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Full text of "Histoire diplomatique de la guerre d'Orient en 1854 son origine et ses ..."

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HISTOIRE DIPLOMATIQUE 



DE LÀ 



GUERRE D'ORIENT EN 1854 



STRASB0UB6, IMPBIMERIE DE VEUVE BEB6EB-LEVEAULT. 



K 



HISTOIRE DIPLOMATIQUE 



D£ LA 



GUERRE D'ORIENT EN 1854 



SON ORIGINE ET SES CAUSES 



PAR 



M. X. TANC 



AVOCAT A LA COXTR IMPERIALE DE PARIS , ANCIEN MAGISTRAT 



PARIS 



E. OENTU , LIBRAIRE-EDITEUR 

PALAIS ROYAL 
«ALBRIE ]»*ORLéANS, 17-19 



VEUVE BER6ER-LEVRAULT ET FILS 

LIBRAIRES-éDITEDRS 
RUE DES SAINTS-PERES, 8 



1864 



INTRODUCTION, 



— ««:^o«. 




Je ne me suis point proposé d'écrire l'histoire 
^ complète de la guerre d'Orient; j'ai voulu seule- 
— ment combler le vide qu'ont laissé les divers 
^ auteurs qui ont raconté cette grande lutte. Les 
^ ouvrages publiés jusqu'à ce jour n'ont en effet re- 
produit que les faits militaires et les résolutions 
pacifiques du Congrès de Paris. Les actes anté- 
rieurs de la diplomatie ont été négligés, et 
cependant c'est la mise en scène de ce drame aux 
proportions héroïques, ce sont ces causes pre- 
mières, si lentes à se développer, si longtemps 
obscures, qui en forment la partie la plus curieuse 
à connaître, puisque seule, elle peut donner l'ex- 
plication de l'état de guerre qui s'en est suivi. 



fi/iin^6 



M 



2 INTRODUCTION. 

J*aî puisé rinspiration de ce travail dans ma 
situation personnelle. En 1839 et 1840, on me 
fît Thonneur de me choisir pour conseil du jour- 
nal le Capitale. J'eus l'occasion d'y traiter quel- 
quefois la haute politique touchant nos relations 
extérieures. Or, le Capitule était la création et 
la propriété du prince Louis-Napoléon , proscrit 
alors, rejeté par les baïonnettes étrangères sur le 
sol ennemi, et ce journal était fondé pour ré- 
veiller l'idée napoléonienne et concilier dans les 
cœurs français les souvenirs glorieux et utiles de 
l'Empire premier, avec toutes les libertés con- 
quises en 1789, que nous a léguées le civisme 
courageux de nos pères. 

L'alliance russe fut aussi le thème recom- 
mandé au Capitoky comme étant éminemment 
dans l'intérêt bien compris de la France. 

Telle était la double mission de ce journal , 
dont l'acte social fut rédigé sous ma direction 
et signé par moi devant notaire*. Une idée 
toute simple et toute patriotique m'attachait 
donc naturellement à l'étude, à la marche, aux 
péripéties de cette guerre, qui, sous le règne du 
prince Napoléon, devenu empereur, prit nais- 
sance à Jérusalem et faillit embraser le monde. 



1. Acte reçu par M* Tresse, notaire à Paris, le 16 nov. 1839* 



INTRODUCTION. 3 

L'insurrection de la Pologne émeut tous les 
cœurs généreux : le massacre de ses héroïques 
enfants , la cynique cruauté des Moscovites sou- 
lèvent rindignation de TEurope. 

La diplomatie s'agite depuis huit mois pour 
mettre un terme à Teiffusion du sang de ces 
martyrs de la liberté. Efforts inutiles ! impuis-. 
sance prévue et certaine. 

La Russie ne cédera que contrainte et forcée 
par Firrésistible puissance des armes. 

Ce qui se passe au sujet de la Pologne, c'est 
la reproduction exacte des faits qui s'agitèrent 
et s'accomplirent dans la question d'Orient. 

Publier l'histoire de l'origine de la guerre de 
Crimée nous a paru, par l'analogie des événe- 
ments et l'identité des rôles , le moyen naturel 
de dissiper bien des illusions. Nous voulons dé- 
montrer par ce simple récit que la diplomatie 
fut active, ardente même et déploya la plus gé- 
néreuse énergie de 1851 à 1854 pour terminer 
par les voies pacifiques le différend soulevé à 
Constantinople, et que cependant tous ses actes 
furent vains et stériles. 

Comment serait -elle plus heureuse aujour*- 
d'hui? Il ne s'agit plus ici d'une simple atteinte 
portée à l'influence, à la dignité d'un souverain* 

D'un côté, c'est une nation soulevée par la 



y 



4 INTRODUCTION. 

plus ardente des passions , la liberté ! Et cette 
nation veut reconquérir sa nationalité et briser 
les liens qui la soumettent à un joug barbare et 
abhorré. 

De l'autre, c'est l'esprit de conquête, c'est 
l'orgueil moscovite qui s'irrite et s'indigne à 
l'idée de se laisser arracher un vaste pays qui le 
met en contact avec cette Europe dont les ri- 
chesses, le climat, les jouissances de tout genre 
sont l'objet de toutes ses convoitises. 

La diplomatie est é videnunent impuissante à 
maîtriser ces deux grandes passions, à apaiser 
de telles colères et à réaliser une paix , un ac- 
cord entre ces deux haines implacables. 

On objecte que la, France ne peut seule ac- 
courir au secours de la Pologne, et que l'égoïste 
Angleterre nous refusera son appui qui eût en- 
traîné l'Autriche. 

Marchez: l'Angleterre vous suivra. L'exposé 
des événements accomphs de 1851 à 1854 vous 
rappellera l'Angleterre hésitante aussi d'abord , 
et pour un temps incertaine ; mais un jour son 
attitude changea. La flotte russe de la mer Noire, 
le port de Sébastopol et ses riches arsenaux lui 
parurent une hécatombe précieuse à immoler à 
sa suprématie maritime. Sacrifice d'hommes, 
sacrifice d'argent , rien ne fut refusé. 



INTRODUCTION. 



Promettez aujourd'hui au cabinet anglais que 
nous l'aiderons à anéantir la flotte des Russes 
derrière Cronstadt , à incendier les magnifiques 
ports de la Baltique et à détruire jusqu'au der- 
nier vestige de cette marine qui donne au czar 
la prépondérance dans ces parages, et vous 
verrez l'Angleterre saisir avec ardeur une occa- 
sion si heureuse pour fortifier sa domination sur 
les mers. 

Napoléon III, vainqueur à Sébastopol, sauva 
la flotte russe de la Baltique par le traité de 
Paris. La Russie paraît oublieuse de ce grand 
service qui était un acte de politique élevée et 
pleine de prévoyance. 

L'Angleterre prouve aujourd'hui qu'elle en a 
gardé rancune à Napoléon. 

Pourquoi la fatalité vient - elle encore former 
une coalition qui menace la Russie de subir une 
telle catastrophe? Pourquoi le cabinet russe 
vient-il provoquer encore le coup terrible qu'on 
va porter à sa puissance ? 

Si, niieux conseillé, Alexandre II eût accédé 
aux propositions relatives à la Pologne, dans un 
jour, prochain peut-être, la France lui eût 
offert sur les mers d'importantes compensations 
qui lui auraient permis de développer sa marine 

militaire, ses ejcportations et son commerce, 



INTRODUCTION. 

C'est ainsi que nous allons montrer T empe- 
reur Nicolas, inexorable, pousser à l'excès sa 
superbe susceptibilité et provoquer des revers 
et des humiliations qui brisèrent son orgueil et 
anéantirent dans mie série de défaites des ri- 
chesses maritimes que son pays avait mis près 
de soixante années à créer. 

Il .est donc bien vrai cet axiome antique : 
Quos miU perdere Jupiter dementat. 



HISTOIRE DIPLOMATIQUE 



DE LÀ 



GUERRE D'ORIENT EN 1854 



CHAPITRE PREMIER. 

Origine de la question d'Orient. — Lieu saints. — Froteetorat 

de la Franoe. 

La lutte engagée en i 854 entre les puissances oc- 
cidentales et la Russie a une origine encore obscure. 
Les nuages diplomatiques ont ajouté à cette obscu- 
rité. Aux yeux d'une certaine opinion elle n'a été, 
dans le principe, qu'une querelle de sacristie; d'autres 
l'ont considérée plus dignement comme une querelle 
religieuse. Nous l'appellerons de préférence une ques- 
tion d'équilibre européen, que réveillèrent des in- 
fluences rivales et jalouses. 

Un exposé fidèle des faits accomplis rendra à ce 
grand événement historique son véritable caractère. 
Il a pris un moment des proportions gigantesques, 
et c'est avec une sorte de stupeur qu'on attendit, 
pendant deux ans, le résultat de ce choc des puis- 
sances les plus formidables, qui se heurtèrent l'une 



1861. 



8 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1851. contre l'autre avec des forces et des armements im- 
menses, appuyés de tous les moyens- de destruction 
que la science moderne a pu inventer. L'irrésolution 
et l'attitude passive des deux cabinets de Prusse et 
d'Autriche augmentèrent l'incertitude des résultats 
de cette lutte. C'est dans le livre seul de la Provi- 
dence qu'on dut chercher avec effroi les péripéties 
de ce drame émouvant. 

Les réclamations que le gouvernement français 
adressa, en 1854, à la Subhme Porte pour obtenir la 
possession des lieux saints, en faveur du culte catho- 
lique, n'étaient pas des actes diplomatiques nouveaux 
et sans précédent. Des démarches de même nature 
avaient été faites sous tous les gouvernements anté- 
rieurs, à l'exception peut-être de la République de 
1793. Les catholiques du Levant ont été placés par 
d'anciens traités sous le protectorat de la France, 
et ce protectorat représente des intérêts politiques en 
même temps que des intérêts religieux. Le cabinet 
français ne pouvait donc laisser passer inaperçues 
les usurpations [des Grecs et des Arméniens, ni les 
firmans accordés en violation des droits acquis. 

Lorsque Louis-Napoléon fut proclamé président 
de la République en décembre 1848, il trouva dans 
les archives des affaires étrangères les protestations 
nombreuses et souvent énergiques adressées à la Su- 
blime Porte en faveur des catholiques du Levant par 
les ministres de la Restauration et de Louis-Philippe; 

mm les révoliitions, les guerres étrangèreg et les dis^ 



CHAPITRE PREMIER. 9 

cordes civiles, en affaiblissant la puissance de la i«m. 
France, avaient aussi amoindri son prestige en Orient. 
On savait que les cabinets européens surveillaient 
d'un œil jaloux tous nos actes au dehors. Les cir- 
constances n'étaient donc pas favorables pour ap- 
puyer nos demandes par la force des armes. 

Mais les protestations diplomatiques maintinrent 
constamment l'existence de nos droits. 

La chute de la République romaine de Mazzini, et 
le rétablissement du Souverain Pontife dans ses Étals, 
créèrent des relations plus étroites avec le Vatican et 
les Tuileries. L'idée religieuse à l'abri de ce puissant 
protectorat se montra plus courageuse, parce qu'elle 
se sentait plus forte. Il y avait alors de vives sympa- 
thies entre Rome et Paris. Elles se fondaient sur des 
services et des liens réciproques de reconnaissance . 

Le Saint-Père, à peine remonté sur son trône tem- 
porel, supplia le gouvernement français d'achever 
son œuvre, en étendant sa protection sur les lieux 
saints qui étaient placés par les traités sous l'antique 
patronage de la France. 

Les plaintes des religieux de terre sainte étaient 
incessantes. Les Grecs et les Arméniens avaient 
usurpé plusieurs sanctuaires. Chaque année les fêtes 
de Pâques étaient l'occasion de scènes scandaleuses. 
Dans ces sanctuaires où devaient seules s'élever des 
voix pieuses pour chanter en paix les louanges du 
Dieu fait homme, avaient lieu, au contraire, dans 
ees jdqrs 3olenRels, des luttes fratricides, des dis-» 



10 HISTOIRE DE LA GUERRE D'oRIENT. 

1851. putes honteuses, qui convertissaient en champ clos 
ces temples consacrés à la prière. Telle était même 
la violence de ces luttes, que la force publique, et 
cette force était musulmane, était obligée d'inter- 
venir dans toutes ces cérémonies, pour mettre un 
terme à de si graves désordres, où souvent le sang 
chrétien était répandu par des mains sacrilèges. 

Les sanctuaires étaient la propriété des catholiques 
depuis un temps immémorial, puisque cette posses- 
sion remonte jusqu'aux premiers soudans d'Egypte. 
Lorsque les Ottomans firent la conquête de Jérusa- 
lem, ils confirmèrent les religieux francs dans la pos- 
session des saints lieux. Des firmans nouveaux rati- 
fièrent les titres qui établissaient ce? droits en faveur 
des catholiques. Cette reconnaissance donnait à ces 
droits un caractère d'inviolabilité, puisqu'il y avait 
un engagement de la part de la Subhme Porte de les 
faire respecter. 

Les capitulations conclues plus tard, en 1673 et 
1740, entre la France et la Porte, conservèrent aux 
catholiques les lieux de Visitation, autrement appe- 
lés les sanctuaires. C'était là un engagement, un 
traité de souverain à souverain. Cette possession en 
faveur des religieux francs était donc établie par les 
siècles et par des traités; mais la France, absorbée 
souvent à l'Occident par ses discordes intérieures ou 
par des guerres contre ses voisins, ne pouvait tou- 
jours veiller en Orient à la rigoureuse observation 
des capitulations. 



CHAPITRE II. 11 

Les Grecs et les Arméniens profitèrent habilement iwi. 
de ces circonstances et surent, à l'aide d'un système 
continu d'empiétement, usurper les principaux sanc- 
tuaires et maintenir leur usurpation en la faisant 
autoriser par des firmans surpris à la faiblesse et à 
l'ignorance des ministres ottomans. Ces usurpations 
ont été de tout temps l'objet de vives et continuelles 
protestations de la France. 



CHAPITRE n. 
Ambassade du général Anplok; oelle de H. de La Valette. 

Le général Aupick, pendant son ambassade à Con- 
stantinople (485i), avait reçu du gouvernement fran- 
çais des instructions précises pour rappeler à la 
Porte toutes les démarches faites auprès d'elle inuti- 
lement par les cabinets précédents. L'ambassadeur 
se plaignit en termes vifs de la violation des capitu- 
lations , et formula une demande pour réclamer du 
Divan leur stricte exécution. Des négociations furent 
commencées et le gouvernement ottoman répondit 
qu'il consentait bien à prendre pour base des arran- 
gements à intervenir les traités de 4673 et de 1740, 
mais qu'il y mettait pour condition qu'on prendrait 
aussi en considération les décisions judiciaires éma- 
nées des autorités turques, qui étaient intervenues 
en faveur des églises diverses. L'ambassadeur fran- 
çais en référa à son gouvernement. 



12 HISTOIRE DE. LA GUERRE d'ORIENT. 

iMi. Par décret du 20 février i 85i, M. de La Valette fut 
nommé ambassadeur à Constantinople en remplace- 
. ment du général Aupick. Il fut principalement chargé 
par le Président de la République française de re- 
vendiquer les droits de la chrétienté catholique sur 
le saint sépulcre , contre les usurpations des Grecs 
et des Arméniens. Sa mission avait un caractère si 
spécial qu'il était porteur pour le sultan de deux 
lettres autographes conçues en termes très - éner- 
giques: l'une était écrite par Louis-Napoléon, l'autre 
par Pie IX. 

C'est à cette époque que commença cette lutte di- 
plomatique qui, après avoir passé par tant de phases 
diverses, a fini par un conflit terrible, dont Dieu seul 
pouvait prévoir l'issue. Nous la suivrons pas à pas. 

La Porte avait espéré que la France ne ferait pas 
de grandes objections à sa prétention de prendre 
en considération les décisions judiciaires autorisant 
la possession d'une partie des lieux saints par les 
Grecs. Mais le cabinet français lui répondit : que 
l'acceptation d'une pareille condition serait la sanc- 
tion même des usurpations dont il se plaignait ; que 
ce serait renoncer aux droits qui ont pour base les 
traités. Il consentait bien à ouvrir une enquête pour 
déterminer quels étaient les sanctuaires qui apparte- 
naient aux catholiques à l'époque des capitulations , 
mais il ne voulait pas abandonner les droits que 
consacraient les traités en leur faveur. Il soutenait 
que le? capitulations n'auraient pu être môdifiéeg 



CHAPITRE II. 13 

que du consentement des deux parties contractantes , mi. 
et que tes décisions de la justice turque ne. pouvaient 
statuer que sur des litiges privés, mais qu'elles étaient 
impuissantes vis-à-vis des actes diplomatiques : d'ail- 
leurs la France n'avait cessé de protester contre ces 
décisions. 

M. de Titoff, ambassadeur du czar, remit de son 
côté à la Sublime Porte un mémorandum pour pro- 
tester contre tout changement dans le staiu qua des 
lieux saints. Il déclara vouloir maintenir les droits de 
la Russie sur le saint sépulcre. 

Voici quelqu€s^uns de ses arguments : 

dl^ Il y a environ cinquante ans, dit-il, dans sa 
Note, une querelle éclata entre les Grecs et les Ar- 
méniens au sujet du saint sépulcre. Une commission 
formée de trois ulémas, de deux évêques grecs et 
de deux évêques arméniens termina la querelle en 
décidant que le saint sépulcre appartenait aux Grecs. 
Il y avait alors à Constantinople un ambassadeur de 
France, des évêques catholiques et un légat du Pape. 
Ils n'élevèrent aucune objection. 

2° Il y a quelques années, après l'incendie du 
temple , les Grecs et la Russie ont fait des collectes 
destinées à cet édifice. Il a été reconstruit. Aucune 
puissance catholique n'a protesté ou prétendu que 
les Grecs avaient bâti sur un terrain qui ne leur ap- 
partenait pas,. 

3® La France prétend que le saint sépulcre a été 
enlevé aux Turcs par les croisés, et incorporé par 



14 HISTOIRE DE LA GUERRE d'oRIENT. 

1851. des traités à la chrétienté catholique; mais le saint 
sépulcre avait appartenu aux Grecs avant que les 
Musulmans ne s'en fussent emparés. 

A l'époque où le général Aupick présenta les ré- 
clamations de la France à la Sublime Porte, une ar- 
mée russe occupait encore les principautés danu- 
biennes où elle était restée depuis i 849. Cette occu- 
pation avait été motivée par une insurrection qui 
avait éclaté dans ces provinces, après l'agitation 
universelle suscitée par la révolution française du 
24 février 1848. 

Il y avait là une cause sérieuse de ménagements 
pour la Russie de la part de la Porte, qui ne se dis- 
simula pas dès l'abord son envie d'écarter les propo- 
sitions de la France. La Russie avait fait pressentir 
tout le mécontentement qu'elle éprouverait pour 
toute concession qui serait faite à la France. Elle 
exigeait que la Porte rejetât toute demande qui por- 
terait atteinte au statu quo. Elle chercha à lui prou- 
ver que de pareilles prétentions n'avaient pour but 
que de créer des embarras au sultan et de contre- 
carrer la Russie. Dans son système on voulait obte- 
nir des concessions nouvelles au profit des Latins et 
au préjudice des Grecs. 

M. de La Valette invoqua à son tour la loyauté 
bien connue du gouvernement français, qui ne vou- 
lait susciter des tracasseries à personne, mais qui 
agissait uniquement pour maintenir ses droits et ne 



CHAPITRE IH. 15 

désirait que l'exécution loyale des traités existant i«si- 
entre la France et la Porte. 

Il rappela chaleureusement l'intérêt de l'Europe 
chrétienne à faire cesser les désordres qui éclataient 
chaque année entre les divers rites chrétiens, dans 
les sanctuaires de Jérusalem. Au nom de la France , 
il demandait de régler le différend d'une manière 
équitable, en recherchant le droit de chacun d'après 
la base des traités. 



CHAPITEE m. 

Les Russes évaoaent les Frineipantés. — Assassinat du père Basile. — 

NégoeiaUens. 

Les armées russes évacuèrent au mois de juin les 
principautés danubiennes. Leur voisinage jusque-là Juin, 
avait exercé une influence visible sur les décisions 
du Divan. Ce voisinage en effet lui ôtait toute liberté 
d'examen, ou du moins entretenait ses irrésolutions. 

Vers la fin de juin , M. de La Valette manda à 
Constantinople M. Botta, consul français à Jérusa- 
lem , pour obtenir les renseignements les plus précis 
sur les lieux en htige et sur les prétentions réci- 
proques. 

C'est à cette époque que fut commis à Antioche un 
crime atroce. Le père Basile, missionnaire aposto- 
lique, fut trouvé gisant dans son sang, sur les 
marches de l'autel de la chapelle. Il avait été assas- 
siné en plein jour par une main fanatique. 



16 HISTOIRE DE LA GUERRE d'oRIENT. 

1861. On apprit en même temps qu'à Smyrne des bri- 
gands avaient fait subir toutes sortes de mauvais trai- 
tements à deux Français. 

Les consuls français dans ces deux villes firent 
savoir à M. de La Valette que l'action répressive des 
autorités turques restait comme paralysée et que les 
assassins et les malfaiteurs n'étaient pas sous la main 
de la justice. 

Une indisposition d'Ali-Pacha, ministre des af- 
faires étrangères, avait mis un temps d'arrêt dans 
les négociations entamées au sujet des lieux saints. 
Juillet. Elles furent reprises au mois de juillet, et M. de La 
Valette eut successivement plusieurs conférences avec 
le grand -vizir, Reschid-Pacha, et avec Ali-Pacha. 
La loyauté que mettait M. de La Valette dans ses ex- 
plications, et l'habileté qu'il déploya lui obtinrent 
un plein succès. La Porte remit au commencement 
de juillet à la légation de France une Note dans la- 
quelle elle manifesta son désir d'arriver à un arran- 
gement avec la France, en prenant pour base les 
traités. La Note ne réservait pas les décisions judi- 
ciaires turques. La question avait donc fait un grand 
pas et se trouvait placée sur un terrain pratique. 
Tout faisait espérer une solution prochaine conforme 
au droit et à l'équité. 

Une commission fut chargée d'examiner les récla- 
mations françaises et toutes les objections des Grecs et 
des Arméniens. L'ambassade russe fit tous ses efforts 
pour empêcher la nomination de cette commission. 



CHAPITRE IV. .17 



CHAPITRE IV. 



Réfugiés hongrois. — imotion de la Rnssie. — Harohe de la question 

des lieu saints. 

La Sublime Porte avait dans ce moment^un sujet i85i. 
de discussion bien grave avec l'Autriche et la Rus- 
sie. Il s'agissait de l'internement des réfugiés hon- 
grois qui se trouvaient alors à Kutaya. L'Autriche et 
la Russie, dans de nombreuses communications, 
pressèrent la Porte de maintenir cet internat, comïne 
nécessaire à leur repos et exigé par leur situation 
politique. Elles invoquaient la sécurité de leurs États. 
Malgré leur insistance la Porte ne voulut pas se 
rendre à leurs pressantes soUicitations , et se déter- 
mina à tenir la promesse qu'elle avait faite à ces ré- 
fugiés de faire cesser leur internement au i^^ sep- 
tembre suivant. 

M. de TitofF prit texte de ce refus ou plutôt de cet Août. 
échec qu'il avait éprouvé touchant l'internement des 
réfugiés, pour chercher à obscurcir la question des 
lieux saints en soulevant les passions religieuses qui 
s'agitaient ensemble dans cette affaire. En apprenant 
que le Divan paraissait disposé à faire exécuter reli- 
gieusement les traités, il lui remit une nouvelle Note 
pour prendre des réserves contre toute décision ou 
tout acte qui, dans l'opinion du cabinet de Saint-Pé- 
tersbourg , porterait atteinte aux droits du culte grec 
orthodoxe. 

L'émotion du cabinet de Saint-Pétersbourg , son 

2 



18 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1851. intervention si vive pour arrêter les démarches de la 
France ne peuvent s'expliquer que par la crainte 
qu'il ressentait, qu'an réglant la question des lieux 
saints sur la base des traités de 1740, la Russie ne 
perdît te protectorat qu'elle s'était arrogé à force 
d'usurpations sur l'Église, grecque d'Orient. Il deve- 
nait évident que l'intérêt religieux n'arrivait qu'en 
seconde ligne dans cette intervention, et que des in- 
térêts politiques de l'ordre le plus élevé avaient seuls 
inspiré sa détermination. 

La légation de France employa toute son habileté 
à mettre cette vérité sous les yeux du Divan et à lui 
démontrer qu'en arrêtant les empiétements inces- 
sants du clergé grec, elle fortifiait en même temps 
la Porte contre les tentatives d'envahissement et les 
usurpations de la puissance moscovite. Il était évi- 
dent pour tous que l'intérêt de la Porte était d'aug- 
menter l'influence française au détriment de la Russie. 

C'est au milieu de toutes ces difficultés sans cesse 
renaissantes que la commission instituée pour exa- 
miner cette question des lieux saints poursuivait sa 
pénible tâche. 
Septembre. Au mois dc Septembre les membres de cette com- 
mission avaient enfin pu régler le mode de rédaction 
des procès-verbaux et avaient demandé aux diverses 
légations de leur soumettre les titres sur lesquels ils 
appuyaient les prétentions de leurs coreligionnaires. 

La France produisit les capitulations et les actes 
diplomatiques postérieurs, qui établissaient ses droits 



CHAPITRE IV. 19 

sur les lieux de Visitation. Les Grecs n'avaient en- im. 
core soumis aucun titre à la commission à la fin de 
septembre. M. de TitofF, qui s'était opposé avec force 
à l'institution de cette commission, ne négligea rien 
pour entraver ses travaux. Il ne lui fit remettre que 
quelques firmans qui accordaient certaines jouis- 
sances aux Grecs dans l'église de Bethléem. Mais le 
mauvais vouloir de la Russie, ses notes, ses menaces, 
ses insinuations ne purent persuader à la Porte 
que l'intention de la France fût de la pousser dans 
une voie de persécution contre la religion grecque. 

La France, en produisant le traité de 1740, de- 
mandait l'exécution pure et simple de ce traité, et 
proposait, pour simplifier la situation, de se soumettre 
à l'interprétation qui serait faite de gré à gré entre 
les parties des clauses qui pourraient offrir quelque 
obscurité. 

Vers la fin d'octobre, les soins constants de M. de octobre. 
La Valette pour l'objet de sa mission, son activité et 
un concours heureux de circonstances avaient con- 
tribué à faire marcher vers une solution prochaine la 
question des lieux saints. Dans une série de .confé- 
rences avec Ali-Pacha, ministre des affaires étran- 
gères, on était enfin tombé d'accord de mettre un 
terme aux empiétements des Grecs, en arrêtant que 
les catholiques seraient remis en possession de tout 
ce qui leur avait été injustement ravi depuis le traité 
de 1740. Cette solution empruntait cependant à l'é- 
poque actuelle un caractère de tolérance^conforme 



20 HISTOIRE DE LA GUERRE d'oRIENT. 

1861. aux idées de notre siècle, en établissant une posses- 
sion commune. On stipulait aussi en faveur des catho- 
liques le droit de réparation pour divers sanctuaires. 



CHAPITRE V. 
Sensation pénible dn ozar. — Sa lettre au snlcan. — Phase nouvelle. 

Novembre. La légatlou russc transmit au cabinet de Saint- 
Pétersbourg presque simultanément la mise en li- 
berté de Kossuth, à laquelle la Russie s'était opposée, 
autant que l'Autriche, et le travail de la commis- 
sion , ou plutôt les arrangements qui prenaient pour 
base la participation en commun entre les catho- 
hques et les Grecs à tous les sanctuaires réclamés 
par les catholiques. Ces deux nouvelles causèrent au 
czar une sensation pénible. C'était un double échec 
à sa politique , à ce qu'elle avait de plus vivace et de 
plus opiniâtre. C'était un triomphe pour les idées li- 
bérales de l'Occident et pour le cathohcisme. Il se 
contenta de communiquer ses impressions à l'Au- 
triche sur la mise en liberté de Kossuth , réservant 
d'aviser plus tard ensemble à ce qu'exigeraient les 
soins de leur sécurité et de leur dignité. 

Mais relativement aux sanctuaires, sa qualité de 
chef de l'orthodoxie grecque ne lui permettait pas 
d'ajournement. Il abandonna pour le moment les 
menaces et espéra mieux d'une démarche directe et 
personnelle. Il expédia à Constantinople le prince Ga- 



CHAPITRE V. 21 

garin , porteur d'une lettre autographe pour le sul- tm. 
tan, et que M. de Titoff lui remit en audience 
particulière. Le czar rappelait au sultan les relations 
de bonne amitié qui les unissaient. Il le suppliait en 
son nom , et au nom de sa famille, de ne pas aller 
plus loin dans cette affaire. Il invoquait sa position 
de chef de Torthodoxie grecque et demandait comme 
une faveur de ne pas admettre les réclamations de 
la France. Il protestait au sultan de son chaleureux 
. dévouement. 

La question se trouvait ainsi placée sur un nou- 
veau terrain. Elle subissait une phase nouvelle et 
fâcheuse. Les embarras du sultan devinrent grands. 
Déjà , la mise en liberté de Kossuth et la cessation 
de l'internement des émigrés hongrois avaient com- 
promis ses relations avec l'Autriche. 

La lettre de l'empereur Nicolas, se posant en sou- 
verain ami et suppliant , fut prise en sérieuse consi- 
dération , et les négociations furent suspendues. 

Mais les instructions de M. de La Valette avaient 
un caractère énergique et positif. L'ambassadeur de 
France fit entendre de vives réclamations au minis- 
tère ottoman , et pour lui montrer qu'il ne céderait 
point aux prétentions de la Russie , il suspendit son 
installation à Péra et son retour de la campagne, 
jusqu'à ce que la Porte lui eût donné sur cet incident 
une réponse satisfaisante. 

M. de Titoff vint au secours de son adversaire en 
se chargeant de commenter la lettre de son auguste 



32 HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORIENT. 

1851. maître. Le czar avait fait naître de Thésitation dans 
l'esprit du Divan , en invoquant dés relations d'amitié. 
M. de TitofF, dans plusieurs conférences avec le grand- 
vizir et le ministre des affaires étrangères, déclara 
que les Grecs avaient des droits antérieurs aux trai- 
tés de 1673 et de 1740; qu'en sa qualité de protec- 
teur de la religion grecque , l'empereur, son maître, 
était dans l'obligation de soutenir ces droits ; que la 
Porte ne pouvait donc rien faire avec la France, 
sans examiner d'abord cette question avec la Russie, 
et qu'il avait ordre de rompre ses relations et de se 
retirer avec sa légation , si la Porte méconnaissait ce 
droit, et ne maintenait pas les choses à Jérusalem 
dans le plus strict statu quo. 

Ce langage hautain substituait la menace à la prière. 
Il dévoilait les prétentions de la Russie de subor- 
donner à son bon vouloir l'exécution des traités pas- 
sés entre la Porte et les autres puissances. La dignité 
de la Sublime Porte se sentit vivement blessée de 
cette attitude arrogante et nouvelle. 

Les irrésolutions et la perplexité du Divan étaient 
cependant grandes. Les démarches de la France se 
bornaient à l'exécution des traités passés avec elle , 
tandis que la Russie se posait comme interprète de 
ces traités au profit de son influence politique, sous 
le prétexte d'un protectorat religieux. Mais les me- 
naces du czar causaient de l'effroi. Avant de prendre 
un parti, on voulut pressentir à quelle résolution 
s'arrêterait le gouvernement français. Le Divan voulut 



CHAPITRE V. 23 

puiser son courage dans l'appui que la France lui issi. 
prêterait au besoin pour résister aux violences de la 
Russie. 

Pour traîner en longueur , la Porte nomma une 
nouvelle commission composée de membres impor- 
tants du corps des ulémas. Ces lenteurs donnaient 
le temps de recevoir une réponse du cabinet fran- 
çais. Le colonel Rose, agent de l'Angleterre, venait 
de lui tenir ce langage rassurant : 

« Nos instructions ne nous permettent pas d'inter- Décembre. 
« venir dans la question : elles nous prescrivent la 
« neutralité entre la France et la Russie ; mais c'est 
« notre devoir de soutenir le sultan , lorsqu'il récla- 
«mera le droit de donner, dans son indépendance 
« et sa liberté d'action , son opinion consciencieuse 
« sur une affaire qu'il est appelé à décider, d 

Les Grecs, poussés par les agents russes, présen- 
tèrent au sultan de nombreuses pétitions , en faveur 
de leurs prétentions. Ils firent une démarche plus 
solennelle. Les primats de la nation grecque se réuni- 
rent en assemblée œcuménique sous la présidence ' 
du patriarche. Les primats de la Servie , de la Mol- 
davie et de la Valachie assistèrent à cette assemblée, 
ainsi que les représentants des autres provinces et 
les patriarches de Constantinople et de Jérusalem. 
Le but de cette assemblée était de dresser une Note 
sur le saint sépulcre. Elle fut rédigée dans les ter- 
mes suivants : 

« Par suite des négociations entamées relativement 



24 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

t9àu <i:à la possession des lieux saints, il règne dans la 
«population grecque une agitation inquiétante. En 
« conséquence , les soussignés ont l'honneur d'inviter 
«la Sublime Porte à vouloir bien hâter, autant 
« qu'elle pourra , la solution de cette question et à 
« mettre un terme à cette agitation en la décidant 
«conformément aux vœux religieux de la nation 
« grecque. ï> 

La légation russe se chargea de communiquer 
cette pièce à la Porte Ottomane, en l'accompagnant 
de notes en marge. 

Le Divan accueillit cette Note, et fidèle à sa circon- 
spection habituelle, il fit défendre aux journaux d'en 
parler; laissa circuler le bruit qu'elle cadrait avec 
ses vues, et que le principe de la conservation de 
soi-même lui imposait la loi de la nécessité. Il 
temporisa ainsi jusqu'à l'arrivée de la réponse de la 
France. 



CHAPITRE VI. 

Réponse do la Franeo. — Gonelasion amiable. — Firman on hatti- 

hamayonn. 

La réponse du gouvernement français ne pouvait 
être dputeuse. Il rappela à son ambassadeur l'im- 
portance de sa mission et la volonté du cabinet 
d'exiger l'exécution des capitulations. Il consentait 
cependant à d'assez larges concessions, surtout pour 
le maintien de plusieurs ordonnances turques. Il se 
montra plus conciliant, et laissa clairement voir son 



CHAPITRE YI. 25 

désir de mettre un terme à ces discussions. A ce i«5i. 
point de vue l'appui sincère de la France était acquis 
sans hésitation à la Sublime Porte. Ces longues et 
pénibles négociations, tant de fois interrompues et 
reprises, semées de tant d'incidents, aboutirent enfin 
à une conclusion amiable. Il avait fallu, pour obtenir 
ce résultat, combattre les lenteurs et les scrupules 
de la Porte et triompher des menées de la Russie 
et des intrigues puissantes du clergé grec. Cepen- 
dant on s'était fait réciproquement quelques con- 
cessions qui donnaient à cet arrangement la forme 
d'une transaction. Mais la solution était aussi favo- 
rable que possible à la France. Elle était plutôt à son 
avantage, comme prolectrice du catholicisme en 
Orient. 

L'état de possession, aux termes du décret de 
1740 et de l'article 33 des capitulations, resta la 
base des arrangements. Tous les droits de la France 
reposant sur ces deux documents furent entièrement 
et explicitement réservés. La Porte laissa en l'état 
la réclamation des pères de la Terre sainte, relative 
à la Grotte des Pasteurs, achetée de leurs deniers, 
et qu'ils revendiquaientcomme leur propriété, auprès 
des tribunaux de Jérusalem. » 

Elle s'engagea à remettre aux religieux latins le 
droit d'accomplir leurs cérémonies dans l'église de 
la Vierge. La Porte s'engagea aussi à rétablir l'étoile 
du saint sépulcre enlevée, il y avait six ou sept ans, 
et ce dans un délai déterminé. 



26 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1852. Les religieux de Jérusalem furent autorisés à ré- 
parer divers de leurs établissements, à acheter plu- 
sieurs terrains pour en agrandir d'autres, faveurs 
qu'ils sollicitaient inutilement depuis longues années. 

Enfin pour tous les lieux saints réclamés par les 
religieux latins, il leur fut accordé la participation m 
commun y c'est-à-dire, la faculté d'y remplir les cé- 
rémonies du culte catholique, à l'exception d'un seul, 
le tombeau de la nativité. 

Il y avait bien loin de là, comme on peut le voir, 
au statu quo absolu réclamé par la lettre de l'em- 
pereur Nicolas. 

La lecture du firman fera niieux connaître toutes 
les stipulations arrêtées. 

Tarte du flnnan qui règle déflnitiyemeat la qneattoa des lleoz saints sar 
les bases eenyeaaes entre l'ambassadenr français et le Diyan. 

• 

Hatti-humayoun (autographe impérial) publié vers la fin 
du mois Revi-^ul'Ohir de Van 1268 de l'Hégire {i852)y 
concernant la solution de la question des saints sépul- 
cres en litige entre les orthodoxes et les catholiques. 

€ Ceci est mon haut royal décret , qui contient la 
« résolution sur la question des saints sépulcres de 
((Jérusalem, qui était en litige jusqu'à présent, et 
« la fin définitive et vraie de l'examen le. plus ri- 
<3r goureux de toutes les pièces (senetis) anciennes et 
« contradictoires qui sont dans la possession de mes 
« sujets grecs et latins , lequel décret en même temps 
« confirme toutes les hautes ordonnances accordées 



CHAPITRE VI. 27 

«:aux Grecs, de la part de mes glorieux aïeux et ism. 
« surtout de mon illustre père, et qui antérieure- 
ce ment ont été sanctionnées et renouvelées par moi- 
a: même. Que ce décret ainsi fait soit inattaquable 
e et supérieur, à l'avenir, à tout autre acte contraire. » 

Firman adressé au gouverneur de la ville de Jérusalem , 
très "haut Hafiz-Pacha, et au très -glorieux Cadi de 
la même viUey ainsi qu'aux membres du Medjlisié 
(conseil) instittié dans cette ville. 

« Attendu que les différends qui sont survenus à 
«plusieurs époques entre la nation grecque et les 
«Latins, au sujet de quelques sanctuaires situés 
« dans l'intérieur, comme à l'extérieur de Jérusalem, 
« se sont encore renouvelés dans ces derniers temps , 
«pour que cette question soit définitivement réglée, 
« après un examen fait d'accord avec les deux parties, 
«une commission a été instituée et formée, com- 
« posée de plusieurs ministres les plus importants , 
« des plus illustres magistrats et de quelques autres 
« personnes. 

«L'objet de l'examen de cette commission, ainsi 
« que des conseils ministériels qui se sont tenus en- 
« suite, était la question des lieux en litige entre ces 
« deux sectes religieuses, et qui sont: la grande cou- 
«pole qui se trouve dans l'intérieur de cette église, 
« et qui couvre le lieu où est situé le tombeau de 
«Jésus-Christ, la descente de la croix, le Golgotha 
« situé dans l'intérieur du même temple , les arcades 
«de la sainte Vierge, la grande église du village de 



28 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1852. «Bethléem, et la caverne de la naissance de Jésus- 
« Christ, qui est située sous la même éghse, le vrai 
(dieu de la naissance et le tombeau de la sainte 
« Vierge. 

«De tous ces lieux, la grande coupole précitée, 
a comme celle appartenant au temple tout entier, les 
(( réclamations exclusives des Latins , tant pour cette 
(i coupole que pour la petite coupole , la descente de 
«la Croix, le Golgotha, les arcades de la sainte 
a: Vierge , la grande église de Bethléem et le lieu de 
«la naissance, ne sont pas justes. C'est pourquoi il a 
« été résolu que tous ces lieux précités resteront dans 
(( leur état actuel. Mais comme une clef des portes 
« du nord et du midi de cette grande église et des 
« portes de la caverne susdite , a été donnée antérieu- 
« rement aux Grecs , ainsi qu'aux Latins et aux Ar- 
«méniens, et que cette concession a été confirmée 
«par un haut firman publié en l'an H 60 de l'Hégire 
«(1744) et remis aux Grecs, qu'ils se contentent ac- 
« tuellement de cette concession. 

« Pour ce qui regarde les deux jardins situés au- 
« près du couvent franciscain de Bethléem et réclamés 
« aussi par les Latins , puisque , d'après les anciens 
«et les nouveaux édits (senetis)^ ils étaient sous la 
« surveillance des deux parties , qu'ils restent de nou- 
« veau dans le même état. 

« Les réclamations exclusives de la part des Latins 
« relativement au tombeau de la Vierge , fondées sur 
«quelques édits qui se trouvent entre leurs mains. 



CHAPITRE VI. 39 

«ne sont pas également justes; mais, vu que jusqu'à 1852. 
« présent les Grecs , les Syriens et les Coptes exer- 
ce çaient leurs cérémonies religieuses dans le saint 
«tombeau susmentionné, et considérant que le culte 
(L religieux dans l'intérietir de ce lieu n'appartient pas 
(( exclusivement à une seule de ces croyances chré- 
c( tiennes, et quil est connu qu'en vertu des anciennes 
« concessions les chrétiens catholiques y font aussi 
«leurs cérémonies religieuses; en conséquence, et 
« sous la condition qu'il ne sera pas fait le moindre 
« changement à l'administration et à l'état actuel du 
«tombeau en question, la confirmation de cette con- 
« cession aux catholiques est déclarée comme juste. 

«Les droits accordés aux Grecs, sujets de mon 
« puissant empire , et confirmés par moi en vertu des 
« décrets impériaux , revêtus de la forme sacrée des 
« battis impériaux , et dont le maintien et la conser- 
« vation sont un des objets tout particuliers de ma 
« sollicitude impériale, ayant été approuvés solennel- 
«lement par moi, il n'est permis à personne d'entre- 
« prendre un acte quelconque, contraire à la présente 
« décision. 

« Pour ce qui concerne le temple de l'Ascension , 
« situé dans le jardin des OUviers, à Jérusalem, 
« puisque jusqu'à présent les Latins y exercent leurs 
« services rehgieux, une fois par an, c'est-à-dire le 
« jour de la fête de l'Ascension de Jésus-Christ, et 
« que les Grecs exercent leurs cérémonies religieuses 
« hors du temple, et que dans ce lieu même il reste . 



30 HISTOIRE DE LA GUERRE d'oRIENT. 

185». « une mosquée turque, ce temple susmentionné n'ap- 
« partient particulièrement et exclusivement à au- 
« cun des rites chrétiens susdits. 

(( Or, considérant dans ma royale justice qu'il ne 
« convient pas que les Grecs sujets de mon puissant 
c( empire ne puissent pratiquer leur culte religieux 
i< dans le temple même, il a été décidé que doréna- 
<( vant les Grecs, également comme les Latins, ne 
« trouveront pas d'obstacle pour prier et accom- 
(( plir leurs cérémonies religieuses dans l'intérieur 
« de ce temple pendant les jours religieux indiqués, 
« sous la condition que l'ordre et l'état actuel de ce 
c( temple ne soient nullement changés et que la 
« porte de ce temple soit gardée, comme auparavant, 
« par un portier musulman. 

« Vous, prenant connaissance de cet acte, vous 
« mettrez tous vos efforts et tous vos soins pour 
« qu'aucune violation ne soit faite des décisions sus- 
« mentionnées, non-seulement de la part des Grecs, 
« des Arméniens, des Coptes, des Syriens, mais 
a: aussi de la part des Latins. }» 



CHAPITRE VII. 

Départ de H. de La Valette. — PromeBseB du Dlyan. — Resehid-Paoha se 
démet de ses fenetloas de grand-vizir. — Firman favorable à la Russie. 

La question des lieux saints semblait enfin termi- 
née. M. de La Valette, dont la santé avait beaucoup 



CHAPITRE VII. 31 

souffert par l'effet du climat, demanda un congé et issa. 
se rendit en France. 

Avant son départ il avait obtenu du Divan Tassu- 
rance qu'il enverrait dans un bref délai un commis- 
saire à Jérusalem pour mettre à exécution les divers 
arrangements relatifs aux lieux saints. Ce commis- 
saire ne devait pas tarder à se rendre dans cette ville. 
Émir Ëffendi, membre de la commission, devait 
d*abord remplir cette mission, mais le gouverne- 
ment fit ensuite choix d'Affif-Bey, secrétaire du mi- 
nistre des affaires étrangères, homme intelligent et 
versé dans la pratique des affaires. 

M. de La Valette, avant de quitter Constantinople , Mars. 
eut la douleur de voir Reschid-Pacha se démettre 
de ses fonctions de grand-vizir. Il fut remplacé par 
Néouf-Pacha. 

Une lettre de Saint-Pétersbourg a expliqué plus 
tard cette révolution ministérielle à la Porte. En voici 
un extrait : 

« Ce qui pendant plusieurs jours a fait le sujet des 
« conversations dans nos cercles politiques, c'est le 
« changement survenu dans le ministère à Constan- 
« tinople , et la chute de Reschid-Pacha. On ne croit 
c pas que sa retraite ait été provoquée par la France : 
<( on pourrait plutôt dire qu'il faut l'attribuer à l'An- 
« gleterre; car ce qui a amené la chute de l'ex- grand- 
« vizir, ce sont précisément les vives sympathies 
e que cette puissance a témoignées à Reschid-Pacha. 
« Il a dû céder à l'influence de la Russie et de l'Au- 



32 HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORIENT. 

185». ce triche, qui n'ont pu lui pardonner, ni l'attitude 
« qu'il a prise vis-à-vis de l'insurrection hongroise, 
« ni le point de vue sous lequel il a envisagé la ques- 
« tion des réfugiés. Par suite des soUicitations de la 
(( Russie et de T Autriche auprès de la Porte, l'ex- 
«. grand-vizir a reconnu que ce qu'il avait de mieux 
« à faire, c'était de résigner son poste. » 

Les susceptibihtés de la Russie n'étaient pas cal- 
mées par la chute de Reschid-Pacha. Elle insista 
avec tant de force auprès du sultan qu'elle obtint en 
dehors de l'arrangement conclu avec la France un 
firman qui satisfaisait à toutes les promesses qu'elle 
avait données aux Grecs pendant le cours des négo- 
ciations, et qui altérait considérablement le sens des 
arrangements conclus entre la France et la Porte. 
Ce fut là une des causes qui retardèrent encore pen- 
dant quelques mois l'envoi du commissaire turc à 
Jérusalem. 

CHAPITRE VllI. 

Le Gharlemag ne ; disetusion grave an sujet de ee vaissean. — Betoar 
de H. de La Valette à Censtantinople. 

Le cabinet français eut connaissance de cette fai- 
blesse du sultan, et attendit le moment favorable de 
neutraliser le firman et de maintenir Tintégrité des 
nouvelles conventions. Mais d'autres faits allaient 
Mai. ajouter aux nouveaux griefs de la France et amener 
des explications nouvelles et des démonstrations plus 
graves. 



1. 



CHAPITRE VIII. 33 

Dans une visite que l'amiral Romain Desfossés avait issa. 
faite au ministre de la marine à Constantinople, ce 
dernier avait exprimé à l'amiral français son désir 
de voir un vaisseau mixte, c'est-à-dire ayant des 
voiles et un propulseur à vapeur. 

Le Charlemagne fut cité comme un vrai modèle 
des vaisseaux à hélice. M. Desfossés offrit d'envoyer 
le Charlemagne à Conslantinople, pour que l'amirauté 
turque pût examiner èa marche et ses aménagements. 
La proposition fut acceptée avec empressement. 
Lé ministre des affaires étrangères et plusieurs 
membres du cabinet n'y firent aucune objection. 
Ordre fut donné en conséquence au commandant du 
Charlemagne de se rendre à Constantinople. M. Co- 
riolis, un des officiers du vaisseau, se rendit au préa- 
lable dans la capitale de la Turquie pour obtenir le 
firman nécessaire pour traverser les Dardanelles. La 
Porte prétendit alors seulement que la chose méri- 
tait d'être examinée : que le traité du 13 juillet 1840 
fermait l'entrée des détroits aux navires de guerre 
et qu'on ne voudrait pas créer un précédent fâcheux. 

La légation répondit que personne n'avait plus 

d'intérêt que la France à l'exécution de ce traité ; 

qu'il s'agissait d'un cas tout particulier, et que sous 

ce rapport les précédents ne manquaient pas; que 

la Pandore et le Tendre ^ qu'une frégate hollandaise, 

une frégate américaine et tant d'autres navires de 

guerre de toutes nations avaient été autorisés à venir 

à Constantinople; que d'ailleurs on aurait dû faire 

3 



34 HISTOIRE DE LA GUERRE D ORIENT. 

1852. ces objections plus tôt et ne pas attendre pour cela 
que le Charlemagne fût en route; que, dans tous les 
cas, il y avait dans la conduite de la Porte quelque 
chose de blessant pour la France et la marine fran- 
çaise, et qu'on insistait pour que le Charlemagne fût 
reçu. L'ambassadeur anglais et M. Oseroff, chargé 
d'affaires de la Russie, agirent auprès de la Porte pour 
qu'elle répondît par un refus. 

La réponse se fit attendre et finit par être néga- 
tive. Elle était d'ailleurs conçue en termes conve- 
nables et basée sur le texte des traités qui ferment 
l'entrée des détroits aux navires de guerre. 

Le cabinet des Tuileries avait été informé par l'a- 
miral Desfossés du désir exprimé par les ministres 
turcs de voir dans les eaux du Bosphore le vaisseau 
mixte le Charlemagne ^ et avait approuvé la décision 
prise par l'amiral. Le refus fait par la Porte d'accor- 
der le firman causa à Paris une vive émotion. Il sem- 
bla dur au cabinet français d'être éconduit ainsi. Il 
se sentit blessé des retards et des embarras pres- 
que honteux qui avaient fait refuser l'entrée des Dar- 
danelles au Charlemagne. M. Drouyn de Lhuys, mi- 
nistre des affaires étrangères, témoigna très-haut son 
mécontentement au prince Kalimaki, ambassadeur 
de la Porte, et lui fit savoir que des instructions al- 
laient être envoyées à Constantinople au chargé d'af- 
faires de France pour demander de la manière la 
plus pressante l'entrée du Charlemagne y ou déclarer, 
en cas de refus, la rupture immédiate des relations 



CHAPITRE VIII. 35 

diplomatiques. Le prince Kalimaki expédia aussitôt 1852. 
un courrier extraordinaire à son gouvernement, et 
vers la fin de juin, à la suite de plusieurs confé- 
rences entre le chargé d'affaires de France et le 
ministre des affaires étrangères, la Porte consentit 
à l'entrée du Charlemagne. 

Ce succès diplomatique fut apporté à Paris dans J^"»®' 
les derniers jours de juin , et aussitôt les journaux 
officiels annoncèrent çn ces termes le départ de ce 
vaisseau : 

« Le vaisseau mixte le Charlemagne doit prendre 
«la mer, mardi prochain, 6 juillet, pour se rendre 
«à Constanlinople, où il doit conduire l'ambassadeur 
«de France, M. le marquis de La Valette.^ 

Le cabinet français profita de ce vaisseau pour 
faire retourner à son poste, avec un grand éclat, 
l'ambassadeur qui avait conclu avec la Sublime Porte 
l'arrangement relatif aux lieux saints. Les menaces 
et les efforts de la Russie avaient en quelque sorte 
anéanti cet arrangement, du moins les lenteurs du 
Divan à le mettre à exécution équivalaient à l'annu- 
lation des conventions arrêtées. Il fallut parer à ce 
manque de foi, ou mieux peut-être à cet acte de 
faiblesse. 

Le firman qui autorisait le passage dés Dardanelles 
arriva en triple expédition aux détroits, trois jours 
avant l'apparition du Charlemagne^ qui fut reçu avec 
tous les honneurs dus à un ambassadeur de France. 
Le gouverneur et le commandant des forts vinrent à 



36 HISTOIRE DE LA GUERRE D*0RIENT. 

1852. bord rendre visite à M. de La Valette. Le vaisseau 
mouilla le lendemain devant Constantinople , et le 
journal officiel put annoncer à Paris, quelques jours 
après , que le Càarlemagne était arrivé à Constanti- 
nople et que tout était en règle. 



CHAPITEE IX. 

L'esoadre française devant Tripoli. — Menaces de destruction. — Le bey 

se soumet au injonotions de la France. 

Au moment où ce vaisseau franchissait ainsi les 
Dardanelles, l'amiral Lasusse, à la tête de son esca- 
dre, menaçait de destruction la ville de Tripoli, si, 
dans les vingt- quatre heures, le bey, ou son repré- 
sentant , ne se soumettait pas aux injonctions de la 
France. Laissons parler le Moniteur : 
8 août. « Des dépêches du commandant en chef de l'esca- 
«dre d'évolution, en date du 30 juillet, arrivées 
«aujourd'hui à Paris, annoncent la conclusion du 
« différend qui avait motivé la présence de Tescadre 
« devant Tripoli. 

« Deux déserteurs français s'étaient réfugiés à Tri- 
epoli. On voulut les contraindre à se convertir à l'is- 
« lamisme. Ils refusèrent et invoquèrent la protection 
« du consul général de France , qui les réclama. Un 
« d'eux seulement parvint à gagner l'hôtel du consu- 
«lat; mais, surveillé et surpris lorsqu'il en sortit, il 
« fut poursuivi par la foule et cruellement maltraité. 

« Les autorités turques n'intervinrent que pour re- 



CHAPITRE IX. 37 

« mettre ce malheureux et son camarade en prison , 1862. 
« où ils ont été retenus malgré les réclamations éner- 
«giques de notre agent consulaire. 

«Une violation aussi manifeste du droit des gens 
«ne devait pas être tolérée. Le 20 juillet l'escadre 
«d'évolution faisait route de Toulon sur Tripoli, avec 
« ordre de se faire rendre les deux prisonniers ou de 
« détruire la ville. Le 28 , à une heure après midi , 
« elle mouillait devant la place. Aussitôt le concert 
«s'établit entre le commandant en chef et le consul 
«général. Le pacha était parti pour l'intérieur de la 
« régence dès le commencement de l'affaire. Somma- 
«tion fut faite immédiatement au mudir, comman- 
«dant la place, de rendre les prisonniers avant le 
«lendemain, 29, au lever du soleil, pour tout délai. 
«Le 29, à sept heures du matin, aucune réponse 
« n'ayant été faite , le consul général amena son pavil- 
« Ion et se retira à bord du vaisseau amiral , suivi de 
«plusieurs familles chrétiennes de diverses nations, 
« qui furent recueillies sur les bâtiments de l'escadre. 
«Les navires de commerce mouillés dans le port se 
«halèrent au large hors de portée. L'escadre allait 
« ouvrir le feu immédiatement , après une dernière 
fi sommation adressée au mudir, lorsqu'à neuf heures 
<r du matin le commandant en chef fut informé que 
« les deux déserteurs allaient être rendus. A quatre 
« heures un agent du mudir les amenait à bord de 
« l'amiral. 

«Le 30 juillet, au matin, l'escadre prenait le large. 



38 HISTOIRE DE LA GUERRE d'oRIENT. 

1852. « Si la régence de Tripoli n'avait pas immédiatement 
« accordé la satisfaction exigée , notre escadre aurait 
e fait prévaloir par la force les légitimes réclamations 
« de la France. » 



CHAPITRE X. 

M. de La Valette à Constantinople. — itat de ehoses changé. — Satisfaetion 
demandée et aeeordée sur tevs les peints. 

M. de La Valette arriva le 26 juillet à Constantino- 
ple et ne débarqua que le lendemain. Il fut reçu par 
tous les officiers de l'ambassade, les députés du com- 
merce et les membres de la colonie française , qui 
l'accompagnèrent jusqu'au palais de Péra. Une allo- 
cution lui fut adressée par un député du commerce. 
L'ambassadeur répondit : que , grâce à la tranquil- 
lité dont le pays jouissait en ce moment, il avait l'es- 
poir de voir s'accroître, chaque jour, notre influence 
extérieure et les garanties de nos intérêts politiques 
et commerciaux. 

Les choses cependant n'étaient plus les mêmes au 
retour de M. de La Valette. Le sultan , placé entre les 
menaces de la France au sujet des heux saints et le 
courroux de la Russie, avait bien consenti à accorder 
à la France plusieurs de ses demandes , mais il avait 
presque aussitôt donné un firman favorable aussi aux 
Grecs. Ce firman, qui modifiait singulièrement la 
position, avait fortement mécontenté le gouverne- 
ment français, déjà irrité par les difficultés faites in- 



CHAPITRE X. 39 

tempestivement pour rentrée du Charlemagne, par 1952. 
les lenteurs calculées des Turcs pour punir les assas- 
sins du père Basile à Antioche, et pour réparer les in- 
sultes faites au consul français à Janina. Ces trois faits 
avaient déterminé le cabinet des Tuileries à envoyer 
Tordre à M. de La Valette de demander sur tous ces 
points , et d'autres encore, une satisfaction immédiate; 

Cette satisfaction ne se fît pas attendre. Elle fut 
très-prompte. Le Journal de Constantinople annonça 
le 9 août que le commissaire nommé par la Porte , 
Affîf-Bey, s'embarquerait le jeudi suivant, porteur 
d'instructions ayant pour but l'exécution des derniers 
arrangements conclus entre la Sublime Porte et la 
France touchant la question des lieux saints. 

Le Moniteur du 30 août confîrma , avec de nou- 30 août. 
veaux détails , la nouvelle de l'heureuse issue des dif- 
férends qui s'étaient élevés entre le gouvernement 
français et la Porte Ottomane. 

Voici son article. 

«Les dépêches reçues hier soir de Constantinople, 
(ren date du 17 août, nous permettent d'annoncer 
« que la Porte Ottomane a fait droit à toutes les récla- 
« mations que l'ambassadeur de France avait reçu 
« ordre de lui présenter. Le gouvernement du Prince- 
« Président n'a qu'à se féliciter d'un résultat aussi 
«: prompt et aussi satisfaisant des démarches qu'il avait 
« prescrites. Les faits dont nous avions à nous plain- 
« dre étaient sans doute directement contraires aux 
c instructions de la Porte , et ses agents avaient mé- 



40 HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORIENT. 

185S. c connu à la fois leur devoir et les dispositions de 
« leur gouvernement , en fournissant à un allié aussi 
« sincère de la Turquie de légitimes griefs. i^ 

Ces griefs rappelés par le Moniteur sont l'incident 
de Tripoli ^ l'assassinat du père Basile , les mauvais 
traitements qu'avait eu à subir M. Blanchard , consul 
français à Janina , etc. 

«Les négociations, continue le Moniteur y qui ont 
« abouti aux résultats satisfaisants que nous venons 
« d'exprimer, ont été conduites par M. de La Valette 
« avec toute la fermeté dont ses instructions lui fai- 
«saient un devoir, mais avec tous les égards dus à 
€ une puissance amie , dont les bonnes dispositions 
« sont parfois mal servies par ses agents ; et les nou- 
« veaux ministres ottomans y ont apporté de leur côté 
« un esprit de conciliation et une intelligence des vé- 
^ritables intérêts de leur pays, qui ont facilité l'ar- 
9 rangement de ce différend et qui nous promettent 
«les meilleures relations avec eux.» 

La dignité, le haut rang de la France, sa légitime 
influence à Gonstantinople , étaient parfaitement 
sauvegardés par cette attitude fière et noble, que le 
succès a couronnée. Mais quel fut le commentaire de 
cet article officiel par M. de Nesselrode ? 

C'est ainsi que la lutte d'influence engagée à Con- 
stantinople donnait tour à tom^ le succès ou la 
défaite. La chute de Reschid-Pacha , le firman mo- 
dificatif de l'arrangement sur les saints sépulcres 
pouvaient réjouir la Russie. Us étaient son œuvre et 



CHAPITRE X. 41 

son triomphe. Mais l'entrée du Charlemagne , la non- 1852. 
velle attitude de la France et le départ d'Affif-Bey 
pour Jérusalem, furent pour elle un échec, et un 
sujet d'irritation pour le ozar. Un dernier fait ajouta 
encore à ses mauvaises dispositions, et lui sembla 
un coup porté à son influence. Le chaîné d'affaires 
de la Sublime Porte à Paris avait contracté un em- 
prunt, sous la condition qu'il serait ratifié par la 
Porte. Lé czar manda aussitôt à la légation russe de 
s'opposer par tous les moyens à la ratification de cet 
emprunt. Après de longues discussions, la Porte, 
placée sous la pression très-vive des ambassadeurs 
russes et autrichiens et même du chargé d'affaires 
d'Angleterre, le colonel Rose, refusa la ratification 
de cet emprunt, malgré les instances très-vives de 
M. de La Valette. 

Le refus de ratification de l'emprunt créait de 
grandes difficultés au sultan, et rendait l'état de 
choses encore plus fatal aux intérêts de l'Europe. 
Ajoutons que depuis douze ans la situation du gou- 
vernement turc n'avait jamais été si critique. Le ton 
et le langage des puissances étrangères dans leurs 
communications avec la Porte étaient deveftus de- 
puis peu des plus menaçants. Il y avait eu dans les 
principales charges de l'État des changements subits, 
qni avaient porté des coups sensibles à l'influence 
des serviteurs modérés et éclairés du sultan. Le 
crédit même du gouvernement turc au dehors avait 
été rudement ébranlé dernièrement. 



42 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1852. Les embarras de Tadministration placée entre 
Tépuisement des finances et le conflit des partis op- 
posés dans le Divan, arrivèrent à tel point qu'on put 
craindre, à partir de ce moment, des conséquences 
sérieuses^ pour la paix intérieure de l'empire et pour 
ses relations au dehors. 



CHAPITIffi XI. 

Aeeusations yiolentes des Jonrnanz anglais contre la France. — Aflf*Bey 
à JémsaleiB. — Coacesslona à la Fraaee. 

Les Anglais accusaient alors, en termes violents et 
durs , M. de La Valette et le gouvernement français 
d'avoir contribué pour une très-large part à produire 
la situation présente. 

L'Angleterre protestante blâmait la politique de la 
France pour ses réclamations à l'égard des lieux 
saints. La diplomatie anglaise , soucieuse des intérêts 
matériels de son pays, de l'extension de ses relations 
commerciales, ne comprenait pas qu'au point de 
vue religieux, le gouvernement français eût cherché 
à donner cette haute satisfaction à la grande majorité 
de la population française. Risquer le repos de l'Eu- 
rope, et provoquer une prise d'armes générale, 
pour la jouissance de quelques temples, pour la 
clef de la grande porte de l'église de Bethléem , ou 
l'étoile dorée de sa voûte, c'était, aux yeux de la 
nation anglaise, un abus d'influence et un risque 
grave, sans profit positif, règle de sa politique 



CHAPITRE XI. 43 

toute commerciale. L'attitude menaçante de la France im. 
à Constantinople devait nous rendre responsables, 
d'après nos voisins et amis, des conflits qui pou- 
vaient s'élever. 

Ils nous appelaient les provocateurs de la guerre. 

Nous avons vu M. de La Valette, à son retour de Novembre. 
Constantinople , presser l'exécution de la convention 
sur les lieux saints. Nous avons dit que la Porte avait 
envoyé Affif-Bey pour son commissaire. Nous con- 
naissons le hatti - humayoun ou fîrman, qui réglait 
la question. Il est curieux maintenant de connaître 
ce qui se passa à Jérusalem en présence du commis- 
saire impérial et du délégué de la France. 

Voici deux pièces de ce débat que nous avons 
recueillis avec cet esprit de réserve qu'il convient 
d'apporter dans ce grave conflit; mais elles ont un 
caractère de sincérité qui doit les faire accepter 
comme l'expression de la vérité. 

Un témoin oculaire écrivit de Jérusalem, le 
^ 9 octobre : 

(T Je me suis rendu de Beyrouth à Jaffa par le bâ- 
« teau à vapeur français le Uonidas. Nous avions à 
« bord l'ingénieur envoyé par la Porte à Jérusalem , 
«pour examiner la coupole du saint sépulcre. Le 
«lendemain de l'arrivée de l'ingénieur, Affîf-Bey, 
« commissaire extraordinaire de la Porte, l'ingénieur, 
«les patriarches grecs, catholiques et arméniens, et 
«M. Botta, consul de France, se réunirent dans 
« l'église, Affif-Bey ouvrit la séance , en disant : que 



41 HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORIENT. 

1852. « le sultan est décidé à mettre un terme à toute dis- 
«cussion sur le rétablissement de la coupole du 
<r saint sépulcre, et qu'il était résolu à en faire la 
« dépense à ses frais. Dès qu'il eut cessé de parler, 
« les chrétiens conimencèrent à se disputer entre eux 
«d'une façon peu édifiante. Le tumulte s'apaisa en- 
«fin, et le -16, une autre réunion eut lieu dans Té- 
église du sépulcre de Marie, pour y lire le firman 
«destiné à terminer les querelles des Grecs et des 
<r Latins. 

« Le firman accorde aux Latins le droit de célébrer 
«le service divin dans celte église, mais sans rien 
« changer aux dispositions des lieux. Les catholiques 
« avaient à choisir entre rejeter la permission ou 
« officier sur un autel schismatique. Ils ont préféré 
«le premier parti, et le firman restera ainsi sans 
« effet. 

«Le 18, une troisième assemblée s'est tenue à 
« l'église de Bethléem , au sujet de l'étoile et de la 
« clef de la grande porte. Le firman accorde une 
«clef aux Latins, mais leur défend de s'en servir 
« plus de quatre fois par an. » 

Une autre lettre de Jérusalem, à la date du 26 oc- 
tobre, s'exprimait ainsi : 

' «La commission nommée pour décider sur la 
« possession de l'église du Saint-Sépulcre s'est sépa- 
«rée, il y a quelques jours, sans avoir obtenu d'autre 
« résultat que la conviction qu'on était encore assez 
«loin de s'entendre. Les Grecs semblaient disposés 



' CfiAPITREXL 45 

«à faire quelques concessions; mais lorsqu'ils ont issa. 
«demandé aux catholiques si, dans le cas où on 
« leur ferait des concessions sur quelques points , ils 
« étaient prêts à en faire de leur côté, M. Botta a dé- 
« claré que l'Église catholique regardait en principe 
«toute confession séparée d'elle comme hérétique, 
«qu'elle ne pouvait considérer que comme une pro- 
«fanation la possession des lieux saints par une 
«autre communion, et qu'elle ne pourrait se décla- 
«rer satisfaite que lorsqu'elle aurait la possession 
« exclusive du saint sépulcre. 

«Il en est résulté, de la part des Grecs, une ré- 
«ponsé qu'il était aisé de prévoir. Ils ont déclaré 
«qu'ils aimaient mieux garder ce qu'ils avaient, c'est- 
« à-dire le staiu quo. Le sultan, en attendant, fait 
« réparer à ses frais la coupole de l'église du Saint- 
« Sépulcre. i> 

Ainsi Grecs et Latins n'étaient pas satisfaits : tous 
étaient mécontents. 

Les catholiques adressèrent de vives et pressantes 
réclamations à M. de La Valette sur la situation que 
leur faisait à Jérusalem le firman accordé aux Grecs. 
M. Botta pressa l'ambassadeur d'obtenir d'autres ré- 
sultats, et d'éviter aux catholiques un contact qui 
blessait leur sentiment religieux. A la suite de nou- 
velles conférences, satisfaction fut donnée aux Latins. 
AffifrBey reçut de nouvelles dépêches de la Porte. 
M. Berthémi, attaché à l'ambassade de France, partit 
de Constantinople, le 6 décembre, gur YAjaccio, Décembre. 



46 HISTOIRE DE LÀ GUERRE D ORIENT. 

1852. pour se rendre à Jérusalem avec des plis pour 
M. Botta. 

Le firman , revêtu du hatti-chérif du sultan , qui 
avait été accordé aux Grecs, ne fut pas exécuté à 
Jérusalem , et il fut décidé que la clef du temple de 
Bethléem serait livrée aux Latins, ce qui, aux yeux 
du rite grec , constatait publiquem^t la suprématie 
religieuse des Latins en Orient. Les choses se pas- 
sèrent même d'une manière dérisoire pour les Grecs, 
car AfBf-Bey fît lire publiquement le firman qui leur 
avait été accordé ; mais en même temps , il en nia 
l'existence en donnant suite aux arrangements con- 
certés en faveur des Latins. 

Le statti quo ne fut donc pas' maintenu à Jérusa- 
lem, malgré les démarches pressantes de la Russie. 
La France obtint sans doute de bien faibles conces- 
sions , mais elles suffirent pour exaspérer l'empereur 
de Russie, qui, plus tard, accusa le sultan d'avoir 
lésé les immunités du culte orthodoxe, et violé la 
parole qu'il lai avait donnée solennellement. C'est 
pour ces actes qu'il voulut exiger à tout prix une 
réparation. 

C'est ainsi que les irrésolutions du Divan, qui tour 
à tour avait résisté à la France et à la Russie, qui 
enfin avait cru satisfaire ces deux puissances, en 
leur accordant à chacune les concessions qu'elles 
désiraient, finirent par lui créer de graves embarras 
vis-à-vis de la Russie. L'immixtion de la Russie 
dans l'examen des réclamations de la France, fut le 



CHAPITRE XI. 47 

résultai, dans le principe, de la faiblesse de la Porte, 1852. 
qui ne sut pas s'appuyer sur les traités que la France 
seule pouvait invoquer, et qui, dans le cours de ces 
inextricables discussions, commit la faute de notifier 
à la Russie la décision de la commission instituée 
pour juger la question des lieux saints. 

Dès que le chargé d'affaires de Russie eut connu 
la tournure que cette affaire avait prise , il expédia 
deux courriers à Jérusalem pour porter l'ordre au 
patriarche grec de quitter cette ville. Le cabinet de 
Saint-Pétersbourg suivait d'un œil très-attentif et 
jaloux la marche et les prc^rès de la France auprès 
de la Sublime Porte. M. d'Oseroff avait ordre d'ex- 
pédier des courriers porteurs des exposés les plus 
détaillés à chaque pas ou à chaque incident de la 
question. Tout ce qui s'était passé à Jérusalem fut 
donc connu à Saint-Pétersbourg peu de jours après 
que . M. d'Oseroff en eut reçu le compte rendu par 
un des attachés de la légation russe , qu'il avait en- 
voyé sur les lieux. 

Telle était la situation de la grande question qui 
commençait à agiter les esprits à la fin de l'année 

J852. 



48 HISTOIRE DB LA GÛBRAE D^ORIENT. 



CHAPITRE XII. 

Latte sourde de la diplomatie. — CompUoation aeoTolle. — AmbaMade 

do ooHte do Llnaiico. 

1853. La diplomatie continua sa lutte sourde et silen- 
Janvier, çîg^gg L^ renvoi de Reschid -Pacha, le refus de rati- 
fication de l'emprunt turc, ne furent pas une satis- 
faction suffisante pour la fière Russie. Chef religieux, 
plus encore que despote absolu , le czar voulait con- 
server aux yeux de ses peuples le prestige qu'il tirait 
de son caractère sacré de prince de l'orthodoxie 
grecque. Son ambassadeur à Gonstantinople n'avait 
cessé de réclamer les privilèges qu'il revendiquait, 
au nom de son Église , sur le saint sépulcre , et de 
faire valoir les droits des Grecs orthodoxes. Il trans- 
pira même déjà dans le public que les prétentions 
du czar sur les sujets grecs de la Porte étaient d'é- 
tendre sur eux un protectorat, qui, sous le masque 
de la religion, ou sous ce prétexte, serait devenu 
l'anéantissement du pouvoir légal et légitime du sul- 
tan dans ses propres États. 

Une complication nouvelle s'ajouta encore aux dif- 
ficultés de la position de la Sublime Porte. Les Mon- 
ténégrins, qui jouissaient d'une demi-indépendance, 
mais qui reconnaissaient cependant la suzeraineté du 
sultan, voulurent s'affranchir du tribut qu'ils lui de- 
vaient, et firent des incursions sur le territoire turc. 
Le Divan envoya une armée qui, sous les ordres 
d'Omer-Pacha , dut pénétrer dans le Monténégro et 



i 

CHAPITRE XIII. 49 

soumettre ces vaillants montagnards. Omer-Pacha isss. 
accepta dans son état-major les services d'un certain 
nombre d'officiers hongrois réfugiés. Le Monténégro 
est limitrophe de l'Autriche. La présence de ces ré- 
fugiés en armes dans son voisinage donna des in- 
quiétudes au cabinet de Vienne, qui revendiquait à 
son tour une sorte de protectorat sur les Monténé- 
grins, et qui trouva mauvais que leur suzerain re- 
poussât leur agression, sans l'avoir prévenu de son 
projet de faire avancer ses troupes contre eux. 

L empereur d'Autriche formula des plaintes contre 
ces mouvements des troupes turques près de ses fron- 
tières , et il envoya à Constantinople le feld-maréchal 
comte de Linange avec des instructions sévères. 



CHAPITRE Xm. 

Disoussions Insolites à Londres snr la question d*Orient. — Articles mena- 
çants eontre la Tnrqnie. — Gnriense oolnoidenoe. — Correspondance de 
sir I. Seymonr. — Citations et rapprochements. 

Dans cette première période de l'année 4853, il se 
passa, à Londres, quelque chose de grave et de bien 
insoHte, dans les discussions sur la question d'Orient, 
ainsi transformée, par l'importance qu'elle prenait. 
Les hommes d'État anglais préparent souvent l'opi- 
nion publique par la voie des journaux aux événe- 
ments qu'ils veulent accomplir, et sur lesquels ils 
désirent d'abord consulter la nation pour éviter les 

surprises et les critiques. Les secrets du cabinet, ses 

4 



50 HISTOIRE DE LA GUSRaE D*01UENT. 

1853. projets encore incomplets sont souvent ainsi produits 
au grand jour de la publicité , sous une forme à demi 
mystérieuse, et ces quasi révélations ont pour but 
de pressentir l'opinion et de disposer les esprits aux 
grandes choses que l'on. médite. 

Or, la vieille, la constante politique de l'Angle- 
terre, celle de tous ses hommes d'État illustres, avait 
été en tout temps de regarder l'existence de l'empire 
ottoman comme nécessaire à l'équilibre européen- 
La dissolution de cet empire et le partage de ses dé- 
bris , en réveillant trop de convoitises et de jalousies, 
devaient nécessairement faire craindre une confla- 
gration générale. Et voilà cependant que tout à coup, 
au moment où s'agitait à Gonstantinople la question 
des lieux saints, quand la France y poursuivait de 
justes réclamations, ne touchant en rien à l'existence 
de l'empire ottoman , à son intégrité , à sa considé- 
ration, au libre exercice de son administration inté- 
rieure , mais relative seulement à d'anciens privilèges 
du culte cathohque, la presse et le cabinet anglais, 
oublieux un instant du système accepté et reconnu 
jusque-là conune le seul praticable, exprimèrent des 
idées et des vues diamétralement opposées à ce vieux 
et persévérant système. 

Tout le monde put alors remarquer avec étonne- 
ment le ton qu'une partie de la presse anglaise, et 
surtout ses organes Içs plus sérieux , avaient pris à 
l'égard de la Turquie. Si l'on avait dû les. en croire, il 
eût semblé que le jour était venu où il fallait effacer 



CHAPITRE Xni. 51 

Fempire ottoman de la carte du monde et se parta- 1853. 
ger ses dépouilles; tout cela dans l'intérêt de la civi- 
lisation et de la paix générale. 

Dans son numéro du 23 janvier 1 853 , le Times 
publia un article très-menaçant contre la Turquie. Il 
montra lempire ottoman en dissolution : « C'est un 
«corps épuisé, frappé de la caducité politique la plus 
«profonde (disait-il); le règne de la Porte sur une 
«contrée des plus fertiles est une dérision. Limé- 
« rét du commerce anglais et la conservation de nos 
^relations avec l'Inde y par l'Egypte ^ appellent l'at- 
(L tendon de t Angleterre. Nous aurions tout à gagner 
«s'il s'accomplissait dans le Levant quelque révolur 
« tion utile à la cause de la civilisation. Il est difficile 
« de comprendre comment un mal positif aussi pro- 
« fond à pu être défendu si longtemps par les politi- 
« ques conune un bien relatif. Le jour où il sera 
«impossible de prolonger l'existence d'un gouverne- 
« ment tel que celui de la Porte, est petit-être moins 
« éloigné qu'on ne le suppose communément, et il n'est 
« que sage aux hommes d'État de se préparer à un 
« événement qu'il ne leur appartient pas de retarder 
^indéfiniment, i) 

Ce langage, si significatif par les relations politi- 
ques bien connues du Tïmes, empruntait un caractère 
plus fort de gravité par l'attitude et les paroles du 
premier ministre dans le Parlement. 

Lord John Russel , en réponse à des interpellations 
qui'lui furent adressées sur la question d'Orient, laissa 



52 HISTOIRE DE LA GUERRE D^OKIENT. 

1853. voir dans ses paroles un ton de décourageaient qui 
faisait contraste avec ses anciennes affirmations sur 
la nécessité de maintenir l'intégrité et l'indépendance 
de la Turquie. Il discuta presque l'hypothèse d'une 
dissolution éventuelle de l'empire ottoman. Le main- 
tien de cet empire n'était donc plus un article de foi 
pour les hommes d'État de l'Angleterre? Est-ce le 
Times qui inspira lord Russel, ou lord John, qui em- 
prunta les colonnes de ce journal et celles du Mor- 
ning Chronicle pour manifester une sorte d'adhésion 
à des propositions occultes de partage de l'empire 
turc? Tel est le mystère que nous demanderons au 
temps de nous expliquer. Que de périls révélaient ce 
langage et cette hésitation ! ! 

En dehors du Parlement, les attaques se prolon- 
gèrent contre la Turquie. Les paroles du ministre 
encouragèrent cette polémique. Le Times, après avoir 
commenté le discours de lord Russel, et parlé de la 
barbarie ottomane qui avait été la terreur et le fléau 
de la chrétienté , et qui avait, ruiné la civilisation des 
peuples du Levant, terminait ainsi son article: 

«L'autorité des Turcs sur leurs sujets chrétiens 
« est évidemment sur son déclin ; et quand nous ré- 
« fléchissons à ce que sont aujourd'hui les pays qu'ils 
«ont gouvernés pendant quatre siècles, à ce qu'ils 
«pourraient devenir, l'humanité, la civiUsation, la 
« justice nous autorisent à croire que la Providence 
« veut peut-être rendre ces provinces et leurs mal- 
« heureux habitants à une religion plus pure et à un 
« gouvernement plus doux. » 



CHAPITRE XIII. 53 

Le mystère de ce langage s'est expliqué plus tard. isss. 
Mais pour l'intelligence de ce fait historique qui a , 
selon nous, une haute gravité, il est nécessaire que 
nous anticipions et que nous placions ici cette expli- 
cation importante que nous ne pourrions pas ren- 
voyer sans inconvénient. 

C'est à l'époque où parurent les articles du Times 
et du Moming CAronicle, et où les paroles de lord John 
Russel furent prononcées au Parlanent, qu'il faut 
placer la correspondance secrète de sir H. Seymour, 
ambassadeur anglais à Saint-Pétersbourg, que nous 
publions, in fine j en entier. Nous révélons ici cette 
singulière coïncidence des communications diploma- 
tiques de sir H. Seymour, sur les projets de partage de 
la Turquie, que le czar proposait alors au cabinet an- 
glais avec les articles du Jïmes et les paroles embar- 
rassées de lord John Russel , et son hypothèse de 
partage éventuel de la Turquie. Nous disons que cette 
coïncidence est digne de remarque-: cependant nous 
aimons à croire qu'il n'y a pas eu d'arrière-pensée chez 
les ministres anglais de devenir, même dans un mo- 
ment d'illusion, les complices de l'ambition mosco- 
vite. Mais l'inflexible histoire doit enregistrer tous les 
faits importants , et il ne peut lui appartenir de chan- 
ger leur caractère quand ils se sont produits à la face 
du monde. 

Or, voici quelques curieux extraits des communica- 
tions relatives à la Turquie, faites alors au gouverne- 
ment de la reine d'Angleterre par l'empereur (Je Russie. 



1869. 



54 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

Sir H. Seymour à lord John Rnssel. 

tSaint-Pétersbourg, il janvier 1853. 

(Reçu à Londres le 21 janvier, secret et confldeotiel.) 

«Le 9 de ce mots (janvier), au soir, j'ai eu l'hon- 
€ neur de voir l'empereur de Russie au palais de la 
c grande-duchesse Hélène qui, à ce qu'il paraît, avait 
« demandé la permission d'inviter lady Seymour et 
c moi pour voir la famille impériale. 

fi L'empereur est venu à moi, et, de la manière la 
« plus gracieuse , m'a dit : Vous connaissez mes sen- 
« timents pour l'Angleterre. C'est toujours mon in- 
« tention que les deux pays soient dans des termes 
«d'une amitié intime, et je suis sûr qu'ils côntinue- 
firont à être dans les mêmes sentiments... Je répète 
« qu'il est essentiel que les deux gouvernements, c'est- 
«à-dir^ le gouvernement anglais et moi, et moi et le 
«gouvernement anglais, soyons dans les meilleurs 
« termes , et jamais la nécessité n'en a été si grande 
«que dans ce moment. Je vous prie de transmettre 
a ces paroles à lord John Russel. Lorsque nous som- 
«mes d'accord, je suis tout à fait sans inquiétude 
« quant à l'occident de l'Europe; ce que d autres pen- 
e. sent ou font est de peu d'importance. Quant à la 
« Turquie, c'est une autre question. Ce pays est dans 
(( un état critique et peut nous donner beaucoup d'em- 
«barras.,.. L'empereur a dit d'abord, avec quelque 
«hésitation, mais à mesure qu'il continuait, avec un 
«ton de plus en plus affirmatif: ...Les affaires de Tur- 



CHAPITRE XIII. ^5 

^ quie sont dans un état de grande désorganisation, issa. 
« Ce pays menace ruine. Sa chute sera un grand mal- 
e heur , et il est important que l'Angleterre et la Russie 
« en viennent à une entente parfaite , et qu'aucune 
<s:des deux puissances ne fasse aucun pas décisif à 
«l'insu de l'autre. Tenez, a ajouté l'empereur, nous 
<r avons sur les bras un homme malade, un homme 
<r gravement malade : ce serait, je vous le dis franche- 
«ment, grand malheur si, un de ces jours, il devait 
^nous échapper, surtout avant que toutes les dispo- 
€ sitions fussent prises, i» 
Cette lettre est intitulée : secrète et confidentielle. 

« 

Elle était datée du 41 janvier 4853, et elle était, ar- 
rivée à Londres le 24 ou 22 janvier, dix ou onze jours 
après, et c'est précisément le 23 du même mois que 
le Times publia un article dans lequel les pensées et 
presque les termes de la lettre (secrète et confiden- 
tielle) de sir H. Seymour étaient reproduits. C'était 
une admirable cokicidence. 

Le rapprochement devient plus curieux et plus 
instructif enfare le second article du Times ^ des pre- 
miers jours de février, et le n^ 2 de la correspon- 
dance, daté de Saint-Pétersbourg le 23 janvier, et 
qui correspond encore, soit avec le discours de lord 
John Russel au Parlement, soit avec le second article 
du Times qui commentait ce discours. . 

On se rappelle le passage du Times et le résumé 
des paroles de lord John Russel, et on lit dans. le 
document n<* 2 : 



1853. 



56 HISTOIRE DE LA GUERRE D*ORIENT. 

Sir H. Seymour à lord John Rmsel. 

«Saint-Pétersbourg, le 23 janvier 1853. 

«Mylord, 

Février. «Le 44 janvier, j'ai eu l'honneur d'une conver- 
« sation très-intéressante avec l'empereur, dont il est 
(n de mon devoir de donner connaissance à Votre Sei- 
« gneurie. 

«L'empereur a dit : Dans l'empire turc, il y a plu- 
« sieurs millions de chrétiens sur les intérêts desquels 
«je suis appelé à veiller, pendant que, d'un autre 
« côté, le droit de le faire m'est garanti par des traités. 
«Je puis dire, en vérité, que je fais un usage modéré 
« de mon droit.... Notre religion, telle qu'elle est éta- 
«blie dans ce pays, nous est venue d'Orient, et il y 
« a des sentiments et des obligations qu'on ne sau- 
« rait perdre de vue. 

« Maintenant la Turquie est tombée dans un état 
«de décrépitude tel que, si désireux que nous soyons 
« de prolonger l'existence du malade , il peut subite- 
« ment mourir et nous rester sur les bras. Nous ne 
« pouvons pas ressusciter ce qui est mort. Si l'empire 
«turc est renversé, il tombera pour ne plus se rele- 
«ver. Il est donc de la plus grande importance que 
«nous nous entendions mutuellement, et que nous 
«ne nous laissions pas surprendre par les événe- 
«ments. Maintenant, je désire vous parler en ami et 
«en gentleman : Si nom arrivons à nous entendre 
« sur cette affaire, V Angleterre et tnoi^ pour le reste 



CHAPITRE XIII. 57 

kpeu m importe, Je tiens pour indifférent ce que font isss 
(n et pensent les autres..... » 

Et plus loin, n^ 5: 

«L'empereur en vint à me dire que, dans Féven- 
€ tualité de la dissolution de Tempîre ottoman , il pen- 
« sait qu'il pourrait être moins difficile d'arriver à un 
«arrangement territorial satisfaisant qu'on ne le 
« croyait généralement. 

«Les Principautés sont, dit-il, en fait, un État 
«indépendant sous ma protection. Cela peut conti- 
« nuer ainsi. La Servie peut prendre la même forme 
« de gouvernement. Il en est de même de la Bulgarie. 
«Il n'y a pas de raison, ce semble, pour que cette 
« province ne forme pas un État indépendant. Quant 
« à l'Egypte, je comprends tout à fait l'importance que 
« ce pays a pour l'Angleterre. Je puis alors dire seu- 
« lement, que si, dans l'éventualité dun partage de la 
(Si succession ottomane, à la chute de cet empire, vous 
éprenez possession de l'Egypte, je n'aurai pas dob- 
éjection à faire. Je dirai la même chose de Candie. 
« Cette île peut vous convenir, et je ne sais pas pour- 
^quoi elle ne deviendrait pas une possession anglaise, 
« etc. » 

Le rapprochement des dates ne pei*met pas de 
douter que la correspondance secrète n'eût trouvé 
un confident indiscret, et ce qui se passa au Parle- 
ment prouvait aussi qu'il y avait eu au moins de l'hé- 
sitation et un commencement de connivence avec I3 



58 HISTOIRE DE LA GUERRE d'oRIENT. 

1863. Russie. Cette hésitation eût cessé bientôt, si l'intérêt 
anglais n'avait pas trouvé de puissants obstacles. 



CHAPITRE XIV. 

Ces attaques étalent lateapettlTts. — Comte de Liaaage à Censtaattneple; 

ses exigences. 

Mais la merveilleuse sagacité politique des Aillais 
s'aperçut bientôt que la dissolution de l'empire turc 
profiterait surtout à ses formidables voisins, et que 
l'Angleterre serait à la merci de la Russie, relative- 
ment è l'Egypte et au passage des Indes, si le czar 
s'établissait à Constantinople. Cependant ces attaques 
contre un vieil et faible allié ne pouvaient être plus 
intempestives, car c'est dans ce moment même que 
la discussion sur le saint sépulcre et sur les droits 
de l'Église grecque faisaient craindre que les affaires 
ne prissent à Constantinople une tournure très-défa- 
vorable avec la Russie. Déjà le ministre de Russie , 
M. Oseroff , venait de manifester tout son méconten- 
tement de l'arrangement qui avait eu lieu pour les 
saints sépulcres, et d'inviter le patriarche grec de 
porter à Constantinople les clefs de l'église de Beth- 
léem. Il avait déclaré au Divan, dans une Note fort 
dure, que son gouvernement protégerait les droits 
des habitants de Jérusalem. 

D'un autre côté, des symptômes alarmants se mon- 
trèrent aussi. Il ne faut pas s'étonner si, au milieu 



CHAPITRE XIY. 59 

de tant d'embarras, l'arrivée du comte de Linange, 1853. 
avec une lettre de l'empereur d'Autriche pour le sul- 
tan, a été, à ce moment, l'événement le plus im- 
portant à Constantinople. Cette lettre contenait les 
demandes suivantes : 1° Cession du littoral près de 
Gleck et de Lutovina, à l'Autriche, qui revendiquait 
ces deux ports comme lui appartenant; 2^ Explication 
de l'agression faite par la Turquie contre les Monté- 
négrins, sans en avoir prévenu l'Autriche; 3® Placer 
les chrétiens bosniaques sous la protection de l'Au- 
triche. Les instructions du comte de Linange lui fai- 
saient une obligation d'imposer à la Turquie toutes 
ces conditions. L'Autriche aurait désiré en outre l'ex- 
tradition des réfugiés renégats , qui étaient encore en 
Turquie, mais ce dernier point avait été écarté. 

La France et l'Angleterre intervinrent pour déter- 
miner la Porte à adhérer à toutes ces réclamations 
de l'Autriche, en lui représentant que, en présence 
des menaces et des exigences de la Russie , il valait 
miieux céder à l'Autriche et conserver de bonnes re- 
lations avec cette puissance; et M. de Linange repartit 
bientôt après pour Vienne, porteur d'une convention 
conforme aux demandes de l'empereur FrançoisrJo- 
seph. Ce succès de l'Autriche s'expliqua par le désir 
qu'avait la Sublime Porte de gagner la bienveillance 
de la France et de l'Angleterre. 

Ce bon accord des deux puissances occidentales, 
pour amener un arrangement favorable à l'Autriche, 
fut un acte de haute sagacité politique. Il prouva que 



60 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1858. r Angleterre, un moment fourvoyée par l'appât, sans 
doute fort tentant, d'une large part dans les dépouilles 
de la Turquie, revenait au vieux système anglais. Les 
deux cabinets devaient éviter de laisser tomber les 
populations du Monténégro sous la dépendance reli- 
gieuse et politique de la Russie. Ils avaient d'ailleurs 
bien vu que l'époque n'était pas éloignée où les plus 
graves questions commanderaient leur attention. Ils 
devaient craindre, en effet, que la politique de la 
Russie ne précipitât une catastrophe en Orient. Cha- 
que pas, chaque discussion rendait la position très- 
critique. Une dernière démarche de la Russie allait 
faire éclater la crise. 



CHAPITRE XV. 

AmiMissade dn piinee HeBsehlkoff. — Attltndt insultante dv piinee; ms 

prétentions. 

Les succès diplomatiques obtenus près du sultan 
par MM. de La Valette et de Linange, avaient inspiré 
au cabinet de Saint-Pétersbourg de frapper un grand 
coup à Constantinople. La mission de M. de La Va- 
lette avait été, en dernier lieu, environnée d'un grand 
éclat par l'arrivée de cet ambassadeur sur le vaisseau 
le Charlemagne, et par le brillant cortège qui l'en- 
tourait à son débarquement. La Russie voulut effacer 
par une pompe inusitée le prestige de la France, se 
montrer plus impérieuse et plus exigeante que l'Au- 
^riphe, et donner à ses réclamations, par I9 rudesse 



CHAPITRE XV. 61 

des formes , un caractère d'insulte et de menaces , isss. 
comme manifestation publique de sa volonté d'im- 
poser à la Porte les conditions qu'elle exigeait de sa 
faiblesse. 

L'amiral, prince Menschikoff , qui dirigeait à Saint- 
Pétersbourg le ministère de la marine, partit pour 
se rendre à Constantinople, où il allait remplir une 
mission dont on ignorait l'objet. Il était accompagné 
du fils du comte de Nesselrode, chancelier de l'em- 
pire. Avant le départ de l'amiral ministre, et pour 
appuyer sa mission , ordre fut donné de concentrer 
des troupes russes sur les frontières de la Moldavie 
et de la Valachie et de préparer des armements dans 
tous les ports de la mer Noire. L'amiral Menschikoff 
fut chaîné en même temps par l'empereur de Russie 
du commandement en chef des trois corps d'armée 
qui se réunissaient en Bessarabie et sur les frontières 
de la Turquie. Les pleins pouvoirs dont il était muni 
prouvaient à l'évidence l'importance que le czar at- 
tachait à la prompte et heureuse solution de son dif- 
férend avec la Porte Ottomane. 

Le prince Menschikoff se fit précéder à Constanti- 
nople, le 24 février, par un de ses aides de camp, 
qui vint annoncer l'arrivée du prince lui-même pour 
le 28. 

Le prince se rendit d'abord à Odessa où il atten- 
dit pour s'embarquer d'être instruit du départ de 
M. de La Valette avec lequel il ne voulait pas se ren- 
contrer. Les succès du diplomate français avaient 



S2 HISTOIRE DE LA GUERRE O'ORIENT. 

1858. causé à Saint-Pétersbourg trop d'insomnies. Le czar 
et se^ ministres lui en gardaient rancune de princes. 
L'airivée de l'amiral Menschikoff à Constantinople , 
les pouvoirs militaires dont il était investi, les me- 
naces connues de la Russie, étaient une révélation 
des projets ambitieux de cette puissance et dévoi- 
laient un avenir plein de périls. Aussi la presse an- 
glaise changea de langage. Le Times et le Morning 
Cfironide quittèrent leur attitude hostile à la Turquie. 
Ils revinrent pour elle à des idées plus conciliantes. 
Il ne fut plus question de démembrement et de dis- 
solution de l'empire ottoman. Us firent un devoir au 
gouvernement anglais de veiller à la conservation de 
l'empire turc, comme nécessaire au maintien de la 
paix du monde. 

Mars. Le prince Menschikoff arriva à Constantinople le 
28 février. Le 2 mars, il se rendit à la Porte. Le 
3 mars, Fuat-Effendi, ministre des affaires étran- 
gères, remit sa démission entre les mains du sultan, 
qui l'accepta. 11 fut remplacé par Rifaat-Pacha. 

Ce brusque changement de ministre des affairés 
étrangères à Constantinople s'expliqua par la ma- 
nière dont le prince Menschikoff s'était présenté à 
l'audience du grand-vizir. Son attitude , ses actes et 
ses paroles dans cette circonstance devaient avoir 
de si graves résultats que nous allons en donner les 
détails les plus circonstanciés et les plus précis. 

Les succès. du comte de Linange avaient déter- 
miné la cour de Russie à suivre l'exemple de l'Au* 



CHAPITRE XY. 63 

triche, et à forcer la Porte Ottomane à lui faire des issa. 
concessions. Elle n'espéra les obtenir qu'à l'aide d^ 
cette pression et de menaces efficaces. Elle voulait à 
tout prix contraindre la Sublime Porte à retirer le 
firman favorable à la France, concernant les lieux 
saints, c'est-à-dire obtenir une solution du différend 
dans l'intérêt de l'Église grecque. Muni de ces in- 
structions, le prince M^nschikoff se présenta au pa- 
lais de la Porte Ottomane dans une attitude qui dut 
produire une sensation extraordinaire parmi les Turcs* 
Le 2 mars, cet ambassadeur de la Russie devait 
être reçu en audience solennelle par le grand-vizir. 
Le premier dignitaire de l'empire et les autres 
membres du Divan étaient en grand costume. Les 
troupes formaient la haie. L'ambassadeur et sa suite 
ayant été annoncés. Son Excellence traversa la haie 
des gardes, dans le vestibule conduisant à la salle 
d'audience. Les tambours battirent aux champs, et 
la musique commença à jouer. Mais, chose bien 
singulière, le prince Menschikoff parut en simple 
redingote , portant un chapeau qm ne paramait pas 
neuf, et tenant une canne à la main. M. d'Oseroff, 
chargé d'affaires de Russie, était en frac noir; ML de 
Nesselrode fils, attaché à la suite du prince, por- 
tait un paletot. Les ministres de la Porte Ottomane 
restèrent pétrifiés à cet aspect. 

Le récit suivant fait par un témoin 0.cu}aire con* 
tient des détails plus curieux encore et plus complets: 

La Russie, qui semble ne pas vouloir souffrir 



64 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1853. d'égal à Constantinople, a voulu renchérir sur l'Au- 
triche. Le comte de Linange, dans ses rapports avec 
les personnages officiels, avait montré une raideur 
qui avait dû choquer le sultan et ses ministres, mais 
qui du moins ne s'était pas traduite aux yeux de la 
multitude par un acte éclatant. 

Le général Menschikoff a cru devoir aller plus 
loin. Il est ministre de la marine en Russie, et pour 
s'annoncer à Gonstantinople , il est allé passer à 
Odessa une revue de la flotte russe de la mer Noire 
et du corps de débarquement que, depuis 1833, la 
Russie entretient sur le pied de guerre dans le port 
de Sébastopol. Vingt-sept bâtiments de guerre, vais- 
seaux et frégates et grands navires à vapeur, et trente 
mille soldats ont figuré dans ces démonstrations que 
l'on a cherché à rendre aussi brillantes que possible, 
pour que 1 écho en portât le bruit à Gonstantinople. 
A la suite de ces préliminaires, et, emmenant avec 
lui deux généraux et deux amiraux, le général Men- 
schikoff est arrivé dans la capitale de la Turquie, 
le 28 février, sur le bateau à vapeur de guerre russe 
le Foudroyant, Tous les employés de la mission russe 
à Gonstantinople sont allés à sa rencontre, et lors- 
qu'il a mis pied à terre à Tophané, il y a trouvé, 
organisés par leurs soins, huit mille hommes, sujets 
russes, protégés de la Russie, ou coreligionnaires 
grecs, qui l'ont conduit en grande pompe jusqu'à 
son hôtel. 
Le 2 mars, il s'est rendu à la Porte pour faire sa 



CHAPITRE XV. 65 

visite au grand- vizir; mais contrairement à tous les isss. 
usages, il ne portait pas l'uniforme de son grade. Il 
était en simple habit de ville. Nous ne saurions dire 
ce qui se passa dans cette entrevue; mais ce qui est 
un fait certain, c'est que lorsqu'il fut reconduit par 
le grand-vizir, et invité, conformément aux traditions 
de la diplomatie à Constantinople , à faire une visite 
au ministre des affaires étrangères Fuat-Effendi, qui 
l'attendait, le général Menschikoff répondit très-haut 
et du ton le plus dédaigneux qu'il ne voulait pas voir 
ce ministre, à qui son gouvernement, et surtout 
M. OserofT, le représentant accrédité de la Russie à 
Constantinople, avaient à reprocher plusieurs manques 
de foi. 

Ces paroles, prononcées devant plusieurs témoins, 
eurent pour résultat de faire aussitôt donner sa dé- 
mission à Fuat-Effendi. Il paraît d'ailleurs que les 
exigences annoncées dans le cours de la conversa- 
tion avec le grand-vizir et soutenues par cette dé- 
monstration étrange, n'étaient pas moins blessantes 
pour la Porte que cette insulte faite à l'un de ses 
ministres. 

Le prince Menschikoff demanda au nom de son 
gouvernement : que l'empereur de Russie fût désor- 
mais reconnu comme protecteur des chrétiens grecs, 
sujets de la Turquie, comme la France l'était depuis 
des siècles des catholiques du Levant; que l'élection 
du patriarche de Constantinople fût faite désormais 

par les fidèles et confirmée par l'empereur de Rus- 

5 



66 HISTOIRE DE LA GUERRE d'oRIENT. 

1853. sie y à Texclusion du sultan , à qui la nomination et 
l'investiture appartiennent encore aujourd'hui. 



CHAPITRE XVI. 

La France et l'Aiigleterre prennent leira nesores. — Lettre de H. Drenyn 

de Lhnys à H. de Castelbajae. 

La légation de France s'empressa de transmettre 
à son gouvernement de si graves événements qui in- 
téressaient la France elle-même presque autant que 

le sultan. 

La réception de ces dépêches détermina le cabinet 
des Tuileries et celui de Saint-James à prendre leurs 
précautions contre les prétentions de la Russie. Le 
ton hautain de l'ambassadeur moscovite et ses pro- 
cédés inouïs envers le sultan étaient une véritable 
provocation à l'adresse des puissances occidentales : 
c'était le commencement d'une agression préparée 
de longue main. 

La France et TAngleterre prirent avec résolution 
leurs mesures et en remirent l'exécution à des 
hommes expérimentés et bien pénétrés de la direc- 
tion qu'ils devaient suivre. C'est ainsi que pour la 
France un décret nomma M. Delacour, ambassadeur 
près de la Sublime Porte, en remplacement de M. de 
La Valette dont la santé avait été éprouvée trop ru- 
dement par le climat et les fatigues, et qui était 
venu en France sur sa demande. 



CHAPITRE XVI. 67 

Quant au gouvernement anglais, dans les circon- isss. 
stances critiques où étaient les affaires en Orient, 
il voulut avoir à Constantinople un ambassadeur 
éprouvé par son habileté et d'un caractère ferme et 
élevé. Lord Stratford de Redcliffe alla reprendre son 
poste près du sultan. Son nom, sa haute position, 
ses connaissances diplomatiques, et en particulier, 
celle des affaires d'Orient, ne permettaient pas de 
choisir un plus impérieux représentant des intérêts 
anglais. 

Le jour même du départ de M. Delacour, le mi- 
nistre des affaires étrangères, M. Drouyn de Lhuys, 
adressa à l'ambassadeur français près la cour de 
Saint-Pétersbourg la lettre suivante : 

A M. le général de Castelbajac. 

a Paris ^ le 21 mars 1853. 

m 

« Général , 

« Les nouvelles de Constantinople ne justifient 
(( que trop les appréhensions que je vous exprimais 
« dernièrement au sujet de la mission de M. le prince 
« Menschikoff. L'attitude de cet ambassadeur indique 
(( assez qu'il est moins venu pour négocier que pour 
« poser un ultimatum , et la concentration de trofs 
«corps d'armée dans la Russie méridionale, jointe 
«aux préparatifs extraordinaires qui se font à Sé- 
((bastopol, ne nous permet plus de douter que le 
«cabinet de Saint-Pétersbourg n'ait accepté, comme 
«possible, l'éventualité d'une guerre avec la Porte. 



68 HISTOIRE DE LÀ GUERRE d'oRIEMT. 

1853. c( C'est pour surveiller les événements que notre 
c( escadre d'évolutions quitte demain Toulon pour se 
« rendre dans les mers de Grèce , où elle sera à la 
« disposition de M. Delacour, dont le départ de Paris 
i( aura lieu ce soir même. 

(( La question des lieux saints est l'objet apparent 
« de la mission du prince Menschikoff. Celte mission, 
((à raison des circonstances qui l'accompagnent, 
i( semble s'écarter du traité de 1841. Il nous importe 
ce extrêmement de déchirer tous les voiles qui cou- 
<r vrent cette situation. Veuillez donc demander à 
(T M. de Nesselrode si le cabinet de Saint-Pétersbourg, 
<( répudiant le principe qui a dominé depuis trente 
((ans les rapports des grandes puissances entre elles, 
((entend se rendre, à lui seul, l'arbitre des desti- 
((nées de la Turquie, et si, à cette politique de con- 
(( cert à laquelle le monde a dû son repos, la Russie 
(( veut substituer une politique d'isolement et de pré- 
<( potence qui contraindrait les autres cabinets, dans 
(( la crise qui se prépare , à ne consulter aussi que 
(( leurs intérêts propres et à n'obéir qu'à- leurs vues 
« particulières. 

((Agréez, etc. 

« Signé : Drouyn de Lhuys. » 



CHAPITRE XVII. 69 

CHAPITRE XVn. 

Ltê flftttes elBglent vers l'Orleat. — Pressa de Franoe et d'Angleterre. — 
Les deux cabinets resserrent leur alliance. 

L'ordre fut expédié à Toulon de faire partir la flotte 
française pour le Levant. Elle devait se rendre d'abord 
dans les eaux de la Grèce. 

De son côté , sur la demande formelle du grand- 
vizir, le colonel Rose, en l'absence de lord Redcliffe, 
expédia une dépêche à l'amiraJ Dundas, pour l'in- 
viter à rapprocher la flotte anglaise des Dardanelles. 
L'amiral Dundas et ses vaisseaux étaient en ce 
moment mouillés dans le port de Malte. Les deux 
pavillons anglais et français allaient ainsi flotter pro- 
chainement près du Bosphore. Pendant que l'escadre 
française cinglait la première vers ce théâtre d une 
guerre rendue imminente, la presse des deux pays 
continuait l'examen et la discussion des causes qui 
la provquaient. 

Le Times soutint de nouveau que la crise actuelle 
était laflaire des lieux saints. «Qu'avons-nous à faire 
«dans de pareilles circonstances ? disait-il. Qui sou- 
ci tiendra que l'Angleterre doit payer pour les fautes 
«de la diplomatie française? que nous devons inter- 
« venir pour fortifier Tinfluence de la France dans le 
« Levant , conune protectrice de l'Église latine ? que 
«nous devons si bien prendre à coeur la cause du 
« clergé catholique , que nous ayons à soutenir ses 
«prétentions à la prééminence sur les popes de 



1853. 



70 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1853. «l'Église grecque? De pareilles idées ne supportent 
«pas l'examen.» 

Mais le journaliste se ravisait et ajoutait : 

<r II est vrai que cette malheureuse et déplorable 
«affaire, en révélant l'impuissance de la Turquie et 
« les divisions de la chrétienté , au sujet du tombeau 
« du Christ , peut aussi servir de prétexte et d'occa- 
«sion pour réaliser d'autres et de plus importants 
«projets. C'était une conséquence que le gouverne- 
« ment français aurait dû prévoir, lorsqu'il a mis le 
« sultan dans une position si embarrassante. » 

C'est à ce dernier point de vue de la convoitise 
russe que s'arrêta le cabinet anglais. Les hommes 
habiles qui dirigeaient les affaires de ce pays, n'eu- 
rent garde de laisser échapper une si bonne occa- 
sion de détruire la flotte superbe que le cabinet 
russe avait construite et équipée à si grands frais de- 
puis soixante années dans la mer Noire. Cette flotte 
était toujours un péril pour Constantinople et pour 
le passage des Indes par l'Egypte. 

L'Angleterre renforça aussitôt d'un bon nombre 
de bâtiments son escadre de la Méditerranée. Plu- 
sieurs vaisseaux partirent pour rallier l'amiral Dundas. 

Mais avant de passer à une action commune par 
la réunion de leurs forces, les deux gouvernements 
de France et d'Angleterre durent resserrer leur al- 
liance par une entente parfaite sur toutes les ques- 
tions pendantes en Orient, et sur les éventualités 
qui pourraient en surgir. 



CHAPITRE XVII. 71 

L'Angleterre, par ses conseils, détermina la lass. 
France à faire lés plus larges concessions dans ses 
réclamations sur les lieux saints, afin d'ôter à la 
Russie tout prétexte de maintenir ses insoutenables 
exigences en faveur des Grecs, et les privilèges 
exorbitants qu'elle revendiquait sous le masque de 
la religion. La France accepta même de vider ces 
questions directement avec Saint-Pétersbourg. 

C'est dans cet esprit de conciliation que M. Drouyn 
de Lhuys, ministre des affaires étrangères, écrivît 
la lettre qu'on va lire, à M. de Castelbajac, ambassa- 
deur à Saipt-Pétersbourg : 

«Général, 

«La question des lieux saints de Jérusalem, 
«comme je vous le disais dernièrement, me paraît, 
«où elle en est arrivée, devoir être l'objet d'une ex- 
« plication amicale et confiante entre nous et M. le 
«comte de Nesselrode. Livrée plus longtemps au 
«zèle des agents et aux passions locales, cette af- 
« faire risquerait de s'envenimer et de compromettre 
«de la façon la plus fâcheuse, les relations de la 
«France et de la Russie, avec l'empire ottoman. 
«Vous savez, en effet. Général, que cédant tour à 
«tour à deux courants contraires, la Porte, depuis 
«un an, a rendu, au sujet des prétentions respec- 
«tives des Latins et des Grecs, des décisions qui 
«s'excluent, en quelque sorte, les unes les autres, 
«et dont le plus grave inconvénient, à nos yeux, est 



7â HISTOIRE DE LÀ GUERBE D'ORIENT. 

185S. nde placer, sinon en fait, du moins dans Topinion 
fl: égarée par les fausses appréciations des journaux, 
<? les deux missions de France et de Russie à Con- 
«stantinople dans une sorte d'antagonisme, qui, je 
«me plais à le croire, n'est pas plus dans les inten- 
€ tions du cabinet de Saint-Pétergbourg que dans les 
«nôtres. Je tiens donc à ne pas tarder plus long- 
« temps à déterminer le but que nous voul<ms at- 
« teindre, c'est-à-dire à bien établir ia justice et la 
«modération de nos demandes.:» (Suit une discus- 
sion roulant sur les points de droit et de fait déjà 
connm.) 

«Le gouvernement de l'empereur, Général, sans 
« se départir officiellement des droits qu'il a trouvés 
«dans son héritage, a compris. que dans les affaires 
«hiunaines, rien n'était absolu. Il a tenu compte, et 
«grand compte, des circonstances accomplies de- 
« puis soixante années. Il n'a pas voulu réveiller dans 
«l'empire ottoman, déjà si ébranlé, des passions re- 
« ligieuses. qui se fussent infailliblement retournées 
« contre le pouvoir même du sultan. Il a tenu égale- 
« nient à ne pas froisser les sentiments personnels 
«de S. M. l'empereur Nicolas, chef, dans son pays, 
«d'une religion identique à celle que professe le 
« plus grand nombre des chrétiens en Orient , et ce 
«sont toutes ces considérations qui l'ont décidé 
«sans peine à réduire ses prétentions dans les 
« limites a^actes de sa dignité et de ses devoirs. Âu- 
« tant nous avons mis de modération , de prudence 



CHAHTBE XVII. 73 

<r et d'esprit de concorde dans nos négociations avec tm. 
cfk Porte, autant, je dois vous Favouer, nous avons 
« été surpris des efforts que la mission de Russie à 
e Gonstantinople a tentés pour annuler les concessions, 
«cependant bien légères, qui nous ont été faites. 

<rLe cabinet de Saint-Pétersbourg, en effet, ne 
« saurait méconnaître la validité de nos capitulations 
« sans porter la plus sérieuse atteinte à ses propres 
«traités avec la Turquie, traités autrement avanta- 
« geux , autrement importants que celui dont nous ne 
« réclamons même pas l'exécution complète. Ce point 
«admis. Général , je ne vois pas sur quoi pourrait se 
«baser une opposition qui attribuerait à nos dé- 
« marches à Gonstantinople un caractère qu*il n'a 
<? jamais été dans nos intentions de leur donner. Non- 
« seulement nous n'avons pas voulu entamer sur ce 
« terrain une lutte d'influence avec le cabinet de 
«Saint-Pétersbourg, mais nous n'avons pas songé, 
«malgré les textes qu'il nous eût été facile d'invo- 
«quer, à retirer aux chrétiens du rite grec, le droit 
«de jouir des avantages que le temps a consacrés 
« entre leurs mains. 

« Notre but unique a été de relever la religion ca- 
«tholique d'un état- d'infériorité aussi indigne d'elle 
« que de nous. Serait-ce là la cause du mécontente- 
«ment qu'on éprouve à Saint-Pétersbourg? Je ne 
«saurais l'admettre, après le langage plein de me- 
« sure et de convenance que vous a tenu M. le comte 
«de Nesselrode^ et qui se trouve consigné dans 



74 HISTOIRE DE LÀ GUERRE D'ORIENT. 

1851. «votre dépêche du i^^ avril dernier. Ce serait, 
<ren effet, dans notre siècle un étrange et triste 
«spectacle à donner au monde, que celui d'une lutte 
«entre deux grandes puissances chrétiennes pour 
«une question de primauté religieuse, débattue à 
«Jérusalem même, et en présence de Tislamisme! 

«La raison, la dignité, l'intérêt de la religion 
«commandent à la France et à la Russie une autre 
« conduite , et si le malentendu qui avait pu résulter 
«d'une appréciation erronée de nos démarches, avait 
«besoin d'une explication, je me plais à espérer que 
«le cabinet de Saint-Pétersboui^, mieux renseigné 
«sur nos actes et nos intentions, n'hésitera pas à 
«rendre hommage à notre modération. 

« Agréez , etc. 

« Signé : Drouyn de Lhuys. » 

Ce langage respirait non-seulement la modéra- 
tion , mais il était élevé , digne d'une nation qui sent 
son droit et sa force. La diplomatie avait là , dans 
notre ministre, un interprète bien éloquent de ses 
aspirations. 

Loin de souscrire à la proposition de nature si 
conciliante du cabinet français, l'empereur Nicolas 
voulut imposer, à son tour, des conditions qui au- 
raient replacé l'église catholique à Jérusalem dans 
une situation inférieure et humiliante, et qui auraient 
porté à la considération de la France, dans le Le- 
vant, la plus fâcheuse atteinte. 



CHAPITRE xvn. 75 

Cette persistance de la Russie fortifia Falliance i85s. 
anglo-française , et fit naître , pour le rétablissement 
de la paix, la nécessité de conditions nouvelles qui 
n'eurent plus qu'un caractère purement politique et 
d'intérêt européen. 

Cet intérêt européen était évidemment en jeu dans 
ce Tnoment , et les puissances occidentales ne pou- 
vaient ignorer le projet de l'empereur de Russie 
d'occuper prochainement Constantinople. Il l'avait 
déclare lui-même, dans un moment d'expansion à 
sir H. Seymour, qui, dans le document n° 2 des 
communications relatives à la Turquie, apprit à lord 
John Russel la confidence que lui en avait faite l'em- 
pereur Nicolas , en ces termes : 

« Usant donc de franchise , je (Nicolas) vous dis 
« nettement que si l'Angleterre songe à s'établir un 
«de ces jours à Constantinople, je ne le permettrai 
<rpas. Je ne vous prête point ces intentions. Mais il 
« vaut Inieux dans ces occasions parler clairement. 
«De mon côté, je suis également disposé à prendre 
«l'engagement de ne pas m'y établir, en proprié- 
« taire, il s'entend, car en dépositaire, je ne dis pas; 
« il pourrait se faire qm les circonstances me missent 
<idans le cas d'occuper Constantinople, si rien ne se 
« trouve prévu , si Von doit tout laisser au hasard, » 

Cette intention d'occuper Constantinople était 
donc une idée fixe de l'empereur Nicolas. En qualité 
de dépositaire, ajoutait -il, avec une admirable 
finesse; mais ce dépôt dans ses mains impériales, 



76 HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORIENT. 

1858. quelle aurait été sa durée, si la France et TAngle- 
lerre avaient commis l'immense faute de la tolérer? 
L'empereur ne l'avait pas fixée. Ces deux cabinets 
étaient donc bien avertis d'un si grave projet, et ce 
gage une fois dans les mains de la Russie et défendu 
par de bonnes garnisons dans les châteaux des Dar- 
danelles, et une flotte formidable dans le Bosphore, 
quelle puissance aurait pu l'arracher à la Russie ? 



CHAPITRE xvin. 

Encore le prUce XenMhikefr; sa oondolte mystérleuM. — Préparatifs 

militaires de la Russie. 

Avril. Pendant que la diplomatie se mettait en garde 
contre toute surprise de la Russie, et prenait silen- 
cieusement, mais énergiquement ses mesures contre 
l'effet de ses menaces, le prince Menschikoff faisait 
avec une grande ostentation une visite à Chosrew- 
Pacha le vieux vizir, l'homme dévoué aux idées les 
plus reculées et les plus répulsives de toute amélio- 
ration. Chosrew, c'était l'islan^isme avec tous ses 
préjugés , sa barbarie et son aversion de tout pro- 
grès. C'était l'homme que Menschikoff courtisait, 
parce qu'il était le chef du parti qui se prononçait 
en faveur de la Russie, et que cette puissance vou- 
lait s'attacher par ses démonstrations affectueuses. 

A l'exception de cette visite au vieux Chosrew, le 
prince Menschikoff, après s'être annoncé d'une ma- 
nière si bruyante et si menaçante, ne fit ostensible- 



CHAPITRE XVIII. 17 

ment aucune démarche significative depuis le rem- 1853 
placement de Fuat-Effendi. S'il entama une négo- 
ciation sérieuse avec le Divan , ce fut sous le voile « , 
du mystère, et sa conduite avec tous les partis resta 
assez réservée , et donna lieu de penser qu'il ne 
voulait pas découvrir aux autres ambassadeurs le 
but réel de sa mission, et qu'il cherchait à donner le 
change à tout le monde, en attendant qu'il trouvât 
son jour et son heure. Ce ne fut que peu à peu et 
par degrés, qu'il dévoila le véritable objet de son 
ambassade. Ce mystère enveloppait une menace pour 
l'indépendance de la Turquie. 

Les agents attachés à sa mission se mirent à 
l'œuvre, mystérieusement aussi. C'est ainsi qu'on si- 
gnala l'arrivée à Athènes du contre-amiral Comiloff, 
sur la frégate à vapeur russe, lu Bessarabie. L'amiral 
fut reçu par le roi Othon, et repartit pour la Tur- 
quie, après vingt-quatre heures de séjour à Athènes. 
Cette visite, en pareille circonstance, couvrait un but 
politique. L'habileté et la prévoyance de la diplo- 
matie russe durent faire prévoir les conséquences de 
l'excursion de l'amiral Corniloff en Grèce, au mo- 
ment où une rupture pouvait éclater entre la Russie 
et la Turquie. Les probabilités de «ette rupture 
étaient si grandes que les bruits de guerre circu- 
laient de tous côtés. Ces bruits n'étaient pas une 
vaine rumeur sans cause, car les armements dans 
les provinces russes du Midi étaient poussés avec 
ardeur. Dans les premiers jours d'avril toutes les 



7S HISTOIRE DE LA GUERRIi: d'oRIëNT. 

1853. troupes furent prêtes à se mettre en marche. Les 
préparatifs militaires furent faits sur une si grande 
échelle qu'ils dépassaient ceux que fit la Russie en 
1812. On faisait aussi des armements dans la grande 
Russie et sur le Volga. On appela sous les armes des 
soldats qui avaient servi pendant vingt-cinq ans et 
qui étaient dans la classe des vétérans. 

Malgré le mystère dont s'enveloppa le général 
Menschikoff , dans ses relations avec la Porte , on sut 
qu'il avait remis au Divan une Note qui différait fort 
peu des propositions que nous avons déjà fait con- 
naître. La note commençait par demander une solu- 
tion nouvelle de la question des lieux saints, et qui 
satisferait à ce qu'on appelait les justes exigences des 
Grecs. Elle parlait de l'indépendance du Monténégro 
pour effacer l'Autriche à Constantinople. Elle exi- 
geait l'adoption de mesures efficaces pour faire ces- 
ser les vexations auxquelles étaient en butte les 
chrétiens grecs de la Turquie d'Europe. Enfin, la 
destitution du patriarche grec de Constantinople de- 
vait dépendre désormais de la volonté du czar. 

La puissance qui voulait imposer ces conditions 
à un voisin, devait avoir une volonté arrêtée de lui 
faire la guerre. Or, il était impossible d'admettre que 
ce fût là une cause juste de guerre entre puissances 
voisines. Cette question d'Orient avait de la gravité, 
sans doute; mais dans l'état des sociétés modernes, 
l'opinion publique se refusait à prévoir une guerre 
avec ses terribles conséquences, pour une cause fa- 



CHAPITRE XVIII. 79 

cile à expliquer. Mais on n'était pas rassuré, en son- 1853. 
géant à l'ambition de la Russie et à la jalousie de la 
politique européenne, qui devait s'opposer à la lente 
mais progressive dépossession de la Turquie, parce- 
qu'il y avait là une grave atteinte portée à l'équilibre 
européen. 

La flotte française arriva le 4 avril à Salamine. Le 
même jour, lord Stratford de Redcliffe, ambassadeur 
de la Grande-Bretagne près la Porte Ottomane, dé- 
barqua à Constantinople. M. Delacour, ambassadeur 
de l'empereur Napoléon, y était attendu le lende- 
main. 

Le prince Menschikofl', en voyant approcher les 
flottes et arriver les ambassadeurs de France et 
d'Angleterre, comprit qu'il était lu'gent pour lui de 
presser le Divan d'adhérer à ses propositions. Pen- 
dant plusieurs jours de suite, il eut avec le ministre 
des affaires étrangères des entrevues longues et fré- 
quentes; mais rien ne transpira de plus que ce qu'on 
savait déjà. 

La nouvelle de l'approche de la flotte française fit 
reprendre courage aux Turc,s, qui étaient bien pressés 
depuis quelques jours. L'arrivée de lord Redcliffe fit 
un grand plaisir à tous ceux qui aimaient à voir, en 
ce moment critique , les intérêts anglais confiés à des 
mains habiles; aussi fit-on à Constantinople à lord 
Redcliffe et à M. Delacour, une réception cordiale , et 
la plus flatteuse qui eût jamais été faite aux repré- 
sentants des puissances étrangères. La présence 



80 HISTOIRE DE LÀ GUERftE d'orIENT. 

1358. seule de ces deux ambassadeurs déjoua les projets 
de la Russie. Le premier résultat qu'ils obtinrent 
fut de faire échouer le prince MenschikofF dans son 
dessein de contraindre la Porte à subir un traité 
d'alliance offensive et défensive. 

Les exigences russes réveillèrent aussi l'énergie 
ottomane. La Porte envoya des officiers en Egypte , 
afin de se concerter avec Abdas-Pacha, pour une 
levée de troupes, en cas de rupture avec la Russie. 
Elle expédia des munitions en abondance aux forts 
situés sur le Rosphore et dans les Dardanelles. Des 
lettres du grand-vizir ordonnèrent à tous les gouver- 
neurs des provinces de se préparer à appeler la 
réserve sous les drapeaux, et les mouvements de 
troupes devinrent tous lès jours plus considérables à 
Constantinople. 



CHAPITRE XIX. 

Àrrangomento. — LatU tu sujet do proteetortt. — ArUolo du Heaiteor. 
— Bot de la mission do prince Hensehikoff. 

Une des mille péripéties auxquelles nous avons 
déjà assisté, vint encore mettre les esprits en émoi. 
Dans les derniers jours d'avril 1853 , on regardait à 
Constantinople l'aflaire des lieux saints comme ter- 
minée. Pour arriver à ce résultat, lord Redcliffe 
avait mis en présence le prince Menschikoff et 
M. Delacour, et grâce à l'esprit conciliant de l'am- 
bassadeur français, il avait amené entre eux une en- 



CHAPITRE XiX. ' 81 

tente, qui semblait définitive sur les dernières con- 1853. 
testations. Le point à fixer était la réparation de la 
coupole du saint sépulcre et le règlement du service 
religieux des différentes communions dans l'église 
du tombeau de la Vierge. On avait arrêté que la 
coupole serait réparée aux frais du sultan, qui l'avait 
offert, et que, dans la distribution des heures de 
service, les Grecs auraient les premiers la jouis- 
sance du sanctuaire, puis viendraient les Arméniens 
et enfin les Latins. Le prince Menschikoff avait donc 
obtenu à peu près ce qui devait le satisfaire, s'il 
n'avait eu de graves arrière - pensées et de plus sé- 
rieuses exigences. L'acte diplomatique demandé par 
l'ambassadeur russe devait Im être accordé ; mais là 
n'était pas la difficulté. La lutte existait toujours au 
sujet du protectorat sur la religion grecque. Le czar 
voulait que les représentants de la Russie eussent le 
droit de donner des ordres aux églises, tant à Con- 
stantînople que dans d'autres endroits el villes, ainsi 
qu'aux ecclésiastiques. Il exigeait même un acte ex- 
plicatif et positif de garantie de tous ces points. Le 
sultan déclara qu'il repoussait la proposition concer- 
nant le protectorat religieux. Ce refus indisposa tel- 
lement l'ambassadeur russe, qu'il voulut rompre les 
négociations avec la Porte. 

Dans la prévision , peut-être ^espérée , de ce refus 
du sultan d'accepter le protectorat, les armements 
de la Russie, suspendus depuis quelque temps, 

venaient d'être repris d'après des ordres partis de 

6 



82 HISTOIRE PË LA GU£IlHË d'oRIENT. 

186S. Saint-Pétersbourg. Le 28 avril , le prince Menschi- 
kofT présenta son ultiaiatum, relativement au protec- 
torat. Il demanda une réponse pour le 10 mai, ajou- 
tant qu'il considérerait' tout délai plus long comme 
un manque de procédés envers son gouvernement, 
ce qui lui imposerait les plus pénibles obligations. 

L'article suivant du Moniteur expliqua les der- 
niers arrangements sur la question des lieux saints , 
les prétentions nouvelles de la Russie, et les éven- 
tualités qui pouvaient en surgir : 

«[Le Chaptaly expédié à Marseille par lambassa- 
« deur de France, a apporté des nouvelles de Constan- 
« tinople en date du 7 mai. Notre correspondant nous 
« apprend que la question des lieux saints a été réglée 
«par un firman qui n'enlève aux Latins aucune des 
a: concessions que M. le niarquis de La Valette avait ob- 
c( tenues en leur faveur. L'intérêt spécial à la France, 
«dans ce débat, se trouve donc dégagé, et quant à 
(d'avenir, il est garanti en dépit de tout traité posté- 
« rieur par nos capitulations qui datent de \ 740. 

«Le prince Menschikoff a remis à la Porte un ul- 
«timatum, qui doit expirer le 10 de ce mois. Il de- 
« mande que la Turquie s'engage vis-à-vis de la 
« Russie : 

«1^ A conserver les immunités et les privilèges 
« dont jouit l'Église grecque dans toute l'étendue de 
« l'empire ottoman ; 

« 2° Que le statu quo soit maintenu à Jérusalem. 
« Gomme nous l'avons dit, ce statu (jpw comprend les 



CHAPITRE XIX. 83 

«modifications qui résultent de l'arrangement con- isss. 
« senti par M. de La Valette. Aucun.changement ma- 
c(tériel ne sera donc apporté à la situation des Latins^ 
a: que nos efforts auront sensiblement améliorée. 

« Quant à la protection réclamée par la Russie, sur 
« les chrétiens du rite oriental, c'est là une question 
«à part, et que la Porte doit examiner sans que la 
« résolution qu'elle adoptera soit de nature à affecter 
«les intérêts de la France, à aucun autre degré que 
d ceux de toutes les puissances, qui, en signant le traité 
«de 1841 , ont voulu donner, à l'intégrité de la Tur- 
«quie, un^ garantie collective. 

«M. le prince Menschikoff demande encore.au Di- 
(( van la conclusion d'un traité qui placerait sous la 
c( garantie de la Russie les droits et les immunités de 
« l'Église et du clergé grecs. Cette question, compléte- 
« ment différente de celle des lieux saints, touche à des 
« intérêts dont la Turquie doit la première apprécier 
«la valeur. Si elle amenait quelques compUcations, 
«elle deviendrait une question de politique euro- 
« péenne dans laquelle la France se trouverait engagée 
« au même titre que les autres puissances signataires 
«du traité du 13 juillet 1841.» 

La France, en terminant l'affaire des lieux saints 
avec un grand esprit de concihation , faisait tomber 
le masque de la Russie, qui, par la mission brutale 
et bruyante du prince Menschikoff, avait montré que 
la question grave et décisive n'était pas à Jérusalem, 
mais bien à Constantinople. Demander au sultan un 



84 HISTOIRE DE LA GUERRE d'oRIENT. 

1858. traité qui aurait placé sous la garantie de la Russie 
les droits et les immunités de l'Église et du clergé 
grecs en Turquie, c'était évidemment prendre avec 
injustice la direction des opérations qui devaient 
amener l'expropriation de la Turquie pour cause 
d'utilité moscovite. La prudence exigeait donc que 
l'Europe ne permît pas le succès de telles préten- 
tions, si menaçantes pour l'équilibre établi, et lui 
faisait une obligation de veiller à sa propre sécu- 
rité. 

Ni le traité de 1774, ni les traités postérieurs, ne 
contiennent la reconnaissance de la suprématie re- ^ 
ligieuse à laquelle la Russie prétendait sur la po- 
pulation grecque de l'empire ottoman, et la Porte 
paraît avoir, en tout temps, très -bien compris que, 
traiter du sort de ses sujets grecs, avec une puis- 
sance étrangère , c'était accorder à cette puissance 
des droits qu'aucun État ne pouvait exercer impuné- 
ment sur une portion si considérable de ses sujets. 
Les doutes , les perplexités du Divan furent cepen- 
dant grands pour donner une réponse aux exigences 
de la Russie. Lord Redcliffe conseilla de temporiser, 
en attendant que les cabinets de Paris et de Londres 
pussent donner à leurs ambassadeurs des instruc- 
tions précises. De son côté, le prince Menschikoff 
prorogea spontanément le délai qu'il avait fixé au 
Divan pour lui transmettre sa réponse. 



CHAPITRE XX. 85 



1853. 



CHAPITRE XX. 

Réponse négative dn Divan à la demande do proteetorat. — 10 mal, 

époqne oritlqae. 

Le retour de Reschid-Pacha au ministère des af- 
faires étrangères fut regardé par tous comme une 
confirmation par le sultan du parti qu'il avait pris de 
ne point céder aux exigences de la Russie. Ce fut 
une démonstration comminatoire très -réelle. C'est 
ainsi que le considéra l'ambassadeur russe. Il s'était 
embarqué depuis deux jours avec tout le personnel 
de son ambassade, sur la frégate la Bessarabie, 
mouillée devant le palais de Buyuk-déré, lorsque, le 
iO mai, il reçut la réponse négative du Divan à ses 
demandes de protectorat. 

Au lieu de partir pour Odessa, comme il s'y atten- 
dait, il envoya, le li , M. Argyropoulo, premier 
drogman de l'ambassade russe , à la Porte , pour dé- 
clarer aux ministres du sultan qu'il considérait leur 
réponse comme évasive et désirait en avoir une plus 
catégorique. M. Argyropoulo avait, en outre, pour 
mission d'engager les ministres à accepter un nou- 
veau délai de trois jours, que leur offrait le prince, 
afin de leur donner le temps de peser mûrement les 
conséquences que pouvait entraîner pour le sultan et 
pour T Empire la réponse négative qui lui avait été 
communiquée. Mais c'est à ces nouvelles ouvertures 
que la Porte répondit par la nomination d'un mi- 
nistre notoirement hostile à la Russie. 



86 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1853. La Note portant refus d'accéder aux demandes de 
la Russie fut concertée avec les ambassadeurs de 
France et d'Angleterre. 
En voici la substance : 

«Le sultan est disposé à entretenir avec la Russie 
« les rapports de bon voisinage. Il accueillera donc 
(T favorablement celles des demandes du prince Men- 
«schikofF qui ne blessent ni son honneur, ni son 
« indépendance. La Porte accorde l'érection à Jéru- 
«salem de l'église du couvent et de l'hôpital que 
«veut y fonder l'empereur Nicolas, pourvu toutefois 
« qu'elle ait lieu de manière à maintenir intacts ses 
«droits d'administration intérieure. Le sultan con- 
«firme les privilèges religieux accordés aux sujets 
«chrétiens de la Porte, et spécialement aux Grecs; 
« mais aussi il ne peut conclure de traité avec aucune 
« puissance étrangère sur une question qui est exclu- 
« sivement du ressort de l'administration intérieure 
«de l'Empire. Ce serait sacrifier ses droits de sou- 
« veraine té et son indépendance , et, quel que soit 
«le caractère d'amitié dont sont empreints les rela- 
«tions et le sentiment réciproques du sultan et de 
«l'empereur, cette amitié ne saurait aller jusqu'à 
«imposer à la Porte un pareil sacrifice. Ce serait 
«contraire au droit international et à ceux de tout 
«État libre et indépendant. y> 

Cette Note et le changement du ministère étaient 
d'une haute importance. L'empire turc entra, le 
10 mai, dans l'une des périodes les plus critiques de 



CHAPITRE XX. 87 

son existence. La Russie avait employé contre le sul- im, 
tan les formes les plus hautaines et les plus insul- 
tantes. 

La puissance qui, il y a moins d'un siècle, envoyait 
les ambassadeurs étrangers aux Sept Tours, lors d'une 
déclaration de guerre , qui exigeait que ceux qui ve- 
naient traiter avec elle laissassent leurs souliers à la 
porte de la salle d'audience, venait d'être forcée d'en- 
tendre, de la bouche du prince Menschikoff, un lan- 
gage qu'aucun souverain ne peut écouter impuné- 
ment. L'opinion publique n'admettait pas cependant 
que le repos du monde pût être sérieusement com- 
promis par une question sur laquelle la France et 
l'Angleterre n'étaient pas divisées. 

S'il en était autrement, disait -on de toutes parts, 
il ne saurait y avoir de politique plus imprévoyante 
et plus funeste que celle qui se jouait de la bonne 
foi avec des assurances qui ne pouvaient réussir 
qu'une fois auprès des hommes de cœur et d'hon- 
neur. On concevait plus difficilement encore qu'un 
gouvernement qui jusque-là s'était acquis la réputa- 
tion d'avoir du respect pour la loi des nations , pût 
menacer de susciter une guerre que rien n'avait pro- 
voquée , pour arracher à un voisin faible son adhé- 
sion à un traité qui l'aurait déshonoré, et qu'il cher- 
chât à justifier par l'éclat de ses préparatifs militaires, 
la prépotence qu'il affectait comme un suzerain sur 
son humble vassal. Mais l'évidence des faits ne pou- 
vait guère se réfuter, et pendant que le langage du 



88 HISTOIRE DE LÀ GUERRE D*ORIENT. 

1863. prince Menschikoff devenait plus menaçant à Con- 
stantinople, on apprenait à Londres et à Paris que 
des troupes russes couronnaient les hauteurs qui 
dominent Odessa , et qu'on rassemblait des bateaux 
pour franchir le Pruth. 

Le Divan ne se laissa pas intimider. D'après les 
conseils des ministres de France et d'Angleterre , il 
prit une courageuse attitude et se prépara avec ar- 
deur à faire face aux conséquences de sa résis- 
tance. Nul ne craignait qu'on le laissât les braver 
tout seul. 

Dès le 1 9 mai , le prince Menschikoff n'était plus 
en rapports officiels avec la Porte , qui n'avait pas 
voulu admettre ses propositions dans les termes où 
elles avaient été formulées. Cependant à cette époque 
même la voie des négociations n'était pas complète- 
ment fermée. Mais on n'espérait pas les recommencer 
avec succès, cai\ l'Angleterre poussait ses armements. 
L'escadre de la Manche, composée des vaisseaux 
SanS'Pareil, London, Prince royal, et des frégates 
Impérieuse, Amphion, Léopard, et autres, venait de 
lever l'ancre pour se rendre à Gibraltar. 

Les ambassadeurs de France . et d'Angleterre , le 
ministre de Prusse et le chargé d'affaires d'Autriche 
se concertèrent pour faire en commun une tentative 
de conciliation; mais cette démarche demeura sans 
résultat, le prince Menschikoff prétendant toujours 
obtenir des garanties pour les immunités de l'Église 
grecque. 



« 



CHAPITRE XX. 89 

Reschid-Pacha, quoique bien résolu à rejeter la 1353. 
Note russe, voulut s'appuyer des conseils des am- 
bassadeurs des quatre grandes puissances. Il les con- 
sulta sur le projet de traité présenté par le prince 
Menschikoff. Les quatre ambassadeurs répondirent 
au ministre turc : 

<21 mai 1853. 

«Les représentants de la Grande-Bretagne, dé la 
« France , de TAutriche et de la Prusse , en réponse 
« au désir exprimé par S. A. Reschid-Pacha de con- 
« naître leur opinion sur un projet de Note, commu- 
niqué par le prince Menschikoff par voie particu- 
«lière, sont d'avis que sur une question qui touche 
ede si près à la liberté d'action et à la souveraineté 
ce du sultan, S. A. Reschid-Pacha est le meilleur juge 
« du parti qu'il convient de prendre, et ils ne se con- 
« sidèrent pas comme autorisés, dans la circonstance 
«actuelle, à émettre un avis à cet égard. i> 

{Suivent les signatures.) 

Après la réception de cette réponse, le Divan rejeta 
définitivement l'ultimatum de la Russie, et ce fut 
dans la nuit du 21 au 22 mai que le prince Menschi- 
koff s'embarqua , enfin , pour Odessa , sur la frégate 
à vapeur la Bessarabie. Il laissa à Constantinople des 
conseillers de l'ambassade pour la gestion des affaires 
et des intérêts des sujets russes. Néanmoins il ré- 
pugnait encore d'admettre que des hostilités dussent 
suivre la rupture des relations diplomatiques entre 



90 HISTOIRE DE LA GUERRE d'oRIENT. 

1853. la Russie et la Porte Ottomane. Mais la sagesse n'in- 
spirait plus le cabinet de Saint-Pétersbourg. Il mé- 
connaissait alors les assurances de modération qu il 
donnait précédemment à toutes les cours de l'Eu- 
rope. Il paraissait prêt à fouler aux pieds le droit 
des gens, qui ne considère point, comme un cas de 
guerre, le refus d'accéder à une demande de con- 
cessions et d'avantages que des engagements anté- 
rieurs n'ont pas stipulés. 



CHAPITRE XXI. 

Dépit de la prtMo anglalie. — Intérêts de l'Angletam en Orient; eeu 
de la Franee. — Article du Heniteiur sur les événenents derniers, 

La presse anglaise tenait un langage plein de dépit 
et de colère sur la question d'Orient. Elle qualifiait 
de turbulente l'ambition de la Russie. Elle traitait de 
rodomontades les exigences de cette puissance vis- 
à-vis de la Turquie. 

L'Angleterre, en effet, avait de très-grands intérêts 
en Orient. La France n'en avait que de faibles com- 
parativement. Nous ne partageons pas cependant 
l'opinion de ceux qui prétendaient, qu'en cas de 
guerre contre la Russie, nous ne serions que les dé- 
fenseurs désintéressés et platoniques de l'indépen- 
dance de l'empire ottoman, et que notre alliance ne 
reposerait que sur la foi des engagements, et non sur 
la conformité des intérêts. C'est à nos yeux une 



CHAPITRE XXI. 91 

fausse appréciation de la situation , car nous avions ism. 
un grand intérêt commun à affaiblir la prépondérance 
russe dans le Pont-Euxin..La conquête de Constan- 
tinople par cette puissance nous eût porté un coup 
mortel dans la Méditerranée et aurait anéanti notre 
influence continentale. 

La Russie tfavait-elle pas, d'ailleurs, touché la 
fibre sensible de la France , en traitant ce fier et 
puissant pays avec un dédain tout moscovite? Qu'on 
lise la lettre du 7 avril 1853, de M. de Nesselrode à 
M. de Brunow, et les paroles de l'empereur Nicolas 
dans ses confidences à sir H. Seymour, et l'on pourra 
se convaincre que le cabinet français ne pouvait to- 
lérer que la jalousie du czar rayât l'influence de la 
France dans les relations générales des puissances 
de l'Europe. C'était, en effet, une singulière exception 
dans l'histoire! La France n'avait pu pardonner à 
Louis - Philippe son indulgence envers l'empereur 
Nicolas qui l'avait offensé. Napoléon III ne pouvait 
commettre la même faute ; c'était le cas ou jamais de 
tirer l'épée de la France. Mifeux éclairée, la Russie 
désormais aurait dû aimer notre alliance et savoir 
en apprécier les avantages. 

Le prince Mensehikoff arriva à Odessa dans la nuit 
du 23 au 24 mai, et il en repartit le 24, au matin, 
pour se rendre directement à Saint-Pétersbourg. 

L'opinion publique était unanime pour supposer 
que l'empereur Nicolas ne persisterait pas dans ses 
prétentions exorbitantes à l'égard de la Turquie, 



92 HISTOIRE DR LÀ GUERRE D'ORIENT. 

1853. au risque de faire éclater en Europe une guerre qui 
pouvait retarder d'un demi-siècle au moins les pro- 
grès du commerce et de l'industrie russe. On espé- 
rait encore que le diiférend turco-russe se termine- 
rait par un arbitrage. 

Un article parut alors dans le Moniteur pour ex- 
pliquer la situation et donner quelques détails nou- 
veaux sur les faits antérieurs au départ du prince 
MenschikofT. 

c( Tous les efforts tentés par Reschid-Pacha auprès 
«du prince ont été stériles. L'ambassadeur russe, 
<i sans attendre la notification du Divan, a adressé au 
a ministre des affaires étrangères du sultan une nou- 
« velle Note annonçant que sa mission était terminée 
« et qu'il se voyait dans l'obligation de quitter Con- 
(( stantinople, en emmenant tout le personnel de la 
«légation de Russie; déclarant de plus que toute at- 
« teinte portée au statu quo de l'Église d'Orient se- 
« rait considérée comme l'équivalent d'ujne infraction 
c( aux stipulations existantes entre le3 deux gouver- 
« nements, infraction qui obligerait l'empereur Nicolas 
«à recourir à des moyens qu'il a toujours désiré ne 
« pas employer. Nonobstant la remise de cette pièce, 
« Reschid-Paçha a envoyé au prince Menschikoff, 
ce sous forme particulière et confidentielle, la Note 
«délibérée en conseil. Cette Note a déterminé une 
«réponse de l'envoyé russe, dans la même forme, 
« par laquelle il déplore la résolution de la Porte , re- 
« grettanl qu'on ait, dans une circonstance aussi grave, 



CHAPITRE XUI. 93 



« cédé à des suggestions étrangères, espérant encore ibss 
« de voir le gouvernement ottoman revenir à une dé- 
« termination plus sage et plus conforme aux inten- 
« lions bienveillantes de l'empereur Nicolas. f> 



CHAPITRE XXII. 

Héflanee des Tnrei. lU appollent les milleei anz armes. — ArmesienU 
dans les parti anglais. — Foroes de terre et de mer de la Turquie. 

Les Turcs avaient pu apprécier depuis longues 
années la nature de la bienveillance russe. Ils se mé- 
fiaient de tous ses actes, même de bienveillance, et 
répétaient avec juste raison à leur encontre le fameux 
mot antique : Timeo Danaos, etc. Guidés par une sage 
prévision , ils se préparèrent avec activité à la guerre. 
L'Egypte, où plusieurs officiers turcs étaient allés 
remplir la mission dont nous avons parlé, envoya 
30,000 hommes de troupes. Des soldats et des mu- 
nitions furent mis en mouvement sur tous les points 
de l'empire. Dans la Roumélie , la partie la plus me- 
nacée de la Turquie, le gouvernement du sultan put, 
dès le mois de juin , opposer 80,000 hommes sous 
les armes. 

Il appela les milices avec une ardeur qui attestait 
ses craintes. Il put lever par cette voie près de 
200,000 hommes. On établit d'abord deux camps : un 
à Brousse , et un à Schumla. Omer-Pacha fut désigné 
pour séraskier (général en chef). On fit venir à Con- 



94 HISTOIRE DE LA 6UEKRE D'ORIENT. 

1853. stantinople la flotte égyptienne et les vaisseaux turcs 
commandés par Achmet-Pacha. 

Il arrivait à chaque instant dans la capitale de la 
Turquie des députations chargées d'apporter au sultan 
l'hommage du respect et du dévouement de ses su- 
jets. On remarqua principalement les députations en- 
voyées par les populations grecques. 

Pendant que ces préparatifs guerriers se faisaient 
sur le Bosphore, l'escadre anglaise de Malte venait de 
recevoir un nouveau renfort, ce qui portail à sept le 
nombre des vaisseaux qui la composaient. 

Les armements furent également poussés avec ac- 
tivité dans les divers ports anglais. Des navires furent 
expédiés dans toutes les directions avec des muni- 
tions de guerre. Le comte d'Aberdeen évoqua enfin 
tout son courage pour ordonner à l'amiral Dundas 
de rallier l'escadre française sur la côte de la Tur- 
quie. 

Le pacha d'Egypte ajouta un nouveau renfort de 
10,000 hommes aux troupes qu'il avait déjà envoyées 
à la défense du sultan, ce qui porta le contingent 
égyptien auxiliaire à 40,000 hommes. Il mit également 
le restant de sa flotte à la disposition d'Abdul-Medjid. 

Le chiffre des forces de la Russie est connu ap- 
proximativement; on sait que ces forces sont prodi- 
gieuses. 

L'état des forces de terre et de mer de l'empire 
ottoman doit avoir ici sa place. 



Ai'mée régulière active 

Réserve 

Troupes irrégulières . 
Contingents auxiliaires 

Total . . 



CHAPITRE Xîll. 95 

Armée. ' **** 

138,680 hommes. 



138,680 - 

68,000 — 

410,000 - 

455,360 hommes. 



Marine. 

6 vaisseaux de ligne de 90 à 74 canons et 900 à 
600 hommes. ^ 

i 1 frégates de 64 à 62 canons de 500 à 350 hommes. 
12 corvettes de48 àiScanons de 260 à 150 hommes. 

4 bricks, 44 cutters, corvettes, etc. 

6 frégates à vapeur de 800 à 450 chevaux. 

8 corvettes et bâtiments inférieurs aussi à vapeur. 

Telles étaient les forces de terre et de mer que la 
Turquie pouvait opposer à sa redoutable voisine. Mais 
le sultan avait des auxiliaires qui ne le laissèrent pas 
écraser. Les résolutions beUiqueuses de l'autocrate 
devaient alors cesser d'inspirer de vives inquiétudes , 
car chaque jour qui venait de s'écouler,. depuis la 
rupture des négociations, aurait dû lui inspirer à 
lui-même , empereur très-puissant de toutes les Rus- 
sies, des réflexions sur la position qu'il prenait d'a- 
gresseur, sans prétexte ni ^ujet de plainte de son 
voisin , sur celle qu'il prenait aussi d'ennemi du droit 
public et de la paix de l'Europe , sans qu'il y eût un 
seul Etat qui l'approuvât et qui fût son allié. La cour 



% HISTOIRE DE LA GUERRE D^ORIENT. 

1858. de Saint-Pétersbourg se trompa singulièrement sur 
l'esprit et les dispositions du monde, si elle se per- 
suada qu'une telle entreprise pouvait être menée à 
fin avec impunité. Bien loin qu'il en fût ainsi, les 
dispositions de l'Europe devenaient de jour en jour 
plus hostiles à la Russie. Les idées ambitieuses de 
cette puissance ne trouvaient plus d'incrédules. Lord 
Clarendon, lui-même, n'avait pas voulu croire au 
premier moment que les propositions du prince Men- 
schikoff fussent sanctionnées par son gouvernement, 
et c'est à cette erreur qu'il fallait attribuer le retard 
des ordres expédiés à l'amiral Dundas de diriger la 
flotte anglaise sur les côtes de la Turquie. 



CHAPITRE xxm. 

Le esar approuTO Heiuieliikofr. — Sommation à la Porte. — Préparatifa 
pour passer le Pmth. — BlAme de l'Barope. — Note de la Russie à ses 
agents. 

Mais le moment était venu pour le cabinet anglais 
d'avouer qu'il s'était trompé. On apprit, en effet, que 
le prince Menschikoff était arrivé le 30 mai à Saint- 
Pétersbourg, et que l'empereur avait donné son en- 
tière et pleine approbation à tous les actes de son 
ambassadeur et exprimé son vif mécontentement de 
la conduite du sultan. Èe czar, pour ne pas laisser de 
doute sur ses intentions, fit aussitôt transmettre au 
quatrième corps d'armée de la Pologne l'ordre de se 
rendre à marches forcées en Bessarabie pour rem- 



CHAPITRE xxni. 97 

placer l'armée qui s'y trouvait cantonnée et qui de- isss. 
vait envahir la Moldavie. La Russie rejeta péremp- 
toirement la médiation des grandes puissances de 
l'Europe. Elle déclara que les questions soulevées ne 
regardaient qu'elle et la Turquie, et qu'elles ne se 
régleraient qu'entre elle et la Porte. Le czar voulut 
absolument avoir l'opprobre du succès ou la honte 
plus probable de la défaite. Mais quelle force surhu- 
maine il eût fallu à la grande âme de ce souverain pour 
modifier à ce point sa résolution et faire des conces- 
sions à la Turquie ! Cela eût paru une amende honorable. 

M. de Nesselrode, avant d'agir, expédia un cour- 
rier à Constantinople pour sommer la Porte d'accepter, 
sous huit jours, les propositions du prince Menschi- 
koff. Ainsi il ne resta plus d'espoir pour le maintien 
de la paix. Cette conduite de la Russie souleva une 
indignation profonde. Chacun s'affligea sur les con- 
séquences de ses procédés, car elle ne cachait pas 
ses projets. , 

L'occupation militaire des principautés danubien- 
nes, par les Russes, était à la veille de se réaliser. 
Depuis quelques jours, les préparatifs pour passer le 
Pruth étaient poussés avec une grande activité. Tous 
les Cos2(ques qui avaient été de service en Bessarabie 
furent appelés sur les bords du Danube. Le prince 
GortschakofT fut nommé général en chef des troupes 
russes cantonnées en Bessarabie. 

L'avenir se dévoila en France dans l'article suivant 

du Moniteur du 11 juin : 

7 



08 HISTOIRE DE LA GUERRE D ORIENT. 

1863. «L'ambassadeur de Sa Majesté impériale, au mo- 
«ment de son départ pour Constantinople, dans les 
« derniers jours de mars , était muni d'instructions 
« et de pouvoirs qui mettaient à sa disposition l'es- 
« cadre commandée par M. le vice-amiral de Lasusse. 
«Cet officier général avait déjà reçu, le 20 mars, 
« l'ordre de se rendre dans les eaux de la Grèce. 

«Les gouvernements de France et d'Angleterre 
« ont, en outre, décidé que leurs escadres réunies se 
« rapprocheraient , sans plus de délai, des Dardanelles. 
« Les ordres sont partis, le 4 de ce mois, de Toulon 
«et de Marseille, par le Chaptal et le Camrfoc, pour 
« MM. de Lasusse et Dundas. » 

Il fallut donc renoncer à l'espérance qu'on avait 
eue de voir les négociations se rouvrir par suite de 
l'envoi d'un courrier de Saint-Pétersbourg à Constan- 
tinople et du voyage de M. de Nesselrode, fils, à Lon- 
dres. La Porte ne pouvait accepter le nouvel ultima- 
tum qui lui était signifié, et ce refus était pour les 
troupes russes le signal d'occuper les principautés 
du Danube. Elles n'iraient pas d'abord plus loin : 
elles feraient là une halte. La volonté du czar n'était 
pas, pour le moment, de leur faire franchir le fleuve. 
Mais cette marche sur le territoire turc imposait aux 
grandes puissances de l'Europe le devoir de résister 
à une agression aussi inqualifiable, et, par leur ac- 
cord, elles pouvaient encore prévenir les malheurs 
dont l'imprudence de la Russie menaçait le monde.^ 

L'extrémité où s'emporta la politique russe reçut 



CHAPITRE XXUt. 99 

lé blâme et la désapprobation de l'Europe entière, law. 
L'autocrate avait escompté les vieilles antipathies de 
la France et de l'Angleterre, et s'était bercé de l'es- 
poir d'entretenir leurs rivalilés. Une alliance sincère 
et cordiale de ces deux puissances lui paraissait im- 
possible à réaliser. Il avait compté aussi sur une 
crainte exagérée de la guerre de la part des gouver- 
nements de l'Europe; mais jamais l'opinion de la 
France et de l'Angleterre ne réclama plus hautement 
de leurs gouvernements une fermeté inflexible dans 
les affaires d'Orient. S'il existait encore quelques hé- 
sitations occasionnées par Tesprit de parti , elles de- 
vaient disparaître au premier coup de canon. 

A la veille de violer le territoire turc par l'occu- 
pation des Principautés, le cabinet de Saint-Péters- 
bourg fît communiquer une Note aux quatre grandes 
cours de l'Europe, par les ministres accrédités près 
de ces cours. Dans cette Note, l'empereur approuvait 
de tous points la conduite du prince Menschikoff à 
Constantinople, et Sa Majesté était dans l'intention 
de maintemr les demandes qu'elle avait cru devoir 
adresser à la Porte, touchant les privilèges et les ga- 
ranties de la religion grecque orthodoxe, telles que 
ces demandes avaient été formulées dans la dernière 
dépêche du prince Menschikoff. Après avoir développé 
les motifs qui avaient déterminé l'empereur à exiger 
de la Porte de nouvelles garanties et à y insister , 
M. de Nesselrode déclarait qu'il n'était en aucune 
façon dans les intentions du czar, de faire la guerre 



100 HISTOIRE DE LA aUGHAE D'ORIEMT. 

1853. à la Turquie, ni de saisir celte occasion pour porter 
atteinte à l'intégrité et à Tindépendance de l'empire 
ottoman. Cependant , M. de Nesselrode ajoutait que, 
dans le cas où le Divan persisterait à repousser les 
demandes qui lui avaient été présentées, l'empereur 
croirait devoii' donner à son armée de Bessarabie 
l'ordre d'occuper les provinces danubiennes; mais 
que cette occupation ne devait pas avoir le caractère 
d'une déclaration de guerre , puisque le diflerend qui 
existait entre la Porte et la Russie rentrait dans la 
catégorie de ceux qui, d'après les termes des traités 
existants entre la Russie et la Turquie, pouvaient ame- 
ner éventuellement l'occupation des Principautés. A 
cette circulaire était joint le projet de Note ou an- 
nexe présenté à la Porte par le prince Menschikoff. 



CHAPITRE XXIV. 

Cette Note préelplte les événements. — > Karolie des trtapes msses. — 
Les flottes alliées se rendent à Béslka. — Kesnres en Oceident. 

Cette Note et tous les actes du cabinet russe pré- 
cipitaient le dénoûment de la crise qui menaçait 
l'Europe. Tous les fonctionnaires de l'ambassade de 
Russie quittèrent Constantinople. Il ne resta dans 
l'hôtel de l'ambassade que M. Balabine, premier drog- 
man. Beaucoup de négociants russes s'embarquèrent 
avec tout leur avoir et se rendirent à Odessa. 

Les préparatifs de guerre qui se faisaient en Orient 



CHAPITRE XXIV. 101 

et en Occident annonçaient qu'on était à la veille de im. 
grands événements. 

L'Angleterre augmenta ses armements et prépara 
une grande escadre de bâtiments à hélice. Elle ex- 
pédia à l'escadre de la Méditerranée des approvision- 
nements de poudre, de boulets et d'obus. 

L'ordre fut donné à l'amiral Corry, qui croisait 
dans la mer de Biscaye , de rentrer dans les ports de 
l'Angleterre. 

A Cohstantinople, on remorqua, vers le Bosphore, 
la flotte égyptienne composée de vingt bâtiments. 
Dans la Syrie et dans l' Anatolie , beaucoup de troupes 
se mirent en marche vers le littoral de la mer Noire. 
Le 25 juillet, 4,000 nègres, formant le contingent du 
bey de Tripoli , arrivèrent d'Afrique aux Dardanelles. 

Le prince GorstchakofF avait quitté Saint-Péters- 
bourg, le H juin, pour prendre le commandement 
en chef de l'armée qui allait envahir la Moldavie. Ses 
instructions consistaient à attendre au quartier gé- 
néral le retour du courrier envoyé à Constantinople 
par M. de Nesselrode, et, dans le cas où il apporte- 
rait le refus des Turcs de souscrire à l'ultimatum 
dont il était porteur, d'envahir brusquement les Prin- 
cipautés sur l'avis de nouveaux ordres qu'il recevrait 
de Saint-Pétersbourg. 

La marche en avant des troupes russes sur Je Pruth 
d'abord, et, bientôt après, sur le Danube, annonçait 
que l'ordre avait aussi été donné à l'escadre russe 
de Sébastopol de faire voile vers le Bosphore, Pour 



402 HISTOIRE DE Là GUERRE d'oRIENT. 

1853. mettre Constantinople à l'abri d'une attaque des vais- 
seaux russes, la flotte française et la flotte anglaise 
s'avancèrent à l'entrée des Dardanelles, et jetèrent 
l'ancre à Bésika le 12 juin. 

Le protectorat qu'exigeait la Russie, usurpation 
violente du fort sur le faible , n'avait même plus de 
prétexte. 

L'islamisme venait de se dépouiller de sa vieille 
intolérance. Latins, Grecs, Arméniens, devaient dé- 
sormais avoir toute latitude pour leurs services reli- 
gieux. Le Journal de Constantinople publia, au mois 
de juin, un firman du Grand-Seigneur qui confirmait 
à toutes les Églises chrétiennes de l'empire leurs 
privilèges et le libre exercice de leur culte. Ce firman, 
qui venait d'être accordé à toutes les communautés 
chrétiennes de l'empire, était d'autant plus solide, 
que l'engagement, de maintenir toujours intacts ces 
privilèges, fut pris, par Sa Majesté le sultan et son 
gouvernement, publiquement et devant toutes les 
puissances du monde, car ce firman fut lu, le di- 
manche solennellement, dans chacun des patriar- 
cats de Constantinople. 

L'ambition russe s'embarrassa peu des concessions 
du sultan envers les divers rites chrétiens. L'intolé- 
rance des vieux musulmans eût mieux servi sa poli- 
tique. Ces concessions précipitèrent le mouvement 
de ses troupes au lieu de les arrêter. Le quatrième 
corps de l'armée russe se tint prêt à franchir le Pruth. 
l^e cin(juième corps d'armée , 3QUS les ordres du gé»- 



CHAPITRE XXV. 103 

néral Luders, dut se mettre en marche pour Ismaïl. isss 
Ces deux corps étaient placés, comme nous l'avons 
dit, sous le commandement en chef du prince Gort- 
schakoff. Le prince Menschikoff avait été nommé 
commandant en chef de toute Farmée d'opération , 
ainsi que de la flotte de la mer Noire. 

A l'Occident, des mesures de guerre se prirent 
aussi. Le contre-amiral Corry arriva à Portsmouth , 
le 2i juin, de retour de sa croisière en Biscaye et 
dans la Manche, et ses vaisseaux réunis à quelques 
autres à Spîthead formèrent une fort belle flotte. 



CHAPITRE XXV. 

Lettre de K. 4e Ifeeielrede à Heselild - PadiA* — Beftif de la Perte. — 
CeUieldeBee slngnllèie. — L'amiral Samelin remplace K. de Lasoase. 

Le courrier expédié de Saint-Pétersbourg déposa 
ses plis, le 8 juin, entre les mains de M. Argyro- 
poulo, premier drogman de la mission russe, qui, le 
lendemain 9 juin, remit à Reschid-Pacha la Note ou 
UlttmaHssimtim de M. de Nesseirode, dans laquelle 
le cabinet russe demandait, dans un langage du reste 
plein de mesure, que la Sublime Porte accueillit le 
mémorandum qui lui avait été laissé le 20 mai par 
le prince Menschikoff à son départ de Constanti- 
nople. M. de Nesseirode annonça au ministre turc 
que faute de cette acceptation, dans le délai de huit 
jours, Iç cabinet^' de Saint-Pétersbourg se verrait 



104 HISTOIRE DE LA GUERRE D ORIENT. 

18M. dans Tobligation de faire marcher ses trempes sur les 
frontières de la Turquie, dans le but de se munir 
de la garantie que la Sublime Porte s'était crue dans 
la nécessité de lui refuser, touchant le maintien des 
droits , privilèges et immunités spirituels de l'Église 
grecque. 

Cette lettre avait une telle importance et a été 
suivie de si graves conséquences qu'elle doit être 
consignée ici. 

Lettre adressée par S. Exe, le comte de Nesselrode 
à S. A. Reschid'Pacha ^ ministre des affaires étran- 
gères, 

« Saint-Pétersbourg, le 19/31 mai 1853. 

(^ Monsieur , 

<i L'empereur, mon auguste maître, vient d'être 
(( informé que son ambassadeur a dû quittefr Con- 
^ ^ stantinople à la suite du refus péremptoire de la 
« Porte de prendre vis-à-vis de la cour impériale de 
« Russie, le moindre engagement propre à rassurer 
<ïsur les intentions protectrices du gouvernement 
«ottoman à l'égard du culte et des églises ortho- 
« doxes en Turquie. 

« C'est après un séjour infructueux de trois mois, 
« après avoir épuisé de vive voix et par éerit, tout 
« ce que la vérité, la bienveillance et l'esprit de con- 
(( ciliation pouvaient lui dicter, c'est enfin après avoir 
« cherché à ménager tous les scrupules de la Porte 
<itpar les modifications successives auxquelles il 



CHAPITRE XXV. 105 

e avait consenti dans les termes et la forme des ga- less. 
«ranties qu'il était chargé de demander, que le 
« prince MenschikofT a dû prendre la détermination 
« que l'empereur apprend avec peine, mais que Sa 
«r Majesté n'a pu qu'approuver pleinement. 

(( Votre Excellence est trop éclairée pour ne pas 
«prévoir les conséquences de l'interruption de nos 
(( relations avec le . gouvernement de Sa Hautefôe. 
a Elle est trop dévouée aux intérêts véritables et per- 
« manents de son souverain et de son empire pour 
c( ne pas éprouver un- profond regret en prévision des 
i( événements qui peuvent éclater et dont la respon- 
« sabilité pèsera tout entière sur ceux qui les pro- 
(( voquent. 

(( Aussi, en adressant, aujourd'hui cette lettre à 
«Votre Excellence, je n'ai d'autre but que de la 
«mettre à même, tant qu'elle le peut encore, de 
« rendre un très-important service à son souverain. 
«Mettez encore une fois. Monsieur, sous les yeux 
« de Sa Hautesse la situation réelle des choses, la 
«modération et la justice des demandes de la Rus- 
« sie, la très-grande offense que l'on fait à l'empe- 
« reur en opposant à ses intentions si constamment 
« amicales et généreuses une méfiance sans motif et 
<r des refus sans excuses. ^ 

«La dignité de Sa Majesté, les intérêts de son 
« empire, la voix de sa conscience ne lui permettent 
«pas d'accepter des procédés pareils en retour de 
« tous ceux qu'elle a eus, et qu'elle désire encore 



106 HISTOIRE DE Là GUERRE D'oRIENT. 

185S. « avoir pour la Turquie. Elle doit chercher à en ob- 
« tenir la réparation et à se prémunir contre leur 
<r renouvellement à l'avenir. 

«Dans quelques semaines les troupes recevront 
« l'ordre de passer les frontières de l'empire, non 
« pas pour faire la guerre, qu'il répugne à Sa Ma- 
«jesté d'entreprendre contr-e un souverain qu'elle 
« s'est toujours plu à considérer comme un allié sin- 
«cère, mais pour avoir des garaaties matérielles 
« jusqu'au moment où, ramené à des sentiments plus 
« équitables , le gouvernement ottoman donnera à 
« la Russie les sûretés morales qu'elle a demandées 
« en vain depuis dieux ans par ses représentants à 
« Constantinople , et en dernier lieu par son ambas- 
«sadeur. Le projet de Note que le prince de Men- 
«schikôff vous a remis se trouve entre vos mains; 
«que Votre Excellence se hâte, après avoir obtenu 
«l'assentiment de S. H. le sultan, de signer cette 
«note 8ans variante et de la transmettre au plus 
«tôt à notre ambassadeur à Odessa, où il doit se 
« trouver encore. 

«Je souhaite vivement que , dans ce moment déci- 
« sif, le conseil que j'adresse à Votre Excellence, avec 
« la confiance que ses lumières et son patriotisme 
«m'inspirent, soit apprécié par elle, comme par ses 
« collègues du Divan, et que dans l'intérêt de la paix, 
«que nous devons être tous également désireux de 
« conserver, il soit suivi sans hésitation ni retard, 

t Je prie Votre Excellence , etc. 

«NBSSBWOPBt^ 



CHAPITRE XXV. 107 

La Porte, après une longue délibération qui dura isss. 
plusieurs jours, remit, le 16 juin, son refus positif 
au premier drogman. M. Balabinë, le dernier membre 
de la légation russe qui fût resté à l'hôtel de l'am- 
bassade, partit le lendemain 17 juin de Constanti- 
nople, porteur de ce refus. 

Par une singulière coïncidence, qui prouvait les 
prévisions de la Russie et ses dispositions, le même 
jour, 17 juin., Fhospodar de Moldavie, prince Ghika, 
avait reçu du gouvernement russe un avis officiel, 
en date du 11 juin, portant que dans le cas très- 
probabte où la Porte Ottomane rejetterait le dernier 
ultimatum de l'empereur Nicolas, les troupes russes 
devaient passer la frontière : en conséquence Fhos- 
podar avait été invité à préparer des vivres et des 
charrois. 

Le même avis avait été aussi notifié au prince 
Stirbey, hôspodar de la Valachie. 

Les Turcs prirent toutes leurs précautions contre 
les attaques des armées russes. Omer-Pacha, séras- 
kier de l'armée ottomane, partit pour la Roumélie, 
accompagné de plusieurs pachas. L'armée turque se 
concentra sur Andrinople , pour pouvoir se porter 
facilement sur tous les points menacés. Omer-Pacha 
venait d'apprendre que les Russes étaient arrivés à 
Scutari, ville située à l'extrémité de leur frontière 
sur le Pruth, et qu'ils avaient campé le 17 juin sur 
les bords de cette rivière. 

Le vice-amiral Hamelin fut appelé, à cette épocjue, 



108 ' HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

ts5s. au commandement en chef de l'escadre française du 
Levant, en remplacement du vice-amiral de Lasusse. 
Le motif de ce remplacement fut attribué aux len- 
teurs que M. de Lasusse avait mises à se rendre au 
mouillage de Bésika où, contraireinent à ses instnic- 
tions, il avait été devancé par l'amiral Dundas. 

Le baron de Bruck, intemonce de l'Autriche, ar- 
riva à Constantinople au milieu de ces événements. 
La Porte éprouva quelque inquiétude sur la conduite 
que l'Autriche était disposée à tenir dans la lutte qui 
était sur le point de coitimencer. Quoiqu'on sût bien 
que cette puissance n'approuvait pas la conduite de 
la Russie, on doutait qu'elle fftt déterminée à ap- 
puyer la politique de résistance de la France et de 
l'Angleterre. La première communication de M. de 
Bruck dissipa en partie les doutes, mais la Porte 
ne put cependant pas comptet* également sur l'appui* 
de toutes les puissances qui avaient signé le traité 
de 1841, pour le maintien de Tômpire ottoman. S'il 
restait des doutes sur l'Autriche, on espéra vaincre 
les hésitations de la Prusse, car une opposition de sa 
part pouvait être bien fatale à ce royaume. 



CHAPITRE XXVI. 

Préparatifs 4e la gaerre. — Anxiété de rSnrope. — Ordre de paseer le. 
Pmtli. — Kanifoate de Vempereiir Nicolas. 

Les préparatifs militaires continuèrent en Turquie 
sur une vaste échelle. La Porte avait en ce moment 



CHAPITRE XXVt. ... 109 

près de cent mille hommes de toutes armes sur la issa. 
ligne du Danube, de Varna à Roustchouk, et l'on 
y envoyait chaque jour des renforts. La nouvelle de 
Farrivée des flottes combinées de France et d'An- 
gleterre, dans la baie de Bésika, produisit le plus 
grand enthousiasme parmi les Turcs. Ils poursui- 
virent avec plus de vigueur leurs préparatifs de dé- 
fense., 

Nous avons dit que M. Balabine , deniier membre 
de la légation russe, était parti de Gonstantinople le 
17 juin, porteur de la décision par laquelle la Porte 
avait formellement rejeté l'ultimatum de la Russie. 
L'Europe dut attendre avec anxiété ce qu'allait faire 
le gouvernement russe, en conséquence de ce rejet. 
C'était une attente de quelques jours, pour ap- 
prendre son dernier mot. On pensait que le czar 
-passerait le Pruth. Hésiter, après tant de menaces et 
de si graves démonstrations, c'était se condamner à 
la position la plus humiliante. Le passage du Pruth 
devait-il entraîner la guerre? Voilà où en était la 
grande question. 

Ce fut le 25 juin qu'on apprit à Saint-Pétersbourg 
le rejet par la Porte de l'ultimatum de la Russie, et 
le lendemain, 26 ou le 27 au plus tard, les ordres 
furent envoyés à l'armée de Bessarabie de franchir 
le Pruth, d'entrer dans les Principautés et de les 
occuper. Le czar fit publier en même temps le ma- 
nifeste suivant' pour justifier cette occupation. 



110 HISTOIRE DE hk GUERRE D*ORlfiNT. 

IBM. « Par la grâce de Dieu> nous, Nicolas l^^y em- 

pereur et autocrate de toutes les Russies , eto. 
c Savoir faisons:. 
m II est à la connaissance de nos fidèles et bien- 
« aimés sujets, que de temps immémorial, nos glo- 
« rieux prédécesseurs ont fait veau de défendre la foi 

« orthodoxe. 

« Depuis l'instant où il a plu à la divine provi- 
« dence de nous transmettre le trône héréditaire , 
« l'observation de ces devoirs sacrés , qui en sont 
<i inséparables, a été constamment l'objet de nos 
« soins et de notre sollicitude. Basés sur le glorieux 
« traité de Kaïnardji, confirmés par les transactions 
(( solennelles conclues postérieurement avec la Porte 
(( Ottomane, ces soins et cette sollicitude ont tou- 
«jours eu pour but de garantir les droits de l'Église 
(( orthodoxe. 

(( Mais à notre profonde affliction , malgré tous nos 
<( efibrts pour défendre l'intégrité des droits et pri- 
« viléges de notre Église orthodoxe, dans ces derniers 
c( temps de nombreux actes arbitraires du gouverne- 
« ment ottoman ont porté atteinte à ces droits, et 
«menaçaient enfin d'anéantir complètement tout 
« l'ordre de choses sanctionné par les siècles et si 
« cher à la foi orthodoxe. 

(( Nos efforts pour détourner la Porte d'actes sem- 
« blables sont restés infructueux, et même la parole 
«solennelle que le sultan nous avait donnée, en 
« cette occasion, n'a pas tardé à être violée. 



CHAPITRE XX YI. 111 

« Après avoir épuisé toutes les voies de la persua- issa 
c( sion et tous les moyens d'obtenir à Tamiable la sa- 
(a tisfaction due à nos justes réclamations , nous avons 
« jugé indispensable de faire entrer nos troupes dans 
« les principautés danubiennes , afin de montrer à la 
^ Porte où peut la conduire son opiniâtreté. Toute- 
« fois, même à présent, notre intention n'est point 
« de commencer la guerre par l'occupation des Prin- 
o: cipautés : nous voulons avoir entre les mains un 
^ gage qui nous réponde en tout état de cause du 
« rétablissement de nos droits. 

« Nous ne voulons point de conquêtes. La Russie 
« n'en a pas besoin. Nous demandons qu'il soit sa- 
in tisfait à un droit légitime, si ouvertement enfreint. 
«Nous sommes prêt, même dès à. présent, à arrê- 
«ter le mouvement de nos troupes, si la Porte 
€ Ottomane s'engage à observer religieusement l'in- 
« tégrité des privilèges de l'Église orthodoxe. Mais 
«si l'obstination et l'aveuglement veulent absolu- 
«ment le contraire, alors, appelant Dieu à notre 
« aide, nous nous en remettrons à lui du soin de dé- 
« cider de notre différend,: et plein d'espoir en sa 
« main toute-puissante, nous marcherons à la dé- 
« fense de la foi orthodoxe. 

« 26 juin 1853, de notre règne le vingt-huitième. 

« Nicolas. » 

Le premier pas de l'autocrate dans cette marche à 
la défense de la foi orthodoxe réveilla en Europe un 



lis HISTOIRE DE LA GUERRE O^OAIENT. 

1858. sentiment qui commença Texpiation de son appel 
presque sacrilège à la divinité. Cet acte souleva une 
explosion unanime de colère chez tous les organes 
de Fopinion publique. 

Le csar pouvait bien faire appel au fanatisme du 
peuple russe ou à l'enthousiasme de son armée ; mais 
s'il persuadait à ses sujets qu'il pouvait en dehors de 
ses États dicter des conditions d'une manière aussi 
absolue qu'en dedans , ses prétentions devaient être 
anéanties le jour où elles viendraient à se trouver aux 
prises avec les lois reconnues du reste du monde. Le 
système qu'il représentait était armé d'énormes forces 
mihtaires et dirigé par un pouvoir absolu ; mais d'un 
autre côté^ lorsque son ambition viendrait se heuiler 
contre les droits des autres nations , si l'Europe res- 
tait unie et fidèle à ses intérêts et à ses devoirs com- 
muns, elle devait, dans cette circonstance, prescrire 
à la Russie des limites qu'elle obligerait cet empire 
à respecter. 

Tous lés maux qui allaient sortir de la guerre, 
devaient être imputés au gouvernement qui, au mé- 
pris du droit et de l'opinion de l'Europe, avait été le 
premier à troubler la paix du monde civilisé. 
Juillet. Le passage du Pruth fut le premier acte de vio- 
lence commis par l'autocrate. Ce fut l'emploi de la 
force sans prétexte réel, ce fut la violation des traités 
et une atteinte grave portée au droit public de l'Eu- 
rope. , 
L'ordre parti le 27 juin de Saint -Pétersbouig, 



1 GUâPlTAE OLXVi. 113 

pour faire occuper les Principautés par l'armée de iss». 
Bessarabie y arriva au général Gortschakoff le 1®*" juil- 
let Le lendemain, 2 juillet, les troupes russes s'é- 
branlèrent en masse. Le premier corps , commandé 
par le général Dannenberg, passa le Pruth par 
Léova, et commença aussitôt Foccupation de la Va- 
lachie. Le général Gortschakoff entra à Bucharest , 
deux jours après.* Le corps destiné à la Moldavie 
franchit également le Pruth , mais par Skuléni. Les 
généraux russes , suivant les constantes et habiles 
traditions des conquérants, donnèrent aux hospô- 
dars l'assurance qu'aucune modification ne serait 
apportée au gouvernement des Principautés. La pro- 
clamation suivante du général en chef fut adressée 
aux habitants de la Moldavie et de la Valachie. 

Proclamation. 
« Habitants de la Moldavie et de la Valachie , 

« S. M. l'empereur, mon auguste maître, m'a or- 
(( donné d'occuper votre territoire avec le corps d'ar- 
<r mée dont il a daigné me confier le commandement. 

«:Ndus arrivons au milieu de vous, ni avec des 
«projets de conquête, ni avec l'intention de modifier 
«les institutions qui vous régissent, et la situation 
«politique que des traités solennels vous ont ga- 
«rantie. 

« L'occupation provisoire des Principautés que je 

« suis chargé d'effectuer , n'a d'autre but que cehii 

«d'une protection immédiate et efficace dans des 

8 



114 HISTOIRE DE LA GDSRlifi D*OIU£NT. 

1868. « circonstances imprévues et graves où le gouverne- 
^ ment ottoman , méconnaissant les nombreuses preu- 
«ves d'une sincère alliance que la Cour impâriale 
«n'a cessé de lui donner depuis la conclusion du 
a traité d' Andrinople , répond à nos propositions les 
^ plus justes par des refus , à nos conseils les plus 
« désintéressés par la plus offensante méfiance. 

a Dans sa longanimité, dans son constant désir de 
«maintenir la paix en Orient, conmie en Europe, 
«l'empereur évitera une guerre offensive contre la 
«Turquie, aussi longtemps que sa dignité et les in- 
« térêts de son empire le lui perâiettroot. 

« Le jour où il obtiendra la réparation qui lui est 
« due et les garanties qu'il est en droit de réclamer 
« pour l'avenir, ses Iroupes rentreront dans les limites 
« de la Russie. 

«Habitants de la Moldavie et de la Valachie, je 
« remplis également un ordre de Sa Majesté Impé- 
«riale, en vous déclarant que la présence de ses 
« troupes dans votre pays ne vous imposera ni char- 
«ges, ni contributions nouvelles, que les fournitures 
« en vivres seront liquidées par nos caisses militaires 
« en temps opportun, et à un taux fixé d'avance, 
«d'accord avec vos gouvernements. 

«Envisagez votre avenir sans inquiétude, livrez- 
« vous avec sécurité à vos travaux agricoles et à vos 
« spéculations commerciales: obéissez aux règlements 
« qui vous régissent , et aux autorités établies ; c'est 
« par le fidèle accomplissement de ces devoirs que 



CBAPiTRS UVII. 115 

€ VOUS acquerrez les meilleurs titres à la généreuse 1803. 

« sollicitude et à la puissante protection de S. M. l'em- 

. « pereur. 

m Signé: Gortsghakoff. )> 



CHAPITRE XXVII. 

Anein tnitté n'autorisait la vialatUn ûm taEritaira taro. — latliaasiatnia 

à Saint-Pétersbonrg. — Sonreillanca sut la mer Noire. 

Aucun traité conclu enive la Sublime Porte et la 
Russie, antérieur à Tacte de Baltaliman, n'autorisait 
la violation du territoire de la Turquie, et l'acte de 
Baltaliman, signé en 1849, et dont la durée est de 
sept ans, dit^ article 4, que les troupes russes ne 
pourront entrer dans les Principautés que dans le 
seul cas où des désordres viendraient à y éclater. 
C'est ce qui avsdt nécessité, en 1848, l'occupation 
russe et amené le traité de Baltaliman. 

Or , comme la plus parfaite tranquillité régnaitdans 
les provinces moldo-valaques , à l'époque de l'entrée 
des Russes , en i 853 , l'occupation qu'ils effectuèrent 
était donc sans motif, et constituait une flagrante 
atteinte à l'intégrité et à l'indépei^ance de la Tur- 
quie. Ce fc^t une grave infraction aux traités de 1840 
et 1841 , signés par les cinq grandes puissances, et 
qui garantissaient cette intégrité et cette indépen- 
dance. 

Nous avons dit que le fanatisme du peuple russe 



1 16 HISTOIRE DE hé. WfMM^ p'ORIENT. 

1868. pouvait approuver . roccupatipn des Principautés. 
C'est ce qui arriva. Le peuple de SainJ-Pétersbourg 
fit éclater un enthousiasme sans égal y quand il m- 
tendit la lecture de Tordre de l'autocrate qui enjoi- 
gnait aux troupes russes de traverser le Pruth. Le 
peuple se précipita en masses dans les rues qui avaient 
été spécialement illuminées. Le czar fut accueilli par 
de bruyantes acclamations, et dès qu'il se montrait, 
le peuple tombait à g^aoux , pour rendre un hom- 
mage fanatique au défenseur de la foi orthodoxe et 
de l'honneur russe. Des hommes des classes les plus 
humbles poussèrent l'enthousiasme si loin, que de- 
vant la voiture de l'empereur, ils dansèrent avec une 
joie frénétique. Le czar n'était pas seulement pour 
ce peuple ignorant l'autocrate de toutes les Russies ; 
il était le chef de l'Église , le grand pope , auquel ils 
devaient la vénération religieuse. Quel souverain 
d'ailleurs fut jamais comblé de qualités aussi brillan- 
tes pour commander l'admiration et le respect de ses 
sujets ? 

L'avis donné à Omer-Pacha de l'arrivée des Russes 
à Skuléni fit craindre que la flotte de Sébastopol 
n'eût mis à la voile. Un bateau à vapeur turc reçut 
mission d'aller surveiller ses mouviements. Il entra le 
Sfô juillet dans la mer Noire , pour faire une recon- 
naissance. Il avait à bord des officiers anglais et fran- 
çais. On attendit son retour avec la plus grande im- 
patience, parce que les ambassadeurs avaient déclaré 
que, s'il apportait la nouvelle qu'une flotte russe ve- 



CHAPITRE XXVni. Ml 

naît dans la direction du Bosphore, les escadres de i85s. 
France et d'Angleterre, sans un instant de retard , 
passeraient les Dardanelles et seraient mises à la dis- 
position de la Porte. 



CHAPITRE XXVra. 

▼ive éoMtioo à Constantinopl*. — Te Deum ehanté à Jassy par les Basses. 
— Conféreneei mvfeUea. *- MvdéraltMi du JUtaii. 

La nouvelle du passage du Pruth par les Russes , 
et de roccupation des Principautés, arriva à Con- 
stântinople dans les premiers jours de juillet. Les 
esprits, déjà surexcités par tant de circonstances 
politiques ^ furent vivement émus , et une grande 
agitation s'ensuivit dans toute la ville. Une certaine 
inquiétude se fit même sentir parce qu'on redoutait 
à tout moment une collision entre les Turcs et les 
Grecs. On savait que le nombre des troupes russes 
entrées en Valachie se montait déjà à plus de 
50,000 hommes. Cependant on puisait une profonde 
sécurité dans la présence des flottes alliées toujours 
à l'aiicre à Bésika. 

Les Russes n'avaient trouvé aucun ennemi à com- 
battre pour passer le Pruth , et se rendre maîtres de 
la Moldo- Valachie. Ils n'avaient donc pas eu l'occasion 
de remporter une victoire et de triompher de quel- 
que résistance, et cependant, le 7 juillet, un Te 
Deum fut chanté à Jassy, en l'honneur de S. M. l'em- 
pereur Nicolas , dans l'église de Saint-Spiridion* Le 



118 HISTOIRE DE LA GUERRE D'oRIENT. 

1853. prince GortschakofF, tous les généraux russes , l'hos- 
podar, les ministres, les boyards les plus distingués, 
assistèrent à cette pompeuse cérémonie. Le prince 
GortschakofF repartit le lendemain pour Bucharest 
où il établit, dès le 10, son quartier général. Près 
de 40,000 hommes à cette époque campaient autour 
de cette ville. Malgré l'excessive chaleur, il y eut peu 
de malades parmi les soldats : ce résultat fut attri- 
bué à ce que, dans ces premiers moments, le service 
des vivres était bien assuré. 

Les deux armées turque et russe n'étaient pas en- 
core en présence, et malgré le Te Deum chanté dans 
l'église de Saint-Spiridion , il n'y avait encore eu que 
des batailles de protocoles et de notes diplomatiques. 
Malgré la marche des Russes sur le territoire turc , 
les cabinets européens espéraient encore un dénoû- 
ment pacifique ; car, d'une part, le 15 juillet, dans 
la Chambre des communes lord John Russel, répon- 
dant à M. Disraeli , avait annoncé que les gouverne- 
ments français et anglais avaient fait des propositi(Mis 
de nature à être acceptées par la Russie et par la 
Turquie, et que toute discussion sur les affaires 
d'Orient serait inopportune, tant que la réponse 
du Divan et celle de Saint-Pétersbourg ne seraient 
pas connues ; d'autre part , l'échange actif de dé- 
pêches entre les cabinets de l'Europe rendait l'état 
actuel du différend turco-russe une sorte de mystère 
impénétrable pour le public. 
Ces conférences nouvelles entre les envoyés des 



CHAPITRE XXVm. 119 

puissances arrêtèrent la marche des Turcs qui, jus- isss 
qu'à ce moment, avaient laissé les Russes paisibles 
possesseurs des Principautés. Ils n'avaient pas fait, 
jusque-là, les moindres préparatifs pour effectuer le 
passage du Danube ; seulement la concentration des 
troupes turques continuait à Schumla. Les Turcs 
fortifiaient aussi la place de Pravadi , entre Schumla 
et Varna. Dans l'Albanie et la Roumélie, la levée des 
troupes irrégulières se faisait avec une grande ra- 
pidité. 

Le Divan apporta dans tous ses actes un grand 
esprit de suite et de sagesse. Il tint à mettre le droit 
de son côté , et à le faire constater. C'est ainsi que , 
le 14 juillet, il remit aux ambassadeurs des grandes 
puissances une protestation énergique contre l'occu- 
pation des principautés moldo-valaques par l'ar- 
mée russe. 

Le langage de cette protestation était plein de di- 
gnité et de logique. Il respirait une grande modéra- 
tion, et la conscience de son bon droit. Mais le Divan 
n'ignorait pas que cette modération ne suffisait pas , 
et qu'il fallait s'appuyer sur une force qui la fît res- 
pecter. C'est dans cette prévision qu'il continua avec 
vigueur tous ses armements, car il avait d'autres 
ennemis que les Russes. Le conflit prochain sur le 
Danube suscitait déjà des agitations sur le territoire 
même de l'empire turc. La Grèce était calme, en 
apparence , mais les agents russes étaient à l'œuvre 
pour fomenter partout du mécontentement, 



' 



120 HISTOIRE.de JLA GUERRE D'ORIENT. 

1853 L'amiral de Lasusse remit , dans les derniers jours 
de juillet , le ôommandement de la flatte française 
à Tamiral Hamelin, son successeur. Ses adieux à Tes- 
cadre laissèrent percer toute sa douleur de s'éloigner 
d'elle à la veille des grands événements qui se pré-* 
paraient , et qui lui réservaient un rôle si important. 
Il laissa tous les vaisseaux à leur mouillage de Bésika, 



CHAPITRE XXIX. 
Aniemuits de ringleterre. — FUtte russe. — Sa oempediien. 

Les armements de la marine anglaise ne se ralen* 
tissaient pas. Les Anglais construisaient, lançaient 
et armaient dans tous leurs ports de redoutables 
vaisseaux à vapeur , à hélice, à voiles et à aubes. 
Après deux mois de travaux, ils avaient produit une 
flotté, qui, aux yeux des marins, était à beaucoup 
près la plus formidable que l'Angleterre eût armée 
depuis la paix. Elle se composait en ce moment de 
douze vaisseaux de ligne, de dix frégates à voiles, à 
vapeur et à hélice, et de cinq bâtiments légers à va- 
peur. Au total vingt- sept bâtiments de guerre, por- 
tant ensemble quatorze cent vingt-quatre pièces de 
canon. Sept des vaisseaux étaient à hélice. LeWel- 
lington était armé de cent trente et un canons. Les 
équipages s'élevaient à 10,000 hommes. 

Nous plaçons en regard du tableau d'une simple 
division de la flotte anglaise , celui de la flotte russe, 



•! CHAPITRE XXIX. 141 

en totalité. Les ports nombreux de l'Angleterre eon- i«^ 
tenaient des réserves en tout genre pour créer, ar- 
mer et équiper de liouteaux et nombreux vaisseaux, 
en peu de temps ; tandis que la Russie avait fait, de- 
puis longues années, de continuels efforts pour la 
flotte qu'elle possédait , et qui n'avait encore , soit 
pour le per^nnel, soit pour le matériel, rien qui pût 
en cas d'attaque la mettre en état de sérieuse et 
longue résistance. 

La flotte russe, qui comprenait tout ce que la 
Russie avait pu mettre à flot de bâtiments de guerre, 
se composait de quarante-cinq vaisseaux et de trente 
frégates. Elle étak partagée en cinq escadres ou di- 
visions. Les trois premières avaient pour point de 
réunion lé port' de Cronstàdt, et les deux autres celui 
de Sébastbpoi, sur la mer Noire. 

Le grand- duc Constantin fut nommé grand-amiral 
de la flotte, qu'il inspecta avec vigilance. Il avait son 
paviHon sur le vaisseau de c€nt vingt canons, lu Russie. 

La première division était placée sous les ordres 
du contre-amiral Zamitsky; la seconde, sous les 
ordres du contre-amiral Balch; la troisième, sous le 
commandement du contre-amiral Epantschin. Ces 
trois escadres formaient ce qu'on appelait, en Europe, 
la flotte de la Baltique. 

La quatrième division était commandée par le 
vice-amîral Sehafièlf , qui avait Sous ses ordres toutes 
lès forces de la mèr Noire; et enfin, la cinquième 
avait pour chef lé vice-amiral Stankwicb, 



123 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

186S, Cette flotte n'avait pas l'impartance que son état- 
major semblait indiquer. Â part les Grecs et les Fin- 
landais , qui étaient généralement de bons matelots , 
les équipages des vaisseaux étaient mal composés et 
presque tous incomplets. L'armement de la première 
division n'avait pu être effectué. La troisième divi- 
sion avait pris le large tout récemment; et la se- 
conde, après avoir fait quelques évolutîms dans la 
Baltique, avait relâché à Krasnagiwork. 



CHAPITRE XXX. 

Htto élaboré? à Vleuie. — Modtteation des traitéi aatérteiirt. — Qaraettoe 
«•UTeav d« Foeeiipatton des Prlaeipantét. 

Les propositions dont avait parlé lord John Rus- 
sel dans la séance du Parlement, du 15 juillet > 
avaient été élaborées , à Vienne , par les représen- 
tants de l'Angleterre, de la France et de TAulriche, 
et paraissaient être tout à fait de nature à être ac- 
ceptées par le cabinet de Saint-Pétersbourg et par 
la Sublime Porte. 

Dans le cas où l'autocrate aurait refusé les nou- 
velles propositions émanées des représentants des 
puissances à Vienne, le gouvernement autridiien 
laissait espérer qu'il ferait cause commune avec la 
France et l'Ai^leterre contre la Russie. Mais quel 
fondement asseoir sur les oscillations autrichienne^ ? 

Ce projet stipulait notamment l'extension de l'ar- 
ticle 7 du traité de Kaïnardji à toutes les cwfessions 



CHAPITRE XXX. 123 

chrétiennes, et af^ortait quelques modifications à 1853 
ce qu'avait demandé la Russie. Dans la crainte que 
le cabinet de Saint-Pétersbourg n'admît pas ces mo- 
difications, les armements continuèrent partout, en 
Oriient comme en Occident. Les corps russes, de leur 
côté , se fortifiaient dans les Principautés d'une ma- 
nière formidable. Chaque jour il arrivait de l'artil- 
lerie, destinée aux ouvrages de défense établis sur 
les points les plus avantageux du pays. Les Russes 
formèrent trois camps retranchés qui devaient pro- 
téger toutes leurs lignes. 

Les envahisseurs avaient promis en entrant qu'au- 
cune modification ne serait apportée au gouverne- 
ment des Principautés, et un des premiers actes de 
l'occupation fut précisément de révéler l'intention 
des Russes de s'y établir définitivement , ce qui de- 
vait amener, non une modification simple, mais un 
changement complet 

En efiet , cette occupation , à peine efiectuée, cessa 
d'avoir un caractère provisoire, à titre de garantie, 
et prit celui d'une possession définitive. C'est ce qu'il 
faut induire de la conduite du consul général russe 
qui ordonna à l'hospodar de Moldavie et à celui de 
la Valachie de cesser toute communication avec la 
Porte et de ne plus payer le tribut au sultan , leur 
souverain légitime. De pareils ordres équivalaient 
certainement à une usurpation des droits du sultan. 
C'était un acte de conquérant qui constituait un pré- 
liminaire d'hostilités d'une grande importance pour 
toute l'Europe, 



^124 HISTOIRE ïm LA GUERRE d'ORIENT. 

1853. La Porte s'en émut vivement et protesta de iibu- 
veau. n fut enjoint aux hospodars de quitter le siège 
de leurs gouvernements et de n'avoir aucune com- 
munication avec les autorités russes. Les différentes 
pièces échangées à cette occasion ont une importance 
historique. 

Lettre éê consul général russe, à Bueharest, au prince 
de la Moldavie, en date du 23juilleL 

((Tri l'honneur d'envoyer confidentiellement à 
« Votre Altesse la copie ci-incluse d'iine dépêche que 
i( M. le comte de Nesselrode, chancelier d'État, m'a- 
« dresse en date du 3 juillet. Vous y verrez, Prince, 
« les instructions les plus précises sur la conduite 
(T que vous devez suivre en raison de Foccupation des 
<r Principautés par les troupes impériales envers la 
«: Porte Ottomane, ainsi que les mesurés que vous 
« aurez à prendre pour retenir le tribut que la Mol- 
« davie a payé jusqu'à ce jour au souverain ottoman. » 

Suit la teneur de la lettre du comte de Nessel- 
rode, suffisamment relatée dans les deux lettres sui- 
vantes : 

Lettre du prince de Moldavie au Reis-Effendi Reschid- 

Pacha ^ en date du 25 juillet. 

«rSmGNEUR, 

« Je vous ai exposé hier les conséquences de Foc- 
(Tcupation des principautés danubiennes par les 
«troupes russes. Aujourd'hui j*ai la douleur de vous 



CliAPlf RE .3UtX. 1% 

«flaire une coinmuniGâtion que le consul russe m'a is^a. 
c( adressée en ce moment. Les deux documents dont 
«vous trouverez, ci-induées les copies, vous donne- 
« ront une idée de cette demande de S, M. l'empe- 
^. reur de Russie qui m'ordonne d'interrompre mes 
(( relations avec* la Sublime Porte et l'envoi du tribut, 
«attendu que cela serait incompatible avec la pi'é- 
«sence de l'armée russe dans les Principautés. 

«J'ai eu une entrevue avec le prince GortschakofF 
« immédiatement après la réception de cette) compiu^ 
«nicalion. J'ai cru devoir lui faire des observations 
«à cet égard, et je lui. ai déclaré que je me trouvais 
«dans la nécessité d'en donner connaissance à la 
« Sublime Porte. Le général n'a pas élevé d'objection 
« à ce sujet. Gomme je sens combien il est au-dessus 
« de mon pouvoir de toucher à des mesures dépen- 
«dant de la décision des deux puissances, je me 
«hâte, de mon côté^ d'en faire un rapport à Votre 
«Excellence y afin qu'elle résolve daps sa sagesse ce 
« qu'elle jugera utile. 

«Agréez, etc.» . 

Lettre du Reis-Effendi Reschid- Pacha au prince de 
Valachie, en date, de Constantlnople, du 30 juillet. 

« Mon Prince , 

« Là Russie , en faisant entrer ses troupes dans la 
«Moldavie et la Valachie, a déclaré qu'elle n'avait 
«pas l'intention de changer les institutions ni la 
« situation politique de ces provinces garanties par 



126 HISTOIRE DB Là GinRRB D'ORIENT. 

i«u. € des traités solennels. La Sublime Porte , ayant eu 
c confiance dans cette déclaration , a cru devcnr 
^laisser en fonctions Votre Altesse, ainsi que S. A. le 
€ prince de la Moldavie. 

^ Cependant nous apprenons par la lettre que nous 
«adresse le prince de la Moldavie, que la cour de 
«Rœsie a donné Tordre, à vous et au prince de la 
« Moldavie, de suspendre vos rapports avec Constan- 
« tinople et de ne plus payer le tribut établi , ce qui 
« nous a vivement étonné. 

« Gomme la cour de Russie a attaqué le système 
«des Principautés sur le point qui est en rapport 
«immédiat avec le droit de propriété de la Porte 
«Ottomane, c'est-à-dire sur ses bases, la Sublime 
« Porte voit clairement que dans cet état de choses 
« l'exercice de l'autorité légitime , comme l'exigent ses 
«droits inaltérables et sacrés, est devenu impossible 
« dans les Principautés de Moldavie et de Valachie. 

« En conséquence , la Sublime Porte a décidé que 
« Votre Altesse et S. A. le prince de Moldavie quit- 
«leraient provisoirement les provinces, et celte me- 
«sure a été communiquée aux grandes puissances. 
« Il est donc nécessaire que Votre Altesse, se confor- 
«mant aux ordres du sultan, quitte sur-le-champ la 
«province, et s'il devait arriver que vous ne voulus- 
« siez pas obéir , la Porte Ottomane adopterait de son 
«côté les mesures qu'elle jugerait convenables à ses 
« intérêts et à ses droits. » 



CHAPITRE XXX{. 127 

CHAPITRE XXXI. 

K«U de Yieiiiie «eeeptée par la Kvsiie. — Bxpanstoii JayeiiM ; donte» «t 
anxiétés. — Les illasiens se dissipent. — Oéeislon négative de la Perte. 

Après la lettre de Reschid-Pacjia aux hospodars , 1^53. 
le sultan adressa à ses spjets mahométans un mani* ^''^*' 
fesle qui fît honneur à son libéralisme et à la modé- 
ration dont il n'avait cessé de dqnner des preuves. 
Ce document annonçait que les. troupes turques res- 
teraient sous les armes, sur les frontières, en Asie, 
et sur les rives du Danube, jusqu'à ce que le diffé- 
rend turco-russe fût aplani. C'est que, en effet, les 
résolutions arrêtées p^yr la conférence de Vienne et 
consignées dans la Note dont nous avons parlé, avaient . 
été ratifiées promptement par les quatre cours de 
France, d'Angleterre, d'Autriche et de Prusse, et 
deux courriers étaient partis de Vienne, l'un pour 
Constantinople, l'autre pour Saint-Pétersbourg, char- 
gés d'aller porter aux parties. belligérantes ces réso- 
lutions des quatre puissances qui pouvaient être con- 
sidérées comme une espèce d'ultimatum de l'Europe 
à la Russie. 

Le courrier parti pour Saint-Pétersbourg arriva 
dans cette capitale le i®** août, et le 3, l'empereur 
dç Russie adhéra à la Note de Vienne ; mais la con- 
dition formelle de l'adhésion du c^ar fut que l'accep-? 
tation de cette Note par la Turquie serait faite sans 
modification aucune et sans aucune espèce de chan- 
gement. 



i28 HISTOIRE DE LA £IIBBBE d'oRIENT. 

1853. La nouvelle de l'acceptation de la Note par la 
Russie produisit à la Bourse de Paris une hausse de 
3 fr. sur le 3 p. 400 et de 60 à 80 fr. environ sur les 
actions des chemins de fer. 

Elle donna à la presse d'Angleterre et de France 
une expansion de satisfaction qui fit contraste avec 
les rudes paroles qu'elle proférait naguère contre 
l'autocrate. On appelait alors esprits chagrins ceux 
qui pensaient que l'occupation des Principautés pour- 
rait susciter quelque nouveau conflit. Cette solution 
pacifique par la diplomatie et par la sagesse des gou* 
vernements paraissait certaine à la majorité, qui se 
livra avec confiance à l'idée que la crise allait finir, 
et qu'une paix solide se cimenterait bientôt. C'était 
avec impatience qu'on attendait la réponse du sultan 
aux propositions de la Conférence. Les affaires res- 
tèrent cependant suspendues et presque paralysées 
par cette attente. On flottait du doute à la crainte; 
mais l'espérance dominait. Que d'intérêts en suspens! 
Que de cœurs avides d'une solution pacifique ! ! Les 
incertitudes se prolongèrent encore, et les plus cruelles 
déceptions frappèrent les esprits ordinairement les 
plus clairvoyants. Les vicissitudes nouvelles de cette 
crise (donnèrent lieu à de scandaleux agiotages. 

Au milieu de l'impatience universelle, tomba, le 
13 août, l'article suivant de la Patrie: 

<L Une dépêche télégraphique de Trieste, arrivée 
(1 cç matin (13 août), apporte les nouvelles suivantes : 

<k La Sublime Porte accepte dans toute sa teneur ; 



CHAPITRE XZXI. 129 

^et sans aucune modification, la Note dont la rédac- ism 
« tion a été arrêtée à Vienne par les quatre cours si- 
((gnataires du traité de 4841. 

d Cette acceptation faite avec les expressions de la 
((plus parfaite courtoisie est accompagnée des assu- 
(( rances d'une sincère amitié de la part du gouver- 
(( nenient ottoman. 

« Par un sentiment de convenance facile à appré- 
(( cier, l'ambassadeur extraordinaire, chargé de porter 
« au czar l'adhésion du sultan, partira pour Saint- 
« Pétersbourg aussitôt que les troupes russes auront 
«reçu l'ordre de quitter le territoire envahi. 

« Le désir du sultan étant entièrement conforme 
« aux déclarations des gouvernements de France et 
(( d'Angleterre, rien ne peut mettre obstacle à la con- 
c: clusion pacifique et définitive apportée par la dé- 
(( pêche ci-dessus.» 

Mais cet article de la Patrie reçut immédiatement 
un éclatant démenti d'une autre dépêche plus ré- 
cente. 

Elle portait : 

«L' internonce a remis, le 15 août, au sultan, une 
«lettre de l'empereur d'Autriche, qui le pressait ami- 
« calement d'accepter les propositions de Vienne. 

«Les ambassadeurs des grandes puissances ont 
« appuyé vivement la démarche de l'internonce. 

« Bien que la décision du sultan n'eût pas encore 
« été publiquement annoncée, cependant le ton des 
« articles du Journal officiel de Constantinople ne pa- 

9 



130 HISTOIRE DE LA GUERRE D ORIENT. 

1863 . <c raît laisser aucun doute sur Tacceptation par la Porte 
c( de ces propositions. » 

Cette dépêche rendit singulièrement mystérieuse 
celle de Trieste donnée par la Patrie du 43, et qui 
avait occasionné une forte hausse à la Bourse de 
Paris. 

Comment ce journal avait-il pu donner comme po- 
sitive l'acceptation de la Note, par la Porte, avant le 
9 août, tandis que le 15 on délibérait encore dans 
le Divan sur l'acceptation ou le rejet de ces propo- 
sitions? 

Mais la Patrie avait trouvé les esprits très-disposés 
à accepter sa nouvelle comme positive, et le journal 
des Débais lui-même en était convaincu et tout ra- 
dieux. 

Il disait dans son numéro du 26 août : 

<s:La paix est assurée et la crise d'Orient est ter- 
« minée. Voilà le fait heureux : voilà l'événement sa- 
c( lutaire qui doit servir de point de départ à toutes 
«les réflexions qui peuvent encore être faites sur la 
« question d'Orient. La crise est finie, grâce aux ef- 
a forts habiles et heureux de la diplomatie européenne, 
(( qui vient encore une fois de sauver le monde des 
« horreurs de la guerre, etc. i> 

Hélas! déjà il s'élevait des doutes sur le succès de 
cette habile diplomatie. Il fallut comprimer encore 
les élans de la reconnaissance publique pour les ré- 
sultats obtenus par ces heureux pacificateurs. 

Des nouvelles importantes arrivèrent dé Constan- 



CHAPITRE XXXI. 131 

tinople et assurèrent que le Divan n'avait pas accepté isss. 
sans changement le projet de médiation; par consé- 
quent, on n'avait pas atteint le but qu'on s'était pro- 
posé. On ajoutait, il est vrai, que les changements 
de rédaction étaient sans importance et de nature à 
ne pas empêcher une solution pacifique, parce qu'ils 
étaient très-légers. 

Enfin, le voile tomba et les illusions se dissipèrent. 
Les nouvelles que l'on reçut de Constantinople furent 
peu satisfaisantes. La Note agréée par les quatre 
puissances, et acceptée par la Russie, était partie de 
Vienne le 2 août. Elle était arrivée à Constantinople 
le 9, et ce ne fut que le 19, dix jours après son 
arrivée^ que l'on prit une décision, et cette décision 
fut négative en partie , sur la forme du texte pro- 
posé, et ce texte renvoyé à Vienne pour y être mo- 
difié. On disait que les changements demandés étaient 
sans importance; mais l'important était de savoir 
s'il était prudent et politique de demander un chan- 
gement quelconque. Si ces changements étaient sans 
importance, c'était un motif de plus pour ne pas in- 
sister, d'autant que cette modification tenait l'Europe 
en suspens, prolongeait des armements dispendieux, 
d'où la guerre pouvait sortir d'un instant à l'autre, 
et enfin, qu'elle donnait à l'empereur de Russie un 
prétexte fondé de rompre les négociations. 



132 HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORIENT. 



CHAPITRE XXXn. 

Texte de la Note de Yienae. Son importance. — Medifleations demandées 

par le Divan. 

1863. Cette fameuse Note de Vienne qui occupa si vive- 
ment l'attention de l'Europe, et qui la tint si ha- 
letante, a été publiée. Il est peu de documents 
semblables qui aient excité autant de curiosité et 
d'intérêt, car des mots et des phrases de cette Note 
a dépendu longtemps la paix du monde. Elle était 
en forme de lettre, destinée à être adressée par Res- 
chid-Pacha au comte de Nesselrode. 

La voici accompagnée des modifications proposées 
par la Porte : 

((Sa Majesté le sultan n'ayant rien plus à cœur 
« que de rétablir entre elle et l'empereur de Russie 
(( les relations de bon voisinage et de parfaite entente, 
a: qui ont malheureusement été troublées par de pé- 
«nibles complications récentes, s'est imposé soi- 
«gneusement la tâche de trouver le moyen d'effacer 
«les traces de ces différentes difficultés. 

«Un suprême Iradé, en date de..., ayant informé 
(de soussigné (Reschid- Pacha) de la décision du 
«sultan, la Sublime Porte se félicite de pouvoir 
((la communiquer à S. Exe. le comte de Nessel- 
«rode. Si, dans tous les temps, les empereurs de 



CHAPITRE xxxn. 133 

« Russie ont témoigné la plus vive sollicitude * pour i8«s- 
« le maintien des immunités et privilèges de l'Église 
<r orthodoxe grecque dans l'empire ottoman , les sul- 
«tans, de leur côté, n'ont jamais refusé de les con- 
« firmer de nouveau par des actes solennels qui prou- 
« vaient leur bienveillance ancienne et constante pour 
«leurs sujets chrétiens. 

«S. M. le sultan Abdul-Medjid, actuellement ré- 
crgnant, animé des mêmes dispositions, et désirant 
«donner à S. M. l'empereur de Russie une preuve 
a: personnelle de son amitié la plus sincère, n'a écouté 
« que sa confiance infinie dans les éminentes quali- 
« tés de son auguste ami et allié, et a daigné prendre 
« en sérieuse considération les représentations ' dont 
« S. Exe. le prince MenschikofF s'est rendu l'inter- 
« prête auprès de la Sublime Porte. 

«Le soussigné a, en conséquence, reçu l'ordre de 
«déclarer par la présente, que le gouvernement de 
«S. M. le sultan restera fidèle à la lettre et à l'esprit 
«des stipulations des traités de Koutchouk-Kaïnardji ' 



1. Modifications proposées par la Porte. 

«Quant au culte de l'Église orthodoxe grecque, les sultans 
«n'ont jamais cessé de veiller au maintien des immunités et 
« privilèges de ce culte et de cette Église dans l'empire otto- 
« man , et de les confirmer de nouveau par des actes solennels 
« qui témoignent , etc. » 

2. Les communications. 

3. Traité de Koutchouk-Kaïnardji, confirmé par celui d'Andri- 
nople relatif à la protection du culte chrétien par la Porte. 



134 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1868. «et d'Andrinople , relatives à la protection du culte 
« chrétien , et que S. M. le sultan * regarde comme 
m une affaire d'honneur, de préserver de toute atteinte, 
« tant dans le présent qu'à l'avenir, la jouissance des 
€ privilèges spirituels accordés par ses augustes pré- 
« décesseurs à l'Église orthodoxe dans le Levant, les- 
(( quels sont maintenus et confirmés par lui; et, en 
«outre, de permettre que le culte grec participe 
« dans la mesure la plus équitable à tous les avan- 
« tages accordés aux autres chrétiens *, soit en vertu 
« de traités, soit en vertu de stipulations spéciales. 

«De plus, comme le firman impérial qui a été 
« récemment donné au patriarcat et au clergé grec, 
« et qui contient la confirmation de leurs privilèges 
«spirituels, doit être regardé comme une nouvelle 
« preuve de ses nobles sentiments, et, de plus, comme 
« la promulgation de ce firman, qui offre toutes les 
«sécurités, doit dissiper toute inquiétude au sujet 
« du culte professé par S. M. l'empereur de Russie , 
«je suis heureux de me trouver chargé de faire la 
« présente notification. Quant à la garantie qu'à l'a- 
«venir rien ne sera changé dans les lieux saints à 
« Jérusalem, elle résulte du firman revêtu de la signa- 
« ture impériale du 15 duRabi-ul-ukir 1668 (février 
«1852), et c'est l'intention formelle de S. M. le sul- 



1. De faire connaître que S. M. le sultan regarde, etc. 

2. Les avantages accordés et qui pourront ôtrë accordés à 
d'autres communions chrétiennes sujettes de la Porte* 



CHAPITRE xxxn. 135 

« tan, que ces décisions soient exécutées sans aucune im, 
« modification. 

«La Sublime Porte, en outre, promet ofiîcielle- 
«ment qu'aucun changement ne sera apporté dans 
« l'état des choses actuel , et qui a été récemment 
tf réglé , sans une entente préalable avec les gouver- 
<r nements de France et de Russie, et de sorte qu'au- 
(ccun préjudice ne soit porté aux différentes com- 
«: munions chrétiennes. Dans le cas où la cour de 
«Russie le demanderait, un lieu convenable serait 
« assigné dans Jérusalem, ou dans les environs, pour 
<r la construction d'une église consacrée à l'exercice 
« du culte par le clergé russe , et d'un hospice pour 
« les indigents et les pèlerins malades de la même 
e: nation. 

«La Sublime Porte s'engage dès ce moment à 
« signer à cet égard un acte solennel qui placera les 
« fondations pieuses sous la surveillance du consulat 
c( général de Russie en Syrie et en Palestine. 

«Le soussigné, etc.» 

Telle était cette pièce appelée Note de Vienne , à 
laquelle se rattacha la solution d'un des plus grands 
conflits qui aient ébranlé le monde. 

Les changements proposés par le Divan touchaient 
si légèrement au fond du document qu'on était en 
droit d'espérer qu'ils ne causeraient à Saint-Péters- 
bourg aucune opposition. Vaines espérances ! 

Néanmoins ce n'était pas sans combat et sans se 



136 HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORIENT. 

1853. faire violence que le Divan avait donné une adhésion 
tardive à la Note de Vienne avec les modifications 
indiquées. Onze jours avaient été employés en déli- 
bérations souvent irritantes, 
septembre. Il avait fallu que les représentants des quatre puis- 
sances à Constantinople pesassent de tout leur crédit 
pour l'obtenir. Mais en se résignant, les ministres 
du sultan voulurent faire suivre leur acceptation de 
la remise d'une Note adressée aux puissances re- 
présentées dans la conférence de Vienne pour pré- 
ciser la nature des changements qu'ils indiquaient, 
et se justifier de ne pas admettre l'emploi d'expres- 
sions aussi équivoques que celles de conventions ou 
de dispositions particulières en faveur d'une com- 
munauté de tant de millions de sujets qui professent 
le rite grec. 



CHAPITRE XXXm. 

Incertitudes de la paix. — AgitaUon en Tnrqnie. — Reftis pur et simple 
de la Rqssle. — Les Mosnlmans appellent la guerre. 

La Russie accepterait-elle les modifications ap- 
portées par le Divan au projet d'accommodement de 
Vienne? On l'espéra; mais si l'on avait pesé ces mo- 
difications; si l'on s'était donné la peine de se former 
un jugement sur la marche de la politique russe 
dans la question orientale, d'après les antécédents 
de cette même politique , on n'aurait pu douter que 
l'empereur rejetât une forme qui lui contestait, au 



CHAPITRE XXXIII. 137 

moins indirectement, le droit de veiller au maintien im. 
des immunités et privilèges de l'Église grecque or- 
thodoxe dans l'empire ottoman. 

Ainsi la paix n'était pas aussi certaine qu'on avait 
voulu le dire : d'ailleurs la guerre ne dépendait pas 
seulement de la réponse du cabinet russe ; elle pou- 
vait avoir encore une autre cause. 

Tout l'empire ottoman avait été agité par l'affaire 
turco-russe. Les appels des redifs avaient remué jus- 
qu'aux plus basses classes de la population. Les mé- 
contents étaient nombreux à Constantinople. Dans 
le Conseil des ministres, sur quinze, il y en avait 
douze pour la guerre. L'armée turque, dont on avait 
réveillé et surexcité le fanatisme, était remplie d'ar- 
deur et brûlait d'impatience d'en venir aux mains. 
Sur le Danube, Omer-Pacha se trouvait dans une 
position très-difficile. Ses troupes lui avaient déclaré 
qu'elles voulaient absolument se mesurer avec les 
Russes. Il ne pouvait pas combattre ce sentiment, 
et, d'un autre côté,. il craignait que l'enthousiasme 
de ses soldats ne dérangeât les combinaisons de la 
diplomatie. 

A Constantinople, la position de Reschid - Pacha 
n'était pas plus digne d'envie. Chaque jour des cen- 
taines d'individus se rassemblaient devant son palais 
et criaient que la guerre était la seule voie de salut 
pour la Turquie. 

Leurs désirs furent bientôt satisfaits. La guerre 
devint imminente. Le cabinet russe reftisa défmiti- 



138 HISTOIRE DE LA GUERRE D*ORIENT. 

1858 vement d'accepter les modifications demandées par 
la Porte. Pour motiver son refus d'acquiescement, le 
czar se prévalut des conditions qu'il avait mises à 
son acceptation de la Note simple: « J'adhère, avait- 
« il dit alors, à l'expédient concerté à Vienne ; mais 
« qu'il soit bien entendu que la Porte n'y changera 
« pas im mot , et qu'elle n'y fera aucune observation. 
«Je ne veux pas recommencer une discussion qui 
« doit être close. C'est ma condition absolue, et si la 
«Porte ne l'observe pas, mon adhésion par cela 
a: même devra être considérée comme non avenue. » 

Ainsi son refus fut présenté comme pur et simple. 
La nouvelle de cette réponse, répandue sourdement 
le i^^ septembre à Constantinople, y causa une as- 
sez grande agitation dans les esprits. Dans la nuit, 
on placarda sur les murs de la ville des affiches li- 
thographiées dans lesquelles on appelait les Musul- 
mans à la guerre sainte contre les Russes, en 
reprochant aux ministres leur pusillanimité pour 
n'avoir pas rejeté nettement la Note de Vienne. 

Afin d'apaiser l'irritation publique et de marcher 
avec la nation musulnîane , le Divan rédigea un nou- 
veau manifeste , dans les termes les plus belliqueux. 
La publication en fut retardée à la demande des 
ambassadeurs, qui exprimèrent le désir de recevoir 
les réponses de leurs Cours au sujet de l'attitude ré- 
cemment prise par le gouvernement ottoman , avant 
que cette pièce destinée à produire un grand effet 
oe fût lancée dans le public. 



CHAPITRE XXXI V. 139 



Ce manifeste parut cependant peu de jours après: isss. 
c'était un appel à la nation. 



CHAPITEE XXXIV. 

Attitude armée. — Mouvement de treupes. — Les flottes reçoivent des 
renforts. — Manifestations eentraires. — Imminence des hostilités. 

Par le rejet de la Note modifiée, la question 
d'Orient tout entière recommença, et dans des cir- 
constances plus difficiles qu'auparavant. S'il avait été 
douteux que le czar voulût déférer aux conclusions 
d'une Conférence européenne, il était devenu plus 
invraisemblable qu'il voulût accepter les conditio ns 
additionnelles venant directement de la Turquie. 

Un projet de médiation venait d'échouer: il était 
possible que les événements marchassent plus vite 
en Orient que les expédients des cabinets pour arri- 
ver à une solution. 

Le sultan se hâta de pourvoir à sa sûreté par une 
attitude armée qui devait garantir, comme disait le 
manifeste , son indépendance et ses droits souverains. 
Il fit venir d'Asie des troupes nombreuses qui se 
montrèrent remplies d'un vif enthousiasme guerrier. 
Les populations étaient dans ce moment animées 
d'un esprit tel, que le sultan aurait perdu le trône 
et la vie, s'il avait accepté des conditions déshono- 
rantes. 



i40 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1853. En Valachie, le mouvement des troupes russes 

continua vers l'ouest. Elles abandonnèrent le camp 
qu'elles avaient établi à quelques lieues de Bucha- 
rest et en formèrent un autre après avoir remonté 
le Danube. Les Turcs firent la même manœuvre. Ils 
partirent de Roustchouk et se concentrèrent aussi 
plus haut sur les bords de ce fleuve. 

De leur côté, les flottes à Bésika recevaient conti- 
nuellement des renforts. Les manifestations qui, 
dans ces circonstances, éclatèrent en Grèce, durent 
attirer l'attention des cabinets de Paris et de Londres. 

■ 

En efiet, la Grèce avait l'œil fixé sur les événements 
qui se préparaient. Ses sympathies étaient pour la 
Russie, et son gouvernement prenait déjà des me- 
sures pour éloigner les Hellènes du territoire turc 
au moment où la guerre éclaterait. Le ministre de 
l'intérieur à Athènes adressa une circulaire à tous 
les nomarques ou gouverneurs des provinces, afin 
de leur recommander de ne plus délivrer aux sujets 
grecs des passe-ports pour Constantinople ou tout 
autre point de l'empire ottoman. 

Des dispositions bien opposées se manifestèrent 
chez nos voisins d'outre-Manche. De grands mee- 
tings se tinrent en Angleterre sur la question d'O- 
rient, et eurent pour but la résistance par la guerre 
à la Russie. 

A Constantinople, quelques démonstrations belli- 
queuses parmi les ulémas et le peuple, pendant les 
fêtes du Baïram, firent craindre aux ambassadeurs 



CHAPITRE XXXIV. 141 

des puissances étrangères une explosion populaire 1853. 
contre les chrétiens; aussi, le 14 septembre, M. De- 
lacour et lord Redcliffe, pour protéger leurs natio- 
naux, invitèrent les amiraux à faire entrer dans le 
Bosphore deux frégates françaises et deux frégates 
anglaises , qui furent placées sous les ordres du contre- 
amiral Le Barbier de Tinan. La Russie ne man- 
qua pas de crier à la violation des traités, et n'admit 
pas qu'une autre cause sérieuse eût fait passer les 
Dardanelles à ces quatre frégates des flottes alliées 
que celle de la braver et de couvrir Constantinople 
contre une surprise de la flotte russe de Sébastopol. 

Outre les quatre frégates qu'il conduisit au Bos- 
phore , le contre-amiral français eut de plus sous ses 
ordres six autres bâtiments à vapeur qui étaient 
déjà à Constantinople, savoir : la frégate Rétribution y 
la corvette Fury et l'aviso le Caradoc^ pour les An- 
glais; la frégate Sané, la corvette le Chaptal et le 
stationnaire l'Ajaccio^ pour les Français, sans comp- 
ter le vaisseau le Friedland^ qui était venu réparer 
dans l'arsenal de Constantinople quelques avaries 
éprouvées au mouillage de Bésika. 

L'imminence des hostilités avec la Russie et la 
présence de ces bâtiments calmèrent peu à peu l'ef- 
fervescence des Turcs. Le parti de la guerre et celui 
de la paix dans le Divan s'entendirent pour ne pas 
faire de nouvelles conceîssions, et les armements con- 
tinuèrent sans relâche. 



142 HISTOIRE DE LA GUERRE D*ORIENT. 



CHAPITRE XXXV. 

Hi paix, ni guerre. — ivolntions de la diplomatie. — La Russie vent 
garder sai gage. — Veyage du oxar à Olmtkti. Son bnt et nw ospé- 
ranees. 

1868. La situation de l'Europe était vraiment critique 
en ce moment. On n'avait pas encore la guerre, et 
l'on avait perdu les bienfaits de la paix. Une grande 
perturbation avait déjà lieu. Mais si la guerre devait 
éclater, quelles seraient les puissances belligérantes ? 
La question entre la Russie et les gouvernements 
européens restait encore exactement ce qu'elle était 
il y avait un mois. Nul ne pouvait dire encore jus- 
qu'où pourraient aller les empiétements de l'empe- 
reur de Russie, ni jusqu'à quel' point ses adversaires 
pourraient se réunir pour s'y opposer. Toutes les 
quatre puissances avaient concouru à la rédaction 
d'une Note qui, à leurs yeux, devait garantir la 
sûreté du sultan contre la tentative de l'autocrate. 
Elles avaient ensuite sanctionné de leur suffrage les 
interprétations proposées par les Turcs. Elles s'é- 
taient montrées prêtes à déclarer que leurs condi- 
tions primitives avaient été conçues dans ce sens et 
non dans aucun autre. L'empereur de Russie, de son 
côté , s'était non-seulement opposé à ce que la Porte 
intervînt directement dans la décision des média- 
teurs, il avait encore ultérieurement manifesté des 
idées tout à fait contraires aux propositions qui lui 



CHAPITRE XXXV. 143 

avaient été faites. Il avait demandé, en vertu ou en im. 
dépit de la Note de Vienne, toutes les prérogatives 
que cette Note avait eu en vue de lui ôter, et la 
question s'était retrouvée avoir sa première forme 
d'empiétement de la part du czar et de résistance de 
la part de l'Europe. 

L'unique but des grandes puissances était d'em- 
pêcher que, sous prétexte de droits spirituels, la 
Russie ne prit dans les États ottomans un pied qui 
servit à réaliser dans la suite des projets d'ambition 
politique et de conquête territoriale. Voilà le but de 
toutes les transactions qui eurent lieu : mais jusqu'à 
quel point, ou à quel prix pouvait-il être atteint? 
Quelles garanties l'Europe devait-elle exiger de l'em- 
pereur Nicolas pour prévenir le retour de si fatales 
perturbations, et asseoir une paix honorable et du- 
rable ? Là était la difficulté. 

La Russie, qui s'était emparée d'un gage pour l'ob- 
tention de ses prétentions, ne paraissait pas disposée 
à s'en dessaisir dans ce moment. L'armée d'occu- 
pation avait reçu Tordre de passer l'hiver dans les 
Principautés. L'administration russe avait consenti 
des traités de fournitures pour cinq mois. Le prince 
GortschakofF venait de porter à la connaissance de 
tous les chefs de corps de l'armée expéditionnaire , 
l'instruction qui lui avait été envoyée de Saint-Péters- 
bourg par le ministre de la guerre pour prescrire les 
mesures qui devaient être adoptées par l'armée russe 
dans ses quartiers d'hiver en Moldavie et en Valachie. 



144 HISTOIRE DE LA GUERRE D*ORIENT. 

1858. L'empereur de Russie comprit que dans les cir- 
constances où il était placé , quelque considérables 
que fussent ses forces de terre et de mér , il aurait 
besoin de Talliance d'une des grandes puissances. 
Dans cette pensée, il se rendit à Olmûtz, accom- 
pagné du grand-duc, héritier présomptif, et d'tme 
suite brillante et nombreuse, pour y faire une visite 
à l'empereur d'Autriche. Il espéra, par cette dé- 
marche significative, exercer une influence sur la 
décision du gouvernement autrichien. Il fondait ses 
espérances sur l'ascendant personnel qu'il possédait 
sur le jeune empereur François-Joseph. La visite 
qu'il fit à Olmûtz n'eut évidemment d'autre but que 
de détacher le chef de la monarchie autrichienne de 
la politique traditionnelle de son empire, et de le 
soustraire aux conseils de ses alliés occidentaux. 11 
faut convenir que l'empereur Nicolas était doué de 
toutes les brillantes qualités qui pouvaient exercer un 
prestige fascinateur sur ce jeune empereur. Là , au 
miheu des parades guerrières et des fêtes les plus 
splendides, les souverains du Nord agitèrent les plus 
grandes questions diplomatiques. L'empereur Nicolas 
mit toute son habileté à persuader François-Joseph 
de son désintéressement et de la droiture de ses 
intentions. 

Dans ces conférences d'Olmûtz et dans tous les 
documents diplomatiques émanés de la chancellerie 
russe à cette époque , le czar se plaignit vivement de 
l'état de suspicion dans lequel le plaçaient les es- 



chapitre: XXXVI. 145 

cadres des puissances alliées mouillées à Bésika. Il issa. 
prit texte surtout de l'entrée dans le Bosphore des 
frégates sous les ordres de l'amiral de Tinan , pour 
reprocher à la France et à l'Angleterre cet acte com- 
minatoire, blessant pour lui, et qui constituait, à 
son point de vue, une éclatante violation des traités. 



CHAPITRE XXXVI. 

Situation qae le traité de 1841 fait à la Tarqaie et à ses alliée. —L'ooou- 
pation des Piineipaatée par les Rosses oayre les Dardanelles aux vais- 
seaux alliés. — Fréoocapation du czar. 

C'est donc le cas d'examiner ici quelle situation 
faisait à la Turquie et à ses alliés le traité de 1841. 

La politique turque d'abord, puis la politique eu- 
ropéenne avaient eu pour principe fondamental que 
les Dardanelles seraient fermées aux vaisseaux de 
guerre étrangers. Dans la première révolte de Méhé- 
met-Ali contre son souverain nominal, la Russie 
avait montré un empressement extraordinaire à en- 
voyer des secours au sultan dans sa fâcheuse posi- 
tion, et, bien qu'il ne fût pas besoin de tant de 
sympathie et qu'on la tînt même entière pour sus- 
pecte , le czar se prévalut de ses services pour de- 
mander que, lorsque l'affaire serait terminée, un 
traité spécial fût négocié entre la Russie et la Porte, 
sous la pression de la première , ledit traité devant 

avoir force d'exécution pendant huit ans. Ce fut 

10 



146 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1853. le traité d'Onkiar-Skélessin : c'est sous ce nom 
qu'on le connaît. Il portait, qu'en considération 
des événements passés, et de ce que pourraient 
exiger les circonstances ultérieures, il y aurait une 
alliance défensive entre les deux parties contrac- 
tantes. En vertu de cette alliance, la Russie s'enga- 
geait à protéger la Porte Ottomane contre les périls 
qu'on appréhendait du côté de l'Egypte , et en re- 
tour la Porte devait affranchir la Russie des règle- 
ments qui fermaient les Dardanelles à toutes les autres 
puissances. Peu d'années après , l'Egypte se révolta 
de nouveau. Mais les gouvernements européens en- 
semble se chargèrent de l'intervention. Pour un 
temps , ce fut à 1 exclusion de la France , que l'on 
regardait comme trop favorable aux intérêts du pa- 
cha ; mais il y eut définitivement commun accord 
et coopération générale. En conséquence, il se fit en 
1844 , pour la seconde fois, des engagements entre 
Méhémet-Ali et son souverain , et l'on détermina de 
nouveau la position de la Porte vis-à-vis de l'Egypte 
et de l'Europe. 

D'après le traité qui fut alors conclu, les pri- 
vilèges de la Russie disparurent, et les Dardanelles 
furent encore fermées aux vaisseaux de guerre de 
toutes les nations, sans exception. C'est le traité de 
1841 qui était en vigueur à l'époque dont nous nous 
occupons. Il portait que le sultan n'admettrait aucun 
vaisseau de guerre étranger dans les Dardanelles, 
tant que la Porte Ottomane serait en paix. 



CHAPITRE XXXYI. 147 

Nous n'avons pas besoin de faire observer que du iss». 
moment qu'une armée étrangère aurait franchi la 
frontière turque dans le but avoué d'exercer une 
contrainte sur le gouvernement de ce pays , un 
état de guerre avait remplacé un état de paix, et 
que le sultan devint libre dès lors d'ouvrir les Dar- 
danelles aux vaisseaux qu'il jugeait convenable d y 
appeler. De la part des Turcs la fermeture des Dar- 
danelles était une règle de vulgaire prudence; car 
c'était là, en effet, que se trouvaient les premières 
fortifications de Constantinople ; mais de la part de 
l'Europe , le principe se fondait sur la jalousie seule. 
Un vaste empire était virtuellement en état de disso- 
lution, et nulle des puissances n'était disposée à en 
laisser j aucune autre la devancer dans les chances 
d'une lutte à la curée , en prenant là un certain pied , 
et en s'y créant une influence ou une autorité toute 
particulière. 

L'empereur de Russie se préoccupait à bon droit 
de l'apparition des escadres alliées dans le Bosphore. 
Il avait mis , pendant les vingt-huit ans de son règne, 
sa constante sollicitude dans la création d'une ma- 
rine imposante. Il craignait qu'elle ne fût anéantie 
dans un conflit avec les puissances occidentales. Les 
amiraux russes semblaient au contraire pleins de con- 
fiance dans leurs forces de mer. Ils poussaient Tillu- 
sion au point de se croire en état de courir les chances 
d'un combat naval contre les flottes coalisées. C'est 
dans ce sentiment d'exaltation guerrière qu'une 



148 HISTOIRE DE LA GUERRE d'oRIENT. 

18M. grande revue de la flotte russe fut passée dans les pre- 
miers jours d'octobre, parle prince Menschikoff. Cette 
flotte, composée de cinquante navires, non compris 
les chaloupes canonnières, fit la petite guerre et 
subit une inspection des plus rigoureuses, à la suite 
de laquelle la composition de quelques équipages 
fut modifiée. On enrôla avec de grands avantages 
un assez bon nombre de matelots grecs. 



CHAPITRE XXXVn. 

Désir de la paix. — L'année ottomane se renforce. — Oiseonrs da ealtan. 
— Résolution prise par le Divan de déclarer la guerre à la Rnssle. 

Dans les circonstances graves où se trouvait l'Eu- 
rope, le silence que garda quelque temps la diplo- 
matie ouvrait le champ à toutes les conjectures, et 
le désir de la paix , si nécessaire à tous les intérêts , 
se faisait jour à la moindre occasion. Tantôt on fai- 
sait circuler le bruit d'une nouvelle coalition des trois 
puissances du Nord ; tantôt le fil des négociations 
était repris, et une solution pacifique paraissait pro- 
bable et s'offrait à toutes les espérances. Beaucoup 
de gens se complaisaient à se rassurer contre les 
éventualités de la guerre. L'issue de cette grave ques- 
tion d'Orient eut ainsi le privilège de tenir pendant 
plus de six mois l'Europe en suspens. La vérité est 
que le fil des négociations ne fut jamais abandonné, 
et que la conférence de Vienne eut à résoudre des 



CHAPITRE XXXVII. 149 

difficultés de différentes natures qu'elle attaqua les im. 
unes après les autres. 

La première avait consisté dans la rédaction de la 
Note primitive ; la seconde , dans les modifications 
apportées par le Divan, et la troisième, dans l'inter- 
prétation que la Russie avait déclaré vouloir donner 
à cette Note et qui en changeait l'esprit et le but. 

Quand les difficultés augmentèrent, la diplomatie octobre, 
redoubla d'efibrts pour dénouer pacifiquement la si- 
tuation; mais elle ne put assez se hâter, et la force 
des choses amena des complications qu'il ne lui fut 
plus possible de surmonter. La France et l'Angleterre 
ne purent voir de bon œil les empiétements de la 
Russie en Orient. 

Les événements prouvèrent, en effet, bientôt que 
la solution pacifique et heureuse était bien loin de se 
réaliser. Le fil des négociations se rompit enfin, et 
ne dut pas se renouer de longtemps. 

Le 3 octobre 1853, les métalliques baissèrent à 
Vienne de i p. 100, sur le bruit de l'arrivée de nou- 
velles de Constantinople, d'après lesquelles le Divan 
avait pris des résolutions dans le sens de la guerre ; 
ce qu'on savait de ses armements et des levées d'hom- 
mes qu'il faisait dans tout l'empire , dut faire croire 
à la réalité de ces résolutions. 

L'armée ottomane s'élevait en effet à 327,000 hom- 
mes, et ce chiffre s'augmentait journellement des 
renforts qui arrivaient de toute la province. L'enrô- 
lement des recrues et l'appel des rédifs ne rencon- 



150 HISTOIRE DE LA GUERRE d'oRIENT. 

1853. traient point de résistance. Loin de là, le fanatisme 
poussait la population aux armes et lui rendait facile 
toute espèce de sacrifices. 

Les événements avaient marché rapidement et Ton 
sut alors quelles causes avaient fait éclater des chan- 
gements graves dans cette longue affaire d'Orient. 

Le 24 septembre, le sultan réunit dans son palais 
de T'chéragan, situé sur la rive d'Europe, tous ses 
ministres et leur tint un discours dans lequel, en 
approuvant tout ce qui avait été fait par voie diplo- 
matique, il déclara qu'il ne pouvait aucunement ac- 
cepter la Note rédigée à Vienne ; qu'il la considérait 
comme attentatoire à sa dignité et à l'indépendance 
de son empire , dépôt sacré que Dieu lui avait confié ; 
qu'il ne voulait l'accepter qu'avec les modifications ; 
mais qu'il ordonnait à tous ses ministres de ne souf- 
frir aucun désordre dans la ville et de veiller surtout 
au bien-être de tous ses sujets sans distinction de 
classe ni de religion. 

En même temps , le sultan ordonna qu'un conseil 
fût tenu le lendemain à la Sublime Porte, et que là, 
il ferait savoir ses intentions impériales. Ce fut dans 
ce conseil, composé de trois cents personnes, tenu 
le 25, que fut prise la résolution de déclarer la guerre 
à la Russie, résolution à laquelle du reste tout le 
monde s'attendait à Constantinople , et que tous les 
musulmans étaient disposés à saluer avec joie, sans se 
préoccuper des conséquences qu'elle pourrait entraî- 
ner pour la Turquie, c'est-à-dire, soit que les puis* 



CHAPITRE XXXVII. 151 

sances de l'Occident fussent les auxiliaires de la Tur- isss. 
quie, soit que les quatre puissances l'abandonnassent 
à ses propres forces. Il faut ajouter que si cette réso- 
lution de guerre fut prise à l'unanimité par le Divan, 
elle fut ratifiée par le grand conseil de l'empire à 
l'unanimité, moins trois voix. 

Cette résolution de la Sublime Porte, prise contre 
l'avis des ambassadeurs, ajoutait une circonstance 
bien singulière à toutes les phases successives de la 
question d'Orient. C'était la Porte Ottomane, qu'on 
appelait un corps mort , presque en dissolution , qui 
se prononçait par l'organe de son suprême conseil 
pour une guerre ouverte ! ! 

Le czar recueillit en cette occasion le fruit de sa 
provocation. La dépêche du comte de Nesselrode, 
dont nous avons parlé au chapitre XXV, mit elle-même 
obstacle aux desseins de son maître. C'était en réa- 
lité cette dépêche qui avait ruiné sa cause. Si, après 
avoir accepté la Note de Vienne, l'empereur avait re- 
poussé les modifications proposées par la Turquie, 
sans essayer de donner à la Note une interprétation 
à sa façon, il aurait pu demander aux quatre puis- 
sances de compléter l'arrangement dont elles avaient 
formulé les termes. Mais en interprétant la Note dans 
le sens de la Russie , en fondant sur cette Note les 
prétentions mêmes qu'elle avait pour but d'écarter, 
il mettait ses desseins à découvert, détruisait l'œuvre 
de la conférence et réduisait à néant la Note de Vienne 
comme b^se éventuelle de nouveaux arrangements. 



452 



HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORIENT. 



1853. 



Ainsi ce fut du Divan que partit le mouvement oj 
fensif : ce fut par son ordre que le choc des ai 
vint mettre en activité l'état de guerre que l'in^ 
du territoire turc, par la puissance russe, a^Bnr- 
tuellement créé. 



CHAPITRE xx: 



Traités dépurés par riamsian des 

Org anisation d( 



[«tés. — Oner-Paeba. — 
rée tarqae. 



Lorsque les Russes 
chirèrent tous les trai 
à Kaïnardji, à Ândrin 
piers sans importanc 
pautés , les condition 
pouvaient terminer le 
régler qu'en vertu d'un 



chirent le Pruth, ils dé- 
xistants. Les pièces signées 
ne furent plus que des pa- 
près l'invasion des Princi- 
xquelles le czar et le sultan 
uerelle ne devaient plus se 
u traité. Cette solution, 
et c'était la seule possiblej^fcait s'accomplir tôt ou 
tard , lorsque les événements^^Ia guerre auraient 
forcé l'empereur Nicolas à re^Écer à ses préten- 
tions, lorsque surtout la défaite l^^es armées et la 
destruction de sa flotte de la mei^kire auraient af- 
faibli son influence et porté une al|||j^grave au 
prestige de sa puissance. 

La déclaration de guerre de la Porte à la 
fut notifiée aux quatre grandes puissances. La con- 
dition suivante y fut jointe: «Les hostilités ne se- 
(( raient ouvertes, toutefois, que dans le cas où les 






CHAPITRE XXXIX. 153 

« troupes russes n'auraient pas évacué les Principautés im. 
«dans le délai de quinze jours, à partir de la som- 
<r mation. ^ 

Nous avons dit que le commandement en chef de 
l'armée turque, en Bulgarie, avait été confié à Omer- 
Pacha, qui passait pour le meilleur général que le 
sultan eût à son service. 

Omer-Pacha se rendit d'abord à Andrinople pour 
diriger les mouvements des* troupes turques dont il 
opéra la concentration à Schumla. Il établit là un 
vaste camp et en fît son quartier général. Il y réunit 
près de 100,000 hommes et déploya une grande ac- 
tivité pour organiser cette armée composée d'élé- 
ments si divers. Les fortifications des places de guerre 
de cette partie de la frontière turque appelèrent toute 
son attention, car elles allaient devenir le théâtre de 
la guerre. Nous le suivrons dans cette mémorable 
^agne qui a tant ajouté à sa gloire. 




XIX. 



Ordres donnés. — Demande de concours actif, adressée aux ambassadeurs 
de Franee et d'Angleterre. — Les agents rasses agitent la Orèoe. — 
Sommatien an prince OortschakofT. Sa réponse négative. 

Après la résolution de la guerre, le Divan donna 
ses soins à régler les préparatifs des hostilités. On fit 
pubher un manifeste du sultan à son peuple procla- 
mant la guerre sainte. 



454 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1858. Le hatt-impérial , ou décret du sultan, sanction- 
nant la décision du grand conseil, fut transmis à la 
Porte. Des courriers furent aussitôt expédiés à Orner- 
Pacha et à tous les chefs de corps pour leur enjoin- 
dre de se tenir prêts à tout événement. Une demande, 
adressée à la France et à l'Angleterre , réclama leur 
concours moral et actif, et leurs ambassadeurs furent 
invités à faire entrer immédiatement les deux flottes 
dans les Dardanelles. Cette demande fut accueillie 
sans hésitation de la part des ambassadeurs, qui trans- 
mirent les réquisitions nécessaires aux amiraux com- 
mandant les escadres. Comme les volontaires affluaient 
de tous côtés, on n'arbora pas l'étendard du Pro- 
phète. On jugea qu'il était inutile d'employer ce moyen 
usité autrefois. 

Les agents russes n'attendaient que l'ouverture des 
hostilités, ou même la déclaration de guerre, pour 
précipiter l'agitation qu'ils préparaient en Grèce de 
longue main. Le mouvement insurrectionnel éclata 
sur la frontière de la Grèce, dans la partie qui sépare 
cet État de la Turquie; Cette manifestation des Grecs, 
si voisine de la déclaration de guerre, ne laissa au- 
cun doute sur les manœuvres de la Russie pour s'en 
faire des auxiliaires en temps opportun. 

L'ordre fut transmis à Omer-Pacha, en son camp 
de Schumla, de sommer le prince Gortschakoff d'é- 
vacuer les Principautés dans le délai de quinze jours. 
Le séraskier s'empressa d'y obtempérer. Il fît cette 
sommation par la lettre dont la teneur suit ; 



CHAPITRE XXXIX. 155 

Omer-Packa, général en chef ttirc, au prince Gort- 
schako ff^ général en chef russe. 

« Monsieur le Général , 

«J'ai l'honneur de vous adresser cette lettre par 
«l'ordre de mon gouvernement. Tandis que la Porte 
« Ottomane épuisait tous les moyens de conciliation 
«pour maintenir la paix et son indépendance, la cour 
« de Saint-Pétersbourg n'a cessé de susciter des dif- 
« Acuités. Elle a même violé les traités par l'occupa- 
«tion des deux principautés de la Moldavie et de la 
« Valachie , parties intégrantes de l'empire ottoman. 

« La Porte Ottomane, au lieu d'user de représailles, 
« s'est bornée alors à des protestations, sans s'éloigner 
« de la voie qui pouvait conduire à un arrangement. 
« La Russie ne manifeste point des sentiments pa- 
«reils. Elle repousse les propositions que lui avaient 
« recommandées les puissances médiatrices, et néces- 
« saires à la sûreté et à l'honneur de la Sublime Porte. 
«En conséquence il ne lui reste d'autre parti à pren- 
«dre que de recourir à la guerre, et c'est un devoir 
« impérieux pour elle. 

«Toutefois, comme l'invasion des principautés da- 
« nubiennes et la violation des traités qui l'a accom- 
« pagnée sont la cause réelle de la guerre , la Porte 
«Ottomane, comme dernière preuve de ses inten- 
« tions pacifiques , propose par mon organe à Votre 
« Excellence d'évacuer lesdites provinces , et elle vous 
« accorde pour cela un délai de quinze jours à comp- 



f853. 



156 HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORIENT. 

1853. e ter de la réception de cette lettre. Si pendant ce 
«délai, je recevais de Votre Excellence une réponse 
e négative, le commencement des hostilités en serait 
<r la conséquence naturelle. 

« Voilà ce que j'ai l'honneur de communiquer à 
«Votre Excellence, et je saisis cette occasion en 
« même temps de vous assurer de ma haute estime. 

« Signé : Omer-Pacha. » 

Le prince Gortschakoff répondit négativement : 
«Mon maître, écrivit-il, n'est pas en guerre avec 
«la Turquie; mais j'ai ordre de ne quitter les Prin- 
« cipautés que dès que la Porte aura donné à l'em- 
« pereur les satisfactions morales qu'il réclame. Dès 
(( que ce point aura été obtenu, j'évacuerai les Prin- 
« cipautés immédiatement, en tout temps et en toute 
« saison. Si je suis attaqué par l'armée turque, je me 
« bornerai à la défensive. 

^ Signé: Prince Gortschakoff.» 



CHAPITRE XL. 

La Turquie ne combattra pas seule. — Motifs des alliés. — Préparatifs 
des flottes poar entrer dans les Dardanelles. — DisposiUons militaires. 



C'est ainsi que les cartels s'échangèrent avec cour- 
toisie. La lice était ouverte; les combattants allaient 
mesurer leurs forces. Les puissances étrangères, ou ) 

du moins quelques-unes, pouvaient-elles rester té- 



CHAPITRE XL. 157 j 

i 

moins impassibles de cette lutte jnégale ? On apprit, issa. j 

ce que Ton prévoyait depuis longtemps, que le pru- ! 

dent et habile Reschid-Pacha avait reçu des assu- 
rances favorables de la part de M. Delacour et de lord 
Redcliffe. 

S'il n'y avait pas eu des intérêts généraux engagés 
dans la question d'Orient, il est probable que la 
France et l'Angleterre auraient laissé l'empire otto- 
man sous la garde du Prophète. 

En effet, l'empire ottoman représente une souve- 
raineté pleine d'anomalies, de faiblesses et d'incerti- 
tudes, qui tous les cinq ans redevient un sujet de 
difficultés pour l'Europe. Cet empire présente le so- 
lécisme extraordinaire de 3 millions de' musulmans 
exerçant, sinon le despotisme, au moins une barbare 
domination sur 12 millions de chrétiens. Mais l'ab- 
sorption de territoires, qui serait la suite de la 
conquête de la Turquie, serait si dangereuse pour le 
repos de l'Europe, qu'il est du devoir de cette der- 
nière de s'y opposer provisoirement à tout prix. 

Ce devoir incombait plus spécialement à la France 
et à l'Angleterre , et toutes deux allaient le remplir 
avec ardeur et sans s'arrêter à l'immensité des dé- 
penses et des sacrifices. 

Les escadres stationnées à Bésika reçurent, avec 
des transports de joie, l'invitation qui leur fut adres- 
sée par la Porte d'entrer dans les Dardanelles. Elles 
firent rapidement leurs préparatifs d'appareillage. 
Ce mouvement des flottes n'était pas un fait isolé. 



158 HISTOIRE DE LA GUERRE D'oRIENT. 

1863. Elles allaient être renforcées considérablement. On 
venait de prescrire à Toulon l'armement immédiat 
des frégates à vapeur le Vauban, le Descartes, l'As- 
modée, le Cacique, le Montézuma et le Panama. Des 
ordres de même nature avaient été expédiés dans 
tous nos ports. 

En Angleterre, le ministre de la guerre avait 
donné l'ordre à six régiments qui tenaient garnison 
en Irlande de se tenir prêts à être embarqués pour 
la Méditerranée. On avait également prescrit au lord 
haut commissaire des îles Ioniennes de faire des 
préparatifs pour la réception d'une partie de l'escadre 
de Portsmouth qui devait aller prendre part à la 
lutte dans l'Orient. On préparait à Sengléa des pro- 
jectiles qui pouvaient faire croire que les Anglais 
voulaient faire de Sébastopol, comme de Copenhague, 
il y avait cinquante ans. 

L'empereur Nicolas connaissait la gravité de la 
lutte qui se préparait. Si la déclaration de guerre de 
la Turquie avait produit une impression pénible et 
dédaigneuse dans son âme si fière, son caractère 
n'était pas de nature à plier au moment où on lui 
jetait le gant. Il était d'ailleurs convaincu que les 
résolutions guerrières de la Porte Ottomane étaient 
dues aux insinuations provocatrices de l'Angleterre. 
Il prit soudain des mesures de guerre de la plus 
haute importance. On sait que les forces militaires 
de la Russie comprennent deux divisions princi- 
pales : \^ l'armée destinée aux grandes opérations 



CHAPITRE XL. 159 

en Europe ; 2^ les troupes ayant une destination im. 
locale. 

La première de ces deux armées, dite l'armée 
d'Europe, qui se trouvait alors cantonnée dans la 
partie occidentale de l'empire, et dont les princi- 
paux corps occupaient la Pologne russe, tandis que 
les autres corps , placés en arrière , formaient la ré- 
serve, fut appelée tout entière à l'activité. La Russie 
devait avoir ainsi , dès le premier choc , 300,000 
hommes sur le Danube et 200,000 en Asie. 

Les levées qu'elle préparait et les irréguliers dont 
elle disposait porteraient bientôt ses troupes au double 
de ces chiffres. 

Le corps russe du Danube s'avança de plus en 
plus vers ce fleuve. Il fut bientôt échelonné sur une 
ligne de défense parallèle à celle de l'armée turque. 
Le prince Gortschakoff fit construire sur la rive 
gauche du Danube 3,000 baraques en bois, dans 
chacune desquelles il y avait dix à quinze hommes. 
L'infanterie, la cavalerie et l'artillerie arrivèrent à 
leurs postes avec une inconcevable rapidité. 

A une lieue de Bucharest, à Giourdju, on établit 
un camp de 30,000 hommes. Des camps pareils 
échelonnés furent occupés par les troupes russes. 
180 voitures chargées d'équipages de ponts se 
dirigèrent, du 12 au 16 octobre, dans le camp le 
plus rapproché du Danube, et l'on vit des essaims 
de cosaques faire des patrouilles le long du fleuve. 

Le corps d'armée du général Luders, fort de 



160 HISTOIRE DE LA GUERRE D 'ORIENT. 

f 

1858. 35,000 hommes, s'approcha du Pruth. Tous ces mou- 
vements avant-coureurs de prochaines hostilités dé- 
cidèrent les boyards à faire leurs préparatifs pour 
quitter le pays au premier coup de canon. 

Une division russe de 20 à 25,000 hommes oc- 
cupa la petite ville de Gieurgevo, vis-à-vis de Rous- 
Ichouk, et s'y retrancha. 

En face, les Turcs établirent leur camp de tentes 
vertes et blanches dans les jardins si pittoresques de 
cette ville de Roustchouk. 

Il s'élevait en amphithéâtre sur les Balkans. Les 
feux de ce camp faisaient unp impression magique 
quand on les apercevait de la rive gauche du Da- 
nube. Aussi loin que la vue pouvait s'étendre, les 
yeux restaient frappés du spectacle ravissant qu'of- 
fraient les tentes coniques des Ottomans toujours 
vertes en l'honneur du Prophète. 

La place forte de Routschouk se faisait remarquer 
par son aspect imposant. Elle devint le centre d'un 
nombreux corps d'armée. La ville, assise sur un co- 
teau escarpé, au bord du fleuve, était entourée de 
remparts qui en couronnaient le sommet. Sur la 
plage régnait une série de batteries basses. Les autres 
places fortes des Turcs le long du Danube étaient 
en ce moment assez bien entretenues et assez bien 
armées. 

Omer-Pacha dirigea une division de ses troupes 
vers Ismaïl, et fit occuper une petite île près de 
Widdin , ce qui révélait son intention de franchir le 



CHAPITRE XLI. 161 



Danube sur ce point reconnu comme avantageux i863. 
pour une pareille opération. 



CHAPITRE XLI. 

Biplioations du Konitenr sur la déclaration de guerre de la Turquie. — 

Réflexions sur cet article. 

Le Moniteur y longtemps silencieux, s'expliqua 
enfin sur la déclaration de guerre de la Turquie. 
Il dit: 

« Ainsi que Font fait connaître les documents offi- 
« ciels récemment publiés , la question ouverte de- 
<r puis plusieurs mois à Constantinople , vient d'entrer 
«dans une phase nouvelle. La Porte a pensé, qu'au 
(( point où en étaient les choses , elle devait renon- 
ce cer à la voie des négociations, et il ne paraît plus 
« permis d'espérer qu'un conflit puisse être prévenu. 

«Dès le début de cette crise, le gouvernement de 
« Sa Majesté Impériale en avait apprécié la portée. Il 
c( avait compris que l'intégrité et l'indépendance de 
«l'empire ottoman étaient en cause, et qu'elles ne 
«pourraient être compromises sans que la ponde- 
«ration des forces sur lesquelles repose la sécurité 
« de l'Europe , ne fût gravement altérée. 

«La Porte ayant pensé que dès ce moment la 

«guerre convenait seule à sa dignité, le gouverne- 

«ment de S. M. l'empereur n'avait point à se dé- 

« partir de la ligne politique que , dès le commence- 

11 



162 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1S53. «iDciil, il s'était tracée. Les deux cabinets de Paris 
«et de Londres ont prescrit à leurs escadres de 
«franchir les Dardanelles, et en ce moment elles 
« doivent avoir mouillé dans la mer de Marmara. 

« La paix est l'intérêt permanent des peuples. Pé- 
« nétré de cette pensée , à la veille d'occuper le trône, 
c( où l'appelait le vœu du pays, l'empereur a donné 
« la solennelle assurance de concourir de tous ses 
((efforts à la conservation de la paix, dont l'Europe 
((goûtait avec bonheur le bienfait. Mais cette paix 
« manquerait évidemment de sa condition essentielle, 
(( si elle cessait d'avoir pour base l'équilibre néces- 
((saire au maintien des droits et à la sécurité des 
<( intérêts de tous. 

« Telles sont les considérations qui avaient décidé 
«l'envoi de la flotte de Toulon à Salamine, et de 
« Salamine à Bésika. Telle est encore la pensée qui la 
« guidera dans la nouvelle destination qu'elle a re- 
(( çue. Tel est le but que le gouvernement de l'em- 
« pereur ne perdra pas de vue, jusqu'à ce que la paix 
«puisse se rasseoir sur les seuls fondements qui la 
«rendent profitable et sûre. Une semblable entre- 
« prise était digne de réunir les pavillons des deux 
((grands États de l'Occident, et de faire naître ainsi 
« le beau spectacle d'une entente parfaite dans l'ac- 
« tion comme dans les négociations 

«La coopération des cabinets de Vienne et de 
« Berlin ne sera pas perdue pour les négociations qui 
« devront servir à faciliter la solution du différend. 



CHAPITRE XLI. 163 

«Tant de circonstances réunies en faveur d'une less. 
«cause qui est celle de toute l'Europe, permettent 
« d'envisager les éventualités avec sécurité , et d'at- 
« tendre le résultat avec confiance. » 

Mais cette phase nouvelle dans laqueUe venait 
d'entrer la question d'Orient, d'après le Moniteur ^ 
quel était son caractère ? Nous connaissons la pre- 
mière: c'était une lutte de pondéi^ation des forces de 
V Europe y ou plus simplement, une résistance par 
les protocoles aux envahissements de la Russie , pour 
maintenir l'intégrité et l'indépendance de la Turquie. 
La nouvelle phase n'avait plus ce caractère de simple 
résistance diplomatique. Elle s'annonçait avec une 
pensée d'action qui indiquait un but plus élevé , bien 
plus important. Dans la première , la diplomatie lut- 
tait pour maintenir les traités; dans la seconde, la 
guerre déchirait et anéantissait toutes les conven- 
tions anciennes et récentes. Dans l'une ne s'agitaient 
que les intérêts ottomans, dans l'autre, c'était la sé- 
curité , c'était l'indépendance de l'Europe qui deve- 
naient l'enjeu du combat. C'était par les armes et 
par la victoire qu'on voulait enfin asseoir ime paix 
profitable et sûre ; mais cette paix était une conquête 
difficile, puisqu'elle constituait une grande entre- 
prise , et si cette entreprise était digne de réunir les 
pavillons des deux grands États de l'Occident, c'est 
qu'elle devait procurer à l'Europe une sécurité pro- 
fonde , à l'abri de toutes les atteintes de la puissance 
envahissante, qui , suivant la presse anglaise, mena- 



164 HISTOIRE DE LA GUERRE D^ORIENT. 

«8M. çait le repos du monde. Cette puissance c'était le 
colosse russe que l'Europe voyait avec effroi toucher 
d'une main les clefs du Sund et de l'autre celles des 
Dardanelles. La paix pouvait -elle être sûre tant que 
l'Europe pourrait craindre de voir la Russie s'empa- 
rer de l'entrée de la Baltique et de celle de la mer 
de Marmara? L'autocrate maître du Sund et des Dar- 
danelles, retranché dans ces positions inexpugnables, 
aurait développé rapidement ses forces navales dans 
ces deux mers devenues sa propriété exclusive, et 
bientôt ses escadres auraient dominé dans l'Océan et 
dans la Méditerranée. L'Europe, soumise et trem- 
blante , serait retournée à la barbarie , et n'aurait eu 
d'autre destinée que celle que l'autocrate aurait bien 
voulu lui octroyer. 

C'était donc vraiment une grande entreprise et 
bien digne de réunir les pavillons de France et d'An- 
gleterre, que celle qui devait affaiblir ce colosse, 
refouler la puissance russe, et lui interdire la domi- 
nation exclusive de la mer Noire. La France attendit 
ces résultats avec confiance. 



CHAPITEE XLII. 

Le général Baraguey d'Iilllers remplace K. Oelaconr. — Reschid- Pacha 
rejette nne Note nouvelle de K. de Bmok. — Entrée des flottes. — Dé- 
tails sur leur marche. 

La déclaration de guerre créa à Constantinople des 
exigences nouvelles dans les fonctions des ambassa- 
deurs. La présence d'un général diplomate pouvait 



CHAPITRE XLII. 165 

être rendue nécessaire par les circonstances et par i»»»- 
les événements. 

Ce fut dans ces prévisions que le gouvernement 
français nomma le général de division Baraguey 
d'Hilliers ambassadeur près de la Sublime Porte, en 
remplacement de M. Delacour, qui fut rappelé. Le gé- 
néral fut invité à se rendre immédiatement à son poste. 

La diplomatie, malgré les armements, la déclara- 
tion de guerre et le mouvement en avant des armées, 
était toujours infatigable pour prévenir une collision 
devenue cependant imminente. C'est ainsi que, le 
20 octobre , M. de Bruck , internonce d'Autriche , 
remit au Divan une Note élaborée , comme étant le 
résultat des conférences d'Olmûtz, et qui exprimait 
l'idée que ce que voulait l'empereur de Russie c'était 
le maintien strict du statu quo religieux de son culte, 
savoir : une égalité entière de droits et d'immunités 
entre l'Église grecque et les autres communautés 
chrétiennes, sujettes de la Porte, par conséquent la 
jouissance en faveur de l'Église grecque des avantages 
accordés à ces communautés. Il n'entendait point res- 
susciter les privilèges de FÉglise grecque tombés en 
désuétude par l'effet du temps ou des changements 
administratifs, etc. 

Cette Note se terminait par l'invitation que faisait 
le cabinet autrichien à la Porte de se décider à l'adop- 
tion pure et simple de la Note de Vienne. Reschid- 
Pacha déclara hautement : que les Turcs l'avaient 
repoussée et ne voulaient plus la discuter. 



i66 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1863. Le lendemain , 21 octobre , pour donner plus de 
force à ses refus et montrer l'énergie de sa détermi- 
nation, ce même ministre, Reschid-Pascha, notifia 
aux ambassadeurs d'Autriche et de Prusse l'invitation 
faite aux amiraux de faire entrer les flottes anglaise 
et française dans les Dardanelles. 
Voici un extrait de sa lettre : 
« En vertu des traités de i 841 , les détroits des 
« Dardanelles et de la mer Noire étaient fermés aux 
« vaisseaux de guerre étrangers ; mais l'état de 
« guerre amené par les actes du cabinet russe a mis 
« la Sublime Porte dans la nécessité de s'assurer le 
«bénéfice du droit qui résulte pour elle de cette 
« convention , et les flottes de la France et de l'An- 
« gleterre , augustes alliées du sultan , ont été invi- 
« tées à entrer dans le détroit des Dardanelles. Les 
(( firmans nécessaires ont été expédiés à ce sujet au 
« gouverneur de ce détroit , et j'ai reçu l'ordre de 
« S. M. le sultan de donner à Votre Excellence con- 
« naissance officielle de cette résolution, en votre 
« qualité de représentant de la cour d'Autriche (de 
« Prusse) signataire dudit traité, 
a: Je suis, etc. 

« Signé: Reschid-Pacha. » 

Les escadres avaient mis quelques jours à faire 
leurs préparatifs de départ. Elles ne quittèrent Bé- 
sika que le 22 octobre. Mais le temps était si mau- 
vais, le vent si violent, que les frégates à vapeur ne 



^ 



CHAPITRE XLII. 167 

purent pas donner la remorque aux vaisseaux à im. 
voiles; en sorte que, quelques heures après l'appa- 
reillage , la flotte combinée se trouva dispersée dans 
les différents mouillages des Dardanelles , sans qu'un 
seul bâtiment eût pu entrer dans la mer de Mar- 
mara. 

Le 23 octobre, le contre-amiral Le Barbier de 
Tinan put atteindre Gallipoli avec trois vaisseaux de 
ligne. L'amiral Duhdas ne parvint qu'au mouillage 
du premier château, avec le Britannia quMl montait, 
et la frégate à vapeur V Albion, vaisseau à trois 
ponts, et les frégates à vapeur Rétrihiition et Ven- 
geance jetèrent l'ancre sous le vieux château. Les 
bâtiments demeurés en arrière ne firent aucune ava- 
rie grâce à l'habileté des officiers et l'énergie des 
équipages , et ils purent se mettre tous à l'abri. 

No^us reproduisons une lettre écrite par un témoin 
oculaire et qui présente un tableau intéressant de ce 
passage mémorable des Dardanelles par les deux 
flottes. 

K Dardanelles, le 24 octobre 1853. 

«Depuis plusieurs jours l'escadre avait appris 
« qu'elle devait remonter pour aller prendre ses 
« quartiers d'hiver. 

«Le 22, à deux heures du matin, par un beau 
« clair de lune les deux escadres commencent le 
« mouvement : chaque vapeur va s'attacher au corn- 
«pagnon désigné; tous se mettent en marche. 



168 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1853. «Les deux escadres se mêlent; tous s'agitent; les 
« panaches de fumée s'épaississent, chassés par un 
« vent du nord déjà frais : ils forment au loin un 
« épais nuage. 

<rPour les marins, l'intérêt était palpitant. Une 
€ loyale émulation s'établit entre les deux escadres, 
« entre chaque navire. Les instruments, les yeuxme- 
€ surent la distance. 

«Nous gagnons : bravo, Mogador! bravo, Sané! 
« Nous sommes gagnés : chauffe ! chauffe ! L'amour- 
<r propre national est vivement excité. Bref, on nous 
«avait trop vanté les remorqueurs anglais, trop dé- 
« précié les nôtres : nous n'avons rien à envier à nos 
« voisins. 

« Au milieu de la lutte , de l'émotion générale , 
« un magnifique incident vient s^emparer de tous les 
«esprits, absorber tous les regards. Le Napoléon 
« paraît remorquant la Ville de Paris. Il arrive ; ce 
«n'est {wint une lutte: c'est un triomphe général 
« sur toute la ligne qu'il parcourt avec une effrayante 
«rapidité, défiant les vents qui grondent et les cou- 
«rants. Nous paraissions tous immobiles, lui, sem- 
« blait courir. Il double les vieux châteaux d'Europe 
« et d'Asie à l'endroit où le passage est le plus res- 
(( serré , et salue le pavillon turc : les forts lui ré- 
« pondent avec les pièces du plus fort calibre. 

« Cependant la tête de colonne a marché. Elle ar- 
« rive aux châteaux et, avec des intentions plus mo- 
« destes que le Napoléon^ elle veut les franchir; 



CHAPITRE XLII. 169 

« mais à mesure que le Jupiter se présente au pas- issa. 
(( sage, la violence du courant, jointe à celle du vent 
c( qui a redeublé, le rejette au large et le fait re- 
«culer. Il est obligé de mouiller, ainsi que son 
«remorqueur. V Albion le suit, conduit par la Bé- 
a^ tribution y puissant remorqueur qui développe, dit- 
ce on , six cents chevaux et plus : vains efforts ! Ils 
« sont refoulés et vont mouiller sur le côté opposé. 
((Le Mogador se présente à son tour remorquant 
« YlénUj vaisseau à trois ponts, rasé. Il paraît lutter 
<r avec plus d'avantage : il recule cependant , mais il 
« ne lâche pas prise. Il continue, et, dans un effort 
*c suprême, finit par franchir le passage. Tous les 
((autres, français et anglais, avaient mouillé sur les 
«deux rives, à des distances plus ou moins grandes. 
« Le Charlemagne traînant le Valmy^ n'avait pu lui 
«faire parcourir que quelques milles. Il le laissa 
«dans la baie de Bésika, en compagnie du Britan- 
« nia (amiral Dundas) et du Trafalgar qui n'avaient 
«pas été plus heureux. Il s'avance seul alors et ' 
« double les vieux châteaux. 

« Résultat de cette journée: quatre vaisseaux fran- 
«çais ont franchi le passage; pas un anglais ne l'a 
« pu. Nous verrons qui arrivera le premier à Con- 
« stantinople ! » 



1 70 HISTOIRE DE LA GUERRE D*ORIENT. 



CHAPITRE XLIII. 

PrMUere e«iliii«i «atro U§ Bnaf m et les Tarée. — Cérémenie Impoeaate 
dans le eanp tare. — Discours d'Omer-Paeha à ses soldats. 

1853. C'est le jour même que s'effectuait le passage des 
Dardanelles par les escadres, qu'eut lieu sur le Da- 
nube la première collision entre les Russes et les 
Turcs. 

Huit chaloupes canonnières russes et deux ba- 
teaux à vapeur de guerre de la flottille du Danube , 
voulurent remonter le fleuve pour se rendre à Galatz 
en passant devant Isaatka, forteresse turque, située 
sur la rive droite , entre Reni et Ismaïl. Cette flottille , 
dans sa tentative de forcer le passage, essuya un feu 
très-vif de la forteresse. Les Russes répondirent avec 
ardeur au feu des Turcs, et furent assez heureux 
pour arriver au complet au lieu de leur destination; 
mais ils éprouvèrent une assez forte perte, car ils 
eurent douze marins tués et cinquante blessés. 
Cette perte fut avouée par le prince Menschikofl* 
dans son rapport à l'empereur. 

Cette agression était le fait des Russes, car, quoi- 
que la réponse du prince Gortschakofl* à la som- 
mation d'Omer- Pacha eût été considérée comme 
négative, néanmoins sur une démarche des repré- 
sentants des quatre cours alliées, le gouvernement 
ottoman avait donné l'ordre d'ajourner les hostilités 
jusqu'au 1®^ novembre, ajoutant seulement que dans 



CHAPITRE XLIII. 171 

le cas où les hostilités auraient été commencées, cet i85s» 
ordre devait être considéré comme non avenu. 

Les Turcs ne firent que repousser l'attaque des 
Russes. L'ouverture des hostilités avait été précédée 
le 9 octobre, dans le camp turc de Schumla, d'une 
bien imposante cérémonie. Toute l'armée turque, 
composée de 32,000 hommes sous les armes, avait 
écouté religieusement la lecture du Hatti-Schérif de 
Sa Majesté Impériale, qui décidait enfin la guerre. 
Cette lecture fut suivie de la prestation de serment, 
pratiquée pour la première fois dans les armées ot- 
tomanes. Le séraskier Omer-Pacha avait fait réunir 
tous les drapeaux sur le centre du front de Tarmée 
en bataille, devant lequel se tenait debout le grand 
muphti, en grand costume, ayant entre ses mains 
le livre sacré de l'islamisme. Derrière lui se tenait 
Omer-Pacha , entouré de tous les officiers généraux 
et subalternes de l'armée. La main droite étendue 
vers leurs étendards et les yeux tournés sur le livre 
sacré, tous promirent, les uns après les autres, 
d'âme et de corps, de verser jusqu'à la dernière 
goutte de leur sang pour la défense des droits sou- 
verains du trône ottoman. 

C'est dans ce moment solennel qu'Omer- Pacha 
adressa à ses troupes la proclamation suivante : 

« Soldats impériaux , 

« Quand nous combattrons notre ennemi , fermes 
«: et courageux 9 nous ne fuirons pas^ et pour nous 



m HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1853. « venger de lui , nous sacrifierons notre tête et notre 
« âme. Voyez le Coran : nous l'avons juré sur le Co- 
« ran. Vous êtes musulmans, et je ne doute pas que 
« vous ne sacrifiiez votre tête et votre âme pour la 
« religion et pour le gouvernement. Mais s'il est 
«parmi vous un seul homme qui ait peur de la 
« guerre, qu'il le dise, car il est trop périlleux de se 
« présenter à l'ennemi avec de tels hommes. La peur 
« est une maladie du cœur. Celui qui a peur sera 
(c employé dans les hôpitaux et à d'autres services ; 
« mais plus tard quiconque tournera le dos à Ten- 
« nemi .sera fusillé ! 

€ Les hommes courageux qui veulent au contraire 
<t s'immoler pour la religion et pour le trône, qu'ils 
a: restent. Leur cœur est uni à Dieu , fidèles à la re- 
« ligion; et s'ils se montrent valeureux, Dieu leur 
« donnera certainement la victoire. 

« Soldats, purifions notre cœur et puis confions- 
« nous dans l'assistance de Dieu. Combattons , et 
<3r faisons le sacrifice de nous-mêmes, comme nos 
c( aïeux, et, comme ils nous ont légué notre patrie et 
« notre religion , nous devons les léguer à nos fils. 
« Vous savez tous que le but de cette vie est de ser- 
«rvir dignement Dieu et le sultan, et de gagner 
((ainsi le ciel. Soldats, quiconcjue a de l'honneur 
(( doit penser et servir dans ces sentiments. 
(( Dieu nous protège ! » 

Le prince Gortschakoff, avant de commencer les 
hostilités, crut nécessaire de mettre les Principautés 



CHAPITRE XLÎV. 173 

en état de siège, ce qui obligea l'hospodar, prince im. 
Démétrius Stirbey, à cesser ses fonctions. Il se re- 
tira en Transylvanie. Tous les membres des cours 
civiles furent renvoyés dans l'intérieur du pays, et 
depuis lors les cours militaires seules eurent mission 
de rendre la justice. On défendit sous peine de mort 
toute communication avec les Turcs. 



CHAPITRE XLIV. 

Premier mouvement des Turcs en avant. — Passage du Banube. -^ Combat 
d'Oltenitsa. — Les Tnros échouent à Oienrgevo. — Flottes alliées dans le 
Bosphore. 

Nous avons vu que les Russes avaient pris l'initia- 
tive des hostilités en forçant le passage d'Isaatka. 
Les Turcs , qui jusqu'alors étaient restés sur la rive 
droite du Danube, firent enfin leur premier mouve- 
ment en avant. Une division de leur armée, forte de 
12,000 hommes, traversa le fleuve à Widdin, le 
27 octobre, pour s'établir à Kalafat, à une heure de 
distance sur la rive gauche du Danube. Le surlen- 
demain, un autre corps de troupes, venu de Sophia, 
qui est à vingt lieues sud-ouest de Widdin, passa 
aussi sur la rive gauche, de sorte que les Turcs 
eurent environ 20,000 hommes à Kalafat. Ce double 
passage s'effectua sans résistance, ou plutôt sans 
combat, car aucun corps russe ne s'était mon- 
tré pour s'opposer au débarquement des Turcs. 



174 HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORIENT. 

1853. Cependant Toccupation dune petite île, près de 
Widdin, par Orner- Pacha, indiquait son intention 
d'opérer le passage du fleuve en cet endroit. Maîtres 
de Kalafat, les Turcs élevèrent aussitôt de forts re- 
tranchements et augmentèrent les fortifications de 
cette place qui était peu considérable. Ces travaux 
bien dirigés rendirent très-difficile à l'ennemi de les 
déloger de cette position qui était parfaitement choi- 
sie. Ce passage, effectué avec tant de bonheur et sans 
obstacle, fut suivi d'un second qui eut lieu, le 2 et 
le 3 novembre, à Oltenitza. Cette seconde division , 
forte de 12,000 hommes, fut attaquée par l'armée 
russe, qui voulut jeter les Turcs dans le fleuve. Après 
un combat acharné, qui dura plus de trois heures, 
et dans lequel on fit plusieurs charges à la baïon- 
nette, les Turcs repoussèrent les Russes et conser- 
vèrent leur position. 

Les pertes furent grandes de chaque côté. Celles 
des Russes étaient les plus importantes. Us laissèrent 
sur le champ de bataille un grand nombre de morts, 
parmi lesquels il se trouva beaucoup d'officiers subal- 
ternes et un certain nombre d'officiers supérieurs. 
Cette affaire fut appelée combat d' Oltenitza, du nom 
de celte ville, près de laquelle il avait eu lieu. 

Le l®** et le 2 novembre, les Turcs essayèrent aussi 
de passer le Danube à Roustchouk , mais les Russes 
étaient en force à Gieurgevo, où ils avaient étabh de- 
puis longtemps des retranchements formidables. Les 
Turcs les canonnèrent vainement pendant deux jours 



CHAPITRE XLV. 175 

de suite sans obtenir le moindre succès , et furent isss. 
obligés de rentrer à Roustchouk. Ils renouvelèrent 
leur attaque le 4 , mais tout aussi inutilement. Le 8, 
ils voulurent s'établir dans la petite île de Mokano , 
près de Roustchouk, et déjà ils l'occupaient pres- 
qu'en entier , lorsque le général Soïmanoff accourut, 
les chargea vigoureusement et finit par les chasser 
de l'île. 

Pendant que ces hostilités avaient lieu sur le Da- 
nube, les flottes combinées annonçaient, par leur 
présence près du Bosphore , la claire intention des 
puissances occidentales de prendre en temps et lieu 
une part très-active à la lutte. 

Le 1®^ novembre, elles quittèrent leur mouillage 
de la mer de Marmara. Le 2 , elles jetèrent l'ancre 
dans le Bosphore. Les amiraux Dundas et Hamelin 
se rendirent aussitôt à Constantinople pour présenter 
leurs hommages au sultan, et pour conférer avec leurs 
ambassadeurs et avec les ministres de la Sublime 
Porte. 



CHAPITRE XLV. 

Késolntion pacifique de l'Aatriohe. Sa oiroalaire à ses agents à rétranger. 

Késoltat de U visite da csar à Qlmfltx. 

La résolution prise alors par le gouvernement au- 
trichien était au contraire toute pacifique; car c'est 
dans ce moment qu'il adressa à ses agents à l'étran- 
ger une circulaire qui portait la déclaration suivante : 



176 HISTOIRE DE LA GUERRE D*ORIENT. 

1853. « Sa Majesté Impériale (François-Joseph) , fidèle à 
<r son système pacifique , n'a pas hésité un moment 
<r quant à la ligne de conduite que son devoir lui tra- 
^ çait dans la nouvelle phase où est entrée la question 
« d'Orient. Tant que les intérêts de son propre em- 
«pire ne seront pas directement menacés par la 
«guerre, Sa Majesté restera neutre, d'autant plus 
(( que les déclarations positives et réitérées de la cour 
« de Russie lui donnent la certitude que cette puis- 
ce sance ne songe point à empiéter sur l'intégrité de 
«l'empire ottoman, ni sur la souveraineté du sultan.» 
On le voit, la visite du czar à Olmûtz avait produit 
son effet , et l'empereur d'Autriche était encore sous 
le charme séducteur de ce puissant monarque, qui, 
par la distinction et la noblesse de ses manières, 
était vraiment le type d'un chef de grand empire. Les 
déclarations positives et réitérées de la cour de Russie 
donnaient à François-Joseph la certitude de son 
désintéressement; donc l'Autriche resterait neutre. 
Les faits n'avaient point encore assez parlé. Les inté- 
rêts de son propre empire pouvaient seuls lui faire 
prendre une autre direction, lui faire tenir un lan- 
gage différent. Cette circulaire formait un contraste 
frappant avec la déclaration du Moniteur. Pouvait-on 
attendre une décision franche et significative, et en- 
core moins une coopération quelconque de l'Au- 
triche dans une pareille situation? Cette franchise 
eût été en opposition avec tous les antécédents de ce 
cabinet. 



CHAFETRE XtVI. 177 



CHAPITRE XLVI. 

Manifeste de l'emperenr Nicolas à l'oocasion de la déelaration de guerre 
par la Turquie. — Commentaire de oe manifeste par le Monitenr ; oelni 
de la presse anglaise. 

Le 2 novembre l'empereur de Russie adressa à ses is^s 
sujets un manifeste à l'occasion de la déclaration de 
guerre de Turquie. Ce manifeste reçut à Saint-Pé- 
tersbourg la plus grande publicité : c'est une pièce 
curieuse et historique. 

Manifeste de S. M. F Empereur. 

«Sainl-Pélersbourg, le 2 novembre 1853. 

«Par la grâce de Dieu, nous, Nicolas 1% empe- 
« reur et autocrate de toutes les Russies , etc. ; 
« Savoir faisons : 

«Par notre manifeste du 44 juin de la présente 
« année , nous avons fait connaître à nos fidèles et 
€ bien-aimés sujets les motifs qui nous ont mis dans 
«l'obligation de réclamer de la Porte Ottomane des 
« garanties inviolables en faveur des droits sacrés de 
«l'Église orthodoxe. 

«Nous leur avions annoncé également que tous nos 

« efforts pour ramener la Porte , par des moyens de 

« persuasion amicale , à des sentiments d'équité et à 

« l'observation fidèle des traités , étaient restés infruc- 

«tueux, et que nous avions par conséquent jugé in- 

« dispensable de faire avancer nos troupes dans les 

«principautés du Danube. Mais en adoptant cette 

12 



178 HISTOIRE DE LA OUERRE D'ORIENT. 

1853. «mesure, nous conservions encore l'espoir que la 
« Porte reconnaîtrait ses torts et se déciderait à faire 
« droit à nos justes réclamations. 

« Notre attente a été déçue. 

«En vain même les principales puissances de l'Ëu- 
« rope ont cherché par leurs exhortations à ébranler 
« l'aveugle obstination du gouvernement ottoman : 
« c'est par une déclaration de guerre , par une pro- 
« clamation remplie d'accusations mensongères con- 
« tre la Russie, qu'il a répondu aux efforts pacifiques 
« de TEurope , ainsi qu'à notre longanimité. Enfin , 
(( enrôlant dans les rangs de son armée les révolu- 
ce tionnaires de tous les pays, la Porte vient de com- 
(c mencer les hostilités sur le Danube. La Russie est 
« provoquée au combat : il ne lui reste donc plus , se 
« reposant en Dieu avec confiance , qu'à recourir à là 
« force des armes pour contraindre le gouvernement 
« ottoman à respecter les traités et pour en obtenir la 
« réparation des offenses par lesquelles il a répondu à 
« nos demandes les plus modérées et à notre sollicitude 
«légitime pour la défense de la foi orthodoxe en 
« Orient , que professe également le peuple russe. 

«Nous sommes fermement convaincu que nos 
«fidèles sujets se joindront aux ferventes prières que 
«nous adressons au Très -Haut, afin que sa main 
« daigne bénir nos armes , dans la sainte cause qui a 
« trouvé de tous temps d'ardents défenseurs dans nos 
«pieux ancêtres. 

(fin te, Domine, speravi : non confundar in (Blemum. 



CHAPITRE XLVI. 119 

«Donné à Tsarskolé - Sélo , le 28® jour du mois isss. 
«d'octobre (l®"" novembre) de Fan de grâce 1853 et 
(c de notre règne le 28®. 

« Signé : Nicolas. » 

Le Moniteur se hâta de commenter ce manifeste. 
Après avoir rappelé les précédents de la question 
qui s'agitait entre la Russie et la Turquie , l'affaire 
des lieux saints terminée, les exigences du prince 
Menschikoff, la Note de Vienne, les modifications 
proposées à cette Note. par la Turquie, il continuait 
ainsi : «Le Divan opposa à ce projet de Note des 
objections que les puissances regrettèrent, mais dont 
elles crurent toutefois devoir tenir assez de compte 
pour engager le cabinet de Saint-Pétersbourg à les 
admettre. Non-seulement ce cabinet s'y refusa; mais 
les explications dans lesquelles M. le comte de Nés- 
selrode est entré pour motiver le rejet des modifica- 
tions proposées par Reschid - Pacha ont été de telle 
nature , que la France , l'Autriche , la Grande - Bre- 
tagne et la Prusse ont reconnu , d'un commun accord, 
qu'il ne leur était plus possible de recommander à la 
Porte l'acceptation pure et simple de la Note de 
Vienne. C'est dans ces circonstances que S. M. le sul- 
tan a pris le parti de déclarer la guerre. Ce souverain 
a agi dans la plénitude de sa responsabilité; mais il 
n'est pas exact de dire , comme le fait le manifeste 
russe , « que les principales puissances de l'Europe 
«aient vainement cherché, par leurs exhortations, à 



180 HISTOIRE DE LA GUERRE d'oRIENT. 

1858. «ébranler Faveugle obstination du gouvernement 
«ottoman.» Les principales puissances de l'Europe , 
et particulièrement la France et l'Angleterre , ont au 
contraire reconnu que si leur action conciliatrice 
n'était pas épuisée, l'arrangement à intervenir ne de- 
vait plus être conclu à des conditions dont le cabinet 
de Saint-Pétersbourg s'était chargé lui-même de dé- 
montrer le danger. 

« Le manifeste se termine en disant qu'il ne reste 
plus à la Russie , provoquée au combat , qu'à recou- 
rir aux armes pour forcer la Turquie à respecter les 
traités ; mais il n'indique pas les clauses de ces traités 
que la Porte aurait violés 

«Le traité d'Andrinople pose le Pruth pour limite 
aux deux empires ; le Pruth a été franchi , en pleine 
paix , par une armée russe. En passant le Danube à 
leur tour, les Turcs ne prennent pas l'offensive; c'est 
le territoire ottoman, tel qu'il est déterminé par les 
traités, qu'ils essayent de défendre contre une agres- 
sion dont la date remonte à quelques mois » 

Ce commentaire du Moniteur était vigoureux de 
logique. Les Anglais ne laissèrent pas passer le ma- 
nifeste de l'empereur de Russie sans lui lancer de 
rudes attaques. Leur discussion était dure et acerbe. 
Le Morning Post l'analysa avec la verve et l'acrimo- 
nie qui caractérisent son patron et son inspirateur 
(lord Palmerston). 

La critique du Globe mérite une citation particu- 
lière : 



CHAPITRE XLVI. 181 

D. Quand la guerre n'est-elle pas la guerre? la»». 

/?. C'est quand l'empereur de Russie la fait. 

D. Quand l'empereur de Russie fait-il la guerre? 

i?. C'est quand il a besoin de garanties matérielles 
du respect des traités. 

D. Comment l'empereur de Russie fait-il respecter 
les traités? 

R. En violant lui-même ses engagements person- 
nels. 

Quoi qu'il en soit des commentaires et des criti- 
ques , le manifeste russe produisit un grand effet sur 
les populations auxquelles il était adressé. Les pré- 
paratifs guerriers redoublèrent d'activité. Les fon- 
deries de Saint-Pétersbourg et les arsenaux furent 
occupés jour et nuit. Chaque jour on expédia aux 
armées des quantités considérables de matériel : on 
n'oublia aucune des mesures qui sont les conséquen- 
ces fâcheuses de la guerre. Ainsi le cabinet de Saint- 
Pétersbourg fit pubHer une déclaration du ministre 
des finances, suivant laquelle l'embargo ne serait pas 
mis sur les navires turcs avant le 28 novembre. On 
voit que ce délai n'était pas long. 

Après ce délai , tous les navires turcs séjournant 
dans les ports russes devaient être déclarés de bonne 
prise, quand même ils n'auraient pas à leur bord des 
marchandises appartenant exclusivement à des sujets 

turcs. 

Les pavillons neutres jouirent d'une complète li- 
berté, même pendant les hostilités. 



182 HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORIENT. 

1853. En même temps, des ordres furent expédiés de 
Saint-Pétersbourg pour faire entrer de nouvelles 
troupes dans les Principautés. Le corps russe com- 
mandé par le général d'Osten-Sacken, et fort de 
50,000 hommes , franchit le Pruth par suite des mê- 
mes ordres. 

Si les Russes faisaient mouvoir leurs nombreuses 
armées et les lançaient au delà du Pruth, de leur 
côté, les Turcs continuaient avec ardeur leur mou- 
vement en avant. Après l'occupation de Widdin et de 
Kalafat, et le combat d'Oltenitza, ils attaquèrent Ga- 
latz et Ibraïla. La première de ces villes était située 
dans la Moldavie sur la rive gauche du Danube , et la 
seconde en Valachie sur la même rive du fleuve. 

Le sultan porta également son attention sur tous 
les points où il pouvait être attaqué. Une grande con- 
centration de troupes s'opéra sur les frontières d'Asie, 
et l'escadre turque partit pour croiser dans la mer 
Noire et pour protéger les côtes d'Asie. Cette division 
de la flotte ottomane était composée d'un vaisseau, 
de cinq frégates et d'un bâtiment à vapeur, sous le 
commandement de Hassan -Pacha. 

La Sublime Porte somma en même temps le gou- 
vernement serbe de se déclarer pour ou contre la 
Turquie. Il lui signifia que ses forteresses devaient 
recevoir des garnisons turques. 

La tranquillité était en ce moment complète à Con* 
stantinople, et la population manifestait toujours un 
grand enthousiasme pour la guerre. Mais la guerre 



CHAPITRE XLVII. 483 

occasionne d'immenses dépenses : le trésor turc était 1853 
vide. Aussi parmi tous les graves embarras qu'on 
éprouva, le plus grand, à coup sûr, fut celui des 
finances. 



CHAPITEE XLVII. 

Snooès et revers de part et d'antre. — Frise da fert Salnt-Nicelas en Asie 
par les Tnrcs. Ils éehonent à Bncharest. lis repassent le Dannbe. — 
Creisièrt dn Wladlntr. — luwreetlM en Srèee. 

Sur les deux théâtres de la guerre , les deux par- 
ties belligérantes venaient d'éprouver des succès et 
des revers. 

En Asie, une petite division de l'armée turque, 
composée d'irréguliers , la plupart Kurdes, et d'un 
bataillon de la garde impériale, se porta, le 28 oc- 
tobre, sur le fort russe de Chefkéli, ou Saint-Nico- 
las , défendu par trois bataillons. La résistance des 
assiégés fut opiniâtre; mais après quatre heures de 
combat, le fort fut emporté de vive force. 

Pendant l'action , des troupes russes des environs 
étant venues au secours de leurs camarades, le ba- 
taillon de la garde impériale laissa le fort aux seuls 
irréguliers et se porta à leur rencontre; se déployant 
en ordre, il fit une décharge meurtrière, s'élança 
sur elles à la baïonnette et les culbuta de toutes parts. 

Sur le Danube on s'attendait alors à une marche 
vigoureuse des Turcs, d'Oltenitza sur Bucharest, et 
déjà l'on avait répandu le bruit que leurs troupes 
avaient investi cette place, 



i84 HISTOIRE DE LA GtJERRE d'ORIENT. 

1858. Mais les pluies torrentielles qui eurent lieu après 
le combat d'Oltenitza furent fatales à la marche des 
Turcs. Retardés par les inondations qui, en détrem- 
pant le terrain, rendaient impossibles les mouvements 
• de l'artillerie , ils perdirent un temps précieux. 

Ces retards avaient permis aux Russes de concen- 
trer la plus grande partie de leurs troupes autour de 
Bucharest, et l'expédition des Turcs sur cette place 
manqua. Le général Gortschakoff avait eu le temps 
de réunir 45 à 50,000 hommes pour la défense de 
ce point stratégique important. 

Dans cette situation, les Turcs se décidèrent à ar- 
rêter leur mouvement. Us battirent en retraite, tenant 
l'ennemi en respect par une contenance ferme et par 
des retours offensifs très-meurtriers. Ils ne voulurent 
pas lui laisser en état les constructions qu'ils avaient 
élevées. Après avoir détruit le bâtiment appelé la 
Quarantaine, et tous les ouvrages faits à Oltenitza, 
ils réussirent à repasser le Danube dans le plus grand 
ordre et sans avoir été inquiétés par l'ennemi. L'é- 
vacuation d'Oltenitza eut lieu le 12 novembre. Les 
Turcs qui s'étaient emparés, le 3, de cette place, ne 
la conservèrent donc que pendant neuf jours. Les 
jours suivants, ils évacuèrent également plusieurs au- 
tres points, et ne conservèrent sur la rive gauche du 
Danube que la position importante de Kalafat. Ce fut 
en vain que les Russes firent des efforts inouïs pour 
les déloger de cette position , les Turcs la conser- 
vèrent. Ils en augmentèrent les fortifications et dé- 



CHAPITRE LXVn. 185 

ployèrent uae activité incroyable dans la construction issa. 
des redoutes. 

Tous ces mouvements de l'armée turque" étaient 
dirigés avec habileté et prudence, soit pour l'attaque, 
soit pour la retraite, par les ordres d'Orner -Pacha 
qui avait établi son quartier général à Nosgrad , au- 
dessus de Schumla. 

Nous avons vu qu'une division de la flotte otto- 
mane avait mis à la voile de Buyucdéré sur le Bos- 
phore, pour aller faire une croisière dans la mer 
Noire. Aussitôt que les navires de guerre turcs avaient 
paru sur cette mer, une division de l'escadre russe, 
forte de trois vaisseaux de ligne, de cinq frégates et 
de plusieurs bateaux à vapeur, partit de Sébastopol 
pour leur donner la chasse. 

Le vapeur russe le Wladimr se détacha de la 
flotte et se porta en avant comme éclaireur. Il cap- 
tura , après quelques jours de croisière, et ramena à 
Sébastopol deux bâtiments: l'un turc, appartenant 
au commerce, avec un chargement de cuivre, et 
l'autre, vapeur de guerre égyptien de dix canons. Ce 
dernier se défendit vivement et n'amena son pavillon 
que lorsqu'il fut tout à fait désemparé. Dans cette ac- 
tion, les Russes eurent deux hommes tués et deux 
blessés. 

La nouvelle de. cette heureuse croisière du WZa- 
dimir arriva à Saint-Pétersbourg au moment où l'em- 
pereur Nicolas recevait , de l'armée d'Asie, la rela- 
tion de deux aflaires assez sérieuses dans lesquelles 
l'avantage était resté aux Russes. 



486 HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORIENT. 

1858. La première avait eu lieu au village de Bayaudour, 
le 41 novembre, et la seconde, le 44, au même en- 
droit. 

Le bruit des hostilités commencées sur le Danube 
et en Asie , fit éclater une insurrection presque gé- 
nérale sur le continent de la Grèce. Cette insurrec- 
tion, nous l'avons déjà fait pressentir en parlant de 
la disposition des esprits. Jamais, depuis la guerre 
de l'indépendance, on n'avait vu dans ce pays une agi- 
tation semblable à celle qui se manifesta après la dé- 
claration de guerre faite par la Turquie à la Russie. 
De tous côtés, il arriva des adresses au roi Othon 
qui l'invitaient à déclarer la guerre à la Porte Otto- 
mane. Les Fanariotes étaient les plus ardents. Ils 
avaient à leur tête le Thessalien Païkos , et voulaient 
soulever la Thessalie et l'Épire , si les Grecs les se- 
condaient. Le gouvernement grec se renferma pen- 
dant quelque temps dans une attitude passive. La 
Porte Ottomane était parfaitement informée de ces 
mouvements, et pour sa sûreté, elle envoya à la fron- 
tière deux corps d'armée de 42,000 hommes chacun. 
Le premier corps , sous les ordres de Saïd - Pacha , 
devait prendre position près de Ladatsche, en Thes- 
salie, et le second à Arta, sous les ordres du fils du 
pacha de Janina. De son côté , le gouvernement grec 
ordonna une concentration de troupes dans un camp 
établi à Zeïtoun , près de la frontière. Il donna pour 
prétexte de ce rassemblement de troupes la nécessité 
d'empêcher les incursions des brigands. 



] 



CHAPITRE XLVIII. 487 

C'est au milieu de ces événements que, le 27 no- i«» 
vembre, l'empereur Nicolas donna son assentiment 
à l'abdication volontaire des hospodars de la Moldavie 
et de la Valachie , et chargea le général comte de 
Budberg de l'administration des deux Principautés, 
avec le titre de commissaire général et de plénipo- 
tentiaire de Sa kajesté. 



CHAPITRE XLVni. 

Meeting anglais. — Cnrienz disoonn de sir Caiarles Napier. — Nenvelles 
eeaférenees et neoyeUes Hetes de la diplenatie. 

Quittons un instant le tumulte des camps et le choc 
des armées, pour assister à un meeting anglais et 
entendre de curieuses discussions sur la question 
d'Orient, des hourras pour les Turcs et des grogne- 
ments pour les Russes. 

Le 18 novembre, eut lieu, dans la halle aux blés, 
à Manchester, un meeting, dans le but d'exprimer la 
sympathie anglaise pour la Turquie dans sa lutte 
contre l'autocrate. 

Voici comment s'y exprima sir Charles Napier (cet 
extrait est une peinture assez exacte du caractère et 
des dispositions d'esprit du célèbre amiral) : 

« Ce qui a (dit-il) le plus attiré contre la Turquie 
« le courroux de l'Autriche et de la Russie, c'est l'hos- 
« pitalité généreusemwt accordée par eHe aux réfu- 
«giés hongrois, 



188 HISTOIRE DE LÀ 6VERRE D'oRIEKT. 

18SS. « L'Autriche et la Russie lui adressèrent alors de 
«rudes remontrances. Lord Palmerston les pria de 
« se calmer. (Rires et applaudissements) Une flotte fut 
«envoyée à l'entrée des Dardanelles, et l'Autriche 
^ et la Russie se saluèrent. {Applaudissements) Vous 
« connaissez très-bien la mission du prince Menschi- 
« koff et du prince de Linange. Menschikoff fut ar- 
«rêté dans sa mission par la goutte, et ce fut pitié 
« vraiment que le mal ne l'eût pas plutôt pris à la tête 
c< ou à l'estomac. (Hilarité) Lorsque le prince n'eut 
«plus la goutte, il poussa droit à Constantinople, et 
«jamais mission au monde, vous le savez, ne fut ca- 
«ractérisée par plus d'insolence et d'effronterie. 

«Si au moment où cela se passait nous avions été 
« aussi forts que nous le sommes aujourd'hui (mais 
«la société des amis de la paix nous avait peu à peu 
« réduits à l'impuissance) (on rit) , nous amnons dit 
« alors fièrement à la Russie : Si voirs passez le Pruth, 
«nous allons à Constantinople, et l'escadre anglaise, 
«au lieu d'être passée en revue à Spithead, passerait 
« sa revue dans la Baltique. (Applaudissements) L'in- 
« science de la Russie dans toute cette affaire est 
«flagrante. Mais voyons quelles seraient les consé- 
« quences de là continuation de l'occupation des Prin- 
«cipautés par les Russes. Quel est l'homme assez 
« simple pour s'imaginer que la Russie laissée à la 
«libre possession des Principautés bornera là toute 
«son ambition? Croyez- vous qu'elle se contente de 
«si peu? (Non! non!) Elle ira droit à Constanti- 



CHAPITRE XXYIII. 189 

« nople , et alors l'Europe sera dans une belle posi- isss 
«tion! La Russie possédera la Baltique au nord, le 
(( Bosphore et les Dardanelles au sud. Alors le colosse 
(( étendra ses bras nerveux, et, dans un hideux em- 
(( brassement , il étouffera l'Europe. {Applaudisse- 
aments.) MaisunefoisàConstantinople, croyez-vous 
« que la Russie s'arrêtera là? {Non! non!) Il lui fau- 
« dra l'Egypte, et alors notre route des Indes est con- 
(( fisquée {Bien! bien!), etc. » 

Pendant que les hostilités que nous avons racon- 
tées se passaient en Asie et sur les bords du Danube, 
des négociations pour la paix continuaient, sans que 
ces hostilités fussent suspendues. La médiation com- 
mune de la France , de l'Angleterre , de l'Autriche et 
de la Prusse, redoublait ses efforts, jusque-là si in- 
fructueux, pour amener un .arrangement dans cet 
interminable différend turco-russe. A la suite de plu- 
sieurs conférences, les grandes puissances avaient 
arrêté d'envoyer à Constantinople une autre propo- 
sition d'arrangement de ce différend , basée sur un 
nouveau projet. Nous donnons place ici à ces nou- 
velles Notes ; mais avant de les produire , disons d'a- 
bord à quel point de vue, selon nous, devait se placer 
la diplomatie ; quelle situation lui était faite. 

Par l'occupation des Principautés et par l'état de 
guerre qu'elle avait amené, on pouvait à ce moment 
discuter toutes les relations anciennes et actuelles 
entre la Sublime Porte et la Russie. Tous les traités, 
depuis celui de Kaïnardji, conclu en 1774, jusqu'à 



190 HISTOIRE DE Là GUERRE D*0R1ENT. 

18». la convention de Baltalinian étaient annulés. Les ar- 
rangements extraordinaires extorqués à la Turquie 
par la victoire ^ au proiit des Russes, relativement à 
rÉglise d'Orient, aux lieux saints et aux Principautés 
étaient détruits. Le renouvellement de ces conven- 
tions dépendait désormais de l'issue de cette guerre 
et de l'attitude de l'Europe. Si la Turquie, soit par 
ses efforts , soit avec le secours des autres puissances 
de l'Europe, pouvait traitera conditions égales ou su- 
périeures, elle devait en finir avec des traités humi- 
liants et qui la plaçaient sous la dépendance de la 
Russie. 

La conférence de Vienne, dans les séances qu'elle 
tint pour saisir les occasions de rétablir la paix , ne 
pouvait avoir perdu de vue ces circonstances et ces 
éventualités de l'avenir. 

Les puissances occidentales désiraient la paix, sans 
aucun doute : elles avaient montré la plus grande ac- 
tivité pour arriver sérieusement à ce résultat; mais 
au milieu de ces dispositions générales, la diplomatie 
russe semblait n'avoir alors, comme elle n'a eu dans 
toutes les phases analogues de l'histoire, qu'une 
préoccupation en négociant: gagner du temps, pour 
pouvoir prendre ses mesures et arriver plus facile- 
ment à son but. Ces faits étaient connus de l'Europe 
entière , et les négociations qui se poursuivaient étaient 
une preuve nouvelle de l'évidence bien constatée de 
cette situation. 

Le rétablissement d'une action commune entre la 



CHAPITRE LXVm. 191 

France, l'Angleterre, l'Autriche et la Prusse était im. 
devenu une réalité puissante. Cet ««jcord entre les 
grandes puissances produisit un acte important. Le 
5 décembre, fut signé, à Vienne, entre ces quatre 
cours, un protocole destiné à rapprocher et à con- 
fondre leur politique. Quoi qu'il pût arriver désor- 
mais sur le double théâtre où s'agitait la lutte com- 
mencée entre la Russie et la Turquie, il y avait à 
l'Occident un contre-poids dans la résolution à la- 
quelle ces puissances venaient de s'arrêter. 

Mais quelle base prendre pour remplacer le traité 
de 1841? Il fallait des garanties sérieuses contre les 
empiétements de la Russie, dont le rôle avait changé, 
et qui se trouvait précisément menacer l'œuvre à la- 
quelle elle avait elle-même coopéré. Cette œuvre était 
détruite déjà par son fait et par l'état de guerre. 
Lorsque cette crise commença et laissa déjà pres- 
sentir toute sa gravité , les gouvernements de l'Eu- 
rope virent bien qu'il y avait pour eux un devoir 
commun à remplir dans l'intérêt de la sécurité géné- 
rale du continent. Ils virent bien qu'un conflit , où 
était engagée une question de souveraineté et d'in- 
dépei^dance pour l'empire ottoman, était naturelle- 
ment du ressort de tous les cabinets. De là était née 
aussi la Note un moment proposée à l'acceptation de 
la Russie et de la Turquie. On sait le peu de fortune 
de cette Note. Elle disparut un jour , laissant à demi 
dissoute la Conférence qui l'avait élaborée. Qui avait 
soufflé sur elle? Un peu tout le monde, mais surtout 



192 HISTOIRE DE LA GUERRE D*ORIENT. 

i«M. M. de Nesselrode par sa fatale interprétation. Cet in- 
succès et cette impuissance devaient profiter à la paix 
future, car c'était là du replâtrage diplomatique, 
sans garanties solides. Les forces de terre et de mer 
de la Russie ôtaient toute sécurité à l'Europe. Ces 
forces devaient être affaiblies ou l'Europe devait se 
résigner à vivre dans l'effroi pour son indépendance. 
Mais la Conférence ne vit pas les choses d'aussi haut : 
dans son esprit de conciliation, elle ne voulut pas 
formuler encore cette volonté ferme, sage et pré- 
voyante de l'Europe. 

Voici ses œuvres d'alors. On devait mieux espérer 
pour l'avenir. Le 5 décembre, comme nous l'avons 
dit, furent signés, à Vienne, le Protocole et la Note 
dont nous donnons le texte, comme pièces impor- 
tantes. 

N^ 4. — Protocole. 

Les soussignés, représentants de l'Autriche, delà 
France, de la Grande-Bretagne et de la Prusse, con- 
formément aux instructions de leurs Cours, se sont 
réunis en Conférence, à l'effet de rechercher les 
moyens d'aplanir le différend survenu entre la cour 
de Russie et la Sublime Porte. 

Les proportions que ce différend a prises et la 
guerre qui a éclaté entre les deux empires, malgré 
les efforts de leurs alliés, sont devenues, pour 
l'Europe entière, l'objet des plus sérieuses préoccu- 
pations. En conséquence , LL. MM. l'empereur d' Au- 



CHAPITRE XI.VI1I. 193 

triche, l'empereur des Français, la reine du Royaume- im. 
Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, et le roi de 
Prusse, également pénétrés de la nécessité de mettre 
un terme à ces hostilités qui ne pourraient se pro- 
longer sans affecter les intérêts de leurs propres 
Etats , ont résolu d'offrir leurs bons offices aux deux 
hautes parties beUigérantes , dans l'espoir qu'elles ne 
voudraient pas elles-mêmes encourir la responsabi- 
lité d'une conflagration, alors que par un échange de 
loyales explications elles peuvent encore la prévenir, 
en replaçant leurs rapports sur le pied de paix et de 
bonne entente. 

Les assurances données, à.. différentes reprises, 
par S. M. l'empereur de Russie, excluent, de la part 
de cet auguste souverain, l'idée de porter atteinte à 
l'intégrité de l'empire ottoman. 

L'existence de la Turquie, dans les limites que les 
traités lui ont assignées, est en effet devenue une 
des conditions nécessaires de l'équilibre européen, 
et les plénipotentiaires soussignés constatent avec 
satisfaction que la guerre actuelle ne saurait en au- 
cun cas entraîner dans les circonscriptions territo- 
riales des deux empires des modifications suscepti- 
bles d'altérer l'état de possession . que le temps a 
consacré en Orient, et qui est également nécessaire 
à la tranquillité de toutes les autres puissances. 

S. M. l'empereur de Russie ne s'est du reste point 

bornée à ces assurances : elle a fait déclarer que son 

intention n'avait jamais été d'imposer à la Porte des 

13 



194 HlSTOlHli; DE LA GUEKHK d'oRIEKT. 

1853. obligations nouvelles, ou qui ne fussent pas exacte- 
ment conformes aux traités de Kaïnardji et d'Andri- 
nople, stipulations d'après lesquelles la Sublime Porte 
a promis de protéger dans toute l'étendue de ses 
États le culte chrétien et ses Églises. La cour de 
Russie a ajouté que, en réclamant du gouvernement 
ottoman un témoignage de sa fidélité à ses engage- 
ments antérieurs, elle n'avait nullement entendu 
amoindrir l'autorité du sultan sur ses sujets chré- 
tiens, et que son but unique avait été de demander 
des éclaircissements de nature à prévenir toute équi- 
voque et tout motif de mésintelligence avec une puis- 
sance amie et voisine. 

Les sentiments manifestés par la Sublime Porte, 
pendant les dernières négociations , attestent , d'un 
autre côté , qu'elle était prête à reconnaître toutes 
ses obligations contractuelles, et à tenir compte, dans 
la mesure de ses droits souverains, de l'intérêt de 
S. M. l'empereur de Russie pour un culte qui est le 
sien et celui de la majorité de ses peuples. 

Dans cet état de choses, les soussignés sont con- 
vaincus que le moyen le plus prompt et le plus sûr 
d'atteindre le but désiré par leurs Cours serait de 
faire en commun une communication à la Sublime 
Porte pour lui exposer le vœu des puissances de con- 
tribuer par leur intervention amicale au rétabhsse-: 
ment de la paix, et la mettre en état de faire con- 
naître les conditions auxquelles elle serait disposée 
à traiter. 



CHAPITRE XLVIII. 195 

Tel est le but de la Note collective ci-jointe, adressée isss. 
au ministre des affaires étrangères du sultan , et des 
instructions identiques transmises en même temps 
par les cours d'Autriche, de France, de la Grande- 
Bretagne et de la Prusse à leurs représentants à Con- 
stantinople. 

N*' 2. — Note collective. 

(cLes soussignés, représentants, etc , réunis 

«en Conférence à Vienne, ont reçu des instructions 
a à l'effet de déclarer que leurs gouvernements res- 
(( pectifs envisagent avec un profond regret le com- 
(( mencement des hostilités entre la Russie et la Porte, 
«et désirent vivement, en intervenant entre les puis- 
ce sances belligérantes , éviter toute nouvelle effusion 
(( de sang et mettre un terme à un état de choses qui 
(( menace sérieusement la paix de l'Europe. 

(( La Russie ayant donné l'assurance qu'elle était 
((disposée à traiter, et les soussignés, ne doutant pas 
«que la Porte ne soit animée du même esprit, ils 
«demandent, au nom de leurs gouvernements res- 
« pectifs , d'être informés des conditions auxquelles 
« le gouvernement ottoman consentirait à négocier 
« un traité de paix.» 

Les quatre gouvernements, signataires du proto- 
cole et de la Note collective , se hâtèrent d'adresser 
simultanément une dépêche à leurs ambassadeurs 
à Constantinople , contenant des instructions identi- 
ques, conformément à la déclaration du 5 décembre. 



196 HISTOIRE DE LA GUERRE 0*ORIENT. 

1868. Ces instructions avaient pour but de diriger les 
représentants des quatre puissances dans la conduite 
qu'ils devaient suivre pour obtenir du gouvernement 
turc son adhésion aux résolutions adoptées à Vienne. 

Nous avons déjà dit souvent que les faits qui s'ac- 
compliraient sur les divers champs de bataille con- 
stateraient surtout l'impuissance de la diplomatie, 
déjoueraient tous ses efforts et les frapperaient d'in- 
succès jusqu'au jour où un coup décisif serait porté 
à la puissance russe. 

La Note de Vienne du 5 décembre , le protocole 
qui l'avait accompagnée et les instructions adressées 
aux ambassadeurs des quatre puissances, allaient 
disparaître sous la fumée des coups de canon et 
rester stériles, comme les Notes précédentes, et tous 
les actes diplomatiques élaborés avec tant de soin et 
de sollicitude. 

Pendant que sur les bords du Danube quelques 
combats partiels sont livrés , soit a Kalafat , soit à 
Matschin , et que les troupes turques échangent de 
simples canonnades avec les Russes, sans avoir avec 
eux d'engagement sérieux, de vraies batailles se 
livrent en Asie. 

Le 26 novembre , dans les environs d'Halkalzik , 
un corps turc àe 10,000 hommes subit une grave 
défaite. La bataille dura près de onze heures , et la 
perte des Ottomans fut de 4,000 hommes, tant tués 
que blessés ou faits prisonniers. Us laissèrent aussi 
au pouvoir de l'ennemi treize canous et plusieurs 



CHAPITRE XLVni. 197 

drapeaux , qui furent pour le général russe Andro- ms. 
nikoff les trophées de cette journée. 

Quelques jours plus tard, l'armée russe, comman- 
dée par le général BéboutofF, remporta un avantage 
signalé sur le séraskier Abdi-Pacha , près Angousti , 
le l®"* décembre. Vingt-quatre canons tombèrent au 
pouvoir des vainqueurs. Les Turcs abandonnèrent 
leur camp, où les Russes trouvèrent une quantité 
considérable de munitions de guerre. Abdi - Pacha , 
qui commandait l'armée turque , fut accusé de lâ- 
cheté pour avoir quitté un des premiers le champ de 
bataille. Après sa défaite, il se retira vers Kars, chef- 
lieu du pachalik de ce nom. 

Au sujet de cette bataille, l'empereur Nicolas écri- 
vit au général Béboutoff : « Comme témoignage de 
« la satisfaction particulière que nous ont causée votre 
e bravoure et le talent militaire dont vous avez donné 
<r des preuves dans le combat livré y\e i^^ décembre, 
«sur les rives de l'Arpatchaï, en repoussant avec mes 
a: vaillants soldats un corps d'armée turc de trente- 
i( six mille hommes (deux fois plus fort que le vôtre), 
« en prenant vingt-quatre canons, plusieurs drapeaux 
«et tout le camp ennemi, je vous confère les in- 
<r signes de deuxième classe de Saint- Georges, etc.» 

En France, la marine redoublait d'activité pour 
augmenter nos forces navales. Plusieurs bâtiments 
furent achevés et lancés avec succès dans les diffé- 
rents ports. A Cherbourg on mit à flot le Beauma- 
noir, brick de première classe; àBrest,leDe^yw^w^; 



198 HISTOIRE DE LÀ GUERRE d'oRIENT. 

1353. à Lorient, YAnnibal, et à Toulon, le Flmrus. 
C'étaient là trois beaux vaisseaux à hélice de cent ca- 
nons et qui pouvaient être munis chacun d'un appa- 
reil de six cent cinquante chevaux. Dans tous les 
ports on construisit et Ton arma des bâtiments de 
toutes dimensions, et l'on prépara activement des 
approvisionnements et des munitions de guerre. On 
sentait que des événements graves s'approchaient et 
qu'il fallait être prêt à leur faire face. 



CHAPITRE XLIX. 

Affaire déplorable de Sinope. — Destnietion d'une eseadrille tnrqne par 
les Basses. — Quatre mille morts ; quatre oents blessés retroayés et 
rapportés à Constantlnople. 

Pour justifier cette prévision, un grand fait venait 
de s'accomplir, qui précipita toutes les décisions et 
dont le retentissement en Europe exerça une prompte 
et vigoureuse influence sur les résolutions nouvelles 
des puissances occidentales. 

Le 30 novembre l'amiral russe NachimofF, à la 
tête de six vaisseaux de ligne , força l'entrée de la 
rade de Sinope et détruisit , en une heure de com- 
bat, sept frégates, deux corvettes , un bateau à vapeur 
et trois transports turcs. Le carnage fut effroyable , 
car cette flotte transportait des troupes sur les côtes 
d'Asie, et quatre mille Turcs trouvèrent la mort sous 
les boulets et la mitraille des Russes, 



CHAPITRE XLIX. ^99 

La frégate à vapeur le Tdify qui était heureusement ism. 
en dehors de la rade, échappa à ce grand désastre. 
Elle gagna rapidement le large , quand elle vit l'action 
engagée entre des forces si inégales , et alla porter à 
Constantinople la nouvelle de cette catastrophe. 

La flottille turque, chargée de troupes destinées 
aux places des côtes d'Asie , venait d'entrer dans la 
rade de Sinope et avait jeté l'ancre pour opérer ce 
débarquement. L'incurie habituelle des Turcs avait 
négligé depuis longtemps les fortifications de cette 
rade, qui offre cependant un mouillage favorable. 
Toute la défense consistait dans une faible batterie, 
placée au bord du rivage, établie avec si peu de pré- 
voyance, qu'elle se trouva .masquée par les bâtiments 
turcs et ne put diriger ses boulets sur les vaisseaux 
russes. La flotte de l'amiral Nachimoff , sortie de Sé- 
bastopol sur l'annonce de l'apparition de l'escadrille 
turque , avait été avertie , dès le 28 novembre , que 
cette dernière se dirigeait dans les eaux de Sinope. 
Elle fit voile aussitôt vers ces parages. La flottille 
turque , en voyant approcher, les bâtiments russes , 
fit ses préparatifs de combat avec résolution , et le 
brave Osman-Pacha rejeta avec hauteur la somma- 
tion qui lui fut faite d'amener son pavillon. 

L'amiral russe essaya alors d'enlever les transports 
turcs avec ses embarcations; mais, n'ayant pas réussi, 
il s'avança sur l'escadrille turque avec ses vaisseaux 
de ligne. Osman - Pacha ordonna le feu sans hésiter. 
Mais quelle résistance pouvaient opposer de? bâti» 



200 HISTOIRE DE LÀ GUERRE D'oRIENT. * 

18M. metals si faibles à des vaisseaux de haut bord , armés 
de pièces à la Paixhans et du plus fort calibre ? Les 
Russes avaient de plus la facilité et la liberté des 
manœuvres. Ils lançaient sans coup férir leurs effroya- 
bles projectiles sur ces bâtiments de force si infé- 
rieure, et chacune de leurs bordées faisait d'horribles 
ravages. Ils ont pu, dans de telles conditions, non 
pas vaincre , car il n'y avait pas de combat sérieux 
pour eux , mais détruire , brûler et couler , de sang- 
froid et en peu d'instants, douze bâtiments turcs. 
Une seule frégate échappa à la destruction sur le 
champ de bataille ; mais eh vain les Russes espé- 
rèrent-ils l'amener à Sébastopol, car elle sombra 
en pleine mer , par suite de ses avaries , et Osman- 
Pacha , blessé et prisonnier, fut transporté de cette 
frégate, avec sa suite, sur le vaisseau amiral. En 
s'éloignant de ce lieu de désolation , de ces débris 
fumants, au miheu desquels surnageaient plus de 
trois mille cadavres, les Russes envoyèrent encore 
plusieurs bordées sur les misérables maisons de la 
ville , qu'ils auraient voulu réduire en cendres comme 
la flottille. 

Le Taïfy que nous avons vu fuir à toute vapeur de 
Sinope, arriva le 2 décembre à Constantinople , et y 
répandit cette triste nouvelle. Les ambassadeurs de 
France et d'Angleterre expédièrent aussitôt chacun 
un grand steamer avec ordre de se rendre à Sinope. 
Ces deux bateaux à vapeur partirent le 4 décem- 
bre. A leur retour à Constantinople, ils rapportèrent 



CHAPITRE LXTX. 201 

quatre cents blessés turcs et tous les détails que nous i85s. 
venons de donner sur ce. désastre. Les rapports des 
commandants anglais et français constatèrent qu'il 
n'était pas mort moins de quatre mille Turcs dans 
cet engagement. Ils avaient fait feu les premiers et 
s'étaiçnt comportés avec un grand courage. L'arrivée 
des steamers sauva probablement d'une triste mort 
les blessés qui avaient survécu à cette boucherie. 
L'émotion produite à Constantinople par la nouvelle 
de ce sinistre fut celle d'une consternation générale. 
Mais le résultat immédiat de la destruction de l'es- 
cadrille turque amena une mesure décisive, celle de 
l'entrée des escadres française et anglaise dans, la 
mer Noire. 

Jusque-là la France et l'Angleterre n'avaient pas 
pris la position de puissances belligérantes. Elles 
avaient agi seulement comme médiatrices. On vou- 
lait, non pas prolonger la guerre, mais y mettre fin. 
Dans cette pensée les mouvements des flottes coali- 
sées dans le Pont-Euxin n'étaient destinés qu'à em- 
pêcher des événements susceptibles de nuire plus 
encore que les précédents à la paix générale. Mais ce 
fait de Sinope fit naître de nouvelles complications. 
Un arrangement satisfaisant devint alors difficile. Un 
changement politique devait s'opérer dès lors de la 
part des alliés. 



1853. 



202 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

CHAPITRE L. 

Katiét 4m tttttt alUéM ëaat U mw Neirt. — OépielMt de H. Orouyii de 
Uinyt an général Baragney d'IiUiers. — Ivresses de Joie à Saint- 
Pétersbenrg. 

Eq France, comme en Angleterre, la déplorable 
affaire de Sinope agit puissamment sur l'opinion pu- 
blique. Elle fortifia le bon accord entre le gouverne- 
ment de Paris et celui de Londres. Ils s'entendirent 
complètement sur la question de l'entrée de leurs 
flottes dans la mer Noire , ainsi que pour donner à 
leur politique en Orient le caractère d'une interven- 
tion plus active. Cette intervention plus active des 
puissances occidentales inspira deux dépêches adres- 
sées à peu de jours de distance à l'ambassadeur fran- 
çais à Constantinople par M. Drouyn de Lhuys , ainsi 
qu'à M. Walewski , ambassadeur à Londres. 

A M. le général Baraguey d'HiUiers. 

«Paris, le 13 décembre 1853. 

(( Général , 

«La dépêche télégraphique que vous m'avez fait 
(d'honneur de m'adresser, en date du 3 de ce mois, 
«m'est parvenue hier soir. Mais je connaissais déjà, 
«par une autre voie, la destruction de la flottille 
«ottomane, mouillée dans la rade de Sinope. Cet 
« événement a causé une pénible impression au gou- 
«vernement de Sa Majesté Impériale. Nos alliés ont 
ce subi un échec dans des circonstsnces et sur un élé- 



CHAPITRE L. 203 . 

« ment où la démonstration commune de la France 1853. 
«et de l'Angleterre avait précisément pour objet de 
(( la protéger , et nous ne saurions nous dissimuler 
(( que le coup hardi et heureux que la Russie vient 
« de frapper n'atteint pas seulement la Turquie. 

« Vous m'annoncez , Général , que , d'accord avec 
«lord Stratford, vous vous êtes empressé d'envoyer 
«en reconnaissance deux bâtiments à vapeur jusqu'à 
« hauteur de Sinope. Vous avez jugé avec raison que 
«notre pavillon ne pouvait pas tarder davantage à 
«paraître dans la mer Noire, et je vous invite, en 
«vous inspirant de vos instructions, à user de toute 
«la latitude qu'elles vous donnent pour autoriser 
«M. l'amiral Hamelin à combiner sans retard les 
«mouvements de notre escadre de façon à rendre 
«impossible le retour d'un événement semblable à 
« celui que nous déplorons et à détruire l'effet moral 
« qu'il n'aura pas manqué de produire. 

« Le gouvernement de l'Empereur s'en remet avec 
« confiance à vos inspirations personnelles : il est 
« néanmoins une opération qui me semble tout indi- 
« quée ; c'est celle qui aurait pour but de ravitailler , 
«soit en hommes, soit en vivres, l'armée d'Anatolie, 
« et les places du littoral : l'assistance que nous prête- 
«rons à la flotte turque, aujourd'hui qu'une escadre 
« de Sébastopol a pris l'offensive contre le territoire 
«ottoman, ne serait plus qu'un acte entièrement con- 
« forme aux devoirs que nous avons acceptés en faisant 
« avancer nos forces navales jusqu'à Constantinople. 



204 * HISTOIRE DE LA GUERRE d'oRIENT. 

1853. « L'adhésion de la Porte aux ouvertures de la Con- 
«férence de Vienne ne devait pas, dans l'opinion 
« du gouvernement de Sa Majesté Impériale , sus- 
c pendre l'entrée de tout ou partie de notre escadre 
«dans la mer Noire. Le danger d'une nouvelle at- 
«taque subsistera tant qu'un armistice n'aura pas 
« été conclu , et cette appréhension suffit pour exph- 
c quer de notre part une surveillance qui est devenue 
«nécessaire, dans le double intérêt de la Turquie 
« et de notre propre dignité. Je transmets à M. le 
ff comte Walewski une copie de cette dépêche pour 
^ qu'il la communique à lord Clarendon. 
«Recevez, etc. 

c Signé: Drouyn de LHUYS.i> 

La rentrée prochaine de lord Palmerston dans le 
ministère anglais allait contribuer beaucoup à faire 
prendre par les deux cabinets des mesures pli^s dé- 
cisives que par le passé. Le désastre de Sinope avait 
empiré la situation. Il nécessita une action plus 
prompte et plus vigoureuse. M. Drouyn de Lhuys 
exprima nettement et hautement les moyens aux- 
quels s'arrêtait le gouvernement français à la suite 
de ce grave événement. Il écrivit en conséquence à 
M. le comte Walewski la communication qu'il le 
chargeait de faire au cabinet de Saint-James. 



CHAPITRE L* 205 

A M. le comte Walewski. ^^^' 

«Paris, le 15 décembre 1853. 

« Monsieur le Comte , 

ce Je vous ai fait tîonnaître la première impression 
«du gouvernement de l'Empereur à la nouvelle de 
c( la destruction de la flottille ottomane dans la rade 
« de Sinope , et je ne doutais pas qu'elle ne fût com- 
o: plétement partagée par le gouvernement de Sa Ma- 
«jesté Britannique. Je vois par la dépêche télégra- 
«phique de lord Stratford, que lord Clarendon a 
c( bien voulu vous communiquer, que nos représen- 
e: tants à Constantinople ont tout de suite compris la 
« nécessité d'une démonstration de nos forces navales 
« dans la mer Noire , et je me plais à penser qu'au 
«retour des frégates à vapeur envoyées en recon- 
of naissance à Bourgas el à Sinope même, ils n'auront 
a: pias hésité à faire sortir du Bosphore le gros des 
« deux escadres. L'opération qu'ils se proposaient de 
« seconder , et qui est celle dont lord Clarendon et 
«moi nous avons eu également l'idée, sera un pre- 
«mier indice de la surveillance qu'il est devenu né- 
« cessaire d'iexercer sur une côte où nous n'avions 
«pas supposé qu'une agression pût si vite se pro- 
« duire. 

«En effet, nos dernières informations de Saint- 
«Pétersbourg nous représentaient encore la Russie 
« comme disposée à traiter , et décidée surtout à ne 
«prendre nulle part l'offensive* Celte confiance ex- 



206 HISTOIRE DE LA GUERRE d'oRIENT. 

1863. a pliquait rimmobilité de nos flottes. Il nous parais- 
i< sait suffire que la présence de notre pavillon dans 
« les eaux de Constantinople attestât notre ferme in- 
(( tention de protéger cette capitale contre un danger 
(( soudain , et nous ne voulions pas que notre appari- 
a tion prématurée dans des parages plus rapprochés 
ftdu territoire russe risquât d'être prise pour une 
«provocation. L'état de guerre rendait sans doute 
« une collision possible sur mer , comme sur terre , 
«entre les parties belligérantes; mais nous avions 
« été autorisés à inférer des déclarations réitérées de 
« la Russie que notre réserve serait imitée par elle , 
«et que, ne se méprenant point sur le véritable but 
« de notre démonstration, elle éviterait, avec le même 
« soin que nous , les occasions d'une rencontre , en 
« s'abstenant de procéder à des mesures agressives 
«dans les limites où, si nous avions pu la croire 
« animée d'intentions différentes , notre action aurait 
« naturellement dû s'exercer concurremment avec la 
« sienne. 

«En un mot. Monsieur le Comte, nous admet- 
« lions, sans le dire cependant, que la flotte de Se* 
« bastopol protégeât le littoral asiatique de l'empire 
«russe, en éclairât les approches, en ravitaillât les 
«garnisons; et, dans aucune de ces circonstances, 
«nous n'aurions eu à intervenir pour gêner ses mou- 
«vements. C'eût été attaquer la Russie; et nous 
« n'avions franchi les Dardanelles que pour défendre 
« la Turquie. 



CHAPITRE L. 207 

c: L'expédition dirigée contre Sinope a donc dé- ma. 
(< passé toutes nos prévisions : ce fait modifie égale- 
« ment le rôle que nous aurions désiré pouvoir gar- 
« der jusqu'au bout. A l'usage que nous lui laissions 
« de la mer , dans Tintérét de sa défense , la Russie 
« a substitué comme une sorte d'abus de sa position 
((pour attaquer notre allié dans ses ports: et, non 
(c contente d'exercer une souveraineté illégale dans 
(des principautés du Danube, elle semble vouloir 
a encore étendre, avec toutes les horreurs de la 
(( guerre , sa domination absolue sur l'Euxin. 

«Lorsque le gouvernement de Sa Majesté Impé- 
(( riale et celui de Sa Majesté Britannique ont décidé le 
(( mouvement de leurs escadres vers Constantinople , 
((il avait été question, vous vous le rappelez, d'inviter 
(( les amiraux à informer le commandant en chef des 
(( forces navales russes de l'objet de leur mission. Le 
((moment est venu d'accomplir cette démarche, puis- 
«que nos ménagements n'ont, en définitive, servi 
(( qu'à empirer la situation. Je propose donc , Mon- 
(( sieur le Comte , d'ordonner à MM. les vice-amiraux 
« Hamelin et Dundas de déclarer a M. le prince Mèn- 
es: schikoff, ou à M. le vice-amiral Korniloff, que les 
« gouvernements de France et d'Angleterre sont ré- 
((solus à prévenir la répétition de Févénement de 
(( Sinope , que tout bâtiment russe rencontré en mer 
« par les nôtres sera dorénavant invité à rentrer dans 
«le port de Sébastopol, et que toute agression ten- 
«tée, malgré cet avertissement, contre le territoire 



208 HISTOIRE DE LA GUERRE d'oRIES^T. 

1858. « OU le pavillon ottoman, sersr repoussée par la force. 
«Par suite de cette déclaration, nous nous trou- 
« verons, conjointement avec la Turquie , les maîtres 
« d'un vaste bassin qui baigne les provinces à la fois 
«les plus importantes et les plus exposées de Fem- 
« pire russe , et , à l'occupation de la Moldavie et de 
« la Valachie , nous opposerons , tant qu'elle durera , 
<iune occupation correspondante, dont les consé- 
tf quences seront assurément plus graves , pour le 
«cabinet de Saint-Pétersbourg, que celles de la prise 
(( de possession des Principautés ne sauraient l'être 
«pour la Porte. Ou l'armée commandée par M. le 
« prince GôrtschakofT repassera le Pruth , ou nos 
« vaisseaux , autant que la saison le permettra , croi- 
« seront dans TEuxin et intercepteront toutes les 
«communications maritimes de la Russie avec ses 
« provinces asiatiques. 

« Nous conserverions ainsi la mer Noire comme un 
«gage, jusqu'à l'évacuation des Principautés et le ré- 
« tablissement de la paix. En attendant , l'influence 
«de l'Occident presque inconnue dans ces parages y 
« pénétrera : les dangers , auxquels notre présence 
« exposera une domination mal assise , les rapports 
«et les intérêts nouveaux qu'elle peut développer 
« dans des contrées perdues pour le commerce du 
«monde, tels sont, Monsieur le Comte, les sérieux 
« motifs de réflexion qu'une pareille démonstration, 
«accomplie avec vigueur, est faite pour inspirer au 
« cabinet de Saint-Pétersbourg. 



GHAPITRE L. 209 

«L'attitude de ce cabinet, les prétentions qu'il a issa 

«affichées, l'envahissement de la Moldavie et de la 

«Valachie, en pleine paix, l'agression hardie dont 

«Sinope était le théâtre, il y a peu de jours, tout cet 

((ensemble de circonstances annonce des vues et des 

«résolutions, que TEurope ne saurait changer cpi'en 

«prenant, à son tour, un parti énergique, et je n'en 

« vois pas, pour le moment, de plus efficace que ce- 

« lui que je viens d'indiquer. La France et l' Angle- 

« terre , par Tindépendance de leur politique et les 

« moyens dont elles disposent , se trouvent appelées 

« à se décider les premières. C'est une tâche. Monsieur 

« le Comte , que le gouvernement de l'Empereur est 

«prêt, pour sa part, à accepter, si le gouvernement 

«de Sa Majesté Britannique est, de son côté, disposé 

« à la soutenir avec lui. La volonté de Sa Majesté Impé- 

« riale est donc , (jue vous en transmettiez l'assurance 

« à lord Clarendon, enlui remettant copie de cette lettre. 

« Agréez , etc. 

€ Signé: Drouyn de Lhuys.» 

La détermination du cabinet français fut transmise 
aussitôt à M. Baraguey d'Hilliers, qui devait la mettre # 
à exécution sans aucun retard. On lui écrivit : 

A M. le général Baraguey d'Hilliers. 

«Paris, le 28 décembre 1853. 

« Général , 

«Depuis la dépêche que j'ai eu Thonneur de vous 

«écrire, à la date du 13 de ce mois, un examen ap- 

14 



210 HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORIEftT. 

1853 «profondi de la situation nous a convaincus qu'il 
i( était indispensable d'imprimer à notre attitude un 
ii caractère plus décidé : vous en jugerez par la dé- 
l' pêche ci-jointe , que j'ai écrite à M. le comte Wa- 
« lewski. Assister à la lutte qui a commencé en 
« Orient, sans chercher à en restreindre les effets, ce 
a serait exposer l'empire ottoman à des épreuves que 
(V rintérêt général de FEurope commande de lui épar- 
« gner. Le gouvernement de l'empereur et le gouver- 
(( nement de Sa Majesté Britannique ont en consé- 
<^ quence décidé que MM. les vice-amiraux Hamelin 
(( et Dundas ne devaient plus tarder davantage à in- 
« former de Tobjet de leur mission M. le com- 
« mandant en chef des forces navales russes. Vous 
i< veillerez, Général, à ce que cette démarche s'accom- 
« plisse dans les formes les plus convenables , mais 
(( avec assez de netteté pour qu'aucune méprise ne 
i( soit possible. Nos amiraux annonceront à qui de 
«droit qu'ils ont reçu l'ordre de déclarer que les 
«gouvernements de France et d'Angleterre sont ré- 
(( solus à prévenir la répétition de l'événement de Si- 
# c( nope; que tout bâtiment de guerre russe rencontré 
« en mer par les nôtres sera dorénavant invité et con- 
(( traint à rentrer à Sébastopol ou dans le port le plus 
« voisin, et que toute agression tentée contre le ter- 
« ritoire ou le pavillon ottoman leur imposerait la pé- 
« nible obligation de repousser la force par la force. 
« En arrêtant de si graves mesures , en prêtant à 
(( la Turquie un appui qui témoigne si hautement de 



CHAPITRE L. 211 

«leur bienveillant intérêt pour elle, la France et 1853. 
(d'Angleterre ne veulent pas abandonner le terrain 
((OÙ l'Autriche et la Prusse se sont placées avec elle. 
(( Loin de là, le gouvernement de l'empereur et celui 
((de Sa Majesté Britannique ont le ferme espoir (jue 
(( leurs nouvelles résolutions , dans le cas où la Porte 
(( n'aurait pas complètement accédé aux propositions 
(( des quatre puissances , serviront à vaincre toutes 
« ses hésitations. Du moment où nous protégeons la 
(( Turquie, où nous voulons empêcher qu'elle ne soit, 
(( au détriment de l'Europe entière, accablée par des 
(( forces supérieures, nous avons le droit et le devoir 
« de lui demander d'adhérer à des conditions qui nous 
(( paraissent faites pour sauvegarder sa dignité et son 
«indépendance. Agir autrement, ce serait rompre 
(( l'accord qui s'est étabh si heureusement entre les 
(( grandes puissances et que nous voulons maintenir. 
«Ce serait compromettre nous-mêmes le repos* du 
(( monde, et encourager la continuation d'une guerre 
(( dont nous aurions cessé de reconnaître la légiti- 
(( mité. 

« En résumé, si la France et l'Angleterre, à raison 
((des moyens dont elles disposent, acceptent, dès à 
(( présent, la nécessité d'agir avec plus d'énergie, elles 
(( restent , quant au but à atteindre, étroitement liées 
(( à l'Autriche et à la Prusse, et le rétablissement de 
((la paix sur les bases posées dans les conférences 
« de Vienne demeure le vœu le plus ardent des quatre 
«puissances. La Porte comprendra j qu'en retour de 



212 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1853. c nos sacrifices , elle nous doit Tassurance que nous 
«la trouverons toujours prête, à quelque moment 
« que les négociations puissent s'ouvrir, à contribuer 
«à leur succès par ses loyaux efforts, et qu'elle né- 
«mettra pas de nouvelles prétentions de natiure à 
« changer le caractère du débat qui a surgi entre elle 
« et le cabinet de Saint-Pétersbourg. 

« Dans ces limites, le gouvernement de l'empereur 
«et celui de Sa Majesté Britannique ont la conviction 
« de soutenir le bon droit , et la présence de leurs 
«flottes dans la mer Noire devient pour l'Europe 
« une garantie du maintien de l'existence de l'empire 
« ottoman dans des conditions qu'elle a proclamées 
«nécessaires à son équilibre politique. 

«Agréez, etc. 

« Signé: Drouyn de Lhuys. » 

Tandis que le malheur de Sinope inspirait en Oc- 
cident une si profonde tristesse, cette prétendue vic- 
toire causait à Saint-Pétersbourg l'ivresse de la joie. 
On y chanta des Te Deum , on s'y livra à des ova- 
tions envers les vainqueurs. Des vainqueurs ! ! 

La joie d'un pareil succès s'accrut encore par les 
bulletins de l'armée d'Asie. Ces triomphes impri- 
mèrent tout à coup un nouvel et plus fort élan aux 
opérations de guerre de la Russie. Elle espérait main- 
tenant renverser tous, les obstacles, et ne doutait plus 
de la défaite prochaine de son faible adversaire. 
Les 12, 13 et 14 décembre, des masses considé- 



CHAPITRE LI. 213 

rables de troupes russes se mirent en marche sur isss. 
la petite Valachie. Le prince Gortschakoff, com- 
mandant en chef des corps qui opéraient dans les 
Principautés, dirigeait tous leurs mouvements. A me- 
sure que le troisième corps d'armée russe approchait 
de la frontière orientale de la Valachie , le corps du 
général d'Annemberg marchait sur la petite Valachie. 



CHAPITRE LI. 

La guerre prend de pins fortes proportions. — Tonte chance de paix est 
éloignée. — Diplomatie encore à l'œuvre. — Inquiétudes superstitieuses 
des Russes. 

Nous touchons dans notre récit à la fin de 4853. 
La guerre, loin de se terminer, prenait alors chaque 
jour de plus fortes proportions. Les parties belligé- 
rantes et les autres puissances qui se disposaient à 
prendre part à la guerre , continuaient leurs levées 
de troupes et leurs armements. Les Anglais, dans 
leur irritation extrême de la catastrophe de Sinope 
et de la destruction de la division navale turque, 
reprochaient aux amiraux des flottes combinées de 
ne pas l'avoir protégée efficacement en la faisant 
escorter par une division des escadres alliées. En 
Angleterre, comme en France, les esprits étaient 
unanimes pour déclarer que la journée de Sinope 
éloignait toutes les chances de paix. L'irritation était 
violente dans les deux pays et l'on s'y livrait à d'à- 



m HISTOIRE DE LA GUERRE D*ORIENT. 

1858. mères récriminations et à de vives manifestations 
contre la Russie. 

Cependant la diplomatie, toujours calme et pa- 
tiente, était encore à l'œuvre pour dénouer la crise 
par uûe solution pacifique. Le Divan avait accepté le 
patronage des puissances occidentales, et il était en 
parfait accord (selon le désir exprimé si nettement 
par le ministre français) avec les représentants de la 
France, de l'Angleterre, de l'Autriche et de la Prusse, 
sur les conditions auxquelles il pourrait honorable- 
ment concourir au rétablissement de la paix. 

La presse anglaise seule poussait à la guerre. D'a- 
près elle, à moins que l'Angleterre et la France ne 
fussent disposées à abdiquer leur ancienne position 
en Europe, la lutte, qui menaçait, devait arriver 
tôt ou tard. Il serait devenu bientôt évident, même 
pour les plus aveugles partisans de la paix, que l'a- 
bandon de la Turquie n'aurait fait qu'acheter une 
halte dans les empiétements de la Russie. Si le but 
immédiat de l'envahisseur avait été atteint, la puis- 
sance qui alors forçait l'Europe et l'Asie à la guerre , 
se serait bientôt servie des mêmes armes dans un but 
d'agrandissement. Mieux valait encore à tout prendre, 
ajoutait-elle, résister à l'agression moscovite sur le 
Danube, en Asie, dans la mer Noire et dans la mer 
Baltique, que sur le Rhin, les Alpes, dans la Médi- 
terranée ou dans la mer du Nord. 

Des prétextes de guerre ne manqueraient jamais 
à peujc qui avaient donné des instruction? m prince 



CHAPITBG U. 215 

Menschikoff, et Ton trouverait toujours dans le cabi- isss. 
net de Saint-Pétersbourg, des motifs de guerre, là 
où il trouverait un territoire à prendre ou une mer 
à enclaver dans ses possessions. 

Ce langage violent était répété à Londres chaque 
jour sur tous les tons, comme si de pareilles at- 
taques contre la Russie devaient détourner l'atten- 
tion de l'Europe des envahissements incessants de 
l'Angleterre, qui est maîtresse, sur tous les points 
du globe, des terres les plus fertiles, des ports les 
mieux placés et les plus sûrs, et qui affiche la pré- 
tention hautaine de s'arroger le monopole du com- 
merce et la suprématie sur toutes les mers. Étrange 
contradiction ! Mais plus étranges encore l'apathie et 
la tolérance des grandes puissances maritimes ! 

Le résumé des faits accomplis jusqu'à la fin de 
décembre 1853 établit qu'à l'exception de Kalafat 
et de Chefkéli, autrement appelé fort Saint-Nicolas, 
que les Turcs occupaient toujours à la fin de 1853, 
les Russes n'avaient pas éprouvé de grands revers , 
qu'ils n'avaient pas été véritablement entamés , tan- 
dis qu'ils avaient fait subir de cruelles pertes à la 
Turquie, qui n'avait pu les déloger des principautés 
danubiennes. 

Cependant certains faits jetaient de vives inquié- 
tudes dans les âmes superstitieuses des Russes. Us 
regardaient comme un lugubre pronostic pour Tis- 
sue de la guerre , que le premier acte d'hostilité en 
Asie eût été la prise d'un petit fort qui portait le 



216 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

!•»• nom du saint patron du czar ! Si saint Nicolas conti- 
nuait à protéger l'empereur, leur grand patriarche, 
si ce n'était que par oubli ou inadvertance, qu'il 
avait laissé les Osraanlis, ces êtres païens, pénétrer 
dans le fort, placé sous ses auspices, il aurait au 
moins favorisé les quatre ou cinq tentatives très-au- 
dacieuses et très -énergiques des Russes pour re- 
prendre le fort qu'occupaient ces impies; mais ces 
tentatives avaient été toutes repoussées avec des 
pertes sensibles. 

Un autre fait non moins susceptible d'agir sur ces 
esprits soumis au fanatisme, c'était la perte en pleine 
mer de la frégate le Foudroyant. Le prince Menschi- 
koff, dont l'ambassade est suffisamment connue, 
était regardé comme l'auteur et la première cause 
de la guerre actuelle : si donc le Foudroyant, qui 
avait porté à Constantinople le prince Menschikoff, 
avait sombré plus tard en pleine mer Noire, il était 
très-évident (pour les Russes) que c'était là un avant- 
coureur sinistre pour le czar. Si saint Nicolas laissait 
prendre les forts qui portaient son nom , il s'avouait 
vaincu ; et si le Foudroyant périssait dans une tem- 
pête, l'empire de Russie, à n'en pas douter, était 
menacé de sombrer comme le Foudroyant. 

Les popes devaient avoir bien du mal pour dis- 
suader leurs fidèles de ces ridicules craintes, car ils 
étaient capables de les partager eux-mêmes I 



CHAPITRE LÎI. 217 



CHAPITRE Ln. 

Cessation probable de la paix en Europe. — Tristesse générale. — Fana- 
tisme musnlman. — Mesures annoncées publiquement. — Développement 
des forées navales en Franoe. 

Au commencement de cette année 1854, toutes ^^' 
les probabilités se réunissaient pour faire entrevoir 
prochainement une coopération active à la guerre 
par les puissances occidentales. Cette certitude d'hos- 
tilités prochaines entre la France et l'Angleterre 
d'un côté, et de l'autre la Russie, jeta la tristesse 
dans toutes les relations , et ôta aux premiers jours 
de cette année , dans toute l'Europe , leur joie habi- 
tuelle. Cette cessation d'une longue paix, dont les 
douceurs étaient si bien appréciées de toutes les 
classes de la société , laissait de noires appréhensions 
dans les esprits. Cette guerre qui allait commencer, 
quelle serait sa durée? Quelle issue aurait -elle? 
Comment , et à l'avantage de quelle puissance pour- 
rait-elle se terminer? Que d'incertitudes! que de 
massacres! que de désastres! que de ruines! Quel 
fatal et sombre génie avait soulevé cette tempête po- 
litique et amassé dans les airs cette pluie de larmes 
et de sang? Les rêves d'une ambition impatiente, 
une extension de territoire , la possession des rives 
du Bosphore , celle des clefs de la Baltique et des 
Dardanelles dans les mains du czar; voilà ce qui 
avait poussé les bandes russes dans les Principautés, 
sous le prétexte d'un protectorat religieux et d une 



218 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

»»*• sollicitude mystique pour l'orthodoxie. L'opinion pu- 
blique, exhalant sa malédiction, exprimait le vœu 
qu'un prochain et terrible châtiment fit expier tant 
de funestes prétentions , et rendît le calme à notre 
belle Europe. 

La conduite de la Russie porta l'exaltation guer- 
rière à Constantinople à un si haut degré que , les 
délibérations du Divan ayant paru prendre un carac- 
tère pacifique , les softas (étudiants) , irrités de l'ir- 
résolution de la Porte et de ses hésitations à pousser 
la guerre , firent des rassemblements nombreux , qui 
finirent par une émeute et des manifestations alar- 
mantes. La force armée seule put rétablir la tran- 
quillité, et il fallut arrêter quatre cents émeutiers 
pour réprimer cette grave agitation populaire. Le fa- 
natisme musulman s'irritait au souvenir des insultes 
publiques faites à la nation par le prince Menschi- 
koff , par la violation flagrante des traités , dans l'oc- 
cupation des Principautés; mais il s enflammait sur- 
tout au souvenir de la boucherie de Sinope. Les 
quatre cents blessés rapportés à Constantinople par 
les vapeurs anglais et français , étaient les tristes et 
éloquents débris de ce désastre, dont Timage pleine 
de douleur surexcitait chez les musulmans des sen- 
timents de vengeance et de fureur. Ces sentiments 
s'exaltèrent et se fortifièrent par la nouvelle répandue 
à Constantinople et répétée par les journaux de Saint- 
Pétersbourg, que l'empereur Nicolas avait décerné 
de hautes récompenses et donné de brillants éloges 



CHAPITRE LU. 819 

à l'amiral NachimofF pour cette affaire de Sinôpe, i854. 
qui avait présenté le triste spectacle de six vaisseaux 
de haut bord, appuyés de cinq grandes frégates, dé- 
truisant sans coup férir douze faibles transports im- 
puissants à se défendre , et celui d'un amiral assis- 
tant de sang-froid à ce massacre inutile de 4,000 
Ottomans , dont le courage était digne d'un meilleur 
sort. Un Te Deum avait été chanté solennellement 
dans la capitale de la Russie pour remercier le Dieu 
de charité de cette effusion barbare de sang humain. 
Mais les puissances de l'Occident , que nous nom- 
merons protectrices de la Turquie , se préparaient à 
appeler sur cet acte , si opposé à notre civilisation , 
le châtiment qu'il avait si justement provoqué. Elles 
exposèrent au grand jour les sentiments que ce fait 
déplorable leur inspirait et les mesures qu'elles 
avaient été amenées à prendre. Cette appréciation 
du fait de Sinope et les décisions qu'il provoqua 
furent exprimées dans une circulaire que M. Drouyn 
de Lhuys adressa aux légations de l'Empire, à la 
date du 30 décembre 1853; — jusque-là la di- 
plomatie seule en avait eu la confidence. La circu- 
laire les Hvra à la publicité en dessinant en larges 
traits la situation nouvelle. Les escadres entraient 
dans la mer Noire pour protéger le territoire et le 
pavillon ottomans. Comme conséquence de ce chan- 
gement d'attitude et comme moyen de protection , 
le gouvernement français augmenta son armée, en 
appelant sous les drapeaux la dernière moitié de la 



mO HISTOIRE DE LA GUERRE D*ORIENT. 

1854. classe de 1852. Il donna aussi à ses forces navales un 
développement considérable. Des ordres très-précis 
prescrivirent la plus grande activité dans le port de 
Toulon. Sur tous les chantiers , dans tous les ateliers 
de cet arsenal maritime, on remarqua bientôt un 
mouvement extraordinaire. On se pressait, on se hâ- 
tait sur tous les points ; aucun instant n'était perdu. 
On pressait sans relâche l'armement de six vaisseaux 
qui devaient être prêts à prendre la mer dans un 
bref délai. Pour donner à ces travaux une plus forte 
impulsion , le ministre de la marine envoya à Toulon 
un de ses aides-de-camp pour lui rendre compte de 
l'état de l'armement du Vauban^ du Cacique et de 
quelques autres bateaux à vapeur , ce qui dénotait 
que Ton voulait en venir aux mesures de rigueur. 
Les magasins de cet arsenal étaient approvisionnés 
déjà pour l'envoi d'une armée de 40,000 hommes , 
et cette armée pouvait se réunir dans un mois. 

On poursuivait avec la même ardeur, dans les au- 
tres ports de l'empire, l'achèvement et l'armement 
de tous les navires de guerre, et surtout, à Cher- 
bourg, celui du TilsiL 



CHAPITRE Lin. 

Les flottes alliées protègent les oonvois tares. — Instmotions données ans 
amiraïuL — ComBiiinieatlon an gouverneur de Sébastopol. 

Le mouvement des escadres combinées dans la 
mer Noire commença le 30 décembre. Ce jour -là, 



CHAPITRE LUI. 221 

quatre bâtiments français et autant d'anglais quitté- isfi*. 
rent Beïcos et jetèrent l'ancre des deux côtés des ro- 
ches Cyanées. Les roches Cyanées sont situées sur la 
côte sud de la mer Noire, près du Bosphore et dans 
l'ouest. 

Le 3 janvier, les flottes levèrent Tancre et entrè- 
rent définitivement dans la mer Noire. Un grand 
nombre de navires du commerce qui avaient été re- 
tenus à Constantinople par les tempêtes de Téqui- 
noxe , partirent à leur suite pour les différents ports 
de cette mer. 

Sous la protection des vaisseaux alliés et de sept 
vaisseaux de la flotte ottomane, un convoi turc prit 
le large également, le 3, pour porter à Batoun un 
renfort de 10,000 hommes, ainsi que de l'artillerie 
et des munitions. Ce convoi se composait de 15 trans- 
ports, de 5 frégates, de 3 corvettes et de 2 bricks. 
Sous une escorte aussi formidable, la flottille turque 
de transport devait se trouver à l'abri des attaques 
de la flotte russe. 

Au moment où les flottes entraient dans la mer 
Noire, les signaux du Britannia, qui portait le pa- 
villon de l'amiral Dundas, firent connaître aux vais- 
seaux anglais l'ordre du jour suivant : a: Notre devoir 
« est de protéger les vaisseaux et le territoire otto- 
o: mans contre toute agression et dans toutes les par- 
ce ties de la mer Noire. y> 

Les instructions données aux amiraux par leurs 
gouvernements leur prescrivaient de saluer les vais- 



222 HISTOIRE DE LA GVERRE D*ORIENT. 

1M4. seaux russes : de les inviter à rentrer dans leurs ports ; 
d'accompagner les vaisseaux turcs aux différents ports 
de Turquie; de croiser devant les côtes de ce pays; 
d'éviter toute collision entre les belligérants ; de ne 
pas approcher des côtes russes, et, si l'on était at- 
taqué, de se tenir sur la défensive. 

La frégate à vapeur anglaise, la Rétribution, se 
détacha des escadres, le jour même du départ, pour 
aller remplir une mission délicate. Elle dut se rendre 
à Sébastopol pour y porter au gouverneur russe la 
communication qui suit : 

Au nom de l'amiral Dundas et de l'amiral Hamelin, 
commandants des escadres de France et d' Angle- 
terre : 

Au gouverneur de Sébastopol. 

(k Conformément aux ordres de mon gouvernement 
«(anglais, français), l'escadre combinée de France 
(( et d'Angleterre est sur le point de faire son appa- 
Cl rition dans la mer Noire. Ce mouvement a pour 
((Objet de protéger le territoire ottoman contre toute 
(( agression ou acte hostile. 

«J'en informe Votre Excellence, afin d'empêcher 
« toute collision tendant à troubler les relations ami- 
« cales existant entre nos deux gouvernements, rela- 
«tions que je désire conserver, et que, sans aucun 
«doute, Votre Excellence a non moins à cœur de 
« maintenir. 

«Je serais en conséquence heureux d'apprendre 



I 



CHAPITRE LUI. 2:23 

«que Votre Excellence, animée de ces dispositions, isw. 
i< a jugé utile de donner à Tamiral commandant les 
« flottes russes les instructions nécessaires pour pré- 
« venir tout incident de nature à troubler la paix. 

«DUNDAS, HaMELIN.» 

Les flottes anglaise et française, arrivées le H à 
Sinope, détachèrent une division de bâtiments à va- 
peur sur Batoun , où s'était dirigé le convoi turc por- 
tant les 10,000 hommes de troupes et les autres ob- 
jets de ravitaillement. Ce convoi y était arrivé et avait 
opéré heureusement son débarquement. 

Les flottes étaient encore à Sinope, lorsque la fré- 
gate à vapeur anglaise, la Rétribution, vint les re- 
joindre. 

La Rétribution avait pénétré hardiment, malgré les 
brouillards, dans le port de Sébastopol*. Elle annonça 

1. La Rétribution avait à son bord des officiers français, 
porteurs de la notification de l'amiral Hameliù. 

Suivant les récits des officiers français et anglais à bord de 
la Rétribution, ils auraient pu lever avec assez d'exactitude les 
plans de la ville et des forteresses de Sébastopol, pendant Tin- 
tervalle de deux à trois heures qui leur avaient été accordées 
pour remettre les dépêches et prendre Taccusé de réception 
signé du vice*gouverneur. Sébastopol leur avait paru extrême- 
ment fortifié. Ces officiers pensaient qull était presque impossible 
à une flotte seule de prendre cette place sans la coopération d'une 
armée de terre. Il y avait en tout sept cents canons, dont quel- 
ques-uns portaient fort loin et étaient pointés sur la pleine mer, 
et d'autres disposés de manière à défendre , par- leurs feux 
croisés, l'entrée immédiate du port. Toutes ces pièces étaient 



224 HISTOIRE DE LA GUERRE D'oRIENT. 

18M. aux amiraux Dundas et Hamelin que la flotte russe 
était sortie. 

Les escadres combinées rejoignirent aussitôt la 
division détachée à Batoun. Plus tard, on apprit que 
les Russes avaient concentré leurs forces maritimes 
à Kaffa, en Crimée, non loin du détroit qui conduit 
du Pont-Euxin dans la mer d'Azoff. 

Le convoi turc, après avoir débarqué ses troupes 
et le matériel qu'il portait, rentra sans accident à 
Constantinople. 



CHAPITRE LIV. 

BntlioasiaBme à Constantinople. — Irritation dn esar : Instmotlons à ses 
ambassadeirs à Paris et à Londres. — Les aUiés eontinnent à protéger 
les convois tares. — Rentrée des flottes russes à Sébastopol. 

Ce mouvement des escadres combinées produisit 
à Constantinople un enthousiasme général. Il rendit 
les engagements volontaires innombrables et poussa 
toutes les classes de la population à faire des dons 
spontanés au sultan. li devait causer à Saint-Péters- 



en parfait état, les hommes qui les servaient, en nombre très- 
considérable. Les forts avaient la forme d'mie tour, et presque 
tous étaient garnis d'une triple rangée de canons. D'après ces 
officiers, il était difficile d'attaquer la place du côté de la mer; 
mais , à queiqueâ milles de distance de Sébastopol la côte étant 
d'un accès aisé, la ville pourrait être prise par une armée de 
25,000 hommes. Plus tard, si on laissait les Russes fortifier ces 
points , il faudrait le double de cette force. 



* - ^ 



CHAPITRE LIV. 2:25 

bourg une manifestation toute contraire : aussi rien ism. 
ne peut peindre l'irritation excessive contre l'Angle- 
terre et la France , que produisirent sur l'esprit du 
czar l'annonce de cette nouvelle et la notification qui 
fut faite au cabinet russe, par voie diplomatique, de 
l'entrée des flottes ; mais ce qui fit surtout un grand 
effet sur l'empereur, ce fut la nouvelle de la commu- 
nication donnée à l'amiral Menschikoff", gouverneur 
de Sébastopol, par les amiraux anglais et français. La 
Russie, cependant, ne considéra pas, comme un ca- 
sus belUy l'entrée des flottes alliées dans la mer Noire ; 
mais c'était dans la supposition seulement qu'elles 
auraient reçu l'ordre de traiter la Turquie et la Russie 
sur le même pied. Pour avoir à ce sujet une décla- 
ration précise, l'empereur Nicolas adressa de suite 
des instructions à ses ambassadeurs près des cours 
des Tuileries et de Saint-James. Il donna en même 
temps l'ordre de pousser avec une grande activité les 
préparatifs de guerre. 

L'empereur de Russie voulait une explication offi- 
cielle pour motiver le rappel de ses ambassadeurs et 
se déclarer dégagé de toutes les promesses qu'il avait 
faites antérieurement aux puissances médiatrices; 
mais il ne pouvait ignorer que le véritable objet du 
mouvement que les flottes avaient reçu l'ordre d'exé- 
cuter était de convaincre tout le monde, et lui le 
premier, que dans cette querelle la France et l'An- 
gleterre n'étaient pas restées neutres , car la neutra- 
lité signifie indifférence, et les puissances occiden- 

15 



226 HISTOIRE DE LA GUERIIE D*ORIEllT. 

1W4. taies avaient itérativement déclaré aux prétentions de 
la Russie que FEurope ne s'y soumettrait jamais. 

Jamais, il ne s'était agi un seul instant d aban- 
donner cette politique. La reine d'Angleterre , à l'ou- 
verture du Parlement, ne devait pas faire une réponse 
équivoque ou embarrassée à une question qui inté- 
ressait l'honneur et la loyauté de son pays. 

L'empereur Napoléon n'était pas disposé non plus 
à mettre de l'hésitation pour faire connaître sa déci- 
sion, conforme en tous points aux résolutions de 
l'Angleterre. Restait alors à voir quelle serait la con- 
duite des envoyés russes en recevant ces réponses 
des deux souverains. Étaient-ils autorisés à suspendre 
les relations diplomatiques avec les cours de France 
et d'Angleterre, dans le cas où la réponse ne leur 
paraîtrait pas satisfaisante? 

Toutes ces questions se faisaient partout, et l'es- 
prit public devançait, ou voulait pénétrer le secret 
des événements. 

Le rappel des ambassadeurs était devenu tout à 
fait probable et même certain , car les lettres de Con- 
stantinople avaient dû apprendre au czar que, au re- 
tour dans cette ville des bateaux à vapeur turcs qui 
étaient allés avec les escadres combinées porter des 
troupes et des objets de ravitaillement à Tarmée 
d'Asie, ces bâtiments, à peine arrivés, étaient ren- 
trés en chargement, et devaient reprendre le plus tôt 
possible la route de la mer Noire, toujours sous l'es- 
corte de la flotte anglo-française. Le cabinet russe 



CHAλITRK LV. 227 

devait -se convaincre ainsi que cette première visite isu. 
que les bâtiments anglais et français avaient faite à 
Batoun et à Chefkéli n'était pas une simple démon- 
stration, mais bien le commencement d'un nouveau 
rôle , le début d'une action qui devait se continuer et 
qui tiendrait les flottes des puissances occidentales 
longtemps dans la mer Noire. Elles venaient en effet 
de recevoir l'ordre de faire voile de nouveau pour 
Sinope et de se rendre de là devant Sébastopol pen- 
dant que l'escadre turque se dirigerait sur Varna. 
Aussi les Russes jugèrent-ils à propos de ne plus se 
trouver dans leur voisinage, et tous les navires de 
guerre de cette nation durent rentrer à Sébastopol. 
Les Turcs, au contraire, obtinrent de nouveaux ren- 
forts d'Egypte , et, sous la protection puissante des 
flottes alliées, ils continuèrent à faire des armements 
considérables. 



CHAPITRE LV. 

Article violent de la Bazette de Saint -Féterabonrg contre l'Angletere. — 
Bejet dédaigneux de la 2" Note de Tienne, — Forme blessante dn refus. 

Au milieu de pareilles démonstrations des musul- 
mans et des puissances occidentales, quel accueil 
pouvait faire l'empereur Nicolas à la Note que nous 
avons dit avoir été élaborée à Vienne par les repré- 
sentants des quatre puissances, et qui contenait des 
propositions déjà agréées par le Divan?' La dernière 



228 HISTOIRE DE LA GUERRE D*ORIENT. 

1W4. circulaire de M. Drouyn de Lhuys, communiquée offi- 
ciellement à Vienne et à Berlin, n'avait pas, de son 
côté , pu inspirer des résolutions pacifiques au cabi- 
net russe. 

La Gazette de la Cour, à Saint-Pétersbourg, fit d'ail- 
leurs clairement pressentir quelle résolution méditait 
Fempereur de Russie; car elle publia un article de 
la plus grande violence contre le gouvernement an- 
glais. 

«La Grande-Bretagne, y était-il dit, est la cause 
(( principale de toutes les commotions européennes , 
(( et le malveillant entremetteur qui a inspiré et soufilé 
/< aux Turcs un esprit absurde et bizarre d'indépen- 
« dance. :» 

Un autre organe de la chancellerie russe, \e Jour- 
nal de Francfort, dit plus fort encore : 

« La Russie sait que la Grande-Bretagne ne veut 
«non-seulement pas éviter la guerre, mais qu'elle 
(< veut même éviter le rétablissement de la paix. La 
(( conduite de son représentant à Gonstantinople en 
i( est la preuve. L'état de la question d'Orient ne con- 
« seille pas la guerre à la Russie , car la Russie ne 
« peut pas la vouloir; mais il la conseille à cette même 
(( Angleterre, qui , depuis Copenhague jusqu'à Navarin ^ 
« a prouvé que toute marine de guerre en Europe , 
« qui peut être anéantie, devra l'être. Les Turcs, en 
« déclarant la guerre, n'ont été que les faibles et do- 
« ciles instruments de l'Angleterre pour arriver à la 
<( destruction de la marine russe. ^ 



I 



CHAPITRE LV. 229 

Ne Dous étonnons plus si, après de telles publica- ism. 
tions, la Russie rejeta les propositions de la confé- 
rence, de Vienne, du 4 décembre, avec ufte hauteur 
calculée pour blesser les puissances médiatrices. 

Elle déclara en substance ; que les nouvelles pro- 
positions de Vienne, outre qu'elles étaient incompa- 
tibles avec la dignité de l'empereur, ne pourraient 
servir qu'à détourner l'attention de la véritable ques- 
tion en litige entre la Porte et la Russie, et que, en 
conséquence, elle rejetait absolument ces proposi- 
tions. 

Pour montrer cependant qu'il consentait encore à 
traiter, l'empereur nomma le prince Gortschakoff, 
son ministre plénipotentiaire, et c'était à lui que la 
Porte devrait s'adresser quand elle voudrait ouvrir 
des négociations. Toutefois, l'empereur déclara qu'il 
serait inutile à la Porte de songer à prendre ce parti , 
si elle le faisait sous l'impression erronée, que l'em- 
pereur renonçait à aucune des conditions énoncées 
dans l'ultimatum du prince Menschikoff. 

Comme on le voit , cette réponse était tout à fait 
péremptoire. Elle avait de plus une forme essentiel- 
lement blessante pour la Turquie d'abord, avec la- 
quelle le czar dédaignait de traiter directement, et 
qu'il renvoyait à la merci d'un de ses aides-de-camp; 
mais elle était blessante aussi pour la France et pour 
l'Angleterre que l'autocrate accusait de lui faire des 
propositions incompatibles avec sa dignité et dans 

je seul but de détourner l'attention de la véritable 



230 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

iM*. question. Le czar oubliait aussi que le protocole du 
4 décembre avait établi un concert commun, et que 
la question n'était plus individuelle, mais bien géné- 
rale et européenne. 



CHAPITRE LVI. 

Opérations militaires : affaires de létatl et de Kalafàt , eto. — Le général 
Lûders à Brafla. — Oortsebakotr à Cralova. 

Les événements, accomplis dans le Pont-Euxin , et 
les préoccupations qu'ils donnèrent à la diplomatie 
par le caractère nouveau qu'ils venaient de revêtir, 
ne contribuèrent pas à ralentir les opérations des ar- 
mées de terre. 

Les troupes russes avaient continué de s'avancer 
toujours dans les Principautés. Le corps du général 
d'Osten-Sacken y était entré tout entier. 

Les bords du Danube, et en particulier les envi- 
rons de Kalafat, furent le théâtre de beaucoup d'es- 
carmouches. Les deux parties eurent des tués et des 
blessés. 

Une affaire plus chaude et plus sérieuse eut lieu 
le 6 janvier et jours suivants. Le 6, une division tur- 
que, de la force de 15,000 hommes, appuyée par 
quinze pièces d'artillerie, attaqua la position fortifiée 
de Citaté ou Zétati, près de Kalafat, et l'enleva, après 
avoir fait éprouver aux Russes une perte de 2,500 hom- 
mes. Un renfort de 8 ou 1 0,000 Russes , venant de 



CHAPITRE LYI. 231 

KarakaI, dut rebrousser chemin, après avoir perdu wm. 
200 hommes et tenté vainement de secourir la posi- 
tion attaquée. Cette affaire fut brillante pour les Turcs 
et leur fit le plus grand honneur. 

Le lendemain, 7, le combat se renouvela avec 
acharnement , mais sans avantage de part et d'autre. 
Le 8, au matin, l'action commença avec la même 
intrépidité des deux côtés, et ce champ de bataille, 
si vivement disputé, et couvert de nombreux cada- 
vres russes et musulpians, finit par être abandonné 
par les uns et par les autres. Mais l'action se renou- 
vela à Périkow, aux environs de Rodovan, et, après 
un combat aussi sanglant que celui du 6 , les Russes 
se maintinrent dans leur position. Du 6 au iO jan- 
vier, et pendant qu'on se battait avec tant d'opiniâ- 
treté à Zétati et à Périkow, il y avait aussi plusieurs • 
escarmouches assez vives près de Matschin, petite 
forteresse turque vis-à-vis de Braïla. Les Turcs et les 
Russes se battirent là avec fureur pour la possession 
d'une île qui resta définitivement aux Turcs. 

Le général Lûders avait établi son quartier géné- 
ral à Braïla, où il avait réuni un nombreux état- 
major, avec un corps de 12,000 hommes. Cette po- 
sition laissait entrevoir le projet de passer le fleuve 
et de se porter bientôt sur la rive droite du Danube. 
Non loin de là , le général Gortschakoff se tenait à 
Craïova, et le corps russe qui occupait Gieurgevo, se 
préparait à attaquer Roustchouk. 






1854. 



232 HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORIENT. 



CHAPITRE LVn. 

L'iBttnroiitioii des Itottef agrandit la guerre. — BxpUeatieni deBandéea 
fu la luaie. — Lettre de leri Qareiidei. ~* Vevtralité de la 8oède 
et d« BaneMark. 

La lutte s'était trouvée jusque-là circonscrite entre 
les Russes et les Ottomans , en Asie , dans le Pont- 
Euxin et sur les bords du Danube ; mais l'occupation 
de la mer Noire par les flottes combinées, mais l'in- 
tervention plus active des puissances occidentales, 
entraînant le protectorat du pavillon et du territoire 
turcs, et de toutes les propriétés ottomanes, consti- 
tuèrent évidemment une manifestation telle , qu'il en 
dut sortir, et très-prochainement, un état d'hostilités 
entre ces puissances et la Russie, qui agrandirait le 
théâtre de la guerre. L'initiative de cette intervention 
fut attribuée à l'empereur Napoléon III et à M. Drouyn 
de Lhuys, d'après les documents diplomatiques com- 
muniqués au Parlement anglais. Mais une différence 
de langage s'était manifestée dans les instructions 
données par les gouvernements anglais et français à 
leurs ambassadeurs. 

Le gouvernement anglais, en notifiant que les vais- 
seaux russes seraient sommés de rentrer aux ports 
si on les rencontrait , avait déclaré : ^ que la flotte 
« turque n'entreprendrait aucune opération agressive 
« par mer aussi longtemps que les choses resteraient 
ff dans le présent état, >> Le gouvernement français 



CHAPITRE LVIÎ. 233 

ne prit aucun engagement semblable. L'empereur de i^*- 
Russie avait donc le droit de reprocher à la déclara- 
tion de FAngleterre une ambiguïté qui n'existait pas 
dans celle de la France. Comment d'ailleurs la Russie 
n'aurait -elle pas vu un acte direct d'hostilité dans 
cette intervention des flottes combinées qui proté- 
geaient les convois turcs chargés de troupes et de 
munitions pour les côtes d'Asie, et qui forçaient les 
navires russes de rentrer dans leurs ports, sans leur 
permettre de communiquer entre leurs différentes 
places sur le littoral de la mer Noire? 

Tels étaient les points précisément sur lesquels 
des explications furent demandées par la Russie et 
devaient être données par les deux gouvernements 
anglais et français; mais leur réponse à coup sûr 
allait précipiter la rupture des relations diploma- 
tiques. La position était très-tendue , et les disposi- 
tions chez les divers cabinets de plus en plus irri- 
tantes et hostiles. 

Nous en apportons pour preuve une dépêche de 
lord Glarendon à sir H. Seymour et qui peint en ter- 
mes clairs et énei^ques les sentiments du cabinet 
britannique. 

Le comte de Clarendon à sir H. Seymour, 
cHinistère des affaires étrangères, le 31 janvier 1854. 

«Monsieur, ^^ 

« Je vous adresse , sous ce pli , la copie d'une Note 

qui m'a été adressée par le baron Brunow, ainsi que 



934 HISTOIRE DK LA GUERRE d'ORIENT. 

1854. la copie de ma réponse. Je vous envoie aussi la copie 
d'une dépêche du comte de Nesseirode que le baron 
Brunow, par ordre de son gouvernement, a remise 
entre mes mains. Son esprit est si extraordinaire, 
que je suis contraint de vous prier de communiquer 
au chancelier (comte de Nesseirode) l'impression 
qu'elle a produite sur le gouvernement de Sa Majesté. 
Cette dépèche finit par ces mots : «Un hasard suffit 
e aujourd'hui pour produire une collision d'où naî- 
« trait une conflagration générale, et l'empereur re- 
« pousse d'avance la responsabilité de l'initiative qui 
<!t en aura donné le signal. » 

a II semblerait résulter de là que le gouvernement 
russe a entièrement oublié l'origine de cette malheu- 
reuse querelle : il semblerait avoir oublié, qu'aussitôt 
après que l'unique cause du démêlé entre la Russie 
et la Porte avait été arrangée d'une manière satisfai- 
sante, le prince Menschikoff a requis en termes pé- 
remptoires l'assentiment du sultan à une certaine 
interprétation large et neuve du traité de Kaïnardji; 
que sur l'offre du gouvernement turc de substituer 
d'autres assurances conciliantes à celles proposées 
par le prince Menschikoff, l'ambassadeur russe quitta 
Constantinople ; qu'immédiatement après, le comte 
de Nesseirode demanda à la Porte, dans le délai de 
huit jours, de renvoyer signée la Note que le sultan 
avait précédemment déclaré qu'il serait fatal à son 
indépendance d'accepter, sous la menace que si Sa 
Hautesse n'y faisait pas droit, des armées russes occu- 



CHAPITRE LYTI. 235 

peraient les principautés de Moldavie et de Valachie ; iss*. 
que le sultan ayant refusé de se soumettre, sous l'em- 
pire de la contrainte, à une exigence si humiliante, 
cette menace a été mise à exécution^ et les provinces 
du sultan, contenant 4 millions de sujets, ont été en- 
vahies, en temps de paix profonde, par les troupes 
russes ; que le territoire du sultan a été depuis lors 
occupé comme pays conquis , le gouvernement russe 
violant ainsi le statu quo de l'Europe, se mettant en 
opposition avec les intentions proclamées par les 
grandes puissances de l'Europe en 1840 et 1841, et 
donnant à la Russie/^ caractère de perturbatrice de la 
paix générale. 

(( Non content de cette agression qui avait été an- 
noncée d'abord, comme une occupation temporaire, 
et comme un gage matériel détenu jusqu'à ce que la 
Porte ait fait droit aux demandes de la Russie, l'em- 
pereur de Russie a mis sur pied de grandes armées, 
à grands frais, évidemment dans le but de passer le 
Danube et de tenter la conquête de Constantinople. 
Il ne faut pas perdre de vue, ainsi que je l'ai fait 
observer fréquemment, qu'aucune insulte aux sujets 
chrétiens de la Porte n'avait fourni même un pré- 
texte à de tels actes. Au contraire, par l'introduction 
de nouvelles lois pour leur protection , leurs progrès 
graduels en opulence et en intelligence , et les per- 
fectionnements généraux dans les arts de la paix , la 
condition des chrétiens était manifestement en voie 
d'améhoration. Tous les événements sérieux qur ont 



236 HISTOIRE DE LA GUERRE D*ORIENT. 

1854 eu lieu depuis , la déplorable effusion de sang hu* 
main , l'oppression des populations des Principautés, 
l'agression du territoire turc en Asie, le désastre de 
Sinope et l'entrée des escadres combinées dans la 
mer Noire , sont les conséquences de la conduite non 
provoquée du gouvernement russe, et si malheureu- 
sement une rencontre de hasard venait à produire 
une collision d'où naîtrait une conflagration géné- 
rale, l'empereur de Russie tentera vainement de re- 
pousser une responsabilité qui devra s'attacher à lui , 
qui, en temps de paix profonde, a le premier envahi 
le territoire de son voisin inoffensif. 

« Vous donnerez lecture et copie de cette dépêche 
au comte de Nesselrode. 

«Je suis, etc. 

« Signé : Clarendon. » 

On voit par cette lettre que si M. de Nesselrode 
avait fait entendre des menaces de rupture , le mi- 
nistre anglais lui renvoyait ses menaces avec hauteur 
et même avec un peu de rudesse. 

Ce fut dans la prévision d'une prochaine rupture 
que les gouvernements de Suède et de Danemark 
s'empressèrent de dresser en commun une déclara- 
tion officielle de neutralité qu'ils communiquèrent 
aux diverses puissances. En voici un extrait : 

« Le système que S. M. le roi de Danemark se pro- 
pose d'observer et d'appliquer, sans exception, est 
celui dune stricte neutralité. Il repose ?ur 1? loyauté, 



CHAPITRE LVII. 237 

rimpartialilé et une estime égale pour les droits de issi. 
toutes les puissances. Les deux puissances (Suède et 
Danemark) étant d'accord, voici les devoirs que cette 
neutralité imposera au roi de Danemark, et les avan- 
tages qu il en recueillera : i^ s'abstenir durant la 
guerre, qui pourrait éclater, de toute participation 
dans l'intérêt de l'une des parties belligérantes au 
préjudice de l'autre; 2° admettre dans les ports de 
la monarchie les vaisseaux de gueiTC et les navires 
de commerce des puissances belligérantes. Cepen- 
dant le port de Christiania pourra être fermé à ces 
bâtiments ainsi qu'aux bâtiments de transport appar- 
tenant aux flottes des puissances belligérantes. Les 
corsaires ne seront pas admis dans les ports danois 
et suédois, ni dans les rades; fermer les ports de la 
monarchie, excepté dans les cas d'urgence, et dé- 
fendre dans ces ports la condamnation et la vente 
des prises. » 

Cette déclaration notifiée à la France et à l'Angle- 
terre fut acceptée sans difficulté par ces deux puis- 
sances ; mais elle ne fut pas approuvée par la Russie. 
L'autocrate aurait voulu d'abord faire alliance avec 
la Suède et le Danemark, et avoir au moins la libre 
entrée pour ses vaisseaux dans tous les ports et rades 
de ces deux États. 

Après avoir échoué dans cette tentative, il ne vou- 
lut pas reconnaître la déclaration de neutralité, et 
parut exiger que la Suède et le Danemark fermassent 
tous leurs ports aux puissances belligérantes. Le gou- 



238 HISTOIRE DE LA GUERRE D^ORIENT. 

1864 vernement suédois répondit par un refus ; le gouver- 
nement danois en fil autant. 



CHAPITRE LVUI. 

OlMoart de la robia d'Angletorra. — lépoBM du cabinet de Leadres à 
M. de Bniaow ; celle de M. Drouya de Uinyt à M. de Utseleff. — Les 
ambasBadears quittent la France et rAngleterre. — Rappel des ambas* 
aadenrt français et anglais de lalnt-Pétersbonrg. 

Le discours que prononça la reine d'Angleterre , 
le 81 janvier, au Parlement, ne diminua en rien les 
appréhensions que chacun éprouvait sur l'imminence 
de la guerre. Loin de là , il les augmenta. 

La reine dit : 

«L'espoir que j'ai exprimé, à la fin de la dernière 
« session , que le différend qui existait entre la Russie 
«et la Porte Ottomane serait bientôt arrangé, ne 
«s'est pas réalisé, et j'ai le regret de dire qu'un état 
i de guerre s'en est suivi. 

« J'ai continué d'agir avec la coopération cordiale 
« de l'empereur des Français , et les efforts que j'ai 
« faits avec mes alliés pour conserver et rétablir la 
« paix entre les puissances en lutte , quoiqu'ils aient 
«été sans succès jusqu'à ce jour, n'ont pas cessé un 
« seul instant. 

« Je ne manquerai pas de persévérer dans ces ef- 
« forts ; mais la continuation de la guerre pouvant 
«affecter profondément l'intérêt de l'Angleterre et 
«celui de l'Europe, je crois nécessaire de procéder 



CHAPITRE LVIIL 239 

« à une nouvelle augmentation de mes forces de terre i854. 
« et de mer, dans le but d'appuyer mes représenta- 
« lions et de contribuer plus efficacement au réta- 
« blissement de la paix. » 

Ce langage ferme et modéré du discours de la Cou- 
ronne mérite une approbation unanime. Il n'y a pas 
là d'expansion verbeuse et vide. Les Anglais parlaient 
peu, mais ils armaient. Ils ne disaient pas de grands 
mots, mais leur dire, ils étaient prêts à le soutenir 
par l'action. Ils donnèrent dans cette circonstance 
une nouvelle preuve de ce patriotisme dont ils sont 
le plus beau modèle. A ce discours de la reine , qui 
demandait, à cause des événements en perspective, de 
nouveaux subsides, ils répondirent par une adresse 
votée après de courtes réflexions et sans aucun 
amendement. 

Quoique courte, cette discussion cependant im- 
pressionna vivement l'opinion publique. Ainsi lord 
Russel , après avoir rappelé l'historique de la Note 
de Vienne, dit : « que le commentaire fait de cette 
€ Note par M. de Nesselrode avait montré que l'em- 
«pereur de Russie, au lieu de se relâcher de ses 
« prétentions, était prêt à ajouter à son injustifiable 
« agression, quelque chose, dit lord Russel, quelque 
« chose que je n'hésite pas à qualifier de fraudu- 
mieux. y> Cette expression fut accueilhe avec des 
applaudissements. 

Puis un ancien ministre, lord Ellenborough, fit 
entendre ces graves paroles : « Je n'ai pas le moindre 



240 HISTOIRE DE LA GUERRE d'oRIEMT. 

1864. « doute que nous sommes au commencement d'une 
<( des guerres les plus formidables que ce pays ait 
<r jamais eu à soutenir. Je regrette profondément 
« que le peuple de ce pays ne semble pas du tout 
ft comprendre les grandes proportions, £t la durée 
« probable, et les conséquences terribles de cette 
« guerre. » Lord -Clauricarde ajouta : « Je suis en- 
(( tièremenl d'accord avec le noble lord , et je pense , 
«t comme lui, que la guerre que nous sommes à la 
(( veille d'engager, sera probablement une des plus 
((désastreuses que nous ayons jamais eues.i^ Des 
murmures interrompirent, et lord Clanricarde re- 
prit : e. Je ne veux pas dire désastreuses pour notre 
epays, mais pour l'humanité. » 

Le cabinet britannique remit, le 34 janvier, après 
la séance du Parlement, à M. le baron de Brunow, 
ministre plénipotentiaire de l'empereur de Russie, 
la réponse à la dernière Note que ce ministre avait 
communiquée à lord Clarendon, par ordre de son 
gouvernement, et qui avait pour objet de demander 
des explications catégoriques sur les conséquences 
que pouvait avoir l'entrée dans la mer Noire des 
escadres de la France et de l'Angleterre. Cette ré- 
ponse fut telle que tout le monde la pressentait, 
même à Vienne et à Berlin. Elle ne satisfit pas 
M. de Brunow, qui demanda ses passe -ports. Son 
départ de Londres interrompit les relations diplo- 
matiques entre l'Angleterre et la Russie. 

M. de KisselefT, ministre plénipotentiaire de Rus- 



CHAPITRE LYIIl. 241 

sie près la cour des Tuileries, avait reçu de son ca- iss*. 
binet les mêmes instructions que M. le baron de ^*'^*^*^* 
Brunow. 

Pour se conformer à ces instructions , M. de Kis- 
seleff adressa à M. le ministre des affaires étrangères 
une demande d'explication. Les lettres de cet ambas- 
sadeur à M. Drouyn de Lhuys et la réponse de ce 
ministre sont des pièces historiques que nous devons 
conserver pour la vérité de ce débat. 

M. de Kisseleff à M. Drouyn de Lhuys. 

(( Le soussigné , envoyé extraordinaire et ministre 
«plénipotentiaire de S. M. l'empereur de Russie, a 
«reçu l'ordre de s'expliquer et de s'entendre avec 
«S. Exe. M, le ministre des affaires étrangères sur le 
«sens précis d'une communication dont M. le mi- 
« nistre de France à Saint-Pétersbourg vient de s'ac- 
« quitter verbalement auprès de M. le chancelier de 
« 1 Empire. 

«Si elle a été motivée par le désir d'éloigner 
« l'éventualité d'une collision entre les forces navales 
«russes et ottomanes, ce résultat ne saurait être ob- 
« tenu que par l'observation d'un principe de juste 
« réciprocité. 

« A cet effet il faudrait d'abord qu'il fût expressé- 

«ment entendu que l'escadre ottomane eût désor- 

« mais à s'abstenir de toute agression contre le pavillon 

« et contre le territoire russes sur les côtes d'Europe 

« et d'Asie. 

16 



342 HISTOIRE DE LA GUERRE O'ORIENT. 

18M. «Ces dispositions ainsi convenues et strictement 
c mises à exécution auraient pour résultat de sus- 
« pendre de fait les hostilités par mer entre les par- 
« ties belligérantes. 

« Le soussigné a l'honneur d'inviter S. Exe. M. le 
«ministre des affaires étrangères à vouloir bien l'in- 
« former , en réponse à cette Note , si les intentions 
« du gouvernement de S. M. l'empereui* des Français 
« sont d'accord avec celles du cabinet impérial sur 
« les principes de parfaite réciprocité établis par la 
a: présente communication. 

41C Le soussigné , etc. 

Ci Signé : Kîsseleff.:^ 

M. Drouyn de Lhuys à M. de Kisseleff. 

«Paris, le 1" février 1854. 

«Le soussigné, ministre secrétaire d'État au dé- 
c( partement des affaires étrangères , s'est empressé 
«de placer sous les yeux de S. M. l'empereur la 
«Note que M. de Kisseleff, envoyé extraordinaire et 
«ministre plénipotentiaire de S. M. l'empereur de 
« Russie , lui a fait l'honneur de lui adresser en date 
« du 26 du mois de janvier. 

«Le gouvernement de Sa Majesté Impériale avait 
« pensé que la communication dont M. le général , 
«marquis de Castelbajac, s'était rendu l'organe au- 
« près de S. Exe. M. le comte de Nesselrode, ne de- 
«vait pas laisser de doute sur ses intentions; mais 



CHAPITRE LYIII. 243 

((puisque le cabinet de Saint-Pétersbourg a jugé law. 
((nécessaire de provoquer à ce sujet de nouvelles 
((explications, l'Empereur, mon auguste souverain, 
<( m'a ordonné de les lui fournir avec la plus entière 
d lovauté. 

« L'escadre française n'est entrée dans la mer Noire 
(( que lorsejue des faits, sur la gravité desquels il n'y 
(( avait malheureusement plus à se méprendre , ont 
(( révélé les ciangers que courait l'existence d'un em- 
((pire dont la conservation est nécessaire à celle de 
« l'équilibre européen. Le gouvernement de Sa Majesté 
((Impériale a en conséquence voulu, par l'interposi- 
« tion de ses forces navales , arrêter , autant qa'û dé- 
((pendait de lui, le cours d'une guerre qu'il n'avait 
((VU éclater qu'avec le plus profond regret, et que 
« ses efforts les plus sincères avaient vainement tenté 
« de conjurer. 

fl:M. le vice-amiral Hamelin a reçu, dans ce but 
«tout pacifique, l'ordre de mettre le territoire et le 
«pavillon ottomans à l'abri des attaques dont ils 
«pourraient encore devenir l'objet, en faisant rentrer 
« les navires russes rencontrés en mer dans le port 
«russe le plus voisin, et d'empêcher, en même 
« temps, que les vaisseaux turcs ne dirigent aucune 
« agression contre le littoral de l'empire russe. Ces 
« bâtiments ne doivent être employés qu'au ravitail- 
«lement des côtes dé la Roumélie et de l'Anatolie, 
« c'est-à-dire contribuer seulement à la défense de 
«la Turcjuie, menacée dans l'intégrité de son terri- 



344 HISTOIRE DE LA GUERRE D*ORIEMT. 

1864. <rtoire et dans ses droits de souveraineté, par l'occu- 
«pation de deux de ses provinces, et parie déploie- 
« ment d un appareil maritime et militaire hors de 
«proportion avec les ressources dont elle dispose 
« elle-même. 

a: C'est de cette différence caractéristique dans 
« les positions respectives que le gouvernement de 
«Sa Majesté Impériale a tenu compte, lorsqu'il a 
« transmis au commandant en chef de ses forces na- 
« vales les instructions, au sujet desquelles de plus 
«amples informations lui sont demandées: et il 
« n'aurait pu interdire d'une façon absolue au pa- 
« villon ottoman la navigation de la mer Noire, sans 
« affaiblir encore les moyens de défense déjà iusuffi- 
« sants de la Sublime Porte. 

«Le soussigné ne voit pas qu'une telle attitude 
« soit en contradiction avec les sentiments d'amitié 
« que le gouvernement de Sa Majesté Impériale pro- 
« fesse pour la Russie, et il déclare hautement qu'elle 
« ne lui a été inspirée que par le vif désir de coopérer 
« au rétablissement de la paix entre les deux parties 
«belligérantes, à des conditions proposées par l'une 
«d'elles et soumise à l'autre après avoir reçu la 
« sanction des grandes puissances de l'Europe. 
« Le soussigné, etc. 

« Signé: Drouyn de Lhuys. » 



CHAPITRE LVIII. 245 

M. de Kisseleff à M. Drouyn de JLhuys. 

c Paris, le 4 février 1854. 

«Le soussigné, envoyé extraordinaire de S. M. 
«l'empereur de Russie, a eu l'honneur de recevoir 
«la Note que S. Exe. le ministre, secrétaire d'État 
« au département des affaires étrangères, a bien voulu 
« lui adresser en date du i ^^ février. 

«Elle ne satisfait point aux conditions de juste 
« réciprocité sur lesquelles le soussigné a reçu l'ordre 
«d'insister, au nom de sa coui', par sa Note de 
« fin janvier. 

« Cette communication , si elle avait été appréciée 
« comme elle méritait de l'être, aurait eu pour effet, 
«d'une part, de restreindre les calamités de la 
«guerre dans des limites acceptables pour les deux 
«parties belligérantes, tandis que, de l'autre, elle 
« offrait à la France une nouvelle preuve du désir 
« constant de S. M. l'empereur d'éloigner de ses re- 
« lations avec elle tout motif de mésintelligence. 

« Le soussigné regrette que l'esprit de bienveillance 
« qui a dicté cette démarche n'ait pas rencontré des 
« intentions également conciliantes. Dès lors sa ligne 
« de conduite était tracée par un sentiment profond 
«de respect pour la dignité du souverain qu'il a 
« l'honneur de représenter. 

«Fidèle à ses devoirs, il ne saurait admettre que 
« le gouvernement de S. M, l'empereur des Français, 
(i^ en paix avec la Russie, prétende entraver la liberté 



1854. 



% 



r 



846 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1854. <r des communications que la marine impériale est 
e chargée d'eùtretenir entre les ports russes, tandis 
« que les navires turcs transportent des troupes d'un 
« port ottoman à l'autre sous la protection de Tes- 
<r cadre française. 

«Cette distinction étant contraire aux règles 
^ du droit public, comme aux égards mutuellement 
« observés entre puissances amies, le soussigné se 
<r trouve placé par là dans l'impossibilité de conti- 
«nuer l'exercice de ses fonctions tant que le gou- 
« vernement de S. M. l'empereur des Français n'aura 
«pas repris, envers la Russie, une attitude conforme 
«aux rapports de bonne intelligence et d'amitié qui 
a: ont si heureusement subsisté jusqu'ici entre les 
« deux pays. 

« Plus le soussigné attachait de prix à entretenir 
«ces rapports, plus il regrette l'obligation où il se 
« trouve de les suspendre. 

« Il a l'honneur de notifier à M. le ministre des 
« affaires étrangères qu'il va quitter Paris, accom- 
« pagné du personnel de l'ambassade, et se rendre 
« en Allemagne jusqu'à nouvel ordre. 
« Le soussigné, etc. 

« Signé: Kisseleff. :» 

Après avoir fait ces notifications aux ministres 
anglais et français, MM. le baron de Brunow^ et de 
Kisseleff quittèrent l'Angleterre et la France et se 
rendirent à Bruxelles. Cette suspension des relations 



CHAPITRE LVIII. 247 

diplomatiques entre les puissances occidentales et i854. 
la Russie ne constituait pas encore l'état de guerre, 
mais elle le préparait et en était le préliminaire indis- 
pensable. Le manifeste publié le 15 février par le 
Journal de Saint-Pétersbourg fut regardé comme une 
sorte de déclaration de guerre. «L'attitude que 
<s: viennent de prendre les deux puissances occiden- 
cc taies constitue, aux yeux de l'empereur Nicolas, 
<i de grandes atteintes à ses droits comme souverain 
<r belligérant, et une coopération active à la guerre 
(( dont ces puissances étaient jusqu'ici restées spec- 
<r tatrices. 

« Le czar a cru devoir protester dès aujourd'hui 
(f contre une pareille atteinte, se réservant d'adopter 
(T telle conduite qu'il lui conviendra de suivre dans 
« les futurs contingents. En attendant, il a jugé que 
(f provisoirement la position faite à ses représentants, 
«près les gouvernements de Paris et de Londres, 
«ne pouvait se concilier plus longtemps avec ce 
« qu'il se doit à lui-même et à d'anciennes relations, 
«qui, quoique délicates dans ces derniers temps, 
«n'avaient point encore perdu le caractère d'une 
« amitié et d'une bienveillance mutuelles. 

«En conséquence, les rapports diplomatiques se 
«trouvent suspendus entre la Russie et les deux 
« gouvernements d'Angleterre et de France. » 

De leur côté, les cabinets anglais et français avaient 
dès le 7 février donné ordre à leurs ambassadeurs 
de quitter Saint-Pétersbourg : 



18M. 



248 HISTOIRE DE LA GUERRE D*ORIENT. 

Le comte de Clarendon à sir H. Seymour. 

« Ministère des affaires élrangôres, le 7 février 1854. 

«Monsieur, 

« Dans la soirée du 4 février, le baron Bruno w a 
« remis en mes mains une Note annonçant que les 
«relations diplomatiques entre l'Angleterre et la 
«Russie sont suspendues, et qu'il va quitter l'Angle- 
«terre avec les membres de la légation russe. En 
«conséquence, immédiatement après la réception 
«de cette dépêche, vous informerez le comte de 
« Nesselrode que vous avez ordre de quitter Saint- 
« Pétersbourg avec tous les membres de la légation 
« de Sa Majesté. 

« Vous reviendrez en Angleterre en évitant tout re- 
« tard inutile de votre départ du territoire de Russie. 
« Des instructions semblables sont adressées aujour- 
« d'hui même par le gouvernement français au comte 
« de Castelbajac. 
«Je suis, etc. 

a Signé: Clarendon.» 

Le départ de Saint-Pétersbourg des deux ambas- 
sadeurs anglais et français eut ainsi lieu par suite 
des ordres de leurs cours; mais il fut accompagné 
d'une circonstance notable. Sir H. Seymour quitta 
Saint-Pétersbourg, sans voir l'empereur. On lui donna 
seulement avis que ses passe -ports étaient prêts. 

Mt de Castelbajac avait demandé à être traité 



CHAPITRE LIX. 249 

comme son collègue : mais l'empereur ayant exprimé i864. 
le désir de le voir, le général se rendit à cette invi- 
tation, et pendant l'entrevue, il reçut la décoration 
de saint Alexandre Newski des mains de Sa Majesté 
Impériale, dont les adieux furent d'une courtoisie 
parfaite et d'une bienveillance remarquable. 



CHAPITRE LIX. 

KtMton da MmteOrloff et de K. deBndberg. — Leurs prepositiens rejetées 
à Vienne et à Berlin. — Ces deaz eabinets rejettent nne nentralité 
éerite et absolue. — Hésitations de la Pmsse. — Retour dn comte OrlofT. 
— Le Konitenr. — Lord Clarendon. 

En présence de la guerre qui était à la veille d'é- 
clater entre la Russie et les deux puissances mari- 
times, il parut opportun au cabinet de Saint-Péters- 
bourg de s'entendre avec l'Autriche et la Prusse au 
sujet de toutes les éventualités qui pourraient naître 
de la guerre. 

Le comte OrlofT et M. de Budberg eurent mission 
de se rendre, le premier à Vienne, le second à Ber- 
lin. C'étaient deux personnages distingués, jouissant 
tous deux de la confiance particulière de leur sou- 
verain. La mission dont fut chargé le comte OrlofT 
près la cour de Vienne, a été l'objet de Tattention 
générale. Le comte fut reçu le 30 janvier en audience 
particulière par l'empereur, et remit une lettre auto- 
graphe du czar dans laquelle Sa Majesté renouvelait 
Tassurance qu elle ne voulait pas porter atteinte à 



250 HISTOIRE DE LA GtTERRE d'ORIENT. 

I8M. rint^ité de la Turquie, et qu'elle était prête à 
conclure une paix honorable pour toutes les parties, 
sous la condition que la Porte Ottomane accepterait 
les demandes contenues dans la Note de Vienne qui 
avait suivi les conférences d'Olmûtz. Sous cette con- 
dition seulement, la Russie se joindrait à la confé- 
rence des grandes puissances qui régleraient les 
rapports de la Turquie avec les autres États. Le 
comte Orloff, dans le projet, ou plutôt le contre- 
projet de Note qu'il apporta , proposa aussi : 

i^ Qu'un plénipotentiaire turc fût envoyé, soit au 
quartier général de l'armée d'occupation, soit à 
Saint-Pétersbourg, pour traiter directement avec la 
Russie, sous la faculté de prendre les conseils des 
représentants des quatre puissances;* 

2® Que les anciens traités entre la Russie et la 
Porte fussent renouvelés ; 

3® Que la Turquie prît des engagements au sujet 
des réfugiés politiques; 



1. Les explications de cette proposition se trouvent dans la 
dépêche n* 376 de sir H. Seymour à lord Glarendon. Elle est fort 
curieuse et se résume ainsi : 

«La Russie se trouve gravement insultée de l'idée qu'ont 
« eue les puissances occidentales de lui demander d'envoyer un 
«plénipotentiaire pour conférer avec le plénipotentiaire turc, 
«sous les auspices des ministres alliés. C'est, d'après M. deNes- 
« selrode , une insulte qui ne pouvait être faite qu'à l'un des 
«plus petits États de l'Europe. Jamais, avait ajouté M. de Nes- 
« selrode , depuis cent ans , la Russie ne fut soumise à un pareil 
«traitement dans ses relations avec la Turquie, et Ton ne peut 
a pas penser qu'elle veuille s'y soumettre maintenant.» 



CHAPITRE LIX. 351 

¥ Que la Porte fit une déclaration entièrement i854. 
conforme à l'ultimatum du prince Menschikoff rela- 
tivement à la protection des chrétiens grecs. 

Ces propositions, diamétralement contraires aux 
conditions formulées dans le protocole du 13 janvier 
et adoptées par toute l'Europe, furent successivement 
et péremptoirement rejetées par l'empereur François- 
Joseph en personne, par ses ministres et par la con- 
férence des quatre puissances qui signa un nouveau 
protocole dans le sens du rejet. 

La proposition faite au gouvernement prussien par 
M. de Budberg n'était autre qu'une demande d'alliance 
intime avec l'empereur Nicolas , qui , pour reconnaître 
les avantages de cette alliance au moment de la guerre , 
proposait à la Prusse d'occuper militairement la Po- 
logne, en cas d'hostilités, et s'engageait à protéger 
la Prusse par terre et par mer, contre les consé- 
quences de cette alliance. M. de Manteuffel répondit 
que la Prusse n'avait pas besoin de protection étran- 
gère, et qu'elle n'accepterait aucune alliance à des 
conditions semblables. 

Mais les deux envoyés de la Russie avaient aussi 
mission de demander une déclaration catégorique 
sur le point de savoir quelle politique les deux puis- 
sances allemandes suivraient dans le cas d'une colli- 
sion entre la Russie et les deux puissances occiden- 
tales, et si elles se renfermeraient dans une stricte 
neutralité, dans le cas même où une rencontre aurait 
lieu dans la Baltique entre la Russie et ces puissances. 



252 HISTOIRE DK LA GUERRE d'ORIENT 

i»4. L'Autriche refiisa, non-seulement de prendre ren- 
gagement d'une neutralité absolue, mais elle déclara 
qu'elle considérerait comme une mesure hostile, 
le passage du Danube et l'occupation permanente 
des principautés danubiennes par les Russes. 

La réponse de la Prusse à M. de Budberg au sujet 
de la neutralité absolue, n'eut pas la netteté de celle 
de la cour d'Autriche : cependant elle persista à vou- 
loir conserver sa pleine liberté d'action, comme 
puissance médiatrice, et à se réserver de prendre 
conseil de ses intérêts et des événements qui pour- 
raient surgir. 

A notre avis, les organes de l'opinion publique, 
et peut-être la diplomatie elle-même, eurent tort 
de regarder comme un insuccès complet la mission 
du comte Orloff, et celle de M. de Budberg. Rela- 
tivement à la Turquie, les contre-propositions dont 
était porteur le plénipotentiaire russe, dénotaient 
de la part du czar la volonté de ne pas céder, et 
les exigences nouvelles qu'il exprimait rendaient ses 
propositions inadmissibles pour tous. Mais en ce 
qui touche une neutralité réelle de la part des puis- 
sances allemandes, est-il bien vrai que le comte Orloff 
ait si complètement échoué, ou plutôt M. de Bud- 
berg? Nous osons exprimer une opinion contraire. 
Le czar avait-il besoin d'une neutralité formulée 
dans une convention : et parce que ce traité conte- 
nant des stipulations de neutralité, ne fut pas ré- 
digé par écrit, en était-il moins certain que les deux 



CHAPITRE UX. 253 

puissances allemandes, sous la condition de Féva- i854. 
euation des Principautés, avaient promis, sans écrit, 
il est vrai, que cette neutralité serait observée, et 
qu'elles ne prendraient contre la Russie aucune me- 
sure agressive? Nous croyons à l'affirmative. 

Un traité de neutralité eût été forcément un traité 
d'alliance, et aurait dénaturé le caractère même de 
cette neutralité. Un pareil traité eût compromis les 
deux puissances allemandes. Le czar dut se contenter 
de l'expression de leurs vives et vieilles sympathies, 
basées sur des sentiments de chaude gratitude. Il 
existait entre ces deux puissances et la Russie un 
lien politique qui était la base d'un grand intérêt 
réciproque. 

Mais si une grande réserve était imposée à l'Au- 
triche, par la nécessité de surveiller le bas Danube, 
d'assurer la liberté de navigation sur ce fleuve et 
sur le Pont-Euxin, comme aussi de préserver ces 
parages de l'absorption russe, il y avait, d'un autre 
côté, pour elle et pour la Prusse une perte immé- 
diate, et des plus certaines à courir par une alliance 
avouée avec la Russie: c'était l'anéantissement de 
toute la marine militaire et marchande de ces deux 
puissances, qu'elles regardaient, à bon droit, comme 
précieuses à leur commerxîe, à leur industrie et à 
toutes leurs relations au dehors: navires de tous 
genres, ports de guerre ou de commerce, tout eût 
disparu dans vingt-quatre heures sous les attaques 
des marines combinées. 



254 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1864. Le cabinet de Saint-Pétersbourg connaissait par- 
faitement les rapports naturels qui existaient entre 
les deux puissances allemandes et la question d'Orient. 
Il savait que leur position et leurs intérêts leur im- 
posaient une stricte neutralité, à la condition que 
le czar rentrerait dans les limites que lui avaient 
faites les traités. 

Le comte Orloff retourna à Saint-Pétersbourg, où 
il arriva le 44 février. Il était porteur à son retour 
d'autres propositions qu'il avait reçues du cabinet 
impérial d'Autriche. Ces propositions ne furent pas 
acceptées par l'empereur Nicolas. La diplomatie était 
de plus en plus impuissante pour terminer cette 
querelle. Les événements de la guerre en devaient 
seuls donner la solution. 

C'est au sujet de ce nouveau refus de la Russie 
que lord Clarendon dans le Parlement anglais pro- 
nonça ces paroles remarquables : 

« Des conditions justes et honorables ont été of- 
« fertes à l'empereur de Russie. Il aurait pu avec 
(( honneur pour lui-même tirer l'Europe de l'anxiété 
« où elle est aujourd'hui plongée. Il aurait pu lui 
«épargner les calamités de la guerre, et au lieu de 
(( cela, il a rejeté ses offres, il a ajouté à ses pre- 
(( mières exigences, il a fait des représentations, il a 
« adressé des remontrances à ses plus proches alliés, 
c( et par la réquisition qu'il leur a faite de se joindre 
(( à lui , ce n'est pas trop dire qu'il a jeté le délS à 
c( l'Europe. Ce défi sera relevé. » 



CHAPITRE JLIX. ^55 

En Prusse les opinions dans la haute société étaient i854. 
tellement partagées, que la neutralité paraissait au 
roi être le seul parti pour sortir d'embarras. Le 
prince de Prusse , frère de ce monarque , s'était pro- 
noncé contre une neutralité égoïste et équivoque. 
Son Altesse honorait les nobles quahtés de son au- 
guste beau-frère le czar ; mais comme prince prus- 
sien et héritier présomptif de la couronne (qu'il porte 
aujourd'hui) , Son Altesse Royale ne balança pas à 
déclarer, en plein conseil d'État, que le moment était 
venu pour la Prusse de prendre une attitude décisive 
et de notifier au Cabinet de Saint-Pétersbourg que le 
refus d'accepter les propositions de Vienne forcerait 
la Prusse à se ranger du côté des puissances occi- 
dentales et à les suivre jusqu'au bout. Le prince 
trouva des contradicteurs, et l'esprit indécis du roi, 
son frère , devait entretenir les irrésolutions du ca- 
binet prussien. 

Le roi de Prusse voulait persuader à l'Europe qu'il 
avait choisi le beau rôle , car voici comment il faisait 
parler ses organes officiels : « La Prusse n'a pas re- 
«fusé d'apprécier, dans la conférence de Vienne, 
«les prétentions de la Russie dans leurs rapports 
(( avec la Porte Ottomane, et dans la réponse sur la 
a: question de droit , elle a pris une position déter- 
(n minée du côté des puissances occidentales. Ainsi la 
«Prusse ne peut être appelée neutre, uniquement 
«parce qu'elle n'a pas encore pris part aux hostilités; 
« elle a été impartiale dans l'examen de la question 



256 HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORIENT. 

18M. ^ de droit. Cependant elle n'est pas restée sans pren- 

<[dre un parti lors de la solution. Sa position est 

scelle de l'indépendance; cette position lui donne la 

dc possibilité de faire pencher le poids de sa puissance 

« du côté où elle aura reconnu le droite et de choisir 

a pour cet acte le moment favorable aux intérêts de 

<r TÂllemagne. 
« La Prusse ne peut pas se déclarer neutre dans 

(( un sens absolu et inébranlable d'aucun côté. Elle 

i< ne peut pas non plus se prêter à une alliance de 

(( neutralité , comme la Russie l'avait proposé. Il y a 

« une limite où la Prusse , pour sauver ses intérêts , 

(( qui ne sont pas séparés des intérêts généraux euro- 

<r péens , pourrait se trouver forcée de se prononcer 

« contre la Russie. » 

Pour amener l'Autriche dans l'alliance anglo-fran- 
çaise, le Moniteur montra la France disposée, dans 
les circonstances où était l'Europe , à conserver une 
attitude qui dévoilât sa pensée d'abjurer tout esprit 
de conquête , et de repousser toute révolution nou- 
velle. 

Lord Clarendon, dans le Parlement (séance du 
24 février) , développa la même idée en disant : 
« Grâce à six mois de patience et de modération, on 
« a pu produire contre la Russie une force morale et 
«matérielle sans exemple. L'Autriche et la Prusse 
« se rangent à côté de la France et de l'Angleterre. 
(( Il n'y a plus aucune espérance de paix : la guerre 
a: sera poussée avec vigueur. » 



. CHAPITRE LX. 257 

Lord Clarendon, sans aucun doute, ne voulut pas isôi. 
parler de coopération active , mais bien d'une simple 
neutralité ; or , la neutralité que paraissaient vouloir 
garder la Prusse et T Autriche, avait cela d'utile, 
que la guerre ne serait point générale , mais localisée 
dans la mer Noire, sur le Danube et dans la Bal- 
tique. 



CHAPITRE LX. 

Traité d'allianoe ofrensive et défensive entre la Franee et l'Angleterre. — 
Armements redoutables. — Flotte des Russes. — Levées de la France. 
— Esoadres. 

Les deux gouvernements de France et d'Angle- 
terre , ayant passé de la médiation à l'intervention , 
durent, en entrant dans le domaine des faits, se 
préparer activement à la lutte formidable qui était la 
conséquence de cette intervention. 

Un traité d'alliance offensive et défensive entre ces 
deux puissances régla les conditions de leur coopé- 
ration. Ce ne fut pas seulement sur le théâtre de la 
guerre que l'alliance offensive et défensive dut pro- 
duire ses résultats. Une circulaire de M. Drouyn de 
Lhuys prescrivit aux agents diplomatiques et consu- 
laires de France , en cas d'hostilités avec la Russie , 
d'accorder leur appui aux sujets anglais et au com- 
merce de la nation anglaise , dans le cas où leur sé- 
curité serait menacée. Les bâtiments et les sujets 

n 



S58 HISTOIRE DE LA GUERRE D*0RIENT. 

185A. anglais, dans le ressort desdits agents, devaient être 
considérés comme ayant les mêmes droits que les 
bâtiments et les sujets français , à toute l'assistance 
que comporteraient leurs attributions. Les mêmes 
instructions furent données aux agents anglais. 

Ces préliminaires remplis , pour pousser les opé- 
rations avec vigueur , comme le voulait lord Claren- 
don , on travailla dans les arsenaux anglais avec une 
activité extraordinaire à des armements de guerre , 
et ces travaux produisirent des résultats capables de 
frapper l'observateur même le plus étranger aux af- 
faires de la marine. Il n'était pas de semaine où l'on 
ne nous annonçât que quelques-uns de ces redouta- 
bles vaisseaux à hélice, qui étaient encore sur les 
chantiers il y avait quelques mois , étaient lancés à 
l'eau , entraient en armement , expérimentaient leurs 
machines , étaient prêts à appareiller , à courir au- 
devant de l'ennemi. Les choses marchaient avec une 
rapidité presque incroyable , et qui était le plus sûr 
indice de la réalité de la puissance navale de l'Angle- 
terre. En moins de sept mois elle put armer onze 
vaisseaux à hélice, et trois mois après elle devait 
être en mesure de disposer de dix-huit vaisseaux à 
vapeur, sans compter les frégates. C'était incompa- 
rablement la flotte la plus redoutable qui eût jamais 
paru sur les mers. L'amiral , sir Charles Napier , un 
des plus audacieux et des plus habiles marins de 
l'Angleterre, fut appelé au commandement de la 
flotte de la Baltique. 



I 



CHAPITRE LX. 359 

La flotte que les Russes pouvaient opposer dans i8*i. 
la Baltique à l'escadre anglaise de l'amiral Napier , 
se composait de trois divisions d'environ neuf vais- 
seaux de ligne chacune ; elles étaient mouillées dans 
les ports de Revel dans l'Esthonie, de Helsingfort 
et de Cronstadt , tous les trois situés dans le golfe 
de Finlande. 

La France, de son côté, ne mit aucune négligence 
à faire des levées de troupes et à disposer ses vais- 
seaux. Un décret de l'empereur appela au service 
actif les réserves des classes de i 849 et i 850 , ce 
qui, joint à l'appel déjà fait de la classe de 4851 et 
aux 80,000 soldats de la classe de l'année, devait 
porter l'armée française au chiffre énorme de 600,000 
hommes. 

Le corps expéditionnaire anglais fut porté dans 
le principe à 30,000 hommes, et le corps expédi- 
tionnaire français à 50,000 combattants de toutes 
armes. Le gouvernement anglais , pour accélérer le 
transport des troupes , ajouta à ses propres bâtiments 
le fret d'un certain nombre de navires appartenant à 
la compagnie Cunard. On embarqua d'abord environ 
6,000 hommes, infanterie, cavalerie, artillerie, qui 
se rendirent à Malte , où une destination ultérieure 
leur serait indiquée. D'autres régiments, de diffé- 
rentes armes, se disposèrent encore à s'embarquer 
pour le Bosphore. 

L'escadre française, dite de l'Océan, placée à Brest 
sous le commandement du vice-amiral Bruat , reçut 



260 HISTOIRE DE LA GUERRE d'oRIEMT. 

1854. également Tordre d'appareiller, et le 7 février elle 
mit à la voile. Le 4 7 elle franchit le détroit de Gi- 
braltar, composée de cinq vaisseaux de ligne, de 
plusieurs bateaux à vapeur et de quelques frégates. 
Elle se partagea en deux divisions , dont Tune , sous 
les ordres du contre-amiral Charner , se dirigea vers 
Alger, et l'autre , commandée par M. Bruat, se rendit 
à Toulon pour embarquer une partie du corps expé- 
ditionnaire et le conduire en Orient. 

L'empereur prescrivit en outre de préparer une 
troisième escadre , dite de réserve. Les ordres furent 
sur-le-champ mis en cours d'exécution. Cette escadre 
dut se composer de dix vaisseaux de ligne , de qua- 
torze frégates , de quinze corvettes à voiles et à va- 
peur. M. Parceval Deschênes, vice-amiral, fut nommé 
au commandement de cette escadre; M. Penaud, 
contre-amiral, en fut le commandant en second. 

Pour ne pas laisser affaiblir notre matériel , et nous 
conserver tous les moyens de succès , un décret pro- 
hiba l'exportation des armes de guerre, plomb, sou- 
fre , salpêtre , machines à vapeur , chevaux , etc. , et 
enfin celle de tout ce qui pouvait servir comme moyen 
militaire à l'attaque et à la défense. 

L'Autriche, quoique placée en état de neutralité, 
en présence de la continuation de la guerre entre les 
Turcs et les Russes, et de la prochaine entrée en 
campagne des deux puissances de l'Ouest , concentra 
une armée de 25,000 hommes dans le Banat (Croa- 
tie), indépendamment des forces déjà envoyées, dans 



CHAPITRE LXI. 261 

le but de les employer là où les circonstances pour- i»»*. 
raient l'exiger. Ce corps de 25,000 hommes eut ordre 
de se disposer le long de la frontière sud -est de la 
Transylvanie , sur le flanc droit des Russes , en Mol- 
davie , et sur le derrière des corps russes qui occu- 
paient la Valachie. C'était là une habile disposition 
stratégique , dictée par une sage prévoyance. 



CHAPITRE LXI. 
Lettre de l'empereur Napeléon m à l'empereur Nieelas. — ftépense du oiar. 

Avant de tirer le premier coup de canon , l'empe- 
reur Napoléon, laissant les formes ordinaires de la 
diplomatie, voulut, par une démarche directe et 
personnelle auprès de Tempereur Nicolas, tenter 
d'arriver à une conclusion pacifique. 

Il lui écrivit la lettre dont la teneur suit : 

<( Palais des Tuileries, le 20 janvier 1854. 

« Sire , 

« Le différend qui s'est élevé entre Votre Majesté 
(cet la Porte Ottomane en est venu à un tel point de 
«gravité, que je crois devoir expliquer moi-même 
(( directement à Votre Majesté la part que la France 
^ a prise dans cette question et les moyens que j'en- 
« trevois d'écarter les dangers qui menacent le repos 
a de rEwope. 



262 HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORIENT. 

1854. € La Note que Votre Majesté vient de faire remettre 
« à mon gouvernement et à celui de la reine Victoria, 
< tend à établir que le système de pression adopté 
« dès le début par les deux puissances maritimes , a 
« seul envenimé la question. Elle aurait , au contraire, 
« ce me semble , continué à demeurer une question 
e de cabinet , si Toccupation des Principautés ne Fa- 
<r vait transportée , tout à coup , du domaine de la 
e discussion dans celui des faits. Cependant, les 
« troupes de Votre Majesté une fois entrées en Va- 
<r lachie , nous n'en avons pas moins engagé la Porte 
« à ne pas considérer cette occupation comme un cas 
« de guerre, témoignant ainsi notre extrême désir de 
fl^ conciliation. Après m'être concerté avec FAngle- 
<r terre, rAutriche et la Prusse, j'ai proposé à Votre 
a: Majesté une Note destinée à donner une satisfac- 
<jr tion commune. Votre Majesté l'a acceptée. Mais à 
<( peine étions-nous avertis de cette bonne nouvelle, 
0^ que son ministre , par des commentaires explicatifs, 
« en détruisait tout l'effet conciliant et nous empê- 
e chait par là d'insister à Gonstantinople sur son 
« adoption pure et simple. De son côté , la Porte avait 
« proposé à la Note des modifications que les quatre 
« puissances représentées à Vienne ne trouvèrent pas 
« inacceptables. Elles n'ont pas eu l'agrément de Votre 
«Majesté. Alors la Porte, blessée dans sa dignité, 
« menacée dans son indépendance, obérée par les 
G efforts déjà faits pour opposer une armée à celle 
« de Votre Majesté , a mieux aimé déclarer la guerre 



CHAPITRE LXI. 263 

« que de rester dans cet état d'incertitude etd'abais- 1854, 
<r sèment. Elle avait réclamé notre appui ; sa cause 
€ nous paraissait juste; les escadres anglaise et fran- 
« çaise reçurent l'ordre de mouiller dans le Bos- 
(i phore. 

c( Notre attitude vis-à-vis la Turquie était protec- 
€ irice y mais passive. Nous ne l'encouragions pas à la 
« guerre. Nous faisions sans cesse parvenir aux oreilles 
e du sultan des conseils de paix et de modération 
(( persuadés que c'était le moyen d'arriver à un accord, 
« et les quatre puissances s'entendirent de nouveau 
(( pour soumettre à Votre Majesté d'autres proposi- 
cctions. Votre Majesté, de son côté, montrant le 
« calme qui naît de la conscience de sa force , s'était 
« bornée à repousser , sur la rive gauche du Danube , 
« comme en Asie , les attaques des Turcs , et avec la 
« modération digne du chef d'un grand empire , elle 
a: avait déclaré qu'elle se tiendrait sur la défensive. 

«Jusque-là, nous étions donc, je dois le dire, 
€ Spectateurs intéressés, mais simples spectateurs de 
« la lutte , lorsque l'affaire de Sinope vint nous forcer 
«à prendre une position plus tranchée. La France 
« et l'Angleterre n'avaient pas cru utile d'envoyer des 
« troupes de débarquement au secours de la Tur- 
« quie. Leurs drapeaux n'étaient donc pas engagés 
<r dans les conflits qui avaient lieu sur terre ; mais 
« sur mer , c'était bien différent. Il y avait à l'entrée 
« du Bosphore trois mille bouches à feu , dont la 
<r présence disait assez haut à la Turquie que les deux 



264 HISTOIRE DE LA GUERRE D*ORIENT. 

1854. «premières puissances maritimes ne permettraient 
< pas de l'attaquer sur mer. 

ec L'événement de Sinope fut pour nous aussi bles- 
se sant qu'inattendu y car peu importe que les Turcs 
<r aient voulu ou non passer des munitions de guerre 
€ sur le territoire russe. En fait , des vaisseaux russes 
e: sont venus attaquer^ des bâtiments turcs dans les 
€ eaux de la Turquie et mouillés tranquillement dans 
a: un port turc. Us les ont détruits y malgré l'assu* 
«rance de ne pas faire une guerre agressive, malgré 
« le voisinage de nos escadres. Ce n'était plus notre 
€ politique qui recevait là un échec, c'était notre 
<!c honneur militaire. Les coups de canon de Sinope 
«ont retenti douloureusement en Angleterre et en 
« France , dans le cœur de tous ceux qui ont un vif 
«sentiment de la dignité nationale. On s'est écrié 
« d'un commun accord : Partout où nos canons peu- 
«vent atteindre, nos alliés doivent être respectés. 
« De là l'ordre donné à nos escadres d'entrer dans la 
«mer Noire, et d'empêcher par la force, s'il le fal- 
«lait, le retour d'un semblable événement. De là, la 
« notification collective envoyée au cabinet de Saint- 
« Pétersbourg , pour lui annoncer que^ si nous em- 
« péchions les Turcs de porter une guerre agressive 
« sur les côtes appartenant à la Russie , nous proté- 
« gérions le ravitaillement de leurs troupes sur leur 
« propre territoire. 

« Quant à la flotte russe, en lui interdisant la na- 
o: vigation de la mer Noire , noi|s \^ placions (laos des 



CHAPITRE LXI. 265 

^ conditions différentes , parce qu'il importait , pen- i854. 
« dant la durée de la guerre , de conserver un gage , 
«qui pût être l'équivalent des parties occupées du 
« territoire turc, et faciliter la conclusion de la paix 
« en devenant le titre d'un échange désirable. 

« Voilà, Sire , la suite réelle et l'enchaînement des 
« faits. Il est clair qu'arrivés à ce point , ils doivent 
«: amener promptement ou une entente définitive ou 
« une rupture décidée. Votre Majesté a donné tant 
« de preuves de sa sollicitude pour le repos de TEu- 
«rope, elle y a contribué si puissamment par son 
« influence bienfaisante contre l'esprit de désordre , 
<K que je ne saurais douter de sa résolution dans l'al- 
« ternative qui se présente à son choix. Si Votre Ma- 
« jesté désire, autant que moi, une conclusion paci- 
«fique, quoi de plus simple que de déclarer qu'un 
<r armistice sera signé aujourd'hui, que les choses 
«reprendront leur cours diplomatique, que toute 
« hostilité cessera , et que toutes les forces belligé- 
(crantes se retireront des lieux où des motifs de 
« guerre les ont appelées. 

«Ainsi les troupes russes abandonneraient les 
«Principautés et nos escadres la mer Noire. Votre 
«Majesté, préférant traiter directement avec la Tur- 
« quie , nommerait un ambassadeur qui négocierait 
« avec un plénipotentiaire du sultan une convention 
« qui serait soumise à la conférence des quatre puis- 
« sances. Que Votre Majesté adopte ce plan, sur le- 
^ quel la reine d'Angleterre et moi sommes parfaite^ 



266 HISTOIRE DE LÀ GUERRE d'OBIENT. 

if&i. « ment d'accord , la tranquillité est rétablie et le 
« monde satisfait. Rien, en effet, dans ce plan qui 
« ne soit digne de Votre Majesté , rien qui puisse 
« blesser son honneur. Mais si , par un motif di£B- 
« cile à comprendre, Votre Majesté opposait un refus, 
* alors la France, comme T Angleterre , serait obligée 
« de laisser au sort des armes et aux hasards de la 
« guerre , ce qui pourrait être décidé aujourd'hui par 
« la raison et par la justice. 

« Que Votre Majesté ne pense pas que la moindre 
«animosité puisse entrer dans mon cœur; il n'é- 
« prouve d'autres sentiments que ceux exprimés par 
« Votre Majesté elle-même dans sa lettre du 47 jan- 
ftvier 1853, lorsqu'elle m'écrivait: ^ Nos relations 
« doivent être sincèrement amicales , reposer sur les 
e mêmes intentions : maintien de l'ordre, amour de 
<r la paix, respect aux traités et bienveillance réd- 
^proque.:!^ Le programme est digne du souverain 
«r qui le traçait, et je n'hésite pas à l'affirmer: j'y suis 
« resté fidèle. 

(( Je prie Votre Majesté de croire à la sincérité de 
« mes sentiments , et c'est dans ces sentiments que 
a: je suis. Sire, de Votre Majesté 

(( Le bon ami , 
« Signé : Napoléon. >> 

La réponse à cette lettre arriva à Paris le 20 fé- 
vrier, et le 21 Ton put lire dans le Moniteur : 



CHAPITRE LXI. 261 

(( Nous avons annoncé hier que l'empereur avait issi. 
(( reçu une réponse de Saint-Pétersbourg. Dans sa 
« lettre à l'empereur, le czar discute les conditions 
« d'arrangement qui lui avaient été proposées, et dé- 
(( clare qu'il ne peut entrer en négociations que sur 
(( les bases qu'il a fait connaître. Cette réponse ne 
« laisse plus de chance à une solution pacifique, et 
(( la France doit se préparer à soutenir , par des 
« moyens plus efficaces , la cause que n'ont pu faire 
« prévaloir les efforts persévérants de la diplomatie. 

(( En défendant plus énergiquement les droits de 
« la Turquie , l'empereur compte sur le patriotisme 
(c du pays, sur l'alliance intime de l'Angleterre et sur 
(( les sympathies des gouvernements de l'Allemagne. 

« Ces gouvernements ont constamment déclaré 
c( qu'ils voulaient, aussi résolument que nous, main- 
ce tenir l'équilibre européen , faire respecter l'inté- 
« grité et l'indépendance de l'empire ottoman. Il n'y 
<? a pas d'autre question engagée dans le débat. 

(( L'attention se tourne vers l'Autriche , que sa po- 
« sition appelle à jouer un rôle actif et important. 
(( L'Autriche s'est toujours prononcée avec une grande 
(( fermeté en faveur des points qui ont été établis 
(( dans le Protocole de la conférence de Vienne du 
c( 5 décembre dernier. 

« Nous avons toute confiance dans la loyauté et le 
c( caractère chevaleresque du jeune empereur d'Au- 
« triche. Nous trouvons en outre une garantie des 
« dispositions de son gouvernement dans les intérêts 



268 HISTOIRE DB LA GUERRE D*ORIENT. 

1854. (jcde ses peuples , intérêts qui sont identiques aux 
«r nôtres. 

« Dans les circonstances générales de la politique 
^ européenne , la France , forte de ses intentions 
« loyales et désintéressées , n'a rien à redouter de la 
t lutte qui se prépare. Elle sait d'ailleurs qu'elle peut 
« compter sur l'énei^ie, autant que sur la sagesse de 
« l'empereur. i> 

Nos lecteurs verront avec intérêt le texte même 
de la lettre de Fempereur de Russie. 

Réponse de S. M. l'empereur Nicolas. 

« Saint-Pétersbourg, 9 février 1854. 

« Sire , 

«Je ne saurais mieux répondre à Votre Majesté 
qu'en ratant, puisqu'elles m'appartiennent, les pa- 
roles par lesquelles sa lettre se termine : € Nos rela- 
<r tions doivent être sincèrement amicales et r^ser 
« sur les mêmes intentions : aiaintien de l'ordre , 
c amour de la paix, respect aux traités et bienveîl- 
«lance réciproque. « En acceptant, dit-elle, ce traité, 
tel que je l'avais moi-même tracé , elle aflfirme y être 
restée fidèle. 

«J'ose croire, et ma conscience me le dit, que je 
ne m^en suis point écarté. Car, dans Taffaire qui nous 
divise et dont l'origine ne vient pas de moi, f ai tou- 
jours cherché à maintenir des relations bienveillantes 
avec la France. J'ai évité avec le plus grand soin de 



CHAPITRE LXI. 260 

me rencontrer sur ce terrain avec les intérêts de la i854. 
religion que Votre Majesté professe; j'ai fait au main- 
tien de la paix toutes les concessions de forme et de 
fond que mon honneur me rendait possibles; et, en 
réclamant pour mes coreligionnaires, en Turquie, la 
confirmation des droits et privilèges qui leur ont été 
acquis depuis longtemps, au prix du sang russe, je 
n'ai demandé autre chose que ce qui découlait des 
traités. Si la Porte avait été laissée à elle-même, le 
différend qui tient en suspens l'Europe eût été de- 
puis longtemps aplani. Une influence fatale est venue 
se jeter à la traverse. En provoquant des soupçons 
graves, en exaltant le fanatisme des Turcs, en éga- 
rant leur gouvernement sur mes intentions et la vraie 
portée de mes demandes, elle a fait prendre à la 
question des proportions si exagérées, que la guerre 
a dû en sortir. 

(c Votre Majesté me permettra de ne point m'étendre 
trop en détail sur les circonstances exposées à son 
point de vue particulier dont sa lettre présente l'en- 
chaînement. Plusieurs actes de ma part, peu exacte- 
ment appréciés, suivant moi, et plus d'un fait inter- 
verti , nécessiteraient, pour être rétablis, tels au moins 
que je les conçois, de longs développements qui ne 
sont guère propres à entrer dans une correspondance 
de souverain à souverain. C'est ainsi que Votre Ma- 
jesté attribue à l'occupation des Principautés le tort 
d'avoir subitement transporté la question du domaine 
de la discussion dans celui des faits. Mais elle perd 



270 HISTOIRE DE LA GUERRE D*OnlE^T. 

1864. de vue que cette occupation, purement éventuelle 
encore, a été devancée, et en grande partie amenée, 
par un fait antérieur fort grave, celui de l'apparition 
des flottes combinées dans le voisinage des Darda- 
nelles, outre que déjà , bien auparavant, quand l'An- 
gleterre hésitait encore à prendre contre la Russie 
une attitude comminatoire. Votre Majesté avait la 
première envoyé sa flotte jusqu'à Salamine. 

a: Cette démonstration blessante annonçait, certes, 
peu de confiance en moi. Elle devait encourager les 
Turcs, et paralyser d'avance le succès des négocia- 
tions, en leur montrant la France et l'Angleterre 
prêtes à soutenir leur cause à tout événement. C'est 
encore ainsi que Votre Majesté attribue aux commen- 
taires explicatifs de mon cabinet sur la Note de Vienne ^ 
l'impossibilité où la Ê'rance et l'Angleterre se sont 
trouvées d'en recommander l'adoption à la Porte. 

«Mais Votre Majesté peut se rappeler que nos com- 
mentaires ont suivi, et non précédé, la non-accepta- 
tion pure et simple de la Note, et je crois que les 
puissances, pour peu qu'elles voulussent sérieuse- 
ment la paix, étaient tenues à réclamer d'emblée 
cette adoption pure et simple , au lieu de permettre 
à la Porte de modifier ce que nous avions adopté 
sans changement. D'ailleurs, si quelque point de nos 
commentaires avait pu donner matière à difficultés , 
j'en ai offert, à Olmûtz, une solution satisfaisante, 
qui a paru telle à l'Autriche et à la Prusse. 

«Malheureusement, dans l'intervalle, une partie de 



t 

1 



CHAPITRE LXI. 271 

la flotte anglo-française était déjà entrée dans les i854. 
Dardanelles , sous prétexte d y protéger la vie et les 
propriétés des nationaux anglais et français , et , pour 
l'y faire entrer tout entière, sans violer le traité de 
1 841 , il a fallu que la guerre nous fût déclarée par 
le gouvernement ottoman. Mon opinion est que , si 
la France et l'Angleterre avaient voulu la paix comme 
moi, elles auraient dû empêcher à tout prix cette 
déclaration de guerre, ou, la guerre une fois décla- 
rée, faire au moins en sorte qu'elle restât dans les 
limites étroites que je désirais lui tracer sur le Da- 
nube, afin que je ne fusse pas arraché de force au 
système purement défensif que je voulais suivre. 

«Mais du moment qu'on a permis aux Turcs d'at- 
taquer notre territoire asiatique , d'enlever un de nos 
postes frontières (même avant le temps fixé pour 
l'ouverture des hostilités), de bloquer Akhalteykhet 
de ravager la province d'Arménie ; du moment qu'on 
a laissé la flotte turque libre de porter des troupes , 
des armes et des munitions de guerre sur nos côtes, 
pouvait-on raisonnablement espérer que nous atten- 
drions patiemment le résultat d'une pareille tenta- 
tive? Ne devait-on pas supposer que nous ferions 
tout pour la prévenir? L'affaire de Sinope s'en est 
suivie : elle a été la conséquence forcée de l'attitude 
adoptée par les deux puissances, et l'événement ne 
pouvait certes leur paraître inattendu. 

«J'avais déclaré vouloir rester sur la défensive, mais 
avant l'explosion de la guerre , tant que mon bon- 



i72 HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORIENT. 

1864. neur et mes intérêts me le permettraient, tant qu'elle 
resterait dans de certaines bornes. A-t-on fait ce qu'il 
fallait faire pour que ces bornes ne fussent pas dé- 
passées? Si le rôle de spectateur ou celui de média- 
teur même ne suffisait pas à Votre Majesté, et qu'elle 
voulût se faire l'auxiliaire armé de mes ennemis, 
alors , Sire , il eût été plus loyal et plus digne d'elle 
de me le dire franchement d'avance , en me déclarant 
la guerre. Chacun alors eût connu son rôle. 

a Mais nous faire un crime après coup de ce qu'on 
n'a rien fait pour empêcher, est-ce un procédé équi- 
table? Si les coups de canon de Sinope ont retenti 
douloureusement dans le cœur de tous ceux qui , en 
France et en Angleterre , ont le vif sentiment de la 
dignité nationale , Votre Majesté pense-t-elle que la 
présence menaçante à Feutrée du Bosphore des trois 
mille bouches à feu dont elle parle, et le bruit de 
leur entrée dans la mer Noire, soient des faits restés 
sans écho dans le cœur de la nation dont j'ai à dé- 
fendre l'honneur? J'apprends d'elle, pour la première 
fois (car les déclarations verbales qu'on m'a faites 
ici ne m'en avaient encore rien dit), que, tout en 
protégeant le ravitaillement des troupes turques, sur 
leur propre territoire, les deux puissances ont résolu 
de nous interdire la navigation de la mer Noire, c'est- 
à-dire apparemment le droit de ravitailler nos pro- 
pres côtes. 

(c Je laisse à penser à Votre Majesté si c'est là , 
comme elle le dit , faciliter la conclusion de la paix , 



CHAPITRE LXI. 273 

et si, dans l'alternative qu'on me pose, il m'est per- issi. 
mis de discuter, d'examiner même un moment ses 
propositions d'armistice, d'évacuation immédiate des 
Principautés , et de négociation avec la Porte d'une 
convention qui serait soumise à une conférence des 
quatre cours. Vous-même, Sire, si vous étiez à ma 
place, accepteriez-vous une pareille position? Votre 
sentiment national pourrait-il vous le permettre? Je 
répondrai hardiment que non. Accordez - moi donc, 
à mon tour, le droit de penser comme vous-même. 
Quoi que Votre Majesté décide, ce n'est pas devant 
la menace que l'on me verra reculer. Ma confiance 
est en Dieu et dans mon droit, et la Russie, j'en suis 
garant, saura se montrer en 1854 ce qu'elle fut en 
1812. 

«Si toutefois Votre Majesté, moins indifférente à 
mon honneur, en revient franchement à notre pro- 
gramme, si elle me tend une main cordiale, comme 
je la lui offre en ce dernier moment, j'oublierai vo- 
lontiers ce que le passé peut avoir eu de blessant 
pom* moi. Alors, Sire, mais alors seulement, nous 
pourrons discuter, et peut-être nous entendre. Que 
sa flotte se borne à empêcher les Turcs de porter de 
nouvelles forces sur le théâtre de la guerre. Je pro- 
mets volontiers qu'ils n'auront rien à craindre de 
mes tentatives. Qu'ils m'envoient un négociateur, je 
l'accueillerai comme il convient. Mes conditions sont 
connues à Vienne. C'est la seule base sur laquelle il 
me soit permis de discuter. 

18 



274 HISTOIRE UE Lk GUIIUUE d'ORIENT. 

it64. «Je prie Votre Majesté de croire à la sincérité des 
sentiments avec lesquels je suis. Sire, de Votre Ma- 
jesté, 

<t Le bon ami , 

« Nicolas. » 

Cette réponse est rédigée avec la finesse éloquente 
et rhabileté logique que la diplomatie russe emploie 
dans toutes les pièces importantes qui sortent de sa 
chancellerie. Nous faisons acte de haute impartialité 
en la citant dans son entier. 

La conclusion que chacun tira de cette réponse, 
c'est que le cabinet russe persistait dans des condi- 
tions déclarées plusieurs fois inadmissibles. 



CHAPITRE LXU. 

Apptl par lo osar aa fanatisine dt m sujets. — Hooysmoiit dss troipes 

et des escadres. — Croisières. — RelAcbes. — Nonveanz convois. — 
Tempêtes. 

Le 22 février parut, à Saint-Pétersbourg, une pro- 
clamation de l'autocrate faisant appel au fanatisme 
de ses sujets, et prêchant, au nom de l'orthodoxie 
grecque, la guerre sainte contre la France et l'An* 
gleterre, qu'elle accusait de se placer à côté des en- 
nemis de la chrétienté. 



CHAPITRE LXII. 275 

Texte de la proclamation. 

«Par la grâce de Dieu, nous, Nicolas P"", empe- 
«reur et autocrate de toutes les Russies, roi de Po- 
« iogne , etc. , 

« Faisons connaître à tous : 

(( Nous avons déjà fait connaître à nos chers et 
(( fidèles sujets la cause de notre mésintelligence avec 
« la Porte Ottomane. 

«Depuis lors, malgré l'ouverture des hostilités, 
«nous n'avons pas cessé de former, comme nous le 
« faisons encore aujourd'hui, le désir sincère d'arrêter 
« l'effusion du sang. 

« Nous avions même nourri l'espérance que la ré- 
« flexion et le temps convaincraient le gouvernement 
«turc de son erreur, suggérée par de perfides insi- 
« nuations dans lesquelles nos prétentions justes et 
« fondées sur les traités ont été représentées comme 
« un empiétement sur son indépendance, cachant des 
« arrière - pensées de domination. Mais vaine a été 
«jusqu'à présent notre attente. Les gouvernements 
«anglais et français ont pris parti pour la Turquie, 
« et la présence de leurs flottes , réunies à Constan- 
« tinople , a principalement servi à l'encourager dans 
« son obstination. 

«Enfin, les deux puissances occidentales, sans dé- 
« claration de guerre préalable , ont fait entrer leurs 
«flottes dans la mer Noire, en proclamant la réso- 
c lution de défendre les Turcs et d'entraver la libre 



1864. 



276 HISTOIRE DE LA GUERRE D*ORIERT. 

iKM* c navigation de nos vaisseaux de guerre dans la dé- 
« fense de notre littoral. 

<r Après un mode d'agir aussi inouï dans les rap- 
<r ports des puissances civilisées, nous avons rappelé 
« nos légations d'Angleterre et de France, et inter- 
c rompu toutes relations politiques avec ces puis- 
er sances. 

«Et ainsi contre la Russie, combattant pour l'or- 
«thodoxie, se placent, à côté des ennemis de la 
« chrétienté , l'Angleterre et la France. Mais la Russie 
« ne manquera pas à sa sainte vocation, et si sa fron- 
« tière est envahie par Tennemi , nous sommes prêts 
« à lui faire tête avec toute l'énergie dont nos ancê- 
« très nous ont légué l'exemple. Ne sommes-nous pas 
«aujourd'hui encore ce même peuple russe dont la 
«vaillance est attestée par les fastes mémorables de 
«l'année 1812? Que le Très-Haut nous aide à le 
« prouver à l'œuvre. Dans cet espoir, combattant pour 
. « nos frères opprimés qui confessent la foi du Christ, 
« la Russie n'aura qu un cœur et une voix pour, s'é- 
« crier : 

«Dieu, notre Sauveur! qui avons-nous à craindre? 
« Que le Christ ressuscite et que ses ennemis se dis- 
«persent! 

«Donné à Saint-Pétersbourg, le 21 février*» 

Le mouvement des troupes et des vaisseaux qu'on 
expédiait des côtes de France et d'Angleterre vers 
l'Orient s'effectuait au moment où la rigueur de la 



CHAPITRE Lxn. 277 

saison avait suspendu les opérations militaires dans ism. 
la mer Noire et sur les bords du Danube. 

Nous avons vu revenir à Constantinople, dans les 
premiers jours de janvier, les bâtiments ottomans 
qui avaient porté des troupes et du matériel à Ba- 
toun, sur les côtes d'Asie, et nous avons dit que les 
flottes combinées , après l'heureux débarquement du 
convoi turc, avaient fait voile vers Sébastopol, pen- 
dant que les navires turcs rentraient à Constanti- 
nople pour prendre un nouveau chargement. Les 
flottes combinées tinrent la mer jusqu'au 20 janvier, 
et firent une croisière des plus pénibles. Elles es- 
suyèrent de fort gros temps, et luttèrent nuit et jour 
contre les rafales subites et les tempêtes effroyables 
qui rendent cette mer si dangereuse, et qui lui ont 
mérité le nom sinistre qu'elle porte. Le mauvais 
temps, la fatigue des équipages et la nécessité de 
renouveler leurs approvisionnements, déterminèrent 
les amiraux à opérer leur retour à Constantinople. 
Ils jetèrent l'ancre, mais momentanément, dans la 
rade de Béïcos. Ils n'avaient rencontré dans leur 
croisière aucun bâtiment russe, car tous s'étaient 
retirés dans leurs différents ports, laissant aux alliés 
la possession exclusive de la mer. 

Pendant que les escadres se réparaient et faisaient 
leurs approvisionnements, les navires turcs, tant 
de guerre que simples transports, se chargeaient de 
nouveaux renforts préparés en toute hâte. Sous l'es- 
corte des flottes anglaise et française , deux nouveaux 



L 



S78 HISTOIRE DE LA GUCRIIE D*ORIEMT. 

i9u. convois considérables prirent la mer dans les pre- 
miers jours de février, l'un pour se rendre à Varna, 
où il arriva le iO février, l'autre pour porter à Ba- 
toun un second corps de troupes avec beaucoup de 
matériel. Ces deux convois étaient à peine arrivés à 
leurs destinations, que les tempêtes ne permirent 
plus aux escadres combinées, ni aux flottes russes 
de se montrer dans la mer Noire. 



CHAPITBE LXm. 

iBfiimetlon greeqve. — P»portteB9 de U révolte dM teMt. — Ordrtg 

rigoiirevx dv DiTan. — Errevr des Grées. — Répressien. 

L'Europe étonnée avait vu les mouvements insur- 
rectionnels de la Grèce éclater presque le jour même 
où l'on publia la déclaration de guerre de la Turquie 
contre la Russie. 

Des émissaires n'avaient cessé depuis lors de tra- 
verser la Turquie, de la parcourir d'un bout à l'autre. 
Ces émissaires n'étaient pas des Russes, mais bien 
des Grecs et des Slaves. Tous n'échappèrent pas à la 
vigilance de la police turque; car le 20 janvier, on 
mit en arrestation à Constantinpple un moine, le 
père Athanase, prêtre grec, de la Société des été- 
ristes, ainsi que plusieurs officia[*s grecs et le baron 
russe Œlsner, Ces messieurs étaient la tète d'une 



CHAPITRE LXIII. 279 

vaste conspiration contre la Porte, comme le dé- i^u, 
montrèrent les papiers importants, trouvés chez le 
baron Œlsner , qui dévoilèrent toute cette conspira- 
tion qui, de la Bulgarie, de Janina, Salonique, Mon- 
ténégro et Smyrne, s'étendait aux principales îles 
de l'archipel grec et avait ses principaux centres à 
Athènes, Constantinople et Bucharest. Ce fut grâce 
à ces intrigues fomentées de longue main , et avec 
une habileté digne de Machiavel, qu'une révolte sé- 
rieuse éclata sur les frontières de l'Albanie, de la 
Macédoine et de la Thessalie. Les insurgés avaient 
formé un corps nombreux d'Arnautes et de Grecs. 
En apprenant que Janina était soulevée et que les 
insurgés s'organisaient et commençaient à agir, les 
troupes turques de la frontière du Monténégro se 
mirent en marche contre les révoltés ; mais déjà l'in- 
surrection s'était développée. Elle s'étendait dans 
l'Épire et prenait de grandes proportions. Ces agi- 
tations, que les menées de la Russie excitaient parmi 
les Grecs qui habitaient les États ottomans , préoc- 
cupèrent vivement les gouvernements de France et 
d'Angleterre. L'Autriche dut y reconnaître la viola- 
tion des principes politiques qui jusque-là avaient 
été suivis et proclamés par le cabinet russe. 

Dans la Chambre des communes, un orateur ob- 
serva judicieusement qu'il fallait que l'Angleterre et 
la France, par une protection avouée, active et re- 
connue, pussent inspirer aux Grecs une pleine con- 
fiance dans leur haute protection, et les détourner 



280 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1854. de la sollicitude ambitieuse et si intéressée de Tem* 
pereur de Russie. 

Le cabinet ottoman, instruit de cette prise d'armes 
des révoltés, transmit des ordres positifs et rigou- 
reux aux pachas de Janina et de Larisse sur les 
mesures à prendre contre les rebelles. Chacun de 
ces pachas eut 10,000 hommes à sa disposition. On 
ne saurait assez admirer l'énergie déployée alors par 
les autorités turques pour comprimer ce mouvement 
insurrectionnel, habilement préparé par la Russie, 
comme un puissant auxiliaire qui devait détourner 
une partie des forces turques, pendant que les Russes 
traverseraient le Danube, battraient les troupes d'O- 
mer-Pacha, franchiraient les Balkans et s'empare- 
raient de Gonstantinople avant l'arrivée des renforts 
que pourraient expédier les puissances occidentales. 
C'est dans ce but qu'avait été organisée cette for- 
midable insurrection, à laquelle se rattachaient des 
armements faits dans le Monténégro et la Servie qui 
se liaient étroitement les uns aux autres. Ces arme- 
ments obligèrent les Turcs à manœuvrer de manière 
à empêcher toute communication militaire entre la 
Servie et le Monténégro. Le pacha de Scutari con- 
centra toutes ses troupes pour les employer sur la 
frontière, afin de mettre obstacle à la jonction des 
Monténégrins avec les Grecs insurgés. Ces derniers 
rêvaient un État fédératif, et il était question d'y 
comprendre, avec tout le royaume grec, continent 
et îles, les tles Ioniennes elles-mêmes, qu'on enlè- 



CHAPITRE LXIII. 281 

verait aux Anglais. Mais cet État fédératif ne devait i854. 
pas être soumis au protectorat de la Russie. C'est 
ainsi que l'insurrection grecque, mise en action par 
les émissaires russes, croyait s'organiser en État in- 
dépendant, tandis qu'elle ne travaillait que pour le 
compte de la Russie, qui la laissait dupe de ses illu- 
sions. Si les Grecs pouvaient en douter, nous leur 
soumettrions ce passage du n^ 6 des documents 
diplomatiques, relatifs à la question d'Orient, inti- 
tulés : Correspondance secrète et confidentielle. Sir 
H. Seymour y raconte à lord Russel la communication 
suivante que venait de lui faire l'empereur Nicolas 
(6 mars 1853) : 

« Je (Nicolas) ne permettrai Jamais une tentative. 
« de reconstituer un empire byzantin , ou une ex- 
« tension telle de la Grèce, qu'elle pût devenir un 
« État puissant. Encore moins permettrai-je le dé- 
« membrement de la Turquie en petites républiques, 
< asiles des Kossuth, des Mazzini et des autres ré- 
« volutionnaires de l'Europe. Plutôt que de me sou- 
^ mettre à quelqu'un de ces arrangements, je ferai 
<r la guerre et aussi longtemps que je pourrai dis- 
« poser d'un honune et d'un mousquet. » 

L'énergie des mesures employées contre les ré- 
voltés les empêcha d'obtenir le succès qu'ils espé- 
raient. La loi martiale fut proclamée dans les pro- 
vinces insurgées, et les autorités turques firent 
fusiller ceux des agitateurs qui furent pris les armes à 
la main. Les ambassadeurs de France et d'Angleterre 



282 HISTOIRE DE LA GUERRE D'oRIENT. 

i«64. voulurent coopérer à la répression immédiate de l'in- 
surrection et l'arrêter à son début. Ils envoyèrent en 
Grèce deux bâtiments à vapeur ayant pour mission de 
porter secours aux Turcs. Les ambassadeurs crai- 
gnaient avec raison que cette révolte ne passât 
bientôt les frontières de l'Albanie et ne s'étendît à 
toute la Grèce. Cette crainte était motivée sur le 
départ de 1,500 Grecs qui s'étaient rendus à Janina 
pour prendre part au mouvement. 



CHAPITRE LXIV. 

'gemmation des eabioetf de Paris et de Londrei à eeloi de Saint-Pétersbonrg. 
— Béolaratienfl de la Pmsse etderAvtriehe. — Veminatien des généraux 
en ehef. 

Le départ des ambassadeurs avait opéré la rup- 
ture des relations diplomatiques entre la Russie et 
les puissances occidentales. Le refus d'adhésion à 
toutes les propositions était un nouveau pas fait vers 
la guerre ; mais ce n'était pas encore l'état de guerre 
déclarée. La Russie avait intérêt à user de ses len-^ 
leurs habituelles. Pour provoquer l'ouverture des 
hostilités, il fallait donc une déclaration préalable, 
nette et précise. C'est pour arriver à cette déclara- 
tion que les deux gouvernements de France et d'An- 
gleterre adressèrent à l'empereur de Russie une 
sommation formelle d'avoir, dans un délai de six 
jours, à prendre l'engagement solennel d'évacuer 



Mars. 



CHAPITRE LXIV. 283 

les Principautés avant le 30 avril. Le refus de la 1854. 
Russie de répondre ou d'obtempérer à cette com- 
munication serait considéré comme une déclaration 
de guerre. 

Les courriers porteurs de cette sommation quit- 
tèrent Londres et Paris le 28 février. Ils durent 
faire connaître aux cabinets de Prusse et d'Autriche 
la sommation dont ils étaient porteurs , en les invi- 
tant à adhérer à un traité d alliance entre les quatre 
grandes puissances. 

Cette notification provoqua deux déclarations offi- 
cielles des gouvernements de Prusse et d'Autriche. 
Ces deux pièces étaient de la plus haute importance 
et jetaient une vive lumière sur l'état politique de 
l'Europe. 

Le langage de l'Autriche, sans être très-explicite, 
était clair et assez ferme. L'Autriche rappelait haute- 
ment que le gouvernement impérial (d'Autriche) était 
convaincu que la sommation péremptoire faite par 
les deux puissances occidentales à la Russie se fon- 
dait sur des droits réels auxquels elle avait constam- 
ment adhéré, et à l'appui de sa déclaration, le gou- 
vernement autrichien poursuivit activement et sans 
relâche ses préparatifs de guerre. 

La Prusse seule renonça à toute espèce de parti- 
cipation aux mesures actives projetées par les autres 
puissances. Son refus de concours était une conces- 
sion importante à la Russie. Elle aggrava la position 
générale du continent, en neutralisant le rôle que le 



284 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

1)54. peuple allemand était invité à rem^rfir. La cour de 
Prusse 9 hésitante et faible, publia cette déclaration 
de non-adhésion au traité proposé par les puissances 
occidentales, après avoir été vivement pressée par les 
autres puissances. Elle se sépara non -seulement de 
la politique générale de l'Europe, mais encore elle 
s'opposa expressément aux mesures que réclamait et 
que recommandait T Autriche elle-même. Et cepen- 
dant, peu de jours après, M. de Manteuffel disait 
dans la Chambre prussienne : cLe gouvernement fera 
€ prochainement des communications à la Chambre. 
« Elle verra qu'il n'a pas dévié de sa politique. Les 
ff flottes qui entrent dans la Baltique appartiennent à 
<î des puissances avec lesquelles la Prusse est en paix 
« et en bonne intelligence. » 

Ces puissances s'embarrassèrent peu de ces hési- 
tations , ou même de cette opposition. On passa outre 
fort résolument. 

Un des premiers actes des puissances belligérantes 
fut la désignation des généraux qui devaient conduire 
les opérations de la guerre et commander les formi- 
dables armées qui allaient se trouver en présence. 

Le prince Paskewitsch fut nommé au commande- 
ment de l'armée russe sur le Danube. Il était plus 
que septuagénaire , et la vieillesse le rendait infirme. 
On assurait, au sujet de ce choix, que l'empereur 
Nicolas, dont l'esprit était superstitieux et soumis 
aux idées mystiques, regardait le prince Paskewitsch 
comme son étoile. Sa confiance en lui n'avait pas ab« 



1 1 



CHAPITRE LXIV. 285 

solument pour base le génie militaire, ni sa grande 1854. 
autorité sur l'armée; Paskewitsch était, pour Tempe- 
rem' Nicolas, un palladium; c'était le signe mysté- 
rieux du czar : hoc signo vinces. C'était, en effet, le 
prince Paskewitsch qui avait terminé, en 1899, la 
guerre du Caucase, qui lui avait valu le titre de comte 
d'Erivanski, celle de Pologne, en 1832, qui lui fit 
accorder le titre pompeux de prince de Varsovie ; et , 
enfin, c'est Paskewitsch encore qui mit fin, en 1849, 
à la guerre de Hongrie. La guerre nouvelle était une 
rude charge pour ce noble vieillard. Un tel fardeau 
ne convenait ni à son âge , ni à ses forces. Il devait 
craindre lui-même de compromettre son ancienne 
gloire. Soldat, il obéit. 

Lord Raglan, connu sous le nom de Fitz-Roy Som- 
merset, fut revêtu des fonctions de général en chef des 
troupes anglaises, formant le corps expéditionnaire 
en Turquie , c'était un fort digne choix. Lord Raglan 
avait fait son appraitissage militaire sous les ordres 
du duc de Wellington , qui l'avait remarqué et l'avait 
fait son aide de camp. Il avait servi en cette qualité 
dans de nombreuses campagnes , et s'était trouvé à 
côté du héros anglais dans les batailles les plus mé- 
morables. Un boulet français lui avait emporté un 
bras. Doué d'une bravoure antique, lord Raglan pos- 
sédait à fond la science miUtaire et passait comme 
un homme de guerre éprouvé, dont le coup d'œil 
était juste sur le champ de bataille, comme sa sa- 
gesse dans le conseil. Ce général se rendit à Paris 



286 HISTOIRB OB LA GUERRE D'ORIENT. 

iwi. daos les derniers jours de février, pour s'entendre 
avec les autorités françaises sur le meilleur plan de 
campagne à adopter en Turquie par les forces com- 
binées. Les fatigues de la guerre et la sombre dou- 
leur d'être témoin impuissant des pertes énormes de 
l'armée anglaise, sans compensation de gloire et 
d'avantages satisfaisants , allaient briser l'âme de ce 
noble vétéran , dont le dernier soupir devait s'exhaler 
aux pieds des remparts de Sébastopol qui ne pou- 
vaient être emportés et conquis que par la vaillance 
indomptable des soldats français. 

Le gouvernement français n'avait pas encore fait 
son choix. Il y avait encore de l'hésitation sur le gé- 
néral auquel serait confiée cette grande mission. 



CHAPITRE LXV. 

Mmoui 4t r«MptrMr Kapoléts m au ohMibrM. — Im tilltés proelwliiM. 

— Le roi de FrusM to^Jonn hésitant. — Harche réf olae 4e Napeléen. 

— Bxécntion de Tentreprise. — Flottes. — Lear eomposition. — Départ. 

Le discours prononcé, le 3 mars, par l'empereur 
Napoléon, à l'ouverture de la session législative de 
i 854 , apprit à l'Europe que les hostilités étaient pro- 
chaines. Nous ne citerons de ce discours que ce qui 
avait trait à la guerre. 

« Messieurs les Sénateurs , Messieurs les 
«Députés, 

(( L'année dernière, dans mon discours d'où* 



--] 



CHAPITRE LXV. 287 

c( verture, je promettais de faire tous mes efforts poiur i«54. 
« maintenir la paix et rassurer l'Europe. J'ai tenu pa- 
«role. Afin d'éviter une lutte, j'ai été aussi loin que 
<;: me le permettait l'honneur. L'Europe sait mainte- 
« nant, à n'en plus douter, que si la France tire l'é- 
ct pée , c'est qu'elle y aura été contrainte. Elle sait 
«que la France n'a aucune idée d'agrandissement. 
e Elle veut uniquement résister à des empiétements 
« dangereux; aussi, j'aime à le proclamer hautement, 
(de temps des conquêtes est passé sans retour, car 
(( ce n'est pas en reculant les limites de son terri- 
atoire, qu'une nation peut désormais être honorée 
« et puissante; c'est en se mettant à la tête des idées 
«généreuses, en faisant prévaloir partout l'empire 
« du droit et de la justice. Aussi , voyez les résultats 
« d'une politique sans égoïsme et sans arrière-pen- 
«sée. Voici l'Angleterre, cette ancienne rivale, qui 
« resserre avec nous les liens d'une alliance de jour 
«en jour plus intime, parce que les idées que nous 
«défendons sont en même temps celles du peuple 
« anglais. 

« L'Allemagne, que le souvenir des anciennes guer- 
« res rendait encore défiante, et qui, par cette raison, 
«donnait, depuis quarante ans, peut-être trop de 
«preuves de déférence à la politique de Saint-Péters- 
« bourg, a déjà recouvré l'indépendance de ses allu- 
« res, et regarde librement de quel côté se trouvent 
«ses intérêts. L'Autriche surtout, qui ne peut pas 
« voir avec indifférence les événements qui se prépa** 



288 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

lAM. crent, entrera dans notre alliance et viendra ainsi 
c confirmer le caractère de moralité et de justice de 
c la guerre que nous entreprenons. 

t Voici, en effet , la question telle qu'elle s'engage. 
«L'Europe y préoccupée de luttes intestines depuis 
«quarante ans, rassurée d'ailleurs par la modération 
«de l'empereur Alexandre, en i845, comme par 
«celle de son successeur jusqu'à ce jour, semblait 
« méconnaître le danger dont pouvait la menacer la 
«puissance colossale qui, par ses envahiss^nents 
« successifs , embrasse le Mord et le Midi , qui pos- 
« sède presque exclusivement deux mers intérieures, 
« d'où il est facile à ses armées et à ses flottes de 
« s'élancer sur notre civilisation. Il a suffi d'une pré- 
« tention mal fondée, à Gonstantinople , pour réveiller 
« l'Europe endormie. 

- «Nous avons vu, en eflet, en Orient, au milieu 
«d'une paix profonde, un souv^ain exiger tout à 
«coup de son voisin plus faible, des avantages nou- 
« veaux, et, parce qu'il ne les obtenait pas, envahir 
«deux de ses provinces. Seul, ce fait devait mettre 
«les armes aux mains de ceux que l'iniquité révolte. 
« Mais nous avions aussi d'autres raisons d'appuyer 
«la Turquie. La France a autant, et peut-être plus 
« d'intérêt que l'Angleterre à ce que l'influence de la 
«Russie ne s'étende pas indéfiniment à Constanti- 
«nople, car régner sur Gonstantinople, c'est régner 
« sur la Méditerranée, et personne de vous, Messieurs, 
«je le pense, ne dira que l'Angleterre seule a de grands 



CHAPITRE LXV. 289 

« intérêts sur cette mer, qui baigne trois cents lieues 1854. 
«de nos côtes. D'ailleurs, cette politique ne date pas 
«d'hier; depuis des siècles, tout gouvernement na- 
(' tional, en France, l'a soutenue; je ne la déserterai 
«pas. 

« Qu'on ne vienne donc plus nous dire : Qu'allez- 
«vous faire à Constantinople ? Nous y allons avec 
«l'AngleteiTe pour défendre la cause du sultan, et, 
«néanmoins, pour protéger les droits des chrétiens. 
« Nous y allons pour défendre la liberté des mers et 
« notre juste influence dans la Méditerranée. Nous y 
« allons avec l'Allemagne pour l'aider à conserver le 
«rang dont on semblait vouloir la faire descendre 
« pour assurer ses frontières contre la prépondérance 
« d'un voisin trop puissant. Nous y allons enfin avec 
« tous ceux qui veulent le triomphe du bon droit, de 
« la justice et de la civilisation. 

«Dans cette circonstance solennelle, Messieurs, 
« comme dans toutes celles où je serai obligé de faire 
« appel au pays, je suis sûr de votre appui, car j'ai 
«toujours trouvé en vous les sentiments généreux 
« qui animent la nation. Aussi, fort de cet appui, de 
« la noblesse de la cause , de la sincérité de nos al- 
«liances, et confiant surtout dans la protection de 
« Dieu , j'espère arriver bientôt à une paix qu'il ne 
«dépendra plus de personne de troubler impuné- 
« ment, d 

De son côté, l'empereur Nicolas, dans un long 

mémorandum adressé à ses agents à l'étranger, jus- 

19 



290 HISTOIRE DE LA GUERRE D*0R1ENT. 

1854. tifia sa conduite, et rejeta sur les cabinets de France 
et d'Angleterre les terribles éventualités de la guerre. 
Il se plaignit de l'état de suspicion où il avait été 
placé y et de la conlSance qu'on lui avait refusée. Il 
dit que l'occupation des Principautés n'était pas plus 
un casus belli que le siège d'Anvers, l'occupation 
d'Ancône par la France, et le blocus du Pirée avec 
la capture des bâtiments grecs par l'Angleterre. 

Dans son discours, l'empereur Napoléon avait gardé 
le silence sur la Prusse; on en avait été générale- 
ment frappé. Mais les motifs de ce silence ressor- 
taient de tous les actes du roi Frédéric -Guillaume. 
Napoléon fit sagement de se taire sur la conduite de 
ce souverain, bien qu'il s'exprimât avec un peu trop 
de confiance sur celle de l'empereur d'Autriche. Le 
gouvernement prussien paraissait jouer en ce moment 
un jeu double. Il tenait un pied dans chaque camp 
et posait un doigt dans chacun des bassins de la ba- 
lance. Il affectait même de voir le danger sur le Rhin 
plutôt que sur la Baltique. Les hésitations, les irré- 
solutions du roi de Prusse étaient un singulier mys- 
tère, car ce prince avait tenu à la Russie un langage 
ferme qui indiquait l'intention de braver les consé- 
quences d'une séparation , sinon d'une rupture. Il se 
posait en souverain indépendant dans ce moment, 
tandis qu'il se faisait un rôle subalterne , celui d'un 
roi qui attend les événements pour avouer une poli- 
tique dans laquelle, avec de la décision, il aurait eu 
pour lui, de suite, l'appui de toute l'Europe réunie. 



CHAPITRE LXV. 291 

Ses illusions étaient grandes. L'histoire lui deman- issi/ 
dera comment il a pu abandonner, dans une circon- 
stance si grave, les intérêts de l'Allemagne et sur- 
tout ceux de la nation prussienne. 

La marche résolue et ferme de la France contras- 
tait avec celle de la Prusse. L'empereur Napoléon 
déclarait à la face du monde que la France tirait son 
épée, que ses armées dq terre et de mer allaient à 
Constantinople défendre le sultan, arrêter les em- 
piétements de la. Russie et protéger les droits des 
chrétiens. Cette détermination, à peine connue, avait 
déjà fait cesser l'espèce de vassalité qui pesait sur 
quelques puissances allemandes, qui reprirent, dès 
ce moment, la liberté de leurs allures. 

Tout marchait vers Texécution de cette grande 
entreprise. La frégate à vapeur le Christophe Colomb 
reçut l'ordre de se tenir prête à prendre la mer le 
7 mars. Parmi ses passagers se trouvèrent quinze 
officiers supérieurs qui se rendaient à Constanti- 
nople. Tous les officiers de marine en congé ou en 
permission furent avisés de rejoindre leurs ports 
respectifs, et l'on transmit à Toulon l'ordre d'em- 
barquer l'expédition française du 4 5 au 20 mars. 

Les Anglais, avant de faire entrer leurs vaisseaux 
dans la Baltique, avaient pris les mesures de pré- 
caution qui ne font jamais défaut à leur vigilance 
habituelle pour assurer leurs succès maritimes. Ils 
envoyèrent en avant la frégate à vapeur l'Hécla, 
ayant à son bord plusieurs officiers de marine, in- 



iOâ HISTOIRE DE LA GUERRE d'oRIENT. 

i^. génieui*s hydrographes, avec mission de faire exécu- 
ter des sondages et d'explorer les côtes de la Bal- 
tique. 

Ils demandèrent aussi, d'accord avec la France, 
Tautorisation de faire stationner les flottes combi- 
nées à Kiel, port spacieux et sûr du Holstein. Le 
gouvernement danois ne pouvait pas faire une ré- 
ponse négative. 

La flotte anglaise précéda la flotte française dans 
la Baltique, parce qu'on espérait pouvoir attaquer 
les vaisseaux russes, que les glaces auraient pu em- 
pêcher, jusque-là, de se mettre à l'abri derrière 
Cronstadt. D'ailleurs, la flotte de l'amiral Parseval 
Deschênes n'était pas prête. Elle attendait de Toulon 
X Hercule et le Duguesclin et quelques autres vais- 
seaux et frégates de différents ports. Le vaisseau 
l'Austerlitz fut le seul vaisseau français qui accom- 
pagna l'escadre anglaise. 

La première division de cette flotte partit de Ports- 
mouth pour sa destination guerrière, au milieu des 
applaudissements de milliers de spectateurs, en pré- 
sence de la reine et de la famille royale, et accom- 
pagnée des vœux de toute la nation anglaise. Sir 
Charles Napier avait sous ses ordres une flotte de 44 
navires, comptant 22,000 hommes d'équipages, et 
2,200 canons. Ces navires étaient mus par une force 
de 16,000 chevaux de vapeur. Six bâtiments seule- 
ment étaient privés de cet auxiliaire si puissant. La 
flotte passa le canal sur deux lignes et par un ciel 



CHAPITRE LXV. 



293 



sans nuages. Sir Charles Napier donna pour premier 
ordre à chaque vaisseau de prendre une double ra- 
tion de chloroforme!! Mais cette flotte îie devait pas 
entrer dans la Baltique avant la déclaration de guerre 
de l'Angleterre à la Russie. 



1S54 



Composition de Vescaire anglaise de la Baltique, 

Commandant en chef: Sir Charles Napier. 

Commandant en second sous les ordres de Tamiral : les 
contre-amiraux Chads et Corry. 

PRBMrinW DIYISIOH. 

Vaiêseaux à héiCê : Oanons. Hommes. Capitaines. 

Duc-de-Wellington 130 llÔO Gordon. 

Royal-Georges 121 960 Codrington 

Saint-Jean-d'Acre 102 980 Keppel. 

Princesse-Royale 91 820 Lord Payet. 

Cressy 81 750 Warrkn. 

Boscawen 70 600 Glanville. 

Edinburgh 58 600 Hewles. 

Bleinhelm 60 600 Pelham. 

Hogue 60 600 Ramsay. 

Ajax 58 600 Warden. 

Vaisseaux d voiles : 

Neptune 120 970 Hulton. 

Prince-Régent 90 840 Smith. 

Monarch 84 750 Erskïne. 

Frégates à hélice : 

Impérieuse 51 530 Wasson. 

Euryalus 51 530 Ramsay. 

Arrogant 47 450 Yelverton. 

Amphion 34 300 Key. 

Tribune , . . , , , 3t 300 Carnegik, 



1B54. 



294 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

Steamers i rouée : Oanont. Houmet. CApiuinei. 

Léopard 18 560 Gifford. 

Odin 16 560 Scott. 

Magicienne 16 400 Fisher. 

Valorous 16 400 Buckle. 

Rulldoy 6 500 Halt. 

Gorgon 6 320 Cuntung. 

Diuxdma Divinov. 
Vaiêsettux d héUee : 

Caesar 91 830 Robb. 

Jean-WaU 91 830 Elliot. 

Nile 91 830 Martin. 

Majeslic 91 780 Hope. 

Vaiêâeêux d voiles : 

Saint-Georges 120 970 Evres. 

Waterloo 120 970 Lord Kerr. 

Saint-Vincent 101 900 Scott. 

Plus une douzaine environ de bâtiments à vapeur 
de toutes classes. 



CHAPITRE LXVI. 

Inpnint. — 8«eeèt Maplet. -— Rapport 4e H. BiMan à reaparovr. — 
Difrérenee dei aoyena antre la Franee et l'Angleterre. — Tentative d« 
esar inr le roi de Bnède, 

Ces grandes expéditions de troupes et Farmement 
de flottes si formidables nécessitaient des dépenses 
immenses. Pour y subvenir, le gouvernement fran- 
çais saisit le Corps législatif d'un projet de loi ayant 
pour but d'autoriser le ministre des finances à con- 
tracter un emprunt de 250 millions. Ce projet, pré- 



CHAPITRE LXVI. 295 

sente dans la séance du 6 mars , fut voté le lende- 1854. 
main 7, à l'unanimité, et présenté le même jour à 
la sanction de l'empereur. 

Le succès de cet emprunt fut complet. Le ministre 
des finances, M. Bineau, dans son rapport à l'em- 
pereur sur cet emprunt, s'exprima ainsi : «Sire, 
« Votre Majesté m'a autorisé à procéder par sous- 
(c cription publique à l'emprunt de 250 millions, et 
« du 14 au 25 mars, les registres ont été ouverts 
« aux chefs-lieux des départements et des arrondis- 
d sements de l'empire. La France a noblement ré- 
(f pondu à la confiance de Tempereur. Dès le premier 
« jour, la souscription publique était devenue une 
« souscription nationale : 98,000 souscripteurs se 
a: sont fait inscrire, et la souscription s'élève à 467 
« millions. La France a donné son énergique ad- 
« hésion à la politique suivie par son gouvernement 
(( dans les grandes circonstances où l'Europe vient 
« d'entrer. ï> 

Les moyens de pousser la guerre étaient ainsi 
assurés en France. En Angleterre, le chancelier de 
l'Echiquier avait aussi demandé un supplément à 
la contribution immobilière dite incame tax. Pour 
les Anglais, il n'y avait pas besoin de recourir au 
crédit: les recettes courantes devaient couvrir Tex- 
cédant des dépenses *. 



1. La différence qui existe dans la situation finandëre de la 
France et celle de TAngleterre nous porte à consigner ici ce 



296 HISTOIRE DE LA GUERRE D^ORIENT. 

i«M. Nous avons parlé du refus que l'empereur Nicolas 
avait fait de reconnaître la neutralité que voulaient 
garder la Suède et le Danemark. La persistance de ces 
deux gouvernements à rejeter les propositions de la 
Russie et une alliance étroite avec elle avait laissé 
apercevoir à l'autocrate une arrière-pensée de s'al- 
lier tôt ou tard aux puissances occidentales. Pour 
écarter cette résolution que pouvaient prendre ces 
deux cabinets, le czar adressa des instructions pres- 
santes à M. Doschekoff, son ambassadeur près la 
cour de Suède, et fit entendre qu'au besoin la flotte 
russe ferait une démonstration sur Stockholm. 

La Suède prit aussitôt ses mesures pour défendre 
la politique qu'elle s'était faite. Elle augmenta consi- 
dérablement sa flotte, ainsi que son armée de terre. 



qui se passa dans les deux pays au sujet des subventions né- 
cessitées pour la guerre. L'Angleterre, pour subvenir aux frais 
de cette guerre, rétablit Vincome tax^ et demanda à cet impôt 
immobilier un supplément actuel de soixante - quinze millions 
de francs. 

Tout au contraire, le ministre français, dans son exposé des 
motifs pour lemprunt de deux cent cinquante millions , dit : 
que les frais de la guerre actuelle devaient être payés par la 
paix ; qu'il fallait les demander à l'avenir et non au présent ; 
tandis que le chancelier de l'Échiquier demandait au présent 
de supporter la dépense de la guerre actuelle, parce que, la 
dette anglaise étant plus élevée que les dettes de toutes les 
puissances réimies , il ne fallait pliis y ajouter qu'en cas d^ 
grandes et absolues nécessités, 



CHAPITRE LXVII. 297 

L'entrée prochaine des escadres anglaise et française lasé. 
la rassurait d'ailleurs contre toutes les tentatives de 
la Russie. 



CHAPITRE LXVII. 

Le ezar g'irrite centre l'Angleterre et surtout contre lord Rnssel. — 
Article yloleat dn Journal de Saint-Pétersbourg. — Interpellatlen à 
Lendrei* — Correspondance diplomatique communiquée ; son importance. 

Mais ce qui se passait en Angleterre préoccupait 
bien autrement l'empereur Nicolas. Il se sentait con- 
fus et humilié des avances qu'il avait faites en pure 
perte à cette nation qui , par l'organe de ses orateurs 
et par toutes ses feuilles publiques, s'attaquait alors 
à sa personne qu'elle insultait, et à sa puissance 
qu'elle bravait et voulait affaiblir. Il fut surtout gran- 
dement irrité du langage tenu en plein Parlement 
par lord John Russel. Un article du Journal de Saint- 
Pétersbourg^ du 2 mars, reprocha vivement au mi- 
nistre anglais son langage amer, ses sanglants ou- 
trages contre l'empereur Nicolas, et son intempérance 
de langage contre un souverain auquel son pays n'a- 
vait pas encore déclaré la guerre L'article pour- 
suivait : 

«Ce qui importe dans ce discours, ce ne sont 
point les invectives du minislxe; c'est la nature des 
déterminations qu'il révèle de la part du gouverne- 
ment anglais. Il devient désormais évident que la 
pai)^ du monde ne dépend plus seulement du hasard, 



298 HISTOIRE DE LA GUERRE D^ORIENT. 

t8M. mais que la guerre entre bien décidément dans les 
plans arrêtés du ministère anglais. 

« Là devait forcément aboutir cette fatale mé- 
fiance qui, dans la question d'Orient, a été le germe 
de toutes les difficultés antérieures et qui va les 
conduire enfin au plus déplorable dénoûment. 

«Que cette méfiance eût pu être conçue par la 
France, qu'elle ait jusqu'à un certain point trouvé 
place dans l'esprit d'un gouvernement encore récent, 
n'ayant pas eu le temps d'acquérir par une longue 
expérience de nos relations avec lui une notion 
exacte de nos intentions véritables, et, cédant invo- 
lontairement à l'opinion presque traditionnelle qu'on 
s'est faite de la politique russe en Orient, c'est ce 
qui se conçoit aisément; mais de la part de l'Angle- 
terre, éclairée sur les antécédents et le caractère de 
l'empereur par des rapports de longue date, un sen- 
timent de cette nature a droit de surprendre. Moins 
qu'aucun autre , le gouvernement britannique aurait 
dû accueillir de pareils soupçons. H a dam les mains 
la preuve écrite qu'ils ne reposent sur aucun fonde- 
ment. ID 

L'article se terminait en rappelant que la position 
douteuse de l'empire turc et les éventualités qui 
pouvaient se présenter avaient déterminé le cabinet 
russe à s'épancher avec abandon et franchise avec 
les ministres anglais. Il disait que cette correspon- 
dance aurait dû éviter à lord Russel de se laisser 
aller à des préventions regrettables. L'empereur 



CHAPITRE LWlh 299 

s'était expliqué de manière à ne laisser aucun doute i864 
sur ses intentions. Interpellé au sujet de cet article 
du Journal de SairU-Pétersbourg ^ dans la Chambre 
des lords, par le comte de Derby, lord Aberdeen 
répondit : que la déclaration du cabinet russe rele- 
vait le gouvernement anglais de la réserve qu'il 
s'était imposée; que la correspondance dont il était 
question serait communiquée au Parlement et qu'elle 
parlerait elle-même. 

C'est donc bien le manifeste impérial publié par 
le Journal de Saint-Pétersbourg y qui fit prendre cette 
grave et inusitée détermination ; et c'est ainsi que 
la collection déjà si riche des documents diploma- 
tiques relatifs à la guerre d'Orient, s'augmenta par 
la publication de ces nouvelles dépêches , dont nous 
avons déjà parlé et qui offrent le plus vif intérêt. 
Elles contiennent les communications échangées au 
commencement de \ 853 , entre le cabinet anglais et 
la cour de Saint-Pétersbourg , à propos de proposi- 
tions de partage de la Turquie, faites plusieurs fois 
par l'empereur Nicolas , même à l'époque de son 
voyage en Angleterre en 1844. 

Cette correspondance n'avait pas été communiquée 
au Parlement anglais. Elle avait été jugée sans doute 
comme étant d'une nature trop intime. Elle était 
considérée ainsi par le gouvernement russe , qui di- 
sait dans son manifeste : « Il ne nous est pas permis 
« de divulguer des documents non officiels , dont le 
<( secret n'appartient pas à l'empereur seul , et qui 



300 HISTOIRE DE LA GUERRE D*ORIENT. 

1^* 9^ renferme les épanchements d'une confiance alors 
<r mutuelle. )^ 

Cette publication fut une précieuse révélation pour 
l'histoire de la question d'Orient. Elle donna lieu à 
des analyses et à des conclusions bien opposées. 
L'Angleterre n'y aperçut qu'un beau rôle rempli par 
ses ministres, qui avaient refusé péremptoirement 
de s'associer à tout changement dans le statu quo de 
l'Europe , comme étant une source de difficultés et 
de périls pour le monde. 

La Russie en tira la preuve de sa loyauté et de sa 
modération, qui ne voulait que prévenir des désor- 
dres et une confusion fâcheuse pour le repos de 
l'Europe. 

Malgré ce langage , la France dut voir dans cette 
correspondance avec quel dédain l'empereur de Russie 
la traitait; quelle indifférence il affectait pour les dé- 
cisions de son gouvernement dans cette grave ques- 
tion. « Lorsque nous (disait le czar) , Angleterre et 
«Russie, sommes d'accord, je m'inquiète peu de 
a: Touest de l'Europe; peu m'importe ce que disent ou 
(T font les autres puissances. » 

Ainsi la France ne valait pas la peine qu'on cher- 
chât à se la concilier ; son épée n'était d'aucun poids 
dans la balance politique ! ! 

Cependant cette correspondance prouve : que c'é- 
tait d'un œil jaloux que le czar suivait tous les mou- 
vements de ia France en Orient, qu'il nous enviait 
le protectorat que nous exercions depuis des siècles 



CHAPITRE LXVII. 301 

sur les lieux saints. On y voit combien il avait souf- 1854. 
fert de l'entrée du Charlemagne dans les Dardanelles, 
de Tapparition de la flotte française devant Tripoli. 
Tout y révèle , dans l'esprit de l'empereur de Russie, 
une idée de rivalité chagrine. Nos succès semblent 
au czar une atteinte mortelle à son influence à Gon- 
stantinople. N'était-ce pas là cependant rendre un 
hommage involontaire à cette puissance qu'il affec- 
tait de dédaigner et qui allait porter à son orgueil 
des coups si sensibles ? 

Dans ces conversations relatives à l'Orient, il ne 
fut pas question une seule fois de la Prusse, même 
par allusion. Rien ne prouvait mieux la position se- 
condaire à laquelle cet État était descendu , que ce 
fait , que l'empereur de Russie ne tenait pas plus de 
compte de ses intérêts ou de ses affections que de 
ceux du Wurtemberg ou de la Bavière. 

Relativement à l'Autriche, l'empereur avait dit: 
(( Lorsque je parle de la Russie, je parle en même 
« temps de l'Autriche : ce qui convient à l'une , con- 
(( vient à Vautre. i> 

Le Mofiiteur, au sujet de cette correspondance 
secrète et confidentielle , après avoir rappelé les har- 
diesses excessives de la Russie, dans ces confidences, 
et la manière dont elle refaisait la carte de l'Europe, 
ajoutait : 

(c Quant au gouvernement de l'empereur Napo- 
« lépn III , il n'a qu'une observation à faire sur le 
« soin avec lequel la Russie le laissait à l'écart dans 



302 HISTOIRE DE hk GUBRRB D*ORIENT. 

1864. <r ses plans de remaniement territorial y c'est que Ton 
« s'est retom*né vers lui après avoir échoué à Lon- 
« dres, et qu'il a eu à son tour à décliner des avances 
i( plus ou moins directes, qui ne sont point sans ana- 
« logie avec celles dont l'Angleterre avait été d'abord 
« l'objet. D 

Les Anglais applaudirent vivement à cette décla- 
ration du Moniteur relative aux offres faites à la France 
par M. de Kisseleff. Ils exaltèrent la loyauté et la sa- 
gesse de Napoléon III pour avoir résisté aux désirs 
et aux cajoleries de la Russie, sans savoir que l'An- 
gleterre les avait déjà repoussés. 

Si j'essayais mon analyse personnelle de cette cor- 
respondance si curieuse à tant de titres , je dirais : 
que les H. Seymour, les Redcliffe, les Russel et les 
Clarendon se sont montrés de très-habiles diplomates 
et qu'ils ont utilement servi les intérêts anglais. Ils 
ont atteint un but difficile et qu'ils n'avaient osé es- 
pérer d'abord *. 



1. Je consacre une admiration plus élevée et plus sympa- 
thique aux deux hommes d'État qui rendirent alors à la France 
de si éminents services. 

La diplomatie française, dirigée par M. Drouyn de Lhuys, a 
gardé dans le cours de ces longues négociations une attitude 
digne de notre grand pays. Jamais ministre des affaires étran- 
gères en France n'avait rédigé ses document en langage aussi 
élevé. Je rends un hommage profond à cet illustre homme 
d'État , qui fit preuve, durant son ministère, d'une si éclatante 



CHAPITRE LXYU. 303 

Mais que de révélations sortent pour moi des pa- 1354 
rôles de sir H. Seymour, rapprochées des actes diplo- 
matiques qui s'en sont suivis ! ! 

Il écrivait : « J'ai ( H. Seymour) exprimé ma con- 
« viclion que la négociation (du czar avec le sultan) , 
q: appuyée , comme je le supposais , de la menace de 
c( mesures militaires , suffirait pour assurer une ré- 
<ï ponse favorable aux Justes demandes de la Russie 
c( (aux justes ! !). J'ai ajouté qu'on pourrait prévoir 
«deux conséquences de l'apparition d'une armée 
c( russe sur les frontières de la Turquie : l'une , une 
(f contre-démonstration de la France , l'autre , etc. » 

Ainsi sir H. Seymour trouvait /m^/ô^ les demandes 
de la Russie , et sa conviction était que la négocia- 
tion , appuyée de la menace de mesures militaires , 
suffirait pour assurer une réponse favorable aux justes 
demandes de la Russie. Avec quel art profond la pro- 
babilité d'une expédition française est mise sous les 
yeux du czar , pour réveiller sa jalousie et lui faire 
brusquer les mesures militaires qu'il hésitait à pren- 
dre! Pour la clarté de nos conséquences, disons: 
que ceci se passait dans le courant de janvier 1853, 



capacité, et dont l'honnêteté et le patriotisme proclamés par 
tous doivent lui mériter la reconnaissance de la France. 

M. le marquis de La Valette le seconda avec une rare habi- 
leté, avec la dignité et la fermeté qui rehaussent tant son beau 
caractère : à lui aussi l'admiration et la reconnaissance pu- 
bliques. 



304 HISTOIRE DE LA GUERRB d'oRIENT. 

1854. et que le prince Menschikoff n'arriva à Gonstanti- 
nople pour remplir sa mission hautaine que le 28 fé- 
vrier suivant. Les demandes de la Russie , appuyées 
par la menace de mesures militaires , insinuées par 
sir H. Seymour, au mois de janvier précédent, ne 
parurent plus justes alors à lord Redcliffe, et l'on 
sait ce qui s'en est suivi. 

Mais les articles du Times des SS janvier et 6 fé- 
vrier 185S, mais le discours prononcé par lord Russel 
au Parlement quelques jours après , donnent lieu aux 
plus sérieuses réflexions et aux plus graves consé- 
quences. Le temps dévoilera la marche tortueuse et 
égoïste du cabinet britannique. Mais ce que nous en 
connaissons , nous force de résumer logiquement nos 
conclusions sur les faits constants des diplomates 
anglais. 

Sir H. Seymour, ambassadeur anglais à Saint- 
Pétersbourg , n'a cessé d'insinuer habilement au czar 
qu'il avait pris le beau rôle et qu'il ne devait pas être 
le jouet des incertitudes et des faiblesses du Divan , 
ni la victime des prétentions françaises. Il a constam- 
ment surexcité Tamour-propre du fier et si impé- 
tueux czar, pour le pousser à une démonstration 
compromettante vis-à-vis de l'Europe. Nous en ti- 
rons la preuve de la lettre ci-dessus, et de la manière 
dont le traita l'empereur Nicolas , lorsque , sur l'ordre 
de lord Clarendon, sir H. Seymour dut quitter Saint- 
Pétersbourg. On lui notifia simplement que ses passe^ 
ports étaient prêts. Il ne reçut aucune visite et partit 



CHAPITRE LXVII. 305 

comme un homme qui avait tout à craindre de pro- i«w- 
longer son séjour dans la capitale de la Russie. Quel 
contraste avec les adieux pleins de courtoisie et d'es- 
time que l'empereur prodigua à M. de Castelbajac ! ! 
Lord Stratford de Redcliffe , ambassadeur anglais 
à Constantinople vers la même époque, ne cessa, de 
son côté , d'inspirer au sultan des sentiments de ré- 
sistance et de terreur , en agitant à ses yeux le som- 
bre tableau de l'envahissement russe, et de réveiller 
ses craintes sur l'absorption de la Turquie par la 
puissance moscovite. Cette attitude est peinte à longs 
traits dans divers articles du Journal de Saint- 
Pétersbourg et dans plusieurs circulaires du cabinet 
russe. 

Telles furent, sur les derniers temps, les vraies 
causes de la solution par la guerre de la question 
d'Orient. Tel fut le chef-d'œuvre de la politique an- 
glaise , qui détourna par cette habile manœuvre sur 
la Russie les bataillons français qui avaient jeté tant 
d'alarmes sur les rivages de l'Angleterre. Avec cette 
sécurité que les Anglais se procuraient aux dépens 
de la Russie , ils avaient de plus une alliance heu- 
reuse, qui leur permettait de s'aider des puissantes 
forces de la France pour la destruction de Sébasto- 
pol , l'anéantissement de la marine et des établisse- 
ments russes dans la mer Noire. L'affaiblissement 
d'une marine, même secondaire, sera toujours le 
sujet de la plus haute satisfaction pour tous les cœurs 
anglais , car c'est une garantie pour eux de cette su- 

20 



306 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

18M. prématie des mers qui les enfle de tant d'orgueil et 
d une si intolérable outrecuidance. 

L'importance historique des documents secrets et 
confidentiels nous oblige de les reproduire textuelle- 
ment. Nous les renvoyons à la fin de notre récit, pour 
ne pas l'interrompre. Lus attentivement , ils dévoile- 
ront les causes, la marche et la conclusion de la 
question des lieux saints, qui, en grandissant, se 
transforma en question d'Orient, et produisit cette 
grande coalition des forces de l'Occident contre l'em- 
pire russe. On en tirera , comme la Russie , la con- 
séquence que la guerre entrait dans les plans bien 
arrêtés du ministère anglais , pour détruire Sébasto- 
pol et la marine russe , comme l'avaient été , à d'au- 
tres époques, celles de la France, du Danemark à 
Copenhague et de la Turquie à Navarin. Mais on y 
verra aussi , avec nous , que la diplomatie anglaise , 
pour atteindre son succès , eut pour complices et as- 
sociés la susceptibilité mystique , l'ambition ardente 
de l'empereur Nicolas, et un peu aussi, sans doute, 
ses dédains pour la France , qui irritèrent profondé- 
ment cette nation fière et sensible. L'affaiblissement 
de la Russie fut dès lors juré comme une nécessité 
pour l'Europe , pour son indépendance , pour sa ci- 
vilisation. 

Quand donc , s'inspirant des vrais intérêts de leur 
pays, les souverains de Russie et de France jureront- 
ils à leur tour de mettre au néant la prépondérance 
maritime de l'Angleterre, et feront-ils cesser la hon- 



CHAPITRE LXVIII. 3D7 



teuse vassalité qui pèse sur toutes les nations dans i9u. 
tous les lieux baignés par l'Océan ? 



CHAPITRE LXVni. 

Disooiin du roi de Prusse. — Le maréehal Saint-Arnaud nommé ohef de 
l'expédition française. — Bénéraaz des diverses divisions. — Croisière 
du Yanban. 

Le 1 7 mars , au moment où le ministère anglais 
livrait au Parlement les précieux documents de la 
correspondance secrète , le roi de Prusse faisait lire 
dans la deuxième chambre à Berlin un discours, dont 
il convient de donner un extrait : 

q: Messieurs , 

« Le gouvernement est résolu à sauvegarder, dans 
«tous les cas, sa coopération pour le maintien de 
« réquilibre européen , qui appartient à la Prusse. 
« Mais nous devons dire que , jusqu'ici , nous n'a- 
«vons pas, dans la mesure des autres puissances 
«dont la position géographique et les ressources 
«maritimes diffèrent des nôtres, la mission d'in- 
«tervenir d'une manière active pour protéger Fin- 
«tégrité de l'empire ottoman, dans une lutte dont 
« Textension ne saurait encore s'apprécier , et dont 
« l'objet primitif n'est pas compris dans la sphère des 
« intérêts de notre patrie , mais bien dans celle des 
a privilèges et de Tinfltiefwe que d'autres États reven- 
« diquent dans les pays soumis à la Porte Ottomane. 



308 HISTOIRE DE LA GUERRE D*OiUENT. 

1S54. « Si donc nous ne nous croyons pas appelés, quant 
c à présent y à nous associer d'une manière active à 
« la lutte actuelle , le cœur paternel de S. M. le roi 
« se réjouit de conserver à la Prusse et à ses alliés 
V allemands , les bénédictions de la paix plus long- 
(< temps que cela ne paraît faisable aux puissances 
« qui y sont immédiatement intéressées. » 

Ces puissances intéressées immédiatement à la 
lutte s'y préparaient hardiment. Le maréchal Saint- 
Arnaud, ministre de la guerre, venait d'être nommé, 
par l'empereur Napoléon , général en chef de l'armée 
expéditionnaire en Orient. 

Le maréchal Saint-Arnaud avait conquis ses pre- 
miers grades en Afrique. Il s'était formé à la science 
militaire sous les ordres du vaillant maréchal Bu- 
geaud. Il avait de la bravoure et de belles qualités 
militaires. Il désirait vivement commander en chef 
le corps expéditionnaire en Turquie, malgré l'état 
très-délabré de sa santé. La part qu'il avait prise à 
la journée du 2 décembre contribua beaucoup au 
choix que fit de lui Napoléon III. 

Saint- Arnaud devait trouver en Orient une bataille 
à gagner, et le bonheur de rester enseveli dans son 
triomphe. 

Les généraux Canrobert et Bosquet furent désignés 
pour commander deux divisions de troupes, et le 
prince Napoléon la division de réserve. 

Une de ces divisions , réunie depuis quelque temps 
dans le département des Bouches -du -Rhône, fut 



CHAPITRE LXVIII. 309 

embarquée le 1 9 mars avec le général Canrobert. Ce i8r>4. 
premier convoi de troupes françaises destinées à l'ar- 
mée d'Orient, quitta Marseille le même jour, à six 
heures du soir, se rendant directement à Gallipoli. 

Des vapeurs anglais arrivaient déjà successivement 
à Malte en très-grand nombre et y débarquaient les 
troupes anglaises qui formaient le corps expédition- 
naire en Turquie. Sept mille hommes, environ, 
étaient alors réunis dans cette île et leur nombre 
s'augmentait chaque jour. 

Le Banksée, frégate à vapeur , alla porter des or- 
dres à cette expédition pour hâter son arrivée en 
Turquie. En attendant leur débarquement, les offi- 
ciers du génie avaient tracé l'emplacement d'un camp 
à Gallipoli, destiné à couvrir les Dardanelles d'Eu- 
rope , à l'endroit où le col de l'Isthme est le plus res- 
serré et d'où l'on peut voir les deux mers, Marmara 
et golfe de Saros. Les travaux furent poussés avec 
activité et achevés au mois de juin. On travailla aussi 
à un camp retranché aux portes mêmes de la capitale, 
à San-Stephano , sur la route d'Andrinople. 

Des commissaires partirent par ordre du sultan 
dans diverses directions , pour préparer le service des 
approvisionnements pour les armées auxiliaires. 

Un conseil fut investi des pouvoirs les plus éten- 
dus pour prendre toutes les mesures relatives à la 
guerre. 

Pour surveiller les mouvements de l'escadre russe, 
l3 frégate frsnçaise à vapeur, k Vauban, se présenta 



310 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

18M. devant Sébastopol, mais hors de portée du canon. 
Il put cependant compter les vaisseaux présents au 
port. Ils étaient au nombre de dix, dont trois à trois 
ponts, plus une frégate. Sept de ces vaisseaux for- 
maient une ligne d'embossage qui tenait toute la lar- 
geur de la passe , en s'appuyant du côté sud sur la 
pointe du bassin et du côté nord sur la pointe de la 
Severna. Un peu en dehors de cette ligne d'embos- 
sage, à l'endroit le plus resserré de la passe (à peu 
près 800 mètres) , une estacade avait été établie au 
moyen d'une chaîne flottante, dans le genre de celle 
qui ferme l'entrée du port de Brest. Trois vaisseaux 
étaient en réparation dans le port. Les forts de toutes 
les batteries de la côte étaient armés et garnis de 
soldats à leur poste de combat. 



CHAPITRE LXIX. 

Progrès de rinsnrreetioii greeque. — Oémission des généranz grées. — 
■oUle ehlmériqne. — Geneonrs des flattes eombinées pour s'opposer à 
eette levée d'armes. 

Les émissaires russes déployaient toute leur acti- 
vité pour créer de graves embarras à la Turquie, sur 
son propre territoire, et détourner ainsi une partie 
des forces qu'elle pourrait employer sur le Danube. 

L'insurrection grecque faisait tous les jours de 
nouveaux progrès. Zavellas avait été nommé com- 
mandant en chef des insurgés. Souli et toute la côte 
septentrionale de l'Épire étaient sous les armes. L'in- 



CHAPITRE LXIX. 311 

surrection s'étendait à Clerc , depuis la chaîne du i854. 
Pinde jusqu'à Merzova. Zeno Mellos, frère de l'aide 
de camp du roi Othon, s'était rendu avec 400 hom- 
mes dans l'Épire. Son compagnon, Téméli, l'avait 
suivi avec 300 soldats grecs et 4 pièces de cam- 
pagne. 

Le fanatisme était poussé au plus haut degré sur 
le territoire grec. Le mouvement avait éclaté aussi à 
Bérat, en Albanie. Des colonels et même des géné- 
raux de l'armée grecque avaient donné la démission 
de leur grade pour aller rejoindre les insurgés. 

Voici le texte d'une de ces démissions : ce Monsieur 
«le Ministre, ma patrie appelle le secours de tous 
« ses enfants; je ne saurais être sourd à sa voix. En- 
« gagé par mon grade au service du gouvernement 
«hellénique, qui est en bonne relation avec la Porte 
c( Ottomane, je crois de mon devoir de déposer entre 
« vos mains ma démission. 

(c Signé : Rhangos. » 

Une autre démission était ainsi conçue : « Mon pays 
<r natal se trouve tout près des provinces de l'Épire , 
c( où nos frères combattent pour l'indépendance. En 
(( arrivant ici , le bruit des armes , les gémissements 
c: des mourants ont frappé mes oreilles. Je ne saurais 
«me dispenser, sans lâcheté, Sire, d'obéir à la voix 
« de la patrie qui m'appelle à son aide. Au moment 
«de me ranger à côté de mes frères, je dépose, aux 
« pieds de Votre Majesté, mon grade de colonel. 

« Signé : Stratos, » 



313 HISTOIRE DE LA GUERRE D*ORIENT. 

la'M Les ministres hellènes n'avaient pris aucune me- 
sure pour arrêter ces désertions aux insurgés. Aussi 
cette attitude excita une profonde irritation, en France 
et en Angleterre, contre le cabinet d'Athènes et celui 
de Saint- Pétersboui^, qui, tous deux, cependant 
protestèrent contre cette imputation de favoriser l'in- 
surrection grecque. 

Ce désordre et cette prise d'armes n'avaient qu'un 
mobile chimérique , et ne devaient aboutir qu'à une 
complète inutilité. On se sentait le cœur serré et con- 
tristé en songeant aux éventualités graves auxquelles 
s'exposait cet ingrat et malheureux pays. On accusait 
de faiblesse et de duplicité coupables ce roi qui était 
débordé par une partie de ses sujets, et à qui ses 
fonctionnaires et ses généraux envoyaient leur démis- 
sion pour aller grossir les rangs des insurgés. 

Cette insurrection se faisait au profit de la Russie, 
malgré la déclaration qu'elle venait de faire : « de ne 
«jamais permettre à la Grèce de s'ériger en État 
<r puissant ; » et contre les Français et les Anglais qui 
étaient les seuls vrais amis et protecteurs de cette 
vieille patrie des arts et des sciences, qu'ils pouvaient 
seuls arracher à sa misère actuelle, et qui seuls pou- 
vaient lui rendre son antique fertilité et son rang 
parmi les nations maritimes. 

L'ambassadeur turc à Athènes, offensé des rap- 
ports du gouvernement grec avec les insurgés, de- 
manda ses passe-ports. Le chargé d'affaires d'Angle- 
terre eut de la peine à le détourner de 1^ résojutioR 



CHAPITRE LXIX. 313 

qu'il avait prise de quitter la Grèce de suite. Mais , i854. 
peu de temps après, Fambassadeur ottoman, n'ob- 
tenant aucune satisfaction du roi Othon, prit le parti 
de s'embarquer pour Gonstantinople. 

Les puissances occidentales, d'accord avec le Divan, 
résolurent de s'opposer énergiquement aux révoltés 
et de* comprimer ce mouvement par la force. Une 
partie de la garnison de Gonstantinople fut dirigée 
sur l'Épire, principal foyer de l'insurrection grecque 
pour arrêter son extension. 6,000 Turcs, escortés 
par des navires des flottes combinées, furent débar- 
qués à Volo, pour combattre les insurgés. 

Le GomeTy frégate à vapeur française , et deux au- 
tres vapeurs, l'un français et l'autre anglais, furent 
envoyés au Pirée sous le commandement du contre- 
amiral Le Barbier de Tinan. Le roi Othon fut sommé 
derechef d'empêcher les collectes et les levées de 
volontaires. Déjà, le général Grivas, l'un des principaux 
chefs de l'insurrection, avait été battu par les Turcs, et 
s'était enfui, emmenant avec peine quarante des siens. 

Afin d'écarter les émissaires russes du foyer de 
l'insurrection grecque, le Divan ordonna de mettre 
à exécution la décision qu'il avait prise, six mois au- 
paravant, relativement à l'expulsion du territoire turc 
de tous les sujets du czar. 

Aucune action sérieuse n'avait eu lieu pendant les 
froids de l'hiver sur les bords du Danube. Quelques 
petits combats d'artillerie avaient seulement fait 
éprouver des pertes aux deux parties. Les Turc§ 



314 HISTOIRE DE LA GUERRE d'oRIENT. 

laM. avaient continué de résister, à Kalafat , à toutes les 
forces des assiégeants, qui finirent par abandonner 
rinvestissement de cette place. Les Russes laissèrent 
seulement 3,000 hommes dans les environs. Le reste 
se retira et prit position entre le Schyl et l'Alouta. 

Ce mouvement se combinait d ailleurs avec les or- 
dres venus de Saint-Pétersboui^ au général Gortscha- 
koff de transporter son quartier général de Bucharest 
àBraîla, ce qui dénotait l'intention des Russes de 
passer le Danube ; mais ce passage ne devait avoir 
lieu qu'après la déclaration de guerre des puissances 
occidentales à la Russie. 

Le départ de la flotte anglaise pour la Baltique 
donna lieu à d immenses préparatifs de défense sur 
les divers points du golfe de Finlande qui étaient 
vulnérables du côté de la mer. L'empereur Nicolas , 
dont l'activité était prodigieuse, visita, lui-même, 
diverses places fortes, telles que Cronstadt, Oranien- 
baum et Helsingfort, pour stimuler l'ardeur des ou- 
vriers employés aux travaux de défense. 

Sans exagérer ni diminuer Timportance des pré- 
paratifs qui se firent sur toutes les côtes russes pour 
recevoir les escadres combinées, il y aurait eu une 
inqualifiable folie à supposer ou à soutenir que nos 
flottes auraient une tâche facile, ou qu'elles n'auraient 
pas trouvé la résistance la plus déterminée et la plus 
désespérée. Les gouvernements alliés le savaient bien, 
aussi ne manquèrent-ils pas de mettre tout en œuvre 
pour diminuer les risques et la résistance. 



CHAPITRE LXX. 315 



CHAPITRE LXX. 

Période de guerre. — Déclaration du ministre d'itat an Sénat et an Corps 
législatif. — Traité d'allianoe entre la Porte, la France et rAngleterre. 

La mission du prince Menschikoff avait été signalée ^^^ 
par de graves inconvenances à Tégard d'un souverain 
allié, à la majesté duquel, sous le patronage de son 
caractère d'ambassadeur, il était venu insulter jus- 
que dans son palais et au milieu d'une audience so- 
lennelle. Cet indigne procédé avait retenti doulou- 
reusement dans toutes les cours de l'Europe. Mais le 
silence de l'empereur de Russie, son refus de répon- 
dre à la sommation que lui avaient adressée la France 
et l'Angleterre , constituèrent, à l'égard de ces deux 
cabinets , un affront d'une nature en quelque sorte 
plus éclatante et plus authentique. Ce procédé in- 
sultant aggrava les torts du czar et ajouta à l'irrita- 
tion qu'avait excitée son injuste agression. Il mit les 
alliés dans la nécessité d'imposer à la Russie des 
conditions de paix plus dures et qui devaient être un 
obstacle à ses excessives prétentions. Ce silence fut 
considéré comme une réponse négative et donna ou- 
verture aux hostilités. 

Toutes les indécisions, toutes les incertitudes ces- 
sèrent le 28 mars; on entra enfin dans la période de 
guerre. 

Ce jour-là, le ministre d'État se rendit au Sénat 
et au Corps législatif pour y faire une communica- 
tion au nom de l'empereur. 



«316 HISTOIRE DB LA GUERRE B*ORIENT. 

I8M. A deux heures et demie, M. le ministre fut introduit 
pai' les messagers d'État dans la salle du Corps légis- 
latif, et lut, au milieu du profond recueillement de 
l'Assemblée , la déclaration suivante : 

«Messieurs les Députés, 

e Le gouvernement de l'empereur et celui de Sa 
a: Majesté Britannique avaient déclaré au cabinet de 
e: Saint-Pétersbourg que si le démêlé avec la Sublime 
(c Porte n'était pas replacé dans des termes pwement 
(T diplomatiques, de même que si l'évacuation des 
« principautés de Moldavie et de Valachie n'était pas 
<r commencée immédiatement et effectuée à une date 
«fixe, ils se verraient forcés de considérer une ré- 
«ponse négative ou le silence comme une déclaration 
« de guerre. ' 

(cLe cabinet de Saint-Pétersbourg ayant décidé 
a qu'il ne répondrait pas à la communication précé- 
« dente, l'empereur me charge de vous faire connaître 
(( cette résolution , qui constitue la Russie avec nous 
« dans un état de guerre dont la responsabilité ap- 
« partient tout entière à cette puissance. i> 

Les résolutions suivantes furent les premières me- 
sures que nécessita cette communication aux cham- 
bres : 

Déclaration. 

«Art. 4®^ Un délai de six semaines, à partir de 
« ce jour, est accordé aux navires de commerce russes 
« pour sortir des ports français, 



CHAPITRE LXX. 317 

<? En conséquence, les navires de commerce russes, ism. 
<f qui se trouvent actuellement dans nos ports , ou 
c< ceux qui, étant sortis des ports russes antérieure- 
« ment à la déclaration de guerre , entreront dans les 
c( ports français , pourront y séjourner et compléter 
ce leur chargement jusqu'au 9 mai inclusivement. 

« Art. 2. Ceux de ces navires qui viendraient à être 
(( capturés par les croiseurs français , après leur sortie 
« des ports de l'empire , seront relâchés , s'ils éta- 
«blissent, par leurs papiers de bord, qu'ils se ren- 
« dent directement à leur port de destination, et qu'ils 
« n'ont pu encore y parvenir. 

« Le ministre des affaires étrangères , 
(( Drouyn de Lhuys. » 

Déclaration relative aux neutres ^ aux lettres 

de marque^ etc. 

tf S. M. l'empereur des Français, ayant été forcée 
«de prendre les armes pour secourir un allié, désire 
«rendre la guerre aussi peu onéreuse que possible 
« aux puissances avec lesquelles elle demeure en paix. 

((Afin de garantir le commerce des neutres de 
((toute entrave inutile. Sa Majesté consent pour le 
<( présent à renoncer à une partie des droits (|ui lui 
«appartiennent comme puissance belligérante, en 
« vertu du droit des gens. 

« Il est impossible à Sa Majesté de renoncer à l'exer- 
« cice de son droit de saisir les articles de contre- 
« bande de guerre, et d'empêcher les neutres de trans- 



318 HISTOIRE DR LA GUERRE D*0RIENT. 

1854. «porter les dépèches de Tennemi. Elle doit aussi 
< maintenir intact son droit , comme puissance belli- 
a gérante , d empêcher les neutres de violer tout blo- 
«eus effectif qui serait mis, à Faide d'une force suf- 
«fisante, devant les forts, les rades ou les côtes de 
« Fennemi. 

«Mais les vaisseaux de Sa Majesté ne saisiront pas 
« la propriété de Fennemi chargée à bord d'un bâti- 
«ment neutre, à moins que cette propriété ne soit 
«contrebande de guerre. 

« Sa Majesté ne compte pas revendiquer le droit 
« de confisquer la propriété des neutres trouvée à 
« bord des bâtiments ennemis. 

«Sa Majesté déclare, en outre, que, mue par le 
« désir de diminuer autant que possible les maux de 
«la guerre, et d'en restreindre les opérations aux 
«forces régulièrement organisées de FÉtat, elle n'a 
«pas, pour le moment, l'intention de délivrer des 
« lettres de marque pour autoriser les armements en 
« course. » 

Pour rassurer les armateurs des différents ports 
sur les risques que pourrait leur faire courir l'ou- 
verture des hostilités , le ministre de la marine in- 
forma les chambres de commerce que des lettres de 
marque ne seraient pas délivrées par les États-Unis , 
et que le gouvernement fédéral avait déclaré formel- 
lement aux représentants de la France que des actes 
aussi contraires au droit des gens ne seraient pas to- 
lérés sur le territoire de l'Union. 



CHAPITRE LXX. 319 

Les Anglais expédièrent la corvette à vapeur, la mi 
Gorgone, à l'amiral Napier, pour lui faire connaître 
la déclaration de guerre, et l'inviter à commencer les 
hostilités. 

Dans la nuit du d 2 au 13 mars avait été signé, à 
Constantinople, par lord Stratford de Redcliffe, le gé- 
néral Baraguey d'Hilliers et Reschid-Pacha, un traité 
d'alliance entre la Porte, la France et l'Angleterre, 
et qui se composait de cinq articles. 

Par le premier, la France et l'Angleterre s'enga- 
geaient à soutenir la Turquie par la force des armes, 
jusqu'à la conclusion d'une paix qui assurerait l'in- 
dépendance de l'empire ottoman et l'intégrité des 
droits du sultan. Les deux puissances protectrices 
s'obligeaient, en outre , à ne retirer de la crise actuelle 
et des négociations qui devaient la terminer, aucun 
avantage particulier. 

Par l'article second, la Porte prenait, de son côté, 
l'engagement de ne faire la paix en aucun cas, sans 
avoir au préalable obtenu le consentement et sollicité 
la participation des deux puissances , comme aussi 
d'employer toutes ses ressources pour pousser la 
guerre avec vigueur. 

Dans l'article troisième, les deux puissances pro- 
mettaient d'évacuer, aussitôt après la conclusion de 
la paix, et sur la réquisition de la Porte, tous les 
points de l'empire que leurs troupes auraient pu oc- 
cuper pendant la guerre. 
Par l'article quatrième , les contractants réglaient 



320 HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORIENT. 

IBM rindépendance des mouvements des armées alliées , 
Tobligation des autorités turques de faire droit à leurs 
réquisitions , le respect à la propriété et la manière 
dont serait discuté et convenu le plan de campagne. 

Enfin, Tarticle cinquième et dernier fixait la date 
et le mode d'échange des ratifications. 

A ce traité étaient attachés , comme parties inté- 
grantes, plusieurs protocoles qui traduisaient en ar- 
ticles de loi ou de règlement les points essentiels de 
la convention. L'un avait rapport à l'institution de 
tribunaux mixtes dans tout l'empire; il ne compre- 
nait pas moins de dix-huit pages , et il était appelé à 
remplacer les capitulations. Un second était relatif à 
une avance de 20 millions de francs à faire de compte 
à demi par la France et par l'Angleterre. Un troi- 
sième avait rapport à la régularisation des impôts, à 
la suppression du haratch ou impôt de capitation 
considéré depuis longtemps par le gouvernement turc, 
comme le rachat du service militaire , et qui entraî- 
nait par son abolition l'entrée des chrétiens dans 
l'armée. 

L'Europe chrétienne accepta ce traité avec une sa- 
tisfaction bien légitime, mais les musulmans fanati- 
ques, et il y en a beaucoup parmi les sujets du sultan, 
témoignèrent quelque mécontentement des conces- 
sions qui avaient été faites aux chrétiens par la Porte. 



CHAPITRE LXXK 321 



CHAPITRE LXXI. 
Moyens de résistance de la Rnssie. — Les Rnsses ftanobissent le Dannbe. 

L'empereur de Russie ne restait pas inactif. Il con- 1854. 
naissait l'énergie et les ressources des puissances 
formidables qui entraient en lutte avec lui. Aussi 
prit-il toutes ses mesures pour parer les coups qu'on 
se disposait à lui porter. Son premier soin fut pour 
la défense de Cronstadt et le salut de sa flotte de la 
Baltique. Il opposa à ses adversaires, pour première 
résistance, la flotte dite des sèches, qu'il fit abriter 
derrière des écueils , et qui , par des feux bien nour- 
ris, devait faire du mal à plus d'un vaisseau ennemi. 
Il arma d'une puissante et nombreuse artillerie, Asel, 
Revel et Sweaborg, qui sont les avant -gardes de 
Cronstadt, et qu'il fallait détruire ou enlever avant 
d'arriver à cette formidable forteresse, derrière la- 
quelle se trouvait la plus grande partie de la flotte 
russe. L'île fut reliée à la terre ferme par une digue 
formant une longue et sûre batterie de canons du 
plus fort calibre et de la plus grande portée, et dont 
le nombre s'élevait à plus de 800. Les batteries du 
rivage qui protégeaient l'entrée du port furent consi- 
dérablement renforcées. Telles étaient les redoutes , 
protégées encore par des bas-fonds et d'innombra- 
bles écueils, qui devaient être prises avant qu'on pût 
attaquer le port lui-même, où se trouvaient les vais- 
seaux qui présentaient une dernière ligne de canons. 

21 



322 UISTOIKE DE LA GUERRE d'ORIEUT. 

isM. Nous avons fait connaître les ordres donnés de 
Saint-Pétersbourg au général Gortschakoff de masser 
ses troupes sur les bords du Danube, pour franchir 
ce fleuve dès que la guerre aurait éclaté entre les 
puissances occidentales et la Russie. Le cabinet russe 
avait regardé comme une véritable déclaration d'hos- 
tilités la sommation qui lui avait été faite au nom de 
la France et de l'Angleterre, et, en conséquence, 
l'ordre fut expédié de passer le Danube et de péné- 
trer en Turquie. 

Ce fut le 22 mars, à la pointe du jour, que les 
Russes commencèrent à franchir le fleuve. Ce passage 
dura toute la journée , et fut exécuté sur trois points 
à la fois, au moyen de quatre ponts établis sur des 
bateaux amarrés les uns aux autres. Les colonnes 
russes partirent simultanément, de Braïla en Vala- 
chie, de Galatz en Moldavie, et d'Ismaïl en Bessara- 
bie. Cette opération fut conduite par le général Lii- 
ders, commandant le cinquième corps, sous la 
direction du général en chef, prince Gortschakoff*, 
et du général Schilders, chef d'état-major. Outre deux 
divisions de son corps d'armée, il avait avec lui la 
division Ourtschakofl', qui appartenait au troisième 
corps commandé par le général d'Osten-Sacken. 

A quatre heures du matin, les batteries russes éta- 
blies au-dessous de Braïla , dans les iles du Danube, 
ouvrirent un feu violent contre les retranchements 
turcs, au-dessus et au-dessous de Matschin, et la 
canonnade dura toute la journée. Le 23, à sept heures 



CHAPITRE LXXl. 323 

du matin , les Russes recommencèrent le feu ; mais ism. 
les Turcs ne ripostèrent pas très -vigoureusement. 
Alors six bataillons russes , avec quatre pièces de ca- 
non, passèrent le fleuve sur quatre grands bateaux, 
sous la protection de la flottille du Danube, pour 
prendre terre au-dessous de Matschin, où ils se mi- 
rent en position, tandis que le corps du génie était 
occupé à jeter un pont sur le Danube. Les Turcs di- 
rigèrent leur feu, qui dura jusqu'à la nuit, princi- 
palement contre le vapeur le Pruth, contre le pont 
en construction et contre les bateaux qu'on y em- 
ployait, mais sans grand résultat. Dans la nuit, ils 
évacuèrent leurs retranchements, où ils laissèrent 
vingt morts. Les Russes avaient aussi une perte de 
vingt morts et trente blessés. Parmi ces derniers se 
trouva le général du génie Dubrowski , qui perdit une 
jambe. 

Pendant que s'exécutait ce mouvement , le général 
Lûders passait avec six bataillons près de Galatz , et 
le général Ourtschakoff avec treize bataillons à Is- 
maïl , tous deux sur des bateaux. 

Le général Lûders n'éprouva point de résistance 
et il s'avança à deux heures de marche dans l'inté- 
rieur du pays. 

Le pont près de Galatz étant achevé, vingt- six 
bataillons y passèrent avec de la cavalerie et de l'ar- 
tillerie. Sur ce point le général Ourtschakoff eut à 
vaincre une résistance opiniâtre, ayant à traverser 
le fleuve vis-à-vis de Toultscha , dans sa plus grande 



324 UI6T01R£ DE LA GUElUifi I)'0R1£NT. 

18W. largeur, sous un feu très- vif. Les redoutes élevées 
par les Turcs sur la rive droite furent enlevées d'as- 
saut; les Russes s'emparèrent de onze canons -et 
firent cent cinquante prisonniers. Les Turcs essuyè- 
rent d'assez grandes pertes en morts et en blessés. 
Du côté des Russes il y eut de leur aveu trois cents 
morts et blessés. Après avoir repoussé les Turcs , les 
Russes établirent sans difiSculté trois ponts , près de 
Braïla , de Galatz et de Toultscha. 

La colonne partie de Braïla investit aussitôt Mat- 
schin. La division du général OurtschakoiF, venant 
d'ismaïl, occupa la petite ville de Toultscha, mais non 
le fort, qui ne voulut pas se rendre. Enfin le général 
Aurep , venant de Galatz , prit devant Isaatcha une 
position intermédiaire. Par cette manœuvre , les 
Russes opérèrent simultanément le blocus des trois 
forteresses turques du bas Danube. Les troupes ot- 
tomanes se trouvant en trop petit nombre , sur cette 
ligne , pour opposer une plus grande résistance à des 
forces très-supérieures, se replièrent sur Bubodagh, 
petit fort situé à dix lieues au sud , dans une contrée 
monlueuse, près du lac Bussina. Les forces russes 
qui passèrent sur la rive droite comprenaient qua- 
rante et un bataillons d'infanterie, trois régiments 
de cavalerie, un de cosaques et cent quarante ca- 
nons. L'effectif du corps d'armée turc stationné entre 
Toultscha ètMatschin était évalué seulement à 30,000 
hommes , avec soixante canons. Cependant , malgré 
leur infériorité numérique , ils soutinrent longtemps 



CHAPITRE LXXf. 325 



jj l'effort des Russes à Turtukaï et leur firent essuyer i854 



^ 



de grandes pertes. 

Le 24 mars , le général Lûders commença le siège 
de Matschin , place bien fortifiée , et dont la garnison 
venait d'être augmentée de 4,000 hommes. 

Omer-Pacha adressa à la Porte , sur le passage du 
Danube par les Russes, un rapport dont nous ex- 
trayons le passage suivant : 

(( Les Russes , appuyés par les forces considérables 
(c qu'ils ont sur le fleuve, et disposant d'un grand nom- 
c: bre de bateaux , sont venus avec des troupes nom- 
«breuses sur trois points à la fois : Pot-Bachi, qui 
<( est plus bas que Matschin , Tchatal-Bournon , au- 
« dessus de Toultscha , et un autre point au-dessous 
« de cette ville. Nos troupes ont combattu et déployé 
« un courage extraordinaire , si bien qu'un régiment 
« russe , qui a le premier attaqué la batterie de 
« Tchatal, a été complètement détruit et qu'il n'en est 
(( pas resté un seul homme. Deux bataillons envoyés 
<r ensuite ont eu à peu près- le même sort; mais la 
« batterie , attaquée bientôt après par quinze batail- 
le Ions à la fois , a été prise. 

ce Les troupes russes dirigées sur Pot-Bachi ont 
« été repoussées trois fois à la baïonnette et ont perdu 
^ plus de 4,000 hommes. Six pièces de canon, ame- 
(( nées par eux de ce côté-ci du fleuve, n'ont pu être 
«r prises par les nôtres et sont restées sur place jus- 
ce qu'au soir, étant inabordables à cause du feu croisé 

K des batteries de l'artillerie de l'ennemi et de se§ 



326 HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORIENT. 

ifiM (T chaloupes canonnières. Nos batteries, foudroyées 
« par de grosses pièces d'artillerie , ayant été mises 
« dans un état qui ne permettait plus à nos soldats 
e d'y rester, le feu a cessé des deux côtés, après un 
^r combat qui a duré plus de quarante-huit heures 
a: sans discontinuer, c'est-à-dire, après que nos troupes 
(( avaient supporté, pendant deux jours et deux nuits, 
i( non-seulement le feu des chaloupes canonnières de 
^ l'ennemi, mais celui de vingt-cinq pièces d'artil- 
c( lerie et de deux mortiers placés dans l'île et dans les 
(i batteries qui sont sur le bord du fleuve. Quelques 
« heures après et pendant la nuit nos troupes se sont 
« retirées avec leur artillerie. » 

Tandis que les Russes marchaient en avant sur le 
Danube et s'emparaient des places turques , ils aban- 
donnaient au contraire tous les forts qu'ils avaient 
construits à si grand'peine et à si grands frais sur la 
côte orientale de la mer Noire. Ils ne voulurent pas 
laisser tomber ces trophées au pouvoir des escadres 
alliées, et en les évacuant ils se massèrent sur Tifiïis 
et sur Anapa. 



Avril. 



CHAPITRE LXXn. 

L'oeonpaUon du bas Dannbe par les Bosses éveille l'attention à Vienne et 
à Berlin. — AUianee offensive et défensive entre FAntriolieel la Prusse. 
— A^iol* additionnel très-important. 

Mais la marche en avant de la Russie sur le Da- 
nube, le passage de ce fleuve, l'occupation d'une 
partie du territoire ottoman , et la rencontre qui au- 



CHAPITRE LXXit. 327 

rait bientôt lieu entre les armées russes et celles des ism. 
armées alliées, ne pouvaient laisser l'Autriche et la 
Prusse témoins impassibles des éventualités qui se 
préparaient. Déjà les complications survenues en 
Orient avaient été discutées au sein de la Diète. Le 
développement de tant de forces militaires dans les 
provinces danubiennes était incompatible avec les 
intérêts les plus graves et les plus immédiats de l'Au- 
triche, ainsi qu'à ceux de l'Allemagne. Il était du de- 
voir général de l'Allemagne de garantir la liberté de 
commerce du bas Danube et de s'opposer à toute res- 
triction de ses communications par eau avec l'Orient. 
L'industrie et le commerce de l'Allemagne s'ouvrent 
dans ces contrées un champ vaste et fécond. C'était 
donc une exigence de sa politique, une condition 
du développement de sa richesse nationale , d'empê- 
cher une occupation prolongée des deux rives du 
Danube par les forces de la Russie. 

Les cabinets de Vienne et de Berlin reconnurent 
la nécessité de parer aux dangers enfantés par les 
graves circonstances du moment. Aussi le 20 avril 
fut conclu , à Berlin , entre l'Autriche et la Prusse , 
un traité d'alliance offensive et défensive. Son but 
fut d'arrêter la Russie et de la contraindre à évacuer 
les provinces danubiennes. Il fut en même temps une 
garantie pour l'intégrité des États allemands. Nous 
ne reproduisons pas le texte de ce traité , mais seu- 
lement l'article additionnel très-important qui y fut 
annexé. 



328 HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORIENT. 

1854, Article addùionnel au traité (Talliance offensive et 
défensive conclu entre l'Autriche et la Pi^sse. 

« Conformément à l'article 2 de la convention con- 
« due aujourd'hui , entre S. M. le roi de Prusse et 
<r S. M. l'empereur d'Autriche, et en vertu duquel une 
« entente plus explicite devait avoir lieu sur l'éven- 
« tualité de l'action de l'une des parties contractantes, 
«pour la défense des territoires de l'autre, Leurs 
« Majestés n'ont pas pu se dissimuler qu'une occu- 
«pation prolongée des territoires du sultan sur le 
«bas Danube par les troupes russes mettrait en 
« danger les intérêts poUtiques, moraux et matériels 
«de toute la confédération germanique, ainsi que 
« ceux de leurs États , et cela d'autant plus à mesure 
«que la Russie étendra ses opérations militaires 
« contre la Turquie. Les cours d'Autriche et de Prusse 
« s'unirent dans le désir d'éviter, autant que possi- 
«ble, toute participation à la guerre qui a éclaté 
« entre la Russie d'un côté, et la France, l'Angleterre 
« et la Turquie de l'autre, et en même temps d'aider 
« au rétablissement de la paix générale. Les deux 
«cours regardent surtout comme un puissant élé- 
«ment de pacification les explications données ré- 
«cemment par le cabinet de Saint-Pétersbourg à 
« Berlin , dans lesquelles la Russie paraît considérer 
«la cause primitive de l'occupation des Principautés 
« comme écartée par les concessions récemment faites 
« et dans beaucoup de points accomplies en faveiir 



CHAPITRE LXXII. 329 

<r des chrétiens sujets de la Porte, et les deux cours i«54. 
((déploreraient profondément que ces éléments de 
<r pacification ne reçussent pas de réalisation ulté- 
<r rieure. Elles espèrent donc que les réponses qu'on 
« attend de Saint-Pétersbourg aux propositions de 
« Berlin , faites le 8 de ce mois (avril) , offriront les 
((garanties nécessaires d'une prompte sortie des 
a troupes russes du territoire turc. Dans le cas où ces 
^espérances seraient déçues, les plénipotentiaires 
(( susnommés (suivent les noms comme dans le Traité) 
« sont convenus de l'engagement spécial désigné par 
c( l'article 2 du traité. 

« Article unique. L'Autriche adressera , de son 
« côté , à la cour impériale de Russie des ouvertures 
« ayant pour but d'obtenir de S. M. l'empereur de 
a: Russie qu'il veuille bien donner les ordres néces- 
« saires pour suspendre tout mouvement en avant de 
^ son armée sur le territoire ottoman et aussi pour 
(( obtenir de Sa Majesté des garanties complètes pour 
^la prochaine évacuation des principautés danu- 
« biennes. De son côté , le gouvernement prussien 
« appuiera avec énergie ces propositions. 

« Si , contrairement à toutes les espérances , les 
(r réponses de la cour de Russie étaient de nature à 
(^ ne point donner une sécurité complète au sujet des 
(ï deux points ci-dessus mentionnés , alors , dans le 
«but d'arriver à ce résultat, lune des parties con- 
a tractantes adoptera des mesures en vertu des sti- 
<( pulations de l'article 2 du traité conclu aujourd'hui, 



390 HISTOIRE DE LA GUERRE D*ORIENT. 

i«tt4. « qui porte que toute attaque contre le territoire de 
« Tune ou de l'autre des deux parties contractantes 
« devra être repoussée par l'autre , à l'aide de tous 
« les moyens militaires qui sont à sa disposition. 

<r Toutefois une action offensive des deux parties 
^ contractantes ne sera déterminée que par l'incor- 
«rporation des Principautés ou par une attaque ou 
c passage de la ligne des Balkans par la Russie. 

«Berlin, le 20 avril 1854. 

« Signé : Baron de Mânteuffel , 
«: Baron de Hess , etc. » 



CHAPITRE LXXm. 

La Rusie 8'arrète an pied des Balkane . — Résifltaaea héralqae de SilUtrie. 
— Paskawitseh Measé. Lavée du alége. — Les Russes repassant la 
DaM¥a. Us âraaaaBt las Priaelpaiités. 

Ce traité d'alliance offensive et défensive, conclu 
entre l'Autriche et la Prusse, mais surtout l'article 
additionnel de ce traité, fit prendre à la Russie la 
résolution d'arrêter la marche de ses troupes au 
pied des Balkans. Elle venait d'ailleurs de voir briser 
tous ses efforts devant la place forte de Silistrie , 
qu elle n'avait pu emporter cette fois comme en i 829. 
Les Turcs déployèrent, pendant le siège mémorable 
de cette forteresse , une bravoure qui donna à leur 
résistance le caractère du désespoir. Ils avaient juré 
de repousser les Russes ou de s'ensevelir sous les 



■*»« 



CHAPITRE LXXflI. 331 

ruines des remparts que le sultan les avait chargés ism 
de défendre. Ils eurent d'ailleurs le concours efficace 
de quelques officiers français et anglais pour diriger 
les travaux de défense de la place. 

Le maréchal Paskewilsch, généralissime de l'armée 
russe, fut blessé aux approches de la place et obligé 
d'abandonner le commandement de l'armée confiée 
à sa vieille expérience. Silistrie vit pâlir cette récente 
étoile du Nord , car la retraite des Russes ne s'opéra 
qu'après plusieurs assauts sans résultats avantageux 
et après des combats sanglants et opiniâtres dans 
lesquels les Osmanlis restèrent vainqueurs , puisque 
les Russes ne purent les déloger de Silistrie et qu'ils 
se virent contraints de lever le siège. 

Le maréchal Paskewitsch n'avait pas recherché ce 
commandement. Il avait fait acte de dévouement, en 
se soumettant aux ordres de son souverain , malgré 
son grand âge et ses infirmités. Il prévoyait, dit-on, 
tous les malheurs de cette guerre. L'histoire doit lui 
tenir compte de sa généreuse abnégation , car ce re- 
vers prévu devait être plus pénible à ce noble guer- 
rier au souvenir de sa brillante et glorieuse carrière. 

Les Russes repassèrent le Danube en bon ordre. 
La marche en avant des colonnes françaises et an- 
glaises, qui s'avançaiébt par Andrinople et par Varna 
au secours des Turcs, contribua puissamment aussi 
à les forcer de se replier sur les provinces moldo- 
valaquBS. Mais ils ne s'arrêtèrent pas là, et les Prin- 
cipautés furent, bientôt après, évacuées elles-mêmes. 



832 HISTOIRE DE LA GUERRE D*ORIENT. 

18M La Russie ne put donc pas faire croire que cette 
retraite fut motivée uniquement sur les concessions 
récemment faites en faveur des chrétiens, sujets de 
la Porle, car la cause primitive de l'occupation était, 
non dans le refus de concessions par le sultan à ses 
sujets chrétiens, mais bien dans les prétentions à un 
protectorat de la Russie sur ses coreligionnaires ha- 
bitant la Turquie. C'était là ce qui avait provoqué la 
guerre que la France et l'Angleterre venaient de dé- 
clarer à l'autocrate, et puisque ce dernier persistait 
à exiger ce protectorat, les puissances occidentales 
alliées de la Turquie devaient, à leur tour, marcher 
vers les frontières de la Russie et faire invasion sur 
son territoire. 

N'y avait-il pas d'ailleurs, à Sébastopol, une flotte 
considérable, destinée à périr, d'après le système 
anglais? Telle devait être l'issue fatale de cette guerre 
d'Orient, où la France allait acquérir beaucoup de 
gloire , au prix des plus grands sacrifices d'hommes 
et d'argent , et l'Angleterre , fidèle à sa politique ab- 
sorbante, recueillir le prix essentiel de sa coopéra- 
tion, par l'anéantissement de la marine russe dans 
la mer Noire. La France avait alors le malheur, rendu 
nécessaire par la faute du czar, de prêter le concours 
de ses forces navales à cette œuvre de déplorable 
destruction. Espérons que désormais la sagesse de 
son gouvernement lui imposera, comme système con- 
stant, de se déclarer la protectrice des marines se- 
condaires, et que, pour grandir son influence sur 



CHAPITRE LXXiV. 333. 

toutes les mers, elle s'attachera beaucoup plus à Fa- isw. 
venir à un large et puissant développement de sa 
marine. 

Disons quelle fut dans cette guerre notre situation 
navale. 



CHAPITRE LXXIV. 

Déploiement d'one vaste feree navale en France. — Trois escadres. Les 
flottes ajentent une force immense anz armées de terre. 

« 

La France faisait en ce moment le déploiement 
d'une vaste force navale. L'escadre de la Baltique, 
sous le commandement de M. le vice-amiral Parse- 
val Deschênes, quitta la rade de Brest au mois d'a- 
vril, et mit à la voile pour se rendre dans le golfe de 
Finlande. 

Cette escadre embarqua un corps expéditio.nnaire 
de troupes d'infanterie et d'artillerie de marine. 

Elle avait pour mission d'aller détruire les fortifi- 
cations deBomarsund, et se composait des bâtiments 
suivants : 

Escadre de la Baltique, 

Bâtiments. Espèces. 

Le Tage vaisseau de 3^ rang 

L'Austerlitz mixte de â® rang. 

L'Hercule idem de 2<^ rang 

Le Jemmapes idem de 2^ rang. 

Le Breslaw idem de 3" rang. 

A reporter ... 5 490 540 



• • 



Canons. 


Chevaux. 


. 100 


» 


. 100 


540 


. 100 


)> 


. 100 


» 


90 


» 



334 



HISTÛIAfi DE LA GU£RRE I) ORIENT. 



1864. 



Bèlinienu. BtpècM. 

Repari . . 5 

Le Duguesclin mixte de 3i^ rang. . 

L'Inflexible idem de 3^ rang. . 

Le Duperré idem de 4" rang. . 

Le Trident idem de 4" rang. . 

La Sémillante frégate de 1"" rang. 

L'Andromaque idem de 1^' rang. 

La Vengeance idem de i*" rang. 

La Poursuivante. . . . idem de 2« rang . 

La Virginie idem de 2« rang . 

La Zénobie idem de i* rang . 

La Psyché idem de 3" rang . 

Le Darien frégate à vapeur. . 

Le Phégéton corvette à vapeur . 

Le Souffleur idem 

Le Milan aviso à vapeur . . . 

Le Lucifer idem 

L*Âigle idem 

Le Doin idem 

Total ... 23 



Caaoat. 


Chevaux 


490 


540 


90 


» 


90 


» 


80 


» 


80 


n 


60 


n 


60 


» 


60 


n 


50 


» 


50 


)) 


50 




40 


» 


14 


450 


10 


400 


6 


220 


4 


200 


6 


200 


6 


200 


4 


120 


1,250 


2,330 



. Quelle désolante disproportion, si on compare cette 
flotte de la Baltique avec la flotte anglaise sur cette 
mer qui comptait une force de 16,000 chevaux, 
22,000 matelots et 2,250 canons!!! 



Escadre de la mer Noire. 

Les forces navales de la France, dans la mer Noire, 
sous le commandement du vice-àmiral Hamelin, com- 
prenaient : 



CHAPITRE LXXtV. 



335 



Bfttiments. 

Le Friedland. . . . 

Le Valmy 

La Ville de Paris . 
Le Henri IV ... . 

Le Bayard 

Le Gharlemagne . . 

Lléna 

Le Jupiter 

Le Marengo . . . . 

Le Gomer 

Le Mogador . . . . 
Le Descartes. . . . 

Le Vauban 

Le Cacique . . . . 
Le Magellan . . . . 

Le Sané 

Le Caton 

Le Promélhée . . . 
La Salamandre. . . 
La Sérieuse . . . . 
Le Mercure . . . . 

L'Olivier 

Le Beaumanoir . . 

Le Cerf 

Le Héron . . . . . 
La Mouette . . . . 



Espèces. 

vaisseau de !•' rang. 
idem de 1" rang 
idem de !•' rang 
idem de 2" rang 
idem de 3® raiig 

mixte 

idem de 3* rang . . 

idem de 3* rang. . 

idem de ^* rang. . 

frégate à vapeur . . 

idem 

idem 

idem 

idem 

idem 

idem 
corvette à vapeur . 

idem 

idem 
corvette à gaillards 
brick de 1" classe 
idem de 1"* classe 
idem de i^ classe 
brick aviso. . . . 
aviso h vapeur . . 

idem 



Canons. Chevaux. 



1854. 



Total . . . 



26 



120 

120 

120 

100 

90 

90 

90 

90 

80 

16 

8 

20 

20 

14 

14 

14 

4 

4 

4 

30 
20 
20 
20 
10 
2 
2 



n 
)) 
» 

» 

450 

» 

» 
450 
650 
540 
540 
450 
450 
450 
200 
200 
120 



200 
200 



1,122 4,900 



L'escadre de l'amiral Bruat , destinée à agir dans 
la mer Noire, dans les eaux de Gallipoli et dans l'ar- 
chipel du Levant, se composait des bâtiments ci- 
après : 



336 



UISTOlRfi D£ LA GU£R11E D 0H1£«T. 



1854. 



Deuxième escadre de l* Océan. 



BAtiittcnu. 



Le Hontebello .... 

Le Napoléon 

Le Suffren 

Le Jean-Bart 

La Ville de Marseille . 

L'Alger 

LaPomone 

Le Gafarelli 

Le Rolland 

Le Primauguet .... 

Total . . . 



Espèces. 

vaisseau de 1*' rang . 

idem à vapeur . . 

idem de S"* rang . 
mixte de 3^ rang. . . 

idem de 4' rang. . . 

idem de i' rang. . . 
frégate mixte de 3* rang 
frégate h vapeur . . . 
corvette à vapeur . . 
idem 



Canons. Chevaux . 



120 
92 
90 
90 
80 
80 
40 
14 
8 
8 



» 

960 

» 
450 

» 

220 
450 
400 
400 



10 



622 2,880 



Indépendamment de ces trois escadres et de toutes 
les frégates ou corvettes à vapeur réunies dans la 
Méditerranée pour le transport de Tarmée d'Orient, 
toutes les stations navales avaient reçu des renforts 
importants dans Tarchipel des Antilles, dans l'océan 
Pacifique, dans les mers de l'Indo-Chine et dans tous 
les parages où s'exerce l'industrie de la pêche ma- 
ritime. 

La marine française possédait dans ce moment, 
sur toutes les mers, 56,000 marins embarqués. 

De son côté, l'Angleterre réunissait des forces ma- 
ritimes bien supérieures et avait d'innombrables ré- 
serves. 

• Ces flottes ajoutaient une force immense, incalcu- 
lable aux ressources déjà si grandes des puissances 
alliées, qui les rendaient maîtresses absolues de la 



CHAPITRE LXXIY. 337 

mer Noire, de la Baltique et autres. Elles leur don- iss*. 
naient la facilité de transporter simultanément sur 
le point qu'on voulait attaquer les troupes et les 
moyens nécessaires pour assurer le succès de Topé- 
ration projetée. Elles assuraient aussi le service des 
munitions et des subsistances. La Russie, par Tim- 
mense étendue de ses côtes, ne pouvait présenter à 
ses adversaires que des corps isolés, que les grandes 
distances et les difficultés des routes empêchaient de 
ravitailler, et qui se trouvaient ainsi à la merci des 
assaillants. Il était dès lors facile de prévoir Tissue 
de la guerre. La mer était pour la France et l'Angle- 
terre un trop puissant auxiliaire. 

Ici s'arrête notre travail. Il contient l'exposé exact 
des causes de cette guerre et l'enchaînement des faits 
d'où elle devait sortir. Le choc des armées va éclater. 
Nous avons laissé aux hommes spéciaux la belle mis- 
sion de raconter cette magnifique épopée. Notre tâche 
était plus modeste; mais quelle opiniâtre patience il 
nous a fallu pour coordonner tous ces détails et en 
faire un tout régulier, compacte, et facile à suivre 
dans une complication de faits et de situations si 
inextricables ! 

Saluons, avant de clore ce récit, avec enthousiasme 

les hauts faits militaires qui s'accomplirent à l'Àlma, 

à Inkerman, à Tractir, à Bomarsund et à MalakofT, 

lieux immortels, où, dans une auréole de gloire, 

sont inscrits tant de nobles preux, qui ont porté si 

haut la renommée de vaillance des soldats français. 

22 



338 HISTOIRE DE LÀ GUERRE d'oRIENT. 

18M. Gloire donc à ces généreux enfants de la France ! 

Oui, gloire à ces illustres guerriers qui préludaient 
avec tant d'éclat aux victoires à jamais célèbres de 
Magenta et de Solférino!! et à celles qui les atten- 
dent sur les bords du Niémen ! 



■*ol^< 



DOCUMENTS DIPLOMATIQUES. 



Communications relatiyes à la Turquie , faites au gouvernement 
de la reine d'Angleterre par l'empereur de Russie. 



(Janvier -avril 1852.) 

N® 1. — Sir G, H, Seymowr à lord John RusseL 
( Reçu le 23 janvier. — Secret et confidentiel.) 

Saint-Pétersbourg, le 11 janvier 1852. 
MlLORD, 

Le 9 de ce mois au soir, j'ai eu Thoimeur de voir i'empe^ 
reur de Russie au palais de la graude-duchesse Hélène, qui, 
à ce qu'il parait, avait demandé la permission d'inviter lady 
Seymour et moi pour voir la famille impériale. 

L'empereur est venu à moi, et, de la manière la plus gra- 
cieuse, m'a dit qu'il avait appris avec grand plaisir que le gou- 
vernement de Sa Majesté venait définitivement d'être constitué, 
et a ajouté qu'il croyait que ce ministère aurait une longue 
durée. 

Sa Majesté Impériale a voulu tout particulièrement que je - 
portasse cette assurance au comte Aberdeen, qu'il connaissait 
depuis environ quarante ans, et pour qui il avait autant d'é* 
gards que d'estime. Sa Majesté Impériale a voulu que je la rap* 
pelasse au souvenir de Sa Seigneurie. 

« Vous connaissez mes sentiments pour l'Angleterre , me dit 
l'empereur, ce que je vous ai dit je vous le répète; c'était tou-* 



340 HISTOIRE DE LA GUBilAE d'oRIENT. 

jours mon intention que les deux pays fussent dans les termes 
d'une amitié intime (close amity),ei je suis sûr qu'ils continue- 
ront à être dans les mômes sentiments. Vous êtes ici depuis quel- 
que temps, et, comme vous avez vu, 11 n'y a eu que fort peu de 
points sur lesquels nous n'ayons pas été d'accord; nos intérêts, 
au fait, sont dans presque toutes les questions les mêmes.» 

J ai fait observer à Tempereur que réellement je ne m'étais 
pas aperçu, depuis mon séjour à Saint -Péta*8bourg, qu'il y 
eût entre nous des divergences d'opinion, excepté en ce qui 
touchait au chiffre dynastique de Napoléon III, point au siyet 
duquel chaque gouvernement avait sa manière de voir, mais 
qui, après tout, n'était pas essentiel. 

« Ce chiffre III, a répondu l'empereur, demanderait de longues 
explications, je n'en parlerai donc pas pour le moment; je se- 
rais cependant bien aise que vous entendissiez ce que j'ai à 
dire là-dessus, je vous prierai donc de me venir voir un matin, 
lorsque je serai un peu plus libre.» 

Naturellement, j'ai prié l'empereur d'être assez bon pour me 
donner ses ordres à ce sujet. 

L'empereur, en attendant, a continué ainsi : « Je répète qu'il 
est essentiel que les deux gouvernements, c'est-à-dire le gou- 
vernement anglais et moi, et moi et le gouvernement anglais, 
soyons dans les meilleurs termes , et jamais la nécessité n'en a 
été aussi grande que dans ce moment. Je vous prie de trans- 
mettre ces paroles à lord John Russel. Lorsque nous sommes 
d'accord, je suis tout à fait sans inquiétude quant à Toccident 
de l'Europe ; ce que d'autres pensent au fond est de peu d'im- 
portance. Quant à la Turquie, c est une autre question; ce pays 
est dans un état critique et peut nous donner beaucoup d'em- 
barras. Mais je vais vous quitter.» Et, en disant cela, l'empe- 
reur s'en allait en me serrant très-gracieusement la mam. 

J'ai aussitôt réfléchi que la conversation était incomplète et 
pourrait ne jamais être reprise. Aussi, pendant que l'empereur 
me tenait encore la main : « Sire, ai-je dit, avec votre gracieuse 



DOCUMENTS DIPLOMATIQUES. 341 

permission, je voudrais prendre ia liberté de dire un mot.» — 
«Certainement, répondit Tempereur; qu'est-ce? j'écoute.» 

«Sire» ai-je repris, Votre Majesté a été assez bonne pour 
m'assurer de la conformité de ses vues avec celles de mon 
gouvernement, ce qui, assurément, m'a causé le plus grand 
plaisir et sera reçu avec une satisfaction générale en Angle- 
terre; mais je serais excessivement heureux si Votre Majesté 
voulait ajouter quelques mots propres à calmer les inquiétudes 
relatives aux affaires de la Turquie, inquiétudes que les évé- 
nements passés ont éveillées à un si haut degré chez le gou- 
vernement de Sa Majesté firitannique; peut-être Votre Majesté 
daignera-t-elle me charger de quelques assurances de plus à 
cet égard.» 

Les paroles et le geste de l'empereur, quoique toujours très- 
gracieux, témoignaient qu'il n avait aucune intention de me 
parler des démonstrations qu'il est sur le point de faire dans 
le sud de l'empire. II a dit cependant, d'abord avec quelque 
hésitation, mais, à mesure qu'il continuait, avec un ton de 
plus en plus affirmatif : « Les affaires de Turquie sont dans un 
état de grande désorganisation; le pays menace ruine: la chute 
sera un grand malheur, et il est important que l'Angleterre 
et la Russie en viennent à une entente parfaite et qu'aucune 
des deux puissances ne fasse aucun pas décisif à l'insu de 
l'autre. » 

J'ai fait observer en quelques mots combien j'étais heureux 
d'entendre ce langage de la bouche de Sa Majesté Impériale; 
que c'était certainement la manière dont les questions relatives 
à la Turquie devaient être traitées. 

«Tenez, a ajouté l'empereur, comme s'il continuait ses ob- 
servations, tenez, nous avons sur les bras un homme malade, 
un homme gravement malade; ce serait, je vous le dis fran- 
chement, un grand malheur, si^ un de ces jours, il devait nous 
échapper, surtout avant que toutes les dispositions fussent prises. 
Ifais, enfin, ce n'est point le iQoa^eqt de vous parler de cel^. » 



342 msTOiRS de u gubrre d'orient. 

Il était éTident pour moi que Fempereur ne voulait pts pro- 
longer la conversation. Jai donc dit : « Votre Majesté est si gra- 
cieuse, qu'elle me permettra de lui fiiire encore une obeo^a- 
tion : Votre Majesté dit que Thomme est malade; c'est bien 
vrai; mais Votre Majesté daignera m excuser, si je lui fkis ob- 
server que c'est à l'homme généreux et f(M*t de ménager 
l'homme malade et faible. » 

L'empereur m*a quitté alors d'une manière qui m'a tait pen- 
ser qu'au moins je ne l'avais pas oflénsé , et il m'a de nou- 
veau parlé de l'intention qu'il avait de m'envoyer chercher un 
jour. 

Donnera-t-il suite à cette intention? Voilà ce qui n'est pas 
aussi sûr pour moi. Il est peut-être bon que je dise à Votre 
Seigneurie que je me propose de donner connaissance au 
comte de Nesselrode de ma conversation avec l'empereur. 

Je suis convaincu que le chancelier est invariablement favo- 
rable aux mesures de modération, et, autant qu'il est en son 
pouvoir, aux vues anglaises. Son désir d'agir de concert avec 
le gouvernement de Sa Majesté ne peut donc qu'être fortifié 
lorsqu'il sera informé des déclarations amicales que Femperecr 
m'a faites à ce sijget. 

En relisant ma dépêche, je suis convaincu que la conversa- 
tion, quoique présentée en abrégé, a été fidèlement rendue 
par moi; le seul point de quelque importance dont je n'aie pas 
parlé est que l'empereur m'avait dit que les dernières nouvelles 
de Gonstantinople étaient plus satisfaisantes, les Turcs parais- 
sant être plus raisonnables, bien qu'on ne voie pas comment 
ils le sont devenus. 

Je ferai seulement observer que nous avons tout intérêt à ce 
qu'il soit bien entendu qu'aucune décision dans les affaires de 
la Turquie ne sera prise sans un concert avec le gouvememeot 
de la reine, par un souverain qui dispose de quelques 100,000 
baïonnettes. 
Agira- t-on conformément à cet accord? Voilà ce qu'on peut 



DOCUMENTS DIPLOMATIQUES. 343 

révoquer en doute, d*autant plus que les assurances de Tem- 
pereur sont un peu en contradiction avec les mesures sur les- 
quelles il a été de mon devoir d'appeler l'attention de Votre 
Seigneurie. 

Néanmoins les paroles de Tempereur me paraissent avoir 
une valeur considérable, et certainement elles m'ofifrent dans 
ce moment un avantage dont je ne manquerai pas de pro- 
fiter. 

Votre Seigneurie me pardonnera si je lui fais observer qu'en 
réfléchissant avec attention sur ma conversation avec l'empe- 
reur, il me semble que cette ouverture et d'autres de la même 
nature qui pourraient encore être faites, tendent à poser un 
dilemme par lequel il est fort à "désirer que le gouvernement 
de Sa Majesté ne se laisse pas lier. Ce dilemme me paraît être 
celui-ci : Si le gouvernement de Sa Majesté Britannique ne s'en- 
tend pas avec la Russie relativement à ce qui doit avoir lieu 
dans l'hypothèse de la dissolution de la Turquie, il aura d'au- 
tant moins sujet de se plaindre, au cas où les suites seraient 
désagréables à l'Angleterre. Si, au contraire, le gouvernement 
de Sa Majesté entrait dans l'examen de ces éventuatités, il 
serait jusqu'à un certain degré partie consentante à une catas- 
trophe qu'il lui importe tant d'éloigner aussi longtemps que 
possible. 

Ceci peut sans doute se résumer en ces mots : l'Angleterre 
doit désirer un accord intime avec la Russie dans le but d'em- 
pêcher la chute de l'empire ottoman, tandis que la Russie se- 
rait bien aise que cet accord fût apphqué à des événements 
dont la chute de la Turquie serait la conséquence. 

J'ai l'honneur.... 

P. S. Depuis que la dépêche ci-dessus a été écrite , le mi- 
nistre d'Autriche m'a dit que l'empereur lui avait parlé de la 
conversation qu'il avait eue avec moi. «J'ai dit à sir Hamilton 
Seymour, lui a dit l'empereur, que le nouveau ministère me 
paraissait fort, et que je souhaitais beaucoup qu'il durât, quoi- 



344 HISTOIBR DE LA GUERRE D*ORISKT. 

que, à yrai dire, en ce qui concerne FAngleterre, je sadbe que 
c*e8t avec le pays qu'il fout que nous soyons amis. Nous ne de- 
vons pas pencher pour tel ou tel parti • 

G. Hamilton Seymoijr. 



N* 2. — Sir G. H. Setflnour à lord John Russel. 

( Reçu le 6 fénier. — Secret et eooBdentîel.) 

Saint-Pétersbourg, le 23 janvier 1853. 
MlLORD, 

Le 14 de ce mois, conformément à une invitation reçue du 
chancelier, je suis allé chez l'empereur et j'ai eu Thonneur d Sa- 
voir avec Sa Majesté Impériale la conversation trèfr-intéressante 
dont il est de mon devoir de donner à Votre Seigneurie ua 
compte rendu qui, quoique imparfait, n'est pas en tous cas 
inexact. 

J'ai trouvé l'empereur seul; il m'a reçu avec une grande 
bienveillance en me disant que j'avais témoigné le désir de lui 
parler des affaires d'Orient; que, de son côté, il était égale- 
ment disposé à en parler; mais qu'il serait obligé de remonter 
à une époque éloignée. 

«Vous savez, me dit l'empereur, les rêves et les plans dans 
lesquels l'impératrice Catherine se complaisait; ils ont été 
transmis jusqu'à nos jours; mais, quant à moi, quoique héri- 
tier de ses immenses possessions territoriales, je n'ai pas hérité 
de ces visions, ou de ces intentions, si vous voulez. Au con- 
traire, mon empire est si vaste, placé sous tous les rapports si 
heureusement, que ce serait déraisonnable de ma part de dé- 
sirer plus de territoire ou plus deponvour que je n'en possède; 
au contraire, je suis le premier à vous dire que notre grand, 
peut-être notre seul danger, naîtrait d'une extension nouvelle 
(^onpée 4 un empire déjà trop gran^. 



PV^^^^*^ 



DOCUMENTS DIPLOMATIQUES. 345 



X^'JÎ 



m 



;? «Tout près de nous est la Turquie, et dans notre situation 

actuelle on ne saurait désirer rien de mieux pour nos intérêts; 
les temps ne sont plus où nous avions à craindre quelque chose 
du fanatisme ou des entreprises guerrières des Turcs, et ce- 
pendant ce pays est encore assez fort ou a été jusqu'ici assez 
fort pour maintenir son indépendance et se faire respecter par 
d autres États. 

«Eh bien! dans cet empire, il y a plusieurs millions de chré- 
tiens sur les intérêts desquels je suis appelé à veiller, pendant 
que, d'un autre côté, le droit de le faire m'est garanti par des 
traités. Je puis dire en toute vérité que je fais un usage modéré 
de mon droit, et j'avouerai franchement que c'est un droit ac- 
compagné quelquefois de devoirs bien gênants; mais je ne peux 
pas me soustraire à Faecomplissement d'un devoir positif. Notre 
religion, telle qu'elle est établie dans ce pays, nous est venue 
d'Orient, et il y a des sentiments et des obligations qu'on ne 
saurait perdre de vue. 

« Maintenant, la Turquie, placée dans une situation telle que 
je l'ai dit, est tombée graduellement à un état de décrépitude 
tel que, comme je vous l'ai dit l'autre jour, si désireux que 
nous soyons de prolonger l'existence du malade (et je vous prie 
de croire que je désire autant que vous qu'il continue à vivre), 
il peut subitement mourir et nous rester sur les bras; nous ne 
pouvons pas ressusciter ce qui est mort; si l'empire turc tombe, 
il tombera pour ne plus se relever; je vous demande alors s'il 
ne vaut pas mieux être préparé à une telle éventualité que de 
s'exposer au chaos, à la confusion et à la certitude d'une guerre 
européenne: or, tout cela devra accompagner la catastrophe, 
si elle a lieu inopinément et avant qu'on ait tracé quelque plan 
ultérieur. Voilà le point sur lequel je désire appeler l'attention 
de votre gouvernement. » 

J'ai répondu: «Sire, Votre Majesté est si franche avec moi, 
qu'elle aura la bonté de me permettre de parler avec la même 
fr^chise. Je ferai donc observer à Votre Majesté que, quelque 



3i(V HisTome de la guerre d'orient. 

déplorable que soit la situation de la Turquie, c*est un pays 
qui a été depuis longtemps dans des difficultés que beaucoup 
de personnes croyaient insurmontables. 

«Ouant aux arrangements à prendre, le gouvernement de la 
reine, comme Votre Majesté le sait bien, est opposé, en règte 
générale, à contracter des engagements en vue d'éventualités, 
el serait peut-être peu disposé, en particulier, à en contracter 
dans cette question. Si je puis m'exprimer ainsi, on éprouve 
toujours en .Angleterre beaucoup de répugnance à escompter 
la succession d'un ancien ami et allié. » 

— «C'est un bon principe, répondit l'empereur, bon dans tous 
les temps, mais surtout dans des temps d'incertitudes et de 
changements, comme les temps actuels; et cependant il est de 
la plus grande importance que nous nous entendions mutuel- 
lement, et que nous ne nous laissions pas surprendre par les 
événements. Maintenant, je désire vous parler en ami et en 
gentleman; si nous arrivons à nous entendre sur cette affaire, 
l'Angleterre et moi, pour le reste, peu m'importe; je tiens pour 
indifférent ce que font et pensent les autres. Usant donc de 
franchise, je vous dis nettement que si rAngleterre songe à 
s'établir un de ces jours à Constantinople, je ne le p^mettrai 
pas; je ne vous prête point ces intentions, mais il vaut mieux 
dans ces occasions parler clairement; démon côté, jesuiséga* 
lement disposé à prenêre l'engagement de ne pas m y établir, 
en propriétaire, il s'entend, car en dépositaire, je ne dis pas; 
il pourrait se faire que les circonstances me missent dans le cas 
d'occuper Constantinople si rien ne se trouve prévu, si l'on 
doit tout laisser au hasard. » 

J'ai remercié Fempereur de la franchise de ses déclarations 
et du désir qu'il venait d'exprimer d'agir cordialement et ou- 
vertement avec le gouvernement de Sa Majesté, en lui faisant 
observer en même temps qu'une telle entente me paraissait la 
meilleure garantie contre le danger auquel Sa Majesté Impé- 
riale avait fait allusion. J'ai ajouté que, quoique je ne fusse pas 



; 



DOCUMENTS DIPLOMATIQUES. 347 

préparé à exprimer une opinion positive sur des questions aussi 
graves et aussi délicates, il me paraissait possible de conclure, 
entre le gouvernement de Sa Majesté et l'empereur, un arran- 
gement de nature à prévenir certaines éventualités plutôt qu'à 
y pourvoir. 

Pour rendre ma pensée plus claire, j'ai encore dit ceci : «Je 
ne puis que répéter, Sire, que, dans mon opinion, le gouver- 
nement de la reine sera peu disposé à prendre des arrange- 
ments en vue de la chute de l'empire ottoman; mais il est pos- 
sible qu'il soit prêt à en prendre pour mettre obstacle à des 
arrangements qu'on serait tenté de conclure pour cette éven- 
tualité. » 

L'empereur a ensuite parlé d'une conversation qu'il avait 
eue, lors de son dernier voyage en Angleterre, avec le duc de 
Wellington, et des motifs qui l'avaient engagé à s'ouvrir le 
premier au duc. Alors, comme à présent, il était, a-t-il dit, 
désireux de prendre des mesures contre des événements qui , 
faute de tout concert préalable, pourraient le forcer d'agir con- 
trairement aux vues du gouvernement de Sa Majesté Britan- 
nique. 

La conversation passa ensuite aux événements du jour; et, 
à cette occasion, l'empereur a brièvement récapitulé ses de- 
mandes relatives aux lieux saints, demandes reconnues par le 
firman de février 1852 et revêtues d'une sanction à laquelle 
Sa Majesté disait attacher beaucoup plus d'importance, la pa- 
role d'un souverain. 

L'empereur a dit qu'il devait insister sur l'exécution des pro- 
messes ainsi faites et ratifiées , mais il voulait croire que cet 
objet pourrait être atteint par la négociation, d'autant plus que 
les dernières nouvelles dé Gonstautinople étaient plus satisfai- 
santes. 

J'ai exprimé ma conviction que la négociation appuyée, 
comme je le supposais, de la menace de mesures militaires, suf- 
firait pour assurer une réponse favorable aux justes demandes 



348 HISTOIRE DE LA GUERRE D*ORIBNT. 

de la Russie. J'ai ajouté que je désirais'répéter à Fempereur 
ce que j'avais déjà lu à son ministre dans une note à lui adres- 
sée, savoir, que ce que je craignais pour la Turquie, ce n'é- 
taient pas les intentions de Sa Majesté Fempereur, mais les 
suites des mesures qu'on préparait; j'ai ajouté que je ratais 
qu'on pouvait prévoir deux conséquences de Fapparition d'une 
armée russe sur les frontières de la Turquie : l'une, une contre- 
démonstration qui viendrait de la France; l'autre, plus sérieuse 
encore, le soulèvement des populations chrétiennes «outre 
l'autorité du sultan, déjà affaiblie par des révoltes et par une 
grave crise financière. 

L'empereur m'a assuré qu'aucun mouvement de ses troupes 
n'avait eu lieu, qu elles n*ont pas bougé, et a exprimé Fespoir 
qu*aucun mouvement en avant ne serait nécessaire. 

Quant à une expédition française dans les États du sultan , 
Fempereur a donné à entendre qu'une telle démarche condui- 
rait les afflûres à une crise immédiate ; que le sentiment d'hon- 
neur le forcerait d'envoyer en Turquie une armée , sans délai 
et sans hésitation ; et que si le résultat d'un tel mouvement était 
le renversement du Grand Seigneur, il le regretterait, mais qu'il 
serait persuadé de n'avoir rien fait qu'il ne fût forcé de faire. 

Je dois ajouter encore ceci au compte rendu ci-dessus, que 
Fempereur a bien voulu laisser à ma discrétion de communi- 
quer ou non à son ministre (comte Nesselrode) les détails de 
notre conversation; et qu'avant que j'eusse quitté Sa Majesté, 
elle me dit : «Vous rendrez compte au gouvernement de la 
reine de ce qui s'est passé entre nous, et vous direz que je suis 
prêt à accueillir toute communication qu'il jugera à propos de 
me faire sur cette question. » 

J'ai parlé, dans une autre dépêche, des points auxquels 
Fempereur a touché dans sa conversation. Quant aux ouvertures 
si importantes auxquelles se rapporte la présente, je ferai ob- 
server à Votre Seigneurie que, comme il est de mon devoir de 
rapporter aussi bien mes impressions cpie des faits et des décla-» 



DOCUMENTS DIPLOMATIQUES. 349 

rations, je suis obligé de dire que si les paroles, le ton, les 
gestes peuvent servir de critérium des intentions, Tempereur 
me parait disposé à agir avec loyauté et franchise envers le 
gouvernement de Sa Majesté. L'empereur a, sans aucun doute, 
ses propres objets en vue, et, dans mon opinion, il croit trop 
fortement à l'imminence des dangers qui menacent la Turquie. 
Je suis, toutefois, convaincu que, pour accomplir ses vues 
comme pour se prémunir contre ces dangers, Tempereur dé- 
sire sincèrement d'agir de concert avec le gouvernement de 
Sa Majesté la reine. 

Je vais maintenant faire observer à Votre Seigneurie que ces 
ouvertures ne pourraient , sans inconvenance , être passées sous 
silence par le gouvernement de la reine. 

Une première fois des allusions à ces ouvertures ont été 
faites; une seconde fois elles ont été distinctement faites par 
l'empereur lui-même au ministre de la reine accrédité à sa 
cour, tandis que la conversation qui a eu lieu, il y a quelques 
années, avec le duc de Wellington, prouve que l'objet que 
l'empereur a en vue est un de ceux qui ont longtemps occupé 
ses pensées. 

Si donc les propositions restaient sans réponse, le cabinet 
impérial aurait cet avantage décisif, que , dans le cas où une 
grande catastrophe surviendrait en Turquie, il pourrait rappeler 
les ouvertures faites à l'Angleterre, et qui, n'ayant pas eu de 
suite, laissaient à l'empereur la faculté, ou le mettaient dans 
la nécessité de suivre sa propre ligne de politique en Orient. 

En outre, je ferai observer que le désir exprimé par l'em- 
pereur, même au point de vue de ses intérêts, de voir prolon- 
ger les jours de cet homme qui se meurt (là Turquie), me parait 
autoriser le gouvernement de la reine à proposer à l'empereur 
de s'unir à l'Angleterre pour prendre des mesures propres à 
étayer l'autorité chancelante du sultan. 

Enfin, je ferai observer que, quand même l'empereur serait 
peu disposé à suivre une politique capable d'arrêter la chute 



350 UISTOIAE 0B Lk GDSRRB D*0IU81«T. 

de Tempire ottoman, les déclarations qu il ma faites le forcent 

à prendre d'avance, de concert avec le gouvernement de la 

reine, des mesures de précaution propres à empêcher la crise 

fatale d'être suivie d'une confusion qui aurait lieu dès que la 

succession serait ouverte. 

Ce serait un noble triomphe de la civilisation du dix-neuvième 

siècle, si le vide laissé par Textinction de la domination ma- 

hométane en Europe pouvait être comblé sans que la paix de 

l'Europe fût troublée, grâce aux mesures de précaution prises 

par les deux puissances les plus intéressées aux destinées de 

la Turquie. 

J'ai l'honneur, etc. 

G. fl. Seymour; 



N" 5. — Sir G. H, Seymour à lord John Russel 

(Reçu le 6 mars. — Secret et confidentiel. — Extrait.) 

Saint-Pétersbourg, le 21 février 1853. 

Hier soir, à une réunion chez la grande-duchesse, femme du 
grand-duc héritier, l'empereur vint à moi et me prit à part de 
la manière la plus gracieuse, en me disant qu'il voulait me 
parler. Après avoir exprimé en termes flatteurs la confiance 
qu'il avait en moi, il déclara qu'il était prêt à me parler sans 
réserve sur des questions de la plus grande importance, comme 
il l'avait fait, disait-il, dans sa dernière conversation. «Et 
il est bien, ajouta-t-il, qu'il en soit ainsi; car, ce que je désire 
le plus, c'est qu'il règne la plus grande intimité entre les deux 
gouvernements; elle n'a jamais été aussi nécessaire que dans 
ce moment. 

«Ëb bien! continua l'empereur, vous avez donc reçu votre 
réponse, et vous allez me l'apporter demain?» 

— «J'aurai cet honneur, Sire, répondis-je; mais Votre Majesté 
sait déjà que la réponse est exactement ce que je lui avais fait 
pressentir. » 



^Êmm 



DOCUMENTS DIPLOMATIQUES. 351 

— - « C'est ce que je regrette d'avoir appris; mais je crois que 
votre gouveraement ne comprend pas bien mon but. Je suis 
moins impatient de savoir ce qui sera fait lorsque le malade 
mourra, que de déterminer avec l'Angleterre ce qui ne sera 
pas fait lorsque cet événement arrivera.» 

— «Mais, Sire, permettez-moi de vous faire observer que nous 
n'avons aucune raison de croire que le malade, pour me servir 
de l'expression de Votre Majesté , soit à l'article de la mort. 
Nous avons autant d'intérêt que nous en supposons à Votre 
Majesté à la continuation de son existence, et, quant à moi, 
j'oserai ajouter que l'expérience nous apprend que les États ne 
meurent pas aussi vite. La Turquie vivra encore pendant bien 
des années, à moins qu'il ne survienne quelque crise imprévue. 
Et c'est précisément, Sire, pour éviter toutes les circonstances 
qui seraient de nature à amener une telle crise, que le gou- 
vernement de la reine compte sur votre généreux concours.» 

— «Alors, reprit l'empereur, je vous dirai que si vôtre gou- 
vernement est porté à croire que la Turquie conserve quelques 
éléments d'existence, il faut qu'il ait reçu des renseignements 
inexacts. Je vous le répète, le malade se meurt, et nous ne 
pouvons jamais permettre qu'un tel événement nous prenne au 
dépourvu. 11 nous faut eu venir à une entente, et nous y arri- 
verions, j'en suis convaincu, si j'avais seulement dix minutes 
de conversation avec vos ministres, avec lord Aberdeen, par 
exemple, qui me connaît si bien, qui a en moi une confiance 
aussi entière que celle que j'ai en lui. Et, ne l'oubliez pas, je 
ne demande ni un traité, ni un protocole; une entente géné- 
rale est tout ce que je désire. Entre gens comme il faut, cela 
suffit, et dans ce cas, je suis sûr que la confiance serait aussi 
grande du côté des ministres de la reine que du mien. Restons- 
en là pour le moment; venez demain, et toutes les fois que 
vous croirez qu'une conversation avec moi puisse contribuer à 
une entente sur n'importe quel point, faites^moi dire que vous 
désirez me voir.» 






3&i HISTOIRE DE LA GUERAfi D^ORISNT. 

J'ai remercié Sa Majesté Impériale avec eSbsion, en ajoutant 
que je pouvais l'assurer que le gouvernement de la reine re- 
gardait sa parole, une fois donnée, coaune ayant la valeur d'uu 
contrat. 

J ai à peine besoin de faire observer à Votre Seigneurie que 
cette courte conversation, rapportée ici brièvement, mais 
exactement, fournit un sujet à de plus sérieuses réflexions. 

Et il ne saurait y avoir de doute qu'un souverain qui insiste 
avec une telle opiniâtreté sur la chute inmiinente dun État voi- 
sin, n'ait arrêté dans son esprit que l'heure est venue, non pas 
d attendre sa dissolution, mais de la provoquer. 

J ai pensé alors, comme je le pense encore, quon n'aurait 
pas hasardé une telle hypothèse, s'il n'existait pas quelque en- 
tente, peut-être générale, mais dans tous les cas mtime, entre 
la Russie et l'Autriche. . 

En supposant que mes soupçons soient fondés, le but de 
l'empereur serait d'entraîner le gouvernement de la reine, con- 
jointement avec les cabinets de Saint-Pétersbourg et de Vienne, 
dans un plan de partage de la Turquie, et d'exclure la France 
de cet arrangement. 



N" 6. — Sir G. H, Seymour à lord John Russel. 

(Reçu le 6 mars. — Secret et confidentiel. — Extrail.) 

Saint-Pe'tersbourg, le 22 février 1853. 

J'ai eu riionneur de visiter l'empereur hier, et d'avoir avec 
Sa Majesté une des plus intéressantes conversations dans les- 
quelles je me fusse jamais trouvé engagé. Mon seul regret est 
mon impuissance à rendre dans tous ses détails un dialogue 
qui a duré une heure douze minutes. 

L'empereur commença par souhaiter que je lui lusse la dé- 
pêche secrète et confidentielle de Votre Seigneurie, en date du 
9 courant, disant qu'il m'arrêterait à l'occasion, soit pour faire 



Ul 



DOCUMENTS DIPLOMATIQUES. 353 

une observation, soit pour me demander l'explication de quel- 
ques passages. 

En arrivant au quatrième paragraphe , l'empereur manifesta 
le désir que je m'arrêtasse, et observa qu'il était certainement 
très- désireux d'une entente avec le gouvernement de Sa Ma- 
jesté, afin de pourvoir à une éventualité aussi probable que la 
chute de la Turquie; qu'il était peut-être plus intéressé que 
l'Angleterre môme à prévenir une catastrophe en Turquie; 
mais qu'un semblable événement était toujours imminent; que 
cet événement pouvait être amené, d'un moment à l'autre, soit 
par une guerre étrangère , soit par une lutte entre le vieux 
parti turc et- celui des « nouvelles et superficielles réformes 
françaises, » ou encore par une insurrection des chrétiens que 
l'on sait toujours très-impatients de secouer le joug des mu- 
sulmans. A l'égard de la première cause, l'empereur dit qu'il 
était bien fondé à la signaler, d'autant plus que s'il n'avait pas 
arrêté la marche victorieuse du général Diebitsch, en 1829, l'au- 
torité du sultan aurait été à son terme. 

L'empereur psù'eillement désira que je me rappelasse que 
lui, et lui seul, s'était empressé de porter secours au sultan, 
lorsque ses domaines étaient menacés par le pacha d'Egypte. 
Je repris la lecture et fus de nouveau interrompu à ce pas- 
sage: «Dans ces circonstances, ce serait à peine compatible 

avec les sentiments amicaux » L'empereur observa que le 

gouvernement de Sa Majesté ne paraissait pas convaincu que 
son principal objet fût d'obtenu: du gouvernement de Sa Ma- 
jesté quelque déclaration ou même quelque opinion sur ce qui 
devait être interdit dans l'éventuaUté d'une chute soudaine de 
la Turquie. Je dis : « Peut-être Votre Majesté sera-t-elle assez 
bonne pour expliquer ses propres idées sur cette politique 
négative. » Sa Majesté hésita pendant quelque temps à me ré- 
pondre; cependant, elle finit par dire : «Bien, il y a plusieurs 
choses que je ne tolérerai jamais : je commencerai par nous- 
mêmes. Je ne tolérerai jamais l'occupation permanente de Gon- 

23 



354 UISTOIHK DE LA GUERRE d'oRIENT. 

stantinople par les Russes. Après cela, je dirai que Gonstanti- 
uople ne sera jamais occupée par FAngleterre , par la France 
ou par quelque autre grande nation. En outre, je ne permet- 
trai jamais une tentative de reconstituer un empire byzantin 
ou une extension telle de la Grèce qu'elle pût devenir un État 
puissant. Encore moins permettrai-je le démembrement de la 
Turquie en petites républiques, asiles des Kossuth, des Mazzini 
et des autres révolutionnaires de TEurope. Plutôt que de me 
soumettre à quelqu'un de ces arrangements, je ferais la guerre, 
et aussi longtemps que je pourrais disposer d'un homme et 
d un mousquet. Voilà, ajouta l'empereur, quelques-unes de mes 
idées; maintenant, communiquez - m en quelques-unes en 
échange. » 

Je fis remarquer 1 assurance que rAngleterre a donnée de sa 
résolution de ne jamais essayer de posséder Gonstantinople et 
Taversion du gouvernement de Sa Majesté d'entrer dans des 
arrangements éventuels; mais, pressé de nouveau par Sa Ma- 
jesté Impériale , je dis : « Bien , Monsieur, l'idée peut ne pas 
convenir à Votre Majesté, peut ne pas convenir au gouverne- 
ment de Sa Majesté, mais ce qui est bon d'honune à honmie, 
est souvent un bon système d'État à État. Gonunent les choses 
se passeraient-elles si, dans l'éventualité de quelque catastrophe 
en Turquie, la Russie et l'Angleterre déclaraient qu'elles ne 
permettront à aucune puissance de prendre possession de ces 
provinces? Le territoire serait-il placé comme sous les scellés, 
jusqu'à ce que des arrangements amiables eussent amené son 
ai^judication?» 

— «Je ne dirai pas, observa l'empereur, qu'une telle situation 
serait impossible, mais en résumé, elle serait fort difficile : il 
n'y a pas d'éléments de gouvernement provincial ou communal 
en Turquie; vous auriez les Turcs attaquant les chrétiens, les 
chrétiens tombant sur les Turcs , les chrétiens des différentes 
sectes se querellant entre eux: en un mot, le chaos et l'anar- 
chie.» 



DOGUtfEIiTS DIPLOMATIQUES. 355 

— «Monsieur, répliquai-je alors, si Votre Majesté veut me per- 
mettre Oe parler franchement, je dirai que la grande différence 
qui existe entre nous est celle-ci : Vous continuez à insister sur 
la chute de la Turquie et sur les arrangements à intervenir 
avant et après la chute, et nous, au contrake, songeons à 
maintenir la Turquie telle qu'elle est, et aux précautions qui 
sont nécessaires pour empêcher sa condition de devenir pire.» 

— «Ah! répliqua Tempereur, c'est ce que le chanceher me 
dit sans cesse; mais la catastrophe arrivera quelque jour, et 
nous prendra tous au dépourvu. » 

Sa Majesté Impériale parla de la France. «Dieu me garde, 
dit-elle, d'accuser quelqu'un injustement, mais il y a des ch*- 
constances et à Gonstantinople et dans le Monténégro qui sont 
extrêmement suspectes. Cela me semble comme si le gouver- 
nement français s'efforçait de nous brouiller tous en Orient, 
espérant par ce moyen arriver le mieux à ses propres vues : 
un de ses projets, sans doute, est la possession de Tunis.» 

L'empereur poursuivit en disant que pour sa part il se préoc- 
cupait fort peu de la ligne que la France jugerait convenable 
de suivre dans les affaires d'Orient, et quil y avait un peu 
plus d'un mois qu'il avait avisé le sultan que, s'il requérait 
sou assistance pour résister aux menaces de la France, elle 
était entièrement au service du sultan. 

En un mot, l'empereur en vint à observer : « Gomme je vous 
l'ai déjà dit, tout ce dont j'ai besoin, c'est une bonne entente 
avec l'Angleterre, et cela non pour tout ce qui sera, mais pour 
tout ce qui ne sera pas fait; ce point arrêté, le gouvernement 
anglais et moi, moi et le gouvernement anglais, ayant une en- 
tière confiance dans nos vues réciproques, je me soucie peu 
du reste.» 

Je remarquai que j'avais la conviction que le gouvernement 
de Sa Majesté serait aus» peu disposé que Sa Majesté Impériale 
à tolérer la présence des Français à Gonstantinople, et étant 
désireux, si cela était possible, de m'assurer s'il y avait quel- 



356 UISTOIU ù& LA GUERIUB O'OJUfiMT. 

que entente entre les cabinets de Saint-Pétersbourg et de Vienne 
j'ajoutai : 

« Mais Votre Majesté a oublié rAutricbe. Aujourd'hui, toutes 
ces questions d*Orient la touchent de très-près; elle s'atteodrait, 
sans doute, à être consultée.! 

— • Oh ! répliqua l'empereur, à ma grande surprise, mais vous 
devez comprendre que lorsque je parle de la Russie, je parle 
aussi bien de rAutricbe. Ce qui conviëht à Tune, convient à 
lautre : nos intérêts à Tégard de la Turquie sont parfaitement 
identiques. » 

J'aurais été heureux de faire une ou deux autres que^lioDs 
sur ce suijet, mais je ne m'y aventurai pas. 

Je dois faire remarquer qu'à un moment antérieur de la con- 
versation, Sa Majesté, quoique sans aucune apparence d'irrita- 
tion, montra beaucoup de surprise à l'expression suivante de 
la dépêche de Votre Seigneurie: «L'ambition longtemps ex- 
citée de sa propre nation.» n me demanda ce que cette phrase 
voulait dire. 

Il se trouva que je m'attendais à ce mouvement de surprise, 
et prêt à répondre avec toute la réflexion nécessaire. 

«Monsieur, dis- je, lord John Russel ne parle pas de votre 
ambition, il parle de celle que nourrit votre peuple. » 

L'empereur n'aurait pas admis tout d'abord que la phrase 
était applicable à la nation russe plus qu'à lui-même , lorsque 
je lui dis : 

« Votre Majesté me permettra de remarquer que lord John 
Russel répète seulement ce que disait , il y a trente ans, votre 
frère, de glorieuse mémoire. En écrivant confidentiellement à 
lord Gastlereagh, dans l'aimée 1822, l'empereur Alexandre 
disait qu'il était le seul Russe qui résistât aux vues de ses su- 
jets sur la Turquie, et il parlait de la popularité qu'il avait per- 
due par cet antagonisme.» 

Cette citation que , par hasard, je faisais presque dans les 
termes de la lettre, parut changer le cours des idées de l'em- 
pereur. 



■r*- 



DOCUMENTS DIPLOMATIQUES. 357 

«Vous avez tout à fait raison, me dit-il, je me rappelle les 
évépenients auxquels mon A*ère faisait allusion. Maintenant, 
il est parfaitement vrai que Timpératrice Gatberine s'abandon- 
nait à toutes sortes de visions d'ambition; mais ce ne l'est pas 
moins que ces idées ne sont pas en tout partagées par ses 
descendants. Vous savez comment je me comporte vis-à-vis du 
sultan. Ce monsieur viole avec moi sa parole écrite, il agit 
d'une façon qui m'est extrêmement désagréable, et je me con- 
tente d'envoyer un ambassadeur à Gonstantinople pour de- 
mander réparation. A coup sûr, j'y aurais envoyé une armée , 
si je l'avais voulu; il n'y a rien qui aurait pu l'arrêter, mais je 
me suis contenté d'un appareil de force qui prouvera que je 
n'ai pas l'intention d'être joué.» 

— « Et, Monsieur, dis-je. vous avez tout à fait raison de refréner 
la violence, et j'espère que, dans d'autres occasions, vous agi- 
rez avec la même modération, car Votre Majesté doit être con- 
vaincue que les concessions nouvelles qui ont été obtenues 
par les Latins ne peuvent pas être rapportées à du mauvais 
vouloir à votre égard, mais aux appréhensions excessives des 
Francs entretenues par les malheureux Turcs. D'ailleurs, Mon- 
sieur, je me hasarderai à dire que le danger en ce moment 
n'est pas la Turquie, mais cet esprit révolutionnaire qui a éclaté 
il y a quatre ans, et qm*, dans beaucoup de pays, couve encore 
sous le sol; là est le danger, et sans doute une guerre en Tur- 
quie serait le signal d'explosions nouvelles en Italie, en Hon- 
grie et ailleurs. Nous voyons ce qui se passe à Milan.» 

Sa Majesté Impériale parla du Monténégro, observant qu'il 
approuvait l'attitude prise par le cabinet autrichien, et qu'au- 
jourd'hui on ne permettrait pas que les Turcs maltraitassent et 
missent à mort une population chrétienne. 

Je me hasardai à remarquer que sur ce point les torts étaient 
au moins partagés entre les Turcs et les Monténégrins, et que 
j'avais toute raison de croire que la provocation venait des 
derniers, l'empereur, avec plus d'impartialité que je n en ^\im^ 



358 HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORICNT. 

dais, admit qu*il y avait des torts des deux côtés, que certai- 
nemeot les montagoards s'adoonaieut au brigandage , et que 
la prise de Djabljak lui avait causé uoe grande indignation. En 
même temps, Sa Majesté dit : 

« n est impossible de ne pas éprouver un grand intérêt pour 
une population énergiquement attarbée à sa religion , et qui a 
si longtemps défendu pon territoire contre les Turcs.» 

Et Tempereur poursuivit : 

«Il peut être franc de vous dire que, si quelque tentative 
d'exterminer ce peuple était faite par Omer-Pacha et provo- 
quait une insurrection générale des cbrétiens, le sultan, selon 
toute probabilité, perdrait son trône, et, dans ce cas, il tom* 
berait pour ne plus se relever. Je souhaite soutenir son autorité ; 
nrais, s'il la perd, c'en est fait pour toujours L*empireturc 
est un de ces États que Ton tolère, mais qu'on ne reconstruit 
pas. Dans un cas semblable, je vous proteste que je ne per- 
mettrai pas un coup de pistolet.» 

L'empereur en vint à dire que, dans Téventualité de la dis- 
solution de Tempire ottoman, il pensait qu'il pourrait être 
moins difficile d'arriver à un arrangement territorial satisfaisant 
qu on ne le croyait généralement. 

«Les Principautés sont, dit -11, en fait, un État indépendant 
sous ma protection; cela peut continuer ainsi. La Servie peut 
prendre la même forme de gouvernement. Il en est de même 
de la Bulgarie. Il n'y a pas de raison, ce semble, pour que cette 
province ne forme pas un État indépendant. Quant à lÉgypte, 
je comprends tout à fait l'importance que ce pays a pour l'An- 
gleterre, Je puis alors dire seulement que si, dans l'éventualité 
d'un partage de la succession otomane, à la chute de cet em- 
pire, vous preniez possession de l'Egypte, je n'aurais pas d'ob- 
jections à faire. Je dirais la même chose de Candie : cette île 
peut vous convenir, et je ne sais pas pourquoi elle ne devien- 
drait pas une possession anglaise.» 

Gomme je ne souhaitais pas que l'empereur s'imaginât qu'un 



DOCUMENTS DIPLOMATIQUES. 359 

serviteur public de l'Angleterre fût pris par cette espèce d'ou- 
verture, je répondis simplement que j'avais toujours compris 
que les vues de l'Angleterre sur l'Egypte n'allaient pas au delà 
d'assurer une prompte et sûre communication entre l'Inde an- 
glaise et la mère-patrie. 

La conversation touchant alors à sa fin , Tempereur exprima 
son chaleureux attachement pour la reine notre gracieuse sou- 
veraine, et son respect pour les conseillers actuels de Sa Ma- 
jesté. Les déclarations contenues dans la dépêche de Votre 
Seigneurie ont été, dit -il, très -satisfaisantes; il désirerait seu- 
lement qu'elles fussent un peu développées. Les termes dans 
lesquels Votre Seigneurie a parlé de sa conduite, ont été, l'em- 
pereur le dit, très-flatteurs pour lui. 

En me congédiant. Sa Majesté Impériale dit : 
«Bien, invitez votre gouvernement à écrire encore sur ces 
sujets, à écrire plus complètement et à le faire sans hésitation. 
J'ai confiance dans le gouvernement anglais. Ce n'est point un 
engagement^ une convention que je leur demande; c'est un 
libre échange, et, au besoin, u/ne parole de gentleman; entre 
nous cela suffit.)» (Cette phrase est en français dans la dépêche 
de sir Seymour.) 

Je me hasarderai à suggérer que quelques expressions pour- 
raient être employées dans la dépêche qui me sera adressée, 
afin de mettre un terme à toute considération ultérieure, ou à 
tous événements, à la discussion de points qu'il serait à un si 
haut point désirable de ne pas regarder comme offrant matière 
à débat. 

Je puis seulement ajouter, par forme d'apologie, qu'il est 
possible que je me sois trompé en rapportant certaines parties 
de la conversation de Tempereur, et que j'ai conscience d'avoir 
oublié les termes précis dont il s'est servi à l'égard de la poli- 
tique commerciale à observer à Gonstantinople lorsqu'elle ne 
sera plus en possession des Turcs. 

Le fond de l'observation était que V Angleterre et la Russie 



360 HISTOIRE DE LA GUERRE d'ORIENT. 

avaient un commun intérêt à pourvoir à Taccès le plus facile 
entre la mer Noire et la Méditerranée. 

Une copie de la dépêche de Votre Seigneurie a été laissée 
entre les mains de Tempereur. 



N* 7. — Sir G, H. Seymour au comte de Clarendon. 

(Reçu le 19 mars. — Secret et confidentiel. — Extraif.) 

Saint-Pétersbourg, le 9 mars 1S53. 

Lorsque je visitai le comte Nesselrode, le 7, Son Excellence 
dit que, en conformité des ordres qu'il avait reçus de l'empe- 
reur, il avait à me réïnettre un mémorandum très-confidentiel 
que Sa Majesté Impériale avait fait rédiger, et qui était destiné 
à servir de réponse ou de commentaire à la communication 
que j'avais faite à Sa Majesté Impériale le 21 du mois dernier. 

D'abord le comte de Nesselrode m'invita à lire la pièce ; il 
observa ensuite que si, au lieu de la lire immédiatement, je 
préférais la prendre avec moi, j'étais libre de le faire; qu'eu 
fait, cette pièce était destinée à mon usage (sic). 

Une très-courte conversation sur ce sujet s'engagea entre le 
chancelier et moi. Il observa que je trouverais dans le mémo- 
randum les indications du désir de l'empereur d'être ultérieu- 
rement informé des sentiments du gouvernement de Sa Majesté, 
comme de ce qu'il ne permettrait pas dans l'éventualité de 
quelque grande catastrophe en Turquie; et, de mon côté, je 
remarquai que , de même qu'il y a danger à toucher des char- 
bons ardents, il me paraissait désirable que des communica- 
tions sur un sujet si délicat ne fussent pas prolongées. 

J'ai l'honneur d'adresser à Votre Seigneurie une copie de ce 
document qui, dans les circonstances où il a été conçu et ré- 
digé, ne peut manquer d*étre considéré çpmmeun des papiers 



DOCUMENTS DIPLOMATIQUES. 361 

les plus remarquables qui soient sortis , je ne dis pas de la 
chancellerie russe, mais du cabinet secret de l'empereur. 

il ne serait pas difficile de réfuter quelques-uns des faits que 
le mémorandum avance, ou de montrer que Timpression qui 
Ta dicté est inexacte, cette impression étant évidemment que, 
dans le débat survenu entre la Russie et la France, le gouver- 
nement de Sa Majesté s'est montré partial en faveur de cette 
dernière puissance. 

Trois points me paraissent être pleinement établis par le 
mémorandum impérial. L'existence de quelque entente parti- 
culière entre les deux cours impériales au sujet de la Turquie, 
et l'engagement pris par l'empereur Nicolas de ne pas posséder 
et de ne pas s'établir à Gonstantinople, ni d'entrer en arrange- 
ments à l'égard des mesures à prendre dans l'éventualité de la 
chute de l'empire ottoman sans un concert préalable avec le 
gouvernement de Sa Majesté. 

L'expression de cet engagement, rapprochée de la conver- 
sation qne j'ai eu l'honneur d'avoir avec l'empereur, laisse dans 
mon esprit l'impression que , tout en voulant faire comprendre 
qu'il ne songe pas à se faire le maître permanent de Gonstan- 
tinople, Sa Majesté ne s'explique pas, avec intention, sur une 
occupation temporaire. 

Prenant comme un fait certain et maintenant reconnu, l'exis- 
lence d'une entente ou d'un contrat entre les deux empereurs 
à l'égard des affaires turques, il devient de la plus haute im- 
portance de savoir l'étendue des engagements intervenus entre 
eux. Quant à la manière dans laquelle ces engagements y ont 
été conclus, je conjecture qu'on ne saurait entretenir que peu 
de doute. Les bases en ont été posées à coup sûr dans quel- 
ques-unes des réunions de souverains qui ont eu lieu cet au- 
tomne, et l'affaire a été probablement menée depuis par le 
baron de Meyendorff, l'envoyé russe à la cour d'Autriche, qui 
a passé rhiver à Saint-Pétersbourg et est encore ici. 



362 HISTOIRE DE LA GUERRE D'ORIENT. 

Mémorandum dv comte de Nesselrodé. 

21 férrîer 1853. 

L*einpereur a pris amaaissance, avec le plus vif intérêt et 
une satisfaction réelle, de la dépêche secrète et confidentielle 
que sir Hamilton Seymour lui a conunoniquée. Il apprécie pré- 
cisément la franchise qui Ta dictée. Il y a trouvé une nouvelle 
preuve des sentiments d'amitié que lui porte Sa Majesté la reine. 

En conversant familièrement avec renvoyé d'Angleterre sur 
les causes qui, un jour ou lautre, peuvent entraîner la chute 
de l'empire ottoman, il n'est entré, en aucune manière, dans 
les pensées de l'empereur de proposer pour cette éventualité 
un plan d'après lequel la Russie et l'Angleterre disposeraient 
par avance des provinces gouvernées par le sultan, un système 
arrangé de concert, <mcore moins une convention formelle à 
conclure entre les deux cabinets. C'était purement et simple- 
ment l'idée de l'empereur que chaque Élat fît connaître confi- 
dentiellement à l'autre, moins ce qu'il souhaite que ce qu'il ne 
souhaite pas, ce qui serait contraire aux intérêts anglais, ce 
qui serait contraire aux intérêts russes , en vue de pouvoir 
éviter, le cas échéant, d'agir en opposition l'un de l'autre. 

Il n'y a dans ce point de vue, ni plans départage ni conven- 
tion de nature à lier les autres cours. C'est simplement un 
échange d'opinion, et l'empereur ne voit pas de nécessité de 
parl^ de cela avant le temps. C'est précisément pour cette rai- 
son qu'il a pris un soin spécial de ne pas en fah*e l'objet d'une 
communication ofiîcielle d'un cabinet à un autre. En se bor- 
nant à parler de cela lui-même, dans le cours d'une conversa- 
tion familière, avec le représentant de la reine, il a choisi la 
forme la plus amicale et la plus confidentielle, de s'ouvrir avec 
franchise à Sa Majesté Britannique, désireux que le résultat, 
quel qu'il puisse être, de ces communications, reste, comme 
cela doit être, un secret entre les deux souverains. 

Par conséquent, les objections que lord John Russel soulève 
sur. le secret à garder à l'égard des autres puissances dans l'é- 



r — - — /la** 



DOCUMENTS DIPLOMATIQUES. 363 

ventualité d un accord formel dont il n'est pas question à pré- 
sent, manquent de fondement; et par conséquent aussi dispa- 
raissent les inconvénients quil indique, comme faits pour 
contribuer à hâter Toccurrence du grand événement que ]a 
Russie et TAngleterre sont désireuses de détourner, si 1 exis- 
tence d'un semblable accord était prématurément connue de 
TEurope et des sujets du sultan. 

En ce qui concerne Tobjet de cet échange d'opinions entiè- 
rement confidentiel, la chute possible de lempire ottoman n'est 
sans doute qu'une éventualité incertaine et éloignée. Sans con- 
teste, l'époque n'en sautait être fixée, et aucune crise réelle 
ne s'est élevée qui puisse en rendre la réalisation imminente. 
Mais, après tout, cela peut arriver, arriver même d'une façon 
inattendue. Sans mentionner les causes toujours croissantes de 
dissolution que présente la condition morale , financi^e et ad- 
ministrative de la Porte, cet éventaient peut résulter graduel- 
lement d'une au moins des deux questions mentionnées par 
le ministère anglais dans sa dépêche secrète. En réalité, on 
n'aperçoit dans ces questions que de simples disputes qui ne 
diffèrent pas au fond des difficultés qui forment l'occupation 
ordinaire de la diplomatie. Mais cette sorte de dispute peut, 
néanmoins, mener à la guerre, et avec la guerre, aux consé- 
quences que l'empereur appréhende, si, par exemple, dans 
l'affaire des lieux saints, Vamovr-propre et les menaces de la 
France, continuant à presser sur la Porte, la forçaient à nous 
refuser toute satisfaction; et si, d'un autre côté, les sentiments 
religieux des Grecs orthodoxes, offensés par les concessions 
faites aux Latins, soulevaient contre le sultan l'immense majo- 
rité de ses sujets. A l'égard de l'affaire du Monténégro, on peut 
heureusement, d'après les dernières nouvelles, la regarder 
comme réglée. Mais au moment où Fempereur a eu une entre- 
vue avec sir Hamilton Seymour, on pouvait appréhender que la 
question prit un tour très-sérieux. Ni nous, nirAutriche, n'au- 
rions permis une dévastation prolongée ou une soumission 



364 HISTOIRB DR LA GUERRE d'ORIBNT. 

forcée du Monténégro, pays qui, jusqu'au temps présent, a 
continué à être effectiTement indépendant de la Porte, pays 
sur lequel notre protection s'est étendue depuis plus d'un siècle. 
Les horreurs qui ont été commises dans ce pays, celles que le 
fanatisme ottoman a étendues peu de temps après sur la Bul- 
garie, la Bosnie, THerzégovine, n*ont donné aux autres provinces 
chrétiennes de la Porte que trop de raisons de redouter que le 
même sort les attendît. Ces faits étaient de nature à provoquer 
un soulèvement générai des chrétiens qui vivent sous le sceptre 
de l'empire turc et à hâter sa ruine. Ce n*est pas alors, en au- 
cune manière, une question oiseuse et imaginaire, une éven- 
tualité trop éloignée, sur laquelle lanxiété de l'empereur a 
appelé l'attention de la reine, son alliée. 

En présence de l'incertitude et de la décadence du présent 
état de choses en Turquie, le cabinet anglais exprime le désir 
que Ton montre la plus grande patience vis-à-vte de la Porte. 
L'empereur a la conscience de n'avoû* jamais agi autrement. Le 
cabinet anglais l'admet lui-même. 11 adresse à 1 empereur, à 
regard des nombreuses preuves de modération qu'il a données 
jusqu'au moment présent, des éloges que Sa Majesté n'accepte 
pas, parce que, en agissant ainsi, il n'a écouté que sa propre 
et profonde conviction. Mais, pour que l'empereur puisse con- 
tinuer à concourir à ce système de patience, à s'abstenir de 
toute démonstration, de tout langage péremptoire, il serait né- 
cessaire que ce système fût également observé par toutes les 
puissances. 

La France en a adopté un autre. Elle a obtenu par la me- 
nace, en opposition avec la lettre des traités, l'admission d'un 
vaisseau de ligne dans les Dardanelles. C'est à la bouche d'un 
canon qu'elle a présenté deux fois ses prétentions et ses de- 
mandes pour l'indemnité à Tripoli et, ensuite, à Constantinople. 
Dans le différend relatif aux lieux saints, c'est encore par les 
menaces qu'elle a accompli l'abrogation des flrmans et des pro- 
messes solennelles que le sultan avait données i l'empereur. 



DOCUMENTS DIPI.0MÂT1QUES. 365 

A regard de tous ces actes de violence, rAngleterre a observé 
un silence complet. Elle n a ni offert son soutien à la Porte, ni 
adressé de remontrances au gouvernement français. La consé- 
quence est tout à fait évidente. Nécessairement la Porte en a 
conclu que, de la France seule, elle a tout à espérer aussi bien 
que tout à craindre, et qu'elle peut éluder impunément les 
demandes de l'Autriche et de la Russie. C'€st alors que l'Au- 
triche et la Russie, afin d'obtenir justice, se sont vues forcées 
à leur tour contre leur volonté à agir par intimidation, puis- 
qu'elles ont affaire à un gouvernement qui cède seulement à 
une attitude péremptoire, et c'est alors que, par sa propre 
faute ou plutôt par celle de ceux qui l'ont affaiblie en premier 
lieu, la Porte est pressée dans une voie qui l'affaiblit encore 
davantage. 

Que l'Angleterre alors s'emploie à lui faire entendre raison. 
Au lieu de s'unir à la France contre les justes demandes de la 
Russie, qu'elle évite de soutenir ou même de paraître soutenir 
la résistance du gouvernement ottoman. Qu'elle soit la première 
à l'inviter, comme elle-même le considère essentiel, à traiter 
ses sujets chrétiens avec plus d'équité et d'humanité. Ce serait 
le plus sûr moyen de décharger l'empereur de l'obligation de 
se prévaloir lui-même, en Turquie, de ces droits de protection 
traditionnelle, auxquels il n'a jamais recours que contre son 
gré, et aussi de reculer indéfiniment la crise que l'empereur et 
Sa Majesté la reine sont également anxieux de détourner. 

En résumé , l'empereur ne peut que se féliciter d'avoir fait 
naître l'occasion de cet intime échange de communications con- 
fidentielles entre Sa Majesté et lui. Il y a trouvé des assurances 
précieuses dont il prend note avec une vive satisfaction. Les 
deux souverains se sont franchement expliqué l'un à l'autre 
que, dans le cas extrême dont ils ont traité, leurs intérêts res- 
pectifs ne peuvent souffrir. L'Angleterre comprend que la Russie 
ne peut souffrir l'établissement, à Gonstantinople, d'une puis- 
sance chrétienne assez forte pour la contrôler et l'inquiéter. 



366 HISTOIRE DE LA GUERRE D*0R1ENT. 

Elle déclare que, pour elle-môme, elle renonce à toute inten- 
tion ou à tout désir de posséder Gonstantinople. L empereur 
également répudie tout souhait ou tout dessein de s*y établir. 
L'Angleterre promet qu'elle n entrera dans aucun arrangement 
pour déterminer les mesures à prendre dans Téventualité de 
la chute de Tempire turc, sans une entente préalable avec 
lempereur. De son côté, l'empereur contracte volontiers le 
même engagement; comme il est convaincu que, dans un tel 
cas, il peut également compter sur l'Autriche qui est liée par 
ses promesses. à se concerter avec lui, il envisage avec moins 
d appréhension la catastrophe qu'il désire encore prévenir et 
détourner autant qu'il dépendra de lui de le faire. 

Non moins précieuses sont , à ses yeux , de la part de Sa Ma- 
jesté la reine, les preuves d'amitié et de confiance person- 
nelle que sir Hamilton Seymour a été chargé en cette occasion 
de lui communiquer. 11 voit en elles les plus sûres garanties 
contre l'éventualité que sa prévoyance a jugé convenable de 
signaler à l'attention du gouvernement anglais. 

Signé : Comte de Nesselrode. 



N* 8. — Sir G. H, Seymour au comte de Clarendon. 

(Reçu le 19 mars. — Secret et confidentiel.) 

Saint-Pétersbourg , le 9 mars I S53. 

Milord, comme il me semble très-évident que le mémoire 
secret que, par ma dépêche de ce jour, j*ai porté à la connais- 
sance de Votre Seigneurie, a été rédigé dans une inintelligence 
complète (réelle ou feinte) de la participation du gouvernement 
de la reine aux dernières affaires de Turquie, j'ai cru devoir 
adresser au comte de Nesselrode la lettre secrète el confiden- 
tielle dont je vous envoie copie. 

Signé : &EYUOVR» 



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DOCUMENTS DIPLOMATIQUES. 367 

Annexe au n* 8. — Sir G. H. Seymour au comte de Nesselrode, 

(Secret et confidentiel.) 
Saint-Pétersbourg, le 24 février (8 mars) 18ô3. 

Mon cher comte Nesselrode, je suis obligé de vous faire une 
observation sur le mémorandum très-imporlant que vous avez 
remis hier en mes mains. Je suis très-désireux de vous faire 
observer que ce document doit avoir été rédigé sous l'impres- 
sion que la politique anglaise, à Constantinople, a été très-dif- 
férente de ce qu'elle a été en réalité. Je puis affirmer conscien- 
cieusement et distinctement que le but que nous nous sommes 
proposé (et je parle ici tant du ministère précédent que du ca- 
bine; actuel) a été d'agir en ami commun dans les luttes entre 
les gouvernements alhés, et que, loin d'avoir penché, comme 
on le dit, pour la France, dans les dernières transactions criti- 
ques, les conseillers de la reine ont désiré (autant que cela était 
permis à un gouvernement contraint d'observer une attitude 
neutre) qu'une simple satisfaction fût donnée aux demandes 
que le gouvernement de Sa Majesté Impériale était fondé à 
faire. Je n'hésite pas à formuler par écrit cette assertion , et 
j'ajoute que, dans toute juste demande que l'Angleterre pour- 
rait avoir à faire à un cabinet étranger , je désire uniquement 
que la conduite d'une puissance amie, vis-à-vis de nous, soit 
celle qui a été suivie tranquillement et sans ostentation par le 
gouvernement anglais dans la question compliquée des lieux 
saints à l'égard des prétentions de la Russie. Je sollicite les 
bons offices de Votre Excellence pour que le véritable état des 
choses soit bien compris ou, en tous cas, pour empêcher l'adop- 
tion d'une opinion contrake , jusqu'à ce que Ton ait vérifié si 
mon assertion est ou non exacte. 

Signé ; Seymour. 



368 HISTOIRE DE LA GUERRE D' ORIENT. 

N' 9. - Sir G, H. Sexfmour au comte de Clarendon. 

(Reçu le 19 mars. — Secret et coofidentiel.) 

Saint-Pétersbourg, le 10 mars 1853. 

Milord, je viens d'avoir une conversation amicale et satisfai- 
sante avec le chancelier qui, pensant que ma lettre du 3 cou- 
rant avait été causée parce que je n'avais pas bien compris le 
mémorandum de l'empereur, avait désiré me voir. Nous avons 
lu ensemble le mémorandum, et le comte de NesseJrode a fait 
observer que tout ce qu'on désirait, c'était que, en s'en rap- 
portant à la magnanimité et aux sentiments de justice de Tem- 
pereiu", le gouvernement de Sa Majesté fît quelques efforts pour 
éclairer le gouvernement français sur la fausse direction dans 
laquelle il s'était engagé par M. de La Valette. J'ai répondu que 
c'était ce qu'avait fait le gouvernement de Sa Majesté, non-seu- 
lement cette fois, mais en plusieurs occasions, et que, pour 
montrer le langage que tenait au gouvernement français le 
prédécesseur de Votre Seigneurie, j'allais lui lire un extrait 
d'une des dépêches de lord John Russel. Je lus, en conséquence, 
les cinq ou six lignes de la dépêche de lord John Russel à lord 
Cowley, du 28 janvier, commençant par ces mots: «Mais le 
gouvernement de Sa Majesté ne peut se dissimuler,» et finis- 
sant par ceux-ci: «les rapports avec les puissances amies,» 
passage que j'avais copié et apporté avec moi. Le comte de Nes- 
selrode a exprimé une vive satisfaction de ce que le gouverne- 
ment de Sa Majesté avait donné de si bons conseils au gouver- 
nement français, et n'a regretté que de ne pas avoir eu depuis 
longtemps en sa possession une preuve aussi concluante du 
parti que le principal secrétaire de Sa Majesté aux affaires 
étrangères avait pris sur la question des lieux saints. En résumé, 
le chancelier m'a invité à considérer le passage du mémorandum 
impérial comme exprimant une espérance et non un reproche, 
et se rapportant à la politique que l'on désirerait voir suivre 
au gouvernement de Sa Majesté, non à celle qu'elle avait suivie. 

J'ai l'honneur, etc. 

Signé : H. Seymour. 



TABLE DES MATIÈRES. 



Introduction i 

Chapitre premier. ^ Origine de la question d'Orient. — Uçux 
saints. — Protectorat de la France 7 

Chapitre IL — Ambassade du général Aupick; celle de M. de 
La Valette il 

Chapitre III. — Les Russes évacuent les Principautés. — As- 
sassinat du père BasUe. — Négociations 15 

Chapitre IY. — Réfugiés hongrois. — Émotion de la Russie. — 
Marche de la question des lieux saints 17 

Chapitre V. — Sensation pénible du csar. ^^ Sa lettre au sylr 
tan. — Phase nouvelle 20 

Chapitre YI. — Réponse de la France, r— Conclusion aqiiible. 
•^ Firman ou hatti-humayoun ■%/k 

ChaAtre YIL — Départ de M, de La Yalette. -^ Promesses du 
Divan. — - Reschid-Pacha se démet de ses fonctions de grand- 
vizir. — Firman favorable à la Russie 30 

Chapitre VIIÏ. — Le Chartemagne ; ^seussion grave au sujet 
de ce vaisseau. ^ Retour de M. de La Yalette é Constanti- 
nople 84 

Chapitre IX. «^ L'escadre fiaD/çaûBe devant Tripoli. — Menaces 
de des^ction< ^^ Le bej &e soumet aux injonctions de la, 
France W 

Chapitre X. "- M. de La Valette à Constantinople. — État çle 
choses cbangé. -^ SatisjEaction demandée et accordée sur tous 
tes points 3^ 

Chapitre XL — Accusations violentes des journaux aqglals 
contre la France. — Afiif-Bey à Jérusalem. — Concessions à 

la France :42 

24 



370 TABLE DES MATIÈRES. 

Pages. 

Chapitre xn. — Lutte sourde de la diplomatie. — Complica- 
tion uouTelle. — Ambassade du comte de Linange . ... ^8 

Chapitre XIll. — Discussions insolites à Londres sur la ques- 
tion d'Orient — Articles menaçants contre la Turquie. — 
Curieuse coïncidence. -- Correspondance de sir H. Seymour. 
— Citations et rapprochements ^^ 

Chapitre XIV. — Ces attaques étaient intempestiyes. — Comte 
de Linange à Constantinople; ses exigences 58 

Chapitre XV. — Ambassade du prince Menschikoff. — Attitude 
insultante du prince; ses prétentions 6t> 

Chapitre XVI. — La France et l'Angleterre prennent leurs me- 
sures. — Lettre de M. Drouyn de Lhuys à M. de Castelbajac . 66 

CHAPrrRE XVII. — Les flottes cinglent vers l'Orient. — • Presse 
de France et d'Angleterre. — Les deux cabinets resserrent 
leur alliance 69 

CHAPrTRB XVni. — Encore le prince Menschikoflf; sa conduite 
mystérieuse. — Préparatifs militaires de la Russie .... 76 

CHAPrrRE XIX. — Arrangements. — Lutte au sujet du protec- 
torat. •— Article du Moniteur, — But de la mission du prince 
Menschikoflr 80 

Chapifre XX. — Réponse négative du Divan à la demande de 
protectorat. — 10 mai, époque critique 85 

Chapitre XXI. — Dépit de la presse anglaise. — Intérêts de l'An- 
gleterre en Orient; ceux de la France. — Article du Moni- 
teur sur les événements derniers 90 

Chapitre XXII. — - Méfiance des Turcs. Ils appellent les milices 
aux armes. — Armements dans les ports anglais. — Forces 
de terre et de mer de la Turquie 93 

Chapitre XXIII. — Le czar approuve Menschikoff. — Somma- 
tion à la Porte. — Préparatifs pour passer le Pruth. — Blâme 
de TEurope. — Note de la Russie à ses agents 96 

Chapitre XXIV. — Cette Note précipite les événements. •— 
Marche dès troupes russes. — Les flottes alliées se rendent à 
Bésika. — Mesures en Occident .100 



TABLE DES MATIÈRES. 371 

Pages. 

Chapitre XXV. — Lettre de M. de Nesselrode à Reschid-Pascha. 

— Refus de la Porte. — Coïncidence singulière. — L'amiral 
Hamelin remplace M. de Lasusse 103 

Chapitre XXYI. — Préparatifs de la guerre. — Anxiété de l'Eu- 
rope. — Ordre de passer le Pruth. — Manifeste de Tempereur 
Nicolas 108 

Chapitre XXYIL — Aucun traité n'autorisait la violation du ter- 
ritoire turc. — Enthousiasme à Saint-Pétersbourg. — Surveil- 
lance sur la mer Noire 115 

Chapitre XXVIIl. — Vive émotion à Constantinople. — - Te Deum 
chanté à Jassy par les Russes. — Conférences nouvelles. — 
Modération du Divan 117 

Chapitre XXIX. — Armements de l'Angleterre. — Flotte russe. 

— Sa composition 120 

Chapitre XXX. — Note élaborée à Vienne. — Modification des 
traités antérieurs. — Caractère nouveau de l'occupation des 
Principautés 122 

Chapitre XXXI. — Note de Vienne acceptée par la Russie. — 
Expansion Joyeuse; doutes et anxiétés. — Les illusions se 
dissipent. — Décision négative de la Porte 127 

Chapitre XXXU. — Texte de la Note de Vienne. — Son impor- 
tance. — Modifications demandées par le Divan 132 

Chapitre XXXIII. — Incertitudes de la paix. — Agitation en 
Turquie. — Refus pur et simple de la Russie. — Les musul- 
mans appellent la guerre 136 



Chapitre XXXIV. — Attitude armée. — Mouvement de troupes. 
— Les flottes reçoivent des renforts. — Manifestations con- 
traires. — Imminence des hostilités 139 

Chapitre XXXV. — Ni paix, ni guerre. — Évolutions de la di- 
plomatie. — La Russie veut garder son gage. — Voyage du 
czar à Olmiitz. Sou but et ses espérances 142 

Chapitre XXXVI. — Situation que le traité de 1841 fait à la Tur- 
quie et à ses alliés. — L'occupation des Principautés par les 
Russes ouvre les Dardanelles aux vaisseaux alliés. — Préoc- 
cupation du czar . . t . * 145 



372 TABLE DES MÀTIÈIIES. 

Chapitre XXXVIÏ. — Désir de la paix. — Tarmée ottomane se 
renforce. — Discours du sultan. — Résolution prise par le 
Diyan de déclarer la guerre à la Russie 148 

Chapitre XXXVIIT. — Traités déchirés par l'inrasion des Prin- 
cipautés. — Omer-Pacha. — Organisation de Tarmée turque. tS2 

CflAprrRE XXXIX. — Ordres donnés. — Demande de concours 
actif, adressée aux ambassadeurs de France et d'Angleterre. 
-» Les agents russes agitent la Grèce» — Sommation au prince 
Oortscbakoff. — Sa réponse négative 153 

Chapitre XL. ^ La Turquie ne combattra pas seule. *^ Motils 
des alliés. — Préparatifs des flottes pour entrer dans iM 
Dardanelles. — Dispositions militaires 156 

Chapitre XLl. — Explications du Moniteur sur la déclaration 
de guerre de la Turquie. — Réflexions sur cet article . . . 161 

Chapitre XLII. ~ Le général Baraguey d'Hilliers remplace 
M. Delacoiir. — Reschid-Pascha rejette une Note nouvelle de 
H. de Bruck. — Entrée des flottes. — Détails sur leur marche. 164 

Chapitre XLIH. — Première collision entre les Russes et les 
Turcs. — Cérémonie imposante dans le camp turc. — Dis- 
cours d'Omer-Pacha à ses soldats 170 

Chapitre XLIV. — Premier mouvement des Turcs en avant. — 
Passage du Danube. — Combat dOItenitza. — Les Turcs 
échouent à Gieurgevo. — Flottes alliées dans le Bosphore. . 173 

Chapitre XLV. — Résolution pacifique de TAutriche. Sa circu- 
\Blre à ses agents à Tétranger. — Résultat de la visite du 
czaràOlmiîtz 175 

Chapitre XLYL — Manifeste de l'empereur Nicolas à l'occasion 
de la déclaration de guerre par la Turquie. — Commentaire 
de ce manifeste par le Moniteur; celui de la presse anglwse. 1 77 

Chapitre XLVII. — Succès et revers de part et d'autre. — Prise 
du fort Saint-Nicolas en Asie par les Turcs. — Ils échouent à 
Bucharest. Ils repassent le Danube. — Croisière du Wtaêi' 
mir. — Insurrection en Grèce 183 

Chapitre XLYIII. — Meeting anglais. — Curieux discours de sit 
Charles Napier. — Nouvelles conférences et nouvelles fiâtes 
de la diplomatie 187 



TABtE DES MATIÈRES. 373 

Pages. 

Chapitre XLIX. — Affaire déplorable de Sinope. — Destruction 
d'une escadrille turque par les Russes. — Quatre mille morts; 
quatre cents blessés retrouvés et rapportés à Gonstautinople. 198 

Chapitre L. — Entrée des flottes alliées dans la mer Noire. — 
Dépêcbes de M. Drouyn de Llmys au général Baraguey d'Hil- 
liers. — Ivresses de joie à Saint-Pétersbourg 202 

Chapitwb LI. — La guerre prend de plus fortes proportions. — 
Toute chance de paix est éloignée. — Diplomatie encore à 
Tœuvre. •— Inquiétudes superstitieuses des Russes. . . . 213 

CHAPrrRE LU. — • Cessation probable de la paix en Europe. — 
Tristesse générale. •— Fanatisme musulman. — Mesures an- 
noncées publiquement. — Développement des forces navales 
en France # . . • 217 

Chapitre LUI. — Les flottes alliées protègent les co&vois turcs. 
-^ Instructions données aux amiraux. — Communication au 
gouverneur de Sébastopol 220 

Chapitre LÏV. — Enthousiasme à Constantinople. — Irritation 
du czar : instructions à ses ambassadeurs à Paris et à Lon- 
dres. — Les alliés continuent à protéger les convois turcs. 

— Rentrée des flottes russes à Sébastopol 224 

Chapitre LV. •— Article violent de la Gazette de Saint-Péters- 
bourg contre TAngleterre. — Rejet dédaigneux de la 2« Note 
de Vienne* — Forme blessante du refus 227 

Chapitre LYI. — Opérations militaires : affaires de Zétati et de 
Kalafat , etc. — Le général Ltiders à Braïla. — Gortscfaakoff 
àCraïova 280 

Chapitre LVII. — L'intervention des flottes agrandit la guerre. 
-^ Explications demandées par la Russie. — Lettre de lord 
Clarendon. — Neutralité de la Suède et du Danemark . . . 232 

Chapitre LVIII. — Discours de la reine d'Angleterre. — t Réponse 
du cabinet de Londres à M. de Brunow; celle de M. Drouyn 
de Lhuys à M. de Kisseleff. — Les ambassadeurs quittent la 
France et TAngleterre. — Rappel des ambassadeurs français 
et anglais de Saint-Pétersbourg 238 

Chapitre LIX. — Mission du comte Orloff et de M. de Budberg. 

— Leurs propositions rejetées à Vienne et à Berlin. — Ces 
deux cabinets rejettent me neutcalité écrite et absolue. — 
Hésitations de la Prusse. — fietour du oomie Orloff. -> Le 
Moniteur, — Lord Clarendon , • . . fH 



374 TABLE DES MATIÈRES. 



Chapitbb LX. — Traité d'allitoce offensive et défensive entre 
Ja France et l'Angleterre. — Armements redoutables. — Flotte 
des Russes. — Levées de la France. — Escadres . . . . 257 

Chapitre LXI. — Lettre de Tempereur Napoléon m à l'empe- 
reur Nicolas. — Réponse du czar 261 

Chapitre LXII. — Appel par le czar au fanatisme de ses sujets. 
Mouvement des troupes et des escadres. — Croisières. — 
Relâches. — Nouveaux convois. — Tempêtes 274 

Chapitre LXIII. — Insurrection grecque. — Proportions de la 
révolte des Grecs. — Ordres rigoureux du Divan. — Erreur 
des Grecs. — Répression 278 

Chapitre LXIV. -» Sommation des cabinets de Paris et de Lon- 
dres à celui de Saint-Pétersbourg. ^ Déclarations de la 
Prusse et de TAutricbe. — Nomination des généraux en chef. 282 

CHAPrrRE LXV. — Discours de Tempereur Napoléon III aux cham- 
bres. — Hostilités prochaines. — Le roi de Prusse toujours 
hésitant. — Marche résolue de Napoléon. — Exécution de 
Fentreprise. — Flottes. — Leur composition. — Départ . . 286 

Chapitre LXVI. — Emprunt. — Succès complet. — Rapport de 
M. Bineau à Tempereur. — Différence des moyens entre la 
France et TAngleterre. — Tentative du czar sur le roi de 
Suéde 291 

Chapitre LXVII. — Le czar s'irrite contre l'Angleterre et sur- 
tout contre lord Russel. — Article violent du Journal de 
Saint-Pétersbourg. — Interpellation à Londres. — Corres- 
pondance diplomatique communiquée; son importance . .297 

Chapitre LXVIIl. — Discours du roi de Prusse. — Le maréchal 
Saint-Arnaud nommé chef de l'expédition française. — Gé- 
néraux des diverses divisions. — Croisière du Vauban . . 307 

Chapitre LXIX. — Progrès de l'insurrection grecque. — Dé- 
mission des généraux grecs. — Mobile chimérique. — Con- 
cours des flottes combinées pour s'opposer à cette levée 
d'armes 310 

Chapitre LXX. — Période de guerre. — Déclaration du ministre 
d'État au Sénat et au Corps législatif. -- Traité d'alliance 
entre la Porte, la France et l'Angleterre 315 



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TABLE DES MATIÈRES. 375 

Pages. 

Chapitre LXXI. — Moyens de résistance de la Russie. — Les 
Russes franchissent le Danube 321 

Chapitre LXXIL — L'occupation du bas Danube par les Russes 
éveiJIe l'attention à Vienne et à Berlin. — Alliance offensive 
et défensive entre TAutriche et la Prusse. — Article additionnel 
très-important 326 

Chapitre LXXIII. ^- La Russie s'arrête au pied des Balkans. — 
Résistance héroïque de SiUstrie. — Paskewitsch blessé. — 
Levée du siège. — Les Russes repassent le Danube. Ils éva- 
cuent les Principautés 330 

Chapitre LXXIV. ■— Déploiement d'une vaste force navale en 
France. — Trois escadres. Les flottes ajoutent une force im- 
mense aux armées de terre 333 

Documents diplomatiques : 

No 1. — Sir G. H. Seymour à lord John Russel 339 

N» 2. — Sir G. H. Seymour à lord John Russel 344 

N« 6. — Sir G. E Seymour à lord John Russel 350 

N« 6. — Sir G. H. Seymour à lord John Russel 352 

N* 7. — Sir G. H. Seymour au comte de Clarendon. . . . 360 

Mémorandum du comte de Nesseh'ode 362 

N» 8. — Sir G. H. Seymour au comte de Clarendon .... 366 

Annexe au n» 8. — Sir G. H. Seymour au comte de Nesseh-ode. 367 

No 9. — Sir G. H. Seymour au comte de Clarendon .... 368 



FIN. 



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