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THE CARSWELL COMPANY LIMITED
3 9007 0296 7987 5
Date Due
NLR 174
HISTOIRE DU CANADA,
80US LA
DOMINATION FRANÇAISE.
003054
HISTOIRE
CANADA
DOMINATION FRANÇAISE.
DEUXIE:ME EDITION,
Revue, Corrigée et Augmentée.
PAR M . B I B A U D
MONTREAL:
DK l'iMPBIMERIE DE LOVELL ET GIBSON, RVE ST. MCOLAS.
1843.
65 X
('■
PREFACE
*' Il serait sans doute superflu d'argumenter longue-
ment, pour prouver l'utilité, ou l'à-propos de la présente
publication. Tous les hommes doivent désirer de con-
naître l'histoire de leur pays, de leur nation ; tous doivent
aimer à savoir ce qu'ont été, ce qu'ont fait leurs ancêtres.
Nous avons, il est vrai, une " Plistoire Générale de la
Nouvelle-France," par le P. François de Charlevoix,
et une Histoire du Canada en langue anglaise, par M.
(maintenant l'honorable) "William Smith ; nous avons
Raynal ; nous avons enfin les " Beautés de l'PIistoire
du Canada;" mais l'Histoire de Charlevoix, qui est
devenue rare, môme en Canada, et qui ne sera proba-
blement pas réimprimée, ne va pas au-delà de 1725,
et est d'ailleurs remplie de détails minutieux, et souvent
hors du sujet, qui en rendent la lecture ennuyeuse et
rebutante pour la plupart des lecteurs ; l'ouvrage de M.
Smith est plein de faits, (ou pour mieux dire d'anecdotes,)
qui ont tout l'air d'être, sinon absolument controuvés,
du moins étrangement défigurés. Raynal, dans son
" Histoire du Commerce et des Etablissemens des Euro-
a2
6 PREFACE.
péens dans les deux Indes," ne rapporte que quelques
traits isolés de l'histoire du Canada, et l'auteur des
"Beautés" de cette histoire, qui s'est principalement
attaché à décrire les mœurs et les usages des Sauvages,
n'ajoute rien à ce qu'on en lit dans l'ouvrage volumineux
du P. Charlevoix. Une Histoire suivie, uniforme et
complète du Canada, sous la Domination Française,
manquait donc aux lecteurs Canadiens, et nous avons eu
l'intention, au moins, de bien mériter de nos compatriotes,
en leur donnant cette histoire."
Ainsi nous exprimions-nous dans la Préface de
notre première édition. Depuis lors, il nous est tombé
sous la main des documens qui nous mettent en état de
corriger plusieui's erreiu-s, dans lesquelles nous étions
tombé, en suivant Charlevoix, particulièrement à l'égard
de Quartier et de Roberval, et de nous étendre
davantage sur les deux époques les plus intéressantes
des annales du Canada, celle de la découverte de ce
pays, et celle de la gueiTe qui l'a fait passer de la domi-
nation de la France sous celle de l'Angleterre.
AVAXT-PEOPOS.
Si l'on s'en rapportait à la carte géographique publiée
par Guillaume Postel, vers 1550, l'île de Terre-Xeuve,
et les côtes voisines du continent américain, auraient été
connues et fréquentées pai* des pèclieurs Français, de
temps immémorial.*
Des écrivains anglais ont soutenu qu'au douzième
siècle, un prince du pays de Galles, nommé Madoc, ayant
navigué du côté de l'ouest, découvrit le continent améri-
cain, vers le 35e. degré de latitude septentrionale, et y
fonda une. colonie. f II parait plus avéré que même
avant l'époque où l'on place l'expédition du princi'
gallois, les Scandinaves découvrirent, vers l'ouest, une
contrée fertile et tempérée, qu'ils nommèrent Vinlande,
( l'l?iland), ou Terre des Vignes, et y firent un établisse-
ment. H n'est peut-être pas bien prouvé que cette
* Terra hccc, y est-il clit, ob lucratissiinam piscationis utilitatem,
suinmû litteraruin meinoriù, à Gallis aJiri sulita, et antè mille
sexcentos annos J'requentari solita est ; sed eu quùd sit urbibus inculta
et vasta spreta est.
C'est sans doute en partie d'après cette autorité, que Lescar-
BOT avance que les " Uioppois, les ^lalouins, les lîochelois, et
autres mariniers français, fréquentaient déjà depuis plusieurs
siècles, le grand banc et les côtes de Terre-Neuve." Il ajoute qu'en-
core de sou temps une grande iiartie des noms dos îles, caps, liàvres,
&c, de ces parages, étaient bretons ou basques.
t " JIadoc, prince de Galles, fatigué des troubles qui régnaient
dans son pays, éqiiippa quchiues vaisseaux, sur lesquels il s'em-
barqua en 1171, dans le dessein de trouver un pays où il pnmTait
s'établir et vivre tranquillement. Ayant découvert, vers l'ouest,
une contrée fertile, il y laissa une partie de ses compagnons, et
revint dans son pays natal, afin de prendre assez de monde pour
fonder une colonie. Il remit à la voile avec di.\ vaisseaux chargés
de gens de bonne volonté, tant hommes que femmes, et ne reparut
plus." Telle est la substance do la légende.
8 AVANT -PROPOS.
contrée soit celle qui porte aujourd'hui les noms de
Massachusetts et de Rhodelsland; mais un fait qui paraît
maintenant certain, c'est que la partie méridionale
du Groenlande (^Greenland), de la Terre- Verte, fut
non seulement découverte, mais encore colonisée par des
hommes du Nord, Danois, Norvégiens ou Islandais, entre
le 10e. et le lie. siècle.
Des écrivains ont avancé, suivant Charlevoix, qu'en
1477, un Polonais, nommé Jean Scalve, étant entré
dans le bras de mer qui a été appelle depuis Détroit
d'Hudson, découvrit le pays que d'anciens géographes
ont nommé Estotilande, (ou Slatesland,) et auquel les
Anglais ont donné le nom à^East-Main, ou de Terre-
Ferme de l'Est, par opposition à celle qui est située de
l'autre côté de la baie d'Hudson.
Quoiqu'il en soit de ces découvertes, vraies ou imagi-
naires, avant Christophe Colomb (Christoforo Colombo,)
on ne parlait en Europe ni d'un nouveau Monde, ni d'un
Continent occidental ; ce grand homme eut le premier
l'idée, fut le premier persuadé de l'existence de ce conti-
nent ; et pourtant, dans son premier voyage de 1492, et
dans celui de l'année suivante, il se contenta de la décou-
verte de quelques unes des îles nommées ensuite Lucayes
et Antilles, et laissa à Americ-Vespuce (Amerigo Ves-
pucci) la gloire de découvrir le premier le continent, ou
la Terre-Ferme de l'Amérique, comme fut appellée la ré-
gion dont cet illustre navigateur rangea les côtes en 1497.
La même année 1497, Sébastien Cabot, ou Gaboto,
fils de Jean Gaboto, marchand vénitien établi à Bristol
en Angleterre, ayant armé aux frais, ou sous les auspices
de Henry YII, cingla vers l'ouest, passa au nord de
l'île de Terre-Neuve, qu'il se contenta de voir de loin,
découvrit les côtes d'une partie de la région à laquelle ses
gens donnèrent le nom de Labrador, s'éleva au nord
AvANT-PîlOPOS. 9
jusqu'au 56e. degré de latitude, puis redescendit au sud
jusque vers le 36e., d'où il repassa en Angleterre.* H
pai-aît qu'il ne débarqua nulle part, et ne fit aucune prise
de possession.
Une partie des côtes de l'île de Tei're-Neuve et
quelques unes des îles voisines, furent reconnues et
décrites, en 1500, par le navigateur Portugais, Gaspard
DE CoRTEREAL. Comme Cabot, il cherchait par le nord
un passage aux Indes.
Le géographe Guillaume Delisle, parlant du Canada,
dit que ce pays fut découvert par des pêcheurs Français
(Normands et Bretons), qui faisaient la pêche de la morue
sur les bancs de Terre-Neuve ; il ne détermine pas
précisément l'époque de cette découverte ; mais elle doit
s'être faite avant que Jean Dents, navigateur de Hon-
fleui' eu Normandie, eut tracé une carte de la Grande-
Baie, qu'on a depuis appeUée Golfe Saint-Laurent, et
suivant Charlevoix, cette carte portait la date de loOo.f
L'auteur d'un Voyage rapporte que vers 1506, un
capitaine Espagnol, nommé Velasco, remonta près de
deux cents lieues dans la grande Rivière de Canada,
appellée depuis Fleuve Saint-Laurent. Ce fait, regardé
jusqu'à dernièrement comme dénué de toute vraisem-
*" Faisant voile, dit-il, en longeant la côte, afin de voir si je
trouverais quelque golfe qui la coupât, je vis que la terre se pro-
longeait toujours jusqu'au 56e. de latitude, et m'appercevant que
vers cet endroit, la côte faisait un coude vers l'orient, et désespé-
rant de trouver un passage, je revins sur mes pas, et fis route en
côtoyant cette terre, cinglant vers Téquateur. J'arrivai à la partie
du continent qu'on nomme aujourd'hui Floride, lorsque venant à
manquer de AT.vres, je mis à la voile pour l'Angleterre."
f " Sous Louis XII, les Français s'occupèrent de chercher la
solution du problème du passage aux Indes par le nord-ouest, but
de toutes les expéditions et voyages maritimes d'alors. Ils décou-
vrirent le Canada, fréquentèrent l'île de Terre-Neuve en 1504, et
y fondèrent l'industrie de la pèche de la morue, dont les autres
nations partagèrent plus tard les bénéfices et les avantages." — M.
G. T. Poussin.
10 AVAXT-PROrOS.
blance, est devenu au moins plus probable, depuis qu'un
canon de bronze, de très ancienne fabrique, a été trouvé
dans ce fleuve, à cent quarante lieues de son embouchure.
En 1508, un pilote de Dieppe, nommé Aubert, engagé
dans la pêche de la morue, près des attérages de Terre-
Neuve, toucha aux terres du Canada, probablement près
de la baie de Gaspé, et emmena en France un ou deux
des naturels du pays.
En 1518, le baron de Lert, vicomte de Gueu, recon-
nut une partie des côtes du Canada, ou du moins
quelques unes des îles du golfe de Saint-Laurent. C'est
le premier des Français à qui on a attribué le projet
de fonder une colonie en Amérique. "Il avait, dit
Lescarbot, le courage porté à de hautes choses et désirait
s'établir par delà (en Amérique), et y donner commen-
cement à un établissement de Français." Malheureuse-
ment, il sut mal choisir son poste : ayant abordé à Vile
de Sable, par le 44e. degré de latitude septentrionale, il
y débarqua des animaux domestiques de différentes
espèces, dans la vue d'y revenir avec des émigrans, si
même il n'y laissa pas dès lors un certain nombre de
familles, comme quelques écrivains l'ont avancé. Dans
ce cas, les nouveaux colons durent être bientôt contraints
d'abandonner cette terre infertile et presque inhabitable,
pour n'y pas périr misérablement.
Jusqu'alors les rois de France avaient laissé voyager
leurs sujets en Amérique, sans se mêler de leurs expédi-
tions, ni trop s'occuper de leurs découvertes ; mais en
1523, François I, voulant exciter l'émulation des
Français par rapport à la navigation et au commerce,
comme il l'avait déjà fait avec succès par rapport aux
arts et à la littérature, donna commission à Jean Ver-
RAZZAX (Giovanni da Yerrazzaxo), Florentin, qui
était à son service, d'aller reconnaître les terres nou-
AVANT-rKOPOS. 1 1
velles, dont on commençait à parler beaucoup en France.
Verrazzan partit de Dieppe avec quatre petits vaisseaux,
qu'il ramena dans le même port, l'année suivante. On
ignore par quelle hauteur Verrazzan découvrit la terre,
dans ce jjremier voyage, et jusqu'à quel degré il s'éleva
au nord. Vers la fin de la même année 1524, Verrazzan
arma de nouveau un navire, sur lequel il s'embarqua,
avec cinquante hommes d'équipage et des provisions pour
huit mois. Il rangea les côtes de l'Amérique Septen-
trionale, entre le 32e. et le 47e. degré de latitude ;
attéra en plusieurs endroits, imposa des noms aux capsj
baies, ports et îles qu'il reconnut ; prit possession du pays
au nom de François I, et lui donna le nom de Xouvelle
France.
L'année suivante, 1525,1e même navigateur se remit
en mer, dans le dessein, a-t-on écrit, de donner com-
mencement à une colonie française en Amérique ; mais
tout ce qu'on sait de cette dernière entreprise de Verraz-
zan, c'est que s'étant embarqué, il ne reparut plus ;
soit qu'il eût péri en mer, soit qu'il eût été massacré,
avec tous ceux qui l'accompagnaient, par les naturels du
pays où il avait entrepris de bâtir un fort, et qui, suivant
la tradition la plus accréditée du temps de Lescarbot,
était l'ile du Cap-Breton, appellée alors en langage
basque, Ile de Bacallos, ou des Morues.* Le malheureux
sort de Verrazzan, joint aux malheurs de l'état, et surtout
* Un écrivain moderne, appuyé d'autorités anciennes sans doute,
Î rétend que ce fut sur une partie du continent contiguë à la
'lorido, pays découvert en 1512, par l'Espagnol Ponce de Léon ;
ce qui semblerait donner quelque poids à l'opinion de Cardenaz
et de l'auteur de la vie de Cabot, qui disent que Jean Verrazzan,
le Florentin, fut pris par les Espagnols, en 1525, regardé par eux
comme pirate et'pendu. Pourréfutercette assertion, Tvtlek avance,
d'après une lettre d'Annibal Caro, citée par TiiiAnoscui, que
Verrazzan vivait encore en 1 537. 11 ne serait donc pas mort, suivant
cet auteur, ou n'aurait pas péri, d'une manière ou d'une autre, en
1525, comme l'ont affirmé tous les écrivains français.
12 ATAXT-PROPOS.
à la captivité du roi, fut cause que pendant plusieurs
années, on ne songea plus en France, à former d'établis-
semens en Amérique.
En 1527, Pamphile Nakvaez, parti de Cadix, avec
une escadre, aborda sur les côtes de la Floride ; pénétra,
accompagné de trois cents hommes, jusqu'à la haute
région des Apaïaches ; regagna ensuite les bords de
la mer, et parvint à l'embouchure du tleuve Apalachi-
cola. n y fit construire des chaloupes, sur lesquelles
il s'embarqua, avec ceux de ses gens qui n'avaient pas
péri dans l'expédition ; et, côtoyant les bords de la mer,
de l'est à l'ouest, il reconnut l'entrée d'un grand fleuve,
qui ne pouvait être que le Micissipi.
Suivant Hakluyt, les Anglais auraient envoyé, en
1529, deux vaisseaux sur les côtes orientales de l'Amé-
rique du Nord, lesquels auraient reconnu Terre-Neuve,
le Labrador, le Cap-Breton, et les côtes d'une contrée
qu'ils nommèrent Arembec, ou Noremhègue ; mais ce
voyage, s'il eut réellement Heu, n'eut pas pour lors
d'autres résultats ; ce ne fut que beaucoup plus tard que
la Norembègue cessa de faire partie de ce que Verrazzan
avait appelle Nouvelle France, et prit le nom de Nou-
velle Angleterre.
HISTOIRE DU CANADA,
DOMINATION FRANÇAISE.
LIVRE PREMIER,
Contenant ce qui s'est passé depuis le premier Voyage de
Quartier, en 1534, jusqu'à Vétablisseineyit du Gou-
vernement Civil, en 1663.
C'est peut-être au zèle national, appelle depuis patrio-
tisme, de Philippe Chabot de Brion, Amiral de
France, qu'il faut attribuer principalement la découverte
de la grande Rivière du Canada, et de l'intérieur
de ce pays. Ce seigneur engagea Frajîcois I à re-
prendre le dessein d'établir une colonie française dans
le Nouveau-Monde. Il lui présenta un Capitaine
Malouin, nommé Jacques Quartier, dont il connaissait
le mérite, et que ce prince agréa. Le vice-amiral,
Charles de Mouy de la Meilleraye, prit l'affaire à
cœur, et bientôt Quartier eut à sa disposition deux
vaisseaux du port d'environ 60 tonneaux,* et cent, vingt-
hommes d'équipage. Il partit du port de Saint-Malo,
en Bretagne, le 20 avril 1534, vieux style, ou, comme
* Vu les progrès faits dans l'art de la construction des vaisseaux,
comme dans la plupart des auti'es arts mécaniques, on doit croire
qu'un vaisseau de 60 tonneaux, à cette époque reculée, était
beaucoup plus pesant et plus grand que ne le serait présentement
un vaisseau de la même capacité.
B
. 14 HISTOIRE
nous compterions présentement, le 30 de ce mois,* et
eut des vents si favorables, qu'il aborda le 10 (20) mai,
au cap de Bonne- Vue, ou Bonavista, sur la côte orien-
tale de Terre-Neuve, par les 48°. 30m. de latitude sep-
tentrionale. Ayant trouvé la terre encore couverte de
neige, et le rivage bordé de glace, il ne put, ou n'osa s'y
arrêter. Il descendit au sud, l'espace de cinq à six lieues,
et entra dans un port qu'il nomma Sainte- Catherine, et
où il s'arrêta pendant dix jours, pour attendre un temps
plus favorable. Cinglant de là au nord, il découvrit, ou
reconnut un grand nombre d'îles, et, enti'e autres, celle
qu'il appelle lie aux Oiseaux. La glace dont cette île
était entourrée étant rompue et divisée en pièces, il y
envoya ses chaloupes, pour y pi-endre des oiseaux, dont
" il y a, dit-il, si grand nombre, que c'est chose incroy-
able à qui ne le voit ; car cette île, qui peut avoir une
lieue de circuit, en est si pleine, qu'il semble qu'ils y ont
été apportés et comme semés ; et néanmoins, il y en a
cent fois plus à l'entour et en rair."f II reconnut toute
la côte orientale de Terre-Neuve, traversa le détroit
de Belle-Isle, qu'il appelle Golfe des Châteaux, et voguant
au sud-ouest, il reconnut des caps, des îles en grand
nombre, et des havres, sur la côte du Labrador, dont il
dit que " si la terre correspondait à la bonté des ports, ce
serait un grand bien, mais qu'on ne la doit point appeller
terre, mais plutôt cailloux et rochers sauvages, et lieux
propres aux bêtes farouches." Il n'y vit " autre chose
(en fait de végétation), que mousse et petites épines et
*Les voyages de Quartier au Canada ayant eu lieu avant la
réformation du Calendrier Julien, faite sous Grégoire XIII, en
1582, ses dates se trouvent de dix jours en arrière de notre
présente manière de compter.
fNous mettons et mettrons entre guillemets " ", les paroles
des auteurs cités mot pour mot, ou avec de très légers change-
mens quant au stj'le et à l'orthographe ; et cela, pour n'être paa
obligé de repéter trop souvent les mêmes noms.
DU CANADA. 15
buissons, ça et là, séchés et demi-morts." Il y ren-
contra des hommes de belle taille, qui j^ortaient leurs
cheveux liés au sommet de la tête, " comme une
poignée de foin," et ornés de plumes d'oiseaux. Ils
étaient vêtus de peaux d'animaux, tant les hommes que
les femmes, avec cette différence, que les premiers
n'étaient couverts qu'en partie, mais que les femmes
étaient "percluses et renfermées en leurs habits, et
ceintes par le milieu du corps." Les hommes avaient le
visage peint de certaines couleurs rouges. Quartier
apprit, à son retour, que ces gens n'étaient pas des
naturels- du lieu, mais qu'ils y venaient, en été, de
contrées plus tempérées, pour faire la pêche du loup-
marin.
Du Labrador, notre navigateur revint à la côte occi-
<ilentale de Terre-Neuve, où il reconnut divers ports et
caps ; puis se dirigeant vers le sud-ouest, il découvrit
ou reconnut les îles qui furent nommées ensuite de la
Magdeleine, et parvint à l'embouchure de la rivière
appelléeplus taxa Miramichi ; et puis, remontant au nord-
il entra dans une grande baie, où il soutint beaucoup du
chaud ; ce qui la lui fit nommer Golfe ou Baie de la
Chaleur. Il reconnut les côtes depuis cette baie jusque
près de celle que des écrivains moins anciens ont
nommée baie de Gaspé, et rencontra, en plusieurs endroits,
des Sauvages, avec lesquels il troqua des effets de jîeu
de valeur pour des peaux d'animaux. Il les dépeint
comme les hommes les plus pauvres qu'il y eût au
monde, allant presque nus, et ne possédant rien que
leurs canots et leurs filets. Ces hommes étaient chas-
seurs, puisque le peu de vêtemens qii'ils portaient étaient
faits de peaux de bêtes sauvages ; mais leur principale
occupation, comme leur principale ressource, était la
pèche. Ils cultivaient le maïs et quelques légumes.
V
iQ HISTOIRE
Leur pays, d'après la description qu'en donne Quartier,
était couvert de forêts offrant une variété d'arbres de
haute futaie, d'arbustes fruitiers, et de vignes ; ou de
prairies parsemées de fleurs et d'herbes odoriférantes.
Quartier employa les mois de juin et de juillet à
faire ces courses et ces reconnaissances. Le 1er (10)
août, étant entre la baie des Chaleurs et celle de Gaspé,
il fit planter luie croix de trente pieds de hauteur, au
milieu de laquelle il fit mettre xm écusson en relief avec
trois fleurs de lys, et au-dessus, ces mots en grosses
lettres entaillées dans le bois : Vive le Roi de France.
Quartier et ses gens s'agenouillèrent devant cette croix,
et l'adorèrent, comme il s'exprime, au grand ébahis-
sement, sinon au grand scandale du peuple du pays,
dont le chef fit une longue harangue, en regardant
cette croix, et en montrant toute la terre des environs,
comme s'il eût voulu dire qu'elle était toute à lui, et
qu'on n'y devait rien faire sans sa permission.
Quartier fit plus, ou pis, que de pi endre possession
d'un pays qui ne lui appartenait pas ; car ayant attiré le
chef en question et ses trois fils dans une de ses chaloupes,
en feignant de leur vouloir faire des présens, quelques
uns de ses gens saisirent, par son ordre, deux des der-
niers, et les entrainèrent dans les vaisseaux. Il les fit
aussitôt habiller élégamment, et donna à entendre à leur
père, qu'il ne les emmenait que pour les bien traiter et
les ramener prochainement.
Continuant à cingler vers le nord, il entra dans la
baie de Gaspé, traversa le golfe de Saint-Laurent,
et se trouva le 15 (25) août, au port de Blanc- Sahlon,
sur la côte méridionale de Labrador. De ce port, il fit
voile directement pour la France, et arriva à Saint-Malo,
le 5 (15) de septembre.
Sur le rapport que Quartier fit de son voyage, la cour
DU CANADA. 17
jugea qu'il convenait de continuer les découvertes
commencées, et d'obtenir des rcnseignemens plus amples
sur des contrées où il pourrait être avantageux à la
France de former des établissemens. Le vice-amiral
de la Meilleraye, qui, plus qu'aucun autre peut-être,
continuait à s'intéresser au succès de ce dessein, obtint
pour Quartier une commission plus ample que la pré-
cédente, et lui armement plus considérable. Ce dernier
mit à la voile, du même port de Saint-Malo, le 19 (29)
mai 1535, avec trois vaisseaux, dont le plus grand,
nommé la Grande-Hermine, était du port de cent à cent
vingt tonneaux ; le second, la Petite- Hermine, du port
d'environ soixante tonneaux, et le troisième, ^ Emérillon,
qu'il appelle gallion, de quarante tonneaux. Il était
accompagné de plusieurs gentilshommes, MM. Claude
DE PoxVTBRiANT, Charles de la Pommerate, Jean
GouYON, Jean Poulet, entre autres, qui voulurent le
suivre en qualité de volontaires.* La traversée ne fut
pas, à beaucoup près, aussi courte que la précédente '•
bientôt, le vent devint contraire, et il s'éleva de violentes
tempêtes : les vaisseaux, séparés les uns des autres, ne
se rejoignirent que le 26 juillet,f au port de Blanc-
Sablon, où ils avaient rendez-vous. Quartier s'avança
plus loin vers l'ouest qu'il n'avait fait dans le précé-
dent voyage, et reconnut encore un nombre d'îles, de
caps et de ports, jusqu'à ce que, se trouvant vis-à-vis de
la pointe sud-est d'Anticosti, les deux Sauvages qu'il
* On nous permettra de nommer aussi les Capitaines et Maîtres
des premiers vaisseaux européens qui soient entres et aient
pénétré dans le fleuve Saint-Laurent : c'étaient, pour la Grande-
Hermine, Jacques Quartier lui-même et Thomas Fkosmoxt -, pour
la Petite- Hermine, Marc JALoniiiix et Guillaume Le Marie', et
pour l' Emirillon, GuUlaume Le Bketon et Jacques Mainoart.
f Toutes les fois que nous ne mettrons pas la date du nouveau
style entre parenthèses, il y faudra suppléer en mettant dix jours
plus tard la date donnée. Ici ce devrait être le 5 août.
b2
18 HISTOIRE
ramenait de France, et qu'il nomme, plus tard, Taigu-
RAGXY et DoMAGATA, lui dirent que c'était une île, et
qu'il y avait passage au sud, entre cette île et la
presqu'île nommée alors Hongnedo (ou Ognedoc), pour
" aller à Canada." Il la nomma Ile de V Assomption.
Après avoir reconnu les terres, au sud d'abord, et
ensuite au nord, il revint au sud, et continua à naviguer,
en remontant le fleuve, ses deux Sauvages lui donnant
des renseignemens exacts sur les lieux qu'il avait à
reconnaître ; particulièrement sur le Saguenay et sur
le grand fleuve à' Hochelaga, comme ils l'appellaient,
qu'ils lui dirent aller en rétrécissant jusqu'à Canada,
c'est-à-dire apparemment, jusqu'à la ville, au grand
village, ou au village par excellence.
Après avoir été retenu pendant plusieurs jours aux
Sept-Isles, par des brumes et des vents contraires, et
s'être arrêté au Bic, qu'il appelle Havre des lleaux
Saint-Jean, il parvint à l'embouchure du Saguenay,
dans lequel il entra, et qu'il décrit comme "une rivière
fort profonde et courante, entre hautes montagnes de
pierre nue, sur lesquelles cependant une grande quantité
d'arbres de plusieurs sortes croissent comme sur bonne
terre." Il y rencontra des Sauvages du Canada, qui y
faisaient la pêche du loup-marin et autres poissons, et
qui parurent d'abord fort effrayés, mais que Taiguragny
et Domagaya parvinrent à rassurer.
Ayant remonté le fleuve l'espace de quinze lieues,
Quartier mouilla auprès d'une île qu'il nomma lie aux
Coudres, à cause du grand nombre de coudriers qu'il y
trouva. Huit lieues plus haut que l'Ile aux Coudres, il
en trouva une beaucoup plus grande et plus belle, à
laquelle il donne de dix à douze lieues de longueur,
quoiqu'elle n'en ait qu'environ sept, et que la grande
quantité de vignes sauvages qu'il y remarqua, lui fit
Dr CANADA, 19
nommer lie de Bacchus. Ayant jette l'ancre entre
l'ile de Bacchus, ou d'Orléans, et la grande terre du
Nord, il y fit connaissance avec les gens du pays, alors
occupés en grand nombre à la pêche de l'anguille et
autres poissons. Taiguragny et Domagaya, qui par-
laient la même langue qu'eux, bien qu'ils eussent été
enlevés près de la baie de Gaspé, leur ayant raconté
le bon traitement qu'ils avaient éprouvé, dans le voyage
et en France, ils offrirent à Quartier et à ses gens, du
poisson, du maïs et des melons ep abondande. Les
hommes et les femmes ne cessaient d'aborder les navires
dans leurs canots, pour se réjouir du retour de leurs deux
compatriotes. Quartier les festoya aussi, et leur fit
(quelques petits présens.
Le lendemain, VAgohanna, c'est-à-dire le seigneur
ou le grand chef de Canada, nommé Donnacoxa,
arriva, accompagné de douze grands canots chargés de
gens. Il en fit rester dix en arrière, et s'avança avec
les deux autres, montés de seize hommes, vis-à-vis du
plus petit des vaisseaux de Quai'tier, et commença une
harangue de compliment et de bienvenue, en démenant
son corps et ses membres " d'une merveilleuse sorte,"
en signe de joie et pour témoignage d'amitié. Il
conversa ensuite familièrement avee Taiguragny et
Domagaya: ce qu'ils lui racontèrent aloi's lui plut telle-
ment, qu'il pria le capitaine français de lui donner ses
bras à baiser, pour le remercier et lui témoigner sa
reconnaissance. Quartier descendit dans le canot de
Donnacona, et y fit apporter du pain et du vin, pour le
traiter lui et sa suite ; après quoi, on se sépara, le chef
emmenant avec lui les deux Sauvages revenus de
France.
Quartier désirant trouver un lieu propre à mettre ses
navires en sûreté, côtoya en chaloupes l'île d'Orléans ;
20 insTOïKE
'' au bout de laquelle il trouva un affourc d'eau fort
beau et plaisant, (bel et délectable, comme il dit
ailleurs), où il y a une petite rivière venant du nord, et
havre de barre marinant de deux à trois brasses, et
un détroit du fleuve fort courant et pi'ofond, qui n'a
de large qu'environ un tiers de lieue, et par le travers
duquel il y a une terre double de bonne hauteur toute
labourée (ou cultivée)."
Ayant jugé l'endroit convenable pour y mettre leurs
vaisseaux, les Français se rembarquèrent dans leurs
chaloupes pour retourner à File d'Orléans. Comme ils
sortaient de la rivière " venant du nord," ils trouvèrent
au-devant d'eux un des chefs de la bourgade de Stada-
cotiê, située sur la hauteur, au sud ou sud-ouest de cette
rivière, que Quartier nomma Sainte- Croix, et qui est la
même qui a été appellée depuis l'ivière de Saint-
Chai-les. Ce chef, qui était accompagné d'un grand
nombre d'hommes et de femmes, fit une harangue, en
témoignage de joieet "d'assurance ;'' api'ès quoi, tous se
mirent à chanter et danser, " étant dans l'eau jusqu'aux
genoux." Quartier leur donna des bagatelles, dont
néanmoins ils furent si satisfaits, qu'éloignés d'eux de
près d'une lieue, les Français les entendaient encore
chanter et pousser des cris de joie.
Le 14 (24) de septembre,* Quartier vint placer ses
navires à l'entrée de la rivière de Saint-Charles. Ce
même jour, Donnacona et tous ceux qui avaient fait la
pêche à l'Ile d'Orléans, s'en revenaient à Stadaconé,
leur demeure, dans vingt-cinq canots. Ils s'appiochè-
rent des Français, en donnant de grandes marques de
* C'est ce même jour que le nom de Sainte-Croix fut donné à
la rivière " venant du nord" et à l'endroit. Dans ces temps-là, le
calendrier servait ordinairement de nomenclateur aux navigateurs
qui faisaient des voyages de découverte.
1>U CANADA. 21
joie et d'amitié, à l'exception de Domagaya et de Tai-
guraguy, qui ne voulurent point monter dans les
navires, bien qu'ils fussent inviiés à le faire, mais qui
pourtant promirent alors à Quartier de l'accompagner
à Hochelaga.
Le lendemain. Quartier voyant Donnacona et nombre
de ses gens se tenant sur une pointe de terre, au bord
du fleuve, et paraissant ne pas oser s'approcher des
vaisseaux, alla les trouver, accompagné d'une pai'tie des
siens. Dès l'abord, il s'apperçut que les deux hommes
qu'il avait ramenés de France avaient commencé à
inspix'cr dé la méfiance à leurs compatriotes : l'un d'eux
(Taiguragny) lui dit que l'Agohanna était marri de voir
que les Français portaient tant de " bâtons de guerre,"
tandis qu'eux n'en portaient point. Néanmoins, après
([uelque apparence de refi'oidissement, la confiance et la
bienveillance entre le chef et le capitaine semblèrent
parfaitement rétablies.
Le 16 (26), Quartier mit ses deux plus grands vais-
seaux dans le havre, où il y a, dit-il, " de pleine mer
trois brasses, et de basse eau demi-brasse, et laissa le
plus petit dans la rade, pour aller à Hochelaga. Il aurait
voulu se faire accompagner des doux Canadois* qui
entendaient un peu le Français, pour lui servir d'inter-
prètes ; mais dans une seconde visite que lui fit Donna-
cona, accompagné de plus de cinq cents personnes,
hommes, femmes et cufons, Taiguragny lui dit que
l'Agohanna était fâché qu'il allât à Hochelaga, et qu'il
ne lui permettrait pas (à lui qui parlait) de l'y accom-
pagner, comme il avait promis de le faire, "parce que la
rivière ne valait rien." En effet, les Sauvages em-
* Ainsi nommerons-nous occasionellement, pour plus de briè-
veté, los peuples qui, à cotte époque, habitaient le Canada. Le
mot Canadiens, employé par Quartier, sentù-ait l'équivoque.
22 UISTOIRE
ployèrent, uous ne saurions dire poiu* quelles raisons,
prières, présens, promesses et menaces indirectes, pour
empêcher Quartier de faire ce voyage. Le 18, veille
du départ, Taiguragny lui répéta qu'il ne serait permis
à nul d'eux d'aller avec lui, " s'il ne baillait piège
(otage) qui demeurât à terre avec Donnacona."
Quoiqu'eussent pu faire ou dire les gens de Stada-
coné, Quartier partit le 19 (29) de septembre, dans
VEmérillon, avec deux chaloupes, et accompagné de
tous les gentilshommes et de cinquante mariniers. Il
trouva, "des deux côtés du fleuve, les plus belles et
meilleures terres qu'il soit possible de voir, aussi unies
que l'eau, pleines des plus beaux arbres du monde, et
tant de vignes chargées de raisins qu'il semblait qu'elles
y eussent été plantées de main d'homme." H vit pareil-
lement sur les rives du fleuve " grand nombre de maisons
habitées de gens qui faisaient grande pêcherie de bons
poissons, lesquels allaient aux vaisseaux •'•' en aussi
grand amour et privante" que si ceux qui les montaient
eussent été du pays, leur apportant du poisson, &c.,
pour avoir de leur marchandise, levant les mains au
ciel et faisant plusieurs cérémonies en signe de joie."
Etant à la distance de quinze à vingt lieues de Stada-
coné, en un endroit qu'il dit se nommer Achelaei, et qui
est, ajoute-t-il, " un détroit (rétrécissement) du fleuve
foi"t courant et dangereux," il reçut la visite d'un
" seigneur" du pays, accompagné d'un grand nombre de
gens, lequel après une harangue animée, dans laquelle
il paraissait le mettre en garde contre les périls de la
navigation du fleuve en remontant, lui offrit en présent
une jeune fille et un petit garçon.
Quoiqu'il naviguât " sans perdi'e heure ni jour,"
Quartier n'atteignit qu'au bout de neuf jours le lac
Saint-Pierre, auquel il donne douze lieues de long et
DU CANADA. 23
cinq ou six de large.* Parvenu au haut du lac, en navi-
gnant entre la côte du nord et les îles, il ne sut pas
trouver le chenal, ou ne put le passer avec son gallion.
Il fit met*^re ce qu'il lui fallait de vivres et autres choses
dans ses deux chaloupes, et s'y embarqua, avec les
gentilhommes, les capitaines et maîtres qui l'avaient
accompagné, et une trentaine de matelots, et arriva au
pays d'Hochelaga, le 2 (12) octobre au matin, comptant
avoir fait quinze lieues par jour, et n'en ayant fait
qu'environ cinq. Mais il avait été ai'rêté en plusieurs
endroits, sur la route, par les habitans du pays, qui lui
apportaient du poisson et d'autres '•' victuailles," et à
qui il donnait en échange des couteaux, des patenôtres
et autres bagatelles.
A plus de deux lieues, suivant le calcul de Quartier,
mais réellement à moins d'une lieue de la ville capitale,
ou principale bourgade du pays, qui paraît être la même
qu'il nomme Tutonagny, dans son troisième voyage, au
pied de ce que nous appelions le courant de Sainte-
Marie, qu'il donne comme étant " un sault d'eau le plus
impétueux qu'il soit possible de voir;" et qu'il lui fut
impossible de passer, plus de mille personnes vinrent
au-devant des Français, et leur firent "aussi bon ac-
cueil que jamais père fit à enfans," les hommes, les
femmes et les enfans, en bandes séparées, dansant en
signe de joie, et jettant dans les chaloupes du poisson
et du pain de gros mil (ou bled d'Inde) en si grande
abondance, " qu'il semblait qu'il tombât de l'air." En-
hardis par un tel accueil. Quartier et une partie de
ses gens descendirent à terre, et aussitôt cette foule se
* Primitivement, le lac Saint-Pierre s'étendait des hauteurs de
Nicolet et de laBaieduFebvre, d'uncôté, à celles de Maskiuongé,
Saint-Barthcleniy, &c., de l'autre : mais au temps des voyages de
Quartier, il ne devait avoii' cette étendue que dans la saison des
hautes eaux.
24 HISTOIRE
pressa autour d'eux et leur fit une fête de réjouissance et
de bienvenue qui dura plus d'une demi-heure, ou plutôt qui
ne discontinua pas ; car Quartier s'étant retiré dans ses
chaloupes avec ses gens, les Sauvages allumèrent des
feux sur les bords du fleuve, et dansèrent auprès toute
la nuit, en criant à toute heure : Aguiazé, c'est-à-dire,
apparemment, " Soyez les bien-venus."
Le lendemain, de grand matin, Quartier se mît en
route, accompagné des gentilshommes et de vingt mari-
niers, et guidé par trois des gens du pays. Il s'avança
par une superbe chênaie, et par un chemin "aussi battu
qu'il soit possible de voir en la plus belle plaine."
Ayant fait ce, qu'en s'exagérant la distance, il croyait
être une lieue et demie, il rencontra un chef, accompagné
de plusieurs autres personnes, qui lui fit entendre par
signes, qu'il fallait se reposer là, auprès d'un feu, qu'ils
avaient fait, et prononça une harangue de bon accueil.
Quartier lui donna deux haches, deux couteaux, et de
plus un crucifix, qu'il lui fit baiser, et qu'il lui pendit au
cou. A une demi-lieue de là, les Français amvèrent à
la vue de la ville, " sise au milieu de belles et grandes
campagnes, et de terres cultivées, et joignant une mon-
tagne, aussi bien cultivée et fort fertile. Lorsqu'ils
furent près de cette ville, un grand nombre de ses
habitans en sortirent et vinrent au-devant d'eux, leur
faisant bon accueil à leur manière. Leurs guides les
menèrent dans une grande place située au milieu, d'un
jet de pierre environ en quarré, et leur firent signe de s'y
arrêter. Aussitôt, s'assemblèrent autour d'eux toutes
les femmes et les filles de la ville, une partie des pre-
mières ayant des enfans dans leurs bras, et leur bai-
sèrent le visage, les mains, les bras et les autres parties
du corps où elles pouvaient toucher, leur faisant toutes
les caresses imaginables, et leur demandant par signes
DU CANADA. 25
de vouloir bien toucher leurs enfans. Ensuite, les
hommes firent retirer les femmes et les enfans, et s'as-
sirent sur la terre, autour de Quartier et de ses compa-
gnons. Presque aussitôt, plusieurs femmes revinrent,
apportant chacune une natte carrée, en forme de tapisse-
ries. Elles les étendirent à terre, et firent asseoir dessus les
étrangers. Bientôt après, fut apporté par neuf ou dix
hommes, sur une grande peau de cei'f, V Agohanna, ou
seigneur du pays. A l'exception d'un bandeau fait de
poil de hérisson ou porc-épic, qu'il portait en guise de
diadème, ce grand chef n'était pas mieux " accoutré"
que les autres : il était âgé d'environ cinquante ans, et
tout perclus de ses membres. Après qu'il eut fait " son
signe de salut" à Quartier et à sa suite, il lui montra ses
bras et ses jambes, en le priant de les vouloir touclier,
comme s'il lui eût demandé "guérison et santé." Quar-
tier lui ayant frotté les bras et les jambes, il prit sa cou-
ronne, et la lui mit sur la tête. Alors on amena au capi-
taine un nombre de malades, ou gens infirmes. N'ayant
pas le pouvoir de guérir leurs corps, il pensa au salut de
leurs âmes, " faisant sur eux le signe de la croix, et
priant Dieu de leur faire la grâce de recevoir chrétienté
et baptême." Il leur lut l'Evangile In principio, et la
Passion tout haut, " tellement, dit-il, que tous la pussent
ouïr ;" ce qu'ils firent en grand silence, regardant le ciel,
et faisant les mêmes cérémonies qu'ils voyaient faire aux
Français.
Après ces prières, Quartier fit ranger les hommes
d'un côté, les femmes d'un autre, et les enfans d'un
autre, et distribua aux uns et aux autres les préseus
qu'il crut leur mieux convenir, et devoir leur plaire
davantage. Lorsqu'il voulut se retirer avec ses gens,
les femmes se mii-ent au-devant d'eux, pour les arrêter,
et on leur apporta les mets qui avaient été préparés pour
c
2G HISTOIRE
eux, savoix' des potages, du paizi de maïs, du poisson,
des concombres, &c.
Au sortir de la ville, les voyageurs furent conduits
par un nombre d'hommes et de femmes, sur le sommet
de la montagne voisine, qu'ils nommèrent le Mont
Royal, et d'où ils eurent "vue et connaissance de plus
de trente lieues à l'entour ;" du fleuve, d'un nombrç de
montagnes, et d'une "terre unie, labourable et la plus
belle qu'il soit possible de voir." Quartier ne laissa le
pays qu'au grand regret de ses habitans, dont une partie
le suivit assez loin, en descendant le fleuve. Ils lui
avaient parlé avec assez d'exactitude, quoique par signes,
des saults du fleuve, des grands lacs du sud-ouest, d'une
grande rivière venant du noi'd-ouest, (celle des Outa-
ouais) ; mais il ne les avait compris qu'imparfaitement. Ils
lui parlèrent aussi d'une nation à! Agojuda, ou d'hommes
méchants, probablement ceux qui furent connus plus
tard sous le nom d'Iroquois, habitant "amont le fleuve,"
c'est-à-dire au sud-ouest, " armés jusque sur les doigts,"
et continuellement en guerre entre eux ou avec leurs
voisins.
Parti le 5 (15) octobre, de l'endroit où il avait laissé
son gallion, il se trouva le 7, par le travers de la rivière
de Saint-Maurice, qu'il nomma rivière de Fouez. Il
reconnut les îles qui se trouvent à son entrée, et fit
planter une " belle croix" sur la pointe de celle qui s'avance
le plus dans le fleuve, et qu'on apperçoit de plus loin.
Il remonta cette rivière dans une chaloupe ; mais bientôt
ne l'ayant trouvée ni grande ni profonde, il revint à son
vaisseau, continua à descendre le fleuve, et arriva le 11
(21), au lieu où étaient ses navii'cs.
" Les maîtres et mariniers qui y étaient demeurés
avaient fait un fort devant les dits navires, tout clos
de grosses pièces de bois plantées debout, joignant les
r)U CANADA. 27
unes aux autres, et tout à l'entour garni d'artillerie, et
bien en ordre pour se défendre contre tout le pays."
Ce fort fut construit sur la rive gauche de la rivière
Saint-Charles, assez près de son confluent, ou, pour
pai-ler d'après la relation, à l'endroit où il y avait " de
pleine mer, trois brasses, et de basse eau, demi-brasse ;
où elle était assez étroite pour qu'on pût se parler et
s'entendre d'une rive à l'autre, et vis-à-vis d'une pointe
qu'il y avait sur le bord du fleuve ; et, pour compléter la
désignation, à une petite demi-lieue de la bourgade de
.Stadaconé, bâtie sur le site de la présente haute ville
de Québec, ou de son faubourg de Saint-Jean. Le len-
demain de l'arrivée de Quartier, Donnacona lui alla
rendre visite, pour le féliciter de son heureux retour, et
l'inviter à le venir voir, le lendemain, " à Canada," c'est-
à-dire, à la ville. En effet, le 13, le capitaine, accom-
pagné des gentilshommes et de cinquante matelots bien
armés, traversa la rivière et s'achemina vers Stadaconé.
A son approche, les habitans sortirent de leurs maisons,
et vinrent au-devant de lui, à la distance d'un jet de
pierre ou plus, puis se rangèrent, les hommes d'un côté
et les femmes de l'autre, dansant et chantant sans cesse,
suivant leur manière de faire fête aux étrangers. Quar-
tier fit aux uns et aux autres des dons de peu de valeur ;
api'ès quoi, il fut mené par la ville par Donnacona
accompagné de Taiguragny comme interprète. Il ne
parle ni du nombre, ni de la grandeur, ni de la forme des
maisons, ou cabanes, mais se contente de dire qu'il les
trouva bien fournies ("estoi'ées") de vivres pour passer
l'hiver.
Les relations amicales durèrent quelque temps sur le
même pied ; mais Taiguragny et Domagaya (qui sans
doute avaient déjà raconté de quelle manière ils avaient
été enlevés,) ayant dit à Donnacona et à ses gens que
28 HISTOIRE ^
ce qu'ils recevaient des Français ne valait pas, à beau-
coup près, ce qu'ils leur donnaient eu échange, il y eut
refroidissement et méfiance réciproques, et Quartier fit
"renforcer son fort, tout à l'entom', de fossés larges et
profonds, avec portes à pont-levis, et d'une nouvelle
enceinte de pieux debout, et il fut ordonné pour le guet
de la nuit cinquante hommes à quatre quarts," les
trompettes devant jouer à chaque quart. ^
Toutes ces précautions seraient devenues inutiles
poui'tant, si l'état où les Français ne tardèrent pas à
être réduits, eût été connu des Canadois, et si ces der-
niers leur eussent voulu du mal. Une espèce d'épidémie
(le scorbut) s'étant déclarée parmi les habitans de
Stadaconé, défense leur fut faite de la part du capitaine
français d'approcher de ses navires ou de son fort.
Malgré cette précaution, la maladie se communiqua
bientôt à ses gens, et avec une telle violence, qu'il fut
im temps où il ne lui restait pas quatre hommes en état
d'agir, et que vingt-cinq en moururent. Il sut cacher
cet état de choses aux Sauvages, et obtint d'eux la
connaissance d'un remède, au moyen duquel tous ses
malades se rétablirent promptement. C'était une tisane
faite avec l'écorce et les feuilles de Vannedda, ou de
l'épinette blanche, pilées et bouillies ensemble ; tisane
que Quai'tier donne, par exagération, comme un " remède
contre toutes maladies, le plus excellent qui fut jamais vu
ni trouvé sur la terre."
~ Sur le printems, Stadaconé se trouva rempli de gens
que les Français n'avaient pas accoutumé d'y voir, et
que Quartier dépeint comme des "hommes beaux et
puissants." C'étaient sans doute des alliés des Canadois,
peut-être les pères des Algonquins du temps de Cham-
plain. Ils étaient venus avec Donnacona, qui avait
été pendant plus de deux mois occupé à la chasse des
DU CANADA. 29
chevreuils et des orignaux. Un homme envoyé à la
ville, sous prétexte de porter un présent à l'Agohanna,
trouva les maisons si pleines de monde, qu'à peine on
s'y pouvait tourner ; mais on ne lui permit pas d'en
voir un grand nombre : on le renvoya vers les navires,
en le conduisant jusqu'à la moitié de la distance.
A en croire Quartier, la rigueur de l'hiver de 1535
à 1536 fut extrême: l'épaisseur de la glace dans la
rivière de Sainte-Croix aurait été de plus de deux
brasses, et celle du givre de quatre doigts "sur les bois"
dans les navires, où tous les breuvages (vins et eaux-
de-vie) auraient gelé dans leurs futailles. Le printems
fut tardif aussi, et ce ne fut qu'au commencement de
mai qu'on put songer au départ. Le 3 (13) de ce
mois, Quartier fit planter dans son fort une croix de
trente-cinq pieds de hauteur, " sous le croizillon de
laquelle il y avait un écusson en bosse des armes de
France," avec ces mots : Fraxciscus Primus, Dei
GRATiA Francoruji Rex, REGNAT. Il avait résolu de
se saisir de Donnacona et de l'emmener en France,
afin qu'il pût exposer lui-même au roi toutes les mer-
veilles qu'il lui avait racontées du Saguenay, où il disait
avoir été, et qu'il lui avait décrit comme un pays
peuplé d'hommes blancs, vêtus d'habits de laine, et
recelant une quantité prodigieuse d'or et de pierres
précieuses ; sans parler des contes ridicules de bêtes à
deux pieds, d'hommes à une seule jambe, etc.* Taigu-
ragny et Domagaya avaient prévenu leur chef que tel
pourrait être le dessein du capitaine français. Ce
môme jour, 3 mai, ce ne furent qu'allée et venue, hési-
* Donnacona n'était pas seulement un " homme ancien," qui
n'avait jamais cessé " d'aller par pays depuis sa connaissance,
tant par Heuves et rivières que par terre ;" c'était encore un
homme politique et facétieux, qui voulait éloigner de sa " deœeu-
rance" un hôte suspect, ou rire de sa crédulité.
c2
30 HISTOIRE
tation, agitation, trépidation, de la part du peuple de
Stadaconé, sur le rivage, sur la rivière, aux environs
des navires et du fort. Donnacona vint devant les
navires, dans l'après-midi, et Quartier alla le saluer et
l'inviter à venir manger et boire avec lui, Taiguragny
lui avait conseillé de ne point entrer dans le fort ;
cependant, il ne laissa pas de l'y accompagner lui-
même, bientôt après ; mais l'ayant vu passer de là
dans la Grande-Hermine, il s'avança pour l'en faire
sortir. Quartier s'apperçut en même temps que les
femmes s'enfuyaient, et que les hommes restaient en
grand nombre aux environs du fort et des vaisseaux,
et aussitôt il ordonna à ses gens de saisir Donnacona,
Taiguragny, Domagaya, et deux autres des principaux,
qu'il leur montra, et de les mettre "en sûre garde.''
A l'instant même, tous les Sauvages se mirent à "fuir
les uns dans leurs canots, les autres à travers les bois."
On peut dire que la conduite du chef et des princi-
paux habitans de Stadaconé surpassa, cette fois, en
imprudence, pour ne pas dire en stupidité, tout ce qui
peut s'imaginer ; à moins qu'on ne leur suppose le des-
sein de s'emparer du fort et des vaisseaux de Quartier.
Mais comment supposer un tel dessein à des hommes
qui n'étaient armés d'aucune manière, et qui, voyant
leur chef prisonnier, au lieu de chei-cher à le délivrer,
se mirent à " fuir et courir comme brebis devant le
loup." Il est plus probable que le désir d'être festoyés
et de recevoir de nouveaux présens, l'emporta chez eux
sur tout autre sentiment, même sur ceux d'une mériance
bien fondée et d'une crainte raisonnable.
Quoiqu'il en soit, cet acte de violence et de 2)erfidie,
(car nous ne pouvons le qualifier autrement), fut un
sujet de deuil extraordinaire pour tous les habitans de
Stadaconé. La nuit venue, une foule de peuple s'as-
DU CANADA 31
sembla sur le bord de la rivière, vis-à-vis des vaisseaux,
et ne cessa de se lamenter et de crier : " Agohanna !
Agolianna Donnacona !" Ces cris et ces lamentations
durèrent le lendemain jusqu'à midi. Alors Quartier
fit monter Donnacona sur le pont, et lui recommanda
d'avoir bon courage, et de dire à ses gens, qu'on ne
l'emmenait que pour conter au roi de France ce qu'il
avait vu du Saguenay et autres lieux, et qu'il revien-
drait dans douze lunes, avec de grands présens. Aj'ant
répété ces paroles à ses gens, ils en témoignèi'cnt leur
joie par de grands cris, et sur l'invitation qui leur en
fut faite, qùeLpies uns des plus notables s'approchèrent,
dans un canot, pour lui parler, et donnèrent à Quartier
vingt colliers du coquillage qu'ils appellaient csurgni.
et qu'ils regardaient comme la chose la plus précieuse
qu'il y eût au monde. Donnacona envoya à ses femmes
et à ses enfans les préseus que lui fît alors Quartier,
nomma Agona, un des principaux chefs, sou lieutenant,
ou régent, durant son absence, et ordonna qu'on lui
apportât, le lendemain, les vivres dont il avait besoin
pour le voyage. Ces vivres lui furent, en effet, appor-
tés dès le matin, dans un grand canot conduit par
quatre femmes. Donnacona leur répéta ce qu'il avait
dit la veille, quant à son retour. Elles en témoignèrent
beaucoup de joie, présentèrent chacune à Quartier un
collier d'ésiirgni, et lui donnèrent à entendre que lors-
qu'il reviendrait, on lui ferait plusieurs présens.
Quartier mit à la voile le 6 (16) mai, avec deux do
ses vaisseaux seulement, n'ayant pas assez de monde pour
manœuvrer le troisième. Il rencontra, à l'île aux
Coudres, plusieurs canots de Canadois qui revenaient
du Saguenay. Ces gens ne furent pas peu surpris, et
se montrèrent fort afHlgés, en apprenant qu'on emmenait
leur grand chef. Mais Donnacona leur ayant dit qu'il
32 HISTOIRE
était bien traité, et qu'il reviendrait clans un an, ils
})arurent consolés, lui donnèrent trois paquets de peaux
de castor et de loup-marin, et un grand couteau de cuivre
rouge, que Quartier crut venir du Saguenay, et à ce
dernier un collier de leur précieux coquillage. Des
haches qu'ils reçurent en présent achevèrent de les satis-
faire.
Quartier nomme en passant Vile aux Lièvres, et
passe le premier, à ce qu'il croit, entre l'ile d'Anticosti,
appellée par les Sauvages Natiscolec, et la grande pointe,
ou presqu'île, nommée alors Hongnedo, et aujourd'hui
Monl-Louis. Longeant^ la côte jusqu'à la hauteur du
cap Dupi é, ou de Prato, qu'il dit être le commencement
de la baie des Chaleurs, il fut porté de là en un jour au
nord de l'île de Bno?i, une des iles de la Magdeleine,
reconnut et nomma le cap de Lorraine, aujourd'hui cap
Nord, et le cap Saint-Paul, de l'île du Cap-Breton.
Cinglant de là à l'est,, il parvint au port du Saint-
Esprit, (aujourd'hui des Basques), sur la côte sud-est
de Terre-Neuve ; alla de là aux iles de Saint-Pierre,
où il rencontra plusieurs navires de France ; puis au cap
de Raze, et enfin à la baie des Trépassés, appellée alors
Rognousi, où il entra pour prendi'e de l'eau et du bois.
Il partit de ce port le 19 (29) juin, et arriva à Saint-
Malo le 16 (26) juillet.
Peu après son retour. Quartier fit son rapport au roi
verbalement et par écrit ; il lui présenta aussi les Cana-
dois qu'il avait emmenés avec lui, lorsqu'ils furent
assez instruits de la langue française pour se faire
comprendre. Il paraît que Donnacona parla à Fran-
çois I comme il avait parlé à Quartier ; car après
l'avoir entendu, ce prince fut persuadé que le Saguenay
était "un très bon pays," et qu'il s'y trouvait de
" grandes richesses." Et quoique, peu après, Quartier
DU CANADA. 33
eût à informer le roi de la mort de tous les "hommes
sauvages" qu'il avait emmenés du Canada, sa majesté
résolut d'y envoyer de nouveau le même Quartier, avec
Jean François de la Roql'E, chevalier, seigneur de
Robert AL, qu'elle nomma son lieutenant et Gouverneur
dans les pays de Canada, Saguenay et Hochelaga,
Quartier étant employé, cette fois, comme capitaine
général (ou chef d'escadre), et maître pilote des vais-
seaux ; afin de faire des découvertes plus amples que celles
qui avaient été faites dans les deux précédents voyages,
" et atteindre, s'il était possible, à la connaissance du
pays de Saguenay ;" les fonds nécessaires pour l'équip-
pement de cinq navires devant être fournis par le trésor
royal.
M. de Roberval chargea Quartier de surveiller l'arme-
ment, qui se fit dans le port de Saint-Malo, d'où les deux
premières expéditions étaient parties. Les navires se
trouvèrent prêts à mettre à la voile vers la mi -mai 1540.
En arrivant à Saint-Malo, M. de Roberval les trouA'a en
rade, et n'attendant que son arrivée pour partir. Il prit
l'état des gentilhomraes, soldats et matelots engagés pour
l'entreprise ; mais les poudres et autres munitions qu'il
avait commandées dans la Champagne et la Normandie,
n'étant pas arrivées, et l'ordre du roi étant de partir
incessamment, à peine d'encourir son grand déplaisir,
Roberval donna à Quartier "pleine autorité de partir et
pi'endre les devans, et de se conduire en toutes choses,
comme s'il s'y fût trouvé en personne ;" tandis que lui-
même il irait fixire appareiller un ou deux autres navires
ù Honfleur, où il pensait qu'étaient arrivées ses munitions,
et les choses dont il croyait avoir besoin dans le voyage,
et qu'il ne voulait pas laisser en arrière.
Quartier fit voile le 23 mai (vieux st_yde), avec les
cinq navires, approvisionnés pour doux ans. La navi-
34 HISTOIRE
gation ne fut ni moins longue, ni moins périlleuse que
dans le précédent voyage ; bientôt le vent devint con-
traire et la mer tempétueuse ; les vaisseaux ne se réuni-
rent au port de Carpunt, sur le détroit de Belle-Isle,
qu'un mois après avoir été séparés les uns des autres.
Ayant attendu quelque temps en vain le sieur de Rober-
val, ils continuèrent leur route, remontèrent le fleuve,
et arrivèrent au port de Sainte-Croix, le 23 août, trois
mois, jour pour jour, après le départ de Saint-Malo. On
s'y arrêta, et " les peuples du pays vinrent aux navires,
montrant une grande joie de leur arrivée." Agona, que
Donnacona avait nommé son lieutenant durant son
absence, y vint, accompagné d'un grand nombre
d'hommes, de femmes et d'enfans. Son premier soin fut
de s'informer de ce qu'étaient devenus Donnacona et les
autres chefs emmenés en France. p^Quartier lui avoua
que Donnacona était mort, mais il lui cacha le sort des
autres, en lui disant qu'ils s'étaient mariés, qu'ils vivaient
en grands seigneurs, et qu'ils n'avaient pas voulu revenir
dans leur pays.* Agona ne témoigna aucun déplaisir,
en ajjprenant cette nouvelle, qu'il trouva bonne, selon
Quartier, " parce qu'il demeurait seigneur et chef du
pays par la mort de Donnacona." En eifet, la confé-
rence terminée, le nouvel Agohanna prit l'espèce de
diadème dont son front était orné, ainsi que ses brace-
lets, et en affubla le capitaine français, en " lui faisant
des accolades et lui montrant de grands signes de joie."
Quartier lui remit sa couronne sur la tête, lui fit
quelques petits présens, en lui en promettant de plus con-
sidérables, et ils se séjjarèrent bons amis, en apparance.
*La relation dit que ces " hommes sauvages " furent baptisés,
selon leur désir, et vécurent longtcms en France. Cependant,
d'après le rapport fait au roi par Quartier, ils étaient tous morts
avant 1540. Les i-elations de ces temps là sont pleines de con-
tradictions semblables.
DC CANADA. 35
La première chose que fit Quartier, après cette entre-
vue, ce fut de remonter le fleuve avec deux chaloupes,
" pour y voir un "port et une petite rivière, à environ
quatre lieues au-delà de Canada et du port de Sainte-
Croix," et qu'il trouva " meilleure et plus commode
que n'était l'autre, pour y mettre ses navires à flot."
Y ayant conduit ses navires, il en laissa deux dans
la rade, pour les renvoyer en Finance, ce qu'il fit le 2
(12) septembre. Il confia à Marc Jalobert, son beau-
frère, et à Etienne Noël, son neveu, qui les comman-
daient, des lettres pour le roi, dans lesquelles il lui rendait
compte de ce qui avait été fait, et lui mandait que M.
de Roberval n'était pas arrivé, et qu'il craignait que les
vents contraires ne l'eussent forcé de retourner en France,
après s'être mis en mer.
La petite rivière, à remboucluu-e de laquelle Quartier
plaça ses navires, est celle du cap Rouge. La descrip-
tion qu'il fait des environs est bien capable d'en donner
l'idée la plus avantageuse. On doit l'en croire, quand il
parle de la bonté du sol, delà beauté des arbres, chênes,
érables, ormes, cèdres, bouleaux et autres, supérieurs à
ceux de Finance de même espèce ; de la quantité de
'• vignes chargées de grappes aussi noires que ronces
(meurons), mais moins agréables que celles de France,"
par la raison "qu'elles croissent naturellement sauvages :"
— la "belle mine du meilleur fer qui soit au monde, le
sable sur lequel il marchait, qu'il donne comme " mine
parfaite, prête à mettre au fourneau ;" ces prairies natu-
relles pleines " d'aussi belle et bonne herbe que jamais il
ne vit en aucun pré de France ; l'abondance de chanvre,
"aussi bon qu'il soit possible de voir,' qui croissait
naturellement, sont choses un peu plus douteuses, ou
sentant fort l'exagération : — les " feuilles d'un or fin
aussi épaisses que l'ongle," la "bonne quantité" de
36 HISTOIRE
pierres qu'il estime être des diamans ; les gros grains de
la dite mine (d'or) qui se trouvent parmi ces pierres ;
ces " veines de l'espèce des minéi*îmx, qui luisaient
comme or et ai'gent ; ces pierres qu'en quelques endroits
il a trouvés "comme diamans les plus beaux, polis et
merveilleusement taillés qu'il soit possible de voir," et
qui luisaient au soleil comme des étincelles de feu," ce
sont là des contes faits à plaisir, ou des exagérations ridi-
cules.
Après avoir érigé une batterie, ou fait " planter son
artillerie," pour mettre en sûreté les trois navires qu'il
entendait retenir dans le pays, Quartier fit pratiquer
" un chemin en manière de double montée," et fit faire,
au sommet du cap un fort pour protéger celui qu'il avait
construit à la hâte au bas, et commander tant le grand
fleuve que la petite rivière. Il donna à ce fort et à
l'endroit le nom de Charleshourg-Hoyal, sans doute pour
honorer en même temps et son Roy, et son protecteur
spécial, Charles de la Meilleraye.
Le fort commencé, et les vivres et munitions mis en
sûreté, Quartier tint une espèce de conseil, où il fut
résolu qu'on irait à Hochelaga, pour " voir la nature
des saults" qu'il y avait à passer pour aller au-delà, et
parvenir au Saguenay, croyant encoi-e que c'était la
route du pays qu'il appellait de ce nom ; bien que dans
son précédent voyage, il eût reconnu, à trente lieues de
Canada, ou Stadaconé, l'embouchure de la rivière qui y
conduit ; et cela, afin d'être plus eu état de passer outre,
au printems.
Deux ciialoupes ayant été appareillées pour le voyage,
Quartier partit de Charlesbourg-Royal, le 7 septembre,
accompagné de Martin de Paimpont et autres gentils-
hommes, et d'un nombi-e suffisant de mariniers. Il ne
voulut point passer devant la bourgade à^Hoclielay, la
DU CANADA, 37
môme qu'il appelle Achelacy dans son précédent voyage,*
sans rendre visite au chef qui l'avait accueilli si cordiale-
ment, et avait voulu lui donner de si bons avis. Il lui
fit présent d'un manteau de drap écarlate "tout garni de
boutons jaunes et blancs et de petites clochettes,'' de deux
bassins de cuivre, de haches, couteaux, &c., et lui laissa
deux jeunes garçons pour apprendre la langue du pays.
Les voyageurs eurent ensuite le vent si favorable, qu'ils
arrivèrent le 11, au premier sault, c'est-à-dire sans doute
au pied du courant de Sainte-Marie, et à " deux lieues"
de la ville, ou bourgade, de Tutonagny, la même, en
apparence, qu'il a appellée Hochelaga dans son précédent
voyage"!". ^^ laissa une de ses chaloupes au pied de ce
premier sault, et tenta de le remonter avec l'autre,
renforcée d'hommes. Il le remonta, en effet, et navigua
jusqu'en un lieu où il trouva "mauvais fonds et de
gros rochers," probablement à la hauteur de ce que nous
appelions la pointe Saint-Charles, un peu au-dessus de
Montréal. Ne pouvant plus avancer avec leur chaloupe,
les Français descendirent à terre, et suivirent un sentier
battu le long du fleuve, jusqu'à un village dont les habi-
tans les reçurent avec beaucoup d'amitié. Quartier leur
ayant exposé l'objet de son voyage, ils lui donnèrent
quatre jeunes gens qui les conduisirent jusqu'à un autre
village, qui était vis-à-vis de ce qu'il appelle le deuxième
sault, par où il faut entendre les rapides du bas de La
Chine, ou le commencement du sault Saint-Louis.
Ayant demandé, tant par signes que par paroles, à ceux
* Hochelai/C'ta.it probablement le nom de la bourgade, et Achelacy
celui de l'endroit, ou du courant ou rapide (de Richelieu) \is-à-vis
duquel elle était située.
f Hochelaga était-il le nom de l'île ou du pays, et Tutonagny,
celui de sa capitale, ou principale bourgade ? La connaissance de
la signification de ces deux mots, dans la langue d'alors, pourrait
seule peut-être résoudre ce problème.
SS HISTOIRE
de ce dernier village, combien il y avait de saults à passer
et de chemin à faire pour se rendre au Saguenay, on lui
répondit qu'à un tiers environ de la distance qu'il avait
pai'courue, depuis le premier sault, il y en avait un troi-
sième, mais que le fleuve n'était pas navigable pour aller
au Saguenay ; c'est-à-dire que ce n'était pas la route,
ou la direction qu'il fallait prendre pour y aller.
Muni de ces renseignemens, Quartier reprit la route
de Charlesbourg-Royal, et voulut voir encore une fois,
en passant, son ami d'Hochelay, mais il le trouva absent.
On lui dit qu'il était allé en un lieu appelle Maisouna ;
mais il apprit bientôt qu'il était descendu à Stadaconé,
pour délibérer avec Agona de ce qu'ils pourraient entre-
l^rendre contre les Français. Quartier dit des habitans
d'Hochelaga, que malgré leur bon accueil, et leurs
belles démonstrations de joie, en voyant de nouveau les
Français, "ils auraient fait de leur mieux pour les
tuer," comme il l'apprit par la suite. L'enlèvement
violent des deux frères, Taiguragny et Domagaya,
avait fait regarder Quartier comme un homme dange-
reux et dont il fallait se méfier, par les habitans de
Stadaconé ; l'enlèvement plus odieux encore, de Don-
nacona, qu'il appelle " Seigneur et Roi de Canada," et
de quatre autres personnages notables, lui fit de tous les
habitans de ce pays des ennemis ouverts ou secrets.
Ce n'est ni la première ni la dernière fois, que des
hommes soi-disant civilisés, ont eu à se repentir d'en
avoir ainsi agi contre les droits de la nature et des gens,
envers des hommes qu'ils appellaient Sauvages.
Arrivé à Charlesbourg-Royal, Quartier apprit de
ceux qui y étaient restés, sous la conduite du vicomte de
Beaupré', que " les Sauvages du pays" ne venaient
plus autour de son fort, comme ils avaient coutume de
faire, et qu'ils paraissaient être dans une grande crainte.
DU CANADA. 39
Quelques uns de ses gens ayant été à Stadaconé, pour
voir ce qui s'y passait, ils lui rapportèrent qu ils y avaient
trouvé " un monde considérable du peuple du pays, qui
y étaient assemblés," et en conséquence, il fit "apprê-
ter toutes choses, et mettre son fort en bon ordre."
Il paraît que durant Thiver, Quartier et ses gens
furent incommodés et inquiétés, sinon par des attaques
ouvertes, du moins par des démonstrations hostiles, de
la part des peuples du pays. Craignant de ne pouvoir
pas leur résister, s'ilsl'attaquaient sérieusement, et fatigué
d'attendre toujours en vain M. de Roberval, il se déter-
mina h laisser son fort de Charlesbourg-Royal, au com-
mencement de juin, et relâcha vers le 15, au havre de
Saint- Jean de Terre-Neuve, où Roberval était arrivé,
depuis quelques jours, avec trois vaisseaux, portant
deux cents personnes, gentilshommes,* soldats, matelots,
et gens de travail. Il était parti de La Rochelle le 16
(26) avril 1542,f mais le mauvais temps l'avait contraint
de relâcher à Belle-Isle, en Bretagne, et il n'était arrivé
que le 8 juin au port de Saint- Jean. Après lui avoir
rendu ses devoirs. Quartier lui dit qu'il avait apporté
certains diamans et une quantité de mine d'or, qu'il
avait trouvée au pays. On fit l'essai de cette prétendue
mine, et, suivant la relation, elle fut trouvée bonne. Il
loua fort le pays comme étant très riche et très fertile,
ajoutant que la seule crainte de ne pouvoir résister aux
■" Les gcntilslioniines, ou " personnes de qualité," étaient, MM.
r>E SAiNE-TEitRE,cominaniluntdcs vaisseaux, L'Espinay, Gvixe-
cot'UT, Noiue-Fustaim;, IJh;l-La»iont, Fuotte', La BkoSse,
i>E La MiKF-, La Sai.lk, de Vii.r.jcxEUVE, Longueval, Talbot,
et Jean ALriioNsE, de Xanctoigne.
f II y a ici une nouvelle contradiction : d'après les dates des
départs de Quartier et de Koberval, le premier aurait passé deux
hivers à Charlesbuurg-Koyal ; et cependant il est dit expressé-
ment dans la relation du dernier, (ju'il avait été envoyé au Canada,
l'année jirécédente.
40 HISTOIRE
Sauvages l'avait porté à retourner en France. Mais,
continue la relation, M. de Roberval, qui avait des
forces suffisantes, lui ayant commandé de retourner avec
lui, rempli d'ambition, et voulant avoir seul l'honneur
de la découverte de tous ces objets, il s'embarqua secrè-
tement avec ses gens, la nuit suivante, et partit ainsi
sans congé pour se rendre en Bretagne.
Roberval ne laissa le havre de Saint-Jean que le 30
juin. Il entra dans la " Grande Baie," passa par l'ile
de l'Ascension (Anticosti), arriva et s"ai-rêta à quatre
lieues à l'ouest de l'ile d'Orléans^ c'est-à-dire à l'entrée
même de la rivière du Cap-Rouge, où il trouva un havre
commode pour ses vaisseaux. Il j fit choix d'une
place convenable pour s'y fortifier de manière à " com-
mander à la grande rivière, et à pouvoir résister aux
attaques des ennemis." C'était là même que Quartier
avait bâti, ou commencé à bâtir un fort. Roberval acheva
ce fort, ou en construisit un autre, ou même deux, l'un
sur le bord du fleuve, et l'autre sur le cap même, et
donna à ces forts, ou à l'endi-oit, le nom de France-Roy.
Jean, Alphonse, qui avait accompagné M. de Roberval
comme son premier pilote, décrit ce lieu de France-Roy
de manière à ne laisser aucun doute sur sa situation,
non plus que sui* celle de Stadaconé, ou Canada, et du
havre appelle Sainte-Croix par Jacques Quartier.
" Depuis la pointe ouest de l'ile d'Orléans jusqu'à
Canada, dit-il, il n'y a qu'une lieue, et jusqu'à France-
Roy il y a quati'e lieues. Le fort de France-Roy est
par les 47 degrés et un sixème de degré." Ce fort, que
la relation dit "joli, beau à voir et d'une grande force,"
fut bâti •' sur une haute montagne" (le Cap Rouge):
il y avait deux corps de logis, ime grosse tour et une
autre de la longueur de quarante à cinquante pieds,
avec salle, chambres, offices, celhers, &c., et auprès,
DU CANADA. 41
four, moulins, puits, &c. Au pied du cap, il y avait
un autre logement^ dont partie formait une tour à deux
étages, avec deux corps de logis, &c. Que ne durent
pas donner à penser et à dire aux aborigènes, ces bâti-
mens de formes diverses et pour eux d'une grandeur
extraordinaire ! Us étaient pourtant revenus, ou ils
revinrent alors de leur méfiance et de leurs appi'éhen-
sions, et apportèrent au fort de M. de Robervaldu poisson
et d'autres vivres en abondance ; mais malheureuse-
ment une maladie à peu près semblable à celle qui avait
affligé les compagnons de Quartier, se mit parmi ses
gens, et il en mourut environ cinquante.
Parmi les gens du commun qui avaient suivi M. de
Roberval, il y avait des " garnemens," selon l'expres-
sion du temps, mais "il faisait bonne justice, et punis-
sait chacun selon son offense :" un de ces garnemens fut
pendu pour vol ; d'autres furent mis aux fers pour délits,
plus légers, et " plusieurs furent fouettés, tant hommes
que femmes ; au moyen de quoi ils vécurent en pais et
tranquillité."*
Il ne parait pas que M. de Roberval ait été inquiété
par les Sauvages, durant l'hiver, comme l'avait été
Quartier. Environ deux mois après son arrivée au Cap-
Rouge, il avait renvoyé en France deux de ses navires,
sous le commandement de M. de Saine-Terre, afin de
donner avis au roi de ce qui avait été fait, et " savoir
comment sa majesté avait accepté certaines pierres qui lui
avaient été envoyées," avec ordre de revenir, l'année sui-
vante, munis de vivres et autres fournitures, suivant qu'il
plairait au roi. Le 5, (15) juin 1543, il partit avec Iiuit
* Les coupables, ou réfractaires, n'étaient pas tous des " gens
du commun," comme le prouvent les " Lettres de Grâce " données
en Canada, en présence de Jean Alphonse, par M. de Roberval,
" accordant rémission et pardon " au sieur de Saine-Terre, son
Lieutenant.
d2
42 HISTOIRE
chaloupes,tant grandes que petites, conduites par soixante-
dix hommes, pour un voyage de découverte ou d'explora-
tion, au pays de Saguenay. Il ne laissa dans son fort
que trente personnes, sous les ordres d'un gentilhomme
nommé M. de Eoyeze, avec injonction d'y attendre son
retour jusqu'au 1er juillet; passé lequel temps, il leur
serait libre de retourner en France. Le 14 du même
mois, plusieurs des gentilhommes et autres, revinrent au
fort donner des nouvelles de M. de Eoberval. Le 19, il
en arriva d'autres, avec des " lettres demandant qu'on
demeurât jusqu'au 22 de juillet."
On ignore si M. de Roberval revint à son fort de
France-Roy, oti si ceux qu'il y avait laissés allèrent le
joindre au Saguenay ; mais les vaisseaux dont le retour
avait été demandé n'arrivant point, il paraît qu'il s'en
retourna en France avec tous ses gens,, dans le seul
navire qu'il avait retenu en Canada.* Alphonse, son
premier pilote, homme habile et éclairé pour l'époque,
* Jean de Laet résume ainsi le troisième voyage de Quartier
et ceUii de Eober\al : " Le roi, avec plus grand appareil, envoya
Jean Trançois, seigneur de Koberval, en titre de Vice-roi, et
Quartier comme premier maître de navire, en Canada et Hoche-
laga. Quartier, qui partit de France au mois de mai, avec cinq
navires, arriva en août au port de Sainte-Croix, mais l'ayant
éprouvé, aux précédentes années, être incommode, il monta, avec
trois de ces navires, quatre lieues plus haut, après avoir renvoyé
en France les deux autres ; et y ayant trouvé une place commode,
il y bâtit le château de Charlesbourg-Royal, où il hiverna avec ses
gens. Mais comme le sieur de Roberval, qui ne partit que l'an
1542, arrivait avec trois navires, rencontra Quartier s'en retour-
nant avec les siens, auprès de la baie de la Conception, au côté
oriental de Terre-Neuve, (car Quartier niait qu'on pût, avec si
peu de gens, brider l'insolence des Sauvages,) il passa outre, et
entra dans le fleuve de Canada, quatre lieues au-dessus de l'île
d'Orléans, au mois de juillet, où il bâtit le château de France-Hoy,
à 47 degrés au nord de la ligne, comme Jean Alphonse, son
pilote, témoigne. Et il y demeura quelques années, entreprit
plusieurs voyages, même de visiter la rivière de Saguenay. Il ne
se trouve point quand il retourna en France ; mais Lescarbot écrit
.qu'il fut demandé du roi, ennuyé de la dépense qu'il avait faite,
avec peuou point de profit."
DU CAXADA. 43
parsème son Routier d'observations géographiques, géo-
logiques, météorologiques, astronomiques, &c. "L'Ile
de l'Ascension (Anticosti), dit-il, a environ vingt-cinq
lieues en longueur et quatre ou cinq en largeur ; c'est
une terre plaine, sans aucune montagne, assise sur des
rocliers blancs et d'albâtre, toute couverte d'arbres
j usqu'au bord de la mer : on y voit des bêtes sauvages?
comme ours, loups-cerviers et porcs-épics. Depuis la
baie des Chaleurs jusqu'à ce que vous ayez passé les
Monts Notre-Dame, toute la terre est haute, bonne et
couverte d'arbres. Ognedoc (Gaspé) est une bonne
baie et un bon havre, où il y a deux rivières, l'une
desquelles va vers nord-ouest et l'autre vers sud-est, et
sur cette côte il y a grande pêcherie de morues et antres
poissons, en plus grande abondance qu'à la Terre-Neuve
et de meilleure qualité ; et il s'y trouve une grande
quantité d'oiseaux de rivière, tels que canards, oies
sauvages et autres, et aussi des arbres de toutes les
sortes, tels que rosiers, fraisiers, coudi-iers, pommiers
et poiriers, et il y fait, en été, plus chaud qu'en
France. L'entrée du Saguenay n'a pas plus d'un quart
de lieue de largeur, et il y fait dangereux vers le
sud-ouest. A deux ou trois lieues de son entrée, cette
rivière commence à s'élai'gir de plus en plus, et il semble
que ce soit un bras de mer ; dans cet endroit, il y a un
fort courant et une marée terrible. Depuis les Monts
Notre Dame jusqu'à Canada et jusqu'à Ilochelaga, toute
la terre du sud est une belle terre basse et plaine, toute
couverte d'arbres jusqu'au bord du fleuve. La terre du
côté du nord est plus élevée, et dans quelques endroits,
il y a de hautes montagnes. D'après la nature du
climat, les terres, en allant vers Hochelaga, deviennent
meilleures de plus en plus, et cette terre peut produire
des figues et des poires. Toutes les graines qu'on y
44 HISTOIRE
sème ne sont pas plus de deux ou trois joui's à sortir de
la terre, J ai comjîté dans un épi jusqu à cent-vingt
grains de froment. Les eaux y sont meilleures et plus
pures qu'en France. Si le pays était cultivé et rempli
de peuple, il y ferait aussi chaud qu'à La Rochelle.
Toute l'étendue de ces terres peut avec raison être
appellée la Nouvelle France; car l'air y est aussi tem-
péi'é qu'en France, et elles sont sous la même latitude.
La raison pour laquelle il y fait plus froid en hiver,
vient de ce que le fleuve d'eau douce est naturellement
plus froid que la mer, et aussi parce qu'il est large et
profond, et parce que la terre est toute couverte de
forêts. D'après le rapport des gens du pays, je crois
que l'on y pom-rait trouver des mines d'or. Lorsqu'il
est l'heure de midi à La Rochelle, il n'est que neuf
heures et demie du matin à France- Roy."
Alphonse est plus exact que Quartier quant aux dis-
tances : cependant il ne donne que cinq lieues de longueur
à l'ile d'Orléans, et il compte environ quatre-vingts
lieues entre France-Roy et Hochelaga, quoiqu'il y en
eût moins de soixante.
Roberval et Quai'tier décrivent les mœurs, les habi-
tudes et l'état des peuples qu'ils trouvèrent dans ce
pays. D'après Roberval, ou l'auteur de la relation de
son voyage, les Canadois étaient de bonne stature et
bien proportionnés ; " s'ils avaient été vêtus à la façon
des Français, ils auraient été aussi blancs, et auraient
eu aussi bon air ;'' mais ils allaient presque nus en été.
Au lieu de vêtemens de laine, ou autre étoffe, ils s'accou-
traient de peaux d'animaux, tant les hommes que les
femmes. Ils portaient, l'hiver, " des bas de chausses et
des souliers de cuir proprement façonnés." Us ne se
couvraient point la tète, mais portaient leurs cheveux
relevés en forme de tresses ou de tortis. Leur nourri-
DU CA^'ADA. 45
ture consistait principalement en chair de bêtes fauves,
d'oiseaux et de poissons, et en pain " de bonne saveur,"
qu'ils faisaient avec leur gros mil ou maïs. Leur breuvage
favori était l'huile de loup-marin ; mais ordinairement
ils la réservaient pour leurs grands festins. " Lorsqu'ils
voyageaient d'un lieu à un autre, ils emportaient dans
leurs canots tout ce qu'ils possédaient." Ils avaient,
dans chaque pays (ou canton particulier), " un roi
auquel ils étaient merveilleusement soumis, et ils lui
faisaient honneur d'après leurs manières et façons."
Quartier s'étend plus au long sur la condition et les
usages de ces peuples, et les relations qu'il eut avec eux,
et dont il rend compte, ne servent pas moins à nous les
faire connaître, que ce qu'il dit positivement à cet effet.
Fidèle qu'il se montre, quand il fait mention des lieux,
caps, îles, baies, lacs, rivières, &c. ; quand il parle des
richesses végétales et animales qu'il a eues sous les yeux,
de l'aspect physique du pays, nous ne devons pas le croire
menteur quand il décrit, (directement ou indirectement,)
les mœurs, les coutumes, les croyances religieuses de ses
habitans, son aspect moral, pouvons-nous dire.
Quoiqu'errants, ou obligés de voyager, pour la pêche
et la chasse, les Canadois avaient des demeures fixes en
certains endroits ; car, dit Quartier, " après la rivière
de Saguenay est la province de Canada, où il y a
plusieurs peuples par villages non clos."
Avant d'arriver à Sainte- Croix, c'est-à-dire au con-
fluent de la rivière de Saint-Charles, il compte quatre
bourgades ou peuplades, qu'il nomme, peut-être erroné-
ment quant à l'orthographe, Ajaonsté, Starnatam, Tailla,
sur une hauteur, (celle de Beauport ou celle de Lauzon),
et Satadin, ou Studin, siu- la plaine de Beauport ou de
Charlesbourg, aux habitans de laquelle il abandotina le
fond du vaisseau qu'il ne put emmener. Stadaconé était
46 HISTOIRE
située sur la hauteur qui avoisine le cap aux Diamans.
En remontant le fleuve, on trouvait, après Stadaconé,
Ifes bourgades de Téquenouday et à^Hochelay, la pre-
mière sur une montagne, ou sur un cap élevé, et la
seconde dans une plaine, sur le rivage méridional.
Quartier mentionne aussi la ville ou bourgade d'Hago-
chonda, sans dire dans quel endroit elle était située ;
mais elle ne devait pas être éloignée de Stadaconé, et
nous craindrions peu de nous tromper, en la plaçant à
quelque distance au nord-ouest de Sainte-Croix. Outre
Hochelaga, ou Tutonagny, il y avait plusieurs villages
dans l'île de Montréal, et sans doute au-delà. A Hoche-
laga, les maisons, au nombre d'une cinquantaine, étaient
longues d'environ cinquante pas, et larges de douze à
quinze, toutes de bois et couvertes d'écorces aussi larges
que des tables ordinaires; elles étaient distribuées chacune
en une grande salle, o\i ils faisaient leur feu et vivaient
en commun, et en plusieurs chambres, où chaque famille
se retirait le soir. Ces maisons étaient pourvues de
greniers, où ils serraient leur bled, &c., et de grandes
tonnes, où ils mettaient leur poisson. Leurs lits étaient
de grandes écorces étendues à terre ; et leurs couver-
tures, ainsi que leurs habits, des peaux de bêtes. A
Stadaconé, les maisons, ou cabanes, étaient en plus
grand nombre, mais de moindres dimensions qu'à
Hochelaga. Stadaconé était une ville ouverte, mais Ho-
chelaga était une ville fermée. Suivant Quartier, elle
était "toute ronde, et close de bois à trois rangs, en
façon d'une j^yramide croisée par le haut, ayant la rangée
du milieu en façon de ligne perpendiculaire, puis une
rangée de bois couchés de long bien joints." Cette
palissade était de " la hauteur d'environ deux lances."
Il n'y avait qu'une seule porte ou entrée, qui fermait à
barres. En plusieurs endroits de l'enceinte, il y avait
DU CANADA. 47
des espèces de galeries garnies de pierres et de cailloux,
et des échelles en dedans pour y monter. Au milieu
de la ville, il y avait, comme on l'a déjà vu, une
place publique, qui devait être ronde aussi, bien que les
expressions de Quartier soient qu'elle était " spacieuse
d'un jet de pierre en quarré."
Les Canadois savaient se fortifier, ou se mettre ea
garde contre les attaques imprévues de leurs ennemis,
par des espèces de forts ou de camps retrancliés. Leurs
armes ordinaires étaient l'arc et la flèche, {ahenca et
quatetan, suivant Quartier) et peut-être aussi la massue,
ou le " bâton de guerre." Ils avaient pour ennemis les
Toudamans, peuple limitrophe, sans doute connu plus
tard sous un autre nom. Il paraîtrait qu'ils avaient la
mauvaise coutume d'emmener à la guerre leurs femmes
et leurs enfans, et qu'ils n'étaient ni moins vindicatifs,
ni moins cruels envers leurs ennemis, que ceux qui les
remplacèrent et furent trouvés plus tard dans le pays.*
Mais excepté avec leurs ennemis déclarés, ou ceux
dont ils croyaient avoir sujet de se méfier, ils étaient doux,
civils, hospitaliers, comme on le voit par toutes les rela-
* La première fois que Quartier alla rendre visite à Doiuiacona,
on lui montra les peaux de cinq têtes d'hommes "étendues swr
des bois, comme peaux de parchemin ;" et on lui dit que " c'étaient
des Toudamans de vers le sud, qui leur menaient continuellement
la guerre." On lui dit aussi qu'il " y avait deux ans passés, les
Toudamans les vinrent assaillir jusque dans le fleuve, à une île
qui est par le travers du Saynenay, où ils étaient à passer la nuit,
tendant aller à HongncJo leur mener guerre, avec environ deux
cents personnes, tant hommes, femmes qu'enfans, lesquels fu-
rent surpris en dormant, dans un fort qu'ils avaient fait, où
mirent les dits Toudamans le feu tout à l'entour, et comme ils
sortaient, les tuèrent tous, réserve cinq qui s'échappèrent r" — " De
laquelle détrousse, ajoute-t-il, (les Canadois) se plaignaient
encore fort, nous montrant qu'ils en auraient vengoange."
Si les Toudamans étaient au sud, par rapport à t^tadaconé,
c'étaient les Iroquois, et non lesGaspésiens, situés au nord-est ; et
le travers du Saguenay et Ilongnedo ne se trouvent ici que par
erreur.
48 HISTOIRE
tions amicales qu'eurent avec eux Quartier et Roberval.
Tous ces peuples, nous voulons dire les différentes
peuplades répandues dans ce que nous appelions présen-
tement le Bas-Canada, depuis Hongnedo jusqu'à Hoche-
laga, parlaient, ou pouvaient parler la même langue.
Quartier nous en a conservé quelques termes, entre
autres celui à' Agohunna, qui signifiait seigneur ou
ffrand chef. Il parait que les seules villes, ou grandes
bourgades, de Stadacoué et d'Hochelaga avaient des
Agohannas, dont sans doute l'autorité s'étendait sur
les villages circon voisins. Ces chefs étaient aimés,
respectés et vénérés par les peuples qui leur obéis-
saient, lors môme qu'ils n'étaient plus dans la vigueur
(le l'âge ou de la santé, comme le prouve ce que
dit Quartier de celui d'Hochelaga, qui fut apporté dans
la place par dix hommes, parce qu'il était paralytique,
et qu'on lui présenta comme chef vénéré et vénérable.
Dix autres peuplades obéissaient à ce chef, suivant
Quartier ; mais il n'est plus croyable, quand il ajoute que
Donnacona lui était aussi soumis, ou qu'il était son
tributaire. Il y avait bien quelque chose de redoutable
à Hochelaga pour ceux de Stadaconé, mais c'était, il
paraît, sous le rapport religieux ; car Cudouagnt " par-
lait" souvent à Hochelaga. Ce Cudouagny était l'unique,
ou la principale divinité des Canadois. Ils croyaient
qu'il leur parlait souvent (en songe sans doute), et que
lorsqu'il était irrité contre eux, il leur jettait de la poudre
aux yeux ; expressions figurées, dont ils se servaient
apparemment pour signifier qu'il leur ôtait la prudence
et le jugement nécessaires pour prendre le meilleur
parti dans les affaires difficiles ou douteuses. 11^
croyaient à une vie future, et étaient persuadés qu'après
leur mort, ils iraient dans un autre monde, " aux
étoiles," où ils vivraient éternellement dans des champs
DU CANADA. 49
verdoyants, pleins de beaux arbres, de fleurs odorifé-
l'antes et de fruits délicieux. Il ne paraît pas qu'ils
eussent des jongleurs ou des médecins charlatans : leur
principale remède était la tisane de leur annedda, que
Jean Alphonse appelle arbre de vie.
Les hommes fumaient presque continuellement la
feuille séchée et broyée de la plante connue plus tard
sous le nom de Petun ou Tabac, et disaient que cette
liabitude les " tenait sains et chaudement."
La polygamie était en usage à Stadaconé ; le jeu y
était une passion dominante ; et on s'y livrait surtout
dans des maisons de débauche ; car nous regrettons
d'avoir à dire, d'après Quartier, que la prostitution du
sexe féminin y était générale avant le mariage.* Les
liens conjugaux étaient respectés, " l'ordre du mariage,"
était gardé, jusque-là que les veuves ne se remariaient
jamais, mais portaient toute leur vie le deuil de leur
mari défunt.
Les Canadois étaient chassc\u's, pêcheurs et agricul-
teurs : outre leur maïs, ils avaient "assez de gros melons
et concombres, courges, pois et fèves de toutes couleurs."
Pourtant ils n'étaient " point de grand travail, et labou-
raient leurs terres avec de petits bois de la grandeur
d'une deini-épée. Les femmes travaillaient sans com-
paraison plus que les hommes, tant à la pêcherie qu'au
labour et autres choses." Roberval dit qu'ils se nour-
rissaient bien, mais que " pour autre chose ils n'avaient
aucun souci." Us possédaient pourtant une richesse
qu'ils regardaient comme la chose la plus précieuse qu'il
y eût au monde ; c'était une espèce de coquillage bkinc,
qu'ils nommaient ésurgni, dans leur langue, qu'ils
péchaient dans le fleuve, et dont ils fabriquaient des
* La forme et la distribution tles maisons .à Ilochelaga, ne permet
pas de croire que la même coutume y eût aussi lieu.
£
50 HISTOIRE
colliers et des bracelets. Le don d'un ou de plusieurs
colliers de ce coquillage était, dans leur idée, un puissant
moyen de se concilier la faveur ou la bienveillance d'un
l^ersonnage important, comme devaient l'être à leur
égard Quartier et Roberval.
Ces peuples étaient dociles, "aisés à dompter en
telle façon et manière que l'on aurait voulu," comme dit
Quartier ; et rien n'eût été plus facile, en apparence^
que d'en faire des hommes policés et des chrétiens-
Ceux même de Stadaconé, malgré quelques vicieuses
habitudes, allèrent plusieurs fois, leur chef à leur tête,
prier Quartier de leur faire administrer le baptême,
voulant, lui disaient-ils, renoncer à leur Cudouagny,
commeétant agojuda, (un mauvais esprit,) pour croire et
vivre à la façon des Français.
Mais quel était, ou qu'est devenu ce peujîle intéres-
sant, qui n'a été vu qu'une fois, pour ainsi dire, par de»
Européens, et qui nous a précédés, particulièrement à
Québec et à Montréal ? Porta-t-il plus tard un autre
nom ? s'était-il expatrié, ou avait-il cessé d'exister ? Le
peu de mots de la langue qu'il parlait conservés par
Quartier, sufRsent-ils pour en faire reconnaître les
descendans dans quelqu'une des tribus modernes ? Ce
sont là des questions que nous ne pouvons pas prendre
sur nous de décider.
M. de Roberval, qu'on a vu forcé de retourner en
France, avec tous ses gens, n'avait pas abondonné le
projet de fonder une colonie en Canada : il fit im nouvel
armement pour ce pays, en 1549; mais il périt dans
le voyage, avec tous ceux qui l'accompagnaient, au
nombre desquels était son frère, Achille, ou Pierre de
i.K Roque ; sans qu'on ait jamais su où ni comment ce
malheur lui était arrivé. Lescarbot pense que son
vaisseau se brisa contre des bancs de glace, près de
DU CANADA. Ôî
Terre-Neuve, comme de sou temps, il était déjà arrivé
à d'autres navigateurs.
Les Bretons, les Normands et les Basques continuè-
rent à faire la pêche sur les bancs de Teri'e-Neuve, dans
ie golfe et à l'entrée du fleuve Saint-Laurent. D'autres
Français commencèrent à faire la traite des pelleteries
avec les Sauvages, sur les côtes de la mer et sur les bords
•du Saint-Laurent, jusqu'à Temboucbure du Saguenay ;
mais les grands armemens pour le Canada furent aban-
donnés. Les expéditions, les décou v ertes, les tentatives
•d'établissement, les faits d'armes des capitaines Français,
Laudoxniere, Ribaut, de Gourgues, de 1562 à 1568,
dans la Floride, et dans la contrée qu'ils nommèrent
Caroline, en l'honneur de leur roi Charles IX, alors
régnant, peuvent entrer dans les annales de l'Amérique
Septentrionale, mais non dans celles du Canada en par-
ticulier.
Martin Forbisiier fit trois voyages, en 1576, 77 et
78, " aux régions de l'ouest et du nord-ouest, ijour
chercher un passage aux Indes par la mer Glaciale."
iSi les latitudes qu'il donne sont exactes, " il résulte de
leur indication, dit la Biographie Universelle, que le
détroit de Forbisher est un passage au milieu d'un
groupe d'iles qui se trouvent à l'entrée du détroit
^l'Hudson, et qae c'est là qu'il faut placer toutes le^s
terres auxquelles il a donné des noms."
En 1578, la reine Elisabeth accorda au chevalier
Iluraphrey Gilbert des lettres-patentes, en vertu des-
quelles "il était autorisé à faire la découverte et à prendre
possession de toutes terres inconnues ou habitées par
des tribus sauvages, mais non occupées par des nations
chrétiennes," &c. Ce ne fut que cinq ans après, c'est-
à-dire en 1583, qu'ayant formé une expédition considé-
rable, il put mettre à la voile pour les côtes de l'Ame-
02 HISTOIRE
rique. Il aborda à l'ile de Terre-Neuve, où, suivant le
dire d'Hakluyt, les indigènes lui présentèrent des échan-
tillons de minerais, dont il ne voulut pas faire l'essai sur
les lieux, de crainte d'éveiller l'attention des Français,
déjà établis sur ces terres, et de leur donner ainsi con-
naissance des ressources qu'elles possédaient. Ayant
cinglé de là au sud-ouest, le vaisseau qu'il montait périt,
coi'ps-et-biens, dans une tempête, près de l'île du Cap
Breton, ou de l'île de Sable : les autres purent regagner
l'Angleterre.
Quelques années après, un autre navigateur Anglais,
John Davis, pénétra dans les mers du Nord, jusqu'au
72e. degré, et découvrit le passage qui a été depuis
appelle, de son nom. Détroit de Davis.
Cependant le Canada, toujours appelle la Nouvelle-
France, était visité, de temps à autre, par des Français
autres que des pêcheurs, ou des commerçans de pellete-
ries. Jacques Noël, fils d'Etienne, (neveu et compa-
gnon de Jacques Quartier dans son troisième voyage,)
vint jusqu'aux " Saults," avant 1583, et, comme son
grand-oncle, monta sur le " Mont Royal," d'où il remar-
qua en particulier le lac Saint-Louis, qu'il donne comme
un élargissement du fleuve. Il se trompai+, en plaçant
ces " saults ou chûtes d'eau " au 44e. degré de latitude,
puisqu'ils sont au 4ôe. et demi ; mais il avait raison,
quand il disait qu'ils " ne sont pas si difficiles à passer
qu'on se l'imagine," et que "les eaux ne tombent
d'aucunes hauteurs bien considérables." Les Sauvages
(car il y en avait encore alors, il paraît, dans l'île de
Monti-eal,) lui dirent qu'il y avait "dix journées de
marche, depuis les saults jusqu'au grand lac (Ontario);"
mais il ne put savoir " combien ils comptaient par jour-
née."
En 1588, Henri IXI accorda au môme Jacques Noël.
DU CANADA 53
et au sieur Chaton, autre petit-neveu de Jacques
Quartier, 1» commerce exclusif du golfe et du fleuve de
Saint-Laurent. Un sieur Ravillon, qui leur succcéda,
remonta le fleuve jusqu'à l'embouchure du Saguenay,
en 1591 ; mais moins pour s'y occuper de découvertes
ou d'établissemens, que pour exploiter la pêche des
phoques, alors abondante dans ces parages.
Enfin, on s'occupa de nouveau en France du pi'ojet
de fonder une colonie en Amérique. Au commence-
ment de 1598, Henri IV lîomma TroïUusDuMESGouETS,
marquis de la Roche et de Cottenmeal, son Lieute-
nant général et Gouverneur dans les pays de Terre-
Neuve, Labrador, Canada, Hochelaga, Norembègue, &c. ;
l'autorisa à équipper des vaisseaux, lever des troupes,
emmener les personnes utiles à l'établissement d'une
colonie, construire des forts, concéder des terres en fiefs,
ou autrement ; faire pour le gouvernement de ces
contrées tous les reglemens qu'il jugerait convenables,
et de plus " assaillir villes, châteaux, forts et habitations,"
&c., sans doute d'après le droit qu'alors en Europe ou
croyait avoir de dépouiller, non seulement de leurs
terres, mais encore de leurs autres propriétés, les
peuples qui n'étaient pas chrétiens, et qu'on appellait
barbares ou sauvages.*
* Il est curieux d'entendre Lescarbot raisonner sur le sujet :
" J'ai quelquefois, dit-il, vu des hommes scrupuleux, qui ont
mis en doute si on pouvait justement occuper les terres de la
Nouvelle-France, et en dépouiller les habitans d'icelles : auxquels
ma réponse a été, que le premier titre de possession doit apparte-
nir aux enfans qui obéissent à leurs pères, tels que sont les chré-
tiens, auxquels appartient le partage de la terre. . . La terre donc
appartenant de droit divin aux enfans de Dieu," &c. Les Juifs
ont dû et doivent encore avoir les mêmes droits, comme peuple
choisi de Dieu ; les Musulmans, comme vrais croyants ; les
Chinois, comme citoyens de l'empire céleste, &c. C'est d'après le
même principe que se sont conduits Alexanuke, Attila, Ma-
homet, GiNGiilSKAN, Tamerlan, Ics Ba.tazet, Ics Amuuat, et
autres conquérans, envahisseurs et usurpateurs. Cette espèce de
droit divin a pour synonyme le droit du plus fort.
E2
54 HISTOIRE
Honoré de titres aussi vains que pompeux, et muni
de pouvoirs qui devaient lui être inutiles, leinnarquis de
la Roche voulut aller reconnaître lui-même les contrées
dont il devait être, en quelque sorte, le souverain. Il
équippa un vaisseau, sur lequel il s'embarqua, au pinu-
tems de la même année 1598, avec un habile pilote,
nommé Chetodel. Il passa près de la fatale Ile de
Sable, et y débarqua quarante malheureux, qu'il avait
tirés des prisons de France, et qui s'y trouvèrent bientôt
plus mal à leur aise que dans leurs cachots. Il alla
ensuite reconnaître les côtes du continent voisin, qui
sont celles de l'Acadie ; et après avoir pris toutes les
connaissances dont il croyait avoir besoin, il se rem-
barqua, pour aller reprendre les gens qu'il avait laissés
sur l'Ile de Sable, et les placer ailleurs ; mais les venta
contraires l'ayant porté près des côtes de France, ils
furent abandonnés à leur mauvais sort. L'ile de Sable,
située à environ vingt-cinq lieues de la pointe sud-est
de celle du Cap Breton, ne porte ni arbres ni arbustes
fruitiers ; quelques buissons, des plantes saxatiles et un
peu de foin naturel, sont les seules traces de végétation
qui s'y rencontrent. Heureusement pour les exilés, ils
trouvèrent sur les écueils qui la bordent, des débris de
vaisseaux naufragés, dont ils construisirent des cabanes
pour se mettre à l'abri des injures du temps; et des
animaux domestiques, sortis des mêmes vaisseaux, ou pro-
venus de ceux qu'y avait déposés le baron de Léry, en
15 18, leur servirent pendant quelque temps denourriture-
Mais dans l'attente d'être promptement tirés de leur
solitude, ils tuèrent imprudemment une partie de ces
animaux pour en avoir les peaux, et bientôt ils furent
réduits à ne plus se nourrir que de poisson. Lorsqu'au
bout de sept ans, Chetodel eut ordre de les aller prendre
pour les ramener en France, il n'en trouva plus que
DU CANADA. 55
douze, couverts de peaux de loups-marins, tout défigui'és,
les cheveux et la barbe d'une longueur et dans un
désordre à faire horreur. Il les présenta dans cet état au
roi, qui leur fit donner à chacun cinquante écus, et les
renvoya déchargés de toutes poursuites de justice.
Pour revenir à M. de la Roche, après son retour en
France, il y éprouva de grands contretems, et mourut
de chagrin, a-t-on écrit, après avoir fait pour l'établisse-
ment de sa colonie, que pourtant il ne commença pas
même, de grandes et inutiles dépenses. Le mauvais
succès de son entreprise n'empêcha pas qu'après sa
mort, on ne sollicitai vivement la commission qu'il avait
eue du roi. Le sieur du Pont, surnommé Grave', ou
DE Pont-Grave', qui avait fait plusieurs voyages à
Tadoussac, et remonté le Saint-Laurent jusqu'aux
Trois-Rivières, proposa à M. Chauvin, " homme très
expert et entendu au fait de la navigation," et alors
capitaine dans la marine, de demander au roi le privi-
lège exclusif de la traite des pelleteries en Canada, avec
les prérogatives attachées à la commission du marquis
de la Roche. M. Chauvin goûta cet avis, demanda le
privilège, et l'obtint. Il équippa aussitôt quelques
petits bàtimens, et les conduisit lui-même à Tadoussac,
accompagné de Pont-Gravé. Ce dernier aurait voulu
aller jusqu'aux Trois-Rivières, parce que cet endroit
lui avait paru plus propre qu'aucun autre à un éta-
blissement ; mais ce n'était pas ce que Chauvin se
proposait ; il ne voulait que troquer des marchandises
contre des pelleteries, dont, en effet, il eut bientôt
rempli ses vaisseaux. Il fit bâtir une maison à Tadous-
sac,* et y laissa quelques uns de ses gens pour faire la
* " De quatre toises de lonp sur trois de larpe, de huit pieds de
haut, couverte d'ais, et une chcmini'e au milieu, en forme d'un
corps-de-garde, entourrée d'une claie et d'un petit fossé fait dans
Je sable." — Cuamplain.
56 HISTOIRE
traite durant l'hiver. L'année suivante, il arriva de
bonne heure à son poste de commerce, et ce second
voyage ne lui produisit pas moins que le premier. Il
mourut, l'hiver suivant, et eut pour successeur le com-
mandeur DE Chatte, gouverneur de Dieppe. Ce
dernier forma une compagnie, où entrèrent des gentil-
hommes et des négocians, la plupart de Normandie.
Il fit un armement dont il confia la conduite au sieur
Du Pont, à qui le roi avait donné des lettres-patentes
pour continuer les découvertes en Canada, et pour y
faire des établissemens. M. de Chatte proposa à
Samuel de Champlajx, capitaine de vaisseaux, qui
revenait des Antilles, de faire le voyage du Canada
avec Du Pont, et il y consentit avec l'agrément du roi.
Champlain et Du Pont, commandant chacun un navire,
partirent au commencement de 1603. Arrivés au port
de Tadoussac, ils y laissèrent leurs vaisseaux, et s'em-
barquèrent dans un bateau léger, pour remonter le
Saint-Laurent, accompagnés de quelques Sauvages dans
un canot d'écorce.
Ils viennent d'abord '' mouiller à Québec, où il y a
un détroit du fleuve, et au nord de ce détroit, une
montagne assez haute, qui va en baissant des deux
côtés, et le long de la côte, dans des rochers d'ardoises,
des diamans meilleurs que ceux d'Alençon." De Qué-
bec, ils viennent jetter l'ancre à Sainte- Croix, (autrefois
Achelacy); reconnaissent ensuite l'entrée de la rivière
de Batiscan, celle de la rivière Sainte-Marie, l'ile
Saint-Eloy, et arrivent aux Trois-Rivières. Us vou-
lurent remonter la rivière ainsi nommée, mais ne purent
faire qu'une Ueue, dans leur bateau léger, ou chaloupe,
" à cause du grand courant d'eau." Ils furent avec un
esquif, pour voir plus avant ; mais à peine eurent-ils
fait une lieue, qu'ils rencontrèrent " un sault d'eau fort
DU CANADA. 57
étroit, comme de douze pas," qui ne leur permit pas
d'aller plus loin. Toute la terre qu'ils virent au bord
de cette rivière, est sablonneuse, et " va en haussant de
plus en plus, et est remplie de sapins et de cyprès."
Cliamplaiu compte six îles à l'entrée des Trois-
Rivières (aujourd'hui la rivière Saint-Maurice), " trois
desquelles, dit-il, sont fort petites, et les autres de cinq
à six cents pas de long, fort plaisantes et fertiles, pour
le peu qu'elles contiennent." Il parle de celle sur
laquelle Quartier avait fait planter une croix, comme
•'commandant aux autres, élevée du côté du sud, et
allant quelque peu en baissant du côté du nord. Ce
serait, ajoute-t-il, un lieu propre pour habiter, et pour-
rait-on le fortifier promptement, car sa situation est
forte de soi. L'habitation des Trois-Rivières, continue-
t-il, serait un bien pour la liberté de quelques nations,
qui n'osent venir par là, à cause des Ii'oquois, leurs
ennemis, qui tiennent toute la rivière de Canada
bordée."
Ayant traversé le lac Saint-Pierre, et y>yïs le chenal
du sud, nos voyageurs trouvèrent, au conlluent de la
rivière des Iroquois, (depuis rivière Chambly, Richelieu,
ou Sorel),* une " forteresse faite de pieux debout fort
pressés les uns contre les autres, et joignant d'un côté
cette rivière, et de l'autre, le fleuve, et qui ne servait
guère aux Sauvages (du Canada) que " pour avoir le
temps de s'embarquer." Ils ne purent s'avancer, dans
cette rivière, que cinq ou six lieues, '' à cause du grand
* Dont les Canadois avaient parlé à Quartier, comme ayant
sou embouehiu'c vis-à-vis de l'endroit où il avait laissé son galiion,
en allant à llochelaga, et comme allant vers le sud-ouest, "jus-
qu'à une terre où il n'v a jamais glaces ni neiges." Les Canadois
étaient géographes, comme le sont, plus ou moins, tous les Sau-
vages ; ils sivaient qu'à leur midi, il y avait des contrées où il ne
neige ni ne gèle ; mais ils se trompaient, en pensant que la rivière
en question allait jusque-là, ou venait de là.
5â '• tilSTOlRÉ
cours d*eâu qui descend." Revenus à son entrée, et
suivant la rive méridionale du fleuve, ils évitèrent le
courant de Sainte-Marie, et passèrent au sud d'une île
d'environ un quart de lieue en longueur (Sainte-Hèlene),
puis près de '"rochers et petites iles, oii il n'y a point de
bois, et qui sont à fleur d'eau," et, " où l'eau commence
à venir de grande force." Arrivés au pied du Sault
Saint-Louis, ils ne purent suivre les Sauvages, qui s'y
avancèrent dans leur canot, mais débarquèrent, et
suivirent le rivage par terre, l'espace d'une lieue, ou
plus.
Champlain, qui a publié la relation de ce voyage, ne
parle ni d'Hochelaga, ni d'aucune autre bourgade con-
sidérable. Les Sauvages qui habitaient alors le Canada
n'étaient pas, en apparence, de la même nation, et ne
parlaient pas la même langue que ceux que Quartier et
Roberval y avaient rencontrés. Champlain parle, dans
cette relation, des Algonquiiis, qui fréquentaient, plutôt
qu'ils n'habitaient les bords du Saint-Laurent ; des
Etchemins, qui demeuraient au sud de ce fleuve, à l'est
de Québec, et des Montagnais, qui fréquentaient les
bords du Saguenay, et venaient à Tadoussac, pour la
traite des pelleteries.
Les guerriers de ces trois tribus, réunis au nombre
de mille, venaient de remporter une victoire sur les
Iroquois, dont ils avaient tué une centaine, et Cham-
plain et Du Pont, à leur retour, trouvèrent leui's chefs
assemblés à Tadoussac, et se préparant à célèbre leur
triomphe par une " tabagie^'' c'est-à-dire par des festins,
des dances, et autres divertissemens. Champlain con-
féra avec eux, au moyen de deux des leurs, que Du
Pont avait emmenés en France, l'année précédente, et
leur fit agréer le dessein qu'avait conçu le roi de France,
de "peupler leur terre," et de leur faire faire la paix
DU CANADA. 59
avec les Iroquois, ou de leur envoyer des forces pour
les vaincre.
A leur retour en France, Du Pont et Champlain
trouvèrent le commandeur de Chatte mort, et sa commis-
sion donnée à Pierre Dugast, ou Du Gua, sieur de
Mo-VTS, gentilhomme saintongeais, qui avait obtenu le
commerce exclusif des pelleteries, depuis le 40e jusqu'au
t54e degré de latitude ; le droit de concéder des terres
jusqu'au 46e, et le titre de Vice-amiral et de Lieutenant-
général dans toute cette étendue de pays. Quoique
protestant, M. de Monts s'était engagé à établir, autant
que possible, la religion catholique parmi les Sauvages :
il avait conservé la compagnie formée par son prédé-
cesseur, et il l'augmenta de plusieurs négocians des
principaux ports de France, particulièrement de celui
de La Rochelle. Il équippa quatre vaisseaux, l'un des-
quels fut destiné à faire la traite des pelleteries à
Tadoussac ; Du Pont fut chargé de conduire le second
à Campseau, et de courir de là tout le canal que forment
Vile-Royale, ou du Cap-Breton et celle de Saint-Jean,
pour écarter ceux qui auraient voulu commercer avec
les indigènes, au préjudice des droits de la compagnie.
De Monts conduisait lui-même les deux autres, accom-
pagné de Champlain, de Jean de Biencour, sieur de
PouTRiNCOUR, et de plusieurs autres volontaires, parmi
lesquels étaient un i)rêtre catholique et un ministre
protestant.
Parti du Ilâvre-de-Grace, le 7 mars 1604, M. de
Monta arriva le 6 mai, dans un port de l'Acadic, qui
fut nommé port Rossignol, parce qu'il y confisqua uu
vaisseau appartenant à un capitaine de ce nom.* Au-
* " Le 6 mai, ils tcrrireiit à un certain port, où ils trouvèrent la
capitaine llt)8eiGNOL, du Ilàvre-de-GràiH-, lequel troquait en pelle-
terie avec- les Sauvages, contre les défenses du roi ; occasioa
60 HISTOIEE
sortir de ce port, il entra dans un autre, qui fut nommé
port au Mouton, parce qu'un mouton s'y noya. Il y
débarqua tout son monde, et y séjourna plus d'un mois,
en attendant le retour de Champlain, qui fut envoyé
dans une chaloupe, pour explorer la côte, et chercher
un endroit propre à l'établissement qu'on voulait former.
Se dirigeant au sud, Champlain rangea les côtes de la
mer l'espace d'environ quatre-vingts lieues, ou, suivant
son calcul, jusqu'au-dessous du 42e degré de latitude.
Ces côtes étaient celles de la Norembègue (maintenant
la Nouvelle-Angleterre), où aucune nation européenne
n'avait encore formé d'établissement. Il reconnut un
nombre considérable d'îles, de caps, de baies, de havres
et de rivières, et entre ces dernières, celle qu'il dit s(;
nommer Pemtagoet (Penobscot), et qu'il croit être la
rivière de Norembègue des navigateurs qui l'avaient
précédé dans ces parages ; la rivière de Quinibequy, ou
Kennebec, et celle qu'il dit s'appeller Chouacoet. Il
rencontra dans les habitans du pays, qu'il appelle Ar-
moucMquois, des hommes aussi adonnés et aussi entendus
à l'agriculture que l'étaient ceux de Stadaconé et d'Ho-
chelaga, au temps de Jacques Quartier. Ils auraient
pu être les instituteurs des premiers Européens qui ont
eu des terres à défricher en Amérique.*
qu'on hù confisqua son navire, et fut appelle ce port le port
liossignol, ayant eu en ce désastre un bien qu'un port bon et
commode, en ces côtes-là, est appelle de son nom." — Lescaebot.
*" Les Armoucliiquois, disent, en substance, Champlain et Les-
carbot, ont des terres défrichées, et en défrichent tous les jours;
mais ils ne cultivent pas en même temps tous leurs champs défri-
chés, car ils laissent. reposer leurs terres. Pour défricher, ils
coupent les arbres à la hauteur de trois pieds, puis brûlent les
branchages sur les troncs, et par succession de temps, ôtent les
racines. Au lieu de charrues, ils ont un instrument de bois fort
dur fait en façon d'une bêche. Ils arrachent toutes les mauvaises
herbes et les brûlent, et enj^raisscnt leui-s champs de coquillages de
poissons. Ils plantent parmi leur bled des fèves riolées de toutes
couleurs. La moisson faite, ils serrent leur bled dans des fosses
DU CANADA. 61
Mais ce voyage de Champlain, utile sous le rapport de
la géographie et de la navigation, fut nul pour l'établisse-
ment de la colonie ; et dans le fait, M. de Monts n'avait
pas besoin d'aller si loin pour la placer avantageusement ;
il était près de deux des plus beaux ports de l'Acadie,
ceux de Campseau et de La Hève; mais ils ne lui plurent
point ; et, suivant le contour de la presqu'île, au sud, il
doubla le cap de Sable, entra dans la baie de Sainte-
Blarie, et tirant au nord-ouest, parvint à une île, située
vis-à-vis de l'embouchure d'une l'ivière, dite alors des
Etchemins, par 45 degrés et demi de latitude, et résolut
de s'y fixer. Cette île, à laquelle il donna le nom de
Sainte- Croix, qui fut aussi plus tard celui de la rivière,
n'a guère plus d'une demi-lieue de cii'cuit ; aussi fut-
elle défrichée en peu de temps. On s'y logea passable-
ment, et l'on y sema du bled, qui rapporta extraordinai-
rement. On ne tarda pas néanmoins à s'appercevoir
qu'on avait fait un mauvais choix ; l'hiver venu, on se
trouva sans eau douce et sans bois ; le scorbut se mit
parmi les colons, et il en périt un grand nombre. Dès
que la navigation fut libre, M. de Monts n'eut rien de
plus pressé que de chercher un endroit plus convenable.
Il se dirigea à l'est, donna au golfe sur lequel il navi-
guait le nom de Baie Française, et parvint à l'embou-
chure d'une rivièi'e, où il trouva un liâvre qu'il nomma
Port Royal, et qui lui plut au point qu'il résolut d'y
transporter, sur-le-champ, sa colonie. La rivière fut
appellée de V Esquille, du nom d'un " petit poisson de la
grandeur d'un esplaii," qui s'y péchait en quantité.
Les anciens auteurs, Champlain, Lescarbot, et d'aprèb
(caveaux) qu'ils font en quelque ponte de colline ou tertre, pour
régoût des eaux, ayant soin de garnir ces fusses do nattes, &c.
Outre leurs habits de peaux, ils s'en font,pour l'été, de chanvre ou
autres herbes."
62 HISTOIRE
eux Cliarîevoix, ont fait du Port Royal une description
pompeuse, qui témoigne du bon jugement de M. de Mont?,
mais qui n'est pas de nature à intéresser beaucoup pré-
sentement des lecteurs canadiens. Le plus grand avan-
tage de ce port était de se trouver vis-à-vis de la grande
rivière d' Ouf/gotidi/, à laquelle Champlàin donna le nom
de Saint-Jean,* et à peu près au centre de la population,
indigène. Cette population se composait alors de deux
grandes tribus, les Souriquois, liabitans de la presqu'île
acadienne (maintenant la Nouvelle-Ecosse), peuple de
mœurs assez douces et décentes, et les Etchemins, qui
fréquentaient les bords de la rivière appellée de leur
nom, Rivihe des Etchemins, et ceux de l'Ouygoudy, et
dont le pays (le Nouveau Brunswick, &c.) s'étendait,
suivant Champlàin, j usqu'au Quinibequy, où commen-
çait celui des Armouchiquois (le présent état de Maine,
&c).t Ces deux peuples faisaient ordinairement cause
commune avec les Canadois, les Canadaquois, ou Gaspé-
siens, les Montagnais, les Algonquins, et autres tribus
sauvages, lorsqu'il s'agissait de combattre leurs ennemis
communs, qui étaient, d'un côté, les Iroquois, et de
l'autre, les Armouchiquois. Les grands chefs de ces
peuples n'étaient pas appelles Agohannas, comme ceux
des Canadois, au temps de Quartier, mais Sagamos ou
Sagmos, mot qui, comme le premier, signifie maître ou
seigneur. Champlàin donne le nom, ou le titre de
* Et qu'il décrit comme "une rivière des plus grandes et profondes
qu"il eût encore %'ue, étroite et dangereuse à son entrée, puis
s'élargissant et se rétrécissant de rechef, et faisant un sault entre
deux rochers, où l'eau court d'une si grande vitesse, qu'en y
jettant du bois, il enfonce en bas, et ne le voit-on plus." Il ajoute
que " les habitans du pays allaient par cette rÏN'ière jusqu'à Ta-
doussac, ne passant que par peu de terre (de portages) pour y
aller," et que de la rivière Saint-Jean à Tadoussac, il n'y a que
soixante-cinq lieues.
■f D'autres écrivains placent sur les bords du Kennebec les
■CanmÔLU, tribu amie des Etchemins et des Souriquois.
DU CANADA. 63
Sagamo au grand chef des Montagnais, et même à celui
<les Algonquins. Si, d'un côté, il est difficile de croire
<jue la langue des Soui'iquois était aussi celle de ces deux
peuples,* il est, de l'autre, presque prouvé, que celle qui
avait été parlée à Hoclielaga et à Stadaconé n'était plus
entendue. " Jacques Quartier," dit Lescarbot, " nous
H laissé comme un dictionnaire ilu langage du Ca-
nada, auquel nos Français qui y hantent aujourd'hui
n'entend-eiit rien."f " Quant à la cause de ce change-
ment de langage en Canada," ajoute-t-il, "j'estime
qu'il est venu d'une destruction de peiqile; car il y a
<iuelques années que les Iroquois s'assemblèrent jusqu'à
liuit mille hommes, et défirent tous leurs ennemis, qu'ils
surprirent dans leur enclos." Il est à regretter que Les-
carbot n'ait pas donné, d'une manière plus précise, la
date de ce grand événement ; mais nous le croyons plus
ancien qu'il ne parait le donnei* à entendre.
Pour revenir au Port Royal, où nous avons laissé M.
de Monts, le sieur de Poutrincour qui, eu s'associant
avec lui, avait formé le projet de s'établir en Amé-
rique, lui demanda ce port, et l'obtint. Il chargea
Du Pont du soin de son établissement, et vers l'autonuie,
il repassa en France avec M. de Monts.
" Tandis que ce dernier était occupé à former un éta-
blissement à l'île de Sainte-Croix, accompagné des sieurs
Champlain, d'Okville, Cuamp-Doke', et autres, on
faisait courir en France des livrets, dans lesquels, entre
autres mauvaises plaisanteries, on disait qu'il arrachait
des épines eu Canada." Les mauvais plaisans n'étaient
jias pourtant les plus dangereux de ses ennemis.: pendant
* Nos Souriciuois l't Etcheinins irenU'iulent pomt les Arinou-
chiquois, ni eciix-ci k'S Iroquois." — Lescakuox.
t Ou ne pouvaient rien euten(h"o, par la raison que les Sauvages
d'.alors n'y entendaient rien cux-mcnies.
64 HISTOIRE
son absence, les pêcheurs de presque tous les ports de
France avaient représenté au roi que, sous prétexte de
les empêcher de commercer avec les Sauvages, on les
privait des choses les plus nécessaires pour leur pêche,
et qu'ils seraient contraints d'y renoncer, si l'on ne
faisait cesser ces vexations. Ils furent écoutés, et le
privilège de M. de Monts, qui devait durer encore deux
ans, fut révoqué. Il ne se découragea pas pourtant ; il
fit un nouvel arrangement avec Poutrincour, et lui fit
ai'mer, à La Roch-eUe, un vaisseau qui mit à la voile le
13 mai 1606. Le voyage fut long ; ce qui fit croire
aux habitaus du Port Royal qu'on les avait abandonnés.
Du Pont fit tout ce qu'il put pour les rassurer , mais à
la fin, comme on commençait à manquer de vivi'es, il
fut contraint de s'embarquer avec eux pour retourner
en France, ne laissant que deux hommes dans le fort,
pour garder les effets qu'on ne pouvait pas emporter» Il
était à peine sorti de la baie, qu'il apprît Farrivêe de
Poutrincour à Campseau : il rentra dans le Port Royal,
oii Poutrincour était déjà arrivé, sans qu'ils se fussent
rencontrés.
Ayant ramené rabondancc dans son établissement,
M. de Poutrincour ne songea plus qu'à le fortifier, et Du-
Pont s'y livra tout entier. Il tenait ses gens continu-
ellement occupés ; les travaux se faisaient avec joie,
parce que les vivres ne manquaient pas, et que la fertilité
du pays semblait répondre que la source de cette abon-
dance ne tarirait point. Les colons jouissaient d'une
bonne santé, et les Sauvages commençaient à s'appri-
voisex'. Un avocat de Paris, nommé Marc Lescarbot, (le
même que nous avons déjà eu occasion de citer plusieurs
fois), qui avait eu la curiosité de voir le Nouveau
Monde, ne contribua pas peu à mettre et à maintenir
les choses dans cet heureux état. Il animait les uns,
DU CANADA. 65
piquait les autres d'émulation, et ne s'épargnait lui-
ïiiême en rien. Tous les jours, il inventait quelque
chose de nouveau pour l'utilité publique, "et jamais,
remarque Charlevoix, on ne comprit mieux de quelle res-
source peut être, dans un nouvel établissement, un esprit
cultivé par l'étude, et que le zèle de l'état engage à se
servir de ses talens et de ses connaissances."*
Cependant, M. de Monts eut le crédit de se faire
rétablir pour un an dans son privilège ; mais ce fut à
(iondition qu'il ferait un établissement sur le flevive
Saint-Laurent. Ses associés équippèrent deux navires
à Honfleur, et les confièrent à Champlain et Du Pont,
qui furent chargés d'aller faire la traite à Tadoussac,
tandis qu'il solliciterait une prorogation de son privilège.
Il ne put l'obtenir, ce qui ne l'empêcha pas d'envoyer
encore, au printems de 1608, des vaisseaux dans le Saint-
Laurent. Sous ses auspices, ou comme son " lieute-
nant," Champlain s'embarqua dans un de ces vaisseaux,
pour venir former un établissement sur le Saint-Laurent.
Arrivé à Tadoussac, qu'il décrit comme " un port où
il y a une grande profondeur d'eau, bien abrité, mais
petit, et où il ne pourrait pas tenir plus de vingt vaisseaux,"
il s'y arrêta quelque temps, puis, entra dans le Sague-
nay, " qui est, dit-il, une belle rivière et d'une grande
profondeur. A cinquante lieues de l'entrée du port
(de Tadoussac), il y a un grand sault d'eau, qui descend
d'un fort haut lieu, et de grande impétuosité. Elle
Lescarbot publia, en 1609, la relation de ce qui s'était passé
sous ses yeux en Acadie, accompa<i^née de pièces de vers, où il
loue en particulier, et à juste titre, MM. de Monts, do Toutrincour
et Du Pont ; en 1610, " La Conversion des Sauvages," &c., et en
1612, dirt'érentes poésies qu'il dédia au chancelier dk Syli.eki, en
le priant de considérer que si elles étaient " mal pcujnéeH et rtts-
tù/uement vêtues, c'était parce qu'elles avaient été composées dans
un pays inculte, sauvage, hérissé de forêts, et habitû de peuples vaga-
bonds."
f2
66 nisTOïKE
contient de large demi-lieue, en des endroits, et un quart
en son entrée, où il y a un courant si grand, qu'il est
trois quarts de marée couru, qu'elle porte encore hors."
Il aurait désiré reconnaître par lui-même ce grand sault
du Saguenaj, dont les Sauvages lui parlèrent, ainsi que
du grand lac d'où il sort, et des rivières qui s'j jettent ;
mais ils ne voulurent pas le lui permettre.
Parti de Tadoussac, et remontant le fleuve, il recon-
nut, en passant, et nomma, la rivière aux Sazimons, le
cap Dauphin, le cap à V Aigle, la rivière Plutte ou
Malle-Baie, le cap de Tourmente, le sault de Montmo-
rency,*' et arriva le 3 juillet, à l'emboucliure d'une "petite
rivièi'e agréable, où anciennement liiverna Jacques
Quartier," et " au commencement du beau et bon pays
de la grande rivière, où il y a de son entrée cent-vingt
lieues." Après avoir cherché un lieu propre pour son
habitation, il n'en put trouver de plus commode et de
mieux situé qu'une pointe remplie de noyers et de
vignes, sur le bord du fleuve, appellée alors par les
Sauvages, la Pointe de Québec. Il mit aussitôt ses
gens à l'ouvrage, employant les uns à abattre les arbres
et défricher les terres, et les autres à construire un ma-
gasin et un " logemdbt," qui devint plus tard une espèce
de château, à trois corps de logis et à deux étages, de
trois toises de long, chacun, et deux et demie de large,
avec gallerie au second étage, et entourré de fossés de
quinze pieds de largeur et six de profondeur, et ayant
pour dépendances de grands et "bons" jardins, et une
place, ou esplanade, de cent à cent vingt pas de long et
cinquante à soixante de large.
* Ce sault, ou " torrent d'eau," a 40 toises de hauteur : Cham-
plain ne lui en donne que 25, et Jean Alphonse encore moins.
" Lorsque vous arriverez, dit ce dernier, à la pointe de l'île
(d'Orléans), vous appercevTez une grande rivière, qui tombe de
la hauteur de quinze ou vingt brasses de dessus un rocher, et qui
fait un bruit tenàble."
DU CANADA, 67
Il n'y avait rien alors, dans l'endroit, qui pût être
appelle ville, bourgade ou village ; mais " quantité de
Sauvages cabanaietit" ou venaient cahaner pour la
pêche, dans les environs, ordinairement entre les rivières
de Saint-Charles et de Montmorency. Ce n'était plus
le peuple agriculteur et industrieux, politique et diplo-
mate, de Stadaconé, mais des hommes timides, paresseux,
ignorant ou négligeant entièrement la culture de la
terre et l'économie domestique; " pâtissant," ou souffrant
de la faim, l'hiver, au point d'être quelquefois obligés
de manger "jusqu'aux peaux dont ils se couvraient
contre le froid." Malgré quelques traits de ressem-
blance dans l'habitude corporelle, le caractère, les mœurs
et les usages, s'il fallait croire qu'ils descendaient des
Canadois du temps de Quartier, il faudrait conclure
aussi qu'ils étaient bien dégénérés.*
Vers l'automne, Du Pont repassa en France, mais
Champlain demeui-a en Canada. Durant l'iiiver, les
Montagnais, les Algonquins, et ceux (ju'il appelle
d'abord Ochateguins, et ensuite Hurons, recherchèi'ent
son alUance; et a'j printems de 1610, un parti de ces
nations ayant résolu de marcher contre les Iroquois,
* Les hommes sont bien proportionnés, dispos et sans diffor-
mité ; les femmes aussi bien formées et potelées, mais basannées.
Une fille do ijuatorze ou quinze ans peut avoir plusieurs amans,
et au bout de quatre ou cinq ans, elle épouse celui (pii lui plaît le
plus. Le mari et la femme vivent ensemble jusiju'à la fin de la
vie, à moins qu'au bout d'un certain temps, il n'y ait pas d'enfans:
alors le mari peut répudier sa femme, et en prendre une autre,
en disant que la sienne ne vaut rien. Ils croient l'âme immortelle,
et disent qu'après leur décès, ils iront eu d'autres réj^ions se
réjouir avec leurs parens et amis défunts ; aussi enterrent-ils
leurs morts avec tout ce qu'ils possédaient, et si c'est un chef, ou
un homme en autorité parmi eux, ils vont, tous les ans, faire un
festin, chanter et danser sur sa fosse. Ils croient que tous les
songes qu'ils ont sont véritables, et ils ont parmi eux des jon-
gleurs, ou devins, qu'ils révèrent, et auxquels ils obéissent impli-
uitumeut. — Chajiflain, en substance.
68 HISTOIRE
leurs ennemis communs, il se laissa imprudemment per-
suader de les accompagner. Mais il avait un motif
louable, qui pouvait l'excuser jusqu'à un certain point,
celui de reconnaître la rivière, le grand lac, et le pays
des Iroquois. Il partit de Québec le 28 mai, dans une
chaloupe " équippée de tout ce qui lui était nécessaire,"
et avec une partie des Sauvages qui devaient être de
l'expédition. Chemin faisant, il n'oublia pas de recueil-
lir tous les renseignemens que lui pouvaient donner ses
compagnons de voyage. Etant sur le lac Saint-Pierre,
il vit, du côté du nord, une rivière "fort agréable,"
qu'il dit aller " cinquante lieues dan^ les terres," et
qu'il nomma Sainte- Suzanne. Au côté du sud, il
remarqua, " en un beau et bon pays," deux rivières '■'■ très
belles," l'une appellée rivière Du Pont (celle de Nicolet,
ou celle de Saint-François), et l'autre, la rivière de
Gennes (le Saint-François ou l'Yamaska).
Ayant passé par un grand nombre d'îles de diffé-
rentes grandeurs, oi^i il y avait " quantité de noyers et
de vignes, et de belles prairies, avec force gibier et
animaux sauvages," et où la " pêcherie du poisson était
2)lus abondante qu'en aucun autre lieu qu'il eût vu,''
il arriva à l'entrée de la rivière des Iroquois. Un
assez grand nombre de Sauvages, Montagnais, Algon-
quins et Hurons, y étaient assemblés ; mais il n'y en eut
qu'une partie qui voulurent l'accompagner, les autres
aimant mieux, réflexion faite, "s'en retourner dans
leur pays, avec leurs femmes et les marchandises qu'ils
avaient traitées."
Ce contretems n'empêcha pas Champlain de persévé-
rer dans son dessein, et de marcher contre une nation
dont la puissance lui était connue, avec quelques Fran-
çais et une soixantaine de Sauvages. Entré dans la
rivière des Iroquois, il la put remonter, sans trop de
DU CANADA. 69
difficulté, cette fois, l'espace de quinze lieues, ou jusqu'à
" une manière de lac (le bassin de Chambly) d'environ
trois lieues de circuit, où l'eau descend d'un sault d'en-
viron six cents pas de large, qui court d'une grande
vitesse, parmi quantité de rochers et cailloux." Ne
pouvant franchir avec sa chaloupe ce courant, qu'il
appelle le " premier sault des Iroquois," il suivit les
Sauvages par terre, l'espace d'une derai-lieue, et s'embar-
qua dans leurs canots, avec deux de ses Français, qui ne
voulurent pas l'abandonner. Le sault, ou rapide, passé,
les Sauvages commencèrent à mettre un peu plus de
précaution dans leur manière de naviguer et de prendre
poste. On campait de bonne heure ; on abattait des
arbres, dont on se faisait une espèce de retranchement,
du côté de terre ; on avait soin de ranger les canots sur
le bord de la rivière, afin de pouvoir s'embarquer promp-
tement, en cas de surprise, et de se dérober à l'ennemi,
avant qu'il eût forcé le retranchement. Dès qu'on
avait campé, des coureurs se répandaient à travers les
plaines, et revenaient bientôt ; après quoi tout le monde
s'endormait. Champlain leur ayant parlé du danger
auquel ils s'exposaient, ils lui répondirent, qu'ajîrès avoir
travaillé tout le jour, il était nécessaire de se reposer
pendant la nuit. Néanmoins, lorsqu'ils se crurent plus
pi'oches de l'ennemi, ils ne marchèrent plus que de nuit,
et n'allumèrent plus de feux pendant le jour.
Les vallées qui séparent les montagnes qu'on apper-
çoit du milieu du grand lac auquel Champlain donna
son nom, étaient alors peuplées d'L-oquois,* et c'était
* La rivioro (jui sort de ce lac n'ctait pas appellôo rivicre des
Iroquois, parce (jue ces Sauvages eu habitaient les bords, mais
parce (ju'ils y passaient pour venir faire leurs incursions sur ceux
du Saint-Laurent. Les bords de cette rivière, alors partout
couverts de " beaux arbres" de toutes espèces, et en quelques
endroits de prairies, avaient été habites autrefois, suivant Cham-
70 HISTOIRE
là, et même au-delà, que nos guerriers avaient dessoin
de faire une irruption ; mais l'ennemi leur éj^argna une
partie du chemin, car les deux partis se rencontrèrent
sur le lac même. Ils gagnèrent le rivage, chacun du
leur côté, et s'y retranchèi*ent. Alors les Algonquins
«ivoyèrent demander aux Iroquois s'ils voulaient se
l>attre à l'heure même; mais ceux-ci répondirent que la
nuit était trop avancée; qu'on ne se verrait point, et
qu'il valait mieux attendre le jour.
Le lendemain, dès que le jour eut paru, Champlain
plaça ses deux Français et quelques Sauvages dans les
bois, pour prendre les ennemis en flanc. Ceux-ci
étaient au nombre de deux cents, tous gens d'élite et
déterminée, qui croyaient avoir bon marché des Algon-
quins et des Hurons, qu'ils étaient dans l'habitude de
battre, et qui n'avaient laissé voir- d'abord qu'une partie
de leurs forces. Les alliés fondaient leur principale
espérance sur les armes à feu des Français, et ils re-
commandèrent à Champlain de tirer sur les chefs, qu'ils
lui montrèrent. Les Algonquins et les Hurons sorti-
rent les premiers de leurs retranchemens, et s'avan-
cèrent deux cents pas au-devant des L-oquois. Quand
ils furent en présence, ils s'arrêtèrent, se partagèrent
en deux bandes, et laissèrent le milieu à M. de Cham-
plain. Celui-ci, habiUé à l'européenne, avec son
arquebuse et ses autres armes, fut pour les L-oquois un
spectacle nouveau et singulier : mais quand ils virent
le premier coup de son arquebuse, où il avait mis quatre
balles, renverser morts deux de lem-s chefs, et blesser
dangereusement le troisième, leur frayeur fut égale à
leur étonnement. Les alliés poussèrent de grands cris
plain, par des Sauvages (Canadois) ; mais ils s'en étaient retirés,
ainsi que de plusieiu-s autres, "au profond des terres, afin de
n'être sitôt surpris."
DU CAN'ADA. 71
de joie, et firent une décharge générale de leurs flèches.
Champlain allait recharger son arquebuse, quand les
Français qui l'accomijagnaient, ayant encore abattu
quelques uns des ennemis, ceux-ci ne songèrent plus
qu'à fuir. Poursuivis chaudement, ils eurent encore
quelques hommes de tués, et on leur fit quelques prison-
niers. Les alliés vainqueurs se rassasièrent des vivres
que les Iroquois avaient abandonnés, sautèrent et dan-
sèrent sur le champ de bataille, et reprirent la route de
leur pays. Après avoir fait une huitaine de lieues, ils
s'arrêtèrent pour mettre à mort un de leurs prisonniers.
Le* cruautés qu'ils exercèrent en cette occasion firent
horreur à Champlain, qui demanda, comme une grâce,
de pouvoir mettre fin au supplice du prisonnier, et lui
cassa la tète d'un coup d'arquebuse. La nuit suivante,
un Montagnais ayant rêvé qu'ils étaient poursuivis, la
retraite devint une véritable fuite. Les Hurons retour-
nèrent dans leur pays; les Algonquins s'arrêtèrent à
Québec, et les ^lontagnais se rendirent à Tadousac, où
Champlain les suivit. Dès qu'ils apperçurent les ca-
banes de leurs villages, ils coupèrent de longs bâtons, y
attachèrent les c'-evelures qu'ils avaient faites, et les
portent comme en triomphe. A cette vue, les femmes
ac<*oururent, se jettèrent à la nage, et ayart joint les
canots, elles prirent les chevelures des mains de leurs
maris, et se les passèrent autour du cou.
Champlain étant remonté ù Québec, il y fut joint
par l5u Pont, et s'embarqua avec lui pour la France,
laissant la colonie naissante sous les ordres de Pierre
CiiAViN, homme brave et intelligent. Il fut bien reçu
du roi, à qui il rendit compte de la situation où il avait
laissé le Canada. On lui confia encore deux vaisseaux,
le printems suivant, et il arriva î\ Tadousac, le 8 avril.
Il en repartit le 28, après avoir assuré les Montagnais
72 HISTOIRE
qu'il venait dégager la parole qu'il leur avait donnée,
l'année précédente, de les accompagner encore à la
guerre contre les Iroquois. Ces Sauvages n'attendaient,
en effet, que son retour pour se remettre en campagne,
et à peine fut-il arrivé à Québec, qu'ils s'y rendirent,
au nombre de soixante guerriers. Les Algonquins se
trouvèrent prêts aussi, et tous marchèrent vers la rivière
des Iroquois, où d'autres Sauvages avaient prorais de
se rendi'e. Champlain les suivit de près, dans une
barque; mais il ne trouva pas le nombre de guerriers
qu'o)i lui avait fait espérer, et il apprit, en même temps,
qu'un parti de cent Iroquois n'était pas loin. Il n'y
avait pas un moment à perdre pour le surprendre. Il
fallut laisser la barque et se mettre dans des canots.
Quatre Français suivirent Champlain : les autres restè-
rent à la garde de la barque. Les confédérés eurent
à peine vogué une demi-heure, qu'ils sautèrent à terre,
sans rien dire aux Français, et se mirent à courir à
travers les bois, laissant leurs canots à l'abandon, et
Champlain sans guide, au milieu de ces déserts. Bien-
tôt pourtant, un Algonquin vint le prier de hâter sa
marche, parce qu'on était aux prises avec les ennemis.
Il doubla le pas, et ne tarda guère à entendre le bruit
des combattans. Les alliés avaient attaqué les Iroquois
dans leur retranchement, et avaient été repoussés avec
perte. A la vue des Français, ils reprirent courage, et
retournèrent avec eux à la charge. Le combat devint
très vif: Champlain et un de ses hommes furent lîlessés
légèrement. Cependant les armes à feu déconcertaient
les Iroquois, lorsque les munitions commencèrent à
manquer. Alors Champlain persuada aux alliés de
donner l'assaut au retranchement : il se mit à leur tête,
avec ses quatre Français, et malgré la vigoureuse dé-
fense des assiégés, ils parvinrent bientôt à faire une
DU CANADA 73
assez grande brèche. Cinq ou six autres Français
arrivèrent, sur ces entrefaites. Ce renfort donna aux
assaillans le moyen de s'éloigner pour respirer un peu,
pendant que les nouveau-venus faisaient feu sur l'enne-
mi. Les Sauvages revinrent bientôt à l'assaut, et les
Français se mirent sur les aîles, pour les soutenir. Les
Iroquois ne purent résister à tant de coups redoublés :
presque tous furent tués ou pris. Quelques uns ayant
voulu courir du côté de la rivière, ils y furent culbutés,
et s'y noyèrent. Lorsque l'affaire fut terminée, il arriva
encore une troupe de Français, qui voulurent se conso-
ler de n'avoir point eu de part à la victoire en parta-
geant le butin. Ils se saisirent des peaux de castor dont
étaient couverts les Iroquois qu'ils voyaient étendus
sur la place ; ce qui scandalisa beaucoup les Sauvages.
Ces barbares, qui prenaient plaisir à tourmenter, de la
manière la plus indigne, des ennemis qui n'étaient plus
en état de se défendre, se piquaient d'un désintéresse-
ment qu'ils étaient surplus de ne pas rencontrer chez
des hommes civilisés. Champlain engagea les Hu-
rons à emmener un Français dans leur pays, afin qu'il
y apprit leur langue, et emmena un des leurs en France,
avec promesse de le leur ramener, à son prochain retour.
Tandis que Poutrincour et Champlain, toujours sous
les auspices ou l'autorité de M. de Monts, fondaient, le
premier le Port Royal, et le second Québec, Henry
IIuDSON, dans trois voyages consécutifs, de 1607 à 1609,
explorait le détroit et le nord de la baie qui furent
ensuite appelles de son nom, dans la vue, et avec l'idée
fixe de trouver un passage à la Chine et au Japon, par le
nord- ouest. Il eut la hardiesse, pour ne pas dire la
témérité, de passer le dernier hiver dans cette latitude,
pour y attendre le printems. Cette saison venue, il
reprit le cours de sa navigation; mais il périt, victime
Ci
74' HISTOIRE
de sou audacieux courage, et du lâche abuiidon de son
équipage mutiué-*
M. de Poutriucoui', qui avait passé une ou deux
années en France, revint au Port Royal, au commence-
ment de Juin 1610. Le 24 du même mois, il y fit
baptiser, par un prêtre, nommé " Messire Josué
Flèche," environ vingt-cinq Sauvages, au nombre
desquels était Memberiou, premier Sagamo des feouri-
quois, dont il voulut être le parrain, et qu'il nomma
Uexui, du nom du roi de France. f Cet événement,
alors extraordinaire, fournit la matière de deux ouvrages
publiés à Pai'is, la même année, sous des titres fastueux.if
2\e pouvant demeurer inoccupé, et n'ayant rien a
faire à Québec, Champlain en partit, le 20 mai 1611,
et arriva le 28, au Grand Sault Saint-Louis. "Après
avoir visité, de côté et d'autre," pom* trouver un lieu
propre à une habitation, et y " préparer une place pour
y bâtir," il s'arrêta à "' un petit endroit, qui est jusqu'où
* On le délaissa dans une île déserte, suivant quelques écri-
vains, et suivant d'autres, on se saisit de lui, pendant la nuit, on
lui lia les mains derrièi'e le dos, et on l'exposa dans sa chaloupe,
au gré des flots, avec son fils et sept des plus malades de ses
gens ; et tous périrent misérablement.
t Ce Sagamo, à la fois bon politique et habile guerrier, avait-
une assez haute idée de sa dignité, bien qu'il n'eût pas dédaigné
d'èti'e autmoin, ou jongleur, parmi les siens, avant sa conversion.
'■ Membertou, dit Lescarbot, voulait qu'on lui fit Thonneui- de tirer
un coup de canon, lorsqu'il amvait (au Port Eoyal), parce qu'il
voyait qu'on faisait cela aux capitaines français, disant que cela
lui était dû." Membertou était très \'ieux, (âgé de cent ans, au
dire de Laet,) en 1610. S'il est vrai qu'il eût vu Jaques Quartier,
comme Lescarbot l'atKrme, il fallait qu'il fût un de ces é..rangers
que Donnacoua amena en grand nombre à Siadaconé, au printems
de 1536.
X " La conversion des Sauvages qui ont été baptisés en la Nou-
velle i'rance, cette année 1610." Par Le&caebot.
"Lettre Missive touchant la conversiun du grand Sagamo de
la Nouvelle France, qui en était, avant l'arrivée des Français, le
Clivf et le Souverain." par un sieur Bertra>d. — D'un grand
Sagamo de la Nouvelle France, était tout ce qu"on pouvait dire
avec vérité."
DU CAXADA. 75
les barques et chaloupes peuvent monter aisément,
néanmoins avec un grand vent, ou à la cordelle, à cause
du grand courant d'eau." Il nomma ce lieu la Place
Royale, et il le décrit comme y ayant auprès, " une
petite rivière, tout le long de laquelle il y avait plus de
soixante arpens de terres désertées, que des »Sauvages
(les Hochelagais) avaient autrefois cultivées, mais qu'ils
avaient quittées, à cause des guerres qu'ils y avaient ;" —
quantité de belles prairies ; — de toutes les sortes de bois
qui se voient en P^urope ; — abondance de poissons dans
le fleuve ; et dans les forêts, bêtes fauves ou farouches
de toutes les espèces, cerfs, daims, chevreuils, caribous,
loups-cerviers, ours, castors, lièvres, et autres petites
bêtes, et oiseaux en quantité innombrable." Il donna
le nom de Sainte-Hélène à une île d'environ " trois
quarts de lieue de circuit, située au milieu du fleuve,"
où l'on pourrait " bâtir une bonne et forte ville ;" et
remarqua, à vingt toises de la Place Royale, " un petit
Ilet d'environ cent pas de long, où l'on aurait pu " faire
une bonne et forte liabitation." Le Sault lui parut
former, en descendant, " une manière de lac (la baie de
la Madeleine), où il remarqua " deux ou trois belles
iles," celle de SaitU-Faul, et celle qui " est au milieu
du Sault," et qu'il nomma Ile aux Iléroiis, à cause de la
prodigieuse quantité de ces oiseaux qui y furent pris
sous ses yeux.
Ayant trouvé cet endroit, (éloigné " d'une lieue" du
Mont Royal),* " un tks plus beaux qui fût sur cette
rivière,'* il en fit aussitôt " couper et défricher le bois,"
* Si, suivant Quartier, qui n'était pas plus que Champlain porti-
à raccoucir les distances, Hochelaga n'était qu'à un quart de
lieue du Mont Royal, il fallait que cette bourgade fût passable-
ment éloignée du site de la Place Royale de ce dernier, et sise
vers l'endroit où fut ensuite bâti le fort de la Montagne, ou quel-
que part ailleurs, sur ce que nous appelions le Coteau Baron,
76 HISTOIRE
pour le rendre " uni et prêt à bâtir," pensant " qu'on
pourrait faire passer l'eau autour aisément, et en faire
une petite île." Il se contenta pour lors d'y faire faire
deux jardins, l'un sur le terrain qu'il venait de faire
défricher, et l'autre dans une prairie, pour éprouver la
qualité du sol ; et une muraille en terre ou en brique,
de soixante pieds de longueur, quatre d'épaisseur et à
peu près autant de hauteur, " pour voir comment elle
se conserverait durant l'hiver, ou le printems, quand
les eaux descendraient."*
De retour à Québec, Champlain en partit pour la
France, et arriva à Saint-Malo le 11 août.
Deux jésuites, le P. Pierre Biart et le P. Edmond
Masse, étaient arrivés au Port Royal, le 12 juin de la
même année 1611, avec M. de Biencour, fils du sieur
de Poutrincour. Ils crurent que leur premier devoir,
en arrivant en Acadie, était d'apprendre la langue des
natui'els du pays; mais il ne se trouva personne, parmi
les Français, qui pût, ou voulût leur faciliter cette
étude ; et peut-être auraient-ili été obligés de s'en
retourner sans avoir rien fait, si Membertou, qui avait
appris un peu de Français, n'eût bien voulu être leur
instituteur.
L'année suivante, le sieur de Biencour et le P. Biart
rangèrent la côte jusqu'au Quinibequy, remontèrent
cette rivière, et firent connaissance et alliance avec les
Cannibas, alliés des Etchemins, et connus plus tard,
comme ces derniers, les Souriquois et autres, sous la
dénomination générale ^Ahénaquis.
Cependant, la mort du roi (Henri lY) avait achevé
* Ces détails sont minutieux sans doute, mais ils montrent
l'homme diligent et sage, qui examine tout soigneusement, qui ne
néglige aucun moyen d'utilisation, et qui ne veut rien entrepren-
dre d'important, sans être à peu près assuré du succès.
DU CANADA. 77
de ruiner les affaires et le crédit de M. de ISIonts. Il
ne laissa pourtant pas d'exhorter Champlain à^epas
perdre courage, et à chercher quelque puissant protec-
teur à la colonie naissante. Champlain s'adressa à
Charles de Bourbox, comte de Sotssons, qui, agréant
la proposition d'être le protecteur de la Nouvelle
France, se fit donner par la reine régente toute l'autorité
nécessaire pour maintenir et avancer ce qui était déjà
fait, et nomma Champlain son lieutenant. La mort du
comte de Soissons, arrivée presque aussitôt après cet
arrangement, ne dérangea rien aux affaires de l'Amé-
rique, parce que le prince de Coxde' voulut bien s'en
charger, et continua Champlain dans l'emploi et l'auto-
rité que son prédécesseur lui avait donnés.
Pour revenir aux affaires de l'Acadie, la marquise de
OuERCHEViLLE, qui s'intércssait fort à la la conversion
des naturels de cette contrée, et aux missions qu'on voulait
établir parmi eux, s'était associée avec M. de Poutrin-
cour, dans la vue de le rendre favorable aux jésuites,
qu'elle voulait pour missionnaires ; mais n'y réussissant
pas â son gré, elle se brouilla avec lui, et parvint à
obtenir de M. de Monts, avec qui elle n'avait pas voulu
s'associer d'abord, parce qu'il était " huguenot," la ces-
sion ou l'abandon de ses droits ou prétensions quelconques,
et du roi (Louis XIII) des lettres-patentes, par les-
quelles, suivant le dire de Champlain, donnation lui
était faite de toutes les terres de la Nouvelle-France,
depuis la grande rivière (de Canada) jusqu'à la Floride ;
à l'exception de l'établissement du Port Royal. Mal-
heureusement, elle était loin d'avoir h sa disposition les
moyens nécessaires pour faire valoir de si hautes pré-
tentions. Le résultat de tous ses efforts fut l'équippe-
ment d'un petit vaisseau d'environ cent tonneaux.
Elle en confia le commandement h un sieur de la
g2
78 HISTOIRE
Saussate, avec ordre d'y embarquer tout ce qui serait
nécessaire pour fonder une colonie. La Saussaye arriva
le 6 mai 1613, au port de La Hève, et y arbora les
armes de Madame de Guercheville. Il passa de là au
Port Royal, où il prit les PP. Masse et Biart ; rangea
ensuite la côte, et s'arrêta à l'embouchure de la i-ivière
de Pemtagoet, appellée depuis par les Anglais Penob-
scot. n débarqua sur la rive septentrionale de cette rivière,
ou, (suivant Champlain) dans l'île des Monts Désert>-,
située à son entrée, et y fit à la hâte un petit fort,
auquel il donna le nom de Saint- Sauveur. Tout son
monde ne se montait pas à trente personnes. L'équi-
page de son navire, qui était de trente-cinq hommes, se
joignit aux nouveaux colons, pour élever des maisons
ou des cabanes. Lorsqu'on fut logé, on se mit à cultiver
la terre ; mais à peine la colonie commençait à se
former, qu'un orage imprévu la renversa de fond en
comble. Samuel Aegall, qui escortait, avec un vais-
seau de quatorze canons, une dixaine de bateaux
pêcheurs partis de la Virginie, apprit, en route, que
des étrangers s'établissaient à Pemtagoet, et ne doutant
pas que ce ne fussent des Français, il crut qu'il était de
son devoir de les en chasser.* Quoiquela Saussaye ignorât
le dessein des Anglais, il crut devoir se préparer à tout
événement: il demeura à terre, pour défendre son fort,
et chargea La^iotte-le-Villain', son lieutenant, de la
défense du navire, qui était en rade ; mais ni l'un ni
l'autre n'avaient de canons. Argall s'attacha d'abord
au retranchement, et après l'avoir canonné quelque
temps d'assez loin, il s'en approcha de plus près, et fit
un grand feu de mousquetterie, qui tua beaucoup de
* Le territoire sur lequel La Saussave avait bâti son fort, était
bien du domaine de Madame de Guercheville, d'après ses lettres-
patentes ; mais il était aussi réclamé par la couroniie d'An-
gleterre.
DU CANADA. 79
monde. La Saussaye voyant qu'une plus longue résis-
tance lui fex'ait perdre inutilement un plus grand
nombre d'hommes, prit le parti de se rendre, et Lamotte-
le-Villain fut bientôt contraint d'en faire autant.
Argall, maître de l'habitation, alla visiter les coffres
de la Saussaye, y trouva sa commission, et l'enleva,
sans que personne s'en apperçùt. Le lendemain, la
Saussaye étant allé rendre visite à son vainqueur, celui-
ci le somma de présenter la commission qu'il avait
lui-même soustraite. La Saussaye l'ayant cherchée en
vain, Argall le traita d'homme sans aveu et de pirate,
et livra l'habitation et le navire au pillage. Ensuite,
par un singulier mélange de bassesse et de générosité,
il offrit aux Français une espèce de barque ou chaloupe
pontée, pour s'en retourner dans leur pays ; et cette
chaloupe s'étant trouvée trop petite, il proposa à ceux
<iui savaient quelque métier d'aller avec lui en Virginie,
leur promettant une entière liberté de conscience, et la
faculté de repasser en France, au bout d'un an. Plu-
sieurs acceptèrent ces offi-es, et le sieur Lamotte, le P.
Biart, et deux autres jésuites, les PP. Qcextin et Du
Thet, que M. de la Saussaye avait amenés de France
avec lui, voulurent les suivre. Ce qui restait de Fran-
«;ais s'embarqua sur la chaloupe avec la Saussaye et le
P. Masse. Ils traversèrent la Baie Française, et
rencontrèrent, au port de la Hève, un navire qui les
reçut tous, et les conduisit heureusement à Saint-Malo.
Ceux qui avaient suivi le capitaine Argall en Virgi-
nie n'eurent pas autant de bonheur : à leur arrivée à
Jamestoicn, le gouverneur les condamna à mort, comme
pirates. Argall eut beau lui représenter qu'il leur
avait donné sa parole qu'on les traiterait bien, et qu'ils
demeureraient libres, et qu'ils ne l'avaient suivi volon-
tairement qu'à cette condition, le gouverneur lui
80 HISTOIRE
répondit qu'il avait outre-passé ses pouvoirs ; que leur
chef n'ayant pas eu de commission, il ne pouvait
s'empêcher de les regarder comme des forbans. Il ne
restait à Argall d'autre moyen de les sauver que
d'avouer sa supercherie à l'égard de leur commandant,
et il eut assez de probité pour le faire.
La vue de la commission du sieur de la Saussaye
désarma le gouverneur de la Virginie ; mais il prit, sur
le champ, la résolution de chasser les Français de toute
l'Acadie. Ai'gall fut chargé de cette expédition. On
lui donna trois vaisseaux. Il arbora les armes d'An-
gleterre au même endroit où avaient été celles de
Madame de Guercheville ; puis il alla à Sainte-Croix,
où il ruina tout ce qui restait de l'établissement de M.
de Monts. Il fit la même chose au Port Royal, où il ne
rencontra personne ; et en quelques heures, le feu con-
suma tout ce que les Français possédaient dans une
colonie où l'on avait dépensé beaucoup d'argent, et
travaillé pendant plusieurs années, sans songer à se
mettre en état de soutenir un coup de main. Mais la
prévoyance n'était pas l'esprit du temps.
Poutrincour, arrivé en Acadie, sur ces entrefaites, fut
témoin de la ruine de son étabUssement, et ne put qu'en
recueillir les débris vivants, sur les vaisseaux dans les-
quels U leur apportait de nouveaux approvisionnemens.
Ces aggressions et ces déprédations barbares, commises
en temps de paix, par les Anglais de la Virginie, don-
nèrent lieu à des plaintes et à des réclamations. Mais
le courageux fondateur de Port Royal étant mort, quelque
temps après, les torts immenses qu'il avait éprouvés de-
meurèrent sans réparation. Madame de Guercheville
obtint, pour tout dédommagement, la restitution de son
navire. EUe reconnut, mais trop tard, remarque Char-
levoix, d'après Champlain, qu'elle avait eu tort, de ne
DU CANADA. 81
l)as s'associer avec M. de Monts, d'abord, et ensuite, de
séparer ses intérêts de ceux de M, de Poutrincour.
Après avoir été retenu en France pendant toute Tannée
1612, Champlain s'embarqua à Saint-Malo, le 6 mars
1613, sur un vaisseau que commandait Du Pont, reveim
depuis peu de l' Acadie, et ils mouillèrent le 7 mai, devant
Québec. Ils trouvèrent l'habitation en si bon état, que
n'y jugeant pas leur présence nécessaire, ils en repar-
tirent, le 13, pour aller au " Grand Sault Saint-Louis,"
où ils arrivèrent le 21.
Du Pont devait retourner, presque aussitôt, à Québec,
mais Champlain avait dansl'esprit un autre dessein. Un
nommé Xieholas Yigxau, "le plus impudent menteur qui
se fût vu de longtems," qu'il avait envoyé "aux décou-
vertes," les années précédentes, lui avait rapporté, à son
retour à Paris, en 1612, des choses merveilleuses, et entre
autres, "qu'il avait vu la mer du Nord ; que la rivière
des Algonquins (présentement des Outaouais) sortait
d'un lac qui s'y déchargeait, et qu'en dix-sept journées,
on pouvait aller et venir du Sault Saint-Louis à cette
mer; qu'il avait vu le bris et fracas d'un vaisseau anglais,
qui s'était perdu à la côte, d'où quatre-vingts hommes
s'étaient échappés, à terre, mais avaient été massacrés
par les Sauvages, parce qu'ils avaient voulu leur enlever
de force leur bled et autres vivres." Il ajoutait qu'il
avait vu les têtes de ces Anglais écorchées par les
Sauvages, selon leur coutume. Ces nouvelles avaient
"réjoui" Champlain, en lui faisant "penser" qu'il
trouverait " bien près ce qu'il cherchait bien loin."
Ayant fait charger deux canots de vivres, armes et
marchiindises, il s'y embarqua avec quatre Français, y
compris Viguau, et un Sauvage ; partit, le 27 mai, de
file Sainte- Hélène, et alla coucher au pied du Sault. A
deux lieues de là, il entra dans " un lac qui a de circuit
82 HISTOIRE
environ douze lieues, et où se déchargent trois rivières,
l'une venant de l'ouest, du côté des Ochateguins (ou
Hurons), éloignés du grand Sault de cent-cinquante ou
deux cent lieues ; l'autre du sud, pays des Iroquois, de
pareille distance ; et l'autre du nord, pays des Algon-
quins, aussi, à peu près de semblable distance.*
Laissant à sa gauche la rivière venant de l'ouest, il
entra dans celle qui vient du nord, passa par un lac de
sept à huit lieues de long et trois de large, puis par un
sault "rempli de pierres et rochers, oii l'eau court d'une
grande vitesse." Il rencontra plusieurs autres saults ;
vit plusieurs rivières, l'une " fort plaisante, à cause
des belles îles qu'elle contient, et des terres garnies de
beaux bois clairs qui la bordent"; des lacs, dont l'un de
cinq lieues de long et deux de large, où il y a " de fort
belles îles remplies de vignes, noyers, et autres arbres
agréables." Un peu plus loin, la terre est sablonneuse,
et il s'y trouve " une racine qui teint eu couleur cra-
moisie, et dont les Sauvages se peignent le visage." Il
parvient de là à un grand sault, "ou l'eau descend de
dix ou douze brasses en talus, et fait un merveilleux
bruit." Il entra dans un lac de six à sept lieues de long, où
se décharge une rivière venant du sud. La terre des
environs était couverte de pins qui avaient été presque
tous brûlés par les Sauvages, mais il y restait de beaux
cyprès rouges, les premiers qu'il eût vus dans le pays,
de l'un desquels il fit une croix, qu'il planta au bout
d'une île qui élargit la rivière d'une lieue et demie, et
qu'il nomma Sainte- Croix. ■ 'y
Parvenu à un autre lac de six lieues de long et deux
* Pour trouver trois grandes rivières se déchargeant dans le
lac Saint-Louis, et quelque exactitude dans ce qu'en dit Champlain,
il faut, ce nous semble, prendre la rivière de Chateauguay pour
celle qu'il dit venir du sud, et laisser aux Ilurons celle do Saint-
Laurent ou de Catarocouy.
DU CANADA. 83
de large, Champlain rencontra une habitation de Sau-
vages qui cultivaient la terre, et recueillaient du mais.
Ces gens ne pouvaient comprendre comment des étran-
gers avaient pu passer les saults et les mauvais chemins
qu'il y avait pour venir jusqu'à eux. Leur chef, qui
avait déjà entendu parler de Champlain, fit équipper
deux canots, pour le mener avec ses compagnons voir
Tessoat,* qui demeurait à huit lieues de là, sur le
bord d'un grand lac de dix lieues de long et trois ou
quatre de large. En voyant Champlain, Tessoat s'écria
(^ue c'était un songe, et qu'il ne croyait pas qu'il voyait.
Ils passèrent ensemble dans une île élevée et " forte de
situation," oià se tenait un gros de la nation des Algon-
quins, pour éviter les courses de leurs ennemis, mais
où la terre, ainsi que celle des environs, parait peu
productive. Champlain leur demanda comment ils
s'amusaient à cultiver un si mauvais pays, tandis qu'il
y en avait de beaucoup meilleurs qu'ils laissaient déserts
et abandonnés, comme, par exemple, le Sault Saint
Louis. Ils lui répondirent qu'ils y étaient contraints
pour se mettre en sûreté ; que l'aprêté des lieux leur
servait de rempart contre leurs ennemis ; mais que s'il
voulait faire une habitation de Français au Sault Saint-
Louis, ils quitteraient leurs demeures pour s'y venir
loger, étant assurés que leurs ennemis ne les viendraient
point attaquer, s'ils avaient des Français près d'eux.
Champlain leur dit qu'il allait faire des préparatifs pour
y bâtir un fort, et mettre la terre en état d'être cultivée,
sur quoi, ils firent un grand cri, en signe d'applaudisse-
ment. Il invita ensuite les principaux d'entre eux à se
trouver, le lendemain, sur la grande terre, dans la
* C'est évidemment le même que Champlain appelle Bezoat,
dans la relation de son voyage de 1603, et qu'il vit à Tadoussac,
avec Anadjojijuu, chef des Moutagnais.
84 HISTOIRE
cabane de Tessoat, qui lui voulait faire "tabagie,"
ajoutant qu'il leur exposerait là et alors ses intentions.
Cette "tabagie" fournit à Champlain l'occasion de
voir et décrire quelques unes des coutumes de ce peuple.
"Le lendemain, dit-il, les conviés, avec chacun son
éxîuelle de bois et sa cueillère, et tous sans ordre ni
cérémonie, s'assirent à terre, dans la cabane. Tessoat
leur distribua une manière de bouillie, faite de maïs
écrasé entre deux pierres, avec de la chair et du pois-
son, coupés par petits morceaux, le tout cuit ensemble
sans sel. Il avait aussi de la chair rôtie sur des char-
bons, et du poisson bouilli à part, qu'il leur distribua
pareillement. Tessoat, comme donnant le repas, entre-
tenait ses convives, sans manger lui-même, selon leur
coutume,"
" La tabagie faite, les jeunes gens, qui n'assistent pas
au conseil, sortirent, et chacun de ceux qui étaient
demeurés emplit son petunoir, et le présenta à Cham-
plain. Une demi-heure se passa à cet exercice, sans
qu'il fût dit un seul mot."
Après qu'ils eurent ainsi " petuné" en silence, Cham-
plain leur exposa le but de son voyage, qui était
principalement d'aller voir une tribu du nord, (qu'il
appelle Nebicerini), pour la convier de faire alliance
avec eux contre leurs ennemis, et il leur demanda
quatre canots et huit hommes pour l'y conduire.
A cette demande, les Sauvages se remirent à " petu-
ner." Enfin Tessoat fit une harangue qu'il termina, en
disant à Champlain, que si on lui accordait les quatre
canots qu'il demandait, ce serait à regret, parce que l'en-
treprise serait accompagnée de beaucoup de difficultés
et de périls ; que les gens qu'il voulait voir étaient des
sorciers et des empoisonneurs, et que quant à l'aide qu'il
s'en promettait pour la guerre, elle était peu de chose.
DU CANADA 85
parce qu'ils étaient '• de petit cœur," (sans courage et
poltrons).
Pour faire tomber les objections de Tessoat, Cham-
plain voulut recourir au témoignage de Vignau ; mais
c'était là qu'il était attendu. Amené devant le chef,
avec qui il avait passé un hiver, et interrogé touchant
ses prétendues découvertes, Yignau garda longtems un
morne silence, qu'il n'interrompit enfin que pour affirmer
effrontément qu'il avait réellement été où il avait dit.
Aussitôt tous les Sauvages se mirent à le regarder de
travers, et à se jetter sur lui, en poussant des cris,
comme s'ils eussent voulu le déchirer, et Tessoat lui
dit : "Tu es un assuré menteur; tous les soirs, tu couchais
à mes côtés, avec mes cnfans, et si tu as été où tu dis,
c'est en dormant. Comment as-tu pu être assez méchant
pour vouloir bazarder la vie de ton maître parmi tant
de dangers ? Tu es un homme perdu, et on te devrait
faire mourir plus cruellement que nous ne faisons nos
ennemis."
Champlain, étonné de voir un homme, aux contes
duquel il avait ajouté foi, apostrophé de cette manière,
le somma de le tirer de l'embarras où il l'avait mis, en
donnant des preuves de la vérité de ce qu'il avait avancé;
" mais il demeura muet et tout éperdu." Pris à l'écart,
et interpellé de nouveau de dire la vérité, Vignau affirma
"de rechef avec jurement" que tout ce qu'il avait dit
était vrai. Plus embarrassé que jamais, Champlain alla
voir ceux de l'ile mentionnée ci-dessus. Il ne leur eut
pas plutôt parlé de la mer, des vaiseaux, des têtes
d'Anglais, qu'ils s'écrièrent que son homme était un
menteur, et qu'il le fallait faire mourir, à moins qu'il ne
dît avec qui il avait été dans ce pays, et qu'il ne désignât
correctement les lacs, les rivières et les chemins par où il
avait passé. Comme de raison, Vignau avait oublié le
H
86 HIsTOIEE
nom du Sauvage avec qui il avait fait son voyage de
découverte ; mais il avait donné à Champlain un papier
où il avait ti-acé et décrit les particularités qu'il préten-
dait avoir remarquées. Cette espèce de carte ayant
été présentée aux Sauvages, ils questionnèrent son
auteur sur ce qu'ils y voyaient ; mais il ne put leur
répondre ; et '"'par sou morne silence, manifesta sa mé-
chanceté."
n fallut que Champlain menaçât Vignau de le faire
''pendi'e et étrangler," pour l'amener à avouer son im-
posture. Les Sauvages voulaient qu'on le mît à mort
sur l'heure. " Xe vois-tu pas, dirent-ils à Champlain,
qu'il t'a voulu faire mourir ? donne-nous le, et nous te
promettons qu'il ne mentira plus." H eut bien de la
peine à le tii-er de leurs mains, et même de celles de leurs
enfans: il n'y réussit qu'en leur disant qu'il l'emmenait
au Sault- Saint-Louis, pour aviser à ce qu'il en ferait. Sa
punition fut l'ordi-e d'aller tout de bon " par pays," pour
faii-e des découvertes réelles.
Les Sauvages ne furent plus du tout d'avis de four-
nir des canots et des honunes à Champlain : ils lui
dirent qu'il fallait remettre le voyage à Tannée suivante ;
qu'alors ils le mèneraient en bon équippage, pour se
pouvoir défendre contre la nation qu'il désirait de voir,
si elle leur voulait faire du mal.
Champlain était au lac Témiscaming, par 47 degrés
de latitude, et, comme il comptait, deux cent quatre-
vingt-seize de longitude. Plusieurs considérations
pouvaient l'excuser d'avoir ajouté foi à des contes faits
à plaisir : des relations de naufrages ari'ivés dans les
régions polaires, venaient d'être publiées eu Angleterre,
et ce que Vignau lui avait raconté lui paraissait assez
conforme au contenu de ces relations, d'après lequelles
il ne se croyait pas à plus de cent lieues de la mer du
DU CANADA. 87
Nord.* Le contretems qu'il éprouva alors lui parut
d'autant plus fâcheux, qu'il avait plus compté sur- le
succès de son entreprise. " Mon voyage, dit-il, étaut
achevé par cette voie, et sans aucune espérance de voir
la mer de ce côté-là, sinon par conjecture, le regret de
n'avoir pas mieux employé le temps me demeura, avec
les peines et travaux qu'il m'avait fallu endurer.f Si
je me fusse transporté d'un autre côté, suivant la rela-
tion des Sauvages, j'eusse ébauché une aflaire qu'il
fallut remettre à une autre fois."
Avant de partir, il fit planter, sur le bord du lac, en
un lieu éminent, une croix de cèdre blanc, avec les
armes de France, et pria les Sauvages de la conserver,
ainsi que celles qu'ils ti'ouveraient le long des chemins
par où il était venu. Ils lui dirent qu'ils le feraient, et
qu'il les retrouverait, lorsqu'il reviendrait parmi eux.
En revenant, il s'arrêta au Sault de la Chaudière, où
il fut témoin de la cérémonie de l'offrande du petun.|
Il arriva le lendemain, 16 juin, "à une île qui est à
l'entrée du lac (Saint-Louis), distante du grand Sault
* Il n'était éloigné, en effet, que d'environ cent lieues, non de
la mer du Nord, ou Glaciale, mais du fond de la baie d'Hudson,
appelle pas les Anglais James' Buy, par 51 degrés de latitude, et
la môme longitude que celle du lue Témiscaming.
f II s'en fallait bien pourtant qu'il eût entièrement perdu son
temps et ses peines : il avait, dans une grande étendue de pays,
reconnu un grand fleuve, un nombre considérable de rivières, de
lacs, d'îles, etc. ; il avait vu chez eux les Algonquins, ime des
tribus alliées des Français, et eu occasion d'en étudier les mœurs,
les usages et les dispositions ; enfin, il avait pris possession de la
contrée, au nom de son souverain.
X "Après qu'ils ont porté leurs canots au bas du Sault, dit-il,
en substance, ils s'assemblent en un lieu où un d'entre eux, avec
un plat de bois, va faire la quête, et chacun d'eux met dans ce plat
un morceau de petun. La quête faite, le plat est mis au milieu de
la troupe, et tous dansent à l'entour, en chantant à leur mode : puis
un des capitaines fait une harangue, laquelle finie, le harangueur
prend le plat, et va jetter le petun au milieu de la Chaudière, et
tous ensemble font un cri. S'ils ne faisaient pas citte otfi-ande, en
passant, ils croiraient que malheur leur en adviendrait.
88 HISTOIRE
de sept à huit lieues," et à ce sault le 17. Descendu à
l'endroit où il avait laissé ses barques (la Place Royale
ou l'île Sainte-Hélène), un sieur de IVIaison-Neuve le
vint ti'ouver " avec le passe-port de Monseigneur le
Prince," et il avertit les Sauvages qu'ils pourraient faire
la traite avec lui, le lendemain. N'ayant plus rien à
faire en Canada, il s'embarqua à Tadoussac, le 8 août,
et arriva à Saint-Malo, le 26 du même mois.
Pendant son séjour en France, il conclut un nouveau
traité avec des marchands de Saint-Malo, de Rouen et
de La Rochelle, et leur obtint, par l'entremise du
prince de Condé, des lettres-patentes du roi. Il s'em-
barqua ensuite pour le Canada, avec quatre Récollets,
qu'il avait demandés, et à qui la compagnie s'était
engagée de fournir tout ce qui était nécessaire. Il
arriva à Québec, au printemps de 1615. et monta
incontinent à la Place Royale, oif 3ll" Sault Saint-Louis.
Il y trouva des Hurons et quelques uns de leurs alliés,
qui l'engagèrent dans une troisième expédition contre
les Iroquois.
Les premiers historiens du Canada ont beaucoup
blâmé la facilité avec laquelle Champlain se laissait
entraîner dans des expéditions lointaines, périlleuses,
imprudentes et peu dignes de sa situation. " Il est
constant, dit Charlevoix, que par cette complaisance, il
prenait le meilleur moyen de gagner l'amitié des Sau-
vages, et de bien connaître un pays où il s'agissait
d'établir un commei'ce avantageux, et la religion chré-
tienne parmi un grand nombre de tribus payennes ;
mais il s'exposait beaucoup, et ne faisait pas réflexion
que cette facilité à condescendre à toutes les volontés
de ces barbares, n'était nullement propre à lui concilier
le respect que demandait le caractère dont il était revêtu.
Il y avait, d'ailleurs, quelque chose de mieux à faire
DU CANADA. 89
pour lui, que de coui-ir ainsi, en chevalier errant, par
les lacs et les forets, avec des Sauvages qui, souvent,
ne gardaient pas même à son égard les bienséances, et
dont il n'était nullement en état de se faire craindre.
Il aurait pu aisément envoyer à sa place quelque Fran-
çais en état de bien observer, tandis que sa présence à
Québec aurait beaucoup plus avancé son établissement,
et lui aurait donné une solidité qu'il se repentit trop tard
de ne lui avoir pas procurée."
Si Champlain pouvait se dispenser d'accompagner les
Sauvages dans leurs excursions, c'était surtout dans
celle dont nous allons parler. Se trouvant obligé de
redescendre à Québec, pour y donner les ordres néces-
saires, il les pria de différer leur départ jusqu'à son
retour, qui devait être prompt ; mais ceux-ci se lassèrent
bientôt de l'attendre, s'embai-quèrent dans leurs canots,
et partii'cnt ; et, ce qui peut paraître assez singulier,
presque tous les Français qui étaient alors avec eux, les
accompagnèrent, sans attendre leur commandant. A
son retour, Champlain ne trouva plus dans File de Mont-
Réal* ou quelques lieues au-dessous, sur la terre-ferme,
que deux Français et dix Sauvages. H lui fallut courir
après les Hurons, pour les aller joindre dans leur pays.
Suivons-le dans ce voyage, non moins intéressant, et
non moins historique que celui qu'il avait fait, deux ans
auparavant, chez les Algonquins.
Il s'embarqua avec ses douze compagnons, au-dessous
du " Bout de l'Ile," puisqu'il " voyagea amont le fleuve
Saint Laurent, environ six lieues," entra dans la Rivière
des Prairies, une des branches de celle des Algonquins,
laissant, comme il dit, le Sault Saint-louis, six lieues plus
haut, à sa gauche ; traversa un lac (celui des deux
* Ainsi nommerons-nous dorénavant rendroit, quoique ce nom
lui ait été donné uu peu plus tard.
u2
90 HISTOIRE
Montagnes), et remonta la Grande-Rivière jusqu'au lac
Temiscaming, ou des Algonquins. Etant entré dans
une rivière qui tombe dans ce lac, il la remonta, " tant
par eau que par terre," l'espace de trente-cinq lieues,
par \\n pays " mal agréable, rempli de sapins, bouleaux,
quelques chênes, ei force rochers," stérile et très faible-
ment habité ; mais où il y avait, comme par compensa-
tion, des petits fruits, et particulièrement des bluets, en
si prodigieuse quantité, cpi'on les venait cueillir de pays
éloignés, afin de les faire sécher pour l'hiver " comme
des pruneaux en France." Chamjjlain trouva occupés
à cette cueillette quelques centaines d'individus d'une
tribu éloignée, auxquels il donna le nom de Cheveux-
l'élevés, " j^our les avoir mieux peignés et agencés, sans
comparaison, que des courtisans (ou petits-maîtres),
quelques fers et façons qu'ils y mettent."
Ayant fait encore environ vingt-cinq lieues, il attei-
gnit le lac Nipissing, ou des Nipicirini, par 46 degrés et
un quart de latitude. Il vit dans ce lac, auquel il donne
environ vingt-cinq lieues de long et huit de large, " un
grand nombre d'ilcs fort plaisantes," entre autres une de
six lieues de longueur, et " nombre de belles prairies."
Il trouva assemblés sur les bords de ce lac, sept à huit
cents hommes, femmes et enfaus, avec lesquels il passa
deux jours. Continuant à cheminer, par un pays
encore plus " mal agréable " que celui par où il avait
passé, avant d'arriver au lac Nipissing, mais toujours
rempli de bluets et autres petits fruits, il atteignit enfin le
lac des Attigoiiantans (ou des Hurons), auquel il donne
près de trois cents lieues de long, et cinquante de large, et
qu'à cause de sa grande étendue, il appella la il/êr Doï^ce.
Par la latitude où Champlain a atteint ce grand lac,
le pays est " âpre " et presque inhabité ; mais, en ayant
côtoyé les i-ivages, du nord au sud, ou sud-est, l'espace
DC CANADA. 91
de quarante-cinq lieues, il trouva un "grand change-
ment de pays," celui où il était alors étant " fort beau,
en plus grande partie déserté," et cultivé. Il était
alors chez la nation des Hurons, divisée en tribus de
différentes dénominations, comme l'était celle des
Algonquins, et (comme on le verra plus tard,) celle des
Iroquois. Il passa d'abord par quatre villages, ou bour-
gades ouvertes, qu'il dit se nommer Otouacha, Canr.aron,
Touagainchain et Tequenouquiaye, oii il fut reçu avec
autant d'amitié et d'hospitalité, que l'avait été Jacques
Quartier à Hochelaga.
Du dernier de ces villages " non clos," Champlain se
Ht conduii'e à Carharjouha, village " fermé d'une triple
palissade de bois, de la hauteur de ti*ente-cinq pieds."
Il y rencontra une quinzaine de ses Français ; mais
voyant que les Sauvages mettraient du temps à complé-
ter leurs préparatifs, il résolut d'aller •' à petites jour-
nées," de village en village, jusqu'à la ville, ou bourgade
de Cahiagué, capitale du pays, où toute l'armée avait
rendez-vous. Dans la route de Carhagouha ù Cahiagué,
Champlain ne rencontra pas moins de cinq forteresses,
ou villages entourrés de palissades. Cahiagué, au 44e
degré et demi de latitude, était un " beau village," ou
une bourgade, qui ne contenait pas moins de deux cents
grandes maisons, ou cabanes. Tous les environs
étaient défrichés et ensemencés de bled-d'inde, de
citrouilles, et de Vherbe au soleil, des graines de laquelle
les naturels tiraient une huile dont ils se frottaient les
cheveux. Plus loin, se voyait une variété d'arbustea
fruitiers, et de toutes les espèces d'arbres qui se rencon-
trent en Europe. Le pays sembla à Champlain "peuplé '
d'une infinité d'âmes." Les Attigouantans, une des
tribus huronnes, qui l'habitaient, échangeaient avec les
Algonquins, leurs voisins et alliés, une partie de leui'
92 mSTOLKE
bled et farine, pour des pelleteries. La joie fut grande
à Caliiagué, à l'arrivée de Champlain et de ses compa-
gnons : pendant i^lusieurs jours, ce ne furent que festins
et divertissemens ; mais les guerriers attendus de diffé-
rents quartiers étant arrivés, il fallut penser à quelque
chose de plus sérieux. Les chefs olFrirent le comman-
dement général à Champlain, et il l'accepta d'autant
jdus volontiers, qu'il se trouvait à la tête de quinze
Français. On se mit en marche, le 1er de septembre,
et l'on marcha longtems, avant d'arriver aux ennemis,
qui paraissent avoir voulu rester, cette fois, sur la
défensive.
Les Ii'oquois occupaient une espèce de fort assez bien
construit : ils en avaient embarrassé les avenues par
de grands abattis d'arbres, et avaient élevé tout autour
des galeries, d'où ils pouvaient tirer de haut en bas,
sans se découvrir. Aussi la première attaque réussit-
elle si mal, qu'on ne jugea pas à propos d'en tenter une
seconde. On essaya de mettre le feu aux abattis, dans
Fespoir qu'il gagnerait le fort ; mais les assiégés y
avaient pourvu, en faisant de grandes provisions d'eau.
On dressa ensuite une machine plus haute que les
galeries, et sur laquelle on plaça des Français armés
d'arquebuses. Cette manœuvre déconcerta un peu
l'ennemi ; mais Chamijlain ayant été blessé assez griève-
ment, à la jambe et au genou, les Hurons passèrent de
la présomption au découragement, et il fallut se retirer
avec honte et avec perte, La retraite se fit néanmoins
en assez bon ordre. Champlain fut bientôt guéri de
ses blessures ; mais quand il voulut partir pour retour-
ner à Québec, il ne put obtenir un guide, et il lui fallut
se résoudre à passer l'hiver chez les Sauvages. H sut
pourtant mettre le temps à profit ; car il acheva de
visiter les bourgades huronnes, et vit quelques unes de
celles de leurs alliés.
DU CANADA. 93
Parti de Cahiagué, vers la nii-jauvier 1616, avec
quelques Français, il arriva, au bout d'un mois, chez la
" Nation du Pctun," (ou Récolteurs de Tabac), qui se-
mait aussi du maïs, et avait sa demeure arrêtée, comme
les autres tribus huronnes. Il vit ensuite sept autres
villages de leurs voisins et amis, avec lesquels il con-
tracta alliance, et qui lui firent, ainsi qu'à ses compa-
gnons, " bonne chère et mille démonstrations d'amitié,"
accourant de toutes parts, à leur ai-rivée, et se faisant
un devoir de les conduire et guider dans leur route.
Champlain vit ensuite, dans leur pays, les " Cheveux re-
levés," puis les Asistugiieronons, ou Gens du Feu, peuple
nombreux de grands-guei'riers, chasseurs, pêcheurs et
agriculteurs, les " Sauvages les plus propres" qu'il eût
encore vus, et qui travaillaient le plus industrieusement
". aux façons des nattes qui étaient leurs tapis de Tur-
quie." Mais, s'ils étaient laborieux, ils savaient aussi
jouir du fruit de leur travail, car " ils faisaient de
grands festins, et plus que les autres nations."
Champlain aurait voulu voir l-i " Nation Neutre," ou
ayant paix avec les Hurons et les Iroquois, quoiqu'elle
eût aussi ses alliés et ses ennemis ; mais ou l'en dissuada.
Enfin, il ne vit pas moins de dix-huit grands villages
chez les seuls Attigouantans, huit desquels étaient
•' clos et fermés de palissades de bois, à triple rang,
entrelacés les uns dans les autres, avec galeries au-
dessus garnies de pierres et d'eau." Il y avait dans ces
dix-huit villages " deux mille hommes de guerre, sans
y comprendre le commun qui pouvait faire en nombre
vingt-deux mille âmes." Les cabanes étaient "eu façon
* de tonnelles ou berceaux, couvertes d'écorces d'arbres,
de la longueur de vingt-cinq à trente toises, et six de
large, laissant par le milieu une allée de dix à douze
pieds de large, et allant d'un bout à l'autre." Dans
94 HISTOIRE
quelques unes de ces cabanes, il y avait "jusqu'à douze
feux, ou vingt-quatre ménages." Elles étaient séparées
les unes des autres par un espace vide de trois à quatre pas.
Enfin, si les habitans d'Hochelaga n'avaient pas été
exterminés, mais s'étaient expatriés, ce furent sans
doute leurs descendans que Champlain vit, au pays des
Hurons. C'était la même manière de se vêtir, de se
nourrir, de se loger et de se fortifier ;* le même caractère,
les mêmes mœurs, et surtout la même bienveillance et
la même hospitalité envers les étrangers. Peut-être
aussi pourrait-on trouver de la ressemblance dans la
consonnance des noms hurons de Champlain, et des
mots du vocabulaire de Quartier.
Quoiqu'il en soit, dès que les rivières furent navigables,
Champlain ayant su qu'on voulait l'engager dans une
nouvelle entreprise contre les Iroquois, gagna quel-
ques Sauvages, qu'il s'était attachés par ses bonnes
manières, s'embarqua secrètement avec eux, et arriva,
le 11 juillet, à Québec, où tout le monde était persuadé
qu'il ne vivait plus. Il s'embarqua pour la France,
environ un mois après son retour à Québec.
Cette même année 1616, une partie des Sauvages
confédérés complottèrent, par on ne sait quel mécon-
tentement, de se défaire de tous les Français. Peut-
être craignaient-ils qu'on ne voulût tirer une vengeance
éclatante de la mort de deux habitans, qu'ils avaient
assassinés, probablement pour profiter de leurs dépouilles;
car déjà la fréquentation des Européens leur avait fait
perdi'e quelque chose de leur désintéressement. Ce qui
est certain, c'est qu'ils s'assemblèrent, au nombre de huit
cents, près des Trois-Rivières, pour délibérer sur les
*Les Attigouantans ont dix-huit villages, six desquels sont
munis d'un rempart de bois, presque à la façon d'Hoc/ielar/a. —
Laet,
DU CAXADA. 95
moyens de faùre main-basse, en même temps, sur tous
les Français. Un frère récollet, nommé Dcplessis, qui
avait été chargé de l'instruction des Français et des
Sauvages établis depuis peu, en cet endroit, fut instruit
de leur dessein par l'un d'entr'eux : il en gagna plusieurs
autres, et peu à peu, il les réduisit tous à faire des
avances pour une réconciliation parfaite, qu'il se chargea
de négocier avec le commandant. M. de Ciiamplain, de
retour en Canada, voulut avoir les meurtriers des deux
Français : les Sauvages ne lui en envoyèrent qu'un, mais
avec une quantité de pelleteries pour couvrir les morts,
c'est-à-dire, dédommager les parens, comme il se pratique
parmi eux. Il fallut se contenter de cette satisfaction,
moyennant aussi deux chefs, qu'on se fît donner comme
otages.
Champlain ne faisait plus qu'aller et venir de France
à Québec, et de Québec en France, pour en tirer de»
secours, qu'on ne lui fournissait jamais tels qu'il les
demandait. Le prince de Condé se contentait de prêter
son nom ; la compagnie ne faisait qu'à regi'et des
avances pour l'établissement d'une colonie qui l'inté-
ressait beaucoup moins que son commerce, et il fallait
à Champlain beaucoup de courage et de zèle du bien
public, pour ne pas renoncer à une entreprise qui ne
lui procurait aucun avantage réel, et dans laquelle il
avait continuellement à essuyer les caprices des uns et
les contradictions des autres.
En 1620, le prince de Condé céda sa vice-royauté au
maréchal de Montmorency, son beau-frère. Le nou-
veau vice-roi continua la lieutenance à Champlain, qui,
persuadé que le Canada allait prendre une nouvelle
l'ace, y amena sa famille.
Au commencement de l'année 1621, les Iroquois
parurent en armes jusque dans le centre de la colonie.
96 HISTOIRE
Ces barbares, craignant que si les Français se multi-
pliaient dans le pays, leur alliance ne fit reprendre aux
Algonquins et aux Hurons leur ancienne supériorité
sur eux, résolurent de s'en délivrer avant qu'ils eusent
eu le temps de se fortifier davantage. Ils levèrent deux
grands partis de guerre, pour attaquer les Français et
leurs alliés en même temps. Le premier marcha vers
le Sault Saint-Louis, et y trouva des Français, qui,
quoiqu'en petit nombre, les repoussèrent, avec le secours
de leurs alliés. Le second parti s'embarqua sur trente
canots, et alla investir le couvent des récollets, sur la
rivière Saint-Charles, où il y avait un petit fort.
N'osant attaquer cette place, les Iroquois se jettèrent
sur des Hurons, qui se trouvaient aux environs ; en
prirent quelques uns, et les brûlèrent. Ils ravagèrent
ensuite tous les environs du couvent, puis se retirèrent.
Il s'en fallait de beaucoup que Champlain eût des
forces suffisantes pour réprimer ces barbares : aussi
crut-il devoir représenter au roi et au duc de Montmo-
rency la nécessité de secourir la colonie, et le peu de
cas que la compagnie avait fait jusque-là de ses
instances réitérées. Le P. Lebaillif, qui fut député
au roi, du consentement des principaux habitans, fut
très bien reçu, et obtint tout ce que M. de Champlain
désirait. La compagnie fut suprimée, et deux particu-
liers, Guillaume et Emery de Caen, oncle et neveu,
entrèrent dans tous ses droits. Champlain en apprit la
nouvelle par une lettre du vice-roi, qui lui enjoignait
de prêter main-forte à ces négocians. Excepté Cham-
plain, tout le monde s'était si peu occupé de l'établisse-
ment du Canada, qu'on ne comptait à Québec, en 1622,
que cinquante -deux habitans, y compris les femmes et
les enfans.
En 1624, Champlain fit bâtir en pierre le fort de
DU CANADA. 97
Québec* Il paraissait par là vouloir se livrer tout entier
au soin de sa colonie ; mais à peine le fort fut-il achevé,
qu'il repassa en France, avec sa famille. Il trouva le
maréchal de Montmorency traitant de sa vice-royauté
avec Henri de Levy, duc de Ventadour, son neveu.
Ce dernier ne se chargeait des affaires de la Nouvelle
France, que pour y procurer la conversion des Sauvages ;
aussi son premier soin fut-il d'y faire passer des jésuites
comme missionnaires. En 1625, Guillaume de Caen
amena à Québec les PP. INIasse, de Brebedf, et
Lallemant. Ces religieux se logèrent chez les récoUets,
en attendant qu'ils eussent une maison à eux. L'année
suivante, d'autres jésuites arrivèrent sur un petit bâti-
ment qu'ils avaient frété, et sur lequel ils avaient em-
barqué plusieurs ouvriers.
Cependant les Sauvages causaient toujours de grandes
inquiétudes : ils avaient encore assassiné quelques
Français, et comme on ne s'était pas trouvé assez fort
pour en tirer raison, l'impunité les avait rendus plus in-
solents : de sorte qu'on ne pouvait s'écarter des habita-
tions sans courir risque de la vie. M. de Champlain,
de retour à Québec, crut devoir se plaindre au roi de
l'état de faiblesse où il avait trouvé la colonie, princi-
palement par la faute des sieurs de Caen, qui ne s'occu-
paient que de la traite des pelleteries. Le cardinal de
Richelieu, alors premier ministre, goûta la jîroposition
qui lui fut faite, de mettre le commerce du Canada entre
les mains d'une nouvelle compagnie. D'après le
mémoire qui lui fut présenté, les associés devaient faire
passer au Canada deux ou trois cents ouvriers do tous
* Non pas, cette fois, sur le bord du fleuve, mais sur la hauteur
voisine, ou, comme dit Champlain, " en une situation très bonne,
sur une montagne qui commande le travers du fleuve Saint-
Laurent."
98 HISTOIKE
métiers ; ils promettaient de porter le nombre des habi-
tai'.s à 16,000 avant Tannée 1643 ; de les loger, nourrir
et entretenir de toutes choses pendant trois ans ; de leur
assigner ensuite des terres défrichées, autant qu'il serait
nécessaire pour leur subsistance, et de leur fournir des
grains pour les ensemencer. Tous les nouveaux colons
devaient être Français et catholiques, et il devait y avoir
dans chaque habitation des prêtres que la compagnie
s'engageait à défrayer de tout pendant quinze ans, après
quoi ils pourraient subsister au moyen des terres qu'elles
leur aurait assignées.
Pour dédommager les associés de tant de frais, le roi
leur cédait, ainsi qu'à leurs successeurs, à perpétuité, le
fort de Québec et tout le pays de la Nouvelle France,
tout le cours du fleuve Saint-Laurent et des rivières qui
s'y déchargent, ou se rendent à la mer, avec les îles,
ports, havres, mines, pêches, etc., sa majesté ne se réser-
vant que le ressort de la foi et hommage, avec une
couronne d'or du poids de huit marcs, à chaque muta-
tion de roi, et la nomination des oflSciers de justice sou-
veraine, qui seraient présentés par les associés, lors-
qu'il serait jugé à propos d'y en établir. Le roi leur
accordait le droit de concéder des terres à tels titres
qu'ils voudraient, et à telles charges et conditions qu'il
leur plairait ; celui de construire des places fortes, de
fondre des canons et de fabriquer des armes de toutes
sortes; le commerce des pelleteries pour toujours, et
pour quinze ans tout autre commerce. H leur per-
mettait d'embarquer sur des vaisseaux qu'il leur donnait,
les capitaines, soldats et matelots qu'il leur semblerait
bon, à condition qu'à leur recommandation, les capitaines
prendraient leurs commissions de lui ; ainsi que les
comn:andans des forteresses déjà construites, ou à con-
.stru're, dans l'étendue des pays concédés. Il exemjtait
DU CAXADA. 99
«ie tout droit, penJant quinze ans, les luarcliandises qui
viendraient du* Canada, ainsi que les vivres, munitions
de guerre, etc., qui j seraient envoyés. Il était permis
à toutes personnes, de quelque état et qualité qu'elles
fussent, d'entrer dans la compagnie, sans déroger aux
privilèges accordés à leurs ordres; et s'il se trouvait
parmi les associés des roturiers, sa majesté promettait
d'en ennoblir jusqu'à douze, sur la recommandation de
la compagnie. Enfin, il était déclaré que les descen-
daus des Français établis dans le pays, et même les Sau-
vages qui auraient embrassé le christianisme, seraient
réputés français, sans être obligés de prendre des lettres
de naturalité.
La compagnie de la Nouvelle France se trouva bientôt
composée de cent associés. Le cardinal de Richelieu,
le Maréchal d'Effiat, le commandeur de Iîazilli,
l'abbé DE LA ISIadeleine, Champlain, et plusieurs autres
personnes de condition y entrèrent. Le reste se com-
posait de riches négocians et bourgeois de Paris et des
autres grandes villes du royaume.
II y avait tout lieu d'espérer que la colonie allait faire
des progrès rapides, sous les auspices de cette puissante
association ; mais l'époque même de son institution fut
marquée par les circonstances les plus malheureuses.
Lcspremiers vaisseaux qu'elle expédia (en 1627) furent
pris par les Anglais.* L'année suivante, David Kertk,
français protestant, réfugié en Angleterre, s'avança avec
une escadre, jusqu'à Tadoussac, d'oii il envoya bri*»ler les
*Le3 ennoinis du dehors n'étaient peut-être pas les plus à
craindre pour la compagnie. Le commerce interlope, qui alors était
fait sur une échelle étendue, particulièrement par les ^Malouins,
les lloehelois et les Basques, diminuait de beaucoup les profits
qu'elle s'était attendue à retirer de son monopole. Les vaisseaux
interlopes, ordinairement très légers et bon-voiliers, échappaient
presque toujours à ceux qu'elle était obligée d'armer pour les
poursuivre.
100 HISTOIRE
maisons et les vaisseaux qu'il y avait au Cap Tourmente.
L'officier qu'il avait chai'gé de cette ct>mmission eut
ordre de monter jusqu'à Québec, et de sommer le com-
mandant de lui livrer son fort. Champlain y était
alors, avec Du Pont. Après qu'ils eurent délibéré
ensemble, et sondé les principaux habitans, ils résolurent
de se défendi'e. L'envoyé de Xertk reçut une réponse
si fière, qu'il j ugea à propos de se retirer. Cependant,
il n'y avait plus que quelques livres de poudi'e dans le
magasin, et chacun des habitans était réduit à sept onces
de pain par jour. Si Kertk eût connu cet état de choses,
il serait sans doute venu de suite à Québec, et s'en serait
rendu maître sans coup férir. Mais peut-être crut-il
qu'il fallait commencer par. s'emparer d'une escadi'e que
la nouvelle compagnie avait expédiée, sous la conduite
de M. DE RoQUEMOXT, un de ses membres. Celui-ci, loin
de chercher à éviter Kertk, vint à sa rencontre, sans
songer qu'il exposait au hazard d'un combat dont le
succès ne pouvait qu'être douteux, toute la ressource
d'une colonie prête à succomber. Les deux escadi-es ne
tardèrent pas à se rencontrer : Eoquemont montra de la
bravoure et de l'habileté ; mais outre que ses vaisseaux
pesamment chargés ne pouvaient pas manœuvrer aussi
bien que ceux de Kertk, ils étaient moins forts. Ils
furent tous désagréés et contraints de se rendre.
Le combat s'étant livré dans le golfe, ou à l'entrée du
fleuve, le vainqueur ne jugea pas à propos de monter in-
continent à Québec. La chasse, la pêche, et la récolte
remirent pour quelques mois un peu d'aisance dans la
ville et dans les habitations voisines ; mais ensuite on
se trouva dans une disette pire que la précédente ;
j usque-là que plusieurs furent contraints d'aller chercher
des racines dans les bois, pom- s'empêcher de mourir de
faim. Le retour de la saison de la navigation n'apporta
DU CANADA. 101
pas de soulagement à ce mal, car il n'ai-riva aucun
vaisseau de France. Aussi Champlain regarda-t-il les
Anglais bien moins comme des ennemis que comme des
libérateurs, lorsqu'ils parurent devant Québec, vers la
fin de juillet 1629. L'escadre s'étant arrêtée derrière
la Pointe Lévi, une chaloupe s'avança jusque vers le
milieu de la rade. L'officier qui la commandait de-
manda la permission de s'approcher. Elle lui fut donnée,
et lorsqu'il eut débarqué, il alla présenter une lettre de
Louis et Thomas Kertk, frères de l'amiral David.*
Cette lettre contenait une sommation dans des termes
extrêmement j^olis : les deux frères, dont l'un devait
commander à Québec, et l'autre conduisait une escadre
dont la meilleure partie était restée à Tadoussac, faisaient
entendre à M. de Champlain qu'ils étaient infoi'més du
triste état de sa colonie; que néanmoins, s'il voulait
leur remettre son fort, ils le laisseraient maître des con-
ditions. Champlain n'eut garde de refuser les offres
qu'on lui faisait; mais il fit prier les deux frères de
n'approcher pas davantage, qu'on ne fût convenu de
tout. L'officier s'en retourna avec cette réponse, et
revint, le soir du même jour, pour demander les articles
de la capitulation. Champlain les lui donna par écrit :
ils portaient. 1°. Qu'avant toutes choses, MM. Kertk
montreraient la commission du roi d'Angleterre, et la
procuration de l'amiral David, leur frère. 2°. Qu'ils
lui fourniraient un vaisseau pour passer en France, avec
tous les Français. 3°. Que les gens de guerre sortiraient
avec leurs armes, et emporteraient leurs effets.
Louis Kertk accepta ces^onditions, et le lendemain,
20 juillet, il mouilla dans la rade, avec trois vaisseaux,
dont le plus gros portait dix canons. Il était do l'inté-
♦ Ainsi l'appolle Charlevoix. Il était au plus Commodore, ou
chef d'escadre.
i2
102 IIISTOIIÎÊ
rêt des vainqueurs que ceux des liabitans qui avaient
des terres défrichées demeurassent dans le pays ; du
moins Ivertk le crut ainsi ; et pour les y engager, il leur
fit les offres les plus avantageuses. Comme sa conduite
les avait fort prévenus en sa faveur, et que plusieurs
auraient été obligés de mendier, s'ils avaient repassé la
mer, presque tous prirent le parti de rester.
Thomas Kertk étant venu joindre son frère, Cham-
plain partit avec lui, le 24 pour Tadoussac, où l'amiral
David était arrivé depuis quelques jours.
Peu s'en fallut que, dans ce voyage, les vainqueurs et
les vaincus ne changeassent de sort. Eméry de Caen,
qui allait à Québec, ne sachant rien de ce qui s'y était
passé, rencontra le navire deThomas Kertk,qui portait M.
de Champlain. Il l'attaqua, et il é+ait sur le point de s'en
rendre maître, lorsqu'ayant crié quartier, pour obliger
Kertk à se rendre, celui-ci prit cette parole dans un sens
opposé, et cria, de son côté, bon quartier. A ces mots,
l'ardeur des Français se rallentit un peu : de Caen qui
s'en apperçut, voulut les rassurer, et se préjjarait à faire
un dernier effort ; mais Champlain se montra, et lui
conseilla de profiter de son avantage pour faire ses con-
ditions bonnes, avant l'arrivée des autres vaisseaux de
Kertk.
David Kertk ne voulut pas retourner en Angleterre
sans avoir visité sa conquête : il monta jusqu'à Québec,
et à son retour à Tadoussac, il dit à Champlain, qu'il
trouvait la situation de cette ville admirable ; que si elle
demeurait à l'Angleterre, elle serait bientôt sur un autre
pied, et que les Anglais tii-eraient parti de bien des
choses que les Français avaient négligées. Il employa
le reste de l'été à caréner ses vaisseaux, mit à la voile
pour l'Angleterre, dans le mois de septembre, et mouilla,
le 20 octobre, dans le port de Plymouth, où il apprit que
le différent entre les deux couronnes était terminé.
BU CAXADA. 103
Pendaut que les Anglais se rendaient ainsi maîtres de
Québec et du Canada, le capitaine Daniel, de Dieppe,
les chassait du port aux Baleines, sur les côtes de la
Gaspésie, et un jeune officier, nommé Latour, leur
résistait au Cap de Sable, le seul poste, à peu près, qui
restât alors aux Français dans l'Acadie. Le père de
ce jeune officier, qui s'était trouvé à Londres, pendant
le siège de La Rochelle, et y avait épousé, en secondes
noces, une des tilles d'honneur de la reine, avait promis
au gouvernement anglais de le mettre en possession du
poste où commandait son fils, et sur cette promesse, on
hii donna deux vaisseaux de guerre, sur lesquels il s'em-
barqua avec sa nouvelle épouse.
Ai'rivé à la vue du Cap de Sable, il se fit débarquer,
et alla seul trouver son fils, à qui il fit un exposé magni-
fique du crédit dont il jouissait à ia cour d'Angleterre, et
des avantages qu'il avait lieu de s'en promettre. Il
ajouta qu'il ne tenait qu'à lui de s'en procurer d'aussi
considérables ; qu'il lui apportait l'ordre du Bain, et
qu'il avait pouvoir de le confirmer dans son gouverne-
ment, s'il voulait se déclarer pour sa majesté britannique.
La surprise du jeune commandant fut extrême : il dit
à son père, qu'il s'était trompé, s'il l'avait cru capable
de trahir son pays ; qu'il faisait beaucoup de cas de
l'honneur que le roi d'Angleterre voulait lui faire, mais
qu'il ne l'achèterait pas au prix d'une trahison ; que le
monarque qu'il servait était assez puissant pour le ré-
compenser de manière à ne lui pas donner lieu de re-
gretter d'avoir rejette les oifres qu'on lui faisait ; et
qu'en tout cas, sa fidélité lui tiendrait lieu de récom-
pense.
Le père, qui ne s'était pas attendu à une pareille ré-
ponse, l'etourna aussitôt à son bord. Il écrivit, le len-
demain, à son fils, dans les termes les plus pressants et
104 HISTOIRE
les plus tendres ; mais sa lettre ne produisit aucun effet.
Enfin, il lui fit dire qu'il était en état d'emporter par la
force ce qu'il ne pouvait obtenir par ses prières ; que
quand il aurait débarqué ses troupes, il ne serait plus
temps pour lui de se repentir d'avoir rejette les avan-
tages qu'il lui offrait, et qu'il lui conseillait, comme
père, de ne pas le contraindre à le traiter en ennemi.
Ces menaces furent aussi inutiles que l'avaient été
les sollicitations et les prières. Latoue, le père, en
voulut venir à l'exécution : on attaqua le fort ; mais le
jeune officier se défendit si bien, qu'au bout de deux
jours, le commandant anglais, qui n'avait pas compté
sur la moindre résistance, et qui avait déjà perdu plu-
sieurs soldats, ne jugea pas à px'opos de s'opiniâtrer
davantage à ce siège. Il le déclara à Latour, père, qui
se trouva fort embarrassé : comment, en effet, retourner
en Angleterre, et s'exposer au ressentiment d'une cour
qu'il avait trompée ? Quant à son pays natal, il ne
pouvait songer à y enti-er, après l'avoir voulu trahir. Il
ne lui resta d'autre parti à prendre que de recourir à la
générosité de son fils : il le pria de souffrir qu'il demeurât
auprès de lui ; ce qui lui fut accordé.
Pour revenir au capitaine Daniel, cet officier, parti de
Ché-de-Bois, le 26 juin 1629, avec cj[uatre navires et
une barque, pour venir secourir et avitailler Québec,
fut séparé de ses autres vaisseaux, dans une tempête et
par un temps brumeux, sur les bancs de Terre-Neuve.
Ne voulant pas remonter le Saint-Laurent avec un seul
vaisseau, il entra dans la rivière ou la baie appellée alors
par les Sauvages Grand Cibou. Ayant envoyé de là
quelques uns de ses gens le long de la côte, pour apprendi-e
par les Sauvages des nouvelles de M. de Champlain, ils
lui rapportèrent qu'un lord anglais, nommé James
Stuart, s'était établi au port aux Baleines, depuis
DU CANADA. 105
environ deux mois ; qu'il y avait élevé des fortifications ;
qu'il avait déjà saisi ou pillé plusieurs vaisseaux de
France, et qu'il avait déclaré, ou proclamé, qu'il ne per-
mettrait à aucun vaisseau français de pêcher sur cette
côte, non plus que d'y faire la traite avec les naturels,
à moins que le dixième du tout ne lui fût payé ; ajoutant
que la comi«ission qu'il tenait du roi d'Angleterre l'au-
torisait à confisquer tous les vaisseaux qui fréquente-
raient ces parages sans sa permission.*
Le brave et loyal Daniel, "jugeant qu'il était de son
devoir d'empêcher que le lord anglais continuât à usur-
per un pays appartenant à son maître, et n'exigeât de
ses sujets le tribut qu'il s'en promettait," fit armer une
cinquantaine de ses gens, et s'avança, à leur tête, avec
des échelles, et toutes les choses nécessaires pour assiéger
et escalader le fort anglais. L'attaque se fit le 18 sep-
tembre, vers les deux heures après-midi, avec "force
grenades, pots-à-feu, et autres artifices." Les Anglais
se défendirent bravement, d'abord; mais bientôt, ne
pouvant plus résister à une attaque aussi résolument
soutenue qu'elle avait été brusquement commencée, l'un
d'eux parut sur le rempart, un drapeau blanc à la main,
demandant pour la garnison, vie et quartier au lieute-
nant de Daniel, tandis que celui-ci enfonçait les portes
du fort, entrait dans la place, l'épée à la main, et faisait
prisonniers le commandant et tous ses gens. Il com-
mença par les désarmer ;f puis, abattit le pavillon
* Ce Milord, ou ^lonsleur Stuart, était sans doute l'agent ou
le substitut de Sir William Alexandek, à qui Jacques I avait
pris sur lui de concéder, en 1G21, la Péninsule Acadiennc, sous
le nom de JVoui-ellc-Ecossc, l'île de Sable, et, si nous avons bien
compris la teneur des lettres-patentes, rapportées par Laet, tout
le littoral, en remontant, jus(pi'à la rivière ou baie de Gaspé.
f Dirtieile encore aurait dû être cette nouvelle besogne, car
" milord tenait une épéc d'une main et un pisti)lct de l'autre :"
quinze de ses hommes "étaient armés de cuirasses, brassards,
106 HISTOIRE
d'Angleterre, pour mettre à sa place celui de France,
rasa le fort et transporta les effets de valeur qu'il
contenait, au grand Cibou ; où il éleva des retran-
chemens, et laissa huit pièces de canon et quarante
hommes, sous le commandement d'un sieur Claude, de
Beauvais. Une partie des prisonniers furent mis à
terre, près de Falmoutli ; les autres, y compris leur
commandant, furent emmenés eu France. La baie de
Cibou prit, dans la suite, le nom de Port Daniel.
Cependant on avait négocié, à la cour de France,
pour retirer des mains des Anglais le fort de Québec et
le Canada; et afin de donner plus de poids aux négo-
ciations, on avait armé six vaisseaux, qui devaient être
sous les ordres du commandeur de Razilli ; mais
l'Angleterre rendit de bonne grâce ce qu'on se préparait
à lui enlever de force. Le traité en fut signé à Saint-
Germain en Laye, le 20 octobre, 1632, et l'Acadiey fut
comprise, ainsi que le Cap-Breton. Un des articles du trai-
té portait que tous les effets qui seraient trouvés à Québec
seraient restitués, ainsi que les vaisseaux pris de part et
d'autre, avec leurs cargaisons ; et comme les sieurs de
Caen avaient le principal intérêt dans cette restitution,
Emeet fut envoyé en Amérique, pour porter à Louis
Kertk le traité, et en solliciter l'exécution. Le roi
jugea même à propos de lui abandonner le commerce
des pelleteries pour un an, afin de le dédommager des
pertes qu'il avait faites pendant la guerre. Il partit pour
Québec, au mois d'avril de cette même année 1632, et
à son arrivée, le gouverneur anglais lui remit la place,
avec tous les effets qui lui appartenaient.
En 1633, la compagnie des Cent Associés rentra
cuissards et boxirguignottes, et avaient, chacun, une arquebuse à
fusil en main." Les autres n'avaient pour armes que des mous-
quets et des piques.
DU CANADA. 107
daus tous ses droits, et l'Acadic fut concédée au com-
mandeur de Razilli, à condition qu'il y ferait un éta-
blissement. Il en fit un, en effet, mais peu consi-
dérable, à La llèvc. La même année, M. de Cliani-
plain fut nommé de nouveau gouverneur, ou comman-
dant en Canada, et y vint, avec une escadre qui portait
beaucoup plus que ne valait alors toute cette colonie.
Sa première vue fut de s'attacher la nation huronne, et de
tâcher de la soumettre au joug de l'évangile. Des
missionnaires, récollets et jésuites, l'avaient déjà visitée,
avant la prise de Québec, et il arriva ensuite un assez
grand nombre des derniers, dont plusieurs partirent pour
cette mission. Charlevoix remarque qu'eu moins de
trois ans, après la restitution du Canada, il y eut quinze
jésuites dans le pays. Bientôt aussi, dit-il, il n'y eut
plus un seul calviniste dans la colonie. Cette exclusion,
qu'on pourrait regarder comme le fruit de l'intolérance,
qui était l'esprit du temps, et non moins chez les pro-
testans que chez les catholiques, était aussi une mesure
de politique: on était persuadé, à la cour de France,
que l'entreprise et le succès des Anglais contre le Cana-
da étaient principalement dûs aux intrigues de quelques
protestans de France, et à la connivence de ceux de la
colonie; et l'on crut qu'il était de la prudence de ne pas
trop approcher les réformés des Anglais, dans un pays
où l'on n'avait pasassez de forces pour les contenir dans
le devoir et la soumission aux autorités légitimes.*
* Ces autorités, à la tête desquelles était Champlain, ayant à
c<inir de faire des indigènes des chrétiens et des catholiques,
Toulaiont éviter les scènes scandaleuses qui avaient eu lieu à l'île de
Sainte-Croix et au Port Royal. " Deux religions contraires, dit
Champlain, ne font jamais un grand fruit parmi les infidèles (jue
l'on veut convertir. J'ai vu (au l'ort Royal, J le ministre et notre
curé se battre à coups de poing sur le différent de la religion, et
vider en cette façon les points de controverse. Les Français,
mêlés selon leur diverse croyance, disaient pis que pendre de
108 HISTOIRE
On avait, d'ailleurs, apporté une grande attention au
choix de ceux qui s'étaient présentés pour venir s'éta-
blir en Canada, On n'y voulait point de mauvais gar-
nemens, comme s'exprime un historien du temjDS. On
avait soin surtout de s'assurer de la conduite et de la ré-
I)utation des femmes et des filles, avant de leur permettre
de s'embarquer. Les missionnaires, soit chez les Fran-
çais, soit chez les Sauvages, se distinguaient jiar une
piété, un zèle, une résignation et un dévouement, qu'on
pouvait regarder, même à cette époque, comme extra-
ordinaires.
Un établissement pour l'instruction des enfons des
Français et des Sauvages, auquel on donna le nom de
collège, fut commencé en 1635, particulièrement par les
soins du jésuite René Rohault, fils du marquis de
Gamaciie.
Champlain mourut, à Québec, vers la fin de décem-
bre de la même année, universellement regretté, et à
juste titre. C'était un homme de bien et de mérite: il
avait des vues droites et était doué de beaucoup de
pénétration. Ce qu'on admirait le plus en lui, c'étaient
son activité, sa constance à suivre ses entreprises; sa
fermeté et son courage dans les plus grands dangers; un
zèle ardent et désintéressé pour le bien de l'état ; un
grand fond d'honneur, de probité et de religion. Au
reproche que lui fait Lescarbot, d'avoir été trop crédule,
Charlevoix répond que c'est le défaut des âmes droites,
et que, dans l'impossibilité d'être sans défauts, il est beau
de n'avoir que ceux qui seraient des vertus, si tous les
hommes étaient ce qu'ils devraient être.
Champlain eut pour successeur immédiat dans le
l'une et de l'autre religion. Ces insolences étaient véritablement
à l'infidèle un moyen de le rendre encore plus endurci en son
infidélité.'
DU CANADA. 109
gouvernement du Canada, M. de Montmagny, chevalier
de Malte.*
Aussitôt après son arrivée à Québec, le P. Le Caron,
récollet, était monté chez les Hurons, et d'autres mission-
naires l'y avaient suivi. L'occasion était favorable pour
faire dans leur pays un bon établissement ; mais M. de
Montmagny manquait d'hommes et de finances. Les
Hurons étaient inquiétés par les Lroquois, et l'alliance
des Français leur avait donné une confiance et une
présomption qui les perdirent, à la fin. Leurs ennemis
surent les endormir par des négociations ; mais en
même temps qu'ils négociaient, ou feignaient de négo-
cier avec le corps de la nation, ils attaquaient, sous
différents prétextes, les bourgades les plus éloignées du
centre, en persuadant aux autres, qu'il ne s'agissait qi^e
de quelques querelles particulières, où elles n'avaient
aucun intérêt d'entrer. Cependant, au commencement
de l'année 1636, les Iroquois cessèrent de feindi'e, et
parurent en armes au milieu du pays des Hurons.
Ceux-ci les repoussèrent, cette fois, avec l'aide du peu
de Français qu'il y avait parmi eux. Mais la retraite
de leurs ennemis les replongea dans leur première
sécurité ; et pour comble de mal, une épidémie, qui
éclata dans leur i^ays, leur fit perdre un grand nombre
de leurs guerriers. Une partie aussi de ceux qui
s'étaient faits chrétiens, ou qui désiraient le devenir,
laissèrent leur pays, et vinrent former, auprès de Qué-
bec, en 1637, une bourgade qui fut appellée Si/Ueri, du
nom du seigneur qui avait i>i'ojetté cet établissement.
Deux choses essentielles manquaient encore à la
colonie; une école pour l'instruction des jeunes filles,
* L'habitation, ou l'c-tablisscmont des Trois-Riviôres, avait alors
pour commandant TkL Dklisi'.e, autre chevalier de Malte. " Ces
deux hommes, dit l'histoii-e, montraient pour le bon ordre un zèle
dont leur fermeté et leur exactitude assuraient le succès."
K
110 HISTOIUE
et un hôpital pour le soulagement des malades. Les
jésuites s'étaient déjà donné de grands mouvcmens pour
lui procurer ce double avantage : deux dames illustres
secondèrent leurs vues, et mirent leurs projets à exécu-
tion. La dncliesse d'Aiguillox voulut être la fonda-
trice de l'Hôtel-Dieu : elle s'adressa aux Hospitalières
de Dieppe, qui s'offrirent toutes, mais dont trois seule-
ment furent acceptées. La fondation des Ursulines fut
due à une jeune veuve de condition, nommée Madame
DE LA Peltrie. Cette illustre fondatrice consacra ses
biens et sa pei'sonne même à cette œuvre méritoire.
Après avoir obtenu trois ursulines, entre lesquelles
était la sœur ]\Lirie de l'Ixcarxation, que Charlevoix
appelle la Thérèse de la Nouvelle France, elle s'em-
barqua à Dieppe, avec elles et avec les trois hospita-
lières, le 4 mai 1639, sur un vaisseau qui n'arriva à
Québec que le 1er août. Le jour de leur arrivée fut un
jour de fête pour toute la ville. Tous les travaux
cessèrent ; toutes les boutiques furent fermées. Le
gouverneur reçut les religieuses, à la tête de ses
troupes, qui étaient sous les armes, et au bruit du
canon. Il les mena, au milieu des acclamations du
peuple, à l'église, où le Te Deum fut chanté en actions
de grâces. Les hospitalières allèrent s'établir à Sylleri:
les ursulines restèrent à Québec. Madame de la
Peltrie poussa son zèle et sa charité jusqu'à se dépouil-
ler du peu qu'elle s'était réservé pour son usage ; à se
réduire à manquer parfois du nécessaire, et à cultiver
même la terre de ses mains, pour avoir de quoi soulager
les nécessiteux et les enfans pauvres qu'on lui présen-
tait. Ce zèle peut paraître bien excessif, et même peu
éclairé, puisqu'en se réservant un revenu, même mo-
dique, elle se fût trouvée en état de subvenir aux
besoins des indigens, bien plus efficacement que par le
DU CANADA. 111
travail de ses mains, et surtout par la culture de la
terre. Mais nous n'en devons pas priser moins sa
bonne œuvre, dont le fruit s'est perpétué jusqu'à pré-
sent, au grand avantage de notre ville capitale.
Cependant, la compagnie des Cent Associés demeu-
rait dans une inaction incompréliensible, et paraissait
ne penser nullement à remplir même une partie de ses
grandes promesses. La guerre recommençait plus
vivement que jamais entre les lîurons et les- Iroquois.
Ces dei'nieis étant tombés inoj)inément sur une tribu
éloignée, y firent un massacre épouvantable, et con-
traignirent ceux qui eui'ent le bonheur d'écbapper, à
chercher une retraite ailleurs. Ils la trouvèrent chez
les Ilurons, qui n'eurent pas plutôt appris leur désastre,
qu'ils envoyèrent au-devant d'eux avec des rafraichisse-
mens, et les accueillirent avec une bienveillance et
une affection qui auraient fait honneur à des peuples
civilisés. Peut-être la politique entrait-elle aussi pour
quelque chose dans cette démarche ; mais si les Hurons
augmentaient un peu le nombre de leurs guerriers, en
accueillant ainsi les ennemis des Iroquois, ils achevaient
par là de se rendre ces derniers irréconciliables.
Ceci se passa vers l'année 1640. Quelque temps
après, trois cents guerriers hurons et algonquins s'étant
mis en campagne, une petite troupe prit les devans, et
rencontra un parti de cent Iro(]uois. Ces derniers
chargèrent cette avant-garde ; mais malgré l'inégalité
du nombre, ils ne purent lui prendre qu'un seul homme-
Ccintcirts néanmoins de ce petit succès, et craignant,
s'ils allaient plus loin, d'avoir affaire à trop forte partie,
ils songeaient à se retirer, quand leur prisonnier s'avisa
de leur dire que le corps dont lui et sa troupe avaient été
détachés, était beaucoup plus Hiible qu'eux. Sur la parole
de ce captif, il se déterminèrent à attendre leurs ennemis,
112 HISTOIRE
dans un lieu où il les assura qu'ils devaient passer. Les
Hurous et leur alliés parurent bientôt, et les Iroquois,
au désespoir de s'être laissé duper, s'en vengèrent d'une
manière terrible sur celui qui les avait engagés dans ce
mauvais pas. La plupart furent d'avis qu'il fallait
tâcher de se sauver ; mais un brave, élevant la voix,
s'écria : " Mes frères, si nous voulons commettre une
telle lâcheté, attendons au moins que le soleil soit sous
l'horizon, afin qu'il ne la voie pas." Ce peu de mots
eut son effet : la résolution fut prise de combattre
jusqu'à la mort, et elle fut exécutée avec toute la valeur
que peuvent inspirer le dépit et la crainte de se désho-
norer. Mais la partie était trop inégale : les Iroquois
furent tous tués ou faits prisonniers.
" Si la Grèce eût été le théâtre d'une action semblable,
dit l'auteur des Beautés de VHistoii-e du Canada, le
prisonnier qui se sacrifie à la gloire de son pays ;
l'homme éloquent qui arrête, par deux ou trois paroles,
ses compagnons prêts à fuir ; les braves qui se défen-
dent contre des troupes quatre fois plus fortes, eussent
été immortalisés par tous les arts, et consacrés comme
des héros demi-dieux."
Les alliés ne surent pas profiter de l'avantage qu'ils
venaient de remporter ; et, de leur côté, les L'oquois,
plus animés que jamais par l'échec qu'ils avaient reçu,
se promix'ent d'en tirer une vengeance éclatante. Mais
pour ne pas s'attirer en même temps sur les bras trop
de forces réunies, ils mirent tout en usage pour faire
prendre aux Hurons et autres Sauvages, de l'ombrage
des Français. Ils firent partir trois cents des leurs,
qu'ils divisèrent par petites troupes : les Sauvages qui
tombèrent entre leurs mains furent traités avec tous les
raffinemens de barbarie qu'ils étaient capables d'inventer;
DU CANADA 113
tandis que quelques F^'ançais, qui furent pris par eux,
n'eurent aucun mal.
Quelque temps après, plusieurs partis d'Iroquois
parurent aux environs des Trois-Rivièrcs et tinrent eu
6cheCi pendant plusieurs mois, toutes les* habitations
françaises; puis, lorsqu'on s'y attendait le moins, ils
oiFrirent de faire la paix avec les Français, mais à con-
dition que leurs alliés n'y seraient jias compris.* M. de
Montmagny, infoi'mé du fait, monta aux Trois-Eivières,
dans une bai'que bien armée, et envoya de là aux
Iroquois le P. Ragueneau et le sieur Nicolet, pour
leur demander les prisonniers français qu'ils retenaient, et
savoir leurs dispositions touchant la paix. Ces députés
furent bien reçus : on les fit asseoir, en qualité de média-
teurs, sur une espèce de bouclier ; on leur amena ensuite
les captifs liés, mais légèrement ; et aussitôt, un chef
de guerre fit une harangue fort étudiée, dans laquelle
il s'efforça de persuader que sa nation n'avait rien tant
à cœur que de vivre en bonne intelligence avec les
Français. Au milieu de son discours, il s'approcha des
prisonniers, les délia, et jetta leurs liens par-dessus la
palissade, en disant : " Que la rivière les emporte si
loin qu'il n'en soit plus parlé." Il présenta, en même
temps, un collier aux députés, comme un gage de la
liberté qu'il rendait aux enfans d'ONONTHio.f Puis,
prenant deux paquets de peaux de castor, il les mit aux
pieds des captifs, en disant qu'il n'était pas raisonnable
*L'a^'is en fut donné à M. de Cuasipfloues, qui, depuis peu,
avait remplacé le chevalier Delisle, dans le commandement aux
Trois-Rivières.
f Onuiithio, ou Onnondio, en langue huronne et iroquoisc, veut dire
Grandc-Montayne, et c'est ainsi qu'on leur avait dit que se nom-
mait M. DE Montmagny. Depuis ce temps, ces Sauvages, et à
leur exemple, tous les autres, appellèrcnt Onoxtuio le gouverneur
général du Canada, et donnèrent au roi de France le nom de grand
Onontuio.
k2
114 HISTOIRE
de les renvoyer nus, et qu'il lejir donnait de quoi se
faire des robes. Il reprit ensuite sou discours, et dit
que tous les cantons iroquois désiraient ardemment une
paix durable avec les Français, et qu'il suppliait, en leur
nom, le gouverneur de cacher sous ses habits les haches
des Algonquins et des Hurons, tandis qu'on négocierait
cette paix ; assurant que, de leur côté, il ne serait fait
aucune hostilité.
Il parlait encore, quand deux canots d'Algonquins
ayant paru à la vue de l'endroit où se tenait le conseil,
les Iroquois leur donnèrent la chasse. Les Algonquins
ne voyant nulle apparance de pouvoir résister à tant de
monde, prirent le parti de se jetter dans l'eau et de
s'enfuir à la nage, abandonnant leurs canots, qui furent
pillés sous les yeux du gouverneur. Un procédé aussi
indigne montra le peu de fond qu'il y avait à faire sur
la parole des Iroquois, et la négociation fut rompue, à
l'heure même.
C'était, remarque Charlevoix, une situation bien
triste que celle où se trouvait le gouverneur général de
la Nouvelle France, exposé tous les jours à recevoir de
pai'eils affrons, faute d'être en état de tenir seulement en
équilibre la balance entre deux partis de Sauvages, qui
tous ensemble, n'auraient pas tenu contre quatre ou
cinq mille hommes de troupes. Mais les Cent Associés
ne revenaient point de leur assoupissementj et la colonie
semblait diminuer, de jour en jour, en nombre et en
force, au lieu d'augmenter, comme elle aurait dû faire.
Avant de passer plus loin, nous dirons un mot des
missions, objet principal alors, pour une grande partie des
Français qui demeuraient dans ce pays, ou qui y avaient
des relations. Pendant que les PP. Jérôme Lallejient,
de Brébeuf, et autres, faisaient tous les efforts possibles
pour convertir au christianisme les Hurons, les Algon-
DU CANADA. 115
quins et les Outaouais,* les PP. TuRCis, Perrault,
Lionnes, travaillaient clans le même but, chez les tribus
de Sauvages des environs du golfe de Saint-Laurent,
désignés alors sous le nom de Gaspésicns, à cause de la
baie de Gaspc, où la plupart des vaisseaux qui fréquen-
taient ces parages venaient jetter l'ancre. Il y avait
aussi une mission à Tadoussac, lieu plus fréquenté
qu'aucun autre par les Montagnais, les Papinachois,] les
Betsiamites, et autres Sauvages du Nord. Ils arrivaient,
quelquefois tous ensemble, et quelquefois, les uns après
les autres ; mais à l'exception d'un petit nombre, aussi-
tôt la traite faite, ils s'en retournaient chez eux, ou
plutôt, se dispersaient dans les montagnes et les forêts.
Plus tard, les jésuites allèrent au-devant de ces Sauvages,
jusqu'à Chicoutbni, sur le Saguenay, où ces pères eurent
un établissement considérable et en très bon état. Outre
les Algonquins, un" nombre considérable de Sauvages
des tribus les plus reculées vers le nord, commençaient
à prendre l'habitude de venir passer presque toute la,
belle saison dans les environs des Trois-Rivières ; mais
comme ils s'en retournaient dans leur pays, aux approches
de l'hiver, les missionnaires ne parvenaient que diffici-
lement à les instruire assez pour en faire des néophytes.
M. de Champlain avait bien compris de quelle ira-
iwrtance il aurait été d'occuper et de fortifier l'île de
Mont-réal ; mais la compagnie de la Nouvelle France
* Si ces Sauvages, mcntionnc's ici poiirlapremicrc fois, n'étaient
ni (les Iluronsni des Algoiiciuins, ils (îrcnt toujours cause eouimune
avec eux, dans leurs guerres contre les Iroquois. Leur chemin
pour sortir de leur pays, ou pour y retourner des bords du Saint-
Laurent, était la grande rivière des Algonquins, qui, dans la
suite, fut appellcc de leur nom, rivière des Outaouais.
t Ou Paninachoas. Champlain appelle Pilotois, ou Pihtoas,
les jongleurs des Sauvages Canadiens. Catiathu/uous, Souriijiuxts,
c'est ainsi qu'ils prononcent, dit Lescarbot ; et ainsi voidons-nous
qu'on prononce Cutiadois, Armuuc/iiquois, non par à linal long et
grave, mais par à bref et aigu.
116 UISTOIRE
n'était pas entrée dans ses vues, et il fallut que ce fussent
des particuliers qui se chargeassent de l'exécution de ce
projet ; mais ils le firent plutôt dans des vues de reli-
gion et de piété que par des motifs d'intérêt ou de poli-
tique. Des pei'sonnes puissantes, tant ecclésiastiques que
laïques, et animées d'une dévotion et d'un zèle religieux
peu commun, même dans ce tetnps-là, s'associèrent sous
le nom de " Compagnie de Mont-réal, .pour le soutien de
la religion catholique en Cauada, et la conversion des
Sauvages." Suivant le plan de cette nouvelle compagnie,
il devait y avoir, dans l'Ile de Mont-réal, une ville, ou
plutôt, une bourgade -française bien fortifiée et à l'abri
de toute insulte : les pauvres devaient y être reçus et
mis en état de subsister de leur travail: l'on proposait
de faire occuper le reste de l'ile par des Sauvages, de
quelque tribu que ce fût, pourvu qu'ils fussent chrétiens,
ou voulussent le devenir.* L'an 1640, eu vertu de la
concession que le roi venait de lui faire de l'ile, la com-
pagnie en fit prendre possession, à l'issue d'une messe
solennelle, qui fut célébrée sous une tente. L'année
suivante, le sieur Chaumeday de Maison-Neuve, un
des associés, y amena plusieurs familles de France.
* Le nombre de ceux qui entraient dans cette nouvelle associa-
tion était de trente-cinq. Peut-être le lecteur ne sera-t-il pas
fâché de voir ici les noms des principaux : c'étaient, parmi les
ecclésiastiques ; MM. J. J. Ollieiî, fondateur et premier supérieur
du Séminaire de Saint-Sulpice; A.LeEagois deBreto>-villiers,
Gabriel ce Qcelus, Nicholas Barreau et P. D. Lepretee,
prêtres du même séminaire : parmi les laïcs, MM. J. Lerotee
DE LA Dalversiere, qui fut le premier moteur et comme l'agent
général de la compagnie ; P. Cuevrier de r.v>'CAMP, Lepretre
DE Fleurt, m. Eoyer Duplessis de Liaxcoue, j. Girard de
Callieees, Bertrand Drouaet, H. L. Habert de Moxtmoet,
C DcPLESSis DE MoxTBART, A Barillon DE MoRAXGis, Jean
GALiBAi, L. Segcier DE Saixt-Fiemin, d'Aillebout de Mus-
seau, d'Aillecourt de Coulonges, Paul Chaumeday de
Maison-Neua'E, et Madame la duchesse de Bulliox, représentée
par Mademoiselle Jeanne Manse, qui vint en Canada avec M. de
Maison-Xeuve.
DU CA^'ADA, 117
N'étant arrivé à Québec qu'au mois septembre, il jugea
que la saison était trop avancée pour entreprendre de se
rendre incontinent dans l'île de Mont-réal, où il n'y avait
pas encore d'habitation, et se contenta d'y envoyer
quelques défricheurs, afin d'y préparer une place conve-
nable pour le printemps suivant.* Le débarquement se
fit le 17 mai 1642, sur la pointe nommée depuis Pointe-à-
Callières, en présence du supérieur général des jésuites
et de M. de Montmagny, qui avait bien voulu accompa-
gner M. de Maison-Neuve, quoiqu'il se fût d'abord
montré opposé à l'établissement de Mont-réal, et eût fort
sollicité les nouveau-venus de se fixer plutôt dans l'île
d'Orléans, alors entièrement inculte. Le supérieur des
jésuites célébra aussitôt la messe, dans une petite chapelle,
qui avait été bâtie pour cette fin.
Le soir du même joui*, M. de Maison-Neuve voulut
visiter la Montagne qui a donné son nom à l'île ; deux
vieux Sauvages, qui l'y accompagnèrent, l'ayant fait
monter jusque sur la cîme, lui dirent qu'ils étaient de
la tribu qui avait autrefois habité ce pays. " Nous
étions, ajoutèrent-ils, en très grand nombre : toutes les
collines que tu vois, à l'orient et au midi, étaient cou-
vertes de nos cabanes. Les Hurons en ont chassé nos
ancêtres, dont une partie s'est réfugiée chez les Abéna-
quis, une autre chez les Iroquois, et le reste est demeuré
avec nos vainqueurs."! M. de Maison-Neuve recom-
* Qu'était devenue la Place-Royale, qui aurait dû être toute
préparée ? Un lieu cuuvcrl de broussailles, apparemment.
t Un écrivain moderne (M. G. T. roussi>) dit i.\\x' Ilochelaija
était une bourgade liurotme. Ce ([u'il y a de certain, c'est
qu'elle ressemblait beaucoup à plusieurs de celles que Champlain
trouva au pays des llurons. Ce que ces deux vieux Sauvages
disent à M. de Maison-Neuve ferait croire que les llochclagais,
ainsi que les autres Canadois, étaient une nation étrangère par
rapport aux llurons ; mais il n'en devrait pas paraître moins
cti-angc qu'il eût pris envje ù ces derniers de venir détruire un
peuple inortensif, éloigné, et sédentaire, qui, " ne s'adonnait qu'à
118 HISTOIRE
manda à ces Sauvages d'avertir leurs frères de se réunir
dans leurs anciennes possessions; les assurant qu'ils n'y
manqueraient de rien, et qu'ils j seraient en sûreté
contre quiconque entreprendrait de les inquiéter. Ils
promirent de faire pour cela tout ce qui dépendrait
d'eux ; mais il paraît qu'ils ne purent venir à bout ue
rassembler les débris de leur tribu dispersée.
H arriva bientôt une nouvelle recrue, avec M. d'Ail-
LEBorx DE McssEAU, un des associés, et une troisième,
l'année suivante. L'établissement, qui fut nommé
Ville-Marie, prit la forme d'un commencement de ville,
et fut entourré d'une palissade de pieux debout.
L'assurance qu'avaient eue les Iroquois de paraître
en armes à la vue des Trois-Rivières, et l'audace avec
laquelle ils avaient insulté le gouverneur général, lui
firent comprendre qu'il ne pouvait trop se précautionner
contre une nation qui paraissait déterminée à employer
également la ruse et la force. Son premier soin fut de
bâtir un fort, à l'entrée de la rivière de Richelieu, Ce
fort fut achevé en peu de temps, quoique pussent faire
sept cents Ii-oquois, qui vinrent fondre sur les travail-
leurs, mais qui furent repoussés avec perte.
A peu près dans le même temps, quelques uns des
jésuites, missionnaires chez les Hurons, reçurent de la
part des Sauvages qui occupaient les environs d'un
rapide qui se trouve au milieu du canal par où le lac
Supérieur se décharge dans le lac Huroi\, l'invitation
de se transporter chez eux. Ces Sauvages, dont le r.om
algonquin est long et difficile à prononcer, reçurent des
Français celui de Saulteurs. Deux missionnaires, les
PP. JoGUES et Charles Raimbaut, se rendirent d'autant
plus volontiers à l'invitation de ces Sauvages, qu'elle
labourage et pêcherie pour vivre, et n'était pas ambulatoire, (ou
chasseur) comme ceux de Canada et Saguenay."
DU CANADA. 119
leur fournissait l'occasion de reconnaître la rivière, et le
rapide, auquel fut donné le nom de Sault de Sainte-
Marie* et d'atteindre les bords du grand lac Supérieur,
qu'aucun des missionnaires n'avait encore vu.
Dans le même temps que les Saulteurs demandaient
des missionnaires, la plupart des Hurons se montraient
disposés à embrasser le christianisme, par suite de la
conversion et du baptême d'Ahasistart, un de leurs
princTpaux cliefs. L'occasion était favorable, suivant
Charlevoix, pour construire dans leur' pays, si la com-
pagnie du Canada en eût voulu faire les frais, une for-
teresse capable d'en imposer aux Iroquois, et d'opposer
une forte barrière à leurs incursions.
Ces ennemis communs de tous les autres habitans du
Canada, assurés d'être soutenus par les Hollandais de
la Nouvelle-Belgique, (ci-après la iVoMre//e-ybrA,) qui
commençaient à leur fournir des armes et des munitions,
et à qui ils vendaient les pelleteries qu'ils avaient
enlevées aux alliés des Français, ne cessaient pas leurs
courses et leurs brigandages. Les rivières et les lacs
étaient infestés de leurs partis de guerre, et le commerce
ne pouvait plus se faire sans les plus grands risques.
Le P. Jogues, que des Hurons ramenaient dans leur
pays, tomba entre leurs mains, et fut horriblement mal-
traité, et un Français, qui l'accompagnait, fut mis à mort,
ainsi que la plupart des Hurons.
Quelque temps après cette rencontre, un parti de
cent Iroquois parut devant le fort de Richelieu. M. de
Montmagny, qui y était monté, en tua plusieurs, et con-
traicrnit les autres de se retirer. Mais bientôt on ne
* Lo Sault Saintp-lMaric est un rapide qui peut avoir cin(| ou
six cents verj^cs de largeur, et dix ou douze arpons de longueur.
Le bas de ce rapide forme deux baies. La terre y est on ne peut
guère plus fcrtil'\ surtout du côté du nord. — il. G. Fkanchkre,
Fils.
120 HISTOIRE
■
reçut pins que des nouvelles désastreuses du pays des
Hui'ons :* les Iroquois détruisaient par le feu des bour-
gades entières, et en massacraient tous les liabitans.
Ces barbares étaient partout : ils prirent, sur le lac Saint-
Pierre, le P. Bressani, qu'ils traitèrent comme ils
avaient fait le P. Jogues. Tous ceux qui accompa-
gnaient ce religieux furent tués ou faits prisonniers.
Cependant, quelque déterminés que parussent être les
Iroquois de pousser la guerre à toute outrance, conte-e les
Français et leurs alliés, ils ne laissaient pas de montrer,
de temps à autre, quelque inclination àla paix. Quelque
temps après la rencontre sur le lac Saint-Pierre, le com-
mandant des Trois-Rivières ayant fait savoir à M. de
Montmagny que des Algonquins et des Hurons étaient
arrivés à son poste, avec trois prisonniers iroquois, ce
dernier se rendit sur les lieux, fit assembler les princi-
paux des deux tribus, et leur dit que s'ils voulaient lui
laisser la disposition de leurs prisonniers, il espérait
pouvoir s'en servir pour établir une paix durable entre
eux et les Iroquois. Il leur fit voir, en même temps,
les marchandises avec lesquelles il se proposait de payer
la complaisance qu'ils auraient pour lui.
Les Algonquins remirent un prisonniei", et accep-
tèrent les présens du gouverneur. Celui-ci s'étant
tourné ensuite vers les Hurons, pour connaître leur
réponse, l'un d'eux se leva, et lui dit : " Ma bourga^
m'a vu sortir guerrier, je n'y rentrerai pas marchand.
* Les jésuites avaient fait, ou commencé à faire, des Hurons
oe qu'ils firent, plus tard, des Sauvages du Paraguay, un peuple
de chrétiens presque en tout semblables à ceux de la pi-imitive
église, et de plus soumis à leurs pasteurs ecclésiastiques, dans la
temporel comme dans le spirituel. Ces religieux s'étaient établis
dans chacune de leurs bourgades, et leur avaient donné à toutes
des noms de saints ou de saintes : c'étaient les bourgades de
Sninte-Marie, de Saint-Michel, de Saint-Joseph, de Saint-Jean-'
Baptiste, de Saint-Jean, de Saint-hjnace, etc.
DU CANADA. 121
Que me font tes étoffes et tes cliaudières ? Est-ce
pour trafiquer que nous avons pris les armes et que
nous nous sommes mis en campagne ? Si tu as tant
d'envie de nos prisonniers, tu peux les prendre ; j'en
saurai bien faire d'autres,et si je meurs en le faisant, ceux
de mon village diront : " C'est Ononthio qui Va tué."
Us donnèrent d'autres raisons pour garder leui's prison-
niers, et entre autres, qu'étant des jeunes gens,ils devaient
attendre la décision de leurs anciens. Le gouverneur
ne jugea pas à propos d'insister davantage.
Les anciens décidèrent que les prisonniers seraient
l'envoyés au gouverneur. Des députés iroquois arrivè-
rent aux Trois-Rivières, oii des Sauvages de toutes les
tribus alliées des Fi-ançais étaient déjà assemblés. M.
de Montraagny s'y rendit, et marqua aux négociateurs
le jour où il leur donnerait audience. Ce jour venu,
le gouverneur parut dans la place du fort, qu'il avait
fait couvrir de voiles de barques, et s'assit dans un
fauteuil, entourré des principaux de la colonie. Les
députés iroquois avaient apporté dix-sept colliers, qui
étaient autant de paroles, ou de propositions qu'ils
avaient à faire. Après que ces colliers eurent été ex-
posés à la vue de tout le monde, l'orateur Iroquois, en
prit un, et le présentant au gouverneur, " Ono?ithio,
lui dit-il, prête l'oreille à ma voix : tous les L-oquois
parlent par ma bouche. Mon cœur ne connaît pas de
mauvais sentimens ; toutes mes intentions sont droites.
Oublions nos chants de guerre ; que toutes nos chansons
soient des chants d'allégresse." Puis, il se mit à chan-
ter, en gestisculant. Le second collier remerciait le
gouverneur d'avoir rendu la liberté à un Iroquois ; le
troisième lui ramenait un Français. Les autres avaient
rapport à la paix, dont la conclusion était le but de
l'ambassade. L'un applanissait les chemins, l'autre
L
122 nisTOiRE
rendait la navigation libre ; un autre enterrait les hadies
de guerre. Il y en avait qui représentaient les festins
qui suivraient la paix, et les visites amicales qu'on se
ferait mutuellement; Le discours, ou plutôt, la panto-
mime dura trois heures, et la séance se termina par une
espèce de fête, qui se passa en chants, en danses et en
festins.
Deux jours après, M. de Montmagny répondit aux
propositions des L^oquois. L'assemblée fut aussi nom-
breuse que la première fois, et le gouverneur fit autant
de présens qu'il avait reçu de colliers. Piskajîet, chef
des Algonquins, et un des plus braves hommes d'entre
les Sauvages, fit aussi son présent, et dit : " Voici une
pierre que je mets sur la sépulture de ceux qui sont
morts durant la guerre, afin qu'aucun guerrier n'aille
remuer leurs os, ni ne songe à les venger." Un chef
montagnais présenta ensuite une peau d'orignal, en disant
que c'était pour faire des chaussures aux députés iroquois,
de peur qu'ils ne se blessassent les pieds, en s'en retour-
nant chez eux. La séance fut terminée par trois coups
de canon, que le gouverneur fit tirer, en faisant dire aux
Sauvages, que c'était pour porter en tout lieu la nou-
velle de la paix. Le lendemain, les députés iroquois
se mirent en route pour leur pays. Deux Français,
deux Algonquins et deux Hurons s'embarquèrent avec
eux, et trois des leurs demeurèrent en otage dans la
colonie.
Avant de passer plus loin, il est à propos de dire un mot
du pays et du gouvernement des Iroquois. Ces peuples
s'appellaient, dans leur langue, Agonnonsionni, c'est-à-
dire, faiseurs de cabanes, ou architectes par excellence,
parce qu'en efiet, ils se logeaient plus solidement et plus
élégamment que les autres Sauvages du Canada. Leur
pays était situé entre le 41e. et 44e. degré de latitude,
DU CANADA. 123
ayant, dans la direction du nord au sud, ou plutôt de
l'orient d'été au couchant d'hiver, environ quarante
lieues d'étendue, et soixante-et-dix ou quatre-vingt, de
l'Est à l'Ouest. 11 était baigné, en partie par le fleuve
Saint-Laurent et par les lacs Ontario et Ei-iê, et arrosé
par plusieurs rivièi'es. Le terroir y était généralement
fertile, et mis à profit, particulièrement par la cultui-e
du maïs. Les Iroquois étaient partagés en cinq tribus,
ou cantons, savoir, en allant de l'Est à l'Ouest, Agnier,
Onneyouth, Oiinontagué, Goyogouin et Tsoyinontliouan*
Quoique ces cinq tribus formassent, par leur confédé-
ration, un seul corps de nation, elles jouissaient néan-
moins individuellement d'une espèce d'indépendance-
nationale, soit pour la guerre, soit pour la paix. Jus-
qu'ici, ce sont presque toujours les Agniers, comme les
plus voisins, qui se sont montrés en armes dans la
colonie, et c'était avec leurs députés que la paix venait
d'être conclue.
L'hiver suivant, on vit les Iroquois, les Hurons et les
Algonquins chasser ensemble aussi paisiblement que s'ils
eussent été de la même nation. Mais la paix ne fut pas
de longue durée : le P. Jogues, qui avait été rendu à
la liberté, par l'entremise des Hollandais, ainsi que le
P. Bressani, ayant été tué chez les Agniers, de même
qu'un jeune Français, qui l'accompagnait, ces barbares,
prévoyant qu'on les inquiéterait, se joignirent aux
autres cantons, qui n'avaient pas été compris directemeiit
dans le traité de paix, pour faire la guerre aux Hurons
et aux Algonquins. D'abord, les hostiUtés ne consis-
tèrent qu'en quelques coups de surprise, où il y eut
* Les Hollandais et les An;;lais ont donne à ces cinq tribus, ou
cantons, des noms un peu différents, les appellant, dans l'ordre
énoncé, Mohmrk, Oncida, Onomhtya (Ônondagué,) Cai/uga
(Cayoxtyué) et Senelia.
124 HISTOIRE
quelques hommes tués de part et d'autre j mais bientôt,
il j eut des combats plus importants ; les Hurons,
secourus par les Andastes, tribu nombreuse et aguerrie,
remportèrent quelques avantages ; mais n'ayant voulu
en profiter que pour parvenir à la paix, ils furent les
dupes de la mauvaise foi et des artifices de leurs ennemis.
En même temps qu'ils s'amusaient à négocier avec les
Onnontagués, les Agniers et les Onneyouths attaquaient
leurs partis de chasse, et leurs bourgades, l'une après
l'autre, et y mettaient tout à feu et à sang.
Pendant que les Hurons étaient ainsi attaqués et
détruits par les Iroquois, on vit arriver à Québec un
envoyé du gouverneur delà Nouvelle- Angleterre, chargé
de proposer une alliance, ou une neutralité perpétuelle
entre les deux colonies, indépendamment de toutes les
ruptures qui pourraient survenir entre les deux métro-
poles.
M, d'Aillebout, qui après avoir commandé quelque
temps aux Trois-Rivières, venait de succéder à M. de
Montmagny, dans le gouvernement général, trouva? la
proposition avantageuse, et envoya à J^ostonle sieur -Jean
GoDEiRoY, et le P. Dreuillettes, pour conclure et
signer le traité, mais à condition que les Anglais se join-
draient aux Français pour faire la guerre aux Iroquois.
Cette condition fit rompre la négociation. C'était, en
effet, trop exiger des Anglais, assez éloignés des Iroquois
pour n'en avoir rien à craindre, et uniquement occupés
de leur commerce et de l'agriculture.
Ce qui pouvait faire désirer ce traité de neutralité
aux habitans de la Kouvelle-Angleterre, c'était prin-
cipalement le voisinage des Sauvages de l'Acadie, qui
étaient pour eux ce que les Ii'oquois étaient pour les
habitans du Canada. Il se passait alors, dans cette
province, des faits assez intéressants pour mériter de
trouver place dans cette histoire.
DU CANADA. 125
Après la mort du commandeur de Razilli, un sieur
d'Aunay de Charnise' entra dans tous ses droits, et
obtint, en 1647, la commission degouverneur de l'Acadie,
c'est-à-dire, de la partie de la presqu'île qui portait plus
particulièrement ce nom. La première chose qu'il fit,
en prenant possession de son gouvernement, ce fut
d'abandonner La Hève, et d'en transporter tous les habi-
tans au Port Royal, où il commença un grand établisse-
ment. Mais, soit que le Port Royal appartînt à M. de
Latour, (le même dont il a été parlé plus haut), soit
que les deux commandans fussent trop voisins pour
demeurer longtems amis ; la mésintelligence se mit
bientôt entr'eux, et ils ne tardèrent pas à en venir aux
aamies. Après quelques hostilités de quelque impor-
tance, Charnise ayant appris que Latour était sorti de
son fort de Saint-Jean, avec la meilleure partie de sa
garnison, crut l'occasion favorable pour s'en rendre
maître, et y marcha avec toutes ses troupes.
Madame de Latour y était restée ; et quoique sur-
prise avec un petit nombre de soldats, elle résolut de
se défendre jusqu'à l'extrémité. Elle le fit, en ciFet,
jicndant trois jours, avec tant de courage, que les assié-
geans furent obligés de s'éloigner : mais le quatrième
jour, qui était le dimanche de Pâques, elle fut ti'ahie
par un Suisse, qui était en faction, et que Charnise
avait trouvé le moyen de corrompre. î^lle ne se crut
})Ourtant pas encore sans ressource ; quand elle apprit
que l'ennemi escaladait la muraille, elle y monta pour
la défendre, à la tête de sa petite garnison. Charnise,
qui s'imagina que cette garnison était plus forte qu'il
ne l'avait cru d'abord, proposa à la dame de la recevoir
à composition, et elle y consentit, pour sauver la vie à ce
peu de braves gens, qui l'avaient si bien secondée.
Charnise ne fut pas plutôt entré dans la place, qu'il eut
l2
12G HISTOIRE
honte d'avoir capitulé avec une femme, qui ne lui avait
op230sé que sou courage et une poignée d'hommes mal
armés. Il se plaignit qu'on l'avait trompé, et prétendit
être en droit de ne garder aucun des articles de la capi-
tulation. A la mauvaise foi il ajouta un excès de bar-
barie qu'on aurait peine à croire, s'il était raconté d'un
Sauvage : il fit pendre tous les gens de Madame de
Latour, à l'exception d'un seul; à condition qu'il sefait
le bourreau de tous les autres; et il obligea son inté-
ressante prisonnière à assister, la corde au cou, à
cette atroce exécution. L'histoire ne dit pas si ce
scélérat périt lui-même par la main d'un bourreau ;
mais il paraît qu'il ne vécut pas encore longtems, non
plus que madame de Latour ; car quelque années après,
par un assez bizarre caprice du hazard, on voit M. de
Latour époux de sa veuve, et de nouveau en possession
du fort de Saint- Jean et même de Port -Royal.
Cependant, les Iroquois continuaient à détruire, l'une
après l'autre, les bourgades huronnes, et à en massacrer
les habitans. Plusieurs missionnaii'cs furent enveloppés,
dans ces massacres, entre autres, les PP. Gabriel Lalle-
MANT, Garxier, Dakiel, et de Brebeuf.* Ceux qui
demeurèrent parmi les restes de la nation leur conseil-
lèrent de se retirer dans quelque endroit éloigné, où ils
n'eussent plus à craindre d'être inquiétés par les L-oquois.
Une partie se rendit à l'avis des missionnaires, et se
retira dans les îles du lac Huron appelléesde Manitoualin^
ou Manitonlines, ou sur le continent voisin ; une partie
descendit à Québec, et le reste se donna aux Iroquois,
et fut incorporé avec cette nation.
Après l'anéantissement, ou la dispersion des Hurons,
les Iroquois ne regardèrent plus les forts et les retranche-
*Ce dernier était oncle du traducteur de la Pharsale de
LucAiy.
DU CAXADA. 127
mens des Français comme des barrières capables de les
arrêter. Ils parcoururent le pays, et se répandirent,
çn grandes troupes, dans les environs des habitations.
Un événement funeste vint acci'oître encore leur inso-
lence : un de leurs partis s'étant approché des Trois-
Ivivières, M. Duplk&sis-Bochaiît, qui j commandiait,
voulut marcher contre eux en personne. 11 fut tué
dans le combat, et sa mort donna un nouveau relief aux
armes des Iroquois. Enfin, la bourgade de Sylleri
n'étant plus en sûreté avec une enceinte de palissades,
on fut contraint de l'enfermer de murailles et d'y placer
du canon. .
Les Iroquois n'étaient pas animés contre les seuls
Français: ils cherchaient encore à exercer leur ven-
geance contx-e toutes celles des tribus sauvages qui avaient
porté secours, ou donné asile aux Ilurons. En 1651,
ils pénétrèrent chez les Attihamègues, et autres Sau-
vages du nord, et ne laissèrent pas un village dont ils
n'eussent égorgé ou dissipé les habitans. La nouvelle en
ayant été portée à M. de Lauzox, un des principaux
membres de la compagnie du Canada, qui cette même
année, avait succédé à M. d'Aillebout, il comprit qu'il
aurait été nécessaire d'opposer ime digue à ce torrent ;
mais il n'avait amené aucun secours de France, et la
colonie était loin d'avoir des forces suffisantes pour
rétablir la sûreté et la tranquillité.
L'Ile de Mont-réal ne souffrait guère moins que les
autres parties du Canada, malgré un renfort de cent
hommes, que M. de Maison-Neuve avait été chercher
en France. En 1652, deux cents Ii'oquois surprirent,
dans l'île, vingt Français, et les enveloppèrent de toutes
parts. Ces derniers firent néanmoins si boinie conte-
nance, et se défendirent avec tant de résolution, qu'ils
mirent les barbares en fuite, après en avoir tué un grand
128 HISTOIRE
nombre. Dans le même temps, cinq cents Agniers
s'approchèrent des Trois-Eivières, et tinrent ce poste
bloqué de tous côtés. Dans les environs de Québec, il
y eut plusieurs escarmouches avec ces Sauvages. Cepen-
dant les cinq cantons se montrèrent disposés à la paix,
et envoyèrent des négociateurs à Québec. La paix fut
conclue, en effet, quelque raison qu'eût le gouverneur
pour ne pas trop compter sur la sincérité des Iroquois,
et particulièrement des Agniers. Effectivement, ces
derniers ne tardèrent pas à paraître, par petites trou]>es,
dans le voisinage des habitations, à commettre des
déprédations et des meurtres, et à se remettre par là en
état de guerre avec les Français et leurs alliés.
En 1656, cinquante Français étant partis de Québec,
sous la conduite de M. Duplts, otïicier de la garnison,
pour aller former un établissement chez les Onnonta-
gués, à la demande de ce canton, les Agniers, qui avaient
eu nouvelle de ce projet, avant le départ de M. Dupuys,
mirent quatre cents hommes en <iampagne, pour attaquer
sa troupe ; mais l'ayant manquée, ils s'en vengèrent, sur
quelques canots écartés. Après les avoir- pillés, et
avoii" même blessé quelques uns de ceux qui les con-
duisaient, ils feignirent de s'être trompés, et d'avoir pris
les Français pour des Hurons et des Algonquins.
Quelque temps après, un de leurs partis eut la hardiesse
de débarquer dans l'Ile d'Orléans. Il y trouva une
centaine de Hurons de tout âge et de tout sexe, qui
travaillaient dans un champ, les attaqua, en tua un bon
nombre, et enleva le reste. Un autre parti d' Agniers
ayant eu avis qu'une troupe d'Outaouais, accompagnée
d'une trentaine de Français et de Hurons, devaient
remonter la Grande-Rivière, il l'alla attendi-e, en am-
buscade, sur le bord du lac des Deux-Montagnes, et tua
un bon nombre des uns et des autres.
DU CANADA. 129
Toutes ces aggressions se commettaient sans que M.
Je Lauzon en pût tirer raison. La faiblesse de la colo-
nie inspira de la méfiance oi> du dégoût aux Sauvages
domiciliés dans son sein. Une grande pai'tie des Hurons
de SjUeri se retirèrent, les uns cliez les Onnontagués,
les autres chez les Agniers même. La plupart de ceux
qui prirent ce dernier parti n'eurent pas lieu de s'en
louer, par la suite ; car ils furent presque tous ou tués,
ou traités en esclaves. L'établissement projette chez
les Onnontagués ne put se faire, et M. Dupuys fut con-
traint de s'en revenir, ou pour mieux dire, de fuir,
secrètement avec ses gens, de peur d'être poursuivi et
attaqué dans sa retraite.
Ce fut sui- ces entrefaites que M. d'Argenson,
nommé gouverneur, à la place de M. de Lauzon, débar-
qua à Québec, le 11 juillet 16Ô8. Dès le lendemain de
sou arrivée, il fut assez surpris d'entendre crier, aux
armes, Qi d'apprendre que des Algonquins venaient d'être
massacrés par des Iroquois, sous le canon du fort.* D
détacha aussitôt deux cents hommes, Français et Sau-
vages, pour courir après ces barbares ; mais ils ne piu^ent
être atteints. Peu de temps après, des Agniers
s'approchèrent des Trois-Rivières, dans le dessein de
surprendre ce poste ; et pour y mieux réussir, ils déta-
chèrent huit d'entr'eux, qui sous le prétexte de parle-
menter, avaient ordre de bien examiner l'état de la
place ; mais M. de la Potiierie, qui y commandait,
en retint un prisonnii*, et envoya les sept autres à M.
d'Argenson, qui en fit bonne justice. Ce coup de
vigueur eut tout le succès qu'on en attendait, et procura,
pour un temps, quelque repos à la colonie.
François de Laval, connu aupai*avant sous le nom
d'abbé de Montigny, nommé évoque titulaire de Pétrée,
et pourvu d'un bref de vicaire apostolique, débarqua à
130 HISTOIRE
Québec, le 6 juin 1659, accompagné de plusieurs prêtres
séculiers. D'autres prêtres le vinrent joindre, les
années suivantes, et à mesure qu'ils arrivèrent, ils furent
mis en possession des cures, dont les récollets et les
jésuites avaient été chargésjusque-là, parce qu'ils étaient
les seuls prêtres qu'il y eût en Canada, si l'on en excepte
l'île de Mont-réal. Dès 1647, le séminaire de Saint-
Sulpice de Paris avait acquis, par achat, tous les droits
des premiers possesseurs de cette lie. L'abbé de
QuELUs j vint, cette année, avec plusieui'S prêtres, pour
y fonder un séminaire. Toute la colonie applaudit à
cette entreprise, qui fut bientôt suivie de la fondation
de l'Hôtel-Dieu, à laquelle M. de la Dauversieke et
Madame de Bullion contribuèrent le plus puissam-
ment. La congrégation de Notre-Dame avait été
instituée, quelques années auparavant, par Mademoiselle
Mai'guerite Bourgeois.
Dès son arrivée, l'évêque de Pétrée se montra animé
d'ufl zèle ardent pour la conversion des Sauvages, et se
concerta avec le supérieur général des missions, pour
faire annoncer l'évangile aux ti-ibus les plus éloignées.
Cependant, il ne venait aucun secours de France, et
la colonie du Canada semblait ne se soutenir que par
une espèce de miracle. Les liabitans ne pouvaient
s'éloigner des forts sans courir le risque d'être massacrés
ou enlevés. Sept cents L-oquois, après avoir défait un
grand parti de Français et de Sauvages, tinrent Québec
comme bloqué, pendant plusieurs mois. Ils se retirèrent,
vers l'automne ; mais au commencement du piintems
suivant, plusieurs partis reparurent en différents endroits
de la colonie, et y firent de grands ravages. Un prêtre
du séminaire de Mont-réal fut tué, en revenant de dire
la messe à la campagne. M. de Lauzon, suivant Char-
levoix, sénéchal de la Nouvelle-France, et fils du pré-
DU CANADA. 131
cèdent gouverneur, étant allé à l'ile d'Orléans, pour
dégager son beau-frère, qui était investi dans sa maison,
tomba dans une ambuscade. Les Iroquois, qui auraient
été fort aises d'avoir entre leurs mains un prisonnier de
cette importance, le ménagèrent pendant quelque temps,
ne chercliant qu'à le lasser; mais voyant qu'il leur tuait
beaucoup de monde, ils tirèrent sur lui, et le tuèrent.
Plusieurs autres personnes de considération et un grand
nombre de colons et de Sauvages eurent le même sort.
Enfin, depuis Tadoussac jusqu'à Mont-réal, on ne voyait
que des traces sanglantes du passage de ces féroces
ennemis.
Au fléau de la guerre se joignit une maladie épidé-
mique, qui attaqua indistinctement les Français et les
Sauvages, et enleva surtout un grand nombre d'enfans.
C'était une espèce de coqueluche qui se tournait en
pleurésie. Le peuple s'imagina qu'il y avait du malé-
fice, et, chose étrange, ce furent les médecins qui, les
premiers, donnèrent cours à cette superstition. L'igno-
rance était si grande et si générale alors, dans la colonie,
que quelques phénomènes ignés, qui parurent dans le
même temps, donnèrent lieu aux contes les plus absurdes.
"On publia, dit Charlevoix, qu'on avait vu dans l'air
une couronne de feu ; qu'aux Trois-Rivières, on avait
entendu des voix lamentables ; qu'auprès de Québec, il
avait paru un canot de feu, et dans un autre endroit,
un homme tout embrasé et environné d'un tourbillon de
flammes ; que dans l'ile d'Orléans, ime femme enceinte
avait entendu son fruit se plaindre." L'apparition
d'une comète acheva d'eflfrayer la multitude.
Cependant, les partis ennemis disparurent tout à coup
et vers le milieu de l'été, on vit arriver à Mout-rtal deux
Cflnots avec un pavillon blanc. C'étaient des députés
dcd cantons d'Onnontagué et de Goyogouin, qui rame-
132 HISTOIRE
naient quelques captifs français. Ils promettaient que
tous les autres seraient rendus, si l'on délivrait tous les
sujets des deux cantons qui se trouvaient prisonniers
dans la colonie. Le gouver'neur général, à qui M. de
Maison-Neuve fit savoir l'arrivée des députés iroquois,
se montra disposé à écouter favorablement leurs propo-
sitions, et les fit accompagner, à leur retour, par le P.
Lehotxe, pour continuer chez eux la négociation.
Le baron d'Avaugoue, nommé gouverneur général
du Canada, à la place de M. d'Argenson, arriva de
France sur ces entrefaites. Son premier soin fut de
visiter tous les postes de son gouvernement. Après
cette visite, il écrivit en France, pour demander les
troupes et les munitions qui lui paraissaient nécessaires.
Cependant, la négociation pour la paix prenait une
heureuse tournure dans la plupart des cantons iroquois,
principalement par les soins et l'entremise d'un chef
onnontagué, nommé Gaeakonthie'. Ce chef arriva
à Mont-réal vers la mi-septembre. Le gouverneur
général l'entretint plusieurs fois en particulier : il agréa
toutes les propositions qui lui furent faites, et promit
d'être de retour, avec les prisonniers français, avant la
fin du printems. En effet, le traité de paix fut ratifié
par ceux des cantons (au nombre de trois) qui avaient
négocié, et tous les captifs français furent remis au P.
Lemoyne, qui les conduisit à Mont-réal.
Yers le même temps, M. Pierre Boucher, qui com-
mandait aux Trois-Rivières, fut député en France, avec
des mémoires, où l'on suppliait le roi (L0U13 XFS'')
de prendre sous sa protection une colonie abondonnée
et réduite aux derniers abois.* M. Boucher fut bien
'Dans son "Histoire naturelle et véritable de la Neurelle
France," M. Boucher fait connaître l'état du Canada, à l'époque
où il écrivait. " Québec, dit-il, est la principale habitation. H
DU CANADA. 133
reçu (lu monarque, qui nomma M. de Monts commis-
saire en Canada, et commanda qu'on y envoyât incessam-
ment quatre cents hommes de troupes pour renforcer les
garnisons des postes les plus éloignés. M. de Monts
s'embarqua à La Rochelle, dès le printems. Son arrivée
à Québec y causa la plus grande joie, tant par les secours
présents qu'il amenait, que par l'espérance qu'il y donna
que, l'année suivante, il en arriverait de nouveaux et de
plus considérables.
Cette joie fut bientôt troublée par la dissention qui
éclata entre le gouverneur et l'évêque ; ou plutôt peut-
être, entre les commerçans et les ecclésiastiques. Les
gouverneurs du Canada, remarque Charlevoix, avaient
eu ordre de la cour de France de défendre aux colons
de vendre de l'eau-de-vie aux Sauvages ; et le baron
d'Avaugour, en particulier, avait décerné les peines
les plus graves contre ceux qui contreviendraient à cette
déftnse. Une femme de Québec y ayant contrevenu,
y a une bonne forteresse et une bonne garnison, comme aussi
une belle église, qui sert de paroisse, et qui est comme la cathédrale
de tout le pays. Il y a un collège de jésuites, un monastère
d'ursulines, et un couvent d'hospitalières. Cette forteresse, les
monastères et les plus belles maisons sont bâtis sur le haut.
Plusieurs maisons et magasins sont bâtis au pied du coteau, à
l'occasion des navires qui nennent jusque-là ; car c'est là le terme
(le la navigation pour les navires: Von ne croit pas qu'ils puissent
passer plus avant sans risque. Du côté du nord, depuis le cap
Tourmente, qui est sept lieues plus bas que Québec, jusqu'au cap
Jiout/c, qui est trois lieues au-dessus, tout cela est habité, le long
du grand fleuve. Le côté du nord de Québec est habité assez
avant dans les terres. A Tadoussac, on a fait bâtir une chapelle,
un magasin, et une petite forteresse ; mais il n'y a personne qui y
habite (permanemment). L'habitation des Trois-Kivières est dans
un pays fort beau à voir. On s'est bâti seulement du côté du nord
(du fleuve). Il y a comme deux habitations séparées par une
grosso rivière entrecoupée par des îles. Mout-réal, qui est la
dernière de nos habitations, est située dans une belle giandeîle."
L'ouvrage de 51. Boucher est précédé d'une " Epistre à Monsei-
gneur Ct>i.RERT," datée "de la ville des Trois-KiNières en la
Nouvelle France, le 8 Octobre 1643."
1 34 HISTOIRE
fut conduite en prison. A la prière de ses parens ou
de ses amis, un jésuite crut pouvoir intercéder pour
elle. Le gouverneur reçut très mal le religieux, et lui
dit finalement, que puisque la traite de l'eau-de-vie
n'était pas une faute pour cette femme, elle ne le serait
à l'avenir pour personne. La chose ne tarda pas à être
connue du public, et suivant l'historien que nous venons
de citer, le désordre devint extrême. L'évêque de Pétréo
crut devoir recourir aux foudres de l'église ; les prédi-
cateurs tonnèrent dans les chaires ; les confesseurs refu-
sèrent l'absolution. Le zèle outré du prélat et des
ecclésiastiques, excita contre eux des plaintes amères et
des clameurs injurieuses: quelques particuliers firent
contre le clergé des mémoires et des requêtes qu'ils
envoyèrent au conseil du roi. Le prélat prit le parti de
passer en France, pour, de son côté, porter ses plaintes
au pied du trône. Le roi lui donna gain de cause, et il
y a même lieu de croire que ce fut à sa demande que?M.
d'Avaugour fut rappelle.
La fin de cette année 1662, et une partie de la sui-
■sante, furent remarquables par une suite de violents
tremblemens de terre, et un nombre d'autres phéno-
mènes, que l'imagination déréglée et effrayée de la mul-
titude exagéra d'une manière tout-à-fait ridicule, comme
on en pourra juger parles extraits suivants des journaux
des jésuites, copiés par le P. Charlevoix.
" Dès l'automne de 1662, on vit voler dans l'air
quantité de feux sous des formes diverses. A Mont-réal,
parut, une nuit, un globe de feu qui jettait un grand
éclat; il fut accompagné d'un bruit semblable à une
volée de canons.
"Le 3 février (1663), on fut surpris de voir que
tous les édifices étaient secoués avec tant de violence,
que les toits touchaient presque à terre, tantôt d'un côté
DU CANADA. 135
et tantôt de l'autre ; que les portes s'ouvraient d'elles-
mêmes, et se refermaient avec un très grand fracas ;
que toutes les cloches sonnaient, quoiqu'on n'y touchât
I^oint ; que les pieux des palissades ne faisaient que
sautiller ; que les animaux poussaient des cris et des
hurlemens effroyables ; que les arbres s'entrelassaient les
uns dans les autres, et que plusieurs se déracinaient et
allaient tomber assez loin.
" On entendit ensuite des bruits de toutes les sortes ;
tantôt c'était celui d'une mer en fureur qui franchit ses
bornes ; tantôt celui que pourraient faire im grand
nombre de chrosses qui rouleraient sur le pavé ; et tantôt,
le même éclat que feraient des montagnes et des rochers
de marbre qui viendi'aient à s'ouvrir et à se briser.
"Les campagnes n'offraient que des précipices. —
Des montagnes entières se déracinèrent et allèrent se
placer ailleurs. Quelques unes s'abimèrent si profondé-
ment qu'on ne voyait pas même la cîme des arbres dont
elles étaient couvertes. Il y eut des arbres qui s'élan-
cèrent en l'air avec autant de roideur que si une mine
eût joué sous leurs racines, et on en trouva qui s'étaient
replantés par la tête. — De gros glaçons furent lancés
dans l'air, et de l'endroit qu'ils avaient quitté on vit jallir
une quantité de sable et de limon. Plusieurs fontaines
et de petites rivières furent desséchées.
" Où l'on avait vu un rapide, on voyait la rivière
couler tranquillement, et sans embarras ; ailleurs, c'était
tout le contraire ; des rochex's étaient venus se placer au
milieu d'une rivière, dont le cours paisible n'était aupa-
ravant retardé pai* aucun obstacle. Un homme marchant
dans la campagne, appercevait la terre s'entrouvrir
tout-ù-coup auprès de lui : il fuyait, et ces crevasses
semblaient le suivre. Ici, les eaux devenaient rouges ;
là, elles paraissaient jaunes : celles du fleuve furent toutes
136 IIISTOIRE
blanches, depuis Québec jusqu'à Tadoussac. Vis-à-vis
du cap Tourmente, il y eut de si grandes avalaisons
d'eaux sauvages* qui coulaient du haut des montagnes,
que tout ce qu'elles rencontrèrent fut emporté.
'"' Deux homrnes se trouvant vis-à-vis de l'embou-
chure du Saguenay, dans une chaloupe, sentirent tout-
à-coup leui- embarcation aussi agitée, quoiqu'il ne fit pas
de vent, que si elle eût été sûr'la mer la plus houleuse ;
et tout de suite ils apperçurent une montagne qui " bon-
dissait comme un bélier," puis tournoya quelque temps,
s'abaissa ensuite, et disparut entièrement. A moitié
chemin de Tadoussac à Québec, deux montagnes s'appla-
tirent, et des terres qui s'en étaient éboulées, il se forma
une pointe qui s'avîinçait d'un demi-quart de Heue dans
le fleuve. Dans un autre endroit, des Sauvages qui
étaient sortis de leurs cabanes, au conunencement de ces
agitations, ayant voulu y rentrer, trouvèrent à leur place
une grande mare d'eau.
" Au cap Tourmente et ailleurs, le fleuve se dé-
tourna ; une partie de son lit demeura à sec, et ses
bords les plus élevés s'affaissèrent, en quelques endroits,
jusqu'au niveau de l'eau."
" Assez près de Québec, un feu d'une heue d'étendue
parut, en plein jour, venant du nord, traversa le fleuve
et alla disparaître sur l'ile d'Orléans.
'•L'air eut aussi ses phénomènes ; on y entendait un
bourdonnement continuel ; on y voyait, ou l'on s'y figurait
des spectres et des fantômes de feu, portant en main des
flambeaux. Il y paraissait des flammes qui prenaient
toutes sortes de formes, les unes de piques, les autres
de lances; et des brandons allumés tombaient sur les toits
sans y mettre le feu. De temps en temps, des voix
* Comment le P. Charlevoix, écrivant vers 1740, a-t-ilpu copier
une pareille expression ?
DU CANADA. 137
plaintives augmentaient la terreur. On entendit des
gémissemens qui n'avaient rien de semblable à ceux
d'aucun animal connu.
" L'agitation était ordinairement moindre sur les
montagnes que dans les plaines ; mais on y entendait
sans cesse un grand tintamarre.
" Les effets de ce tremblement de terre furent variés à
l'infini. La première secousse dura une .demi-heure,
sans presque discontinuer. Il y en eut une seconde
aussi violente que la première, et la nuit suivante, quel-
ques personnes en comptèrent jusqu'à trente-deux."
Les secousses de tremblement de terre se succédèrent
par intervales, depuis le commencement de janvier 1663
jusqu'au mois d'août de la môme année. Mais ce qui
fait voir combien l'imagination ajouta à la réalité, ou
jusqu'à quel point les narrateurs se permirent l'exagé-
ration, c'est que durant tout ce temps, il n'y eut per-
sonne de tué, ni même de blessé.
" Le P. Charlevoix, dit M. D. Dainville, dans ses
" Beautés de l'Histoire du Canada" môle dans son récit
des incidens si merveilleux, qu'au lieu d'en appuyer la
vraisemblance, ils la détruisent. De tous ces phénomènes,
la plupart accompagnent ordinairement les tremblemens
de terre, et, quoique étonnants par eux mêmes, ne sortent
pourtant pas de ces règles éternelles dans lesquelles Dieu
a tracé le plan de l'univers ; d'autres sont évidemment les
fruits de ces têtes superstitieuses, pour qui le merveilleux
est un aliment nécesaire, et qui veulent fonder la reli-
ligion sur les bases ruineuses d'une créduUté puérile.
Le Dieu de vérité ne veut pas être défendu par le
mensonge, et celui qui tient, dans sa main toute-puis-
sante, la forme, le temps et l'espace, n'a pas besoin, pour
annoncer sa force, de remuer quelques lieues de terre,
ou de faire briller une nouvelle étincelle dans les cieux."
M 2
138 HISTOIRE
Pour qualifier de fraudes pieuses ces récits extraor-
dinaires, un autre écrivain moderne s'appuie principa-
lement sur le silence des historiens de la Nouvelle
Angleterre et de la Nouvelle York, provinces limitro-
phes de la Nouvelle France.*
* At this critical period, thejesuits, in their journals, reparted a
physical event, which, not being confirmed by the history or tradition
of the English colonies, and their Indian allies, is considered as a
mère fabrication, calculated, like other pious frauds, to connect
disorders of government with the alarming phenomena of nature."
IXTRODUCTIOX tO " POLITICAL AnNALS OF LoAVER CaNADA."
Le P. Charlevùix dit, d'après ses auteurs, que "la Nouvelle
Angleterre et la Nouvelle Belgique ne furent pas plus épargnées
que le pays français ;" mais c'est une assertion vague, faite en
l'absence de toute espèce de preuve.
LIA^RE DEUXIÈME,
Comprenant Vespace de temps écoulé depuis rétablisse-
ment du Goîivernemetit Royal jusqu'à la Paix de
1701.
La compagnie de la Nouvelle France, réduite à quarante-
cinq membres, et plus que jamais incapable de remplir
ses obligations, remit tous ses droits au roi, le 24 février
1663. M. DE Mksy, que sa majesté envoyait pour
remplacer le baron d'Avaugour, arriva à Québec, au
printemps de la même année, accompagné de l'évêque
de Pétrée, de M. Gaudais, nommé commissaire pour
prendre possession, au nom du roi, de la Nouvelle
France, et s'enquérir de ce qui s'y était passé récem-
ment; de plusieurs officiers de guerre et de justice ; de
quelques centaines de soldats, et d'une centaine de
familles, qui venaient s'établir dans le pays.
Le commissaire fit prêter le serment de fidélité à tous
les habitans ; régla la police, et fit divers règlcmens
concernant la manière de rendre la justice. Depuis
l'année 1640, dit Charlevoix, il y avait eu un grand-
sénéchal de la Nouvelle France, et aux Trois-Rivières,
une j uridiction qui ressortissait au tribunal de ce magistrat
d'épéc ; mais il paraît que celui-ci était subordonné,
dans ses fonctions, aux gouverneurs généraux, qui
s'étaient maintenus dans la possession de rendre la jus-
tice, quand on avait recours à eux. Dans les affaires
importantes, ils assemblaient une espèce de conseil, com-
posé du grand sénéchal, du premier supérieur ecclésias-
tique, et de quelques uns des principaux habitans,
auxquels on donna le nom de conseillers. Mais ce
140 HISTOIRE
conseil n'était pas permanent : le gouvei'neur l'établissait
en vertu du pouvoir que le roi lui en donnait, et le chan-
geait, ou le continuait, suivant qu'il le jugeait à propos-
Ce ne fut qu'en 1663 que le Canada eut un Conseil fixe»
établi par le prince.* L'édit de création est du mois de
mars de cette année : il portait que le conseil serait com-
posé de M. de Mésy, gouverneur général; de M. de Laval,
vicaire apostolique ; de M. Robert, intendant : de cinq
conseillers, qui seraient nommés par ces trois messieurs,!
et qui pourraient être changés, selon leur bon plaisir ;
d'un pi'ocureur général, et d'un greffier en chef.
M. Gaudais retourna en France, d'après l'ordre qu'il
en avait reçu, par les mêmes vaisseaux qui l'avaient
amené à Québec, pour rendre compte au roi de l'état
du pays, l'informer de la conduite de l'évêque et des
ecclésiastiques, de l'effet qu'aurait pi-oduit l'établisse-
ment du conseil, de ce qu'il y avait de fondé dans les
plaintes portées par le baron d'Avaugour, et de la
manière dont M. de Mésy aurait été reçu. Il paraît
que ce commissaire se conduisit en homme diligent,
intègre et impartial, et que personne n'eut à se plaindre
de son rapport.
M. Robert, conseiller d'état, qui avait été nommé
"Intendant de justice, police, finance et marine pour
la Nouvelle France," par provisions datées du 21 mars
1663, ne vint point en Canada ; et M. Jean Talon, qui
* Avec pouvoir de "commettre à Québec, à Mont-réal,a.ux Trois-
Rîvières, et autres lieux, des personnes qui jugent en première
instance, sans chicane et longueur de procédures, les différents
procès qui y pourront survenir entre des particuliers;" le désir du
roi " étant d'ôter, autant qu'il se pourra, toute chicane, dans le
pays de la Nouvelle France."
fCe furent MM. Rouer de Villeray, Jcchereau de
Laferte', Ruelle d'Auteuil, Damours et Bourdon. Ce der-
nier fut fait ensuite procureur général.
DU CANADA. 141
y arriva en 1 665, est le premier qui exerça cet emploi
dans ce pays.
Pendant ce temps, la colonie jouissait de la paix, et
en était principalement redevable à l'influence de Gara-
konthié parmi les siens. Ce chef avait rassemblé
encore un nombre de prisonniers français, et les avait
'fait partir pour Québec, escortés par trente Onnonta-
gués. Ceux-ci furent attaqués, en route, par un parti
d'Algonquins, qui les prirent, ou feignirent de les prendre
pour des ennemis. Il y en eut plusieurs de tués, et les
autres furent obligés de prendre la fuite. Les Français
mêmes eurent bien de la peine à s'échapper, dans ce
désordre. Il y avait lieu de craindre que cette mal-
heureuse affaire n'eût des suites encore, plus funestes ;
mais Garakonthié parvint à faire entendi-e raison aux
Onnontagués : tous les cantons iroquois, excepté celui
d'Onneyouth, envoyèrent assurer M. de Mésy de leur
disposition à vivre en paix avec les Français.
Cependant, l'accord qu'on se flattait d'avoir établi
en Canada, par les changemens qu'on venait d'y faire,
ne fut pas de longue durée : M. de Mésy, qui avait été
nommé gouverneur, à la recommandation de l'évêque
de Péti'ée, comme le baron d'Avaugour avait été
rappelle à sa demande, se brouilla, tout religieux qu'il
était, avec ce prélat, et, suivant Charlevoix, avec la
plupart des gens en place de la colonie, entre autres les
sieurs de Villeuay et Bourdon, qu'il fit embarquer,
dit-il, sans aucune forme de justice. Pour décider avec
connaissance de cause qui avait le plus de tort, du
gouverneur ou de l'évéquc, car nous avons peine à
croire que l'un ou l'autre fût tout-à-fait exempt de
blâme, dans ce différent, il nous faudrait, avoir ce qui
nous manque, les mémoires qui furent écrits de part et
d'autre, et qui partagèrent alors l'opinion publique. Le
142 HISTOIRE
P. de Charlevoix mentionne que l'évêque de Pétrée
avançait contre le gouverneur des faits graves, sans dire
quels étaient ces faits : M. de Blésy se plaignait surtout
de la grande influence qu'avaient les jésuites dans la
colonie : peut-être accusait-il ces religieux d'abuser de
cette influence et M. de Petrée de les soutenir. C'est
du moins ce que notre historien donne à entendre, en
disant que le gouverneur, en récriminant, ne se discul-
pait pas. Quoiqu'il en soit, le prélat, soutenu de la
majoi'ité du conseil, l'emporta encore une fois, à la cour
de France, et M. de Mésy fut rappelle.
On lui donna pour successeur Daniel de Rémi, sei-
gneur de CouKCELLES, oflicier de mérite et d'expérience ;
et M. Robert, qui, comme nous venons de le dire, ne
vint pas en Canada, fut remplacé par M. Talon, inten-
dant en Hainaut. Les provisions de ces messieurs étaient
accompagnées d'une commission particulière, pour
informer, conjointement avec Alexandre de Prou-
ville, marquis de Tract, nommé, depuis quelque temps,
vice-roi en Amérique, contre M. de Mésj ; avec o^'dre,
au cas qu'il fut trouvé coupable des faits dont il était
accusé, de l'arrêter et de lui faire son procès. Enfin,
les ordres furent donnés pour lever de nouveaux colons,
et faire embarquer pour le Canada le régiment de Cari-
gnan- Salières, qui arrivait de Hongrie, où il s'était fort
distingué, dans la guerre contre les Turcs.
Par un édit, du mois de mai 1664, Louis XIV " con-
cède et accorde à la compagnie des Indes Occidentales
(autrement dite d'Occident,) en toute seigneurie, propri-
été et justice, les pays de la terre ferme de l'Amérique,
depuis la rivière des Amazones jusqu'à VOrenacg (ou
Orenoque) ; les îles appellées Antilles, le Canada, VAca-
die, l'île de Terre-Neuve et autres îles et terres fermes,
dupuis le nord du Canada jusqu'à la Virginie et la Flo-
DU CANADA. 143
ride" pour "habiter les dits pays, et faire le commerce
dans toute leur étendue ;" avec à peu près tous les di-oits,
privilèges et prérogatives qu'avait possédés la compagnie
des Cent Associés, Le roi lui accordait en outre pour
armes "un Ecusson en champ d'azur, semé defltursde
Ijs d'or sans nombre, deux Sauvages pour support, et
une couronne treflée." Entre les obligations imposées à
la compagnie, en retour de ces concessions, était celle de
faire passer dans les pays de sa domination, un nombre
suffisant de prêtres, de leur fournir le nécessaire, bâtir
des églises, presbytères, &c.
Au mois d'avril 1665, les directeurs généraux* nom-
mèrent, comme " personne d'intégrité, capacité et expé-
rience," M. Le Barrois agent général pour " gérer et
négocier les affaires de la compagnie en Canada," avec
prière à " MM. de Tracy, lieutenant général, de Cour-
ccUes, gouverneur, et Talon, intendant, de lui prêter
secours et assistance;" et ils lui obtinrent du roi, entrée
et voix délibérative au conseil souverain, et "séance
au-dessus du premier conseiller."
Le marquis de Tracy, qui avait été aux Iles fran-
çaises avant de venir en Canada, arriva à Québec, au
mois de juin 1665, avec quelques compagnies du régi-
ment de Carignan. Aussitôt après son arrivée, il dé-
tacha une partie de ses soldats, avec des Sauvages, sous
la conduite du capitaine Tillt de Repentigny, pour
donner la chasse aux Iroquois, qui avaient recommencé
leurs courses. Il n'en fallut pas davantage pour obliger
ces barbares à faire retraite, et à délivrer la colonie do
leur présence.
Le l'esté du régiment de Carignan, à quelques com-
* C'étaient alors MM. Béchamel, TaQi-ELiN, Dalibeht.
J.vcQi'iKi!, BiH.vuD, Messager, Berthelot, Landais, lIoi;Br.
Dii Saint-Makc.
144 HISTOIRE
pagnies près, arriva avec M. de Salières, qui en était
colonel, sur une escadre qui portait aussi I^lil. de Cour-
ceUes et Talon, un grand nombre de familles, quantité
d'artisans et d'engagés, les premiers chevaux qu'on ait
vus en. Canada, des bœufs, des moutons, etc. ; en un mot,
une colonie plus considérable que celle qu'on venait
renforcer.
Dès que le vice-roi eut reçu ces secours, il se mit à
la tête de toutes les troupes, et les mena à l'entrée de la
rivière de Richelieu, où il les fit travailler, en même
temps, à la construction de trois forts. Le premier fut
placé à l'endroit même où avait été celui de Richelieu,
bâti par le chevalier de Montmagny, et dont il ne restait
plus guère que les ruines. M. de Sorel, capitaine au régi-
ment de Carignan. qui en fut chargé, et j fut laissé pour
commandant, lui donna son nom. Le second fort fut bâti
au pied du rapide de la rivière Richelieu: M. de Chambly,
capitaine au même régiment, en eut la direction et le
commandement, et le nom de Saint-Louis, qu'on lui donna
d'abord, se changea bientôt en celui de cet officier. M.
de Salières se chargea du troisième, qu'il fit construire
environ trois lieues plus haut que le second, sur la même
rivière : il lui donna le nom de Saitite- Thérèse, et y
choisit son poste.
Ces ouvrages, qui f lU'ent exécutés avec une diligence
extrême, intimidèrent d'abord les Iroquois, surtout les
Agniers, et leur bouchèrent le passage principal et
ordinaire pour entrer dans la colonie ; mais ces bai'bares
ne tardèrent pas à s'en ouvrir plusieurs autres : et l'on
reconnut bientôt qu'on aurait pu choisir, pour quelques
uns de ces forts, des situations plus convenables, et qu'en
les réparti ssant sur des points plus éloignés l'un de l'autre,
on eût protégé la colonie d'une manière plus efficace et
plus permanente.
DU CANADA. 145
Pendant qu'on était ainsi occupé à se mettre à couvert
des incursions des Iroquois, M. Talon ne demeurait pas
oisif à Québec : il s'instruisit parfaitement de la nature,
des ressources et des forces du pays, et- bientôt il eut
achevé un mémoire, qu'il adressa à M. Colbert, ministre
de la marine et des colonies. Il lui apprenait que M.
de Mésy était mort avant que la nouvelle de son rappel
fut arrivée en Canada ; qu'il avait été jugé à propos, entre
M. de Tracy, M. de Courcelles et lui, de ne point infor-
mer contre la conduite de ce gouverneur ; et que l'évêque
de Pétrée, les ecclésiastiques, le conseil supérieur, en un
mot, tous ceux qui s'étaient déclarés ses parties, n'ayant
point fait de nouvelles instances à ce sujet, ils avaient
cru que le roi ne trouverait pas mauvais que ses fautes
fussent ensevelies avec lui dans son tombeau.
n disait, entre autres choses, à M. Colbert, qu'il ne
connaissait point, pour un grand ministre comme lui, de
plus glorieuse occupation que les soins qu'il donnerait
au Canada, n'y ayant point, dans l'Amérique, de pays
qui pût devenir plus utile à la France.
" Mais, continue-t-il, si sa majesté veut faire quelque
chose du Canada, il me paraît qu'elle ne réussira qu'en
le retirant des mains de la compagnie des Indes, et qu'en
y donnant une grande liberté de commerce aux habitans,
à l'exclusion des seuls étrangers. Si, au contraire, elle
ne regarde ce pays que comme un lieu de commerce
propre à celui des pelleteries, et au débit de quelques
denrées qui sortent du royaume, l'émolument qui en
peut revenir ne vaut pas son application, et mérite très
peu la vôtre. Ainsi, il me semblerait plus utile d'en
laisser l'entière direction à la compagnie, en la manière
qu'elle a celle des Iles. Le roi, en prenant ce parti,
pourrait compter de perdre cette colonie ; car sur la
première déclaration que la compagnie a faite de ne
N
146 niSTOiiîE
souffrir aucune liberté de commerce, et de ne pas per-
mettre aux habitans de faire venir pour leur compte des
denrées de France, même pour leur subsistance, tout le
monde a été révolté. La compagnie, par cette conduite,
profitera beaucoup, en dégraissant le pays, et non seule-
ment lui ôtera le moyen de subsister, mais sera un
obstacle essentiel à son établissement."
Ces représentations énergiques eurent leur effet ; la
compagnie d'Occident elle-même demeura convaincue
de la nécessité de renoncer à une partie des privilèges
qui lui avaient été octroyés d'abord ; et par un arrêt du
conseil d'état du 8 avril 1666, il est permis à tous les
habitans du Canada indistinctement, de faire la traite des
pelleteiùes avec les Sauvages, excepté à Tadoussac, en
remettant à la compagnie un quart des peaux de castor,
et un dixième des peaux de buffle.
Vers la fin de décembre, M. de Tracy étant de retour
à Québec, Garakonthié y arriva, avec des députés de son
canton et de ceux de Goyogouin et de Tsonnonthouan.
Il demanda la paix, et la liberté de tous les prisonniers
que les Finançais avaient faits sur les trois cantons, depuis
le dernier échange. Le vice-roi le reçut avec bonté, et
lui fit, en particulier et en public, beaucoup d'amitié.
Il lui accorda ce qu'il demandait, à des conditions rai-
sonnables, et le congédia, ainsi que les autres députés,
chargé de présens.
Le silence des Agniers et des Onneyouths, en cette
rencontre, et plus encore leur conduite passée, ne lais-
saient aucun doute sur leur mauvaise volonté. Deux
corps de troupes furent donc commandés pour les aller
châtier. M de Courccllles se mit à la tête du premier,
qui était le plus considérable, et le second marcha sous
les ordi-es de M. de Sorel. Les Onneyouths, instruits
de ces préparatifs, en furent alarmés, et envoyèrent des
DU CANADA. 147
députés à Québec, pour détourner l'orage qui les mena-
çait. H parait même que ces députés avaient un plein
pouvoir pour agir au nom des Agniers, qui néanmoins
avaient encore des partis en campagne. Un de ces
partis surprit et tua trois jeunes officiers, du nombre
desquels était M. de Chazy, neveu du vice-roi. Ce
funeste accident et l'insolence brutale d'un chef agnier,
firent rompre la négociation entammée par les Onney-
ouths.
M. de Sorel étant sur le point de tomber sur une
bourgade du canton d' Agnier, rencontra une troupe de
guerriers de ce canton, qui avaient à leur tête un chef à
qui les Français avaient donné le surnom de Bâtard-
Flamand, parce qu'il était fils d'un Hollandais et d'une
Agnière. Ce chef, se sentant fort inférieur aux Français,
et ne voyant nul moyen d'échapper, prit le parti d'abor-
der M. de Sorel, et lui dit, d'un air fort assuré, qu'il
allait à Québec, traiter de la paix avec M. de Tracy.
Sorel le crut, et le conduisit lui-même au vice-roi, qui
le reçut bien. Un autre clief agnier arriva à Québec,
peu de jours après, et se d:>una aussi pour un député
de son canton. On ne douta point alors que les Agniers
ne fussent véritablement disposés à la paix. Mais un
jour, que le vice-roi avait invité les deux prétendus
députés à sa table, le discours étant tombé sur la mort
de M. de Chazy, le chef agnier, levant le bras, dit que
c'était ce bras même qui avait cassé la tête au jeune
officier. " Ce bras ne cassera plus la tête à personne,"
répartit M. de Tracy ; et il le fit étrangler, sur-le-chamf>»
par le bourreau, en présence du Bâtard-Flamand, qu'il
retint prisonnier.
De son côté, M. de Courcelles était entré dans le
canton des Agniers, s'attendant bien à les surprendre ;
mais il s'apperçut bientôt qu'il s'était trompé. Il trouva
148 HISTOIRE
toutes les bourgades abandounées ; les vieillards, les
femmes et les enlans s'étaient retirés dans les bois, et les
guerriers se tenaient éloignés, en attendant l'issue des
négociations entammés par les Onneyouths. Il y eut
néanmoins quelques escarmouclies, pendant la nuit,
avec des coureurs agniers, dont quelques uns furent tués
et d'autres faits prisonniers, 11 n'y eut aucun Français
de tué ni de blessé, mais un officier et quatre ou cinq
soldats périrent de froid ou de fatigue.
A son retour à Québec, M. de Courcelles trouva les
préparatifs de l'armement contre les Agniers et les
Omieyouths déjà fort avancés. Six cents soldats du
régiment de Carignan, un pareil nombre de Canadiens*
et environ cent Sauvages de différentes tribus, compo-
saient l'armée du mai'quis de Tracy. Malgré son âge
plus que septuagénaire, il voulut la commander en per-
sonne. Comme il se disposait à partir, de nouveaux
députés des deux cantons arrivèrent à Québec. Il les
retint prisonniers, et se mit en marche.
M. de Courcelles menait l'avaut-garde, qui était de
quatre cents hommes. M. de Tracy était au centre,
avec le chevaUer de Chaumoxt et plusieurs autres
officiers de mérite : l'arrière-garde était conduite par les
capitaines Sorel et Beethiee. On n'avait pi-is de pro-
visions de bouche que ce qu'il en fallait pom* gagner le
pays ennemi ; mais comme on n'eut pas soin de les
ménager assez, elles manquèrent, lorsqu'on fut à moitié
chemin ; et l'armée aurait été forcée de se débander pour
chercher de quoi subsister, si elle ne fût entrée dans un
bois de châtaigniers, qui lui procura une nourriture
assez subtantielle, pour l'empêcher de périr, ou de s'af-
faiblir, jusqu'à ce qu'elle fût arrivée chez les Agniers.
* Ainsi commença-t-on à appeller alors les Français ucs en
Canada.
DU CANADA. 149
Le vice-roi s'était flatté de surprendre ces Sauvages ;
mais il ne rencontra, dans les premiers villages, que
ceux des vieillards et des femmes qui n'avaient pu s'éloi-
gner assez promptement. On y trouva des vivres en
abondance, et particulièrement un immense approvision-
mcut de maïs.* Toutes les premières bourgades furent
brûlées. Ce ne fut qu'à la dernière que l'on rencontra
enfin les ennemis. Ils s'étaient sans doute proposé d'y
combattre ; mais l'appareil avec lequel ils virent les
Français s'approcher, les eifraya, et ils allèrent se mettre
à couvert dans des lieux où il ne fut pas possible de les
atteindre. On s'en vengea sur les cabanes, dont pas
une ne resta sur pied dans tout le canton. Il y en avait
de cent-vingt pieds de longueur, toutes revêtues en
dedans de planches polies.
M. de Tracy aurait voulu châtier de la même manière
les Onneyouths ; mais la fin d'octobre approchant, il
crut qu'il était temps de penser au retour. A son
arrivée à Québec, il fit pendre, pour l'exemple, quelques
uns de ses prisonniers, croyant, apparemment, que
c'était là un des droits des nations civilisées, dans leurs
guerres avec des peuples barbares ; et par un contraste
assez singulier, il renvoya aussitôt tous les autres, après
leur avoir témoigné beaucoup de bonté. Dès que la
navigation fut libre, le marquis de Tracy s'embarqua
pour la France.
Les dîmes, que l'évêque de Pétrée avait fait taxer
au treizième, excitaient beaucoup de plaintes dans la
* Les Agniers oublièrent do détruire les provisions de bouche
qu'ils ne pouvaient pas emporter : s'ils l'eussent tait, une partie au
moins de l'armé française eût été exposée à périr de faim ; mais
la tète leur tourna, comme dit Charlevoix, et ils ne songèrent point
à profiter des avantages que la situation et la connaissance des
lieux pouvaient leur procurer. Privés de leurs maisons et de
leurs vi\Tes, il ne purent subsister durant l'hiver, que par l'hospi-
talité de leurs compatriotes des cantons voisins.
n2
1 .50 HISTOIRE
colonie: au mois de septembre de cette année 1667, le
conseil supérieur rendit un arrêt portant que les dîmes
ne seraient levées, provisoirement, qu'au vingt-sixième,
mais qu'elles seraient payées en grains, et non eu gerbes,
comme auparavant, et que les terres nouvellement
défrichées ne paieraient rien pendant cinq ans.
M. Talon, qu'on pourrait appeller le Colbert du
Canada, imaginait, tous les jours, de nouveaux moyens
de faire fleurir ce pays, principalement par le commerce
et l'industrie. Il avait surtout à cœur les mines de fer
qu'on lui avait dit être abondantes ; et dès le mois
d'août 1666, il avait envoyé le sieur de la Tesserie à
la Baie Saint-Paul, où ce mineur découvrit, en effet,
une mine de fer considérable. Etant passé en France,
en 1668*, il engagea M. Colbert à sui\Te ces décou-
vertes, et le sieur de la Potadiere fut envoyé en ce
pays, dans ce dessein. A son arrivée à Québec, on lui
présenta des échantillons de deux mines que M. de
CourceUes s'était fait apporter des environs de Cham-
plain et du Cap de la Madeleine. La Potadiere se
transporta sui* les lieux, et à son retour à Québec, il
déclara qu'il n'était pas possible de voir des mines qui
promissent davantage, soit pour la bonté, soit pour
l'abondance du minerai. Néanmoins, malgré un rapport
aussi favorable, ces mines ne furent point alors mises
en exploitation.
* En conséquence de quelques démêlés entre lui et M. de CorR-
CELLES, principalement au sujet du clergé, dont ce dernier n'ap-
prouvait pas le zèle immodéré. On lui donna pour suppléant, ou
pour successeur arf intérim, M. de Bouteroue, à qui il fut particuliè-
rement recommandé de modérer la trop grande sévérité de l'évè-
que et des confesseurs, et de maintenir la bonne intelligence entre
tous les ecclésiastiques du pays. De fortes et nombreuses récla-
mations avaient donné lieu au premier article des instructions de
M. de Bouteroue ; mais le dernier, suivant Charlevoix, n'était
fondé sur aucune plainte ; l'imion étant parfaite alors entre tous
les corps qui composaient le clergé séculier et régulier.
DU CANADA. lol
Ou avait établi depuis peu, dans les environs de
Québec, une tannerie, dont les premiers essais avaient
parfaitement réussi ; et la liberté du commerce, qui
venait d'être proclamée, avait fait naître, chez les colons,
de grandes espérances.
La colonie faisait aussi des progrès du côté de la popu-
lation : la meilleure partie du régiment de Carignan
était restée dans le pays, ou y revint, avec M. Talon,
en 1669. Tous les soldats qui voulurent se faire cul-
tivateurs ou artisans eurent leur congé à cet effet. Les
officiers qui avaient obtenu des terres en fief et sei-
gneurie, s'y- établirent et s'y marièrent presque tous.
Charlevoix remarque que la plupart de ces officiers
étaient gentilshommes, et en prend occasion de dire, que
le Canada a eu plus de noblesse ancienne qu'aucune
autre colonie française, et peut-être que toutes ensemble.
Parmi les instructions de l'intendant, il y avait un
ordre du conseil qui lui enjoignait d'engager les mission-
naires à instruire les enfans des Sauvages dans la
langue française, et à les accoutumer à la façon de vivre
des Européens. Les jésuites n'ayant pas réussi, moins,
dit Charlevoix, par les difficultés qu'ils avaient ren-
contrées dans l'exécution du projet, que par les incon-
véniens qu'ils y avaient reconnus, M. Talon s'adressa à
l'évêque de Pétrée et aux ecclésiastiques de Mont-
réal, qui promirent de faire ce que désirait la cour ;
mais il paraît que leurs efforts, s'ils en firent, pour par
venir au but désiré, ne furent pas couronnés du succès.
Tandis que le gouverneur et l'intendant faisaient tout
ce qui dépendait d'eux pour faire prendre à la colonie
une forme solide, et lui donner un degré d'importance
qui la rendissent digue de l'attention du roi et de la
compagnie des Indes, des jésuites, et entre autres, les PP.
Garnikr, Bruyas, Millet et de Caiuieil, s'établis-
152 HISTOIRE
saient, comme missionnaires, dans les cantons iroquois ;
et les PP. Daclox, Marquette, Allouez et autres,
allaient visiter des tribus sauvages, jusqu'alors incon-
nues ; les Poutéouatamis, les Miamis, les Mascoutins, les
Outagamis, les Sakis, les Illinoit, les Christineaux, ou
Kilistineaux, et se fixaient au Sault de Sainte-Marie et
sur les bords des grands lacs Supérieur et Michigan.
" En s'avançant au milieu des Indiens* dit un écri-
vain moderne,f les missionnaires y faisaient pénétrer de
proche en proche les principes de la morale. S'Us
quittaient une tribu, il lui prescrivaient quelques devoirs
à suivre, jusqu'au temps où ils pourraient revenir auprès
d'elle, pour l'instruire davantage. Les plus habiles
d'entre eux évitaient les questions de dogme, afin d'être
mieux compris. En s'adi'essant plutôt au cœur qu'à
l'intelligence, ils avaient moins d'intervalle à franchir ;
et pour mieux persuader l'homme simple, tel que la
nature l'a fait, ils se tenaient plus à sa portée. Leurs
soins paternels, la sagesse de leurs conseils, et l'autorité
de leurs exemples, leur faisaient acquérir un puissant
empire sur ces peuples sauvages : ils cherchaient à les
éloigner des pratiques cruelles et superstitieuses ; ils
fortifiaient, au milieu d'eux, les liens de famille que la
nature avait déjà formés, et ils leur inspiraient le goût
du travail et celui d'une vie sédentaire, sans laquelle il
ne peut pas y avoir de société durable.
Mais " quelques fussent les efibrts et la constance du
zèle des missionnaires, ils avaient de grandes difiicultés
à vaincre : il leur fallait chercher les Sauvages dans les
forêts, suivre leurs pénibles chasses, parcourir les rivières
* Quelques écrivains modernes, traduisant de l'anglais en
français, emploient ce mot pour désigner les Sauvages, ou habitans
naturels de l'Amérique. Cet anglicisme ne se trouve nulle part
chez les anciens historiens de la Nouvelle France.
t M. Roux DE KOCHELLE.
DU CANADÎ. 1Ô3
dans leurs canots, vivre sous les mêmes huttes, et s'ex-
poser comme eux à toutes les rigueurs de la misère. Si
leurs discours entraînaient quelques Indiens, cette
conversion était souvent passagère, et leurs néophytes
leur étaient enlevés par l'empire des habitudes, et par
l'emportement des passions, qui n'ont aucun frein dans
l'état sauvage. " Puisque nous habitons, disaient-ils,
un monde différent du vôtre, nous devons avoir un autre
paradis, et un autre chemin pour y parvenir." La hutte
d'un vieillard avait pris feu, et il répondit au mission-
naire qui cherchait inutilement à le convertir, et qui
voulait le retirer des flammes : " Si je suis condamné au
feu éternel après ma mort, il ne vaut pas la peine de
l'éteindre aujourd'hui."
Les Sauvages n'étaient pas seulement raisonneurs, ou
logiciens à leur manière, et quelquefois disputeurs
opiniâtres, ils avaient aussi leurs croyances et leurs
traditions, auxquelles ils tenaient plus ou moins forte-
ment. Mais les plus difficiles à convertir au catholi-
cisme devaient être les toquois, devenus, par l'impru-
dence de Champlain, les ennemis éternels et irréconci-
liables des Français, et ayant pour voisins et alUés les
Hollandais, dont ils savaient que la religion différait de
celle des premiers. Malgré cela, un grand nombre
d'entre eux se firent chrétiens et catholiques, comme on
le verra par la suite.
En 1670 fut consommée l'affiiire de l'érection de
Québec en évéché. Le roi avait consenti, à la lin,
<iuc cet évéché dépendît immédiatement du Saint-Siège,
mais sans cesser d'être uni à l'église de France. Cette
même année, M. Pekuot, neveu, par marriage, de M.
Talon, remplaça M. de JMaison-Neuve, comme gouver-
neur de Mont-réal. " Toute l'île de Mont-réal, dit le
P. Charlevoix, ressemblait îl une communauté religieuse.
154 ""HlSTOrRE
On avait eu, dès le commencement, une attention par-
ticulière à n'y recevoir que des habitans d'une régularité
exemplaire. Us étaient, d'ailleurs, les plus exposés aux
courses des Iroquois, et ainsi que les Israélites, au retour
de la captivité de Babjlone, ils s'étaient vus obligés, en
bâtissant leurs maisons et en défrichant leurs terres,
d'avoir presque toujours leui's outils d'une main, et leurs
armes de l'autre, pour se défendre d'un ennemi qui ne
faisait la guerre que par surprise."
Outre les soldats du régiment de C^rignan, M. Talon
avait amené avec lui, une partie des cinq cents familles
que le roi lui avait promises. On vit arriver avec joie,
à Québec, cette nouvelle recrue d'habitans. On ne son-
geait alors, dit Charlevoix, qu'à peupler le pays, et l'on
n'était plus aussi scrupuleux qu'autrefois sur le choix
des colons. Il y avait déjà dans la colonie des "mauvais
garnemens," et même des scélérats. Trois soldats
français ayant rencontré un chef iroquois qui avait
beaucoup de pelleteries, l'ennivrèrent et l'assassinèrent.
Quelques précautions qu'ils eussent prises, pour cacher
leur crime, ils furent découverts et mis en prison.
Pendant que leur procès s'instruisait, trois autres
Français rencontrèrent six Mahingans, ou Mohicans,
(Sauvages voisins, et ordinairement alliés des Iroquois,)
qui avaient pour environ mille écus de marchandises : ils
les massacrèrent, après les avoir ennivrés, et eurent
l'efironterie d'aller vendre leur butin, qu'ils voulurent
faire passer pour le fruit de leur chasse. Les corps de
leiu-s victimes furent trouvés percés de coups et tous
sanglants, et reconnus par des Sauvages de leur tribu.
Les Maliingans soupçonnèrent d'abord les Iroquois
du meurtre de leurs gens ; mais bientôt le bruit se répan-
dit que c'étaient des Français qui avaient fait le coup.
De leur côté, les Iroquois ne tardèrent pas à être instruits
DU CANADA. 155
de l'assassinat de leur chef: on leur assura même que
deux des assassins avaient été accusés par le troisième
d'avoir complotté d'empoisonner tous les gens de leur
nation qu'ils rencontreraient. H n'en fallut pas davan-
tage pour les fiiire entrer en fureur. H n'y avait donc
pas un moment à perdre pour éviter de se voir replongé
dans une guerre qui ne pouvait avoir que des suites
fâcheuses. M. de Courcelles partît sans différer pour
Mont-réal, où il savait que des Sauvages de différentes
tribus venaient d'arriver. Il les assembla, et après
s'être efforcé de les convaincre que leur intérêt était de
rester unis aux Français, il se fit amener les assassins
du chef iroquois, et leur fit caser la tête en leur pré-
sence. Il promit de traiter de la même manière les
assassins des Maliingans, lorsqu'il les aurait en sa puis-
sance. Enfin, il dédommagea les deux tribus de ce qui
leur avait été enlevé, et l'assemblée se sépara très satis-
faite.
M. de Courcelles, par sa fermeté et le ton d'autorité
qu'il savait prendre avec les Sauvages, fit aussi cesser
les courses que les Iroquois et les Outaouais recommen-
çaient à faire, les uns contre les autres. Mais, ayant
voulu le prendre sur le même ton avec les Tsonnon-
thouans, qui inquiétaient quelques tribus voisines de
leur pays, il reçut d'eux cette réponse pleine de fierté :
" Quoi donc ! est-ce que nous n'aurons plus le droit
de venger nos injures, parce que des missionnaires ont
bien voulu s'établir parmi nous ? Est-ce que nous ne
pouiTons plus ni lever, ni poser notre hadie, parce qu'il
a plu à Ononthio de bâtir quelques cabanes dans notre
pays ? Est-ce que, pour avoir fait la paix avec lui nous
sommes devenus ses vassaux ? Non ; nous verserons,
s'il est nécessaire, jusqu'à la dernière goutte de notre
sang, pour défendre notre liberté et notre indépendance ;
156 HISTOIRE
et si les Français ont de la mémoii-e, ils se rappelleront
que nous leur avons fait sentir, plus d'une fois, que nous
ne sommes ni des alliés qu'on doive traiter avec tant de
hauteur, ni des ennemis qu'on puisse mépriser impuné-
ment." Us cessèrent néanmoins, pendant quelque temps,
d'inquiéter leurs voisins, et envoyèrent même au gouver-
neur quelques uns des prisonniers qu'ils avaient faits.
Pendant que M. de Courcelles maintenait ainsi la
bonne intelligence entre les Français et les Sauvages, et
faisait régner la paix parmi ces derniers, la petite-vérole
ravageait le nord du Canada, et achevait de dépeupler
presque entièrement ces vastes contrées. Les Attika-
mègues disparurent : Tadoussac, où l'on avait vu jusqu'à
1200 Sauvages réunis, au temps de la traite, commença
à être presque entièrement abandonné, aussi bien que les
Trois-Rivières. D y eut pourtant cette différence entre
ces deux postes, que les Français se maintinrent dans le
dernier ; au lieu que le premier, où ils n'avaient aucun
établissement fixe, demeura désert.
Cependant, M. Talon, toujours plein de zèle et d'acti-
vité, profitait de la paix dont jouissait la colonie, et des
bonnes dispositions des Sauvages à l'égard des Français,
pour établir les droits de la couronne de France, dans
les quartiers les plus reculés du Canada. De concert
avec M. de Courcelles, il résolut d'envoyer dans le Nord
un homme connu et estimé des Sauvages, pour les
engager à se trouver, par députés, en un lieu où l'on pût
traiter avec eux. Un voyageur, nommé Nicholas
Pekkot,* partit muni des instructions de l'intendant ;
* Ce Nicholas Perrot avait été, dans sa jeunesse, au senice
des jésuites. Il dut probablement à ces religieux un commence-
ment d'instruction. C'était, d'ailleurs, un homme d'esprit et
doué de beaucoup de talent naturel. Il fut employé, à diverses
fois, par diiférents gouverneurs, comme envoyé, agent, ou négocia-
teur, chez les Sauvages, et reudit, en ces qualités, des services
importants à la colonie.
DU CANADA. 157
tet ayant visité toutes les tribus du Nord, avec lesquelles
la colonie avait des relations de commerce, il les invita
à envoyer, le printemps suivant, des députés au Sault
de Sainte-Marie, où le grand Ononthio (le roi de
France) leur enverrait un de ses capitaines, pour leur
déclarer ses volontés. Toutes ces tribus promirent de
faire ce qu'on désirait d'elles.
Perrot passa ensuite à l'ouest, puis rebattit au sud, et
alla jusqu'à Chicagou, au fond du lac Micbigau, où habi-
taient les Miamis, une des plus puissantes tribus de ces
quartiers. Il fut bienreçude TETiNCHOUA,leur principal
chef;* séjourna quelque temps avec eux, puis retourna
nu Sault Sainte-Marie. M. de Saint-Lusson, subdé-
légué de M. Talon, y arriva dès le mois de mai (1671).
Y ayant trouvé des députés de toutes les tribus que
Perrot avait visitées, il leur fit un discours, dont la sub-
stance était, qu'il ne pourrait leur rien arriverde plus heu-
reux que d'avoir le roi de France pour grand chef, et de
mériter sa protection. La réponse s'étant trouvée telle
qu'il la désirait, il déclara qu'il mettait tous ces pays en
la main du roi, et les habitans sous sa protection, et fit
accompagner cette déclaration des cérémonies usitées en
pareilles circonstances.*
*|C'était, dit Charlevoix, un des phis puissants, et le plus absolu
des chefs du Canada. Il pouvait mettre sur pied de quatre à cinq
quille combattans, et ne marchait jamais qu'accompag-né d'une
garde de quarante guerriers, qui taisait aussi, jour et nuit, senti-
nello autour de sa cabane, quand il y était. Ce chef communi-
quait rarement en personne avec ses sujets, mais se contentait de
leur faire intimer ses ordres par ses ofïiciors. Instruit de l'arrivée
d'un envoyé du général des Français, il voulut lui faire une récep-
tion qui lui donnât une haute idée de sa puissance. Il tit marcher
un détachement pour aller au-devant de lui, et ordonna qu'on le
reçut en guerrier ; ce qui consista en évolutions, et eu un combat
simulé entre des Miamis et les Poutéouatamis dont Perrot était
acccompagné.
fil fit creuser deux trous en terre, et fit planter dans l'un un
grand poteau de cèdre, et dans l'autre une croix de même bois,
1 58 HISTOIRE
M. de Courcelles, persuadé de la nécessité d'opposer
une nouvelle barrière aux Iroquois, fit dire à leurs prin-
cipaux chefs, qu'il avait une affaire importante à leur
communiquer, et qu'il irait incessamment les attendre à
l'endroit nommé Catarocouy. Il s'y rendirent en grand
nombi'e ; et le gouverneur, après leur avoir témoigné
beaucoup de bienveillance, leur dit qu'il avait dessein
de bâtir, en cet endroit même, un fort où ils pussent
venir plus commodément faire la traite avec les Français.
Les Sauvages, ne soupçonnant pas le principal but du
gouverneui', répondirent que ce projet leur paraissait
bien imaginé ; et sur-le-champ, les mesures furent
prises pour l'exécuter ; mais M. de Courcelles n'en eut pas
le temps ; à son retour à Québec, il j trouva Louis de
BuADE, comte de Frontenac, qui venait le relever. Il
n'eut pourtant pas de peine à faire goûter à son succes-
seur le projet qui lui avait fait entreprendre son dernier
voyage ; et dès le printemps suivant, le nouveau gou-
verneur se rendit à Catarocouy, et y fit construire un
fort, auquel il donna son nom.
En s'étendant vers l'Ouest, les Français acquéraient
des notions sur des contrées plus éloignées, et ils avaient
appris des Sauvages l'existence d'un grand fleuve,
appelle Mechascehé ou Micissipi, qui ne coulant ni au
Nord ni àTEst, devait fournir le moyen de communiquer,
ou avec le golfe du Mexique, ou avec la mer du Sud.»
M. Talon, qui avait demandé son rappel, ne voulut pas
laisser l'Amérique, sans avoir éclairci ce point impor-
tant. H chargea de cette découverte le P. Marquette,
qui avait déjà parcouru, comme missionnaire, presque
pendant qu'on chantait le Vexilla régis. Ensuite, on attacha à la
croix et au poteau les armes du roi, puis on entonna le pseaume
Exaudiat. Enfin, on chanta le Te Deuni, qui fut précédé et suivi
de plusieurs décharges de mousqueterie, et un festin termina le
congrès.
DU CANADA. 159
toutes les contrées septentrionales du Canada, et il lui
associa le sieur Joliet, natif de Picardie, mais établi
depuis longtemps à Québec, comme négociant.
Les deux voyageurs s'embarquèrent sur le lac Michi-
gan, gagnèrent la Baie Verte, et remontèrent la rivière
des Outagamis, ou Renards. Après avoir franchi une
chaîne de hauteurs qui séparent les versans de l'Est et
de l'Ouest, ils arrivèi'ent à V Ouisconsin, dont ils suivirent
le cours, et ils atteignirent le Micissipi le 17 juin 1673.
Quatre Sauvages, qui les accompagnaient, saluèrent le
Père des Eaux, en lui offrant, à titre d'iiommage, des
flèches, des calumets, de brilliantes fleurs et des épis de
maïs.
" Les deux voyageurs français, dit un écrivain
moderne,* étaient alors dans une glorieuse carrièi'e de
découvertes : l'un, tout animé d'un zèle religieux, voyait
des âmes à conquérir pour le ciel : l'autre se représen-
tait les avantages que la France pourrait obtenir de
l'acquisition d'une contrée nouvelle, qui s'offrait à lui
dans toute sa magnificence, et qui variait et multipliait
ses richesses, à mesure que l'on avançait vers le midi.
On n'appercevait plus, comme dans le Canada, ces forêts
immenses et continues, qui n'ont de limites qu'à l'hoi'i-
zon : elles étaient coupées par de vastes prairies, les
unes couvertes de hauts herbages, les autres formant
d'humides vallons, au milieu desquels croissaient des
joncs, des peupliers, des sycomores, tantôt dispersés,
tantôt réunis en diflérents groupes."
En descendant le Micissipi, nos voyageurs reconnurent
l'entrée de Y Illinois, celle du Missouri, celle de l' Ohio et
celle de Y Arkansas, oh ils terminèrent leurs découvertes.
Les provisions commençant à leur manquer, ils regagnè-
rent l'embouchure de l'illinois, et remontèrent cette
* M. Roux DK KoCUJiLLE.
160 HISTOIRE
rivière jusqu'au pied des hauteurs qui la séparent du
lac Michigan. Arrivés à Chicagou, les deux voyageurs
se séparèrent ; le P. Marquette resta chez les Miamis,
et Joliet revint à Québec. M. Talon en était parti pour
retourner en France, en prenant sa route par l'Acadie.
E n'y avait pas encore un an que M. de Chambly avait
relevé le chevalier de Grand-Foxtaike, au port dePem-
tagoet, lorsque, le 10 août 1674, un Anglais, qui était
demeuré quatre jours déguisé dans sa place, le vint
attaquer avec l'équipage d'un corsaire flamand. Cet
aventurier avait cent-dix hommes ; M. de Chambly n'en
avait que trente, et son fort n'était pas en état de
défense. Il se défendit néanmoins d'abord avec courage ;
mais après une heure de combat, ayant reçu une blessure
qui l'obligea de se retirer, ses gens, qui étaient mal
armés, et mal intentionnés, suivant Charlevoix, se ren-
dirent à discrétion.
Les Anglais envoyèrent de là un détachement au fort
de Gemesie, sur la rivière Saint-Jean, pour enlever M.
de ^Maison, qui y commandait ; ce qui fut exécuté sans
résistance. L'auteur de ces hostilités n'avait pas de
commission : il fut désavoué ; mais le mal était fait, et
ne put être réparé que longtems après.
L'expérience de M. de Courcelles ; la fermeté et la
sagesse avec lesquelles il avait gouverné, l'avaient fait
aimer des Français, et respecter des Sauvages. " Le
caractère de son successeur, dit un historien, a quelque
chose d'extraordinaire. Il était doué de grandeur
d'âme et d'héroïsme, ferme de caractère, mais altier et
indomptable : ayant de grandes vues, mais incapable de
céder aux conseils et de modifier ses desseins ; coura-
geux, persévérant, homme d'esprit, homme de cour,
mais susceptible de préventions, sacrifiant la justice à
ses haines personnelles et le succès d'une entreprise au
DU CANADA. 161
triomphe de ses préjugés ; ambitieux, ardent ; homme
dont on avait tout à espérer et beaucoup à craindre."
Il se brouilla d'abord avec les missionnaires et les
ecclésiastiques, particulièrement ceux de Mont-réal : il
fît mettre aux arrêts M. Perrot, apparemment parce
qu'il avait pris le parti des ecclésiastiques, ou était con-
trevenu à ses ordres : il fit emprisonner un pi-être du
séminaire, qui avait prêché contre lui, dit-on, et avait
pris des attestations des habitans de la ville en faveur
de M. Perrot, leur gouverneur. Il se brouilla ensuite
avec M. Duchesneau, qui avait succédé à M. Talon,
comme intendant. Ce dernier se plaignait que M. de
Frontenac n'avait composé le conseil supérieur que de
gens qui lui étaient entièrement dévoués, et que par là
il s'était rendu l'arbitre souverain de la justice, et tenait
tout le monde sous le joug.
" Il faut pourtant avouer, dit Charlevoix, que les
eoups de vigueur que fit alors le comte de Frontenac
ne furent pas tous repréhensibles, quant au fond; niai*-'
lors même qu'il usait le plus à propos de sévérité, il le
faisait avec un air de violence et des manières si hau-
taines, qu'il diminuait beaucoup le tort des coupables,
en rendant le châtiment odieux."
Des Iroquois chrétiens s'étaient établis, depuis quel-
ques années, à la Prairie de la Madeleine; mais le ter-
rain ne se trouvant pas favorable aux grains qu'ils
avaient coutume de semer, leurs missionnaires deman-
dèrent au gouvernenr et à l'intendant un autre empla-
cement, vis-à vis du Sault Saint-Louis. M. de^Fron-
tenac ne répondit rien à leurrequête; mais M. Duches-
neau prit sur lui de leur accorder ce qu'ils demandaient,
et ils s'en mirent en possession. Ce fut un autre sujet
de brouilleric entre le gouverneur et l'intendant, et sui-
vant Charlevoix, d'emportemens inexcusables de la part
du premier. o 2
162 HISTOIRE
Mais le fort de la dispute était toujours au sujet du
Conseil, dont M. de Frontenac voulait réduire presque
à lui seul toute l'autorité. Pour faire cesser le différent,
qui allumait le feu de la discorde dans toutes les parties
de la colonie, parce que le comte de Frontenac et M.
Duchesneau avaient chacun leurs partisans, le roi rendit,
le 15 juin 1675,* une ordonnance, portant que le Gou-
verneur général aurait la première place dans le conseil,
l'Evêque, la seconde, et l'Intendant, la troisième ; mais
que ce serait à ce dernier à demander les opinions, à
recueillir les voix, et à prononcer les arrêts.
C'est ici le lieu de remarquer que le conseil supérieur
siégeait régulièrement tous les lundis, au palais de l'in-
tendant. S'il était nécessaire de l'assembler extraordi-
nairement, l'intendant en devait marquer le jour et
l'heure, et en faire avertir le gouverneur par le premier
huissier. La j ustice s'y rendait suivant les ordonnances
du royaume de France et la coutume de Paris. Le
nombre des conseillers avait été augmenté de deux, à
l'arrivée de M. Duchesneau.f Outre le conseil supé-
rieur, il y avait encore alors trois justices subalternes,
celle de Québec, celle de Montréal et celle des Trois-
Rivières. Elles se composaient d'un lieutenant parti-
culier et d'un procureur du roi. Le premier conseiller,
qui était nommé par le roi, avait huit cents livres tour-
nois d'appointemens : les cinq plus anciens conseillers
* Par un édit daté du mois de décembre de l'amiée précédente,
Louis XIV s'était remis en possession des droits et privilèges
qu'il avait octroyés, en 1664, à la compagnie des Indes Occiden-
tales.
f Dans l'ordonnance, ou édit de confirmation que nous venons
de citer, le roi nomme Conseillers MM. Louis Rouer de Villeray,
Charles Legakdedr de Tilly, Mathieu Damours, Nicholas
Dupont, René Louis Chartier de Lotbinieke, Jean Baptiste
DE Ferras et Charles Denys : M. Ruette d'Auteuil, Procureur
général, et M. Gilles Rageot, Greffier.
DU CANADA. 163
avaient, chacun, quatre cents livres ; les autres n'avaient
rien, et il n'y avait point d'épices. Le procureur géné-
ral et le greffier en chef avaient aussi des appointemens
modiques. Ceux des cours subalternes furent réglés
par une déclaration du roi du 12 mai 1678. Dans ce
temps-là, les notaires et les huissiers avaient aussi des
salaires : sans cela ils n'auraient pas eu de quoi vivre, le
casuel se réduisant à presque rien, dans une colonie si
pauvre et si peu peuplée. D'après un recensement fait
en 1679, la population française du Canada ne se com-
posait que de 8515 individus.
Pour revenir à l'ordonnance dont nous venons de
parler, elle né mit pas entièrement fin à la discorde : M.
de Frontenac exila, de sa propre autorité, le procureur
général et deux des conseillers.
Le principal sujet de démêlés entre le gouverneur et
l'évêque était la ti'aite de l'eau-de-vie : M. de Laval et
les missionnaires se plaignaient que ce commerce causait
des désordres scandaleux parmi les Sauvages, et sévis-
saient, autant qu'il était en leur pouvoir, contre ceux
qui le faisaient. M. de Frontenac, et ceux qui pensaient
comme lui, soutenaient que la traite de l'eau-de-vie
était absolument nécessaire pour attacher les naturels
du pays aux Français ; que les abus dont les ecclésias-
tiques faisaient tant de bruit, s'ils n'étaient pas imagi-
naires, étaient du moins fort exagérés, et que leur zèle
sur cet article n'était guère qu'un prétexte pour persé-
cuter ceux qui les empêchaient de dominer dans le pays.
Les opinions furent quelque temps partagées sur ce
sujet, à la cour et au conseil du roi : M. Duchesneau
ayant écrit à M. Colbert, pour appuyer le sentiment du
prélat, qui avait fait un cas réservé de la traite de l'eau-
de-vie, le ministre lui répondit qu'il n'agissait pas en
cela comme devait faire un intendant ; qu'il devait savoir
164 HISTOIRE
qu'avant d'interdire aux habitans du Canada un com-
merce de cette nature, il fallait s'assurer de la réalité
des crimes auxquels on prétendait qu'il donnait lieu.
En effet, par un arrêt du conseil du 12 mal 1678, il fut
ordonné qu'il y aurait une asssemblée de vingt des prin-
cipaux habitans de la Nouvelle France, pour donner
leur avis touchant la traite en question. Cela fait, et
les raisons apportées de part et d'autre, Louis XIV prit
le moyen le plus sûr pour donner gain de cause au
clergé : il voulut que l'archevêque de Paris et le P.
Lachaise, son confesseur, fussent juges du diiïérent. Le
prélat et le religieux, après avoir conféré avec l'évêque
de Québec, qui se trouvait alors en France, décidèrent
que la traite de l'eau-de-vie, dans les habitations des
Sauvages, devait être prohibée, sous les peines les plus
graves. E y eut une ordonnance du roi pour appuyer
cette décision, et il fut expressément enjoint au comte
de Frontenac de la faire exécuter.
Au mois de mai 1678, il y eut un édit du roi, au
sujet des curés, qu'on voulait rendre fixes, au lieu d'amo-
vibles qu'ils avaient été jusqu'alors ; et pour confirmer le
règlement provisoire du conseil supérieur, par rapport
aux dîmes. Au mois d'octobre de cette même année,
fut enregistrée au conseil supérieur de Québec, avec les
modifications approuvées par un édit du mois de juin
précédent, l'ordonnance de Louis XIV du mois d'avril
1667, concernant la procédure, ou la Rédaction du Code
Civil, comme on appelle communément cette ordon-
nance.
Quoique les Iroquois ne recommençassent point la
guerre contre la colonie, ils ne laissaient pas de causer
quelque inquiétude. Comme son prédécesseur, M. de
Frontenac s'efforçait de les tenir en paix avec toutes
les tribus sauvages. Ayant su qu'il s'était élevé des
DU CANADA. 165
différens sérieux entre eux et les Illinois, nouveaux
alliés des Français, il leur envoya un homme de confi-
ance pour les inviter à lui envoyer des députés à Cata-
rocouy, où il promettait de se trouver en personne. Il
reçut pour réponse, que s'il voulait leur parler, il devait
se rendre jusqu'à la rivière ^Onnontagué. Pour
répondre au ton de hauteur que prenaient les Iroquois,
il leur fit dire, après qu'il eut su qu'ils consentaient à
envoyer des députés à Catarocouy, qu'il n'irait pas au-
delà de Mont-réal; qu'il les y attendrait jusqu'au mois
de juin ; mais que, passé ce temps, il retournerait à
Québec. Cinq députés arrivèrent à Mont-réal, mais
seulement au mois de septembre. Comme le gouver-
neur général s'y trouvait, il leur donna audience, et leur
fit promettre de faire tous leurs efforts pour empêcher
une rupture avec les Illinois.
Cependant, le départ de M. Talon et la mort du P.
Marquette avaient fait perdre de vue le Micissipi, et M.
de Frontenac avait trop d'occupations de diverses sortes,
pour penser sérieusement à faire achever la découverte
de ce fleuve. Il fallut que l'idée en vînt à un particu-
lier entreprenant, établi depuis quelque temps à Mont-
réal, comme agriculteur et commerçant. Ce particulier
était Robert Caveliek de la Sale, natif de Rouen,
en Normandie. Il avait déjà fait plusieurs excursions
chez les Sauvages, et il était d'abord venu en Canada,
dans la résolution de chercher, par le nord de ce pays,
un passage aux Indes et à la Chine.* Mais après le
retour du sieur Joliet, il avait changé de dessein ; et
* Un accident, qui hii arriva, trois lieues au-dessus de Mont-réal,
où il fut retoini quelciue temps, fit donner à l'ondrnit le nom de Zo
Chine, par dérision de son projet de se rendre dans l'empire de ce
nom par le Canada. C'est ainsi que le nom de Sault au Récollet
fut donné au rapide de la rivière des Prairies, où le P. ViEi-,
récollet, se noya, en 1625.
166 HISTOIRE
persuadé que le Micissipi se déchargeait dans le golfe
du Mexique, il résolut de le reconnaître lui-même jus-
qu'à sa source. Il s'en ouvrit au comte de Frontenac,
qui lui pi'omit de l'aider de tout son pouvoir, et lui per-
suada de passer en France, pour obtenir l'autorisation
et les fonds nécessaires pour mettre son dessein à exé-
cution. •
La Sale fut bien accueilli par M. de Seignelay, qqi
avait succédé à son père, dans le département de la
marine ; il obtint du roi la seigneurie de Catarocouy, à
condition qu'il bâtirait le fort en pierre, et reçut des
pleins pouvoirs et des fonds pour continuer les décou-
vertes commencées. Le chevalier de Tonti, brave
officier sicilien, réfugié en France, lui fut associé, et ils
partirent de La Rochelle, le 14 juillet 1678, avec une
trentaine d'hommes, ouvriers et matelots.
Arrivé en Canada, La Sale rebâtit le fort de Fronte-
nac, et fit construire une barque, ou goélette, pour navi-
guer sur le lac Ontario, tandis que Tonti, accompagné
d'un certain nombre d'hommes, pénétrait plus loin vers
l'Ouest, pour faire la traite avec les Sauvages. De
Catarocouy, La Sale passa, dans sa barque, à Niagara,
oh il traça le plan d'un nouveau fort. Son vaisseau
s'étant brisé, après quelques voyages heureux, il en fit
construire un plus grand, qu'il nomma le Chiffon, pour
naviguer sm" le lac Erié. Ce vaisseau périt, bientôt
après, dans une tempête, ou, suivant un autre rapport,
fut détruit par les Sauvages.
Ces pertes étaient pour La Sale des malheurs que ne
réparaient pas entièrement les courses mercantiles que
faisait pour lui son associé ; mais elles ne lui firent
rien perdre de son activité et de son esprit d'entreprise.
Au mois d'août 1679, il s'embarqua sur le lac Erié, avec
quarante hommes, au nombre desquels était le P. Hen-
DU CANADA. 167
NEPIN, récollet ; il gagna le détroit qui le séparait du
lac Huron ; parcourut ce nouveau bassin, et se rendit
sur la côte de Michillimakinac, d'où il pénétra dans le
lac Michigan. Arrivé à l'entrée de la rivière Saint-
Joseph, La Sale y fit construire un fort ; et Tonti l'ayant
rejoint, avec le reste des hommes, il remonta le cours de
cette rivière, et traversa les hauteurs qui le séparaient
de l'une des deux branches de l'IUinois. Cette route,
différente de celle qu'avaient suivie JoUet et le P. Mar-
quette, ouvrait aux nouveaux voyageurs les contrées les
plus riantes et les plus fertiles. La Sale pénétra dans
les belles vallées que parcourt l'IUinois : il bâtit sur ses
rives le fort de Crevecœur, établit des relations amicales
avec les naturels du pays, comnicnça la traite des pelle-
teries, dont le monopole lui était accordé, dans ces
quartiers, et fit entreprendre un voyage vers le haut
Micissipi, avant d'en reconnaître lui-même le cours infé-
rieur.
Le 18 février 1680, le P. Ilennepin s'embarqua, avec
le nommé Dacan, et un autre Français, dans un canot
d'écorce : il gagna le confluent de l'IUinois et du INIicis-
sipi ; remonta ce fleuve, et reconnut successivement
l'embouchure de ses principaux afHuens ; l'Ouisconsin,
le Chippéouais, et la rivière Sainte-Croix, du côté de
l'Est ; la rivière Mingona, (ou des Moines), et ceUe de
Saint-Pierre, du côté de l'Ouest. Un peu plus loin, sa
navigation fut interrompue par une cataracte de dix-sept
pieds de hauteur, qui occupe toute la largeur du fleuve :
elle reçut le nom de Sault de Saint- Antoine.* En
naviguant plus au nord, on rencontra la rivière Saint-
François, que l'on remonta jusqu'au lac Issati, où elle
* Quelques voyageurs français modernes, et parmi eux M. J.
C. Beltrajii, disent ridiculement le 8ault St. Anthotii/, la rivière
St. Peter, hes Anglo-Américains parlent ainsi sans dioute ; iQais
en parlant ainsi, ils traduisent du français eu anglais.
168 HISTOIRE
prend sa source. Là, les trois voyageurs furent faits
prisonniers par les Sioux, habitans de ces contrées.
Remis en liberté, bientôt après, ils redescendirent le
Micissipi jusqu'à l'Ouisconsin, remontèrent cette rivière,
et gagnèrent, en faisant un portage, celle des Outagamis,
qui les conduisit à la Baie Verte, d'où il revinrent à
Mont-réal.
Cependant, la guerre s'étant déclarée entre les Illinois
et les Iroquois ; pour se mettre à l'abri des incursions de
ces derniers, La !*ale bâtit le fort de Saint-Louis, sur
un rocher de deux cents pieds de hauteur, qui dominait
le cours de l'Illinois. Ces travaux, et un voyage qu'il
lui fallut faire au Canada, pour obtenir des levées
d'hommes, et des moyens de défense, l'occupèrent une
année entière. 11 s'emlsarqua ensuite, avec un certain
nombre d'hommes, sur un bâtiment qu'il avait fait
construire, et arriva sur le Micissipi, le 2 février 1682.
En descendant ce fleuve, il parvint à l'embouchure de
l'Arkansas, où il fit un acte solennel de prise de posses-
sion. E poursuivit jusqu'au golfe du Mexique le cours
de sa navigation, et le nom de Louisiane fut donné aux
contrées arrosées par le Micissipi.
La Sale pouvait revendiquer la gloire d'avoir, le pre-
mier, descendu le Micissipi jusqu'à son embouchure;
mais celle d'avoir vu, les premiers, cette embouchure,
appartenait déjà aux Espagnols.*
* En 1 538, Ferdinand Soto, parti d'Espagne, avec un corps de
douze cents hommes, débarqua dans une baie de la Floride qu'il
appella de Spiritu Santo. Il remonta vers le nord jusqu'au pied
des Apalaches; puis, se dirigeant vers l'Ouest, à travers les contrées
arrosées par le Coosa, VAlabama, le Tombigbi, il gagna successive-
ment le Micissipi, la rivière Rouge, le Bruzvs de î)ios, qui devint
le tenne de son expédition. Revenant sur ses pas, il atteignit de
nouveau le Micissipi, près de l'embouchure de VArkansas, où il
mourut. Ses gens s'embarquèrent sur le Heuve, et le descendirent
jusqu'à sou embouchure, d'où ils se rendirent sur les côtes du
Mexique, ou aux grandes Antilles.
DU CANADA. 169
Pendant ces voyages de découveite, c'est-à-dire, vers
1680, ou 1681, il se forma, à Québec, une compagnie
du Nord, pour commercer à la Baie d'Hudson,* et en
chasser les Anglais, qui s'y étaient établis. Au prin-
temps de 1682, elle fit partir pour ces quartiers deux
vaisseaux, dont elle donna le commandement à deux
particuliers entreprenants, MM. Radison et Desgro-
SEiLLiEus, qui connaissaient le pays et le commerce
qu'on y pouvait fuii-e. Cette entreprise donna lieu à
diverses rencontres, entre les sujets des deux peuples
rivaux, dans lesquelles il y eut des postes pris et repris
success".vemeht, et beaucoup de sang répandu sans résul-
tat important.
M. Lefebvre de la Barre et M. de Meules,
nommés, le premier, Gouverneur, et le second, Inten-
* Ou, Baie du Nord de Canada, comme on disait alors.
On ignore en quel temps et par qui la Baie d'Hudson fut
découverte pour la première fois ; mais il est certain que ce fut
Henry HuDsox, navigateur anglais, qui donna son nom à cette baie,
ainsi qu'au détroit par lequel il y entra, en 1611. Charlevoix
prétend que les prises de possession de quelques parties de ce
pays, faites par Nelson, pilote d'Hudson, ainsi que par Button et
LuxFOX, n'établissaient pas mieux les droits de la nation anglaise
sur cette baie, que celles de Verrazzan n'établissaient ceux de la
France sur la Caroline, la Virginie, etc. ; puisque, dit-il, il est
certain que les Anglais ne possédaient rien aux ennrons de cette
baie, lorscjue le sieur. Bourdon ^ fut envoyé du Canada, (eu 1656),
pour en assurer la possession à la France. Mais si un pays inculte
ou sauvage appartient, non à la nation qui le découvre, mais à
celle qui s'y établit, la première, les Anglais avaient bâti le fort
Rupert, à l'embouchure de la rivière de Némi.tcau, et celui de
Quitchitchouen, sinon antérieurement au voyage du sieur Bourdon
dans ces quartiers, du moins avant que M. Talon, qui avait formé
le dessein de chercher im chemin facile pour aller par le Saguenay
à la Baie d'Hudson, y eût envoyé le P. Albanel, et M. i>E Saint-
SiJioN, gentilhomme canadien. Ces envoyés étaient entrés par
la rivière de Némiscuu dans la Baie d'Hudson, et avaient fait, en
plusieurs endroits, des actes de prise de possession, les avaient
signés, et les avaient fait signer par les chefs de diverses tribus de
Sauvages, qu'ils avaient assemblés. Mais si des prises de posses-
sion n'avaient été que des cérémonies vaines pour les Anglais, que
pouvaient-elles être autre chose pour les i'raii(,"ai» '(
1 70 HISTOIRE
dant, en remplacement du comte de Frontenac et de
M. Duchesneau, arrivèrent à Québec, dans l'été de
1682.
A peine le nouveau gouverneur général fut-il arrivé,
qu'il apprit que les Iroquois avaient déclaré la guerre
aux niinois, et qu'ils étaient mal intentionnés envers la
colonie. H convoqua une assemblée, à laquelle il invita
l'évêque et quelques ecclésiastiques, l'intendant, plusieurs
des membres du conseil supérieur, les principaux officiers
des troupes, et les chefs des juridictions subalternes,
pour qu'ils lui donnassent leur avis sur la cause du mal
dont la colonie était menacée, et sur le meilleur moyen
de le détourner.
Le résultat de la délibération fut que, vu l'impossi-
bilité d'éviter la guerre, et de la faire avantageusement,
avec le peu de moyens qu'on possédait, il était urgent
de s'adresser incessamment au roi, pour lui demander
les secours nécessaires. M. de La Barre fit dresser un
acte de cette délibération, et l'envoya à la cour. Elle
y fut approuvée, et le roi donna ordre de faire embar-
quer, sans délai, deux cents soldats pour le Canada.*
M. de La Barre se prépara donc à la guerre contre
les Iroquois, sans néanmoins perdre tout espoir d'accom-
modement avec ces Sauvages. Il chargea un homme
de confiance de les aller prier de lui envoyer des députés
à Mont-réal. Ils donnèrent l'assurance que des députés
se rendraient à Mont-réal avant le mois de juin ; mais
iès le mois de mai, on eut nouvelle que sept à huit cents
guerriers des cantons d'Onnontagué, d'Onneyouth et de
Goyogouin étaient en marche, pour aller attaquer les
* Deux cents soldats ! C'était-là tout ce que pouvait faire pour
s'assurer la paisible possession de la "Nouvelle France," un
monarque à qui il ne répug;nait point de faire tuer ses sujets par
dix aines et centaines de milliers, dans des guerres souvent aussi
folles qu'injustes.
DU CANADA. 171
Hurons, les Outaouais et les Miamis, et que les Tson-
nonthouans devaient se répandre, par troupes séparées,
dans les habitations françaises, vers la fin de l'été. M.
de La Barre eu prit occasion d'écrire de nouveau à la
cour, pour en obtenir promptement des secours plus
considérables que ceux qui lui avaient déjà été promis.
Il jugea aussi à propos de faire encore une tentative
auprès des Cantons. Il leur envoya demander en quel
temps ils comptaient que leurs députés arriveraient à
Mont-réal, pour dégager la parole qu'ils lui avaient
donnée. Us lui firent répondre qu'ils ne se souvenaient
pas de lui avoir rien promis, et que s'il avait quelque
chose à leur faire savoir, il pouvait les venir trouver
chez eux. Néanmoins des députés des cinq cantons
arrivèrent au mois d'août, à Mont-réal ; mais on ne put
tirer d'eux autre chose que des protestations vagues d'un
attachement sincère.
A peine les députés des Cantons étaient -ils de retour
chez eux, qu'un de leurs partis de guerre tentait de sur-
prendre la garnison du fort de Catarocouj, et qu'un
autre était en marclie pour aller attaquer celui de Saint-
Louis, où M. de La Barre avait placé M. de BArGT,
lieutenant, en qualité de commandant. Après avoir
battu et pillé, en route, une troupe de marchands fran-
çais, les Iroquois parurent à la vue du fort, et l'attaquè-
rent ; mais Baugy ayant été averti de leur approche, et
s'étant préparé à la défense, les assaillans furent con-
traints de se retirer avec perte.
Cependant, le gouverneur, averti des grands prépa-
ratifs que faisaient les Iroquois, crut qu'il valait mieux
prévenir ces barbares, en portant la guerre chez eux,
que d'attendre, pour les combattre, qu'ils eussent mis le
pied dans la colonie. Il prit encore une précaution
propre u assurer le succès de son entreprise ; ce fut de
172 HISTOIRE
diviser les cantons, poui' n'avoir pas affaire à tous en
même temps. A cet effet, il envoya des colliers aux
Agniers, aux Onnontagués et aux Onneyouths, pour
les engager à demeurer neutres entre lui et les Tsonnon-
thouans, chez lesquels seuls il voulait, disait-il, porter
la guerre. Il fit ensuite partir M. Dutast, capitaine
de vaisseaux, avec cinquante hommes d'élite, pour
porter un grand convoi de vivres et de munitions à
Catarocouj, et garder ce poste; M. d'Orvilliers, qui
y commandait, ayant eu ordre, dès le commencement du
printems, d'aller reconnaître le pays ennemi, et de
marquer l'endroit le plus propre pour le débai*quement.
Toutes les dispositions étant faites, l'armée se mit en
marche. Elle était composée de cent trente soldats, de
sept cents Canadiens, et de deux cents Sauvages, la
plupart Iroquois du Sault Saint-Louis et Hurons de
Lorette* Elle s'embarqua àMout-réal, dans les derniers
joui's de juillet. M. de La Barre apprit, dans la route,
que malgré que le colonel Dunkax, ou Dungan, gou-
verneur de la Nouvelle York pour les Anglais, | eût
offert aux Tsonnonthouans quatre cents cavaliers et
autant d'hommes de pied, pour soutenir la guerre contre
le gouverneur du Canada, les cantons d'Onnontagué,
d'Onneyouth et de Goyogouin s'étaient faits médiateurs
entre eux et les Français. En effet, des députés des
trois cantons rencontrèrent l'ariBée de M. de la Barre
campée sur les bords du lac Ontario, dans une anse, à
laquelle la disette dont cette armée souffrait depuis
* Les Hurons de Sylleri étant presque tous morts de la petite-
vérole, le P. Chaumonot, jésuite, rassembla tous ceux qui se
trouvaient dans les environs de Québec, et les fixa à l'endroit
appelle maintenant V Ancienne Lorette.
f Cette province, appellée auparavant Nouvelle Belgique, était
passée, depuis quelques années, de la Hollande à l'Angleterre.
DU CANADA. 173
qu'elle y était arrivée, fit donner le nom d'Anse de la
Famine.*
Garakonthié et Oureouati, les deux principaux
chefs de la députation, parlèrent avec beaucoup de bon
sens et de modération ; mais le député tsonnontliouan
fit un discours plein d'arrogance ; et sur la proposition
qui lui fut faite de laisser les Illinois en paix, il répon-
dit qu'il ne leur donnerait point de relâche, qu'un des
deux partis n'eût détruit l'autre. Toute l'armée fut indi-
gnée de cette insolence : mais quelle ne fut pas sa
surprise, quand elle vit le général se contenter de répli-
quer à l'arrogant député, que du moins il prit gax'de,
qu'en voulant frapper les Illinois, ses coups ne tombas-
sent sur les Français qui demeuraient avec eux. Il le
promit, et la paix fut conclue à cette seule condition.
Les députés d'Onnontaguô se rendirent garants que les
Tsonnonthouans répareraient le mal que leurs guerriers
avaient fait aux Français, en allant faire la guerre aux
IlUnois ; mais on exigea du général que son armée
décampât dès le lendemain. Il partit lui-même, sur-le-
champ, après avoir donné ses ordres pour l'exécution
de ce dernier article.
Cependant, M. de la Durantaye, qui commandait
à Michillimakinac, et M. Duluth, son lieutenant, qui
était à la Baie Verte, avaient eu ordre d'inviter les
tribus de ces quartiers à se rendre à Niagara, où le
gouverneur général devait se trouver, vers le milieu
d'août, avec son armée, pour châtier les Tsonnonthouans.
Ces Sauvages montrèrent d'abord beaucoup de répu-
gnance à se joindre aux Français, particulièrement
ceux de la Baie, en conséquence des mauvais procédés
des gens de M. de la Sale, à l'égard de quelques uns
* Suivant JI. ToATCUEK, l'endroit se nommait, eu langue iro-
quoisc, Kaihohage.
p2
174 HISTOIRE
d'entre eux ; mais enfin, PeiTot, le vojagenr dont nous
avons parlé plus haut, vint à bout de leur faire com-
prendre qu'il y allait de leur intérêt, plus encore que de
celui des Français, d'humilier, sinon de détruire une
nation qui voulait faire la loi à toutes les autres. La
Durantaye se trouva bientôt à la tête de cinq cents
guerriers, Hurons, Outaouais et autres, auxquels il put
joindre deux cents Français ou Canadiens, et descendit
avec eux à Niagara. Mais quel ne fut pas l'étonnement
des Sauvages de n'y trouver ni M. de La Barre, ni aucun
Français ? Us se plaignirent hautement qu'on ne les
avait tirés de leur pays que pour les livrer aux Iroquois ;
et quand ils surent que la paix était faite, la Dui-antaye,
Duluth et Perrot eurent besoin de mettre dehors toutes
Jes ressources de leur génie, pour leur persuader qu'ils
n'avaient pas été joués, et faire qu'ils s'en retournassent
tranquillement chez eux.
Quand l'effervescence se fut un peu calmée, les chefs
dirent à ceux qui les avaient fait venir inutilement de
si loin : " Ce n'est pas la première fois qu'OxONTHio se
sert de nous, comme d'insti-umens, pour son avantage.
Nous voyons bien que les Français n'ont en vue que
leurs intérêts, et non le nôtre, dans toutes ces expédi-
tions. Nous ne serons plus trompés ; Oxonthio ne
nous fera plus sortir de chez nous que quand il nous
conviendra de le faire : nous le laisserons vider seul ses
différens avec les Iroquois, contre lesquels nous saurons
bien nous défendre, s'ils viennent nous attaquer."
A peine M. de La Barre fut-il de retour à Québec,
qu'il y arriva un renfort de troupes, qui aurait pu le
mettre en état de faire la loi à ceux de qui il venait, pour
ainsi dire, de la recevoir. L'état déplorable où sa petite
armée avait été réduite par la disette et la maladie, excita
contre lui un murmure général, et M. de Meules crut
DU CANADA. 175
devoir informer le ministre des colonies de la manière
peu judicieuse, ou peu vigilante, dont l'expédition avait
été conduite.
Cette même année 1684, M. de Callieres, militaire
de grand mérite, fut nommé gouverneur de Mont-réal,
en remplacement de M. Perrot, qui s'était brouillé avec
le séminaii-e, et à qui le roi donna le gouvernement de
l'Acadie.
Depuis l'époque où nous avons laissé cette dernière
province, il ne s'y était rien passé de remarquable, que
quelques aggressions de la part des Anglais, oudeshabi-
tans des colonies anglaises, et des altercations et des
hostilités entre les particuliers auxquels, d'après la mau-
vaise politique du temps, le pays avait été partagé. Les
plus notables de ces particuliers étaient M. de Latour ;
les sieurs Le Borgne, père et fils, de la Rochelle, qui
avaient succédé au sieur de Charnisé, au Port Royal
et ailleurs, et le sieur Dents. Ce dernier avait obtenu
la côte orientale, depuis Campceau jusqu'à Gaspé ; il y
avait bâti le fort de Chédaboncton, et celui de Saint-
Pierre, dans l'De Royale, où il avait aussi commencé un
établissement. M. Denys était un homme de mérite,
à vues droites, et à conceptions vastes ; mais les sieurs
Le Borgne, et le nommé Lagiraudiere, qui avait aussi
obtenu une concession de terres en Acadie, et particu-
lièrement le port de Campceau, ne se montrent que
comme d'indignes intriguans, ou plutôt, comme des
aventuriers sans foi, sans probité, plus dignes de com-
mander à des flibustiers, que capables de former des
établissemens solides, dans un pays nouveau. Les
aggressions injustes, les usurpations dont ils se rendirent
coupables, rappellent, selon la remarque d'un historien,
" ces petits seigneurs féodaux, qui attaquaient leurs
castels, dès qu'ils étaient mécontents les uns des autres.
176 HISTOIRE
H ne faut pourtant pas confondre avec les hommes indi-
gnes que nous venons de nommer, un marchand de La
Rochelle, du nom de Guilbaut, qui s'était associé avec
Le Borgne, fils, et avait centrait, à La Hève, un fort de
pieux. Attaqué, dans ce fort, par les Anglais, il s'y
défendit avec vigueur, tandis que la peur avait fait fuir
son associé dans les bois. Le commandant anglais fut
tué, aux premières attaques, ainsi que plusieurs de ses
gens ; ce qui contraignit les autres à s'éloigner. Ils se
préparaient néanmoins à revenir à la charge, lorsque
Guilbaut, qui n'avait, à La Hève, d'autre intérêt que
celui de ses effets, leui' proposa une capitulation qui fut
acceptée. La faim força bientôt le lâche Le Borgne
à venir se remettre prisonnier entre les mains des
Anglais. Enfin Hubert d'Axdilly, chevaher de Grand-
Fontaine, avait succédé à ces particuliers, en 1670,
comme gouverneur, pour le roi, de toute l'Acadie, depuis
la rivière de Kennebec, jusqu'au fleuve Saint-Laurent.
On avait songé, à la cour de France, à mettre cette
province en état d'être secourue promptement, du côté
de Québec, au moyen d'une route commode entre cette
capitale et le Port Royal, ou le fort de Saint-Jean, ou
même Pemtagoët : M. Patoulet, commissaire de
marine, avait été envoyé sur les lieux, dans cette vue ;
mais le projet ne fut pas mis à exécution, et l'on ne
pouvait communiquer que très difficilement, par terre,
entre l'Acadie et le Canada proprement dit,, quand M.
Perrot succéda au chevalier de Grand-Fontaine.
M. de Meules fit la visite des provinces méridionales
du Canada, l'année suivante 1685 ; et à son retour à
Québec, il écrivit au ministre des colonies une lettre,
où il lui disait, entre autres choses, que le plus utile
établissement que l'on pouvait faire était celui de l'Aca-
die ; que pour rendre cet établissement stable, il était
DU CANADA. 177
néccssaii'e, avant tout, de peupler et de fortifier le Port
Royal, et de construire un bon fort à Pemtagoët, pour
servir de barrière contre les Anglais ; que si, avec cela,
on pouvait s'établir solidement à La Hève, dans l'île du
Cap Breton, et à Plaisance en Terre-Neuve, rien n'em-
pêcherait que la France ne fût seule maîtresse des pêches
de la morue, objet pour le moins aussi important que le
commerce, même exclusif, des pelleteries ; et enfin,
qu'ayant fait le dénombrement de tout ce qui dépendait
du gouvernement de l'Acadie, il n'y avait pas trouvé
neuf cents personnes.
Cependant, M. de La Sale, que nous avons laissé à
l'embouchure du Micissipi, était revenu à Québec, per-
suadé que l'entrée de la Louisiane, par le golfe du
Mexique, devait être la plus directe et la plus avanta-
geuse pour la métropole. H repassa en France, dans la
vue de tenter cette expédition maritime. Sa proposi-
tion fut bien accueillie, et il obtint quatre vaisseaux, sur
lesquels s'embarquèrent deux cents quatre-vingts per-
sonnes destinées à former un premier établissement.
L'escadre était commandée par un sieur de Bkaujeu,
comme l'expédition de terre devait l'être par La Sale.
La mésintelligence, qui éclata entre les deux chefs,
devint fatale à l'entreprise : on manqua l'embouchure
du Micissipi. La Sale soupçonnant l'erreur, voulait
rétrogarder ; mais Beaujeu s'obstina à poursuivre la
navigation vers l'Ouest, et l'on parvint à l'entrée de la
baie de Saint-Bernard, où furent débarqués les gens
de l'expédition, ainsi que les munitions de guerre et les
appi'ovisionnemens qui leur étaient destinés.
Une autre expédition avait été concertée avec celle
de La Sale ; et tandis qu'il pénétrait dans la Louisiane
par le golfe du Mexique, Tonti descendait le jNlicissipi
jusqu'à sou embouchure, dans l'espérance de se réunir
178 HISTOIRE
à lui. H l'attendit pendant quelques mois ; et après
avoir fait côtoyer les côtes du golfe par deux canots, il
remonta le fleuve, et revint au fort Crèvecœur, d'où il
était parti. Quelques uns des hommes qui l'accompa-
gnaient se séparèrent de lui : les uns se rendirent chez
les Cénis, les autres chez les Arkansas, et les différents
endroits où ils se fixèrent devinrent le berceau d'autant
d'établissemens français.
La Sale, réduit à ses seules ressources, se maintint,
ou plutôt s'obstina à demeurer deux ans entiers, sur la
côte inhospitalière où il avait abordé. Il tenta quelques
essais de culture, et quelques plantations, que la séche-
resse fit avorter, ou qui furent ravagés par les bêtes
fauves. Supérieur à toutes les fatigues, et peu soucieux
du bien-être et même de la vie de ses gens, il fit, pour
chercher le cours du Micissipi, plusieurs excursions, dans
chacune desquelles il perdit plus de la moitié de ceux
qui l'avaient suivi. L'extrême misère, et la perspective
d'une mort assurée et prochaine, mit le comble au mécon-
tentement. La Sale, qui au courage, à l'activité, et à
l'amour de la gloire, joignait malheureusement un
caractère impérieux^ violent, tyrannique, des manières
brusques et un langage injurieux, fut enfin forcé de se
mettre en route pour le pays des Cénis, avec le reste
de ses colons. La nécessité de chasser pour se nourrir
forçait ces gens de se partager en difierentes bandes.
Un neveu de La Sale s'étant emporté avec violence
contre quelques uns de ceux qui l'accompagnaient, ils
attendirent le moment de son sommeil pour l'assassiner.
Deux hommes attachés à son service, qui dormaient
près de lui, eurent le même sort. H fallait aux meur-
triers un crime de plus pour leur faire espérer l'impu-
nité, et il n'hésitèrent pas à le commettre : ils s'embus-
quèrent pour attendi-e La Sale, qui suivait la même
DU CANADA. 179
direction, et l'un d'eux le tua d'un coup d'arquebuse.
Un missionnaire et un Sauvage, qui le suivaient, reçu-
rent son dernier soupir. Ce meurtre fut commis le 20
mars 1687. Les amis de La Sale, (car il lui en restait
encore quelques uns*), voulaient venger sa mort ; mais
l'abbé Cavelier, son frère, les conj ura de laisser à Dieu
la vengeance. Elle ne se fit pas attendre longtems:
deux des assassins furent tués, dans une querelle avec
leurs complices : deux autres se sé^jarèrent volontaire-
ment d'un cortège où ils étaient vus avec horreur. Le
reste des voyageurs, après avoir passé chez les Cénis,
les Natchitoches, et autres tribus sauvages, parvinrent
au confluent de l'Arkansas et du Micissipi. Ils remontè-
rent ce fleuve et la rivière des Illinois jusqu'à St. -Louis.
Gagnant, de là les grands lacs, ils vinrent terminer à
Mont-réal et à Québec leur désastreuse expédition.
Pour revenir à M. de La Bari-e, la manière dont il
avait conduit et terminé son expédition, contribua à
hâter son rappel. f H eut pour successeur le marquis
* Parmi ces amis de La Sale était le sieur Joctel, "fort hon-
nête homme, le seul de sa troupe sur lequel il pût compter" sûre-
ment, suivant Charlevoix. et auteur du " Journal Historique du
dernier Voyage de M. de La Sale, pour trouver l'embouchure de
la rivière de Micissipi, autrement nommée de Saint-Louis" &c
■fM. DE LA Barrk ne manquait pas pourtant d'une certaine
activité : il avait suivi, d'une manière particulière, les mouvemens
de La Sale et de ses gens ; et il avait été très offensé de ce que
le P. Hennepin, en passant à Québec, n'avait voulu lui rien com-
muniquer des découvertes qu'il prétendait avoir faites, et qu'en
cox\%('(\niixi{H' \\ CTMi n'être pas importantes. Dès le 14 novembre
1682, il avait écrit au ministre des colonies, que l'imprudence de
La Sale avait allumé la guerre entre les Iroquois et les Fran^'ais ;
et <lans une autre lettre, du 30 avril 1G83, il disait que "La Sale
était, avec une vingtaine de vagabonds, Français et Sauvages, au
fond de la Baie Verte, où il tranchait du souverain, pillait et ren-
çonnait tous ceux de sa nation ; exposait les peuples aux incursions
des Iroquois ; et couvrait toutes ces violences du prétexte de la
permission qu'il avait du roi, de faire seul le commerce dans les
pays qu'il découvrirait ; en (juoi il était d'autant moins fondé, que
la Baie et ses environs étaient connus et fréquentés des Français,
longtems avant sou aiTirée en Amérique."
180 HISTOIRE
de Denonville, colonel de dragons, qui avait fait
preuve de courage et d'habileté, et de qui on pouvait
attendre de la fermeté et de la vigueur, lorsque les cir-
constances l'exigeraient.
Le premier soin du nouveau gouverneur fut de s'ins-
truire de l'état où se trouvaient les affaires avec les
Iroquois. Il ne tarda pas à être convaincu que les
Français n'auraient jamais ces peuples pour amis, et
que la meilleure politique à suivre était de les humilier
et de les affaiblir, au point de leur faire trouver leur sûreté
dans la soumission ou la neutralité.
Mais il ne s'agissait pas seulement de repousser les
attaques des ennemis de la colonie, il fallait encore
s'attacher à lui conserver ses alliés sauvages. Depuis
quelque temps, les Anglais de la Nouvelle York faisaient
tous leurs efforts pour rendre les tribus de l'Ouest enne-
mies des Français, et pour attirer chez eux le commerce
que ceux-ci faisaient dans ces quartiers. Pour empê-
cher un événement qui eût été un malheur pour le
Canada, M. de Denon ville proposa au ministre des colo-
nies (M. de Seignelay,) par une lettre datée du 8 mai
1686, de construire à Niagara un fort capable de con-
tenir une garnison de quatre à cinq cents hommes, tant
pour fermer aux Anglais le passage des lacs, et empê-
cher les Sauvages de leur porter leurs pelleteries, que
pour tenir les Iroquois dans la crainte et le respect, et
offrir un rendez- vous, et même un refuge, en cas de
besoin, aux alliés de la colonie. Les marchands de
Québec qui commerçaient avec les Sauvages de l'Ouest,
goûtèrent fort le projet du gouverneur, et offrirent même
de contribuer de tout leur pouvoir à son exécution.
Pendant que M. de Denon ville projettait ce nouveau
fort, il renforçait et approvisionnait abondamment celui
de Càtarocouy.
DU CANADA. 181
Le gouverneur de la Nouvelle York, attentif à toutes
les démarches de celui de la Nouvelle France, lui écrivit
une lettre dont la substance était, " Que les grands amas
de vivres qui se faisaient au fort de Frontenac, persua-
daient aux Iroquois qu'on avait dessein de leur déclarer
la guerre; que ces peuples étant sujets de la couronne
d'Angleterre, les attaquer, ce serait enfreindre la paix
qui subsistait entre les deux nations ; qu'il avait aussi
appris qu'on se proposait de construire un fort à Niagai'a,
et que cette nouvelle l'avait d'autant plus étonné, qu'on
ne devait pas ignorer en Canada, que tout ce pays était
de la dépendance de la Nouvelle York."
L'intention du marquis de Denonville était bien
d'attaquer les Iroquois ; mais comme il n'était pas encore
prêt à le faire, il répondit au gouverneur anglais, " Qu'y
ayant une grosse garnison à Catarocouy, il était néces-
saire d'y envoyer, à la fois, beaucoup de provisions,
attendu qu'on ne le pouvait pas faire commodément en
toute saison ; que les prétentions de l'Angleterre sur le
pays des Iroquois étaient mal fondées, et qu'on y devait
savoir que les Français en avaient pris possession avant
qu'il y eût des Anglais dans la Nouvelle York," Le
colonel Dungan était bien l'homme le plus actif et le
plus vigilant qu'il y eût alors en Amérique : rien ne lui
échappait ni des démarches, ni même des intentions de
ses adversaires, et on le voyait partout, soit par lui-
même, soit par ses émissaires. Dans la présente occa-
sion, il avait assemblé à Orange, (ci-après Albany), des
députés de tous les cantons Iroquois ; les avait avertis
que le nouveau gouverneur du Canada était déterminé
à leur déclarer la guerre, et les avait exhortés à le pré-
venir, en les assurant que, quoiqu'il arrivât, il ne les
abandonnerait point. S'il ne réussit pas à faire prendre
dès lors les armes aux Iroquois, la colonie en fut pcut-
Q
182 HISTOIRE
citre uniquement redevable au P. de Lamberville,
missionnaire chez les Onnontagués. Ayant été informé
de ce qui se tramait, il parvint, par son habileté et par
l'estime dont il jouissait dans les Cantons, à détourner
l'orage pour un temps. Après avoir tiré parole des
principa.ux chefs, qu'ils ne consentiraient à aucune hos-
tilité contre les Frfinçais, durant son absence, il pai'tit
pour aller instruire le gouverneur général de tout ce qu'il
avait appris. Les envoyés de Dungan travaillèrent avec
succès, durant l'absence du missionnaire français, qui à
son retour, trouva une partie des guerriers près de se
mettre en campagne ; mais il dissipa par ses discours,
et plus encore, peut-être, par les magnifiques présens
dont il était porteur pour les chefs, les soupçons et les
craintes qu'on leur avait inspirés.
Cependant, la compagnie du Nord, voulant se remettre
en possession d'un fort dont les Anglais s'étaient empa-
l'és, demanda à M. de Denonville des soldats et un
officier pour les commander. Ce général lui accorda
quatre-vingts hommes, presque tous Canadiens, et pour
commandant le chevalier de Trote. MM. de Sainte-
Helene, d'Iberville et de Maricourt, tous trois fils
de M. Lemoyne, homme marquant dans la colonie, vou-
lurent être de l'expédition, comme volontaires. Cette
petite troupe partit de Québec, au mois de mars 1686,
et ari-iva, le 21 juin, au fond de la Baie d'Hudson. Elle
s'empara de plusieurs forts et de plusieurs bâtimens, des
uns sans coup férir, et des autres, après une plus ou
moins longue résistance. Sainte-Hélène et Iberville y
firent des actions de valeur et d'intrépidité qu'on pourrait
appeUer héroïques, et auxquelles il n'a manqué qu'un
ttiéâtre plus connu et plus étendu, pour mériter d'être
consignées dans une liistoii-e générale.*
"^ Dans cette première expédition, îvl. de Tr.oYji attaqua un fort
do pieux à quatre bastions revêtus de terre, sur la rivière Monsoni,
DU CANADA. 183
A la fin de cette même année 1G86, ou au commen-
cement de la suivante, les commandans des quartiers de
l'Ouest, La Durantaye, Duluth, Tonti, eurent ordre de
mettre en état de défense les forts de Micliillimakinac et
du Détroit, et d'envoyer ou conduire à Niagara, le prin-
tems suivant, tous les Canadiens et Sauvages qu'ils au-
raient pu rassembler, et qui ne seraient pas nécessaires à
la garde de ces postes.
Au commencement de l'été de 1687, M. de Denon-
ville ayant reçu les renforts qu'il avait attendus de
France, se disposa à faire définitivement la guerre aux
Iroquois. Il débuta par un acte qui portait des carac-
tères si frappants de violence et de perfidie, qu'il aurait
dû en prévoir les suites fàclieuses, s'il ne regardait pas
à l'odieux de la chose en elle-même.
Depuis longtems, Louis XIV avait donne ordre que
les prisonniers de guerre iroquois fussent envoyés en
France, pour y être mis aux galères, " parce que, disent
appelle Monsipi, suivant Charlevoix. " Le canonnier seul, dit cet
auteur, " se mit en défense, et mourut en brave." Le reste de la
jiijarnisun so rendit prisonnier de guerre. Sainte-Helene, à la tête
de cinquante hommes, ayant rencontré, sur la côte, im bâtiment
qui n'était point gardé, s'y embarqua avec sa troupe, et alla débar-
quer sans opposition, près du fort Kupert. Il donna aussitôt
l'assaut à la place : la garnison, étonnée de cette hardiesse, se
rendit sans coup-férir. DIueuvii.le s'étant embarqué avec neuf
hommes, rencontra, à l'ancre, un petit bâtiment où il y avait qua-
torze hommes: il s'en rendit maître, après une courte et faible résis-
tance. Tous les Français so réunirent ensuite, s'embarquèrent
sur les prises de Sainte-Hélène et d'Iberville, et allèrent attaquer
le fort de Quitchitchouen, dont la garnison se rendit aussi, après
s'être laissé canonner quclciue temps, à la condition d'être envoyée
au port Nelson. Le fort de' Quitchitchouen prit le nom de Sainte-
Anne. Les Anglais le revinrent attaquer, l'année suivante ; mais
ils y trouvèrent le brave d'Iberville, qui les repoussa avec perte,
leur prit nu bâtiment richement chargé, et brûla le petit fort de
Charlvstown, qu'ils avaient bâti sur le bord de la mer, à quelques
lieues de celui de Quitchitchouen. Avant ces hostilités, ou ces
" représailles," les Anglais avaient enlevé aux Françuis un fort ou
comptoir, que ces derniers avaient bâti sur la rivière Sainte-
Thérèse.
1 84 HISTOIRE
les lettres royales, ces Sauvages étant forts et robustes,
serviront utilement sur nos chiourmes."
" Dans quel code, s'écrie un historien, est-il écrit que
les prisonniers de guerre seront relégués parmi les cou-
pables, et jettes au milieu de la lie des hommes ?" Sans
doute, ce code ne pourrait être que celui de la barbarie :
mais ici il y a plus : ce n'est pas de prisonniers de
guerre qu'il s'agit, mais des chefs d'un peuple avec qui
l'on est encore en paix, qu'on fait tomber dans le piège,
par des discours trompeurs et perfides, et à l'égard des-
quels on viole le droit des gens, de la manière la plus
indigne. Sous divers prétextes, le gouverneur général
attira les principaux chefs des Iroquois à Catarocouy ;
les fit saisir, enchaîner, conduire à Québec par une forte
escorte, et enfin embarquer pour la France, où les
galères les attendaient. Ce qu'il y eut de pis, c'est que
le marquis de Denonville se servit, pour cette affaire,
du ministère de deux missionnaires, les PP. de Lam-
berville et Millet, sans faire attention que, non seule-
ment il mettait ces religieux en danger de perdre la vie,
mais qu'il décréditait, peut-être sans retour, aux yeux
des Sauvages, la religion qu'on leur prêchait, depuis si
longtems, et qu'on paraissait avoir tant à cœur de leur
faire embrasser.
Le P. Blillet, qui tomba, quelque temps après, entre
les mains des Onneyouths, fut d'abord destiné ausupplice
du feu, et n'en fut préservé que par la générosité d'une
matrone, qui l'adopta pour son fils. Le P. Lamberville,
qui était demeuré entre les mains des Onnontagués,
ne dut son salut et sa liberté qu'à la grande estime et
au sincère attachement qu'on avait pour lui, dans ce
canton. A la première nouvelle de ce qui venait de se
passer à Catarocouy, les anciens le firent venir devant
eux, et après lui avoir exposé, avec toute l'énergie d'une
DU CANADA. 185
première indignation, le fait qu'ils venaient d'apprendre,
l'un d'eux lui dit : " Tu ne peux disconvenir que toutes
sortes de raisons nous autorisent à te traiter en ennemi ;
mais nous ne pouvons nous y résoudre : nous te con-
naissons trop pour n'être pas persuadés que ton cœur
n'a point eu de part à la trahison que tu nous as faite,
et nous ne sommes pas assez injustes pour te punir d'un
crime dont nous te croyons innocent, et dont tu es, sans
doute, au désespoir d'avoir été l'instrument. Il n'est
pourtant pas à propos que tu restes ici ; car quand notre
jeunesse aura chanté la guerre, elle ne verra plus en toi
qu'un perlîde, qui a livré nos chefs au plus indigne escla-
vage. Sa fureur tomberait sur toi, et nous ne pourrions
plus t'y soustraire."
Ils l'obligèrent à partir, sur-le-champ, et lui donnèrent
des guides, qui ne le quittèrent que quand ils l'eurent
mis hors de tout danger.
Le marquis de Denonville ayant assemblé l'armée
qu'il voulait conduire contre les Iroquois, il la fit camper
d'abord dans l'île de Sainte -Hélène, vis-à-vis de Mont-
réal. M. DE CiiAMPiGNY-NoROY, qui, l'année précé-
dente, avait succédé à M. de Meules, dans l'intendance,
s'y rendit, le 7 juin, avec le chevalier de Vaudreuu.,
qui était arrivé, depuis peu, dans la colonie, avec le
titre de commandant des troupes. Cette armée, com-
mandée pai" le marquis de Denonville en personne, était
composée de huit cent-trente soldats, d'environ mille
Canadiens, et de trois cents Sauvages. Elle se mit eu
route, le 1 1, sur deux cents bateaux et autant de canots
d'écorce.
En arrivant à Catarocouy, le général français reçut
une lettre du colonel Dungan, écrite sur le ton que ce
gouverneur avait coutume de prendre, lorsqu'il s'agissait
des Iroquois ; c'est-à-dire, qu'il se plaignait hautement
Q2
186 HISTOIKE
fie ce que le gouverneur du Canada faisait la guerre à
des peuples qui étaient sujets de sa majesté britannique.
Il ajoutait que M. de la Barre n'avait pas cru devoir
s'engager dans une pareille expédition, sans lui en avoir
auparavant donné avis.
M. de Denonville lui fit réponse qu'ils étaient loin
de compte, s'il regardait les Iroquois comme sujets du
roi d'Angleterre, et que, quant à la démarche de son
prédécesseur, il lui déclarait que ce n'était pas pour lui
un exemple à suivre. Le gouverneur du Canada parlait
avec d'autant plus d'assurance, dit le P. Charlevoix,
qu'il croyait être en droit d'accuser de mauvaise foi
(;elui de la Nouvelle York. Il venait d'apprendi-e que
La Durantaye avait rencontré, sur le lac Huron, soixante
Anglais, escortés par des Tsonnonthouans, et conduits
par un Français, avec des marchandises, pour faire la
traite à Michillimakinac* Le fait de ces traitans
anglais était une contravention aux conventions faites
entre les couronnes de France et d'Angleterre ; mais le
colonel Dungan pouvait l'ignorer, et conséquemment
n'être pas coupable de mauvaise foi, non plus que d'in-
fraction des traités.
De Catarocouy M. de DenonviEe se transporta à la
rivière des Sables, en-deça de la baie des Tsonnon-
thouans. Par un heureux hazard, les Canadiens et les
Sauvages que lui amenaient les commandans de l'Ouest
y arrivèrent en même temps. On se mit aussitôt à
* Les marchandises de ces Anglais furent confisquées et distri-
buées aux Sauvages, et ils furent eux-mêmes retenus prisonniers,
ainsi que les Iroquois qui les escortaient. Quant au Français qui
leur avait servi de guide, M. de Denonville le fit fusiller : châ-
timent sur lequel Laiiontan s'écrie à l'injustice, par la raison qu'il
y avait paix alors entre l'Angleterre et la France ; que Charlevoix
approuve, en prétendant que ce Français cambattait contre le
service de son prince ; et que, pour tenir un juste milieu, nous
qualifierons de sévère et disproportionné à l'offense.
DU CANADA. 187
faire, sur le bord du lac, un peu au-dessus de la rivière,
un retranchement de palissades. Ce tranchement, qu'on
appella Fort des Sables, fut achevé en deux jours.
Quatre cents hommes y furent laissés, sous le comman-
dement de M. d'Orvilliers, pour assurer les derrières
de l'armée.
Du fort des Sables l'armée prit son chemin par les
terres, et après avoir passé deux défilés très dangereux,
elle arriva à un troisième, où elle fut vigoureusement
attaquée par huit cents Iroquois. Deux cents de ces
Sauvages, après avoir fait leur décharge, se détachèrent
pour prendre l'armée française en queue, tandis que le
reste continuait à la charger en tête. Le combat se
soutint, quelque temps, avec vigueur des deux côtés ;
mais à la fin, les Sauvages furent repoussés et prirent
la fuite.
Il y eut, du côté des Français, cinq ou six hommes
de tués, et une vingtaine de blessés. La perte des L"o-
quois fut de quarante-cinq hommes tués sur la place, et
d'une soixantaine de blessés. Les corps des premiers
furent mis en pièces, et mangés par les Outaouais,
qui, comme le marquis de Denonville l'écrivait à M. de
Seignelay, firent beaucoup mieux la guei're aux morts
qu'ils ne l'avaient faite aux vivans.
Le lendemain du combat, l'armée alla camper dans
un des quatre villages dont se composait le canton de
Tsonnonthouan. Elle n'y trouva personne, et le brûla.
Les Français pénétrèrent ensuite dans le pays, détruisi-
rent toutes les cabanes, brûlèrent quatre cent millo
minots de blé-d'indc, et tuèrent une immense quantité
de pourceaux. L'humiliation des ïsonnonthouans fut
à peu près le seul fruit de cette expédition. Ces Sau-
vages rentrèrent dans leur pays aussitôt que les Français
s'en furent retirés.
188 HISTOIRE
L'occasion de bâtir un fort à Niagara était trop belle
pour que M. de Denonville la manquât. Le fort fut
construit, et le chevalier de Troye y fut laissé avec cent
hommes, pour le garder. Les Sauvages aUiés en témoi-
gnèrent beaucoup de joie ; mais bientôt, la maladie
s'étant mise dans la garnison, qui périt tout entière avec
son commandant, on attribua cet événement à l'air du
pays, et le fort fut abandonné.
L'expédition de M. Denonville avait si peu intimidé
les Iroquois, qu'à peine il était de retour à Québec, que
le fort de Chambly fut tout-à-coup investi par un gros
parti d'Agniers. La résistance qu'ils y trouvèrent les
obligea à décamper, dès le lendemain ; mais ils ne le
firent qu'après avoir brûlé quelques habitations écartées,
et fait plusieurs prisonniers.
Ce qui enhardissait surtout les L^oquois, c'était l'appui
que leur donnait, ou que leur promettait le colonel
Dungan : en cette occasion, il fit déclarer au marquis
de Denonville, qu'il ne devait espérer de paix avec
les cinq cantons qu'à ces quatre conditions : 1°. qu'on
ferait revenir de France les Iroquois qu'on y avait en-
voyés pour servir sur les galères ; 2°. qu'on obligerait
les L-oquois chrétiens du Sault Saint-Louis, et ceux
qui s'étaient établis au pied de la Montagne de Mont-
réal, à retourner dans leur pays ; 3°. qu'on raserait les
forts de Niagara et de Catarocouy ; 4°. qu'on restituerait
aux Tsonnontliouans tout ce qui avait été enlevé de
leurs villages.
Sans s'arrêter à cette déclaration, le gouverneur
général entreprit de négocier directement avec les Iro-
quois ; et au moyen des missionnaires, il réussit à se faire
envoyer des députés par les trois cantons d'Onnonta-
gué, d'Onneyouth et de Goyogouin. Ces députés, qui
avaient été suivis par 1200 guerriers jusqu'au lac Saint-
DU CANADA. 189
François, parlèrent avec beaucoup d'arrogance, donnant
à entendre, que ce serait par pure faveur qu'ils feraient
la paix, aux conditions proposées par le gouverneur de
la Nouvelle York. Après avoir exposé, en termes
extrêmement emphatiques, la situation avantageuse des
Cantons, la faiblesse des Français, et la facilité qu'aurait
sa nation à les chasser du Canada, Haaskouaun, chef
de la députation, ajouta : " Pour moi, j'ai toujours aimé
les Français, et je viens d'en donner une preuve non
équivoque ; car ayant appris que nos guerriers avaient
formé le dessein de venir brûler vos forts, vos maisons,
et vos grains, afin d'avoir bon marché de vous, après
vous avoir affamés, j'ai si bien sollicité en votre faveur,
que j'ai obtenu la permission d'avertir Ononthio, qu'il
pouvait éviter ce malheur, en acceptant la paix aux
conditions que Coklar* lui a proposées."
M. Denonville répondit à la députation iroquoise,
qu'il consentirait volontiers à la paix, mais qu'il ne la
donnerait qu'à ces conditions : 1° que tous les alliés des
Français y seraient compris ; 2° que les cantons d'Ag-
nier et de Tsonnonthouan lui enverraient aussi des
députés ; 3' que toute hostilité cesserait de part et
d'autre ; 4° qu'il pourrait, en toute liberté, ravitailler le
fort de Catarocouy. Il consentait à la démolition du
fort de Niagara, et il promettait de faire revenir pro-
chainement de France les Iroquois qui y avaient été
envoyés, et dont il avait même déjà sollicité le rappel.
Ces conditions furent acceptées, et une trêve fut conclue,
sur-le-champ. Les députés consentirent à laisser cinq
d'entre eux pour otages, afin d'assurer un convoi que l'on
préparait pour Catarocouy ; et l'on convint que s'il
*0u CoRi.AF.u. C'est le nom qu'ils donnaient au gouverneur
(le la Nouvelle York, et fïénéralement aux Anglais, ou à leurs
descendans, ctablis en Amtrique.
190 HISTOIRE
survenait quelque hostilité de la part des alliés des
Français, pendant la négociation pour la paix, elle ne
ferait rien changer à ce qui venait d'être résolu.*
Soit qu'on n'eût pas eu le temps d'instruire les
Sauvages alliés des intentions du gouverneur, soit qu'ils
fussent persuadés que les Iroquois ne traiteraient pas
de bonne foi, presque tous pai'urent mécontents de la
trêve et des négociations qui devaient s'en suivre ; et les
Ilurous de Michillimakinac prirent les mesures les plus
propres à rendre impossible la conclusion d'un traité
dont ils craignaient d'être les premières victimes. Ils
avaient pour chef principal Kondiakoxk, que les Fran-
çais avaient surnommé le RAT,f homme d'esprit, d'une
bravoure à toute épreuve, et d'une habileté consommée.
Il était parti de Michillimakinac avec une troupe
choisie de Hurons, pour faire la guerre aux Iroquois ;
mais il apprit, à Catarocouy, qu'on négociait avec eux,
et que le gouverneur général attendait, à Montréal,
des députés et des otages de tous les cantons. H parut
un peu surpris de cette nouvelle ; mais il ne lui échappa
aucune plainte, et il partit de Catarocouy, laissant les
Français dans la pensée qu'il reprenait le chemin de
son pays. S'étant informé de la route que devaient
suivre les députés et les otages iroquois, il alla les
attendre, dans une anse, où il leur dressa une ambus-
cade. Après les y avoir attendus quelques jours, il les
vit paraître, les laissa approchei", et fondit sur eux, au
moment où ils débarquaient de leurs canots, sans la
moindre méfiance. Quoique surpris, les Iroquois vou-
* Pendant que les députés Iroquois étaient à Mont-réal, les
huit cents guerriers qu'ils avaient laissés au lac Saint-François,
ayant remonté le fleuve, avaient investi le fort de ïroutenac, tué
tous les bestiaux qui paissaient aux environs, et brûlé tous les
foins, au moyen de tlèches allumées.
f Lahontan et les Anglais le nomment Adakio.
DU CANADA. 191
lurent se défendre ; mais la partie était trop inégale : il
y en eut quelques uns de tués ; les autres furent faits
prisonniers. ïeganissore',* le chef de la députation,
lui ayant demandé comment il avait pu ignorer qu'il
était ambassadeur, et qu'il avait été envoyé pour négo-
cier un traité de paix avec le gouverneur général, le
fourbe fit semblant d'être encore plus étonné que lui,
et protesta que c'étaient les Français eux-mêmes qui
l'avaient envoyé en cet endroit, en l'assurant qu'il
y rencontrerait un parti d'Iroquois qu'il lui serait très
facile de surprendre et de défaire ; et pour lui prouver
qu'il lui parliiit sincèrement, il le relâcha sur l'heure,
avec tous ses gens, à l'exception d'un seul, qu'il voulait
retenir, disait-il, pour remplacer un des siens, qui avait
été tué.f
Kondiaronk se rendit en hâte à Michillimakinac, et
livra son prisonnier à M. de la Durantaye. Ce
commandant, qui n'était pas encore informé des négo-
ciations entamées avec les Iroquois, condamna (on ne
saurait dire par quel droit), le malheureux à passer par
les armes. Il eut beau protester qu'il était ambassa-
deur, et que les Hui'ons l'avaient pris par trahison,
Kondiaronk avait prévenu tout le monde que la tête
lui avait tourné, et que la crainte de la mort le faisait
extravaguer. Dès qu'il fut mort, le rusé chef fit venir
* M. Thatcher, clans son Indian Biographij, le nomme DEC^UfE-
soRA, on comme nous prononcerions, Decanisoiik'. Nous pre-
nons un juste milieu entre cet écrivain et les auteurs fran^-ais, qui
l'appellent TEiiANissoiîENS.
f On prétend, dit Charlevoix, que Kondiaronk alla seul à Cata-
rocouy, après son exploit, et que quelqu'un lui ayant demandé
d'où il venait, il répondit <iu'il venait de tuer la paie ; expressions
dont on ne ci imprit pas d'abord le sens, mais dont on eut bientôt
l'oxplicatiou par un de ses prisonniers, qui s'était enfui à Cataro-
couy, et que l'on renvoya aussitôt vers ses compatriotes, pour les
convaincre que les Français n'avaient eu aucune part à la perfidie
des Ilurons.
192 HISTOIRE
un viel Iroquois, qui était depuis longtems captif dana
son village, lui donna la liberté, et lui recommanda, en
le renvoyant dans son pays, d'instruire ses compatriotes
de ce qui venait de se passer sous ses yeux, et de leur
apprendre que, tandis que les Français amusaient les
Cantons par des négociations feintes, ils faisaient faire
des prisonniers sur eux, et les fusillaient.*
Un stratagème si bien conduit devait avoir son effet ;
néanmoins, détrompés, en apparance, sur la prétendue
mauvaise foi du gouverneur général, les Cantons avaient
nommé de nouveaux députés, et ces députés étaient sur
le point de se mettre en route pour Montréal, lorsqu'un
exprès du chevalier Andros, qui avait remplacé le
colonel DuNGAN à New York, arriva à Onnontagué,
et défendit aux Ii'oquois de traiter avec les Français
sans la participation de son maître. Le nouveau gou-
verneur anglais écrivit, en même temps, à M. de
Denonville, qu'il ne devait pas se flatter de faire la
paix avec les cantons iroquois à d'autres conditions que
celles qui avaient été proposées par son prédécesseur :
qu'au reste, il était disposé à bien vivre avec lui, et
qu'il avait interdit aux Anglais de sa dépendance toute
hostilité sur les terres possédées par la couronne de
France.
Cette déclaration du chevalier Andros, par rapport
aux Iroquois, jetta d'abord la consternation dans tout
le Canada. Le sentiment de la crainte, celui même du
désespoir, y devaient être tout naturels, vu le peu de
secours qu'on recevait de France, et le peu de ^esources
qu'offrait la colonie. Les inquiétudes et les appréhen-
* Si l'historien comtemporain n'a ni exagéré, ni défiguré les
faits qu'il rapporte, il doit paraître un peu singulier que Kondia-
ronk n'ait pas été plus mal vu des Français, après leur avoir joué
une aussi mauvaise pièce, et que la Durantate n'ait pas été
blâmé, sinon puni, d'avoir fuit fusiller un prisonnier de guerre.
DU CANADA. 193
sions auxquelles elle était continuellement en proie ;
les incursions si fréquentes des Iroquois, ne permet-
taient pas à cette colonie de faire des progrès rapides
du côté des richesses et de la population. Le commerce
des pelleteries était partagé avec les Anglais ; les
pêcheries du golfe et des parages adjacents étaient pres-
que entièrement négligées; et à l'exception du sieur
RiVERiN, qui établit, sur un grand plan, des pêches
sédentaires dans le fleuve Saint-Laurent, particulière-
ment aux environs de Matane, les Canadiens et les
Français établis en Canada, étaient généralement peu
entreprenants. Ce qu'ils entendaient le mieux, c'était
le maniement des armes, auquel le gouvernement les
accoutumait, et la traite des pelleteries avec les Sau-
vages ; mais c'était là précisément ce qui nuisait le plus
au progi'ès de la population, de l'agriculture et de l'in-
dustrie. D'après le recensement de cette année 1688,
la population française du Canada n'était que de 1 1,249
individus, ou d'un peu plus de 12,000, en y comprenant
le gouvernement de l'Acadie.
Néanmoins, l'indignation et la honte de voir une
poignée de Sauvages tenir en échec tout un grand pays,
ayant bientôt succédé à la crainte, on forma un dessein
qui aurait pu passer pour hardi, quand même l'état de
la Nouvelle France aurait été aussi florissant qu'il était
déplorable : ce fut de conquérir la Nouvelle York. M.
de Callières en ayant communiqué le px'ojet au gouver-
neur généi-al, passa en France, pour le proposer à la
cour, comme le seul moyen de prévenir l'entière des-
truction de la colonie française du Canada.
On passa assez tranquillement l'hiver et une partie
de l'été de 1689; mais le 25 août, 1500 Iroquois des-
cendirent, de nuit, dans l'île de Mont-réal, à l'endroit
appelle La Chine. Trouvant tout le monde endormi, ils
u
194 HISTOIRE
se mirent d'abord à enfoncer les portes, et ensuite à
brûler les maisons, et commencèrent un massacre géné-
ral des hommes, des femmes et des enfans, faisant
souffi-ir à ceux qui tombaient entre leurs mains tous les
tourmens que la fureur pouvait leur faire imaginer.
En moins d'une heure, ils firent périr, dans les plus
horribles supplices, plus de deux cents personnes de
tout sexe et de tout âge, et après cette terrible bouche-
rie, ils s'avancèrent jusqu'à une lieue de Mont-réal,
faisant partout les mêmes ravages, et exerçant les mêmes
cruautés.
Au premier bruit de ce tragique événement, M. de
DenonviUe, qui se trouvait à Mont-réal, donna ordre à
un lieutenant de troupes de se jetter dans un fort dont
il craignait que l'ennemi ne se rendit maître. A peine
cet officier y était-il entré, qu'il se vit investi par un
gros d'Iroquois, contre lesquels il se défendit longtems
avec courage ; mais tous ses gens ayant été tués, et lui-
même étant blessé grièvement, les assaiUans entrèrent
dans son fort, et le firent prisonnier. Alors toute l'ile
demeura en proie aux vainquem-s, qui en parcoururent
la plus grande partie, laissant partout des traces san-
glantes de leur fureur ; et quand ils furent las de ces
horreurs, ils firent deux cents prisonniers, qu'ils emme-
nèrent dans leurs villages, où ils les brûlèrent, ou les
firent esclaves.*
L'ile de ISIont-réal ne fut entièrement délivrée de la pré-
sence de ces féroces ennemis que vers la mi-octobre.
Alors, comme on n'entendait plus parler de rien, M. de
DenonviUe envoya les sieurs Duluth et de JNIantet,
bien accompagnés, dans le lac des Deux Montagnes,
* Au nombre des prisonniers furent M. de La Eobetre, le
lieutenant dont il vient d'être parlé, et MM. Satst-Pierre-
Dekis, de La Plaxte, et Villede>'e', autres officiers des troupes.
DU CANADA. 195
pour s'assurer si la retraite des Iroquois était véritable,
ou seulement simulée. Ces officiers rencontrèrent,
dans deux canots, vingt-deux Iroquois, qui vinrent
les attaquer avec beaucoup de résolution. Ils essuyè-
rent leur première décharge, sans tirer ; après quoi, ils
les abordèrent, et en tuèrent dix-huit. Des quatre qui
restaient, un se sauva à la nage, mais les autres furent
pris, et livrés au feu des Sauvages alliés.
Le plan de conquête proposé par le chevalier de
Callières, fut approuvé du roi et du ministre des colonies ;
mais ce ne fut pas le marquis de Denonville qui fut
chargé de le mettre à exécution : par une lettre datée
du 31 mai 1689, le roi lui mandait que la guerre
s'étant rallumée en Europe, il avait pris la résolution
de le rappeller, pour lui donner de l'emploi dans ses
armées. Le véi'itable motif de ce rappel était de mettre
à la tête de la colonie du Canada un homme d'un carac-
tère ferme, d'une grande expérience dans la guerre, qui
connût le pays, et qui sût manier l'esprit des .Sauvages ;
et tout cela se rencontrait dans le comte de Frontexac.
Si l'on n'avait pas oublié ses fautes, ou ses brouilleries
avec les autres autorités du pays, on avait lieu d'espérer
que les chagrins qu'elles lui avaient causés le mettraient
sur ses gardes, et le porteraient à se conduire avec plus
de modération et de prudence qu'il n'avait fait pendant
sa première administration.
Dans les instructions qui lui furent données, et qui
étaient datées du 7 juin, le roi, après lui avoir parlé de
la Baie d'IIudson et de l'Acadie, en venait à la con-
quête projettée : pour l'effectuer, sa majesté faisait
armer deux de ses vaisseaux, dans le port de Rochefort,
et les mettait sous le commandement du sieur de la
Caffinieuk. Le comte de Frontenac devait s'embar-
quer sur un de ces vaisseaux, avec le chevalier de
196 HISTOIRE
Callières, pour se rendre d'abord à l'eutrée du golfe
de Saint-Laurent, puis à Campeeau ou à Cliédabouctou,
et de là s'embarquer pour Québec, sur un des vaisseaux
marchands qui l'auraient suivi, après avoir laissé à M.
de La Catfinière l'ordre de se rendre dans la rade de
JN^ew-York, et de se saisir de tous les vaiseeaux qu'il y
rencontrerait. Il devait envoyer devant lui à Québec,
s'il était possible, le chevalier de Callières, afin d'y hâter
les préparatifs de l'expédition ; et comme dans cette
entreprise, il aurait avec lui, à peu près, toutes les forces
disponibles du Canada, il devait, avant son départ, se
concerter avec M. de Denouville, sur les mesures à
prendre contre les incursions des Iroquois, et donner
ses ordres au chevalier de Vaudreuil, qui devait com-
mander dans le pays, pendant l'expédition, après le
départ du marquis de Denonville. La Nouvelle York
conquise, M. de Frontenac y devait laisser les Anglais
catholiques qui voudraient y demeurer ; disti'ibuer aux
Français qu'il y établirait les gens de service, ou les
esclaves, dont ils auraient besoin ; faire prisonniers les
officiers et les principaux habitans, et envoyer tout le
reste, hommes et femmes, dans la Nouvelle Angleterre
ou dans la Pensylvauie. Le chevalier de Callières
devait avoir le gouvernement de la province conquise,
sous la dépendance du gouverneur de la Nouvelle
France. Enfin, pour ôter aux autres colonies anglaises
la facilité de faire aucune entreprise par terre contre
le Canada, le comte de Frontenac avait ordre de détruire
toutes les habitations voisines de New-York, et de
mettre toutes les autres sous contribution.
Ce plan, qui serait réprouvé de nos jours, comme
entraînant, dans sa réussite, des injustices criantes, pour
ne pas dire des atrocités, mais qui était en harmonie
avec les idées de l'époque, ou celles de Louis XIV et
DU CANADA. 197
de son ministre Louvois, sur les droits de la guerre ;
ce plan, disons-nous, était plus facile à concevoir qu'à
exécuter. " Il dépendait, dit Charlevoix, du concours
de deux choses sur lesquelles on ne peut jamais compter
sûrement, à savoir, des vents favorables, et une diligence
égale dans ceux qui étaient chargés de travailler aux
préparatifs." Le manque de ce concours le fit échouer
complètement. Les vaisseaux ne furent prêts que fort
tard ; ils furent séparés par des brumes, sur les bancs de
Terre-Neuve, et ne furent réunis à Chédabouctou,
que le 18 septembre. M. de Frontenac en repartit, le
lendemain, avec tous ceux qui étaient destinés pour
Québec, après avoir laissé à La Caffinière des instruc-
tions qui prouvaient que, s'il ne renonçait pas encore
tout-à-fait à l'expédition de la Nouvelle York, il ne
comptait pas beaucoup sur la réussite. Il apprit, le
25, à YIIc Percée, l'irruption des L'oquois dans l'Ile
de Mont-réal. Il an-iva à Québec le 12 octobre, avec
le chevalier de Callièrcs. Ils en repartii'ent, le 20, et
arrivèrent à Montréal, le 27.
Le comte de Frontenac n'apprit pas sans un profond
regi'et que le fort de Catai'ocouy était, en toute probabi-
lité, évacué et ruiné. Son prédécesseur avait envoyé
à M. DE Valrennes, qui y commandait, l'ordre d'aban-
donner ce poste, après en avoir fait sauter les fortifica-
tions, et détruit tout ce qu'il ne pourrait pas emporter,
dans le cas oi^i il ne lui arriverait pas de convoi avant
le mois de décembre. M. de Frontenac fit aussitôt
équipper vingt-cinq canots, et leur donna pour escorte
un détachement de troupes et trois cents Canadiens ou
Sauvages. Mais son convoi ne put être prêt que le 6
novembre, et l'ayant conduit lui-même jusqu'à La Chine,
il n'y avait pas deux heures qu'il était de retour à
Mont-réal, lorsqu'il y vit arriver Valrcunes, avec sa
garnison réduite à vingt-cinq hommes. k 2
198 HISTOIRE
A peu près dans le même temps que les Iroquois
ravageaient l'île de Mont-réal, les Sauvages de l'Acadie
en faisaient autant sur les frontières de la Nouvelle
Angleterre. Us surprirent quelques petits forts, que
les Anglais avaient dans le voisinage du Kennebec,
y tuèrent environ deux cents personnes, probablement
aussi de tout âge et de tout sexe, et en rapportèrent
un riche butin.
Cette expédition cruelle fut suivie de quelques autres
qui ne le furent pas moins, bien qu'elles fussent dirigées
par des Français. Le comte de Frontenac, hors d'état
d'exécuter le dessein formé à la cour de France, de
conquérir la Nouvelle York, crut qu'il convenait de
donner du moins de l'occupation aux habitans de cette
province, dans leurs propres foyers. Il leva donc trois
partis de guerre pour entrer, par trois endroits diffé-
rents, dans le pays ennemi. Le premier (celui de
Mont-réal), se composait de cent-dix hommes. Français
et Sauvages, et eut pour commandans MM. de Mantet
et Sainte-Hélène, auxquels se joignirent, comme
volontaires, MM. de Repentigkt, d'Iberville, de Bon-
repos et DE MoNTiGNY. H sc dirigea du côté d'Orange,
ou Albany, et arriva, dans la nuit du 7 au 8 février
1690, à la vue du bourg de Skenectady (le même que
Charlevoix appelle Corlar). H y entra sans que les
habitans s'en apperçussent. Ayant fait le cri de guerre,
à la manière des Sauvages, chacun donna de son côté-
On ne trouva guère de résistance qu'à une espèce de
fort, dont la garnison fit d'abord un feu assez vif sur les
assaiUans : mais la porte de ce fort ayant été enfoncée,
tous ceux qui le défendaient furent passés au fil de
l'épée. Une maison, où l'on éprouva aussi de la résis-
tance, fut enfoncée, et pas un de ceux qui s'y étaient
enfermés ne fut épargné. " Bientôt, comme s'exprime
Charlevoix, ce ne fut plus que massacre et pillage dans
DU CANADA. 199
le bourg :" le ministre du lieu, et un nombre de femmes
et d'enfans périrent dans cette boucherie. Le com-
mandant de la place, qui s'était retiré de l'autre côté de
la rivière, avec des soldats et des Sauvages, mit bas les
armes, le lendemain. Toutes les maisons du bourg
furent brûlées. Enfin, on épargna une soixantaine de
femmes et d'enfans, qui avaient échappé à la première
furie des assaillans.
Après un si terrible exploit, on crut devoir reprendre
promptement le chemin du Canada ; mais bientôt, les
vivres venant à manquer, on fut conti'aint de se sépa-
rer. On fut attaqué dans la retraite, et l'on perdit une
vingtaine d'hommes. Il n'y en avait eu que deux de
tués, et un (Montigny) de blessé, à l'attaque de Ske-
nectady.
Le second parti ne se composait que de cinquante-
deux hommes. Il était commandé par le sieur Hertel,
accompagné de trois fils et de deux neveux, les sieurs
Gatineau et Crevier de Saint-François. Il partit
des Trois-Rivières, le 28 janvier, et arriva, le 27 mars,
près d'une bourgade appellée Sementels. Hertel par-
tagea sa troupe en trois bandes : la première eut ordre
d'attaquer une grande maison fortifiée ; et la seconde,
de se saisir d'un fort de pieux à quatre bastions, tandis
qu'avec la troisième, il attaquerait un fort plus grand,
où il y avait du canon. Tout cela fut exécuté avec
autant d'habileté que de bravoure. Les Anglais paru-
rent d'abord vouloir se défendre ; mais ils ne soutinrent
pas le premier feu des assaillans : les plus braves furent
tués, et les autres, au nombre de cinquante-quatre, se
rendirent prisonniers de guerre. On mit le feu aux
maisons, ainsi qu'aux étables, où il périt plus de deux
mille pièces de bétail.
Sementels n'était éloigné que de quelques lieues d'une
200 msTOiRE
autre grosse bourgade, d'où il pouvait sortir assez de
monde pour envelopper Hertel, et lui couper la retraite.
En effet, dès le soir même, deux cents hommes s'avan-
cèrent pour l'attaquer. D se mit en bataille, sur le
bord d'une rivière où il y avait un pont dont il fit occu-
per la tête, et les Anglais s'étant présentés pour le
passer, il les laissa avancer, sans tirer un seul coup ;
puis fondant sur eux, l'épée à la main, il en tua ou
blessa dix-huit, et obligea le reste à lui céder le champ
de bataille, n'ayant eu, de son côté, que deux hommes
de tués, et un de blessé.
Après cet exploit, M. Hertel se joignit au troisième
parti, qui se composait de quelques Canadiens et de
soixante Abénaquis du Sault de la Chaudière* et était
commandé par le lieutenant de Portneuf. Il était parti
de Québec, le même jour que M. Hertel avait laissé les
Trois-Rivières, et il arriva, avec son renfort, vers la
mi-mai, sur les bords du Kennebec, où il fut joint par
d'autres Sauvages. Le 25, il s'approcha du fort de
Kaskohay, bâti sur le bord de la mer, et défendu par
plus de cent hommes et huit pièces de canon. Les
Français s'étant annoncés par des cris de guerre,
cinquante hommes de la garnison sortirent pour les
repousser ; mais ils furent tous tués, à l'exception de
quatre ou cinq, qui rentrèrent blessés dans la place. Sur
le soii', Portneuf envoya sommer le commandant de se
rendre ; mais celui-ci ayant répondu qu'il était déter-
miné à se défendre jusqu'à la mort, il fut résolu qu'on
assiégerait le fort. Malgré le peu d'expéi'ïence des
* Ou de la rivière Chaudière, qui se décharge dans le Saint-
Laurent, à un peu moins de deux lieues au-dessus de Québec, du
côté du sud. Au Sault qu'elle forme, à environ une lieue de son
embouchure " ses eaux tombent de la hauteur de quatre-vingts
pieds," suivant le Nouvel Abrégé de Géograyhie, et "la hauteur
d'où elles tombent est d'environ 130 pieds," selon M. Bouchette.
DU CANADA. 201
Canadiens et des Sauvages dans cette manière d'attaque,
les assiégés se trouvèrent tellement pressés, que dès le
28, ils demandèrent à parlementer. N'ayant pas voulu,
ce jour-là, livrer le fort avec les vivres et les munitions
qu'il contenait, ils furent contraints, le lendemain, de se
rendre prisonniers de guerre.
M. de Portneuf fit enlever les canons du fort, y prit
tout ce ({u'il y trouva à sa bienséance, et y fit mettre le
feu. Après quoi, il fit aussi réduire en cendres toutes
les maisons, à deux lieues à la ronde. Les plus mar-
quants des prisonniers furent conduits à Québec : les
autres demeurèrent entre les mains des Sauvages.
Ces expéditions, loin d'intimider, ou d'occuper unique-
ment chez eux, les habitans de la Nouvelle Angleterre
et de la Nouvelle York, les portèrent à faire des efforts
vigoureux pour s'en délivrer, d'un coup, en chassant
les Français du Canada. Ils commencèrent par l'Acadie.
A peine Kaskobay s'était rendu aux Français, que
quatre vaisseaux anglais parurent à la vue de ce fort ;
le chevalier Phipps, commandant de cette escadre,
venait, avec des troupes, comme on l'apprit ensuite, pour
secourir la place ; mais n'y ayant vu ni pavillons ni
signaux, il revira de bord, et se dirigea vers le Port
Royal, oii commandait M. de Manneval, frère de Port-
neuf, et s'en rendit maître, après une faible résistance.
Il s'empara ensuite de La Ilève, de Chédabouctou, de
Percé, eu un mot, de presque tous les postes que les
Français possédaient en Aeadie ; retenant prisonniers
les commandans et les officiers du gouvernement qui
tombaient entre ses mains, et livrant, en plusieurs en-
droits, les habitations aux pillage.*
*En livrant, comme il fit, les maisons do Port-Iîoyal au pillage»
et en retenant prisonniers M. de Manmcvai. et sa garnison,
Phipps violait ouvertemeut, suivant Charlevoix, la capitulation
202 HISTOIRE
Le comte de Frontenac était revenu en Amérique
persuadé qu'après la conquête de la Nouvelle York, ce
qu'il pouvait faire de plus avantageux pour la colonie
dont il reprenait le gouvernement, c'était de regagner
les Iroquois ; et il se flattait d'y réussir au moyen des
chefs de cette nation qu'il avait ramenés de France,
et surtout d'OuREOUHARE',* le plus apparent d'entre
eux, dont il s'était acquis l'estime et l'amitié. H l'avait
amené, avec lui à Mont-réal, et par son conseil, il
avq.it renvoyé aux Cantons quatre des compagnons de
sa captivité, avec GAGXiEGATON,f (qui avait été député
vers M. de Denon ville,) pour les avertir du retour de
de tous leurs chefs, et leur dire, de la part d'Ouréou-
haré, qu'ils trouveraient dans le gouverneur général
beaucoup d'estime et de tendresse, comme par le passé,
et que pour lui, il ne retournerait dans son pays que
quand on serait venu le redemander à Oxoxthio.
A l'an-ivée de ces députés, les Cantons s'assemblè-
rent, et ils envoyèrent leurréponse par le même Gagnié-
gaton. Il ai'riva à Mont-réal, le 9 mars 1690; mais
qu'il avait accordée. Il en usa plus honnêtement, ou plus géné-
reusement envers le brave de Moxtorgueil et sa petite garnison.
Cet officier n'avait que quatorze hommes dans le fort de Chéda-
bouctou. En ayant fait approcher quatre-vingts de la place,
Phipps somma ilontorgeuil de la lui remettre, et sur son refus, il
l'attaqua avec vigueur, mais il fut repoussé de même. L'Anglais
eut recours aux fiisées, qui mirent le feu à un endroit couvert de
paille, et bientôt l'incendie gagna partout. Alors ilontorgueil
crut pouvoir capituler ; " mais il le fit, dit Charlevoix, avec tant
de hauteur, et témoigna une si grande résolution de faire payer
bien cher aux Anglais leur faible victoire, s'ils ne lui accordaient
des conditions honorables, qu'il obtint tout ce qu'il voulut." H
sortit à la tète de sa garnison, avec armes et bagages, et fut trans-
porté à Plaisance, en Terre-Xeuve.
*I1 est appelle Tawer.uiet dans VIndian Biographj de M.
Thatcher,
f Les Anglais le nomment S.ujeka>"atie, Les deux orthogra-
phes figurées ne se ressemblent guère, et probablement ni l'une ni
l'autre ne donnent le vrai nom de ce chef.
DU CANADA. 203
il n'y trouva ni M. de Frontenac, ni Ouréouharé, qui
étaient retournés à Québec ; et M. de Callières ne put
rien tirer de lui, d'abord, non plus que de ceux qui l'ac-
compagnaient. A la fin pourtant, ils se laissèrent gagner
par les bonnes manières du gouverneur de Mont-réal,
et lui présentèrent six colliers. Le premier marquait
le sujet de leur retardement, causé, disaient-ils, par
l'arrivée de députés outaouais dans le canton de Tson-
nonthouan. Gagniégaton, en expliquant ce collier, dit
que c'était ainsi qu'il fallait faire les choses, quand on
voulait traiter de la paix ; voulant donner à entendre
que !e ^^iverneur général aurait dû se rendre en per-
sonne à Onnontagué, ou en quelque autre endroit, dont
on serait convenu, pour y parler d'accommodement.
Le second collier témoignait la joie qu'avaient eue les
habitans d'Orange du retour d'Ouréouliaré et des autres
chefs ; ce qui marquait la bonne intelligence qui régnait
entre la Nouvelle York et les cantons iroquois. Par
le troisième, le canton d'Onnontagué demandait, au nom
de tous les autres, le prompt retour de tous les Iroquois
revenus de France, afin qu'on p\jt prendre, avec eux, les
mesures qui convenaient à la situation des affaires.
L'orateur ajouta qu'on avait réuni, dans le canton d'On-
nontagué, tous les prisonniers français faits par les iro-
quois, et qu'on n'en disposerait que sur le rapport et
de l'avis d'Ouréouharé. Le quatrième et le cinquième
parlaient de la trahison de Catarocouy, et des ravages
faits chez les Tsonnonthouans, et disaient que quand le
mal aurait été réparé, et que les chemins seraient libres
et sûrs, Téganissoré irait traiter de la paix avec Onon-
THio. Par le sixième, Gagniégaton donnait avis, qu'à la
fonte des neiges, un parti d'Iroquois devait se mettre en
campagne ; mais que s'il faisait des prisonniers, on aurait
soin qu'ils fussent bien traités. "Usez-en de même.
204 HISTOIEE
continua-t-il, si vous prenez quelques-uns des nôtres.
J'avais huit prisonniers de la défaite de La Chine ; j'en
ai mangé quatre ; j'ai donné la vie aux autres. Vous
avez été plus cruels que moi : car vous avez fusillé douze
Tsonnonthouans : vous auriez bien dû en épargner au
moins un ou deux : c'est par représailles que j'ai mangé
quatre des vôtres."
M. de Callières envoya les députés iroquois au comte
de Frontenac ; mais ce général refusa de leur donner
audience, par la raison qu'ils avaient à leur tête un
homme dont l'insolence l'avait choqué. H reçut pour-
tant assez bien ceux de sa suite ; mais il ne voul^f traiter
avec eux que par l'entremise d'Ouréouharé, qui parut
même toujours agir en son propre nom.
Le gouverneur général fit pai"tir le chevalier d'Eac,
capitaine réformé, avec les députés iroquois. Il jugeait
à propos d'envoyer cet officier à Onnontagué, pour
tâcher de gagner ce canton, en lui témoignant une con-
fiance particulière, et pour être mieux instruit de ce qui
s'y passait. H savait qu'il pouvait compter sur Garakon-
thié et sur Téganissoré, amis déclarés des Français ;
mais les négociations entre les Outaouais et les L-oquois,
dont Gagniégaton avait parlé au gouverneur de Mont-
réal, lui paraissaient un contretems fâcheux, dans les
circonstances où se trouvait la colonie ; d'autant plus que
c'étaient ces circonstances mêmes qui avaient amené ces
négociations, et qu'elles pouvaient être d'un dangereux
exemple pour les autres alliés des Français. Le peu
de fruit que M. de Denonville avait retiré de sou expé-
dition contre les Tsonnonthouans ; l'abandon du fort de
Niagara ;* les in'uptions fréquentes des Iroquois dans la
* Déjà plusieurs fois le nom de Xiagara a retenti aux oreilles
de nos lecteurs, et nous ne leur avons encore rien dit de la mer-
veille naturelle dont ce nom rappelle l'idée. C'est dans Lahontan
DU CANADA. 205
colonie ; les démarches peu honorables qu'on avait faites
pour obtenir la paix de ces Sauvages ; les hauteurs
qu'on en souffrait, depuis longtems, et l'inaction où
l'on demeurait, malgré leurs nouvelles hostilités, avaient
enfin fait faire aux Outaouais des démarches directes
pour se reconcilier avec une nation dont ils avaient peu
à espérer, il est vrai, mais beaucoup à craindre. Ils
avaient renvoyé aux Tsonnonthouans tous les prison-
niers qu'ils avaient faits sur eux, et étaient convenus
d'un rendez-vous pour le mois de juin suivant.
M. de Frontenac, qui avait été informé des démarches
des Outaouais, avant même l'arrivée de Gagniégaton à
Mont-réal, par une lettre du P. Carheil, prépara un
grand convoi pour Michillimakinac, sous la conduite du
sieur de Louvigny, capitaine réformé, qui devait rem-
placer La Durantaye, dans le commandement. Il était
accompagné de Nicholas Perrot, chargé des présens du
gouverneur pour les Sauvages septentrionaux ; de cent
quarante-trois Français, et de quelques Sauvages domi-
ciUés. Un détachement de trente hommes, commandé
par MM. d'Hosta, capitaine, et de la Gemerate,
lieutenant, eut ordre d'escorter ce convoi, l'espace de
trente lieues.
que nous trouvons la première description un peu détaillée
et curieuse du "p^rand Sault de Niagara. Cette effroyable
cataracte, dit cet écrivain, a sept à huit cents (environ cent-
cinquante) pieds de hauteur, et demi-lieue (beaucoup moins) de
de nappe ou de largeur. On voit une île, vers le milieu, qui
penche vers le précipice, comme si elle était prête d'y tomber.
Tous les animaux qui traversent un demi-quart de lieue au-dessus
do cette île infortunée, y sont entraînes par la force des courans.
Les bêtes et les poissons qui se tuent, en tombant de si haut,
^ervent de nourriture à cinquante Iroquois, qui se tiennent ii deux
lieuos de là, pour les retirer de l'eau avec leurs canots. Ce qui
est remarquable, c'est qu'entre l'eau qui forme la cascade, par uu
talus effroyable, et le pied du nicher d'où elle se précipite, il y a
un chemin où trois hommes peuvent aisément traverser, d'un coté
à l'autre, sans recevoir (jue quelques gouttes d'eau."
206 HISTOIRE
Ils partirent de Mont-réal, le 22 mai. Arrivé au
lieu nommé les Chats, sur la Grande-Rivière, ils décou-
vrirent deux canots iroquois ; MM. de Louvigny et
d'Hosta, jugeant qu'ils n'étaient pas seuls, envoyèrent
trente hommes par eau, et soixante par terre, pour enve-
lopper l'ennemi de toutes parts. Les premiers tombè-
rent dans une ambuscade, et essuyèrent d'aboi'd un feu
meurtrier, les Iroquois, qu'ils ne voyaient point, les
choisissant, et tirant sur eux à coups sûrs. Aussi ne
resta-t-il, après la première décharge, dans le canot de
La Gemeraye, qui avait voulu aborder le premier, que
deux hommes, qui ne fussent pas blessés.
Louvigny se désespérait de voir ainsi massacrer ses
gens, sans pouvoir les secourir ; car Perrot à qui il avait
ordre d'obéir pendant la route, ne voulait point lui per-
mettre d'avancer, de peur de risquer les présens dont il
était porteur, et avec eux, le succès de la négociation
dont il était chai'gé. A la fin, pourtant, il se laissa
gagner aux instances' de cet officier et de M. d'Hosta.
Aussitôt, l'un et l'autre se mirent à la tête d'une soixan-
taine d'honunes, et coururent sur l'ennemi : la charge
fut si brusque et faite si à propos, qu'il y eut une tren-
taine d'Iroquois de tués, plusieurs de blessés, et quelques
uns de pris. Un des prisonniers fut envoyé au comte
de Frontenac, qui le remit à Ouréouharé ; un autre fut
mené à ]Michillimakinac, et livré aux Outaouais, qui le
brûlèrent, pour faire voir au nouveau commandant qu'ils
ne songeaient plus à s'accommoder avec les Iroquois.
Es allaient faire partir leurs députés pour mettre la
dernière main à un traité irrévocable avec cette nation ;
mais ils changèrent de résolution, lorsqu'ils virent arriver
les Français victorieux de tous leurs ennemis, (car ou
ne manqua pas de leur parler d'abord des expéditions
dans la Nouvelle York, et la Nouvelle Angleterre),
DU CANADA. 207
chargés de marchandises, et en assez grand nombre
pour les assurer eux-mêmes contre tout ce que pourraient
entreprendre les Iroquois, et qu'ils eurent reçu les pré-
sens dont Perrot était porteur, et qu'il sut admirable-
ment bien leur faire Aaloir.
Ce changement avait lieu foi*t à propos pour l'avantage
de la colonie ; car toute espérance de paix avec les
Iroquois s'était évanouie. Ces barbares avaient arrêté
le chevalier d'Eau et tous les Français de sa suite. Es
avaient fait plus : il avaient brûlé deux de ses gens, et
l'avaient envoyé lui-même à New- York, pour convaincre
les Anglais qu'ils étaient bien éloignés de vouloir se
reconciUer avec les Français. Dès que M. de Fronte-
nac fut instruit de ces faits, il prit ses précautions pour
21'être point surpris : afin de mettre en sûreté les quartiers
les plus exposés aux incui'sions des Ii'oquois, il fit deux
détachemens de ses meilleures troupes : le premier,
destiné à protéger la côte du sud, depuis l'île de Mont-
réal jusqu'à la rivière de Sorel, fut mis sous les ordres
du chevalier de Clekbiont. Le second, qui devait
mettre en sûreté le reste du pays, jusqu'à la capitale, eut
pour commandant le chevalier de L^vmotte. Ces pré-
cautions n'empêchèrent pas les Ii'oquois de se montrer
en différents endroits du gouvernement de Mont-réal,
et d'y tuer, ou d'y enlever un grand nombre d'hommes,
de femmes et d'enfans. Un de leurs partis, qui avait
enlevé une quinzaine de personnes, femmes et enfans,
près de la rivière de Békancour, fut poursuivi ; mais
tout ce qu'on y gagna fut que ces barbares, pour fuir
plus aisément, massacrèrent leurs prisonniers. Quelques
jours après, un autre parti d'Iroquois descendit dans
l'île de Mont-rcal, par la rivière des Prairies. Un lieu-
tenant réformé, nommé Colomiîet, rassembla vingt-
cinq hommes, et alla à la rencontre de l'ennemi. Les
208 HISTOIRE
Iroquois, qui étaient fort supérieurs en nombre, char-
gèrent les Français avec résolution : M. Colombet resta
sur la place, avec quelques uns de ses gens ; mais les
barbares perdirent vingt-cinq des leurs.
Vers la fin d'août, on vit arriver à Mont-réal, un con-
voi de cent-dix canots, conduits par plus de trois cents
Sauvages des tribus du Nord, et portant pour cent mille
écus de pelleteries. La joie qu'on en ressentit fut bien-
tôt troublée par les nouvelles alarmantes que l'on reçut.
Un Sauvage du Sault Saint-L@uis, qui avait été envoyé
à la découverte, du côté d'Orange, rapporta qu'il avait
apperçu, sur les bords du lac Saint- Sacrement, une
armée entière occupée à faii'e des canots. Quelques
jours après, le chevalier de Clermont, qui avait eu ordre
de remonter la rivière de Richelieu, pour observer les
ennemis, informa qu'il en avait vu un grand nombre
sur le lac Champlain, et qu'il en avait même été pour-
suivi jusqu'à Chambly. Les signaux furent aussitôt
donnés pour assembler les milices. Le 31, M. de Fron-
tenac passa, de grand matin, à la Prairie de la Made-
leine, où il avait assigné le rendez-vous général ; et
les Sauvages septentrionaux, qu'il y avait invités, s'y
rendirent tous, le soir. Le lendemain, le général fit la
revue de ses forces, qui étaient de 1200 hommes. Le
jour suivant, les éclaireurs rapportèrent qu'ils n'avaient
rien vu : sur quoi, les milices furent licenciées jusqu'à
nouvel ordre. Deux jours après, un parti d'L-oquois
tomba sur un quartier nommé la Souche, éloigné seule-
ment d'un quart de lieue de celui où la petite armée de
M. de Frontenac avait campé. Le même jour, c'est-à-
dire, le 4 septembre, le gouverneur général congédia ses
alliés sauvages, après leur avoir renouvelle les recom-
mandations et les promesses qu'il leur avait faites, dès
leur arrivée, au sujet des Iroquois. Peu de jours
DU CANADA. 209
après leur départ, les Iroquois reparurent en plusieurs
endroits. Le chevalier de Lamotte et M. Murât, lieu-
tenant, furent attaqués par un parti plus nombreux
que celui qu'ils commandaient : ils le repoussèrent
néanmoins ; mais les Sauvages étant revenus à la charge,
dans le temps que ces officiers les croyaient en fuite, le
premier fut tué sur la place, et le second enlevé, et
probablement massacré ensuite ; car on ne put jamais
apprendre ce qu'il était devenu. A peu près dans le
même temps, M. Dksmarais qui commandait à Châ-
teauguay, périt, dans une ambuscadc, tout près de son
tort, avec deux de ses gens.
Le 10 Octobre, M. de Frontenac, étant encore à
Mont-réal, reçut de M. Peovot, major de place, qui
commandait à Québec, en son absence, deux lettres,
par la première desquelles, datée du 5, cet officier l'in-
formait qu'il avait eu avis que trente vaisseaux, qu'on
croyait destinés à faire le siège de Québec, étaient
partis de Boston ; et par la seconde, datée du 7, qu'une
escadre anglaise d'environ trente voiles, avait été
apperçuc, à la hauteur de Tadoussac. Le comte s'em-
barqua, sur riieure, avec M. de Champigny, dans un
petit bâtiment, où ils pensèrent périr. Le lendemain,
vers trois heures de l'après-midi, une troisième lettre de
M. Provot lui mandait, qu'à l'heure où il écrivait, la
flotte anglaise pouvait bien être à l'Ile aux Coudres,
c'est-à-dire à quinze lieues seulement de la capitale. 11
envoya aussitôt M. de Ramsay, gouverneur des Trois-
Rivières, au chevalier de Callières, pour lui ordonner
de descendre à Québec, avec toutes ses troupes, à la
réserve de quelques compagnies, qui devaient être lais-
sées pour garder Mont-réal, et de se fiiire suivre de tous
les habitans qu'il pourrait rassembler dans sa route. 11
marcha ensuite, sans s'arrêter, jusqu'à Québec, où il
s2
210
HISTOIRE
arriva, le 14, à 10 heures du soir, et où il apprit que la
flotte ennemie était au pied de la traverse de l'île d'Or-
léans.
E fut très satisfait de l'état où M. Provot avait mis
la place. Cet officier y avait fait entrer un grand
nombre des habitans des environs, et quoiqu'il n'eût eu
que cinq jours pour faire travailler aux fortifications, il
n'y avait aucun endroit faible dans la ville, auquel il n'eût
pourvu, de manière à ne pas. craindre un coup de main.
Le gouverneur y fit ajouter quelques retranchemens,
et confirma l'ordre que le major avait donné aux com-
pagnies de milices de Beauport, de la côte de Beaupré,
de l'ile d'Orléans et de Lauzon. qui couvraient Québec,
du côté de la rade, de ne point quitter leur position,
qu'elles n'eussent vu l'ennemi faire sa descente, et atta-
quer le corps de la place.
M. DE LoxGUEiL, fils aine de M. Lemoyne, était
parti, avec une troupe de Sauvages, pour examiner les
mouvemens de la flotte anglaise. Toutes les côte?
avancées du bas du fleuve étaient garnies d'habitans, qui
obligeaient les chaloupes envoyées par l'ennemi à rega-
gner le large.
Le 15, le chevalier de Vaudreuil partit, de grand
matin, avec cent hommes, pour aller en reconnais-
sance, et charger les ennemis, s'ils entreprenaient de
faire une descente ; avec ordre de ne les point perdre de
vue, et de donner avis de tous les mouvemens qu'ils
feraient.
M. de Frontenac fit commencer, le même jour, une
batterie de huit pièces de canon, sur la hauteur qui était
à côté du fort, et elle fut achevée, le lendemain. Les
fortifications commençaient au Palais, sur le bord de la
petite rivière, remontaient vers la haute ville, qu'elles
environnaient, et allaient finir vers le Cap aux Diamans.
DU CANADA. 211
On avait aussi formé une palissade, depuis le Palais
jusqu'au Sault-au- Matelot. Une seconde palissade,
qu'on avait tirée au-dessus de la première, aboutissait
au même endi'oit. Les issues de la ville où il n'y avait
pas de portes étaient barricadées avec de grosses poutres
et des barriques pleines de terre, en guise de gabions,
et les dessus étaient garnis de pierriers. Le chemin
tournant de la basse ville à la haute était coupé par trois
différents retranchemens de barriques et de sacs pleins
de terre, avec des chevaux-de-frise.
Le 16, à ti'ois heures du matin, M. de Vaudreuil
vint rapporter qu'il avait laissé la flotte anglaise à trois
lieues de Québec, en un endroit appelle V Arbre Sec. Eu
effet, dès qu'il fît jour, on l'apperçut des hauteurs. Elle
était composée de trente vaisseaux de différente grandeur,
et le bruit se répandit qu'elle portait 3000 hommes de
débarquement. A mesure qu'elle avançait, les plus
petits bàtimens se rangeaient le long de la côte de Beau-
port : les autres tenaient le large. Tous jettèrent les
ancres vers 10 heures ; et aussitôt, une chaloupe poi-tant
un pavillon blanc se détacha de la flotte, et s'avança
vers la ville. Ne doutant point qu'elle ne portât un
trompette, M. de Frontenac envoya à sa rencontre un
officier, qui la joignit à moitié chemin, fît bander la tète
au trompette, et le conduisit au Château. Lorsqu'il
fut en la présence du gouverneur, il lui remit une som-
mation de la part de William Phipps, commandant de la
flotte et de l'armée. Ce que cette sommation contenait
de plus raisonnable était que " les ravages et les cru-
autés exercés par les Français et les Sauvages contre
les peuples soumis à leurs majestés britanniques (Guil-
laume et ]\L^kie), avaient obligé leurs dites majestés
d'armer pour s'emparer du Canada, afin de pourvoir à
la sûreté des provinces de leur obéissance." Le reste
212 HISTOIRE
était couché dans un stile si arrogant, et contenait des
choses qui paraissaient si hors de propos, que M. do
Frontenac, et ceux qui étaient auprès de lui eurent
peine à se contenir, en l'écoutant. Quand la.lecture
fut Achevée, le trompette tira de sa poche une montre,
la présenta au gouverneur, et lui dit qu'il était 10
heures, et qu'il ne pouvait attendre que jusqu'à 11.
'•' Alors, dit Charlevoix, il y eut un cri général d'indi-
gnation, et ^I. de Valrennes s'écria qu'il fallait traitei*
cet insolent comme l'envoyé d'un corsaire, d'autant plus
que Phipps était armé contre son souverain légitime,*
et s'était comporté, au Port Royal, en vrai pirate, ayant
violé la capitulation, et retenu prisonnier M. de Manne-
val, contre sa parole et le droit des gens."
M. de Frontenac répondit, à l'instant, sur le ton que
Pliipps avait pris, et en récriminant. Le trompettte
ayant demandé cette réponse par écrit, le gouverneur
lui dit qu'il allait répondre à son maître par la bouche
de son canon.
Le trompette fut reconduit, les yeux bandés, jusqu'à
l'endroit où on l'avait été prendre ; et à peine fut-il
arrivé aux vaisseaux, qu'on se mit à tirer d'une des
batteries de la basse ville. Le premier coup de canon
abattit le pavillon de l'amiral, et la marée l'ayant fait
dériver, quelques Canadiens allèrent le prendre, à la
nage, et l'emportèrent, à la vue de toute la flotte, malgré
le feu qu'elle faisait sur eux.
Le 1 8, à midi, on apperçut presque toutes les cha-
loupes, chargées de soldats, tourner du côté de la rivière
Saint-Charles. Elles débarquèrent 1500 hommes. M.
de Frontenac détacha environ trois cents miliciens, pom*
les harceler. Un terrain marécageux, embarrassé de
* Louis XIV n'avait pas encore reconnu Gcillacme et Marie
comme roi et reine d'Angleterre.
DU CANADA, 213
brossailles et entrecoupé de rochers, empêchaient les
Anglais de profiter de la supériorité de leur nombre.
Les Canadiens voltigeaient de rocher en rocher, autour
des Anglais, qui n'osaient se séparer. Cette manière
de combattre déconcerta les assaillans, qui, à la fin, se
retirèrent en désordre, après avoir eu environ cent
cinquante hommes tués ou blessés. Les Français
n'eurent que deux hommes de tués, mais l'un d'eux
était le chevalier de Clermont, officier de mérite, et une
douzaine de blessés, parmi lesquels était M. Juche-
KEAiT, seigneur de Beauport, qui, quoiqu'âgé de plus de
soixante ans, avait combattu bravement, à la tête de ses
censitaires.
Le soir du même jour, les quatre plus gros vaisseaux
vinrent mouiller devant la ville. Ils firent un grand feu,
et on leur répondit de même. Sainte-Hélène pointa tous
les canons, et aucun de ses coups ne porta à faux. Vers
huit heures, le feu cessa, de part et d'autre. Le lende-
main, la ville recommença, la première. Au bout de
quelque temps, le contre-amiral s'éloigna, et l'amiral
le suivit, bientôt après, avec précipitation. H y avait
plus de vingt boulets dans le corps du bâtiment : il était
percé à eau, en plusieurs endroits ; toutes ces manoeuvres
étaient coupées, et un grand nombre de ses matelots
avaient été tués ou blessés. Les deux autres vaisseaux
tinrent encore quelque temps ; mais dans l'après-midi,
ils allèrent se mettre à l'abri du canon du fort, dans
VA7is€ des Mères. Ils y furent accueillis par un grand
feu de mousqueterie, qui leur tua beaucoup de monde,
et les obligea à s'éloigner encore davantage.
Le 20, de grand matin, les troupes qui étaient débar-
quées à Beauport battirent la générale, et se rangèrent
en bataille. Elles s'ébranlèrent ensuite, et côtoyèrent,
pendant quelque temps, la petite rivière, en bon ordre ;
214 HISTOIRE
mais MM. de Longueil et de Sainte- Hélène, à la tête
de deux cents volontaires, leur coupèrent chemin ; et
escarmouchant, de la même manière qu'on avait fait le
18, ils firent sur les troupes anglaises des décharges si
continuelles et si opportunes, qu'ils les contraignirent de
gagner un petit bois, d'où elles firent un très grand feu.
Les Canadiens les y laissèrent, et firent leur retraite en
bon ordre. Us eurent, dans ce second combat, deux
hommes de tués, et quatre de blessés. Du nombre des
derniers furent les deux commandans : Longueil ne fut
blessé que légèrement ; mais Sainte-Hélène reçut une
blessure grave, dont il mourut, au bout de quelques jours
C'était, suivant Charlevoix, " un des plus aimables
chevaliers et un des plus braves hommes" qu'ait jamais
eus le Canada.
Pendant cette action, M. de Frontenac s'était avancé,
à la tête de trois bataillons de ses troupes, le long de la
petite rivière, résolu de la passer, si les volontaires se
trouvaient trop pressés.
La nuit suivante, les Anglais s'avancèrent, avec
plusieurs pièces d'artillerie, résolus de battre la viUe en
brèche ; mais on ne les laissa pas aller bien loin ; plu-
sieurs détachemens de troupes et de mihces allèrent à
leur rencontre, et les arrêtèrent, ou les firent tomber
dans des ambuscades. Le lieutenant de Vlllieu se
distingua particulièrement dans ces manœuvres. La
partie était néanmoins trop inégale : les Français se
retirèrent, à la fin, mais toujours en combattant et en se
réunissant, jusqu'à ce qu'ils se trouvassent à portée d'être
soutenus par les batteries de la viUe. Le feu dura jusqu'à
la nuit: alors les Anglais se retirèrent, à leur tour,
d'abord en bon ordre, et ensuite, comme en fuyant,
jusqu'à lem' camp. H se rembarquèrent, dans la nuit
du 21 au 22, abandonnant plusieurs canons et une
l
DU CANADA. 215
quantité de poudre et de boulets. Us avaient perdu
près de six cents hommes, et leurs munitions et leurs
vivres étaient entièrement épuisés.
Le 23, au soir, la flotte leva les ancres, et se laissa
dériver à la marée.* Elle mouilla, le 24, à l'Arbre
Sec, et continua sa route, le lendemain. Une dixaine de
vaisseaux périrent, ou furent abandonnés dans le fleuve.
L'amiral Phipps s'était laissé persuader qu'il trouverait
Québec dégarni de troupes et sans défense, et il avait
compté sur une diversion du côté de Mont-réal, qui
n'eut pas lieu, parce que la petite-vérole ayant éclaté
parmi les troupes anglaises qui devaient s'avancer de ce
côté là, les Sauvages qui avaient promis de se joindre à
elles, ne voulurent plus en entendre parler.
Un nombre de vaisseaux de France, qui s'étaient mis
en sûreté dans le Saguenay, pendant que la flotte anglaise
était dans le fleuve, mouillèrent devant Québec le 12
novembre.
Le siège de Québec, en 1690, est un des ôvènemens
mémorables de l'histoire du Canada. Louis XIV
accorda des lettres de noblesse à ceux qui s'y étaient le
plus distingués, et nommément, aux sieurs Hertel et
Juchereau ;■}" et il voulut qu'une médaille en perpétuât
le souvenir : d'un côté, on voit la tête de ce roi ; de
l'autre la France victorieuse est assise sur des trophées,
au pied de deux arbres du pays, sur des rochers d'où
s'échappent des torrens. Un castot va se réfugier sous
* Quelques pi'isonniers, qu'elle avait faits, en remontant le fleuve,
furent échangés, à la suggestion et par l'entremise d'une demoi-
selle du nom de La Lakde.
f Le comte de Frontenac permit au sieur Cakre' et à ses mili-
ciens, d'emporter chez eux deux des canons abandonnés par les
Anglais, pour être un monument durable de leur belle conduite.
" On convenait, dit Charlevoix, (jue les ottlciers les plus expéri-
mentés n'avaient pu mieux manœuvrer que n'avait fait cet habi-
tant."
216 HISTOIRE
un bouclier, et le dieu sauvage du fleuve, qui épanche
son urne aux pieds de la déesse, la contemple avec
admiration. Pour devise, Kebeka liberata, M. D.
C. X. C. ; pour exergue : Francia in novo orbe
VICTRIX.*
Dans l'hiver de 1690 à 169 Lies Sauvages de l'Acadie
* Quel était Québec vers ce temps-là ? " Son circuit, dit Lahon-
tan, est d'à peu près une lieue ; sa latitude de 47°. 12m.* Québec
est partagé en haute et basse ^il]e. Les marchands demeurent à
la basse pour la commodité du port, le long duquel ils ont fait
bâtir de très belles maisons à trois étages, d'une pierre aussi dure
que le marbre. La haute Tille n'est pas moins belle ni moins
peuplée. Le Château, bâti sur le terrain le plus élevé, la com-
mande de tous côtés. Les gouverneurs généraux, qui font leur
résidence ordinaire dans ce fort, jouissent de la vue la plus belle
et la plus étendue qui soit au monde. La ville manque de deux
choses essentielles, qui sont un quai et des fortifications. H serait
facile de faire l'un et l'autre, car les pierres se trouvent sur le
lieu même. Elle est environnée de plusieurs sources d'eau vive,
la meilleui'e qui soit au monde, et Ton pourrait y élever des fon-
taines simples ou jaillissantes. Les habitans de la base ville ne
ressentent pas la moitié autant de froid que ceux de la haute ;
mais si ceux-ci sont exposés aux vents froids de l'hiver, ils ont
aussi le plaisir de jouir du frais en été. H y a un chemin assez
large de l'une à l'autre, mais un peu escarpé, et des maisons des
deux côtés. Le terrain de Québec est fort inégal, et la symétrie
mal observée. L'intendant demeure dans un fond un peu éloigné,
sur le bord d'une petite rivière, qui, se joignant au fleuve, renferme
la ■viUe dans un angle droit. On vi)it, à côté du Palais, de gi'ands
magasins de munitions de guerre et de bouche. Il y a six églises
à la haute ville. La cathédrale est composée d'un évêque et de
douze chanoines. La grandeur et l'arcliitecture de la maison du
chapitre sont surprenantes. L'église des jésuites, située au centre
de la ville, est belle, grande et bien éclaii'ée. Le grand autel est
orné de quatre grandes colonnes cj'lindriques et massives, d'un
seul bloc d'un certain porphyre de Canada, noir comme jais, sans
taches et sans fils. Leur maison est commode en toutes manières,
et ils ont de beaux jardins et plusieurs allées d'arbres si touffus,
qu'il semble, en été, qu'on soit dans une glacière, plutjt que dans
un bois. Leur collège est si petit, qu'à peine ont-ils jamais eu
cinquante écoliers à la fois. Outre une église, ou chapelle (nou-
velle), les récollets ont encore un (ancien) hospice,où plusieurs d'eux
se tiennent. L'église des ursuliues a été brûlée, et rebâtie deux ou
trois fois, de mieux en mieux. Les hospitalières sont mal logées.
• Champlain dit quarante-six degrés et demi. Généralement, les latitudes
de cet auteur, et celles de quelques autres vojageurs anciens, sont trop
basses d'environ un degré.
DU CANADA. 217
ravagèrent cinquante lieues de pays, dans la Nouvelle
Angleterre. C'était ainsi que, depuis longtems, les
Anglais et les Français, les prenaiers, au moyen des
Iroquois, et les derniers, au juoyen des Abénaquis, se
faisaient plus de mal, dans l'espace de quelques mois,
ou même de quelques semaines, qu'ils n'auraient pu s'en
faire, durant des années entières, sans ces barbares et
cruels auxiliaires.
Au priutems, et pendant une partie de l'été, les
Iroquois continuèrent leur guerre d'incui'sions : ils se
mirent en campagne, au nombre de mille ; et ayant
établi leur camp à l'entrée de la rivière des Outaouais,
ils envoyèrent de là des détachemens, de différents côtés.
L'un de ces détacbemeus, fort de vingt-cinq bommes, se
jetta sur l'endroit de l'île de Mont-réal appelle la
Pointe aux Trembles, y brida une ti'entaine de maisons
ou granges, et y prit quelques liabitans, sur lesquels il
exerça des cruautés inouies. Un second détachement,
composé de quatre-vingts hommes, attaqua les Sauvages
de la Montagne, et leur enleva une trentaine de femmes
et d'enfans. D'autres bandes moins considérables st;
répandirent depuis Repen/iffni/ jusqu'aux lies de Riche-
lieu, et firent partout de grands dégâts. M. Lemoym;
DE BiENViLLE, à la tète de deux cents honimes choisis,
tant Français que Sauvages, surprit une de ces troupes,
forte de soixante hommes, Agniers et Goyogouins, et
comptait bien que pas un de ces barbares ne lui échap-
perait ; mais les Agniers ayant demandé à parler aux
Iroquois du Sault Saint -Louis, ceux-ci voulurent abso-
lument les écouter, de peur, disaient-ils, de rompre tout
accommodement entre eux et leurs frères. Les Agniers
leur protestèrent qu'ils ne souhaitaient rien tant que la
paix, et s'offrirent de s'en retourner chez eux, avec
promesse d'envoyer des députés à. Mont-réal, pour traiter
T
218 HISTOIRE
de la paix avec M. de Callières. On les crut sur leur
parole ; et ils échapèrent ainsi, par une ruse de guerre,
à la mort ou à la captivité.
A peu près dans le même temps, ayant eu avis qu'on
avait découvert une trentaine d'Onneyouths, à Saint-
Sulpice, dans une maison abandonnée, le chevalier de
Vaudreuil s'avança, de ce côté, avec une centaine de
volontaires, parmi lesquels on distinguait le même de
Bieuville, le chevalier de Crisasi, réfugié sicilien, et
Ouréouharé. En s' approchant de la maison, on apper-
çut quinze Sauvages couchés en-dehors sur l'herbe. On
donna dessus, et ils furent tous tués, avant d'avoir eu le
temps de se reconnaiti*e. Aux cris des moui-ans, ceux
qui étaient dans la maison se mirent en défense, et
Bien\'ille s'étant trop aproché d'une fenêtre ouverte, fut
renversé mort, d'un coup de fusil. La perte de cet
officier releva le courage des Onneyouths ; mais M. de
Vaudreuil ayant fait mettre le feu à la maison, ils furent
tous tués, ou pris, en voulant s'ouvrir un passage, le
casse-tête à la main. Les habitans firent impitoyable-
ment brûler les prisonniers, persuadés que le meilleur
moyen de corriger les L'oquois de leurs cruautés, était
de les traiter eux-mêmes comme ils traitaient les autres.
Au commencement d'août, le gouverneur de Mont-
réal ayant appris qu'un gros parti d'Anglais et dTxo-
quois s'avançait du côté de la rivière de Richelieu,
assembla sept à huit cents hommes, et les mena camper
à la Prairie de la Madeleine.
H y avait déjà trois jours que ces troupes couchaient
au bivouac, lorsque, dans la nuit du 10 au 11, qui fut
pluvieuse et très obscure, elles se retirèrent dans le fort.
Ce fort était à trente pas du fleuve, sur une hauteur
située entre deux prairies, dont une, qui regardait un
endroit appelle La Fourche, était coupée par une petite
DU CANADA. 219
rivière, à la portée du canon du fort, et un peu plus
près, par une ravine. Entre les deux, il y avait un
courant sur lequel on avait bâti un moulin : c'était de
ce côté-là, à la gauche du fort, qu'étaient campées les
milices, accompagnées de quelques Sauvages. Les
troupes l'églées campaient sur la droite, et les officiers
avaient fait dresser leurs tentes vis-à-vis, sur une hau-
teur.
Une heure avant le jour, la sentinelle qui était postée
au moulin apperçut des gens qui se glissaient le long
de la hauteur sur laquelle était le fort : elle tira un coup
de fusil, cria aux armes, et se jetta dans le moulin.
C'étaient des ennemis, qui se coulant le long de la petite
rivière de La Fourche et la ravine, gagnèrent le bord du
fleuve et s'y cantonnèrent, et qui, trouvant le quartier
des milices dégarni, en chassèrent le peu de monde qui
y restait, et s'y logèrent. Quelques Canadiens et
quelques Sauvages furent tués, dans cette surprise.
Au bruit de la sentinelle, M. de Saint-Citrqije,
ancien capitaine, qui commandait, en l'absence du che-
valier de CalUères, retenu au lit par une grosse fièvre,
marcha à la tète de ses troupes, dont une partie défila
le long de la grève, et l'autre, par une prairie, en faisant
le tour du fort. Le bataillon que Saint-Cyi'que com-
mandait en personne arriva, le premier, à la vue du
quartier des milices : soupçonnant que les ennemis en
pouvaient être maîtres, il s'arrêta, pour s'assurer du fait,
et dans le moment, on fit sur lui une décharge dont il
fut blessé à mort. Un autre officier, nommé d'Escai-
RAC, fut aussi blessé mortellement, et M. d'IIosta fut
tué roide.
Le second bataillon arriva presque au même instant,
conduit par M. de la Ciiassaigne, et l'on donna, tête
baissée, sur l'ennemi, qui, après une assez vigoureuse
220 HISTOIRE
résistance, commença à se retirer en bon ordre. Saint-
C}Tque, qui avait eu la veine-cave coupée, perdait tout
son sang ; mais on ne put l'obliger à se retirer, qu'il
n'eût vu les ennemis tourner le dos. Il tomba mort,
quelques momens après, à la porte du fort.
Cependant, les ennemis retraitaient dans une conte-
nance qui annonçait moins les vaincus que les vain-
queurs, emportant plusieiu*s chevelures, et poussant des
cris, comme pour insulter aux troupes françaises. Un
petit détachement les suivit, mais il tomba dans une
ambuscade, et tous ceux qui le composaient y périrent.
Enhardis par ce succès, les confédérés reprirent le
chemin par où ils étaient venus. Après qu'ils eurent
fait environ deux lieues, leurs coureurs découvrirent les
troupes que commandait Valrennes, qui, quelques
jours auparavant, avait été envoyé du côté de Chambly,
avec quelques centaines d'hommes, et qui était accouru,
au premier bruit du combat. Les ennemis l'attaquèrent
avec beaucoup de résolution ; mais par bonheur pour
cet officier, il se trouva, en cet endroit, deux grands
arbres renversés : il s'en fit un retranchement, plaça sa
troupe derrière, et lui fit mettre ventre à terre, pour
essuyer le premier feu des ennemis. Il lui ordonna
ensuite de se relever, la partagea en trois bandes, dont
chacune fit sa décharge, puis la rangea en bataille, et
chai'gea les confédérés avec tant d'ordre, de promptitude
et de vigueur, qu'il les fit plier partout. Ils se remirent
néanmoins jusqu'à deux fois; mais après une heure et
demie de combat, ils furent contraints de se débander, et
leur déroute fut complète. On en compta cent-vingt
sur la place, et l'on sut ensuite que le nombre des blessés
surpassait de beaucoup celui des morts. Les drapeaux
et les bagages restèrent aux vainqueurs. La perte de
ces derniers fut de soixante hommes tués et autant de
DU CANADA. 221
blessés. Ds eurent à regretter le jeune et brave Lebekt-
DuciiESXE, qui avait combattu avec une intrépidité
remarquable, à la tête des Canadiens.
■" Cette action, dit Charlevoix, fut très vive, et conduite
avec toute l'intelligence possible. Valrennes était
partout, faisant, en même temps, les devoirs de capitaine
et de soldat, combattant et donnant ses ordres avec autant
de sang-froid que s'il eût commandé un exercice. Les
chefs sauvages s'y surpassèrent, et l'un d'eux fut tué,
en exliortant les siens de la voix et par son exemple, à
combattre en gens de cœur. On s'y battit presque
comme les anciens, homme à homme et corps à corps.
C'était le courage, c'était l'adresse, c'était la présence
d'esprit qui l'emportait : on en venait réellement aux
mains ; on luttait, on se terrassait, et quand les armes
ou les munitions manquaient, on se brûlait le visage
avec la bourre du fusil."
A la nouvelle de l'approche des ennemis, le gouver-
neur général était parti de Québec pour se rendre à
Mont-réal ; mais ayant appris, en y arrivant, leur défaite
et leur fuite, il retourna aussitôt sur ses pas. Il reçut
peu de temps après, une lettre du gouverneur de la
Nouvelle Angleterre, qui le priait de lui faire rendre les
prisonniers que les Abénaquis avaient faits dans sa
province, et lui proposait la neutralité en Amérique,
malgré la guerre qui continuait, en Eui'ope, entre
l'Angleterre et la France.
M. de Frontonac écrivit en réponse au général anglais,
que quand il lui aurait renvoyé le chevalier d'Eau et
M. de Manncval, qu'il retenait prisonniers, l'un par la
trahison des Iroquois, l'autre pai* la mauvaise foi de
l'amiral Phipps, il pourrait entrer avec lui en pourpar-
1er ; mais que, sans cela, il n'écouterait rien. Si les
Sauvages devaient entrer dans la neutralité, l'avantage
T 2
222 HISTOIRE
eût été réciproque, et peut-être le Canada y eût-il plus
gagné que les provinces anglaises: le comte de Fron-
renac devait le sentir ; mais Charlevoix prétend que ce
général avait des preuves certaines de la mauvaise foi
du gouverneur de la Nouvelle Angleterre.
Peu content d'avoir vu échouer tous les projets des
Anglais et des Iroquois contre le Canada, M. de Fron-
tenac voulut porter la guerre chez ces derniers. Cinq
ou six cents hommes eurent ordre d'entrer dans le
canton d' Agnier, et en prirent la route ; mais le mauvais
état des chemins joint, peut-être, à d'autres inconvéniens,
les contraignit de s'en revenir, sans avoir rien fait.
On se consola de ce contre-temps par la nouvelle que
le chevalier de Villebox, fils du baron de Bekaxcour,
et frère de Manneval et de Portneuf, nommé gouver-
neur de l'Acadie, était entré au Port Eoyal, et avait
repris possession du pays pour la France.
Malgré les pertes que les L'oquois éprouvaient, de
temps à autre, ils ne cessaient pas de continuer leur
petite guerre, et de tenir la colonie en alarme. Les
voyages aux contrées du Nord et de l'Ouest étaient sur-
tout devenus d'une extrême difficulté : il fallait aux
voyageurs de fortes escortes, et souvent ces escortes
elles-mêmes devenaient, en tout ou en partie, la proie
de l'ennemi. Il ne se passait guère de mois sans que la
colonie eût à regretter un ou plusieurs de ses officiers,
ou de ses hommes marquants.
Au commencement de février 1692, le chevalier de
CaUières reçut ordi-e du comte de Frontenac de lever
un parti, et de l'envoyer dans la presqu'île formée par
la rencontre du fleuve Saint-Laurent et de la grande
rivière des Outaouais, où les Lroquois avaient coutume
de venir chasser, pendant l'hiver, et où le gouverneur
était informé qu'ils étaient en grand nombre. M. de
DU CANADA. 223
Callières assembla trois cents hommes, partie Français
et partie Sauvages, et les mit sous la conduite de M. de
Beaucourt, capitaine réformé.
En arrivant à l'île de Toniatlia, à une journée de
marche en deçà de Catarocouy, Beaucourt y rencontra
cinquante Tsonnonthouans : il les attaqua dans leurs
cabanes, leur tua vingt- quatre hommes et leur en prit
seize ;* puis s'en revint. Ses prisonniers furent envoyés
à Québec, où le gouverneur en condamna deux à être
brûlés vifs : " voulant, dit un historien, par cet exemple
rigoureux, intimider les Iroquois, ou faire qu'ils se
gardassent, à l'avenir, de s'avancer, en toute hardiesse,
jusqu'aux portes des villes. "f On avait appris de ces più-
sonniers qu'une troupe de cent guerriers du même canton
faisait la chasse près du Sault de la Chaudière, et que
deux cents Onnontagués,commandés par la Chaudiere-
NoiRE, un de leurs plus braves chefs, devaient les y
joindre, pour y passer toute la belle saison, afin d'arrêter
tous les Français qui voudraient aller à Michillimakinac,
ou en revenir. Comme on attendait incessamment un
grand convoi de pelleteries des contrées du Nord et de
l'Ouest, on comprit qu'il aurait été nécessaire d'envoyer
au-devant une bonne escorte; mais M. de Calhères
*Le sieur La Plante, (jui vivait dans l'esclavage, depuis la
funeste incursion dans l'ile de Mont-réal, eut le bonheur de se
trouver enveloppe' dans cette déroute, et de recouvrer sa liberté.
L(! sieur Villeduné eut un peu plus tard le même bonheur.
\ Si M. de Frontenac intimidait par là les Iroquois, ne leur
donnait-il pas aussi à eulendre que la manière dont ils traitaient
leurs prisonniers de j^uerre ne répugnait ni à la loi de nature ni à
la religion qu'on voulait leur faire embrasser ? Quoiqu'il en soit,
les "instantes prières de madame l'intendante,'' et des personnes
qui avaient en horreur les cruautés barbares, n'ayant pu le
fléchir, une î "charitable personne" jetta un couteau dans la
prison, et le moins courageux des deux condamnés se le plongea
dans le sein. L'autre fut brûlé, sur le cap aux Diamans, " à petit
feu," et avec plaisir, en apparance, par des jeunes Sauvages de
Lorette.
224 msTOiEE
ne voulut rien faire sans l'ordre du comte de Frontenac.
Ce général, persuadé que l'affaire de Toniatha avait
déconcerté les mesures des Iroquois, manda au gouver-
neur de Mont-réal de faire partir, au j^lutût, le sieur de
Saikt-Michel, gentilhomme canadien, avec quarante
voyageurs, pour porter ses ordres à MicliiUimakinac, et
de les faire escorter par trois canots bien armés, j usqu'au
dessus du Sault de la Chaudière.
M. de Callières obéit : l'escorte conduisit les Cana-
diens, jusqu'à l'endroit marqué, sans avoir rencontré un
seul Iroquois ; mais peu de jours après, ayant apperçu
deux Sauvages de cette nation, Saint-Michel ne douta
point que La Chaudière-Noire ne fut proche, avec toute
sa troupe, et s'en revint à Mont-réal. Il ne faisait que
d'y débarquer, lorsque M. de Frontenac y étant arrivé
de Québec, le fit repartir, sur-le-champ, avec trente
Français et trente Sauvages. Le général le fit suivre
pai' TiLLT DE Saixt-Pierre, qui eut ordre de prendre
sa route par la Rivière du Lièvre, qui se décharge dans
la Grande-Rivière, environ cinq lieues au-dessous du
Sault de la Chaudière, et à qui il donna un duplicata de
l'ordre dont Saint-Michel était porteur pour M. de
Louvigny.
Il fut heureux d'avoir pris cette précaution : Saint -
Michel, arrivé au même endroit où il avait relâché, à
son premier voyage, y vit encore deux éclaireurs, et
apperçut, en même temps, un grand nombre de canots
que l'on mettait à l'eau. H ne crut pas devoir s'exposer
à un combat trop inégal, et reprit, une seconde fois, la
route de Mont-réal. Trois jours après qu'il y eut
débarqué, on y vit arriver soixante Sauvages chargés de
pelleteries, qui étaient descendus par la rivière du Lièvre,
et qui dirent qu'ils avaient rencontré M. de Saint-Pierre
au-delà de tous les dangers. Après qu'ils eurent fait
^0 CANADA. 225
leur traite, ils demandèrent une escorte, pour passer
jusqu'à l'endroit où ils devaient prendre des chemins
détournés. Saint-Michel s'offrit à les accompagner, et
son offre fut acceptée. On lui donna une escorte de
ti'ente hommes commandés par le lieutenant de La
Gemeraye, ayant sous lui deux des fils du sieur Hertel.
Cette troupe étant arrivée à l'endroit nommé le Long-
Sault* où il fallait faire un portage ; tandis qu'une
partie des hommes étaient occupée à monter les canots
à vide, et que les autres marchaient le long du rivage,
pour les couvrir, une décharge de fusils faite par des
gens qu'on ne voyait point, écarta tous les Sauvages,
qui étaient de la seconde bande, et fit tomber plusieurs
Français morts ou blessés.
Les Iroquois, sortant aussitôt de leur ambuscade, se
jetteront avec fureur sur ce qui restait du parti français ;
et dans la confusion qu'une attaque si brusque et si
imprévue avait causée, ceux qui voulurent gagner leurs
canots les firent tourner; de sorte que les barbares
eurent bon marché de gens qui avaient, en même temps,
à se défendre contre eux, et à lutter contre la rapidité
du courant, qui les entraînait. Es se défendirent pour-
tant avec une bravoure qui aurait pu les sauver, si les
Sauvages ne les eussent point abandonnés ; car on apprit
ensuite que la Chaudière-Noire n'était accompagné
que de cent-quarante guerriers. La Gemeraye fut
assez heureux pour s'échapper, avec quelques soldats ;
mais Saint-Michel et les deux Hertel furent faits pri-
sonniers.
* Outre lo Saiilt des Cascades, il y a ceux du Buisson, des
Cèdres, du C/)teau du Lac, ot " surtout le Lomj- Sa ult. Imaginez-
vous qu'en l'espace de vingt lieues, le long du fleuve, la rapidité
de ses eaux est si violente, qu'on n'oserait éloigner le canot de
(juatre pas du l'ivage. Il est impossible de voyager sur les bords
de ce Heuve, sans tomber d'ambuscade en ambuscade." — Lauon-
TAN.
226 HISTOIRE
Après cette rencontre, on fut quelque temps sans
entendre parler des Iroquois; mais le 15 juillet, au
moment où l'on s'y attendait le moins, La Chaudière-
Noire fit descente à l'endroit nommé la Chenaye, sur
la Riciere Jésus, et y enleva une quinzaine d'habitans,
M. de Callières envoya contre lui cent soldats, sous le
capitaine Ddplessis-Faber, qu'il fit suivre par le che-
valier de Vaudreuil, à la tête de deux cents hommes.
Les Iroquois se jetteront dans les bois, et s'enfuirent
avec précipitation, abandonnant leurs canots et quelque
bagage. On renforça le corps du chevalier de Vau-
dreuil, et on lui ordonna de poursuivre les ennemis.
Il atteignit leur arrière-garde, un peu au-dessous du
Long-Sault, leur tua, ou leur prit une quinzaine
d'hommes, et délivra une partie des habitans enlevés à
la Chenaye.
Quelques jours plus tard, M. deLusigxajj, capitaine
réformé, passant par les îles de Richelieu, tomba dans
une ambuscade, et fut tué à la première décharge. La
MoNCLERiE, son lieutenant, put retraiter en bon ordre,
après deux heures de combat.
Il avait été défendu aux habitans de s'éloigner de
leurs habitations, et ceux qui contrevenaient à cette
défense avaient ordinairement lieu de s'en repentir.
Les femmes ne pouvaient pas plus que les hommes
s'éloigner, tant soit peu, des villes ou des forts, sans
courir la risque d'être enlevées. Cette année, 1692,
un parti nombreux d'Iroquois parut à la vue du fort de
Verchères, tandis que tous les hommes étaient dehors,
occupés, la plupart, aux travaux des champs. La fille
du seigneur (Mademoiselle de Vercuekes), âgée au
plus de quatorze ans, en était à deux cents pas. Au
premier cri qu'elle entendit, elle courut pour y rentrer.
Les Sauvages la poursuivirent, et l'un d'eux la joignit,
DU CANADA. 227
comme elle mettait le pied sur la porte ; mais l'ayant
saisie par un mouchoir qu'elle avait au cou, elle le
détacha, et ferma la porte sur elle. Il ne se trouvait,
dans le fort, qu'un jeune soldat et une troupe de femmes,
qui, à la vue de leurs maris, que les Iroquois saisissaient
et garottaient, poussaient des cris lamentables. La
jeune demoiselle ne perdit ni le cœur ni le jugement ;
elle ordonna aux femmes de cesser leurs lamentations,
ôta sa coëifure, noua ses cheveux, prit un chapeau et
un juste-au-corps; puis elle tira un coup de canon et
quelques coups de fusil, et se montrant, avec son soldat,
tantôt dans une redoute, et tantôt dans une autre, et
tirant toujours fort à propos, lorsqu'elle voyait les Iro-
(juois s'approcher de la palissade, ces Sauvages se
persuadèrent qu'il y avait beaucoup de monde dans le
fort, et se retirèrent.
Deux ans auparavant, la mère de cette jeune fille,
Madame de Vercheres, restée presque seule dans
le même fort, on avait pareillement éloigné, par son
courage et sa vigilance, un parti de guerre de la même
nation.
C'était presque toujours du canton des Agniers que
sortaient les partis de guerre qui faisaient le plus de mal
à la colonie : aussi M. de Frontenac prit-il encore une
fois la résolution d'en tirer raison. Il envoya quelques
compagnies de troupes et de milices au chevalier de
Callières, en lui ordonnant d'y joindre quelques cen-
taines d'hommes de son gouvernement, soldats, habitans,
Sauvages, pour en former un corps d'armée, et de le
faire marcher incessamment contre les Agniers. Ces
ordres furent exécutés avec diligence ; le parti se com-
posa de six cents hommes, et le commandement en fut
donné ii MM. de Mantet, de Courtemanciie et de
LA Noue, licutcnans.
Ds partirent de Montréal, le 25 janvier 1693, et arri-
228 HISTOIRE
vèrent, le 16 février, daus le canton d'Aguier, sans avoir
été découverts. Ce canton n'était alors composé que
de trois grosses bourgades, qui avaient cliacune un fort :
La Noue attaqua le premier, et s'en rendit maître, sans
beaucoup de résistance. Il brûla les palissades, les
cabanes et toutes les provisions. Mantet eut pareille-
ment bon marché du second, qui n'était qu'à un quart
de lieue du premier. Le troisième, qui était beaucoup
plus grand, coûta aussi bien davantage. On y arriva
dans la nuit du 18 ; les Agniers, quoique surpris, se
défendirent bien. L'on en tua une vingtaine, et l'on
en fit deux cent-cinquante prisonniers. Après cet
exploit, les Français se retranchèrent, dans l'attente
d'être attaqués. Les Agniers réunis, parurent, en effet,
au bout de deux jours, et se reti-anchèrent aussi, de
leur côté. Ils fiu-ent attaqués vigoureusement, et se
défendirent de même. Leur retranchement ne fut forcé
qu'à la troisième charge. La perte des Français fut de
seize morts et douze blessés : celle des Ii'oquois ne fut
pas plus considérable. Après s'être débandés, ils se
rallièrent, et suivirent l'armée française pendant trois
jours, sans néanmoins s'en trop approcher. Une soixan-
taine de prisonniers, amenés à Montréal, fut à peu
près tout le fruit de cette incursion chez les Agniers.
Les routes n'en devinrent pas plus libres, ni les com-
munications avec le Nord, ou l'Ouest, moins dangereuses.
M. d'Argenteuil, frère de Mantet, ayant été chargé
de porter des lettres du gouverneur général à M. de
Louvigny, un sieur de la Valtrie eut ordre de l'es-
corter, avec une cinquantaine d'hommes, jusqu'au-delà
de tous les passages dangereux. D'Argenteuil put se
rendre à INIichillimakinac sans malencontre ; mais M.
de la Valtrie fut attaqué, à son retour, près de l'île de
Mont-réal, et tué avec une partie de ses gens.
Au mois de juin, le gouverneur général ayant appris
DU CANADA. 229
que huit cents Iroquois s'étaient mis en marche, et
étaient déjà près des Cascades, à l'extrémité du h\c
Saint-Louis, fit partir le chevalier de Vaudreuil, à la
tête de six compagnies de troupes. Le gouverneur de
Mout-réal avait aussi assemblé un corps de sept à huit
cents hommes, et ils s'avancèrent, tous deux, jusqu'aux
Cascades ; mais ils n'y trouvèrent plus l'ennemi : il
avait décampé, à la nouvelle des préparatifs qui se
faisaient contre lui.
Le 4 août, deux cents canots arrivèrent à Mont-réal
chargés de pelleteries. Les principaux chefs de pres-
que toutes les tribus du Nord y étaient en personne.
Dès que M. de Frontenac en eut eu la nouvelle, il se
mit en route pour Mont-réal, et y arriva, escorté de ces
mêmes chefs, qui étaient allés au-devant de lui jusqu'-
aux Ïrois-Rivières. Dès le lendemain, il se tint un
grand conseil, où tout se passa à la satisfaction des
assistans. Le gouverneur n'épargna rien pour achever
de s'attacher toutes les tribus dont les chefs se trouvaient
présents. Tous ces Sauvages partirent charmés de
ses manières et comblés de ses présens, et furent suivis
de près par un grand nombre de Français, parmi
lesquels étaient Courtemanche, Mantet, Argenteuil,
nommé lieutenant de Louvigny, Perrot, et M. lk
Sueur, chargé de faire un établissement à Chaçouami-
gon, sur le lac Supérieur.
Vers la fin de septembre, on vit aiTiver à Québec
une femme onneyouthe, que le seul désir de voir le
comte de Frontenac avait engagée à faire ce voyage.*
" Ce n'était pas tout-à-fait la reine de Saba, remarque
Charlevoix; mais l'Iroquoise était animée du même
* Elle était accompagnée de Tareiia, un des chefs de sa tribu,
qui, au mois de juin précédent, avait été député vers le gouver-
neur général, pour lui faire des ouvertures de paix.
230 HISTOIRE
motif que cette princesse, et le général français en fut
tellement flatté, qu'il crut voir dans cette femme quel-
que cliose de plus qu'une Sauvagesse." Elle méritait,
d'ailleurs, l'accueil favorable qu'il lui fit : c'était elle
qui avait adopté le P. Millet, après l'arrestation des
chefs iroquois, à Catarocouy, et lui avait par là sauvé la
vie. Elle se fit chrétienne, et se fixa au Sault Saint-
Louis.
L'année 1694 se passa presque toute en envois de
députés, négociations et remises de prisonniers, de la
part des Iroquois.
Le gouverneur de la Nouvelle Angleterre ne voulait
pas rester en arrière de celui de la Nouvelle France, en
fait de vigilance et d'activité. Il était parvenu à faire
consentir deux des principaux chefs des Abénaquis à
traiter de la paix avec lui ; et il se transporta au fort
de Pemkuit, pour en accélérer la conclusion. Mais
déjà le sieur de Villieu, secondé par les missionnaires,
avait trouvé le secret de détourner ces deux chefs de
leur dessein ; et ayant réuni trois ou quatre cents
guerriers, il s'avança au milieu des habitations anglaises,
partagea ses gens en deux bandes, attaqua et prit deux
forts, peu éloignés l'un de l'autre, sans qu'il lui en
coûtât un seul homme. Enhardi, ou plutôt enthou-
siasmé par un succès si prompt et si peu coûteux, un
des chefs, nommé Taxous, s'avança avec quarante des
plus braves de la troupe, jusqu'auprès de Boston ; atta-
qua, en plein jour, un petit fort, s'en rendit maître, et
ravagea tous les environs. De Yillieu emmena à Qué-
bec plusieurs chefs, qui tous renouvelleront au gouver-
neur général les protestations d'une fidélité inviolable.
Vers la fin de cette même année, d'Iberville, accom-
pagné de son frère Serigny, et de cent-vingt Canadiens,
ee rendit maître, par capitulation, du Port Nelson, à la
DU CAXADA. 231
Baie cVIIudson, et lui donna le nom de Fort Bourbon.
Cependant, les Iroquois, malgré leurs députations et
leurs prétendues dispositions pacifiques, continuaient à
se montrer autour des habitations françaises, et à y exer-
cer leurs ravages accoutumés. Le comte de Frontenac
crut que le remède le plus efficace à ces maux était le ré-
tablissement du Fort de Catarocouy. Dans ce dessein, il
se rendit à Mout-réal, escorté de cent-dix habitans des
gouveruemens de Québec et des Trois-Rivières. Il
leva encore cent hommes de milice, deux cents soldats
et deux cents Sauvages, dans le gouvernement de
Mont-réal, avec trente-six officiers. Cet armement se
mit en route, sous la conduite du chevalier de Crisasi.
Cet officier usa de tant de diligence et d'activité, qu'en
quinze jours de temps, il fit le trajet difficile, entre
Mont-réal et le lac Ontario, et rebâtit le fort de Cata-
rocouy. Sou zèle et sa vigilance ne se bornèrent pas
là : avant de repartir pour Mont-réal, il envoya des Sau-
vages, divisés par petites troupes, à la découverte, de
différents côtés. On apprit, pai* ce moyen, qu'un grand
nombre d'Iroquois étaient, ou allaient se mettre en
campagne, et l'on put en avertir assez à temps pour
«lonner au gouverneur dq Mont-réal le loisir de mettre
ses postes liors d'insulte, et à M. de Frontenac celui de
former un corps de huit cents hommes dans Xllc
Péri ot.
Les ennemis n'en eurent pas moins la hardiesse de
s'avancer jusqu'à Mont-réal et de débarquer même, par
petits pelotons, dans cette île, où ils massacrèrent quel-
ques Iiabitans; mais le gouverneur déconcerta leurs
mesures, en divisant sa petite armée, pour la répartir
dans les différentes paroisses. Ne pouvant rien faire
par petites troupes, les Iroquois s'avancèrent, en un
corps assez considérable, jusque derrière Boiicherville :
232 HISTOIRE
mais ils y furent défaits par M. La Durantaye ; et ainsi
finit la campagne dans le centre de la colonie.
Dans les quartiers de l'Ouest, M. de Lamotte-
Cadillac avait déterminé les Sauvages voisins de son
poste à faire des courses sur l'ennemi commun : ces
Sauvages amenèrent un grand nombre de prisonniers à
Michillimakinac. Les Iroquois voulurent s'en venger
sur les Français, et marchèrent, en grand nombre, pour
couti'aindre les Miamis à se déclarer contre eux.
Courtemanche et quelques Canadiens se trouvant chez
ces Sauvages, lorsque les Iroquois parurent, loin de
vouloir écouter ces derniers, ils tombèrent sur eus à
l'iraproviste, et après en avoir tué et blesssé un bon
nombre, obligèrent le reste à fuir en grand désordre.
Les Iroquois furent dédommagés de cet échec par la
malveillance d'un chef huron, que les Canadiens avaient
surnommé le Baron. Ce chef avait envoyé sous-main
son fils, avec quarante guerriers qui lui étaient dévoués,
vers les Tsonnonthouaus. Ils conclurent avec ce canton
un traité de paix, dans lequel les Outaouais furent
compris. Peu après, des envoyés iroquois furent reçus
par les Sauvages de Michillimakinac, et eu obtinrent
tout ce qu'ils voulurent, môme la promesse de se joindre
à eux, poui' faii'e la guerre aux Français.
Ce qui mécontentait surtout les alliés des Français,
c'était le haut prix des marchandises qu'on leur vendait.
Quelques uns d'eux avaient été en députation à Mont-
réal, à la suggestion de M. de Lamotte, pour demander
que les effets dont ils ne pouvaient se passer leur fussent
vendus à meilleur marché : le gouverneur généi'al leur
avait laissé entrevoir qu'ils seraient satisfaits sur ce
point. Lorsque ces députés furent de retour, Lamotte
assembla les chefs, et déclara devant tous, qu'il donne^
rait à crédit, aux prix accoutumés, tout ce qui restait
DU CANADA. 233
de marchandises dans ses magasins. Cette déclaration
jointe à tout ce qu'il put leur dire, pour raffermir les
uns dans leurs bonnes dispositions, et faire revenir les
autres de leur éloignement, eut assez d'effet pour qu'il
crut pouvoir leur proposer d'envoyer des partis de
guerre contre les Iroquois.
A peine le commandant eut-il fini de parler, que
plusieurs se déclarèrent chefs de l'entreprise qu'il pro-
posait. Ils assemblèrent promptement un nombre
considérable de guerriers, et coururent chercher les
Iroquois.' On se battit avec acharnement, sur le bord
d'une rivière; mais à la fin, les Iroquois furent obligés
de se jetter à la nage, pour se sauver. Les vainqueurs
revinrent à Michillimakinac avec trente-deux prison-
niers, trente chevelures, et un butin d'environ cinq
cents peaux de castor.
Le gouverneur général ayant résolu de pénétrer, au
printems, jusqu'au centre du pays des Iroquois, donna
ordi'e au gouverneur de Mont-réal d'envoyer quelques
centaines d'hommes entre le Saint-Laurent et la Grande-
Rivière, pour courir sus à ces Sauvages, qu'on suppo-
sait y devoir chasser en grand nombre. Ce parti ne
rencontra personne ; les Iroquois s'étant tenus renfer-
més dans leurs forts, pendant tout l'hiver.
M. de Frontenac arriva à Mont-réal vers la fin de
juin, (1696)^ accompagné des milices du gouvernement
de Québec et de celui des Trois-Rivières. Celles du
gouvernement de Mont-réal étaient déjà assemblées, et
il ne restait plus qu'à se mettre en marche. L'ar-
mée partit de Mont-réal, le 4 juillet, et arriva, le même
jour, à La Chine, où arrivèrent aussi cinq cents Sau-
vages, dont on fit deux troupes : la première, composée
d'Iroquois et d'Abénaquis domiciliés, fut mise sous les
ordres de JNLiricourt, capitaine ; la seconde, oh étaient
u2
234 HISTOIRE
les Hurons de Lorette et des Iroquois, eut poui* cotn-
mandans MM, de Beauvais et Legardeur, lieutenans.
Quelques Algonquins et quelques Outaouais, joints à
d'autres Sauvages du Nord, formèrent une bande sépa-
rée, sous le baron de Békancour. Les troupes furent
partagées en quatre bataillons de deux cents hommes,
chacun, sous les ordres de quatre anciens capitaines, la
Durantaye, Demuys, Dumesnil et de Grais. On fit
aussi quatre bataillons des milices canadiennes : celui
de Québec était commandé par M. de Saint-Martin,
capitaine réformé ; celui de Beaupré, par M. de
Grand VILLE, lieutenant ; celui des Trois-Rivières, par
M. DE Grandpre', major de place, et celui de Mont-
réal, par M. Deschambauts, procureur du roi de cette
ville. M. DE Subercase faisait les fonctions de major-
général, et chaque bataillon, tant des troupes que des
milices, avait son aide-major.
Le 6, cette armée, la plus nombreuse qui eût encore
été formée en Canada, alla camper dans l'Ile Perrot, et
le lendemain, elle en partit, dans l'ordre suivant : M.
de Callières menait l'avant-garde, composée de la
première bande de Sauvages et de deux bataillons de
troupes : elle était précédée de deux grands bateaux,
où était le commissaire d'artillerie, avec deux pièces de
campagne, des mortiers, et les munitions. Quelques
canots, conduits par des Canadiens, les accompagnaient,
avec toutes sortes de provisions de bouche. Le comte
de Frontenac, suivait, accompagné de M. Levasseuk,
ingénieur en chef, et environné de canots, qui portaient
sa maison, son bagage, et un nombre de volontaires.
Les quatre bataillons de milices, plus forts que ceux
des troupes, faisaient le corps de bataille, sous les
ordi-es de M. de Ramsay, gouverneur des Trois-
Rivières. Les deux autres bataillons des troupes, avec
DU CANADA. 235
la seconde bande des Sauvages, formaient l'arrière-
garde, sous M. de Vaudreuil. Dans la route, le corps
qui avait fait l'avant-garde, un jour, faisait l'arrière-
garde, le lendemain.
On arriva, le 19, à Catarocouy, où l'on séjourna
jusqu'au 26, pour attendre quatre cents Outaouais, que
Lamotte-Cadillac avait promis, mais qui ne parurent
point. Le 28, l'armée se trouva à l'entrée de la rivière
d'Onnontagué. Cette rivière étant étroite et rapide, le
général, avant de s'y engager, envoya cinquante éclai-
reurs par terre, de chaque côté. On ne put faire,
ce jour-là, qu'une lieue et demie. Le lendemain, l'ar-
mée fut séparée en deux corps, pour faire plus de
diligence, et pour occuper les deux bords de la rivière,
par terre et par eau. M. de Frontenac prit la gauche,
avec M. de Vaudreuil, les troupes réglées et un batail-
lon de milices. MM. de Callières et de Ramsay tinrent
la droite, avec le reste des milices et les )Sauvage3,
Sur le soir, on se réunit, après avoir fait trois lieues de
chemin, et l'on s'arrêta au pied d'une chute, qui occu-
pait toute la largeur de la rivière. Une partie de
l'armée s'était engagée dans le courant de cette chute,
et il eût été dangereux de la faire rétrograder. Pour
remédier à cette imprudence, M. de Callières fit mettre
tout son monde à l'eau, fit porter les canons par terre,
et traîner les bateaux sur des rouleaux, jusqu'au-dessus
de la chute. Cette opération, qui dura jusqu'à 10
heures du soir, se fit dans le plus grand ordre, et à la
lueur de flambeaux d'écorce.
Enfin, l'armée entra dans le lac de Gannentaha, par
un endroit nommé le Rigolet, qu'il n'eut pas été ùcile
de forcer, si l'ennemi eût eu la précaution de s'en saisir.
On y trouva deux paquets de joncs pendus à un arbre,
et l'on y compta 1430 tiges; ce qui signifiait qu'autant
236 HISTOIRE
de guerriers iroquois attendaient les Français, et les
défiaient au combat.
L'armée traversa le lac, en ordi-e de bataille : M, de
Callières, qui tenait la gauche, feignit de faire la des-
cente de ce côté-là, oià étaient les ennemis, et dans le
même temps, M. de Yaudi-euil la fit sur la droite, avec
sept ou huit cents hommes ; puis, tournant autour du
lac, il alla joindre M. de Callières, et alors tout le reste
de l'armée débarqua. M. Levasseur traça aussitôt un
fort, qui fut achevé, le lendemain. On j enferma les
vivres, les canots et les bateaux, et on en confia la garde
au marquis de Crisasi, (frère du chevalier de ce nom,)
et à M. Derbergers, capitaines, auxquels on donna
cent-cinquante hommes choisis. Le soir, on apperçut
une grande lueur, du côté du grand village d'Onnon-
tagué, et l'on jugea que les Sauvages j avaient mis le
feu.
Le 3 août, l'armée alla camper à une demi-lieue du
débarquement, près des Fontaines Salées. Lie lende-
main, Subercase la rangea en bataille, sur deux lignes,
et fit les détachemens nécessaires pour porter l'artillerie.
M. de Callières commandait la ligne de gauche, et M.
de Vaudi'cuil, celle de droite : le général était entre les
deux, porté dans un fauteuil, environné de sa maison
et des volontaires, et ayant devant lui le canon. L'on
n'arriva que fort tard au village, que l'on trouva presque
réduit en cendres.
Dans l'après-midi du 5, un prisonnier français arriva
d'Onneyouth, chargé d'un collier de la part de ce canton
poui' demander la paix. Le général le renvoya aussitôt,
avec ordre de dire à ceux qui l'avaient député, qu'il
allait faire marcher des troupes de leur côté. En effet,
le chevalier de Yaudreuil partit, le lendemain, pour ce
canton, à la tête de six à sept cents hommes, avec ordre
DU CANADA. 237
de couper les bleds, de brûler les cabanes, et au cas
qu'on lui fît la moindre résistance, de passer au fil de
l'épée tous ceux qu'il pourrait joindx-e.* Le reste de
l'armée fut occupé, pendant deux jours, à ruiner le
canton d'Onnontagué, d'où tout le monde s'était enfui,
à l'exception d'un vieillard de près de cent ans, que l'on
prit, à l'entrée du bois. Il paraît, dit Charlevoix, qu'il
y attendait la mort, avec la même intrépidité que ces
anciens sénateurs romains, dans le temps de la prise de
Rome par les Gaulois. On eut la cruauté de le livrer
aux Sauvages de l'armée, qui, sans égard à son âge,
déchargèrent sur lui le dépit que leur avait causé la
fuite des autres. " Ce fut, continue le même historien,
un spectacle bien singulier de voir plus de quatre cents
hommes acharnés autour d'un vieillard décrépit, auquel,
à force de tortures, ils ne purent arracher un seul soupir,
et qui ne cessa, tant qu'il vécut, de leur reprocher de
s'être rendus les esclaves des Français, dont il affecta
de parler avec le dernier mépris. La seule plainte qui
sortit de sa bouche fut, lorsque, par compassion, ou
peut-être de rage, quelqu'un lui donna deux ou trois
coups de couteau, pour l'achever : " Tu aurais bien dû,
lui dit-il, ne pas abréger ma vie ; tu aurais eu plus de
temps pour apprendre à mourir en homme."
Après avoir brûlé le fort et les villages d'Onneyouth,
---i.M. de Vaudrcuil revint au camp, avec une trentaine de
' Français, qu'il avait délivrés de captivité : ils étaient
accompagnés des principaux chefs du canton, qui
venaient se mettre à la discrétion de M. de Frontenac.
Ce général leur fit un act,'ueil favorable, dans l'espérance
d'attirer les autres ; mais il les attendit vainement.
* Hourensemeiit pour les Onncyoutlis, et pour rhuiuiiniu-,
pourrions-nous dire, la dernière parlie de cet ordre ne put être
mise à exécution.
238 HISTOIRE
Il apprit des prisonniers qu'il n'y avait aucune appa-
rence que les Anglais vinssent au secours de leurs alliés,*
et que la consternation régnait partout.
Sur cet avis, le conseil de guerre fut assemblé et l'on
y délibéra sur ce qu'il y avait à faii-e, pour mettre la
dernière main aune expédition si bien commencée. M.
de Frontenac opina d'abord qu'il fallait aller traiter le
canton de Goyogouin, comme on avait fait ceux d'On-
nontagué et d'Onneyouth. Cette proprosition fut
applaudie généralement, et l'on ajouta qu'après avoir
ruiné ces trois cantons, il était à propos d'y construire
des forts, pour empêcher les Sauvages de s'y rétablir.
M. de Callières s'offrit à demeurer dans le pays, jiendant
l'hiver, pour exécuter ce projet, et son offre fut d'abord
acceptée : plusieurs officiers, la plupart Canadiens,
furent nommés pour y rester, sous ses ordres ; mais on
ne fut pas peu surpris, lorsque, dès le soir même, le
général déclara qu'il avait changé de jjensée, et qu'il
fallait se disposer à reprendre la route de Mont-réal.
Vainement, M. de Callières et plusieurs autres voulu-
rent-ils lui faire des représentations ; il partit, sur
l'heure, fit raser son fort, le lendemain ; s'embarqua le
11, et arriva, le 20, à Mont-réal. f
* Les Anglais avaient bâti nn fort à quatre bastions, dans le
canton d'Onnontagué, et le bruit avait couru qu'ils y avaient
envojé du canon. On ne saurait dire pourquoi ils avaient aban-
donné ce fort, et négligèrent, en cette occasion, de défendre leurs
alliés. Quinze cents Iroquois, quelques centaines d'Anglais, avec
quelques pièces d'artillerie, qu'on aurait pu faire venir fiicilement
de New-York ou d'Alban}-, et lai^roximité des bois, si propres aux
arabuscades, auraient suffi pour mettre le comte de Prontenac en
danger d'être battu, ou dans la nécessité de s'en revenir, sans
avoir rien fait,
f On pi'étendit lui avoir entendu dire, eu donnant l'ordre du
retour, " qu'on voulait obscurcir sa gloire," ou plus explicitement,
" que le gouverneur de Mont-réal était jaloux de sa gloire, et que
c'était pour l'effacer, qu'il voulait l'engager dans une entreprise
dont le succès était incertain.
DU CANADA. 239
M. de Frontenac pensait sans doute, en avoir fait assez
pour porter les Iroquois à accepter la paix, aux conditions
qu'il lui plairait de leur imposer. Il fit néanmoins
plusieurs détachemens de ses troupes, afin de les harce-
ler jusqu'à l'automne.
Pendant que M. de Frontenac ravageait le pays des
Iroquois, d'Iberville, après avoir enlevé aux Anglais un
vaisseau de 24 canons, sans perdre un seul homme,
leur prenait, par capitulation, le fort de Pcmkuit ; et le
chevalier de Villebon les repoussait de devant celui de
Naxoat.
De l'Acadie, d'Iberville se rendit à Plaisance,* en
Terre-Neuve, où cent-vingt Canadiens et quelques
volontaires, partis de Québec, le devaient joindre, et
le joignirent, en eftet, quelques jours après son arrivée.
Il devait, conjointement avec M. de Brouillan, gou-
verneur de Plaisance, enlever aux Anglais les établis-
semens qu'ils avaient dans l'île, et particulièrement le
fort et la ville de Saint-Jean. Il y eut quelques alter-
cations entre de Brouillan et d'Iberville, d'abord au
sujet du commandement, ensuite par rapport au butin
à faire. D'Iberville voulait commander exclusivement
les Canadiens ; ]M. de Brouillan, au contraire, pré-
tendait qu'ils devaient eti'e soumis à ses ordres, comme
ses propres miliciens et ses soldats. D'Iberville mécon-
tent parla de se retirer ; mais les Canadiens déclarèrent
unanimement qu'ils ne reconnaîtraient point d'autre chef
* Vers 1660, la ville, ou le bourg, de Plaisance était devenue
le siège d'un gouvernement royal, et l'on y voit commander, suc-
cessivement, les sieurs dk Gakgot, de la Poype, Parât et de
Brouillan. Au temps dont nous parlons, les Français avaient
encore, en Terre- Non vo, le fort de Sdint-Loiti.t, et les établisse-
raens du Chapeau- Rmiiie et du Pctit-JVord, outre ceux des îles do
Saint-Pierre et de Mi(juvloii. D'après différents auteurs, tant
anciens que modernes, les Français s'étaient établis dans l'île de
Terre-Neuve, dès l'année 1504, sinon antérieurement.
24(' HISTOIRE
que lui, et que c'était à cette condition qu'ils s'étaient
enrôlés.* Il fallut en passer jiar là.
M. de Brouillan voulant qu'on commençât par atta-
quer la capitale, il fut réglé qu'on se rendrait séparé-
ment à Saint-Jean, d'Iberville avec ses Canadiens, et
le gouverneur avec ses troupes et ses milices ; que quand
ils seraient réunis, M. de Brouillan aurait tous les hon-
neurs du commandement ; mais que le " pillage " (c'est
l'expression de Charlevoix,) serait partagé de telle sorte
entre les deux troupes, que d'Iberville, qui faisait la plus
grande partie des frais de l'expédition, aurait aussi la
meilleure part du butin.
M. de Brouillan s'embarqua avec ses troupes et ses
milices, et d'Iberville se mit en route, par teri-e, le 1er
novembre, avec tous les Canadiens et quelques Sau-
vages. Le tout ne se montait pas à plus de cent trente
hommes ; mais avec cette petite troupe, d'Iberville prit,
l'un après l'autre, un nombre de petits forts, et fit plu-
sieurs centaines de prisonniers. Arrivé à la vue de
Saint-Jean, il lui fallut agir de concert avec de Brouil-
lan, et sous ses ordres ; mais il eut encore la première
et la principale part à la prise de cette ville et des forts
qui la défendaient. On détruisit ces forts, et l'on brûla
toutes les maisons du bourg et des environs. De Brou-
illan s'en retourna à Plaisance, avec tout son monde ;
ce qui n'empêcha pas d'Iberville de continuer la petite
* " D'Iberville était Canadien, dit Charlevoix, et personne n'a
fait plus d'honneur à sa patrie ; aussi était-il l'idole de ses com-
patriotes. En un mot, ces braves Canadiens étaient la dixième
légion, qui ne combattait que sous la conduite de Cesae, et à la
tcte de laquelle César était invincible. D'ailleurs, ajoute-t-il, le
gouverneur de Plaisance avait la réputation d'être dur et haut
dans le commandement, et il n'y eut jamais de troupes avec les-
quelles on réussit moins par la hauteur et la dureté, que les
milices canadiennes, très aisées cependant à conduire, lorsqu'on
sait s'y prendre d'une manière tout op^josée, et qu'on a su gagner
leur estime."
DU CANADA. 241
guerre, avec ses Canadiens, Dans l'espace de deux
mois, il prit tout ce qui restait aux Anglais, dans l'ile,
excepté Bonavista et Carbonnière, places trop foi'tes
pour la poignée de gens qu'il commandait, et fit de six
à sept cents prisonniers, tant hommes que femmes et
enfans.
Après d'Ibcrville, qui donna, dans cette expédition,
de grandes preuves de sa capacité, et qui se trouvait
partout où il y avait plus de risques à courir et de
fatigues à essuyer, et Montigny, qui ordinairement
prenait les devans, et laissait peu à faire à ceux qui le
suivaient, MM. Dugue', de Plaike et de la PEERrERE,
tous trois Canadiens, se distinguèrent d'une manière
particulière. Les détails dans lesquels entrent M. de
ea Potiiekie et le P. Charlevoix nous ont paru trop
minutieux pour cette histoire. Au reste, les traits de
bravoure et d'habileté compensent à peine le désir de
piller, d'incendier et de détruire, qui semble animer
presque uniquement les agresseurs, lis auraient pu
avoir un but utile pour leur nation ; celui de lui trans-
porter le commerce que la possession de la meilleure
partie de l'île de Terre-Neuve procurait à l'Angleteri'e ;
mais pour y réussir, il aurait fallu ne pas conquérir
uniquement pour ravager, mais pour conserver, et
remplacer par des nationaux les anciens habitans, qu'on
tuait, ou qu'on chassait, Les moyens manquant, le
résultat de cette petite guerre fut de faire beaucoup de
mal à autrui, sans se procurer à soi-même le moindre
avantage réel et positif.
Tel était l'esprit du temps, dans ce pays, que tout
particulier se croyait en droit de s'armer, et d'aller tuer,
incendier et piller, partout où sa volonté ou le hazard h*
conduisait, chez les Anglais et les Sauvages. Dans le
même temps que d'Iberville et Brouillan étaient occupés
242 HISTOIRE
à détruire les établi ssemens anglais de Terre-Neuve, on
quelques années auparavant, deux ou trois petits partis
de quinze ou vingt hommes, chacun, se mirent en cam-
pagne, pour aller chercher rencontre ou fortune, du
côté de la Nouvelle York. Une de ces petites bandes
tomba dans une ambuscade, près d'Orange, et tous ceux
qui la composaient furent tués, ou faits prisonniers.
Une autre rencontra des Sauvages de la Montagne, qui
les prirent pour des Anglais, et fut en partie détruite.*
Digne récompense de ces téméraires et coupables
entreprises.
De l'île de Ten*e-Neuve d'Iberville passa, encore
une fois, à la Baie d'Hudson, où, sur un vaisseau de 50
canons, il eut à se battre contre trois vaisseaux anglais,
dont un était plus fort que le sien, et les deux autres
étaient des frégates de 32 canons. Il coula à fond le
premier, s'empara d'une des frégates, et obligea l'autre
à prendre la fuite. Après cet exploit naval, il reprit
le fort Bourbon, dont les Anglais s'étaient de nouveau
rendus maîtres. Il y laissa, comme commandant, M.
Le^ioyne de Martigny, son cousin germain, et M. de
BoiSBRiAKD, en qualité de lieutenant de roi.
Il ne se passa rien de bien important, dans le centre
de la colonie, depuis l'automne de 1696 jusqu'au
printems de l'année suivante. Mais bientôt, les Iro-
quois, s'appercevant qu'on ne songeait plus à les aller
inquiéter chez eux, se mirent, de toutes parts, en
campagne ; ce qui obligea le gouverneur de Mont-réal
à multiplier les partis, pour rompre leurs mesures. Le
comte de Frontenac se repentit alors d'avoir ménagé
une nation, à laquelle il avait fait trop de mal, pour
* Dans cette malheureuse rencontre, les Iroquois du Sault
Saint-Louis perdirent leur chef Adakahta, que les Français
appellaient le •' Grand Agnier."
DU CANADA. 243
espérer de la gagner jamais; et ce qui se passait, eu
même temps, dans les contrées de l'Ouest, vint ajouter
encore à sa sollicitude.
Un assez grand nombre de Miamis, des bords de la
rivière Maramek ou Merrimak, en étaient partis, sur
la fin du mois d'août de l'année précédente, pour
s^aller réunir avec leurs frères établis sur la rivière de
Saint-Joseph, et avaient été attaqués, en chemin, par
des Sioux, qui en avaient tué plusieurs. Les Miamis
de Saint-Joseph, instruits de cet acte d'hostilité,
allèrent chercher les Sioux, jusque dans leur pays,
pour venger leurs frères, et les rencontrèrent retran-
chés dans un fort, avec des Français du nombre de
ceux qu'on appellait Coureurs de bois. Us les attaquè-
rent, à plusieurs reprises, avec beaucoup de résolution ;
mais ils furent toujours repoussés, et contraints enfin
de se retirer, après avoir perdu plusieurs de leurs gens.
Comme ils s'en retournaient chez eux, ils rencontrèrent
d'autres Français, qui portaient des armes et des muni-
tions aux Sioux; ils les leur enlevèrent, sans néan-
moins leur faire d'autre mal. Es firent ensuite savoir
aux Outaouais ce qui venait de se passer, et ceux-ci
envoyèrent une députion à M. de Frontenac, pour lui
représenter qu'il était nécessaire d'appaiser les Miamis,
si l'on voulait qu'ils ne se joignissent pas aux Iroquois.
Ils étaient, en effet, tellement irrités contre les Fran-
çais, que Nicolas Perrot, si accrédité parmi eux, fut sur
le point d'être brûlé, et n'échappa à leur fureur que
par le moyen des Outagamis, qui le tirèrent de leurs
mains.
Le commerce des particuliers chez les tribus sauvages
ne fût pas entièrement supprimé, mais restreint de
manière à faire cesser les inconvénicns et les plaintes
auxquelles il avait, depuis longtemps, donné lieu.
244 HISTOIRE
Pour revenix- aux Iroquois, les partis qu'ils avaient
mis eu campagne ne furent pas heureux, dans leurs
rencontres avec les alliés des Français. Un de ces
partis s'étant mis en route pour aller joindre Le Baron,
qui était allé s'établir près d'Albany, avec trente familles
de sa tribu, quatre de ses éclaireurs rencontrèrent
Koudiaronk, le chef huron dont il a déjà été parlé. Il
était à la tête de cent-cinquante guerriers, et avait mis
pied à terre, au fond du lac Ontario. Deux des éclai-
reurs ii'oquois furent faits prisonniers, et l'on apprit
d'eux que leurs gens n'étaient pas loin ; qu'ils étaient
au nombre de deux cent-cinquante; mais qu'ils n'avaient
de canots que povir soixante au plus.
Sur cet avis, Kondiaronk s'avança, en canots, avec
ses gens, vers l'endroit où on lui avait dit que les
ennemis étaient campés : lorsqu'il en fut à une portée
de fusil, il feignit d'être sui'pris et effrayé de leur
nombre, et de prendre la fuite. Aussitôt, soixante
Iroquois se jetteront dans leurs canots, pour le pour-
suivre. Kondiaronk poussa au large et fit force de
rames, jusqu'à ce qu'il fût à deux lieues de terre.
Alors il s'arrêta, se mit en bataille, essuya, sans tirer,
la première décharge des Iroquois, qui ne lui tuèrent
que deux hommes ; puis, sans leur donner le temps de
recharger, il fondit sur eux, avec tant de furie, qu'en
un moment, tous leurs canots furent percés ou fracas-
sés. Tous ceux des Iroquois qui ne se noyèrent pas
fui-ent tués ou pris.
Un autre parti d'Iroquois, qui s'était approché de
Catarocouy, sous la conduite du chef La Chaudière-
Noire, fut sui'pris et défait, par un parti d'Algonquins.
■Cependant, les troupes et une partie des milices
étaient tenues sous les armes, ou prêtes à marcher, au
premier ordre, dans l'attente d'une nouvelle attaque de
DU CANADA. 245
la part des Anglais. Vers la fin d'août, M. de Lamotte,
à qui l'on avait fait savoir les bruits qui couraient d'un
nouvel armement pour la conquête du Canada, arriva à
Mont-réal, avec un grand nombre de Français, et trois
cents Sauvages, qu'il avait eu l'adresse d'engager à
venir au secours de la colonie ; mais l'ennemi qu'on
attendait ne parut pas.
Au mois de novembre, tous les cantons iroquois,
excepté celui d'Agnier, envoyèrent des députés à M.
de Frontenac, pour lui demander la paix, ou lui faire
entendre qu'ils la désiraient. Ouréouharé était un de
de ces députés. Le gouverneur comptait beaucoup sur
son influence ; mais il mourut d'une pleurésie, quelques
jours après son arrivée. Il fut enterré avec les hon-
neurs qu'on rendait aux capitaines des compagnies.*
La paix conclue entre les puissances de l'Europe
amena une correspondence entre le chevalier de Bel-
LAMONT, .gouverneur de la Nouvelle -York, et M. de
Frontenac. C'étaient, de la part du premier, des
plaintes, et de celle du second, des récriminations, qui
n'aboutirent à rien pour lors. Quelles que fussent les
prétentions de M. de Bcllamont, au sujet des Iroquois,
M. de Frontenac n'en était pas moins déterminé à faire
accepter la paix à ces Sauvages, à ses conditions, ou k
porter, de nouveau, la guerre dans leur pays ; mais il
ne put faire ni l'un ni l'autre : il mourut, le 28 novem-
* " Il fallait, dit Charlevoix, que ce Sauvage eût, dans le
caractère, quelque chose de fort aimable ; car toutes les fois qu'il
paraissait, soit a Québec, soit à Mout-réal, le peuple lui donnait
mille témoignages d'amitié. Olkeciiiare' (de même que Gara-
kontuik'), était chrétien, depuis plusieurs années, et c'est de lui
qu'on à dit, que son confesseur lui pariant, dans sa dernière mala-
die, des opprobres et des ignominies de la passion de Jescs-
CuRiST, il entra dans un si grand m(nivement d'indignation
contre les Juifs, qu'il s'écria : " Que n'étais-je là ! Je les aurais
bien empêché de traiter ainsi mon sauveur."
v2.
246 HISTOIRE
bre 1698, dans la TSème année de son âge. "Dans
un corps aussi sain qu'il est possible de l'avoir à cet
âge, il conservait, dit Cliarlevoix, toute la fermeté et
toute la vivacité d'esprit de ses plus belles années. 11
mourut comme il avait vécu, chéri de plusieurs, estimé
de tous, et avec la gloire d'avoir soutenu, et même fait
prospérer, sans presque aucun secours de France, une
colonie ouverte et attaquée de toute part, et qu'il avait
trouvée sur le penchant de sa ruine."
Le retour de la paix fovu'nit à d'Iberville de nouvelles
occasions de servir utilement son pays natal et sa
métropole. Il restait à reconnaître l'embouchure du
Micissipi par mer, et à poursuivre les découvertes
commencées dans la Louisiane. Quelques années après
le dernier voyage de La Sale, le baron de Lahoxtan
avait remonté le Missouri, ou la Rivih-e des Missouris,
jusqu'à son confluent avec celle des Osages. Ces
peuples n'avaient pas encore vu d'Européens, ou du
moins ne connaissaient pas les armes à feu. D'affreux
crocodiles infestaient, disait-on, les deux grands fleuves ;
mais les "prairies" étaient, pour ainsi dire, couvertes
de bœufs sauvages, bufiles ou bisons, et les dindons
foisonnaient dans les forêts.* Le but du nouveau
voyageui' n'était pas de suivre les traces de La Sale, ou
de Tonti, en descendant plus bas le Micissipi : après
une excursion à l'entrée de la rivière Ouahache, il était
revenu au Micissipi, et avait regagné, par l'iUinois, le
* Les Missouris donnèrent à Lahontan " une centaine de coqs-
d'Inde, une abondance de viandes boucanées, de sacs de bled
d'Inde, de raisons secs, et quelques peaux de chevreuil teintes de
diverses couleurs ;" ce qui ne l'empêcha pas de permettre que le
feu fût mis à un de leurs villages, par les Sauvages dont il était
accompagTié. Ce n'était pas s'annoncer en homme reconnaissant,
non plus qu'en bienfaiteur de l'espèce humaine ; mais on lui avait
dit que ces peuples étaient "méchants," et que le pays qu'ils
habitaient " était trop beau pour eux."
DU avxADA, 247
détour de Chicagou, d'où il était parti. Il avait anté-
rieurement visité les Miamis, les Outagarais et les
Sioux, qu'il appelle J^Tadoiiessis.
Pour revenir à d'Iberville, repassé en France, il pro-
posa au gouvernement l'expédition dont nous venons
de parler, et il en fut chargé. Il lui fut donné deux
vaisseaux, sur lesquels il s'embai-qua, à La Rochelle, le
17 octobre 1698. Après avoir été mouiller au Cap
Français, dans l'ile de Saint-Domingue, d'Iberville se
porta vers la baie de Pensacola, oii les Espagnols
venaient de commencer un établissement. H reconnut
ensuite la baie de La Mobile, File Duuphine, la rivitr<.'
de Fascagoida, et la baie de Biloxi; et se dirigeant
vers l'ouest, il arriva, le 22 mars 1699, à l'embouchure
du Micissipi, dont il remonta le cours, dans de légères
embarcations. Il acquit bientôt la preuve qu'il avait
atteint le but de ses recherches : une lettre adressée à
La Sale par Tonti, treize ans auparavant, et demeurée
dans la cabane d'un chef sauvage, tomba entre ses
mains. Cette lettre rapjjortait les circonstances du
voyage de Tonti, les relations amicales qu'il avait eues
avec les naturels de la contrée, et les signaux qu'il avait
éx'igés pour guider La Sale dans sa marche.
Après une longue navigation dans le lit inférieur du
Micissipi, on entra dans un canal naturel de déx'ivation ;
on en suivit le cours, et l'on atteignit successivement
les lacs qui furent nommés de Maurcpas et de Pont-
chartrain ; puis, on revint à la baie de Biloxi, où l'on
érigea un fort, qui fut, pendant quelques années, le
centre des établissemens français de la Louisiane.
D'Iberville fit construire simultanément le fort de La
Balize, près de l'embouchure du fleuve, et il avait, dans
son voyage, tracé le plan, ou marqué la place d'un
troisième fort, dans le pays des Xatchcz. Mais il faut
revenir aux affaires du Canada proprement dit.
248 HISTOIRE
Le comte de Frontenac eut pour successeur le cheva-
lier de Callieres, qui fut remplacé par M. de Vaudreuil,
dans le gouvernement de Mont-réal. M. de Callieres
possédait les qualités nécessaires dans les circonstances
où il se trouvait : par sa fermeté, sa prudence et sa
sagacité, il sut tenir les Iroquois en échec, et les recon-
cilier enfin avec les Français, et avec les autres tribus
sauvages.
Au commencement de l'hiver de 1699 à 1700, le
nouveau gouverneur du Canada, reçut, par le chevalier
de Bellamont, une lettre du roi (de France), par
laquelle il lui était ordonné de faire cesser tout acte
d'hostilité entre les Français et les Anglais. Cette
lettre avait été adressée oiiverte au général anglais,
et le roi d'Angleterre avait adressé pareillement à M.
de Callieres celle qu'il écrivait, en conformité, à M. de
Bellamont. La difficulté ne roulait donc plus que sur
la conclusion de la paix avec les Iroquois, M. de CaK
lièi'cs entendant traiter exclusivement avec ces derniers-,
et aux conditions proposées par son prédécesseur^ et M.
de Bellamont ne voulant pas que la paix se fit sans son
aveu, ni à d'autres conditions que celles qui lui plairaient.
De leur côté, les Iroquois paraissaient craindre, s'ils ee
reconciliaient de bonne foi avec les Français, de s'attirer
le mécontentement, sinon les armes, de leurs anciens
amis. Ils montrèrent pourtant quelque fermeté, en cette
occasion, comme ils avaient déjà fait précédemment, en
donnant à entendre aux Anglais, qu'ils voulaient bien
être leurs alliés, mais non leurs sujets, et ils envoyèrent
des députas à Mont-réal, pour y parler de paix.* Après
* Dans un grand conseil que le chevalier de Bellamost avait
tenu chez les Iroquois, et auquel les anciens des cinq cantons
avaient assisté, les Açniers avaient dtbutc par lui déclarer qu'ils
" étaient les maîtres de leurs terres ; qu'ils y étaient établis long-
tems avant que les Anglais et les Hollandais y eussent paru ; et
DU CANADA. 249
l'audience que leur donna le gouverneur, ces députés
repartirent, accompagnés de trois Français, le P. BRrxAS,
jésuite, et MM. de Maricourt et Joncaire. qui devaient
travailler à disposer les Cantons à une paix prochaine
et sincère. Ces envoyés furent reçus à Onnontagué,
avec de grandes démonstrations de joie. Du lac de
Gannentaha, où l'on était venu à leur rencontre, on les
conduisit, comme en triomphe, jusqu'à la principale
bourgade du canton. Ils y entrèrent, au bruit de plusieurs
décharges de mousqueterie, et furent régalées ensuite
avec profusion.
Quelques jours après, ils furent introduits dans la
cabane du conseil, où ils trouvèrent les députés de tous
les cantons supérieurs. Le P. Bruyas, qui était chargé
de porter la parole, commença un discours qui roula
principalement sur trois points, qu'il appuya de trois
colliers : par le premier, il exhortait les Iroquois à se
souvenir qu'OxoMnio était leur père, et que leur
devoir et leur intérêt les ergageaient également à lui
demeurer obéissants, comme il convenait à des enfans,
soit qu'ils fussent en bonne intelligence avec Corlar,
qui n'était que leur frère, soit qu'ils eussent quelque
chose à démêler avec lui : par le second, il témoignait
son regret de la perte que la nation iroquoise avait faite
de plusieurs chefs et d'un grand nombre de guerriers :
par le troisième, il leur déclarait que le nouveau gouver-
neur général était sincèrement porté à la paix, et qu'il
la leur accorderait volontiers, pourvu que, de leur côté,
ils la voulussent aussi de bonne foi : et il leur exposa
les conditions auxquelles le gouverneur était disposé à
traiter avec eux.
que pour lui fiiire voir que tous les lieux occupes parla nation lui
appartenaient en propre, ils allaient jetter au feu tous les papiers
qu'on leur a\ ait fuit signer, eu diticrentes occasions ;" ce qu'ils
tirent sur-le-chauip.
250 HISTOIRE
Maricourt fit aussi un discours, où il n'oublia l'ien pour
faire comprendre aux Iroquois tout ce qu'ils avaient à
craindre du ressentiment de leur père, s'ils n'acceptaient
pas la paix qu'il leur ofii'ait, à des conditions aussi rai-
sonnables que celles qu'on venait de leur expliquer, et
ce qu'ils pouvaient espérer de lui et de tous les Français,
s'ils ouvraient, une bonne fois, les yeux sur leurs véri-
tables intérêts.
Le lendemain, comme ils délibéraient entre eux, sur
ce qu'ils répondraient aux Français, un vieil Onnonta-
gué et un jeune Anglais arrivèrent d'Orange, et leur
dirent, de la part du chevalier de Bellamont, qu'ils se
donnassent bien de garde d'écouter les Français, et qu'il
les attendait, dans dix ou douze jours, à Orange, où il
leur ferait savoir ses volontés. Cette manière impé-
rieuse de parler choqua le conseil : " Je ne comprends
pas, dit Téganissoré, comment mon frère l'entend, de
ne vouloir pas que nous écoutions la voix de notre père,
et de chanter la guerre, dans un temps où tout nous
invite à la paix."
Le P. Bruyas profita de cette disposition, pour faire
observer à l'assemblée que le général anglais traitait les
Iroquois en sujets, et ce qu'ils auraient à soufii-ir d'une
domination si haute et si dure, quand, luie fois, ils s'y
seraient soumis ; ce qui ne manquerait pas d'arriver
prochainement, s'ils laissaient échapper l'occasion qu'ils
avaient entre les mains de se reconcilier, d'une manière
durable, avec Oxonthio. Joncaire ajouta que les
Anglais, en s' opposant à cette reconciliation, ne pouvaient
avoir d'autre vue que de laisser les L:oquois se consu-
mer, peu à peu, par la guerre, ou du moins s'affaiblir
de manière à n'être plus en état de refuser de subir un
joug dont ils reconnaîtraient peut-être trop tard la
pesanteur.
DU CANADA. 251
Le conseil général de toute la nation iroquoise fut
assemblé à Onnontagué : l'envoyé anglais y fut admis,
et Téganissoré y parla, au nom de tous les cantons. Il
adressa d'abord la parole aux députés français, et com-
mença par les assurer que toute la nation était disposée
à écouter la voix de son père, c'est-à-dire, à lui obéir.
Il ajouta que chacun des cantons allait lui envoyer des
députés, pour savoir ses volontés. Puis, se tournant
vers l'Anglais : " Je ne fais rien en cachette, lui dit-il ;
je suis bien aise que tu connaisses la disposition où je
suis. Tu diras à mon frère Corlar, qui t'a envoyé
ici, que je vais descendre à Québec, pour me rendre
à l'invitation de mon père Ononthio, qui a planté
l'arbre de la paix : j'irai ensuite à Orange, pour savoir
ce que mon frère me veut." En achevant ces mots, il
mit cinq colliers aux pieds des députés français. Lre
P. Bruyas les releva, pour signifier qu'il les acceptait,
au nom d'Onoktiiio.*
Rien n'arrêtant plus les envoyés français à Onnonta-
gué, ils en repartirent, accompagnés des députés de ce
canton et de celui de Goyogouin. Ils furent reconduits
* " Les colliers sont cei'taiues bandes de deux ou trois pieds de
longueur, et de six pouces de largeur, garnis de petits grains de
poi'celaine, qui sont faits de certains coquillages qu'on trouve au
bord de la mer.* Ces grains sont ronds et gros comme de petits
Eois, et une fois plus longs qu'un grain de bled. Ils sont bleus ou
lancs, perces en long comme les perles, et eutilés de la même
manière, à des fils, à côté les uns des autres. On ne saurait faire
aucune affaire, ni entrer en négociation avec les Sauvages de
Canada, sans l'entremise de ces colliers, qui servent de contrats et
d'obligations parmi eux, l'usage de l'écriture leur étant inconnu.
Ils gardent quelquefois un siècle ceux qu'ils ont reçus de leurs
voisins ; et comme chacun a sa mar(iue différente, on apprend des
yieillards le temps et le lieu où ils ont été donnés, et ce qu'ils
signifient ; après lequel siècle, ils s'en servent à de nouveaux
traites." — Laiiontan.
• Au temps de Jacques Quartier, ces coquillages se pêcliaient ilang la
"Grande Kivitre de Canada:" mais au temps de Lescarbot, "il n'y en avait
plus."
252 HISTOIRE
jusqu'à Gannentaha, avec les mêmes honneurs qu'on
leur avait faits, à leur arrivée. Ils s'y arrêtèrent,
quelque temps, pour attendre les députés des autres
cantons. Pendant qu'ils y étaient, on annonça que le
gouvern .ur de la Nouvelle York avait levé le pavillon
rouge, et saisi toutes les pelleteries qui se trouvaient à
Orange appartenant aux Iroquois, pour leur faire enten-
dre qu'il était déterminé à leur déclarer la guerre, s'ils
ne respectaient pas ses volontés. Ces menaces n'em-
pêchèrent pas les députés des Cantons de s'embarquer
au nombre de dix-neuf, avec les envoyés de M. de Cal-
lières. A leur arrivée à Mont-réal, on les reçut, au
bruit d'une décharge de boites ; ce qui causa quelque
jalousie aux alliés de la colonie. On entendit quelques
uns d'eux demander si c'était là la manière dont les
Français recevaient leurs ennemis. On les laissa dire,
sans réfléchir assez, peut-être, comme le remarque
Charlevoix, qu'on s'exposait à perdre des amis, en voulant
regagner des ennemis, par une conduite qui pouvait les
rendre encore plus fiers et plus difficiles. Il n'en fut
rien pourtant : dans l'audience que le gouverneur leur
donna, leur orateur parla de manière à être applaudi de
tous ceux qui l'écoutaient.
La réponse que leur fît M. de Callières les satisfit de
même, au point de leur faire dire que jamais on ne leur
avait mieux parlé raison.
Les députés des tribus alliées parlèrent aussi, mais en
peu de mots. Kondiaronk, qui avait été député par les
Hurons, dit : '• J'ai toujours écouté la voix de mon père,
et je jette ma hache à ses pieds; je ne doute point que
les gens d'en haut n'en fassent de même ; L'oquois,
imitez mon exemple ? Le député des tribus outaouaises
parla à peu près dans le môme sens : celui des Abéna-
quis dit qu'il n'avait pas d'autre hache que celle de son
DU CANADA. 253
père, et que son pèi'e l'ayant enterrée, il n'en avait plus.
Les Iroquois domiciliés firent la même déclaration.
Après quoi, il fut conclu et signé une espèce de traité
provisoire, en attendant une grande assemblée, qui fut
indiquée au mois d'août de l'année suivante. Le gou-
verneur signa le premier, ensuite l'intendant, puis le
gouverneur de Mont-réal, le commandant des troupes,
et les supérieurs ecclésiastiques qui se trouvaient à
l'assemblée. Les chefs sauvages signèrent ensuite, en
mettant, chacun, la marque de sa tribu au bas du traité.
Les Onnontagués et les Tsonnonthouans tracèrent une
araignée ; les Gojogouins, un calumet ; les Onneyouths,
un morceau de bois en fourclie, avec une pierre au
milieu ; et les Agniers, un ours.* Ce traité est daté du
8 septembre 1700.
Le gouverneur dépêcha aux tribus du Nord et de
l'Ouest le P. Anjelran et le sieur Courtemanche, pour
engager celles qui n'avaient pas envoyé de députés à
Mont-réal à acquiescer au traité, et pour amener les
chefs de ces tribus à l'assemblée générale de l'année
suivante. Dans l'intervalle, une attaque faite à l'impro-
viste par un parti d'Outaouais contre des chasseurs
iroquois, et le projet de la construction d'un fort au
Détroit, donnèrent lieu à quelques plaintes de la part
des Cantons; mais M. de Callières parvint à les satis-
faire, ou à leur faire entendre raison, sur ces deux
points.
M. de Callières écrivit au ministre de la marine et
des colonies (M. de PoNTcnARTit.viN), pour lui rendre
compte de ce qu'il avait fait. Il lui mandait en môme
254 HISTOlKiu
temps, qu'il pensait qu'où devait profiter de la présente
disposition des Cantons, pour régler avantageusement
les limites, entre les Français et les Anglais ; que si
l'on ne pouvait pas obtenir la pi'opriété du pays des
Iroquois, il fallait, au moins, faire en sorte qu'il ne fût
permis ni à la France ni à l'Angleterre d'y faire des
établissemens. Quant à la religion, il jugeait qu'on
devait laisser à ces peuples une liberté entière de choisir
ou des missionnaires catholiques, ou des ministres protes-
tants, '•' persuadé, dit le P. Charlevoix, qvi'ils préfére-
raient toujours les premiers aux seconds."
Vers la fin de juillet 1701, Mont-réal se vit rempli
de Sauvages de toutes les tribus. Les Iroquois s'y
trouvèrent au nombre de deux cents. Le P. Anjelran
en amena un grand nombre des tribus du Nord et de
l'Ouest, et Courtemanche y arriva, des mêmes quartiers,
avec cent-quatre-vingts canots. La première audience
publique eut lieu le 1er août. Le gouverneur fondait
sa principale espérance, pour le succès de son grand
dessein, sur Kondiaronk, à qui il avait presque toute
l'obhgation de ce concert et de cette réunion, jusqu'alors
sans exemple, de tant de tnbus sauvages, pour la paix
générale; mais ce chef tomba malade, au commence-
ment de sa harangue, qu'il ne put achever qu'à vo^x
basse. H se trouva plus mal, à la fin de la séance, et
on le porta à l'Hotel-Dieu, où il mom'ut le lendemain,
au matin, après avoir reçu les derniers secours de la
religion chrétienne, qu'il avait embrassée. Les funé-
railles qu'on lui fit eurent quelque chose de magnifique
et de singulier: M. de Saint- Ours, premier capitaine,
ouvrait la marche, avec soixante soldats sous les
ai'mes. Ensuite venaient seize guerriers hurons,
marchant quatre à quatre, vêtus de longues robes de
castor, le visage peint en noire, et le fusil sous le bras.
DU CANADA. 255
Le clergé venait après, et six cliefs de guerre portaient
le cercueil, qui était couvert d'un poêle semé de fleurs,
sur lequel il y avait un chapeau avec un plumet, un
hausse-col, et une épée. Les frères et les enfans du
défunt étaient derrière, accompagnés de tous les chefs
des nations, et M. de Yaudreuil, gouverneur de la ville,
fermait la marche. A la fin du service, il y eut deux
décharges de mousquets, et une troisième, après que le
corps eut été mis en terre. Il fut enterré dans l'église
paroissiale, et l'on mit sur sa tombe cette inscription :
Cy- Gif LE Rat, C/irf Huron* " Kondiaronk, son
vrai nom, dit M. Dainville, eût été aussi harmonieux, et
aussi convenable."
La mort de Kondiaronk, et celle de plusieurs auti'es
Sauvages des plus considérables, qui arriva dans le
même temps, engagèrent le gouverneur à presser la
conclusion du traité. Il indiqua la dernière assemblée
au 4 août. On choisit une grande plaine, hors de la
ville ; on y fit une double enceinte de cent-vingt pieds
de long, et de soixante-douze de large, l'entre-deux en
ayant six. On ménagea, à l'un des bouts, une salle
couverte d'environ trente pieds, pour les dames et le
beau monde de la ville. Les soldats furent placés tout
autour, et treize cents Sauvages furent arrangés dans
l'enceinte, en très bel ordre. L'intendant, le gouverneur
de Mont-réal et les principaux officiers entourraient le
gouverneur général, qui était placé de manière à pou-
voir être vu et entendu de tous, et qui parla le pi-emier.
Il dit, en peu de mots, que l'année précédente, il avait
* Kondiaronk, toujours applaudi, lorsqu'il parlait en public,
"ne brillait pas moins, dit Charlevoix, dans les conversations
particuliîres, et ou prenait souvent plaisir à l'agacer, pour enten-
dre ses reparties, (jui étaient toujours vives, pleines de sel et
ordinairement sans réplique. Il était, en cela, le seul homme du
Canada qui put tenir tète au comte de Frontenac, lequel l'inx-itait
souvent à sa table, pour procurer cette satisfaction à ses officiers."
256 HISTOIRE
arrêté la paix entre toutes les nations ; mais que coEime
de toutes celles de l'Ouest et du Nord, il ne s'était
trouvé à Mont-réal, que des Hurons et des Outaouais,
il avait fait inviter les autres à lui envoyer des députés ;
afin qu'il jiût leur ôter solennellement la hache des
mains ; déclarer à tous ceux qui le reconnaissaient pour
leur père, qu'il voulait être désormais le seul arbitre de
leurs difFérens ; leur commander l'oubli du passé, et
leur promettre à tous une égale justice. " Vous devez,
ajouta-t-il, être las de la guerre, dont vous n'avez tiré
aucun avantage, et quand une fois, vous aurez goûté les
douceurs de la paix, vous me saurez gré de tout ce que
j'ai fait pour vous la pi'ocurei"."
Les Sauvages applaudirent à ce discours par de
grandes acclamations : plusieurs des chefs j répondirent
par des harangues. Les prisonniers de guerre furent
ensuite remis, de part et d'autre, et le traité de paix fut
apporté et signé par trente-deux députés. Après vint
le grand calumet.* M. de Callières y fuma le premier,
ensuite M. de Champigny, puis M. de Vaudreuil, et
tous les chefs et les déj^utés, chacun à leur tour. Le
canon de la ville annonça, au loin, l'heureuse nouvelle,
et le soir, il y eut illumination et feux de joie.
* " Le calumet de paix est une gi-ande pipe, faite de certaines
pierres, ou marbre rouge, noir ou blanc. Le tuj'au a quatre ou
cinq pieds de long. Le corps du calumet a huit pouces ; la
bouche où l'on met le tabac en a trois. Sa figure est à peu près
celle d'un marteau d'armes. Les calumets rouges sont les plus en
vogue et les plus estimés. Les Sauvages s'en servent pour les
négociations, pour les affaires politiques, et surtout dans les
voyages, pouvant aller pai-tout en sûreté, des qu'on porte ce
calumet à la main. Il est garni de plumes jaunes, blanches et
vertes, et il fait chez eux le même effet que le pavillon d'amitié
fait chez nous ; car les Sauvages croiraient avoir fait un grand
crime, et même attirer lé malheur sur leurs nations, s'ils avaient
violé les droits de cette vénérable pipe. — Lahontan.
LIVRE TROISIEME.
Contenant ce qui s'est passé depuis la paix de 1701
jxisqvHà Vannée 1752.
D'après M. Bacqueville de la Potiierie, la colonie
du Canada proprement dit, c'est-à-dire les établisse-
raens français, s'étendait, vers l'an 1700, depuis le haut
de l'ile de Mont-réal j usqu'à l'Ee Percée, près de l'em-
bouchure du Saint-Laurent, avec sans doute encore
plus d'espace inculte qu'il ne s'en trouve présentement
entre le district de Québec et celui de Gaspé ; et il y
avait, dans cette étendue' de pays, 15,000 habitans.
On comptait à Mont-réal, comme il s'exprime, près de
deux cents feux, et aux Troia-Rivières soixante. Les
habitans de cette dernière ville étaient, suivant Lahon-
tan, " fort riches, et logés magnifiquement ; mais le
gouverneur serait mort de faim, s'il n'avait fait quelque
commerce de castor avec les Sauvages."*
" En passant aux Trois-Rivières, M. de Frontenac
y avait tracé le plan d'un fort : par l'ordre de ce gou-
verneur, la ville de Mont-réal avait été fortifiée d'une
enceinte de palissades, dans l'automne de 1691: le même
gouverneur avait fait tracer le plan de l'enceinte de la
ville de Québec, et tous les matériaux propres pour la
construction de quelques redoutes de pierres y ayant
été transportés, il l'avait fait fortifier, durant l'été de
1692."
M. de la Potherie, parlant des habitans du Canada et
• Suivant le même auteur, M. Perrot, qui n'avait eu que mille
cous (l'appointeniens, comme pouverneur de Munt-ri'al, "avait
trouvé le moyen d'in gagner cinquante mille, en quelques années,
par son grand commerce de pelleteries avec les Sauvages."
x2
258 HISTOIRE
de leurs "mœurs et manières," s'exprime ainsi: "Le
Canadien a d'assez bonnes qualités : il aime la guerre
plus que toute autre chose ; il est brave de sa personne ;
il a de la disposition pour les arts, et pour peu qu'il
soit instruit, il apprend aisément ce qu'on lui enseigne ;
mais il est un peu vain et présomptueux ; il aime le
bien, et il le dépense assez mal à propos. Les Cana-
diennes ont de l'esprit, de la délicatesse, de la voix, et
beaucoup de disposition à danser. Quoiqu'il y ait un
mélange de toutes les provinces de France, on ne sau-
rait distinguer le parler d'aucune dans les Canadiennes.
On parle ici pai-faitement bien, sans mauvais accent."*
Dans l'été de 1702, M. de CaUières reçut une dépu-
tation solennelle des cantops iroquois, qui le remer-
ciaient de leur avoir donné la paix, et lui demandaient
des missionnaires. Tout semblait lui sourii-e, lorsqu'il
apprit que la guerre était déclarée entre l'Angleterre et
la France, et qu'on attendait à Boston des vaisseaux
d'Angleterre, pour croiser dans le fleuve Saint-Laurent,
et même pour faire le siège de Québec. Il se hâta de
faire travailler aux fortifications de cette ville, écrivit à
la cour de France, pour avoir des recrues, et prit toutes
les mesures que lui suggérèrent son habileté et son
expérience dans la guerre. " Il était lui-même, dit
Charlevoix, la plus grande ressource de la Xouvelle-
France ; mais elle eut le malheur de le perdre, dans le
temps qu'il lui était le plus nécessaire. E mourut, à
Québec, le 26 mai 1703, autant regretté que le méritait
* Dix ans auparavant, le baron de Lahontan disait • " Les
Canadiens sont bienfaits, robustes, grands, forts, vigoureux,
entreprenants, braves, et infatigables ; il ne leur manque que la
connaissance des belles-lettres. Es sont présomptueux et remplis
d'eux-mêmes. Le sang de Canada est fort beau : les femmes y
sont généralement belles ; mais elles aiment le luxe au dernier
point, et les paresseuses y sont en assez grand nombre,"
^i
DU CANADA. 2Ô9
le général lo plus accompli qu'eut encore eu cette
colonie, et l'homme dont elle avait reçu les plus grands
services."
Cependant, d'Iberville avait reconnu que la baie de
La Mobile était préférable à l'emplacement du Biloxi :
il y construisit un fort, et le premier fut abandonné.
En 1702, on bâtit, au milieu de cette baie, des magasins
et des casernes, et ce fut le quartier général de la
colonie. Cette colonie était l'ouvrage d'Iberville, et il
j donna tous ses soins. D'autres Canadiens secon-
daient ses vues: MM. Juciiereau de Saint-Denis et
Le Sueur firent plusieurs reconnaissances le long du
grand fleuve et de ses principaux affluens : l'un remonta
la rivière Rouge jusqu'aux Natchitoches, où il forma
un établissement; l'autre s'éleva vers le nord, jus-
qu'aux vallées de la rivière Saint-Pierre, on le voyageur
Perrot avait précédemment découvert une mine de
cuivre. Des relations amicales furent formées avec les
habitans des contrées nouvellement découvertes, et l'on
s'attacha particulièrement à cultiver l'amitié des Illinois,
qui se trouvant placés entre le Canada et la Louisiane^
étaient utiles aux relations des deux pays. Tonti con-
tinuait à commander dans cette région intermédiaire, et
son habileté, éclairée par une longue expérience, put
maintenir les bonnes dispositions des Sauvages envers
les Français.
Par la mort du chevalier de Callières, le commande-
ment général tomba entre les mains du marquis (ci-
devant chevalier) de Vacdreuil: et M. de Ramsay
passa du gouvernement des Trois-Rivièrcs à celui de
Mout-réal.
Les premiers soins du nouveau gouverneur général
e portèrent vers le maintien do la paix avec les cantons
iroquois, qui se trouvait menacée par la guerre déclarée
260 HISTOIRE
entre l'Angleterre et la France. Il fut bientôt rassure
de ce côté-là : le sieur Joncaire lui amena un chef
tsonnonthouan, qui l'assura que ceux de sa tvibu avaient
résolu d'être simples spectateurs de ce qui se passerait
entre les Français et les Anglais ; et Téganissoré, qui
arriva, quelque temps après, à Mont-réal, fit la même
déclaration, de la part de son canton. "L'Onnontagué,
dit ce chef, dans l'audience que lui donna le gouverneur,
ne prendra pas de parti dans une guerre qu'il n'approuve
ni d'une part ni de l'autre. Les Eui'opéens ont l'esprit
mal fait : ils font la paix entre eux, et un rien leur fait
reprendre la hache de guerre. Ce n'est pas ainsi que
nous en usons, et il nous faut de grandes l'aisons pour
rompre un traité que nous avons signé."*
Ce que le gouvei-neur du Canada faisait pour obtenir
hx neutralité des cantons iroquois, M. Dudley, gouver-
neur de la Nouvelle Angleterre, le voulut faire, pour
obtenir la même chose des tribus abénaquises ; mais, dit
Charlevoix, il s'y prit trop tard ; M. de Vaudreuil
forma un parti de ces Sauvages, auxquels il joignit
*' Ces paroles et ces sentimens sont parfp.itement en harmonie
avec le trait suivant, rapporté dans VIndian B'wgraphy : " Le
major Sciiuyler ayant dit à Tesanissore', qu'il soup(,'onnait de
mauvaise foi un jésuite, député dans les Cantons, "Kous savons,
lui répondit le chef, que ce prêtre parle et agit en faveur de sa
nation ; mais il n'est pas en son pouvoir de nous ôter l'affection
que nous portons à nos frères. Vous devriez revenir de vos pré-
ventions contre lui, et surtoid ajouter moins de Joi aux rapports de
vos marchaiids de rhum."
Téganissoré était de haute taille, bienfait de sa personne, et les
traits de son visage ressemblaient, a-t-ondit, à ceux qu'offrent les
bustes de Ciceron. L'historien des " Cinq Nations," M. Colden,
qui l'avait bien connu, et qui l'avait souvent entendu parler, dit
qu'il s'énonçait avec une facilité admirable, et que les grâces de
son élocution auraient plû partout. " Il est à regretter, ajoute M.
Thatcher, qu'il ne nous soit parvenu que de faibles échantillons de
son éloquence ; cependant, le peu qui en reste démontre que le
sentiment élevé de l'honneur, la grandeur d'âme, l'imperturbabi-
lité, la sagacité, l'urbanité étaient, chez lui, des qualités de l'ora-
teur, comme des vertus de l'homme."
DU CANADA. 261
quelques Français, sous la conduite de M. de Beau-
bassin, lieutenant, et les envoya dans la Nouvelle An-
gleterre. Ils y firent quelques ravages, et y tuèrent
environ trois cents personnes. Le même historien
avoue que le principal but du gouverneur était d'euga-
gor les Abénaquis, de manière qu'il ne leur fût plus
possible de reculer. Il en arriva que les Anglais, déses-
pérant de gagner ces Sauvages, firent, à leur tour, des
courses dans leur pays, et tuèrent tous ceux d'entre eux
qui leur tombèntint entre les mains. Les chefs deman-
dèrent du secours à M. de Vaudreuil ; et deux cent-
cinquante hommes leur furent envoyés, sous le comman-
dement du lieutenant Hertel de Rou^^LLE, accompa-
gné de quatre de ses frères. Cet ofiicier surprit, à son
tour, les Anglais, leur tua beaucoup de monde, et leur
fit cent-cinquante prisonniers.
Afin de contrebalancer l'hostilité des Sauvages de
l'Acadie, M. Schuyler, gouverneur d'Orange, fit tout
ce qui dépendait de lui pour engager les Cantons à
rompre avec les Français, et même pour attirer dans
son. gouvernement les Iroquois chrétiens domiciliés dans
le gouvernement de Mont-réal ; mais ses efforts ne furent
pas couronnés de succès.
Ne pouvant porter la guerre dans le Canada propre-
ment dit, au moyen des Iroquois, les Anglais firent
une nouvelle tentative contre l'Acadie. Le 2 juillet
(1704), dix bâtimens partis de Boston, dont le plus gros
portait 50 canons, et le plus petit, 12, mouillèrent dans
le bassin de Port-Royal, à deux l'eues d'-i la ville.
Le lendemain, M. de Brouillan, qui était passé du
gouvernement de Plaisance à celui de l'Acadie, apprit
que les Anglais étaient au nombre de 1300, sans compter
deux cents Sauvages. Il fit avertir les luibitans de
mettre en sûreté, dans les bois, ce qu'ils avaient de plus
262 HISTOIRE
précieux, et de faire tout ce qu'ils pourraient pour s'op-
poser aux descentes. II envoya des détachemens de
troupes, qui arrêtèrent les Anglais, partout où ils se
présentèrent, et s'avança ensuite lui-même, pour les
soutenir. Il y eut quelques combats, ou quelques escar-
mouches assez vives, dans l'une desquelles, les Anglais
perdirent leur principal otficier. Enfin, après quelques
excursions, tantôt d'un côté, et tantôt de l'autre, l'ami-
ral fit rembarquer ses troupes, et la flotte sortit, le 22,
du bassin. Les Anglais se montrèrent eq^uite à l'endi'oit
appelle les Mines, puis à Beaubassin ; mais ils trouvè-
rent partout les Français sur leurs gardes, et se retirè-
rent, après avoir fait quelques prisonniers, et enlevé
quelques bestiaux.
Dans le temps que ceci se passait en Acadie, un par-
tisan, nommé Lagra^s^ge, habile navigateur, qui avait
servi sous d'Iberville, à la baie d'Hudson, équippa, à
Québec, deux barques, où il mit cent Canadiens. Il
avait appris qu'il était arrivé des vaisseaux anglais à
Bonavista, en Terre-Neuve, et il y alla, dans l'espérance
d'en surprendre quelques uns. Arrivé à douze lieues
de ce fort, il quitta ses barques, pour n'être point décou-
vert, poursuivit sa route, sur deux charrois, entra, de
nuit, dans le port, aborda un vaisseau de 24 canons,
chargé de morue, et s'en rendit maître, brûla deux
navires de deux à trois cents tonneaux, coula à fond un
autre petit bâtiment, et se retira, avec sa prise, et un
grand nombre de prisonniers.
Les Anglais de Terre-Xeuve n'en furent pas quittes
pour le dommage que leur causa cet exploit, digne de
figurer dans l'histoire des flibustiers : M, de Subercase,
alors gouverneur de Plaisance, avait formé le même
dessein que son prédécesseur de Brouillan avait exécuté,
en partie, c'est-à-dire, de cliasscr les Anglais de Terre-
DU CAXADA. 263
Neuve.' La cour de France avait agréé ce projet, et
M. DE l'Epixat, comraanJant du vaisseau du roi le
Wesjj, avait eu ordre d'embarquer des Canadiens, à
Québec, et de les conduire à Plaisance. Il en avait
embarqué cent, y compris douze officiers, du nombre
desquels étaient MM. de Montignj, de Viiledené, de
LixcTOT et DE Belestre ; le tout aux ordres de Beau-
court. Subercasc reçut encore d'autres secours, et
partit de Plaisance, le 15 janvier 1705, à la tête de
quatre cents hommes, soldats, Canadiens, flibustiers et
Sauvages, tous gens déterminés, accoutumés à aôronter
les rigueurs des saisons et à supporter les plus grandes
fatigues. Il prirent, chemin faisant, les postes nommés
de Reboii et du Petit-Havre, et vinrent attaquer la ville
de Saint-Jean, ou plutôt, les forts qui la protégeaient.
Les Anglais s'y défendirent avec une résolution qui
surprit les assaillans. Le siège fut levé, au bout de
quelques jours ; mais les Français ne se retirèrent
qu'après avoir bridé toutes les habitations qu'il y avait
autour de la place. En s'en retournant, ils brûlèrent
encore le bourg appelle le Forillon ; et Montigny fut
détaché, avec les Sauvages et une partie des Canadiens,
pour détruire tout ce qu'il y avait d'habitations sur la
côte ; ce qu'il exécuta, sans perdre un seul homme.
Les Anglais avaient été un peu dédommagés, l'au-
tomne précédent, du tort que leur fit cette expédition,
parla prise de /a Seine, vaisseau du roi, qui portait à Qué-
bec, M. DE Saixt-Vallier, successeur de M. de Laval,
dans le siège épiscopal, un grand nombre d'ecclésias-
tiques, plusieurs riches particuliers, et une cargaison
estimée à un million de livres tournois. La perte de
la Seine fut néanmoins compensée par un véritable avan-
tage pour le Canada : " On ne s'y était pas encore avisé,
dit Charlevoix, d'y faire de la toile: la nécessité y fit
264 HISTOIRE
ouvrir les yeux sur cette négligence : on ïema du
chanvre et du lin, qui y réussirent au-delà de ce qu'on
avait espéré, et l'on en fit usage."
Cette même année 1705, et la suivante, il y eut des
démarches, de la part de M. Dudiey et du marquis de
Vaudreuil, pour l'échange des prisonniers : un Anglais
du nom de Li\tngsto]S' vint à Québec, et le sieur Cour-
temanche fut envoyé à Boston, pour cette affaire ; mais
les deux gouverneurs ne purent tomber d'accord sur les
conditions.*
En 1606, M. de Beauharnois, qui avait succédé à
M. de Champigny, dans l'intendance, fut nommé inten-
dant des classes de marine, et eut pour successeurs MM.
RoDOT, p^re et fils. Ce dernier se chargea de la marine :
la justice, la police et les finances furent le partage du
père, qui, voyant queles colons commençaient à se ruiner
en procès, au grand préjudice de l'agriculture, résolut
de retrancher, autant qu'il se pourrait, les procédures,
et entreprit d'accorder lui-même les parties ; ce qui lui
réussit, au-delà même de ses Espérances.
Le 12 octobre de cette même année 1706, il y eut, à
Québec, une "assemblée générale des habitans" du Ca-
nada, pour accepter et ratifier un accord, ou " traité,"
fait entre le sieur Rivekin, "député de la colonie du
Canada," d'une part, et Aubert, Neveu et Gatot, de
l'autre, par lequel "Aubert et compagnie" s'obligeaient
à acquitter les dettes de la colonie, montant à un million,
huit cent douze mille neuf cent quarante livres, à con-
dition qu'ils auraient le commerce exclusif des castors
* Les conditions de M. de Vandreuil n'étaient guère acceptables :
il voulait qu'aucun des prisonniers an2;lais ne futrenvojé, que tous
les Français et Sauvages alliés des Français, prisonniers dans la
Kouvelle-Angleterre, n'eussent été remis entre les mains du gou-
verneur de l'Acadie, et qu'on n'eût donné des assurances pour la
liberté de ceux qui avaient été envoyés eiv Europe ou ailleurs.
DU CANADA. 265
jusqu'à l'année 1717; c'est-ii-dire, que les Camuliens
seraient tenus déporter à leurs bureaux, ou comptoirs, de
Québec et de Mont-réal, toutes les peaux de castors
qu'ils auraient achetées des Sauvages, et de les leur
céder à un prix fixe ; que défense expresse leur serait
faite d'en porter aux habitations anglaises, et que les
commis de la compagnie auraient dx'oit de visite sur les
vaisseaux qui partiraient du port de Québec, &c. Il
y avait eu précédemment, au sujet de ce commerce et
d'autres affaires financières, des transactions que l'en-
chaînement des évcnemens militaires a fait perdre de
vue.
Au mois d'octobre de l'an 1700, il y avait eu une
assemblée générale des habitans du Canada, particu-
lièrement de ceux des villes de Québec, Mont-réal et
Trois-Rivières, " convoquée par ordre de M, le gou-
verneur général et de M. l'intendant, au Château Saifit-
Louis," à l'effet de " composer une compagnie de tous
les négocians et habitans du Canada" pour le commerce
des castors, et de rédiger et arrêter certains articles
d'association, dont ceux qui suivent nous ont paru les
plus mai'quants :
IV. Ceux qui px-endront pour vingt actions (de cin-
quante livres) et au-dessus, auront voix délibérative
aux assemblées générales.
V. Tous ceux qui ont voix délibérative pourront être
élus directeurs généraux.
VI. Le bureau de la direction sera établi dans la ville
de Québec.
VIL II y aura sept directeurs, qui seront choisis par
l'assemblée générale,
IX. M. le gouverneur général et M. l'intendant seront
priés de vouloir bien honorer la direction de leur pré-^
seuce, dans les affaires importantes.
Y
266 HISTOIRE
XVI. Tous négocians et commerçans établis en
Canada seront tenus d'entrer dans la compagnie, à faute
de quoi, ils seront déchus de la faculté de tout com-
merce.*
XXIII. Il sera député en France des intéressés, qui
seront nommés par l'assemblée générale, et auxquels on
donnera les ordres nécessaires sur tout ce qui regardera
les affaires de la compagnie.
XXYI. La compagnie qui s'est formée pour la " Baie
du Nord de Canada," (ou Baie d'Hudson,) sera et
demeurera unie à la compagnie générale des habitans
de ce pays.
XXYII, La compagnie pourra faire saisir et arrêter
les castors que les Français coureurs de bois sans congé,
auraient traités chez les Sauvages, lesquels seront con-
fisqués à son profit. f
Conformément à l'article XXIII. les directeurs nom-
mèrent, au commencement de novembre de la même
année, MM. Charles Aubert de la Chenate, et
François Delino leurs procureurs généraux, pour passer
en France, chargés des affaires de la compagnie. Au
♦Plus raisonnable, Louis XIV ne leur interdit que celui des
pelleteries.
f Les articles d'association sont signés par MM. le chevalier de
Callieres, Bocart-Champignt, Vaudeeuil, Ruette d'Auteuil,
R. L. Chartier de Lotbinière, Charles Acbert de La Chenate,
Dupont, Dupuy, F. Hazeur, Lamotte-Cadillac, Decham-
bault, DrPLESSis, Juchereau de Saint-Denys, Acbert,
Gobin,!Mecart, de Tonnaxcolrt, de Lestage, Lebe', Delino,
Lebo pour M. Leber, St. Romain, Pauperet, G. Gaillard,
RiTEiiiN, J. Sebille, Louis Babie, Foucault, Pineau, Alexis
Marchand, Bouteville, G. Masse, Lajiorille, Laframboisb,
P. NoRsiANDiN, L. GuAY, Lalonge', A. Gajielin, Delestaige,
Desperroux, Chartier, Bergeron, Grouard pour M. Têtu,
BoNDT, Haimard, Grouard, Houce, J. B. Chaillt, Jean
GiASSON, St. Germain, Peire, L. Prat, Minet, G. Page',
Carsy, Dupont, François de La Joue, Jenarin, P. Chartier,
Longueil,Duplessis-Faber, L. Aubert de Forillon, Genai'LE,
Rapreot.
DU CANADA. 267
printems de l'année suivante, MM. Aubert et Deliuo
informèrent la cour, que la colonie de la Nouvelle France
avait "jugé nécessaire, tant pour le service et les inté-
rêts du roi, que pour l'utilité particulière de la colonie,
de se charger de la ferme des domaines de sa majesté,
en ce pays," en ayant traité avec les sieurs Nicholas
Bailly, sous-fermier général des domaines du Canada,
et Louis GuiGUES, fermier général des domaines d'Oc-
cident, pour le pi'ix de soixante-dix mille livres par
année, et aux autres charges, clauses et conditions
portées dans l'acte passé à cet effet ; et par un arrêt
donné en son conseil, le 31 mai de la même année 1701,
le roi " confirme et approuve les règlemens faits par la
colonie de la Nouvelle France, pour la régie de la ferme
de ses domaines d'Occident, et pour la conduite du com-
merce de la société de cette ferme."
Pour revenir à l'époque où nous en étions, en 1707, M.
Rodot proposa au conseil du roi de permettre aux habi-
tans d'employer le lin et le chanvre et la laine de leurs
moutons, dans le pays, où les toiles et les étofles de
France étaient à un si haut prix, que les gens peu aisés,
qui formaient le plus grand nombre, n'y pouvaient
atteindre.
La réponse du ministre fut, que le roi était charmé
d'apprendre que ses sujets du Canada reconnussent la
faute qu'ils avaient faite, en se livrant exclusivement
au commerce des pelleteries, et qu'ils s'attachassent
enfin sérieusement à cultiver leurs terres, et particu-
lièrement à y semer du chanvre et du lin ; qu'il ne con-
venait pas que les manutactures fussent hors du roy-
aume, parce que cela j^réjudicierait à son commerce;
mais que néanmoins on permettrait qu'il se fît, en Ca-
nada, des toiles et des étoffes grossières, pour l'avantage
des habitans peu fortunés.
268 HISTOIRE
Malgré les sévères représailles exercées contre les
Abénaquis, ces Sauvages, excités par des conseils aussi
cruels quïmpolitiques, continuaient à désoler la Nou-
velle Angleterre. Les habitans en étaient réduits à ne
pouvoir plus cultiver leurs teiTes, ou étaient exposés à
les voir tous les jours ravagées par les Sauvages. M.
Dudley crut que le meilleur moyeu de faire cesser ce
déplorable état de choses était de chasser les Français
de l'Acadie.
Il fit ses préparatifs avec autant de secret que de
diligence, et le 6 juin, vingt bâtimens anglais, aux
ordres du colonel ]^Lvrk, parurent à l'entrée du bassin
de Port-Royal, et vinrent mouiller à une lieue de la
place. Le lendemain, ils mirent à terre 1,500 hommes,
du cô.té de la rivière où était le fort, et cinq cents de
l'autre côté. M. de Subercase, qui était passé du gou-
vernement de Plaisance à celui de l'Acadie, avait fait
avertir les habitans de se rendre auprès de lui ; mais
ceux même qui étaient les plus proches ne purent
arriver que le 7 au soir. A mesure qu'ils venaient, on
les faisait filer, les uns à droite, et les autres à gauche,
pour aller au-devant des ennemis, et retarder leur
marche, en escarmouchant, à la faveur tles bois. En
effet, les Anglais ne purent s'avancer que fort lentement.
Le corps de cinq cents hommes fut le premier qui
s'ouvrit un passage, et Subercase envoya des canots et
des bateaux, pour embarquer ceux qui se retii'aient
devant eux. Il les fit ensuite défiler, pour aller joindre
ceux qui avaient affaire au corps le plus nombreux, et
qui étaient commandés par M. Denis de la Eoxde,
Canadien. Malgré ce renfort, la supériorité de l'enne-
mi les obligea à retraiter.
La tranchée fut ouverte, dans la nuit du 10 au 11.
Le lendemain, Subercase fit sortir quatre-vingts hommes,
BU CANADA. 269
tant Canadiens que Sauvages, ces derniers sous la con-
duite du baron de Saint-Castix,* afin de les opposer
à quatre cents Anglais, qui avaient été détachés pour
tuer les bestiaux. Il les chargèrent avec tant de
vigueur, qu'ils les contraignirent de regagner leur
camp, en désordre.
Le 16 au matin, cinq cents hommes s'avancèrent,
pour donnor l'assaut à la place ; mais le feu des assié-
gés les força bientôt à s'éloigner. Ils ne tardèrent pas
à se rembarquer, et allèrent mouiller à Kaskobaj.
Ayant été renforcée de trois gros navires, portant
six cents hommes de débarquement, la flotte anglaise
reparut dans le bassin du Port Royal, le 20 août, au
matin. Une apparition si soudaine et si inattendue
jetta la consternation dans le fort ; et quoique la garni-
son eût été renfoi'cée de l'équipage d'un vaisseau du
roi, commandé par M. de Boxavkxture, frère de La
Ronde, Subercase fut presque le seul qui ne désespéra
pas de triompher encore une fois. En effet, après plu-
sieurs combats partiels, livrés aux environs de la place,
depuis le 21 août jusqu'au 1er septembre, les Anglais
* Natif d'Olcron en Bearn : autrefois officier de Carignan en
Canada. Après la réforme de ce régiment, "il se jetta chez les
Sauvages, dont il avait appris la langiie. Il se maria à leur
manière (avec une Abénaijuise), préférant les forêts de l'Acadie
aux monts Pyrénées. Il vécut, les premières années, avec eux
d'une manière à s'en faire estimer au-delà de tout ce qu'on peut
dire. Ils le firent grand chef (Sagamo), qui est comme le souve-
rain de la nation, et peu à peu, il a travaillé à se faire une fortune
dont tout autre que lui saurait profiter, en retirant de ce pays-là
deux ou trois cent mille écus, qu'il a dans ses coffres, en belle
monnaie d'or. Cependant, il iios'en sert qu'à acheter des mar-
chandises pour faire des présens à ses confrères les Sauvages,
qui lui font ensuite, au retour de leurs chasses, des présens de
castor d'une triple valeur. Il a plusieurs filles, et toutes mariées
très avantageusement avec des Franc^'ais, ayant donné une riche
dot à chacune. Les gouverneui's généraux du Canada le ména-
gent, et ceux de la Nouvelle AngleteiTC le craignent."' — Lauo>-
TAN.
y2
270 HISTOIRE
se rembarquèrent, après avoir perdu un bon nombre
d'hommes, tués ou blessés, et quelques prisonniers. Les
Canadiens qui se trouvèrent au Port Koyal, pendant
ces deux attaques, se dit^tinguèrent, à leur ordinaire, et
ne contribuèrent pas peu à la conservation de la place.
Pendant que ces choses se passaient en Acadic, les
quartiers de l'Ouest étaient un peu troublés par suite
d'un démêlé entre les Miamis et les Outaouais. Ces
derniers s'étant plaints au commandant du Détroit,* et
n'en ayant pas obtenu la satisfaction à laquelle ils
s'attendaient, complottèrent de l'assassiner, et de faire
main-basse sur tous les Français. Ils en tuèrent, en
effet, quelques-uns, et ravagèrent les environs du Dé-
troit. M. de Lamotte marcha contre eux, à la tête de
quatre cents hommes, les battit, et les força à se sou-
mettre aux conditions qu'il voulut leur imposer.
Durant l'hiver, il fut arrêté, dans un grand conseil,
tenu à Mont-réal, avec les chefs des Sauvages domici-
liés, qu'on ferait, au printems, une nouvelle incursion
sur le territoire anglais. Le parti se composa de quatre
cents hommes, tant Français que Sauvages, les pre-
miers, commandés par MM. de Saint-Ours-Deschail-
Loxs et de Rouville, et les derniers, par M. de La
Perrière. On se mit en marche, le 26 juillet (1708;)
* C'était lin jeune officier du nom de Bocrgmokt, qui était
arrive au Détroit, pom- y commander en l'absence de Lamotte-
Cadiilac, descendu à Québec. "Les chefs des Outaouais allèrent
trouver Bourgmont, et lui demandèrent s'il n'avait point reçu de
nouvelle de Québec ou de ilont-réal. Par une nouvelle impru-
dence (il en avait déjà commis plus d'une), cet officier ne parut
pas seulement faire attention à c^quils disaient ; ce qui les choqua
beaucoup. Un moment après, le chien de Bourgmont ayant
mordu un de ces Sauvages à la jambe, et celui-ci ayant battu le
«.bien, le commandant se jetta sur lui, et lui donna tant de coups,
<iu'il en mourut, peu de temps après. Cette >-iolence brutale mit
les Outaouais au désespoir. Ils partirent le lendemain, ne respi-
rant que la vengeance, et convaincus qu'elle était nécessaire à leur
conservation." — Chaklevojx.
DU CAXADA. 271
mais bientôt les Hurons se retirèrent, et les Iroquois
ne tardèrent pas à suivre leur exemple.
M. de Vaudreuil, à qui les commundans donnèrent
avis de cette désertion, leur manda que, quand même
les Algonquins et les Abénaqiiis de Saiiit-François
les abandonneraient aussi, ils ne laissassent pas de
continuer leur route, et qu'ils fissent plutôt une incur-
sion sur quelque endi'oit écarté, que de s'en revenir,
sans avoir rien fait.* Ils se remirent donc en route, au
au nombre de deux cents, et après avoir fait environ
cent-cinquante lieues, ils arrivèrent près d'un village
de la Nouvelle Angleterre, nommé IluverJnll, composé
de vingt-cinq à trente maisons bien bâties, et défendu
par un fort. Ce fort avait une garnison de trente
soldats, ou miliciens, et il y en avait plusieurs dans
chaque maison. Ces troupes ne faisaient que d'arriver
dans l'endroit, et y avaient été envoyées par le gouver-
neur, qui, sur l'avis de la marche des Français, avait
fixit partir de pareils détachemcns pour tous les villages
de ce canton.
Les Français, ne pouvant plus compter sur la sur-
prise, crurent pouvoir y suppléer par la valeui*. Ils
reposèrent tranquillement pendant la nuit, et le lende-
main, une heure après le lever du soleil, ils se mirent
en ordre de bataille. Rouville fit alors un petit discours,
pour exhorter ceux qui avaient entre eux quelque dé-
mêlé, à se reconcilier sincèrement et à s'embrasser: ils
firent ensuite leur prière, et marchèrent conti'e le fort.
Ils y trouvèrent beaucoup de résistance ; mais enfin, ils
y entrèrent, l'épéc et la hache à la main, et y mirent le
feu. Toutes les maisons du village eurent le même
* Dans plusieurs circonstances, le m.arquis de Vaudreuil, agis-
sant par lui-même, nous n paru manquer do juf^ement: ici, nous
ne pouvons nous empêcher de voir la sottise jointe à l'inliumanitc.
272 IIISTOIRK
sort. Il y eut environ cent Anglais de tués, en com-
battant : d'autres périrent dans l'embrasement des mai-
sons, et le nombre des prisonniers fut considérable. Il
n'y eut point de butin, parce qu'on n'y songea que quand
tout eut été consumé par les flammes, et qu'on entendait
déjà, de tous les villages voisins, le son des tambours et
des trompettes. Il n'y avait pas un moment à perdre
pour assurer la retraite. Elle se fit d'abord en bon
ordre ; mais à peine avait-on fait une demi-lieue, qu'on
tomba dans une ambuscade, dressée par soixante-dix
hommes, qui, avant de se découvrir, tirèrent chacun
leur coup. Les Français essuyèrent cette décharge
sans branler. Cependant tous les derrières étaient
déjà remplis de gens de pied et de cheval, et il n'y avait
pas d'autre parti à prendre que de passer sur le ventre
à ceux qu'on avait en tête. On le prit, sans balancer :
chacun jetta ce qu'il poi'tait de vivres et presque toutes
ses hardes, et sans s'amuser à tirer, on en vint d'abord
aux armes blanches. Les Anglais, étonnés d'une
attaque si brusque, faite par des gens qu'ils croyaient
avoir mis en désordre, s'y trouvèrent eux-mêmes, et ne
purent se remettre ; de sorte que la plupart furent tués
ou pris.
Les Français n'eurent, dans les deux actions, que
huit hommes de tués et dix-huit de blessés : du nombre
des pi*emiers furent deux jeunes officiers, Hertel de
Chambly et Yerciieres. Plusieurs des prisonniers
faits à la prise d'Haverhill se sauvèrent, pendant le
dernier combat : les autres n'eurent qu'à se louer des
bons traitemens qu'ils reçurent de leurs vainqueurs,
durant la retraite. La fille du lieutenant de roi d'Ha-
verhill ne pouvant plus marcher, M. DuruYS, fils du
lieutenant particulier de Québec, la porta dans ses bras,
ou sur ses épaules, une bonne partie du chemin. '•' Sin-
DU CANADA. 273
gulier exemple d'humanité et de galanterie, dit un histo-
rien, et chose nouvelle dans les forêts du Canada."
Religieux ou dévots avant le combat ; furieux et souvent
barbares, dans le fort de l'action ; humains et généreux,
après la victoire, tels se monti*ent généralement les
guerriers français et canadiens de ces temps-là.
Au reste, cette expédition, comme la plupart de
celles qui l'avaient précédée, se borna à une tuerie
cruelle et une conflagration barbare, non seulement
sans résultat utile, mais même sans but ou motif raison-
nable. C'est vainement que Charlevoix dit que les
Français et les Sauvages n'exerçaient ces cruautés que
par représailles ; le massacre de La Chine était déjà
trop ancien, et avait été vengé trop de fois, pour qu'on
pût se croire a.utorisé à le venger encore, au temps
dont nous parlons : c'aurait été mettre en principe que,
parce que l'ennemi avait été exterminateur une lois, on
pouvait l'être toujours : outre que les Iroquois avaient
exercé seuls les cruautés dont les Français pouvaient se
plaindre, au lieu que ces dernicxs n'en cédaient guère aux
Sauvages, et étaient presque toujours mêlés avec eux,
dans les barbaries qu'ils exerçaient contre les Anglais.
Aussi ne pouvons-nous nous empêcher de croire dans son
droit le gouverneur d'Orange, dans ce qu'il écrivait à M.
de Vaudreuil, en réponse aux reproches que celui-ci lui
avait faits, au sujet d'un collier qu'il avait envoyé aux
Iroquois chrétiens, pour les engager à demeurer neutres.*
" Il faut que j'avoue, dit M. Schuyler, que j'ai envoyé
* Lo mnrquis de Vauflrciiil attribuait à l'envoi de ce collier la
drtectiun des 1 lurons et des Iroijnois chrétiens : mais ces Sauvages
ne pouvaient-ils pas se trouver, àla tin, fatigués de ces expéditions
sans cesse renouvellées, où ils avaient beaucoup moins à gagner,
qu'à perdre ou il risquer ? Et s'ils étaient véritablement chrétiens,
ne pi)uvaient-ils pas, ne devaient-ils i)as même se refuser à aller
massacrer, ou ruiner, de sang-fruid, di's gens (jui ne leur avaient
jamais fait, ni ne pouvaient leur faire aucun mal ?
274 HISTOIRE
un collier aux Sauvages, pour les empêcher de prendre
parti dans la guerre qui se fait contre le gouver-
nement de Boston ; mais j'y ai été poussé par la charité
chrétienne. Je n'ai pu me dispenser de croire qu'il
était de mon devoir envers Dieu et mon prochain, de
prévenir, s'il était possible, ces cruautés barbares et
payennes, qui n'ont été que trop souvent exercées sur
les mallieureux habitans de ce gouvernement. Vous
me pardonnerez. Monsieur, si je vous dis que je sens
mon cœur se soulever, quand je pense qu'une guerre
qui se fait entre des princes chrétiens, obligés aux lois
les plus strictes de l'honneur et de la générosité, dégé-
nère en une barbarie sauvage et sans bornes. Je ne
puis concevoir qu'il soit possible de mettre fin à la guerre
par de semblables moyens."
Dans le cours de l'hiver, il y eut en Terre-Neuve,
une nouvelle expédition, où les Français se distinguè-
rent, à leur ordinaire, par leur bravoure. De l'aveu de
M. DE CosTEBELLE, gouvemcur de Plaisance, le sieur
DE Saixt- Ovide, lieutenant de roi de cette place,
forma un parti d'environ cent-soixante hommes, soldats,
matelots, habitans et Sauvages, auxquels se joignirent,
comme volontaires, plusieurs officiers et gentilshommes,
la plupart Canadiens : c'étaient, entre autres, MM. Des-
PEXSEXS, DuPLESSis, La Chenaye, d'Argenteuil et
d'Alllebout. Cette petite troupe, qui ne se montait
pas, en tout, à deux cents hommes, se mit en marche, le
14 décembre, et arriva le 31, à quelques lieues de Saint-
Jean, sans avoir été découverte. Dès le lendemain,
tout fut prêt pour l'attaque : deux des forts qui défen-
daient la ville furent emportés de vive force, et le troi-
sième se rendit, par capitulation. Saint-Ovide aurait
voulu conserver sa conquête, et ne demandait pour cela
que cent hommes ; mais M. de Costebelle, qui craignait
DU CANADA. 275
d'être attaqué lui-même h Plaisance, lui ordonna de s'en
revenir, après avoir fait démolir les forts dont il s'était
rendu maître
Tandis qu'une poignée de Français et de Canadiens
se rendaient maîtres de Saint-Jean de Terre-Neuve, on
apiirenait à Québec, que les Iroquois avaient enfin cédé
aux instances du gouverneur de la Nouvelle-York, et
que la guerre avait été chantée, dans tous les cantons,
excepté celui de Tsonnonthouan ; et de plus, qu'il se
faisait, à Boston, un grand armement, qui devait être
fortifié d'une escadre d'Angleterre, pour attaquer le
Canada ; et qu'on assemblait, dans la Nouvelle York, un
corps de 2000 hommes, qui devait d'abord s'emparer de
Chambly, et tomber ensuite sur Mont-réal. Les troupes
et les milices furent mises en état de marcher, au premier
signal, et un parti de deux cent-cinquante hommes, sous
la conduite de Rouville, fut envoyé du côté du lac
Champlain.
Au mois de mai, M. de Yaudreuil assembla un grand
conseil de guerre, où il fut résolu qu'on marcherait
incessamment du côté de la Nouvelle-York, pour dissi-
per l'orage qui s'y formait ; afin que la colonie, rassurée
de ce côté-là, pût réunir ses forces contre la flotte
anglaise, si elle venait à Québec. Il fut assemblé un
corps de 1,500 hommes, et après quelque hésitation, de
la part du gouverneur général, le commandement en fut
donné à M. de Ramsay. Cette petite armée se mit en
marche, le 28 juillet. L'avant- garde, composée de cin-
quante Français et de deux cents Abénaquis, était com-
mandée par Montigny, et soutenue par Rouville, avec
cent Canadiens. Après eux venaient cent soldats, sous
M. de La Chassaigne. Le gouverneur de Mont-réal
suivait, à ia tête de cinq cents Canadiens, distribués en
cinq compagnies commandées par MM. Saint-Martin,
276 HISTOIIÎE
DescliaillonSjDESJORDis, de Sabrevois et de Ligxeris.
Les Iroquois chi-étiens, sous la conduite de Joncaire,
faisaient l'aiTière-gai'dc. Des Algonquins et des Outa-
ouais étaient sur les ailes. On fit, dans cet ordre,
quarante lieues, en trois jours, et il est indubitable, dit
Chai-levoix, que si l'on fût allé jusqu'aux ennemis,
campés à la Rivière au Chicot, pi'ès du lac Cbamplain,
on en eût eu bon marché. Le défaut de subordination dans
les troupes, et de faux avis donnés à M. de Ramsay,
firent échouer une entreprise dont le succès paraissait
immanquable. Après qu'on eut mis en déroute un-
détachement de cent et quelques hommes, qui s'était
trop avancé, le bruit s'étant répandu qu'une armée de
5,000 hommes n'était pas éloignée, et s'était bien retran-
chée, les Sauvages déclarèrent qu'ils n'étaient pas d'avis
qu'on allât plus loin. Le conseil de guerre fut assemblé,
et il y fut résolu qu'on se retirerait.
Les Anglais, qui ne profitèrent pas de la retraite de
M. de Ramsaj, pour s'avancer, furent aussi abandonnés
des Sauvages dont ils s'étaient fait joindre,* puis déci-
més par ime espèce d'épidémie, et contraints de se
retirer ; et les vaisseaux destinés à faire le siège de
Québec ne parurent pas.
Pendant l'hiver, les Onnontagués envoyèrent des
députés à M. de Vaudreuil, pour le prier de les rece-
voir en ses bonnes grâces. Dans l'audience que ce
général leur donna, après que celui qui portait la parole
eut témoigné son chagrin de ce que deux peuples qu'il
estimait, disait-il, étaient presque toujours occupés à
* Dans un conseil, qui fut tenu à Onnontagué, un des anciens
se leva, et dit : " Ne vous souvenez-vous pas que nous noua
trouvons placés entre deux nations puissantes, capables de nous
exterminer, et intéressés à le faire, quand elles n'auront plus
besoin de notre secours ? Nous devons donc faire en sorte de les
mettre toujours dans l'obligation de nous ménager, et par consé-
quent, empêcher que l'une ne prévale sur l'autre."
DU CANADA. 277
s'entre-détruire, il ajouta, avec la francliise particulière
aux Sauvages : " Etes-vous donc ivres, les uns et les
autres, ou est-ce moi qui n'ai point d'esprit ?"
A peine les Onnontagués étaient-ils pai'tis, qu'on vit
arriver des Agniers, qui parlèrent sur le même ton, et
protestèrent que leur canton ne lèverait jamais la hache
contre les Français.
Vers la fin du priutems, on apprit, à Québec, que
jl'Acadie était menacée de nouveau, et qu'on faisait de
Cgrands préparatifs, à Boston, pour attaquer le Port
jRoyal. En effet, au mois d'août de cette même année,
/(1710) un vaisseau anglais de 60 canons et une goélette
) s'approchèrent de cette viUe, et la tinrent bloquée, de
- manière qu'il n'y put entrer aucun secours ; et le 10
i octobre, cinquante bâtimens anglais entrèrent dans le
bassin, et jettèrent les ancres vis-à-vis du fort. Il y
avait dant cette flotte, quatre vaisseaux de 60 canons,
, deux de 40, un de 36, et deux galiottes à bombes : le
] reste se composait de bâtimens de charge et de trans-
I port; le tout sous les ordres du général Nicolsox,
î commandant en chef de toutes les forces de la reine
/ d'Angleterre, en Amérique. Les troupes qu'il com-
\ mandait se montaient à 3,500 hommes, sans compter les
\matelots. Subercase, qui n'avait à leur opposer que
trois cents hommes, assez mal affectionnés,* ne chercha
point à empêcher le débarquement, et n'eut en vue que
de sortir avec honneur d'une place, dans laquelle il pré-
voyait ne pouvoir pas tenir bien longtems. Il se
défendit, pendant quelques jours, contre les attaques des
assiégeans, avec assez de vigueur pour leur tuer beau-
* Depuis trois ou quatre ans, mal<;;réles voprôsentationsdu pfoii-
verncur au ministre des colimics, le f^iniverneiuent de France
laissait les habitans et les soldats mêmes, dans un dénuement
presque absolu.
278 HISTOIRE
coup de monde ; mais la désertion d'une partie de ses
gens, et le mécontentement qui se manifesta parmi les
autres, l'obligèrent à demander à capituler, plutôt qu'il
ne l'aui'ait voulu faire. Sa garnison, qui ne consistait
plus qu'en cent-cinquante hommes tout délabrés, sortit
avec armes et bagages. L'artillerie, qui aurait pu être
emportée, fut vendue au général anglais, pour l'acquit
des dettes publiques.
Subercase envoyale baron de Saint-Castin au marquis
de Yaudreuil, pour lui faire connaître les articles dont
il était convenu avec le général Nicolson. Ce dernier
lui députa aussi M. Livingston, avec une lettre, dans
laquelle il déclarait qu'il userait de représailles contre
les Acadiens, si les Français et leurs alliés continuaient
leurs hostilités contre la Nouvelle Angleterre, et pro-
posait un échange de prisonniers, avec menace, en cas
de refus, de livrer aux Sauvages alliés de l'Angleterre
autant de Français qu'il y avait d'Anglais prisonniers
en Canada.
/^^l. de Vaudreuil lui écrivit^ en réponse, que les lois
/ de la gueiTe ne lui permettaient pas de traiter en enne-
/ mis des gens qui s'étaient rendus à lui par capitulation ;
l qu'il consentirait volontiers à un échange de prisonniers ;
i mais qu'il n'était pas tout-à-fait le maître de ceux qui
/ étaient entre les mains de ses alliés, et que si la menace
j de livrer des Français ou des Acadiens aux Sauvages
1 de la Nouvelle Angleterre s'exécutait, il serait contraint
- d'user de représailles. Les sieurs deRouville et Dupuys
\ furent chargés de porter sa lettre au général anglais.
Il nomma, en même temps, Saint-Castin son lieutenant
en Acadie, et lui donna ses instructions, pour maintenir
les Français restés en ce pays sous l'obéissance du roi
de France.
La ga-i-nison que le général Nicolson laissa au Port
DU CANADA. 279
Roj'al, souffrit beaucoup de la maladie, pendant iMilver,
et fut tenue comme bloquée, jusqu'au printems, par un
partie d'Acadiens et de Sauvages. M. de Vuudreuil
se disposait à envoyer au baron de Saint-Castin, un
renfort de deux cents hommes choisis, sous le marquis
d'ALOGNiES, commandant des troupes, lorsqu'il apprit
qu'une partie de la flotte anglaise destinée à faire le
siège de Québec, était arrivée à Boston, et que le reste
n'en était pas éloigné. Après avoir donné ses ordres,
pour mettre la ville en état de défense, le gouverneur
se rendit à Mont-réal, pour y rencontrer les députés
des tribus du Nord cl de l'Ouest et des cantons iroquois.
11 obtint des premières la promesse de pi'endre les armes
pour la défense de la colonie, et des derniers, celle de
demeurer neutres. A son retour à Québec, il fut
accompagné des Abénaquis domiclilés et de M. de
Ramsay, à la tête de six cents hommes de son gouver-
nement. Il trouva les ordres qu'il avait donnés, en
partant pour JNlont-réal, parfaitement exécutés. Beau-
court, qui en avait été chargé, non content de fortifier
le corps de la place, de manière à la mettre en état de
soutenir un long siège, avait pris de bonnes mesures
pour empêcher que les envahisseurs ne débarquassent
du côté de Beauport, comme ils avaient fait, en 1690,
et jamais peut-être, dans aucune ville, observe Chai'le-
voix, on ne remarqua plus de résolution et de confiance,
tous, jusqu'aux femmes, étant disposés à contribuer, de
leur mieux, à la plus vigoureuse défense. Chacun, dans
la ville et aux environs, avait son poste manjué, et
toutes les côtes, au-dessous de Québec, étaient si
bien gardées, que l'ennemi n'aurait pu y mettre pied à
terre, dans aucun endroit habité, sans être obligé de
livrer un combat (jue la situation du terrain lui aurait
rendu désavantageux. Enfin, tout paraissait si bien
2«0 msToiEE
disposé, qu'on était dans une espèce d'impatience devoir
paraître la flotte anglaise, lorsque, le 25 août, à huit
heui'es du soir, un habitant vint donner avis que le 9,
il avait vu, de Matane, de quatre-vingt-dix à quatre-
vingt-quinze voiles, portant le pavillon d'Angleterre ;
sur quoi, chacun se rendit à son poste. Quelques jours
après, des pêcheurs de Gaspé rapportèrent qu'ils avaient
compté quatre-vingt-quatre vaisseaux qui descendaient
le fleuve, et faisaient route, comme pour aller à Gaspé
mème-
Le 7 octobre, M. de Beaumoxt, qui commandait le
vaisseau le Héros, mouilla devant Québec, et dit qu'il
n'avait rencontré aucun bâtiment, dans la partie nord
du fleuve, qu'il avait presque toujours suivie; et un
autre navire, qui arriva, peu de jours après, et qui
avait tenu la route du sud, assui-a qu'il n'avait rien
apperçu.
Ces avis firent résoudre le gouverneur général à
renvoyer, sur-le-champ, M. de Eamsaj à Mon-réal,
avec les six cents hommes qu'il en avait amenés : il le
suivit lui-même, de près, avec six cents soldats ; ce qui,
joint au corps de troupes qui était resté sous les ordres
du baron de Loxgueil, pour garder la tête de la colonie,
faisait une armée de 3,000 hommes. M. de Yaudreuil
la fit camper à Chamblj, son dessein étant d"y attendre
le général Nicolson, qu'il savait être en marche, de ce
côté-là ; mais il apprit bientôt que son armée avait
rebroussé chemin, et Rouville fut détaché, avec deux
cents hommes, pour en avoir des nouvelles plus ex-
actes.
Cet officier apprit, en route, que la flotte anglaise avait
fait naufrage, dans le fleuve Saint-Laurent, vis-à-vis
des Sept-lles. Dès que M. de Yaudreuil fut instruit du
fait, il envoya sur les lieux quelques barques, qui ti'ou-
DU CANADA. 281
vèrent les carcasses de huit gros vaisseaux, et près de
trois mille cadavres étendus sur le rivage.
Le général Hill, ou l'amiral Walker, commandant
de cette flotte, ne dut qu'à lui-même, suivant Cliarle-
voix, le malheur qui lui arriva. Il avjiit sur son bord,
un prisonnier français, nommé Paradis, ancien navi-
gateur, qui connaissait parfaitement le fleuve Saint-
Laurent. Cet Jiomme l'avertit, lorsqu'il fut par le
travers des Sept-Hes, qu'il ne fallait pas s^approcher
trop de terre ; et comme le vent n'était pas favorable,
et qu'on ne pouvait aller qu'à la bouline, l'amiral se
lassa, à la fin, de cette manœuvre, et soupçonna même
peut-être le Français de vouloir fatiguer son équipage.
11 ne voulut pas revirer, et s'approcha de si près d'une
petite ile, appellée Y Ile aux Œufs, qu'y ayant été surpris
par un coup de vent du sud-est, il s'y brisa, avec sept
autres de ses plus gros vaisseaux, dont il ne se sauva
que très peu de monde. Le reste de la flotte redescen-
dit le fleuve, après être restée quelques jours à l'ancre,
pour enlever la charge des vaisseaux brisés.*
Au commencement de 1712, le bruit ayant couru que
les Anglais se disposaient à mettre en mer une nouvelle
flotte, pour assiéger Québec, le gouverneur trouva, dans
la bourse des marchands de cette ville, une somme de
cinquante mille écus, pour y ajouter des fortifications.
" Voilà, dit l'auteur des Beautés de V Histoire du Canada,
ce que fait un pays pauvre, tandis que de grandes
* Dans leur manifeste, dont plusieurs exemplaires furent trouvés
sur les bâtiments naufragés, les commandans anglais reprochaient,
entre autres choses, au gouverneniont du Canada, de donner
quarante francs à ses alliés sauvages, pour chaque chevelure
apportée au bureau de la guerre ; mais à des plaintes peut-être
fondées, ils ajoutaient des prétentions ridicules, en disant, que
toute rAinériquo du Nord app:irtcii;iit,de drfiit, à l'Angleterre, en
vertu de la pi'iorité de découverte, et que la France ne possédait
le Canada que par usurpation.
z2
282 HISTOIKE
nations florissantes ont peine à se priver de quelques
jouissances de luxe., pour subvenir aux besoins de la
pati-ie."
Cette même année, les gourerneurs généraux du
Canada et des colonies anglaises reçurent de leurs sou-
verains des ordres précis de faire cesser tout acte d'hos-
tilité entre les sujets des deux nations et leurs alliés.
Par le traité conclu entre Louis XIV et la reine AxxE,
Tanné suivante, la France cédait à l'Angleterre l'Acadie,
avec la ville de Port-Royal, appellée depuis AnnapoliSy
et tout ce que les Français avaient possédé, jusqu'alors,
dans l'ile de Terre-Neuve et à la Baie d'Hudson. Le
roi Très-Chrétien renonçait aussi aux droits qu'il pré-
tendait avoir sur le pays des Iroquois ; sans beaucoup
de perte pour la France ni de gain pour l'Angleterre,
puisque ces Sauvages s'étaient maintenus jusqu'alors,
et se maintinrent encore, par la suite, dans leur indé-
pendance.
En cédant la presqu'île de l'Acadie, appellée depuis
Nouvelle Ecosse, la France s'était réservé le continent
voisin, et possédait encore l'Ile Royale, ou du Cap-
Breton, et celle de Saint-Jecm. Dès l'an 1706 M.
Rodot avait envoyé à la cour de France un mémoire,
où il recommandait fortement la colonisation du Cap-
Breton, comme devant être du plus grand avantage à
la France et au Canada, particulièrement sous le rapport
du commerce ; après la perte de l'Acadie et de Plaisance,
on pensa sérieusement, non seulement à peupler cette île,
mais encore à la fortifier. Après avoir délibéré, pendant
quelque temps, sur le choix du lieu où il convenait de
former le principal établissement, et hésité entre le port
de Sainte-A?me, et le Havre a V Anglais, on se décida
pour ce dernier, et l'on commença à y bâtir une ville,
à laquelle on donna le nom de Louishourg. Costebelle,
DU CANADA. 283
qui avait perdu le gouvernement de Plaisance, fut chargé
de celui de la nouvelle colonie.
On s'était d'abord attendu à pouvoir transporter dans
l'Ile Royale tous les Français établis en Acadie, et même
tous les Sauvages compris sous le nom d'Abénaquis ;
et quelques uns de ces derniers y formèrent, en effet,
une bourgade ; mais les Acadiens, n'y trouvant pas de
quoi se dédommager de ce qu'ils possédaient dans leur
pays, ne voulurent pas consentir à la transmigration.
Les habitans de Plaisance, au contraire, passèrent tous
à Louisbourg, et s'y trouvèrent bientôt beaucoup plus à.
leur aise qu'ils n'avaient jamais été en Terre-Neuve.
Tandis qu'on se donnait ces mouvemens, au sujet de
l'Ile Royale, le marquis de Yaudreuil, de concert avec
M. Begon, successeur de M. Rodot, dans l'intendance
du Canada, s'occupait du soin de fortifier et de peupler
"cette colonie. " Le Canada, dit-il, dans luic lettre qu'il
écrivit à M. de Pontchartrain, en 1714, n'a que 4484
habitans en état de porter les armes, depuis l'âge de seize
jusqu'à soixante, et les vingt-huit compagnies des
troupes de la marine, que le roi y entretient, ne font, en
tout, que six-cent- vingt- huit hommes. Les colonies
anglaises ont 60,000 hommes en état de porter les armes,
:t l'on ne peut douter qu'à la première rupture, elles no
fassent un grand effort pour s'emparer du Canada."
fVi demandait, en conséquence, qu'il lui fût envoyé un
[l'cnfort de troupes, et qu'il fût pris des moyens pour
Uugmentcr le nombre des habitans.
Le Canada "se trouvait, dit Ratnal, à l'époque de
/ la pacification d'Utrecht, dans un état de faiblesse et
I de misère inconcevable. C'était la faute des premiers '
\ Français, qu'on avait vus s'yjetter plutôt que s'y établir.
\La plupart s'étaient contentés de courir les bois. Les
plus raisonnables avaient essayé quelques cultures, mais
284 HISTOIRE
sans choix et sans suite. Un terrain où l'on avait bâti
et semé à la hâte, était aussi légèrement abandonné que
défriché. Cependant, les dépenses que faisait la métro-
pole dans cet établissement, et le commerce des pelle-
teries, donnèrent, par intervalle, quelque aisance aux
habitans. Mais ils la perdirent bientôt, dans une suite
de guerres malheureuses. En 1714, les exportations
du Canada ne passaient pas cent mille écus. Cette
somme, jointe à celle de trois cent-cinquante mille livres,
que le gouvernement y versait, chaque année, était
toute la ressource de la colonie pour payer les marchan-
dises qui lui venaient d'Europe. Aussi en recevait-elle
si peu, qu'on était généralement réduit à se couvrir de
peaux, à la manière des Sauvages. Telle était la situa-
tion des vingt mille Français qu'on comptait dans ces
régions immenses."
Pendant qu'on jouissait des avantages de la paix, sur
les bords du Saint-Laui-ent, les contrées de l'Ouest
étaient troublées par de nouvelles hostilités. Les Iro-
quois n'avaient pas repris les armes, depuis leurs der-
nières députations, mais ils avaient suscité à la colonie
française un nouvel ennemi, moins politique qu'eux, mais
aussi brave et plus féroce. C'étaient les Outagamis,
plus connus des Canadiens, sous le nom de Renards.
Par l'entremise des Tsonnonthouans, ces barbares
avaient fait alliance avec les Anglais, au commencement
de l'année 1712, et avaient projette de brûler le fort
du Détroit, et de faire main-basse sur tous les Français
qu'ils y rencontreraient. Les Mascoutins et les Kika-
pous étaient entrés dans leur complot. Ils étaient venus
s'établir, en assez grand nombre, près du Détroit, et ils
n'attendaient, pour exécuter leur dessein, qu'un renfort
de guerriers, lorsqu'ils apprirent que des Outaouais et
des Pouteouatamis avaient tué environ cent-cinquante
DU CANADA. 285
Mascoutins, tant hommes que femmes et enfans. A
cette nouvelle, ils se mirent en mai'che, la fureur dans
le cœur, et résolus de ne faire aucun quartier.
W Heureusement, le commandant du fort, nommé Du-
^uissox, fut averti à temps du danger qui le menaçait.
Il n'avait avec lui que vingt Français, ou Canadiens ;
toute sa ressource était dans les Sauvages amis ; mais
ces derniers étaient alors à la chasse. Il les envoya
avertir en diligence de se rendre auprès de lui : il fit
ensuite abattre les maisons qui étaient hors de l'enceinte
de son fort, et prit toutes les autres mesui'cs qu'il crut
nécessaires pour soutenir les premiers efforts de l'en-
nemi. Ses alliés arrivèrent bientôt, et en bon ordre. Il
y avait parmi eux des Ilurons, des Outaouais, des Sakis,
vlcS Illinois, clcs Malkomines, des Osages et des Mis-
souris, ou Missouritcs, et chaque tribu avait un pavillon
particulier.
Les Outagamis avaient construit un fort à une portée
de mousquet de celui des Français. Ils répondirent
bravement à la première attaque ; mais le feu continuel
qu'on faisait sur eux les força bientôt à creuser de grands
trous en terre, pour se mettre à l'abri. Alors, les
assiégeans dressèrent deux espèces d'échafauds de vingt-
cinq pieds de liant, d'où il battirent les assiégés avec
succès. Ceux-ci n'osèrent plus sortir pour avoir de
l'eau, et leurs vivres se consommèrent. Dans cette
extrémité, tirant des forces de leur désespoir, ils com-
battirent avec une valeur qui rendit longtems la vic-
toire douteuse : ils s'avisèrent même d'arborer, sur leurs
palissades, des couvei'tures rouges, en guise de drapeaux,
et crièrent, de toutes leurs forces : " Coui>au est notre
père ; son drapeau flotte sur nos tètes ; il protège notre
bras : ou il viendra nous secourir, ou il vengera notre
moi-t."
286 HISTOIRE
Les confédérés leur répondirent : " Vous aviez perdu
l'esprit, lorsque vous vous êtes liés avec Corlar : si la
terre doit être teinte de sang, comme vous le voulez
faire entendre par ce drapeau, elle le sera du vôtre."
Pressés de plus en plus, les Outagamis remplacèrent
leurs drapeaux rouges par un paviUon blanc, et leur
grand chef, Pemoussa, accompagné de deux guerriers,
se présenta, et fut introduit dans le camp des alliés. Il
remit les captifs et présenta des colliers au commandant
français et aux chefs sauvages, dans la vue de les apai-
ser, et d'en obtenir la permission de se retirer ; mais
Dubuisson ayant laissé la décision de la chose à ses
alliés, ceux-ci se montrèrent inexorables, ne voulant
recevoir les Outagamis qu'à discrétion. Réduits à la
dei'nière extrémité, ces derniers se battirent en déses-
pérés : ils décochaient à la fois jusqu'à trois cents flèches,
au bout desquelles il y avait du tondre* allumé, et à
quelques unes des fusées de poudre, pour mettre le feu
au fort des Français. Us y brûlèrent, en effet, plusieurs
maisons, qui n'étaient couvertes que de paille ; et pour
empêcher que l'incendie ne gagnât plus loin, il fallut
couvrir tout ce qui restait, de peaux d'ours et de che-
vreuils, et les arroser à chaque instant.
Lassés d'une si opiniâtre résistance, les conférés
parui-ent désespérer du succès, et Dubuisson eut heu de
craindi-e qu'ils ne se retirassent, et ne le missent à la
merci d'un ennemi, envers lequel ils venaient de se
montrer impitoyables. 11 fallut, pour les retenir auprès
de lui, qu'il les comblât de présens, et employât tout ce
que la raison et l'éloquence ont de plus persuasif.
Les assiégés furent bientôt aux abois ; ils demandè-
* Nous ne trouvons dans aucun dictioiinaire ce mot, que Char-
levoix emploie ici, et dont la signification est bien connue en
Canada.
DU CANADA. 287
rent, de nouveau, à parlementer; mais les Sauvages
furent aussi inexorables que la première fois. Ne
voyant plus de ressource que dans la fuite, les Outaga-
mis s'évadèrent, de nuit, à la faveur d'un orage, qui
avait écarté les assiégeans.
On se mit, dès le matin, à leurs trousses, et on les
trouva retrancliés, à quatre lieues du Détroit, dans une
anse du lac Sainte-Claire, Il fallut commencer uu
nouveau siège qui dura quatre jours, et qui eût même
été plus long, si Dubuisson n'y eût fait venir deux
pièces de campagne. Le premier en avait duré dix-
neuf. Les Outagamis se rendirent enfin à discrétion.
La plupart furent impitoyablement massacrés, sur-le-
champ : les autres furent faits esclaves et distribués
entre les tribus confédérés, qui ne les gardèrent pas
longtems, mais les massacrèrent presque tous, avant
de se séparer.
Quoique les Outagamis et leurs alliés eussent perdu
plus de 2,000 personnes, il ne se passa pas deux années
entières, sans qu'ils recommençassent leurs incursions.
Ils infestaient de leurs brigandages, non seulement les
environs de la Baie, leur pays natal, mais presque toutes
les routes qui faisaient la communication des postes
éloignés avec la colonie, et celles qui conduisaient du
Canada à la Louisiane, où depuis quelques années,
comme on l'a vu plus haut, les Français avaient cons-
truit des forts, et formé des établissemens. Toutes les
tribus qui commerçaient avec les Français se trouvaient
beaucoup incommodées par ces hostilités : craignant
qu'elles ne s'en trouvassent fatiguées au point de s'ao-
commoder avec ces barbax-es, M. de Vaudreuil leur fit
proposer de se réunir à lui, pour les exterminer. Elles
y consentirent toutes, et ce général leva un parti de
Français, dont il confia le commandement à M. de
288 HISTOIRE
Louvigny. Cet officier fut joint, sur la rente, par un
grand nombre de Sauvages, et se trouva bientôt à la
tête de huit cents hommes.
Les Outagamis, au nombre de cinq cents guerriers,
s'étaient enfermés, avec leurs femmes et leurs enfans,
dans une espèce de fort, entourré d'un bon fossé, et de
trois rangs de palissades, en-dedans. Louvigny les
attaqua dans les formes : il ouvrit la tranchée, à trente
toises du retranchement, avec deux pièces de campagne
et un mortier à grenades, et dès le troisième jour, il
n'en était plus éloigné que de douze, quoique les assié-
gés fissent un très grand feu. Il se disposa ensuite à
faire jouer des mines sous leurs courtines; mais dès
qu'ils s'en apperçurent, ils demandèrent à capituler, et
proposèrent des conditions qui furent rejettées. Ils en
proposèi'ent ensuite d'autres, que le commandant com-
muniqua aux chefs des Sauvages, et qui furent accep-
tées. Elles portaient, lo. Que les Outagamis feraient
la paix avec les Français et leui's alliés : 2o. Qu'ils
rendraient tous les prisonniers qu'ils avaient faits ; 3o.
Qu'ils remplaceraient les morts par les prisonniers qu'ils
feraient sur les tribus éloignées avec lesquelles ils
étaient en guei-re ; 4o. Qu'ils paieraient les frais de la
guerre, du produit de leur chasse.
Ce traité fut ratifié par le gouverneur général, mais
assez mal exécuté, de la part des Outagamis, bien qu'ils
eussent donné six otages, tous chefs, ou fils de chefs,
pour la sûreté de son exécution.
En 1717, sur les représentations de M. de Vau-
dreuil, il fut émané un édit, ou une ordonnance royale,
pour régler l'office de notaire.
Cette même année 1717, M. de Vincenxes, officier
canadien, commença, sur la rivière Ouabache, un éta-
blissement qui fut appelle, de son nom. Poste Vincennes.
DU CANADA. 289
M, Crozat, qui, en 1712, avait obtenu le commerce
delà Louisiane, fit Tabantlon de son privilège en 1717 ; et
alors se forma la compagnie d'Occident, à qui le roi
accorda le droit de faire, pendant vingt-cinq ans, le
commerce de la Louisiane, et de recevoir du Canada
toutes les peaux de castor qui proviendraient de la
traite des pelleteries.
Ce fut aussi en 1717 que les plans de ville de la
Nouvelle- Orléans furent tracés par de Bienville,
Canadien, et frère d'Iber ville.*
L'année suivante 1718, le P. LAFiTAU,f jésuite, dé-
couvrit, dans les forêts du Canada, le ginseng, plante
qu'on avait cru appartenir exclusivement à la Coi'ée, et
à la Tartarie Chinoise. Le ginseng était très estimé à
la Chine, et s'y vendait très cher : il devint, en Canada,
un article d'exportation, et se vendit, à Québec, jusqu'à
viug-cinq francs, la livre. Malheureusement, ce haut
prix excita la cupidité, et l'on perdit tout, pour vouloir
gagner trop, ou trop promptement : au lieu d'attendre
que la racine fût parvenue à sa grosseur et à sa maturité,
c'est-à-dire, au mois de septembre, on la cueillit, au
mois de mai : on employa les Sauvages, pour parcourir
les bois, et arracher la plante, partout où elle pouvait
se trouver ; et à la faute de la cueillir trop tôt, on
^outa celle de la faire sécher trop promptement, dans
des fours. La détérioration du ginseng du Canada eu
fit diminuer le prix, à la Chine, et il devint, à la fin, si
rare, qu'il cessa presque entièrement d'être un article
de commerce.
* "Glorieux et noble établisseinont, que sa situation destinait u
devenir un des plus Hurissants entrepots du commerce. " — M.
Roux nE IIOCIIELI.IC.
f Outre son " Mémoire concernant la précieuse plante du
Ginç-Seng de Tartarie, découverte en Canada," le P. Lafitau a
publié les " Mœiu's des Sauvages Américains comparées aux
mœurs des premiers temps."
Aa
290 HISTOIEE
Jusqu'au temps dont nous parlons, les Français
n'avaient fait nulle attention à l'île Saint-Jean, quoi-
qu'elle fût voisine de l'Acadie, et on ne peut mieux
située pour la pêche de la morue ; mais en 1719, il se
forma, en France, une compagnie, pour peupler cette
île, ou du moins y faire un établissement. Le comte
de Saint -Pierre, premier écuyer de la duchesse d'OK-
LEANS, se mit à la tête de l'entreprise, et le roi, (Louis
XV), par ses lettres-patentes, datées du mois d'août de
cette même année, lui concéda les îles de Saint-Jean et
de Miscoii, " en franc-aleu noble, sans justice, que sa
majesté se réservait, à la charge de porter foi et hom-
mage au château de Louisbourg, dont il devait relever,
sans redevance."
Au mois de janvier de l'année suivante, le même
seigneur obtint de nouvelles patentes de concession, aux
mêmes titres et conditions, "pour les îles de la Made-
leine, Bofou ou Ramées, îles et îlots adjacents, tant
pour la culture des terres, exploitation des mines, que
pour les pêches des morues, loups-marins et vaches-
marines."
Cette même année 1720, les fortifications commen-
cées à Québec, par MM. de Beaucourt et Levasseur, et
ensuite discontinuées, furent reprises, d'après le plan
de M. Chaussegros de Lert, lequel avait été envoyé
en France, et jugé préférable à celui des deux premiers
ingénieurs. La population de Québec était alors
d'environ 7,000 personnes, et celle de Mont-réal de
3,000. Les ouvrages en bois, qui avaient été érigés
pour mettre cette dernière ville à l'abri d'un coup de
main, ou d'une surprise, de la part des Sauvages, étaient
tellement tombés en ruine, que le gouvernement ordonna,
par un arrêt daté de cette même année, qu'ils fussent
démolis, et remplacéspar un mur de pierre, avec bastions.
DU aUS'ADA. 291
etc. Ces ouvrages furent coinmencés, deux ans après,
et les frais en furent répartis entre le gouvernement, le
séminaire de Saint-Sulpice et les liabitans.
Il y avait déjà ([uclque temps que le gouvernement
de la métropole s'occupait du soin de régler les limites
des paroisses établies dans la colonie : la considération
de ce sujet fut remise au gouverneur, à l'intendant et à
l'évêque de Québec. Ces messieurs dressèrent un
projet de règlement, qui fut soumis à la cour. Après
mûre délibération, ce projet fut approuvé par le duc
d'OKLKAXS, alors régent de France, qui par une ordon-
nance datée de 1722, en enjoignit la mise à exécution,
d'après sa forme et teneur.
Quand les divers évènemens de la guerre n'occupent
pas les esprits, ils s'arrêtent volontiers sur des objets
moins grands, aux yeux du vulgaire : nous remarque-
rons donc qu'en 1722, deux vaisseaux de guerre et six
bâtimens marchands, construits à Québec, tirent voile
pour la France, vers l'automne. Dix-neuf vaisseaux
partirent de Québec, cette même année, chargés de pro-
ductions du pays. Ces productions consistaient en pel-
leteries, bois de merrain, goudron, tabac, farine, pois et
porc salé. Les pelleteries se portaient en France, et
les provisions de bouche aux Antilles. Ce commerce
d'exportation, florissant pour le temps, était dû à la
tranquillité dont le Canada jouissait, depuis quelques
années.
Ce pays se trouvait, suivant Charlevoix, dans la
situation la plus heureuse, peut-être, où il eût jamais
été,* lorsiiu'un accident déplorable vint lui causer une
perte dont il se ressentit pendant longtcms.
*Le passante suivant do Ratxal était alor^, on apparence,
applicable ai! Canada : "I.a nature ello-nirmodirigTait les travaux
du cultivateur : elle lui avait appris à dédaigner les terres aipuili-
292 HISTOIRE
Dans la nuit du 25 août, 1725, le Chameau, vaisseau
du roi, qui venait à Québec, avec environ deux cent-
cinquante passagers, se brisa sur la côte de l'Ile Royale,
près de Louisbourg. M. de Chazel, qui devait relever
M. Bégon, dans l'intendance ; M. de Louvigny, nommé
gouverneur des Trois-Rivières ; plusieurs autres officiers
de la colonie, des prêtres séculiers, des jésuites, des
récollets, périrent avec l'équipage ; et la côte parut, le
lendemain, toute couverte de cadavres.
M. de Yaudreuil mourut, le 10 octobre de la même
année, après avoir gouverné le Canada pendant vingt et
un ans. Le marquis de Beauharnois, capitaine de
vaisseaux, lui succéda, au printemps de l'année suivante.
M. Bégon s'embarqua pour la France, cette même
année 1726, laissant la place d'intendant à M. Dupuy,
nommé en remplacement de M. de Chazel.
Pendant que le Canada jouissait de la paix et de la
tranquillité intérieure et extérieure, quelques centaines
de Canadiens se distinguaient, par leur bravoure et leur
activité, vers l'embouchure du Micissipi, et sur les côtes
de la Floride, dans la petite guerre que les Français et
les Espagnols se faisaient, dans ces quartiers, principa-
lement au sujet des bornes de la Louisiane. Quoique
les détails de cette petite guerre, ainsi que ceux des
démêlés que les Français eurent avec les diverses tribus
sauvages du pays, et particulièrement avec les Natchez,
ques, sablonneuses ; celles où le pin, le sapin, le cèdre cherchaient
un asile isolé. Mais quand il voyait un sol couvert d'érables, de
chênes, de hêtres, de charmes et de merisiers, il pouvait lui deman-
der d'abondantes récoltes de froment, de seigle, de maïs, d'orge,
de lin, de chanvre, de tabac, de légumes et d'herbes potagères de
toutes les espèces. La plupart des habitans avaient une vingtaine
de moutons, dont la toison leur était précieuse ; dix ou douze
vaches qui leur donnaient du lait ; cinq ou six bœufs consacrés au
labourage. Tous ces animaux étaient petits, mais d'une chair
exquise. Ils faisaient portion d'une aisance inconnue, en Europe,
aux gens de la campagne."
DU CAXADA. 29â
nous paraissent étrangers à l'histoire du Canada, nous
croyons devoir nommer au moins ceux de nos compa-
triotes qui s'y distinguC-rcnt davantage. Ce sont : MM.
Juchereau de Saint-Denis, qui agit, pendant plusieurs
années, dans ces contrées, et comme négociateur et
comme guerrier ; de Bienville, qui eut pendant quelque
temps, le gouvernement général de la Louisiane; Seri-
gny et Chateauguay, ses frères ; Dugué de Boisbriand,
déjà renommé, ainsi que Serigny, par plusieurs actes de
bravoure et d'habileté dans les combats ; de Vienne,
CouLoxGES. La guerre avec les Espagnols se termina
en 1722; mais celle, que les premiers colons de la Loui-
siane eurent à soutenir contre les indigènes se pro-
longea au-delà de 1730, et fut accompagnée de beaucoup
de trahisons, de dévastations et de massacres, de la part
de ces barbares.
Pour revenir au Canada, M. Burnet, gouverneur
général de la Nouvelle York, ayant fait construire un
fort et un comptoir, ou maison de commerce, à l'entrée
de la rivière d'Onnontagué, ou d^ Ochouégo,* afin d'in-
duire les Iroquois à porter leurs pelleteries à Albany, M.
de Beauharnois crut qu'il était de son devoir de contre-
carrer l'effet de cette mesure. Il envoya le baron de
LoNGUEiL chez les Onnontagués, avec ordre de faire
tous ses efforts pour obtenir de ces Sauvages la permis-
sion de construire aussi un fort et un comptoir à Nia-
gara. Les Onnontagués ne parurent pas goûter d'abord
la proposition de Longueil ; mais à la fin, il parvint à
leur faire comprendre qu'il était de leur intérêt que les
Français eussent aussi un fort dans leur pays, afin que
la partie fut égale, entre les deux nations qui les avoisi-
naient, et que les Anglais ne pussent tenter impuné-
* La môme que les Français appellaient aussi Chouciguen, et
les Anglais, Oswe<jo.
Aa2
294 niSTomE
ment de les asservir, ou de les opprimer, s'ils en avaient
le dessein.
La permission demandée ayant été accordée, les
Français mirent aussitôt la main à l'ouvrage. Mais les
autres cantons n'avaient pas été consultés ; aussi décla-
rèrent-ils, dès qu'ils eurent appris ce qui s'était passé,
que le territoire où le fort devait se bâtir appartenant
aux Tsonnonthouans, la permission donnée par les On-
nontagués devait être regardée comme nulle ; et ils
envoyèrent incontinent aux Français une députation,
pour leur enjoindre de discontinuer les ouvrages com-
mencés. Sur cela, Longueil, Joncaire, qui était comme
l'ambassadeur du gouverneur général du Canada dans
les Cantons, et les missionnaires, mirent tout en œuvre
pour apaiser les craintes, ou détruire les soupçons des
Sauvages ; ils y réussirent, à la fin, et les ouvrages
furent continués.
M. Burnet, voyant qu'il ne pouvait empêcher les
Français de se fortifier à Niagara, se hâta d'achever son
fort d'Ochouégo, et y envoya une forte garnison. M.
de Beauharnois fit alors ce qu'il aurait eu meilleure
grâce à faire, avant l'entreprise de Niagara, ou si cette
entreprise n'avait pas été formée j il envoya sommer
l'officier anglais qui commandait à Ochouégo de se
retirei", et fit partir, en même temps, M. de la Chas-
saigne pour New- York, avec une lettre pour M. Burnet,
dans laquelle il se plaignait, en termes énergiques, de
la conduite de ce gouverneur. Celui-ci lui répondit sur
le même ton, c'est-à-dire, en lui reprochant la construc-
tion, ou le rétablissement du fort de Niagara. Le
général français répliqua, en envoyant au commandant
d'Ochouégo une nouvelle sommation de se retirer, et à
M. Burnet, une note, où il le menaçait d'employer la
force des armes, si le fort n'était pas abandonné. Cette
DU CANADA. 295
menace n'eut d'autre effet que d'induire le gouverneur
de la Nouvelle York à renforcer la garnison d'Ochouégo.
Ceci se passa dans l'été et l'automne de 1726.
L'année suivante, M. de Mornay fut nommé, par
lettres-patentes, évêque de Québec, en remplacement do
M. de Saint- Vallier, démissionnaire. Ce dei'nier d'une
piété éminentc, d'une cliarité exemplaire, et d'un zèle
infatigable, avait été le bienfaiteur de la colonie, sous le
le rapport de la religion. Deux communautés de reli-
gieuses, qui ont toujours été dej^uis, de la plus grande
utilité dans ce pays, lui durent leur fondation, et une
partie, au moins, de leur dotation.* M. de Mornay, son
successeur, ne vint point en Canada : en son absence,
les fonctions épiscopales y furent remplies par M. Bos-
quet, son coadjuteur, sous le titre d'évêque de Samos.
Cependant, les Outagamis, oubliant les terribles
leçons de 1712 et de 1714, ou animés de l'esprit de
vengeance, avaient recommencé leurs pillages et leurs
assassinats : M. de Beauliarnois prit la résolution de
les exterminer, et pour cet effet, il forma, sous le com-
mandement de M. de Lignei'is, une expédition composée
de quatre cent-cinquante Français, ou Canadiens, et de
sept à huit cents Sauvages, Ilurons etli'oquois domici-
liés, Outaouais et ^lppissh?f/Hes.
Cette petite armée partit de Mont-réal, en canots, le
5 juin 1728, et fit route par la rivière des Outaouais, le
lac Nipissing et la rivière des Fraisais, d'où elle
entra dans le lac Iluron. Les premiers arrivés attendi-
rent les autres, en un endroit appelle la Prairie. Toute
l'expédition s'y trouva réunie, le 26 juillet, et le lende-
main, elle se remit en route pour Micliillimakinac, où
elle arriva, après six jours de navigation. Elle en
♦ L'II«')pital-gôiu'ral de Québec, en 1693, et les Ursuliiics des
Trois-llivicrcs, en 1697.
296 HISTOIRE
repartit, le 10 août, traversa, en partie, le lac Michigan,
et arriva, le 14, au détour de Chicagou. Le lendemain,
les Malhomines, ou Folles-Avoines,* s'avancèrent, pour
s'opposer à la descente des Français, et furent entière-
ment défaits.
Après cet exploit, l'armée continua sa route, et arriva,
le 17 au soir, près du village des Sakis, alliés des Outa-
gamis ; le commandant fit cerner le village par les Sau-
vages, et ordonna au reste de l'armée d'y entrer.
Mais quelles que précautions que les Français eussent
prises, pour cacher leur arrivée, les Sakis et leurs alliés
en avaient eu connaissance, et s'étaient sauvés, à Texcep-
tion de quatre, que les Sauvages mii'ent à mort.
On remonta ensuite la rivière des Outagamis, ou des
Eenards, et le 24, on arriva au village des Puants, dans
la disposition d'exterminer tout ce qu'on y trouverait
d'habitans ; mais leur fuite avait prévenu l'arrivée des
Français, et ils en furent quittes pour la perte de leurs
cabanes, et de leur blé-d'inde, qui faisait leur princijDale
nourriture. On les poursuivit néanmoins, dans leur
* Ou Menomenis, gens du riz, ou mangeurs de l'espèce de riz
appelle par les Sauvages menomen, et par les Canadiens yb//e-at'o/ne.
C'est particulièrement au sud du lac Supérieur, et à l'ouest du lac
Michigan, que ce grain précieux croît avec une abondance presque
inépuisable, sur les bords des étangs et des ruisseaux, et sur les
fonds bourbeux des petits lacs et des rivières où les eaux sont
basses et coulent lentement. Il croît là où l'eau a de quatre à six
pieds de profondeur, et où le fond n'est ni dur ni sablonneux. Il
s'élève de quatre à six pieds au-dessus de la sui-face de l'eau, et
il est quelquefois si fort que les canots n'y peuvent passer. Les
Sauvages entrent à force de rames, ou d'avirons, dans ces champs
de riz, un peu avant que le grain soit mûr, et le lient en grosses
bottes, pour empêcher que les oies et les canards ne l'abattent et
ne le détruisent. Lorsqu'il est mûr, ils y passent de nouveau, et
étendant leurs couvertures de laine dans l'intérieur de leurs
canots, ils inclinent au-dessus les bottes, ou gerbes, qu'ils ont liées,
et y battent le grain avec des bâtons. Ils le font ensuite sécher
au soleil, et le conservent dans des outres. La farine faite de ce
grain est, dit-on, substantielle et de bon goût.
DU CANADA. 297
retraite : l'armée traversa le petit lac des Renards, et le
lendemain, on arriva près de la principale bourgade de
ceux qu'on cherchait : elle avait aussi été abandonnée.
On s'avança jusqu'au dernier fort des Outagamis, situé
sur une petite rivière qui tombe dans l'Ouisconsin, à
trente lieues de l'entrée de cette dernière rivière dans
le Micissipi. On le trouva désert comme les précédents»
et il fallut se contenter de le détruire, et de ravager la
campagne d'alentour, afin d'ôter à l'ennemi le moyen d'y
subsister.
Ce fut là à quoi se borna l'excursion contre les Outa-
garais ; car, comme il aurait été à peu-près inutile
d'aller plus loin, M. de Ligneris donna l'ordre du retour.
Il fit démolir, en passant, le fort de la Baie, parce
qu'étant trop voisin des ennemis, il n'aurait pas été
une retraite sûre pour les Français qu'on y aurait laissés
en garnison.
Dans l'été de 1731, on vit une nouvelle forteresse
s'élever dans les forêts du Canada, ou de ce qu'on
appellait alors de ce nom. Le gouverneur de la Nou-
velle France, voyant qu'il ne pouvait contraindre celui
de la Nouvelle York à abandonner son fort d'Ochouégo,
et ne croyant pas, apparemment, l'entreprise de ce dernier
assez contrebalancée par la construction du fort de
Niagara, résolut d'en ériger un autre, à la Pointe à la
Chevelure, ou Pointe de la Couronne (en anglais Crown
Point,) sur le lac Champlain.* On ne pouvait guère
choisir, pour ce dessein, une situation plus convenable ;
car, outre qu'une forteresse érigée en cet endroit donnait
au gouverneur du Canada le commandement des eaux
* Le mai'quis de Buaciiaunois avait envoyô à la cour de France
une espace de mémoire, accompagné de la carte du territoire con-
testé entre la France et l'Angleterre, et en avait obtenu l'autori-
sation de fortifier ce qu'on regardait comme la frontière des pos-
sessions françaises.
298 HISTOIRE
du lac Cbamplain, elle servait encore de poste avance,
pour tenir en échec les établissemens anglais situés sur
les rivières à'IIudson et de Connecticuf. C'est ce que
l'on comprit parfaitement, dans les colonies anglaises
voisines du Canada. Mais, quoique la Nouvelle York
eût plus à appréhender de l'entreprise de M. de Beau-
harnois que la Nouvelle AngleteiTe, cette dernière
province fut la première à prendre l'alarme. On n'eut
pas plutôt appris, à Boston, que la nouvelle forteresse, à
laquelle on donna le nom de Fort Frédéric, avait été com-
mencée, que le gouverneur Belcher envoya une lettre
à M. Yak-Dam, le nouveau gouverneur de la Nouvelle
York, pour l'informer que l'assemblée générale de sa
province s'était engagée, par un vote, à encourir sa
quote-part des frais d'une députation au Canada, à l'effet
d'empêcher la continuation des ouvrages commencés à
la Pointe à la Chevelure, et pour le prier de faii-e en soi'te
que les cantons iroquois s'opposassent aussi à l'entreprise
des Français. M. Yan-Dam mit la lettre du gouver-
neur de la Nouvelle Angleterre devant son conseil, dans
l'hiver de 1732 ; mais ces démarches n'eurent pas de
suite, et M. de Beauharnois acheva tranquillement son
fort, et y mit une garnison.
Dans le i^rintems et l'été de 1733, la petite-vérole
fit de grands ravages dans ce pays, tant parmi les Fran-
çais que parmi les Sauvages. Des familles entières
furent enlevées par cette épidémie, contre laquelle on
ne connaissait pas alors de préservatif. Yers l'automne,
il y eut un tremblement de terre des plus violents, ou
plutôt, une suite de tremblemens de terre, dont les
Eecousses se firent sentir dans toutes les parties alors
habitées dans la colonie.
Cette même année, le même sujet qui avait déjà été
une occasion de dissention entre le premier évêque de
DU CANADA. 299
Québec et différents gouverneurs, revint encore sur le
tapis. Sur les plaintes qui furent portées au pied du
trône, sinon par le marquis de Beauliarnois, du moins
par quelques otRciers ou notables du pays, ]\I. de Mau-
HEPAS, alors ministre de la marine et des colonies,
écrivit, par ordre du roi, à l'évêque de Samos, qui avait
fait un cas réservé à lui seul de la vente des liqueurs
fortes aux Sauvages, une lettre, où il lui mandait, que
le roi regardait une telle resti'iction comme impolitique,
par son extrême rigueur ; que sa majesté avait appris
avec regret, que quelques uns de ses officiers avaient été
obligés de descendre du fort de Frontenac à Québec,
pour obtenir l'absolution, et qu'elle ordonnait, en con-
séquence, qu'aussitôt après la réception de sa lettre,
cette restriction fût levée, ou du moins, modifiée de
manière à ne plus donner lieu à des plaintes bien fondées.
La restriction ne fut pas entièrement levée, mais
suffisamment mitigée, pour faire cesser les plaintes et
les murmures, ou les empêcher de se faire entendre
au-delà de l'Atlantique.
Vers la fin de cette même année 1733, M. Dosquet
devint, de droit, évêque de Québec, par la démission de
M. de Mornay.
Depuis l'année 1733, ou 1734, jusqu'au premier siège
de Louisbourg, en 174Ô, le Canada se trouve dans un
état à peu près nul pour l'histoire: il ne s'y passe presque
aucun événement digne d'entrer dans les annales de la
colonie, ou pour mieux dire, il n'y a pas, dans cet es-
pace de temps, d'annales canadiennes: tous les regards
sont tournés du côté de la Louisiane ; tous les voya-
geurs se portent vers l'embouchure du Micissipi, et les
relations, naguère en si grand nombre, cessent pour le
Canada, dont on semble ne plus s'occuper, dans la
métropole. Ce fut dans cet intervalle de silence et de
300 HISTOIRE
repos, que le marquis deBeauharnois enti'eprit de faire
pénétrer un de ses officiers, bien accompagné, jusqu'à
la mer du Sud. Chai-levoix, qui fait mention da
cette entreprise, sans nommer la personne qui en fut
chargée, n'a pu parler de son résultat, parce qu'on ne
le connaissait pas, lorsqu'il achevait d'écrire son histoire ;
mais il paraît qu'elle ne réussit point, ou qu'elle n'abou-
tit à rien d'utile, soit pour la France, soit pour le Canada.
Cependant, le pays se peuplait de plus en plus, tant
par l'accroissement naturel de la population indigène
que par l'émigration de France, et assez rapidement,
s'il en faut juger par le nombre des nouvelles conces-
sions : il ne fut pas concédé moins de trente espaces de
terre, jjIus ou moins considérables, en fief et seigneurie,
dans l'intervalle de 1732 à 1742, par le marquis de
Beauharnois et M. Hocquart, successeur de M. Dupuy,
dans l'intendance. La colonie faisait aussi des progrès,
du côté de l'industrie : en 1733, on commença à exploi-
ter les mines de fer de Saint-Maurice et de Batiscan,
découvertes en 1667, mais entièrement négligées, durant
l'espace de soixante-dix ans. Le minerai fut d'abord
mis en œuvre avec assez peu d'habileté ; mais en 1739,
on fit venir de France un artisan qui réunissait la con-
naissance des différentes branches de manufactures de
fer fondu et travaillé à une connaissance suffisante de
l'art d'exploiter les mines ; et la compagnie qui avait
entrepris cette exploitation, put s'y livrer, avec profit
pour elle-même et avantage pour le pays.
Cette même année 1739, M. Dosquet ayant donné sa
démission, M. Pourot de l'Acberiviere fut nommé
pour le remplacer. Il s'embarqua, le printems suivant,
pour ce pays ; mais il mourut, quelques jours après son
arrivée à Québec, d'une fièvre putride, contractée dans le
vaisseau sur lequel il avait fait la traversée. Ce prélat
DU CANADA. 301
eut pour successeur M. Dubreuil de Pontbiîiand, qui
gouverna l'église du Canada jusqu'à 1760, année de sa
mort.
Le Canada était quelquefois visité, ou habité tempo-
rairement, par des savans. 11 paraît certain que Con-
NUTi, qui publia vers 1635, une Histoire des Plantes
du Canada,* n'était pas venu dans ce pays ; mais de 1742
à 1743, M. GAtTHiER, médecin du roi, faisait, à Québec,
des Observations botaniques, météorologiques et médi-
cales, n avait fait la découverte, ou reconnu les proprié-
tés de la plante qui a été appellée de son nom, gaïtheria, et
que nous nommons vulgairement "thé du Canada."
Quelques années auparavant, M. Sarrazin, autre mé-
decin habile, avait découvert la plante curieuse qui a
été appellée de son non\,sarrozine,et publié une " Lettre
au sujet des eaux du Cap de la Madeleine." A peu
près dans le même temps, le sieur C. Lebeau, avocat,
faisait un " Voyage curieux et nouveau " au Canada,
et "parmi les Sauvages de l'Amérique Septentrio-
nale."
Dès l'année 17('3, il avait été émané un édit royal,
par lequel il était défendu aux communautés religieuses
d'acquérir des biens-fonds au-delà d'une certaine valeur:
par un édit subséquent, toute acquisition de ce genre
fut interdite aux gens de main-morte, à moins qu'ils
n'en eussent préalablement demandé et obtenu la per-
mission par écrit. Enfin, en 1743, il fut émané un
troisième édit royal, prohibant strictement tout achat,
mutation, et aliénation en main-morte, sans une auto-
risation du roi ou de la justice.
Un ordre du conseil supérieur de la même année,
défend aux curés de marier les mineurs, et leur enjoint
* Canadensium Flantarum, aliarumqne nondùin editarum His-
toria.
Bb
302 HISTOIRE
de se conformer, en tout, aux règles canoniques, con-
cernant la publication des bans de mariage.
L'année suivante, le roi de Fx'ance, persuadé à juste
titre, que les lois et ordonnances du royaume n'étaient
pas toutes convenables aux colonies, écrivit au gouver-
neur et à l'intendant de la Nouvelle France, une lettre
portant que sa majesté entendait qu'à l'avenir, les ordon-
nances et édits royaux, auxquels elle voulait que ses
sujets du Canada obéissent, fussent enregistrés au con-
seil supérieur de Québec, et que conséquemment, aucun
édit, arrêt, déclaration, lettres-patentes, etc., ne fussent
enregistrés au dit conseil, sans un ordre exprès de sa
part, signifié par le ministre de la marine et des colo-
nies.
La même année 1744, en conséquence d'une lettre
écrite à l'évêque de Québec par M. de Maurepas, d'après
des représentations envoyées en France par les auto-
rités civiles de la colonie, ce prélat supprima, ou abolit
plusieurs des fêtes qui se célébraient dans son diocèse.
Les Français établis dans la presqu'île de l'Acadie,
devenue la Nouvelle Ecosse, avaient obtenu, par capitu-
lation, le privilège de n'être pas obligés de porter les
armes contre leur ancienne métropole : c'était à ce prix
qu'ils avaient consenti à rester dans les cantons qu'ils
avaient défrichés, et à ne pas passer dans l'Ile Royale,
comme avaient fait les Français de Terre-Neuve ; et le
gouvernement britannique avait mieux aimé garder dans
sa nouvelle colonie ces cultivateurs paisibles et inoffen-
sifs, que de la priver de leur travail et de leur industrie.
L'Angletcire avait quelque intérêt à retenir dans la
Nouvelle Ecosse les Acadiens, ou "Français neutres,"
comme on les appellait ; ils lui épargnaient au moins
les frais d'une nouvelle colonisation, qui n'aurait pas pu
se faire aisément et sans danger, durant la guerre, à
DU CANADA. 303
cause du voisinage des Français et des Abénaquis, leurs
alliC's.
Pendant la paix pourtant, les établisscmens anglais
commencèrent à se multiplier dans la Nouvelle Ecosse :
des troupes y furent envoyées ; des forts y furent érigés ;
Halifax fut fondé, en 1743,* près de la baie de Cldbouc-
tou, et devint la capitale de la province, au préjudice
d'Annapolis.
Mais l'acquisition et la possession paisible de la pénin-
sule acadienne ne remplissaient pas toutes les vues
d'aggrandissement colonial de l'Angleterre ; les avan-
tages de cette possession se trouvaient limités, d'un
côté, par les établissemens que la France avait conservés
au nord de la baie Française, ou de Fundij, et de l'autre,
par ceux de l'Ile Royale, qui n'est séparée de la pénin-
sule que par un détroit de peu de largeur. La position
de cette lie, à l'entrée du golfe Saint-Laurent, l'avait
fait regarder par la France, comme un entrepôt com-
mode, où les Canadiens pouvaient apporter les produits
de leur sol, et prendre une partie des marchandises
qui leur venaient d'Eui'ope. La pêche était abondante
dans les environs ; la préparation du poisson et celle
des huiles devenaient l'objet d'un commerce important,
auquel se pouvait joindre celui des bois de construction,
des résines, des charbons de terre, et des autres produc-
tions territoriales, qu'un vsystême de culture bien dirigé
pouvait encore multiplier. Les ports de cette île étaient
des lieux de relâche commodes pour les vaisseaux qui,
en temps de guerre, avaient à protéger les avenues du
Canada, et les pêcheurs français ou canadiens.
La réunion de tant d'avantages différents ne pouvait
manquer d'exciter la jalousie de l'Angleterre, et de lui
* Suivant M. Roux de llochelle. Suivîint M. Haliuirton", et
autres, Halifax ne tut réellement fondé qu'eu 1749.
304 HISTOIRE
inspirer le désii* d'en dépouiller sa rivale. La France
l'avait senti ; elle n'avait pas épargné les dépenses pour
faire de Louisbourg une place forte, en état de sou-
tenir un long siège, et elle y entretenait, depuis plusieurs
années, une garnison nombreuse.
La guerre ayant éclaté entre la France et l'Angleterre,
en 1744, M. Duvi"\aER, commandant à Louisbourg, sous
M. DuQUESNAL, n'eut pas plutôt été informé de ce nouvel
état de choses, qu'il arma quelques vaisseaux de guerre,
qui se trouvaient dans le port, y fit embarquer environ
neuf cents liomm s, tant troupes réglées que miliciens,
et se dirigea sur le poste de Campscau, dans la Nouvelle
Ecosse, dont il se rendit maître, sans coup-férir. Après
en avoir transporté la garnison et les habitans à Louis-
bourg, M. Duvivier retourna sur les côtes de l'Acadie,
et tint le Port Royal bloqué, pendant plusieurs semaines.
Mais ayant appris qu'il y venait du secours de la Nou-
velle Angleterre, il se retira aux Mines, autre poste
peuplé de Français, dont il se rendit maître, mais qu'il
abandonna ensuite, comme intenable, pour retourner à
Louisbourg, où sa présence devenait nécessaire.
Le 5 février 174.5, il fut arrêté, dans l'assemblée
générale du 3Ia^sachusetts, qu'il convenait de faire un
armement conti'e Louisbourg, afin d'ôter aux Français,
par la prise de cette forteresse, les moyens faciles qu'elle
leur fournissait d'incommoder la Nouvelle Angleterre,
et de faire des incursions dans la Nouvelle Ecosse. M.
Shirlet, homme actif autant qu'habile, qui était alors
gouverneur de la Nouvelle Angleterre, entra avec ardeur
dans les vues de l'assemblée générale : les enrôlemens
commencèrent aussitôt : et au bout de deux mois, le
nombre des volontaires fut de plus de 4,000. Ces
troupes furent mises sous les ordres de M. PcrPERAL,
commandant en chef des milices de la colonie, et embar-
DU CANADA, 305
quées sur une escadre commandée par le commodore
Warren. Cette escadre se rendit d'abord à Campseau,
où elle resta trois semaines, pour attendre que les rivages
de l'Ile Royale fussent débarassés des glaces qui les
rendaient inabordables. Elle remit à la voile, le 10
mai, et jetta l'ancre, le lendemain, dans la baie de
Gabori ou Gaoarus.
Les Français voulurent s'y opposer au débarquement
des troupes de terre; mais ils y perdirent quelques
hommes tués ou faits prisonniers, et furent repoussés.
Le même jour, un détachement des troupes débarquées
brûla l'établissement de Saint-Pierre. Le lendemain,
elles érigèrent une batterie de petits canons et quelques
mortiers, sur une colline, à sept-cent-cinquante toises
d'un des bastions.
Le 13, 4,000 hommes marchèrent, à l'abri des hau-
teurs, au havre du nord-est, et y bridèrent les magasins ;
sur quoi les troupes françaises qui étaient stationnées à
une grande batterie érigée en-dehors des murs, enclou-
èrent leurs canons, et se retirèrent dans la ville. Ces
canons furent presque aussitôt décloués, et tournés contre
la place. Les assiégeans furent obligés d'amener les
plus gros des leurs sur des traînaux, par des marais
impénétrables pour les boeufs et les chevaux. Us ne
firent point d'approches régulières, par des tranchées
en parallèles et en zigzags, mais se contentèrent de
canonner et de bombai'der la ville au hazard ; ce qui ne
laissa pas de causer beaucoup de dommages aux murs
et aux bàtimens intérieurs, mais sans qu'il en résultat
aucune brèche praticable.
Du 18 mai, jour où la ville fut, pour la première fois,
sommée de se rendre, jusqu'au 23 juin, les assiégeans
érigèrent plusieurs nouvelles batteries; les assiégés firent
quelques sorties, et il y eut des escarmouches asse»
Bb2
306 filSTOIRË .
chaudes, mais sans résultat important. Dans cet inter-
valle, un vaisseau de 64 canons, qui amenait un renfort
de troupes à Louisbourg, fut pris par Warren, qui
couvrait le siège avec son escadre.
Le 23 juin, les commandans anglais décidèrent que le
lendemain on donnerait l'assaut à la place, par mer,
tandis que les troupes du camp feraient une attaque, du
côté de terre, par voie de diversion. Quoique les murs
de Louisbourg fussent de quatre-vingts pieds de hauteur,
et que le fossé en eût autant de largeur ; qu'il y eût
soixante canons de gros calibre en batterie dans la ville,
et que la place fût abondamment pourvue de munitions
et de vivres, la garnison, forte de neuf cents hommes,
fut effrayée des préparatifs des assiégeans, et M. Du-
^CHAMBOX, successeur de Duquesnal, se détermina, peut-
êti*e trop tôt, à capituler.
Comme les échelles se trouvaient trop courtes de dix
pieds, il est probable que l'assaut n'aurait pas réussi, et
que les assiégeans auraient été découragés par le manque
de succès. Quoiqu'il en soit, il fut convenu que la
garnison sortirait de la place, avec les honneurs de la
guerre, et serait ti-ansportée en France, aux frais de
l'Angleterre, à la condition de ne pas servir contre cette
puissance, durant l'espace d'une année. La population
de l'île était d'environ 2,000 âmes : elle fut déportée
tout entière en France sur des vaisseaux anglais*
La reddition de Louisbourg et du Cap-Breton ne fut
pas plutôt connue en France, que le gouvernement fit
préparer un armement considérable, dans le port de
Rochefort. La flotte fut prête à mettre en mer, dès le
* •' Les usages de la guerre et le droit des gens, que les hosti-
lités ne doivent pas interrompre, ont toujours prescrit de laisser
aux habitans des villes dont on s'est emparé, la libertô d'y rester,
en se soumettant aux lois : expatrier la population, c'était excéder
toutes les prérogatives de la victoire." — il. Roux de Rociieli.e.
DU CANADA. âô7
commencement de mai 1746 ; mais elle fut retenue par
des vents contraires, et ce ne fut que le 22 juin, oji'elle
sortit du port, sous les ordres du duc d'ANViLLE, officier
de mer, dans le courage et l'habileté duquel on avait la
plus grande confiance. Elle consistait alors en onze
vaisseaux de ligne, trente vaisseaux de 30 à 10 canons,
et bâtimens de transport, et portait 3,000 hommes de
débarquement, sous M. de Pommeril, raaréchal-de-
camp. Cette flotte devait être renforcée de quatre
vaisseaux des Antilles, commandés par M. de Conflans,
et l'on s'attendait que l'armement serait joint par les
Acadiens, ou habitans français de l'Acadie, où M. do
Ramsay s'était rendu, avec 1,700 Canadiens et Sauvages, .
pour attendre l'arrivée de la flotte.
■ C'en était bien autant qu'il fallait pour enlever le.
Cap-Breton et l'Acadie aux Anglais, sans l'espèce de
fatalité qui sembla s'attacher alors, comme plus tard, à
toutes les entreprises des Français, en Amérique. A
peine la flotte avait-elle perdu de vue les côtes de
France, qu'elle fut assaillie par une tempête qui sépara
les vaisseaux les uns des autres ; de sorte qu'il n'en
arriva qu'un petit nombre, avec celui de l'amiral, à
Chédabouctou, le 12 septembre, c'est-à-dire, plus de
deux mois après le départ de llochefort.
Pour comble d'infortune, M. d'Anville tomba malade,
le jour môme de son arrivée à Chédabouctou, et mourut
quatre jours après.
Le 18, il fut assemblé un conseil de guerre : le vice-
amiral, Destournelles, y proposa de retourner en
France, attendu qu'il ne restait plus que sept vaisseaux,
et que la plus grande partie des troupes se trouvaient sur
ceux qui manquaient. M. de la Jonquiere, qui le 15
mars précédent, avait été nommé gouverneur du Cana-
da, en remplacement du marquis de Beauharnois, et le
â08 HISTOIRE
plus grand nombre, combattirent la proposition du
vice-amiral ; pensant qu'il n'était pas à propos de s'en
retourner, sans avoir fait, au moins, quelques tentatives
contre les établissemens anglais de l'Acadie, et particu-
lièrement contre le Port Royal. M. Destournelles, qui
était indisposé depuis quelques jours, voyant que son
avis ne prévalait pas, tomba dans une espèce de délire,
et se passa son épée au travers du corps.
Cet événement fit passer le commandement à M. de
La Jonquière, qui, quoiqu'âgé de plus de soixante ans,
ee montra plus actif et plus résolu que son prédécesseur,
et releva, par-là, le courage de la flotte et de l'armée.
Il fut donc décidé qu'on attaquerait le Port Royal ;
mais tandis qu'on s'y préparait, on eut nouvelle qu'une
escadre, commandée par l'amiral Lestock, avait fait
voile d'Angleterre pour l'Amérique. Dans la crainte
d'être attaqué, M. de La Jonquière se hâta de mettre à
la voile : une tempête, qui l'accueillit, près du Cap de
Sable, dispersa encore le peu des vaisseaux qu'il avait
BOUS son commandement, et le contraignit de s'en
retourner, sans avoir rempli aucune des vues que son
gouvernement s'était proposées, en faisant cet arme-
ment.
Dans l'hiver, il y eut, près du poste des Mines, un
combat meurtrier, entre M. de Ramsay, resté en Acadie,
avec environ six cents hommes. Canadiens et Sauvages,
et le colonel Noble, à la tête de sept à huit cents mili-
ciens, fournis par les provinces de la Nouvelle Angle-
terre. Pris comme àl'improviste, le 31 janvier, à trois
heures du matin, et durant une violente tempête de
neige, les Anglais éprouvèrent une défaite signalée.
Ils eurent soixante-quinze hommes de tués, y compris
leur commandant et plusieurs officiers ; une trentaine
de blessés, et une centaine de faits prisonniers. Le
DU CANADA. 309
reste capitula, à la condition de pouvoir se retirer au
Port Royal, avec armes et bagage. L'historien qui
rapporte ce fait d'armes, observe que les raquettes que
les Canadiens avaient aux pieds, leur donnèrent un grand
avantage sur les Anglais, qui avaient néglige, ou
dédaigné de se chausser de la même manièi'e.*
Loin d'être découragé par le mauvais succès de son
entreprise, le gouvernement de France résolut de faire
incontinent de nouveaux efforts, pour reprendre Louis-
bourg, et même tout ce qu'il avait perdu en Acadie.
Il fit appareiller, dans le port de Brest, une escadre
dont le commandement fut donné à M. de La Jon-
quière, qui joignait la commission de vice-amiral à celle
de gouverneur général de la Nouvelle France. Cette
escadre mit à la voile, au mois d'avril 1747, de con- ■
serve avec une autre, qui était commandée par M. de
Saint-Georges, et qui devait agir contre les établisse-
mens anglais des Indes Orientales.
Le ministère anglais, qui avait été informé, de bonne
heure, des préparatifs de la France, et qui savait que
les deux escadres devaient, pendant quelque temps,
faire route de compagnie, comprit qu'il n'avait rien de
mieux à faire que d'essayer à les faire attaquer, avant
qu'elles se fussent séparées. En etfet, à peu près dans
le même temps que les escadres françaises sortaient du
port de Brest, l'amiral Anson et le contre-amiral War-
ren firent voile de Plymouth, avec une escadre supé-
rieure à celle qu'ils avaient ordre de chercher. Cette
dernière se composait de six vaisseaux de ligne, d'au-
tant de frégates, et de quatre vaisseaux armés de la
* " On marche bien plus vite avec ces niacliines sur la neige,
qu'on ne ferait avec des souliers sur le chemin battu. Elles sont si
nécessaires, qu'il serait impossible, non seulement do chasser eC
d'aller dans les bois, mais môme d'aller aux églises, pour peu
qu'elles soient éloignées des habitations." — Laiiom'.'Uî.
310 HISTOIRE
compagnie des Indes, ayant sous convoi une trentaine
de navires chargés de mai'chandises. Elle fut rencon-
trée par les Anglais, sur les côtes de la Galice, au
commencement de mai. Les amiraux français ne
refusèrent pas le combat : mais ayant fait la faute de
laisser toutes leurs frégates s'éloigner d'eux, pour pro-
téger les bâtimens marchands, ils se trouvèrent bien
inférieurs en forces à leurs adversaires, et furent, à la
fin, obligés d'abaisser leurs pavillons.
Dans le même temps que la France faisait les arme-
mens dont nous venons de parler, on levait, dans les
colonies anglaises, de nouvelles troupes, pour faire
partie d'une expédition contre le Canada. Ces troupes
furent tenues sur pied pendant l'année 1746, et le prin-
tems et l'été de 1747, dans l'attente d'une flotte d'An-
gleterre ; mais au mois d'octobre de cette dernière
année, le gouvernement anglais, craignant de ne pas
réussir dans l'entreprise, ou prévoyant qu'il serait
obligé de restituer, à la paix, qui paraissait alors pro-
chaine, ce qu'il aurait enlevé à la France, en Amérique,
envoya aux gouverneurs de la Nouvelle Angleterre et
de la Nouvelle York, l'ordre de licencier les troupes et
les milices levées pour une expédition contre le Canada.
Le gouvernement de la Nouvelle Fi'ance étant deve-
nu vacant par la captivité du marquis de La Jonquière,
le roi nomma, pour le remj^lacer ad interi/n, le comte
de LA Galissoxniere, dont les provisions sont datées
du 10 juin 1747. M. Hocquart, qui avait été rappelle,
en même temps que le marquis de Beauharnois, eut
pour successeur, dans l'intendance, M. François Bigot,
par commission du 1er janvier 1748. Les pouvoirs de
ce dernier, comme intendant, furent augmentés dans la
colonie, et s'étendirent à la Louisiane, et à toutes les
terres et îles dépendantes de la Nouvelle France.
DU CANADA. 3 1 I
M. de La Galissonnière, homme instruit, habile et
entreprenant, n'eut pas plutôt pris les rênes de l'admi-
nistration, qu'il travailla à se procurer des renseigne-
mens exacts sur le pays qu'il avait à gouverner : il
s'étudia à en connaître particulièrement le sol, le climat,
les productions, la population, le commerce et les
ressources. Mais son activité ne lui permit pas de se
boi*ner à acquérir ces connaissances, ou d'attendre pour
agii-, qu'il les eût acquises ; persuadé que la paix ne
pouvait pas tarder beaucoup à se conclure, et compre-
nant de quelle importance il était de donner au Canada
et à l'Acadie continentale des limites fixes et bien
déterminées, il fit partir M. Celeron de Bienville,
accompagné de trois cents hommes, pour le Détroit,
avec ordre de traverser de là les contres du Sud-Ouest,
jusqu'aux monts Apalaches ou AUeghanys, qu'il disait
être les bornes des possessions de Angleterre, et au-
delà desquels il soutenait qu'elle ne pouvait avoir
aucune prétention. Cet officier avait ordre, non seule-
ment d'engager un certain nombre de Sauvages à
l'accompagner, dans son excursion, mais encore de tirer
parole de toutes les tribus chez lesquelles il passerait,
qu'elles ne permettraient, à l'avenir, à aucun commer-
çant, ou traitant anglais, de les venir visiter. Il lui
fut fourni des plaques de plomb, sur lesquelles étaient
gravées les armes de France, et qu'il avait ordre
d'enterrer, à des stations particulières ; ce dont il devait
être dr^sé des procès-verbaux, signés de lui, et des
officiers qui l'accompagnaient.
Celeron s'acquitta ponctuellement de la commission
dont le gouverneur général l'avait chargé ; mais non
sans exciter des soupçons et des craintes dans l'esprit
des Sauvages, dont plusieurs ne se génèrent pas de
dire tout haut, qu'OxONTino, en prenant ainsi posses-
312 HISTOIRE
sion de leurs pays, pourrait bien avoir dessein de faire
d'eux ses sujets, et peut-être même ses esclaves. La
masse des procès- verbaux, qui furent dressés dans le
cours de cette expédition, fut apportée à M. de La
Galissonnière, et par lui transmise à la cour de France.
Deux ans après, M. Celeron fut récompensé des ser-
vices qu'il avait rendus, en cette occasion, par la place
de commandant du Détroit, avec le rang de major.
Dans le même temps que le comte de La Galisson-
nière faisait partir Celeron pour les contrées du Sud-
Ouest, il envoya une lettre à M. Hamilton, gouverneur
de la Pensylvanie, pour l'informer de la démarche qu'il
faisait, et le prier de donner ses ordres, pour qu'à
l'avenir, les habitans de sa pi-ovince n'allassent pas
commercer au-delà des monts Apalaches, attendu qu'il
avait reçu de son gouvernement l'injonction expresse
d'arrêter les personnes et de confisquer les eifets de
ceux qui seraient trouvés faisant la traite avec les
Sauvages, dans les contrées situées à l'ouest de ces
montagnes.
Les Acadiens qui avaient mieux aimé rester sur leurs
terres, dans la Nouvelle Ecosse, que de passer dans
l'Ile Royale, y étaient demeurés jusqu'à cette époque,
sans que les Anglais eussent eu à se plaindre d'eux, ni
eux des Anglais. Ceux-ci n'avaient pas d'abord poussé
leurs prétentions sur les établissemens français situés
hors de la péninsule, le long de la baie de Fundy et de
la rivière Saint-Jean ; mais, suivant l'auteur des Mé-
moires sur le Canada, etc., les habitans de ces postes,
négligés par la France, s'étant adressés à eux, pour en
obtenir des juges ou des magistrats, l'idée leur vint de
s'en emparer. M. de La Galissonnière comprit qu'il
était de son devoir de les empêcher de le faire. Peut-
être eût-il dû s'en tenir là, et ne pas chercher à attirer
DU CANADA. 313
sur le continent les Acadiens restés dans la presqu'île,
sous la domination, ou la protection de l'Angleterre.
Mais il vit, ou crut voir, dans cet état de choses, une
inconvenance ou une anomalie préjudiciable au bien de
son gouvernement ; il pensa qu'il ne convenait pas que
des hommes qui étaient français d'origine, de langue,
de religion, demeurassent sous un gouvernement étran-
ger, souvent ennemi de la France ; tandis qu'à quelques
lieues de distance, ils pouvaient se trouver sous la
domination française, parmi leurs compatriotes, et faire
corps, pour ainsi dire, avec les autres habitans dy
Canada. Pour mieux réussir dans le dessein de faire
émigrer les Acadiens de la presqu'île sur le continent,
il eut recours à leurs prêtres, et particulièrement au P.
Geu:maix, curé, ou missionnaire, au Port Royal, et à
l'abbé DE Laloutre, missionnaire à Beaubassin, au
sud de la petite rivière Missagouche, qui, avant la
détermination des limites, était censée séparer les pos-
sessions des deux couronnes rivales. Le P. Germain
ne fit peut-être pas tout ce qu'on aurait exigé de lui ;
mais, à en croire l'écrivain que nous venons de citer,
M. de Laloutre poussa son zèle et son activité bien
au-delà des bornes, non seulement de la modération,
mais encore de la prudence, de la saine politique et de
la charité chrétienne.*
* L'auteur anonyme des Mémoires sur le Canada l'accuse d'avoir
mis lui-même le feu à l'église, et de l'avoii* fait mettre aux mai-
sons de Beaubassin,* et il ne cherche point à le laver d"uue accu-
sation plus grave encore, celle d'avoir complotté l'assassinat d'un
pourvoyeur anglais, du nom de H«)^\'ï:, à qui il avait, dit-il, donné
rendez-vous sur le bord de la petite rivière Missagouche, ou de
Beaubassin, et qui fut tué d'un coup de fusil tiré (très probable-
ment au hazard,) par un des Sauvages dont il était accompagné
• " Les Françuis (Acadiens) qui possi-daiont un villago au midi de I;i baie
de Chinfcto. où les Aiijrlais avaient érigé le fort Jnaiihiissiii. l'uvent attur|ués
(ou imiuiétés) en 1745, jiar le major Lawrence; et se VK.vunt réduits à
at)andonner leurs habitations, qui n'avaient aucun moyen do défense, ils
aimèrent mieux les brûler que do les laisser T» l'ennemi, et ils se retirèrent
dans le fort Bcausîjuur, placé au nord de la même baie." — M. dk Rocukllk.
ce
ol4 HISTOIRE
Pour seconder les missiouriaires dans leurs efforts,
M. de La Galissonnière envoya au nord de la presqu'île
et sur la rivière Saint-Jean, des détachemens de
troupes et de milices, avec ordre aux commandans d'y
construire des forts, et de s'y maintenir par la force des
armes, s'il était nécessaire. On par\'int, pas ces moyens,
à induire plusieurs familles acadiennes à sortir de la
presqu'île, et à venir s'établir au nord de la rivière
Missagouche.
Flatté de ce premier succès, et persuadé, qu'avec un
peu d'encouragement, un grand nombre d'Acadiens
suivraient l'exemple de ces premiers émigrés, et qu'il
se formerait, par ce moyen, une nouvelle colonie, qui
serait comme une barrière contre les Anglais, de ce
côté-là, M. de La Galissonnière s'adressa au ministère
français, pour lui demander des fonds qui le missent en
état d'exécuter pleinement le plan qu'il s'était proposé,
par rapport aux Acadiens. Ce plan fut approuvé en
France, et il fut accordé huit cent mille livres, par
année, pour le mettre à exécution.
Sur ces entrefaites, le comte de La Galissonnière fut
remplacé par M. de La Jonquière, qui ayant recouvré
sa liberté, à la paix de 1748, rentra en possession de
son gouvernement, en vertu de sa première commission.
Par le traité d'Aix-la-Chapelle, la France recouvrait
tout ce que l'Angleterre lui avait enlevé, durant la
guerre, et nommément la forteresse de Louisbourg et
l'ilc du Cap-Breton.
Avant de s'embarquer pour la France, M. de La
Galissonnière communiqua à son successeur tous les
renseignemens qu'il s'était procurés, concernant la co-
lonie, et lui indiqua les plans qu'il croyait être les plus
propres à la faire fleurir et prospérer. Il fut ensuite
nommé, conjointement avec M. Silhouette, commis-
DU CANADA. 315
saire de la part de la France,* pour le règlement des
limites des possessions anglaises et françaises, et ]iarti-
culièrement de l'Acadie, et ne se montra pas, comme
tel, moins actif et moins zélé qu'il ne l'avait été, comme
gouverneur de la Nouvelle France. Il dressa un mé-
moire, oii il exposait, d'une manière détaillée, tous les
avantages que la France pouvait retirer du Canada ; et
il proposa un plan, qui, s'il eut été adopté à temps,
aurait probablement empêché la concjuête de 1760.
Ce plan était de prendre possession de l'intérieur du
pays, au moyen de forts érigés, de distance en distance,
et d'envoyer, en même temps, 10,000 paysans de
France, pour peupler les bords des lacs, du Micissipi et
des principales rivières qui s'y déchargent. " Si ce plan
avait été adopté, dit l'historien anglais du Canada, M.
Smitii, les colonies anglaises auraient été bornées par
les monts Alleghanys, et seraient conséquemraent res-
tées toujours faibles; les mesures qui occasionnèrent
les hostilités de 1756 n'auraient pas eu lieu, et l'enva-
hissement de 1759 n'aurait pas été entrepris."
Malheureusement pour la France et pour le Canada,
l'administration du comte de La Galissonnière fut de
trop courte durée : son successeur immédiat, quoique
doué de talens, ne se monti'a pas animé du même zèle
pour le bien public, et il lui était de beaucoup inférieur.
du côté des connaissances acquises. |
*Lps commissaires, delà part de l'Angleterre, furent AIM.
SlIIRI.EY et MlLO^tAV.
f " Si, sous le gouvernement frnnrais, dit M. Lamiiert, dans
son voyage au C'anada, les Canadiens avaient été disposés à cid-
tivor les arts et les scienees, cette disposition se serait manifestée
sous le 0«mte de La (iaussonniere, (]ui fut le gouverneur le
plus actif et le plus éclairé qu'ait eu le Canada. Il était, à tous
égards, un homme d'état accompli ; et ses connaissances dans
l'histoire naturelle, la philosophie et les mathéniatii|ues furent
utiles aux vues de son gouvernement. 11 se procura des ren-
316 HISTOIRE
Le marquis de La Jonquière ne crut pas d'abord
devoir suivre les plans de son prédécesseur, par rap-
port à l'Acadie ; pensant qu'avant que les limites de
cette province eussent été déterminées par les commis-
saires nommés à cet effet, il ne convenait pas d'y rien
entreprendre qui pût donner de l'ombrage à l'Angle-
terre, et peut-être entraîner la France dans une nouvelle
guerre avec cette puissance. Ce plan de conduite,
dicté, peut-être, par la prudence, fut taxé, en France,
de timidité. M. de La Jonquière fut blâmé de son
inactivité, et réprimandé, pour n'avoir pas, de lui-
même, continué ce que le comte de La Galissonnière
avait commencé. Il lui fut envoyé de nouvelles ins-
tructions, par lesquelles il lui était ordonné de prendre,
sans délai, possession de la terre-fenne de l'Acadie, d'y
construire des forts, d'y envoyer des troupes, et de
seignemens des parries les plus éloignées de la Nouvelle France,
concernant ses habitans, ses animaux, ses arbres et ses plantes,
ses terres et ses minéraux ; ainsi que sur ses lacs, ses rinères et
ses mers. Il s'était même mis en état de donner la description
des endroits éloignés qu'il n'avait pas %tis, mieux que ceux qui
les habitaient. Enfin, M. de La Galissonnière était l'homme
qu'il fallait pour réveiller, dans Tesprit des Canadiens, le goût
des sciences et des arts, s'il n'y avait été qu'endormi."
Alalheureuscment, ce goût n"était pas encore né chez nos ancê-
tres. "On ne leur trouvait, dit l'abbé Raynal, aucune sensibilité
pour le spectacle de la nature, ni pour les plaisirs de l'imagination ;
nid goût pour les sciences, pour les arts, pour la lecture, pour
l'instruction. Les habitans des villes passaient l'hiver, comme
l'été, dans une dissipation continuelle. L'amusement était l'uni-
que passion, et la danse faisait les délices de tous les âges.
" L'oisiveté et la frivolité, contiuue-t-il, n'auraient pas pris cet
ascendant, en Canada, si le gouvernement avait su y occuper les
esprits à des objets utiles et solides." Mais loin de là, ce gouver-
nement semblait se complaire, ou trouver son intérêt à tenir le
peuple dans l'ignorance : l'institution décorée d'abord du nom de
collège ne fut jamais tel en réalité ;* il n'y avait pas d'imprime-
rie dans le pays, et Ton ne pouvait y faire venir des livres de
France qu'avec difficulté, et à gi'ands frais.
* " Les R. R. P. P. jésuites ont un grand bâtiment' assez superbe, et un
collège ouvert, ou plutôt une école, qui sert à instruire un petit nombre
d'enfans, qui y vont étudier." — Leeeac.
DU CANADA. 317
s'aider de l'influence des missionnaires, qu'on lui recom-
mandait de ménager et de traiter avec toutes sortes
d'égards, comme gens pai-ticulicrcment nécessaires, dans
les circonstances où l'on se trouvait.
En conséquence de ces instructions, le chevalier de
La Corne fut envoyé dans l'Acadie continentale, atin
d'y choisir un endroit convenable pour l'érection d'un
tort, d'où l'on pût facilement donner appui et protection
aux familles acadiennes qui voudi'aient se soustraire à
la domination anglaise.
M. de La Corne fit d'abord choix de Chcdiac, parce
qu'étant près de la mer, on y devait être à portée de
recevoir des secours et des approvisionnemens du Ca-
nada. Ce choix ne plut ni au gouverneur, ni aux
missionnaires : ils trouvèrent que le poste serait trop
éloigné des établissemens acadiens, et il fut finalement
choisi un autre endroit, entre la baie Française et la
Baie Verte, comme plus capable de remplir les vues du
gouvernement.
Ces démarches excitèrent les soupçons et la jalousie
des Anglais : le premier bâtiment qui fut envoyé, avec
des provisions, pour les forts qu'on bâtissait, fut pris
par un croiseur de cette nation, quoiqu'il y eût paix
entre l'Angleterre et la France :* et le major Lawrence
eut ordre du colonel Cornwallis, lieutenant gouver-
neur de la Nouvelle Ecosse, d'épier les mouvemens du
chevalier de La Corne; de l'empêcher de prendre poste
sur la territoire anglais, et finalement, de se fortifier,
aussi près que possible du fort que ce dernier avait eu
ordre de construire. Lawrence trouva M. de La Corne
campé à Beauséjour, et eut avec lui un pourparler, au
**'En représaillo, M. de La Jonquière ordonna d'arrêter :i
Lûuisbourg, les bàtiuicns luarcbands qm y commerçaient." — Mé-
moires, Sj~c.
ce 2
318 HISTOIRE
sujet de cet empiétement, comme il l'appellait. La
Corne l'assura que ses ordres ne lui permettaient pas
de passer au-delà de la rivière de Beaubassin, et qu'il
pouvait prendre poste, et se fortifier, de l'autre cyté de
cette rivière, s'il le jugeait à propos. En effet, Law-
rence bâtit un fort vis-à-vis de celui de La Corne, et
les deux commandans se maintinrent chacun dans son
poste. Celui de La Corne n'était pas tenable : bientôt cet
officier fut remplacé pai- le capitaine de "S^assaj*,
accompagné du sieur de Lery, fils de l'ingénieur de ce
nom, avec ordre d'achever le fort de Beauséjour. Le
sieur de Boishebert, militaire habile et homme actif,
avait été envoyé précédemment, avec quelques soldats
et des Canadiens, à la rivière Saint-Jean, et y avait
élevé des fortifications, un peu au-dessus du site de
l'ancien fort Latour.
La découverte supposée faite, du côté de la terre, de
l'océan Pacifique, ou plutôt d'un grand golfe, ou d'une
mer de l'Ouest, communiquant avec cet océan par un
détroit, occupait l'attention de M. de La Jonquière,
depuis son arrivée en Canada. H avait approprié de
grandes sommes d'argent pour s'assurer d'un fait aussi
important, et avait donné commission à M. de la
Verajs'drye, qui avait déjà fait plusieurs voyages dans
les quartiers de l'Ouest, de pénétrer, par le canal des
lacs et des rivières de l'intérieur, jusqu'à cette mer, et
de prendre possession, au nom du roi, des contrées
qu'il traverserait. Cet officier s'avança à quelques cen-
taines de lieues au-delà du lac Supérieur, et érigea, de
distance en distance, des espèces de forts,* au dernier
* Ce sont : le fort de Caministigoia, à l'entrée dans le lac Supé-
rieur de la rivière de mcme nom : le fort Saint-Pierre, à 100
lieues environ du premier, sur le lac </e.« Pluies; le fort Saint-
Charles, 80 lieues au-delà, sur le lac den Buis; le fort Maurepas,
à 100 lieues du dernier, et près du lac Ouinipitj, ou Oninipi'jon ;
DU CANADA. 319
desquels il donna le nom de fort de la Reine. C'était
tout ce dont La Vérandrye était capable : il n'avait ni
les talens, ni les connaissances nécessaires pour faire
des découvertes importantes, ou même des observations
utiles : il ne sut pas tracer une carte des immenses
contrées qu'il avait parcourues ; son journal n'en con-
tenait point la description ; il ne parlait ni de leur
climat, ni de leur sol, ni de leurs productions ; il n'était
r(;mpli que du récit insignifiant de la marche de chaque
jour, et des discours sans importance de quelques chefs
sauvages. On le jugea incapable de remplir la tâche
qu'on lui avait confiée ; sa commission fut révoquée, et
donnée à d'autres. Mais des vues d'intérêt particulier
vinrent se mêler au but noble et patriotique qu'on sem-
blait s'être proposé d'abord : il se forma une espèce de
société, composée du gouverneur, de l'intendant, du
sieur BuEARU, comptrôleur de la marine, et de deux
autres officiers, Legaijdecu de Saint-Piekre* et
MARiN,f lesquels devaient partager entr'eux les profits
de l'expédition, s'il y en avait.
Les deux derniers furent chargés de faire les décou-
vertes. vSaint-Pierre eut ordre de se rendre au fort la
Reine, pour de là gagner en avant, jusqu'à un lieu dont
il serait convenu avec son compagnon de voyage, pour
leur rencontre. Marin devait remonter le Missouri, et
enfin, le fort de la Reine, 100 lieues au-delà, sur la rivière des
Assinihoils.
Il fut encore construit trois autres forts, savoir : le fort Dau-
phin, sur le lac des JVairicx ; le fort Bourbon, sur le lac de même
nom, et le fort Vaslwijuc, sur la rivière de co nom, dont quelques
géographes du temps placent la source à 25 lieues seulement de
leur prétendue mer de l'Ouest.
* " Capitaine, officier recommandablo par sa valeur, et une cer-
taine intrépidité, qui le faisait craindre et aimer des nations, et
qui joignait à la connaissance parfaite du commerce des Sauvages
une grande intégrité."
f "Capitaine, décrié par sa cruauté, mais craint des Sauvages."
320 HISTOIRE
de là, s'il trouvait ime rivière allant à l'ouest, la suivre
jusqu'à ce qu'il fut parvenu à l'océan Pacifique, où
Saint-Pierre le devait joindre, si, de son côté, il trou-
vait une rivière qui y conduisit.
Ces messieurs partirent munis, aux frais de la cou-
ronne, de tout ce qui était nécessaire pour le voyage ; et
ils auraient probablement réussi, non pas à trouver une
mer de l'Ouest, comme on se la figurait, mais à attein-
dre la mer du Sud, s'ils eussent été plus entrepenants,
ou s'ils n'eussent pas eu plus à cœur leur intérêt privé
que le bien de leur pays. Mais, presque indifférents,
quant au but ostensible de faire de nouvelles décou-
vertes, ils né s'avancèrent, dans les pays sauvages,
qu'autant qu'il leur fut nécessaire pour amasser une
immense quantité de pelleteries, avec lesquelles ils s'en
revinrent à Québec, où la vente qui s'en fit rapporta à
chacun des associés un énorme profit. Le part du
gouverneur se monta, suivant M. Smith, à la somme
de 300,000 francs, et le reste fut partagé entre l'inten-
dant, le comptrôleur et les deux voyageurs.
La cour de France ayant approuvé la conduite du
comte de La Galissonnière, par rapport aux pays du
Sud-Ouest, elle renouvella à M. de La Jonquière
l'ordre de mettre fin au commerce des Anglais dans Ites
contrées, en arrêtant ceux qu'on y rencontrerait, et en
saisissant leurs marchandises. En conséquence, le
gouverneur général envoya M. de CoNTRECŒur, gen-
tilhomme canadien, et quelques autres officiers, bien
accompagnés, sur les bords de l'Ohio. A peine ces
officiers furent -ils arrivés dans le pays, qu'ils arrêtèrent
trois traitans anglais, et les envoyèrent prisonniers à
Mont-réal, avec leurs pelleteries. Dans l'interrogatoire
qu'ils subirent devant le baron de Longueil et le com-
missaire ordonnateur Varin, quelques jours après
DU CANADA. 321
leur arrivée, il parut qu'ils tenaient des gouverneurs de
leurs provinces, des permissions écrites pour faire la
traite avec les Sauvages, à l'ouest des monts Apalaches,
et ils furent renvoyés, quelque temps après. Les
détails de l'interrogatoire qu'on leur fit subir furent
envoyés en France, et communiqués, par ordre du
gouvernement, à l'ambassadeur d'Angleterre.
M. de La Jonquière prévoyait bien que si la guerre
avait lieu entre la France et l'Angleterre, l'Amérique
en serait le théâtre ; il représenta donc à son gouver-
nement la nécessité de faire passer au Canada un grand
corps de troupes, et d'y envoyer, en même temps, une
grande quantité de munitions et de marchandises, afin
qu'on en pût toujours fournir suffisamment et à un
assez bas prix, aux Ixoquois, pour détacher ces Sau-
vages de l'alliance et de la fréquentation des Anglais
de la Nouvelle York. En attendant que ces troupes
et ces eftets fussent arrivés, M. de La Jonquière crut
devoir faire, de son côté, tout ce qui lui paraissait pou-
voir faciliter le dessein qu'il avait en vue: il fit partir
M. DE LA JoNQUiERE-CuABERT, accpmpagné de M.
Piquet, du séminaire de Mont-réal,* et d'un parti d'Iro-
quois domiciliés, pour le canton des Agniers, avec
ordre de demander à ces Sauvages la permission de
bâtir un fort, sur la frontière de leur pays, en leur
promettant qu'ils y trouveraient constamment, et à bon
compte, tous les effects dont ils pourraient avoir besoin.
M. Chabert s'acquitta si adroitement de la commission
dont le gouverneur l'avait chargé, et fut si bien
* Que les Anglais appellaient le " Jésuite de l'Ouest," et à qui
^I. IToc'tjUAnT avait donné le titre "d'Apotre dos Iroquois."
Quant au capitaine Cuabkkt, " il avait sa cabane" chez ces
peuples. " Depuis longteuis, il vivait avec eux et comme eux, en
sorte ((u'il était adopte i)armi eux, et qu'ils le regardaient comme
de leur nation." — Jlcnwircs, Sfc.
322 HISTOIRE
secondé par l'abbé Piquet, qu'il obtint sans beaucoup
de peine la permission désirée. Le fort fut bâti, à
l'entrée de la petite rivière Ossouégatchi dans le Saint-
Laurent, et nommé de la Présentation. Les Agniers
et autres Iroquois furent si satisfaits de la chose, que
sans l'intervention de M. William Johnsox, qui avait
déjà acquis une grande influence parmi ces peuples, la
plupart auraient abandonné les Anglais, pour se joindre
aux Français. .
Un autre petit fort fut bâti, à peu près dans le
même temps, sur la baie de Toronto, à l'extrémité nord-
ouest du lac Ontario. On l'appeUa fort Rouillé, du nom
du ministre de la marine.
Jusqu'à 1750, les Canadiens n'avaient pas eu sujet
d'accuser leurs gouverneurs, ou leurs intendans, de
péculat, de concussion, ni même d'une conduite sentant
l'injustice ou la partialité, dans l'administration des
affaires générales, et particulièrement des finances :
mais au temps dont nous parlons, la corruption com-
mença à se montrer à découvert chez la plupart des
fonctionnaires publics de la colonie. Le marquis de la
Jonquière, qui ne touchait pas moins de soixante mille
livres, par an, d'apointemens et de pension, était d'une
avarice sordide ; l'intendant Bigot ne se trouvait pas
assez riche, ou pas assez payé, pour soutenir dignement
le rang qu'il occupait ; et ils avaient l'un et l'autre des
parens et des favoris à enrichir. Pour suppléer à ce
qui leur manquait, ou à ce qu'ils croyaient leur manquer,
du côté de la fortune, ils eurent recours, comme on l'a
déjà vu plus haut, à la traite avec les Sauvages, et ils la
firent au moyen de sociétés, qu'ils formèrent, et où ils
firent entrer leurs parens et leurs amis, et quelquefois,
ils mirent en œuvre des moyens plus odieux encore.
Par l'édit de 1716, il était expressément défendu à
DU CANADA. 323
tout habitant du Canada de commercer avec les Sau-
vages, sans une permission écrite du gouverneur géné-
ral : M. de la Jonquière sut faire tourner cet édit à son
avantage; ou plutôt, il en abusa d'une manière tout-ù-
fait odieuse. Outre qu'il se faisait payer une forte
somme d'argent pour les permissions, ou congés, qu'il
donnait à des particuliers, pour aller yendi'e des mar-
chandises aux Sauvages, il accorda à M. Saint-Sauveur,
son secrétaire, la vente exclusive des eaux-de-vie à ces
peuples, moyennant unepart considérable dans les profits.
Il fit aussi venir de France plusieurs de ses neveux,
dans le but de les enrichir par le commerce, ou autre-
ment, et entre autres, M. Taffanel, curé de campagne
en France, et le capitaine de Bonne de Miselle.
N'ayant pu obtenir pour ce dernier le grade d'adjudant
général, il résolut de l'avancer d'une autre manière : il
lui concéda une seigneuiùe, et lui accorda le privilège
exclusif du commerce avec les Sauvages, au Sault
Sainte-Marie.
Ce Népotisme mit le comble au mécontentement qui
régnait déjà, depuis longtems, dans la colonie, contre
M. de la Jonquière: on fit parvenir en France des
plaintes nombreuses contre son administration ; et pré-
voyant, sans doute, qu'il ne tarderait pas à être rappelle,
il demanda lui-même son rappel ; mais il mourut, à
Québec, le 17 mai 1752, âgé de 67 ans. Il n'avait
pas amassé, en Canada, moins d'un million de livres
tournois, qui se trouvèrent, à sa mort, entre les mains
de M. de Vekduc, greffier du conseil supérieur ; ce qui
ne l'empêcha pas de se refuser le nécessaire, "jusqu'à
sa mort," et même dans sa dernière maladie.*
* On a rapporté, comme exemple de l'excès auquel il portait la
mesquinerie, que ses domestiques ayant allumé des bougies près
de son lit, il les fit ôter, et remplacer par des chandelles de suif,
en disant qu'elles coûtaient moins cher, et éclaireraient aussi bien.
324 HISTOIRE
Charles Lemovxe, baron de Longueîl,* alors gou-
verneur de Mont-réal, étant le plus ancien officier de la
colonie, prit les rênes de l'administration, en attendant
l'arrivée du successeur du marquis de La Jonquière.
* " Ce gouverneur (ou administrateur du gouvernement,) était
d'une maison anoblie en Canada, fort chéri des cinq Nations, et
dont les ancêtres s'étaient distingués par leui* valeur." — Mémoires,
ifc.
LIVEE QUATRIEME,
Co7itenant principalement les évènemens de la dernière
Guerre Américaine entre la France et V Angleterre.
M. DE LA JoxQUiERE cut pour successeur le marquis
DuQLEsNK DE Menneville, capitaine de vaisseaux,
sous le titre de gouverneur général du Canada, de la
Louisiane, du Cap-Breton, de l'île Saint-Jean, et de
leurs dépendances. Sa commission, datée du 1er. mars
1752, fut enregistrée, à Québec, le 7 août suivant, len-
demain de son arrivée.
Le marquis Duquesne avait des talens et de l'activité :
M. de la Galissonnière, à la recommandation duquel il
avait été nommé gouverneur, lui avait communiqué
tous les renseignemens qu'il possédait sur le Canada.
Persuadé que la paix ne pouvait pas durer longtems,
M. Duquesne s'appliqua à discipliner les troupes et les
milices : il forma les miliciens des villes de Québec et
de Mont-réal en différentes compagnies, à la tète des-
quelles il mit des officiers expérimentés. Il passa les
miliciens en revue, dans les paroisses de la campagne,
et prit tous les moyens qui lui parurent pi'opi'es à mettre
lu colonie en état de défense.
Les instructions qu'il avait reçues, concernant les
limites, étaient trop positives et trop explicites, pour
qu'il pût s'en écarter, ou négliger de s'y conformer : elles
portaient qu'il devait regarder comme les véritables
bornes des possessions françaises celles qui avaient été
tracées par M. de la Galissonnière, et construire des
forts, de distance en distance, pour empêcher que les
Dd
326 HISTOIRE
Anglais ne s'avançassent à l'ouest des monts Apalaches.
11 envoya donc plusieurs détacheinens de troupes sur la
Belle-Rivière, avec ordi'e aux commandans de bâtir des
forts, et de s'assurer, par des présens, de l'alliance des
Sauvages. Il donna avis au gouvei*neur de la Louisiane
de la démarche qu'il faisait, et lui recommanda de faire
en sorte que les Sauvages de son gouvernement se joi-
gnissent aux troupes françaises de l'Ohio. Le fort
Duquesne fut bâti, au confluent de l'Oliio et de la rivière
nommée par les Français, Malenguélée, et par les Anglais,
Monongahela ;* des détachemens de troupes furent stati-
onnés aux postes de Machaidt et de la Presqu^île, entre
le fort Duquesne et le Détroit, et il fut construit des
vaisseaux, sur les lacs Erié et on Ontario, pour la faci-
lité du transport.
On apprit bientôt, au fort Duquesne, que les Anglais,
ou plutôt, les colons anglais de la Virginie, avaient
franchi les monts Apalaches, s'étaient avancés à l'ouest,
comme à la rencontre des Français, et se fortifiaient,
sur les bords de la Monongheylé. M. de Contrecœur,
qui commandait à ce poste, crut que son devoir l'obli-
geait à s'opposer à l'entreprise des Anglais ; mais avant
d'employer la force ouverte, il voulut tenter des voies
pacifiques : il envoya au commandant anglais un oflftcier
distingué, avec une lettre, dans laquelle il le sommait
de retirer ses troupes de dessus les terres de la domina-
tion française. Les Anglais, suivant l'écrivain qui nous
sert ici de guide, feignirent d'abord de se retirer en
effet ; mais au lieu de le faire, ils se hâtèrent d'achever
le fort qu'ils avaient commencé, et qu'ils avaient appelle,
ou qu'ils appellèrent alors, Necessity (de la Nécessité.)
* C'est le nom indigène orthographié différemment et négli-
gemment, pour Monongheylé probablement, en prononçant longue-
ment, ou accentuant la pénultième syllabe.
DU CANADA. 327
Cependant, M. de Contrecœur ignorait si les Anglais
s'étaient retirés, ou non : pour s'en assurer, il fit partir
M. DE JuMONViLLE, jeune officier de mérite, accompa-
gné de trente hommes, avec ordre de découvrir si les
Anglais étaient encore sur les terres de la France, et
s'il les y rencontrait, de faire à leur commandant une
seconde sommation de se retirer.
Jumonville était encore à une certaine distance du
fort Necessity, lorsque, tout-à-coup, il se vit environné
d'Anglais, qui firent sur lui un feu terrible. Il lait
signe de la main au commandant, montre ses dépêches
et demande à être entendu. Le feu cesse alors ; il
annonce son caractère et sa qualité d'envoyé, et com-
mence à lire la sommation dont il est porteur ; mais à
peine était-il à la moitié de la lecture, que les Virginiens
recommencèrent à tirer sur lui, très probablement, sans
l'ordre de leur commandant, qui était le colonel Wa-
SHiXGTOX, devenu, depuis, si célèbre. Jumonville et
une partie de ses gens furent tués, et les autres furent
faits prisonniers, à l'exception d'un seul, qui se sauva,
et vint apporter au fort Duquesne la nouvelle de ce
désastre.*
M. de Contrecœur assembla aussitôt les officiers de la
garnison, et les Sauvages des envii-ons, et leur raconta
ce qui venait de se passer. Tous se montrèrent indignés
de la conduite des Anglais, et furent d'avis qu'il fallait
aller, sans perte de temps, investir le fort Necessity.
Une partie de la garnison et quelques centaines de Sau-
vages furent mis sous les ordres de M. de Yillieks,
* " Lescarbot,DiEREVTLLE,DE Chevrier avaient publié, dans le
XVIIe.si^ule.desilescriptions médiocrement rimées de laNouvelle
FruiKo ; sujet <jue l'ucadi'iiiicien Thomas n'a pas traité plus heu-
reusement, en 1760. La Mort de .Tumonville est un de ces poëmes
vajxues, classiques sans vérité locale, dont l'Europe était déjà fati-
guée."— M. Isidore Lebrun.
328 niSTOiEE
frère de Jumonnlle. Cette petite armée se mît aussi-
tôt en marche, arriva au fort Necessity, et l'investit,
dans l'intention de le prendre à l'assaut, s'il ne se rendait
pas, à la première sommation. Les Anglais n'attendi-
rent pas l'attaque : n'espérant point de quartier, si leur
fort était emporté de vive force, il se hâtèrent de capi-
tuler, et se rendirent prisonniers de guerre.* Quoique
parti pour venger la mort de son frère, de Villiers se
conduisit avec une modération qui lui fit le plus grand
honneur. Cette affaire eut lieu au commencement de
juin 1753.
L'Angleterre n'eut pas plutôt appris ce qui s'était
passé, sur les bords de l'Ohio, qu'elle résolut défaire les
plus grands efforts pour chasser les Français des postes
qu'ils occupaient dans ces quartiers. Xon seulement
elle donna ordre aux gouverneurs de ses colonies de
repousser la force par la force ; elle fit encore passer
plusieurs régimens d'Irlande en Amérique, pour les
mettre en état d'agir sur l'offensive. La France, qui
regardait sa rivale comame ayant été l'aggresseur, dans
l'affaire de Jumonville, et qui prévoyait que la paix ne
pouvait pas se prolonger encore bien longtems, se pré-
para, de son côté, à soutenir la guerre, en Amérique,
et fit partir de Brest, sous le commandement de l'amiral
Dubois de la Mothe, une flotte considérable, portant
plusieurs régimens de vieilles troupes, et un grand
approvisionnement de munitions et d'effets militaires.
Quoique la guerre n'eût pas encore été déclarée, le
cabinet britannique crut qu'il lui était permis d'empê-
cher la France de se fortifier en Canada, et en consé-
quence, une escadre d'onze vaisseaux de ligne et plusieurs
*Ils furent échangés, ou renvoyés sans échange, quelque temps
après ; car Washixgïox, leur commandant, se trouve, l'été
suivant, dans l'armée du général Braddock.
DU CANADA. 329
■frégates sortit de Plymouth, le 27 avril 17ô4, sous le?
ordres de l'amiral Boscawex. Les deux escadres arri-
vèrent, presque en même temps, sur les bancs de Terre-
Neuve. Deux des vaisseaux de l'escadre française.
VAlcide et le Lys, s'en trouvèrent alors séparés par les
cliances de la navigation. Le capitaine Hocquart.
commandant de VAlcide, ayant apperçu, le 8 juin, un
groupe de vaisseaux vers l'horison, crut avoir retrouvé
l'escadre de La Mothe, et chercha à s'en approcher.
Mais la flotte qu'il avait signalée était celle de Bosca-
wen, qui l'ayant également apperçu, arrivait sur lui à
pleines voiles. Un engagement devenait inévitable, et
le capitaine français s'y prépara résolument, quelle que
fût la disproportion de ses forces. Après avoir soutenu
le combat contre plusieurs vaisseaux anglais, il fut
bientôt enveloppé par un nombre d'autres ; mais il ne
se rendit qu'après avoir vu toutes ses manœuvres coupées.
663 mâts prêts de tomber, et ses canons démontés. Le
Lys, qui était alors trop éloigné pour concerter sa
défense avec VAlcide, fut attaqué, à son tour, par
plusieurs vaisseaux anglais: il se trouva entre deux feux :
essuya plusieurs bordées d'artillerie, et combattit, à la
portée du mousquet, jusqu'au moment où il dut cédera
des forces trop supérieures. H y avait sur ces deux
vaisseaux huit compagnies de troupes, et un grand
nombre d'officiers du génie. La Mothe arriva quelques
jours après, à Québec, avec le reste de son escadre, à la
grande joie du gouverneur général et de toute la colo-
nie.
Aussitôt que la prise des deux vaisseaux français eût
été connue, à la cour de France, le comte de Mirepoix,
ambassadeur français à Londres, fut rappelle: il fut
publié un manifeste, et les journaux retentirent de
plaintes contre la conduite du gouvernement anglais.
Dd2
330 HISTOIRE
Celui-ci répondit que la conduite des Français, sur les
bords de l'Ohio, avait rendu la mesure à laquelle il avait
recouru nécessaire et justifiable. H n'en fut pas moins
regardé par plusieurs des puissances neutres de l'Europe,
comme coupable d'une violation flagrante du droit des
gens.*
Cependant, le général Braddock s'était mis en
marche, le 10 juin de cette année 1754, à la tête de
2,200 hommes, pour se rendre sur les lieux où le colonel
Washington avait été fait prisonnier, avec ses gens,
l'année jjrécédente ; et les colons de la Virginie et de la
Pensylvanie avaient fait partir plusieurs détachemens de
volontaires, pour le renforcer.
M. de Contrecœur, qui commandait toujours, au fort
Duquesne, fut informé, de bonne heure, de la marche
des troupes anglaises, sous le général Braddock, et
envoya un parti consistant en deux cent-cinquante
Canadiens, et six cent-cinquante Sauvages, sous le com-
mandement de IMM. DE Beaujeu et Dumas, pour les
attaquer, à un défilé qu'elles avaient à passer, à environ
trois lieues du fort. Braddock s'avança sans méfiance et
sans pi'écautions, jusqu'à l'endroit où les Français
s'étaient postés, comme en ambuscade. Ceux-ci firent
une décharge générale de leur mousqueterie, sur l'avant-
gai'de des Anglais, qui se replia aussitôt, en désordre,
sur le corps d'armée. Le mouvement rétrograde et
précipité de leur avant-garde jetta les Anglais dans une
espèce de terreur panique, et ils se mirent presque tous
à fuir, dans le plus grand désordre. Braddock parvint
néanmoins à en rallier un certain nombre, et alla, avec
* " War, though notformalhj declared, wa.<t, hy this event, actually
commenced ; but by not complying u-ith the usual cérémonies, Ûie
administration exposed themselves to the censures of several neutral
powers of Europe, andfixed the imputation of fraud and freeboot-
ing on the beginning of the war." — M. Haliburton.
DU CANADA. 331
eux, à la chars^e, une seconde fois, mais avec aussi peu
de succès que la première : il y fut blessé mortellement,
et les soldats, découragés par la perte de leur chef, se
mirent aussitôt à fuir, en désordre et pêle-mêle. La
perte des Anglais se monta à environ six cents hommes,
parmi lesquels il y avait plusieurs officiers de mérite.
Toute leur artillerie, leurs munitions et leur bagage
tombèrent entre les mains des Finançai s, ainsi que les
plans et les instructions du commandant.
Du côté des Français, il y eut une trentaine d'hommes
de tués, et à peu près autant de blessés : M. de Beaujeu,
et MM. DE LA Perade et Corneval, officiers du corps
de la marine, furent du nombre des derniers. M. Dumas
se distingua particulièrement dans ce combat, qui se
livra, le 9 juillet, à midi: les Canadiens y donnèrent de
nouvelles preuves de leur bonne volonté, et les Sauvages
s'y conduisirent en alliés fidèles et zélés.
Au lieu de se fortifier, après leur retraite, de crainte
que la victoire que les Français venaient de remporter
ne les portât à tenter de pénétrer dans la Virginie, ou
dans la Pensylvanie,* les Anglais, se contentèrent de
laisser un petit détachement, au fort Ciaiiberland, sur le
Potomac, et se retirèrent, sous la conduite du colonel
Washington. Ils arrivèrent à Philadelphie, le 2 août,
au nombre de 1,600 hommes, et furent aussitôt embar-
qués pour Albany, oCl l'on formait un dépôt de troupes
pour une expédition contre le Canada.
Le marquis Duquesne s'étant démis du gouvernement
du Canada, pour rentrer dans le service de mer, on lui
donna pour successeur le marquis de Vaudreuil de
* La plupart des écrivains anglais prétendent que c'étaient les
Français qui avaient empiété, en éri<reant le fort Duquesne, etc.
Ce fort, situé au conHuent de VOhio et de la Mvnonghei/lé, se
trouvait dans les limites données depuis à la Pensylvanie, mais
quinze ou vingt lieues à l'ouest des monta Apalaches.
332 HISTOtRE
Cavagnal, gouverneur de la Louisiane. Les provisions
de ce dernier, datées du 1er janvier 1755, furent enre-
gistrées à Québec, le 13 juillet de la même année.* M.
Bigot, qui était passé en France, l'année précédente, en
était revenu depuis quelques mois. M. Varin, avait
rempli, en son absence, les fonctions d'intendant..
Les liabitans des colonies anglaises, plutôt animés
que découragés par la défaite de Braddock, mirent sur
pied deux nouveaux corps de troupes, l'un sous le com-
mandement du général Shirlej, et l'autre sous celui
du général Johnson. Ce dernier partit, le 8 août 17oô,
accompagné de plusieurs centaines d'Agniers, et autres
Iroquois, pour le lac George, où le général Lyman était
déjà arrivé, avec près de 6,000 hommes de troupes
provinciales. H s'y posta dans un endroit avantageux,
entourré de bois, ayant derrière lui le lac, devant, un
long abattis d'arbres, et sur les aîles, des terrains
marécageux.
Assitôt qu'il fut connu à Mont-réal, que les troupes
anglaises étaient parties d'Albany, et que le but du géné-
ral Johnson était d'attaquer les forts de Carillon et de
la Pointe de la Couronne, le baron Dieskau, récem-
ment arrivé de France, fut envoyé à ce dernier poste,
avec un corps de 3,000 hommes, composé de troupes
de ligne, de troupes de la marine, de Canadiens et de
Sauvages. Arrivé au fort Saint-Frédéric, le baron y
laissa le moitié de son armée, et s'avança par la Baie
du Sud, avec 1,500 hommes seulement et sans artillerie.
* " Aucun de ses prédécesseurs ne prit possession de son gou-
vernement avec autant d'agrément que lui : tous les Canadiens
l'avaient désiré, et accouraient pour voii- leur compatriote : les
complimens qu'il reçut se ressentirent de la joie qu'on avait de
le voir, et de l'espoir qu'on avait qu'il ferait succéder au temps
malheureux qu'on avait passé jusqu'alors, ces jours fortunés qu'on
se rappellait sous le gouvernement de son père." — Mémoires, etc.
DU CANADA. 333
Il rencontra une garde avancée de 1,000 à 1,200
hommes, sous le colonel Williams, la défit, et arriva
en la poursuivant, à la vue des retranchemens des
Anglais. Au lieu de continuer à avancer sur ces
retranchemens, pendant que les fuyards y arrivaient en
désordre, il s'arrêta à cent-cinquante verges de distance,
pour faire ses dispositions d'attaque. Il fit sa grande
attaque de centre avec ses troupes régulières, pendant
que les Canadiens et les Sauvages, dispersés sur les
flancs, fîxiâaient un feu de tirailleurs. La bataille
devint bientôt générale sur toute la ligne : les soldats
français combattirent avec un ordre et une bravoure,
qui firent croire que, si leur commandant n'avait pas
fait la faute de laisser la moitié de son monde bien loin
derrière lui, il aurait remporté une victoire éclatante,
au lieu d'essuyer une défaite signalée ; car accablées
par la grande supériorité du nombre de leurs adver-
saires, les troupes de ligne furent obligées de faire un
mouvement rétrograde, sur la droite des Anglais, et
quoique renforcées par un corps de Canadiens, après
«luatre heures d'un combat si inégal, il ne leur fut
plus possible de résister, et la retraite leur devint iné-
vitable.
Les Français la firent, sous M. de Montre uil, sans
être poui'suivis; mais leur perte avait été énorme: les
Ixistoriens anglais la font de sept à huit cents liommes,
tandis qu'ils ne portent celle de leurs gens qu'à deux
cent-quatre-vingts. Ces derniers y perdirent, entre
autres oiRciers, les colonels Williams et Titcombe et le
major Ashley, et les Agniers leur grand" chef Hen-
DKiCK. Le baron Dieskau, qui conibattit|ttvcc la plus
grande bravoure, fut blessé grièvement, à la jambe et
à la Iianche, et fait prisonnier. Le général Johnson
fut aussi blessé, mais légèrement. La bataille du lac
334 HisTomE
George se livra le 8 septembre, et dura depuis midi
jusqu'à quatre heures.*
Le corps que commandait le général Sliirley était
partid'Albany, àla fin de juillet, et était arrivé à Ochoué-
go, au commencement d'août, Le général y attendit
des provisions qui ne lui arrivèrent qu'à la fin de
septembre. Il crut qu'il était trop tard alors pour
entreprendre une expédition contre Niagara, qu'il avait
eue en vue, et ayant laissé une garnison de six à sept
cents hommes à Ochouégo, il repartit, le 24 octobre,
pour Albany.
Le Canada soufii-ait, depuis quelques temps, de la
rareté et de la cherté des provisions de bouche: les
choses empirèrent, sous ce rapport, pendant l'hiver de
1755 à 1756, en grande partie, par la faute de l'inten-
dant Bigot, et de plusieurs des employés du gouverne-
ment, entre lesquels l'histoire signale particulièrement
* " Le baron Dieskau, arrivé au fort Saint-Frédéric, avec 3,000
hommes, partagea sa petite armée en deux, et en laissa la moitié
pour couvrir le fort et la colonie, en cas de malheur. Les Cana-
diens blâmèrent la conduite du général, s'imaginant qu'on ne devait
prendre aucune précaution, et persuadés qu'on serait victorieux.
iL le baron n'écouta point leurs raisons, et leur ordonna de le
suivre. Il courut aux retranchemens, croyant être suiri de toute
l'armée; et, sans faire reposer son monde, il fit attaquer. Les
officiers de la colonie, peu accoutumés à être menés si fièrement,
n'exécutèrent point ses ordres : en vain leur donna- t-il l'exemple
de la valeur : blessé de plusieurs coups, il se fit porter contre un
arbre, la tête tournée du côté de l'ennemi. Après la retraite, les
Anglais le comblèrent d'éloges et de politesses. On attribua cette
retraite au peu de bravoure du sieur de Montheull, surtout aux
principaux officiers canadiens, qui se croyaient les seuls capables
de commander dans le pays."
Sans parler du reste, l'auteur des Mémoires sur le Canada se
montre ici aussi dépour^-u de jugement que l'avait été son " brave
officier saxon." Les officiers anglais pouvaient, par politesse, louer
le baron Dies|^u de sa bravoure personnelle ; ils auraient pu même,
si les convenances l'avaient permis, le remercier de leur avoir
rendu la ■victoire |si aisée; mais les Canadiens, qu'il menait presque
évidemment à la défaite, ne pouvaient guère s'abstenir de blâmer
:tout haut sa présomption et sa témérité.
DU CANADA. 335
les sieurs Yarin, Bréard, Pean, fait major de Québec
par faveur de M. Bigot; Imbert, trésorier; Cadet,
munitionnaire ; Martel et Clayery, commis aux
vivres ; Deschenaux, Penissault, secrétaires ou com-
mis. A en croire l'auteur des Mémoires sur le Canada,
un peu exagérateur, sans doute, et d'après lui, M. Smith,
il n'y aurait pas eu de fraudes, de violences, de voies
iniques et tyranniques, auxquelles, avec l'autorisation,
ou la connivence de l'intendant, ils n'eussent eu recours,
pour s'enrichir aux dépens du gouvernement et du public.
Les marchands s'étaient plaints ; ils avaient député à la
cour le sieur Tache', " homme intègre et d'esprit," pour
faire des représentations, et demander des règlemens, ou
" un arrangement de commerce" pour le Canada ; mais
les odieux accapareurs, soutenus par M. Bigot, l'empor-
tèi'ent, et ils pui-ent continuer leur manège, les années
suivantes.
Cependant, M. de Vaudreuil ne restait pas inactif,
lians la capitale : ayant appris que les Anglais avaient
construit un nombre de petits forts, sur la route d'O-
chouégo, afin de couper la communication entre le lac
Ontorio et les postes français situés au-dessus, il forma
un parti d'environ trois cent-cinquante hommes, qu'il
mit sous le commandement de M. de Léry. Ce déta-
chement partit de Mont-réal, le 17 mars 1756, et après
avoir traversé un immense désert, et enduré de grandes
fatigues, il arriva à la vue d'un fort en pieux debout,
où était posté un lieutenant, avec vingt-cinq hommes.
De Lery fit sommer cet officier de se rendre : sur son
refus, le fort fut attaqué avec vigueur, et emporté de
vive force. La plus grande partie de ceux qui le défen-
daient furent massacrés par les Sauvages, malgré les
efforts de M. de Léry et des Français, pour les sauver.
Cette expédition fut suivie d'une autre, sous M. de
336 HISTOIRE
Villiers, le même dont il a été parlé plus haut. Cet
officier, parti de Mont-réal, à la tête de trois cents
hommes, construisit, à quelque distance d'Ochouégo, un
fort en palissades, tellement entourré d'épaisses forêts,
qu'il fallait en être tout près, pour l'appercevoir ; ce
qui lui donna le moyen d'intercepter, à plusieurs reprises,
les etfets et les provisions envoyés d'Albany à Ochouégo.
Sur ces entrefaites, trente députés iroquois arrivè-
rent à Montréal, pour assurer le gouverneur général
que leur nation désirait observer la neutralité entre les
Français et les Anglais, et le prier de ne lui pas fermer
le chemin entre Ochouégo et Mont-real.
M. de Vaudreuil leur répondit, que la coutume de
ses guerriers était d'aller chercher leurs ennemis et de
les combattre, partout où ils les trouvaient ; mais que,
quant à la nation iroquoise, tant qu'elle continuerait à
demeurer neutre, elle n'aurait rien à craindre, de leur
part.
Cependant, la plupart des postes de l'Ouest avaient
changé de commandans : Contrecœur avait été rem-
placé, au fort Duquesne, par M. Dumas : Bienville
ava-t eu pour successeur, au Détroit, M. Demuy,
capitaine dans les troupes de la colonie ; et ce dernier
avait été remplacé ensuite par M. Picote' de Belestre,
gentilhomme canadien.
Au commencement de juillet, il arriva à Québec un
grand corps de troupes, sous les ordres du marquis de
MoNTCALM, maréchal-de-carap, du chevalier de Levis,
brigadier, et de M. de Bourlamaque, colonel. Le
marquis die Montcalm monta incontinent à Mont-réal,
où était le gouverneur, afin de se concerter avec lui,
sur les opérations de la campagne. Il approuva fort
qu'on eût envoyé des troupes pour bloquer Ochouégo,
ou lui couper la communication avec Albany ; et après
DU CANADA. 337
avoir donné les ordres qui lui parurent nécessaires, il
se rendit au fort Frontenac, pour y attendre l'arrivée
des troupes qui montaient de Québec, ainsi que des
Canadiens et des Sauvages, qu'on assemblait à Mont-
réal. En attendant, il fit bloquer l'embouchure de la
rivière d'Onnontagué par deux vaisseaux armés, de 15
à 20 canons, commandés, l'un par le sieur Laforce, et
l'autre par le sieur de la Broqlerie.* Il envoya aussi
des partis de Sauvages en différents endroits, sur la
route d'Albany, afin d'ôter aux Anglais tout moyen de
communication.
Les troupes attendues arrivèrent enfin, et le 4 août,
Montcalm se mit en route, par eau, avec la première
division, et fut joint, deux jours après, par la seconde,
avec l'artillerie et les provisions. M. Rigaud de Vau-
DREUiL, gouverneur des Trois-Rivières, avait eu ordre
de prendre les devans, avec un corps considérable de
Canadiens : il arriva le 7, à trois lieues d'Ochouégo, et
fut joint, le 10, par la première division. Rigaud
s'avança, par les bois, jusqu'à une demi-lieue des forts
anglais, (car il y en avait deux, à l'embouchure de la
rivière), afin de favoriser le débarquement du princi-
pal corps d'armée. Les deux divisions s'y étant réunies,
le débarquement se fit, le 12, à njinuit.
Le général ayant fait ses dispositions, ouvrit d'abord
la tranchée devant le fort nommé Ontario. La garni-
son fit un feu soutenu, le 13, depuis la pointe du jour
jusqu'à six heures du soir; mais alors ses munitions se
trouvant épuisées, elle encloua ses canons, et se retira
au fort Ochouégo. Aussitôt que Montcalm se fut
apperçu de ce mouvement, il fit occuper par un gros
détachement le fort abandonné. Plusieurs des canons
*Ces ortil'iers croisèrt-nt aussi sur le Isu- Ontario, t-t y prirent,
ou y coulèrent à fond plusieurs goélettes et barges anglaises.
Ee
338 HISTOIRE
laissés pax- la garnison s'étant trouvés en état de servir,
on les dirigea contre l'autre fort, qui était le plus con-
sidérable. Le feu de ces canons, joint à celui des
batteries qu'on avait érigées, effectua bientôt une brèche
considéreble dans les murs du fort Ochouégo, et le colo-
nel Mercek, qui y commandait, ayant été tué, la gar-
nison, forte de plus de 1,200 hommes, demanda à capi-
tuler, à la condition d'être conduite à Mont-réal prison-
nière de guerre ; ce qui lui fut accordé.
La perte des Anglais fut de cent-cinquante hommes,
tués et blessés, et celle des Français de quarante. Le
colonel Bourlamaque fut du nombre des blessés. Outre
les deux forts, sept bâtimens de 10 à 18 canons, deux
cents bateaux, plusieurs pièces d'artillerie, et une grande
quantité de provisions de bouche et d^effets militaires
tombèrent au pouvoir des Français. Les étendards
pris aux Anglais furent suspendus, comme des tropliées,
dans les églises de Québec, de Mont-réal et des Trois-
Rivières. Les prisonniers, au nombre de 1,200, furent
traités avec beaucoup d'humanité, à Mont-réal, et
échangés, avant la fin de l'année.
La victoire d'Ochouégo ajouta beaucoup à la réputa-
tion que le marquis de Montcalm s'était déjà faite en
Europe, et ne contribua pas peu à entretenir, à augmen-
ter même le goût pour la guerre, l'enthousiasme militaire
des Canadiens. Ce général, après avoir démoli les
forts dont il venait de se rendre maître, redescendit à
Mont-réal, avec ses troupes.
Par la destruction des forts anglais d'Ochouégo et
d'Ontario, les Français devenaient maîtres de tous les
grands lacs ; les communications entre les Anglais et les
Iroquois se trouvaient coupées, et les plantations anglaises
situées sur la rivièi*e Mohawk, ou des Aguiers, demeu-
raient exposées aux ravages des alliés sauvages de la
DU CANADA. 339
colonie française, qui, en effet, se prévalurent de cet
état de choses.
Vers l'automne, le fort Grenville, sur les frontières
de la Pensylvanie, fut surpris, pillé et brûlé par les
Français, qui emmenèrent prisonniers les soldats et les
habitans.
Pour se venger de cette défaite, et des fréquentes
expéditions déprédatoires dont ils avaient eu à souiFrir,
les habitans des frontières de la Pensylvanie et de la Vir-
ginie, formèrent un parti d'environ (juatre cents hommes,
pour aller détruire le village à'Astigné, ou Astigué, sur
rOhio, d'où ils pensaient que la plupart de ces expédi-
tions étaient parties. A l'approche des Anglais, les
Sauvages sortirent du village, pour aller mettre leurs
femmes et leurs enfans en sûreté ; mais il s'y trouvait
deux officiers, et un nombre de coureurs de bois, ou de
voyageurs canadiens, qui purent le défendre, en atten-
dant le retour des guerriers sauvages. Les Anglais,
étonnés de la résistance qu'ils éprouvaient, et découragés
par la perte d'une trentaine d'entre eux, tués aux
premières attaques, se mirent à fuir par les bois. Les
Sauvages les poursuivirent, et en tuèrent encore un
grand nombre.
Cependant, le commandement important de Beausé-
jour avait été donné à un favori de l'intendant, nommé
DE Vergor, capitaine des troupes de la marine, mais
dépourvu de courage, de jugement, et de toute espèce
de talent ou de vertu.* Ce fort fut attaqué, en juin
1755, par le colonel Monkton, et se rendit par capitu-
lation, après quelques jours de résistance. Le petit fort
* Avant de partir pour la Franco, M. Bigot lui avait écrit :
" Pi'otitez, mon l'hur Veuguk, de votre place : taille/, roj^nez, vous
avez tout pouvoir; afin que vous puissiez bientôt venir nie joindre
en France, et acheter un bien à portée de moi."'
340 HISTOIRK
voisin de Gasparaux, où commandait un sieur de Vil-
LERAY, se rendit, quelques jours après, aux mêmes con-
ditions, dont les principales étaient, que les troupes
seraient transportées à Louisbourg^ et que les Acadiens
qui avaient combattu avec les Français, ne seraient pas
inquiétés. Cette dernière condition n'empêcha pas le
major Scott, laissé commandant à Beauséjour, d'in-
quiéter ceux de l'endroit et des environs. Les ayant
invités à le venir trouver, sous le prétexte d'avoir à leur
exposer les intentions du lieutenant gouverneur, il leur
demanda leurs armes, qu'ils lui remirent, et un serment
de fidélité à Georges II, qu'ils refusèrent de prêter :
sur quoi, d'après l'ordre qu'il en avait reçu du général
Hopsox, successeur du colonel Corn-wallis, il les fit
envelopper par ses soldats, et enfermer comme prison-
niers.
M. de Boisbébert, qui avait brûlé son fort de Saint-
Jean, dans la crainte de ne le pouvoir défendre, s'il
était attaqué, mais qui était encore dans l'endroit,
informé de ce qui se passait à Beauséjour, accourut, avec
le peu de troupes qu'il commandait, au secours des
Acadiens ; et ayant réuni ceux qui s'étaient échappés
du fort, ou qui n'avaient pas voulu s'y rendre, il leur
donna des armes, et battit avec eux les Anglais, en
différentes rencontres ; mais il ne put empêcher qu'à
la fin, ces derniers ne brûlassent toutes les habitations,
et ne contraignissent ceux des habitans qu'ils ne purent
joindre, à se réfugier dans les bois. Le plus grand
nombre pourtant de ceux de Beauséjour et des environs
purent se retirer dans l'Ile Royale, dans celle de Saint-
Jean, à IMiramichi, à la baie des Chaleurs et à Québec :
mais il n'en fut pas ainsi de ceux de Grand-Pré, des
Mines, de Port-Royal, et autres endroits de la presqu'île.
L'émigration d'une partie d'entre eux sur le territoire
DU CANADA.
341
de la France, dans la vue d'y redevenir sujets de cette
puissance, ou de n'être pas forcés à combattre contre
elle, avait inspiré aux autorités la méfiance et la haine
que leur avait portées, de tout temps, la population
anglaise de la Nouvelle Ecosse, particulièrement à cause
de la différence de leur langue et de leur religion.*
Après avoir fait tout au monde pour les retenir dans la
presqu'île, et leur avoir imputé à crime la simple volonté
d'émigrer, comme s'ils avaient été des serfs attachés à
la glèbe, on crut que la partialité, le déni de justice
même, qu'ils éprouvaient parfois de la part des tribunaux
récemment établis dans la province, ne punissaient pas
suffisamment ceux qui étaient restés de la faute de ceux
qui étaient sortis, et l'on se permit de les traiter, et
même de les faire traiter par des agens subalternes, bien
plutôt en esclaves qu'en citoyens.
Déjà le général Hopson, avait menacé ceux de
Chibouctou, ou de Port-Royal, de faire tirer sur eux
le canon de la ville, pour s'en débarrasser d'un coup,
s'ils ne prêtaient pas, sur-le-champ, le serment qu'il
exigeait d'eux.f Plus tard, Lawrence, devenu lieute-
nant gouverneur de la province, donna à de simples
officiers de troupes des pouvoirs discrétionnaires, et pour
ainsi dire, illimités, contre leurs biens et leurs personnes.:^
Enfin, on leur donna à entendre qu'il fallait se résoudre
à prêter un serment qui les obligeât à combattre et contre
les Français, leurs compatriotes, et contre les Abénaquis
* As Papists and Frenchnien, their submissions never guincd
much crédit with their Prolestiiut and Eiiglish masters, bi/ whoin
they werc both hated and fe.ared. — IIalibukton, Nova Scotia,
•]■ Mémoires sur le Canada, &c.
!: Thet/ were informed bi/ captain JMcuu.vv, at Pusiqiud, tliat
ess theij supplicd his detatvhmcnt wit/i f'uil, t/trir Itouscs nould be
iisedfor that purpose ; or that if t/ui/ J'ailcd to J'urnish the engineer
with timbcrfor the repair «f ,f)rt l'>dwiird, thcy should suffcr immé-
diate militari/ exécution." — M. Hai.iuurton.
Ee2
342 HISTOIRE
leurs amis et alliés, à peine d'éprouver le traitement le
plus rigoureux. Ce serment ayant été refusé, il fallut
songer à mettre la menace à exécution, et l'on fut
quelque temps embarrassé sur le Jnode et les moyens, vu
la position, le cas particulier des Acadiens : " ils n'étaient
pas sujets britanniques, dit l'historien de la Nouvelle
Ecosse, M. Haliburtox, puisqu'ils n'avaient pas prêté
le serment de fidélité {allegiance), et ne pouvaient con-
séquemment être regardés comme rebelles ; ils ne pou-
vaient pas non plus être considérés comme prisonniers
de guerre, ni être convenablement envoyés en France ;
puisque, depuis près d'un demi-siècle, on leur laissait
leurs possessions, à la simple condition de demeurer
neutres."* Enfin on se détermina aies expatrier, à les
déporter en masse et à la fois ; mais avant d'employer
la violence, on crut pouvoir recourir aussi à la ruse. On
adi'essa aux habitans des différents établissemens des
espèces de proclamations couchées en termes aussi vagues
et aussi ambigus que possible, leur enjoignant de se
rendre, vieillards, jeunes gens, et enfans au-dessus de
dix'ans, à jour nommé, à leurs églises respectives, pour
y entendre ce qu'on avait à leur communiquer de la
})art du roi. Après qu'ils eurent entendu les reproches
qu'on avait jugé à propos de leur adresser, on leur
annonça que leurs terres, leurs bestiaux et autres effets
étaient confisqués, et qu'ils étaient tous condamnés à la
déportation.
" L'impartialité de l'histoire, dit un écrivain moderne,f
oblige à déclarer que quelques hommes avaient encouru
la forfeiture, en cherchant à soulever les Micmacs,
* " They had heen suffered for nearhj half a century to retain
their possessions ; and their neutrality had heen accepttd in lieu of
their allegiance."
t M. Rocx DE Rochelle.
DU CANADA. 343
qui occupaient une contrée de l'Acadie, et en les exci-
tant à commettre des hostilités sur le territoire britan-
nique ;* mais il eût été équitable de ne poursuivre
que les provocateurs. Au lieu de se borner à une si
juste répression, on eut la cruauté d'envelopper dans le
même exil toute la population, et 12,000 hommes furent
condamnés à chercher un refuge hors de l'Acadie.
La plupart furent même réduits à se procurer à leurs
fi'ais les moyens de transport pour s'expatrier et se
disperser dans d'autres colonies." Il en périt un grand
nombre; encore plus, dit Raynal, de cliagrin que de
misère. " Cependant, continue l'écrivain plus haut
cité, il y eut quelques émigrations plus favorisées ; la
cause de l'infortune trouva des défenseurs ; la bien-
veillante pitié des citoyens chercha à réparer les
rigueurs du gouvernement, et les vertus privées donnè-
rent une leçon à la politique."
Plusieurs navires, après avoir inutilement cherché
des lieux d'asile, ramenèrent leurs voiles vers la baie
de Fundy, et abordèrent aux territoires encore possédés
par la France. Chassés de leurs possessions d'Acadie,
ils se trouvaient, ou croyaient se trouver, entièx'ement
aft'ranchis de leurs devoirs de neutralité ; ils armèrent
en course quelques bâtlmens, et pendant la durée de la
guerre, ils causèrent au commerce maritime des colo-
nies anglaises de nombreux dommages. Tous ceux
qui purent gagner les possessions françaises y trouvè-
rent les secours dus à leur infortune. On leur donna
des terres, des instrumens d'agriculture et quelques
bestiaux, et ils recommencèrent des établissemens où
* Les Anglais avaient particulièrement à se plaindre de dépré-
dations etd'assassinatsciiinmispar les Sauvages, dans les environs
d'Halifax, à l'instigation de quelques Aeadiens aussi dépourvus
de sens que d'humanité.
344 HISTOIRE
ils devaient être troublt's, après quelques années d'é-
preuves, par de nouveaux cliangemens de domination.
Les Anglais de la Nouvelle Ecosse, qui avaient
regardé comme nécessaire à leur sûreté le bannissement
des anciens colons, étaient d'autant moins disposés à
les ménager, qu'ils s'attendaient à être prochainement
attaqués par l'escadre de Dubois de La Mothe, qui se
trouvait dans le port de Louisbourg. Une flotte
anglaise de vingt-deux vaisseaux de ligne et de sept
fi'égates, sous les ordres de l'amiral Holburne, avait
paru, le 19 août, devant la même rade; mais, au lieu
de chercher à engager le combat, elle s'était retirée
vers la baie de Chibouctou, et le 25 septembre, elle
avait éprouvé une violente tempête : plusieurs vaisseaux
avaient été détruits, ou délabrés, et les autres avaient
été trop maltraités pour qu'on en pût attendre quelque
service.
Dans l'automne de 1755, une partie des Acadiensqui
s'étaient retirés à Miramichi, craignant d'y être attaqués
par les Anglais, s'étaient embarqués pour Québec, sur
les bâtimens qui leur avaient porté des vivres.
Dans l'automne de 1756, d'autres Acadiensde Mira-
michi, de Beauséjour, et autres lieux, passèrent aussi à
Québec, pour être plus en sûreté, et dans l'espoir d'y
trouver tout ce qui leur serait nécessaire. Ils étaient
porteurs d'un mémoire, où parlant pour eux-mêmes et
pour ceux de leurs compatriotes qui étaient restés en
Acadie, ils représentaient au marquis de Vaudreuil : Que
leur attachement à la France ne pouvait se mieux prou-
ver que par le rejet des offres avantageuses que les
Anglais leur avaient faites ; qu'ils étaient réduits à un
état d'autant plus déplorable qu'ils n'y voyaient pas de
terme, si le gouverneur ne venait pas promptement à leur
secours, et ne les prenait sous sa protection ; que la
DU CANADA. 345
cause de cet état déplorable était un attachement à
la France, que les Anglais n'avaient jamais pu leur
faire perdre; qu'ils auraient cru se déshonorer, en acquies-
çant à ce que les Anglais exigeaient d'eux, particulière-
ment dans un temps où ils étaient en guerre avec la
France ; que les habitans de Beaubassin, des Mines, et
autres villages, étaient ou prisonniers des Anglais, ou
dispersés dans les bois ; que leur premier vœu était de
se venger de leurs persécuteurs, et de redevenir, sous
tous les rapports, les sujets d'un roi qui leur était devenu
d'autant plus cher, qu'il avait pris soin de les protéger,
et de pourvoir à leurs besoins, en toutes occasions ; que
leur état de dénuement, et le refus constant qu'ils
avaient fait d'obéir aux autorités anglaises, en ce qui
dépassait leur condition de neutralité, parlaient d'autant
plus hautement en leur faveur, qu'on savait que c'était en
conséquence de leur attachement au gouvernement de
France, qu'ils avaient abandonré leur pays natal et les
biens qu'ilsy possédaient, pour venir s'établir, au nombre
de 3,000, à Beauséjour, Miramichi, et autres lieux.
Enfin, tous demandaient à être regardés et traités comme
les autres sujets américains de sa majesté Très-Chré-
tienne.
Et certes ! ils étaient bien dignes qu'on eût égard à
leur prière, et qu'on leur accordât leur demande: si
c'est bien mériter d'un gouvernement, que de lui sacri-
fier volontairement ses intérêts privés et personnels,
quels sujets méritèrent mieux que les Acadiens de celui
de France? Sans doute, ce gouvernement eut toujours
pour eux de la bienveillance, et leur donna même des
preuves d'une sollicitude particulière ; mais il n'en fut pas
toujours ainsi de ses employés dans ce pays : les Acadiens
réfugiés éprouvèrent assez souvent, de leur part, ,du
dédain, de la dureté, de l'ingratitude ; quelquefois môme
des procédés iniques, une espèce de snoliation.
346 HISTOIRE
Ayant reçu de France l'ordre de défendre les fron-
tières de la colonie, et d'agir sur l'offensive, quand il
croirait pouvoir le faire avec avantage, M. de Yaudreuil
envoya, dans le cours de l'hiver, plusieurs partis de
Canadiens et de Sauvages, pour reconnaître le pays, sur
les frontières des colonies anglaises. Un de ces partis,
qui avait pénétré au-delà du lac Champlain, revint
avec la nouvelle que les Anglais étaient occupés à for-
tifier le fort George, à l'extrémité du lac Saint- Sacre-
ment, et y avaient amassé une grande quantité de muni-
tions et de vivres. Le gouverneur et le général Mont-
calm furent d'avis qu'il fallait attaquer le fort, avant que
les ouvrages fussent achevés, et qu'il y eût été placé
une forte garnison.
Comme il n'y avait pas de temps à perdre, on forma
en diligence, un détachement de cent-cinquante soldats,
de six cent-cinquante Canadiens et de quatre cents
Sauvages. Le commandement en fut confié à M.
Rigaud de Yaudreuil, frère du gouverneur, et on lui
donna pour second, le chevalier de LoxGrEiL, lieutenant
de roi, à Québec. Le commandant eut pour instruc-
tions d'attaquer le fort par escalade, et s'il était repoussé,
de mettre le feu aux bateaux, aux magasins et aux
bàtimens qu'il trouverait auprès.
Rigaud partit de Mont-réal, au commencement de
mars, et campa, le 17 du même mois, derrière une colline,
à une lieue et demie du fort George. Son dessein avait
été de surprendre la garnison ; mais n'y ayant pas
réussi, il prit le parti d'investir le fort. En même
temps qu'il employait une partie de son monde à amasser
des fascines, il posta un corps de Sauvages sur le chemin
du fort Edward, afin de couper la communication avec
Albany. Le 21, il somma le commandant anglais de se
rendre ; mais celui-ci répondit qu'il était résolu de se
défendre jusqu'à la dernière extrémité. Désespérant de
DU CANADA. 347
pouvoir emporter le fort par escalade, Eigaud se vit
contraint de s'en tenir à la seconde partie de ses instruc-
tions: il brûla toutes les maisons qu'il y avait aux
environs du fort, l'hôpital, les magasins, trente bateaux,
et un grand nombre de chaloupes ; après quoi, il reprit
la route de Mont-réal.
Le gouverneur général approuva ce qu'avait fait son
frère, et vit, dans l'incendie des bateaux et des maga-
sins des Anglais, un moyen de retarder leurs progrès,
s'ils avaient dessein d'attaquer Carillon, ou la Pointe
de la Couronne. Afin de mettre les forts qu'il y avait
en ces endroits, dans un meilleur état de défense, M.
de Bourlamaque y fut envoyé, avec deux bataillons,
pour continuer les ouvrages, et s'assurer de la commu-
nication entre les deux lacs. Le capitaine Pouchot,
du régiment de Béarn, fut envoyé, en même temps, à
Niagara, avec ordre de mettre ce fort dans le meilleur
état de défense possible. Cet officier envoya aux tribus
du Nord et de l'Ouest Tinvitation de faire descendre
leurs chefs à Mont-réal, pour assister à un grand conseil
qui devait s'y tenir. Elles acquiescèrent toutes, et
promptement, à l'invitation, et envoyèrent à Mont-réal,
non seulement leurs chefs, mais encore un grand nom-
bre de leurs guerriers. Dans l'audience que leur donna
M. de Vaudreuil, il leur dit, entre autres choses, que
les Anglais étaient devenus les ennemis du grand
Onontiiio, leur père ; qu'ils avaient bâti, sur le terrain
de leur père, un fort qu'il avait reçu l'ordre de détruire,
et qu'il ne doutait pas qu'ils ne fussent d'eux-mêmes
portés à l'aider, dans cette entreprise. Ils lui répondi-
rent qu'ils étaient déterminés à se conformer à sa
volonté.
Comme l'entreprise contre le fort George exigeait,
pour réussir, plus de moyens que n'en avait eus M. de
348 HISTOIRE
Rigaud, on assembla, à Saint-Jean, où il avait été bâti
un fort, en 1749,* des troupes et des milices de toutes
les parties de la colonie. Le transport des vivres et
des munitions, qui se fit, en grande partie, par bateaux,
de Mont-réal à Sorel, et de là à Saint-Jean, fut encore
pour la plupart des employés corrompus et prévarica-
teurs du gouvernement, un moyen de s'enrichir par
toutes sortes de fraudes et de déceptions, ou plutôt par
le pillage de l'argent et des effets du roi.
Le chevalier de Lévis, qui commandait à Saint-
Jean, reçût, le 3 juillet, l'ordre de traverser le lac Cham-
plain, pour aller joindre le marquis de Montcalra, à Ca-
rillon (ou Fort- Vaudreuil), où ce dernier s'était rendu,
et était occupé à faire ses préparatifs, pour traverser
le lac Saint- Sacrement. Après la jonction, l'armée se
trouva forte de 5,500 Français et Canadiens, et de 17
à 1,800 Sauvages, avec trente-deux pièces de canon et
cinq mortiers. C'était la plus formidable qui eût encore
été assemblée en Canada.
Tandis qu'on se préparait à aller en avant, le colonel
Parker, envoyé, à la tête de quatre cents Anglais,
pour déloger une gai'de avancée, à Carillon, fut ren-
contré, sur le lac George, par cinquante Français et
trois cents Sauvages, commandés par M. de Corbieres.
Les Anglais, après un combat de courte durée, prirent
la fuite, pour gagner la terre ; mais ils furent atteints
et taillés en pièces.
Dans le même temps, le capitaine Marin, qui avait
été envoyé vers le fort Lydius, avec deux cents Sau-
vages, attaqua les retranchemens avancés, et enleva un
des principaux quartiers, où il tua deux cents hommes.
Les Anglais, revenus à eux, se mirent à sa poursuite,
mais il leur échappa.
* Sous la direction d'un ingénieur du nom de La Mokandieke.
DU CAXAPA. 349
Cependant l'armée s'ébranla: le 29 juillet, M. tle
Lévis prit sa route, par terre, avec 3,000 hommes:
ensuite le reste de l'armée s'embarqua sur quatre cents
bateaux ou canots. M. de Lévis, arrivé le premier
près des retranchemens des Anglais, occupa les défilés
qui conduisaient à l'endroit où l'on avait projette de
faire le débarquement, et en même temps, un gros de
vSauvages assit son ciimp sur les derrières du fort
George, pour lui couper toute communication avec le
fort Lydius. A la faveur de ces mesures, la descente
se fit, le 5 août, sans opposition, à environ une demi-
lieue du fort George.
Ce fort était un quarré flanqué de quatre bastions :
les murs en étaient formés par de gros troncs de sapins
renversés, et soutenus par des pieux extrêmement mas-
sifs. Le fossé avait de dix-huit à vingt pieds de
profondeur. Ce fort, où il y avait entre quatre et cinq
cents hommes, et une vingtaine de canons, était pro-
tégé par un rocher élevé, revêtu de palissades assurées
par des monceaux de pierres. La garnison de cette
espèce de citadelle était de 17 à 1,800 hommes, et l'on
ne pouvait l'attaquer avec l'artillerie que du côté de la
place, à cause des bois touifus, ou des marais qui en
bordaient les avenues, des autres côtés.
Après avoir disposé ses troupes comme pour com-
mencer le siège, mais avant d'avoir ouvert la tranchée,
le marquis de Montcalm envoya au colonel Monroe,
commandant de la place, par M. Fontbrune, son
aide-de-camp, une lettre, où il le sommait de se rendre,
en lui disant, qu'il arrivait avec une armée nombreuse,
un train considérable d'artillerie, et un grand corps de
Sauvages, dont il ne pourrait plus restreindre la fureur,
si quelques uns d'eux étaient tués ; qu'il lui était inu-
tile d'entreprendre de défendre sa place, dans l'espoir
350 niSTOïKE
d'être renforcé, vu qu'il avait pris toutes les précautions
pour qu'aucun secours ne pût lui arrivci", et qu'il lui
demandait une réponse immédiate et décisive. Le
colonel Monroe lui fit réponse, qu'il craignait peu la
barbarie, et qu'il avait sous ses ordres des soldats déter-
minés, comme lui, à vaincre ou à périr.
Cet officier croyait avoir des forces suffisantes pour
résister pendant quelque temps, et il s'attendait que le
général Webb, qui était à peu de distance, avec 4,000
hommes, attaquerait Montcalm, et le contraindrait à
lever le siège de son fort, ou du moins parviendrait à y
faire entrer des secours. L'inactivité de Webb ne
surprit guère moins le général Français que le colonel
Monroe, et le premier en profita pour pousser le siège
avec vigueur. La garnison se défendit avec bravoure;
mais au bout de quatre jours, ayant perdu tout espoir
d'être secouru, et voyant ses munitions presque épui-
sées, le commandant demanda à capituler. Les princi-
pales conditions furent, que la garnison sortirait avec
les honneurs de la guerre, et serait conduite au plus
proche des forts anglais, par une escorte de cinq cents
hommes, pour la mettre à couvert des insultes et de la
barbarie des Sauvages. Malgré cette précaution, ces
barbares, encore plus animés de l'amour du pillage que
de celui de la vengeance, et épiant le moment favorable,
celui de l'éloignement du corps de l'armée française,
tombèrent sur les Anglais, dans la route pour se rendre
au fort Edward, et en massacrèrent un grand nombre,
en dépit des effijrts de l'escorte française, obligée elle-
même d'agir avec prudence et ménagement, pour éviter
d'être enveloppée dans le massacre. Les Sauvages
prétendirent qu'on leur avait promis les armes et le
bagage de la garnison du fort George, et quand ils
virent qu'elle emportait tout, ils résolurent de se payer
DU CANADA. 351
de leurs mains. C'est du moins ce qu'ils dirent, pour
s'excuser; et malheureusement, leur grand nombre et
le besoin qu'on avait d'eux empêchèrent que les prin-
cipaux coupables, au moins, fussent punis comme ils le
méritaient. C'est ce qui est arrivi?, toutes les fois qu'on
a armé les Sauvages, sans être assez résolu, ou assez
fort, pour les contraindre à observer les lois de la
guerre.*
Tandis que quelques milliers de braves guerriers
s'efforçaient de rcliauser, dans ce pnys, la gloire mili-
taire de leur nation, des administrateurs infidèles sem-
blaient avoir pris à tâche de dilapider ses finances. La
* "La garnison, au lieu de sortir tout de suite, et de se mettre
en cheniiii, attendit jusqu'au lendemain. Comme on avait (im-
prudemment) promis le piHaj^e du fort à 1,500 Sauvages, qui
s'ctaient ti'ouvcsùcfcttt» pxn<'-<litii.ii, i-^ reiard leur fit penser qu'où
voulait les tromper. Queiijues uns s'ennivrèrent, sur cette idée,
pondant la nuit. Comme ils n'étaient point accoutumés à des
capitulations, en voyant sortir, le lendemain, la garnison avec ses
fc.T;;ts, ils se crurent tout de bon ti'ompés : ils se jettèrent dessus,
en massacrèrent quelques uns, et en firent des prisonniers, et
pillèrent tout. En vain, les généraux voulurent-ils s'y opposer:
il fallut cacher ces infortunés au mi'ieu des troupes françaises,
et dans les tentes ; encore en vinrent-ils tuer inhumainement, au
milieu de ceux qui s'étaient rendus leurs protecteurs. Cette action
(des Sauvages) passa pour détestable, et elle l'est en eftet; mais ^
il ne faut l'attriliuer ni à M. de ]Munt('AI.:\i, ni aux autres généraux,
mais au peu do diseipliue que 7.1. de Vauduiuu. mettait parmi
les Sauvages : il leui permettait tout ; qualité qu'il tenait de sou
père, comme de les croire absolument uécessaires." — Mémoires,
etc.
Après ce passage d'un écrivain qui, d'ordinaire, voit tout en
beau chez les An;,lais, et trouve tout mal chez ses compatriotes,
on ne doit pas être moins indigné que surpris, on lisant une note
où il est dit, que "les généraux français négligèrent, ou même
refusèrent, pendant le massacre, de prendre les précautions stipu-
lées parla capitulation, pour sîiuver la vie des prisonniers," et que
"ni les officiers, ni les troupes françaises, ne leur donnèrent
aucune prolection." Le ténungnage de l'historien de la Nouvelle
York, M. Smitii, invoqué ici, peut être apprécié à sa juste valeur,
quand il affirnu" que Munteahn avait 11,000 hommes de troupes ;
et M. C'auvkr, (]ui " fut fuit prisonnier dans cette afi'aire." et qui
"n'échappa ([ii'avec la plus grande ditViculié,"' conmient le put-il
faire, si ce ne fut par la protection des officiers français ?
352 HISTOIRE
corruption, qui avait commencé à marcher, le front
levé, sous l'administration de M. de La Jonquière, ne
sut plus où s'arrêter, sous celle du marquis de Vau-
dreuil. L'exemple donné par des fonctionnaires indi-
gnes, fut suivi par une partie des commandans des
postes militaires, dont quelques uns allèrent jusqu'à
présenter des comptes pour des articles qu'ils n'avaient
point fournis, et qui leur furent néanmoins payés, par
ordre de Tintendant. De là cette énorme quantité de
papier-monnaie, ou d'ordonnances, dont le pays se
trouva comme inondé, en 1 760. Nous regrettons d'avoir
à ajouter, que le débordement de Louis XV et de ses
courtisans, était imité, comme à l'envi, par l'intendant
et par une partie des employés publics, au grand scan-
dale de la population canadienne, et particulièrement
de celle des villes de Québec et de Mont-réal.
Il n'y eut aucun événement militaire remarquable,
depuis la prise du fort George jusqu'au siège de Louis-
bourg. Cette place, qui avait été bloquée, en 1757,
par une escadre anglaise, aux ordres de l'amiral Lou-
DOUN, fut attaquée et prise, dans l'été de l'année
suivante. Ce fut le 2 juin 1758, dit Raynal, à qui nous
empruntons, en grande partie, ce récit, qu'une flotte
composée de vingt-trois vaisseaux de ligne et de dix-
huit frégates, qui portaient 16,000 hommes de troupes
agguerries, jetta l'ancre dans la baie de Gabarus, à une
demi-lieue de Louisbourg. Comme il était démontré
qu'un débarquement fait à une plus grande distance ne
pouvait sei'vir de rien, parce qu'il aurait été impossible
de transporter l'artillerie et les autres choses nécessaix-es
pour un grand siège, on s'était attaché à le rendre
impraticable, au voisinage de la place. L'assaillant
vit la sagesse des mesures qui lui annonçaient des
difficultés et des périls : il crut alors devoir appeller h\
DU CANADA. 353
ruse à son secours, et pendant que, par une ligne pro-
longée, il menaçait et couvrait toute la côte, il descendit
en force sur le rivage de l'anse au Cormoran.
Cet endroit était faible de sa nature ; mais les Fran-
çais l'avaient étayé d'un bon parapet, fortifié par des
canons, dont le feu se soutenait, et par des pierriers
d'un gros calibre. Derrière ce rempart étaient 2,000
bons soldats et quelques Sauvages. En avant, il y
avait un abattis d'arbres si serré, qu'on eût eu bien de
la peine à y passer, quand même il n'aurait pas été
défendu. Cette espèce de palissade, qui cachait tous
les préparatifs de défense, ne paraissait, dans l'éloigne-
ment, qu'une plaine verdoyante.
C'était le salut de la colonie, si l'on eût laissé à l'as-
saillant le temps d'achever son débarquement, et de
s'avancer, dans la confiance de ne trouver que peu
d'obstacles à forcer. Alors, accablé, tout-à-coup, par
le feu de l'artillerie et de la mousqucterie, il eût infail-
liblement péri sur le i-ivage, ou dans la précipitation du
rembarquement. Cette perte inopinée aurait pu rom-
pre le fil de tous ses projets : mais l'impétuosité fran-
çaise fit échouer toutes les précautions de la prudence :
à peine les Anglais eurent-ils fait quelques mouvemens.
pour s'approcher du rivage, qu'on se hâta de découvrir
le piège où ils devaient être pris. Au feu brusque et
précipité qu'on fit sur leurs chaloupes, et plus encore à
l'empressement qu'on eut de déranger les branches
d'arbres qui masquaient les forces qu'on avait tant
d'intérêt à cacher, ils devinèrent le péril où ils allaient
se jetter. Dès ce moment, revenant sur leurs pas, ils
ne vii'ent plus d'endroit pour descendre, qu'un seul
rocher, qui même avait paru jusqu'alors inaccessible.
Le brigadier Wolfe, quoique fortement occupé du soin
if2
354 HISTOIRE
de faire rembarquer ses troupes, fit signe au major
Scott de s'y rendre.
Cet officier s'y porta aussitôt, avec les soldats qu'il
commandait. Sa chaloupe étant arrivée la première,
et s'étant enfoncée, au moment où il mettait pied à
terre, il grimpa tout seul sur le rocher. Il espérait y
trouver cent des siens, qu'on y avait envoyés, depuis
quelques heures ; il n'y en avait que dix. Avec ce
petit nombre d'hommes, il ne laissa pas de gagner le
haut du rocher. Les Français lui tuent deux hommes
et lui en blessent deux autres mortellement ; mais mal-
gré sa faiblesse, il se soutient dans ce poste important,
à la faveur d'un épais taillis. Enfin, ses intrépides
compagnons bravant, pour le joindre, et le courroux de
la mer et le feu du canon, achèvent de le rendre maître
de la seule position qui pouvait leur assurer la descente.
Dès que les Français virent l'assaillant solidement
établi sur le rivage, ils prirent l'unique parti qui
leur restait, celui de s'enfermer dans les murs de la
ville. Les fortifications de Louisbourg manquaient de
solidité : les revêtemens des différentes courtines étaient
entièrement écroulés. Il n'y avait qu'une casemate et
et un petit magasin à l'abri des bombes. La garnison
qui devait défendre la place n'était que d'environ 3,000
hommes, non compris les soldats de marine.
Le capitaine Desherbiers parvint à jetter quelques
secours dans la place ; mais l'artillerie anglaise ayant
mis le feu à un des vaisseaux français, l'incendie se
communiqua aux autres, et le port n'offrit plus qu'un
bassin désolé et couvert de débris flottants.
Malgi'é ces désavantages, les assiégés se déterminè-
rent à la plus opiniâtre résistance. Pendant qu'ils se
défendaient avec cette fermeté, les grands secours qu'on
leur faisait espérer pouvaient arriver, et à tout évène-
DU CANADA. 355
ment, ils préservaient le Canada de toute invasion,
pour le reste de la campagne. Qui croirait que tant
de résolution fut soutenue par le courage d'une femme ?
Madame de Drucourt, continuellement sur les rem-
parts, la bourse à la main, tirant elle-même trois coups
de canon, par jour, semblait disputer au gouverneur,
son époux, la gloire de ses fonctions. Rien ne décou-
rageait les assiégés, ni le mauvais succès des sorties
qu'ils tentèrent, à plusieurs reprises, ni l'habileté des
opérations concertées par l'amiral Boscawen et le
major-général* Amiierst. Ce ne fut qu'à la veille d'un
assaut impossible à soutenir, qu'on parla de se rendre.
La garnison de Louisbourg devait être prisonnière de
guerre, et conduite en Angleterre. Sa perte, en tués
et blessés, n'était pas considérable. Celle des assié-
geans, suivant Jefferys, fut de moins de deux cents
hommes tués, et d'environ trois cent-cinquante blessés.
Dans la capitulation de Louisbourg furent comprises
l'île du Cap-Breton et celle de Saint-Jean. Le gou-
verneur de cette dernière, qui ne se croyait pas lié par la
capitulation de Louisbourg, fit d'abord quelque résis-
tance, dans le fort qui la défendait ; mais il se rendit
ensuite au lieutenant-colonel Rollo, par une nouvelle
capitulation, en vertu de laquelle, les habitans de l'île
devaient reraetti'e leurs armes au commandant anglais,
et être ensuite transportés en France, aux frais de
l'Angleterre. Ces habitans, la plupart Acadiens réfu-
giés, étaient au nombi'e d'environ 4,000, répartis en
ditférents endroits de l'ile. Ils j vivaient presque tous
dans l'aisance, et plusieurs récoltaient jusqu'à 1,200
minots de bled, par année. Le nombre de leurs bêtes
à cornes était de plus de 10,000. Québec était un
* Maréchal-de camp, ou général de dinsion.
356 HISTOIRE
marché sûr pour le surplus de leurs grains et de leurs
viandes de boucherie, et la perte de l'ile Saint-Jean ne
contribua pas peu à augmenter la disette de vivres en
Canada.
Dès le commencement de l'année 1758, le marquis
de Vaudi'euil avait reçu avis qu'un gros corps de
troupes anglaises s'assemblait à Albany, sous le com-
mandement du général Akercrombie, dans la vue
d'attaquer Carillon. Comme la possession de ce poste
important n'était pas à négliger, il envoya des renforts
au marquis de Montcalm, qui était toujours dans ces
quartiers. Ces renforts arrivèrent à Cai'illon, le 20
juin. Le 1er juillet, le général fit prendre les devans
à jM. de Bourlamaque, avec les régimens de la Reine,
de Guienne et de Béarn, et les suivit, avec ceux de la
Sarre, de Languedoc et de Eoussillon, et le premier
bataillon de Berry, jusqu'à la Chute, où il campa. Le
second bataillon de Berrj, et plusieurs compagnies de
Canadiens furent laissés au fort, comme garnison.
Le lendemain, 2 juillet, M. de Bourlamaque reconnut
les montagnes, à la gauche du camp, et forma deux
compagnies de volontaires, sous les capitaines Bernard
et DrPRAT, pour être envoyées en avant, et obtenir
avis de l'approche de l'armée anglaise, qui était alors à
l'autre extrémité du lac George. Le 5, un de ces
partis donna avis que l'armée d'Abercrombie s'était
embarquée pour descendre le lac. Cette armée consis-
tait en 6,0('0 hommes de troupes réglées, et 12,000 de
troupes provinciales. Aussitôt que le signal de son
embarquement eut été donné, le colonel Bourlamaque
détacha le capitaine de Trepezee, avec trois cents
hommes, pour épier ses mouvemeus.
Le 6, on apperçut Tavant-garde de l'armée anglaise,
et à son approche du portage, Bourlamaque retraita,
DU CANADA. 357
pour rejoindre Montcalni, qui avait pris possession des
hauteurs, où l'ingénieur en chef PoNT-LE-lîOY avait érigé
des retranchemens, et fait faire un grand abattis d'ar-
bres. Dans sa retraite, le détachement de Trépézée,
qui s'égara, fut rencontré par un plus fort détachement
d'Anglais, commandé par lord IIowE. Il s'en suivit
un combat, où le commandant anglais fut tué, mais où
les Français furent défaits, avec perte d'un grand nom-
bre de morts et de blessés, et de cent-cinquante prison-
niers. M. de Trépézée y fut blessé mortellement.
Le 8 au matin, toute la garnison fut sous les armes :
les régimens de la Reine, de Guienne et de Béarn
étaient postées à la droite, sous les ordres de M. de
Lévis, qui venait d'arriver sur les lieux ; ceux de 1;^
Sarre et de Languedoc, et deux forts piquets, à la
gauche, Sôus M. de Bourlamaque. Le centre, où
s'était placé le marquis de Montcalm, se composait des
régimens de Roussillon et de Berry, et de plusieurs
j)iquets. Les volontaires attachés à l'armée avaient
pris position dans les bois ouverts, entre la rivière et
la chute. Les troupes de la colonie et les Canadiens
étaient postées derrière les retranchemens érigés dans
la plaine, et étaient soutenus par un corps de réserve,
composé des huit compagnies de grenadiers et de plu-
sieurs piquets. Ces dispositions faites, l'armée attendit
avec impatience l'arrivée des Anglais.
Vers midi, on entendit le feu commencer sur les
gardes avancées, qui se replier. nt, en bon ordre, sur
le régiment de la Sarre, et bientôt, les Anglais arri-
vèrent, en quatre colonnes, formées de 14,000 hommes,
trois sur la hauteur, et une sur le penchant de la cote.
Celle de la droite attaqua, la première, la gauche des
Français. La colonne du penchant de la côte, qui
venait presque en front dos Canadiens, après avoir
S58 HISTOIRE
essuyé leur pi'emière et leur seconde décharge, se replia
entièrement sur la régiment de la Reine, en montant
la colline, pour forcer ses retranchemens. Cette colonne
essuya le feu du régiment de la Reine, en tête, et celui
des Canadiens, en écharpe. Le combat ne fut nulle
part plus meurtrier qu'en cet endroit. Les Canadiens,
divisés en quatre brigades, commandées par MM. Ray-
mond, DE Saint- Ours, de Lanaudiere et de Gaspe',
alternativement, firent des sorties sur cette colonne, en la
prenant par-derrière, et lui tuèrent beaucoup de monde.
Déjà le combat était devenu général, sur toute la
ligne : les Anglais se précitaient sur les retranchemens
avec la fureur la plus aveugle : inutilement on les fou-
droyait, du haut du parapet, sans qu'ils pussent se
défendi'e; inutilement, ils tombaient enfilés, embarrassés,
dans les tronçons au travers desquels leur fougue les
avait emportés: tant de perte ne faisait qu'accroître
cette rage effrénée. Elle se soutint pendant plus de
quatre heures, et leur coûta près de 4,000 hommes tués
ou blessés, avant qu'ils abandonnassent une entreprise
aussi téméraire.
Sur les quatre heures, le feu se rallentit un peu : le
général Abercrombie avait laissé une réserve de 6,000
hommes à la Chute : il en fit venir 5,000, qui, joints
aux autres, recommencèrent un combat désespéi'é ; mais
la défense ne fut pas moins opiniâtre que la première
fois. Enfin, voyant qu'il n'y avait pour lui aucune
espérance de succès, et que s'opiniâtrer plus longtems,
c'était s'exposer à une entière défaite, le général anglais
prit le parti d'ordonner la retraite. Les derniers des
Anglais qui tinrent ferme furent ceux de la colonne du
penchant de la côte, et ce furent les Canadiens, sortis
de leurs retranchemens, qui eurent l'honneur de les
mettre en pleine retraite.
DU CANADA. * 359
La perte des Français fut d'environ cinq cents hommes
tués ou blessés, et celle des Anglais d'environ 4000:
il en fut enterré de 14, à 1,500, dans les retrancbemens
et dans les bois voisins. Le marquis de Montcalm ne
parut jamais plus grand que dans cette journée: il se
montrait partout, avec un air gai et assuré, et s'exposait,
comme le simple soldat, au plus grand danger, en faisant
mouvoir sa réserve, pour fortifier les endroits qui lui
paraissaient les plus faibles. MM. de Lévis et de Bour-
lamaque y donnèrent aussi des pi'euves éclatantes de
bravoure et d'iiabileté. Ce fut M. de Lévis qui dirigea
les mouvemens des Canadiens contre la colonne de
gauche des Anglais. M. de Bourlamaque fut blessé
grièvement.
L'armée française n'était pas composée de plus de
4,000 hommes, au commencement de l'action, et elle se
trouvait diminuée de cinq cents : celle des Anglais était
encore de 13 à 14,000 hommes: aussi s'attendait-on à
la voir revenir, le lendemain ; mais on apprit que le
général Abercrombie avait fait rembarquer ses troiipes,
à la hâte, et s'était retiré, avec elles, à l'extrémité du
lac George.
La victoire de Carillon ne dédommagea pas les Fran-
çais de la perte de Louisbourg ; mais elle retarda peut-
^tre d'un an encore l'envahissement du Canada.
Le général Abercrombie renonça au projet de se
rendre maître de Carillon et de Saint-Frédéric, mais il
accueillit favorablement la proposition que lui fit le
colonel Bradstuekt d'attaquer le fort de Frontenac.
M. Faykn de Noyax, qui conmiandait à ce poste, ayant
eu avis qu'il allait être attaqué, envoya, en diligence,
demander au gouverneur un renfort de troupes. M.
de Vaudrcuil fit partir 1,500 hommes de milices, sous
le commandement de M. Duplessis-Fabert ; mais à
360 * HISTOIRE
peine cet officier était-il arrivé à la Chine, qu'il apprit
que (le Noyan s'était rendu. Bradstreet ayant tra-
versé le Saint-Laurent, le 25 août, à la tête de 3,000
homme?, s'établit d'abord, à cinq cents verges du fort
Frontenac, s'en approcha ensuite, en s'emparant d'un
retranchement abandonné, et battit la place avec tant
d'effet, qu'au bout de trois jours, la garnison, que la
maladie ou la désertion avait réduite à cent-vingt
hommes, fut contrainte de se rendre prisonnière de
guerre. Le fort Frontenac contenait des canons, des
petites armes, des munitions et des vivres pour une
grosse garnison. Les Anglais y trouvèrent encore une
grande quantité de marchandises destinées au commerce
avec les Sauvages, et s'emparèrent d'une huitaine de
vaisseaux de 10 à 18 canons, qu'on n'avait pas eu la pré-
caution de faire éloigner, ou qui manquaient d'hommes
pour la manœuvre.* Après avoir démantelé la place,
brûlé les vaisseaux, et détruit les effets qu'il ne pouvait
pas emporter, Bradstreet retraversa le fleuve, et alla
rejoindre son général.
Aussitôt que le gouverneur général eut été informé
que les Anglais s'étaient éloignés de Catarocouy, il y
envoya un détachement de troupes et l'ingénieur Pont-
le-Roy, avec ordre de rebâtir le fort. Il fit partir, en
même temps, un autre détachement, sous le capitaine
DE MoxTiGNY, pour renforcer la garnison de Niagara,
et prêter main-forte, s'il était nécessaire, à M. de
Ligneris, successeur de M. Dumas, au fort Duquesne.
* " Cet endroit était l'entrepôt général de toutes les fournitures
des postes des paj's d'en haut : cela seul le rendait de conséquence,
et aurait dû mériter l'attention du marquis de Vaudreuil, si les
intérêts du roi lui eussent été chers. En vain, lui avait-on repré-
senté l'importance de ce poste, demandé qu'on le fit fortifier, et
qu'on y prit garde." — Mémoires, §"c.
DU CANADA. 361
Mais pour ce dernier poste, le renfort ne fut pas envoyé
à temps, ou n'était pas assez considérable.
Dès la fin de juillet, le brigadier Forbes était parti
de Pliiladelphie, avec un gros corps de troupes réglées.
Il fut joint, en route, par un corps de troupes provin-
ciales, sous le colonel Washington ; continua à s'avancer
à l'ouest; fit jonction, à Raystoxcn, avec le colonel
Bouquet, qui commandait, en cet endroit, et se trouva
à la tête de 7 à 8,000 hommes. Bouquet, envoyé en
avant, avec 2,000 hommes, s'arrêta à seize ou dix-
eept lieues du fort Duquesne, et détacha le major
GiîANT, avec huit cents hommes, pour en aller recon-
naître les approches.
Les Français, avaient été instruits, de bonne heure,
de tous ces mouveraens, et s'étant placés en ambuscade,
ils attaquèrent Grant, à l'iniproviste, le défirent, et le
firent prisonnier, avec trois cents de ses gens, après lui
en avoir tué ou blessé un égal nombre.
Cet échec n'affaiblissait pas assez l'armée anglaise,
pour donner à Ligncris la confiance de pouvoir lui résis-
ter, dans son fort ; aussi se hâta-t-il de se retirer, avec
sa garnison, dès qu'il sut que Forbes allait arriver. Le
général anglais, en prenant possession du fort Duquesne,
en changea le nom en celui de fort Pitt, ou Pittsburg.
Il y laissa une forte garnison, et s'en retourna à Phila-
delphie.
La prise des forts Frontenac et Duquesne ne permit
plus au marquis de Vaudreuil de douter que le but du
gouvernement anglais ne fut l'anéantissement de la puis-
sance française en Amérique. Il adressa aux capitaines
de milice une circulaire, oii il leur indiquait la conduite
qu'ils devaient tenir, et ordonna que toute la population
luâle, depuis l'âge de seize ans jusqu'à celui de soixante,
fut enrôlée et prête à marcher, au premier avis. Les
362 HISTOIRE
ordres du gouverneur furent exécutés, de point en point;
mais il était moins difficile de trouver des soldats que
des vivres, pour les nourrir : les devoirs militaires aux-
quels les cultivateurs étaient soumis, augmentèrent
encore la disette, qui se faisait sentir depuis l'automne
de 1755, où l'on avait été contraint de réduire la ration
de pain et de viande des troupes du roi, et où il j avait
eu, à Québec, une espèce d'émeute, surtout parmi les
femmes, en conséquence de la rareté du pain et des
viandes de boucherie. La récolte de 1758 fut très
médiocre, et les réquisitions de grains, que faisait le
gouvernement, augmentèrent encore la cherté du bled.
Quoique l'intendant en eût fixé le prix à douze francs,
le minot, les particuliers ne pouvaient s'en procurer à
moins de trente six à quarante francs. Ce n'était même
qu'avec beaucoup de difficulté que le gouvernement
pouvait en obtenir pour les troupes, quelque peu qu'il
leur en fallût, après la diminution delà ration ; diminu-
tion, à laquelle elles ne s'étaient soumises, ainsi qu'à
l'obligation de manger de la chair de cheval, qu'après
une mutinerie qui aurait pu avoir des suites fâcheuses,
mais qui fut appaisée, dès le principe, par la prudence
et la fermeté du chevalier de Lévis. Durant l'hiver de
1758 à 1759, on fut obligé d'augmenter la paie des
officiers, et de mettre une partie des soldats en quartiers,
chez les habitans des campagnes.
D'après le recensement qui fut fait, au mois de
janvier, le nombre des hommes en état de porter les armes
était de 7,411, dans le gouvernement de Québec; de
6,405, dans celui de Mont-réal, et de 1,313, dans celui
des Trois-Rivières ; faisant un total de 15,229 mili-
ciens.
Pendant le reste de l'hiver, une grande partie des
troupes et des milices furent employées à la réparation
DU CANADA. 363
et à l'approvisionnement des différentes garnisons de la
colonie.
Le gouverneur reçut, par le colonel de Bor gain-
ville, qui arriva à Québec, le 14 mai, la confirmation de
l'avis qu'il avait déjà reçu, que le dessein du gouverne-
ment anglais était d'attaquer le Canada, par terre et par
mer. Il lui était ordoliné de faire les meilleui'cs dispo-
sitions possibles, pour la défense de la colonie, à défaut
des secours qu'on ne pouvait pas lui envoyer.
M. de Bougainville était porteur des nouvelles pro-
motions pour les principaux officiers de la colonie : le
marquis de Vaudreuil était nommé grand-croix de l'ordre
de Saint-Louis ; le marquis de Montcalm, commandeur
du même ordre et lieutenant-général ; le chevalier de
Lévis, maréchal-de-camp ; MM. Bourlamaque et Sen-
NEZERGUES, brigadiers, et M. Dumas, major-général et
inspecteur-général des troupes de la marine.
Le 20 mai, M. de Vaudreuil émana une proclamation,
dans laquelle, après avoir enjoint aux capitaines des
milices de tenir leurs compagnies prêtes à marcher,
au premier ordre, il disait, entre autres choses, aux habi-
tans :
"Que la prochaine campagne fournirait aux Canadiens
l'occasion de se signaler; que sa majesté connaissait la
confiance qu'il avait en eux, et qu'il n'avait pas manqué
de l'informer des services qu'ils avaient rendus ; que
le roi ne doutait pas qu'ils ne fissent tous les efforts
qu'on pouvait attendre de sujets fidèles, d'autant plus
qu'ils auraient à mettre leur religion, leurs femmes et
leurs enfans à l'abri du cruel traitement qu'ils éprouve-
raient, de la part des Anglais, qui portaient contre eux
la haine jusqu'à les rendre responsables des cruautés des
Sauvages ; qu'il avait la satisfaction de pouvoir dire qu'il
n'appréhendait nullement pour le salut de la colonie ;
364 HISTOIRE
mais que cependant il prendrait les mesures les plus
efficaces, pour mettre en sûreté les biens et les droits
des habitans."
Quelques jours après, les milices du gouvernement
de Québec eurent ordre de se rendre dans les environs
de la capitale. H fut assigné, dans les bois, des endroits
particuliers, où les vieillards, les femmes et les enfans
devaient se retii'er, avec les bestiaux, à l'approche de la
flotte anglaise. Afin que cette approche fût connue
aussitôt que possible, il fut établi trois postes à signaux,
le premier, sur l'île du Portage, sous la direction de M.
de Lérj j le second, à Kamouraska, sous celle de M. de
MoNTESsoK, et le troisième, sur l'île d'Orléans, sous
celle de M. de L^v>'audiere.
Dans un grand conseil de guerre, tenu à Mont-réal,
pour aviser aux moyens de défendre efficacement la
colonie, il fut arrêté qu'un corps de troupes, sous le
marquis de Montcalm et deux officiers généraux, MM.
de Lé vis et de Sennezergues, serait posté à Québec ;
que iM. de Bourlamaque se rendrait à Carillon, avec
ordre de détruire les fortifications et de descendre le lac,
dans le cas de l'approche des Anglais, pour s'établir à
Vite aux Koix, et y faire face à l'ennemi, afin de l'em-
pôcher de pénétrer dans le pays ; que les petits forts de
la Présentation et de la Point r au Baril* seraient aban-
donnés, comme incapables de défense ; mais qu'un déta-
chement de huit cents hommes, sous M. de La Corne, se
rendrait incessament à la tête des rapides, pour y élever
de forts retranchemens.f
* Construit en 1758, à trois lieues de celui de la Présentation,
mais sur la rive opposée du Saint-Laurent.
•f Arrivé à la tête des rapides La Corne " se porta sur Vlh avx
Galops, qui en est l'entrée : c'est un endroit où l'eau, par uno
pt'nte forte se précipite, et forme en bas de sa chute, un clapotago
qui pourrait faire périr des canots qui ne seraient pas bien gou-
DU CANADA. 365
Ces résolutions furent aussitôt mises à exécution. A
son arrivée à Québec, le général Montcalm ordonna que
les troupes et les milices fussent employées à élever des
retranchemens à Beauport. II ne négligea rien de ce
qui pouvait mettre la capitale dans le meilleur état de
défense possible : il assui'a la communication de la vjlle
basse à la haute, par une forte palissade, et y fit élever
une plate-forme, sur laquelle furent placés des canons,
pour enfiler la rue. Une batterie érigée derrière l'Evé-
chc fut étendue de chaque côté, et jointe par une forte
palissade, qui se prolongeait sur le penchant de la
colline.
Il fut érigé plusieurs batteries pour la défense de la
basse ville, et toutes les communications avec le fleuve
furent barricadées. Saint- Roch et le palais de l'inten-
dant furent entourrés d'une palissade et protégés par de
petites batteries. On établit une batterie de gros canons
sur deux vaisseaux, qui fm'cnt calés dans la rivière
Saint- Charles, et l'on érigea une redoute, près du gué,
où l'on avait construit un pont de bateaux. Il fut cons-
truit une batterie flottante de dix-huit canons et plusieurs
brûlots, pour harrasser et tenter d'incendier la flotte
anglaise, et toutes les bouées et autres marques, pour la
navigation du fleuve, furent enlevées.
La garde des batteries dé là basse ville fut confiée à
un détachement de troupes de la colonie, sous les ordres
de M. Vaudain, lieutenant de marine. Il fut formé
un petit corps de cavalerie, dont le commandement fut
donné à M. de la Roche-Beaucourt, aide-de-camp
du marquis.de Montcalm. Enfin, la milice de Québec
verncs. Il fit faire des retranchemens sur l'île, entre laquelle et
la grande terre est cette chute. Il est surprenant qu'on ne se fût
pas jusqu'alors appcrçu qu'on pouvait passer autre part." —
mémoires, Sfc.
Gg2
266 HISTOIRE
fut formée en compagnies, et eut ordre de se tenir prête
à agir, au premier avis.
Le conseil de guerre dont nous venons de parler, fît
rapport d'un plan de campagne, dont les principales
dispositions étaient comme suit :
" La brigade de Québec, composée de 3,500 hommes,
et commandée par M. de Saixt-Ours, campera sur la
droite : la brigade des Trois-Rivières, forte de neuf
cent-vingt hommes, sous le commandemant de M. De-
LORiiE, campera aussi sur la droite, à la gauche de la
brigade de Québec : la milice de Mont-réal, consis-
tant eu 1,500 hommes, sous les ordres de M. Prud'-
H0-M51E, campera à la gauche des forces précédentes, et
la brigade de la ville et de l'Ile de Mont-real, forte de 2,300
hommes, sous le commandement de M. Hercin, formera
la gauche de la ligne. La réserve se composera de la
cavalerie, (au nombre de trois cent-cinquante hommes),
des troupes légères, composées d'un choix des troupes
de la colonie et de quelques volontaires acadiens, (for-
mant 1,400 hommes), et des Sauvages, au nombre de
quatre cent-cinquante ; formant un total de 2,200
hommes, sous les ordres de M. de Boishébert.
" L'artillerie, les etfets et provisions, sous la direction
de M. IMercier, seront placés, ainsi que la réserve,
dans les endroits qui pai'aitront les plus convenables,
selon qu'ils leur seront assignés. La milice de Québec,
composée de six cent-cinquante hommes, sera laissée
en garnison dans la ville, sous le commandement de M.
DE RAAiSAr, Ueutenant de roi. Les équipages des
autres vaisseaux qui seront désarmés et deviendront
inutiles, entreront dans la ville, pour y être employés
aux batteries. Tous les vaisseaux, bateaux, etc., seront
aux ordres de M. VauclaIx, commodore de la baie,
qui les emploiera de la manière qui lui paraîtra la plus
avantageuse, d'après l'exigeance des cas.
DU CANADA. 367
" Les dispositions pour s'opposer à la descente seront
celles-ci : l'armée passera la rivière de Snint-Cliarles :
la droite, composée des brigades de Québec et des
Trois-Rivières, campera dans la plaine, depuis la redoute
de la Canardière jusqu'à celle de l'embouchure de la
petite rivière de Beauport. Les deux brigades retran-
cheront le front de leur camp, pour le mettre à l'abri du
canon de J'ennemi. Les troupes de ligne, formant le
centre de l'armée, camperont sur les hauteurs de Beau-
port, et le long du chemin qui suit la petite rivière de
ce nom. La gauche, composée des brigades de la ville
et du gouvernement de Mont-réal, campera à la gauche
de l'église de Beauport, et s'étendra le long du sommet
de la grande escarpe, ou côte élevée, qui règne sur les
derrières de cette paroisse. La réserve se postera sur
le niveau de la chute de Montmorency, et étendra sa
droite le long de la hauteur dont on vient de parler,
afin de joindre la gauche de la ligne. Dans cette posi-
tion, l'armée retranchei'a la totalité de son front, pour
se mettre à couvert de l'artillerie de l'assaillant. On
fortifiera aussi les endroits qui paraîtront propres ;\
servir de communication avec le corps principal."
Dans le cas où la retraite deviendrait nécessaire,
après une défaite, l'armée principale devait traverser la
rivière Saint-Charles, au pont de bateaux, et la réserve
suivre le chemin de Charlesbourg, et même se retirer
jusqu'à Lorette, si elle était trop pressée pai* les enne-
mis, en tenant ferme, à chaque défilé, afin de retarder
leurs progrès. Tout ce qu'il y avait à faire, dans ce
cas extrême, est également détaillé, dans le rapport du
conseil de guerre, où l'on paraît avoir prévu tout ce
qui se pouvait faire de mieux, avec le peu de forces
que l'on avait, soit pour l'attaque, soit pour la défense,
ou enfin pour la retraite. Le but principal était d'em-
368 HISTOIRE
pêcher que Québec ne tombât au pouvoir des Anglais ;
car on était bien convaincu que du sort de la capitale
dépendait celui de toute la colonie.
Ce n'était pas assez d'avoir fait, ou ordonné les meil-
leures dispositions, et assemblé le plus de soldats et de
miliciens qu'il avait été possible, il fallait encore trou-
ver le moyen de nourrir ces troupes : c'était principale-
ment l'affaire de l'intendant, et il faut convenir qu'il y
mit un zèle plus qu'ordinaire. Pour rencontrer moins
de difficultés, dans l'achat du bled, il emprunta, sur sa
garantie personnelle, afin de le pouvoir payer en argent,
et au prix courant, au lieu de le payer en ordonnances,
et à un prix déterminé par lui, comme il avait fait pré-
cédemment. Il écrivit une circulaire aux curés de la
campagne, pour les induire à vendre eux-mêmes le
bled qu'ils avaient reçu pour dîmes, et à exhorter leurs
paroissiens à vendre au gouvernement ce qu'ils en
avaient de reste. Plusieurs citoyens se firent un devoir
de seconder l'intendant dans ses efforts, et particulière-
ment M. d'Eschambault, agent de la compagnie
des Indes, qui offrit généreusement tout l'argent qu'il
possédait, et alla même, en personne, dans différentes
paroisses, afin d'y acheter du bled et de la farine pour les
troupes.
L'escadre qui devait remonter le Saint-Laurent, avec
les troupes destinées à mettre le siège devant Québec,
avait fait voile d'Angleterre, vers la fin de février, sous
les ordres des amiraux Saunders et Holmes. Cette
escadre arriva devant Louisbourg, le 21 avx*il : mais le
port était encore tellement embarrassé de glaces, qu'elle
fut obligée de relâcher à Halifax. Le contre-amiral
DuRELL en fut détaché, avec quelques frégates, pour
le Saint-Laurent, qu'il avait ordre de remonter jusqu'à
l'Ile aux Coudres, afin d'intercepter tous les secours ou
DU CANADA. 369
approvisionnemens qui auraient pu être envoyés de
France pour Québec ; mais lorsqu'il arriva à l'endroit
qui lui avait été assigné, une flotte de dix -sept navires,
portant des effets militaires, des provisions de bouche,
et quelques recrues, était déjà entrée dans le port de
Québec, sous convoi de trois frégates.
L'amiral Saunders étant revenu à Louisbourg, afin
d'y embarquer les troupes qui n'étaient pas nécessaires
pour la garnison de cette place, mit à la voile, pour le
Saint-Laurent, et remonta ce fleuve, sans accident,
jusqu'à l'Ile d'Orléans,* Les troupes de terre, com-
mandées par le major-général Wolfe, ayant sous lui lea
brigadiers Monkton, Townsend et Murhay, débarquè-
rent sur cette île, le 27 juin, et aussitôt, le commandant
anglais fit répandre, parmi les Canadiens, un manifeste,
portant, en substance: "Que le roi, son maître, juste-
ment irrité de la conduite du monarque français, avait
fait un armement considérable, pour humilier son or-
gueil, en lui enlevant les principales de ses possessions
en Amérique ; que ce n'était point aux industrieux
paysans, non plus qu'à leurs femmes, à leurs enfans et
à leur religion, qu'il prétendait faire la guerre ; qu'au
contraire, illei'r offrait sa protection, et leur promettait
de les maintenir dans la possession de leurs biens, et
le libre exercice de leur culte religieux, pourvu qu'ils
se tinssent tranquilles, et ne prissent point part au
différent qui s'était élevé entre les deux couronnes ;
que la neutralité était pour eux le parti le plus sage
et le plus sûr, vu que les Anglais étaient maîtres du
* Kn arrivant à YUe aux Coiulres, l'amiral y avait dôbarqué
dos troupes, et aviiit imivoj'Ô sonder la buio Saint-Paul. " Le
sieur I)eskivii;ki;s, Canadien, à la tète de queiiines milices et
Sauvages abénaquis, se glissa, sans être appcrçu, dans l'ile, oii il
se mit on ambuscade. Trois officiers anglais étant venus à che-
Tal, sans se défier de rien, turent faits prisonniers,"
370 HISTOIRE
Saint-Laurent, et pouvaient empêcher qu'il ne leur
arrivât aucun secours de France, et qu'une autre armée
anglaise, sous le général Amherst, attaquerait bientôt
le pays, du côté de terre ; que les cruautés exercées
par les Sauvages alliés des Français sur les sujets de
sa majesté britannique, l'autoriseraient à user de repré-
sailles sur les habitaus du Canada ; mais qu'il espérait
qu'ils ne l'obligeraient pas à en venir à des mesures vio-
lentes, en rejettant les avantages qu'il leur offrait."
Ce manifeste ne produisit pas, pour lors, le moindre
effet, siu* l'esprit des Canadiens; ils n'en furent ni
moins disposés à affronter les périls, les fatigues et tous
les inconvéniens de la guerre, ni moins attachés à leur
gouvernement, quelles que vexations qu'ils eussent
éprouvées, depuis peu, de la pai-t de quelques uns de
ses employés. Il faut convenir aussi, que le point de
vue sous lequel ils pouvaient envisager le traitement
fait aux colons français de l'Acadie et à ceux de l'île
Saint-Jean, n'était pas propre à leur inspirer beaucoup
de confiance dans les promesses du général anglais ; et
l'on ne doit pas être surpris, comme le parait être M.
Smith, qu'ils aient mieux aimé abandonner leurs habi-
tations et exposer leurs famiUes à la ruine, que d'adopter
un plan qui devait leur paraître bien moins prudent
que pusillanime, et indigne de toute leur conduite
passée.
Montcalm avait posté un détachement de troupes,
avec du canon, à la Pointe Lévj, dans l'inter.tion de
harasser la flotte anglaise, lorsqu'elle arriverait à la
hauteur de cette place. Le commandant anglais n'eut
pas plutôt été informé du fait, qu'il détacha le brigadier
Monkton, avec quatre bataillons, pour déloger les Fran-
çais. Monkton traversa la rivière, de nuit, et fit son
attaque, dès la pointe du jour. Les Français furent
DU CANADA. 371
forc(!'3 de se retirer, et le poste fut aussitôt occupé par
les Anglais.
Montcalm se doutant que le but du général anglais,
en s'établissant sur cette hauteur, était d'y ériger une
batterie de canons et de mortiers, pour battre la ville, y
envoya un parti de 1,600 hommes, pour attaquer et
détruire les ouvrages commencés, avant qu'ils fussent
achevés. Mais la confusion se mit parmi ces troupes ;
les soldats tirèrent, les uns sur les autres, et le détache-
ment retraversa le fleuve, dans le plus grand désordre.
La batterie de mortiers et de canons fut érigée, et
bientôt, la basse ville no fut plus qu'un monceau de
ruines.
Les troupes anglaises étaient à peine débarquées sur
l'île d'Orléans, qu'il s'éleva une tempête furieuse: quel-
ques uns des plus gros vaisseaux chassèrent sur leurs
ancres ; plusieurs bâtimens de transport perdirent leurs
agrès, et un nombre de vaisseaux plus petits coulèrent
à fond, ou se brisèrent, l'un contre l'autre. Profitant
de l'obscurité de la nuit, et du désordre de la flotte
ennemie, le général français fit partir huit brûlots, pour
la réduire en cendres. Hommes et vaisseaux eussent
infailliblement péri, si roi)ération avait été conduite avec
le courage, le sang-froid et l'intelligence qu'elle exigeait ;
mais ceux qui en avaient été chargés ne possédaient
aucune de ces qualités, ou du moins, ne les réunissaient
pas toutes. Impatients d'assurer leur retour à terre, ils
mirent beaucoup trop tôt le feu aux bâtimens dont ils
avaient la dii-ection. Aussi les Anglais, avertis à temps
du danger qui les menaçait, vinrent-ils à bout de s'en
garantir, par leur audace et leur activité. Ils touèrent
les brûlots sur le rivage, où ils brûlèrent à fleur d'eau,
et il ne leur en coûta que deux faibles navires. On
essaya quelques cageux d'artifice, commandés par le
372 HISTOIEE
sieur de Courval, Canadien, qui ne réussirent paa
mieux.
Le général Wolfe traversa, le 9 juillet, de l'île d'Or-
léans sur la côte du nord, et campa à la gauche des
Français, sur la rive gauche de la rivière de Montmo-
rency. Il espérait qu'en montant le long de cette rivière,
il pourrait la traverser à gué, et attaquer Montcalm,
avec plus d'avantage que dans ses retranchemens. Mais
le général français, qui avait reconnu la rivière Mont-
morency, avait eu la précaution d'élever des retranche-
mens, à l'endroit du gué, le seul qui offrît un passage
praticable. Le détachement que Wolfe y envoya fut
attaqué, deux fois, dans sa route, et contraint de s'en
retourner, après avoir perdu une cinquantaine d'hommes.
Le général anglais, voyant peu d'apparence de succès,
de ce côté, passa devant Québec, le 18 juillet, avec
quelques vaisseaux portant des troupes, afin de recon-
naître les bords du fleuve, du côté de cette ville, et voir
s'il n'y trouverait pas un endroit favorable à la descente.
Ayant trouvé partout la côte inaccessible, entre Québec,
et le Cap Rouge, il se contenta d'envoyer le colonel
Carletox à la Pointe aux Trembles, où on lui avait
dit qu'il y avait des magasins d'armes et de munitions,
et s'en retourna découragé, et désespérant presque du
succès de l'entreprise contre la capitale du Canada.
Cependant, les généraux Prideaux et Johnson
s'étaient mis en marche, pour aller assiéger Niagara.
En passant à l'embouchupe de la rivière d'Ochouégo, il3
y laissèrent un détachement de 2,000 hommes, avec
l'ordre de rebâtir le fort détruit d'Ontario. Le chevalier
de La Corne s'avança, du même côté, dans le dessein
de harceler les Anglais, et de les empêcher, s'il était
possible, d'avancer vers Niagara. Les Français et lea
Anglais se trouvèrent en présence, les uns des autres ;
\
DU CANADA. 373
mais, comme le combat allait s'engager, la terreur
s'empara du détachement de La Corne, qui fut contraint
de s'éloigner. Quoique bien inférieur, du côté du
nombre, il croyait pouvoir renouveller la tentative, le
lendemain ; mais il trouva les Anglais sur leurs gardes,
et trop bien retranchés, pour qu'il fût prudent de les
attaquer.
M. Pouchot ne fut averti qu'il allait être assiégé que
par la vue des Anglais, qui parurent devant son fort,
le 5 juillet. Dès le soir, il reçut du général Prideaux
la sommation de se rendre. E. lui fît réponse que sa
garnison était brave, que sa place était forte, et qu'il
se flattait de mériter l'estime des Anglais, par la défense
qu'il y ferait. Il dépêcha aussitôt des couriers à M.
d'Aubrt et à M. de Ligneris, qui commandaient à
l'Ouest, pour leur mander de le venir joindre, avec
autant d'hommes qu'ils pourraient
Sur la réponse du commandant de Niagara, les An-
glais mii'ent le siège devant cette forteresse, et le pous-
sèrent avec vigueur et habileté ; mais la défense ne fut
ni moins vigoureuse, ni moins habile. Le 21, Prideaux
fut tué, et remplacé, dans le commandement, par sir
"William Johnson. Le lendemain, M. Pouchot reçut
une lettre de M. d'Aubry, lui annonçant qu'il arrivait,
avec 1,600 hommes, Français et Sauvages, et qu'il se
proposait d'attaquer les Anglais, dans l'espoir de leur
faire lever le siège de son fort.
Le combat se donna, en effet, le 23 ; les Français
commencèrent l'attaque, à leur ordinaire, avec beaucoup
d'impétuosité ; mais soit que leur commandant se fût
laisssé envelopper par des forces supérieures, comme il
est dit, dans les mémoires du chevalier de Lévis ; soit
qu'il eût été abandonné de ses Sauvages, comme le
porte une autre relation, au bout d'une heure, ils se
uh
374 HISTOIRE
trouvèrent hors d'état de résister. Tous les officierg,
au nombre de dix-sept, j compris MM. d'Aubry, de
Ligneris, de Moutignj, et jMarin, et presque tous les
Français, ou Canadiens, qui n'avaient pas été tués, furent
faits prisonniers.
Le lendemain, Johnson envoya un trompette au com-
mandant finançais, avec une liste des dix-sept officiers
faits prisonniers, pour le convaincre de l'inutilité d'une
défense prolongée. Pouchot se monti*a persuadé de
cette vérité, et il fut signé une capitulation, en vertu da
laquelle la garnison de Niagara, forte de six cents
hommes, sortit avec les honneurs de la guerre, pour t tre
ensuite embarquée sur le lac Ontario, et conduite à
New-York. Les femmes et les enfans furent envoyés
à Mont-réal.
La défaite du corps d'Aubry, et la reddition du fort
de Niagara firent une vive sensation dans la colonie,
d'autant plus que la communication avec le Détroit se
trouvait coupée, et qu'il devenait nécessaire d'évacuer
plusieurs autres postes. On fut persuadé que les An-
glais se présenteraient incessamment aux Rapides, d'où
La Corne avait écrit qu'il était hors d'état de résister,
et qu'il serait contraint de se retirer, à l'approche de
l'ennemi.
Le général Amherst arriva en effet, au commence-
ment d'août, à Carillon, qu'il trouva abandonné et détruit,
eu conséquence de l'ordre qu'avait reçu M. d'Hece-
COURT, qui y commandait, de se retirer, à l'approche do
forces supérieures. D'Hébecourt se retira d'abord au
fort Saint-Frédéric, qu'il fit sauter, et ensuite à l'Ile-
aux-Noix, où Bourlamaque avait élevé des retranche-
mens, et commandait une garnison de 3,260 hommes.
Ce général était parvenu à mettre cette place en état
de soutenir un coup de main ; il inspirait du courago
Dt CANADA. 3Y5
à ses troupes, il les animait par son exemple ; mais
la proximité d'une armée trois fois plus forte que la
sienne, commandée par un général de réputation, le
tenait dans une anxiété perpétuelle ; à peine ôsait-il
prendre un moment de repos.* 11 fit représenter
au gouverneur général, par son frère Rigaud, la situa-
tion critique où il se trouvait. Le général Mont-
calm ne croyant pas pouvoir diminuer les forces qu'il
commandait à Québec, on adressa aux officiers de
milice des lettres circulaires, par lesquelles on les invi-
tait à se rendre à l'Ee-aux-Noix, avec les vieillards,
et même les infirmes " qui se sentiraient de la disposi-
tion à écouter ce queleur courage leur dictait en faveur
de la patrie." On adressa la même invitation, ou le
môme ordre, aux seigneurs, ou nobles, qui n'étaient pas
à l'armée, et tous " allèrent avec plaisir " joindre le
général Bourlamaque. Mais le secours n'était pas assez
considérable, pour le mettre hors de danger et d'inquié-
tude.
Ayant appris que Saint-Frédéric avait aussi été aban-
donné, Amherst s'y rendit, avec son armée, forte d'en-
viron 10,000 hommes, et y construisit un nouveau fort,
qui prit le nom anglais de Crozcn-Pohtt
Pour nous rapprocher de Québec, le général Wolfe,
désespérant de pouvoir effectuer un débarquement, au-
dessus de cette ville, résolut d'attaquer Montcalm, dans
ses retranchemens. Dans ce dessein, il fit échouer de ux
* " Afin d'être toujours prêt, à la première alerte, il se couchait
de travers sur son lit, pour qu'une blessure, dont il se sentait
encore, ne le laiss.ât pas dormir loncjtems. Il faisait, toutes les
nuits, quatre ou cinq rondes, et tous les jours il était aux travaux.
11 lit punir sévèrement ceux qui mamiuèrent, et il n'eut jamais
rien di' commun avec les intéressés dans les affaires du roi ; aussi
fut -il cher à tous les honiu"'tes p^ens. Sa dif^nité le sauva de h\
malignité de ceux à qui sa conduite reprochait la leur." — Mimoira^
376 HISTOIRE
pingues, ou navires à varangues plates, vis-à-vis de la
principale redoute, à l'entrée de la rivière Montmorency,
et fit placer un vaisseau de 60 canons entre ces deux
bàtimens. Pendant que ces vaisseaux canonnaient la
redoute, les brigades de Townsend et de Murray furent
mises en bataille, pour tenter le passage du gué, quand
l'ordre leur en serait donné ; et celle de Moukton eut
ordre de traverser de la Pointe Lévy, pour soutenir les
deux premières, s'il était nécessaire.
A une heure de l'après-midi, Lévis fut informé que
2,000 hommes de troupes anglaises étaient en mouve-
ment, du côté du gué : il fît aussitôt partir cinq cents
hommes et les Sauvages, pour renforcer ce poste, et donna
ordre au capitaine Duprat de sui\re le mouvement des
ennemis, et de l'informer de ce qui se passerait. S'étant
apperçu que les troupes anglaises embarquées dans des
barges et des chaloupes paraissaient se diriger vers la
partie du camp retranché qui était vis-à-vis de la pointe
de l'Ile d'Orléans, il y fit marcher le régiment de Rous-
sillon, avec ordre au commandant de ce corps de com-
muniquer, par sa droite, avec les troupes qui s'avançaient
du centre de l'armée vers les redoutes du Sault. Le
général Montcalm joignit M. de Lévis, vers deux heures,
et approuva les dispositions qu'il avait faites.
Cependant, les barges anglaises faisaient divers mou-
vemens propres à inquiéter les Français, en les mettant
dans l'impossibilité de deviner en quel endroit se ferait
l'attaque principale, ou plutôt, en leur donnant à croire
qu'ils seraient attaqués, en même temps, à différents
endroits. Ces mouvemens divers venaient, en grande
partie, de ce que la plupart des barges s'échouèrent sur
des bas-fonds ; ce qui fit que les troupes ne purent dé-
bai-quer aussitôt que le général l'aurait désiré.
La brigade de ïownsend attaqua les retranchemens
t>V CANADA. 377
du Sault, avant qu'elle fût à portée d'être soutenue par
les deux autres, et fut reçue par un feu si vif d'artille-
rie et de mousquetcri^ que, dès l'abord, les grenadiers,
qui s'étaient avancés presque en désordre, à la tête des-
autres troupes, perdirent un grand nombre d'hommes,
et surtout d'officiers. Lévis, voyant que les Anglais
s'étaient détei*minés à ne faire qu'une seule attaque, fit
renforcer le point attaqué des régimens de Guienne et
de Roussillon. Les Anglais redoublèrent d'efforts,
soutenus par le feu de leurs vaisseaux échoués, mais
toujours sans succès, et perdirent beaucoup de monde.
Vers cinq heures, la confusion se mit dans leurs rangs ;
ils commencèrent à plier et à se retirer, et il survint
une espèce de tempête, qui les déroba, pour quelque
temps, à la vue de leurs ennemis.
Lorsque les Français les revirent, ils s'embarquaient
dans leurs barges et leurs chaloupes, derrière leurs
navires échoués.
La perte des Anglais, dans ce combat, qui se livra
le 31 jui^et, fut de cinq à six cents hommes, en tués,
blessés et pi-isonniers. Celle des Français ne fut
que d'une trentaine de soldats tués, et de quelques offi-
ciers blessi's. La victoire que ces derniers remportèrent
fut principalement due aux judicieuses dispositions et
à l'activité du chevalier de Lévis..-
Aussitôt après sa défaite, "Wolfe détacha le brigadier
Murray, avec 1,200 hommes, afin de seconder l'amiral
Holmes, qui était passé au-dessus de Québec, avec quatre
vaisseaux, pour tenter de détruire les frégates fran-
çaises. Murray tenta deux fois de descendre à la
Pointe aux Trembles, et fut repoussé, chaque fois, par
Bougainville, qui y commandait, avec environ 1,000
hommes. Le général anglais réussit néanmoins tl effec-
tuer une descente à Déchambault, c ù il brûla quelque
iih2
378 HiSToraE
bagage appartenant aux officiers de l'arméa française ;
après quoi, il se rembarqua.
Quelques jours après le combat de Montmorency, le
général Lévis fut envoyé dans le gouvernement de
Mont-réal, pour y ordonner les travaux et les disposi-
tions qu'il croirait les plus utiles pour la défense de cette
partie de la colonie.
Les Anglais passèrent tout le mois d'août à canonner
Québec et le camp de Montmorency, et à faire sur l'eau
divers mouvemens propres à inquiéter les Français.*
* Suivant M. Smith, les Anglais firent aussi, dans le cours du
même mois, dos excursions qu'on pourrait appeller déprédatoircs
et barbares, si elles avaient été telles qu'il les rapporte. " Le 1er
août, dit en substance cet historien, im détachement, commandé par
le capitaine Gorkham, fut envoyé à la Baie Saint-Paul, pour y
faire des vivres. Une corvette, qui convoyait le détachement,
ayant jette l'ancre vis-à-vis de l'île aux Coudres, elle fut saluée
par une décharge de mousqueterie, qui lui tua un homme, et lui
en blessa huit : sur quoi, le capitaine Goreham fit débarquer ses
gen^i, chargea les habitans, et les mit en fuite. Peu content de
cette facile victoire, il brûla toutes les maisons, et ne laissa sur
pied que l'église, sur la porte de laquelle il mit un écriteau, portant
qu'on en avait agi, et qu'on en agirait encore avec cette rigueur
envers les Canadiens, en conséquence du peu de cas qu'ils avaient
fait de la proclamation du général V\ olfe, et de l'inhumanité avfc
laquelle ils avaient traité les Anglais, en plusieurs occasions. Le
capitaine Gorehara fit ensuite un butin qui consista en vingt bétes
à cornes, quarante moutons, plusieurs cochons, des meubles, des
hardes, des livres, etc.
'• Le général Wolfe (dit toujours j\L Smith.) ayant appris que
le curé du Chaleau-Richer s'ètiùt fortifié, dans une grande maison,
avec quatre-vingts de ses paroissiens, y envoya un détachement,
avec une pièce de canon et un obusier. Au premier coup de canon
tirée sur la maison fortifiée, les Canadiens en sortirent, pour aller
au-devant des assaillans ; mais ils tombèrent dans une ambuscade,
qui leur avait été dressée, à l'entrée du bois : il y en eut trente
de tués, et les Anglais leur enlevèrent la chevelure, en conséquence
(ajoute notre historien,) de ce qu'ils s'étaient déguisés en Sau-
vages."
Le trait suivant peut ser\ar de pendant au précédent. " Quelque
temps après (le combat de Montmorency), fut tué l'abbé db
PoRTXEL'F, curé de Saint-Joachim. Ce prêtre avait endossé la
cuirasse : il était constamment à harceler l'armée (anglaise), à la
tète des habitans de sa paroisse. Un détachement qui s'était
trouvé à la portée de cette paroisse, avait été insulté de paroles
DU CANADA. 379
Dans les premiers jours de septembre, le gén/'ral
Wolfe, voyant la saison avancée, et désespérant do
pouvoir forcer les Français, dans leurs lignes de Beau-
port et de Montmorency, résolut, d'après l'avis de son
conseil de guerre, de changer de position, et d'essayer
de combattre Montcalm, dans une situation moins désa-
vantageuse ; une victoire étant à peu près devenue, pour
les assaillans, la seule alternative de salut.
Dans la nuit du 12 au 13 septembre (1759), les troupes
anglaises traversèrent, en plusieurs divisons, dans des
bateaux plats et des chaloupes, de la Pointe Lévy sur
la rive du nord, et débarquèrent, successivement, à
l'anse du Eoulon, appellée aussi, depuis, l'anse de JVolte
( TFoIfe's Cové), sans que les Français s'apperçussent de
leurs raouvemens, ou s'y opposassent. Un premier déta-
chement, composé de cent-cinquante hommes, réussit
d'abord, avec quelque difficulté, à gravir la cùtc, après
avoir délogé la garde française qui détendait, ou devait
£|ndre le passage, mais qui se laissa surprendre, quoi-
qucla nuit ne fût pas obscure.* Ce détachement fut
bientôt suivi d'un gros renfort, et enfin de toute l'armée,
qui se forma sur les plaines appellées les Hauteurs
(T Abraham. Elle se trouva en ordre de bataille, à la
pointe du jour, et s'avança alors, pour prendre une
par les habitans, qui avaient à leur tète ce prêtre. Le lendeinuin,
ce détachement revint vers Saint-Joachim : l'abbé Portneuf fut
fait prisonnier avec huit liabitans. Les Anglais le tuèrent, en lui
reprochant d'être sorti de son état, et d'avoir excité ces habitans
à les insulter." — Mémoires, Sfc.
* Cette carde, ou ce pi(|uet, était commandée par l'inepte et
indolent de Vergor, cpii ne s'était pas mioux dcfondn, trois ans
auparavant, dans son fort do Boauséjour. 1^'après les ordre»
réitérés de la cour, il avait été mis en jui^cinent, pour la reddition
de ce fort ; mais les démarches et les intrifjues de l'intendant,
auprès du gouverneur et des autres membres du conseil de guerre,
l'avaient fait acquitter.
Qucl
380 nisTOiEE
position plus avantageuse, entre la ville et l'anse du
Foulon.
' Aussitôt que Montcalm eut été informé du débarque •
nisnt des Aiiglais, qu'il eût été si facile d'empêcher, s'il
y eût eu des troupes pour s'y opposer, il se bâta de tra-
verser la rivière Saint-Charles et la ville, pour venir
oiFrir le combat au général Wolfe, laissant le marquis de
Vaudreuil et le baron de Sennezergues dans le camp,
avec un gros corps de Canadiens. L'armée Française,
ou plutôt son général, ne consultant que son ardeur, en
cette occasion, ou peut-être étourdi par l'apparition de
Wolfe sur les hauteurs d'Abraham, résolut de tout
bazarder, malgré la disproportion des forces, et quoiqu'il
ne tînt qu'à lui de combattre le général anglais, avec
des forces supérieures, au moins du côté du nombre.
Il ne fallait, pour cela qu'un peu de patience et de tem-
porisation : la garnison de Québec pouvait se renforcer
sur-le-champ, et la jonction de l'armée de Montcalm et
du gros corps de troupes que commandait le colonel de
Bougainville, au-dessus de Jacques- Cartier, pouvait
s'effectuer dans l'espace de quelques heures. L'armée
anglaise se trouvait alors, si elle eût voulu conserver sa
position, entre le feu de la ville et celui de l'armée fran-
çaise ; et l'on avait encore le choix de combattre tout
de suite, ou d'attendre l'arrivée d'un nouveau renfort de
Mont-réal, en supposant qu'on eût eu le soin d'approvi-
sionner Québec pour quelque temps. La précipitation
de Montcalm, jointe à d'autres circonstances malheu-
reuses, commença le désastre des Français, et celle de
M. de Ramsay le compléta.*)
. U
* Le p^énéral ilontcalra " n'avait point encore acquis l'expéri-
ence qu'il faut pour commander en clief : il se faisait lui-même
des maximes nouvelles ; c'est ce qu'on voit par sa position pour la
défense de Québec. Il paraissait très naturel que M. Wolfe
cherchât à prendre Québec, et à éviter une bataille ; il fallait donc
DU CANADA. 381
Ayant été joint par M. de Sennczergues, avec la plus
grande partie des Canadiens, Montcalm rangea son
armée en bataille. Cette armée se composait alors
d'environ 2,000 hommes de troupes réglées, de 5,000
miliciens et de quatre à cinq cents Sauvages. Celle de
Wolfe n'était pas plus nombreuse, si même elle ne l'était
pas un peu moins; mais elle se composait toute de troupes
réglées et agguemes.
Le combat commença par un feu de tirailleurs, que
firent les milices canadiennes et les Sauvages, placés
dans des buissons, sur les ailes. Vers 9 heures, les
Français s'avancèrent, en assez bon ordre ; mais ils
commencèrent à tirer de trop loin, et le firent assez irré-
gulièrement, comme on le devait attendre d'une armée
presque toute composée de miliciens ; car, selon l'ex-
pression de M. de Lôvis, " les bataillons mêmes étaient
farcis, d'habitans, qu'on avait incorporés avec les soldats,"
et les meilleurs d'entre ces derniers avaient été envoyés
à Jacques- Cartier. Le feu des Anglais, au contraire,
fut vif et bien dirigé; aussi leurs adversaires ne tardè-
rent-ils pas à perdre du terrain. Pour comble de mal-
heur, le marquis de Montcalm, le baron de Sennczer-
gues, son second, et M. de Saint-Ours, qui faisait les
que M. (le ^Montcalm se portât de faocm que le général anglais ne
pût faire l'un sans l'autre. Comme Québec n'a qu'un front d'at-
taque, M. de Montcalm, en le gardant, ôtait toute espérance à M.
Wolfe de réussir, puisqu'il n'aurait pu l'attaquer que de Iront,
étant gardé, dun côté, par des rochers escarpés, et de l'autre par
un rideau assez haut et roide, pouvant à tout besoin secourir la
ville, do tel coté qu'on ratta(iuât, et l'cnnenii ne pouvant l'attaquer
qu'avec un grand désavantage."
Il ne faut pourtant pas accuser ce général d'une imprudente
précipitation, sans exposer les raisons qui l'en peuvent excuser. "No
pensant pas avoir affaire à un corps considérable, mais à quelque
détachement, il s'empressa d'attaquer, aiin qu'en les culbutant
vers les hauteurs, il ôtat l'espérance aux antres de pouvc/ir monter.
Il fut surpris de voir un emps si considérable. Il jugea qu'il ne
devait pas néanmoins reculer." — Mviiwircs, Sf-c,
382 HISTOIRE
fonctions de brigadier, furent blessés mortellement, dans
ce moment critique, et il ne se trouva personne en état
de les remplacer.
Le général "Wolfe, qui se tenait en avant, sur la droite
de sa ligne, à l'endroit oii l'attaque était la plus vive, fut
aussi blessé, d'abord grièvement, et ensuite mortellement,
par le feu des tirailleurs canadiens, au moment où les
Français commençaient àreculer.* B fut remplacé parle
brigadier Monkton, qui blessé lui-même dangereusement,
fut contraint de céder le commandement à Townsend.
Ce dernier sut profiter des avantages déjà obtenus, en
faisant avancer à propos les troupes tenues jusqu'alors
en réserve. Ce fut vainement que les Français conti-
nuèrent à faire des efforts, sur leur droite, où se trouvait
le plus grand nombre des troupes réglées, pour prendre
les Anglais en flanc, suivant le plan de leur général ;
n'étant pas, comme leurs adversaires, soutenus par un
corps de réserve, ils furent contraints de reculer, et ce
mouvement rétrograde entraîna la retraite précipitée de
l'aîle gauche et du centre. Le marquis de Yaudreuil,
qui se trouvait, en ce moment, à la porte de la ville,
voulut rallier les troupes, mais sans succès. Elles le
croyaient, suivant l'auteur des Mémoires sur le Canada,
incapable de co:nmander.
Le colonel de Bougainville, parti de son poste, avec
environ 1,000 hommes, n'arriva pas assez tôt sur les
derrières de l'armée anglaise, pour faire changer le sort
de la journée. B attaqua un des postes de l'ennemi ;
mais n'ayant pas réussi à s'en rendre maître, et appre-
nant que l'armée de Montcalm avait été défaite, il se
*Les forces lui manquant, il s'appuya sur l'épaule d'un lieute-
nant. Cet officier voyant les rran<;ais plier, s'écria : " Ils fuient.
Qui sont ceux qui fuient, dit Wolfe. — Les Français, répondit le
lieutenant — Quoi déjà ! répartit le général anglais : je dois donc
mourir content,"
DU CANADA. 383
retira vers la Vieille Lorette, pour y attendre les ordres
de M. de Vaudreuil.
La perte, en tués et blessés, fut d'environ six cents
hommes, dans l'une et dans l'autre armée ; mais les
Français perdirent, en outre, deux cent-cinquante pri-
sonniers. M. de Sen:iezergues fut recueilli sur le
champ de bataille, et porté sur un des vaisseaux de la
flotte anglaise, où il mourut, le lendemain. Le général
Montcalm fut porté dans la ville, après sa blessure, et
mourut aussi, le 14 au so'r, après avoir indiqué les
mesures qu'il croj'ait les plus propres à réparer le revers
de la veille.* Son corps fut enterré dans un trou
qu'une bombe avait fait dans l'église des ursulines.f
Pour revenir à l'armée française, après avoir traversé
la ville, et la x'ivière de Saint-Charles, au pont de ba-
teaux, elle rentra dans le camp de Beauport. Le pre-
mier soin du gouverneur fut d'envoyer cinquante
hommes par bataillon, pour renforcer la garnison de
Québec. Le soir, il assembla un conseil de guerre,
composé des coramandans des dilFéreuts corps, pour déci-
der des mesures à prendi'c, dans les circonstances où
l'on se trouvait. Sur la crainte que l'on avait que les
Anglais ne marchassent au poste de Jacques- Cartier, et
* On a ('crit que les cliiriirgiens qui le pensaient lui ayant dit
que sa blessure était mortelle, et qu'il ne passerait pas le lendc-
m lin, il s'écria : " J'en rends grâce à la providence ; je ne serai
pas témoin de la reddition de Québec." Outre que ces paroles,
toutes belles qu'elles sont, ne s'accordent pas avec les avis encou-
rageants que îemar(|uis de Muntcalm donna aux siens, avant sa
mort, il est certain, (ju'avec des hommes habiles et résolus, la
reddition de Québec ne devait pas être la conséquence inévitable
d'un combat où les vainqueurs avaient presque autant perdu que
les vaincus, et pouvaient être attaqués, dans une mauvaise posi-
tion, par des forces supérieures à celles (ju'ils venaient de combattre.
Dans les autres choses que Af. Smiih fait dire au marquis do
Montcalm mourant, cet écrivain ne mérite pas lu moindre croyance.
f In excauatù humo quain globus bcUicus decidcns dissilUnsque
dejbderat, dit l'Epitaphe.
384 HISTOIRE
sur l'exposé qu'on allait manquer de vivres, il fut décidé
qu'on se retirerait, à l'entrée de la nuit. Afin que
l'ennemi ne s'apperçût pas de la retraite, et pour la faire
avec moins d'embarras, attendu qu'on manquait de
moyens de transport, on laissa le camp tendu, et l'on
abandonna le bagage, l'artillerie, les munitions et les
vivres.
Ainsi dénuée de tout, par la pusillanimité des chefs,
l'armée se mit en marche, dans le plus grand silence,
et passa par la Jeune et l'Ancienne Lorette, traversa la
rivière du Cap Rouge, et arriva, en partie, à la Pointe
aux Trembles, le 14 à midi. Bougainville, chargé de
faire l'arrière-garde, eut ordre de rester, ce même jour,
à Saint-Augustin. Les miliciens du gouvernement de
Québec se dispersèrent, pour s'en retourner chez eux :
une partie de ceux des autres gouvernemens en faisaient
de même ; tandis que d'autres pillaient, dans les cam-
pagnes, sans qu'il fût possible d'arrêter ce désordre.
On arriva, le 15, dans le même ordre que la veille, à
Jacques- Cartier. Bougainville vint à la Pointe aux
Trembles, d'où il écrivit à M. de Vaudreuil, afin de
savoir s'il jugeait à propos qu'il y restât, pour observer
les ennemis. Le même jour, le chevalier de Lé vis reçut,
à Mont-réal, une lettre, par laquelle M. de Vaudreuil
lui apprenait la défaite du 13, et lui mandait de le venir
joindre, à Jacques-Cartier, pour prendre le commande-
ment de l'ai-mée.*
*Le chevalier de Levis, revenu des Rapides à Mont-réal,
" apprenant que les Canadiens quittaient l'armée, pour courir à
leur récolte, pour la sauver, fit le projet de faire publier contre eux-
une ordonnance, sous peine de la vie. On lui représenta qu'il ne
pouvait exécuter cette ordonnance, qu'elle ne parût être émanée de
M. de Vaudreuil, mais que ce général n'avait pas le pouvoir de la
cour ; que les Canadiens ne pouvaient être regardés que comme
des volontaires, qui servaient sans solde ; et qu'en outre, il parais-
sait criant que tout le monde en général abandonnant ses biens pour
DU CANADA. dbo
_X Ce général se mit en route, le même jour, après avoir
donné ses ordres, pour la défense des frontières et pour
la subsistance des troupes, et arriva à Jacques- Cartier,
le 17. Il fit part à M. de Vaudreuil des ordres qu'il
avait donnés, et de ceux qu'il convenait de donner, pour
empêcher la désertion, qui devenait, de jour en jour,
plus considérable. Il lui représenta que pour arrêter
ce désordre, le seul moyen était de marcher eu avant ;
qu'il fallait faire tout au monde, et tout bazarder, pour
empêcher la prise de Québec, et au pis-aller, faire sortir
tout le monde de la ville, et la détruire ; de manière que
les Anglais n'y pussent point passer l'hiver ; observant
qu'ils n'étaient pas assez forts pour garder la circonval-
lation de cette place, et empêcher les Français d'y com-
muniquer ; qu'il fallait se mettre en mesure de menacer
et d'attaquer les ennemis, et s'approcher d'eux, à la faveur
des bois du Cap Rouge et de Sainte-For/, et que s'ils
s'avançaient, de leur côté, il les fallait combattre ; que
e'il arrivait que l'armée française fût battue, elle se
retirerait vers le haut de la rivière du Cap Rouge,
laissant, vers le bas, un gros détachement, de manière
à favoriser la sortie de la garnison de Québtc, après avoir
incendié la ville.
Le gouverneur général approuva le plan de M. de
Lévis, et dépêcha des couriers au commandant de Qué-
bec, pour l'informer des mesures qu'on allait prendre.
M. de Lévis écrivit aussi au chevalier de Bernest, qui
y commandait en second, pour l'exhorter à ranimer le
couraîïe et à réchauffer le zèle de la garnison.
le service, on voulût punir de mort quelques uns que de pressants
besoins faisaient revenir chez eux, et niurcluiient autre part,
presque aussitôt leur arrivée ; le tout sans murmurer. Ces reprt>.
Bentationsne produisirent autre chose, (pie de faire intilulerl'ordcin-
nance au nom du marquis de Vaudreuil. On la lui envoya ; matfi
ce pcncral ne voulut pas la signer, disant cpril ne le pou\ait sans
un ordre précis du roi.'" — Mémoires, {\-c.
li
386 HISTOIRE
Le manque de vivres fut cause qu'on ne put se mettre
en marche que le lendemain, 18. Le même jour, le
chevalier de Laroche-Beaucourt entra dans la ville, avec
cent chevaux portant des sacs de biscuits, et annonça
que l'on était eu marche pour secourir la place, à
quelque prix que ce fût. L'armée arriva, le soir, à la
Pointe aux Trembles, et le détachement de Bougainvillc,
qui faisait alors l'avant-garde, à la rivière du Cap Rouge.
Le 19, l'avant-garde se porta sur la rivière Saint-
Charles, et le corps de l'armée à Loi-ette. En arrivant
sur la rivière Saint-Charles, M. de Bougainvillc apprit
que, par une précipitation inconcevable, pour ne pas
dire, par une insigne lâcheté, le commandant de Québec
avait capitulé, malgré les espérances certaines d'un
secours prochain, qu'on lui avait données, et avant, dit
un historien anglais, qu'il y eût une seule batterie de
dressée contre la place. Eh ! qu'obtenait-on, par cette
capitulation ? des choses qu'on n'est plus dans l'habitude
de perdre par les évènemens de la guerre, telles que
l'exercice de sa religion, la conservation de ses biens,
la liberté personnelle.
11 est vrai que les habitans de Québec, dont plusieurs
avaient déjà cruellement souffert du bombardement de
la ville, avaient bien sujet d'appréhender les suites d'un
siège ; aussi l'auteur des Mémoires sur le Canada pré-
tend-il que ce furent eux, qui, par leurs instances et
leurs représentations, forcèrent, en quelque sorte, M.
de Ramsay à se tant hâter de capituler. Il est vrai
aussi, qu'en retraitant précipitamment, jusqu'à Jacques-
Cartier, M. de Vaudreuil n'avait pas agi de manière à
inspirer beaucoup de courage et de fermeté à la garnison
et au commandant de Québec ; mais ce commandant ne
paraît plus excusable, lorsqu'il se rend, après avoir
appris que le secours arrive.
r,
DU CANADA. 387
Cet événement l'ciulait inexôeutable le dessein qu'on
avait formé d'attaquer les Anglais, et il fallut rebrousser
chemin. Bougainville sauva une partie des effets et
des munitions laissés d'abord dans le camp deBeauport,
dont les Anglais ne s'étaient pas approchés. Le gros
de l'armée fut, le 21, à la Pointe aux Trembles, et le
24, à Jacques-CartitT, où l'on commença à travailler à
la construction d'un fort.
" L'Europe entière, dit Raynal, crut que la prise de
Québec finissait la grande querelle de l'Amérique Sepr
tentrionale. Personne n'imagina qu'une poignée de
Français, qui manquaient de tout, à qui la fortune même
semblait interdire j usqu'à l'espérance, osassent songer à
retarder une destinée inévitable. On les connaissait mal.
On perfectionna, à la hâte, des retranchcmens, qui
avaient été commencés, à dix lieues au-dessus de Qué-
bec. On y laissa des troupes suffisantes pour arrêter
les progrès de la conquête, et l'on alla s'occuper, à
Mont-réal, des moyens d'en effacer la honte et la dis-
grâce."
Le Canada eût probablement passé sous la domination
anglaise, dès l'automne de 1759, si l'armée du général
Amherst eût pu pénétrer dans le pays. Ce général fit
embarquer ses troupes, dans des bateaux, sur le lac
Champlain, le 11 octobre ; mais une tempête furieuse le
contraignit de relâcher dans une baie, et d'y faire débar-
quer ses troupes. Dans l'intervalle, le capitaine Louixg,
qui commandait une flotille de brigantins, donna la
chasse à une corvette et à deux xebecs, que M. de lîour-
lamaque avait fait lancer sur le lac, au commencement
de l'été. La goélette se sîWiva ; les xebecs, à la veille
d'être pris, s'échouèrent sur des bas-fonds, et les équi-
pages s'échapi)èrent à travers* les bois. Amherst fit
rembarquer ses troupes, au bout de quelques jours ;
388
HISTOIRE
mais assailli, de nouveau, par une tempête, et voyant la
saison trop avancée pour commencer une campagne, il
prit le parti de reconduire ses troupes à la Pointe à la
Chevelure. Il laissa de grosses garnisons aux forts de
Crown- Point et de Ticondo oga, (ci-devant Carillon,) et
alla passer l'hiver à New-York.
Le général Townsend était parti pour l'Angleterre,
avec la flotte, presque aussitôt après la capitulation de
Québec. Le général Mui'ray fut laissé dans cette ville,
avec une garnison de 5 à 6,000 hommes.
Aussitôt que la nouvelle officielle de la reddition de
Québec fut parvenue en Angleterre, la ville de Londres
et plusieurs autres corporations du royaume, présentè-
rent au roi (Georges II) des adresses de congratulation ;
et dès que le parlement fut assemblé, il résolut, unani-
mement, qu'il serait présenté au roi une adresse pour le
prier d'ordonner qu'il fût érigé un monument à la
mémoire du gén» rai Wolfe, dans l'abbaye de West-
minster. Il fut voté, en même temps, des remercimens
aux généraux et aux amiraux employés dans l'expédi-
tion contre Québec. Enfin, il fut ordonné, par une
])roclamation royale, qu'il serait célébré un jour d'actions
de grâces générales, dans tous les domaines de la Grande-
Bretagne.
Le mois de novembre fut principalement employé,
du côté des Français, à mettx'e les troupes en quartiers
d'hiver. Une partie des soldats de la colonie fut envoyée
à Mont-réal ; le reste demeura dans les environs de
Québec. Le régiment de Languedoc fut cantonné dans
le gouvernement des Trois-Rivières, et les autres, dans
celui de Mont-réal, de la manière suivante : le régiment
de Béarn, dans l'ile de Mont-réal : celui de la Sarre,
dans l'Ile Jésus ; celui de Guienne, à Sorel et à Varen-
nes ; le royal Roussillon, à Boucherville et à Laprairie ;
DU CANADA. 389
et les deux bataillons de Berry, à Terrehonne et à Ber-
th'ier. Deux frégates et autres vaisseaux furent envoyés
à Sorel, pour y passer l'hiver.
Avant la clôture de la navigation, le gouverneur et
l'intendant préparèrent leurs dépêches pour le ministre
des colonies. Le munitionnaire, M. Cannox, qui en
fut chargé, partit de Mont-réal, le 22 novembre, avec
un nombre de corvettes et de navires, et descendit
jusqu'à trois lieues au-dessus de Québec, pour être à la
portée de tenter le passage, devant la ville. Un coup
de vent accompagné d'un épais brouillard y assaillit la
flotille française: quatre vaisseaux s'échouèrent, et furent
perdus; les autres, sur l'un desquels était le sieur Cannon,
passèrent devant la ville, sans être apperçus, et arrivè-
rent en France, sans accident.
Deux jours après le naufrage, les Anglais envoyèrent
une quarantaine d'hommes, sous le commandement d'un
capitaine et d'un lieutenant, dans une goélette armée,
pour piller les bâtimens échoués. Le capitaine ayant
fait allumer une bougie, sur l'un des navires, pour en
examiner l'intérieur, quelques étincelles tombèrent sur
de la poudre, qui y avait été laissée par hasard, ou à
dessein ; le navire sauta, et le capitaine (Miller), son
lieutenant, et une trentaine d'hommes y périrent.
Dans le cours de décembre, les Acadiens de Mira-
michi. de Richibouctou, et autres lieux, le long du golfe
de Saint'Laurent, envoyèrent des députés au colonel
Frye, qui commandait au fort Cumberland, pour lui
annoncer qu'ils se mettaient sous la protection de l'An-
gleterre.
Au mois dejanvier, le capitaine Saint-Martix, de la
marine, fut envoyé, avec quatre cents hommes, dans les
paroisses situées au sud du fleuve, au-dessus de Québec,
afin d'en faire passer dans les gouvernemens supérieurs
ii2
390
HISTOIRE
le plus qu'il pourrait de bêtes à cornes. Cet officier
s'avança jusqu'à la Pointe Lévy, afin d'empêcher les
Anglais de traverser, en bateaux, sur la rive du sud, et
de le ti'oubler dans ses opérations. Ils ne le troublèrent
pas, en effet, tant qu'il ne fut pas possible de traverser
le fleuve autrement qu'en bateaux, et il eut le temps
d'assembler et d'envoyer sur la rive du nord, une grande
quantité de gros et de menu bétail. Mais au commen-
cement de février, la glace ayant pris devant Québec,
le général Murray fit marclier un gros détachement à
la Pointe Lévy, afin d'en déloger les Français. Après
quelques escarmouches, Saint-Martin se retira à travers
les bois, et passa la rivière de la Chaudière. M. Dumas
qui commandait, sur cette frontière, lui envoya un
renfort, avec l'ordre de demeurer sur les bords de cette
rivière, pour en défendre le passage. Quelques jours
après, un parti de cinquante Anglais s'étant avancé,
pour reconnaître la position de Saint-Martin, cet officier
traversa la rivière, les attaqua, en ambuscade, fit quelques
prisonniers, et tua ou dispersa le reste.
Les Anglais n'ayant laissé qu'un détachement peu
considérable à la Pointe Lévy, on crut qu'il serait pos-
sible de les en chasser. Afin de rendre plus facile
l'exécution de ce dessein, M. de Bourlamaque, qui arrivait
de Mont-réal, devait exécuter divers mouvemens autour
de Québec. Mais au lieu de marcher lui-même sur-le-
champ, ou de faire marcher le capitaine Saint-Martin,
droit au poste anglais, Dumas envoya d'abord cet officier
avec un gros détachement, se poster à la Pointe des
Pères, vis-à-vis de la ville, afin de couper la communi-
cation entre la garnison et le poste de la Pointe Lévy.
Les Anglais firent une sortie considérable, et Saint-
Martin fut contraint de se retirer à son poste, sur la
rivière de la Chaudière. Bourlamaque voyant qu'il
DU CANADA. 391
était impossible de rien tenter avec succès contre les
postes anglais, s'en retourna à Mont-réal.
Vers le milieu de mars, les Anglais envoyèrent des
partis vers la rivière du Cap Rouge, et jusqu'à Saint-
Augustin, oii ils brûlèrent des moulins, et enlevèrent la
garde-avancée des Français, forte de soixante hommes.
Ces dex'niers, craignant que leurs postes de la Pointe
aux Trembles et de Jacques-Cartier ne fussent attaqués,
y firent descendre un corps de miliciens des Trois-
Rivières et deux cent-vingt-cinq hommes du régiment
de Languedoc. Vers la fin du même mois, Boiigainville
partit, accompagné de M. de Lotbiniere, ingénieur,
pour aller prendre le commandement, à l'Ile-aux-Noix,
Le dessein de reprendre Québec, au moyen d'un
siège, avait été formé, dans le camp des Français, dès
le mois de novembre, et une partie du mois suivant avait
été employée à en faii'e les préparatifs. Ces prépara-
tifs, discontinués, pendant quelque temps, à cause des
grands froids qu'il fit, et de la difficulté des communi-
cations, qui ne permit pas d'amasser les provisions de
bouche nécessaires, avaient été recommencés, dans le
mois de janvier. On avait compté pouvoir mettre le
siège devant Québec, à la fin de ce mois, ou au com-
mencement du suivant; mais de nouveaux obstacles,
dont le principal était toujours le manque de vivres
pour la subsistance des troupes, firent qu'il ne fut pas
possible de tenter l'expédition avant le départ des glaces;
ce qui conduisit jusque vers le milieu d'avril.
Avant que les troupes se missent en marche, M. de
Vaudreuil adressa aux capitaines des milices du gou-
vernement de Québec, une circulaire, dans laquelle il
leur disait :
" Que depuis le commencement de la dernière cam-
pagne, il avait toujours déploré la situation où les mal-
S92 IIISTOIKE
heurs de la guerre avaient mis les habitans du gouver-
nement de Québec : que le mauvais traitement qu'ils
avaient éprouvé, de la part des commandans anglais, et
en particulier, du général Murray, joint à leur zèle pour
le service du roi, et à leur attachement pour leur pays
natal, avait augmenté le désir qu'il avait toujours eu de
reprendre Québec ; que c'était dans cette vue, qu'il avait
préparé toutes les choses nécessaires à un siège, et assem-
blé une puissante armée, composée de ti'oupes réglées,
de miliciens et de Sauvages, dont le zèle et l'ardeur lui
promettaient un succès presque certain ; que pour le
bien du service, qui exigeait sa présence à Mont-réal, il
avait remis le commandement en chef au général Lévis,
dont le zèle et l'habileté leur étaient bien connus ; qu'en-
fin il avait reçu l'assurance d'un prompt et puissant
secours de France."
Cette puissante armée, dont parlait le gouverneur, ne
66 composait que d'environ 7,000hommes, moitié troupes
réglées, et moitié Canadiens et Sauvages, et elle était
très peu munie d'artillerie de siège. Malgré cela, l'en-
treprise contre Québec était peut-être pour les Français
ce qu'il y avait de mieux à faire dans les conjonctures
où ils se trouvaient. En reprenant la capitale, ilsrede-
venaient maîti'es de tout le gouvernement de Québec,
et mettaient les Anglais dans la nécessité d'assiéger, de
nouveau, cette place, en supposant qu'ils fussent entrés,
les premiers, dans le Saint-Laurent ; dans le cas con-
traire, les renforts de France trouvaient, à leur arrivée,
où se loger etse poster avantageusement, ou des troupes
prêtes à les aider à se rendre maîtres de Québec, sup-
posé que le siège eût traîné en longueur, ou eût été
converti en blocus.
Yers le milieu d'avril (1760), le fleuve s'étant débar-
rassé des glaces, dans les environs de Mont-réal, on
DU CANADA. 393
fit venii' les frégates, les navires et les autres bâtiraens,
qui avaient hiverni; à Sorel et ailleurs, afin d'y embar-
quer les troupes, l'artillerie, les munitions et les vivres.
Le 17, M. de Lévis fit partir M. de la Pause, aide-
maréchal des logis, pour aller reconnaître les endroits
propres au débarquement des troupes, et faire préparer
à Jacques-Cartier, et aux environs, tout ce qui était
nécessaire pour que l'armée fût en état de marcher sans
délai en avant. Les bateaux qui portaient ce s troupes
furent mis à l'eau, le 20 et le 21 : les fi-égates et les
bâtiraens de transport les suivirent de près. Les bateaux
arrivèrent à la Pointe aux Trembles, le 24, et les plus
gros vaisseaux, le lendemain,
En arrivant à l'entrée du gouvernement de Québec,
on trouva le fleuve encore plein de glaces ; ce qui, joint
au grand froid qu'il faisait, semblait devoir arrêter
l'armée ; mais sentant combien il était important d'arri-
ver devant Québec, avant que les Anglais fussent ins-
truits de sa marche, le général fit surmonter tous ces
obstacles. La Pause fut encore envoyé en avant, pour
voir jusqu'oii l'on pourrait aller en bateaux, et recon-
naître la position des Anglais, qu'on savait avoir établi
des postes, depuis la ville jusqu'à la rivière du Cap
Rouge, dont ils gardaient le passage. Il ne parut pas
possible de tenter de traverser, au bas de cette rivière,
ni de faire un débarquement entre le Cap Rouge et Qué-
bec. Il fut donc résolu qu'on gagnerait l'intérieur des
terres, et qu'on traverserait la rivière du Cap Rouge, à
deux lieues de son embouchure, pour, après avoir passé
par la Vieille Lorettc, retomber dans le grand cliemin,
et s'emparer des hauteurs de Sainte-Foy.
On descendit, le 26, jusiiue vis-à-vis de Saint- Augus-
tin, dans les bateaux, (ju'on traîna sur la glace, et qu'on
laissa dans l'endroit, avec une garde ; et les troupes
394 HISTOIRE
e'achemirièrent, avec une partie des vivres et des muni-
tions, et trois pièces de canon. M. de Bourlamaque fut
envoyé en avant, avec un détachement de l'artillerie, les
grenadiers et les Sauvages, pour construire des ponts sur
la rivière du Cap Rouge, et avertir quand il serait temps
que l'armée se mît en mouvement.
Vers deux heures de l'après-midi, sur l'avis que reçut
le général, qu'il y avait deux ponts de jettes sur la rivière
du Cap Rouge, l'armée avança, et Bourlamaque eut ordre
de traverser la rivière, et de s'emparer de toutes les
maisons qui couvraient le passage. La partie de l'armée
qui arriva la dernière, ne put traverser la rivière que
durant la nuit, et elle le fit, à la lueur des éclairs, qui
se succédaient, à courts intervalles.
Ayant ai^pris que les Anglais s'étaient retirés de
l'Ancienne Lorette à Sainte-Foy, M. de Lé vis envoya
au général Bourlamaque Tordre de se porter en avant,
autant qu'il le pourrait faire, sans se compromettre, et fit
avancer les brigades, à mesure qu'elles avaient traversé ;
mais l'artillerie n'ayant pu passer, durant la nuit, il fut
forcé d'attendi-e jusqu'à 10 heures du matin, pour la faire
marcher, en même temps, aux Anglais, qu'il se propo-
sait d'attaquer incessamment. Ayant reconnu leur posi-
tion, il ordonna à M. de La Pause de faire avancer
l'armée, pour qu'elle pût se former ; mais voyant les
Anglais se renforcer, et occuper tous les endroits acces-
sibles, et ne pouvant faire déboucher son armée qu'à
travers des bois marécageux, ni la former ensuite que
BOUS le feu de leur artillerie et de leur mousqueterie, il
résolut d'attendre la nuit, pour avancer, et les tourner,
par leur gauche.
Le détachement anglais de Sainte-Foy eût été tourné,
en effet, et très probablement taillé en pièces, sans un
incident des plus singuliers. L^n canonnicr Français
DU CANADA. 395
étant tombé à l'eau, en voulant sortir de sa chaloupe,
vis-à-vis de Saint-Augustin, un glaçon se rencontra sous
sa main : il j grimpa, et se laissa aller au gré du flot.
Il fut porté ainsi j us<[u'auprès de l'île d'Orléans, et rame-
né devant Québec par le reflux. La sentinelle ayant
apperçu un homme sur im glaçon, cria au secours. On
court au malheureux, et on le trouve sans mouvement.
Son uniforme l'a^nt fait reconnaître pour un soldat
français, on se détermine à le porter chez le gouverneur,
où la force des liqueurs spiritueuses le rappelle, un
moment, à la vie ; et il recouvre assez de voix pour dire
que l'armée du chevalier de Lévis est aux portes de la
ville. Le général Murray expédia à la garde avancée
l'ordi'e de rentrer dans la place, en toute diligence ; ce
qu'elle fit, après avoir brûlé l'église de Sainte-Foy, où
il y avait un dépôt d'armes.
Dès que le feu fut apperçu, les gardes avancées, les
grenadiers et la cavalei'ie eurent ordre de marcher en
avant. Le corps d'amiée suivit les avant-gardes, mais
ne les rejoignit, qu'à l'entrée de la nuit, près d'une
maison fortifiée, d'où les Anglais tirèrent quelques coups
de canon, avant de l'abandonner.
Le général français se proposait d'aller prendre posi-
tion sans délai à l'anse du Foulon ; mais, le 28 au matin,
ayant vu les Anglais, sortis de la place, s'avancer en
force, pour reprendre les redoutes qu'ils avaient aban-
données, pendant la nuit, et n'ayant pas de troupes ù
portée de soutenir les piquets qu'il y avait placés, il
leur fit donner l'ordre de la retraite. Il avait précédem-
ment, donné à l'armée l'ordi'e de se reserrer, en avan-
çant. Les ordres pour les positions sur le champ do
bataille, furent donnés avec une promptitude et une pré-
sence d'esprit remarquables,
La troisième des brigades, qui devait former la droite,
396 HISTOIRE
débouchait encore, lorsque les Anglais, qui étaient for-
més, se mirent en mouvement, pour charger les Fran-
çais, avec vingt-quatre pièces d'artillerie. M. de Lévis
fît aussitôt reculer les deux premières brigades, à l'entrée
du bois qui était derrière, pour attendre que les autres
fussent formées, et pussent les soutenir ; ce qui s'exé-
cuta, dans le plus grand ordre, quoique sous le feu du
canon et de la mousqueterie des Anglais.
Pendant que la dernière brigade se formait, les An-
glais mai'chèrent à la droite des Français, où les grena-
diers occupaient une des redoutes dont il vient d'être
parlé. Ces derniers furent forcés d'abandonner leur
position : la brigade se retira un peu, pour achever de
se former, et remarcha aussitôt en avant, pour soutenir
les grenadiers, qui se remparèrent de la redoute.
En arrivant à l'aile gauche, où il devait commander,
le brigadier Bourlamaque fut blessé et eut un cheval
tué sous lui. Le général en chef passa à cette aîle, pour
y donner ses ordres, et repassa ensuite à l'aile droite,
entre les deux armées. Il s'était proposé de charger les
Anglais en flanc, avec les brigades de la Reine et de
Roussillon, qui débordaient les hauteurs dont ils s'étaient
emparés ; mais en conséquence d'un ordre mal rendu
par un officier, la brigade de la Reine alla se poster
derrière la gauche, où elle devenait inactive. Il prit
sur-le-champ, la résolution d'exécuter son mouvement
avec le seul régiment de Roussillon ; et il le fit si à
propos, et si vigoureusement, que l'aîle gauche des
Ano-lais fut enfoncée, en un instant. Le désordre se
communiqua promptement à l'aîle droite, qui avait
devant elle le colonel Dakquier, à la tête du régiment
de Béarn ;* et toute l'armée de Murray fut forcée de
* Ayant remarqué quelque désordre vers le centre de l'armée,
pendant le mouvement rétrograde de l'aîle droite, " le brave
DU CANADA. 397
retraiter précipitamment, laissant sur le champ de
bataille, ses morts, ses blessés et toute son artillerie.
La bataille de Sainte-Foy, ou de Sylleri, dura environ
deux heures. Les Français et les Anglais y montrè-
rent une bravoure et une ardeur à peu près égales : la
perte des premiers, en tués et blessés, fut d'environ
huit cents hommes, et celle des Anglais de 12 ù l,ôOO,*
sans compter un nombre assez considérable de prison-
niers. Cette perte aurait sans doute été plus grande
encore, si les troupes françaises n'eussent pas été excé-
dées de fatigues, au point de ne pouvoir suivre les
fuyards. Le nombre des combattans était d'environ
4,000, du côté des Anglais, et d'environ 6,000, de celui
des Français;! mais environ 1,400 de ces derniers
n'eurent point de part à l'action, entre autres, le régi-
ment de la Reine et la cavalerie. Quant aux Sauvages,
ils s'étaient retirés, avant le combat.| Les blessés des
Darqcier s'adresse vivement à ses soldats : " Mes enfans, leur
dit-i), ce n'est pas le moment de se retirer : nous sommes à vingt
pas de l'ennemi ; jettons-nous sur lui, tète baissée et labayonnette
en avant ; c'est le meilleur parti." Ses troupes s'élancent aussitôt
sur l'ennemi, le culbutent, et s'emparent comme l'éclair d'une
partie de ses canons. Darquior recuit au travers du corps une
blessure ; mais il se fait soutenir par ses soldats, et il coutinue à
donner des ordres." — M. Koi;x de Rochelle.
*Raynal exagère, sans doute,, en disant que les Anglais laissè-
rent 1,800 des leurs sur le champ de bataille ; mais M. Smith
exagère encore plus, et d'une manière bien plus improbable,
lorsqu'en portant la perte du général Murray à 1,000 hommes, il
dit que les Français avouaient en avoir perdu 1,800 !
f l'our une raison, ou pour une autre, M. Smith diminue d'un
quart l'armée de M. Murray, et augmente du double celle du
chevalier de Lévis.
J Ce fait prouve la fausseté de l'assertion de M. Smith, qui ôsc
dire que la plupart des blessés anglais laissés sur le champ de
bataille, furent abandonnés par les Français, comme des victimes,
pour assouvir la rage de leurs barbares alliés. Les Sauvages
n'eurent, en cette occasion, ni rage ni vengeance à assouvir,
puisque, par leur Lâcheté, leur défiance, ou leur prudence, il*
fi'étoient mis dans le cas de ne pas perdre im seul homme.
Kk
398 HISTOIRE
deux armées furent portés à l'hôpital-général. Les
Canadiens eurent à regretter, entre autres officiers, les
apitaines de la Roxde et IIêaujie.
La défaite de Murray fut le dernier triomphe des
Français en Canada. Rentré dans Québec, le géné-
ral anglais n'eut rien de plus pressé que d'augmenter
ses moyens de défense, en garnissant de canons les
remparts, en élevant des cavaliers et autres ouvrages
extérieui's. Dans le cours de l'hiver, il avait ouvert
des embrasures, érigé des batteries de canons, barricadé
les avenues des fauxbourgs, formé un amas de 4,000
fascines, et fait emmagasiner pour onze mois de provi-
sions de bouche. Le soir du même jour (28 avril), il
émana un ordre général, pour ranimer la confiance de
ses troupes, et les exhorter à supporter patiemment les
fatigues d'un siège, et à en affronter bravement les
périls.
Après que les Anglais furent rentrés dans Québec,
les Français s'emparèrent de la crête des hauteurs, à
environ trois cents toises de la place, et y passèrent la
nuit. Le côté de Québec terminé par la côte d'Abra-
ham et l'escarpement du fleuve, le seul qui fût accessi-
ble, était défendu par une enceinte de six bastions
revêtus, et presque sur une ligne droite : un fossé peu
profond, quelques terres rapportées sur la contre-
escarpe, et six ou sept redoutes de bois, construites par
les Anglais, couvraient cette enceinte. Le terrain est
partout pierreux, sur les hauteurs, et devient presque
un roc vif, en approchant de la ville. Après avoir
reconnu la place, le général français décida qu'on com-
mencerait par une paraÛèle aux hauteurs, au front des
bastions de Saint-Louis, de la Glacière et du Cap aux
Diamans, et qu'on y établirait des batteries ; le mauvais
état du revêtement, dans cette partie, faisant espérer
DU CANADA. 399
qu'on pourrait de là faire broche, malgré l'éloignement,
et la faiblesse du calibre des pièces.
Les travaux préparatoires durèrent depuis le 29
avril jusqu'au 9 mai ; le 10, les batteries de canons et
de mortiers commencèrent à jouer sur la place, et le
firent avec assez d'activité, mais sans beaucoup de
succès, jusqu'au 15. Ce même jour, le général français
fut averti que deux gros vaisseaux, qui paraissaient
ôtre anglais, venaient d'arriver entre l'ile d'Orléans et
la Pointe Lévy. Une frégate anglaise était entrée,
dès le 9, dans le poi't de Québec. Sur cet avis, le
général envoya ordre aux bâtimens de transport, où
étaient les vivres, les munitions et une partie de l'artil-
lerie, de se retirer, et aux frégates celui de se tenir sur
leurs gardes. Mais, soit que ces ordres eussent été
reçus trop tard, ou qu'on n'y eût pas obéi assez promp-
tement, les vaisseaux Anglais s'étant avancés, le lende-
main, 16, sous les ordres du Commodore Savantox, les
frégates fi-ançaises n'eurent que le temps de s'échouer,
l'une, un peu au-dessus du Cap aux Diamans, et l'autre,
vis-à-vis de la Pointe aux Tz-embles, où on les brûla,
pour empêcher que les Anglais ne s'en rendissent
maîtres.* Quelques uns des bâtimens de transport
furent aussi détruits.
Le 21, le chevalier de Lévis, désespérant de voir
* il. DE Val'cl.vin qui commandait une des frégates, avait
combattu, en retraitant, uiin de proti'gf r l'embaniuement de quel-
ques effets, qui se faisait, et lorsqu'il voulut se jetter à la côte, les
Anglais l'avaient prévenu. Il lui fallut combattre de nouveau, et
il le fit jusqu'à ce qu'il no lui restât ni boulet ni poudre. Alors
il envoie à terre les hommes de sou équipage qui pouvaient
encore serN'ir, puis reste à bord, avec les blessés, et continue, sans
demander à se rendre, d'essuyer tout le feu de l'ennemi. Les
Anglais s'approchent, dans des canots armés, du vaisseau qui ne
leur répond plus: ils y trouvent Vauclain couvert de blessures,
mais debout, au milieu d'hommes mourants. Le général Murray
■ut honorer sa valeur, en le traitant avec distinction.
400 HISTOIRE
arriver prochainement des secours de France, et voyant
son armée presque réduite aux seules troupes réglées,
par la désertion du plus grand nombre des miliciens, et
sur le point de manquer de vivres, se détermina à la
reconduire dans le gouvernement de Montréal, à l'ex-
ception d'un corps d'environ 1,800 hommes, qu'il laissa
aux ordres de M. Dumas, pour occuper la Pointe aux
Trembles, le fort de Jacques-Cartier et l'église de
Déchambault.*
Aussitôt après le départ des Français, le général
]\Iurray" envoya un détachement, pour abattre les
ouvrages qu'ils avaient élevés. Il sortit ensuite de la
ville, avec ses troupes, dans l'espoir de joindre leur
arrière-garde; mais elle avait déjà passé la rivière du
Cap Rouge. Le lendemain, il émana une proclama-
tion peu différente, quant au fond, de celle du général
"YVolfe, mais d'ailleurs remplies d'expressions a^sez
inconvenantes.!
Dans le même temps qu'on lisait cette proclamation,
qui promettait conditionnellement aux Canadiens l'ex-
ercice de leur culte, la conservation de leurs lois et de
leurs usages, on recevait de France des nouvelles- bien
capables de porter le découragement dans tous les
espi'its : on apprenait, non seulement que les secours
attendus n'arriveraient point, parce que le peu de vais-
seaux qui restaient à la France étaient bloqués dans ses
* " il. le chevalier de Lôvis fit d'abord défiler ses troupes, et
laissa dans les batteries quelques habitans, commandés par le sienr
Decoigxe, capitaine de milice de Mont-réal qui eut l'iionneur de
faire le dernier sa retraite, et en bon ordre." — Mémoires, etc.
f " Le chevalier de Lévis ayant su que quelques uns l'avaient, à
Mont-réal, menaça de les faire pendre, et il l'eût fai c, s'il l'eut pu :
il s'en plaifjnit au marquis de Vaudreuil, qui lui répondit (très
sensément), que le meilleur remède était de sembler n'y faire
aucune attention, et même d'en badiner, lorsque l'occasion s'eu
présenterait." — Ibid.
DU CANADA. 401
ports, mais encore que les lettres de change tiroes,
l'année précédente, sur la trésorerie, n'avaient pas été
payées, et que le pouvoir de l'intendant d'en tirer de
nouvelles était suspendu. Le système financier de M.
Bigot était devenu, depuis longtems, l'objet de l'ani-
raadversion publique, et la cour de France avait fait
passer M. de Tkemes en Canada, pour prendre des
informations sur le sujet. Ce commissaire, homme de
talent et de pénétration, découvrit bientôt les fraudu-
leuses manœuvres d'une partie des officiers civils, et la
coupable connivence de l'intendant. D'après le compte
qu'il rendit, il fut décidé qu'il ne serait plus fait de
paiemens avant la plus mûre considération. Mais
comme il était nécessaire que le crédit du papier-
monnaie se soutint en Canada, tant que les troupes du
roi y demeureraient, le gouverneur et l'intendant eurent
ordre de faire connaître aux habitans les arrangemens
qui avaient été pris concernant les lettres de change et
les ordonnances. Conformément à leurs instructions,
ils adressèrent, conjointement, aux habitans du Canada
une circulaire, portant,
" Qu'ils venaient de recevoir une lettre du ministre
des colonies, par laquelle il leur était ordonné de faire
connaître que les évènemens qui avaient eu lieu met-
taient sa majesté dans la nécessité de suspendre le
paiement des lettres de change tirées sur la trésorerie ;
que celles qui avaient été tirées en 1757 et 1758
seraient payées, trois mois après que la paix aurait été
conclue; celles de 1759, dix-huit mois après; et le8
ordonnances, aussitôt que les circonstances le permet-
traient ; qu'ils avaient ordre d'assurer les habitans du
Canada que rien qu'un manque total de fonds dans lu
trésorerie n'avait pu contraindre le roi à adopter ce
plan de conduite envers des sujets qui lui avaient donné
Kk2
402 HISTOIRE
tant de preuves de fidélité et d'attachement, et que sa
majesté était persuadée qu'ils attendraient, avec patience
et résignation, le moment où tout ce qui leur était dû
leur serait payé."
Le dérangement des finances de la France était réel,
et il n'y a guère à douter que le péculat qui avait eu
lieu, dans ce pays, n'y eût contribué jusqu'à un certain
point.
Pour revenir aux mouvemens militaires, M. Dumaa
laissa quatre cents hommes à la Pointe aux Trembles,
sous le commandement de M. de Laroche-Beaueourt, et
quatre cents à Jacques-Cartier, sous M. de Repen-
TiGNY, et se porta lui-même à Déchambault, avec
environ 1,000 hommes. M. de Lévis donna ses ordres,
en passant, aux Trois-Rivières et ailleurs, et arriva à
Mont-réal, le 29 mai. Le premier résultat d'une con-
férence qu'il eut avec le gouverneur, sur les mesures à
prendre pour la défense du pays, fut une circulaire
adressée aux capitaines de milice, dans la vue de contre-
carrer l'eâet de la proclamation du général Murray, et
de rassurer les habitans, par l'espoir, non pas tant de
prorapts secours de France, que d'une paix prochaine
et avantageuse.
La paix était bien, en eifet, ce que les Canadiens
devaient désirer le plus ardemment, dans les conjonc-
tures fâcheuses et embarrassantes où ils étaient, depuis
quelque temps; pressés, contraints même, d'un côté,
d'être constamment armés pour la défense de leur paya
natal, liée à la cause de leur souverain ; menacés, de
l'autre, de tous les maux que peuvent infliger des enne-
mis armés et triomphants, s'ils ne mettaient bas les
armes, et ne demeuraient tranquilles chez eux, leur
anxiété et leur malaise devaient être extrêmes, et pres-
que sans exemple, dans les annales de la guerre. Ceux
DU CAXADA. 403
qui durent se trouver dans le plus grand embarras^ au
printems de 1760, furent, sans contredit, les habitans
des paroisses situées entre Québec et les Trois-Rivières,
ou même plus haut : en suivant les Français dans le
gouvernement de Mont-réal, ils laissaient leurs femmes,
leurs enfans et leurs biens à la merci d'un ennemi dont
ils avaient tout lieu de redouter le ressentiment et la
vengeance; en ne le foisant pas, ils s'exposaient à être
punis sévèrement, dans le cas où le roi de France
demeurerait éventuellement maître du pays. Le dan-
ger présent, joint à l'intérêt piivé, l'emporta néanmoins
sur la crainte d'un mal éloigné ; et presque tous ceux
qui avaient été enrôlés se retirèrent chez eux, à mesure
qu'ils trouvèrent, pour le faire, une occasion favorable,
ou un prétexte plausible.
Après la levée du siège de Québec, Mont-réal devint
le quartier-général, et à peu près le seul point de
défense des Français. On y érigea de nouvelles forti-
fications ; on y foi'ma des magasins de vivres et de
munitions, et l'on arma en guerre quelques uns des
vaisseaux, grands et petits, qu'on y avait. On érigea
aussi des batteries dans l'ilc Sainte-Hélène, et l'on
envoya un ingénieur dans les îles qui se trouvent à
l'entrée du lac Saint-Pierre, pour y faire faire les
ouvrages qu'il croirait propres à arrêter la flotte anglaise
qui devait remonter le fleuve.
Le lô juin, trois cents Anglais surprirent le poste de
Sainte-Thérèse, entre Saint-Jean et Chambly ; enlevè-
rent les effets militaires qu'il y avait, brûlèrent quel-
ques maisons, et emmenèrent prisonniers une vingtaina
d'iiabitans. Dans le cours du même mois, le colonel
Fraser fat envoyé de Québec, avec environ neuf cents
hommes, pour réduire le fort de Jacques-Cartier. Le
marquis d' Alueegotti, qui y commandait alors, répon-
404 HISTOIRE
dit à la sommation qui lui fut faite de se rendre, qu'il
défendrait son fort jusqu'à la dernière extrémité. Sur
quoi, le colonel Fraser fit avancer deux pièces de
campagne et deux obusiers, pour battre la place, forma
ses troupes en ti'ois divisions, et leur ordonna de mar-
cher pour donner l'assaut. Le commandant français,
qui s'en apperçut, battit la chamade, et se rendit à
discrétion. La garnison ne consistait plus qu'en
cinquante hommes de troupes réglées et cent- cinquante
miliciens. Les troupes laissées précédemment, à la
Pointe aux Trembles, en avaient été retirées.
Le général Murray s'embarqua, au commencement
de juillet, avec la plus grande partie des troupes qu'il
commandait, sur une escadre accompagnée de batteries
flottantes, afin de se trouver près de Mont-réal, en
même temps que l'armée du lac Champlain, sous le
colonel Haviland, et celle du général Amherst, qui
devait descendre le Saint-Laurent. Dès qu'on eut eu
avis, à Mont-réal, du départ de la flotte anglaise de
Québec, on envoya à M. Dumas l'ordre de la suivre,
6ur la rive du nord, avec toutes les troupes qu'il avait
sous son commandement, afin de s'opposer aux débar-
quemens qu'elle pourrait tenter d'y faire, et de la
harceler, quand la chose serait possible.
M. Murray fut environ deux mois sur le fleuve, et
eut tout le temps de faire des excursions, et quelquefois
des exécutions militaires, dans les campagnes, particu-
lièrement du côté du sud, oii l'on n'avait presque point
de troupes à lui opposer. Ayant appi-is qu'il y avait un
parti de soldats français, ou de miliciens, sous un
lieutenant, dans la paroisse de Sainte- Croix, il y envoya
un détachement de troupes. Les habitans sans armes
e'enfuirent dans les bois, à l'approche des Anglais;
mais les hommes armés furent attaqués, et, suivant M.
DU CAXADA. 405
Smith, presque tous tués, blessés, ou faits prisonniers,
y compris leur commandant.
Les vents contraires rie permettant pas à la flotte
anglaise d'avancer, M. Murray fit débarquer ses
troupes à Sainte-Croix, à Saint- Antoiyie de Tilly et à
Lotbinière. Les habitans ne s'enfuirent pas, cette fois,
mais mirent bas les armes, et prêtèrent serment de
neutralité, après avoir entendu une harangue que leur
fit le général anglais, dans un language qui aurait fait
peu d'honneur à l'éducation et à la politesse de ce mili-
taire, s'il eût été celui que M, Smith lui met ingénu-
ment à la bouche.
En passant vis-à-vis de Déchanibault, des Grondincs
et de Batiscan, la flotte anglaise essuya le feu des
batteries qui y avaient été érigées, ou de corps de
miliciens assemblés pour la harceler, et perdit quelques
hommes. En arrivant aux Trois-Rivières, elle trouva
la ville défendue par plusieurs redoutes, et par un corps
d'environ 2,000 hommes, et le fleuve obstrué par une
espèce de barre, formée par un cable de seize pouces
passé dans de forts anneaux de fer, couverts de pièces
de bois attachées avec des cordes, et allant d'un bout à
l'autre du chenal. Il fallut quelques heures aux mate-
lots anglais pour lever cet obstacle ; après quoi, la
flotte continua sa route, et entra dans le lac Saint-
Pierre.
M. de Bourlamaque, qui commandait, au sud du
fleuve, voyant qu'on n'aurait pas le temps d'achever les
ouvrages commencés dans les îles, en rappela les
troupes qui y étaient, de peur qu'elles ne fussent cou-
pées, et les fit passer à Sorel. La flotte anglaise arriva
vis-à-vis de cette place, le 13 août. Quelques jours
après, le lord Rollo débarqua, à la tête d'un détache-
ment, au-dessous du fort, brûla un grand nombre do
406 HISTOIRE
maisons, et dévasta toute la pai'tie du nord de cetto
pai'oisse. Il s'avança ensuite, à la vue du fort, en ordre
de bataille, et s'efforça, par diverses manœuvres, d'atti-
rer les Français hors de leurs retranchemens ; mais
voyant quïls s'obstinaient à y demeurer enfermés, il se
rembarqua.
Le chevalier de Lévis se porta à Berthier, où le
corps de M. Dumas était arrivé ; mais ayant appris que
l'armée anglaise du lac Champlain avait fait sa descente,
une demi-lieue au-dessus de l'Ile aux Noix, il revint, en
hâte, à Mont-réal, et envoya à Saint-Jean les régimens
de la Eeine et de Roussillon, aux ordres de M. de
Rauquemaure, et la plus grande partie des milices du
gouvernement de Mont-réal. Le chevalier de La
Corne fut envoyé, en même temps, aux rapides du
fleuve, à la tête de quatre cents hommes.
Les Anglais, débarqués à l'embouchure de la rivière
du, Sud, commencèrent à tirer sur les retranchemens
de rile-aux-Noix, le 23 août. Bougainville, craignant
d'être coupé, laissa une cinquantaine d'hommes dans le
fort, avec ordre de capituler,, puis se retira, avec le
reste de sa garnison, par la rive gauche de la rivière
de Richelieu, et joignit Rauquemaure, à Saint- Jean, le
28. Quelques barges anglaises ayant paru, à la vue de
ce fort, les troupes françaises se retirèrent derrière la
petite rivière de 3Ionf-réal.
Cependant, la flotte de M. Murray était arrivée, le
25, à quatre lieues au-dessous de Mont-réal : le corps
de troupes de M. Dumas, qui la suivait par le nord, et
celui de Bourlamaque, par le sud, étaient aussi arrivés,
le premier, dans File de Mont-réal, et le second, à Bou-
cherville et à Longueil. M. de Lévis voyant le corps
de Bourlamaque à portée de se joindre à celui de
Rauquemaure, alla reconnaître la position de ce dernier,
DU CANADA. 407
dans la vue de tenter un combat contre l'arm^'C anglaise
de Saint-Jean ; et revint conférer avec M. de Bourla-
maque ; mais ayant appris que M. Murray avait fait
débarquer un détachement à Varennes, il envoya à
Kuuquemaure l'ordre de se replier à Lapi'airie. Trois
cents miliciens attaquèrent le détachement anglais ;
mais ils furent repoussés, avec perte de quelques
hommes blessés, et d'une vingtaine de prisonniers.
Le général Amherst s'était embarqué, le 10 août, sur
le Saint-Laurent, avec une armée de 10,000 hommes.
Il rencontra, sur sa route, le fort Lévis, dans Vile Royale,
ou à^ Oraconcnton, où commandait M. Pouchot. Il
érigea des batteries dans les lies voisines, investit le fort,
et commença à le canonner. La canonade n'ayant
pas un effet aussi prompt qu'il l'aurait désiré, il se dis-
posait à faire donner l'assaut, lorsque Pouchot se rendit.
Le 2 septembre, comme M. de Lévis haranguait les
Sauvages du Sault Saint-Louis, qu'il avait fait venir à
Laprairie, pour les engager à le seconder, dans son
dessein d'attaquer l'armée du colonel Haviland, un
député de leur village vint leur annoncer que le général
Amherst était aux Cèdres, et ils se retirèrent tous, en
disant qu'ils allaient faire la paix avec les Anglais.*
*C'étaiont-là les alliés siu" li.squols quelques uns des gouver-
neiirs du Canada avaient cru pnuvuir compter aussi sûrement que
sur des Français ou des Canadiens. Ceux des Sauvages qui
étaient descendus des environs du Détruit et de iliehillimakinac,
dans l'été de 1759, étaient remontés, l'automne, chargés de pré-
8ens, " quoiqu'ils n'eussent été que spectateurs, pour ainsi dire,
de ce qui s'était passé." JI. ue !Saixt-Lic, le Canadien qui
alors avait sur eux le plus d'influence, et " aux sentiniens duquel
ils déféraient vukmtiers," avait été chargé, à Mont-réal, de les
engager "à ne pas se rebuter, et à attendre encore quelque
temps."* D'après l'ordre qu'il en avait reçu, il avait "encao-é
quelques uns de chaque nation à rester, sous le spécieux prétexte
• " Ce peuple, qui ignorait la façon des Européens de faire la guerre,
s' ennuyait d'C-tre si longtems à attendrel'uiiuemi,ou àl' attaquer." — McnwiTts,
§tc.
408 HISTOIRE
Cette nouvelle fut confirmée pai' La Corne, qui s'était
retiré, à l'approche de l'armée anglaise, et qui ajouta
qu'elle pourrait être, le lendemain, à La Chine.
Le général français ne vit d'autre parti à prendre que
de faire replier dans l'île de Mont-réal les corps de
troupes qui étaient au sud du fleuve. Le corps que
commandait le général Bourlaraaque se porta au-dessus
de la ville, et celui de Rauquemam'e, au-dessous. Le
général Murray ayant débarqué dans l'Ile, avec environ
3,000 hommes, M. Dumas se rapprocha de la viUe.
L'armée du général Amherst, qui avait séjourné,
quelques jours, dans l'Ile Perrot, débarqua à La Chine,
le 6, vers 1 1 hem-es du matin. Les volontaires à cheval^
qui étaient dans cette pai'tie, se retirèrent devant elle,
pied à pied ; car elle se mit en marche vers la ville,
aussitôt après avoir débarqué. Toutes les troupes
françaises entrèrent dans la ville. Tous les miliciens
s'étant retirés, ainsi qu'un nombre de soldats mariés,
elles ne se montaient pas à beaucoup plus de 3,000
hommes, non compris cinq cents hommes, qu'il y avait
sur l'Ile Sainte-Hélène, et la petite garnison de Chambly.
EUes n'avaient presque plus de munitions, et les vivres
ne pouvaient pas durer plus de quinze à vingt jours.
L'armée d' Amherst campa dans les plaines de Saint'
Gabriel, à un quart de lieue de la ville : celle d'Havi-
land était arrivée à Laprairie. Pendant la nuit du 6
au 7, il fut tenu une assemblée chez le gouverneur : M.
Bigot y lut un mémoire sur l'état de la colonie, et un
projet de capitulation. Tout le monde fut d'avis qu'il
du besoin qu'en avait leur père Ononthio, mais au fond, pour
servir d'otages et l'épondre des Français qui restaient encore dis-
persés parmi eux," et il leur avait fait " promettre de revenir
l'année d'ensuite." Ils laissèrent des otages ; mais il ne rempli-
rent pas, il paraît, la promesse de revenir ; probablement en con-
séquence de la " fimeste nouvelle de Québec."
DU CANADA. 409
convenait de préférer une capitulation avantageuse aux
peuples et honorable aux troupes, à une défense qui ne
pouvait retarder que de quelques jours la perte du pays.
Le 7 au matin, le colonel Bougainville fut envoyé
proposer au général Ainherst une suspension d'armes
pour un mois. Ce général s'y étant refusé, on lui
envoya proposer, par le même officier, la capitulation
dont on avait lu le projet, dans l'assemblée de la veille.
Il minuta, à la marge, ce qu'il voulait accorder, refu-
ser, ou modifier : il accorda presque tout, excepté les
honneurs demandés pour les troupes françaises, voulant
qu'elles missent bas les armes, livrassent leurs drapeaux,
et ne servissent pas, durant la guerre. Cet article
paraissant humiliant, on envoya d'abord le colonel de
Bougainville, et ensuite M. de La Pause faire des repré-
sentations ; mais elles furent inutiles, M. Amherst ne
voulant se départir en rien de sa première détermina-
tion.
Le chevalier de Lévis, au nom des troupes qu'il
commandait, présenta un mémoire au gouverneur, le
priant de rompre toute négociation avec le général
anglais, et de prendre la résolution de faire la défense la
plus vigoureuse, quelque peu d'apparence qu'il y eût de
réussir ; ou de permetti;e aux troupes de se retirer dans
l'ile Sainte- Hélène, pour y soutenir, jusqu'à la dex'nière
extrémité, l'honneur des armes de France.
Le marquis de Vaudreuil répondit que l'état des
affaires ne permettait pas de rejetter les conditions du
général anglais ; qu'il devait les accei)ter, pour l'avan-
tage du pays dont le gouvernement.lui avait été confié ;
et qu'il ordonnait à M. le chevalier de Lévis de s'y con-
former. Ce dernier, pour épargner aux troupes une
partie de l'humiliation qu'elles allaient subir, leur ordon-
na de brûler leurs drapeaux ; ce qu'elles firent, sur-le-
champ. lI
410 HISTOIRE
Par la capitulation, la ville de Mont-réal, et toutes les
places occupées par les Français devaient être évacuées
sans délai, et livrées aux troupes de sa majesté britan-
nique ; les troupes françaises devaient mettre bas les
armes et être transportées en France, pour ne pas servir
diu"ant la guerre ; le gouverneur, l'intendant et les em-
ployés du gouvernement devaient pareillement être
transportés en France, aux frais de l'Angleterre: quelques
uns de ces employés, qui avaient des affaires à régler,
dans la colonie, y pouvaient demeurer, jusqu'à ce que
ces affaires fussent terminées ; les Canadiens devaient
avoir le libre exercice de leur culte ; les communautés
de religieuses étaient maintenues dans la possession de
leurs biens, pi'ivilèges et immunités ; les séminaires et les
communautés de i*eligieux continuaient à jouir de leurs
revenus, et pouvaient vendre leurs seigneuries et autres
propriétés foncières, s'ils le jugeaient à propos, et en
transmettre le produit en Finance. Si par le traité de paix,
le Canada restait à l'Angleterre, ceux des Français, ou
des Canadiens, qui voudraient passer en France, le pour-
raient faire, en toute liberté.
Il avait été demandé des choses qui ne fm-ent point
accordées, et qui ne pouvaient l'être convenablement ;
telles que la neutralité perpétuelle des Canadiens,* et
la nomination de l'évêque de Québec par le roi de
France.
Aussitôt que la capitulation eut été signée, de part
et d'autre, le général Amherst fit occuper une des portes
de la viUe par un détachement de troupes, sous le colonel
Haldijiakd. Le chevalier de Lévis partit pour Québec,
le 16 ; le gouverneur, l'intendant et leurs suites parti-
rent, quelques jours après.
* A la demande de la neutralité perpétuelle des Canadiens le
général anglais fit cette réponse laconique et presque sublime :
"Ils deviennent sujets du roL"
DU CANADA. 411
Le marquis de Montcalin s'était fa't estimer et chérir
de ses soldats et des Canadiens, surtout de ceux qui
avaient combattu sous ses ordres : le chevalier de Lévis,
d'une sévérité extraordinaire, d'un zèle quelquefois
outré, dut emporter au moius l'estime des derniers ; car
il la méi'itait, par son activité, son courage, et son
habileté. Le marquis de Vaudreuil, au contraire,
partit chargé de plus de haîne qu'il n'en aurait dû porter,
si l'on eût voulu être rigoureusement juste à son égard.
Pour porter sur cet illustre Canadicnf un jugement
équitable et impartial, c'est l'ensemble de sa conduite,
comme gouverneur du Canada, dans les circonstances
extraordinaires où il s'est trouvé, qu'il convient d'exa-
miner ; et nous avons le plaisir de voir, dans cet en-
semble, beaucoup plus à louer qu'à blâmer. Quand on
le voit déférer volontiers à l'avis des généraux Moutcalm
et Lévis, pour les opérations militaires, on doit être
moins étonné de la confiance qu'il mettait dans les
talens et l'expérience de l'intendant Bigot, pour les af-
faires civiles et financières. H eut évidemment l'idée fixe
de demeurer dans les bornes du devoir, ou du pouvoir
légitime, comme il était permis de l'exercer alors ; il
posséda, à un haut degré, le bon-sens politique ; il sut
résister à toutes propositions impolitiques ou inconve-
nantes ; il montra, dans ce que nous nous permettrons
d'appeller ses procédés diplomatiques, de l'énergie et de
la dignité ; enfin, personne ne pourra lui refuser ce
degré de prudence, et cet empire sur soi-même, • qui
permettent à l'homme de choisir le meilleur jiarti, dans
les cas à peu près désespérés. Les Canadiens, par-
ticulièment, durent le remercier de n'avoir pas voulu
accéder à la proposition que lui fit le chevalier de Lévis,
de rompre toute négociation avec le général Amherst ;
proposition peut-être pardonnable à un patriote zélé et
412 HISTOIRE
à un militaire opris de la gloire des armes, tel qu'était
le général français, mais on ne peut plus téméraire,
dans les conjonctures où se trouvait le Canada. Qui
pourrait dire, en effet, quel aurait été le sort des liabi-
tans de ce pays et de leur postérité, si Mont-réal eût
été pris d'assaut, ou obligé de se rendre à discrétion ?
Ils lui durent encore quelque reconnaissance d'avoir,
dans son p»rojet de capitulation, songé à leur assurer
tout ce qui pouvait contribuer à leur avantage et à leur
bien-être futur.* S'il demanda pour nos pères, ses
compatriotes, plus que le vainqueur ne pouvait conve-
nablement accorder, ce n'est pas à nous de nous en
plaindre, ou de l'en blâmer. Son frère, Eigaud,| devenu
gouverneur de Mont-réal, après la mort du baron de
Longueil, se comporta, dans son gouvernement, de
manière à se faire estimer et chérir de toutes les classes
de la société.
Peu de jours après son entrée à Mont-réal, le géné-
ral Amlierst fit partir le major Rogeks, pour aller
prendre possession des postes que les Français avaient
sur les lacs, et au de-là, et particulièrement, du Détroit
et de Michillimakinac.
Assez tai'd, dans l'automne, V Aigle, vaisseau français
de 50 canons, ayant pris la voie du détroit de Bellisle,
pour entrer dans le Saint-Laurent, donna sur un écueil,
et se brisa. Le Léopard, autre vaisseau de guerre
français, de 60 canons, entra dans le Saint-Laurent, et
vint jusque devant Québec, où il fut pris et brûlé, de
peur qu'une fièvre putride, qui régnait à son bord, ne
* 77(6 articles of capitulation wider tchich Montréal surrwidered
ivere higldy honourable ta M. fie Vaudreuil, who exacted ta the
vtmost that he could possibly expect ta obtain, every advantaç/e for
the peuple he had previously governed. — M. M'GiitGOK,. British
America.
f Né à Québec, en 1638. t Né à Mout-réal, en 1704.
DU CANADA. 413
se communiquât aux habitans. Dès le printems, la
cour de France avait tenté de faire parvenir un secours
de vivres et de munitions dans la colonie. Mais la
flotille française, qui consistait en une frégate et une
vingtaine de navires de charge, étant entrée dans le
Saint-Laurent, après que l'escadre anglaise fut arrivée
au port de Québec, elle avait été forcée de rebrousser
chemin. Elle alla relâcher dans la baie des Chaleurs,
où elle fut attaquée et détruite par le capitaine Bykon,
venu de Louisbourg, avec une escadre.
Quand même ce secours aurait réussi à remonter le
Saint-Laurent, il n'aurait probablement pas retardé de
beaucoup la reddition du Canada ; et peut-être le retard
n'était-il pas à désirer : la possession de ce pays était
devenue pour la France un fardeau qui s'appesantissait
de jour en jour ; la misère et le malaise y croissaient
dans la même proportion, et cela, principalement en
conséquence du gaspillage des deniers publics. " Les
dépenses annuelles du gouvernement pour le Canada,
dit Kaynal, qui avant 1749, ne s'étaient jamais élevées
au-dessus de dix-sept-cent mille livres, n'eurent plus de
bornes, après cette époque." Le même auteur ne
compte pas moins de cent vint-trois millions trois cent
mille livres, déboursés par le gouvernement, depuis le
commencement de ITôO jusqu'à l'automne de 1760.
L'année 1758 coûta seule vingt-sept millions trois cent
mille livres, et la suivante, vingt-six millions.
Les négociations pour la paix entre l'Angleterre et
la France, furent entammées en 1762, et le traité défini-
tif de paix fut signé, le 10 février 1763. Par le trei-
zième article de ce traité, la France cède à l'Angleterre
le Canada et ses dépendances, telles que les îles du
Cap-Breton et de Saint-Jean, et les autres îles et côtes
situées dans le golfe et le fleuve Saint-Laui'cnt, avec
414 HISTOIRE
tous les droits que le roi Très- Chrétien avait possédés
et exercés dans ces pays. De l'autre côté, sa Majesté
Britannique confirme et assure aux habitans du Canada
le libre exercice du culte catholique, et à peu près tout
ce qui avait été accordé par la capitulation de Mont-
réal.
Ainsi passa sous la domination de l'Angleterre une
région aussi vaste que l'Europe, découverte et reconnue
par des Français ;* une colonie française d'un siècle et
demi d'existence, où la France avait élevé des forte-
resses, fondé des villes florissantes, formé une popula-
tion nouvelle, et où elle croyait avoir établi, à perpé-
tuité et exclusivement, sa langue, ses lois et sa religion.
Les contrariétés des élômens, les fautes, ou les erreurs
des hommes, ou plutôt les décrets de la providence, en
décidèrent autrement.
* Toutes ces immenses contrées qui s'étendent depuis le Labra-
dor et la baie d'Hudson justp'au golfe du Mexique, furent jadis
reconnues, visitées, parcourues dans tous les sens, par ces infati-
gables Canadiens, que la tradition nous peint audacieux, conqué-
rants sans généraux et sans armée, navigateurs intrépides sans
marine, commerçants sans richesses, et savants géographes sans
compas."* — M. Milbekt, Itin. pittor, Sçc.
• " En 1743, Louis Fournt.l découvrit la Baie des Esquimaux, dite de
Ktnessakion." — M G. T. Poussin.
TABLE.
PAGB
PRÉFACE. 5
AVANT-PROPOS.
LIVRE PREMIER,
Contenant ce qui s^ est passé depuis le premier Voy-
age de Quartier, en 1535, jusqu'à l'établissement
du Gouvernement Royal, en 1663. 13
LIVRE DEUXIEME,
Comprenant V espace de temps écoulé depuis rétablis-
sement du Gouvernement Royaljusquà la Paix
de 1701. 139
LIVRE TROISIÈME,
Contenant ce qui s'est passé depuis la Paix de 1701
Jusqu^à l'année 1752. 257
LIVRE QUATRIÈME,
Contenant principalement les cvènemens de la der-
nière Guerre Américaine entre la France et l'An-
gleterre. 325
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