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Full text of "Histoire des lettres, cour de littératures comparées ..."

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I 



HISTOIRE 

DES LETTRES 

AUX 16% iV ET 18« SIÈCLES. 



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i 



PaHf. — rBiprimerie de C0660N, rue 8«lM-GerB8JiHle£-Préi, 9. 



HISTOIRE 

DES LETTRES 

AUX 46% 17e ET 18« SIÈCLES. 

— COURS DE LITTÉHATUHE. — 

Par Amédée IHiquesnel. 

Le beau est la spendeur du vrai. 
Platoji. 

VII. 




ùL^.\^^i^^ PARTS. 



W. COQUEBERT, ÉDITEUR 

j J 4H, KtE JAœB. 



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J '<\ * 3 



•: l 



iutdef leltocf en Fortugftl an atx.imitiènM iiM«. 



Nous avons laissé la littérature portugaise très* 
languissante à la fin du dix-septième siècle; pen- 
dant le règne de Jean V, de 1705 à i750, le gou* 
\ernement s'eiïorça de ranimer les goûts littéraires 
de la nation ; l'Académie portugaise de la langue fut 
fondée en 1714, celle de l'histoire en 1720 ; mais 
rien de grand ne sortit de la création de ces deux 
sociétés. Le poète le plus célèbre du dix-huitième 
siècle en Portugal est François Xavier de Ménésès, 
comte d'Ericeyra, né en 1673. Dès l'âge de vingt 
ans , il se rendit illustre par l'étendue de ses con- 
naissances et la vivacité de son esprit. Pendant la 
guerre de la succession, Ericeyra fit plusieurs cam^ 
yii. I 



s HISTOIRE D£S LETTRES. 

pagnes et parvint au grade de général. Cet homme 
éminent travailla toute sa vie à introduire les idées 
françaises dans sa patrie ; dès sa première jeunesse, 
il avait traduit en vers portugais VArt poétique de 
Boileau, qui entretint fort long-temps une corres^ 
pondance avec lui. Ericejra mourut en 1744, deux 
ans après avoir publié son Henriquéide, poème épique 
auquel il avait travaillé toute sa vie. Le poète s'é- 
tait proposé de donner au Portugal une épopée na- 
tionale plus régulière que celle de GamoëQS : il 
prit pour héros Henri de Bourgogne , fondateur de 
la monarchie portugaise , gendre d'Alphonse VI de 
Gaslille et père d'Alphonse Henriquez. Le sujet est 
la conquête du Portugal suf les Maures^ racontée 
en douze chants et en strophes de rîmes octaves. 
Toutes les règles sont fidèlement observées, la vrai- 
semblance historique respectée^ et l'intérêt assez 
soutenu. Ericeyra a évité avec soin les défauts de 
Camoens} mais il a fait une œuvre froide. Les le- 
çons de Boileau ne sauraient donner à un poète 
l'enthousiasme, Tâme, le génie. Aussi Camoôns, 
avec ses inégalités, est-il resté l'écrivain le plus po- 
pulaire du Portugal , tandis qu'Ericeyra n'est lu que 
des gens de lettres. 

Pendant la vie de ce poète on vît renaître à Lis- 
bonne un théâtre portugais, bien faible, il est vrai, 
maïs s'efforçant d'enlever la nation à l'exploitation 
de l'Espagne. Un juif, nommé Antonio José , écrivit 
des poèmes d'opéras comiques qui attirèrent la foule 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE* 3 

au théâtre. Ces pièces ne manquaient pas de verve ^ 
mais elles étaient déparées par un langage souvent 
grossier et des idées très- bizarres. Pedro Antonio 
Correa Garçao, heureux imitateur d'Horace, donna 
quelques pièces dans le genre de Tércnce , qui ob- 
tinrent beaucoup de succès 9 tandis qu'une femme, 
la comtesse de Yimieiro , faisait applaudir une 
œuvre intitulée Osmia^ tragédie nationale qui révèle 
une grande délicatesse de sentimens et une rate 
connaissance des passions. M. de Sismondi a dit de 
cette pièce qu'elle était en quelque sorte aujourd'hui 
hk seule tragédie du théâtre portugais. 

Plusieurs écrivains distingués ont vu le jour dans 
le nouvel empire fondé au Brésil par les compa- 
triotes de Camoêns. Claude Manuel da Costa étudia 
les poètes italiens et principalement Métastase et 
Pétrarque , dont il a imité les sonnets. Ses élégies 
el ses églogues ressemblent à mille pièces amou- 
reuses et pastorales que répètent depuis des siècles 
les échos des bords du Tage. On préfère du même 
poète des chansons et des cantates dans le goût de 
Métastase ^ mais nous n'avons pu découvrir la 
moindre originalité dans tout cela. M» de Sismondi 
cite encore un poète brésilien» Manuel Ignacio da 
Silva Alvarenge j professeur de rhétorique à Rio- 
Janeiro. Ses œuvres sont des poésies erotiques. < Leur 
principal attrait y dit le critique déjà cité, c'est leur 
couleur locale, les images empruntées aux arbres, 
aux papillons, aux serpens d'Amérique, ou Tinvi- 



 RISTOIRiû DLS LETTRES. 

tation à fuir, dans l'onde fratche d'un ruisseau » les 
ardeurs de décembre. En lisant les premiers poèmes 
écrits dans ces climats si éloignés de nous , on songe 
à ce qu'ils nous promettent , plus encore qu'à ce 
qu'ils nous donnent déjà, t 

Boutterweck et M. de Sismondi ont cité encore 
quelques poètes portugais appartenant à la fin du 
dernier siècle ou au commencement du nôtre. Ils 
placent au premier rang Francisco Manuel , dont les 
poésies lyriques sont pleines de noblesse et d'éléva- 
tion. Antonio Dinez da Creuz e Pilva imita les An- 
glais et surtout Pope, dont il traduisit the Râpe of 
the lock (la Boucle de cheveux enlevée). Ce poète 
écrivit aussi trois cents sonnets dans le genre de 
Pétrarque. J.-A. da Cunha, célèbre par ses travaux 
mathématiques, fut néanmoins un poète éminent ; 
ses vers sont inspirés par une rêverie mélancolique 
et une douce sensibilité. Voici un fragment de l'ode 
qu'il écrivit pendant une maladie qu*il croyait 
mortelle : 

« Angoisse pénible , cruel accablement^ est-ce la 
douleur qui te cause? es-tu la mort elle-même? Je 
me résigne et j'attends avec fermeté le coup fatal , 
le dernier coup. Et toi , entendement , souffle léger, 
âme immortelle , quelle roiite vas-tu prendre? Tel 
que la lumière d'un flambeau exposé au vent, tu 
paraissais déjà t* éteindre. Ah! si la vie seule devait 
s'étoindre! Qu'est-elle, cette vie et ce monde? Rien 
encore. Mais pour une âme, se voir séparer , bien 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. 5 

plus que de soi, de ce qu'elle aimei mourfr, et ne 
pouvoir montrer à Tobjet qui m'enchante toute ma 
tendresse , ne pouvoir lui montrer combien je suis 

uniquement à elle! Ciel ! Et cependant je me 

résigne! Mais si mes jours doivent finir ici, que du 
moins un zéphyr bienveillant porte cet adieu à mon 
amour! Adieu! objet de mon idolâtrie, de l'amour 
le plus pur et le plus ardent! d'un amour si doux, 
dont le destin cruel tranche dans sa fleur la plante 
délicate! Adieu! adieu! Tu le sais, aussi long-lemps 
que ce corps^ que celte âme existeront, ils seront 
à toi! Vis heureuse, aussi heureuse que je l'aurais 
été si tu t'étais donnée à moi. • 

Nous nous apercevons que ceci ressemble à mille 
élégies écrites dans toutes les langues; mais les vers 
portugais ont du charme et de la grâce. Boulter- 
weck cite encore plusieurs noms de poètes, mais 
sans porter de jugement sur leurs œuvres et sans les 
faire connaître par des citations. 

< Peut-être le rogne de la langue portugaise est-il 
sur le point de finir en Europe, dit M. de Sismondi. 
Le vaste empire des Portugais dans les Indes a déj^ 
disparu ; il ne leur reste plus au milieu de ces con- 
trées, autrefois tributaires, que deux villes à moitié 
désertes, où ils conservent des comptoirs languis- 
sons. Les grands royaumes d'Alrique , de Congo , de 
Loango, d'Angora, de Bénin, au couchanl, ceux 
de Mombaza, deQuilva et de Mozambique au levani, 
où ils avaient introduit leur religion, leurs lois et 



6 HISTOIRE DES LETTRES. 

leur langue^ leur ont retiré peu à peu leur obéis- ' 
sance et se sont détachés presque absolument de 
Tempire portugais; mais Timmense étendue du Bré- 
sil leur reste. Dans le plus beau climat et le plus 
riche sol^ ils ont fondé une colonie qui surpasse 
douze fois en surface leur ancienne patrie ; ils y ont 
transporté aujourd'hui le siège de leur gouverne- 
ment, leur marine et leur armée : des évènemens 
que rien ne pouvait faire prévoir y donnent à la na- i 
tion une nouvelle jeunesse et uite nouvelle énergie, i 
et peut-être le temps approche-t-il où Tempire du | 
Brésil produira , dans la langue portugaise , de 1 
dignes successeurs de Gamoêns. » 

Nous avons terminé notre voyage à travers les 1 
contrées méridionales; nous avons esquissé This- 
toire de la naissance, du progrés et de la décadence 
des littératures romanes, nées du mélange des La- 
tins et des Goths , du midi et du nord. Le provençal» i 
Titalien, Tespagnol, le portugais ne sont que les ' 
dialectes divers d'une seule langue. 

Il nous reste à terminer l'histoire de la plus glo- 
rieuse des langues romanes, de la langue française^ 
et à achever notre pèlerinage à travers les régions du i 
nord et du centre de TEurope. Nous allons y ren- 
contrer de nouveau ce génie profond et sévère que I 
nous avons déjà admiré dans nos précédens vo- 
lumes. C'est une poésie plus accessible aux traduc- 
teurs, parce que la forme y joue un rôle moins do- 
minant, parce que celle poésie consiste plus dans la 



BIX-HUITIÈME SliCLE. 7 

pensée que dans la musique. Il est presque impos- 
sible de faire sentir à des Allemands, à des Anglais, 
et même à des Français, qui ne connaissent que 
leurs langues nationales , tout ce qu'il y a d'enivre- 
ment dans les vers sonores et brillans des nations 
méridionales , tout ce qu'il y a de jouissance dans 
le seul bruit de ces langages dont chaque syllabe est 
une^note métallique qui agit puissamment sur nos 
organes. 



LITTÉRATURE DES PEUPLES DU NORD 
DE L'EUROPE. 



H. 



BélAlHlértttare anglaÎM mi dîs-hmtâètto tièeU..— ËÊm^mmmkt 
■Mfliqn*. — Voéiie. — Addîfon. — fltMl.*-9wîfl.— Vop» , eto. 
-— Uttératare éoofMÛie. |— iMumifOii- — Bar os* — ll«opliflr« 
MB, «te. -« Boman anglaif. •— &ioli«rdf0B. ««i'IiUUôf, <tlk9, -» 



Lorsqu^en 4688 Guillaume s'empara du pouvoir^ 
il se fit contre TÉglise catholique , et par suite contre 
tout le christianisme, une réaction violente. Toland, 
Tindal , CoUins et Shallesbury poursuivirent la 
religion révélée de leurs sarcasmes. Wollaston com- 
battit avec éclat, à défaut dé raison » les miracles de 
Jésus-Christs Le scepticisme débordait; un peu 
plus tard, le célèbre ministre de la reine Anne, Bo- 
lingbroke, en fut le représentant le plus brillant, le 
plus hardi et le plus spirituel ; on sait que sa con- 
versation exerça sur Voltaire une énorme influence. 



42 HISTOIRE Di:S LETTRES. 

Tout ce mouvement sceptique de la fin du dix-sep- 
tième siècle était fort approuvé par la duchesse de 
Mazarin , par Saint-Êvremont et quelques aulres ré- 
fugiés français, que M. Villemain appelle les restes 
de la société de Ninon. 

La religion avait des défenseurs illustres : Glarke, 
nourri de tous les grands apologistes français du 
règne de Louis XIV, défendit dans la chaire de 
saint Paul , et par de savants écrits , Texistence de 
Dieu , l'immatérialité et Timmortalilé de Tâme, et 
la révélation. Il fut soutenu dans cette grande lutte 
par de savans théologiens, Pearce^ Lardner, War- 
burton , Tillotson , Berkley. 

Mais cependant les opinions sceptiques se répan - 
daient de plus en plus, ce qui n'empêchait pas notre 
belle littérature du dix -septième siècle d'être étu- 
diée en Angleterre avec enthousiasme. On imitait 
sa forme, on cherchait à reproduire la clarté et 
Tordre qui président à toutes ses conceptions. 
Sous Charles II, l'Angleterre nous avait copiés sans 
goût ; elle approcha plus de l'élégance française sous 
Guillaume, et surtout sous la reine Anne. 

Guillaume Gongréve, né en Irlande dans le comté 
de Gorck , en 1672, imita Molière avec succès; 
mais il ne reproduisit pas les mœurs de TAnglC' 
terre. Le Trompeur^ Amour pour amour, le Train du 
monde, sont des pièces très-spirituelles. Voltaire a 
dit avec sa malice ordinaire : « On y trouve le lan- 
gage des honnêtes gens avec des actions de fripons : 



DIX-HUITIÈMK SIÈCLE. 13 

ce qui prouve que Gongrève connaissait bien son 
monde et vivait dans ce qu'on appelle la bonne 
compagnie. 9 Ce poète se lassa vite du théâtre^ 
parvint à un emploi élevé , et dédaigna tout le reste 
de sa vie la gloire de sa jeunesse. Prior, né à Lon- 
dres, en 4664, fut également arraché à la poésie 
par la politique; il aurait eu plus d'originalité que 
Congreve; mais, employé dans la diplomatie, en- 
voyé même à la cour de France comme plénipoten- 
tiaire, il ne consacra que peu de temps à son travail 
de poète. Ses poésies, où Ton reconnaît souvent 
rimitation d'Horace, sont généralement faciles et 
gracieuses , ses idées sont remarquables par leur 
hardiesse. M. Yillemain a dit qu'en se moquant des 
louanges de Louis XIY, Prior chantait celles de 
Guillaume, qui s'en souciait peu ^ 

Guillaume mourut sans avoir excité de très vives 
sympathies : caractère froid , sceptique , calcula- 
teur^ il ne pouvait faire naître Tamour ; mais il fut 

^ Un grand nombre de poètes dramatiques dont les noms 
ne peuvent trouver place dans une histoire générale, fixè- 
rent momentanément Faitention de l'Angleterre en même 
temps que Gongrève ; Farquhar et Gibber, moins connus que 
lui en France , sont à peu prés ses égaux ; Yanburg lui est 
préféré par plusieurs critiques anglais. La tragédie de Jane 
Sfiore^ de Rowe, est trés-pathélique et se joue encore à Lon- 
dres. Plusieurs écrivains , Murphy, Colman , Garrick, Hoad- 
ley, etc., cherchèrent à marcher loin des voies de Shakspeare; 
mais aucun n*est parvenu à se cri*er une position littéraire 
cmjncnte. 



14 HISTOIRE DES LETTRES. 

regretté comme un politique habile. L*avènement 
de la reine Anne calma les partis en Angleterre; les 
victoires de Marlboroug é(endirent la gloire britan- 
nique; les lettres fleurirent à Tabri dti trône, et la 
société anglaise rappela Turbanité de Tépoque fran* 
çaUe de Louis XIV. 

Addison fut Thomme de lettres qui (jomina la fin 
du dix-septième siècle et le commencement du dix- 
huitième. Né à Miiton, en 1672, il eut pour père 
le révérend Lancelot Addison , doyen de LichOeld. 
Les vers latins du jeune poète étonnèrent dès son 
enfance les professeurs d'Oxford et du coUége de 
llagdoline. Dans sa vingt deuxième année ^ alors 
que sa réputation ne s'était pas encore répandue 
parmi les beaux esprits qui fréquentaient les cafés 
voisins du théâtre de Drury-Lane, il adressa des 
Strophes anglaises à Dryden , auquel Gongrève le 
présenta* Il publia » vers le même temps , la traduc^ 
(ion d'une partie du quatrième chant des Géor^ 
giques^ des vers au roi Guillaume et quelques 
autres pièces. Ges compositions , quoique très-mé- 
diocres , conduisirent tout d*un coup leur auteur 
à la renommée : il y a ainsi des destinées toutes 
fiaiites, nais ce ne sont jamais les plus grandes. 

L*ingénieux écrivain eut quelque temps Tidée 
d^entrer dans les ordres; il en fut , dit-on^ détourné 
par son ami Gharles Montagne, comte de Manche-i 
ster. Depuis la chute des Stuarts , la presse était de- 
venue libre et assurait aux gens de lettres de lalea 



unepositiou sociale éminente; Addison avait viagt- 
sept ans lorsqu'il se décida à embrasser la carrière 
diplomatique; lord Somers lui fit obtenir une pen* 
sion de trois cents livres « et le poète quitta son 
cher Oxford dons Vé(é de 1699 « pour passer sur le 
Gontinenl ^ afin d'étudier la langue française , in- 
dispensable pour remploi qu'il ambitionnait Reçu 
avec une grande distinction à Paris par le comte e^ 
la comtesse de Manchester (le comte était alor« 
ambassadeur près la cour de (.ouis XIV) ^ le jeune 
liitérateur se trouva facilement en rapport avec les 
personnages célèbres de cette époque. Sa correspon- 
dance présente de très-curieux détails sur l'état dç 
Paris pendant la triste vieillesse du grand roi. il 99 
retira quelque temps à &lois » ville célèbre pour la 
pureté de son langage» afin de puiser la langue 
française à sa source la plus pure% Puis il revint à 
Paris : < U parlait parfaitement le français ^ dit 
M. Hacaulay » et il prit plaisir à fréquenter les [dus 
grands philosophes et les plus grands poètes de la 
France. Dans une lettre qu'il écrivait à l'évèqua 
Hough , il lui raconte deux conversations fort inbé-» 
ressanles qu'il avait eues avec Afalebrancbe et avec 
Boileau. Malebrancbe montrait une grande partia- 
lité pour les Anglais, et il ej^alia le génie de Newtonj 
mais il secoua dédaigneusement la tête au nom de 
Hobbes, il eut même l'injustice d'appeler l'auteur 
du Leviathan un pauvre esprit. La modestie d'Ad- 
dison l'obligea de supprimer quelques-uns des dé* 



16 HISTOIRE DES LETTRES. 

tails de son entrevue avec Boileau. Survivant seul 
aux amis et aux rivaux de sa jeunesse, vieux, 
sourd, mélancolique, Boileau vivait alors dans une 
profonde solitude , n'allait jamais à la cour ni à TA- 
cadémie, et ne consentait que très-difficilement à 
recevoir les visites des étrangers. Il ne connaissait ni 
l'Angleterre ni la littérature anglaise; à peine même 
s'il avait entendu prononcer le nom de Dryden. 
Quelques-uns de nos compatriotes, é(;arés par leur 
patriotisme , ont eu tort d'affirmer que cette igno- 
rance devait être affectée. Sous le règne de Louis XI V^ 
la littérature anglaise demeura aussi complètement 
inconnue en France que la littérature allemande 
rétait encore il y a cinquante ans en Angleterre. » 

Au mois de décembre 1700, Addison s^embarqua 
à Marseille pour l'Italie; il passa trois ans à visiter 
cette belle contrée, la Suisse, TAllemagne et la 
Hollande. Puis il retourna en Angleterre. 

La reine Anne venait de monter sur le trône, et 
le premier acte de son pouvoir avait été de retirer 
le ministère aux wigbs. Addison perdait ses protec- 
teurs naturels , il fut quelque temps dans une grande 
gène pécuniaire. Vint la victoire de Bienheim et 
une série de vers ridicules à la louange du vain- 
queur. Ils mortifièrent le ministre Godolphin , qui 
demandait un poète à tout le monde; Halifax, après 
s'être fait long-temps prier, indiqua Addison , qui 
vivait alors dans une mansarJe au troisième étage 
d'une maison de Haymarkct. Le lendemain de cette 



DIX-HUlTiÈMfi SIÈCLE « H 

conversation entre Godolphin et Halifax, le poète 
très-siirpris vit entrer chez lui le très-honorable 
Henry Boy le « alors chancelier de l'échiquier , et 
créé plus tard lord Garleton. Tel était l'ambassa- 
deur choisi par le lord trésorier pour aller deman- 
der au pauvre écrivain l'obole de son talent en 
fuveur d'une grande victoire nationale. Ces pro[)o- 
sitions étaient fort agréables à un wigh prononcé 
comme Âddison ; elles furent acceptées , et le poème 
intitulé la Campagne ne tarda pas à paraître. H fut 
trés-âdmiré et valut à Tauteur une place de com- 
missaire avec des appointemens annuels de deux 
cents livres sterling. 

La Campagne est loin d'être un chef-d'œuvre, 
mais ce poème doit occuper un rang distingué 
parmi les œuvres poétiques publiées entre la mort 
de Dryden et les commencemens de Pope. La com- 
paraison de Marlborough à un ange dirigeant un 
orage a été long-temps célèbre en Angleterre. Peu 
de temps après ce poème , Addison publia la rela* 
tien de ses voyages en Italie , qui fut reçue d'abord 
assez froidement et devint à la réflexion un livre 
fort recherché. Le style en est élégant , délicat , 
plein de douceur et de bienveillance; l'auteur fait 
un heureux usage de ses connaissances littéraires; 
il cite souvent les poètes latins : son livre a un par- 
fum antique. Addison donna encore vers le même 
temps son opéra de Rosamonde^ qui n'eut qu'un 
médiocre succès au théâtre , mais réussit à la lèc- 

TII. 8 



49 filSTOVae P£S LCITTBES* 

ture. Au milieu de ce^.trayauji littéraires^ les ^ighs 
revinrent au pouvoir, ^t Addison , qui fut nommé 
sous-secrétaire d'État 9 suivit en Hanovre Halifax, 
chargé de porter au grince électoral de Hanovre les 
décorations de Tordre de la Jarretière. Nommé en 
1708 représentant du bourg de MaLmesbury, le 
poète ne put jamais vaincre sa timidité : il se leva 
une seule fois pour prendre la parole, et ne parvint 
pas à surmonter son émotion. Depuis ce moment il 
n'essaya plus de sortir de son silence. Tel fut cepen- 
dant l'ascendant de son talent d'écrivain^ qu'il de- 
vint successivement sous-secrétaire d'État , pre- 
mier secrétaire de l'Irlande et secrétaire d'État. < Il 
s'éleva, dit M. Macaulay, à un posie que des ducs, 
les.représentans des grandes familles de Talbot, de 
Russel et de Bentinck avaient été fiers d'occuper; 
le plus haut de tou9 ceux auxquels Cbatam et Fox 
purent atteindre. » 

Addison était digne âe cette fortune par son ca- 
ractère honorable et bienveillant : dans l'intimité, 
son esprit était délicieux ; tous ses ajcnis , Marie Mon- 
taigu, Swift, Steele, Young, Pope lui-même, se sont 
plu à le proclamer. 

' Le seul reproche que l'on adresse à Addison , c'est 
son penchant pour la table; mais il faut dire pour 
l'excuser que c'était un déplorable abus très à la mode 
alors en Angleterre parmi les hommes littéraires et 
politiques. 11 se laissa aller aussi un peu trop à 
l'orjgfueil de se voir entouré d'un petit cercle d'ad^ 



tit-HuiTiin srÈCLE. 19 

Biirateurs dont quelques-uns étaient dPassez mauvais 
sujets. Les plus célèbres des amis intimes d*Addi- 
son sont Richard Steele et Thomas Tickelt. 

Le premier était né à Ehibfin et fut éfevé avec Ad- 
dison à Charton-House et à Oxford. Voici le por^ 
trait de Steele ttacé par ue écrivain angfai» contem- 
porain : 

€ Steete quitta TUniVersité sans y prendre un seu! 
gradte, se fit déshériter par un parent fort riche, 
erra d^ ville en vilîe , servit datas l'armée , essaya de 
trouver la pierre pliitosophale , écrivit un traité re- 
ligieux et plaideurs comédies. C'était! un de ces 
hommes quMY est aussi impossiblie de haïr que de 
respecter. Ea nature Tavait doué d''ùn caractère 
doux, d'un cœur aimant, d*un esprit vif et ardent, 
de passions énergiques, mais d*une conscience trop 
Ibcife à satisfeire. il passa sa vie à commettre des 
fautes et à s'en repentir, à prêcher lé bien et à faire 
te mal. It avait* cependant un si excellent naturel , 
qu'il était diiflcile de se ficher sérieusement avec 
lui. Les plus austères moralistes eux-mêmes se sen- 
taient plus disposés à le plaindre qu'à le blâmer 
quand ses pertes au jeu l^avdient conduit captif chez^ 
un recors, ou quand Tivresse lui dbnnait la fièvre. 
Addison témoigna toujours à Steele une bonté mê- 
lée de mépris. H essaya , mais sans succès , de lui 
faire perdre sa passion du jeu. Il ^introduisit dans 
le grand monde, lui procura une bonne place, cor- 
rigea ses pièces ; et, bien quMl' ne^fôt pas riche, il 



20 HISTOIRE DES LETTRES. 

lui prêta de grosses sommes d'argent. Un de ces 
prêts s'élevait , d'après une lettre du mois d'août 
1708, à mille livres sterling. Ces relations pécu- 
niaires durent nécessairement occasioner entre eux 
de fréquentes contestations. On assure qu'un jour 
la négligence et la déloyauté de Steele forcèrent 
Àddison à se servir de l'utile secours d'un huissier 
pour obtenir un remboursement. Est-il juste d'ac- 
cuser Addison d'une trop grande rigueur? Le meil- 
leur des hommes n'a-t-il pas raison de s'indigner 
s'il voit dépenser avec une prodigalité insensée l'ar- 
gent qu'il a gagné péniblement, et qu'il n'a consenti 
à prêter, en s'imposant à lui-même des sacriCces, 
que dans l'espérance de tirer d'embarras un ami 
nécessiteux? 

y Tickell était un jeune homme sorti tout récem- 
ment d'Oxford y qui avait attiré sur lui l'attention 
publique par un petit poème plein d'esprit et de 
grâce en l'honneur de l'opéra de Jtosamonde. Il mé- 
ritait, et il finit par l'obtenir, la meilleure place 
dans l'amitié d'Âddison. Pendant quelque temps 
Steele et Tickell vécurent en assez bons termes; 
mais ils aimaient trop Addison tous deux pour s'ai- 
mer l'un l'autre, et ils devinrent ennemis mor- 
tels'. 9 

Addison fut bientôt arraché au cercle de ses amis 
et de ses admirateurs par la nomination de Wbar- 

* Macaulay, Revue d'Edimbourg. 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. 21 

ton au poste de lord lieutenant d'Irlande Choisi 
pour premier secrétaire, il alla habiter Dublin et 
obtint des lettres patentes qui lui confiaient la garde 
des archives irlandaises pour tout le reste de sa vie, 
avec des honoraires annuels de trois ou quatre cents 
livres sterling. Ses appointemens de secrétaire s'é- 
levaient à environ deux mille livres. Âddison se 
trouva alors dans une position très-brillante. 

Pendant Tété de i709 et tandis qu'Addison ha- 
bitait Dublin, Steele conçut le projet de publier une 
feuille périodique qu'il intitula tlw Tatler (le Babil- 
lard). Cet écrivain avait un style correct, un esprit 
enjoué; mais ses plaisanteries n'étaient pas toujours 
d'un excellent goût. Il écrivit à Addison pour lui 
demander son concours , et le poète ^ sans se faire 
prier, lui adressa quelques articles qui devaient 
commencer d'une manière brillante la première 
réputation d'écrivain moraliste, d'essayste (pour se 
servirde l'expression anglaise), qu'ait eue la Grande- 
Bretagne. « Jamais aucun écrivain , dit un critique 
anglais , pas même Dryden , pas même Temple, n'a- 
vait écritTanglais avecautant de douceur, degrâce et 
de facilité. Mais le style d' Addison est son plus faible 
titre à l'immortalité. Se fût-il servi de l'anglais 
demi-français et demi-latin d'Horace Walpole et du 
docteur Johnson, ou du jargon demî-allemand de 
notre époque, son génie eût encore triomphé de 
toutes les fautes de langage. Le fond l'eût emporté 
sur la forme. » 



M filftTOinE DES UTTMK* 

En 4710, les wighs Turent encore une fois précU 
pités du pouvoir et Addison disgracié avec eux ; lespi- 
rituel écrivain sentit vivement ce malheur: car dans la 
brillante position qu'il oecupait il avait osé élever 
ses vœux jusqu'à ralliance d'une grande dame de 
la société anglaise, et ce revers brisait ses espé- 
rances» Toutefois il supporta son chagrin avec une 
philosophie digne d'Horace, son maître. L'Angle- 
terre rendit de nouveau hommage à son caractère 
en le renommant membre du parlement ; sa popu- 
larité était telle 9 que Swift écrivait : 1 Je crois que 
s'il demandait à être nommé roi, il n'éprouverait 
peut-être pas un refus» » 

Addison continua à dominer la presse périodique. 
Il fonda un journal quotidien qui exerça pendant 
quelque temps une grande influence sur l'opinion; 
puis^ en 1711 , il remplaça le Tailer par un aulra 
journal qui acquit bientôt dans toute l'Europe une 
immense renommée sous le titre du Spectateur. 

Toute l'Angleterre s'émut à celte peinturerai vraie^ 
si profonde, si spirituelle, si colorito, des mœurs 
nationales. Les porlraila étaient tracés de main de 
mattire, et rien de semblable n'avait encore paru 
dans ce pajs : Richardson exerçait obscurément son 
état d'imprimeur, Fielding était enfant, SmcAlet 
n'était pas né. Les critiques anglais trouvent qu Ad- 
dison rappelle Lucieo , La Brujère , Voltaire , 
Goldsmiib, Horace et Massillon. Cette opinion 
donne une idée de la variété de cet esiprit M souple $ 



s! fin éVèî ^)étfétrfei*nt tout à là fôïs. tè Spectateur ob- 
tint , pendant toute là UUréè de sa publicàtiôh , ûUi 
succès que rien n'a égalé pliis tard , si Tott a égàM 
âù nombre ije lecteurs qui à taht àtigméhtë depuis 
cette époque. Ce recueil était dîg'iië de sa gloîrîé. Sôii 
seul défaut important ne peut êtté évité dàïis tie 
geiit'e d'ouvrages : il consiste â insérèt âuprëè dW- 
cellentëâ fchbâes des travaux médiô'crek (jtie Tbli 
li'dse (ias tbiijoiirs reibser à ûii collaborateur étiâ- 
ceptible. 

Le Spectateur cessa de paraître eh 1712; te GÙtir- 
dian, qui vbuliii; lui succédeh; fit une lourde chute; 
Âddison y bavâilla très-peu ; frappé de la simpli- 
cité harmonieuse des tragédie^ flrânçdiâeâ, il voulut 
essayée urie œtlvrë sur ce hiodêle, bt cela Ittî pabut 
lioiiveatl^ ba^ Drydeti, tout ëii adohirsiht le§ jpoètêé 
frafaçais dails ses ptëfaôës , ti'a rèproddit que biëH 
impdi-faltemetit les chéfs-d'cètivi'e dé la Fràlicë. Le 
succès de Caion fut imiiienfeè. Lès tôrys ef le^ Wlèbà 
y virent de fréquentes alliisibûs'à là politi^tie cofi- 
temporaiiie^ et la vogile de cette pièce en fut tf*ès- 
augmentée. Et cependant qu'était Caton àùpi^ès des 
drames si terriblement passionnés du vîeui Shàks- 
peare? une œuvre régulière, respectant les réglés 
classiques , renfermant de nobles pensées exprimées 
éloquemment; mais où étaient le mouvement et la 
me, où était le génie enfin? 

L'amôuf nlèlé à' cette pièce est souvent ridicule 
et tou|burs èùnuyèux; nffais desr beautés sévères 



S4 HISTOIRE DES LETTRES* 

décorent l'œuvre du poète; c'est un magnifique 
moment que celui où Caum rencontre le cadavre de 
son fils mort pour Rome : 

« J'aurais rougi de honte si la maison de Gaton 
était demeurée entière et florissante en temps de 
guerre civile. Porcius, regarde ton frère, et sou- 
viens-toi que ta vie n'est pas à toi quand Rome la 
demande. Hélas! mes amis , pourquoi pleurez- vous 
ainsi? Qu'une perte pariiculière n'afflige pas vos 
cœurs; c'est Rome qui a droit à vos larmes. La 
maîtresse du monde, la nourrice des héros, le dé- 
lice des dieux , celle qui a humilié les tyrans de la . 
terre et affranchi les nations, Rome n'est plus! ) 
liberté! ô vertu I 6 mon pays! 

Le Catm d'Addison fut l'essai d'un homme de ta- 
lent, Tœuvre d'un critique plutôt que d'un poète: 
on comprend dès lors son impuissance à lutter 
contre le monument colossal du poète d'Elisabeth. 
Celte tragédie est restée en Angleterre comme la 
meilleure imitation de l'école française, mais la 
forme shakspearienne y ^st à jamais consacrée. 

Eni714, Addison eut l'idée d'ajouter un hui- 
tième volume au Spectateur, et c'est un des plus 
remarquables. Ce volume touchait à sa fin quand la 
reine Anne mourut. Les wighs revinrent aux af- 
faires à l'avènement de Georges I'% et Addison re- 
tourna a Dublin en qualité de premier secrétaire; 
mais en 17 i5 il échangea cette place cpntrenn siège 
au conseil du commerce, et revint à Londres, où il 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. 25 

fit jouer sa comédie du Tambour nocturne^ pièce iné- 
gale , qui renferme d'excellentes scènes; \er8 la 
même époque il publia, sous le titre du Freeholder, 
un journal plein de talent, que Steele ironisa pâle 
et auquel il voulut suppléer par un autre journal 
nommé the Town Talk, qui resta fort loin de son 
rival. 

En 1716 Addison , qui jouissait désormais d'une 
brillante position , épousa la comtesse douairière 
de Warwich, à laquelle il faisait la cour depuis 
fort long-temps. Peu de temps après ce mariage il 
fut nommé secrétaire d'État par le ministre Sunder- 
land; il est certain que les sceaux lui furent offerts 
et qu'il les refusa. 

Mais le poète ne tarda pas à être atteint d'une 
maladie grave qui ne lui permit plus la vie politique; 
il se. retira, et les ministres lui accordèrent une 
pension de retraite de mille livres par an. Les der- 
Dières années d'Addison furent troublées par le ca- 
ractère impérieux de sa femme et par une querelle 
avec Steele, son ancien ami, à Toccasion d'un bill 
présenté par Sunderland. Il expira le 17 |uin 1719, 
au commencement de sa quarante-huitième année , 
après avoir montré en mourant toute la résignation 
d'un chrétien. Sa dépouille mortellefutexposi^e dans 
la chambre de Jérusalem et transportée de là à l'ab- 
baye de Westminster. 

Addison fut en relation avec tous les hommes 
littéraires de sou temps ; npps avons déjà parlé de 



26 ËlâTÔIHE DfeS lkTTRkd« 

Steele; la vie de Swift fut aussi mêlée plusieurs 
fois à celle de l'auteur de Caton. Jonaihan Swift na- 
quit à Dublin, en i667, d'une famille honorable; 
sa mère était alliée de la femme du chevalier Temple, 
et cet homme célèbre fut toujours le protecteur de 
Swift. Ce seigneur, ayant renoncé aux carrières pu- 
bliques , s'était retiré dans une terre où il recevait 
quelquefois le roi Guillaume , avec lei[|iiel le jeune 
Swift eut souvent Toccasion de causer. Ce prince lîli 
offrit une place die capitaine de cavalerie iqu'it re- 
fusa pour solliciter en Irlande urt bénéfice qu'il ob- 
tint à la recommandation du chevalier Temple. Mais 
Swift avait alors besoin dii séjoiir de Lotidrës et de 
Ja société de ses amis; il abandonna dônbson béné- 
fice et alla retrouver sort protecteur. Pehdatil ce 
séjour chez Idi, le docteur Swift (il avait pirissëS 
grades à Oxford ) devint amotireilx de la fille d'un 
intendant , qu'il a célébrée sous le nom de Stella , 
et qu il épousa jsecrètement , son orgueil he s'ac- 
commodant guère de l'obscure naissance de èettë 
jeune fille. On raconte même que cette pauvre 
femme fut atteinte d'une noire mélancolie en voyant 
l'étrange conduite de son mari à son égard, et que 
cette tristesse contribua à la faire mourir dans sa 
jeunesse. Swift perdit son protecteur et se trouva 
sans ressources ; il adressa au roi Guillaume une pé- 
tition pour solliciter une nouvelle prébende; mais 
depuis long-temps le prince avait oublié le pauvre 
docteur : de là Targreur de Swift contre led éourti- 



sans et les rois. II obtint ce|>endânt quelque temps 
après plusieurs bénéfices, entre autres le doyenné 
de Saint-Patrice^ en Irlande, qui lui valait près de 
trente mille livres de rente. En 1735, il fut atta- 
qué d'une fièvre violente qui altéra sa mt^moire et 
le laissa plongé dans un chagrin amer. Il tratna dans 
cet état le reste de sa vie , qui ne se termina que dit 
ans après. Son testament disposait d^une grande 
partie de son bien pour la fondation d'un hôpital 
de fous : il avait toujours été vivement ému des 
souffrances de l'humanité. Swift défendit, par des 
pamphlets éloquents, les droits du peuple irlandais, 
opprimé dès lors par quelques riches seigneurs in* 
soiens , et le parlement recula devant Topposition 
qu'il fit à une loi sur la monnaie. Aussi était-il 
devenu l'idole du peuple de Dublin ; sa fête se cclé-^ 
brait dans les familles, et des acclamations publi'- 
ques s'élevaient sur son passage. Swift était plein 
de caprices et d'inconstances; ambitieux, il ne se 
nourrissait que de vastes projets daiis lesquels il 
échouait presque toujours; il recherchait le com- 
merce des grands et vivait dans l'intimité du comte 
d'Oxford, de Bolingbroke et du célèbre Pope; mais 
en même temps il aimait à causer avec le peuple. Il 
voyageait à pied , logeait dans Us plus humbles au- 
berges I et mangeait volontiers avec des voituriers et 
des valets d'écurie , ce qaî ne l'empêchait pas d'ai- 
mer la société des dames, qui idolâtraient le spiri^ 
tnel et bizarre doclew. Son talent se ressentait 



28 HISTOIRE DES LETTRES. 

nécessairement de ce caractère fantasque; il ne feut 
pas lui demander le goût d'Addison , mais une ima- 
gination brillante, des fantaisies ingénieuses, un 
esprit prodigieux , souvent déparé par des défauts 
de jugement, par des hardiesses iucomprébensibks 
et des plaisanteries grossières. Tel est son livre si 
populaire intitulé : Voyagea de Gulliver à Lillipvt, à 
Brodignac, à Laput, etc. Jamais écrivain n'a jeté 
un regard plus dédaigneux sur l'espèce humaine; 
quels amers sarcasmes cachés sous cette apparente 
gatté! On a comparé Tauteur à Rabelais: il n*a ni 
l'abondant génie, ni la fougue éloquente de Rabe« 
lab; mais sa finesse est charmante et son ironie 
bien incisive. Le Conte du tonneau est encore une 
histoire allégorique et satirique dirigée contre la 
religion catholique, le luthéranisme et le calvi- 
nisme. Déplorable abus du talent qui cherche à dé- 
truire au lieu d*édilier! Sa plaisanterie est souvent 
piquante^ mais très-raremont elle se renferme dans 
les limites du goût : elle dépasse le but. On a dit de 
S^ift, à l'occasion du Conte du tonneau, qu'il était 
bien difficile de montrer plus d'esprit et moins de 
jugement. L'auteur a encore publié quelques autres 
ouvrages oubliés aujourd'hui; le plus remarquable 
est son poème intitulé : Cadmus et Varussa. C'est 
l'histoire de ses amours, ou , pour mieux dire, de 
son indiiférence pour une femme qui l'adora vai- 
nement ; son véritable nom est Esther Yanhomrigh ; 
elle était fille d'un négociant d'Amsterdam , enrichi 



Dlt-HUITIÈME SIÈCLE. 29 

eiî Angleterre. Après la mort de son père, elle alla 
s'établir en Irlande, où Tambition de passer pour 
bel esprit lui fit rechercher la société du docteur, 
qui, insensible à son amour, la jeta dans une mé- 
lancolie dont elle mourut. Singulière et déplorable 
destinée de cet homme , de causer la mort de deux 
femmes qui Taimaient si tendrement! Swift porta 
dans la politique le même esprit bizarre et moqueur. 
H fut le principal conseiller du ministère tory de 
Bolingbroke et d'Oxford. Sous le rapport delà verve, 
rien n'est comparable en Angleterre à r Examinateur, 
publié par cet écrivain en 1710, et ses pages sati- 
riques contre les flatteurs de Marlborough sont en- 
core piquantes aujourd'hui. 

Auprès de ces hommes on remarquait dans les 
lettres anglaises , à cette époque, le fabuliste Gay, 
poète très-correct, mais froid; le spirituel critique 
Arbuthnot; Thompson, arrivé pauvre d'Ecosse et 
n^ayant pour protecteur que le plus beau chant du 
poème des Saisons, qu'il apportait dans son petit 
bagage; Young, auteur de tragédies médiocres, 
mais qui ne tardera pas à prendre rang comme un 
des premiers poètes élégiaques de son temps ; enfin le 
plus grand poète de cette époque, Alexandre Pope, 
né à Londres en 1688 : il était d'une ancienne fa- 
mille noble du comté d'Oxford. Dès l'enfance, il 
étonna ses professeurs par la facilité avec laquelle 
il apprit le grec et le latin, par son sentiment pro- 
fond des beautés de la littérature antique. A douze 



ans , il écrit une ode sur la vie champêtre , et fed 
critiques anglais le comparent à Horace; à quatorze 
ans, il publie d'habiles traductions de Stace et d'O- 
vide ; à seize ans , il imite avec bonheur Théocrrte 
et Virgile. Son poème sur la forêt de Windsor ofifre 
des descriptions charmantes et un sentiment très- 
vif dje la nature ; sa pastorale sur la naissance du 
M^essie renferme des idées réellement sublimes. 
V Essai sur la critique^ qui vit le jour en 1709, eut 
un grand retentissement en Angleterre et fut placé, 
par les critiques contemporains, au-dessus de l'Art 
poétique de Boileau. L'œuvre du poète français est 
très-supérieure cependant, quoique VEsscd sur la 
critique allie la solidité de l'âge mûr aux grâces de 
rimagination d^un jeune poète. La Bouclé de cheveux 
enlenée est un poème galant et léger, souvent plein 
de grâce et de finesse , VÊpitre d'Hélinse à Abaitard\ 
une composition d'un* ordre très-supérieur : Pope 
s'est élevé ici à la plus haute éloquence passionnée; 
le combat de la religion et de l'amour humain dans 
une âme ardente n'a peut-être jamais été peint de 
plus vives couleurs. Le vers de Pope est devenu dans 
cette épttre d'une solennité , d'une harmonie large 
et savante, que les grands poètes seuls possèdent. 
La renommée de Pope arriva à son apogée lors 
de la publication de sa traduction d'Homère; toute 
l'Angleterre souscrivit. Ce travail est d'une rare 
beauté; la poésie en est harmonieuse, élégante, 
mais tri)p souvent elle s'éloigne de la rude simpli- 



t>tt-BUITIÈlIE ftlàCLE. 3i 

cité du vieux et saint poète de Flonie ; cette muse 
aatique si nâive, si patiiétique, si vraie, se pare de 
vèlemeos aiodernes qui sentent les salons du dix- 
huitième siècle plutôt que les mœurs sauvages des 
héro3 de r Iliade et de l'Odyssée. Cette réserve faite, 
nous n'avons plus qu'à admirer cetie œuvre habile 
qui soutient encore auprès du public anglais sa 
brillante réputation. 

Popç était désormais arrivé à la gloire; aussi de 
tpMS côt^s l'envie le déchira Sdos pitié. L'auteur an- 
glajis (jes Mémoires sur sa vie dit qu'il avait paru 
contre lui soixante-deux libelles pleins d'injures 
vipleates. Pope, né irritable, ne put contenir sa 
colère et composa la Dunciade, satire terrible qu'il 
hésita à publier. Swift écrivait au poète Gay à cette 
occasion , le 23 novembre 1727 : « Pourquoi Pope 
ne publie-t-il pas son Temple de la stupidité? Les fa- 
q)4iqa qu'il y immortalise mourront d'eux-mêmes 
en paix : et comme il en est de même de ses amis , 
ses délais seront cause qu'il n'y aura ni châtiment 
ni récompense, t La Dz^ndacfe parut en 1728, et en 
six, mois il s'en fit cinq ou six éditions. Le sujet est 
le rétablissement de l'empire, de la stupidité et du 
mauvais goût. Les pamphlétaires ennemis de Pope 
y étaient flagellés d'une façon terrible. Toute l'An- 
gleterre r€|tentit de ces sarcasmes brûlants. Mais la 
guerre ne cessa pas pour cela , et les libelles contre 
le poète continuèrent à paraître. 

Les dernières années de h vie littéraire de Pope 



32 HISTOIRE DES LETTRES. 

furent consacrées à quelques épltres philosophiques 
d*un ton grave et à son Essai sur l'homme^ dédié à 
Bolingbroke. Pope exprimait en beaux vers de 
hautes pensées sur la destinée humaine. Le docteur 
Swift lui écrivit à propos de cet ouvrage : i J'avoue 
que je ne vous croyais pas si habile en iborale , ni 
que cette science fAt susceptible de tant de règles 
excellentes et nouvelles, y 

V Essai sur l'homme fut très-vivement attaqué; on 
Taccusa de spinosismey de fatalisme, de suivre avec 
aveuglement les théories de Leibnitz. M. dQ Crousaz 
publia à Genève plusieurs brochures contre ce 
poème 9 qui fut défendu par Warburton , si connu 
en Angleterre par son ouvrage sur la mission di- 
vine de Moïse. Louis Racine se mêla bientôt de la 
querelle et attaqua les idées de Pope dans son 
poème de la religion. Le poète anglais lui écrivit à 
ce sujet; comme presque tous les ouvrages méta- 
physiques, V Essai sur l'homme donnait lieu à bien 
des interprétations diverses, chacun prêtant aux 
mots le sens quil concevait. Aussi Pope était-il ré- 
duit à déclarer qu'il n'attachait pas à telle expres- 
sion la valeur^ la signification qu'y voyaient ses 
adversaires. L'Essai sur l'homme est écrit en vers 
solennels d'une grande pureté ; quoique l'on ait sou- 
tenu qu'il ne contenait rien contre la relgion révé- 
lée, ce poème semble surtout inspiré par le déisme 
tolérant du dix-huilièmé siècle , déisme dont Rous- 
seau est en France l'interprète le plus sublime. 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE* 33 

Pope reste sans doute bien loin de Shakspeare et 
de Milton , ces deux géans de la poésie anglaise. Ce 
n'est pas un de ces génies instinctirs qui créent 
pour ainsi dire malgré eux et pour obéir à un be- 
soin invincible de leur nature. C'est un esprit élevé 
et élégant , qui travaille sans cesse à s'approprier 
les pensées des philosophes et des poètes^ et sait les 
orner d'un beau langage. Pope est un peu , dans la 
langue anglaise, vis-à-vis de Shakspeare et de Milton, 
ce qu'est dans la nôtre Despréaux vis-à-vis de Cor- 
neille et de Molière : son Ëptire d'Abeilard à Hél(Âse 
lui donnerait quelque droit à rappeler Racine ; mais 
cet élan passionné est trop évidemment un accident 
exceptionnel dans sa vie. Pope a un caractère qu'il 
ne faut pas oublier, c'est sa fécondité , qui ne cessa 
de produire de belles choses. Byron admirait pro- 
fondément le style de Pope. 

Ce poète était petit , laid , maladif et contrefait ; 
on impute à cette bizarrerie de la nature l'aigreur 
de son caractère. Il se brouilla avec plusieurs de 
868 amis. Nous citerons parmi eux Wicherly, auteur 
de quelques comédies pleines de verve , mais d'un 
8tyle souvent incorrect. La querelle de Pope et 
d'Addison , dont l'Angleterre fut long-temps occu- 
pée à cause de la célébrité de cos deux écrivains , 
eut une origine assez puérile. Pope accusait Addi- 
8on de lui avoir donné le perfide conseil de ne pas 
ajouter un chant à son poème de l'Enlèvement de la 
boucle de cheveux! Addison trouvait Pope faux et mal- 
vu. 3 



M aiSTOlM DES UTTRBS. 

teilltnfe f et était oonaéquemmeDt trôa-snsceptiUe à 
son égard. Le caractère sallriqufi de Pope n'est paa 
eonlastable. En quittant la forôt de Windsor, il alla 
babitar le bameau de Twickenham , pnès de la eé-* 
labre ladjr Montague^ revenue de Tambassade da 
GonatantÎAOple , d'où elle avait entretenu une cor- 
MspOBdanca avec le poète. On dit que Pope oublia 
sa laideur et sa difformité , et qu'il osa parler d'a- 
mour à rilluatra Jadj « qui eut la barbarie de Tac* 
cueillir par deaaarcasoies. Pope s'en vengea par des 
traite de satire grossière , et lady Montagne l'appela 
la méchante guêpe de Twickenbam. Pope mourut 
dans ce village à l'âge de cinquanle^^six ans. 

Addisoii et Pope sont les deux plus brillans éeri- 
vains qui aient imité, l'école française; en même 
tempa qu'eux vivaient des poètes plus originaux ^ 
qui cependant ont occupé une moins belle place 
parmi teurs compatriotes. L'Écossais JaequesThooi p- 
son ^ né à Ednw en 1700 , arriva a Londres sans 
ressources , el réussit à y vivre , à force de sollicita-* 
tioBS^ près de cette fière et riche aristocratie ^a^ 
glaise qui régnait de l'autre côté du détroit , tandis 
que les geas de lettres trônaient à Paris* Le poèmie 
des Saisom est remarquable pajr un profond senti* 
ment de la nature et de la religion. Il y a là une 
âme de poète. Depuis les Géorgiques de Virgile , on 
n'avait rien vu d'aussi beau comme peinture de la 
vie des champs. Thompson n'a pas le goût exquis 
du poète romain ; il ne sait pas s'arrêter comme lui 



4te que Tidffet poétise estaliaint. Il a paribû i}Q« 
abondance malheureuse et une certaine obscurité 
d'expression^ mais parfois aussi des élans magni- 
fiques , une poésie forte et sombre en barjDonie avec 
les climats du Mord, «vec les places des montagnes 
écossaises , dont la description fut trés-admirée en 
Angletecré et en France. Cette âme religieuse, non 
de la religion vague du déisme d'alors, cette âme véri- 
tablement pieuse et biblique, aurprit le dix-huitième 
siècle , mais fut peut- être mbinspopulairequ'Youi\gj 
sans doute parée que Young fui encore plus pro'^ 
sterne wx pieds de Dieu. Ce dernier poète, né dans 
le comté de Hampt en 4684, entra dans l'Église 
d'Angleterre vers l'âge de soixante ans. Il vit mou- 
rir en quelques mois sa femme et aa fille et na 
jeane.honune auquel il l'avait promise. Lat doulem* 
la rendit poète. Son poème des Nmts eut un reten- 
tiMement énorme; l'âme sombre de l'écrivain anglais 
émot les populations. T#iitefoîe nous soupçonnons 
sa poésie d^avotr été peu admirée des hommes d'é- 
lite. Elle est souvent forte, mais monotone; elle est 
trop verbeuse ; elle épuise chaque pensée ; elle la ré- 
pète cent ibis. Xa gloire d'Young s'affaiblit de plus 
en plus et finira par mourir. 

La poésie anglaise continua de marcher dans les 
Toies de la mélancolie et de la religion. Le Cimetière 
de campagne de Gray , son ode sur une vue lointaine 
du collège d'Eton, sont des morceaux d'une douce 
et sainte tristesse qui a fait leur popularité. Le 



86 BISTOIRE DES LETTRES. 

même poète porte souvent dans Tode une véritable 
inspiration. Le pauvre IVilliam Cowper, né & 
Berbamstead , en 1731, dans le comté d'Oxford, 
était une de ces âmes maladives que le contact des 
hommes froisse et tue. On Ta comparé à Rousseau 
parce qu*il avait comme lui la moaomanie de voir 
des ennemis partout; atteint d'aliénation mentale, il 
passa quelque temps dans une maison de santé , puis 
alla vivre cbez une mistress Unvinn , dont l'amitié 
un peu mystique fut pour lui tout un bonbeur. 
L'attacbement aussi pur d'une autre femme, lady 
Austen , contribua puissamment à l'arracher au 
spleen. L'imagination méditative et exaltée de Cow- 
per» sans cesse repliée sur elle-même au milieu du 
très-petit nombre de personnes mêlées à son exi- 
stence, finit par s'exprimer en vers (Gowper avait 
cinquante ans lorsqu'il devint poète). Ses poèmes 
le Sopha et la Tache sont une suite de rêveries , d'as- 
pirations^ de tableaux flamands; le poète, sans 
s*astreindre à un plan , cbange de sujet à cbaque 
page; son style a une grande beauté, sessentimens 
sont très-profonds , ses pensées très-religieuses. Les 
Anglais regardent Gowper comme le fondateur de 
cette poésie intime et pénétrante que les lakistes ' et 
surtout Wordsworth ont cultivée depuis avec un 
talent si original et souvent très-sublime. L'âme 

* Nom donné aux poètes qui habitent fur les bords da lac 
du Westiiiorelaûd. 



DIX^HOiTlËliE SIÈCLE. 87 

maladive de Govper se réfu^ dans la poésie comme 
dans une religion ; ses vers sont souvent inspirés par 
une piété tendre , qui s'exalte peu à peu et arrive 
parfois jusqu'à Textase. On voit qu'il aime la cam- 
pagne comme une consolatrice qui le dérobe au 
bruit des bommes; il ne s'attache pas à peindre de 
vastes tableaux à la manière de Thompson , mais le 
verger ou la prairie acooutumés , sur lesquels son 
œil se repose chaque jour avec une joie mélanco- 
lique. Un autre talmt très-imprégné aussi des par- 
fums du christianisme fut chéri de l'Angleterre vers 
la même époque. Olivier Goldsmith , né à Roscom- 
mon en 1731 » ne vécut que quarante-trois ans. Ja- 
mais la vie d'un homme n'a mieux démontré la 
puissance du caractère contre les évènemens exté- 
rieurs. Goldsmith a eu une existence insoucieuse ^ 
errante, pleine de galté^ et cependant dès sa jeu- 
nesse il fut' forcé de quitter l'Ecosse , où il étudiait 
la médecine , parée qu'il avait répondu d'une somme 
considérable qu'il lui était impossible de payer. 
Loin de se désoler, il se mit à parcourir l'Europe à 
pied, toujours joyeux, et gagnant le plus souvent 
sa vie en jouant de la flûte. De retour à Londres , il 
fut heureux de trouver une place chez un pharma- 
cien, et plus tard celle de sous-maltre dans une 
pension d'enfans. Ses livres lui rapportèrent d'assez 
fortes sommes ; mais sa générosité et sa passion 
pour le jeu ne lui permirent jamais la moindre ai 
sauce. Ses poèmes du Voyageur et du Viliage abanr 



B9 HISTOIRE DC9 L^tTHM. 

donné sont empremts ^Ttine métM^ié êmre quv 
rétéle une âme rêveuse et bonne. Le Vicaire de Vahs^ 
fieMesi irn chef-d'œuvre; ee roman , ou plcrtdt cette 
Mdgnifiqtre églogue cbrétietine ai pleine d'observa* 
tion, dé naïveté toute divine, de finesse sstus ms^- 
lice y et souvent d'une grandeur morale admirable, 
est restée dans la littérature anglaise comme une 
œuvre k part que tout le naonde lit encore avec au- 
tant de plaisfr qu'au temps de son apparition. 

Nous sommes obligé de ne faire qu'indiquer plu- 
sieurs noms de poètes qu'aune histoire spéciale des 
lettres anglaises aurait à étudier. Tels sont Glover, 
qui iie manque pas d'énergie; Collins, dont les 
églogues offrent de brillantes images ; l'infortuné 
Chatterton , plus célèbre par sa déplorable mort que 
par ses ters, qui s'efforcent de reproduire le style 
du treizième siècle; l'évêque Percy, qui rajeunit 
les ballades des ménestrels ; le didactique Darwin , 
le modèle de Delille, Darwin^ aussi fameux dans 
sou temps qu'il est oublié aujourd'hui ; les satiriques 
Gifford et Wolcot , surnommé Peter Pindar, pleins 
de verve et de malice , imitateurs de la Dunciade et 
imités plus lard par Byron ; Akensîde, Falconner, 
Blackmoore, Shenstone, et ce malheureux Savage, 
auteur du Wanderer, qui a peint ainsi la furie du 
suicide : « Le sourcil à moitié brisé par l'agonie de 
la pensée, elle crie à l'homme : Pâle misérable, at- 
tends de rnoî ton soulagement ; née du désespoir, 
\t suicide est mon nom. t 



Tous Ge6|wèt6s^ et bien d^autrea^ocore^ appar- 
tienneot à peine à l'histoire générale de la littéM- 
tire^ maïs uohs ilevons now arrêter devant 4an 
bomine<iui a exercé une très-gaanâa influence tiir 
l'Angleterre et sur toute TEurope : TÉoMie a joué 
un grand rôle au dix-huitième siècle j on kiî dok 
ROQ^seulemeni les historiens Hume et RobtrtoOn , 
le poète national Bums, mais encore liaephersoB, 
le créateur de la poésie ossianique. Sa 1?68, iléiaft 
précepteur dans la maison du comt^de Grafaam^ de 
la famille d« oe Glaverhouse célébré par Walter 
Scott. €'est là que, s' entretenant ai/ec un littérateur 
écossais y nommé Home» auteur d'une tragédie de 
Douglas , il eut Tidée de publier dea poésies oasia- 
niques. Son premier recueil fut intitulé c Fmgmms 
de poésie 0mnenne , recueillis dans les montagnes 
d'Ecosse^ et traduits de la langue erse au gaélîd. 
Edimbourg en fut émerveillé* Toute rÉcoasa tres- 
saillit d'enthousiasme patriotique. Au bout de quel- 
ques années, Macpherson fit paraître le poédie de 
Fingal^ puis celui de Temora. L'enthousiasme allaît 
toujours croissant; mais les littérateurs anglais , ja- 
loux de toute cette gloire , et k leur tète l'âpre doc- 
teur Johnson ^ soutinrent que cette antique poéeie 
n'existait pas et qu'il ne fallait juger les pidilicatioUs 
de Macpherson que comme l'œuvre d'un contempo- 
rain. La querelle s'échauffa. Le docteur écrivit même 
à Macpherson des lettres fort dures ; mais ce dernier, 
devenu rietef ne sembla passe troubler beaucoup 



40 HMTOIRE DES LETTftEt. 

de cette ardente polémique. Une commission fat 
nommée; on se livra à de consciencieuses recher- 
ches, et il est resté admis qu'il a existé une poésie 
ossianique^ mais que Macpherson n^avait pu en dé- 
couvrir que des fragmens , dont le plus long n'eicé- 
dait pas vingt vers. 

Néanmoins l'œuvre de Macpherson continua d'à- . 
voir dans toute l'Europe un retentissement énortne. 
Paris, alors si brillant, si spirituel, si sceptique, si 
loin de la poésie primitive, se passionna pour ce 
vieux barde en cheveux blancs , errant la nuit à la 
clarté de la lune qui perce de sombres nuages, prê- 
tant l'oreille aux mugissemens de la mer, et pleu- 
rant, comme Jérémie , sur les débris des cités dé- 
truites. Au milieu de ces romantiques déserts, de 
ces combats sanglans , l'auteur avait placé de pâles 
figures de femmes, mélancoliques et tendres, douces 
consolatrices des guerriers. Cette poésie était mo- 
notone, souvent emphatique, mais toujours vive- 
ment coloriée et parfois sublime. Aucun poète n'a 
plus éloquemment pleuré sur des ruines, n'a rendu 
avec plus de charme les douleurs du souvenir. Il y 
avait là une incontestable puissance , car Macpher- 
son eut pour admirateurs des hommes comme Goethe 
et Napoléon , et son influence reste visible sur toute 
l'école française moderne. Qui n'en retrouve facile- 
ment la trace 9 pour ne parler que du plus illustre, 
dans les écrits de Chateaubriand? L'Ecosse regarde 
encore Macpherson comme un poète inspiré qui a 



DIÏ*HU1TIËME S1ÈG£E. 41 

fait revivre les vieilles traditions et célébré avec 
gloire une patrie qu'il chérissait. 

Le culte de la terre a encore inspiré admirable- 
ment le poète écossais Robert Burns , jeune paysan 
qui conduisit la charrue dans les plaines de l'Ayrshire 
et finit par occuper une petite place dans Texcise 
(droits réunis). 11 aimait l'Ecosse comme les habi* 
taas da Jura aiment leurs montagnes , comme les 
paysans bretons aiment leurs landes sauvages. 

i Que les contrées étrangères , dit-il , vantent 
leurs doux bocages de myrte , dont le brillant été 
fait exhaler le parfum. Combien m'est plus chère 
la verte bruyère de cet obscur vallon où le ruisseau 
s'échappe sous les touffes de genêts en fleurs jaunes I 
Combien je préfère ces humbles genêts du taillis où 
la campanette et la marguerite se cachent timide- 
ment ! car c'est là que , sautillant parmi les fleurs 
sauvages ou écoutant la linotte , ma Jeannette vient 
souvent s'égtrer. 

• Bien qu'une brise embMinée caresse leurs val- 
lons dorés par un beau soleil et que le vent de la 
Calédonie répande son soufile glacé sur les ondes , 
que sont-ils ces bosquets odoraos qui entourent, 
leurs superbes palais d'un rideau de feuillage?. .. La 
demeure des tyrans et des esclaveai Les bocages 
parfumés , les fontaines au sable d'or de k servitude 
nexcitent que le dédain du brave Calédonien. Il 
peut errer à son gré, libre comme le vent de ses mon- 
tagnes ; il ne connaît d'autres chaînes que les chaînes 



42 HWTOIBE DM UVTIUB0. 

fûlontairei de TaiaiNiri les csbaloM da sa /eai* 
nette ^ » 

Ces «liU>oe« o&( dam la poéfti# de Burns uae ori- 
gîmdîté et une harmonie déiieteuses. Amour de TÉ- 
eoiM et de h liberté, amour da paysage, communion 
de l'âme avec toutes les maoifeslationade Dieu daas 
la nature, amour de la femme^ telle est la poésie de 
Burns, le poMe le plus national de l'Éceese, le plus 
répété encore aujourd'hui dans les salons et dans les 
cbaumiéras« 11 aime tant la natureque la souffrance de 
la plus petite fleur devient pour lui le sujet d'unedou- 
leur charmante. On se rappelle que le pauvre labou* 
reur, ayant avec sa charrue déraciné une pâquerette 
des montagnes , lui adressa une élégie que i'Angle- 
tM-re et l'Ecosse savent par cœur. Une autre fois il 
soupire sur le malheur d'un petit mulot dont sa 
barbare eharrue avait détruit la demeure. Celle 
douce eommisération ^ jointe à une ardente passion 
pour la liberté et la patrie , fait de la poésie de 
Burns quelque chose ée tendre et de fier, dont nous 
concevons que TÉeosse soit orgueilleuse. C'est le 
digne interprète de ce peuple des montagnes, brave, 
efaevaleresqua, faospilalier^ plein de dévouement et 
d'amour» Quoi de plus chrétien , de plus calme, de 
phis grand que son églogue intitulée : le Samedi soir 
du Uécurmr? Tous les enfans de la Bretagne ont 
souvent été témoins dans la vie réelle de tableaux 

* TffttdactiondeM. Pichol. 



du méiM genre. La religton donne am ftrm(n0s fil' 
lageoises «ne- majesté inconnue aux habitons de nos 
grands centres de civilisation. La poésie de Burns 
est, dans ee motceau et dans quelques autres, toute 
patriarcaîe : ses paysans écossais rappellent la vie 
solenneRe des commencemens du monde. 

La vierHe terre d^Écosse Tut toujours fertile en 
poésie ; sans avoir le génie de Burns, Allan Ramsajri 
FergQsson, Btoomfield ont laissé de charmantes 
peintures de la vie des champs. Jatnes Hogg , sur- 
nommé le berger d'Ettriek, a publié des poèmes 
fantastiques long-temps fort estimés dans les trois 
royaumes. Maïs Tépoque était ventie frik la littéra- 
ture anglaise devait acquérir une de ses plus grandes 
gloires, celle du roman. Richardson» naquit à la 
fin du dix-septième siècle; les premières années de 
sa jeunesse furent obscures et pauvres; il les passa 
dans une imprimerie et se livra à cette profession 
jusqu'à cinquante ans. Un des plus grands peintres 
de la société anglaise vécut éloigné d'elle: Richard- 
son ne fréquentait que des fiamilles pauvres comme 
la sienne ; il put y étudier les passions humaines , 
mais non les manières, les mœurs et les vices du 
grand monde que ses écrits aiment à retraeer. C'est 
donc à là méditation solitaire et à son propre génie 
qu'il dut surtout les chefs-d'œuvre dont il a honoré 
sa patrie. Cependant sa profession le mil une fols 
en rapport avec un des types les plus brillans et les 
plus corrompus de son époque : le duc de Wharloo, 



44 HISTOIRE DES LETTlUeS. 

intrigant audacieux et éloquent, récemment tombé 
du pouvoir, chargea Richardson d'imprimer ses 
pamphlets ; mais on sent que les relations de ces 
deux hommes durent être rares et peu intimes. 

A cinquante ans , l'imprimeur ayant acquis une 
fortune se retira des affaires et put se livrer à ses 
goûts pour l'étude et la contemplation. Dès sa jeu- 
nesse il s'était senti tourmenté par une imagination 
créatrice et inquiète. Cependant son instruction 
était fort incomplète ; il ne savait pas le latin , et 
n'avait reçu que l'éducation du peuple; c'est ici 
qu'il faut admirer la puissance de l'intelligence hu- 
maine luttant contre les obstacles sociaux. 

Son premier livre , Paméla , révéla un rare talent 
d'observation et éveilla tout d'abord l'attention de 
l'Angleterre. Toutefois cet ouvrage a le défaut de 
présenter une situation qui demeure trop long- 
temps la même; malgré quelques portraits excel- 
lens, Richardson n'avait pas trouvé encore le grand 
art qui allait créer Clarisse. Les quatre premiers 
tomes de ce livre excitèrent une commotion extraor- 
dinaire dans Ic^ public; on ne parlait plus que de 
Clarisse ; l'auteur recevait de nombreuses lettres qui 
lui demandaient avec anxiété la suite de son livre. 
Ses correspondans étaient inquiets de la destinée 
de ses personnages, comme s'il eût été question 
de personnes vivantes. Richardson était sans nul 
doute plus ému encore que le public : sa création 
devenait pour lui une réalité. Ses personnages vi- 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. 15 

méat librement, selon leurs passions, leurs prin- 
cipes^ leurs caractères; ce n'étaient pas des types 
arrangés pour plaire à certains goûts dominans , à 
certaines sociétés factices , guindées ; ce n'était ni 
rimagination aventureuse de mademoiselle de Scu- 
déry ou de la Galprenède , ni la grâce rêveuse et un 
peu monotone de madame de La Fayette, mais la 
nature elle-même reproduite sans fard , avec un art 
si admirable qu'il n'était plus visible. Ces lettres 
n'avaient aucune ressemblance : chaque écrivain 
possédait son style > sa personnalité bien distincte. 
Comme Shakspeare^ comme Molière, comme tous 
les peintres de premier ordre , Richardson peignait 
Tbomme de tous les siècles et de tous les pays , et 
non l'homme de tel salon ou de telle ville. Lovelace^ 
Clarisse, le colonel Morden, tous les personnages 
qu'il a fait vivre sont aussi facilement compris à 
Béoarès qu'à Londres. Gomme les créations des vé- 
ritables génies^ ils ont droit à l'admiration de l'u- 
nivers. 

Les femmes doivent aimer Richardson : aucun 
poète ne les a peintes avec plus d'amour, n'a re- 
connu en elles plus de vertus , plus de grandeur 
idéale. Il n'est pas donné à une créature humaine de 
s'élever au-dessus des types du romancier anglais. 
Paméla, Charlotte, Henriette Byron, missHowe, 
Clémentine et Clarisse présentent des beautés mo- 
rales de l'ordre le plus pur et le plus divin. Le récit 
de la mort de Clarisse est si admirable que nous ne 



connaig60ii8 aucim morceau 4e ce genre ^ans bocuiie 
langue que bous puissions lui comparer. Jamais la 
douleur d'une perte si terrible n'a été aussi heureu- 
sement mêlée au sentiment religieux qui plane «ur 
le tableau comme une oonsolatkm sublime ; Clarisse 
est ici ridéal suprême de la femme. 

Le caractère de Lov^ee est resté CMame un type 
populaire et complet ; jamais peintre n'a mieux 
saisi toutes les imperceptibles nuances Â^une phy^ 
sionomie^plus profondément pénétré les plus mys- 
térieuses retraites du cœur. Cet amour d'unefemme 
pure et sainte pour iin homme sans mœurs est basé 
sur une obs^yation quele spectacle du monde «)os 
offre jotirnellemont, ctadonnélieu^ ee magnifiée 
drame domestique qui vint rruhoustasmer noU" 
seulement T Angleterre , mais iouto l'Europe* L'ef- 
fet fut prodigieux >en France. 

Voltaire, qui d'abord rit deslongurars de l?aa- 
teur an^is , écrivait m milieu de ses immenses 
travaux : « Vient un roman de Qarisse en six vo« 
lûmes que des anglomanes me vantent comme le 
seul roman digne d'être lo d'un homme sage; je 
sais assez fou pour le lire; je pends mon temps et 
le fil de mes études. » 

L^enihousiaste Didteot écrivait : t Cet ou^age 
m'a laissé une mélancolie qui me platt et qui dure ; 
quelquefois Ton s'en aperçoit et l'on ftie ^îemande: 
Qu'avez -vous? vous n'êtes pas dans votre étatnatU' 
rel; ique vousest»il arrivé? On m'interroge sur ma 



KMKITiftlR MftSM^ 47 

^, sur flua^ fer Urne y sur mes paf6ils, stir tkeê 
amia. mes amisl Fatnélft f GlarMe et Grandissofl 
sont trois grands drames* Arraché à eette lecMré 
par des occupations sérieuses, j'éprouvais Hndégoèt 
innoeible }: je laissaie là le devoir, et^ je reprenais 
le Iitr« de Riobardson. 6arde2-vous j^ieii d'outrir 
ces ootrages euohantefurs lorsque vous aureae quel- 
({uea devoirs à: rempUr. » 

On voii que Voltaire et Dideror étôient loin de 
sentir de la môme manière , mais en An Tantagoniste 
loi^môme avoue que ce livre lui fait perdre le fil de 
ses éludée* Quant à Dideret , son opinion fut celle 
de la plus grande partie du public français. 

Le gmnd défaut reproolié â> Riebardsen est la 
longueur de ses compositions. Sans doute Clarisse ne 
peut être lue tout eatière qaepar des personnes dont 
la vie permet bien des loisirs. Notre époque surtout, 
si avide d'évènemeng^ de drames qui se croisent et 
excitent sans cesse la eutiosité^ a perdu rfntellî* 
genoedeeet admirablaart dèsmtftnoes qui est certai- 
nement celui des plus grande maîtres. Il faut bien 
cependaitt que leok anlagoniste^ de Richardsott re* 
connaissent^ sa pviieance et conviennent que son 
enivre disparu ai on lui enlève ces mille détails 
Hieftdlleux qoicoBcodrent si admirablement à for- 
int son tabteau , parce qu'ils sont tous basés sur 
une observation profonde et minutieuse , et sur un 
sentiment si vrai des passions et des douleurs de la 
lie, que ce roman semblé une réalité. Clarisse Bar- 



48 HISTOIRE DES LETTRES. 

bwe est un livre trop long , selon le goût ordinaire, 
selon les habitudes consacrées de la littérature, 
mais non au point de vue de la vérité absolue , qui 
devrait être la loi de l'art. 

Le Grandisson de Richardson n'est pas placé sur 
la même ligne que Qarisse, malgré des beautés de 
premier ordre, parce que cet ouvrage a paru une 
peinture moins vraie de la nature humaine, et aussi 
précisément parce que Fauteur ne s'y déploie pas 
avec autant de liberté. C'est un tableau beau- 
coup moins varié et moins vaste. Et d'ailleurs 
personne n'ayant rencontré sur son chemin un 
homme aussi parfait que Grandisson , il s'est ré- 
pandu dans le public que le héros du livre n'était 
pas naturel. 

Le seul roman qui ait approché de la popu- 
larité de Clarisse dans l'Angleterre du dix-hui- 
tième siècle, c'est le Tom Jones de Fielding. Cet 
écrivain naquit le 22 avril 1707^ da^s le comté de 
Sommerset. Sa jeunesse fut^ à ce qu'il parait» très- 
abandonnée à la débauche; à trente ans il se maria 
et dissipa très-promptemenl la dQt de sa femme. La 
goutte le força de quitter la carrière du barreau , 
dans laquelle il s'était d'ailleurs mgagé sans voca- 
tion. Quelques comédies souvent assez triviales et 
plusieurs romans , joints à une place de juge de paix 
dans le comté de Middlesex , furent ses ressources 
contre la misère. Ses pièces de théâtre sont oubliées 
depuis long-t^ps , mais Tom Jones mvvB autant que 



DlSL-ItUITIÈIfE SIÉGLC« 49 

la langue anglaise. Il ne faut pas demander à ce livre 
la morale transcendante de Clarisse Harbwe ni l'i- 
déalisme magnifique d'un grand nombre de lettres 
de ce roman ; Fielding ne s'élève jamais à cette hau- 
teur. Mais son Tarn Jones est une peinture libre et 
puissante de la vie humaine , dans ses réalités vi- 
sibles , si je puis ainsi m'exprimer. Les personnages 
ment et agissent sous nos yeux avec une telle vérité 
que l'illusion est parfois complète. On aime le héros 
du livre malgré son sensualisme et sa violence, parce 
que l'on sent qu'une nature généreuse et aimante 
vibre sous cette enveloppe. Tous les types créés par 
Tieldihg se retrouvent encore aujourd'hui à chaque 
pas dans la société anglaise. Les autres romans de 
l'auteur semblent un peu des épisodes détachés de 
Tom Jones. On reproche avecraison à Fielding quel- 
ques détails d'un sensualisme trop hardi et l'abus 
des digressions; ce dernier défaut rend parfois la 
lecture de ses livres fatigante. 

Clarisse et Tom Jones sont les deux sources du ro- 
man anglais; jusqu'à l'apparition de Walter Scott, 
on peut regarderies romanciers comme des imita- 
teurs de ces deux hommes de génie. On comprend 
que nous ne pouvons citer les noms innombrables 
de cette armée d'écrivains des deux sexes qui , de- 
puis la fin du dix-huitième siècle^ produit par mil- 
liers des romans que dévore le public de la Grande- 
Bretagne et des États-Unis. Il serait peut-être juste 
dénommer Smollet, dont les romans pleins de gatté, 
VII. 4 



SO HISTOmE DEfi LETTtlBS. 

et partioulièrement Humphrey GUnker, présentent 
une galerie d-originaux très-amusans ; mais l'imita- 
tion de Fielding est encore visible ici. Pour échapper 
aux imitateurs , il feut se souvenir d'Anne Radcliff , 
dont on ne peut nier F imagination tout en condam- 
nant ses excès, et de Sterne, né à Dublin ; "vicaire db 
la cathédrale d'York, il fut long-temps absorbé par 
son ministère. On raconte que la lecture de Rabe- 
lais le préoccupa tellement qu'il négligea et les soins 
de son état et les sociétés dont il faisait le charme. 
Ses deux premiers volumes de Tristram Shandy^ pour 
lesquels il trouva bien difficilement un éditeur, 
eurent tout d'un coup un retentissement immense. 
Ce livre , quelques sermons et le Voyage sentimenial 
ferment à peu près toutes les oeuvres de Sterne. 

N. de Chateaubriand a spirituellement^ mais sé- 
vèrement peut-être, appelé Sterne un entrepreneur 
d'originalité. Il est le plus célèbre interprète de Vhu" 
moursi aimé de l'Angleterre, si peu compris du reste 
de l'Europe. Ses romans sont un mélange de gaité 
bizarre et folle et de sensibilité un peu maladive, 
mais profonde et charmante. Il semble par instans 
se moquer de tout , même de la douleur. L'amer- 
tume de sa pensée est adoucie par je ne sais quel 
' mélancolique et fin sourire. Sterne a eu bien des 
imitateurs dans son pays, en Allemagne et en 
France ; il est permis de compter parmi eux lord 
Byron lui-même , principalement dans la partie hu- 
inoristique du Don Juan. 



»tiCf iunriiiiE siÈaiMé «{ 

Hais un livre très-original est le BobinsonOrusoé^ 
que l'Angleterre possède depuis l'année I7i9* Son 
auteur, Daniel de Foê, mêlé aux que|*ell^s reli- 
gieuses et politiques de la fin du dix-septième siècle 
et du commencement du dix-ouitième^ poursuivi , 
incarcéré à rocc^sioa de ses écrits , éprouvé par des 
malheurs dans le cemniierce , était un hofl^me d'un 
caractère noble et fort, qui a inspiré son livre. Ce 
simple récit des aventures périlleuses d'un marin 
étaitbien fait poqr intéresser un peuple qui vit pour 
ainsi dire sur les flots ; mais le succès n'a pas été 
moins immense sur le continent. Cela s'explique 
par la haute moralité de l'œuvre i, qui en a ùlU un 
livre d'éducation ^«et^ comme <^n l'a dit, une sorte 
d'hymne en Fbonneur du travail at de la résignation 
à la volonté de l>ieu. 

La critique angkîse eut pour principal représen- 
tant au dix-septième siècle un homme d'État célèbre 
qui défendit avec chaleur les anciens contre le$ mo- 
dernes, le chevalier Temple; nous l'avons trouvée 
plus tard spirituelle et piquante , mais élégante et 
modérée, aux mains d'Addison et de Steele; elle eut 
encore au dix-huitième siècle un représentant très- 
célèbre, mais bien autrement despote et mordant : 
nous voulons parler du docteur Samuel Johnson ^ 
né à Litchfield , dans le Staflbrdshire , le 18 sep- 
tembre 1709. Son père , libraire à :Li|ichfleld , lui 
légua, comme un triste héritage, son qmourpour 
lesStuarts et une humeur mélancolique parfois voie* 



tô mSTOmE DES LETTBE8. 

sine de la folie. Ses études furent bonnes , mais un 
peu arrêtées par la position gênée de sa famille. Son 
père, en mourant, le laissa sans ressources. Il com- 
mença par traduire pour les libraires, et se procura 
ainsi avec peine les choses nécessaires à la vie; h 
vingt-six aàs il épousa une femme qui avait le double 
de son âge. Après des tentatives infructueuses pour 
asseoir sa position en province, il alla à Londres, 
essaya en vain d'y faire j(^uer une tragédie d' Irène ^ 
et fut heureusement employé au Magazine de M. Gave. 
La publication de son poème intitulé London, satire 
dans le genre de Juvénal , le mit en rapport avec 
Pope et lui valut quelques livres sterling. Johnson 
se répandit alors de plus en pl^s , écrivant beaucoup 
dans les journaux et les revues, préparant son 
grand dictionnaire de la langue anglaise , donnant 
au théâtre de Drury-Lane un prologue que lui avait 
demandé le célèbre acteur Garrick, qui fut son 
élève, lançant dans le public des vers qui ne sont 
pas parvenus à le poser parmi les poètes de sa patrie, 
et enfin rédigeant presque seul son journal le JRô- 
deur^ qu'il continua pendant deux années. La pu- 
blication de son Dictionnaire de la langue anglaise lui 
donna une position très-élevée dans l'estime de sa 
patrie et dans toute l'Europe savante. Johnson ne 
tarda pas à devenir l'arbitre redouté des écrivains 
anglais ; sa publication périodi<](ue sous le titre du 
Paresseux peut être considérée comme une suite du 
Jiôdeur; rien ne convenait moins que ce nom à 



DIX-BUITIÈME SIÈCLE. 53 

rbOmme qui avait toujours gdgné son existence par 
reffprt incessant de ss^ pensée. Une circonstance 
bien touchante de^sa vie, c'est que^ lorsqu'il perdit 
sa mèffe dans les premiers mois dp 17^ » il fut 
obligé d'emprunter une petite somme pour la faire 
enterrer. Il acquitta ^cetle dette et quelques autres 
contractées par sa mère en écrivant son Ras$elas, 
prince d'Abyssini^; ce petit ouvrage est remarquable 
par une morale élevée et un peu solennelle « . à la 
manière des livres orientaux. En 1762 , la fortune 
sourit enfin au célèbre docteur , qui reçut de Guil-^ 
laumë III une pension de trois cents livres sterling;, 
il s'entoura vers ce temps de plusieurs hommes 
éminens, parmi lesquels on citait Burke^ Nugent, 
Beauclerk, Langton, John Hawkins et Goldsmith»; 
11 est inutile de rappeler comme faisant partie dp) 
cette société le grand peintre Josua Reynolds, qui> 
vivaitdepuis long-temps dans l'intimité de Johnson. 
Les plus graves sujets de la littérature , de la poli-' 
tique et de l' histoire étaient traités par les associés, 
qui se réunissaient tous les lundis à la Tète-Turquç^ 
dans Gerrard Street , soho square. 

Johnson publia encore plusieurs autres ouvrages, 
parmi lesquels npus. devons citer principalement le 
Voyage aux îles ocddentales de P Ecosse ^ ouyrs^e très- 
spirituel déparé par quelques préjugés, et ses Vm 
(h foètea anglais ^ livre de critique resté populaire 
eu Angleterre, 
. Quelques auirps (raystux dQ cnUque ^xèr$()(. 



yets le mètiie téihpn Fattelitiott publique; iMpltisI 
célèbres sont : V Histoire dé la poésie anglaise, de 
Warton, et le Qmrs de lUtératHrédii grate^ et reli- 
gieux Écossais Hugues Blair, l'ami et le conèSil Aéi 
hommes éminëùs de son éik>4ue, de l'économiste 
Adaiù SmitUi de Hume, deMacpherson, deFergu- 
soii , de Johnson et suMout de Robertson. 

iôhnson passa une tieillesse mélancolique > ayant 
vu mourir la plupart de ses amid ; il expira le i3. 
décembre 1784 , dans sa soixante-quinzième année, 
et fui eitterré dàtis l'abbaye de Westminster, aii pied 
du monument de Garrick , ainsi qu'il en avait sôt^ 
Tcnt exprifné le déèir. 

' Le caractère des écrits de Jobrison est une Sévé- 
rité franèhi^ et j^at-fois rude qui ûe cédait devant au- 
cune considération. Il était très-afméde ses amis, et 
cependàiiit fà sensibilité épparaitpeu dané seslîvfes. 

Le (ïix-huitièi!he siècle^ qui avait donné le rôtàan 
à l'Angietet^rë , devait à(ussi lui douiief ^histoire, èar 
les historiens préôédénà ont vu leùï* gloire éfclîpsée 
pdit les hoflîs céièbtë's de Huriaë, dé ftôbertsbn, de 
Gibbon et de quelques àûtrëti moiii^ connue dé T Eu- 
rope. * 

Le prèiùîter deà'écrîMns quenèiis venons de éî- 
têf, ï)avidHùtaé,>éeù^7ïi à*É(ïîriibôl!i?g, d'âne 
famille noble , mliH peu ficiiU,^ se sèiitit entraîné dès 
sa première feùnéësé |)^V l'ànidur dé l^éïùde. (Cîcé- 
ron et Virgile furent dans l'antiquité ses auteurs fa- 
voris; mais l'inïîaeàse retentissement de là littéfa*^ 



ture 9t de kiipbiiQpopt^ie française au dix-huitième 
siècle agita la studieuse capitate d^ FÉcosse. Les 
écrits de Voltaire et de Montesquieu enflammèrent 
rjmaginalion de Hume. Il se ^oua à leur culte , et * 
vint en France çon^me pour se pénétrer plus profon- 
dément de l'esprit qui les avait inspirés ; il se retira 
ea Anjeq », à La Flèche, où il vécut surtout avec les 
ouyragi^ de hqcke, qu'il ne tarda pas à trouver ti- 
mide. Dsins son pyr/honisme , il arriva jusqu'à Ta- 
blme du douteabsolu , jusqu'à nier la cause première 
et reiiste][^e du monde. Il déposa ses idées dans son 
Traiîii de la ^otwe tamume^ et retourna à Londres 
pour le pi^mieir ; m^is les Anglais » tiput occupés de 
politiqMe (c'était pendant la popularité de lord Cha- 
tam)i ne s'aperçurent guère du début de ce nouveau 
philosophe, flume i^e se déconcerta pas. « Je n'eus 
mèipe pas Ja^oie , djt-il, de scandaliser les dévots. » 
Il alla passer plupieiirs apnées dans la solitude avec 
sa mère et soa frère, continuant ses travaux avec 
calme; pui^ il devint précep^teujTjd'un grand seigneiir 
anglais, puis secrétaire du général Saint-Clair, qu'il 
samt i la pour de Vienne et à celle de Turin. « Au 
milieu des douceurs de cette vie nouvelle dont le 
philosophe s'accommodait volontiers, dit M. Ville- 
main^ il s'occupait de rjefaire son Traité de la vie 
humaine^ sans pouvoir le rendre assez sceptique, 
^^if, scandaleux pour réveiller l'apathie de l'ortho* 
doxie angli^c^e. 
C^e ne fut qu'après un nouveau séjour en Ecosse 



sa mëromt des lettmes. 

et la publication de plnsieurs traités philosopbiques 
que le clergé presbytérien s*émut de tant de folles 
hardiesses. Hume, persécuté, fut obligé de quitter 
sa petite place de bibliothécaire des avocats d'Edim- 
bourg, et ne put obtenir une chaire de philosophie 
morale qu'il sollicitait. 

Enfin les premiers volumes de VHisioire (VAngle- 
terre virent le jour. Yoici ce qu'il dit lui-même de 
racci^Bil qu'ils reçurent : « ^ighs, torys, anglicans, 
non conformistes, courtisans, patriotes, tout le 
monde éleva, dit-il, une clameur de blâme et de 
haine contre mon ouvrage. On ne put me pardonner 
d'avoir donné une larme généreuse à Strafford et 
d'avoir plaint Charles l*'. t Malgré ces obstacles , il 
continua son œuvre , et les derniers volumes obtin- 
rent un véritable triomphe. Mais ce triomphe fut 
peut-être encore plus vif dans notre France , qui 
saluait alors avec enthousiasme tous les scepti- 
cismes , toutes les négations. Hume s'empressa d'ac- 
courir à Paris avec le titre de secrétaire d'ambas- 
sade. 

Il écrit à Robertson, de Paris, le l*' décem- 
bre 1763 : 

« Me demandez-vous, cher Robertson , quel est 
mon train de vie? Yoici tout ce que je puis* vous 
dire : je ne me nourris que d'ambroisie, ne bois que 
du nectar, ne respire que l'encens, et ne marche 
que sur des fleurs. Tout homme que je rencontre , 
. et encore plus toute femme, croiraient manquer au 



IMX*HUIT1ÈME âlÉCLE. 57 

fine indJupeuable des detoirs s'ils né m'adres- 
nieot an long et ingénienx discours à ma gloire. 

» Ce qai m'arriva la semaine dernière, où j*eas 
rhonnemr d*ètre présenté aux enfans du dauphin^ à 
Versailles , est une des scènes les plus curieuses où 
je me sois encore trooTé. L'alné de ces jeunes 
princes^ le duc de Berri, un enfant de dix ans, 
s'arrêta droit devant moi et me dit combien j'avais 
d'amis et d'admirateurs dans ce pays, ajoutant qu'il 
le mettait lui-môme du nombre , par le pjaisir qu'il 
avait trouvé dans la lecture de beaucoup d'endroits 
de mon ouvrage. Quand il eut achevé , son frère, le 
comte de Provence % de deux ans plus jeune , prit 
la parole , et me dit que j'avais été long'-temps et 
impatiemment attendu en France, et qu'il espérait 
pour son compte un grand intérêt de la lecture de 
ma belle histoire. Mais ce qui est plus curieux , 
quand je fus devant le comte d'Artois, qui n'est Agé 
que de quatre ans f je l'entendis balbutia* avec 
pàee quelques mots qui me parurent faire partie 
d'an compliment qu'on lui avait sans doute appris, 
et qoe l'enfant n'avait pas retenu tout entier. 

f On conjecture que cet honneur m'était rendu 
par l'ordre exprès du dauphin , qui, dans toute oc- 
casion^ ne m'épargne pas les louanges '. j 

lin historien français ne pouvait négliger ce éon 

'lifBof David Hmnelrf Edward Ritebis« ' « 



cumânt i mais qu'efldrélle tloBCl ceUA kistoifê â'kn^ 
gleterre qui préoccupe teUemeat le datipUn de 
France et toute la tialioB ? Le sc^fiquè Da^f id Htime 
porte^t-il en lui Taftiour du trai et de rhumanhé A 
indispensable à Thistoire ; d'un grand peuple? Le 
culte de la vérité eât-il pour lui une passion? Lises 
ses traités philosophiques et tous me ïéip6nàte»i 

V Histoire d'Aongleierre est un litre écrit facilement, 
élégfimment , avec t^larté : c'est ia maiiière de Vol^ 
taire; maii^ le style de Hume est monotdne, il n'a 
pas de mouvement, pai d'aspéritéls » p6ur empAdjer 
un mot de Napoléon. Rapplelez^vous la variété de 
Tacfte : son langage est tantôt solennel^ et grandiose! 
comme celui d^ne oraison fuilèbre de Bdsmet ^ 
tantôt seiré^ concis ^ regorgeant de pensées > tantôt 
brisé et dans Un désordre apparent, comme cehsi 
d'une bataille* Hume a bien peiïi dé chose dcf ces 
grandes qualités dei'bistorien. Voilà pour lafôvme« 
Quant au fond , nôits avofas déj^ expliqué ce qtai lui 
manque sous le rapport de l'ime et du ccibur ^ H est 
souvent très-pen satisfaisaïkt sous eelui de Fexacti- 
tude; il n'a pas cette autre passion indispcosablede 
Fhistorièoy l'avidité dans^ la recheifchje conièien- 
cieuse des feiïSir II avotie }ui^mème que les plaisirs 
de Paris ne lui .avaiei[ilppas> permis de consulter de 
précieux dâcumens qui lui ^'ent offerts. 

Le dix-huitième siècle a vivement admiré VHisidre 
(T Angleterre de Hume^ d'abord parce qu'il i^t^it phi- 
losophe ^ c'est-à-dire sceptî^ud (cea dew mots 



ayaiént le iùkme detis ) , enstiite parce (fate sotf 
(Buvre élait réellement très^supériéure à tout ce qae^ 
Ton possédait alors. Hume est en histoire l'élève de 
Voltaire , et certaihement il n'est pas resté au-des- 
sous de soti maître ; son esprit est souvent plein de 
sagacité; parfois aussi il juge mal parce qu'il ne 
sent pas assez. On ne trouve pas en lui cet amotrr 
de la patrie et de la société qui vîviQe et échauffé : il 
semble «('intéresser froidement aux luttes qui dé- 
chirent W éoèur dé TAngletérre ; il est froid devant 
les vertuâ et devant le^ criniési. Il rapetisse souvent 
les cèhises pour rendre son ^écit plus piquant et 
plus étYsrh^é. Il èfaërche pluà l'extraordinaire qtie le 
▼rai» Lés mystèresl déA passiônls' humaines lui échap- 
pent Soùvebt, et le véi^itabte drame de l'histoire 
àhpUttHi. Sa vaste composition marché un peu au 
baciaM, et chaque partie n'est pas disposée avec un 
îrtsùflfsaht:liais.soïi récit est clfetîr, sa raison froide, 
ibùi^at éïéwéef, sôti esprit plein de liberté/ ffdîstri. 
bûé éértdiiisf dëtaîls' avec ôï*dré; son styk^ cotome 
ùotiè l'avons déjà dit , eôt correct, pur, élégant; it 
était â[ h "mode èontimé philosophe sceptit^ue, et if 
Venâîtliè ]()^èniîéf t éû vôîlà assei pour justifier son 
succèar; 

Peidant ces ôvàtîôÏÏs de Hùine à Paris, Rous- 
seau, tféfensfeuf éloquent du spîrilùialî^ihè et dtf 
(ïéKth'è , ïloué^eaù, par itistanâ éî religieux qu'on le. 
f>rendràit pour un disèî'ple dé l'Évangile , était per- 
sécuté par les admirateurs dii philosophe anglais. If 



60 HISTOIRE PE8 LETTIUKS. 

se lia avec Hume et le suivit en Angleterre^ où ils 
ne tardèrent pas à se brouiller. Nous savons que le 
caractère de Jean -Jacques était aigri , qu'une mono- 
manie déplorable lui faisait voir partout des enne- 
mis et des conspirateurs contre son v&çio^* Mai$ 
quelle sympathie pouvait exister entre le plus en- 
thousiaste des écrivains français et le froid et scep- 
tique David Hume? 

L'historien de TAngleterre fut sous -* secrétaire 
d'État dans le ministère du général Gonvvaj* Puis 
il renonça entièrement au^ affaires publiques , et se 
livra à une vie douce et tranquille jusqu'à sa mort» 
arrivée en 1776 ^ à l'âge de soixante-cinq ans. 

La calme et studieuse Ecosse fut^ à cette époque, 
la patrie de l'histoire. Fils d'un ministre presbyté- 
rien d*Ëdimbourg , Robertson fit de fortes études et 
entra dans l'état ecclésiastique. Sa vie se, passa dans 
les soins de la famille, car le jeune ministre s'oc- 
cupa de Téducation de ses six frères. La prédication 
et les études historiques complétèrent sofi existjence 
solitaire et à l'abri des orages du monde., Robertson 
fut aussi un élève de Voltaire; il imita jsa manière 
et les principal^ dispositions de ses histQJlres ,.mais 
il fut plus grave; il rejeta le scepticisme voltairien et 
prit souvent pour guide la pensée chrétienne. Là^st 
dans le dix-huitième siècle son caractère propre , sa 
personnalité. Cet esprit de l'historien chrétien anime 
surtout un de ses sermons, qui n'est qu'un tableau 
de l'état du monde à Tavènement du cbri^lianismet 



. DlX-HUITltMB SIÈCLE. 01 

VlTutoire de Charles - Quint de Robertson , son 
BiUnre (tÊcosse et son Histoire d^ Amérique présen- 
tent les mômes qualités et les mêmes défauts. C'est 
lia style élégant et sage^ mais un peu froid. L'ima- 
gination, cette grande faculté qui ressuscite les 
époques et les hommes avec leurs idées et leurs pas- 
sions, manque à Robertson comme à Hume; c'est là 
le principal défaut do l'école écossaise du dix-hui- 
tième siècle. Ses qualités , comme nous Ta vous déjà 
dit, sont la clarté et l'élégance. Dans Tappréciation 
des grands faits historiques^ Robertson manque 
souvent de profondeur : voyez comment il juge les 
croisades dans son introduction à l'histoire de 
Cbarles-Quint ; voyez ce qu'«l dit de Luther et com- 
bien peu il comprend la puissance oratoire de cet 
homme. Robertson efface toutes les aspérités, et 
souvent aussi la nature même des caractères ou des 
événemens qu'il veut peindre. Il passe sur tout une 
sorte de niveau; l'élégance académique de son style 
ne lui permet pas de reproduire la rudesse du moyen 
âge. Malgré tout cela , ses histoires sont des récits 
larges et clairs, sérieux et dignes, exempts des plai- 
santeries frivoles de Voltaire. Gibbon a bien plus 
obéi aux passions de l'écrivain français. 11 naquit à 
Pntney, près de Londres, le 27 avril 1787. Dès l'âge 
de quinze ans son esprit curieux et investigateur le 
porte à étudier les controverses théologiques ; l'flt^- 
tfnre des variations le fait passer du protestantisme au 
catholicisme. Son père, irrité, l'envoie à Lausanne, 



M fltifOlAE tu LKTfUKS. 

OÙ il ftit ramené à ses premières croyances par des 
raisons assez mesquines. Il continua de se Itérer 
dans cette ville à son goût passionné pour t*étude dd 
Tantiquité ; afin de donner une idée de son avidité 
dans ce genre , nous rappellerons qu'il avait à quinze 
ans commencé une histoire du r^ne de Sésostrii* 
Au milieu de ses recherches , il dévorait les écri- 
vains français du dix-huitième siècle et s'appropriait 
leur scepticisme. Après cinq ans de séjour à Lau- 
sanne, il retourne à Londres , y écrit en français un 
livre médiocre intitulé Essai sur l'étude de la Utiéra- 
turcf part pour ritalie, arrive à Rome, et là , parmi 
les décombres du vieux monde, la pensée de son 
ouvrage lui vint. 

a Ce fut à Rome, dit-il dans ses Mémoires, le 15 
octobre 1764^ que, rêvant assis parmi les ruines da 
Capitole, à Theure ou des moines, pieds nus, 
chantaient les vêpres dans le temple de Jupiter, la 
pensée de décrire la décadence et la chute de cette 
ville s'éleva tout à coup dans mon esprit. » 

La passion de Thistoire remplit toute la vie de 
Gibbon ; il fut membre des communes et resta silen- 
cieux au milieu des solennels et dramatiques débats 
sur TAmérique; là n'était pas sa vocation. Son 
livre , Histoire de la décadence et de la chute de Fempire 
romain, est une des plus vastes compositions histo- 
riques de TEurope moderne. Gibbon en publia d'a- 
bord deux volumes, qui furent reçus avec des éloges 
enthousiastes et des critiques passionnées. L'au- 



teviriit^nti France, et y trouva l'accueil lei^lus gra- 
cieux, f A cette époque, ditM. Villemain, la France 
était comme cette Athènes pour laquelle Philippe 
et Alexandre faisaient la jg[uerre et dont le suffrage 
doQ&aitla^oire, » L'hittorien retourna de nouveau 
en Angleterre, i^uis se retira à Lausanne , où il ter- 
mina son livre , comme il nous l'apprend lui-même 
ims une page touchante, le jour ou plutôt la nuit du 
27 juin 4*^87. 

L'ouvrage de Gibbon révèle une érudition ef- 
frayante , et , sous ce rapport, c'est un livre colossal. 
Mais que de qualités il lui manque pour atteindre à 
la véritable grandeur historique. 11 n'a presque au- 
cun instinct généreux. Cette énorme puissance ma- 
térielle de l'empire romain lui parait superbe et 
l'aveugle; jamais nous ne le voyons blessé du gigan- 
tesque despotisme des empereurs. Mais le grand 
erime de Gibbon est à nos yeux son hostilité contre 
le christianisme, qu'il n'a jamais su comprendre. 
GoDoune nos idées à Cet égard sont bien connues et 
que fkous pourrions être accusé de partialité , nous 
aimqns à nous appuyer ici sur l'opinion d'un homme 
que certains lecteurs acc^^eilleronl avec moins de 
prévention; M« Yillemain dit de Gibbon: « Le 
chrislianisme lui-même fut i ses yeux une espèce 
d'accident barbare qui dérangeait cette harmonie 

de draiination et de servitude paisible 

Il ne lui semblera pas que le christianisme était un 
eoatre- poids donné à l'esclavage du monde; il ne 



64 HISTOIRE DES UTtMS. 

remarquera pas cette révolution 4|ui faisait que la 
liberté , chassée du forum et du sénat , s'était réfu- 
giée dans le stoïcisme ; que, chassée du stoîcboie et 
devenant plus populaire, plus cosmopolite » elle 
s'était réfugiée cUins TËvangile. U pe sera nullement 
touché de cette revendication que la pensée hu- 
maine fait d'elle-même. Mon , les chrétiens lui pa- 
raîtront des perturbateurs} il lui semblera juste 
qu'on les immole; il sera sans pitié pour eux ; il 
vous dira qu'à tout prendre les lois de l'empire 
étaient rigoureuses , mais sagement exécutées. . . 
• . . -; Eh bien ! j'avoue que je ne connais pas dans 
I l'histoire une erreur plus grave et plus offensante 
pour la raison. » 

Cette erreur est si grave qu'elle fausse toute cette 
grande composition de l'historien anglais^ qu'elle 
en détruit l'effet^ que , de toute cette suite prodi- 
gieuse d'événemens qui offraient à l'auteur tant de 
sujets de hautes et profondes méditations , il ne sait 
&ire sortir aucune grande leçon pour les peuples et 
les rois. Il a les dons de l'esprit^ mais il manque de 
ceux de l'âme. Toutefois terminons ce que nous 
avons à dire de lui en admirant Tordre avec lequel 
il a reproduit cette immense série historique qui 
s'étend depuis Auguste jusqu'à Sixte-Quint, et re- 
connaissons qu'il fallait de vastes facultés pour clas- 
ser ces innombrables matériaux et s'orienter dans 
ce labyrinthe inextricable. Quelle magnifique pro- 



bll-flUITlÈlCE SIÈCLE. 65 

doetion Gibbon aurait pu nous donner s'il avait 
marché à la lumière du christianisme! 

Nous avons cherché à caractériser les trois grands 
historiens de l'Angleterre ; il est juste de mention- 
ner après eux Smollét , qui est resté loin de ces 
maîtres dans l'opinion de l'Europe. Notre contem- 
porain , le docteur Lingard , auteur d'une Histoire 
d'Angkterre écrite d'après les idées catholiques, a 
VQ sa renommée s'établir promptement dans sa pa- 
trie et sur le continent. Son ouvrage est encore trop 
récent pour être définitivement jugé- 



vu. 



m. 



Be l'éloqaenee parlementaire en Angleterre an diz-huîtîème 
fîèele. -* &or4 .fUialMi. ^3atke. •— Fez. ^ flheridan. -^ Vitt* 
9««l^ef n|9|« mfr r^Ofveap^ jadi4^lw«« — lipef ^l^i^lwe , eto« 



L'éloquence p6K(îque ne s'est guère rencontrée 
sur notre route depuis les temps de la Grèce et de 
Rome. Les rép'ubliq^ues italiennes, malgré leurs 
orages, en offrent très-peu d^exemples, parce que 
leurs gouvernemens étaient généralement trop des- 
potiques. Les conciles sont les .assemblées du moyen 
âge où Téloquence a pu se^ développer avec lie plus 
de Hberté. Sans doute, dans ces débats sur la reli- 
gion , où venait se fondre si souvent la vie civile des 
peuples, les hommes inspirés par la foi , les prêtres 
etlesévêques du moyen âge ont dû prononcer des 
discours magnifiques ; mais il n'y avait pas là fie 
»téno{(rapbes peur les recueillir. 



68 HISTOIRE DES LETTRES. 

Nos États généraux sous le roi Jean avaient offert/ 
au milieu de nos malheurs , un spectacle plein d'en- 
seignemens; mais la parole ne resta pas long-temps 
libre, et, aux siècles suivans, les États ne furent 
plus une arène de discussions indépendantes,* mais 
une simple réunion où un seul orateur exposait les 
vœux et les besoins de chaque ordre. C'est rAngle- 
terre qui , par ses institutions , donna la première & 
liberté à la parole de Torateur politique , et offrit 
des modèles dignes d'une étude sérieuse. Noais 
avons vu combien l'éloquence était stérile pendant 
cette terrible révolution anglaise du dix-septième 
siècle. Cromwell fut peut-être le seul orateur de 
cette époque orageuse, mais il faut se garder de le 
comparer aux grands maîtres de la tribune. L'esprit 
du protecteur est empreint d'une religion sombre 
qui ré\èle toute l'histoire de son temps. Il mêle 
toujours les sentimens religieux à sa propre dé- 
fense; il cherche à identifier sa cause avec celle du 
christianisme, comme si tant d'acte^ de sa vie ne re- 
poussaient pas énergiquement toute similitude. 
\oici comment il se défend des accusations de four- 
berie portées coiitre lui : 

c C'était, disent quelques personnes, la four- 
berie du lord protecteur, c'était la ruse de cet 
homme et ses intrigues qui conduisaient tout; et, 
comme on dit encore dans les pays étrangers , il y a 
cinq ou six hommes en Angleterre qui ont de l'ha- 
bileté; ils font toute chose. Oh ! quel blasphème 



DlX-HUITltME SIÈCLE* 69 

dite3<-vous làl Parce que des hommes qui sont sans 
Dieu dans ce monde ignorent et ne peuTent com- 
prendre ce que c'est que de prier, de croire , de 
recevoir les réponses de Dieu et d*6tre inspiré par 
son esprit y etc., etc.; ceux qui attribuent à telle ou 
telle personne l'idée et TàccompUssement de ces 
grandes choses que le Seigneur a opérées au milieu 
de nous y et qui prétendraient qu'elles ne sont pas 
la révolution de Jésus-Christ lui-même, sur qui 
repose le gouvernement, ceux-là parlent contre 
Dieu , et ils tomberont sous sa main sans le secours 
d'un médiateur. Ainsi , quoi que vous puissiez pen- 
ser de certains hommes, quoique vous disiez , cet 
homme est rusé, politique, subtil (je prends cela 
pour moi) ; prenez garde, je vous le répète, de ju- 
ger, les révolutions de Dieu en croyant examiner 
le produit des inventions des hommes '. » 

Ce fragment révèle d'une manière vive et forte le 
caractère du peuple anglais à l'époque de la révolu- 
tion qui sacrifia Charles T'. Cromwell n'était-il 
qu'un l^ypocrite, ou poussait-il le fanatisme de ses 
idées jusqu'à se prendre pour un continuateur du 
divin rédempteur des hommes? Il y avait peut-être 
en lui un peu de ces deux sentimens. L'aveuglement 
des passions et de l'égoïsme n'a pas de limite$. 

Il serait iùjuste de ne pa% mentionner encore au 
dix-septième siècle les discours éloquens prononcés 

^ Traduit par M. Villemain. 



*70 BliTOlM Mi tftHKM. 

par Tilhittre et iBfortuiié Strâfforddiirâttt son p6^ 
ces; mais après ces deoi homiutes ovi ne rencontre 
que des orateurs parlant d'uAe façon monotone: 
comtne Ta remarqué M. TiUémttin , on cfoiraH en- 
tendre toujours le même homme. 

Sous la rehie Anne^ un ministre habile, Boling- 
broke, a dû être un grand orateur, si Ton en juge 
par ses écrits et par l'esprit prodigieux qu'il dé- 
ployait dans la conversation , selon le témoignage 
de ses céntemporains ; mais ses discours n'ont pas 
été publiés. Pendant le long ministère de iValpole, 
HVindham , lord Carteret , Poltèney , Shei*idan , 
fixèrent sur eux l'attention de l'Angleterre. Oa 
trouve souvent, dans les discours de ces Orflletirs, 
rélo(]uence posilive des hommes d'affaires, des hom- 
mes d'État. TValpole est plein de finétoe et de ruse^ 
Windham est nerveux et serré , 8heridan est prodi- 
gieusement spirituel ; mais le temps de lA grande 
éloquence anglaise n'était pas encore Venu. Elle 
n*eut son magnifique développement que vers la fin 
du dix-huitième siècle, lorsqM la guerre d'Ame* 
rique agita l'Ennope ; H tribune ângldise retenlit 
alors d'accens génëreujt, de pettséeii hôblés et uni- 
terselies qui trouvèrent de l'échb ebn tons les peu- 
ples du conlittent. 

William ÎPitt, lord ChàlaM^ est ta grande figure 
de cette glorieuse époque de lliistoiré patlefnen- 
taire d'Angleterre. Quoique né d'une famille assez 
médiocre; il reçut une éducation e* ImnMiifeaVec 



•«HKaitlK UiSMk "là 

k «miéie du patlfui^t \«qs4 (bm T^tt^^ ^ 
l'aitiqiûté ^ il pratiqua suvlMt IXtenQ^tMlMft «t Ci- 
oéroA, «t y nuiaa noiii^ukoidiil V4ilQ9u«§c(^ m»il 
dM s^qUiMna da fieitô |ialriotiqiM et. dû ^goUé 
perfODnaUe* ApvàA qualqueii voyage» m Fn^iMa e| 
en Italie ) le jeune Pitt retourna dans 6ûlipAjl|» fà, 
r^sçgf dant dç soA caractère et de son sénie i)e tarda 
pas à le faire nommer à la Chambre oe^ commùi\ef 
par le bo^rç d'Old-Sarum* H avs(i( vlq^t-sept ansi 
Ses premières lu^es contre le mipistre ççrruptéùr 
Walpqle révélèrent up talent ple^n d'élégance, form^ 
sur les beaux modèles antiques , et souvent d'une 
ironie et d'une ardeur adn^irables. Sa réputation 
s'établit rapidement daqs toute rAn{|leterre. 

A la chute du duc de Newcaqtle, en 4756, Wil- 
liam Pitt fut appelé au piinistère. Fils d'{in simple 
écuyer^ ayant à peipe deux cents livres sterling de 
revenu , il remplaça la paii^sance et la fortune par le 
génie, et succéda dans le pouvoir aux plus grands 
noms dp TAngleterre. Ce fqt une victoire pour les 
idées démocratiques. Tonâbé du ministère et rappelé 
Tannée suivante^ William Pitt, pendant aiiatre an- 
nées de gouvernement , éleqflit la puissance de l'An- 
gleterre^ qui domina alors presaûe tous les cabinets 
de l'Europe^ et se répand'jt sur le monde pour Tas- 
servîr et Vexploiter. A revènement' dé George IIÏ, 
lord Bute s'empan^. da la 4U>nûm^. 4» prîOPft» et 
William Pitt se retira dm »ff»ri^ , fftm imS r^0Mr 
daa^ kfiiçleBiettt* GpX liMnne é'tm vmè^iî^ iàp 



7S HffttOIRk DES LETTlUBêl. 

vertu sans laquelle Ton ne peut obéir & la toii de 
sa conscience , le dédain du pouvoir. Toujours 
ferme et ne se soumettant qu'à des principes , il 
porta toujours la tête haute devant les rois , parce 
que le gouvernement était pour lui un devoir et non 
une passion. 

Appelé encore une fois au ministère en 1766, 
il fut nommé pair et créé vicomte de Ghatam } mais, 
accablé d'infirmités et obligé de quitter le gouver- 
nement^ il se retira dans la Chambre des pairs, où 
il continua à défendre la liberté , la raison et la jus- 
tice. Nous passons quelques détails de sa carrière 
parlementaire pour arriver au grand événement qui 
fit éclater tout son génie de tribun. Nous voulons 
parler de la révolution américaine. On se rappelle 
combien l'Angleterre eut de peine à voir cet im- 
mense continent se détacher d'elle et revendiquer 
l'indépendance , qui est le droit sacré des nations. 
Gomme toujours on vit un parti intraitable , ne te- 
nant compte' ni des idées, ni des faits, et s'obstinant 
à arrêter la marche des choses que rien n'arrête; 
en vain lord Ghatam veut, par des concessions, 
concilier les droits de l'Angleterre et la liberté des 
colonies; la voix du génie est méconnue,' mais au 
moins elle a recueilli l'admiration du monde. 

Détachons des discours du grand orateur quel- 
ques fragmens qui pourront donner une idée de son 
talent. Le ministère venait de présenter unbill pour 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE, 73 

TeiiToi d'un nouveau corps do troupes en Amérique; 
lord Ghatam prend la parole : 

< My lords, Tétat de souffrance qui m'accable ne 
pouvait m'empècher de soumettre à vos seigneuries 
mes pensées sur le bill aujourd'hui débattu et, sur 
les affaires de FAmérique. Si nous faisions un ra-- 
pide retour sur les motifs qui ont engagé les ancêtres 
de nos concitoyens d'Amérique à laisser leur pays 
natal, à courir les dangers innombrables de ces 
contrées lointaines et inexplorées , tiotre étonnement 
de la conduite que tiennent leurs descendans de- 
vrait naturellement disparaître. Souvenez-vous que 
ce coin du monde est celui où des hommes d'un es- 
prit libre et entreprenant se sont enfuis plutôt que 
de se soumettre aux principes serviles et tyranniques 
qui dominaient alors dans notre malheureuse An- 
gleterre : et devez-vous vous étonner, mylords , que 
les descendans de ces hommes généreux s'indignent 
quand on veut leur ravir des privilèges si chèrement 
achetés ! Si le Nouveau-Monde avait été colonisé par 
les enfans d'un autre royaume que l'Angleterre , ils 
y auraient apporté avec eux peut-être les chaînes 
de l'esclavage et l'habitude de la servilité. Mais ces 
hommes , qui se sont enfuis de l'Angleterre parce 
qu'ils n'y étaient pas libres, doivent garder la li- 
berté dans le monde où ils ont cherché leur asile* 

* Mylords , je suis vieux ; je voudrais conseiller au 
noble lord qui nous gouverne de pren4r9 lUM mé- 



Ï4; HISTOIRE 1>£8 LBT»Cft« 

thode plus douce, pour régir VAmérique ; en l&)0)tf. 
n'est pas^ loin où cette Amérique pourra rivaliser 
avec naus, non-seulement dans les armes, mais 
dans le commerce et dans tous les arts. Déjà les 
principales villes d'Amérique sont instruites et po- 
lies, et entendent la constitution de cet empira 
aussi bien que le noble lord qui nous gouverne. 

» Mylords , c'est une doctrine que^je porterai avec 
moi jusqu'à la tombe : ce pays ne possède pas sous 
le ciel le droit de taxer l'Amérique; cela est coa- 
traire à tous les principes de justice et de politique: 
il n'est point de nécessité qui puisse le justifier ^ ? 

Dans tous ces débats sur la guerre d'Amérique, 
et ils durèrent des années, lord Chatam n'a cessé 
de montrer une éloquence sublime, pleine d'uo 
profond sentiment d'humanité et solennelle comme 
la vieillesse; il n'a pas l'emporlement terrible de 
Mirabeau, l'abondante et si harmonieuse parole M 
Démosthènes , mais il est grand de sa propre gcao* 
deur, grand surtout de la générosité de son âme, 
grand de son caractère. 11 n'y a pas d'éloquence de 
premier ordre qui ne découle de cette source. U 
tribune française ne nous a pas offert l'alliance de 
tant de génie et de tant de vertu. 

Plusieurs orateurs émineatts se mêlèrent au drame 
politique dominé par lord Chatam. Burke, oi ai 
Irlande en 1730, eut pour père unavx)cat de Publiuî 

« TuàJoiJL ftaU^ YdieiuiB. 



MX-ffOITIÈMB SliCLR. 75 

il fit debonaea études et se rendit k Londres à tmgt* 
trais ans poor s'adonner au barreau. Mais il était 
pauvre, et eette profession se fait lentement; aussi 
Burke se mita écrire pour les journaux et les édi- 
teurs ; son livre^ Réelamaiion en faveur de la société nor 
tureUe, que M. YiUemain a appelé une parodie des 
pamphlets irréligieux de Bolingbroke, lui attira 
beaucoup d'ennemis , surtout dans les rangs de Ta-* 
ristocratie et des hommes religieux. Son active car- 
rière d'éêrivain le mit en rapport avec le célèbre 
critique Samuel Johnson, avcô le peintre Reynolds 
et le comédien Garrick. Burke fit grand bruit comme 
publiciste, et les hommes politique^ qui l'entou- 
raient désiraient son entrée au parlement; mais sa 
pauvreté était un obstacle invincible. Un ministre, le 
marquis de Rockingbam, lui (itdon d'une propriété 
qui le rendit éligible : il arriva à la Chambre des 
communes à Irente-cinq ans^ 

Les débuts oratoires de Burke étonnèrent l'An- 
^letert^, qui h'avait jamais entendu un pareil lan« 
gage; les orateurs de cette nation parlaient ordinai- 
rement la langue des affaires, langue positive et 
eondsé. Burke avait dans Téloquence quelque chose 
de brillant, d'enthousiaste, d'oriental, qui est le 
earûctère des écrivains de sa nation '. Aussi excita- 
l-il , dès qu'il parut v l'attentioii de tous les partis ^ 

* Thomas iloore, entre autres, semble un enfant de Tlnde 
ou 'dèèMrflB Bé VfH^fbnltJe , égaré dans l'Occident 



76 HlSTOlâE DES LETTRES. 

on critiquait souvent cette poésie si inattendue et si 
nouvelle à la iribune ; mais elle avait de nombreux 
imitateurs^ et ses détracteurs eux-mêmes coniri- 
buaient à la populariser. 

Henri Fox n'eut pas^ comme Burke, à lutter 
contre les obstacles d'une position obscure; il était 
fils d'Henri Fox , lord HoUand , l'un des plus habiles 
amis de Walpole : par sa mère il était allié aux 
Stuarts. Chesterfield a dit de lord HoUand : « Cet 
homme n'avait aucune notion , aucun principe de 
liberté, de justice; il méprisait comme des sots ou 
comme des hypocrites tous ceux qui pouvaient ou 
paraissaient y croire ; et il a toujours vécu comme 
Brutus est mort, en appelant la vertu un vain mot. » 

On comprend quelle influence un tel père pou- 
vait avoir sur l'avenir de Fox; aussi, maljgré des 
études brillantes , se livra-t-il de bonne heure à la 
dissipation et même au jeu, passion effrénée que 
lord Holland sembla favoriser en lui , et qui eut sur 
sa vie, comme sur celle de Benjamin Constant , une 
influence déplorable. 

A dix-neuf ans il est appelé à la Chambre des 
communes. Le pouvoir trouva le moyen de dissimu- 
ler l'illégalité de sa nomination , et son père lui pro- 
cura un emploi considérable ; le jeune orateur se 
maintint donc pendant quelques temps dans la 
ligne ministérielle , dont cependant sa nature indé- 
pendante le faisait dévier quelquefois; mais, aux 
évènemens de là guerre d'Amérique, l'éloquence de 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. 77 

Burke enflamma celle de Fox, et nbn-seulement il 
passa ddns l'opposilion ()uand il s'agit de la grande 
question américaine , mais il défendit avec force les 
droits des catholiques d'Irlande, et reçut pendant la 
séance un bill.et de lord Norlh qni lui annonçait sa 
destitution* De ce moA^ent Fox sera Cdèle aux idées 
de liberté et.de justice; le grand orateur sera ton- 
jours sur la brèche quand il faudra défendre l'indé- 
pendance des peuples ou arracher un citoyen au 
despotisme du pouvoir. 

L'homme contre lequel il devait lutter toute sa 
vie, le second (ils de lord Ghatam , William Pitt, 
reçut une éducation aussi sévère que celle de Fox 
avait été libre et imprudente. L'illustre Chatam et 
lady Estber, sa femme ^ fortifièrent de tout leur pou- 
voir , dans le cœur de ce jeune homme étonnant , les 
sentimens d'une piété austère. H étudia les auteurs 
grecs et latins avec un enthousiasme étrange , non- 
seulement les historiens ot les orateurs, mais les 
poètes. Son professeur Wilson a dit : t Sa sagacité 
était si vraie et si profonde, son intelligence si pro- 
digieuse, il avait si bien étudié toutes les beautés , 
toutes les finesses de la langue grecque , que si l'on 
avait découvert de son temps une pièce inconnue de 
Ménandre ou d'Eschyle ,: ou une ode de Pindace , 
je suis persuadé qu'il l'aurait sur-le-champ mieux 
entendue que les plus célèbres érudits. » 

La correspondance de lord Chatam révèle toute 
son exquise tendresse pour cet enfant de génie; 



^ aiSTOHlE MB LETtREd. 

quand'ce grand homme mourut , Pitt av^ dk'^hint 
ans, et trois ans après il siégeait à la Chambre âes 
<;ommunes. On lui propose un ministère » qu'il re- 
fuse. Fox saisît le pourvoir et tomba bientôt devsint 
ila majorité de la Chambre des pairs. Wiiliam Pitt 
avait alors vingt-quatre ans; il s'empara du mi* 
nistère eomme d'une conquête; les circonstances 
étaient graves , et tout le monde redoutait alors 
cette épreuve. Pitt n'avait pas l'éloquence éclatante 
de son glorieux père, mais plus de raison pratique, 
ipitts d'appréciation froide des choses, une logique 
invincible et une volonté si énergique et si patiente, 
que les plus fiers caractères se sentaient domptés 
parce jeune homme impassible, qui accueillait avec 
un^ourire les paroles les plus ardentes de l'oppo- 
sition. 

Les débats sur l'Amérique^terminés , tirais grandes 
questions se présentent dans les annales du parle- 
ment anglais pendant la dernière partie du dix- 
huitième siècle : le bili de l'Inde, la<régence et la 
révolution française. 

Les immenses richesses de IMnde dédomma'^ 
geaient amplement l'Angleterre de ses pertes dans 
le Nouveau-Monde; mais les Yerrès modernes ne 
manquaient pas dans ces vastes et opulentes con- 
trées. Le procès de Hastings, le plus célèbre spo- 
liateur des Indiens, fixa les regards de PEurope 
entière. Fox, par son éloquence et l'autorité qu'il 
fiwit conquise ^ans le paiement , s'était «aisj du 



^a^nr. Itei aimé du prince dont il était ninialro, 
la grand orateur présenta un bill ur Tlnde , dans le 
à«t de Mmédier a«ix abus énormes dont nous ve- 
Bontdeipariertet obercfaa à Iransféver à la Chambre 
des communes «ne des plus influentes prérogatives 
de ia couronna, la diaposilicHi de places très-jucra^ 
lifes. lia Chambre des «communes était trop inté- 
ressée dans la question pour ne pas seconder les vues 
4uimiMrtre; maïs «on projet échoua à la Chambre 
des icirdft. Fok tombai Pitt mcnta au pouvoir. 

LafMMiticin dtf jeune ministre était des plus dé- 
Ikatesç H &Uait régler cette ^grande affaire de l'Inde 
etloiter contre le^puiiœant forateur récemment mi- 
nistre et redevenu le chef de l'opposition. Le non- 
wiH Uà f«t œjeté^ et Pitt resta trois tmois iné- 
Inraobble devairt cette GhaindiFe ^i repoussait 
i iBp i i t ya blelnent toutes ses propositions, il déploya 
dans iees4atles«[ie ténacité héroSque, fui jeta toute 
rAngfetdrre dans une sorte d'admiration. Au iK>ût 
de trois Blets d'^hecs, il«e sentk fort, obtint du 
roi une dissolution, etlanation nomma une chambre . 
qui pfèta au jeune ministre l'appui d'une nom- 
breuse migorité. Dès lors Pitt s'établit à demeure 
dans ie fauteuil ministériel : il y resta vingt ans. 

Voilà Ile premier drame du paiement anglais de- 
puis la «réivolution américaine. Pitt , fort de 'l'amitié 
du roi et de son influence parlementaire, s'occupait 
de l'agrandissement de sa patrie, lorsque tout à 
^(mp, en 4788, George III, ce prince d'une vie au9^ 



80 HlgTOlAE DEd LEtnfiS» 

.tère^ d'une ftme modérée et noble t est frappé d'a- 
liénation mentale. 

Fox apprend cette noutelle en Italie^ où il était 
allé se délasser des fatigues d'une session laborieuse. 
11 accourt en toule hâte à Londres; le prince de 
Galles , successeur de la couronne , était dévoué à 
Topposition, et Tillustre orateur comptait bien res 
saisir le pouvoir. 

La session s'ouvre sans discours de la couronne; 
Pi U annonce aux Communes le déplorable état du 
monarque ; il demande que l'on cherche dans la lé- 
gislation et l'histoire d'Angleterre quelle conduite il 
convient de tenir dans cette circonstance solen- 
nelle. . 

Fox, impatient 9 combat tout délai , toute re- 
cherche y et déclare que le prince régent doit im- 
médiatement recueillir le pouvoir. Pitt maintient 
son opinion Qt demande un comité de recherches; 
il est formé et fait son rapport. Alors la lutte s'en- 
gage , savante et vive tout à la fois, lutte de prin- 
cipes» mais bien plus encore (il faut malheureuse- 
ment le reconnaître) d'ambition personnelle. C'est 
Pitt» le défenseur du pouvoir, qui invoque la souve- 
raineté parlementaire pour régler la régence ; c'est 
Fox, l'homme aux doctrines populaires , qui défend 
l'hérédité et repousse l'iatervention du parlement : 
c'est ainsi que l'égoîsme fait taire la conscience. 

En lisant ce débat, imparfaitement il est vrai, 
comme on peut le lire dans des fragmens insuffi- 



>aiiâ, car les discours du parlement d'Angleterre i 
cette époque n*ont pas été consèryés tout entiers, 
OD remarque chez les deux grands maîtres de la pa- 
role un langage ferme et simple, une ironie qui des 
deox côtés frappe juste puisque tous deux s'accu- 
sent d'ambition , la langue des affaires , grave et le 
plus souvent calme. 11 ne faut donc pas chercher ici 
ce tumulte de paroles qui retentissait dans l'agora 
OQ dans le forum , ni cette fougue terrible que nous 
rencontrerons bientôt en France. 

Noos choisissons le plus énergique passage de 
Fox: 

< Je vous le demande , dit-il ^ est-ce ici l'occasion 
de déployer ce pouvoir constitutionnel de ipésistance 
à la prérogative et de combattre l'influence de la 
couronne dans cette Chambre? Je Tavoue, j'ai tiré 
gloire de cette lutte quand la couronne était dans 
la plénitude de ses pouvoirs ; mais je rougirais de 
fouler aux pieds ses droits , maintenant qu'elle est 
gisante devant nous , dépourvue de toute force et 
incapable de résistance. Que le trés-honorable gen- 
tilhomme s'enorgueillisse d'une semblable victoire , 
qu*il triomphe sans combat» qu'il prenne avantage 
des calamités et des misères de Thumaine nature ; 
que, semblable à quelque avare et dur seigneui' 
d'un manoir voisin de la mer^ il se gorge de ri- 
chesses acquises par le pillage des naufragés, et par 
Ce droit rigoureux de trouvailles et d'aubaines exercé 
tor toutes les choses que les accidens variés du' 
m. 6 




BisToniK DES urntEjsi. 
lèvent jeter en sa puissance; pour ipoi, 
je ne me vanterai jamais d'avoir remporté de ^lef 
Victoires et d'avoir garni mes mains de richc^sse^ 
ao^asséesàce prix. » 

L'insulte était poignante ; Pitt n'en semble pas 
ému; il répond froidement , faisant d'abord de 
longes citations historiques qu'il puise dans les 
pègnes éloignés de Richard II et de Henri VI; puis, 
guand il a traité longuement et théoriquement I4 
question de régence , il aborde la question persoD- 
jpellpy 9t 1^ fait avec une remarquable dignité. Fox 
avait dit qu'il redoutait la régence du prince df 
(îalles p^rce qu'!il savais qu'il n'avait pas sa cpa- 
ijiapce : Pitt répond \ 

f Quant k cette prétendue conviction de ne pas 
mériter l^ confiiincedu prince, tout ce que je puJ9 
dire , c'est quye je ne connais qu'un moyen y poiyr 
^out autre ou pour moi 5 de mériter cette fayepri 
c'est d'avoir constamment travaillé dans la vie pu- 
blique à faire son devoir envers le roi, père du 
pjT^nce, et envers le pays. Si, par de tels efforts 
pp^r mériter la conûance du prince, je l'avais ce- 
pendant perdue, quel que tùi le motif d'une chose 
M pénible pour moi, j'en aurais du regret sans 
^oufe, mais, je le dis hardiment, il me serait im« 
possible d'en avoir du rçpentir. y 

Pitt fut vainqueur dans cette lutte ; il fit voter 
901^ projet de bili sur la régence, par lequel il met- 
ùft son propre pouvoir à l'abri de celui du régent. 



Puis fo^t ^ ^ù^p, et 4^mmP POW ^ ^àamVfi^mf 
de sa viiçftoîw, Georges I|I ;iî€)co»wa ji« i^iwQt ^ 



éti;)[!9fîtoiQ9^n( sp^al ^^let^n^it j(iao$ le pM>o4e 9^eat ;ij 
é(^W^ pr^iM^9leiQepf rftri$if;Qiçnai(i(|VQ Anf^Vm9$ 
dM(I^» 4^1» i*|ëiK^ plions av^ieiit ri^spç^té toAiit a$ 
f u^ nou? j^isjpw »yep .4M^9.- Pes d^at» OF^gmi^ 

orateurs; un homme d'un .^prji|; jkr^-bril)9l^(i l'Srt 
^n^ifi Shçpîda», liU pvçgàivfi pljiçe pawûi lepx. 
yojpi sa JDiqgrapbie spiri^uelleineot x^ti^^ifié» p?r 
M. Villem^: 

« Le débxif ide sa ^ie fut po ^^ei , un leAlfàv^^so^ 

^t<UQ ipariage ayec vne caotatriiQ». l^ WPpnd? PM^ 

'ttwj de s» w fut u» ftmftur effr^pé popr }e jeu, ^ 

la 4ierpiôre , j'ai hQnt^ .4e Je dire^ 4io 9inQiUjr,e^éné 

n lÊpo^f ide loelite jeune ei brillante; oantatuio^, 
^e par .un .s^oiUviçnt .d!orguâiI bien placé i} wu- 
1k éjjQÂgner 4p tthéàtee, Sberidan .donna d!ab€i^ 
4esiBoirée^. musicales » puis il composa pour vivre el 
seiiil auteur .dramatique; bien plus, il mit en eor 
médieia romanesque histoire de son mariage, et» 
pillant une autre pièce de théâtre qu'un poète dtt 
temps avait composée sur le même sujet, jl se ût à 
la Im le plagiaire de sa propre aventure et deg 
plaisanteries publiées xontre lui-même. Il j avaif 



ëi HISTOIRE DBi LBTTftEft. 

peu de dignité dans cette manière dé tirer parti de 
tout et de prendre èes sujets si près de soi. t 

VÊcàle iU la méé&iancei spirituelle comédie dé 
Sheridan , en fit bientôt Thomme à la mode ; il se 
lia avec Fox et ne tarda pas à arriver à la Chambre, 
où il resta long-temps silencieux, et d'abord effrayé 
de ces débats de tribune auxquels il n'était pas ac- 
leoutumé. Ses discours étaient des pamphlets mor- 
dans et amers qu'il i^épandait dans le public , qm 
les dévorait. Dès qu'il parla , il excita comme ora- 
teur la même admiration. 

Les débats du parlement d'Angleterre eurent, à 
Pinstant de la révolution française, une importance 
énorme : c'est de là que devait sortir la guerre achar- 
àée de toutes les nations contre la France ; cette 
guerre, Pitt la portait en lui, dès qu'il vit l'esprit 
envahissant de notre révolution ; sa patiente volonté 
laissa les orateurs , et surtout Fox ,, user leur ardeur 
en des luttes qu'il savait dominer. Burke vint d'ail- 
leurs en aide au ministre; les violences, mêlées à 
la régénération de la France, avaient révolté le 
brillant tribun. Le combat s'engagea vivement en 
4791. «J'admire la constitution nouvelle de la 
France , dit Fox , comme le plus glorieux monu- 
ment de liberté que la raison humaine ait élevé 
dans aucun temps et dans aucun pays. » 

On sait l'amitié qui unissait Burke et Fox : aussi 
le premier hésita-t-il d'abord à repousser un éloge 
qui le blessait dans neê convictions les plus chères. 



mx-miiTiftiis siicLB. 85 

Mais il se décida enfin, et, coiqparant les ré|f oluiions 
des deux pays, il jeta un blâme amer snr h France; 
Comme toutes les imaginations très -brillantes, 
Burke était sujet à l'éblouissement ; évidemment il 
n'aperçut pas la portée immense de la révolution 
française. Fox fut ému; il répondit à son ami avec 
Faceent d'une tendresse profonde et d'une grande 
admiration pour son adversaire ; mais Sheridan se 
lança touti coup dans le débat avec sa légèreté ordi- 
naire et son incisive parole. Il proclama la légitimité 
de la révolution de France, et jeta l'ironie à pleines 
mains sur le discours de Burke , qui s'irrita et vint 
déclarer que désormais il était séparé de Sheridan 
en politique. Le premier de ces orateurs^ esprit 
ardent et exclusif, ne savait pas distinguer l'homme 
privé de Thomme public ; on le vit donc sacrifier 
Tamitié de Sheridan , et bientôt celle de Fox. Tou- 
tefois la liaison intime de Fox et de Burke persista 
encore jusqu'à la discussion sur le bill relatif au 
Canada. 

La passion de Burke^ à cette époque, était la 
haine de la révolution française ; aussi , en discutant 
le bill de Québec 9 s'empressa-t-il de féliciter le mi- 
nistère de n'avoir pas basé la charte donnée à cette 
colonie sur cette désastreuse et coupable déclaration des 
droits de l'homme qui avait mis le feu à la France. Puis 
il retraça, avec la véhémence ordinaire de sa parole, 
tous les évènemens de notre révolution 9 qu'il acca* 
bla de sa colère. 



1 



^ HISTOIRE VtB lÉVfimê. 

F6t Alt admiftible : la coBtlotioti pr^Aytide de 
riidmilié politiqtife, combdUtie par utte amitié 
teftdre et contristée , lui dotitia un accent plein de 
éàléhrAiê et d'attendrissement. 11 défendit la r^yo- 
Itlition française avec chaleur, mais sans Fenthou- 
sidsme ardent que son rital portait dans Fattaque. 
Étrrke répliqua en frémissant de colère. Enfin il 
afrîira â cette extrémité r 

i Je le sais, dit-il , dans notre carrière nous 
âvôbs été divisés , M. Fox et moi ^ sur plus d'un sa* 
jet t sur la réforme parlementaire , sur le bill deê 
dissenters , sur le mariage du roi ; mais jamais éé 
dissidences d'opinion n'avaient un seul moment 
interrompu notre fidèle amitié. Â Tépoque de la vie 
àii ]ë suis arrivé 9 il est peu raisonnable de provo^ 
^u^r des ennemie ou de donner à ses amis une cause 
de rupture et d'abandon. Mais je suis si fortement, 
â invariablement attaché à la constitution anglaise, 
que Je ne puis hésiter. Mon devoir public, ma pru- 
dence, mon amour de mon pays, m'ordonnent de 
in'écrier : Fuyez là constitution française ; séparez- 
vous d'elle. V Fox, ému , prononça ces mots : « Mais 
ce n'est pas une rupture d'amitié. » — ic C^est une 
rupture d'amitié, reprit l'inflexible Burke; je sais 
te qu'il m'en coûte ; j'ai fait mon devoir ,- au prix 
dé la perte d'un ami : notre amitié est finie. » 

Puis sa fougue alla croissant , et, avec un langage 
ébfouissàtit d'imâgeà, qui était toujours dans sa 
bouche quand ia passion l'animait , il se àift à 6up^ 



T^iet Fèk et P!tt île sau^r par !eut atliaiidd VkAg\é^ 
terre et le ttibhde. * " 

Fok, âccabtéi se lève de nouveau, éi îoïlg-temp^ 
il s'arrâte sur le sfoû^enir de cette amitié kl fônguç 
et si tendre. Mais enfin sa nature d'ôlrateur ne peut 
s'éteindre, et, quand il àririve à discuter les faits 
politiques, il deviétit jplùà énergique, pfuî^ aùiéf 
que jamais, et&urke, dans ùnè nouvelle répliaùiBy 
redouble à son tour d'amertume et d^e vivacité. 

Le parlement anglais; habitué i ées troîàes di4- 
CQssions d'afiaires^ fut étonné de ce drame ^ il é§t 
resté comme un souvenir unique clans lïiSstpiré de 
cette puissante nation. 

Cette division des grands orateurs de l'opposition 
servait les projets de PItt , qui cpnsérvà son attitude 
calme et dissimula le bonheur que lui donnait cette 
laite mémorable. Il se sentit dès lors maftré ëa par- 
lement et des rôî^ de PEurôpe. 

En 1789, un philantljrôjpie, Wilberforcé, der 
ïûandà aux Chapubres ràbolition dé la traite des 
Doirâ. Fox et Pitt furent superbes dans, cette djsçus^ 
sion ; mais ce dernier fjxa principalement I^s te- 
gards de T Angleterre , parce Vju' il sut afliier les vues 
positives d'un homme d'État, habitué 4 gouverner 
un peuple puissant , au sentiment d'humanité qvll 
domine celte grande question. Son di^cdurii tr^s- 
développé est remarquable par là méthode sayainte 
^ui harmonise ses diverses parties ; chaque pQint 
^ùe l'orateur veut êclaircîr est considéré sous toutes 



89 Hllllfplllf DM ^TTBES. 

9fi$ fapc|g: on fient partout le travail d*un esprit su* 
périeur qui aperçoit d'un coup d'œil toutes les ra- 
mifications d'une idée. Pitt a ici plus de poésie que 
Ton n'en trouve ordinairement dans ses paroles. 
Yoici comment il termine : 

« Si nous écoutons la voix de la raison et du de- 
Toir, si nous obéissons cette nuit à leurs conseils^ 
^elques-uns d'entre nous pourront vivre assez pour 
contempler le revers du spectacle dont nous détour* 
nous aujourd'hui les yeux avec honte et regret. 
Nous pourrons voir les naturels d'Afrique engagés 
dans les paisibles travaux de l'industrie et dans les 
soins d'un commerce légitime ; nous pourrons voir 
les rayons de la science et de la philosophie poindre 
sur cette terre qui , dans une époque plus tardive 
encore , pourra briller d'une pleine lumière. «. Alors 
nous pourrons espérer que l'Afrique enfin, après 
toutes les autres parties du mondé , recevra vers le 
soir ces félicités qui sont descendues sur nous avec 
tant d'abondance à une heure plus matinale de l'u- 
nivers. Alors l'Europe y profitant de cette améliora- 
tion et de cebonheur^ recevra une juste compensa- 
tion de sa générosité , s'il faut appeler générosité 
de ne plus retenir ce continent sous les ténèbres 
qui, dans d'autres régions plus favorisées » ont dis- 
paru si vite, » 

Yoilk de l'éloquence littéraire ; malgré toutes ces 
belles choses , la mesure ne fut adoptée qu'avec des 
restrictions qui retardèrent d*un demi-siècle sou 



aLécution entière. Toutefoia; a dit M; ViKeiAaiii, 
c'est de ratte époque , de ce discours que comroenbe 
la réforme de cette grande cruauté de la civilisa^* 
tion. 

Au milieu de ces discussions orageuses» Pitt pour*- 
suivit silencieusement son dessein d'allumer en £u<^ 
rope cette guerre terrible qui devait réunir toutes les 
nations contre notre France héroïque. Les écrivains 
français du dix-neuvième siècle, si remarquables 
par l'appréciation impartiale des faits européens, 
ont fait taire le sentiment national et rendu toute 
justice au génie du ministre anglais* Pitt et la 
France se disputèrent Foninipotente influence sur 
le sort du monde; le premier en enlaçant tous les 
peuples dans une vaste coalition ^ la seconde en 
luttant par de gigantesques efforts , et plus tard par 
la génie et la volonté colossale de Napoléon , contre 
l'Europe coalisée. L'habileté de Pitt dans le parle- 
ment anglais pendant ce long et terrible dranie est 
réellement admirable. Son infatigable patience 
lutte avec une étonnante énergie contre chaque vic- 
toire française , contre l'opposition éloquente qui 
lui demandait des trêves et à laquelle il répondait 
par des batailles. Époque déplorable où les deux 
plus puissantes nations de l'Occident n'étaient ani-» 
mées que par la fureur de la destruction ^^ où les 
intelligences qui n'auraient dû s'appliquer qu'à 
éclairer les hommes ne songeaient qu'à régner 
despoliquement sur le monde! 



M HtiVdtiife VEi Us¥trê8. 

Ateffil 4u'^h fr ptt rëbtretbir dans eb rftilè^lér, là 
f loire dé là n^ibutie )ii>gl&iâe fut grande au d!l-)tiif- 
tiètM siècle. Puis èlte s'éclipsa peùdatit pltisieuri 
années. De ces brillans orateurs, Burke mourdi le 
firaHtié^; notfs atons eséalyé de earaetériëer son èlo- 
qutMSi tout étinçelame d*ià^Bgës ék^ietita^es. M 
quitta ce mondé à quarante-sept ans ^ épuisé par tei 
travaux et lés émotions de ta tribune et du pouvoir. 
lié igrand homme d'État n'avait rien de la manière 
dé Burlte ; sa parole était grave > concise , le plus 
éouVent poisitfve et logique comme la langue des 
tffaires. il aimait la poésie passionnément; iààlsij 
lavait s'en dépouiller entièrement dès qu'il deVenaii 
iiômme d'action. Vox lu! succéda pendant qoéTqilé 
temps au ministère et mourut. C'est de tous ces 
kéfÉimés eelui qui réalise le plus complètement peut- 
èlre ridéal de l'orateur. Son âme généreuse , qu'une 
miûvalBe éducation n'aVait pu gâter, donnait à fta 
fATété quelque chose d'élevé et de chevaleresque; f( 
lifi&ait !i France parce ^ull sentait que cette nàtioq 
avait parmi toutes les naîtions de l'Europe lé rôle té 
t»l(ts brftlàiit et le plus noble , parce qu'il la consi- 
^érifit comtàe le foyer d'où s^écfaappaientlesgratïdetf 
«I sèfltftaii^ pensées , les sëntîmens de fraternité et 
àe éévoù^ment ^ui préparent là pàik et l'^unité iit 
fËÔnide. L'éloquence de Fax était un très-1>eifretit 
ÉÉiélàngé dé #àfsdn et d'ima^inatloà ; moins homme 
dlâtit qûè Pitt et moffis poète que Burke , fl eÉt 
peut-être plus complet <)ti6 tèul^ deux coiùme ti'ibtfn* 



•WQHHUITIÈm WKÈKiMw 9ff 

9nirit| à Sheridan ^ sa tBànière de diftiiigiisitp&r Wf 
C0()rit sàrcàsliquè^ lëger^ airehtiiriéux ^ qui ëxdiliU 
bnqoui'd très*vivenieiit l'attention ^vaAd il ne poN 
Uit pas ^ eoBYidida dans reqprih On ireooBittM» 
nit soiiTeol à la Cbamhre l'auteur de VÉ&^ cto H 
miàsmice. U mourut dans tine isktrèftii ùiisârf} 
ayant tout perdu ^ mèloe sa pdpuUrité. 

L'étoquencé judiciaire flôurk au dit*kmtlèfM 
sièel? eh Angleterre} lord Er^kkie est sou pliM 
illustre représentant. Trôisièuie fils du eonite dé 
Bueban I il naquit eu Ecosse vers 1750 ^ servit queU 
que temps dans la mariâe et dans l'armée , pùls^ 
entraîné par un^^ irrésistible vocation^ se litrà aa 
barreau, dcmt il devint là gloire* 11 fut sdceessite^ 
ment procureur général , cbancelier du priuce de 
GtUêSi p^P d'Angleterre, puis grand cbancelief 
9ÔUS le ministère de Fox. Son rôle datis te parle^» 
ment fut secondaire, ifaàis H >é|[iia àd barreau^ 
Toute l'Burôpè a ratifié ces mots de madame de 
Slafil , dans ses ComidératUmê sur ta rêi^Miak JrèSi^ 
fobe ; < le ne saurais trop recommander le recml 
des plaidoyer^ dé lord Brskine, Vavocât le plus élet» 
quèntet le plus ingénieux de rAngteférre. » llcom^ 
battît toute sa vie pour la raison , la justice et la 
liberté ; son caractère était auesi beau que son tÉU 
leiit4 firskine réalisait Tifiée ée Torateur roinaki j 
vir bonus dicendi peritus. Parmi les nombreux plai- 
doyers de cet avocat^ fÂkïgielten» admire ëuildut 



té itisfam M0 Lsnus. 

]|)iiPMitt dtt tMÎB royaumes: le style abgIsb|NNh 
ybemeot dit, «impie, sans ornemenc, xéduit à Vu 
nde dincussioq du bit; te style irlandaîi, fleuri, 
pitèétwjfiiei walté; elle style bossais , qui |iiBnt 
ie Vim et de T^uttie s œ deruier seraii donc fe |ype 
éo fo perfibclion4 U eu approcfaiç en effet daas ks 
éî«n»ure d'firskiiie. ^ 



1^ Nous armons au lerme de notre étude ser h 
Utilépature anglaise; reoueillons-nous un moment 
èeTOiit cette ^ande manifestation de f intelligenee 
Imniaiue. 

La ilîttëmtupe du Nord descend des bardes calédo- 
mèns , de la myibûlogie islandaise et des poésies 
suandinaires. L'Angleterre est le peuple qui ré- 
Mme ie mieux le génie du Nord; 9 s'esta pour 
tfiiisi ^re , incarné dans Shakspeare. 

lia poésie des peuples du Nord est surtout admi- 
rable comme expression de la douleur ; elle tire sa 
puiesance de cette tristesse. Madame de Staël a dit 
Sfec sa profondeur ordinaire : < l^a poésie méhnco- 



le caractère et la d.esUnée 4» VbQmmû ipit tant» 
aoti^e ^i^l^sitîw 4e riim^* («a poètes ângtifi ^uî 
9?tf$;<^é j^^s |?s)i;de« éooiaaîs ûU ajottté à iMii 
tfil^ea^f |ça réfle^j^ipa^ et lea idées que ms la^east 
nii^lf» d^Y^î^nf &ire i)aUre( maû m oat mm^eni 
rwagJBaMi^A 4u (tord i Nielle qiti ee ptalt sur h 
))prd 4e la fner^ m |^r uit de$ vepta^ dyna les bruyère^ 
laavag^s, celle enfin qui porft yei« Itateûir^ wremè 
autre B^ofi^^» Vâinç Êitiguéede ea deatînée^ 

9 L'ifD^ii^r) #ea j^oniaies du Nondis'éianee au 
4elà de cçtte tepr^ dPQt ih blbitent les âoUfii^i; «Ue 
f'éi^pç à tr^yers 1^ i|UAge« qui bordent feur àori^ 
m ^ affublent représenter l'ol^sear yaasagede la 
«9 à i'éteraît^ ^ f 

Viaflueftc^ du e|iiiiat sur la %iflatioii et Im 
Vfp\u:9^ sîgnafléepjMr,MQUtesquieu> if6st |>a& Bioma 
eoj^^e sur h Utt^rsture. La laiio^iéce e( la ckaleor 
fofit ^er la terr^ $t «omqftupî^ïuept leur éclat à 
rintélligence. Le ciel terne ou sombre, les teoipétes 
^\ lougissei^t^ les mpulagues d0 glacâs^ oremplis- 
^fit IjQ cœur d'eOroi et 4e oiélatkcolie, et ponest 
QOtre {)eqsée et xm souhaits vers une jexfistenoe 
meilleure. 

€e f^idissemeiit de .rame humaine contre sa des*- 
tinée terrestre , cet effort sublime ver$ une destinée 

$I)e)»j^^ratare. 



96 ÉlAtOtâE DEd LÉfntES. 

•upérièore^ voilà la magniftqae inspiration de la 
poésie de TA^ngleterre, de T Allemagne et de la 
France du dix*-neu?iéme siècle. 

Depuis le christianisme il n'existait qu'un seal 
grand .chef-d'œuvre poétique , ta Divine comédie du 
Dante^ lorsque Shakspeare créa son théâtre, que 
Ton pourrait 9 par analogie, appeler la comédie hu- 
nkàoeé Jusque-là la langue anglaise n'avait fait que 
préluder à sa gloire : eUe en atteignit le sommet 
ë'un seul bond. Jamais tableau plus vaste et plus 
varié des caract^es et des passions n'avait été pré- 
senté aux hommes. Ce grand peintre de la sotif- 
france, de l'amour et du remords a une profondeur 
de sentiment et de génie qui révèle une des plus 
puissantes natures de l'histoire. Jamais le pathétique 
et la terreur n'ont été poussés aussi loin. La vie 
tourmentée que nous expose presque toujours le 
drame de Shakspeare est conforme à l'idée d'expia- 
tion; mais , pour un poète venu seize siècles après 
le Christ, il ne fait pas assez rayonner l'espérance 
céleste. 

Le second grand poète de l'Angleterre, qui vint 
dans le siècle suivant, Milton^ est plus près de 
Dieu ; sa poésie élève l'Ame comme les livres saints; 
son éloquence est sublime comme celle des pro' 
phètes. Ces deux grands hommes dominent de bien 
haut toute la poésie anglaise. 

Que sont auprès d'eux Drjden , Pope, et même 
toute l'école moderne? Byron a deafragmens aussi 



DnC-HUITliME SIÈCLE. 97 

beaux peut-être que les plus beaux de Shakspeare 
et de Hilton ; mats où est Tœuvre du noble lord que 
roo osera comparer à Macbeth , à Olhelb^au Paradis 
ferdtt? 

Toutefois le temps de Tbistoire n*est pas venu 
pour le dix-neuvième siècle; aucun contemporain ne 
peut l'apprécier comme le fera la postérité; au- 
cun ne peut dire quelle place occuperont dans la 
littérature tels écrivains venus entre le dix-huitième 
siècle et le travail inconnu du vingtième. Nécessai- 
rement le point de vue changera selon la pensëe et le 
génie de Tépoque qui nous succédera dans Tbistoire 
générale do monde. Nous devons donc seulement 
donner ici une idée de Topinion actuelle de l'Eu- 
rope sur les poètes anglais des commencemens du 
dix-neuvième siècle. Les deux écrivains les plus 
populaires de cette pléiade glorieuse sont Byron et 
Walter Scott. La pensée orageuse, l'âpre amer- 
tume, le désespoir sombre^ l'esprit de révolte du 
premier ont impressionné profondément toutes les 
âmes ardentes. L'éclat magnifique de la poésie de 
Bjron a été salué par les critiques anglais comme 
une renaissance de leur grande poésie nationale. La 
vie aventureuse du noble lord a encore augmenté 
le bruit qui s'est attaché ù ses pas. 

Les poèmes de Walter Scott furent effacés par 
ceux de Byron et par les romans de l'auteur lui- 
même. Richardson, Fielding et un grand nombre 
d'écrivains, parmi lesquels plusieurs femmes de- 
♦ vu. T 



9^ ■isxoiMMSunfttt^ 

Yçnues trèflhcélébrea» ont fiait de T Angleterre la pa> 
trie du roman» de la peinCUre des dooceurs et des 
souffrances de la \ie privée. Walter Scott 8*est em- 
paré de l'histoire , et cela avec une telle profondeur 
dé coup d'œll, que , par ses romans, il a pour ainsi 
dire créé des historiens. C'est un conteur délicieux, 
spirituel, moral , plein de^variété, abondant , trop 
abondant peut-être, tendre sans passion , un obser- 
vateur admirable , dont l'œuvre peint autant de ca- 
ractères que l'œuvre de Shakspeare lui-même. U a 
charmé le monde entier par ses récits. L'Irlandais 
Moore , fidèle à son origine^ a jeté sa brillante poé- 
sie sur la mythologie orientale et ressuscité les 
vieilles mélodies nationales de sa patrie. 

Bien moins connus de rEurope, Grabbe, Words- 
>vorth, Coleridge, Shelley, Southey et bien d'autres 
encore sont aujourd'hui très-feuilletés en Angle- 
terre, Wordsworth et Crabbe nous paraissent les 
deux plus grands parmi ces hommes. Le premier 
pénètre d'un regard profond les mystères du monde 
invisible : sa poésie reproduit les plus hautes pen- 
sées de la métaphysique chrétienne. Comme Shak- 
speare, Milton-, Byron, coiûme tous les poètes 
anglais, il tire des beautés sublimes de la contem- 
plation de la nature; comme eux il est .mélanco- 
lique , mais le plus consolateur de tous : c'est dire 
qu'il est le plus religieux. Tel est le chef de l'école 
appelée lakiste, parce que ses poètes habitent les 
rives des lacs du nord de l'Angleterre. Wordsworth 



a «eoiem dkaolé 1m mufiranoes et le travail do 
peuple^ eommele révéreod George Grabbe, doot les 
poèmes soat une histoire philosophique du paysan 
et de Touyrier anglais* 11 peiot leurs mœurs et leurs 
Yiees et fhit ressortir de cette peinture des leçons 
très-haQtes de morale sociale. Les vers de Grabbe 
«ont i codsulter comme les statistiques de la.ju$tice 
eriminelle , pour apprécier l'état des classes labo- 
rieuses en Angleterre au commencement de ce 
iiécle. 

La poésie anglaise suit dans notre époque sa voie 
mélancolique et sublime; la douleur continue à être 
sa véritable inspiration. La gaité anglaise elle-même 
a quelque chose de triste; Vhumour est un rire 
amer; les auteurs de la Grande-Bretagne n'ont ja- 
mais pu atteindre au rire franc et de bon ton de la 
comédie française. Aucune nation n'aurait pu pro- 
duire celte charmante scène du salon de Gélimène., 
qui est le reflet de la plus brillante société de Paris 
au temps de Louis XIY . Pour arriver à ce ton exquis^ 
il fallait fréquenter les réunions du grand monde 
parisien à cette époque d'élégance et de manières 
aristocratiques, perdues aujourd'hui. La comédie 
anglaise est presque toujours une imitation de la 
nôtre ou un assemblage grotesque de farces gros- 
sières. 

c II y a trois époques Irès-distinctes dans la si- 
tuation politique des Anglais^ dit madame de Slaël : 
les temps antérieurs à leur révolution , leur révo- 



400 HISTOIRE DBS LETTRES. 

lufion même , et la constitution quMIs possèdent 
depuis 1688. Le caractère de la littérature a néoes* 
sairement \arié suivant ces diverses circonstances. 
Avant la révolution , on ne remarque en philosophie 
qu'un seul homme , le chancelier Bacon. La théolo- 
gie absorbe entièrement les années mêmes de la ré- 
volution. La poésie a presque seule occupé les 
esprits sous le règne voluptueux et despotique de 
Charles II ; et ce n*êst que depuis 1688 , depuis 
qu'une constitution stable a donné à TAngleterre du 
repos et de la liberté , qu'on peut observer avec 
exactitude les effets constans d'un ordre de choses 
durable, t 

Avant le chancelier Bacon, il serait juste de ne 
pas oublier le moine Roger Bacon , qui eut un ma- 
gnifique pressentiment de toutes les sciences. Quant 
au chancelier , c'est un des plus beaux noms de 
l'histoire philosophique; il lança le monde dans la 
voie de l'expérimentation , et apprit aux hommes 
qu'ils devaient s'emparer de plus en plus des forces 
de la nature pour la dominer et la faire servir à 
augmenter la somme de bonheur qui est accordée 
dans ce monde à l'espèce humaine'. Cette marche 



*■ Bacon a été réfaté de nos jours par un de nos plus illustres 
écriTaios, le comte Joseph de Maislre. Son livre offre le carac- 
tère emporté, qui est celui de ses autres ouvrages. Les élèves in- 
sensés de Bacon au dix-liuitième siècle ont nui à leur maître, 
dont i*œuvre immense est sans doute entachée d'erreurs gra- 



DIX^BCITIÈME- SIÈCLE» dKH 

fidentifique imprimée par Bacon à Ja nation anglaise 
sera désormais celle de sa philosophie tout entière. 
Newton 9 si profondément religieux, et si prodi- 
gieux dans ledwiaine scientifique^ donna son puis- 
sant appui aux vues d'analyse de Bacon, et démon- 
tra la mécanique céleste avec une force de génie 
inconnue jusqu'à lui. Locke, en réduisant les études 
niétaphysiques à la sensation, se plaça à un point 
de vue incomplet sans doute; mais il ne faut pas 
oublier que son sens élevé le fit mettre en réserve 
dans Tordre de foi tout ce qui ne peut être observé 
par nos sens. 

La même passion pratique domine les études po- 
litiques des Anglais ; on peut s'en convaincre dans 
les écrits de Hobbes, Ferguson, Locke, Skaftes- 
bury , Hume , Bolingbroke , etc. L'expérience est 
leur règle. Nous sommes loin des temps de Thomas 
Iforus; avec cette tendance l'Angleterre avancera 
désormais lentement : elle semble abandonner le 
vaste champ des théories à la France. 

Un défaut remarquable dans les livres de l'Angle* 
terre est le manque de concision dans le style ; ses 
écrivains ne savent pas se borner } ils n'ont pas non 
plus autant que les Français ce tact appelé goût et 
qui ne s'acquiert que par la fréquentation d'une 
société élégante dont, il est vrai, nous avons au- 
jourd'hui bien moins de modèles sous les yeux» 

ves ; mais oe n'est pas une raisoii pour fermer les yeux sur 
M véritable gloire. 



Les Têrs mghtê sont snpérieim i là proM, 1m 
pages les plus éloquentes des écriTSins de eette m- 
tton sont ceriaineaieiit en langage niétri<}iie. Cette 
lUtérainre a cria de commun atec la littérature iMe 
iienne , quoique rien ne diffère plus qtae fe géniedes 
deux peuples. 

Les meilleurs prosateurs anglais, Bolingbroke, 
Addison, sont froids et manquent d'images, si on 
les comparé aux poètes de leur nation. Burke seul, 
cet illustre ennemi de la France, rappelle dans son 
livre contre elle Téloquence de notre patrie. Les 
Lettres de Junius sont un des plus brillans écrits po- 
litiques de la Grande-Bretagne; Tauteur de ce cé- 
lèbrépamphlet reste encore aujourd'hui un mystère. 

Le même caractère de raison froide , dé sens pra- 
tique, observé chez presque tous les- prosateurs 
anglais, se retrouve chez leurs orateurs politiques 
et religieux. C'est avec cet esprit que la Grande- 
Bretagne est devenue la première nation commer* 
çante du monde, et nous n'aurions qu'à saluer sa 
puissance si son gouvernement était plus scrupuleux 
sur les moyens employés pour parvenir à Taccom- 
plissement de ses vastes desseins. 



Gomme nous avbns vu l'espagnol et le portugais 
se répandre dans rAmérique du sud , ainsi rémi- 
gration anglaise dans l'Amérique du nord y a formé 
une des plus fortes nations du globe , €t la langue 



MKHmiTtftlif SitCLX. 103 

ilili Granâe^retagne y t trouté de nooTeaux inter- 
prètes. Les détails de Ja littérature américaiite n*oiit 
pss eneere été assez étudiés pour que le temps 
d'eue histobre générale soit tenu pour eHe •. Cepen- 
iM, depuis près d'un nëcle, TinteUigence hu- 
maine travaille sur cet immense continent , qu^elle 
a éleré sous plusieurs rapports à un admirable de- 
gré de civilisation. Les États-Unis citent avec or- 
gueil dans Thistoire Marshall^ Sparks^ Ramsay , 
Infiog, Prescott et quelques autres. C'est dans cette 
contrée qu'il faut étudier les véritables ftiéories dé- 
mocratiques : les Hamilton, les Madison, les Jefler- 
sofl, B*oat rien à envier aux publicistes européens. 
L'Ajnériquc cite dans Téloquence de la chaire 
Boekminster, Channing, Dev^ày; dans la morale, 
rillastre FranckUii, si remarquable déjà par sa 
grande découverte du paratonnerre, et dont les écrits 
sont un modèle de haute raison pratique et de sen« 
timent rel^ieux; dans la métaphysique, Jonathan 
Edwards; dans les sci^iees naturelles , Prancklin , 
Wibon , Bowdietdi ; dans la jurisprudence , Living- 
•ton , Duponceaux , Slory , etc. Parmi les orateurs 



' Kmi veMwouMdoM ans Icoleorf qm voodraknBil comiai- 
trt quAqvm détails Mir la litléîr«liira maitiemme le Talmne 
ie H.£agéiie-A. Vail, intitulé : D0 U UtUraturê et du hm- 
vui de lettres' des ÉiaiS'^Vnlê d'Amérique. Le style rappelle 
soQTent que l'auteur parlait habituellement une autre langue ;: 
ma» ee Ityre contieiit des docmnens intéreMana que nous ne 
connaissons pas ailleors. 



104 HISTOIRE DES LETTBES. 

politiqaes des Ëtats-Unis on cite surtout les AdimSi 
Clay f lYebster, Everett. 

Les travaux d'imagination ont popularisé en Eu- 
rope deux noms américains : Washington Irviag et 
Gooper. Le premier est souvent un moraliste plein 
de douceur et d*esprit> le second un peintre magni- 
fique du désert et de l'Océan. 

Quant aux poètes Percival, Bryant, Halleck, 
Sigourney, Barlow, ils jouissent de Testime de 
leurs concitoyens, sans être parvenus à faire reten- 
tir leurs noms en Europe^ et à vrai dire nous ne 
pensons pas qu'ils puissent occuper une place trës- 
élevée parmi les interprètes d'une poésie si riche et | 
si justement célèbre. 

Que d<3viendra ce travail de l'intelligence améri- 
caine? quel sera un jour le rang de cette poésie? Il 
est difficile de le prévoir; mais cependant on doit 
reconnaître que les États-Unis se trouvent sous ce 
rapport dans une position malheureuse; ils naissent 
à peine et sont précédés par une des premières lit- 
tératures de l'Europe. Il ne peut naître parmi eux 
de ces génies qui créent une langue et ont presque 
toujours quelque chose d'instinctif et de spontané 
qui ne se retrouve pas dans les époques plus avan* 
cées. Il manquera éternellement à T Amérique le 
signe le plus caractéristique peut-être de toute na- 
tion , un langage qui soit à elle. 



DE LA UTTÉRATimE ALLEMANDE 

AD 18* SIÈCLE. 



IV. 



Commêneemeiit da dîz-liiiîtiéme rièele.— 'Wî«laiid.^KIopftoek« 
OeMMC— lîMsiAg. — >'WîakelBwaa.-«l>tv«rt wnliM Utiér«itfM« 
—▼«M* — BorgOT. i— Herder. — OoC th«. -- Schiller. —'Wernor, 

— Sotiebue.— J. de Maller. «^-STovelû. — Jean-Paul Hîchteiw 

— Tinkf etc. ^ JPhîloi ophîe. — Kent. — Piehte. — Bohelling. 

— Hegel, ij^ ^Mobi« «* Btaekes. -^ Vîsdnann.^ TminanMin». 

— Beligûm* — I«VAtcr« -^ MEîeiuiCiif. — Berder. 'o- Xe eomfe 
F. de Btolberg. •— Aurore du diz-neuTÎème siècle. — Réfumé* 

— Adieas à la Kttératore du nord. 



Nous avons laissé rAlIemagne , vers le miliea du 
dix-septième siècle , dans une déplorable prostra- 
tion politique et ititellectuelie , qui s'est prolongée 
pendant cinquante années encore. Après ce som- 
meil , au commencement du dix*huitiéme siècle, k 
puissance de TAIlemagne surgit de nouTeau. L^Au» 
triche redevint grande parmi les nations » les prin* 
<^8 allemands protégèrent les sciences > la poésie 



i08 HISTOIRE DES LETTRES. 

sembla renaître^ mais cependant sans originalité , 
sans esprit national ; l'imitation française arr6tait 
Félan germanique. Un critique, Gottschedi quia 
rendu de grands services à la langue allemandci 
tout en méconnaissant le véritable génie de TAlle- 
magne , poussait ses compatriotes dans les voies de 
rimitation en exaltant les beautés de Tantiquité, 
de l'Italie et de la France , tandis que deux littéra- 
teurs suisses, Breitinger et Bodmer, s'efforçaient de 
démontrer que la poésie anglaise devait être surtout 
étudiée par les allemands. Gûnther, Brocker, Za- 
charie, Gellert , Weisse , Gleim, Kleistf Rammier 
et d'autres encore produisirent un grand nombre 
d'odes et de chansons , dans lesquelles la langue 
allemande apparaissait de -plus en plus épurée et 
forte ; mais l'imitation, le manque d'originalité en- 
tachait souvent toutes ces œuvres. Lichttver, Liskow, 
Rubener, Gellert et Lessiog s'essayaient dans la 
fable. Hagedorn et Haller donnèrent à leur poésie 
une allure plus nationale, quoiqu'un peu enchaînée 
encore ; mais çà et là se rencontraient des accens 
pathétiques ou sublimes, qui étaient comme l'aurore 
de la grande époque allemande. Haller, né à Berne 
en. 1708, a dans sa patrie une réputation bien au* 
trement élevée que celle d'un des précurseurs de la 
poésie moderne ; c'est un génie scientifique prodi- 
gieux, que les Allemands ont comparé à Leibnitz 
pour l'universalité des connaissances. Ses ouvrages 
sur la physiologie, la médecine, l'anatomie, la 



,DlX;*HOlTltMB SIÈCLE. i09 

botanique Titront autant que ces sciences elles- 
mÂmes. A peu prés dans le même temps les médio* 
ères essais dramatiques d*Élias ScMegel cherchaient 
Uen malheureusement à reproduire les chefs-d'œu- 
m delà France qui n'eut qu*un imitateur éminent, 
nous voulons parler de Wielànd y et c*est dire que 
nous touchons à l'époque glorieuse de la littérature 
allemande. Né le 5 septembre 1733, à Biberach,en 
Souabe , il étudia avec passion les écrivains grecs , 
latins et français. Ses romans Agaihon^ Aristippe, 
Biogène j les Àbdérites^ Peregrinus Protéé^ etc., ont 
obtenu de trés-brillans succès en Allemagne. Ils ré- 
vêlent des études profondes sur l'antiquité que l'au* 
tour a su peindre avec un esprit libre et élégant. Il 
reproduit plus que Barthélémy toutes les faces de 
la société païenne^ les tableaux sensuels du monde 
grec et romain ne Teffraient guère. Dans -son Pere- 
grinus Prêtée 9 il retrace de main de maître les pre- 
miers siècles du christianisme. Son poème d'Oberon 
est populaire en Allemagne , c'est un de ces livres 
dont la traduction ne saurait donner une idée » sott 
grand charme consiste dans sa poésie qui est com- 
parée sur l'autre rive du Rhin aux merveilles ita- 
liennes de l'Arioste. La mythologie de ce poème est 
imitée du Rêve d'une nuit d'été do Shakspeare et 
donne au poète l'occasion de développer toutes les 
richesses de son style. C'est un mélange de grâce et 
de gatté charmantes ; le poète s'élève souvent jus- 
qu'à la poésie sérieuse et profonde de l'épopée, jus- 



qu'aux sealimens \e$ plus wius et k» plus toadnM. 
Ici Wieland est un detoendant des trcuibadours et 
des trojuiTàrés, de Boiardo et de TArioste, un repré* 
sentant de la poésie chevaleresque appelée long- 
temps romantique. F. Schlegel regrette qu'il n'ait 
pas laissé un poème sérieusement héroïque sur le 
moyen âge, au lieu d'awir consacré son talent à 
i^eprodiiire le monde grec* Wieland a encore écrit 
quelques contes de chevalerie^ mais ce sont dei 
poèmes peu développés. L'Allemagne est loin de 
posséder en ce genre une œuvre belle et noble 
comme la Jérusalem de Torquato, Elle s'est plus 
approchée de Milton en produisant la Mesàade. Son 
auteur, Frédéric-Théophile Klop stock, né le 2 jiiil- 
let 1724, à Quedlimboorg, était un homme grave 
et religieux, qui conquit la renommée par la con- 
templation solitaire des vérités révélées et une 
grande élévation d'âme. Il ne fut pas mêlé, comme 
Miltcm , aux troubles civils d'un peuple aux pas- 
sions brûlantes; il vécut au sein de sa famille et de 
quelques amitiés d'élite. Aussi son poème ne fer- 
mente pas comme celui de Milton , il a la gravité 
calme et la sublimité d'une âme qui ne vit plus 
pour ainsi dire sur la terre. Goethe dit dans ses 
mémoires : Le Rédempteur fut le héros qu'il voulut, 
à travers les misères et les souffrances terrestres , 
conduire triomj)hant au plus haut des cieux. Tout 
ce qu'il y avait d'humain , de divin, d'inspiré par 
le génie de Milton , dans la jeune âme du poète, fut 



consacré à embellir œ magnifique sujeU Notrriito 
la Bible, plein de la moelle des livres saints^ il 
s'était fait le contemporain et l'ami des patriarches, 
des prophètes, du précurseur. En Usant les dix. 
premiers chants de la JlfeMJacfe, on partage cette 
paix céleste dont jouissait Kiopstock, lorsqu'il mé- 
ditait et composait son poème. 

C'est de la Messiade qu'il faut surtout dater Tes- 
sor hardi pris dans le dix-huitième siècle par la lit- 
térature allemande , tant la valeur de cet ouvrage 
est immense, surtout sous le rapport de la langue 
et de la versification. L'élégie mystique domine cette 
grande composition : Âbba(k>na , ce démon repen-^ 
tant qui aime les hommes^ est une création d'une 
originalité remarquable ; celle figure empreinte 
d'une douce pitié a quelque chose d'inconnu à la 
terre. L'épisode d'amour entre Gidli et Semida, que 
le Christ a ressuscites , est aussi une peinture toute 
céleste. 

Les plus grands défauts de la Messiade sont la 
monotonie et les longs discours que l'auteur place 
dans la bouche des habitans du ciel. C'est un ppème 
plus admiré que lu , parce qu'il produit souvent un 
état d'âme que peu de personnes savent vaincre ^ 
lennui. 

Les odes religieuses et patriotiques do Klopstock 
sont très-belles , et le sentiment de l'infini donne 
aux premières une majesté toute biblique; les autres 
rappellent Ossian, ou plutôt Macpherson. Mixiame 



IIS HIStOlRB DES LETTRES. 

de Staël, dans son beau Ihre de VÀUemagne^ a cité 
une scàne de VHermann de Klopstock. Tout le monde 
Fa lue ; ne dirait- on pas un débris de quelque anli- 
qoe poète du Nord ? 

L^auteur de la Hessiade a montré bien de la grâce 
dans plusieurs odes familières; mais ce grand esprit 
se plaisait surtout dansies hautes régions poétiques; 
le christianisme fut la source à laquelle il a puisé 
le plus largement , la mythologie Scandinave lui 
inspira aussi de magnifiques vers. Klopstock était 
malheureux de voir sa patrie languir dans Timila- 
tion des langues romanes , et surtout de la France. 
Il sentait fortement Torigine septentrionale de l'Al- 
lemagne , et c'est pour cela qu'il voulut faire revi- 
vre les théogonies du nord. Il était d'ailleurs sou- 
tenu dans cette idée par un travail analogue qui 
s'exécutait en Danemarck , où des érudits et des 
poètes faisaient revivre l'Edda et toute la mythologie 
Scandinave* 

C'est, comme nous l'avons dit, de la Messiade et 
d'Oberon qu'il faut dater l'ère nouvelle de la poésie 
allemande. A l'époque où parurent les premiers 
chants de Klopstock , le critique Gottsscbed citait 
principalement , comme ayant atteint l'apogée de 
l'art, des auteurs depuis long-temps oublies, Besscr, 
Neukirch et Pietch. Ne prévoyant pas le développe- 
ment inattendu du génie allemand^ dans la seconde 
moitié du dix-huitième siècle, Gottssched, dans son 
amour-propre national, admirait ce qu'il trouvait, 



.DiX-BiyiTIËMi: SlilCLE. . il'^ 

ce q«i servait Iqs passions tculoniques dont il était 
animé. . / - ; 

De tous les poètes, de cette première époque du 
dix-hui^ème siècle, qui ont brillé après Wieland et 
Klopstûck, le plus original est Salomon Gossncr, 
de Zurich; les traductions de ses poèmes ont été 
très-long* temps populaires en France. Il a peint les 
mœurs, un peu idéales sans doute, des premiers 
temps du monde, de Tâge d*or; mais il sent la na- 
ture et la décrit avec amour : les impressions qu*il 
fait naître sont pleines de charme. L école de Goethe 
lui reproche une sensibilité puérile et le manque 
de réalité. F. Schlegel va jusqu'à dire que Gessner 
ne produit aucun effet ; le célèbre critique aucait 
dû se rappeler la vogue du poète de Zurich en Eu- 
rope; les nations en matière de goût n*ont jamais 
absolument tort. Ea Angleterre Byron a long-temps 
adressé des reproches du même genre à Tccole la- 
kiste, ce qui ne Ta pas empochée de se créer un 
public et d'être regardée aujourd'hui comme une 
des gloires de la Grande-Bretagne. 

Ordinairement la critique n'apparait forte et sa- 
vante qu'après les époques d'enfantement littéraire ; 
mais chez un peuple arrivé après les autres à la cul- 
ture intellec.tuelle, surtout chez un peuple d'érudits 
Iisibitués à étudier les ouvrages étrangers avec une 
ardeur et une patience surhuinaipes,. on comprend 
queja oritique ait pu. naître en même temps que l\ 
poésie, et<iu'elle en ait même devancé les princi* 
vu. 8 



HA HtSTOIRE MS ESTtllES. 

paux monumens.a Aasst les premiers éerit^^^Les^ 
siog parurent-ils à peu près en même temps que 
les premiers disrnCs de ta Mï&ssiade. frétait né en 
1729 à Kamenz, en Lnsace. Se* études fnfenl très- 
vastes et ses premiers écrits révèlent de hautes fe- 
cultés; sa prose a b netteté et la pfécision des bons 
écrivains français. Sa Dramatvrgie^ sa fie de Sopho- 
cle, ses Lettres sur la littérature, etc., etô., sonè des 
ouvrages pleins d'idées profondes sur la philoso- 
phie, les antiquités, lé théâtre, leS'arts, la poésie. 
On peut regarder Lessing comme le fondateur de 
la critique allemande, de V esthétique ^ pour employer 
le mol consa'cré sur l!autre rive an Rhin. Lessing | 
portait en lui une idée très^-éleVéo de la beauté f^oé>» 
tique; il exprimait ses pensées à cet égard avec une 
clarté admiral>le. Il étudia le théâtre français etirt I 
ressortir ses défauts avec un arl infini. Madame dé I 
Staël a dit que sa ciMiiqiïe était un traité sur le cœur 
humain autant qu'une }X)élfqi]e théâtrale. G^ostsur* 
tout , en eflèt, u la nature des sentiitiens exprimés 
et à leur comparaison avec les sentimens- réels que 
s'attache le critique allemand. Il s'emporte contre 
les prétentions exclusives des Français à dominer 
la scène européenne; il démontre que leg divers 
génies des nations ont tous leur raiso^n d'être , et 
enfin que l'Allemagne a bien pies à gagner en étu^ 
diant Shakspeare que Racine.^ Lessing écrivant 
avccGonviciion, attaquant avec vivacité et souvent 
avee une maliee toute française le» éerivaiiie qu'îL 



v«ttt eamjbfiUiKi. 4^119 tme isipiilsioi» nouv^lk^ 

*»l«' . : . •., , 

Sdo livre^b^orique 1|» p.lus- admiré m Âllempgn^ 

^Ikh^tocooiimPea JmiPea de la poésie e( 4e la peiih, 

profondeup. U youlul apfxuyer ses théories gurr 4<» 
€XQiiq^l«y9 6t pomposa pluaîeurs pièces de théâtre qui 
901 obteau un grand (uccès ; l^ spene allenitindô 
n'eii$(;iit pas avant lu^.JLes. drarp^s de Lessing » 
Sara Sam^^âon , Jfmt/m Gali^l , Minna de Barriheim et 
Nêikm-fle^Sage^ ekcii^r/^nt un^ très-vWe curiosilé 
«nAUernagne* Dq. nobles caractères, des nuances^ 
trë$*riiiaixieAt ohscirvées , de§ figures de A^œraes de$^ 
«ioées avec . uû art exquis^ des scènes trés-drama-» 
tiques justifient ce succès , surtout quand on Songe 
que Lessi0g venait d'arracher sa patrie aux pèles 
imitateurs des grands poètes de la France; mais on 
ne peut classer cet écrivain parmi les véritables 
poètes df ft9)a tiquer ^ qui sont philosophes sans avoir 
la eottseielice de leur philosophie; leur génie tou; 
instinctif produit dos cris de passion o^ des scènes 
profondes qui lon>bent de leur àme hp&Uote. Les- 
ling eët ua penseur qui /conçoit une œuvre dramu-^ 
tique diaprés certains principes, certaines théories} 
il arrive par un effort de l'esprit â coipposer de belles 
tcèms, savatâmeiH écrites, mais dépourvues le piM 
loiifMt de eetemporlenaont, de cefini qoi ravit U 
spectatèikr et révèle le poète do géaie. Leasing fui 
iMt 011 graid eritiqve^ et n'eut pour riyaj 



il6 HIStblRE DES LETTRE*. 

iâàns ce genre que Jean Wîrickelmann V iMs ùnîquô 
d'un pauvre cordonnier. Il était né en 1717, ûbtité 
ân$ avant Lessing, à Slandal^ dbns la Yfèille-Mar- 
cbe de Brandebourg. Cet homme célèbre eut long^ 
lempsâ lutter contre la misère et 6es terrible» épi'eu- 
^ôs. H les partagea avec bien flês hommes supérieurs^ 
et entre autres avec son illustre compatriote Chré- 
tien-Théophile Heyne, qu'il connut à Dresde, où 
ils étudiaient tous deux les monumens de Fart an- 
tique : ce dernier avait douze ans de plus que Wînc- 
lelmann ; ils se lièrent d'une amitié qui ne finit 
qu'avec leur vie. Heyne est le plus célébré des phi- 
lologues, des antiquaires et des archéologues alle- 
mands de son époque; ses recherches immenses sont 
des prodiges d'érudition. 

Winckelmann fut obligé long-temps de se sou- 
mettre à des emplois peu dignes de lui pour assu- 
rer l'existence de son vieux père ; la protection d'un 
grand seigneur riche, le comte Henri de Bunau ^ Ini 
permit de se livrera ses études chéries; il dut aussi 
beaucoup au nonq^ apostolique Ârchinto. Enfin il 
put faire le voyage de Rome, et séjourna plusieurs 
années dans cette Italie , l'objet des vœux de tous 
les hommes qui ont un profond senlimeat de la na- 
ture et de Tart. . 

Gomme il revenait en Allemagne, il rencontra, â 
Trîeste, F^ai^çbis Archangeli de Pistoïa^ en Toscane, 
long-temps cuisinier d'un conile Cataldo , à Venise, 
jpurs condamné -à mort-pbur plusieurs evïmiBs; et en- 



. mXfHVJlTlÈME SlËfLE. i IfT 

suite graciiâ. Ce scélérat avait des manières 4Aér 
jiaotes ; Winokelmûan 9 ne connaissant pas ses 
terribles aûtécédens , se laissa aller avec lui à la 
confiance 9 qui était le fond de son noble caractère; 
il lui montra sa collection de médailles , les présens 
qu'il avait reçus à Venise, et une bourse bien garnie. 
Archangeli , séduit par toutes ces richesses , porta 
plusieurs coups de stylet au malheureux antiquaire; 
il l'aurait achevé sur place, mais on frappa à la 
porte, et le meurtrier s'enfuit. Le pauvre Winckel- 
mann ne survécut que quelques heures à cet assas- 
sinat. 

Son Histoire de l'art antique est une œiivre qui a 
excité Tadmiration de toute TEurope; on peut voir, 
dans les mémoires de Goethe, quel enthousiasme 
l'auteur lui inspirait dans sa jeunesse, et combien 
il regrettait d'avoir négligé l'occasion de le voir, 
Lessiag avait pour ainsi dire organisé le culte de 
Shakspeare. Winckelmann se fit le contemporain 
d'Ictinus, de Phidias, de Praxitèle. Cet homme da 
Nord , dix-huit siècles après la venue du Christ , 
s'inocula les idées et les sentimens de la Grèce an^ 
tiqpe ; il s'enthousiasma comme elle de la beauté 
plastique, et l'analysa avec une sagacité digne d'A- 
thènes; lui, un Germain, un barbare, il parla de 
rApoUon et du Laocoon avec autant d'élégance et de 
majesté qu'aurait pu le faire le plus artiste des 
Athéniens en sortant d'une leçon du cap Sunium. 
Les écrits de Winckelmann sont un mélange extr^ 



lié BISTCltie 0t8 ItVTftlTS. 

ixieinent rwi d'^ërudition et d*msigttialioia. te 
manière d'exprimer ce que lui fett éproiiirer b4N)ft- 
templation du beau révèle \ïn poète d*tni ordre très- 
élevé. Il possède afitnirablenient la science des dé- 
tails , qu'il étudie avec une patience tout allemande. 

Il ne faut pas croire toutefois que le grand cri- 
tique se soit arrôté à Tenihousiasme de la forme; il 
est aussi spiritualiste que Platon , et entretient sou- 
vent ses lecteurs de celte beauté suprême, deridéal 
divin que nous portons dans les plus S4)blimes ré- 
gions de notre ûme. L'inlluence de Winckelmann 
sur son époque a clé grande; toutefois Tatlenlion se 
tourna vers le nord; Klopslock fut long-tenips le 
drapeau de la jeunesse allemande, jusqu'à l'appari- 
tion de la traduction de Shakspeare par Wieland et 
Eschenbourg , qui lit naître le culte de Tailleur 
d' Othello eid'Hamlel. 

L'Allemagne lut en proie alors à une ardente fer^ 
tncntation intellectuollo; les groy{>es littéraires se 
formèrent ça et là , comme il devait arriver dans an 
pays qui n'a pas de grand centre, dé capitale domi- 
natrice. A Gœttingue, Lichtenberg cultivait les 
sciences naturelles et combattait par une critique 
spirituelle les excès des imitateurs de Shakspeare 
et de KIopstock; Lcizewitz écrivait une des meil- 
leures tragédies du théâtre allemand , Jules de Ta- 
rente; là se trouvaient aussi les deux comtes deStd- 
berg : l'aîné, auteur de poésies élégiaques pieioes 
d«3 douces et lianmonicuscs in£|)iratioiiâ; leiecaud , 



. DIKrWlTIËliC SUtCU» 'IdlO 

€$prit fertile et «ibaldoreux , rappelant Orphée dans 
m hymnes par TélétatioB et le porlum antique Se 
miiéea^ traduisant Ossian et Homère, étudiant 
aiasi av^ avidité toutes les manifestations da génie 
bumaîa, publiant des voy;i^es remplis d'aperçus 
ingénieux et profonds, reproduisant, dans son ro- 
maa de tlte heureuse^ toutes les belles rêveries des 
poètes sur Tâge d'or ^ fut moins heureux dans la tra- 
duetien de Platon; mais le grand fait de sa \ie^ sa 
conversion au catlK)Iici8me, fut pour lui une nou- 
velle souroe d'inspiration. Ses traductions de saint 
Augustin, son Histoire de Jésus- Christ, augmenteront 
encore sa réputation d'écrivain. Voss fut le rival du 
comte F« StoU)erg comme traducteur de V Iliade et 
ieYOéfssée; ses ouvrages sur la grammaire eurent 
du retentissement en Allemagne , mais son titre aux 
yeux de la postérité est le gracieux poèmede Louise. 
C'est une idylle en trois chants écrite avec une belle 
simplicité religieuse, ua poème sur la vie privée, 
que Ton peut regarder comme le précurseur de ceux 
deCrabbcetdeWordsvirorlhen Angleterre. Madame 
de Staèl, quoique rendant justice au talent de Voss, 
ne sent pas tout ce que cette poésie bourgeoise a 
de réel et de profond. « La simplicité d'Homère^ 
dit-elle, ne produit un si grand effet que parée 
qu'elle est noblement en contraste avec la grandeur 
imposante de son liéros et du sort qui le poursuit ; 
tandis que^ quand il s^agit d'un pasteur de cam- 
pagne et de la très-bonne ménagère sa femme qui 



420 BiSfOrRfi DES LÈTTnÉS. 

nierient leur fille à celui qu'elle aime, la simplicité 
a moins de mérite. ^ Ce graùcf esprit avarît les préju- 
gés qui fermèrent les yeux de Byrori devant ks 
beautés dé Técole Iakiste; oh est toujourâ malgré 
soi un peu de son temps. Le succès de Loum est 
basé sur des beautés qui seront sans cesse' admirées 
parce qu'elles ont leur source dans les sentimens 
les plus naturels et les plus vrais. L'illustre auteur 
de l'Allemagne, après ses réserves faites, cite avec 
admiration le discours du pasteur à sa fille en la 
mariant : la page que nous transcrivons ici est échap- 
pée d'un cœur noble et tendre, qui sentait vivement 
les joies et les souffrances de la vie terrestre : 

« Mon unique enfant, car il né me reste que toi, 
d'autres à qui j'avais donné la vie dorment là-bas 
sous le gazon du cimetière; mon unique^ enfant, tu 
vas t'en aller en suivant la route par laquelle je suis 
venu. La chambre de ma fille sera déserte , sa place 
à notr^ table ne sera plus occupée; c'est en vain que 
je prêterai l'oreille à ses pas, à sa voix. Oui , quand 
ton époux t'emmènera loin de moi, des sanglots 
m'échapperont , et mes yeux mouillés de pleurs te 
suivront long-temps encore; car je suis homme et 
père, et j'aime avec tendresse cette fille qui m*airae 
aussi sincèrement. Mais bientôt, réprimant mes 
larmes , j'élèverai vers le ciel mes mains suppliantes, 
et je me prosternerai devant la volonté de Dieu qui 
commande à la femme de quitter sa mère et son 
père pour suivre son époux. Va donc en paix, mon 



eiifaiit, abandontiè ta fahfiille el la maison pater- 
nelle : SUIS le jeune homme qai maintenant tetieni- 
dra lieu de ceux à qui tu doià le joui^^ sois dans sa 
ffiâiBon comme une \igne féconde ; entoure-la de 
nobles rejetons. Un mariage religieux est la plus 
belle des félicités terrestres; mais si le Seigneur ne 
fonde pas lui-même l'édifice de l'homme , qu'im- 
portent ses vains travaux? » 

c Voilà, ditmadamede Staël , delà vraiesimplicité; 
celle de l'âme, celle qui convient au peuple comme 
aux rois^ aux pauvres comme aux riches, enfin à 
toutes les créatures de Dieu. » 

Gœttingue possédait encore à cette époque Gode- 
froi Auguste Burger, né comme tous ces écrivains 
\ers le milieu du dix-huitième siècle. C'était un 
homme passionné , dont les commencemens furent 
orageux ; on voulut en vain le faire étudier la théo- 
logie et la jurisprudence. Sa liaison avec une femme 
galante l'entraîna en des désordres ; il s'endetta et 
fut long-temps dans une position misérablç; heu- 
reusement la société des hommes remarquables que 
renfermait alors Gœttingue finit par lui donner de 
Témulation , et il se prit de passion pour les poètes; 
la collection des anciennes ballades anglaises par 
Percy devint son livre chéri. Il eut alors quelque 
liberté d'esprit, parce qu'un de ses amis lui pro- 
cura , en 1772 , un emploi dans la principauté de 
Calemberg. Son aïeul, touché de le .voir adopter une 
vie plus régulière, paya ses dettes et se décida à lui 



Iburnîp on eautîbiMi€Nai£ai; dont une grande partie 
êoi enlevée par uniami <de 6i)r:9er. Ce maUiettr ploo^ 
gea le poète :dûns des embarras qui se prol<m|èreAt 
durant le reste de «a ?je. Ce$i à-cetèe époque 4|<i'il 
composa sa fnueilse ballade ûeLenoraj doftt le suc- 
cès fut prodigieux, Il se mariaeci 1774; mais sa \^ 
4evait être tine suite de passions el de souffraaces: 
à peine marié/ il devint éperdumeat amoureux de 
sa belle-^sœiir» Après des années de combats et de 
docdeur^ il perdit sa femme et épousa celle quil 
aimait pour la voir mourir aussi. Le cbdgria l'acca- 
bla quelque temps , puis il chercba des eonsolations 
-dans le travail. Une jeune personne de SiuUgard, 
charmée de ses poésies , lui adressa un poème en lui 
<»irrant sa main. Le poète avait trois enfans; il vou- 
lut leur donnet* une mère , se maria de nouveau ^ et 
fui si malheureux dans cette union qu'il se sépara 
de sa femme; il mourut deux ans après i le 8 juin 
4794. Au milieu de tous ses désordres, Burger mon- 
tra toujours une grande bienveillance pour ses sem- 
blables; il trouvait même le moyen d'être charitable 
dans sa misère. Ses poésies eurent beaucoup de re- 
tentissement en Allemagne : sa ballade de Lenora est 
le plus populaire des poèmes de ce genre. Cette 
jeuoe fille qui wit l'armée revenir de la guerre sans 
son fiancé et renie Dieu dans son désespoir ; ce che- 
Tâtier, son amant, qui frappe à minuit à sa poi^e 
et qui i eelève sur son coursier rapide, travefôant 
^u .gaAop des tei res incultes ; les èpouvaiUemens de 



k Imûe fille , ta népoiise tetfjbte M sombre éa ca- 
taHer : Les mùfts vmt vUet ce Jhpïhre eortége de 
prètresescortant un linceul { TelTroi toujours croia^ 
^Qt de Lenûra ; Ie$ nod^eiles^^poûsefi d'ironique 
insouciance de son amant mystérieux ; cette ^ise , 
doni le coursier franchît la porte en passant au 
milieu des tombeaux; le cavalier devenant sque- 
leitë et s'ensevelissant avec sa fiai^ée dans les 
abimes de 4a terre , toute cette scène fantastique est 
rendue par une poésie funèbne , pleine de force et 
d'harmonie sauvage qui fait frémir. Après cette bai- 
Jade^ la plus célèbre de Burger est celle du Féroce 
chasseur; mais aucunede ses autres pièces n'a atteint 
là popularité de Lenora. On peut dire que ce nom , 
qni occupe une grande place dans Thistoire poétique 
do TAHemagne, s'est iait au moyen d'une ballade. 

Nous devons encore citer parmi les hommes dis- 
tingués de la pléiade de GœttÎDgue, Louis-Henry - 
Christophe Hœlly, enlevé aux lettres à vingt-huit 
ans, en 1776. Ses ballades, ses idylles, ses odes^ 
ses chansons, donnaient les espérances les plus bril- 
lantes. Autour de ces écrivains se groupaient d'au- 
tres hommes moîos connus et dont les noms ne peu- 
vent figurer dans une histoire générale. 

Dans le même l«mps , Dusseldorf possédait les 
deux Jaeobi et Heînse. Jean-Oeorges Jaoobi , né en 
1740^ fut professeur d'éloquence et de philosophie; 
ses poésies légères dans le genre de Chaulîeu et de 
Gresset sont pleines de grâce et d'une moUesse har- 



134 l|l$TOIftE :PES LETl^AES. 

mouleuse. Nous retrouverons Frédéric-Henri Ja» 
cobiy frère du précédent, au chapitre que nous co&« 
nacrerons à la philosophie. 

Guillaume-Heià^e était né en 1749(cette réunion 
d'hommes éminens, yenus au monde en Allemagne 
entre 1745 et 1755, est réellement très-élonnanle); 
il fut l'ami de Wieland et de Gleim , le protecteur 
infatigable des gens de Jettres , qui lui procura plu- 
sieurs emplois avantageux à Mayence. Cet écrivain 
distingué, plein d'originalité et d'esprit , publia des 
épigrammes, des traductions de Pétrone , de la Jé- 
rusalem et du Roland furieux , et plusieurs romans 
qui ont obtenu des succès malgré l'emphase de leur 
style, tellement étincelant qu'il éblouit parfois 
comme unelumière trop vive. Heinse , qui avait se- 
journé en Italie , aimait comme Goethe cette belle 
contrée qu'il sentait toutefois en sensualiste païen ; 
ses œuvres rappellent trop souvent le traducteur de 
Pétrone. 

Le mouvement intellectuel était plein de force et 
de grandeur à Leipsick et à Strasbourg. C'est dans 
cette dernière ville que Goethe rencontra pour la 
première fois Ilerder, celui qjui a inspiré à madame 
de Staël ces belles paroles : < Les hommes de lettres^ 
en Allemagne , sont , à beaucoup d'égards , la réu- 
nion la plus respectable que le monde éclairé puisse 
offrir, et parmi ces hommes Herder mérite encore 
une place à part ; son âme, son génie et sa moralité 
tout ensemble, ont illustré sa vie. > 11 avait cinq ans 



DlX^AélttÈME SIÈCLE. ' f2& 

de plus que Goethe, étant né en 1744i Sa famille ; 
obscore et pauvre , le livra au mon^ sans appui yil • 
ne dut donc sa position qu'à son travail et à son 
courage. Après avoir rempli plusieurs fonctions dans 
renseignement , iL finit par être prédicateur de la 
cour 9 vice^président du consistoire et supérieur 
ecclésiastique à IVeimar. 

L'amour de rhumanité , le cuhc. du beau et du 
vrai caractérisent les ouvrages de ce grand écrivain ; 
les critiques allemands le cpmparept souvent à Pla* 
ton et à Pénélon ; ses opuscules sur les poésies na^ 
tiooales des divecs peuples , sur la philosophie ^ sur 
Tbistoire et l'archéologie , révèlent de très hautes 
facultés et des études profondes ; mais son ouvrage 
intitulé : Idées sur la phUosaphie de l'Idstoire, a conquis 
une gloire telle ^ que ses autres écrits ont été pres^ 
que oubliés de l'Europe. C'est de ce magnifique 
travail que madame de Staël a dit que c'était peut- 
étire le livre allemajid écrit avec le plus de charme» 
M.Victor Cousin lui a rendu un hommage bien plug> 
solidement motivé dans son cours de 1828. Le célè* 
bre professeur compare leDî^^tir^ sur Phistoire uni-' 
verselle de Bossuet , la Science nouvelle^ par le grand 
jurisconsulte italien du dix-huitième siècle , Vico^ 
et les Idées, de Herder. U montre que Bossuet a sur* 
tout développé l'élément religieux ^ Vico l'élément 
politi^uçi l'État ; mais que ces deux écrivains ont 
négligé les : autres élémens, la poésie ou l'art Vie 
comniierce ,; la philosophie ,. tandis qiue Uerder a e^ 



ppur idé« fondavçfttele de rendre cooipte de^ tom 
le»^lém<eaa;da Tl^viamitÀ^ ain«i que de. toutes let 
époques de rht^tolre* 

Herderestun itèS'^gratnd poète ; Ie$ coakvra dont 
il peint les pîeuples; de l'antique Asâfi sa»i admira* 
bles« Il répand sur tous ses. tableaux une teinte so- 
lennelle qui fait songer .aux plus beHes scènes de 
Moïse 7 a^ec quelque chose de pliis tendre , de {dius 
afmani. Tout ee. qui. a rapport à la littérature et aux 
arts est traité dTane manière supérieure* M. Cousin 
reproche à Herder de n'avoir pas asse£ mis en re* 
li^ la liberté et la puissapeé de Thamme ; il ëa ac- 
cuse atec raison la pJûlosopbiesesibualisiede Locke^ 
qui régnait alors sâr l'Europe , enire 1760 ei 178^. 
Oueiques. parties du grand ouvragée .de Herder sont 
faiblemenit traitées ; l'analyse^des syaHèmea philoso-' 
pbiques est insuffisante. Le défaut capital est tout 
allemand ^ c'est le manque de précisîoB. ^aas le 
dessin et dans l'idée ^ un caractère lAdéteraiinè et 
-vogue , qui.xappelte plutôt un poète qu'un philoso- 
phe. Ce caractère vague envahit, souvent les decifi* 
ries elles-méniçs ^ et l'auteur a éié accusé des tea- 
daoees pantbèistiques de son payietde aeo tempe» 
S'il s'était appuyé sur un ensetgMmenI plus ferme 
que celui qu'il puisa dans le proteslaniisBM «. il eût 
éidtésaBA dûoteces (teplorables erreurs. C^piendant 
on doit peut-être. approuver Topinieii qui déclara 
qnei'eiivrj^e idbe iierder, est enebre l§^ phift pwA 



moDBmeBt éieté à rhistoire de rbamanilé }Baqu% 

L'illustre doii do rMteur dèce beau livre , Ican 
WotfgdDg de 6oêlhe> que nous ftTon» vu mourir il y 
a (fuelqoes années, était né à Franefcur t-^ur*Ie-Bleîa 
)e28aoât 1749. La passion littéraire se maaifest» 
éct lui dès r-enfftnce. Son père, conseil ter d'empire 
à Franefort, charmé ^et effrayé tout à la fois de Ten*^ 
thousiasme de son-fiis pour la poésie, t'envoya ét4W 
lier le droit à Leipsick , en i76& Le^eune Goethe 
y passa trois sms , absorbii comme 4oujdurs dans ses 
études chéries. Qo lei*etrottV6à Strasbourg; en 1770,, 
trèS'lié âyec Herder, dont le beau génie exerça^snr 
lui use heureuse influence. Eau 1731, Goêtfie , poue 
obéir aux volonlés paternelles, se^^t recevoir doc*» 
teor en droit ^ et alto à Wetzlâr'pojur Vexerc^ près 
de la chambre impériale à l'applicatrori des pr^nei-^ 
pesde la jurisprudence. Il y devint aftioureiix de la 
fiancée d'ttn4ie ses condieciples : c'est elle qui lut , 
dit-on , la Cbariotte de son famen roman.de Wer« 
tber. Mais son amour rie l'absorba pe»:au point de 
le distraire de ses travaux poétiques ; après de lon^ 
gués étvdes sur Shakspeare, il publia, en i77a, sa 
nideel belle ébati^e dtamatique sur le moyen âge, 
intitulée : Goët% deBerBhhingen. Le succès fut rapide 
et éclatant ; Goethe alk dans la même année en 
Suisse, avec les deux comtes de Sidibergetleeomie 
flaugwitz , depuis ministre d*État en Prusse ; de 
retoori Francferty ri y «erça les fimclione d^avocait 



fSS HISTOIRE INQfiiI^fiTTJIftS. 

en i7T4 et 1715 , et acquit tout, à coup uae.célé* 
britë très éclalante ppr la publication de Werther^ 
dont l'dfet fut prodigieuK,^ea Allemagne. 

Goethe fit pendant- ces d^ux années plusieurs 
excursions à Dusseldorf pour, y étudier la belle ga- 
lerie de tableaux que possédait cette ville. Il s'y lia 
avec lés frères Jaoobi , et y prit part i la rédaction 
de Vlris^ revue mensuelle dirigée par J.-G. Jacobi. 
C'est . de DUssddorf que Heinse écrivait alors à 
Gleim : « Npus avons Goethe avec nous ; c'est un 
beau jeune homme de vingt<-cinq ans» Il est tout 
génie de la tète aux pieds; c'jestJ'énergie , la vi- 
gueur méme^ ce sont les ailes de. l'aigle ; un cœur 
plein de Sensibilité*, un esprit de feu , quiruU im- 
mensusj oreprofundol v 

Le prince héréditaire de Saxe^Weimar était un 
des plqs ardehs admirateurs du jeune Goëihe» qui 
lui fut présenté par M* de Knebel pendant un voyage 
dé son altesse à Francfort. En 1770, dés que le 
prince eut pris les rênes du gouvernement , il ap- 
pela Goethe près de lui , en lui conférant le titre de 
conseiller de légation avec droit de siéger et. voix 
délibérative dans son conseil privé, oùGoëtbe entra 
réellement en 1779. La même année , il fit avec le 
duc;un second voyage en Suisse ; sa faveur alla tou- 
jours croissant,, puisqu'on le voit anobli en 1782^ 
et nommé président du conseil de Weimar* Goëtbe 
pbsaa en Italie les années i78i&, 87 et 88 ; le sé- 
jour de: Home, exerça sur son esprit une profonde 



DiX-HUITlÈME SliCLE. 420 

iDflu6Qce« Il écrivait de celte ville , le 10 novembre 
i786: 

I Tout ici donne à l'esprit une empreinte de, ca- 
pacité ; on se sent sérieux sans sécheresse , calme 
et satisfait. Quant à moi , du moins , il me semble 
que je n*ai jamais aussi bien apprécié qu'ici les 
choses de ce monde* Le fruit que j'aurai retiré de 
moD séjour à Rome durera autant que ma vie, et 
c*e$tune grande satisfaction pour moi. » 

De retour à Weimar, en 1789, Goethe s'y entoura 
de plus en plus d'hommes éminens, et passa sa vie au 
seÎQ d'une société d'élite qu'il dominait autant par 
8on caractère que par son génie. Là vécurent, dans 
ce temps de gloire littéraire pour F Allemagne, Wie- 
land^ Goethe, Herder, Schiller, les frères Schle- 
gel et quelques autres hommes moins illustres, mais 
distingués , tels que Musseus, Bode , etc. Wéimar 
est entouré de beau^ jardins et d'édifices élégans: 
Etersbourg , le Belvédère , Wilhemstal , Ilmenau , 
sont désormais chers aux muses germaniques. Wéi- 
mar a été nommé l'Athènes de l'Allemagne. Le 
prince Charles-Auguste , les duchesses Amélie et 
Louise , présidaient dignement ce congrès de gé- 
nies. La plus intelligente protection accordée aux 
lettres et aux arts en Allemagne pendant tout le dix- 
huitième siècle a été celle de cette petite cour. 
Quel monarque aurait pu protéger les écrivains 
avec plus d'efficacité que le roi de Prusse Frédé- 
ric II 9 si sa monomanie française ne lui avait pas 
vu. » 



tiê I»TOIB& MB LETfRES. 

fermé les yeui sur la mission Huéraire dé sa pro« 
pre patrie ? Marie-Thérèse et Tempereur Joseph II 
M répondirent pas non plus aux grandes espéran- 
ces conçues par les amis des arts* Le duc de Sqx6<- 
Weimar a pris cette glorieuse charge , et a suppléé 
à Tiniuffisance de ses ressources financières par 
«ne Ame démnée et sympathique » trésor inappré- 
ciable chez les puissans de la terre. 

Le caractère de Goethe fut souvent l'occasion de 
souflfrances pour ses amis : le grand écrivain rappor- 
tait tout à son œuvre et ne craignait pas de blesser 
le eorar de ceux qui Tentouraient^ quand ils exi^ 
geaient de lui le sacrifice d'une heure de travail. 
€'^st ainsi qu'il renvoya au noble et bon Schiller, 
eti lui disant qu'il n'avait pas le temps de les lite, 
des poéms ^e ceiui-ei lui avait soumises Avee 
anxiété. Herder, lacobi, Merck, Wieland lui repro^ 
ehëreirt «ouvent son égolsme. Un jour, dit M. Henri 
BlaM , qu'iUtait question de cette indiffiêrenice su" 
pt^ème île Goethe , de ce caractère élevé au-dessus 
du jen des passions du monde , un homme dont les 
yeux flamboyaient sous son large front prit la pa- 
role ^n s'écrîant : « Reste k savoir si l'homme a le 
droit de'S'èlever^ans cette région où toutes les souf- 
frimces vraies ou fausses , réelles ou simplement 
imaginées, deviennent égales pour lui, où il cesse, 
«inon d'èire artiste , au moins d'être homme; où 
ta lumière , bien qu'elle éclaire encore, ne féconde 
f^kis Tieâ,'et si cette maxime, une fois admise, n'en^ 



blX-ffUttIÈME SliCLË. Id4 

trahie pas h négation absolue du caractère humain. 
Nul ne songe à disputer aux dieux leur quiétude 
éteraeile ; ils peuvent regardi»r toute c^ose Mr cette 
terre comme un jeu dont iU règleht les chances Mlon 
leurs desseins. Mais nous, hommes^ et partant su-* 
jets à toutes les nécessités humaines , il ne faut pas 
qu'on vienne nous amuser avec des poses théâtra«- 
les; avant tout , conservons le sérieux ^ le sérieux 
$acréj sans lequel tout art, quel qu'il soit, dégénère 
en une misérable parade. Comédie ! comédie t 80*- 
pbocle n'était cependant pas un comédien , Eschyle 
encore moins. Tout cela , ce sont des inventions de 
notre temps. David chantait les hymnes avec plus 
de cœur que Pindare, et cependant David gouver* 
nail son royaume. Que gouvernez-^vous donc, vous? 
Vous éludiez la nature dans tous ses phénomènes , 
depuis l'hysope jusqu'au cèdre du Liban. La na-^ 
turel vous rabsori)ez même en vous, ainsi que cela 
voQsplait à dire. À merveille I Mais je voudrais bieh 
ne pas vous voir, pour cela, me dérober le pluis beau 
de tous ses phénomènes » l'homme dans sa gra&^ 
deur naturelle et morale, v 
Celui qui parlait ainsi , c'était Hèrder. 

Nous aimons à reproduire ces belles paroles qui 
expriment si admirablement notre propre manière 
de sentir. Vois-tu ^ Ooëthe , lui disait un jour Merk , 
un de ses amis d'enfance, esprit sombre et bizarre , 
quand je te compare à ce que tu aurais pu être et 



182 ' B18T01RE DES LETTRES. 

i ce que lu n*es pas, tout ce que tu as écrit me sem- 
ble une misère. 

Cet égoisme reproché au poète en amitié, il sem- 
ble aussi l'avoir porté dans l'amour. Ne disait-il pas , 
en parlant d'une jeune personne qui l'aimait avec 
passion: < Je me suis aperçu que Tamour de Frédéri- 
que m'aurait fait, perdre au moins deux années , et 
j'y ai mis ordre? » il ne voulait en amour rien qui 
préoccupât son imagination et son cœur. Un jour , 
une jeune femme vint demander une grâce à Goe- 
the ; elle lui plut et il la prit pour servante ; il ne 
tarda pas à entretenir avec elle des relations que ses 
amis ne purent empêcher* Goethe eut de cette femme 
plusieurs enfans qui moururent tous ; il finit par 
l'épouser en 1809. ^^ ^ 

Une dernière preuve d'impassibilité : Dans une 
promenade à la campagne, madame Goethe est frap- 
pée d'apoplexie auprès de son mari et reste éten- 
due et comme morte dans la voiture. Goethe donne 
l'ordre au cocher de retourner en disant tranquille- 
ment: « Quelle frayeur ils vont avoir à la maison, 
lorsque nous allons nous arrêter , et qu'ils verront 
cette personne morte dans la voiture! • 

Sans doute Goethe n'était pas cet homme impas- 
sible , quand , à vingt-^quatre ans , il publiait son 
Werther, petit chef-d'œuvre de sentiment et de pas- 
sion. Le poète aurait-il jeté dans ces pages toutes 
les émotions de sa vie , les y aurait-il scellées , 
comme sous la pierre d'un sépulcre, pour commen- 



DIX*HUlTltlfE SIÈCLE. 133 

cer une autre existence? On le croirait. Werther est 
plein de charme , et tout ce charme lui vient de Ta- 
mour qui pénétre de Tâme de Goethe dans celle des 
lecteurs. Il aime, non-seulement la femme, mais 
toute la création ; la poésie du paysage est ravis- 
sante dans cette œuvre , qui commence la série de 
ces tableaux mystérieux et sombres dont le pre- 
mier modèle , on ne Ta pas assez remarqué , re- 
moûte à THamlet de Shakspeare , et dont René est 
le type le plus célèbre en France. Goethe regretta la 
publication de cette œuvre, parce que plusieurs sui- 
cides affligèrent TÂlIemagne à la même époque et 
qu'on les attribua à l'exemple fatal donné par Wer- 
ther. Le fait est que l'enivrement produit par ce li- 
erre fut inconcevable, et que cette passion brûlante, 
ces orages d'une pensée maladive et tourmentée , 
purent égarer bien des têtes, chez un peuple rêveur 
et dont la littérature n'offrait encore aucune œuvre 
de ce genre. Les autres romans de Goethe ont un 
tout autre caractère. Il ne s'agit pas, dans Wilhelm 
Meister, du développement d'une passion, d'un fait 
unique dans lequel tout l'intérêt se concentre, mais 
d'une suit€f de tableaux très variés et tracés avec 
une verve fort spirituelle. Tous les rangs de la so- 
ciété^ grands seigneurs, bourgeois, artistes, comé- 
diens, aventuriers de toutes sortes, se mêlent dans 
ce livre. L'épisode de Mignon a surtout fait sa for- 
tune. Cette pauvre jeune fille italienne , fruit d'un 
inceste, abandonnée de ses parens, enlevée par des 



184 HISTQiaS D£9 li0fTM9* 

danieurfl de corde ^ est enfin recueillie pur WUbeli» 
Heîster ; cachée sous des habits de garçgn qu'elle a 
toujours portées i elle sert son nouveau maître i se 
prend à raimer d'une passion profonde et meurt de 
jalousie. La pauvre enfont n'a pas la force de aup^ 
porter ce terrible mal. Goethe a peint cette mysté» 
rieuse figure de Mignon avec un art magique ; la 
mélancolie maladive de cette jeune fille si pure^ 
vouée av malheur depuis aa naissance i lui inspire 
des idées souvent délicieuses ; il charme , il attear 
drit; il préoccupe par la nouveauté des impressioas 
qu'il éveille , par l'étrange destinée de cette ctéa* 
ture , qui n*est pas un enfant et qui n'est pas une 
femme ^ mais un être qui a la grâce du premier, la 
passion et le malheur de la seconde. Le chant de 
regrets sur l'Italie i t Connais-lu cette terre où les 
eitronniers fieurissent , ■ mis dans la bouche de 
la jeune infortunée, est un des morceaux les plus 
admirés de la poésie allemande. Cependant Wilhelm 
Meiàter offre des parties négligées qui ressemblent 
à des esquisses^ 

L'autre roman de Goethe, ha AffinMB élecAmB^ est 
fiK»id €t sans but philosophique apparent. C'est une 
peinthré des chagrins de l'amour contrarié par les 
devoirs sociaux ; mais ^ malgré la finesse des détails 
at'la profondeur des aperçus, ce livre languit» rien 
n'y rappelle les rares facultés poétiques qui ont créé 
^Wertker et. Mignon. D'ailleurs , jamais l'esprit scep- 
^que f b indifférest de Goethe ne s'est t évéié fins 



0n-HUITlillB filÈCUD. i8S 

complètement que dans cette œuirre; qu'elle déseï^ 
père ou qu'elle console , qu'elle élève les regards de 
rhomme vers le ciel ou qu'elle le plonge dans le 
doute» il ne semble pas que l'auteur s'en inquiète* Il 
expose les faits de la vie comme un apectateur im- 
passible ; il y a des êtres pour lesquels une telle 
lecture peut n'être pas mauvaise^ mais> certes , elle 
n'est bienfaisante pour personne. 

Goethe a donné la forme dramatique à la plus 
grande partie des manifestations de son génie. Nous 
avons déjà parlé de Goëta de Berlinkingen , la première 
pièœ publiée par l'auteur. GettQ rude et forte pein- 
ture de la vie féodale est peut-être ce que Goétlie 
a produit de plus vrai. Ce n'est qu'une esquisse , 
mais une esquisse de génie, qui n'a jamais été des- 
tinée au théâtre. Le Comte (fEgmdni est de toutes 
les pièces de Goethe celle qui convient le plus à la 
scène ; les rôles d'Egmont et de Clara rappellent la 
jeunesse de passion qui a enfanté Werther ) on 
doit d'autant plus le remarquer que c'est très^rare 
dans l'œuvre de Goethe. Egmont est un grand ca- 
ractère largement tracé, plein de noblesse, et con- 
trastant vivement avec l'âme cauteleuse et féroce 
du duc d'Àlbe. Les scènes dans lesqudles ces dtux 
personnages occupent le théâtre ont toujours pra^ 
duit beaucoup d'impression en Allemagne. La cata- 
strophe tragique est d'un effet terrible» eilerdlede 
Clara très^pathétique w dénoûment Le sentiment 
religieoi: y domine et jette sur Tceiivre Q»e liisMère 



136 HISTOIRE DES LETTRES. 

morale qui manque souvent aux travaux de Tauteur 
de Wrther. 

Goëiz et Egmant sont de l'école de Shakspeare; 
dans Iphigénk en Tauride , le poète a eu devant les 
yeux les grands modèles de la Grèce , il a cherché à 
en imiter la simplicité pure et harmonieuse. Le rôle 
d'Iphîgénie fait songer à VAntigone de Sophocle. C'est 
la même élévation religieuse, la même noblesse , le 
même calme. Il faut lire cette tragédie , nous aime- 
rions mieux dire ce poème ^ et ne pas la voir repré- 
senter; le style passe pour le chef-d'œuvre de la 
poésie classique en^Âllemagne. Goethe a réellement 
pénétré très-profondément le génie grec dans cette 
œuvre. C'est là un des plus remarquables caractères 
de son esprit ; il sait s'approprier les pensées , les 
sentimens, les joies et les douleurs de chaque civili- 
sation, et les reproduire avec une réalité saisissante. 
Iphigénie a coûté de longues veilles au poète j c'est 
à propos de cette pièce qu'il écrivait: i Ces travaux ne 
sont jamais achevés. On peut les considérer comme 
tels lorsqu^on a fait tout son possible , d'après le 
temps et les circonstances. Cependant je n'en vais 
pas moins entreprendre, avec le Tasse^ une sembla- 
ble opération. Franchement, j'aimerais mieux jeter 
au feu tout cela ; mais je persiste dans ma résolu- 
tion , et , puisqu'il n'en est pas autrement , nous 
voulons en faire une œuvre admirable. » 

Cette tragédie de Tarquaio Tasso est aussi dénuée 
d'action que Ylphigénie ; c'est la peinture des souf- 



DIX:-HUITIËM£ SIÈCLE. i37 

frances du poète en contact avec la vanité miséra- 
ble de gens de cour, dont l'intelligence est sans lu- 
mière et le cœur sans délicatesse. Cette pièce de 
Goethe ne convient nullement au théâtre ; elle est 
lae avec plaisir par les hommes d'élite, comme une 
étude patiente et souvent profonde des souffrances 
du poète dans le monde; mais, à ia scène, rien ne doit 
être plus froid , plus languissant. Madame de Staël 
a remarqué, avec raison , que dans cette pièce 
Goethe est resté Allemand , et que , contrairement 
à la flexibilité ordinaire de son esprit , il n'a pu se 
faire méridional. « Léonore d'Est , dit-elle , est une 
princesse allemande. L'analyse de son propre ca- 
ractère, à laquelle elle se livre sans cesse, n'est point 
du tout dans l'esprit du midi. » Il y a de la vérité 
dans cette observation. Nous ferons remarquer, 
toutefois , que les écrivains italiens peignent Léo- 
nore d'Est comme une femme très-contemplative , 
très-pieuse et très-timide. L'auteur de V Allemagne 
reproche aussi à Goethe d'avoir prêté au Tasse un 
langage souvent trop métaphysique. On doit se sou- 
venir que le poète de Sorrente a écrit des dialogues 
dans le genre de Platon , et que les rêveries mysti* 
ques, et parfois le scepticisme, l'ont tourmenté dans 
son cachot. Le grand défaut de Torquato Tassa est 
la froideur , le manque d'action. Quant au style , 
les Allemands l'admirent comme une merveille d'é- 
légance et de dignité. Dans sa pièce intitulée : la 
FiUe naturelle^ Goethe a portéencore plus loin sa pas-- 



140 HISTOIM DES LETTRBS. 

Tels sont les personnages de cette comédie infer- 
nale. Les autres figures sont très^secondaîres. Les 
beautés poétiques abondent; indiquons-en quel- 
ques-unes : le moment où Faust va boire le poison 
et où il s'arrête en entendant les chants du matin de 
Pâques retentir dans la vieille église: 

LE CHOEUR. 

« Le Christ est ressuscité. Que les mortels dégé- 
nérés , faibles et tremblans s'en réjouissent* 

FAUST*. 

» Xlomme le bruit imposant de l'airain m'ébranle 
jusqu'au fond de rame! Quelles voix pures font 
tomber la coupe empoisonnée de ma main! Annon- 
cez-vous , cloches retentissantes , la première heure 
du jour de Pâques? Vous, chœur, célébrez-vous 
déjà les chants consolateurs , les chants que, dans 
la nuit du tombeau , les anges firent entendre quand 
ils descendirent du ciel pour commencer la nou- 
velle alliance? 

* 

^ LE CHOEUR. 

V Le Christ est ressuscité, etc. 

FAUST. 

» Chants célestes, puissans et doux, pourquoi 
me cherchez -vous dans la poussière? Faites- vous 
entendre aux humains que vous pouvez consoler. 
J'écoute le message que vous m'apportez , mais la 
foi me manque pour y croire. Le miracle est l'en- 
fant chéri de la foi. Je ne puis m'élancer dans la 
sphère d'où votre auguste nouvelle est descendue; et 



DIX-HUITIÊIIE SliCLE. 141 

cependant 9 accoutumé dés Tenfance à ces chants, 
ili me rappellent à la Tie. Autrefois un rayon de 
Tamour divin descendait sur moi , pendant la so- 
lennité tranquille du dimanche. Le bourdonnement 
sourd de la cloche remplissait mon âme du près* 
sentiment de l'avenir, et ma prière était une jouis- 
sance ardente ; cette môme cloche annonçait aussi 
les jeux de la jeunesse et la fête du printemps. Le 
souvenir ranime en moi les senlimens enfantins qui 
oous détournent de la mort. Obi faites-vous en- 
tendre encore , chants célestes I lu terre m'a recon- 
quis, f 

La scène de Mai^uerite à Téglise est charmante, 
mais elle est trop populaire pour qu'on la cite. Les 
sorcelleries rappellent Macbeth et. toute la partie 
fantastique deShakspeare. U'entrelien de Mépbisto- 
et de Pécolier de Leipsick est un modèle de 

sie satanique. Le contraste de la bonne foi du 
jeune homme et du patelinage diabolique de Méphis- 
tophélés est admirable. La piété de Marguerite au 
sein du désordre offre . des accens d'une naïveté 
charmante , et les plaintes que Faust adresse à Dieu 
sont exprimées en vers magnifiques. Mais les der- 
nières scènes du drame sont déchirantes ; la pauvre 
fîUe, parricide et fratricide involontaire , tuant son 
propre enfant pour cacher sa honte, poursuivie par 
Héphîstophélès jusqu'au pied des autels , renfermée 
dans son cachot avec le remords et les larmes; le 
repeùtir de Faust raillé par son démon; Tétranga 



lit filSTOIM BE8 LBtfnfiS. 

et gigantesque sabbat des sorcières auquel Mépbis* 
toph€4és fait assister Faust pour U ësttfAft, rea« 
tfecieA de Marguerite et de Faust dans la priMa su 
Ésoineiitoù dleattend le bouri^esy , toutes eM setoes 
révèlent un génie très^^original c* éxditetit ohez le 
spectateur tout on or^ge d'émotiotiH et de pensées. 
. Quoique madame de Staël ait depuii long-te)»ps 
fait eqnnaftre à toute la France le dénoùment de 
Pâust^ Mus croyons devoir le reproduire ici. Mar* 
guérite ) se soulevait de son lit de paille , s'écrie : 
« Us t^iennent t ils viennent 1 Oh i que la mort est 
amère ! 

FAUST, Afl*.-* 

1^ Doy cernent, doucement : je vais te délivrer. (A 
ê'apprçche d'elle fmtr brisent ses pn.) 

HAROUBRITJB* 

» Si tu et un h^nmoi moa désespoir te tou- 
eherdé 

FAUST. 

» F4us bos^ plus bas; tu éveilleras la garde par 
tes cris. 

MABeUERlTS $e jeOe à ^emua. 

» Qui t'a donné, bait^^re, cette puissance sur 
moi? )1 n'^st que minuit : pourquoi viens-tu déjà 
me cberober? Aie pitié de mes lai^mes, laisse-moi 
vivre encore : demain matin , n'est-ce pas assez tôt? 
{Miargueride se relève*} Je suis pourtant si jeune, si 
jeune! et dois-]e déjà mourir? J'étais belle aussi: 
c'est oe quî a tok ma perleu Mon ami était alors près 



ié moi : il est inaintetiaut bieq loîn. Les fleurs de 
ma guirlande sont dispersées. Ne me prends pas la 
maîn aiee lant de vioienoe« Ménage^moi* Ne me 
laissspas pleurer en vain. Jaqiais, jusqu'à oejour^ 
je ne t'ai vu. 

FAUSir. 

> Gomment supporter sa douleur ? ^ 
MAHeuERire. 

» Je suis loot^'à-fait en ton pouvoir. Seuletnent 
hisse-moi allaiter mon enfant $ je l'ai pressé, hw 
fflofl cœur toute la nuit, lis me Tont 6té pour m'af'* 
ftiger. N'ont-ils pas prétendu que je l'avais tué? Ja-^ 
mais je ne redeviendrai ce que j'étais. N'ont-ils pas 
chanté des chansons contre moi ^ ces médians! Que 
\oulaient-ils donc dire? 

FAUST se jette à ses pieds. 

9 Ton amant est à tes pieds ^ il vient ouvrir les 
portas de cette horrible prison. 

MARGUERITE. 

lOui, mettons -nous à genoux; appelons les 
saints à notre secours^ Les cris de Penfer se font en- 
tendre, et les mauvais génies nous attendent sur le 
seuil de mon cachot. 

FAUST. 

» Margueritel Marguerite! 

VARGUERlf E , ûttCHtive. 

» C'était la voix de mon ami. ( Elle se précipite 
ven FwiBt et ses fers tombent.) Où est-il? je l'ai en- 
tendu m'àppeler. Je suis libre. Personne ne pourra 



444 HISTOIRE DES LET1RES. 

plus me retenir en prison. Se m'appuierai sur soa 
bras f je me reposerai sur son sein. Il appelle Ma^ 
guérite : il est là, devant la porte. Au milieu des 
hurlemens de l'impitoyable mort , j'entends la douce 
et touchante harmonie de sa voix ! 

FAUST. 

* f Oui , c'est mol , Marguerite I 

HARGUERITE. 

9 C'est toi I dis-le encore une fois. (Elle le serre 
contre son cœur.) C'est lui ! c'est lui I Qu'est devenue 
Tangoisse des fers et de Téchafaud 7 C'est toi I je suis 
sauvée! J'aperçois devant moi la route où je te vis 
pour la première fois ; le jardin si riant où Marthe 
et moi nous t'attendions. 

FAUST. 

» Viens! viens I 

MARGUERITE. 

> Il m'est si doux de rester quand tu demeures I 
Ahl ne t'éloigne pas! 

FAUST. 

» Hâte-toi; nous paierions bien cher le moindre 
retard. 

MARGUERITE. 

V Quoi! tu ne réponds point à mesembrassemens? 
Mon ami, il y a si peu de temps que nous nous 
sommes quittés! As-tu donc déjà désappris à me 
serrer contre ton cœur! Jadis tes paroles, tes re- 
gards appelaient sur moi tout le ciel! Embrasse-moi, 
do grâce! embrasse^moi 1 Ton cœur est donc froid et 



Dix-HmiiÈn 8IÈCU. 445 

muet! QQ*a8-tu fail de ton amour? qui me Ta 

ravi? 

FAUST. 

» Viens, suis-moi , chère amie : prends courage; 
je t'aime avec transport; mais suis-moi, c*est ma 
seule prière. 

MARGUERITE. 

I Es tu bien Faust? es-tu bien toi? 

FAUST. 

i Oui^ sans doute ; oui , viens. 

MARGUERITE. 

i Tu me délivres de mes chatnes , tu me reprends 
de nouveau dans tes bras. D'où vient que tu n'as 
pas horreur de Marguerite? Sais-tu bien, mon ami, 
sais-tu bien qui tu délivres? 

FAUST. 

> Viens I viens 1 déjà la nuit est moins profonde. 

MARGUERITE. 

» Ma mère, c'est moi qui l'ai tuéel Mon enfant, 
c'est moi qui l'ai nojé! N'appartenait-il pas à toi 
comme à moi? Est-il donc vrai, Faust, que je te 
voie? n'est-ce pas un rôve? Donne-moi ta main, ta 
main chérie! O ciell elle est humide. Ëssuie-la. Je 
crois qu'il y a du sang I Cache-moi ton épée; où est 
mon frère? Je t'en prie, cache-la-moi I 

FAUST. 

» Laisse donc dans l'oubli l'irréparable passé; ta 
me fais mourir. 

vu. 10 



140 EI$TOIR£ OtS LBTVaES. 

MARGUEItfTE. 

» Non, il faut que tu restes. Je veux te décrire les 
tombeaux que tu feras préparer dès demain. Il faut 
donner la meilfeùre place à ma mère ; mon frère 
doit être près d'elle; moi , tu me mettras un peu plus 
loin^ mais cependant pas trop loin^ et mon enfant 
à droite , sur mon sein : mais personne ne doit re- 
poser à mes côtés. J'aurais voulu que tu fusses près 
de moi ; mais c'était un bonheur doux et pur , il ne 
m'appartient plus. Je me sens entraînée vers toi , et 
il me semble que tu me repousses avec violence; ce- 
pendant tes regards sont pleins de tendresse et de 
bonté. 

EAUST. 

» Âh! si tu me reconnais^ viens. 

MARGUERITE. 

» Où donc irais-je? La tombe est là dehors. La 
mort épie mes pas. Viens; mais conduis-moi dans 
ta demeure éternelle, je ne puis aller que là. Tu 
veux partir? mon ami! si je pouvais. .. 

FAUST. 

» Tu le peux, si tu le veux; les portes sont ou- 
vertes. 

UARGUERITE. 

» Je n'ose pas sortir^ il n'est plus pour moi d'es- 
pérance. Que me sert*il de fuir? mes persécuteurs 
m'attendent. Mendier est si misérable , et surtout 



DIX -HUITIÈME SIÈCLE. 147 

aYec une mauvaise conscience! 11 est triste aussi 
d'errer dans Fétrangeri et d'ailleurs partout ils me 
saisiront, 

FAUST, 

I Je resterai près de toi. 

MARGUEHITE. ^ 

» Vite , vite , sauve ton pauvre enfant! Pars , suis 
le chemin qui borde le ruisseau ; traverse le sentier 
qni conduit à la fôrèt , à gauche , prés de Técluse, 
dans Tétang ; saisis-le tout de suite : il fendra ses 
mains vers le ciel} des convulsions les agitent. Sauve- 
le! sauve- le! 

PAUST. 

» Reprends tes sens ; encore un pas , et tu n'aa 
plus rien à craindre. 

MARGUERITE. 

y Si seulement nous avions déjà passé la mon- 
tagne.... Tair est si froid près de la fontaine! Là, ma 
mère est assise sur un rocher, et sa vieille tête est 
branlante. Elle ne m'appelle pas ; elle ne me fait 
pas signe de venir : seulement ses yeux sont appe- 
santis; elle ne s'éveillera plus. Autrefois^ nous nous 
réjouissions quand elle dormait. .. Ah! quel sou« 
venir! 

FAUST. 

y Puisque tu n'écoutes pas ma prière» je veux 
t'entratner malgré toi. 

MARGUERITE. 

» Laisse-moi. Non , je ne souffrirai point la vio- 



iÀS HISTOIRE DES LETTRES. 

lence; ne me saisis pas ainsi avec ta force meur- 
trière. Ah! je n'ai que trop fait ce que tu as voulu. 

FAUST. 

» Le jour parait, chère amie! chère amie! 

MARGUERITE. 

» Oui, bientôt il fera jour; mon dernier jour pé- 
nètre dans ce cachot : il vient pour célébrer mes 
noces éternelles. Ne dis à personne que tu as vu 
Marguerite celte nuit. Malheur à ma couronne ! elle 
est flétrie. Nous nous reverrons , mais non pas dans 
les fêtes. La foule va se presser, le bruit sera con* 
fus; la place, les rues suffiront à peine à la multi- 
tude. La cloche sonne, le signal est donné. Ils vont 
lier mes mains, bander mes yeux; je monterai sur 
réchafaud sanglant, et le tranchant du fer tombera 
sur ma tète... Ah! le monde est déjà silencieux 
comme le tombeau. 

FAUST. 

» Ciel !. pourquoi donc suis-je né? 

KÉPHisj'OPHÉLÈs paraît à la porte. 

» Hâtez- vous, où vous êtes perdus : vos délais, 
vos iticertitudes sont funestes ; mes chevaux frisson- 
nent ; le froid du matin se fait sentir. 

MARGUERITE. 

» Qui sort ainsi delà terre? C'est lui, c'est lui, 
renvoyez-le. Que ferait-il dans le saint lieu? C'est 
moi qu'il veut enlever. 

FAUST. 

» Il faut que tu vives. 



DlX-nUITlÈVE SIÈCLE. H9 

MARGUERITE. 

» Tribunal de Dieu , je m'abandonne à toil 

11ÉPH1S.T0PHÉLÈS â Fatist. 

» Viens 9 viens, où je te livre à la mort avec elle. 

MARGUERITE. 

I Père céleste, je suis à toi ; et vous , anges, sau- 
Yez-moi; troupes sacrées , entourez-moi, défendez- 
moi. Faust , c'est ton sort qui m'afQige.... 

MÉPHISTOPHÉLËSé 

» Elle est jugée. 

DES voix DU CIEL S* écrient i 
I Elle est sauvée. 

MÉPHISTOPHÉLÈS à Fousù 

» Suis-moi. » 

Méphistophélès disparaît avec Faust; on entend 
encore dans le fond du cachot la voix de Marguerite 
qui rappelle vaiiiement son ami : 



« Faust! Faust! » 



Les Allemands admirent avec enthousiasme la 
poésie de Faust. Aucun. écrivain ne s'est montré 
plus habile à. varier les rhythmes, aucun dans la 
langue allemande n'est parvenu à une harmonie 
plus savante. 

Que si l'on recherche quels ^ont les prédécesseurs 
de Faust dans l'histoire de la poésie, on ne trouve 
guère que VHamlet de Shakspeare qui rappelle non 
ce drame lui-même, mais l'esprit, V humour qui y 
apparaît souvent. Madame de Staël a songé à Aristo^ 



15Q HiSTOiR£ Oies lettres. 

phane: s'il y a des rapports, ils nous semblent éloi- 
gnés. 

Malgré ces voix du ciel qui disept que Marguerite 
est sauvée , Timpressiop que laisse ce poème dra- 
matique est mauvaise et sinistre. Cette Troide et spi- 
rituelle raillerie des choses les plus graves et les 
plus saintes est ce que nous connaissons de plus 
immoral ; elle a envahi depuis cette époque la litté^ 
rature de r£urope , et exercé une funeste influence 
sur la société. Ce rire de Satan est insensé dans la 
bouche de l'homme, et ne convient nullement à la 
destinée de labeur que Dieu lui a faite en ce monde. 

La vie de Goethe s'est prolongée pendant tout le 
premier tiers du dix-neuvième siècle ; une partie de 
son œuvre appartient donc à la littérature contem- 
poraine pour laquelle le temps de l'histoire n'est 
pas V6QU encore; nous abandonnons son examen dé- 
veloppé à quelques critiques du vingtième siècle , 
et nous avouons être heureux de n'avoir pas à émet- 
tf9 un jugement sur la seconde partie de Faust éla- 
borée par l'auteur jusqu'à la veille de sa mort '. Hais 

* NoQ3 répétons quç noo» ne yonloos pat joger Ut se- 
conde partie de Faust ; mais nous croyons convenable de faire 
connaître nos impressions , parce qu'un écrivain de talent , 
M. Henri Blaze , a fait précéder sa traduction, devenue assez 
populaire en France , d'un éloge plein d'enthousiasme. 

Sans doute la seconde partie de Faust révèle un esprit 
vaste e^ scavent profond , très-versé dans la connaissance de 
la ^lytbQlOgie patenna et de la philosophie antique. On Tpit 



nous sommes loin d'avoir encore parlé de tous les 
OQvrages de Goethe qui appartiennent au dix-hui- 
tième siècle : dans Vélégie, dans la romance, dans la 
poésie long-temps appelée /ugrirîve en France, Goethe 
estaa premier rang. Il se fait à son grè homme du 
midi ou du nord, il suit son imagination capricieuse 
et vive où elle veut l'entraîner, et cependant toujours 
• 

qae Goêtlie â été préoccupé de la synthèse universelle , et 
qu'il a Toulu présenter dans ce poème un tahleau immense. 
Le poète est souvent éloquent , les Allemands admirent pro- 
fondément ptoieurs parties de cette œuvre sous le rappott 
du style. Elle présente des inventions d'une originalité ia-' 
contestable. Mais nous y voyons plutôt une aorte de pla« 
qu'une œuvre achevée. Il nous semble que l'auteur omet des 
choses importantes et présente de nombreux détails injiigni- 
iians , sur lesquels Tattention a peine à se fixer. Nous conce- 
TOQi des livres de ce genre à Taurorc d'une littérature ; la 
seconde partie de Faust nous ftiil songer à quelques monu- 
n^ens de la poésie de Tlode. Mais au milieu de TEuropo du 
dix-neuvième siècle, à une époque qui exige de toute omivre 
longue un intérêt dramatique ou épique, ce poème de Goethe* 
pourrait bien être une erreur. Sous le rapport philosophique, 
la seconde partie de Faust a été regardée comme une sortB 
de Bible du panthéisme^ nous demandons pardon du mot. Les 
poètes grecs ont écrit de très-beaux vers sur la mythologie 
païenne, on peut sans nul doute tirer un grand parti des théo< 
ries pauthéistiques, mais nous n'aimons pas que le talent s'ef^ 
force de consacrer des idées qui ne soutiennent pa& l'exameH 
sérieux , et dont les résultats moraux seraieut de couditire 
l'homme à la négation de la vie individuelle à venir, et au^ 
déplorables et absurdes ré&ultats du matérialisme. 



152 HISTOIRE DES LETTRES. 

il la domine. Goêlhe est un poète de fantaisie : Faust 
en est plein ; les poésies détachées sont surtout remar- 
quables par cette faculté poétique. La romance inti- 
tulée la Bayadère , le Pécheur , l'Élève du sorcier ^ la 
Fiancée de Corinthe , laMénagerie de Lilyet Wen d'au- 
tres pièces démontrent d'une manière éclatante la 
prodigieuse variété du talent de Goêlhe. Son poème 
d'Hermann et Dorothée, belle idylle simple et calmer 
a été tellement admiré en Allemagne ^ qu'on lui a 
légèrement donné le titre de poème épique. 

Le vaste esprit de Goethe se portait avec avidité 
sur toutes les parties des connaissances humaines. Il 
a répandu çà et là avec profusion toutes les ressour- 
ces de sa belle intelligence. La critique allemande , 
si riche aujourd'hui , lui doit beaucoup. Le recueil 
intitulé : Les Prapilées^ son ouvrage sur Winkel- 
mann et son siècle, ses considérations sur les hom- 
mes célèbres de France au dix- huitième siècle , et 
les observations qu'il a annexées à sa traduction des 
mémoires de Benvenuto Cellini, ont servi puissam- 
ment la cause du progrès littéraire en Allemagne. 
Les sciences naturelles préoccupaient vivemeot 
l'intelligence^ de Goethe ; ses collections de miné- 
raux rintéressaient autant qu'une tragédie de Shaks- 
peare » et il était aussi Ger de son ouvrage sur la 
théorie des couleurs que de Werther et du comlo 
d'Egmont. 

L'admiration inspirée à l'Allemagne par cet écri- 
vain ne peut s'exprimer, Madanpie de Staël a dit qu'un 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. i53 

Allemand qui verrait une adresse de lettre de la 
main de Goêihe croirait y trouver du génie. Il y a 
eu depuis des réactions violentes contre cette gloire ; 
mais elles ont toujours été l'œuvre d'un petit nom- 
bre d'hommes, le public reste fidèle à ce cultei 
Goethe est encore trop près de nous pour être jugé 
définitivement: hasardons cependant quelques mots. 
La nouvelle de Werther est au premier rang de ce 
genre de compositions. Même en Allemagne, beau- 
coup de personnes refusent à Goethe le génie dra- 
matique; de toutes ses pièces de théâtre , le comte 
d'Egmont est la seule peut-être qui convienne à 
la scène. Gomme œuvres poétiques , F. Schlegel 
pense que Faust, Iphigénie, Egmont et le Tasse 
sont, avec les plus belles poésies de Goethe , 
les productions qui rehausseront le plus sa gloire 
aux yeux de la postérité. Sous le rapport de la 
langue , du style , les principales œuvres de Goe- 
the sont ce qu'il y a de plus parfait en allemand; 
voilà ce qui explique surtout un enthouBiasme que 
les autres contrées de TEnrope n'ont pas toujours 
partagé. Il en est ainsi de notre Racine , que les 
peuples étrangers n'admirent pas comme nous. 

Ce qui blesse souvent dans Goêlhe, c'est qu'il n'a 
pas de principe supérieur, de grande pensée haute 
et ferme, qui illumine toute son œuvre. On dit que 
c'est le poète du panthéisme ; si cette opinion est 
fondée, nous le déplorons pour la solidité de la re« 
nommée de l'écrivain allemand. Malheur dans i'a^ 



i64 HISTOIRE DBS LETTRES. 

venir à tout homme qui ne s'appuie pas sur la vérité I 
Mais encore Goethe est-^il bien panthéiste? Groit*iI 
plus au panthéisme qu'à tout autre système , n'a^t- 
il pas un peu assisté en spectateur à toutes les dis- 
cussions qui ont agité son siècle ? Le scepticisme 
serait peut-être plutôt l'état d'âme de cet homme , 
qui s'est un peu toute sa vie moqué des Allemands 
eux-mêmes, en jetant avec un esprit prodigieux ses 
doutes et ses railleries à la face d'un peuple rêveur 
et de bonne foi. Goethe a vu dans le panthéisme 
une grande poésie, et il Ta exploitée; mais qu'il ait 
eu des convictions réellement philosophiques , nous 
ne l'en soupçonnons guère. Et nous ne disons pas 
ceci pour le féliciter ou le blâmer, car nous ne sa- 
vons pas ce que nous estimons le plus du scepti- 
cisme ou du panthéisme; nous le disons parce que 
nous cherchons à pénétrer la pensée intime de l'au- 
teur de Faust , et qu'elle nous semble ne voir dans 
l'univers qu'un sujet de poésie. 

Nous avons plusieurs fois, dans ce chapitre, pro- 
noncé le nom d'un noble ami de Goethe qui a eu 
souvent à souffrir de son impassible égoïsme : c'é- 
tait une nature tout autre , un cœur plein de géné- 
rosité et d'amour, d'élans sublimes vers toute vé- 
rité et toute beauté. Jean-Frédéric-Gbristophe Schil- 
ler, naquit le 40 novembre i759, à Marbach, petite 
ville située près du Neckar, dans le duché de Wur- 
temberg. Son père avait servi comme chirurgien et 
ne possédait pas de fortune. Son caractère se ma- 



DlX*-HUITIÈIfE SIÈCLE. i56 

oifdstâ dès l'enfance. « Alors , dit sa sœur dtnée^ la 
pieuse attention du jeune Frédéric , lorsque notre 
père nous lisait les prières du matin ou du soir, 
eâtému le spectateur le plus indifférent. Ses yeux 
bleqs levés au ciel , sa blonde chevelure entourant 
use douce physionomie ^ ses mains jointes avec ar- 
deur, lui donpaient le charme d'une créature angé- 
lique ; sa docilité, son amoiir naturel pour le bien 
et le beau gagnaient tous les cœurs. » 

Schiller était entraîné vers la vie militaire, mais 
une fantaisie du duc Charles en fit un professeur 
de droit , puis un professeur de médecine ; il écrivit 
même un livre intitulé : Phibsophi^ de la physiologie^ 
et un autre sur les rapports de l'esprit et du corps. 
Mais le mouvement poétique qui agitait alors l'Al- 
iemagne excitait chez le jeune maître une fièvre ar* 
dente; il dévorait les écrits de Kiopstock, de Haller, 
de Lessing , de Goethe ; il étudiait en même temps 
Luther et Shakspeare, s'essayait par plusieurs com- 
positions épiques et dramatiques oubliées depuis 
loog'-temps , et produisait enfin sa première œuvre 
connue : les Brigands , terrible imprécation contre 
la société, qui eut un retentissement égal peut-être 
au Werther de Goethe. 

Pour faire imprimer ce drame , le pauvre Schiller 
fut obligé d'emprunter sous caution une somme qui 
lai imposa de longs sacrifices. Toute l'Allemagne se 
préoccupa vivement de cette composition ; elle pas- 
sionna quelques étudians du duché de Bade; qur eu- 



166 HISTOIBE DES LETTRES. 

renl Tidée d'i miter le héros et de se fai re exécuteurs de 
la justice suprême. Après un nouveau travail de cor- 
rectionSi les Brigands furent joués, en janvier 1782, 
sur le théâtre de Manheim. La foule accourut de 
Spire, de Worms, de Heidelberg , de Mayence^ de 
Darrostadt et de Francfort. L'auteur, qui était ar- 
rivé de Stuttgard , assista à son triomphe. Il en fut 
puni par les arrêts ; le duc de Wurtemberg ne s'en 
tint pas là ; la cour jugeait la pièce immorale, le 
prince déclara que le poète manquait de goût et lui 
défendit de publier autre chose que des ouvrages de 
médecine. Le duc ne reculait pas devant des me- 
sures de despotisme, Schiller le savait ; aussi , après 
plusieurs tentatives infructueuses pour faire lever 
l'interdit qui pesait sur lui, il se vit contraint de s'é- 
chapper de nuit de Sluttgard^ coYnme un criminel. Il 
partit avec un musicien de ses amis, Andréas S trei- 
cher ; ils possédaient cent dix francs entre eui 
deux. 

Le poète se réfugia à Manheim, et présenta Fiesco 
aux comédiens , qui le repoussèrent d'abord. C'é- 
tait le pain que ces artistes aveugles refusaient au 
grand homme. Désespéré , et craignant que le gou- 
vernement palatin ne le livrât au duc , Schiller se 
traîna jusqu^à Francfort , d'où il écrivit à un riche 
baron de Dolberg, qui lui avait prodigué des éloges; 
il lui demandait deux cents francs à emprunter sur 
le succès delà conjuration deFiesque. Il fut refusé ! 
Nous ne pouvons entrer dans tous les détails de ta 



D11*HU1TIÈI1E SIÈCLE. 157 

misère da poète et de ses pérégrinations en Alle^- 
magne ; c'est une histoire louchante et odieuse qui 
86 reproduit souvent à chaque époque chez, tous les 
peuples civilisés^ et c'est là^ quoi qu'on en dise assez 
brutalement, une honte pour la civilisation ^ 

La Conjuration de Fiesque fut jouée sans succès } 
f Amour eit intrigue valut à Fauteur des applaudisse- 
meos chaleureux , mais très-peu^ d'argent : il cran 
gnit souvent de ne pouvoir parvenir à ne pas mourir 
de faim. Le malheureux fonda un jo|irnai : ta Thalie 
à Rhin ^ et la sincérité de ses jugemens irrita con- 
tre lui tous lés acteurs ; mais, au milieu de ces dé- 
plorables épreuves, il reçut de touchans témoigna- 
gesde sympathie de Kœrner, de Hutler et de deux 
charmantes femmes , que ses premières œuvres 
avaient enthousiasmées. ▲ peu près dans le même 
temps, le duc de Weymar vint à Manheim, et donna 
au poète le titre de conseiller, qui^ dans cette con- 
trée aristocratique , lui attira plus de considération 
que ses titres littéraires. Mais ce n'était pas de l'ar- 
gent I Schiller ût ses adieux à Manheim , après avoir 
embrassé , en pleurant , son ami Streicher. 11 alla 
eo Saxe et se réfugia à Golis , village voisin de Leip- 
sick. Il trouva là ses jeunes admirateurs Kœrner et 
Huiler, Minna et Dora, et quelque douceur pénétra 

* 
^ Oq peat consurter tur la vie de Schiller les Étadet de 
M. Alfred Michieb. L'autear y donne des détaib pleûu de 
clisniie] 



i68 HISTOIRE DES LETTREE. 

dans son àmç. Ses travaux s'en ressentirent ; (f 
commença à écrire en yers, il prodaisit Dati Cdrloè. 
Au bo«t de quelque temps, Schiller suivit ses amisr 
à Dresde , et les peines du cœar vinrent bientôt se 
mêler à ses autres^ souffrances. Il paraît que cettèf 
cri^ fut lerribte , et que ses amis eurent beaucoup 
de p^ne à l'arracher de Dresde. Il finit par brisier 
ses tiens / et se rendit à Weîmar, où il rencontra 
¥fielaiid , qui lui tendit leé bras. Quelques moiV 
après , Schiller fit un petit Voyage , et ayant trouvé 
à Rodolstadt la famille Lengefeld, ^Ont il àvaît reçu 
la visite à Bfanheim , il aima^ avec passroif mademoi- 
selle Charlotte Lengefetd ; après dtx-huit mois d'as* 
siduitéde lectures de Rousseau et de Goethe, dôrê* 
veries en de belles solitudes , après dix-huit moiâ de 
pfts^on que tous deut cherchaient à se cacher , ils 
finirent par se jurer d'être Tun i l'autre. Schffler 
professait alors l'histoire à léna, mais il li'avait au- 
cun traitement fixe. Le duc fiiiit par lai en accor- 
der un , et le poète se maria le 20 février 1790. A 
peine marié , il fut atteint d'une pulmonie qui le fit 
souffrir horriblement et lui rendit renseignement 
impossible. Heureusement te prince héréditaire de 
Holstein-Augustenbur^ et le comte de Schimmel- 
inann lui offrirent avec une grâce charmante une 
pension de mille thalers (3750 fr.). Un voyage en 
Souabe améliora la santé du poète ; à son retour à 
Weimar^ if se lia intimement avec Goethe, et quoi- 
que cette nature si tendre eût souvent à soufffir du 



DIXHBUITIÈMÉ SIÈCLE. iS9 

contact glacé de l'autetrr de Faust , les hautes sym- 
pathies de Inintelligence maintinrent cette liaison , 
pdoàint fequelle Schiller écrivit WaUemtein, Marie 
Stuarl, la Fiancée de Messine^ la PuceUe d'Orléans ^ ses 
ballades et ses principaux ouvrages de critique. Û 
moinrttt te9 mai 1805» avec le calme religieux d'une 
grande âme. 

Entrons dans Fexamen des œuvre? de Schiller : 
ks Brigands , Son premier drame, sont une pièce de 
désordre et d'exaspération qui, cependant, finit par 
le remords et le sacrifice. Le caractère de Charles 
dêHoor est tracé avec une énergie magnifique. Le 
vMe du fils hypocrite est beaucoup trop haïssable , 
a dit ttiadame de Staël. L'exagération eàt presque 
toujours le défaut de la première jeunesse. Les scè- 
Besi d'amour entre cette jeune fille si pure et si no- 
ble et le chef des brigands sont d'une tendresse 
enthousiaste où se révèle déjà toute l'âme de Schil- 
i^er. Celte situation s'est représentée depuis bien 
des fois, Byron y a eu recours dans la plus grande 
partie de ses poèmes. Cette espèce de glorification 
du brigand et du meurtrier a exalté les imagina- 
lions d'une manière déplorable, surtout en Allema- 
gne, où les lecteurs ont plus de naïveté et se laissent 
entraîner facilement aux impressions de Part. Schil- 
ler, malgré les bonnes intentions du dénoûmcnt de 
son drame, l'a pleuré comme Goethe regretta Wer- 
ther. Les deux autres drames de sa première jeu- 
nesse, la Cmjvration d$ Fiesque etV Intrigue et t amour , 



i60 HISTOIRE DES LETTRES. 

sont aussi très-souvent blâmables au point de vue de 
rartetde la moralei mais tous deux contiennent des 
«cènes qui indiquent un génie dramatique du pre- 
mier ordre. De combien de poètes pourrait-on dire 
ce que madame de Staël a dit de Schiller : depuis 
Tâge de vingt-cinq ans ses écrits furent tous purs et 
sévères ? 

Don Car bs est une pièce historique dans laquelle Ti- 
magination joue un grand rôle. Les amours du fils de 
Philippe II et d'Elisabeth, fille de Henri II, roi de 
France, sont célèbres; aucunesituation n'est plus dra» 
matique. Cette jeune princesse, mariée à un vieillard 
sévère et crueU conservant dans son cœur un amour 
ardent pour le fils de son époux, pour un jeune prince 
auquel elle avait été fiancée , le déno&ment tragique 
de cet amour, la peinture terrible de la jalousie de 
Philippe, le caractère généreux et exalté du mar- 
quis de Posa , font de cet ouvrage de la jeunesse de 
Schiller un des plus nobles et des plus beaux drames 
que l'on connaisse. On lui a reproché d'avoir prêté 
au marquis de Posa les idées d'un philanthrope du 
dix- huitième siècle, et cependant personne ne sau- 
rait prouver Timpossibilité d'une telle intelligence et 
d'un tel caractère dans l'Europe du seizième siècle. 
Thomas Morus vécut vers le môme temps , et il n'é- 
tait ni moins généreux, ni moins exalté peut-être. 
HUais les critiques qui ont contesté la vraisemblance 
du marquis de Posa conviennent que ce rôle est ma- 
gnifique, qu'il révèle une admirable noblesse d'âme, 



DIX-HUfTiËME SIÈCLE. il6t 

et que l'expression est à la hauteur de cette inspi- 
ration sublime. Quoi de plus pur et de plus tou- 
chant que Tamour combattu de don Carlos et d'É- 
lisabeth ? quoi de plus terrible que la vengeance de 
Philippe ? 

Wallenstein occupa sept années de la vie de Schil- 
ler; c'est une œuvre sévèren^ent historique. On a 
dit que cette tragédie peignait mieux la guerre de 
trente ans que FAt^rotre elle-même , écrite aussi pa(r 
Schiller. Il a cependant modifié le caractère de Wal- 
lenstetn , figure sombre qui n'aurait éveillé aucune 
sympathie si le poète lui avait conservé toute l'â- 
preté de sa nature. Voici un fragment de lettre , 
écrite en 1796 , qui donnera une idée de la cons- 
cience de l'auteur dans les travaux de cette époque 
de sa vie : 

t Le duc n'a rien de noble ; considérés à part, ses 
actes manquent de désintéressement et il est tui- 
même sans dignité. Le fond ne m'aide point ; la 
conception et la forme doivent tout opérer. Une 
semblable matière est justement ce qu'il fallait pour 
me lancer dans une nouvelle carrière poétique. Je 
marche sur le tranchant d'un rasoir , et un seul 
faux pas causerait ma ruine. L'intime vérité , l'é- 
nergie et la précision que ce dessein exige , auront 
une influence prononcée sur mon avenir littéraire, t 
Schiller a écrit trois pièces sur Wallenstein. Là 
première, le Camp de Wallenstein^ est une pein- 
ture très-vraie , très-vive et parfois très-comique 

VII. 11 



469 BIÇTOIRE DBS LflTTRES. 

d'une armée m campagqe , et de l'effet produit par 
ce ^p§ctaclû sur les populations^ C'est une introduo 
lion k la i$eco9de pièce. 9 les PiccQkmini , et un ta- 
l^ieau animé dos discordes qui s'élevaient entre l'em- 
pereur et son général , entre le général et les cbeis 
SQU« ses ordr^* CettQ partie de la trilogie allemande 
peut être considérée comme une magnifique page 
de poésie bistgriqtje. Schiller a mêlé à ces peintu- 
re9 sévère^ deux caractères ang^Uquçs^ Max et Thé- 
ci» I qui çpn^i^rvent l'amour de la vérité et la ten- 
dresse sainte du.cqpiur 9u milieu des tristes passions 
d|dfi| guerre» civiles. La véritable tragéidie, dans cette 
œ^U^re, est hMprt de, Wi^llenrtem; là le pathétique 
è9( sqblîm*» le drawQ f^it naître des émotions pro- 
fonde9^ U^ piéo^ fut jouée pour la première fois à 
Weimar en i798 , et obtint un véritable triomphe. 
Jamajiç sp«ctacl^ plus national n'avait été offert aux 
regards 4'uq peuple, tes Allemands étaient émus 
(Jes.sK^uvenirs d^ h guwre de trente ans, comme 
autrefois le^ Mbéniens des souvenirs de la défaite 
des PerseSi lorsque le vieil Çschyle leur peignait ce 
désastre î^vec le lyrisme sublime de sa parole. 

Dès Tannée 1783, Schiller avait été frappé de tout 
çe^ue la vie de Marie Stuart a de mélancolique et 
4e déchirant « e( il avait résolu de lui consacrer un 
de ses drames; mais il n'exécuta ce dessein quedix- 
l^uit ans plus tj^'d. Cette pièce est un chef-4'œuvre; 
le poète a peint avec le géfiie le plus pathétique les 
douleurs de cet^e royale prisonnière , si belle et si 



0IXp0U|TIÈIiE SliGLE« 103 

màtPf ^OQt I9 postérité a oublié les fimtQS, «i criiel- 
lemept expiées p^r sa mort* Suivait QotP0 méthode 
babifoellA , Qovs p'aq9)y«4ron« pns unp piéc« doqt 
la tradufitioB est auJQur4*^ni .^ns touta» l» maios , 
nous appellerons seulemont Vmttintm aw 1^9 MUr 
tés les plus p9ill»pt#9 (1^ ^tt9 (CMVfÇ^ TOUt lo rôlB 
de Marie Smart as( adffiir9t>l9 « k grand poéta Ta 
écrit av9c un art éionnaat { ii y a una ê»^ê délir 
cieuse^ icmand la papyrQ p^iaoniiiôrQ # après dli«- 
oeuf 908 de fzplmpè^ r^^mi vn mopMnt l^ei6}, les 
arbres , loi eau» du ^ji^vo t et qu'eito axpiûme fout 
le délire 4esou boobofir^ )L»'eDtrevue des deux reines 
est une gr9^d^ p^ge di^OA de Shekapeaire et de Goirr 
neille. L^ fierté et l'eoiportemeDt de Marie Stuart ^ 
en fac^ 4^ ^^i^ fefnmp 4»î p^ut }'ei»y0yer xi*uii mof 
au supplii^, quelque oboM q^i produit tout à la 
£oisreQibo4i|i^nieot Ifl ifirreê^f. l^oÎpquièiBe^Qte^ 
blâmé par dfls /crifJqiMs «uporfie^eb^ est une su-p 
blime é|ég|e qui nous rappela tout clique la poésjjf 
a produit do plja^ rejijgieuY at de plus aMbOfdrîesaDt. 
Par qu^llfs admirables nuanaëi, par >queUâs grt- 
datioas eayan}^ Iç pio^ fait paseer le spaotateuv 
par toui^ l9S pbases de Tépouivfiutâ et de k doub- 
leur! Les adieui: ^ Nafie Stuant i âss ifeipineseoot 
décfairaxis( mais nous ai<a(WS aui^ut les premières 
scènes d« cet acte , lorsque ces jaQbéiaes feuuues pas** 
seat sur ie tbélâtire pow aller e&^uAer les deroîery 
ordrea 4e eeMte r^m q^i i^a monrk^ iquaud une 
d'elle e appfom« la ^eofipe de vin que Marie a denan* 



464 histoire: des lettres. 

dée aûn d'être plus ferme devant la mort , quand 
une autre femme arrive en chancelant sur la scène 
parce qu'elle a aperçu en passant l'échafaud et les 
murs tendus de noir. Ce sont là des beautés sim- 
ples et profondes qui n'appartiennent qu'au génie. 
La scène de la confession et de la communion de 
Marie Stuart a un caractère religieux admirable, 
mais un saint respect pour cet auguste mystère l'a 
fait justement retrancher à la représentation. 

Après l'infortunée reine d'Ecosse , Schiller vou- 
lut peindre là vie d'une femme bien autrement pure, 
marquée du sceau divin, delà sainte guerrière de la 
France, de Jeanne d*Àrc. Le poète a encore répandu 
sur ce sujet des trésors de génie. La pièce s'ouvre 
par une charmante peinture du villagg qui cachait 
l'héroïne. La partie belliqueuse de cette tragédie 
rappelle ce que Shakspeare a produit de pliTs beau 
dans ce genre ; la réconciliation du duc de Bourgo- 
gne est une scène pleine d'entraînement et de gran- 
deur morale. Nous regrettons que l'auteur n'ait pas 
compris que la passion de patriotisme , pour ainsi 
dire extatique, qui absorbait Tàme de Jeanne d'Arc, 
ne laissait aucune place aux autres sentimens de la 
femme ; qu'il n'ait pas respecté scrupuleusement la 
vérité historique; nous le regrettons vivement, mal- 
gré le beau monologue que Kamour de l'héroïne 
pour le jeune Anglais Lionel a inspiré à Schiller; 
mais regrettons bien plus vivement encore que le 
martyre de Jeanne d'Arc n'ait pas fourni à Tauteur 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. 165 

les merveilles poétiques qu'il nous promettait. II est 
tout-à-fdit impardonnable d'ailleurs, à une époque 
aussi éclairée et chez une nation aussi instruite, de 
ne pas reproduire la vérité historique quand il s'a- 
git d'un fait aussi éclatant. Lorsque le drame tou- 
che à l'histoire, il ne faut pas qu'il trompe les peu- 
ples qui l'écoutent ; le martyre de Jeanne d'Arc lui 
appartient , c'est sa gloire, c'est la consécration de 
sa vie ; la jeune libératrice de la France a été plus 
grande encore devant ses odieux juges qu'en face 
des lances et des épées anglaises. Personne n'avait 
le droit de la déshériter de son bûcher odieu x. 

La Fiancée de Messine, malgré de magnifiques dé- 
tails, peut être considérée comme une erreur de 
Schiller; Guillaume Tell , au contraire, a été regardé 
par plusieurs critiques comme son chef-d'œuvre. 

Cette vieille histoire des montagnes, la délivrance 
de la Suisse par Guillaume Tell /est très populaire 
dans le monde entier. Schiller a peint ce beau pays 
avec son talent ordinaire , il a su conserver la sim- 
plicité touchante de ces hommes qui sauvèrent leur 
patrie avec une bonhomie héroïque. La scène dans 
laquelle Guillaume Tell enlève d'un coup de flèche 
une pomme sur la tète de sqn enfant rappelle le 
naturel naïf d'une chronique. La mort de Gessler 
est une des plus belles inspirations que pous con- 
naissions au théâtre. Cette nature gigantesque , 
cette musique nuptiale qui retentit au loin^ cette 
femme qui supplie en vain Gessler de lui rendre son 



i(l6 BisTOiAi; de» utvbes. 

épûifii A ropppe$66ur lombant pere^ par lâ fileohe (k 
Tdl I SevmaQg2^r4e él^vatH aveo enthoiisia^md soq 
enfant dang sea toas et lui orîaot s Yiei^a « mon fils, 
\oi8 domBi!& lea (yrana meiireiit ^ tout ^la est pro- 
fcadément a^in^rable. M, de Baranio a conaacrjé à 
G^iUattq)e TeU cpiBlquea p^ges dont neuaeJttrayoDS 
lea lîgq?9 anivanlea; (fui aoua paraissent r^smarqua- 
b)e&: 

é AU is^ilîeu de ee tableau d'un peuple des an- 
dieHis temps 9 on voit se détaober ta grande figure 
de Gnillaufiae TelL C'est une idée heureuse que 
de l'avoir ainsi isolé du mouvelnent de les oômpa- 
tri<>tes. Il refuse û^ conspirer « et cependant tout 
en lui inanifeste la force, la fierté , le déyouemenlf 
l'amour diji paysf nais > comme il doit tuer Gessler^ 
la seule nmni^ d'enaoUir ce meurtre^ de le ren- 
dre moratenient suf)|M>rtable , c'est de le montrer 
comme un acte dç dàfeo^ naturelle et d'établir 
les relation de foppjresMur et. de l'opprimé hors de 
la société. C'est là ce qui deane: quelque chose de 
si grand à, ce représ^Br^aait dix droit naturel que 
Schiller ^ prif soin 4e nous faire iroir^ e» tout et 
toujours , comme "rivait hera <ie la loi isooimune et 
obéissant «eidement a^x plue nobles kistin^ets* 

f C'est au^sice qui axné^e ee résidât si peu com- 
mun au théâtre » si babitoel dans la vérité , m dé- 
noùment accidentel terminaiit une entreprise de la 
prudence humaine^ IjCS trois cantons 09>t consptfé 
s# ÎLutÙ i tailles les vm9XW i<Wt prisea; GuiUauoo 



mx^^HUITIÈHB SIÈCLE. 167 

Tell n'y est pour rien. H reçoit une offense , il se 
voit oontnaiint à la dôfenee personnelle; Gessler eeC 
tué^ et la conjuration n'a servi à rien. Clela restom^ 
bleauK procédés de là Providence ; mais datte 4ir- 
constance n*est fortuite qifen appirenod { elle w 
rattache à l'oppreseion de la Suisse, à Texcèk «I à 
rimprévoyance de la tyrannie, à fimpessfbîlité 
qu'elle se prolongeât. Le cours naturri des éboses 
soit une marche aocéiérét ven ttn but nécessaire ; 
un accident y pousse» L'homiM ateugle fittt 4e oel 
acddent uiie oause^ et n'aperçoit pas d't>ù lai eal Ve- 
nue son rûfluèaoe. €k>maie Schiller l'a dit dans une 
de ses préfaces ,« Le devoir da peèlè dramatique est 
de feire comproidrè la liaison de ce hasard aveo la 
marche gânéraie; c'est à quoi il a merveîUeiiseaieot 
réussi dans Guillaume Tdl* » 

Schiller, comme poète dramatique , est bien eu*' 
périeur à Goethe ; son système de oomposition est 
oebi de Sbakspeare ; le poète attemaad doit éire co»^ 
sidéré comme le premier élève de ce fraftd hoii|mietf 
Il n'ea a pas toute la paissandesans éMbd } mais il 
possède des qualités admiiableft qui hn sont ehttè^ 
rement personnelles^ Sieus toolens parier de eet en«- 
tbousiasme pour le beau i de ces é^aa subUaties éa 
générosité, de grandeur d'ftme^ Ge n'est pas foiaU 
tation religieuse, l'ardente foi cathoBqnede Gakle» 
ron , ni rhéroisme patriotique de Cornetile , c'est le 
sentiment de l'humanité, de la firaternité, de runiié 
4e toutes tes natî^ens ; Schiller est surtout gran# 



168 HISTOIRE DES LETTRES. 

parce qu'il élève Tâme vers les régions les plus hau« 
tes de la pensée , et conduit rhomme au dévoue- ^ 
ment et au bonheur moral. 

Le plus célèbre des poètes dramatiques alle- 
mands y après Schiller et Goethe, est Werner, l'au- 
teur de Luther et d'Attila ; mais on lui reproche en- 
core de s'occuper plus de la poésie que du théâtre; 
les autres nations trouvent généralement rAlIéma- 
gne trop lyrique dans la poésie d'action : Werner a 
les défauts et les qualités de sa patrie. 

Le sujet de Luther est très-national dans tout le 
nord de la Germanie, et son succès fut très-grand 
sur le théâtre de Berlin. Luther et Gharles-Quint 
ont posé devant le poète dont les sympathie^ pro- 
testantes ne sont pas douteuses , quoiqu'il paraisse 
sentir les grandeurs du catholicisme. Le rôle de Tem* 
pereur manque souvent de simplicité, celui de Lu* 
ther est dessiné avec fierté. La diète de Wormâ 
donne à l'auteur l'occasion de déployer une grande 
pompe théâtrale. Attila est une œuvre forte et origi- 
nale. Le premier acte nous a rappelé Sophocle et 
Euripide ; ces femmes et ces enfans qui gémissent 
sur les cendres d'Aquilée sont une exposition pa- 
thétique et solennelle. Le personnage d'Attila révèle 
chez le poète de la force et de l'audace. Le fléau de 
Dtetcest peint de main de maître; seulement l'auteur 
a cru devoir lui donner de l'amour pour une femme 
dont il a tué le père et l'amant. Cette Hildegonde , 
princesse de Bourgogne, est yne créature toute mys* 



BIX-HUITIÈME SIÈCLE. 169 

térieuse qui suit ses projets de vengeance avec une 
patience et un raffinement de barbarie terribles. 
Quand , au dénouement , cette princesse, qu'Attila 
mni d'épouser , l'immole la première nuit de ses 
Doces , et poignarde auprès de lui le fils du roi des 
Huns, on comprend que l'auteur ait essayé de peindre 
Hildegonde comme soumise à une puissance infer* 
nalé.^ 

Werner a consacré] à l'ordre des Templiers une 
sorte de chronique dramatique en deux volu- 
mes y dans laquelle il s'occupe principalement des 
doctrines secrètes de l'ordre auquel il rattache les 
francs-maçons. Un autre roman dramatiquedu même 
auteur, la Croix sur la Batiiquej nous peint éloquem- 
ment le pays et les mœurs du nord au moment de 
rintroduction du christianisme dans rAllemagne 
septentrionale. Quant au lugubre drame intitulé: 
Le vingt-quatre février y il n'est pas comme conception 
au-dessus denos sanglantes boucheries du boulevard, 
mais les montagnes de la Suisse y sont peintes avec 
un génie poétique très*éminent. 

Kotzebue est le poète allemand qui a le mieux com- 
pris les, effets de théâtre, l'action du drame. Les deux 
frères, les Hussiies, les Croisései plusieurs autres piè- 
ces de lui contiennent des scènes d'un très grand effet. 
Misanthropie et repentir a obtenu en France un succès 
populaire. Mais les qualités les plus essentielles des 
grands poètes manquent à Kotzebue , le style et 
la profondeur de pensée qui sonde une époque ou 



170 fflSTOmS DÉS liBTTttES. 

un carflotèfi et les reproduit vivans aux yeux des 
spectateur^. On otte encore quelques pièces deGefs-' 
lenberg, à^ KUnger^ de €k)llin ^ et un poème dra^ 
matique de Tieck sur Gentyièpe de Brûbmt^ oeuvre 
qui renferme des tableaux d'une poésie magnifkfue. 

Les Allemands n'occupent pas un rang irès-tievé 
comme auteurs comiques; la grande eomédie ft'an*» 
çaise n'était possible que chez un peuple qui a tioe 
immense capitale et de brillans saloins où l'on eause 
beaucoup, et atec cette élégance qui caractérisait la 
société de Versailles et de Paris sous Louis XiV. La 
comédie française n'existe plus depuis que les sa- 
lons de Paris sont devenus des dub&où l'on fume, 
ou des foules où l'oa éloufie* Madame de Staël a donc 
remarqué aveo raison que^ <fons les comédies alle^ 
mandes, la peinture du grand monde était en géné^ 
rai assez médiocte. Kotzebue a écrit quelques 00** 
médîes pleines de verve et de péripéties aanusantes. 
Tieck est peut-être l'auteur aUemand qui possède le 
plus de génie comique ; la guerre a<4iarnée qu'ii fait 
à l'esprit calculateur et p^tif de notrct époque 
l'inspire très-heureuseflient ; toutefois > il ne oem- 
pose pas de comédies pour la scène , il ne les desUne 
qu'à la lecture. Mais revenons i SdiiHer. 

Ses ouvrages théoriques sont en barmonieaveeses 
drames. Il avait ptus de trente ans torsqu'il reçut de 
fteinhold, qui expliquaitè léna la philosopUedelant, 
les premières notions des idées de ce grand homme. 
Ce qui était dansl'âmede^chiller à Tétat de sentineot 



fdt lùhtr i toiip ëdsiif^ «t é!]t|))l()hé f^dr TA éelenCë. Il 
dév^oppa s^g idées BUr la t^hilotophie âini pln^hXkH 
écrits, et eâtfê^aHtJ'es d&tis UA ti'allé suf lé èublime; 
ilMm6nWa quie la èup^dtne beauté poétique ti'Mt 
qHblà tnanîrMtatiôa éloquemé Aé té t^uMl if a dans 
IHtae de j[)lu8 «MiMl ^ d« plus dlvir). En effet, lés au- 
tre» gént-eft de beauté» que ^émnlt l'att «[ont néces- 
saifettent aécfôttdàtrâa. La <>eligi6n , la ]^sie , la 
philosophie ftpparaiMetit cotufuft trois expressions 
diverses de la térité alteolue : la première révèle ce 
que la seconde ehaâte , et ce que la troisième ei^pK' 
que daus les limites fixées à Pesprit de Thomme. 
QuiêonqueSe borue, dit M. AlfVed Michiels, à flatter 
les sens ou Timagination, quand il pourrait en même 
temps éléKer et purifier l'âme, commet unelâdheté ^ 
Les écrits de Schiller Sur Testhétique forment deut 
volumes. Il ne s'est pas tracé un plan , il n'a pas 
donné un grand ouvrage théorique ; m;ds il a tout 
abordé, en jetant sur tout des flots de lumière , et 
nous ne pouvons que nous joindre aux hommes qui 
appellent de leurs vœut la vulgarisation en France 
de cette partie des écrits de Schiller ; elle ferait com- 
prendre à nos concitoyens tout ce que la critfque 
ihnçaise a souvent de superficiel et d'outrecuidant. 
Aucun poète n'a plus d^unhé que Schiller; les 
grands principes , les idées sublimes que l^oU ad- 
mire dans ses drames et dans ses ouvrages de crili- 

• Étuitssur VMvmagM. 



i72 HISTOIRE DES LETTRES. 

que se retrouvent dans ses poésies lyriques. C'est 
toujours le même sentiment de l'idéale beauté » 
l'âme trouvant le bonheur dans tout ce qui la rap- 
proche de Dieu par le dévouement , par la vertu , 
par le sacrifice. LaCÏochef que M. Emile Deschamps 
a fait connaître à la France, est une poésie sainte et 
forte qui reproduit les vicissitudes de la vie hu- 
maine, annoncées et saluées par le son de l'airain , 
dans le clocher de nos vieilles églises. Chaque par- 
tie est travaillée avec le soin consciencieux qui ca- 
ractérise Schiller ; les graves pensées , les consola- 
. tiens religieuses abondent. Le morceau antique in- 
titulé la Caution est un de ceux où Schiller a le 
plus mis de son âme. L'amitié de ces deux hommes 
qui veulent mourir l'un pour l'autre est exprimée 
avec une ardeur qui émeut et entraîne. Schiller doit 
enfanter de grandes actions. Ses ballades offrent une 
brillante variété de tableaux , de mœurs , de con- 
trées, et sont généralement de petits drames pleins 
d'intérêt. Ses odes sont de nobles élans vers l'in- 
fini ; il a aussi des odes d'amour à Laura , qui res- 
semblent un peu à toutes les poésies de ce genre. 
Voici quelques strophes d'un morceau intitulé Pa- 
roles de foi, traduites par M. Michiels; elles pourraient 
servir d'épigraphe aux grandes pièces lyriques du 
poète allemand : 

c( Trois mots pleins d'un admirable sens courent 
de bouche en bouche ; ils n'ont pourtant point leur 
source au dehors ; le cœur seul nous les apprend. 



DlK-âUITlÈME SIÈCLE. 473 

Quand Thomme n'a plus foi en eux , il perd toute 
sa grandeur. 

f L'homme est libre , même lorsqu'il naît dans 
les fers. Que les hurlemens de la populace , que les 
crimes des fous en délire ne vous égarent point. Ne 
tremblez pas devant Tesclave qui brise ses chaînes » 
ne tremblez pas^devant Thomme libre. 

9 La vertu n*est pas un mot creux ; nous pouvons 
obéir à ses lois. Dussions-nous toujours choir, nous 
avons le droit de nous élancer vers le noble et le 
divin. Ce que la sagesse des plus sages ne comprend 
pas, les cœurs d'enfans Tentendent dans leur sim- 
plicité. » 

Schiller a laissé quelques esquisses de romans qui 
sont restés loin de ses drames et de ses poésies : le 
Visionnaire, qu'il n'a même pas terminé , et qui ren- 
Terme cependant des morceaux d'une assez grande 
valeur, et le Criminel par déshonneur^ nouvelle très- 
morale , mais qui serait peu remarquée si elle avait 
pour auteur un homme moins illustre. Gomme his- 
torien, Schiller n'occupe pas non plus un rang très- 
élevé. < L'histoire, dit-il quelque part, n'est habi- 
tuellement qu'un magasin où puise ma fantaisie , 
et les évènemens prennent la tournure que leur 
donne ma volonté, i On comprendra dès lors qu'une 
des principales qualités de Thistorien manque à l'au- 
teur^ la consciencieuse et ardente recherche des 
faits. Ainsi l'histoire de la guerre de trente ans ne ré- 
vèle qu'un poète dramatique , et l'on a remarqué 



j74 HlSTOmE DES LETTRES r 

que dès ()ue «es béros sont mçrtjsi, dé9 que Ift ^gnH 
poélique n'est plus devant les yeux, de Tautçur) il 
abs^ndonne les fait^comn^e s'ils n'étaient plu» cligpes 
d'étude ou n^ême de r^it, 

Lç plus grand historien de l'Allemagne du dix'^ 
huitièipe siècle çst J. de MûUer. 3qp Hiftçire 4^ 1^ 
Suisse , quoique beaucoup trop longue çaqg dpqte , 
est un livre admirable conqme depcriptipn e% qeqti- 
ment de ce beau pays , et eit même tempe 119 lupni^- 
roent historique qui révèle ^qg (rèStvqstQ ^ruditjpp. 
(ilûller; dit madame d^ Staël, « ét^it iinhpn)n|e d'un 
savoir inouï , et ses f£ici3i(és en ça gpnr^ fi^i^iei^t 
vraiment peur. On ne conçoit pas commer\|; 1^ Igtfi 
d'un homme a pu contenir nîmx W iponde d^ fis^its 
et de dates. Les six niillei ans ^ pQni^ çQ^niis étafgnt 
parfaitenient rangée d^ns sa iQ^mpir^^ ^t sgs études 
avaient été si profondes (ju'eU^s é^aîen( viY^Pomrpa 
des souvenirs ; il n'y a pas up village 4^ ^wss^j i^W 
une famille noble dont il ne sut Tbi^fQirÇf » 

L'Allemagne est le pays des r^cherçJtp^ ^ ell/^s ^qd| 
entassées dans les livres d(3s érudifs , le)^ qui^ |4$it 
seau, 3chlœ:;er, Gatterei 3phmidt| etjt^ne fl'gutrei;} 
ce sont des matériau^ prpciçiq^i^ , mgis pon 4^ œu-? 
vres d'art. 

Nous avoQS çberphé h ^o^Jàpv ui^ idée des plu^ 
grands écrivains de l'Àlleinagiie du dernier sièçk, 
Upe histoire spéciale de U littérature allemande de- 
vrait i^ontenir des études suf yi^ ^ssi^; gr^n4 nop)** 
t)re d'hommes dpçtle ççuyenir Pfi pempçci^içr M^9 



PIX^HUITIÈME $if;ci.E. 175 

flm dstps riiiatoire générale. Nous voudrions ce- 
pendant indiquer encore quelques noms de poètes. 
Jean«Pierre Hebel , Badois, né en 1760, serait plus 
CQQDU s'il avait écrit dans la langue des lettrés de son 
pays; niais il choisit l'idiomt^ du Schwartzwdld, et ce 
patois fut un obstacle i sa gloire* Goethe a beaucoup 
vanté ce poète ; ce que nous en avons entroyu nous 
aparu gâté souvent par une n^anie allégorique , très- 
aotipatbiquQ à notre manière de sentir la poésie. On 
accorde à Hœlty de la grâce, de la simplicité, mais 
rjen qui révèle le poète de premier ordre, Kœrner 
a électrisé les Allemands par ses chansons guerriè- 
res, durant les campagnes contre l'empereur ; il est 
tombé sur le champ de bataille , et la mort du soldat 
a donné plus d'éclat encore à la renommée du poète. 
I^a réputation de Frédéric de Hardenberg, néen 
177SI I €t connu surtout sous son pseudonyme de 
Novalis, est trés^^contestée. Heine en fait un grand 
éloge. M. Alfred Michiels, dans ses études sur l'Ai- 
leioagne , combat cette gloire avec acharnement. 

Novalis est mort à vingt^neuf ans. Il habita dans 
aa jeunesse lépa, Leipsick et Wittemberg , et se lia 
intimement avec Frédéric Sehlegel et Fichte. A Tbu- 
riage il rencontra une jeune fille très-belle , qu'il 
aima avec passion et qu^il vit mourir de phlbisie au 
moment où il allait l'épouserf II sembla plongé alors 
hm une tristesse si profonde que ses amis le cru-* 
rent voué à des regrets éternels , lorsque l'apnée 
suivante ils le virent célébrer aes fiançailles avec une 



i76 HIStOlltE DES LETTRES. 

autre femme. Ce mariage fut retardé par quelques 
obstacles jusqu'en 1800, mais, au moment départir 
pour célébrer ses noces , un flux de sang l'arrêta. 
Cette maladie devint si gfave que Novalis fut forcé 
de retourner dans sa famille. Après avoir langui quel- 
ques mois^ le 25 mars 1801 , le jeune homme s'é- 
veilla dès le jour et feuilleta quelques livres, puis il 
pria son frère de jouer sur le piano un air qu'il ai- 
mait , et il s'endormit en l'écoutant pour ne plus se 
réveiller. 

L'œuvre la plus importante de Novalis est un ro- 
man intitulé : Henri d'Osterdingen. Le sujet est la 
destinée du poète dans le monde ; aucun n'est plus 
vaste ni plus sublime. Jugez ce livre par quelques 
fragmens, et vous partagerez renlhousiasme de plu- 
sieurs amis de Técrivain; lisez d'autres pages, et vous 
comprendrez ses antagonistes. Voilà ce qui explique 
des opinions si différentes et si passionnées. Le ro« 
man de Novalis contient des pensées d'une délica- 
tesse exquise , des images charmantes auprès des 
choses les plus bizarres et d'idées tellement vagues 
et impénétrables que l'auteur ne semble plus vivre 
parmi les hommes. On le croirait par momensdans 
un autre monde où le langage ne serait pas le même 
que celui dont nous nous servons. Les pages intitu- 
lées Le Christianisme ou l'Europe sont écrites d'un 
beau style; Novalis s'y montre un penseur profond ; 
son âme extatique entrevoit et prédit le bonheur de 
l'humanité. L'es Chants reliçieuxoUveni de nobles pa- 



DIX-taUlTlÈMÉ SIÈCLE^ 177 

ges, le poète 8*inspire heureusement des idées chré- 
tiennes I cette source éternelle de beauté. La dou- 
ceur rêveuse de son âme donne à ses mélodies un 
charme attrayant de mysticité et de candeur. Le 
dernier ouvrage de Novalis, les Disciples de Scàs^ est 
d'une étrangeté incroyable ; on a placé à la fin 
quelques pensées dont Finterprétation fatiguerait le 
sphinx lui-même. 

Puisque nous parlons de génies bizarres , n*ou- 
blions pas Jean-Paul Richter ; il eut à lutter contre 
la société et supporta toutes les épreuves poignantes 
de l'écrivain né sans fortune. Son goût pour l'ex- 
traordinaire a fixé sur lui la curiosité de ses compa- 
triotes, mais a nui à son talent. Jean-Paul est très- 
souvent un hiéroglyphe indéchiffrable , toute Taf- 
fectation française de quelques écrivains de nos jours 
peut à peine donner une idée de la sienne. Les ti- 
tres de ses livres , puis les titres des chapitres de 
ces mêmes livres sont autant de logogriphes pour le 
lecteur naïf , qui a la prétention de comprendre ce 
qu'il lit. Que l'on nous permette de citer ici une 
page curieuse de M. Alfred Michiels : « Jean-Paul in- 
titula son premier ouvrage^ Procès du Groenland. 
Quelle était sa raison? Je n'ai pu la deviner. C'est 
un recueil de pièces satiriques sur une grande quan- 
tité de sujets , et aucune ne renferme le mot de l'é- 
nigme. Plus tard vint la Loge invisible ou les momies\ 
cette production se divise en cinquante-six secteurs 
ou portions de cercle, et en extra-feuilles. L'un est 
vif, 12 



l':[8 HISTOIRE MS LETTRES. 

^ppel j^^ $ans au*on sache pourquoi » le Lecmr deSaintr 
Michel: un aulrç dç Simon /v(te«, un plu8| grand nom- 
bre, secteurs de la Trinité, Le vinst-ciiiquieme 
parmi ces derniers a pour titre : Grandes fleurs des 
abès de l'amour, w le ioml^eau, le rêpe^ l orgue, à quoi 
se joignent rnon aponlèxiey une bfptte fourré^^ eH mon f^rî- 
pipium de. glace. Qii'est ç^ <m'wû liripipiutn ?, Je ne 
vous ie dirai point , car je l'ignore ^ el; i'aqteyr s'est 
bien gardé de nous rapprendre. Cherchez vous- 
même SI VOUS espérez le découvrir. » 

Tous les romans de Jean-Paul oi^Frent de ces étran- 
eet^s ; c'es( approcher de la foliei ou plutôt y être 
arrivé. Si le reste dé l'œuvre répondait à ceci , ce 
serait tr^^te ^ mai^ null|ement étopnaQt, puisc^ue l'a- 
liénation mentale est une maladie souvent, observée ; 
ce qui suf'prepd; ç'esj, q^ue ce inême homme , dans 
ces inémes IJyrçf , çnjtasse pour ainsi dire les plai- 
santeries spirituelles , Ij^s observations fines ; il est 

pVein de IIT;^^^ ^ <lç lif ^f^P^^^r! ^i ^^IRPf !'^ Rabelais 
et plus encçjre Silerne : voici quelques lignes, au ha- 
sard.; ne tes dirait-on pas tombées de la plume de 
Tauteur du Vouage sentimental? 

«Vous vovez sourire une femme, ne vous fiez pas 
à cç sourire , iL vous trpmjp^. Elle a pleuré toute la 
nuit. Souvent ces créatures tendres languissent muet- 
tes , eUés cachent le désespoir sous la gaité, elles se 
flétrissent en se jouant ; l'^œil étincelle de joie , le 
bon mot est sur les jèvres , et elles fuient dans quel- 
que cojn ou elles peuvent enfin, seules, livrer pas- 



PU^UITIÈHE SIÈCLE, 179 

«je ^w; ]9ifm^9 qui l.ep ^toi^Çeaj. O |qh;ç^ (}^ folie, 
Doyés par des nuits de ^^}pf,s \ çQfqfa^, qp yqU, swst 
cédeç de^ Kvfrew de plu^ ^ VfljftW .^>W #f^it* 

Je^n-Çaçl 91, cpnàïjafi gteri^,, t». Wftî}Jiç.f|ip(}4Ji<[re/|r 
sions; chez réçriv^jjt^ a|l^iuan(J, o'ççt ^ije. Y^FÎt^j^ljf 
pas3iop. ^9, (Jjjgfrey^sjp^^at ppvF ajo^i dire |^ foq(l<Jle 
son œuirre ;^ il, nifarçhe à l'^yenUire ,. $ap^ plan ,, s^f^ 
upç idée qfij.çel^e ig«^ détail? ;, aqç^ If içan(ji|e 4'!*t 
nitéesVil Iç 4<^f^i|( capital (),e ^e^-Ç^|i^h 3a pl(}9 
grand^ cpmpositîpq , ^itan^ n'a, objew 9Upif^ ^Cr 
cés en Frapçe , malgré la, i^çauté iQjCoptesta^lp d^ 
beaucoup d<ç p^^s « parçQ quç le& Vvdi^Q^ vepl^ 
toujours voir où çn le^u^ujs. Ç'e^u/i p^uplpqult. 
en général , n^e sonde pas |a; ppéi^îe trè^rpforonclé-! 
inent pqui^trç ^ m^is il a iju;!, iifinaeni;^ îï^ojgoi. 4^ 
clarté et de pfir^i pri?. 

Jean-Paul; est pap fpjSj ^ovfi^vi^ ^^ !yçiflW PQWiflP, 
un pp^te bél^reu, ; ipad^^P^ de St^JL nqq^. a doi^é 
une idée de ce^eippe du tal^i^t de TaulQu^ ^U^jqimd, 
en traduisant dans VÀHemagne i^n I])pçpes^^ qi)^. e$^ 
dans toutes les jnéoipires. Si, ayec une tp))^ variiélé 
de ton^ , des ap^jtjLides si, 4i?^er£tes> ^ tante d'esprit A: 
de sensibilitjé, Jpan-Çaul,n'a. ps)|| cré^ un cbpjfrd'œM?. 
yre, c'est que la faculté de.chpisiri ç'as^ queJegoût, 
lui a manqué. Il a pris une. bizarrerie Qi^^y^jg^i^^â 

« 
^ Traduit par H. P}); Ghaslei. 



l80 HllStOtRE DES ^LETTRES. 

pour de rorigipalité , et il a gâté ainsi les belles fa- 
cultés qu'il avait reçues du ciel. 

On n'en finirait point si l'on voulait analyser la 
foule de romans spirituel et touchans que TAIIe- 
magne possède. Claudius, dont les livres sont incon- 
nus en France, jouit d'une grande popularité en Al- 
lemagne ; ses récits cachent une rare profondeur de 
sentiment sous une forme pleine de sensibilité et de 
bonhomie. Auguste Lafontaine se fait lire par Tîn- 
térêt des détails qui font tant de révélations sur la 
vie intime des Allemands. Les contes fantastiques 
d'Hoffmann,qui en ont produitdes milliers en|Prance, 
la nation la moins fantastique de l'univers, nous en- 
traînent souvent dans le monde mystérieux du ma- 
gnétisme et prouvent parfois dans l'auteur un rare 
talent d'observation et des facultés dramatiques de 
premier ordre. Ludwig Tieck, qui est encore vivant 
aujourd'hui , publia vers la fin du dix-huitième siè- 
cle un roman, Stembald^ plein de poésie et de fan- 
taisies charmantes sur la vie errante et insoucieuse 
de l'artiste; c'est le seul écrivain célèbre de la grande 
époque que l'Allemagne possède encore. Il s'est dis- 
tingué dans la critique qui est une des principales 
gloires de cette nation. Tieck a eu le tort de défen- 
dre la cause de l'art pour l'art , de méconnaître sou- 
vent tout ce qu'il y a d'incontestable dans les théo- 
ries de Schiller et de Kant sur le beau qui est la 
splendeur du vrai , sur cette beauté suprême dont 
Dieu est la source ; mais les écrits de l'auteur de 



DJJS.-HU1T1ÈME SIÈCLE. 481 

Stembald sur Shakspeare révèlent une pénétration 
très-rare et contiennent des aperçus d'une grande 
sagacité. Ce bizarre Jean-Paul Richter, dont nous 
parlions tout à rtieure , est auteur d'un livre d'es* 
thélique plein de \ues profondes; il défend la 
cause sainte de la vérité dans l'art : ses idées sont 
abondantes et élevées , il aborde sans crainte les plus 
hautes questions de la critique, il disserte sur la na- 
ture du beau, et jette de nouvelles lumières sur les 
théories de Schiller, de Kant , de Lessing. L'Alle- 
magne est la patrie de l'esthétique, aucune nation ne 
s'est jusqu'à présent élevée à sa hauteur dans l'ex- 
position des théories de l'art. William et Frédéric 
Schlegel, le premier dans son Cours de littérature 
dramatique , et le second dans son Histoire de la 
littérature ancienne et moderne, se sont moins oc- 
cupés que Kant et Schiller des hautes théories es- 
thétiques ; mais , par leur admiration ardente pour 
la littérature catholique et chevaleresque du moyen 
âge, ils ont exercé autant d'influence bienfaisante 
que les plus grands théoriciens spiritualistes. L'his^ 
toire de la littérature ancienne et moderne aurait été 
mieux nommée , Considérations sur la littérature. 
On conçoit ce que peut être une histoire générale 
en deux petits volumes ; mais cependant telles sont 
la science et la pénétration philosophique de Frédé- 
ric Schlegel , qu'il a certainement remué plus d'i- 
dées , dit plus de choses importantes , plus éclairé 
enfin , que La Harpe , Marmontel et tous nos criti- 



4^i ÊiWc/Me fcÈSLÉ'Mfei. 

La èHlîqùè feà* chère S ïdus les j^ra^^^ 
dé l'AlIéïàdèiiiè; itttft-îièulèfaifeht teût ijiie notis àvohfe 
âoiiith^s , ràiaîs Goëihë , J: de Milllei^, les ècriVàin^ 
ifeè plilâ êffiîftehè dû aèriiîëi» siècle , éfe ^jlaMiëht à 
fëire îûsi^i'ei* daiis les jbtii'hàui et lés he^ûki des jti- 
^taën^ âpt^i'ofoiidb sUi" lé^ t^i'ddiictiôtis iitijjbHatités 
qui i)âfaîsfeâîent dànfe îèbi^ tëièfls; Là J)hilosopliîe 
fût àufesi tihé J)feisèîoti flôûr !^\llèttiagnë. 

Noué n^àVôiife pàè lïl i^êtérilidii de doflnët* ici, 
ifaémè èïi rèsuitië; l'hiétôîré àé la plillbsophîe àlle- 
miandë ; fiôiiS ilôtiè bdtiiëi*onS; pour ce pSy^, comme 
poiir la tirècè, la l^ràiice éi TAngleteifrè, à quelques 
indications que fibiis croyotié ihdisl)eïisài)lës, ren- 
voyant pôilr pliis amples détail^ aux hisloriëiis de 
là philosophie. 

Le sensualisme r%hàit sur rÊiiropê, ies écrivains 
français avaient ëtràngémërit éxaeérè et fauééè lès 
idées dé Lôckéi iiVolt et ses disciples clénatiiràiént 
les hautes péhséési dé Léibniiz qu'ils remplaçaient 
éouvëiit pai" des abstractions jhsàisièsâMés. Lêssing, 
tiëmstérhuis , ptiîiôsbpnë hollandais , eï iàcobi atta- 
quèrent lés doctrines màtériàiisiés ; ils it^dht pas 
fiormul^ de système, mais fépàndii le spinidâîîsme 
sur toutes tek questions qii'iïs oiit traitées; iacobia 
donné pour tâse à notre intetligericé, S notre ânoele 
sentiment religieux, bes hommes servirent la cause 
de la vérité \ inàis îïs lfuréh( pliiiidt des mfofalistes 



i>iX-HlJITlÉBÎE SIÈCLE. 18^ 

que aies mélaphysicièns (juî focil àsàûcèt là Sjdîfei'ce. 
kantsuiWitsiiehciéùsëmeîit, (laiiài^à fioluliËleaè 
Kœnîgsuerg, les. travaux de se^ contèm^fàinS j 
aorès de longues années d'études et dé oo^éâHaiîonSj^ 
il fit imprimer un livre qu'il iiititulà : Crlïujne ielâ 
raison pure. En È'rance il éÀt trouvé ^éû dé leli^êurè/ 
il lui fallait ùh public pafiêiîi et dimcile à féHHlèr ( 
le néologisme rendait cë( ôliv^â^^ .tMâ-olJséui^. Ëdlft 
se créait uiie langue ^ ses i^eîiàéès récdiivertéîl U'ûiJ 




de l'Allemagne pni cliscuié eût ce VolÙiâé. Madame 
de Staël ,.âoiit l'espnf est pleffl dé s^^dciU èi de 
profondeur, étudia le philosophe dé K&faî^àbef^ / 
s'aicla de t6q§ lé^ commentateurs et nous do^na, dsiti^ 
son livré de VAttémdgne^ Une îdèë de fà tfcéoflëkah-^ 
tienne; on ràccusa cle nous ^iSit fcSriqué uh Kôkt 
éesa façon. 

Âujourd'nui des autorité^ cdmpiétenfé^'^Idténfce 
philosoplie auprès de PlàtoA èi âè DèScartes. toîife^ 
îaé€ 




Je 
. py leà 

sensùalistés, quf eiisèignàïént ^é fà ^énsâlîidil était 
la seule source de nos idées \ m ^àr léi id'éstii^tëë (/6i 
dédaignaient le monde des' sens. Kànt i^mèï uàé 
dualité (rës-rationhelte que noù^s ikiiiàm tous' èii 
nous-mêmes, l'âme et ïè^ sens, lai hâtiiw l'nfëllëtf- 
tuelle et la nature extérieure j il appelle fd ^tkMëh 



484 HISTOIRE DES LETTRES. 

le sujet, et la seconde Tobjet, ou le subjectif et 
Tobjectif 9 le moi et le non moi , mots qui ont eu 
tant de relentissement dans la philosophie alleman- 
de depuis cette époque. Des critiques ont aecusé 
l^ant d'avoir continuellement sut)ordonné ce qu'il 
appelait Tobjet au sujet, et conséquemment d'avoir 
méconnu les droits de la sensation , de la nature 
extérieure ; mais nous croyons l'objection peu fon- 
/dée, et la domination de l'esprit , de la nature intel- 
lectuelle , proclamée par Kant, est si légitime que 
nous ne concevons guère les reproches qui lui ont 
été adressés à cet égard. Une autre objection nous 
parait plus juste, c'est que Kant n'a pas assez exr 
posé les rapports du fini et de l'infini , de la créa- 
tion et du créateur. La théorie de Kant, dit M. Cou- 
sin, pose l'unité d'un côté, la multiplicité de l'autre, 
l'infini et le fini dans une opposition telle que le 
passage de l'un à l'autre semble impossible. 

Il serait difiicile d'apprécier la valeur de Kant dans 
l'histoire générale de la philosophie : qu'a-t-il réel- 
lement enseigné de plus que Platon et Descartes? 
Nous ne saurions le distinguer très-clairement. Des- 
car tes nous semble avoir vu aussi bien que Kant le 
moi et le non moi , l'intelligence et la nature exté- 
rieure. Mais le rôle du philosophe de Kœnigsberg 
est immense dans son temps, ses livres sont là di- 
gue la plus forte opposée au débordement du sen- 
sualisme qui menaçait de plonger toute l'Europe dans 
la barbarie et l'abjection. Kant analyse les facultés 



DIX-BUITIËIIE SlÈCtE. 185 

purement intellectuelles avec une supériorité telle 
que ceux qui niaient leur existence en furent décon- 
certés. La philosophie de Locke^ dénaturée et pous- 
sée jusqu'au délire par les matérialistes français , 
aurait peut-être régné long-temps sur l'Europe sans 
la Critique de la raison pure; l'empire du matérialisme 
fut bruyant et terrible, mais cette colossale erreur 
disparaîtra dans l'avenir^ elle sera comme étouffée 
entre la France du dix-septième siècle et l'Allema- 
goedu dix-huitième, entre Descartes et Kant. 

Les autres écrits de Kant^ la Critique de ta raison 
pratique et la Critique du jugement ^ ont basé la morale 
et l'art sur l'infini, sur Dieu. Dans le preipier de 
ces livres, l'auteur foudroie éloquemment la pré- 
tendue morale fondée sur l'intérêt personnel, et lui 
substitue partout Tidée de devoir, de dévouement 
à Dieu et à Thumanité. La Critique du jugement ex- 
pose avec une grande vigueur logique des idées 
analogues à celles de Schiller sur le sublime. Le 
philosophe démontre que le beau indépendant du 
vrai est très-secondaire, qu'il peut plaire aux sens, 
mais ne saurait satisfaire Tâme. Il fait voir que les 
critiques qui ont soutenu la doctrine de l'art pour 
l'art, qui ont soutenu que l'agréable était le vérita- 
ble but de la poésie, n'ont de la nature humaine 
qu'une idée incomplète et mesquine, et que la beauté 
suprême dans l'art ne peut être atteinte qu'à l'aide 
de la beauté morale. 

Kant a bien mérité de l'humanité, nul n*a été 



plus éiëv^ , plus sanctifiant, dans Te dorëaitié du h- 
tionalisme pur. Il a\ecu solitaire, contenlpiaiit son 
âinë et bieii ; on dit ijiie le philosophe ii'feèt jamais 
éorii de Kœnisbèrg. Ses '^tiidiJs furent imniënsés : 
les sciences naturelles, les làngtiës, là littérature, 
rhistoiré, excitèrent , comme ta métâpnysiqilé , son 
/ardente curiosité. 

Le mouvement qu'il imprima à la philosophie iSe 
s'âfrêiâ pas ; mais cette science s'égara avec Fichte 
dans un .idéalisme exclusif, «be philosophe, dit 
M. Àncîllbn, fait âîspàkltre rohjet, ciû le monde 
extérieur, pour ne rècohhaure aàiitrè existence 
que cette du sujet bii du moi. » Ficntësoùuènt'son 
erreur avec une puissance d'esprit étonnante; c'est 
une inleiiigerice mathématique que l'on a comparée 
à Éuler et h Lagràngé. Lé philosophe sflilemancl a 
liait des efforts surpi*énans pour démontrer qiié notre 
âme créait pouf ainsi ^ite en ëllë-thèmë la vision Je 
la nature extérieure. L'auteur de la PnilbsàpAtë de la 
nature, Schelling, fit un pas dé plus, et je s^ùjétqui 
lavait refusé à i'ôhjet toute existence indépendanie, 
qui l'avait dépouillé et anéanti pour avoir ï'honneùr 
de le produire, le sujet ïûi-mèmë dîsps/rut, et on 
lui refusa toute existéhce réblle et transcénilà'nle. 

Selon Schelling, il ne s'agit plus (f examiner si les 
choses hors de nou^ oht une existence réèîlë, ou 
plutôt s'il y a quelque chbse hors dé nous ; joifais 
il s'agit de savoir si nous-mêmes nôu^ sommes un 
objet réel , dans le sens trânscêndenîal au mot. La 



fiii-HtiiTiËilk SiÈCLË. të7 

v^rîU pnvé iiWt pas là sulJjfefclîvîy aJblsBlué , la sùB- 
ecUvité absolue n'est pas la vérité pure; robjèl û 
e sujet sont des cbri'élatîfs qiii se stipposeiit 1 un 
*auirë,' êt.dès qu^oh 'enlève l'un ile ces termes, 
autre s'évânôûit aveè lui; la vérité ne le IrbiivëqUè 
dans rexistëncé absolue, il n'y â qu'une exïstiehce^ 
une ^ éternelle y iifnmuable... Les pfîhcîbèè (le Hèè[el j 
dit M. fràrclioii de t^ënhoên, né diMrehi p'oint ai| 
fond dé ceux dé ^ciiëllihg. JËTh loiil et pàrtoiit tiëgel 
cWchë Vûniiè : cette iinitë, il là voit ddhs l'iclèn^ 
tité de l'existence et de Iài)énsëe , et ddtis l'iiiîiti^ dé 
là subsiâncê (^ui éxisië ei pense. Cette sùBsiânçe, 
c'esi Dieu qui se manifesté et se dévèio{)pé sous 
toutes lés ^rmés. Par l'alistraction de l'étëndlie et 
delà pfênséé, en riiduiéàrii rétendde à n^éi^^ qii'ùn 
point mvisible, 6t M jpelisëe uiië bôiion qui n'k rien 
9e distinct, kégël arrive à l'absolti^ qui i^énferfne 
i'ëteiidùé et là penéée. t'àbâblb séH à la fois l'èt^ë 
piir et la hôtioâ [)ure, Tèttë^ l'idée, ridéal et le 
iréël. 

L'àbsoiû àùrà \i iacùlié dé $ê hiàiiifestér, dé de 
développer, et il se développèrd èii tf^oîâ éi^oq'ifes. 
ii'îdée, l'être où l'atsolu se revêtira d'abord dé 
Qualités âbstràiiés et feririëi^à la logique; elle apf)à- 
iraîira coihme mondé èxieriéiîr ; éï ce iSérâ la naturel 
elfecoritinùéràcëdéveloppëmédfcoùi 
sont constituées lès trois parties de là philosophie dé 
HëçeL 
tbùf FîcÉité !é moi est tout, ïyieïï est tout poùé 



188 HISTOIRE DES LETTRES. 

SchelUng; quant à Hegel, il appelle son Dieurofr- 
solu. 

L'absolu, selon lui> produit et absorbe tout ; il est 
l'essence de toutes choses. La vie de Tabsolu n'est 
jamais complète ni achevée; de sorte que Dieu 
n'existe pas proprement, mais il se fait tous les 
jours , tous les jours il se développe ; et la formule 
qu'on n'ose prononcer de peur de prononcer un 
blasphème : Gott ist in werden {Dem est in fieri), ex- 
prime parfaitement la doctrine de celte école. (Ma- 
R£T, Essai sur le panthéisme.) 

Yoilà cependant ou sont arrivées ces hautes in- 
telligences , à l'absorption de. l'individu dans le 
tout, et par conséquent à la grossière erreur du 
matérialisme, qui enseigne que tout finit pour 
l'homme à la mort ! Schelling et Hegel se rencontrent 
souvent avec le panthéisme de Spinosa. Les travaux 
de ces hommes ont fait rétrograder l'esprit humain 
jusqu'aux doctrines répandues dans l'Inde vers les 
commeiicemens du monde, et cela dix-huit siècles 
après l'enseignement de saint Jean et de saint Paul! 
Cette doctrine du panthéisme est le grand ennenai 
de la vérité au dix-neuvième siècle ; le matérialisme 
des philosophes français n'est plus redoutable , 
mais le panthéisme , erreur aussi colossale , a en 
France des partisans que l'on ne saurait trop com- 
battre. Que les philosophes allemands proclament 
qu'il n'y a qu'une existence une y étemelle^ immuable, 
personne ne le contestera. Dieu seul est^ dans le 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. 180 

sens absolu , Dieu seul est par lui-même sans avoir 
été créé. « Je suis celui qui e^r, » dit la Bible. Mais 
lorsque celte substance infinie a tiré d'elle des sub- 
stances finieâ, elle leur a créé des existences rela- 
tives distinctes d'elle-même , et qui ne peuvent plus 
subir que des transformations; l'absorption dans le 
grand tout, ou l'anéantissement, est impossible; 
non-seulement c'est le comble de l'immoralité , 
mais de l'erreur. La raison ne saurait comprendre 
la vie de la terre, qui voit si souvent triompher le 
crime et pleurer la vertu, sans une récompense pour 
le juste qui souffre^ sans une expiation pour le cou- 
pable qui fait souffrir. 

Cet enseignement, qui est celui du christia- 
nisme et s'appuie sur la tradition des siècles comme 
sur Tautorité de TËglise, est certes bien plus 
claire nient démontré à la raison que les erreurs 
mises à sa place par certains philosophes. Pourquoi 
oe pas admettre la doctrine qui est le plus prouvée 
par le raisonnement, et qui seule explique la vie ac- 
tuelle , lorsque cette doctrine est enseignée par les 
conciles , autorité irrécusable pour les catholiques 
ei immense aux yeux de tout homme qui raisonne? 

La partie de la philosophie qui n'a pas pour but 
d'étudier Dieu et la création , mais les devoirs des 
hommes envers le créateur et envers l'humanité^ la 
tnoralej avait en Àlleniagne des représentans cé- 
lèbres avant la publication des écrits de Kant. Il ne 
faut pas demander à Garve, à Mendelsohn, à Sul- 



i9Q HISTOIRE DES LETTRES. 

zer, à Engel^ les aperçus (>r9fonds ejt sp^ijpitivels gui 
se ^rouy^nt en lî'rancç dans les livres de La Bi;û][è||i^ 
de La RpchefoucauldVde Vauvenargue?, Les eçri-r 
ypjîqs $^llei|)^.i|^§ i^e vivaient pas, comme les n^oralistes 
f^^nçais , au §eia d'iipe société briljant^^ iU vivaient 
dans la famille ^\ f^ cpntempîation ç^lme des mœurs 
et des çjeYCjir^ des hommes. Une candeur religieuse, 
i|ne (^o^ce fen^ibi|ite içsi)ire. leurs ouvrages; jts 
s'çifljqrpeiit ^q ÇûÇAÇr i'{*^,fflÇ?fl ^V^ devoir pa^ 1q cœur. 
^çnçjelsohn r^produ^it^ dans sê^ apologies, les 
idées dçila philosophiQ erçcaueet ç^rlçut de Platon: 
i| se nourrissait; de la Bible , et semble , pa^ unç 
anomalie inconcevable^ igi^or^r le c^ristianisipe ; 
Garye es^ aussi bien plus grpç que chréli^n ^ il 
adore le stoïcisme ^Q|iqu^^, pais ne 8*élève pas aux 
sublimités de l'Évangile. Tous ces philosophes alle- 
mands de la première école du dix-huiti^ème siècle 
n'avaient pas dans l'esprit l'énergie nécessaire ço^^r 
lutter çoptre reuvahissemeat tefriblje ifji^ sçftsu^- 
lisme et ^ç l'égQïsmç, qui agitaient ^ France ef 
faisaient retentir en Europe léyr bçuyaijtj^ vpix et 
leur rire infernal, l^ant ^ç^tit ï'^nsq^sance de se3 
prédécesse^urs et ajppliqjua, d^apsj^on^ spçoqd oyvpage, 
sa, théorie à la inorale. 

« Peu;^ peûc^ai^s diçtip^ctsi, djl^-il , ip,ç ^apifeatent 
4àns l'homme ; rift^ér^Jt pjerspnpel , q.i|i^ Ijji vient de 
raitçait d^s seo^atioAS, et 1^ justicç universell^i qui 
^ient à ^e^ i;aj[){)^9rt6 ai(çç I9 g^nrQ lfi|fpajin çt la (Ji- 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. 194 

cidd : elle e^t comme Minerve , qui faisait pencher 
la balance lorsque les voix étaient partagées a$ins i a- 
répoage . » Kant démoqtre, avec s^ sûfpériorilé or- 
dinaire de raisonnement , que la destination supé- 
rieure de 1 homme sur la terre est le perfectionne- 
ment et non le bonheur, que 1 insiinct ar4ent qui 
nous porte vers le bonheur doit être vaincu par Fi- 
dée du devoir, qui est la véritable gloire de Thuma- 
nité. L'austérité de la pensée de Kant 1 a entraîné j us- 
qu'à r'ei^reur, puisqu'il a soutenu que c'était altérer 
la pureté de la morale que de donner pour but à n(]||s 
actions la perspective d'une vie à venir. Cette opi- 
nion , tout erronée qu^elIe soit , a sa source dans 
l'enthqusiasmedela vertu y le philosophe de Kœnigs- 
be;g s^st égaré par excès de dévoueofient à Thuma- 
flité, cooime Fénélon par excès d'amour divin. 

Jacol^i , ce noble cs^racl,ère , cet bomm,e de bien 
qui se voua à la contemplation et à l'étude dès sa 
plus tendre jeunesse, à basé la morale sur le senti- 
ment religieux, CQ qui donne à ses écrits une onc- 
tion très-pénétrante ; aussi est-il fort admiré en Al- 
lemagne. Jaeobi a développé admirablement sa doc- 
trine d^ns son roman de Woldemar, livre dans le- 
quel, c^péndai^t, pour mettre en relief son système, 
il marche d'invraisemblance en invraisemblance. 
Mais tous ces moralistes ^ilemaods, ceux qui^ comme 
Kant et Fichte, sont partis du spiritualisine philo- 

' TradocUon de madame de Staêl. 



102 HISTOIRE DÉS LËTtRËS. 

sophique , ceux qui, comme Jacobi, onl adopté pour 
guide le sentimenl religieux, ceux enfin qui ne s'ap- 
puient que sur les prescriptions évangéliques, n'ont 
généralement parlé que des devoirs des hommes en- 
vers la société , et très-peu des devoirs de la société 
envers l'individu. Cette partie immense de la mo- 
rale est un sujet d'études magnifiques qui sera une 
des plus belles gloires du dix-neuvième siècle. 

Après ses méiaphysiciens et ses moralistes, l'Al- 
lemagne produisit des historiens de la philosophie. 
Elle nous a devancés dans cette carrière. Le cartésia- 
nisme était florissant en Allemagne^ le célèbre pro- 
fesseur Wolf le popularisait de plus en plus, quand 
Brucker écrivit son Historia critica philosophiœ j li- 
vre d'une érudition immense, conçu au point de vue 
cartésien , et qui a servi de modèle à tous les histo- 
riens de la philosophie. Les théories de Lockeinspi- 
rérent Tiedmann qui succéda à Brucker. Il est aussi 
savant et plus critique ; il intitula son ouvrage : Es- 
prit de la philosophie spéculative. 11 a nécessairement 
les défauts de l'école sensualiste , et juge malles 
grandes idées de Platon et de ses descendans. En- 
fin Tennemann est venu reproduire dans l'hisloire 
de la philosophie les théories de Kant , dont le spi- 
ritualisme si savammentexposédétruis^ait l'influence 
de l'école de la sensation. L'ouvrage de Tenneraann 
est plus complet que celui de Tiedmann ; mais les 
théories de Kant emprisonnent encore l'auteur dans 
un cercle trop étroit. Les deux grands systèmes qui 



mX-HUITI^ME SIÈCLE. i93 

agitèrent si vivement le dix-huitième siècle, le sen- 
sualisme et le spiritualisme, avaient eu leurs reprè- 
sentans : TEurope attend encore Thislor ien de la phi- 
losophie qui présentera l'ensemble de cette science 
en tenant compte des droits de chaque théorie > en 
se plaçant tout simplement au point de vue de la vé- 
rité , sans préjugés d'écoles , sans parti pris à l'a- 
vance. 

Les tendances de la poésie allemande au dix-hui- 
tième siècle , surtout les œuvres de Kiopstock et de 
Schiller, peuvent donner une idée de la préoccupa- 
tion religieuse de ce peuple , de ses élans vers Tin-^ 
fini, de ses habitudes rêveuses et extatiques. Les 
écrits spéciaux consacrés à la religion furent très- 
nombreux pendant la seconde moitié du dernier siè- 
cle. Lavater^ si célèbre par son livre sur la physio- 
nomie, publia plusieurs ouvrages dans lesquels il 
développe toute une doctrine sur le christianisme. 
11 s'est trompé souvent , sans doute , mais on sent 
partout l'inspiration d'une belle âme, et cette bonté 
exquise qui caractérise le philosophe de Zurich. Mi- 
chaëlis fit de profondes études sur l'antiquité, sur 
les langues, sur toute la civilisation asiatique, pour 
commenter et interpréter la Bible. Ancillon cher- 
cha à fixer les limites où l'esprit de l'homme doit 
s'arrêter dans la recherche du vrai, et où l'ordre de 
foi commence. Lessing , avec la force habituelle de 
son esprit , mais avec une audace qui l'égara quel- 
quefois, poussa r homme vers les investigations sans 

TU. 13 



104 HI$T0IM DES LETTRES. 

bornes ^ tandis qu'Herder défendait la Bible contre 
des interprètes inhabiles, qui la détruisaient en ifou- 
lant la simpHGer. Les sermons et les homélies de ce 
pasteur philosophe rappellent parfois Tàme aimante 
de Fénélon , mais Fauteur allemand tombe souvent 
en des doctrines \agues et se laisse aller aux capri- 
ces de sa raison. Le traducteur de Platon , Schleier- 
mâcher, dont la fantaisie était parfois aussi errante, 
a cependant 9 dans les dialogues sur la religion, une 
éloquence entraînante et un magnifique sentiment 
de rinfini. 

Les écrivains religieux, nés au sein du protestan- 
tisme , ne sont nécessairement que des philosophes 
rationalistes, qui nous donnent sur le christianisme 
leurs sentimens particuliers. Ils ne sauraient for- 
mer un corps de doctrines : la raison individuelle, 
mobile, faible, entraînée par les passions et les pré- 
jugés, vacille sans cesse. Aussi les livres religieux 
écrits par les catholiques, qui s'appuient sur l'auto- 
rité si imposante de l'enseignement de l'Église, ont* 
ils une fermeté de pensée et une puissance d'affir- 
mation qui contrastent singulièrement avec toutes 
ces rêveries souvent éloquentes , mais souvent aussi 
d'une valeur d'enseignement à peu près nulle. 

L'histoire de la religion de Jésus- Christ , par le 
comtç Frédéric de Stolberg, est peut-être le plus beau 
livre reUgîeux que l'ALliemagne ait produit vers la 
fin du dix-huitième siècle. Ce noble ami du grand 
sceptique Goethe , en embrassant le catholicisme , 



BlX-fiUITiÈME SIÈCLE. 495 

5*aliéna des hommes qui auraient dû micul com- 
prendre cet acte de courage et de conscience; à quoi 
bon s'appeler Klopstock, Voss et Jacobî, si Ton reste 
intolérant comme le vulgaire? Nous n'avons pu nous 
garder d'un sourire en entendant les protestans ac- 
cuser les catholiques d'intolérance. La conversion 
du comte de Stolberg , qui eut tant de retentisse- 
ment de Tautre côté du Rhin , donna à l'esprit de 
eet écrivain une autorité qu'il n'aurait jamais pu 
trouver dans le protestantisme. Le livre du comte 
de Stolberg est remarquable par une étude appro- 
fondie des saintes écritures et des antiques religions 
de l'Asie. L'auteur démontre que toutes les tradi- 
tions orientales qui ont précédé le christianisme en- 
seignent la chute de Thomme et l'expiation ; c'est le 
travail accompli chez nous au temps de son ortho- 
doxie, par M. Tabbé de Lamennais, dans son Essai sur 
indifférence. Le comte de Stolberg retrace avec onc- 
tion les premiers temps du christianisme , si pleins 
de merveilles et d'héroïque grandeur! Nous ne con- 
cevons pas comment un ouvrage continuellement 
inspiré par l'esprit tout divin de la charité chré- 
tienne n'a pas rallié autour de l'auteur des hommes 
qui pouvaient différer d'opinion avec lui sur la ré- 
forme ^ mais devaient au moins respecter les vues 
hautes et saintes de cette belle âme. 

Nous nous sommes efforcé d'analyser le travail lit- 
téraire de l'Allemagne dans le siècle dernier ; si , de- 
puis la mort de Goethe , celte contrée ne possède 



106 niSTOIRE DES LETTRES. 

plus un de ces poètes universels dont la renommée 
préoccupe toutes les parties de la terre , la vieille 
Germanie n'a pas cessé d'être laborieuse et féconde; 
nous répéterons encore ici que le moment de l'his- 
toire n'est pas venu pour les écrivains du dix-neu- 
vième siècle ; mais il est naturel de penser que l'Al- 
lemagne I qui a pris rang si tard parmi les nations 
célèbres dans les lettres , doit encore long-temps 
exciter l'admiration des hommes. Elle a produit 
dans ce siècle plusieurs esprits éminens qui aug- 
menteront sa gloire. Citons, parmi ceux que nous 
n'avons pas nommés , Nieburh , Schlosser, Heeren , 
Humboldt, Hermann, Creuzer, Hôser^ Henrich, 
Zachariae et le spirituel Henri Heine y que nous 
voudrions voir dans une route moins dangereuse et 
plus vraie. 

Recueillons - nous un moment pour contempler 
la littérature allemande dans son ensemble et ap- 
précier son rôle parmi les nations lettrées de l'Eu- 
rope. Nous avons vu celte poésie poindre vers le mi« 
lieu du neuvième siècle , par les essais encore in- 
formes d*Ottfried ; le grand poème national des Nie- 
belungen fut écrit en ancien langage teuton, vers la 
fin du douzième siècle ; ce récit sauvage et énergi- 
que forme , avec l'Edda Scandinave , le plus impor- 
tant» monument de la poésie du nord à ses époques 
de formation. Au quatorzième et au quinzième siè- 
cle, toute la poésie allemande est une multitude de 
chants populaires , de lieds d'amour, de compa- 



BfX*HUITIf;ifE SIÈCLE. i97 

gQonnage , de chevalerre et de guerre. Ces chants 
ont «déjà un caractère très prononcé de mélancolie 
et de rêverie vague, que nous avons retrouvé dans 
les poètes allemands du dix-huitième siècle. 

La prose allemande , la prose de Herder et de 
Kant , est créée au moment de la réforme par la tra- 
duction de la Bible de Luther, et par toute la brû- 
laDte polémique de ce temps. Luther est bien plus 
le créateur de la langue actuelle de l'Allemagne que 
le poète Hans Sachs , présenté ainsi par la' plupart 
des critiques. 

Hais l'époque littéraire , le moment ou ce peuple 
arrive à une culture réellement savante, est le mi- 
lieu du dernier siècle. Kiopstock rappelle les livres 
saints et Milton , Wielànd la Grèce et les trouvères 
du moyen âge; Goethe, esprit vaste et flexible, grand 
naître de la forme , promène sur tout sa libre et 
puissante fantaisie , et arrive parfois à Téloquencc 
passionnée et profonde, Schiller porte dans le drame 
tout le pathétique et la noblesse de sa belle âme , 
Herder évoque les temps antiques etcrée un solennel 
tableau de l'humanité, Lessing, Schiller et Winc- 
kelmann élèvent la critique à une hauteur incon- 
nue, tandis que Kant anéantit de sa pensée puis 
santé les doctrines fatales du matérialisme. Des es- 
prits éminens se groupent autour de ces hommes i 
et l'on arrive, comfne dit un critique de l'Allemagne, 
à pouvoir parler , sans paradoxe , d'un peuple aile» 



i08 HISTOIRE DES LETTRES. 

mand , quand il est question des grandes nations 
littéraires, 

La poésie allemande est mélancolique 5 ainsi que 
toutes les poésies du nord ; tantôt elle gémit avec de 
magnifiques accens sur la destinée de l'humanité , 
tantôt elle s'élève aux plus hautes régions de la beauté 
idéale ; mais cependant elle n'a pas produit un de 
ces génies dominateurs, tels que Dante^ Shakspeare, 
Molière : Goethe et Schiller imitent Sbakspeare ; 
l'Allemagne se passionne pour l'Angleterre ou pour 
la France ; mais ce n'est pas là une véritable créa* 
tion. En religion, Luther introduit l'examen, épreuve 
terrible et sanglante pour l'humanité; mais de cette 
épreuve la vérité sortira sans doute un jour plus ra- 
dieuse et plus affermie. Dans la philosophie, Leib-^ 
nitz etKant marchent les égaux de Bacon et de Des- 
cartes. Les erreurs du panthéisme indo-germanique 
ne sont venues que plus tard. Lessing, AVinckelmann, 
Schiller, Kant, dominent encore la critique de tou- 
tes les nations. L'Allemagne est surtout grande intel- 
lectuellement » parce qu'en dehors du catholicismCi 
elle a soutenu vaillamment la cause du spiritua- 
lisme contre les doctrines matérialistes qui ^ sans 
elle 9 envahissaient le monde. Mais nécessairement 
la pensée individuelle erra sans guide et sans frein 
au gré de la fantaisie de chaque homme, et de là le 
vague qui rend les écrits de l'Allemagne souvent peu 
intelligibles* 

Il n'y avait pas là de centre intellectuel dans le*> 



DU-HUITIÈIIE 8IÈCL£« i99 

quai les hommes se corrigent journellement par le 
coDtact, pas de liens bien formés entre les diverses 
parties du public ; la faculté de choisir, le goût, ne 
pouvait guère progresser. Chacun suivant ses inspi- 
rations^ le plus souvent sans contrôle, il en est ré- 
sulté du vague, des lenteurs, des détails supérieurs, 
mais rarement le sentiment de Tensemble , rare* 
ment cette science de Pharmonie qui coordonne 
toutes les parties d'un tout* 

Nous avons dit quel' Allemagne était grande parce 
qu'elle avait soutenu le spiritualisme en des luttes 
purement philosophiques ; elle a fait un pas de plus : 
les écrits de F. Schlegel^ sur l'histoire de la litté- 
rature et sur la philosophie de l'histoire ,* n'ont pu 
être préservés complètement des défauts germani- 
ques , de l'obscurité et du vague , de certaines opi- 
nions hasardées , qui nous semblent^ à nous Fran- 
çais, des préjugés historiques ; mais ces livres sont 
remarquables, admirables môme par leur pensée 
dominante, qui est la réintégration de Dieu dans 
la science , et la glorification de l'humanité au sein 
de l'unité universelle ou catholique. 



En terminant cette esquisse sur l'Angleterre et 
TAUemagne, nos regards se tournent naturellement 
vers les^ écrivains qui ont vécu aux derniers siècles 



200 HISTOIRE DES LETTRES. 

dans les États appelés autrefois Scandmat^î^.Les chants 
populaires dont nous avons parlé souvent ont formé 
la plus grande partie de la littérature de ces peuples. 
C*est une peinture des dangers , des travaux et des 
passions des rudes enfans du nord. De nobles efforts 
ont été faits^ersla fin du dix- huitième siècle et prin- 
cipalement par des écrivains contemporains pour 
lesquels le temps de l'histoire viendra plus tard. 
Nous nous bornons à des indications, les études sur 
cette partie de l'Europe étant encore trop incora- 
plèles *. 

Au dix-huitième siècle brillent Holberg , que les 
Danois , peut-être dans un excès d'amour-propre 
national, placent immédiatement après Molière; 
Ewald, qui se distingue dans le drame et la poésie 
lyrique ; Baggesen, poète académique , plus élégant 
que passionné, et Wessel, connu par une parodie cé- 
lèbre. DO'Uos jours, le Danemarck s'honore d'Œsh- 
lenschloeger^ auteur de drames nationaux qui ob- 
tinrent de brillans succès ; les poèmes et les poésies 
lyriques du même auteur sont aussi très populaires 
dans le nord. 

La Suède a produit dans notre temps plusieurs 
écrivains distingués; celui de ses poètes dont la re- 
nommée s'est le plus étendue est Isaïe Tegner, notre 

* Consulter les travaux de^ MM. Marmier^ Ampère , Du 
Méril et de mademoiselle Puget , l'ouvrage de Mallet , et en 
AUom^gu© ceux d« Grimm. 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. 201 

contemporain , dont les poèmes , surtout celui de 
Fritkiof, sont très-admirés dans l'ancienne Scandi- 
navie. 

La Russie n'a encore donné au monde aucun 
écrivain dont la gloire soit devenue universelle. La 
passion des Russes pour la littérature. française les 
honore, nous espérons qu'il sortira de cette nation 
quelque génie digne de s'asseoir parmi les monar- 
ques de la pensée ; la puissance matérielle est impo- 
sante sans doute, mais il faut exercer une influence 
tout intellectuelle pour avoir le droit d'être compté 
parmi les grands peuples civilisateurs. 

Les races slaves ont aujourd'hui un noble repré- 
sentant dans le célèbre poète polonais Adam Mickie- 

wicz. 

11 faut s'arrêter et prendre congé des sombres et 
mélancoliques régions septentrionales , des monta- 
gnes de glaces, des mers écumantes , des paysages 
sévères, qui donnent à l'homme un caractère éner- 
gique et rêveur, un sentiment profond de l'inûni. 
Nous aimons la poésie du nord, parce qu'elle ex- 
prime éloquemment cette grande tristesse de l'âme, 
qui pressent un autre monde plus digne de ses as- 
pirations sublimes. Elle a droit à la reconnaissance 
de l'humanité parce qu'elle rapproche l'homme de 
Dieu. 

Il nous reste à terminer l'histoire littéraire de la 
nation qui pous semble, par ses travài|)(, depuis 



803 BISTOIRB I>£» LETTRES. 

plu6 de trois ùècles , tendre le plus à reproduire » 
par une fusion savante , les génies du midi et du 
nord^ àharmonier les peuples divers dans l'unité 
par la clarté de sa langue , qui devient de plus en 
plus universelle , et à servir ainsi puissamment les 
vues de Dieu sur le monde. 



DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE ! 



AU 18* SIÈCLE. 



V. 



Gommeneeinens do dîz-hoîtîème tîèola.— Iêù régent.— J..B. Roui* 
teau« — Iiamotte. — Fontenelle. — La eoar de 8oeaiu«— >Tra« 
gîqoef du second ordre,— GrébîUon. •— Toltaire. — l«a eoar de 
Berlin. — lllaapertiûff«— La Mettrîe.— lie» eriU<|iMt daTolUûro, 



Les dernières années de Louis XIY s'étaient traî- 
nées dans l'ennui et la tristesse ; les lettres de ma- 
dame de Maintenon ne laissent aucun doute à cet 
égard. Les malheurs publics avaient influé sur la na- 
tion, qui semblait alors partager Thumeur sombre 
de la cour. Les grands écrivains du beau siècle 
avaient presque tous précédé le vieux monarque 
dans la tombe ; lorsque Louis XIV mourut » le 1*' 
septembre 1715| il ne restait plus de tout le cortège 



206 HISTOIRE DES LETTRES. 

illustre que le grand orateur Hassillon , le volup- 
tueux et sceptique poète Ghaulieu, J.-B. Rousseau, 
savant versificateur , mais sans véritable inspira- 
tion, cynique dans une par tiède ses œuvres et aussi, 
dit-on, dans ses mœurs; Lamotle, poète assez 
médiocre , critique parfois paradoxal , auda- 
cieux , mais souvent éclairé et heureusement nova- 
teur; Fontenelle, polygraphe ingénieux, qui, mal- 
gré ses nombreux ouvrages , n'a pu parvenir qu'à 
une position de second ordre. Ces trois derniers 
écrivains n'appartiennent pas à la cour lettrée de 
Louis xrv, mais par l'époque de leur naissance et 
de leurs travaux ils doivent figurer dans l'histoire 
littéraire des dix-septième et dix-huitième siècles. 

Le duc d'Orléans arriva à la régence et imprima 
à son temps une impulsion incontestable.. C'était uo 
homme d'un esprit vaste , capitaine habile , très-oc- 
cupé de sciences et de littérature ; mathématiques, 
physique , chimie , beaux-arts , il étudia tout avec 
ardeur. Son esprit aventureux le jeta dans des expé- 
riences financières qui renversèrent bien des fortu- 
nes j nais un tel prince eât donné de l'élan à la na^ 
tion, si ces brillantes qualités n'avaient pas été pa- 
raljsées par une passion désordonnée pour toutes 
les yolu{>tés. La cour de Louis XIY étalait l'adultère, 
celle du xégent la débauche et l'orgie. Dès lors la 
haute société parisienne se précipita dans un sca- 
SQialisme etfréné; nous allons bientôt voir avec. 
queUà 4éplorable fougue la litléirature et la philo* 



mX-BOmÈME filËGLC. ftÛ7 

Sophie seconderont cette décadence des tnodurB 

françaises. 

Nous avons cherché à apprécier J.^B. Rousseau 
dans notre sixième volume : au chapitre sur la cri* 
tique on trouve quelques mots sur Lamotte , favori 
du régent et de la duchesse du Maîne^ qui avait feic 
de sa belle villa de Sceaux Tasile des plaisirs de Tes- 
prit. On se ferait du reste une assez triste idée de 
l'intelligence de cette petite réunion^ si on la ju- 
geait d'après son goût pour les vers de Lamotte , 
dont la malheureuse fécondité parvint à faire du 
bruit dans son temps. Il s'essaya dans tous les gen- 
res. Épopées, tragédies, comédies, opéras, odes, fa- 
bles, églogues, tout lui était facile, parce qu'il nV 
vait un sentiment profond de rien. Il voulut bannir 
les vers de la poésie , parce que leur harmonie ne 
le louchait pas ; il traduisit Homère sans le com- 
prendre et l'attaqua pitoyablement, quoi qu'en dise 
Voltaire, qui lui-même était peu sensible aux beau- 
lés primitives et sublimes de l'Odyssée et de l'ï- 
liade. Lamotte fut cependant un homme de beau- 
coup d'esprit ; en effet, son malheur est d'avoir cru 
que l'on pouvait tout remplacer par de l'esprit , 
même l'inspiration naïve du poète. Ses odes offrent 
des pensées ingénieuses et de belles maximes , ses 
ouvrages en prose des fragmens très fins et très-ha- 
bilement écrits, et sa tragédie d'Inès des scenestou* 
chantes. 

te commencement du dix-huitième jsiècle est, 



208 niSTOIRE DES LETTRES. 

comme on le voit, un temps d'arrêt, la renommé6 
appartient à des hommes secondaires. J.-B. Rous- 
seau., Lamotte , Fontenelle ' , régnent à la place de 
La Fontaine, de Despréaux, de Bossuet et de Féné- 
Ion. Au théâtre , quels sont les successeurs de Cor* 
neille et de Racine? 

Le débile élève de ce grand poète , Gampistron, 
n'est mort qu'en 1723. Qui se souvient aujourd'hui 
de Virginia, d'Arminius, A'Andronic, à'Alcibiade, de 
Tyridate? Il n'y a dans tout cela qu'une imitation 
malheureuse , et ces tragédies , qui eurent quelque 
retentissement au dernier siècle , n'ont servi depuis 
qu'à faire ressortir le magnifique et harmonieux gé- 
nie de l'auteur de Phèdre. Antoine de La Fosse était 
mort en 1708 , laissant plusieurs pièces : son Man- 
lius n'a pas péri, et ce rôle a été long-temps un de 
ceux qu'affectionnait le plus grand tragédien du 
dix-neuvième siècle. Manlius renferme des scènes 
d'un profond sentiment tragique ; mais l'auteur 
imite encore scrupuleusement les maîtres du théâ- 
tre français. La Grange Chancel fut un élève de 
Racine, auquel madame la princesse de Conti corn* 
muniqua la tragédie de Jugurtha , premier essai du 
poète. Plusieurs tragédies de La Grange réussirent 
au théâtre , mais il puise sa véritable célébrité dans 
le libelle terrible et calomnieux qu'il lança contre 
le régent , et dans lequel, auprès de vers faibles et ^ 

* Voir noire sixième volume. 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. 209 

lâches, on rencontre des strophes d'une énergie di- 
gne de Ju vénal. Poursuivi et prisonnier aux lies 
Sainte*Marguerite , Fauteur finit par s'évader ; mais 
il passa une vie errante en Espagne et en Hollande , 
et ne put rentrer en France qu'à la mort du duc d'Or- 
léans. Lagrange-Chancel vécut jusqu'au milieu du 
dix-huitième siècle. On ne peut rien imaginer de 
plus fade que son théâtre ; les vers sont languissans ; 
ils furent applaudis à cette cour de Sceaux qui ap- 
plaudissait Lamotte. Lagrange n'avait nul senti- 
' ment de l'antique, et affublait des dentelles du dix- 
huitième siècle les simples et grandes figures du 
théâtre grec. 

Quant à Crébillon , dont le style^ lors de ses dé^ 
buis, faisait frémir Despréaux , il avait au moins un 
esprit vigoureux et assez inculte, qui donnait de 
roriginalité à son œuvre. Le caractère de ce poète 
était, dit-on , fort étrange; toujours entouré d'une 
trentaine de chiens et de chats, il faisait de son ap- 
partement une sorte de ménagerie ; toute la jour- 
née il fumait y écrivait , ou lisait des romans. Né en 
1674, à Dijon , il vint à Paris de bonne heure pour 
s'y livrer au barreau, qu'il abandonna comme tant 
d'autres pour la poésie. Crébillon vécut jusqu'en 
1762. Son théâtre a occupé long-temps la critique ; 
on a répété jusqu'à satiété qu'il avait trouvé en 
France un nouvel élément tragique , la terreur. 
M. Villemain a judicieusement remarqué que per- 
sonne n'avait à faire cette découverte après le cin- 

VII. 14 



810 HISTÔIAE VZS LETTRES. 

qaième acte de Kodogune. U ne faut donc piuft par- 
ler de cette prétendue création , mais reconnattre 
que CrébiUon produit souvent de ces effets dràma^ 
tiques bi^és sur Teffroif et qu'il donne aux passions 
un langage sombre qui remue' l'àme sans l'atten- 
drir, La guerre civile excitée dans la littérature par 
les succès de Voltaire explique seule l'exagération 
qui a placé quelque temps Crébillon auprès des ma)* 
très de la scène française^ Despréaux avait très^bien 
jugé le style de ce poète, incorrect , dur ^ barbare; 
il a toute l'enflure du tragique latin Sénèque* 

Crébillon a dk^nné aux sujets grecs une couleur 
romantique qu'il puisait dans les livres de la Gai- 
prenède et demadeaiaUeUe de Scudéry ; oe qui pro- 
duit le plus étrange e0ét* U faut voir avec quelle 
naïveté il se place luiméme au-dessus de Sophocle 
dont il ne comprend pas la simplicité si noble et si 
girainde^ Bacine n'avait pas osé se mesurer avec cet 
admirable poète 1 CrébiUon a fait de son Electre uac 
princesse amoureuse et langoureuse^ ce qui peut 
être considéré comme une parodie de cette magni- 
fiq«i« création. U y aune énergie peu naturelle, mais 
incontestable^ dnns Atréeet Tbyeste, et des vers 
tragiques fortement trempés. On^n'auraît rien à ga- 
gner en étudiant ici des œuvres aussi médiocres 
^n'Iihménée ou Catilma-j la seule tragédie de Crébil- 
lon qui révèle un réel génie tragique est Bhadamisie 
et Zénobkm 
., Le premier acte a toujours passé pour irès^médio* 



DIX<*HI}ITlin SIÈCLE* SU 

ère; mais les quatre derniers étincellent de beaoïéÉ 
de Tordre le plus élevé« Les caractères sont dessinée 
arec un art très^énergîque, les nuances babîlebe&t 
observées ; le style progressant avec la pensée de» 
Tient par moroens d'une éloquence admirable. On 
ne comprend guère , et cependant ce phénomène 
s'est souvent reproduit j qu'un homme puisse faire 
ainsi bien une fois en sa vie » et publie ensuite tant 
d'œuvres déplorableSé 

Voici des vers que les plus grands poètes avoue* 
raient : 

Ëifr-œ la guerre enfin' «fae Néron me déclare P 
Qu'il ne s'y trompe point ; la pompe de ces lieu « 
Yoiu le voyez assez , n'ébloait point les yeux» 
Josques aux courtisans qui me rendent' hommage , 
Mon palais , tout ici n'a qu'un faste saurugo. 
La natare, marâtre en ces affreux climats , 
Ne produit, au lieu d'or, que du fer, des soldats. 
Son fein tout hérissé n'offre aux désirs de l'homme 
Rien ipii puisse tenter TaTarioe de Rome. 

Rhadamiste parut en 1711 , Voltaire avait alors 
dix*sept ans. Nous venons de prononcer le nom qui 
commence réellement la phase de Thistoire de l'es- 
prit humain si fameuse sous la dénomination du 
dix-huitiéme siècle. Né à Paris le 16 février 1694, 
d'un père ancien notaire au Cbateleti Arouet fit 
de bonnes études au collège Louis-le--Grand f soùs 
le pore Porée, et montra dés renfismce «ne facilité 



S13 BISTOmS DES LETTRES. 

étonnanle et uue étourderie singulière. Ce carac- 
tère enjoué frappa beaucoup Ninon de Lenclos, 
qui lui légua deux mille livres pour se créer une 
Bibliothèque. Ainsi le premier encouragement que 
reçut le jeune Arouet lui vint d'une courtisane. 
Admis dans la société de Ghaulieu , du marquis de 
Lafare , du duc de Sully , du grand prieur de Yen- 
dôme, du maréchal de YiUars, du chevalier de Bouil- 
lon y il y puisa cet épicuréisme dont il fut un des 
plus brillans interprètes. Son esprit satirique de- 
vint bientôt célèbre i Paris , et le fit tout à la fois 
rechercher et craindre des dames de la cour. Ac- 
cusé d'avoir fait des vers contre* le gouvernement, il 
fut enfermé à la Bastille , où il ébaticha, dit-on, les 
premiers chants de la Henriade. Œdipe fut repré- 
senté en 1718 ; l'auteur avait vingt-quatre ans ; il 
obtint le plus brillant succès. 

Voltaire , qui , je crois, savait très-peu le grec et 
conséquemment ne sentait guère le solennel et sim- 
ple génie de Sophocle, fut par cela même moins ti- 
mide que Racine et débuta par le chef-d'œuvre du 
grand poète d'Athènes. 11 avoua naïvement (Vol- 
taire naif, c'est étrange, mais vrai ici), il avoua, 
dis-je^ qu'il croyait avoir perfectionné la tragédie 
grecquoi et La Harpe, probablement aussi helléniste 
que l'auteur de Mérope, partage cet avis et le consi'- 
gne en toutes lettres dans son Cours de liuérature. 
Cependant il y avait à cette époque des hommes 
douésdu sentiment de l'antique, et M. de Malezieux; 



DtX*HUlTIÈMB SIÈCLE. 218 

chancelier de madame la duchesse da Maine, tra- 
duisait parfois , dans les réunions de Sceaux , aux 
grands applaudissemens de cette société, des tragé- 
dies de Sophocle et d'Euripide. 

Nous avons déjà fait observer, en parlant du théâ- 
tre grec et de Racine, que ce grand poète lui*m6me 
était sous plusieurs rapports inférieur à ses modè- 
les. Toutes les fois que les modernes ont touché au 
génie grec , ils Tout altéré ; leur véritable inspira- 
tion n'est pas là. 

Qu'a fait Voltaire de cette magnifique exposition 
de la tragédie grecque ^ , de ce peuple décimé par 
la peste et embrassant en suppliant les marches de 
ses temples? Cette grande scène est remplacée par 
une conversation entre Philoctéte et son ami. 

Disons-le donc à Voltaire et à La Harpe, la poé- 
sie athénienne domine ici de bien haut la poésie 
française; mais reconnaissons que Fauteur moderne 
a jeté .sur ce sujet un vers facile et brillant, que 
plusieurs scènes sont d*un effet dramatique terri- 
ble, et que si Ton excepte les quatre derniers actes 
de Rhadamiste, on n'avait pas vu en France depuis 
Racine une œuvre de cette force. 

Voltaire, enivré de ce succès, donna, dans les an 
nées qui suivirent, Œdipe, Artémire, ÊripMle, Ma* 
rianne; mais ces trois pièces ne furent pas heureuses. 
11 se mit alors à travailler avec ardeur à son poème 

* Voir notre 2* volomei page il3« 



814 HI8T0IIIE DBS LimSS. 

sur la Ligue; oe qui ne l'empècliait pas d'ébre fort 
répandu dans le mondei de flatter les grands, quand 
il ne les fustigeait pas de ses épigrammes (audace 
qui une fois le fit battre lâchement par des valets) » et 
dé combiner d*excellentes affaires avec les traitans, 
pm k erédiê des nudire$se$ des princes . C'est au mi* 
lieu d'une telle vie que Voltaire prétendait s'élever 
aux beautés simples et sublimes de l'épopée. 

Mis de nouveau à la Bastille , puis exilé pour avoir 
envoyé un cartel au chevalier de Rohan » dont les 
geni( l'avaient assommé , l'auteur d'OEdlpe, assen in- 
digné de ses mœurs aristocratiques, passa en An-» 
gleterre, où il véèut dans la société de Bolin^roke 
avec lequel il s'était lié en France durant l'exil du 
ministre disgracié. 

Avant son départ. Voltaire avait lancé dans le pu- 
blic une première ébauche de la Henriade, et ce 
poème excita des enthouriasmes et des critiques aee^ 
bes ; une édition qu'il fit en Angleterre, sous le pa« 
tronage du roi Georges I*' ,et surtout de la princesse 
de Galles^ lui valut , dit-on, de fortes sommes d'ar* 
gent. Ce fut le commencement de sa fortune, deve- 
nue considérable par le prix de ses ouvrages, par la 
faveur des princes, par le commerce et réconomie. 

Voltaire arriva en Angleterre au mois d'aoùtl726, 
et passa plusieurs années dans l'étude des lettres 
anglaises et la fréquentation des hommes les plus 

' Villemain , dix-haitiéme sidcle. 



ftCHioiTitn êiÈOM. tl8 ' 

émimM dé Mtte époque* Le ipedade de eelle s<h 
ciitéf si différente de là nôtre alors^ celte Uberlé 
poKiique» eegoowrneiDeiit pariementaire^ agireM 
paisaaminem mr Feqirit da jeone écriniD. Mo»* 
tesqaieti m troufait dbst le même tempe ft Loodree 
et j puieatt dea imi^eMioiie analogaee* C'eat on 
corieiix spectacle qaerinitiationdeceadetulioflwiieaf 
à la même époque et dans le même pays! 

Les trois années que Voltaire passa dans hOrande- 
Bretagne forent très*rempties; il fréquenta Boling^ 
broke^ P<^^ Swift et bien d^aatres^ étndta 
Shakapeare au théâtre^ et assista aux glorieuses 
fanéfatlles de Newton; puis^ désquesenostradsme 
fot letéy il aecourut en France, la tète pleine de 
projets t d'idées, d'ardeur remuante, prèl Ar tout, 
même à rentrer à la Bastille , s*il le fiillait. Yoltaire 
retrouva Paris à peu près comme il Favait laisBé : le 
lieux cardinal de Fleur; régnait assez paisiMement j 
les grands seigneurs et les grandes dames eonti* 
nuatent leur tie de luxe et de plaisirs. Yoliaire se 
lia atec le doc de Richelieu^ et bientét avec ma* 
dame la marquise du Chàtelet, femme brillante et 
rieuse dans les salons, mais qui traduisait et eom^ 
mentait Newton et Leibnitx* Le poète rapportait à 
tout ce monde sa Henriaie^ accueillie a^ec entbou* 
aiaame dans la patrie de Milton et de Shakspeare. 

On peut lire dans La Harpe une longue et ibrt 
ennuyeuse dissertation sur les critiques souvent pas- 
sionnées qu*excita ce poème. Il n*a plus assea d^ini' 



216 HISTOIRE D£â LETTRES. 

portance pour que nous nous y arrêtions long-temps. 

Les époques de foi et de sentimens exaltés peu- 
vent seules inspirer et comprendre un poème épique. 
Les hommes des commencemens du dix-huitième 
siècle étaient sceptiques , rieurs et livrés aux plai- 
sirs sensuels; Voltaire marchait déjà à la tèle de 
ces épicuriens audacieux. Il ne faut donc lui deman- 
der ni foi; ni exaltation de sentimens, ni naïveté, 
rien enfin de ce qui caractérise les poésies primi- 
tives. Ce temps de guerre religieuse , ce héros qui 
disait que Paris valait Lien une messe, n'auraient 
pas été choisis par un homme de foi ; mais quand 
Voltaire aurait pris une des plus belles époques du 
christianisme > ses idées et son temps > lui auraient 
caché toutes les magnificences de cette grande reli- 
gion. Qu'a-t-il substitué à ces merveilles chrétiennes? 
les plus insipides allégories. 

Ne cherchons donc pas un poème épique dans la 
Henriade , mais un récit historique dans le genre de 
la Pharmle de Lucaîn. Nous voudrions bien que Ton 
ne nous accusât point de partialité; mais, sous ce 
rapport encore , nous ne pouvons voir ici qu'une 
œuvre très-médiocre. 

La Ligue offrait des tableaux pleins de rudesse et 
de vie ardente; c'était une époque dramatique comme 
Sbakspeare; il fallait, pour la peindre, un pinceau 
vigoureux, et non toutes les élégances des salons du 
dix-huitième siècle. Des allégories, des portraits , 
quelques descriptions de combats en vers acadé- 



DIX-OUlTlÈHe SIÈCLE. 217 

miques , voilà ce que nous a donné Voltaire! ^ul 
sentiment de la nature; le paysage n'existe pas pour 
le poète de Louis XY ; les amours qu'il a voulu re- 
tracer ressemblent aux peintures de Boucher et de 
Watteau. Ses combats ne sont rien, comparés à ceux 
d'Homère et du Tasse; mais enfin , que faut-il donc 
admirer dans la Henriade ? le style ? Nous ne le pen- 
sons pas. Les vers de ce poème sont faciles , clairs, 
rapides; mais leur harmonie est faible , ils n'ont ja- 
mais la concision et le nerf de Corneille ; ils n'ont. 
pas non plus la musique savante, la grâce moelleuse 
de Racine. Mais leurs qualités , quoique assez se- 
condaires^ suffisaient au dix-huitième siècle; avant 
les travaux de Técolte contemporaine qui nous a ra- 
menés à l'étude de nos grands maîtres , de Régnier, 
de Corneille, de Molière, de Racine, les vers de la 
Henriade auraient suffi à la France; les lecteurs de 
Delille s'en seraient contentés sans doute. 

Le succès de la Henriade se comprend cependant ; 
d'abord, quelle que soit l'insuffisance de ce style épi- 
que, il est très-supérieur à celui de toutes les mal- 
heureuses tentatives faites sousLouisXIY.Encoreune 
fois , ces vers , que nous ne pouvons admirer au- 
jourd'hui, convenaient parfaitement aux lecteurs du 
dix-huitième siècle. Voltaire exprimait d'ailleurs des 
choses nouvelles qui produisaient une vive impres- 
sion; c'était la description du système céleste se^ 
Ion les grandes théories de Newton , le tableau de 
l'Angleterre, une satire passionnée contre Rome 



9i8 H)STom« PM wxhnn. 

catholique t dans laquelle le poète flattait siagoliè-^ 
rement les préjugés de l'époque* 
Voici le passage sup T Angleterre : 

Pe jeur& iroupeaux fécond» leur» plainea sonl couforlei j 
Les gucrets de leurs blés ^ les mers de leurs Taisseaux ; 
Ils sont craints sur la terre, ils sont rois sur les canx. 
Leur flotte impérieuse , asservissant Neptune , 
Des bouts de l'univers appelle la fortune. 
Londres , jadis barbare , est le centre des arts , 
Le magasin do monde et le temple de Mars. 
Aux murs de Westminster on Toit paraître ensemble 
Trois poi]^Yoir9 étonnés du ncand qui b^ ras^en^le « 
Les députés du peuple , et les grands i et le roi, . 
Divisés d^intérét, réunis parla loi^ 
Tous trois membres sacrés de ce corps invincible « 
Dangereux à lui-même , à ses voisins terrible. 
Heureux lorsque le peuple , instroil de son devoir^ 
Respecte autant qa'il doit le souverain poavmr ! 
Plus heureux kursqu'on roî ^ doux i jnste et polîtîqiie , 
RespectQ autant qu'il doit la liberté publique I 

Le poète pajait ainsi riiospitalité de Londres. Ce 
fragment est un des plus vantés deToqvragQ : il suf- 
fira pour justifier notre opinion sur le style de ^ 
Henriade; nous n'avons pas besoin d'entrer dans de 
plus grands détaUs pour eonvaincreceux de no&lec* 
leurs qui ont un sentiment profond de la beauté des 
vers français. Nous essatertons vainement de nous 
f;|ûre coroprendre des autre». 

Vdlaire contUnus^it dans la Iknriack » g^^^ 



lllX«-&DITltMB 9IÈ0LB. 319 

contre rÉglise; il avait porté ses premiera coups 
par deux vers d'OEdipe, applaudis au théâtre par 
des hommes d'une bruyante ignorance^ Mais si Fau- 
teur était aveuglé par ses passions» si les erreurs 
d'une partie du clergé l'avaient conduit à charger 
de ces fautes^ non-seulement tout le corps ecclésias- 
tique! mais le christianisme lui-même, il n'en était 
pas moins inspiré souvent par un sincère amour de 
l'humanité j et ce sentiment donne parfois à son 
poème un accent noble et généreux , digne d'une 
grande nation et d'une civilisation avancée. Tel eat 
le beau côté de Voltaire et de tout le dix-huitième 
siècle : défense des opprimés, tendance à l'égalité 
devint la loi, tolérance pour la pensée^ liberté ci- 
vile et religieuse. Ces magniCques coaquàtes.dont 
nous jouissons aujourd'hui ont coAté à nos pères 
bien des travaux et bien du sang. Malheureusement 
ils n'ont pas assez senti que toutes ces grandes idées 
leur venaient de l'Évangile; qu'elles avaient étés^ 
mées dans le monde par les apôtres et les pères , 
par l'Église en un mot ; et que, s'il y avait des abus 
temporels à combattre, il fallait livrer ces batailles 
l'œil toujours élevé vers la croix sainte qui affrauf- 
chit les hommes. Pour avoir méconnu cette glorieuse 
origine, le dix*huilième siècle a jeté la société dans 
un abtme de sang et de larmes. Le renversement de 
l'ordre scientifique , l'obscurcissement de la vérité , 
e( enfin les orgies du matérialisme ont long-temps 
déMté le oœur et l'inteUigenc^ des peuples ^ qui 



220 HISTOIRE DES LETTRES. 

n'ont respiré que lorsque le christianisme a répandu 
de nouveau sur eux ses divines influences. 

Les tragédies de Voltaire qui parurent après son 
séjour à Londres révèlent les études de l'auteur sur 
Shakspeare; mais, disciple docile de Corneille et^de 
Racine, il ne comprit pas la beauté du système dra- 
matique anglais; il regarda comme des défauts les 
peintures libres et vivantes du grand poète , parce 
qu'il ne les trouvait pas en rapport avec celles des 
écrivains illustres consacrés par Tadmiration* de la 
France. Voltaire présenta donc Shakspeare comme 
un barbare de génies 

Brutus obtint peu de succès ; ce n'était pas la faute 
de Shakspeare, dont l'imitation est ici très-peu vi- 
sible. On trouve bien plus la trace do Corneille, 
mais jamais l'héroïque concision de sa parole ni la 
fermeté de son vers. Brutus offre cependant dès ac* 
cens pathétiques et nobles , de belles et fortes 
scènes, auxquelles se môle malheureusement une 
intrigue d'amour romanesque, indigne de la gravité 
terrible d'un tel sujet. Êriphilej qui suivit cette 
tragédie , est une œuvre manquée , abandonnée par 
l'auteur lui-même, qui prit une éclatante revanche 
en donnant Zdire , applaudie avec enthousiasme par 
les jeunes gens et les femmes. Ce n'est pas le chef- 
d'œuvre de Voltaire, mais certainement c'est la plus 
populaire de ses pièces ; elle est inspirée par une 
vivacité de passion/ qui entraîne et fait oublier la 



DIX-HOITIÈME SIÈCLE. 231 

faiblesse d'une partie de ces vers , que long-temps 
la France a sus par cœur. 

Othello suggéra à Voltaire l'idée de Ztnre; il n'y a 
pas de mérite à répéter, avec tant d'autres, que la 
tragédie française est fort iàférieure à son modèle. 
Cette opinion aurait excité une émeute au dix-hui- 
tième siècle, lorsque La Harpe, dans sa candide 
ignorance de la poésie anglaise , trouvait à peine dans 
l'œuvre de Shakspeare quelques traits dignes d'être 
corrigés par Voltaire. Il faut convenir que le poète 
français avait à lutter contre la plus belle pièce de 
l'auteur de Macbeth et de Roméo. 

La passion terrible du More a effrayé Voltaire; il 
a compris d'ailleurs que son auditoire de jeunes 
femmes élégantes et de grands seigneurs efféminés 
trouverait Othello un barbare. Il en a fait Oros- 
mane, c'est-à-dire, dans une grande partie du rôle, 
un jeune homme plein de galanterie élégante , qui 
adresse à son amante des mots gracieux et tendres. 
Ceci convenait bien mieux au public français du 
dix-huitième siècle. 

Nous éprouvons ici la crainte de copier presque 
servilement nos prét^èccsseurs, car la critique a tout 
dit sur Z(are; maison est exposé à cet inconvénient 
quand on écrit une histoire générale. 

Pour toutes les personnes qui ont l'idée delà véri- 
table beauté dans les arts", Orosmane est loin de son 
modèle. Que l'on se rappelle celte fière défense du 
More devant le sénat de Venise , et la manière dont 



323 HISTOIRE DES MTTAE6. 

il explique l'amour de Desdemooa pour liiij que 
Ton veuille bien comparer cea belles choses au ré* 
sumé historique adre^é par Orosmaoeà Zaïre, et 
Ton jugera* Ce qu'il j a de plus é^>nnaQl) c'est que» 
même dans les nuances de la passion , dans les 
scènes qu un art ingénieux peut seul produire, 
Shakspeare domine encore Voltaire. Les moyens 
qu'il emploie pour exciter la curiosité ou la terreur 
sont plus naturels, plus vraisemblables. Il sait \itet 
des plus petites circonstances des effets magnifiques, 
et c'est là le comble de l'art 

Zaïre est gracieuse et touchante; seulement nous 
sommes fàehé qu'elle soit aussi pkibsofée à la mode 
de ce temps-là, et la leçon d'indifférence en matière 
de religion qu'elle donne à son amant nous a tou-« 
jours semblé étrange : 

J'easie été près du Gange esclave des faux dieux , 
Chtétieniie dans Paris, musulmane en ces lieux.] 

Inutile de dire aussi qu'aucune scène de la- tragédie 
française n'approche , pour l'effet poétique, delà 
scène de la romance. Hais oublions Othello. 

Rappelons-nous la société française du dix*faui- 
tième siècle, son élégance musquée $ sa galanterie, 
son scepticisme, et reconnaissons que Ztiire était 
admirablement en rapport avec tous ces penchans. 
Pour le temps c'était un chef-d'œuvre plein de 
grâce, de charme, de vive tendresse* Dans plusieurs 
parties ZOre offrait cet art amollissant qui contribue 



i plonger les nations dans la volupté; mais lorsque 
fhérolne lutte entre la passion et ses devoirs de 
chrétienne qui viennent de lui être révélés, Tart 
8'élève^il devient noble et moralisant. M. Villemain 
a dit : « C'es^ l'épisode chrétien , c'est Lusignan et 
la croisade qui font Timmortelle beauté de ZaHre. x» 
En effets lé discours du vieux captif est d'un magni^ 
iique sentiment. Tous ces grands noms de raristo-^ 
Gratte française qui retentissaient pour la première 
fois an thé&tre émurent profondément les loges et le 
parterre. Ici Voltaire était novateur, tandis que dans 
ses scènes de jalousie il imitait non-seulement 
Othello^ mtis Roocme et Hermione. Le succès de Zare 
fut enivrant. L'esprit si flexible deTauteur s'occupa, 
presque à la môme époque , d*une œuvre tout autre, 
d'une tragédie sévère dont il osa bannir l'amour. 
Nous voulons parler de la Mort de César. Ici encore 
il imitait Sbakspeare, ou du moins il s'emparait 
d'un suj^i supérieurement traité par le poète d'ÉH** 
sabeth. Sans dpute les trois actes de Voltaire sont 
d'une austère beauté et respirent souvent les pas*- 
lions sauvages et fortes des républicains de Rome ; 
)*dction est bien enchaînée , vive et suffisamment 
préoccupante, quoique simple et d'une clarté admi- 
rable; mais tout cela est-il à la hauteur du Jules 
César de Shakspeare , compréhension large et cotn« 
plète d'une époque historique? Personne ne le dira. 
Yollaire cependant avait peut-être plus que Shak-- 
ipeare étadté l'histoire romaine ) mais il n'avait pas 



224 HISTOIRE DES LETTRES. 

comme lui cette puissance d'imagination qui ressus- 
cite un siècle ; et d'ailleurs le système dramatique 
de Voltaire, le système français des poètes de 
Louis XIV ne pouvait rendre ces passions bruyantes 
du peuple discutant sur le foruoi , toute cette vie 
démocratique des réptibliques anciennes , qui se 
passait en plein air et dans une fermentation de sen- 
timens et d'idées que le poète anglais du seizième siè- 
cle avait devinée sans doute. Le besoin de sarcasme, 
qui était un des caractères les plus saillans de Vol- 
taire j lui a nui beaucoup dans ses études sur Shaks- 
peare; il a voulu le corriger sans doute; mais, 
loin d'y parvenir, il n'a su voir qu'une partie des 
beautés du grand poète tragique ; il l'a amoindri , 
rétréci ; il a reproduit Rome moins le peuple 9 c'est- 
à-dire moins sa physionomie , moins Rome elle- 
même , osons-nous dire. 

Les Lettres philosophiques , pleines de fragmens fri- 
voles et hasardés, et de plaisanteries pitoyables con- 
tre la religion, ayant été brûlées par arrêt du parle- 
ment de Paris , Voltaire résolut de quitter la bril- 
lante capitale où il commençait à régner. « J'étais 
las, dit-il dans ses mémoires, de la vie oisive et tur- 
bulente de Paris, de la foule des petits-maîtres, des 
mauvais livres imprimés avec approbation et privi- 
lège du roi ; des cabales dels gens de lettres, des bas- 
sesses et du brigandage des misérables qui désho- 
noraient la littérature. » Voltaire n'ajoute pas que 
le parlement avait ordonné de l'iarrêter^ si on le ren- 



DlX-HUfTIÈME SIÈCLE, 2^5 

contrait dans la grande Yille pour laquelle il sem- 
ble pris d*an si amer dégoût. 

Il suivit la marquise Duchàtelet dans sa belle re- 
traite de Cireiy près de Vassy, en Champagne, et j 
passa plusieurs années livré avec cette dame illus- 
tre à rétude de la philosophie et des sciences. 
Voltaire forma à Girey un très-beau cabinet de 
physique, et reçut dans cette solitude la visite de 
plusieurs savant de distinction , entre autres 
Maupertuis, Bemouillî et Kœnig , bibliothécaire de 
madame la princesse d'Orange; ce dernier séjourna 
deux ans chez madame Duchàtelet, qui commentait 
alors Leibnitz et Newton. 

Ces études n'empêchèrent pas Voltaire de se 
livrer à la poésie; il donna en 1736 sa tragédie 
d'Alzire, qui obtint à la représentation un très-beau 
succès. « On a tâché , dans cette tragédie toute d'in« 
vention et d'une espèce assez neuve, de faire voir 
combien le véritable esprit de religion l'emporte sur 
les vertus de la nature. » C'est Voltaire qui parle ainsi 
dans son discours préliminaire ; il faut reconnaîtra 
que le christianisme a toujours porté bonheur à. 06 
grand ennemi de l'Église. Nous avons vu ce qu'il 
devait déjà dans Zcnre à l'inspiration chrétienne; 1ë 
scène du pardon, dans Alziref est une des plus célèbres 
de son théâtre. Au reste, cette tragédie, pleine d'in- 
térêt et de pathétique^ ne marque cependant aucun 
progrèsidans l'histoire de Fart ihéSLiràLÀdéUnde Du^ 
çuesclin , qui offrait de nouveau l'avantage de mon- 
II. 46 



3S& mmoiRE mrë lettbss. 

tTiifiSiar la scène les mMkB hiàtoriques de la Ftaâ^, 
n'avait eu avant Alzirequ'un suceèfi médioci^. Znl^ 
mif est.tiae œufcre oubliée en «aiisimt, mais M^rope, 
j^qée en 1748 ^ eut qa gratad rereati$sement. Vm- 
tandle dit en vain qtie la repfémttmion dé Métope tmit 
fffU beautcoup d'htmnew ^ VoUkAre et l^impremoh à ma* 
40mmetlè DtmeiûU^ tes conp^igfteurs rendirent jus- 
tice i eetteéloqveniepeisture de l'amour maternel, 
à eette oeuvre sévère que l'auteur ne crixi pas devoir 
«inoUir {>;U* léskngucws^ de l^ainoâr, «i habituelles 
à la scène firançfeiiM. Voltaire ia?ait eu pour modélis 
l^UéiùptUsJmnnBé^MjSiSéif œum ptos nai^e, plud 
en rapport avec le théâtre grée, plus dans nos idéies 
aetu^les. Le poèta français trouve ici des acfcens 
pleiQs de nobiàS^, eft, au milieu des négligences or^ 
dinairéa de san^Mj^le^ de$ vers fortement écrits qui 
sont restés dam , la tâémoirede la fxation. C'est 
après llék*a|te 4]ue Vottaîre olMint les faveurs de h 
oour parte erédfl dé madame d'Étiolé , depuis ma- 
éams de I^padbat** Il fit pour tes fêtes royales^ à 
r^cœion du mariage do dauphin , la Princesse de 
SimaimyB%^0L trittOs iwptdvistition dont il se liaoque 
lui^pitme dafiil uliè épigramme. Nommé gentil- 
hbinme 4r)ifinaJ!re «t hi!stbriograf)hë de France, il 
eoitfptoa îMNtté^at^entv sôusla direction du comte 
d^Argefusoh ^ PfaiMoîre de la gueri'e de il M , qui 
éMh alors dahs toute i$a force. €e mihiëlré employa 
le poète da&s pluaieursafiaii^es importantes de 1745 
à i747. 



fieçii à rAcâdémie frataçaiseën 1146^ après plu^ 
8i6u)P6 tentatives iafrùctiieuseS) Voltaire M plus qM 
jiHmis en proie aux âttalittes pâlsêioiiiléés de la crU 
tî^tte^ ël èomtne éofi amour-prapHg était (brt irrita 
blé( diaque piqûre le bipsaàït profôndét&ènl ; airtai 
samt-il à la cber du i^Di^l»nUlwv i Ltltévillé^ Ma^ 
dame la marquise Dmshételet , eotautne il l'avait slii- 
tieà Girey, et plus tard à Bruielies. Cette femttie cé- 
lèbre étam morte en 1749^ Yx>ltaîre »evittt & Paris , 
maiS) quoiqu'il fut entouré d'amis «t d'admiràtéU)*S^ 
il voyait des ennemis dahs tous les écrÎTâiûs qui se 
permetiaieût de ne (ws s'indiner devant sa gloii^e. 
Le poète ^ chargé d'une mission auprès de Frédé^ 
rie il , plut beaucoup à ce prinbe » qilf ne cessa de- 
puis lors de le redemander; Il se rendit dônti à ces 
sollicitations. Leroi de Prusse, disait-^UU^ ekceptélà 
Siiésîe^ aurait tout cédé poàr l'avoir. Leftit «st qu'il 
lui accorda une pènsiob de 22^000 )ivf«3 "et lld côiii- 
bb de faveurs : Voltaire avait v/û appârtematit âtt- 
dessous de celui du roi ; il le voyait à des h^uréé ré- 
glées, lisait avec lui les ehefsHd\BÛvre 4es littératviices 
antiqu)es et niodernes. Ces rapports fuirent ciiafe*- 
mans dans i^ premiers tetnps du séjour du ^oète & 
Berlin* 

Frédéric 11 , qui , ainsi que nous l'avons dit en 
parlant de l'Allemagne^ aurait pu jouer un si grand 
rôle comme protecteur de la littérature nationale^ 
n'admirait que la littérature française, et écrivait en 
cette langue de détestables vers ^nt Voltaire est 



228 HISTOIRE DES LETTRES. 

souvent la corvée de lire et la complaisaûce de louer. 
Il nous a laissé dans ses mémoires un très-curieux 
mais souvent très-obscène tableau de la vie que Ton 
menait à la cour de Frédéric, espèce de philosophe 
tantôt stoique, tantôt plongé dans un cynisme dé- 
goûtant , assemblage bizarre de tous les contraires, 
qui , malgré ,ses talens de stratégiste, reste fort loin 
de la véritable grandeur. 

Mais Voltaire , quoique courtisan, avait un esprit 
si caustique, si railleur, qu'il ne pouvait pas rester 
bien long-temps & la cour de Prusse ; il voulait en- 
censer ridole , mais son naturel remportait , et des 
plaisanteries secrètes je vengeaient de ses homma- 
ges publics. Maupertuis et La Mettrie , tous deux 
nés à Saint-Malo, en Bretagne, occupaient un rang 
élevé à la cour de Berlin. Le premier, mathémati- 
cien éminent , membre de l'Académie des sciences 
de Paris , très-célèbre depuis Texpédition des savans 
envoyés par Louis XV au pôle nord pour détermi- 
ner là figure de la terre, opération dirigée par Mau- 
pertuis avec zèle, activité et talent, avait été appelé 
par le roi de Prusse, qui le fit président de T Aca- 
démie de Berlin \ Le second , Julien OfTray de La 
Mettrie, était un médecin, tristement célèbre par 



* Pendant qne Maupertuis étadiait dans le nord , Charles- 
Marc de La Condàmine allait au Pérou pour déterminer la 
figure de la terre. IL s'illustra dans ce voyage qu'il fit avec 
MM. GodiD 6tB cogner , géomètres alors célèbres. 



V^' 



DIX-HUITIÈHE SIÈCLE; 229 

quelques livres du matérialisme le plus insensé : 
L'Histoire de l'âme, l* Homme-Machine j P Homme-plante, 
l'Art de jouttr, le Discours sur lebonheur, tendent à prou- 
ver que la matière pense et que l'âme n'existe pas. 
c La Mettrieestun écrivain sans jugement, qui con- 
fond partout les peines du sage avec les tourmens du 
jnéchant, les inconvéniens légers de la science avec 
les suites funestes de Tignorance ; dont on recon-^ 
nait la frivolité deTesprit dans ce qu'il dit, et la cor- 
ruption du cœur dans ce qu'il n'ose dire; qui pro- 
nonce ici que Tborame est pervers par sa nature, et 
qui fait ailleurs delà nature des êtres la règle de leurs 
devoirs etlii source de leur félicité; qui semble s'occu* 
per à tranquilliser le scélérat. xkiMiie crime, le cor- 
rompu dans ses vices; dont les sophismes grossiers, 
mais dangereux par la gatté dont il les assaisonne, 
décèlent un écrivain qui n*a pas les premières idées 
des vrais fondemens de la morale. Le chaos de rai- 
son et d'extravagance de cet auteur ne peut être 
regardé sans dégoût, que par ces lecteurs futiMsIfui 
confondent la plaisanterie avec l'évidence, et à qui 
l'on atout prouvé quand où les a fait rire, d 

Ce jugement sur La Mettrie n'est pas d'un philo- 
sophe bien austère , il ^st de Diderot* L'auteur de 
VEomme-machine* était , comme on le pense bien , 
moins estimé que Maupertuis à la cour du sceptique 
monarquede Berlin; mais le géomètre ne se contenta 
pas de la gloire que lui avaient attirée ses découver- 
tes au pôle nord, il ipséra dans le volume des VLé^ 



ui^ i^çrit 4^r ^^ 1qî# .4^ itMtnvem^nt et é» repoa, 
cléduife^ 4tt pHfl^îgtft 4e /a «nrâidrr (][!4à/?liMi (f'âctidu. 

I^Qp|iigaU44Wc«A ouvrage» et auribua riQitiati«e 
de l'îd^, à MlwaiU » ea eHi^tii 1^ fpagmeiii^ d'âoe 
]fil\K^ ôpritQ, disaitril» f»^ le grtan^ philosopha aller 
a^aqd à un profi^si^iip de Baie noaimé ^er^laDB. 
MaupertiMSi irrité, enga^^ea T Académie de Beftia à 
sûmmep l^nig ^e produire Toriginal dé là lettre. 
Le prç^(^sj^r ne put satis&ir'O ioeite requête et fut 
bapni de rAcadémie. C'eat akirs que ce^e querelle 
fit maître mie p<>lémiqU6 de brochures et que Vol* 
taire entra en liee^ 

Il acçuaa ^iokiaMtel Mauperiuis d'épnouver pouf 
lui uue |alouaie {Muiaiarmée ; c'est possible^ .mais 
Voltaire lui-Baèine étaitril exempt ^e eesçaiimeiit i 
l'égard du pré9ideAt dterAcadénie de Berlin? L'a^ 
movr<7propre eoloamal du pliîieaopbe die Ferfley eM 
bko oe^qu. Parivul aes pféteniiùna^ ilavaiteelle éV 
voirjie premier initié h f'raitcç^ et ^e raniinetii «ax 
tbéoriea 4% Newton « Or, aix asa avaut que \Soltaire 
eût traduits le$ Ê^mteM^ Maupevtms les atait AéfeiH 
dm h V^eadéitt^e^déa sefenees de Barigj il aY^itmème 
publié plusieurs, ttémoâ^efruelatira à ees gnnûe» dé* 
çouvertea, e| ees méinaivea jouiMàiefit de l'e^iîme da 
monde sa^nfc. Or , pendani que le maihématî^ien 
breton a'oeeupAitdeces Iravaux, pendarM qu'ait écri^ 
vait aoa discours, sur la figure des astrè^ , il était 
fort liAawa Yollairai qui l'appelait alors spn iaal« 



tre et Iqî pro<jiiguait lôs glorieux tilres de grand 
ttuuiiématicien $ dlÀveMmèdk ^ de Oiristophe CoUmib 
pour l0s découvertes teientàfiquesj ete^ ^ etc. Il y a Jaîii 
de 1^ à ^ diatribe dv d/otâmr Makia y satire mordante 
lan(^0 par l'auteur de 2S(&ne à l'aeciision de là qw^ 
relie entre Maupertuis et Kœnig. 
. AueuDi homme n'a jamais possédé à un plus haut 
degré que le pbi(q$opb9d0 F^my l'art du sarcasmei; 
seseno^G^is, euftsent'^ils, eenti fois raison, étaient sans 
o^aie. rqeftfu^ de tQie^er aoua le ridicule dont il les 
aqoaU^tt. U faut reconnaître qu'ici Maupertuis prè«- 
(ait)e.flan(^; ajuai,: i) a^aiitiniaginé de ne point payer 
les méiteoina loraqu'îlsr w guérissaient pas les m&r 
Ia4^; U^a\i(aît dôvaontrer Dieu sAi mayen d'une 
forn^Ule algébrique 5 diaséquev des cerveaux d'bom^ 
me» vivons aOa de sonder la nature de Tàme ^ faire 
un trou qui all&( Juaqu'au eentre de la terre, etc» 
Voltaire fit pleuvoir sur toutea cas rêveries un àér 
luge de boûfiJonneries que toute TEurope aeoueilUt 
par w rire inextinguible. San Arebimède^ son Chfisto^ 
phe Cohmh était devenu xm raisonneur esUvavagoiUj 
un philosophe insensé* 

Le roi de Prusse , qui avait défendu à son philoso^ 
phe de se mêler de cette querelle, se fftelta et Toi- 
taire quitta la cour de Prusse en 4763. Mais il em- 
porta sa haine avec lui et lança de nouvelles satires 
contre le président, qui lui envoya un cartel auquel 
Voltaire répondit par des iNouffbnneries nonvei^ 
ies. Frédéric 11 te fit «rrêter à Francfort , atee ^ 



9 ' 

232 HISTOIRE DES LETTRES. 

nièce madame Denis , qui était venue Ty rejoindre. 
Le philosophe de Ferney s'échappa enfin de T Alle- 
magne, après avoir rendu les poésies de Frédéric. 
Il ne traite pas le conquérant, dans ses mémoires, 
avec beaucoup plus de respect que le mathémati- 
cien. 

Son absence dut faire un^ide énorme h la cour de 
Prusse ; la conversation de Voltaire avait bien plus 
d^attrait que celle du matérialiste absurde La Met- 
trie , du Vénitien Algarotti, homme instruit cepen- 
dant qui , lui aussi , avait étudié Newton, et publié 
en italien un livre intitulé Netvtonianisme pour les 
dames j du baron de Polnitz, avec sa longue série d'a- 
postasies , du marquis d'Argens , auteur des Lettres 
juiueSj qui avouait lui-même que ses dogmes dépen- 
daient des saisons. Singulière académie que cette 
cour de Berlin , où tout ce qu'il y a de plus élevé, 
de plus saint et en même temps de plus réellement 
philosophique dans les croyances de Thumanité, 
était sans cesse livré au sarcasme étourdi ; singulier 
grand homme que ce roi, qui donnait sans cesse au 
peuple l'exemple de Tirréligion , de la révolte con- 
tre les traditions du genre humain! 

Maupertuis lui-même fut obligé de quitter la 
Prusse en 1756, il y souffrait de la poitrine et y fut 
pris de crachemens de sang. Cet écrivain passa deux 
années dans sa patrie , et alla mourir chrétienne- 
ment à Bâie, en 1759 , près de M. Bernouilli. La 
haine de Voltaire ne s'éteignit pas devant un cada* 



BIX-HCITIÈMË SIÈCLE. 233 * 

tre.-il écmit, avec ce ton détestable qu'il prenait 
malgré lui dans ses moméns de, mauvaise passion , 
que Maupertuis était mort entre deux capucins. 

Pourquoi donc tant d'animosité? Est-ce seule- 
ment parce que Frédéric II rendait hommage au 
mathématicien? N'est-ce pas plutôt parce que Vol- 
taire était loin de son rival en mathématiques et 
dans tout le domaine des sciences? Le Tait est que 
Maupertuis avait mieux interprété Newton que le 
philosophe de Ferney , le dernier ayant mêlé aux 
immortelles découvertes du grand géomètre des 
idées erronées et frivoles, dans le genre, de celle-ci » 
à propos de Dieu: Cet être intelligent est-il abso- 
Iami>nt distinct du grand tout qu'il anime? Exister 
t-il à part ? Voltaire renfermait ainsi dans quelques 
paroles étourdies toutes les absurdes théories pan- 
théistiques de Spinosa , et cela eu se jouant , sans 
trop savoir ce qu'il disait , et au moment où il vou:- 
lait faire connaître à la France les découver te$ du 
plus savantennemi du panthéisme. Voltaire avait un 
esprit qui saisissait avec une prodigieuse facilité les 
superficies de toutes choses; mais sa mobilité, sa lé- 
gèreté^ son inconséquence , sont réellement sans 
bornes. Il ne peut s'en affranchir même en lace des ; 

idées fermes et sublimes de Newton ; il émet à quel- 
ques lignes de distance des opinions qui se com- 
battent et se détruisent, et cela sans avoir le moins 
du monde l'air de s'en apercevoir. 

Cette Académie de Berlin , que Maup^tvis avait 



présidée; eptendit la lecture d*wi élqgefoaéèrede 

La Mettriez cmnrage de Frédérie II ^ tMe fêta ctaut 

ronnée qui pcAchaU h matérialisme aq peuple; 

maîa, malgré cette aberration royale^ il s'était foKmé 

au sein même de TAcadémie un parti de philosophes 

chrétiens» Les LeH^ea cùêntohgiquês de Lambert sont 

une démf^nstration ^equente deTeoiistencede Dieui 

démensfration pmsée dans lesÉlémens pbilosephi* 

que» de^ Newton ; et tes lettres d'Buler g éerttem eu 

françàkà la princesse d'Ântiah , tour du roi éif 

I¥usse, Mmt spiritualistés et chrétiennes^ 

^ Voltaire , après avoir quitté la I%*ttsse ^ eherobi 

i négoicier son yetovr à Paris ; mais plusieurs de çei 

écrits obscènes et antireligieux agitaient cette capi** 

taie ;)\iutefir craignit pour son repo€l, et, aprèf quel^ 

qt^ mois de séjoor à Ckilmar, il se retira dans une 

belle^campagne nommée ks^ Détice», qu'il acheta près 

de Genète. Des troubla étant survenus dans c^ttê 

petite république, Yotoaire fut inquiété par les 

deut partis qui raceusalent, |u$tement sanadoiMi 

de Hre de leurs querelles. H se fixa dans upe terre 

i vine lieue de Genève, dans ie paya de G<»i^ C'était 

un désert presque inculte, qu'il fertilisa eon^mepar 

enchantement. Le village de Ferney, qui necontenait 

qu'unecinquantaine de paysans, devint, grâce à loi; 

ufiecolome de douze cents personnes. L'industrie, 

principalement celle de l'horlogerie , ne tarda pas 

à y prospérer. Quelques nobles actions de ^^oltaire 

se rattaetietti ^ cet«^ époque de sa tîe^ l'asile et la 



lltand Cepneilièi et ta itébdbilitdtioii delà méiâoirè 
de Calas et deSypvén. ^ » 

Un |èttM hotttme mettrt A Teiiiéufsë dansiifiié fa- 
mille pMtQstftBte } dê8 |mMi<yti^ à^^^crugle» troublaient 
alors eeiie populatieit ; il se reix^ïmrè ttn ms^lstrdt 
iiisetfsé qui éooiMâ des Mmeur» tMtismgères et m- 
«use M* Galas fiârç d'àvoin a^^sainé soq Aïs d^M 
la orâiifte que m )ëtiB6 boLiuBMi, enlpalaé vera le oa^ 
tkûlicisme, nVemhpasftàt otife n^i^i«|ii l<o pavlement 
eûAfipide le lugemàni dii lidbiinal. rii£ériettry Galai 
est condamné à mort d'après des témoignages aaos 
vftieiH*. Le iniAèaidnt bvaît. abstins \& femmd^ lé& fils 
el lea lîUe^ dfi^rkifiurtnaé ; îk se néfogièrent à &eU 
aève^ bt aUèreni )lMiihfir ^wl pîeâs de VoltAÎM qfui 
ealrq^it de réhabiUtèt ïà mhofiiart de Ckàlas eB< mn^k 
t)àtisât leibiiatiamey éterael objel cte sa haine. L'fil»*^ 
Fope jBeioUa M dîstvsine lift namsuti ées ntaVbmtri 
l'uae gfiBéive tenfihké |mwd éoeuter l^aoléu^ deiîû^ 
pfad^epila cause dç €Salaa« H né se eenteaie p9s de 
défendre lukméiii& m Hiémeîre , il eapôKe le zèie de 
deux ameatj; oélèbtesi Êlie de BeaaaM)ué et Loîseag 
de HàulécR]^ qui ptubHeiM d^^iabiks éerha sup 
cette dé^ra^d ccmddiiiâatîMi tVrat le menddi les 
Cugaines , ks enfanfi^^ parlaient de Qalas est de Vohaire 
aifec entbousiastte) kW rètdu parlement de ToukMiee 
fut oassé et la mémoire de Calas réhabilitée par uû 
(ribonal demattve&dea requêtes. Le roi ef donna qii0 
ie tpéyop iadeomisepMt cette famitte d^t les bîeM 



it36 HISTOIRE DES LETTRUS. ' 

avaient été confisqués. Lecapitoul Dâvid,.détorédu 
remords d'avoir condamné un innocent, mourut 
dans un état de démence. 

Peu de temps après la condamnation de Calas, la 
fille de Syrven, autre protestant du Languedoc, s'é- 
chappa d'un couvent et se noya dans un puits. Le 
peuplesupposa que c'était un nouvel infanticide^ et 
le père, épouvanté , prit la fuite , fut condamné par 
contumace, et alla aussi trouver Voltaire» qui par- 
vint encore, après plusieurs années d'efforts , à le 
faire réhabiliter par le parlement de Toulouse lui- 
même. 

L'histoire des tribunaux du dix«-huitièmé siècle 
doit faire aimer le temps où nous vivons; notre ju- 
risprudence criminelle était encore alors dans la 
barbarie. On se rappelle l'exécution du jeune La- 
harre, condamné comme convaincu d'avoir brisé, 
pendant la nuit, un crucifix de lx>is sur le pont d'Àb- 
beville. Voltaire écrivit du sein de sa solitude tout 
ce que la raison et l'humanité pouvaient inspirer 
contre une rigueur aussi abominable. Mais les mm- 
gistrats étaient fous, et cette fureur s'augmentait en- 
core de la crainte qu'inspirait justement ce dâM>rde- 
ment d'écrits irréligieux et obscènes qui inondaieiit 
l'Europe depuis quelques années. Il y avait de tous 
côtés, et comme dans Tair même de ce siècle, un 
délire effrayant qui devait enfanter des catastro- 
phes sanglantes. Mais qui jamais verra dans les as* 
sassins de Galiis et de Labarre des hommes religieoi) 



i^ik-fiuiîiÊiie SIÈCLE. âà? 

écrivain sensé accusera de sas meurtres notre 
graod culte qui en est aussi innocent que la saine 
philosophie est innocente des crimes de la Terreur? 

Voltaire intervint dans le procès de Lally airec le 
même zèle que dans ceux de Calas et de Syrven. 
Ses ennemis ont dit qu'il n'avait été guidé que par 
ses fougueuses passions, qu'il ne voulait que saisir 
Toccadion d'accuser le catholicisme des crimes des 
hommes.' C'est une joie que sans doute il s'est donné 
souvent; mais il nfe faut pas méconnaître une autre 
tendance de son esprit , qui était chrétienne sans 
qu'il s'en rendit compte : nous voulons parler de ce 
penchant à défendre le faible contre une législation 
cruelle , à proclamer les droits de l'opprimé » à faire 
verser des larmes sur son sort , à lui donner pour 
appui la commisération de la société* C'est là le 
beau côté de l'esprit de Voltaire, et, encore une 
fois , c'est dans le christianisme qu'il avait puisé ce 
sentiment. Il avait beau , dans son inconcevable 
aveuglement, écrire à Helvétius : « Nous aurions 
besoin d'un ouvrage qui (It voir combien la morale 
du vrai philosophe l'emporte sur celle du christh" 
nime;.i^ la morale du vrai philosophe, tout ce 
qu'il y a de beau dans la science même, se trouve 
dans l'Évangile. 

Du fond dé sa retraite , lé philosophe de Ferney 
dominait l'Europe; on redoutait plus sa plume 
qu'une armée; les rois le flattaient , les philosophes 
aiteudaietit ses ordtes à Paris et le^ exécutaient avec 



240 UtôTÔiilE ÛfiS LËttREl^. 

plus saisissante, compliquer les intrigues^ éniou* 
voir plus vivement 11 a peut-être, en effet, cet 
avantage sur Corneille , et principalement sur Ra- 
cine; mais c*est le seul qu'il soit possible de lai 
concéder, et il le partage avec une foule de faiseurs 
de drames venus depuis le dix-buitième siècle* Quant 
à la création des caractères , à la réalité des person- 
nages dramatiques, Voltaire est sans aucun doute in- 
férieur aux grands maîtres deTarttragiqneen France. 
Gequi lui manque surtout, c'est la bonnefoi, c'est de 
concevoir son art sérieusement. On sent à chaque 
instant que l'auteur de Mérope met l'esprit à la place 
du sentiment; il y a du charlatanisme dans sa ma- 
nière; il rit presque de ses oeuvres, dès qu'il est 
sûr que les autres n'en rient pas. La première con- 
dition de la nature des poètes de génie est une naï- 
veté sublime. Que pense*t*on de la naïveté de Vol- 
taire? 

Sous le rapport du st^Le, ce poète est resté fort 
loin des belles pages de Corneille et de l'œuvre pres- 
que entière de Racine. Les personnes qui savent ce 
que c'est qu'un vers français (et le nombre en est 
moins grand qu'oo ne le pense) ne compareront 
jamais le style de Zaire et de Mahomet à celui de 
Phèdre ou des Horaces. * 

L'œuvre théâtrale de Voltaire n'a pas de solidité; 
une actrice de génie vient de redonner à Corneille 
61 à Racine toute la vogue des premiers jours. Qu'est 
devenu Voltaire dans cette renaissance? 



t>l)C-HUITlÈIIE SIÊCL£. 241 

Il a cependant passionné son siècle comme poète 
dramatique^ et nous le concevons, car son théâtre 
était une sorte de chaire d'où il répandait les idées 
nouvelles qui furent la véritable passion de son 
époque. C'est un défaut au point de vue de l'art, 
mais un défaut qui engendrait la popularité; et 
d'ailleurs Voltaire avait des facultés plus que suffi- 
santes pour enthousiasmer ses contemporains. Il fut, 
pour nous résumer, l'élève le plus heureux de Cor- 
neille et de Racine , mais jamais il ne prendra place 
auprès d'eux dans l'admiration de la postérité. ^ 

On s'est toujours étonné que Pesprit mordant de 
Voltaire n'ait pas mieux réussi dans la comédie; 
presque tous ses essais dans ce genre furent mal- 
heureux. L'/fu/t^cr^r^ UzFemmequi a raison ; ta Prude, 
le Droit du seigneur, PÉcueil du sage^ la Comtesse de 
dmyy le Dépositaire ^ etc., n'ont eu aucun succès à 
la scène; l'Enfant prodigue^ Nanine et l'Écossaise ont 
été applaudies, mais le peuple qui a produit Mo- 
lière ne peut considérer ces comédies que comme 
des œuvres très-médiocres. 

Dans la poésie légère , dans les pièces fugitives (c'é- 
tait le mot consacré alors), Voltaire est réellement 
supérieur à tout le monde. Personne n'a égalé cette 
prodigieuse facilité , cet esprit charmant , cette 
finesse gracieuse. Les Êpitres et les Stances sont une 
sorte d'autobiographie poétique qui commence en 
1707 (le poète avait treize ans) et ne se termine 
qu'en 4778, année de sa mort. « On ^uit ainsi le 
vu. 16 



9i9 HISTOIB^ DES UTTRKS. 

cours dçs 9entimens de Voltaire depuis i^on eufaBce 
jusqu'aux deraierç jours de 3a vie : toujours il leur 
doRfia les Ver$ poup interprètea. Tantôt sa musej^ 
çlugitô les au^Qurs légères et voluptueuses de fa jeu-* 
nesse , les ch^rrqes d'unç vie facile et épicurieime, 
les plaisirs de l'amitié, le$ mççès de l'amouri^opre} 
après elle s'est eotreteiiqe avec, les spiepees et les a 
animées de spu feu; plys tard elle est entrée eu coni- 
mçrce avec les ri>is et a prêté à la O^tt^rie le masque 
de la famili^ité; puis elle s'est plu à peindre les 
douceurs de la retraite et de la liberté 9, le décKn de 
Tàge , la fin àes aiPQUrs ; enfin ^ qiU^nd elle a été 
QQufidentp de la vieillesse ,. elle a exprimé cette in^ 
certitude continuelle d'opinions , celte variation de 
principes , cettQ triste légèreté sur tout ce qui im- 
portç^ 1q plysî à rhonunei et cette inquiétude de car 
raçlère que l'âge n'avait pu calmer* Mais do (qoîds 
les poésies ^ ces derniers temps sont le plus sou- 
vent sans^ déshonneur pour leur auteur, tandis que 
tQus les pamphlets obscurs^ les facéties en pro^, 
les brochures clandestines, que ses amifi lui deman- 
daient et i|^'il leur envoyait avec tant de compbi- 
saxiee. 3^ sonfc en, général indignes d'un honnête 
homme '. 9, 

Il nous sei[nble que , sous le rapport de l'an, les 
pièces écrite» entre soixante et qualre-vingtss ans 
sont plus remarquables que les précédentes ; elles 

^ De Bartntt. 



réS^fli dtté ïà«ldo<iiliê qâë lU kafilid ciel rëspni 
donne ici à 1» pùiàî^ flë'^dttàfrë iild ëdftctôré pléiti 



- P(Ai»(^6i -iSutiir t^'ë M fié gfàl^e ët^è tkleiie 
«»{6hr é<ftifllêg- |i9r> f^ Vtmdl pkt 'âéê 6^\Hmi 
éttimm-pktéësii^sm^Uiiik Se pâssil^iî sHt 
kg hbtt'jâër et m eho&SS dé' f histoire ? L'eâ éôiiCes/ 
en irei^ râppsUëlft' siduvéii§ dè'toutéJ ntàniêrës cèùi 
de iia' Pttl){«f«é| tëS^th%^; Sf ëifts né sTdn't pas tou- 
jours jiniïibs; 8(^Mt dû «nôitfs {tfdjéiré i^or^efntés; fésT 
distoore^n Ws «flt'dé'lsT j^Yôfotifleàr éft dli tt'érf : lîiàis 
les plus grâVë§ é^è^s pÛHHsb^Ûîciiik^, k mènent à' 
abâ()Qéirïli1àffA:â^ii ttteHtéurâ'vëi^. (^MVây Àdes, 
it est itkpo^^Ië' a^étihblièrpiu^'èoffi'^Ièirà^ëht'; Vol- 
tsifë màfÀqAaft'cfêià'fla^ïfiè c(a! itîs*|^i^efe bdihé poé-' 
sie lyrique : que pouvait-il faire avec siû' espdt de 
8tt/(âsà)ë,' Ûë doWté' e< die âédà/n âSlk^i^ |ëiïré de 
poésie dètit lè^é eéf l'è' gr^W(t màltr'èV tèé poèmes 
i'apém ffèràutéûf â^^àrè Mi t^M fartai lés 
plàS li/édio'cr^. àlf nbâî^ dlèpWoù's l*iVr4ligion et le 
sëAsuaffisWédë plusieurs' p^éiéâ ftîgiïivèsâé Voltaire, 
que dif e dé èc^ ôdfeùii pôè'iSaè de la buàrè de Genève 
et dé ce p6'éhi'é*diè'J*Mne d'Arc,' qui ési? une véritable 
ignominie p'ôùV sfè'i^ ài!ltëur ? CoïaÈlmént s^'esl-if ren- 
contré en France uii hoâimé aésëz éhohté pour éalir 
l'héroiné là plùls sôblilniië que leé annales du monde 
entier aient jamais présentée a radmira'tion dû genre 
humain ? Ce poème sacrilège tràihé dans la bôiié 



244 HISTOIBE DES LETTRES. 

tout ce qu'il y a de plus sacré, la religion, la iM)reté 
de la femme^ la gloire de la patrie. Il n'y a paB d'est- 
pressions assez brûlantes pour le flétrir. 

La passion de tout refondre , au point de vue de 
ses préjugés , dévorait Voltaire et le porta à $'occu- 
per avec ardeur de Thistoire. Son premier essai dans 
ce genre a peu d'importance philosophique; c'est 
un récit rapide et intéressant , une narration très- 
bien conduite. L'auteur avait rencontré en Angle- 
terre le chevalier Dessaleurs, long- temps attaché à 
Charles XII , dont la carrière aventureuse faisait en- 
core gi:and bruit dans toute l'Europe. Voltaire re* 
cueillit de la bouche du chevalier les renseignemens 
les plus curieux, et composa son histoire avec sa 
facilité ordinaire, pendant quelques mois de soli- 
tude à Rouen. L'ouvrage parut en 1731 et obtint un 
grand succès. 

Le Siècle de Louis XIV ne fut publié qu'en 1752 ; 
Voltaire semble avoir abdiqué ici son esprit de sar- 
casme, il n'a que de l'admiration pour cette grande 
époque dont lofasleetlegénîe l'éblouîssent. Il n'a- 
perçoit rien de mauvais dans le despotisme et dans 
l'orgueil du grand roi , il se prosterne devant celte 
puissance. Elle a été jugée plus sévèrement depuis. 
Le Siècle de Louis XIV est écrit d'un style clair et fa- 
cile , mais sans éclat et sans profondeur. Rîen n'y 
provoque la pensée; d'ailleurs les divisions de ce 
livre sont peu rationnelles : cela ressemble à une ga- 
zette. Un pareil ouvrage n'obtiendrait aucun succès 



i u 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. 245 

aujourd'hui : pour Voltaire , la civilisation com- 
mence à Louis XIY , il semble que notre vieille et 
glorieuse histoire n'existe pas. L'enthousiasme 
J'égare ; cet esprit si vif ne sait presque jamais 
garder de mesure, dans le blâme ou dans la 
louange îl faut qu'il soit excessif. Le Précis du règne 
de Louis JÎTest fort inférieur au Siècle de Louis XIV. 
Un examen consciencieux était ici presque impos-. 
sible. Quant à l'histoire de Pierre-ie-Grand , elle 
est aussi très-inférieure à celle de Charles XII, et 
d'ailleurs remplie d'inexactitudes. Vollairea réelle- 
ment fait de l'histoire un placet et un pamphlet ; 
M. Viliemain a dit spirituellement : « Il se recom- 
mandait à madame de Pompadour de tous les mé- 
nagemens qu'il avait eus en parlant des maltresses 
de Louis XIV ; et il n'était pas fâché de plaire à ma- 
dame Dubarry en composant une fautive et satiri- 
rique Ht^^oire du parlement de Paris; enfin, lorsqu'il 
écrivit, avec plus d'esprit que jamais, les Mémoires 
de sa vie, mêlée souvent à la politique, il surpassa, 
en parlant du roi de Prusse , la licence de Procope 
ou de Suétone. » 

Ce n*est pas, au reste, dans les ouvrages que nous 
venons de citer qu'il faut rechercher les idées de 
Voltaire sur Thisloire, c'est dans ï Essai sur les 
moeurà et l'esprit des nations. Cet ouvrage, commencé 
à Cirey , en 1740 , fut travaillé et retouché par l'au- 
teur pendant vingt ans; il reproduit les études, les 
réfli.>xions, les préjugés et les passions du philosophe 



246 m^i[Oi|E igiçs tj^i^ss. 

excité ii.i;\e ^^{[çiraliftn .g^ï\ér?le pfl Kmopç^ et Y^ol- 
ts^ire re,^^iitia\it péce§spvçiï\çnj l'ipflsiepcp ^ twle 
relijgile^se g?ceç<}ég; par ^ QbeWœuYredu :gwnd 
^otnme. ^l répoJ[\it 4PflÇ 4q 6Q«Bb^^^ le, cfciirUtîa- 
Qisçoie p^r rj^isl^qt^e même , e( i\ i^it à ç9lt«^. <^tre* 
prise ^ou^e 1^ ^ugji^e'dç s% i^^iç.ç. 

Ses^RiTi^çîiiçfS çl^pîtr^j^jV rOri^^ aw.Iç Ckine, 
rjn(}e^ l'Arabie , contiçQqp^t, téwt ce ()Uû l'on isavatt 
d|3 ce^ çoqtr^jçs alprs piQti. çip^k)i:ées; quand Fauteur 
arrive a^ j^e.uplç jui^ ^a guerpe acharnée oommence, 
efih waj)Lva|se foji la ptus^imigne préside à ses élu- 
des. Les pi^QpbMes T^ lui iobpirenï que. quelques 
^i^ur^djQS pl^i^qiyQ9:ijQ3 ri^éléc^ lûAg-temps dans tpus 
les est£^iniiiçtjS.diU.ieQyaua}e, Pnus une tviàtbirie géné^ 
rale« pa^ynisieijd cbapiiLre n^'e&t consaçné à.' l'établi&- 
sement 4u. chrisUanisEne ; yaùteqr, sem^bla ne pas 
\0\f^ Ici pjaceprodigiçuâe. occupée par le Christ dans 
les a»nales;d€(s pçupleSjf Son a^réBiatioii àe, là Grèce 
et.de Rome esL fort incQmpIèlë. Une confiprend^niea 
au moyen âge^ qu'il traite avec une. ignorance dé*- 
daigneupee, réellement étonjoante. 6uisq}i*tl> n'a pas 
m ce que. le Chris! était tenu fàîrp sur la. terre , il 
nja pas pu apprécier davantage la mission des Am- 
broifie et des Augustin» Lés Grégoire Mjl et les In* 
nocent. ILL lui paraissent des moines intrig^ns et 
voU^.tout» Ii'œù.vre de TÉglise. es^t. pour lui^ lettre 
clofe* L'a3(euglement9e saurai^ aller, plu$ loin , et 



voas croyons jnsqu^A tin certBM péiM à ceMe hsllU'' 
eiiiaiimu Mais s'il n'y aTÛt pa» ev «veaglemenl ^ et 
9Îto«& cescrhaes d<'hÎ8tQrieii<aV»iM été commis 
KieiDiiient^ pour servir les pàssi<»ns éè^ l'amieup con-« 
Ife la retigioD^ jamais menleâi^ptus eSfonté n'auvsfH 
ièm me plume et n^edî été plds di^iie>dtf mépvié 
de la soeiété^ L'Esêéi sur fe» nfiûnm offn de belles 
parties : en a toùé ^ avec raisM j fé^ portrait de saint . 
Loui^ la ronarssaneey certaîhes parties da* seizième 
8iëcle<^ Te récit des grand» évènemeiiS' aceomptttt 
tousi GhwIesHSioint , Henri* tV et Louis- XIIL Heie 
ëans FeneemMe ee'thnfe esvftiiiit et eonséqiiemtoetit 
dangereux '. Ses bons côtés sont le seMimem.de 

* Jfe rie' veui pas- ^ronoûter ce jogétnenV séVèw rtir lerprin*- 
eîpal owFAge' hkt((i*x{a0'de Veltafrc^ saAl^ â^^afipayeVde^ raftL-« 
torité è» qaellines koramfas ailpa!tft«ilaBi;daaimotrertempf«ax 
opinipilA phâosoghiques el lîbéiuJ««. M« da Barooto* a dit.: 
« L'essai sur les mœars des nations mérite un bLîme plus 
grave', on y retrouve totales les tracça de cet esprit de secte 
adopté par Voltaire dans Içs derniers temps de sa vie. Sa haine 
de la religion lejettë fréquemitient daJiis ili mauvaise foi et 
le mauvais goût'. » ÇPaHleàti ée ta llkéfattkre'fl'tinpiiU*aa dix- 
huitième siècle,) 

M. Victor Cousin a écrit dans son cours de 1818 : « Vol- 
taire a eu le mérite d'introduire dans l'histoire les mœurs des 
nations et les détails de la vie privée : c'est quelque chose: ^ 
Voltaire, il faut le dire encore, al&senliment de rhumaiiitÔ^, 
mais ce sentiment, mal dirigé par une critique sans exnct!tude 
et sans profondeur, dégénère constamment' en déclântatloilt 
assez bonnes dans d'assez mauvaises trstg^es, mais qol lia 



249 HISTOIRE DES LS9TRES. 

rhamanité, la tendance habituelle de Voltaire à 
combattre les rigueurs barbares des législations di- 
verses. C'est par-là qu'il a réellement servi la cause 
sociale. Les Annales de l'empire ne sont guère qu'une 
nomenclature aride et sans critique, la Philosophiede 
t histoire^ dont Tauteur a fait depuis VlntroducÉionde 
son essai sur les mœurs 9 est la partie de l'œuvre où se 
trouvent le plus d'erreurs incroyables et de plaisan- 
teries indécentes. Guënée et Larcher mirent ce vo- 
lume en pièces, démontrant à Voltaire qu'il parlait 
d'hébreu et de grec sans en entendre un mot, et 
qu'il n'avait sur l'antiquité que les notions les plus 
superficielles. 

Voltaire a rendu à l'histoire un service dont il n'y 
a pas le moindre gré à lui savoir: en frappant ainsi 
en étourdi, à droite et à gauche, il a forcé les histo- 
riens à examiner les faits de plus près et à rectifier 
bien des assertions acceptées jusqu'à lui sans con- 
troverse. 

Les élèves qu'il fit en Angleterre, Hume, Robert- 
son , Gibbon, écrivent avec plus de dignité que lui; 
mais ils n'ont pas cette manière libre et originale 
qui lui a donné tant de lecteurs. 

Talent rien dans l'histoire , où la passion et le sentiment dui- 
vent faire place à L'intelligence.D*aillears, quand on s'emporte 
si violemment contre ce'qui a gouverné si long-temps l'espèce 
humaine , au fond c'est l'humanité qu'on accuse ; car enfin 
un état, une religion ne s'établit pas toute ^eule, etc., etc.* 



L'Essai sur les mœurs et Tesprit des natioi^s ne 
suffisait pas encore à Voltaire ; il n'y avait pas dé- 
posé tout ce qu'il voulait dire aux hojnmes sur la re- 
ligion, la philosophie et T histoire* Aussi il se souvint 
du dictionnaire de Bayle , dans lequel il puisa lar- 
gement, et jeta toute cette suite d'articles dans un 
ouvrage qu'il intitula: Dictionnaire pbibsophique. Il 
n'est guère possible de démêler un système arrêté 
chez cet écrivain ; rien ne ressemble moins à la gra- 
nité d'un philosophe que cet esprit léger, étourdi^ 
moqueur, rieur, qui va sans cesse d'un sujet à un 
autre, semant sur sa route mille idées qui se croi- 
sent et se contredisent. Le Dictionnaire plnlosophi- 
que a tous les caractères que nous venons d'indî^ 
quer, tous les défauts de l'Essai sur les mœurs et très- 
peu de ses qualités. L'auteur s'y montre plus hai- 
neux que jamais contre l'Église , il ne voit le plus 
souvent que les abus causés par les ambitions et les 
passions des hommes, abus reconnus depuis long- 
temps par tous les catholiques et châtiés par l'élo- 
quence de tous les grands hommes de l'Église; il 
n'aperçoit pas l'immense mission civilisatrice ac- 
complie par elle, ou plutôt^ s'il l'aperçoit, il cherche 
à en effacer le souvenir. Il ne recule devant aucune 
peinture obscène : certains chapitres rappellent la li- 
cence de Pétrone. Le Dictionnaire philosophique est 
donc certainement un des livres les plus corrup- 
teurs qui nous aient été légués par le dix-huilièroe 
siècle, si fertile en ce genre d'ouvrages. 



Il va sans dire cpe de téltes audaces liioralé^rient 
contre Voltaire unie oppositioh ardente. L^àbbé t)es- 
fontaiiiés, quelque temps son aiùi^lè cfoinbattit i 
outrairce darrs ses écrits pértodîgiièis , le NbuvetR^u 
du Parnasse j Observations sur tks écrits modernes^ Juge- 
ment mr $es ouvrages nouveau^ , etc. É^abbé lyesfbii'» 
laine», fCcond traducteur d'un asséi grand timbre 
d'ouvra^sai&tiques et modernes, était un crittqute 
souYent méi'dànt etpassîomiè, que VôltâiVe détes^- 
tait, nioîns encore toutefois qtf^Élîe Préiroti , né à 
Oùhnpei', enliri®, élevé chèaf tes jésuheè ëtasso^ 
cié d'abord» aux travaux dte c^îdqiie de Flabbé. Les 
Lettrés dé madame la cùtntessey publiées en f t'W, fi- 
rent connaître à Ka France Tesprit mordant et déH^ 
cat dé cet écrivarn que les auteurs châtiés ont reprét 
sente nécessairement spiis dei^ couleurs assez fans-^ 
ses. 

Fréron fut un journaliste éminent, tout ce qu'Un 
journaliste pouvait être au dix-btiîtfème siècle; sottî 
le titre de Lettres et à^'Année littéraire j iï publfe régu- 
lièrement, pendant plus de vingt ans, jbsqu'ën l*7lf9, 
année de sa mort, des- articles dé revues réunie en 
volume. 11 ftit d'autant' plus' haï de Vohaiîre cju'îl 
eut trèis-spuvent raison cotitre lui: presque tous ses 
jugemens ont été confirmés par la postérité. ïl a 
représenté Ib philosophe de F^erney comme un pla- 
giaire habik j comme un poète brillant inférieur à 
Corneille et à Racine, comme un historien élégant 
mais inexact. Préron défendit en toute occasion Tes 



. «Xf HsintaE: cifteu; 4ÏK4 

MlàM fihtitMiiiite <Mmtre'l«i iitaqHetdelaphiiQ^ 
fiopbî^d'ftlws. Qâaft les (tem^ea aiîBétft de là vie 
4a'oritik[iM.# la colèba deyottaipaii'eiitpiMtiekw-^ 
aefi ijr^on; cbaMAt A'aiBQie traloÀlsiia toÉtiiii:rârk 
«^ dtoai isa* eomédia d6 Ibfivo^dto \i èi phikqoplii 
de Fûriuay lgit«aiVcliaq«e meU| uAa satîm brfttante 
caotee; Ft é9€o ^ éoptt^ ]N(Ntttta>, «naen^ paé ràdê^^ 
tidbley cantria lihêUànista Larbbei^ ipiài^ Mmi 

tfàfiaiffÀdafiMda^nnmii awrl'aittiqiHtdgiieaqae, oonr 
toQJ6.pè|re;]at!Bcbbiar,.aaNaut ôam^aeNentmi réténé, 
qui/ de allait jaan|sJddo«pé de HaiAeiir du^ jDMkÂi^ 

8pÔ€iatea)0iiti rânira l^héi&çiéaéè, ér adil ei «pii^ 
taak aûteùr/d/iUbouNcage dcèsHséièbaet ihéE^ii^dé 

^i Yollèire ne eoioprenfrit guère l^'Gréca^ H né 
ecuiiprefiait pas <fo tout lea Hiéb]^^^^ ^ ses écrinsr 
fikiviipifteiit dea pipa iàcvôjtabtea' erfetirs danis leâ 
paitieâ.^ trâiténl) à^ 1> fifièlâ et' de l^lifaïoiré^dés; 
Iui6« Défà^^ «p: Angte^PM ^ le âavaiï^ Warbûrtôtt 
s^élaîl isliatfgé de céiftitér - le ptntoiophê^ d^ - FcMeyj 
uni dluiftnéià Boôdéato ^ m^ ^{irta>, éombitlîfr aeér 
étraii|;e8 asseritioDa:^ inaiB-oé^ deiix ébr^aina eurent^ 
biëihmoiiia de net^Uafiedoieated t^ratièé quef'abbér 
Guénée , né ea Vtit^èi mort ea 4808. U' eut sous/ 
laa. y QUi tous lea graads^ spectacles du di^^huitième* 
sièale , il suivit lea progrès de eettei philosophie 
bruyaata qai^ ab<>ati»' à^ Tablme db^ 179Si, parce 



252 BISTOIRE M8 MTT1IB8. 

go'elle atait méooonu la source de toute science. 
L'abbé Guénée ne put voir sans horreur Tôrgie in* 
teliectuelle de la seconde moitié du dix-huitième 
/Néde; il étudiait les litres saints dans la langue hé- 
braïque 9 admirait profondément Tésprit divin qui 
émane d*eux à chaque ligne, et s'indignait de Fé- 
tourderie ignorante et sacrilège qui osait les traves- 
tir et les livrer au ridicule* U écrivit donc ses Let» 
trè$ de quelque Jvtfs , et jeta le ss^rcasme sur le 
prince des rieurs ^ avec uoe forme polie et réservée 
en apparence. Guénée démontra à.diaque page que 
rignorance de Voltaire rendait pour lui les livres 
saints tout-à-fait incompréhensibles, et qu'il don- 
nait aux mots hébreux des significations qu'ils n'a- 
vicient jamais pu avoir. Le savant abbé écrivait sans 
passion , sans colère , son livre est plutôt l'ouvrage 
d'un habile orientaliste qui défend la science que 
celui d'un chrétien blessé dans sa croyance. C'est 
de l'érudition et de l'esprit bien plus enoore.quede 
la foi. Voilà sans doute pourquoi le public d'a- 
lors daigna lire une œuvre qui attaquait son idole. 
Voltaire , qui méprisait si bruyamment ses enne- 
mis , convenait que Guénée et Fréron étaient spiri- 
tuels , ce qui ne l'empêchait pas de les traiter sou- 
vent d'i$nbécile$. Il répondit au secrétaire des Juift 
(c'est lui qui appelait ainsi Tabbé Guénée) , par un 
pamphlet y qu'il intitula: Un chrétien contre six juifs. 
Cela n'avait pas le sens commun, maisjamais il n'a- 
vait été plus étourdissant de facéties burlesques. 



l^a-ttOtTlËM E SIÈCLE* ^53 

Qu'était devenu alors ce génie i*esplàn(iîssant do 
clergé de France , qui avait ébloui le dix-septième 
siècle? L'abbé Guénée portait presque seul le poids 
de ce.^orjeux héritage. De la ebaire de cette épo^ 
que on m'a g^ère rete»u qu'on discoons du pérë 
Bridaine , discours plein îl'éloquence véhémente et 
de véritable grandeur. 

La colère de Voltaire sembla croître avec Tftge ; 
ses dernières années furent d'une fécondité inju«* 
rieuse dont rien n'approche. Les lettres, les pam-^ 
phlelSy les satires, les contes, les romans, pleuvaient 
de Ferney sur l'Europe. Les bouflPonneries les plus 
étranges excitaient dans un certain monde des rires 
inextinguibjies; c'était un esprit inépuisable se ré- 
pandant en toute licence contre ce que les hommes 
vénéraient depuis des siècles. Il frappait du même 
coup un abus et une chose sainte , insultant tout , 
Dieu et l'humanité, qu'il avait servis tant de fois en 
de meilleurs instans ; c'était du délire ; on se rap- 
pelle sa devise : Écrasons l'infâme^ et l'infâme (faut- 
il Técrire?) c'était la religion catholique. Le grossier 
langage de Luther fut renouvelé ; le roi des salons 
de Paris, le galant poète de Zaïre, prenait le style 
des halles pour mieux injurier ses ennemis. C'est 
un triste spectacle que cette absence de toute di-^ 
gnité et de toute pudeur dans la vieillesse , cette 
partie de la vie qui devrait toujours être consacrée 
à la contemplation de Dieu, à la prière et au repen- 
tir ; car queUhomme , même le plus saint, n'a rien 



. i^éliM). 4aM «M.dertûàreB littfléâà Vbilàilrâ i été 

çs|fl|iieaj^iiMiMaî«iit les ruinai' ; il cM|^at<aîtiiatef 
Ij^gHMA 41 la'fittorajte par des mcfoso^ges histori^é^y 
des saillies piquantes ou des imagés ofoscéries , et ^ 
^^jjt^typm de.foliei dpfdaudissait aTéc farbor: Aa- 
polj^nr H ^ktAayoilÂire'ifefil ne fut grand <fM|iairee^ 
qui Hr -était, antMtfè de pygméQs*/ Il y a' dti ^ï dafi^ 
Q9^ ju9eitt^M(iBAM!cefienriafit:î)! defa^ pas mécoiii*'' 
fisiHf evla prodigieiftoafctîvilÀ dft^ieifibmvQiâr Mffàbr- 
diq^^ra.y sb :puiasf«loe d^trodîvè i«i^> itnfttDèMé, 
L'^toQBa^me Bcilké» (lisç» esptk & karmiegévU^Oi 
i «^ iaite <]faek|uefoi9 pfeodire poul* M Iféikie Ifli'* 



VI* 



lEopitafqii^eii* — Jean-Jacques SLoasfean. — Baff»D« 



DeHX;hQD»mes seuls ont égalé la paissaoeeintel-t 
lectueUç de Voltaire dans lei dî^^l^uitiàaie.sîèele: 
Tua est Montesquieu, que Qous ^vqng rencontré en 
Aagleterre e^ même temps que Taiiteir de laâsn^ 
ri(ufe; TaWre, Jean*- Jacques Rousseau, que notts reih 
coQUreroiifii plus tard» 

Charles de Secondai,, baron de La Brède et de 
MoBteffquieUi d'une Simille distinguée de Guienne, 
naquit au diâtoaa de La Brède , près de Bordeaux ^ 
le 1& îaavier 4689, cinq annéea avant Voltaire. Il 
eut, dè&renrance, la passion de l'étude; son oncle 
maternel , président à mortier an parlement de Bor- 



256 ttl^TOlRt: bE6 LETTRES* 

deaux , lui ayant laissé ses biens el sa chiarge » il en 
fut pourvu en 1716, à vingt-sept ans. L'activité ar- 
dente de son imaginalion ne lui permettait pas de 
s'ensevelir dans les devoirs de cette charge ; la philo- 
sophie le préoccupait vivement; il y joignit l'étude 
des sciences naturelles » et fut un des fondateurs de 
l'Académie des sciences de Bordeaux, 

Au milieu de ses graves études, Montesquieu su- 
bissait l'influence de l'époque frivole dont Fonte- 
nelle fut pendant vingt-cinq ans l'écrivain le plus 
fêlé. Son esprit vif et brûlant se délassait de travaux 
arides par quelques essais de' critique audacieuse et 
mordante qu'il publia en 1721 , troisans après la pre- 
mière représentation d'CEdipe^ sous le titre de 
Lettres persanes, 

Montesquieu payait , dans quelques fragmens de 
Ce livre, son tribut au mauvais esprit du dixrhui- 
tième siècle en attaquant, d'une manière frivole, les 
hautes vérités de la religion chrétienne, et en pré- 
sentant des peintures voluptueuses de l'intérieur 
d'un sérail. L'auteur fut-it entraîné par les passions 
de la jeunesse , où comprit-il qu'il ne pouvait éta- 
blir sa réputation, dans ce temps dé libertinage du 
cœur et de l'esprit, qu'en sacrifiant à la mode? c'est 
ce que lui seul pourrait décider. Le succès fut gé- 
néral : les défauts que nous reprochons à l'auteur y 
contribuèrent sans doute , maisr sa renommée fut 
justement acquise par un style que l'on a comparé 
avec raison à celui de La Bruyère et de Pascal, par 



Dlt-AniTlÈMÉ SIÈCLE. 257 

des aperçus pleins de profondeur sur le règne de 
Louis XIY, sur toute la société d'alors, par une 
acerbe et incisive critique des abus qui pesaient 
sur la France. 

Le Temple de Gnide^ qui suivit ce livre , est une 
production bien plus frivole, que Montesquieu di- 
sait n'avoir écrite que pour des têtes frisées et pou^ 
irées. Voilà comment le grave auteur de l'Esprit des 
lois préluda à sa gloire. 

Alléché par les flatteries du monde parisien, 
Montesquieu vendit sa charge en 1726 et vint se 
faire étire ii TAcadémie française , après quelques 
désaveux de certaines parties des Lettres persanes 
exigés par le cardinal Fleury. 

Au dix-huitième siècle les nations ne se révélaient 
pas parla presse, comme elles font aujourd'hui; il 
était dès lors indispensable pour les connaître d'aller 
les étudier chez elles. Montesquieu s'arracha donc 
au séjour de Paris et partit pour TAllemagne; il 
causa souvent avec le prince Eugène , à la cour de 
Vienne, alla en Hongrie, puis en Italie. Les 
villes italiennes offraient peu d'intérêt pour un ob- 
servateur politique : cependant Montesquieu porta 
un regard curieux sur le gouvernement vénitien t 
qui tombait en ruines alors; il se lia à Venise avec 
le spirituel lord Chesterfield, qui le suivit en Hol- 
lande et l'emmena sur son yacht en Angleterre. 
C'était à l'automne de 1729. Il paraît, d'après 
quelques mots du grand écrivain , qu'il fut un peu 
vu. 17 



aSS HISTOIRE DES LETTRES. 

elTrayé de la licence de la presse périodique en An- 
gleterre : ces mœurs politiques contrastaient telle- 
ment avec celles de la France, que Montesquieu lui- 
même en fut surpris. Il revint de Londrœ après 
deux ans de séjour ; mais au lieu de publier légère- 
ment » comme Voltaire dans ses Lettres philoso- 
phiques, le résultat de ses observations^ il alla se 
renfermer à La Brède pour y écrire lentement ses 
Considérations sur la grandeur et ta décadence des £o* 
mains. Nous croyons devoir placer ici une page ju- 
dicieuse de M» Villemain , parce que nous la trou- 
vons utile aux écrivains de toutes les époques : 

« C'est une chose remarquable , dit-il , que ce be- 
soin de solitude qui préocoupa les grands esprits 
du dix-huitième siècle toutes les fois qu'ils voulu- 
rent élever un monument durable. Voltaire, le dieu 
de la mode et de la société, s'exila sans cesse de 
Paris. C'est dans une petite chambre à Rouen, c'est 
dans des auberges ou il passait inconnu, c'est dans 
le tranquille séjour de Cirey, qu'il jQt ses plus beaux 
ouvrages. C'est à Montbard, dans le dédain des frivo- 
lités de salon , que Buffon poursuivit ses grands tra- 
vaux et leur imprima » dans les longues heures de 
la retraite, quelque chose de la durée et de la ma- 
jesté de la nature. Enfin Rousseau lui-même , mal- 
gré sa vie errante ^ ses passions, ses querelles» la 
pauvreté lui donna la solitude. Montesquieu la cher- 
cha; quoiqu'il n'eût rien à craindre, sous l'inqui- 
sition à la fois molle ett)mbrageuse de cette ^o^ue. 



^ Mx^inmeME siècle. 259 

et qile, pour lai du moins , Tesprit eût réhabilité la 
bardiesse^ il s'éloigna du monde pour mériter la 
gloire. 

* On peut voir encore le château de Montesquieu, 
Bon moins vénéré que celui de Montaigne, tout y 
estsimple et rappelle l'anciéfa temps. Cette tourelle 
où le philosophe a tant médité avait servi, un siècle 
auparavant, pour canarder les ennemis qui infes- 
taient la plaine. Yoid le bureau noir sur lequel 
écrivait Montesquieu , son vieux fatlteuîl et le cham- 
branle de la cheminée, usé à une seule place, par 
le pied qu'il y posait en travaillant étendu dans ce 
fauteuilà Voiei le grand verger où son jardinier lui 
demandait, avec l'accent gascon, des nouvelles de 
ses amis, l'abbat Guasco et l^abbai Cerati. En dehors 
étaient ses bois et ses champs, qu'il n'avait pas ac- 
crus, qu'il n'avait pas diminués, et dont rien n'est 
resté aux héritiers de son nom. i» 

Les Ùonsidérations sur les causes de ta grandeur des 
Rmuxins et de teur décadence parurent en 1734. En 
deux cents pages Montesquieu suit le cours de cette 
grande fortune de Rome depuis son origine jusqu'à 
l'extinction de l'empire d'Orient. Ce livre est d'une 
haute moralité politique; l'auteur nous montre 
Rome s'agrandissant par le patriotisme, par l'austé- 
rité de ses mœurs, par son. habileté, et périssant 
par l'égoïsme de chaque citoyen , par le luxe et le 
désordre des passions. Montesquieu s'est inspiré des 
écrivains romains et de BossueU Gomme oeuvre 



260 HISTOIRE DKS LETTRES. 

d'art, les Considérations sont un magnifique livre: 
chaque chapitre, chaque page , nous^poyvons dire 
chaque phrase, sont étudiés avec une rare con- 
science ; la pensée est concise^ ingénieuse et souvent 
profonde. Le caractère des hommes est sondé avec 
une sagacité merveilleuse et une réflexion- patiente» 
C'est une étude de philosophie historique qui révèle 
un écrivain de premier ordre. 

Montesquieu secondait le mouvement imprimé à 
la politique par Grotiuff et combattait les fâcheuses 
influences de Machiavel. Ce volume était un service 
rendu aux nations. 

Quatorze aps après les Considérations ^ en 1748, 
Montesquieu publia l'Esprit des lois. 

f On peutdire que le sujet en est immense, puis- 
qu'il embrassé toutes le& institutions qui sont reçues 
parmi }es hommes , puisque l'auteur distingue ces 
institutions, qu'il examine eelles qui conviennent 
le plus à la société et à chaque société , qu'il en 
cherche l'origine, qu'il en découvre les causes phy- 
siques et morales, qu'il examine celles qui ont un 
degré de bonté par elles-mêmes ^t celles qui n'en 
ont aucun , que de deux pratiques pernicieuses il 
cherche celle qui l'est plus et celle qui l'est moins, 
qu'il y discute celles qui peuvent avoir de bons ef- 
gfets à un certain égard et de mauvais dans un 
ulre '. » 

* Montesquieu, Défense de P Esprit des lois. 



DIX^HUITIÈME SIÈCLE. 261 

Nous avons cru que personne ne pouvait donner 
mieux que l'auteur lui-même Tidée de ce vaste ou- 
vrage, ou du moins du but qu'il s*élait proposé en 
récrivant. 

On assure qu'il en fut fait vingt-deux éditions en 
dix-huit mois; aucun livre n'a soulevé plus de polé- 
miques ardentes. Venu ainsi au milieu du dix- 
huitième siècle, il contrastait vivement avec l'esprit 
frivole» sceptique et épicurien des cinquante années 
qui venaient de s'écouler, quoiqu'il le rappelât, çà 
et là peut-être, par quelques détails. 

Montesquieu proclama d'abord la justice absolue, 
antérieure et supérieure à toute loi écrite. Voltaire 
et tous les étourdis du dix-huitième siècle ne s'aper- 
çurent pas de l'importance de ce principe qu'ils 
appellent une subtilité métaphysique! Aveugles, qui 
ne voient pas que là est l'idée fondamentale de 
l'auteur comme de tout écrivain qui étudie la so- 
ciété avec quelque profondeur. 

On critiqua vivement la division des gouverne- 
mens en trois catégories, le monarchique, le répu- 
blicain et le despotique. On voulut leur substituer 
d'autres divisions bien moins rationnelles. Quanta la 
Tertu, qui est, selon l'auteur, le principe des répu- 
bliques , et à l'honneur, qui serait le principe des 
monarchies, nous avouons qu'il y a ici ^ selon nous, 
quelque chose d'ingénieux, de cherché, de systé- 
matique. On peut discuter long-temps sur ce que 
l'auteur entend par ces mots vertu et honneur j mais 



ces disctt^ioDs; tombent nécefissârenieiit «n des 
distinctionsi puériles. 

La véritable grandeur de ce livre consiste à avoir 
enseigné la vénération de la loi, Tamour de la li* 
berté civile , h une nation qui sortait de Tabsôlu- 
tisme de Louis XIY et des, désordres de la régence. 
Le sentiment de la dignité humaine a révélé à Hon« 
tesquieu, dans son étude sur la constitution anglaisoi 
des vérités que Içs Locke ^ les Swift, les Addisoni 
les Bolingbroke , n'avaient pas aperçues. Cette par^ 
tie de l'Esprit des bis eut un prodigieux retentisse^ 
ment en Europe; ejlle a exercé une puiatante In- 
fluence sur les évènemens qui ont suivi, 

La nature du pouvoir «n Angleterre , ses aourees, 
ses conséquences i sont an^ilyséçs avec une pénétra^ 
tionaclcpirable; etqçs pagea que rexpérieace, que 
la pratique nous Tont trouver simples aujourd'hui, 
étaient réellement merveilleuses alors. 

Montesquieu n'est ps^s un utopiste , c'est un histo-« 
rien ; il étudie çbaque forme de gouvernement sans 
passion^ il recherche patiemment la réalité; c'est le 
passé qu'il veut surtout faire connaître , mais dans 
l'intérêt de l'avenir des peuples, de la vérité et de 
la justice. Il fait haïr, le despotisme en le montrant 
tel qu'il est* 

Sa prédilection pour la constitution anglaise est 
visible; mais cette constitution n'était-elle pas ce 
qu'il y avait de plus rationnel alors? 
Montesquieu reconnaît aux climats une grande 



Dn^flUiTiiiiE siÈCiE, 909 

ioflueBCf sur rhoiiim6,,sup les mœurs, et nécessai- 
rement sur ia législation. Ses ennemis l'ont aecusé 
à cal égard de tendances matérialistes; mais il nous 
semble qu'il y a eu exagération dans ^attaque. Il 
n'y a que des insensés qui puissent affirmer que les 
habiians des pays chauds ont les mômes disposi- 
tions, les mêmes passions., le même oaracière que 
ceux des pays froids. L'auteqr de l'Espriides Im n'a 
fait que rappeler des faits incontestables; il nee'en- 
my pas que la religion chrétienne ne peut régner 
sur tous 1^ peuplés , mais qu'elle s'établira plusfa^ 
cileoient dans un climat que dans un autre 2 ce n'est 
pas là du matérialisDie» c^est de la raison. Oti0lfen-« 
tesquieu ait parfois àttribiié trop d'tnfluene^ au elî^ 
ihaty o'pst possible, mais qufil lui ait sacrifié la 
liberié de l'homme, cela ne peut être t le contraire 
ressort trop évidemment de tout l'ensemble de ses 
doctrines* 

11 a ^té aecqsé de soutenir la légitimité de la po** 
lygdmie dans certaines contrées, tandis qu'il a éta-- 
bli q^e la polygamie est en etle^m^me une chose 
mauvaise, mais qu'il exist^ des cUmals 0(1 son 
existence a des éifets moins. déplorables qu'elle n^en- 
aurait dans notre' occident. :Les hevnmes parlent 
souvent des choses sans les comprendre , et quel- 
quefois sans vouloir les comprendre. 

La plus cruelle accusation: portée contre Montes- 
quieu a été celle de spinosisme et de déisme : heu^ 
reusement qu'elles se détmfeent l'ime Tautref Mon* 



264 HISTOIRE DES LETtl^S. 

tesquîeu a combattu Spinosa dans plusieurs passages 
de son livre , qui est fort opposé aux doctrines pan- 
théistiques. Quant à l'accusation de déisme, c*est-k- 
dire de rejeter la vérité du christianisme , après 
examen on se convaincra qu'elle n'est pas fondée. 

Les erreurs que renferment, les Lettres persanes 
avaient justement prédisposé les hommes religieux 
à juger sévèrement l'Esprit des bis, aussi s'attacha- 
tron à quelques détails non suffisamment expli- 
qués peut-être, pour en tirer des conséquences gé- 
nérales qui faisaient de Montesquieu un philosophe 
à la manière d^ Voltaire. Dans sa spirituelle Défense 
de l'Esprit des bis, Tillustre publiciste développe' 
toutei sa pensée sur la religion ; il cite les passagesde 
son livre qui proclament sa croyance et son profond 
r^pect. à l'égard du christianisme, et entre autres 
ceux-ci: ' 

ff La religion chrétienne, qui ordonne aux hommes 
de s'aimer, veut sans doute que chaque peuple ait 
les meilleures lois politiques et les meilleures lois 
civiles,' parce qu'elles sont après elle le plus grand 
bien que les hommes puissent donner et recevoir. 

V Pendant que les princes mahométans donnent 
sans cesse la mort .et la reçoivent, la religion chez 
^s chrétiens rend les princes moins timides , et par 
conséquent moins cruels. Le prince compte sur ses 
sujets, et les sujets sur le prince. Chose admirable! 
la religion chrétienne, qui ne semble avoir d'objet 



DI^-HUITIÈME dIÈGLE. 265 

que la félicité de l'autre vie, fait encore notre bon- 
heur dans celle-ci. 

...... Sur le caractère de la religion chré- 
tienne et celui de la mahométane, Ton doit, sans 
autre examen , embrasser Tune et rejeter l'autre, t 

Après avoir cité plusieurs autres fragmensde son 
livre, ^Montesquieu proteste de nouveau de sa foi au 
christianisme. Que demander de plus? Si Tauteur 
a'est trompé danssa jeunesse, les écrivains religieux 
doivent se féliciter qu'il soit revenu i la vérité quand 
Tâge et l'étude ont mûri son génie. Nous n'avons 
jamais compris le zèle malheureux qui s'efforce de 
rejeter ce gran^ esprit hors de nos rangs. 

Nous avons cherché à indiquer l'immense impor- 
tance de l'Esprit des lois sous le rapport du progrès 
du droit politique. Ce livre contient des vues très- 
hautes et très-profondes sur le droit civil ; il faut 
en renvoyer l'examen aux hommes spéciaux. Quant 
au droit pénal , il doit aussi beaucoup à Montes- 
quieu, dont le génie a encore été ici fidèle au 
christianisme en s'efforçant de rendre la législation 
moins cruelle. Cette partie des études du législateur 
a marché d'un pas hardi dans notre siècle , et t Es- 
prit des lois peut paraître timide aujourd'hui^ mais 
il y aurait de l'ingratitude à ne pas reconnaître les 
services rendus par les écrivains qui furent nos 
initiateurs et nos modèles. 

Non-seulement l'Esprit des lois a été le sujet de 
nombreuse^ controverses sur les idées qu'il en* 



ma BlflfôIRE &Efl LBTTRBS. 

saigne, mais aussi sur le degré de génie qu'il iar 
dique chez l'auteur. Selon Voltaire ^ madame hnn 
cbÂtelet aurait dit que ee n'était que de. l'esprit sur 
W kis^. On serait bien tenté de renvoyer le mot i 
Fauteuv de V Essai sur tes meeurs des nations , qui f 
bien plus que Montesquieu, a fait de Tesprit sur 
Tbistoire. Des admirateurs ont au contraire trop 
i^nté dlins $qq ensemble oelte vaste composition , 
dont rbsrmonie laisse beauoovip à désirera L'en-i 
cbatnement des chapitres n'est pas asses saîaissablot 
peu de parties, sont oomplèfes ; ce sont généralement 
des tues tantôt très-^profondea / tantôt très-ingéi^ 
nieuses, quelquefois même revêtues d'un style 
plein de petites grieqs qui rappelle le TempU de 
Gnide* Çk et là aussi le grave pubUûi«Ae parait sa 
complaire à étaler des images voluptueuses qui font 
aonger aux salons du dix^buitième siècle dont Psu<^ 
teur c'avait pu perdre entièrement Fesprit frivola 
et lieeneieux. 

Yollà des défauts qu'il est impossible de nier, 
mais ils n'empêchent pas ce livre de contenir des 
chapitres d'une noble et magnifique éloquence» et 
d'aveir jeté d'éclatantes lumi^es sçr le droit poli< 
tique, ci^it et pénal du monde entier. Mentesifuieu 
est surtout grand dans le dix-huitième siècle par soo 
cespect pouQ l'origine divine de la justice, antéf» 
rieure à toute loi écrite , et par sa foi au christia- 
nisme j tant de fois exprimée dans la maturité de 
soa 4ge et de son esprit. Voilà pourquoi M. de 



Cbatéaak'iaiid Vu noittmé le véritable grand bommé 
de son teitip9. 

VEipHt des knê avait été préparé en France pa^ 
I« travaux dea juriâecnsulte^ du geîziëme aiécle^ 
par le li\re de Bodîa sur la république i par leé 
écrits de Domat et du savant et généreux d^Agues- 
seau sur la législation. L^œuvre de Montesquieu peut 
être placée auprès de ee que l'antiquité a produit 
déplus élevé dans cet ordre des connaissances ha* 
maines, des traités de Platon, de ta République et 
deê loiê^ et deh PoHéique d'Ariêtote. Bn comparant 
las livres grecs el ^E$prii des hU , on est vivement 
frappé de la supériorité de la civilisation dirétienne 
sur celle des peuples païens. 

Des ouvrages de Montesquieu dignes d^oceuper 
la postérité j le Dlahgue de Syth ei d^Eucrate et lé 
morceaii but Lyàmaque sont les seuls dont nous 
n'ayons pas enepre parlé. On a dit avec raison que 
Montesquieu avait rappelé ici le génie politique dii 
grand Corneille. 

LMllustre publiciste ne survécut que sept ans à fa 
publication de l'Esprit des his;*\\ mourut d'une 
fluxion de poitrine ft Paris, le iO février 1755/ k 
soixante-six ans^ apréë avoir reçu le viatique avec 
la foi et la vésignfttion d'un chrétien. 

Yoltaire et Montesquieu dominèrent seuls la pre- 
mière moitié du dix-huitième siècle , leur influence 
fut puissante sur la siècle entier. L'esprit prodigieux^ 
miatigabla du premier i la haute intelligence et lee 



36& HlSTOlàE DES LETTRES. 

profondes études du second, expliquent Tettipire de 
ces deux hommes. Un concours d'académie de pro- 
vince mit en évidence, en l'année 1750 , un autre 
écrivain qui devait puiser dans les souffrances que 
lui infligea la société une énergie de sentiment, un 
accent passionné , encore inconnus dans les lettres 
françaises. Si Voltaire et Montesquieu agirent prin- 
cipalement sur Fesprit de la nation, Jean-Jacques 
Rousseau remua violemment les cœurs, il fut l'idole 
de tous les êtres mal placés au sein de la société op- 
pressive de son temps. Né à Genève, en 1712, d'un 
l^re horloger, il. perdit sa mère en naissant; son 
enfonce et sa jeunesse se passèrent dans un vaga- 
bondage qui convenaU à cette imagination ardente 
et mobile : recueilli chez madame de Warens , à la 
recommandation de l'évèque d'Annecy , il devint 
l'amant de cette femme étrange , qui se disait sa 
mère , et à laquelle il n'a manqué peut-être que le 
sentiment de la pudeur de son sexe , dont elle avait 
la douce commisération. Rousseau quitta souvent 
sa bienfaitrice pour se livrer à la réalisation de 
mille rêves d'enfansque l'expérience faisait toujours 
évanouir. Nous ne pouvons entrer ici dans tous les 
détails^ que les Omfessums racontent avec tant de 
charme , quand elles ne s'égarent pas en des obscé- 
nités déplorables. Rousseau lutta pendant toute sa 
jeunesse contre le malheur de sa position, froissé . 
par les grands qui humiliaient son amour-propre ^ 
çt sç copsolant avec un sourire de jeune fiUe ou 



DIX-HUITIÈME âlËCLE. ÎOd 

l'aspect d'un beau paysage. Mais cependant le cha- 
grin et la haine contre Tordre social dont il était yic- 
time ulcéraient le cœur de ce jeune homme; il vint 
à Paris en ilU (il avait vingt-neuf ans) et y vécut 
long-temps dans une position gênée. En 4743, des 
amis le placèrent chez M. de Montaigu , ambassa- 
deur de France à Venise. Il ne vécut pas long-temps 
en harmonie avec son excellence; il avoue lui-même 
que son caractère avait toujours été une orgueilleuse 
misanthropie et une certaine aigreur contre les ri- 
ches et les heureux de ce monde. Rousseau revint à 
Paris, et obtint une place de commis chez M. Dupin, 
fermier général et homme d'esprit. Cet emploi lui 
procura quelque aisance, et il s'en servit pour aider 
madame de Warens dopt les affaires étaient alors 
très-mauvaises. 

En 1750 , l'Académie de Dijon avait proposé ce 
sujet de discours : Le rétablissement des sciences et 
des arts a4-il contribué à épurer les mœurs 7 II y 
avait deux ans que V Esprit des bis avait paru, lors« 
que Jean-Jacques Rousseau fut couronné pour son 
éloquente diatribe contre les lettres. Il avait trente^ 
huit ans ; depuis long-temps déjà il sentait fermenter 
en lui la colère qu'il jeta alors à la face de la société 
française. On sentit dans ce livre une pnssîon démo- 
cratique à laquelle la forme légère de Yohaire, Top- 
position modérée de Montesquieu n'avaient pas ac- 
coutumé les lecteurs. On a dit que Rousseau avait 
d'abord eu l'intention de plaider la cause des lettresi 



^70 HISTOIRE DE8 LETTRES. 

et qu'il en avait été délourné par Diderot, alors prî» 
sonnier au donjon de Yiucennes ; la pente de ses 
idées rentrainait à combattre contre la civilisation^ 
et conséquemment contre, ce qui la dominait alors^ 
c*est-i-direla littérature. Rousseau commençait dans 
ce discours sa carrière d'éloquente révolte* YoUaire 
lui-même crut devoir répondre à cet inconnu^ et il 
te ût à sa manière , par un petit conte , Timon le 
misanthrope i M. Bordes, de Lyon, et le roi Stanislas 
répondirent sérieusement , et Rousseau répliqua 
avec un esprit et une vivacité qui fixèrent désormais 
rattention de la France sur lui» 

L^Âcadémie de Dijon ^ se trouvant en veine d$ 
nardiesse , choisit pour programme d'un nouveau 
prix : les causes de l'inégalité parmi les hommes^ et 
l'origine des sociétés. 

Rousseau concourut de nouveau ^ et ici il révéla 
toute la partie politique et sociale de son génie : Une 
gardait aucun ménagement; s'emportant avec âpreté 
Contre toute l'organisation de la société, qui^ seion 
lui, n'était basée que sur l'injustice et l'oppression 
du faible , il présenta la vie sauvage comme le su- 
prême bonheur , comme le dernier mot de la des- 
tinée humaine. C'était méconnaître les vues de la 
Providence sur l'humanité, c'était ignorer la nature 
de l'homme qui a besoin de secours dès sa naissance. 
Le dernier mot de la destinée humaine est l'accom* 
plissement du précepte divin de la charité dans l'or- 
gaaisation sociale. 



mX-IUfTIÈME BïiCtlR. 271 

RottMeau plaidait la cause de rerreor, il y avait 
été amené par le spectacle odieux de la société de 
son letnps , qui croulait en proie à la débauche, an 
kxe et au scepticisme des puissétis, à la misèreet au 
désespoir des masses. Aussi ieeri véh^Ment et som- 
bre de cet éloquent révoilé rebentit dans les âmes 
de ceux qui souffraient ^ et eifraya les classes priti<- 



Cet effroi était très-légitime ; on se rappelle cette 
audacieuse définition do la propriété; Saint-Simon 
n'est pas allé plue loin : 

• Le premier qui, ayant endos un terrain^ s'étisâ 
de dire: Cbd esiâ mot, et trouTa des gens asset aim« 
{ries pour le croire, fiit le vrai fondateur de la so-» 
ciété civile ; que de crimes, de guerres , de meur- 
tres» que de misères et d'horreurs n'eût point épar- 
gnés au genre kumain celui qui ^ arrachant les pieux 
o« comblant lek fossés , eût crié à ses semblables : 
cGardez-vousd' écouter cet imposteur; vouaéteè per- 
tdus, si voua oubliez que les fruits sont à tous, et 
i que la terre n'est à personne. » 

s Quelle est donc , s'écria Voltaire , Tespèce de 
philosophie qui fait dire des choses que le sens com- 
mun réprouve du fond de la Chine jusqu'au Canada? 
N'est-ce pas celle d'un gneux qui voudrait que tous 
les riches fussent volés par les pauvres , afin de 
mijsux établir l'union fraternelle entre les hommes?» 

Rousseau dédia son Discours sur ^inégalité aux ci- 
toyens de Genève, et dans cette dédicace il prodigua 



273 HISTOIRE DES LETTRES. 

les mots de citoyens , de liberté, de souveraineté dupeu- 
pie, et montra une fierté toute romaine , qui aug- 
menta encore Teffet de l'ouvrage. Mais ce qu'il y eut 
de plus remarquable dans, la destinée de Jean-Jac- 
ques, c'est que les classes de la société dont ses idées 
détruisaient le bonheur se mirent à vanter le phi- 
losophe , ce qui n'empêchait pas le malheureux d'é- 
crire de Paris^ en 1753 : Tout est cher ici, et surtout 
lepainl 

Entre ses deux discours , Rousseau , qui toute sa 
vie s'était occupé de musique , avait donné son gra- 
cieux opéra, le Devin de village, dont la cour fut char- 
mée. Le roi voulut voir l'auteur, et madame dePom- 
padour lui envoya cinquante louis , que la misère le 
^ força d'accepter. 

De 175i à 1760 , Rousseau habita l'Ermitage et 
Montmorency ; c'est dans cette solitude que furent 
écrits la Lettre à d'Alembert, la Nouvelle Hékise y Emile 
et le Contrat social. 

Parlons d'abord de ce dernier ouvrage qui résume 
les idées politiques de l'auteur '. Ce qui apparaît le 
moins dans ses écrits est le sens pratique : on voit 
que s'il n'est pas toujours resté dans la solitude, 
c'est que sa position ne le lui a pas permis; sa haine 
contre Tordre social au milieu duquel il vivait l'a 
empêché d'étudier le jeu des institutions etd'aper- 



' 11 ne fat publié qu'en 1762 , trois ans après la Nouvelle 
Héloïse. 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. 273 

Cè^ir la difficulté de concilier les théories éi les 
réalités : aussi ne s'arrôie-til jamais devant les ob- 
stacles de la mise en œuvre ; ses idées ne se modifient 
en rien , elles ne sont pas complexes , mais simples 
et tranchées. Le Contrai social proclame la souve- 
raineté et rinfaillibiiité du peuple : cette souverai* 
nelé est inaliénable et doit être exercée par chacun. 
Tout cela est démontré avec une rigidité de logique 
digne d'un mathématicien, et révèle, selon nous, une 
singulière ignorance de la vie pratique. U y a dans 
tout le livre une étrange force d'abstraction, une 
affirmation impérieuse, un style plein d'énergie qui 
remue et parfois étonne. Qu'était-ce donc pour les 
contemporains qui lisaient ces axiomes républicains 
sous la monarchie absolue de Louis XV, au milieu 
des désordres de l'aristocratie et de la royauté? 

Rousseau avait emprunté des idées aux ouvrages 
pc^litiqucs de Sidney et de Locke, écrits au milieu 
des révolutions d'Angleterre, mais avec moins d'au^ 
dace, avec plus d'expérience et de véritable philoso^ 
phie sociale. La révolution française a obéi aux pres- 
criptions de Jean-Jacques. « Depuis la déclaration 
des droits de Thomme jusqu'à la constitution de 
1793, dit M. Villemain, il n'est aucun grand acte où 
vous ne trouviez l'influence bien ou mal comprise 
de Rousseau. C'est lui , et non pas l'éducation des 
collèges, comme on Ta dit, qui avait créé cet enthou- 
siasme de l'antiquité , fécond en parodies et en cri* 
vu. IS 



IT4 HiSTomB mss invias; 

Blés *. Quê de fois , en pai^urant les annales de la 
tfibsne d'alors, on trovteles principes, les pensées, 
les pàrases de Rousseau tmtiés, commentés, copiés, 
el souvent par (fuels hommes I Rousseau fut à quel- 
ques égards la Bible de ce temps. » 

La secte des encyclopédistes était depuis long- 
temps déjà dans toute sa force ; l'irréligion et le sen-. 
Maiîsme le plus effréné débordaient de leurs livres, 
et Jea»* Jacques s'épouvantait de ces désordres in- 
teltecttiels; mais des relations assez intimes avee 
i^lques-^ms de ces hommes arrêtèrent long-temps 
sa pîumew H avait quarante-cinq ans lorsqu'il se 
^t d'une malheureuse et folle passion pour ma* 
dame d'Houdetot. Ce fut à cette époque qu'il aban- 
donna l'ErmHage pour Montlouis, et qu'éclata sa 
lrupt«fe avec les encyclopédistes. D'Alembert, à 
Tarticle Genève, conseillait rétablissement d'un 
théâtre dans cette ville; Rousseau, indigné de l'im- 
noralité de ta soeiété de son temps, et aussi peut- 
ètvo entraîné par le besoin de commencer la guerre 
eofttre la secte dominante, reprit en main la cause 
dtfendue par Bossuet au dix-septième siècle^ et 
publia sa Lettre à d'Alembert, si pleine d'esprit et de 
girâce, si cruellement amère pour la société bril- 
lante et dépravée qui la lisait. 

Voltaire, d'Alembert, Marmontel, répondirent; 

* B finit reconnaître au moins que renseignement des collé- 
gssa MeoncM lei idéet du philosophe de Geadve* 



OD reprocha à Rousseau d'avoir écrit une aseez 
maavaise comédie et l'opéra du Devin de tittage 
avant de s'être fait apôtre ; on le plaisanta syr m 
passion pour madame d'Houdetot; on annonça que 
le grave aristarque s'occupait d'un roman; les fem* 
mes et les jeunes gens espérèrent y trouver l'auto* 
biographie de cet homme bizarre, si faible dans sa 
my si austère dans ses ouvrages ! 

La Nmvetle HéUfise vint révéler tout le délire du 
cœur du citoyen de Genève; jamais la passion n'a^ 
Tait été ainsi exprimée en France. L'effet fut prodi- 
gieux ; les femmes surtout adoptèrent Fauteur avec 
enthousiasme. 

Si nous avons blâmé certaines parties de l'osuvre 
de Racine comme plongeant la nation dans la mol" 
lesse, que dirons-nous de la Nouvelle Hél&lse? Ce li- 
vre exaltait les faiblesses de la femme, il jetait sur 
elles un charme aimable qui en faisait presque une 
vertu. Il faut respirer Fair de la corruption pour 
ne pas sentir à quel point ce roman est corrupteur : 
et d'ailleurs quel renversement de toute raison pra- 
tique l et que penser de ce mari qui attire chez lui, 
pour le faire vivre dans son ménage, Fhorame qui 
dans sa jeunesse avait séduit sa femme? La criti- 
que ne partagea pas Fenthousiasme délirant d'une 
grande partie du public , elle mit en relief les in- 
conséquences de Fauteur; elle s'emporta contre ce 
philosophe austère qui défendait aux femmes chas-» 
tes la lecture de son œavtô, et qui la publiait t 



276 histoire' des lettres. 

Le danger était d'autant plus grand que plusieurs 
parties de la Nouvelle Héloise sont écrites avec une 
éloquence admirable, une passion qui fermente et 
entraine. On y sent une énergie un peu fébrile peut- 
être, mais remuante et irrésistible pour certains 
lecteurs. Rousseau défend la vérité avec un talent 
magnifique; mais il semble se faire un orgueil de 
déployer plus de puissance encore eh plaidant la 
cause de Terreur. Dans ses lettres pour et contre le 
suicide, il rappelle les sophistes antiques. 

Le sentiment du paysage , de la communion de 
l'âme avec la* nature, apparaissait ici pour la pre- 
mière fois peut-être à ce degré dans la littérature 
française. Plusieurs lettres, et surtout la promenade 
sur le lac, si belle d'images, de passion et de style, 
me semblent le commencement très-glorieux de l'é- 
cole appelée romantique, à défaut d'un titre qui ait 
le sens commun. Les lettres sur les femmes, sur 
Popéra, sur la musique française d'alors^ révc^laient 
un esprit plein de charme et d'originalité. Enûn ce 
livre était l'erreur d'un homme de génie; aussi, 
malgré ses périls, ou plutôt à cause d'eux peut-être, 
il fut pendant plus de soixante ans la lecture favo- 
rite des jeunes gens et des femmes du monde. Son 
influence a été mauvaise , il n'est pas possible d^en 
douter; il a exalté bien des cœurs, il lésa plongés 
en des désordres^ il a détourné de la vie austère du 
devoir, il a fait du mal à l'immense majorité de ses 
admirateurs. Cependant il a pu être salutaire i 



DIX-HOITIÈME SIÈCLE.' 277 

quelques êtres dissolus qu'il aura spiritualisés , à 
quelques cœurs glacés auxquels il aura donné une 
étincelle peut-être. Depuis vingt ans environ, la 
Nouvelle Héloise est oubliée , elle est devenue fati- 
gante, on l'abandonne; elle a été remplacée par 
des romans plus dramatiques et bien plus immo- 
raux encore \ 

V Emile est Tœuvre principale de Jean-Jacques 
Rousseau. Il ne pouvait choisir un sujet plus vaste^ 
plus intéressant, que l'éducation. Le système qu'il a 
soutenu dans ses deux premiers discours apparaît 
dès sa première ligne : < Tout est bien, sortant des 

* Noas placerons ici quelques-uns des jugemens de la cri- 
tique française sur ce livre. 

La Harpe a dit dans son Lycée , tomd 16 : 

Ce 'prétendu martyr de la vérité ne fut jamais au fond 
qa'un très-adroit charlatan, qui connaissait son auditoire. 
J'avais déjà observé qu'il avait surtout pour lui les femmes et 
les jeunes gens : et pourquoi? c'est qu'il avait euTart de don- 
ner à leurs passions favorites le ton et l'air des vertus. Quelle 
jeune personne en ne consultant que son cœur , et non pas 
son devoir, ne s'est pas crue une Julie et n'a pas été flattée 
de le croire? Quel étourdi, en cherchant à séduire l'inno- 
cence , ne s'est pas cru un Saint-Preux? Voilà ce que lui ont 
valu ses romans. 

Il avait bien compris qu'on lui reprocherait l'inconséquence 
d'une production de ce genre , si peu compatible avec la mo- 
rale austère qu'il professait dans d'autres ouvrages ; mais rien 
n'embarrasse un homme qui se tire de tout avec une phrase 
IrançhantOf II faut des romans à un peuple corrompu , et tout 



y79 HISTOIRE MS LSTTRES. 

mains de l'auteur des choses; tout dégénère entré 
les mains de l'homme. » C'est toujours la même 
haine de Tordre social. Aussi la théorie de Rous- 
seau sur l'éducation consiste à laisser l'enfant aban- 
donné à ses instincts qui, selon lui, ne sauraient le 
tromper. L'expérience démontre chaque jour com- 
bien, au contraire, l'éducation a à lutter contre les 
passions de l'homme; mais il faut reconnaître aussi 
que nos vices nous sont souvent donnés par la so- 
ciété elle-même, qui est encore imprévoyante et peu 
charitable, par la société qui place forcément un 
grand nombre d'individus dans des positions dé- 
est dit pour les sots. Combien de sottises dans celte phrase ! 
C'est comme si l'on disait : Il faut des poisons à un malade... 

Palissot dit : 

Le roman d'Héioîie a bit beaucoup de bruit« On pourrait 
presque lui appliquer ce qu'on disait du Cid , que c'était as 
excellent ouvrage dont on avait fait d'excellentes critiques. 
L'intrigue nous a paru mal conduite, Tordonnance maayaise. 
Les personnage» «ont trop uniformes , trop guindés, trop 
exagérés, quoique Tautenr ait voulu les représenter dam U 
belle nature. Le costume y est blessé sans cesse. C'est toujonn 
M. Rousseau qui parle par la bouche de ses acteurs. Il â beai 
chercher à se mettre i^ leur place , à se plier à leur génie, 
à leur condition , à leur sexe, c'est un grand homme qû, 
|»ea qu'il se baisse , est souvent plus grand qu'il ne faut pour 
U vraisemblance* 

M. Villemain a prononcé oontrece livre on jugement biea 
aévère quand il a dit, dans son cours de 1827 : Ce n'est pai 
kî qm 9em pouvons juger la Vl^wêUê BMoiu. 



DIX-BUITIÈXE SIÈCLE. 879 

plorables. Rousseau a manqué de profondeur de 
vue; au lieu de jeter ranathème sur toute société, 
et de faire un éloge emphatique de la vie sauvage^ 
il fallait démontrer ce que cette société avait eacoi^ 
de barbare^ et par quels moyens on pouvait amé* 
liorer le sort de l'homme en basant de plus en plus 
Tordre social sur les idées chrétiennes^ en faisant 
pénétrer la charité dans la législation, dans tous iM 
rapports de Fhomme avec l'État et avec ses seia<> 
blables. 

L'auteur d'Êmila a exercé une heureuse influença 
sur plusieurs parties de l'éducation de l'enfance} 
il a plaidé avec une éloquence entraînante les droits 
de la nature. Les petiles-mattresses parisiennes %ê 
iif eut honneur d'allaiter elles-mêmes leurs enfans^ 
i|u'elles débarrassèrent en même temps des mail^ 
lots qui les garrottaient. Rousseau devint^ aux yeux 
des mères, un apôtre de l'humanité. 

La partie la plus élevée de VÊmile.esi celle eoli^' 
nue sous le titre de Prt^sion ikfH du vkmre ^a- 
wnford; elle résume les idées de Rousseau sur la re^ 
ligion, c'est-à-dire sur ce qui importe le plus à «â 
4tre intelligent. 

Dès le début, nous nous sentons en plein dix4iiii«' 
tième siècle ; la confession du vicaire elle-même nous 
parle de la licence de ce temps. Toute la première 
partie déplut aux philosophes d'alors. Dans un lam 
gage magnifique^ et avec une force de raisonnemeot 
incoûtestable» RoussMiu proclame sa foi à un DîM 



880 HISTOIRE DES LETTRES. 

créateur, à la spiritualité et à rîmmortalité de 
l'àme, à la responsabilité humaine, à une vie à ve- 
nir de bonheur ou de souffrance, selon que nous 
aurons vécu sur la terre. Il lire du spectacle du 
monde la preuve d'une autre vie, et en cela il est 
d'accord avec tous les docteurs du christianisme: 
« Si l'âme est immatérielle, dit-il, elle peut sur- 
vivre au corps; et si elle lui survit, la Providence 
est justifiée. Quand je n'aurais d'autres preuves de 
rimmatérialilé de Tâme que le triomphe du mé- 
chant et l'oppression du juste en ce monde , cela 
seul m'empêcherait d'en douter. » 

Voilà une des grandes gloires de Rousseau. Au mi- 
lieu de l'orgie philosophique de son temps, du délire 
de ses anciens amis qui préconisaient un matéria- 
lisme abject et insensé, il démontra les grandes vé- 
rités que nous venons de rappeler avec l'entraînante 
et forte parole qui sortait de son cœur à ses momens 
d'inspiration. 

Jean-Jacques aurait dû s'arrêter là. Dès qu'il 
aborde la question des religions établies , on sent que 
Tobscurité se fait dans son âme ; son indiQërence 
pour les divers cultes, le conseil qu'il donne de res- 
ter dans la religion de ses pères, décident que toutes 
les religions sont également vraies ou également 
fausses. Et cependant il professe une admiration si 
ardente pour le christianisme et son divin fondateur 
qu'il n'hésite pas à lui donner la préférence^ sur 
tous les cultes. Pourquoi donc , o philosophe 9 un 



DIX-HU1Ï][ÈME SIËGLS* 2S1 

mahométan ou un juif feraient-ils bien de rester 
dans la religion de leurs pères? Jean-Jacques Rous- 
seau manquait de connaissances historiques , prin- 
cipalement en ce qui concerne les religions ; malgré 
lui les préjugés de son temps avaient singulièrement 
obscurci son intelligence à cet égard. Ainsi il sem- 
ble ne rien voir de l'imposante autorité du catho- 
licisme, de la solidité de sa doctrine appuyée sur la 
tradition depuis Torigine du monde^ de l'admirable 
unité de son enseignement. Cette immense puissance 
intellectuelle ne frappe pas ses regards. Aussi Rous- 
seau a dû être jugé très-sévèrement du haut de l'or* 
thodoxîe catholique. Les réfutations contenues dans 
le premier volume de VEssai sur l^indifférence reste- 
ront toujours justes et vraies. 

Quand il traite de l'éducation de la femme , Rous- 
seau est visiblement influencé par le spectacle de la 
société de son temps ; il n'a pas le sentiment déli- 
cat de la pureté de la jeune fille; le sensualisme 
guide trop ici la plume du citoyen de Genève. Que 
l'on compare cette partie de V Emile au Trcàté sur 
l'éducation des filles <}ue Fénélon laissa tomber de 
son âme toute divine , et l'on se convaincra de l'im- 
mense supériorité du christianisme sur toute philo- 
sophie humaine. Les pages consacrées par Jean- 
Jacques à la peinture des amours d'Emile et de 
Sophie sont souvent pleines de charme et de vérité; 
mais quel dénoûment! L'auteur lui-même nesem- 
ble-t-il pas s'empresser de confirmer le jugement 



SS2 HI$TQipftE DES LETTRES. 

qae nous venons de porter, en livrant son héroïne 
sans résistance aux passions qu*il a prétendu com^ 
battre? 

La beauté de certaines parties de YËmil^ pl^çe 
cette œuvre auprès des plus magniûques travaux sur 
l'éducation, auprès de la République de Platon et du 
livre si populaire de Xénophon y la Cifropédie* 

V Emile avait été accueilli favorablement par te 
duc de Luxembourg y par le prince de Conti , par le 
vertueux Malesherbes ; il avait été protégé par Ta-t 
ristocratie de naissance et par celle de Tâme; on 
savait gré à Rousseau de son spiritualisnia en fafîe 
de Twgie intellectuelle qui troublait la France alors. 
Maisi dès que le livre parut , il s'éleva contre lui uo 
orage au sein du parlement qui venait de triompha 
des jésuites et tenait peut- être d'autant pJus à mon- 
Jtrer sa sollicitude pour rÉglise« V Emile fut donc 
i»ndamné ; on ordonna l'arrestation de l^auteiur qui 
fut averti secrètement et gagna la Suisse^ Proscrit 
de sa propre patrie, il trouva un réfugie dans la 
principauté de Neufchatel. 

Non«seulaœeot le parlement eondaiPRa V^n^^ 
mais r«robevèque/de Paris crut devoir joindre sa 
voix à oelle des juges de Rousseau par on mandement 
sévàre» et qui eut d'autant plus d'autorité que le ea- 
raclère du pfélat était trés^ifliiposant. Les phihiùpkÊS 
eux-mômes l'approuvèrent en haine du eît^yen de 
Genève dont les magîstrata venaient aussi de frtfiper 
VÊmb 4' «me 6ondan»nation< Aimif tepi^u^é par h 



])lK*HUITlilfE »\ÈGl»^ ^88 

parlement , par le catholicisme et le protestantisme, 
Rousseau produisit un de ses plus remarquablee 
écrits de controverse. Sa réponse à monseigneur 
l'archevêque de Paris est brûlante de cette éloquence 
de la révolte , qui secondait les prissions du temps 
et préparait les terribles révolutions qui devaient 
surgir à la fin du siècle. La colère inspire à l'écri- 
vain bien des exagérations erronées; mais il plaidait 
pour la liberté religieuse t et son accent retentissait 
dans tous les cœurs. 

Les Lettres de la montagne suivirent la Réponse à 
l'archevêque d^ P^rki} c'est d§ la polémique tout i 
la fois religieuse et politique , reproduisant les idées 
du ticair^ savoyard ^ toujct^ps da&s un magnifique 
Myle, et se mêlant aux affaires de Genève avec unn 
rare éloquence de }ournaUs|e* 

De nouvelles persécutions partirent de cette ville; 
les injurieux pap)phlets de Voltaire aidaient bruyam- 
ment lespppressei^fs : Jeaiii-Jacques fut encore obligé 
de fuir et de se réfugier sur le lac de Bienne, dans 
cette charmante île de Saint-Pierre dont il nous a 
donné une délicieuse description. Le sénat de Berne 
le chassa encore de ce dernier asile : c'est alors qu'il 
se décida à suivre Hume en Angleterre, après s'être 
arrêté quelque temps à Paris sous la protection du 
prince de Conti ^et caressé par toute T inconséquente 
aristocratie de cette époque. 

Nous ayons déjà parlé, à propos de Humé, de l'a- 
mîtîé des demi philosophes^ de leur rupture, de 



284 BISTOIRS DES LETTRES. 

leurs torts réciproques sans doute; il est inutile de 
revenir sur ces détails biographiques. Rousseau sé- 
journa treize mois à Wootton , y écrivit les six pre- 
miers livres des Confessions , et revint en France. Le 
parlement ferma les yeux, et le pauvre banni erra 
dans le Dauphiné pendant quelque temps , puis re- 
tourna à Paris , où il demeura dans la rue Plâtrière. 
Pendant les huit années qui s'écoulèrent entre le 
retour de Jean- Jacques et sa mort, il s'efforça de se 
faire oublier, feignant de mépriser la profession 
id'auteur qui était sa gloire, la méprisant réellement 
peut-être , car qui peut apprécier les fantaisies de 
son humeur bizarret 

Son Écrit sur le gouvernement de Pologne , qui ap- 
partient à cette époque de sa vie, reproduit cepen- 
dant toutes ses belles qualités d'écrivain , et aussi 
l'inébranlable ténacité de ses théories politiques. 
Pendant qu'il discutait sur les moyens de sauver ce 
noble peuple, les armées de l'Europe l'écrasaient 
sous le nombre et les rois se partageaient sa dé- 
pouille. 

11 nous reste à examiner l'ouvrage dans lequel 
Rousseau a le plus mis de lui-même , les Confessions^ 
singulier monument d'orgueil qui tend à abaisser 
son auteur, et n'est , à l'examiner de près , qu'une 
suite de la terrible guerre du citoyen de Genève 
contre l'ordre social. 

En parlant de ce livre , il est impossible de ne pas 
86 souvenir d'un autre livre , si profondément ad- 



DIX-HUITIËME SIÈCLE. 285 

mirable^ qui porte le même titre et fat inspiré 
par une ardente charité et l'humble repentir du 
chrétien* Rousseau semble au contraire triompher 
de ses chutes ; ce qui est en cause chez lui , ce n'est 
pas sa propre conscience , mais la société, qui, par 
les obstacles invincibles qu'elle lui a opposés, Ta 
forcé de tomber dans toutes les erreurs qu'il étale à 
DOS regards. Voilà ce qui nous fait dire que l'auteur 
continue ici sa lutte passionnée contre l'ordre so- 
cial. Ce point de vue peut être moral pour les légis- 
lateurs , qui doivent s'eiTorcer d'amoindrir les 
obstacles sociaux, afin que l'homme soit moins en- 
travé dans l'exercice rationnel de ses instincts; mais 
il est très-dangereux pour l'individu, qui légitime 
ainsi toutes ses erreurs et tous ses vices en en reje- 
tant la responsabilité sur les conditions mauvaises 
dans lesquelles sa vie est enchaînée. 

C'est toujours avec un sentiment d'amertume et 
de commisération que nous ouvrons le livre des 
Confessions de Rousseau. Cet homme si éloquent^ 
dont l'intelligence. est si forte, commença par er- 
rer à la merci de chacun , recueilli par la charité 
d'une femme galante, humilié par les grandes dames 
qui le mettent à dîner à la table de leurs valets , 
poussé au vice par sa bienfaitrice elle-même, cor- 
rompu çà et là par la rencontre de gens de mœurs 
ignobles. Plus tard , il tombe dans la société des 
philosophes matérialistes; il les entend rire conti- 
nuellement de l'âme 9 de Dieu, des devoirs des 



7M HinOliK IIBf lETTRBS. 

boibiBcs ; il s'attache à vue malheureuse femme i la- 
quelle iluepeet apprendre à lîre^ à une famille mi^ 
sérable et sans moralité qui exeree sur toute sa tie 
une influence pernieien»^ il lie prat gagner assex 
d'argent pour nour? ir sm enfans) il eraint , dft-tl ^ 
d'ailleursi qu'ils ne soient corrompus par la mère de 
celte femme dont il a fiiit sa compagne» Le malbea^ 
reux! lut qui a trouvé des paroies si- remuantes 
qu'eVlea ont ému la société tout entière en faveur de 
Fenfanee, il met ses propres enfans à Th^pital l 
Enfin il descend jusqu'à la monomanie, il voit des 
ennemis partout , jusque dans ce pauvre petit gar^ 
Qon qu'il rencontre errant dans la campagne. Il 
meurt... un mystère lugubre plane encore Sur cet 
instant suprême '• 

Et cependant que de doHces choses dans ce livre 
des (Confessions I Jamais, avant Roossean, un écri'- 
vain n'avait peint comme lui la nature, n'avait ana- 
lysé à ce degré les influences du paysage sur Pâme 
humaine. Avec quel charme ne le suit-on pas â tra« 
vers les lacs et les chalets de la Suisse , ou dans ses 
courses de jeune homme au milieu des shes romane 
tiques dé la Savoie , ému du doux gazouillement des 
ruisseaux et de la voix cristalline des jeunes filles 
au gracieux sourire ? 

* Il mourat le 2 juillet 1778 , na mois après Voltaire. Pia- 
sieurs biographes affirment que Rousseau succomba a une 
attaque d'apoplexie ; nous croyons^ à tout considérer, cette 
djpînion la pfan probable* 



Dix-TOtTiÈME srrtrcLE. 2S7 

ê 

l^ourquoi faat-il qu'au milieu des plus suaves 
peintures se rencontrent des pages d'une obscénité 
révoltante, des Kgnes qui ne permettent à aucune 
femme h lecture de ce livre? 

Le% Hêverieè d'un promeneur solitaire , écrites vers 
la fin de la vie de Rousseau, révèlent de plus en 
plus UQ divin sentiment de la nature , qui manquait 
absolument à la poésie française. On respire dans 
certaines parties de ce volume une si pénétrante 
tendressOi une admiration si vive poFur lés beau- 
tés de la création , que Tàme en reçoit une impres- 
sion profondément religieuse. 

Oh ! malgré les inconséquences de sa vie et de ses 
pensées 9 malgré ses graves erreurs comme homme 
.et comme écrivain, ne confondons jamais Jean-Jao- 
ques Rousseau avec ces prédicateurs du matéria- 
tisGoe dont il nous reste à parler. Mais le moment 
n'est pas venu encore. 

Un homme qui exerça moins d'influence sans 
doute que Voltaire , Montesquieu et Rousseau , 
mais que l'admiration publique plaça auprès d'eux, 
Buffon , naquit à Montbars, le 7 septembre 1707, de 
Benjamin Le Clerc de Buflbn , conseiller au parle- 
ment de Bourgogne. Une éducation littéraire et des 
i^ojages en Italie et en Angleterre occupèrent sa jeu- 
nesse. De retour en Bourgogne, l'amour de la 
science et du monde l'attira sauvent à Paris ; ses 
biographes rapportent qu'il fut tout à la fois très- 
adonné au plaisir <et au travail; ses goûts l'entrai- 



288 ËISTOIRE DES LETTRES. 

nèrent bientôt vers l'étude des sciences naturelles » 
et il débula par des traductions de la Statistique des 
végétaux de Haies et du Traité des fluxions de New- 
ton. Plusieurs mémoires et fragmens scientifiques 
suivirent ces traductions. À la mort de Dufay, Buf- 
fon fut chargé de la direction scientifique du Jardin- 
du-Roiy ce qui donna à ses études une impulsion 
toute spéciale. 

Il ne tarda pas à embrasser de son regard la na- 
ture entière y dont il voulut pénétrer les plus pro- 
fonds mystères ; rappelant ainsi , non les savans 
modernes qui se bornent souvent à des classifica- 
tions j à des nomenclatures , mais les plus anciens 
philosophes de la Grèce^ dont il reproduisit l'ima- 
gination splendide. Buffon voulut étudier et peindre 
la terre avant l'homme et les animaux, et, quelles 
que soient les erreurs qui ont été reconnues dans 
cette première partie de son vaste travail, on ne 
peut méconnaître l'éblouissante force poétique, et 
môme scientifique , qu'il y déploya. Le sceptique 
Hume fut étonné de la Théorie de la terre; il écri- 
vait : « J'étais arrivé, par mes réflexions, à un état 
de scepticisme complet , lorsque je reçus ce livre» 
et ce me fut une surprise extraordinaire de ^oir 
que le génie de cet homme donnait à des choses que 
personne n^a vues une probabilité presque égale à 
l'évidence. Gela me parait^ je l'avoue, un des plus 
grands exemples de la puissance de l'esprit hu- 
main. » 



t)l2L-HUITlili£ SIÈCLE. 289 

hiiffon écrivait, en 1744, son Discours sur l'histoire 
et la théorie de la terre; nous n'avons pas à nous 
occuper ici de la partie purement scientifique de 
cette œuvre; rappelons seulement que Tintuilion du 
génie entrevit les grandes découvertes de Guvier: 
< II peut se faire , dit Buffon , quMl y ait eu de 
certains animaux dont Tespèce a péri ; les os fossiles 
extraordinaires qu'on trouve en Sibérie, au Canada, 
en Irlande , semblent confirmer cette conjecture* • 
{Théorie de la terre, p. 185.) 

Quant aux gigantesques hypothèses de Buffon 
sur la création de la terre , tous les critiques recon- 
naissent que, même dans leurs erreurs, elles révè- 
lent un génie élevé et vaste. 

Sur la grande question du principe du monde, 
Buffon n'est pas toujours conséquent. Ses sublimes 
invocations à Dieu ne devraient pas laisser de doutes 
sur sa croyance ; mais dans quelques parties de son 
œuvre il semble imbu d'idées fausses sur la créa* 
tion 9 idées que Cuvier a réfutées de nos jours par 
l'observation savante des faits. 

Il ne faut cependant pas faire à Buffon le re- 
proche d'avoir partagé les erreurs* déplorables de 
son temps , mais reconnaître qu'il est plus encore 
un grand poète, un grand coloriste, qu'un savant. Il 
n'a pas sur Dieu la fermeté d'idées qui fait la {gloire 
de Plalon dans le monde antique, de Newton et de 
Descartes dans le monde moderne. 

Toute sa vie (et Buffon n'est mort que la veille 
vu. 19 



290 HISTOIKE DES LETTRES. 

de notre rétolution, en i788) fut consacrée à Tétude 
de la natnre, et ses recherches de détail révèlent 
une sagacité extraordinaire et fournissent à Técri- 
tain deS pages d'une bien rare magnificence. Toute 
la France a ratifié ce jugement de M. de Barante : 
€ Le caractère et les habitudes des animaux, Taspect 
et la physionomie des contrées furent retracés par 
son pinceau avec une inconcevable magie. Personne, 
]^as même Rousseau, n'a été au dix-huitième siècle 
unbomme de style comparable à Buffbn pour rhar^» 
monie et la perfection du travail, v 

L'auteur de VHîêtoire naturelle a été soupçonné de 
partager les erreuris de quelques écrivains de son 
époque sur Tâme de Thomme et de tout ramener à 
la sensation r ce reproche n'est pas fondé. On a pu 
être conduit à cette opinion par quelques passages 
mat interprétés; mais que répondre au fragment 
suivant du Discours sur Thomme : < L'âme existe, 
elle est d'une nature différente de la matière; elle* 
n'a qu'une forme très-simple, très-générale, très- 
constante, la penséej elle est dès lors, comme la 
pensée môme , indivisible et immatérielle. » 

Buflfbn , qui prononça â* TAcadémie françai$;e un 
discours sur lô style, en a été vivement préoccupé 
toute sa vie : il médita ses ouvrages lentement dans 
la solitude des châteaux de Montbard et de Buffon ; 
sa vie de grand seigneur ne fut pas troublée , et Dieu 
sembla )ui avoir Tait ce repos opulent comme pour 
lui donner la facilité d'observer sans distraction la 



BlX-ffdlTIÊMC SfÊCLË. 291 

nature «^tt'U devait peindre. Buffon disait quelques 
années avant sa mort : « J'apprends tous les jours à 
écrire... II y a dans mes derniers ouvrages infini- 
ment plus de perfection que dans les premiers, y Le 
travail absorba l'existence calme de l'auteur de l'HiV 
iMre naturelle. Il se maria à quarânte^six ans ; mais 
son mariage et la place qu'il occupa , tous ses soins 
d'homme et de propriétaire, ne troublèrent jamais 
les heures invariablement consacrées à l'étude. 

Buffon jouit de sa gloire, dont il lui arrivait des 
témoignages de toutes les parties du monde. Durant 
la guerre de 1777, les corsaires anglais s'étantem- 
(rnrés d'un navire dans lequel se trouvaient des cais- 
ses adressées de i'Indeà M. de Buffon, elles lui fui- 
rent envoyées au Jardin-du-Roi. L'infortuné Bailiy, 
auteur d'uner histoire de l'astronomie, soutenait aveci 
admiration les hypothèses de Tauteur de VHistoire 
naturelle; des élèves glorieux se formaient autour de 
lui ; Louis XV , si insoucieux de tout ce qui concer- 
nait les gens de lettres, avait offert à Buffon l'inten- 
dance des eaux et forêts. Sa statue était placée sous 
ses yeux^ à l'entrée du Muséum , avec cette inscrip- 
tion : 

Majestati naturœ par ingenium. 

La sanglante héroïne du nord , Catherine II , le 
flattait et en était flattée , tant l'orgueil caressé aveu- 
gle l'œil même des philosophes! 

L'œuvre de Buffon peut être considérée comme la 



292 HISTOIRE DES LETTRES* 

plus éloquente qu'ait inspirée l'histoire naturelle* 
Ainsi le travail d' Arislote , exécuté d'après les or- 
dres d'Alexandre , qui , dévoré d'une soif immense 
de savoir, avait , dit M. Villemam , chargé des mil- 
liers d'hommes de parcourir les forêts et les mers, 
afin jle rassembler pour le philosophe des échantil- 
lons de tous les êtres ; ce travail est bien plus exclue 
sivement scientifique que celui du naturaliste fran- 
çais. Buffon a plus de rapports avec Pline; mais 
laissons aux historiensdes sciences le soin de caracté- 
riser les prédécesseurs de Buffon dans l'élude de la 
nature, les Yincent de Beauvais, les Aldrovandede 
Padoue, les Gessner, les Linnée. Nous n'avons 
parlé avec quelques détails du grand naturaliste 
français que parce qu'il est un des premiers maîtres 
de notre langue au dix-huitième siècle. 

Mous nous hâtons donc de rentrer dans notre su- | 
jet en poursuivant AOtre examen de la littérature 
française* I 

i 



vu. 



Suite de l'hîftoîfe des lettres françoifCf* — • Ite ofaaneelîer d'Agnes- 
seau* — nollm, — • Voéiie. — Louif Baeine.— &e Franc de Pom- 
pignen. — Oreiget. — Théâtre» — Sestouches. •— &a Obauffée.— 
Viron. — t Marivai». — Aamothe, — Chiynond de Iiatoiielie. — 
]>ebelloy. •— Beaumarehaif. — •Oollin d'Barleville, — Opéras* 



Nous nous sommes plu à présenter de suite nàs 
idées sur la vie et les travaux des hommes qui lais- 
seront une trace profonde dans l'histoire litté- 
raire de la France du dernier siècle. Au-dessous 
d'eux un grand nombre d'écrivains attiraient les re- 
gards du public. Parlons d'abord de ceux qui bril- 
laient dans la première moitié du dix-huitième siè- 
cle , à l'époque où la gloire de Voltaire et celle de 
Montesquieu éclipsaient tout. 

Une école grave et peu bruyante conservait l'es- 
prit du dix-septième siècle et surtout celui de Port* 



29i HISTOIRE DES LETTRES. 

Royal. Parmi ces hommes il faut distinguer d'abord 
l'illustre chancelier d'Âguesseau, qui portait la même 
noblesse d'âme aux affaires et dans la retraite. G'é- 
tait un homme d'une belle érudition : histoire 9 
philosophie, littérature, il avait tout étudié dans le . 
calme et le recueillement. Malheureusement il man- 
que d'originalité et de verve; ses discours sont 
plutôt l'œuvre d'un coeur élevé que ceux d'un ora- 
teur. D'Aguesseau était au milieu de son temps un 
débris du grand siècle dont il avait connu les écri- 
vainà immortels. Dans une position bien moins 
haute, RoUin, qui appartient aussi aux deux épo- 

' ques comme le chancelier, soutenait les principes j 
de Port-Royal. Nous avons déjà parlé de cet homme i 
de bien dans notre pre'cédent volume/; nulle vie n'a 
été plus noble, plus dévouée que celle de ce simple 
professeur, qui voyait dans l'éducation un apostolat 
dont il s'acquittait sans bruit et sans faste. G'est'à lui 
que Racine recommandait l'éducation do son fils en 
disant ; M* Rollin en sait bien plus que moi là-dessus. 
H écrivit à plus d^ soixante ans son Traité de» éiudes. 
M. Villemain a dit : « Le TraUé des études est un 
monumenl; de raison , de goût , et l'un des livres le 
mieux écrits dans notre langue après les livres de 

"génie. Cet excellent style français, toujours fort rare, 
«lait chose inouïe dans TUniversité, exclusivement 
célèbre alors par les harangues latines. ^ Aussi d'A- 
guesseau, en remerciant RoUiu de^on bel ouvrage, 
lui écrivait ; « Vq«8 parte;^ le français comma si 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. S05 

c'était votre langue naturelle, v II ne faut pas de^ 
mander à RoUin les théories scientifiques que l'Ai- 
lemagne a introduites dans la critique de notre temps; 
mais son livre est remarquable par une naïve admi- 
ration du beau et par un sentiment religieux qui 
«'insinue dans le cœur de Télève pour le fortifier et 
Tennoblir. 

V Histoire ancienne suivit le Traité des études y et 
RoUin fut vanté par Montesquieu, et par Frédéric , 
qui lui adressait les félicitations qu'il prodiguait si 
généreusement aux gens de lettres français. V Histoire 
ancienne est un livre écrit purement et qui traduit 
les historiens de la Grèce et de Rome , sans repro- 
duire toutefois les physionomies diverses de ces 
grands hommes. Le style est plein de clarté et de 
simplicité , Tinteniion toujours saine et bienfaisante. 
Rollin était entouré de quelques amis jansénistes 
comme lui, l'abbé d'Asfeld et Mesenguy, auteur 
d'un livre élégamment écrit : Exposition de la doc- 
trine chrétienne. Cet écrivain fut condamné par Rome 
pour des erreurs jansénistes; cette secte, à laquelle 
Rollin et ses amis restèrent fidèles , les entraîna dans 
quelques écarts. C'était le temps du diacre Paris et 
de toutes ses folies : Rollin n'eut pas la force de s'é» 
lever contre tant d'aberrations. 

La poésie du grand siècle était encore nouvelle et 
passionnait les imaginations ;* les enthousiastes de 
Corneille et de Racine repoussaient avec dédain les 
tentatives de Voltaire. Le fils de l'immortel auteur 



296 HIStOIRË DES LETTRES. 

de Phèdre f Louis Racine, élève de RoUin , était un 
des plus fidèles imitateurs de son glorieux père. 
Son poème sur la Grâce n'eut jamais beaucoup de 
retentissement, celui sur la Religion dut sans doute 
à la beauté du sujet la popularité dont il a joui*, ses 
vers so&t soignés et ne manquent pas d'élégance, 
mais la verve, la vie, le génie enfin, ne se trouvent 
pas là. 

Les réflexions de Louis Racine sur la poésie et 
Tart dramatique sont remarquables par une admi- 
ration naïvement exprimée pour les chefs-d'œuvre 
de son père ; mais on n'y trouve aucune profondeur 
de critique. Ses mémoires sur la vie de Jean Racine 
sont pleins de charme. Cette existence sévère et 
simple, si religieuse et si bourgeoise, contraste bien 
vivement avec tout l'étalage poétique et remporte- 
ment passionné de quelques biographies de poètes 
contemporains. Louis Racine donne là à tout le 
monde des leçons de simplicité qu'il puise dans la 
vie de père de famille d'un des plus grands poètes 
de la langue française. 

Un ami de Louis Racine, Le Franc de Pompi- 
gnan, si détesté de Voltaire, essayait de reproduire 
J.-R. Rousseau dans l'ode en imitant, comme lui, 
les livres saints; il reàta loin de ce poète, qui lui- 
même n'inspire plus aujourd'hui l'admiration qu'il 
inspira dans son siècle. Si on ne peut citer une belle 
ode de Le Franc, on cite au moins une magnifique 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. 297 

Strophe. C'était quelque chose alors : heureux 
temps pour les poètes I 

Gresset, qui passa une grande partie de sa vie à 
Amiens dans une situation opulente, prouva , dans 
son gracieux poème de Yert-Vert, que le charme de 
la poésie naturelle peut embellir les choses les plus 
frivoles ; sa comédie du Méchant restera comme une 
charmante et très-savante peinture des salons du 
dix^ huitième siècle, comme une reproduction de 
leur langage et de leurs manières. Le Méchant est 
certainement une des meilleures comédies que la 
France ait produites depuis Molière. Voltaire, 
triomphant dans l'art tragique, n'avait pu ceindre 
une double palme au théâtre ; mais quelques écri- 
vains du dix-huitième siècle ont soutenu avec dis- 
tinction la vieille renommée de la France dans l'art 
difficile de la comédie. 

Philippe Néricaut-Destouches , né à Tours, en 
i680, d'abord militaire, s'attacha au marquis de 
Puysieux qu'il suivit dans son ambassade en Suisse. 
C'est dans ce pays qu'il, fit jouer sa première pièce, 
le Curieux impertinent, qui fut fort applaudie. Trois 
autres comédies, l'Ingrat, l'Irrésolu, le Médisant^ ré- 
vèlent à peine le talent de Des touches; faibles par 
la pensée, elles ne se recommandent que par un 
style assez harmonieux. Il parait que le poète s'était 
fait une certaine réputation comme diplomate, car 
il fut envoyé par le régent à Londres pour seconder 
Tabbé Dubois dans des négociations difficiles. U 



998 HliTdlM DES LETTRES. 

resta six années en Angleterre, où il étudia les poi> 
tes de cette nation avec lesquels il n'avait aucun rap* 
port. De retour en France, il se retira, à la mort du 
régent, dans une terre près de Melun, où il vécut 
en philosophe, loin des intrigues de la cour.. Vol- 
taire appelait Destouches le moins comique da comi^ 
ques; en effet, il serait sans doute oublié depuis 
long-temps s'il n'avait pas écrit le GlorieuXf car le 
succès du Philosophe marié est plutôt dû à l'étrangeté 
du sujet qu'à la valeur réelle de la pièce* 

Les financiers n'étaient pas encore à cette épo- 
que parvenus à la puissance quasi royale dont nouf 
les voyons revêtus aujourd'hui ; mais cependant tel 
dernières années de Louis XIY et les opératioas 
financières de la régence avaient singulièrement 
enflé Torgueil de l'aristocratie d'argent, et l'on 
peut se rappeler la colère du vaniteux duc de Saint* 
Simon en voyant le roi lui-même faire les hon- 
neurs de Marly au financier Samuel Bernard. C'est 
le conflit des prétentions de la naissance et de l'ar- 
gent que Destouches mit heureusement en scèn« 
dans le Glorieux^ qui est une des noieilleures pièces 
du théâtre français, après celles de Molière. Nivelle 
de la Chaussée, né à Paris en i6^2 et mort en 
i754, créa en France la comédie larmoyante, le 
drame bourgeois, qui depuis a eu tant de reten- 
tissement sur notre théâtre. L'idée seule de cette 
création indique chez l'auteur un esprit peu ordi- 
naire; mais le pathétique de la Chaussée est sou- 



veot d*uoe affactation l»Dg^ur0iise, d'un sentiment 
faux, que la mode faisait aimer au dix-huitièniQ siè- 
cle, et que le dix-uçuviècne sitSersit, Dieu merci. 
La Métromanie ^^ Piron fonde plus solidement la 
renoniipée de son auteur que les volumineux re- 
cueils de plusieurs poètes ses contemporains. Alexis 
Piroi) , né k dijon en 1689, et qui vécut jusqu'en 
1773 9 fut l)ien ipalbeureusement célèbre par des 
vers à'une révoltante obscénité. Ses épigrammes» 
sa lutte contre Voltaire lui avaient donné une popu* 
larité telle que quelques amis imprudens le compa-* 
raient au dominateur du dix*buitième siècle» riva"* 
lité que Piron avait Tair d'accepter d'assesi bonne 
grâce. On ne se souviendrait guère do tqut cela 
sans la Métrmnanie^ jouée en 1738. Ce n'est pas qne 
de ces conceptions d'un comique élevé et fort^ teil- 
les que le génie seul de Molière sait Içs produire f ' 
mais c'est une œuvre charmante, prodigieuse d^es- 
prit et de verve; une peinture vraie et saisissante de 
la vie de certains poètes et un peu de celle de Piron 
lui-même. C'est la pièce la plus gaie de l'époque , 
une de ces comédies qui vivront autant que le théà^ 
tre français. Quant aux autres ouvrages dramatiques 
de Piron, ils sont oubliés et méritent de l'être. 

Marivaux, né à Paris en 1688, se fît une place a 
part dans Thistoire de notre théâtre. Ses comédies 
sont remarquables par de petites complications d'in-* 
trigyes, et une analyse minutieuse de«f sentiments 
qui naissant de la coquetterie que Marivaux prend 



800 fllSTOlEE DES LETTRES r 

pour de Tamour. Ce langage ingénieux^ spirituel, 
mais prétentieux et aUmUnqué, fit fortune dans une 
société galante et préoccupée de mille intrigues qui 
se croisaient sans cesse; cette vogue s'est soutenue 
long-temps malgré les avertissemens de la critique. 
Il ne faut pas négliger la lecture de Marivaux quand 
on veut bien connaître cette face du monde parisien 
dans le dix-huitième siècle. Les romans de cet au- 
teur, surtout Marianne et le Paysan parvenu^ sont su- 
périeurs à son théâtre malgré quelques peintures 
dangereuses. Marivaux est souvent un moraliste 
plein de sagacité; il s'élève jusqu'à l'éloquence lors- 
qu'il est ému par le sentiment des misères humai- 
nes. M. Yillemain a fait de Marianne et du Paffion 
parvenu un éloge magnifique : « Ce sont les seuls ou- 
vrages de notre langue où, pour la peinture delà 
vie^ la sensibilité morale de Richardson soit égalée, 
sans dessein de l'imiter ; c'est la belle innovation de 
Marivaux ; c'est son génie, t Cette sensibilité de l'é- 
crivain inspirait l'homme dans sa vie; Marivaux 
était généreux envers ses semblables, et plusieurs 
fois on l'a vu se priver du nécessaire pour secourir 
les malheureux. 

Nous n'étions plus à la grande époque de Molière, 
rien n'a rappelé chez nous cet immortel génie; la 
comédie ne produisait plus de chefs-d'œuvre, mais 
des pièces spirituelles et intéressantes pour des con- 
temporains* Notre théâtre actuel serft-t-il supérieur 



t)IX-âUITIÈME SIÈCLE* 301 

pour les lecteurs du vingtième siècle! Il est très- 
permis d'en douter. 

Ainsi la Coquette corrigée de La Noue , les Fausses 
infidélités et la Mère jalouse de Barthe, l'Impertinent 
de Desmahis, les Dehors trompeurs de Boissy, le 
Turcaret de Le Sage^ peignent fidèlement les ma« 
nières et les mœurs de cette époque si frivole et si 
corrompue dans ses relations de société. Barthe , 
dans son Êgcaste^ essaya une œuvre plus sérieuse 
qui est digne d'attention , quoique fort loin des 
chefs-d'œuvre de Molière ; Saurin , dans le Mariage 
de Julie et les Mœurs du temps , cherchait à corriger, 
par une ironie piquante, un monde dont il parta- 
geait^ dit-on, les idées. Que dire aujourd'hui de 
Legrand j de Fagan , de Pont de Veyle , de Collé et 
de tant d'autres? La foule de petites pièces dont ils 
inondèrent la scène fit rire les contemporains, mais 
ne saurait occuper la postérité. 

La comédie française se souvint, à cette époque 
delà terrible mission remplie à Athènes par les co- 
médies d'Aristophane , et attaqua , comme le poète 
grec , les puissans du jour , mais avec moins de 
liberté et d'audace. Ce fut Palissot , né à Nancy , 
qui se chargea de ce rôle dangereux ; fort jeune il 
avait débuté par une petite pièce contre Rousses^u ; 
sa comédie des Philosophes parut en 1760 et eut 
toute la vogue d'un pamphlet mordant. Elle est 
écrite avec finesse, mais sans verve. Voltaire ven- 
gea Diderot et compagnie et cherc)ia à écraser Fré« 



802 BISTOIRE DES LETTBE9. 

?Dii en faisant jouer l'Êamme; Dorât toulut Tenir 
en aide k Palissot en écrivant contre la secte philo- 
«opbk^ue ka eomédia dies Prônean , qui fut rqpous- 
•ée.de it Idëne. MaiA , à part ces deux tentaÇÎTeSy le 
théâtM râlU , cMime tMJomk, Tautiliaire des fdéw 
à h BM>da. 

Les sooeé» éblcNtissans obwnas por yi^tiite exci« 
tenant cheË ses coètenpdrâins «ne édiulatioo bien 
lM)ile àexpliqoer. Ifilid tragédies forent jouées dsM 
le dis^kiétnt ivècle; à peine quelqueMif»es ont 
wan6m,;Qtfé de pièces, même parnii celtes que La 
Swjpe a cru devoir analyser avec quelque soin , sont 
-euirifféèsiffij^uid'liiii! Chaque siècle déblaie ainsi le 
«6riiaiil de oètoi qui Ta précédé t que de morts, hé- 
las! %nt le champ de hataiUe de la gleire littérairet 

Aux iiom« dé|à cfiés pat nous if feut «jouter lot^ 
niott)^^ oei h^mtee qui tfsa à lom tes genres, SMis 
douie parce que VoUtfire T^ssày^it avec éclM; «a 
tragédie d'ihâ»^ dent le s^jet e^t d'un pathétique 
saisitsant ^ ^tiM «n grand succès , malgré la eo^ 
diocfité de sa tersifleat^en. Pfron^ n étràtiffement 
^lèbre H qtre sa comédie de la Métrùmmîe recom« 
mande encore à Teslime des gens de goût , fit Jouer 
ded tragédies l Ouêtane est la seule de ses pièces qui 
ftit été vtie dans ce temps avec plaisir ; le style de 
cette œuvre a été cottj)*ré ft <celui dé Chapelain. La 
Sidan de Le Franc de Pompignan , soutenir d'uae 
des plus magnifiques inspirations de la muse ro^ 
naine , v» put soutenir aucune comparatsMi wreb 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. 303 

les ehefs-d^œttvre de Racine destinés à peindre la 
même passion. Le Mahomet deLanoue offre quelques 
traits de forcer des scènes bien conçues, mais il 
péciie encore par le style. Vlphigénie en Tauride de 
Guymond de Latouche est une étude sévère sur 
Tantique; plusieurs scènes produisent une impres** 
sîon profonde et révèlent une brûlante verve dra* 
Etatique* Le$ Troifemes de Châteaubrun passèrent 
dans ce temps pour une heureuse imitation d'Euri- 
pide ; OB fit le même honneur au PUIoctèie de La 
liarpe , qui osa se mesurer'*avec Sophocle, quoique 
celle lutte eftt épouvanté Racine. On pense bien que 
La Harpe ne pouvait atteindre à la solennelle har- 
monie du poète d'Athènes. Qui citer encore! Le* 
miarref Saurin ? Mais à quoi peut servir le souve*- 
inr du théltre de tous ces hommes? 11 faut bien 
autre chose que des: fragmens de talent pour vivre 
dans la mémoire des nations. Debelloy, auteur de 
quelques pièces trës-inédiocres^ eut un moment 
d'éclat parce que sa tragédie du Siège de Calais fut 
jouée à Versailles au milieu de nos désastres , sous 
Louis XY ; mais que sont aujourd'hui tous ces vers 
pompeux à la gloire de la France » ces expressions 
de l'amour des Français pour leurs rois 2 Tout cela 
ne constitue pas une œuvre d'art. Le Siège de Calais 
est une imitation de Voltaire, comme presque 
toutes les pièces du temps^ 

La Chaussée et Voltaire avaient cherché à créer un 
genre nxixtei le drame, que le» critiques ont long«> 



aOi fifSTOmE DEâ LËtTRÊÔ* 

temps poursuivi comme une erreur, parce que Tâfl^ 
tiquité ne nous en avait pas légué de modèles et 
que cette œuvre ne rentrait pas dans certain cadre 
conventionnel dont la routine n'aime pas à sortir. 
Diderot marcha dans cette voie , et son drame du 
Fils naturel fit un bruit prodigieux. Mais ce succès 
était dû à la position de Fauteur, alors à la tête de 
V Encyclopédie et dominant par-là les organes de la 
renommée. Le Père de famille , qui s'est mieux sou- 
tenu au théâtre^ est cependant d'une monotonie 
larmoyante et emphatique. Le Philinte de Molière^ 
par Fabred'Églantine, offre un caractère d'égoîsme 
savamment étudié; maison a trouvé qu'il avait le 
tort de faire songer à un inimitable chef-d'oeuvre, 
dont il travestissait un personnage : d'ailleurs Je 
style est faible, et c'est un défaut que. rien ne peut 
racheter. Les journaux du temps appelaient Fabre 
le Molière de l'époque. Tant pis pour l'époque! 

Tout en continuant cette fatigante nomencla- 
ture , nous rencontrons le nom d'un homme qui 
occupe une place à part dans l'histoire du théâtre 
français, tant par l'originalité de son œuvre que 
par son influence puissante sur son temps. On a 
reconnu déjà Beaumarchais. 

Sa vie fut un combat: il naquit à Paris en 1732; 
son père était horloger, comme celui de Jean-Jac- 
ques Rousseau. Il commença sa brillante carrière 
par la musique ; devenu célèbre comme harpiste , 
les princesses , filles de Logis XV, voulurent l'en- 



DlX-HUITIÊME SIÈCLE. 305 

tondre et prendre de ses leçons ; bientôt se révéla 
ce génie d'homme d'affaires qui le conduisit à une 
grande fortune. Il se lia avec les financiers les plus 
en crédit, fut chargé de missions secrètes , s'asso- 
cia aux plus importantes affaires de son temps, 
fournit des armes aux insurgés américains, et 
excita la jalousie au point d'être accusé d'avoir em- 
poisonné ses deux femmes pour jouir de leur for- 
tune , quoique l'absurdité de l'accusation fût évi- 
dente. Toute la France retentit de ses procès ; dans 
ses mémoires, étincelansde verve et d'esprit, il se 
fit le champion de l'opinion publique en combat- 
tant contre un parlement détesté , en défendant la 
liberté civile dont la nation avait soif. Jamais mé- 
moires judiciaires n^eurent un retentissement com- 
parable ; c'était l'esprit de Voltaire dans ses meil- 
leurs jours, mais présenté sous un style plus âpre^ 
plus concis, plus savant. Toute la bourgeoisie 
adopta le nouvel athlète ; la noblesse , des princes 
du sang allèrent se faire inscrire chez le fils de 
l'horloger après sa condamnation. La révolution 
s'avançait ainsi sous la bannière de tous ces libres 
penseurs dont chaque parole sapait la vieille so- 
ciété. Les mémoires de Beaumarchais inquiétèrent 
l'orgueil de Voltaire ; il écrivait : « Ces mémoires 
sont bien prodigieusement spirituels ; je crois ce- 
pendant qu'il faut plus d'esprit pour^faire Mérope et 
Zaïre. » 

Le premier mémoire de Beaumarchais parut en 
VII. 20 



306 ffistdibE mi iibttres. 

illS^ct en 177611 Ritepvê^enlerUËatbîerdeSévilk, 
Imbroglio plein d'esprit et de galté , petit chèf-d'œU- 
itè d'iùtrigdë et de gràeé dont la vagtie s^ë&t doute^ 
Atîë si long-temps. Mais 6e tl'était là qu'nttë pierre 
d'attente î te Mariage de Fîgafo ne fut Jôué qil*en 
1784 ; ranteur passa qu&tré années & combattre les 
Obstacles qui s'opposaient à la iCeprésëntatiOta. La 
leeture qu'il avait feite de sa pièce dans plusieurs 
salons jetait l'épouvante chés^ les hommes puièsans; 
Mats la euriosité publique, si vivement ejtcitëe» 
luttait aVeO fOi^cé contre lés i^ésistances. Lé Ma- 
Hage dé t'igato était deveilU l'objet de toutes leS côn- 
tersatiOiis de Paris t Quand laissera-t-on jouer cette 
terrible comédie dont tout le monde a peur et que 
tout le monde veut voirS^ voilà ce que chacun se 
demaiidait. L'auteur était fatigué de questions et y 
répondait en riant de ses ennemis avec sa verve or- 
dinaire, i Chaque semaine, dit un contemporain, la 
permission était promise, et retirée la semaine sui- 
vante. » 

La fameuse comédie fut jouée enfin : deux ans de 
suite elle remplit la salle; on y accourut de toutes 
les provînees dç t'rancëet même des pays étrangers, 
dit La Harpe. La pièce Vafut cinq cents mille francs 

I la Côinédié et quatre- vingt mille à l'auteur 

ni je vis quatre fois les Noces de Figaro , et quatre 
Ibis les trois premiers actes me firent le même plai- 
sir, hors la scène de la .reconnaissance. Dans les 
deux derniers^' l'infériorité est si sensible que la 



)â6M «MnlMiràit ^ VltAérèl leh était lé mobile. » 
Cette «k*itSiôr^<i «^tfeûdéé; ié Màifage de Figeage n'est 
^ >kA tAef-ti'dstiVré au point de Vne sérieùt àé 
l'art-; Mtë j^îftcé ne Mêvé d^ttcnh cdde fittëiraité , 
c'est un pamphlet en action, d'un esprit prodij^iétix, 
%'est tout ràh'ciièn brdlrè sbbiàl mis tân cause , battu 
eh brèléhe ^yar te siaiitâsttie ^Ithirieîà , él 'cela eà plein 
^léâtre^ en face de la cour, deis girànds seighéurs et 
des grandes dahiés, applaudissant àVeé enih'otisiàsihé 
i^qM trait Mnghnt qui annonçait la triiiné de leurs 
privilèges et die leuir fortune , cîiacjfaé inot qui pré- 
parait l'iâdiafauiti ^ui^ lequel devaient fouler leurs 
tèteisi VoUà la pûissaujce de cette cotnédié , de cette 
fOle jààrnêe, comme l^ppelle FiauteUr. tTéJâR tout 
Ité flikhùitième siêd^j toutes lë^ 'alta(]ues dé Vol- 
taire, deMii-JacqiieSydeDldek'ot, côUtre Ié§ pr^jUr 
gés denaissan<;eiet la corirùptioii 4és gràhds, qui se 
faisaient drame et sortalelit ide la boUche des ac- 
teuris danis Un style mordant , KioUjië, saisissant, ^è 
gratant danis la mémoire comme les lUeitleurs ver^ 
des grands maîtres. La Verve incisive , f aUdàcè dé là 
parole, voilà la force dU Mariage de ttgaro^ voilà son 
originalité. On a parlé de ^int^igUe ; elle est très- 
compliquée^ il est vrai; tnais cent pièces es|)agnoles 
offirent des labyrinthes aussi inextricables; là n^est 
donc pas la véritable originalité de Beaumarchais* 

La Mère coupable n'est qu'un inauVais drame et une 
mauvaise aciioû ; tout le monde à blâmé t'àutèur 
d'avoir traduit à la barre dU liublic ëôU adversaire 



308 BISTOIllE DES LETTRES* 

Bergasse sous le nom de Begearss. Tout le inonde 
donna raison à Taccusé. Mais le Mariage de Figaro ^ 
malgré sa longueur interminable et les défauts qui 
le déparent , révèle une puissance dramatique éton- 
nante. 

Cette comédie est le résumé et le couronnement 
de toute la comédie française au dix-huitième siè- 
cle. Cette corruption galante, ce sensualisme élé- 
gant 5 reflet de la cour et de la société d'alors, se 
retrouvent dans le Mariage de Figaro. Les scènes en- 
tre la comtesse, Suzanne et le page, pleines de pein- 
tures voluptueuses , contribuèrent beaucoup au suc- 
cès de l'ouvrage. Les grandes dames qui remplissaient 
les loges applaudissaient au^ faiblesses de la com- 
tesse ; elles se reconnaissaient^dans ce gracieux mo- 
dèle. Et Beaumarchais disait ^u'il avait écrit une 
pièce morale I Oui , sous le rapport politique peut- 
être : il combattait bien des abus, il livrait au sar- 
casme des administrateurs pleins de vices, une no- 
blesse dégénérée ; mais^ sous lerapport des mœurs! 
la Folle Journée était digne de son titre ^ digne de la 
société, du théâtre et des romans de son époque; 
elle était immorale^ elle parait les faiblesses humai- 
nes, elle les rendait aimables et séduisantes. 

Non-seulement le Mariage de Figaro était le résumé 
et le couronnement de la comédie de ce temps, mais 
elle reproduisait tout le siècle sous le rapport des 
réformes administratives et sociales. Figaro, c'était 
Beaumarchais lui-même. 



DIX-HUITIÈME SIÈGLK. 309 

Un homme â'un espril bien différent ramenait, 
vers la même époque i la comédie au ton de Destou- 
ches et de la Chaussée, avec plus de naïveté, plus 
de candeur; GoUin d'Harleville , aidé un peu, dit- 
on , par le spirituel Andrieux , fixa quelque temps 
l'attention publique. 

La Harpe a consacré tout un volume in-S^» à exa- 
miner les poèmes d'opéras qui ont vu le jour au 
dix-huitième siècle. Si nous imitions cette méthode, 
nous n'aurions certes pas trois lecteurs en France. 
Qui prendrait intérêt aujourd'hui à savoir que Dan- 
chet , Lamothe , Roy , Pellegrin , Bernard , La Bruère 
et Voltaire lui-même sont restés inférieurs à Qui- 
nault dans ce genre de productions? A qui une telle 
étude serait-elle profitable? 

L'opéra comique naquit dans ce siècle; il fut pré- 
cédé du vaudeville dramatique , joué sur le théâtre 
de la Foire, pour lequel Le Sage, Piron et Yadé écri- 
virent de petites pièces qui ne doivent tenir aucune 
place dans l'histoire des lettres. On remarque dans 
les opéras comiques de Favart une douce et naïve 
poésie qui a long-temps charmé nos aïeux. Panard 
était loin de manquer d'esprit. Sedaine , ouvrier 
sans éducation , faisait de mauvais vers et des fautes 
de français; mais il possédait une sensibilité vraie 
et une certaine entente de la scène, qui, aidées de la 
musique de Grétry , enlevaient des applaudissemens 
frénétiques. Quel opéra moderne sera joué plus long- 
temps que le Déserteur eiHichard CpewMk-LUmf Mar- 



91Q ^L^TW^ )euë9 un^Efi- 

montel » conn^ p^ 4'asfi6x mai]^vaifies te^igédîes et 
des çoBtçg ^ir^^ell^f écrivit auss^ pouf rOpâra-rC^ 
9K^ue qi]^elqu9^ (pèmes qui devinrent po^pulairt* : 
1^ p\mst G^èl^rç» $Qiit &lvain^ 94mm et Amx, kt 
fa/tffise vfflipe;, i\^^ çffreni des sçè^^ iagénieusea $ des 
ariettes bien tournées , mais réx^nt i^oiai de tar 
\ç^\ D^urel (m^. \^ n^î^es ço^œp^Siitio^ de Sedaine. 
^ Harpe, qui vivait au milieu de ces hpmiDei, dit 
qu'i\ v^ÇL cr4^it ^s^ ^vifi ^us les opéras çQioiquet de 
lK[^r^iQn^^ VpfXff^ lyi ^^&t pris deu^i looii de soa 
tr^yaiL Nous ne ps^rkro^s, pas i^i de d' Attseaume , 
ifi de P^insiue^ii n^ de Yoiser^on, vÀ de TAxigUds 
d'Hçle ^ qui eut p^irffû^ de yéritable esprit oomique. 
Ou trouvera, si Vw yw^% to^w^ ces (Ùtails, i peu 
près inutiles, dans le Ly^ 4e M ^arpe• Encore une 
fojis^ce^ ex^ep de &i^ ^Uér«iire^ sa«siiQp04?tance 
réelle n^uii^ç p^ dan^ )« p^ai que «oui nous soo^ 



^1 



vm. 




fie TeiMt». ^ OffébOkm «i» i.<i 1 



Ep parlapt de la comédie ^ nous avons cité queW 
ques romans du dix-huitième siècle ; ce n'était pas 
encore le déluge de ces compositions qui inonde 
aujourd'hui la France , mais cependant il en parut 
un grand nombre à celte époque; nous ne parle- 
rons que de ceux qui ont eu le plus de retentisse- 
ment. La première partie de Gil Bios, fut publiée 
Tannée de la mort de Louis JLIY. Le Sage^ son 
auteur, né à Yannçs ep 1668, vint à Paris pour 
chercher fortune et n'écrivit qu'à plus de quarante 
anif • Son premier OHvra^e fut le IHalfk baiieu^c 9 s^- 



312 HISTOIRE DES LETTRES. 

tire mordante de la société française à la fin du 
règne de Louis XIV; Ce livre eut un très-grand 
succès. Depuis, Le Sage traduisit de Tespagnol 
plusieurs romans et de petites comédies*, puis 
enfin il arriva à cette vive et profonde peinture de 
la vie humaine qu'il intitula Gil Bios de SantiUme. 
C'était une critique de la société française, que 
Fauteur affublait de costumes espagnols. Il y mit 
une telle vérité locale, que plusieurs écrivains de 
cette nation ont soutenu que Gil Bios était traduit 
d'un manuscrit espagnol découvert par Le Sage. Ce 
romancier n'avait pas déclaré la guerre à Tordre so- 
cial ; il voyait la corruption , et il la peignait assez 
tranquillement, mais avec une vérité et un relief ad- 
mirables. Le Sage descend de Molière : il n'en a pas 
toute la verve , ni surtout la hauteur morale , mais 
l'esprit, le naturel, et souvent la grâce. Il se plattà 
reproduire les circonstances les plus ordinaires de 
la vie, et sait y trouver de charmans tableaux. Il 
n'a pas besoin pour intéresser son lecteur de re- 
courir à des inventions extraordinaires^ de prodi- 
guer les situations effrayantes ; la magie de son es- 
prit est telle qu'elle amuse sans effort. Son style est 
sévère et très-étudié ; on Ta comparé avec raison à 
celui de La Bruyère. Un écrivain à qui nous devons 
Gil Bios et la' comédie de Turcaret occupe sans 
doute une belle place dans l'histoire des lettres fran- 
çaises. t)n.lui a reproché avec raison de manquer 
d'idéalisme, de ne pas chercher à élever l'âme de 



DIX-HUITIÈM(E SIÈCLE.^ 313 

rhomme vers la beaulé morale. Nous n'entrepren- 
drons pas de le venger de ce reproche. Napoléon , 
dans une conversation à Sainte- Hélène, en parlant 
de Gil Bios , dit que tout ce monde a mérité la corde. 
Il avait raison; maïs, hélas I que de pendus encore 
dans la société actuelle si on lui appliquait une 
justice aussi sévère ! Il n*en est pas moins vrai que 
la peinture de tous ces gens corrompus qui agissent 
dans le roman de Gil Bios peut être immorale , 
parce qu'elle est faite avec calme , sans indignation^ 
et lùême sans blâme clairement exprimé. Certes 
rintention de l'auteur n'était pas mauvaise; sa vie, 
dit-on, fut obscure et honorable; mais il n'a, selon 
nous, rempli qu'une partie de sa mission d'écrivain, 
celle du peintre; il a négligé la plus élevée , celle du 
moraliste^ qui inspire Tamour de la vertu et cherche 
à consoler ses semblables en leur offrant de nobles 
exemples à imiter. 

Le Sage est surtout un observateur ; l'abbé Pré- 
vost, au contraire, sent avec passion et livre au pa- 
pier les brûlantes impressions de son Ame. Sa vie 
fut très-agitée. Né en 1697, à Hesdin, dans l'Ar- 
tois, d'un père magistrat honoré, Prévost entra 
chez les jésuites et y devint un novice plein de piété 
fervente; à seize ans, l'inquiétude de son caractère 
l'arrache à ses études et le jette dans la carrière des 
armes ; il s'en dégoûte bientôt , retourne chez les 
jésuites pour les quitter encore et rentrer dans l'ar- 
mée ; il mène alors une vie de dissipation et de piai« 



^4 HUTÛIMS pJBfil tJ^TTRES. 

sirs, et conçoit »nç passion profQBcle pQijr tjnft 
femme qu'il eqt le m^lbeur de yoir mourir^ Pé^oJé^ 
Prévost entra dans Tordre de$ Bénédictins et se fit 
prêtre; ce fut au milieu de ses travaux d'éru^itiou 
qu'il comniença ion premier roman* l^es pawiom 
de cet l^omme ne furent pas combattues par Wi 
foi assez forte ; \l ne put se |dier au clottre et i!m^ 
fuit en Hollande j c'e«t 4 l^ H^je qu'il publia lesf 
Mémoires (X!un homrm dç fual^^^ son premier qu- 
yrage. Prévost n'était pas à la fin de ses aventures; 
il devint encore éperdument amoureux en }Iol- 
lauded'uue jeune personne protestante, qui lesui* 
vit en Angieterre. Il créa un journal littéraire 9 le 
pour #1 le contre f et publias en i732 , Çlévelmii^\ 
fHanatk lescavt^ 

Après plusieure années d'exiU Londres , Prévosti 
dont la feqowmée s'étendait en France, pbtînt d'j 
rentrer, et devint aumônier du prince de Cpnti* 
Accusé d'i^voir pris part h uue galette désagréable 
à la cour» il fut de nouveau obligé de i^'expatrier» 
Protégé par le chancelier d'Aguesseau, il revint 
bientôt et entreprit la grande et importante epHeo^ 
lion de VfHitfire (fet vçyc^eâ et la traductioA des ro? 
mans de Kicbardson, $on extrême fécondité nuisit 
^ son talents Préve«t piourut subitement en traver- 
sant le bpis de. Cba^tillj ; il avait, «oixanto-quatre 
ans, Ainsi cet écrivain fnt le jouet malheureux ^ 
passiona effrénées qui le jetèrent dans tous les 9fr 
ces et dans toutes les «onffr^AQe»* 3ea liyreii se m- 



sentent de 9« aeftsihiUté et de aon exaltatie^u S^ 
V^^nï^g^ mnl âes yepvéaentansk ^e «es ptopiieB 
p^s^^o»^ ; m Wlr^uv» partwl l'«*iW Pféiwçt 4C^iHi 
leuFS *ver^ eçftiuwes} il e^t. ^ 1^ fswiUft de^fiefir 
taiQ9 qui puisent leuv» inspir^tioA$ ^m lew &f»e 
et peîgDeat surtout aveo Wurs sauvenk^ li'ijjûpivM'- 
sÂm pvu^uite p^r se», litres f^t profonde ^ « iA lee^ 
tw?e des msilhwf* imAgift^rw de Cléxeland^ dit 
IRoiis^e^u^ faite î^yeo fweiur et s«uve«t iat€|rrempn^ 
m'a fs^U faire» je eroi^, plu^ de mauvais sang ^ne 
les miens.^ t ifar^n J[je$cmt. e^l en.eore regardée aur 
jçiwd'Uwi c(w»e un dea i?aves çfceft-d'çeuwe deçe 
genre d^ Uttérature% A forée de véritéi dana la paa- 
sien 9 l'auteuir est parvenu à j^t^i" de l'intérêt aur dtft 
ètre£l dégred^s par tou$^ les d^serdre^ i \\ a'élèye par 
momena à une élqquenee admirable et peint avœ 
119 sentiment magnifique eette nort qui vient eir 
pier la vie de la malheureuse Geui:4iaane% U aurait pu 
puiseï" dana k ohristianiame <j^s aç^ens de remords 
et d'amour bien supérieure encore^ sâus doute, 
maia Jamaia rejeuancîer n'est arriva à produire une 
émotion plus forte. 

Mu autre conteur du dix-kuitième siècle» une 
foii|ime célèbre, madnmô de Tenein, eut encore une 
vie orageuse et tourmentée. Religieuse, elle fil an- 
nulei^ ses vo^ux, se mêla aus intrigues de la régence 
pour faire la fortune de son ^ère, et laissa expoaer 
Mn ea^t illégitiine, qui fut d'AIembert« On rap« 
pu\^ qulMOk amant de eette femme i^U|ft i ses; 9^i)X 



dl6 HISTOIRB DES LETTRES. 

dans un accès de jalousie. El cependant madame de 
Tencin (ceci peint le dix-huitième siècle) eut pour 
amis les premiers hommes de ce temps, et entre 
autres Tauteur de l'Esprit des Uns; elle tint le salon 
des beaux esprits jusqu'à Tépoqucoù madame Geof- 
frin lui succéda. Ses romans sont élégans et font^ 
parfois songer à madame de La Fayette, dont ma- 
dame de Tencin n^a pas cependant l'imagination 
pure et presque sainte. Les Mémoires du comte de 
Omminges offrent des beautés d'un ordre très- 
élevé. « L'auteur, dit M. Yillemain , a mis dans une 
fiction autant de passion et d'éloquence que made- 
moiselle de Lespinasse dans des lettres, véritable té- 
moignage d'un amour qui lui coûta la vie. » 

C'est faire un grand éloge de ce livre; car les 
lettres de mademoiselle de Lespinasse sont une de 
ces révélations qui éclairent toute une face de l'âme 
humaine. On sent qu'avec une éducation plus haute 
cette femme aurait pu trouver dans l'amour divin 
l'assouvissement de sa passion sublime, et que ce 
sentiment seul peut faire vivre les êtres de cette na- 
ture. 

Les peintures de l'abbé Prévost et de madame de 
Tencin ont pour excuse la naïveté même de la pas- 
sion ; les héros de ces livres sont des hommes vio- 
lemment entraînés et chez lesquels on sent que de 
meilleurs sentimens peuvent naître. Les romans de 
Crébillon fils, au contraire, peignent le vice élé- 
gant, musqué^ sans énergie; c'est une corraptioa 



DIX-BUITIËMË SIÈCLE. 31? 

qui se sourît à elle-même ; c'est , a dit M. deBarante, 
le Tice revêtu d'impudence et d'affectation. Voici le 
jugement porté sur Grébillon fils par un homme qui 
a vécu au milieu des mœurs que retrace Fauteur des 
Égaremem du cœur et de l'esprit, par d*Alembert. 
a Grébillon le père peint du coloris le plus noir les 
crimes et la méchanceté des hommes. Le fils a tracé 
du pinceau le plus délicat et le plus vrai les raffine- 
mens , les nuances et jusqu'aux grâces de nos vices; 
cette légèreté séduisante , qui rend les Français ce 
qu'on appelle aimables et ce qui ne signifie pas di- 
gnes d'être aimés ; celte activité inquiète qui leur 
fait éprouver l'ennui jusqu'au sein du plaisir même ; 
cette perversité de principes déguisés et comme 
adoucis par le masque des bienséances ; enfin nos 
mœurs, tout à la fois corrompues et frivoles , où 
l'excès de la dépravation se joint à l'excès du ridi- 
cule, y Un père de l'Église n'eût pas été au delà de 
ce dernier trait. 

Marmontel, qui nous a laissé de curieux mémoi- 
res, débuta par des tragédies dont personne ne se 
souvient, et qùi^ vues à une certaine distance, ne 
peuvent plus occuper de place dans l'histoire litté- 
raire; ses romans de Bélisaire et des Incas^ vantés 
au dix-huitième siècle , visent au poème sans y at- 
teindre , et n'ont pas résisté à l'épreuve du temps. 
On en fit grand bruit lors de leur publication , parce 
qu'ils flattaient les idées de l'époque. Ses Contes 
moraux sont plus durables ; ils peignent les mœurs 



9iê HlfT^IU MS LEfTBES. 

de ee eiéele soif» des ednlevrs moii» fîtes queCré^ 
UlloU filsi G'est d« li^rtinage wilé » qéi n'en est 
1^ moim ioimoral^ maÎË pbssd pl«s aisément dans 
lel fiMÔM â<d toutes les feoùnes qu'il n'effaroHobe 
pgfti Grébilloft fils 6st krotaaBcier qui peint le plùis 
fijf ïveneBt la sdcîété frat^ise sous «kaéâme dé Paà^* 
|)adour ^ 1»n a <}it ^m sies eotttes ressemblaient àdes 
^ar^iras 4k dentalles 4ans ceë tolom éi graeieusé»* 
mift orttés^tt tcNit respire le seDsualiaise %i lefrfsi^ 
#ir» 

. Y^rfi la fitt du dix^ittttiènâe siècle, la côrriiptiea 
«des riiœurs eut un peintre énergique et prdfoinl» 
laaelos, ràiiteuf* des lAâiêmè dangereuses , taMHmi éh 
«œurs défH-a^éea dont tnatlieuf^seinent te siècle 
dernier n'^st pas te seul i (^ir des thodâles. Hétif 
de la Bretotine bws doima amsi deë seéUes de dé^ 
Mnché qu'a tl^aça d*u»è ntain lîbré et audadeose; 
éiifih la Fràliee ^ d^jà sDtiilléé pat* ta Guerre dés Dim 
et par quelques livres de Diderot , vit rebulcr les boif- 
beadii dégoûtant et de Thorr^Ur par les œuvres în- 
fômesdu inwquis de Sade. Au milieu de ce iêbb> 
dément^ -quelques fen^nes^ entfre autres mesdames 
de GftaffighjT et de Riccoboni, publiaient de petite 
toaans iï>i*ituels.9t de bdn goût, et M. de Ploriaii 
eonameoçatl la sérié de ces gracieuse^ petites cotùpo- 
sttions qui ont amusé miré ewfatice â tous, sans 
avoir pour cela un grand mérite d'art, quoique 
EsêeUe et GiSbUêê toîent supérieures peut-être à la 
plupart dea Ddlëbres pastorales espagnoles. 



IX» 



ttqae, érodîtion. — Iiaaiothe. ~ Fontenalle. — IbnnoBtel. -^ 
i^derot.— iSCeroier. — 1« Harpe. — ^Thomas. — Barthélémy, etc. 
•*k#eéfle. •^toernardiii de ilAîiàUVîerre. — * ïlèlille, ele.^ tUi 



Nous avons parlé des travaux historiques de Vol- 
taire, de Montesquieu et de THistoire de Louis XI de 
Duclos ; quelques autres ouvrages d'histoire, appar- 
tenant au dix4iuitième sièclei ont exercé une certaine 
influence sur la nation. Le président Hénauît , né à 
Paris en 1685 et mort en 1770, est le plus célèbre 
des historiens qui soutinrent systématiquement la 
cause de Tancienne monarchie française. Son Abrégé 
çhrmologiqw de l'hUtoire (k France ^ tant de fois réim- 



320 " ttlSTOIRS DES LETTftCS. 

primé au dix-huitième siècle^ passa long-temps pcmr 
un ouifrage d'une rare profondeur. C'est au moins 
un livre remarquable par l'exactitude et par dei 
réflexions d'une grande sagacité. Le président Hé- 
nault , i fameux , dit Voltaire , par ses soupers et sa 
chronologie f p vécut assez bien avec tous les partis, 
avec la cour, les parlementaires et les philosophes. 
Son livre fut écrit franchement dans le sens du pou- 
voir absolu; le régne de Louis XIV éblouissait en*- 
core l'auteur. Aussi il ne faut rien lui demander sur 
l'histoire de l'affranchissement de nos communes, 
sur nos états généraux , sur tous les faits par les- 
quels se révéla d'abord la tendance de la nation à se 
mêler elle-même de ses affaires* 

Mably^ né à Grenoble en 1707, débuta en J740 
par un ouvrage empreint aussi des idées absolutis- 
tes , le Parallèle des Français et des Romains, Les pre- 
mières relations de l'auteur semblaient le porter 
cependant vers les idées nouvelles. Élevé chez les 
jésuites de Lyon ^ il vint de bonne heure à PariSi et 
connut chez madame de Tencin f alliée à la famille 
de Mably » Fontenelle et Montesquieu. 

Mais la mobilité de son esprit se révéla bientôt; 
après avoir travaillé quelque temps avec le cardinal 
de Tencin et avoir puisé dans ce contact beaucoup 
de notions diplomatiques , il publia son ouvrage (b( 
Droit public de l'Europe fondé sur les traités , dans le- 
quel il se passionnait pour les institutions des répu- 
bliques anciennes* Il émit les mêmes idées dans ses 



DlX'HUITlftHC SIÈCLE. 921 

Entretiens de PhocUm. Mais toute cette admiration 
pour les démocraties grecques et romaines aurait eu 
peu d'influence sur la société française si Rousseau 
n'était pas venu reproduire les mêmes pensées dans 
son style brûlant et original. Mably a été, sous ce 
rapport, le précurseur de Jean- Jacques ; sa puissance 
ne saurait toutefois se comparer à celle de Tauteur 
d^Êmile. Les Observations sur ^histoire de France sont 
remarquables sous plus d'un rapport; l'auteur est 
frappé de l'idée que nos historiens ne se sont pas 
appliqués à reproduire la physionomie des diverses 
époques de notre histoire. Mais, malgré cet aperçu et 
des études consciencieuses'sur nos monumens légis- 
latifs , Mably n'a pas su éviter le défaut qu'il re- 
proche aux autres. Il professe dans tout ce livre une 
véritable haine du despotisme; les idées de gouver« 
nemenl absolu qu'il défendit dans sa jeunesse sont 
bien loin de lui ; cependant il blâme sévèrement la 
frivolité des histoires de Voltaire , et proclame son 
admiration pour les historiens de la Grèce et de 
Rome, qu'il trouve très«supérieurs aux modernes. 
Cette franchise ne pouvait être du goût de nos phi-» 
losophes qui ne la lui ont guère pardonnée. Le style 
de Mably est faible et sans caractère; mais 9 quand il 
en serait autrement , les travaux historiques du dix« 
neuvième siècle empêcheraient d'étudier ses livres 
aujourd'hui. 

Les premiers volumes de V Histoire de France de 
Tabbé Velly parurent en 4755 et obtinrent un vérî-^ 
vu. 21 



322 HISTOIKE DES LETTRES. 

table triomphe. « L'on a peine à s'expliquer ^ m mi-- 
lieu de la France du dix-huitième siècle , le succès 
de l'ouvrage de Velly , dit M,. Augustin Thierry dans 
sa quatrième Lettre sur l'histoire de France. Il fallait 
qu'à cette époque la partie la plus frivole du public 
eût le pouvoir de donner à ses jugemens le caractère 
et l'autorité d'une opinion nationale; car tout se tut 
et fut obligé de se taire devant la renommée du nou- 
vel historien. Les savans mêmes n'osaient le repren- 
dre qu'avec respect de ses méprises géographiques ^ 
de ses erreurs de faits et de la manière dont il tra- 
vestit les noms propres% Yelly n'a ni la science qui 
manquait àMézeray, ni cette haute moralité qui man. 
quait à Daniel. Il se mit à composer son histoire 
(Garnier^ son continuateur, en fait l'aveu) sans^pré- 
paration et sans études , sans autre talent qu'une 
déplorable facilité à faire des phrases vagues et so- 
nores. Lui-même eut des scrupules de conscience 
sur le succès de ses premiers volumes ; il lut, pour 
s'aidera rédiger les suivans, les mémoires de l'A-- 
cadémie des inscriptions, et transcrivit au hasard, 
pour rendre son ouvrage plus substantiel ^ de longs 
passages de dissertations inexactes sur les usages et 
. les mœurs antiques, y 

Le jugement de notre célèbre contemporain sur 
l'Histoire de France de Velly et de ses continuateurs, 
Garnîer et Villaret, qu'il trouve supérieurs à Tabbé, 
est adopté aujourd'hui par tout lo monde. Le suc- 
cès, au dix-huitième siècle, fut basé sur ce stylo 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. 323 

facile et assez élégant dont parle M. Augustin Thier- 
ry ; c'était plus commode à lire que Mézeray : ^oili 
pourquoi chacun adoptait le livre. 

Une des gloires du dix-neuvième siècle sera d V 
Toir étudié consciencieusement nos chroniqueurs 
originaux , d'avoir saisi les physionomies des diver- 
ses époques de notre grande histoire nationale, d'a- 
voir étudié avec succès le progrès de nos institutions 
politiques. De notables efforts se tentent encore au 
monient où nous écrivons ; notre temps a été juste^ 
ment appelé le siècle de l'histoire. 

En dehors de nos annales nationales , il se fit^ au 
siècle dernier, des travaux dignes d'intérêt» Jean- 
Baptiste Grévier, élève de RoUin, continua l'histoire 
romaine de son maître , et publia ensuite une JSis* 
toire des ennpereurs et quelques autres travaux qui se 
recommandent par d'immenses recherches; mais le 
style de Crévier est froid ^ quoique naturel. ]1 n'a 
pas les hautes qualités des historiens antiques qu'il 
admire avec tant de raison. Lebeau , qui écrivit 
avant Gibbon VHutoire du Bas-Empire^ était un 
érudit dont les travaux immenses ne doivent pas être 
oubliés. Malheurement il n'eut pas le génie de l'his- 
toire; ses croyances chrétiennes auraient dû lui 
faire apprécier la mission de la grande religion du 
Christ, lui inspirer de magnifiques peintures de 
Tœuvre des premiers siècles que les préjugés de 
. Gibbon ne lui ont pas permis d'aperx^evoir. Lebeau 
fut moins lu qu'un autre écrivain religieux^ iraduc- 



894 HISTOIRE bE8 LETTRES. 

teur peu fidèle de quelques livres de Tacite , Tabbé 
de la Bletterie, auteur d'une Vie de Julien^ écrite 
avec esprit. Cet écrivain est au nombre des victimes 
de Voltaire, qui le lacéra de ses sarcasmes habituels. 

Le président de Brosses, né en 1709 à Dijon, et 
mort en 1777 à la tète du parlement de Bourgo- 
gne, fut encore poursuivi par Voltaire pour je ne 
sais quel procès relatif à quelques cordes de bois ; 
il est surtout célèbre en France par son livre sur 
ritalie, ouvrage très-spirituel, mais parfois licen- 
cieux. Le président ne «e contenta pas , durant son 
séjour à Rome^ de juger le temps présent avec la 
causticité naturelle de son esprit, mais il étudia les 
ruines et se fit contemporain de la république. Ses 
Lettres sur la découverte de la ville d^Herculanuvif et 
surtout son Histoire de la république romaine dans le 
cours du septième siècle, par Salluste^ attestent une 
profonde perspicacité et un sentiment bien rare des 
temps antiques. Ce dernier ouvrage, en partie tra« 
duit du latin sur l'original de Saliuste, en partie 
rétabli et composé sur les fragmens qui sont restés 
des livres perdus du grand historien romain , a fait 
dire à M, Villemain : « Au-dessous de Bossuet et de 
Montesquieu, il n'y a pas, dans notre langue, un 
plus beau fragment d'histoire ancienne que cette 
restauration d'après Tantique. » 

Si le travail du président de Brosses n'eut pas tout 
le retentissement qu'il méritait, V Histoire philoso- 
phique des deux Indes , par Raynal, acquit prompter 



BIX-HUITIÈHE SIÈCLE. 325 

ment une célébrité énorme. C'était un magnifique 
sujet qui convenait parfaitement aux peuples mo- 
dernes; rien de plus intéressant pour eux que l'his- 
toire de leurs expéditions et de leur commerce dans 
l'Inde et en Amérique. Mais quel mauvais goût! que 
de sophismes monstrueux! « Peut-être aucun auteur 
jusqu'alors n'avait manqué à un tel point de raison 
dans les idées et de mesure dans la manière de les 
exprimer, dit M. de Barjante. Il est difficile de con- 
cevoir comment on peut parvenir à un pareil délire 
dans les opinions , à une emphase si ridicule dans 
les paroles. » 

Des travaux d'érudition chrétienne, commencés 
au dix-septième siècle^ se continuaient silencieuse- 
ment au milieu des orages de l'époque. La Gallia 
christianaj entreprise sous un autre litre ^ès 1631, 
par Jean Cheenu de Bourges, fut poursuivie sous 
son litre définitif par Claude Robert, prêtre de 
Langres , et par plusieurs membres de la même fa- 
mille , du nom de Sainte-Marthe, aidés par des 
bénédictins. Ce fut de 1715 à 1728 que ce grand 
ouvrage fut livré au public tel qu'il existe aujour- 
d'hui. La Gallia chrîstiana est une histoire religieuse 
de la France, de ses évoques, de ses archevêques, 
de ses abbés, de ses prêtres. Les Acia sanciorum , 
desbollandistes, commencés, en 1630, par Jean Bol- 
landus et continués par vingt-six auteurs, mirent 
cent soixante-quatre ans à paraître ; le dernier tome 
fut publié en 1794. C'es^ une source immense dç 



32d HiSToniE 1>ES letthes. 

reàseigttemens sur la vie dé toutes les classes de la 
société au moyen âge. 

Les bénédictins et les jésuites furent infatigables 
au dix-huitième siècle. VArl de vérifier les dates de- 
puis la ncAssance de Noire-Seigneur tl V Histoire littéraire 
de la France , dont le prospectus fut publié en 1728 
par dom Rivet, sont de précieux monumens de pa- 
tience et d'érudition. Nous ne citons que les plus 
célèbres. 

Dans le même temps Saint-Foix écrivait ses Es- 
sais historiques sur Paris, Barbazan ses Fabliaux et 
Contes des douzième, treizième, quatorzième et 
quinzième siècles, de Paulmy sa Bibliothèque univers 
selle des romans, Sainte-Palaye ses curieux Mémoires 
sur l'ancienne chevalerie, Millot ses Ëlémens d'histoire, 
qui furent populaires en France jusqu'aux travaux 
de Técole du dix-neuvièmesiècle. Le Grand d'Aussy 
son Histoire de la vie privée des Français et les Fa- 
bliaux ou contes des douzième et treizième siècles , 
Mellin ses Antiquités nationales. En même temps 
toutes nos provinces voyaient paraître des chro- 
niques locales d'un grand intérêt, dont la nomen- 
clature est impossible ici. 

La critique allemande s'est souvent plu à recon- 
naître que la France est, sous le rapport des docu- 
mens historiques et des mémoires particuliers, plus 
riche que tous les autres peuples de l'Europe. Notre 
époque a su puiser dans ce trésor, et les progrès 
de notre histoire nationale seront une des princi- 



DIX-fiUITIËtfE SIÈCLE. 327 

palefil gloirêâ littéraires du dix-neuvième siècle. Le 
plus grand fait des temps modernes , la révolution 
française , a produit un grand nombre d'autobiogra- 
phies d'un intérêt immense ; nous ne nous y arrêtons 
pas^ à cause de la date récente de leur publication* 
C'est de l'histoire contemporaine; nous l'abandon-- 
nous désormais aux critiques qui nous succède* 
ront. 

Le travail de la critique française au dix-huitième 
siècle n'a pas le caractère de profondeur que nous 
avons remarqué en Âllemague; mais une foule 
d'idées s'agitèrent bruyamment dans notre patrie. 
Les écrivains qui s'occupèrent de critique littéraire 
le firent avec cette ardente polémique de Tépoque j 
et les plus grands esprits prirent part à cette lutte. 
Jean-Jacques , dans sa Lettre sur les spectacles , fit re- 
marquer tout ce que notre théâtre avait de peu na- 
turel. Lamothe attaqua vivement les unités par son 
Discours sur la tragédie , plein de vues saines et 
neuves; Voltaire, si hardi quand il s'agissait d'é- 
branler l'ordre social, trembla devant les règles 
suivies par Racine et s'efforça de réfuter Lamothe , 
bien plus par de l'esprit que par des raisons. Au 
reste , cette imagination mobile passa dans le camp 
des novateurs lorsque fut écrit en Angleterre 
Y Essai sur la poésie épique^ Mais Lamothe ne se borna 
pas à attaquer la règle des unités : secondé par Fon- 
tenelM, il voulut anéantir les vers français, qu'il 
soutint être fort inférieurs à la prose* On a dit que 



328 H^TOIEE DES LETTRES. 

ces hommes étaient surtout guidés par leur orgueil 
froissé , qui leur disait qu'ils ne sauraient égaler les 
grands poètes de la France; ils pouvaient bien aussi 
être blessés de la solennité peu naturelle du théâtre 
français et n'avoir pas assez de tact ou de connais- 
sance des littératures étrangères pour voir qu*il fal- 
lait modifier le vers tragique et non le détruire. 
Fontenelle et Lamothe étaient soutenus par les abbés 
Trublet et Terrasson. Le premier, qu'il ne faudrait 
pas juger par les sarcasmes de Voltaire, car il avait 
eu le bon sens de le placer au-dessous de Corneille 
et de Racine dans ses Essais de morale et de littérature^ 
était un prêtre fort honorable et un homme de goût^ 
beaucoup trop enthousiaste de Fontenelle et de La- 
mothe, ses amis et ses maîtres, et défendant leurs 
idées avec l'ardeur d'un disciple. Madame de Lassey 
disait de l'abbé Terrasson: « qu'il» n'y avait qu'un 
. homme de beaucoup d'esprit qui pût être d'une pa- 
reille imbécillité. 9 En effet, il était, dans la vie 
privée, aussi naïf que La Fontaine. Il se mêla aux 
disputes esthétiques de son temps par une mauvaise 
dissertation contre Homère. Son roman-poème de 
-Séthos^ l'impardonnable malheur d'être ennuyeux, 
quoiqu'on y trouve des fragmens fort distingués. 
Sa traduction de V Histoire universelle de Diodore de 
Sicile est digne d'estime. 

Ainsi que nous avons vu , de notre temps, presque 
toute l'école novatrice en littérature appiirtCDir aux 
doctrines politiques de l'ancienne monarchie , ainsi 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. 329 

la plupart des novateurs de la première partie du 
dix-huitième siècle restaient attachés aux doctrines 
catholiques. Voltaire allait du camp des classiques 
à celui de leurs adversaires , avec la mobilité ordi-* 
naire de son esprit et la puissance de sa parole 
mordante. LesËlémens de littérature de Marmon tel ré- 
vèlent la même mobilité de pensée ; l'auteur est par- 
tisan de la liberté dan^ Fart lorsqu'il s'agit de théo- 
ries générales, mais dans les applications il se sent 
enchainé par les grands génies qui sont la gloire des 
lettres françaises. Le besoin de la réalité dans l'art 
tourmentait tous les esprits; c'est ce besoin qui 
inspire les préfaces que Diderot place en tète de ses 
drames. Le fougueux écrivain secoue les chaînes 
classiques ; il demande que Fon s'affranchisse de la 
pompe de convention qui enlève à l'art toute vérité , 
toute liberté. Mais nul ordre ne règne dans ses ob- 
servations, nulle idée supérieure n'éclaire et ne 
domine sa théorie. Beaumarchais vint à son tour 
plaider la cause de la liberté, et il le fit avec sa 
puissance de sarcasme; il faut l'entendre railler les 
gens qui s'appuient sur Aristote , qu'ils ne com- 
prennent même pas. Dans tout le cours de sa vie, 
à la tête de chaque pièce, l'auteur de Figaro défen- 
dit les mêmes doctrines, et toujours avec une verve 
nouvelle. Le critique le plus avancé du dix-huitième 
siècle, Sébastien Mercier, avait publié^ crt 1773, 
son Essai sur l'art dramatique. « La hardiesse et la 
nouveauté des aperçus qu'îL rpnferipe étaient si 



grandes; dit M. Alfred Michiels dans son Histoire 
des idées littéraires en France , que depuis soixante 
ans on les répète mot [^our mot. A l'exception de 
quelques idées importantes, mais peu connues^ le 
romantisme est là tout entier. » Voici , en effet, une 
page qui prouvera toute Tindépendance de cet es- 
prit que les merveilles de Corneille et de Racine 
n'avaient pu ébranler : 

« Jodeile, Garnîer, Hardî^ Maîret, Tristan, Ro- 
trou , sont les vrais fondateurs de notre scène : c'est 
une vérité incontestable. Ils ressuscitèrent les pre- 
miers les sujets antiques, et, ne pouvant faire mieux, 
ils donnèrent la Cléopdtre captive , la Didon qui se tue/ 
la Phèdre amoureuse, la Troade, VAniigone, V Hercule 
mourant^ etc. ; ils traduisirent le grec et le défigurè- 
rent ; ils entraînèrent sur leurs traces ceux qui vin- 
rent après eux. Nos grands maîtres ont suivi le môme 
plan ; les ressemblances sont frappantes : leur génie, 
leur goût, leur style ne les ont point rendus créa- 
teurs ; on aperçoit chez eux la même coupe, le même 
ton de dialogue , la même, marche , les mêmes dé- 
nôûmens, et beaucoup plus de paroles que d^aclion. 
Ils ont été copistes comme leurs prédécesseurs. Ils 
Ont su écrire^ peindre, intéresser, maïs ils n'ont 
point déployé une verve originale ; ils ont composé 
avec leurs bibliothèques et non dans le livre ouvert 
du monde^ livre dont le seul Molière a déchiffré 
quelques pages. Goût bizarre et bien étrange de dé- 
naturer un ancien théâtre au lieu d'en construire un 



i>nt*i(umÈiiE «ÈGLE. 331 

neufi relatif à la nation devant laquelle on parle! 
Hais, ne cherchant pas même la route de l'inTen-^ 
tion, ils ont cédé à l'impulsion donnée lors de la 
renaissance des lettres , aurore pâle et lugubre , pluf 
triste que les ténèbres; ils n'ont su ni rompre cette 
impulsion, ni en imaginer une nouvelle. » 

Inclinons-nous devant les chefs-d'œuvre à jamais 
consacrés du dix-septième siècle; mais reconnais- 
sons la haute raison qui a dieté ces paroles et soyons 
convaincus que l'avenir de la littérature dramatique 
en France est dans cet ordre d'idées. Nous voudrions 
pouvoir citer encore, mais il faut renvoyer au livre 
lui-même. On y trouvera, non-seulement des pages 
de cette force , mais des notions religieuses et spiri- 
tualistes qui contrastent énergiquement avec les 
préjugés de l'époque. Cependant Mercier est oublié; 
c'est qu'il n'est pas homme de style ^ et sans cela il 
n'y a d'avenir pour personne, quelle que soit d'ail- 
leurs la profondeur de la pensée. Cet écrivain , qui 
possédait si bien les théories de l'art dramatique , 
n'a écrit que des drames médiocres, qui sont plutôt 
des dialogues sur la morale que des pièces destinées 
à la scène. 

La Harpe a maltraité Sébastien Mercier ; nous ne 
craignons pas de dire que sous plusieurs rapports il 
était cependant fort inférieur, comme critique, à 
l'écrivain qu'il dédaigne. Les leçons de La Harpe , 
réunies sous le titre de Lycée ^ ou cours de littérature 
mçienne et moderne , ont été, jusqu'au mouvement 



332 HISTOIRE DES LETTRES. 

littéraire qui s'est manifesté de 4820 à 1830^ le livre 
de critique le plus populaire; il conserve encore une 
certaine influence, tant les nations perdent difficile- 
ment leurs habitudes d'admiration ou de blâme. 

La Harpe ne comprend pas l'antiquité , il ne sent 
pas la liberté de l'art grec, qui est bien plus près, 
sous certains rapports, des belles créations de Shaks- 
peare que des imitations que Ton nous a données. 
L'auteur du Lycée analyse souvent d'une manière 
supérieure la littérature latine et surtout la littéra- 
ture française du dix-septième siècle. Il s'élève par- 
fois jusqu'à l'éloquence ; mais notre théâtre est un 
type qu'il adopte exclusivement , ou plutôt il ne 
connatt que lui. Quant à son examen du dix- 
huitième siècle, il a togus les défauts des jugemens 
contemporains: d'abord il est démesurément long, 
puis il subit toutes, les réactions de la pensée de 
l'auteur que les passions du moment entraînent en 
tous sens. La Harpe est un écrivain de talent; mais 
l'ignorance des littératures étrangères a nécessaire- 
ment borné son horizon et faussé ses idées. Aussi 
son enseignement n'est-il plus applicable à l'époque 
actuelle; incomplet, étroit, il pourrait aujourd'hui 
être un obstacle à une instruction large et forte. 
Qu est-rce, en 1844, qu'un cours de littérature qui ne 
fait connaître ni les travaux des pères de TËglise, 
ni le Dante , ni Shakspeare , ni Calderon ? 

Thomas étudia l'antiquité plus consciencieuse- 
piçnt que La Harpe et que le dix-huitième siècle en 



DIX-HUITIËHE SIÈCLE. 388 

général; mais il ne semble pas en avoir eu un sen- 
timent bien éclairé. Ses éloges emphatiques , quoi*- 
que souvent animés par des idées généreuses et 
grandes^ ne ressemblent guère à Téloquence grec- 
que, si libre, si simple^ si remuante. Cependant 
lorsque l'auteur rend compte des travaux de la 
science on sent qu'il en a Tamour , quoique son en- 
thousiasme se communique peu au lecteur. V Essai 
sur les éloges révèle chez Thomas une érudition très- 
vaste; seulement on regrette qu'il ne Tait pas appli- 
quée à des parties plus intéressantes de Thistoire de 
l'intelligence humaine. La vie de cet homme fut pure 
et austère; l'amitié sainte qui le liait au noble poète 
Ducis est un des plus beaux spectacles que présente 
l'histoire des lettres. 

L'abbë Barthélémy consacre les immenses res- 
sources d'une érudition profonde à un sujet bien 
autrement intéressant que les Éloges, à tout ce monde 
grec qui a été Finilialeur des peuples modernes et 
présente une des plus magnifiques manifestations 
du génie humain. 
Barthélémy , né près d'Âubagne , en Provence , 
' montra dès Tenfijince un goût décidé pour les re- 
cherches sur l'antiquité. Sa vie fut celle d'un béné- 
dictin ; il travailla trente années au Voyage du jeune 
Anacharsis , et le publia en regrettant de n'avoir pu 
y travailler plus jeune. Arrivé à Paris , il fut protégé 
par M. de Boze , conservateur du cabinet des^médail* 
les, et mis par lui en rapport avec lés gens de lel- 



8S4 HisïoiEE i>B0 tmass. 

très. Il commit à Rome le duc de Choiseul ; il s'atta» 
cha à lui et revint vivre à Paris au sein de l'étude et 
du repos 9 étranger au mouvement philosophique et 
social qui entraînait le monde alors. 

Barthélémy 9 avant de s'occuper de son célèbre 
Voyage^ avait eu l'idée de peindre l'Italie du sei- 
zième siècle; mais les études de toute sa vie l'en- 
traînèrent vers la Grèce. Le Voyage du jeune Anachar- 
m$ a tous les caractères d'un talent conciencieux et 
patient. Toutefois nous pensons , comme plusieurs 
critiques contemporains , que le plan adopté par 
Barthélémy a nui à son œuvre, qui eût été très-su* 
périeure si l'auteur nous avait donné une histoire du 
génie de la Grèce ^ sujet vaste et sublime qui mérite 
bien d'absorber toute une vie. < C'est par le chris- 
tianisme et la langue grecque que le monde a été 
changé, dit M. Villemain. Tous ces missionnaires 
qui allaient delà Judée jusqu'à Lyon , jusqu'à Rome, 
étaient des Juifs hellénistes ou des Hellènes judai- 
sans; toutes ces écoles, qui fiorissaient dans Alexan- 
drie, dans Antioche, dans Â;scaIon, dans Gaza, 
étaient grecques.Gette immensité;cecosmopolitisnie, 
pardonnez-moi ce mot barbare , qui sera le dernier 
état de la littérature grecque , est le dernier carac- 
tère de sa puissance. On a bien tort de croire qu'elle 
finit au règne d'Alexandre. Elle se transforme^ elle 
s'étend au contraire. Après avoir été, jusqu'à Alexan- 
dre, la première souveraine de l'imagination et du 



PIX-HUlTliME SIÈCLE* 885 

goût, elle est devenue, après Alexandre, la pensée 
de l'univers, i 

Le Voyage du jeune Anacharsis parut en 1788, à la 
veille de la révolution. Les idées étaient tournées 
vers la Grèce ; le comte de Gholseul-Gouûier publiait 
son ouvrage enrichi de gravures. Le livre de Barthé- 
lémy devint populaire dès son apparition, et depuis 
il jouit de l'estime de TEurope qui l'a traduit dans 
toutes ses langues. Celte estime est méritée; le 
Voyage d'Anacharsis est une belle source d'instruc* 
tion; le style a de l'ampleur et de la pompe, trop 
peut-être ; il sent un peu l'académie. Ses analyses 
de la littérature grecque sont certainement très-su- 
périeures à ce que le dix-huitième siècle a produit 
dans ce genre. Cependant il faut reconnaître que 
l'auteur habille souvent les grands hommes de rHet- 
lénie à la mode française et qu'il remplace leur 
belle simplicité par des ornemens factices. On n'é- ^ 
chappe guère à Tinfluence de son pays et de son 
temps. Barthélémy n'a pas assez d'entraînement; on 
ne sent pas qu'une émotion vive réchauffe lorsqu'il 
examine les chefs-d'œuvre de l'art. Le Germain 
Winkelmann le domine de très-haut. On a remar- 
qué que dans la partie politique il a manqué à l'au- 
teur, pour bien apprécier ces républiques agitées et 
ardentes, d'avoir vécu au milieu d'un peuple régi 
par des idstituiions libérales. Sous ce rapport, on 
préfère au Voyage d'Anacliarsis un ouvrage anglais de 
la fin du dix-huitième siècle^ les Lettres ath^nienneê. 



886 HISTOIRE DES LETTRES. 

écrites par q.uelques élèves de l'Université de Cam- 
bridge , dont plusieurs sont devenus ministres. 

Malgré tous ces reproches , Touvrage de Barthélé- 
my est un monument imposant dont la France a le 
droit d'être (ière, un de ces livres graves et conscien- 
cieux qui instruisent et apaisent , qui suffisent à 
assurer Timmortalilé d'un homme. 

Le dix-septième siècle n'avait étudié que l'anti- 
que et une partie de la littérature de l'Espagne, le 
dix-huitième commença à répandre en France la 
connaissance des lettres allemandes et anglaises. Le 
célèbre économiste Turgot attira l'attention sur l'Al- 
lemagne par quel(iues travaux de critique et par la 
traduction de Gessner. Le. Tourneur publia sa ver- 
sion d^Shakspeare 9 et Voltaire, qui avait annoncé 
à la France la gloire de ce poète, fut effrayé de cette 
espèce de naturalisation , car il était aussi jaloux 
des morts que des vivans. < Avez-vous lu y écri- 
vait-il , cet abominable grimoire , dont il y aura en- 
core cinq volumes? Avez-vous une haine assez vi- 
goureuse contre cet impudent imbécile ? Souffrirez- 
vous l'affront qu'il fait à la France ? Il n'y a point 
en France assez de camouflets^ assez de bonnets d'âne, 
assez de piloris pour un pareil faquin. Le sang pé- 
tille dans mes vieilles veines en vous parlant de 
lui. S'il ne vous a pas mis en colère , je vous tiens 
pour un homme impassible. Ce qu'il y a d'affreux, 
c'est que le monstre a un|parti en France ; et^ pour 



mX-ttUlTlÈMË SIÈCLE. 3d1f 

comble de calamité et d'horreur, c'est moi qui 
autrefois parlai le premier de ce Shakspeare, etc. » 

Ceci est très-curieux. Un des plus grands poètes 
qui aient paru dans le monde traité d'imbécile par 
un des plus célèbres écrivains de la France ! Voilà 
de quoi consoler de toutes les injustices contempo- 
raines. Cette colère n'empêcha pas Shakspeare de 
faire son chemin ; le public s'émut de plus en plus 
de la puissance de ce drame nouveau qui remuait 
tant de passions et de souvenirs historiques. Un 
homme doué d'une sensibilité profonde, Ducis^ 
imita plusieurs chefs-d'œuvre du poète d'Elisabeth, 
timidement il est vrai^ mais avec assez de succès 
pour inspirer à tout le monde le désir d'étudier 
l'auteur d'Hamlet. 

Plusieurs écrivains secondaient d'ailleurs cet en- 
traînement vers ce sublime peintre , en ouvrant de 
nouvelles voies à l'imagination française. Nous avons 
parlé de Rousseau et deBuiïon; un ami du premier, 
Bernardin de Saint-Pierre , doit être considéré 
comme un des hommes qui ont le plus influé sur 
l'avenir poétique de la France. Il naquit au Havre, et 
fut, comme Rousseau, éprouvé par toutes sortes de 
vicissitudes. Son goût pour les voyages se manifesta 
si vivement dès l'enfance , que sa famille le laissa 
partir à douze ans pour la Martinique , avec un de 
ses oncles qui était capitaine de vaisseau. Bernardin 
s'ennuya de la vie de marin et revint en France; on 
l'envoya chez les jésuites de Gaen, où il fut charmé 



338 HISTOIRE BEjSI LETTREfil. 

par la lecture si intéressante des Lettres édifiantes et 
cufi^ises. Devenu ingénieur des ponts et cliausséesi 
Bernardin dô Sainl- Pierre part pour l'Allemagne et 
se bat au siège de Dusseldorf, dont il revint blessé 
et inquiet. Dès lors il méditait des plans de réforme 
sociale et voulait fonder une colonie , une espèce 
àe république de Platon , de phalanstère ^ comme on 
cCrait aujourd'hui, il fut accueilli par Tindifférenca 
et tomba dans la pauvreté. Alors il vendit ses livres, 
éinprunta quelques louis et partit pour la Russie, 
voulant /omfer sa colonie sur les bords du làc Aral. 
11 s^arrète en Hollande où il devient journaliste, 
part pour Lubeck et de là pour Saint-Pétersbourg. 
Il est protégé par le maréchal de Munich qui l'en- 
voie à Moscou , où il est présenté à Catherine II par 
M. de Vilbois , grand-maître de rartillerie. 

Le jeune Français, accueilli avec une bienveillance 
singulière, plut beaucoup au puissant Orlof, qui 
voulut se rattacher ; mais de Saint-Pierre était peu 
propre à la vie administrative , sa tète fermentait 
sans cesse; il parla au ministre de son plan de co- 
lonie , fut traité de rêveur et envoyé en Finlande 
comme capitaine d'artillerie , pour étudier des po- 
sitions militaires. Ennuyé, il quitte la Russie pour 
la Pologne , où il s'endort en des séductions dange- 
reuses, séjourne à Vienne , à Dresde, en Prusse, 
voit Frédéric vieux et ennuyé lui-même , puis re- 
vient en France, éprouvé par toutes sortes de tra- 
vauxj de voyages et d'obstacles vaincus. Les bureaux 



minifitâriels s'enoombreBt de nouveau des projets 
de temaiidio wr la manière de prévenir le pariage 
de la (Pologne, gor une nouvelle rout« des Indes et 
sur ia ookmisatioii de Madagascar. Un de ses amis , 
If. Rémnfie fak en? oyer conme ingéDieur à l'Ile-de- 
France; Ji il se ^yuerelle avec les autorités el revient 
encore nne ifoîs à Paris , où ifl veut se lier avec les 
philosophes qui repoussent cet homme dont les 
idées veligieuses leur sembtent une faiblesse. Il vé- 
oiit (donc obscur idans une petite chambre de ia rue 
Sant^iemie^u^Mom ; mais il connaissait Jean- 
Jacques Rousseau qu'il accompagnait souvent dans 
pvomenades aux environs de Paris. Quelques 
apvës la mort de Tauteur é' Emile y en 1784, 
Bemardiii publia les Êtude9 de la nature, qui eurent 
en France on immense retentissement; les savans 
fit les gaos«de lettres les accueillirent avec dédain; 
mais Je public s'obstina à les aimer, e( le public 
eut raison. 

Tout le inonde a 4ît que fes Êiudes et fe» Harmo- 
niée de la nature ont peu de valeur scientifique; mais 
kur gloire n'est pas là , elle est tout entière dans la 
religion et dans la poésie. Au milieu du scepticisme 
et de la sécheresse de V Encyclopédie, cet hymne au 
Créateur s^éleva pur et radieux ; il amollit les cœurs, 
il parla & l'homme des bontés de la Providence ; 
l'amour remplaça l'amer sarcasme de Voltaire, l'or- 
gueilleux sophisme de Diderot. Cette grande renais- 
sance religieuse, que l'on fait généralement remon- 



340 HISTOIRE DES LETTRES* 

ter à Chaleaubriand , a sa source au milieu du 
dix-huitième siècle, dans le déisme de Rousseau, 
dans la tendre et sainte contemplation de Bernar- 
din. Voyez combien il aime la nature , avec quelle 
grâce il peint une fleur, un champ, un lac,' une 
forêt! Tout ce délicieux mystère de la communion 
de l'âme avec le paysage inspire à Fauteur des 
Ëtudes de suuves el de brillantes pages que le pu- 
blic aima de toute son âme malgré Fanathème des 
savans. Les idées de Bernardin sur l'âme humaine, 
la poésie et les arts sont souvent d'une beauté ravis- 
sante. On l'a remarqué avec raison , les écrits de 
Bernardin de Saint-Pierre sont une magnifique 
transition entre Jean-Jacques Rousseau et Chateau- 
briand. Si l'auteur des Études n'est pas catholique, 
l'esprit du christianisme vivifie son œuvre , et, mal- 
gré des erreurs de détails , Dieu est toujours au fond 
du cœur de cet homme, il éclaire et anime sa 
pensée. 

En politique, Bernardin est souvent rêveur sans 
doute; mais que d'idées qui passaient alors pour 
des utopies ont été réalisées par la société depuis 
sa mort! Grâce à Dieu , bien d'autres utopies passe- 
ront encore dans le domaine des faits. 

Un soir. Bernardin fit une lecture dans le salon 
de madame Necker. Là se trouvaient Buffon, Tho- 
mas et quelques autres hommes célèbres. Le grand 
naturaliste s'ennuyait, regardait à sa montre et 
demandait ses chevaux; Thomas, l'emphatique 



DIX-HUITIÉME SIÈCLE. 341 

Thomas, bâillait bruyamment; les belles dames sou^ 
riaient de pitié en retenant leurs larmes avec peine. 
Le manuscrit, qui répandait autour de lui cette in- 
fluence somnolente, c'était le délicieux petit livre 
de Paul et Virginie^ le plus populaire des livres 
français peut-être. L'auteur ne fut consolé que par 
son ami, le grand peintre de marine Yernet; mais 
lorsque ces amours si purs et ces déchiremens de 
cœur si cruels furent placés sous les regards du pu- 
blic , Bernardin de Saint- Pierre fut vengé par l'at- 
tendrissement du monde entier. Cette églogue si 
neuve et si pathétique a sa place dans l'admiration 
des hommes auprès de tout ce que l'art a enfante 
de plus yrai et de plus suave. 

Le style de Bernardin ne contraste pas moins que 
son esprit avec le style ordinaire du dix-huitième 
siècle; on a remarqué avec raison que Tauteur des 
Études de la nature s'inspirait du seizième siècle, de 
Montaigne et d'Amyot, et de l'antiquité à travers 
les ouvrages de ces écrivains. 

Bernardin de Saint-Pierre a tous les caractères 
des véritables poètes : la simplicité, la naïveté, l'a- 
mour de Dieu et de l'homme, il est bien plus sim- 
ple et plus naïf dans Pxml et Virginie que dans la 
Chaumière indienne, où il se rapproche un peu^ je 
crois, des écrivains du temps. La naïveté, qui 
donc l'avait alors dans la poésie française? 

Les phibsophes avaient fait grand bruit du poème 
des Saisons de Saint-Lambert. Ce brillant militaire 



343 HISTOIRE PES LETTEES. 

voyait la nature des salons de la petite cour de Loi^ 
rdine ou du balcon de TOpéra. Aussi son poème^ 
qui ne manque pas d'une certaine élégance ,;n*offir« 
ni véritable enthousiasme ni sentioiens profondsu 
Impossible de le comparer aux magnifiques pein^ 
lures de la vie des champs que nous a laissées TaiH 
tiquité, ni même au beau poème anglais de Tbomp- 
son. Le chevalier de Boufflers avait rappelé Tabbâ 
de Ghaulieu par des poésies épicuriennes , on peu( 
mSme dire liceneieuses; elles devaient éUe très^ 
goûtées dans les soupers du dix-huitiéme siècle 9 
on y admirait Pierre^Joseph Bernard , isutaleut 
musqué d'Ovide 9 qui donna comme le poète ro^ 
main un Art d'aimer^ où l'on trouve» beaucoiq^ de 
galanterie et point d'amour. Le comte François- 
Joachim de Pierre de Bernis » poète mort cardinal 
à Rome en 1704 ,. était encore fort à la mode 4 peu 
près dans le même temps que Bernard. On a com- 
paré son talent à celui du peintre Boucher i il pro^ 
diguait tant les fleurs, que Voltaire Ta surnommé 
BabeUla-Bouquetière. C'était un homme né avec des 
facultés rares , mais que la société de sott temps 
avait entraîné dans un système absurde* Oft eu 
peut dire autant de Dorât (Claude-Josepb), venu 
quelques années plus tard que Bernis : après avob 
échoué dans la tragédie^ daos la eomédie^ dans 
toute la poésie élevée, Dorât était parvenu à se Mtt 
une réputation énorme au moyen de petits vers 
pleins de mignardises, que personne n'aoraitle 



BIX-HUITIÈIIE SIÈCLE. BAS 

eoufage de lire aujourd'hui. II fit école et eut de 
nombreux éfêves , parmi lesquels il ne faut pas ou- 
blier Demoustier, auteur assez ihde des Lettres à 
ÉtniHe sur la mythologie. Lemterre, las de ses chu- 
tes au théâtre, écrivait ses poèmes des Fastes et de 
bPemfure; ils renferment des pages remarquables, 
nais peu de pensées, peu de sensibilité qui se com- 
Hiunique à Tàme du lecteur. La langue s'appauvris- 
sait, on ne visait plus qu'à une certaine élégance 
de second ordre. Golardeau et Léonard sont les 
versificateurs auxquels nous pensons en écrivant ces 
lignes. Le savant traducteur des Géorgiques, Fabbé 
Delille, commençait alors sa brillante carrière. 11 à 
été très-populaire au commencement de ce siècle; 
mais que reste- t-il de sa renommée? Que de ters 
ëdatans sans pouvoir parvenir à être poète! Ses 
poèmes des Jardins et de Plmaginathn révèlent ce- 
pendant des facultés rares, une belle fécondité^ 
mais jamais l'auteur ne parvînt à la grande élo- 
quence; sa poésie est toujours artificielle. DeFillé 
semble créer des difficultés pour les vaincre; il 
écrit parfois dix lignes pour remplacer un mot 
qu'H eût été très-simple de prononcer sans tant de 
façons. Le lyrique Lebrun n'est plus lisible : quel • i 
insipide mythologismel quelles allégories glacées ! 
quel amas de termes impropres I 11 faut se souvenir, 
pour pardonner à ses enthousiastes (car il a eu des 
enthousiastes), que ça et là on rencontre des stro- 
phes heureusement travaillées. Le laborieux histo- 



344 HISTOIRE DESLËTTM8. 

rien de la littérature italienne, Ginguené, prit de 
très-bonne foi Lebrun pour un grand poète. Bertin 
et Parny s'efforçaient de ressusciter Tëlégie ro- 
maine; le second , qui a sali son nom par un poème 
sacrilège, a laissé plusieurs pièces d'un style très- 
pur, qui reproduisent la presqose de Jean-Jac- 
Rousseau. Que n'a-t-il^ comme le grand prosateur, 
le sentiment du paysage! Une victime de la misère^ 
Halfilâtre, a révélé des qualités réellement si^upé- 
rieures : ses fragments traduits de Virgile sont 
d'une poésie forte et savante qui promettait de 
retremper le vers français du dix-huitième siècle. 
Son poème de Narcisse est plein de grâce et de mol- 
lesse; mais il mourut à l'âge de trente-quatre ans. 
c La faim mit au tombeau Malfilâtre ignoré », a dit 
Gilbert, autre martyr du dix-huitième siècle ^ qui 
lutta presque seul contre la puissance, colossale des 
philosophes et n'eut pas la force de yiyre l Son 
œuvre est inégale sans doute, mais dans la satire 
il rappelle les grands maîtres, Juvénal principale- 
ment. Il avait aussi le génie lyrique et en a laissé, 
ainsi que Malfilâtre, quelques preuves incontesta* 
blés. Il se tua à l'hôpital dans un accès de folie. 



X. 



VhîlofopliM* — TaQveaargaei. — Bnelof. »— Ooiidlllac|«-«llîderot: 
B'Aleinbert* — &• baroo d'Bolb«eh»--Btelvéthi0.<f-Boal«Bg9r9 
•te. — Zi'Eneyelopédîe. — Kei Éoonomîstei. 



Loin de tout le tumulte intellectuel de Paris , à 
Aix en Provence, vivait un jeune gentilhomme, 
Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues, né le 
6 août 1715. Ses éludes furent assez faibles; à dix- 
huit ans il fit la campagne d'Italie comme sous- 
lieutenant au régiment du roi infanterie. Sa vie s'é- 
coula dans les garnisons et les camps ; il ne vint à 
Paris que deux ans avant sa mort, en 1745, car 
Vauvenargues mourut à trente-deux ans. Il ne fut 
cependant pas toute sa vie sans communications 



346 histoihe des leto res. 

avec les puissances intellectuelles de son temps ; sa 
correspondance avec Voltaire est remarquable^ et 
ses relations avec Ue dominateur du dix-huitième/ 
siècle furent assez suivies en 1746 et 1747* 

Quelques mois avant de mourir, Yauvenargues 
publia son Introduction à la emnaissance de CesprU hu' 
main j suivie de réflexions et de maximes ; ce livre n'eut 
pas un grand retentissement. Ginq;uante années 
après on retrouva quelques manuscrits de l'auteur, 
et vers 1820 la collection de ses œuvres fût complé- 
tée paf d'^^iktre» opuscules , pArmi lesquels on r^ 
marque des éialogues qui font penser à een de Pé- 
nélon. 

On ne trouve pas un monument dans toutes ces 
œuvres (n^oublions pas que l'auteur est mort à 
trente-deux ans); mais une teinte mélancolique , 
une manière douce et triste de considéra la vie, 
une sainte espérance mêlée au doute ^ font de ce 
philosophe une figure* très-curieuse à examiner au 
milieu du dix-*huitiàiiie siède* Vanvenargiies est 
une âme née pour là vérité » et que lea bruyantei 
négatioBsi de $on temps épouvaniaftt. Cependant 
cette intelligence n'est pas asaex forte pour s'arrai 
eber à des influennes auisi teirribUs ^ et U aeeptii 
^me s'y gliâM pour li tauinkaat^* Tou9 Im écritt 
de Vauvenargttf» attealent ee comlittt entra la Soi el 
le doute; il aime» au mimx de toiH le fiuix éebt 
de ce temps , à rappelé» d'impaeantea auttoritéa et 
' fiiveor 4a la rdigian ^ camme loraqu'ii dit : « ItaiN 



•OHmiTiiiB siteu^ Met 

hm^ PMttt, BqsbwU Raclncr^ Fénj^kuii. oW-è^ 
dire les hommes de la terre les plus èdtsàféA, éMtltt 
plua pltHowphe. da a»u*k&^»^laA ^àm la fekce 
de ktiur eéprit et dd km âgs^^ oMl cam léMM 

Buctes y Bè i Dioaa ea Bretagne ^ &k VîM^ 
m^ bien ploa qua YaHxeMigwea lei: lele» haM^ 
toettea du dis^buitièmô siècle^ G'ffll wi da ce» haib* 
«es.qpkritu€Jd ^lû: font uôewL biic dienift daiotlo 
BNUide par leâ relailmiis de «tciété qua par lemra 
éerits. Il fut memlNra^de TMadéoim de» iMcitpiucuMi 
ea i739 ,. et de YAiMÙévm' liasiiçaBe « il^T. &» 
kamouR facile et som hoaocabb casaetèN; le fiten» 
r«ehercber de» paraMoages loa jditaiaAiiaiifi d0 soni 
ipacpiie. Aptes atoîr été lié liMig^eaipsi mem la paHt 
|^li^aaplii(|«e, H s'effraya & se&eaeès. « i40 funeste 
eSety d^-il, que cas écrivama ppodiuâaaa^ aar hm 
lecleuire aal d'an £ùre dans la jieiMif saa &at ■laa'wa 
ettayena, des crimtaala scattdatenx^ al dea naalbeo*^ 
mil dans l'âga avaaeé. » U es( {aapoanble de maui 
peindra lea résultats aociam du iqatérîaLisfiie. IHi^ 
dos élaflé trèsHastimé daas. sa pratinea. Qaaêf né 
domicilié à Paris^ il f«t neaimé maif a da Doua» 
ea ilàà^ et anobli en 1155 , pat lattfeat palentay 
da roiy a Fooeasàba de la part qo'if pvitau râle glo« 
rieux que jouèrent alors les Étata de Btetagaa ( le 
père de Docioa était ekipelîer). K'ovbliom pas , 
parmi ae&titrea de gloiarav qu'il fol déaigaé oaaniflMiii 
par tatiecMtat oammalap lasdigne daagrâeaa 



94S HISTOIRE DES LETtftËS. 

du souverain , et qu'il mourut historiographe de 
France en 1772. 

Ses romans, la Cmfeêsim du comte de ^^^ et la 
Baronne de Luz , sont des taibleaux assez scandaleux 
du dix-huitième siècle , retracés avec une modéra- 
tion qui était presque de la pudeur alors. Son His- 
toire de Louis XI, écrite selon la manière épigram- 
matique de Fépoque, lui valut les éloges de Vol- 
taire; elle est oubliée depuis long-temps, et elle le 
mérite. Duclos n'a pas su peindre la physionomie 
barbare de ce siècle ; il n'a pas compris nos vieux 
chroniqueurs; les a-t-il lus? Commines en dit plus 
en trois pages sur cette époque et sur ce roi que 
rhistorien moderne dans tout son livre. Ses Qmidé' 
rations sur les mœurs de ce siècle révèlent sans doute 
un homme d'esprit habitué à la fréquentation d'un 
monde élégant^ mais c'est un livre froid et qui ne 
laisse que bien peu de traces dans la mémoire. Ce- 
pendant il renferme des observations d'une rare 
finesse, et Louis XV, que la dédicace appelait un 
grand roi , dit que c'était Touvrage d'un honnête 
homme. Aux titres de l'auteur il faut ajouter celui 
de grammairien. On estimait beaucoup ses remar- 
ques sur la grammaire de Port-Royal et son active 
collaboration à l'édition de 1762 du Dictionnaire à 
V Académie française. 

Avant d'entrer dans l'étude des écrivains les plus 
audacieux et les plus bruyans du dix-huitième siè- 
cle , nous avons à parler d'un homme grave, d'un 



ï 



t>ix-aciTii:iiE siècle. i4S 

esprit patient et solitaire. Né à Grenoble , onze ans 
après Duclos, Tabbé Etienne Bonnot de Gondillac, 
derAcadémie française et de celle de Berlin, fut 
long-temps précepteor de Tinfant don Ferdinand^ 
duc de Parme. Ses principaux ouvrages sont intitu- 
lés: Eisctt sur l'origine des connaissances humaines^ 
Traité des sensations j Traité des systèmes ^ cours d'é- 
tudes composé pour son élève* 

L'abbé de Gondillac fut un disciple de Locke^ dont 
il reproduisit les idées fondamentales; comme son 
maître , il réservait Tordre de foi , déclarant que tout 
un monde échappait à nos sens; mais il enseignait^ 
ainsi que le philosophe anglais, que toutes nos con* 
naissances nous venaient de la sensation , dont il 
faisait notre faculté première et dominatrice. Gon- 
dillac était religieux et ne prévoyait pas plus que 
Locke les déplorables conséquences de ce système , 
d'où allait naître le matérialisme de Diderot et de 
la Mettrie ; mais il n'étudiait qu'une partie de la 
science , celle qui tombe sous nos sens, et cet ensei- 
gnement incomplet et souvent faux eut en France un 
très-rapide succès dû à la lucidité du style et à la 
simplicité de ces leçons qui , en rejetant toute la 
partie transcendentale de la science , lui enlevait la 
vérité , mais aussi les difficultés de ses problèmes 
les plus élevés. 

Le sensualisme envahissait tous les esprits. Le 
Genevois Gharles Bonnet , naturaliste profond, phi* 
Josopbe d'une âme élevée et contemplative^ souvent 



350 HISTOIRE D£g LBTTHES. 

inspiré par k christiaoîsme, a reproduit beaucoup 
d'idées de Leibnitz dans sa OmtetnpktUm de k mum 
et sa Pulingénésie philmqptàque; mais le fiameui apho- 
rîsoie de Locke < Rien n'est 4ans FiaieUigencfi qé 
ne soit d'abor4 dans la sensation » fut adqpté par luij 
U ne sembla pas frappé de la iulni1De^se ia4ieQQtiûn 
de Leibnitz : a^si €exi\eat riiilelli|[eafie^Ue«tiB6'ij 
et son Essai analytique sur les faauUés de i' âme futré- 
4îgé dans l'eiipuit 4e Locke. Chwles «onnet est^en- 
core un liomme qui ne préi^ofait pas les escè 
^ue eette doctrine aUaît enfanter en France. Un au- 
tre Genevois , A.bauz;it , né vers le milieu du siècle 
de Xouis XIV, et connu surtout chez nous par une 
note de Rousseau fui le comparait àSocrate, est 
resté plus pjpofondément ^iritualiste queBonoet.; 
%S6S écrits sur la Connaissance du Christ et surthfmimr 
quiiui est du ont inspiré les pages les plus celifiâu- 
>sesde Jean* Jacques. 

«Mais il est temps de ^chercher à caractérisar oe 
.SBoqpe de philosophes qui effrayaient Duclos. Le 
j^tts célèbre est le fougueux Diderot^. né à LaBgre8 
en 1712. Son père fut un honnête coutelier qui mit 
son fils chez les jésuites de la ^ille ; le jeune bomine 
fit ainsi d'e&cellentes études. qu'il ^t achener à 
4^aris. On le destinait à Tétat ecclésiastique ; les j^ 
suites et l'Université cherchèrent à l'attirer^ car l-ar- 
deur infatigable de son esprit avait excité Tatten- 
lion^; mais il voulut rester libre et vécut à Vem, 
«oiiventeniproie à la pauvreté, recevant quelques 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE^, ^1 

petits secours de sa mère et daignant ^ quand U en 
trouvait Toccasion^ des leçons de mathématiques^ 

f Un de ses expédiens , éicrk M. Viilemaia , fut 4^ 
dire à un religieux en crédit q«i'il voulait entrer dans 
son ordre et se consacrer à Dieu , mais qu'avant de 
(piilter le;nonde il avait des dettes à y pi^er. Le reli- 
gieux raccueillit; il lui prêta plusieurs fois de Tar- 
dait sur sa conversion future; mais, comme les de- 
maiHies se renouvelaient, enfin il refusa* « Vous ne 
Toulez.plus me prêter d'argent? lui dit le néophyte. 
— ^loD , assurément. — - Ëh bien ! je ne veux plus 
étreoarme. » Cette feinta nousparalt moins piquante 
et moins bonne que ne le croit un admirateur de 
Diderot. Elle semble annoncer déjà Tart qu'eut som- 
vent ce philosophe de prendre avec emphase des 
rôles un peu factices et de s'imposer parfois à au- 
trui au nom de la philantbrophie, de la vertu et de 
Tamitié. » 

Diderot se maria à une femme sans fortune et vé- 
cut pendant quelque temps en traduisant des oji- 
Trages anglais.pour les libraires. Il publia, en 1745, 
le Traité de Shaftesbury sfir le mérUe et ia vertu , 
et se fit théiste à la manière de l'auteur qu'il imi- 
tait. Trois ans après il donna un recueil sous le 
titre de Pensées philosophiques. Le .public le lut avec 
avidité. Diderot marchait hardiment dans la voie dé- 
plorable que nous allons le voir parcourir. Il est 
vrai qu'il ne professe pas encore ici le matérialisme; 
il croit encore à un Dieu créateur > mais il attaque 



352 HISTOIRE DES LETTRES. 

Tiolemment la religion et la morale par des sarcas^ 
mes pleins de verve qui firent le succès de cette bro- 
chure. C'est dans sa Lettre sur les aveugles que Dide- 
rot arriva au matérialisme; c'est là qu'il émit cette 
doctrine insensée que la matière en mouvement s'est 
organisée elle-même en débrouillant le chaos. De 
cette négation absurde [de la puissance créatrice il 
arriva à la négation de Tàme humaine » et à faire 
dépendre les idées de nos organes physiques. Il an- 
nula ainsi J'un trait de plume la liberté et la respon- 
sabilité de l'homme. 

C'est cette absurdité déshonorante que Diderot 
soutint continuellement avec une verve exubérante 
de langage et une éloquence énergique , lorsqu'elle 
n'est pas ridicule , dans les ouvrages qui suivirent : 
la Héfatation de MaupertuiSf V Interprétation de lanor 
turef dans ses romans, dans S2l Promenade des scep- 
tiques y dans son Rêve de d'Alembert. 

La Lettre sur les aveugles fit mettre Diderot aa châ- 
teau de Yincennes : depuis on le laissa débiter 
tranquillement ses folies dont les résultats ont ce- 
pendant été déplorables. Son Interprétation de lam- 
ture, œuvre pleine de déclamation et de désordre, 
peut être considérée comme le commencement et le 
modèle de tous ces ouvrages monstrueux qui sali- 
rent en France la seconde partie du dix-huitième 
siècle; on ne parla plus que de la nature. Nous eth 
mes le Système dé la nature, la Phibsophie de la na- 
ture, le Code de la nature, etc. La nature faisait dé- 



bik-HUitiÈne SIÈCLE. 353 

raisonner ions ces pauvres hommes qui se croyaient 
savans parce qu'ils déclamaient de grands mots 
en sablant du Champagne. Voltaire passait pour foi<t 
arriéré ; l'athée Grimm écrivait : « Le patriarche ne 
▼eut pas se départir de son rémunérateur vengeur ; 
il raisonne là-dessus comme un enfant, v 

Diderot, non content dernier la vérité philoso- 
phique, s'empressa, dans ses romans, d'appliquer 
8é8 théories et de corrompre l'intelligence par des 
tableaux d'une volupté grossière. Jacques le fataliste, 
la Religieuse et les Bijoux indiscrets firent plus de mal 
que tous les traités prétendus scientifiques de l'au- 
teur : ce sont de ces livres qui souillent la mémoire 
d'un homme. 

. £t cependant, s'il n'avait pas cherché & éteindre 
en lui la lumière divine , Diderot aurait pu conqué- 
rir la véritable gloire ; personne ne fut plus que loi 
doué d'enthousiasme ; quelques fragmens de ses cri- 
tiques sur la littérature et sur *la peinture l'attestent 
suflisamment. Il est parfois chaleureux et même pro- 
fond, mais presque toujours sa désolante doctrine 
matérialise les arts et ne lui laisse apercevoir qu'une 
partie de l'œuvre qu'il analyse. Il a tracé quelques 
petits récits pleins du talent de conteur; on cite 
principalement les Deux amis de Bourbanne^ VHis^ 
ioire de mademoiselle de la Chaux et du docteur Gardeil^ 
elle Neveu de Rameau f dialogue étrange^ cynique, 
déclamatoire , mais dont roriginalilé n'est pas con- 
testable. 

VII. 23 



8&i SISTOIRE M($ UTTBES. 

Un homme d'une nature l>ieii di£fôrenle, le ini- 
tbématicien d*AIejmbert, vécut pendant vioft ans 
dan» Tintimité de Diderot : fiiU (naturel de madame 
de Tencin et du c(>mmi$$aire de marine Destouebai, 
il fut exposé aoua le portail de Saint-Rodbi et re- 
cueilli par une pauvre femme. Cependant ton pcre, 
.qui ne put le reconnaître 9 ne rsdbaodonna (tai en- 
tièrement, et une pension, qu^il paya âvecir^gala- 
rite, permit à d'Alembert de faire de bonnes études 
k rUniversité. Entraîné dès renfio^nce vers les ma- 
ttiématiqnea^. c'est i ceUe science qu'il doit sa ti- 
jritable illustration} car il .reste, comme écriiaîa, 
fort loin des grands maîtres du dix^huâlième siàdè. 
Une certaine dignité de vie, un caraobèm bienseil- 
lant et sa vépmtatian scieniifique ëEuiètéiit lesou- 
venir de sa naissance et 4onnârent d'Jklembert une 
fiace tràS"<^vée au milieu de la société dé son 
jtfimps. 

U étirity ^omme Dîdorot et qndkjûes antres dont 
JKOUS allons hienl6t parler, l'ami du baron d'ficri- 
JM^, que Tabbé Galiani appelait le màm^hMel 
éfi lufikUawpIne. Ce Mécène, pn petit sd^neur aUe- 
maad^ avait de resprit et surtout de la fortune. La 
eorrespondance de Diderèt donne des détails très- 
em'ieuK «or rîntérieur de cet hôtel Ramboutliet eu 
dix-*baitième siècle, où Ton remplaçait les dîscos- 
sions sur le bel esprit et Tamour plalonique par des 
conversaitions d'une licence effrénée sur Dieu , sur 
l'univers, sur les mœurs et les idées des nations ; 



. fl1X«-H01TlÈllfi mÈiQVE. 3S5 

khfétbmÈes soeialcs, doât la néees^ké y était 
fffoplanéo l:lià€|lie soir pa? des contites «alhoii- 
êiMMéLebwtm à'HiÂbâch avait donné un^aorteâe 
r«pnl>daciion âe Vlniêrpréiaiim de la naiiêrede l>ide- 
rot, qu'il intitula Système de la nature ^9è il'efit 
^'un peu plus pitoyable que le modèle; Tanallyse 
d'iin de ces liivres peut sertir à tous. La Polittqiie 
naturpUé et te Christianisme dévoilé du bareâ sont 
anissi de malheureuses conséquences des principes 
■latérâalisUs posés par le maître. 

Mais si les livres de Mécène étaient médiocres^ 
ses.dloers étaient excellens et la société qui fréquen- 
tait son bMel très-agréable. On y trouvait noit-sëtf- 
kmèntles philosophes / mais des personnages de 
la plus haute société : le marquis de Jaucour, les 
eemten de l'ressan, de Schomberg et bien d'autres. 
L'abbé Morellet dit, dans ses mémoires: « C'était 
là que Diderot » le docteur Roux et le baron luî- 
Biéme établissaient dogmatiquement l'athéisme 
absolu , celui du Système de la nature , avec une per- 
suasion, une bonne foi, une prolbité édifiante, 
même pour ceux d'entre nous qui, comme moi, ne 
eroyi^ient pas à leur enseignement K 

» Car il ne faut pas croire que, dans cette so- 
ciété, toute philosophique qu^elIe était, au sens 
défavorable qu'on donôe quelquefois à ce mot^ ces 

^ Tant pis poar les intelligences qui restent probes en dé-* 
fendant des absurdités monstraeuses. 



866 HISTOIRE MB LETTRES. 

opiniont libres outre mesuré fussent celles de tooi. 
Nous élions là bon nombre de théistes 9 et point 
honteux I qui nous défendions Tigoureusement { 
msis en aimant toujours des athées de si bonne 
compagnie! » 

Diderot et le baron d*HoIbach avaient pour ami 
un fermier général , épicurien et millionnairei Hel- 
fétiuSf auteur du livre de l'E$prUf in-quarto pubHé 
peu d'années avant le SyHème de la nature ^ et que 
toutes les grandes dames plaçaient sur leur toilettCi 
sans intention de le lire, croyons-nous. Le stjle en 
est assez pur, mais sans originalité ; le raisonnement 
y est presque toujours absurde, ou plutôt Taotear 
ne raisonne jamais, il affirme, et cependant son 
ouvrage est une négation parfaite. Personne ne res- 
semble moins à un philosophe qu'Helvétios; m ^ 
doctrines ou plutôt celles de son livre sont d'une ^ 
brutalité d'égoisme effrayante. Il est impossible de 
rabaisser plus Tespéce humaine ; mais c'est le crime ^ 
de toute l'école matérialiste. ^ 

r La douleur et le plaisir, dit le livre de l'Eipritf ^j 
sont les seuls moteurs de l'univers moral , et le sen- ' 
timent de l'amour de soi est la seule base sur là- 1 
quelle on puisse jeter les fondemens d'une morale ( 
utile, f j 

On dit cependant que ce philosophe insensé était 
bienfaisant et d'une société agréable. Pourquoi donc <u 
tant d'efforts dans l'intérêt du mensonge et do la 
démoralisation? ^ 



^ 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. 35t 

On rencontrait encore dans la société du baron 
d'Holbach des hommes moins célèbres ^^ mais qui 
travaillaient avec zèle à Tœuvre de destruction. Da- 
roilaville, que M. Gapefigue appelle dédaigneuse- 
ment le commissionnaire du parti athée , parce qu'il se 
chargeait de colporter les impiétés de la secte» écri- 
vit des ouvrages plus que médiocres contre la révé- 
lation chrétienne. Naigeon, privé d'esprit et d*intcl- 
ligence^ proclama naïvement la gloire de l'athéisme. 
Le malheureux Gondorcet (qui, en 1794^ évita 
Téchafaud par le suicide), ami intime de d'Alem- 
bert, était un géomètre habile, auteur d'une sorte 
d'apothéose de Voltaire ; Rivarol disait de lui « qu'il 
écrivait avec de l'opium sur une feuille de plomb. ». 
Toute la science de ces hommes est puisée dans les 
ouvrages de Boulanger, né à Paris en 1722, et mort 
à trente^cinq ans. C'était un ingénieur, qui étudia . 
les langues hébraïque , syriaque , chaldéenoe et 
arabe, et se servit de ses connaissances philolo- 
giques pour essayer de détruire la révélation » tant 
la fureur d'un philosophisme mensonger transpor- 
tait alors tous les esprits! 

On dit que Boulanger se repentit amèrement à sa 
mort de la guerre insensée qu'il fit au christianisme. 
Ses Jivres sont dangereux pour des lecteurs igno- 
raus, parce qu'ils oifrent un grand étalage de 
science, confuse et pleine d'erreurs, il est vrai, 
mais imposante pour des jeux peu clairvoyans. Son 
ouvrage intitulé l'Antiquité dévoilée parut un tel chaos 



388 HISTOIRE MES LBTTRBS. 

à Voltaire t qu'il l'aecablà de ses sarcasmes; il àe 
Taf^eiait jamais que t Antiquité voilée. Qaant au 
Chriêtiankme dévoilé , odieuse rapsodie attribuée à 
Boulanger;^ elle est à ce qu'il parait du baron d'Hol- 
bach; mais on n'a pas là-dessus de certitude, car 
une pudeur que nous aurions désirée plus forte £311* 
sait lancer tous ces litres destructeurs sous le voîtê 
de l'anonyme. A quoi bon analyser le Système de la 
nature? c'est toujours la même folie : « Le monde 
s^eH développé par son propre mouvement , la matière 
est étemelle. » Tel est le résumé de cette œuTre^ le 
résumé de celles de Diderot et de toute cétle mal- 
heureuse école. Cette matière en mouvement orée 
aussi, apparemment l'intelligence de l'homme!! et 
voilà les impossibilités stupides qu'une population 
qui se disait éclairée acceptait à la place des hautes 
vérités du christianisme! C'est à rougir de honfe 
pou;* l'humanité* 

Au milieu de toute cette bouoi les salons du ba- 
ron d'Holbach, d'Helvétius et de madame Geoflfrin 
tressaillaient d'orgueil. Cette dame GeofTrin était 
une bonne femme qui, sans manquer d'esprit, ne 
comprenait que très-médiocrement les théories phi- 
losophiques; elle aimait les conversations spiri- 
tuelles et aurait tout aussi bien accueilli des écri- 
vains religieux , si la mode s^étdit tournée de ce côté 
alors. Ce qu'elle voulait, c'était vivre au milieu des 
coryphées du jour, parce que cela flattait son amour- 
propre, que les philosophes caressèrent si bien 



mX-BVITlËME SIËCLB. '350 

qu'elle donna deux cent mille francs pour concourir 
aux frais de V Encyclopédie. 

Ce fut la grande œuvre de la secte; d*Àlembert et 
Diderot en eurent la direction suprême : un esprit 
mathématique et froid associé avec une des plus 
actives et des plus fougueuses imaginations que 
nous ayons jamais pu étudier. D'Âlembert se char** 
gea de modérer cette fougue ; il voulait produire 
avant tout une œuvre grave et calme qui donnât une 
idée. de Tétat des connaissances humaines au dix- 
huitième siècle. D'ailleurs autour de la grande en- 
treprise se groupaient des hommes qui exigeaient 
une certaine tempérance de pensée, Buffon , Vol- 
taire lui-même un peu effrayé parfois des excès de 
d'Holbach et de Diderot, et dans d'autres momens 
excitant l'orgie de son rire passionné. 

Les deux premiers volumes, contenant les lettres 
A et B, offraient quelques articles où la vérité était 
respectée, auprès de travaux moins heureux; cepen- 
dant on avait gardé une certaine modération dans 
l'erreur. L'esprit général déplut néanmoins, et ces 
deux premiers volumes furent arrêtés sur l'ordre 
de la censure ; toute là secte encyclopédique jeta 
des cris. Le duc de Ghoiseul dominait alors le con- 
seil , quand madame de Pompadour le permettait. 
On ordonna d'examiner attentivement YEncyclopê- 
die^ M. de Malesherbes, ami des philosophes, M. de 
Malesherbes, qui avait revu les épreuves d^ Emile ^ 
était alors directeur de l'imprimerie et de la librai- 



360 HISTOIRE DBS LETTRES. 

rie; il fut facilement entraîné et Tentreprise se con- 
tinua. 

Bienlôt elle envahit tout; les encyclopédistes té" 
gnèrent despotiquemeilt sur Tintelligehce fran- 
çaise; tous les jeunes hommes qui cherchaient une 
carrière dans les lettres éprouvaient le besoin de 
se ranger autour des directeurs de l'opinion. 

Que si nous recherchons aujourd'hui quelle est 
la valeur réelle de ce livre qui exerça tant d'em- 
pire sur le dernier siècle , nous trouverons qu'il 
est inégal comme toutes les œuvres auxquelles con- 
courent un grand nombre d'écrivains. D'Âlembert 
et Diderot ne pouvaient d'ailleurs y maintenir 
Tunité sans perdre l'ouvrage, car leurs doctrines 
présentées franchement auraient révolté la majo- 
rité des lecteurs. 

Le Discours préliminaire , écrit par le premier de 
ces philosophes, est son principal titre à la renom- 
mée littéraire. Ce vaste projet de présenter une 
sorte d'inventaire des connaissances humaines, et 
le tableau des investigations et des découvertes au 
moyen desquelles elles étaient parvenues progres- 
sivement à leur état actuel, avait préoccupé Leib- 
i)itz. L'anglais Ghambers voulut réaliser seul celte 
idée gigantesque; nécessairement il échoua dans 
son immense entreprise. Les philosophes du dix- 
huitième siècle ne parvinrent pas à élever un mo- 
nument harmonieux; mais le discours prélimi- 
naire révélait une intelligence forte et étendue* 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. 361 

D^Âletnbert 8C montra supérieur dans ce qui a 
rapport aux sciences exactes. On sent à chaque ligne 
un mathématicien éminent auquel il n'a peut-être 
manqué que l'idée religieuse pour être un jiiomme 
de génie; mais dans l'appréciation des sciences mo- 
rales et de leurs origines le savant se montre in- 
complet et superGcieL C'était au reste la grande 
erreur de apn temps qui se reproduisait ici : le 
sensualisme exclusif qui ne peut mener à la com- 
préhension de l'homme ne conduit pas plus à celle 
de la science. Quelle qu'ait été la force intellec- 
tuelle de d'Alembert, en parlant d'un faux prin- 
cipe , il ne pouvait arriver qu'à des conséquences 
sophistiques. 

Le défaut capital de V Encyclopédie du dix-hui- 
tiéme siècle est la variété de ses doctrines. Un ar- 
ticle orthodoxe se trouve entouré d'articles déistes, 
spirilualistes, sensualistes , matérialistes. La vérité 
elle-même se glissait dans ce grand arsenal de des- 
truction; Diderot la laissait passer pour cher- 
cher à séduire quelques lecteurs^ naïfs. Il en est 
résulté une Babel, un chaos de doctrines où la lu- 
mière ne saurait pénétrer. 

Mais ce qui en ressort clairement^ trop claire- 
ment, hélas! c'est l'irréligion, c'est le scepticisme 
où vinrent aboutir toutes ces divagations philoso- 
phiques de Voltaire, de Diderot, dii baron d'Hol- 
bach, d'IIelvétius et de tant d'autres. Le matéria- 
lisme, Tathéisme furent l'erreur d'un petit nombre, 



309f HIStOfKE tfËS UTTftVS. 

cThôittined peut-être, mais le seepti^isme devint 
national i it s'infiltra dans leeœur de la société fran- 
çaise. 

Ce itaste doute de Bayie, que Panglais Hume 
avâât érigé en principe, en proclamant que Fhomme 
ne pOBTait parvenir à aucune certitude et qu'il ne 
devait conséquemment être astreint à rien croire^ 
<ia^essait la paresse et toutes les inauvaiaes passions. 
Aussi flt-ii fortune, non-seulement en Ângletm^re, 
mais en France; la société ne songea plusqu'aui 
voluptés sensuelles et aux intérêts égoïstes. Je lien 
saiê rien fut la devise de chacun^ et Ton se rendit 
ainsi galment à l'abîme jusqu'au moment terrible 
où l'on se réveilla dans le sang. 

Cette ardente passion d'examen que le dix-hui- 
tième siècle portait dans l'étude de la philosophie 
se retrouTe dans toutes les branches des connais- 
sances humaines. Les embarras financiers du gou- 
Yernement firent naître la secte des économistes: 
des magistrats , des gens de lettres scrutèrent à 
Tenvi les causes de la richesse des nations , les 
théories se succédèrent rapidement dans le but de 
détruire la guerre, l'oppression et surtout fa pau- 
vreté. Le marquis de Mirabeau, le docteur Ques- 
nay et Vincent de Gournai sont regardés comme 
les chefs des écoles économistes. Ouesnay avait en- 
seigné que l'agriculture était la source de toutes les 
richesses; Gournai , jetant sur le monde un regard 
plus synthétique, l'avait reconnue dans le travail 



nxrnDiTitn somjês* SB9 

et têûdiAî i tot hAteeé èU SVanee aucftne (totrcef 
idacthre. Eb même ienpfs il réckima k grands trié 
la liberté du commercé, lé Ud^$erfdre, laisser péà* 
ser^ enjoignant au gouTernement dé rester speètà^ 
teur bienveillant de tous les efforts de rindustrie# 
de Fagriculture et du commerce d^échangè. Cette 
\dste indépendance > ces libres communications entre 
tous leë peuples , cet abaissement des barrières qui 
les avaient séparés jusqu'alors^ parurent un EUkh 
rado qui éblouit toutes les imaginations. Voltaire 
essaya en vain ses sarcasmes contre ces innovation^ 
brillances. Un jeune administrateur, qui devait jouéi^ 
plus tard un grand rôle politique, Turgot, cherchait 
à appliquer ces théories dans son intendance de 
Limoges; Lamoignon de Malesherbes, fils du chan- 
celier et premier président delà cour des aides; 
et Trudaines, fils de Tadministrateur auquel on 
devait les belles routes de France 9 se firent les 
auxiliaires zélés des doctrines nouvelles qui entrai-' 
nèrent bientôt le gouvernement lui-même dans la 
voie de la liberté. 

Turgot, d'ailleurs, qui ne tarda pas à marcher 
à la tête des économistes, arriva au pouvoir; 
Louis XVI , dont l'âme noble et aimante était vive- 
ment émue des souffrances du peuple, secondait le 
grand ministre^ qui cherchait à réaliser ses théo- 
ries. Mais les privilégiés de la naissance et de l'ar- 
gent, redoutant le régne de la justice parce qu'elle 
entravait leurs agiotages iniques, renversèrent 



364 ' atSTOIRE DES LETTRES. 

Turgot, et le malheureux Louis XVI disait en le 
renvoyant : < Il n*y a cependant que H. TurgOt et 
moi qui «mions le peuploé » Un autre homme de 
bonnes intentions^ le ministre Neeker, échoua 
également dans ses projets de réformes pacifique»; 
il était trop tard> les abus avaient été trop accumu- 
lés) les passions remuées trop profondément; le 
peuple allait faire un appel à la force, et de nobles 
Tictimes devaient payer de leur sang les fautes et les 
crimes de leurs pères. C'est ici qu'il faut encore se 
courber devant cette mystérieuse loi de l'expiation 
par la souffrance du juste, loi écrite à chaque 
piige de l'histoire du monde. 



XL 

i 



8* la Uttératar* ffranfAÎM pendant In révolnlîon.— 3 
In UîImnm.— • Mîrabcan. — É^oqa/Buem êm la «haïra al da barreau 
ftt U dîx-lwilièna WMa. — &m dans Okéniar. — llaaif.— 
» da Stail. — K. da Maîflra. — K. da Ohaleaubriand. 



Depuis la mort de Louis XIV , le vieil ordre so- 
cial , qu'aucun éclat ue dérobait plus aux regards , 
s'était démembré de plus en plus dans les orgies de 
Louis XY et de la Régence. Les abus intolérables des 
privilèges qui incombaient à une petite partie de la 
nation , sapés depuis long-temps par les écrits des 
philosophes et supportés avec un^ impatience tou- 
jours croissante^ une soif ardente d'innovations pré- 
chée depuis long«temps déjA par d'éloquens gé* 
nies, des finances délabrées^ enfin cette puissariee 
magnétique qui est dans l'air et finit par imprégner 



366 HISTOIRE DES LETTRES. 

tous les esprits des idées et des lumières d'un sië- 
cle, toutes ces causes , et d'autres encore , amenèrent 
la convocation des États-généraux et notre grande 
'révolution de i789* 

On a souvent comparé 1789 et 1640 , la révolu- 
tion d'Angleterre et la révolution française ; la res- 
semblance n'est que superficielle. Le mouvement de 
1789 a eu, en effet, des résultats sociaux bien autre- 
jnent profonds , j|l en aura de.bien autrement uni- 
versels* 1640 n'a Wdé qu'une^ociététt'istocratique, 
respectant l€]t>ritiiége'de naissance^ et/ te plus gf and 
de tous 9 le droit d'afnesse. 1780 a créé la seule puis- 
sante nation démocratique de l'Europe , la seule so- 
ciété du vieux monde qui prépare réellement pour 
les peuples une ère nonvette et mystérieuse. 

Aussi l'Assemblée constituante offre-t-elleau pu- 
bliciste un spectacle unique dans le monde, un 
mélange inoui de théories généreuses et d'esprit 
^IH^atifue. |L«t. terre de France send^Iait alors tres- 
saillir d'espérance; de toutes uto provinces^ l'élite 
4e la nation accourait à Paris; les idées de Montes- 
quieu f 4e Rousseau, de Vokaire, fermentaient dans 
.toutes les tâtes# On croyait arriver en peu d'années, 
^ peu de mois peut-ôtre, S cet Eldorado social tM 
par TàKie t>rûJante des philosophes et des poètes; 
PO s'avançait le cœur gonflé d'allégresse sans aper*- 
eevoir le fleuve de sang qui devait déborder quatre 
AM plus tard. 

Pow donner une idée de l'éloquence des bo» 



069 4ui ont concouru à cet iounease dirame, il nous 
(wûrfit ro&ir^ Thistoire de la révolution frajpça^^ ; 
il y a ici une complication de faits et de travaux 
^.na «auraient s'analyser en peu de psgQSf coipioe 
«eux de la tribuM anglaise ; nous dem»a doue mvs 
hotm&t à éM indications et rentoy^r aitt hiatorki»s 
fonr réÉude des détails. 

iLe Mul omieur qui ait acquis dans |e wmdi^ mtH 
dcrne un nom compartjble à celui de.Diinostjhièii^s 
est Mirabeau^ « JNé avec un cor|^ de ler^ aMC un 
lempéraoaiem de feu», il surpassa le» 1teiituS(ft')l^ 
liiofs de M race., dit M. de Cûniienili4 Lesjpiisîons 
lepriccfii prévue dans son hsrcieM tstidéwràrent 
UMe/ip^vie; aes exubéramesifacultésynefiteMllit 
se développer au dehors^ se conteBkràrent.sÉiP lellâs* 
iDèmoB. Il se fit «li lui' un amas > ua^ tcdvail# un 
ImnittoADem^it de tontes choses ^ comine lé wkbn 
qn aondense.» analgame^ fond et .hreie .ses laves 
a^ant: à^ ^les lancer dans les airs par sa iDioneha nn- 
fiamsiée : littératiire grecque- et latine^ iangiies 
iAraiiBères ^ mathématiques ^ philosophie ^imisiqw , 
il apprcnaîl tout i retenait tout » savait tout. Escrime, 
natatÎMi , équitfttion « danse y course^ tous les «mf- 
cîeea gymnastiques hii étaient famitiô^s^ 

i^ Les qiâux que les heureux philosophes eu 
siède avaient pmatlStil les avait sentis, il avait fiè- 
rement regardé le despotisme paternel et nihislé- 
ricl face à face, sans qu'il eût peur et sans s'en lais-i 
ser abattre. Pauvre, fugitif, exilé^ proscrit «jocar- 



368 HISTOmB DES LETTASS. 

céré; chaque jour, chaque heure de 8;i jeunesse fut 
une faute, un orage» une étude, un combat. Sous 
les Verrous des donjons et des bastilles, la plume à 
la main et le front penché sur les livres, il empUs- 
sait les vastes réservoirs de sa mémoire des trésors 
les plus riches et les plus variés. 11 trempait et re- 
trempait son ftme dans ses bouillans assauts contre 
la tyrannie^ comme ces aciers qu'on plonge dans 
Teâu , encore tout rouges de là fournaise * • v 

Tel était l'homme qui arrivait, nommé par le 
peôple, à TAssemblée constituante; le vieux monde 
croulait entraîné par les fautes de toutes les pois- 
-sances qui rtvaient dominé. La voix tonnante de 
Mîrabçaii venait amonceler ces ruines; il portait à 
la tribune (om les sentimens, toutes les idées, 
• toutes les passions que les philosophes répandaient 
dan0 la société depuis prés d'un siècle. Son génie 
s*ééhauflfait au contact de cette nation qui tressail- 
lait d'espérance à la vue d'un avenir mystérieux 
dont elle n'entrevoyait pas les orages; la grand'ora- 
teur et le grand peuple réagissaient puissamment 
l'un sur l'autre. Mirabeau possédait toutes Jes fa- 
cultés des tribuns : la force et la profondeur de la 
pensée, un langage d'une énergie foudroyante et 
d'une clarté toute française, un physique terrible, 
une action admirable. Ses discours écrits peuvent 
rivaliser de logique et d'entraînement, sinon tou- 

' Liwê dêê'orateurê , 2« [lariio. 



BlX-ttbtTIÊms SIÈCLE. 

jours de forme »aTec les plus célèbres harangues dé 
Démosthénes. Tels sont les discours sur la constitu- 
tion , sur le droit de paix et de guerre » sur le veto 
^ royal I sur la loterie, sur la banqueroutOi et d'autres 
eacore. 

On trouve à chaque instant dans Mirabeau de ces 
térités immortelles applicables à tous les temps et 
à tous les pays, comme lorsqu'il dit : 

c Trop souvent, on n*oppose que les baïonnettes 
aux convulsions de l'oppression ou de la misère. 
Mais les baïonnettes ne rétablissent jamais que la 
paix de la terreur et le silence du despotisme. Ah ! 
le peuple n'est pas un troupeau furieux qu'il faille 
enchaîner I Toujours calme et mesuré lorsqu'il est 
vraiment libre, il b'est violent et fougueux que sous 
les gouvememens où on l'avilit pour avoir le droit 
de le mépriser. » Une des grandes puissances de 
Mirabeau était son étonnante facilité de réplique ; 
c'est à l'improvisation qu'il faut surtout juger un 
orateur, c'est par-là principalement qu'il domine 
les hommes, parce qu'il les étonne et les effraie. 
« Alors, dit l'écrivain que nous avons déjà cité, il 
laissait là les notes mesurées de sa déclamation ha- 
bituellement grave et solennelle. 11 lui échappait 
des cris entrecoupés... des accens déchirans et ter- 
ribles. » 

Toute la France sait par cœur les mots qu'il 
adressa à M. de Brézé. 

« Les communes de France ont résolu de délibé^ 
VII. 24 



370 nmoiw M9 MVTUs. 

ror : et voiui» looiuîeuf » qui na mut iex et» l'or^ 
ggne du roi auprès de TAsseviblée natîdnak; «oui 
^ui u'avex ici ni place, ni Yoix, ni droit de parler ^ 
allez dire à votre maître que neus «ommet ici par 
la volonté du peuple, et qu'on ne nous en arrachera 
(|tte par la force dect baioanettefl > 

Une députation de rassemblée allait aortir pour 
demander au roi le renvoi des troupes, qui déji 
avait été refusé trois fois. 

« Dites au roi , s'écria Mirabeau , ditesJui que les 
liordee étrangères dont nous sommes investis ont 
reçv bier la visite des princes, des princesses, des 
favoris, des favorites, et leurs caresses et leurs 
•ihortationa et leura présens! Dites^lui que toute 
la nuit oes satellites étrangerst gorgés d*or et de 
fin^ ont prédit dans leurs ckants impies Tasser* 
Ytasement delà France, et que leurs vœux bru- 
taux invoquaient la destruction de l'Assemblée 
liationatel DilesJui que, dans son palais même, les 
courtisans ont mené leurs danses au son de cette 
piusique ti^obare, et que telle iiut l'avant- scène de la 
Saint-Barthélémy I n 

Ii^ironie était une arme terrible dans la bouche 
de Mirabeau; mais cette ironie se montrait bien 
plus encore dans son attitude ^ dans le mordant de 
savoix, que dans les paroles que nous pourrions 
«iter. 

Si le grand orateur avait le génie de la destruc- 
tion f il avait aussi celui de l'organisation , et quoi- 



r 



qtte âeâ t(e6s liaient mia à la tnerei de l'or dé la 
cour, il e^ prôbablô (}ué sa haute raiion entremit 
Taurore sanglante de la Terreur, et recula effràjéâ 
dans rârétie qu'elle avait ouvertes Le souTeûit des 
plus célèbres orateurs de la Constituante disparate 
tra dans là postérité , éclipsé par la colossale dguré 
de Mirabeau , comme il est arrîté pour la Grèee dii 
temps de Détnostbènes. M. de Gormeuin dit atee 
fâlsou r « L^abbé Maury n'était qu'un élégaiit fhé** 
teur, Câ^alès^^ un parleur facile, Siéyes utt ttiét**" 
physicien taciturne, Thouret un jurisconsulte , Baf^ 
nave une espérance. % 

Les désordres de la vie dô Mirabeau n'ataietit pM 
corrompu sa pensée $ ses discours respirent tou^ 
jours la plus haute morale politique, la haine âei 
abus qui écrasaient le peuple, le sentiment de la 
justice, Thorreur de U tyrannie des grands t lé 
génie de Torateur avait été plus fort que ses pas-^ 
sions terribles. Si cet homme puissant n'était pas 
mort en 1791^ peut-être la cause sublime de Té- 
mancipation humaine aurait-elle été souillée pàlf 
moins de crimes. 

En peu d'années TéloqUencé de la tribtlné l^e 
modifia étrangement, le mot de terreur est juate- 
ment resté comme le titre de cette époque. « La Con- 
vention, dit un habile écrivain déjà cité, M. de GoV- 
menin, s'ouvrit sous les sombres auspices de la 
mort , ayant la guillotine à ses côtés et Je tribunal 
révolutionnaire en perspective. » 



872 HISTOIM DBS LBTTEK8. 

c Les constituans avaient été des hommes de 
théorie; les. conventionnels furent des hommes 
d'action. 

B La Montagne et la Gironde s'avançaient Tune 
contre Taiitre comme deux armées ennemies sur 
un champ de bataille, se mesuraient des yeux et se 
renvoyaient des défis à outrance, tandis que le 
Marais, ballotié par les vents contraires, se portait , 
ainsi qu'un corps flottant , tantôt d'un côté, tantôt 
de Tautre» et se laissait aller aux dérivations de sa 
frayeur. 

» Il semblait qu'un glaive, suspendu par quel- 
que fil invisible, se promenât sur la tête du prési- 
dent^ de chaque orateur^ de chaque député. La pâ- 
leur était sur les visages; la vengeance bouillonnait 
au fond des cœurs; Timagination se remplissait de 
cadavres et de funérailles : un frisson de mort cou- 
rait dans tous les discours. On ne parlait , à mots 
entrecoupés et comme involontairement, que de 
crimes, de conjurations, de trahisons, de compli- 
cité, d'échafauds. 

» Marat tirait de son sein un pistolet, et, se l'ap- 
puyant sur le front, « Un mot de plus, s'écriait-il , 
et je me fais sauter la cervelle. » Personne autour 
de lui ne reculait hi ne s'épouvantait ; tant de se 
tuer ou d'être tué, cela paraissait alors naturel ! 

9 David, debout sur son banc, disait : « Je de- 
mande que vous m'assassiniez!..... » On s'élançait 
à la tribune, l'œil en feu, le poing fermé, la poi- 



DIX-HIJITIÈIIE 81ÊCLB. 373 

trine haletante , pour incriminer oo pour, se dé- 
fendre. On oflTrait pour témoignage de son inno- 
cence sa téle^ on demandait celle des autres. On 
n^invoquaic pour tous les crimes sans distinction 
d'autre peine que la peine capitale^ Il ne man* 
quaît plus dans rassemblée que le bourreau qui 
n*était pas loin. » 

L'éloquence sauvage» Tabsence d'art , une ef- 
frayante énergie» tels sont les caractères vérita- 
bles de la Convention ; cependant au milieu de éçs 
sanglans orages se trouvaient les Girondins, c'est- 
à-dire des hommes rêveurs» aimant les grâces du 
langage antique, portant en eux un idéal social in* 
connu de leurs farouches adversaires. Vergniaud est 
dans ce groupe l'orateur qui dispose le niîeux un 
discours et conduit le plus habilement sa phrase; 
on sent l'artiste éminent^ mais foudroyé par les 
cris incultes de la Montagne. Voici quelques lignes 
qui feront juger de sa manière. 

« Si nos principes se propagent avec lenteur chez 
les nations étrangères » c'est que leur éclat est ob« 
scurci par des sophismes anarchiques» des mouvc- 
mens tumultueux, et surtout par un crêpe ensan- 
glanté. 

• Lorsque les peuples se prosternèrent pour la 
première fois devant le soleil, pour rappeler père 
de la nature, pensez-vous qu'il fût voilé par les 
nuages destructeurs qui portent les tempêtes? Non , 
saqs doute^ brillant de gloire, il s'ayançait dans 



874 HISTOIRS DES LETTRES. 

rimmeosité d« l'espace et répandait sur runiters 
la fécondité et la lumière. » 

Cette pbrase ne resseœble-t-elle pas à une stro- 
phe? telle est Téloquence de Yergniaud : éclatante 
d'imageSf mais assez pauvre d'idées » elle convient 
plus k UD poète qu'à un orateur , dont chaque pa- 
role est une action. 

plusieurs esprits élégans » qui auraient produit 
de l'effet ailleurs peut^trcyse présentent eocors 
dans la Convention. Tels sont Guadet et Louveti 
auteur d'un ouvrage peu digne d'un législateiuTt 

Camille Desmoulins, esprit ardent et cœur tendrei 
fut plutôt un libelliste qu'un orateur j ne» pam« 
phlets sont pleins de verve, de coloris et de naïveté, 
mais gâtée par le désordre » le cynisme et le défaut 
de goût de cette époque. 

Que deveiOkient toutes ces âmes délicates au mi- 
lieu des dominateurs de la Convention? 

Marat, espèce de monstre dévoré par la ragSt 
•'agitant convulsivement sur son banc^ disait de 
ses adversaires: «Quelle clique! 6 les eochonsjd 
les échappés de Bicètrel i II criait à l'orateur) 
« Tais-toi^ vil oiseau! tu es un in£âme! tu es us 
radoteur! tu es un imbécile! » 

Robespierre, jaloux, envieux, disisimulé» médi- 
tiQt lentement ses vengeances, visait à l' imitation 
de l'antiquité; il travaillait ses harangues, qu'il rem- 
plissait 4e souvenirs de là Grèce et de Rome; mais 
elles ne supportent pas l'analyse, Unt il y s peu 



DIl^VUITliMR SIÈC&Bé 37& 

d'ordre dent ks idées ^ continudlement entratées 
pbf deê divagations sans bornes I 

Danton était un orMenr d'une bien antre pnis«» 
sance ^ il avait toQles les passi<Mis terribles du peuple 
de cette époque , et ses improvisatieps les expriment 
d'une manière foudroyante. Citons quelques frag- 
mens: 

« Le peuple n'a que du sang» il le prodigue. 
Allons» misérables I prodiguez vos rieàesses. Quoi I 
vous^ avesB une nation entière pour levier^ la raison 
pour point 4'appui > et vous n'avez pas encore bou« 
leversé le monde l Laissez là vos querelles futiles; 
îe ne connais que l'ennMdi ; battons l'ennemi t Eh ! 
que m'importe d'ôtre a{^lô buveur de sangl que 
m'importe ma réputation! Que la France soit libre? 
et que mon nom soit flétri! • 

é Une nation en riévolution est comme rairain 
qui bout et se régénère dans le creuset* La statue 
de la liberté n'est pas encore fondue , le métal bouiU 
lonne! t 

« Marsçille s'est déclarée la montagne de hvépvh 
blique : elle se gonflera cette montagne, elle rou- 
lera les rochers de la liberté^ et les ennemis de la 
liberté seront écrasés. » 

« Qnmà un peeple brise la monarchie pour arri- 
ver à la répuMique » il dépasse le but par la force 
de profection qu'il s'est donnée, v 



376 H18T0IBE DES LETTRES. 

Danton n'était pas exempt de l'emphase de mau- 
vais goût dont les clubs offraient une déplorable 
école; ainsi il s'écriait : « Je me suis retranché dans 
la citadelle de la raison , j'en sortirai avec le canon 
de la vérité et je pu^yériserai mes accusatears. » 
. La puissance absolue de Napoléon Bonaparte Tint 
réduire momentanément la tribune au silence ; l'é- 
loquence passa dans les camps , ou plutôt dans la 
bouche. du héros qui dominait le monde alors. C'é- 
tait une sorte de lyrisme oriental qui égalait tout ce 
que l'antiquité nous a conservé dans ce genre. 

Il disait à Milan : 

« Yous vous êtes précipités comme un torrent 
du haut des Apennins. Le Piémont est délivré. Mi- 
lan est à vous. Yotre pavillon flotte dans toute h 
Lombardie. Vous avez franchi le Pô, le Tésin , 
l'Adda, ces boulevards tant vantés de l'Italie. Vos 
pères, vos mères, vos épouses, vos sœurs, vos 
amantes 9 se réjouissent de vos triomphes et se van- 
tent avec orgueil de vous appartenir. Oui, soldats! 
vous avez beaucoup fait, mais ne vous reste-tril plus 
rien à faire? La postérité vous reprochera-t-elle 
d'avoir trouvé Gapoue dans la Lombardie ? Partons! 
Nous avons encore des marches forcées à entrepren- 
dre^ des ennemis à soumettre, des lauriers à cueillir, 
4es Injures à venger! 

f Rétablir le Capilole et les statues de ses héros , 
réveiller le peuple romain engourdi par plusieurs 
siècles d'esclavage ; voilà ce qui vous reste à fairCf 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. 377 

» Vous rentrerez alors dans vos foyers, et vos con- 
citoyens diront en vous montrant : Il était de Tar- 
mée d'Italie. » 

Au peuple égyptien : 

« Cadis, cheiks, imans, chorbadgys» on vous 
dira que je viens pour détruire votre religion , ne le 
croyez pas. Répondez que je viens pour rétablir vos 
droits et punir vos usurpateurs. 

Dites au peuple que tous les hommes sont égaux 
devant Dieu. La sagesse , les talens et les vertus met- 
tent seuls de la différence entre eux. 

Or, y a-t-il une belle terre? elle appartient aux 
mamelucks. Y a-t-il une belle esclave^ un beau 
cheval, une belle maison? tout cela appartient aux 
mamelucks. Si l'Egypte est leur ferme, qu'ils 
montrent le bail que Dieu leur en a fait! Mais Dieu 
est juste et miséricordieux pour ce peuple. Tous les 
Égyptiens seront appelés à gérer toutes les places. 
Que les plus sages, les plus éclairés, les plus ver- 
tueux gouvernent, et le peuple sera heureux. 

Il y avait jadis parmi vous de grandes villes , de 
grands canaux, un grarid commerce! qui a tout 
détruit, si ce n'est Pa varice, les injustices et la ty- 
rannie des mamelucks? 

f Trois fois heureux ceux qui seront avec nous! 
ils prospéreront dans leur fortune et dans leur rang. 
Heureux ceux qui seront neutres, ils auront le 



37ft , HISTOIRE DES LETTRES. 

temps de nous connattfô et ils se rangeront avec 
nous. 

y Mais malHeur , trois fois malheur à ceux qui 
s'armeront pour les mameluckis et qui combattront 
contre nous! il n'y aura pas d'eq;)éranc# pour eii» 
il9 périront ! » 

Napoléon savait parler avec puissance aux sol^- 
datSj» renfermer dans un mot de grandes images ^ et 
dans une ligne tout un discours militaire. TeUa 
sont ces phrases célèbres : 

« Du haut des pyramides quarante siècles vgus 
contemplent, w 

c La république française est commû le- soleil : 
aveugle qui ne la voit pas! » 

< Soldats^ souvenez-vou£! que mon^habitiHleest 
de coucher sur le champ de batailler v 

t C'est le soleil d'AusterlitE. » 

L'éloquence appliquée à h politique domina la 
fin du dij^-huitième siècte « l'éloquenee de la ^air« 
fut biea inférieure à ce qu'elle avait été dans le 
siècle précédent. Il y a ce[pendant de belles cboseï 
dans les sermons des pères Bri^ine, Segaud et 
NeiJtviile^ et dans ceux de l'abbé PouUe; mais ib 
sont venus après les chefs-d'œuvre de Béssuetf de 
Bourdaloue et de Massillon ^ et ils se sont perdus 
dans cette gloire. L'éloquence sacrée eut alors dans 
t'abbé Maury son historien et son critique* Le bar- 
reau produisit au dix-huitième siècle des orateurs 
dont la France se souviendra toujours avec respect. 



DIX-HUITIËKE SIÈCLE» 310 

Le chancelier d'Aguesseau , Reversekux, Degeanesi 
Lenormafid , Gochin, Gerbier, Loiseau^ Élie da 
Beaumont, Target de Monclar, de La Chalotais ^ Ser« 
van^ Dupatyt ^t d^autres encore , excitèrent l'admi- 
ration de lei^rs contemporains; mais si à propos de 
Démosthènes ' nous avons parlé de la supériorité 
durable des grandes questions religieuses ou philo* 
sophiques, si nous avons dit que Uintériit de« plus 
' belles harangues politiques s'a&iblissait à mesure 
que s^éloignaient de nous les circonstances qui les 
avaient fait naître, à plus forte raison émettrons^' 
nous la même idée à Toccasion des discours du bar* 
reau qui concernent des intérêts particuliers et ne 
sont dignes de fixer les regards de la postérité que 
lorsqu'ils défendent les principes généraux du droit 
public» 

Mais que devint la littérature au milieu de la 
tourmente révolutionnaire? La voix du poète put* 
elle ^Qcore se faire eatendre au sein de ces orages 
terribles? Hélas! le poète chantait sous les verrensf 
sa tôte loula sur Téchafaud. La fatale charretM 
traînait un jour deux jeunes gens^ qui se rendaietil 
\ la mort en déclamant le.'début de YAMdramaqm àé 
Radne : le premier était Tauteur du poème de9 KEMr» 
Roucheri dont l'imagination ne fut pas sans édeli 
le second, à peu près inconnu alors et si illustre 
aujourd'hui, était André Ghénier. Fils d'une Grecque 

* Voir notre %• volume. 

I 



380 HISTOIRE DES LETTRES* 

et né à Gonstantinople , il cultiva avec amour les 
muses de la patrie de sa mère , et en reproduisit, 
mieux que tous les autres modernes peut-être, la 
grâce libre et enchanteresse. Ses églogues et ses 
élégies rappellent souvent les poètes de la Sicile. 
André Chénier fut assassiné parce qu'il aimait la 
liberté et avait horreur du sang'. Son frère, Marie- 
Joseph Chénier, que la calomnie la plus atroce 
s'efforça de salir, chercha au théâtre une gloire bien 
autrement bruyante : mêlé à nos débats politiques, 
il porta sur la scène les idées de la tribune et pour- 
suivit la tyrannie de son vers passionné. C'était là 
toute Toriginalitè de son théâtre , car ce novateur 
politique n^était qu'un imitateur timide des mo- 
dèles classiques du siècle de Louis XIV. Nous trou- 
vons bien dans Chénier les noms de Charles IX , de 
Catherine de Médicis, de L'Hôpital, de Henri III, 
mais où est la physionomie, l'esprit du seizième siè- 
cle? Les passions politiques firent le succès de ces 
œuvres. Plus tard, quand le dix*neuvième siècle 
fût commencé, lorsque Napoléon eut absorbé la 
liberté dans sa gloire, la colère inspira & Chénier de 
beaux vers intitulés la Promenade et sa tragédie de 
Tibère, aussi servilement imitée sous le rapport du 
système dramatique^ mais empreinte d'une verve 



' Les poésies d'André Chénier n*ont été connues que de 
nos jours : nous en avons parlé dans notre livre intitulé : J)u 
travail Intellectuel pn France , 1815-1837. 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE. 881 

originale et forte. Dans son Tableau de ta littéroÊun 
française au diohuitiime siècle^ Ghénier a montré 
un esprit impartial qui étonne quand on se rap- 
pelle les détails de sa vie littéraire. 11 faut encore 
mentionner vers cette époque quelques poésies de 
FonlaneSy et entre autres le Jour des morts ^ qui 
semble Taurore de la poésie chrétienne de notre 
temps. 

Le culte du dix-septième siècle enchaînait tous 
les esprits ; nous ne pouvons en donner une preuve 
plus frappante que le théâtre de Ducis. Voilà un 
poète d'une imagination forte, d*une sensibilité 
profonde^ d'une âme sublime; il a la prétention de 
traduire Shakspeare , et il se croit obligéde le mulî^ 
1er pour le faire entrer dans le cadre étroit de la 
tragédie française! Ce vertueux et noble ami de 
I Thomas a donné , dans Abufar^ une œuvre grande et 
neuve, qui n'est peut-être pas assez admirée aujour- 
d'hui. Mais noi|s sommes arrivés au terme de notre 
long voyage; cependant nous devons dire encore un 
mot des commencemens de quelques écrivains qui 
annonçaient le nouveau siècle et ont laissé des traces 
brillantes dans Thistoire littéraire de la France. 

Le ministre Necker réunissait habituellenient 
dans son salon les littérateurs les plus célèbres, 
BufTon, Thomas, esprit sérieux quoique empha- 
tique , le déclamatcur Raynal , Chamrort, si éton- 
nant dans la conversation que ses mots se colpor- 
taient dans tout Paris, le spirituel et ingénieux 



Md Birrome wn iwtuti. 

Màrmontel. Cegt au milieti de ces cauiieries que fût 
életée tnâdemoiselle Mecker, si célèbre depuis sous 
te nom de madame de Staël. A Tépoque de la Ter- 
tew elle se réfugia sur le lac de Genève avec sa fk« 
mille 9 retenant de temps en temps & Paris quand 
Forage ftat apaisé. La lecture de Rousseau, les évè- 
nemens politiques au milieu desquels mademoiselle 
Necker se trouva placée ^ et surtout les souffrances 
d'un ooBui^ ardent 9 donnèrent à son génie un carac- 
tère de profondeur qui a fait sa gloire. Avant la fin 
du dix-huitième siècle elle avait publié plusieurs 
ouvrages encore célèbres : les Lettres sur Jean-^Jac* 
queê Rousseau^ le livre De C Influence des passions et 
celui intitulé De ta littérature. Tous portent le ca- 
chet d'un esprit vaste et pénétrant ; son volume sur 
Ctnfluence des passions est un de ceux où madame 
de Staël a mis le plus de son âme, de ses tortures 
et de ses aspirations ; il est d'une tendresse exaltée 
qui produit une émotion durable ; le souvenir de 
cet ouvrage reste toute la vie enpreint fortement 
dans le cœur. Madame de Staël procède de Jean- 
Jacques Rousseau et de Bernardin de Saint-Pierre; 
moins chrétienne que le second et même que le pre- 
mieriBlle est aussi spiritualiste que tous deux; ses 
écrits servirent donc glorieusement la brillante 
réaction qui avait lieu alors contre le matérialisme 
de Diderot et de d'Holbach. Dans ses ouvrages qui 
appartiennent au dix-neuvième siècle , madame de 
Staël continua de marcher en cette voie sublime : 



MpMne et Cùrtnne tendent à spiritôalisef rataOïir et 
i faire ftimer tout ee qui est beao. L'auteur exerça 
une heureuse influem^e sur la litténtore de aon 
pays ea faisant apprécier r Allemagne, en rétélant 
le génie du Nord à la France , qui est peut*^re ar- 
rifée, à traders les écrits de madame de Staël , i 
rétude profonde, non*aeuIement de Schiller et de 
Ooêthe, mais de Shakspeare. Par la profondeur de 
sa pensée sur la littérature, sur la politique % sur 
lee passions , madame de Staël occupe une place 
très-élevée parmi les prosateurs de la France. Nous 
ne connaissons chez aucun peuple une femme que 
Ton puisse lui comparer sous le rapport de la force 
intellectuelle ; son style manque parfois d'harmo* 
nie. En même temps que ^Influence ée$ pa$$ians pa« 
raissait le premier ouvrage du comte Joseph de 
Maistre, ancien sénateur du Piémont et réftigié à 
Saint-Pétersbourg après Toccupation de son pays 
par la France. C'était un esprit plein de fierté, qui, 
eflSrayé des désordres et des crimes de la rétolution 
française, tenait .protester avec une énergie sublime 
contre les doctrines delà souteraineté nationale , en 
fiifeur de Tantique monarchie et du poufoir théo* 
eratique. Ce livre contenait de sanglantes prophé- 
ties qui ne tardèrent pas à se réaliser. 

Comme on le voit , la réaction spiritualiste, chré- 
tienne et même catholique était en bonne voie, 

• Voir ses Ccmidéraiions $ur la révolution françaUe, 



384 HISTOIRE DES LETTRES. 

quaod le siècle nouveau commença par une œuvre 
d*un grand éclat et d'une élégance charmante , te 
Génie du chrUlianUme ^ par M. le vicomte de Cha» 
teaubriand. 

C'était lïn gentilhomme breton qu'une imagina- 
tion inquiète avait entraîné dans les déserts de TA- 
mérique^et qui en revint tout ébloui de la gran- 
deur et des merveilles de cette nature. Son imagi- 
nation » préparée dès l'enfance par le magnifique 
spectacle de la mer, qui gémit le long des grèves de 
Saint-Maloi sa patrie, s'était splendidement colorée 
à l'aspect des forêts vierges et des immenses fleuves 
du Nouveau-Monde. Aussi le Génie du christianisme 
eut dès son apparition un retentissement immense. 
Il venait dans un magique langage parler de reli- 
gion à tous ces cœurs désolés qui avaient soif de 
Dieu après les effrayanies catastrophes et les satur- 
nales impies de la Terreur. C'était un vaste tableau 
de ce que le christianisme avait fait pour la vérité, 
pour l'ordre social, pour la poésie, pour les arts. 
Ce livre eut un effet d'autant plus étendu qu'il était 
bien plus remarquable encore par l'éclat de l'ima* 
gination que par la profondeur de la pensée. Malgré 
les connaissances variées qu'il révèle , c'est plutôt 
une œuvre de poésie qu'une œuvre de science; mais 
ces tableaux enchanteurs de la nature, ces mer- 
veilleuses peintures des cérémonies du culte catho- 
lique, de ses missions périlleuses, de ses miracles 
de dévouement et d'amour, séduisirent toutes les 



. BIX-HIUTIÈME SIÈCLE* 886 

âmes souffrantes qui gémissaient alors dans la so- 
ciété française. 

Gomme critique, phateaubriand allait au delà 
de madame de Staël ^ au delà du spiritualisme phi*- 
lofeophique ; il étudiait le christianisme sous le rap<- 
port poétique et démontrait que de lui émanait 
nécessairement une inspiration très-supérieure à 
celle du paganisme. 

Aiala et René ornaient le livrej la poésie descrip- 
tive de ces deux petits récits est admirable ; les 
funérailles d'Atala sont un tableau qui peut soute- 
nir la comparaison avec les plus belles créations des 
poètes. René y plus caractérisé peut-être encore, 
analyse cette vague rêverie d'une âme ardente qui 
cherche sa voie et s'ennuie de toutes les impres- 
sions de la vie présente , maladie morale dont le 
plus ancien interprète connu est peut-être Salomon, 
et dont Hamlet est le type le plus célèbre dans le 
monde moderne. 

Les ancêtres naturels de Chateaubriand sont 
Rousseau I Buflbn et Bernardin de Saint-Pierre , 
quoique son style rappelle parfois le dix-septième 
siècle. La qualité dominante de son génie est une 
élégance ravissante que personne peut-être h'avait 
possédée à ce degré dans la prose française. Son 
défaut est la recherche, la combinaison des effets 
parfois trop visible. Cette éloquence, très grande 
cependant , ne semble pas naturelle comtme celle de 
Bossue t ou de Pascal. 

vu. S5 



886 HI8T0UIE BBS VtmES, 

Chateaubriand ouvrait dignmieiit le dix*neu«-, 
^ième siècle ; il ne s'agissait plus ici de 8p!ritua>- 
lisme vague, le progrès de Thumanité s'opérait par 
cette grande religion qui est venue régénérer 
rhomme il y a plus de dix-huit cents ans. Geite in«- 
spiration allait se répandre sur toute la génération 
actuelle, car ses plus hautes intelligences, nous le 
disons avec bonheur, se meuvent dans le sein du 
christianisme. 



XJÏ. 



|itél«.^AlMro ûm di»i n tH» ii t , — OiiwWÉtoli 



. '• ) 



Pendant que rbumanité s'airançait, ainsi que 
nous venons de le voir, au milieu des oiragés dç 
rintelligencé, la guerre, ce grand fléau Iqng-teippiSi 
civilisateur, continuait de sévir avec rage| les bomf, 
mes ne se tuaient plus pour des opinions religieuses,; 
mais pour i^ainbitron des princes; TEurope tendait 
â modifier seii divisions d'États, à former ses nation 
nalités , telles que nous les vojoils exister aiijour: 
d^huî. ' ' \[ 

Le génie stratégique dé Frédéric II agrandissait 



388 aiSTOIRE DES LETTRES. 

le royaume de Prusse î Catherine continuait l'œutre 
de Pierre-le-Grand et portait la puissance russe sur 
la mer Noire, convoitant déjà cette grande proi? 
de Constantinople que les czars n'osent pas encore 
saisir. Ces deux souverains caressaient les philo- 
sophes français qui disposaient alors de l'opinion 
de l'Europe et rendaient avec usure les royale» 
flatteries. 

La Pologne , cette nation chevaleresque et re- 
muante , disparaissait étouffée entre ses trois re- 
doutables voisins. Divers peuples de l'Europe se 
disputaient la possession de l'Inde, qui resta enfia 
à l'Angleterre comme pour lui payer l'émancipation 
de 109 colonies d'Amérique. 

La France ne conserva pas la suprématie mili- 
taire des beaux jours de Louis XIV ; mais cepen- 
dant n'oublions pas que notre territoire s'agrandit 
sous Louis XV et que la bataille de Fontenoy est un 
des plus glorieux faiu d'armes de nos annales. 

M'oublions pas que jamais les idées françaises 
n'ont exercé un empire plus irrésistible qu'au dix- 
Euitiéme siècle, et que, même au moment de nos 
plus grands malheurs militaires, nous avons domi- 
né le monde par nos écrivains. Ne calomnions pas 
la philosophie française : si Diderot, d'Holbach , 
Helvétius ont répandu les doctrines insensées du 
matérialisme , les véritables hommes de génie , 
Bousseau, Montesquieu, Voltaire lui-mémo, ont 



DIX-HUlTttME SIÈCLE. 380 

souvent combattu ces monstrueuses erreurs de quel* 
ques esprits secondaires. 

En Allemagne» Kant donna de nouyelles démon- 
strations du spiritualisme , il releva le drapeau de 
Descartes et se montra métaphysicien » moins créa- 
teur sans doute , mais aussi savant que le grand 
philosophe français. Le panthéisme fut l'erreur co- 
lossale des successeurs de Kant; ils auraient ramené 
le monde à l'enseignement des bords du Gange, vers 
Taurore de l'humanité, si les vérités acquises par 
les siècles pouvaient périr. 

Le matérialisme français nous^tait venu de l'An- 
gleterre , Locke l'avait créé , probablement sans le 
vouloir ; DaVid Hume et Priestley exagérèrent les 
doctrines de Y Essai sur l^entendement hummn; le 
premier descendit jusqu'à enseigner le scepticisme 
absolu. 

Mais l'Ecosse sembla vouloir dédommager le 
monde des erreurs de l'école anglaise, en se révol- 
tant contre cet enseignement absurde, contre cette 
ruine de rintelligence que David Hume proclamait 
incapable de reconnaître la vérité. Les faits intel- 
lectuels furent étudiés avec soin : le docteur Reid » 
tout en adoptant le principe d'examen soutenu par 
Locke , découvrît ses erreurs et laissa des observa- 
tions 4i judicieuses sur quelques parties de la science 
philosophique, que l'école écossaise a été nommée 
l'école du bon sens ; elle a préparé la rénovation 
spiritualiste de la philosophie française qui a puis? 



800 HiavQiM rat umui. 

sampient «MMmdé les éoritains eatboIiqiiM do mhh 
mencement de ce siècle dans la rostaoratioa de l'étude 
de la pbilosopliie en Europe. 

lie dîx**huitième siècle fut une époque de triom" 
pbe pour les soiences naturelles et mathématiquei. 
En. astronomie, Herschell, Clairaut, d'Alembert» 
£uler, Lagrange» Laplace, recueillirent l'héritage de 
Newton et continuèrent ses .démonstrations admi^ 
rahles. Lajnétéorologiese glorifie des noms de De^ 
maiscm » Saussure » Franklin » Mairan , Yolta , Dih 
fay, Kraaf, Halley, et d'autres encore. Les pbysi^ 
ciensétudièrentsurtoutrélectricitéetlemagnétisflie, 
Watt perfectionna la machine à tapeur. La chimie 
se dépouilla des tieux préjugés et marcha i pas de 
géans; son plus grand homme fut l'infortuné La- 
voisier, dont la Ti§ est une suite magnifique de dé- 
couvertes. L'anatomie et la physiologie firent aussi 
de rapides progrès* Pour la gloire de la zoologie 
générale, il suffit de nommer Linné et Buffon. Le 
premier renouvela toute la botanique , tandis que 
les études géologiques préparaient les sublimes dé^* 
couvertes de notre siècle. ' • 

La géographie, protégée spécialement par Louis XY 
et par d'autres monarques, fut l'objet d'étuc^es pro- 
fondes et de voyages périlleux ; nous ne citons que 
les noms les plus célèbres : Anson , Gook , Bougaiih 
ville, Lapeyrouse, Chardin, Levaillant, Bruce. Les 
musées de TEurope s'enrichissent de magnifiques 
eolle(;tion4| les contrées, les plus lointaiMS sont 



DlX-HUlTliMfi filÈGUS; 801 

explorées f rhomme pénètre dd plus en plus dam 
la connaissance de son immense demeure* 

Les arts sont florissans et reflètent la poésie de 
répoque. La pompeuse magnificence de Le Brun 
n^existe plus. Même dans les sujets religieux Goypel 
place les marquises du dix-huitième siècle ; Yànloo 
prépare les deux rois de la mode , Watteau et Bou- 
cher, dont la peinture riante et sensuelle est une vé- 
ritable décadence. Greuze reproduit les scènes de 
la vie de famille mises en faveur par les drames la* 
mentables de Lacbaussée, et Yien annonce la réac- 
tion antique dont David sera plus tard le représen- 
tant le plus illustre. On peut observer les mêmes 
phases dans la sculpture et Tarchitecture. En mu- 
sique , Rameau, Gluck et Piccini, peuvent faire 
présager les sublimes développemens de ce bel art 
à notre époque. 

L'Allemagne exceptée , la poésie européenne ne 
se soutint pas & la hauteur des siècles précédens. 
L'Espagne et le Portugal ne revirent point les temps 
de Cervantes et de Camoëns ; en Italie, Métastase 
et Âlôeri ne peuvent être comparés au Dante et à 
Torquato \ Pope et Addison restent bien^loin de 
Sbakspeare et de Milton ; qui placera-t-on en France 
sur la ligne de Corneille , de Molière y de Racine , 
de La Fontaine? Nous ne pensons pas non plus que 
la pdTose française ait rien produit d'aussi majes- 
tueux, d'aussi admirable que les chefs-d'œuvre de 



303 B18T0IIIE DES LETTRES. 

Bossuel. La palme de Téloquence resle au dix-sep- 
tième siècle. 

Ce qui caractérise principalement son successeur^ 
c'est la tendance générale des lettres à se faire so- 
ciales, à préparer de profondes modifications dans 
les rapports des gouvernans avec les gouvernés f à 
adoucir la législation , à détruire ou au moins à di- 
minuer les distances qui existaient entre les hom- 
mes ^ à saper tous les privilèges de la naissance, à 
protéger le faible contre le fort. 

Partout ce mouvement social se fait sentir; les 
doctrines de liberté, que Montesquieu et Voltaire 
étaient allés puiser en Angleterre, recevaient du 
génie de la France cette généralisation qui semble 
être la mission principale de notre pays. L'Italie elle- 
pième, dominée par des princes étrangers, soumise 
i des gouvernemens absolus, accueillait avec bien- 
veillance les idées nouvelles. Naples protégeait Vico 
et fondait comme Milan des chaires d'économie po- 
litique. Les pontifes romains Benoit XIV, Clé- 
ment XIII, Clément XIV, Pie VI, tout en restant 
fermes dans leur sainte croyance, ne repoussaient 
pas les philosophes dans leurs projets de rénovation 
sociale. Léopold faisait de la Toscane un pays de 
mœurs douces et de législation tolérante , là peine 
de mort y était abolie. 

Le Vénitien Algarotti parcourt l'Europe, devient 
Tami de Frédéric, expose les systèmes de Newton^ 
et introduit dans son pays les idées de Montesquieu 



DIX-HUITIÈME SIÈCLE* 303 

et de Voltaire que le jésuite Bettinelli visite aux Dé* 
Hces : ses écrits se ressentent trop de son admiration 
pour le dominateur du dix-huitième siècle. Un pape 
même , Benoit XIY , tremble un peu devant la puis- 
sance de ce terrible esprit. A Milan, le jeune Beccaria 
rend une sorte de culte à Montesquieu ; son Traiié 
des délits et des peines demande l'abolition de la peine 
de mort et s'élè\e partout avec énergie contre la sé- 
vérité de la législation. Beccaria est un esprit plein 
d'enthousiasme pour l'humanité ; mais il confond 
trop dans une même admiration tous les philoso- 
phes français du dernier siècle. Un autre Milanais , 
membre comme Beccaria de l'Académie de cette 
villCf Pierre Yeri, publie un écrit éloquent contre la 
torture. A Naples, Giannoné était proscrit pour des 
travaux politiques, mais on honorait Filangieri au- 
teur de la Science de ta législation , livre plein d'illu- 
sions un peu candides sans doute, quoique produit 
par4'£apnï des lois, mais révélant une générosité 
d'âme admirable. Filangieri n'a pas le génie politi- 
que, la haute raison pratique de Montesquieu ; c'est 
un jeune homme à l'âme ardente qui rêve pour l'hu- 
manité une destinée dont aucun peuple ne lui offre 
la réalisation. 

Paris était le foyer, le centre brûlant de tout ce 
mouvement du monde. Le régent et Louis XV fu- 
rent , par la licence effrontée de leurs mœurs , des 
princes très-dignes de régner en France au dix- 
huitième siècle. Quqi de plus en harmonie avec les 



8M HISTOIRE I>ES liETTIUES. 

doctrines sensualistes et sceptiques que les orgies 
du duo d'Orléans, que les adultères et le Porc mx 
câr/^deLouisXY? 

Les femmes eurent encore sous ce règne, comme 
sous celui de Louis XIY» une influence puissante : 
mesdames de Tenciui Geoffrin, du Ghastelet, du 
Defland , réunissaient dans leurs salons rélite des 
gens de lettres et cette foule d'hommes et de femmes 
qui s'agitaient autour des noms célèbres. Nous ne 
pouvons plus nous faire l'idée de ces conversations 
brillantes^ audacieuses , qui exerçaient une si irr6- 
sistibie influence alors , le journalisme a tout rem- 
placé. Madame de Ghâteauroux lutta souvent contre 
le cardinal Fleury; madame de Pompadour, dont 
leiï' goûts d'artiste charmaient le roi » seconda Vol- 
taire et les encyclopédistes qui la comblaient de 
flatteries ; madame du Barry servit le pouvoir royal 
contre les parlemens , et contribua à leur chute. 
Mais tout cet étalage d'immoralité déconsidérait de 
plus en plus la monarebiei et les classes opprimées 
par les privilèges de la naissance » par les abus de 
toutes sortes qui pesaient sur elles, secondées d'ail- 
leurs par les idées des philosophes qu'adoptaient 
les membres les plus distingues de la noblesse ^ et 
par la terrible éloquence de la tribune, devaient 
bientôt ensevelir sous des monceaux de cada^vres ce 
trône souillé par tant de vices. 

Terrible expiation ! Louis XYI , dont l'âme sym- 
pathisait si noblement avec cette réaction morale des 



TQfgot et d« Malesherbes^ fut lejutté qui soullntlt 
niaMyte pour les crimes de la royauté. Un momwl 
tout sembla disparaître sous une mer de sang* 

Quaikd la société respira , domptée par une des 
plus colossales volontés dont l'histoire fasse meiH 
tion, quand le dix-huitième siècle finit, la pensée 
humaine sembla aussi rentrer dans Tordre. 

Toutef(MS récole de Locke et de Condillac conti^ 
nua son œuvre : des hommes haut placés dans TÉ* 
tat, des sénateurs 9 Volney et Cabanis, furent les 
successeurs les plus directs des philosophes dil dix- 
huitième siècle. Le premier fonda sa morale sur 
Tintérét bien entendu et professa l'indifférence du 
vicaire savoyard pour toutes les religions établies ; 
le second voulut démontrer dans le système nerveux 
Tâme tout entière de l'homme ; mais plus tard il 
réserva les droits de l'âmie immatérielle j, et osa se 
déclarer incompétent pour étudier la nature du prin- 
cipe qui anime les corps vivans. Le commentateur 
de Montesquieu, sénateur comme Yolney et Cabanis, 
Destutt de Tracy, entreprit de donner plus de pro- 
fondeur aux principes moraux de l'école ; plus tard 
}e docteur Broussais resta aussi sensualiste que ses 
prédécesseurs , tout en soutenant la cause de l'hu*- 
mapité et d'une morale sévère. D'autres descendans 
de Gondillae, Maine de Biran» La Romiguière , de 
Gé?ando, ne tentèrent pas une réaction contre le 
naître} seulement ils étudièrent avec succès la par- 
tie spiritualistedela science» et préparèrent Tavène- 



896 HISTOIRE DES LETTRES. 

ment delà philosophie éclectique, da mysticismô 
de saint Martin et de Técole catholique du dix-neu- 
yiéme siècle» que M. de Chateaubriand inaugura 
comme poète et comme critique ; mais nous tou- 
chons aux régions des vivans. 

La tâche que nous nous étions imposée ici est 
terminée. Le dix-neuvième siècle n*est pas encore 
à la moitié de sa course , et déjà on peut voir qu'il 
occupera une grande et glorieuse place dans rhistoire 
du monde. 

* Dieu semble avoir suscité un conquérant de la 
race des Alexandre et des César comme pour en finir 
avec la guerre d'une manière éclatante. En effet, la 
paix règne depuis trente ans entre toutes les gran>- 
des nations chrétiennes, et c'est un magnifique 
spectacle donné à la terre. La presse a remplacé la 
mort comme moyen.de civilisation. 

Chose admirable! dans le même temps, la vapeur 
appliquée à la locomotion rapproche les peuples 
du nord et du midi , de l'orient et de l'occident , et 
prépare cette magnifique unité qui est le but su- 
prême du genre humain : Ut amnea mum aint. 

Les généreux principes de i780 sont sortis triom- 
phans des luttes sanglantes qui ont suivi leur appa- 
rition dans le monde ; on en poursuit de plus en 
plus l'accomplissement. Jamais les souffrances du 
pauvre n'ont autant préoccupé Tintelligence d'un 



BIX-HUlïltMË ftIÈCLB* 397 

siècle : un nonvel et meilleur avenir lie |Hrép&re. 
Les idées religieuses fermentent : là encore le besoin 
d*unité tourmente tous les esprits ; quand verrons^ 
nous l'Église universelle enserrer le monde dans son 
vaste et ferme eiiseignement?... Malgré d'étranges 
aberrations, la poésie se rapproche du ciel. La scien- 
ce semble ouvrir les yeux et découvrir de plus en 
plus la vérité cachée sous les symboles , sublime 
réconciliation entre la raison et la foi , entre Thonf- 
me et Dieu. 

Nous avons étudié les trois grandes phases des 
travaux de l'esprit humain appliqués à la littérature. 
Dans le monde oriental, dans la Grèce et dans Rome 
avant le christianisme , puis enfin chez les peuples 
dont la civilisation est née de celte religion sainte. 
Nous avons trouvé l'idée de Dieu régnant presque 
exclusivement sur les intelligences à l'aurore du 
monde. La Grèce et Rome , son élève , ont surtout 
glorifié l'homme. Les poètes et les philosophes chré- 
tiens sont principalement inspirés par les rapports 
du créateur et de la créature ; ils chantent ou étu- 
dient l'harmonie complète de l'univers. Le christia- 
nisme paraît ainsi fondre dans l'unité les deux 
phases du monde qui l'ont précédé , l'Orient et 
la Grèce. 

On a long-temps discuté sur le beau ; les hom- 
mes de bonne foi , qui auront lu ce livre avec 
quelque attention , reconnaîtront que s'il peut 



y 



398 HISTOIM Ml LifTMS» 

euster une beauté iieoa&daîre en dehors des gi«ndk 
principal moraux, b beauté aupréme n'eat ^u'uq 
réBet de Dieu > et que l*iat«lUgence humaine |^*an« 
dit toutes les fois qu'elle s'approebe de sa BOuro^ 
diyine et ^'abaisse quand eUe s'en éloigne» 



pm. 



TABLE 

PU UKIÉMS ET PERMISE VOLUME. 

' I. État des lettrei m Portugal ao IS* siècle. Pag. 1 

UTTÉRATUBE DES PEUPLES DD NORD DB L'EUROPE. 

IL De la littérature anglaise an 48^ siècle. ^ MooTe- . . 
ment sceptique* — - Poésie. — > Addison. -«Steele. 
-— Swift. -— Pope , etc. — Littératare écossaise. 
-« Thomson. — Bonis. -^ Macpherson, etc. — 
Roman anglais* — Richardson. -* Fielding* etc. 
Histoire. ^— Hame. «— Eob«rtsoa. -^ Oibbon. 11 
III. De réfoqoence parlementaire anglais au 18* siècle. 
^-. Lord Cbatam..— Borke. «^ Fox. -^ SheridaH. 
«-Pitt. — Quelques mots sur l'éloquence judi- 
ciaire. *« Lord Erskine , etc 67 

IV* De la littérature allemande au 18*sièoIe.-^Commen- 

. œmens du 18* siècle. — Wteland; — Klbpstoek. 

— Gessner. — Lessing.— Winkelmann. — Dirers 

centres littéraires. «-^Voss. — Bnrger. -*-* Herder. 

— Goêthe.-^^hiller .— Wemer. — ' Kotsebue. — 

J. de Maller. — Novalis. — Jean-Paul Richter. 

.— Tieck , etc. «^ Philosophie. >^ Kant.-«- Ftchte. 

r- Schelliag. — * Hegel. -^ Jacobi. •— Bruckccft^ • 

Tiedmann. — Tennemann. — Religion. — Lava- 

ter. — Alicfabêlis, — Herder. — Le comte F. de 

Stolberg. — Aurore du 19* siècle. — Résumée — • 

Adieux à la littérature du nord. . • . • . 107 

y. De la littérature française an 18* siècle. — Com-i 

mencement du 18* siècle. — < Le réaent. — J.-B. 

Roussean.— - Lamothe. — Fonteneile. — La cour ' 

de Sceaux.~Tragiques du second ordre . ^ Cré- 



400 TABLE. 

billoD. — Voltaire. -^ La coar de Berlin. — 
Maapertnis. — La Mettrie. — Les critiqaes de 

VolUire. 205 

VI. Montesqaieu. — Jeaii'JacquesRoiiMeau.— Baffon. 255 
yil. Suite de l'histoire des lettres françaises.— Le ohan-* 
celiér d'Agnesseau. — RoUin. — Poésie.—- Louis 
Racine. — Le Franc de Pompîgnan. — Gresset. 

— Théâtre. — Destouches. — La Chaussée. — 
Piron. -— Marivaux. — Lamothe. -^ Guymoud 
de Latouche.— Debelloy, etc. — Beaumarchais. 

«— Goliin d'Harieyille. — Opéras. • . . .293 
YQLDes romans français au iS* siècle. — Le Sage. — 
L'abbé Prévost. — Madame de Tenoin. -« Cré^ 
billonfiis. — Marmontel, etc .311 

IX. Ektoriens français. — Hénànlt. •« Mably. — Velly. 

Gamier. — Villaret. — Crévier.. — Lebeau. — 
De Brosses. — Raynal. — Critique , érudition. 

— Lamothe. — Fontenelle. — Marmontel. — 
Diderot. — Mercier. — - La Harpe. — Thomas. 
•— Barthélémy^ ^eie. «^ Doéaie.. -— Bernardin de 
Saint-Pierre^ — Delille , etc. , etc. , . , • , 319 

X. Philosophie. — Vauvenargnes. — Dndos. «— Con- 

dillao. — * Diderot. — D'Alembert. -* Le baron 
d'Holbach. — HeWétius. — Boulanger, etc. — 
L'Encyclopédie. — Les Économistes. • . • 363 
XL De la littérature française pendant là révolution. 

— Éloquence de la tribune. — Mirabeau. — 
Éloquence de la chaire et du barreaik pendant le 
iS^ siècle. — Retour à littérature. — Les deux 
Chénier. — ^Ducis. — Madame de Staël. — M^ de 
Maistre. — M. de Chateaubriand. . . . ^ . 365 

XIL Le !»• siècle. — Aurore du 49*. — Conclusion. . 387 



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Pariât— Imprimerie de CossoNj^ rue du FourSaint-Germaîn^^T. 



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