevers.
Il représenta la ruine de ses finances, la difficulté
de faire payer les impôts à ses sujets, la détresse
■ Hittoire de Bourgogne.
432 LE DUC PASSE A PARIS (i43K).
du royaume , les brigandages œmmis par les com-
pagnies, la volonté qu'avaient les princes de
France, ainsi que la plus grande partie des sei-
gneurs et des bonnes villes de ne jamais recon-
naître le roi Henri pour roi , les exhortations du
pape et des pères du concile , l'opinion de tous les
princes de la chrétienté. Tels fosent les motifs
qu'il fit valoir, en annonçant que le sire Hugues
de Lannoy, le sîre de Creyecœur, et maître Quen-
tin Menard, prévôt de Saint-Omer, étaient allés
en ambassade vers le roi d'Angleterre pour lui
faire les mêmes représentations.
FIN DU TOME GINOUIÉME.
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