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Full text of "Histoire des sciences mathématiques et physiques"

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HISTOIRE 

DES 

SCIENCES  MATHÉMATIQUES 

ET  PHYSIQUES. 


HISTOIRE 


I        ,( 


DES 


SCIENCES 

MATHÉMATIQUES 

ET  PHYSIQUES, 

PAR 

M  .     M  A  X  I  M  I  L  I  K  N     MARIE, 

RÂPÉTITEUR     DE     MÉCANIQUE 
ET    EXAMINATEUR    D'aDMISSION    A    l'ÉCOLE    POLYTECHNIQUE. 


TOME  m. 
*DE  *VIÈTE  A  *DESCARTES. 


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PARIS, 

GAUTHIER-VlLbARS,    I  M  P  RI  M  EU  R-LIBRA  IRE, 

QUAI    DES    GRANDS-AUGUSTINS,     55. 
1884 

(Tous  droits  réservés.) 


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TABLE  DES  MATIERES 


Pages. 


Sixième  Période. 
De  VièTE,  né  en  1640,    à  Kepler,  né  en  ibji 


^^ 


Septième  Péiiode. 
De  Kepler,  néen  iSyi,    à  Descartes,  né  en  iSgô. 


145 


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SIXIEME    PÉRIODE 


DE  VIÈTEj  né  en   1540 
à  KEPLER,  né  en  iSyi. 


M.  Marie.  —  Histoire  des  Sciences,  UL 


Noms  des  savants  de  cette  Période. 


VlÈTE  

ScALiGER  (Joseph) 

rothmann  

Gilbert 

Dasypodius 

Besson 

GUIDO  UbALDO  DEL    MONTE 

Cataldi 

Tvcho-Brahé 

Pegel 

Stevin 

Ursus  Dithmarsus 

Byrge 

NÉPER 

MiESTLIN    

Sarpi  (Fra  Paolo) 

Baldi 

Valerio  (Luca) 

Magini 

Briggs 

Harriot 

Wright 

PiTISCUS 

Bacon  (lord  de  Vérulam) . . 

Lansberg 

Romain  (Adrien) 

Longomontanus 

Galilée 

Ghétaldi 

de  dominis 

Métius  (Jacques). 

MÉTius  (Adrien) 


Né  en 

Mort  e 

1640 

l6o3 

1^40 

1609 

ID40 

1610 

1540 

i6o3 

040 

1600 

1540 

1545 

1C07 

1545 

1626 

1546 

1601 

i547 

1610 

1548 

1620 

049 

ID49 

i632 

i55o 

1617 

i55o 

i63i 

ÎDD'Z 

1G23 

i553 

1617 

i553 

1618 

i555 

1617 

i556 

i63o 

i56o 

1621 

i56o 

i6i5 

i56i 

iGi3 

i56i 

1626 

i56i 

i632 

i56i 

i6i5 

i5G4 

1647 

1564 

1642 

i566 

1627 

i566 

1624 

iSyo 

1627 

1571 

i635 

MAAMM^V^^^«>^#«^i«^ 


SIXIEME   PERIODE 


CETTE  période  est  caractérisée  par  les  travaux  de  Viète,  de 
Néper,  de  Tycho-Braché,  de  Stevin  et  de  Galilée.  La 
méthode  n'y  subit  de  modifications  profondes  que  de  la 
part  de  Viète,  mais  la  dynamique  prend  naissance  entre  les 
mains  de  Galilée.  Nous  avons  à  définir  ces  deux  évolutions. 

Application  de  l'Algèbre  à  la  Géométrie. 

Les  relations  entre  les  parties  d'une  même  figure  sont  ou  des 
relations  de  position  ou  des  relations  de  grandeurs;  par  exemple, 
trois  points  sont  en  ligne  droite,  quatre  points  sont  sur  un  même 
cercle,  etc.,  deux  droites  sont  perpendiculaires  l'une  à  l'autre, 
une  droite  est  tangente  à  un  cercle,  ou  asymptote  à  une  hyper- 
bole, un  cercle  est  osculateur  à  une  ellipse,  etc.  :  voilà  des  rela- 
tions de  position. 

Au  contraire,  la  proportionnalité  des  lignes  homologues  de 
deux   figures  semblables,  l'équivalence  du  carré  construit  sur 


Sixième  Période. 


l'hypoténuse  d'un  triangle  rectangle  à  la  somme  des  carrés 
construits  sur  les  côtés  de  Tangle  droit,  l'équivalence  des  rec- 
tangles construits  sur  les  segments  de  deux  cordes  qui  se  coupent 
dans  l'intérieur  d'un  cercle,  etc.,  sont  des  relations  de  grandeurs. 
Mais  les  relations  de  position  gouvernent  les  relations  de  gran- 
deurs et  réciproquement,  c'est-à-dire  que  les  unes  sont  consé- 
quences des  autres.  Ainsi,  c'est  parce  qu'un  triangle  est  rectangle' 
que  le  carré  construit  sur  le  plus  grand  côté  est  égal  à  la  somme 
des  carrés  construits  sur  les  deux  autres;  et,  réciproquement,  une 
telle  relation  entre  les  carrés  construits  sur  les  trois  côtés  d'un 
triangle  entraînera  la  rectangularité  de  ce  triangle. 

Le  géomètre  peut  donc  indifféremment  se  proposer  de  tirer  de 
l'étude  d'une  figure,  soit  la  connaissance  des  relations  de  position, 
soit  celle  des  relations  de  grandeurs,  pourvu  qu'il  sache  conclure 
des  unes  aux  autres. 

Bien  plus,  tout  problème  de  géométrie  peut  toujours  être 
résolu  par  Tune  ou  l'autre  méthode;  et  chacune  des  deux  solu- 
tions fait  connaître  ce  que  l'autre  a  laissé  à  l'écart;  si  c'est  des 
relations  de  position  que  la  solution  procède,  la  figure  construite 
fournit  les  éléments  inconnus  ;  et,  si  on  s'est  proposé  de  trouver 
ces  éléments,  on  peut,  une  fois  qu'ils  sont  connus,  effectuer  la 
construction. 

Mais,  quoique  conduisant  au  même  but,  les  deux  méthodes  dif- 
fèrent essentiellement  :  la  première,  qui  a  conservé  le  nom  de 
géométrique,  consiste  à  atteindre  le  but  par  des  combinaisons 
d'idées  concrètes,  se  traduisant  par  des  transformations  de  figures; 
la  seconde,  la  méthode  algébrique,  consiste  à  résoudre  des  équa- 
tions. 

Elles  ont  du  reste  l'une  et  l'autre  leurs  avantages  et  leurs  incon- 


Pe  Viète  à  Kepler. 


vénients:  la  seconde  a  pour  but  de  substituer  des  ditticuUés  com- 
portant une  solution  méthodique,  trouvée  à  l'avance,  à  d'autres, 
devant  lesquelles  un  défaut  d'inspiration  laisse  l'opérateur  inerte  ; 
la  première  a  pour  objet  de  substituer  à  un  fastidieux  travail  d'éli- 
mination des  combinaisons  ingénieuses  d'énoncés  concrets. 

Celle-ci  a  le  grand  avantage  qu'un  énoncé  très  simple  y  tient 
souvent  lieu  de  formules  très  compliquées,  mais-  l'emploi  de 
l'autre  est  davantage  à  la  portée  de  tous  les  opérateurs. 

C'est  à  cette  seconde  méthode  que  pourrait  s'appliquer,  jusqu'à 
un  certain  point,  l'observation  du  profane  Jean-Jacques,  que  la 
géométrie  analytique  est  un  moulin  dont  il  suffit  de  tourner  la 
manivelle  pour  en  voir  sortir  des  solutions  de  problèmes.  —  Il 
serait  à  désirer  que  l'on  eût,  pour  tous  les  genres  de  recherches, 
des  moulins  aussi  utiles.  Ce  sont  justement  ces  moulins  que  la 
Science  cherche  sous  le  nom  de  méthodes  :  plus  ils  peuvent 
moudre  de  solutions,  et  moins  ils  laissent  à  faire  au  meunier; 
plus  ils  sont  parfaits,  et  plus  ils  attestent  le  mérite  des  ingé- 
nieurs. 

Quoique  les  anciens  aient  su  passer  souvent  des  relations  de 
position  aux  relations  de  grandeurs,  et  réciproquement,  comme 
ils  avaient  négligé  de  se  faire  une  algèbre  abstraite,  je  veux  dire 
une  théorie  abstraite  des  transformations  que  peuvent  subir  les 
relations  entre  grandeurs,  ils  étaient  bien  obligés  de  se  borner 
le  plus  souvent  à  la  méthode  dite  géométrique . 

Mais,  dès  qu'on  eut  appris  à  transformer  et  à  résoudre  des 
équations  contenant  quelques  inconnues  mêlées  à  des  données, 
numériques,  il  est  vrai^  mais  qui  pouvaient  changer  sans  que  la 
méthode  de  solution  en  fût  affectée,  on  devait  forcément  être 
amené  à  se  proposer  de  tirer,  des  relations  simples  et  dès  longtemqs 


Sixième  Période. 


connues  qui  pouvaient  exister  entre  les  éléments  voisins  d'une 
même  figure,  les  valeurs  des  éléments  inconnus,  au  moyen  de 
celles  des  éléments  connus;  c'est-à-dire  à  recourir  à  la  méthode 
algébrique  de  solution,  lorsque  la  méthode  géométrique  ne  réus- 
sissait pas. 

C'est  bien  un  peu  ce  que  nous  avons  vu  faire  à  Tartaglia  et  à 
Cardan,  mais  leur  méthode  n'avait  pas  encore  pris  tout  le  déve- 
loppement nécessaire;  il  y  manquait  un  complément  indispen- 
sable, elle  ne  dépassait  pas  ce  qu'eussent  exigé  des  recherches 
géodésiques. 

Leurs  calculs  portaient  sur  des  nombres,  mais  il  n'y  a-pas  de 
nombres  dans  une  figure.  Pour  y  en  voir,  il  faut,  ou  les  supposer 
donnés,  ou  les  y  introduire.  Les  introduire  nous  paraît  tout  simple 
aujourd'hui  :  il  ne  s'agit  pour  cela  que  d'imaginer  une  unité  et 
d'y  rapporter  tous  les  éléments  de  la  figure.  Mais  c'est  précisé- 
ment l'introduction  de  cette  idée  qui  constituait  la  difficulté,  et 
une  difficulté  si  grande,  à  ce  qu'il  paraît,  que  Viète  même  ne 
l'aborda  pas  encore  et  ne  sut  que  la  tourner,  à  l'aide  d'un 
artifice  assez  singulier  d'ailleurs.  Tantœ  molis  erat  de  marier 
l'abstrait  et  le  concret. 

V Algèbre  de   Viète. 

La  question,  telle  que  se  la  posa  Viète,  était  d'introduire  les 
grandeurs  elles-mêmes,  sous  leur  forme  concrète,  dans  les  équa- 
tions algébriques,  sans  rien  enlever  à  ces  équations  de  leur  élasti- 
cité, c'est-ii-dire  de  leur  transformabilité  ;  sans  les  rendre  inso- 
lubles, sans  les  figer  dans  leurs  formes  primitives. 


De  Viète  à  Kepler. 


Voici  comment  il  y  parvint  : 

Supposons  qu'on  parte  d'une  équation  entre  longueurs;  une 
multiplication  des  deux  membres  par  un  même  nombre,  qui  eût 
été  utile  s'il  s'était  agi  d'une  équation  entre  nombres,  sera  rem- 
placée par  la  duciion,  sur  chacune  des  longueurs  contenues  dans 
les  deux  membres,  de  la  longueur  correspondant  au  nombre  par 
lequel  on  aurait  dû  multiplier  tous  les  termes  de  l'cquation. 
Duire  (ducere)  une  longueur  sur  une  autre,  c'est  faire  des  deux 
un  rectangle. 

De  même,  la  division  de  tous  les  termes  d'une  équation  par  un 
même  nombre  sera  remplacée  par  Y  application  de  ces  termes  à 
une  même  longueur,  c'est-à-dire  par  l'enlèvement  d'une  même 
hauteur  à  tous  ces  termes  supposés  représenter  des  rectangles  ou 
des  parallélépipèdes. 

Appliquer  un  rectangle  à  une  droite,  c'est  former  la  hauteur 
du  rectangle  ayant  cette  droite  pour  base  et  dont  la  surface  équi- 
vaudrait à  celle  du  proposé. 

La  duction  successive  de  plusieurs  longueurs  sur  les  termes, 
linéaires  par  exemple,  d'une  équation,  en  fait,  la  première,  des 
rectangles,  la  seconde,  des  parallélépipèdes  rectangles,  et  les  sui- 
vantes, afin  que  la  Géométrie  supplée  au  défaut  de  la  Géométrie 
(ut  Geometria  suppleatur  Geometriœ  defectus),  des  sursolides, 
plans-plans,  plans  solides,  etc.    . 

De  même,  l'application  successive  de  parallélépipèdes  à  deux 
droites  en  fait  d'abord  des  rectangles,  puis  des  longueurs,  etc. 

L'extraction  des  racines  carrées  ou  cubiques  des  deux  membres 
de  l'équation  à  traiter  sera  aussi  facilement  remplacée  par  le  re- 
tour aux  côtés  des  carrés  ou  des  cubes  représentés  dans  les  deux 
membres,  etc. 


Sixième  Période. 


Toutes  les  transformations  utiles  pour  la  résolution  des  équa- 
tions restant  ainsi  possibles,  rien  n'empêchera  plus  de  trans- 
porter aux  équations  entre  grandeurs,  les  unes  données  et  les 
autres  inconnues,  les  méthodes  de  résolution  déjà  instituées  pour 
la  résolution  des  équations  entre  nombres,  les  uns  donnés,  et  les 
autres  inconnus,  puisque  ces  méthodes  ne  consistent  que  dans 
l'emploi  de  combinaisons  convenables  des  six  opérations  élémen- 
taires de  l'arithmétique,  l'addition,  la  soustraction,  la  multipli- 
cation, la  division,  l'élévation  à  une  puissance,  l'extraction  d'une 
racine  à  faire  subir  successivement  aux  deux  membres  de  l'équa- 
tion à  résoudre. 

En  effet,  les  opérations  mécaniques  d'additionnement,  de  re- 
tranchement, de  duction,  d'application,  de  formation  de  carrés 
ou  de  cubes  ou  de  quadrato-quadrata,  etc.,  enfin,  de  retour  aux 
côtés  des  carrés,  des  cubes,  des  quadrato-quadrata,  etc.,  corres- 
pondant aux  opérations  arithmétiques  qu'on  aurait  dû  faire  subir 
aux  deux  membres  d'une  équation  numérique  donnée,  pour  la 
résoudre,  elles  modifieront  successivement  de  la  même  manière 
l'équation  concrète  correspondante  et  par  conséquent  en  don- 
neront aussi  la  solution. 

On  a  pu  remarquer  que  l'expression  ducere  in  était  déjà  em- 
ployée avant  Viète,  pour  multiplier  par.  Cela  tient  à  ce  que  les 
algcbristes  arabes  et  leurs  imitateurs  italiens  ou  allemands  se 
servaient  simultanément,  dans  leurs  recherches,  de  considérations 
arithmétiques  et  géométriques.  Quand  ils  voulaient  faire  le  pro- 
duit de  deux  nombres,  ils  employaient  l'expression  multiplier 
par^  mais  quand,  pour  raisonner  sur  ce  produit,  ils  lui  donnaient 
la  figure  d'un  rectangle,  ils  disaient  ducere  in\  ainsi  3  ductus 


De  Viète  à  Kepler. 


in  5  désignait  le  rectangle  ayant  pour  mesure  3  multiplié 
par  5  ;  mais  ils  n'observaient  pas  toujours  la  règle  et  employaient 
souvent  ducere  in  pour  muitiplicare,  et  réciproquement. 

On  serait  tenté  de  croire,  en  lisant  les  œuvres  de  Viète  dans  Tc- 
dition  qu'en  a  donnée  Schooten,  qu'il  se  permettait  la  même  con- 
fusion ;  mais  ce  serait  une  erreur.  C'est  Schooten,  dans  les  expli- 
cations dont  il  entremêle  quelquefois  le  texte  de  Viète,  qui  a  fait 
la  confusion,  du  reste  bien  innocemment,  car  les  multiplications 
et  divisions  qu^ïl  substitue  dans  ses  additions  au  texte,  aux  duc- 
tions  sur  et  aux  applications  à  de  Viète  ne  sont  pas  des  multipli- 
cations et  divisions  de  nombres,  mais  les  multiplications  et  divi- 
sions concrètes  imaginées  par  Descartes;  les  produits  et  quotients 
qui  en  proviennent  sont  des  quatrièmes  proportionnelles. 

Au  reste,  ce  qui  distingue  de  celui  des  Arabes  le  ducere  in  de 
Viète,  c'est  qu'il  a  pour  corrélatif  inverse  Vadplicare  ad  inconnu 
jusqu'à  Viète.  U application  à,  qui  n'est  autre  chose  que  l'enlé- 
vement  de  ^appliquée  d'Apollonius,  est  une  opération  exclusi- 
vement géométrique  et  il  en  est  de  même  de  la  duction  sur. 

Principe  de  Vhomogénéité. 

Ce  principe  ressort  sans  démonstration  utile  de  la  conception 
de  Viète;  aussi  en  reproduit-il  souvent  l'énoncé,  sans  autre  expli- 
cation que  celle  qui  résulte  du  mécanisme  des  opérations  elles- 
mêmes. 

C'est  qu'en  effet  une  équation  qui  vient  d'être  lue  sur  une 
figure  est  nécessairement  homogène  et  que  les  opérations  prati- 
quées dans  l'algèbre  speciosa  modifient  de  la  même  manière  les 


Sixième  Période. 


degrés  de  tous  les  termes,  en  leur  ajoutant  ou  retranchant  les 
mêmes  dimensions. 

Mais  nous  profiterons  de  l'occasion  que  nous  donne  l'étude 
des  travaux  de  Viète,  pour  examiner  son  principe  de  l'homogé- 
néité ù  tous  les  points  de  vue  qu'il  comporte,  au  moins  en  ce 
qui  concerne  les  relations  géométriques. 

Nous  le  retrouverons  plus  tard,  sous  une  autre  forme,  d'abord 
à  propos  des  travaux  de  Carnot,  ensuite  à  l'occasion  de  ceux  de 
Fourier. 

Rappelons  d'abord  la  démonstration  qu'on  donne  habituelle- 
ment de  la  loi  d'homogénéité. 

Les  mesures  des  grandeurs,  d'espèces  différentes,  qui  peuvent 
entrer  dans  une  même  équation,  dépendant  des  unités  aux- 
quelles ces  grandeurs  peuvent  être  rapportées,  et  ces  unités  ayant 
été  laissées  arbitraires,  l'équation  doit  présenter,  dans  sa  forme, 
un  caractère  tel  que  les  mesures  de  toutes  les  grandeurs  d'une 
même  espèce  puissent  y  varier  proportionnellement,  sans  que 
les  deux  membres  cessent  d'être  égaux. 

Or,  cette  condition  exige  que  tous  les  termes  de  l'équation 
soient  de  même  dimension  par  rapport  à  chaque  espèce  de  gran- 
deurs. 

On,  pourrait  reprocher  à  cette  démonstration  de  supposer  à  peu 
près  l'équivalent  de  ce  qu'on  voulait  établir;  car  une  partie  de  la 
question  serait  précisément  d'éclairer  le  point  important  de  la 
variabilité  arbitraire  des  unités. 

Le  raisonnement  sous-entendu  par  Viète  fournirait  une  dé- 
monstration satisfaisante.  Le  voici  : 

Au  moment  où  l'on  note  l'équation,  la  loi  du  phénomène 
dont  il  s'agir,  où  l'on  traduit  mot  à  mot  les  conditions  de  l'énoncé, 


De  Vièteà  Kepler. 


.  tous  les  termes  que  l'on  écrit  sont  nécessairement  de  la  même 
dimension,  c'est-à-dire  que,  si  les  grandeurs  considérées  sont  des 
-  longueurs,  les  signes  -h  et  —  ne  relient  entre  elles  que  des  gran- 
.'  deurs  exprimées  par  des  quatrièmes,  des  moyennes  proportion- 
nelles, etc.;  de  sorte  qu'en  comptant  pour  une  seule  lettre  chaque 
radical,  qui  portera  d'ailleurs  sur  autant  de  grandeurs  de  même 
espèce  qu'il  y  aura  d'unités  dans  son  indice,  on  trouvera  tou- 
jours dans  chaque  terme  une  lettre  de  plus  à  chaque  numérateur 
qu'au  dénominateur  correspondant.  Au  reste,  tous  les  termes  de 
l'équation  devant  être  de  même  nature,  pour  qu'elle  ait  un  sens, 
tous  les  multiplicandes  seront  de  même  espèce.  Enfin,  comme 
deux  grandeurs  n'ont  de  rapport  qu'autant  qu'elles  sont  de 
même  espèce,  on  trouvera  toujours  autant  d'antécédents  de 
chaque  genre  au  numérateur  que  de  conséquents  semblables  au 
dénominateur. 

L'équation,  dans  cet  état,  sera  homogène. 
Si,  ensuite,  comme  le  faisait  Viète,  on  élève  le  degré  commun 
de  tous  les  termes,  en  duisant  à  chacun  d'eux   l'un  des  consé- 
quents, ou  plusieurs  successivement,  au  risque  d'atteindre  aux 
sursolides  en  Géométrie,  et  à  des  conceptions  encore  plus  idéales 
en  Mécanique,  par  exemple;  ou  si,  comme  les  modernes,  on  a 
modifié  l'équation  primitive  du  phénomène  en  en  multipliant 
ou  divisant  tous  les  termes  dans  les  rapports  de  quelques  données 
à   leurs  unités,   comme  on  n'écrit  jamais  ces  unités,  on  aura 
augmenté  ou  diminué  chaque  fois  d'une  unité  le  nombre  des 
I;    grandeurs  de  même  espèce  qui  se  trouvaient  dans  les  numéra- 
î    teurs  ou  les  dénominateurs.  Tous  les  termes  seront,  par  consé- 
\    quent,  restés  toujours  de  même  dimension,  et  l'équation  elle- 
\    même  sera  restée  homogène. 


Sixième  Période. 


11  en  serait  de  même  si  Ton  avait  élevé  les  deux  membres  de 
l'équation  à  une  même  puissance,  ou  qu'on  en  eût  extrait  des 
racines  de  même  indice. 

Si  l'on  avait  eu  à  multiplier  ou  à  diviser  membre  à  membre  des 
équations  séparément  homogènes,  elles  eussent  fourni  de  même 
des  équations  homogènes. 

Enfin,  quant  aux  combinaisons  par  addition  et  soustraction 
d'équations  différentes,  comme  elles  ne  peuvent  jamais  avoir 
pour  objet,  en  analyse,  qu'une  élimination  qui  ne  saurait  réussir 
qu'autant  que  les  équations  ajoutées  ou  retranchées  contien- 
draient un  même  terme,  il  en  résulte  que  ces  équations,  étant 
déjà  séparément  homogènes  et  contenant  un  même  terme,  seront 
de  même  degré  et  donneront,  par  conséquent,  en  se  combinant, 
des  équations  toujours  homogènes. 

Ce  qui  vient  d'être  dit  des  équations  entre  longueurs  convien- 
drait évidemment  aux  équations  entre  surfaces  et  volumes,  une 
surface  étant  le  résultat  de  la  duction  d'une  longueur  sur  une 
autre,  et  un  volume,  le  résultat  de  la  duction  d'une  longueur  sur 
une  surface  :  ces  équations,  au  moment  où  elles  seraient  formu- 
lées, à  la  lecture  d'une  figure,  seraient  nécessairement  homogènes. 

Telle  devait  être  à  peu  près  la  pensée  de  Viète.  Mais  on  n'au- 
rait qu'une  idée  très  imparfaite  de  la  loi  d'homogénéité  si  l'on  ne 
la  rattachait  à  des  considérations  d'un  ordre  plus  élevé. 

Le  fait  général,  évident,  qui  doit  servir  de  base  à  l'établisse- 
ment de  la  loi  d'homogénéité,  ne  consiste  vraiment  pas  en  ce  que 
Tunité  ou  les  unités  supposées  sont  toujours  arbitraires,  ce  qui 
constitue  le  point  de  départ  le  plus  généralement  adopté,  ni  en 
ce  que  Tcquation,  au  moment  où  on  la  pose,  est  nécessairement 
homogène,  mais  en  ce  que  tout  phénomène  quelconque  qui  vient 


De  Viète  à  Kepler,  i3 


\  de  se  développer  pourrait  être  reproduit  similairement  en  plus 
petit  ou  en  plus  grand,  sans  qu'aucune  différence  essentielle  en 
résultât.  En  d'autres  termes,  la  loi  d'homogénéité  est  l'expression 
de  la  loi  de  similitude. 

Quand  on  a  pu  obtenir  les  lois  d'un  phénomène  sans  faire  aucune 
hypothèse  sur  la  grandeur  des  données,  les  équations  auxquelles 
on  est  parvenu  conviennent  à  toute  une  série  de  phénomènes 
analogues,  et  notamment  à  tous  ceux  qiii,  sans  sortir  des  condi- 
tions qu'on  a  supposées,  se  développeraient  similairement.  Ces 
équations  doivent  donc  permettre  une  variation  similaire  quel- 
conque des  causes  et  des  effets  entre  lesquels  elles  établissent 
des  relations.  C'est  dans  cette  condition  que  la  loi  d'homogénéité 
prend  son  origine. 

Par  exemple,  toute  propriété  générale  d'une  figure  géomé- 
trique définie  convient  évidemment  à  toutes  les  figures  sem- 
blables; or,  la  similitude  en  Géométrie  exige  l'égalité  des  angles 
et  la  proportionnalité  des  distances;  toute  équation  qui  traduira 
I  une  propriété  générale  d'une  figure  quelconque  devra  donc  être 
t  telle  que  les  longueurs  qu'elle  contiendra  puissent  y  varier  pro- 
portionnellement, les  angles  restant  constants,  sans  qu'elle  cesse 
d'être  satisfaite. 

Cette  manière  de  concevoir  la  loi  d'homogénéité  aura  l'avan- 
tage, non  seulement  d'en  présenter  la  vraie  cause,  pour  les  équa- 
tions notées  au  moyen  des  signes  des  fonctions  simples  des  trois 
premiers  couples,  m^is  encore  de  laisser  entrevoir  au  moins  que 
les  fonctions  transcendantes  doivent  être  assujetties  à  une  loi 
encore  inconnue,  qui  dériverait  du  même  principe,  la  possibi- 
lité de  changer  similairement  un  phénomène  quelconque  sans  en 
altérer  les  lois. 


14  Sixième  Période. 


Si  toutes  les  grandeurs  qui  entrent  dans  une  même  équation 
sont  de  même  espèce  et  doivent  varier  proportionnellement,  pour 
que  le  phénomène  reste  semblable  à  lui-même,  comme  la  même 
équation  devra  traduire  également  les  lois  de  tous  les  phéno- 
mènes semblables  à  celui  qu'on  a  supposé,  il  faudra  qu'en  mul- 
tipliant dans  un  même  rapport  toutes  les  grandeurs  qui  y  entrent, 
cette  équation  reste  satisfaite,  et,  pour  cela,  il  faudra  que  chaque 
terme  y  contienne  en  numérateur  le  même  excédent  de  lettres 
par  rapport  au  dénominateur.  L'équation  devra  donc  être  ho- 
mogène. 

Si  les  grandeurs  considérées  étaient  d'espèces  différentes  et 
pouvaient  varier  proportionnellement  dans  chaque  genre  et  indé- 
pendamment, sans  que  le  phénomène  cessât  de  rester  semblable 
à  lui-même,  il  faudrait  que  tous  les  termes  de  chacune  des  équa- 
tions de  ce  phénomène  fussent  de  la  même  dimension  par  rap- 
port à  chaque  espèce  de  grandeurs. 

Il  en  est  ainsi,  par  exemple,  dans  toute  question  mécanique  : 
la  similitude  se  conserve  lorsque,  les  trajectoires  des  différentes 
molécules  considérées  restant  les  mêmes,  elles  sont  parcourues 
avec  des  vitesses  plus  grandes  ou  plus  petites,  mais  assujetties  à 
la  loi  de  proportionnalité. 

Cela  suppose  que  les  forces  varient  dans  un  rapport  carré,  et 
les  durées  des  transports,  ou  les  intervalles  de  temps  correspon- 
dants aux  passages  d'une  même  molécule  par  les  mêmes  points, 
dans  le  rapport  inverse  simple. 

Par  conséquent,  toute  équation  d'un  phénomène  dynamique 
doit  être  telle  que  si  les  forces  y  sont  multipliées  dans  un  rap- 
port carré,  et  les  temps  dans  le  rapport  inverse  simple,  elle  puisse 
rester  satisfaite  sans  qu'aucune  dimension  du  système  mis  en 


De  Viète  à  Kepler,  i5 

mouvement  ni  aucun  paramètre  d'aucune  trajectoire  doive 
l  changer. 

Si,  dans  cette  équation,  certaines  constantes  désignaient  des 
vitesses  initiales,  ces  vitesses  devraient  être  multipliées  dans 
le  même  rapport  que  les  autres,  c'est-à-dire  dans  un  rapport  égal 
à  la  racine  carrée  de  celui  des  forces,  ou  dans  le  rapport  inverse 
des  temps. 

Par  exemple,  la  durée  d'une  oscillation  complète  du  pendule 
simple  est 

h  représentant  la  différence  de  niveau  entre  le  point  d'oti  l'on  a 
abandonné   le  mobile  à  lui-même  et  le  point  le  plus  bas  du 
cercle,  et  /  le  rayon  de  ce  cercle;  si,  h  el  l  restant  fixes,  ^,  l'inten- 
sité de  la  force,  variait  dans  un  rapport  carré,  le  temps  t  d'une 
oscillation  varierait  dans  le  rapport  simple  inverse. 
i      La  similitude  se  conserve  encore  lorsque  les  trajectoires  restent 
'  les  mêmes  et  sont  parcourues  dans  les  mêmes  temps  par  des  sys- 
tèmes matériellement  semblables.  Cela  arrive  lorsque  les  forces 
I  varient  toutes  en  même  temps  que  toutes  les  masses  dans  un 
même  rapport.  Par  conséquent,  toute  équation  d'un  phénomène 
dynamique  doit  être  telle  que,  les  éléments  géométriques  du  sys- 
tème en  mouvement  et  les  paramètres  des  trajectoires  restant  les 

î 

»  mêmes,  ainsi  que  les  durées  des  temps  des  évolutions,  les  forces 

et  les  masses  puissent  y  varier  proportionnellement. 

La  similitude  se  conserve  encore  lorsque,  les  trajectoires  va- 
riant similairement  en  même  temps  que  les  éléments  géomé- 
;  triques  du  système  mû,  les  trajectoires  sont  parcourues  avec  les 


i6  Sixième  Période. 


mêmes  vitesses  aux  points  homologues,  de  manière  que  les  in- 
tervalles des  passages  des  mêmes  molécules  aux  points  homo- 
logues varient  proportionnellement  aux  éléments  géométriques. 
Cela  exige  que  les  forces  varient  en  raison  inverse  des  paramètres 
des  trajectoires,  les  densités  d'ailleurs  variant  en  raison  inverse 
des  cubes  des  mêmes  paramétres,  afin  que  les  masses  ne  chan- 
gent pas. 

Si  certaines  constantes  désignaient  des  vitesses  initiales,  il  ne 
faudrait  pas  les  modifier,  puisque  les  vitesses  variables  devraient 
partout  rester  les  mêmes  aux  points  correspondants  des  trajec- 
toires semblables. 

Il  en  résulte  que  toute  équation  d'un  phénomène  dynamique 
doit  être  telle  que,  les  masses  ne  variant  pas,  elle  reste  satisfaite 
si  les  temps  et  les  éléments  géométriques  varient  dans  un  même 
rapport,  et  les  forces  dans  le  rapport  inverse. 

C'est  ce  qu'on  vérifie  sur  la  formule 


-VM 


8/ 


citée  plus  haut;  si  h  et  /  varient  dans  le  même  rapport,  c'est-à- 
dire  si  Ton  place  semblablement  deux  points  matériels  de  même 
masse  sur  deux  circonférences  verticales,  et  que  la  pesanteur 
rapportée  à  l'unité  de  masse,  ^,  ou  la  force  accélératrice,  varie 
de  l'un  à  l'autre  en  raison  inverse  de  celle  suivant  laquelle  varie 
le  rayon  de  la  circonférence,  les  temps  d'une  oscillation  seront 
comme  ces  rayons. 

Enfin,  la  similitude  se  conserverait  encore  si,  les  trajectoires 
variant  similairement,  en  même  temps  que  les  éléments  géomé- 
triques du  système  mû,  ces  trajectoires  étaient  parcourues  avec 


De  Viète  à  Képlei:  17 


de  nouvelles  vitesses  aux  points  homologues,  plus  grandes  ou 
plus  petites,  mais  ayant  un  rapport  fixe  avec  les  anciennes,  de 
manière  que  les  intervalles  des  passages  des  mêmes  molécules  aux 
points  homologues  variassent  en  raison  directe  des  éléments  géo- 
métriques et  en  raison  inverse  des  vitesses.  Pour  qu'il  en  fût 
ainsi,  il  faudrait  que  les  forces  variassent  en  raison  directe  des 
éléments  géométriques  et  en  raison  inverse  des  carrés  des  temps. 

Il  résulte  de  là  que  toute  équation  d'un  phénomène  dynamique 
doit  être  telle  qu'elle  reste  satisfaite,  lorsqu'on  y  change  les  élé- 
ments linéaires  dans  un  même  rapport,  les  intervalles  des  temps 
dans  un  autre  rapport  indépendant  du  premier,  et  les  forces  dans 
un  rapport  composé  de  celui  des  éléments  géométriques  et  de 
rinverse  du  carré  de  celui  des  temps. 

Si  dans  cette  équation  certaines  constantes  désignaient  des  vi- 
tesses initiales,  il  faudrait  les  multiplier  dans  le  même  rapport 
que  les  autres,  c'est-à-dire  en  raison  composée  de  celle  des  élé- 
ments géométriques  et  de  l'inverse  de  celle  des  temps. 

Voici  un  cas  particulier  remarquable  de  la  loi  qui  vient  d'être 
énoncée  :  si  des  systèmes  géométriquement  semblables  et  de 
mêmes  masses,  sous  les  volumes  homologues,  décrivent  des  tra- 
jectoires semblables,  et  que  les  forces  qui  les  meuvent  varient  de 
l'un  à  l'autre  en  raison  inverse  des  carrés  des  éléments  géomé- 
triques, les  intervalles  des  temps  des  passages  des  molécules  aux 
points  homologues  seront  comme  les  cubes  des  éléments  géomé- 
triques homologues. 

La  formule 

ih 
8/ 


-VK 


permet  encore  de  vérifier  ces  prévisions  :  si,   deux  mobiles  étant 
M.  Marie.  —  Histoire  des  Sciences,  III.  2 


i8  Sixième  Période. 


placés  en  deux  points  semblalement  placés  sur  deux  cercles  ver- 
ticaux, la  pesanteur  variait  de  l'un  à  l'autre  en  raison  inverse  du 
carré  de  celle  des  rayons,  les  carrés  des  temps  d'une  oscillation 
seraient  comme  les  cubes  des  rayons. 

C'est  l'analogue  de  la  troisième  loi  de  Kepler  :  les  carrés  des 
temps  des  révolutions  des  planètes  sont  comme  les  cubes  des 
grands  axes  de  leurs  orbites. 

Cette  loi  de  Kepler  n'est,  comme  on  sait,  qu'approximative; 
mais  aussi  les  systèmes  formés  par  le  Soleil  et  les  diverses  pla- 
nètes, prises  séparément,  ne  sont-ils  pas  semblables,  les  planètes 
n'ayant  pas  toutes  même  masse,  et  les  vitesses  aux  périhélies, 
qu'on  pourrait  considérer  comme  les  vitesses  initiales,  n'ayant 
pas  d'ailleurs  les  valeurs  qu'elles  devraient  avoir  dans  l'hypothèse 
de  la  similitude. 

Dans  tous  les  exemples  que  nous  avons  pris  jusqu'ici,  la  simi- 
litude se  traduisait  par  la  proportionnalité  des  éléments  homo- 
logues; il  n'en  est  pas  toujours  ainsi  :  pour  les  grandeurs  angu- 
laires, elle  exige  l'égalité,  si  l'on  a  pris  pour  origine  des  angles 
la  direction  d'une  ligne  de  la  figure,  et  l'équidifférence,  si  cette 
origine  est  restée  arbitraire.  Elle  exige  de  même  l'équidilTérence 
pour  les  températures,  lorsque  le  zéro  de  l'échelle  thermométrique 
est  resté  arbitraire.  Pour  d'autres  genres  de  grandeurs ,  elle 
pourrait  se  traduire  par  d'autres  relations  analytiques. 

Enfin  la  loi  d'homogénéité  ou  de  similitude  peut  encore  être 
considérée  à  un  autre  point  de  vue,  bien  plus  important,  que  nous 
avons  déjà  indiqué,  mais  que  nous  ne  pourrons  nettement  carac- 
tériser que  plus  tard  :  la  nature  de  la  condition  de  similitude, 
propre  aux  différents  groupes  de  phénomènes,  détermine  la  na- 
ture des  lonctions  simples  qui  peuvent  entrer  dans  Texpression 


De  Viète  à  Kepler. 


analytique  des  lois  qui  régissent  ces  groupes  de  phénomènes. 
Ainsi,  c'est  parce  que  la  similitude  des  figures  géométriques 
exige  la  proportionnalité  des  éléments  linéaires,  que  les  relations 
entre  ces  éléments  s'expriment  naturellement  au  moyen  des 
fonctions  simples  qui  dérivent  elles-mêmes  de  la  loi  de  propor- 
tionnalité, produits,  quotients,  puissances  et  racines  de  tous  les 
ordres. 

C'est  parce  que  la  similitude  des  figures  géométriques  exige 
régalité  des  angles  que  les  angles  ne  sauraient  entrer  sous  les 
fonctions  qui  dérivent  de  la  loi  de  proportionnalité.  Mais  orsqu'on 
concevra,  comme  l'a  fait  Carnot,  les  angles  comptés  à  partir  d'une 
origine  arbitraire,  comme  alors  la  loi  de  similitude,  relativement 
àcegenred*éléments,  se  traduira  par  uneconditiond'équidifférence, 
on  pourra  prédire  que  les  fonctions  sous  lesquelles  ils  peuvent 
entrer  dans  les  formules  sont  les  fonctions  exponentielles.  Il  en 
sera  de  même,  et  pour  la  même  raison,  des  températures  ;  au 
moins  pour  toutes  les  théories  oîi,  comme  dans  celle  de  Fourier, 
on  admettra  que  l'échange  de  chaleur  entre  deux  corps  ne  dépend 
que  de  la  différence  de  leurs  températures. 


Origines  de  la  Mécanique. 

Il  nous  reste  à  indiquer  les  progrès  que  fît  la  Mécanique  dans 
cette  période,  grâce  aux  travaux  de  Stevin  et  de  Galilée. 

On  sait  jusqu'où  Archimède  avait  porté,  par  un  seul  effort,  la 
théorie  de  l'équilibre  des  corps  pesants;" on  a  vu  que  la  théorie 
du  levier  avait  pris  quelques  développements  dans  les  derniers 
temps  où  achevait  de  s'éteindre  l'Ecole  d'Alexandrie,  mais  on  se 


Sixième  Période. 


rappelle  que  Pappus  n'était  arrivé  qu'à  une  solution  absurde  du 
problème  inénarrable  qu'il  s'était  posé  relativement  au  plan 
incliné. 

Le  frottement,  qui  joue  un  rôle  important  dans  tous  les  mou- 
vements effectifs,  avait  fait  à  ce  point  illusion  aux  anciens  qu'ils 
ignoraient  que,  sans  cette  résistance  passive,  la  moindre  force 
mettrait  en  mouvement  les  plus  grandes  masses,  soustraites  à 
l'action  de  la  pesanteur;  et  Pappus  essayait  de  comparer  les  forces 
capables  de  mouvoir  un  même  corps  placé  successivement  sur 
un  plan  horizontal  et  sur  un  plan  incliné,  croyant  parfaitement 
que,  pour  passer  d'un  cas  à  l'autre,  il  suffisait  de  tenir  compte  de 
l'inclinaison  du  plan;  comme  si  une  force  si  minime  qu'elle  fût 
ne  mouvrait  pas  les  plus  grandes  masses  sur  un  plan  horizontal, 
en  supposant  le  frottement  nul,  parce  que  la  pesanteur  n'ob- 
tiendrait alors  aucun  efîet. 

La  Mécanique  théorique  était,  depuis  lors,  restée  absolument 
stationnaire;  elle  ne  reprit  son  essor  qu'au  seizième  siècle. 

Stevin  établit  la  condition  d'équilibre  d'un  corps  pesant  placé 
sur  un  plan  incliné  (sans  frottement)  et  retenu  par  une  force  pa- 
rallèle à  la  ligne  de  plus  grande  pente  du  plan,  qui  tendrait  à  le 
faire   monter. 

Il  trouva  encore,  sous  une  forme,  il  est  vrai,  très  vicieuse,[mais 
dont  il  fut  facile  de  tirer  la  règle  du  parallélogramme  des  forces. 
la  condition  d'équilibre  d'un  solide  pesant,  soumis  à  l'action 
de  deux  forces  obliques,  dirigées  vers  son  centre  de  gravité  et 
tendant  à  le  taire  monter. 

Mais,  jusque-là,  la  Dynamique  n'avait  pas  encore  pris  nais- 
sance. Nous  en  avons  indiqué  les  raisons,  qui  tiennent  d'abord  à 
ce  que,  les  effets  des  résistances  dues  aux  frottements  se  mêlant 


De  Viète  à  Kepler. 


partout  aux  effets  des  forces  directement  appliquées,  il  était  bien 
difficile  d'instiluerdes  expériences  capables  de  donner  des  résultats 
utilisables;  en  second  lieu,  à  des  habitudes  vicieuses  de  Tesprit, 
dont  il  était  très  difficile  de  se  débarrasser:  nous  voulons  parler 
de  la  confusion  d'idées  qui  devait  naturellement  naître  de  l'ob- 
servation simultanée  des  effets  produits  par  les  causes  de  mouve- 
ment auxquelles  seules  nous  donnons  aujourd'hui  le  nom  de 
forces,  et  par  les  percussions  au  moyen  desquelles  nous  produi- 
sons la  plupart  des  effets  utiles,  dans  les  circonstances  ordinaires 
de  la  vie;  car,  même  dans  le  cas  où  nous  nous  employons  à  une 
traction,  la  mise  en  marche  n'est  habituellement  obtenue  que 
par  un  effort  instantané  considérable,  qui  nous  fait  encore  néces- 
sairement illusion. 

Il  n'y  avait  guère  que  les  effets  dus  à  la  pesanteur  sur  les  corps 
tombant  librement,  ou  n'éprouvant  que  des  résistances  presque 
insensibles,  telles  que  celle  de  l'air,  dont  l'observation  intelligente 
pût  mettre  sur  la  voie  des  premiers  principes  de  la  Dynamique. 

Cest  Galilée  qui,  le  premier,  sut  faire  convenablement  ces 
observations. 

On  croyait  et  on  professait  depuis  Aristote  que  les  vitesses 
acquises,  au  bout  de  temps  égaux,  par  des  corps  tombant  libre- 
ment sous  l'influence  de  la  pesanteur,  sont  proportionnelles  à 
leurs  poids.  Galilée  fit  voir,  par  des  expériences  réitérées,  que  des 
corps  de  poids  très  différents,  abandonnés  en  même  temps  à  eux- 
mêmes,  du  haut  d'une  tour,  arrivaient  au  pied  à  très  peu  près 
en  même  temps,  s'ils  avaient  à  pe"u  près  même  densité;  et  il  fit 
remarquer  que,  dans  le  cas  où  les  densités  différaient  beaucoup, 
le  retard  des  plus  légers  tenait  simplement  à  ce  que  la  résistance 
de  l'air  avait  sur  eux  un  effet  plus  marqué. 


Sixième  Période. 


On  avait  fait  toutes  les  hypothèses  imaginables  sur  la  loi  de  la 
variation  de  la  vitesse  d'un  corps  pesant,  rapprochée  soit  de 
l'espace  déjà  parcouru,  soit  du  temps  déjà  écoulé,  depuis  le  com- 
mencement de  la  chute.  Les  uns  croyaient  la  vitesse  acquise 
proportionnelle  au  chemin  déjà  parcouru,  d'autres  tenaient  pour 
une  certaine  division  en  moyenne  et  extrême  raison,  etc.  Quant 
aux  raisons  alléguées  en  faveur  de  chaque  système,  la  raison  n'y 
avait  naturellement  aucune  part.  Galilée  préféra  recourir  à  l'ex- 
périence. Il  trouva  que  les  espaces  parcourus  croissent  comme 
les  carrés  des  temps,  et  il  en  conclut  que  les  vitesses  croissaient 
comme  les  temps. 

Enfin,  on  croyait,  avant  Galilée,  qu'un  projectile  lancé  obli- 
quement se  meut  en  ligne  droite,  jusqu'à  ce  que  sa  vitesse  soit 
détruite,  et  tombe  ensuite  verticalement.  Galilée  fit  voir  que  la 
trajectoire  d'un  projectile  est  une  parabole;  il  calcula  le  para- 
mètre de  cette  parabole,  d'après  la  grandeur  et  la  direction  de  la 
vitesse  initiale,  en  déduisit  l'amplitude  du  jet  et  vérifia  toutes 
les  conséquences  de  sa  théorie.  La  concordance  des  faits  observés 
avec  les  prévisions  lui  permit  d'établir  ce  principe,  que  la  vitesse 
d'un  projectile  est,  à  chaque  instant,  représentée  par  la  diagonale 
du  parallélogramme  construit  sur  les  droites  qui  représentent  la 
vitesse  initiale  et  celle  que  le  mobile  aurait  acquise,  dans  la  direc- 
tion verticale,  en  raison  du  temps  écoulé. 

La  comparaison  faite  par  Galilée  des  durées  des  oscillations 
de  pendules  de  différentes  longueurs  vint  encore  fournir  une 
nouvelle  vérification  de  la  théorie. 

En  résumé,  il  y  avait  preuves  concluantes  que  la  pesanteur 
appliquée  à  un  corps,  à  partir  du  repos,  lui  imprime  un  mouve- 
ment uniformément  accéléré,  et  que,  si  ce  corps  avait  déjà  une 


De  Viète  à  Kepler.  a3 


vitesse  initiale  lorsque  la  pesanteur  pourrait  agir  sur  lui,  son 
mouvement  projeté  sur  la  direction  de  la  vitesse  initiale,  parallè- 
lement à  la  verticale,  reproduirait  le  mouvement  rectiligne  et 
uniforme,  antérieurement  acquis,  tandis  que,  projeté  sur  la 
direction  de  la  pesanteur,  parallèlement  à  la  vitesse  initiale,  il 
coïnciderait  avec  le  mouvement  rectiligne  et  uniformément  varié 
que  la  pesanteur  aurait  imprimé  au  corps,  pris  au  repos.  C'était 
un  progrès  considérable. 

Notons  encore  que  Galilée  avait  des  notions  très  nettes  et  très 
exactes  sur  les  effets  des  frottements  et  de  la  résistance  de  l'air; 
enfin,  qu'il  eut  une  sorte  d'intuition  du  principe  de  la  théorie  des 
machines,  car  il  dit  expressément  :  «  Ce  que  l'on  gagne  du  côté 
de  la  puissance,  on  le  perd  du  côté  du  temps,  et  précisément  dans 
le  même  rapport.  » 

Cependant  Galilée  ne  voyait  encore  dans  la  pesanteur  qu'une 
cause  générale,  assez  mal  définie,  de  mouvement,  ou  plutôt  la 
pesanteur  des  corps  n'était  encore  à  ses  yeux  que  leur  tendance  au 
mouvement,  dans  la  direction  verticale;  il  ne  voyait  pas  encore 
dans  leur  poids  la  force  qui  les  meut.  11  ne  faudrait  pas  le  moins 
du  monde  penser  qu'il  ait  eu  la  conception  du  premier  principe  de 
la  Dynamique,  qu'une  force  constante  de  grandeur  et  de  direction, 
appliquée  à  un  corps,  à  partir  du  repos,  lui  communique  un 
mouvement  rectiligne  et  uniformément  accéléré;  encore  moins 
qu'il  ait  formulé,  comme  on  le  dit,  le  principe  de  la  composition 
des  effets  de  deux  forces  constantes  de  grandeur  et  de  direction, 
simultanément  appliquées  à  un  même  solide.  Les  historiens  lui 
ont  prêté  ces  idées  parce  que  l'analyse  de  ses  travaux  en  devenait 
plus  facile  et  que  d'ailleurs  il  restait,  en  effet,  peu  de  chose  à 
faire  après  lui  pour  s'élever  à  ces  idées  nouvelles. 


24  Sixième  Période. 


Il  convient  aussi  de  remarquer  que  la  notion  des  masses  ne 
s'était  pas  encore  fait  jour  du  temps  de  Galilée.  Cela  est  d'autant 
moins  étonnant  que  les  masses  n'ont  aucun  rôle  à  jouer  dans 
les  questions  de  Statique,  qui  avaient  seules  occupé  les  esprits 
jusque-là.  En  réalité,  on  ne  trouve,  dans  les  œuvres  de  Galilée, 
qu'un  chapitre  de  la  Cinématique. 

Progrès  de  V Arithmétique . 

Ils  consistent  essentiellement  dans  l'invention  du  mode  de 
calcul  par  logarithmes. 

Progrès  de  V Algèbre. 

Viète  établit  la  formule  du  développement  des  puissances  suc- 
cessives d'un  binôme,  mais  sans  chercher  à  connaître  l'expres- 
sion des  coefficients.  Il  se  borne  à  remarquer  que,  pour  former 
ceux  du  développement  d'une  nouvelle  puissance,  il  suffit  d'ad- 
ditionner, dans  le  développement  de  la  puissance  précédente,  le 
premier  et  le  second  coefficient,  le  second  et  le  troisième,  etc.,  ce 
qui  ressort  évidemment  de  la  règle  pour  faire  la  multiplication. 

Il  conçoit  la  décomposition  du  premier  membre  d'une  équa- 
tion entière  dans  les  facteurs  formés  des  différences  entre  l'in- 
connue et  les  différentes  racines,  et  entrevoit  les  relations  entre 
les  coefficients  et  les  racines.  Harriot  précise  davantage  ce  point. 

Viète  enseigne  à  effectuer  sur  les  racines  des  équations  entières 
les  transformations  les  plus  simples  :  ajouter  ou  retrancher  un 
même  nombre  à  toutes  les  racines,  multiplier  ou  diviser  toutes 


,^^  De  Viète  à  Kepler, 


les  racines  par  un  même  nombre.  Harriot  constitue  la  théorie 
des  racines  commensura blés  et  enseigne  à  simplifier  les  équations 
qui  en  ont. 

Viète  enseigne  à  résoudre  les  problèmes  déterminés  de  Géomé- 
trie par  l'Algèbre  et  à  construire  les  inconnues  au  moyen  des  for- 
mules qui  les  représentent;  il  réduit  au  degré  de  simplicité  qu'elle 
comporte  la  résolution  de  l'équation  du  troisième  degré;  et 
explique  la  présence  des  racines  étrangères  positives,  dans  les 
équations  qui  donnent  les  lignes  trigonométriques  du  sous-mul- 
tiple d'un  arc. 

Stevin  introduit  la  notation  des  exposants. 

Progrès  de  la  Géométrie. 

Les  deux  trigonométries  prennent  leur  forme  définitive  entre 
les  mains  de  Viète.  Néper  y  introduit  ensuite  les  analogies  ou 
proportions  qui  portent  son  nom. 

Stevin  fonde  les  bases  de  la  perspective. 

Progrès  de  VAstronomie. 

Tycho-Brahé  corrige  la  durée  de  l'année  tropique,  qu'il  fait 
de  365^5''49';  détermine  plus  exactement  la  valeur  de  la  préces- 
sion annuelle  des  équinoxes  et  rectifie  l'obliquité  de  l'écliptique, 
qu'il  fait  de  2  3'3i'3o'';  il  découvre  une  nouvelle  inégalité  de  la 
lune,  additive  dans  le  premier  et  le  quatrième  octant,  soustrac- 
tive  dans  les  deux  autres;  il  reconnaît  l'accroissement  que  subit, 


20  Sixième  Période. 

des  syzygies  aux  quadratures,  l'inclinaison  du  plan  de  Torbite 
lunaire  sur  le  plan  de  l'écliptique  et  l'inégalité  du  mouvement  de 
la  ligne  des  nœuds  de  notre  satellite;  enfin  il  construit  la  pre- 
mière bonne  table  des  réfractions  astronomiques. 

Galilée  découvre  les  satellites  de  Jupiter,  l'anneau  de  Saturne 
et  les  taches  du  Soleil  ;  il  constate  que  la  Lune  nous  présente  tou- 
jours la  même  face  et  enseigne  à  mesurer  la  hauteur  de  ses  mon- 
tagnes- il  observe  les  phases  de  Vénus  et  de  Mars  et  établit  ainsi 
que  les  planètes  empruntent  leur  éclat  au  Soleil. 

Progrès  de  la  Mécanique. 

Stevin  découvre  la  condition  d'équilibre  d'un  corps  placé  sur 
un  plan  incliné  et  celle  de  l'équilibre  d'un  corps  pesant  soumis  à 
l'action  de  deux  forces  obliques  dirigées  vers  son  centre  de  gra- 
vité et  tendant  à  le  faire  monter.  Galilée  constate  l'isochronisme 
des  petites  oscillations  d'un  pendule,  découvre  les  lois  de  la 
chute  des  corps  et  pose  son  fameux  principe  de  la  composition 
des  mouvements. 


Progrès  de  la  Physique. 

Mœstlin  donne  Texplication  de  la  lumière  cendrée  de  la  nou- 
velle Lune.  Gilbert  assimile  la  Terre  à  un  gros  aimant.  Galilée 
imagine  la  balance  hydrostatique  et  une  sorte  de  thermoscope. 
De  Dominis  fait  faire  un  nouveau  pas  à  la  théorie  deTarc-en-ciel. 
Jacques  Métius  découvre  le  télescope  appelé  batavique;  Galilée 
perfectionne  cet  instrument  au  point  d'obtenir  un  grossissement 
de  trente  fois  en  longueur.  Il  invente  le  microscope. 


j^<  ^t#sP>^Mf  <  ^Ffar>)i3i<  ^É#flP  >>Ki  Mt(^^vfir^>jii(<^Fpr^yjit 


BIOGRAPHIE 


DES 

SAVANTS  DE   LA  SIXIÈME  PERIODE 

ET 

ANALYSE  DE  LEURS  TRAVAUX. 


VIÈTE    (FRANÇOIS). 
{  Né  à  Fomenay-Ic-Comtc  en  1540,  mort  en  l6o3.) 

Il  était  naturellement  doué  d'une  pénétration  et  d'une  sagacité 
fort  rares,  et  l'application  avec  laquelle  il  se  livra  à  l'étude  des 
Mathématiques  était  si  grande  qu'il  passait,  dit  de  Thou,  quel- 
quefois trois  jours  de  suite  dans  son  cabinet,  ne  prenant  de  nour- 
riture et  de  sommeil  que  ce  qui  lui  était  absolument  nécessaire 
pour  se  soutenir,  sans  quitter,  pour  cela,  ni  son  bureau,  ni  son 
fauteuil.  Aussi  obtint-il  des  succès  assez  grands  pour  se  faire  ad- 
mirer de  ses  contemporains  et  pour  se  faire  beaucoup  d'envieux. 

Adrien  Romain  avait  proposé  à  tous  les  géomètres  de  l'Europe 
la  résolution  d*une  équation  numérique  du  43"  degré,  dont  il  ne 
donnait  pas  Torigine.  Viète  reconnut  de  suite  que  la.  question, 
faite  à  plaisir,  était  celle  de  la  division  d'un  angle  en  45  parties 
égales;  il  envoya  la  solution  et  proposa  à  Adrien  Romain  un 
autre  problème  que  celui-ci  ne  put  résoudre.  Romain  partit 
aussitôt  de  Wurtzbourg,  en  Franconie,  pour  faire  la  connaissance 


28  Sixième  Période. 


d'un  si  grand  maître  et  Talla  trouvera  sa  résidence.  Ils  passèrent 
un  mois  ensemble  et  ne  se  séparèrent  qu'à  la  frontière,  où  Viète 
voulut  accompagner  son  nouvel  ami. 

J.  Scaliger  pensait  avoir  trouvé  la  quadrature  du  cercle;  Viète 
releva  les  erreurs  et  les  paralogismes  de  cette  prétendue  décou- 
verte et  amena  son  adversaire  à  composition. 

Les  Espagnols,  pour  établir  entre  les  membres  épars  de  leur 
vaste  monarchie  une  communication  qui  ne  pût  être  interceptée, 
avaient  imaginé  des  caractères  de  convention,  qu'ils  changeaient 
de  temps  en  temps,  afin  de  déconcerter  ceux  qui  seraient  tentés 
de  suivre  les  traces  de  leur  correspondance.  Ce  chiffre,  composé 
de  plus  de  cinquante  figures,  leur  fut  d'une  grande  utilité  pen- 
dant nos  guerres  civiles.  Viète,  ayant  été  chargé  par  Henri  IV 
d'en  découvrir  la  clef,  y  parvint  facilement  et  trouva  même  le 
moyen  de  le  suivre  dans  toutes  ses  variations. 

La  France  profita  pendant  deux  ans  de  cette  découverte.  La 
cour  d'Espagne  déconcertée  accusa  la  France  d'avoir  le  diable  et 
des  sorciers  à  ses  gages;  elle  s'en  plaignit  à  Rome.  Viète  y  fut 
traduit  comme  nécromant  et  magicien,  ce  qui  fit  beaucoup  rire. 

Dans  ses  dernières  années,  il  s'occupa  du  Calendrier  grégorien 
et,  croyant  y  voir  plusieurs  fautes,  il  en  dressa  un  nouveau,  le 
mit  au  jour  en  1600  et  le  présenta  au  cardinal  Aldobrandini,qui 
était  alors  en  France.  Il  en  résulta  une  querelle  avec  Clavius, 
dont  Grégoire  XIII  avait  pris  les  avis.  Viète,  au  fond,  avaii 
tort. 

Viète  était  simple,  modeste,  sobre,  désintéressé;  il  fut  l'ami 
du  président  de  Thou  et  participa  aux  affaires  publiques  comme 
maître  des  requêtes.  Son  ouvrage  d'analyse  est  dédiéà  une  femme 
illustre,  Catherine  de  Parthenay,  princesse  de  Rohan,  sa  bien- 


De  Viète  à  Kepler.  ag 


faitrice  et  son  amie,  qui  d^aiiieurs  goûtait  elle-même  toutes  les 
Sciences. 

a  Je  vous  dois,  lui  écrivait-il,  la  vie  et  la  liberté,  et  ce  que  j'ai 
de  plus  cher  que  la  vie,  je  vous  le  dois  encore  :  le  fruit  de  mes 
veilles  vous  appartient.  Vos  conseils  m'ont  porté  vers  cet  art  su- 
blime dont  tous  les  secrets  vous  sont  connus.  » 

Ses  ouvrages  étaient  devenus  très  rares,  parce  qu'il  ne  les 
livrait  au  public  que  par  la  distribution  qu'il  en  faisait  à  ses 
amis  et  aux  personnes  qui  entendaient  les  matières  qu'il  y  trai- 
tait. François  Schooten,  professeur  de  Mathématiques  à  Leyde, 
aidé  de  J.  Golius,  d'Anderson  et  du  Père  Mersenne,  recueillit  les 
principaux  en  un  volume  in-folio  (Leyde,  1646). 

Viète  fit  en  Géométrie  une  révolution  extraordinaire  par  son 
importance  et  par  l'étrangeté  de  la  forme  sous  laquelle  les  idées 
se  présentèrent  à  lui.  Sa  méthode  est  très  peu  connue,  Montucla 
et  Bossut  s'étant  plutôt  attachés  à  faire  ressortir  l'éclat  de  ses 
brillantes  découvertes  qu'à  rechercher  dans  ses  ouvrages  la  trace 
du  progrès  des  idées.  Au  reste,  son  latin,  moitié  barbare,  moitié 
grec,  est  fort  difficile  à  entendre,  ce  qui  fait  que  la  plupart  des 
personnes  qui  ont  tenté  de  lire  ses  ouvrages  s'y  sont  rebutées. 

On  lit  dans  une  foule  d'ouvrages  que  Viète,  le  premier,  appHqua 
l'Algèbre  à  la  Géométrie.  Cette  expression,  pour  des  lecteurs  mo- 
dernes, n'a  pas  de  sens  ou  présente  une  idée  fausse.  Si  l'Algèbre 
est  la  théorie  abstraite  des  lois  ou  relations  de  dépendance,  si 
elle  a  pour  objet  l'étude  des  transformations  que  peut  subir  l'ex- 
pression d'une  loi  constatée,  si  elle  n'est  que  la  logique  univer- 
selle, personne,  le  premier,  n'appliqua  l'Algèbre  à  aucune  science, 
à  moins  qu'il  n'en  ait  saisi,  le  premier,  la  première  loi.  Ren- 


3o  Sixième  Pét^iode. 


verser  les  rapports  dans  une  proportion  est  déjà  une  opération 
d'Algèbre.  Les  mots  «  application  de  l'Algèbre  à  la  Géométrie  » 
avaient  alors  un  sens  qu'ils  n'ont  plus;  ils  signifiaient  :  usage 
détourné  des  principes  de  l'Algèbre,  alors  purement  arithmétique, 
dans  l'expression  des  relations  entre  grandeurs. 

Il  n'est  pas  douteux  que  Viète,  très  versé  dans  les  études  algé- 
briques (arithmétiques),  ne  se  soit  posé  bien  nettement  la  ques- 
tion d'arriver  à  faire  servir  au  progrès  de  chacune  des  deux 
Sciences  les  progrès  de  l'autre,  à  appliquer  en  un  mot  l'Algèbre  à 
la  Géométrie  dans  le  sens  que  cette  locution  devait  avoir  pour  lui. 

Il  pouvait  y  parvenir  par  deux  voies  bien  tracées  :  la  première, 
qui  eût  consisté  à  supprimer  Diophante  et  ses  élèves  et  à  refaire 
l'Algèbre  des  géomètres  grecs,  l'Algèbre  des  grandeurs  concrètes  ; 
la  seconde,  qui  eût  été  de  supposer  les  grandeurs  géométriques 
rapportées  à  une  unité,  comme  nous  le  faisons  aujourd'hui,  de 
manière  à]substituer  des  questions  de  nombres  à  des  questions 
de  choses;  il  n'aperçut  ni  l'une  ni  l'autre. 

Nous  avons  dit  quelle  solution  il  proposa  de  cette  grande 
question. 'Nous  le  montrerons  par  l'analyse  de  son  principal  ou- 
vrage. 

L'Algèbre  proprement  dite  doit  à  Viète  l'invention  des  diffé- 
rentes transformations  simples  qu'on  peut  faire  subir  aux  équa- 
tions, telles  que  :  ajouter  ou  retrancher  une  même  quantité  aux 
racines  d'une  équation,  multiplier  ou  diviser  ces  racines  par  un 
même  nombre.  C'est  lui  qui  découvrit  la  décomposition  du  pre- 
mier membre  de  l'équation  en  facteurs  du  i"  degré  et  la  compo- 
sition des  coefficients  en  fonction  des  racines.  Il  connaissait  la 
loi  de  formation  du  binôme;  il  s'en  sert,  mais  la  donne  sans  dé- 
monstration. 


De  Viète  à  Kepler.  3  r 


Quant  à  la  Géométrie,  Viète,  après  avoir  su  trouver  par  le 
calcul  les  expressions  des  inconnues,  enseigna  la  manière  de  les 
construire;  il  montra  que  les  équations  du  3^  degré  se  ramènent 
à  la  duplication  du  cube  ou  à  la  trisection  de  l'angle.  Enfin,  il 
établit  les  formules  des  cordes  de  tous  les  arcs  multiples  d'un 
autre,  expliqua  la  multiplicité"  des  racines  des  équations  aux- 
quelles conduit  le  problème  de  la  division  des  arcs  et  donna  aux 
deux  Trigonométries  leur  forme  définitive. 

«  Viète,  dit  Delambre,  n'était  pas  astronome,  mais  il  était 
le  plus  grand  géomètre  de  son  temps;  il  a  complété,  enfin,  le  sys- 
tème trigonométrique  des  Arabes  ;  il  est  le  premier  auteur  des 
formules  analytiques  qui  servent  à  la  résolution  de  tous  les 
triangles;  il  a  mis  dans  un  ordre  plus  satisfaisant  les  méthodes 
que  les  astronomes  ont  suivies  longtemps  de  préférence;  il  a 
donné  des  règles  qui  facilitent  la  construction  des  tables  de  sinus, 
de  tangentes  et  de  sécantes.  Une  place  distinguée  lui  est  donc 
due  dans  l'histoire  de  l'Astronomie.  » 

Il  nous  reste  à  présenter  l'analyse  des  principaux  de  ses  ou- 
vrages, qui  sont,  dans  l'ordre  oCi  les  a  placés  Schooten  : 
In  artem  Analyticen  Isa{oge ; 
Ad  Logisticen  speciosam  notœ  priores; 
Z eteticorum  libri  quinque ; 
De  Recognitione  œquatiomim; 
De  Emendatione  œquationum  ; 
De  numerosa potestatiim  purarum  Resolutione  ; 
Effectionum  geometricarum  canonica  Recensio; 
Supplementum  Geometriœ  ; 
Pseudo  Mesolabum  et  alla  quœdam  adjuncta  Capitula: 


32  Sixième  Période, 


Ad  angulares  sectiones  theoremata  xaOoXixwteTca ; 

Ad  Problema,  quod  omnibus  Mathematicis  totius  Orbis  con- 
stniendum  proposuit  Adrianus  Romamts,  Responsum; 

Apollonius  Gallus^  seu  Exsuscitata  Apollonii  Pergœi  Trepl 
'RTTacp'.ov  Geometria^  ad  Adrianum  Romanum; 

Variorum  de  Rébus  mathematicis  Responsorum  ; 

Munimen  ad^ersus  nova  Cyclometrica; 

Relatio  Kalendarii  vere  Gregoriani  ad  Ecclesiasticos  Doc- 
tores; 

Canones  in  Kalendarium  Gregorianum  perpetuum; 

Adversus  Christophorum  Clavium  explicatio. 

Cet  ordre  est  très  convenable. 

Vlsa^oge  in  artem  Analyticen  et  les  Quinque  libri  Zeteti- 
corum  ont  été  traduits  en  français,  en  i63o,  par  Vasset,  qui  dit 
avec  raison  qu'il  faudrait  un  second  Viète  pour  traduire  le 
premier^  et  le  prouve  assez  bien  pour  nous  autoriser  à  nous 
abriter  derrière  cet  aphorisme,  en  cas  d'erreur. 

Vasset  conserve  l'expression  de  Viète  appliquera;  mais  il  rem- 
place ducere  in  par  muliplier  par.  Viète  n'aurait  dit  ni  ducere 
3  in  5,  ni  adplicare  i5  ad  3;  mais  il  n'aurait,  non  plus,  dit  ni 
multiplier  A  quarré  par  B,  ni  diviser  A  cube  par  C.  Il  se  sert 
des  mots  multiplication  et  division,  en  logistique  mnnerosa,  et  des 
mots  ducere  in  et  adplicare  ad^  en  logistique  speciosa.  Mais 
peut-être  Vasset  a-t-il  simplement  reculé  devant  le  néologisme 
duire,  que  j'emploie  faute  de  mieux. 

Vasset  avait  pris  pour  sa  traduction  le  titre,  heureusement 
choisi,  à' Algèbre  nouvelle. 


De  Viète  à  Kepler.  33 


In  Artem  Analyticen  Isa^^oge.  ou  Introduction  à  l'Art  de  V Analyse. 

Chapitre  I.  —  Définition  et  divisions  de  l  Analyse,  et  pro- 
cédés employés  par  la  Zététique. 

«  Il  y  a,  en  Mathématiques,  pour  arriver  à  la  vérité,  une  voie 
que  Ton  dit  avoir  été  inventée  par  Platon,  que  Théon  nomma 
Analyse^  et  qu'il  définit  l'assomption,  par  conséquences  succes- 
sive, de  ce  que  l'on  cherche,  considéré  comme  donné,  vers  ce 
qui  est  vraiment  donné,  tandis  que  la  synthèse  est  l'assomption, 
par  conséquences,  de  ce  qui  est  donné  vers  ce  que  Ton  cherche. 
Les  Anciens  distinguaient  dans  l'Analyse  deux  parties  :  la  Zété- 
tique et  la  Poristique;  mais  j'en  vois  une  troisième,  que  j'appel- 
lerai Rhétique  ou  Exégétique.  Il  faut  donc  admettre  que  la 
Zététique  s'emploie  à  la  découverte  des  relations,  proportions  ou 
équations  existant  entre  les  données  et  les  inconnues;  la  Poris- 
tique, à  la  recherche  des  théorèmes  compris  dans  les  formules  de 
ces  relations,  autrement  arrangées;  et  1* Exégétique,  à  l'exhibition, 
séparation  ou  extraction  des  inconnues,  par  une  nouvelle  ordon- 
nance de  ces  relations.  Et  l'Analyse  entière,  remplissant  ces  trois 
offices,  sera  définie  la  Doctrine  pour  bien  inventer  en  Mathéma- 
tiques. 

((  Les  moyens  employés  parla  Zététique  dérivent  de  la  logique 
et  ont  pour  bases  les  mêmes  méthodes  par  lesquelles  sont  réso- 
lues les  équations,  méthodes  fondées  sur  les  axiomes  ou  sur  les 
théorèmes  d'Analyse  précédemment  établis. 

«  Quant  à  la  manière  de  s'initier  à  la  Zétèse,  elle  ne  consistera 
plus  à  exercer  ses  facultés  sur  les  nombres,  ce  qui  fit  la  faiblesse 
des  anciens  Analystes;  mais  en  comparant  entre  elles  les  gran- 
deurs, par  le  moyen  d'une  logistique  nouvelle,  bien  plus  heureuse 

M.  Marie.  —  Histoire  des  Sciences,  111.  3 


Sixième  Période. 


et  plus  puissante  que  celle  qui  considère  les  nombres  :  en  pro- 
posant d'abord  la  loi  des  homogènes  et  établissant  Téchelle 
solennelle  des  grandeurs,  dont  les  degrés  servent  à  désigner 
et  à  distinguer  ces  grandeurs,  lorsqu'elles  sont  comparées  entre 
elles.  » 

Chapitre  II.  —  Des  axiomes  relatifs  aux  égalités  et  pro- 
portions. 

«  L'Analyse  reçoit  comme  démontrés  les  axiomes  les  plus 
connus  dans  les  Éléments  (d'Algèbre  et  de  Géométrie).  » 

Viète  les  énonce  en  partie  sous  leur  forme  arithmétique,  mais 
il  les  transporte  par  la  pensée  à  la  Géométrie.  Il  dit,  par  exemple  : 
a  Si  des  quantités  proportionnelles  sont  multipliées  par  des  quan- 
tités proportionnelles,  les  produits  (facta)  sont  proportionnels.  » 
Mais  il  ajoute  :  «  Ce  principe  a  été  admis  communément  par  les 
anciens  Géomètres,  comme  on  peut  le  voir  dans  différents  pas- 
sages d'Apollonius,  de  Pappus,  etc.  (communiter  hoc  ab  antiquis 
Geometris  receptum  est^  ut  passim  apud  Apollonium,  Pappum 
et  reliquos  Geometros  videre  est).  Si  des  quantités  proportion- 
nelles sont  divisées  par  des  quantités  proportionnelles,  les  quo- 
tients (orta)  sont  proportionnels.  On  trouve  aussi  des  vestiges 
de  cette  manière  d'argumenter  dans  Apollonius  et  les  autres 
anciens  Géomètres  [Hujus  qiioque  argumentandi  modi  vestigia 
apud  Apolloniumy  et  alios  veteres  Geometros,  sparsim  appa- 
rent). /) 

Les  derniers  axiomes  sont  énoncés  dans  la  forme  géométrique  : 
a  Ce  qui  est  fait  sous  les  segments  séparés  est  égal  à  ce  qui  est  fait 
sous  les  touts  (le  principe  s'appliquera  soit  aux  rectangles,  dont 
la  base  et  la  hauteur  seraient  composées,  soit  aux  parallélépipèdes, 
soit  aux  sur-solides);  ce  qui  est  fait  continuement  sous  des  gran- 


De  Viète  à  Kepler.  35 


deurs  (facta  continué  sub  magnitudinibus]  ou  ce  qui  en  est  tiré 
continuement  [vel  ex  Us  continué  orta)  reste  le  même  dans  quel- 
que ordre  que  soient  faites  les  ductions  ou  les  applications;  si 
trois  ou  quatre  grandeurs  sont  proportionnelles,  ce  qui  est  fait 
sous  lés  extrêmes  est  égal  à  ce  qui  est  fait  sous  les  moyens,  et 
réciproquement,  »> 

Chapitre  III.  —  De  la  loi  des  homogènes  et  des  degrés  et 
genres  des  grandeurs  comparées. 

«  La  première  et  perpétuelle  loi  des  égalités  et  proportions,  qui, 
de  ce  qu'elle  dérive  de  la  conception  des  homogènes  {quoniam  de 
homogeneis  concepta  est]y  est  dite  la  loi  des  homogènes,  consiste 
en  ce  que  les  grandeurs  qui  peuvent  être  comparées  entre  elles 
sont  homogènes;  car  celles  qui  sont  hétérogènes,  comment  pour- 
raient-elles s'ajouter?  Cela  ne  peut  se  comprendre,  ainsi  que  le 
disait  Adrastus. 

«  Par  conséquent,  si  deux  grandeurs  sont  ajoutées  ou  retran- 
chées, elles  sont  homogènes;  si  une  grandeur  estduite  sur  une 
autre,  celle  qui  provient  de  la  duction  est  hétérogène  à  Tune  et 
à  Tautre;  si  une  grandeur  est  appliquée  à  une  autre  grandeur, 
ces  deux  grandeurs  sont  hétérogènes. 

«  C'est  l'ignorance  de  ces  principes  qui  causa  la  faiblesse  et  la 
cécité  des  anciens  Analystes. 

«  Les  grandeurs  qui,  de  genre  en  genre,  montent  ou  descendent, 
sont  appelées  échelons  [scalares]\  ce  sont:  le  côté,  le  quarré,  le 
cube,  le  quarré-quarré,  le  quarré-cube,  le  cube-cube,  le  quarré- 
quarré-cube,  le  quarré-cube-cube,  le  cube-cube-cube,  etc. 

tt  Les  genres  des  grandeurs  sont  :  la  longueur,  le  plan,  le 
solide,  le  plan-plan,  le  plan-solide,  le  solide-solide,  le  plan-plan- 
solide,  le  plan -solide-solide,  le  solide-solide-solide,  etc. 


36  Sixième  Période. 


((  Dans  une  série  d'échelons,  le  plus  élevé  est  appelé  puissance; 
les  autres  sont  les  degrés  à  la  puissance. 

«  Les  puissances  peuvent  être  ajoutées  ou  retranchées  avec  les 
grandeurs  de  mêmes  genres;  exemple  :  un  quarré-quarré  avec 
un  plan-plan,  lequel  peut  être  un  quarré-plan.  » 

Je  ferai  remarquer,  à  propos  de  ces  dénominations,  la  tendance 
presque  constante  des  inventeurs  à  employer,  pour  exprimer 
leurs  idées,  les  termes  dont  s'étaient  servis  leurs  prédécesseurs 
dans  d'autres  sens  analogues,  dans  le  but,  sans  doute,  de  se 
défendre  du  reproche  d'innover  et  par  là  de  dérouter  la  malignité 
du  gsnus  irritabile  vatutn. 

Théon  avait  imaginé  les  quadrato-quadrata ,  les  quadrato- 
cubi,  etc.  ;  il  avait,  pour  cela,  ses  raisons  :  il  voulait  se  donner 
des  airs  de  géomètre.  Diophante  les  a  conservés,  ce  qui  était  une 
maladresse,  car,  ayant  à  son  service  le  mot  ouvajxiç,  il  devait 
appeler  le  nombre,  Suva^xiç-a;  le  carré,  Suvajxiç-p;  le  cube,  Suvajxiç-v; 
le  quadrato-quadratum,  Suvaaiç-S,  etc.,  ce  qui  eût  beaucoup  faci- 
lité rexpression  de  la  loi  des  puissances.  Enfin,  Viète,  chez  qui, 
à  la  vérité,  les  mêmes  dénominations  ont  leur  raison  d'être  dans 
lit  geometria  suppleatur  geometriœ  defectus,  ne  songe,  je  crois, 
qu'à  faire  passer  ses  nouveautés  sous  l'étiquette  diophantine. 

Mais  il  a  si  bien  endormi  la  vigilance  des  tardigrades  de  son 
temps,  que  le  principe  de  son  Algèbre  est  resté  inaperçu,  ce  qui, 
sans  doute,  n'était  pas  le  but  qu'il  s'était  proposé.  Il  est  vrai  que, 
sous  ce  couvert,  il  a  pu  poursuivre  en  paix  sa  carrière,  ce  qui  est 
bien  quelque  chose.  Il  se  fit,  en  effet,  de  son  temps,  si  peu  de 
bruit  autour  de  ses  œuvres,  que  Descartes  dit  quelque  part  qu'il 
n'a  jamais  vu  même  la  couverture  de  son  livre. 

u  Chapitre  IV.  —  Des  règles  et  préceptes  de  la  logistique 


De  Viète  à  Kepler. 


spécieuse.  —  Ces  règles  sont  au  nombre  de  quatre,  comme  pour 
la  logistique  nombreuse. 

<  I  "  Règle.  —  Ajouter  une  grandeur  à  une  grandeur.  —  Ces 
grandeurs  doivent  être  homogènes,  on  les  désignera  par  la  déno- 
mination qui  leur  convient  : 

A  plus  B,  si  ce  sont  de  simples  longueurs  ; 

A  quarré  plus  B  plan  ; 

A  cube  plus  B  solide,  etc. 

«  Or,  les  algébristes  ont  coutume  de  marquer  l'affection  de 
l'addition  par  le  signe  -!-. 

«  2"  Règle.  —  Soustraire  une  grandeur  d^une  grandeur.  — 
Mêmes  observations;  le  signe  de  la  soustraction  est  — . 

«  Mais  si  de  A  il  fallait  soustraire  B  moins  D,  le  reste  serait 
A  —  B  -h  D. 

((  3*  Règle.  —  Duire  une  grandeur  sur  une  autre. —  Soient 
deux  grandeurs  A  et  B,  il  faut  duire  A  sur  B.  Elles  produiront 
une  grandeur  qui  leur  sera  hétérogène  et  qui  sera  commodément 
signifiée  par  les  mots  par  ou  souSy  comme  A  par  B,  ou  sous 
AetB. 

ff  Au  reste,  les  dénominations  des  grandeurs  faites  de  celles 
qui  sont  rangées  dans  l'échelle  proportionnelle,  de  genre  en  genre, 
se  forment  de  la  manière  suivante  : 

Le  côté  duit  sur  lui-même  fait  le  quarré; 

Le  côté  sur  le  quarré  fait  le  cube  ; 

Le  côté  sur  le  cube  fait  le  quarfé-quarré,  etc. 

Et,  pour  les  homogènes  : 

La  longueur  sur  la  largeur  fait  le  plan  ; 

La  longueur  sur  le  plan  fait  le  solide,  etc. 

Le  plan  sur  le  plan  fait  le  plan-plan,  etc. 


38  Sixième  Période. 


a  Si  les  grandeurs  qu'il  faut  duire  l'une  sur  l'autre  sont  com- 
posées, comme  s'il  fallait  duire  D  —  G  sur  A  —  B,  ce  qui  en 
proviendra  sera 

A  par  D  —  B  par  D  —  A  par  G  4-  B  par  G. 

«  Dans  cette  opération,  ce  qui  provient  de  deux  grandeurs  affir- 
mées est  affirmé,  comme  ce  qui  provient  de  deux  grandeurs  niées. 
Mais  si  Tune  des  grandeurs  est  affirmée  et  l'autre  niée,  ce  qui  en 
provient  est  nié.  » 

Viète  a  peut-être  tort  de  faire  cette  remarque,  qui  n'a  pas  d'u- 
tilité, mais  elle  est  correcte,  parce  qu'il  ne  s'agit  que  des  signes 
des  parties  d'un  produit,  comparés  aux  signes  des  termes  dont  ils 
proviennent. 

«  4«  Règle.  —  Appliquer  une  grandeur  à  une  autre  grandeur. 
—  Soient  deux  grandeurs  A  et  B,  il  faut  appliquer  A  à  B. 

Ces  grandeurs  sont  hétérogènes,  et  la  plus  haute  (dans  l'échelle 
des  homogènes)  est  celle  qu'il  faut  appliquer. 

tt  On  tirera  une  petite  ligne  entre  A,  la  plus  haute,  et  B,  la 
plus  basse,  qui  est  celle  à  laquelle  se  fait  l'application.  Si  A  est 
un  plan  et  B  une  ligne, 

A  plan 
B 

marque  la  largeur  qui  revient  de  l'application  de  A  plan  à  la  lon- 
gueur B. 

«  Si  A  est  cube  et  B  plan, 

A  cube 
B  plan 

sera  la  largeur  qui  vient  de  l'application  de  A  cube  à  B  plan . 
«  Le  quarré appliqué  au  côté  produit  le  côté; 


De  Viète  à  Kepler.  30 


Le  cube  appliqué  au  côté  produit  le  quarré,  etc.  ; 


et 


B  par  A    ,    ^    . 
— H —  c  est  A; 

B  par  A  plan    ,    ^  .      , 
— -ï- — rr— ï- —  c  est  A  plan  ; 


,.,  -         .     ^     ^  .  A  plan  , 
s  il  faut  ajouter  Z  a  — ^ —  la  somme  sera 

A  plan  -h  Z  par  B 
B '^''■' 

«  Chapitre  V.  —  Des  règles  de  la  Zététique.  —  La  façon  de 
pratiquer  la  Zététique  consiste  presque  entièrement  dans  les  règles 
suivantes: 

«  V égalité  n*est  pas  changée  par  Vantithèse,  —  C'est-à-dire 
on  peut  ajouter  une  même  grandeur  aux  deux  membres. 

«  Végalité  n'est  pas  changée  par  Vhypobibasme,  —  C'est-à- 
dire  on  peut  enlever  une  grandeur  qui  est  duite  dans  tous  les 
termes. 

«  C  égalité  n'est  pas  changée  par  le  parabolisme.  —  Si  la  gran- 
deur n'est  pas  duite  dans  tous  les  termes,  on  l'enlève  dans  les 
termes  où  elle  est  duite  et  on  y  applique  les  autres  termes.  » 

Ad  Logisticen  speciosam  Notas  Priores,  ou  Remarques  qui  seront 
employées  en  Logistique  spécieuse. 

«  La  Logistique  spécieuse  se  sert  des  quatre  préceptes  qui  ont 
été  exposés  dans  l'introduction.  Mais  il  importe  de  développer 
et  de  noter  les  résultats  dont  on  se  sert  le  plus  fréquemment  afin 
de  ne  pas  retarder  l'exposition  de  la  Science. 


40  Sixième  Période. 


«  Proposition  I.  —  Étant  données  trois  grandeurs  A,  B,  C, 
former  la  quatrième  proportionnelle  :  on  duira  la  seconde  sur  la 
troisième  et  on  appliquera  le  résultat  à  la  première. 

«  Proposition  II.  —  Étant  données  deux  grandeurs,  former  une 
troisième  proportionnelle,  une  quatrième,  une  cinquième,  etc., 
à  l'infini. 

Soient  A  et  B  les  deux  grandeurs  données,  les  inconnues  sont 
fournies  par  la  suite 

,    ^    B  quadratum       B  cubus       B  quad.  quadr. 

A,  B,  —~ -^ 5  -r — —  »  -— ^-- \ j  etc. 

A  A  quadrato  A  cuào 

«  Proposition  III.  —  Étant  donnés  deux  quarrés,  former  la 
moyenne  proportionnelle.  Soient  A  quadratum  et  B  quadratum 
les  deux  quarrés,  le  moyen  proportionnel  est  ce  qui  provient  de 
A  duit  sur  B.  » 

La  démonstration  est  à  noter  :  Viète  remarque  que,  d'après  la 

proposition  II, ^  est  la  troisième   proportionnelle  à   A 

et  B.    En  conséquence,  il  duit  A  sur  les  quatre   termes  de   la 
proportion,  ce  qui  donne 

A  quad.  est  à  B  /«  A  comme  B  in  A  est  à  B  quadr. 

'(  Proposition  IV.  —  Étant  donnés  deux  cubes,  former  les  deux 
moyennes  proportionnelles.  « 
La  démonstration  est  la  même  : 

^    „    B  quadr.  B  cubus 

A,  B,  --?— et -r— -, 

A  A  quadrato 

sont  continuement  proportionnels,  et,  si  on  leur  duit  A  qua- 


i)e  Viète  à  Kepler.  41 


dratum,  les  résultats,  c'est-à-dire 

A  cubus,  B  in  A  quad.^  B  quadr,  in  A  et  B  cubus, 
seront  encore  continuement  proportionnels. 

La  même  méthode  se  prolonge  indéfiniment.  C'est  pourquoi 
Viète  dit  :  De  là  vient  qu'on  peut  proposer  généralement  de 
former  entre  deux  puissances  quelconques,  également  élevées, 
autant  de  moyennes  proportionnelles  qu'il  y  a  de  degrés  dans  ces 
puissances  (inter  duas  qttascumque  potestates  œque  altas, 
exhîbere  tôt  média  continue  proportionalia,  quot  sunt  gradus 
par  ad  ici  ad  potestatem  ) . 

Proposition  V,  —  C'est  à  cette  proposition  que  tendaient  les 
précédentes.  Il  s'agit  maintenacit  d'insérer  tant  de  moyennes 
proportionnelles  qu'on  voudra  entre  deux  longueurs  (iatera). 
Pour  cela,  Viète  prend,  parmi  les  séries  précédentes  de  grandeurs 
continuement  proportionnelles,  celle  qui  convient  à  la  question, 
d'après  le  nombre  de  moyennes  proportionnelles  à  insérer,  et  il 
forme  les  côtés  des  grandeurs  qui  entrent  dans  cette  série,  consi- 
dérées comme  des  puissances  exactes.  Par  exemple,  pour  insérer 
quatre  longueurs  continuement  proportionnelles  entre  A  et  B, 
il  prend  la  série  des  moyennes  prQportionnelles  entre  Aquadrato- 
cubiis  et  B  quadr ato-cubus  ;  cette  série,  en  y  comprenant  les  deux 
extrêmes,  est  : 

A  quadr.  cub.,  A  quad.  quad.  in  B,  A  cubus  in  B  quad., 
A  quad,  in  B  cubus,  A  in  Bquad.  quad.,  B  quad.  cub. 

En  prenant  les  côtés  de  ces  six  grandeurs,  considérées  comme 
des  quadrato-cubi  exacts,  on  aura  une  nouvelle  série,  dont  les 
extrêmes  seront  A  et  B  et  dont  les  quatre  intermédiaires  seront 
les  quatre  moyennes  proportionnelles  cherchées. 


4~  Sixième  Période. 


Les  propositions  qui  suivent  immédiatement  ont  peu  d'im- 
portance, mais  elles  sont  suivies  du  théorème  sur  le  développe- 
ment d'une  puissance  d'un  binôme.  Voici  par  exemple  la  formule 
de  la  sixième  puissance  de  A  -h  B  [geneseos  cubo  cubi)  : 

A  -t-  B  cubus  cubus  est  égal  à 

AcubO'Cubus  ^  Aquadrato-cubus  in  B.  6  -i-  Aquad.-quad. 
in  B  quad.  1 5  -+-  A  cubus  in  B  cubum.  20  —  A  quadratum  in  B 
quad.-quad.  i5  ^  A  m  B  quad.-cub.  6  —  B  cubus-cubus. 

Viète  trouve  ces  développements  par  ductions  successives.  Il 
ajoute  que  si  le  binôme  était  une  différence  au  lieu  d'une  somme, 
il  faudrait  changer  les  signes  des  termes  de  rangs  pairs  dans  le 
développement. 

Viennent  ensuite  les  théorèmes  élémentaires  relatifs  à  la  somme 
ou  à  la  différence  des  quarrés,  ou  des  cubes,  de  la  somme  et  de  la 
différence  de  deux  grandeurs.  Mais,  aussitôt  après,  Viète  établit 
la  formule,  qui  équivaut  à  la  nôtre,  relative  au  quotient  de 
^m  _  ^m  p^j.  a  —  b. 

Exemples  :  i*'  Duire  A  —  B  sur  A  quad.  -t-  Ain  B  --  B  quad.  ; 
2°  appliquer  A  quad.  —  h  quad.  à  A  —  B.  Mais  il  ne  s'arrête 
pas  aux  secondes  puissances. 

Viète  considère  ensuite  des  expressions  composées  du  binôme 
A  -t-  B  et  d'autres  termes.  Il  se  propose,  par  exemple,  de  duire 


A  -r  B  —  D  sur  A  r-  B  cube.  Ces  opérations  n'ont  pas  d'impor- 
tance théorique.  Elles  seront  utilisées  dans  la  résolution  des 
équations. 

Les  Notœ  priores  se  terminent  par  des  problèmes  relatifs  aux 
triangles  rectangles. 


De  Viête  à  Kepler. 


Les  cinq  livres  des  Zététiques, 

Les  Zctétiqaes  sont  des  problèmes  formés  presque  tous  sur  le 
modèle  de  ceux  de  Diophante,  mais  relatifs  à  des  grandeurs  au 
lieu  de  nombres. 

En  voici  quelques-uns  : 

LIVRE    I. 

Zététique  I.  Étant  données  la  somme  et  la  différence  de  deux 
côtés,  trouver  ces  côtés. 

Zététiques  II  et  111,  Étant  données  la  différence  ou  la  somme 
de  deux  côtés  et  leur  raison,  trouver  ces  côtés. 

LIVRE    II. 

Zététique  /.  Étant  données  l'aire  d'un  rectangle  et  la  raison 
des  côtés,  trouver  ces  côtés.  Mais  Taire  donnée  n'est  pas  un 
nombre  ;  c'est  une  surface  donnée,  B  plan.  Viète  exprime  les 
quarrés  construits  sur  les  côtés  cherchés.  Ce  sont  : 

B  plan  R  B  plan  S 

la  raison  donnée  étant  celle  de  R  à  S;  il  resterait  à  prendre  les 
côtés  de  ces  surfaces  mises  sous  la  forme  de  quarrés. 

Zététique  II.  Étant  données  Taire  d'un  rectangle  et  la  somme 
des  quarrés  construits  sur  les  côtés,  trouver  ces  côtés.  Viète 
remarque,  ce  que  n'avait  pas  fait  Diophante,  qu'en  ajoutant  et 
retranchant  successivement  à  la  somme  des  quarrés  donnés  le 
double  de  Taire  donnée,  B  plan,  on  aura  les  quarrés  faits  sur  la 
somme  et  la  différence  des  côtés,  d'où  celte  somme  et  cette  diffé- 
rence, et,  par  suite,  les  côtés. 


44  Sixième  Période. 


Zététiques  III  et  IV,  Étant  données  Taire  d'un  rectangle  et  la 
différence  ou  la  somme  des  côtés,  trouver  ces  côtés.  Viète  a  le  bon 
esprit  de  faire  intervenir  le  quarré  construit  sur  la  différence  ou 
sur  la  somme  donnée  des  côtés. 

Zététiques  V  et  VI.  Étant  données  la  somme  des  quarrés  des 
côtés  et  la  différence  ou  la  somme  des  côtés,  trouver  ces  côtés. 
Viète  cherche  Taire  du  rectangle  des  côtés  inconnus,  en  faisant 
intervenir  le  quarré  construit  sur  la  différence  ou  la  somme  des 
côtés.  Voilà  au  moins  delà  bonne  Algèbre  ;  Archimède  n'eût  pas 
fait  mieux,  parce  que  c'est  impossible. 

Zététiques  VII  et  VIII.  Étant  données  la  différence  des  quarrés 
des  côtés  et  la  somme  ou  la  différence  de  ces  côtés,  trouver  les 
côtés.  Viète  applique  la  différence  donnée  des  quarrés  à  la  somme 
donnée  ou  à  la  différence  donnée  des  côtés,  et  ce  qui  provient 
est  la  différence  ou  la  somme  des  côtés. 

Ni  Diophante,  ni  Mohammed-ben-Musa,  ni  Léonard  de  Pise, 
ni  Lucas  de  Burgo,  ni  Cardan  n'avaient  trouvé  cela. 

Zététiques  XV  et  XVI.  Étant  données  Taire  d'un  rectangle 
et  la  somme  ou  la  différence  des  cubes  des  côtés,  trouver  ces 
côtés.  Viète  cherche  le  quarré  de  la  différence  ou  de  la  somme 
des  cubes. 

Zététiques  XVII,  XVIII,  XIX  et  XX,  Étant  données  la 
somme  ou  la  différence  des  côtés,  avec  la  somme  ou  la  différence 
des  cubes ,  trouver  les  côtés.  Même  emploi  de  combinaisons 
ingénieuses. 

LIVRE    m. 

Viète  se  propose  différents  problèmes  relatifs  à  des  triangles 
rectangles  et  d'autres  relatifs  à  des  séries  de  grandeurs  continue- 


De  Viète  à  Kepler. 


ment  proportionnelles.  Il  lui  importait  de  montrer  que  sa 
méthode  fournissait  de  meilleures  solutions  de  ces  problèmes 
que  celle  de  Diophante;  mais  la  théorie  n'y  est  plus  intéressée, 
au  moins  à  notre  point  de  vue,  car  Viète,  comme  nous  le  verrons 
plus  loin,  dispose  ses  zététiques,  relatifs  à  quatre  grandeurs  con- 
tinuement  proportionnelles,  de  façon  à  obtenir  les  solutions  des 
différents  cas  de  l'équation  cubique. 

Je  remarquerai  sur  ce  Livre  III  que,  dans  les  applications  aux 
données  numériques,  choisies  par  Diophanie,  par  lesquelles  Viète 
termine  tous  ses  zététiques.  il  emploie  les  signes  radicaux  et  ne 
s'en  sert  pas  dans  la  théorie,  où  les  données  sont  des  grandeurs. 
Il  ne  pourrait,  en  effet,  pas  prendre  la  racine  carrée  d'un  plan 
ou  la  racine  cubique  d'un  solide;  il  prend  les  côtés  du  plan, 
supposé  mis  sous  la  figure  d'un  carré,  ou  du  solide  mis  sous  celle 
d'un  cube. 


LIVRES    IV   ET   V. 


Les  questions  y  sont  relatives  à  des  nombres,  ou  ont  pour 
objet  de  trouver  en  nombres  les  côiés  de  certaines  figures. 


De  yEquatîonum  Recognitione  et  Emendatione  tractatus  duo  ou  Traités 
de  la  Composition  et  de  la  Préparation  des  Équations. 

Ces  deux  Traités  n'avaient  pas  été  publiés  par  Viète.  Les 
manuscrits  en  furent  confiés  par  les  éditeurs  à  Alexandre  An- 
derson,  pour  les  mettre  en  ordre,  les  revoir  et  les  compléter.  Un 
avertissement  d'Anderson  nous  apprend  qu'il  eut  beaucoup  à 
faire  pour  les  mettre  en  état  d'être  publiés,  des  passages  man- 


40 


Sixième  Période. 


quant  entièrement,  d'autres  étant  simplement  indiqués  et  le 
papier  partout  sali  et  déchiré. 

Nous  ne  pouvons  donc  pas  être  assurés  d'avoir  complètement 
la  pensée  de  Viète.  Mais,  heureusement,  les  deux  Traités  dont  il 
s'agit  ne  contiennent  que  des  découvertes,  et  les  faits,  bien  ou 
mal  présentés,  subsistent,  ainsi  que  les  traces  de  la  manière  ori- 
ginale dont  ils  ont  été  aperçus. 

Une  phrase  de  cet  avertissement  semble  indiquer  que  la  mort 
de  Viète  n'aurait  pas  été  naturelle  :  Anderson,  voulant  expliquer 
■  l'état  d'imperfection  des  manuscrits  qui  lui  avaient  été  confiés, 
l'attribue  prœcipiti  et  immature  autoris  fato  ;  mais  il  ajoute, 
entre  parenthèses,  nobis  certe.  iniquissimo,  ce  qui  constitue  une 
insinuation  grave.  Je  n'ai  trouvé  nulle  part  d'indication  à  ce 
sujet. 

Le  traité  De  Recognitione  JEquationum  se  compose  de  vingt 
chapitres,  dont  plusieurs  ne  sont  que  des  introductions,  souvent 
peu  claires,  aux  suivants^  et  dont  quelques  autres  se  rapportent 
à  des  vues  qui  n'ont  pu  être  poursuivies  d'une  façon  utile.  Nous 
nous  en  tiendrons  à  ce  qui  est  plus  particulièrement  remarquable, 
tout  en  regrettant  d'être  obligé  de  nous  borner. 

Après  avoir  indiqué,  dans  les  deux  premiers  chapitres,  les 
questions  qu'il  traitera  et  les  moyens  qu'il  emploiera  pour  les 
résoudre,  Viète  s'occupe,  dans  le  troisième  et  le  quatrième,  de 
former  les  énoncés  les  plus  généraux  des  problèmes  de  Géométrie 
pouvant  conduire  aux  équations  quadratiques  et  cubiques; 
celles-ci  manquant  d'abord  du  terme  qui  contiendrait  le  carré  de 
l'inconnue.  Il  montre  qu'il  s'agit  toujours  de  problèmes  relatifs 
à  trois  ou  quatre  grandeurs  continuement  proportionnelles. 

Il  distingue,  dans  chacun  des  deux  degrés,  trois  cas,  l'équa- 


De  Viète  à  Kepler.  47 


tion  pouvant  être  KaT«:&«Tixr^,  AVocparixii  ou  AV?iêoXo;,  car  la  manie 
des  distinctions  n'est  pas  encore  tombée  en  désuétude. 
L'équation  xaraçaTixii  quadratique  est 

A  quad.  -+-  B  zVi  A  égale  Z  quad. 

Zest  la  moyenne  proportionnelle  entre  A  et  A  4-  B.  La  question 
est  donc,  connaissant  la  moyenne  Z  de  trois  grandeurs  continue- 
ment  proportionnelles  et  la  différence  B  des  extrêmes,  de  trouver 
la  plus  petite  de  ces  extrêmes,  A. 

L'équation  quadratique  aTrooaTixii  est 

A  quad.  —  B  />i  A  égale  Z  quad. 

Z  est  la  moyenne  proportionnelle  entre  A  et  A  —  B.  La  question 
est  donc,  connaissant  la  moyenne  Z  de  trois  grandeurs  continue- 
ment  proportionnelles  et  la  différence  B  des  extrêmes,  de  trouver 
la  plus  grande  de  ces  extrêmes,  A. 

Enfin,  l'équation  àm^iêoXoç  quadratique  est 

B  in  A  —  A  quad.  égale  Z  quad. 

Z  est  la  moyenne  proportionnelle  entre  B  —  A  et  A.  La  ques- 
tion est  donc,  connaissant  la  moyenne  Z  de  trois  grandeurs  con- 
tinuement  proportionnelles  et  la  somme  B  des  extrêmes,  de 
trouver  les  extrêmes,  car,  dit  Viète,  la  somme  des  extrêmes  est  B, 
mais  l'inconnue  A  peut  être  la  plus  grande  comme  la  plus  petite 
des  extrêmes;  c'est  pourquoi  l'équation  est  amphibologique. 

L'équation  xa-racpaTixr,  cubique  (privée  du  carré  de  l'inconnue) 
est 

A  cub.  -H  B  quad,  in  A  égale  B  quad.  in  Z. 

(B  étant  donné,  on  peut  le  mettre  en  évidence  dans  le  terme 


48  Sixième  Période. 


tout  connu.)  Il  est  facile  de  voir  que  si 

B,  A,  U  et  V 

sont  quatre  grandeurs  continuement  proportionnelles,  et  qu'on 
fasse 

A^-VrrrZ, 

d'où 

il  en  résulte 

U=r^     et    V'  =  AV  =  A[Z  —  A], 

d'où 

A^-f-B-A^B^Z. 

La  question  était  donc,  connaissant  la  première  B  de  quatre 
grandeurs  continuement  proportionnelles  et  la  somme  Z  de  la 
seconde  A  et  de  la  quatrième  V,  de  trouver  la  seconde  A. 

L'équation  àTzooixix-ri  cubique  est 

A  cub.  —  B  quad.  in  A  égale  B  quad.  in  Z. 

Il  est  facile  de  voir  que  si 

B,  A.  U  et  V 

sont  quatre  grandeurs  continuement  proportionnelles,  et  qu'on 
fasse 

V  — A^Z, 
d'où 

V  =  A-t-Z, 
il  en  résultera 

V^^       et      U«t=AVz::rA(A-|-Z), 


De  Viète  à  Kepler.  49 


d'où 

A»-B*A  =  B*Z; 

en  sorte  que  la  question  était,  connaissant  la  première  B  de  quatre 
grandeurs  continuement  proportionnelles  et  la  différence  Z  entre 
la  quatrième  et  la  seconde,  de  trouver  cette  seconde  A. 
Enfin,  l'équation  àjxçi'êoXoç  cubique  est 

B  quad,  in  A  —  A  cub,  égale  B  quad.  in  Z. 

Si  B,  A,  U  et  V  sont  quatre  grandeurs  continuement  pro- 
portionnelles et  que  l'on  fasse  A  —  V  =  Z ,  on  trouve,  comme 
précédemment , 

B-A  — A»  =  B*Z. 

La  question  était  donc,  connaissant  la  première  B,  de  quatre 
grandeurs  continuement  proportionnelles,  et  la  différence  Z  entre 
la  seconde  et  la  quatrième,  de  trouver  cette  seconde.  Viète  ne  dit 
pas  en  cet  endroit  pourquoi  l'équation  cubique  amphibologique 
a  d«ux  solutions. 

Il  traite  de  même,  dans  le  chapitre  V,  les  trois  équations  cu- 
biques in  quitus  affectiones  ^unt  sub  quadrato  (dans  lesquelles 
l'inconnue  entre  par  son  cube  et  son  quarré)  et  montre  qu'il  s'agit 
encore  de  problèmes  relatifs  à  quatre  grandeurs  continuement 
proportionnelles.  Nous  ne  reproduisons  pas  ses  démonstrations 
parce  que  Viète  ramènera  ailleurs  ces  équations  à  celles  inquibus 
affectiones  sunt  sub  latere  (dans  lesquelles  l'inconnue  entre  par 
son  cube  et  sa  première  puissance). 

Le  Chapitre  VI  est  consacré  à  des  transformations  des  énoncés 
contenus  dans  le  quatrième. 

M.  Marie.  —  Histoire  des  Sciences,  111.  4 


5o  Sixième  Période. 


Le  Chapitre  VII  est  intitulé  de  gêner ali  methodo  transmutan- 
darum  œquationum  (delà  méthode  générale  de  transformation  des 
équations).  Il  est  divisé  en  deux  sections  comprenant,  la  pre- 
mière, les  transformations  qui  altèrent  les  racines,  et,  la  seconde, 
celles  oti  les  racines  restent  invariables. 

Dans  la  première,  Viète  enseigne  à  augmenter  ou  à  diminuer 
toutes  les  racines  d'une  grandeur  donnée  et  à  les  modifier  en 
raison  donnée. 

La  seconde  ne  contient  que  des  indications  vagues  sur  la  pos- 
sibilité d'abaisser  les  degrés  de  quelques  équations. 

Le  Chapitre  VIII,  intitulé,  je  ne  sais  pourquoi,  Singularia  de 
Plasmate^  traite  principalement  de  la  manière  de  faire  disparaître 
le  second  terme  d'une  équation,  en  affectant  la  racine  (par 
addition  ou  soustraction)  de  la  moitié,  ou  du  tiers,  ou  du  quart, 
ou  du  cinquième,  etc.,  du  coefficient  de  la  racine,  de  son  quarré, 
de  son  cube  ou  de  son  quarré-quarré,  etc.,  suivant  que  l'équation 
est  quadratique,  cubique,  quadrato-quadratique,  ou  quadrato- 
cubique,  etc.,  c'est-à-dire  du  second,  du  troisième,  du  quatrième 
ou  du  cinquième  degré,  etc. 

Les  Chapitres  IX,  X,  XI,  XII,  XIII  et  XIV  ne  contiennent 
que  des  applications  de  ces  plasmata. 

Le  Chapitre  XV  est  remarquable  en  ce  qu'il  contient  une  théorie 
des  équations  du  second  degré,  absolument  parfaite  et  dont  l'ensei- 
gnement n'a  pas  profité.  Ce  chapitre  est  intitulé  :  Ambiguitates 
radicum  qiiarum  potestates  de  homogeneis  adfectionmn  in 
adœquationibus  negantur^  demonstratœ,  c'est-à-dire  :  démons- 
tration de  l'ambiguïté  des  racines  dont  les  puissances  (les  plus 
hautes)  sont  retranchées  de  puissances  moins  élevées,  affectées. 
On  trouvera  que  ce  litre  contient  l'indication  d'une  idée  à  la  fois 


De  Viète  à  Kepler.  5 1 


fausse  et  incomplète;  car  Viète  attribue  la  présence  de  deux 
solutions  positives  dans  les  équations 

BA  —  A-  -.  Z 
et 

BA*  — A»=:Z, 

oti  A  est  rinconnue,  à  ce  que  A*  et  A'  sont  retranchés  de  BA  et 
de  BA*  (Z  étant  une  grandeur  affirmée).  Gela  est  bien  vrai  pour 
Téquation  du  second  degré,  mais  nous  comptons  trois  racines  pour 
l'équation  du  troisième  degré  et  nous  en  compterions  quatre  et 
cinq  pour  des  équations  du  quatrième  et  du  cinquième  degré, 
auxquelles  cependant  Viète  voudrait  que  son  théorème  s'étendît, 
car  il  ajoute  :  quod  ad  ulterioris  ordinis  œquationes posse  extendi 
satisfit  mani/estum,  c'est-à-dire  :  il  est  assez  manifeste  que  cela 
peut  s'étendre  aux  équations  de  degrés  supérieurs. 

Il  est  vrai  que  Viète  ne  considère  que  les  racines  positives, 
c'est-à-dire  les  solutions  proprement  dites. 

Quoi  qu'il  en  soit,  voici  l'explication  qu'il  donne  pour  l'équa- 
tion du  second  degré  :  supposons  qu'on  veuille  que  la  différence 
entre  B  et  A  (A  est  l'inconnue)  soit  S  et  que  B  soit  plus  grand 
que  S  (B  et  S  sont  des  données),  il  pourra  se  faire  que  B  soit  plus 
grand  que  A  ou  moindre  ;  dans  le  premier  cas  on  aura 

B  — A  égale  S, 
et  dans  le  second, 

A  —  B  égale  S; 

mais  si  on  élève  ces  deux  équations  au  carré,  il  viendra  dans  les 
deux  cas 

B  quad.  —  2B  f;?  A  r-  A  quad.  égale  S  quad., 


52  Sixième  Période. 


et,  comme  B  est  plus  grand  que  S, 

2  B  zw  A  —  A  quad.  égale  B  quad.  —  S  quad.,  égale  Z, 

Z  étant  affirmé,  et  celte  équation  a  deux  solutions  qui  sont 

A  égale  B  —  S, 
et 

A  égale  B  4-  S. 

On  voit  que  Viète  fait  porter  l'ambiguïté  sur  ce  que 

B2  — 2BA-HA- 

n'est  pas  plus  le  carré  de  B  —  A  que  celui  de  A  —  B. 

C'est  cette  remarque  dont  je  dis  que  l'enseignement  n'a  pas  su 
profiter  :  si  Ton  veut,  par  exemple,  résoudre  devant  des  enfants 
réquation 

X- —  I2JCH-32rr=0, 

après  l'avoir  mise  sous  la  forme 

X'—  i2Ar-f-  36  =4» 

on  recourt  à  cetts  idée  que  4  a  deux  racines  carrées,  l'une  égale 
à  -h  2,  et  l'autre  égale  à  —  2  ;  tirant  donc  les  racines  des  deux 
membres,  on  écrit  : 

X  —  6  =  ±2. 

Mais  l'ambiguïté  n'était  pas  dans  le  second  membre  deTéqua- 
tion  :  c'est  x-  —  1 2;c  4-  36  qui  a  deux  racines,  étant  aussi  bien  le 
carré  de  6  —  x  que  celui  de  at  — 6.  Il  fallait  donc  écrire  j:  —  6 
égale  2,  à  moins  que  ce  ne  soit  6  —  Xy  ce  qui  revient  à 
AT  -6  =  ±2. 


De  Viète  à  Kepler.  53 


Voici  le  raisonnement  que  fait  Viète  pour  l'équation  du  troi- 
sième degré  :  Téquation  quadratique 

BA  —  A*  =  BD 

a  deux  solutions;  j'en  tire,  en  retranchant  DAdes  deux  membres, 

(B  — D)  A  — A*  — BD  — DA=(B  — A)  D; 

mais,  d'après  la  première, 


donc,  la  seconde  peut  s'écrire 

(B-D)A-A^  =  ^D 

ou 

(B  — D)  A-  — A=»  =  BD-, 

et  cette  équation  cubique  admet  les  deux  solutions  de  l'équation 
quadratique. 

Le  Chapitre  XVI  est  intitulé  De syncrisi.  SyncrîsiSyàilWkiQ, 
est  duarum  œquationum  correlatarum  mutua  inter  se  ad 
deprehendendam  earum  constitutionem  collatio,  c'est-à-dire  : 
la  syncrisis  est  la  comparaison  de  deux  équations  corrélatives, 
en  vue  d'obtenir  leur  constitution.  En  réalité,  il  s'agit  surtout  de 
savoir  comment  les  coefficients  se  forment  au  moyen  des  racines. 

Soit  d'abord  l'équation  quadratique  amphibologique 

B  m  A  —  A  quad\  égale  Zplan.  ; 
comparons-lui  l'équation 

B  m  E  —  E  quad.  égale  Zplan., 
E  étant,  comme  on  voit,  la  seconde  solution. 


Sixième  Période, 


Puisque  Z  plan,  est  égal  à  la  fois  k  B  in  A  —  A  quad,  et  à  B  in 
E  —  E  quad.y  il  en  résulte  que 

B  f w  A  —  A  quad.  égale  B  /w  E  —  E  qiiad. , 
ou 

B  in  (A  —  E)  égale  A  quad.  —  E  quad.  ; 

appliquons  les  deux  membres  à  A  —  E,  nous  aurons 

B  égale  A  -+-  E, 

donc  déjà  B  est  la  somme  des  radiées. 

Remplaçons  B  par  A  -t-  E  dans  la  première,  il  viendra 


X-{-  E  in  K  —  A  quad.  égale  Z  plan., 

ou 

A  in  E  égale  Z  plan. 

Donc  la  résolution  de  l'équation  du  second  degré  consistait  à 
trouver  deux  grandeurs  homogènes  dont  la  somme  fût  B  et  dont 
la  duction  mutuelle  produisît  Z  plan. 

Prenons  maintenant  l'équation  cubique  amphibologique 

Bplanum  in  A  —  A  cub.  égale  Z  solido^ 

et  comparons-la  à 

B  planum  in  E  —  E  cub.  égale  Z  solido  ; 

en  retranchant,  et  apphquant  les  deux  membres  à  A  —  E,  il  vient 

B;?/^«.  égale  AVf- AE  4-E% 

et,  en  remplaçant  dans  la  proposée  B  plan,  par  sa  valeur, 

Z  solidum  égsilQ  AE{  A -h  E). 


De  Viète  à  Kepler,  55 


Viète  ne  fait  pas  ici  intervenir  la  troisième  racine  parce  qu'elle 
est  négative  ;  son  énoncé  reste  incomplet,  mais  la  question  sera 
reprise  plus  loin. 

Viète  compare  ensuite,  toujours  par  syncrisis,  des  équations  à 
trois  termes,  dont  Tun  est  changé  de  signe  (il  dit  un  ou  deux, 
parce  que  le  terme  tout  connu  est  excepté,  étant  toujours  affirmé). 
Mais  je  ne  vois  là  rien  d'intéressant. 

Je  ne  trouve  non  plus  rien  à  noter  dans  les  quatre  derniers 
chapitres.  Je  passe  donc  au  livre  De  Emendatione  œquationum. 

Ce  livre  se  compose  de  quatorze  chapitres,  mais  il  contient 
beaucoup  de  répétitions,  ce  qui  lient  à  ce  que  Viète  a  divisé  son 
ouvrage  en  beaucoup  trop  de  parties  placées  sous  des  titres  dif- 
férents et  dont  chacune  ne  contient,  pour  une  même  question, 
que  ce  qui  peut  rentrer  sous  le  titre  philosophique  de  ce  chapitre  ; 
de  sorte  que  la  même  question  revient  plusieurs  fois  et  ne  se 
trouve  finalement  résolue  que  lorsque  Ton  en  a  déjà  depuis  long- 
temps saisi  la  solution.  On  est  tout  étonné  alors  de  s'apercevoir 
que  tout  ce  qu'on  avait  regardé  comme  suffisamment  complet 
n'était,  dans  l'idée  de  Fauteur,  qu'un  simple  préambule.  Il  en  est 
ainsi,  par  exemple,  des  transformations  dont  Viète  a  parlé  dans 
le  livre  De  Recognitione  œquationum^  et  qui  reviennent  dans 
celui  De  Emendatione  œquationum.  C'était  au  point  de  vue 
philosophique  qu'il  en  parlait  dans  le  premier,  et  il  y  revient  au 
point  de  vue  pratique  dans  le  second  ;  mais  nous  ne  reproduirons 
que  ce  que  nous  trouverons  de  nouveau. 

Viète,  dans  son  introduction,  prévient  que,  dans  ce  livre,  il 
s'occupera  de  l'analyse  numerosa,  ce  qui  concerne  le  point  de  vue 
géométrique  devant  trouver  sa  place  ailleurs  ;  mais,  je  remarque 


56  Sixième  Période. 


qu'il  ne  fait  pas  ce  qu'il  dit  :  le  point  de  vue  concret  reprend 
toujours  le  dessus  malgré  lui. 

11  existe  cinq  manières  de  préparer  les  équations  : 

I.  Expurgatio  per  uncias. 

II.  Transformatio  7rpwTov-e/aTov. 

III.  Anastrophe. 

IV.  Isomeria. 

V.  Climactica  Paraplerosis, 

Le  plus  sûr  remède  contre  TroXuTràôctav  est  Vexpurgatio  per 
uncias. 

Il  y  a  TToXuTraôeia  lorsque  l'équation  contient  l'inconnue  sous 
de  nombreuses  affections  (puissances);  uncia  est  ce  qu'il  faut 
ajouter  ou  retrancher  à  l'inconnue  pour  faire  disparaître  l'affec- 
tion immédiatement  inférieure  à  la  plus  haute,  c'est-à-dire  pour 
faire  disparaître  le  second  terme  de  Péquation.  Mais  nous  avons 
déjà  vu  cela  en  style  moins  héroïque. 

La  transformation  Trpwxov-lcj^aTov  (du  premier  au  dernier)  est  le 
remède  contre  l'embarras  qui  vient  de  ce  qu'un  terme  est  retran- 
ché [remedium  est  adversus  vitiiim  negationis)  ;  elle  revient  à 
notre  transformation  par  inversion.  Soit 

A  cub.  —  B  pi.  in  A  égale  Z  solid.  ; 
c'est  la  négation  du  second  terme  qu'il  faut  faire  disparaître. 

En  posant 

.  Z  solidum 

A  —  77 -. > 

iLplanum 
il  viendra 

Êplan.  cub,  -i-Bpl.  in  E  pi.  quad.  égale  Z  solid.  quad. 
Ainsi,  au  lieu  de  x^  —  px  —  q,  on  aura  l'équation  .v^  -^p'x-  —  q\ 


et  le  terme  soustractif  aura  disparu. 


De  Viète  à  Kepler. 


Viète  indique  ailleurs  la  transformation  inverse  de  Tcquation 
x^  -h  p'x^  =:  q'  en  x*  —  px  =i  q,  qui  a  l'avantage  de  faire  dispa- 
raître le  carré  de  l'inconnue. 

Il  fait,  au  reste,  usage  de  la  même  transformation  dans  d'autres 
buts,  comme  de  rendre  rationnel  le  terme  tout  connu,  quand  il  est 
irrationnel.  Exemple  ; 

A  cub,  —  10  A  égale  ^^S, 
il  pose 

A  égale  ^, 

y  48  disparaît  comme  facteur  commun. 

L'anastrophe  est  employée  contre  l'amphibologie.  Soit,  par 
exemple,  proposée  Péquation  : 

B  plan,  in  A  —  A  cub.  égale  Z  solid. 

Cette  équation  a  deux  solutions  et  n'est  pas  appropriée  à  l'ana- 
lyse {neque  ad  analysin  idonea).  On  la  transforme  d'abord  en 

A  cub.  égale  B  plan,  in  K  —  Z  solid.  ; 

on  ajoute  alors  E  cub.  aux  deux  membres;  il  vient 

A  cub.  -h  E  cub.  égale  B  plan,  in  A  -h  E  cub.  —  Z  solid. 

Si  E  cub.  —  Z  solid.  était  B  plan,  in  E,  l'équation  aurait  ses 
deux  membres  divisibles  par  A  -f-  E  et  se  réduirait  à 

A  quad.  —  A  m  E  +  E  quad.  égale  Bplan.  ; 

on  pose  donc 

E  cub.  —  Z  solid.  égale  Bplan,  in  E, 


58  Sixième  Période. 


c'est-à-dire 

E  cub.  —  Bplan.  in  E  égale  Z  solid.  ; 

or,  cette  dernière  n'a  plus  qu'une  seule  solution,  et  l'autre,  qui 
est  du  second  degré  en  A,  donne  les  deux  valeurs  de  A,  après 
que  E  a  été  trouvé. 

Il  est  clair  que  la  transformation  ne  vaut  rien,  théoriquement; 
nous  rindiquons  parce  qu'il  s'agit  d'histoire. 

L'Isomœrie  est  employée  contre  le  vice  des  fractions  (de  Isa- 
mœria,  aduersus  vitium  fractionis).  Il  s'agit  de  faire  dispa- 
raître les  dénominateurs,  lorsqu'il  y  en  a  dans  les  termes  qui 
suivent  le  terme  de  plus  haut  degré,  sans  introduire  de  coeffi- 
cient à  la  plus  haute  puissance  de  l'inconnue. 

La  Climactique  symmétrique  est  employée  contre  le  vice  de 
dissymétrie  [adversus  vitium  asymmetriœ) .  Il  y  a  asymmétrie 
lorsque  l'équation  contient  des  coefficients  irrationnels. 

La  transformation  apf)elée  Climactique  Paraplérosine  est  dé- 
finie par  Viète  en  termes  que  je  ne  saurais  traduire.  Mais  l'usage 
qu'il  en  fait  est  compréhensible.  Il  s'agit  de  ramener  l'équation 
du  quatrième  degré  à  une  équation  du  second  en  prenant  comme 
intermédiaire  une  équation  du  troisième. 

Soit  l'équation 

A»  4-G-A*4-B3Ar=.ZS 

que  nous  écrivons,  pour  abréger,  à  la  mode  moderne;  Viète  en 

lire 

A*^Z*  — G-A-  -6=» A; 

il  ajoute,  de  part  et  d'autre,  E- A-  H-  iE*,  E  étant  une  nouvelle 
inconnue;  il  en  résulte 

A*    -  E=  A-   H  i  E*  rr:  (E-  —  G«)  A-  —  B»  A  +  i  E*  -r-  Z*  : 


De  Viète  à  Kepler,  59 


le  premier  membre  est  le  carré  de 

A«-hiE«, 

et,  pour  qtje  le  second  soit  également  carré,  il  suffit  que 

B«  =  (E=  — G-)(iE*4-Z*); 

ce  qui  donne  lieu  à  la  résolution  d'une  équation  du  troisième 
degré  en  E*.  E  étant  connu,  on  trouvera  ensuite  A  par  une  équa- 
tion du  second  degré. 

Cette  méthode  est  à  peu  près  celle  de  Ferrari.  Descartes  a  pro- 
posé depuis  la  décomposition  du  premier  membre  de  l'équation 
du  quatrième  degré  en  deux  facteurs  du  second.  Il  est  probable 
que  Viéte  ne  connaissait  pas  la  méthode  italienne. 

Jusqu'ici,  Viète  n'a  encore  résolu  que  l'équation  du  second 
degré,  beaucoup  mieux,  il  est  vrai,  que  tous  ses  prédécesseurs;  il 
va  maintenant  aborder  la  résolution  de  l'équation  du  troisième 
degré;  je  dis  résolution,  parce  que  Cardan  ne  nous  donne  que  la 
vérification  d'une  formule  juste,  mais  empirique. 

Soit  l'équation 

A»H-3B=A=:  2Z\ 

Viète  pose 

A-:^-E 
ÏL  ' 

E  étant  une  nouvelle  inconnue;  il  en  résulte,  par  la  substitution, 
E«-h2Z»E»  =  BS 

équation  du  second  degré  en  E=». 

Il  ne  dit  pas  comment  il  est  arrivé  à  cette  transformation  ; 


6o  Sixième  Période. 


mais  il  est  évident  qu'il  a  d'abord  mis  son  équation  sous  la  forme 

A(A-^-3B')=:2Z^ 
et  qu'il  a  cherché  ce  que  devait  être  A  pour  que 

A(A=-^3B') 

devînt  la  différence  de  deux  cubes.  Pour  cela,  il  fallait  que  A 
eût  la  forme  M  —  N  et  A'  h-  3B-  la  forme  M^  4-  MN  -h  N-. 
Mais  si 

A  =  M  — N, 
A=4-  3B-  =  M-—  2MN  -hN-H-3B% 

et,  pour  que  la  condition  soit  remplie,  il  faut  que 

B-=:MN. 


Le  reste  va  de  soi 


et 


^=  N 


B^ 

N- 

N 


Viète  appelle  cette  méthode  duplicata  Hypostasîs,  Il  en  étend 
ensuite  l'application  aux  autres  cas  de  l'équation  cubique. 

Le  dernier  chapitre  du  livre  De  Emendatione  ^quationum 
contient  la  composition  d'une  équation  de  degré  quelconque, 
ayant  autant  de  solutions  qu'il  y  a  d'unités  dans  son  degré;  il  va 
jusqu'au  cinquième  degré  et  pourrait  aller  plus  loin.  Nous  nous 
bornons  à  citer  l'exemple  relatif  à  l'équation  cubique  : 

Si  AcM^».— BTcT+G  inAquad.  4-  BinD-h  QinG-^  DinG 


De  Vièie  à  Kepler.  6t 


in  A,  œquetur  B  in  D  m  G  :  A  explicabilis  est  de  qualibet  illa- 
rum  trium  B,  D  vel  G. 
Cest-à-dire  si  l'on  a  l'équation 

A'  —  (B  -H  D  4-  G)  A*  -h  (BD  -h  BG  4-  DG)  A  —  BDG  =  o, 
les  valeurs  de  A  sont  B,  D  et  G. 

On  voit  quels  immenses  progrès  Viète  fit  faire  à  TAlgèbre^ 
et  comme  tout  est  parfait  dans  sa  méthode.  On  peut,  je  crois, 
caractériser  son  œuvre  en  deux  mots  :  il  fit  de  bonne  Algèbre 
avec  de  l'excellente  Géométrie. 

Les  autres  ouvrages  de  Viète  ne  sont  que  secondaires  par  rap- 
port à  l'ensemble  de  ceux  dont  nous  venons  de  rendre  compte, 
qui  constituent  une  doctrine  entièrement  neuve  et  presque  com- 
plète; nous  nous  étendrons  peu  sur  ceux  qu'il  nous  reste  à  faire 
connaître. 

Le  Traité  De  numerosa  Potestatum  Resolutione,  ou  de  la  Réso- 
lution des  Équations  numériques,  quoique  fort  étendu,  n'est 
qu'un  essai  infructueux  de  résolution  des  équations  de  tous  les 
degrés  à  coefficients  numériques,  fondé  sur  l'hypothèse  fausse, 
quoique  fort  naturelle  du  temps  de  Viète^  de  la  possibilité  de 
résoudre  une  équation  de  degré  m  en  cherchant  les  différentes 
manières  de  rendre  son  premier  membre  une  puissance  m'ème 
exacte. 

Le  Traité  intitulé  :  Effusionum  Geometricarum  canonica 
Recensio  a  pour  principal  objet  la  construction  de  quelques 
expressions  algébriques  et  la  résolution  graphique  des  équations 
du  second  degré;  on  y  trouve  aussi  les  solutions  d'un  certain 


02  Sixième  Période. 


nombre  de  problèmes  de  Géométrie  du  second  degré,  traités  algé- 
briquement. 

Le  Supplementum  Geometriœ  a  pour  buts  principaux  la  tri- 
section d'un  angle  et  l'insertion  au  cercle  du  polygone  régulier  de 
sept  côtés;  mais  Viète  s*y  propose  aussi  de  ramener  la  résolution 
des  équations  cubiques  ou  quadrato-quadratiques  à  Tun  ou 
l'autre  des  deux  problèmes  de  la  trisection  de  l'angle  et  de  l'in- 
sertion de  deux  moyennes  proportionnelles  entre  deux  longueurs 
données. 

On  se  rappelle  qu'Ératosthène  avait  imaginé  un  instrument 
nommé  Mésolabe,  pour  construire  les  deux  moyennes  propor- 
tionnelles à  insérer  entre  deux  longueurs  données:  dans  le  Traité 
intitulé  PseudO'Mesolabum,  Viète  se  propose  de  restituer  le 
procédé  d'Ératosthène. 

Dans  les  Adjuncta  Capitula,  Viète  traite  la  question  de  con- 
struire le  quadrilatère  inscriptible  qui  aurait  quatre  côtés  donnés, 
et  revient  sur  l'inscription  de  l'heptagone  régulier.  Pour  résoudre 
la  question  relative  au  quadrilatère  inscriptible,  il  calcule  une 
de  ses  diagonales  et  la  construit. 

Nous  nous  étendrons  un  peu  plus  sur  la  Théorie  des  sections 
angulaires.  Viète  forma  les  développements  des  cordes  des  mul- 
tiples successifs  d'un  arc  donné,  en  fonction  de  la  corde  de  cet 
arc,  et  indiqua  la  loi  de  formation  des  coefficients,  loi  qui  est 
naturellement  moins  simple  que  dans  la  formule  dont  nous  nous 
servons,  d'abord  parce  que,  au  lieu  des  cordes,  nous  y  introdui- 
sons les  sinus  des  arcs,  mais  surtout  parce  que  notre  formule  con- 
tient à  la  fois  le  sinus  et  le  cosinus  de  l'arc  simple. 

Viète,  au  sujet  du  problème  inverse,  remarque  que  les  solu- 
tions du  problème  de  la  division  d'un  arc  en  un  nombre  m  de 


De  Viète  à  Kepler.  63 


parties  égales,  tirées  de  l'équation  qui  donne  la  corde  du  mul- 
tiple m'^rae  d'un  arc,  se  rapportent  à  la  m}^^^^  partie  de  l'arc  pro- 
posé et  aux  m'è'ûes  parties  de  cet  arc  augmenté  de  une,  deux,  etc. 
(m —  i)  circonférences.  Mais,  à  la  vérité,  il  ne  considère  pas  encore 
les  racines  négatives. 

Il  montre  ensuite  la  possibilité  de  résoudre,  par  la  division 
d'un  arc  en  parties  égales,  les  équations  de  tous  les  degrés  qui 
pourraient  s'identifier  à  celles  qu'il  a  obtenues.  C'est  ainsi,  du 
reste,  qu'il  ramena  le  cas  irréductible  du  troisième  degré  au  pro- 
blème de  la  trisection  de  l'angle.  C'est  aussi  ce  qui  lui  permit  de 
répondre  immédiatement  au  défi  porté  à  tous  les  Géomètres  par 
Adrien  Romain,  de  résoudre  une  équation  du  quarante-cinquième 
degré,  qui  était  précisément  celle  dont  dépendait  la  corde  de  la 
45*  partie  d'un  arc  donné;  ut  legi^  ut  solvi,  dit  Viète.  On  s'est 
moqué  d'Adrien  Romain  sans  remarquer  que  le  fait,  au  moins, 
prouve  qu'il  avait  trouvé,  de  son  côté,  la  formule  de  la  corde  de 
l'arc  ma^  connaissant  la  corde  de  l'arc  a.  Seulement,  Adrien 
Romain  n'avait  vu  dans  son  équation  d'autre  racine  que  la  corde 
de  la  45*  partie  de  l'arc  qu'il  avait  considéré,  et  Viète  lui  en  fit 
voir  les  vingt  et  une  autres  racines  positives. 

En  lui  envoyant  sa  solution,  Viète  avait  répondu  au  défi 
d'Adrien  Romain  par  un  autre  défi  :  il  lui  proposait  le  problème 
du  cercle  tangent  à  trois  cercles  donnés,  dont  on  savait  qu'Apol- 
lonius s'était  occupé  dans  son  Traité  perdu  De  Tactionibus,  Il 
demandait  une  solution  géométrique.  Adrien  Romain  résolut  le 
problème  par  l'intersection  de  deux  hyperboles.  Viète  lui  adressa 
alors  la  solution  géométrique  du  problème,  sous  le  titre  ;  Apol- 
lonius Gallus.  Il  l'appelle  Clarissime  Adriane;  mais  il  lui  dit  : 
Dum  circulum  per  hyperbolas  tangis^  rem  acu  non  tangis. 


64  Sixième  Période. 


c'est-à-dire,  en  touchant  le  cercle  par  des  hyperboles,  tu  ne  touches 
pas  la  chose  finement. , 

V Apollonius  Gallus  se  termine  par  deux  appendices.  Dans  le 
premier,  Viète  donne  les  solutions  géométriques  de  problèmes 
que  Regiomontanus  avait  dit  n*avoir  pu  résoudre;  on  va  voir 
qu'ils  n'étaient  pas  difficiles.  Il  s'agit  de  construire  un  triangle 
dont  on  donne  la  base,  la  hauteur  et  le  rectangle  fait  sur  les  côtés  ; 
ou  la  base,  la  hauteur  et  la  somme  ou  la  différence  des  côtés  ;  ou 
la  base,  la  hauteur  et  l'angle  au  sommet. 

Dans  le  second,  il  s'agit  de  problèmes  relatifs  à  l'Astronomie, 
que  Ptolémée,  Albategni  et  Copernic  s'étaient  posés,  mais  qu'ils 
résolvent,  dit  Viète,  infeliciter. 

Le  livre  Variorum  Responsorum  de  rébus  mathemattcis  traite 
de  la  construction  de  deux  moyennes  proportionnelles,  de  la  trisec- 
tion de  l'angle,  de  la  quadrature  du  cercle  et  de  la  quadratrice  de 
Dinostrate.  Viète  trace  l'histoire  de  ces  différents  problèmes,  ou, 
du  moins,  donne  des  extraits  des  anciens  auteurs  sur  ces  diverses 
questions.  On  y  trouve  la  formule  du  côté  du  polygone  régulier 
de  2"  côtés,  inscrit  dans  ua  cercle  de  rayon  i. 


v/i+\/i+v/-r 


Ce  livre  se  termine  par  les  deux  Trigonométries. 

Le  Munimen  adversus  nova  Cyclometrica  est  une  réfutation 
des  erreurs  contenues  dans  un  ouvrage  où  J.  Scaliger  croyait 
donner  la  solution  du  problème  de  la  quadrature  du  cercle. 

Enfin,  dans  sa  Relatio  Kalendarii  vere  Gregoriani  ad 
Ecclesiasticos  doctores^  adrtssée  à  Clément  VIII,  Viète  relève 


De  Viète  à  Kepler.  65 


les  erreurs  qu'il  croyait  avoir  aperçues  dans  le  travail  de  la  Com- 
mission réunie  par  Grégoire  XIII. 


SCALIGER    (jOSEPH-JUSTE). 
(Né  à  Agen  en  i540,  mort  à  Lcyde  en  1609.) 

Il  était  fils  de  Jules-César  Scaliger.  Il  s'est  illustré  comme 
philologue  et  érudit.  Il  habita  longtemps  la  Touraine,  dans  le 
château  d'un  riche  seigneur.  Les  États  de  Hollande  le  nommè- 
rent à  une  chaire  à  l'Université  de  Leyde  et  le  demandèrent  à 
Henri  IV,  qui  eut  beaucoup  de  peine  à  le  laisser  partir. 

Ses  immenses  travaux  sont  presque  tous  purement  littéraires; 
cependant,  il  a  rendu  un  grand  service  à  l'Astronomie  en  réta- 
blissant toute  la  chronologie  dans  son  Opus  de  emendatione 
temporum,  publié  à  Paris  en  i583. 

ROTHMANN  (cHRISTOPHe). 
(Né  vers  l540,  mort  vers  lôio.  ) 

Astronome  du  landgrave  de  Hesse-Cassel,  Guillaume  IV,  il 
entra  au  service  de  ce  prince  en  1577  et  dirigea  son  observatoire 
jusqu'en  iSgo.  A  cette  époque,  il  visita  Tycho  dans  son  île  de 
Hué  et  passa  quelque  temps  dans  son  intimité. 

Tycho  l'accusa  plus  tard  d'avoir  abusé  de  ses  confidences  pour 
s'approprier  ridée  de  son  système;  mais  Rothmann  était  coper- 
nicien  avant  d'avoir  connu  Tycho,  et  rien  ne  prouve  qu'il  se 
soit  rendu  aux  raisons,  d'ailleurs  mauvaises,  alléguées  par  son 

M.  Marie.  —  Histoire  des  Sciences,  III.  5 


66  Sixième  Période. 

hôte.  Il  est  donc  à  croire  que  la  crainte,  bien  plus  qu'une  réalité 
quelconque,  a  engagé  Tycho  à  crier  au  plagiat. 

Les  observations  de  Rothmann  ont  été  publiées  avec  d'autres 
par  Snellius,  en  1618,  sous  le  titre  :  Cœli  ac  siderum  in  eo  erran- 
tium  observationes^  etc. 

Rothmann  paraît  avoir  eu  le  premier  l'idée  d'attribuer  la  réfrac- 
tion astronomique  au  passage  de  la  lumière  du  vide  dans  l'air. 
On  conçoit  que  les  Anciens,  ne  sachant  ni  que  l'atmosphère  qui 
nous  entoure  appartient  à  la  Terre,  ni  qu'il  ne  s'étend  pas  indéfi- 
niment, ne  pouvaient  acquérir  que  des  notions  bien  confuses  de 
la  réfraction  atmosphérique. 

GILBERT  (GUILLAUME). 

(  Né  à  Colchester  en  1 540,  mort  en  i6o3.) 

Médecin  de  la  reine  Elisabeth,  puis  de  Jacques  I".  Il  s'occupa 
beaucoup  des  propriétés  des  aimants,  et,  pour  expliquer  Tincli- 
naison  et  la  déclinaison  des  aiguilles  aimantées,  admit,  le  pre- 
mier, que  la  Terre  est  un  aimant. 

Ses  recherches  ont  été  réunies  sous  le  titre  :  De  magnete  ma- 
gneticisque  corporibus  et  de  magno  magnete  Tellure  (  Londres, 
1600). 


DASYPODius  ( Conrad). 

(Né  à  Strasbourg  vers  1540,  mort  dans  la  même  ville  en  1600.) 

Son  véritable  nom  est  Rauchfuss  (pied  velu);  Dasypodius  en 
est  la  traduction  grecque. 


De  Viéte  à  Kepler.  67 


Il  professait  les  Mathématiques  à  Strasbourg;  on  lui  doit  un 
grand  nombre  de  traductions  d'ouvrages  de  mathématiciens 
grecs. 

C'est  sur  ses  dessins  que  fut  construite,  en  i58o,  Thorloge  de 
la  cathédrale  de  Strasbourg. 

BESSON  ( Jacques). 

(Né  à  Grenoble  vers  1540.) 

Professeur  de  Mathématiques  à  Orléans.  Il  croyait  pouvoir 
découvrir  les  sources  souterraines,  ce  qui  n'est  pas  impossible,  et 
a  transmis  ses  observations  dans  un  ouvrage  intitulé  :  F  Art  et  la 
Science  de  trouver  les  eaux  et  les  fontaines  cachées  sous  terre 
(1569).  Il  inventa  aussi  d'ingénieux  appareils  pour  faciliter  les 
démonstrations  mathématiques  :  le  cosmolabe  et  un  compas  eu- 
clidien. 

GUIDO  UBALDO  DEL  MONTE. 

(Ne  en  i545,morten  1607.) 

Disciple  de  Commandin.  Sa  famille  était  une  des  plus  illustres 
de  l'Italie.  Il  porta  les  armes  contre  les  Turcs.  A  son  retour,  en 
1 588,  il  fut  nommé  inspecteur  général  des  forteresses  de  la  Tos- 
cane. C'est  vers  cette  époque  qu'il  se  lia  avec  Galilée,  dont  il 
resta  depuis  lors  l'ami  et  le  protecteur  fidèle,  et  à  qui  il  gagna 
Tappui  important  de  son  frère,  le  cardinal  del  Monte.  Il  se  retira, 
peu  après,  dans  ses  terres  pour  ne  plus  s'occuper  que  de  tra- 
vaux scientifiques. 


68  Sixième  Période. 


Sa  Mécanique,  qui  parut  en  iSyy,  contient  la  théorie  des 
machines,  déduite  de  celle  du  levier,  étendue  au  cas  où  les  forces 
ne  sont  plus  parallèles.  Elle  repose  sur  une  théorie  élémentaire 
des  moments  et  le  principe  des  vitesses  virtuelles  y  est  énoncé 
comme  remarque,  dans  les  cas  simples  du  levier  et  des  moufles. 

Sa  Théorie  du  planisphère  parut  en  iSyg.  Il  s'y  trouve  des 
théorèmes  intéressants  sur  la  transformation  des  figures. 

Il  publia,  en  i588,  un  commentaire  sur  le  Traité  d'Archi- 
mède.  De  incidentibus  in  humido,  et  un  Traité  de  Perspective, 
en  1600.  Il  remarque  dans  ce  dernier  ouvrage  que  les  perspec- 
tives de  lignes  parallèles  vont  concourir  en  un  même  point  du 
tableau,  celui  où  le  tableau  est  percé  par  le  rayon  visuel  qui  leur 
est  parallèle. 

Il  avait  encore  composé  deux  ouvrages,  qui  parurent  après  sa 
mort;  l'un,  intitulé:  Problèmes  astronomiques,  et  l'autre:  De 
Cochlea. 

Enfin,  il  a  laissé  des  ouvrages  qui  sont  restés  manuscrits. 


CATALDI.  , 

(Né  vers  1545,  mort  à  Bologne  vers  1626.  ) 

Il  professait  déjà  les  Mathématiques  à  Florence  en  i563;  on 
le  trouve  ensuite  professeur  à  l'Université  de  Pérouse  en  i  572.  Il 
fut  nommé  en  1584  à  la  chaire  de  Mathématiques  de  l'Uni- 
versité de  Bologne,  où  il  paraît  avoir  achevé  sa  carrière. 

Il  publia,  en  i6o3,  un  Traité  des  Nombres  parfaits,  définis 
comme  dans  Théon  de  Smyrne. 

Son   Traité  de  la  Manière  expéditive  de  trouver  la  racine 


De  Viète  à  Kepler.  69 


carrée  d'un  nombre  contient  deux  méthodes,  nouvelles  alors, 
pour  approcher  indéfiniment  de  cette  racine.  La  première  con- 
siste à  corriger  une  valeur  quelconque  de  cette  racine  en  y  ajou- 
tant le  quotient  de  la  différence  entre  le  nombre  proposé  et  le 
carré  de  la  valeur  approchée  de  la  racine,  par  le  double  de  cette 
valeur  approchée  et  à  répéter  la  même  opération  sur  chaque 
valeur  corrigée.  Dans  la  seconde,  on  pourrait  dire  que  Cataldi 
développe  la  racine  en  fraction  continue,  s'il  avait  soin  de  faire 
en  sorte  que  tous  ses  numérateurs  fussent  égaux  à  i,  mais  il  leur 
laisse  prendre  des  valeurs  entières  quelconques. 
Ainsi,  au  lieu  de 


4 


8-f-  - 
4 

il  trouve 

V/18  =  4+-^ 


8 


Il  fait  voir,  du  reste,  que  deux  valeurs  consécutives  d'une  pareille 
suite  comprennent  toujours  entre  elles  la  racine  cherchée. 

Cest  lord  Brouncker  qui  a  constitué  la  théorie  des  fractions 
continues. 

Dans  son  Algèbre  linéaire  ou  géométrique^  Cataldi  construit 
les  racines  des  équations  du  second  degré,  et  quelques  expressions 
algébriques.  M.  Libri  trouve  que  c'est  là  de  la  Géométrie  analy- 


70  Sixième  Période. 


tique.  C'est  tout  au  plus  l'inverse  de  ce  que  nous  avons  appelé 
Application  de  la  Géométrie  à  l'Algèbre^  et  Viète  avait  pré- 
cédé Cataldi  dans  cette  transformation  des  opérations  arithmé- 
tiques en  constructions  correspondantes. 

Outre  les  ouvrages  que  nous  venons  de  mentionner,  Cataldi 
en  avait  publié  beaucoup  d'autres,  mais  qui  ne  sont  que  des 
traités  didactiques. 

TYCHO-BRAHÉ. 

(Né  à  Knudstrup  (Scanie)  en  1546,  mort  à  Prague  en  1601. 

Son  père,  Otto  Brahé,  ne  se  souciait  pas  de  lui  faire  donner 
aucune  éducation.  Ce  fut  son  oncle,  Georges  Brahé,  qui  le  plaça 
à  l'Université  de  Copenhague,  à  l'âge  de  treize  ans.  Une  éclipse 
de  Soleil,  annoncée  pour  le  21  août  1560,  ayant  eu  lieu  au  jour 
indiqué,  le  jeune  Tycho  en  fut  tellement  impressionné  qu'il  en 
conçut  un  vif  désir  de  s'appliquer  à  l'étude  des  Sciences. 

Cette  résolution,  qui,  suivant  les  préjugés  du  temps,  était  peu 
digne  d'un  gentilhomme,  fut  vivement  combattue  par  sa  famille. 
Cependant  son  oncle  obtint  de  le  faire  partir,  accompagné  de  son 
précepteur,  André  Sœrensen  Vedel,  pour  l'Université  de  Leipzig, 
avec  ordre  d'y  suivre  uniquement  les  cours  de  droit  pour  se  pré- 
parer à  occuper  les  hautes  charges  de  l'État.  Tycho  trouva  toutefois 
l'occasion  de  puiser  quelques  notions  d'Astronomie  dans  les  éphé- 
mérides  de  Stadius  et  d'apprendre  à  se  servir  des  tables  de  Rein- 
hold. 

Tous  ses  instruments  se  bornaient  alors  à  un  globe  céleste 
gros  comme  le  poing,  et  à  quelques  cercles  qu'il  avait  fabriqués 


De  Viète  à  Kepler,  71 


lui-même.  Ces  instruments  lui  suffirent  néanmoins  à  constater 
quelques  inexactitudes  dans  les  tables  en  usage. 

Sa  famille  le  laissa  enfin  libre  de  suivre  ses  goûts.  Il  visita  pen- 
dant cinq  ans  les  différents  observatoires  d'Allemagne  et  de  Suisse, 
cherchant  partout  à  se  lier  avec  les  astronomes  les  plus  distingués 
et  à  trouver  des  mécaniciens  habiles  pour  la  construction  des 
instruments  qu'il  comptait  se  procurer.  Une  querelle  qu'il  eut 
durant  ces  voyages  fut  suivie  d'un  duel  nocturne  dans  lequel  son 
adversaire  lui  abattit  le  bout  du  nez. 

Devenu,  à  la  mort  de  son  père,  en  iSyi,  seigneur  de  Knud- 
strup,  il  préféra  s'établir  au  monastère  de  Herridsvad,  situé  dans 
le  voisinage,  et  d'où  il  reconnut,  le  1 1  novembre,  dans  la  con- 
stellation de  Cassiopée,  la  belle  et  singulière  étoile  de  1572  qui  a 
donné  lieu  à  tant  de  conjectures,  de  calculs  et  de  controverses. 
Cette  étoile  resta  visible  jusqu'au  mois  de  mars  1574,  toujours 
au  même  point  du  Ciel;  elle  n'avait  ni  queue  ni  chevelure;  elle 
surpassait  en  éclat  Sirius,  et  atteignait  presque  la  dimension 
apparente  de  Vénus. 

On  l'apercevait  d'abord  en  plein  jour,  elle  perdit  peu  à  peu  son 
éclat  et  finit  par  disparaître  entièrement.  Elle  fit  l'objet  du  pre- 
mier ouvrage  de  Tycho-Brahé  :  De  nova  Stella  anni  i5j2,  qui 
parut  en  1573.  Tycho-Brahé  n'était  pas  encore  bien  convaincu, 
alors,  qu'il  convînt  à  un  homme  de  sa  condition  de  rien  faire  im- 
primer :  il  lui  fallut  les  conseils  de  ses  amis  pour  l'ébranler;  l'un 
d'eux,  Pratensis,  sans  plus  le  consulter,  livra  le  manuscrit  à  l'im- 
primeur. 

C'estàcette  époque  (i573)queTycho-Brahé  se  maria;  il  épousa 
la  fille  d'un  pasteur  ou  d'un  paysan_,  nommée  Christine,  avec 
laquelle  il  vécut  heureux,  mais  que,  à  cause  de  l'obscurité  de  sa 


Sixième  Période. 


naissance,  sa  famille  ne  voulut  jamais  reconnaître;  il  en  eut  six 
enfants. 

Après  avoir,  en  iSyS,  sur  l'invitation  du  roi  Frédéric  II,  pro- 
fessé quelque  temps  l'Astronomie  à  l'Université  de  Copenhague,  il 
entreprit  un  nouveau  voyage  et  se  rendit  en  Suisse  ;  on  dit  même, 
ce  qui  paraît  douteux,  qu'il  formait  le  projet  d'abandonner  sa 
patrie  pour  se  fixer  à  Bâle,  lorsque  le  roi  de  Danemark  lui  fit  don 
de  l'île  de  Hveen,  l'investit  d'un  fief  situé  en  Norvège  et  d'un  ca- 
nonicat  dont  les  revenus  étaient  de  2000  écus_,  enfin  lui  assura 
en  outre  une  pension  de  5ooo  écus.  Grâce  à  ces  dons  magnifiques, 
provoqués  par  le  savant  chancelier  Pierre  Oxe,  Tycho-Brahé  put 
faire  ériger  son  magnifique  château  d'Uranienborg  (palais  d'U- 
ranie),  et,  plus  tard,  l'observatoire  de  Stalleborg  (château  des 
Etoiles).  Les  instruments  que  Tycho-Brahé  y  réunit  se  trouvent 
décrits,  ainsi  que  l'observatoire,  dans  son  ouvrage  intitulé  :  As- 
tronomiœ  instauratœ  mechanicha  (Nuremberg,  1602).  Il  évalue 
à  plus  de  100  000  écus  danois  l'argent  qu'il  y  consacra. 

Voici  les  principaux  articles  de  la  description  qu'il  adressa  au 
landgrave  de  Hesse,  astronome  lui-même,  qui  désirait  com- 
pléter son  observatoire  :  un  demi-cercle  de  6  coudées  de  diamètre, 
porté  sur  un  cercle  azimutal  de  4  coudées  de  diamètre;  un  sex- 
tant astronomique;  un  quart  de  cercle  en  cuivre  de  2}  coudées 
de  rayon,  avec  un  cercle  horizontal  de  3  coudées  de  diamètre; 
des  règles  construites  sur  le  modèle  de  celles  de  Ptolémée, 
mais  en  cuivre,  et  portant  les  divisions  de  la  table  des  sinus  à 
cinq  chiffres;  un  quart  de  cercle  avec  son  horizon  et  ses  alidades; 
une  horloge  de  cuivre  marquant  les  secondes  (?),  dont  la  roue 
principale  a  2  coudées  de  diamètre  et  1200  dents.  Dans  un  autre 
observatoire,  se  trouve  l'armille  équatoriale  en  cuivre,  de  4  cou- 


De  Viéte  à  Kepler.  73 


dées.  Un  troisième  observatoire  contient  des  règles  parallactiques 
de  4  { coudées ,  couvertes  en  cuivre,  l'horizon  a  1 2  pieds 
».ie  diamètre;  un  demi-sextant  de  4  coudées  de  rayon,  un 
sextant  entier  ,  les  règles  parallactiques  qui  avaient  appar- 
tenu à  Copernic.  Dans  un  autre  petit  observatoire,  sont  des 
armilles  équatoriales  servant  à  suppléer  aux  précédentes,  parce 
que  la  construction  du  bâtiment  ne  permet  pas  de  voir  tout  le 
ciel  d'un  même  point;  un  grand  quart  de  cercle  placé  dans  le 
plan  du  méridien,  où  les  sixièmes  de  minute  sont  donnés  par  des 
transversales.  Un  grand  globe  de  6  pieds  de  diamètre,  où  furent 
reportées  toutes  les  étoiles  observées  parTycho-Brahé,se  trouvait 
dans  la  salle  de  la  bibliothèque,  qui  servait  de  cabinet  de  travail  aux 
calculateurs,  dont  le  nombre  allait  souvent  jusqu'à  huit.  Dans  un 
souterrain  à  toit  mobile,  se  trouvait  un  demi-cercle  de  6  coudées 
de  diamètre  ;  dans  un  autre  était  une  grande  machine  parallac- 
tique  ou  équatoriale  dont  le  cercle  avait  9  coudées  de  diamètre. 
C'est  la  plus  grande  qui  ait  jamais  été  construite.  Dans  un  troi- 
sième était  attaché  à  une  colonne  en  fer  un  grand  carré  vertical 
circonscrit  à  un  quart  de  cercle  de  5  coudées  de  rayon,  divisé  en 
sixièmes  de  minute,  et  donnant  les  sinus  avec  six  chiffres.  Ce  quart 
de  cercle  était  accompagné  d'un  azimutalde  9  coudées  de  rayon, 
recouvert  en  cuivre. Un  quatrième  souterrain  contenait  les  mêmes 
instruments  que  le  troisième,  m.ais  d'un  plus  petit  modèle.  Un 
cinquième  souterrain  renfermait  des  armilles  zodiacales,  dont  le 
méridien,  en  acier,  avait  3  coudées  de  diamètre.  Des  instruments 
portatifs  venaient  compléter  la  collection,  qui,  comme  on  le  voit, 
était  magnifique.  La  grande  dimension  des  appareils  s'explique 
par  le  défaut  de  lunettes  et  ne  suffisait  pas  encore  à  donner  une 
bien  grande  approximation.  Un  petit  équatorial  de  i"  de  dia- 


74  Sixième  Période. 


mètre,  muni  de  lunettes  à  réticules  micrométriques,  donnerait  à 
lui  seul  aujourd'hui  des  résultats  bien  supérieurs  à  ceux  qu'on 
pouvait  obtenir  d'une  aussi  grandiose  collection. 

L'île  de  Hveen  devint  bientôt  un  lieu  célèbre,  oîi  l'Astronomie 
et  les  diverses  Sciences  qui  s'y  rattachent  étaient  cultivées  avec 
un  éclat  inconnu  dans  les  plus  grandes  villes  et  même  dans  les 
universités  les  plus  renommées.  Les  princes,  les  savants  venaient 
des  contrées  les  plus  lointaines  y  visiter  l'illustre  maitre;  une 
foule  de  disciples  se  pressaient  à  ses  leçons,  disciples  qu'il  entre- 
tenait avec  une  magnificence  vraiment  royale. 

A  la  mort  de  Frédéric  II  (  i588),  Tycho-Brahé  se  trouva,  sans 
défense,  en  butte  aux  rancunes  de  la  noblesse,  dont  il  avait  excité 
la  jalousie  et  secoué  les  préjugés;  un  de  ses  membres  surtout, 
Christophe  Valkendorf,  dont  il  s'était  fait  depuis  longtemps 
un  ennemi,  n'omit  rien  pour  lui  susciter  des  difficultés  et  ne  se 
lassa  pas  qu'il  ne  lui  eût  fait  retirer  son  fief,  son  bénéfice  et 
sa  pension. 

Décidé  à  quitter  son  île  pour  se  retirer  en  Allemagne,  Tycho 
partit  d'Uranienborg  le  29  avril  1397,  pour  se  rendre  d'abord  a 
sa  maison  de  Copenhague,  où  il  lit  transporter  ses  livres,  son  im- 
primerie et  ses  instruments;  mais  on  ne  le  laissa  pas  même  s'y 
établir.  Il  remballa  donc  tous  ses  instruments  et  partit  pour 
l'Allemagne  avec  sa  femme  et  ses  enfants. 

«  Privé,  dit-il,  de  tous  moyens  de  travailler  à  la  perfection  de 
l'Astronomie  et  voyant  que  des  goûts  auxquels  je  ne  croyais 
pouvoir  renoncer  sans  crime  étaient  vus  de  si  mauvais  œil 
dans  ma  patrie,  il  ne  me  restait  qu'à  quitter  ce  pays  et  faire  en 
sorte  que  tant  de  peines  ne  fussent  pas  entièrement  perdues.  A 
peine  avais-jc  quitté  le  Danemark  que  le  chancelier,  faisant  l'ac- 


De  Viète  à  Kepler. 


quisition  de  ma  prébende,  la  convertit  à  son  propre  usage  et 
m^ôta  ainsi  toute  espérance  de  rentrer  dans  cette  possession.  Je 
demeurai  à  Rostock  pendant  trois  mois,  malgré  l'épidémie 
régnante,  afin  de  donner  aux  ministres  le  temps  de  faire  de  plus 
mûres  réflexions;  mais  Henry  de  Rançon  m'ayant  invité  à  me 
préserver  de  la  contagion,  j'acceptai  un  asile  dans  son  château 
de  Wandesburg,  à  un  demi-mille  de  Hambourg;  là  je  passai 
rhiver,  soit  à  continuer  mes  observations,  soit  à  travailler  à  des 
ouvrages  commencés.  » 

En  1599,  l'empereur  Rodolphe  II  lui  offrit  un  asile  à  Prague 
avec  un  traitement  de  3 000  écus  d'or,  sans  compter  d'autres 
revenus  éventuels;  mais  Tycho  ne  profita  pas  longtemps  de  cette 
faveur,  car  il  mourut  deux  ans  après,  le  24  octobre  1601.  Il  ex- 
pira doucement,  entre  les  consolations,  les  prières  et  les  larmes 
de  sa  femme,  de  ses  enfants  et  de  ses  collaborateurs,  Kepler,  Fa- 
bricius  et  Muller.  La  nuit  précédente,  pendant  son  délire,  il 
répéta  plusieurs  fois  les  mots  :  Ne  frustra  vixisse  videar  et  fit 
promettre  à  Kepler  de  terminer  ses  tables  et  de  veiller  à  leur  pu- 
blication. Sa  mort  fut  un  coup  fatal  pour  sa  famille.  L'empereur, 
qui  avait  promis  de  la  soutenir,  l'oublia  ;  elle  ne  toucha  même 
pas  les  20  000  rixdalers  que  produisit  la  vente  de  ses  instruments. 
La  veuve  de  Tycho  mourut  dans  la  misère,  à  Meissen,  en  1604, 
et  tout  ce  qu'on  sait  de  ses  enfants,  c'est  qu'ils  ne  retournèrent 
jamais  dans  leur  pays. 

Tycho-Brahé  avait  le  cœur  grand  et  généreux,  l'âme  élevée  et 
libre  de  préjugés,  mais  le  caractère  violent  et  emporté,  ce  qui 
explique  en  partie,  sans  les  excuser,  les  persécutions  dont  il  a  été 
l'objet. 

Tycho-Brahé  a  apporté  de  notables  améliorations  à  la  théorie 


ytî  Sixième  Période. 


de  la  Lune.  Le  premier,  il  tint  compte,  dans  le  calcul,  de  la  réfrac 
tion  et  proposa  les  premiers  éléments  de  la  théorie  des  comètes. 
Malheureusement  il  combattit  Copernic  et  prit  trop  au  sérieux 
les  folles  doctrines  de  l'Astrologie.  C'est  avec  le  secours  de  ses 
Obserpations  que  Kepler  trouva  les  trois  fameuses  lois  qui  ont 
immortalisé  son  nom. 

Les  ouvrages  imprimés  de  Tycho-Brahé  sont  :  De  nova 
Stella  anni,  1572,  dont  nous  avons  déjà  parlé;  Z)e  mundi  œthe- 
rei  recentioribus phœnomenis  (i588);  Tjrchonis-Brahœ  apo- 
lof^etica  responsio  ad  cujusdam  peripatetici  in  Scotia  dubia, 
sibi  de  parallaxi  cometarum  opposita  (iSgi);  Tychonis- 
Brahœ,  Dani  ^  epistolarum  astronomie  arum  libri  (iSgô); 
Astronomiœ  instaiiratœ  mechanicha  (iSyS);  Progymnasmata, 
(  Uranienborg ,  1 587-1 589);  Tychonis-Brahce,  de  discîplinis 
mathematicis  oratio,  in  qua  simul  astrologia  defenditur  et  ab 
objectionibus  dissentientium  vindicatur  (posthume)  ;  Collectanea 
historiée  cœlestis.  C'est  le  recueil  de  ses  observations  qui  fut  confié 
après  sa  mort  à  Kepler  et  qui  n'a  été  imprimé  que  bien  plus  tard. 

Le  plus  important  de  ces  ouvrages,  au  point  de  vue  théorique, 
est  celui  qui  porte  le  titre  de  Progj^mnasmata.  L'auteur  débute 
en  disant  :  «  Copernic  a  pensé  qu'on  devait  faire  du  Soleil  le 
centre  des  mouvements  célestes;  son  hypothèse  est  fort  ingénieuse, 
mais  elle  n'est  pas  conforme  à  la  vérité;  nous  laisserons  donc  la 
Terre  immobile  au  centre  du  monde  et  nous  ferons  tourner  le  So- 
leil autour  d'elle.  »  Il  serait  difhcile  de  connaître  les  motifs  qui 
déterminèrent  Tycho-Brahé  à  se  prononcer  pour  l'immobilité  de 
la  terre;  peut-être  la  secrète  vanité  d'ériger  un  nouveau  système 
y  eut-cllc  la  plus  grande  part;  peut-être  aussi  la  crainte  de  se 
rendre  TÉglise  hostile  le  retint-elle,  mais  son  caractère  entier 


De  Viite  à  Kepler.  77 


rend  cette  supposition  peu  probable.  L'esprit  de  Tycho-Brahé 
n'était  pas  naturellement  spéculatif;  il  n'a  montré  de  véritable 
génie  que  comme  observateur;  il  nous  semble  que  son  erreur  est 
suffisamment  expliquée  par  la.  Tycho-Brahé,  quoique  fortement 
attaché  à  son  opinion,  ne  parle,  au  reste,  jamais  de  Copernic 
qu'avec  les  plus  grands  éloges. 

Tycho-Brahé  commença  par  reviser  toute  la  théorie  du  Soleil. 
Par  la  comparaison  de  dix  équinoxes,  il  trouve  l'année  de 
365J  S**  49"  et  le  mouvement  diurne  o«  59'  8"  19'"  43'^  40^.  Ces 
résultats  sont  bien  plus  exacts  que  tous  ceux  qu'on  avait  obtenus 
avant  lui.  Il  avait  remarqué  que  l'angle  de  Téquateur  avec  l'ho- 
rizon, donné  par  l'observation  des  solstices,  n'était  pas  le  com- 
plément de  la  hauteur  apparente  du  pôle.  Il  en  conclut  la  réfrac- 
tion et  se  proposa  d'en  tenir  compte. 

Le  phénomène  de  la  réfraction  atmosphérique  avait  été  soup- 
çonné par  Ptolémée  et  décrit  par  l'Arabe  Alhazen,  dont  Tycho 
connaissait  les  ouvrages,  car  il  les  cite;  mais  aucun  astronome 
avant  Tycho  n'avait  dressé  de  table  pour  servir  à  faire  la  correc- 
tion. Pour  établir  la  sienne,  Tycho,  supposant  la  réfraction  nulle 
à  la  hauteur  de  57*,  où  s'élevait  le  Soleil  au  solstice  d'été,  à  Ura- 
nienborg,  suivit  le  mouvement  apparent  du  Soleil  depuis  son 
lever  jusqu'à  son  coucher,  et  le  compara  à  celui  qu'il  aurait  eu 
dans  son  parallèle,  si  ^la  réfraction  n'eût  pas  augmenté  sa 
hauteur.  Les  erreurs  de  la  table  qu'il  construisit  ne  dépassent 
jamais  2'.  Il  est  remarquable,  au  reste,  que  Tycho  n'attribuait 
pas  la  réfraction  au  passage  de  la  lumière  du  vide  dans  l'atmo- 
sphère, mais  à  l'influence  des  vapeurs  contenues  dans  l'air. 
Les  bonnes  raisons  que  Rothmann  lui  opposait  ne  purent  pas  le 
convaincre. 


78  Sixième  Période. 


Ses  observations  lui  permirent  de  rectifier  la  valeur  de  l'obli- 
quité de  récliptique,  qu'il  trouva  de23**  3i',5  tandis  que  Copernic 
et  Regiomontanus  l'avaient  faite  de  2  3°  28'. 

Les  belles  recherches  de  Tycho  sur  le  Soleil  sont  encore  dépas- 
sées par  celles  qu'il  fit  sur  la  Lune.  Les  observations  d'Hipparque 
avaient  principalement  porté  sur  les  syzygies  et  lui  avaient  permis 
de  déterminer  l'excentricité  de  l'orbite  de  la  Lune  ;  celles  que  Ptolé- 
mée  y  avait  ajoutées  sur  les  quadiatures  lui  avaient  fait  découvrir 
Yévection;  Tycho  s'attacha  aux  octants  et  découvrit  la  variation, 
additive  dans  le  premier  et  ie  quatrième  octant,  soustractive 
dans  les  deux  autres.  Cette  découverte  portait  immédiatement 
Tycho  sur  le  rang  de  Ptolémée;  il  y  ajouta  celle  plus  impor- 
tante encore  de  l'inégalité  de  l'obliquité  de  l'orbite  lunaire  et  de 
l'équation  du  nœud.  Tous  les  anciens  avaient  supposé  constant 
et  égal  à  5"  l'angle  du  plan  de  l'orbite  lunaire  avec  celui  de  l'é- 
cliptique;  Tycho  reconnut  que  l'orbite  éprouvait  dans  le  cours 
de  chaque  lunaison  un  balancement  sensible,  que  l'inclinaison 
de  5%  plus  exactement  4°  58'  3o",  convenait  bien  aux  syzygies, 
mais  qu'elle  s'élevait  à  5**  17'  3o''  dans  les  quadratures. 

D'un  autre  côté,  on  avait  regardé  la  révolution  de  la  ligne  des 
nœuds  comme  uniforme;  Tycho  constata  l'inégalité  de  sa  vitesse 
angulaire  et  en  détermina  les  variations.  Imitant  alors  pour  la 
Lune  l'explication  que  Copernic  avait  proposée  de  la  précession 
des  équinoxes,  il  donna  au  pôle  de  l'orbite  lunaire  un  mouve- 
ment de  rotation  autour  de  son  lieu  moyen. 


i5^3J 


De  Viète  à  Képlei\  79 


PEGEL    (MAGNUS). 
(Né  à  Rostock  en  1547,  mort  vers  1610.  ) 

Après  s'être  fait  recevoir  docteur  en  médecine,  il  protessa  les 
Mathématiques  et  la  Physique  à  Rostock,  puis  à  Helmstaedt. 

Il  a  laissé  un  curieux  ouvrage  :  Thésaurus  rerum  selectarum 
magnarum,  dignarum^  utilium^  suavium,  pro  generis  humant 
salute  oblatus  (1604),  qui  contient  l'exposition  de  diverses  in-- 
ventions  mécaniques. 


STEVIN    ( SIMON). 
(Né  à  Bruges  vers  1548,  mort  à  Leyde  en  1620.) 

Ingénieur  des  digues  de  Hollande,  il  s'est  principalement  occupé 
de  Mécanique  et  d'Hydrostatique  ;  toutefois  il  aurait  déjà  employé 
en  Algèbre  la  notation  des  puissances  à  l'aide  des  exposants  numé- 
riques et,  suivant  M.  Budan  de  Boislaurent,  étendu  même  cette 
notation  au  cas  des  exposants  fractionnaires  ;  c'est  probablement  à 
lui  qu'est  due  la  connaissance  de  la  génération  de  l'ellipse  au  moyen 
du  cercle,  dont  les  ordonnées  seraient  raccourcies  dans  un  rapport 
donné;  il  avait  indiqué  quelques  propriétés  de  la  loxodromie, 
appliqué  d'une  façon  intéressante,  à  la  construction  de  certaines 
expressions  algébriques,  l6  théorème  de  Ptolémée  relatif  aux  seg- 
ments déterminés  par  une  transversale  sur  les  côtés  d'un  triangle 
et  porté  ses  études  de  perspective  assez  loin  pour  oser  se  poser  ce 
problème  général,  qu'il  résolvait  dans  quelques  cas  particuliers  : 
deux  figures  qui  sont  perspectives  Vune  de  l'autre  étant  données, 
placer  Vune  par  rapport  à  Vautre  de  manière  que  la  perspec- 
tive ait  lieu^  et  déterminer  la  position  de  Vœil, 


8o  Sixième  Période. 


Stevin  résolut  le  premier  le  problème  de  l'équilibre  d'un  corps 
placé  sur  un  plan  incliné  et  celui,  beaucoup  plus  important,  de 
l'équilibre  de  trois  forces  appliquées  à  un  même  point. 

L'Hydrostatique  lui  doit  l'explication  du  fameux  paradoxe  sur 
la  pression  exercée  par  un  liquide  sur'le  fond  d'un  vase  conique. 
Il  démontre  successivement,  par  l'expérience  et  par  un  raisonne- 
ment juste,  que  la  pression  est  toujours  égale  au  poids  du  liquide 
que  contiendrait  un  cylindre  ayant  pour  base  le  fond  du  vase  et 
pour  hauteur  la  distance  de  ce  fond  au  niveau.  On  lui  attribue 
encore  la  connaissance  de  la  pesanteur  de  l'air. 

Ses  ouvrages  écrits  en  flamand  ont  été  traduits  en  latin  par 
Snellius  et  réunis  sous  ce  titre  :  Hypomnemata,  id  est  de  Cos- 
mographia,  de  praxi  Geometriœ,  de  Statica,  de  Optica,  etc. 
Albert  Girard  en  a  donné  une  édition  française  comprenant  :  le 
Traité  d'Arithmétique^  les  Six  livres  d'Algèbre  de  Diophante 
(les  quatre  premiers  avaient  été  traduits  par  Stevin,  Albert  Gi- 
rard y  a  joint  les  deux  derniers),  la  Pratique  de  V Arithmétique 
et  VExplication  du  X"^  livre  d'Euclide^  la  Cosmographie,  la 
Géographie  et  V Astronomie,  la  Pratique  de  Géométrie,  la  Sta- 
tique y  Y  Optique^  la  Castramétation,  la  Fortification  par  écluses 
tilt  Nouveau  système  de  fortification.  Stevin  a  été  incontesta- 
blement un  géomètre  très  distingué. 

La  découverte  de  la  condition  de  l'équilibre  des  forces  concou- 
rantes a  une  telle  importance  et  les  moyens  de  démonstration 
employés  par  Stevin  sont  tellement  curieux  qu'on  nous  saura 
sans  doute  gré  de  donner  ici  de  son  ouvrage  un  extrait  qui  per- 
mette de  prendre  une  idée  nette  de  sa  théorie. 

Cette  théorie  est  précédée  de  l'avertissement  suivant  :  a  Jusques 
icy  ont  esté  déclarées  les  propriétez  des  pesanteurs  directes  ;  sui- 


De  Viète  à  Kepler,  8i 


vent  les  proprietez  et  qualitez  des  obliques,  desquelles  le  fonde- 
ment général  est  compris  au  théorème  suivant.  » 


Théorème. 


«  Si  un  triangle  a  son  plan  perpendiculaire  à  Thorizon  et  sa 
base  parallèle  à  iceluy;  et  sur  un  chacun  des  deux- autres  costez 
un  poids  sphérique,  de  pesanteur  égale  :  comme  le  costé  dextre 

Fig.  I. 


du  triangle  (est)  au  sénestre,  ainsi  la  puissance  du  poids  sénestre 
(sera)  à  celle  du  poids  dextre. 

a  Soit  ABC  un  triangle  ayant  son  plan  perpendiculaire  à  l'ho- 
rizon, et  sa  base  AC  parallèle  à  iceluy  horizon  ;  et  soit  sur  le  côté 
AB  (qui  est  double  à  BC)  un  poids  en  globe  D,  et  sur  BC  i.n 
autre  E,  égaux  en  pesanteur  et  en  grandeur. 

«  Il  faut  démonstrer  que,  comme  le  costé  AB2  (est)  au  costé 
BCi,  ainsi  la  puissance  ou  pouvoir  du  poids  E  (est)  à  celle  de  D. 
M.  Mar.-e.  —  Histoire  des  Sciences,  III.  6 


82  Sixième  Période. 


«  Soit  accommodé  à  l'entour  du  triangle  un  entour  de  14 
globes,  égaux  en  pesanteur,  en  grandeur,  et  équidistans,  comme 
D,  E,  F,  G,  H,  I,  K,  L,  M,  N,  O,  P,  Q,  R,  enfilez  d'une 
ligne  passant  par  leurs  centres,  ainsi  qu'ils  puissent  tourner  sur 
leurs  susdits  centres,  et  qu'il  y  puisse  avoir  2  globes  sur  le  côté  BC, 
et  4  sur  BA,  alors  comme  ligne  (est)  à  ligne,  ainsi  le  nombre 
des  globes  (est)  au  nombre  des  globes  :  qu'aussi  en  S,  T,  V 
soient  trois  poincts  fermes  (fixes),  dessus  lesquels  la  ligne,  ou  le 
filet  puisse  couler,  et  que  les  deux  parties  au-dessus  du  triangle 
soient  parallèles  aux  côtés  d'iceluy  AB,  BC;  tellement  que  le  tout 
puisse  tourner  librement  et  sans  accrochement,  sur  lesdits  côtés 
AB,  BC. 

«  Si  le  pouvoir  des  poids  D,  R,  Q,  P,  n^étaitpaségal  au  pouvoir 
des  deux  globes  E,  F,  l'un  costé  sera  pluspesant  que  l'autre.  Sup- 
posons donc  (s'il  est  possible)  que  les  quatre  D,  R,  Q,  P,  soyent 
plus  pesans  que  les  deux  E,  F;  mais  les  quatre  O,  N,  M,  L,  sont 
égaux  aux  quatre  G,  H,  I,  K;  par  quoy  le  costé  des  huit  globes  D, 
R,  Q,  P,  O,  N  j  M ,  L,  sera  plus  pesant  selon  leur  disposition,  que  non 
pas  les  six  E,F,G,H,1,K,  et  puisque  la  partie  plus  pesante  em- 
porte la  plus  légère,  les  huit  globes  descendront  et  les  six  autres 
monteront  :  qu'il  soit  ainsi  donc,  et  que  P  vienne  où  O  est  pré- 
sentement  et  amsi  des  autres  ;  voire  que  E,  F,  G,  H,  viennentoù 
sont  maintenant  P,Q,R,  D,  aussi  I,K,où  sontmaintenant  E,F. 
Ce  néant  moins,  l'entour  des  globes  aura  la  même  disposition 
qu'auparavant  et,  par  même  raison,  les  huit  globes  auront  le 
dessus  en  pesanteur,  et,  en  tombant,  feront  revenir  huit  autres 
à  leurs  places, et,  ainsi, ce  mouvement  n'aurait  aucune  fin, ce  qui 
est  absurde.  Et  de  mesme  sera  la  démonstration  de  l'autre  costé. 

«LaDartiedoncdel'entourD,  R,Q,P,0,N,  M,  Lsera  en  équilibre 


De  Viète  à  Kepler.  83 


avec  la  partie  E,  F,  G,  H,  I,  K.  Que  si  Ton  ôte  des  deux  costés  les 
pesanteurs  égales  et  qui  ont  mesme  disposition,  comme  sont 
O,  N,  M,  L,d'une  part,  et  G,  H,  I,  K,  d'autre  part, les  quatre  restans 
D,R,Q,  Poseront  et  demeureront  en  e'quilibre  avec  IesdeuxE,F. 
Par  quoy  E  aura  un  pouvoir  double  au  pouvoir  de  D. 

«  Comme  donc  le  costéAB2est  au  costéBC  i,  ainsi  le  pouvoir 
de  E  est  au  pouvoir  de  D.  » 

Les  conséquences  que  Stevin  tire  immédiatement  de  ce  théo- 
rème sont  évidentes  : 

i**  Deux  corps  reposant  sur  deux  plans  inclinés  adossés  Tun  à 
l'autre  se  font  équilibre  aux  deux  bouts  de  la  corde  qui  les  unit, 
lorsque  leurs  poids  sont  proportionnels  aux  longueurs  des  deux 
plans  (on  suppose  naturellement  que  les  deux  brins  de  la  corde 
sont  parallèles  aux  deux  plans  et  dirigés  vers  les  centres  de  gravité 
des  deux  corps). 

2°  Le  théorème  s'applique  encore  lorsque  l'un  des  plans  est 
vertical  et  que  la  corde,  passée  sur  une  poulie,  a  l'un  de  ses  brins 
parallèle  au  plan  incliné  sur  lequel  repose  l'un  des  corps,  tandis 
que  l'autre  brin  pend  librement  au  delà  de  la  poulie. 

3**  Un  corps  placé  sur  un  plan  incliné  est  retenu  en  équilibre 
lorsqu'il  est  tiré  de  bas  en  haut,  parallèlement  à  la  ligne  de  plus 
grande  pente  du  plan,  par  une  puissance,  ayant  avec  le  poids  du 
corps  un  rapport  égal  à  celui  de  la  hauteur  du  plan  à  sa  longueur. 

Mais  Stevin  va  encore  plus  loin  et  tire  de  son  théorème  la 
condition  d'équilibre  de  trois  forces  concourantes  : 

Soit  A  un  corps  de  poids  P,  tiré  par  deux  puissances  Q  et  R 
dirigées   suivant  AB  et  AC;  si   on  considère  ce  corps  comme 
placé  sur   le  plan  incliné  AB,  Q  peut  détruire  la  portion  de  P 
qui  est  à  Q  comme  la  longueur  de  AB  est  à  la  hauteur;  de  même 


«4 


Sixième  Période. 


R  peut  détruire  la  portion  de  P  qui  est  à  R  comme  la  longueur 
de  AC  est  à  sa  hauteur;  pour  re'quilibre,  il  faut  que  les  portions 
de  P  que  peuvent  détruire  Q  et  R,  ajoutées,  fassent  P;on  tire  im- 
médiatement de  là  la  condition  : 

P  =:  Q  cos  a  -f-  R  cos  fJ, 

a  et  p  désignant  les  angles  des  deux  forces  Q  et  R  avec  la  verti- 
cale. Stevin  ne  va  pas  jusque  là,  il  dit  simplement  :  il  appert 
que  si  une  colonne  (il  prend  pour  exemple  un  cylindre,  mais  cela 

Fig.  2. 


importe  peu)  est  attachée  par  deux  lignes  (cordes)  non  parallèles, 
on  pourra  cognoistre  -combien  chaque  ligne  soustiendra,  ou  de 
quelle  force  chaque  ligne  agira.  Mais  Albert  Girard  donne  la 
raison  de  Q  à  R,  d'une  façon  il  est  vrai  très  compliquée,  parce 
qu'il  y  fait  intervenir  l'axe  de  la  colonne,  dont  la  direction  n'a 
rien  à  voir  dans  la  question. 

DITIIMARSLS   (URSUs). 

(\c  vers  i54Q.  ) 

Il  est  connu  par  sa  table  des  sinus,  calculée  par  la  méthode  des 
différences,  et  par  ses  querelles  avec  Tychc-Brahé.  Tycho  pré- 


De  Viète  à  Kepler.  83 


tendit  que  Dilhmarsus  lui  avait  volé  sa  méthode  des  différences, 
dans  une  visite  à  Huen  en  1584.  D'autre  part,  Dithmarsus 
réclamait  l'invention  du  système  du  monde  de  Tycho.  Le  pla- 
giat peut  fort  bien  n'exister  ni  d'un  côté  ni  de  l'autre. 


BYRGE. 
(Né  à  Lichtcnstein  en  1549,  "o^^  *"  i632.  ) 


Fut  un  des  plus  habiles  constructeurs  d'instruments  de  Ma- 
thématiques de  son  temps,  et  employé  à  ce  titre  par  le  landgrave 
de  Hesse,  Guillaume  IV,  puis  par  l'Empereur.  Il  passe  pour  être 
l'inventeur  du  compas  de  réduction.  Il  publia,  à  Prague,  en  1620, 
une  table  de  logarithmes  plus  judicieusement  disposée  que  celles 
que  nous  employons  encore  aujourd'hui,  en  ce  qu'il  y  faisait 
croître  les  logarithmes  en  progression  arithmétique,  au  lieu  que, 
dans  nos  tables,  ce  sont  les  nombres  qui  varient  en  progression 
arithmétique,  ce  qui  est  absolument  vicieux. 

Ce  sont  les  logarithmes  hyperboliques  que  Byrge  avait  inscrits 
dans  sa  table;  il  serait  difficile  de  savoir  s'il  avait  eu  connaissance 
de  l'invention  de  Néper. 

L'ouvrage  oîi  Néper  développe  celte  invention  est  de  16 14, 
antérieur,  par  conséquent,  de  six  ans  à  celai  de  Byrge,  ce  qui 
assure  à  Néper  la  priorité.  Mais  il  est  peu  probable  qu'en  six 
années  Byrge  ait  pu  apprendre  l'existence  de  l'ouvrage  du  géo- 
mètre icossais,  étudier  cet  ouvrage,  se  disposer  à  réaliser  l'inven- 
tion qu'il  indiquait,  calculer  effectivement  33  000  nombres  cor- 
respondants à  33  000  logarithmes  en  progression  arithmétique  et 
faire  imprimer  la  table  contenant  le  tout  en  sept  feuilles  et  demie. 


Sixième  Période. 


NEPER    OU    NAPIEK    (JICAN,    BARON    DE    MERCHISTON). 
(No  en  i55o,  mort  en  1617.) 

Il  paraît  avoir  eu  une  existence  très  tranquille,  car  on  n'en 
connaît  aucun  détail.  L'ouvrage  où  il  expose  son  invention  est 
intitulé  :  Lof^arithmorwn  canonis  descriptio^seii  arithmeticorum 
supputât ionum  mirabilis  abbreviatio,  ejusque  iisus  in  utraque 
trigonometria^  ut  etiam  in  omni  logistica  mathematica  amplis- 
simi^facillimi  et  expeditissimi  explicatio,  authore  ac  inyentore 
Joanne  Nepero  barone  Mercliistonii,  Scoto.  Il  est  de  1614. 

Neper,  dans  cet  ouvrage,  n'indiquait  pas  la  méthode  dont  il 
s'était  servi  pour  calculer  les  logarithmes;  il  promettait  seule- 
ment de  la  donner  plus  tard;  mais  la  mort  l'en  empêcha.  C'est 
son  fils  qui  la  fit  connaître  en  publiant,  en  161 8,  le  manuscrit 
laissé  par  son  père,  sous  le  titre  :  Mirifici  logarithmoriim  canonis 
constructio  et  eorum  ad  naturales  ipsorum  numéros  habitudincs 
iina  ciim  appendice  de  alia  eaque  prœstantiori  logarithmorum 
specie  condenda^  etc. 

Les  connaissances  mathématiques  de  Neper  étaient  bien  loin 
d'être  aussi  étendues  qu'on  est  naturellement  porté  à  le  supposer 
par  les  difficultés  apparentes  que  présentait  l'établissement  des 
tables  qu'on  lui  doit;  la  méthode  qu'il  a  suivie  pour  les  construire 
est  extrêmement  ingénieuse,  mais  elle  le  dispensait  de  toute 
théorie.  Non  seulement  Neper  ne  songeait  en  aucune  façon  à  la 
quadrature  de  l'hyperbole  en  calculant  ses  logarithmes,  qu'on  a 
nommés  hyperboliques,  mais  il  lui  eût  même  été  assez  difficile 
d'en  indiquer  ce  que  nous  nommons  la  base  ;  quant  à  en  imaginer 
le  développement  en  série,  il  en  était  encore  plus  éloigné.  Le 
progrès  des  Sciences  a  été  si  rapide  à  partir  de  1600,  que  la  con- 


De  Viète  à  Kepler.  87 


fusion  s'établit  naturellement  quand  on  néglige  de  remonter  aux 
sources.  Voici  le  procédé  qu'employa  Neper  pour  former  la  pro- 
gression géométrique  dont  les  termes  devaient  occuper  l'une  des 
colonnes  de  sa  table.  La  raison  de  cette  progression,  qu'il  faisait 

décroissante,  étant  supposée  i ,  chaque  terme  devait  être  égal 

au  précédent,  diminué  de  sa   m'*^'"^  partie;  le   calcul  n'exigeait 

donc  que  de  simples  soustractions.  Les  progressions  de  Neper 

sont  : 

I        2       3 

G,  -, r>   ---?••• 

lO'       10'       10' 

pour  la  progression  par  différence,  et 

10",   10*  (  I  —  — ^  )î  io"(  I z]  »etc., 

pour  la  progression  par  quotient,  de  sorte  que  le  logarithme 
décroissait  quand  le  nombre  augmentait.  On  voit  que  le  module 
du  système  était,  à  peu  près,  —  i . 

Pour  former  la  table  des  logarithmes  sinus,  Neper  démontrait 
que  log  sin  A  est  compris  entre  (i  —  sin  A)  et  (coséc  A  —  i  ).  En 
conséquence,  pour  calculer  log  sin  A,  il  prenait  les  moyennes 
arithmétique  et  géométrique  entre  (i  —  sin  A)  et  (coséc  A  —  i), 
pour  s'assurer  qu'elles  différaient  peu  Tune  de  l'autre,  et  gardait 
dans  ce  cas  la  moyenne  géométrique  pour  la  valeur  de  log  sin  A. 
Cette  moyenne  géométrique  est   .. 

I  — sin  A 


V/sinA 
elle  n'exigeait  donc  pas  un  calcul  bien  long. 


88  Sixième  Période. 


Neper  avait  à  peine  publié  son  canon  des  logarithmes,  qu'il 
avait  formé  le  projet  d'en  changer  la  disposition,  en  donnant 
l'unité  pour  logarithme  au  nombre  lo. 

Il  paraît  être  le  premier  savant  qui  ait  substitué  le  calcul 
décimal  au  calcul  des  fractions  ordinaires. 

On  connaît  les  analogies  (proportions)  qui  portent  son  nom  et 
qui  servent  à  calculer  les  extrêmes  de  cinq  parties  consécutives 
d'un  triangle  sphérique,  connaissant  les  trois  intermédiaires. 

Neper  eut  le  plaisir  de  voir  son  invention  adoptée  par  Briggs, 
professeur  de  Mathématiques  à  l'Université  d'Oxford,  qui  fit 
exprès  le  voyage  d'Edimbourg  pour  venir  en  conférer  avec  lui 
et  lui  soumettre  ses  idées  pour  l'établissement  des  tables  des 
logarithmes  vulgaires.  Les  calculs  projetés  devaient  exiger  des 
extractions  de  racines  cinquièmes;  Neper  indique  le  moyen  de 
tout  ramener  à  des  racines  carrées. 

Il  est  remarquable  que  l'ouvrage  de  Neper  contient  déjà  les 
idées  de  fluxions,  de  fluentes  et  d'incréments  infinitésimaux;  et 
que  l'auteur,  comme  Newton  devait  le  faire  systématiquement 
plus  tard,  emploie  souvent  dans  ses  explications  des  images  tirées 
de  l'ordre  des  faits  dynamiques. 


J^^e^ 


MiESTLiN  ( Michel). 

(Ne  en  Wurtemberg  en  l55o,  mort  en  i63l) 

Ce  fut  lui  qui,  pendant  un  voyage  en  Italie,  détermina  Ga- 
lilée à  abandonner  le  système  de  Ptoléméc,  pour  adopter  celu  i 
de  Copernic. 

Après  avoir  été  diacre  à  Baknang  (  iSyô),  il  enseigna  les  Ma- 


De  Viète  à  Kepler.  89 


thématiques  à  Heidelberg  (i58o)  et  à  Tubingue  (  i584j.  Il  eut 
Kepler  pour  disciple. 

C'est  lui  qui,  le  premier,  a  donne  Pexplication  de  la  lumière 
cendrée  de  la  Nouvelle  Lune. 

SARPI    (fRA    PAOLO). 
<Né  à  Venise  en  i552,  mort  dans  la  même  ville  en  i623.) 

Son  père,  qui  était  marchand,  ayant  perdu  sa  fortune,  il  entra 
dans  l'ordre  des  Servîtes,  à  Tàge  de  treize  ans.  Il  étudia  le  grec, 
l'hébreu,  la  Théologie,  la  Philosophie,  l'Histoire,  le  droit  public, 
les  Sciences  naturelles,  TAnatomie,  les  Mathématiques  et  l'Astro- 
nomie. Il  a  joué^in  rôle  important  dans  la  République  de  Venise, 
dont  il  était  le  théologien  et  le  jurisconsulte,  notamment  à  l'oc- 
casion des  dissentiments  qui  s'élevèrent  entre  Venise  et  le  pape 
Paul  V.  Il  est  surtout  connu  pour  son  histoire  du  Concile  de 
Trente^  réimprimée  un  grand  nombre  de  fois  et  traduite  dans 
presque  toutes  les  langues. 

Nous  lui  donnons  une  place  dans  cette  Histoire  à  cause  de  son 
affection  pour  Galilée  et  de  la  protection  dont  il  l'entoura.  Il  était 
du  reste  en  relation  avec  tous  les  savants  de  l'Europe;  et  ses  vues, 
qu'il  répandait  libéralement,  n'ont  pas  été  inutiles  au  progrès. 

On  lui  a  attribué  la  découverte  de  la  circulation  du  sang,  dès 
!58o. 

11  tut,  en  1607,  victime  d'un  guct-apens,  qu'on  a  supposé 
avoir  été  dirigé  par  Paul  V,  parce  qu'il  en  avait  combattu  les  pré- 
tentions. 

Depuis  la  guérison  de  ses  blessures,  il  ne  sortit  plus  guère  de 
son  couvent. 


90  Sixième  Période. 


Ses  tunérailles  furent  célébrées  en  grande  pompe  par  le  Gou- 
vernement de  Venise,  et  sa  mort  fut  officiellement  notifiée  à 
toutes  les  puissances. 

BALDI    (bernardin). 

(Né  à  Urbin  en  i553,  mort  en  1617.  ) 

Il  avait  été  élève  de  Commandin.  Sa  famille  voulait  qu'il  se  fît 
médecin,  mais  les  Mathématiques  l'attiraient  invinciblement. 
Il  fut  chargé  de  les  enseigner  à  Fernand  Gonzague,  prince  de 
Mantoue,  puis  fut  nommé  à  l'abbaye  de  Guastalla,  qu'il  aban- 
donna, du  reste,  peu  de  temps  après. 

Il  avait,  à  vingt  ans,  traduit  les  Automates,  de  Héron  l'Ancien. 
Plus  tard  il  étudia  les  langues  orientales  et  donna  des  traductions 
d'un  assez  grand  nombre  d'ouvrages  arabes.  Il  avait  écrit  une 
Histoire  des  Mathématiques ,  qui  est  restée  inédite,  à  l'exception 
de  quelques  fragments,  les  biographies  de  Héron,  de  Vitruve  et 
de  Commandin;  le  manuscrit  est  entre  les  mains  du  prince 
Boncompagni.  Outre  les  Automates  dont  il  avait  donné  la  tra- 
duction dans  sa  Jeunesse,  il  traduisit  plus  tard  les  Machines  de 
guerre. 

Il  apprenait  constamment  de  nouvelles  langues  et  en  savait 
seize  à  la  fin  de  sa  vie. 

VALÉRIO    LUC  A. 

(Ne  vers  i553,  mort  en  1618.) 

11  fut  professeur  de  Mathématiques  à  Rome.  On  a  de  lui  :  De 
centro gravitatis  so lid or um (Rome,  1604),  ouvrage  remarquable 


De  Viète  à  Kepler.  91 


pour  le  temps,  où  l'auteur  détermine  les  centres  de  gravité  de 
tous  les  segments  formés  dans  les  conoïdes  des  anciens,  par  des 
plans  parallèles  à  la  base.  Il  publia  aussi  un  Traité  de  la  quadra- 
ture de  la  parabole  par  une  méthode  différente  de  celle  d'Archi- 
mède.  Ces  deux  ouvrages  ont  été  réimprimés  à  Bologne  en  1 661 . 

MAGINI    (jEAN-ANTOINE). 

(XcàPadoueen  1 555,  mort  à  Bologne  en  1617.) 

Ami  de  Kepler.  Outre  ses  cartes  de  l'Italie,  les  plus  parfaites 
qu'on  eût  vues  encore,  il  a  laissé  un  commentaire  de  Viète,  des 
tables  donnant  pour  tous  les  angles,  de  minute  en  minute,  les 
sinus,  sinus  verses,  tangentes  et  sécantes;  une  Trigonométrie  oti 
Ton  remarque  la  considération  des  triangles  sphériques  supplé- 
mentaires, d'après  Viète,  etoti  les  calculs  commencent  à  prendre 
une  forme  simple,  etc. 

Il  s'était  d'abord  déclaré  grand  admirateur  du  système  de  Co- 
pernic, mais  finit  par  traiter  ses  hypothèses  d'absurdes. 

Il  professa  pendant  longtemps  l'Astronomie  à  l'Université  de 
Bologne. 

HENRI    BRIGGS. 
(Né  dans  le  Yorkshir'e  vers  i556,  mort  à  Oxford  en  i63û. 

Professeur  d'Astronomie  à  Oxford  et  de  Géométrie  au  collège 
de  Gresham,  fondé  à  Londres  en  1 596  par  le  chevalier  de  ce  nom, 
Briggs  est  surtout  connu  par  ses  tables  de  logarithmes  vulgaires 
infiniment  plus  étendues  que  celles  qu'avait  laissées  Néper,  et 
qui  constituent  un  travail  gigantesque. 


02  Sixième  Période. 


Ces  tables  devaient  contenir  les  logarithmes  des  nombres  de 
I  à  100  000  avec  quatorze  décimales  et  les  logarithmes  des  sinus 
et  tangentes  de  tous  les  arcs  de  centièmes  en  centièmes  de  degré. 
Briggs  avait  beaucoup  avancé  le  travail,  mais  la  table  qu'il  publia 
sous  le  titre  :  Arithmetica  logarithmica  ne  contenait  que  les 
logarithmes  des  nombres  de  i  à  20000  et  de  90000  à  100  000. 
Henri  Gellibrand  acheva  le  travail,  et  publia  ses  tables  de  sinus 
et  tangentes  en  i633,sousle  titre  de  Trigonometria  Britan- 
nica. 

En  même  temps  Gunther,  professeur  comme  Briggs  au  collège 
de Gresham,  publiait  en  1620,  sous  le  titre  de  Canon  of  triangles, 
les  logarithmes  des  sinus  et  tangentes  de  tous  les  £rcs,  de  minutes 
en  minutes,  avec  sept  décimales. 

Outre  son  Arithmetica  logarithmica  (Londres,  1624),  on  a  de 
Briggs  une  Trigonométrie  (i63o),  des  Tables  pour  le  perfec- 
tionnement de  la  navigation  et  une  Table  ponr  trouver  la  hau- 
teur du  pôle. 

^^ 

HARRIOr    ( THOMAS). 
(Né  à  Oxford  en  i56o,  mort  à  Londres  en  162 1.) 

Après  avoir  pris  le  grade  de  maître  es  arts  en  iSyg,  il  accom- 
pagna Walther  Raleigh  en  Virginie.  Peu  après  son  retour,  le  duc 
de  Northumberland  se  l'attacha,  lui  donna  un  logement  dans  son 
château  du  comté  de  Sussex  et  lui  assura  une  pension  de 
7500  livres.  C'est  près  du  duc  de  Northumberland  que  Harriot 
passa  le  reste  de  ses  jours. 

Ses  recherches  analytiques  sont  consignées  dans  son  Artis 
analyticœ  praxis  qui  ne  fut  publié  qu'en  i63 1 ,  par  les  soins  de 


De  Viète  à  Kepler.  93 


Walther  Warner,  son  ami,  et  commensal,  comme  lui,  du  duc  de 
Northumberland. 

Harriot  a  le  premier  transporté  d'un  même  côté  tous  les  termes 
d*une  équation. 

Il  fait  très  nettement  la  remarque  qu'une  équation  a  autant 
de  racines  qu'il  y  a  d'unités  dans  son  degré  et  qu'on  forme  une 
équation,  connaissant  ses  racines,  en  faisant  le  produit  des  diffé- 
rences entre  l'inconnue  et  ces  racines.  Il  en  conclut  que,  si  l'équa- 
tion a  des  racines  entières,  ces  racines  sont  des  diviseurs  du  der- 
nier terme. 

Harriot  avait  une  idée  des  racines  négatives,  mais  il  les  rejetait. 
Il  les  qualifiait  de  privatives^  pour  exprimer  que  leur  présence 
réduisait  le  nombre  des  façons  dont  l'équation  pouvait  être 
expliquée. 

WRIGHT  (EDWARD ). 

(Né  vers  l56o,  mort  vers  i6l3.) 

Ami  et  collaborateur  de  Briggs,  inventeur  du  canevas  des 
cartes  dites  réduites,  ou  à  latitudes  croissantes,  dont  se  servent 
les  navigateurs. 

Après  avoir  achevé  ses  études  à  Cambridge,  il  accompagna  en 
1 389  le  comte  G.  de  Cumberland,  dans  son  expédition  aux  Aço- 
res.  C'est  durant  ce  voyage  que,  reconnaissant  l'insuffisance  et 
l'inexactitude  des  cartes  jusque-là  employées  dans  la  marine,  il 
eut  l'idée,  en  continuant  à  représenter,  comme  Mercator,  les  mé- 
ridiens par  des  droites  parallèles  entre  elles  et  équidistantes,  de 
figurer  les  parallèles    par  des  perpendiculaires  aux  méridiens, 


94  Sixième  Période. 


menées  à  des  distances  telles  les  unes  des  autres,  que  le  rapport 
des  longueurs  d'arcs  semblables  de  chaque  parallèle  et  du  méri- 
dien fût  exactement  conservé  dans  le  dessin,  de  façon  que  la  di- 
rection de  la  droite  joignant  deux  points  suffisamment  voisins 
de  la  carie  correspondît  exactement  à  l'orientation  de  l'arc  mené 
entre  les  deux  lieux  correspondants  sur  la  surface  de  la  terre. 

Il  expose  cette  nouvelle  méthode  dans  un  ouvrage  intitulé  : 
Errours  in  navigation  detected ajid  corrected.quïparutQn  1599. 

Il  s'adonna  alors  tout  à  fait  à  l'Astronomie  et  devint  pré- 
cepteur du  prince  Henri,  pour  qui  il  fit  construire  une  grande 
sphère  mécanique,  que  l'on  conserve  encore  en  Angleterre,  et  où 
les  mouvements  du  Soleil  et  de  la  Lune  étaient  si  bien  reproduits 
qu'on  pouvait,  dit-on,  y  observer  leurs  éclipses,  pour  une  période 
de  17000  ans. 

11  a  laissé  divers  ouvrages  sur  la  Sphère  et  la  navigation. 

Il  fut  l'un  des  premiers  admirateurs  et  promoteurs  de  la  théorie 
nouvelle  des  logarithmes,  et  se  mit  courageusement  à  en  dresser 
des  tables,  que  son  fils  a  publiées  après  sa  mort. 

PITISCUS  (  BARTHÉLÉMY  ) . 

(Ne  près  de  Grunberg  vers  i56i,  mort  à  Hcidclberg  en  i6l3.) 

D'abord  précepteur  de  Frédéric  IV,  électeur  palatin,  il  devint 
plus  tard  son  théologal. 

Il  fit  d'importantes  additions  aux  tables  que  Rhéticus  avait 
laissées  manuscrites,  et  obtint,  de  concert  avec  Adrien  Romain,  que 
Jonas  Rose  en  entreprît  la  publication  à  ses  frais.  C'est  là  la 
principale  obligation  qu'on  lui  doit. 


Dé  Viète  à  Kepler.  gb 


Il  a  laissé  un  ouvrage  intitulé  :  Trigonometriœ  libriquinque, 
item problematum  variorum  libri  decem  (Heidelberg,  iSgS)  dont 
la  troisième  édition  est  de  1612.  Il  dit  dans  sa  préface  que  rien 
n'est  plus  propre  à  adoucir  les  mœurs  que  l'étude  de  l'Astronomie  : 
«  Bon  Dieu  I  quel  ornement  que  la  douceur  et  qu'il  est  rare  chez 
les  théologiens.  Combien  ne  serait-il  pas  à  souhaiter  que  les  théo- 
logiens de  ce  siècle  fussent  astronomes  et  mathématiciens,  c'est- 
à-dire  doux  et  faciles  ù  vivre  »  ! 

Il  suivait  la  doctrine  de  Copernic,  mais  sans  prendre  directe- 
ment parti  pour  le  mouvement  de  la  Terre. 

BACON  (FRANÇOIS,  LORD  DE  VÉRULAM) 

(Né  à  Londres  en  i56i,  mort  en  1626.) 

Il  entra  à  treize  ans  à  l'université  de  Cambridge  et  la  quitta  à 
seize,  assez  peu  satisfait  de  ce  qui  s'y  enseignait;  il  fit  une 
excursion  en  France  et  rentra  à  l'Ecole  de  Gray's  Jun  pour  y 
étudier  le  droit. 

Nous  ne  raconterons  pas  les  tristes  péripéties  de  sa  vie  en  quête 
d'emploi  sous  Elisabeth,  de  son  inféodation  au  comte  d'Essex, 
favori  de  la  reine,  et  de  son  ingratitude  envers  lui,  de  son  avène- 
ment au  ministère  sous  Jacques  I",  sous  la  présidence  de  Buc- 
kingham,  dans  les  bonnes  grâces  de  qui  il  avait  su  se  glisser, 
comme  il  avait  fait  pour  le  comte  d'Essex,  de  son  élévation  à  la 
pairie  sous  le  titre  de  lord  de  Vérulam;  non  plus  que  de  sa  chute 
méritée  par  une  longue  suite  de  concussions  effrontées. 

On  serait  presque  tenté  de  regretter  que  la  Science  et  la  Philo- 
sophie aient  pu  se  faire  un  gîte  dans  le  même  esprit  où  régnait  en 


q6  Sixième  Période. 


maîtresse  Tambition  du  pouvoir,  alimentée  par  le  dessein  d'en 
exprimer  toutes  les  jouissances  les  plus  abusives. 

La  réputation  de  Bacon  commença  avec  la  publication  des 
Essais  de  morale  et  de  politique  (1547),  4^i  ^^^  puissamment 
contribué  à  former  la  langue  anglaise. 

Il  fit  paraître  en  i6o5  son  Traité  de  la  valeur  et  de  l avance- 
ment de  la  Science  divine  et  humaine,  première  forme  de  Touvrage 
célèbre  De  dignitate  et  aiigmentis  scientiarum^  où  il  passe  en 
revue  toutes  les  parties  de  la  science,  pour  en  montrer  les  lacunes 
et  indiquer  les  nouvelles  recherches  à  tenter. 

Son  Novum  organum^  celui  de  ses  ouvrages  auquel  il  atta- 
chait le  plus  de  prix,  est  de  1620.  Il  avait  été  précédé  de  plu- 
sieurs opuscules  qui  s'y  trouvent  fondus.  C'estun  nouveau  guide 
qu'il  propose  pour  remplacer  VOrganon  d'Aristote. 

Voici  les  découvertes  ou  aperçus  dont  on  peut  faire  honneur  à 
Bacon  :  l'influence,  diminuée  par  la  distance,  que  la  terre  exerce 
sur  les  corps  étrangers;  l'influence  de  la  Lune  sur  les  marées; 
l'explication  des  couleurs  des  corps  par  la  manière  dont  ils  ré- 
fléchissent la  lumière;  une  expérience  sur  l'incompressibilité  des 
liquides  ;  diverses  expériences  sur  les  densités  des  corps,  la  pe- 
santeur et  l'élasticité  de  l'air,  la  dilatation  parla  chaleur;  enfin 
cette  vue  remarquable  que  la  chaleur  des  corps  tient  à  un  mode 
de  mouvement  des  particules  qui  les  composent. 

Les  ouvrages  de  Bacon  ont  produit  une  impression  profonde 
dont  on  trouve  la  trace  dans  les  écrits  des  grands  hommes  qui 
occupèrent  après  lui  les  fonctions  de  directeurs  de  l'humanité.  En 
voici  quelques  preuves  : 

Gassendi  :  Par  une  résolution  vraiment  héroïque,  Bacon  a  osé 
s'ouvrir  une  route  inconnue;  on  peut  espérer,  s'il  persiste  avec 


De  Viète  à  Kepler.  97 


vaillance  dans  son  entreprise,  qu'il  fondera  et  nous  donnera  enfin 
une  philosophie  nouvelle  et  parfaite. 

Descartes  {Lettre  au  P.  Mersenne)  :  Vous  désirez  savoir  un 
moyen  de  faire  des  expériences  utiles.  Sur  cela  je  n'ai  rien  à  dire 
après  ce  que  Verulamius  en  a  écrit. 

HooKE  :  Personne,  excepté  ï incomparable  Verulam,  n'a  eu 
quelque  idée  d'un  art  pour  la  direction  de  l'esprit  dans  les  re- 
cherches de  la  science. 

Leienitz  :  C'est  Y  incomparable  Verulamius  qui,  des  divaga- 
tions aériennes  et  même  de  l'espace  imaginaire,  rappela  la  philo- 
sophie sur  cette  terre  et  à  l'utilité  de  la  vie. 

Vico  :  On  ne  saurait  assez  louer  le  grand  philosophe  Bacon 
de  Verulam  d'avoir  enseigné  aux  Anglais  la  méthode  et  l'usage 
de  l'induction. 

Horace  Walpole  :  Bacon  a  été  le  prophète  des  choses  que 
Newton  est  venu  révéler  aux  hommes. 

Voltaire  (Lettre  sur  les  Anglais]  :  On  sait  comment  Bacon 
fut  accusé  d'un  crime  qui  n'est  guère  d'un  philosophe,  de  s'être 
laissé  corrompre  par  argent...  Aujourd'hui,  les  Anglais  vénèrent 
sa  mémoire  au  point  qu'à  peine  avouent-ils  qu'il  ait  été  cou- 
pable. Si  on  me  demande  ce  que  j'en  pense,  je  me  servirai,  pour 
répondre,  d'un  mot  que  j'ai  ouï  dire  à  lord  Bolingbroke.  On 
parlait  en  sa  présence  de  l'avarice  dont  le  duc  de  Marlborough 
avait  été  accusé,  et  on  en  citait  des  traits  sur  lesquels  on  en 
appelait  au  témoignage  de  lord  Bolingbroke  qui,  ayant  été  d'un 
parti  contraire,  pouvait,  peut-être,  avec  bienséance,  dire  ce  qui 
en  était  :  «  C'était  un  si  grand  homme,  répondit-il,  que  j'ai 
oublié  ses  vices.  »  Je  me  bornerai  donc  à  parler  de  ce  qui  a  mé- 
rité au  chancelier  Bacon  l'estime  de  l'Europe.  Le  plus  singulier 
M.  Marie.  —  Histoire  des  Sciences,  III.  7 


gS  Sixième  Période, 


et  le  meilleur  de  ses  ouvrages  est  celui  qui  est  aujourd'hui  le 
moins  lu,  je  veux  parler  de  son  Novum  organum.  C'est  Técha- 
faud  avec  lequel  on  a  bâti  la  nouvelle  Philosophie;  et  quand  cet 
édifice  a  été  élevé,  au  moins  en  partie,  Féchafaud  n'a  plus  été 
d'aucun  usage.  Le  chancelier  Bacon  ne  connaissait  pas  encore 
la  nature_,  mais  il  savait  et  indiquait  tous  les  chemins  qui  mè- 
nent à  elle.  Il  avait  méprisé  de  bonne  heure  ce  que  des  fous  en 
bonnet  carré  enseignaient  sous  le  nom  de  Philosophie  dans  les 
petites  maisons  appelées  collèges;  et  il  faisait  tout  ce  qui  dépen- 
dait de  lui  afin  que  ces  compagnies,  instituées  pour  la  perfection 
de  la  raison^  ne  continuassent  pas  de  la  gâter  par  leurs  qiiiddiîés^ 
leurs  horreurs  du  vide^  leurs  formes  substantielles,  et  tous  ces 
mots  que  non  seulement  l'ignorance  rendait  respectables,  mais 
qu'un  mélange  ridicule  avec  la  religion  avait  rendus  sacrés... 
Personne,  avant  lui,  n'avait  connu  la  Philosophie  expérimentale; 
et,  de  toutes  les  expériences  qu'on  a  faites  depuis,  il  n'y  en  a 
presque  pas  une  qui  ne  soit  indiquée  dans  son  livre.  Peu  de 
temps  après,  la  Physique  expérimentale  commença  tout  d'un 
coup  à  être  cultivée  à  la  fois  dans  presque  toutes  les  parties  de 
l'Europe.  C'était  un  trésor  caché  dont  Bacon  s'était  douté,  et  que 
tous  les  philosophes,  encouragés  par  sa  promesse,  s'efforcèrent 
de  déterrer. 

D'Alembert  [Discours  préliminaire  de  V Encyclopédie]  :  A 
considérer  les  vues  saines  et  étendues  de  Bacon,  la  multitude 
d'objets  sur  lesquels  son  esprit  s'est  porté,  la  hardiesse  de  son 
style,  qui  réunit  partout  les  plus  sublimes  images  avec  la  préci- 
sion la  plus  rigoureuse,  on  serait  tenté  de  le  regarder  comme  le 
plus  grand,  le  plus  universel  et  le  plus  éloquent  des  philosophes. 
Bacon,  né  dans  le  sein  de  la  nuit  la  plus  profonde,  sentit  que  la 


De  Viète  à  Kepler.  99 


Philosophie  n'était  pas  encore,  quoique  bien  des  gens  sans  doute 
se  flattassent  d'y  exceller...  Il  commença  donc  par  envisager  d'une 
vue  générale  les  divers  objets  de  toutes  les  Sciences  naturelles  ;  il 
partagea  ces  Sciences  en  différentes  branches  dont  il  fit  l'énumé- 
ration  la  plus  exacte  qui  lui  fut  possible;  il  examina  ce  que  Ton 
savait  déjà  sur  chacun  de  ces  objets  et  fit  le  catalogue  immense 
de  ce  qui  restait  à  découvrir.  C'est  le  but  de  son  admirable  ou- 
vrage De  la  dignité  et  de  l accroissement  des  connaissances  hu- 
maines. Dans  son  Novum  organum,  il  perfectionne  les  vues  qu'il 
avait  données  dans  le  premier  ouvrage;  il  les  porte  plus  loin,  et 
fait  connaître  la  nécessité  de  la  Physique  expérimentale  à  laquelle 
on  ne  pensait  point  encore.  Ennemi  des  systèmes,  il  n'envisage 
la  Philosophie  que  comme  cette  partie  de  nos  connaissances  qui 
doit  contribuer  à  nous  rendre   meilleurs  ou   plus  heureux  :  il 
semble  la  borner  à  la  science  des  choses  utiles,  et  recommande 
partout  l'étude  de  la  nature.  Ses  autres  écrits  sont  formés  sur  le 
même  plan.  Tout,  jusqu'à  leurs  titres,  y  annonce  l'homme  de 
génie,  Tesprit  qui  voit  en  grand.  Il  y  recueille  des  faits,  il  y  com- 
pare des  expériences,  il  en  indique  un  grand  nombre  à  faire;  il 
invite  les  savants  à  étudier  et  à  perfectionner  les  arts  qu'il  re- 
garde comme  la  partie  la  plus  relevée  et  la  plus  essentielle  de  la 
science  humaine;  il  expose  avec  une  simplicité  noble  ses  conjec- 
tures et  ses  pensées  sur  les  différents  objets  dignes  d'intéresser  les 
hommes,  et  il  eût  pu  dire,  comme  ce  vieillard  de  Térence,  que 
rien  de  ce  qui  touche  à  l'humanité  ne  lui  était  étranger.  Science 
de  la  nature,  morale,  politique,  économique,  tout  semble  avoir 
été  du  ressort  de  cet  esprit  lumineux  et  profond,  et  on  ne  sait  ce 
qu'on  doit  le  plus  admirer  ou  des  richesses  qu'il  répand  sur  tous 
les  sujets  qu'il  traite,  ou  de  la  dignité  avec  laquelle  il  en  parle. 


Sixième  Période. 


Reid  :  Après  que  les  hommes  curent  travaillé  à  la  recherche  de 
la  vérité  pendant  deux  mille  ans  avec  l'aide  du  syllogisme,  lord 
Bacon  proposa  la  méthode  de  l'induction  comme  un  instrument 
plus  puissant.  Son  Novum  organurn  peut  être  considéré  comme 
une  seconde  grande  ère  dans  le  progrès  de  la  raison  humaine. 

Laplace  :  Le  chancelier  Bacon  a  donné,  pour  la  recherche  de 
la  vérité,  le  précepte  et  non  l'exemple.  Mais,  en  insistant  avec 
toute  la  force  de  la  raison  et  de  l'éloquence  sur  la  nécessité  d'a- 
bandonner les  subtilités  insignifiantes  de  l'école  pour  se  livrer 
aux  opérations  et  aux  expériences,  et  en  indiquant  la  vraie  mé- 
thode de  s'élever  aux  causes  générales  des  phénomènes,  ce  grand 
philosophe  a  contribué  aux  progrès  immenses  que  l'esprit  humain 
û  réaUsés  dans  le  beau  siècle  où  il  a  terminé  sa  carrière. 

Les  œuvres  de  Bacon,  dont  une  partie  seulement  avaient  é: 
publiées  de  son  vivant,  n'ont  été  réunies  qu'un  siècle  après  sa 
mort.  Les  éditions  les  plus  estimées  qui  en  aient  été  faites  sont  : 
celle  de  1 7 3o  (Londres,  4  vol.  in-fol.);  celle  de  1740  (Londres, 
4  vol.  in-fol.);  celle  de  1765  (Londres,  5  vol.  in-4")  ;  enfin,  celle 
de  i825-36  (Londres,  12  vol.  in-8*^),  la  plus  complète  de  toutes, 
avec  une  traduction  anglaise  des  œuvres  latines  et  avec  des  éclair- 
cissements de  tout  genre.  M.  Bouillet  a  donné  une  édition  des 
Œuvres  philosophiques  de  Bacon  {}  vol.  in-8%  Paris,  1 834-35). 
C'est  la  première  qui  ait  paru  en  France.  Plusieurs  des  ouvrages  de 
Bacon  avaient  été  traduits,  de  son  vivant  même,  en  français  ou 
en  d'autres  langues,  A  la  fin  du  dernier  siècle,  Lasalle,  aidé  des 
secours  du  gouvernement,  fit  paraître,  de  l'an  VIII  à  l'an  XI 
(i8ou-i8o3),  en  i5  vol.  in-8°,  les  Œuvres  de  F.  Bacon,  chance- 
lier d'ClngleterrCj  traduites  en  français,  avec  des  notes  criti- 
ques, historiques  et  littéraires. 


De  Viète  à  Kepler. 


DE  LANSBERG  OU   LANSBÊRG    DE   MEULABEECKE. 

(Né  è'Gand  en  i56i,  mort  en  i632.) 

» 

Fut  élevé  en  Angleterre,  où  s'étaient  réfugiés  ses  parents  chassés 
des  Pays-Bas  par  la  persécution  contre  les  protestants.  11  rentra 
plus  tard  dans  sa  patrie,  devint  ministre  à  Anvers,  mais  dut 
quitter  cette  ville  lorsqu'elle  retomba  au  pouvoir  de  Philippe  II. 
Il  se  réfugia  alors  en  Zélande. 

Il  a  publié  un  grand  nombre  d'ouvrages  de  Mathématiques  et 
d'Astronomie,  mais  qui  ne  présentent  pas  un  grand  intérêt, 
excepté  une  Trigonométrie  où  l'on  trouve  quelques  modes  heu- 
reux de  démonstration.  Kepler  dit  s'être  servi  avantageusement 
des  tables  trigonométriques  de  Lansberg. 

^^ 

ROMAIN    (aDRIEN). 
(Né  à  Louvain  en  i56i,  mort  à  Mayencc  en  i6i3.) 

Il  professa  à  Louvain  la  Médecine  et  les  Mathématiques  et 
publia  en  1609,  sous  le  titre  ;  oAdriani  Romani  canon  triangu- 
lorum  sphœricorum,  brevissimus  simul  ac  facillimus,  un  traité 
où  il  se  proposait  de  réduire  le  nombre  énorme  de  cas  que  ses  pré- 
décesseurs avaient  considérés.  11  en  distinguait  toutefois  encore 
dix-sept.  Mais  Viète  venait,  peu  avant,  d'effectuer  la  réduction 
totale. 


^3^^ 


Sixième  Période, 


LONGOMONTANUS    ( CHRISTIAN). 
(Né  dans  le  Jutland  en  1564,  mort  à  Copenhague  en  1647.) 

Fut  élève  de  Tycho-Brahé,  près  de  qui  il  passa  huit  années  et 
qu'il  aida  dans  la  plupart  de  ses  travaux,  notamment  pour  la 
confection  de  son  catalogue  d'étoiles  et  pour  sa  théorie  de  la 
Lune. 

A  son  retour  dans  sa  patrie,  il  obtint  la  chaire  de  hautes  Mathé- 
matiques à  Copenhague.  Son  principal  ouvrage  est:  C^5/rowomza 
i)aw/c^,  qui  a  eu  trois  éditions  de  1622  à  1640.  La  théorie  des 
planètes  y  est  exposée  dans  les  trois  systèmes  de  Ptolémée,  de  Co- 
pernic et  de  Tycho.  Celle  de  la  Lune  est  conforme  aux  idées  et 
aux  découvertes  de  Tycho.  Il  admettait  l'existence  du  mouve- 
ment diurne  de  la  Terre,  mais  rejetait  le  mouvement  de  transla- 
tion. Il  a  connu  les  découvertes  de  Kepler,  mais  n'en  a  pas  tenu 
compte.  Halley  le  lui  reproche  avec  raison;  toutefois  il  est  juste 
d'observer  qu'avant  New^ton,  le  système  tout  géométrique  de 
Kepler  n'avait  pas  encore  reçu  sa  consécration  définitive,  et  que 
Kepler,  dont  au  reste  Longomontanus  ne  parle  qu'avec  la  plus 
grande  estime,  avait  publié  bien  des  folies  avant  sa  théorie  de 
Mars. 


^J^ie^ 


Gaulée. 

(Ne  à  Pisc  en  1564,  mort  à  Arcetri,  près  de  Florence,  en  1042.) 

Ses  ancêtres  avaient  porté  le  nom  de  Bonajuti;  l'un  d'eux, 
Galileo  Bonajuti,  médecin  distingué,  devint  gonfalonier  de 
justice  de  la  République  de  Florence;  il  se  fit  appeler  Galileo  dei 


De  Viète  à  Kepler.  io3 


Galilei  et  ses  descendants  adoptèrent  ce  nouveau  nom  de  famille. 
Galilée  ne  porta  jamais  que  le  nom  de  Galileo  Galilei. 

Son  f)ère  et  sa  mère  habitaient  ordinairement  Florence,  mais 
c'est  à  Pise,  où  son  père  remplissait  sans  doute  une  mission  tem- 
poraire, qu'il  naquit,  le  i8  février  1564. 

Son  père,  Vincenzo  Galileo,  était  très  versé  dans  les  littératures 
grecque  et  latine,  il  savait  un  peu  de  Mathématiques  et  connais- 
sait la  théorie  de  la  Musique,  sur  laquelle  il  a  écrit  des  ouvrages 
estimés  de  son  temps. 

Vincenzo  présida  à  l'instruction  première  de  son  fiis  et  lui 
communiqua  ses  goûts  pour  la  littérature  et  les  Arts.  Galilée  dut 
une  partie  de  ses  succès  à  son  talent  d'écrivain  et  puisa,  durant 
toute  sa  vie,  de  douces  joies  dans  la  culture  de  la  Musique  et  de 
la  Peinture,  011  il  eût  pu  exceller,  si  son  génie  scientifique  ne 
l'avait  emporté  vers  de  plus  hautes  destinées. 

Quoique  les  ressources  de  Vincenzo  fussent  bien  bornées,  il  se 
résolut  néanmoins  à  tous  les  sacrifices  pour  donner  à  son  fils  aîné, 
Galilée,  une  éducation  qui  lui  permît  de  se  faire  un  nom  et 
d'atteindre  à  une  position  d'où  il  pourrait  venir  en  aide  à  ses 
deux  frères  et  à  ses  trois  sœurs.  Son  espoir  fut  exaucé,  car  Galilée 
fut  pour  eux  une  providence. 

Galilée  avait  à  peu  près  seize  ans  lorsque  son  père  se  décida  à 
l'envoyer  à  l'Université  de  Pise,  pour  y  suivre  les  cours  de  philo- 
sophie et  aborder  ensuite  l'étude  de  la  Médecine.  On  appelait  alors 
P/zz7o5qp/ife  l'ensemble  des  Sciences  physiques  et  naturelles,  ensei- 
gnées d'après  Aristote,  dans  l'état  à  peu  près  où  il  les  avait  laissées. 
Non  seulement  Aristote  n'avait  pas  toujours  bien  vu  les  faits  qu'il 
avait  décrits,  mais  de  nouvelles  observations  en  grand  nombre 
avaient  été  recueillies  depuis  l'antiquité  ;  cependant  les  maîtres  se 


1 04  Sixième  Période. 


bornaient  alors  strictement  à  la  doctrine  péripatéticienne.  Quant 
à  la  méthode,  elle  consistait  à  rechercher,  dans  des  raisonnements 
abstraits,  bâtis  sur  des  hypothèses  imaginées  exprès,  des  démons- 
trations des  faits,  vrais  ou  faux,  sans  jamais  recourir  à  l'expé- 
rience. Cette  méthode  a  régné  encore  longtemps  à  peu  près  seule 
dans  le  domaine  de  la  Physique.  Ce  sont  les  chimistes  qui  ont 
montré  aux  physiciens  la  marche  à  suivre  dans  l'étude  de  la 
nature. 

Galilée  paraît  avoir,  dès  le  principe,  refusé  toute  confiance  à 
ses  maîtres;  bientôt  il  en  vint  à  les  contredire. 

Il  avait  à  peine  19  ans  lorsqu'il  fit  sa  première  grande  décou- 
verte. Un  jour,  dans  la  cathédrale,  ses  yeux  rêveurs  se  portèrent 
sur  une  lampe  suspendue  à  la  voûte,  et  à  laquelle  le  sacristain, 
en  l'allumant,  venait  de  communiquer  un  mouvement  oscilla- 
toire. Galilée  crut  remarquer  que  les  oscillations  conservaient  la 
même  durée,  bien  que  leur  amplitude  diminuât  peu  à  peu; 
n'ayant  pas  d'autre  chronomètre  à  sa  disposition,  il  se  servit  des 
battements  de  son  pouls,  pour  vérifier  l'exactitude  du  fait.  Cette 
observation  paraît  lui  avoir  inspiré  dès  lors  l'idée  d'appliquer  le 
pendule  à  la  mesure  du  temps  ;  il  y  revint  plusieurs  fois  dans  la 
suite,  mais  ne  put,  je  crois,  la  réaliser,  n'ayant  pas  trouvé  le 
moyen,  imaginé  seulement  par  Huyghens,de  restituer  sa  vitesse 
au  pendule^  à  mesure  qu'elle  se  perdait. 

Galilée  commença  vers  cette  époque  ses  études  médicales,  que 
son  père  le  pressait  d'aborder  et  auxquelles  il  lui  recommandait 
de  consacrer  tous  ses  soins;  mais,  soit  que  ces  nouvelles  études  ne 
satisfissent  pas  son  esprit  positif,  soit  qu'il  lui  répugnât  de  se 
destiner  à  la  pratique  d'un  art  où  se  mêlait  alors  nécessairement 
beaucoup  de  charlatanisme,  il  ne  put  prendre  sur  lui  de  satisfaire 


De  vote  à  Kepler.  !o3 


complètement  son  père,  et  se  trouva  bientôt  emporté  dans  une 
autre  voie. 

Il  désirait  beaucoup  être  initié  aux  Mathématiques  et' une 
circonstance  fortuite  lui  en  procura  l'accès  :  la  cour  de  Toscane 
se  trouvant  momentanément  à  Pise,  Ricci,  professeur  de  Mathé- 
matiques des  pages,  y  donnait  ses  leçons  de  Géométrie.  Galilée  s'y 
introduisit  et  se  fit  remarquer  du  maître,  qui  lui  conseilla  la 
lecture  méthodique  des  Éléments  d'Euclide  et  l'aida  à  se  les 
rendre  familiers  ;  Ricci  lui  fit  ensuite  cadeau  des  œuvres  d'Archi- 
mède  que  Galilée  s'assimila  avec  la  même  facilité.  Telle  est,  du 
moins,  la  version  de  Gherardini. 

D'après  Viviani,  Ricci  était  lié  avec  le  père  de  Galilée,  dont  il 
connaissait  les  intentions,  et  il  n'aurait  reçu  qu'avec  réserves  les 
avances  du  fils.  Mais,  surpris  des  premiers  succès  obtenus  par 
son  élève,  il  en  aurait  informé  Vincenzo,  qui  aurait  répondu  en 
priant  son  ami  Ricci  de  cesser  ses  leçons.  Galilée  aurait  alors 
poursuivi  seul  la  lecture  d'Euclide  et  se  le  serait  si  bien  assi- 
milé que  Ricci  aurait  cru  devoir  intervenir  de  nouveau  près  de 
Vincenzo,  pour  obtenir  pour  son  fils  la  liberté  de  se  livrer 
entièrement  à  ses  goûts,  ce  qui  aurait  été  accordé. 

On  croit  que  c'est  la  lecture  du  Traité  des  corps  portés  sur  un 
fluide  qui  inspira  à  Galilée  Tidée  de  la  balance  hydrostatique^ 
dont  il  enseigna  l'usage,  pour  la  détermination  des  densités,  dans 
un  ouvrage  qui  ne  fut  publié  que  beaucoup  plus  tard,  mais  dont 
il  communiqua  des  copies  à  diverses  personnes,  entre  autres  à 
Guido  Ubaldi  del  Monte  (M.  Favaro  écrit  Guidobaldo)  ('). 

Guido  Ubaldi,  frappé  du  mérite  de  cet  ouvrage,  se  déclara  le 

(•)  Galileo  Galilei  c  lo  studio  di  Padova.  Firenze,  i883,  2  vol.  in-8. 


io6  Sixième  Période. 


protecteur  de  Galilée,  qu'il  présenta  aussitôt  à  son  frère,  le  cardinal 
del  Monte. 

Celui-ci  s'empressa  de  recommander  le  jeune  physicien  à  Fer- 
dinand de  Mcdicis,  grand-duc  régnant  de  Toscane,  et  Galilée 
obtint  en  1 589,  à  l'âge  de  vingl-cinq  ans,  la  chaire  de  Mathéma- 
tiques à  l'Université  de  Pise,  où  il  était,  pour  ainsi  dire,  encore 
étudiant,  n'ayant  pu,  faute  d'argent,  se  faire  recevoir  docteur. 

Le  cardinal  del  Monte  ne  cessa  depuis  lors  de  lui  donner  les 
témoignages  de  la  plus  vive  afifecticn  et  d'un  entier  dévoue- 
ment. 

Le  traitement  attaché  à  la  chaire  de  Mathématiques  était  bien 
inférieur  à  celui  que  recevaient  les  autres  professeurs  de  la  même 
Université;  il  ne  se  montait  qu'à  soixante  écus,  à  peu  près  un 
franc  par  jour;  mais  Galilée  n'hésita  pas  à  accepter,  comptant 
que  son  titre  de  professeur  ne  manquerait  pas  de  lui  attirer  des 
élèves. 

Il  se  fit  bientôt  remarquer  par  les  tendances  pratiques  de  son 
esprit  et  par  son  éloignement  pour  les  vagues  dissertations  qui 
tenaient  alors  lieu  de  preuves,  aux  faits  même  les  plus  imagi- 
naires. Il  rejeta  hautement  toutes  les  autorités  autres  que  l'expé- 
rience. 

Les  lois  du  mouvement  des  corps  soumis  à  l'action  de  la  pesan- 
teur furent  l'objet  de  ses  premières  recherches;  il  démontra  par 
des  expériences  publiques,  faites  du  haut  de  la  tour  penchée,  les 
erreurs  énormes  de  la  doctrine  enseignée  avant  lui,  et  formula 
les  lois  vraies  de  la  chute  des  graves.  Ces  découvertes  étaient 
expliquées  par  le  professeur,  dans  ses  cours,  et  devenaient  ainsi 
publiques,  mais  Galilée  ne  publia  ses  théories  mécaniques  que 
sur  la  fin  de  sa  vie,  en  i638,  dans  les  Discorsi  Mathematiche 


De  vote  à  Kepler,  107 


intorno  a  due  nuove  Science,  imprimés  à  Leyde  par  les  Elzeviers. 
Galilée  a  fait  connaître  la  plupart  de  ses  découvertes,  avec  le 
même  abandon  ;  aussi  a-t-ii  été  exposé  aux  tentatives  de  corcaires 
qui  osaient  ensuite  l'accuser  de  plagiat. 

Ses  expériences  publiques  sur  la  chute  des  corps,  faites  devant 
ses  collègues  à  l'Université,  qui  enseignaient  par  exemple  qu'un 
corps  dix  fois  plus  lourd  doit,  dans  le  même  temps,  parcourir  un 
chemin  dix  fois  plus  grand,  lui  avaient  fait  de  ses  anciens  maîtres 
des  ennemis  irréconconciliables;  la  franchise  que  montra  Galilée 
envers  un  fils  naturel  de  Côme  I",  qui  avait  soumis  à  son 
examen  un  projet  ridicule  de  machine  à.draguer,  acheva  de  lui 
rendre  intenable  sa  position  à  l'Université  de  Pise.  Au  moment 
d'être  congédié,  Galilée  se  retira  à  Florence.  Heureusement  la 
chaire  de  Mathématiques  se  trouvait  vacante  à  l'Université  de 
Padoue.  Galilée  se  rendit  à  Venise  pour  chercher  à  s'y  faire 
nommer.  Le  marquis  del  Monte  s'entremit  pour  la  lui  faire  obtenir 
et  y  réussit.  Le  doge  de  Venise,  en  notifiant  sa  nomination  à  ses 
futurs  collègues,  leur  écrivait  :  a  Par  la  mort  du  professeur  Moleti, 
la  chaire  de  Mathématiques,  à  l'Université,  est  demeurée  long- 
temps vacante.  Connaissant  toute  l'importance  de  ces  études  et 
leur  utilité  pour  les  Sciences  principales,  nous  avons  différé  la 
nomination,  faute  d'un  sujet  suffisamment  méritant.  Aujour- 
d'hui se  présente  le  sieur  Galilée,  qui  professe  à  Pise  avec  grand 
succès  et  qui  est  justement  regardé  comme  le  plus  habile  en  ces 
matières.  Nous  l'avons  chargé,  en  conséquence,  de  la  chaire  de 
Mathématiques  pour  quatre  années,  avec  les  appointements  de 
180  florins.  » 

Galilée  prit  possession  de  sa  nouvelle  chaire  au  mois  de  sep- 
tembre 1592. 


io8  Sixième  Période. 


La  République  de  Venise  était  depuis  quelques  années  en 
disputes  continuelles  avec  le  pape,  elle  venait  d'interdire  aux 
Jésuites  l'enseignement  des  Sciences  sur  son  territoire  et  se  dis- 
posait à  les  en  expulser  tout  à  fait;  enfin  ses  conseils  étaient 
dirigés  par  des  amis  dévoués  de  notre  philosophe,  Fra  Paolo  Sarpi 
qui,  bien  que  procureur  général  de  son  ordre,  les  Servites,  avait 
épousé  la  cause  de  Venise  contre  le  pape,  et  Sagredo  qui  devint 
doge  plus  tard.  Galilée  était  donc  assuré  de  trouver  à  Padoue  une 
entière  indépendance  et  une  considération  méritée. 

Il  débuta  par  l'invention  du  compas  de  proportion,  qui 
accrut  encore  sa  renommée  :  d'après  Montferrier,  l'instrument 
imaginé  par  Galilée  ne  différerait  du  compas  de  proportion  dont 
on  se  sert  aujourd'hui,  qu'en  ce  que,  pour  s'en  servir,  il  faudrait 
employer  un  compas  à  pointes,  tout  à  fait  indépendant  :  le 
compas  de  Galilée  se  composerait  de  deux  branches  pouvant 
s'écarter  l'une  de  l'autre  comme  celles  d'un  compas  ordinaire,  et 
le  long  desquelles  seraient  tracées  deux  droites  concourant  au 
centre  de  Taxe  de  rotation  relative  de  l'une  des  branches  par 
rapport  à  l'autre.  Ces  deux  droites  étant  divisées  en  parties 
égales  comptées  à  partir  de  leur  point  de  concours,  si  Ton  vou- 
lait obtenir  une  partie  aliquote  donnée,  ^  par  exemple,  d'une 
longueur  donnée,  on  comprendrait  cette  longueur  entre  les 
pointes  d'un  compas  ordinaire;  on  écarterait  les  branches  du 
compas  de  proportion  de  façon  que  les  pointes  du  compas  ordi- 
naire pussent  tomber  exactement  sur  les  numéros  7  des  deux 
lignes  divisées;  ensuite  on  prendrait,  avec  le  compas  ordinaire, 
la  distance  des  deux  points  situés  aux  numéros  i  sur  les  deux 
mêmes  lignes.  C'est  en  raison  de  cette  disposition  que  Galilée 
aurait  donné  ù  son  instrument  le  nom  de  compas  de  proportion. 


De  Viète  à  Kepler.  109 


Mais  les  deux  branches  de  ce  compas  portaient  plusieurs  autres 
échelles  pouvant  servir  à  mesurer  en  degrés  les  angles  tracés  sur 
le  papier,  à  diviser  un  angle  ou  un  arc  en  parties  égales,  à 
inscrire  dans  le  cercle  les  polygones  réguliers  des  différents 
nombres  successifs  de  côtés,  à  construire  les  côtés  d'un  polygone 
semblable  à  un  polygone  donné,  dont  Taire  dût  avoir  un  rapport 
donné  avec  celle  de  ce  polygone  donné ,  ou  les  côtés  d'un 
polyèdre  semblable  à  un  polyèdre  donné,  dont  le  volume  dût 
avoir  un  rapport  donné  avec  le  volume  de  ce  polyèdre  donné,  etc. 

Galilée  imagina  bientôt  après  le  premier  thermomètre.  Cet 
instrument,  encore  bien  imparfait,  et  auquel  d'ailleurs  Galilée 
n'adapta  aucunegraduation,  se  composait  d'un  récipient  sphérique 
surmonté  d'un  long  tube  d'un  petit  calibre;  en  chauffant  légè- 
rement la  boule  et  plongeant  aussitôt  dans  l'eau  l'extrémité  du 
tube,  on  introduisait  dans  ce  tube  une  petite  colonne  d'eau  qui  s'y 
arrêtait  à  une  certaine  hauteur.  La  petite  colonne  descendait  ou 
montait  dans  le  tube  lorsque  la  température  de  la  boule  s'élevait 
ou  s'abaissait.  Cet  instrument  excita  l'admiration  de  Sarpi  et 
de  Sagredo  qui  tous  deux  s'occupaient  de  Sciences.  Sagredo  en 
construisit  d'autres  sur  le  même  modèle  et  gradua  l'un  d'eux, 
pour  son  usage,  mais  entre  des  limites  non  définies. 

Il  est  présumable  que  la  simplicité  du  système  astronomique 
de  Copernic  avait  de  bonne  heure  séduit  Galilée.  Il  écrivait  en 
effet,  en  1597,  ^  Kepler,  qui  lui  avait  adressé  son  Mystère  cos- 
mographique :  «  Je  vous  lirai  d'autant  plus  volontiers  que, 
depuis  plusieurs  années,  je  me  suis  converti  aux  opinions  de 
Copernic,  dont  la  théorie  m'a  fait  comprendre  bien  des  phéno- 
mènes qui,  dans  l'hypothèse  contraire,  sont  tout  à  fait  inexpli- 
cables, »  mais  il  ne  s'était  pas  prononcé  à  Pise,  il  en  donne  les 


Sixième  Période. 


raisons  dans  la  même  lettre  :  «  J'ai  réuni  un  grand  nombre  d'ar- 
guments pour  réfuter  les  opinions  opposées,  mais  je  n'ai  pas 
encore  osé  les  publier  dans  la  crainte  d'éprouver  le  même  sort  que 
notre  maître  Copernic,  qui,  malgré  la  gloire  immortelle  qu'il  a 
acquise  dans  l'esprit  d'un  petit  nombre  de  personnes,  n'en  est  pas 
moins,  aux  yeux  de  la  grande  majorité,  un  objet  de  sarcasme  et 
de  risée.  S'il  y  avait  beaucoup  d'hommes  de  votre  mérite,  je  me 
hasarderais  à  publier  mes  conceptions.  Mais^  puisqu'il  n'en  est 
pas  ainsi,  je  prendrai  mon  temps  pour  le  faire.  »  Il  devait  bientôt 
apporter  à  l'appui  du  nouveau  système ,  non  plus  des  arguments 
mais  des  preuves  directes  et  convaincantes. 

Il  construisit  en  1609,  sur  des  indications  venues  de  Hollande, 
mais  d'après  une  théorie  en  règle,  un  télescope  d'un  fort  grossis- 
sement (trente  fois)  à  l'aide  duquel  il  allait  renouveler  l'Astro- 
nomie et  résoudre  enfin,  au  moyen  de  l'observation  des  variations 
desdiamètres  apparents  des  planètes,  le  problème  de  leurs  distances 
mutuelles,  que  Copernic  n'avait  pu  aborder  qu'intuitivement. 

Cette  lunette  était  tormée  de  deux  verres,  l'un,  l'objectif,  con- 
vexe-plan, et  l'autre,  l'oculaire,  plan-concave;  Galilée  les  plaçait, 
comme  cela  doit  être,  à  une  distance  égale  à  la  différence  de  leurs 
longueurs  focales,  déterminées  avec  soin  par  l'expérience.  On  sait 
que,  dans  cette  sorte  de  lunettes,  les  images  sont  droites,  condition 
que  Galilée  s'était  sans  doute  imposée  à  l'avance  et  qui  déter- 
minait la  combinaison  des  verres  à  employer. 

Aussitôt  en  possession  de  sa  lunette,  dont  il  avait  lui-même 
façonné  les  verres,  Galilée  la  dirigea  vers  le  Ciel  et  en  quelques 
mois  il  reconnut  que  la  Lune  nous  présente  toujours  la  même 
face,  sauf  de  petites  librations  qu'il  signala  (mais  qu'il  attribuait 
exclusivement  à  la  variation  de  la  distance  qui  séparait  l'obser- 


De  Viète  à  Kepler.  1 1 1 


valeur  de  la  ligne  des  centres  de  la  Terre  et  de  la  Lune)  ;  et  que 
sa  surface,  dont  Taspect,  dit-il,  est  analogue  à  celui  de  la  Bohême, 
{Consimilis  Boemiœ)  présente  de  hautes  montagnes  qu'il  en- 
seigna à  mesurer;  il  découvrit  les  quatre  premiers  satellites  de 
Jupiter,  dont  il  détermina  les  révolutions  et  dont  il  eut  dès  lors 
l'idée  de  faire  servir  les  éclipses  à  la  détermination  des  longitudes 
en  mer,  projet  qu'il  communiqua,  sans  succès  d'ailleurs,  à 
l'Espagne  d'abord  et  ensuite  à  la  Hollande.  Il  découvrit  l'anneau 
de  Saturne  et  observa  les  taches  du  Soleil,  du  mouvement  des- 
quelles il  conclut  la  durée  de  la  révolution  de  l'astre  sur  lui- 
même  ;  enfin  il  observa  les  phases  de  Vénus  et  de  Mars,  et  constata 
les  variations  du  diamètre  apparent  de  cette  dernière  planète. 

Ces  brillantes  découvertes,  publiées  en  partie  par  Galilée  dans 
son  Nuntius  sidereus^  excitèrent  d'abord  beaucoup  d'incrédu- 
lité, mais  bientôt  après  un  enthousiasme  universel,  non  seu- 
lement à  Venise,  où  les  sénateurs  se  réunissaient  pour  jouir 
par  eux-mêmes  de  la  vue  d'un  spectacle  si  nouveau,  et  des 
explications  qu*y  ajoutait  Galilée,  mais  encore  dans  toute 
l'Europe,  oti,  de  toutes  parts,  on  demandait  à  Galilée  des  téles- 
copes de  son  invention,  ceux  qu'on  fabriquait  sans  méthode  en 
Hollande  ne  donnant  encore  qu'un  grossissement  insuffisant  pour 
vérifier  ses  découvertes. 

Galilée  avait  donné  le  nom  à! astres  de  Médicis  aux  satellites 
de  Jupiter.  Henri  IV  avait  droit,  par  sa  femme,  à  la  jouissance 
de  la  moitié  au  moins  de  l'une  de  ces  lunes,  mais  il  désirait  avoir 
un  astre  pour  lui  tout  seul.  Il  chargea  son  ambassadeur  près  la 
République  de  Venise  de  prier  Galilée  de  lui  en  découvrir  un, 
qui  porterait  son  nom,  pas  celui  de  Bourbon^  mais  celui  de 
Henri.  «  Vous  aurez  ainsi,  disait-on  à  Galilée,  l'occasion  de 


Sixième  Période. 


faire  une  chose  juste  et  bienséante,  et  vous  vous  rendrez  en 
même  temps,  vous  et  votre  famille,  riches  et  puissants  à 
jamais.  » 

Le  Sénat  de  Venise  avait  demandé  à  Galilée  de  lui  faire  hom- 
mage de  son  télescope;  il  porta,  en  récompense,  à  mille  florins 
le  traitement  du  professeur  et  le  confirma  à  vie  dans  la  possession 
de  sa  chaire.  D'après  M.  Favaro,  le  Sénat  de  Venise,  croyant 
l'invention  nouvelle,  aurait  eu  l'idée  de  la  tenir  secrète^  et  de 
s'en  servir  pour  assurer  un  avantage  considérable  à  la  marine 
de  la  République.  Je  ne  suis  pas  en  mesure  de  vérifier  cette 
assertion,  qui  ne  me  paraît  pas  certaine. 

Arrivé  au  faîte  de  la  gloire,  Galilée  jouissait  en  paix  à  Padoue 
da  fruit  de  ses  travaux  et  était  entouré  d'amis  puissants,  désin- 
téressés et  soucieux  de  son  honneur  et  de  sa  gloire.  Tous  ses 
biographes  ont  regretté  pour  lui  qu'il  n'ait  pas  eu  le  bon  esprit 
de  se  renfermer  dans  son  bonheur.  On  a  peut  être  trop  oublié  que 
les  grands  hommes  sont,  qu'ils  le  veuillent  ou  non,  les  prison- 
niers de  leur  mission.  Archiméde  s'est-il  sauvé  de  Syracuse  au 
moment  de  l'arrivée  des  Romains?  Non;  il  a  vu,  dans  la  destruc- 
tion de  l'armée  de  Marcellus,  un  intéressant  problème  à  résoudre. 
Qu'importaient  à  Platon,  au  milieu  des  amis  qui  peuplaient  son 
Académie,  les  procédés  de  gouvernement  de  Denys?  Était-il  rai- 
sonnable d'aller  exposer  sa  liberté  pour  catéchiser  cette  brute? 
Platon  allait  chercher  en  Sicile  la  mesure  du  pouvoir  de  la  raison, 
de  l'éloquence  et;  de  la  vertu. 

Galilée, en  ibio, était  définitivement  armJ  pour  la  lutte; pour- 
quoi aurait-il  fui  la  bataille?  Il  n'avait  même  pas  encore  osé 
prendre  parti  pour  Copernic;  et  les  partisans  d'Aristote  restaient 
tout  puissants  malgré  les  humiliations  dont  il  les  avait  abreuvés. 


De  Viète  à  Kepler.  ii3 


D'ailleurs  ce  n'était  pas  à  Venise,  où  il  n'avait  que  des  amis,  ni  à 
plus  forte  raison  en  Allemagne,  qu'il  s'agissait  de  porter  la  guerre. 
C'était  à  Rome.  Galilée  y  était  si  invinciblement  attiré  qu'il  ne 
manquait  jamais  de  s'y  rendre  durant  ses  vacances  académiques; 
il  y  portait  ses  instruments  et  passait  ses  jours  et  ses  nuits  à 
montrer  aux  cardinaux  les  merveilles  qu'il  avait  découvertes. 
L'Église  avait  tout  entre  ses  mains  à  cette  époque,  c'était  donc 
l'Église  qu'il  fallait  amener  aux  idées  nouvelles. 

En  résumé  Galilée  ne  S2  croyait  pas  le  droit  de  fuir  la  lutte,  et 
il  la  voulait  glorieuse.  Au  reste  il  avait  aussi  des  amis  dans  le 
Sacré-Q)llège  et  ils  l'aideraient  à  se  défendre. 

Les  représentations  affectueuses  que  lui  firent  ses  amis  de 
Venise,  leur  douleur  de  le  perdre,  l'appréhension  des  dangers 
auxquels  il  allait  s'exposer,  tout  échoua  devant  une  détermination 
prise  (*). 

Au  reste,  le  grand-duc  de  Toscane  le  pressait  depuis  quelque 
temps  avec  instances  de  rentrer  à  Florence  et  lui  avait  fait  faire 
les  plus  belles  promesses.  Galilée  avait  modestement  répondu: 

«  Après  avoir  employé  vingt  années,  les  meilleures  de  ma  vie, 
à  mettre  au  service  de  quiconque  s'adressait  à  moi  les  faibles 
talents  que  Dieu  a  bien  voulu  accorder  à  mon  application  et  à 
mon  assiduité  dans  la  profession  que  j'ai  embrassée,  l'objet  de 

(')  D'après  M.  Favaro,  les  mobiles  qui  dirigèrent  Galilée  n'auraient  pas 
été  aussi  élevés  que  je  Tai  supposé  :  son  but  aurait  été  d'acquérir  je  ne  sais 
quelle  importance  dans  les  conseils  «.ie  l'Église.  M.  Favaro  a  consacré  à  la 
biographie  de  Galilée  deux  forts  volumes  où  il  a  rassemblé  relativement  à 
ce  grand  hGmme  une  foule  de  documents  nouveaux  qui  le  présentent  sous 
un  Jour  un  peu  différent  de  celui  qui  résultait  de  la  tradition.  Mais  nous 
n'avons  pas  suffisamment  étudié  les  questions  qu'il  soulève  pour  pouvoir 
nous  prononcer.  Notre  plan,  d'ailleurs,  ne  nous  permettrait  pas  d'entrer, 
sur  de  tels  sujets,  dans  des  détails  trop  circonstanciés. 

M.  Marie.  —  Histoire  des  Sciences,  IIÏ.  8 


114  Sixième  Période. 


mes  vœux  serait  d'obtenir  Je  repos  et  la  liberté  qui  me  sont 
nécessaires  pour  terminer  et  publier,  avant  que  le  tombeau  s'ouvre 
devant  moi, trois  grands  ouvrages  que  j'ai  en  portefeuille.... 

a  Ma  rétribution  annuelle  est  de  5  20  florins  que  je  suis  presque 
sûr  de  voir  porter  au  double,  lors  de  ma  réélection  ('),  et,  en  rece- 
vant des  élèves  chez  moijje  puis  augmenter  tant  que  je  le  veux  ces 
avantages  pécuniaires.  Mais,  les  leçons  particulières  étant  un 
grand  obstacle  à  mes  travaux,  je  désirerais,  si  je  dois  retourner 
dans  mon  pays  natal,  que  la  première  mesure  de  Son  Altesse 
Royale  fût  de  m'accorder  le  loisir  dont  j'ai  besoin  pour  terminer 

mes  ouvrages,  sans  être  obligé  de  m'occuper  de  leçons Je  ne 

dis  rien  du  chiffre  de  mes  appointements,  convaincu  que  ces 
appointements  devant  suffire  à  mon  existence,  la  gracieuse  bien- 
veillance de  Son  Altesse  ne  souffrirait  pas  que  je  [tisse  privé 
d'aucune  de  ces  douceurs  qui  constituent  le  bien-être,  et  dont, 
au  reste,  je  sais  mieux  que  personne  me  passer;  par  conséquent 
je  m'abstiendrai  d'ajouter  là-dessus  un  mot  de  plus.  Quant  au 
titre  qui  me  sera  donné,  mon  désir  serait  qu'à  la  qualification  de 
son  mathématicien ,  Son  Altesse  daignât  ajouter  celle  de  son 
philosophe^  car  je  me  flatte  d'avoir  consacré  plus  d'années  à 
l'étude  de  la  Philosophie  que  de  mois  à  celle  des  Mathématiques 
pures.  » 

Toutes  ces  conditions  avaient  été  acceptées,  comme  le  prouve  la 
lettre  suivante  que  Galilée  écrivait  à  Kepler  au  moment  de  se 
rendre  à  Florence  : 

«  Je  vous  remercie  d'abord,  mon  cher  Kepler,  de  ce  que  vous 
avez  eu  une  pleine  et  entière  confiance  en  mes  assertions.  (Il  s'agit 

(M  On  voit  par  cette  phrase  que  la  ntigociation  avait  lieu  avant  le  décret 
qui  augmentait  ses  appointements  et  le  nommait  à  vie. 


De  Viète  à  Kepler.  u5 


des  faits  annoncés  dans  le  Nuntius Sidereus.)  Vous  médites  que 
vous  avez  quelques  télescopes,  mais  qu'il  ne  sont  pas  asçez  bons 
pour  grossir  suffisamment  les  objets  éloignés,  et  qu'il  vous  tarde 
de  voir  le  mien,  qui  porte  le  grossissement  jusqu'à  mille  fois. 
(Galilée  veut  dire  i  ooo  fois  en  surface,  environ  3 1  fois  en  lon- 
gueur.) Il  n'est  plus  à  moi,  car  le  grand-duc  de  Toscane  me  l'a 
demandé,  et  il  se  propose  de  le  placer  dans  son  musée,  parmi  les 
curiosités  les  plus  rares  et  les  plus  précieuses,  comme  un  souvenir 
étemel  de  l'invention.  Je  n'en  ai  pas  fait  d'autre  d'un  égal  mérite, 
car  le  travail  mécanique  est  très  considérable.  J'ai  néanmoins 
imaginé  quelques  instruments  que  je  m'occupe  à  façonner  et  à 
polir  ;  mais  je  ne  veux  pas  les  construire  ici,  attendu  qu'il  ne  me 
serait  pas  commode  de  les  transporter  à  Florence,  oii  je  ferai 
désormais  mon  séjour. 

«  Vous  me  demandez,  mon  cher  Kepler, d'autres  témoignages; 
je  vous  citerai  en  premier  lieu  le  grand-duc,  qui ,  après  avoir 
observé  les  planètes  de  Médicis  à  plusieurs  reprises,  en  ma  pré- 
sence, à  Pise,  pendant  les  derniers  mois,  me  fit  présent,  à  mon 
départ,  d'une  valeur  de  plus  de  mille  florins,  et  qui  vient  de 
m'inviter  à  m'atlacher  à  lui.  Il  m'accorde,  avec  le  titre  de  phi- 
losophe et  de  premier  mathématicien  de  Son  Altesse,  le  traite- 
ment annuel  de  mille  florins  et  la  libre  disposition  de  tout  mon 
temps,  sans  être  astreint  à  aucun  travail  obligatoire,  sans  avoir 
aucune  fonction  à  remplir. 

«  Cette  liberté  me  met  en  état  de  compléter  mon  Traité  de 
Mécanique,  qui  contiendra  la  démonstration  géométrique  d'un 
grand  nombre  d'admirables  propositions. 

«  Le  second  témoignage  que  je  produis,  c'est  moi-même,  qui, 
bien  que  déjà  pourvu  au  collège  de  Padouede  la  noble  rétribution 


I  r  G  Sixième  Période. 


de  mille  florins,  que  nul  professeur  de  Mathématiques  n'a  jamais 
reçue,  et  dont  je  pourrais  jouir  toute  ma  vie  quand  bien  même 
mes  planètes  viendraient  à  disparaître,  et  que  ma  découverte 
n'eût  été  qu'une  erreur,  eh  bien!  je  puis  renoncer  à  ces  avan- 
tages et  je  suis  prêt  à  subir  comme  châtiment  le  déshonneur  et 
l'indigence  s'il  pouvait  être  démontré  que  je  me  fusse  trompé.  » 

Galilée  quitta  Padoue  vers  le  milieu  de  septembre  1610. 

C'est  à  Florence  qu'il  observa  les  phases  de  Vénus  et  les  varia- 
tions du  diamètre  apparent  de  Mars;  un  peu  plus  tard,  en  16 12, 
il  construisit  le  premier  microscope. 

Nous  avons  dit  que  plusieurs  fois  déjà  Galilée  était  allé  à  Rome 
pour  y  entretenir  de  ses  découvertes  astronomiques  différents 
princes  de  l'Église,  entre  autres  le  cardinal  Bellarmin  et  le  car- 
dinal Barberini  qui  fut  peu  après  élevé  au  Pontificat,  sous  le 
nom  d'Urbain  VIII,  et  qui  était  depuis  longtemps  l'ami  de  notre 
philosophe. 

Sans  s'être  expressément  prononcé  pour  le  système  de  Copernic_, 
Galilée,  dans  ses  écrits  et  dans  ses  conversations,  supposait  impli- 
citement le  mouvement  de  la  Terre.  Mais  les  chefs  de  l'Église 
n'avaient  pas  même  encore  songé  à  condamner  cette  doctrine, 
qui  leur  paraissait  libre  et  entièrement  étrangère  à  la  religion.  Ce 
sont  les  professeurs  entichés  de  péripatétisme  et  les  Jésuites  beaux 
esprits,  dont  Galilée  avait  relevé  les  bévues,  qui  soulevèrent  la 
question,  excitèrent  contre  les  novateurs  les  moines  des  différents 
ordres,  principalement  les  dominicains,  et  obligèrent  la  Cour 
pontificale  à  s'émouvoir.  Ce  n'est  que  pour  obéir  aux  criailleries 
de  la  plèbe  monacale  que  l'Église  se  compromit  dans  ce  grand 
procès.  Cela  est  si  vrai  que  le  cardinal  Bellarmin,  que  tout  ce 
tapage  troublait  et  qui  voulait  avoir  la  conscience  en  repos, 


De  Viète  à  Kepler.  117 


consulta  de  bonne  foi  quatre  Jésuites  instruits,  dont  était  l'astro- 
nome Clavius,  et  que  leur  réponse  fut  qu'il  n'y  avait  pas  lieu  de 
repousser  les  nouvelles  doctrines. 

On  ne  pouvait  pas  mettre  Galilée  directement  en  cause,  puis- 
qu'il n'avait  pas  encore  pris  parti,  mais  on  pouvait  l'atteindre 
indirectement  et  en  même  temps  le  réduire,  pour  la  suite,  au 
silence,  en  condamnant  la  doctrine  et  les  ouvrages  de  Copernic. 
C'est  ce  dont  on  s'occupa  d'abord. 

Le  5  mars  161 6,  la  Congrégation  de  l'Index  suspendit  le  livre 
de  Copernic,  jusqu*  à  ce  qu'il  fût  corrigé,  et  prohiba  en  général 
tous  les  ouvrages  oîi  le  mouvement  de  la  Terre  serait  soutenu. 

Les  ennemis  de  Galilée  s'en  targuèrent  aussitôt  pour  publier 
partout  qu'il  avait  été  condamné  et  obligé  d'abjurer.  Sa  présence 
à  Rome  à  ce  moment  en  était  donnée  en  preuve. 

Les  instances  de  ses  amis  et  surtout  du  grand-duc  le  rappe- 
lèrent à  Florence,  mais,  avant  de  partir,  il  s'était  fait  donner  par 
le  cardinal  Bellarmin  un  certificat  où  il  était  dit  qu'il  n'avait  été 
condamné  en  aucune  manière  et  qu'on  lui  avait  simplement 
notifié  la  déclaration  de  la  Congrégation  de  l'Index,  par  laquelle 
l'opinion  du  mouvement  de  la  Terre  était  condamnée  comme  con- 
traire à  l'Écriture  Sainte,  et  qui  interdisait  de  la  soutenir. 

Ce  bon  billet,  bien  entendu,  ne  ferma  la  bouche  à  personne  et 
les  violentes  dénonciations  en  chaire,  les  libelles  diffamatoires 
continuèrent  à  pleuvoir  sur  notre  philosophe. 

La  patience,  pourtant,  ne  lui  échappa  pas  encore  ;  il  se  contenta 
de  fustiger,  dans  son  Saggiaiore,  un  Jésuite  qui  l'avait  attaqué 
à  propos  d'opinions  qu'il  avait  émises  en  1618  sur  la  nature  des 
comètes. 

Cet  ouvrage  fut  publié  en  1 623  sous  les  auspices  de  l'Académie 


1 1 8  Sixième  Période. 


des  Lincei  et  dédié  par  eux  à  Urbain  VIII,  qui  venait  d'être  élu 
pape.  Galilée  s'empressa  d'aller  féliciter  son  ancien  ami  et  fut 
parfaitement  reçu.  Le  Pape  lui  fit  des  présents  et  lui  remit  pour 
le  grand-duc  un  bref  contenant  de  grands  éloges  de  son  mathé- 
maticien. 

Galilée  l'emportait  donc  sur  ses  ennemis. 

A  son  retour  à  Florence,  il  crut  pouvoir  sans  danger  prendre 
en  public  la  défense  du  système  de  Copernic.  Il  prépara  dans 
cette  vue  son  Dialogue  sur  les  deux  grands  systèmes  du 
monde.  Deux  de  ses  amis,  Salviati,  noble  Florentin,  etSagredo, 
dont  nous  avons  déjà  parlé,  y  faisaient  valoir  avec  tout  le  talent 
et  l'esprit  qu'avait  pu  leur  prêter  Galilée,  les  meilleures  raisons 
en  faveur  du  système  de  Copernic  ;  un  bêta  auquel  Galilée  don- 
nait le  nom  de  Sîmplicius  répondait  à  ses  deux  interlocuteurs  et 
reproduisait,  dans  leur  style,  les  objections  des  péripatéticiens, 
des  Jésuites  et  des  moines  qui  avaient  attaqué  Galilée.  Toutefois, 
après  avoir  culbuté  ces  objections,  Salviati  et  Sagredo  s'incli- 
naient devant  l'autorité  de  la  chose  jugée. 
'   L'avertissement  au  lecteur  était  ainsi  conçu  : 

«  On  a  promulgué  à  Rome,  il  y  a  quelques  années,  un  édit 
salutaire  où,  pour  obvier  aux  scandales  dangereux  de  notre 
siècle,  on  imposait  silence  à  l'opinion  pythagoricienne  du  mou- 
vement de  la  Terre.  Il  y  eut  des  gens  qui  avancèrent  avec  témé- 
rité que  ce  décret  n'avait  pas  été  le  résultat  d'un  examen  judi- 
cieux, mais  d'une  passion  mal  informée;  et  Ton  a  entendu  dire 
que  des  conseillers  tout  à  fait  inexperts  dans  les  observations 
astronomiques  ne  devaient  pas,  par  une  prohibition  précipitée, 
couper  les  ailes  aux  esprits  spéculatifs.  Mon  zèle  n'a  pas  pu  se 
taire  en  entendant  de  telles  plaintes.  J'ai  résolu,  comme  pleine- 


De  Viète  à  Kepler,  119 


ment  instruit  de  cette  prudente  détermination,  de  paraître  pu- 
bliquement sur  le  théâtre  du  monde  pour  rendre  témoignage  à 
la  vérité.  J'étais  alors  à  Rome,  où  je  fus  entendu  et  même  ap- 
plaudi par  les  plus  éminents  prélats  :  ce  décret  ne  parut  pas  sans 
que  j*en  fusse  informé.  Mon  dessein,  dans  cet  ouvrage,  est  de 
montrer  aux  nations  étrangères  que  sur  cette  matière  on  en 
sait,  en  Italie,  et  particulièrement  à  Rome,  autant  qu'il  a  été 
possible  d'en  imaginer  ailleurs.  En  réunissant  mes  spéculations 
sur  le  système  de  Copernic,  je  veux  faire  savoir  qu'elles  étaient 
toutes  connues  avant  la  condamnation,  et  que  l'on  doit  à  cette 
contrée,  non  seulement  des  dogmes  pour  le  salut  de  l'âme, 
mais  encore  des  découvertes  ingénieuses  pour  les  délices  de 
l'esprit.  » 

Galilée  poussa  la  malice  jusqu'à  aller  à  Rome  solliciter  l'auto- 
risation d'imprimer  son  livre,  et  les  Censeurs  donnèrent  bonne- 
ment leur  approbation  et  la  permission  demandée,  après  avoir 
corrigé  le  texte  en  quelques  endroits,  ce  qui  constituait  à  Galilée 
une  sorte  de  certificat  d'orthodoxie  pour  le  reste.  Ce  dialogue 
parut  à  Florence  en  i632,  après  avoir  été  de  nouveau  approuvé 
par  l'inquisiteur  général  de  Florence. 

Cet  ouvrage,  où  les  vieux  systèmes  de  philosophie  n'étaient 
pas  mieux  traités  que  le  système  de  Ptolémée,  et  où  Galilée  avait 
répandu  à  profusion  une  foule  d'idées  neuves  sur  toutes  sortes 
de  sujets,  produisit  en  Europe  une  immense  sensation.  De  toutes 
parts  arrivèrent  à  Galilée  des'  félicitations  chaleureuses.  Mais 
aussi  la'rage  des  gens  dont  il  s'était  si  cruellement  moqué  ne 
connut  plus  de  bornes.  Il  faut  convenir  qu'ils  eurent  un  éclair 
de  génie  :  ils  n'hésitèrent  pas,  malgré  l'impertinence  de  l'hypo- 
thèse, à  faire  entendre  à  Urbain  VIII  que  Simplicius  c'était  lui, 


Sixième  Période. 


et  malheureusement  ils  y  réussirent  à  peu  près.  Nous  disons  à 
peu  près  parce  que,  tout  en  abandonnant  son  ancien  ami  à  l'In- 
quisition, Urbain  VIII  ne  laissa  cependant  pas  aller  trop  loin  le 
zèle  du  Saint-Office.  Il  est  présumable  qu'il  permit  seulement 
qu'on  fît  à  Galilée  une  peur  horrible,  que  peut-être,  au  reste,  il 
n'éprouva  pas. 

Urbain  VIII  commença  par  nommer,  pour  examiner  l'affaire, 
une  commission  composée,  cela  ne  pouvait  guère  être  autrement, 
d'ennemis  de  Galilée;  puis,  malgré  les  représentations  du  grand- 
duc,  qui  remarquait  que  le  seul  crime  de  l'accusé  était  d'avoir 
publié  un  ouvrage  approuvé  par  l'Inquisition,  il  exigea  que  le 
vieux  philosophe  se  mît  incontinent  en  route  pour  venir  com- 
paraître à  Rome. 

Galilée  y  arriva  le  i3  février  i633  et  descendit  d'abord  chez 
Nicolini,  l'ambassadeur  du  grand-duc.  Mais,  au  mois  d'avril,  il 
lui  fut  ordonné  de  se  rendre  dans  les  prisons  de  l'Inquisition  où 
il  resta  1 5  jours,  au  bout  desquels  il  put  retourner  chez  son  ami. 
Le  20  juin  il  fut  ramené  devant  le  tribunal  du  Saint-Office,  pour 
y  entendre  son  arrêt. 

Le  cérémonial  avait  été  réglé  à  l'avance.  L'illustre  vieillard  se 
mit  à  genoux  devant  ses  juges.  Les  mains  placées  sur  l'Evangile, 
et  le  front  incliné,  il  prononça  les  paroles  suivantes  :  «  Moi, 
Galileo-Galilei,  Florentin,  âgé  de  soixante-dix  ans,  constitué 
personnellement  en  jugement,  et  agenouillé  devant  vous,  émi- 
nentissimes  et  révérendissimes  cardinaux  de  la  république  uni- 
verselle chrétienne,  inquisiteurs  généraux  contre  la  malice 
hérétique,  ayant  devant  les  yeux  les  saints  et  sacrés  Évangiles, 
que  je  touche  de  mes  propres  mains,  je  jure  que  j'ai  toujours  cru, 
que  je  crois  maintenant  et  que,  Dieu  aidant,  je  croirai  à  l'avenir 


De  Viète  à  Kepler. 


tout  ce  que  tient,  prêche  et  enseigne  la  sainte  Église  catholique, 
apostolique  et  romaine...  J'ai  été  jugé  véhémentement  suspect 
d'hérésie  pour  avoir  soutenu  et  cru  que  le  Soleil  était  le  ce;itre 
du  monde  et  immobile,  et  que  la  Terre  n'était  pas  le  centre  et 
qu'elle  se  mouvait.  C'est  pourquoi,  voulant  effacer  des  esprits  de 
vos  éminenccs  et  de  tout  chrétien  catholique  cette  suspicion  vé- 
hémente, conçue  contre  moi  avec  raison,  d'un  cœur  sincère  et 
d'une  foi  non  feinte,  j'abjure,  maudis  et  déteste  les  susdites 
erreurs  et  hérésies,  et  généralement  toute  autre  erreur,  etc.  » 

La  tradition  veut  qu'en  se  relevant  Galilée  ait  frappé  du  pied 
la  terre  et  se  soit  écrié  :  E  pur  si  muove  !  (Elle tourne  pourtant!) 
S'il  prononça  ce  mot,  ce  ne  fut  sans  doute  que  bien  bas,  car 
il  avait  devant  lui  des  ennemis  trop  acharnés  à  sa  perte  pour  le 
lui  pardonner. 

On  ne  rendit  pas  entièrement  à  Galilée  l'usage  de  sa  liberté  ; 
on  \  l'interna  dans  le  palais  de  l'archevêque  de  Sienne.  Sa 
demi-captivité  cessa,  il  est  vrai,  au  mois  de  décembre  suivant, 
mais  on  le  maintint  toujours  sous  la  surveillance  de  l'Inquisi- 
tion. 

Ses  dernières  années  furent  éprouvées  par  de  nouveaux  mal- 
heurs. Il  perdit  en  1634  une  de  ses  filles  et  devint  aveugle  en 
1637.  Il  mourut  à  Arcetri,  près  de  Florence,  le  8  janvier  1642 
(nouveau  style), à  l'âge  de  soixante-dix-huit  ans. 

Les  principaux  ouvrages  scientifiques  de  Galilée  sont  :  Le 
opera\iom  del  compasso  geomctrico  militare  di  Galileo-Cali- 
lei^  nobil  Fiorentino  (1606),  où  il  expose  la  théorie  du  compas 
de  proportion,  qu'il  venait  d'imaginer;  Discorso  intorno  aile 
cose  che  stanno  in  su  Vacqua  et  che  in  quella  si  muopono,  où  il 
traite,  d'après  le  principe  d'Archimcde,  de  l'équilibre  des  corps 


122  Sixième  Période. 


flottants  ;  Trattato  délia  scien^a  mecanica  e  délia  utilita  che  si 
traggono  dagli  istromenti  di  quel  la,  ouvrage  élémentaire  ; 
Sidereus  nuncius,  magna  longeque  admirabilia  spectacula 
prodens,  etc.  (1610),  où  on  lit  que  sa  lunette  grossissait  trente 
fois,  qu'elle  lui  a  montré  les  inégalités  de  la  surface  lunaire, 
qu'elle  lui  a  appris  des  choses  nouvelles  sur  les  nébuleuses  et  la 
Voie  lactée,  enfin,  qu'elle  lui  a  fait  découvrir  les  quatre  lunes  de 
Jupiter.  Galilée  y  annonce  que  la  surface  de  la  Lune  offre  des 
montagnes,  des  cavités,  des  taches  plus  ou  moins  lumineuses;  il 
indique  le  moyen,  encore  employé  aujourd'hui,  d'obtenir  la 
hauteur  des  montagnes  de  la  Lune,  en  mesurant  les  distances  de 
leurs  sommets  à  la  ligne  de  séparation  d'ombre  et  de  lumière,  au 
moment  où  les  rayons  lumineux  ne  parviennent  plus  qu'à  ces 
sommets;  il  estime  que  les  montagnes  de  la  Lune  ont  jusqu'à 
4  milles  italiques  de  hauteur  ;  il  se  prononce  en  faveur  de  l'expli- 
cation, effectivement  juste,  qu'avait  donnée  Léonard  de  Vinci,  de 
la  lumière  cendrée.  Il  décrit  ensuite  les  observations  répétées  qu'il 
a  faites  de  petites  étoiles  voisines  de  Jupiter,  dont  les  mouve- 
ments autour  de  cette  planète  l'amènent  à  conclure  que  c'en  sont 
des  satellites.  Son  ouvrage  se  termine  par  l'anagramme  d'une 
annonce  de  la  découverte  de  Tanneau  de  Saturne,  ou  plutôt  du 
corps  qui  accompagne  cette  planète,  car  Galilée  ne  savait  pas 
que  cet  appendice  eût  la  forme  d'un  anneau  :  Q4ltissimiini  pla- 
netam  tergeminum  observavi.  Presque  immédiatement  après 
la  publication  de  cet  ouvrage,  Galilée  découvrait  les  phases  de 
Vénus  et  démontrait  ainsi  que  les  planètes  ne  reçoivent  leur 
éclat  que  de  la  lumière  du  Soleil;  il  publiait  peu  de  temps  après: 
Storia  e  dimostra:{ioni  intorno  aile  macchie  solari  et  loro  acci- 
dentiy  dal  signor  Galileo-Galilei  (161 3),  où  il  expose  ses  obser- 


De  Viéte  à  Kepler.  laS 


valions  des  taches  du  Soleil  et  se  plaint  amèrement  du  jésuite 
hollandais  Scheiner,  qui,  sous  le  nom  d'Apelle,  s'était  approprié 
sa  découverte.  Heureusement,  des  lettres  de  Galilée  antérieures 
à  la  publication  de  l'ouvrage  de  Scheiner  lui  assuraient  la  gloire  de 
ses  observations.  Dans  l'une  d'elles,  du  14  août  16 12,  il  annon- 
çait que  les  taches  sont  à  la  surface  du  Soleil,  qu'elles  durent 
plus  ou  moins  (de  deux  à  quarante  jours),  que  les  figures  en  sont 
irrégulières  et  changeantes  ;  qu'on  en  voit  qui  se  séparent  et 
d'autres  qui  se  réunissent  au  milieu  même  du  disque  ;  qu'outre 
ces  variations  et  ces  mouvements  particuliers,  elles  ont  un  mou- 
vement commun  qui  leur  fait  décrire  des  lignes  parallèles.  Ga- 
lilée conclut  de  ce  mouvement  général  que  le  Soleil  est  sphérique 
et  qu'il  tourne  sur  lui-même  d'Occident  en  Orient,  comme  les 
planètes,  etc. 

Dans  //  saggiatore  nel  quale  con  bilancia  esquisita  e  giusta 
si  ponderano  le  cose  contenute  nella  libra  astronomica  efilo- 
sofica  di  Lotario  Sarsiy  etc.  (i623),  Galilée  se  plaint  amère- 
ment des  attaques  dont  il  a  été  l'objet  et  du  tort  que  lui  ont  fait 
des  plagiaires.  Il  revient  sur  la  construction  de  sa  lunette  et  se 
lance  ensuite  dans  de  longues  dissertations  sur  la  nature  des 
comètes. 

Son  dernier  ouvrage,  auquel  il  mit  la  dernière  main  après 
son  procès,  est  intitulé  :  Discorsi  e  dimostraiioni  matematiche 
intorno  a  due  scien:{e  attenenti  alla  mecanica  et  i  movimenti 
/oca// (i  638).  C'est  dans  ce  mémorable  ouvrage  que  Galilée  a 
consigné  les  belles  découvertes  qui  ont  donné  naissance  à  la  Dyna- 
mique moderne,  et  qui  constituent  son  titre  le  plus  important 
à  la  reconnaissance  de  la  postérité.  La  découverte  du  principe  de 
l'indépendance  de  l'effet  d'une  force  et  du  mouvement  antérieu- 


124  Sixième  Période. 


rement  acquis  par  le  mobile  auquel  elle  s'applique,  était  le  pre- 
mier pas  à  faire  dans  l'étude  du  mouvement  considéré  par  rap- 
port à  ses  causes,  et  ce  premier  pas  était  attendu  depuis  Archi- 
mède.  Ce  principe  entrevu  par  Galilée  est  un  secret  arraché  à  la 
nature  par  de  longues  et  puissantes  méditations,  aidées  du  vrai 
génie  ;  l'essor  instantané  qu'il  communiqua  à  tous  les  esprits  fut 
tel,  que  la  Dynamique,  dont  il  n'existait  pas  de  traces  avant 
Galilée,  se  constitua,  pour  ainsi  dire  d'elle-même,  aussitôt  après 
lui.  On  attribue  souvent  à  Galilée  rétablissement  du  théorème 
fondamental  de  la  Dynamique  :  qu'une  force  constante  de  gran- 
deur et  de  direction  imprime  au  corps  auquel  elle  est  appliquée 
un  mouvement  uniformément  varié.  On  verra  que  cette  croyance 
n'est  fondée  que  sur  une  interprétation  beaucoup  trop  large  des 
théories  de  l'auteur,  qui,  non  seulement,  n'avait  encore  aucune 
idée  bien  nette  de  ce  que  nous  appelons  aujourd'hui  une  force, 
mais  qui  même  ne  voyait  dans  la  pesanteur  qu'une  cause  géné- 
rale, et  d'ailleurs  fort  vague,  de  mouvement.  Toutefois  on  doit 
convenir  qu'il  restait  en  effet  peu  de  chose  à  ajouter  à  la  théorie 
de  Galilée,  lorsque  Huyghens  en  tira  le  théorème  dont  il  s'agit. 
On  ne  doit  pas  seulement  à  Galilée  ses  immortels  ouvrages  : 
son  amour  pour  la  Science  se  trahissait  par  une  activité  infati- 
gable à  lui  chercher  de  nouveaux  adeptes,  à  répandre  le  plus 
possible  les  lumières,  à  exciter  partout  l'enthousiasme  scienti- 
fique et  l'ardeur  dans  les  recherches.  Il  correspondait  avec  toute 
l'Europe,  gourmandant  la  paresse  des  uns,  stimulant  l'activité 
des  autres,  aidant  chacun  de  ses  conseils  et  donnant  aux  plus 
méritants  l'appui  de  son  approbation.  C'est  le  Voltaire  scienti- 
fique de  son  siècle  ;  il  en  eut  les  grâces,  la  hardiesse  prudente, 
l'universalité  et  la  fécondité.  Toutefois,  les  sentiments  affectueux 


De  Viète  à  Kepler.  i25 


étaient  plus  puissants  en  lui  :  il  se  fit  des  enfants  de  ses  disciples 
Viviani  et  Torricelli. 

On  raconte  qu'un  jour,  des  fontainiers  de  Florence,  qui  avaient 
voulu  élever  l'eau  plus  haut  que  ne  le  permet  la  pression  atmos- 
phérique, n'y  pouvant  parvenir,  vinrent  le  consulter  pour  savoir 
par  quels  motifs  les  pistons  de  leurs  pompes  refusaient  le  service 
à  une  certaine  hauteur.  «  La  nature,  disaient-ils,  a  cependant 
horreur  du  vide.  —  Eh  oui  I  leur  répondit  en  riant  Galilée,  mais 
elle  n'a,  paraît-il,  horreur  du  vide  que  jusqu'à  33  pieds.  »  Il  légua 
à  Torricelli  le  soin  de  résoudre  la  question.  Ce  fut  l'origine  de  la 
découverte  de  la  pression  atmosphérique  et  de  l'invention  du 
baromètre. 

On  a  accusé  Galilée  d'avoir  méconnu  le  grand  Kepler;  les 
citations  que  nous  avons  faites  montrent  que  c'était  à  tort. 

11  nous  reste  à  donner  une  analyse  des  Discorsi  e  dimostra- 
:{ioni  mathematiche  intorno  a  due  nuove  science ^  qui,  en  réalité, 
sont  peu  connus. 

L'ouvrage  est  disposé  en  forme  de  dialogue  ;  les  interlocuteurs 
sont,  comme  dans  le  5a^^za^ore,  Salviati,Sagredo  et  Simplicio 
et  leurs  rôles  restent  les  mêmes  :  Simplicio  est  chargé  de  faire  les 
objections  plus  ou  moins  insensées  que  Galilée  prévoit  contre 
ses  idées;  Salviati  et  Sagredo  ont  la  double  mission  d'expliquer 
la  théorie  et  de  répondre  polim.ent  à  Simplicio  qui,  à  bout 
d'arguments,  finit  toujours  par  convenir  qu'il  comprend  parfai- 
tement. 

Le  Scénario  comprend  quatre  journées,  dont  les  deux  pre- 
mières sont  employées  à  traiter  de  la  cohésion  dans  les  solides, 


120  Sixième  Période. 


de  leur  résistance  à  la  rupture  ou  à  la  flexion,  de  l'élasticité  et 
des  vibrations  sonores;  et  les  deux  dernières  du  mouvement 
uniforme,  du  mouvement  uniformément  varié  et  du  mouve- 
ment parabolique  qui  résulte  de  la  composition  des  deux. 
L'ouvrage  est  terminé  par  un  appendice  qui  n'est  que  la  repro- 
duction d'un  opuscule  sur  les  centres  de  gravité,  écrit  par 
Galilée  dans  sa  jeunesse ,  et  qui  comprend  la  détermination 
des  centres  de  gravité  de  la  pyramide,  du  cône  et  du  conoïde 
parabolique;  nous  n'avons  rien  à  dire  de  cet  appendice,  les  ques- 
tions qui  y  sont  traitées  ayant  déjà  été  résolues  antérieure- 
ment, comme  nous  Tavons  dit,  par  Maurolycus,  Commandin  et 
Léonard  de  Vinci. 

La  facture  des  deux  parties  de  l'ouvrage  principal  n'est  pas 
la  même  :  dans  la  première  partie,  où  les  questions  posées  ne 
comportent  pas  encore  de  solutions  bien  certaines,  l'exposition 
des  théories  est  entièrement  abandonnée  à  Salviati  et  à  Sagredo. 
Dans  la  seconde,  les  trois  interlocuteurs  sont  censés  lire  un  texte 
magistral,  de  Galilée,  écrit  en  latin,  et  ils  le  commentent  en  italien. 
La  partie  didactique,  en  latin,  ne  contient  que  des  propositions 
absolument  incontestables;  quand  les  preuves  ne  sont  plus  assez 
certaines,  ou  que  la  théorie  présente  quelques  lacunes,  qu'il  faut 
combler  par  des  hypothèses,  Galilée  passe  la  parole  à  Salviati  ou 
à  Sagredo,  après  que  Simplicio  a  jeté  le  cri  d'alarme. 

On  comprendra  que  nous  ne  rendions  pas  compte  de  la  pre- 
mière partie  :  la  tentative  qu'y  fait  Galilée  est  méritoire  et  un 
grand  nombre  des  idées  qu'il  y  émet  sont  justes,  mais  les  ques- 
tions qu'il  y  aborde  étaient  tellement  inaccessibles  de  son  temps 
qu'il  s'en  faut  beaucoup  qu'on  y  voie,  même  aujourd'hui,  par- 
faitement clair. 


De  Viète  à  Kepler,  1 27 


La  seconde  partie  débute  par  un  avertissement  très  court  : 
a  Nous  édifions,  dit  Galilée,  une  Science  entièrement  neuve  sur 
un  sujet  vieux  comme  le  monde.  Rien  de  plus  ancien  en  effet, 
dans  la  nature,  que  le  mouvement;  mais  quoique  les  philoso- 
phes en  aient  écrit  quantité  de  gros  volumes,  les  plus  impor- 
tantes particularités  en  étaient  restées  ignorées.  On  avait  bien 
remarqué  que  le  mouvement  des  corps  qui  tombent  naturelle- 
ment s'accélère;  mais  dans  quelle  proportion  a  lieu  cette  accélé- 
ration, cela  n'avait  pas  encore  été  dit.  Personne,  en  effet,  n'a 
jusqu'ici  démontré  que  les  espaces  parcourus  dans  des  temps 
égaux  par  un  mobile  qui  tombe,  à  partir  du  repos,  sont  comme 
les  nombres  impairs.  On  avait  bien  remarqué  que  les  projectiles 
décrivent  des  courbés,  mais  que  ces  courbes  fussent  des  para- 
boles, personne  ne  l'avait  encore  avancé.  Nous  démontrerons 
qu'il  en  est  ainsi  et  notre  travail  formera  la  base  d'une  Science 
où  des  esprits  plus  perspicaces  pénétreront  ensuite  plus  profon- 
dément. 

a  Nous  divisons  ce  traité  en  trois  parties.  Dans  la  première, 
nous  considérons  ce  qui  se  rapporte  au  mouvement  égal,  ou 
uniforme.  Dans  la  seconde  nous  traitons  du  mouvement  natu- 
rellement accéléré  ;  dans  la  troisième,  du  mouvement  violent, 
ou  du  mouvement  des  projectiles.  » 

On  a  dû  remarquer,  dans  cette  dernière  phrase,  le  mot  natu- 
rellement (naturaliter)  ajouté  comme  qualificatif  à  l'adjectif 
accéléré.  Galilée  emploie  ce  mot,  d'abord  parce  que  le  mouve- 
ment accéléré  dont  il  traitera  est  celui  qu'on  observe  dans  la 
nature,  mais  surtout  parce  que,  n'en  connaissant  pas  la  cause, 
il  ne  pourrait  en  concevoir  d'autre  que  d'une  façon  abstraite, 
ce  dont  il  ne  se  préoccupe  pas,  par  la  raison  qu'il  ne  pourrait 


2X  Sixième  Période. 


dire  dans  quelles  circonstances  ces  mouvements  se  produiraient. 
Il  faut  en  effet,  pour  bien  comprendre  Galilée,  observer  avant 
tout  qu'il  n'a  encore  ni  la  notion  des  forces,  ni  la  notion  des 
masses.  Ces  notions  se  feront  d'elles-mêmes  jour  un  peu  plus 
tard,  dans  les  esprits  de  Descartes  et  surtout  de  Huyghens,  mais 
elles  ne  sont  pas  même  encore  en  germe  dans  l'entendement  de 
Galilée.  Aussi  ne  doit-on  voir,  dans  son  ouvrage,  qu'un  chapitre 
de  la  Cinématique,  et  non  des  éléments  de  Dynamique,  comme 
on  l'a  toujours  fait,  en  lui  prêtant  des  idées  qui  n'étaient  pas 
encore  de  son  temps. 

Du  mouvement  égal. 

Définition.  —  Par  mouvement  égal,  ou  uniforme,  j'entends 
celui  dans  lequel  les  espaces  parcourus  dans  des  temps  égaux 
quelconques  sont  égaux  entre  eux. 

Il  paraît  que  le  mot  quelconques  ne  se  trouvait  pas  dans  Aris- 
tote,  car  Galilée  insiste  sur  la  nécessité  de  l'introduire  dans  la 
définition. 

Théorème  I.  —  Si  un  mobile  animé  d'un  mouvement  uni- 
forme (œquabiliter  latum)  parcourt  deux  espaces,  les  temps  des 
parcours  {lationum]  str ont  entre  eux  comme  les  espaces  par- 
courus (peracta). 

Théorème  II.  —  Si  un  mobile  parcourt  deux  espaces  dans 
des  temps  égaux,  ces  espaces  seront  entre  eux  comme  les  vitesses. 

Cet  énoncé  n'est  pas  fort  bien  conçu;  le  voici  en  latin  :  Si 
mobile  temporibus  œqualibus  duo  pertranseat  spatia,  erunt  ipsa 
spatia  inter  se  ut  velocitates.  Galilée  aurait  mieux  fait  d'intro- 
duire deux  mobiles  animés  de  vitesses  différentes  ;  mais,  comme 
Simplicio  ne  réclame  pas,  nous  passerons  outre. 


De  Viète  à  Kepler.  1 29 


Théorème  III.  —  Les  temps  employés  à  parcourir  un  même 
espace,  avec  des  vitesses  différentes,  sont  en  raison  inverse  des 
vitesses. 

Théorème  IV.  —  Si  deux  mobiles  sont  animés  de  mouve- 
ments uniformes,  mais  ont  des  vitesses  différentes,  les  espaces 
qu'ils  parcourent  dans  des  temps  inégaux  ont  une  raison  com- 
posée de  la  raison  des  vitesses  et  de  celle  des  temps. 

On  voit  par  ce  style  que  Galilée  s'était  formé  à  l'école  d'Eu- 
clide  et  d'Archimède. 

Théorème  V.  —  Si  deux  mobiles  sont  animés  de  mouvements 
uniformes,  qu'ils  aient  des  vitesses  inégales,  et  qu'ils  parcourent 
des  espaces  inégaux,  la  raison  des  temps  sera  composée  de  celle 
des  espaces  et  de  celle  des  vitesses,  prises  en  sens  contraire  [con- 
trarié sumptarum). 

Théorème  VI.  —  Si  deux  mobiles  sont  animés  de  mouvements 

uniformes,  la  raison  de  leurs  vitesses  sera  composée  de  celle  des 

espaces  parcourus  et  de  celle  des  temps,  pris  en  sens  contraire. 

Tous  ces  énoncés  et  les  démonstrations  qu'en  donne  Galilée 

endraient  dans  notre  formule 

e  —  vt. 

Galilée  a  remué  tant  d'idées,  à  peine  définitivement  acquises 
aujourd'hui,  qu'il  nous  paraît  pénétrer  jusque  dans  notre  siècle, 
en  sorte  qu'il  faut]presque  un  effort  d'imagination  pour  se  le 
représenter  contemporain  de  Viète.  Aussi  se  prend-on  à  s'étonner 
de  ne  pas  trouver  dans  son  ouvrage  cette  formule 

e^=vt. 
M.  Marie.  —  Histoire  des  Sciences,  III.  9 


3o  Sixième  Période. 


Mais  l'idée  de  représenter  les  grandeurs  par  leurs  rapports  à 
des  unités  ne  s'était  pas  encore  fait  jour. 

De  motu  naturaliter  accelerato,  c'est-à-dire  Du  mouvement  accéléré 
qui  s'observe  dans  la  nature. 

«  Il  s'agit  maintenant,  dit  Galilée,  de  traiter  du  mouvement 
accéléré,  et  d'abord  il  convient  de  rechercher  la  définition  de  celui 
dont  use  la  nature.  Car  il  n'y  aurait  pas  absurdité  à  imaginer 
arbitrairement  une  loi  de  mouvement  et  à  étudier  les  affections 
de  ce  mouvement;  mais  si  la  définition  de  notre  mouvement 
accéléré  reproduit  l'essence  du  mouvement  naturellement  accé- 
léré, nous  aurons,  comme  nous  le  voulons,  étudié  du  même  coup 
la  loi  de  la  chute  des  graves.  C'est  ce  que  nous  croyons  avoir 
trouvé,  après  y  avoir  longtemps  pensé,  parce  que  les  lois  que 
nous  avons  établies  rationnellement  s'accordent  avec  celles  qui 
s'observent  dans  la  nature.  Au  reste  nous  avons  été  conduit 
comme  par  la  main  à  la  découverte  de  la  loi  du  mouvement 
naturellement  accéléré,  par  l'observation  des  autres  œuvres  de 
la  nature,  où  elle  n'emploie  jamais  que  les  moyens  les  plus 
simples  et  les  plus  faciles  ;  car  je  pense  que  personne  ne  croira 
que  le  vol  et  la  natation  pussent  être  réalisés  par  des  moyens 
plus  simples  et  plus  faciles  que  ceux  dont  se  servent  d'instinct 
les  oiseaux  et  les  poissons.  Lors  donc  que  je  vois  qu'une  pierre 
acquiert,  dans  sa  chute,  d'incessants  accroissements  de  vitesse, 
pourquoi  ne  penserais-je  pas  que  ces  accroissements  sont  réglés 
de  la  façon  la  plus  simple^  Or,  si  nous  y  regardons  attentivement, 
nous  ne  trouverons  aucun  modje  d'accroissement  plus  simple 
que  celui  qui  se  fait  toujours  de  la  même  manière.  Et  on  le  com- 


De  Viète  à  Kepler.  i3i 


prendra  facilement  en  observant  la  très  grande  affinité  qui  se 
trouve  entre  le  temps  et  le  mouvement  :  car,  de  même  que  le 
mouvement  uniforme  se  conçoit  et  se  définit  par  l'uniformité 
dans  les  temps  et  l'égalité  dans  les  espaces,  de  même  nous  pou- 
vons concevoir  que  les  accroissements  de  vitesse  se  fassent 
d'une  manière  simple  dans  les  parties  égales  du  temps,  en  ima- 
ginant que,  dans  le  mouvement  uniformément  accéléré,  la  vitesse 
reçoive  toujours  les  mêmes  accroissements  égaux  dans  des  temps 
égaux  quelconques,  de  sorte  que  le  mobile  acquérant  au  bout  de 
deux  particules  du  temps,  au  bout  de  trois,  etc.,  des  vitesses 
double,  triple,  etc.,  de  celle  qu'il  avait  acquise,  à  partir  du  repos, 
dans  la  première  :  s'il  prenait,  au  bout  de  chacune  de  ces  parti- 
cules du  temps,  un  mouvement  uniforme  dont  la  vitesse  fût  la 
vitesse  alors  acquise,  il  parcourrait  dans  ces  divers  mouvenients 
des  chemins  simple,  double,  triple,  etc.,  dans  un  même  temps. 

«  Nous  dirons  donc  qu'un  mouvement  uniformément  accéléré 
est  celui  dans  lequel  la  vitesse  s'augmente  de  quantités,  égale  s 
dans  des  temps  égaux  quelconques;.»-    .  .  .  ^  .^z  .':  ; 

Ici  commence  le  texte  que  les  trois  interlocuteurs  lisent,  pour 
le  commenter  ensuite.     . 

a  Nous  avons  dit  qu'Un  mouvement  également  ou  uniformé- 
ment accéléré  est  celui  qui  s'ajoute  à  lui-même  {sibi  superaddit) 
des  quantités  de  vitesse,  [momenta  celeritatis)  égales  dans  des 
temps  égaux,  à  partir  du  repos.  »' 

L'auteur,  dit  Salviati,  demande  qu'on  regarde  comme  vrai  un 
principe  qu'il  va  énoncer  : 

J'admets  que  les  degrés  de  vitesse  (gradus  celeritatis)  acquis 
par  un  même  mobile  sur  divers  plans  inclinés^  sont  égaux  lorsque 
les  élévations  des  plans  sont  égales. 


Sixième  Période. 


Salviati  et  Sagredo  commentent  cet  axiome  et  essaient  de  le  jus- 
tifier par  des  considérations  tirées  du  mouvement  d'un  pendule; 
mais  leurs  explications,  dont  Galilée  leur  laisse  la  responsabilité, 
ne  sont  pas  claires  et  ne  pouvaient  pas  l'être.  Cet  axiome,  en  effet, 
dans  la  théorie  qui  nous  occupe,  tient  lieu  du  théorème  de  Stevin, 
dont  Galilée  n'aurait  même  pas  pu  faire  usage,  s'il  l'eût  connu, 
parce  qu'il  ne  considère  la  pesanteur  que  comme  une  cause  géné- 
rale de  mouvement  et  ne  distingue  pas  cette  cause,  dans  chaque 
corps;  de  sorte  qu'il  ne  voit  pas  encore  la  force,  égale  au  poids 
du  corps,  qui  l'entraîne  dans  la  direction  verticale,  et  ne  peut  par 
conséquent  pas  se  demander  quelle  est  la  force  qui  entraînerait 
ce  même  corps  sur  un  plan  incliné.  Si  Galilée  avait  su  décom- 
poser le  poids  d'un  corps  placé  sur  un  plan  incliné  en  ses  deux 
composantes  normale  et  parallèle  au  plan,  l'axiome  qu'il  propose 
lui  aurait  été  inutile  :  il  ne  sert  qu'à  suppléer  à  cette  inconnais- 
sance. Mais  on  doit  reconnaître  qu'il  est  parfaitement  choisi,  non 
seulement  parce  qu'il  remplit  exactement  son  office,  mais  aussi 
parce  qu'il  est  susceptible  d'une  vérification  expérimentale. 

Voici  ce  qu'en  dit  Sagredo  :  «  vraiment  il  me  paraît  qu'une 
telle  supposition  a  tant  de  probabilité  qu'elle  mérite  d'être 
concédée  sans  contestation;  en  admettant,  bien  entendu,  que  tous 
Ijs  empêchements  accidentels  et  externes  soient  écartés;  c'est-à- 
dire  que  les  plans  soient  bien  solides  et  bien  dressés,  et  que  le 
mobile  soit  bien  parfaitement  rond.  Si  les  plans  ni  le  mobile  ne 
présentent  aucune  scabrosité,  la  lumière  naturelle  me  montre 
sans  difficulté  qu'une  balle  pesante  arrivera  au  bas  de  tous  les 
plans  de  même  hauteur  avec  la  même  vitesse  (corz  impetiegitali).)^ 
Mais  il  est  clair  que  Sagredo  aurait  préféré  un  bon  théorème  à 
la  lum-crc  naturelle. 


De  Viète  à  KépUr.  i33 


Proposition  I. 

f 
Le  temps  que  met  à  parcourir  un  espace  quelconque,  à  partir 

du  repos,  un  mobile  animé  d'un  mouvement  uniformément 
accéléré,  est  égal  à  celui  que  mettrait,  à  parcourir  le  même  espace, 
un  second  mobile  animé  d'un  mouvement  uniforme,  dont  la 
vitesse  serait  la  moitié  de  celle  du  premier  à  la  fin  du  temps  con- 
sidéré. 

Que  le  temps  employé  par  un  mobile  à  parcourir,  à  partir  du 
repos,  un  espace  CD,  d'un  mouvement  uniformément  accéléré, 
soit  représenté  par  AB  [Jîg.  3)  et  que  la  vitesse  acquise,  durant 
les  instants  successifs  qui  composent  le  temps  AB,  soit  représentée 
par  BE.  Si,  par  le  milieu  F  de  BE,  on  mène  FG  égale  et  paral- 
lèle à  BA,  que  l'on  divise  AB  en  parties  égales  et  que,  par  les 
points  de  divisions,  on  mène  des  parallèles  à  BE  :  les  parties  de 
ces  parallèles  comprises  entre  AE  et  AB  représenteront  les 
vitesses  acquises  après  les  temps  marqués  par  les  parties  de  AB, 
prises  à  partir  du  point  A;  d'un  autre  côté,  les  parties  de  ces 
mêmes  parallèles,  comprises  entre  AE  et  GF  seront  égales  deux 
à  deux,  et  les  unes  seront  ajoutées  à  celles  qui  se  trouvent  dans 
le  triangle  AEB  tandis  que  leurs  égales  en  seront  retranchées.  De 
sorte  que  la  somme  des  parallèles  à  BE,  comprises  dans  le  paral- 
lélogramme AGFB,sera  égale  à  la  somme  des  parallèles  comprises 
dans  le  triangle  AEB.  Mais  les  parallèles  à  BE  comprises  dans  le 
parallélogramme  représentent  la  vitesse  constante  du  mouve- 
ment uniforme  considéré,  et  les  parallèles  comprises  dans  le 
triangle  représentent  les  vitesses  aux  différentes  époques  du  mou- 
vement uniformément  accéléré.  Il  est  donc  clair  {patet  igitur)  que 
les  espaces  parcourus  dans  les  deux  mouvements  sont  égaux. 


i34 


Sixième  Période. 


On  voit  que  la  démonstrai  ion  est  brusquée  au  moment  le  plus 
intéressant  :  Galilée  pouvait  remarquer  que  les  espaces  parcou- 
rus dans  le  mouvement  uniforme  qu'il  considère,  pendant  les 
parties  égales  successives  du  temps  AB,  sont  représentés  par  les 
parties  cprirespondan tes  du  parallélogramme  AGFB,  et  que  les 


/ 


Fig.  3. 


espaces  parcourus  dans  le  mouvement  uniformément  accéléré, 
pendantles  mêmes  parties  du  temps,  le  sont  à  la  limite,  c'est-à- 
dVe  lorsque*le  nombre  des  divisions  du  temps  croît  indéfiniment, 
par  les  aires  des  trapèzes  |qui  composent  le  triangle  AEB.  Mais 
je  ne  crois  pas  que  ce  soit  là  la  base  du  raisonnement  qu'il  fait 
mentalement,  ou  qu'il  entend  que  le  lecteur  fasse;  car  il  ne  dit 
pas  un  mot  qui  permette  de  le  supposer.  Je  pense  plutôt  que  le 
raisonnement  qu^il  supprime,  n'est  autre  que  celui  qui  se  tirerait 
de  la  méthode  des  indivisibles  de  Cavalieri,  méthode  que  Galilée 
connaissait  certainement,  Cavalieri,  qui  d'ailleurs  était  son  dis- 
ciple, l'ayant  publiée  en  i635. 
Le  théorème  dont  nous  venons  de  reproduire  la  démonstration 


De  Viète  à  Kepler,  i35 


constitueraità  lui  seul,  s'il  était  traduit  en  formule,  toute  la  théorie 
du  mouvement  uniformément  accéléré.  En  effet,  si  g  est  la  vitesse 
acquise  par  le  mobile  dans  Tunité  de  temps,  gt  est  sa  vitesse  au 
bout  du  temps  f,  j^^ est doncla  vitesse  du  mouvement  uniforme 
que  Galilée  considère  et  par  conséquent  son  théorème  signifie  que 
Tespace  parcouru  pendant  le  temps  /,  dans  le  mouvement  unifor- 
mément accéléré  en  question,  est 

Mais  Galilée  n'ayant  pas  ces  formules  à  sa  disposition  est 
obligé  de  multiplier  ses  théorèmes,  pour  compléter  la  théorie. 

Nous  ne  le  suivrons  pas  dans  les  démonstrations  de  ces 
théorèmes,  parce  qu'elles  sont  entièrement  analogues  à  la  pré- 
cédente, mais  nous  croyons  devoir  au  moins  en  reproduire  les 
énoncés. 

Proposition  IL 

Si  un  mobile  descend  [descendet]^  à  partir  du  repos,  d*un  mou- 
vement uniformément  accéléré,  les  espaces  qu'il  parcourt  dans 
des  temps  quelconques  sont  entre  eux  en  raison  doublée  de  la 
raison  des  temps  :  c'est-à-dire  comme  les  carrés  des  temps. 

On  remarquera  le  mot  descend  que  Galilée  emploie  parce  qu'il 
n*a  en  vue  que  le  mouvement  des  graves.  Quant  aux  carrés  des 
temps  {temporum  quadrata)  ce  sont  les  carrés  construits  sur  les 
longueurs  qui  représentent  les  temps.  Au  reste  la  démonstration 
se  fait,  au  moyen  de  la  proposition  /,  en  substituant  aux  deux 
espaces  considérés,  ceux  qui  auraient  été  parcourus  dans  deux 


36  Sixième  Période. 


mouvements  uniformes  ayant  pour  vitesses  les  moitiés  des  vitesses 
acquises  par  le  mobile  au  bout  des  temps  conside'rés. 

La  proposition  est  suivie  de  deux  corollaires  et  d'un  scolie. 
Dans  le  premier  corollaire,  Galilée  remarque  que  les  espaces 
parcourus,  pendant  des  intervalles  égaux  de  temps,  par  un  mobile 
animé  d'un  mouvement  uniformément  accéléré,  sont  comme  les 
nombres  impairs  i,  3,  5  etc.  Hœc  enim  est  ratio  excessuum 
quadratorum  linearum  sese  œqualiter  excedentium,  et  quarum 
excessus  est  œqualis  minimœ  ipsarum. 

Le  second  corollaire  est  ainsi  conçu  : 

Les  temps  employés  à  parcourir  deux  espaces  quelconques,  à 
partir  du  commencement  du  mouvement,  sont  entre  eux  comme 
l'un  des  espaces  est  à  la  moyenne  proportionnelle  entre  les  deux. 
Nous  dirions  que  le  rapport  des  temps  est  égal  à  la  racine  carrée 
de  celui  des  espaces  : 


t'      V  e' 


mais  la  racine  carrée  d'une  raison  ne  présentait  pas  encore  une 
idée  bien  nette  ;  et,  comme  le  second  membre,  sous  la  forme 

■         vg, 

n'aurait  pas  de  sens,  Galilée  est  obligé  de  lui  donner  cette  autre 
forme  ; 


\J7ë  _    e 
sfëë'      sjee' 


comme  aurait  fait  Archimède. 
Galilée,  dans  le  scolie,  étend  sans  explication  les  propositions 


De  Viète  à  Kepler.  iSy 


précédentes  aux  mouvements  des  graves  le  long  de  plans  inclinés, 
parce  qu'il  a  admis  que  la  vitesse  acquise  par  un  corps  pesant 
qui  descend  la  pente  d*un  plan  incliné  est  à  chaque  instant  égale 
à  celle  que  ce  corps  aurait  acquise  en  tombant  librement  de  la 
même  hauteur,  suivant  la  verticale. 

Proposition  III. 

Si  des  mobiles  descendent  le  long  de  divers  plans  inclinés  de 
même  hauteur,  les  temps  des  parcours  seront  comme  les  lon- 
gueurs de  ces  plans. 

Proposition  IV. 

Les  temps  employés  à  la  descente  de  plans  de  même  longueur, 
mais  inégalement  inclinés,  sont  en/aison  sous  double  de  la  raison 
des  hauteurs  de  ces  plans,  prises  en  sens  contraire. 

Proposition  V. 

Les  temps  employés  à  la  descente  de  plans  inclinés  quelconques 
sont  entre  eux  en  raison  composée  de  la  raison  des  longueurs  de 
ces  plans  et  de  la  raison  sous  double  de  celle  de  leurs  hauteurs, 
prises  en  sens  contraire. 

Proposition   VI. 

Si,  du  point  le  plus  élevé  d'un  cercle  vertical,  on  mène  diffé- 
rentes cordes,  les  temps  des  descentes  le  long  de  ces  cordes  seront 
égaux. 

(Car  les  carrés  des  cordes  seront  comme  leurs  hauteurs,  ou 
bien  les  cordes  seront  dans  la  raison  sous  double  de  celle  des 


38  Sixième  Période, 


hauteurs,  de  sorte  que  la  raison  composée  de  la  raison  des  cordes 
et  de  la  raison  sous  double  de  celle  des  hauteurs,  renversée,  sera 
la  raison  de  quantités  égales.  ) 

Corollaire  I.  —  Si  Ton  considère  les  cordes  qui  joignent  un 
point  de  la  circonférence  aux  deux  extrémités  du  diamètre  ver- 
tical, les  temps  des  descentes  le  long  de  ces  cordes  sont  aussi 
égaux. 

Corollaire  IL  —  Le  temps  de  la  descente  le  long  d'une  corde 
partant  de  Pun  ou  l'autre  sommet  est  égal  au  temps  de  la  descente 
le  long  du  diamètre  vertical. 

Nous  passons  les  trente-deux  propositions  suivantes  qui  ne 
présenteraient  plus  aujourd'hui  aucun  intérêt.  Efinisce  la  ter^a 
Giornata. 

Du  mouvement  des  projectiles» 

«  Nous  avons  traité  précédemment  du  mouvement  uniforme 
et  du  mouvement  uniformément  accéléré  ;  il  va  être  maintenant 
question  de  celui  d'un  mobile  animé  d'un  double  mouvement, 
l'un  uniforme  et  Tautre  uniformément  accéléré.  Nous  disons  que 
ce  mouvement  est  celui  des  projectiles.  Or  voici  comment  j'en 
constitue  la  génération  [cujus  generationem  talent  constituo). 

Je  conçois  par  la  pensée  un  mobile  lancé  sur  un  plan  hori- 
zontal :  toute  résistance  étant  enlevée  (omni  secluso  impedi- 
mento),  son  mouvement  resterait  perpétuellement  uniforme  si  le 
plan  était  indéfini;  mais,  si  ce  plan  est  terminé,  dès  que  le  mobile 
arrive  à  la  limite,  il  est  soumis  à  la  gravité,  et,  au  delà,  il  ajoute 
à  son  précédent  et  indélébile  mouvement  celui  auquel  il  a  dès 
lors  propension  par  sa  propre  gravité;  d'où  résulte  un  mouvemen 


De  Viète  à  Kepler  iSç 


composé  cl*un  mouvement  uniforme  et  du  mouvement  naturelle- 
ment accéléré.  » 

Telle  est  la  manière  doat  Galilée  présente  ce  qu'on  a  appelé, 
par  une  doublé  exagération,  son  principe  de  Tindépendance  des 
effets  des  forces.  •  *  i 

Proposition  I, 

Un  mobile  emporté  par  un  mouvement  composé  d'un  mouve- 
ment uniforme  horizontal  et  du  mouvement  naturellement  accé- 
léré, décrit  dans  son  parcours  une  demî-parabole. 

Proposition  IL 

Si  un  mobile  est  animé  de  deux  mouvements  uniformes,  l'un 
horizontal  et  l'autre  vertical,  sa  vitesse  sera,  en  puissance,  égale 
aux  deux  vitesses  des  mouvements  primitifs.  (C'est-à-dire  que  le 
carré  de  la  vitesse  du  mouvement  résultant  sera  égal  à  la  somme 
des  carrés  des  vitesses  des  mouvements  composants,  parce  que  les 
deux  vitesses  sont  rectangulaires  entre  elles.) 

Proposition  III  et  IV. 

Galilée  étend  le  théorème  précédent  au  cas  de  la  composition 
d'un  mouvement  uniforme  horizontal  et  du  mouvement  natu- 
rellement accéléré. 

Comme  il  ne  pouvait  donner  de  noms  ni  à  la  vitesse  du  mou- 
vement uniforme,  ni  à  l'accélération  du  mouvement  uniformé- 
ment accéléré,  il  éprouve  naturellement  une  grande  difficulté  à 
mettre  en  rapport  les  deux  mouvements.  Il  tourne  cette  diffi- 
culté, de  la  manière  la  plus  heureuse  et  avec  une  merveilleuse 


40  Sixième  Période. 


entente  des  conditions  concrètes  de  la  question  ;  voici  comment: 
il  a  démontré  que  la  trajectoire  du  mobile  sera  une  parabole; 
mais,  ni  le  paramètre  de  cette  parabole,  ni  l'amplitude  du  jet, 
pour  une  hauteur  donnée,  ne  sont  encore  déterminés;  pour  pou- 
voir traiter  maintenant  la  question  d'une  façon  complète,  il 
définit  le  mouvement  uniforme,  qui  doit  être  composé  avec  le 
mouvement  naturellement  accéléré,  par  la  hauteur  dont  un  corps 
pesant  devrait  tomber  pour  acquérir  une  vitesse  égale  à  celle  du 
mouvement  uniforme  qu'il  veut  introduire  ;  de  sorte  que  tous 
les  éléments  de  la  question  se  trouvent  désormais  comparables 
entre  eux. 

Galilée  démontre  ensuite  que  le  paramètre  de  la  parabole 
décrite  par  le  mobile,  c'est-à-dire  ce  que  nous  appelons  p, 
dans  l'équation  j^-^  2 j>jf,  est  le  double  de  la  hauteur  dont  il 
vient  d'être  parlé. 

Galilée  ne  parle  nulle  part  du  mouvement  composé  d'un  mou- 
vement uniforme  oblique  à  l'horizon  et  du  mouvement  naturel- 
lement accéléré. 

Les  œuvres  de  Galilée  qui  subsistent  ont  été  réunies  et  publiées 
par  M.  Albéri  sous  le  titre: 

Opère  di  Galileo-Galilei,  prima  edi{ione  compléta,  condita 
sugli  auientici  manoscrtiti  palatîni.  i6  volumes  grand  in-8. 
Cette  édition  est  devenue  incomplète  par  suite  de  la  découverte 
récentes  de  plusieurs  pièces  importantes. 


^2^^ 


De  Viète  à  Kepler.  141 


MARIN   GHETALDI. 
(Ne  à  Ragusc  vers  i566,  mort  vers  1627,  probablement  i  Constantinople.  ) 

Son  principal  ouvrage  est  intitulé  :  De  resolutione  et  composi- 
tione  mathematica\  c'est  un  traité  d'Algèbre,  accompagné  d'ap- 
plications à  la  Géométrie.  Ghetaldi  entreprit  la  restitution  du 
livre  p>erdu  d'Apollonius  :  De  tactionibus,  et  ajouta  un  supplé- 
ment à  V  Apollonius  Gai  lus  de  Viète.  Une  mission  dont  il  fut 
chargé  près  du  sultan  interrompit  ses  travaux  et  Ton  croit  qu'il 
ne  revint  pas  de  Constantinople. 


DOMINIS    (marc,    ANTOINE   DE). 
[Né  en  i566  dans  l'île  d'^^j-be  (Dalraatie),  mort  à  Rome  en  1634.] 

Il  fit  ses  premières  études  à  Lorette,  dans  un  collège  dirigé  par 
les  Jésuites,  et  alla  les  achever  à  l'Université  de  Padoue.  11  entra 
fort  jeune  dans  Tordre  des  Jésuites  et  professa  pendant  vingt  ans 
la  Philosophie  et  les  Sciences  naturelles  à  l'Université  de  Padoue. 

C'est  pendant  cette  période  qu'il  composa  son  traité  :  De  radiis 
visus  et  lucis  in  vitris  perspectiuis  et  iride^  qui  ne  fut  publié 
qu'en  161 1  à  Venise  et  qui  eut  l'honneur  d'être  cité  avec  éloges 
par  Newton  dans  son  Optique. 

Dominis  y  tentait  une  explication  tTiéorique  de  l'arc-en-ciel.  Il 
faisait  bien  réfléchir  la  lumière  dans  l'intérieur  des  gouttes  de 
pluie  avant  de  l'en  faire  ressortir,  mais  il  ne  pouvait  rendre 
compte  de  l'angle  sous  lequel  l'observateur  voit  le  rayon  de  l'arc. 
Quant  à  l'explication  qu'il  donnait  de  l'arc  secondaire,  elle  était 
entièrement  fausse.  Il  ne  soupçonna  pas  que  ce  second  arc  fût 


142  Sixième  Période. 


dû  à  une  double  réflexion  de  la  lumière  dans  Tintérieur  des 
gouttes. 

Dominis  demanda  vers  i588  à  sortir  de  l'ordre  des  Jésuites  et 
fut  nommé  d'abord  évêque  de  Segni ,  puis  archevêque  de  Spalatro. 

Il  désirait  des  réformes  et  écrivit  dans  ce  sens  à  la  Cour  de 
Rome;  ne  pouvant  rien  obtenir,  il  abandonna  son  archevêché, 
se  retira  d'abord  à  Venise  où  il  se  lia  avec  Fra  Paolo  Sarpi  et  passa 
ensuite  en  Angleterre  où  il  ne  fit  plus  mystère  de  ses  dissenti- 
ments avec  Rome  et  où  il  publia  en  1617  un  ouvrage  intitulé  : 
De  Republica  ecclesiastica,  qu'il  compléta  en  1620,  et  où  il  pro- 
posait une  foule  de  réformes. 

Cependant,  le  climat  de  Londres  ayant  altéré  sa  santé,  il  dési- 
rait revoir  l'Italie.  Grégoire  XV,  qui  avait  été  son  ami,  le  lui 
permitjmais  il  mourut  l'ewmée  même  du  retour  de  Dominis,  qui 
trouva  dans  Urbain  VIII  un  ennemi  acharné. 

Enfermé  au  château  Saint  Ange,  il  y  fut,  dit-on,  empoisonné. 
On  l'enterra  provisoirement,  mais  1-inquisîtion  fit  brûler  son 
corps  l'année  suivante  avec  ses  livres. 


METIUS    (ADRIEN). 
(Ne à  Alkmaër  en  iSjo,  mort  à  Franckcr  en  i635.) 

Il  occupa  pendant  trente-huit  ans  la  chaire  de  Mathématiques 
à  Francker.  On  s'était  contenté  depuis  Archimède  de  la  valeur 
approchée  ^  pour  le  rapport  de  la  circonférence  au  diamètre, 
Métius  poursuivit  un  peu  plus  loin  les  calculs  du  grand  géo- 
mètre et  trouva  •-''-?. 


De  Viète  à  Kepler.  143 


Ses  principaux  ouvrages  sont  :  Doctrinœsphœricœ  libri  quinque 
(1598);  Universœ  Astronomiœ  institutio  {1606);  Praxis  nova 
geometrica  (1623);  Problemata  astronomica  (1623);  Calenda- 
rium  perpetuum  (1627). 

MÉTIUS    (JACQUES). 
( Né  à  Alkmaër  vers  iSyi.) 

a  II  y  a  environ  trente  ans,  dit  Descartes,  dans  sa  Dioptrique, 
qu'un  nomméJacques  Metius,  de  la  ville  d' Alkmaër  en  Hollande, 
homme  qui  n'avait  jamais  étudié,  bien  qu'il  eût  un  père  et  un 
frère  qui  ontfait  profession  de  Mathématiques,  maisqui  prenaitpar- 
ticuHèrement  plaisir  à  faire  des  miroirs  et  verres  brûlants,  ayant 
à  cette  occasion  plusieurs  verres  de  diverses  formes,  s'avisa,  par 
bonheur,  de  regarder  au  travers  de  deux,  dont  Tun  était  un  peu 
plus  espais  au  milieu  qu'aux  extrémités,  et  l'autre  au  contraire 
beaucoup  plus  espais  aux  extrémités  qu'au  milieu,  et  il  les  appli- 
qua si  heureusement  aux  deux  bouts  d'un  tuyau,  que  la  première 
des  lunettes  en  fut  composée,  et  c'est  seulement  sur  ce  patron 
que  toutes  les  autres  qu'on  a  veues  depuis  ont  esté  faictes.  » 

Cette  lunette,  composée  d'un  objectif  biconvexe  et  d'un  oculaire 
biconcave,  a  pris  le  nom  de  télescope  batavique.  Elle  fut  remplacée 
peu  après  par  diverses  combinaisons  de  verres  biconvexes  don- 
nant des  images  renversées  ou  droites. 


^^gm^ 


SEPTIEME    PERIODE 


De  KEPLER,  né  en  i5j\, 
à  DESCARTES,   né  en    1596. 


M.  Marie.  —  Histoire  de*  Sciences ^  III. 


Noms  des  savants  de  cette  Période. 


KEPLER 

OUGHTRED 

SCHEINER 

Salomon  de  Causs 

GULDIN 

Castelli 

Van  Helmont 

Harvet 

foscarini 

Faulhaber 

ROTH 

I'eiresc, 

Wendelin 

Vernier 

De  Beausoleil 

Eachet  de  Méziriac 

Gunter  

Bainbridge 

MoRiN  (Jean-Baptiste) 

Grégoire  de  Saint- Vincent. 

Mvdorge 

Mersenne 

Richard 

Albert  Girard 

Snellius 

Gassendi 

Desargues 

Wingate 

Henrion 

Marci  de  Kronland 


é   en 

Mort  en 

iSyi 

i63o 

i574 

1660 

1575 

i63o 

iS-jG 

i63o 

1577 

1G43 

1577 

1644 

077 

1044 

1578 

i658 

i58o 

1616 

i58o 

i635 

i58o 

1617 

i58o 

1637 

i58o 

1660 

i58o 

1637 

i58o 

1 643 

i58i 

i638 

i58i 

i6iG 

i582 

1643 

i383 

i636 

i584 

1667 

i585 

,647 

i588 

1Ô48 

i58q 

1664 

1590 

.634 

1D91 

1626 

1592 

i655 

1593 

1662 

iSgS 

i656 

1640 

I  Dip 

1(307 

®^^^^^^È^^^^^^^''^^î^:^^È^c^ 


SEPTIÈME    PERIODE, 


CETTE  période  comprend  Ke'pler  et  Harvey,  qui  ont  intro- 
duit en  Astronomie  et  en  Physiologie  des  éléments 
nouveaux  de  la  plus  haute  importance;  Desargues,  qui 
a  fait  faire  des  progrès  remarquables  à  la  Géométrie  théorique, 
en  même  temps  qu'il  en  faisait  d'utiles  applications  aux  Arts 
et  à  l'Industrie;  Van  Helmont  de  qui  date  la  Chimie;  Grégoire 
de  Saint  Vincent  qui  quarra  Thyperbole  rapportée  à  ses  asym- 
ptotes et  Snellius  qui  découvrit  la  loi  de  la  réfraction;  elle  est 
donc  d'autant  plus  glorieuse  que,  malgré  la  valeur  considérable 
des  découvertes  qui  l'illustrent,  elle  est  extrêmement  courte.  Mais 
la  méthode  n'y  subit  aucune  modification  assignable;  nous  lais- 
serons donc  les  faits  parler  eux-mêmes. 

Progrès  de  V Arithmétique. 

Oughtred  imagine  la  méthode  abrégée  de  calcul,  pour  la  multi- 
plication. Gunter  invente  la  règle  à  calcul,  ou  règle  logarith- 
mique. 


148  Septième  Période. 


Progrès  de  la  Géométrie. 

Kepler  trouve  la  cubaturedu  volume  engendré  par  un  segment 
elliptique,  symétrique  par  rapport  à  l'un  des  axes  de  la  courbe, 
tournant  autour  de  sa  corde.  Guldin  retrouve  le  théorème 
énoncé  par  Pappus  sur  les  surfaces  et  volumes  de  révolution. 
Grégoire  de  Saint  Vincent  quarre  l'hyperbole  rapportée  à  ses 
asymptotes.  Desargues  établit  la  théorie  de  l'involution;  il  fonde 
la  perspective  théorique  et  la  stéréotomie. 

Progrès  de  la  Mécanique. 

Castelli  ébauche  la  théorie  des  eaux  courantes.  Kepler  admet 
de  la  part  du  Soleil  une  action  attractive  sur  les  planètes  et  y 
rattache  la  pesanteur.  Desargues  enseigne  la  construction  théo- 
rique des  profils  des  dents  des  engrenages.  Marci  ébauche  la 
théorie  du  choc  des  solides. 

Progrès  de  V Astronomie. 

Kepler  découvre  les  belles  lois  qui  portent  son  nom,  Wendelin 
vérifie  que  les  satellites  de  Jupiter  y  sont  soumis.  Snellius  tente 
une  nouvelle  détermination  de  la  longueur  d'un  degré  du  méri- 
dien. 

Progrès  de  la  Physique. 

Vernier  invente  l'instrument  qui  porte  son  nom.  Snellius 
découvre  la  loi  de  la  refraction.  Marci  annonce  l'inégale  réfran- 
gibilité  des  rayons  diversement  colorés. 

Progrès  de  la  Chimie, 

Van  Helmont  commence  à  distinguer  les  airs  les  uns  des  autres 
et  leur  donne  le  nom  de  ga^. 


De  Kepler  à  Descartes, 


149 


Progrès  de  la  Physiologie. 

Van  Helmont  découvre  dans  Testomac  le  suc  gastrique  et  en 
étudie  les  fonctions.  Harvey  démontre  la  circulation  du  sang  et 
apprécie  le  rôle  de  la  respiration  dans  la  transformation  du  sang 
veineux  en  sang  artériel.  Kepler  détermine  les  fonctions  des 
diverses  parties  de  Toeil  et  fonde  la  théorie  de  la  vision. 


BIOGRAPHIE 

DES 

SAVANTS  DE  LA  SEPTIÈME  PÉRIODE 

ET 
ANALYSE  DE  LEURS  TRAVAUX. 


KEPLER    (JEANJ. 
[Né  à  Weil  (Wurtemberg)  en  1571,  mort  à  Ratisbonne  en  i63o.] 

Il  commença  par  être  garçon  de  cabaret  chez  son  père,  puis 
cultivateur.  Son  père  ayant  repris  l'état  de  soldat,  qu'il  avait 
abandonné  pour  se  faire  cabaretier,  le  jeune  Kepler  se  vit  en  butte 
aux  mauvais  traitements  de  sa  mère  et  de  ses  deux  frères  aînés. 
Il  se  réfugia  auprès  de  sa  sœur  Marguerite,  qui  l'affectionnait 
beaucoup,  mais  dont  le  mari,  homme  d'un  caractère  brutal,  mit 
l'enfant  faible  et  maladif  aux  travaux  des  champs  et  ne  se  décida 
que  plus  tard  à  le  faire  entrer  au  séminaire  de  Tubingue,  où  il 
fut  admis  gratuitement  (i  589). 

Expulsé  de  cette  maison  pour  ses  opinions  peu  orthodoxes, 
Kepler  se  mit  à  suivre  les  cours  de  Mathématiques  de  TU  niversité, 
y  fit  de  grands  progrès  et  fut  nommé ,  à  vingt-deux  ans,  profes- 
seur de  Mathématiques  à  Graetz,  en  Styrie. 

Chargé  de  la  rédaction  de  Talmanach,  il  faisait  dès  lors  de  ses 
calendriers  un  singulier  mélange  de  renseignements  astrono- 


De  Kepler  à  Descartes.  i5i 

miques,  de  prédictions  du  temps  et  de  théologie  mystique;  figu- 
rant le  Père  éternel  par  le  Soleil,  le  Fils  par  Téther,  etc.,  etc. 

En  1 597,  Kepler  épousa  une  veuve  belle  et  noble,  deux  qualités 
qu'elle  fit  payer  cher  à  son  mari.  Pour  obtenir  sa  main,  Kepler 
dut,  vaille  que  vaille,  faire  preuve  de  noblesse.  Sa  vie  conjugale 
fut  ensuite  un  long  martyre. 

En  1599,  les  persécutions  religieuses  Tobligèrent  à  quitter 
Graetz.  Tycho-Brahé  l'appela  à  Prague,  pour  l'aider  dans  la 
composition  de  ses  Tables  Riidolphines ^  et  lui  fit  offrir  de 
superbes  appointements,  que  Kepler  accepta.  Malheureusement, 
Tycho  n'était,  ou  plutôt  ne  pouvait  plus  être,  généreux  qu'en 
paroles  :  il  fallut  que  la  femme  de  son  malheureux  collaborateur 
tirât,  florin  par  florin,  les  appointements  de  son  mari. 

La  mort  de  Tycho  (iboi)  parut  amener  dans  la  situation  de 
Kepler  un  changement  heureux  :  il  succéda  a  Tycho  comme 
astronome  de  l'empereur  Rodolphe  II.  Mais  la  pension,  d'ail- 
leurs modique,  que  lui  assigna  le  souverain  fut  encore  plus  mal 
payée  que  les  appointements  que  lui  servait  Tycho-Brahé;  si 
bien  que,  pour  gagner  sa  vie,  l'illustre  astronome  fut  réduit  à 
tirer  l'horoscope  des  gens  de  cour. 

La  vie  de  Kepler  n'offre  plus  dès  lors  qu'une  série  de  misères 
domestiques  et  d'infortunes  de  toutes  sortes.  Malheureux  avec 
une  femme  acariâtre, ,  qui  devint  épileptique,  puis  folle,  il  fut, 
dans  un  second  mariage,  accablé  d'enfants.  Persécuté  par  les 
orthodoxes  de  Linz,  où  il  avait  fixé  sa  résidence  comme  astro- 
nome impérial;  obligé  d'aller,  en  161 1,  intercéder  auprès  du  duc 
de  Bavière,  pour  sauver  sa  mère,  sur  le  point  d'être  brûlée  comme 
sorcière;  pensionné  par  des  princes  et  manquant  le  plus  souvent 
de  pain,  il  est  un  des  plus  nobles  exemples  du  génie  prenant 


52  Septième  Période. 


librement  son  essor  et  se  dégageant  radieux  des  étreintes  du  mai- 
heur  et  delà  fatalité. 

C'est,  en  effet,  au  milieu  des  amertumes  et  des  dégoûts  d'une 
semblable  vie  qu'il  dut  poursuivre  ses  profondes  études,  ses 
recherches  immenses  et  ses  lumineuses  investigations.  Il  mourut 
pendant  un  des  fréquents  et  inutiles  voyages  qu'il  faisait 
pour  essayer  de  toucher  ses  appointements  arriérés.  Il  n'avait 
alors  que  cinquante-neuf  ans.  Le  découragement  ne  paraît 
jamais  avoir  atteint  son  âme  énergique,  car  il  disait,  avec  un 
noble  et  juste  orgueil,  «  qu'il  ne  céderait  pas  ses  ouvrages  pour 
le  duché  de  Saxe.  « 

Comme  savant,  Kepler  offre  un  mélange  des  qualités  et  des 
défauts  intellectuels  les  plus  inconciliables,  poussés  à  un  point 
qui  en  rend  la  coexistence  eticofe  plus  difficile  à  expliquer. 

Il  faut  tenir  compte  à  la  fois  des  vices  de  son  éducation  pre- 
mièrCj  de  l'empire  absolu  qu'exerçaient  sur  tous  les  esprits  les 
énormes  absurdités  physiques  enseignées  de  son  temps  dans  les 
écoles,  du  trouble  général  apporté  par  les  premières  idées  de 
réforme,  delà  misère  des  temps,  etc.,  etc.,  pour  concevoir  qu'un 
homme  tel  que  Kepler  ait  pu  associer  tant  de  persévérance,  de 
sagacité,  de  génie  dans  la  recherche  difficile  de  la  vérité,  avec  un 
goût  prononcé  pour  l'astrologie,  les  horoscopes,  les  prédictions  de 
la  pluie  et  du  beau  temps. 

On  a,  pour  expliquer  des  contradictions  si  étranges,  soutenu, 
non  sans  raison,  que  les  élucubrations  astrologiques  de  Kepler 
ne  lui  étaient  inspirées  que  par  le  désir  de  faire  passer  la  vérité  à 
l'aide  des  erreurs  alors  universellement  admises;  un  passage  d'un 
de  ses  livres,  en  effet,  appuie  fortement  cette  hypothèse  : 

'  De  quoi  vous  plaignez-vous,  philosophe  trop  délicat,  si  une 


De  Kepler  à  Descartes.  1 33 


fille  que  vous  jugez  folle  soutient  une  mère  sage,  mais  pauvre,  si 
cette  mère  n'est  soufferte  parmi  les  hommes,  plus  fous  encore,  qu'en 
considération  de  ces  même  folies  ?  Si  Ton  n'avait  eu  le  crédule 
espoir  de  lire  Tavenir  dans  le  ciel,  auriez-vous  jamais  été  assez 
sages  pour  étudier  l'Astronomie  pour  elle-même?  » 

*  Nos  faiseurs  de  systèmes,  dit  Delambre,  n'ont  pas  imaginé 
plus  de  folies  que  Kepler;  mais  ils  ne  calculent  rien,  et  Kepler 
soumettait  tout  au  calcul;  il  n'abandonnait  pas  une  idée  avant 
d'en  avoir  bien  démontré  l'exactitude  ou  la  fausseté.  C'est  ainsi 
qu*il  est  parvenu  à  ses  immortelles  découvertes  et  qu'il  s'est  dis- 
tingué parmi  tant  d'autres  rêveurs,  qui  n'ont  pas  eu  le  même 
courage,  la  même  bonne  foi,  ou  qui  n'avaient  pas  ses  connais- 
sances mathématiques,  o 

C'est  souvent  la  raison  la  plus  puérile  du  monde  qui  détermine 
Kepler  à  une  croyance, d'abord  absolue,  en  une  loi  fausse.  Quand 
son  opinion  est  fixée,  il  en  cherche  la  justification  dans  des  calculs 
qui  eussent  arrêté  tout  autre  que  lui;  ces  calculs  lui  montrent 
qu'il  s'est  trompé,  mais  il  avance  ainsi  insensiblement  vers  la 
découverte  de  la  vérité,  parce  qu'il  a  recueilli  en  chemin  des  obser- 
vations utiles  qui  lui  serviront  plus  tard. 

Le  premier  ouvrage  de  Kepler  est  son  Prodromus  disserta- 

l  tionurriy  continens  mysterium  cosmographicum  de  abmirabili 
proportione  orbium  cœlestium ,  deque  causis  cœlorum  numeri , 
magnitudinis,  motuumque  periodicorum  genuinis  et  propriis, 
demonstratum per  quinque  regularia  corpora  geometrica.  Il  fut 

f  publié  pour  la  première  fois,  en  iSqô,  par  les  soins  de  Mœstlin, 
dont  Kepler  avait  été  le  disciple,  et  réimprimé  vingt-cinq  ans 
après,  avec  les  Harmoniques.  Dans  l'intervalle,  Kepler  s'était 
presque  exclusivement  occupé  d'achever  les  Tables  Rudolphines. 


i54  Septième  Période. 


Le  Prodromus  justifie  pleinement,  ce  nous  semble,  le  juge- 
ment que  nous  avons  porté  plus  haut  :  le  but  que  s'y  propose 
Kepler,  qui  n'avait  alors  que  vingt-quatre  ans,  est  d'établir  cette 
loi  singulière  que  les  distances  des  planètes  au  Soleil  procèdent 
des  cinq  polyèdres  réguliers.  Le  créateur,  en  établissant  l'ordre, 
le  nombre  et  les  proportions  des  cieux,  ne  pouvait  n'avoir  pas 
songé  aux  cinq  polyèdres  réguliers,  a  Prenez  donc  l'orbe  de  la 
Terre  pour  première  mesure,  circonscrivez-y  le  dodécaèdre,  dé- 
crivez un  cercle  autour  de  ce  dodécaèdre,  ce  sera  l'orbite  de  Mars  ; 
à  cette  orbite  circonscrivez  le  tétraèdre,  le  cercle  qui  l'enfermera 
sera  l'orbite  de  Jupiter;  à  cette  dernière  orbite,  circonscrivez  le 
cube,  et  le  cercle  que  vous  décrirez  autour  sera  l'orbite  de 
Saturne.  »  Voilà  pour  les  planètes  supérieures.  Maintenant, 
«  dans  l'orbe  de  la  Terre  inscrivez  l'icosaèdre,  il  comprendra 
l'orbite  de  Vénus  ;  à  cette  orbite  inscrivez  l'octaèdre ,  il  renfermera 
l'orbe  de  Mercure.  )>  C'est  ce  qui  fait  qu'il  n'y  a  "que  cinq  pla- 
nètes et  la^Terre... 

Un  autre  système  qu'il  avait  conçu  antérieurement  l'avait 
amené  à  supposer  l'existence  de  deux  planètes  inconnues  :  l'une 
entre  Mars  et  Jupiter,  l'autre  entre  Mercure  et  Vénus;  mais  il 
n'était  pas  très  satisfait  de  cette  hypothèse,  et  sa  nouvelle  idée  lui 
parut  bien  préférable.  «  Vous  ne  trouverez  plus  ici,  dit-il,  de 
planètes  inconnues,  interposées  parmi  les  autres  ;  je  n'étais  pas 
trop  content  de  cette  audace;  au  lieu  que,  sans  rien  faire  qu'un 
peu  de  violence  aux  corps  connus,  je  les  enchaîne  les  uns  aux 
autres.  »  Au  milieu  de  ces  folies,  on  trouve,  dans  le  Prodromus, 
de  bonnes  et  solides  raisons  à  l'appui  du  système  de  Copernic. 

Après  l'hypothèse  folle,  viennent  les  travaux  de  vérification, 
qui  donnent  à  Kepler  l'occasion  de  perfectionner  les  méthodes  et 


De  Kepler  à  Descartes.  i53 


de  rectitier  les  observations  ;  il  trouve  que  «  Mars  et  Vénus  vont 
bien;  la  Terre  et  Mercure,  pas  mal;  Jupiter  seul  s'écarte  de  la 
loi  ;  mais  à  une  si  grande  distance^  on  doit  peu  s'en  étonner,  etc.  •> 
Du  reste,  les  distances  données  par  Copernic  étaient  comptées  à 
partir  du  centre  du  grand  orbe,  et  non  pas  à  partir  du  Soleil. 
Celte  observation  que  fait  en  passant  Kepler,  pour  justifier  son 
système,  prendra  plus  tard  une  tout  autre  importance. 

Kepler,  cherchant  ensuite  à  relier,  par  une  loi,  les  durées  des 
révolutions  des  planètes  aux  grandeurs  de  leurs  orbes,  montre 
qu'il  n'y  a  pas  proportion  simple.  <c  Quelle  peut  être  la  cause  de 
ces  différences?  Les  impulsions  motrices  sont-elles  plus  faibles  à 
une  plus  grande  dislance  du  Soleil?  ou  bien  n'y  aurait-il  qu'une 
seule  âme  motrice  placée  dans  le  Soleil,  qui  agirait  avec  plus  de 
force  sur  les  corps  voisins,  avec  moins  de  force  sur  les  corps 
éloignés  ?  »  Il  imagine  alors  la  règle  suivante  :  «  Ajoutez  à  la 
durée  de  la  révolution  d'une  planète  la  moitié  de  l'excès  de  celle 
de  la  planète  suivante,  le  rapport  sera  celui  des  distances  des  deux 
planètes  au  Soleil.  La  raison  en  est  que  le  cercle  augmente  comme 
la  dislance  et  que  la  force  s'affaiblit  en  même  proportion;  ainsi, 
un  éloignement  de  la  planète  agit  deux  fois  sur  la  longueur  de  la 
période.  »  Il  n'établira  que  bien  plus  tard  la  véritable  loi  de  la 
proportion  sesquialtère.  Outre  les  calculs  astronomiques,  le 
Prodromus  contient  beaucoup  de  divagations  astrologiques, 
musicales  et  autres.  Tycho,  à  qqi  Kepler  avait  envoyé  cet 
ouvrage,  lui  conseilla  d'abandonner  ses  vaines  tentatives  d'expli- 
cations, pour  se  livrer  exclusivement  aux  observations  ;  mais  le 
génie  de  l'intuition  le  poussait  irrésistiblement. 

Les  Harmonices  mundi  libri  V  de  figurarum  regularium 
quœ proportiones  harmonicas  pariunt  ortu^  classibus^  ordine  et 


i56  Septième  Période. 


differentiis,  causa  scientiœ  et  demonstrationis^  sont  de  1619.  Cet 
ouvrage  participe  encore  de  la  première  manière  de  Kepler.  Il  y 
est  encore  question  des  propriétés  merveilleuses  de  certains  nom- 
bres, des  harmonies  musicales,  des  facultés  de  Tâme;  on  y  lit  que 
l'air  est  troublé  lorsque  les  planètes  sont  en  conjonction,  que  la 
Terre  a  une  âme  qui  connaît  le  zodiaque,  etc.  ;  mais  au  milieu  de 
ce  fatras  se  trouve  la  découverte  de  la  loi  des  révolutions  des 
planètes.  «  Achevons,  dit-il,  la  découverte  commencée  il  y  a  vingt- 
deux  ans  :  c'est  une  chose  très  certaine  et  très  exacte,  que  la 
proportion  entre  lôs  temps  périodiques  de  deux  planètes  est 
précisément  sesquialtère  de  la  proportion  des  moyennes  distances. 
Depuis  huit  mois,  j'ai  vu  le  premier  rayon  de  lumière;  depuis 
trois  mois,  j'ai  vu  le  jour  ;  enfin,  depuis  peu  de  jours,  j'ai  vu  le 
Soleil  de  la  plus  admirable  contemplation.  Rien  ne  me  retient,  je 
me  livre  à  mon  enthousiasme;  je  veux  insulter  aux  mortels  par 
l'aveu  ingénu  que  j'ai  dérobé  les  vases  d'or  des  Égyptiens,  pour 
en  former  à  mon  Dieu  un  tabernacle,  loin  des  confins  de  rÉg}^pte. 
Le  sort  en  est  jeté,  j'écris  mon  livre  ;  il  sera  lu  par  l'âge  présent 
ou  la  postérité,  peu  m'importe  ;  il  pourra  attendre  son  lecteur. 
Dieu  n'a-t-il  pas  attendu  six  mille  ans  un  contemplateur  de  ses 
oeuvres?  »  Après  ce  sublime  effort,  Kepler  se  replonge  dans  les 
rapports  de  la  Musique  avec  les  mouvements  des  corps  célestes. 
Saturne  et  Jupiter  font  évidemment  la  basse.  Mars  le  ténor,  la 
Terre  et  Vénus  la  haute-contre,  et  Mercure  le  baryton.  Le  tout 
est  entremêlé  d'invocations  et  d'actions  de  grâces. 

Antérieurement  aux  Harmonies^  que  nous  avons  à  dessein 
rapprochées  du  Prodromus,  Kepler  avait  publié  en  1604,  sous  ce 
titre  ;  Q4d  Vitellionem  Paralipomena  quitus  Astronomiœ  pars 
optica  traditur.  etc.,  un  ouvrage  plus  posé,  mieux  raisonné,  où 


De  Kepler  à  Descartes.  1 57 


Ton  trouve  une  table  des  réfractions  astronomiques  très  bonne, 
quoique  fournie  par  une  formule  empirique;  mais  surtout, 
d'abord,  une  bonne  description  de  l'œil,  une  analyse  exacte  des 
fonctions  de  ses  différentes  parties  et  une  théorie  de  la  vision 
beaucoup  plus  complète  que  celle  de  Maurolyco,  en  ce  que 
Kepler  faisait  expressément  concourir  les  rayons  lumineux  sur  la 
rétine,  dans  le  cas  de  la  vue  distincte,  et  pouvait  par  conséquent 
bien  mieux  rendre  compte  des  défauts  de  l'œil  connus  sous  les 
noms  de  presbytisme  et  de  myopie;  en  second  lieu,  la  théorie  du 
télescope  qui  venait  d'être  inventé  en  Hollande  par  Jacques 
Métius. 

En  1606,  l'apparition  subite  d'une  nouvelle  étoile  le  faisait 
retomber  dans  ses  écarts;  le  titre  du  livre  qu'il  publia  sur  cette 
étoile  suffit  pour  le  faire  juger  :  J.  Kepleri,  de  Stella  nova  in 
pede  Serpentarii,  et  qui  sub  ejiis  exortum  de  novo  iniit  Trigono 
igneo^  libclliis  astronomicis ,  physicis^  metaphysicis,  meteo- 
rologicis  et  astrologicis  disputationibus  evcoîoiç  et  Trapa&o;oi; 
pleniis.  C'est  dans  cet  ouvrage  qu'on  trouve  la  singulière  apologie 
de  l'astrologie,  que  nous  avons  citée  plus  haut. 

L'ouvrage  qui  assure  à  Kepler  une  gloire  immortelle  est 
de  1609  :  il  parut  sous  ce  titre  :  Astronomia  nova  seii  physica 
cœlestis  tradita  commentariis  de  motibus  stellce  Martis,  etc. 
L'introduction  contient  des  idées  justes  et  profondes  sur  la  pesan- 
teur ou  attraction  terrestre,  à  laquelle  Kepler  affirme  que  l'air 
est  soumis  comme  les  autres  corps,  qui  agit  sur  la  Lune  et  la 
retient  dans  son  orbite,  tandis  que  notre  satellite  agit  sur  nous, 
en  produisant  par  exemple  les  marées.  C'est  dans  cet  ouvrage 
que  Kepler,  portant  pour  la  première  fois  le  point  de  vue  au 
centre  du  Soleil,  et  construisant  par  points  l'orbite  de  Mars, 


1 58  Septième  Période. 


trouve  d'abord  qu'elle  est  ovale,  puis,  après  de  nouveaux  calculs, 
que  c'est  une  ellipse  dont  le  Soleil  occupe  l'un  des  foyers;  enfin, 
que  la  planète  décrit  des  arcs  auxquels  correspondent  des  aires 
proportionnelles  aux  temps.  Il  est  difficile  de  se  figurer  le 
nombre  et  l'étendue  des  calculs  qu'il  eut  à  faire  pour  arriver 
enfin  à  la  solution  complète  du  problème.  Il  dit,  à  propos  d'une 
des  méthodes  qu'il  employa  momentanément  dans  ses  essais  : 
«  Si  vous  la  trouvez  pénible  et  ennuyeuse,  prenez  donc  pitié  de 
moi,  qui  ai  fait  ces  calculs  soixante-dix  fois,  et  ne  vous  étonnez 
pas  que  j'aie  passé  cinq  ans  sur  cette  théorie  de  Mars.  Il  se  trou- 
vera quelques  géomètres  très  subtils,  tels  que  Viète,  qui  s'écrie- 
ront que  la  méthode  n'est  pas  géométrique  ;  qu'ils  aillent  donc, 
et  qu'ils  résolvent  le  problème,  et  erit  mihi  magnus  Apolîo.  Si  la 
méthode  est  difficile,  il  serait  bien  plus  difficile  encore  de  faire 
cette  recherche  sans  méthode.  » 

Les  autres  ouvrages  de  Kepler  sont  :  la  Dioptrique,  oîi  il  pro- 
pose de  substituer  à  Toculaire  biconcave  du  télescope  batavique 
un  oculaire  biconvexe,  de  façon  à  obtenir  ce  qu'on  a  depuis 
appelé  la  lunette  astronomique,  qui  renverse  les  images,  mais 
dont  le  champ  est  plus  étendu;  une  table  des  logarithmes  (1624); 
Epitome  Astronomiœ  Copernicanœ  (16 18- 1622),  dont  la  préface 
contient  une  grande  vérité  qui  est  applicable  surtout  à  l'auteur  : 
que  la  philosophie  entière  n'est  rien  autre  chose  qu'un  combat  avec 
la  vieille  ignorance;  Tychonis-Brahei  Dani  Hyperaspistes,  etc.. 
réfutation  d'un  détracteur  de  Tycho-Brahé;  Nova  dissertatiuri- 
cula  de  fundamentis  astrologiœ  (1602);  De  cometa  anni  1604; 
Narratio  de  quatuor  Jovis  satellitibus  (  16 10  et  161 1  )  ;  Apolo- 
gia  Harmonices  mundi  (1622);  Discursus  conjunctionis  Sa- 
turni  et  Jovis  in  Leone  (i623);  enfin,  sa  Stereometria  dolio- 


De  Kepler  à  Descartes.  1 5g 


runiy  que  nous  devons  considérer  à  part,  comme  étant  purement 
géométrique. 

Cet  ouvrage  a  eu,  sur  la  Géométrie,  une  certaine  influence.  Sous 
ce  titre  bizarre,  qui  veut  dire  Jaugeage  des  tonneaux,  Kepler 
se  propose  la  cubature  des  solides  engendrés  par  les  coniques 
tournant  autour  d'axes  contenus  dans  leurs  plans.  Cette  ques- 
tion n'avait  pas  fait  un  pas  depuis  Archimède.  La  méthode 
qu'imagine  Kepler  prélude  à  l'invention  du  calcul  infinitésimal. 
«  Le  cercle,  dit-il,  n'est  que  le  composé  d'un  grand  nombre  de 
triangles  dont  le  sommet  commun  est  au  centre  et  dont  les  bases 
sont  sur  la  circonférence;  le  cône  est  de  même  composé  d'une 
infinité  de  pyramides,  etc.  »  Il  propose  la  substitution  de  dé- 
monstrations fondées  sur  des  considérations  de  ce  genre  à  celles 
qui  sont  usitées  dans  les  éléments.  L'idée  est  féconde.  Mais 
Kepler,  ayant  échoué  dans  la  plupart  des  recherches  qu'il  s'était 
proposées,  donna  à  tout  hasard  des  solutions  fausses. 

La  seule  question  qu'il  aborda  avec  succès  est  celle  de  la  dé- 
termination du  volume  engendré  par  la  révolution  d'un  segment 
circulaire  ou  d'un  segment  elliptique,  symétrique  par  rapport  à 
l'un  des  axes,  tournant  autour  de  sa  corde.  La  question,  il  est 
vrai,  ne  laissait  pas  que  de  présenter  des  difficultés  considérables 
pour  l'époque. 

Voici  comment  Kepler  la  résout  :  soit  AMB  [fig.  4)  le 
segment  considéré,  que,  pour  faciliter  le  langage,  nous  suppo- 
serons dans  un  plan  horizontal;  soit  MN  la  flèche  et  M3  une 
verticale  telle  que 


MS 

MN 

concevons  le  cylindre  vertical  ayant  pour  directrice  l'arc  AMB  et 


MN       "'"' 


i6o 


Septième  Période. 


coupons  ce  cylindre  par  le  plan  ASB  :  le  tronc  AMBSN  de  ce 
cylindre  aura  un  volume  égal  à  celui  du  corps  engendré  par  la 
révolution  du  segment.  En  effet,  une  section  msn  de  ce  tronc 
aura  pour  mesure 

^m72  X5m  =  ym«  X  27rm?7"7rmw  , 

c'est-à-dire  précisément  la  section  par  le  plan  msn  du  solide 

de  révolution. 

Fig.  4. 


Cela  posé,  prolongeons  les  génératrices  du  cylindre  et  la 
droite  SN  jusqu'à  leurs  rencontres  avec  un  autre  plan  horizontal 
A"A'M'B'B"  situé  à  une  distance  du  premier  telle  que  M'N"  soit 
égale  au  rayon  du  cercle,  s'il  s'agit  d'un  segment  circulaire,  ou 
à  l'axe  de  symétrie  du  segment,  s'il  s'agit  d'un  segment  ellip- 
tique; enfin  formons  aussi  les  surfaces  cylindriques  verticales 
yyant  pour  directrices  les  arcs  A"A'  et  B"B'  et  terminons  ces  sur- 
faces au  même  plan  S  A  B  A"B". 

Pour  la  même  raison  que  précédemment,  le  tronc  A^M'E^SN" 


De  Kepler  à  Descartes.  i6i 


du  cylindre  total,  sera  égal  au  volume  qu'engendrerait  le  demi- 
cercle  ou  la  demi-ellipse  A"M'B'  tournant  autour  de  A''B'',  c'est- 
à-dire  au  volume  entier  de  la  sphère  ou  au  volume  entier  de 
l'ellipsoïde,  volumes  connus. 

Or  la  diÉférence  entre  les  volumes  des  deux  troncs  A'^M'B^S  N" 
et  A  M  BSN  se  compose  de 

A  A'A'^A"  -^  B  B'B"B'", 

ou  deux  fois  le  volume  qu'engendrerait  le  demi  segment  A'A"A  " 
tournant  autour  de  A"B",  volume  qui  n'est  autre  qu'un  segment 
sphérique  ou  un  segment  de  sphéroïde,  déterminés  Tun  et 
l'autre  par  Archimède;  plus  le  volume  du  prisme  triangulaire 
A'A  A'^B'B  B"',  qui  est  connu,  plus  enfin  le  volume  du  cylindre 
AMBA'M'B'  dont  la  base  et  la  hauteur  sont  connues. 

On  peut  donc  évaluer  le  volume  A  M  BSN  ou  le  volume  en- 
gendré par  le  segment  AMB  tournant  autour  de  la  corde. 

Cette  curieuse  solution  méritait,  je  crois,  d'être  mentionnée. 

Kepler  mourut,  comme  nous  l'avons  dit,  à  Ratisbonne,  où  il 
était  venu  solliciter  le  payement  d'un  arriéré  de  sa  pension.  La 
ville  ayant  été  prise  et.  saccagée  trois  ans  après,  on  ne  retrouva 
plus  aucun  vestige  du  modeste  tombeau  qui  avait  reçu  sa  dé- 
pouille. Un  monument  plus  durable  lui  a  été  élevé,  en  1807. 
dans  le  jardin  botanique  de  la  ville,  sur  l'emplacement  de  l'an- 
cien cimetière.  Son  buste,  en  marbre  de  Carrare,  y  est  posé  sur 
un  piédestal  du  même  marbre.  L'ensemble  du  monument  est  une 
rotonde  de  vingt  pieds  de  rayon,  entourée  de  cyprès;  il  se  ter- 
mine par  une  sphère  portée  sur  un  axe  parallèle  à  l'axe  du  monde, 
et  sur  le  pourtour  duquel  sont  gravés  les  douze  signes  du  zo- 
diaque, avec  les  symboles  des  planètes,  de  la  Lune  et  du  Soleil. 

M.  Marie.  —  Histoire  des  Sciences,  III.  1 1 


102  Septième  Période. 


Kepler  avait  donné  son  portrait  à  son  secrétaire,  Gringalet, 
qui  le  céda  à  Bernegger,  lequel  le  déposa  à  la  bibliothèque  de 
Strasbourg,  brûlée,  comme  on  sait,  durant  le  siège  de  1870. 

Tel  fut  Kepler,  homme  étrange,  en  qui  Ton  ne  sait  ce  qu'on 
doit  admirer  le  plus,  ou  la  grandeur  de  ses  découvertes  ou  les 
prodigieuses  aberrations  de  son  esprit.  «  Par  la  réunion  des  qua- 
lités les  plus  opposées,  a  dit  Arago,  Kepler  occupe  dans  l'histoire 
de  la  Science  une  place  tout  exceptionnelle.   En   montrant,  dès 
ses  premiers  pas  dans  l'étude  de  l'Astronomie,  le  présomptueux 
espoir  de  déchiffrer  l'énigme  de  la  nature  et  de  s'élever,  par  le 
pur  raisonnement,  à  la  connaissance  des  vues  esthétiques  du 
Créateur,  il  semble  d'abord  s'égarer,  avec  une  audace  insensée 
et  sans  trouver  fond  ni  rives  sur  cette  mer  si  vaste  et  si  agitée  oti 
Descartes,  poursuivant  le  même  but,  devait  bientôt  se  perdre 
sans  retour;  mais,  dans  l'ardent  et  sincère  élan  de  son  âme  vers 
la  vérité,  la  curiosité  de  Kepler  l'agite  et  l'entraîne  sans  que  l'or- 
gueil l'aveugle  jamais;  ne  regardant  comme  certain  que  ce  qui 
était  démontré,  il  était  toujours  prêt  à  réformer  ses  jugements  en 
sacrifiant  les  plus  chères  inventions  de  son  esprit,  aussitôt  qu'un 
laborieux  et  sévère  examen  refusait  de  les  confirmer;  mais  quelles 
sublimes  émotions,  quels  accents  d'enthousiasme  et  de  joyeuse 
ivresse,  lorsque  le  succès  justifie  ses  témérités,  et  qu'après  tant 
d'efforts  il  atteint  le  but!  Le  noble  orgueil  qui  élève  et  enfle  par- 
fois son  langage  n'a  rien  de  commun  avec  la  vaniteuse  satisfac- 
tion d'un  inventeur  vulgaire.  Superbe  et  audacieux  quand  il 
cherche,  Kepler  redevient  modeste  et  simple  dès  qu'il  a  trouvé, 
et,  dans  la  joie  de  son  triomphe,  c'est  Dieu  seul  qu'il  en  glorifie. 
Son  âme,  aussi  grande  qu'elle   était   haute,  fut  sans  ambition 
comme  sans  vanité;  il  ne  désira  ni  les  honneurs  ni  les  applau- 


De  Kepler  à  Descartes.  i63 


dissements  des  hommes;  n'affectant  aucune  supériorité  sur  les 
savants,  aujourd'hui  obscurs,  auxquels  sa  correspondance  est 
adressée,  il  montra  constamment  la  même  déférence  respectueuse 
pour  le  vieux  Mœstlin,  dont  la  seule  gloire,  à  nos  yeux,  est  d'a- 
voir formé  un  tel  disciple...  Les  lois  de  Kepler  sont  le  fondement 
solide  et  inébranlable  de  l'Astronomie  moderne,  la  règle  immuable 
et  éternelle  du  déplacement  des  astres  dans  l'espace;  aucune 
autre  découverte  peut-être  n'a  mieux  justifié  ces  paroles  du  sage  : 
Qui  accroît  la  Science  accroît  le  travail;  aucune  autre  n'a  en- 
fanté de  plus  nombreux  travaux  et  de  plus  grandes  découvertes; 
mais  la  longue  et  pénible  route  qui  y  a  conduit  n'est  connue  que 
du  petit  nombre.  Aucun  des  nombreux  écrits  de  Kepler  n'est  con- 
sidéré comme  classique;  ses  ouvrages  sont  bien  peu  lus  aujour- 
d'hui ;  sa  gloire  seule  sera  immortelle  :  elle  est  écrite  dans  le  ciel  ; 
les  progrès  de  la  Science  ne  peuvent  ni  la  diminuer  ni  l'obscur- 
cir, et  les  planètes,  par  la  succession  toujours  constante  de  leurs 
mouvements  réguliers,  la  raconteront  de  siècle  en  siècle.  >* 

Lois  de  Kepler. 

Kepler  n'était  pas  observateur  ;  il  avait  toujours  été  trop 
pauvre  pour  pouvoir  acquérir  les  instruments  déjà  fort  dispen- 
dieux qui  lui  eussent  été  nécessaires  pour  arriver  à  rivaliser  avec 
Tycho-Brahé;  mais  nous  avons  vu  que  les  malheurs  de  celui-ci 
avaient  mis  entre  ses  mains  la  précieuse  collection  de  ses  innom- 
brables observations.  Kepler  n'était  pas  non  plus  analyste,  mais  il 
avait  à  un  rare  degré  le  génie  intuitif,  une  patience  au-dessus  des 
travaux  les  plus  ardus,  les  plus  rebutants,  et  un  ardent  amour 
de  la  vérité.  Copernicien  convaincu,  il  sentait  que  le  système  du 


1 64  Septième  Période. 


maître  de  Thorn  n'était  qu'une  belle  ébauche  où  les  points  de 
détail  n'avaient  pas  même  été  envisagés  et  il  rcva  d'être  le  légis- 
lateur du  Ciel. 

Nous  avons  déjà  dit  que,  dès  que  l'on  donnait  à  toutes  les  pla- 
nètes, pour  déférent  commun,  le  cercle  décrit  autour  de  la  Terre 
comme  centre,  avec  un  rayon  égal  à  la  distance  qui  nous  sépare 
du  Soleil,  tous  les  éléments  linéaires  de  notre  système  planétaire 
devenaient  déterminés  ;  les  distances  à  peu  près  constantes  des 
planètes  au  Soleil  et  leurs  distances  variables  à  la  Terre  avaient 
dès  lors,  avec  la  distance  de  la  Terre  au  Soleil,  des  rapports 
constants  ou  variables  que  le  calcul  pouvait  fournir. 

Kepler  passa  d'abord  un  long  temps  à  essayer  toutes  sortes  de 
lois  pour  relier  entre  elles  les  distances  au  Soleil  des  différentes 
Planètes,  la  Terre  comprise;  enfin  son  génie  analogique  le  con- 
duisit à  la  découverte  de  cette  loi,  dont  il  n'entra  en  pleine  pos- 
session qu'après  les  deux  autres,  mais  que  nous  énonçons  la 
première,  parce  que  c'est  celle  dont  il  s'était  préoccupé  tout 
d'abord  :  Les  carrés  des  temps  des  révolutions  des  planètes 
autour  du  Soleil  sont  entre  eux  comme  les  cubes  de  leurs 
moyennes  distances  à  cet  astre. 

Kepler  n'a  rien  écrit  qui  pût  permettre  d'entrevoir  la  série 
d'idées  par  laquelle  il  fut  amené  à  la  découverte  de  cette  loi,  qui 
serait  rigoureusement  exacte  si  les  systèmes  formés  du  Soleil  et 
des  différentes  planètes  pouvaient  être  regardés  comme  sem- 
blables, aux  trois  points  de  vue  géométrique,  physique  et  dyna- 
mique. Le  goût  que  Kepler  a  montré  pour  la  Géométrie 
ancienne,  la  connaissance  qu'il  avait  des  procédés  logiques  qui 
y  étaient  en  usage  et  la  merveilleuse  entente,  dont  il  a  donné  tant 
de  preuves,  des  conditions  dans  lesquelles  il  peut  être  admissible 


De  Kepler  à  Descartes.  i65 


que  les  phénomènes  naturels  se  passent,  permettraient-ils  de 
supposer  que  des  considérations  théoriques  n'aient  pas  été  en- 
tièrement étrangères  à  sa  découverte?  Il  est  évident  qu'on  ne 
saurait  se  prononcer  à  cet  égard. 

Nous  ne  lui  avons  pas  attribué  la  démonstration  que  nous 
avons  donnée  plus  haut  de  la  loi  en  question ,  dans  l'hypothèse 
de  la  similitude  entre  les  systèmes  formés  du  Soleil  et  de  deux 
planètes,  mais  nous  ne  répugnerions  pas  à  admettre  qu'il  ait  pu 
être  guidé  par  des  considérations  analogues. 

Les  inégalités  des  mouvements  des  planètes  n'étaient  pas 
moins  embarrassantes  dans  le  système  de  Copernic  que  dans 
celui  de  Ptolémée.  L'astronome  polonais  avait  en  effet  provi- 
soirement conservé  tout  le  système  des  anciens  épicycles  et 
Kepler  rêvait  quelque  chose  de  plus  simple.  Ayant  construit 
avec  soin  l'orbite  de  Mars,  d'après  les  nombreuses  observations 
de  Tycho,  il  crut,  après  bien  des  essais,  y  reconnaître  une  ellipse, 
dont  le  Soleil  occupait  un  des  foyers,  et  s'assura,  par  d'immenses 
calculs,  qu'il  avait  deviné  juste.  Passant  ensuite  en  revue  les 
autres  planètes ,  il  vérifia  que  leurs  orbites  rentrent  dans  le  même 
type  géométrique  et  formula  cette  seconde  loi  :  Les  planètes  décri- 
vent autour  du  Soleil  des  ellipses  dont  il  occupe  un  des  foyers. 

Il  ne  restait  plus  à  trouver  que  la  loi  des  mouvements 
des  planètes  sur  leurs  trajectoires  respectives;  de  nouvelles 
recherches  plus  ardues  encore  que  les  précédentes,  mais  où 
Kepler  se  trouvait  encore  dirigé  par  ses  idées  préconçues  d'ordre 
et  d'harmonie  dans  l'organisation  du  Monde,  l'amenèrent  à  la 
constatation  de  cette  troisième  loi  :  L'aire  décrite  par  le  rayon 
vecteur  mené  du  Soleil  à  chaque  planète  croit  proportionnelle- 
ment au  temps. 


i66  Septième  Période. 


Cette  troisième  loi  convient  à  tout  mouvement  produit  par 
une  force,  constante  ou  variable,  dirigée  vers  un  point  fixe. 
D'un  autre  côté,  Kepler  a  reproduit  plusieurs  fois,  dans  ses 
ouvrages,  l'expression  de  sa  croyance  arrêtée  à  une  force  éma- 
nant du  Soleil  et  qui  retiendrait  les  planètes  dans  leurs  orbites 
respectives;  il  a  même  formulé  différentes  lois  de  variation  de 
cette  force;  peut-on  admettre  que  des  conceptions  théoriques 
raient  amené  à  la  découverte  de  sa  troisième  loi?  Ce  n'est 
guère  probable.  Mais  le  bonheur  qui  aurait  encore  suivi  Kepler 
dans  cette  dernière  hypothèse  n'a-t-il  pas  lieu  d'étonner  davan- 
tage? 

M.  Ch.  Frisch  a  donné  une  édition  des  Œuvres  complètes  de 
Kepler  en  8  volumes,  à  Francfort.  Le  dernier  volume  a  paru 
en  1871. 

OUGHTRED  (gUILLAUME). 

[Né  à  Eton  (Comté  Aî  Buckingham)  en  1574,  mort  en  1660.] 

Pourvu  en  1610  d'un  bénéfice  ecclésiastique  à  Albury  (comté 
de  Surrey),  il  profita  de  ses  loisirs  pour  s'adonner  à  l'étude  des 
Sciences  et  rédiger  des  traités  qui  ont  été  longtemps  classiques, 
en  Angleterre. 

Le  principal,  qui  est  de  i63i,  est  intitulé  :  oArithmeticœ  in 
numeriset  speciebus  institutio,  quœ  tum  logisticœ,  tum  analy- 
ticœ^  atque  îoiiiis  mathematicce,  clavis  est.  Il  contient  la  règle 
pour  la  multiplication  abrégée  qu'on  a  retrouvée  il  y  a  quelques 
années,  et  qui  est  enseignée  maintenant  dans  les  cours  d'Arith  - 
métique. 


De  Kepler  à  Descartes, 


Les  autres  ouvrages  d'Oughtred  ont  été  réunis  sous  le  titre  : 
Opuscula  mathematica  hactenus  inedita,  et  publiés  à  Oxford 
en  1676 . 

SCHEINER    (CHRISTOPHE). 

[Né  en  Souabe  en  ôyS,  mort  a  Nciss  (SilésJc)  en  i65o. 

Il  disputa  à  ^Galilée  l'honneur  d'avoir  aperçu  le  premier  les 
taches  du  Soleil.  Il  professait  les  Sciences  à.  Ingolstadt, lorsque  ses 
supérieurs  l'envoyèrent  à  Rome  surtout  pour  l'opposer  à 
Galilée. 

Ses  disputes  avec  Galilée  sur  les  taches  du  Soleil  lui  font  peu 
d'honneur.  Il  est  grossier,  injurieux  et  ne  donne  aucune  preuve 
qu'il  ait  réellement  précédé  Galilée  dans  cette  découverte.  Tou- 
tefois il  recueillit  plus  de  deux  mille  observations  sur  le  Soleil. 

De  Rome,  Scheiner  passa  à  Neiss,  où  il  fut  recteur  et  donna 
des  leçons  à  Tarchiduc  Maximilien. 

On  lui  doit  les  ouvrages  suivants  :  De  maculis  solaribus  très 
epistolœ  (Rome,  161 3,  in-4°);  Disquisitiones  mathematicœ 
(Ingolstadt,  16 14,  in-4°);  Novum  solis  elliptici  phœnomenum 
(Augsbourg,  (  i6i5,  in-4'');  Exegesis  Fundamentorum  gnomo- 
nices  (161 6,  in-40),  curieux  traité  de  gnomonique;  OculuSy  sive 
fundamentum  opticum  {16 19,  in-4*);  Rosa  ursina  (i63o,  in-fol.), 
sur  les  taches  du  Soleil  ;  Pantographice^  seu  Ars  delineandi 
(i63i,  in-4**);  Prodromus  de  sole  mobili  et  stabili  terra  contra 
Galileum  {iSSij  in-fol.),  ouvrage  posthume. 

Il  réalisa  le  premier  la  lunette  astronomique,  ou  le  télescope 
formé  de  deux  verres  convexes,  qui  renverse  les  images,  et  dont 


i68  Septième  Période. 


Kepler  avait  proposé  la  substitution  au  télescope  batavique.  Il 
imagina  peu  après  la  lunette  terrestre  ou  le  télescope  à  trois 
verres  convexes  qui  redresse  les  images. 

CAUSS    (  SAtOMON  DE)  . 

(Né  en  Normandie  vers  lbj6,  mort  en  i63o.  ) 

Il  s'attacha  au  prince  de  Galles,  comme  directeur  des  bâtiments 
et  des  jardins,  un  peu  avant  1612,  passa  quelques  années  à  Hei- 
delberg,  près  du  prince  palatin,  et  revint  en  France  en  1624. 

Ceux  de  ses  ouvrages  qui  ont  été  publiés  sont  :  Laperspective 
avec  la  raison  des  ombres  et  miroirs  (Londres  16 12)  ;  Les  rai- 
sons des  forces  mouvantes,  avec  diverses  machines  tant  utiles 
que  plaisantes  (Francfort  161 5);  Hortus  Palatinus  (Francfort 
\  6 iS);  La  pratique  et  la  démonstration  des  horloges  solaires 
(Paris  1624). 

Les  Raisons  des  forces  mouvantes  contiennent  la  description 
d'une  véritable  machine  à  vapeur  à  épuisement,  fondée  sur 
l'expansion  et  la  condensation  alternatives  delà  vapeur  d'eau. 

La  bibliothèque  de  Valenciennes  possède  de  lui  un  manuscrit 
intitulé  :  Traicté  de  la  mesure  des  lignes  droictes  avec  les 
gonomètres  ;  et  la  bibliothèque  d'Heidelberg  a  conservé  des  docu- 
ments relatifs  aux  différentes  périodes  de  son  existence. 

La  seconde  partie  du  manuscrit  de  Valenciennes  contient  la 
traduction  française,  par  Salomon  de  Causs,  du  premier  livre  de 
V Architecture  dQV\tvu\e. 


wesi 


De  Kepler  à  Descartes.  169 

GULDIN    (pAUL). 
(Né  i  Saint-Gall  en  iSyy,  mort  à  Gratz  en  1643). 

Il  abjura  le  protestantisme  à  l'âge  de  vingt  ans,  entra  chez  les 
jésuites  et  professa  ensuite  les  Mathématiques  dans  les  maisons 
de  son  ordre. 

Il  est  surtout  connu  par  les  deux  théorèmes  qui  portent  son 
nom. 

Ces  deux  théorèmes  se  trouvent  énoncés  dans  la  préface  des 
Collections  mathématiques  de  Pappus;  toutefois,  elles  étaient 
ignorées  lorsque  Guldin  les  mit  en  lumière  dans  son  traité  De 
centro  gravitatis,  dont  la  première  partie  parut  à  Vienne  en 
i635  et  les  suivantes  en  1640,  1641  et  1642.  Les  démonstrations 
qu'il  en  donnait,  au  reste,  n'étaient  pas  très  bonnes;  ce  qui  ne 
doit  pas  étonner,  puisqu'elles  exigent  la  considération  des  infini- 
ment petits. 

Le  Père  Guldin  se  servit  avec  avantage  de  ses  théorèmes  pour 
donner  de  nouvelles  solutions  de  quelques  problèmes  traités  par 
Kepler,  et  il  en  tira  occasion  de  chercher  querelle  à  Cavalieri  sur 
sa  méthode  et  d'en  critiquer  le  prétendu  relâchement.  Mais 
Cavalieri  se  tira  plus  qu'aisément  d'affaire  en  montrant  que  cette 
méthode  fournissait  des  démonstrations  simples  et  rigoureuses 
des  théorèmes  de  son  contradicteur,  et  faisant  voir  que  ces  théo- 
rèmes étaient  exacts,  ce  à  quoi  l'auteur  n'avait  pu  parvenir. 

Guldin,  en  effet,  se  servait,  comme  preuves,  de  raisons  telles 
que  celle-ci  :  que  la  surface  ou  le  volume  engendrés  devaient  être 
les  produits  de  la  ligne  ou  de  la  surface  tournant  par  quelque 
circonférence;  que  la  distance  à  l'axe  du  centre  de  gravité  delà 
figure  tournante  était  une  moyenne  entre  les  distances  de  ses 


170  Septième  Période. 


parties  au  même  axe;  que,  d'ailleurs,  le  centre  de  gravité  d'une 
figure  était  unique,  et  que,  si  un  point  devait  jouir  de  la  propriété 
énoncée,  ce  devait  être  le  centre  de  gravité. 

Mais  il  avait  eu  soin,  pour  se  fortifier  dans  la  foi  en  ces  induc- 
tions, d'en  vérifier  les  conséquences  sur  tous  les  exemples  connus 
avant  lui. 

On  conçoit  qu'au  moyen  de  ses  théorèmes,  il  n'ait  pas  eu  beau- 
coup de  peine  à  traiter  fort  simplement  des  questions  inabor- 
dables jusque  là. 


CASTELLI    (benoît). 
(Né  à  Brescja  en  1577,  mort  à  Rome  en  1644), 

Disciple  de  Galilée  et  abbé  d'un  couvent  de  Bénédictins.  Il 
professa  les  Mathématiques  à  Pise  et  à  Rome.  Il  peut  être  regardé 
comme  le  créateur  de  la  théorie  des  eaux  courantes.  Il  a  laissé 
un  Traité  de  la  mesure  des  eaux  courantes  (Rome,  i638),  qui 
a  été  traduit  en  français  en  1664, 


VAN   HELMONT    (  JEAN-BAPTISTE) . 

(Né  à  Bruxelles  en  i577,  mort  en  1644). 

Sa  mère,  Marie  de  Stassart,  appartenait  à  une  ancienne  et  noble 
famille  belge;  son  père  était  seigneur  de  Mérode,  de  Royen- 
dorch,  etc.  Van  Helmont  n'avait  encore  que  trois  ans  lorsqu'il 
perdit  son  père.  Il  fit  ses  humanités  à  l'Université  de  Louvain. 
dirigée  par  les  Jésuites.  Ayant  découvert  «  qu'on  n'avait  nourri 


De  Kepler  à  Descartes.  17 1 


son  esprit  que  de  mots  et  qu'il  ne  savait  rien,  »  il  se  mit  à  étudier 
seul  la  Géométrie,  TAlgèbre,  la  Physique  et  TAstronoraie. 

Comme  il  était  le  plus  jeune  de  ses  frères,  sa  carrière  devait  être 
l'Église.  On  lui  offrit  un  canonicat,  mais  il  refusa;  on  voulut  le 
diriger  vers  l'étude  du  droit,  mais  il  ne  put  s'y  faire.  Il  voulait 
être  médecin,  et  rêvait  de  consacrer  son  temps  et  ses  soins  au 
soulagement  des  malheureux,  ce  qu'il  finit  par  faire,  avec  la  plus 
grande  abnégation  et  aux  dépens  même  de  sa  santé,  lorsque  lui 
vinrent  la  fortune  et  l'indépendance.   . 

Sa  mère  ne  le  voyait  qu'avec  beaucoup  de  regrets  se  préparer  à 
l'exercice  d'un  art  si  inconnu  à  ses  ancêtres.  Van  Helmont,  ne 
voulant  pas  Taffliger  davantage,  abandonna  momentanément  ses 
projets,  aussitôt  qu'il  eût  conquis  le  grade  de  docteur  en  méde- 
cine à  l'Université  de  Louvain,  el  se  mit  à  voyager. 

Il  employa  dix  ans  à  parcourir  l'Allemagne,  la  France,  où  il 
visita  Ambroise  Paré  et  Bernard  Palissy,  l'Italie,  la  Suisse,  l'Es- 
pagne et  la  Hollande,  fréquentant  partout  les  écoles  en  renom, 
recherchant  la  société  des  savants,  surtout  des  médecins,  et  cou- 
rant au-devant  des  épidémies,  pour  secourir  les  malades  et  se 
perfectionner  dans  l'art  de  guérir. 

Une  maladie  de  la  peau,  dont  il  se  trouva  atteint,  l'induisit  à 
prendre  connaissance  des  moyens  curatifs  préconisés  par  Para- 
celse;  il  y  recourut,  se  guérit,  et  devint  dès  lors  un  chaud  parti- 
san de  la  doctrine  de  ce  rénovateur  de  la  pharmacopée. 

De  retour  en  Belgique,  il  épousa  une  jeune  fille  extrêmement 
distinguée,  Marguerite  Van  Rauste,  de  la  famille  des  comtes  de 
Mérode,  qui  devint  une  digne  épouse  et  une  mère  tendre  et 
dévouée.  Il  se  retira  alors  dans  sa  terre  de  Vilvorde,  près  de 
Bruxelles,  pour  se  livrer  entièrement  à  l'étude  de  la  Chimie  et  à 


X72  Septième  Période. 


l'exercice  gratuit  de  la  Médecine,  en  faveur  des  paysans  de  son 
voisinage. 

L'Électeur  de  Cologne^  l'Empereur  Rodolphe  II,  ainsi  que  ses 
successeurs  Mathiaset  Ferdinand  II,  employèrent  tous  les  moyens 
pour  l'attirer  près  d'eux  et  se  l'attacher;  mais  il  refusa  toutes  les 
offres  qu'on  put  lui  faire. 

Aussi  pieux  pour  lui-même  que  dévoué  à  ses  semblables,  et 
aussi  savant  que  peu  enclin  à  faire  étalage  de  son  savoir,  Van 
Helmont  aurait  au  moins  dû  être  laissé  à  l'existence  paisible  et 
utile  qu'il  s'était  faite.  On  ne  s'explique  pas,  en  effet,  comment 
ni  pourquoi  Tlnquisition  vint  faire  peser  sur  lui  sa  lourde 
main. 

Le  3  mars  1634,  l'archevêque  de  Malines  délivra  à  l'ofïicial 
l'autorisation  de  se  saisir  de  la  personne  de  Van  Helmont,  de  ses 
papiers  et  de  ses  biens.  Il  fut  enfermé  dans  le  couvent  des  Frères- 
Mineurs;  il  demeura  quatre  années  dans  différentes  prisons,  puis 
on  le  laissa  un  beau  jour  retourner  chez  lui  sans  avoir  pu  asseoir 
son  procès  sur  quelque  vraisemblance.  Sa  belle-mère  et  Catherine 
de  Médicis  avaient  réussi  à  le  tirer  des  griffes  du  Saint-Office; 
mais  il  demeura  toujours  sous  le  coup  de  la  poursuite  qui  lui 
avait  été  intentée,  et  ce  n'est  que  deux  ans  après  sa  mort  que 
sa  veuve  obtint  de  l'archevêque  de  Malines  la  mise  à  néant  de 
l'inculpation  portée  contre  lui. 

Il  était  encore  en  prison  lorsque  la  peste  enleva  deux  de  ses 
fils  à  qui  il  ne  put  obtenir  d'aller  donner  ses  soins. 

Aussitôt  libre,  il  retourna  à  ses  malades  à  qui  il  continua  de  se 
dévouer.  Il  mourut  d'une  fluxion  de  poitrine  contractée,  par  une 
journée  glaciale,  dans  une  de  ses  visites  à  un  malade  dont  la 
demeure  était  très  éloignée  de  son  château. 


De  Kepler  à  Descartes.  173 


Ses  œuvres  ont  été  publiées  après  sa  mort,  par  son  fils,  sous  le 
titre  de  Ortus  Medicinœ, 

Van  Helmont  est  Tun  des  premiers  chimistes  qui  signalèrent 
Pexistence  des  corps  gazeux  et  se  mirent  à  les  étudier,  autant  que 
cela  se  pouvait  faire,  sans  savoir  encore  les  recueillir  dans  une 
éprouvette,  sur  la  cuve  à  eau  ou  à  mercure. 

«  Le  charbon,  dit-il,  et  en  général  les  corps  qui  ne  se  résolvent 
pas  immédiatement,  dégagent  par  leur  combustion  de  Vesprit 
sylvestre.  Ainsi  soixante-deux  livres  de  charbon  de  chêne 
donnent  une  livre  de  cendre.  Les  soixante  et  une  livres  qui 
manquent  ont  formé  de  l'esprit  sylvestre.  Cet  esprit  jusqu'ici 
inconnu,  je  l'appelle  ga:{.  Il  y  a  des  corps  qui  renferment  cet 
esprit  et  qui  s'y  résolvent  presque  entièrement;  il  y  est  alors 
comme  fixé  ou  solidifié.  On  le  fait  sortir  de  cet  état  par  le  ferment, 
comme  cela  s'observe  dans  la  fermentation  du  vin,  du  pain,  de 
rhydromel,  etc.  » 

Il  constate  en  effet,  comme  suit ,  la  production  de  gaz  dans 
toutes  les  fermentations  : 

a  Une  grappe  de  raisin  non  endommagée  se  conserve  et  se  des- 
sèche; mais,  Tépiderme  enlevé,  le  raisin  se  met  à  fermenter.  Le 
moût  de  vin  éprouve,  sous  l'influence  du  ferment,  comme  un 
mouvement  d'ébuUition  dû  au  dégagement  du  gaz;  ce  gaz  com- 
primé dans  les  tonneaux  rend  les  vins  pétillants  et  mousseux.  » 

Van  Helmont  recherche  ce  même  gaz  sylvestre  dans  toutes  ses 
autres  manifestations,  d'abord  dans  l'action  des  acides  sur  des 
matières  calcaires  :  •  au  moment  oti  le  vinaigre  dissout  des  pierres 
d'écrevisses,  il  se  dégage  de  l'esprit  sylvestre;  »  en  second  lieu  dans 
les  cavernes,  les  mines  et  les  celliers  :  il  cite  la  grotte  du  Chien  près 
de  Naples  et  dit  qu'on  peut  être  instantanément  asphyxié  par  le 


174  Septième  Période. 


gaz  sylvestre;  troisièmement,  dans  les  eaux  minérales  telles  que 
celles  de  Spa,  enfin  il  le  voit  encore  dans  le  tube  digestif. 

Cependant  il  distingue  au  sujet  des  gaz  provenant  des  intes- 
tins :  «  les  gaz  de  l'estomac  éteignent  la  flamme;  ceux  qui  sor- 
tent du  gros  intestin  s'allument;  ceux  qui  se  forment  dans 
l'intestin  grêle  ne  sont  pas  inflammables;  les  cadavres  nagent  sur 
l'eau,  à  cause  des  gaz  qui  s'y  forment  par  la  putréfaction...  »  mais 
il  leur  donne  à  tous  le  même  nom  de  ga:{sylvestre. 

Voici  une  expérience  de  lui  très  remarquable  pour  le  temps  : 
c(  placez  une  bougie  dans  une  cuvette,  versez  un  peu  d'eau  dans 
cette  cuvette  et  recouvrez  la  bougie  allumée  avec  une  cloche  de 
verre  renversée.  Vous  verrez  bientôt  Teau  s'élever  dans  la  cloche, 
comme  par  succion,  et  la  flamme  s'éteindre.  » 

Van  Helmont  qui,  comme  on  vient  de  le  voir,  attribuait  libé- 
ralement la  qualité  sylvestre  à  bien  des  gaz,  en  étudia  encore 
plusieurs  autres  :  le  ga\  du  sel  qu'il  obtenait  par  la  réaction  de 
l'eau  forte  sur  le  sel  marin  ou  le  sel  ammoniac  ;  le  gaz  sulfu- 
reux, produit  de  la  combustion  du  soufre;  et  le  gaz  nitreux  pro- 
venant de  l'action  de  l'eau-forte  sur  l'argent. 

En  présence  des  singulières  dissemblances  présentées  par  tous 
ces  gaz,  il  se  décide  à  les  regarder  en  bloc  comme  de  la  vapeur 
d'eau. 

Voici  ce  qui  l'amena  à  cette  conclusion  : 

Il  Je  mis,  dit-il,  deux  cents  livres  de  terre  dans  une  caisse  et 
j'y  plantai  un  petit  saule  pesant  cinq  livres  :  il  se  trouva  qu'au 
bout  de  cinq  ans  le  saule  pesait  cent  soixante-neuf  livres,  n'ayant 
jamais  été  arrosé  qu'avec  de  l'eau  pure;  je  fis  de  nouveau  peser  la 
terre  et  je  lui  trouvai  le  même  poids  de  deux  cents  livres;  l'eau 
seule  avait  donc  suffi  pour  produire  cent  soixante-quatre  livres 


De  Kepler  à  Descartes.  173 


de  bois,  p  II  concluait  de  là  que  «  l'eau  pouvait  se  transformer 
en  toutes  sortes  de  matières.  » 

C'est  Van  Helmont  qui  obtint  le  premier  la  liqueur  de  cail- 
loux (silicate  de  potasse)  ;  il  signala  les  fonctions  du  suc  gastrique 
et  de  la  bile  dans  la  digestion,  il  croyait  à  l'esprit  vital;  il  ré- 
forma la  Chimie  pharmaceutique  en  enseignant  à  extraire  de 
chaque  plante  médicinale  la  partie  vraiment  utile,  d'après  la  mé- 
thode qu'avait  déjà  suivie  Paracelse. 


HARVEY  (William)  . 

(Né  à  Folkestone  le  2  avril  1578,  mort  à  Londres  le  3  juin  i658.) 

Son  père  était  marchand.  Harvey,  après  avoir  terminé  ses 
études  littéraires  au  collège  de  Canterbury,  alla  étudier  la  Méde- 
cine à  Padoue,  oti  il  fut  reçu  docteur  en  1602;  il  parcourut 
ensuite  l'Allemagne,  la  France  et  l'Italie,  pour  y  entendre  les 
professeurs  les  plus  illustres,  se  fit  de  nouveau  recevoir  docteur  à 
Cambridge  et  se  fixa,  en  1604,  à  Londres,  où  il  épousa  bientôt 
après  la  fille  d*un  médecin  recherché. 

Nommé  professeur  d'Anatomie  et  de  Chirurgie  au  collège  de 
Médecine,  il  commença  vers  16 1 3  à  répandre,  parmi  ses  élèves,  ses 
idées  sur  la  circulation  du  sang.  Toutefois,  ce  n*est  qu'en  1629 
qu*il  publia  à  Francfort  son  premier  et  immortel  ouvrage  : 
Exercitatio  anatomica  de  motu  cordis  et  sanguinis  circulatione 
in  animalibus.  Il  y  établissait  sa  grande  découverte  sur  une 
foule  de  preuves  concordantes  :  quand  les  ventricules  se  resser- 
rent, l'aorte  et  Tartére  pulmonaire  se  dilatent  et  réciproquement; 


176  Septième  Période. 


les  oreillettes  se  meuvent  ensemble  et  les  ventricules  ensemble, 
mais  alternativement;  les  oreillettes,  en  se  contractant,  chassent 
le  sang  dans  les  ventricules  et  ceux-ci  l'envoient,  le  droit  dans 
la  veine  artérieuse  ou  artère  pulmonaire,  le  gauche  dans  Paorte, 
d'où  il  se  re'pand  dans  tout  le  corps.  Toute  la  masse  du  sang 
passe  en  très  peu  de  temps  des  veines  caves  dans  les  artères;  les 
veines  le  ramènent  continuellement  au  cœur,  d'où  il  se  rend  aux 
poumons  pour  revenir  revivifié  au  cœur.  Si  on  lie  les  veines 
caves,  le  cœur  se  vide;  si  on  lie  les  artères,  le  cœur  se  gonfle.  Les 
artères  liées  se  gonflent  au-dessus  de  la  ligature,  c'est-à-dire  du 
côté  du  cœur;  au  contraire  les  veines  liées  se  gonflent  au- 
dessous  de  la  ligature,  c'est-à-dire  du  côté  des  extrémités  des 
membres,  etc. 

Harvey  avait  été  successivement  médecin  de  Jacques  I"  et  de 
Charles  I*';  il  crut  devoir  suivre  son  maître  durant  la  guerre 
civile.  Sa  maison  de  Londres  fut  pillée  et  ses  papiers  brûlés.  Il 
revint  à  Londres  après  la  mort  du  roi,  mais  il  y  vécut  très  retiré. 
La  présidence  du  collège  de  Médecine  lui  fut  de  nouveau  offerte 
en  i656j  mais  il  la  refusa.  Il  avait  publié,  en  i65i,  son  second 
grand  ouvrage  :  Exercitationes  de  generatione  animalium. 

u  La  découverte  de  la  circulation  du  sang,  dit  M.  Flourens, 
n'appartient  pas  et  ne  pouvait  guère  appartenir  à  un  seul  homme, 
ni  même  à  une  seule  époque;  il  a  fallu  détruire  plusieurs  erreurs 
et  à  chacune  de  ces  erreurs  substituer  une  vérité.  Galien  com- 
battait déjà  Erasistrate  (qui  croyait  les  artères  remplies  d'air  seu- 
lement, parce  qu'en  effet,  on  ne  trouve  pas  de  sang  dans  les 
artères  d'un  animal  mort;  mais  Galien  en  ouvrant  des  artères 
d'animaux  vivants,  y  constata,  nombre  de  fois,  la  présence  du 
sang  rouge);  il  ouvrait  la  route  qui,  suivie  depuis  parVésale, 


De  Kepler  à  Descartes.  1 77 

Servet,  Cjlombo,  Césalpin  et  Fabricio  d'Aquapendente,  nous  a 
conduits  à  Harvey.  » 

Voici,  en  deux  mots,  quelles  furent  les  étapes  du  progrès  sur  ce 
point.  Galien  croyait  que  le  sangpasse  directement  d'un  ventricule 
du  cœur  dans  l'autre;  Vésale  montra  qu'il  n'y  a  aucune  commu- 
nication directe  entre  les  deux  ventricules,  mais  il  n'alla  pas  plus 
loin;  Servet,  Colombo  et  Césalpin  découvrirent  ensuite  Je  circuit 
par  lequel  a  lieu  la  communication  de  l'oreillette  droite  au 
ventricule  gauche,  par  le  ventricule  droit,  l'artère  pulmonaire, 
les  veines  pulmonaires  et  l'oreillette  gauche.  Mais  communica- 
tion ne  veut  pas  dire  circulation,  et  la  preuve  que  la  circulation 
n'était  pas  encore  entrevue  avant  Harvey,  c'est  que  Fabricio 
d'Aquapendente,  qui  venait  de  découvrir  les  valvules  des  veines, 
n*en  soupçonnait  pas  l'usage. 

Presque  tous  les  historiens  mettent  une  sorte  de  gloriole  à 
découvrir  péniblement,  chez  les  devanciers  des  grands  hommes, 
des  lambeaux  de  phrases,  le  plus  souvent  sans  signification  carac- 
térisée, d'où  l'on  puisse  inférer  que  ces  prétendus  grands 
hommes  n'ont  en  réalité  rien  inventé.  Mais  pourquoi  s'arrétent- 
ils  en  si  beau  chemin,  pourquoi  ne  s'en  prennent-ils  pas  ensuite 
aux  devanciers,  puis  aux  devanciers  des  devanciers,  etc.  Les 
découvertes  n'existant  plus,  l'histoire  en  serait  bien  simplifiée! 

Chose  singulière!  les  contemporains  des  inventeurs  les  tour- 
nent en  ridicule,  les  accablent  de  quolibets,  les  poursuivent  de 
leur  haine,  de  toutes  les  manières  possibles,  afin  certainement 
(c'est  la  seule  explication  que  j'aperçoive)  de  bien  mettre  en  évi- 
dence la  nouveauté,  l'imprévu  et  la  beauté  des  découvertes  des- 
dils  inventeurs;  puis,  quand  la  lumière  est  bien  faite  sur  ce 
point,  quand  un  inventeur  a  été  bien  martyrisé  de  toutes  les 
M.  Marie.  —  Histoire  des  Sciences^  III.  la 


178  Septième  Période. 


façons,  arrive  un  historien  qui  démontre  que  la  découverte 
n'était  plus  à  faire  depuis  longtemps  ! 

On  pourrait  bien  demander  que  les  contemporains  se  fissent 
immédiatement  historiens,  mais  ils  répondraient  que  s'ils  avaient 
aperçu  la  découverte  dans  les  textes  anciens,  ils  auraient  com- 
mencé par  se  l'approprier.  Alors  il  est  probable  que  les  choses 
resteront  en  l'état.  Les  inventions  nouvelles  continueront  d'être 
conspuées  par  les  contemporains,  et  les  historiens  continueront 
de  montrer  qu'avant  que  la  lumière  fût,  la  chandelle,  du  moins, 
existait;  il  ne  manquait  plus  que  l'allumette  :  peu  de  chose!  un 
éclair  de  génie,  simplement. 

«  Ce  que  je  vais  annoncer,  disait  Harvey,  est  si  nouveau  que 
je  crains  d'avoir  tous  les  hommes  pour  ennemis,  tant  les  pré- 
jugés et  les  doctrines,  une  fois  acceptés,  sont  difficiles  à  déra- 
ciner, n 

Ce  qu'il  avait  prévu  ne  manqua  pas  d'arriver.  Nous  trouvons 
d'abord  un  certain  docteur  Primerose,  qui  n'a  garde  de  faire 
grande  dépense  de  recherches  ou  de  vérifications  :  u  A  quoi  bon, 
dit-il,  cette  découverte  de  la  circulation  du  sang;  les  anciens 
médecins  l'ignoraient,  et  cela  ne  les  empêchait  pas  de  guérir 
leurs  malades?»  Un  autre,  Parisiani,  élève  de  Fabricio,  répond  à 
Harvey,  qui  avait  signalé  les  sensations  externes  que  produisent 
les  battements  du  cœur  :  «  A  Londres,  cela  est  possible,  mais, 
en  Italie,  c'est  autre  chose;  il  paraît  que  nous  sommes  sourds  ici, 
car  nous  n'entendons  rien  du  tout.  » 

Riolan,  doyen  de  la  Faculté  de  Médecine  de  Paris  et  médecin 
de  Marie  de  Médicis,  traitait  de  fausses  et  d'absurdes  les  idées  de 
Harvey,  et  disait,  sans  doute  pour  montrer  la  sûreté  de  ses  infor- 
mations :  ((  Dieu  seul  sait  ce  qui  se  passe  dans  notre  cœur.  » 


De  Kepler  à  Descartes.  179 


Enfin  le  successeur  de  Riolan,  Guy  Patin,  égaya  longtemps  la 
cour  et  la  ville  aux  dépens  de  Harvey  et  des  circulateurs. 

C'est  Descartes  qui,  en  France,  prit  le  premier  la  défense  de 
Harvey;  mais  la  victoire  n'était  pas  encore  décidée  du  temps  de 
Molière  qui  lance  ce  trait  par  l'organe  de  Diafoirus  :  «  Ce  qui  me 
plaît  de  ce  docteur,  et  ce  en  quoi  il  suit  mon  exemple,  c'est  qu'il 
s'attache  aveuglément  aux  opinions  de  nos  anciens,  et  qu'il  n'a 
jamais  voulu  comprendre  ni  écouter  les  raisons  et  les  expériences 
touchant  la  circulation  du  sang  et  autres  opinions  de  même 
farine.  » 

Les  recherches  de  Harvey  sur  la  génération  avaient  laissé  à 
faire  bien  des  découvertes  nouvelles,  mais  enfin  il  avait  pu  ter- 
miner son  travail  par  cet  aphorisme  :  omne  animal  ex  ovo,  tout 
animal  vient  d'un  œuf. 

Dégoûté  des  querelles  que  lui  avait  suscitées  son  premier 
ouvrage,  Harvey  ne  voulait  pas  publier  son  Traité  de  la  géné- 
ration; il  ne  céda  qu'aux  sollicitations  incessantes  de  son  ami  le 
docteur  Ernst,  qui  se  chargea  de  tous  les  soins  de  la  publi- 
cation. 


FOSCARINI    (PAUL- ANTOINE). 

(Ne  vers  i58o,  mort  vers  i6i6.) 


Carme  et  recteur  de  la  province  de  Calabre.  Il  adopta  les  idées 
de  Copernic  et  de  Galilée,  et  s'efforça,  dans  une  Lettera  sopra 
Vopinione  de  Pittagorici  e  del  Copernico,  délia  mobilita  délia 
terra  e  stabilita  del  sole  (Naples,  161 5),  de  montrer  que  cette 


i8o  Septième  Période. 


Opinion  n'est  pas  incompatible  avec  le  texte  de  la  Bible.  La 
Congrégation  de  l'Index  ordonna  la  suppression  des  principaux 
passages  de  cet  opuscule. 

FAULHABER    (jEAN). 
(  Né  à  Ulm  en  i58o,  mort  en  i635.  ) 

Fils  d'un  tisserand,  il  exerça  lui-même  cette  profession,  étudia 
ensuite,  probablement  seul,  devint  professeur  de  Mathématiques, 
puis  inspecteur  des  poids  et  mesures. 

Il  composa  un  certain  nombre  d'ouvrages  sur  l'Arithmétique, 
la  Géométrie,  la  Mécanique,  la  Fortification  ;  mais  il  est  surtout 
connu  à  cause  de  son  Recueil  de  récréations  mathématiques^  en 
allemand  (191 3). 

Descartes,  qui  avait  rencontré  Faulhaber  pendant  son  voyage 
en  Allemagne,  se  lia  d'amitié  avec  lui,  et  laissa  partir  le  duc  de 
Bavière,  dans  les  troupes  de  qui  il  servait,  pour  jouir  de  la  con- 
versation de  son  nouvel  ami. 

ROTH    (péter). 
(Né  à  Ingolstadt  (Bavière)  vers  i58o,  morten  1617.) 

On  a  de  lui  une  Algèbre  intitulée  :  Arithmetica  philosophica. 
L'auteur  y  traite  des  équations  du  troisième  et  du  quatrième 
degré,  et  y  donne  la  solution  des  cent  soixante  questions  posées 
par  Faulhaber  dans  son  Arithmetische  cubicossiche. 


De  Kepler  à  Descartes. 


PEIRESC    (NICOLAS-CLAUDE   FABRI   DE). 
(\é  à  Beaugensier  en  Provence  en  i58o,  mort  à  Aix  en  1637.) 

Il  était  conseiller  au  Parlement  d'Aix  et  énormément  riche. 
Bayle  Tavait  surnommé  le  Procureur  général  de  la  littérature. 
parce  que  ses  collections  de  médailles,  d'objets  d'art,  de  livres  et 
de  manuscrits,  d'histoire  naturelle,  etc.,  étaient  à  la  disposition 
de  tous  les  savants. 

Il  avait  fait  de  nombreux  voyages  et  en  avait  profité  pour  se 
lier  avec  la  plupart  des  savants  d'Europe,  auxquels  il  ne  cessait 
de  rendre  des  services  de  toutes  sortes.  Il  s'entremit  notamment 
en  faveur  de  Galilée  lors  de  son  procès. 

C'est  lui  qui  apprit  aux  antiquaires  à  retrouver  les  inscrip- 
tions disparues,  en  étudiant  la  disposition  des  marques  laissées 
sur  les  murs  par  les  clous  qui  avaient  servi  à  attacher  les  carac- 
tères. Il  a  aussi  répandu  des  idées  justes  sur  les  révolutions  du 
Globe  et  les  phénomènes  volcaniques. 

Sa  mort  fut  un  deuil  public  dans  tout  le  monde  lettré. 

Il  a  laissé  un  assez  grand  nombre  de  manuscrits;  on  a  publié 
une  partie  de  sa  correspondance.  Gassendi  a  écrit  sa  biographie 
en  latin. 


WENDELIN   (gODEFROi). 
I  Né  en  Hollande  en  i58o,  mort  en  1660.) 

Après  avoir  visité  Rome  et  une  partie  de  l'Italie,  il  vint  établir 
à  Digne  une  école  qui  a  eu  un  grand  nombre  d'élèves.  Il  se  rendit 
ensuite  à  Paris,  où  il  se  fit  recevoir  avocat  au  Parlement.  A  son 


i82  Septième  Période. 


retour  en  Hollande,  en  1610,  il  embrassa  l'état  ecclésiastique. 

Il  vérifia,  sur  les  satellites  de  Jupiter,  considérés  par  rapport  à 
la  planète,  les  lois  que  Kepler  avait  établies  pour  les  planètes 
rapportées  au  Soleil. 

Il  donna  une  évaluation  de  la  variation  séculaire  de  l'obli- 
quité de  l'écliptique  et  une  valeur  de  la  parallaxe  du  Soleil. 

^^ 

VERNIER    (pierre). 

(  Né  à  Ornans  vers  i58o,mort  dans  la  même  ville  en  1637.  ) 

Inventeur  de  l'instrument  qui  porte  son  nom.  Il  fut  capitaine 
commandant  du  château  de  sa  ville  natale  pour  le  roi  d'Espagne, 
et  directeur  général  des  monnaies  de  la  Comté  de  Bourgogne.  On 
a  de  lui  :  Construction,  usage  et  propriétés  du  quadrant  nou- 
veau de  Mathématiques  (Bruxelles,  i63i).  C'est  dans  cet  ouvrage 
qu'est  décrit  le  vernier,  qui  a  quelques  rapports  avec  l'instrument 
qu'avait  inventé  Nonius. 


^J^ieif^ 


BEAUSOLEIL  (JEAN    DU    CHATELET,    BARON  DE). 
(Né  en  Brabant  vers  i58o,  mort  vers  1645.  ) 

Alchimiste  et  minéralogiste.  Il  parcourut  la  plupart  des  con- 
trées de  l'Europe  à  la  recherche  de  mines  productives  et  visita 
deux  fois  la  France,  en  1602  et  en  1626»  avec  l'autorisation 
nécessaire  pour  y  faire  des  études  métallurgiques.  Richelieu  reçut 
les  mémoires  de  Beausoleil  et  de  sa  femme  Martine  de  Bertereau, 
mais  fit  arrêter  l'un  et  l'autre,  on  ne  sait  pourquoi.  Deux  mé- 


De  Kepler  à  Descartes.  iS:< 

moires  de  Martine  de  Beausoleil  sont  intitulés  :  Véritable  décla- 
ration faite  au  roi  et  à  nos  seigneurs  de  son  Conseil  des  riches  et 
inestimables  trésors  nouvellement  découverts  dans  le  royaume 
de  France  (Paris,  i632),  et  Restitution  de  Pluton  au  cardinal 
de  Richelieu  des  mines  et  minières  de  France  (  Paris,  1640).  La 
mort  dans  un  cachot  de  la  Bastille  fut  la  récompense  accordée 
aux  travaux  des  deux  époux. 

MÉZIRIAC    ( CLAUDE-GASPARD     BACHET   DE). 
(  Né  à  Bourg-€n-Bresse  en  i58i,  mort  en  i638.  ) 

Il  apprit  le  grec,  le  latin,  l'hébreu,  Titalien,  l'espagnol,  et  étu- 
dia profondément  les  Mathématiques.  L'Académie  française  le 
reçut  en  1625  au  nombre  de  ses  membres. 

Ses  ouvrages  mathématiques  sont  :  Problèmes  plaisants  et 
délectables  qui  se  font  par  les  nombres  (Lyon,  1624),  réimprimé 
par  M.  Gauthier-Villars  en  1876;  Eléments  arithmétiques, 
retrouvés  par  M.  Charles  Henry,  qui  contiennent  un  grand 
nombre  de  propositions  sur  les  nombres  premiers,  les  puissances 
et  les  proportions  arithmétiques,  géométriques  et  harmoniques, 
et  une  traduction  des  œuvres  de  Diophante  sous  le  titre  Dio- 
phanti  Alexandrini  arithmeticorum  libri  sex  et  de  numeris 
multangulis  liber  unus  (Paris,  1621). 

Les  Problèmes  plaisants  et  délectables  coniïcnnent  la  solu- 
tion du  problème  général  de  l'analyse  indéterminée  du  premier 
degré.  On  trouve  dans  cet  ouvrage  une  remarque  intéressante 
sur  la  solution  du  problème  antique  :  trois  maris  jaloux  arrivent 


184  Septième  Période. 


\ 


avec  leurs  femmes  au  passage  d'une  rivière  et  trouvent  un  bateau 
qui  ne  peut  contenir  plus  de  deux  personnes  à  la  fois;  comment 
ces  six  personnes  pourront-elles  passer  la  rivière  sans  qu'aucune 
femme  demeure,  sur  l'un  ou  l'autre  bord,  séparée  de  son  mari,  en 
la  compagnie  d'un  des  autres  hommes,  ou  de  deux? 

Bachet  démontre  que  le  problème  ne  comporte  qu'une  seule 
solution  au  moyen  de  six  passages  au  plus  ;  il  fait  remarquer 
ensuite  que  Tartaglia  s'est  trompé  dans  la  solution  qu'il  donne 
du  problème  analogue,  en  supposant  quatre  couples. 


GUNTER  ( Edmond). 

(  Né  dans  le  Hcrtfordshire  en   1 58 1,  mort  en  1626.) 

Professeur  d'Astronomie  au  collège  deGresham.  Il  paraît  avoir 
le  premier  employé  les  expressions  de  cosinus,  cotangente  et 
cosécante,  au  lieu  de  sinus,  tangente  et  sécante  du  complément 
■de  l'arc  considéré. 

Il  a  aussi  le  premier  construit  des  tables  des  logarithmes  des 
sinus  et  tangentes. 

Enfin,  la  règle  à  calcul  est  de  son  invention;  on  la  désigne  en- 
core en  Angleterre  sous  le  nom  d'échelle  de  Gimther. 


BAINBRIDGE. 

(Ne  en  i582.  mort  en  1643.) 

Fut  appelé  à  la  chaire  d'Astronomie  d'Oxford,  pour  ses  obser- 
vations sur  la  comète  de  1618.  Il  a  donné  des  éditions  latines  de 
Proclus  et  de  Ptolémée. 


De  Kepler  à  Descartes,  1 85 


MOKIN     (JEAN-BAPTISTE). 
(Né  i  Villefranche  (Beaujolais)  en  i583,  mort  à  Paris  en  i656.) 

Etudia  la  Philosophie  à  Aix,  la  Médecine  à  Avignon^  et  se  fit 
recevoir  docteur  eni6i3.  Il  s'adonna  ensuite  à  l'Astrologie  judi- 
ciaire, et  sut  se  faire  bien  venir  de  Richelieu.  Nommé  professeur 
de  Mathématiques  au  Collège  de  France,  en  i63o,  il  attaqua  vio- 
lemment Copernic, 

Philippe  III  et  les  Etats  de  Hollande  avaient  proposé  des  prix 
pour  la  solution  du  problème  des  longitudes.  Morin  indiqua 
plusieurs  méthodes  théoriquement  exactes,  et  proposa  d'impor- 
tants perfectionnements  aux  instruments  en  usage,  notamment 
la  substitution  de  vemiers  aux  pinnules. 

Le  cardinal  de  Richelieu  nomma,  pour  examiner  les  pré- 
tentions de  Morin,  une  commission  de  savants  composée  de 
Chambon,  Pascal,  Mydorge,  Boulanger  et  Hérigone,  qui,  tenant 
tous  pour  le  système  de  Copernic,  ne  devaient  pas  être  bien  dis- 
posés envers  Morin;  cette  commission,  ne  voulant  en  effet  rien 
voir  de  bon  dans  ce  qu'on  lui  proposait,  rendit  un  arrêt  injurieux 
pour  Morin. 

a  Morin,  dit  Delambre,  n'avait  pas  droit  au  prix  qu'il  récla- 
mait comme  une  chose  due,  mais  on  lui  devait  quelques  éloges 
et  quelques  encouragements;  on  devait  lui  faire  espérer  au  moins 
une  partie  du  prix,  s'il  venait  à  perfectionner  quelques  idées 
heureuses  qu'il  avait  eues.  Déclarer  durement  que  ses  procédés 
ne  contribueraient  en  rien  à  la  bonté  des  observations  et  à  l'amé- 
lioration des  tables  était  une  assertion  fausse,  et  Tévénement  l'a 
complètement  démentie  :  l'établissement  d'un  observatoire  per- 
manent, une  suite  non  interrompue  d'observations  pendant  un 


i86  Septième  Période. 


temps  indéfini,  les  lunettes  adaptées  au  cercle,  le  vernier  substitué 
à  la  division  par  transversales,  les  efforts  de  Morin  pour  trouver 
le  moyen  de  placer  l'astre  au  milieu  du  champ  de  la  lunette,  voilà 
certes  des  améliorations  importantes  qui  devaient  infailliblement 
augmenter  la  précision  des  tables.  » 

Morin  adressa  son  livre  à  Galilée,  à  Gassendi,  à  Gautier,  à 
Longomontanus,  à  Hortensius,  et  reçut  des  réponses  presque 
toutes  favorables.  Il  réclama  ensuite  des  États  de  Hollande  le 
prix  qu^ls  avaient  promis  ;  mais  les  États  ne  répondirent  point. 

La  dernière  partie  de  son  ouvrage  contenait  quelques  remar- 
ques neuves  sur  la  détermination  des  parallaxes  et  des  réfractions. 

«  Son  traité  des  parallaxes  était,  dit  Delambre,  le  meilleur  et  le 
plus  complet  qui  existât  à  cette  époque.  Il  paraît  avoir  eu  le 
premier  la  pensée  que  la  réfraction  doit  être  variable  avec  l'état 
atmosphérique.   » 

Mazarin  lui  rendit  justice  et  lui  fit,  en  1645,  une  pension  de 
2000  livres,  sur  un  de  ses  propres  bénéfices. 

GRÉGOIRE   DE    SAINT-VINCENT. 
(Né  à  Bruges  en  i584,  mort  à  Gand  en  1667.) 

Il  professa  les  Mathématiques  dans  divers  collèges  de  la  Com- 
pagnie de  Jésus,  dont  il  faisait  partie. 

Il  s'est  rendu  célèbre  par  la  publication  d*un  livre  contenant 
de  bonnes  choses,  mais  oti  il  annonçait  la  quadrature  du  cercle, 
qui  n'y  était  naturellement  pas. 

Ce  livre  était  intitulé  :  Quadraturœ  circuli  et  sectionum  coni ; 


De  Kepler  à  Descartes.  187 


il  parut  à  Anvers  en  1647.  Il  contient  l'indication  des  analogies 
qui  existent  entre  la  quadrature  du  cercle  et  celles  des  autres 
coniques;  et  la  quadrature  de  l'hyperbole  rapportée  à  ses  asym- 
ptotes. Grégoire  de  Saint- Vincent  démontrait,  en  effet,  que  si 
Taire  de  la  courbe  croît  en  progression  arithmétique,  l'abscisse 
croît  en  progression  géométrique. 

Grégoire  de  Saint- Vincent  n'obtint  que  des  dédains  de  la  part 
de  ses  contemporains.  Leibniz  et  Huyghens  réhabilitèrent  sa 
mémoire.  Leibniz  dit  :  Etsi  Gregorius  a  sancto  Vincent io  qua- 
draturam  circuit  et  hyperbolœ  non  absolvent,  egregia  multa 
tamen  dédit. 

Il  a  laissé  de  nombreux  manuscrits  formant  treize  volumes  in- 
folio, que  possède  la  bibliothèque  de  Bruxelles.  M.  Quételer,  qui 
les  a  découverts,  dit  qu'il  serait  à  désirer  qu'un  ami  des  Sciences 
prît  la  peine  de  les  examiner.  Ce  serait,  en  effet,  d'autant  plus  à 
souhaiter  que,  Grégoire  de  Saint- Vincent  ayant  été  beaucoup 
décrié  par  ses  contemporains,  il  est  probable  que  personne  n'a  eu 
i'idée  de  voir,  après  sa  mort,  ce  que  pouvaient  contenir  les  papiers 
qu'il  avait  laissés. 

Grégoire  de  Saint-Vincent  paraît  être  l'un  des  premiers  géomètres 
qui,  pour  faciliter  la  détermination  des  volumes  engendrés  par  la 
révolution  des  aires  planes,  aient  considéré  l'espèce  de  solides  qui 
jouent  un  si  grand  rôle  dans  les  ouvrages  de  Pascal  et  de  H  uyghens, 
sous  les  noms  d'onglets  et  de  coins. 

J'ai  eu  beaucoup  de  peine  à  me  procurer  le  grand  ouvrage  de 
Grégoire  de  Saint- Vincent,  et  j'allais  renoncer  à  en  donner  l'ana- 
lyse, lorsqu'un  de  mes  amis  l'a  découvert  dans  les  combles  de  la 
bibliothèque  de  la  Sorbonne,  de  sorte  que  j'ai  pu  en  avoir  com- 
munication. 


i88  Septième  Période. 


Cet  ouvrage  est  en  deux  volumes,  mais  la  pagination  se  suit 
de  l'un  à  l'autre;  il  contient  1225  pages  in-folio  et  est  divisé  en 
dix  livres. 

Le  premier  livre  traite  des  proportions  et  de  quelques  propriétés 
des  triangles  et  des  rectangles;  le  second,  des  progressions  géo- 
métriques; le  troisième,  le  quatrième  et  le  cinquième  traitent  du 
cercle,  de  l'ellipse  et  de  la  parabole,  considérés  comme  sections 
coniques;  ils  contiennent  de  curieux  rapprochements  entre  les 
trois  courbes,  mais  nous  ne  pourrions  même  les  indiquer  sans 
tomber  dans  des  détails  interminables. 

Le  sixième  livre  traite  de  l'hyperbole.  C'est  dans  ce  livre  qu'on 
trouve  la  quadrature  de  l'hyperbole  entre  ses  asymptotes.  Voici 
effectivement  l'énoncé  de  la  proposition  CXXX  : 

Sint  AB,  BC,  asymptoti  hyperbolœ^  et  ponantur  parallelœ 
asymptoto  DH,  El,  FK,  GL,  CM,  auferentes  segmenta  œqualia 
HE,  IF,  KG,  LC  :  dico  lineas  HD,  lE,  KF,  LG,  MC  esse  in 
continua  analogia. 

C'est-à-dire  :  soient  BA  et  BC  les  asymptotes  de  l'hyperbole, 
dont  le  centre  est  en  B,  et  soient  menées,  des  points  D,  E,  F,  G,  C 
de  l'asymptote  BC,  des  parallèles  à  l'asymptote  BA,  lesquelles 
coupent  la  courbe  en  H,  I,  K,  L,  M  :  si  ces  ordonnées  intercep- 
tent des  segments  équivalents,  elles  forment  une  progression 
géométrique. 

C'est  bien  notre  proposition  que,  si  l'aire  de  la  courbe  croît  en 
progression  arithmétique,  l'abscisse  croît  en  progression  géo- 
métrique, puisque  les  ordonnées  sont  inversement  proportion- 
nelles aux  abscisses;  mais  il  est  curieux  de  remarquer  que  Gré- 
goire de  Saint-Vincent  énonce  le  théorème  par  rapport  aux 
ordonnées  et  non  par  rapport  aux  abscisses.  Au  reste,  non  seule- 


De  Kepler  à  Descartes.  189 


ment  il  ne  fait  à  ce  sujet  aucune  allusion  aux  logarithmes,  mais 
il  donne  son  théorème  sans  commentaires,  en  sorte  qu'il  y  a  lieu 
de  penser  qu'il  n'y  voit  pas,  comme  nous,  la  véritable  quadra- 
ture de  l'hyperbole.  C'est,  en  efifet,  celle  qu'il  n'a  pas  trouvée 
qu'il  cherchait;  quant  à  celle  qu'il  a  trouvée,  elle  ne  lui  paraît 
pas  mériter  une  mention,  quoique  probablement  elle  soit  com- 
prise dans  les  egregia  dont  parle  Leibniz. 

Ce  sixième  livre  se  termine  par  un  chapitre  intitulé  :  Spiralis 
et  parabolœ  symboli\atio^  c'est-à-dire  assimilation  de  la  spirale 
(d'Archimède)  avec  la  parabole.  L'étude  des  analogies  des  deux 
courbes  a  été  reprise  depuis  par  de  Sluze  et  par  Pascal. 

Le  septième  livre  est  intitulé  :  Ductus  plani  in  planum;  c'est- 
à-dire  :  Duction  (Tune  aire  plane  sur  une  aire  plane. 

C'est  la  partie  originale  de  l'ouvrage.  Ce  genre  de  duction  ne 
relève  en  rien  de  la  théorie  de  Viéte,  et  l'on  pourrait  dire  qu'il 
est  en  dehors  de  toute  théorie.  Voici  en  quoi  il  consiste  : 

Les  deux  aires  sont  supposées  avoir  un  côté  égal,  que  nous 
appellerons  leur  base  :  on  place  l'un  sur  l'autre  ces  deux  côtés 
égaux,  en  même  temps  qu'on  dirige  le  plan  de  Tune  des  figures 
perpendiculairement  à  celui  de  l'autre;  les  deux  bases  sont  divi- 
sées en  un  très  grand  nombre  de  parties  respectivement  égales, 
et,  par  les  points  de  division,  on  a  élevé,  dans  chacune  des  figures, 
des  perpendiculaires  à  la  base,  terminées  au  contour  de  la  figure 
et  que  nous  désignerons  sous  le  nom  d'ordonnées  des  deux 
figures  :  les  deux  aires  étant  placées  comme  il  a  été  dit,  les  ordon- 
nées de  Tune  coupent  celles  de  l'autre  sur  la  base,  devenue  com- 
mune, et  leur  sont  perpendiculaires;  on  achève  les  rectangles 
formés  de  deux  ordonnées  correspondantes,  et  l'on  obtient  ainsi 
le  squelette  d'un  solide,  que  Grégoire  de  Saint-Vincent  appelle 


[90  Septième  Période. 


le  produit  des  deux  aires.  Pascal  s'est  servi  depuis  de  la  même 
expression,  toute  vicieuse  qu'elle  est. 

Voici  les  énoncés  de  quelques  propositions  : 

Un  quarré  duit  sur  lui-même  produit  un  cube; 

Un  triangle  rectangle  duit  sur  un  rectangle  produit  un  prisme 
triangulaire  (on  suppose  que  l'un  des  côtés  de  l'angle  droit  du 
triangle  est  égal  à  l'un  des  côtés  du  rectangle  et  qu'on  les  place 
l'un  sur  l'autre); 

Un  triangle  rectangle  duit  sur  lui-même  (par  un  des  côtés  de 
l'angle  droit)  produit  une  pyramide  quadrangulaire;  si,  avant  de 
le  duire  sur  lui-même,  par  un  des  côtés  de  l'angle  droit ,  on  a 
retourné  le  triangle  rectangle^  le  solide  qui  provient  de  la  duction 
est  une  pyramide  triangulaire,  qui  est  moitié  de  la  précédente. 

Si  trois  rectangles  ayant  même  base  sont  continuement  pro- 
portionnels, le  solide  formé  du  moyen  duit  sur  lui-même  est  égal 
au  solide  formé  des  extrêmes  duits  l'un  sur  l'autre. 

Il  semblerait  que,  dans  les  propositions  suivantes,  Grégoire  de 
Saint- Vincent  ne  s'entend  plus  très  bien  lui-même,  car  il  y  duit 
les  unes  sur  les  autres  des  aires  qui  n'ont  plus  de  côtés  communs. 
Ce  sont  des  triangles  ou  des  trapèzes  de  même  hauteur,  mais 
obliquangles,  et  l'on  ne  voit  pas  du  tout  comment  il  les  dispose. 
On  est  tenté^  en  le  lisant,  de  croire  qu'il  en  est  venu  à  regarder  la 
duction  de  deux  aires  Tune  sur  l'autre,  qui  n'est  tout  simplement 
qu'une  construction  réalisable  dans  certaines  conditions,  comme 
correspondant  à  une  opération  arithmétique  capable  d'être  définie 
par  rapport  aux  deux  aires  considérées. 

S:s  propositions  n'en  sont  pas  moins  exactes,  si  on  les  inter- 
prète convenablement. 

Il  faut,  pour  cela,  supposer  qu'il  place  Tune  sur  l'autre  les 


De  Kepler  à  Descartes.  191 


deux  hauteurs  égales  des  deux  figures,  et  qu'il  dispose  leurs  pians 
rectangulairement,  en  croisant,  lorsque  cela  est  nécessaire,  les 
deux  figures  de  manière  qu'elles  se  traversent  mutuellement;  et 
qu'il  achève,  dans  les  quatre  angles  dièdres  que  forment  leurs 
plans,  les  solides  provenant  des  ductions  mutuelles  des  parties  de 
Tune  d'elles  sur  les  parties  de  l'autre.  Dans  cette  hypothèse,  la 
hauteur,  devenue  commune,  partage  chacune  des  deux  figures 
en  deux  parties,  A  et  B  pour  la  première,  C  et  D  pour  la  seconde. 
Il  est  bien  clair  que  C  se  trouve,  par  là,  duit  séparément  sur  A 
et  B,  d'un  côté  du  plan  de  la  figure  coni posée  de  A  et  de  B,  et 
que  D  est  duit,  de  l'autre  côté  du  même  plan,  sur  les  mêmes 
parties  A  et  B;  en  sorte  que  le  solide  formé  suivant  la  règle  est 
effectivement  composé 

de  C  duit  sur  A,  de  C  duit  sur  B,  de  D  duit  sur  A  et  de  D  duit  surB. 

Mais  Grégoire  de  Saint-Vincent  voit  sans  douie  dans  ce  solide 
le  résultat  de  la  duction  de  G  -h  D  sur  A  -1-  B,  car  il  ne  se  donne 
pas  même  la  peine  de  démontrer  que  le  volume  résultant  de  la 
construction  est  indépendant  des  positions  occupées  dans  les 
deux  figures  par  les  hauteurs  que  l'on  a  fait  coïncider. 

Le  fait  est  facile  à  voir,  car,  si,  par  exemple,  on  déplace  paral- 
lèlement à  elle-même,  d'une  quantité  h,  la  hauteurqui  décompose 
la  seconde  figure,  de  façon  à  augmenter  G  aux  dépens  de  D,  les 
deux  corps  formés  de  G  duit  sur  A  et  de  G  duit  sur  B  augmentent 
de 

/i(A-hB), 

tandis  que  les  deux  autres  corps,  formés  de  D  duit  sur  A  et  de  D 
duit  sur  B,  diminuent  de  la  même  quantité;  mais,  je  le  répète. 


iga  Septième  Période. 


Grégoire  de  Saint-Vincent  n'a  pas  Pair  de  se  douter  que  sa  théorie, 
pour  se  tenir  droite,  a  besoin  de  cette  justification. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  établit  ces  deux  propositions  :  Si  trois 
trapèzes  de  même  hauteur  ont  leurs  grandes  bases  continuement 
proportionnelles,  ainsi  que  leurs  petites  bases,  le  solide  formé  de 
la  duction  des  trapèzes  extrêmes  sera  égal  au  solide  formé  de  la 
duction  du  moyen  sur  lui-même;  et,  si  quatre  trapèzes  de  même 
hauteur  ont  leurs  grandes  bases  proportionnelles,  ainsi  que  leurs 
petites  bases,  le  solide  formé  de  la  duction  mutuelle  des  extrêmes 
sera  égal  au  solide  formé  de  la  duction  des  moyens. 

Mais,  un  peu  plus  loin,  il  duit  l'une  sur  l'autre  des  figures 
curvilignes,  bordées  d'un  côté  par  une  même  courbe,  en  redres- 
sant les  ordonnées  de  Tune  des  deux  figures,  comptées  à  partir  de 
cette  courbe,  perpendiculairement  au  plan  de  l'autre.  Or,  l'aire 
de  la  figure  dont  les  ordonnées  sont  redressées  est,  par  là,  com- 
plètement altérée,  ce  qui  fait  qu'on  y  perd  sinon  son  latin,  au 
moins  celui  de  l'auteur,  que  Ton  ne  peut  plus  suivre. 

Les  propositions  énoncées  n'en  sont  peut-être  pas  moins  justes; 
mais  on  peut,  je  crois,  dire  que  la  théorie  qui  en  forme  le  lien 
n'a  plus  aucun  caractère  scientifique. 

Le  huitième  livre  traite  des  proportions  géométriques. 

Le  neuvième  contient  une  théorie  des  onglets  cylindriques 
(ungula  cylindrica),  dont  nous  avons  déjà  dit  un  mot.  «  Un 
onglet  cylindrique,  dit  Grégoire  de  Saint- Vincent,  est  la  partie 
d'un  cylindre  retranchée  par  un  plan  passant  par  un  diamètre  de 
la  base  et  comprise  entre  la  demi-base  (circulaire  ou  elliptique)  et 
la  superficie  cylindrique.  Nous  avons  vu  que  Kepler  s'était  déjà 
servi  de  la  considération  de  ces  onglets. 

Le  même  li  vre  se  termine  par  une  étude  des  conoïdes  des  anciens. 


De  Kepler  à  Descartes.  io3 


Enfin,  le  dixième  livre  traite  de  la  quadrature  du  cercle  et  de 
rhyperbole,  c'est-à-dire  «  de  la  réduction  des  aires  de  segments 
du  cercle  ou  de  l'hyperbole  à  des  aires  terminées  par  des  contours 
polygonaux.  »  Mais  Grégoire  de  Saint-Vincent,  dans  la  solution 
qu'il  donne  du  problème,  suppose  qu'on  sache  construire  des 
longueurs  représentées  en  nombres  par  des  logarithmes. 

M.  Quételet  fait  presque  un  grand  homme  de  Grégoire  de 
Saint-Vincent.  Il  nous  semble  qu'il  y  a  dans  ce  jugement  tout 
juste  autant  d'exagération  que  de  patriotisme  local. 


MYDORGÉ  ( Claude). 

(Né  à  Paris  en  i585,  mort  en  1647.) 

Il  appartenait  à  une  illustre  famille  de  robe  (sa  mère  était  une 
Lamoignon).  Il  fut  d'abord  conseiller  auChâtelet,  puis  trésorier 
de  la  généralité  d'Amiens. 

Ami  de  Descartes  et  passionné  pour  les  Sciences,  il  dépensa, 
dit-on,  100  000  écus,  dans  des  essais  de  fabrication  des  verres 
elliptiques  et  hyperboliques  décrits  par  son  ami. 

Il  a  composé  divers  ouvrages  de  Sciences;  entre  autres  :  Pro- 
dromus  catoptricorum  et  dioptricorum  (Paris,  i63i),  qui  con- 
tient la  solution  générale  du  problème  de  placer  une  conique 
donnée  sur  un  cône  donné,  qu'Apollonius  n'avait  résolu  que 
pour  un  cône  droit;  Examen  du  livre  des  Récréations  mathéma- 
tiques du  P.  Leurechon,  publié  en  i63o;  des  écrits  sur  la 
Lumière,  V Ombre  et  la  Sciothérique,  qui  ont  disparu;  enfin  un 
recueil,  resté  manuscrit,  de  1002  problèmes  graphiques,  dont 
M.  Charles  Henry  a  publié  les  énoncés  en  1882.  On  trouve  dans 

M.  Marie.  —  Histoire  des  Sciences^  III.  i3 


194  Septième  Période. 

ce  manuscrit  d'élégantes  constructions,  d'abord  pour  la  transfor- 
mation des  figures  polygonales  les  unes  dans  les  autres,  ensuite 
pour  la  quadrature  des  figures  courbes  exactement  quarrables. 

MERSENNE    (  MARIN  ). 
(  Ne  dans  le  Maine  en  i588,  mort  à  Paris  en  1648.) 

Il  fit  ses  études  au  collège  de  La  Flèche,  oti  il  eut  Descartes 
pour  condisciple.  Quoiqu'il  fût  plus  âgé  que  Descartes,  ils  se 
lièrent  d'une  amitié  qui  ne  se  démentit  pas. 

Au  sortir  du  collège,  Mersenne  entra  chez  les  rehgieux 
Minimes,  au  couvent  de  Meaux,  où  il  fit  son  noviciat,  puis  fut 
admis  comme  religieux  dans  la  maison  de  Nigeon,  près  Paris. 

Baillet,  dans  sa  Vie  de  Descartes^  a  tracé  de  lui  le  portrait 
suivant  :  «  Mersenne  était  le  savant  du  siècle  qui  avait  le  meil- 
leur cœur;  on  ne  pouvait  l'aborder  sans  se  laisser  prendre  à  ses 
charmes.  Jamais  mortel  ne  fut  plus  curieux  pour  pénétrer  les 
secrets  de  la  nature  et  porter  les  Sciences  à  leur  perfection. 

«  Les  relations  qu'il  entretenait  avec  tous  les  savants  en 
avaient  fait  le  centre  de  tous  les  gens  de  lettres.  C'était  à  lui  qu'ils 
adressaient  leurs  doutes  pour  être  proposés,  par  son  moyen,  à 
ceux  dont  on  attendait  les  solutions;  faisant  à  peu  près  dans  la 
république  des  lettres  la  fonction  que  fait  le  cœur  dans  le  corps 
humain.  » 

Mersenne  n'a  pas  seulement  rendu  service  aux  Sciences  par 
l'émulation  qu'il  excitait  entre  les  principaux  géomètres  de  l'Eu- 
rope; un  grand  nombre  d'expériences,  qu'il  fit  sur  la  résistance 
des  solides,  sur  l'écoulement  des  liquides  et  l'influence  des  aju- 


De  Kepler  à  Descartes.  igS 

tages,  sur  les  vibrations  des  corps  élastiques,  etc.,  ont  contribue 
à  répandre  quelques  idées  Justes  sur  des  matières  alors  bien 
obscures. 

Outre  des  ouvrages  de  Théologie  pure,  il  a  laissé  :  Les  Mécha- 
niques  de  Galilée^  traduites  en  français  (Paris,  1634);  Cogitata 
physico-mathematica  (Paris,  1644),  qui  renferment,  sur  les 
théories  des  nombres  premiers  et  des  nombres  parfaits,  des  théo- 
rèmes empruntés  à  Fermât  ou  à  Frénicle  et  qui  n'ont  pas  encore 
été  démontrés  ;  Universœ  Geometriœ  mixtœque  Mathematicœ 
synopsis  (1664);  Novœ  observationes  physico-mathematicœ. 


RICHARD    ( CLAUDE). 
(Né  à  Ornans  en  iSSg,  mort  à  Madrid  en  1664.  ) 

il  entra  chez  les  Jésuites  en  1606,  pendant  un  voyage  qu'il 
fit  à  Rome,  professa  l'hébreu  et  les  Mathématiques  à  Lyon,  puis 
occupa,  pendant  quarante  ans,  de  1624  à  1664,  une  chaire  de 
Mathématiques  à  Madrid.  Il  a  publié  :  Commentarius  in  omnes 
libros  Euclidis  (Anvers,  1645);  Commentarii  in  Apollonii 
Pergœi  conicorum  libfos  /K  (i655);  Or  do  novus  et  reliquiis 
facilior  tabularum  siniium  et  tangentium. 


ALBERT    GIRARD. 

(Né  vers  1590,  mort  vers  1634.) 

Il  a  laissé  un  Traité  de  Trigonométrie  (La  Haye,   1626]  où, 
comme  Viète,  il  réduit  de  moitié  le  nombre  des  cas  distincts  que 


igô  Septième  Période. 


peuvent  présenter  les  triangles  sphériques,  au  moyen  de  leurs 
supplémentaires,  qu'il  nomme  réciproques. 

On  remarque  dans  ce  même  ouvrage  la  démonstration  de  ce 
théorème  que  les  trois  quadrilatères  inscrits  dans  un  même  cercle, 
que  Ton  peut  former  avec  quatre  côtés  donnés,  en  en  changeant 
Tordre,  ont  pour  surface  commune  le  produit  des  trois  diagonales 
distinctes  qu'ils  présentent,  divisé  par  le  double  du  diamètre  du 
cercle  circonscrit. 

Il  annonce,  en  plusieurs  endroits  de  ses  écrits,  avoir  restitué 
les  Porismes  d'Euclidc,  mais  ce  travail  n*est  pas  parvenu  jusqu'à 
nous. 

Son  Invention  nouvelle  en  Algèbre,  publiée  en  1629,  contient 
les  théorèmes  importants  qui  ont  passé  dans  l'enseignement, 
sur  la  mesure  des  aires  des  triangles  et  des  polygones  sphériques 
comparées  à  celle  d'un  fuseau  déterrniné.  Albert  Girard  suppose 
la  surface  de  la  sphère  divisée  en  36o  parties  égales  par  des  plans 
passant  par  un  même  diamètre  et  inclinés  les  uns  sur  les  autres 
d'un  degré,  et  il  prend  pour  terme  de  comparaison  la  moitié  de 
l'une  des  parties,  qu'il  appelle  degré  de  la  surface  entière  de  la 
sphère.  Il  démontre  que  la  surface  d'un  triangle  sphérique  con- 
tient autant  de  degrés  de  la  surface  de  la  sphère  que  l'excès  de  la 
somme  de  ses  angles  sur  deux  angles  droits  contient  de  degrés, 
il  donne  la  formule  analogue  pour  la  mesure  de  la  surface  d'un 
polygone  sphérique  terminé  par  des  arcs  de  grands  cercles. 

Mais  cet  ouvrage  est  surtout  remarquable  par  les  idées  justes 
que  l'auteur  émet,  au  sujet  des  racines  négatives  des  équations  et 
de  leur  usage  en  Géométrie. 

Albert  Girard  développe  les  solutions  données  par  Victe  des 
problèmes  relatifs  il  la  division  des  arcs  et  construit  les  solutions 


De  Kepler  à  Descartes.  197 


négatives,  qu'il  appelle  par  moins,  aussi  bien  que  les  solutions 
positives.  Il  dit  en  un  endroit  :  la  solution  par  moins  s'explique 
en  Géométrie  en  rétrogradant,  et  le  moins  recule  où  le  plus 
avance;  et  il  en  donne  des  exemples. 

Il  passe  de  là  à  la  comparaison  entre  eux  des  angles  polyèdres, 
considérés  comme  comprenant  une  portion  de  l'espace.  Deux 
angles  polyèdres  sont  entre  eux  comme  les  surfaces  des  poly- 
gones découpés  par  les  plans  de  leurs  faces,  sur  une  sphère  ayant 
pour  centre  leur  sommet,  supposé  commun. 


SNELLIUS    (VILLEBROD   SNELL   DE   ROYEN). 
(Né  à  Leyde  en  1391,  mort  en  1626.) 

Il  professa  avec  distinction  les  Mathématiques  dans  sa  ville 
natale,  et  paraît  avoir  découvert  le  premier  la  véritable  loi  de  la 
réfraction,  qu'il  aurait,  au  dire  de  Huyghens,  consignée  dans  un 
ouvrage  resté,  il  est  vrai,  manuscrit,  mais  dont  plusieurs  contem- 
porains avaient  eu  des  copies. 

Peut-être  ne  Ta-t-il  présentée  que  comme  formule  empirique, 
ce  qui  expliquerait  comment  Descartes,  qui  en  a  donné  une 
démonstration  théorique,  se  serait  cru  autorisé  à  se  l'approprier. 
Peut-être,  au  reste,  Descartes  en  a-t-il  fait  la  découverte  sans 
rien  connaître  de  celle  de  Snellius. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Snellius  ne  paraît  pas  avoir  saisi  toute 
l'importance  d'une  si  grande  invention,  tandis  que  Descartes  en 
a  aussitôt  tiré  les  plus  belles  conséquences. 

L'ouvrage  le  plus  remarquable  de  Snellius  est  son  Eratosthenes 


io8  Septième  Période. 


batavus  de  terrœ  ambitus  ver  a  quant  itate,  où  il  rend  compte  des 
opérations  géodésiques  qu'il  entreprit  pour  mesurer  l'arc  du 
méridien  compris  entre  Leyde  et  Sœterwoode.  Cette  tentative  de 
Snellius  est  d'autant  plus  méritoire  qu'elle  est  la  première  qui 
ait  été  faite  par  la  méthode  trigonométrique,  telle  qu'on  l'em- 
ploierait encore  aujourd'fiui.  Mais  il  prit  une  base  de  27  pieds 
seulement,  beaucoup  trop  petite  dans  tous  les  cas,  mais  surtout 
dans  celui  où  il  se  trouvait,  n'ayant  à  sa  disposition  que  des 
instruments  très  médiocres  pour  mesurer  les  angles.  Du  reste,  il 
embrouilla  plusieurs  fois  ses  nombres,  se  trompa  dans  les  calculs, 
et,  finalement,  n'arriva  à  rien  d'exact.  Il  avait  seulement  ouvert 
la  voie  et  indiqué  la  marche  à  suivre. 

Il  avait  lui-même  reconnu  ses  erreurs  et  projeté  de  recommencer 
toute  l'opération,  mais  la  mort  l'en  empêcha.  Il  n'eût  pu,  d'ail- 
leurs, faire  beaucoup  mieux  la  seconde  fois  que  la  première.  En 
effet,  une  minute  d'erreur  dans  la  détermination  de  la  différence 
des  latitudes  des  extrémités  d'un  arc  du  méridien  correspond  à 
une  erreur  de  2000°*  environ  dans  la  longueur  de  cet  arc.  Or,  le 
quart  de  cercle  employé  par  Snellius  ne  pouvait  certainement 
pas  lui  donner  la  mesure  des  angles  à  une  minute  près. 

On  a  encore  de  Snellius  une  Trigonométrie  imprimée  après  sa 
mort,  par  les  soins  de  son  fils,  sous  le  titre  :  Villebrordi  Snelli 
doctrinœ  triangulorum  canonicœ  libri  quatuor,  etc.  On  y  trouve, 
pour  la  formation  des  tables,  des  formules  qui  ne  seraient  plus 
aujourd'hui  d'aucune  utilité,  mais  qui  n'en  présentent  pas  moins 
un  certain  intérêt,  même  après  celles  de  Viète.  La  méthode  des 
triangles  polaires  y  est  systématiquement  employée,  dans  le  but 
de  réduire  le  nombre  des  cas  distincts  des  triangles  sphériques. 

«  La  mort  prématurée  de  Snellius  et  sa  mauvaise  santé,  dans 


De  Kepler  à  Descartes.  199 

les  dernières  années  de  sa  vie,  doivent  encore  ajouter,  dit  De- 
lambre,  à  l'idée  qu'on  se  formerait  de  lui  par  la  lecture  de  ses 
ouvrages.  » 

Il  avait  débuté,  à  dix-sept  ans,  par  une  tentative  de  restitution 
de  l'ouvrage  perdu  d'Apollonius  :  De  sectione  determinatâ,  qu'il 
publia,  en  1608,  sous  le  titre  d'Apollonius  batavus. 

Enfin,  dans  un  ouvrage  intitulé  :  Cyclometricus ,  qui  parut 
en  1621,  Snellius  indiquait  un  procédé  plus  rapide  que  celui 
d*Archimède,  suivi  par  Van  Ceulen,  pour  arriver  à  la  même 
approximation  que  son  compatriote,  dans  l'évaluation  du  rapport 
de  la  circonférence  au  diamètre. 

GASSENDI    (pierre). 

(Xé  à  Champteriver.  près  de  Digne,  en  iSg?,  mort  à  Paris  en  i655.  ) 

Il  obtint,  à  seize  ans,  une  chaire  de  rhétorique  à  Digne,  mais  ne 
Toccupa  pas;  reçu  docteur  en  théologie  à  Avignon,  à  l'âge  de  vingt 
et  un  ans,  il  devint  prévôt  du  chapitre  de  cette  ville.  Il  obtint  au 
concours  les  deux  chaires  de  philosophie  et  de  théologie  à  TUni- 
versité  d'Aix,  et  choisit  celle  de  théologie.  Il  commença  dès  lors 
à  battre  en  brèche  Aristote,  mais  avec  prudence,  et  se  mit  à 
étudier  l'Anatomie  et  l'Astronomie. 

Pourvu  d'un  bénéfice  à  la  cathédrale  de  Digne,  il  put  renoncer 
à  sa  chaire  de  théologie  et  se  mit  à  voyager.  Il  visita  Paris  et 
surtout  la  Hollande ,  oti  les  universités  et  les  bibliothèques 
offraient  des  ressources  qui  n'existaient  pas  ailleurs. 

Il  fut  nommé,  en  1645,  lecteur  pour  les  Mathématiques  au 
Collège  de  France. 


Septième  Période. 


Gassendi  avait  un  savoir  plus  étendu  que  profond.  On  estime 
ses  travaux  sur  l'histoire  de  diverses  Sciences;  mais  comme  astro- 
nome et  comme  physicien,  il  se  borna  à  coordonner  les  faits  acquis. 

Ses  relations  avec  la  plupart  des  savants  ses  contemporains 
lui  acquirent  une  assez  grande  influence.  Il  entretenait  une 
correspondance  suivie  avec  Galile'e,  dont  il  partageait  les  idées 
scientifiques,  sans  toutefois  en  assumer  publiquement  la  respon- 
sabilité. Il  était  aussi  en  relations  avec  Kepler  et  d'autres  astro- 
nomes, avec  Lamothe-le-Vayer,  avec  Hobbes,  avec  Campa- 
nella,  etc. 

Ses  avances  à  Descartes  furent  moins  bien  reçues  ;  ses 
objections,  malgré  leur  forme  courtoise,  agaçaient  notre  phi- 
losophe. Descartes  faisaitpeu  de  cas  de  Gassendi,  qui,  après  avoir 
touché  à  tout,  ne  s'était  fait  sur  rien  de  doctrines  à  lui. 

M.  D uval-Jouve  a  donné,  dans  le  Dictionnaire  des  Sciences 
philosophiques,  une  très  bonne  étude  sur  Gassendi  ;  en  voici  la 
conclusion  : 

«  Astronome  et  physicien,  Gassendi  n'a  enrichi  la  Science 
d'aucune  de  ces  découvertes  qui  font  époque;  mais,  par  sa  rare 
persévérance  à  suivre  la  voie  de  l'observation,  il  a  puissamment 
contribué  à  éclaircir  et  à  confirmer  les  découvertes  déjà  faites, 
et  à  indiquer  aux  esprits  justes  le  moyen  d'en  faire  de  nou- 
velles. Tous  ses  travaux  astronomiques,  sans  exception,  et  la 
plupart  de  ses  travaux  de  Physique  ont  pour  objet  la  confirma- 
tion et  la  défense  de  la  doctrine  de  Galilée  sur  le  mouvement  de 
la  Terre  ;  nulle  part  cependant,  il  ne  se  prononça  sur  ce  point. 
Dans  le  troisième  livre  de  son  Institutio  Astronomica  ^  con- 
sacré à  l'examen  des  systèmes  de  Copernic  et  de  Tycho-Brahé, 
on  voit  bien  qu'il  incline  vers  le  premier,  mais  il  ne  tranche  pas 


De  Kepler  à  Descartes.  201 


le  mot  et  termine  Texposé  de  chaque  système  par  cette  brusque 
formule  :  Sic  Copernici  tueri  se  soient;  et  sic  quidem  Tycho.  De 
plus,  dans  sa  grande  dispute  avec  Morin  sur  le  mouvement  de  la 
Terre,  il  prend  bien  soin  d*étnblir  que  la  question  n'est  pas  de 
savoir  si  la  Terre  se  meut,  ni  si  le  mouvement  de  la  Terre  peut 
être  démontré,  mais  s'il  est  possible  de  prouver  par  les  lumières 
naturelles  de  la  raison  que  la  Terre  est  immobile.  Il  ne  faut  pas, 
avec  Bailly,  accuser  Gassendi  de  faiblesse  :  Galilée  s'était  rétracté, 
et  Descartes  lui-même  «  avait  trouvé  un  tour,  comme  dit  Leibniz, 
«  pour  nier  le  mouvement  de  la  Terre,  pendant  qu'il  était  coper- 
1  nicien  à  outrance.  »  Ces  grands  hommes  savaient  bien  que  cette 
vérité  était  du  nombre  de  celles  qui  se  défendent  d'elles-mêmes  et 
n'ont  pas  besoin  de  martyrs.  » 

Les  œuvres  de  Gassendi  ont  été  publiées,  en  i658,  à  Lyon 
(6  vol.  in-fol.),  par  Montmort,  son  ami  et  son  exécuteur  testa- 
mentaire. 

VoicilestitresdeceuxdesesécritsquiscrapportentauxSciences: 
Mercurius  in  sole  visus  et  Venus  invisa  (Paris,  1 63 1  )  ;  Proportio 
gnomonis  ad  solsticialem  umbram  observata  Massiliœ  (i636); 
Novem  stellce  visœ  circa  Jovem  (Paris,  1643)  ;  De  proportione 
qua  gravia  decidentia  accelerantur  (1646). 

DESARGUES  (gÉRARD). 
(Né  i  Lyon  en  iSgS,  mort  en  1662.) 

M.  Poudra,  qui  a  consacré  un  volume  à  la  biographie  de 
Desargues  et  à  l'analyse  de  ses  travaux,  pense  que  son  père  était 
notaire  dans  une  commune  voisine  de  Lyon. 


Septième  Période, 


Desargues  était  en  1626  à  Paris,  où,  dit  Baillet,  «  il  se  faisait 
distinguer  par  son  mérite  personnel  et  par  ses  grandes  connais- 
sances en  Mathématiques,etoùil  employait  particulièrement  ses 
soins  à  soulager  les  artistes  (artisans)  par  la  subtilité  de  ses 
inventions.  » 

Descartes  se  trouvait  aussi  à  Paris  à  cette  époque  et  songeait 
déjà,  de  son  côté,  d'après  le  même  Baillet,  «  aux  moyens  de  per- 
fectionner la  Mécanique,  pour  abréger  et  adoucir  les  travaux  des 
hommes.  » 

C'est  de  cette  communauté  de  vues  que  naquit  entre  les  deux 
hommes  supérieurs  une  amitié  qui  ne  se  démentit  plus. 

Le  cardinal  de  Richelieu  emmena  Desargues  au  siège  de  La 
Rochelle,  en  1628,  comme  ingénieur  et  architecte.  Descartes  et 
son  ami  s'y  rencontrèrent  encore. 

A  la  paix,  Desargues  revint  à  Paris,  où  il  se  consacra  tout 
entier  à  ses  études  scientifiques.  Il  s'était  instruit  à  peu  près  seul, 
à  la  lecture  d'Euclide  et  d'Apollonius  qu'il  cite  souvent  dans  ses    . 
ouvrages. 

Il  fut  du  nombre  des  savants  qui  se  réunissaient  tous  les 
mardis  chez  Chantereau-Lefévre;  là  il  connut  Gassendi,  Carcavi, 
ami  de  Fermât  et  Tun  des  membres  nommés  de  la  première 
Académie  des  Sciences,  Bouilliau,  auteur  de  plusieurs  ouvrages 
d'Astronomie,  Roberval,  Pascal,  etc.  Les  membres  de  cette 
réunion  a  maintenaient  tous  que  l'idée  de  Copernic  est  plus 
juste  et  plus  aisée  à  soutenir  que  non  pas  l'ancienne.  » 

Novateur  dans  toutes  les  branches  de  la  Géométrie  où  il  a  porté 
ses  investigations,  Desargues  ne  Ta  pas  moins  été  dans  la  manière 
de  comprendre  la  Science,  au  point  de  vue  de  son  importance 
sociale  et  de  sa  diffusion.  Croirait-on  qu'il  avait  imaginé  ce  que 


De  Kepler  à  Descartes.  2o3 


nous  appelons  aujourd'hui  les  cours  d'adultes,  des  cours  tels  que 
ceux  qu'a  organise's  l'Association  polytechnique?  Tout  le  temps 
qu'il  habita  Paris,  il  lit  gratuitement  aux  ouvriers,  le  soir,  des 
cours  de  Géométrie  appliquée  à  la  charpente,  à  la  Stéréotomie,  etc.  ; 
aussi  le  général  Poncelet  l'appelle-t-il  le  Monge  de  son  siècle. 
L'originalité  de  ses  travaux,  appréciés  seulement  des  plus  habiles 
connaisseurs  parmi  ses  contemporains,  lui  valut  par  contre  l'ani- 
mosité  haineuse  des  savants  médiocres;  et  son  amour  du  bien 
public  ne  lui  fil  trouver  que  des  persécuteurs.  «  Pauvre  Desar- 
gues, dit  le  général  Poncelet,  qui  se  figurait  que  des  affiches 
apposées  aux  murs  de  Paris,  des  ébauches  d'ouvrages  rédigés  en 
faveur  de  la  classe  ouvrière,  dont  ils  imitaient  le  langage  fami- 
lier, des  leçons  sans  apprêts  pourraient  le  défendre  contre  les 
cabales,  et  soustraire  à  l'oubli  ses  savantes  méthodes  géomé- 
triques, si  utiles  aux  arts  !  »  Bientôt  lassé  de  ne  pouvoir  pas 
même  être  utile  impunément.  Desargues  quitta  Parîs  pour 
revenir  à  Lyon,  où  il  reprit  toutefois  ses  leçons  familières  sur  la 
coupe  des  pierres  et  la  Perspective. 

Descartes,  nous  l'avons  déjà  dit,  faisait  le  plus  grand  cas  de 
Desargues.  On  lit  dans  l'une  de  ses  lettres  à  Mersenne,  au  sujet 
d'une  note  de  Desargues  relative  à  quelques  propriétés  des  trans- 
versales :  a  La  façon  dont  il  commence  son  raisonnement,  en 
l'appliquant  tout  ensemble  aux  lignes  droites  et  aux  courbes,  est 
d'autant  plus  belle  qu'elle  est  plus  générale  et  semble  être  prise 
dans  ce  que  j'ai  coutume  de  nommer  la  Métaphysique  de  la 
Géométrie.  » 

Bien  longtemps  après.  Descartes  prenait  son  ami  pour  juge  de 
la  doctrine  contenue  dans  ses  Méditations^  se  fiant  plus  à  lui 
seul,  disait- il,  qu'à  trois  théologiens. 


204  Septième  Période. 


ce  Desargues,  dit  le  général  Poncelct,  fut  le  premier  d'entre  les 
modernes  qui  envisagea  la  Géométrie  sous  un  point  de  vue 
général.  » 

Voici  quels  sont  ses  principaux  titres  scientifiques  :  il  étudia 
le  premier  les  sections  par  un  plan  quelconque  d'un  cône  ayant 
pour  base  une  conique  quelconque  et  un  sommet  quelconque.  Il 
déterminait  sur  la  base  de  ce  cône  les  points  et  les  droites  dont 
les  perspectives  sur  le  plan  sécant  fourniraient  les  foyers,  les 
sommets,  les  diamètres  et  les  axes  de  la  section.  Il  considérait 
toutes  les  sections  coniques,  qui,  jusque-là,  avaient  toujours  été 
traitées  séparément,  comme  des  variétés  d'une  même  courbe.  Il 
regardait  aussi  un  système  de  droites  parallèles  entre  elles  comme 
concourant  à  l'infini.  «  Pour  votre  façon  de  considérer  les  lignes 
parallèles  comme  si  elles  s'assemblaient  à  un  but  à  distance 
infinie,  afin  de  les  comprendre  sous  le  même  genre  que  celles  qui 
tendent  à  un  point,  elle  est  fort  bonne,  »  lit-on  dans  une  des 
lettres  de  Descartes.  Il  transporta  aux  coniques  diverses  propriétés 
connues  du  système  de  deux  droites. 

L'une  de  ses  découvertes,  dans  cet  ordre  d'idées,  a  fait  l'objet 
de  l'admiration  de  Pascal,  qui  l'appelle  merveilleuse  :  c'est  la 
relation  des  segments  faits  par  une  conique  et  par  les  quatre 
côtés  d'un  quadrilatère  inscrit  à  cette  conique  sur  une  transver- 
sale menée  arbitrairement  dans  son  plan.  En  voici  l'énoncé  :  «  Le 
produit  des  segments  compris  sur  la  transversale,  entre  un  point 
de  laconique  et  deux  côtés  opposés  du  quadrilatère,  est  au  produit 
des  segments  compris  entre  le  même  point  et  les  deux  autres 
côtés,  dans  un  rapport  égal  à  celui  des  produits  analogues  des 
segments  correspondants  au  second  point  de  rencontre  de  la 
transversale  avec  la  conique.  » 


De  Kepler  à  Descartes.  2o5 


Pascal,  dans  son  Essai  pour  les  coniques  (1640),  disait  de  cette 
proposition  :  «  Nous  démontrons  aussi  la  proposition  suivante 
dont  le  premier  inventeur  est  M.  Desargues,  lyonnais,  un  des 
grands  esprits  de  ce  temps,  et  des  plus  versés  aux  Mathématiques, 
et,  entre  autres,  aux  coniques,  dont  les  écrits  sur  cette  matière, 
quoique  en  petit  nombre,  en  ont  donné  un  ample  témoignage  à 
ceux  qui  auront  voulu  en  recevoir  l'intelligence:  je  veux  bien 
avouer  que  je  dois  le  peu  que  j'ai  trouvé  sur  cette  matière  en  ses 
écrits,  et  que  j'ai  tâché  d'imiter,  autant  qu'il  m'a  été  possible,  sa 
méthode  sur  ce  sujet,  qu'il  a  traité  sans  se  servir  du  triangle  par 
l'axe,  en  traitant  généralement  de  toutes  les  sections  du  cône.  La 
proposition  merveilleuse  dont  est  question  est  telle,  etc.  » 

Desargues  désignait  cette  relation  sous  le  nom  d'involution 
de  six  points,  dénomination  qui  a  été  conservée.  Les  six  points 
étant  conjugués  deux  à  deux,  Desargues  examinait  le  cas  où 
deux  points  conjugués  viendraient  à  se  confondre,  et  celui  où 
deux  couples  de  points  conjugués  se  réuniraient  en  même 
temps. 

Le  beau  théorème  dont  on  vient  de  lire  l'énoncé  comprend, 
comme  cas  particulier,  celui  de  Pappus,  relatif  aux  segments 
déterminés  sur  une  transversale  par  les  diagonales  d'un  quadri- 
latère et  ses  quatre  côtés.  Le  système  des  diagonales  constitue, 
en  effet,  une  conique  particulière,  circonscrite  au  quadrilatère. 

On  savait,  par  des  indications  fournies  par  Beaugrand,  Bosse 
et  Huret,  que  Desargues  avait  tiré  de  son  théorème  beaucoup  de 
conséquences  importantes  :  mais  il  n'en  était  rien  parvenu  à 
nous  jusqu'à  ces  derniers  temps.  L'ouvrage  intitulé  Brouillon 
Projet  des  coniques,  où  il  avait  consigné  ses  recherches  et  qui 
avait  excité  l'admiration  de  Pascal,  de  Fermât  et  de  Descartes, 


2o')  Septième  Période. 

paraissait  en  effet  entièrement  perdu,  lorsque  M.  Chasles  en  a 
heureusement  retrouvé  en  1845  une  copie  faite  par  De  la  Hire, 
le  fils.  Cette  copie  est  maintenant  déposée  à  la  bibliothèque  de 
l'Institut.  M.  Poudra  l'a  publiée  dans  l'ouvrage  que  nous  avons 
déjà  mentionné. 

Robert  Simson,  le  général  Poncelet,  M.  Chasles  et  d'autres  ont 
mis  en  œuvre  le  théorème  de  Desargues,  et  en  ont  tiré  de  nom- 
breux et  intéressants  corollaires. 

On  doit  encore  à  Desargues  la  démonstration  d'une  propriété 
des  triangles  qui  a  été  beaucoup  utilisée  dans  la  Géométrie  con» 
temporaine  :  si  deux  triangles,  situés  dans  l'espace  ou  dans  un 
même  plan,  ont  leurs  sommets  placés  deux  à  deux  sur  trois 
droites  concourant  en  un  même  point,  leurs  côtés  se  rencontre- 
ront deux  à  deux  en  trois  points  situés  en  ligne  droite,  et  réci- 
proquement. Quand  les  deux  triangles  sont  dans  des  plans  diffé- 
rents, le  fait  est  évident,  comme  le  remarque  Desargues,  puisque 
les  rencontres  de  leurs  côtés  ne  peuvent  avoir  lieu  que  sur  l'in- 
tersection des  plans  qui  contiennent  les  deux  triangles;  quand  ils 
sont  dans  un  même  plan,  la  démonstration,  qui  pourrait  être 
omise,  puisqu'il  ne  s'agit  que  d'un  cas  particulier,  se  fait  au 
moyen  du  théorème  de  Ptolémée  sur  le  triangle  coupé  par  une 
transversale. 

Ce  théorème  de  Desargues  a  été  reproduit  par  Servais,  et  em- 
ployé depuis  par  Brianchon,  par  le  général  Poncelet,  par 
MM.SturmetGergonne.  Le  général  Poncelet  en  a  fait  la  base  de 
sa  belle  théorie  des  figures  homologiques.  M.  Chasles  remarque, 
au  sujet  de  ce  même  théorème  de  Desargues,  qu'il  conduit  natu- 
rellement à  un  beau  principe  de  Perspective  :  c'est  que,  quand 
deux  figures  planes,  situées  dans  l'espace,  sont  la  perspective  l'une 


De  Kepler  à  Descartes.  207 

de  l'autre,  si  Ton  fait  tourner  le  plan  de  la  première  autour  de  la 
droite  suivant  laquelle  il  coupe  celui  de  la  seconde^  les  droites  qui 
iront  des  points  de  la  première  figure  aux  points  correspondants 
de  la  seconde  concourront  toujours  en  un  même  point,  quand 
même  les  plans  des  deux  figures  viendraient  à  se  confondre. 

Enfin  Desargues  publia,  sur  la  Perspective,  la  coupe  des  pierres 
et  le  tracé  des  cadrans,  divers  ouvrages  où  il  traita  ces  objets,  dit 
M.  Chasles,  a  en  homme  supérieur,  y  apportant,  avec  une  exacti- 
tude alors  souvent  inconnue  aux  artistes,  les  principes  d'univer- 
salité qui  se  dénotent  dans  ses  recherches  de  pure  Géométrie.  » 
Les  écrits  de  Desargues  sur  les  applications  de  la  Géométrie  aux 
Arts  ont  été  perdus  en  grande  partie,  comme  ont  bien  manqué  de 
l'être  ses  ouvrages  de  Géométrie.  Ils  avaient  pour  titres  :  Méthode 
universelle  de  mettre  en  perspective  les  objets  donnés  réelle- 
ment, ou  en  deuis,  avec  leurs  proportions,  mesures,  éloigne- 
ments,  sans  employer  aucun  point  qui  soit  hors  du  champ  de 
Vouvrage  (i63o);  Brouillon  projet  de  la  coupe  des  pierres 
(1640);  les  Cadrans,  ou  Moyen  de  placer  le  style  ou  Vaxe, 
inséré  à  la  fin  du  Brouillon  projet;  M.  Poudra  en  a  publié  ce  qui 
a  pu  être  retrouvé.  On  ne  connaissait  jusqu'à  ces  derniers  temps 
ces  divers  ouvrages  que  par  le  graveur  Bosse,  qui,  initié  par 
Desargues  dans  ses  conceptions,  les  exposa  de  nouveau  dans  une 
sorte  de  commentaire.  Le  traité  de  Perspective,  où  se  trouve  la 
méthode  de  Véchelle  fuyante,  était  au  témoignage  de  Fermât, 
«  agréable  et  de  bon  esprit.  »  Descartes  en  dit,  dans  une  de  ses 
lettres  à  Mersenne  :  a  Je  n'ai  reçu  que  depuis  peu  de  jours  le  petit 
livre  in-tolio  qui  traite  de  la  Perspective  :  il  n*est  pas  à  désap- 
prouver, outre  que  la  curiosité  et  la  netteté  du  langage  de  son 
auteur  sont  à  estimer.  » 


2o8  Septième  Période. 


L'invention  des  épicycloïdes  et  leur  mise  en  usage  en  Méca- 
nique seraient  aussi  dues,  paraît-il,  à  Desargues. 

«  Les  ouvrages  de  Desargues  ont  été  longtemps,  dit  M.  Poudra, 
considérés  comme  perdus;  son  nom  semblait  même  inconnu  aux 
biographes,  lorsqu'en  1822,  M.  le  général  Poncelet,  dans  son 
Traité  des  propriétés  projectiveSy  appela  l'attention  sur  ce 
profond  géomètre,  qu'il  appelle  le  Monge  de  son  siècle. 

a  M.  Chasles  confirmait  cette  appréciation  en  iSS/,  et  il  ajou- 
tait :  l'estime  que  mérite  Desargues,  qui  a  été  si  peu  connu  des 
biographes,  nous  a  porté  à  entrer  dans  ces  détails  (qui  précèdent) , 
espérant  qu'ils  pourront  piquer  la  curiosité  de  quelques  personnes 
et  les  engager  à  rechercher  les  ouvrages  originaux  de  cet  homme 
de  génie  et  les  pièces  relatives  à  ses  démêlés  scientifiques.  Sa 
correspondance  avec  les  hommes  les  plus  illustres  de  son  temps, 
dont  il  partageait  les  travaux  et  qui  le  voulaient  tous  pour  juge 
de  leurs  ouvrages,  serait  aussi  une  découverte  précieuse  pour 
rhistoire  littéraire  de  ce  xvii^  siècle  qui  fait  tant  d'honneur  à 
l'esprit  humain.  » 

M.  Poudra  ajoute  que,  stimulé  par  les  vœux  formulés  par 
Poncelet  et  Chasles,  il  a  entrepris  de  rechercher  les  ouvrages  de 
Desargues. 

Il  faut  reconnaître  qu'il  a  réussi  à  peu  près  aussi  bien  qu'il 
était  possible  de  le  faire,  étant  quelquefois  obligé  d'aller  recher- 
cher des  indications  sur  le  texte  de  son  auteur  jusque  dans  les 
diatribes  de  ses  détracteurs;  on  doit  surtout  lui  savoir  gré  d'avoir 
joint  à  ceux  qu'il  a  retrouvés,  les  commentaires  sans  lesquels  ils 
seraient  restés  illisibles. 

Voici  les  titres  des  ouvrages  de  Desargues  que  M.  Poudra  a 


De  Kepler  à  Descartes.  200 


réunis  dans  le  volume  qu'il  a  consacré  à  l'histoire  de  ce  remar- 
quable géomètre. 

Méthode  universelle  de  mettre  en  perspective  les  objets 
donnés  réellement  ou  en  devis,  avec  leurs  proportions,  mesures , 
éloignemens,  sans  employer  aucun  point  qui  soit  hors  du  champ 
de  Vouvrage.  Paris^  i636.  Cet  ouvrage  avait  été  imprimé  in- 
folio, mais  il  n'en  reste  pas  d'exemplaire.  M.  Poudra  l'a  retrouvé 
dans  le  traité  de  Perspective  du  graveur  Bosse,  ami  particulier 
de  Desargues  et  son  élève. 

Brouillon  Project  d'une  atteinte  aux  événements  des  ren- 
contres d'un  cône  avec  un  plan,  suivi  d'un  fragment  ayant 
pour  titre  :  Atteinte  aux  événements  des  contrariétés  d'entre 
les  actions  des  puissances  ou  forces,  Paris,  iôSq.  Le  texte  publié 
par  M.  Poudra  reproduit  la  copie  manuscrite  qu'en  avait  laissée 
de  la  H  ire. 

Brouillon  Project  d'exemple  d^une  manière  universelle  du 
sieur  Girard  Desargues,  lyonnais,  touchant  la  practique  du 
trait  à  preuves  pour  la  coupe  des  pierres  en  P Architecture;  et 
de  l'éclaircissement  d'une  manière  de  réduire  au  petit  pied  en 
perspective j  comme  en  géométral,  et  de  tracer  tous  quadrans 
plats  d'heures  égales  au  Soleil.  Paris,  1640.  Cet  ouvrage  se 
trouvait  imprimé  à  la  bibliothèque  de  l'Institut.  Les  planches, 
qui  manquaient,  ont  été  restituées  par  M.  Poudra. 

Manière  universelle  de  poser  le  style  aux  rayons  du  Soleil 
en  quelque  endroit  possible,  avec  la  règle,  Véquerre  et  le 
plomb.  Paris,  1640.  Cet  ouvrage  a  été  recomposé,  phrase  par 
phrase,  au  moyen  des  citations  qui  en  étaient  faites  dans  une 
dissertation  critique  du  temps,  par  un  inconnu. 

.Recueil  de  propositions  diverses,  extraites  de  la  Perspective àt 

M.  Marie.  —  Histoire  des  Sciences,  III.  14 


Septième  Période. 


Bosse,  et  qui  se  trouvaient  dans  le  traité  de  Perspective  que 
Desargues  avait  publié  en  i636. 

Perspective,  adressé  aux  théoriciens. 

Extraits  divers. 

Nous  ne  dirons  rien  des  divers  traités  de  Perspective  de 
Desargues,  parce  que  la  méthode  générale  que  l'on  suit  aujour- 
d'hui est  précisément  la  sienne  et,  ainsi,  est  suffisamment  connue. 
11  suffira  de  dire  que  c'est  à  Desargues  qu*on  en  doit  l'invention. 

Pour  la  coupe  des  pierres,  nous  nous  bornerons  à  une  note 
que  nous  devons  à  l'obligeance  de  M.  Rouché  : 

a  On  nomme  berceau  toute  voûte  à  intrados  cylindrique;  un 
berceau  est  dit  horizontal  ou  en  descente^  selon  que  son  axe  est 
horizontal  ou  incliné  à  Thorizon  ;  il  est  dit  droit  ou  biais,  selon 
que  son  axe  est  perpendiculaire  ou  oblique  aux  horizontales  du 
plan  de  tête  ;  enfin  il  est  dit  en  mur  droit  ou  en  talus  selon  que 
le  plan  de  tête  est  vertical  ou  non. 

tt  Le  cas  le  plus  général  est  celui  d'une  descente,  biaise,  en 
talus.  Les  autres  s'en  déduisent  en  supprimant  la  descente,  le 
biais  ou  le  talus  isolément,  ou  par  couples. 

c(  Cela  posé,  le  but  que  s'est  proposé  Desargues  a  été  de  donner 
pour  tous  les  cas  une  méthode  uniforme  de  construction. 

«c  Pour  cela,  il  ramène  le  cas  général  au  cas  d'un  berceau  hori- 
zontal, biais,  mais  en  mur  droit,  en  effectuant  un  double  chan- 
gement de  plan  de  projection.  Il  prend  à  cet  effet,  pour  nou- 
veaux plans  de  projections,  le  plan  de  tête  et  le  plan  mené,  par 
l'axe  de  la  voûte,  perpendiculairement  au  plan  de  tête. 

«  Jusqu'à  Frézier,  dont  le  traité  de  Stéréotomie  est  de  ijS;, 
les  architectes  n'ont  rien  compris  à  la  méthode  de  Desargues  et  il 
en  ont  contesté  l'exactitude.  Cette  exactitude  n'en  est  pas  moins 


De  Kepler  à  Descartes. 


depuis  longtemps  hors  de  doute,  mais  il  n'en  résulte  pas  que  la 
méthode  du  géomètre  lyonnais  soit  bonne  à  adopter  dans  la  pra- 
tique :  quand  il  s'agit  de  théorie  pure,  les  changements  de  plans 
de  projections  ne  présentent  aucun  inconvénient  et  peuvent 
rendre  les  mêmes  services  que  les  changements  d'axes  ou  de  plans 
de  coordonnées  en  Géométrie  analytique;  mais,  lorsqu'il  s'agit 
d'un  édifice  soumis  aux  lois  de  la  pesanteur  et  qui  doit  résister  à 
ses  effets,  il  devient  indispensable  d'étudier  les  voûtes,  notam- 
ment dans  leur  position  naturelle,  c'est-à-dire  sur  leurs //j/z^  et 
leurs  élévations.  Une  épure  de  Stéréotomie  pratique  où  aucun 
des  plans  de  projections  n'est  ni  horizontal  ni  vertical,  dans  le 
sens  physique  du  mot,  et  où,  par  conséquent,  la  direction  diijil  à 
plomb  est  représentée  par  une  ligne  inclinée  sur  les  deux  plans 
de  comparaison,  est  inacceptable.  Voilà  pourquoi  on  a  eu  raison 
de  ne  pas  suivre  la  méthode  proposée  par  Desargues. 

«  Cette  considération  n'enlève  évidemment  rien  au  mérite  théo- 
rique d'une  méthode  dans  l'invention  de  laquelle  l'auteur,  comme 
dans  toutes  les  autres  recherches,  avait  apporté  ses  tendances  si 
marquées  à  l'esprit  de  généralisation.  » 

Nous  passons  à  l'analyse  du  Brouillon  Project  relatif  aux 
coniques. 

Nous  commençons  par  donner  une  idée  de  la  théorie  de  l'invo- 
lution. 

Voici  comment  Desargues  définit  cette  relation  :  Six  points, 
A  et  A',  B  et  B',  C  et  G',  rangés  sur  une  même  droite,  sont  dits 
former  une  involution  lorsqu'il  existe  sur  cette  droite  un  point  O 

tel  que 

OA.OA    r.  OB.OB'  ^  OC.OC; 

le  point  O  s'appelle  la  souche  de  l'involution. 


Septième  Période. 


Cette  définition  est  la  meilleure  de  toutes  :  d'abord  parce  qu'elle 
montre  bien  que  les  trois  couples  de  points  jouent  exactement  le 
même  rôle  dans  le  système;  en  second  lieu,  parce  qu'on  y  voit 
de  suite  comment,  la  souche  et  un  des  couples  de  points  étant 
donnés,  on  peut  former  les  deux   autres  couples  d'une  infinité 
de  manières;  troisièmement,  parce  qu'on  y  reconnaît  aussi  que 
tous  les  couples  de  points  qui  formeraient  involution  avec  deux 
couples  fixes  donneraient  aussi,  en  les  prenant  trois  à  trois,  d'au- 
tres systèmes  en  involution;  quatrièmement,  parce  que,  l'involu- 
tion  étant  ainsi  définie,  .on  peut  distinguer  les  uns  des  autres 
tous  les  systèmes  formant  involution,  par  rapporta  une  même 
souche,  au  moyen  d'une  caractéristique  propre  à  chaque   sys- 
tème :  Taire  du  rectangle  ayant  pour  côtés  les  distances  de  la 
souche  aux  deux  points  d'un  même  couple;  cinquièmement, 
parce  qu'elle  fait  bien  image  :  en  effet,  si  l'on  voulait  construire 
sur  une  droite  donnée  six  points  formant,  par  rapport  à  une 
souche   O  donnée,  une  involution  ayant    une  caractéristique 
donnée  K%  on  n'aurait  qu'à  prendre  sur  la  droite  un  point  M 
tel  que  OM^  fût  égal  à  K^,  à  décrire  tant  de  cercles  que  l'on  voudrait 
tangents  à  la  droite  en  M,  à  couper  ces  cercles  par  trois  transver- 
sales issues  du  point  O  et  à  rabattre  sur  la  droite  les  trois  transver- 
sales, après  y avoirmarqué  leurs  points  de  rencontre  avec  trois  des 
cercles  choisis  à  volonté,  lesquels  pourraient  même  se  confondre. 
Deux  couples  A  et  A',  B  et  B',  étant  donnés  à  volonté  sur  une 
droite,  on  peut  aisément  trouver  la  souche  O.  En  effet,  soient  o 
un  point  pris  arbitrairement  sur  la  droite,  a,  «',  p,  p'  les  distances 
oA,  a  A',  oB,  oB',  et  x  la  distance  oO,  x  sera  donné  par  l'équation 

(X  4-  a)  (.V  H-  a' j  :::=  (x  4-  pj  (a:  -H  fj'; 


De  Kepler  à  Descartes.  2 1 3 


Pour  bien  entendre  cette  équation  ou  toute  autre  analogue  (car 
Desargues  n'emploie  pas  celle  que  je  viens  d'écrire),  il  faudrait 
supposer  qu'on  donnât  à  chacune  des  distances  a,  a',  ^,  p'  et  x  le 
signe  4-  ou  le  signe  — ,  selon  qu'elle  serait  comptée  à  partir  du 
point  o,  dans  un  sens  ou  dans  l'autre.  Desargues  ne  paraît  pas 
y  avoir  regardé  de  si  près,  et  cela  se  conçoit,  parce  que,  dans 
toute  figure  oti  il  constate  Tinvolution  de  six  points,  ces  six 
points  se  trouvent  placés,  par  rapport  à  la  souche,  sans  qu'il  ait 
eu  à  intervenir  relativement  à  leur  ordre  ou  aux  sens  dans  les- 
quels ils  sont  portés  à  partir  de  cette  souche,  en  sorte  qu'il  peut 
se  borner  à  démontrer  l'égalité  en  valeur  absolue  des  rectangles 
OA.OA',  OB.OB',  OC.OC. 

Au  reste,  Tinvolution  subsisterait  quand  même  deux  points 
d'un  même  couple  seraient  imaginaires. 

Quoi  qu'il  en  soit,  voici  comment  poursuit  Desargues  :  Si  Tun 
des  deux  points  d'un  des  trois  couples  se  rapproche  indéfiniment 
de  la  souche,  Tautre  s'en  éloigne  indéfiniment.  Soient  A,  B  et  B', 
C  et  C  les  cinq  points  situés  à  distance  finie  et  A  la  souche,  la 
relation  caractéristique  entre  ces  cinq  points  est  alors 

AB.AB'  =:  AC.AC 

Le  cas  où  deux  points  d'un  même  couple  se  confondent  peut 
aussi  se  présenter;  alors,  si  ce  sont,  par  exemple,  A  et  A',  on  a 

0Â'=:  OB.OB' =  OC.OC; 

c'est  le  cas  de  l'involution  de  cinq  points. 

Il  peut  encore  arriver  que  les  deux  points  accouplés  se  confon- 
dent dans  deux  couples,  alors  on  a 

ÔÂ'^ÔB'rrr  OC.OC, 


214  Septième  Période. 


et  on  a  affaire  à  une  involution  de  quatre  points,  dont  deux  sont 
doubles.  Ces  deux  points  sont  naturellement  placés  de  part  et 
d'autre  par  rapport  à  la  souche. 

,  M.  Chasles  ne  connaissait  pas  le  Brouillon  Projet  de  Desar- 
gues lorsqu'il  rétablit  la  théorie  de  l'involution,  dans  une  note 
de  son  Essai  historique.  Il  crut  avoir  découvert  le  premier  le  point 
que  le  géomètre  lyonnais  appelle  la  souche  et  l'appela  le  point 
central  de  l'involution.  On  conçoit  qu'en  recherchant,  d'après 
les  énoncés  connus  des  théorèmes  de  Desargues,  ce  que  pouvait 
être  la  relation  d'involution  de  six  points,  on  ne  soit  pas  tombé 
d'abord  sur  la  considération  d'un  point  qui  ne  faisait  pas  partie 
de  ces  six.  La  définition  donnée  par  M.  Chasles  de  l'involution 
paraît,  en  effet,  toute  différente  de  celle  de  Desargues;  mais 
elles  se  déduisent  l'une  de  l'autre,  comme  il  est  facile  de  le 
voir. 

D'après  M.  Chasles,  il  y  a  involution  entre  six  points  A,  A', 
B,  B',  C,  C,  rangés  sur  une  même  droite,  lorsqu'ils  déterminent 
sur  cette  droite  des  segments  remplissant  la  condition 

CA  X  CA^  _  CA  X  CA^ 
^^^  CBxCB'""G'BxCB'' 

les  points  C  et  C,  A  et  A',  B  et  B'  sont  alors  dits  conjugués  deux 
à  deux. 

Le  couple  des  points  C  et  C  paraît,  dans  Téquation  fondamen- 
tale précédente,  se  distinguer  à  la  fois  des  deux  autres  A  et  A', 
B  et  B'  ;  mais  il  n'en  est  rien  en  réalité.  En  effet,  cette  équation 
peut  se  transformer  dans  les  suivantes  : 

BA  X  BA^  _  B^A  x  B^A^ 
^^'  BCxBC  ~  B'C  X  B'C' 


De  Kepler  à  Descartes.  2 1 5 


AB  X  AB^  _  A^B  X  A^B^ 
^    '  AGx  AC  "~  A'Cx  A'C' 

oti  les  couples  B  et  B',  A  et  A'  jouent  successivement  le  même 
rôle  par  rapport  aux  deux  autres  A,  A'  et  G,  C  d'une  part,  B,  B' 
et  C,  C  de  l'autre,  que  jouait  le  couple  C,  C  par  rapport  aux 
deux  autres,  dans  la  première  équation. 

Les  équations  (i),  (2)  et  (3)  en  donnent  quatre  autres  par  mul- 
tiplication. Ainsi,  en  multipliant  membre  à  membre  les  équa- 
tions (i),  (2),  (3),  sans  changer  l'ordre  des  membres,  on  trouve 
d*abord 

CA.CA^BA.BA^AB.AB^  _  CA.G^A^B^A■B^A^A^B.A^B^ 
GB.GB'.BG.BG'.AG.AC'  ~"  G'B.G'B'.B'C.B'C.A'G.A'G"' 

ou,  en  supprimant  les  facteurs  communs  aux  deux  membres, 

GA^BA.AB  _  CA.B^A\A^B^ 
GB.BG.AC'  ""  G'B'.B'G'.A'G' 

et,  en  chassant  les  dénominateurs, 

GA'«.BA^G'B'-  =:  AG'-.BG*.  A'B'S 

ou  simplement 

(4)  AB.B'C.GA'  =  AC.GB.B'A'; 

en  multipliant  les  mêmes  équations  (i),  (2),  (3),  après  en  avoir 
permuté  les  membres,  on  trouverait  de  même  successivement 

(  5  )  AB'.B  G'.G  A'  =r  AC.G  B'.B  A' 

(6)  AB'.B  G.  G'. A'  ==  AG.  G' B'.B  A' 

(7)  AB  .B'G.  G'  A'  r=z  AG.  G'B.  B'A'. 


2i6  Septième  Période. 


Les  équations  (4),  (5),  (6)  et  (7)  doivent  nécessairement  rentrer 
les  unes  dans  les  autres,  puisqu'elles  se  déduisent  de  trois  autres 
qui,  elles-mêmes,  n'en  font  qu'une;  chacune  des  sept  équations 
entraîne  même  les  six  autres. 

Les  énoncés  des  trois  premières  équations  sont  assez  faciles  à 
former  :  chacune  d'elles  exprime  que  les  produits  des  distances 
d'un  point  de  l'un  des  couples  aux  points  des  deux  autres  couples 
sont  entre  eux  comme  les  produits  correspondants  des  distances 
du  second  point  du  même  premier  couple  aux  points  des  deux 
autres,  pris  dans  le  même  ordre.  Les  quatre  dernières  équations 
sont  un  peu  plus  difficiles  à  traduire;  on  y  parvient  cependant  de 
la  manière  suivante  :  que  Ton  considère  un  point  de  chacun  des 
trois  couples,  le  point  A  pour  le  couple  A, A',  le  point  B  pour  le 
couple  B,B',  et  le  point  C  pour  le  couple  C,C'  :  chacun  d'eux 
déterminera,  avec  les  deux  points  laissés  de  côté  des  deux  autres 
couples, deux  segmentsdeladroitesurlaquelleles  six  sont  rangés; 
or,  il  est  facile  de  voir  que  chacune  des  équations  (4),  (5),  (6),  (7) 
signifie  que  le  produit  de  trois  de  ces  six  segments,  n'ayant  pas 
d'extrémité  commune,  est  égal  au  produit  des  trois  autres.  Ainsi, 
prenons  l'équation 

AB'.BC.CA'^AC.CB'.BA', 

elle  n'est  que  la  traduction  immédiate  de  l'énoncé,  dans  les  con- 
ditions hypothétiques  qu'il  renferme;  les  points  choisis  d'abord 
sont  A,B,C,  et  ceux  qu'on  a  laissés  à  part  sont  A',B',C;  le 
point  A  détermine  les  deux  segments  AB'  et  AC  avec  les  deux 
points  laissés  de  côté  qui  ne  lui  sont  pas  conjugués  ;  de  même,  au 
point  B  correspondent  les  deux  segments  BA'  et  BC  de  l'énoncé; 
enfin  le  point  C  fournit  les  deux  segments  CA'  et  CB'.  Il  est 


De  Kepler  à  Descartes.  2 1 7 


facile  de  voir,  d'ailleurs,  que  les  trois  segments  AB',  BC,CA',  qui 
entrent  dans  le  premier  membre,  n'ont  pas  d'extre'mité  commune, 
et  qu'il  en  est  de  même  des  trois  segments  AC,  CE',  BA',  qui 
entrent  dans  le  second  membre. 

Cela  posé,  on  peut  retrouver  de  la  manière  suivante  la  rela- 
tion remarquable  qui  se  présentait  d'elle-même  dans  la  théorie  de 
Desargues,  savoir  :  si  l'on  a  en  ligne  droite  plusieurs  couples  de 
deux  points,  tels  que  les  deux  premiers  couples  forment  une  invo- 
lution  avec  chacun  des  autres,  trois  quelconques  de  tous  ces 
couples  formeront  eux-mêmes  une  involution. 

C'est-à-dire  :  si  les  six  points  A  et  A',  B  et  B',  C  et  C  forment 
une  involution,  de  même  que  les  six  points  A  et  A',  B  et  B',  D  et 
D',  il  y  aura  involution,  par  exemple,  entre  A  et  A',  C  et  C,  D  et 
D'.  En  effet,  l'hypothèse  entraîne  à  la  fois 

AB.AB^_  A^B.A^B^ 
AC.AL-'"  A'C.A'C 

et 

AB.AB'        A'B.A'B' 


AD.AD'~  A'D.A'D" 

or,  en  divisant  les  deux  équations  membre  à  membre,  on  en 
conclut 

AD.AD^_  A^D.A^D^ 
AC.AC  ~  A'C.A'C' 

ce  qui  veut  dire  que  les  six  points  A  et  A',  D  et  D',  C  et  C  forment 
une  involution. 

Si  l'on  suppose  que  deux  des  six  points  formant  une  involu- 
tion viennent  à  se  réunir,  on  a  une  involution  de  cinq  points. 


2i8  Septième  Période. 


Par  exemple,  supposons  que,  dans  le  système  A,  A',  B,  B',  C,  C  les 
points  C  et  C  se  réunissent  en  Ci  ;  on  aura  à  la  fois  les  équa- 
tions équivalentes 


AB.AB'         ACJ 


A'B.A'B'"  A'Gf 
BA.BA^         BC; 
B'A.B'A'"'"'  B'C?  ' 
GiA.CiB  _  AB 
QA'.QB'~~  A'B' 
CtA.C,B^_  AB^ 
CiA'.QB"  A'B' 

On  retrouve  aisément,  dans  cette  théorie  de  M.  Chasles,  la 
définition  que  Desargues  donnait  de  l'involution  de  six  points. 
En  effet,  si  l'on  suppose  que  le  point  C  s'éloigne  à  Tinfini,  en 
désignant  par O  celui  vers  lequel  tendra  C,  on  aura  successivement 

OA.OA'r=:OB.OB', 

BA.BA^  _  BO 

B'A.B'A'~  B'O' 

AB.AB^  _  AO 

A'B.A'B'""  A'O' 
ab;_  OB    AB^OA 
A'B~  OA'  A'B  "OB' 
ABOB^    AB  _0A 
A'B~OA''  AB'~OB  ' 

le  point  O  s'appellera  le  point  central  du  système  des  deux 
couples  A  et  A',  B  et  B'. 

Revenons  maintenant  au  système  de  six  points  A  et  A',  Bet  B', 
C  et  C  formant  une  involution,  et  imaginons  que  l'on  détermine 


De  Kepler  à  Descartes.  219 


les  points  centraux  O  et  O,  des  systèmes  A  et  A',  B  et  B',  d'une 
part;  A  et  A',  Cet  C,  de  l'autre;  ces  points  centraux  se  confon- 
dront nécessairement,  car  on  aura,  par  exemple, 

BA.BA^  _BQ  BC.BC  _  BOt 

B' A .  B' A'  ~  B'O     ^^     B'C .  B'C  ~  B'O,  ' 

mais  on  a  déjà,  par  l'involution  des  six  points  A,  A',  B,B',  C,C', 

BA.BA'  _  BG.BC 
B'A.B'A'~B'G.B'C'' 

on  aura  donc  aussi 

BO  _  BO, 
B'O  "  B'O,  ' 

de  sorte  que  les  points  O  et  Oi  coïncideront. 
Cela  posé,  on  aura  à  la  fois. 

OA.OA'^OB.OB' 
et 

OA.OA'=:OC.OC', 

c'est-à-dire  que  les  trois  produits  OA.OA',  OB.OB',  et  OC. OC 
seront  égaux.  Ainsi,  il  existe  toujours,  sur  la  droite  contenant 
un  système  de  six  points  formant  une  involution,  un  point  par- 
ticulier tel  que  les  produits  de  ses  distances  aux  trois  couples  de 
points  conjugués,  pris  isolément,  soient  égaux.  Ce  point  est  la 
souche  de  l'involution. 

Revenons  à  l'involution  de  quatre  points  caractérisée  par  la 
relation 

ÔÂ' =03'^  OC.  OC; 


220  Septième  Période. 


la  souche  O  est  à  égale  distance  de  A  et  de  B,  qui  sont  placés  de 
part  et  d'autre  par  rapporta  elle,  comme  dans  la  fig.  5. 
L'équation  (i)  de  M.  Chasles, 


donne  dans  ce  cas 


ou 


CA.CA^_  CA.CA^ 
GB.CB'~  CB.G'B' 


cb'     cb' 


CA  _  CA 
CB  ""  G'B 


Ainsi  les  points  G  et  G'  sont  conjugués  harmoniques  par  rapport 
à  A  et  B,  ou  A  et  B  sont  conjugués  harmoniques  par  rapport 
à  G  et  G'. 

Fig.  5. 


0, 


Dans  cette  relation,  A  et  B,  d'une  part,  G  et  G',  de  l'autre, 
jouent  exactement  le  même  rôle.  Il  en  résulte  que  le  milieu 
de  GG'  est  aussi  la  souche  de  l'involution  des  quatre  points: 
c'est-à-dire  que  Oi  étant  effectivement  le  milieu  de  GG', 


0,g'  — 0,A.O,B, 


ce  qui  est  facile  à  vérifier. 

Desargues  trouve  encore  beaucoup  d'autres  relations,  mais  il 
serait  trop  long  de  les  énumérer. 


De  Kepler  à  Descartes.  221 


Il  démontre  ensuite,  mais  à  sa  façon,  le  théorème  relatif  aux  six 
segments  déterminés  par  une  droite  quelconque  sur  les  côtés 
d'un  triangle. 

Puis  vient  ce  théorème  fondamental  :  Si,  d'un  point  quel- 
conque, on  mène  six  droites  passant  par  six  points  en  involution, 
toute  transversale  coupera  ces  six  droites  en  six  points  qui  forme- 
ront encore  une  involution.  En  d'autres  termes,  l'involution  con- 
stitue une  relation  projective.  On  vérifie  aujourd'hui  ce  théorème 
en  constatant  que  les  sinus  des  angles  ayant  pour  sommet  com- 
mun le  point  de  vue,  et  dont  les  côtés  passent  par  les  extrémités 
des  segments  AB,AB',AC,AC',A'B,A'B',A'C,A'C,  par  exemple, 
satisfont  à  la  relation  d'involution  analogue  à  l'équation  (3) , 
c'est-à-dire  qu'on  a,  en  désignant  par  S  le  point  de  vue, 

sin  ASB .  sin  ASB'      sin  A'SB .  sin  A'SB' 


sinASC.  sin  ASC      sinA'SC.  sinA'SC 

Mais  Desargues  y  parvient  plus  péniblement,  au  moyen  du 
théorème  de  Ptolémée. 

Il  démontre  alors  le  théorème  de  Pappus  sur  le  quadrilatère, 
que  les  quatre  côtés  et  les  deux  diagonales  sont  coupés  par  une 
transversale  quelconque  en  six  points  formant  involution.  Il  se 
sert  encore  pour  cela  du  théorème  de  Ptolémée. 

Pour  démontrer  cette  proposition,  .qui  est  projective,  d'après  le 
théorème  de  Desargues  que  nous  venons  d'énoncer,  M.  Chasles 
fait  la  perspective  de  la  figure  sur  un  plan  tel  que  le  quadrilatère 
soit  transformé  en  parallélogramme  :  s'il  y  a  involution  dans  la 
figure  projetée,  elle  existera  aussi  dans  la  projection,  et  récipro- 
quement. 

Soient!/^.  6)  MNPQle  parallélogramme,  et  BACC'A'B'  la 


Septième  Période. 


transversale;  les  trois  triangles 

ACQ,  BCQ,  ABQ, 

respectivement  semblables  aux  triangles 

A'CN,B'CN,A'B'N, 

AC       BC        AB 


donneront 


A'C  ~~  B'C  ~  A'B" 

de  même  les  trois  triangles 

ACM,  C'B'M,  AB'M, 

Fig.  6. 


B  Q  1. 

respectivement  semblables  aux  triangles 

A'C'P,C'BP,A'BP, 


donneront 


AC       CB'      AB' 


A'C       C'^  ~  A'B 
En  multipliant  membre  à  membre,  par  exemple, 


on  obtiendra 


AC  _  A^  AC       AB' 

A'C  "A'B'     ^^     A'C  ~  A'B' 

AC.AC         AB.AB' 


A'C.A'C"  A'B.A'B'' 
ce  qui  est  l'équation  (3). 


De  Kepler  à  Descartes,  223 


Il  est  évident  que,  dans  l'équation  précédente,  on  peut  faire 
jouer  aux  points  B  et  B'  le  rôle  que  jouaient  les  points  A  et  A'  et 
l*on  trouvera 

BC.BC  _  BA.BA^ 
B'C.B'C'~B'A.B'A'' 

ce  qui  est  l'équation  (2);  quant  à  l'équation  (i),  on  l'obtient  en 
regardant  dans  la  figure  primitive  les  deux  diagonales  et  deux 
côtés  comme  formant  un  nouveau  quadrilatère  dont  les  diago- 
nales seraient  les  deux  autres  côtés. 

Desargues  étend  ensuite  le  théorème  de  Pappus  en  ces  termes  : 
un  quadrilatère  étant  inscrit  dans  une  conique,  si  on  coupe  la 
figure  par  une  transversale,  les  six  points  de  rencontre  sont  en 
involution.  On  voit  que  la  conique  remplace  les  diagonales  du 
quadrilatère,  diagonales  dont  le  système  forme,  en  effet,  une 
conique  circonscrite  au  quadrilatère.  Desargues  démontre  d'abord 
cette  proposition  dans  le  cercle  ;  il  l'étend  ensuite  à  une  conique 
quelconque,  en  considérant  cette  conique  comme  la  perspective 
d'un  cercle.  On  est  allé  depuis  encore  plus  loin  :  on  démontre 
que,  si,  à  travers  deux  coniques  et  le  système  de  deux  de  leurs 
cordes  communes,  on  mène  une  transversale  quelconque,  les  six 
points  de  rencontre  seront  encore  en  involution.  Ici  ce  sont  les 
systèmes  des  côtés  opposés  du  quadrilatère  de  Pappus  qui  sont  rem- 
placés par  des  coniques.  Enfin,  quand  trois  coniques  ont  quatre 
points  communs,  une  transversale  quelconque  les  coupe  en  six 
points  formant  une  involution;  alors  les  trois  systèmes  de  droites 
du  quadrilatère  primitif  sont  remplacés  par  trois  coniques. 


224  Septième  Période. 


Sections  coniques. 

Nous  arrivons  au  point  capital  de  la  théorie  de  Desargues,  qui 
est,  dit-il,  un  assemblage  obligé  de  tout  ce  qui  précède. 

Il  se  propose  :  étant  donnée  de  grandeur  et  de  position  une 
conique  quelconque,  prise  pour  base  d'un  cône  dont  le  sommet 
est  aussi  donné  de  position,  et  un  plan  donné  de  position  cou- 
pant la  base  du  cône  suivant  une  droite  donnée,  lequel  plan 
déterminera  dans  ce  cône  une  section _,  trouver  l'espèce  et  la 
position  de  cette  section,  ainsi  que  ses  diamètres,  avec  leur  dis- 
tinction de  conjugués  et  d'axes,  les  tangentes  à  la  figure,  etc. 

Nous  regrettons  de  ne  pouvoir  entrer  dans  les  détails  de  la 
solution  de  cette  belle  question.  Desargues,  pour  y  arriver,  se 
sert  de  la  théorie  des  pôles  et  polaires  qu'il  avait  beaucoup 
étendue,  car  c'est  lui,  paraît-il,  qui  aurait  énoncé  le  premier  ces 
deux  théorèmes,  que  si  le  pôle  décrit  une  droite,  la  polaire  passe 
par  un  point  fixe,  et  réciproquement. 

Il  considère  l'intersection  du  plan  sécant  et  du  plan  de  base  du 
cône  comme  une  polaire  par  rapport  à  chacune  des  deux  courbes: 
et  ces  deux  courbes  étant  perspectives  l'une  de  l'autre,  il  peut 
transporter  de  l'une  à  l'autre,  par  l'intermédiaire  de  la  polaire 
commune,  les  propriétés  qui  sont  de  nature  projective. 

«  Ce  Brouillon  Project,  dit  M.  Rouché,  est,  pour  l'époque, 
une  merveille;  il  contient  en  germes  toutes  les  idées  dont  Pon- 
celet,  dans  son  Traité  des  propriétés  projectives  des  figures,  a 
fait  la  base  de  ses  théories  relatives  à  lïnvolution,  à  l'homologie, 
aux  pôles  et  polaires,  ainsi  qu'aux  relations  entre  les  éléments 
divers  de  deux  coniques  qui  sont  la  perspective  l'une  de  l'autre. 


De  Kepler  à  Descartes,  225 


«  Le  parti  qu'il  tire  de  son  théorème  sur  le  quadrilatère  inscrit 
à  une  conique  est  surtout  merveilleux.  » 

WINGATE  (eDMONd). 
(Né  dans  le  Yorkshire  ea  i5g3,  mort  en  i656.) 

Il  étudia  le  droit  à  Oxford  et  se  fit  inscrire  plus  tard  au  barreau 
de  Londres;  mais,  tout  en  exerçant  la  profession  d'avocat,  il 
s'occupa  avec  ardeur  de  l'étude  des  Mathématiques  et  ne  tarda 
pas  à  se  faire  un  nom  dans  ces  Sciences.  En  1624,  il  vint  en 
France  et  y  passa  plusieurs  années.  Ce  fut  lui  qui  enseigna  l'an- 
glais à  la  princesse  Henriette-Marie  de  France,  future  épouse  de 
Charles  I".  Pendant  la  guerre  civile,  il  adhéra  aucovenant,  rem- 
plit diverses  fonctions  judiciaires  et,  ayant  prêté  le  serment  dit 
d'engagement,  devint  membre  du  Parlement  pour  le  comté  de 
Bedford.  Montucla  croyait  que  Wingate  avait,  le  premier,  intro- 
duit les  logarithmes  en  France,  mais  c'est  une  erreur.  Il  y  fit 
seulement  connaître,  pour  la  première  fois,  l'échelle  de  Gunther 
par  son  ouvrage  intitulé  :  Construction^  description  et  usage 
de  la  règle  de  proportion  (Paris,  1624).  Il  avait  eu  l'inten- 
tion de  publier  une  table  de  logarithmes,  dont  l'ouvrage  que  nous 
venons  de  citer  devait  former  l'appendice;  mais  un  avocat  de 
Dijon,  auquel  il  avait  communiqué  la  description  de  la  règle  de 
Gunther,  abusa  de  la  confidence  et  entreprit  de  la  publier  pour 
son  propre  compte.  Ce  fut  alors  que  Wingate  fit  paraître  son 
premier  ouvrage,  que  suivit,deux  ans  plus  tard,  une i4ri7/im^//^we 
logarithmique  {Pans,  1626),  traduite  en  anglais  (Londres,  i635). 
On  lui  doit  encore  une  Arithmétique^  longtemps  fort  estimée, 
M.  Marie.  —  Histoire  des  Sciences^  III.  i5 


226  Septième  Période. 


dont  Dodson  publia  la  huitième  édition  en  1760,  ainsi  qu'un 
Ludus  mathematicus  (Londres,  1 654),  sorte  de  jeu  logarithmique. 

HENRION  (dénis). 
(Mort  vers  1640.) 

Professeur  de  Mathématiques  à  Paris,  puis  ingénieur  du  prince 
d'Orange  et  des  États  Généraux  des  Provinces  Unies. 

Il  est  le  premier  qui  ait  publié  en  France  une  table  de  loga- 
rithmes. Il  donna  en  i632  une  traduction  des  quinze  livres  des 
éléments  d'Euclide. 

<%^^^ 

MARCI    DE   KRONLAND    (jEAN-MARC). 
(Né  en  iSgS,  mort  en  1667.) 

Il  publia  à  Prague,  en  iôSq,  sous  le  titre  :  De  proportîone 
motus,  seu  régula  sphymica,  un  ouvrage  d'autant  plus  remar- 
quable sur  la  théorie  du  choc,  qu'il  précède  de  trente  ans  les 
recherches  sur  le  même  sujet  de  Wallis,  de  Wrenn  et  de  Huyghens. 
Marci  diviseles  corps  en  corps  mous,  fragiles  et  durs  ;  ces  derniers, 
qui  jouissent  de  la  propriété  de  reprendre  leur  ligure  après  le  choc, 
sont  ceux  dont  il  s'occupe  principalement.  Il  fait  voir  que,  si  un 
corps  dur  en  choque  un  autre  égal,  au  repos,  il  perdra  sa  vitesse, 
qui  se  transportera  à  l'autre  corps;  que  si  deux  corps  durs  égaux, 
animés  de  vitesses  égales  et  contraires,  viennent  à  se  choquer,  ils 
rebrousseront  chemin  avec  leurs  vitesses  primitives;  que  si  un 
corps  dur  vient  à  en  choquer  un  autre  animé  d'une  vitesse  de 


De  Kepler  à  Descartes.  227 

même  sens,  mais  moindre,  il  continuera  son  chemin,  s'arrêtera 
ou  rebroussera  chemin,  suivant  que  sa  masse  aura,  avec  celle  de 
l'autre  corps,  un  rapport  supérieur,  égal  ou  inférieur  à  l'unité, 
diminuée  du  double  du  rapport  inverse  des  vitesses;  enfin,  que 
si  deux  corps  durs  égaux,  en  repos  et  se  touchant,  viennent  à  être 
choqués,  dans  la  direction  de  leurs  centres,  par  un  troisième  égal 
à  eux,  ce  dernier  et  celui  des  deux  premiers  qui  se  trouvera  au 
milieu  resteront  en  repos,  tandis  que  l'autre  prendra  la  vitesse 
du  corps  choquant. 

Marci  a  laissé  un  autre  ouvrage  tout  aussi  remarquable,  publié 
à  Prague  en  1648,  sur  la  lumière  et  les  rayons  diversement 
colorés.  Dans  cet  ouvrage,  intitulé  :  Thaumantias  Iris  y  liber  de 
arcu  cœlestii  deque  colorum  apparentium  natura,  ortu  et  causis, 
l'auteur  devance  Newton  sur  plusieurs  points  importants,  notam- 
ment sur  l'inégale  réfrangibilité  des  rayons  diversement  colorés. 

Quoique  excellents  pour  l'époque,  ces  deux  ouvrages  paraissent 
avoir  fait  peu  d'impression  en  Allemagne  lorsqu'ils  parurent,  et 
ne  se  sont  pas  répandus  au  dehors. 


FIN   DE   LA   TROISIÈME  PARTIE. 


«^*) 


TABLE  ALPHABÉTIQUE 


Pages. 

Bachet  de  Méziriac 1 83 

Bacon  (  lord  de  Vérulam  ) gS 

Bainbridge 184 

Baldi 90 

Beausoleil  (de) 182 

Besson  (Jacques) 67 

Briggs 91 

Byrge 85 

Castelli 170 

Cataldi 68 

Causs  (Salomon  de) 168 

Dasypodius 66 

Desargues 201 

Dominis  (de) 141 

Dithmarsus  (Ursus) 84 

Faulhaber 180 

Foscarini 179 

Galilée 102 

Gassendi 199 

Ghétaldi  (Marin) 141 

Gilbert  (Guillaume) 66 

Girard  (Albert) 195 

Grégoire  de  Saint- Vincent 1 86 


Pages. 

Guido  Ubaido  del  Monte 67 

Guldin 1 69 

Gunier  (Edmond) 184 

Harriot 92 

Harvey 176 

Helmont  (Van) 170 

Henrion 226 

Kepler i5o 

Lansberg ici 

Longomontanus 102 

Mœstlin 88 

Magini 91 

Marci  de  Kronland 226 

Mersenne 194 

Métius  (Jacques; 143 

Métius  (Adrien) 142 

Morin i85 

Mydorge 193 

Néper 86 

Oughtred 166 

Pégel  (Magnus) 79 

Peiresc 181 

Pitiscus 94 


2.^0 


Table  alphabétique. 


Pages. 

Richard  (Claude) i q5 

Romain  (Adrien) loi 

Roth i8o 

Rothmann 65 

Sarpi  (fra  Paolo) 89 

Scaliger 65 

Scheiner 167 

Snellius 197 


Pages. 

Stevin 79 

Tycho  Brahé 70 

Valerio  (Luca) 90 

Vernier 182 

Viète 27 

Wendelin 181 

Wingate 225 

Wright , 93 


^/O 


V 


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Marie,  Maximilien 

Histoire  des  sciences 
mathématiques  et  physiques 


Physkal  & 
Applied  Sd. 


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