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Full text of "Histoire du Canada sous la domination française"

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THE   CARSWELL   COMPANY    LIMITED 


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Date  Due 


NLR    174 


HISTOIRE  DU  CANADA, 


80US   LA 


DOMINATION  FRANÇAISE. 


003054 
HISTOIRE 


CANADA 


DOMINATION    FRANÇAISE. 


DEUXIE:ME     EDITION, 

Revue,  Corrigée  et  Augmentée. 


PAR     M  .     B  I  B  A  U  D 


MONTREAL: 

DK  l'iMPBIMERIE  DE  LOVELL  ET  GIBSON,  RVE  ST.  MCOLAS. 
1843. 


65  X 


('■ 


PREFACE 


*'  Il  serait  sans  doute  superflu  d'argumenter  longue- 
ment, pour  prouver  l'utilité,  ou  l'à-propos  de  la  présente 
publication.  Tous  les  hommes  doivent  désirer  de  con- 
naître l'histoire  de  leur  pays,  de  leur  nation  ;  tous  doivent 
aimer  à  savoir  ce  qu'ont  été,  ce  qu'ont  fait  leurs  ancêtres. 
Nous  avons,  il  est  vrai,  une  "  Plistoire  Générale  de  la 
Nouvelle-France,"  par  le  P.  François  de  Charlevoix, 
et  une  Histoire  du  Canada  en  langue  anglaise,  par  M. 
(maintenant  l'honorable)  "William  Smith  ;  nous  avons 
Raynal  ;  nous  avons  enfin  les  "  Beautés  de  l'PIistoire 
du  Canada;"  mais  l'Histoire  de  Charlevoix,  qui  est 
devenue  rare,  môme  en  Canada,  et  qui  ne  sera  proba- 
blement pas  réimprimée,  ne  va  pas  au-delà  de  1725, 
et  est  d'ailleurs  remplie  de  détails  minutieux,  et  souvent 
hors  du  sujet,  qui  en  rendent  la  lecture  ennuyeuse  et 
rebutante  pour  la  plupart  des  lecteurs  ;  l'ouvrage  de  M. 
Smith  est  plein  de  faits,  (ou  pour  mieux  dire  d'anecdotes,) 
qui  ont  tout  l'air  d'être,  sinon  absolument  controuvés, 
du  moins    étrangement  défigurés.     Raynal,  dans    son 

"  Histoire  du  Commerce  et  des  Etablissemens  des  Euro- 
a2 


6  PREFACE. 

péens  dans  les  deux  Indes,"  ne  rapporte  que  quelques 
traits  isolés  de  l'histoire  du  Canada,  et  l'auteur  des 
"Beautés"  de  cette  histoire,  qui  s'est  principalement 
attaché  à  décrire  les  mœurs  et  les  usages  des  Sauvages, 
n'ajoute  rien  à  ce  qu'on  en  lit  dans  l'ouvrage  volumineux 
du  P.  Charlevoix.  Une  Histoire  suivie,  uniforme  et 
complète  du  Canada,  sous  la  Domination  Française, 
manquait  donc  aux  lecteurs  Canadiens,  et  nous  avons  eu 
l'intention,  au  moins,  de  bien  mériter  de  nos  compatriotes, 
en  leur  donnant  cette  histoire." 

Ainsi  nous  exprimions-nous  dans  la  Préface  de 
notre  première  édition.  Depuis  lors,  il  nous  est  tombé 
sous  la  main  des  documens  qui  nous  mettent  en  état  de 
corriger  plusieui's  erreiu-s,  dans  lesquelles  nous  étions 
tombé,  en  suivant  Charlevoix,  particulièrement  à  l'égard 
de  Quartier  et  de  Roberval,  et  de  nous  étendre 
davantage  sur  les  deux  époques  les  plus  intéressantes 
des  annales  du  Canada,  celle  de  la  découverte  de  ce 
pays,  et  celle  de  la  gueiTe  qui  l'a  fait  passer  de  la  domi- 
nation de  la  France  sous  celle  de  l'Angleterre. 


AVAXT-PEOPOS. 


Si  l'on  s'en  rapportait  à  la  carte  géographique  publiée 
par  Guillaume  Postel,  vers  1550,  l'île  de  Terre-Xeuve, 
et  les  côtes  voisines  du  continent  américain,  auraient  été 
connues  et  fréquentées  pai*  des  pèclieurs  Français,  de 
temps  immémorial.* 

Des  écrivains  anglais  ont  soutenu  qu'au  douzième 
siècle,  un  prince  du  pays  de  Galles,  nommé  Madoc,  ayant 
navigué  du  côté  de  l'ouest,  découvrit  le  continent  améri- 
cain, vers  le  35e.  degré  de  latitude  septentrionale,  et  y 
fonda  une.  colonie. f  II  parait  plus  avéré  que  même 
avant  l'époque  où  l'on  place  l'expédition  du  princi' 
gallois,  les  Scandinaves  découvrirent,  vers  l'ouest,  une 
contrée  fertile  et  tempérée,  qu'ils  nommèrent  Vinlande, 
(  l'l?iland),  ou  Terre  des  Vignes,  et  y  firent  un  établisse- 
ment.    H   n'est   peut-être  pas   bien  prouvé  que  cette 

*  Terra  hccc,  y  est-il  clit,  ob  lucratissiinam  piscationis  utilitatem, 
suinmû  litteraruin  meinoriù,  à  Gallis  aJiri  sulita,  et  antè  mille 
sexcentos  annos  J'requentari  solita  est  ;  sed  eu  quùd  sit  urbibus  inculta 
et  vasta  spreta  est. 

C'est  sans  doute  en  partie  d'après  cette  autorité,  que  Lescar- 
BOT  avance  que  les  "  Uioppois,  les  ^lalouins,  les  lîochelois,  et 
autres  mariniers  français,  fréquentaient  déjà  depuis  plusieurs 
siècles,  le  grand  banc  et  les  côtes  de  Terre-Neuve."  Il  ajoute  qu'en- 
core de  sou  temps  une  grande  iiartie  des  noms  dos  îles,  caps,  liàvres, 
&c,  de  ces  parages,  étaient  bretons  ou  basques. 

t  "  JIadoc,  prince  de  Galles,  fatigué  des  troubles  qui  régnaient 
dans  son  pays,  éqiiippa  quchiues  vaisseaux,  sur  lesquels  il  s'em- 
barqua en  1171,  dans  le  dessein  de  trouver  un  pays  où  il  pnmTait 
s'établir  et  vivre  tranquillement.  Ayant  découvert,  vers  l'ouest, 
une  contrée  fertile,  il  y  laissa  une  partie  de  ses  compagnons,  et 
revint  dans  son  pays  natal,  afin  de  prendre  assez  de  monde  pour 
fonder  une  colonie.  Il  remit  à  la  voile  avec  di.\  vaisseaux  chargés 
de  gens  de  bonne  volonté,  tant  hommes  que  femmes,  et  ne  reparut 
plus."     Telle  est  la  substance  do  la  légende. 


8  AVANT -PROPOS. 

contrée  soit  celle  qui  porte  aujourd'hui  les  noms  de 
Massachusetts  et  de  Rhodelsland;  mais  un  fait  qui  paraît 
maintenant  certain,  c'est  que  la  partie  méridionale 
du  Groenlande  (^Greenland),  de  la  Terre- Verte,  fut 
non  seulement  découverte,  mais  encore  colonisée  par  des 
hommes  du  Nord,  Danois,  Norvégiens  ou  Islandais,  entre 
le  10e.  et  le  lie.  siècle. 

Des  écrivains  ont  avancé,  suivant  Charlevoix,  qu'en 
1477,  un  Polonais,  nommé  Jean  Scalve,  étant  entré 
dans  le  bras  de  mer  qui  a  été  appelle  depuis  Détroit 
d'Hudson,  découvrit  le  pays  que  d'anciens  géographes 
ont  nommé  Estotilande,  (ou  Slatesland,)  et  auquel  les 
Anglais  ont  donné  le  nom  à^East-Main,  ou  de  Terre- 
Ferme  de  l'Est,  par  opposition  à  celle  qui  est  située  de 
l'autre  côté  de  la  baie  d'Hudson. 

Quoiqu'il  en  soit  de  ces  découvertes,  vraies  ou  imagi- 
naires, avant  Christophe  Colomb  (Christoforo  Colombo,) 
on  ne  parlait  en  Europe  ni  d'un  nouveau  Monde,  ni  d'un 
Continent  occidental  ;  ce  grand  homme  eut  le  premier 
l'idée,  fut  le  premier  persuadé  de  l'existence  de  ce  conti- 
nent ;  et  pourtant,  dans  son  premier  voyage  de  1492,  et 
dans  celui  de  l'année  suivante,  il  se  contenta  de  la  décou- 
verte de  quelques  unes  des  îles  nommées  ensuite  Lucayes 
et  Antilles,  et  laissa  à  Americ-Vespuce  (Amerigo  Ves- 
pucci)  la  gloire  de  découvrir  le  premier  le  continent,  ou 
la  Terre-Ferme  de  l'Amérique,  comme  fut  appellée  la  ré- 
gion dont  cet  illustre  navigateur  rangea  les  côtes  en  1497. 

La  même  année  1497,  Sébastien  Cabot,  ou  Gaboto, 
fils  de  Jean  Gaboto,  marchand  vénitien  établi  à  Bristol 
en  Angleterre,  ayant  armé  aux  frais,  ou  sous  les  auspices 
de  Henry  YII,  cingla  vers  l'ouest,  passa  au  nord  de 
l'île  de  Terre-Neuve,  qu'il  se  contenta  de  voir  de  loin, 
découvrit  les  côtes  d'une  partie  de  la  région  à  laquelle  ses 
gens  donnèrent  le  nom  de  Labrador,  s'éleva  au  nord 


AvANT-PîlOPOS.  9 

jusqu'au  56e.  degré  de  latitude,  puis  redescendit  au  sud 
jusque  vers  le  36e.,  d'où  il  repassa  en  Angleterre.*  H 
pai-aît  qu'il  ne  débarqua  nulle  part,  et  ne  fit  aucune  prise 
de  possession. 

Une  partie  des  côtes  de  l'île  de  Tei're-Neuve  et 
quelques  unes  des  îles  voisines,  furent  reconnues  et 
décrites,  en  1500,  par  le  navigateur  Portugais,  Gaspard 
DE  CoRTEREAL.  Comme  Cabot,  il  cherchait  par  le  nord 
un  passage  aux  Indes. 

Le  géographe  Guillaume  Delisle,  parlant  du  Canada, 
dit  que  ce  pays  fut  découvert  par  des  pêcheurs  Français 
(Normands  et  Bretons),  qui  faisaient  la  pêche  de  la  morue 
sur  les  bancs  de  Terre-Neuve  ;  il  ne  détermine  pas 
précisément  l'époque  de  cette  découverte  ;  mais  elle  doit 
s'être  faite  avant  que  Jean  Dents,  navigateur  de  Hon- 
fleui'  eu  Normandie,  eut  tracé  une  carte  de  la  Grande- 
Baie,  qu'on  a  depuis  appeUée  Golfe  Saint-Laurent,  et 
suivant  Charlevoix,  cette  carte  portait  la  date  de  loOo.f 

L'auteur  d'un  Voyage  rapporte  que  vers  1506,  un 
capitaine  Espagnol,  nommé  Velasco,  remonta  près  de 
deux  cents  lieues  dans  la  grande  Rivière  de  Canada, 
appellée  depuis  Fleuve  Saint-Laurent.  Ce  fait,  regardé 
jusqu'à  dernièrement  comme  dénué  de  toute  vraisem- 

*"  Faisant  voile,  dit-il,  en  longeant  la  côte,  afin  de  voir  si  je 
trouverais  quelque  golfe  qui  la  coupât,  je  vis  que  la  terre  se  pro- 
longeait toujours  jusqu'au  56e.  de  latitude,  et  m'appercevant  que 
vers  cet  endroit,  la  côte  faisait  un  coude  vers  l'orient,  et  désespé- 
rant de  trouver  un  passage,  je  revins  sur  mes  pas,  et  fis  route  en 
côtoyant  cette  terre,  cinglant  vers  Téquateur.  J'arrivai  à  la  partie 
du  continent  qu'on  nomme  aujourd'hui  Floride,  lorsque  venant  à 
manquer  de  AT.vres,  je  mis  à  la  voile  pour  l'Angleterre." 

f  "  Sous  Louis  XII,  les  Français  s'occupèrent  de  chercher  la 
solution  du  problème  du  passage  aux  Indes  par  le  nord-ouest,  but 
de  toutes  les  expéditions  et  voyages  maritimes  d'alors.  Ils  décou- 
vrirent le  Canada,  fréquentèrent  l'île  de  Terre-Neuve  en  1504,  et 
y  fondèrent  l'industrie  de  la  pèche  de  la  morue,  dont  les  autres 
nations  partagèrent  plus  tard  les  bénéfices  et  les  avantages." — M. 
G.  T.  Poussin. 


10  AVAXT-PROrOS. 

blance,  est  devenu  au  moins  plus  probable,  depuis  qu'un 
canon  de  bronze,  de  très  ancienne  fabrique,  a  été  trouvé 
dans  ce  fleuve,  à  cent  quarante  lieues  de  son  embouchure. 
En  1508,  un  pilote  de  Dieppe,  nommé  Aubert,  engagé 
dans  la  pêche  de  la  morue,  près  des  attérages  de  Terre- 
Neuve,  toucha  aux  terres  du  Canada,  probablement  près 
de  la  baie  de  Gaspé,  et  emmena  en  France  un  ou  deux 
des  naturels  du  pays. 

En  1518,  le  baron  de  Lert,  vicomte  de  Gueu,  recon- 
nut une  partie  des  côtes  du  Canada,  ou  du  moins 
quelques  unes  des  îles  du  golfe  de  Saint-Laurent.  C'est 
le  premier  des  Français  à  qui  on  a  attribué  le  projet 
de  fonder  une  colonie  en  Amérique.  "Il  avait,  dit 
Lescarbot,  le  courage  porté  à  de  hautes  choses  et  désirait 
s'établir  par  delà  (en  Amérique),  et  y  donner  commen- 
cement à  un  établissement  de  Français."  Malheureuse- 
ment, il  sut  mal  choisir  son  poste  :  ayant  abordé  à  Vile 
de  Sable,  par  le  44e.  degré  de  latitude  septentrionale,  il 
y  débarqua  des  animaux  domestiques  de  différentes 
espèces,  dans  la  vue  d'y  revenir  avec  des  émigrans,  si 
même  il  n'y  laissa  pas  dès  lors  un  certain  nombre  de 
familles,  comme  quelques  écrivains  l'ont  avancé.  Dans 
ce  cas,  les  nouveaux  colons  durent  être  bientôt  contraints 
d'abandonner  cette  terre  infertile  et  presque  inhabitable, 
pour  n'y  pas  périr  misérablement. 

Jusqu'alors  les  rois  de  France  avaient  laissé  voyager 
leurs  sujets  en  Amérique,  sans  se  mêler  de  leurs  expédi- 
tions, ni  trop  s'occuper  de  leurs  découvertes  ;  mais  en 
1523,  François  I,  voulant  exciter  l'émulation  des 
Français  par  rapport  à  la  navigation  et  au  commerce, 
comme  il  l'avait  déjà  fait  avec  succès  par  rapport  aux 
arts  et  à  la  littérature,  donna  commission  à  Jean  Ver- 
RAZZAX  (Giovanni  da  Yerrazzaxo),  Florentin,  qui 
était  à  son  service,  d'aller  reconnaître  les  terres  nou- 


AVANT-rKOPOS.  1  1 

velles,  dont  on  commençait  à  parler  beaucoup  en  France. 
Verrazzan  partit  de  Dieppe  avec  quatre  petits  vaisseaux, 
qu'il  ramena  dans  le  même  port,  l'année  suivante.  On 
ignore  par  quelle  hauteur  Verrazzan  découvrit  la  terre, 
dans  ce  jjremier  voyage,  et  jusqu'à  quel  degré  il  s'éleva 
au  nord.  Vers  la  fin  de  la  même  année  1524,  Verrazzan 
arma  de  nouveau  un  navire,  sur  lequel  il  s'embarqua, 
avec  cinquante  hommes  d'équipage  et  des  provisions  pour 
huit  mois.  Il  rangea  les  côtes  de  l'Amérique  Septen- 
trionale, entre  le  32e.  et  le  47e.  degré  de  latitude  ; 
attéra  en  plusieurs  endroits,  imposa  des  noms  aux  capsj 
baies,  ports  et  îles  qu'il  reconnut  ;  prit  possession  du  pays 
au  nom  de  François  I,  et  lui  donna  le  nom  de  Xouvelle 
France. 

L'année  suivante,  1525,1e  même  navigateur  se  remit 
en  mer,  dans  le  dessein,  a-t-on  écrit,  de  donner  com- 
mencement à  une  colonie  française  en  Amérique  ;  mais 
tout  ce  qu'on  sait  de  cette  dernière  entreprise  de  Verraz- 
zan, c'est  que  s'étant  embarqué,  il  ne  reparut  plus  ; 
soit  qu'il  eût  péri  en  mer,  soit  qu'il  eût  été  massacré, 
avec  tous  ceux  qui  l'accompagnaient,  par  les  naturels  du 
pays  où  il  avait  entrepris  de  bâtir  un  fort,  et  qui,  suivant 
la  tradition  la  plus  accréditée  du  temps  de  Lescarbot, 
était  l'ile  du  Cap-Breton,  appellée  alors  en  langage 
basque,  Ile  de  Bacallos,  ou  des  Morues.*  Le  malheureux 
sort  de  Verrazzan,  joint  aux  malheurs  de  l'état,  et  surtout 

*  Un  écrivain  moderne,  appuyé  d'autorités  anciennes  sans  doute, 

Î rétend  que  ce  fut  sur  une  partie  du  continent  contiguë  à  la 
'lorido,  pays  découvert  en  1512,  par  l'Espagnol  Ponce  de  Léon  ; 
ce  qui  semblerait  donner  quelque  poids  à  l'opinion  de  Cardenaz 
et  de  l'auteur  de  la  vie  de  Cabot,  qui  disent  que  Jean  Verrazzan, 
le  Florentin,  fut  pris  par  les  Espagnols,  en  1525,  regardé  par  eux 
comme  pirate  et'pendu.  Pourréfutercette  assertion,  Tvtlek  avance, 
d'après  une  lettre  d'Annibal  Caro,  citée  par  TiiiAnoscui,  que 
Verrazzan  vivait  encore  en  1 537.  11  ne  serait  donc  pas  mort,  suivant 
cet  auteur,  ou  n'aurait  pas  péri,  d'une  manière  ou  d'une  autre,  en 
1525,  comme  l'ont  affirmé  tous  les  écrivains  français. 


12  ATAXT-PROPOS. 

à  la  captivité  du  roi,  fut  cause  que  pendant  plusieurs 
années,  on  ne  songea  plus  en  France,  à  former  d'établis- 
semens  en  Amérique. 

En  1527,  Pamphile  Nakvaez,  parti  de  Cadix,  avec 
une  escadre,  aborda  sur  les  côtes  de  la  Floride  ;  pénétra, 
accompagné  de  trois  cents  hommes,  jusqu'à  la  haute 
région  des  Apaïaches  ;  regagna  ensuite  les  bords  de 
la  mer,  et  parvint  à  l'embouchure  du  tleuve  Apalachi- 
cola.  n  y  fit  construire  des  chaloupes,  sur  lesquelles 
il  s'embarqua,  avec  ceux  de  ses  gens  qui  n'avaient  pas 
péri  dans  l'expédition  ;  et,  côtoyant  les  bords  de  la  mer, 
de  l'est  à  l'ouest,  il  reconnut  l'entrée  d'un  grand  fleuve, 
qui  ne  pouvait  être  que  le  Micissipi. 

Suivant  Hakluyt,  les  Anglais  auraient  envoyé,  en 
1529,  deux  vaisseaux  sur  les  côtes  orientales  de  l'Amé- 
rique du  Nord,  lesquels  auraient  reconnu  Terre-Neuve, 
le  Labrador,  le  Cap-Breton,  et  les  côtes  d'une  contrée 
qu'ils  nommèrent  Arembec,  ou  Noremhègue  ;  mais  ce 
voyage,  s'il  eut  réellement  Heu,  n'eut  pas  pour  lors 
d'autres  résultats  ;  ce  ne  fut  que  beaucoup  plus  tard  que 
la  Norembègue  cessa  de  faire  partie  de  ce  que  Verrazzan 
avait  appelle  Nouvelle  France,  et  prit  le  nom  de  Nou- 
velle Angleterre. 


HISTOIRE  DU  CANADA, 


DOMINATION  FRANÇAISE. 


LIVRE  PREMIER, 

Contenant  ce  qui  s'est  passé  depuis  le  premier  Voyage  de 
Quartier,  en  1534,  jusqu'à  Vétablisseineyit  du  Gou- 
vernement Civil,  en  1663. 

C'est  peut-être  au  zèle  national,  appelle  depuis  patrio- 
tisme, de  Philippe  Chabot  de  Brion,  Amiral  de 
France,  qu'il  faut  attribuer  principalement  la  découverte 
de  la  grande  Rivière  du  Canada,  et  de  l'intérieur 
de  ce  pays.  Ce  seigneur  engagea  Frajîcois  I  à  re- 
prendre le  dessein  d'établir  une  colonie  française  dans 
le  Nouveau-Monde.  Il  lui  présenta  un  Capitaine 
Malouin,  nommé  Jacques  Quartier,  dont  il  connaissait 
le  mérite,  et  que  ce  prince  agréa.  Le  vice-amiral, 
Charles  de  Mouy  de  la  Meilleraye,  prit  l'affaire  à 
cœur,  et  bientôt  Quartier  eut  à  sa  disposition  deux 
vaisseaux  du  port  d'environ  60  tonneaux,*  et  cent,  vingt- 
hommes  d'équipage.  Il  partit  du  port  de  Saint-Malo, 
en  Bretagne,  le  20  avril  1534,  vieux  style,  ou,  comme 

*  Vu  les  progrès  faits  dans  l'art  de  la  construction  des  vaisseaux, 
comme  dans  la  plupart  des  auti'es  arts  mécaniques,  on  doit  croire 
qu'un  vaisseau  de  60  tonneaux,  à  cette  époque  reculée,  était 
beaucoup  plus  pesant  et  plus  grand  que  ne  le  serait  présentement 
un  vaisseau  de  la  même  capacité. 
B 


.  14  HISTOIRE 

nous  compterions  présentement,  le  30  de  ce  mois,*  et 
eut  des  vents  si  favorables,  qu'il  aborda  le  10  (20)  mai, 
au  cap  de  Bonne-  Vue,  ou  Bonavista,  sur  la  côte  orien- 
tale de  Terre-Neuve,  par  les  48°.  30m.  de  latitude  sep- 
tentrionale. Ayant  trouvé  la  terre  encore  couverte  de 
neige,  et  le  rivage  bordé  de  glace,  il  ne  put,  ou  n'osa  s'y 
arrêter.  Il  descendit  au  sud,  l'espace  de  cinq  à  six  lieues, 
et  entra  dans  un  port  qu'il  nomma  Sainte- Catherine,  et 
où  il  s'arrêta  pendant  dix  jours,  pour  attendre  un  temps 
plus  favorable.  Cinglant  de  là  au  nord,  il  découvrit,  ou 
reconnut  un  grand  nombre  d'îles,  et,  enti'e  autres,  celle 
qu'il  appelle  lie  aux  Oiseaux.  La  glace  dont  cette  île 
était  entourrée  étant  rompue  et  divisée  en  pièces,  il  y 
envoya  ses  chaloupes,  pour  y  pi-endre  des  oiseaux,  dont 
"  il  y  a,  dit-il,  si  grand  nombre,  que  c'est  chose  incroy- 
able à  qui  ne  le  voit  ;  car  cette  île,  qui  peut  avoir  une 
lieue  de  circuit,  en  est  si  pleine,  qu'il  semble  qu'ils  y  ont 
été  apportés  et  comme  semés  ;  et  néanmoins,  il  y  en  a 
cent  fois  plus  à  l'entour  et  en  rair."f  II  reconnut  toute 
la  côte  orientale  de  Terre-Neuve,  traversa  le  détroit 
de  Belle-Isle,  qu'il  appelle  Golfe  des  Châteaux,  et  voguant 
au  sud-ouest,  il  reconnut  des  caps,  des  îles  en  grand 
nombre,  et  des  havres,  sur  la  côte  du  Labrador,  dont  il 
dit  que  "  si  la  terre  correspondait  à  la  bonté  des  ports,  ce 
serait  un  grand  bien,  mais  qu'on  ne  la  doit  point  appeller 
terre,  mais  plutôt  cailloux  et  rochers  sauvages,  et  lieux 
propres  aux  bêtes  farouches."  Il  n'y  vit  "  autre  chose 
(en  fait  de  végétation),  que  mousse  et  petites  épines  et 

*Les  voyages  de  Quartier  au  Canada  ayant  eu  lieu  avant  la 
réformation  du  Calendrier  Julien,  faite  sous  Grégoire  XIII,  en 
1582,  ses  dates  se  trouvent  de  dix  jours  en  arrière  de  notre 
présente  manière  de  compter. 

fNous  mettons  et  mettrons  entre  guillemets  "  ",  les  paroles 
des  auteurs  cités  mot  pour  mot,  ou  avec  de  très  légers  change- 
mens  quant  au  stj'le  et  à  l'orthographe  ;  et  cela,  pour  n'être  paa 
obligé  de  repéter  trop  souvent  les  mêmes  noms. 


DU    CANADA.  15 

buissons,  ça  et  là,  séchés  et  demi-morts."  Il  y  ren- 
contra des  hommes  de  belle  taille,  qui  j^ortaient  leurs 
cheveux  liés  au  sommet  de  la  tête,  "  comme  une 
poignée  de  foin,"  et  ornés  de  plumes  d'oiseaux.  Ils 
étaient  vêtus  de  peaux  d'animaux,  tant  les  hommes  que 
les  femmes,  avec  cette  différence,  que  les  premiers 
n'étaient  couverts  qu'en  partie,  mais  que  les  femmes 
étaient  "percluses  et  renfermées  en  leurs  habits,  et 
ceintes  par  le  milieu  du  corps."  Les  hommes  avaient  le 
visage  peint  de  certaines  couleurs  rouges.  Quartier 
apprit,  à  son  retour,  que  ces  gens  n'étaient  pas  des 
naturels-  du  lieu,  mais  qu'ils  y  venaient,  en  été,  de 
contrées  plus  tempérées,  pour  faire  la  pêche  du  loup- 
marin. 

Du  Labrador,  notre  navigateur  revint  à  la  côte  occi- 
<ilentale  de  Terre-Neuve,  où  il  reconnut  divers  ports  et 
caps  ;  puis  se  dirigeant  vers  le  sud-ouest,  il  découvrit 
ou  reconnut  les  îles  qui  furent  nommées  ensuite  de  la 
Magdeleine,  et  parvint  à  l'embouchure  de  la  rivière 
appelléeplus  taxa  Miramichi ;  et  puis,  remontant  au  nord- 
il  entra  dans  une  grande  baie,  où  il  soutint  beaucoup  du 
chaud  ;  ce  qui  la  lui  fit  nommer  Golfe  ou  Baie  de  la 
Chaleur.  Il  reconnut  les  côtes  depuis  cette  baie  jusque 
près  de  celle  que  des  écrivains  moins  anciens  ont 
nommée  baie  de  Gaspé,  et  rencontra,  en  plusieurs  endroits, 
des  Sauvages,  avec  lesquels  il  troqua  des  effets  de  jîeu 
de  valeur  pour  des  peaux  d'animaux.  Il  les  dépeint 
comme  les  hommes  les  plus  pauvres  qu'il  y  eût  au 
monde,  allant  presque  nus,  et  ne  possédant  rien  que 
leurs  canots  et  leurs  filets.  Ces  hommes  étaient  chas- 
seurs, puisque  le  peu  de  vêtemens  qii'ils  portaient  étaient 
faits  de  peaux  de  bêtes  sauvages  ;  mais  leur  principale 
occupation,  comme  leur  principale  ressource,  était  la 
pèche.     Ils  cultivaient   le  maïs   et  quelques  légumes. 


V 


iQ  HISTOIRE 

Leur  pays,  d'après  la  description  qu'en  donne  Quartier, 
était  couvert  de  forêts  offrant  une  variété  d'arbres  de 
haute  futaie,  d'arbustes  fruitiers,  et  de  vignes  ;  ou  de 
prairies  parsemées  de  fleurs  et  d'herbes  odoriférantes. 

Quartier  employa  les  mois  de  juin  et  de  juillet  à 
faire  ces  courses  et  ces  reconnaissances.  Le  1er  (10) 
août,  étant  entre  la  baie  des  Chaleurs  et  celle  de  Gaspé, 
il  fit  planter  luie  croix  de  trente  pieds  de  hauteur,  au 
milieu  de  laquelle  il  fit  mettre  xm  écusson  en  relief  avec 
trois  fleurs  de  lys,  et  au-dessus,  ces  mots  en  grosses 
lettres  entaillées  dans  le  bois  :  Vive  le  Roi  de  France. 
Quartier  et  ses  gens  s'agenouillèrent  devant  cette  croix, 
et  l'adorèrent,  comme  il  s'exprime,  au  grand  ébahis- 
sement,  sinon  au  grand  scandale  du  peuple  du  pays, 
dont  le  chef  fit  une  longue  harangue,  en  regardant 
cette  croix,  et  en  montrant  toute  la  terre  des  environs, 
comme  s'il  eût  voulu  dire  qu'elle  était  toute  à  lui,  et 
qu'on  n'y  devait  rien  faire  sans  sa  permission. 

Quartier  fit  plus,  ou  pis,  que  de  pi  endre  possession 
d'un  pays  qui  ne  lui  appartenait  pas  ;  car  ayant  attiré  le 
chef  en  question  et  ses  trois  fils  dans  une  de  ses  chaloupes, 
en  feignant  de  leur  vouloir  faire  des  présens,  quelques 
uns  de  ses  gens  saisirent,  par  son  ordre,  deux  des  der- 
niers, et  les  entrainèrent  dans  les  vaisseaux.  Il  les  fit 
aussitôt  habiller  élégamment,  et  donna  à  entendre  à  leur 
père,  qu'il  ne  les  emmenait  que  pour  les  bien  traiter  et 
les  ramener  prochainement. 

Continuant  à  cingler  vers  le  nord,  il  entra  dans  la 
baie  de  Gaspé,  traversa  le  golfe  de  Saint-Laurent, 
et  se  trouva  le  15  (25)  août,  au  port  de  Blanc- Sahlon, 
sur  la  côte  méridionale  de  Labrador.  De  ce  port,  il  fit 
voile  directement  pour  la  France,  et  arriva  à  Saint-Malo, 
le  5  (15)  de  septembre. 

Sur  le  rapport  que  Quartier  fit  de  son  voyage,  la  cour 


DU    CANADA.  17 

jugea  qu'il  convenait  de  continuer  les  découvertes 
commencées,  et  d'obtenir  des  rcnseignemens  plus  amples 
sur  des  contrées  où  il  pourrait  être  avantageux  à  la 
France  de  former  des  établissemens.  Le  vice-amiral 
de  la  Meilleraye,  qui,  plus  qu'aucun  autre  peut-être, 
continuait  à  s'intéresser  au  succès  de  ce  dessein,  obtint 
pour  Quartier  une  commission  plus  ample  que  la  pré- 
cédente, et  lui  armement  plus  considérable.  Ce  dernier 
mit  à  la  voile,  du  même  port  de  Saint-Malo,  le  19  (29) 
mai  1535,  avec  trois  vaisseaux,  dont  le  plus  grand, 
nommé  la  Grande-Hermine,  était  du  port  de  cent  à  cent 
vingt  tonneaux  ;  le  second,  la  Petite- Hermine,  du  port 
d'environ  soixante  tonneaux,  et  le  troisième,  ^ Emérillon, 
qu'il  appelle  gallion,  de  quarante  tonneaux.  Il  était 
accompagné  de  plusieurs  gentilshommes,  MM.  Claude 
DE  PoxVTBRiANT,  Charles  de  la  Pommerate,  Jean 
GouYON,  Jean  Poulet,  entre  autres,  qui  voulurent  le 
suivre  en  qualité  de  volontaires.*  La  traversée  ne  fut 
pas,  à  beaucoup  près,  aussi  courte  que  la  précédente  '• 
bientôt,  le  vent  devint  contraire,  et  il  s'éleva  de  violentes 
tempêtes  :  les  vaisseaux,  séparés  les  uns  des  autres,  ne 
se  rejoignirent  que  le  26  juillet,f  au  port  de  Blanc- 
Sablon,  où  ils  avaient  rendez-vous.  Quartier  s'avança 
plus  loin  vers  l'ouest  qu'il  n'avait  fait  dans  le  précé- 
dent voyage,  et  reconnut  encore  un  nombre  d'îles,  de 
caps  et  de  ports,  jusqu'à  ce  que,  se  trouvant  vis-à-vis  de 
la  pointe  sud-est  d'Anticosti,  les  deux  Sauvages  qu'il 

*  On  nous  permettra  de  nommer  aussi  les  Capitaines  et  Maîtres 
des  premiers  vaisseaux  européens  qui  soient  entres  et  aient 
pénétré  dans  le  fleuve  Saint-Laurent  :  c'étaient,  pour  la  Grande- 
Hermine,  Jacques  Quartier  lui-même  et  Thomas  Fkosmoxt  -,  pour 
la  Petite- Hermine,  Marc  JALoniiiix  et  Guillaume  Le  Marie',  et 
pour  l' Emirillon,  GuUlaume  Le  Bketon  et  Jacques  Mainoart. 

f  Toutes  les  fois  que  nous  ne  mettrons  pas  la  date  du  nouveau 
style  entre  parenthèses,  il  y  faudra  suppléer  en  mettant  dix  jours 
plus  tard  la  date  donnée.     Ici  ce  devrait  être  le  5  août. 

b2 


18  HISTOIRE 

ramenait  de  France,  et  qu'il  nomme,  plus  tard,  Taigu- 
RAGXY  et  DoMAGATA,  lui  dirent  que  c'était  une  île,  et 
qu'il  y  avait  passage  au  sud,  entre  cette  île  et  la 
presqu'île  nommée  alors  Hongnedo  (ou  Ognedoc),  pour 
"  aller  à  Canada."  Il  la  nomma  Ile  de  V Assomption. 
Après  avoir  reconnu  les  terres,  au  sud  d'abord,  et 
ensuite  au  nord,  il  revint  au  sud,  et  continua  à  naviguer, 
en  remontant  le  fleuve,  ses  deux  Sauvages  lui  donnant 
des  renseignemens  exacts  sur  les  lieux  qu'il  avait  à 
reconnaître  ;  particulièrement  sur  le  Saguenay  et  sur 
le  grand  fleuve  à' Hochelaga,  comme  ils  l'appellaient, 
qu'ils  lui  dirent  aller  en  rétrécissant  jusqu'à  Canada, 
c'est-à-dire  apparemment,  jusqu'à  la  ville,  au  grand 
village,  ou  au  village  par  excellence. 

Après  avoir  été  retenu  pendant  plusieurs  jours  aux 
Sept-Isles,  par  des  brumes  et  des  vents  contraires,  et 
s'être  arrêté  au  Bic,  qu'il  appelle  Havre  des  lleaux 
Saint-Jean,  il  parvint  à  l'embouchure  du  Saguenay, 
dans  lequel  il  entra,  et  qu'il  décrit  comme  "une  rivière 
fort  profonde  et  courante,  entre  hautes  montagnes  de 
pierre  nue,  sur  lesquelles  cependant  une  grande  quantité 
d'arbres  de  plusieurs  sortes  croissent  comme  sur  bonne 
terre."  Il  y  rencontra  des  Sauvages  du  Canada,  qui  y 
faisaient  la  pêche  du  loup-marin  et  autres  poissons,  et 
qui  parurent  d'abord  fort  effrayés,  mais  que  Taiguragny 
et  Domagaya  parvinrent  à  rassurer. 

Ayant  remonté  le  fleuve  l'espace  de  quinze  lieues, 
Quartier  mouilla  auprès  d'une  île  qu'il  nomma  lie  aux 
Coudres,  à  cause  du  grand  nombre  de  coudriers  qu'il  y 
trouva.  Huit  lieues  plus  haut  que  l'Ile  aux  Coudres,  il 
en  trouva  une  beaucoup  plus  grande  et  plus  belle,  à 
laquelle  il  donne  de  dix  à  douze  lieues  de  longueur, 
quoiqu'elle  n'en  ait  qu'environ  sept,  et  que  la  grande 
quantité  de  vignes  sauvages  qu'il  y  remarqua,  lui  fit 


Dr    CANADA,  19 

nommer  lie  de  Bacchus.  Ayant  jette  l'ancre  entre 
l'ile  de  Bacchus,  ou  d'Orléans,  et  la  grande  terre  du 
Nord,  il  y  fit  connaissance  avec  les  gens  du  pays,  alors 
occupés  en  grand  nombre  à  la  pêche  de  l'anguille  et 
autres  poissons.  Taiguragny  et  Domagaya,  qui  par- 
laient la  même  langue  qu'eux,  bien  qu'ils  eussent  été 
enlevés  près  de  la  baie  de  Gaspé,  leur  ayant  raconté 
le  bon  traitement  qu'ils  avaient  éprouvé,  dans  le  voyage 
et  en  France,  ils  offrirent  à  Quartier  et  à  ses  gens,  du 
poisson,  du  maïs  et  des  melons  ep  abondande.  Les 
hommes  et  les  femmes  ne  cessaient  d'aborder  les  navires 
dans  leurs  canots,  pour  se  réjouir  du  retour  de  leurs  deux 
compatriotes.  Quartier  les  festoya  aussi,  et  leur  fit 
(quelques  petits  présens. 

Le  lendemain,  VAgohanna,  c'est-à-dire  le  seigneur 
ou  le  grand  chef  de  Canada,  nommé  Donnacoxa, 
arriva,  accompagné  de  douze  grands  canots  chargés  de 
gens.  Il  en  fit  rester  dix  en  arrière,  et  s'avança  avec 
les  deux  autres,  montés  de  seize  hommes,  vis-à-vis  du 
plus  petit  des  vaisseaux  de  Quai'tier,  et  commença  une 
harangue  de  compliment  et  de  bienvenue,  en  démenant 
son  corps  et  ses  membres  "  d'une  merveilleuse  sorte," 
en  signe  de  joie  et  pour  témoignage  d'amitié.  Il 
conversa  ensuite  familièrement  avee  Taiguragny  et 
Domagaya:  ce  qu'ils  lui  racontèrent  aloi's  lui  plut  telle- 
ment, qu'il  pria  le  capitaine  français  de  lui  donner  ses 
bras  à  baiser,  pour  le  remercier  et  lui  témoigner  sa 
reconnaissance.  Quartier  descendit  dans  le  canot  de 
Donnacona,  et  y  fit  apporter  du  pain  et  du  vin,  pour  le 
traiter  lui  et  sa  suite  ;  après  quoi,  on  se  sépara,  le  chef 
emmenant  avec  lui  les  deux  Sauvages  revenus  de 
France. 

Quartier  désirant  trouver  un  lieu  propre  à  mettre  ses 
navires  en  sûreté,  côtoya  en  chaloupes  l'île  d'Orléans  ; 


20  insTOïKE 

''  au  bout  de  laquelle  il  trouva  un  affourc  d'eau  fort 
beau  et  plaisant,  (bel  et  délectable,  comme  il  dit 
ailleurs),  où  il  y  a  une  petite  rivière  venant  du  nord,  et 
havre  de  barre  marinant  de  deux  à  trois  brasses,  et 
un  détroit  du  fleuve  fort  courant  et  pi'ofond,  qui  n'a 
de  large  qu'environ  un  tiers  de  lieue,  et  par  le  travers 
duquel  il  y  a  une  terre  double  de  bonne  hauteur  toute 
labourée  (ou  cultivée)." 

Ayant  jugé  l'endroit  convenable  pour  y  mettre  leurs 
vaisseaux,  les  Français  se  rembarquèrent  dans  leurs 
chaloupes  pour  retourner  à  File  d'Orléans.  Comme  ils 
sortaient  de  la  rivière  "  venant  du  nord,"  ils  trouvèrent 
au-devant  d'eux  un  des  chefs  de  la  bourgade  de  Stada- 
cotiê,  située  sur  la  hauteur,  au  sud  ou  sud-ouest  de  cette 
rivière,  que  Quartier  nomma  Sainte- Croix,  et  qui  est  la 
même  qui  a  été  appellée  depuis  l'ivière  de  Saint- 
Chai-les.  Ce  chef,  qui  était  accompagné  d'un  grand 
nombre  d'hommes  et  de  femmes,  fit  une  harangue,  en 
témoignage  de joieet  "d'assurance  ;''  api'ès  quoi,  tous  se 
mirent  à  chanter  et  danser,  "  étant  dans  l'eau  jusqu'aux 
genoux."  Quartier  leur  donna  des  bagatelles,  dont 
néanmoins  ils  furent  si  satisfaits,  qu'éloignés  d'eux  de 
près  d'une  lieue,  les  Français  les  entendaient  encore 
chanter  et  pousser  des  cris  de  joie. 

Le  14  (24)  de  septembre,*  Quartier  vint  placer  ses 
navires  à  l'entrée  de  la  rivière  de  Saint-Charles.  Ce 
même  jour,  Donnacona  et  tous  ceux  qui  avaient  fait  la 
pêche  à  l'Ile  d'Orléans,  s'en  revenaient  à  Stadaconé, 
leur  demeure,  dans  vingt-cinq  canots.  Ils  s'appiochè- 
rent  des  Français,  en  donnant  de  grandes  marques  de 

*  C'est  ce  même  jour  que  le  nom  de  Sainte-Croix  fut  donné  à 
la  rivière  "  venant  du  nord"  et  à  l'endroit.  Dans  ces  temps-là,  le 
calendrier  servait  ordinairement  de  nomenclateur  aux  navigateurs 
qui  faisaient  des  voyages  de  découverte. 


1>U    CANADA.  21 

joie  et  d'amitié,  à  l'exception  de  Domagaya  et  de  Tai- 
guraguy,  qui  ne  voulurent  point  monter  dans  les 
navires,  bien  qu'ils  fussent  inviiés  à  le  faire,  mais  qui 
pourtant  promirent  alors  à  Quartier  de  l'accompagner 
à  Hochelaga. 

Le  lendemain.  Quartier  voyant  Donnacona  et  nombre 
de  ses  gens  se  tenant  sur  une  pointe  de  terre,  au  bord 
du  fleuve,  et  paraissant  ne  pas  oser  s'approcher  des 
vaisseaux,  alla  les  trouver,  accompagné  d'une  pai'tie  des 
siens.  Dès  l'abord,  il  s'apperçut  que  les  deux  hommes 
qu'il  avait  ramenés  de  France  avaient  commencé  à 
inspix'cr  dé  la  méfiance  à  leurs  compatriotes  :  l'un  d'eux 
(Taiguragny)  lui  dit  que  l'Agohanna  était  marri  de  voir 
que  les  Français  portaient  tant  de  "  bâtons  de  guerre," 
tandis  qu'eux  n'en  portaient  point.  Néanmoins,  après 
([uelque  apparence  de  refi'oidissement,  la  confiance  et  la 
bienveillance  entre  le  chef  et  le  capitaine  semblèrent 
parfaitement  rétablies. 

Le  16  (26),  Quartier  mit  ses  deux  plus  grands  vais- 
seaux dans  le  havre,  où  il  y  a,  dit-il,  "  de  pleine  mer 
trois  brasses,  et  de  basse  eau  demi-brasse,  et  laissa  le 
plus  petit  dans  la  rade,  pour  aller  à  Hochelaga.  Il  aurait 
voulu  se  faire  accompagner  des  doux  Canadois*  qui 
entendaient  un  peu  le  Français,  pour  lui  servir  d'inter- 
prètes ;  mais  dans  une  seconde  visite  que  lui  fit  Donna- 
cona, accompagné  de  plus  de  cinq  cents  personnes, 
hommes,  femmes  et  cufons,  Taiguragny  lui  dit  que 
l'Agohanna  était  fâché  qu'il  allât  à  Hochelaga,  et  qu'il 
ne  lui  permettrait  pas  (à  lui  qui  parlait)  de  l'y  accom- 
pagner, comme  il  avait  promis  de  le  faire,  "parce que  la 
rivière  ne  valait  rien."     En  effet,   les   Sauvages  em- 

*  Ainsi  nommerons-nous  occasionellement,  pour  plus  de  briè- 
veté, los  peuples  qui,  à  cotte  époque,  habitaient  le  Canada.  Le 
mot  Canadiens,  employé  par  Quartier,  sentù-ait  l'équivoque. 


22  UISTOIRE 

ployèrent,  uous  ne  saurions  dire  poiu*  quelles  raisons, 
prières,  présens,  promesses  et  menaces  indirectes,  pour 
empêcher  Quartier  de  faire  ce  voyage.  Le  18,  veille 
du  départ,  Taiguragny  lui  répéta  qu'il  ne  serait  permis 
à  nul  d'eux  d'aller  avec  lui,  "  s'il  ne  baillait  piège 
(otage)  qui  demeurât  à  terre  avec  Donnacona." 

Quoiqu'eussent  pu  faire  ou  dire  les  gens  de  Stada- 
coné,  Quartier  partit  le  19  (29)  de  septembre,  dans 
VEmérillon,  avec  deux  chaloupes,  et  accompagné  de 
tous  les  gentilshommes  et  de  cinquante  mariniers.  Il 
trouva,  "des  deux  côtés  du  fleuve,  les  plus  belles  et 
meilleures  terres  qu'il  soit  possible  de  voir,  aussi  unies 
que  l'eau,  pleines  des  plus  beaux  arbres  du  monde,  et 
tant  de  vignes  chargées  de  raisins  qu'il  semblait  qu'elles 
y  eussent  été  plantées  de  main  d'homme."  H  vit  pareil- 
lement sur  les  rives  du  fleuve  "  grand  nombre  de  maisons 
habitées  de  gens  qui  faisaient  grande  pêcherie  de  bons 
poissons,  lesquels  allaient  aux  vaisseaux  •'•'  en  aussi 
grand  amour  et  privante"  que  si  ceux  qui  les  montaient 
eussent  été  du  pays,  leur  apportant  du  poisson,  &c., 
pour  avoir  de  leur  marchandise,  levant  les  mains  au 
ciel  et  faisant  plusieurs  cérémonies  en  signe  de  joie." 

Etant  à  la  distance  de  quinze  à  vingt  lieues  de  Stada- 
coné,  en  un  endroit  qu'il  dit  se  nommer  Achelaei,  et  qui 
est,  ajoute-t-il,  "  un  détroit  (rétrécissement)  du  fleuve 
foi"t  courant  et  dangereux,"  il  reçut  la  visite  d'un 
"  seigneur"  du  pays,  accompagné  d'un  grand  nombre  de 
gens,  lequel  après  une  harangue  animée,  dans  laquelle 
il  paraissait  le  mettre  en  garde  contre  les  périls  de  la 
navigation  du  fleuve  en  remontant,  lui  offrit  en  présent 
une  jeune  fille  et  un  petit  garçon. 

Quoiqu'il  naviguât  "  sans  perdi'e  heure  ni  jour," 
Quartier  n'atteignit  qu'au  bout  de  neuf  jours  le  lac 
Saint-Pierre,  auquel  il  donne  douze  lieues  de  long  et 


DU   CANADA.  23 

cinq  ou  six  de  large.*  Parvenu  au  haut  du  lac,  en  navi- 
gnant  entre  la  côte  du  nord  et  les  îles,  il  ne  sut  pas 
trouver  le  chenal,  ou  ne  put  le  passer  avec  son  gallion. 
Il  fit  met*^re  ce  qu'il  lui  fallait  de  vivres  et  autres  choses 
dans  ses  deux  chaloupes,  et  s'y  embarqua,  avec  les 
gentilhommes,  les  capitaines  et  maîtres  qui  l'avaient 
accompagné,  et  une  trentaine  de  matelots,  et  arriva  au 
pays  d'Hochelaga,  le  2  (12)  octobre  au  matin,  comptant 
avoir  fait  quinze  lieues  par  jour,  et  n'en  ayant  fait 
qu'environ  cinq.  Mais  il  avait  été  ai'rêté  en  plusieurs 
endroits,  sur  la  route,  par  les  habitans  du  pays,  qui  lui 
apportaient  du  poisson  et  d'autres  '•'  victuailles,"  et  à 
qui  il  donnait  en  échange  des  couteaux,  des  patenôtres 
et  autres  bagatelles. 

A  plus  de  deux  lieues,  suivant  le  calcul  de  Quartier, 
mais  réellement  à  moins  d'une  lieue  de  la  ville  capitale, 
ou  principale  bourgade  du  pays,  qui  paraît  être  la  même 
qu'il  nomme  Tutonagny,  dans  son  troisième  voyage,  au 
pied  de  ce  que  nous  appelions  le  courant  de  Sainte- 
Marie,  qu'il  donne  comme  étant  "  un  sault  d'eau  le  plus 
impétueux  qu'il  soit  possible  de  voir;"  et  qu'il  lui  fut 
impossible  de  passer,  plus  de  mille  personnes  vinrent 
au-devant  des  Français,  et  leur  firent  "aussi  bon  ac- 
cueil que  jamais  père  fit  à  enfans,"  les  hommes,  les 
femmes  et  les  enfans,  en  bandes  séparées,  dansant  en 
signe  de  joie,  et  jettant  dans  les  chaloupes  du  poisson 
et  du  pain  de  gros  mil  (ou  bled  d'Inde)  en  si  grande 
abondance,  "  qu'il  semblait  qu'il  tombât  de  l'air."  En- 
hardis par  un  tel  accueil.  Quartier  et  une  partie  de 
ses  gens  descendirent  à  terre,  et  aussitôt  cette  foule  se 

*  Primitivement,  le  lac  Saint-Pierre  s'étendait  des  hauteurs  de 
Nicolet  et  de  laBaieduFebvre,  d'uncôté,  à  celles  de  Maskiuongé, 
Saint-Barthcleniy,  &c.,  de  l'autre  :  mais  au  temps  des  voyages  de 
Quartier,  il  ne  devait  avoii'  cette  étendue  que  dans  la  saison  des 
hautes  eaux. 


24  HISTOIRE 

pressa  autour  d'eux  et  leur  fit  une  fête  de  réjouissance  et 
de  bienvenue  qui  dura  plus  d'une  demi-heure,  ou  plutôt  qui 
ne  discontinua  pas  ;  car  Quartier  s'étant  retiré  dans  ses 
chaloupes  avec  ses  gens,  les  Sauvages  allumèrent  des 
feux  sur  les  bords  du  fleuve,  et  dansèrent  auprès  toute 
la  nuit,  en  criant  à  toute  heure  :  Aguiazé,  c'est-à-dire, 
apparemment,  "  Soyez  les  bien-venus." 

Le  lendemain,  de  grand  matin,  Quartier  se  mît  en 
route,  accompagné  des  gentilshommes  et  de  vingt  mari- 
niers, et  guidé  par  trois  des  gens  du  pays.  Il  s'avança 
par  une  superbe  chênaie,  et  par  un  chemin  "aussi  battu 
qu'il  soit  possible  de  voir  en  la  plus  belle  plaine." 

Ayant  fait  ce,  qu'en  s'exagérant  la  distance,  il  croyait 
être  une  lieue  et  demie,  il  rencontra  un  chef,  accompagné 
de  plusieurs  autres  personnes,  qui  lui  fit  entendre  par 
signes,  qu'il  fallait  se  reposer  là,  auprès  d'un  feu,  qu'ils 
avaient  fait,  et  prononça  une  harangue  de  bon  accueil. 
Quartier  lui  donna  deux  haches,  deux  couteaux,  et  de 
plus  un  crucifix,  qu'il  lui  fit  baiser,  et  qu'il  lui  pendit  au 
cou.  A  une  demi-lieue  de  là,  les  Français  amvèrent  à 
la  vue  de  la  ville,  "  sise  au  milieu  de  belles  et  grandes 
campagnes,  et  de  terres  cultivées,  et  joignant  une  mon- 
tagne, aussi  bien  cultivée  et  fort  fertile.  Lorsqu'ils 
furent  près  de  cette  ville,  un  grand  nombre  de  ses 
habitans  en  sortirent  et  vinrent  au-devant  d'eux,  leur 
faisant  bon  accueil  à  leur  manière.  Leurs  guides  les 
menèrent  dans  une  grande  place  située  au  milieu,  d'un 
jet  de  pierre  environ  en  quarré,  et  leur  firent  signe  de  s'y 
arrêter.  Aussitôt,  s'assemblèrent  autour  d'eux  toutes 
les  femmes  et  les  filles  de  la  ville,  une  partie  des  pre- 
mières ayant  des  enfans  dans  leurs  bras,  et  leur  bai- 
sèrent le  visage,  les  mains,  les  bras  et  les  autres  parties 
du  corps  où  elles  pouvaient  toucher,  leur  faisant  toutes 
les  caresses  imaginables,  et  leur  demandant  par  signes 


DU   CANADA.  25 

de  vouloir  bien  toucher  leurs  enfans.  Ensuite,  les 
hommes  firent  retirer  les  femmes  et  les  enfans,  et  s'as- 
sirent sur  la  terre,  autour  de  Quartier  et  de  ses  compa- 
gnons. Presque  aussitôt,  plusieurs  femmes  revinrent, 
apportant  chacune  une  natte  carrée,  en  forme  de  tapisse- 
ries. Elles  les  étendirent  à  terre,  et  firent  asseoir  dessus  les 
étrangers.  Bientôt  après,  fut  apporté  par  neuf  ou  dix 
hommes,  sur  une  grande  peau  de  cei'f,  V Agohanna,  ou 
seigneur  du  pays.  A  l'exception  d'un  bandeau  fait  de 
poil  de  hérisson  ou  porc-épic,  qu'il  portait  en  guise  de 
diadème,  ce  grand  chef  n'était  pas  mieux  "  accoutré" 
que  les  autres  :  il  était  âgé  d'environ  cinquante  ans,  et 
tout  perclus  de  ses  membres.  Après  qu'il  eut  fait  "  son 
signe  de  salut"  à  Quartier  et  à  sa  suite,  il  lui  montra  ses 
bras  et  ses  jambes,  en  le  priant  de  les  vouloir  touclier, 
comme  s'il  lui  eût  demandé  "guérison  et  santé."  Quar- 
tier lui  ayant  frotté  les  bras  et  les  jambes,  il  prit  sa  cou- 
ronne, et  la  lui  mit  sur  la  tête.  Alors  on  amena  au  capi- 
taine un  nombre  de  malades,  ou  gens  infirmes.  N'ayant 
pas  le  pouvoir  de  guérir  leurs  corps,  il  pensa  au  salut  de 
leurs  âmes,  "  faisant  sur  eux  le  signe  de  la  croix,  et 
priant  Dieu  de  leur  faire  la  grâce  de  recevoir  chrétienté 
et  baptême."  Il  leur  lut  l'Evangile  In  principio,  et  la 
Passion  tout  haut,  "  tellement,  dit-il,  que  tous  la  pussent 
ouïr  ;"  ce  qu'ils  firent  en  grand  silence,  regardant  le  ciel, 
et  faisant  les  mêmes  cérémonies  qu'ils  voyaient  faire  aux 
Français. 

Après  ces  prières,  Quartier  fit  ranger  les  hommes 
d'un  côté,  les  femmes  d'un  autre,  et  les  enfans  d'un 
autre,  et  distribua  aux  uns  et  aux  autres  les  préseus 
qu'il  crut  leur  mieux  convenir,  et  devoir  leur  plaire 
davantage.  Lorsqu'il  voulut  se  retirer  avec  ses  gens, 
les  femmes  se  mii-ent  au-devant  d'eux,  pour  les  arrêter, 
et  on  leur  apporta  les  mets  qui  avaient  été  préparés  pour 
c 


2G  HISTOIRE 

eux,  savoix'  des  potages,  du  paizi  de  maïs,  du  poisson, 
des  concombres,  &c. 

Au  sortir  de  la  ville,  les  voyageurs  furent  conduits 
par  un  nombre  d'hommes  et  de  femmes,  sur  le  sommet 
de  la  montagne  voisine,  qu'ils  nommèrent  le  Mont 
Royal,  et  d'où  ils  eurent  "vue  et  connaissance  de  plus 
de  trente  lieues  à  l'entour  ;"  du  fleuve,  d'un  nombrç  de 
montagnes,  et  d'une  "terre  unie,  labourable  et  la  plus 
belle  qu'il  soit  possible  de  voir."  Quartier  ne  laissa  le 
pays  qu'au  grand  regret  de  ses  habitans,  dont  une  partie 
le  suivit  assez  loin,  en  descendant  le  fleuve.  Ils  lui 
avaient  parlé  avec  assez  d'exactitude,  quoique  par  signes, 
des  saults  du  fleuve,  des  grands  lacs  du  sud-ouest,  d'une 
grande  rivière  venant  du  noi'd-ouest,  (celle  des  Outa- 
ouais)  ;  mais  il  ne  les  avait  compris  qu'imparfaitement.  Ils 
lui  parlèrent  aussi  d'une  nation  à! Agojuda,  ou  d'hommes 
méchants,  probablement  ceux  qui  furent  connus  plus 
tard  sous  le  nom  d'Iroquois,  habitant  "amont  le  fleuve," 
c'est-à-dire  au  sud-ouest,  "  armés  jusque  sur  les  doigts," 
et  continuellement  en  guerre  entre  eux  ou  avec  leurs 
voisins. 

Parti  le  5  (15)  octobre,  de  l'endroit  où  il  avait  laissé 
son  gallion,  il  se  trouva  le  7,  par  le  travers  de  la  rivière 
de  Saint-Maurice,  qu'il  nomma  rivière  de  Fouez.  Il 
reconnut  les  îles  qui  se  trouvent  à  son  entrée,  et  fit 
planter  une  "  belle  croix"  sur  la  pointe  de  celle  qui  s'avance 
le  plus  dans  le  fleuve,  et  qu'on  apperçoit  de  plus  loin. 
Il  remonta  cette  rivière  dans  une  chaloupe  ;  mais  bientôt 
ne  l'ayant  trouvée  ni  grande  ni  profonde,  il  revint  à  son 
vaisseau,  continua  à  descendre  le  fleuve,  et  arriva  le  11 
(21),  au  lieu  où  étaient  ses  navii'cs. 

"  Les  maîtres  et  mariniers  qui  y  étaient  demeurés 
avaient  fait  un  fort  devant  les  dits  navires,  tout  clos 
de  grosses  pièces  de  bois  plantées  debout,  joignant  les 


r)U    CANADA.  27 

unes  aux  autres,  et  tout  à  l'entour  garni  d'artillerie,  et 
bien  en  ordre  pour  se  défendre  contre  tout  le  pays." 
Ce  fort  fut  construit  sur  la  rive  gauche  de  la  rivière 
Saint-Charles,  assez  près  de  son  confluent,  ou,  pour 
pai-ler  d'après  la  relation,  à  l'endroit  où  il  y  avait  "  de 
pleine  mer,  trois  brasses,  et  de  basse  eau,  demi-brasse  ; 
où  elle  était  assez  étroite  pour  qu'on  pût  se  parler  et 
s'entendre  d'une  rive  à  l'autre,  et  vis-à-vis  d'une  pointe 
qu'il  y  avait  sur  le  bord  du  fleuve  ;  et,  pour  compléter  la 
désignation,  à  une  petite  demi-lieue  de  la  bourgade  de 
.Stadaconé,  bâtie  sur  le  site  de  la  présente  haute  ville 
de  Québec,  ou  de  son  faubourg  de  Saint-Jean.  Le  len- 
demain de  l'arrivée  de  Quartier,  Donnacona  lui  alla 
rendre  visite,  pour  le  féliciter  de  son  heureux  retour,  et 
l'inviter  à  le  venir  voir,  le  lendemain,  "  à  Canada,"  c'est- 
à-dire,  à  la  ville.  En  effet,  le  13,  le  capitaine,  accom- 
pagné des  gentilshommes  et  de  cinquante  matelots  bien 
armés,  traversa  la  rivière  et  s'achemina  vers  Stadaconé. 
A  son  approche,  les  habitans  sortirent  de  leurs  maisons, 
et  vinrent  au-devant  de  lui,  à  la  distance  d'un  jet  de 
pierre  ou  plus,  puis  se  rangèrent,  les  hommes  d'un  côté 
et  les  femmes  de  l'autre,  dansant  et  chantant  sans  cesse, 
suivant  leur  manière  de  faire  fête  aux  étrangers.  Quar- 
tier fit  aux  uns  et  aux  autres  des  dons  de  peu  de  valeur  ; 
api'ès  quoi,  il  fut  mené  par  la  ville  par  Donnacona 
accompagné  de  Taiguragny  comme  interprète.  Il  ne 
parle  ni  du  nombre,  ni  de  la  grandeur,  ni  de  la  forme  des 
maisons,  ou  cabanes,  mais  se  contente  de  dire  qu'il  les 
trouva  bien  fournies  ("estoi'ées")  de  vivres  pour  passer 
l'hiver. 

Les  relations  amicales  durèrent  quelque  temps  sur  le 
même  pied  ;  mais  Taiguragny  et  Domagaya  (qui  sans 
doute  avaient  déjà  raconté  de  quelle  manière  ils  avaient 
été  enlevés,)  ayant  dit  à  Donnacona  et  à  ses  gens  que 


28  HISTOIRE  ^ 

ce  qu'ils  recevaient  des  Français  ne  valait  pas,  à  beau- 
coup près,  ce  qu'ils  leur  donnaient  eu  échange,  il  y  eut 
refroidissement  et  méfiance  réciproques,  et  Quartier  fit 
"renforcer  son  fort,  tout  à  l'entom',  de  fossés  larges  et 
profonds,  avec  portes  à  pont-levis,  et  d'une  nouvelle 
enceinte  de  pieux  debout,  et  il  fut  ordonné  pour  le  guet 
de  la  nuit  cinquante  hommes  à  quatre  quarts,"  les 
trompettes  devant  jouer  à  chaque  quart.  ^ 

Toutes  ces  précautions  seraient  devenues  inutiles 
poui'tant,  si  l'état  où  les  Français  ne  tardèrent  pas  à 
être  réduits,  eût  été  connu  des  Canadois,  et  si  ces  der- 
niers leur  eussent  voulu  du  mal.  Une  espèce  d'épidémie 
(le  scorbut)  s'étant  déclarée  parmi  les  habitans  de 
Stadaconé,  défense  leur  fut  faite  de  la  part  du  capitaine 
français  d'approcher  de  ses  navires  ou  de  son  fort. 
Malgré  cette  précaution,  la  maladie  se  communiqua 
bientôt  à  ses  gens,  et  avec  une  telle  violence,  qu'il  fut 
im  temps  où  il  ne  lui  restait  pas  quatre  hommes  en  état 
d'agir,  et  que  vingt-cinq  en  moururent.  Il  sut  cacher 
cet  état  de  choses  aux  Sauvages,  et  obtint  d'eux  la 
connaissance  d'un  remède,  au  moyen  duquel  tous  ses 
malades  se  rétablirent  promptement.  C'était  une  tisane 
faite  avec  l'écorce  et  les  feuilles  de  Vannedda,  ou  de 
l'épinette  blanche,  pilées  et  bouillies  ensemble  ;  tisane 
que  Quai'tier  donne,  par  exagération,  comme  un  "  remède 
contre  toutes  maladies,  le  plus  excellent  qui  fut  jamais  vu 
ni  trouvé  sur  la  terre." 

~  Sur  le  printems,  Stadaconé  se  trouva  rempli  de  gens 
que  les  Français  n'avaient  pas  accoutumé  d'y  voir,  et 
que  Quartier  dépeint  comme  des  "hommes  beaux  et 
puissants."  C'étaient  sans  doute  des  alliés  des  Canadois, 
peut-être  les  pères  des  Algonquins  du  temps  de  Cham- 
plain.  Ils  étaient  venus  avec  Donnacona,  qui  avait 
été  pendant  plus  de  deux  mois  occupé  à  la  chasse  des 


DU    CANADA.  29 

chevreuils  et  des  orignaux.  Un  homme  envoyé  à  la 
ville,  sous  prétexte  de  porter  un  présent  à  l'Agohanna, 
trouva  les  maisons  si  pleines  de  monde,  qu'à  peine  on 
s'y  pouvait  tourner  ;  mais  on  ne  lui  permit  pas  d'en 
voir  un  grand  nombre  :  on  le  renvoya  vers  les  navires, 
en  le  conduisant  jusqu'à  la  moitié  de  la  distance. 

A  en  croire  Quartier,  la  rigueur  de  l'hiver  de  1535 
à  1536  fut  extrême:  l'épaisseur  de  la  glace  dans  la 
rivière  de  Sainte-Croix  aurait  été  de  plus  de  deux 
brasses,  et  celle  du  givre  de  quatre  doigts  "sur  les  bois" 
dans  les  navires,  où  tous  les  breuvages  (vins  et  eaux- 
de-vie)  auraient  gelé  dans  leurs  futailles.  Le  printems 
fut  tardif  aussi,  et  ce  ne  fut  qu'au  commencement  de 
mai  qu'on  put  songer  au  départ.  Le  3  (13)  de  ce 
mois,  Quartier  fit  planter  dans  son  fort  une  croix  de 
trente-cinq  pieds  de  hauteur,  "  sous  le  croizillon  de 
laquelle  il  y  avait  un  écusson  en  bosse  des  armes  de 
France,"  avec  ces  mots  :  Fraxciscus  Primus,  Dei 
GRATiA  Francoruji  Rex,  REGNAT.  Il  avait  résolu  de 
se  saisir  de  Donnacona  et  de  l'emmener  en  France, 
afin  qu'il  pût  exposer  lui-même  au  roi  toutes  les  mer- 
veilles qu'il  lui  avait  racontées  du  Saguenay,  où  il  disait 
avoir  été,  et  qu'il  lui  avait  décrit  comme  un  pays 
peuplé  d'hommes  blancs,  vêtus  d'habits  de  laine,  et 
recelant  une  quantité  prodigieuse  d'or  et  de  pierres 
précieuses  ;  sans  parler  des  contes  ridicules  de  bêtes  à 
deux  pieds,  d'hommes  à  une  seule  jambe,  etc.*  Taigu- 
ragny  et  Domagaya  avaient  prévenu  leur  chef  que  tel 
pourrait  être  le  dessein  du  capitaine  français.  Ce 
môme  jour,  3  mai,  ce  ne  furent  qu'allée  et  venue,  hési- 

*  Donnacona  n'était  pas  seulement  un  "  homme  ancien,"  qui 
n'avait  jamais  cessé  "  d'aller  par  pays  depuis  sa  connaissance, 
tant  par  Heuves  et  rivières  que  par  terre  ;"  c'était  encore  un 
homme  politique  et  facétieux,  qui  voulait  éloigner  de  sa  "  deœeu- 
rance"  un  hôte  suspect,  ou  rire  de  sa  crédulité. 
c2 


30  HISTOIRE 

tation,  agitation,  trépidation,  de  la  part  du  peuple  de 
Stadaconé,  sur  le  rivage,  sur  la  rivière,  aux  environs 
des  navires  et  du  fort.  Donnacona  vint  devant  les 
navires,  dans  l'après-midi,  et  Quartier  alla  le  saluer  et 
l'inviter  à  venir  manger  et  boire  avec  lui,  Taiguragny 
lui  avait  conseillé  de  ne  point  entrer  dans  le  fort  ; 
cependant,  il  ne  laissa  pas  de  l'y  accompagner  lui- 
même,  bientôt  après  ;  mais  l'ayant  vu  passer  de  là 
dans  la  Grande-Hermine,  il  s'avança  pour  l'en  faire 
sortir.  Quartier  s'apperçut  en  même  temps  que  les 
femmes  s'enfuyaient,  et  que  les  hommes  restaient  en 
grand  nombre  aux  environs  du  fort  et  des  vaisseaux, 
et  aussitôt  il  ordonna  à  ses  gens  de  saisir  Donnacona, 
Taiguragny,  Domagaya,  et  deux  autres  des  principaux, 
qu'il  leur  montra,  et  de  les  mettre  "en  sûre  garde.'' 
A  l'instant  même,  tous  les  Sauvages  se  mirent  à  "fuir 
les  uns  dans  leurs  canots,  les  autres  à  travers  les  bois." 

On  peut  dire  que  la  conduite  du  chef  et  des  princi- 
paux habitans  de  Stadaconé  surpassa,  cette  fois,  en 
imprudence,  pour  ne  pas  dire  en  stupidité,  tout  ce  qui 
peut  s'imaginer  ;  à  moins  qu'on  ne  leur  suppose  le  des- 
sein de  s'emparer  du  fort  et  des  vaisseaux  de  Quartier. 
Mais  comment  supposer  un  tel  dessein  à  des  hommes 
qui  n'étaient  armés  d'aucune  manière,  et  qui,  voyant 
leur  chef  prisonnier,  au  lieu  de  chei-cher  à  le  délivrer, 
se  mirent  à  "  fuir  et  courir  comme  brebis  devant  le 
loup."  Il  est  plus  probable  que  le  désir  d'être  festoyés 
et  de  recevoir  de  nouveaux  présens,  l'emporta  chez  eux 
sur  tout  autre  sentiment,  même  sur  ceux  d'une  mériance 
bien  fondée  et  d'une  crainte  raisonnable. 

Quoiqu'il  en  soit,  cet  acte  de  violence  et  de  2)erfidie, 
(car  nous  ne  pouvons  le  qualifier  autrement),  fut  un 
sujet  de  deuil  extraordinaire  pour  tous  les  habitans  de 
Stadaconé.     La  nuit  venue,  une  foule  de  peuple  s'as- 


DU   CANADA  31 

sembla  sur  le  bord  de  la  rivière,  vis-à-vis  des  vaisseaux, 
et  ne  cessa  de  se  lamenter  et  de  crier  :  "  Agohanna  ! 
Agolianna  Donnacona  !"     Ces  cris  et  ces  lamentations 
durèrent  le  lendemain  jusqu'à  midi.     Alors  Quartier 
fit  monter  Donnacona  sur  le  pont,  et  lui  recommanda 
d'avoir  bon   courage,  et  de  dire  à  ses  gens,  qu'on  ne 
l'emmenait  que  pour  conter  au  roi  de  France  ce  qu'il 
avait  vu  du  Saguenay  et  autres  lieux,  et  qu'il  revien- 
drait dans  douze  lunes,  avec  de  grands  présens.     Aj'ant 
répété  ces  paroles  à  ses  gens,  ils  en  témoignèi'cnt  leur 
joie  par  de  grands  cris,  et  sur  l'invitation  qui  leur  en 
fut  faite,  qùeLpies  uns  des  plus  notables  s'approchèrent, 
dans  un  canot,  pour  lui  parler,  et  donnèrent  à  Quartier 
vingt  colliers  du  coquillage  qu'ils  appellaient  csurgni. 
et  qu'ils  regardaient  comme  la  chose  la  plus  précieuse 
qu'il  y  eût  au  monde.     Donnacona  envoya  à  ses  femmes 
et  à  ses  enfans  les  préseus  que  lui  fît  alors  Quartier, 
nomma  Agona,  un  des  principaux  chefs,  sou  lieutenant, 
ou  régent,  durant  son  absence,  et  ordonna  qu'on  lui 
apportât,  le  lendemain,   les  vivres  dont  il  avait  besoin 
pour  le  voyage.     Ces  vivres  lui  furent,  en  effet,  appor- 
tés dès  le  matin,   dans   un   grand    canot   conduit    par 
quatre  femmes.     Donnacona  leur  répéta  ce  qu'il  avait 
dit  la  veille,  quant  à  son  retour.     Elles  en  témoignèrent 
beaucoup  de  joie,  présentèrent  chacune  à  Quartier  un 
collier  d'ésiirgni,  et  lui  donnèrent  à  entendre  que  lors- 
qu'il reviendrait,  on  lui  ferait  plusieurs  présens. 

Quartier  mit  à  la  voile  le  6  (16)  mai,  avec  deux  do 
ses  vaisseaux  seulement,  n'ayant  pas  assez  de  monde  pour 
manœuvrer  le  troisième.  Il  rencontra,  à  l'île  aux 
Coudres,  plusieurs  canots  de  Canadois  qui  revenaient 
du  Saguenay.  Ces  gens  ne  furent  pas  peu  surpris,  et 
se  montrèrent  fort  afHlgés,  en  apprenant  qu'on  emmenait 
leur  grand  chef.     Mais  Donnacona  leur  ayant  dit  qu'il 


32  HISTOIRE 

était  bien  traité,  et  qu'il  reviendrait  clans  un  an,  ils 
})arurent  consolés,  lui  donnèrent  trois  paquets  de  peaux 
de  castor  et  de  loup-marin,  et  un  grand  couteau  de  cuivre 
rouge,  que  Quartier  crut  venir  du  Saguenay,  et  à  ce 
dernier  un  collier  de  leur  précieux  coquillage.  Des 
haches  qu'ils  reçurent  en  présent  achevèrent  de  les  satis- 
faire. 

Quartier  nomme  en  passant  Vile  aux  Lièvres,  et 
passe  le  premier,  à  ce  qu'il  croit,  entre  l'ile  d'Anticosti, 
appellée  par  les  Sauvages  Natiscolec,  et  la  grande  pointe, 
ou  presqu'île,  nommée  alors  Hongnedo,  et  aujourd'hui 
Monl-Louis.  Longeant^  la  côte  jusqu'à  la  hauteur  du 
cap  Dupi  é,  ou  de  Prato,  qu'il  dit  être  le  commencement 
de  la  baie  des  Chaleurs,  il  fut  porté  de  là  en  un  jour  au 
nord  de  l'île  de  Bno?i,  une  des  iles  de  la  Magdeleine, 
reconnut  et  nomma  le  cap  de  Lorraine,  aujourd'hui  cap 
Nord,  et  le  cap  Saint-Paul,  de  l'île  du  Cap-Breton. 
Cinglant  de  là  à  l'est,,  il  parvint  au  port  du  Saint- 
Esprit,  (aujourd'hui  des  Basques),  sur  la  côte  sud-est 
de  Terre-Neuve  ;  alla  de  là  aux  iles  de  Saint-Pierre, 
où  il  rencontra  plusieurs  navires  de  France  ;  puis  au  cap 
de  Raze,  et  enfin  à  la  baie  des  Trépassés,  appellée  alors 
Rognousi,  où  il  entra  pour  prendi'e  de  l'eau  et  du  bois. 
Il  partit  de  ce  port  le  19  (29)  juin,  et  arriva  à  Saint- 
Malo  le  16  (26)  juillet. 

Peu  après  son  retour.  Quartier  fit  son  rapport  au  roi 
verbalement  et  par  écrit  ;  il  lui  présenta  aussi  les  Cana- 
dois  qu'il  avait  emmenés  avec  lui,  lorsqu'ils  furent 
assez  instruits  de  la  langue  française  pour  se  faire 
comprendre.  Il  paraît  que  Donnacona  parla  à  Fran- 
çois I  comme  il  avait  parlé  à  Quartier  ;  car  après 
l'avoir  entendu,  ce  prince  fut  persuadé  que  le  Saguenay 
était  "un  très  bon  pays,"  et  qu'il  s'y  trouvait  de 
"  grandes  richesses."     Et  quoique,  peu  après,  Quartier 


DU    CANADA.  33 

eût  à  informer  le  roi  de  la  mort  de  tous  les  "hommes 
sauvages"  qu'il  avait  emmenés  du  Canada,  sa  majesté 
résolut  d'y  envoyer  de  nouveau  le  même  Quartier,  avec 
Jean  François  de  la  Roql'E,  chevalier,  seigneur  de 
Robert  AL,  qu'elle  nomma  son  lieutenant  et  Gouverneur 
dans  les  pays  de  Canada,  Saguenay  et  Hochelaga, 
Quartier  étant  employé,  cette  fois,  comme  capitaine 
général  (ou  chef  d'escadre),  et  maître  pilote  des  vais- 
seaux ;  afin  de  faire  des  découvertes  plus  amples  que  celles 
qui  avaient  été  faites  dans  les  deux  précédents  voyages, 
"  et  atteindre,  s'il  était  possible,  à  la  connaissance  du 
pays  de  Saguenay  ;"  les  fonds  nécessaires  pour  l'équip- 
pement  de  cinq  navires  devant  être  fournis  par  le  trésor 
royal. 

M.  de  Roberval  chargea  Quartier  de  surveiller  l'arme- 
ment, qui  se  fit  dans  le  port  de  Saint-Malo,  d'où  les  deux 
premières  expéditions  étaient  parties.  Les  navires  se 
trouvèrent  prêts  à  mettre  à  la  voile  vers  la  mi -mai  1540. 
En  arrivant  à  Saint-Malo,  M.  de  Roberval  les  trouA'a  en 
rade,  et  n'attendant  que  son  arrivée  pour  partir.  Il  prit 
l'état  des  gentilhomraes,  soldats  et  matelots  engagés  pour 
l'entreprise  ;  mais  les  poudres  et  autres  munitions  qu'il 
avait  commandées  dans  la  Champagne  et  la  Normandie, 
n'étant  pas  arrivées,  et  l'ordre  du  roi  étant  de  partir 
incessamment,  à  peine  d'encourir  son  grand  déplaisir, 
Roberval  donna  à  Quartier  "pleine  autorité  de  partir  et 
pi'endre  les  devans,  et  de  se  conduire  en  toutes  choses, 
comme  s'il  s'y  fût  trouvé  en  personne  ;"  tandis  que  lui- 
même  il  irait  fixire  appareiller  un  ou  deux  autres  navires 
ù  Honfleur,  où  il  pensait  qu'étaient  arrivées  ses  munitions, 
et  les  choses  dont  il  croyait  avoir  besoin  dans  le  voyage, 
et  qu'il  ne  voulait  pas  laisser  en  arrière. 

Quartier  fit  voile  le  23  mai  (vieux  st_yde),  avec  les 
cinq  navires,  approvisionnés  pour  doux  ans.     La  navi- 


34  HISTOIRE 

gation  ne  fut  ni  moins  longue,  ni  moins  périlleuse  que 
dans  le  précédent  voyage  ;  bientôt  le  vent  devint  con- 
traire et  la  mer  tempétueuse  ;  les  vaisseaux  ne  se  réuni- 
rent au  port  de  Carpunt,  sur  le  détroit  de  Belle-Isle, 
qu'un  mois  après  avoir  été  séparés  les  uns  des  autres. 
Ayant  attendu  quelque  temps  en  vain  le  sieur  de  Rober- 
val,  ils  continuèrent  leur  route,  remontèrent  le  fleuve, 
et  arrivèrent  au  port  de  Sainte-Croix,  le  23  août,  trois 
mois,  jour  pour  jour,  après  le  départ  de  Saint-Malo.  On 
s'y  arrêta,  et  "  les  peuples  du  pays  vinrent  aux  navires, 
montrant  une  grande  joie  de  leur  arrivée."  Agona,  que 
Donnacona  avait  nommé  son  lieutenant  durant  son 
absence,  y  vint,  accompagné  d'un  grand  nombre 
d'hommes,  de  femmes  et  d'enfans.  Son  premier  soin  fut 
de  s'informer  de  ce  qu'étaient  devenus  Donnacona  et  les 
autres  chefs  emmenés  en  France. p^Quartier  lui  avoua 
que  Donnacona  était  mort,  mais  il  lui  cacha  le  sort  des 
autres,  en  lui  disant  qu'ils  s'étaient  mariés,  qu'ils  vivaient 
en  grands  seigneurs,  et  qu'ils  n'avaient  pas  voulu  revenir 
dans  leur  pays.*  Agona  ne  témoigna  aucun  déplaisir, 
en  ajjprenant  cette  nouvelle,  qu'il  trouva  bonne,  selon 
Quartier,  "  parce  qu'il  demeurait  seigneur  et  chef  du 
pays  par  la  mort  de  Donnacona."  En  eifet,  la  confé- 
rence terminée,  le  nouvel  Agohanna  prit  l'espèce  de 
diadème  dont  son  front  était  orné,  ainsi  que  ses  brace- 
lets, et  en  affubla  le  capitaine  français,  en  "  lui  faisant 
des  accolades  et  lui  montrant  de  grands  signes  de  joie." 
Quartier  lui  remit  sa  couronne  sur  la  tête,  lui  fit 
quelques  petits  présens,  en  lui  en  promettant  de  plus  con- 
sidérables, et  ils  se  séjjarèrent  bons  amis,  en  apparance. 

*La  relation  dit  que  ces  "  hommes  sauvages  "  furent  baptisés, 
selon  leur  désir,  et  vécurent  longtcms  en  France.  Cependant, 
d'après  le  rapport  fait  au  roi  par  Quartier,  ils  étaient  tous  morts 
avant  1540.  Les  i-elations  de  ces  temps  là  sont  pleines  de  con- 
tradictions semblables. 


DC    CANADA.  35 

La  première  chose  que  fit  Quartier,  après  cette  entre- 
vue, ce  fut  de  remonter  le  fleuve  avec  deux  chaloupes, 
"  pour  y  voir  un  "port  et  une  petite  rivière,  à  environ 
quatre  lieues  au-delà  de  Canada  et  du  port  de  Sainte- 
Croix,"  et  qu'il  trouva  "  meilleure  et  plus  commode 
que  n'était  l'autre,  pour  y  mettre  ses  navires  à  flot." 
Y  ayant  conduit  ses  navires,  il  en  laissa  deux  dans 
la  rade,  pour  les  renvoyer  en  Finance,  ce  qu'il  fit  le  2 
(12)  septembre.  Il  confia  à  Marc  Jalobert,  son  beau- 
frère,  et  à  Etienne  Noël,  son  neveu,  qui  les  comman- 
daient, des  lettres  pour  le  roi,  dans  lesquelles  il  lui  rendait 
compte  de  ce  qui  avait  été  fait,  et  lui  mandait  que  M. 
de  Roberval  n'était  pas  arrivé,  et  qu'il  craignait  que  les 
vents  contraires  ne  l'eussent  forcé  de  retourner  en  France, 
après  s'être  mis  en  mer. 

La  petite  rivière,  à  remboucluu-e  de  laquelle  Quartier 
plaça  ses  navires,  est  celle  du  cap  Rouge.  La  descrip- 
tion qu'il  fait  des  environs  est  bien  capable  d'en  donner 
l'idée  la  plus  avantageuse.  On  doit  l'en  croire,  quand  il 
parle  de  la  bonté  du  sol,  delà  beauté  des  arbres,  chênes, 
érables,  ormes,  cèdres,  bouleaux  et  autres,  supérieurs  à 
ceux  de  Finance  de  même  espèce  ;  de  la  quantité  de 
'•  vignes  chargées  de  grappes  aussi  noires  que  ronces 
(meurons),  mais  moins  agréables  que  celles  de  France," 
par  la  raison  "qu'elles  croissent  naturellement  sauvages  :" 
— la  "belle  mine  du  meilleur  fer  qui  soit  au  monde,  le 
sable  sur  lequel  il  marchait,  qu'il  donne  comme  "  mine 
parfaite,  prête  à  mettre  au  fourneau  ;"  ces  prairies  natu- 
relles pleines  "  d'aussi  belle  et  bonne  herbe  que  jamais  il 
ne  vit  en  aucun  pré  de  France  ;  l'abondance  de  chanvre, 
"aussi  bon  qu'il  soit  possible  de  voir,'  qui  croissait 
naturellement,  sont  choses  un  peu  plus  douteuses,  ou 
sentant  fort  l'exagération  : — les  "  feuilles  d'un  or  fin 
aussi   épaisses  que   l'ongle,"   la  "bonne   quantité"  de 


36  HISTOIRE 

pierres  qu'il  estime  être  des  diamans  ;  les  gros  grains  de 
la  dite  mine  (d'or)  qui  se  trouvent  parmi  ces  pierres  ; 
ces  "  veines  de  l'espèce  des  minéi*îmx,  qui  luisaient 
comme  or  et  ai'gent  ;  ces  pierres  qu'en  quelques  endroits 
il  a  trouvés  "comme  diamans  les  plus  beaux,  polis  et 
merveilleusement  taillés  qu'il  soit  possible  de  voir,"  et 
qui  luisaient  au  soleil  comme  des  étincelles  de  feu,"  ce 
sont  là  des  contes  faits  à  plaisir,  ou  des  exagérations  ridi- 
cules. 

Après  avoir  érigé  une  batterie,  ou  fait  "  planter  son 
artillerie,"  pour  mettre  en  sûreté  les  trois  navires  qu'il 
entendait  retenir  dans  le  pays,  Quartier  fit  pratiquer 
"  un  chemin  en  manière  de  double  montée,"  et  fit  faire, 
au  sommet  du  cap  un  fort  pour  protéger  celui  qu'il  avait 
construit  à  la  hâte  au  bas,  et  commander  tant  le  grand 
fleuve  que  la  petite  rivière.  Il  donna  à  ce  fort  et  à 
l'endroit  le  nom  de  Charleshourg-Hoyal,  sans  doute  pour 
honorer  en  même  temps  et  son  Roy,  et  son  protecteur 
spécial,  Charles  de  la  Meilleraye. 

Le  fort  commencé,  et  les  vivres  et  munitions  mis  en 
sûreté,  Quartier  tint  une  espèce  de  conseil,  où  il  fut 
résolu  qu'on  irait  à  Hochelaga,  pour  "  voir  la  nature 
des  saults"  qu'il  y  avait  à  passer  pour  aller  au-delà,  et 
parvenir  au  Saguenay,  croyant  encoi-e  que  c'était  la 
route  du  pays  qu'il  appellait  de  ce  nom  ;  bien  que  dans 
son  précédent  voyage,  il  eût  reconnu,  à  trente  lieues  de 
Canada,  ou  Stadaconé,  l'embouchure  de  la  rivière  qui  y 
conduit  ;  et  cela,  afin  d'être  plus  eu  état  de  passer  outre, 
au  printems. 

Deux  ciialoupes  ayant  été  appareillées  pour  le  voyage, 
Quartier  partit  de  Charlesbourg-Royal,  le  7  septembre, 
accompagné  de  Martin  de  Paimpont  et  autres  gentils- 
hommes, et  d'un  nombi-e  suffisant  de  mariniers.  Il  ne 
voulut  point  passer  devant  la  bourgade  à^Hoclielay,  la 


DU   CANADA,  37 

môme  qu'il  appelle  Achelacy  dans  son  précédent  voyage,* 
sans  rendre  visite  au  chef  qui  l'avait  accueilli  si  cordiale- 
ment, et  avait  voulu  lui  donner  de  si  bons  avis.  Il  lui 
fit  présent  d'un  manteau  de  drap  écarlate  "tout  garni  de 
boutons  jaunes  et  blancs  et  de  petites  clochettes,''  de  deux 
bassins  de  cuivre,  de  haches,  couteaux,  &c.,  et  lui  laissa 
deux  jeunes  garçons  pour  apprendre  la  langue  du  pays. 
Les  voyageurs  eurent  ensuite  le  vent  si  favorable,  qu'ils 
arrivèrent  le  11,  au  premier  sault,  c'est-à-dire  sans  doute 
au  pied  du  courant  de  Sainte-Marie,  et  à  "  deux  lieues" 
de  la  ville,  ou  bourgade,  de  Tutonagny,  la  même,  en 
apparence,  qu'il  a  appellée  Hochelaga  dans  son  précédent 
voyage"!".  ^^  laissa  une  de  ses  chaloupes  au  pied  de  ce 
premier  sault,  et  tenta  de  le  remonter  avec  l'autre, 
renforcée  d'hommes.  Il  le  remonta,  en  effet,  et  navigua 
jusqu'en  un  lieu  où  il  trouva  "mauvais  fonds  et  de 
gros  rochers,"  probablement  à  la  hauteur  de  ce  que  nous 
appelions  la  pointe  Saint-Charles,  un  peu  au-dessus  de 
Montréal.  Ne  pouvant  plus  avancer  avec  leur  chaloupe, 
les  Français  descendirent  à  terre,  et  suivirent  un  sentier 
battu  le  long  du  fleuve,  jusqu'à  un  village  dont  les  habi- 
tans  les  reçurent  avec  beaucoup  d'amitié.  Quartier  leur 
ayant  exposé  l'objet  de  son  voyage,  ils  lui  donnèrent 
quatre  jeunes  gens  qui  les  conduisirent  jusqu'à  un  autre 
village,  qui  était  vis-à-vis  de  ce  qu'il  appelle  le  deuxième 
sault,  par  où  il  faut  entendre  les  rapides  du  bas  de  La 
Chine,  ou  le  commencement  du  sault  Saint-Louis. 
Ayant  demandé,  tant  par  signes  que  par  paroles,  à  ceux 

*  Hochelai/C'ta.it  probablement  le  nom  de  la  bourgade,  et  Achelacy 
celui  de  l'endroit,  ou  du  courant  ou  rapide  (de  Richelieu)  \is-à-vis 
duquel  elle  était  située. 

f  Hochelaga  était-il  le  nom  de  l'île  ou  du  pays,  et  Tutonagny, 
celui  de  sa  capitale,  ou  principale  bourgade  ?  La  connaissance  de 
la  signification  de  ces  deux  mots,  dans  la  langue  d'alors,  pourrait 
seule  peut-être  résoudre  ce  problème. 


SS  HISTOIRE 

de  ce  dernier  village,  combien  il  y  avait  de  saults  à  passer 
et  de  chemin  à  faire  pour  se  rendre  au  Saguenay,  on  lui 
répondit  qu'à  un  tiers  environ  de  la  distance  qu'il  avait 
pai'courue,  depuis  le  premier  sault,  il  y  en  avait  un  troi- 
sième, mais  que  le  fleuve  n'était  pas  navigable  pour  aller 
au  Saguenay  ;  c'est-à-dire  que  ce  n'était  pas  la  route, 
ou  la  direction  qu'il  fallait  prendre  pour  y  aller. 

Muni  de  ces  renseignemens,  Quartier  reprit  la  route 
de  Charlesbourg-Royal,  et  voulut  voir  encore  une  fois, 
en  passant,  son  ami  d'Hochelay,  mais  il  le  trouva  absent. 
On  lui  dit  qu'il  était  allé  en  un  lieu  appelle  Maisouna  ; 
mais  il  apprit  bientôt  qu'il  était  descendu  à  Stadaconé, 
pour  délibérer  avec  Agona  de  ce  qu'ils  pourraient  entre- 
l^rendre  contre  les  Français.  Quartier  dit  des  habitans 
d'Hochelaga,  que  malgré  leur  bon  accueil,  et  leurs 
belles  démonstrations  de  joie,  en  voyant  de  nouveau  les 
Français,  "ils  auraient  fait  de  leur  mieux  pour  les 
tuer,"  comme  il  l'apprit  par  la  suite.  L'enlèvement 
violent  des  deux  frères,  Taiguragny  et  Domagaya, 
avait  fait  regarder  Quartier  comme  un  homme  dange- 
reux et  dont  il  fallait  se  méfier,  par  les  habitans  de 
Stadaconé  ;  l'enlèvement  plus  odieux  encore,  de  Don- 
nacona,  qu'il  appelle  "  Seigneur  et  Roi  de  Canada,"  et 
de  quatre  autres  personnages  notables,  lui  fit  de  tous  les 
habitans  de  ce  pays  des  ennemis  ouverts  ou  secrets. 
Ce  n'est  ni  la  première  ni  la  dernière  fois,  que  des 
hommes  soi-disant  civilisés,  ont  eu  à  se  repentir  d'en 
avoir  ainsi  agi  contre  les  droits  de  la  nature  et  des  gens, 
envers  des  hommes  qu'ils  appellaient  Sauvages. 

Arrivé  à  Charlesbourg-Royal,  Quartier  apprit  de 
ceux  qui  y  étaient  restés,  sous  la  conduite  du  vicomte  de 
Beaupré',  que  "  les  Sauvages  du  pays"  ne  venaient 
plus  autour  de  son  fort,  comme  ils  avaient  coutume  de 
faire,  et  qu'ils  paraissaient  être  dans  une  grande  crainte. 


DU    CANADA.  39 

Quelques  uns  de  ses  gens  ayant  été  à  Stadaconé,  pour 
voir  ce  qui  s'y  passait,  ils  lui  rapportèrent  qu  ils  y  avaient 
trouvé  "  un  monde  considérable  du  peuple  du  pays,  qui 
y  étaient  assemblés,"  et  en  conséquence,  il  fit  "apprê- 
ter toutes  choses,  et  mettre  son  fort  en  bon  ordre." 

Il  paraît  que  durant  Thiver,  Quartier  et  ses  gens 
furent  incommodés  et  inquiétés,  sinon  par  des  attaques 
ouvertes,  du  moins  par  des  démonstrations  hostiles,  de 
la  part  des  peuples  du  pays.  Craignant  de  ne  pouvoir 
pas  leur  résister,  s'ilsl'attaquaient  sérieusement,  et  fatigué 
d'attendre  toujours  en  vain  M.  de  Roberval,  il  se  déter- 
mina h  laisser  son  fort  de  Charlesbourg-Royal,  au  com- 
mencement de  juin,  et  relâcha  vers  le  15,  au  havre  de 
Saint- Jean  de  Terre-Neuve,  où  Roberval  était  arrivé, 
depuis  quelques  jours,  avec  trois  vaisseaux,  portant 
deux  cents  personnes,  gentilshommes,*  soldats,  matelots, 
et  gens  de  travail.  Il  était  parti  de  La  Rochelle  le  16 
(26)  avril  1542,f  mais  le  mauvais  temps  l'avait  contraint 
de  relâcher  à  Belle-Isle,  en  Bretagne,  et  il  n'était  arrivé 
que  le  8  juin  au  port  de  Saint- Jean.  Après  lui  avoir 
rendu  ses  devoirs.  Quartier  lui  dit  qu'il  avait  apporté 
certains  diamans  et  une  quantité  de  mine  d'or,  qu'il 
avait  trouvée  au  pays.  On  fit  l'essai  de  cette  prétendue 
mine,  et,  suivant  la  relation,  elle  fut  trouvée  bonne.  Il 
loua  fort  le  pays  comme  étant  très  riche  et  très  fertile, 
ajoutant  que  la  seule  crainte  de  ne  pouvoir  résister  aux 

■"  Les  gcntilslioniines,  ou  "  personnes  de  qualité,"  étaient,  MM. 
r>E  SAiNE-TEitRE,cominaniluntdcs  vaisseaux,  L'Espinay,  Gvixe- 
cot'UT,  Noiue-Fustaim;,  IJh;l-La»iont,  Fuotte',  La  BkoSse, 
i>E  La  MiKF-,  La  Sai.lk,  de  Vii.r.jcxEUVE,  Longueval,  Talbot, 
et  Jean  ALriioNsE,  de  Xanctoigne. 

f  II  y  a  ici  une  nouvelle  contradiction  :  d'après  les  dates  des 
départs  de  Quartier  et  de  Koberval,  le  premier  aurait  passé  deux 
hivers  à  Charlesbuurg-Koyal  ;  et  cependant  il  est  dit  expressé- 
ment dans  la  relation  du  dernier,  (ju'il  avait  été  envoyé  au  Canada, 
l'année  jirécédente. 


40  HISTOIRE 

Sauvages  l'avait  porté  à  retourner  en  France.  Mais, 
continue  la  relation,  M.  de  Roberval,  qui  avait  des 
forces  suffisantes,  lui  ayant  commandé  de  retourner  avec 
lui,  rempli  d'ambition,  et  voulant  avoir  seul  l'honneur 
de  la  découverte  de  tous  ces  objets,  il  s'embarqua  secrè- 
tement avec  ses  gens,  la  nuit  suivante,  et  partit  ainsi 
sans  congé  pour  se  rendre  en  Bretagne. 

Roberval  ne  laissa  le  havre  de  Saint-Jean  que  le  30 
juin.  Il  entra  dans  la  "  Grande  Baie,"  passa  par  l'ile 
de  l'Ascension  (Anticosti),  arriva  et  s"ai-rêta  à  quatre 
lieues  à  l'ouest  de  l'ile  d'Orléans^  c'est-à-dire  à  l'entrée 
même  de  la  rivière  du  Cap-Rouge,  où  il  trouva  un  havre 
commode  pour  ses  vaisseaux.  Il  j  fit  choix  d'une 
place  convenable  pour  s'y  fortifier  de  manière  à  "  com- 
mander à  la  grande  rivière,  et  à  pouvoir  résister  aux 
attaques  des  ennemis."  C'était  là  même  que  Quartier 
avait  bâti,  ou  commencé  à  bâtir  un  fort.  Roberval  acheva 
ce  fort,  ou  en  construisit  un  autre,  ou  même  deux,  l'un 
sur  le  bord  du  fleuve,  et  l'autre  sur  le  cap  même,  et 
donna  à  ces  forts,  ou  à  l'endi-oit,  le  nom  de  France-Roy. 
Jean,  Alphonse,  qui  avait  accompagné  M.  de  Roberval 
comme  son  premier  pilote,  décrit  ce  lieu  de  France-Roy 
de  manière  à  ne  laisser  aucun  doute  sur  sa  situation, 
non  plus  que  sui*  celle  de  Stadaconé,  ou  Canada,  et  du 
havre  appelle  Sainte-Croix  par  Jacques  Quartier. 
"  Depuis  la  pointe  ouest  de  l'ile  d'Orléans  jusqu'à 
Canada,  dit-il,  il  n'y  a  qu'une  lieue,  et  jusqu'à  France- 
Roy  il  y  a  quati'e  lieues.  Le  fort  de  France-Roy  est 
par  les  47  degrés  et  un  sixème  de  degré."  Ce  fort,  que 
la  relation  dit  "joli,  beau  à  voir  et  d'une  grande  force," 
fut  bâti  •' sur  une  haute  montagne"  (le  Cap  Rouge): 
il  y  avait  deux  corps  de  logis,  ime  grosse  tour  et  une 
autre  de  la  longueur  de  quarante  à  cinquante  pieds, 
avec   salle,  chambres,  offices,  celhers,  &c.,  et  auprès, 


DU   CANADA.  41 

four,  moulins,  puits,  &c.  Au  pied  du  cap,  il  y  avait 
un  autre  logement^  dont  partie  formait  une  tour  à  deux 
étages,  avec  deux  corps  de  logis,  &c.  Que  ne  durent 
pas  donner  à  penser  et  à  dire  aux  aborigènes,  ces  bâti- 
mens  de  formes  diverses  et  pour  eux  d'une  grandeur 
extraordinaire  !  Us  étaient  pourtant  revenus,  ou  ils 
revinrent  alors  de  leur  méfiance  et  de  leurs  appi'éhen- 
sions,  et  apportèrent  au  fort  de  M.  de  Robervaldu  poisson 
et  d'autres  vivres  en  abondance  ;  mais  malheureuse- 
ment une  maladie  à  peu  près  semblable  à  celle  qui  avait 
affligé  les  compagnons  de  Quartier,  se  mit  parmi  ses 
gens,  et  il  en  mourut  environ  cinquante. 

Parmi  les  gens  du  commun  qui  avaient  suivi  M.  de 
Roberval,  il  y  avait  des  "  garnemens,"  selon  l'expres- 
sion du  temps,  mais  "il  faisait  bonne  justice,  et  punis- 
sait chacun  selon  son  offense  :"  un  de  ces  garnemens  fut 
pendu  pour  vol  ;  d'autres  furent  mis  aux  fers  pour  délits, 
plus  légers,  et  "  plusieurs  furent  fouettés,  tant  hommes 
que  femmes  ;  au  moyen  de  quoi  ils  vécurent  en  pais  et 
tranquillité."* 

Il  ne  parait  pas  que  M.  de  Roberval  ait  été  inquiété 
par  les  Sauvages,  durant  l'hiver,  comme  l'avait  été 
Quartier.  Environ  deux  mois  après  son  arrivée  au  Cap- 
Rouge,  il  avait  renvoyé  en  France  deux  de  ses  navires, 
sous  le  commandement  de  M.  de  Saine-Terre,  afin  de 
donner  avis  au  roi  de  ce  qui  avait  été  fait,  et  "  savoir 
comment  sa  majesté  avait  accepté  certaines  pierres  qui  lui 
avaient  été  envoyées,"  avec  ordre  de  revenir,  l'année  sui- 
vante, munis  de  vivres  et  autres  fournitures,  suivant  qu'il 
plairait  au  roi.     Le  5,  (15)  juin  1543,  il  partit  avec  Iiuit 

*  Les  coupables,  ou  réfractaires,  n'étaient  pas  tous  des  "  gens 
du  commun,"  comme  le  prouvent  les  "  Lettres  de  Grâce  "  données 
en  Canada,  en  présence  de  Jean  Alphonse,  par  M.  de  Roberval, 
"  accordant  rémission  et  pardon  "  au  sieur  de  Saine-Terre,  son 
Lieutenant. 

d2 


42  HISTOIRE 

chaloupes,tant  grandes  que  petites,  conduites  par  soixante- 
dix  hommes,  pour  un  voyage  de  découverte  ou  d'explora- 
tion, au  pays  de  Saguenay.  Il  ne  laissa  dans  son  fort 
que  trente  personnes,  sous  les  ordres  d'un  gentilhomme 
nommé  M.  de  Eoyeze,  avec  injonction  d'y  attendre  son 
retour  jusqu'au  1er  juillet;  passé  lequel  temps,  il  leur 
serait  libre  de  retourner  en  France.  Le  14  du  même 
mois,  plusieurs  des  gentilhommes  et  autres,  revinrent  au 
fort  donner  des  nouvelles  de  M.  de  Eoberval.  Le  19,  il 
en  arriva  d'autres,  avec  des  "  lettres  demandant  qu'on 
demeurât  jusqu'au  22  de  juillet." 

On  ignore  si  M.  de  Roberval  revint  à  son  fort  de 
France-Roy,  oti  si  ceux  qu'il  y  avait  laissés  allèrent  le 
joindre  au  Saguenay  ;  mais  les  vaisseaux  dont  le  retour 
avait  été  demandé  n'arrivant  point,  il  paraît  qu'il  s'en 
retourna  en  France  avec  tous  ses  gens,,  dans  le  seul 
navire  qu'il  avait  retenu  en  Canada.*  Alphonse,  son 
premier  pilote,  homme  habile  et  éclairé  pour  l'époque, 

*  Jean  de  Laet  résume  ainsi  le  troisième  voyage  de  Quartier 
et  ceUii  de  Eober\al  :  " Le  roi,  avec  plus  grand  appareil,  envoya 
Jean  Trançois,  seigneur  de  Koberval,  en  titre  de  Vice-roi,  et 
Quartier  comme  premier  maître  de  navire,  en  Canada  et  Hoche- 
laga.  Quartier,  qui  partit  de  France  au  mois  de  mai,  avec  cinq 
navires,  arriva  en  août  au  port  de  Sainte-Croix,  mais  l'ayant 
éprouvé,  aux  précédentes  années,  être  incommode,  il  monta,  avec 
trois  de  ces  navires,  quatre  lieues  plus  haut,  après  avoir  renvoyé 
en  France  les  deux  autres  ;  et  y  ayant  trouvé  une  place  commode, 
il  y  bâtit  le  château  de  Charlesbourg-Royal,  où  il  hiverna  avec  ses 
gens.  Mais  comme  le  sieur  de  Roberval,  qui  ne  partit  que  l'an 
1542,  arrivait  avec  trois  navires,  rencontra  Quartier  s'en  retour- 
nant avec  les  siens,  auprès  de  la  baie  de  la  Conception,  au  côté 
oriental  de  Terre-Neuve,  (car  Quartier  niait  qu'on  pût,  avec  si 
peu  de  gens,  brider  l'insolence  des  Sauvages,)  il  passa  outre,  et 
entra  dans  le  fleuve  de  Canada,  quatre  lieues  au-dessus  de  l'île 
d'Orléans,  au  mois  de  juillet,  où  il  bâtit  le  château  de  France-Hoy, 
à  47  degrés  au  nord  de  la  ligne,  comme  Jean  Alphonse,  son 
pilote,  témoigne.  Et  il  y  demeura  quelques  années,  entreprit 
plusieurs  voyages,  même  de  visiter  la  rivière  de  Saguenay.  Il  ne 
se  trouve  point  quand  il  retourna  en  France  ;  mais  Lescarbot  écrit 
.qu'il  fut  demandé  du  roi,  ennuyé  de  la  dépense  qu'il  avait  faite, 
avec  peuou  point  de  profit." 


DU   CAXADA.  43 

parsème  son  Routier  d'observations  géographiques,  géo- 
logiques, météorologiques,  astronomiques,  &c.  "L'Ile 
de  l'Ascension  (Anticosti),  dit-il,  a  environ  vingt-cinq 
lieues  en  longueur  et  quatre  ou  cinq  en  largeur  ;  c'est 
une  terre  plaine,  sans  aucune  montagne,  assise  sur  des 
rocliers  blancs  et  d'albâtre,  toute  couverte  d'arbres 
j  usqu'au  bord  de  la  mer  :  on  y  voit  des  bêtes  sauvages? 
comme  ours,  loups-cerviers  et  porcs-épics.  Depuis  la 
baie  des  Chaleurs  jusqu'à  ce  que  vous  ayez  passé  les 
Monts  Notre-Dame,  toute  la  terre  est  haute,  bonne  et 
couverte  d'arbres.  Ognedoc  (Gaspé)  est  une  bonne 
baie  et  un  bon  havre,  où  il  y  a  deux  rivières,  l'une 
desquelles  va  vers  nord-ouest  et  l'autre  vers  sud-est,  et 
sur  cette  côte  il  y  a  grande  pêcherie  de  morues  et  antres 
poissons,  en  plus  grande  abondance  qu'à  la  Terre-Neuve 
et  de  meilleure  qualité  ;  et  il  s'y  trouve  une  grande 
quantité  d'oiseaux  de  rivière,  tels  que  canards,  oies 
sauvages  et  autres,  et  aussi  des  arbres  de  toutes  les 
sortes,  tels  que  rosiers,  fraisiers,  coudi-iers,  pommiers 
et  poiriers,  et  il  y  fait,  en  été,  plus  chaud  qu'en 
France.  L'entrée  du  Saguenay  n'a  pas  plus  d'un  quart 
de  lieue  de  largeur,  et  il  y  fait  dangereux  vers  le 
sud-ouest.  A  deux  ou  trois  lieues  de  son  entrée,  cette 
rivière  commence  à  s'élai'gir  de  plus  en  plus,  et  il  semble 
que  ce  soit  un  bras  de  mer  ;  dans  cet  endroit,  il  y  a  un 
fort  courant  et  une  marée  terrible.  Depuis  les  Monts 
Notre  Dame  jusqu'à  Canada  et  jusqu'à  Ilochelaga,  toute 
la  terre  du  sud  est  une  belle  terre  basse  et  plaine,  toute 
couverte  d'arbres  jusqu'au  bord  du  fleuve.  La  terre  du 
côté  du  nord  est  plus  élevée,  et  dans  quelques  endroits, 
il  y  a  de  hautes  montagnes.  D'après  la  nature  du 
climat,  les  terres,  en  allant  vers  Hochelaga,  deviennent 
meilleures  de  plus  en  plus,  et  cette  terre  peut  produire 
des  figues  et  des  poires.     Toutes  les  graines  qu'on  y 


44  HISTOIRE 

sème  ne  sont  pas  plus  de  deux  ou  trois  joui's  à  sortir  de 
la  terre,  J  ai  comjîté  dans  un  épi  jusqu  à  cent-vingt 
grains  de  froment.  Les  eaux  y  sont  meilleures  et  plus 
pures  qu'en  France.  Si  le  pays  était  cultivé  et  rempli 
de  peuple,  il  y  ferait  aussi  chaud  qu'à  La  Rochelle. 
Toute  l'étendue  de  ces  terres  peut  avec  raison  être 
appellée  la  Nouvelle  France;  car  l'air  y  est  aussi  tem- 
péi'é  qu'en  France,  et  elles  sont  sous  la  même  latitude. 
La  raison  pour  laquelle  il  y  fait  plus  froid  en  hiver, 
vient  de  ce  que  le  fleuve  d'eau  douce  est  naturellement 
plus  froid  que  la  mer,  et  aussi  parce  qu'il  est  large  et 
profond,  et  parce  que  la  terre  est  toute  couverte  de 
forêts.  D'après  le  rapport  des  gens  du  pays,  je  crois 
que  l'on  y  pom-rait  trouver  des  mines  d'or.  Lorsqu'il 
est  l'heure  de  midi  à  La  Rochelle,  il  n'est  que  neuf 
heures  et  demie  du  matin  à  France- Roy." 

Alphonse  est  plus  exact  que  Quartier  quant  aux  dis- 
tances :  cependant  il  ne  donne  que  cinq  lieues  de  longueur 
à  l'ile  d'Orléans,  et  il  compte  environ  quatre-vingts 
lieues  entre  France-Roy  et  Hochelaga,  quoiqu'il  y  en 
eût  moins  de  soixante. 

Roberval  et  Quai'tier  décrivent  les  mœurs,  les  habi- 
tudes et  l'état  des  peuples  qu'ils  trouvèrent  dans  ce 
pays.  D'après  Roberval,  ou  l'auteur  de  la  relation  de 
son  voyage,  les  Canadois  étaient  de  bonne  stature  et 
bien  proportionnés  ;  "  s'ils  avaient  été  vêtus  à  la  façon 
des  Français,  ils  auraient  été  aussi  blancs,  et  auraient 
eu  aussi  bon  air  ;''  mais  ils  allaient  presque  nus  en  été. 
Au  lieu  de  vêtemens  de  laine,  ou  autre  étoffe,  ils  s'accou- 
traient de  peaux  d'animaux,  tant  les  hommes  que  les 
femmes.  Ils  portaient,  l'hiver,  "  des  bas  de  chausses  et 
des  souliers  de  cuir  proprement  façonnés."  Us  ne  se 
couvraient  point  la  tète,  mais  portaient  leurs  cheveux 
relevés  en  forme  de  tresses  ou  de  tortis.     Leur  nourri- 


DU    CA^'ADA.  45 

ture  consistait  principalement  en  chair  de  bêtes  fauves, 
d'oiseaux  et  de  poissons,  et  en  pain  "  de  bonne  saveur," 
qu'ils  faisaient  avec  leur  gros  mil  ou  maïs.  Leur  breuvage 
favori  était  l'huile  de  loup-marin  ;  mais  ordinairement 
ils  la  réservaient  pour  leurs  grands  festins.  "  Lorsqu'ils 
voyageaient  d'un  lieu  à  un  autre,  ils  emportaient  dans 
leurs  canots  tout  ce  qu'ils  possédaient."  Ils  avaient, 
dans  chaque  pays  (ou  canton  particulier),  "  un  roi 
auquel  ils  étaient  merveilleusement  soumis,  et  ils  lui 
faisaient  honneur  d'après  leurs  manières  et  façons." 

Quartier  s'étend  plus  au  long  sur  la  condition  et  les 
usages  de  ces  peuples,  et  les  relations  qu'il  eut  avec  eux, 
et  dont  il  rend  compte,  ne  servent  pas  moins  à  nous  les 
faire  connaître,  que  ce  qu'il  dit  positivement  à  cet  effet. 
Fidèle  qu'il  se  montre,  quand  il  fait  mention  des  lieux, 
caps,  îles,  baies,  lacs,  rivières,  &c.  ;  quand  il  parle  des 
richesses  végétales  et  animales  qu'il  a  eues  sous  les  yeux, 
de  l'aspect  physique  du  pays,  nous  ne  devons  pas  le  croire 
menteur  quand  il  décrit,  (directement  ou  indirectement,) 
les  mœurs,  les  coutumes,  les  croyances  religieuses  de  ses 
habitans,  son  aspect  moral,  pouvons-nous  dire. 

Quoiqu'errants,  ou  obligés  de  voyager,  pour  la  pêche 
et  la  chasse,  les  Canadois  avaient  des  demeures  fixes  en 
certains  endroits  ;  car,  dit  Quartier,  "  après  la  rivière 
de  Saguenay  est  la  province  de  Canada,  où  il  y  a 
plusieurs  peuples  par  villages  non  clos." 

Avant  d'arriver  à  Sainte-  Croix,  c'est-à-dire  au  con- 
fluent de  la  rivière  de  Saint-Charles,  il  compte  quatre 
bourgades  ou  peuplades,  qu'il  nomme,  peut-être  erroné- 
ment  quant  à  l'orthographe,  Ajaonsté,  Starnatam,  Tailla, 
sur  une  hauteur,  (celle  de  Beauport  ou  celle  de  Lauzon), 
et  Satadin,  ou  Studin,  siu-  la  plaine  de  Beauport  ou  de 
Charlesbourg,  aux  habitans  de  laquelle  il  abandotina  le 
fond  du  vaisseau  qu'il  ne  put  emmener.     Stadaconé  était 


46  HISTOIRE 

située  sur  la  hauteur  qui  avoisine  le  cap  aux  Diamans. 
En  remontant  le  fleuve,  on  trouvait,  après  Stadaconé, 
Ifes  bourgades  de  Téquenouday  et  à^Hochelay,  la  pre- 
mière sur  une  montagne,  ou  sur  un  cap  élevé,  et  la 
seconde  dans  une  plaine,  sur  le  rivage  méridional. 
Quartier  mentionne  aussi  la  ville  ou  bourgade  d'Hago- 
chonda,  sans  dire  dans  quel  endroit  elle  était  située  ; 
mais  elle  ne  devait  pas  être  éloignée  de  Stadaconé,  et 
nous  craindrions  peu  de  nous  tromper,  en  la  plaçant  à 
quelque  distance  au  nord-ouest  de  Sainte-Croix.  Outre 
Hochelaga,  ou  Tutonagny,  il  y  avait  plusieurs  villages 
dans  l'île  de  Montréal,  et  sans  doute  au-delà.  A  Hoche- 
laga, les  maisons,  au  nombre  d'une  cinquantaine,  étaient 
longues  d'environ  cinquante  pas,  et  larges  de  douze  à 
quinze,  toutes  de  bois  et  couvertes  d'écorces  aussi  larges 
que  des  tables  ordinaires;  elles  étaient  distribuées  chacune 
en  une  grande  salle,  o\i  ils  faisaient  leur  feu  et  vivaient 
en  commun,  et  en  plusieurs  chambres,  où  chaque  famille 
se  retirait  le  soir.  Ces  maisons  étaient  pourvues  de 
greniers,  où  ils  serraient  leur  bled,  &c.,  et  de  grandes 
tonnes,  où  ils  mettaient  leur  poisson.  Leurs  lits  étaient 
de  grandes  écorces  étendues  à  terre  ;  et  leurs  couver- 
tures, ainsi  que  leurs  habits,  des  peaux  de  bêtes.  A 
Stadaconé,  les  maisons,  ou  cabanes,  étaient  en  plus 
grand  nombre,  mais  de  moindres  dimensions  qu'à 
Hochelaga.  Stadaconé  était  une  ville  ouverte,  mais  Ho- 
chelaga était  une  ville  fermée.  Suivant  Quartier,  elle 
était  "toute  ronde,  et  close  de  bois  à  trois  rangs,  en 
façon  d'une  j^yramide  croisée  par  le  haut,  ayant  la  rangée 
du  milieu  en  façon  de  ligne  perpendiculaire,  puis  une 
rangée  de  bois  couchés  de  long  bien  joints."  Cette 
palissade  était  de  "  la  hauteur  d'environ  deux  lances." 
Il  n'y  avait  qu'une  seule  porte  ou  entrée,  qui  fermait  à 
barres.     En  plusieurs  endroits  de  l'enceinte,  il  y  avait 


DU   CANADA.  47 

des  espèces  de  galeries  garnies  de  pierres  et  de  cailloux, 
et  des  échelles  en  dedans  pour  y  monter.  Au  milieu 
de  la  ville,  il  y  avait,  comme  on  l'a  déjà  vu,  une 
place  publique,  qui  devait  être  ronde  aussi,  bien  que  les 
expressions  de  Quartier  soient  qu'elle  était  "  spacieuse 
d'un  jet  de  pierre  en  quarré." 

Les  Canadois  savaient  se  fortifier,  ou  se  mettre  ea 
garde  contre  les  attaques  imprévues  de  leurs  ennemis, 
par  des  espèces  de  forts  ou  de  camps  retrancliés.  Leurs 
armes  ordinaires  étaient  l'arc  et  la  flèche,  {ahenca  et 
quatetan,  suivant  Quartier)  et  peut-être  aussi  la  massue, 
ou  le  "  bâton  de  guerre."  Ils  avaient  pour  ennemis  les 
Toudamans,  peuple  limitrophe,  sans  doute  connu  plus 
tard  sous  un  autre  nom.  Il  paraîtrait  qu'ils  avaient  la 
mauvaise  coutume  d'emmener  à  la  guerre  leurs  femmes 
et  leurs  enfans,  et  qu'ils  n'étaient  ni  moins  vindicatifs, 
ni  moins  cruels  envers  leurs  ennemis,  que  ceux  qui  les 
remplacèrent  et  furent  trouvés  plus  tard  dans  le  pays.* 
Mais  excepté  avec  leurs  ennemis  déclarés,  ou  ceux 
dont  ils  croyaient  avoir  sujet  de  se  méfier,  ils  étaient  doux, 
civils,  hospitaliers,  comme  on  le  voit  par  toutes  les  rela- 

*  La  première  fois  que  Quartier  alla  rendre  visite  à  Doiuiacona, 
on  lui  montra  les  peaux  de  cinq  têtes  d'hommes  "étendues  swr 
des  bois,  comme  peaux  de  parchemin  ;"  et  on  lui  dit  que  "  c'étaient 
des  Toudamans  de  vers  le  sud,  qui  leur  menaient  continuellement 
la  guerre."  On  lui  dit  aussi  qu'il  "  y  avait  deux  ans  passés,  les 
Toudamans  les  vinrent  assaillir  jusque  dans  le  fleuve,  à  une  île 
qui  est  par  le  travers  du  Saynenay,  où  ils  étaient  à  passer  la  nuit, 
tendant  aller  à  HongncJo  leur  mener  guerre,  avec  environ  deux 
cents  personnes,  tant  hommes,  femmes  qu'enfans,  lesquels  fu- 
rent surpris  en  dormant,  dans  un  fort  qu'ils  avaient  fait,  où 
mirent  les  dits  Toudamans  le  feu  tout  à  l'entour,  et  comme  ils 
sortaient,  les  tuèrent  tous,  réserve  cinq  qui  s'échappèrent  r" — "  De 
laquelle  détrousse,  ajoute-t-il,  (les  Canadois)  se  plaignaient 
encore  fort,  nous  montrant  qu'ils  en  auraient  vengoange." 

Si  les  Toudamans  étaient  au  sud,  par  rapport  à  t^tadaconé, 
c'étaient  les  Iroquois,  et  non  lesGaspésiens,  situés  au  nord-est  ;  et 
le  travers  du  Saguenay  et  Ilongnedo  ne  se  trouvent  ici  que  par 
erreur. 


48  HISTOIRE 

tions  amicales  qu'eurent  avec  eux  Quartier  et  Roberval. 
Tous  ces  peuples,  nous  voulons  dire  les  différentes 
peuplades  répandues  dans  ce  que  nous  appelions  présen- 
tement le  Bas-Canada,  depuis  Hongnedo  jusqu'à  Hoche- 
laga,  parlaient,  ou  pouvaient  parler  la  même  langue. 
Quartier  nous  en  a  conservé  quelques  termes,  entre 
autres  celui  à' Agohunna,  qui  signifiait  seigneur  ou 
ffrand  chef.  Il  parait  que  les  seules  villes,  ou  grandes 
bourgades,  de  Stadacoué  et  d'Hochelaga  avaient  des 
Agohannas,  dont  sans  doute  l'autorité  s'étendait  sur 
les  villages  circon voisins.  Ces  chefs  étaient  aimés, 
respectés  et  vénérés  par  les  peuples  qui  leur  obéis- 
saient, lors  môme  qu'ils  n'étaient  plus  dans  la  vigueur 
(le  l'âge  ou  de  la  santé,  comme  le  prouve  ce  que 
dit  Quartier  de  celui  d'Hochelaga,  qui  fut  apporté  dans 
la  place  par  dix  hommes,  parce  qu'il  était  paralytique, 
et  qu'on  lui  présenta  comme  chef  vénéré  et  vénérable. 
Dix  autres  peuplades  obéissaient  à  ce  chef,  suivant 
Quartier  ;  mais  il  n'est  plus  croyable,  quand  il  ajoute  que 
Donnacona  lui  était  aussi  soumis,  ou  qu'il  était  son 
tributaire.  Il  y  avait  bien  quelque  chose  de  redoutable 
à  Hochelaga  pour  ceux  de  Stadaconé,  mais  c'était,  il 
paraît,  sous  le  rapport  religieux  ;  car  Cudouagnt  "  par- 
lait" souvent  à  Hochelaga.  Ce  Cudouagny  était  l'unique, 
ou  la  principale  divinité  des  Canadois.  Ils  croyaient 
qu'il  leur  parlait  souvent  (en  songe  sans  doute),  et  que 
lorsqu'il  était  irrité  contre  eux,  il  leur  jettait  de  la  poudre 
aux  yeux  ;  expressions  figurées,  dont  ils  se  servaient 
apparemment  pour  signifier  qu'il  leur  ôtait  la  prudence 
et  le  jugement  nécessaires  pour  prendre  le  meilleur 
parti  dans  les  affaires  difficiles  ou  douteuses.  11^ 
croyaient  à  une  vie  future,  et  étaient  persuadés  qu'après 
leur  mort,  ils  iraient  dans  un  autre  monde,  "  aux 
étoiles,"  où  ils  vivraient  éternellement  dans  des  champs 


DU   CANADA.  49 

verdoyants,  pleins  de  beaux  arbres,  de  fleurs  odorifé- 
l'antes  et  de  fruits  délicieux.  Il  ne  paraît  pas  qu'ils 
eussent  des  jongleurs  ou  des  médecins  charlatans  :  leur 
principale  remède  était  la  tisane  de  leur  annedda,  que 
Jean  Alphonse  appelle  arbre  de  vie. 

Les  hommes  fumaient  presque  continuellement  la 
feuille  séchée  et  broyée  de  la  plante  connue  plus  tard 
sous  le  nom  de  Petun  ou  Tabac,  et  disaient  que  cette 
liabitude  les  "  tenait  sains  et  chaudement." 

La  polygamie  était  en  usage  à  Stadaconé  ;  le  jeu  y 
était  une  passion  dominante  ;  et  on  s'y  livrait  surtout 
dans  des  maisons  de  débauche  ;  car  nous  regrettons 
d'avoir  à  dire,  d'après  Quartier,  que  la  prostitution  du 
sexe  féminin  y  était  générale  avant  le  mariage.*  Les 
liens  conjugaux  étaient  respectés,  "  l'ordre  du  mariage," 
était  gardé,  jusque-là  que  les  veuves  ne  se  remariaient 
jamais,  mais  portaient  toute  leur  vie  le  deuil  de  leur 
mari  défunt. 

Les  Canadois  étaient  chassc\u's,  pêcheurs  et  agricul- 
teurs :  outre  leur  maïs,  ils  avaient  "assez  de  gros  melons 
et  concombres,  courges,  pois  et  fèves  de  toutes  couleurs." 
Pourtant  ils  n'étaient  "  point  de  grand  travail,  et  labou- 
raient leurs  terres  avec  de  petits  bois  de  la  grandeur 
d'une  deini-épée.  Les  femmes  travaillaient  sans  com- 
paraison plus  que  les  hommes,  tant  à  la  pêcherie  qu'au 
labour  et  autres  choses."  Roberval  dit  qu'ils  se  nour- 
rissaient bien,  mais  que  "  pour  autre  chose  ils  n'avaient 
aucun  souci."  Us  possédaient  pourtant  une  richesse 
qu'ils  regardaient  comme  la  chose  la  plus  précieuse  qu'il 
y  eût  au  monde  ;  c'était  une  espèce  de  coquillage  bkinc, 
qu'ils  nommaient  ésurgni,  dans  leur  langue,  qu'ils 
péchaient  dans  le  fleuve,   et  dont  ils  fabriquaient  des 

*  La  forme  et  la  distribution  tles  maisons  .à  Ilochelaga,  ne  permet 
pas  de  croire  que  la  même  coutume  y  eût  aussi  lieu. 
£ 


50  HISTOIRE 

colliers  et  des  bracelets.  Le  don  d'un  ou  de  plusieurs 
colliers  de  ce  coquillage  était,  dans  leur  idée,  un  puissant 
moyen  de  se  concilier  la  faveur  ou  la  bienveillance  d'un 
l^ersonnage  important,  comme  devaient  l'être  à  leur 
égard  Quartier  et  Roberval. 

Ces  peuples  étaient  dociles,  "aisés  à  dompter  en 
telle  façon  et  manière  que  l'on  aurait  voulu,"  comme  dit 
Quartier  ;  et  rien  n'eût  été  plus  facile,  en  apparence^ 
que  d'en  faire  des  hommes  policés  et  des  chrétiens- 
Ceux  même  de  Stadaconé,  malgré  quelques  vicieuses 
habitudes,  allèrent  plusieurs  fois,  leur  chef  à  leur  tête, 
prier  Quartier  de  leur  faire  administrer  le  baptême, 
voulant,  lui  disaient-ils,  renoncer  à  leur  Cudouagny, 
commeétant  agojuda,  (un  mauvais  esprit,)  pour  croire  et 
vivre  à  la  façon  des  Français. 

Mais  quel  était,  ou  qu'est  devenu  ce  peujîle  intéres- 
sant, qui  n'a  été  vu  qu'une  fois,  pour  ainsi  dire,  par  de» 
Européens,  et  qui  nous  a  précédés,  particulièrement  à 
Québec  et  à  Montréal  ?  Porta-t-il  plus  tard  un  autre 
nom  ?  s'était-il  expatrié,  ou  avait-il  cessé  d'exister  ?  Le 
peu  de  mots  de  la  langue  qu'il  parlait  conservés  par 
Quartier,  sufRsent-ils  pour  en  faire  reconnaître  les 
descendans  dans  quelqu'une  des  tribus  modernes  ?  Ce 
sont  là  des  questions  que  nous  ne  pouvons  pas  prendre 
sur  nous  de  décider. 

M.  de  Roberval,  qu'on  a  vu  forcé  de  retourner  en 
France,  avec  tous  ses  gens,  n'avait  pas  abondonné  le 
projet  de  fonder  une  colonie  en  Canada  :  il  fit  im  nouvel 
armement  pour  ce  pays,  en  1549;  mais  il  périt  dans 
le  voyage,  avec  tous  ceux  qui  l'accompagnaient,  au 
nombre  desquels  était  son  frère,  Achille,  ou  Pierre  de 
i.K  Roque  ;  sans  qu'on  ait  jamais  su  où  ni  comment  ce 
malheur  lui  était  arrivé.  Lescarbot  pense  que  son 
vaisseau  se  brisa  contre  des  bancs  de  glace,  près  de 


DU    CANADA.  Ôî 

Terre-Neuve,  comme  de  sou  temps,  il  était  déjà  arrivé 
à  d'autres  navigateurs. 

Les  Bretons,  les  Normands  et  les  Basques  continuè- 
rent à  faire  la  pêche  sur  les  bancs  de  Teri'e-Neuve,  dans 
ie  golfe  et  à  l'entrée  du  fleuve  Saint-Laurent.  D'autres 
Français  commencèrent  à  faire  la  traite  des  pelleteries 
avec  les  Sauvages,  sur  les  côtes  de  la  mer  et  sur  les  bords 
•du  Saint-Laurent,  jusqu'à  Temboucbure  du  Saguenay  ; 
mais  les  grands  armemens  pour  le  Canada  furent  aban- 
donnés. Les  expéditions,  les  décou v  ertes,  les  tentatives 
•d'établissement,  les  faits  d'armes  des  capitaines  Français, 
Laudoxniere,  Ribaut,  de  Gourgues,  de  1562  à  1568, 
dans  la  Floride,  et  dans  la  contrée  qu'ils  nommèrent 
Caroline,  en  l'honneur  de  leur  roi  Charles  IX,  alors 
régnant,  peuvent  entrer  dans  les  annales  de  l'Amérique 
Septentrionale,  mais  non  dans  celles  du  Canada  en  par- 
ticulier. 

Martin  Forbisiier  fit  trois  voyages,  en  1576,  77  et 
78,  "  aux  régions  de  l'ouest  et  du  nord-ouest,  ijour 
chercher  un  passage  aux  Indes  par  la  mer  Glaciale." 
iSi  les  latitudes  qu'il  donne  sont  exactes,  "  il  résulte  de 
leur  indication,  dit  la  Biographie  Universelle,  que  le 
détroit  de  Forbisher  est  un  passage  au  milieu  d'un 
groupe  d'iles  qui  se  trouvent  à  l'entrée  du  détroit 
^l'Hudson,  et  qae  c'est  là  qu'il  faut  placer  toutes  le^s 
terres  auxquelles  il  a  donné  des  noms." 

En  1578,  la  reine  Elisabeth  accorda  au  chevalier 
Iluraphrey  Gilbert  des  lettres-patentes,  en  vertu  des- 
quelles "il  était  autorisé  à  faire  la  découverte  et  à  prendre 
possession  de  toutes  terres  inconnues  ou  habitées  par 
des  tribus  sauvages,  mais  non  occupées  par  des  nations 
chrétiennes,"  &c.  Ce  ne  fut  que  cinq  ans  après,  c'est- 
à-dire  en  1583,  qu'ayant  formé  une  expédition  considé- 
rable, il  put  mettre  à  la  voile  pour  les  côtes  de  l'Ame- 


02  HISTOIRE 

rique.  Il  aborda  à  l'ile  de  Terre-Neuve,  où,  suivant  le 
dire  d'Hakluyt,  les  indigènes  lui  présentèrent  des  échan- 
tillons de  minerais,  dont  il  ne  voulut  pas  faire  l'essai  sur 
les  lieux,  de  crainte  d'éveiller  l'attention  des  Français, 
déjà  établis  sur  ces  terres,  et  de  leur  donner  ainsi  con- 
naissance des  ressources  qu'elles  possédaient.  Ayant 
cinglé  de  là  au  sud-ouest,  le  vaisseau  qu'il  montait  périt, 
coi'ps-et-biens,  dans  une  tempête,  près  de  l'île  du  Cap 
Breton,  ou  de  l'île  de  Sable  :  les  autres  purent  regagner 
l'Angleterre. 

Quelques  années  après,  un  autre  navigateur  Anglais, 
John  Davis,  pénétra  dans  les  mers  du  Nord,  jusqu'au 
72e.  degré,  et  découvrit  le  passage  qui  a  été  depuis 
appelle,  de  son  nom.  Détroit  de  Davis. 

Cependant  le  Canada,  toujours  appelle  la  Nouvelle- 
France,  était  visité,  de  temps  à  autre,  par  des  Français 
autres  que  des  pêcheurs,  ou  des  commerçans  de  pellete- 
ries. Jacques  Noël,  fils  d'Etienne,  (neveu  et  compa- 
gnon de  Jacques  Quartier  dans  son  troisième  voyage,) 
vint  jusqu'aux  "  Saults,"  avant  1583,  et,  comme  son 
grand-oncle,  monta  sur  le  "  Mont  Royal,"  d'où  il  remar- 
qua en  particulier  le  lac  Saint-Louis,  qu'il  donne  comme 
un  élargissement  du  fleuve.  Il  se  trompai+,  en  plaçant 
ces  "  saults  ou  chûtes  d'eau  "  au  44e.  degré  de  latitude, 
puisqu'ils  sont  au  4ôe.  et  demi  ;  mais  il  avait  raison, 
quand  il  disait  qu'ils  "  ne  sont  pas  si  difficiles  à  passer 
qu'on  se  l'imagine,"  et  que  "les  eaux  ne  tombent 
d'aucunes  hauteurs  bien  considérables."  Les  Sauvages 
(car  il  y  en  avait  encore  alors,  il  paraît,  dans  l'île  de 
Monti-eal,)  lui  dirent  qu'il  y  avait  "dix  journées  de 
marche,  depuis  les  saults  jusqu'au  grand  lac  (Ontario);" 
mais  il  ne  put  savoir  "  combien  ils  comptaient  par  jour- 
née." 

En  1588,  Henri  IXI  accorda  au  môme  Jacques  Noël. 


DU    CANADA  53 

et  au  sieur  Chaton,  autre  petit-neveu  de  Jacques 
Quartier,  1»  commerce  exclusif  du  golfe  et  du  fleuve  de 
Saint-Laurent.  Un  sieur  Ravillon,  qui  leur  succcéda, 
remonta  le  fleuve  jusqu'à  l'embouchure  du  Saguenay, 
en  1591  ;  mais  moins  pour  s'y  occuper  de  découvertes 
ou  d'établissemens,  que  pour  exploiter  la  pêche  des 
phoques,  alors  abondante  dans  ces  parages. 

Enfin,  on  s'occupa  de  nouveau  en  France  du  pi'ojet 
de  fonder  une  colonie  en  Amérique.  Au  commence- 
ment de  1598,  Henri  IV  lîomma  TroïUusDuMESGouETS, 
marquis  de  la  Roche  et  de  Cottenmeal,  son  Lieute- 
nant général  et  Gouverneur  dans  les  pays  de  Terre- 
Neuve,  Labrador,  Canada,  Hochelaga,  Norembègue,  &c.  ; 
l'autorisa  à  équipper  des  vaisseaux,  lever  des  troupes, 
emmener  les  personnes  utiles  à  l'établissement  d'une 
colonie,  construire  des  forts,  concéder  des  terres  en  fiefs, 
ou  autrement  ;  faire  pour  le  gouvernement  de  ces 
contrées  tous  les  reglemens  qu'il  jugerait  convenables, 
et  de  plus  "  assaillir  villes,  châteaux,  forts  et  habitations," 
&c.,  sans  doute  d'après  le  droit  qu'alors  en  Europe  ou 
croyait  avoir  de  dépouiller,  non  seulement  de  leurs 
terres,  mais  encore  de  leurs  autres  propriétés,  les 
peuples  qui  n'étaient  pas  chrétiens,  et  qu'on  appellait 
barbares  ou  sauvages.* 

*  Il  est  curieux  d'entendre  Lescarbot  raisonner  sur  le  sujet  : 
"  J'ai  quelquefois,  dit-il,  vu  des  hommes  scrupuleux,  qui  ont 
mis  en  doute  si  on  pouvait  justement  occuper  les  terres  de  la 
Nouvelle-France,  et  en  dépouiller  les  habitans  d'icelles  :  auxquels 
ma  réponse  a  été,  que  le  premier  titre  de  possession  doit  apparte- 
nir aux  enfans  qui  obéissent  à  leurs  pères,  tels  que  sont  les  chré- 
tiens, auxquels  appartient  le  partage  de  la  terre.  .  .  La  terre  donc 
appartenant  de  droit  divin  aux  enfans  de  Dieu,"  &c.  Les  Juifs 
ont  dû  et  doivent  encore  avoir  les  mêmes  droits,  comme  peuple 
choisi  de  Dieu  ;  les  Musulmans,  comme  vrais  croyants  ;  les 
Chinois,  comme  citoyens  de  l'empire  céleste,  &c.  C'est  d'après  le 
même  principe  que  se  sont  conduits  Alexanuke,  Attila,  Ma- 
homet, GiNGiilSKAN,  Tamerlan,  Ics  Ba.tazet,  Ics  Amuuat,  et 
autres  conquérans,  envahisseurs  et  usurpateurs.  Cette  espèce  de 
droit  divin  a  pour  synonyme  le  droit  du  plus  fort. 
E2 


54  HISTOIRE 

Honoré  de  titres  aussi  vains  que  pompeux,  et  muni 
de  pouvoirs  qui  devaient  lui  être  inutiles,  leinnarquis  de 
la  Roche  voulut  aller  reconnaître  lui-même  les  contrées 
dont  il  devait  être,  en  quelque  sorte,  le  souverain.  Il 
équippa  un  vaisseau,  sur  lequel  il  s'embarqua,  au  pinu- 
tems  de  la  même  année  1598,  avec  un  habile  pilote, 
nommé  Chetodel.  Il  passa  près  de  la  fatale  Ile  de 
Sable,  et  y  débarqua  quarante  malheureux,  qu'il  avait 
tirés  des  prisons  de  France,  et  qui  s'y  trouvèrent  bientôt 
plus  mal  à  leur  aise  que  dans  leurs  cachots.  Il  alla 
ensuite  reconnaître  les  côtes  du  continent  voisin,  qui 
sont  celles  de  l'Acadie  ;  et  après  avoir  pris  toutes  les 
connaissances  dont  il  croyait  avoir  besoin,  il  se  rem- 
barqua, pour  aller  reprendre  les  gens  qu'il  avait  laissés 
sur  l'Ile  de  Sable,  et  les  placer  ailleurs  ;  mais  les  venta 
contraires  l'ayant  porté  près  des  côtes  de  France,  ils 
furent  abandonnés  à  leur  mauvais  sort.  L'ile  de  Sable, 
située  à  environ  vingt-cinq  lieues  de  la  pointe  sud-est 
de  celle  du  Cap  Breton,  ne  porte  ni  arbres  ni  arbustes 
fruitiers  ;  quelques  buissons,  des  plantes  saxatiles  et  un 
peu  de  foin  naturel,  sont  les  seules  traces  de  végétation 
qui  s'y  rencontrent.  Heureusement  pour  les  exilés,  ils 
trouvèrent  sur  les  écueils  qui  la  bordent,  des  débris  de 
vaisseaux  naufragés,  dont  ils  construisirent  des  cabanes 
pour  se  mettre  à  l'abri  des  injures  du  temps;  et  des 
animaux  domestiques,  sortis  des  mêmes  vaisseaux,  ou  pro- 
venus de  ceux  qu'y  avait  déposés  le  baron  de  Léry,  en 
15 18,  leur  servirent  pendant  quelque  temps  denourriture- 
Mais  dans  l'attente  d'être  promptement  tirés  de  leur 
solitude,  ils  tuèrent  imprudemment  une  partie  de  ces 
animaux  pour  en  avoir  les  peaux,  et  bientôt  ils  furent 
réduits  à  ne  plus  se  nourrir  que  de  poisson.  Lorsqu'au 
bout  de  sept  ans,  Chetodel  eut  ordre  de  les  aller  prendre 
pour  les  ramener  en  France,  il  n'en  trouva  plus  que 


DU    CANADA.  55 

douze,  couverts  de  peaux  de  loups-marins,  tout défigui'és, 
les  cheveux  et  la  barbe  d'une  longueur  et  dans  un 
désordre  à  faire  horreur.  Il  les  présenta  dans  cet  état  au 
roi,  qui  leur  fit  donner  à  chacun  cinquante  écus,  et  les 
renvoya  déchargés  de  toutes  poursuites  de  justice. 

Pour  revenir  à  M.  de  la  Roche,  après  son  retour  en 
France,  il  y  éprouva  de  grands  contretems,  et  mourut 
de  chagrin,  a-t-on  écrit,  après  avoir  fait  pour  l'établisse- 
ment de  sa  colonie,  que  pourtant  il  ne  commença  pas 
même,  de  grandes  et  inutiles  dépenses.  Le  mauvais 
succès  de  son  entreprise  n'empêcha  pas  qu'après  sa 
mort,  on  ne  sollicitai  vivement  la  commission  qu'il  avait 
eue  du  roi.  Le  sieur  du  Pont,  surnommé  Grave',  ou 
DE  Pont-Grave',  qui  avait  fait  plusieurs  voyages  à 
Tadoussac,  et  remonté  le  Saint-Laurent  jusqu'aux 
Trois-Rivières,  proposa  à  M.  Chauvin,  " homme  très 
expert  et  entendu  au  fait  de  la  navigation,"  et  alors 
capitaine  dans  la  marine,  de  demander  au  roi  le  privi- 
lège exclusif  de  la  traite  des  pelleteries  en  Canada,  avec 
les  prérogatives  attachées  à  la  commission  du  marquis 
de  la  Roche.  M.  Chauvin  goûta  cet  avis,  demanda  le 
privilège,  et  l'obtint.  Il  équippa  aussitôt  quelques 
petits  bàtimens,  et  les  conduisit  lui-même  à  Tadoussac, 
accompagné  de  Pont-Gravé.  Ce  dernier  aurait  voulu 
aller  jusqu'aux  Trois-Rivières,  parce  que  cet  endroit 
lui  avait  paru  plus  propre  qu'aucun  autre  à  un  éta- 
blissement ;  mais  ce  n'était  pas  ce  que  Chauvin  se 
proposait  ;  il  ne  voulait  que  troquer  des  marchandises 
contre  des  pelleteries,  dont,  en  effet,  il  eut  bientôt 
rempli  ses  vaisseaux.  Il  fit  bâtir  une  maison  à  Tadous- 
sac,* et  y  laissa  quelques  uns  de  ses  gens  pour  faire  la 

*  "  De  quatre  toises  de  lonp  sur  trois  de  larpe,  de  huit  pieds  de 
haut,  couverte  d'ais,  et  une  chcmini'e  au  milieu,  en  forme  d'un 
corps-de-garde,  entourrée  d'une  claie  et  d'un  petit  fossé  fait  dans 
Je  sable." — Cuamplain. 


56  HISTOIRE 

traite  durant  l'hiver.  L'année  suivante,  il  arriva  de 
bonne  heure  à  son  poste  de  commerce,  et  ce  second 
voyage  ne  lui  produisit  pas  moins  que  le  premier.  Il 
mourut,  l'hiver  suivant,  et  eut  pour  successeur  le  com- 
mandeur DE  Chatte,  gouverneur  de  Dieppe.  Ce 
dernier  forma  une  compagnie,  où  entrèrent  des  gentil- 
hommes  et  des  négocians,  la  plupart  de  Normandie. 
Il  fit  un  armement  dont  il  confia  la  conduite  au  sieur 
Du  Pont,  à  qui  le  roi  avait  donné  des  lettres-patentes 
pour  continuer  les  découvertes  en  Canada,  et  pour  y 
faire  des  établissemens.  M.  de  Chatte  proposa  à 
Samuel  de  Champlajx,  capitaine  de  vaisseaux,  qui 
revenait  des  Antilles,  de  faire  le  voyage  du  Canada 
avec  Du  Pont,  et  il  y  consentit  avec  l'agrément  du  roi. 
Champlain  et  Du  Pont,  commandant  chacun  un  navire, 
partirent  au  commencement  de  1603.  Arrivés  au  port 
de  Tadoussac,  ils  y  laissèrent  leurs  vaisseaux,  et  s'em- 
barquèrent dans  un  bateau  léger,  pour  remonter  le 
Saint-Laurent,  accompagnés  de  quelques  Sauvages  dans 
un  canot  d'écorce. 

Ils  viennent  d'abord  ''  mouiller  à  Québec,  où  il  y  a 
un  détroit  du  fleuve,  et  au  nord  de  ce  détroit,  une 
montagne  assez  haute,  qui  va  en  baissant  des  deux 
côtés,  et  le  long  de  la  côte,  dans  des  rochers  d'ardoises, 
des  diamans  meilleurs  que  ceux  d'Alençon."  De  Qué- 
bec, ils  viennent  jetter  l'ancre  à  Sainte- Croix,  (autrefois 
Achelacy);  reconnaissent  ensuite  l'entrée  de  la  rivière 
de  Batiscan,  celle  de  la  rivière  Sainte-Marie,  l'ile 
Saint-Eloy,  et  arrivent  aux  Trois-Rivières.  Us  vou- 
lurent remonter  la  rivière  ainsi  nommée,  mais  ne  purent 
faire  qu'une  Ueue,  dans  leur  bateau  léger,  ou  chaloupe, 
"  à  cause  du  grand  courant  d'eau."  Ils  furent  avec  un 
esquif,  pour  voir  plus  avant  ;  mais  à  peine  eurent-ils 
fait  une  lieue,  qu'ils  rencontrèrent  "  un  sault  d'eau  fort 


DU    CANADA.  57 

étroit,  comme  de  douze  pas,"  qui  ne  leur  permit  pas 
d'aller  plus  loin.  Toute  la  terre  qu'ils  virent  au  bord 
de  cette  rivière,  est  sablonneuse,  et  "  va  en  haussant  de 
plus  en  plus,  et  est  remplie  de  sapins  et  de  cyprès." 

Cliamplaiu  compte  six  îles  à  l'entrée  des  Trois- 
Rivières  (aujourd'hui  la  rivière  Saint-Maurice),  "  trois 
desquelles,  dit-il,  sont  fort  petites,  et  les  autres  de  cinq 
à  six  cents  pas  de  long,  fort  plaisantes  et  fertiles,  pour 
le  peu  qu'elles  contiennent."  Il  parle  de  celle  sur 
laquelle  Quartier  avait  fait  planter  une  croix,  comme 
•'commandant  aux  autres,  élevée  du  côté  du  sud,  et 
allant  quelque  peu  en  baissant  du  côté  du  nord.  Ce 
serait,  ajoute-t-il,  un  lieu  propre  pour  habiter,  et  pour- 
rait-on le  fortifier  promptement,  car  sa  situation  est 
forte  de  soi.  L'habitation  des  Trois-Rivières,  continue- 
t-il,  serait  un  bien  pour  la  liberté  de  quelques  nations, 
qui  n'osent  venir  par  là,  à  cause  des  Ii'oquois,  leurs 
ennemis,  qui  tiennent  toute  la  rivière  de  Canada 
bordée." 

Ayant  traversé  le  lac  Saint-Pierre,  et  y>yïs  le  chenal 
du  sud,  nos  voyageurs  trouvèrent,  au  conlluent  de  la 
rivière  des  Iroquois,  (depuis  rivière  Chambly,  Richelieu, 
ou  Sorel),*  une  "  forteresse  faite  de  pieux  debout  fort 
pressés  les  uns  contre  les  autres,  et  joignant  d'un  côté 
cette  rivière,  et  de  l'autre,  le  fleuve,  et  qui  ne  servait 
guère  aux  Sauvages  (du  Canada)  que  "  pour  avoir  le 
temps  de  s'embarquer."  Ils  ne  purent  s'avancer,  dans 
cette  rivière,  que  cinq  ou  six  lieues,  ''  à  cause  du  grand 

*  Dont  les  Canadois  avaient  parlé  à  Quartier,  comme  ayant 
sou  embouehiu'c  vis-à-vis  de  l'endroit  où  il  avait  laissé  son  galiion, 
en  allant  à  llochelaga,  et  comme  allant  vers  le  sud-ouest,  "jus- 
qu'à une  terre  où  il  n'v  a  jamais  glaces  ni  neiges."  Les  Canadois 
étaient  géographes,  comme  le  sont,  plus  ou  moins,  tous  les  Sau- 
vages ;  ils  sivaient  qu'à  leur  midi,  il  y  avait  des  contrées  où  il  ne 
neige  ni  ne  gèle  ;  mais  ils  se  trompaient,  en  pensant  que  la  rivière 
en  question  allait  jusque-là,  ou  venait  de  là. 


5â  '•  tilSTOlRÉ 

cours  d*eâu  qui  descend."  Revenus  à  son  entrée,  et 
suivant  la  rive  méridionale  du  fleuve,  ils  évitèrent  le 
courant  de  Sainte-Marie,  et  passèrent  au  sud  d'une  île 
d'environ  un  quart  de  lieue  en  longueur  (Sainte-Hèlene), 
puis  près  de  '"rochers  et  petites  iles,  oii  il  n'y  a  point  de 
bois,  et  qui  sont  à  fleur  d'eau,"  et,  "  où  l'eau  commence 
à  venir  de  grande  force."  Arrivés  au  pied  du  Sault 
Saint-Louis,  ils  ne  purent  suivre  les  Sauvages,  qui  s'y 
avancèrent  dans  leur  canot,  mais  débarquèrent,  et 
suivirent  le  rivage  par  terre,  l'espace  d'une  lieue,  ou 
plus. 

Champlain,  qui  a  publié  la  relation  de  ce  voyage,  ne 
parle  ni  d'Hochelaga,  ni  d'aucune  autre  bourgade  con- 
sidérable. Les  Sauvages  qui  habitaient  alors  le  Canada 
n'étaient  pas,  en  apparence,  de  la  même  nation,  et  ne 
parlaient  pas  la  même  langue  que  ceux  que  Quartier  et 
Roberval  y  avaient  rencontrés.  Champlain  parle,  dans 
cette  relation,  des  Algonquiiis,  qui  fréquentaient,  plutôt 
qu'ils  n'habitaient  les  bords  du  Saint-Laurent  ;  des 
Etchemins,  qui  demeuraient  au  sud  de  ce  fleuve,  à  l'est 
de  Québec,  et  des  Montagnais,  qui  fréquentaient  les 
bords  du  Saguenay,  et  venaient  à  Tadoussac,  pour  la 
traite  des  pelleteries. 

Les  guerriers  de  ces  trois  tribus,  réunis  au  nombre 
de  mille,  venaient  de  remporter  une  victoire  sur  les 
Iroquois,  dont  ils  avaient  tué  une  centaine,  et  Cham- 
plain et  Du  Pont,  à  leur  retour,  trouvèrent  leui's  chefs 
assemblés  à  Tadoussac,  et  se  préparant  à  célèbre  leur 
triomphe  par  une  "  tabagie^''  c'est-à-dire  par  des  festins, 
des  dances,  et  autres  divertissemens.  Champlain  con- 
féra avec  eux,  au  moyen  de  deux  des  leurs,  que  Du 
Pont  avait  emmenés  en  France,  l'année  précédente,  et 
leur  fit  agréer  le  dessein  qu'avait  conçu  le  roi  de  France, 
de  "peupler  leur  terre,"  et  de  leur  faire  faire  la  paix 


DU   CANADA.  59 

avec  les  Iroquois,  ou  de  leur  envoyer  des  forces  pour 
les  vaincre. 

A  leur  retour  en  France,  Du  Pont  et  Champlain 
trouvèrent  le  commandeur  de  Chatte  mort,  et  sa  commis- 
sion donnée  à  Pierre  Dugast,  ou  Du  Gua,  sieur  de 
Mo-VTS,  gentilhomme  saintongeais,  qui  avait  obtenu  le 
commerce  exclusif  des  pelleteries,  depuis  le  40e  jusqu'au 
t54e  degré  de  latitude  ;  le  droit  de  concéder  des  terres 
jusqu'au  46e,  et  le  titre  de  Vice-amiral  et  de  Lieutenant- 
général  dans  toute  cette  étendue  de  pays.  Quoique 
protestant,  M.  de  Monts  s'était  engagé  à  établir,  autant 
que  possible,  la  religion  catholique  parmi  les  Sauvages  : 
il  avait  conservé  la  compagnie  formée  par  son  prédé- 
cesseur, et  il  l'augmenta  de  plusieurs  négocians  des 
principaux  ports  de  France,  particulièrement  de  celui 
de  La  Rochelle.  Il  équippa  quatre  vaisseaux,  l'un  des- 
quels fut  destiné  à  faire  la  traite  des  pelleteries  à 
Tadoussac  ;  Du  Pont  fut  chargé  de  conduire  le  second 
à  Campseau,  et  de  courir  de  là  tout  le  canal  que  forment 
Vile-Royale,  ou  du  Cap-Breton  et  celle  de  Saint-Jean, 
pour  écarter  ceux  qui  auraient  voulu  commercer  avec 
les  indigènes,  au  préjudice  des  droits  de  la  compagnie. 
De  Monts  conduisait  lui-même  les  deux  autres,  accom- 
pagné de  Champlain,  de  Jean  de  Biencour,  sieur  de 
PouTRiNCOUR,  et  de  plusieurs  autres  volontaires,  parmi 
lesquels  étaient  un  i)rêtre  catholique  et  un  ministre 
protestant. 

Parti  du  Ilâvre-de-Grace,  le  7  mars  1604,  M.  de 
Monta  arriva  le  6  mai,  dans  un  port  de  l'Acadic,  qui 
fut  nommé  port  Rossignol,  parce  qu'il  y  confisqua  uu 
vaisseau  appartenant  à  un  capitaine  de  ce  nom.*     Au- 


*  "  Le  6  mai,  ils  tcrrireiit  à  un  certain  port,  où  ils  trouvèrent  la 
capitaine  llt)8eiGNOL,  du  Ilàvre-de-GràiH-,  lequel  troquait  en  pelle- 
terie avec-   les  Sauvages,  contre  les  défenses  du   roi  ;    occasioa 


60  HISTOIEE 

sortir  de  ce  port,  il  entra  dans  un  autre,  qui  fut  nommé 
port  au  Mouton,  parce  qu'un  mouton  s'y  noya.  Il  y 
débarqua  tout  son  monde,  et  y  séjourna  plus  d'un  mois, 
en  attendant  le  retour  de  Champlain,  qui  fut  envoyé 
dans  une  chaloupe,  pour  explorer  la  côte,  et  chercher 
un  endroit  propre  à  l'établissement  qu'on  voulait  former. 
Se  dirigeant  au  sud,  Champlain  rangea  les  côtes  de  la 
mer  l'espace  d'environ  quatre-vingts  lieues,  ou,  suivant 
son  calcul,  jusqu'au-dessous  du  42e  degré  de  latitude. 
Ces  côtes  étaient  celles  de  la  Norembègue  (maintenant 
la  Nouvelle-Angleterre),  où  aucune  nation  européenne 
n'avait  encore  formé  d'établissement.  Il  reconnut  un 
nombre  considérable  d'îles,  de  caps,  de  baies,  de  havres 
et  de  rivières,  et  entre  ces  dernières,  celle  qu'il  dit  s(; 
nommer  Pemtagoet  (Penobscot),  et  qu'il  croit  être  la 
rivière  de  Norembègue  des  navigateurs  qui  l'avaient 
précédé  dans  ces  parages  ;  la  rivière  de  Quinibequy,  ou 
Kennebec,  et  celle  qu'il  dit  s'appeller  Chouacoet.  Il 
rencontra  dans  les  habitans  du  pays,  qu'il  appelle  Ar- 
moucMquois,  des  hommes  aussi  adonnés  et  aussi  entendus 
à  l'agriculture  que  l'étaient  ceux  de  Stadaconé  et  d'Ho- 
chelaga,  au  temps  de  Jacques  Quartier.  Ils  auraient 
pu  être  les  instituteurs  des  premiers  Européens  qui  ont 
eu  des  terres  à  défricher  en  Amérique.* 

qu'on  hù  confisqua  son  navire,  et  fut  appelle  ce  port  le  port 
liossignol,  ayant  eu  en  ce  désastre  un  bien  qu'un  port  bon  et 
commode,  en  ces  côtes-là,  est  appelle  de  son  nom." — Lescaebot. 
*"  Les  Armoucliiquois,  disent,  en  substance,  Champlain  et  Les- 
carbot,  ont  des  terres  défrichées,  et  en  défrichent  tous  les  jours; 
mais  ils  ne  cultivent  pas  en  même  temps  tous  leurs  champs  défri- 
chés, car  ils  laissent. reposer  leurs  terres.  Pour  défricher,  ils 
coupent  les  arbres  à  la  hauteur  de  trois  pieds,  puis  brûlent  les 
branchages  sur  les  troncs,  et  par  succession  de  temps,  ôtent  les 
racines.  Au  lieu  de  charrues,  ils  ont  un  instrument  de  bois  fort 
dur  fait  en  façon  d'une  bêche.  Ils  arrachent  toutes  les  mauvaises 
herbes  et  les  brûlent,  et  enj^raisscnt  leui-s  champs  de  coquillages  de 
poissons.  Ils  plantent  parmi  leur  bled  des  fèves  riolées  de  toutes 
couleurs.     La  moisson  faite,  ils  serrent  leur  bled  dans  des  fosses 


DU   CANADA.  61 

Mais  ce  voyage  de  Champlain,  utile  sous  le  rapport  de 
la  géographie  et  de  la  navigation,  fut  nul  pour  l'établisse- 
ment de  la  colonie  ;  et  dans  le  fait,  M.  de  Monts  n'avait 
pas  besoin  d'aller  si  loin  pour  la  placer  avantageusement  ; 
il  était  près  de  deux  des  plus  beaux  ports  de  l'Acadie, 
ceux  de  Campseau  et  de  La  Hève;  mais  ils  ne  lui  plurent 
point  ;  et,  suivant  le  contour  de  la  presqu'île,  au  sud,  il 
doubla  le  cap  de  Sable,  entra  dans  la  baie  de   Sainte- 
Blarie,  et  tirant  au  nord-ouest,  parvint  à  une  île,  située 
vis-à-vis  de  l'embouchure  d'une  l'ivière,  dite  alors  des 
Etchemins,  par  45  degrés  et  demi  de  latitude,  et  résolut 
de  s'y  fixer.     Cette  île,  à  laquelle  il  donna  le  nom  de 
Sainte- Croix,  qui  fut  aussi  plus  tard  celui  de  la  rivière, 
n'a  guère  plus  d'une  demi-lieue  de  cii'cuit  ;  aussi  fut- 
elle  défrichée  en  peu  de  temps.     On  s'y  logea  passable- 
ment, et  l'on  y  sema  du  bled,  qui  rapporta  extraordinai- 
rement.     On  ne  tarda  pas  néanmoins  à  s'appercevoir 
qu'on  avait  fait  un  mauvais  choix  ;  l'hiver  venu,  on  se 
trouva  sans  eau  douce  et  sans  bois  ;  le  scorbut  se  mit 
parmi  les  colons,  et  il  en  périt  un  grand  nombre.     Dès 
que  la  navigation  fut  libre,  M.  de  Monts  n'eut  rien  de 
plus  pressé  que  de  chercher  un  endroit  plus  convenable. 
Il  se  dirigea  à  l'est,  donna  au  golfe  sur  lequel  il  navi- 
guait le  nom  de  Baie  Française,  et  parvint  à  l'embou- 
chure d'une  rivièi'e,  où  il  trouva  un  liâvre  qu'il  nomma 
Port  Royal,  et  qui  lui  plut  au  point  qu'il  résolut  d'y 
transporter,   sur-le-champ,  sa  colonie.     La  rivière  fut 
appellée  de  V Esquille,  du  nom  d'un  "  petit  poisson  de  la 
grandeur  d'un  esplaii,"  qui  s'y  péchait  en  quantité. 
Les  anciens  auteurs,  Champlain,  Lescarbot,  et  d'aprèb 

(caveaux)  qu'ils  font  en  quelque  ponte  de  colline  ou  tertre,  pour 
régoût  des  eaux,  ayant  soin  de  garnir  ces  fusses  do  nattes,  &c. 
Outre  leurs  habits  de  peaux,  ils  s'en  font,pour  l'été,  de  chanvre  ou 
autres  herbes." 


62  HISTOIRE 

eux  Cliarîevoix,  ont  fait  du  Port  Royal  une  description 
pompeuse,  qui  témoigne  du  bon  jugement  de  M.  de  Mont?, 
mais  qui  n'est  pas  de  nature  à  intéresser  beaucoup  pré- 
sentement des  lecteurs  canadiens.  Le  plus  grand  avan- 
tage de  ce  port  était  de  se  trouver  vis-à-vis  de  la  grande 
rivière  d' Ouf/gotidi/,  à  laquelle  Champlàin  donna  le  nom 
de  Saint-Jean,*  et  à  peu  près  au  centre  de  la  population, 
indigène.  Cette  population  se  composait  alors  de  deux 
grandes  tribus,  les  Souriquois,  liabitans  de  la  presqu'île 
acadienne  (maintenant  la  Nouvelle-Ecosse),  peuple  de 
mœurs  assez  douces  et  décentes,  et  les  Etchemins,  qui 
fréquentaient  les  bords  de  la  rivière  appellée  de  leur 
nom,  Rivihe  des  Etchemins,  et  ceux  de  l'Ouygoudy,  et 
dont  le  pays  (le  Nouveau  Brunswick,  &c.)  s'étendait, 
suivant  Champlàin,  j  usqu'au  Quinibequy,  où  commen- 
çait celui  des  Armouchiquois  (le  présent  état  de  Maine, 
&c).t  Ces  deux  peuples  faisaient  ordinairement  cause 
commune  avec  les  Canadois,  les  Canadaquois,  ou  Gaspé- 
siens,  les  Montagnais,  les  Algonquins,  et  autres  tribus 
sauvages,  lorsqu'il  s'agissait  de  combattre  leurs  ennemis 
communs,  qui  étaient,  d'un  côté,  les  Iroquois,  et  de 
l'autre,  les  Armouchiquois.  Les  grands  chefs  de  ces 
peuples  n'étaient  pas  appelles  Agohannas,  comme  ceux 
des  Canadois,  au  temps  de  Quartier,  mais  Sagamos  ou 
Sagmos,  mot  qui,  comme  le  premier,  signifie  maître  ou 
seigneur.     Champlàin  donne   le   nom,  ou  le  titre  de 

*  Et  qu'il  décrit  comme  "une  rivière  des  plus  grandes  et  profondes 
qu"il  eût  encore  %'ue,  étroite  et  dangereuse  à  son  entrée,  puis 
s'élargissant  et  se  rétrécissant  de  rechef,  et  faisant  un  sault  entre 
deux  rochers,  où  l'eau  court  d'une  si  grande  vitesse,  qu'en  y 
jettant  du  bois,  il  enfonce  en  bas,  et  ne  le  voit-on  plus."  Il  ajoute 
que  "  les  habitans  du  pays  allaient  par  cette  rÏN'ière  jusqu'à  Ta- 
doussac,  ne  passant  que  par  peu  de  terre  (de  portages)  pour  y 
aller,"  et  que  de  la  rivière  Saint-Jean  à  Tadoussac,  il  n'y  a  que 
soixante-cinq  lieues. 

■f  D'autres  écrivains  placent  sur  les  bords  du  Kennebec  les 
■CanmÔLU,  tribu  amie  des  Etchemins  et  des  Souriquois. 


DU    CANADA.  63 

Sagamo  au  grand  chef  des  Montagnais,  et  même  à  celui 
<les  Algonquins.  Si,  d'un  côté,  il  est  difficile  de  croire 
<jue  la  langue  des  Soui'iquois  était  aussi  celle  de  ces  deux 
peuples,*  il  est,  de  l'autre,  presque  prouvé,  que  celle  qui 
avait  été  parlée  à  Hoclielaga  et  à  Stadaconé  n'était  plus 
entendue.  "  Jacques  Quartier,"  dit  Lescarbot,  "  nous 
H  laissé  comme  un  dictionnaire  ilu  langage  du  Ca- 
nada, auquel  nos  Français  qui  y  hantent  aujourd'hui 
n'entend-eiit  rien."f  "  Quant  à  la  cause  de  ce  change- 
ment de  langage  en  Canada,"  ajoute-t-il,  "j'estime 
qu'il  est  venu  d'une  destruction  de  peiqile;  car  il  y  a 
<iuelques  années  que  les  Iroquois  s'assemblèrent  jusqu'à 
liuit  mille  hommes,  et  défirent  tous  leurs  ennemis,  qu'ils 
surprirent  dans  leur  enclos."  Il  est  à  regretter  que  Les- 
carbot  n'ait  pas  donné,  d'une  manière  plus  précise,  la 
date  de  ce  grand  événement  ;  mais  nous  le  croyons  plus 
ancien  qu'il  ne  parait  le  donnei*  à  entendre. 

Pour  revenir  au  Port  Royal,  où  nous  avons  laissé  M. 
de  Monts,  le  sieur  de  Poutrincour  qui,  eu  s'associant 
avec  lui,  avait  formé  le  projet  de  s'établir  en  Amé- 
rique, lui  demanda  ce  port,  et  l'obtint.  Il  chargea 
Du  Pont  du  soin  de  son  établissement,  et  vers  l'autonuie, 
il  repassa  en  France  avec  M.  de  Monts. 

"  Tandis  que  ce  dernier  était  occupé  à  former  un  éta- 
blissement à  l'île  de  Sainte-Croix,  accompagné  des  sieurs 
Champlain,  d'Okville,  Cuamp-Doke',  et  autres,  on 
faisait  courir  en  France  des  livrets,  dans  lesquels,  entre 
autres  mauvaises  plaisanteries,  on  disait  qu'il  arrachait 
des  épines  eu  Canada."  Les  mauvais  plaisans  n'étaient 
jias  pourtant  les  plus  dangereux  de  ses  ennemis.:  pendant 


*  Nos  Souriciuois  l't  Etcheinins  irenU'iulent  pomt  les  Arinou- 
chiquois,  ni  eciix-ci  k'S  Iroquois." — Lescakuox. 

t  Ou  ne  pouvaient  rien  euten(h"o,  par  la  raison  que  les  Sauvages 
d'.alors  n'y  entendaient  rien  cux-mcnies. 


64  HISTOIRE 

son  absence,  les  pêcheurs  de  presque  tous  les  ports  de 
France  avaient  représenté  au  roi  que,  sous  prétexte  de 
les  empêcher  de  commercer  avec  les  Sauvages,  on  les 
privait  des  choses  les  plus  nécessaires  pour  leur  pêche, 
et  qu'ils  seraient  contraints  d'y  renoncer,  si  l'on  ne 
faisait  cesser  ces  vexations.  Ils  furent  écoutés,  et  le 
privilège  de  M.  de  Monts,  qui  devait  durer  encore  deux 
ans,  fut  révoqué.  Il  ne  se  découragea  pas  pourtant  ;  il 
fit  un  nouvel  arrangement  avec  Poutrincour,  et  lui  fit 
ai'mer,  à  La  Roch-eUe,  un  vaisseau  qui  mit  à  la  voile  le 
13  mai  1606.  Le  voyage  fut  long  ;  ce  qui  fit  croire 
aux  habitaus  du  Port  Royal  qu'on  les  avait  abandonnés. 
Du  Pont  fit  tout  ce  qu'il  put  pour  les  rassurer ,  mais  à 
la  fin,  comme  on  commençait  à  manquer  de  vivi'es,  il 
fut  contraint  de  s'embarquer  avec  eux  pour  retourner 
en  France,  ne  laissant  que  deux  hommes  dans  le  fort, 
pour  garder  les  effets  qu'on  ne  pouvait  pas  emporter»  Il 
était  à  peine  sorti  de  la  baie,  qu'il  apprît  Farrivêe  de 
Poutrincour  à  Campseau  :  il  rentra  dans  le  Port  Royal, 
oii  Poutrincour  était  déjà  arrivé,  sans  qu'ils  se  fussent 
rencontrés. 

Ayant  ramené  rabondancc  dans  son  établissement, 
M.  de  Poutrincour  ne  songea  plus  qu'à  le  fortifier,  et  Du- 
Pont  s'y  livra  tout  entier.  Il  tenait  ses  gens  continu- 
ellement occupés  ;  les  travaux  se  faisaient  avec  joie, 
parce  que  les  vivres  ne  manquaient  pas,  et  que  la  fertilité 
du  pays  semblait  répondre  que  la  source  de  cette  abon- 
dance ne  tarirait  point.  Les  colons  jouissaient  d'une 
bonne  santé,  et  les  Sauvages  commençaient  à  s'appri- 
voisex'.  Un  avocat  de  Paris,  nommé  Marc  Lescarbot,  (le 
même  que  nous  avons  déjà  eu  occasion  de  citer  plusieurs 
fois),  qui  avait  eu  la  curiosité  de  voir  le  Nouveau 
Monde,  ne  contribua  pas  peu  à  mettre  et  à  maintenir 
les  choses  dans  cet  heureux  état.     Il  animait  les  uns, 


DU   CANADA.  65 

piquait  les  autres  d'émulation,  et  ne  s'épargnait  lui- 
ïiiême  en  rien.  Tous  les  jours,  il  inventait  quelque 
chose  de  nouveau  pour  l'utilité  publique,  "et  jamais, 
remarque  Charlevoix,  on  ne  comprit  mieux  de  quelle  res- 
source peut  être,  dans  un  nouvel  établissement,  un  esprit 
cultivé  par  l'étude,  et  que  le  zèle  de  l'état  engage  à  se 
servir  de  ses  talens  et  de  ses  connaissances."* 

Cependant,  M.  de  Monts  eut  le  crédit  de  se  faire 
rétablir  pour  un  an  dans  son  privilège  ;  mais  ce  fut  à 
(iondition  qu'il  ferait  un  établissement  sur  le  flevive 
Saint-Laurent.  Ses  associés  équippèrent  deux  navires 
à  Honfleur,  et  les  confièrent  à  Champlain  et  Du  Pont, 
qui  furent  chargés  d'aller  faire  la  traite  à  Tadoussac, 
tandis  qu'il  solliciterait  une  prorogation  de  son  privilège. 
Il  ne  put  l'obtenir,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  d'envoyer 
encore,  au  printems  de  1608,  des  vaisseaux  dans  le  Saint- 
Laurent.  Sous  ses  auspices,  ou  comme  son  "  lieute- 
nant," Champlain  s'embarqua  dans  un  de  ces  vaisseaux, 
pour  venir  former  un  établissement  sur  le  Saint-Laurent. 

Arrivé  à  Tadoussac,  qu'il  décrit  comme  "  un  port  où 
il  y  a  une  grande  profondeur  d'eau,  bien  abrité,  mais 
petit,  et  où  il  ne  pourrait  pas  tenir  plus  de  vingt  vaisseaux," 
il  s'y  arrêta  quelque  temps,  puis,  entra  dans  le  Sague- 
nay,  "  qui  est,  dit-il,  une  belle  rivière  et  d'une  grande 
profondeur.  A  cinquante  lieues  de  l'entrée  du  port 
(de  Tadoussac),  il  y  a  un  grand  sault  d'eau,  qui  descend 
d'un  fort  haut  lieu,  et  de   grande  impétuosité.     Elle 

Lescarbot  publia,  en  1609,  la  relation  de  ce  qui  s'était  passé 
sous  ses  yeux  en  Acadie,  accompa<i^née  de  pièces  de  vers,  où  il 
loue  en  particulier,  et  à  juste  titre,  MM.  de  Monts,  do  Toutrincour 
et  Du  Pont  ;  en  1610,  "  La  Conversion  des  Sauvages,"  &c.,  et  en 
1612,  dirt'érentes  poésies  qu'il  dédia  au  chancelier  dk  Syli.eki,  en 
le  priant  de  considérer  que  si  elles  étaient  "  mal  pcujnéeH  et  rtts- 
tù/uement  vêtues,  c'était  parce  qu'elles  avaient  été  composées  dans 
un  pays  inculte,  sauvage,  hérissé  de  forêts,  et  habitû  de  peuples  vaga- 
bonds." 

f2 


66  nisTOïKE 

contient  de  large  demi-lieue,  en  des  endroits,  et  un  quart 
en  son  entrée,  où  il  y  a  un  courant  si  grand,  qu'il  est 
trois  quarts  de  marée  couru,  qu'elle  porte  encore  hors." 
Il  aurait  désiré  reconnaître  par  lui-même  ce  grand  sault 
du  Saguenaj,  dont  les  Sauvages  lui  parlèrent,  ainsi  que 
du  grand  lac  d'où  il  sort,  et  des  rivières  qui  s'j  jettent  ; 
mais  ils  ne  voulurent  pas  le  lui  permettre. 

Parti  de  Tadoussac,  et  remontant  le  fleuve,  il  recon- 
nut, en  passant,  et  nomma,  la  rivière  aux  Sazimons,  le 
cap  Dauphin,  le  cap  à  V Aigle,  la  rivière  Plutte  ou 
Malle-Baie,  le  cap  de  Tourmente,  le  sault  de  Montmo- 
rency,*' et  arriva  le  3  juillet,  à  l'emboucliure  d'une  "petite 
rivièi'e  agréable,  où  anciennement  liiverna  Jacques 
Quartier,"  et  "  au  commencement  du  beau  et  bon  pays 
de  la  grande  rivière,  où  il  y  a  de  son  entrée  cent-vingt 
lieues."  Après  avoir  cherché  un  lieu  propre  pour  son 
habitation,  il  n'en  put  trouver  de  plus  commode  et  de 
mieux  situé  qu'une  pointe  remplie  de  noyers  et  de 
vignes,  sur  le  bord  du  fleuve,  appellée  alors  par  les 
Sauvages,  la  Pointe  de  Québec.  Il  mit  aussitôt  ses 
gens  à  l'ouvrage,  employant  les  uns  à  abattre  les  arbres 
et  défricher  les  terres,  et  les  autres  à  construire  un  ma- 
gasin et  un  "  logemdbt,"  qui  devint  plus  tard  une  espèce 
de  château,  à  trois  corps  de  logis  et  à  deux  étages,  de 
trois  toises  de  long,  chacun,  et  deux  et  demie  de  large, 
avec  gallerie  au  second  étage,  et  entourré  de  fossés  de 
quinze  pieds  de  largeur  et  six  de  profondeur,  et  ayant 
pour  dépendances  de  grands  et  "bons"  jardins,  et  une 
place,  ou  esplanade,  de  cent  à  cent  vingt  pas  de  long  et 
cinquante  à  soixante  de  large. 

*  Ce  sault,  ou  "  torrent  d'eau,"  a  40  toises  de  hauteur  :  Cham- 
plain  ne  lui  en  donne  que  25,  et  Jean  Alphonse  encore  moins. 
"  Lorsque  vous  arriverez,  dit  ce  dernier,  à  la  pointe  de  l'île 
(d'Orléans),  vous  appercevTez  une  grande  rivière,  qui  tombe  de 
la  hauteur  de  quinze  ou  vingt  brasses  de  dessus  un  rocher,  et  qui 
fait  un  bruit  tenàble." 


DU   CANADA,  67 

Il  n'y  avait  rien  alors,  dans  l'endroit,  qui  pût  être 
appelle  ville,  bourgade  ou  village  ;  mais  "  quantité  de 
Sauvages  cabanaietit"  ou  venaient  cahaner  pour  la 
pêche,  dans  les  environs,  ordinairement  entre  les  rivières 
de  Saint-Charles  et  de  Montmorency.  Ce  n'était  plus 
le  peuple  agriculteur  et  industrieux,  politique  et  diplo- 
mate, de  Stadaconé,  mais  des  hommes  timides,  paresseux, 
ignorant  ou  négligeant  entièrement  la  culture  de  la 
terre  et  l'économie  domestique;  "  pâtissant,"  ou  souffrant 
de  la  faim,  l'hiver,  au  point  d'être  quelquefois  obligés 
de  manger  "jusqu'aux  peaux  dont  ils  se  couvraient 
contre  le  froid."  Malgré  quelques  traits  de  ressem- 
blance dans  l'habitude  corporelle,  le  caractère,  les  mœurs 
et  les  usages,  s'il  fallait  croire  qu'ils  descendaient  des 
Canadois  du  temps  de  Quartier,  il  faudrait  conclure 
aussi  qu'ils  étaient  bien  dégénérés.* 

Vers  l'automne,  Du  Pont  repassa  en  France,  mais 
Champlain  demeui-a  en  Canada.  Durant  l'iiiver,  les 
Montagnais,  les  Algonquins,  et  ceux  (ju'il  appelle 
d'abord  Ochateguins,  et  ensuite  Hurons,  recherchèi'ent 
son  alUance;  et  a'j  printems  de  1610,  un  parti  de  ces 
nations  ayant  résolu  de  marcher  contre  les  Iroquois, 

*  Les  hommes  sont  bien  proportionnés,  dispos  et  sans  diffor- 
mité ;  les  femmes  aussi  bien  formées  et  potelées,  mais  basannées. 
Une  fille  do  ijuatorze  ou  quinze  ans  peut  avoir  plusieurs  amans, 
et  au  bout  de  quatre  ou  cinq  ans,  elle  épouse  celui  (pii  lui  plaît  le 
plus.  Le  mari  et  la  femme  vivent  ensemble  jusiju'à  la  fin  de  la 
vie,  à  moins  qu'au  bout  d'un  certain  temps,  il  n'y  ait  pas  d'enfans: 
alors  le  mari  peut  répudier  sa  femme,  et  en  prendre  une  autre, 
en  disant  que  la  sienne  ne  vaut  rien.  Ils  croient  l'âme  immortelle, 
et  disent  qu'après  leur  décès,  ils  iront  eu  d'autres  réj^ions  se 
réjouir  avec  leurs  parens  et  amis  défunts  ;  aussi  enterrent-ils 
leurs  morts  avec  tout  ce  qu'ils  possédaient,  et  si  c'est  un  chef,  ou 
un  homme  en  autorité  parmi  eux,  ils  vont,  tous  les  ans,  faire  un 
festin,  chanter  et  danser  sur  sa  fosse.  Ils  croient  que  tous  les 
songes  qu'ils  ont  sont  véritables,  et  ils  ont  parmi  eux  des  jon- 
gleurs, ou  devins,  qu'ils  révèrent,  et  auxquels  ils  obéissent  impli- 
uitumeut. — Chajiflain,  en  substance. 


68  HISTOIRE 

leurs  ennemis  communs,  il  se  laissa  imprudemment  per- 
suader de  les  accompagner.  Mais  il  avait  un  motif 
louable,  qui  pouvait  l'excuser  jusqu'à  un  certain  point, 
celui  de  reconnaître  la  rivière,  le  grand  lac,  et  le  pays 
des  Iroquois.  Il  partit  de  Québec  le  28  mai,  dans  une 
chaloupe  "  équippée  de  tout  ce  qui  lui  était  nécessaire," 
et  avec  une  partie  des  Sauvages  qui  devaient  être  de 
l'expédition.  Chemin  faisant,  il  n'oublia  pas  de  recueil- 
lir tous  les  renseignemens  que  lui  pouvaient  donner  ses 
compagnons  de  voyage.  Etant  sur  le  lac  Saint-Pierre, 
il  vit,  du  côté  du  nord,  une  rivière  "fort  agréable," 
qu'il  dit  aller  "  cinquante  lieues  dan^  les  terres,"  et 
qu'il  nomma  Sainte- Suzanne.  Au  côté  du  sud,  il 
remarqua,  "  en  un  beau  et  bon  pays,"  deux  rivières  '■'■  très 
belles,"  l'une  appellée  rivière  Du  Pont  (celle  de  Nicolet, 
ou  celle  de  Saint-François),  et  l'autre,  la  rivière  de 
Gennes  (le  Saint-François  ou  l'Yamaska). 

Ayant  passé  par  un  grand  nombre  d'îles  de  diffé- 
rentes grandeurs,  oi^i  il  y  avait  "  quantité  de  noyers  et 
de  vignes,  et  de  belles  prairies,  avec  force  gibier  et 
animaux  sauvages,"  et  où  la  "  pêcherie  du  poisson  était 
2)lus  abondante  qu'en  aucun  autre  lieu  qu'il  eût  vu,'' 
il  arriva  à  l'entrée  de  la  rivière  des  Iroquois.  Un 
assez  grand  nombre  de  Sauvages,  Montagnais,  Algon- 
quins et  Hurons,  y  étaient  assemblés  ;  mais  il  n'y  en  eut 
qu'une  partie  qui  voulurent  l'accompagner,  les  autres 
aimant  mieux,  réflexion  faite,  "s'en  retourner  dans 
leur  pays,  avec  leurs  femmes  et  les  marchandises  qu'ils 
avaient  traitées." 

Ce  contretems  n'empêcha  pas  Champlain  de  persévé- 
rer dans  son  dessein,  et  de  marcher  contre  une  nation 
dont  la  puissance  lui  était  connue,  avec  quelques  Fran- 
çais et  une  soixantaine  de  Sauvages.  Entré  dans  la 
rivière  des  Iroquois,  il  la  put  remonter,  sans  trop  de 


DU   CANADA.  69 

difficulté,  cette  fois,  l'espace  de  quinze  lieues,  ou  jusqu'à 
"  une  manière  de  lac  (le  bassin  de  Chambly)  d'environ 
trois  lieues  de  circuit,  où  l'eau  descend  d'un  sault  d'en- 
viron six  cents  pas  de  large,  qui  court  d'une  grande 
vitesse,  parmi  quantité  de  rochers  et  cailloux."  Ne 
pouvant  franchir  avec  sa  chaloupe  ce  courant,  qu'il 
appelle  le  "  premier  sault  des  Iroquois,"  il  suivit  les 
Sauvages  par  terre,  l'espace  d'une  derai-lieue,  et  s'embar- 
qua dans  leurs  canots,  avec  deux  de  ses  Français,  qui  ne 
voulurent  pas  l'abandonner.  Le  sault,  ou  rapide,  passé, 
les  Sauvages  commencèrent  à  mettre  un  peu  plus  de 
précaution  dans  leur  manière  de  naviguer  et  de  prendre 
poste.  On  campait  de  bonne  heure  ;  on  abattait  des 
arbres,  dont  on  se  faisait  une  espèce  de  retranchement, 
du  côté  de  terre  ;  on  avait  soin  de  ranger  les  canots  sur 
le  bord  de  la  rivière,  afin  de  pouvoir  s'embarquer  promp- 
tement,  en  cas  de  surprise,  et  de  se  dérober  à  l'ennemi, 
avant  qu'il  eût  forcé  le  retranchement.  Dès  qu'on 
avait  campé,  des  coureurs  se  répandaient  à  travers  les 
plaines,  et  revenaient  bientôt  ;  après  quoi  tout  le  monde 
s'endormait.  Champlain  leur  ayant  parlé  du  danger 
auquel  ils  s'exposaient,  ils  lui  répondirent,  qu'ajîrès  avoir 
travaillé  tout  le  jour,  il  était  nécessaire  de  se  reposer 
pendant  la  nuit.  Néanmoins,  lorsqu'ils  se  crurent  plus 
pi'oches  de  l'ennemi,  ils  ne  marchèrent  plus  que  de  nuit, 
et  n'allumèrent  plus  de  feux  pendant  le  jour. 

Les  vallées  qui  séparent  les  montagnes  qu'on  apper- 
çoit  du  milieu  du  grand  lac  auquel  Champlain  donna 
son  nom,  étaient  alors  peuplées  d'L-oquois,*  et  c'était 


*  La  rivioro  (jui  sort  de  ce  lac  n'ctait  pas  appellôo  rivicre  des 
Iroquois,  parce  (jue  ces  Sauvages  eu  habitaient  les  bords,  mais 
parce  (ju'ils  y  passaient  pour  venir  faire  leurs  incursions  sur  ceux 
du  Saint-Laurent.  Les  bords  de  cette  rivière,  alors  partout 
couverts  de  "  beaux  arbres"  de  toutes  espèces,  et  en  quelques 
endroits  de  prairies,  avaient  été  habites  autrefois,  suivant  Cham- 


70  HISTOIRE 

là,  et  même  au-delà,  que  nos  guerriers  avaient  dessoin 
de  faire  une  irruption  ;  mais  l'ennemi  leur  éj^argna  une 
partie  du  chemin,  car  les  deux  partis  se  rencontrèrent 
sur  le  lac  même.  Ils  gagnèrent  le  rivage,  chacun  du 
leur  côté,  et  s'y  retranchèi*ent.  Alors  les  Algonquins 
«ivoyèrent  demander  aux  Iroquois  s'ils  voulaient  se 
l>attre  à  l'heure  même;  mais  ceux-ci  répondirent  que  la 
nuit  était  trop  avancée;  qu'on  ne  se  verrait  point,  et 
qu'il  valait  mieux  attendre  le  jour. 

Le  lendemain,  dès  que  le  jour  eut  paru,  Champlain 
plaça  ses  deux  Français  et  quelques  Sauvages  dans  les 
bois,  pour  prendre  les  ennemis  en  flanc.  Ceux-ci 
étaient  au  nombre  de  deux  cents,  tous  gens  d'élite  et 
déterminée,  qui  croyaient  avoir  bon  marché  des  Algon- 
quins et  des  Hurons,  qu'ils  étaient  dans  l'habitude  de 
battre,  et  qui  n'avaient  laissé  voir-  d'abord  qu'une  partie 
de  leurs  forces.  Les  alliés  fondaient  leur  principale 
espérance  sur  les  armes  à  feu  des  Français,  et  ils  re- 
commandèrent à  Champlain  de  tirer  sur  les  chefs,  qu'ils 
lui  montrèrent.  Les  Algonquins  et  les  Hurons  sorti- 
rent les  premiers  de  leurs  retranchemens,  et  s'avan- 
cèrent deux  cents  pas  au-devant  des  L-oquois.  Quand 
ils  furent  en  présence,  ils  s'arrêtèrent,  se  partagèrent 
en  deux  bandes,  et  laissèrent  le  milieu  à  M.  de  Cham- 
plain. Celui-ci,  habiUé  à  l'européenne,  avec  son 
arquebuse  et  ses  autres  armes,  fut  pour  les  L-oquois  un 
spectacle  nouveau  et  singulier  :  mais  quand  ils  virent 
le  premier  coup  de  son  arquebuse,  où  il  avait  mis  quatre 
balles,  renverser  morts  deux  de  lem-s  chefs,  et  blesser 
dangereusement  le  troisième,  leur  frayeur  fut  égale  à 
leur  étonnement.     Les  alliés  poussèrent  de  grands  cris 

plain,  par  des  Sauvages  (Canadois)  ;  mais  ils  s'en  étaient  retirés, 
ainsi  que  de  plusieiu-s  autres,  "au  profond  des  terres,  afin  de 
n'être  sitôt  surpris." 


DU    CAN'ADA.  71 

de  joie,  et  firent  une  décharge  générale  de  leurs  flèches. 
Champlain  allait  recharger  son  arquebuse,  quand  les 
Français  qui  l'accomijagnaient,  ayant  encore  abattu 
quelques  uns  des  ennemis,  ceux-ci  ne  songèrent  plus 
qu'à  fuir.  Poursuivis  chaudement,  ils  eurent  encore 
quelques  hommes  de  tués,  et  on  leur  fit  quelques  prison- 
niers. Les  alliés  vainqueurs  se  rassasièrent  des  vivres 
que  les  Iroquois  avaient  abandonnés,  sautèrent  et  dan- 
sèrent sur  le  champ  de  bataille,  et  reprirent  la  route  de 
leur  pays.  Après  avoir  fait  une  huitaine  de  lieues,  ils 
s'arrêtèrent  pour  mettre  à  mort  un  de  leurs  prisonniers. 
Le*  cruautés  qu'ils  exercèrent  en  cette  occasion  firent 
horreur  à  Champlain,  qui  demanda,  comme  une  grâce, 
de  pouvoir  mettre  fin  au  supplice  du  prisonnier,  et  lui 
cassa  la  tète  d'un  coup  d'arquebuse.  La  nuit  suivante, 
un  Montagnais  ayant  rêvé  qu'ils  étaient  poursuivis,  la 
retraite  devint  une  véritable  fuite.  Les  Hurons  retour- 
nèrent dans  leur  pays;  les  Algonquins  s'arrêtèrent  à 
Québec,  et  les  ^lontagnais  se  rendirent  à  Tadousac,  où 
Champlain  les  suivit.  Dès  qu'ils  apperçurent  les  ca- 
banes de  leurs  villages,  ils  coupèrent  de  longs  bâtons,  y 
attachèrent  les  c'-evelures  qu'ils  avaient  faites,  et  les 
portent  comme  en  triomphe.  A  cette  vue,  les  femmes 
ac<*oururent,  se  jettèrent  à  la  nage,  et  ayart  joint  les 
canots,  elles  prirent  les  chevelures  des  mains  de  leurs 
maris,  et  se  les  passèrent  autour  du  cou. 

Champlain  étant  remonté  ù  Québec,  il  y  fut  joint 
par  l5u  Pont,  et  s'embarqua  avec  lui  pour  la  France, 
laissant  la  colonie  naissante  sous  les  ordres  de  Pierre 
CiiAViN,  homme  brave  et  intelligent.  Il  fut  bien  reçu 
du  roi,  à  qui  il  rendit  compte  de  la  situation  où  il  avait 
laissé  le  Canada.  On  lui  confia  encore  deux  vaisseaux, 
le  printems  suivant,  et  il  arriva  î\  Tadousac,  le  8  avril. 
Il  en  repartit  le  28,  après  avoir  assuré  les   Montagnais 


72  HISTOIRE 

qu'il  venait  dégager  la  parole  qu'il  leur  avait  donnée, 
l'année  précédente,  de  les  accompagner  encore  à  la 
guerre  contre  les  Iroquois.  Ces  Sauvages  n'attendaient, 
en  effet,  que  son  retour  pour  se  remettre  en  campagne, 
et  à  peine  fut-il  arrivé  à  Québec,  qu'ils  s'y  rendirent, 
au  nombre  de  soixante  guerriers.  Les  Algonquins  se 
trouvèrent  prêts  aussi,  et  tous  marchèrent  vers  la  rivière 
des  Iroquois,  où  d'autres  Sauvages  avaient  prorais  de 
se  rendi'e.  Champlain  les  suivit  de  près,  dans  une 
barque;  mais  il  ne  trouva  pas  le  nombre  de  guerriers 
qu'o)i  lui  avait  fait  espérer,  et  il  apprit,  en  même  temps, 
qu'un  parti  de  cent  Iroquois  n'était  pas  loin.  Il  n'y 
avait  pas  un  moment  à  perdre  pour  le  surprendre.  Il 
fallut  laisser  la  barque  et  se  mettre  dans  des  canots. 
Quatre  Français  suivirent  Champlain  :  les  autres  restè- 
rent à  la  garde  de  la  barque.  Les  confédérés  eurent 
à  peine  vogué  une  demi-heure,  qu'ils  sautèrent  à  terre, 
sans  rien  dire  aux  Français,  et  se  mirent  à  courir  à 
travers  les  bois,  laissant  leurs  canots  à  l'abandon,  et 
Champlain  sans  guide,  au  milieu  de  ces  déserts.  Bien- 
tôt pourtant,  un  Algonquin  vint  le  prier  de  hâter  sa 
marche,  parce  qu'on  était  aux  prises  avec  les  ennemis. 
Il  doubla  le  pas,  et  ne  tarda  guère  à  entendre  le  bruit 
des  combattans.  Les  alliés  avaient  attaqué  les  Iroquois 
dans  leur  retranchement,  et  avaient  été  repoussés  avec 
perte.  A  la  vue  des  Français,  ils  reprirent  courage,  et 
retournèrent  avec  eux  à  la  charge.  Le  combat  devint 
très  vif:  Champlain  et  un  de  ses  hommes  furent  lîlessés 
légèrement.  Cependant  les  armes  à  feu  déconcertaient 
les  Iroquois,  lorsque  les  munitions  commencèrent  à 
manquer.  Alors  Champlain  persuada  aux  alliés  de 
donner  l'assaut  au  retranchement  :  il  se  mit  à  leur  tête, 
avec  ses  quatre  Français,  et  malgré  la  vigoureuse  dé- 
fense des  assiégés,  ils  parvinrent  bientôt  à  faire  une 


DU   CANADA  73 

assez  grande  brèche.  Cinq  ou  six  autres  Français 
arrivèrent,  sur  ces  entrefaites.  Ce  renfort  donna  aux 
assaillans  le  moyen  de  s'éloigner  pour  respirer  un  peu, 
pendant  que  les  nouveau-venus  faisaient  feu  sur  l'enne- 
mi. Les  Sauvages  revinrent  bientôt  à  l'assaut,  et  les 
Français  se  mirent  sur  les  aîles,  pour  les  soutenir.  Les 
Iroquois  ne  purent  résister  à  tant  de  coups  redoublés  : 
presque  tous  furent  tués  ou  pris.  Quelques  uns  ayant 
voulu  courir  du  côté  de  la  rivière,  ils  y  furent  culbutés, 
et  s'y  noyèrent.  Lorsque  l'affaire  fut  terminée,  il  arriva 
encore  une  troupe  de  Français,  qui  voulurent  se  conso- 
ler de  n'avoir  point  eu  de  part  à  la  victoire  en  parta- 
geant le  butin.  Ils  se  saisirent  des  peaux  de  castor  dont 
étaient  couverts  les  Iroquois  qu'ils  voyaient  étendus 
sur  la  place  ;  ce  qui  scandalisa  beaucoup  les  Sauvages. 
Ces  barbares,  qui  prenaient  plaisir  à  tourmenter,  de  la 
manière  la  plus  indigne,  des  ennemis  qui  n'étaient  plus 
en  état  de  se  défendre,  se  piquaient  d'un  désintéresse- 
ment qu'ils  étaient  surplus  de  ne  pas  rencontrer  chez 
des  hommes  civilisés.  Champlain  engagea  les  Hu- 
rons  à  emmener  un  Français  dans  leur  pays,  afin  qu'il 
y  apprit  leur  langue,  et  emmena  un  des  leurs  en  France, 
avec  promesse  de  le  leur  ramener,  à  son  prochain  retour. 
Tandis  que  Poutrincour  et  Champlain,  toujours  sous 
les  auspices  ou  l'autorité  de  M.  de  Monts,  fondaient,  le 
premier  le  Port  Royal,  et  le  second  Québec,  Henry 
IIuDSON,  dans  trois  voyages  consécutifs,  de  1607  à  1609, 
explorait  le  détroit  et  le  nord  de  la  baie  qui  furent 
ensuite  appelles  de  son  nom,  dans  la  vue,  et  avec  l'idée 
fixe  de  trouver  un  passage  à  la  Chine  et  au  Japon,  par  le 
nord- ouest.  Il  eut  la  hardiesse,  pour  ne  pas  dire  la 
témérité,  de  passer  le  dernier  hiver  dans  cette  latitude, 
pour  y  attendre  le  printems.  Cette  saison  venue,  il 
reprit  le  cours  de  sa  navigation;  mais  il  périt,  victime 

Ci 


74'  HISTOIRE 

de  sou  audacieux  courage,  et  du  lâche  abuiidon  de  son 
équipage  mutiué-* 

M.  de  Poutriucoui',  qui  avait  passé  une  ou  deux 
années  en  France,  revint  au  Port  Royal,  au  commence- 
ment de  Juin  1610.  Le  24  du  même  mois,  il  y  fit 
baptiser,  par  un  prêtre,  nommé  "  Messire  Josué 
Flèche,"  environ  vingt-cinq  Sauvages,  au  nombre 
desquels  était  Memberiou,  premier  Sagamo  des  feouri- 
quois,  dont  il  voulut  être  le  parrain,  et  qu'il  nomma 
Uexui,  du  nom  du  roi  de  France. f  Cet  événement, 
alors  extraordinaire,  fournit  la  matière  de  deux  ouvrages 
publiés  à  Pai'is,  la  même  année,  sous  des  titres  fastueux.if 

2\e  pouvant  demeurer  inoccupé,  et  n'ayant  rien  a 
faire  à  Québec,  Champlain  en  partit,  le  20  mai  1611, 
et  arriva  le  28,  au  Grand  Sault  Saint-Louis.  "Après 
avoir  visité,  de  côté  et  d'autre,"  pom*  trouver  un  lieu 
propre  à  une  habitation,  et  y  "  préparer  une  place  pour 
y  bâtir,"  il  s'arrêta  à  "'  un  petit  endroit,  qui  est  jusqu'où 

*  On  le  délaissa  dans  une  île  déserte,  suivant  quelques  écri- 
vains, et  suivant  d'autres,  on  se  saisit  de  lui,  pendant  la  nuit,  on 
lui  lia  les  mains  derrièi'e  le  dos,  et  on  l'exposa  dans  sa  chaloupe, 
au  gré  des  flots,  avec  son  fils  et  sept  des  plus  malades  de  ses 
gens  ;  et  tous  périrent  misérablement. 

t  Ce  Sagamo,  à  la  fois  bon  politique  et  habile  guerrier,  avait- 
une  assez  haute  idée  de  sa  dignité,  bien  qu'il  n'eût  pas  dédaigné 
d'èti'e  autmoin,  ou  jongleur,  parmi  les  siens,  avant  sa  conversion. 
'■  Membertou,  dit  Lescarbot,  voulait  qu'on  lui  fit  Thonneui-  de  tirer 
un  coup  de  canon,  lorsqu'il  amvait  (au  Port  Eoyal),  parce  qu'il 
voyait  qu'on  faisait  cela  aux  capitaines  français,  disant  que  cela 
lui  était  dû."  Membertou  était  très  \'ieux,  (âgé  de  cent  ans,  au 
dire  de  Laet,)  en  1610.  S'il  est  vrai  qu'il  eût  vu  Jaques  Quartier, 
comme  Lescarbot  l'atKrme,  il  fallait  qu'il  fût  un  de  ces  é..rangers 
que  Donnacoua  amena  en  grand  nombre  à  Siadaconé,  au  printems 
de  1536. 

X  "  La  conversion  des  Sauvages  qui  ont  été  baptisés  en  la  Nou- 
velle i'rance,  cette  année  1610."     Par  Le&caebot. 

"Lettre  Missive  touchant  la  conversiun  du  grand  Sagamo  de 
la  Nouvelle  France,  qui  en  était,  avant  l'arrivée  des  Français,  le 
Clivf  et  le  Souverain."  par  un  sieur  Bertra>d. — D'un  grand 
Sagamo  de  la  Nouvelle  France,  était  tout  ce  qu"on  pouvait  dire 
avec  vérité." 


DU    CAXADA.  75 

les  barques  et  chaloupes  peuvent  monter  aisément, 
néanmoins  avec  un  grand  vent,  ou  à  la  cordelle,  à  cause 
du  grand  courant  d'eau."  Il  nomma  ce  lieu  la  Place 
Royale,  et  il  le  décrit  comme  y  ayant  auprès,  "  une 
petite  rivière,  tout  le  long  de  laquelle  il  y  avait  plus  de 
soixante  arpens  de  terres  désertées,  que  des  »Sauvages 
(les  Hochelagais)  avaient  autrefois  cultivées,  mais  qu'ils 
avaient  quittées,  à  cause  des  guerres  qu'ils  y  avaient  ;" — 
quantité  de  belles  prairies  ; — de  toutes  les  sortes  de  bois 
qui  se  voient  en  P^urope  ; — abondance  de  poissons  dans 
le  fleuve  ;  et  dans  les  forêts,  bêtes  fauves  ou  farouches 
de  toutes  les  espèces,  cerfs,  daims,  chevreuils,  caribous, 
loups-cerviers,  ours,  castors,  lièvres,  et  autres  petites 
bêtes,  et  oiseaux  en  quantité  innombrable."  Il  donna 
le  nom  de  Sainte-Hélène  à  une  île  d'environ  "  trois 
quarts  de  lieue  de  circuit,  située  au  milieu  du  fleuve," 
où  l'on  pourrait  "  bâtir  une  bonne  et  forte  ville  ;"  et 
remarqua,  à  vingt  toises  de  la  Place  Royale,  "  un  petit 
Ilet  d'environ  cent  pas  de  long,  où  l'on  aurait  pu  "  faire 
une  bonne  et  forte  liabitation."  Le  Sault  lui  parut 
former,  en  descendant,  "  une  manière  de  lac  (la  baie  de 
la  Madeleine),  où  il  remarqua  "  deux  ou  trois  belles 
iles,"  celle  de  SaitU-Faul,  et  celle  qui  "  est  au  milieu 
du  Sault,"  et  qu'il  nomma  Ile  aux  Iléroiis,  à  cause  de  la 
prodigieuse  quantité  de  ces  oiseaux  qui  y  furent  pris 
sous  ses  yeux. 

Ayant  trouvé  cet  endroit,  (éloigné  "  d'une  lieue"  du 
Mont  Royal),*  "  un  tks  plus  beaux  qui  fût  sur  cette 
rivière,'*  il  en  fit  aussitôt  "  couper  et  défricher  le  bois," 

*  Si,  suivant  Quartier,  qui  n'était  pas  plus  que  Champlain  porti- 
à  raccoucir  les  distances,  Hochelaga  n'était  qu'à  un  quart  de 
lieue  du  Mont  Royal,  il  fallait  que  cette  bourgade  fût  passable- 
ment éloignée  du  site  de  la  Place  Royale  de  ce  dernier,  et  sise 
vers  l'endroit  où  fut  ensuite  bâti  le  fort  de  la  Montagne,  ou  quel- 
que part  ailleurs,  sur  ce  que  nous  appelions  le  Coteau  Baron, 


76  HISTOIRE 

pour  le  rendre  "  uni  et  prêt  à  bâtir,"  pensant  "  qu'on 
pourrait  faire  passer  l'eau  autour  aisément,  et  en  faire 
une  petite  île."  Il  se  contenta  pour  lors  d'y  faire  faire 
deux  jardins,  l'un  sur  le  terrain  qu'il  venait  de  faire 
défricher,  et  l'autre  dans  une  prairie,  pour  éprouver  la 
qualité  du  sol  ;  et  une  muraille  en  terre  ou  en  brique, 
de  soixante  pieds  de  longueur,  quatre  d'épaisseur  et  à 
peu  près  autant  de  hauteur,  "  pour  voir  comment  elle 
se  conserverait  durant  l'hiver,  ou  le  printems,  quand 
les  eaux  descendraient."* 

De  retour  à  Québec,  Champlain  en  partit  pour  la 
France,  et  arriva  à  Saint-Malo  le  11  août. 

Deux  jésuites,  le  P.  Pierre  Biart  et  le  P.  Edmond 
Masse,  étaient  arrivés  au  Port  Royal,  le  12  juin  de  la 
même  année  1611,  avec  M.  de  Biencour,  fils  du  sieur 
de  Poutrincour.  Ils  crurent  que  leur  premier  devoir, 
en  arrivant  en  Acadie,  était  d'apprendre  la  langue  des 
natui'els  du  pays;  mais  il  ne  se  trouva  personne,  parmi 
les  Français,  qui  pût,  ou  voulût  leur  faciliter  cette 
étude  ;  et  peut-être  auraient-ili  été  obligés  de  s'en 
retourner  sans  avoir  rien  fait,  si  Membertou,  qui  avait 
appris  un  peu  de  Français,  n'eût  bien  voulu  être  leur 
instituteur. 

L'année  suivante,  le  sieur  de  Biencour  et  le  P.  Biart 
rangèrent  la  côte  jusqu'au  Quinibequy,  remontèrent 
cette  rivière,  et  firent  connaissance  et  alliance  avec  les 
Cannibas,  alliés  des  Etchemins,  et  connus  plus  tard, 
comme  ces  derniers,  les  Souriquois  et  autres,  sous  la 
dénomination  générale  ^Ahénaquis. 

Cependant,  la  mort  du  roi  (Henri  lY)  avait  achevé 

*  Ces  détails  sont  minutieux  sans  doute,  mais  ils  montrent 
l'homme  diligent  et  sage,  qui  examine  tout  soigneusement,  qui  ne 
néglige  aucun  moyen  d'utilisation,  et  qui  ne  veut  rien  entrepren- 
dre d'important,  sans  être  à  peu  près  assuré  du  succès. 


DU   CANADA.  77 

de  ruiner  les  affaires  et  le  crédit  de  M.  de  ISIonts.  Il 
ne  laissa  pourtant  pas  d'exhorter  Champlain  à^epas 
perdre  courage,  et  à  chercher  quelque  puissant  protec- 
teur à  la  colonie  naissante.  Champlain  s'adressa  à 
Charles  de  Bourbox,  comte  de  Sotssons,  qui,  agréant 
la  proposition  d'être  le  protecteur  de  la  Nouvelle 
France,  se  fit  donner  par  la  reine  régente  toute  l'autorité 
nécessaire  pour  maintenir  et  avancer  ce  qui  était  déjà 
fait,  et  nomma  Champlain  son  lieutenant.  La  mort  du 
comte  de  Soissons,  arrivée  presque  aussitôt  après  cet 
arrangement,  ne  dérangea  rien  aux  affaires  de  l'Amé- 
rique, parce  que  le  prince  de  Coxde'  voulut  bien  s'en 
charger,  et  continua  Champlain  dans  l'emploi  et  l'auto- 
rité que  son  prédécesseur  lui  avait  donnés. 

Pour  revenir  aux  affaires  de  l'Acadie,  la  marquise  de 
OuERCHEViLLE,  qui  s'intércssait  fort  à  la  la  conversion 
des  naturels  de  cette  contrée,  et  aux  missions  qu'on  voulait 
établir  parmi  eux,  s'était  associée  avec  M.  de  Poutrin- 
cour,  dans  la  vue  de  le  rendre  favorable  aux  jésuites, 
qu'elle  voulait  pour  missionnaires  ;  mais  n'y  réussissant 
pas  â  son  gré,  elle  se  brouilla  avec  lui,  et  parvint  à 
obtenir  de  M.  de  Monts,  avec  qui  elle  n'avait  pas  voulu 
s'associer  d'abord,  parce  qu'il  était  "  huguenot,"  la  ces- 
sion ou  l'abandon  de  ses  droits  ou  prétensions  quelconques, 
et  du  roi  (Louis  XIII)  des  lettres-patentes,  par  les- 
quelles, suivant  le  dire  de  Champlain,  donnation  lui 
était  faite  de  toutes  les  terres  de  la  Nouvelle-France, 
depuis  la  grande  rivière  (de  Canada)  jusqu'à  la  Floride  ; 
à  l'exception  de  l'établissement  du  Port  Royal.  Mal- 
heureusement, elle  était  loin  d'avoir  h  sa  disposition  les 
moyens  nécessaires  pour  faire  valoir  de  si  hautes  pré- 
tentions. Le  résultat  de  tous  ses  efforts  fut  l'équippe- 
ment  d'un  petit  vaisseau  d'environ  cent  tonneaux. 
Elle  en  confia  le  commandement  h  un  sieur  de  la 
g2 


78  HISTOIRE 

Saussate,  avec  ordre  d'y  embarquer  tout  ce  qui  serait 
nécessaire  pour  fonder  une  colonie.  La  Saussaye  arriva 
le  6  mai  1613,  au  port  de  La  Hève,  et  y  arbora  les 
armes  de  Madame  de  Guercheville.  Il  passa  de  là  au 
Port  Royal,  où  il  prit  les  PP.  Masse  et  Biart  ;  rangea 
ensuite  la  côte,  et  s'arrêta  à  l'embouchure  de  la  i-ivière 
de  Pemtagoet,  appellée  depuis  par  les  Anglais  Penob- 
scot.  n  débarqua  sur  la  rive  septentrionale  de  cette  rivière, 
ou,  (suivant  Champlain)  dans  l'île  des  Monts  Désert>-, 
située  à  son  entrée,  et  y  fit  à  la  hâte  un  petit  fort, 
auquel  il  donna  le  nom  de  Saint- Sauveur.  Tout  son 
monde  ne  se  montait  pas  à  trente  personnes.  L'équi- 
page de  son  navire,  qui  était  de  trente-cinq  hommes,  se 
joignit  aux  nouveaux  colons,  pour  élever  des  maisons 
ou  des  cabanes.  Lorsqu'on  fut  logé,  on  se  mit  à  cultiver 
la  terre  ;  mais  à  peine  la  colonie  commençait  à  se 
former,  qu'un  orage  imprévu  la  renversa  de  fond  en 
comble.  Samuel  Aegall,  qui  escortait,  avec  un  vais- 
seau de  quatorze  canons,  une  dixaine  de  bateaux 
pêcheurs  partis  de  la  Virginie,  apprit,  en  route,  que 
des  étrangers  s'établissaient  à  Pemtagoet,  et  ne  doutant 
pas  que  ce  ne  fussent  des  Français,  il  crut  qu'il  était  de 
son  devoir  de  les  en  chasser.*  Quoiquela  Saussaye  ignorât 
le  dessein  des  Anglais,  il  crut  devoir  se  préparer  à  tout 
événement:  il  demeura  à  terre,  pour  défendre  son  fort, 
et  chargea  La^iotte-le-Villain',  son  lieutenant,  de  la 
défense  du  navire,  qui  était  en  rade  ;  mais  ni  l'un  ni 
l'autre  n'avaient  de  canons.  Argall  s'attacha  d'abord 
au  retranchement,  et  après  l'avoir  canonné  quelque 
temps  d'assez  loin,  il  s'en  approcha  de  plus  près,  et  fit 
un  grand  feu  de  mousquetterie,  qui  tua  beaucoup  de 

*  Le  territoire  sur  lequel  La  Saussave  avait  bâti  son  fort,  était 
bien  du  domaine  de  Madame  de  Guercheville,  d'après  ses  lettres- 
patentes  ;  mais  il  était  aussi  réclamé  par  la  couroniie  d'An- 
gleterre. 


DU    CANADA.  79 

monde.  La  Saussaye  voyant  qu'une  plus  longue  résis- 
tance lui  fex'ait  perdre  inutilement  un  plus  grand 
nombre  d'hommes,  prit  le  parti  de  se  rendre,  et  Lamotte- 
le-Villain  fut  bientôt  contraint  d'en  faire  autant. 

Argall,  maître  de  l'habitation,  alla  visiter  les  coffres 
de  la  Saussaye,  y  trouva  sa  commission,  et  l'enleva, 
sans  que  personne  s'en  apperçùt.  Le  lendemain,  la 
Saussaye  étant  allé  rendre  visite  à  son  vainqueur,  celui- 
ci  le  somma  de  présenter  la  commission  qu'il  avait 
lui-même  soustraite.  La  Saussaye  l'ayant  cherchée  en 
vain,  Argall  le  traita  d'homme  sans  aveu  et  de  pirate, 
et  livra  l'habitation  et  le  navire  au  pillage.  Ensuite, 
par  un  singulier  mélange  de  bassesse  et  de  générosité, 
il  offrit  aux  Français  une  espèce  de  barque  ou  chaloupe 
pontée,  pour  s'en  retourner  dans  leur  pays  ;  et  cette 
chaloupe  s'étant  trouvée  trop  petite,  il  proposa  à  ceux 
<iui  savaient  quelque  métier  d'aller  avec  lui  en  Virginie, 
leur  promettant  une  entière  liberté  de  conscience,  et  la 
faculté  de  repasser  en  France,  au  bout  d'un  an.  Plu- 
sieurs acceptèrent  ces  offi-es,  et  le  sieur  Lamotte,  le  P. 
Biart,  et  deux  autres  jésuites,  les  PP.  Qcextin  et  Du 
Thet,  que  M.  de  la  Saussaye  avait  amenés  de  France 
avec  lui,  voulurent  les  suivre.  Ce  qui  restait  de  Fran- 
«;ais  s'embarqua  sur  la  chaloupe  avec  la  Saussaye  et  le 
P.  Masse.  Ils  traversèrent  la  Baie  Française,  et 
rencontrèrent,  au  port  de  la  Hève,  un  navire  qui  les 
reçut  tous,  et  les  conduisit  heureusement  à  Saint-Malo. 

Ceux  qui  avaient  suivi  le  capitaine  Argall  en  Virgi- 
nie n'eurent  pas  autant  de  bonheur  :  à  leur  arrivée  à 
Jamestoicn,  le  gouverneur  les  condamna  à  mort,  comme 
pirates.  Argall  eut  beau  lui  représenter  qu'il  leur 
avait  donné  sa  parole  qu'on  les  traiterait  bien,  et  qu'ils 
demeureraient  libres,  et  qu'ils  ne  l'avaient  suivi  volon- 
tairement   qu'à    cette    condition,    le    gouverneur   lui 


80  HISTOIRE 

répondit  qu'il  avait  outre-passé  ses  pouvoirs  ;  que  leur 
chef  n'ayant  pas  eu  de  commission,  il  ne  pouvait 
s'empêcher  de  les  regarder  comme  des  forbans.  Il  ne 
restait  à  Argall  d'autre  moyen  de  les  sauver  que 
d'avouer  sa  supercherie  à  l'égard  de  leur  commandant, 
et  il  eut  assez  de  probité  pour  le  faire. 

La  vue  de  la  commission  du  sieur  de  la  Saussaye 
désarma  le  gouverneur  de  la  Virginie  ;  mais  il  prit,  sur 
le  champ,  la  résolution  de  chasser  les  Français  de  toute 
l'Acadie.  Ai'gall  fut  chargé  de  cette  expédition.  On 
lui  donna  trois  vaisseaux.  Il  arbora  les  armes  d'An- 
gleterre au  même  endroit  où  avaient  été  celles  de 
Madame  de  Guercheville  ;  puis  il  alla  à  Sainte-Croix, 
où  il  ruina  tout  ce  qui  restait  de  l'établissement  de  M. 
de  Monts.  Il  fit  la  même  chose  au  Port  Royal,  où  il  ne 
rencontra  personne  ;  et  en  quelques  heures,  le  feu  con- 
suma tout  ce  que  les  Français  possédaient  dans  une 
colonie  où  l'on  avait  dépensé  beaucoup  d'argent,  et 
travaillé  pendant  plusieurs  années,  sans  songer  à  se 
mettre  en  état  de  soutenir  un  coup  de  main.  Mais  la 
prévoyance  n'était  pas  l'esprit  du  temps. 

Poutrincour,  arrivé  en  Acadie,  sur  ces  entrefaites,  fut 
témoin  de  la  ruine  de  son  étabUssement,  et  ne  put  qu'en 
recueillir  les  débris  vivants,  sur  les  vaisseaux  dans  les- 
quels U  leur  apportait  de  nouveaux  approvisionnemens. 
Ces  aggressions  et  ces  déprédations  barbares,  commises 
en  temps  de  paix,  par  les  Anglais  de  la  Virginie,  don- 
nèrent lieu  à  des  plaintes  et  à  des  réclamations.  Mais 
le  courageux  fondateur  de  Port  Royal  étant  mort,  quelque 
temps  après,  les  torts  immenses  qu'il  avait  éprouvés  de- 
meurèrent sans  réparation.  Madame  de  Guercheville 
obtint,  pour  tout  dédommagement,  la  restitution  de  son 
navire.  EUe  reconnut,  mais  trop  tard,  remarque  Char- 
levoix,  d'après  Champlain,  qu'elle  avait  eu  tort,  de  ne 


DU    CANADA.  81 

l)as  s'associer  avec  M.  de  Monts,  d'abord,  et  ensuite,  de 
séparer  ses  intérêts  de  ceux  de  M,  de  Poutrincour. 
Après  avoir  été  retenu  en  France  pendant  toute  Tannée 

1612,  Champlain  s'embarqua  à  Saint-Malo,  le  6  mars 

1613,  sur  un  vaisseau  que  commandait  Du  Pont,  reveim 
depuis  peu  de  l' Acadie,  et  ils  mouillèrent  le  7  mai,  devant 
Québec.  Ils  trouvèrent  l'habitation  en  si  bon  état,  que 
n'y  jugeant  pas  leur  présence  nécessaire,  ils  en  repar- 
tirent, le  13,  pour  aller  au  "  Grand  Sault  Saint-Louis," 
où  ils  arrivèrent  le  21. 

Du  Pont  devait  retourner,  presque  aussitôt,  à  Québec, 
mais  Champlain  avait  dansl'esprit  un  autre  dessein.  Un 
nommé  Xieholas  Yigxau,  "le  plus  impudent  menteur  qui 
se  fût  vu  de  longtems,"  qu'il  avait  envoyé  "aux  décou- 
vertes," les  années  précédentes,  lui  avait  rapporté,  à  son 
retour  à  Paris,  en  1612,  des  choses  merveilleuses,  et  entre 
autres,  "qu'il  avait  vu  la  mer  du  Nord  ;  que  la  rivière 
des  Algonquins  (présentement  des  Outaouais)  sortait 
d'un  lac  qui  s'y  déchargeait,  et  qu'en  dix-sept  journées, 
on  pouvait  aller  et  venir  du  Sault  Saint-Louis  à  cette 
mer;  qu'il  avait  vu  le  bris  et  fracas  d'un  vaisseau  anglais, 
qui  s'était  perdu  à  la  côte,  d'où  quatre-vingts  hommes 
s'étaient  échappés,  à  terre,  mais  avaient  été  massacrés 
par  les  Sauvages,  parce  qu'ils  avaient  voulu  leur  enlever 
de  force  leur  bled  et  autres  vivres."  Il  ajoutait  qu'il 
avait  vu  les  têtes  de  ces  Anglais  écorchées  par  les 
Sauvages,  selon  leur  coutume.  Ces  nouvelles  avaient 
"réjoui"  Champlain,  en  lui  faisant  "penser"  qu'il 
trouverait  "  bien  près  ce  qu'il  cherchait  bien  loin." 

Ayant  fait  charger  deux  canots  de  vivres,  armes  et 
marchiindises,  il  s'y  embarqua  avec  quatre  Français,  y 
compris  Viguau,  et  un  Sauvage  ;  partit,  le  27  mai,  de 
file  Sainte- Hélène,  et  alla  coucher  au  pied  du  Sault.  A 
deux  lieues  de  là,  il  entra  dans  "  un  lac  qui  a  de  circuit 


82  HISTOIRE 

environ  douze  lieues,  et  où  se  déchargent  trois  rivières, 
l'une  venant  de  l'ouest,  du  côté  des  Ochateguins  (ou 
Hurons),  éloignés  du  grand  Sault  de  cent-cinquante  ou 
deux  cent  lieues  ;  l'autre  du  sud,  pays  des  Iroquois,  de 
pareille  distance  ;  et  l'autre  du  nord,  pays  des  Algon- 
quins, aussi,  à  peu  près  de  semblable  distance.* 

Laissant  à  sa  gauche  la  rivière  venant  de  l'ouest,  il 
entra  dans  celle  qui  vient  du  nord,  passa  par  un  lac  de 
sept  à  huit  lieues  de  long  et  trois  de  large,  puis  par  un 
sault  "rempli  de  pierres  et  rochers,  oii  l'eau  court  d'une 
grande  vitesse."  Il  rencontra  plusieurs  autres  saults  ; 
vit  plusieurs  rivières,  l'une  "  fort  plaisante,  à  cause 
des  belles  îles  qu'elle  contient,  et  des  terres  garnies  de 
beaux  bois  clairs  qui  la  bordent";  des  lacs,  dont  l'un  de 
cinq  lieues  de  long  et  deux  de  large,  où  il  y  a  "  de  fort 
belles  îles  remplies  de  vignes,  noyers,  et  autres  arbres 
agréables."  Un  peu  plus  loin,  la  terre  est  sablonneuse, 
et  il  s'y  trouve  "  une  racine  qui  teint  eu  couleur  cra- 
moisie, et  dont  les  Sauvages  se  peignent  le  visage."  Il 
parvient  de  là  à  un  grand  sault,  "ou  l'eau  descend  de 
dix  ou  douze  brasses  en  talus,  et  fait  un  merveilleux 
bruit."  Il  entra  dans  un  lac  de  six  à  sept  lieues  de  long,  où 
se  décharge  une  rivière  venant  du  sud.  La  terre  des 
environs  était  couverte  de  pins  qui  avaient  été  presque 
tous  brûlés  par  les  Sauvages,  mais  il  y  restait  de  beaux 
cyprès  rouges,  les  premiers  qu'il  eût  vus  dans  le  pays, 
de  l'un  desquels  il  fit  une  croix,  qu'il  planta  au  bout 
d'une  île  qui  élargit  la  rivière  d'une  lieue  et  demie,  et 
qu'il  nomma  Sainte- Croix.    ■  'y 

Parvenu  à  un  autre  lac  de  six  lieues  de  long  et  deux 

*  Pour  trouver  trois  grandes  rivières  se  déchargeant  dans  le 
lac  Saint-Louis,  et  quelque  exactitude  dans  ce  qu'en  dit  Champlain, 
il  faut,  ce  nous  semble,  prendre  la  rivière  de  Chateauguay  pour 
celle  qu'il  dit  venir  du  sud,  et  laisser  aux  Ilurons  celle  do  Saint- 
Laurent  ou  de  Catarocouy. 


DU    CANADA.  83 

de  large,  Champlain  rencontra  une  habitation  de  Sau- 
vages qui  cultivaient  la  terre,  et  recueillaient  du  mais. 
Ces  gens  ne  pouvaient  comprendre  comment  des  étran- 
gers avaient  pu  passer  les  saults  et  les  mauvais  chemins 
qu'il  y  avait  pour  venir  jusqu'à  eux.  Leur  chef,  qui 
avait  déjà  entendu  parler  de  Champlain,  fit  équipper 
deux  canots,  pour  le  mener  avec  ses  compagnons  voir 
Tessoat,*  qui  demeurait  à  huit  lieues  de  là,  sur  le 
bord  d'un  grand  lac  de  dix  lieues  de  long  et  trois  ou 
quatre  de  large.  En  voyant  Champlain,  Tessoat  s'écria 
(^ue  c'était  un  songe,  et  qu'il  ne  croyait  pas  qu'il  voyait. 
Ils  passèrent  ensemble  dans  une  île  élevée  et  "  forte  de 
situation,"  oià  se  tenait  un  gros  de  la  nation  des  Algon- 
quins, pour  éviter  les  courses  de  leurs  ennemis,  mais 
où  la  terre,  ainsi  que  celle  des  environs,  parait  peu 
productive.  Champlain  leur  demanda  comment  ils 
s'amusaient  à  cultiver  un  si  mauvais  pays,  tandis  qu'il 
y  en  avait  de  beaucoup  meilleurs  qu'ils  laissaient  déserts 
et  abandonnés,  comme,  par  exemple,  le  Sault  Saint 
Louis.  Ils  lui  répondirent  qu'ils  y  étaient  contraints 
pour  se  mettre  en  sûreté  ;  que  l'aprêté  des  lieux  leur 
servait  de  rempart  contre  leurs  ennemis  ;  mais  que  s'il 
voulait  faire  une  habitation  de  Français  au  Sault  Saint- 
Louis,  ils  quitteraient  leurs  demeures  pour  s'y  venir 
loger,  étant  assurés  que  leurs  ennemis  ne  les  viendraient 
point  attaquer,  s'ils  avaient  des  Français  près  d'eux. 
Champlain  leur  dit  qu'il  allait  faire  des  préparatifs  pour 
y  bâtir  un  fort,  et  mettre  la  terre  en  état  d'être  cultivée, 
sur  quoi,  ils  firent  un  grand  cri,  en  signe  d'applaudisse- 
ment. Il  invita  ensuite  les  principaux  d'entre  eux  à  se 
trouver,  le  lendemain,    sur   la  grande    terre,   dans   la 

*  C'est  évidemment  le  même  que  Champlain  appelle  Bezoat, 
dans  la  relation  de  son  voyage  de  1603,  et  qu'il  vit  à  Tadoussac, 
avec  Anadjojijuu,  chef  des  Moutagnais. 


84  HISTOIRE 

cabane   de   Tessoat,   qui   lui  voulait  faire   "tabagie," 
ajoutant  qu'il  leur  exposerait  là  et  alors  ses  intentions. 

Cette  "tabagie"  fournit  à  Champlain  l'occasion  de 
voir  et  décrire  quelques  unes  des  coutumes  de  ce  peuple. 
"Le  lendemain,  dit-il,  les  conviés,  avec  chacun  son 
éxîuelle  de  bois  et  sa  cueillère,  et  tous  sans  ordre  ni 
cérémonie,  s'assirent  à  terre,  dans  la  cabane.  Tessoat 
leur  distribua  une  manière  de  bouillie,  faite  de  maïs 
écrasé  entre  deux  pierres,  avec  de  la  chair  et  du  pois- 
son, coupés  par  petits  morceaux,  le  tout  cuit  ensemble 
sans  sel.  Il  avait  aussi  de  la  chair  rôtie  sur  des  char- 
bons, et  du  poisson  bouilli  à  part,  qu'il  leur  distribua 
pareillement.  Tessoat,  comme  donnant  le  repas,  entre- 
tenait ses  convives,  sans  manger  lui-même,  selon  leur 
coutume," 

"  La  tabagie  faite,  les  jeunes  gens,  qui  n'assistent  pas 
au  conseil,  sortirent,  et  chacun  de  ceux  qui  étaient 
demeurés  emplit  son  petunoir,  et  le  présenta  à  Cham- 
plain. Une  demi-heure  se  passa  à  cet  exercice,  sans 
qu'il  fût  dit  un  seul  mot." 

Après  qu'ils  eurent  ainsi  "  petuné"  en  silence,  Cham- 
plain leur  exposa  le  but  de  son  voyage,  qui  était 
principalement  d'aller  voir  une  tribu  du  nord,  (qu'il 
appelle  Nebicerini),  pour  la  convier  de  faire  alliance 
avec  eux  contre  leurs  ennemis,  et  il  leur  demanda 
quatre  canots  et  huit  hommes  pour  l'y  conduire. 

A  cette  demande,  les  Sauvages  se  remirent  à  "  petu- 
ner."  Enfin  Tessoat  fit  une  harangue  qu'il  termina,  en 
disant  à  Champlain,  que  si  on  lui  accordait  les  quatre 
canots  qu'il  demandait,  ce  serait  à  regret,  parce  que  l'en- 
treprise serait  accompagnée  de  beaucoup  de  difficultés 
et  de  périls  ;  que  les  gens  qu'il  voulait  voir  étaient  des 
sorciers  et  des  empoisonneurs,  et  que  quant  à  l'aide  qu'il 
s'en  promettait  pour  la  guerre,  elle  était  peu  de  chose. 


DU    CANADA  85 

parce  qu'ils  étaient  '•  de  petit  cœur,"  (sans  courage  et 
poltrons). 

Pour  faire  tomber  les  objections  de  Tessoat,  Cham- 
plain  voulut  recourir  au  témoignage  de  Vignau  ;  mais 
c'était  là  qu'il  était  attendu.  Amené  devant  le  chef, 
avec  qui  il  avait  passé  un  hiver,  et  interrogé  touchant 
ses  prétendues  découvertes,  Yignau  garda  longtems  un 
morne  silence,  qu'il  n'interrompit  enfin  que  pour  affirmer 
effrontément  qu'il  avait  réellement  été  où  il  avait  dit. 
Aussitôt  tous  les  Sauvages  se  mirent  à  le  regarder  de 
travers,  et  à  se  jetter  sur  lui,  en  poussant  des  cris, 
comme  s'ils  eussent  voulu  le  déchirer,  et  Tessoat  lui 
dit  :  "Tu  es  un  assuré  menteur;  tous  les  soirs,  tu  couchais 
à  mes  côtés,  avec  mes  cnfans,  et  si  tu  as  été  où  tu  dis, 
c'est  en  dormant.  Comment  as-tu  pu  être  assez  méchant 
pour  vouloir  bazarder  la  vie  de  ton  maître  parmi  tant 
de  dangers  ?  Tu  es  un  homme  perdu,  et  on  te  devrait 
faire  mourir  plus  cruellement  que  nous  ne  faisons  nos 
ennemis." 

Champlain,  étonné  de  voir  un  homme,  aux  contes 
duquel  il  avait  ajouté  foi,  apostrophé  de  cette  manière, 
le  somma  de  le  tirer  de  l'embarras  où  il  l'avait  mis,  en 
donnant  des  preuves  de  la  vérité  de  ce  qu'il  avait  avancé; 
"  mais  il  demeura  muet  et  tout  éperdu."  Pris  à  l'écart, 
et  interpellé  de  nouveau  de  dire  la  vérité,  Vignau  affirma 
"de  rechef  avec  jurement"  que  tout  ce  qu'il  avait  dit 
était  vrai.  Plus  embarrassé  que  jamais,  Champlain  alla 
voir  ceux  de  l'ile  mentionnée  ci-dessus.  Il  ne  leur  eut 
pas  plutôt  parlé  de  la  mer,  des  vaiseaux,  des  têtes 
d'Anglais,  qu'ils  s'écrièrent  que  son  homme  était  un 
menteur,  et  qu'il  le  fallait  faire  mourir,  à  moins  qu'il  ne 
dît  avec  qui  il  avait  été  dans  ce  pays,  et  qu'il  ne  désignât 
correctement  les  lacs,  les  rivières  et  les  chemins  par  où  il 
avait  passé.     Comme  de  raison,  Vignau  avait  oublié  le 

H 


86  HIsTOIEE 

nom  du  Sauvage  avec  qui  il  avait  fait  son  voyage  de 
découverte  ;  mais  il  avait  donné  à  Champlain  un  papier 
où  il  avait  ti-acé  et  décrit  les  particularités  qu'il  préten- 
dait avoir  remarquées.  Cette  espèce  de  carte  ayant 
été  présentée  aux  Sauvages,  ils  questionnèrent  son 
auteur  sur  ce  qu'ils  y  voyaient  ;  mais  il  ne  put  leur 
répondre  ;  et  '"'par  sou  morne  silence,  manifesta  sa  mé- 
chanceté." 

n  fallut  que  Champlain  menaçât  Vignau  de  le  faire 
''pendi'e  et  étrangler,"  pour  l'amener  à  avouer  son  im- 
posture. Les  Sauvages  voulaient  qu'on  le  mît  à  mort 
sur  l'heure.  "  Xe  vois-tu  pas,  dirent-ils  à  Champlain, 
qu'il  t'a  voulu  faire  mourir  ?  donne-nous  le,  et  nous  te 
promettons  qu'il  ne  mentira  plus."  H  eut  bien  de  la 
peine  à  le  tii-er  de  leurs  mains,  et  même  de  celles  de  leurs 
enfans:  il  n'y  réussit  qu'en  leur  disant  qu'il  l'emmenait 
au  Sault- Saint-Louis,  pour  aviser  à  ce  qu'il  en  ferait.  Sa 
punition  fut  l'ordi-e  d'aller  tout  de  bon  "  par  pays,"  pour 
faii-e  des  découvertes  réelles. 

Les  Sauvages  ne  furent  plus  du  tout  d'avis  de  four- 
nir des  canots  et  des  honunes  à  Champlain  :  ils  lui 
dirent  qu'il  fallait  remettre  le  voyage  à  Tannée  suivante  ; 
qu'alors  ils  le  mèneraient  en  bon  équippage,  pour  se 
pouvoir  défendre  contre  la  nation  qu'il  désirait  de  voir, 
si  elle  leur  voulait  faire  du  mal. 

Champlain  était  au  lac  Témiscaming,  par  47  degrés 
de  latitude,  et,  comme  il  comptait,  deux  cent  quatre- 
vingt-seize  de  longitude.  Plusieurs  considérations 
pouvaient  l'excuser  d'avoir  ajouté  foi  à  des  contes  faits 
à  plaisir  :  des  relations  de  naufrages  ari'ivés  dans  les 
régions  polaires,  venaient  d'être  publiées  eu  Angleterre, 
et  ce  que  Vignau  lui  avait  raconté  lui  paraissait  assez 
conforme  au  contenu  de  ces  relations,  d'après  lequelles 
il  ne  se  croyait  pas  à  plus  de  cent  lieues  de  la  mer  du 


DU    CANADA.  87 

Nord.*  Le  contretems  qu'il  éprouva  alors  lui  parut 
d'autant  plus  fâcheux,  qu'il  avait  plus  compté  sur-  le 
succès  de  son  entreprise.  "  Mon  voyage,  dit-il,  étaut 
achevé  par  cette  voie,  et  sans  aucune  espérance  de  voir 
la  mer  de  ce  côté-là,  sinon  par  conjecture,  le  regret  de 
n'avoir  pas  mieux  employé  le  temps  me  demeura,  avec 
les  peines  et  travaux  qu'il  m'avait  fallu  endurer.f  Si 
je  me  fusse  transporté  d'un  autre  côté,  suivant  la  rela- 
tion des  Sauvages,  j'eusse  ébauché  une  aflaire  qu'il 
fallut  remettre  à  une  autre  fois." 

Avant  de  partir,  il  fit  planter,  sur  le  bord  du  lac,  en 
un  lieu  éminent,  une  croix  de  cèdre  blanc,  avec  les 
armes  de  France,  et  pria  les  Sauvages  de  la  conserver, 
ainsi  que  celles  qu'ils  ti'ouveraient  le  long  des  chemins 
par  où  il  était  venu.  Ils  lui  dirent  qu'ils  le  feraient,  et 
qu'il  les  retrouverait,  lorsqu'il  reviendrait  parmi  eux. 

En  revenant,  il  s'arrêta  au  Sault  de  la  Chaudière,  où 
il  fut  témoin  de  la  cérémonie  de  l'offrande  du  petun.| 
Il  arriva  le  lendemain,  16  juin,  "à  une  île  qui  est  à 
l'entrée  du  lac  (Saint-Louis),  distante  du  grand   Sault 

*  Il  n'était  éloigné,  en  effet,  que  d'environ  cent  lieues,  non  de 
la  mer  du  Nord,  ou  Glaciale,  mais  du  fond  de  la  baie  d'Hudson, 
appelle  pas  les  Anglais  James'  Buy,  par  51  degrés  de  latitude,  et 
la  môme  longitude  que  celle  du  lue  Témiscaming. 

f  II  s'en  fallait  bien  pourtant  qu'il  eût  entièrement  perdu  son 
temps  et  ses  peines  :  il  avait,  dans  une  grande  étendue  de  pays, 
reconnu  un  grand  fleuve,  un  nombre  considérable  de  rivières,  de 
lacs,  d'îles,  etc.  ;  il  avait  vu  chez  eux  les  Algonquins,  ime  des 
tribus  alliées  des  Français,  et  eu  occasion  d'en  étudier  les  mœurs, 
les  usages  et  les  dispositions  ;  enfin,  il  avait  pris  possession  de  la 
contrée,  au  nom  de  son  souverain. 

X  "Après  qu'ils  ont  porté  leurs  canots  au  bas  du  Sault,  dit-il, 
en  substance,  ils  s'assemblent  en  un  lieu  où  un  d'entre  eux,  avec 
un  plat  de  bois,  va  faire  la  quête,  et  chacun  d'eux  met  dans  ce  plat 
un  morceau  de  petun.  La  quête  faite,  le  plat  est  mis  au  milieu  de 
la  troupe,  et  tous  dansent  à  l'entour,  en  chantant  à  leur  mode  :  puis 
un  des  capitaines  fait  une  harangue,  laquelle  finie,  le  harangueur 
prend  le  plat,  et  va  jetter  le  petun  au  milieu  de  la  Chaudière,  et 
tous  ensemble  font  un  cri.  S'ils  ne  faisaient  pas  citte  otfi-ande,  en 
passant,  ils  croiraient  que  malheur  leur  en  adviendrait. 


88  HISTOIRE 

de  sept  à  huit  lieues,"  et  à  ce  sault  le  17.  Descendu  à 
l'endroit  où  il  avait  laissé  ses  barques  (la  Place  Royale 
ou  l'île  Sainte-Hélène),  un  sieur  de  IVIaison-Neuve  le 
vint  ti'ouver  "  avec  le  passe-port  de  Monseigneur  le 
Prince,"  et  il  avertit  les  Sauvages  qu'ils  pourraient  faire 
la  traite  avec  lui,  le  lendemain.  N'ayant  plus  rien  à 
faire  en  Canada,  il  s'embarqua  à  Tadoussac,  le  8  août, 
et  arriva  à  Saint-Malo,  le  26  du  même  mois. 

Pendant  son  séjour  en  France,  il  conclut  un  nouveau 
traité  avec  des  marchands  de  Saint-Malo,  de  Rouen  et 
de  La  Rochelle,  et  leur  obtint,  par  l'entremise  du 
prince  de  Condé,  des  lettres-patentes  du  roi.  Il  s'em- 
barqua ensuite  pour  le  Canada,  avec  quatre  Récollets, 
qu'il  avait  demandés,  et  à  qui  la  compagnie  s'était 
engagée  de  fournir  tout  ce  qui  était  nécessaire.  Il 
arriva  à  Québec,  au  printemps  de  1615.  et  monta 
incontinent  à  la  Place  Royale,  oif  3ll"  Sault  Saint-Louis. 
Il  y  trouva  des  Hurons  et  quelques  uns  de  leurs  alliés, 
qui  l'engagèrent  dans  une  troisième  expédition  contre 
les  Iroquois. 

Les  premiers  historiens  du  Canada  ont  beaucoup 
blâmé  la  facilité  avec  laquelle  Champlain  se  laissait 
entraîner  dans  des  expéditions  lointaines,  périlleuses, 
imprudentes  et  peu  dignes  de  sa  situation.  "  Il  est 
constant,  dit  Charlevoix,  que  par  cette  complaisance,  il 
prenait  le  meilleur  moyen  de  gagner  l'amitié  des  Sau- 
vages, et  de  bien  connaître  un  pays  où  il  s'agissait 
d'établir  un  commei'ce  avantageux,  et  la  religion  chré- 
tienne parmi  un  grand  nombre  de  tribus  payennes  ; 
mais  il  s'exposait  beaucoup,  et  ne  faisait  pas  réflexion 
que  cette  facilité  à  condescendre  à  toutes  les  volontés 
de  ces  barbares,  n'était  nullement  propre  à  lui  concilier 
le  respect  que  demandait  le  caractère  dont  il  était  revêtu. 
Il  y  avait,  d'ailleurs,  quelque  chose  de  mieux  à  faire 


DU    CANADA.  89 

pour  lui,  que  de  coui-ir  ainsi,  en  chevalier  errant,  par 
les  lacs  et  les  forets,  avec  des  Sauvages  qui,  souvent, 
ne  gardaient  pas  même  à  son  égard  les  bienséances,  et 
dont  il  n'était  nullement  en  état  de  se  faire  craindre. 
Il  aurait  pu  aisément  envoyer  à  sa  place  quelque  Fran- 
çais en  état  de  bien  observer,  tandis  que  sa  présence  à 
Québec  aurait  beaucoup  plus  avancé  son  établissement, 
et  lui  aurait  donné  une  solidité  qu'il  se  repentit  trop  tard 
de  ne  lui  avoir  pas  procurée." 

Si  Champlain  pouvait  se  dispenser  d'accompagner  les 
Sauvages  dans  leurs  excursions,  c'était  surtout  dans 
celle  dont  nous  allons  parler.  Se  trouvant  obligé  de 
redescendre  à  Québec,  pour  y  donner  les  ordres  néces- 
saires, il  les  pria  de  différer  leur  départ  jusqu'à  son 
retour,  qui  devait  être  prompt  ;  mais  ceux-ci  se  lassèrent 
bientôt  de  l'attendre,  s'embai-quèrent  dans  leurs  canots, 
et  partii'cnt  ;  et,  ce  qui  peut  paraître  assez  singulier, 
presque  tous  les  Français  qui  étaient  alors  avec  eux,  les 
accompagnèrent,  sans  attendre  leur  commandant.  A 
son  retour,  Champlain  ne  trouva  plus  dans  File  de  Mont- 
Réal*  ou  quelques  lieues  au-dessous,  sur  la  terre-ferme, 
que  deux  Français  et  dix  Sauvages.  H  lui  fallut  courir 
après  les  Hurons,  pour  les  aller  joindre  dans  leur  pays. 
Suivons-le  dans  ce  voyage,  non  moins  intéressant,  et 
non  moins  historique  que  celui  qu'il  avait  fait,  deux  ans 
auparavant,  chez  les  Algonquins. 

Il  s'embarqua  avec  ses  douze  compagnons,  au-dessous 
du  "  Bout  de  l'Ile,"  puisqu'il  "  voyagea  amont  le  fleuve 
Saint  Laurent,  environ  six  lieues,"  entra  dans  la  Rivière 
des  Prairies,  une  des  branches  de  celle  des  Algonquins, 
laissant,  comme  il  dit,  le  Sault  Saint-louis,  six  lieues  plus 
haut,    à  sa  gauche  ;   traversa   un  lac  (celui  des  deux 

*  Ainsi  nommerons-nous  dorénavant  rendroit,  quoique  ce  nom 
lui  ait  été  donné  uu  peu  plus  tard. 

u2 


90  HISTOIRE 

Montagnes),  et  remonta  la  Grande-Rivière  jusqu'au  lac 
Temiscaming,  ou  des  Algonquins.  Etant  entré  dans 
une  rivière  qui  tombe  dans  ce  lac,  il  la  remonta,  "  tant 
par  eau  que  par  terre,"  l'espace  de  trente-cinq  lieues, 
par  \\n  pays  "  mal  agréable,  rempli  de  sapins,  bouleaux, 
quelques  chênes,  ei  force  rochers,"  stérile  et  très  faible- 
ment habité  ;  mais  où  il  y  avait,  comme  par  compensa- 
tion, des  petits  fruits,  et  particulièrement  des  bluets,  en 
si  prodigieuse  quantité,  cpi'on  les  venait  cueillir  de  pays 
éloignés,  afin  de  les  faire  sécher  pour  l'hiver  "  comme 
des  pruneaux  en  France."  Chamjjlain  trouva  occupés 
à  cette  cueillette  quelques  centaines  d'individus  d'une 
tribu  éloignée,  auxquels  il  donna  le  nom  de  Cheveux- 
l'élevés,  "  j^our  les  avoir  mieux  peignés  et  agencés,  sans 
comparaison,  que  des  courtisans  (ou  petits-maîtres), 
quelques  fers  et  façons  qu'ils  y  mettent." 

Ayant  fait  encore  environ  vingt-cinq  lieues,  il  attei- 
gnit le  lac  Nipissing,  ou  des  Nipicirini,  par  46  degrés  et 
un  quart  de  latitude.  Il  vit  dans  ce  lac,  auquel  il  donne 
environ  vingt-cinq  lieues  de  long  et  huit  de  large,  "  un 
grand  nombre  d'ilcs  fort  plaisantes,"  entre  autres  une  de 
six  lieues  de  longueur,  et  "  nombre  de  belles  prairies." 
Il  trouva  assemblés  sur  les  bords  de  ce  lac,  sept  à  huit 
cents  hommes,  femmes  et  enfaus,  avec  lesquels  il  passa 
deux  jours.  Continuant  à  cheminer,  par  un  pays 
encore  plus  "  mal  agréable  "  que  celui  par  où  il  avait 
passé,  avant  d'arriver  au  lac  Nipissing,  mais  toujours 
rempli  de  bluets  et  autres  petits  fruits,  il  atteignit  enfin  le 
lac  des  Attigoiiantans  (ou  des  Hurons),  auquel  il  donne 
près  de  trois  cents  lieues  de  long,  et  cinquante  de  large,  et 
qu'à  cause  de  sa  grande  étendue,  il  appella  la  il/êr  Doï^ce. 

Par  la  latitude  où  Champlain  a  atteint  ce  grand  lac, 
le  pays  est  "  âpre  "  et  presque  inhabité  ;  mais,  en  ayant 
côtoyé  les  i-ivages,  du  nord  au  sud,  ou  sud-est,  l'espace 


DC    CANADA.  91 

de  quarante-cinq  lieues,  il  trouva  un  "grand  change- 
ment de  pays,"  celui  où  il  était  alors  étant  "  fort  beau, 
en  plus  grande  partie  déserté,"  et  cultivé.  Il  était 
alors  chez  la  nation  des  Hurons,  divisée  en  tribus  de 
différentes  dénominations,  comme  l'était  celle  des 
Algonquins,  et  (comme  on  le  verra  plus  tard,)  celle  des 
Iroquois.  Il  passa  d'abord  par  quatre  villages,  ou  bour- 
gades ouvertes,  qu'il  dit  se  nommer  Otouacha,  Canr.aron, 
Touagainchain  et  Tequenouquiaye,  oii  il  fut  reçu  avec 
autant  d'amitié  et  d'hospitalité,  que  l'avait  été  Jacques 
Quartier  à  Hochelaga. 

Du  dernier  de  ces  villages  "  non  clos,"  Champlain  se 
Ht  conduii'e  à  Carharjouha,  village  "  fermé  d'une  triple 
palissade  de  bois,  de  la  hauteur  de  ti*ente-cinq  pieds." 
Il  y  rencontra  une  quinzaine  de  ses  Français  ;  mais 
voyant  que  les  Sauvages  mettraient  du  temps  à  complé- 
ter leurs  préparatifs,  il  résolut  d'aller  •'  à  petites  jour- 
nées," de  village  en  village,  jusqu'à  la  ville,  ou  bourgade 
de  Cahiagué,  capitale  du  pays,  où  toute  l'armée  avait 
rendez-vous.  Dans  la  route  de  Carhagouha  ù  Cahiagué, 
Champlain  ne  rencontra  pas  moins  de  cinq  forteresses, 
ou  villages  entourrés  de  palissades.  Cahiagué,  au  44e 
degré  et  demi  de  latitude,  était  un  "  beau  village,"  ou 
une  bourgade,  qui  ne  contenait  pas  moins  de  deux  cents 
grandes  maisons,  ou  cabanes.  Tous  les  environs 
étaient  défrichés  et  ensemencés  de  bled-d'inde,  de 
citrouilles,  et  de  Vherbe  au  soleil,  des  graines  de  laquelle 
les  naturels  tiraient  une  huile  dont  ils  se  frottaient  les 
cheveux.  Plus  loin,  se  voyait  une  variété  d'arbustea 
fruitiers,  et  de  toutes  les  espèces  d'arbres  qui  se  rencon- 
trent en  Europe.  Le  pays  sembla  à  Champlain  "peuplé  ' 
d'une  infinité  d'âmes."  Les  Attigouantans,  une  des 
tribus  huronnes,  qui  l'habitaient,  échangeaient  avec  les 
Algonquins,  leurs  voisins  et  alliés,  une  partie  de  leui' 


92  mSTOLKE 

bled  et  farine,  pour  des  pelleteries.  La  joie  fut  grande 
à  Caliiagué,  à  l'arrivée  de  Champlain  et  de  ses  compa- 
gnons :  pendant  i^lusieurs  jours,  ce  ne  furent  que  festins 
et  divertissemens  ;  mais  les  guerriers  attendus  de  diffé- 
rents quartiers  étant  arrivés,  il  fallut  penser  à  quelque 
chose  de  plus  sérieux.  Les  chefs  olFrirent  le  comman- 
dement  général  à  Champlain,  et  il  l'accepta  d'autant 
jdus  volontiers,  qu'il  se  trouvait  à  la  tête  de  quinze 
Français.  On  se  mit  en  marche,  le  1er  de  septembre, 
et  l'on  marcha  longtems,  avant  d'arriver  aux  ennemis, 
qui  paraissent  avoir  voulu  rester,  cette  fois,  sur  la 
défensive. 

Les  Ii'oquois  occupaient  une  espèce  de  fort  assez  bien 
construit  :  ils  en  avaient  embarrassé  les  avenues  par 
de  grands  abattis  d'arbres,  et  avaient  élevé  tout  autour 
des  galeries,  d'où  ils  pouvaient  tirer  de  haut  en  bas, 
sans  se  découvrir.  Aussi  la  première  attaque  réussit- 
elle  si  mal,  qu'on  ne  jugea  pas  à  propos  d'en  tenter  une 
seconde.  On  essaya  de  mettre  le  feu  aux  abattis,  dans 
Fespoir  qu'il  gagnerait  le  fort  ;  mais  les  assiégés  y 
avaient  pourvu,  en  faisant  de  grandes  provisions  d'eau. 
On  dressa  ensuite  une  machine  plus  haute  que  les 
galeries,  et  sur  laquelle  on  plaça  des  Français  armés 
d'arquebuses.  Cette  manœuvre  déconcerta  un  peu 
l'ennemi  ;  mais  Chamijlain  ayant  été  blessé  assez  griève- 
ment, à  la  jambe  et  au  genou,  les  Hurons  passèrent  de 
la  présomption  au  découragement,  et  il  fallut  se  retirer 
avec  honte  et  avec  perte,  La  retraite  se  fit  néanmoins 
en  assez  bon  ordre.  Champlain  fut  bientôt  guéri  de 
ses  blessures  ;  mais  quand  il  voulut  partir  pour  retour- 
ner à  Québec,  il  ne  put  obtenir  un  guide,  et  il  lui  fallut 
se  résoudre  à  passer  l'hiver  chez  les  Sauvages.  H  sut 
pourtant  mettre  le  temps  à  profit  ;  car  il  acheva  de 
visiter  les  bourgades  huronnes,  et  vit  quelques  unes  de 
celles  de  leurs  alliés. 


DU    CANADA.  93 

Parti  de  Cahiagué,  vers  la  nii-jauvier  1616,  avec 
quelques  Français,  il  arriva,  au  bout  d'un  mois,  chez  la 
"  Nation  du  Pctun,"  (ou  Récolteurs  de  Tabac),  qui  se- 
mait aussi  du  maïs,  et  avait  sa  demeure  arrêtée,  comme 
les  autres  tribus  huronnes.  Il  vit  ensuite  sept  autres 
villages  de  leurs  voisins  et  amis,  avec  lesquels  il  con- 
tracta alliance,  et  qui  lui  firent,  ainsi  qu'à  ses  compa- 
gnons, "  bonne  chère  et  mille  démonstrations  d'amitié," 
accourant  de  toutes  parts,  à  leur  ai-rivée,  et  se  faisant 
un  devoir  de  les  conduire  et  guider  dans  leur  route. 
Champlain  vit  ensuite,  dans  leur  pays,  les  "  Cheveux  re- 
levés," puis  les  Asistugiieronons,  ou  Gens  du  Feu,  peuple 
nombreux  de  grands-guei'riers,  chasseurs,  pêcheurs  et 
agriculteurs,  les  "  Sauvages  les  plus  propres"  qu'il  eût 
encore  vus,  et  qui  travaillaient  le  plus  industrieusement 
".  aux  façons  des  nattes  qui  étaient  leurs  tapis  de  Tur- 
quie." Mais,  s'ils  étaient  laborieux,  ils  savaient  aussi 
jouir  du  fruit  de  leur  travail,  car  "  ils  faisaient  de 
grands  festins,  et  plus  que  les  autres  nations." 

Champlain  aurait  voulu  voir  l-i  "  Nation  Neutre,"  ou 
ayant  paix  avec  les  Hurons  et  les  Iroquois,  quoiqu'elle 
eût  aussi  ses  alliés  et  ses  ennemis  ;  mais  ou  l'en  dissuada. 
Enfin,  il  ne  vit  pas  moins  de  dix-huit  grands  villages 
chez  les  seuls  Attigouantans,  huit  desquels  étaient 
•'  clos  et  fermés  de  palissades  de  bois,  à  triple  rang, 
entrelacés  les  uns  dans  les  autres,  avec  galeries  au- 
dessus  garnies  de  pierres  et  d'eau."  Il  y  avait  dans  ces 
dix-huit  villages  "  deux  mille  hommes  de  guerre,  sans 
y  comprendre  le  commun  qui  pouvait  faire  en  nombre 
vingt-deux  mille  âmes."  Les  cabanes  étaient  "eu  façon 
*  de  tonnelles  ou  berceaux,  couvertes  d'écorces  d'arbres, 
de  la  longueur  de  vingt-cinq  à  trente  toises,  et  six  de 
large,  laissant  par  le  milieu  une  allée  de  dix  à  douze 
pieds  de  large,  et  allant  d'un  bout  à  l'autre."     Dans 


94  HISTOIRE 

quelques  unes  de  ces  cabanes,  il  y  avait  "jusqu'à  douze 
feux,  ou  vingt-quatre  ménages."  Elles  étaient  séparées 
les  unes  des  autres  par  un  espace  vide  de  trois  à  quatre  pas. 
Enfin,  si  les  habitans  d'Hochelaga  n'avaient  pas  été 
exterminés,  mais  s'étaient  expatriés,  ce  furent  sans 
doute  leurs  descendans  que  Champlain  vit,  au  pays  des 
Hurons.  C'était  la  même  manière  de  se  vêtir,  de  se 
nourrir,  de  se  loger  et  de  se  fortifier  ;*  le  même  caractère, 
les  mêmes  mœurs,  et  surtout  la  même  bienveillance  et 
la  même  hospitalité  envers  les  étrangers.  Peut-être 
aussi  pourrait-on  trouver  de  la  ressemblance  dans  la 
consonnance  des  noms  hurons  de  Champlain,  et  des 
mots  du  vocabulaire  de  Quartier. 

Quoiqu'il  en  soit,  dès  que  les  rivières  furent  navigables, 
Champlain  ayant  su  qu'on  voulait  l'engager  dans  une 
nouvelle  entreprise  contre  les  Iroquois,  gagna  quel- 
ques Sauvages,  qu'il  s'était  attachés  par  ses  bonnes 
manières,  s'embarqua  secrètement  avec  eux,  et  arriva, 
le  11  juillet,  à  Québec,  où  tout  le  monde  était  persuadé 
qu'il  ne  vivait  plus.  Il  s'embarqua  pour  la  France, 
environ  un  mois  après  son  retour  à  Québec. 

Cette  même  année  1616,  une  partie  des  Sauvages 
confédérés  complottèrent,  par  on  ne  sait  quel  mécon- 
tentement, de  se  défaire  de  tous  les  Français.  Peut- 
être  craignaient-ils  qu'on  ne  voulût  tirer  une  vengeance 
éclatante  de  la  mort  de  deux  habitans,  qu'ils  avaient 
assassinés,  probablement  pour  profiter  de  leurs  dépouilles; 
car  déjà  la  fréquentation  des  Européens  leur  avait  fait 
perdi'e  quelque  chose  de  leur  désintéressement.  Ce  qui 
est  certain,  c'est  qu'ils  s'assemblèrent,  au  nombre  de  huit 
cents,  près  des  Trois-Rivières,  pour  délibérer  sur  les 

*Les  Attigouantans  ont  dix-huit  villages,  six  desquels  sont 
munis  d'un  rempart  de  bois,  presque  à  la  façon  d'Hoc/ielar/a. — 
Laet, 


DU    CAXADA.  95 

moyens  de  faùre  main-basse,  en  même  temps,  sur  tous 
les  Français.  Un  frère  récollet,  nommé  Dcplessis,  qui 
avait  été  chargé  de  l'instruction  des  Français  et  des 
Sauvages  établis  depuis  peu,  en  cet  endroit,  fut  instruit 
de  leur  dessein  par  l'un  d'entr'eux  :  il  en  gagna  plusieurs 
autres,  et  peu  à  peu,  il  les  réduisit  tous  à  faire  des 
avances  pour  une  réconciliation  parfaite,  qu'il  se  chargea 
de  négocier  avec  le  commandant.  M.  de  Ciiamplain,  de 
retour  en  Canada,  voulut  avoir  les  meurtriers  des  deux 
Français  :  les  Sauvages  ne  lui  en  envoyèrent  qu'un,  mais 
avec  une  quantité  de  pelleteries  pour  couvrir  les  morts, 
c'est-à-dire,  dédommager  les  parens,  comme  il  se  pratique 
parmi  eux.  Il  fallut  se  contenter  de  cette  satisfaction, 
moyennant  aussi  deux  chefs,  qu'on  se  fît  donner  comme 
otages. 

Champlain  ne  faisait  plus  qu'aller  et  venir  de  France 
à  Québec,  et  de  Québec  en  France,  pour  en  tirer  de» 
secours,  qu'on  ne  lui  fournissait  jamais  tels  qu'il  les 
demandait.  Le  prince  de  Condé  se  contentait  de  prêter 
son  nom  ;  la  compagnie  ne  faisait  qu'à  regi'et  des 
avances  pour  l'établissement  d'une  colonie  qui  l'inté- 
ressait beaucoup  moins  que  son  commerce,  et  il  fallait 
à  Champlain  beaucoup  de  courage  et  de  zèle  du  bien 
public,  pour  ne  pas  renoncer  à  une  entreprise  qui  ne 
lui  procurait  aucun  avantage  réel,  et  dans  laquelle  il 
avait  continuellement  à  essuyer  les  caprices  des  uns  et 
les  contradictions  des  autres. 

En  1620,  le  prince  de  Condé  céda  sa  vice-royauté  au 
maréchal  de  Montmorency,  son  beau-frère.  Le  nou- 
veau vice-roi  continua  la  lieutenance  à  Champlain,  qui, 
persuadé  que  le  Canada  allait  prendre  une  nouvelle 
l'ace,  y  amena  sa  famille. 

Au  commencement  de  l'année  1621,  les  Iroquois 
parurent  en  armes  jusque  dans  le  centre  de  la  colonie. 


96  HISTOIRE 

Ces  barbares,  craignant  que  si  les  Français  se  multi- 
pliaient dans  le  pays,  leur  alliance  ne  fit  reprendre  aux 
Algonquins  et  aux  Hurons  leur  ancienne  supériorité 
sur  eux,  résolurent  de  s'en  délivrer  avant  qu'ils  eusent 
eu  le  temps  de  se  fortifier  davantage.  Ils  levèrent  deux 
grands  partis  de  guerre,  pour  attaquer  les  Français  et 
leurs  alliés  en  même  temps.  Le  premier  marcha  vers 
le  Sault  Saint-Louis,  et  y  trouva  des  Français,  qui, 
quoiqu'en  petit  nombre,  les  repoussèrent,  avec  le  secours 
de  leurs  alliés.  Le  second  parti  s'embarqua  sur  trente 
canots,  et  alla  investir  le  couvent  des  récollets,  sur  la 
rivière  Saint-Charles,  où  il  y  avait  un  petit  fort. 
N'osant  attaquer  cette  place,  les  Iroquois  se  jettèrent 
sur  des  Hurons,  qui  se  trouvaient  aux  environs  ;  en 
prirent  quelques  uns,  et  les  brûlèrent.  Ils  ravagèrent 
ensuite  tous  les  environs  du  couvent,  puis  se  retirèrent. 
Il  s'en  fallait  de  beaucoup  que  Champlain  eût  des 
forces  suffisantes  pour  réprimer  ces  barbares  :  aussi 
crut-il  devoir  représenter  au  roi  et  au  duc  de  Montmo- 
rency la  nécessité  de  secourir  la  colonie,  et  le  peu  de 
cas  que  la  compagnie  avait  fait  jusque-là  de  ses 
instances  réitérées.  Le  P.  Lebaillif,  qui  fut  député 
au  roi,  du  consentement  des  principaux  habitans,  fut 
très  bien  reçu,  et  obtint  tout  ce  que  M.  de  Champlain 
désirait.  La  compagnie  fut  suprimée,  et  deux  particu- 
liers, Guillaume  et  Emery  de  Caen,  oncle  et  neveu, 
entrèrent  dans  tous  ses  droits.  Champlain  en  apprit  la 
nouvelle  par  une  lettre  du  vice-roi,  qui  lui  enjoignait 
de  prêter  main-forte  à  ces  négocians.  Excepté  Cham- 
plain, tout  le  monde  s'était  si  peu  occupé  de  l'établisse- 
ment du  Canada,  qu'on  ne  comptait  à  Québec,  en  1622, 
que  cinquante -deux  habitans,  y  compris  les  femmes  et 
les  enfans. 

En  1624,  Champlain  fit  bâtir  en  pierre  le  fort  de 


DU   CANADA.  97 

Québec*  Il  paraissait  par  là  vouloir  se  livrer  tout  entier 
au  soin  de  sa  colonie  ;  mais  à  peine  le  fort  fut-il  achevé, 
qu'il  repassa  en  France,  avec  sa  famille.  Il  trouva  le 
maréchal  de  Montmorency  traitant  de  sa  vice-royauté 
avec  Henri  de  Levy,  duc  de  Ventadour,  son  neveu. 
Ce  dernier  ne  se  chargeait  des  affaires  de  la  Nouvelle 
France,  que  pour  y  procurer  la  conversion  des  Sauvages  ; 
aussi  son  premier  soin  fut-il  d'y  faire  passer  des  jésuites 
comme  missionnaires.  En  1625,  Guillaume  de  Caen 
amena  à  Québec  les  PP.  INIasse,  de  Brebedf,  et 
Lallemant.  Ces  religieux  se  logèrent  chez  les  récoUets, 
en  attendant  qu'ils  eussent  une  maison  à  eux.  L'année 
suivante,  d'autres  jésuites  arrivèrent  sur  un  petit  bâti- 
ment qu'ils  avaient  frété,  et  sur  lequel  ils  avaient  em- 
barqué plusieurs  ouvriers. 

Cependant  les  Sauvages  causaient  toujours  de  grandes 
inquiétudes  :  ils  avaient  encore  assassiné  quelques 
Français,  et  comme  on  ne  s'était  pas  trouvé  assez  fort 
pour  en  tirer  raison,  l'impunité  les  avait  rendus  plus  in- 
solents :  de  sorte  qu'on  ne  pouvait  s'écarter  des  habita- 
tions sans  courir  risque  de  la  vie.  M.  de  Champlain, 
de  retour  à  Québec,  crut  devoir  se  plaindre  au  roi  de 
l'état  de  faiblesse  où  il  avait  trouvé  la  colonie,  princi- 
palement par  la  faute  des  sieurs  de  Caen,  qui  ne  s'occu- 
paient que  de  la  traite  des  pelleteries.  Le  cardinal  de 
Richelieu,  alors  premier  ministre,  goûta  la  jîroposition 
qui  lui  fut  faite,  de  mettre  le  commerce  du  Canada  entre 
les  mains  d'une  nouvelle  compagnie.  D'après  le 
mémoire  qui  lui  fut  présenté,  les  associés  devaient  faire 
passer  au  Canada  deux  ou  trois  cents  ouvriers  do  tous 

*  Non  pas,  cette  fois,  sur  le  bord  du  fleuve,  mais  sur  la  hauteur 
voisine,  ou,  comme  dit  Champlain,  "  en  une  situation  très  bonne, 
sur  une  montagne  qui  commande  le  travers  du  fleuve  Saint- 
Laurent." 


98  HISTOIKE 

métiers  ;  ils  promettaient  de  porter  le  nombre  des  habi- 
tai'.s  à  16,000  avant  Tannée  1643  ;  de  les  loger,  nourrir 
et  entretenir  de  toutes  choses  pendant  trois  ans  ;  de  leur 
assigner  ensuite  des  terres  défrichées,  autant  qu'il  serait 
nécessaire  pour  leur  subsistance,  et  de  leur  fournir  des 
grains  pour  les  ensemencer.  Tous  les  nouveaux  colons 
devaient  être  Français  et  catholiques,  et  il  devait  y  avoir 
dans  chaque  habitation  des  prêtres  que  la  compagnie 
s'engageait  à  défrayer  de  tout  pendant  quinze  ans,  après 
quoi  ils  pourraient  subsister  au  moyen  des  terres  qu'elles 
leur  aurait  assignées. 

Pour  dédommager  les  associés  de  tant  de  frais,  le  roi 
leur  cédait,  ainsi  qu'à  leurs  successeurs,  à  perpétuité,  le 
fort  de  Québec  et  tout  le  pays  de  la  Nouvelle  France, 
tout  le  cours  du  fleuve  Saint-Laurent  et  des  rivières  qui 
s'y  déchargent,  ou  se  rendent  à  la  mer,  avec  les  îles, 
ports,  havres,  mines,  pêches,  etc.,  sa  majesté  ne  se  réser- 
vant que  le  ressort  de  la  foi  et  hommage,  avec  une 
couronne  d'or  du  poids  de  huit  marcs,  à  chaque  muta- 
tion de  roi,  et  la  nomination  des  oflSciers  de  justice  sou- 
veraine, qui  seraient  présentés  par  les  associés,  lors- 
qu'il serait  jugé  à  propos  d'y  en  établir.  Le  roi  leur 
accordait  le  droit  de  concéder  des  terres  à  tels  titres 
qu'ils  voudraient,  et  à  telles  charges  et  conditions  qu'il 
leur  plairait  ;  celui  de  construire  des  places  fortes,  de 
fondre  des  canons  et  de  fabriquer  des  armes  de  toutes 
sortes;  le  commerce  des  pelleteries  pour  toujours,  et 
pour  quinze  ans  tout  autre  commerce.  H  leur  per- 
mettait d'embarquer  sur  des  vaisseaux  qu'il  leur  donnait, 
les  capitaines,  soldats  et  matelots  qu'il  leur  semblerait 
bon,  à  condition  qu'à  leur  recommandation,  les  capitaines 
prendraient  leurs  commissions  de  lui  ;  ainsi  que  les 
comn:andans  des  forteresses  déjà  construites,  ou  à  con- 
.stru're,  dans  l'étendue  des  pays  concédés.     Il  exemjtait 


DU    CAXADA.  99 

«ie  tout  droit,  penJant  quinze  ans,  les  luarcliandises  qui 
viendraient  du* Canada,  ainsi  que  les  vivres,  munitions 
de  guerre,  etc.,  qui  j  seraient  envoyés.  Il  était  permis 
à  toutes  personnes,  de  quelque  état  et  qualité  qu'elles 
fussent,  d'entrer  dans  la  compagnie,  sans  déroger  aux 
privilèges  accordés  à  leurs  ordres;  et  s'il  se  trouvait 
parmi  les  associés  des  roturiers,  sa  majesté  promettait 
d'en  ennoblir  jusqu'à  douze,  sur  la  recommandation  de 
la  compagnie.  Enfin,  il  était  déclaré  que  les  descen- 
daus  des  Français  établis  dans  le  pays,  et  même  les  Sau- 
vages qui  auraient  embrassé  le  christianisme,  seraient 
réputés  français,  sans  être  obligés  de  prendre  des  lettres 
de  naturalité. 

La  compagnie  de  la  Nouvelle  France  se  trouva  bientôt 
composée  de  cent  associés.  Le  cardinal  de  Richelieu, 
le  Maréchal  d'Effiat,  le  commandeur  de  Iîazilli, 
l'abbé  DE  LA  ISIadeleine,  Champlain,  et  plusieurs  autres 
personnes  de  condition  y  entrèrent.  Le  reste  se  com- 
posait de  riches  négocians  et  bourgeois  de  Paris  et  des 
autres  grandes  villes  du  royaume. 

II  y  avait  tout  lieu  d'espérer  que  la  colonie  allait  faire 
des  progrès  rapides,  sous  les  auspices  de  cette  puissante 
association  ;  mais  l'époque  même  de  son  institution  fut 
marquée  par  les  circonstances  les  plus  malheureuses. 
Lcspremiers  vaisseaux  qu'elle  expédia  (en  1627)  furent 
pris  par  les  Anglais.*  L'année  suivante,  David  Kertk, 
français  protestant,  réfugié  en  Angleterre,  s'avança  avec 
une  escadre,  jusqu'à  Tadoussac,  d'oii  il  envoya  bri*»ler  les 

*Le3  ennoinis  du  dehors  n'étaient  peut-être  pas  les  plus  à 
craindre  pour  la  compagnie.  Le  commerce  interlope,  qui  alors  était 
fait  sur  une  échelle  étendue,  particulièrement  par  les  ^Malouins, 
les  lloehelois  et  les  Basques,  diminuait  de  beaucoup  les  profits 
qu'elle  s'était  attendue  à  retirer  de  son  monopole.  Les  vaisseaux 
interlopes,  ordinairement  très  légers  et  bon-voiliers,  échappaient 
presque  toujours  à  ceux  qu'elle  était  obligée  d'armer  pour  les 
poursuivre. 


100  HISTOIRE 

maisons  et  les  vaisseaux  qu'il  y  avait  au  Cap  Tourmente. 
L'officier  qu'il  avait  chai'gé  de  cette  ct>mmission  eut 
ordre  de  monter  jusqu'à  Québec,  et  de  sommer  le  com- 
mandant de  lui  livrer  son  fort.  Champlain  y  était 
alors,  avec  Du  Pont.  Après  qu'ils  eurent  délibéré 
ensemble,  et  sondé  les  principaux  habitans,  ils  résolurent 
de  se  défendi'e.  L'envoyé  de  Xertk  reçut  une  réponse 
si  fière,  qu'il  j  ugea  à  propos  de  se  retirer.  Cependant, 
il  n'y  avait  plus  que  quelques  livres  de  poudi'e  dans  le 
magasin,  et  chacun  des  habitans  était  réduit  à  sept  onces 
de  pain  par  jour.  Si  Kertk  eût  connu  cet  état  de  choses, 
il  serait  sans  doute  venu  de  suite  à  Québec,  et  s'en  serait 
rendu  maître  sans  coup  férir.  Mais  peut-être  crut-il 
qu'il  fallait  commencer  par.  s'emparer  d'une  escadi'e  que 
la  nouvelle  compagnie  avait  expédiée,  sous  la  conduite 
de  M.  DE  RoQUEMOXT,  un  de  ses  membres.  Celui-ci,  loin 
de  chercher  à  éviter  Kertk,  vint  à  sa  rencontre,  sans 
songer  qu'il  exposait  au  hazard  d'un  combat  dont  le 
succès  ne  pouvait  qu'être  douteux,  toute  la  ressource 
d'une  colonie  prête  à  succomber.  Les  deux  escadi-es  ne 
tardèrent  pas  à  se  rencontrer  :  Eoquemont  montra  de  la 
bravoure  et  de  l'habileté  ;  mais  outre  que  ses  vaisseaux 
pesamment  chargés  ne  pouvaient  pas  manœuvrer  aussi 
bien  que  ceux  de  Kertk,  ils  étaient  moins  forts.  Ils 
furent  tous  désagréés  et  contraints  de  se  rendre. 

Le  combat  s'étant  livré  dans  le  golfe,  ou  à  l'entrée  du 
fleuve,  le  vainqueur  ne  jugea  pas  à  propos  de  monter  in- 
continent à  Québec.  La  chasse,  la  pêche,  et  la  récolte 
remirent  pour  quelques  mois  un  peu  d'aisance  dans  la 
ville  et  dans  les  habitations  voisines  ;  mais  ensuite  on 
se  trouva  dans  une  disette  pire  que  la  précédente  ; 
j  usque-là  que  plusieurs  furent  contraints  d'aller  chercher 
des  racines  dans  les  bois,  pom-  s'empêcher  de  mourir  de 
faim.     Le  retour  de  la  saison  de  la  navigation  n'apporta 


DU   CANADA.  101 

pas  de  soulagement  à  ce  mal,  car  il  n'ai-riva  aucun 
vaisseau  de  France.  Aussi  Champlain  regarda-t-il  les 
Anglais  bien  moins  comme  des  ennemis  que  comme  des 
libérateurs,  lorsqu'ils  parurent  devant  Québec,  vers  la 
fin  de  juillet  1629.  L'escadre  s'étant  arrêtée  derrière 
la  Pointe  Lévi,  une  chaloupe  s'avança  jusque  vers  le 
milieu  de  la  rade.  L'officier  qui  la  commandait  de- 
manda la  permission  de  s'approcher.  Elle  lui  fut  donnée, 
et  lorsqu'il  eut  débarqué,  il  alla  présenter  une  lettre  de 
Louis  et  Thomas  Kertk,  frères  de  l'amiral  David.* 
Cette  lettre  contenait  une  sommation  dans  des  termes 
extrêmement  j^olis  :  les  deux  frères,  dont  l'un  devait 
commander  à  Québec,  et  l'autre  conduisait  une  escadre 
dont  la  meilleure  partie  était  restée  à  Tadoussac,  faisaient 
entendre  à  M.  de  Champlain  qu'ils  étaient  infoi'més  du 
triste  état  de  sa  colonie;  que  néanmoins,  s'il  voulait 
leur  remettre  son  fort,  ils  le  laisseraient  maître  des  con- 
ditions. Champlain  n'eut  garde  de  refuser  les  offres 
qu'on  lui  faisait;  mais  il  fit  prier  les  deux  frères  de 
n'approcher  pas  davantage,  qu'on  ne  fût  convenu  de 
tout.  L'officier  s'en  retourna  avec  cette  réponse,  et 
revint,  le  soir  du  même  jour,  pour  demander  les  articles 
de  la  capitulation.  Champlain  les  lui  donna  par  écrit  : 
ils  portaient.  1°.  Qu'avant  toutes  choses,  MM.  Kertk 
montreraient  la  commission  du  roi  d'Angleterre,  et  la 
procuration  de  l'amiral  David,  leur  frère.  2°.  Qu'ils 
lui  fourniraient  un  vaisseau  pour  passer  en  France,  avec 
tous  les  Français.  3°.  Que  les  gens  de  guerre  sortiraient 
avec  leurs  armes,  et  emporteraient  leurs  effets. 

Louis  Kertk  accepta  ces^onditions,  et  le  lendemain, 
20  juillet,  il  mouilla  dans  la  rade,  avec  trois  vaisseaux, 
dont  le  plus  gros  portait  dix  canons.     Il  était  do  l'inté- 

♦  Ainsi  l'appolle  Charlevoix.  Il  était  au  plus  Commodore,  ou 
chef  d'escadre. 

i2 


102  IIISTOIIÎÊ 

rêt  des  vainqueurs  que  ceux  des  liabitans  qui  avaient 
des  terres  défrichées  demeurassent  dans  le  pays  ;  du 
moins  Ivertk  le  crut  ainsi  ;  et  pour  les  y  engager,  il  leur 
fit  les  offres  les  plus  avantageuses.  Comme  sa  conduite 
les  avait  fort  prévenus  en  sa  faveur,  et  que  plusieurs 
auraient  été  obligés  de  mendier,  s'ils  avaient  repassé  la 
mer,  presque  tous  prirent  le  parti  de  rester. 

Thomas  Kertk  étant  venu  joindre  son  frère,  Cham- 
plain  partit  avec  lui,  le  24  pour  Tadoussac,  où  l'amiral 
David  était  arrivé  depuis  quelques  jours. 

Peu  s'en  fallut  que,  dans  ce  voyage,  les  vainqueurs  et 
les  vaincus  ne  changeassent  de  sort.  Eméry  de  Caen, 
qui  allait  à  Québec,  ne  sachant  rien  de  ce  qui  s'y  était 
passé,  rencontra  le  navire  deThomas  Kertk,qui  portait  M. 
de  Champlain.  Il  l'attaqua,  et  il  é+ait  sur  le  point  de  s'en 
rendre  maître,  lorsqu'ayant  crié  quartier,  pour  obliger 
Kertk  à  se  rendre,  celui-ci  prit  cette  parole  dans  un  sens 
opposé,  et  cria,  de  son  côté,  bon  quartier.  A  ces  mots, 
l'ardeur  des  Français  se  rallentit  un  peu  :  de  Caen  qui 
s'en  apperçut,  voulut  les  rassurer,  et  se  préjjarait  à  faire 
un  dernier  effort  ;  mais  Champlain  se  montra,  et  lui 
conseilla  de  profiter  de  son  avantage  pour  faire  ses  con- 
ditions bonnes,  avant  l'arrivée  des  autres  vaisseaux  de 
Kertk. 

David  Kertk  ne  voulut  pas  retourner  en  Angleterre 
sans  avoir  visité  sa  conquête  :  il  monta  jusqu'à  Québec, 
et  à  son  retour  à  Tadoussac,  il  dit  à  Champlain,  qu'il 
trouvait  la  situation  de  cette  ville  admirable  ;  que  si  elle 
demeurait  à  l'Angleterre,  elle  serait  bientôt  sur  un  autre 
pied,  et  que  les  Anglais  tii-eraient  parti  de  bien  des 
choses  que  les  Français  avaient  négligées.  Il  employa 
le  reste  de  l'été  à  caréner  ses  vaisseaux,  mit  à  la  voile 
pour  l'Angleterre,  dans  le  mois  de  septembre,  et  mouilla, 
le  20  octobre,  dans  le  port  de  Plymouth,  où  il  apprit  que 
le  différent  entre  les  deux  couronnes  était  terminé. 


BU   CAXADA.  103 

Pendaut  que  les  Anglais  se  rendaient  ainsi  maîtres  de 
Québec  et  du  Canada,  le  capitaine  Daniel,  de  Dieppe, 
les  chassait  du  port  aux  Baleines,  sur  les  côtes  de  la 
Gaspésie,  et  un  jeune  officier,  nommé  Latour,  leur 
résistait  au  Cap  de  Sable,  le  seul  poste,  à  peu  près,  qui 
restât  alors  aux  Français  dans  l'Acadie.  Le  père  de 
ce  jeune  officier,  qui  s'était  trouvé  à  Londres,  pendant 
le  siège  de  La  Rochelle,  et  y  avait  épousé,  en  secondes 
noces,  une  des  tilles  d'honneur  de  la  reine,  avait  promis 
au  gouvernement  anglais  de  le  mettre  en  possession  du 
poste  où  commandait  son  fils,  et  sur  cette  promesse,  on 
hii  donna  deux  vaisseaux  de  guerre,  sur  lesquels  il  s'em- 
barqua avec  sa  nouvelle  épouse. 

Ai'rivé  à  la  vue  du  Cap  de  Sable,  il  se  fit  débarquer, 
et  alla  seul  trouver  son  fils,  à  qui  il  fit  un  exposé  magni- 
fique du  crédit  dont  il  jouissait  à  ia  cour  d'Angleterre,  et 
des  avantages  qu'il  avait  lieu  de  s'en  promettre.  Il 
ajouta  qu'il  ne  tenait  qu'à  lui  de  s'en  procurer  d'aussi 
considérables  ;  qu'il  lui  apportait  l'ordre  du  Bain,  et 
qu'il  avait  pouvoir  de  le  confirmer  dans  son  gouverne- 
ment, s'il  voulait  se  déclarer  pour  sa  majesté  britannique. 

La  surprise  du  jeune  commandant  fut  extrême  :  il  dit 
à  son  père,  qu'il  s'était  trompé,  s'il  l'avait  cru  capable 
de  trahir  son  pays  ;  qu'il  faisait  beaucoup  de  cas  de 
l'honneur  que  le  roi  d'Angleterre  voulait  lui  faire,  mais 
qu'il  ne  l'achèterait  pas  au  prix  d'une  trahison  ;  que  le 
monarque  qu'il  servait  était  assez  puissant  pour  le  ré- 
compenser de  manière  à  ne  lui  pas  donner  lieu  de  re- 
gretter d'avoir  rejette  les  oifres  qu'on  lui  faisait  ;  et 
qu'en  tout  cas,  sa  fidélité  lui  tiendrait  lieu  de  récom- 
pense. 

Le  père,  qui  ne  s'était  pas  attendu  à  une  pareille  ré- 
ponse, l'etourna  aussitôt  à  son  bord.  Il  écrivit,  le  len- 
demain, à  son  fils,  dans  les  termes  les  plus  pressants  et 


104  HISTOIRE 

les  plus  tendres  ;  mais  sa  lettre  ne  produisit  aucun  effet. 
Enfin,  il  lui  fit  dire  qu'il  était  en  état  d'emporter  par  la 
force  ce  qu'il  ne  pouvait  obtenir  par  ses  prières  ;  que 
quand  il  aurait  débarqué  ses  troupes,  il  ne  serait  plus 
temps  pour  lui  de  se  repentir  d'avoir  rejette  les  avan- 
tages qu'il  lui  offrait,  et  qu'il  lui  conseillait,  comme 
père,  de  ne  pas  le  contraindre  à  le  traiter  en  ennemi. 

Ces  menaces  furent  aussi  inutiles  que  l'avaient  été 
les  sollicitations  et  les  prières.  Latoue,  le  père,  en 
voulut  venir  à  l'exécution  :  on  attaqua  le  fort  ;  mais  le 
jeune  officier  se  défendit  si  bien,  qu'au  bout  de  deux 
jours,  le  commandant  anglais,  qui  n'avait  pas  compté 
sur  la  moindre  résistance,  et  qui  avait  déjà  perdu  plu- 
sieurs soldats,  ne  jugea  pas  à  px'opos  de  s'opiniâtrer 
davantage  à  ce  siège.  Il  le  déclara  à  Latour,  père,  qui 
se  trouva  fort  embarrassé  :  comment,  en  effet,  retourner 
en  Angleterre,  et  s'exposer  au  ressentiment  d'une  cour 
qu'il  avait  trompée  ?  Quant  à  son  pays  natal,  il  ne 
pouvait  songer  à  y  enti-er,  après  l'avoir  voulu  trahir.  Il 
ne  lui  resta  d'autre  parti  à  prendre  que  de  recourir  à  la 
générosité  de  son  fils  :  il  le  pria  de  souffrir  qu'il  demeurât 
auprès  de  lui  ;  ce  qui  lui  fut  accordé. 

Pour  revenir  au  capitaine  Daniel,  cet  officier,  parti  de 
Ché-de-Bois,  le  26  juin  1629,  avec  cj[uatre  navires  et 
une  barque,  pour  venir  secourir  et  avitailler  Québec, 
fut  séparé  de  ses  autres  vaisseaux,  dans  une  tempête  et 
par  un  temps  brumeux,  sur  les  bancs  de  Terre-Neuve. 
Ne  voulant  pas  remonter  le  Saint-Laurent  avec  un  seul 
vaisseau,  il  entra  dans  la  rivière  ou  la  baie  appellée  alors 
par  les  Sauvages  Grand  Cibou.  Ayant  envoyé  de  là 
quelques  uns  de  ses  gens  le  long  de  la  côte,  pour  apprendi-e 
par  les  Sauvages  des  nouvelles  de  M.  de  Champlain,  ils 
lui  rapportèrent  qu'un  lord  anglais,  nommé  James 
Stuart,   s'était   établi  au  port  aux  Baleines,   depuis 


DU    CANADA.  105 

environ  deux  mois  ;  qu'il  y  avait  élevé  des  fortifications  ; 
qu'il  avait  déjà  saisi  ou  pillé  plusieurs  vaisseaux  de 
France,  et  qu'il  avait  déclaré,  ou  proclamé,  qu'il  ne  per- 
mettrait à  aucun  vaisseau  français  de  pêcher  sur  cette 
côte,  non  plus  que  d'y  faire  la  traite  avec  les  naturels, 
à  moins  que  le  dixième  du  tout  ne  lui  fût  payé  ;  ajoutant 
que  la  comi«ission  qu'il  tenait  du  roi  d'Angleterre  l'au- 
torisait à  confisquer  tous  les  vaisseaux  qui  fréquente- 
raient ces  parages  sans  sa  permission.* 

Le  brave  et  loyal  Daniel,  "jugeant  qu'il  était  de  son 
devoir  d'empêcher  que  le  lord  anglais  continuât  à  usur- 
per un  pays  appartenant  à  son  maître,  et  n'exigeât  de 
ses  sujets  le  tribut  qu'il  s'en  promettait,"  fit  armer  une 
cinquantaine  de  ses  gens,  et  s'avança,  à  leur  tête,  avec 
des  échelles,  et  toutes  les  choses  nécessaires  pour  assiéger 
et  escalader  le  fort  anglais.  L'attaque  se  fit  le  18  sep- 
tembre, vers  les  deux  heures  après-midi,  avec  "force 
grenades,  pots-à-feu,  et  autres  artifices."  Les  Anglais 
se  défendirent  bravement,  d'abord;  mais  bientôt,  ne 
pouvant  plus  résister  à  une  attaque  aussi  résolument 
soutenue  qu'elle  avait  été  brusquement  commencée,  l'un 
d'eux  parut  sur  le  rempart,  un  drapeau  blanc  à  la  main, 
demandant  pour  la  garnison,  vie  et  quartier  au  lieute- 
nant de  Daniel,  tandis  que  celui-ci  enfonçait  les  portes 
du  fort,  entrait  dans  la  place,  l'épée  à  la  main,  et  faisait 
prisonniers  le  commandant  et  tous  ses  gens.  Il  com- 
mença  par   les  désarmer  ;f   puis,  abattit  le   pavillon 

*  Ce  Milord,  ou  ^lonsleur  Stuart,  était  sans  doute  l'agent  ou 
le  substitut  de  Sir  William  Alexandek,  à  qui  Jacques  I  avait 
pris  sur  lui  de  concéder,  en  1G21,  la  Péninsule  Acadiennc,  sous 
le  nom  de  JVoui-ellc-Ecossc,  l'île  de  Sable,  et,  si  nous  avons  bien 
compris  la  teneur  des  lettres-patentes,  rapportées  par  Laet,  tout 
le  littoral,  en  remontant,  jus(pi'à  la  rivière  ou  baie  de  Gaspé. 

f  Dirtieile  encore  aurait  dû  être  cette  nouvelle  besogne,  car 
"  milord  tenait  une  épéc  d'une  main  et  un  pisti)lct  de  l'autre  :" 
quinze  de  ses  hommes  "étaient  armés  de  cuirasses,  brassards, 


106  HISTOIRE 

d'Angleterre,  pour  mettre  à  sa  place  celui  de  France, 
rasa  le  fort  et  transporta  les  effets  de  valeur  qu'il 
contenait,  au  grand  Cibou  ;  où  il  éleva  des  retran- 
chemens,  et  laissa  huit  pièces  de  canon  et  quarante 
hommes,  sous  le  commandement  d'un  sieur  Claude,  de 
Beauvais.  Une  partie  des  prisonniers  furent  mis  à 
terre,  près  de  Falmoutli  ;  les  autres,  y  compris  leur 
commandant,  furent  emmenés  eu  France.  La  baie  de 
Cibou  prit,  dans  la  suite,  le  nom  de  Port  Daniel. 

Cependant  on  avait  négocié,  à  la  cour  de  France, 
pour  retirer  des  mains  des  Anglais  le  fort  de  Québec  et 
le  Canada;  et  afin  de  donner  plus  de  poids  aux  négo- 
ciations, on  avait  armé  six  vaisseaux,  qui  devaient  être 
sous  les  ordres  du  commandeur  de  Razilli  ;  mais 
l'Angleterre  rendit  de  bonne  grâce  ce  qu'on  se  préparait 
à  lui  enlever  de  force.  Le  traité  en  fut  signé  à  Saint- 
Germain  en  Laye,  le  20  octobre,  1632,  et  l'Acadiey  fut 
comprise,  ainsi  que  le  Cap-Breton.  Un  des  articles  du  trai- 
té portait  que  tous  les  effets  qui  seraient  trouvés  à  Québec 
seraient  restitués,  ainsi  que  les  vaisseaux  pris  de  part  et 
d'autre,  avec  leurs  cargaisons  ;  et  comme  les  sieurs  de 
Caen  avaient  le  principal  intérêt  dans  cette  restitution, 
Emeet  fut  envoyé  en  Amérique,  pour  porter  à  Louis 
Kertk  le  traité,  et  en  solliciter  l'exécution.  Le  roi 
jugea  même  à  propos  de  lui  abandonner  le  commerce 
des  pelleteries  pour  un  an,  afin  de  le  dédommager  des 
pertes  qu'il  avait  faites  pendant  la  guerre.  Il  partit  pour 
Québec,  au  mois  d'avril  de  cette  même  année  1632,  et 
à  son  arrivée,  le  gouverneur  anglais  lui  remit  la  place, 
avec  tous  les  effets  qui  lui  appartenaient. 

En  1633,  la  compagnie  des  Cent  Associés  rentra 

cuissards  et  boxirguignottes,  et  avaient,  chacun,  une  arquebuse  à 
fusil  en  main."  Les  autres  n'avaient  pour  armes  que  des  mous- 
quets et  des  piques. 


DU    CANADA.  107 

daus  tous  ses  droits,  et  l'Acadic  fut  concédée  au  com- 
mandeur de  Razilli,  à  condition  qu'il  y  ferait  un  éta- 
blissement. Il  en  fit  un,  en  effet,  mais  peu  consi- 
dérable, à  La  llèvc.  La  même  année,  M.  de  Cliani- 
plain  fut  nommé  de  nouveau  gouverneur,  ou  comman- 
dant en  Canada,  et  y  vint,  avec  une  escadre  qui  portait 
beaucoup  plus  que  ne  valait  alors  toute  cette  colonie. 
Sa  première  vue  fut  de  s'attacher  la  nation  huronne,  et  de 
tâcher  de  la  soumettre  au  joug  de  l'évangile.  Des 
missionnaires,  récollets  et  jésuites,  l'avaient  déjà  visitée, 
avant  la  prise  de  Québec,  et  il  arriva  ensuite  un  assez 
grand  nombre  des  derniers,  dont  plusieurs  partirent  pour 
cette  mission.  Charlevoix  remarque  qu'eu  moins  de 
trois  ans,  après  la  restitution  du  Canada,  il  y  eut  quinze 
jésuites  dans  le  pays.  Bientôt  aussi,  dit-il,  il  n'y  eut 
plus  un  seul  calviniste  dans  la  colonie.  Cette  exclusion, 
qu'on  pourrait  regarder  comme  le  fruit  de  l'intolérance, 
qui  était  l'esprit  du  temps,  et  non  moins  chez  les  pro- 
testans  que  chez  les  catholiques,  était  aussi  une  mesure 
de  politique:  on  était  persuadé,  à  la  cour  de  France, 
que  l'entreprise  et  le  succès  des  Anglais  contre  le  Cana- 
da étaient  principalement  dûs  aux  intrigues  de  quelques 
protestans  de  France,  et  à  la  connivence  de  ceux  de  la 
colonie;  et  l'on  crut  qu'il  était  de  la  prudence  de  ne  pas 
trop  approcher  les  réformés  des  Anglais,  dans  un  pays 
où  l'on  n'avait  pasassez  de  forces  pour  les  contenir  dans 
le  devoir  et  la  soumission  aux  autorités  légitimes.* 

*  Ces  autorités,  à  la  tête  desquelles  était  Champlain,  ayant  à 
c<inir  de  faire  des  indigènes  des  chrétiens  et  des  catholiques, 
Toulaiont  éviter  les  scènes  scandaleuses  qui  avaient  eu  lieu  à  l'île  de 
Sainte-Croix  et  au  Port  Royal.  "  Deux  religions  contraires,  dit 
Champlain,  ne  font  jamais  un  grand  fruit  parmi  les  infidèles  (jue 
l'on  veut  convertir.  J'ai  vu  (au  l'ort  Royal,  J  le  ministre  et  notre 
curé  se  battre  à  coups  de  poing  sur  le  différent  de  la  religion,  et 
vider  en  cette  façon  les  points  de  controverse.  Les  Français, 
mêlés  selon  leur  diverse  croyance,  disaient  pis  que  pendre  de 


108  HISTOIRE 

On  avait,  d'ailleurs,  apporté  une  grande  attention  au 
choix  de  ceux  qui  s'étaient  présentés  pour  venir  s'éta- 
blir en  Canada,  On  n'y  voulait  point  de  mauvais  gar- 
nemens,  comme  s'exprime  un  historien  du  temjDS.  On 
avait  soin  surtout  de  s'assurer  de  la  conduite  et  de  la  ré- 
I)utation  des  femmes  et  des  filles,  avant  de  leur  permettre 
de  s'embarquer.  Les  missionnaires,  soit  chez  les  Fran- 
çais, soit  chez  les  Sauvages,  se  distinguaient  jiar  une 
piété,  un  zèle,  une  résignation  et  un  dévouement,  qu'on 
pouvait  regarder,  même  à  cette  époque,  comme  extra- 
ordinaires. 

Un  établissement  pour  l'instruction  des  enfons  des 
Français  et  des  Sauvages,  auquel  on  donna  le  nom  de 
collège,  fut  commencé  en  1635,  particulièrement  par  les 
soins  du  jésuite  René  Rohault,  fils  du  marquis  de 
Gamaciie. 

Champlain  mourut,  à  Québec,  vers  la  fin  de  décem- 
bre de  la  même  année,  universellement  regretté,  et  à 
juste  titre.  C'était  un  homme  de  bien  et  de  mérite:  il 
avait  des  vues  droites  et  était  doué  de  beaucoup  de 
pénétration.  Ce  qu'on  admirait  le  plus  en  lui,  c'étaient 
son  activité,  sa  constance  à  suivre  ses  entreprises;  sa 
fermeté  et  son  courage  dans  les  plus  grands  dangers;  un 
zèle  ardent  et  désintéressé  pour  le  bien  de  l'état  ;  un 
grand  fond  d'honneur,  de  probité  et  de  religion.  Au 
reproche  que  lui  fait  Lescarbot,  d'avoir  été  trop  crédule, 
Charlevoix  répond  que  c'est  le  défaut  des  âmes  droites, 
et  que,  dans  l'impossibilité  d'être  sans  défauts,  il  est  beau 
de  n'avoir  que  ceux  qui  seraient  des  vertus,  si  tous  les 
hommes  étaient  ce  qu'ils  devraient  être. 

Champlain   eut  pour  successeur  immédiat   dans   le 

l'une  et  de  l'autre  religion.  Ces  insolences  étaient  véritablement 
à  l'infidèle  un  moyen  de  le  rendre  encore  plus  endurci  en  son 
infidélité.' 


DU    CANADA.  109 

gouvernement  du  Canada,  M.  de  Montmagny,  chevalier 
de  Malte.* 

Aussitôt  après  son  arrivée  à  Québec,  le  P.  Le  Caron, 
récollet,  était  monté  chez  les  Hurons,  et  d'autres  mission- 
naires l'y  avaient  suivi.  L'occasion  était  favorable  pour 
faire  dans  leur  pays  un  bon  établissement  ;  mais  M.  de 
Montmagny  manquait  d'hommes  et  de  finances.  Les 
Hurons  étaient  inquiétés  par  les  Lroquois,  et  l'alliance 
des  Français  leur  avait  donné  une  confiance  et  une 
présomption  qui  les  perdirent,  à  la  fin.  Leurs  ennemis 
surent  les  endormir  par  des  négociations  ;  mais  en 
même  temps  qu'ils  négociaient,  ou  feignaient  de  négo- 
cier avec  le  corps  de  la  nation,  ils  attaquaient,  sous 
différents  prétextes,  les  bourgades  les  plus  éloignées  du 
centre,  en  persuadant  aux  autres,  qu'il  ne  s'agissait  qi^e 
de  quelques  querelles  particulières,  où  elles  n'avaient 
aucun  intérêt  d'entrer.  Cependant,  au  commencement 
de  l'année  1636,  les  Iroquois  cessèrent  de  feindi'e,  et 
parurent  en  armes  au  milieu  du  pays  des  Hurons. 
Ceux-ci  les  repoussèrent,  cette  fois,  avec  l'aide  du  peu 
de  Français  qu'il  y  avait  parmi  eux.  Mais  la  retraite 
de  leurs  ennemis  les  replongea  dans  leur  première 
sécurité  ;  et  pour  comble  de  mal,  une  épidémie,  qui 
éclata  dans  leur  i^ays,  leur  fit  perdre  un  grand  nombre 
de  leurs  guerriers.  Une  partie  aussi  de  ceux  qui 
s'étaient  faits  chrétiens,  ou  qui  désiraient  le  devenir, 
laissèrent  leur  pays,  et  vinrent  former,  auprès  de  Qué- 
bec, en  1637,  une  bourgade  qui  fut  appellée  Si/Ueri,  du 
nom  du  seigneur  qui  avait  i>i'ojetté  cet  établissement. 

Deux  choses  essentielles  manquaient  encore  à  la 
colonie;  une  école  pour  l'instruction  des  jeunes  filles, 

*  L'habitation,  ou  l'c-tablisscmont  des  Trois-Riviôres,  avait  alors 
pour  commandant  TkL  Dklisi'.e,  autre  chevalier  de  Malte.     "  Ces 
deux  hommes,  dit  l'histoii-e,  montraient  pour  le  bon  ordre  un  zèle 
dont  leur  fermeté  et  leur  exactitude  assuraient  le  succès." 
K 


110  HISTOIUE 

et  un  hôpital  pour  le  soulagement  des  malades.  Les 
jésuites  s'étaient  déjà  donné  de  grands  mouvcmens  pour 
lui  procurer  ce  double  avantage  :  deux  dames  illustres 
secondèrent  leurs  vues,  et  mirent  leurs  projets  à  exécu- 
tion. La  dncliesse  d'Aiguillox  voulut  être  la  fonda- 
trice de  l'Hôtel-Dieu  :  elle  s'adressa  aux  Hospitalières 
de  Dieppe,  qui  s'offrirent  toutes,  mais  dont  trois  seule- 
ment furent  acceptées.  La  fondation  des  Ursulines  fut 
due  à  une  jeune  veuve  de  condition,  nommée  Madame 
DE  LA  Peltrie.  Cette  illustre  fondatrice  consacra  ses 
biens  et  sa  pei'sonne  même  à  cette  œuvre  méritoire. 
Après  avoir  obtenu  trois  ursulines,  entre  lesquelles 
était  la  sœur  ]\Lirie  de  l'Ixcarxation,  que  Charlevoix 
appelle  la  Thérèse  de  la  Nouvelle  France,  elle  s'em- 
barqua à  Dieppe,  avec  elles  et  avec  les  trois  hospita- 
lières, le  4  mai  1639,  sur  un  vaisseau  qui  n'arriva  à 
Québec  que  le  1er  août.  Le  jour  de  leur  arrivée  fut  un 
jour  de  fête  pour  toute  la  ville.  Tous  les  travaux 
cessèrent  ;  toutes  les  boutiques  furent  fermées.  Le 
gouverneur  reçut  les  religieuses,  à  la  tête  de  ses 
troupes,  qui  étaient  sous  les  armes,  et  au  bruit  du 
canon.  Il  les  mena,  au  milieu  des  acclamations  du 
peuple,  à  l'église,  où  le  Te  Deum  fut  chanté  en  actions 
de  grâces.  Les  hospitalières  allèrent  s'établir  à  Sylleri: 
les  ursulines  restèrent  à  Québec.  Madame  de  la 
Peltrie  poussa  son  zèle  et  sa  charité  jusqu'à  se  dépouil- 
ler du  peu  qu'elle  s'était  réservé  pour  son  usage  ;  à  se 
réduire  à  manquer  parfois  du  nécessaire,  et  à  cultiver 
même  la  terre  de  ses  mains,  pour  avoir  de  quoi  soulager 
les  nécessiteux  et  les  enfans  pauvres  qu'on  lui  présen- 
tait. Ce  zèle  peut  paraître  bien  excessif,  et  même  peu 
éclairé,  puisqu'en  se  réservant  un  revenu,  même  mo- 
dique, elle  se  fût  trouvée  en  état  de  subvenir  aux 
besoins  des  indigens,  bien  plus  efficacement  que  par  le 


DU    CANADA.  111 

travail  de  ses  mains,  et  surtout  par  la  culture  de  la 
terre.  Mais  nous  n'en  devons  pas  priser  moins  sa 
bonne  œuvre,  dont  le  fruit  s'est  perpétué  jusqu'à  pré- 
sent, au  grand  avantage  de  notre  ville  capitale. 

Cependant,  la  compagnie  des  Cent  Associés  demeu- 
rait dans  une  inaction  incompréliensible,  et  paraissait 
ne  penser  nullement  à  remplir  même  une  partie  de  ses 
grandes  promesses.  La  guerre  recommençait  plus 
vivement  que  jamais  entre  les  lîurons  et  les-  Iroquois. 
Ces  dei'nieis  étant  tombés  inoj)inément  sur  une  tribu 
éloignée,  y  firent  un  massacre  épouvantable,  et  con- 
traignirent ceux  qui  eui'ent  le  bonheur  d'écbapper,  à 
chercher  une  retraite  ailleurs.  Ils  la  trouvèrent  chez 
les  Ilurons,  qui  n'eurent  pas  plutôt  appris  leur  désastre, 
qu'ils  envoyèrent  au-devant  d'eux  avec  des  rafraichisse- 
mens,  et  les  accueillirent  avec  une  bienveillance  et 
une  affection  qui  auraient  fait  honneur  à  des  peuples 
civilisés.  Peut-être  la  politique  entrait-elle  aussi  pour 
quelque  chose  dans  cette  démarche  ;  mais  si  les  Hurons 
augmentaient  un  peu  le  nombre  de  leurs  guerriers,  en 
accueillant  ainsi  les  ennemis  des  Iroquois,  ils  achevaient 
par  là  de  se  rendre  ces  derniers  irréconciliables. 

Ceci  se  passa  vers  l'année  1640.  Quelque  temps 
après,  trois  cents  guerriers  hurons  et  algonquins  s'étant 
mis  en  campagne,  une  petite  troupe  prit  les  devans,  et 
rencontra  un  parti  de  cent  Iro(]uois.  Ces  derniers 
chargèrent  cette  avant-garde  ;  mais  malgré  l'inégalité 
du  nombre,  ils  ne  purent  lui  prendre  qu'un  seul  homme- 
Ccintcirts  néanmoins  de  ce  petit  succès,  et  craignant, 
s'ils  allaient  plus  loin,  d'avoir  affaire  à  trop  forte  partie, 
ils  songeaient  à  se  retirer,  quand  leur  prisonnier  s'avisa 
de  leur  dire  que  le  corps  dont  lui  et  sa  troupe  avaient  été 
détachés,  était  beaucoup  plus  Hiible  qu'eux.  Sur  la  parole 
de  ce  captif,  il  se  déterminèrent  à  attendre  leurs  ennemis, 


112  HISTOIRE 

dans  un  lieu  où  il  les  assura  qu'ils  devaient  passer.  Les 
Hurous  et  leur  alliés  parurent  bientôt,  et  les  Iroquois, 
au  désespoir  de  s'être  laissé  duper,  s'en  vengèrent  d'une 
manière  terrible  sur  celui  qui  les  avait  engagés  dans  ce 
mauvais  pas.  La  plupart  furent  d'avis  qu'il  fallait 
tâcher  de  se  sauver  ;  mais  un  brave,  élevant  la  voix, 
s'écria  :  "  Mes  frères,  si  nous  voulons  commettre  une 
telle  lâcheté,  attendons  au  moins  que  le  soleil  soit  sous 
l'horizon,  afin  qu'il  ne  la  voie  pas."  Ce  peu  de  mots 
eut  son  effet  :  la  résolution  fut  prise  de  combattre 
jusqu'à  la  mort,  et  elle  fut  exécutée  avec  toute  la  valeur 
que  peuvent  inspirer  le  dépit  et  la  crainte  de  se  désho- 
norer. Mais  la  partie  était  trop  inégale  :  les  Iroquois 
furent  tous  tués  ou  faits  prisonniers. 

"  Si  la  Grèce  eût  été  le  théâtre  d'une  action  semblable, 
dit  l'auteur  des  Beautés  de  VHistoii-e  du  Canada,  le 
prisonnier  qui  se  sacrifie  à  la  gloire  de  son  pays  ; 
l'homme  éloquent  qui  arrête,  par  deux  ou  trois  paroles, 
ses  compagnons  prêts  à  fuir  ;  les  braves  qui  se  défen- 
dent contre  des  troupes  quatre  fois  plus  fortes,  eussent 
été  immortalisés  par  tous  les  arts,  et  consacrés  comme 
des  héros  demi-dieux." 

Les  alliés  ne  surent  pas  profiter  de  l'avantage  qu'ils 
venaient  de  remporter  ;  et,  de  leur  côté,  les  L'oquois, 
plus  animés  que  jamais  par  l'échec  qu'ils  avaient  reçu, 
se  promix'ent  d'en  tirer  une  vengeance  éclatante.  Mais 
pour  ne  pas  s'attirer  en  même  temps  sur  les  bras  trop 
de  forces  réunies,  ils  mirent  tout  en  usage  pour  faire 
prendre  aux  Hurons  et  autres  Sauvages,  de  l'ombrage 
des  Français.  Ils  firent  partir  trois  cents  des  leurs, 
qu'ils  divisèrent  par  petites  troupes  :  les  Sauvages  qui 
tombèrent  entre  leurs  mains  furent  traités  avec  tous  les 
raffinemens  de  barbarie  qu'ils  étaient  capables  d'inventer; 


DU   CANADA  113 

tandis  que  quelques  F^'ançais,  qui  furent  pris  par  eux, 
n'eurent  aucun  mal. 

Quelque  temps  après,  plusieurs  partis  d'Iroquois 
parurent  aux  environs  des  Trois-Rivièrcs  et  tinrent  eu 
6cheCi  pendant  plusieurs  mois,  toutes  les*  habitations 
françaises;  puis,  lorsqu'on  s'y  attendait  le  moins,  ils 
oiFrirent  de  faire  la  paix  avec  les  Français,  mais  à  con- 
dition que  leurs  alliés  n'y  seraient  jias  compris.*  M.  de 
Montmagny,  infoi'mé  du  fait,  monta  aux  Trois-Eivières, 
dans  une  bai'que  bien  armée,  et  envoya  de  là  aux 
Iroquois  le  P.  Ragueneau  et  le  sieur  Nicolet,  pour 
leur  demander  les  prisonniers  français  qu'ils  retenaient,  et 
savoir  leurs  dispositions  touchant  la  paix.  Ces  députés 
furent  bien  reçus  :  on  les  fit  asseoir,  en  qualité  de  média- 
teurs, sur  une  espèce  de  bouclier  ;  on  leur  amena  ensuite 
les  captifs  liés,  mais  légèrement  ;  et  aussitôt,  un  chef 
de  guerre  fit  une  harangue  fort  étudiée,  dans  laquelle 
il  s'efforça  de  persuader  que  sa  nation  n'avait  rien  tant 
à  cœur  que  de  vivre  en  bonne  intelligence  avec  les 
Français.  Au  milieu  de  son  discours,  il  s'approcha  des 
prisonniers,  les  délia,  et  jetta  leurs  liens  par-dessus  la 
palissade,  en  disant  :  "  Que  la  rivière  les  emporte  si 
loin  qu'il  n'en  soit  plus  parlé."  Il  présenta,  en  même 
temps,  un  collier  aux  députés,  comme  un  gage  de  la 
liberté  qu'il  rendait  aux  enfans  d'ONONTHio.f  Puis, 
prenant  deux  paquets  de  peaux  de  castor,  il  les  mit  aux 
pieds  des  captifs,  en  disant  qu'il  n'était  pas  raisonnable 

*L'a^'is  en  fut  donné  à  M.  de  Cuasipfloues,  qui,  depuis  peu, 
avait  remplacé  le  chevalier  Delisle,  dans  le  commandement  aux 
Trois-Rivières. 
f  Onuiithio,  ou  Onnondio,  en  langue  huronne  et  iroquoisc,  veut  dire 
Grandc-Montayne,  et  c'est  ainsi  qu'on  leur  avait  dit  que  se  nom- 
mait M.  DE  Montmagny.  Depuis  ce  temps,  ces  Sauvages,  et  à 
leur  exemple,  tous  les  autres,  appellèrcnt  Onoxtuio  le  gouverneur 
général  du  Canada,  et  donnèrent  au  roi  de  France  le  nom  de  grand 
Onontuio. 

k2 


114  HISTOIRE 

de  les  renvoyer  nus,  et  qu'il  lejir  donnait  de  quoi  se 
faire  des  robes.  Il  reprit  ensuite  sou  discours,  et  dit 
que  tous  les  cantons  iroquois  désiraient  ardemment  une 
paix  durable  avec  les  Français,  et  qu'il  suppliait,  en  leur 
nom,  le  gouverneur  de  cacher  sous  ses  habits  les  haches 
des  Algonquins  et  des  Hurons,  tandis  qu'on  négocierait 
cette  paix  ;  assurant  que,  de  leur  côté,  il  ne  serait  fait 
aucune  hostilité. 

Il  parlait  encore,  quand  deux  canots  d'Algonquins 
ayant  paru  à  la  vue  de  l'endroit  où  se  tenait  le  conseil, 
les  Iroquois  leur  donnèrent  la  chasse.  Les  Algonquins 
ne  voyant  nulle  apparance  de  pouvoir  résister  à  tant  de 
monde,  prirent  le  parti  de  se  jetter  dans  l'eau  et  de 
s'enfuir  à  la  nage,  abandonnant  leurs  canots,  qui  furent 
pillés  sous  les  yeux  du  gouverneur.  Un  procédé  aussi 
indigne  montra  le  peu  de  fond  qu'il  y  avait  à  faire  sur 
la  parole  des  Iroquois,  et  la  négociation  fut  rompue,  à 
l'heure  même. 

C'était,  remarque  Charlevoix,  une  situation  bien 
triste  que  celle  où  se  trouvait  le  gouverneur  général  de 
la  Nouvelle  France,  exposé  tous  les  jours  à  recevoir  de 
pai'eils  affrons,  faute  d'être  en  état  de  tenir  seulement  en 
équilibre  la  balance  entre  deux  partis  de  Sauvages,  qui 
tous  ensemble,  n'auraient  pas  tenu  contre  quatre  ou 
cinq  mille  hommes  de  troupes.  Mais  les  Cent  Associés 
ne  revenaient  point  de  leur  assoupissementj  et  la  colonie 
semblait  diminuer,  de  jour  en  jour,  en  nombre  et  en 
force,  au  lieu  d'augmenter,  comme  elle  aurait  dû  faire. 

Avant  de  passer  plus  loin,  nous  dirons  un  mot  des 
missions,  objet  principal  alors,  pour  une  grande  partie  des 
Français  qui  demeuraient  dans  ce  pays,  ou  qui  y  avaient 
des  relations.  Pendant  que  les  PP.  Jérôme  Lallejient, 
de  Brébeuf,  et  autres,  faisaient  tous  les  efforts  possibles 
pour  convertir  au  christianisme  les  Hurons,  les  Algon- 


DU    CANADA.  115 

quins  et  les  Outaouais,*  les  PP.  TuRCis,  Perrault, 
Lionnes,  travaillaient  clans  le  même  but,  chez  les  tribus 
de  Sauvages  des  environs  du  golfe  de  Saint-Laurent, 
désignés  alors  sous  le  nom  de  Gaspésicns,  à  cause  de  la 
baie  de  Gaspc,  où  la  plupart  des  vaisseaux  qui  fréquen- 
taient ces  parages  venaient  jetter  l'ancre.     Il  y  avait 
aussi   une   mission  à  Tadoussac,    lieu   plus  fréquenté 
qu'aucun  autre  par  les  Montagnais,  les  Papinachois,]  les 
Betsiamites,  et  autres  Sauvages  du  Nord.     Ils  arrivaient, 
quelquefois  tous  ensemble,  et  quelquefois,  les  uns  après 
les  autres  ;  mais  à  l'exception  d'un  petit  nombre,  aussi- 
tôt la  traite  faite,  ils  s'en  retournaient  chez  eux,    ou 
plutôt,  se  dispersaient  dans  les  montagnes  et  les  forêts. 
Plus  tard,  les  jésuites  allèrent  au-devant  de  ces  Sauvages, 
jusqu'à  Chicoutbni,  sur  le  Saguenay,  où  ces  pères  eurent 
un  établissement  considérable  et  en  très  bon  état.     Outre 
les  Algonquins,  un"  nombre  considérable  de  Sauvages 
des  tribus  les  plus  reculées  vers  le  nord,  commençaient 
à  prendre  l'habitude  de  venir  passer  presque  toute  la, 
belle  saison  dans  les  environs  des  Trois-Rivières  ;  mais 
comme  ils  s'en  retournaient  dans  leur  pays,  aux  approches 
de  l'hiver,  les  missionnaires  ne  parvenaient  que  diffici- 
lement à  les  instruire  assez  pour  en  faire  des  néophytes. 
M.  de  Champlain  avait  bien  compris  de  quelle  ira- 
iwrtance  il  aurait  été  d'occuper  et  de  fortifier  l'île  de 
Mont-réal  ;  mais  la  compagnie  de  la  Nouvelle  France 

*  Si  ces  Sauvages,  mcntionnc's  ici  poiirlapremicrc  fois,  n'étaient 
ni  (les  Iluronsni  des  Algoiiciuins,  ils  (îrcnt  toujours  cause  eouimune 
avec  eux,  dans  leurs  guerres  contre  les  Iroquois.  Leur  chemin 
pour  sortir  de  leur  pays,  ou  pour  y  retourner  des  bords  du  Saint- 
Laurent,  était  la  grande  rivière  des  Algonquins,  qui,  dans  la 
suite,  fut  appellcc  de  leur  nom,  rivière  des  Outaouais. 

t  Ou  Paninachoas.  Champlain  appelle  Pilotois,  ou  Pihtoas, 
les  jongleurs  des  Sauvages  Canadiens.  Catiathu/uous,  Souriijiuxts, 
c'est  ainsi  qu'ils  prononcent,  dit  Lescarbot  ;  et  ainsi  voidons-nous 
qu'on  prononce  Cutiadois,  Armuuc/iiquois,  non  par  à  linal  long  et 
grave,  mais  par  à  bref  et  aigu. 


116  UISTOIRE 

n'était  pas  entrée  dans  ses  vues,  et  il  fallut  que  ce  fussent 
des  particuliers  qui  se  chargeassent  de  l'exécution  de  ce 
projet  ;  mais  ils  le  firent  plutôt  dans  des  vues  de  reli- 
gion et  de  piété  que  par  des  motifs  d'intérêt  ou  de  poli- 
tique. Des  pei'sonnes  puissantes,  tant  ecclésiastiques  que 
laïques,  et  animées  d'une  dévotion  et  d'un  zèle  religieux 
peu  commun,  même  dans  ce  tetnps-là,  s'associèrent  sous 
le  nom  de  "  Compagnie  de  Mont-réal,  .pour  le  soutien  de 
la  religion  catholique  en  Cauada,  et  la  conversion  des 
Sauvages."  Suivant  le  plan  de  cette  nouvelle  compagnie, 
il  devait  y  avoir,  dans  l'Ile  de  Mont-réal,  une  ville,  ou 
plutôt,  une  bourgade -française  bien  fortifiée  et  à  l'abri 
de  toute  insulte  :  les  pauvres  devaient  y  être  reçus  et 
mis  en  état  de  subsister  de  leur  travail:  l'on  proposait 
de  faire  occuper  le  reste  de  l'ile  par  des  Sauvages,  de 
quelque  tribu  que  ce  fût,  pourvu  qu'ils  fussent  chrétiens, 
ou  voulussent  le  devenir.*  L'an  1640,  eu  vertu  de  la 
concession  que  le  roi  venait  de  lui  faire  de  l'ile,  la  com- 
pagnie en  fit  prendre  possession,  à  l'issue  d'une  messe 
solennelle,  qui  fut  célébrée  sous  une  tente.  L'année 
suivante,  le  sieur  Chaumeday  de  Maison-Neuve,  un 
des  associés,  y  amena  plusieurs  familles   de  France. 

*  Le  nombre  de  ceux  qui  entraient  dans  cette  nouvelle  associa- 
tion était  de  trente-cinq.  Peut-être  le  lecteur  ne  sera-t-il  pas 
fâché  de  voir  ici  les  noms  des  principaux  :  c'étaient,  parmi  les 
ecclésiastiques  ;  MM.  J.  J.  Ollieiî,  fondateur  et  premier  supérieur 
du  Séminaire  de  Saint-Sulpice;  A.LeEagois  deBreto>-villiers, 
Gabriel  ce  Qcelus,  Nicholas  Barreau  et  P.  D.  Lepretee, 
prêtres  du  même  séminaire  :  parmi  les  laïcs,  MM.  J.  Lerotee 
DE  LA  Dalversiere,  qui  fut  le  premier  moteur  et  comme  l'agent 
général  de  la  compagnie  ;  P.  Cuevrier  de  r.v>'CAMP,  Lepretre 
DE  Fleurt,  m.  Eoyer  Duplessis  de  Liaxcoue,  j.  Girard  de 
Callieees,  Bertrand  Drouaet,  H.  L.  Habert  de  Moxtmoet, 
C  DcPLESSis  DE  MoxTBART,  A  Barillon  DE  MoRAXGis,  Jean 
GALiBAi,  L.  Segcier  DE  Saixt-Fiemin,  d'Aillebout  de  Mus- 
seau,  d'Aillecourt  de  Coulonges,  Paul  Chaumeday  de 
Maison-Neua'E,  et  Madame  la  duchesse  de  Bulliox,  représentée 
par  Mademoiselle  Jeanne  Manse,  qui  vint  en  Canada  avec  M.  de 
Maison-Xeuve. 


DU   CA^'ADA,  117 

N'étant  arrivé  à  Québec  qu'au  mois  septembre,  il  jugea 
que  la  saison  était  trop  avancée  pour  entreprendre  de  se 
rendre  incontinent  dans  l'île  de  Mont-réal,  où  il  n'y  avait 
pas  encore  d'habitation,  et  se  contenta  d'y  envoyer 
quelques  défricheurs,  afin  d'y  préparer  une  place  conve- 
nable pour  le  printemps  suivant.*  Le  débarquement  se 
fit  le  17  mai  1642,  sur  la  pointe  nommée  depuis  Pointe-à- 
Callières,  en  présence  du  supérieur  général  des  jésuites 
et  de  M.  de  Montmagny,  qui  avait  bien  voulu  accompa- 
gner M.  de  Maison-Neuve,  quoiqu'il  se  fût  d'abord 
montré  opposé  à  l'établissement  de  Mont-réal,  et  eût  fort 
sollicité  les  nouveau-venus  de  se  fixer  plutôt  dans  l'île 
d'Orléans,  alors  entièrement  inculte.  Le  supérieur  des 
jésuites  célébra  aussitôt  la  messe,  dans  une  petite  chapelle, 
qui  avait  été  bâtie  pour  cette  fin. 

Le  soir  du  même  joui*,  M.  de  Maison-Neuve  voulut 
visiter  la  Montagne  qui  a  donné  son  nom  à  l'île  ;  deux 
vieux  Sauvages,  qui  l'y  accompagnèrent,  l'ayant  fait 
monter  jusque  sur  la  cîme,  lui  dirent  qu'ils  étaient  de 
la  tribu  qui  avait  autrefois  habité  ce  pays.  "  Nous 
étions,  ajoutèrent-ils,  en  très  grand  nombre  :  toutes  les 
collines  que  tu  vois,  à  l'orient  et  au  midi,  étaient  cou- 
vertes de  nos  cabanes.  Les  Hurons  en  ont  chassé  nos 
ancêtres,  dont  une  partie  s'est  réfugiée  chez  les  Abéna- 
quis,  une  autre  chez  les  Iroquois,  et  le  reste  est  demeuré 
avec  nos  vainqueurs."!     M.  de  Maison-Neuve  recom- 

*  Qu'était  devenue  la  Place-Royale,  qui  aurait  dû  être  toute 
préparée  ?     Un  lieu  cuuvcrl  de  broussailles,  apparemment. 

t  Un  écrivain  moderne  (M.  G.  T.  roussi>)  dit  i.\\x' Ilochelaija 
était  une  bourgade  liurotme.  Ce  ([u'il  y  a  de  certain,  c'est 
qu'elle  ressemblait  beaucoup  à  plusieurs  de  celles  que  Champlain 
trouva  au  pays  des  llurons.  Ce  que  ces  deux  vieux  Sauvages 
disent  à  M.  de  Maison-Neuve  ferait  croire  que  les  llochclagais, 
ainsi  que  les  autres  Canadois,  étaient  une  nation  étrangère  par 
rapport  aux  llurons  ;  mais  il  n'en  devrait  pas  paraître  moins 
cti-angc  qu'il  eût  pris  envje  ù  ces  derniers  de  venir  détruire  un 
peuple  inortensif,  éloigné,  et  sédentaire,  qui,  "  ne  s'adonnait  qu'à 


118  HISTOIRE 

manda  à  ces  Sauvages  d'avertir  leurs  frères  de  se  réunir 
dans  leurs  anciennes  possessions;  les  assurant  qu'ils  n'y 
manqueraient  de  rien,  et  qu'ils  j  seraient  en  sûreté 
contre  quiconque  entreprendrait  de  les  inquiéter.  Ils 
promirent  de  faire  pour  cela  tout  ce  qui  dépendrait 
d'eux  ;  mais  il  paraît  qu'ils  ne  purent  venir  à  bout  ue 
rassembler  les  débris  de  leur  tribu  dispersée. 

H  arriva  bientôt  une  nouvelle  recrue,  avec  M.  d'Ail- 
LEBorx  DE  McssEAU,  un  des  associés,  et  une  troisième, 
l'année  suivante.  L'établissement,  qui  fut  nommé 
Ville-Marie,  prit  la  forme  d'un  commencement  de  ville, 
et  fut  entourré  d'une  palissade  de  pieux  debout. 

L'assurance  qu'avaient  eue  les  Iroquois  de  paraître 
en  armes  à  la  vue  des  Trois-Rivières,  et  l'audace  avec 
laquelle  ils  avaient  insulté  le  gouverneur  général,  lui 
firent  comprendre  qu'il  ne  pouvait  trop  se  précautionner 
contre  une  nation  qui  paraissait  déterminée  à  employer 
également  la  ruse  et  la  force.  Son  premier  soin  fut  de 
bâtir  un  fort,  à  l'entrée  de  la  rivière  de  Richelieu,  Ce 
fort  fut  achevé  en  peu  de  temps,  quoique  pussent  faire 
sept  cents  Ii-oquois,  qui  vinrent  fondre  sur  les  travail- 
leurs, mais  qui  furent  repoussés  avec  perte. 

A  peu  près  dans  le  même  temps,  quelques  uns  des 
jésuites,  missionnaires  chez  les  Hurons,  reçurent  de  la 
part  des  Sauvages  qui  occupaient  les  environs  d'un 
rapide  qui  se  trouve  au  milieu  du  canal  par  où  le  lac 
Supérieur  se  décharge  dans  le  lac  Huroi\,  l'invitation 
de  se  transporter  chez  eux.  Ces  Sauvages,  dont  le  r.om 
algonquin  est  long  et  difficile  à  prononcer,  reçurent  des 
Français  celui  de  Saulteurs.  Deux  missionnaires,  les 
PP.  JoGUES  et  Charles  Raimbaut,  se  rendirent  d'autant 
plus  volontiers  à  l'invitation  de  ces  Sauvages,  qu'elle 

labourage  et  pêcherie  pour  vivre,  et  n'était  pas  ambulatoire,  (ou 
chasseur)  comme  ceux  de  Canada  et  Saguenay." 


DU    CANADA.  119 

leur  fournissait  l'occasion  de  reconnaître  la  rivière,  et  le 
rapide,  auquel  fut  donné  le  nom  de  Sault  de  Sainte- 
Marie*  et  d'atteindre  les  bords  du  grand  lac  Supérieur, 
qu'aucun  des  missionnaires  n'avait  encore  vu. 

Dans  le  même  temps  que  les  Saulteurs  demandaient 
des  missionnaires,  la  plupart  des  Hurons  se  montraient 
disposés  à  embrasser  le  christianisme,  par  suite  de  la 
conversion  et  du  baptême  d'Ahasistart,  un  de  leurs 
princTpaux  cliefs.  L'occasion  était  favorable,  suivant 
Charlevoix,  pour  construire  dans  leur'  pays,  si  la  com- 
pagnie du  Canada  en  eût  voulu  faire  les  frais,  une  for- 
teresse capable  d'en  imposer  aux  Iroquois,  et  d'opposer 
une  forte  barrière  à  leurs  incursions. 

Ces  ennemis  communs  de  tous  les  autres  habitans  du 
Canada,  assurés  d'être  soutenus  par  les  Hollandais  de 
la  Nouvelle-Belgique,  (ci-après  la  iVoMre//e-ybrA,)  qui 
commençaient  à  leur  fournir  des  armes  et  des  munitions, 
et  à  qui  ils  vendaient  les  pelleteries  qu'ils  avaient 
enlevées  aux  alliés  des  Français,  ne  cessaient  pas  leurs 
courses  et  leurs  brigandages.  Les  rivières  et  les  lacs 
étaient  infestés  de  leurs  partis  de  guerre,  et  le  commerce 
ne  pouvait  plus  se  faire  sans  les  plus  grands  risques. 
Le  P.  Jogues,  que  des  Hurons  ramenaient  dans  leur 
pays,  tomba  entre  leurs  mains,  et  fut  horriblement  mal- 
traité, et  un  Français,  qui  l'accompagnait,  fut  mis  à  mort, 
ainsi  que  la  plupart  des  Hurons. 

Quelque  temps  après  cette  rencontre,  un  parti  de 
cent  Iroquois  parut  devant  le  fort  de  Richelieu.  M.  de 
Montmagny,  qui  y  était  monté,  en  tua  plusieurs,  et  con- 
traicrnit  les  autres  de  se  retirer.     Mais  bientôt  on  ne 


*  Lo  Sault  Saintp-lMaric  est  un  rapide  qui  peut  avoir  cin(|  ou 
six  cents  verj^cs  de  largeur,  et  dix  ou  douze  arpons  de  longueur. 
Le  bas  de  ce  rapide  forme  deux  baies.  La  terre  y  est  on  ne  peut 
guère  plus  fcrtil'\  surtout  du  côté  du  nord. — il.  G.  Fkanchkre, 
Fils. 


120  HISTOIRE 

■ 

reçut  pins  que  des  nouvelles  désastreuses  du  pays  des 
Hui'ons  :*  les  Iroquois  détruisaient  par  le  feu  des  bour- 
gades entières,  et  en  massacraient  tous  les  liabitans. 
Ces  barbares  étaient  partout  :  ils  prirent,  sur  le  lac  Saint- 
Pierre,  le  P.  Bressani,  qu'ils  traitèrent  comme  ils 
avaient  fait  le  P.  Jogues.  Tous  ceux  qui  accompa- 
gnaient ce  religieux  furent  tués  ou  faits  prisonniers. 

Cependant,  quelque  déterminés  que  parussent  être  les 
Iroquois  de  pousser  la  guerre  à  toute  outrance,  conte-e  les 
Français  et  leurs  alliés,  ils  ne  laissaient  pas  de  montrer, 
de  temps  à  autre,  quelque  inclination  àla  paix.  Quelque 
temps  après  la  rencontre  sur  le  lac  Saint-Pierre,  le  com- 
mandant des  Trois-Rivières  ayant  fait  savoir  à  M.  de 
Montmagny  que  des  Algonquins  et  des  Hurons  étaient 
arrivés  à  son  poste,  avec  trois  prisonniers  iroquois,  ce 
dernier  se  rendit  sur  les  lieux,  fit  assembler  les  princi- 
paux des  deux  tribus,  et  leur  dit  que  s'ils  voulaient  lui 
laisser  la  disposition  de  leurs  prisonniers,  il  espérait 
pouvoir  s'en  servir  pour  établir  une  paix  durable  entre 
eux  et  les  Iroquois.  Il  leur  fit  voir,  en  même  temps, 
les  marchandises  avec  lesquelles  il  se  proposait  de  payer 
la  complaisance  qu'ils  auraient  pour  lui. 

Les  Algonquins  remirent  un  prisonniei",  et  accep- 
tèrent les  présens  du  gouverneur.  Celui-ci  s'étant 
tourné  ensuite  vers  les  Hurons,  pour  connaître  leur 
réponse,  l'un  d'eux  se  leva,  et  lui  dit  :  "  Ma  bourga^ 
m'a  vu  sortir  guerrier,  je  n'y  rentrerai  pas  marchand. 

*  Les  jésuites  avaient  fait,  ou  commencé  à  faire,  des  Hurons 
oe  qu'ils  firent,  plus  tard,  des  Sauvages  du  Paraguay,  un  peuple 
de  chrétiens  presque  en  tout  semblables  à  ceux  de  la  pi-imitive 
église,  et  de  plus  soumis  à  leurs  pasteurs  ecclésiastiques,  dans  la 
temporel  comme  dans  le  spirituel.  Ces  religieux  s'étaient  établis 
dans  chacune  de  leurs  bourgades,  et  leur  avaient  donné  à  toutes 
des  noms  de  saints  ou  de  saintes  :  c'étaient  les  bourgades  de 
Sninte-Marie,  de  Saint-Michel,  de  Saint-Joseph,  de  Saint-Jean-' 
Baptiste,  de  Saint-Jean,  de  Saint-hjnace,  etc. 


DU   CANADA.  121 

Que  me  font  tes  étoffes  et  tes  cliaudières  ?  Est-ce 
pour  trafiquer  que  nous  avons  pris  les  armes  et  que 
nous  nous  sommes  mis  en  campagne  ?  Si  tu  as  tant 
d'envie  de  nos  prisonniers,  tu  peux  les  prendre  ;  j'en 
saurai  bien  faire  d'autres,et  si  je  meurs  en  le  faisant,  ceux 
de  mon  village  diront  :  "  C'est  Ononthio  qui  Va  tué." 
Us  donnèrent  d'autres  raisons  pour  garder  leui's  prison- 
niers, et  entre  autres,  qu'étant  des  jeunes  gens,ils  devaient 
attendre  la  décision  de  leurs  anciens.  Le  gouverneur 
ne  jugea  pas  à  propos  d'insister  davantage. 

Les  anciens  décidèrent  que  les  prisonniers  seraient 
l'envoyés  au  gouverneur.  Des  députés  iroquois  arrivè- 
rent aux  Trois-Rivières,  oii  des  Sauvages  de  toutes  les 
tribus  alliées  des  Fi-ançais  étaient  déjà  assemblés.  M. 
de  Montraagny  s'y  rendit,  et  marqua  aux  négociateurs 
le  jour  où  il  leur  donnerait  audience.  Ce  jour  venu, 
le  gouverneur  parut  dans  la  place  du  fort,  qu'il  avait 
fait  couvrir  de  voiles  de  barques,  et  s'assit  dans  un 
fauteuil,  entourré  des  principaux  de  la  colonie.  Les 
députés  iroquois  avaient  apporté  dix-sept  colliers,  qui 
étaient  autant  de  paroles,  ou  de  propositions  qu'ils 
avaient  à  faire.  Après  que  ces  colliers  eurent  été  ex- 
posés à  la  vue  de  tout  le  monde,  l'orateur  Iroquois,  en 
prit  un,  et  le  présentant  au  gouverneur,  "  Ono?ithio, 
lui  dit-il,  prête  l'oreille  à  ma  voix  :  tous  les  L-oquois 
parlent  par  ma  bouche.  Mon  cœur  ne  connaît  pas  de 
mauvais  sentimens  ;  toutes  mes  intentions  sont  droites. 
Oublions  nos  chants  de  guerre  ;  que  toutes  nos  chansons 
soient  des  chants  d'allégresse."  Puis,  il  se  mit  à  chan- 
ter, en  gestisculant.  Le  second  collier  remerciait  le 
gouverneur  d'avoir  rendu  la  liberté  à  un  Iroquois  ;  le 
troisième  lui  ramenait  un  Français.  Les  autres  avaient 
rapport  à  la  paix,  dont  la  conclusion  était  le  but  de 
l'ambassade.     L'un   applanissait    les    chemins,   l'autre 

L 


122  nisTOiRE 

rendait  la  navigation  libre  ;  un  autre  enterrait  les  hadies 
de  guerre.  Il  y  en  avait  qui  représentaient  les  festins 
qui  suivraient  la  paix,  et  les  visites  amicales  qu'on  se 
ferait  mutuellement;  Le  discours,  ou  plutôt,  la  panto- 
mime dura  trois  heures,  et  la  séance  se  termina  par  une 
espèce  de  fête,  qui  se  passa  en  chants,  en  danses  et  en 
festins. 

Deux  jours  après,  M.  de  Montmagny  répondit  aux 
propositions  des  L^oquois.  L'assemblée  fut  aussi  nom- 
breuse que  la  première  fois,  et  le  gouverneur  fit  autant 
de  présens  qu'il  avait  reçu  de  colliers.  Piskajîet,  chef 
des  Algonquins,  et  un  des  plus  braves  hommes  d'entre 
les  Sauvages,  fit  aussi  son  présent,  et  dit  :  "  Voici  une 
pierre  que  je  mets  sur  la  sépulture  de  ceux  qui  sont 
morts  durant  la  guerre,  afin  qu'aucun  guerrier  n'aille 
remuer  leurs  os,  ni  ne  songe  à  les  venger."  Un  chef 
montagnais  présenta  ensuite  une  peau  d'orignal,  en  disant 
que  c'était  pour  faire  des  chaussures  aux  députés  iroquois, 
de  peur  qu'ils  ne  se  blessassent  les  pieds,  en  s'en  retour- 
nant chez  eux.  La  séance  fut  terminée  par  trois  coups 
de  canon,  que  le  gouverneur  fit  tirer,  en  faisant  dire  aux 
Sauvages,  que  c'était  pour  porter  en  tout  lieu  la  nou- 
velle de  la  paix.  Le  lendemain,  les  députés  iroquois 
se  mirent  en  route  pour  leur  pays.  Deux  Français, 
deux  Algonquins  et  deux  Hurons  s'embarquèrent  avec 
eux,  et  trois  des  leurs  demeurèrent  en  otage  dans  la 
colonie. 

Avant  de  passer  plus  loin,  il  est  à  propos  de  dire  un  mot 
du  pays  et  du  gouvernement  des  Iroquois.  Ces  peuples 
s'appellaient,  dans  leur  langue,  Agonnonsionni,  c'est-à- 
dire,  faiseurs  de  cabanes,  ou  architectes  par  excellence, 
parce  qu'en  efiet,  ils  se  logeaient  plus  solidement  et  plus 
élégamment  que  les  autres  Sauvages  du  Canada.  Leur 
pays  était  situé  entre  le  41e.  et  44e.  degré  de  latitude, 


DU   CANADA.  123 

ayant,  dans  la  direction  du  nord  au  sud,  ou  plutôt  de 
l'orient  d'été  au  couchant  d'hiver,  environ  quarante 
lieues  d'étendue,  et  soixante-et-dix  ou  quatre-vingt,  de 
l'Est  à  l'Ouest.  11  était  baigné,  en  partie  par  le  fleuve 
Saint-Laurent  et  par  les  lacs  Ontario  et  Ei-iê,  et  arrosé 
par  plusieurs  rivièi'es.  Le  terroir  y  était  généralement 
fertile,  et  mis  à  profit,  particulièrement  par  la  cultui-e 
du  maïs.  Les  Iroquois  étaient  partagés  en  cinq  tribus, 
ou  cantons,  savoir,  en  allant  de  l'Est  à  l'Ouest,  Agnier, 
Onneyouth,  Oiinontagué,  Goyogouin  et  Tsoyinontliouan* 
Quoique  ces  cinq  tribus  formassent,  par  leur  confédé- 
ration, un  seul  corps  de  nation,  elles  jouissaient  néan- 
moins individuellement  d'une  espèce  d'indépendance- 
nationale,  soit  pour  la  guerre,  soit  pour  la  paix.  Jus- 
qu'ici, ce  sont  presque  toujours  les  Agniers,  comme  les 
plus  voisins,  qui  se  sont  montrés  en  armes  dans  la 
colonie,  et  c'était  avec  leurs  députés  que  la  paix  venait 
d'être  conclue. 

L'hiver  suivant,  on  vit  les  Iroquois,  les  Hurons  et  les 
Algonquins  chasser  ensemble  aussi  paisiblement  que  s'ils 
eussent  été  de  la  même  nation.  Mais  la  paix  ne  fut  pas 
de  longue  durée  :  le  P.  Jogues,  qui  avait  été  rendu  à 
la  liberté,  par  l'entremise  des  Hollandais,  ainsi  que  le 
P.  Bressani,  ayant  été  tué  chez  les  Agniers,  de  même 
qu'un  jeune  Français,  qui  l'accompagnait,  ces  barbares, 
prévoyant  qu'on  les  inquiéterait,  se  joignirent  aux 
autres  cantons,  qui  n'avaient  pas  été  compris  directemeiit 
dans  le  traité  de  paix,  pour  faire  la  guerre  aux  Hurons 
et  aux  Algonquins.  D'abord,  les  hostiUtés  ne  consis- 
tèrent qu'en  quelques  coups  de  surprise,  où  il  y  eut 

*  Les  Hollandais  et  les  An;;lais  ont  donne  à  ces  cinq  tribus,  ou 
cantons,  des  noms  un  peu  différents,  les  appellant,  dans  l'ordre 
énoncé,  Mohmrk,  Oncida,  Onomhtya  (Ônondagué,)  Cai/uga 
(Cayoxtyué)  et  Senelia. 


124  HISTOIRE 

quelques  hommes  tués  de  part  et  d'autre  j  mais  bientôt, 
il  j  eut  des  combats  plus  importants  ;  les  Hurons, 
secourus  par  les  Andastes,  tribu  nombreuse  et  aguerrie, 
remportèrent  quelques  avantages  ;  mais  n'ayant  voulu 
en  profiter  que  pour  parvenir  à  la  paix,  ils  furent  les 
dupes  de  la  mauvaise  foi  et  des  artifices  de  leurs  ennemis. 
En  même  temps  qu'ils  s'amusaient  à  négocier  avec  les 
Onnontagués,  les  Agniers  et  les  Onneyouths  attaquaient 
leurs  partis  de  chasse,  et  leurs  bourgades,  l'une  après 
l'autre,  et  y  mettaient  tout  à  feu  et  à  sang. 

Pendant  que  les  Hurons  étaient  ainsi  attaqués  et 
détruits  par  les  Iroquois,  on  vit  arriver  à  Québec  un 
envoyé  du  gouverneur  delà  Nouvelle- Angleterre,  chargé 
de  proposer  une  alliance,  ou  une  neutralité  perpétuelle 
entre  les  deux  colonies,  indépendamment  de  toutes  les 
ruptures  qui  pourraient  survenir  entre  les  deux  métro- 
poles. 

M,  d'Aillebout,  qui  après  avoir  commandé  quelque 
temps  aux  Trois-Rivières,  venait  de  succéder  à  M.  de 
Montmagny,  dans  le  gouvernement  général,  trouva?  la 
proposition  avantageuse,  et  envoya  à  J^ostonle  sieur  -Jean 
GoDEiRoY,  et  le  P.  Dreuillettes,  pour  conclure  et 
signer  le  traité,  mais  à  condition  que  les  Anglais  se  join- 
draient aux  Français  pour  faire  la  guerre  aux  Iroquois. 
Cette  condition  fit  rompre  la  négociation.  C'était,  en 
effet,  trop  exiger  des  Anglais,  assez  éloignés  des  Iroquois 
pour  n'en  avoir  rien  à  craindre,  et  uniquement  occupés 
de  leur  commerce  et  de  l'agriculture. 

Ce  qui  pouvait  faire  désirer  ce  traité  de  neutralité 
aux  habitans  de  la  Kouvelle-Angleterre,  c'était  prin- 
cipalement le  voisinage  des  Sauvages  de  l'Acadie,  qui 
étaient  pour  eux  ce  que  les  Ii'oquois  étaient  pour  les 
habitans  du  Canada.  Il  se  passait  alors,  dans  cette 
province,  des  faits  assez  intéressants  pour  mériter  de 
trouver  place  dans  cette  histoire. 


DU    CANADA.  125 

Après  la  mort  du  commandeur  de  Razilli,  un  sieur 
d'Aunay  de  Charnise'  entra  dans  tous  ses  droits,  et 
obtint,  en  1647,  la  commission  degouverneur  de  l'Acadie, 
c'est-à-dire,  de  la  partie  de  la  presqu'île  qui  portait  plus 
particulièrement  ce  nom.  La  première  chose  qu'il  fit, 
en  prenant  possession  de  son  gouvernement,  ce  fut 
d'abandonner  La  Hève,  et  d'en  transporter  tous  les  habi- 
tans  au  Port  Royal,  où  il  commença  un  grand  établisse- 
ment. Mais,  soit  que  le  Port  Royal  appartînt  à  M.  de 
Latour,  (le  même  dont  il  a  été  parlé  plus  haut),  soit 
que  les  deux  commandans  fussent  trop  voisins  pour 
demeurer  longtems  amis  ;  la  mésintelligence  se  mit 
bientôt  entr'eux,  et  ils  ne  tardèrent  pas  à  en  venir  aux 
aamies.  Après  quelques  hostilités  de  quelque  impor- 
tance, Charnise  ayant  appris  que  Latour  était  sorti  de 
son  fort  de  Saint-Jean,  avec  la  meilleure  partie  de  sa 
garnison,  crut  l'occasion  favorable  pour  s'en  rendre 
maître,  et  y  marcha  avec  toutes  ses  troupes. 

Madame  de  Latour  y  était  restée  ;  et  quoique  sur- 
prise avec  un  petit  nombre  de  soldats,  elle  résolut  de 
se  défendre  jusqu'à  l'extrémité.  Elle  le  fit,  en  ciFet, 
jicndant  trois  jours,  avec  tant  de  courage,  que  les  assié- 
geans  furent  obligés  de  s'éloigner  :  mais  le  quatrième 
jour,  qui  était  le  dimanche  de  Pâques,  elle  fut  ti'ahie 
par  un  Suisse,  qui  était  en  faction,  et  que  Charnise 
avait  trouvé  le  moyen  de  corrompre.  î^lle  ne  se  crut 
})Ourtant  pas  encore  sans  ressource  ;  quand  elle  apprit 
que  l'ennemi  escaladait  la  muraille,  elle  y  monta  pour 
la  défendre,  à  la  tête  de  sa  petite  garnison.  Charnise, 
qui  s'imagina  que  cette  garnison  était  plus  forte  qu'il 
ne  l'avait  cru  d'abord,  proposa  à  la  dame  de  la  recevoir 
à  composition,  et  elle  y  consentit,  pour  sauver  la  vie  à  ce 
peu  de  braves  gens,  qui  l'avaient  si  bien  secondée. 
Charnise  ne  fut  pas  plutôt  entré  dans  la  place,  qu'il  eut 
l2 


12G  HISTOIRE 

honte  d'avoir  capitulé  avec  une  femme,  qui  ne  lui  avait 
op230sé  que  sou  courage  et  une  poignée  d'hommes  mal 
armés.  Il  se  plaignit  qu'on  l'avait  trompé,  et  prétendit 
être  en  droit  de  ne  garder  aucun  des  articles  de  la  capi- 
tulation. A  la  mauvaise  foi  il  ajouta  un  excès  de  bar- 
barie qu'on  aurait  peine  à  croire,  s'il  était  raconté  d'un 
Sauvage  :  il  fit  pendre  tous  les  gens  de  Madame  de 
Latour,  à  l'exception  d'un  seul;  à  condition  qu'il  sefait 
le  bourreau  de  tous  les  autres;  et  il  obligea  son  inté- 
ressante prisonnière  à  assister,  la  corde  au  cou,  à 
cette  atroce  exécution.  L'histoire  ne  dit  pas  si  ce 
scélérat  périt  lui-même  par  la  main  d'un  bourreau  ; 
mais  il  paraît  qu'il  ne  vécut  pas  encore  longtems,  non 
plus  que  madame  de  Latour  ;  car  quelque  années  après, 
par  un  assez  bizarre  caprice  du  hazard,  on  voit  M.  de 
Latour  époux  de  sa  veuve,  et  de  nouveau  en  possession 
du  fort  de  Saint- Jean  et  même  de  Port -Royal. 

Cependant,  les  Iroquois  continuaient  à  détruire,  l'une 
après  l'autre,  les  bourgades  huronnes,  et  à  en  massacrer 
les  habitans.  Plusieurs  missionnaii'cs  furent  enveloppés, 
dans  ces  massacres,  entre  autres,  les  PP.  Gabriel  Lalle- 
MANT,  Garxier,  Dakiel,  et  de  Brebeuf.*  Ceux  qui 
demeurèrent  parmi  les  restes  de  la  nation  leur  conseil- 
lèrent de  se  retirer  dans  quelque  endroit  éloigné,  où  ils 
n'eussent  plus  à  craindre  d'être  inquiétés  par  les  L-oquois. 
Une  partie  se  rendit  à  l'avis  des  missionnaires,  et  se 
retira  dans  les  îles  du  lac  Huron  appelléesde  Manitoualin^ 
ou  Manitonlines,  ou  sur  le  continent  voisin  ;  une  partie 
descendit  à  Québec,  et  le  reste  se  donna  aux  Iroquois, 
et  fut  incorporé  avec  cette  nation. 

Après  l'anéantissement,  ou  la  dispersion  des  Hurons, 
les  Iroquois  ne  regardèrent  plus  les  forts  et  les  retranche- 

*Ce  dernier  était  oncle  du  traducteur  de  la  Pharsale  de 
LucAiy. 


DU   CAXADA.  127 

mens  des  Français  comme  des  barrières  capables  de  les 
arrêter.  Ils  parcoururent  le  pays,  et  se  répandirent, 
çn  grandes  troupes,  dans  les  environs  des  habitations. 
Un  événement  funeste  vint  acci'oître  encore  leur  inso- 
lence :  un  de  leurs  partis  s'étant  approché  des  Trois- 
Ivivières,  M.  Duplk&sis-Bochaiît,  qui  j  commandiait, 
voulut  marcher  contre  eux  en  personne.  11  fut  tué 
dans  le  combat,  et  sa  mort  donna  un  nouveau  relief  aux 
armes  des  Iroquois.  Enfin,  la  bourgade  de  Sylleri 
n'étant  plus  en  sûreté  avec  une  enceinte  de  palissades, 
on  fut  contraint  de  l'enfermer  de  murailles  et  d'y  placer 
du  canon.  . 

Les  Iroquois  n'étaient  pas  animés  contre  les  seuls 
Français:  ils  cherchaient  encore  à  exercer  leur  ven- 
geance contx-e  toutes  celles  des  tribus  sauvages  qui  avaient 
porté  secours,  ou  donné  asile  aux  Ilurons.  En  1651, 
ils  pénétrèrent  chez  les  Attihamègues,  et  autres  Sau- 
vages du  nord,  et  ne  laissèrent  pas  un  village  dont  ils 
n'eussent  égorgé  ou  dissipé  les  habitans.  La  nouvelle  en 
ayant  été  portée  à  M.  de  Lauzox,  un  des  principaux 
membres  de  la  compagnie  du  Canada,  qui  cette  même 
année,  avait  succédé  à  M.  d'Aillebout,  il  comprit  qu'il 
aurait  été  nécessaire  d'opposer  ime  digue  à  ce  torrent  ; 
mais  il  n'avait  amené  aucun  secours  de  France,  et  la 
colonie  était  loin  d'avoir  des  forces  suffisantes  pour 
rétablir  la  sûreté  et  la  tranquillité. 

L'Ile  de  Mont-réal  ne  souffrait  guère  moins  que  les 
autres  parties  du  Canada,  malgré  un  renfort  de  cent 
hommes,  que  M.  de  Maison-Neuve  avait  été  chercher 
en  France.  En  1652,  deux  cents  Ii'oquois  surprirent, 
dans  l'île,  vingt  Français,  et  les  enveloppèrent  de  toutes 
parts.  Ces  derniers  firent  néanmoins  si  boinie  conte- 
nance, et  se  défendirent  avec  tant  de  résolution,  qu'ils 
mirent  les  barbares  en  fuite,  après  en  avoir  tué  un  grand 


128  HISTOIRE 

nombre.  Dans  le  même  temps,  cinq  cents  Agniers 
s'approchèrent  des  Trois-Eivières,  et  tinrent  ce  poste 
bloqué  de  tous  côtés.  Dans  les  environs  de  Québec,  il 
y  eut  plusieurs  escarmouches  avec  ces  Sauvages.  Cepen- 
dant les  cinq  cantons  se  montrèrent  disposés  à  la  paix, 
et  envoyèrent  des  négociateurs  à  Québec.  La  paix  fut 
conclue,  en  effet,  quelque  raison  qu'eût  le  gouverneur 
pour  ne  pas  trop  compter  sur  la  sincérité  des  Iroquois, 
et  particulièrement  des  Agniers.  Effectivement,  ces 
derniers  ne  tardèrent  pas  à  paraître,  par  petites  trou]>es, 
dans  le  voisinage  des  habitations,  à  commettre  des 
déprédations  et  des  meurtres,  et  à  se  remettre  par  là  en 
état  de  guerre  avec  les  Français  et  leurs  alliés. 

En  1656,  cinquante  Français  étant  partis  de  Québec, 
sous  la  conduite  de  M.  Duplts,  otïicier  de  la  garnison, 
pour  aller  former  un  établissement  chez  les  Onnonta- 
gués,  à  la  demande  de  ce  canton,  les  Agniers,  qui  avaient 
eu  nouvelle  de  ce  projet,  avant  le  départ  de  M.  Dupuys, 
mirent  quatre  cents  hommes  en  <iampagne,  pour  attaquer 
sa  troupe  ;  mais  l'ayant  manquée,  ils  s'en  vengèrent,  sur 
quelques  canots  écartés.  Après  les  avoir-  pillés,  et 
avoii"  même  blessé  quelques  uns  de  ceux  qui  les  con- 
duisaient, ils  feignirent  de  s'être  trompés,  et  d'avoir  pris 
les  Français  pour  des  Hurons  et  des  Algonquins. 
Quelque  temps  après,  un  de  leurs  partis  eut  la  hardiesse 
de  débarquer  dans  l'Ile  d'Orléans.  Il  y  trouva  une 
centaine  de  Hurons  de  tout  âge  et  de  tout  sexe,  qui 
travaillaient  dans  un  champ,  les  attaqua,  en  tua  un  bon 
nombre,  et  enleva  le  reste.  Un  autre  parti  d' Agniers 
ayant  eu  avis  qu'une  troupe  d'Outaouais,  accompagnée 
d'une  trentaine  de  Français  et  de  Hurons,  devaient 
remonter  la  Grande-Rivière,  il  l'alla  attendi-e,  en  am- 
buscade,  sur  le  bord  du  lac  des  Deux-Montagnes,  et  tua 
un  bon  nombre  des  uns  et  des  autres. 


DU   CANADA.  129 

Toutes  ces  aggressions  se  commettaient  sans  que  M. 
Je  Lauzon  en  pût  tirer  raison.  La  faiblesse  de  la  colo- 
nie inspira  de  la  méfiance  oi>  du  dégoût  aux  Sauvages 
domiciliés  dans  son  sein.  Une  grande  pai'tie  des  Hurons 
de  SjUeri  se  retirèrent,  les  uns  cliez  les  Onnontagués, 
les  autres  chez  les  Agniers  même.  La  plupart  de  ceux 
qui  prirent  ce  dernier  parti  n'eurent  pas  lieu  de  s'en 
louer,  par  la  suite  ;  car  ils  furent  presque  tous  ou  tués, 
ou  traités  en  esclaves.  L'établissement  projette  chez 
les  Onnontagués  ne  put  se  faire,  et  M.  Dupuys  fut  con- 
traint de  s'en  revenir,  ou  pour  mieux  dire,  de  fuir, 
secrètement  avec  ses  gens,  de  peur  d'être  poursuivi  et 
attaqué  dans  sa  retraite. 

Ce  fut  sui-  ces  entrefaites  que  M.  d'Argenson, 
nommé  gouverneur,  à  la  place  de  M.  de  Lauzon,  débar- 
qua à  Québec,  le  11  juillet  16Ô8.  Dès  le  lendemain  de 
sou  arrivée,  il  fut  assez  surpris  d'entendre  crier,  aux 
armes,  Qi  d'apprendre  que  des  Algonquins  venaient  d'être 
massacrés  par  des  Iroquois,  sous  le  canon  du  fort.*  D 
détacha  aussitôt  deux  cents  hommes,  Français  et  Sau- 
vages, pour  courir  après  ces  barbares  ;  mais  ils  ne  piu^ent 
être  atteints.  Peu  de  temps  après,  des  Agniers 
s'approchèrent  des  Trois-Rivières,  dans  le  dessein  de 
surprendre  ce  poste  ;  et  pour  y  mieux  réussir,  ils  déta- 
chèrent huit  d'entr'eux,  qui  sous  le  prétexte  de  parle- 
menter, avaient  ordre  de  bien  examiner  l'état  de  la 
place  ;  mais  M.  de  la  Potiierie,  qui  y  commandait, 
en  retint  un  prisonnii*,  et  envoya  les  sept  autres  à  M. 
d'Argenson,  qui  en  fit  bonne  justice.  Ce  coup  de 
vigueur  eut  tout  le  succès  qu'on  en  attendait,  et  procura, 
pour  un  temps,  quelque  repos  à  la  colonie. 

François  de  Laval,  connu  aupai*avant  sous  le  nom 
d'abbé  de  Montigny,  nommé  évoque  titulaire  de  Pétrée, 
et  pourvu  d'un  bref  de  vicaire  apostolique,  débarqua  à 


130  HISTOIRE 

Québec,  le  6  juin  1659,  accompagné  de  plusieurs  prêtres 
séculiers.  D'autres  prêtres  le  vinrent  joindre,  les 
années  suivantes,  et  à  mesure  qu'ils  arrivèrent,  ils  furent 
mis  en  possession  des  cures,  dont  les  récollets  et  les 
jésuites  avaient  été  chargésjusque-là,  parce  qu'ils  étaient 
les  seuls  prêtres  qu'il  y  eût  en  Canada,  si  l'on  en  excepte 
l'île  de  Mont-réal.  Dès  1647,  le  séminaire  de  Saint- 
Sulpice  de  Paris  avait  acquis,  par  achat,  tous  les  droits 
des  premiers  possesseurs  de  cette  lie.  L'abbé  de 
QuELUs  j  vint,  cette  année,  avec  plusieui'S  prêtres,  pour 
y  fonder  un  séminaire.  Toute  la  colonie  applaudit  à 
cette  entreprise,  qui  fut  bientôt  suivie  de  la  fondation 
de  l'Hôtel-Dieu,  à  laquelle  M.  de  la  Dauversieke  et 
Madame  de  Bullion  contribuèrent  le  plus  puissam- 
ment. La  congrégation  de  Notre-Dame  avait  été 
instituée,  quelques  années  auparavant,  par  Mademoiselle 
Mai'guerite  Bourgeois. 

Dès  son  arrivée,  l'évêque  de  Pétrée  se  montra  animé 
d'ufl  zèle  ardent  pour  la  conversion  des  Sauvages,  et  se 
concerta  avec  le  supérieur  général  des  missions,  pour 
faire  annoncer  l'évangile  aux  ti-ibus  les  plus  éloignées. 

Cependant,  il  ne  venait  aucun  secours  de  France,  et 
la  colonie  du  Canada  semblait  ne  se  soutenir  que  par 
une  espèce  de  miracle.  Les  liabitans  ne  pouvaient 
s'éloigner  des  forts  sans  courir  le  risque  d'être  massacrés 
ou  enlevés.  Sept  cents  L-oquois,  après  avoir  défait  un 
grand  parti  de  Français  et  de  Sauvages,  tinrent  Québec 
comme  bloqué,  pendant  plusieurs  mois.  Ils  se  retirèrent, 
vers  l'automne  ;  mais  au  commencement  du  piintems 
suivant,  plusieurs  partis  reparurent  en  différents  endroits 
de  la  colonie,  et  y  firent  de  grands  ravages.  Un  prêtre 
du  séminaire  de  Mont-réal  fut  tué,  en  revenant  de  dire 
la  messe  à  la  campagne.  M.  de  Lauzon,  suivant  Char- 
levoix,  sénéchal  de  la  Nouvelle-France,  et  fils  du  pré- 


DU    CANADA.  131 

cèdent  gouverneur,  étant  allé  à  l'ile  d'Orléans,  pour 
dégager  son  beau-frère,  qui  était  investi  dans  sa  maison, 
tomba  dans  une  ambuscade.  Les  Iroquois,  qui  auraient 
été  fort  aises  d'avoir  entre  leurs  mains  un  prisonnier  de 
cette  importance,  le  ménagèrent  pendant  quelque  temps, 
ne  chercliant  qu'à  le  lasser;  mais  voyant  qu'il  leur  tuait 
beaucoup  de  monde,  ils  tirèrent  sur  lui,  et  le  tuèrent. 
Plusieurs  autres  personnes  de  considération  et  un  grand 
nombre  de  colons  et  de  Sauvages  eurent  le  même  sort. 
Enfin,  depuis  Tadoussac  jusqu'à  Mont-réal,  on  ne  voyait 
que  des  traces  sanglantes  du  passage  de  ces  féroces 
ennemis. 

Au  fléau  de  la  guerre  se  joignit  une  maladie  épidé- 
mique,  qui  attaqua  indistinctement  les  Français  et  les 
Sauvages,  et  enleva  surtout  un  grand  nombre  d'enfans. 
C'était  une  espèce  de  coqueluche  qui  se  tournait  en 
pleurésie.  Le  peuple  s'imagina  qu'il  y  avait  du  malé- 
fice, et,  chose  étrange,  ce  furent  les  médecins  qui,  les 
premiers,  donnèrent  cours  à  cette  superstition.  L'igno- 
rance était  si  grande  et  si  générale  alors,  dans  la  colonie, 
que  quelques  phénomènes  ignés,  qui  parurent  dans  le 
même  temps,  donnèrent  lieu  aux  contes  les  plus  absurdes. 
"On  publia,  dit  Charlevoix,  qu'on  avait  vu  dans  l'air 
une  couronne  de  feu  ;  qu'aux  Trois-Rivières,  on  avait 
entendu  des  voix  lamentables  ;  qu'auprès  de  Québec,  il 
avait  paru  un  canot  de  feu,  et  dans  un  autre  endroit, 
un  homme  tout  embrasé  et  environné  d'un  tourbillon  de 
flammes  ;  que  dans  l'ile  d'Orléans,  ime  femme  enceinte 
avait  entendu  son  fruit  se  plaindre."  L'apparition 
d'une  comète  acheva  d'eflfrayer  la  multitude. 

Cependant,  les  partis  ennemis  disparurent  tout  à  coup 
et  vers  le  milieu  de  l'été,  on  vit  arriver  à  Mout-rtal  deux 
Cflnots  avec  un  pavillon  blanc.  C'étaient  des  députés 
dcd  cantons  d'Onnontagué  et  de  Goyogouin,  qui  rame- 


132  HISTOIRE 

naient  quelques  captifs  français.  Ils  promettaient  que 
tous  les  autres  seraient  rendus,  si  l'on  délivrait  tous  les 
sujets  des  deux  cantons  qui  se  trouvaient  prisonniers 
dans  la  colonie.  Le  gouver'neur  général,  à  qui  M.  de 
Maison-Neuve  fit  savoir  l'arrivée  des  députés  iroquois, 
se  montra  disposé  à  écouter  favorablement  leurs  propo- 
sitions, et  les  fit  accompagner,  à  leur  retour,  par  le  P. 
Lehotxe,  pour  continuer  chez  eux  la  négociation. 

Le  baron  d'Avaugoue,  nommé  gouverneur  général 
du  Canada,  à  la  place  de  M.  d'Argenson,  arriva  de 
France  sur  ces  entrefaites.  Son  premier  soin  fut  de 
visiter  tous  les  postes  de  son  gouvernement.  Après 
cette  visite,  il  écrivit  en  France,  pour  demander  les 
troupes  et  les  munitions  qui  lui  paraissaient  nécessaires. 

Cependant,  la  négociation  pour  la  paix  prenait  une 
heureuse  tournure  dans  la  plupart  des  cantons  iroquois, 
principalement  par  les  soins  et  l'entremise  d'un  chef 
onnontagué,  nommé  Gaeakonthie'.  Ce  chef  arriva 
à  Mont-réal  vers  la  mi-septembre.  Le  gouverneur 
général  l'entretint  plusieurs  fois  en  particulier  :  il  agréa 
toutes  les  propositions  qui  lui  furent  faites,  et  promit 
d'être  de  retour,  avec  les  prisonniers  français,  avant  la 
fin  du  printems.  En  effet,  le  traité  de  paix  fut  ratifié 
par  ceux  des  cantons  (au  nombre  de  trois)  qui  avaient 
négocié,  et  tous  les  captifs  français  furent  remis  au  P. 
Lemoyne,  qui  les  conduisit  à  Mont-réal. 

Yers  le  même  temps,  M.  Pierre  Boucher,  qui  com- 
mandait aux  Trois-Rivières,  fut  député  en  France,  avec 
des  mémoires,  où  l'on  suppliait  le  roi  (L0U13  XFS'') 
de  prendre  sous  sa  protection  une  colonie  abondonnée 
et   réduite  aux  derniers  abois.*     M.  Boucher  fut  bien 

'Dans  son  "Histoire  naturelle  et  véritable  de  la  Neurelle 
France,"  M.  Boucher  fait  connaître  l'état  du  Canada,  à  l'époque 
où  il  écrivait.     "  Québec,  dit-il,  est  la  principale  habitation.     H 


DU   CANADA.  133 

reçu  (lu  monarque,  qui  nomma  M.  de  Monts  commis- 
saire en  Canada,  et  commanda  qu'on  y  envoyât  incessam- 
ment quatre  cents  hommes  de  troupes  pour  renforcer  les 
garnisons  des  postes  les  plus  éloignés.  M.  de  Monts 
s'embarqua  à  La  Rochelle,  dès  le  printems.  Son  arrivée 
à  Québec  y  causa  la  plus  grande  joie,  tant  par  les  secours 
présents  qu'il  amenait,  que  par  l'espérance  qu'il  y  donna 
que,  l'année  suivante,  il  en  arriverait  de  nouveaux  et  de 
plus  considérables. 

Cette  joie  fut  bientôt  troublée  par  la  dissention  qui 
éclata  entre  le  gouverneur  et  l'évêque  ;  ou  plutôt  peut- 
être,  entre  les  commerçans  et  les  ecclésiastiques.  Les 
gouverneurs  du  Canada,  remarque  Charlevoix,  avaient 
eu  ordre  de  la  cour  de  France  de  défendre  aux  colons 
de  vendre  de  l'eau-de-vie  aux  Sauvages  ;  et  le  baron 
d'Avaugour,  en  particulier,  avait  décerné  les  peines 
les  plus  graves  contre  ceux  qui  contreviendraient  à  cette 
déftnse.     Une  femme  de  Québec  y  ayant  contrevenu, 


y  a  une  bonne  forteresse  et  une  bonne  garnison,  comme  aussi 
une  belle  église,  qui  sert  de  paroisse,  et  qui  est  comme  la  cathédrale 
de  tout  le  pays.  Il  y  a  un  collège  de  jésuites,  un  monastère 
d'ursulines,  et  un  couvent  d'hospitalières.  Cette  forteresse,  les 
monastères  et  les  plus  belles  maisons  sont  bâtis  sur  le  haut. 
Plusieurs  maisons  et  magasins  sont  bâtis  au  pied  du  coteau,  à 
l'occasion  des  navires  qui  nennent  jusque-là  ;  car  c'est  là  le  terme 
(le  la  navigation  pour  les  navires:  Von  ne  croit  pas  qu'ils  puissent 
passer  plus  avant  sans  risque.  Du  côté  du  nord,  depuis  le  cap 
Tourmente,  qui  est  sept  lieues  plus  bas  que  Québec,  jusqu'au  cap 
Jiout/c,  qui  est  trois  lieues  au-dessus,  tout  cela  est  habité,  le  long 
du  grand  fleuve.  Le  côté  du  nord  de  Québec  est  habité  assez 
avant  dans  les  terres.  A  Tadoussac,  on  a  fait  bâtir  une  chapelle, 
un  magasin,  et  une  petite  forteresse  ;  mais  il  n'y  a  personne  qui  y 
habite  (permanemment).  L'habitation  des  Trois-Kivières  est  dans 
un  pays  fort  beau  à  voir.  On  s'est  bâti  seulement  du  côté  du  nord 
(du  fleuve).  Il  y  a  comme  deux  habitations  séparées  par  une 
grosso  rivière  entrecoupée  par  des  îles.  Mout-réal,  qui  est  la 
dernière  de  nos  habitations,  est  située  dans  une  belle  giandeîle." 
L'ouvrage  de  51.  Boucher  est  précédé  d'une  "  Epistre  à  Monsei- 
gneur Ct>i.RERT,"  datée  "de  la  ville  des  Trois-KiNières  en  la 
Nouvelle  France,  le  8  Octobre  1643." 


1 34  HISTOIRE 

fut  conduite  en  prison.  A  la  prière  de  ses  parens  ou 
de  ses  amis,  un  jésuite  crut  pouvoir  intercéder  pour 
elle.  Le  gouverneur  reçut  très  mal  le  religieux,  et  lui 
dit  finalement,  que  puisque  la  traite  de  l'eau-de-vie 
n'était  pas  une  faute  pour  cette  femme,  elle  ne  le  serait 
à  l'avenir  pour  personne.  La  chose  ne  tarda  pas  à  être 
connue  du  public,  et  suivant  l'historien  que  nous  venons 
de  citer,  le  désordre  devint  extrême.  L'évêque  de  Pétréo 
crut  devoir  recourir  aux  foudres  de  l'église  ;  les  prédi- 
cateurs tonnèrent  dans  les  chaires  ;  les  confesseurs  refu- 
sèrent l'absolution.  Le  zèle  outré  du  prélat  et  des 
ecclésiastiques,  excita  contre  eux  des  plaintes  amères  et 
des  clameurs  injurieuses:  quelques  particuliers  firent 
contre  le  clergé  des  mémoires  et  des  requêtes  qu'ils 
envoyèrent  au  conseil  du  roi.  Le  prélat  prit  le  parti  de 
passer  en  France,  pour,  de  son  côté,  porter  ses  plaintes 
au  pied  du  trône.  Le  roi  lui  donna  gain  de  cause,  et  il 
y  a  même  lieu  de  croire  que  ce  fut  à  sa  demande  que?M. 
d'Avaugour  fut  rappelle. 

La  fin  de  cette  année  1662,  et  une  partie  de  la  sui- 
■sante,  furent  remarquables  par  une  suite  de  violents 
tremblemens  de  terre,  et  un  nombre  d'autres  phéno- 
mènes, que  l'imagination  déréglée  et  effrayée  de  la  mul- 
titude exagéra  d'une  manière  tout-à-fait  ridicule,  comme 
on  en  pourra  juger  parles  extraits  suivants  des  journaux 
des  jésuites,  copiés  par  le  P.  Charlevoix. 

"  Dès  l'automne  de  1662,  on  vit  voler  dans  l'air 
quantité  de  feux  sous  des  formes  diverses.  A  Mont-réal, 
parut,  une  nuit,  un  globe  de  feu  qui  jettait  un  grand 
éclat;  il  fut  accompagné  d'un  bruit  semblable  à  une 
volée  de  canons. 

"Le  3  février  (1663),  on  fut  surpris  de  voir  que 
tous  les  édifices  étaient  secoués  avec  tant  de  violence, 
que  les  toits  touchaient  presque  à  terre,  tantôt  d'un  côté 


DU   CANADA.  135 

et  tantôt  de  l'autre  ;  que  les  portes  s'ouvraient  d'elles- 
mêmes,  et  se  refermaient  avec  un  très  grand  fracas  ; 
que  toutes  les  cloches  sonnaient,  quoiqu'on  n'y  touchât 
I^oint  ;  que  les  pieux  des  palissades  ne  faisaient  que 
sautiller  ;  que  les  animaux  poussaient  des  cris  et  des 
hurlemens  effroyables  ;  que  les  arbres  s'entrelassaient  les 
uns  dans  les  autres,  et  que  plusieurs  se  déracinaient  et 
allaient  tomber  assez  loin. 

"  On  entendit  ensuite  des  bruits  de  toutes  les  sortes  ; 
tantôt  c'était  celui  d'une  mer  en  fureur  qui  franchit  ses 
bornes  ;  tantôt  celui  que  pourraient  faire  im  grand 
nombre  de  chrosses  qui  rouleraient  sur  le  pavé  ;  et  tantôt, 
le  même  éclat  que  feraient  des  montagnes  et  des  rochers 
de  marbre  qui  viendi'aient  à  s'ouvrir  et  à  se  briser. 

"Les  campagnes  n'offraient  que  des  précipices. — 
Des  montagnes  entières  se  déracinèrent  et  allèrent  se 
placer  ailleurs.  Quelques  unes  s'abimèrent  si  profondé- 
ment qu'on  ne  voyait  pas  même  la  cîme  des  arbres  dont 
elles  étaient  couvertes.  Il  y  eut  des  arbres  qui  s'élan- 
cèrent en  l'air  avec  autant  de  roideur  que  si  une  mine 
eût  joué  sous  leurs  racines,  et  on  en  trouva  qui  s'étaient 
replantés  par  la  tête. — De  gros  glaçons  furent  lancés 
dans  l'air,  et  de  l'endroit  qu'ils  avaient  quitté  on  vit  jallir 
une  quantité  de  sable  et  de  limon.  Plusieurs  fontaines 
et  de  petites  rivières  furent  desséchées. 

"  Où  l'on  avait  vu  un  rapide,  on  voyait  la  rivière 
couler  tranquillement,  et  sans  embarras  ;  ailleurs,  c'était 
tout  le  contraire  ;  des  rochex's  étaient  venus  se  placer  au 
milieu  d'une  rivière,  dont  le  cours  paisible  n'était  aupa- 
ravant retardé  pai*  aucun  obstacle.  Un  homme  marchant 
dans  la  campagne,  appercevait  la  terre  s'entrouvrir 
tout-ù-coup  auprès  de  lui  :  il  fuyait,  et  ces  crevasses 
semblaient  le  suivre.  Ici,  les  eaux  devenaient  rouges  ; 
là,  elles  paraissaient  jaunes  :  celles  du  fleuve  furent  toutes 


136  IIISTOIRE 

blanches,  depuis  Québec  jusqu'à  Tadoussac.  Vis-à-vis 
du  cap  Tourmente,  il  y  eut  de  si  grandes  avalaisons 
d'eaux  sauvages*  qui  coulaient  du  haut  des  montagnes, 
que  tout  ce  qu'elles  rencontrèrent  fut  emporté. 

'"'  Deux  homrnes  se  trouvant  vis-à-vis  de  l'embou- 
chure du  Saguenay,  dans  une  chaloupe,  sentirent  tout- 
à-coup  leui-  embarcation  aussi  agitée,  quoiqu'il  ne  fit  pas 
de  vent,  que  si  elle  eût  été  sûr'la  mer  la  plus  houleuse  ; 
et  tout  de  suite  ils  apperçurent  une  montagne  qui  "  bon- 
dissait comme  un  bélier,"  puis  tournoya  quelque  temps, 
s'abaissa  ensuite,  et  disparut  entièrement.  A  moitié 
chemin  de  Tadoussac  à  Québec,  deux  montagnes  s'appla- 
tirent,  et  des  terres  qui  s'en  étaient  éboulées,  il  se  forma 
une  pointe  qui  s'avîinçait  d'un  demi-quart  de  Heue  dans 
le  fleuve.  Dans  un  autre  endroit,  des  Sauvages  qui 
étaient  sortis  de  leurs  cabanes,  au  conunencement  de  ces 
agitations,  ayant  voulu  y  rentrer,  trouvèrent  à  leur  place 
une  grande  mare  d'eau. 

"  Au  cap  Tourmente  et  ailleurs,  le  fleuve  se  dé- 
tourna ;  une  partie  de  son  lit  demeura  à  sec,  et  ses 
bords  les  plus  élevés  s'affaissèrent,  en  quelques  endroits, 
jusqu'au  niveau  de  l'eau." 

"  Assez  près  de  Québec,  un  feu  d'une  heue  d'étendue 
parut,  en  plein  jour,  venant  du  nord,  traversa  le  fleuve 
et  alla  disparaître  sur  l'ile  d'Orléans. 

'•L'air  eut  aussi  ses  phénomènes  ;  on  y  entendait  un 
bourdonnement  continuel  ;  on  y  voyait,  ou  l'on  s'y  figurait 
des  spectres  et  des  fantômes  de  feu,  portant  en  main  des 
flambeaux.  Il  y  paraissait  des  flammes  qui  prenaient 
toutes  sortes  de  formes,  les  unes  de  piques,  les  autres 
de  lances;  et  des  brandons  allumés  tombaient  sur  les  toits 
sans  y  mettre  le  feu.     De  temps  en  temps,  des  voix 

*  Comment  le  P.  Charlevoix,  écrivant  vers  1740,  a-t-ilpu  copier 
une  pareille  expression  ? 


DU   CANADA.  137 

plaintives  augmentaient  la  terreur.  On  entendit  des 
gémissemens  qui  n'avaient  rien  de  semblable  à  ceux 
d'aucun  animal  connu. 

"  L'agitation  était  ordinairement  moindre  sur  les 
montagnes  que  dans  les  plaines  ;  mais  on  y  entendait 
sans  cesse  un  grand  tintamarre. 

"  Les  effets  de  ce  tremblement  de  terre  furent  variés  à 
l'infini.  La  première  secousse  dura  une  .demi-heure, 
sans  presque  discontinuer.  Il  y  en  eut  une  seconde 
aussi  violente  que  la  première,  et  la  nuit  suivante,  quel- 
ques personnes  en  comptèrent  jusqu'à  trente-deux." 

Les  secousses  de  tremblement  de  terre  se  succédèrent 
par  intervales,  depuis  le  commencement  de  janvier  1663 
jusqu'au  mois  d'août  de  la  môme  année.  Mais  ce  qui 
fait  voir  combien  l'imagination  ajouta  à  la  réalité,  ou 
jusqu'à  quel  point  les  narrateurs  se  permirent  l'exagé- 
ration, c'est  que  durant  tout  ce  temps,  il  n'y  eut  per- 
sonne de  tué,  ni  même  de  blessé. 

"  Le  P.  Charlevoix,  dit  M.  D.  Dainville,  dans  ses 
"  Beautés  de  l'Histoire  du  Canada"  môle  dans  son  récit 
des  incidens  si  merveilleux,  qu'au  lieu  d'en  appuyer  la 
vraisemblance,  ils  la  détruisent.  De  tous  ces  phénomènes, 
la  plupart  accompagnent  ordinairement  les  tremblemens 
de  terre,  et,  quoique  étonnants  par  eux  mêmes,  ne  sortent 
pourtant  pas  de  ces  règles  éternelles  dans  lesquelles  Dieu 
a  tracé  le  plan  de  l'univers  ;  d'autres  sont  évidemment  les 
fruits  de  ces  têtes  superstitieuses,  pour  qui  le  merveilleux 
est  un  aliment  nécesaire,  et  qui  veulent  fonder  la  reli- 
ligion  sur  les  bases  ruineuses  d'une  créduUté  puérile. 
Le  Dieu  de  vérité  ne  veut  pas  être  défendu  par  le 
mensonge,  et  celui  qui  tient,  dans  sa  main  toute-puis- 
sante, la  forme,  le  temps  et  l'espace,  n'a  pas  besoin,  pour 
annoncer  sa  force,  de  remuer  quelques  lieues  de  terre, 
ou  de  faire  briller  une  nouvelle  étincelle  dans  les  cieux." 
M  2 


138  HISTOIRE 

Pour  qualifier  de  fraudes  pieuses  ces  récits  extraor- 
dinaires, un  autre  écrivain  moderne  s'appuie  principa- 
lement sur  le  silence  des  historiens  de  la  Nouvelle 
Angleterre  et  de  la  Nouvelle  York,  provinces  limitro- 
phes de  la  Nouvelle  France.* 

*  At  this  critical  period,  thejesuits,  in  their  journals,  reparted  a 
physical  event,  which,  not  being  confirmed  by  the  history  or  tradition 
of  the  English  colonies,  and  their  Indian  allies,  is  considered  as  a 
mère  fabrication,  calculated,  like  other  pious  frauds,  to  connect 
disorders  of  government  with  the  alarming  phenomena  of  nature." 

IXTRODUCTIOX  tO    "  POLITICAL  AnNALS  OF  LoAVER  CaNADA." 

Le  P.  Charlevùix  dit,  d'après  ses  auteurs,  que  "la  Nouvelle 
Angleterre  et  la  Nouvelle  Belgique  ne  furent  pas  plus  épargnées 
que  le  pays  français  ;"  mais  c'est  une  assertion  vague,  faite  en 
l'absence  de  toute  espèce  de  preuve. 


LIA^RE  DEUXIÈME, 

Comprenant  Vespace  de  temps  écoulé  depuis  rétablisse- 
ment du  Goîivernemetit  Royal  jusqu'à  la  Paix  de 
1701. 

La  compagnie  de  la  Nouvelle  France,  réduite  à  quarante- 
cinq  membres,  et  plus  que  jamais  incapable  de  remplir 
ses  obligations,  remit  tous  ses  droits  au  roi,  le  24  février 
1663.  M.  DE  Mksy,  que  sa  majesté  envoyait  pour 
remplacer  le  baron  d'Avaugour,  arriva  à  Québec,  au 
printemps  de  la  même  année,  accompagné  de  l'évêque 
de  Pétrée,  de  M.  Gaudais,  nommé  commissaire  pour 
prendre  possession,  au  nom  du  roi,  de  la  Nouvelle 
France,  et  s'enquérir  de  ce  qui  s'y  était  passé  récem- 
ment; de  plusieurs  officiers  de  guerre  et  de  justice  ;  de 
quelques  centaines  de  soldats,  et  d'une  centaine  de 
familles,  qui  venaient  s'établir  dans  le  pays. 

Le  commissaire  fit  prêter  le  serment  de  fidélité  à  tous 
les  habitans  ;  régla  la  police,  et  fit  divers  règlcmens 
concernant  la  manière  de  rendre  la  justice.  Depuis 
l'année  1640,  dit  Charlevoix,  il  y  avait  eu  un  grand- 
sénéchal  de  la  Nouvelle  France,  et  aux  Trois-Rivières, 
une  j  uridiction  qui  ressortissait  au  tribunal  de  ce  magistrat 
d'épéc  ;  mais  il  paraît  que  celui-ci  était  subordonné, 
dans  ses  fonctions,  aux  gouverneurs  généraux,  qui 
s'étaient  maintenus  dans  la  possession  de  rendre  la  jus- 
tice, quand  on  avait  recours  à  eux.  Dans  les  affaires 
importantes,  ils  assemblaient  une  espèce  de  conseil,  com- 
posé du  grand  sénéchal,  du  premier  supérieur  ecclésias- 
tique, et  de  quelques  uns  des  principaux  habitans, 
auxquels   on  donna  le  nom  de  conseillers.     Mais  ce 


140  HISTOIRE 

conseil  n'était  pas  permanent  :  le  gouvei'neur  l'établissait 
en  vertu  du  pouvoir  que  le  roi  lui  en  donnait,  et  le  chan- 
geait, ou  le  continuait,  suivant  qu'il  le  jugeait  à  propos- 
Ce  ne  fut  qu'en  1663  que  le  Canada  eut  un  Conseil  fixe» 
établi  par  le  prince.*  L'édit  de  création  est  du  mois  de 
mars  de  cette  année  :  il  portait  que  le  conseil  serait  com- 
posé de  M.  de  Mésy,  gouverneur  général;  de  M.  de  Laval, 
vicaire  apostolique  ;  de  M.  Robert,  intendant  :  de  cinq 
conseillers,  qui  seraient  nommés  par  ces  trois  messieurs,! 
et  qui  pourraient  être  changés,  selon  leur  bon  plaisir  ; 
d'un  pi'ocureur  général,  et  d'un  greffier  en  chef. 

M.  Gaudais  retourna  en  France,  d'après  l'ordre  qu'il 
en  avait  reçu,  par  les  mêmes  vaisseaux  qui  l'avaient 
amené  à  Québec,  pour  rendre  compte  au  roi  de  l'état 
du  pays,  l'informer  de  la  conduite  de  l'évêque  et  des 
ecclésiastiques,  de  l'effet  qu'aurait  pi-oduit  l'établisse- 
ment du  conseil,  de  ce  qu'il  y  avait  de  fondé  dans  les 
plaintes  portées  par  le  baron  d'Avaugour,  et  de  la 
manière  dont  M.  de  Mésy  aurait  été  reçu.  Il  paraît 
que  ce  commissaire  se  conduisit  en  homme  diligent, 
intègre  et  impartial,  et  que  personne  n'eut  à  se  plaindre 
de  son  rapport. 

M.  Robert,  conseiller  d'état,  qui  avait  été  nommé 
"Intendant  de  justice,  police,  finance  et  marine  pour 
la  Nouvelle  France,"  par  provisions  datées  du  21  mars 
1663,  ne  vint  point  en  Canada  ;  et  M.  Jean  Talon,  qui 

*  Avec  pouvoir  de  "commettre  à  Québec,  à  Mont-réal,a.ux  Trois- 
Rîvières,  et  autres  lieux,  des  personnes  qui  jugent  en  première 
instance,  sans  chicane  et  longueur  de  procédures,  les  différents 
procès  qui  y  pourront  survenir  entre  des  particuliers;"  le  désir  du 
roi  "  étant  d'ôter,  autant  qu'il  se  pourra,  toute  chicane,  dans  le 
pays  de  la  Nouvelle  France." 

fCe  furent  MM.  Rouer  de  Villeray,  Jcchereau  de 
Laferte',  Ruelle  d'Auteuil,  Damours  et  Bourdon.  Ce  der- 
nier fut  fait  ensuite  procureur  général. 


DU   CANADA.  141 

y  arriva  en  1 665,  est  le  premier  qui  exerça  cet  emploi 
dans  ce  pays. 

Pendant  ce  temps,  la  colonie  jouissait  de  la  paix,  et 
en  était  principalement  redevable  à  l'influence  de  Gara- 
konthié  parmi  les  siens.  Ce  chef  avait  rassemblé 
encore  un  nombre  de  prisonniers  français,  et  les  avait 
'fait  partir  pour  Québec,  escortés  par  trente  Onnonta- 
gués.  Ceux-ci  furent  attaqués,  en  route,  par  un  parti 
d'Algonquins,  qui  les  prirent,  ou  feignirent  de  les  prendre 
pour  des  ennemis.  Il  y  en  eut  plusieurs  de  tués,  et  les 
autres  furent  obligés  de  prendre  la  fuite.  Les  Français 
mêmes  eurent  bien  de  la  peine  à  s'échapper,  dans  ce 
désordre.  Il  y  avait  lieu  de  craindre  que  cette  mal- 
heureuse affaire  n'eût  des  suites  encore,  plus  funestes  ; 
mais  Garakonthié  parvint  à  faire  entendi-e  raison  aux 
Onnontagués  :  tous  les  cantons  iroquois,  excepté  celui 
d'Onneyouth,  envoyèrent  assurer  M.  de  Mésy  de  leur 
disposition  à  vivre  en  paix  avec  les  Français. 

Cependant,  l'accord  qu'on  se  flattait  d'avoir  établi 
en  Canada,  par  les  changemens  qu'on  venait  d'y  faire, 
ne  fut  pas  de  longue  durée  :  M.  de  Mésy,  qui  avait  été 
nommé  gouverneur,  à  la  recommandation  de  l'évêque 
de  Péti'ée,  comme  le  baron  d'Avaugour  avait  été 
rappelle  à  sa  demande,  se  brouilla,  tout  religieux  qu'il 
était,  avec  ce  prélat,  et,  suivant  Charlevoix,  avec  la 
plupart  des  gens  en  place  de  la  colonie,  entre  autres  les 
sieurs  de  Villeuay  et  Bourdon,  qu'il  fit  embarquer, 
dit-il,  sans  aucune  forme  de  justice.  Pour  décider  avec 
connaissance  de  cause  qui  avait  le  plus  de  tort,  du 
gouverneur  ou  de  l'évéquc,  car  nous  avons  peine  à 
croire  que  l'un  ou  l'autre  fût  tout-à-fait  exempt  de 
blâme,  dans  ce  différent,  il  nous  faudrait,  avoir  ce  qui 
nous  manque,  les  mémoires  qui  furent  écrits  de  part  et 
d'autre,  et  qui  partagèrent  alors  l'opinion  publique.     Le 


142  HISTOIRE 

P.  de  Charlevoix  mentionne  que  l'évêque  de  Pétrée 
avançait  contre  le  gouverneur  des  faits  graves,  sans  dire 
quels  étaient  ces  faits  :  M.  de  Blésy  se  plaignait  surtout 
de  la  grande  influence  qu'avaient  les  jésuites  dans  la 
colonie  :  peut-être  accusait-il  ces  religieux  d'abuser  de 
cette  influence  et  M.  de  Petrée  de  les  soutenir.  C'est 
du  moins  ce  que  notre  historien  donne  à  entendre,  en 
disant  que  le  gouverneur,  en  récriminant,  ne  se  discul- 
pait pas.  Quoiqu'il  en  soit,  le  prélat,  soutenu  de  la 
majoi'ité  du  conseil,  l'emporta  encore  une  fois,  à  la  cour 
de  France,  et  M.  de  Mésy  fut  rappelle. 

On  lui  donna  pour  successeur  Daniel  de  Rémi,  sei- 
gneur de  CouKCELLES,  oflicier  de  mérite  et  d'expérience  ; 
et  M.  Robert,  qui,  comme  nous  venons  de  le  dire,  ne 
vint  pas  en  Canada,  fut  remplacé  par  M.  Talon,  inten- 
dant en  Hainaut.  Les  provisions  de  ces  messieurs  étaient 
accompagnées  d'une  commission  particulière,  pour 
informer,  conjointement  avec  Alexandre  de  Prou- 
ville,  marquis  de  Tract,  nommé,  depuis  quelque  temps, 
vice-roi  en  Amérique,  contre  M.  de  Mésj  ;  avec  o^'dre, 
au  cas  qu'il  fut  trouvé  coupable  des  faits  dont  il  était 
accusé,  de  l'arrêter  et  de  lui  faire  son  procès.  Enfin, 
les  ordres  furent  donnés  pour  lever  de  nouveaux  colons, 
et  faire  embarquer  pour  le  Canada  le  régiment  de  Cari- 
gnan- Salières,  qui  arrivait  de  Hongrie,  où  il  s'était  fort 
distingué,  dans  la  guerre  contre  les  Turcs. 

Par  un  édit,  du  mois  de  mai  1664,  Louis  XIV  "  con- 
cède et  accorde  à  la  compagnie  des  Indes  Occidentales 
(autrement  dite  d'Occident,)  en  toute  seigneurie,  propri- 
été et  justice,  les  pays  de  la  terre  ferme  de  l'Amérique, 
depuis  la  rivière  des  Amazones  jusqu'à  VOrenacg  (ou 
Orenoque)  ;  les  îles  appellées  Antilles,  le  Canada,  VAca- 
die,  l'île  de  Terre-Neuve  et  autres  îles  et  terres  fermes, 
dupuis  le  nord  du  Canada  jusqu'à  la  Virginie  et  la  Flo- 


DU   CANADA.  143 

ride"  pour  "habiter  les  dits  pays,  et  faire  le  commerce 
dans  toute  leur  étendue  ;"  avec  à  peu  près  tous  les  di-oits, 
privilèges  et  prérogatives  qu'avait  possédés  la  compagnie 
des  Cent  Associés,  Le  roi  lui  accordait  en  outre  pour 
armes  "un  Ecusson  en  champ  d'azur,  semé  defltursde 
Ijs  d'or  sans  nombre,  deux  Sauvages  pour  support,  et 
une  couronne  treflée."  Entre  les  obligations  imposées  à 
la  compagnie,  en  retour  de  ces  concessions,  était  celle  de 
faire  passer  dans  les  pays  de  sa  domination,  un  nombre 
suffisant  de  prêtres,  de  leur  fournir  le  nécessaire,  bâtir 
des  églises,  presbytères,  &c. 

Au  mois  d'avril  1665,  les  directeurs  généraux*  nom- 
mèrent, comme  "  personne  d'intégrité,  capacité  et  expé- 
rience," M.  Le  Barrois  agent  général  pour  "  gérer  et 
négocier  les  affaires  de  la  compagnie  en  Canada,"  avec 
prière  à  "  MM.  de  Tracy,  lieutenant  général,  de  Cour- 
ccUes,  gouverneur,  et  Talon,  intendant,  de  lui  prêter 
secours  et  assistance;"  et  ils  lui  obtinrent  du  roi,  entrée 
et  voix  délibérative  au  conseil  souverain,  et  "séance 
au-dessus  du  premier  conseiller." 

Le  marquis  de  Tracy,  qui  avait  été  aux  Iles  fran- 
çaises avant  de  venir  en  Canada,  arriva  à  Québec,  au 
mois  de  juin  1665,  avec  quelques  compagnies  du  régi- 
ment de  Carignan.  Aussitôt  après  son  arrivée,  il  dé- 
tacha une  partie  de  ses  soldats,  avec  des  Sauvages,  sous 
la  conduite  du  capitaine  Tillt  de  Repentigny,  pour 
donner  la  chasse  aux  Iroquois,  qui  avaient  recommencé 
leurs  courses.  Il  n'en  fallut  pas  davantage  pour  obliger 
ces  barbares  à  faire  retraite,  et  à  délivrer  la  colonie  do 
leur  présence. 

Le  l'esté  du  régiment  de  Carignan,  à  quelques  com- 


*  C'étaient  alors  MM.  Béchamel,  TaQi-ELiN,  Dalibeht. 
J.vcQi'iKi!,  BiH.vuD,  Messager,  Berthelot,  Landais,  lIoi;Br. 
Dii  Saint-Makc. 


144  HISTOIRE 

pagnies  près,  arriva  avec  M.  de  Salières,  qui  en  était 
colonel,  sur  une  escadre  qui  portait  aussi  I^lil.  de  Cour- 
ceUes  et  Talon,  un  grand  nombre  de  familles,  quantité 
d'artisans  et  d'engagés,  les  premiers  chevaux  qu'on  ait 
vus  en.  Canada,  des  bœufs,  des  moutons,  etc.  ;  en  un  mot, 
une  colonie  plus  considérable  que  celle  qu'on  venait 
renforcer. 

Dès  que  le  vice-roi  eut  reçu  ces  secours,  il  se  mit  à 
la  tête  de  toutes  les  troupes,  et  les  mena  à  l'entrée  de  la 
rivière  de  Richelieu,  où  il  les  fit  travailler,  en  même 
temps,  à  la  construction  de  trois  forts.  Le  premier  fut 
placé  à  l'endroit  même  où  avait  été  celui  de  Richelieu, 
bâti  par  le  chevalier  de  Montmagny,  et  dont  il  ne  restait 
plus  guère  que  les  ruines.  M.  de  Sorel,  capitaine  au  régi- 
ment de  Carignan.  qui  en  fut  chargé,  et  j  fut  laissé  pour 
commandant,  lui  donna  son  nom.  Le  second  fort  fut  bâti 
au  pied  du  rapide  de  la  rivière  Richelieu:  M.  de  Chambly, 
capitaine  au  même  régiment,  en  eut  la  direction  et  le 
commandement,  et  le  nom  de  Saint-Louis,  qu'on  lui  donna 
d'abord,  se  changea  bientôt  en  celui  de  cet  officier.  M. 
de  Salières  se  chargea  du  troisième,  qu'il  fit  construire 
environ  trois  lieues  plus  haut  que  le  second,  sur  la  même 
rivière  :  il  lui  donna  le  nom  de  Saitite-  Thérèse,  et  y 
choisit  son  poste. 

Ces  ouvrages,  qui  f lU'ent  exécutés  avec  une  diligence 
extrême,  intimidèrent  d'abord  les  Iroquois,  surtout  les 
Agniers,  et  leur  bouchèrent  le  passage  principal  et 
ordinaire  pour  entrer  dans  la  colonie  ;  mais  ces  bai'bares 
ne  tardèrent  pas  à  s'en  ouvrir  plusieurs  autres  :  et  l'on 
reconnut  bientôt  qu'on  aurait  pu  choisir,  pour  quelques 
uns  de  ces  forts,  des  situations  plus  convenables,  et  qu'en 
les  réparti ssant  sur  des  points  plus  éloignés  l'un  de  l'autre, 
on  eût  protégé  la  colonie  d'une  manière  plus  efficace  et 
plus  permanente. 


DU   CANADA.  145 

Pendant  qu'on  était  ainsi  occupé  à  se  mettre  à  couvert 
des  incursions  des  Iroquois,  M.  Talon  ne  demeurait  pas 
oisif  à  Québec  :  il  s'instruisit  parfaitement  de  la  nature, 
des  ressources  et  des  forces  du  pays,  et- bientôt  il  eut 
achevé  un  mémoire,  qu'il  adressa  à  M.  Colbert,  ministre 
de  la  marine  et  des  colonies.  Il  lui  apprenait  que  M. 
de  Mésy  était  mort  avant  que  la  nouvelle  de  son  rappel 
fut  arrivée  en  Canada  ;  qu'il  avait  été  jugé  à  propos,  entre 
M.  de  Tracy,  M.  de  Courcelles  et  lui,  de  ne  point  infor- 
mer contre  la  conduite  de  ce  gouverneur  ;  et  que  l'évêque 
de  Pétrée,  les  ecclésiastiques,  le  conseil  supérieur,  en  un 
mot,  tous  ceux  qui  s'étaient  déclarés  ses  parties,  n'ayant 
point  fait  de  nouvelles  instances  à  ce  sujet,  ils  avaient 
cru  que  le  roi  ne  trouverait  pas  mauvais  que  ses  fautes 
fussent  ensevelies  avec  lui  dans  son  tombeau. 

n  disait,  entre  autres  choses,  à  M.  Colbert,  qu'il  ne 
connaissait  point,  pour  un  grand  ministre  comme  lui,  de 
plus  glorieuse  occupation  que  les  soins  qu'il  donnerait 
au  Canada,  n'y  ayant  point,  dans  l'Amérique,  de  pays 
qui  pût  devenir  plus  utile  à  la  France. 

"  Mais,  continue-t-il,  si  sa  majesté  veut  faire  quelque 
chose  du  Canada,  il  me  paraît  qu'elle  ne  réussira  qu'en 
le  retirant  des  mains  de  la  compagnie  des  Indes,  et  qu'en 
y  donnant  une  grande  liberté  de  commerce  aux  habitans, 
à  l'exclusion  des  seuls  étrangers.  Si,  au  contraire,  elle 
ne  regarde  ce  pays  que  comme  un  lieu  de  commerce 
propre  à  celui  des  pelleteries,  et  au  débit  de  quelques 
denrées  qui  sortent  du  royaume,  l'émolument  qui  en 
peut  revenir  ne  vaut  pas  son  application,  et  mérite  très 
peu  la  vôtre.  Ainsi,  il  me  semblerait  plus  utile  d'en 
laisser  l'entière  direction  à  la  compagnie,  en  la  manière 
qu'elle  a  celle  des  Iles.  Le  roi,  en  prenant  ce  parti, 
pourrait  compter  de  perdre  cette  colonie  ;  car  sur  la 
première  déclaration  que  la  compagnie  a  faite  de   ne 

N 


146  niSTOiiîE 

souffrir  aucune  liberté  de  commerce,  et  de  ne  pas  per- 
mettre aux  habitans  de  faire  venir  pour  leur  compte  des 
denrées  de  France,  même  pour  leur  subsistance,  tout  le 
monde  a  été  révolté.  La  compagnie,  par  cette  conduite, 
profitera  beaucoup,  en  dégraissant  le  pays,  et  non  seule- 
ment lui  ôtera  le  moyen  de  subsister,  mais  sera  un 
obstacle  essentiel  à  son  établissement." 

Ces  représentations  énergiques  eurent  leur  effet  ;  la 
compagnie  d'Occident  elle-même  demeura  convaincue 
de  la  nécessité  de  renoncer  à  une  partie  des  privilèges 
qui  lui  avaient  été  octroyés  d'abord  ;  et  par  un  arrêt  du 
conseil  d'état  du  8  avril  1666,  il  est  permis  à  tous  les 
habitans  du  Canada  indistinctement,  de  faire  la  traite  des 
pelleteiùes  avec  les  Sauvages,  excepté  à  Tadoussac,  en 
remettant  à  la  compagnie  un  quart  des  peaux  de  castor, 
et  un  dixième  des  peaux  de  buffle. 

Vers  la  fin  de  décembre,  M.  de  Tracy  étant  de  retour 
à  Québec,  Garakonthié  y  arriva,  avec  des  députés  de  son 
canton  et  de  ceux  de  Goyogouin  et  de  Tsonnonthouan. 
Il  demanda  la  paix,  et  la  liberté  de  tous  les  prisonniers 
que  les  Finançais  avaient  faits  sur  les  trois  cantons,  depuis 
le  dernier  échange.  Le  vice-roi  le  reçut  avec  bonté,  et 
lui  fit,  en  particulier  et  en  public,  beaucoup  d'amitié. 
Il  lui  accorda  ce  qu'il  demandait,  à  des  conditions  rai- 
sonnables, et  le  congédia,  ainsi  que  les  autres  députés, 
chargé  de  présens. 

Le  silence  des  Agniers  et  des  Onneyouths,  en  cette 
rencontre,  et  plus  encore  leur  conduite  passée,  ne  lais- 
saient aucun  doute  sur  leur  mauvaise  volonté.  Deux 
corps  de  troupes  furent  donc  commandés  pour  les  aller 
châtier.  M  de  Courccllles  se  mit  à  la  tête  du  premier, 
qui  était  le  plus  considérable,  et  le  second  marcha  sous 
les  ordi-es  de  M.  de  Sorel.  Les  Onneyouths,  instruits 
de  ces  préparatifs,  en  furent  alarmés,  et  envoyèrent  des 


DU   CANADA.  147 

députés  à  Québec,  pour  détourner  l'orage  qui  les  mena- 
çait. H  parait  même  que  ces  députés  avaient  un  plein 
pouvoir  pour  agir  au  nom  des  Agniers,  qui  néanmoins 
avaient  encore  des  partis  en  campagne.  Un  de  ces 
partis  surprit  et  tua  trois  jeunes  officiers,  du  nombre 
desquels  était  M.  de  Chazy,  neveu  du  vice-roi.  Ce 
funeste  accident  et  l'insolence  brutale  d'un  chef  agnier, 
firent  rompre  la  négociation  entammée  par  les  Onney- 
ouths. 

M.  de  Sorel  étant  sur  le  point  de  tomber  sur  une 
bourgade  du  canton  d' Agnier,  rencontra  une  troupe  de 
guerriers  de  ce  canton,  qui  avaient  à  leur  tête  un  chef  à 
qui  les  Français  avaient  donné  le  surnom  de  Bâtard- 
Flamand,  parce  qu'il  était  fils  d'un  Hollandais  et  d'une 
Agnière.  Ce  chef,  se  sentant  fort  inférieur  aux  Français, 
et  ne  voyant  nul  moyen  d'échapper,  prit  le  parti  d'abor- 
der M.  de  Sorel,  et  lui  dit,  d'un  air  fort  assuré,  qu'il 
allait  à  Québec,  traiter  de  la  paix  avec  M.  de  Tracy. 
Sorel  le  crut,  et  le  conduisit  lui-même  au  vice-roi,  qui 
le  reçut  bien.  Un  autre  clief  agnier  arriva  à  Québec, 
peu  de  jours  après,  et  se  d:>una  aussi  pour  un  député 
de  son  canton.  On  ne  douta  point  alors  que  les  Agniers 
ne  fussent  véritablement  disposés  à  la  paix.  Mais  un 
jour,  que  le  vice-roi  avait  invité  les  deux  prétendus 
députés  à  sa  table,  le  discours  étant  tombé  sur  la  mort 
de  M.  de  Chazy,  le  chef  agnier,  levant  le  bras,  dit  que 
c'était  ce  bras  même  qui  avait  cassé  la  tête  au  jeune 
officier.  "  Ce  bras  ne  cassera  plus  la  tête  à  personne," 
répartit  M.  de  Tracy  ;  et  il  le  fit  étrangler,  sur-le-chamf>» 
par  le  bourreau,  en  présence  du  Bâtard-Flamand,  qu'il 
retint  prisonnier. 

De  son  côté,  M.  de  Courcelles  était  entré  dans  le 
canton  des  Agniers,  s'attendant  bien  à  les  surprendre  ; 
mais  il  s'apperçut  bientôt  qu'il  s'était  trompé.     Il  trouva 


148  HISTOIRE 

toutes  les  bourgades  abandounées  ;  les  vieillards,  les 
femmes  et  les  enlans  s'étaient  retirés  dans  les  bois,  et  les 
guerriers  se  tenaient  éloignés,  en  attendant  l'issue  des 
négociations  entammés  par  les  Onneyouths.  Il  y  eut 
néanmoins  quelques  escarmouclies,  pendant  la  nuit, 
avec  des  coureurs  agniers,  dont  quelques  uns  furent  tués 
et  d'autres  faits  prisonniers,  11  n'y  eut  aucun  Français 
de  tué  ni  de  blessé,  mais  un  officier  et  quatre  ou  cinq 
soldats  périrent  de  froid  ou  de  fatigue. 

A  son  retour  à  Québec,  M.  de  Courcelles  trouva  les 
préparatifs  de  l'armement  contre  les  Agniers  et  les 
Omieyouths  déjà  fort  avancés.  Six  cents  soldats  du 
régiment  de  Carignan,  un  pareil  nombre  de  Canadiens* 
et  environ  cent  Sauvages  de  différentes  tribus,  compo- 
saient l'armée  du  mai'quis  de  Tracy.  Malgré  son  âge 
plus  que  septuagénaire,  il  voulut  la  commander  en  per- 
sonne. Comme  il  se  disposait  à  partir,  de  nouveaux 
députés  des  deux  cantons  arrivèrent  à  Québec.  Il  les 
retint  prisonniers,  et  se  mit  en  marche. 

M.  de  Courcelles  menait  l'avaut-garde,  qui  était  de 
quatre  cents  hommes.  M.  de  Tracy  était  au  centre, 
avec  le  chevaUer  de  Chaumoxt  et  plusieurs  autres 
officiers  de  mérite  :  l'arrière-garde  était  conduite  par  les 
capitaines  Sorel  et  Beethiee.  On  n'avait  pi-is  de  pro- 
visions de  bouche  que  ce  qu'il  en  fallait  pom*  gagner  le 
pays  ennemi  ;  mais  comme  on  n'eut  pas  soin  de  les 
ménager  assez,  elles  manquèrent,  lorsqu'on  fut  à  moitié 
chemin  ;  et  l'armée  aurait  été  forcée  de  se  débander  pour 
chercher  de  quoi  subsister,  si  elle  ne  fût  entrée  dans  un 
bois  de  châtaigniers,  qui  lui  procura  une  nourriture 
assez  subtantielle,  pour  l'empêcher  de  périr,  ou  de  s'af- 
faiblir, jusqu'à  ce  qu'elle  fût  arrivée  chez  les  Agniers. 

*  Ainsi  commença-t-on  à  appeller  alors  les  Français  ucs  en 
Canada. 


DU   CANADA.  149 

Le  vice-roi  s'était  flatté  de  surprendre  ces  Sauvages  ; 
mais  il  ne  rencontra,  dans  les  premiers  villages,  que 
ceux  des  vieillards  et  des  femmes  qui  n'avaient  pu  s'éloi- 
gner assez  promptement.  On  y  trouva  des  vivres  en 
abondance,  et  particulièrement  un  immense  approvision- 
mcut  de  maïs.*  Toutes  les  premières  bourgades  furent 
brûlées.  Ce  ne  fut  qu'à  la  dernière  que  l'on  rencontra 
enfin  les  ennemis.  Ils  s'étaient  sans  doute  proposé  d'y 
combattre  ;  mais  l'appareil  avec  lequel  ils  virent  les 
Français  s'approcher,  les  eifraya,  et  ils  allèrent  se  mettre 
à  couvert  dans  des  lieux  où  il  ne  fut  pas  possible  de  les 
atteindre.  On  s'en  vengea  sur  les  cabanes,  dont  pas 
une  ne  resta  sur  pied  dans  tout  le  canton.  Il  y  en  avait 
de  cent-vingt  pieds  de  longueur,  toutes  revêtues  en 
dedans  de  planches  polies. 

M.  de  Tracy  aurait  voulu  châtier  de  la  même  manière 
les  Onneyouths  ;  mais  la  fin  d'octobre  approchant,  il 
crut  qu'il  était  temps  de  penser  au  retour.  A  son 
arrivée  à  Québec,  il  fit  pendre,  pour  l'exemple,  quelques 
uns  de  ses  prisonniers,  croyant,  apparemment,  que 
c'était  là  un  des  droits  des  nations  civilisées,  dans  leurs 
guerres  avec  des  peuples  barbares  ;  et  par  un  contraste 
assez  singulier,  il  renvoya  aussitôt  tous  les  autres,  après 
leur  avoir  témoigné  beaucoup  de  bonté.  Dès  que  la 
navigation  fut  libre,  le  marquis  de  Tracy  s'embarqua 
pour  la  France. 

Les  dîmes,  que  l'évêque  de  Pétrée  avait  fait  taxer 
au  treizième,  excitaient  beaucoup  de  plaintes  dans  la 

*  Les  Agniers  oublièrent  do  détruire  les  provisions  de  bouche 
qu'ils  ne  pouvaient  pas  emporter  :  s'ils  l'eussent  tait,  une  partie  au 
moins  de  l'armé  française  eût  été  exposée  à  périr  de  faim  ;  mais 
la  tète  leur  tourna,  comme  dit  Charlevoix,  et  ils  ne  songèrent  point 
à  profiter  des  avantages  que  la  situation  et  la  connaissance  des 
lieux  pouvaient  leur  procurer.  Privés  de  leurs  maisons  et  de 
leurs  vi\Tes,  il  ne  purent  subsister  durant  l'hiver,  que  par  l'hospi- 
talité de  leurs  compatriotes  des  cantons  voisins. 

n2 


1 .50  HISTOIRE 

colonie:  au  mois  de  septembre  de  cette  année  1667,  le 
conseil  supérieur  rendit  un  arrêt  portant  que  les  dîmes 
ne  seraient  levées,  provisoirement,  qu'au  vingt-sixième, 
mais  qu'elles  seraient  payées  en  grains,  et  non  eu  gerbes, 
comme  auparavant,  et  que  les  terres  nouvellement 
défrichées  ne  paieraient  rien  pendant  cinq  ans. 

M.  Talon,  qu'on  pourrait  appeller  le  Colbert  du 
Canada,  imaginait,  tous  les  jours,  de  nouveaux  moyens 
de  faire  fleurir  ce  pays,  principalement  par  le  commerce 
et  l'industrie.  Il  avait  surtout  à  cœur  les  mines  de  fer 
qu'on  lui  avait  dit  être  abondantes  ;  et  dès  le  mois 
d'août  1666,  il  avait  envoyé  le  sieur  de  la  Tesserie  à 
la  Baie  Saint-Paul,  où  ce  mineur  découvrit,  en  effet, 
une  mine  de  fer  considérable.  Etant  passé  en  France, 
en  1668*,  il  engagea  M.  Colbert  à  sui\Te  ces  décou- 
vertes, et  le  sieur  de  la  Potadiere  fut  envoyé  en  ce 
pays,  dans  ce  dessein.  A  son  arrivée  à  Québec,  on  lui 
présenta  des  échantillons  de  deux  mines  que  M.  de 
CourceUes  s'était  fait  apporter  des  environs  de  Cham- 
plain  et  du  Cap  de  la  Madeleine.  La  Potadiere  se 
transporta  sui*  les  lieux,  et  à  son  retour  à  Québec,  il 
déclara  qu'il  n'était  pas  possible  de  voir  des  mines  qui 
promissent  davantage,  soit  pour  la  bonté,  soit  pour 
l'abondance  du  minerai.  Néanmoins,  malgré  un  rapport 
aussi  favorable,  ces  mines  ne  furent  point  alors  mises 
en  exploitation. 

*  En  conséquence  de  quelques  démêlés  entre  lui  et  M.  de  CorR- 
CELLES,  principalement  au  sujet  du  clergé,  dont  ce  dernier  n'ap- 
prouvait pas  le  zèle  immodéré.  On  lui  donna  pour  suppléant,  ou 
pour  successeur  arf  intérim,  M.  de  Bouteroue,  à  qui  il  fut  particuliè- 
rement recommandé  de  modérer  la  trop  grande  sévérité  de  l'évè- 
que  et  des  confesseurs,  et  de  maintenir  la  bonne  intelligence  entre 
tous  les  ecclésiastiques  du  pays.  De  fortes  et  nombreuses  récla- 
mations avaient  donné  lieu  au  premier  article  des  instructions  de 
M.  de  Bouteroue  ;  mais  le  dernier,  suivant  Charlevoix,  n'était 
fondé  sur  aucune  plainte  ;  l'imion  étant  parfaite  alors  entre  tous 
les  corps  qui  composaient  le  clergé  séculier  et  régulier. 


DU    CANADA.  lol 

Ou  avait  établi  depuis  peu,  dans  les  environs  de 
Québec,  une  tannerie,  dont  les  premiers  essais  avaient 
parfaitement  réussi  ;  et  la  liberté  du  commerce,  qui 
venait  d'être  proclamée,  avait  fait  naître,  chez  les  colons, 
de  grandes  espérances. 

La  colonie  faisait  aussi  des  progrès  du  côté  de  la  popu- 
lation :  la  meilleure  partie  du  régiment  de  Carignan 
était  restée  dans  le  pays,  ou  y  revint,  avec  M.  Talon, 
en  1669.  Tous  les  soldats  qui  voulurent  se  faire  cul- 
tivateurs ou  artisans  eurent  leur  congé  à  cet  effet.  Les 
officiers  qui  avaient  obtenu  des  terres  en  fief  et  sei- 
gneurie, s'y-  établirent  et  s'y  marièrent  presque  tous. 
Charlevoix  remarque  que  la  plupart  de  ces  officiers 
étaient  gentilshommes,  et  en  prend  occasion  de  dire,  que 
le  Canada  a  eu  plus  de  noblesse  ancienne  qu'aucune 
autre  colonie  française,  et  peut-être  que  toutes  ensemble. 

Parmi  les  instructions  de  l'intendant,  il  y  avait  un 
ordre  du  conseil  qui  lui  enjoignait  d'engager  les  mission- 
naires à  instruire  les  enfans  des  Sauvages  dans  la 
langue  française,  et  à  les  accoutumer  à  la  façon  de  vivre 
des  Européens.  Les  jésuites  n'ayant  pas  réussi,  moins, 
dit  Charlevoix,  par  les  difficultés  qu'ils  avaient  ren- 
contrées dans  l'exécution  du  projet,  que  par  les  incon- 
véniens  qu'ils  y  avaient  reconnus,  M.  Talon  s'adressa  à 
l'évêque  de  Pétrée  et  aux  ecclésiastiques  de  Mont- 
réal, qui  promirent  de  faire  ce  que  désirait  la  cour  ; 
mais  il  paraît  que  leurs  efforts,  s'ils  en  firent,  pour  par 
venir  au  but  désiré,  ne  furent  pas  couronnés  du  succès. 

Tandis  que  le  gouverneur  et  l'intendant  faisaient  tout 
ce  qui  dépendait  d'eux  pour  faire  prendre  à  la  colonie 
une  forme  solide,  et  lui  donner  un  degré  d'importance 
qui  la  rendissent  digue  de  l'attention  du  roi  et  de  la 
compagnie  des  Indes,  des  jésuites,  et  entre  autres,  les  PP. 
Garnikr,  Bruyas,  Millet  et  de  Caiuieil,  s'établis- 


152  HISTOIRE 

saient,  comme  missionnaires,  dans  les  cantons  iroquois  ; 
et  les  PP.  Daclox,  Marquette,  Allouez  et  autres, 
allaient  visiter  des  tribus  sauvages,  jusqu'alors  incon- 
nues ;  les  Poutéouatamis,  les  Miamis,  les  Mascoutins,  les 
Outagamis,  les  Sakis,  les  Illinoit,  les  Christineaux,  ou 
Kilistineaux,  et  se  fixaient  au  Sault  de  Sainte-Marie  et 
sur  les  bords  des  grands  lacs  Supérieur  et  Michigan. 

"  En  s'avançant  au  milieu  des  Indiens*  dit  un  écri- 
vain moderne,f  les  missionnaires  y  faisaient  pénétrer  de 
proche  en  proche  les  principes  de  la  morale.  S'Us 
quittaient  une  tribu,  il  lui  prescrivaient  quelques  devoirs 
à  suivre,  jusqu'au  temps  où  ils  pourraient  revenir  auprès 
d'elle,  pour  l'instruire  davantage.  Les  plus  habiles 
d'entre  eux  évitaient  les  questions  de  dogme,  afin  d'être 
mieux  compris.  En  s'adi'essant  plutôt  au  cœur  qu'à 
l'intelligence,  ils  avaient  moins  d'intervalle  à  franchir  ; 
et  pour  mieux  persuader  l'homme  simple,  tel  que  la 
nature  l'a  fait,  ils  se  tenaient  plus  à  sa  portée.  Leurs 
soins  paternels,  la  sagesse  de  leurs  conseils,  et  l'autorité 
de  leurs  exemples,  leur  faisaient  acquérir  un  puissant 
empire  sur  ces  peuples  sauvages  :  ils  cherchaient  à  les 
éloigner  des  pratiques  cruelles  et  superstitieuses  ;  ils 
fortifiaient,  au  milieu  d'eux,  les  liens  de  famille  que  la 
nature  avait  déjà  formés,  et  ils  leur  inspiraient  le  goût 
du  travail  et  celui  d'une  vie  sédentaire,  sans  laquelle  il 
ne  peut  pas  y  avoir  de  société  durable. 

Mais  "  quelques  fussent  les  efibrts  et  la  constance  du 
zèle  des  missionnaires,  ils  avaient  de  grandes  difiicultés 
à  vaincre  :  il  leur  fallait  chercher  les  Sauvages  dans  les 
forêts,  suivre  leurs  pénibles  chasses,  parcourir  les  rivières 

*  Quelques  écrivains  modernes,  traduisant  de  l'anglais  en 
français,  emploient  ce  mot  pour  désigner  les  Sauvages,  ou  habitans 
naturels  de  l'Amérique.  Cet  anglicisme  ne  se  trouve  nulle  part 
chez  les  anciens  historiens  de  la  Nouvelle  France. 

t  M.  Roux  DE  KOCHELLE. 


DU   CANADÎ.  1Ô3 

dans  leurs  canots,  vivre  sous  les  mêmes  huttes,  et  s'ex- 
poser comme  eux  à  toutes  les  rigueurs  de  la  misère.  Si 
leurs  discours  entraînaient  quelques  Indiens,  cette 
conversion  était  souvent  passagère,  et  leurs  néophytes 
leur  étaient  enlevés  par  l'empire  des  habitudes,  et  par 
l'emportement  des  passions,  qui  n'ont  aucun  frein  dans 
l'état  sauvage.  "  Puisque  nous  habitons,  disaient-ils, 
un  monde  différent  du  vôtre,  nous  devons  avoir  un  autre 
paradis,  et  un  autre  chemin  pour  y  parvenir."  La  hutte 
d'un  vieillard  avait  pris  feu,  et  il  répondit  au  mission- 
naire qui  cherchait  inutilement  à  le  convertir,  et  qui 
voulait  le  retirer  des  flammes  :  "  Si  je  suis  condamné  au 
feu  éternel  après  ma  mort,  il  ne  vaut  pas  la  peine  de 
l'éteindre  aujourd'hui." 

Les  Sauvages  n'étaient  pas  seulement  raisonneurs,  ou 
logiciens  à  leur  manière,  et  quelquefois  disputeurs 
opiniâtres,  ils  avaient  aussi  leurs  croyances  et  leurs 
traditions,  auxquelles  ils  tenaient  plus  ou  moins  forte- 
ment. Mais  les  plus  difficiles  à  convertir  au  catholi- 
cisme devaient  être  les  toquois,  devenus,  par  l'impru- 
dence de  Champlain,  les  ennemis  éternels  et  irréconci- 
liables des  Français,  et  ayant  pour  voisins  et  alUés  les 
Hollandais,  dont  ils  savaient  que  la  religion  différait  de 
celle  des  premiers.  Malgré  cela,  un  grand  nombre 
d'entre  eux  se  firent  chrétiens  et  catholiques,  comme  on 
le  verra  par  la  suite. 

En  1670  fut  consommée  l'affiiire  de  l'érection  de 
Québec  en  évéché.  Le  roi  avait  consenti,  à  la  lin, 
<iuc  cet  évéché  dépendît  immédiatement  du  Saint-Siège, 
mais  sans  cesser  d'être  uni  à  l'église  de  France.  Cette 
même  année,  M.  Pekuot,  neveu,  par  marriage,  de  M. 
Talon,  remplaça  M.  de  JMaison-Neuve,  comme  gouver- 
neur de  Mont-réal.  "  Toute  l'île  de  Mont-réal,  dit  le 
P.  Charlevoix,  ressemblait  îl  une  communauté  religieuse. 


154  ""HlSTOrRE 

On  avait  eu,  dès  le  commencement,  une  attention  par- 
ticulière à  n'y  recevoir  que  des  habitans  d'une  régularité 
exemplaire.  Us  étaient,  d'ailleurs,  les  plus  exposés  aux 
courses  des  Iroquois,  et  ainsi  que  les  Israélites,  au  retour 
de  la  captivité  de  Babjlone,  ils  s'étaient  vus  obligés,  en 
bâtissant  leurs  maisons  et  en  défrichant  leurs  terres, 
d'avoir  presque  toujours  leui's  outils  d'une  main,  et  leurs 
armes  de  l'autre,  pour  se  défendre  d'un  ennemi  qui  ne 
faisait  la  guerre  que  par  surprise." 

Outre  les  soldats  du  régiment  de  C^rignan,  M.  Talon 
avait  amené  avec  lui,  une  partie  des  cinq  cents  familles 
que  le  roi  lui  avait  promises.  On  vit  arriver  avec  joie, 
à  Québec,  cette  nouvelle  recrue  d'habitans.  On  ne  son- 
geait alors,  dit  Charlevoix,  qu'à  peupler  le  pays,  et  l'on 
n'était  plus  aussi  scrupuleux  qu'autrefois  sur  le  choix 
des  colons.  Il  y  avait  déjà  dans  la  colonie  des  "mauvais 
garnemens,"  et  même  des  scélérats.  Trois  soldats 
français  ayant  rencontré  un  chef  iroquois  qui  avait 
beaucoup  de  pelleteries,  l'ennivrèrent  et  l'assassinèrent. 
Quelques  précautions  qu'ils  eussent  prises,  pour  cacher 
leur  crime,  ils  furent  découverts  et  mis  en  prison. 
Pendant  que  leur  procès  s'instruisait,  trois  autres 
Français  rencontrèrent  six  Mahingans,  ou  Mohicans, 
(Sauvages  voisins,  et  ordinairement  alliés  des  Iroquois,) 
qui  avaient  pour  environ  mille  écus  de  marchandises  :  ils 
les  massacrèrent,  après  les  avoir  ennivrés,  et  eurent 
l'efironterie  d'aller  vendre  leur  butin,  qu'ils  voulurent 
faire  passer  pour  le  fruit  de  leur  chasse.  Les  corps  de 
leiu-s  victimes  furent  trouvés  percés  de  coups  et  tous 
sanglants,  et  reconnus  par  des  Sauvages  de  leur  tribu. 

Les  Maliingans  soupçonnèrent  d'abord  les  Iroquois 
du  meurtre  de  leurs  gens  ;  mais  bientôt  le  bruit  se  répan- 
dit que  c'étaient  des  Français  qui  avaient  fait  le  coup. 
De  leur  côté,  les  Iroquois  ne  tardèrent  pas  à  être  instruits 


DU  CANADA.  155 

de  l'assassinat  de  leur  chef:  on  leur  assura  même  que 
deux  des  assassins  avaient  été  accusés  par  le  troisième 
d'avoir  complotté  d'empoisonner  tous  les  gens  de  leur 
nation  qu'ils  rencontreraient.  H  n'en  fallut  pas  davan- 
tage pour  les  fiiire  entrer  en  fureur.  H  n'y  avait  donc 
pas  un  moment  à  perdre  pour  éviter  de  se  voir  replongé 
dans  une  guerre  qui  ne  pouvait  avoir  que  des  suites 
fâcheuses.  M.  de  Courcelles  partît  sans  différer  pour 
Mont-réal,  où  il  savait  que  des  Sauvages  de  différentes 
tribus  venaient  d'arriver.  Il  les  assembla,  et  après 
s'être  efforcé  de  les  convaincre  que  leur  intérêt  était  de 
rester  unis  aux  Français,  il  se  fit  amener  les  assassins 
du  chef  iroquois,  et  leur  fit  caser  la  tête  en  leur  pré- 
sence. Il  promit  de  traiter  de  la  même  manière  les 
assassins  des  Maliingans,  lorsqu'il  les  aurait  en  sa  puis- 
sance. Enfin,  il  dédommagea  les  deux  tribus  de  ce  qui 
leur  avait  été  enlevé,  et  l'assemblée  se  sépara  très  satis- 
faite. 

M.  de  Courcelles,  par  sa  fermeté  et  le  ton  d'autorité 
qu'il  savait  prendre  avec  les  Sauvages,  fit  aussi  cesser 
les  courses  que  les  Iroquois  et  les  Outaouais  recommen- 
çaient à  faire,  les  uns  contre  les  autres.  Mais,  ayant 
voulu  le  prendre  sur  le  même  ton  avec  les  Tsonnon- 
thouans,  qui  inquiétaient  quelques  tribus  voisines  de 
leur  pays,  il  reçut  d'eux  cette  réponse  pleine  de  fierté  : 
"  Quoi  donc  !  est-ce  que  nous  n'aurons  plus  le  droit 
de  venger  nos  injures,  parce  que  des  missionnaires  ont 
bien  voulu  s'établir  parmi  nous  ?  Est-ce  que  nous  ne 
pouiTons  plus  ni  lever,  ni  poser  notre  hadie,  parce  qu'il 
a  plu  à  Ononthio  de  bâtir  quelques  cabanes  dans  notre 
pays  ?  Est-ce  que,  pour  avoir  fait  la  paix  avec  lui  nous 
sommes  devenus  ses  vassaux  ?  Non  ;  nous  verserons, 
s'il  est  nécessaire,  jusqu'à  la  dernière  goutte  de  notre 
sang,  pour  défendre  notre  liberté  et  notre  indépendance  ; 


156  HISTOIRE 

et  si  les  Français  ont  de  la  mémoii-e,  ils  se  rappelleront 
que  nous  leur  avons  fait  sentir,  plus  d'une  fois,  que  nous 
ne  sommes  ni  des  alliés  qu'on  doive  traiter  avec  tant  de 
hauteur,  ni  des  ennemis  qu'on  puisse  mépriser  impuné- 
ment." Us  cessèrent  néanmoins,  pendant  quelque  temps, 
d'inquiéter  leurs  voisins,  et  envoyèrent  même  au  gouver- 
neur quelques  uns  des  prisonniers  qu'ils  avaient  faits. 

Pendant  que  M.  de  Courcelles  maintenait  ainsi  la 
bonne  intelligence  entre  les  Français  et  les  Sauvages,  et 
faisait  régner  la  paix  parmi  ces  derniers,  la  petite-vérole 
ravageait  le  nord  du  Canada,  et  achevait  de  dépeupler 
presque  entièrement  ces  vastes  contrées.  Les  Attika- 
mègues  disparurent  :  Tadoussac,  où  l'on  avait  vu  jusqu'à 
1200  Sauvages  réunis,  au  temps  de  la  traite,  commença 
à  être  presque  entièrement  abandonné,  aussi  bien  que  les 
Trois-Rivières.  D  y  eut  pourtant  cette  différence  entre 
ces  deux  postes,  que  les  Français  se  maintinrent  dans  le 
dernier  ;  au  lieu  que  le  premier,  où  ils  n'avaient  aucun 
établissement  fixe,  demeura  désert. 

Cependant,  M.  Talon,  toujours  plein  de  zèle  et  d'acti- 
vité, profitait  de  la  paix  dont  jouissait  la  colonie,  et  des 
bonnes  dispositions  des  Sauvages  à  l'égard  des  Français, 
pour  établir  les  droits  de  la  couronne  de  France,  dans 
les  quartiers  les  plus  reculés  du  Canada.  De  concert 
avec  M.  de  Courcelles,  il  résolut  d'envoyer  dans  le  Nord 
un  homme  connu  et  estimé  des  Sauvages,  pour  les 
engager  à  se  trouver,  par  députés,  en  un  lieu  où  l'on  pût 
traiter  avec  eux.  Un  voyageur,  nommé  Nicholas 
Pekkot,*  partit  muni  des  instructions  de  l'intendant  ; 

*  Ce  Nicholas  Perrot  avait  été,  dans  sa  jeunesse,  au  senice 
des  jésuites.  Il  dut  probablement  à  ces  religieux  un  commence- 
ment d'instruction.  C'était,  d'ailleurs,  un  homme  d'esprit  et 
doué  de  beaucoup  de  talent  naturel.  Il  fut  employé,  à  diverses 
fois,  par  diiférents  gouverneurs,  comme  envoyé,  agent,  ou  négocia- 
teur, chez  les  Sauvages,  et  reudit,  en  ces  qualités,  des  services 
importants  à  la  colonie. 


DU   CANADA.  157 

tet  ayant  visité  toutes  les  tribus  du  Nord,  avec  lesquelles 
la  colonie  avait  des  relations  de  commerce,  il  les  invita 
à  envoyer,  le  printemps  suivant,  des  députés  au  Sault 
de  Sainte-Marie,  où  le  grand  Ononthio  (le  roi  de 
France)  leur  enverrait  un  de  ses  capitaines,  pour  leur 
déclarer  ses  volontés.  Toutes  ces  tribus  promirent  de 
faire  ce  qu'on  désirait  d'elles. 

Perrot  passa  ensuite  à  l'ouest,  puis  rebattit  au  sud,  et 
alla  jusqu'à  Chicagou,  au  fond  du  lac  Micbigau,  où  habi- 
taient les  Miamis,  une  des  plus  puissantes  tribus  de  ces 
quartiers.  Il  fut  bienreçude  TETiNCHOUA,leur  principal 
chef;*  séjourna  quelque  temps  avec  eux,  puis  retourna 
nu  Sault  Sainte-Marie.  M.  de  Saint-Lusson,  subdé- 
légué de  M.  Talon,  y  arriva  dès  le  mois  de  mai  (1671). 
Y  ayant  trouvé  des  députés  de  toutes  les  tribus  que 
Perrot  avait  visitées,  il  leur  fit  un  discours,  dont  la  sub- 
stance était,  qu'il  ne  pourrait  leur  rien  arriverde  plus  heu- 
reux que  d'avoir  le  roi  de  France  pour  grand  chef,  et  de 
mériter  sa  protection.  La  réponse  s'étant  trouvée  telle 
qu'il  la  désirait,  il  déclara  qu'il  mettait  tous  ces  pays  en 
la  main  du  roi,  et  les  habitans  sous  sa  protection,  et  fit 
accompagner  cette  déclaration  des  cérémonies  usitées  en 
pareilles  circonstances.* 

*|C'était,  dit  Charlevoix,  un  des  phis  puissants,  et  le  plus  absolu 
des  chefs  du  Canada.  Il  pouvait  mettre  sur  pied  de  quatre  à  cinq 
quille  combattans,  et  ne  marchait  jamais  qu'accompag-né  d'une 
garde  de  quarante  guerriers,  qui  taisait  aussi,  jour  et  nuit,  senti- 
nello  autour  de  sa  cabane,  quand  il  y  était.  Ce  chef  communi- 
quait rarement  en  personne  avec  ses  sujets,  mais  se  contentait  de 
leur  faire  intimer  ses  ordres  par  ses  ofïiciors.  Instruit  de  l'arrivée 
d'un  envoyé  du  général  des  Français,  il  voulut  lui  faire  une  récep- 
tion qui  lui  donnât  une  haute  idée  de  sa  puissance.  Il  tit  marcher 
un  détachement  pour  aller  au-devant  de  lui,  et  ordonna  qu'on  le 
reçut  en  guerrier  ;  ce  qui  consista  en  évolutions,  et  eu  un  combat 
simulé  entre  des  Miamis  et  les  Poutéouatamis  dont  Perrot  était 
acccompagné. 

fil  fit  creuser  deux  trous  en  terre,  et  fit  planter  dans  l'un  un 
grand  poteau  de  cèdre,  et  dans  l'autre  une  croix  de  même  bois, 


1 58  HISTOIRE 

M.  de  Courcelles,  persuadé  de  la  nécessité  d'opposer 
une  nouvelle  barrière  aux  Iroquois,  fit  dire  à  leurs  prin- 
cipaux chefs,  qu'il  avait  une  affaire  importante  à  leur 
communiquer,  et  qu'il  irait  incessamment  les  attendre  à 
l'endroit  nommé  Catarocouy.  Il  s'y  rendirent  en  grand 
nombi'e  ;  et  le  gouverneur,  après  leur  avoir  témoigné 
beaucoup  de  bienveillance,  leur  dit  qu'il  avait  dessein 
de  bâtir,  en  cet  endroit  même,  un  fort  où  ils  pussent 
venir  plus  commodément  faire  la  traite  avec  les  Français. 
Les  Sauvages,  ne  soupçonnant  pas  le  principal  but  du 
gouverneui',  répondirent  que  ce  projet  leur  paraissait 
bien  imaginé  ;  et  sur-le-champ,  les  mesures  furent 
prises  pour  l'exécuter  ;  mais  M.  de  Courcelles  n'en  eut  pas 
le  temps  ;  à  son  retour  à  Québec,  il  j  trouva  Louis  de 
BuADE,  comte  de  Frontenac,  qui  venait  le  relever.  Il 
n'eut  pourtant  pas  de  peine  à  faire  goûter  à  son  succes- 
seur le  projet  qui  lui  avait  fait  entreprendre  son  dernier 
voyage  ;  et  dès  le  printemps  suivant,  le  nouveau  gou- 
verneur se  rendit  à  Catarocouy,  et  y  fit  construire  un 
fort,  auquel  il  donna  son  nom. 

En  s'étendant  vers  l'Ouest,  les  Français  acquéraient 
des  notions  sur  des  contrées  plus  éloignées,  et  ils  avaient 
appris  des  Sauvages  l'existence  d'un  grand  fleuve, 
appelle  Mechascehé  ou  Micissipi,  qui  ne  coulant  ni  au 
Nord  ni  àTEst,  devait  fournir  le  moyen  de  communiquer, 
ou  avec  le  golfe  du  Mexique,  ou  avec  la  mer  du  Sud.» 
M.  Talon,  qui  avait  demandé  son  rappel,  ne  voulut  pas 
laisser  l'Amérique,  sans  avoir  éclairci  ce  point  impor- 
tant. H  chargea  de  cette  découverte  le  P.  Marquette, 
qui  avait  déjà  parcouru,  comme  missionnaire,  presque 

pendant  qu'on  chantait  le  Vexilla  régis.  Ensuite,  on  attacha  à  la 
croix  et  au  poteau  les  armes  du  roi,  puis  on  entonna  le  pseaume 
Exaudiat.  Enfin,  on  chanta  le  Te  Deuni,  qui  fut  précédé  et  suivi 
de  plusieurs  décharges  de  mousqueterie,  et  un  festin  termina  le 
congrès. 


DU   CANADA.  159 

toutes  les  contrées  septentrionales  du  Canada,  et  il  lui 
associa  le  sieur  Joliet,  natif  de  Picardie,  mais  établi 
depuis  longtemps  à  Québec,  comme  négociant. 

Les  deux  voyageurs  s'embarquèrent  sur  le  lac  Michi- 
gan,  gagnèrent  la  Baie  Verte,  et  remontèrent  la  rivière 
des  Outagamis,  ou  Renards.  Après  avoir  franchi  une 
chaîne  de  hauteurs  qui  séparent  les  versans  de  l'Est  et 
de  l'Ouest,  ils  arrivèi'ent  à  V  Ouisconsin,  dont  ils  suivirent 
le  cours,  et  ils  atteignirent  le  Micissipi  le  17  juin  1673. 
Quatre  Sauvages,  qui  les  accompagnaient,  saluèrent  le 
Père  des  Eaux,  en  lui  offrant,  à  titre  d'iiommage,  des 
flèches,  des  calumets,  de  brilliantes  fleurs  et  des  épis  de 
maïs. 

"  Les  deux  voyageurs  français,  dit  un  écrivain 
moderne,*  étaient  alors  dans  une  glorieuse  carrièi'e  de 
découvertes  :  l'un,  tout  animé  d'un  zèle  religieux,  voyait 
des  âmes  à  conquérir  pour  le  ciel  :  l'autre  se  représen- 
tait les  avantages  que  la  France  pourrait  obtenir  de 
l'acquisition  d'une  contrée  nouvelle,  qui  s'offrait  à  lui 
dans  toute  sa  magnificence,  et  qui  variait  et  multipliait 
ses  richesses,  à  mesure  que  l'on  avançait  vers  le  midi. 
On  n'appercevait  plus,  comme  dans  le  Canada,  ces  forêts 
immenses  et  continues,  qui  n'ont  de  limites  qu'à  l'hoi'i- 
zon  :  elles  étaient  coupées  par  de  vastes  prairies,  les 
unes  couvertes  de  hauts  herbages,  les  autres  formant 
d'humides  vallons,  au  milieu  desquels  croissaient  des 
joncs,  des  peupliers,  des  sycomores,  tantôt  dispersés, 
tantôt  réunis  en  diflérents  groupes." 

En  descendant  le  Micissipi,  nos  voyageurs  reconnurent 
l'entrée  de  Y  Illinois,  celle  du  Missouri,  celle  de  l' Ohio  et 
celle  de  Y Arkansas,  oh  ils  terminèrent  leurs  découvertes. 
Les  provisions  commençant  à  leur  manquer,  ils  regagnè- 
rent  l'embouchure  de  l'illinois,  et  remontèrent  cette 

*  M.  Roux  DK  KoCUJiLLE. 


160  HISTOIRE 

rivière  jusqu'au  pied  des  hauteurs  qui  la  séparent  du 
lac  Michigan.  Arrivés  à  Chicagou,  les  deux  voyageurs 
se  séparèrent  ;  le  P.  Marquette  resta  chez  les  Miamis, 
et  Joliet  revint  à  Québec.  M.  Talon  en  était  parti  pour 
retourner  en  France,  en  prenant  sa  route  par  l'Acadie. 

E  n'y  avait  pas  encore  un  an  que  M.  de  Chambly  avait 
relevé  le  chevalier  de  Grand-Foxtaike,  au  port  dePem- 
tagoet,  lorsque,  le  10  août  1674,  un  Anglais,  qui  était 
demeuré  quatre  jours  déguisé  dans  sa  place,  le  vint 
attaquer  avec  l'équipage  d'un  corsaire  flamand.  Cet 
aventurier  avait  cent-dix  hommes  ;  M.  de  Chambly  n'en 
avait  que  trente,  et  son  fort  n'était  pas  en  état  de 
défense.  Il  se  défendit  néanmoins  d'abord  avec  courage  ; 
mais  après  une  heure  de  combat,  ayant  reçu  une  blessure 
qui  l'obligea  de  se  retirer,  ses  gens,  qui  étaient  mal 
armés,  et  mal  intentionnés,  suivant  Charlevoix,  se  ren- 
dirent à  discrétion. 

Les  Anglais  envoyèrent  de  là  un  détachement  au  fort 
de  Gemesie,  sur  la  rivière  Saint-Jean,  pour  enlever  M. 
de  ^Maison,  qui  y  commandait  ;  ce  qui  fut  exécuté  sans 
résistance.  L'auteur  de  ces  hostilités  n'avait  pas  de 
commission  :  il  fut  désavoué  ;  mais  le  mal  était  fait,  et 
ne  put  être  réparé  que  longtems  après. 

L'expérience  de  M.  de  Courcelles  ;  la  fermeté  et  la 
sagesse  avec  lesquelles  il  avait  gouverné,  l'avaient  fait 
aimer  des  Français,  et  respecter  des  Sauvages.  "  Le 
caractère  de  son  successeur,  dit  un  historien,  a  quelque 
chose  d'extraordinaire.  Il  était  doué  de  grandeur 
d'âme  et  d'héroïsme,  ferme  de  caractère,  mais  altier  et 
indomptable  :  ayant  de  grandes  vues,  mais  incapable  de 
céder  aux  conseils  et  de  modifier  ses  desseins  ;  coura- 
geux, persévérant,  homme  d'esprit,  homme  de  cour, 
mais  susceptible  de  préventions,  sacrifiant  la  justice  à 
ses  haines  personnelles  et  le  succès  d'une  entreprise  au 


DU   CANADA.  161 

triomphe  de  ses  préjugés  ;  ambitieux,  ardent  ;  homme 
dont  on  avait  tout  à  espérer  et  beaucoup  à  craindre." 

Il  se  brouilla  d'abord  avec  les  missionnaires  et  les 
ecclésiastiques,  particulièrement  ceux  de  Mont-réal  :  il 
fît  mettre  aux  arrêts  M.  Perrot,  apparemment  parce 
qu'il  avait  pris  le  parti  des  ecclésiastiques,  ou  était  con- 
trevenu à  ses  ordres  :  il  fit  emprisonner  un  pi-être  du 
séminaire,  qui  avait  prêché  contre  lui,  dit-on,  et  avait 
pris  des  attestations  des  habitans  de  la  ville  en  faveur 
de  M.  Perrot,  leur  gouverneur.  Il  se  brouilla  ensuite 
avec  M.  Duchesneau,  qui  avait  succédé  à  M.  Talon, 
comme  intendant.  Ce  dernier  se  plaignait  que  M.  de 
Frontenac  n'avait  composé  le  conseil  supérieur  que  de 
gens  qui  lui  étaient  entièrement  dévoués,  et  que  par  là 
il  s'était  rendu  l'arbitre  souverain  de  la  justice,  et  tenait 
tout  le  monde  sous  le  joug. 

"  Il  faut  pourtant  avouer,  dit  Charlevoix,  que  les 
eoups  de  vigueur  que  fit  alors  le  comte  de  Frontenac 
ne  furent  pas  tous  repréhensibles,  quant  au  fond;  niai*-' 
lors  même  qu'il  usait  le  plus  à  propos  de  sévérité,  il  le 
faisait  avec  un  air  de  violence  et  des  manières  si  hau- 
taines, qu'il  diminuait  beaucoup  le  tort  des  coupables, 
en  rendant  le  châtiment  odieux." 

Des  Iroquois  chrétiens  s'étaient  établis,  depuis  quel- 
ques années,  à  la  Prairie  de  la  Madeleine;  mais  le  ter- 
rain ne  se  trouvant  pas  favorable  aux  grains  qu'ils 
avaient  coutume  de  semer,  leurs  missionnaires  deman- 
dèrent au  gouvernenr  et  à  l'intendant  un  autre  empla- 
cement, vis-à  vis  du  Sault  Saint-Louis.  M.  de^Fron- 
tenac  ne  répondit  rien  à  leurrequête;  mais  M.  Duches- 
neau prit  sur  lui  de  leur  accorder  ce  qu'ils  demandaient, 
et  ils  s'en  mirent  en  possession.  Ce  fut  un  autre  sujet 
de  brouilleric  entre  le  gouverneur  et  l'intendant,  et  sui- 
vant Charlevoix,  d'emportemens  inexcusables  de  la  part 
du  premier.  o  2 


162  HISTOIRE 

Mais  le  fort  de  la  dispute  était  toujours  au  sujet  du 
Conseil,  dont  M.  de  Frontenac  voulait  réduire  presque 
à  lui  seul  toute  l'autorité.  Pour  faire  cesser  le  différent, 
qui  allumait  le  feu  de  la  discorde  dans  toutes  les  parties 
de  la  colonie,  parce  que  le  comte  de  Frontenac  et  M. 
Duchesneau  avaient  chacun  leurs  partisans,  le  roi  rendit, 
le  15  juin  1675,*  une  ordonnance,  portant  que  le  Gou- 
verneur général  aurait  la  première  place  dans  le  conseil, 
l'Evêque,  la  seconde,  et  l'Intendant,  la  troisième  ;  mais 
que  ce  serait  à  ce  dernier  à  demander  les  opinions,  à 
recueillir  les  voix,  et  à  prononcer  les  arrêts. 

C'est  ici  le  lieu  de  remarquer  que  le  conseil  supérieur 
siégeait  régulièrement  tous  les  lundis,  au  palais  de  l'in- 
tendant. S'il  était  nécessaire  de  l'assembler  extraordi- 
nairement,  l'intendant  en  devait  marquer  le  jour  et 
l'heure,  et  en  faire  avertir  le  gouverneur  par  le  premier 
huissier.  La  j  ustice  s'y  rendait  suivant  les  ordonnances 
du  royaume  de  France  et  la  coutume  de  Paris.  Le 
nombre  des  conseillers  avait  été  augmenté  de  deux,  à 
l'arrivée  de  M.  Duchesneau.f  Outre  le  conseil  supé- 
rieur, il  y  avait  encore  alors  trois  justices  subalternes, 
celle  de  Québec,  celle  de  Montréal  et  celle  des  Trois- 
Rivières.  Elles  se  composaient  d'un  lieutenant  parti- 
culier et  d'un  procureur  du  roi.  Le  premier  conseiller, 
qui  était  nommé  par  le  roi,  avait  huit  cents  livres  tour- 
nois d'appointemens  :  les  cinq  plus  anciens  conseillers 

*  Par  un  édit  daté  du  mois  de  décembre  de  l'amiée  précédente, 
Louis  XIV  s'était  remis  en  possession  des  droits  et  privilèges 
qu'il  avait  octroyés,  en  1664,  à  la  compagnie  des  Indes  Occiden- 
tales. 

f  Dans  l'ordonnance,  ou  édit  de  confirmation  que  nous  venons 
de  citer,  le  roi  nomme  Conseillers  MM.  Louis  Rouer  de  Villeray, 
Charles  Legakdedr  de  Tilly,  Mathieu  Damours,  Nicholas 
Dupont,  René  Louis  Chartier  de  Lotbinieke,  Jean  Baptiste 
DE  Ferras  et  Charles  Denys  :  M.  Ruette  d'Auteuil,  Procureur 
général,  et  M.  Gilles  Rageot,  Greffier. 


DU   CANADA.  163 

avaient,  chacun,  quatre  cents  livres  ;  les  autres  n'avaient 
rien,  et  il  n'y  avait  point  d'épices.  Le  procureur  géné- 
ral et  le  greffier  en  chef  avaient  aussi  des  appointemens 
modiques.  Ceux  des  cours  subalternes  furent  réglés 
par  une  déclaration  du  roi  du  12  mai  1678.  Dans  ce 
temps-là,  les  notaires  et  les  huissiers  avaient  aussi  des 
salaires  :  sans  cela  ils  n'auraient  pas  eu  de  quoi  vivre,  le 
casuel  se  réduisant  à  presque  rien,  dans  une  colonie  si 
pauvre  et  si  peu  peuplée.  D'après  un  recensement  fait 
en  1679,  la  population  française  du  Canada  ne  se  com- 
posait que  de  8515  individus. 

Pour  revenir  à  l'ordonnance  dont  nous  venons  de 
parler,  elle  né  mit  pas  entièrement  fin  à  la  discorde  :  M. 
de  Frontenac  exila,  de  sa  propre  autorité,  le  procureur 
général  et  deux  des  conseillers. 

Le  principal  sujet  de  démêlés  entre  le  gouverneur  et 
l'évêque  était  la  ti'aite  de  l'eau-de-vie  :  M.  de  Laval  et 
les  missionnaires  se  plaignaient  que  ce  commerce  causait 
des  désordres  scandaleux  parmi  les  Sauvages,  et  sévis- 
saient, autant  qu'il  était  en  leur  pouvoir,  contre  ceux 
qui  le  faisaient.  M.  de  Frontenac,  et  ceux  qui  pensaient 
comme  lui,  soutenaient  que  la  traite  de  l'eau-de-vie 
était  absolument  nécessaire  pour  attacher  les  naturels 
du  pays  aux  Français  ;  que  les  abus  dont  les  ecclésias- 
tiques faisaient  tant  de  bruit,  s'ils  n'étaient  pas  imagi- 
naires, étaient  du  moins  fort  exagérés,  et  que  leur  zèle 
sur  cet  article  n'était  guère  qu'un  prétexte  pour  persé- 
cuter ceux  qui  les  empêchaient  de  dominer  dans  le  pays. 

Les  opinions  furent  quelque  temps  partagées  sur  ce 
sujet,  à  la  cour  et  au  conseil  du  roi  :  M.  Duchesneau 
ayant  écrit  à  M.  Colbert,  pour  appuyer  le  sentiment  du 
prélat,  qui  avait  fait  un  cas  réservé  de  la  traite  de  l'eau- 
de-vie,  le  ministre  lui  répondit  qu'il  n'agissait  pas  en 
cela  comme  devait  faire  un  intendant  ;  qu'il  devait  savoir 


164  HISTOIRE 

qu'avant  d'interdire  aux  habitans  du  Canada  un  com- 
merce de  cette  nature,  il  fallait  s'assurer  de  la  réalité 
des  crimes  auxquels  on  prétendait  qu'il  donnait  lieu. 
En  effet,  par  un  arrêt  du  conseil  du  12  mal  1678,  il  fut 
ordonné  qu'il  y  aurait  une  asssemblée  de  vingt  des  prin- 
cipaux habitans  de  la  Nouvelle  France,  pour  donner 
leur  avis  touchant  la  traite  en  question.  Cela  fait,  et 
les  raisons  apportées  de  part  et  d'autre,  Louis  XIV  prit 
le  moyen  le  plus  sûr  pour  donner  gain  de  cause  au 
clergé  :  il  voulut  que  l'archevêque  de  Paris  et  le  P. 
Lachaise,  son  confesseur,  fussent  juges  du  diiïérent.  Le 
prélat  et  le  religieux,  après  avoir  conféré  avec  l'évêque 
de  Québec,  qui  se  trouvait  alors  en  France,  décidèrent 
que  la  traite  de  l'eau-de-vie,  dans  les  habitations  des 
Sauvages,  devait  être  prohibée,  sous  les  peines  les  plus 
graves.  E  y  eut  une  ordonnance  du  roi  pour  appuyer 
cette  décision,  et  il  fut  expressément  enjoint  au  comte 
de  Frontenac  de  la  faire  exécuter. 

Au  mois  de  mai  1678,  il  y  eut  un  édit  du  roi,  au 
sujet  des  curés,  qu'on  voulait  rendre  fixes,  au  lieu  d'amo- 
vibles qu'ils  avaient  été  jusqu'alors  ;  et  pour  confirmer  le 
règlement  provisoire  du  conseil  supérieur,  par  rapport 
aux  dîmes.  Au  mois  d'octobre  de  cette  même  année, 
fut  enregistrée  au  conseil  supérieur  de  Québec,  avec  les 
modifications  approuvées  par  un  édit  du  mois  de  juin 
précédent,  l'ordonnance  de  Louis  XIV  du  mois  d'avril 
1667,  concernant  la  procédure,  ou  la  Rédaction  du  Code 
Civil,  comme  on  appelle  communément  cette  ordon- 
nance. 

Quoique  les  Iroquois  ne  recommençassent  point  la 
guerre  contre  la  colonie,  ils  ne  laissaient  pas  de  causer 
quelque  inquiétude.  Comme  son  prédécesseur,  M.  de 
Frontenac  s'efforçait  de  les  tenir  en  paix  avec  toutes 
les  tribus  sauvages.     Ayant  su  qu'il  s'était  élevé  des 


DU    CANADA.  165 

différens  sérieux  entre  eux  et  les  Illinois,  nouveaux 
alliés  des  Français,  il  leur  envoya  un  homme  de  confi- 
ance pour  les  inviter  à  lui  envoyer  des  députés  à  Cata- 
rocouy,  où  il  promettait  de  se  trouver  en  personne.  Il 
reçut  pour  réponse,  que  s'il  voulait  leur  parler,  il  devait 
se  rendre  jusqu'à  la  rivière  ^Onnontagué.  Pour 
répondre  au  ton  de  hauteur  que  prenaient  les  Iroquois, 
il  leur  fit  dire,  après  qu'il  eut  su  qu'ils  consentaient  à 
envoyer  des  députés  à  Catarocouy,  qu'il  n'irait  pas  au- 
delà  de  Mont-réal;  qu'il  les  y  attendrait  jusqu'au  mois 
de  juin  ;  mais  que,  passé  ce  temps,  il  retournerait  à 
Québec.  Cinq  députés  arrivèrent  à  Mont-réal,  mais 
seulement  au  mois  de  septembre.  Comme  le  gouver- 
neur général  s'y  trouvait,  il  leur  donna  audience,  et  leur 
fit  promettre  de  faire  tous  leurs  efforts  pour  empêcher 
une  rupture  avec  les  Illinois. 

Cependant,  le  départ  de  M.  Talon  et  la  mort  du  P. 
Marquette  avaient  fait  perdre  de  vue  le  Micissipi,  et  M. 
de  Frontenac  avait  trop  d'occupations  de  diverses  sortes, 
pour  penser  sérieusement  à  faire  achever  la  découverte 
de  ce  fleuve.  Il  fallut  que  l'idée  en  vînt  à  un  particu- 
lier entreprenant,  établi  depuis  quelque  temps  à  Mont- 
réal, comme  agriculteur  et  commerçant.  Ce  particulier 
était  Robert  Caveliek  de  la  Sale,  natif  de  Rouen, 
en  Normandie.  Il  avait  déjà  fait  plusieurs  excursions 
chez  les  Sauvages,  et  il  était  d'abord  venu  en  Canada, 
dans  la  résolution  de  chercher,  par  le  nord  de  ce  pays, 
un  passage  aux  Indes  et  à  la  Chine.*  Mais  après  le 
retour  du  sieur  Joliet,  il  avait  changé  de  dessein  ;  et 

*  Un  accident,  qui  hii  arriva,  trois  lieues  au-dessus  de  Mont-réal, 
où  il  fut  retoini  quelciue  temps,  fit  donner  à  l'ondrnit  le  nom  de  Zo 
Chine,  par  dérision  de  son  projet  de  se  rendre  dans  l'empire  de  ce 
nom  par  le  Canada.  C'est  ainsi  que  le  nom  de  Sault  au  Récollet 
fut  donné  au  rapide  de  la  rivière  des  Prairies,  où  le  P.  ViEi-, 
récollet,  se  noya,  en  1625. 


166  HISTOIRE 

persuadé  que  le  Micissipi  se  déchargeait  dans  le  golfe 
du  Mexique,  il  résolut  de  le  reconnaître  lui-même  jus- 
qu'à sa  source.  Il  s'en  ouvrit  au  comte  de  Frontenac, 
qui  lui  pi'omit  de  l'aider  de  tout  son  pouvoir,  et  lui  per- 
suada de  passer  en  France,  pour  obtenir  l'autorisation 
et  les  fonds  nécessaires  pour  mettre  son  dessein  à  exé- 
cution. • 

La  Sale  fut  bien  accueilli  par  M.  de  Seignelay,  qqi 
avait  succédé  à  son  père,  dans  le  département  de  la 
marine  ;  il  obtint  du  roi  la  seigneurie  de  Catarocouy,  à 
condition  qu'il  bâtirait  le  fort  en  pierre,  et  reçut  des 
pleins  pouvoirs  et  des  fonds  pour  continuer  les  décou- 
vertes commencées.  Le  chevalier  de  Tonti,  brave 
officier  sicilien,  réfugié  en  France,  lui  fut  associé,  et  ils 
partirent  de  La  Rochelle,  le  14  juillet  1678,  avec  une 
trentaine  d'hommes,  ouvriers  et  matelots. 

Arrivé  en  Canada,  La  Sale  rebâtit  le  fort  de  Fronte- 
nac, et  fit  construire  une  barque,  ou  goélette,  pour  navi- 
guer sur  le  lac  Ontario,  tandis  que  Tonti,  accompagné 
d'un  certain  nombre  d'hommes,  pénétrait  plus  loin  vers 
l'Ouest,  pour  faire  la  traite  avec  les  Sauvages.  De 
Catarocouy,  La  Sale  passa,  dans  sa  barque,  à  Niagara, 
oh  il  traça  le  plan  d'un  nouveau  fort.  Son  vaisseau 
s'étant  brisé,  après  quelques  voyages  heureux,  il  en  fit 
construire  un  plus  grand,  qu'il  nomma  le  Chiffon,  pour 
naviguer  sm"  le  lac  Erié.  Ce  vaisseau  périt,  bientôt 
après,  dans  une  tempête,  ou,  suivant  un  autre  rapport, 
fut  détruit  par  les  Sauvages. 

Ces  pertes  étaient  pour  La  Sale  des  malheurs  que  ne 
réparaient  pas  entièrement  les  courses  mercantiles  que 
faisait  pour  lui  son  associé  ;  mais  elles  ne  lui  firent 
rien  perdre  de  son  activité  et  de  son  esprit  d'entreprise. 
Au  mois  d'août  1679,  il  s'embarqua  sur  le  lac  Erié,  avec 
quarante  hommes,  au  nombre  desquels  était  le  P.  Hen- 


DU  CANADA.  167 

NEPIN,  récollet  ;  il  gagna  le  détroit  qui  le  séparait  du 
lac  Huron  ;  parcourut  ce  nouveau  bassin,  et  se  rendit 
sur  la  côte  de  Michillimakinac,  d'où  il  pénétra  dans  le 
lac  Michigan.  Arrivé  à  l'entrée  de  la  rivière  Saint- 
Joseph,  La  Sale  y  fit  construire  un  fort  ;  et  Tonti  l'ayant 
rejoint,  avec  le  reste  des  hommes,  il  remonta  le  cours  de 
cette  rivière,  et  traversa  les  hauteurs  qui  le  séparaient 
de  l'une  des  deux  branches  de  l'IUinois.  Cette  route, 
différente  de  celle  qu'avaient  suivie  JoUet  et  le  P.  Mar- 
quette, ouvrait  aux  nouveaux  voyageurs  les  contrées  les 
plus  riantes  et  les  plus  fertiles.  La  Sale  pénétra  dans 
les  belles  vallées  que  parcourt  l'IUinois  :  il  bâtit  sur  ses 
rives  le  fort  de  Crevecœur,  établit  des  relations  amicales 
avec  les  naturels  du  pays,  comnicnça  la  traite  des  pelle- 
teries, dont  le  monopole  lui  était  accordé,  dans  ces 
quartiers,  et  fit  entreprendre  un  voyage  vers  le  haut 
Micissipi,  avant  d'en  reconnaître  lui-même  le  cours  infé- 
rieur. 

Le  18  février  1680,  le  P.  Ilennepin  s'embarqua,  avec 
le  nommé  Dacan,  et  un  autre  Français,  dans  un  canot 
d'écorce  :  il  gagna  le  confluent  de  l'IUinois  et  du  INIicis- 
sipi  ;  remonta  ce  fleuve,  et  reconnut  successivement 
l'embouchure  de  ses  principaux  afHuens  ;  l'Ouisconsin, 
le  Chippéouais,  et  la  rivière  Sainte-Croix,  du  côté  de 
l'Est  ;  la  rivière  Mingona,  (ou  des  Moines),  et  ceUe  de 
Saint-Pierre,  du  côté  de  l'Ouest.  Un  peu  plus  loin,  sa 
navigation  fut  interrompue  par  une  cataracte  de  dix-sept 
pieds  de  hauteur,  qui  occupe  toute  la  largeur  du  fleuve  : 
elle  reçut  le  nom  de  Sault  de  Saint- Antoine.*  En 
naviguant  plus  au  nord,  on  rencontra  la  rivière  Saint- 
François,  que  l'on  remonta  jusqu'au  lac  Issati,  où  elle 

*  Quelques  voyageurs  français  modernes,  et  parmi  eux  M.  J. 
C.  Beltrajii,  disent  ridiculement  le  8ault  St.  Anthotii/,  la  rivière 
St.  Peter,  hes  Anglo-Américains  parlent  ainsi  sans  dioute  ;  iQais 
en  parlant  ainsi,  ils  traduisent  du  français  eu  anglais. 


168  HISTOIRE 

prend  sa  source.  Là,  les  trois  voyageurs  furent  faits 
prisonniers  par  les  Sioux,  habitans  de  ces  contrées. 
Remis  en  liberté,  bientôt  après,  ils  redescendirent  le 
Micissipi  jusqu'à  l'Ouisconsin,  remontèrent  cette  rivière, 
et  gagnèrent,  en  faisant  un  portage,  celle  des  Outagamis, 
qui  les  conduisit  à  la  Baie  Verte,  d'où  il  revinrent  à 
Mont-réal. 

Cependant,  la  guerre  s'étant  déclarée  entre  les  Illinois 
et  les  Iroquois  ;  pour  se  mettre  à  l'abri  des  incursions  de 
ces  derniers,  La  !*ale  bâtit  le  fort  de  Saint-Louis,  sur 
un  rocher  de  deux  cents  pieds  de  hauteur,  qui  dominait 
le  cours  de  l'Illinois.  Ces  travaux,  et  un  voyage  qu'il 
lui  fallut  faire  au  Canada,  pour  obtenir  des  levées 
d'hommes,  et  des  moyens  de  défense,  l'occupèrent  une 
année  entière.  11  s'emlsarqua  ensuite,  avec  un  certain 
nombre  d'hommes,  sur  un  bâtiment  qu'il  avait  fait 
construire,  et  arriva  sur  le  Micissipi,  le  2  février  1682. 
En  descendant  ce  fleuve,  il  parvint  à  l'embouchure  de 
l'Arkansas,  où  il  fit  un  acte  solennel  de  prise  de  posses- 
sion. E  poursuivit  jusqu'au  golfe  du  Mexique  le  cours 
de  sa  navigation,  et  le  nom  de  Louisiane  fut  donné  aux 
contrées  arrosées  par  le  Micissipi. 

La  Sale  pouvait  revendiquer  la  gloire  d'avoir,  le  pre- 
mier, descendu  le  Micissipi  jusqu'à  son  embouchure; 
mais  celle  d'avoir  vu,  les  premiers,  cette  embouchure, 
appartenait  déjà  aux  Espagnols.* 

*  En  1 538,  Ferdinand  Soto,  parti  d'Espagne,  avec  un  corps  de 
douze  cents  hommes,  débarqua  dans  une  baie  de  la  Floride  qu'il 
appella  de  Spiritu  Santo.  Il  remonta  vers  le  nord  jusqu'au  pied 
des  Apalaches;  puis,  se  dirigeant  vers  l'Ouest,  à  travers  les  contrées 
arrosées  par  le  Coosa,  VAlabama,  le  Tombigbi,  il  gagna  successive- 
ment le  Micissipi,  la  rivière  Rouge,  le  Bruzvs  de  î)ios,  qui  devint 
le  tenne  de  son  expédition.  Revenant  sur  ses  pas,  il  atteignit  de 
nouveau  le  Micissipi,  près  de  l'embouchure  de  VArkansas,  où  il 
mourut.  Ses  gens  s'embarquèrent  sur  le  Heuve,  et  le  descendirent 
jusqu'à  sou  embouchure,  d'où  ils  se  rendirent  sur  les  côtes  du 
Mexique,  ou  aux  grandes  Antilles. 


DU    CANADA.  169 

Pendant  ces  voyages  de  découveite,  c'est-à-dire,  vers 
1680,  ou  1681,  il  se  forma,  à  Québec,  une  compagnie 
du  Nord,  pour  commercer  à  la  Baie  d'Hudson,*  et  en 
chasser  les  Anglais,  qui  s'y  étaient  établis.  Au  prin- 
temps de  1682,  elle  fit  partir  pour  ces  quartiers  deux 
vaisseaux,  dont  elle  donna  le  commandement  à  deux 
particuliers  entreprenants,  MM.  Radison  et  Desgro- 
SEiLLiEus,  qui  connaissaient  le  pays  et  le  commerce 
qu'on  y  pouvait  fuii-e.  Cette  entreprise  donna  lieu  à 
diverses  rencontres,  entre  les  sujets  des  deux  peuples 
rivaux,  dans  lesquelles  il  y  eut  des  postes  pris  et  repris 
success".vemeht,  et  beaucoup  de  sang  répandu  sans  résul- 
tat important. 

M.  Lefebvre  de  la  Barre  et  M.  de  Meules, 
nommés,  le  premier,   Gouverneur,  et  le  second,  Inten- 

*  Ou,  Baie  du  Nord  de  Canada,  comme  on  disait  alors. 
On  ignore  en  quel  temps  et  par  qui  la  Baie  d'Hudson  fut 
découverte  pour  la  première  fois  ;  mais  il  est  certain  que  ce  fut 
Henry  HuDsox,  navigateur  anglais,  qui  donna  son  nom  à  cette  baie, 
ainsi  qu'au  détroit  par  lequel  il  y  entra,  en  1611.  Charlevoix 
prétend  que  les  prises  de  possession  de  quelques  parties  de  ce 
pays,  faites  par  Nelson,  pilote  d'Hudson,  ainsi  que  par  Button  et 
LuxFOX,  n'établissaient  pas  mieux  les  droits  de  la  nation  anglaise 
sur  cette  baie,  que  celles  de  Verrazzan  n'établissaient  ceux  de  la 
France  sur  la  Caroline,  la  Virginie,  etc.  ;  puisque,  dit-il,  il  est 
certain  que  les  Anglais  ne  possédaient  rien  aux  ennrons  de  cette 
baie,  lorscjue  le  sieur.  Bourdon  ^  fut  envoyé  du  Canada,  (eu  1656), 
pour  en  assurer  la  possession  à  la  France.  Mais  si  un  pays  inculte 
ou  sauvage  appartient,  non  à  la  nation  qui  le  découvre,  mais  à 
celle  qui  s'y  établit,  la  première,  les  Anglais  avaient  bâti  le  fort 
Rupert,  à  l'embouchure  de  la  rivière  de  Némi.tcau,  et  celui  de 
Quitchitchouen,  sinon  antérieurement  au  voyage  du  sieur  Bourdon 
dans  ces  quartiers,  du  moins  avant  que  M.  Talon,  qui  avait  formé 
le  dessein  de  chercher  im  chemin  facile  pour  aller  par  le  Saguenay 
à  la  Baie  d'Hudson,  y  eût  envoyé  le  P.  Albanel,  et  M.  i>E  Saint- 
SiJioN,  gentilhomme  canadien.  Ces  envoyés  étaient  entrés  par 
la  rivière  de  Némiscuu  dans  la  Baie  d'Hudson,  et  avaient  fait,  en 
plusieurs  endroits,  des  actes  de  prise  de  possession,  les  avaient 
signés,  et  les  avaient  fait  signer  par  les  chefs  de  diverses  tribus  de 
Sauvages,  qu'ils  avaient  assemblés.  Mais  si  des  prises  de  posses- 
sion n'avaient  été  que  des  cérémonies  vaines  pour  les  Anglais,  que 
pouvaient-elles  être  autre  chose  pour  les  i'raii(,"ai»  '( 


1 70  HISTOIRE 

dant,  en  remplacement  du  comte  de  Frontenac  et  de 
M.  Duchesneau,  arrivèrent  à  Québec,  dans  l'été  de 
1682. 

A  peine  le  nouveau  gouverneur  général  fut-il  arrivé, 
qu'il  apprit  que  les  Iroquois  avaient  déclaré  la  guerre 
aux  niinois,  et  qu'ils  étaient  mal  intentionnés  envers  la 
colonie.  H  convoqua  une  assemblée,  à  laquelle  il  invita 
l'évêque  et  quelques  ecclésiastiques,  l'intendant,  plusieurs 
des  membres  du  conseil  supérieur,  les  principaux  officiers 
des  troupes,  et  les  chefs  des  juridictions  subalternes, 
pour  qu'ils  lui  donnassent  leur  avis  sur  la  cause  du  mal 
dont  la  colonie  était  menacée,  et  sur  le  meilleur  moyen 
de  le  détourner. 

Le  résultat  de  la  délibération  fut  que,  vu  l'impossi- 
bilité d'éviter  la  guerre,  et  de  la  faire  avantageusement, 
avec  le  peu  de  moyens  qu'on  possédait,  il  était  urgent 
de  s'adresser  incessamment  au  roi,  pour  lui  demander 
les  secours  nécessaires.  M.  de  La  Barre  fit  dresser  un 
acte  de  cette  délibération,  et  l'envoya  à  la  cour.  Elle 
y  fut  approuvée,  et  le  roi  donna  ordre  de  faire  embar- 
quer, sans  délai,  deux  cents  soldats  pour  le  Canada.* 

M.  de  La  Barre  se  prépara  donc  à  la  guerre  contre 
les  Iroquois,  sans  néanmoins  perdre  tout  espoir  d'accom- 
modement avec  ces  Sauvages.  Il  chargea  un  homme 
de  confiance  de  les  aller  prier  de  lui  envoyer  des  députés 
à  Mont-réal.  Ils  donnèrent  l'assurance  que  des  députés 
se  rendraient  à  Mont-réal  avant  le  mois  de  juin  ;  mais 
iès  le  mois  de  mai,  on  eut  nouvelle  que  sept  à  huit  cents 
guerriers  des  cantons  d'Onnontagué,  d'Onneyouth  et  de 
Goyogouin  étaient  en  marche,  pour  aller  attaquer  les 

*  Deux  cents  soldats  !  C'était-là  tout  ce  que  pouvait  faire  pour 
s'assurer  la  paisible  possession  de  la  "Nouvelle  France,"  un 
monarque  à  qui  il  ne  répug;nait  point  de  faire  tuer  ses  sujets  par 
dix  aines  et  centaines  de  milliers,  dans  des  guerres  souvent  aussi 
folles  qu'injustes. 


DU   CANADA.  171 

Hurons,  les  Outaouais  et  les  Miamis,  et  que  les  Tson- 
nonthouans  devaient  se  répandre,  par  troupes  séparées, 
dans  les  habitations  françaises,  vers  la  fin  de  l'été.  M. 
de  La  Barre  eu  prit  occasion  d'écrire  de  nouveau  à  la 
cour,  pour  en  obtenir  promptement  des  secours  plus 
considérables  que  ceux  qui  lui  avaient  déjà  été  promis. 
Il  jugea  aussi  à  propos  de  faire  encore  une  tentative 
auprès  des  Cantons.  Il  leur  envoya  demander  en  quel 
temps  ils  comptaient  que  leurs  députés  arriveraient  à 
Mont-réal,  pour  dégager  la  parole  qu'ils  lui  avaient 
donnée.  Us  lui  firent  répondre  qu'ils  ne  se  souvenaient 
pas  de  lui  avoir  rien  promis,  et  que  s'il  avait  quelque 
chose  à  leur  faire  savoir,  il  pouvait  les  venir  trouver 
chez  eux.  Néanmoins  des  députés  des  cinq  cantons 
arrivèrent  au  mois  d'août,  à  Mont-réal  ;  mais  on  ne  put 
tirer  d'eux  autre  chose  que  des  protestations  vagues  d'un 
attachement  sincère. 

A  peine  les  députés  des  Cantons  étaient -ils  de  retour 
chez  eux,  qu'un  de  leurs  partis  de  guerre  tentait  de  sur- 
prendre la  garnison  du  fort  de  Catarocouj,  et  qu'un 
autre  était  en  marclie  pour  aller  attaquer  celui  de  Saint- 
Louis,  où  M.  de  La  Barre  avait  placé  M.  de  BArGT, 
lieutenant,  en  qualité  de  commandant.  Après  avoir 
battu  et  pillé,  en  route,  une  troupe  de  marchands  fran- 
çais, les  Iroquois  parurent  à  la  vue  du  fort,  et  l'attaquè- 
rent ;  mais  Baugy  ayant  été  averti  de  leur  approche,  et 
s'étant  préparé  à  la  défense,  les  assaillans  furent  con- 
traints de  se  retirer  avec  perte. 

Cependant,  le  gouverneur,  averti  des  grands  prépa- 
ratifs que  faisaient  les  Iroquois,  crut  qu'il  valait  mieux 
prévenir  ces  barbares,  en  portant  la  guerre  chez  eux, 
que  d'attendre,  pour  les  combattre,  qu'ils  eussent  mis  le 
pied  dans  la  colonie.  Il  prit  encore  une  précaution 
propre  u  assurer  le  succès  de  son  entreprise  ;  ce  fut  de 


172  HISTOIRE 

diviser  les  cantons,  poui'  n'avoir  pas  affaire  à  tous  en 
même  temps.  A  cet  effet,  il  envoya  des  colliers  aux 
Agniers,  aux  Onnontagués  et  aux  Onneyouths,  pour 
les  engager  à  demeurer  neutres  entre  lui  et  les  Tsonnon- 
thouans,  chez  lesquels  seuls  il  voulait,  disait-il,  porter 
la  guerre.  Il  fit  ensuite  partir  M.  Dutast,  capitaine 
de  vaisseaux,  avec  cinquante  hommes  d'élite,  pour 
porter  un  grand  convoi  de  vivres  et  de  munitions  à 
Catarocouj,  et  garder  ce  poste;  M.  d'Orvilliers,  qui 
y  commandait,  ayant  eu  ordre,  dès  le  commencement  du 
printems,  d'aller  reconnaître  le  pays  ennemi,  et  de 
marquer  l'endroit  le  plus  propre  pour  le  débai*quement. 
Toutes  les  dispositions  étant  faites,  l'armée  se  mit  en 
marche.  Elle  était  composée  de  cent  trente  soldats,  de 
sept  cents  Canadiens,  et  de  deux  cents  Sauvages,  la 
plupart  Iroquois  du  Sault  Saint-Louis  et  Hurons  de 
Lorette*  Elle  s'embarqua  àMout-réal,  dans  les  derniers 
joui's  de  juillet.  M.  de  La  Barre  apprit,  dans  la  route, 
que  malgré  que  le  colonel  Dunkax,  ou  Dungan,  gou- 
verneur de  la  Nouvelle  York  pour  les  Anglais, |  eût 
offert  aux  Tsonnonthouans  quatre  cents  cavaliers  et 
autant  d'hommes  de  pied,  pour  soutenir  la  guerre  contre 
le  gouverneur  du  Canada,  les  cantons  d'Onnontagué, 
d'Onneyouth  et  de  Goyogouin  s'étaient  faits  médiateurs 
entre  eux  et  les  Français.  En  effet,  des  députés  des 
trois  cantons  rencontrèrent  l'ariBée  de  M.  de  la  Barre 
campée  sur  les  bords  du  lac  Ontario,  dans  une  anse,  à 
laquelle  la  disette  dont  cette  armée    souffrait  depuis 

*  Les  Hurons  de  Sylleri  étant  presque  tous  morts  de  la  petite- 
vérole,  le  P.  Chaumonot,  jésuite,  rassembla  tous  ceux  qui  se 
trouvaient  dans  les  environs  de  Québec,  et  les  fixa  à  l'endroit 
appelle  maintenant  V Ancienne  Lorette. 

f  Cette  province,  appellée  auparavant  Nouvelle  Belgique,  était 
passée,  depuis  quelques  années,  de  la  Hollande  à  l'Angleterre. 


DU   CANADA.  173 

qu'elle  y  était  arrivée,  fit  donner  le  nom  d'Anse  de  la 
Famine.* 

Garakonthié  et  Oureouati,  les  deux  principaux 
chefs  de  la  députation,  parlèrent  avec  beaucoup  de  bon 
sens  et  de  modération  ;  mais  le  député  tsonnontliouan 
fit  un  discours  plein  d'arrogance  ;  et  sur  la  proposition 
qui  lui  fut  faite  de  laisser  les  Illinois  en  paix,  il  répon- 
dit qu'il  ne  leur  donnerait  point  de  relâche,  qu'un  des 
deux  partis  n'eût  détruit  l'autre.  Toute  l'armée  fut  indi- 
gnée de  cette  insolence  :  mais  quelle  ne  fut  pas  sa 
surprise,  quand  elle  vit  le  général  se  contenter  de  répli- 
quer à  l'arrogant  député,  que  du  moins  il  prit  gax'de, 
qu'en  voulant  frapper  les  Illinois,  ses  coups  ne  tombas- 
sent sur  les  Français  qui  demeuraient  avec  eux.  Il  le 
promit,  et  la  paix  fut  conclue  à  cette  seule  condition. 
Les  députés  d'Onnontaguô  se  rendirent  garants  que  les 
Tsonnonthouans  répareraient  le  mal  que  leurs  guerriers 
avaient  fait  aux  Français,  en  allant  faire  la  guerre  aux 
IlUnois  ;  mais  on  exigea  du  général  que  son  armée 
décampât  dès  le  lendemain.  Il  partit  lui-même,  sur-le- 
champ,  après  avoir  donné  ses  ordres  pour  l'exécution 
de  ce  dernier  article. 

Cependant,  M.  de  la  Durantaye,  qui  commandait 
à  Michillimakinac,  et  M.  Duluth,  son  lieutenant,  qui 
était  à  la  Baie  Verte,  avaient  eu  ordre  d'inviter  les 
tribus  de  ces  quartiers  à  se  rendre  à  Niagara,  où  le 
gouverneur  général  devait  se  trouver,  vers  le  milieu 
d'août,  avec  son  armée,  pour  châtier  les  Tsonnonthouans. 
Ces  Sauvages  montrèrent  d'abord  beaucoup  de  répu- 
gnance à  se  joindre  aux  Français,  particulièrement 
ceux  de  la  Baie,  en  conséquence  des  mauvais  procédés 
des  gens  de  M.  de  la  Sale,  à  l'égard  de  quelques  uns 

*  Suivant  JI.  ToATCUEK,  l'endroit  se  nommait,  eu  langue  iro- 
quoisc,  Kaihohage. 

p2 


174  HISTOIRE 

d'entre  eux  ;  mais  enfin,  PeiTot,  le  vojagenr  dont  nous 
avons  parlé  plus  haut,  vint  à  bout  de  leur  faire  com- 
prendre qu'il  y  allait  de  leur  intérêt,  plus  encore  que  de 
celui  des  Français,  d'humilier,  sinon  de  détruire  une 
nation  qui  voulait  faire  la  loi  à  toutes  les  autres.  La 
Durantaye  se  trouva  bientôt  à  la  tête  de  cinq  cents 
guerriers,  Hurons,  Outaouais  et  autres,  auxquels  il  put 
joindre  deux  cents  Français  ou  Canadiens,  et  descendit 
avec  eux  à  Niagara.  Mais  quel  ne  fut  pas  l'étonnement 
des  Sauvages  de  n'y  trouver  ni  M.  de  La  Barre,  ni  aucun 
Français  ?  Us  se  plaignirent  hautement  qu'on  ne  les 
avait  tirés  de  leur  pays  que  pour  les  livrer  aux  Iroquois  ; 
et  quand  ils  surent  que  la  paix  était  faite,  la  Dui-antaye, 
Duluth  et  Perrot  eurent  besoin  de  mettre  dehors  toutes 
Jes  ressources  de  leur  génie,  pour  leur  persuader  qu'ils 
n'avaient  pas  été  joués,  et  faire  qu'ils  s'en  retournassent 
tranquillement  chez  eux. 

Quand  l'effervescence  se  fut  un  peu  calmée,  les  chefs 
dirent  à  ceux  qui  les  avaient  fait  venir  inutilement  de 
si  loin  :  "  Ce  n'est  pas  la  première  fois  qu'OxONTHio  se 
sert  de  nous,  comme  d'insti-umens,  pour  son  avantage. 
Nous  voyons  bien  que  les  Français  n'ont  en  vue  que 
leurs  intérêts,  et  non  le  nôtre,  dans  toutes  ces  expédi- 
tions. Nous  ne  serons  plus  trompés  ;  Oxonthio  ne 
nous  fera  plus  sortir  de  chez  nous  que  quand  il  nous 
conviendra  de  le  faire  :  nous  le  laisserons  vider  seul  ses 
différens  avec  les  Iroquois,  contre  lesquels  nous  saurons 
bien  nous  défendre,  s'ils  viennent  nous  attaquer." 

A  peine  M.  de  La  Barre  fut-il  de  retour  à  Québec, 
qu'il  y  arriva  un  renfort  de  troupes,  qui  aurait  pu  le 
mettre  en  état  de  faire  la  loi  à  ceux  de  qui  il  venait,  pour 
ainsi  dire,  de  la  recevoir.  L'état  déplorable  où  sa  petite 
armée  avait  été  réduite  par  la  disette  et  la  maladie,  excita 
contre  lui  un  murmure  général,  et  M.  de  Meules  crut 


DU    CANADA.  175 

devoir  informer  le  ministre  des  colonies  de  la  manière 
peu  judicieuse,  ou  peu  vigilante,  dont  l'expédition  avait 
été  conduite. 

Cette  même  année  1684,  M.  de  Callieres,  militaire 
de  grand  mérite,  fut  nommé  gouverneur  de  Mont-réal, 
en  remplacement  de  M.  Perrot,  qui  s'était  brouillé  avec 
le  séminaii-e,  et  à  qui  le  roi  donna  le  gouvernement  de 
l'Acadie. 

Depuis  l'époque  où  nous  avons  laissé  cette  dernière 
province,  il  ne  s'y  était  rien  passé  de  remarquable,  que 
quelques  aggressions  de  la  part  des  Anglais,  oudeshabi- 
tans  des  colonies  anglaises,  et  des  altercations  et  des 
hostilités  entre  les  particuliers  auxquels,  d'après  la  mau- 
vaise politique  du  temps,  le  pays  avait  été  partagé.  Les 
plus  notables  de  ces  particuliers  étaient  M.  de  Latour  ; 
les  sieurs  Le  Borgne,  père  et  fils,  de  la  Rochelle,  qui 
avaient  succédé  au  sieur  de  Charnisé,  au  Port  Royal 
et  ailleurs,  et  le  sieur  Dents.  Ce  dernier  avait  obtenu 
la  côte  orientale,  depuis  Campceau  jusqu'à  Gaspé  ;  il  y 
avait  bâti  le  fort  de  Chédaboncton,  et  celui  de  Saint- 
Pierre,  dans  l'De  Royale,  où  il  avait  aussi  commencé  un 
établissement.  M.  Denys  était  un  homme  de  mérite, 
à  vues  droites,  et  à  conceptions  vastes  ;  mais  les  sieurs 
Le  Borgne,  et  le  nommé  Lagiraudiere,  qui  avait  aussi 
obtenu  une  concession  de  terres  en  Acadie,  et  particu- 
lièrement le  port  de  Campceau,  ne  se  montrent  que 
comme  d'indignes  intriguans,  ou  plutôt,  comme  des 
aventuriers  sans  foi,  sans  probité,  plus  dignes  de  com- 
mander à  des  flibustiers,  que  capables  de  former  des 
établissemens  solides,  dans  un  pays  nouveau.  Les 
aggressions  injustes,  les  usurpations  dont  ils  se  rendirent 
coupables,  rappellent,  selon  la  remarque  d'un  historien, 
"  ces  petits  seigneurs  féodaux,  qui  attaquaient  leurs 
castels,  dès  qu'ils  étaient  mécontents  les  uns  des  autres. 


176  HISTOIRE 

H  ne  faut  pourtant  pas  confondre  avec  les  hommes  indi- 
gnes que  nous  venons  de  nommer,  un  marchand  de  La 
Rochelle,  du  nom  de  Guilbaut,  qui  s'était  associé  avec 
Le  Borgne,  fils,  et  avait  centrait,  à  La  Hève,  un  fort  de 
pieux.  Attaqué,  dans  ce  fort,  par  les  Anglais,  il  s'y 
défendit  avec  vigueur,  tandis  que  la  peur  avait  fait  fuir 
son  associé  dans  les  bois.  Le  commandant  anglais  fut 
tué,  aux  premières  attaques,  ainsi  que  plusieurs  de  ses 
gens  ;  ce  qui  contraignit  les  autres  à  s'éloigner.  Ils  se 
préparaient  néanmoins  à  revenir  à  la  charge,  lorsque 
Guilbaut,  qui  n'avait,  à  La  Hève,  d'autre  intérêt  que 
celui  de  ses  effets,  leui'  proposa  une  capitulation  qui  fut 
acceptée.  La  faim  força  bientôt  le  lâche  Le  Borgne 
à  venir  se  remettre  prisonnier  entre  les  mains  des 
Anglais.  Enfin  Hubert  d'Axdilly,  chevaher  de  Grand- 
Fontaine,  avait  succédé  à  ces  particuliers,  en  1670, 
comme  gouverneur,  pour  le  roi,  de  toute  l'Acadie,  depuis 
la  rivière  de  Kennebec,  jusqu'au  fleuve  Saint-Laurent. 

On  avait  songé,  à  la  cour  de  France,  à  mettre  cette 
province  en  état  d'être  secourue  promptement,  du  côté 
de  Québec,  au  moyen  d'une  route  commode  entre  cette 
capitale  et  le  Port  Royal,  ou  le  fort  de  Saint-Jean,  ou 
même  Pemtagoët  :  M.  Patoulet,  commissaire  de 
marine,  avait  été  envoyé  sur  les  lieux,  dans  cette  vue  ; 
mais  le  projet  ne  fut  pas  mis  à  exécution,  et  l'on  ne 
pouvait  communiquer  que  très  difficilement,  par  terre, 
entre  l'Acadie  et  le  Canada  proprement  dit,,  quand  M. 
Perrot  succéda  au  chevalier  de  Grand-Fontaine. 

M.  de  Meules  fit  la  visite  des  provinces  méridionales 
du  Canada,  l'année  suivante  1685  ;  et  à  son  retour  à 
Québec,  il  écrivit  au  ministre  des  colonies  une  lettre, 
où  il  lui  disait,  entre  autres  choses,  que  le  plus  utile 
établissement  que  l'on  pouvait  faire  était  celui  de  l'Aca- 
die ;  que  pour  rendre  cet  établissement  stable,  il  était 


DU    CANADA.  177 

néccssaii'e,  avant  tout,  de  peupler  et  de  fortifier  le  Port 
Royal,  et  de  construire  un  bon  fort  à  Pemtagoët,  pour 
servir  de  barrière  contre  les  Anglais  ;  que  si,  avec  cela, 
on  pouvait  s'établir  solidement  à  La  Hève,  dans  l'île  du 
Cap  Breton,  et  à  Plaisance  en  Terre-Neuve,  rien  n'em- 
pêcherait que  la  France  ne  fût  seule  maîtresse  des  pêches 
de  la  morue,  objet  pour  le  moins  aussi  important  que  le 
commerce,  même  exclusif,  des  pelleteries  ;  et  enfin, 
qu'ayant  fait  le  dénombrement  de  tout  ce  qui  dépendait 
du  gouvernement  de  l'Acadie,  il  n'y  avait  pas  trouvé 
neuf  cents  personnes. 

Cependant,  M.  de  La  Sale,  que  nous  avons  laissé  à 
l'embouchure  du  Micissipi,  était  revenu  à  Québec,  per- 
suadé que  l'entrée  de  la  Louisiane,  par  le  golfe  du 
Mexique,  devait  être  la  plus  directe  et  la  plus  avanta- 
geuse pour  la  métropole.  H  repassa  en  France,  dans  la 
vue  de  tenter  cette  expédition  maritime.  Sa  proposi- 
tion fut  bien  accueillie,  et  il  obtint  quatre  vaisseaux,  sur 
lesquels  s'embarquèrent  deux  cents  quatre-vingts  per- 
sonnes destinées  à  former  un  premier  établissement. 
L'escadre  était  commandée  par  un  sieur  de  Bkaujeu, 
comme  l'expédition  de  terre  devait  l'être  par  La  Sale. 
La  mésintelligence,  qui  éclata  entre  les  deux  chefs, 
devint  fatale  à  l'entreprise  :  on  manqua  l'embouchure 
du  Micissipi.  La  Sale  soupçonnant  l'erreur,  voulait 
rétrogarder  ;  mais  Beaujeu  s'obstina  à  poursuivre  la 
navigation  vers  l'Ouest,  et  l'on  parvint  à  l'entrée  de  la 
baie  de  Saint-Bernard,  où  furent  débarqués  les  gens 
de  l'expédition,  ainsi  que  les  munitions  de  guerre  et  les 
appi'ovisionnemens  qui  leur  étaient  destinés. 

Une  autre  expédition  avait  été  concertée  avec  celle 
de  La  Sale  ;  et  tandis  qu'il  pénétrait  dans  la  Louisiane 
par  le  golfe  du  Mexique,  Tonti  descendait  le  jNlicissipi 
jusqu'à  sou  embouchure,  dans  l'espérance  de  se  réunir 


178  HISTOIRE 

à  lui.  H  l'attendit  pendant  quelques  mois  ;  et  après 
avoir  fait  côtoyer  les  côtes  du  golfe  par  deux  canots,  il 
remonta  le  fleuve,  et  revint  au  fort  Crèvecœur,  d'où  il 
était  parti.  Quelques  uns  des  hommes  qui  l'accompa- 
gnaient se  séparèrent  de  lui  :  les  uns  se  rendirent  chez 
les  Cénis,  les  autres  chez  les  Arkansas,  et  les  différents 
endroits  où  ils  se  fixèrent  devinrent  le  berceau  d'autant 
d'établissemens  français. 

La  Sale,  réduit  à  ses  seules  ressources,  se  maintint, 
ou  plutôt  s'obstina  à  demeurer  deux  ans  entiers,  sur  la 
côte  inhospitalière  où  il  avait  abordé.  Il  tenta  quelques 
essais  de  culture,  et  quelques  plantations,  que  la  séche- 
resse fit  avorter,  ou  qui  furent  ravagés  par  les  bêtes 
fauves.  Supérieur  à  toutes  les  fatigues,  et  peu  soucieux 
du  bien-être  et  même  de  la  vie  de  ses  gens,  il  fit,  pour 
chercher  le  cours  du  Micissipi,  plusieurs  excursions,  dans 
chacune  desquelles  il  perdit  plus  de  la  moitié  de  ceux 
qui  l'avaient  suivi.  L'extrême  misère,  et  la  perspective 
d'une  mort  assurée  et  prochaine,  mit  le  comble  au  mécon- 
tentement. La  Sale,  qui  au  courage,  à  l'activité,  et  à 
l'amour  de  la  gloire,  joignait  malheureusement  un 
caractère  impérieux^  violent,  tyrannique,  des  manières 
brusques  et  un  langage  injurieux,  fut  enfin  forcé  de  se 
mettre  en  route  pour  le  pays  des  Cénis,  avec  le  reste 
de  ses  colons.  La  nécessité  de  chasser  pour  se  nourrir 
forçait  ces  gens  de  se  partager  en  difierentes  bandes. 
Un  neveu  de  La  Sale  s'étant  emporté  avec  violence 
contre  quelques  uns  de  ceux  qui  l'accompagnaient,  ils 
attendirent  le  moment  de  son  sommeil  pour  l'assassiner. 
Deux  hommes  attachés  à  son  service,  qui  dormaient 
près  de  lui,  eurent  le  même  sort.  H  fallait  aux  meur- 
triers un  crime  de  plus  pour  leur  faire  espérer  l'impu- 
nité, et  il  n'hésitèrent  pas  à  le  commettre  :  ils  s'embus- 
quèrent pour  attendi-e  La  Sale,  qui  suivait  la  même 


DU  CANADA.  179 

direction,  et  l'un  d'eux  le  tua  d'un  coup  d'arquebuse. 
Un  missionnaire  et  un  Sauvage,  qui  le  suivaient,  reçu- 
rent son  dernier  soupir.  Ce  meurtre  fut  commis  le  20 
mars  1687.  Les  amis  de  La  Sale,  (car  il  lui  en  restait 
encore  quelques  uns*),  voulaient  venger  sa  mort  ;  mais 
l'abbé  Cavelier,  son  frère,  les  conj  ura  de  laisser  à  Dieu 
la  vengeance.  Elle  ne  se  fit  pas  attendre  longtems: 
deux  des  assassins  furent  tués,  dans  une  querelle  avec 
leurs  complices  :  deux  autres  se  sé^jarèrent  volontaire- 
ment d'un  cortège  où  ils  étaient  vus  avec  horreur.  Le 
reste  des  voyageurs,  après  avoir  passé  chez  les  Cénis, 
les  Natchitoches,  et  autres  tribus  sauvages,  parvinrent 
au  confluent  de  l'Arkansas  et  du  Micissipi.  Ils  remontè- 
rent ce  fleuve  et  la  rivière  des  Illinois  jusqu'à  St. -Louis. 
Gagnant,  de  là  les  grands  lacs,  ils  vinrent  terminer  à 
Mont-réal  et  à  Québec  leur  désastreuse  expédition. 

Pour  revenir  à  M.  de  La  Bari-e,  la  manière  dont  il 
avait  conduit  et  terminé  son  expédition,  contribua  à 
hâter  son  rappel. f     H  eut  pour  successeur  le  marquis 

*  Parmi  ces  amis  de  La  Sale  était  le  sieur  Joctel,  "fort  hon- 
nête homme,  le  seul  de  sa  troupe  sur  lequel  il  pût  compter"  sûre- 
ment, suivant  Charlevoix.  et  auteur  du  "  Journal  Historique  du 
dernier  Voyage  de  M.  de  La  Sale,  pour  trouver  l'embouchure  de 
la  rivière  de  Micissipi,  autrement  nommée  de  Saint-Louis"  &c 

■fM.  DE  LA  Barrk  ne  manquait  pas  pourtant  d'une  certaine 
activité  :  il  avait  suivi,  d'une  manière  particulière,  les  mouvemens 
de  La  Sale  et  de  ses  gens  ;  et  il  avait  été  très  offensé  de  ce  que 
le  P.  Hennepin,  en  passant  à  Québec,  n'avait  voulu  lui  rien  com- 
muniquer des  découvertes  qu'il  prétendait  avoir  faites,  et  qu'en 
cox\%('(\niixi{H' \\  CTMi  n'être  pas  importantes.  Dès  le  14  novembre 
1682,  il  avait  écrit  au  ministre  des  colonies,  que  l'imprudence  de 
La  Sale  avait  allumé  la  guerre  entre  les  Iroquois  et  les  Fran^'ais  ; 
et  <lans  une  autre  lettre,  du  30  avril  1G83,  il  disait  que  "La  Sale 
était,  avec  une  vingtaine  de  vagabonds,  Français  et  Sauvages,  au 
fond  de  la  Baie  Verte,  où  il  tranchait  du  souverain,  pillait  et  ren- 
çonnait  tous  ceux  de  sa  nation  ;  exposait  les  peuples  aux  incursions 
des  Iroquois  ;  et  couvrait  toutes  ces  violences  du  prétexte  de  la 
permission  qu'il  avait  du  roi,  de  faire  seul  le  commerce  dans  les 
pays  qu'il  découvrirait  ;  en  (juoi  il  était  d'autant  moins  fondé,  que 
la  Baie  et  ses  environs  étaient  connus  et  fréquentés  des  Français, 
longtems  avant  sou  aiTirée  en  Amérique." 


180  HISTOIRE 

de  Denonville,  colonel  de  dragons,  qui  avait  fait 
preuve  de  courage  et  d'habileté,  et  de  qui  on  pouvait 
attendre  de  la  fermeté  et  de  la  vigueur,  lorsque  les  cir- 
constances l'exigeraient. 

Le  premier  soin  du  nouveau  gouverneur  fut  de  s'ins- 
truire de  l'état  où  se  trouvaient  les  affaires  avec  les 
Iroquois.  Il  ne  tarda  pas  à  être  convaincu  que  les 
Français  n'auraient  jamais  ces  peuples  pour  amis,  et 
que  la  meilleure  politique  à  suivre  était  de  les  humilier 
et  de  les  affaiblir,  au  point  de  leur  faire  trouver  leur  sûreté 
dans  la  soumission  ou  la  neutralité. 

Mais  il  ne  s'agissait  pas  seulement  de  repousser  les 
attaques  des  ennemis  de  la  colonie,  il  fallait  encore 
s'attacher  à  lui  conserver  ses  alliés  sauvages.  Depuis 
quelque  temps,  les  Anglais  de  la  Nouvelle  York  faisaient 
tous  leurs  efforts  pour  rendre  les  tribus  de  l'Ouest  enne- 
mies des  Français,  et  pour  attirer  chez  eux  le  commerce 
que  ceux-ci  faisaient  dans  ces  quartiers.  Pour  empê- 
cher un  événement  qui  eût  été  un  malheur  pour  le 
Canada,  M.  de  Denon ville  proposa  au  ministre  des  colo- 
nies (M.  de  Seignelay,)  par  une  lettre  datée  du  8  mai 
1686,  de  construire  à  Niagara  un  fort  capable  de  con- 
tenir une  garnison  de  quatre  à  cinq  cents  hommes,  tant 
pour  fermer  aux  Anglais  le  passage  des  lacs,  et  empê- 
cher les  Sauvages  de  leur  porter  leurs  pelleteries,  que 
pour  tenir  les  Iroquois  dans  la  crainte  et  le  respect,  et 
offrir  un  rendez- vous,  et  même  un  refuge,  en  cas  de 
besoin,  aux  alliés  de  la  colonie.  Les  marchands  de 
Québec  qui  commerçaient  avec  les  Sauvages  de  l'Ouest, 
goûtèrent  fort  le  projet  du  gouverneur,  et  offrirent  même 
de  contribuer  de  tout  leur  pouvoir  à  son  exécution. 
Pendant  que  M.  de  Denon  ville  projettait  ce  nouveau 
fort,  il  renforçait  et  approvisionnait  abondamment  celui 
de  Càtarocouy. 


DU    CANADA.  181 

Le  gouverneur  de  la  Nouvelle  York,  attentif  à  toutes 
les  démarches  de  celui  de  la  Nouvelle  France,  lui  écrivit 
une  lettre  dont  la  substance  était,  "  Que  les  grands  amas 
de  vivres  qui  se  faisaient  au  fort  de  Frontenac,  persua- 
daient aux  Iroquois  qu'on  avait  dessein  de  leur  déclarer 
la  guerre;  que  ces  peuples  étant  sujets  de  la  couronne 
d'Angleterre,  les  attaquer,  ce  serait  enfreindre  la  paix 
qui  subsistait  entre  les  deux  nations  ;  qu'il  avait  aussi 
appris  qu'on  se  proposait  de  construire  un  fort  à  Niagai'a, 
et  que  cette  nouvelle  l'avait  d'autant  plus  étonné,  qu'on 
ne  devait  pas  ignorer  en  Canada,  que  tout  ce  pays  était 
de  la  dépendance  de  la  Nouvelle  York." 

L'intention  du  marquis  de  Denonville  était  bien 
d'attaquer  les  Iroquois  ;  mais  comme  il  n'était  pas  encore 
prêt  à  le  faire,  il  répondit  au  gouverneur  anglais,  "  Qu'y 
ayant  une  grosse  garnison  à  Catarocouy,  il  était  néces- 
saire d'y  envoyer,  à  la  fois,  beaucoup  de  provisions, 
attendu  qu'on  ne  le  pouvait  pas  faire  commodément  en 
toute  saison  ;  que  les  prétentions  de  l'Angleterre  sur  le 
pays  des  Iroquois  étaient  mal  fondées,  et  qu'on  y  devait 
savoir  que  les  Français  en  avaient  pris  possession  avant 
qu'il  y  eût  des  Anglais  dans  la  Nouvelle  York,"  Le 
colonel  Dungan  était  bien  l'homme  le  plus  actif  et  le 
plus  vigilant  qu'il  y  eût  alors  en  Amérique  :  rien  ne  lui 
échappait  ni  des  démarches,  ni  même  des  intentions  de 
ses  adversaires,  et  on  le  voyait  partout,  soit  par  lui- 
même,  soit  par  ses  émissaires.  Dans  la  présente  occa- 
sion, il  avait  assemblé  à  Orange,  (ci-après  Albany),  des 
députés  de  tous  les  cantons  Iroquois  ;  les  avait  avertis 
que  le  nouveau  gouverneur  du  Canada  était  déterminé 
à  leur  déclarer  la  guerre,  et  les  avait  exhortés  à  le  pré- 
venir, en  les  assurant  que,  quoiqu'il  arrivât,  il  ne  les 
abandonnerait  point.  S'il  ne  réussit  pas  à  faire  prendre 
dès  lors  les  armes  aux  Iroquois,  la  colonie  en  fut  pcut- 
Q 


182  HISTOIRE 

citre  uniquement  redevable  au  P.  de  Lamberville, 
missionnaire  chez  les  Onnontagués.  Ayant  été  informé 
de  ce  qui  se  tramait,  il  parvint,  par  son  habileté  et  par 
l'estime  dont  il  jouissait  dans  les  Cantons,  à  détourner 
l'orage  pour  un  temps.  Après  avoir  tiré  parole  des 
principa.ux  chefs,  qu'ils  ne  consentiraient  à  aucune  hos- 
tilité contre  les  Frfinçais,  durant  son  absence,  il  pai'tit 
pour  aller  instruire  le  gouverneur  général  de  tout  ce  qu'il 
avait  appris.  Les  envoyés  de  Dungan  travaillèrent  avec 
succès,  durant  l'absence  du  missionnaire  français,  qui  à 
son  retour,  trouva  une  partie  des  guerriers  près  de  se 
mettre  en  campagne  ;  mais  il  dissipa  par  ses  discours, 
et  plus  encore,  peut-être,  par  les  magnifiques  présens 
dont  il  était  porteur  pour  les  chefs,  les  soupçons  et  les 
craintes  qu'on  leur  avait  inspirés. 

Cependant,  la  compagnie  du  Nord,  voulant  se  remettre 
en  possession  d'un  fort  dont  les  Anglais  s'étaient  empa- 
l'és,  demanda  à  M.  de  Denonville  des  soldats  et  un 
officier  pour  les  commander.  Ce  général  lui  accorda 
quatre-vingts  hommes,  presque  tous  Canadiens,  et  pour 
commandant  le  chevalier  de  Trote.  MM.  de  Sainte- 
Helene,  d'Iberville  et  de  Maricourt,  tous  trois  fils 
de  M.  Lemoyne,  homme  marquant  dans  la  colonie,  vou- 
lurent être  de  l'expédition,  comme  volontaires.  Cette 
petite  troupe  partit  de  Québec,  au  mois  de  mars  1686, 
et  ari-iva,  le  21  juin,  au  fond  de  la  Baie  d'Hudson.  Elle 
s'empara  de  plusieurs  forts  et  de  plusieurs  bâtimens,  des 
uns  sans  coup  férir,  et  des  autres,  après  une  plus  ou 
moins  longue  résistance.  Sainte-Hélène  et  Iberville  y 
firent  des  actions  de  valeur  et  d'intrépidité  qu'on  pourrait 
appeUer  héroïques,  et  auxquelles  il  n'a  manqué  qu'un 
ttiéâtre  plus  connu  et  plus  étendu,  pour  mériter  d'être 
consignées  dans  une  liistoii-e  générale.* 

"^  Dans  cette  première  expédition,  îvl.  de  Tr.oYji  attaqua  un  fort 
do  pieux  à  quatre  bastions  revêtus  de  terre,  sur  la  rivière  Monsoni, 


DU   CANADA.  183 

A  la  fin  de  cette  même  année  1G86,  ou  au  commen- 
cement de  la  suivante,  les  commandans  des  quartiers  de 
l'Ouest,  La  Durantaye,  Duluth,  Tonti,  eurent  ordre  de 
mettre  en  état  de  défense  les  forts  de  Micliillimakinac  et 
du  Détroit,  et  d'envoyer  ou  conduire  à  Niagara,  le  prin- 
tems  suivant,  tous  les  Canadiens  et  Sauvages  qu'ils  au- 
raient pu  rassembler,  et  qui  ne  seraient  pas  nécessaires  à 
la  garde  de  ces  postes. 

Au  commencement  de  l'été  de  1687,  M.  de  Denon- 
ville  ayant  reçu  les  renforts  qu'il  avait  attendus  de 
France,  se  disposa  à  faire  définitivement  la  guerre  aux 
Iroquois.  Il  débuta  par  un  acte  qui  portait  des  carac- 
tères si  frappants  de  violence  et  de  perfidie,  qu'il  aurait 
dû  en  prévoir  les  suites  fàclieuses,  s'il  ne  regardait  pas 
à  l'odieux  de  la  chose  en  elle-même. 

Depuis  longtems,  Louis  XIV  avait  donne  ordre  que 
les  prisonniers  de  guerre  iroquois  fussent  envoyés  en 
France,  pour  y  être  mis  aux  galères,   "  parce  que,  disent 


appelle  Monsipi,  suivant  Charlevoix.  "  Le  canonnier  seul,  dit  cet 
auteur,  "  se  mit  en  défense,  et  mourut  en  brave."  Le  reste  de  la 
jiijarnisun  so  rendit  prisonnier  de  guerre.  Sainte-Helene,  à  la  tête 
de  cinquante  hommes,  ayant  rencontré,  sur  la  côte,  im  bâtiment 
qui  n'était  point  gardé,  s'y  embarqua  avec  sa  troupe,  et  alla  débar- 
quer sans  opposition,  près  du  fort  Kupert.  Il  donna  aussitôt 
l'assaut  à  la  place  :  la  garnison,  étonnée  de  cette  hardiesse,  se 
rendit  sans  coup-férir.  DIueuvii.le  s'étant  embarqué  avec  neuf 
hommes,  rencontra,  à  l'ancre,  un  petit  bâtiment  où  il  y  avait  qua- 
torze hommes:  il  s'en  rendit  maître,  après  une  courte  et  faible  résis- 
tance. Tous  les  Français  so  réunirent  ensuite,  s'embarquèrent 
sur  les  prises  de  Sainte-Hélène  et  d'Iberville,  et  allèrent  attaquer 
le  fort  de  Quitchitchouen,  dont  la  garnison  se  rendit  aussi,  après 
s'être  laissé  canonner  quclciue  temps,  à  la  condition  d'être  envoyée 
au  port  Nelson.  Le  fort  de'  Quitchitchouen  prit  le  nom  de  Sainte- 
Anne.  Les  Anglais  le  revinrent  attaquer,  l'année  suivante  ;  mais 
ils  y  trouvèrent  le  brave  d'Iberville,  qui  les  repoussa  avec  perte, 
leur  prit  nu  bâtiment  richement  chargé,  et  brûla  le  petit  fort  de 
Charlvstown,  qu'ils  avaient  bâti  sur  le  bord  de  la  mer,  à  quelques 
lieues  de  celui  de  Quitchitchouen.  Avant  ces  hostilités,  ou  ces 
"  représailles,"  les  Anglais  avaient  enlevé  aux  Françuis  un  fort  ou 
comptoir,  que  ces  derniers  avaient  bâti  sur  la  rivière  Sainte- 
Thérèse. 


1 84  HISTOIRE 

les  lettres  royales,  ces  Sauvages  étant  forts  et  robustes, 
serviront  utilement  sur  nos  chiourmes." 

"  Dans  quel  code,  s'écrie  un  historien,  est-il  écrit  que 
les  prisonniers  de  guerre  seront  relégués  parmi  les  cou- 
pables, et  jettes  au  milieu  de  la  lie  des  hommes  ?"  Sans 
doute,  ce  code  ne  pourrait  être  que  celui  de  la  barbarie  : 
mais  ici  il  y  a  plus  :  ce  n'est  pas  de  prisonniers  de 
guerre  qu'il  s'agit,  mais  des  chefs  d'un  peuple  avec  qui 
l'on  est  encore  en  paix,  qu'on  fait  tomber  dans  le  piège, 
par  des  discours  trompeurs  et  perfides,  et  à  l'égard  des- 
quels on  viole  le  droit  des  gens,  de  la  manière  la  plus 
indigne.  Sous  divers  prétextes,  le  gouverneur  général 
attira  les  principaux  chefs  des  Iroquois  à  Catarocouy  ; 
les  fit  saisir,  enchaîner,  conduire  à  Québec  par  une  forte 
escorte,  et  enfin  embarquer  pour  la  France,  où  les 
galères  les  attendaient.  Ce  qu'il  y  eut  de  pis,  c'est  que 
le  marquis  de  Denonville  se  servit,  pour  cette  affaire, 
du  ministère  de  deux  missionnaires,  les  PP.  de  Lam- 
berville  et  Millet,  sans  faire  attention  que,  non  seule- 
ment il  mettait  ces  religieux  en  danger  de  perdre  la  vie, 
mais  qu'il  décréditait,  peut-être  sans  retour,  aux  yeux 
des  Sauvages,  la  religion  qu'on  leur  prêchait,  depuis  si 
longtems,  et  qu'on  paraissait  avoir  tant  à  cœur  de  leur 
faire  embrasser. 

Le  P.  Blillet,  qui  tomba,  quelque  temps  après,  entre 
les  mains  des  Onneyouths,  fut  d'abord  destiné  ausupplice 
du  feu,  et  n'en  fut  préservé  que  par  la  générosité  d'une 
matrone,  qui  l'adopta  pour  son  fils.  Le  P.  Lamberville, 
qui  était  demeuré  entre  les  mains  des  Onnontagués, 
ne  dut  son  salut  et  sa  liberté  qu'à  la  grande  estime  et 
au  sincère  attachement  qu'on  avait  pour  lui,  dans  ce 
canton.  A  la  première  nouvelle  de  ce  qui  venait  de  se 
passer  à  Catarocouy,  les  anciens  le  firent  venir  devant 
eux,  et  après  lui  avoir  exposé,  avec  toute  l'énergie  d'une 


DU   CANADA.  185 

première  indignation,  le  fait  qu'ils  venaient  d'apprendre, 
l'un  d'eux  lui  dit  :  "  Tu  ne  peux  disconvenir  que  toutes 
sortes  de  raisons  nous  autorisent  à  te  traiter  en  ennemi  ; 
mais  nous  ne  pouvons  nous  y  résoudre  :  nous  te  con- 
naissons trop  pour  n'être  pas  persuadés  que  ton  cœur 
n'a  point  eu  de  part  à  la  trahison  que  tu  nous  as  faite, 
et  nous  ne  sommes  pas  assez  injustes  pour  te  punir  d'un 
crime  dont  nous  te  croyons  innocent,  et  dont  tu  es,  sans 
doute,  au  désespoir  d'avoir  été  l'instrument.  Il  n'est 
pourtant  pas  à  propos  que  tu  restes  ici  ;  car  quand  notre 
jeunesse  aura  chanté  la  guerre,  elle  ne  verra  plus  en  toi 
qu'un  perlîde,  qui  a  livré  nos  chefs  au  plus  indigne  escla- 
vage. Sa  fureur  tomberait  sur  toi,  et  nous  ne  pourrions 
plus  t'y  soustraire." 

Ils  l'obligèrent  à  partir,  sur-le-champ,  et  lui  donnèrent 
des  guides,  qui  ne  le  quittèrent  que  quand  ils  l'eurent 
mis  hors  de  tout  danger. 

Le  marquis  de  Denonville  ayant  assemblé  l'armée 
qu'il  voulait  conduire  contre  les  Iroquois,  il  la  fit  camper 
d'abord  dans  l'île  de  Sainte -Hélène,  vis-à-vis  de  Mont- 
réal. M.  DE  CiiAMPiGNY-NoROY,  qui,  l'année  précé- 
dente, avait  succédé  à  M.  de  Meules,  dans  l'intendance, 
s'y  rendit,  le  7  juin,  avec  le  chevalier  de  Vaudreuu., 
qui  était  arrivé,  depuis  peu,  dans  la  colonie,  avec  le 
titre  de  commandant  des  troupes.  Cette  armée,  com- 
mandée pai"  le  marquis  de  Denonville  en  personne,  était 
composée  de  huit  cent-trente  soldats,  d'environ  mille 
Canadiens,  et  de  trois  cents  Sauvages.  Elle  se  mit  eu 
route,  le  1 1,  sur  deux  cents  bateaux  et  autant  de  canots 
d'écorce. 

En  arrivant  à  Catarocouy,  le  général  français  reçut 

une  lettre  du  colonel  Dungan,  écrite  sur  le  ton  que  ce 

gouverneur  avait  coutume  de  prendre,  lorsqu'il  s'agissait 

des  Iroquois  ;  c'est-à-dire,  qu'il  se  plaignait  hautement 

Q2 


186  HISTOIKE 

fie  ce  que  le  gouverneur  du  Canada  faisait  la  guerre  à 
des  peuples  qui  étaient  sujets  de  sa  majesté  britannique. 
Il  ajoutait  que  M.  de  la  Barre  n'avait  pas  cru  devoir 
s'engager  dans  une  pareille  expédition,  sans  lui  en  avoir 
auparavant  donné  avis. 

M.  de  Denonville  lui  fit  réponse  qu'ils  étaient  loin 
de  compte,  s'il  regardait  les  Iroquois  comme  sujets  du 
roi  d'Angleterre,  et  que,  quant  à  la  démarche  de  son 
prédécesseur,  il  lui  déclarait  que  ce  n'était  pas  pour  lui 
un  exemple  à  suivre.  Le  gouverneur  du  Canada  parlait 
avec  d'autant  plus  d'assurance,  dit  le  P.  Charlevoix, 
qu'il  croyait  être  en  droit  d'accuser  de  mauvaise  foi 
(;elui  de  la  Nouvelle  York.  Il  venait  d'apprendi-e  que 
La  Durantaye  avait  rencontré,  sur  le  lac  Huron,  soixante 
Anglais,  escortés  par  des  Tsonnonthouans,  et  conduits 
par  un  Français,  avec  des  marchandises,  pour  faire  la 
traite  à  Michillimakinac*  Le  fait  de  ces  traitans 
anglais  était  une  contravention  aux  conventions  faites 
entre  les  couronnes  de  France  et  d'Angleterre  ;  mais  le 
colonel  Dungan  pouvait  l'ignorer,  et  conséquemment 
n'être  pas  coupable  de  mauvaise  foi,  non  plus  que  d'in- 
fraction des  traités. 

De  Catarocouy  M.  de  DenonviEe  se  transporta  à  la 
rivière  des  Sables,  en-deça  de  la  baie  des  Tsonnon- 
thouans. Par  un  heureux  hazard,  les  Canadiens  et  les 
Sauvages  que  lui  amenaient  les  commandans  de  l'Ouest 
y  arrivèrent  en  même  temps.     On  se  mit  aussitôt  à 

*  Les  marchandises  de  ces  Anglais  furent  confisquées  et  distri- 
buées aux  Sauvages,  et  ils  furent  eux-mêmes  retenus  prisonniers, 
ainsi  que  les  Iroquois  qui  les  escortaient.  Quant  au  Français  qui 
leur  avait  servi  de  guide,  M.  de  Denonville  le  fit  fusiller  :  châ- 
timent sur  lequel  Laiiontan  s'écrie  à  l'injustice,  par  la  raison  qu'il 
y  avait  paix  alors  entre  l'Angleterre  et  la  France  ;  que  Charlevoix 
approuve,  en  prétendant  que  ce  Français  cambattait  contre  le 
service  de  son  prince  ;  et  que,  pour  tenir  un  juste  milieu,  nous 
qualifierons  de  sévère  et  disproportionné  à  l'offense. 


DU   CANADA.  187 

faire,  sur  le  bord  du  lac,  un  peu  au-dessus  de  la  rivière, 
un  retranchement  de  palissades.  Ce  tranchement,  qu'on 
appella  Fort  des  Sables,  fut  achevé  en  deux  jours. 
Quatre  cents  hommes  y  furent  laissés,  sous  le  comman- 
dement de  M.  d'Orvilliers,  pour  assurer  les  derrières 
de  l'armée. 

Du  fort  des  Sables  l'armée  prit  son  chemin  par  les 
terres,  et  après  avoir  passé  deux  défilés  très  dangereux, 
elle  arriva  à  un  troisième,  où  elle  fut  vigoureusement 
attaquée  par  huit  cents  Iroquois.  Deux  cents  de  ces 
Sauvages,  après  avoir  fait  leur  décharge,  se  détachèrent 
pour  prendre  l'armée  française  en  queue,  tandis  que  le 
reste  continuait  à  la  charger  en  tête.  Le  combat  se 
soutint,  quelque  temps,  avec  vigueur  des  deux  côtés  ; 
mais  à  la  fin,  les  Sauvages  furent  repoussés  et  prirent 
la  fuite. 

Il  y  eut,  du  côté  des  Français,  cinq  ou  six  hommes 
de  tués,  et  une  vingtaine  de  blessés.  La  perte  des  L"o- 
quois  fut  de  quarante-cinq  hommes  tués  sur  la  place,  et 
d'une  soixantaine  de  blessés.  Les  corps  des  premiers 
furent  mis  en  pièces,  et  mangés  par  les  Outaouais, 
qui,  comme  le  marquis  de  Denonville  l'écrivait  à  M.  de 
Seignelay,  firent  beaucoup  mieux  la  guei're  aux  morts 
qu'ils  ne  l'avaient  faite  aux  vivans. 

Le  lendemain  du  combat,  l'armée  alla  camper  dans 
un  des  quatre  villages  dont  se  composait  le  canton  de 
Tsonnonthouan.  Elle  n'y  trouva  personne,  et  le  brûla. 
Les  Français  pénétrèrent  ensuite  dans  le  pays,  détruisi- 
rent toutes  les  cabanes,  brûlèrent  quatre  cent  millo 
minots  de  blé-d'indc,  et  tuèrent  une  immense  quantité 
de  pourceaux.  L'humiliation  des  ïsonnonthouans  fut 
à  peu  près  le  seul  fruit  de  cette  expédition.  Ces  Sau- 
vages rentrèrent  dans  leur  pays  aussitôt  que  les  Français 
s'en  furent  retirés. 


188  HISTOIRE 

L'occasion  de  bâtir  un  fort  à  Niagara  était  trop  belle 
pour  que  M.  de  Denonville  la  manquât.  Le  fort  fut 
construit,  et  le  chevalier  de  Troye  y  fut  laissé  avec  cent 
hommes,  pour  le  garder.  Les  Sauvages  aUiés  en  témoi- 
gnèrent beaucoup  de  joie  ;  mais  bientôt,  la  maladie 
s'étant  mise  dans  la  garnison,  qui  périt  tout  entière  avec 
son  commandant,  on  attribua  cet  événement  à  l'air  du 
pays,  et  le  fort  fut  abandonné. 

L'expédition  de  M.  Denonville  avait  si  peu  intimidé 
les  Iroquois,  qu'à  peine  il  était  de  retour  à  Québec,  que 
le  fort  de  Chambly  fut  tout-à-coup  investi  par  un  gros 
parti  d'Agniers.  La  résistance  qu'ils  y  trouvèrent  les 
obligea  à  décamper,  dès  le  lendemain  ;  mais  ils  ne  le 
firent  qu'après  avoir  brûlé  quelques  habitations  écartées, 
et  fait  plusieurs  prisonniers. 

Ce  qui  enhardissait  surtout  les  L^oquois,  c'était  l'appui 
que  leur  donnait,  ou  que  leur  promettait  le  colonel 
Dungan  :  en  cette  occasion,  il  fit  déclarer  au  marquis 
de  Denonville,  qu'il  ne  devait  espérer  de  paix  avec 
les  cinq  cantons  qu'à  ces  quatre  conditions  :  1°.  qu'on 
ferait  revenir  de  France  les  Iroquois  qu'on  y  avait  en- 
voyés pour  servir  sur  les  galères  ;  2°.  qu'on  obligerait 
les  L-oquois  chrétiens  du  Sault  Saint-Louis,  et  ceux 
qui  s'étaient  établis  au  pied  de  la  Montagne  de  Mont- 
réal, à  retourner  dans  leur  pays  ;  3°.  qu'on  raserait  les 
forts  de  Niagara  et  de  Catarocouy  ;  4°.  qu'on  restituerait 
aux  Tsonnontliouans  tout  ce  qui  avait  été  enlevé  de 
leurs  villages. 

Sans  s'arrêter  à  cette  déclaration,  le  gouverneur 
général  entreprit  de  négocier  directement  avec  les  Iro- 
quois ;  et  au  moyen  des  missionnaires,  il  réussit  à  se  faire 
envoyer  des  députés  par  les  trois  cantons  d'Onnonta- 
gué,  d'Onneyouth  et  de  Goyogouin.  Ces  députés,  qui 
avaient  été  suivis  par  1200  guerriers  jusqu'au  lac  Saint- 


DU   CANADA.  189 

François,  parlèrent  avec  beaucoup  d'arrogance,  donnant 
à  entendre,  que  ce  serait  par  pure  faveur  qu'ils  feraient 
la  paix,  aux  conditions  proposées  par  le  gouverneur  de 
la  Nouvelle  York.  Après  avoir  exposé,  en  termes 
extrêmement  emphatiques,  la  situation  avantageuse  des 
Cantons,  la  faiblesse  des  Français,  et  la  facilité  qu'aurait 
sa  nation  à  les  chasser  du  Canada,  Haaskouaun,  chef 
de  la  députation,  ajouta  :  "  Pour  moi,  j'ai  toujours  aimé 
les  Français,  et  je  viens  d'en  donner  une  preuve  non 
équivoque  ;  car  ayant  appris  que  nos  guerriers  avaient 
formé  le  dessein  de  venir  brûler  vos  forts,  vos  maisons, 
et  vos  grains,  afin  d'avoir  bon  marché  de  vous,  après 
vous  avoir  affamés,  j'ai  si  bien  sollicité  en  votre  faveur, 
que  j'ai  obtenu  la  permission  d'avertir  Ononthio,  qu'il 
pouvait  éviter  ce  malheur,  en  acceptant  la  paix  aux 
conditions  que  Coklar*  lui  a  proposées." 

M.  Denonville  répondit  à  la  députation  iroquoise, 
qu'il  consentirait  volontiers  à  la  paix,  mais  qu'il  ne  la 
donnerait  qu'à  ces  conditions  :  1°  que  tous  les  alliés  des 
Français  y  seraient  compris  ;  2°  que  les  cantons  d'Ag- 
nier  et  de  Tsonnonthouan  lui  enverraient  aussi  des 
députés  ;  3'  que  toute  hostilité  cesserait  de  part  et 
d'autre  ;  4°  qu'il  pourrait,  en  toute  liberté,  ravitailler  le 
fort  de  Catarocouy.  Il  consentait  à  la  démolition  du 
fort  de  Niagara,  et  il  promettait  de  faire  revenir  pro- 
chainement de  France  les  Iroquois  qui  y  avaient  été 
envoyés,  et  dont  il  avait  même  déjà  sollicité  le  rappel. 
Ces  conditions  furent  acceptées,  et  une  trêve  fut  conclue, 
sur-le-champ.  Les  députés  consentirent  à  laisser  cinq 
d'entre  eux  pour  otages,  afin  d'assurer  un  convoi  que  l'on 
préparait   pour  Catarocouy  ;  et  l'on  convint  que  s'il 

*0u  CoRi.AF.u.  C'est  le  nom  qu'ils  donnaient  au  gouverneur 
(le  la  Nouvelle  York,  et  fïénéralement  aux  Anglais,  ou  à  leurs 
descendans,  ctablis  en  Amtrique. 


190  HISTOIRE 

survenait  quelque  hostilité  de  la  part  des  alliés  des 
Français,  pendant  la  négociation  pour  la  paix,  elle  ne 
ferait  rien  changer  à  ce  qui  venait  d'être  résolu.* 

Soit  qu'on  n'eût  pas  eu  le  temps  d'instruire  les 
Sauvages  alliés  des  intentions  du  gouverneur,  soit  qu'ils 
fussent  persuadés  que  les  Iroquois  ne  traiteraient  pas 
de  bonne  foi,  presque  tous  pai'urent  mécontents  de  la 
trêve  et  des  négociations  qui  devaient  s'en  suivre  ;  et  les 
Ilurous  de  Michillimakinac  prirent  les  mesures  les  plus 
propres  à  rendre  impossible  la  conclusion  d'un  traité 
dont  ils  craignaient  d'être  les  premières  victimes.  Ils 
avaient  pour  chef  principal  Kondiakoxk,  que  les  Fran- 
çais avaient  surnommé  le  RAT,f  homme  d'esprit,  d'une 
bravoure  à  toute  épreuve,  et  d'une  habileté  consommée. 
Il  était  parti  de  Michillimakinac  avec  une  troupe 
choisie  de  Hurons,  pour  faire  la  guerre  aux  Iroquois  ; 
mais  il  apprit,  à  Catarocouy,  qu'on  négociait  avec  eux, 
et  que  le  gouverneur  général  attendait,  à  Montréal, 
des  députés  et  des  otages  de  tous  les  cantons.  H  parut 
un  peu  surpris  de  cette  nouvelle  ;  mais  il  ne  lui  échappa 
aucune  plainte,  et  il  partit  de  Catarocouy,  laissant  les 
Français  dans  la  pensée  qu'il  reprenait  le  chemin  de 
son  pays.  S'étant  informé  de  la  route  que  devaient 
suivre  les  députés  et  les  otages  iroquois,  il  alla  les 
attendre,  dans  une  anse,  où  il  leur  dressa  une  ambus- 
cade.  Après  les  y  avoir  attendus  quelques  jours,  il  les 
vit  paraître,  les  laissa  approchei",  et  fondit  sur  eux,  au 
moment  où  ils  débarquaient  de  leurs  canots,  sans  la 
moindre  méfiance.     Quoique  surpris,  les  Iroquois  vou- 

*  Pendant  que  les  députés  Iroquois  étaient  à  Mont-réal,  les 
huit  cents  guerriers  qu'ils  avaient  laissés  au  lac  Saint-François, 
ayant  remonté  le  fleuve,  avaient  investi  le  fort  de  ïroutenac,  tué 
tous  les  bestiaux  qui  paissaient  aux  environs,  et  brûlé  tous  les 
foins,  au  moyen  de  tlèches  allumées. 

f  Lahontan  et  les  Anglais  le  nomment  Adakio. 


DU   CANADA.  191 

lurent  se  défendre  ;  mais  la  partie  était  trop  inégale  :  il 
y  en  eut  quelques  uns  de  tués  ;  les  autres  furent  faits 
prisonniers.  ïeganissore',*  le  chef  de  la  députation, 
lui  ayant  demandé  comment  il  avait  pu  ignorer  qu'il 
était  ambassadeur,  et  qu'il  avait  été  envoyé  pour  négo- 
cier un  traité  de  paix  avec  le  gouverneur  général,  le 
fourbe  fit  semblant  d'être  encore  plus  étonné  que  lui, 
et  protesta  que  c'étaient  les  Français  eux-mêmes  qui 
l'avaient  envoyé  en  cet  endroit,  en  l'assurant  qu'il 
y  rencontrerait  un  parti  d'Iroquois  qu'il  lui  serait  très 
facile  de  surprendre  et  de  défaire  ;  et  pour  lui  prouver 
qu'il  lui  parliiit  sincèrement,  il  le  relâcha  sur  l'heure, 
avec  tous  ses  gens,  à  l'exception  d'un  seul,  qu'il  voulait 
retenir,  disait-il,  pour  remplacer  un  des  siens,  qui  avait 
été  tué.f 

Kondiaronk  se  rendit  en  hâte  à  Michillimakinac,  et 
livra  son  prisonnier  à  M.  de  la  Durantaye.  Ce 
commandant,  qui  n'était  pas  encore  informé  des  négo- 
ciations entamées  avec  les  Iroquois,  condamna  (on  ne 
saurait  dire  par  quel  droit),  le  malheureux  à  passer  par 
les  armes.  Il  eut  beau  protester  qu'il  était  ambassa- 
deur, et  que  les  Hui'ons  l'avaient  pris  par  trahison, 
Kondiaronk  avait  prévenu  tout  le  monde  que  la  tête 
lui  avait  tourné,  et  que  la  crainte  de  la  mort  le  faisait 
extravaguer.     Dès  qu'il  fut  mort,  le  rusé  chef  fit  venir 

*  M.  Thatcher,  clans  son  Indian  Biographij,  le  nomme  DEC^UfE- 
soRA,  on  comme  nous  prononcerions,  Decanisoiik'.  Nous  pre- 
nons un  juste  milieu  entre  cet  écrivain  et  les  auteurs  fran^-ais,  qui 
l'appellent  TEiiANissoiîENS. 

f  On  prétend,  dit  Charlevoix,  que  Kondiaronk  alla  seul  à  Cata- 
rocouy,  après  son  exploit,  et  que  quelqu'un  lui  ayant  demandé 
d'où  il  venait,  il  répondit  <iu'il  venait  de  tuer  la  paie  ;  expressions 
dont  on  ne  ci  imprit  pas  d'abord  le  sens,  mais  dont  on  eut  bientôt 
l'oxplicatiou  par  un  de  ses  prisonniers,  qui  s'était  enfui  à  Cataro- 
couy,  et  que  l'on  renvoya  aussitôt  vers  ses  compatriotes,  pour  les 
convaincre  que  les  Français  n'avaient  eu  aucune  part  à  la  perfidie 
des  Ilurons. 


192  HISTOIRE 

un  viel  Iroquois,  qui  était  depuis  longtems  captif  dana 
son  village,  lui  donna  la  liberté,  et  lui  recommanda,  en 
le  renvoyant  dans  son  pays,  d'instruire  ses  compatriotes 
de  ce  qui  venait  de  se  passer  sous  ses  yeux,  et  de  leur 
apprendre  que,  tandis  que  les  Français  amusaient  les 
Cantons  par  des  négociations  feintes,  ils  faisaient  faire 
des  prisonniers  sur  eux,  et  les  fusillaient.* 

Un  stratagème  si  bien  conduit  devait  avoir  son  effet  ; 
néanmoins,  détrompés,  en  apparance,  sur  la  prétendue 
mauvaise  foi  du  gouverneur  général,  les  Cantons  avaient 
nommé  de  nouveaux  députés,  et  ces  députés  étaient  sur 
le  point  de  se  mettre  en  route  pour  Montréal,  lorsqu'un 
exprès  du  chevalier  Andros,  qui  avait  remplacé  le 
colonel  DuNGAN  à  New  York,  arriva  à  Onnontagué, 
et  défendit  aux  Ii'oquois  de  traiter  avec  les  Français 
sans  la  participation  de  son  maître.  Le  nouveau  gou- 
verneur anglais  écrivit,  en  même  temps,  à  M.  de 
Denonville,  qu'il  ne  devait  pas  se  flatter  de  faire  la 
paix  avec  les  cantons  iroquois  à  d'autres  conditions  que 
celles  qui  avaient  été  proposées  par  son  prédécesseur  : 
qu'au  reste,  il  était  disposé  à  bien  vivre  avec  lui,  et 
qu'il  avait  interdit  aux  Anglais  de  sa  dépendance  toute 
hostilité  sur  les  terres  possédées  par  la  couronne  de 
France. 

Cette  déclaration  du  chevalier  Andros,  par  rapport 
aux  Iroquois,  jetta  d'abord  la  consternation  dans  tout 
le  Canada.  Le  sentiment  de  la  crainte,  celui  même  du 
désespoir,  y  devaient  être  tout  naturels,  vu  le  peu  de 
secours  qu'on  recevait  de  France,  et  le  peu  de  ^esources 
qu'offrait  la  colonie.     Les  inquiétudes  et  les  appréhen- 

*  Si  l'historien  comtemporain  n'a  ni  exagéré,  ni  défiguré  les 
faits  qu'il  rapporte,  il  doit  paraître  un  peu  singulier  que  Kondia- 
ronk  n'ait  pas  été  plus  mal  vu  des  Français,  après  leur  avoir  joué 
une  aussi  mauvaise  pièce,  et  que  la  Durantate  n'ait  pas  été 
blâmé,  sinon  puni,  d'avoir  fuit  fusiller  un  prisonnier  de  guerre. 


DU   CANADA.  193 

sions  auxquelles  elle  était  continuellement  en  proie  ; 
les  incursions  si  fréquentes  des  Iroquois,  ne  permet- 
taient pas  à  cette  colonie  de  faire  des  progrès  rapides 
du  côté  des  richesses  et  de  la  population.  Le  commerce 
des  pelleteries  était  partagé  avec  les  Anglais  ;  les 
pêcheries  du  golfe  et  des  parages  adjacents  étaient  pres- 
que entièrement  négligées;  et  à  l'exception  du  sieur 
RiVERiN,  qui  établit,  sur  un  grand  plan,  des  pêches 
sédentaires  dans  le  fleuve  Saint-Laurent,  particulière- 
ment aux  environs  de  Matane,  les  Canadiens  et  les 
Français  établis  en  Canada,  étaient  généralement  peu 
entreprenants.  Ce  qu'ils  entendaient  le  mieux,  c'était 
le  maniement  des  armes,  auquel  le  gouvernement  les 
accoutumait,  et  la  traite  des  pelleteries  avec  les  Sau- 
vages ;  mais  c'était  là  précisément  ce  qui  nuisait  le  plus 
au  progi'ès  de  la  population,  de  l'agriculture  et  de  l'in- 
dustrie. D'après  le  recensement  de  cette  année  1688, 
la  population  française  du  Canada  n'était  que  de  1 1,249 
individus,  ou  d'un  peu  plus  de  12,000,  en  y  comprenant 
le  gouvernement  de  l'Acadie. 

Néanmoins,  l'indignation  et  la  honte  de  voir  une 
poignée  de  Sauvages  tenir  en  échec  tout  un  grand  pays, 
ayant  bientôt  succédé  à  la  crainte,  on  forma  un  dessein 
qui  aurait  pu  passer  pour  hardi,  quand  même  l'état  de 
la  Nouvelle  France  aurait  été  aussi  florissant  qu'il  était 
déplorable  :  ce  fut  de  conquérir  la  Nouvelle  York.  M. 
de  Callières  en  ayant  communiqué  le  px'ojet  au  gouver- 
neur généi-al,  passa  en  France,  pour  le  proposer  à  la 
cour,  comme  le  seul  moyen  de  prévenir  l'entière  des- 
truction de  la  colonie  française  du  Canada. 

On  passa  assez  tranquillement  l'hiver  et  une  partie 
de  l'été  de  1689;  mais  le  25  août,  1500  Iroquois  des- 
cendirent, de  nuit,  dans  l'île  de  Mont-réal,  à  l'endroit 
appelle  La  Chine.  Trouvant  tout  le  monde  endormi,  ils 
u 


194  HISTOIRE 

se  mirent  d'abord  à  enfoncer  les  portes,  et  ensuite  à 
brûler  les  maisons,  et  commencèrent  un  massacre  géné- 
ral des  hommes,  des  femmes  et  des  enfans,  faisant 
souffi-ir  à  ceux  qui  tombaient  entre  leurs  mains  tous  les 
tourmens  que  la  fureur  pouvait  leur  faire  imaginer. 
En  moins  d'une  heure,  ils  firent  périr,  dans  les  plus 
horribles  supplices,  plus  de  deux  cents  personnes  de 
tout  sexe  et  de  tout  âge,  et  après  cette  terrible  bouche- 
rie, ils  s'avancèrent  jusqu'à  une  lieue  de  Mont-réal, 
faisant  partout  les  mêmes  ravages,  et  exerçant  les  mêmes 
cruautés. 

Au  premier  bruit  de  ce  tragique  événement,  M.  de 
DenonviUe,  qui  se  trouvait  à  Mont-réal,  donna  ordre  à 
un  lieutenant  de  troupes  de  se  jetter  dans  un  fort  dont 
il  craignait  que  l'ennemi  ne  se  rendit  maître.  A  peine 
cet  officier  y  était-il  entré,  qu'il  se  vit  investi  par  un 
gros  d'Iroquois,  contre  lesquels  il  se  défendit  longtems 
avec  courage  ;  mais  tous  ses  gens  ayant  été  tués,  et  lui- 
même  étant  blessé  grièvement,  les  assaiUans  entrèrent 
dans  son  fort,  et  le  firent  prisonnier.  Alors  toute  l'ile 
demeura  en  proie  aux  vainquem-s,  qui  en  parcoururent 
la  plus  grande  partie,  laissant  partout  des  traces  san- 
glantes de  leur  fureur  ;  et  quand  ils  furent  las  de  ces 
horreurs,  ils  firent  deux  cents  prisonniers,  qu'ils  emme- 
nèrent dans  leurs  villages,  où  ils  les  brûlèrent,  ou  les 
firent  esclaves.* 
L'ile  de  ISIont-réal  ne  fut  entièrement  délivrée  de  la  pré- 
sence de  ces  féroces  ennemis  que  vers  la  mi-octobre. 
Alors,  comme  on  n'entendait  plus  parler  de  rien,  M.  de 
DenonviUe  envoya  les  sieurs  Duluth  et  de  JNIantet, 
bien  accompagnés,  dans  le  lac  des  Deux  Montagnes, 

*  Au  nombre  des  prisonniers  furent  M.  de  La  Eobetre,  le 
lieutenant  dont  il  vient  d'être  parlé,  et  MM.  Satst-Pierre- 
Dekis,  de  La  Plaxte,  et  Villede>'e',  autres  officiers  des  troupes. 


DU    CANADA.  195 

pour  s'assurer  si  la  retraite  des  Iroquois  était  véritable, 
ou  seulement  simulée.  Ces  officiers  rencontrèrent, 
dans  deux  canots,  vingt-deux  Iroquois,  qui  vinrent 
les  attaquer  avec  beaucoup  de  résolution.  Ils  essuyè- 
rent leur  première  décharge,  sans  tirer  ;  après  quoi,  ils 
les  abordèrent,  et  en  tuèrent  dix-huit.  Des  quatre  qui 
restaient,  un  se  sauva  à  la  nage,  mais  les  autres  furent 
pris,  et  livrés  au  feu  des  Sauvages  alliés. 

Le  plan  de  conquête  proposé  par  le  chevalier  de 
Callières,  fut  approuvé  du  roi  et  du  ministre  des  colonies  ; 
mais  ce  ne  fut  pas  le  marquis  de  Denonville  qui  fut 
chargé  de  le  mettre  à  exécution  :  par  une  lettre  datée 
du  31  mai  1689,  le  roi  lui  mandait  que  la  guerre 
s'étant  rallumée  en  Europe,  il  avait  pris  la  résolution 
de  le  rappeller,  pour  lui  donner  de  l'emploi  dans  ses 
armées.  Le  véi'itable  motif  de  ce  rappel  était  de  mettre 
à  la  tête  de  la  colonie  du  Canada  un  homme  d'un  carac- 
tère ferme,  d'une  grande  expérience  dans  la  guerre,  qui 
connût  le  pays,  et  qui  sût  manier  l'esprit  des  .Sauvages  ; 
et  tout  cela  se  rencontrait  dans  le  comte  de  Frontexac. 
Si  l'on  n'avait  pas  oublié  ses  fautes,  ou  ses  brouilleries 
avec  les  autres  autorités  du  pays,  on  avait  lieu  d'espérer 
que  les  chagrins  qu'elles  lui  avaient  causés  le  mettraient 
sur  ses  gardes,  et  le  porteraient  à  se  conduire  avec  plus 
de  modération  et  de  prudence  qu'il  n'avait  fait  pendant 
sa  première  administration. 

Dans  les  instructions  qui  lui  furent  données,  et  qui 
étaient  datées  du  7  juin,  le  roi,  après  lui  avoir  parlé  de 
la  Baie  d'IIudson  et  de  l'Acadie,  en  venait  à  la  con- 
quête projettée  :  pour  l'effectuer,  sa  majesté  faisait 
armer  deux  de  ses  vaisseaux,  dans  le  port  de  Rochefort, 
et  les  mettait  sous  le  commandement  du  sieur  de  la 
Caffinieuk.  Le  comte  de  Frontenac  devait  s'embar- 
quer sur  un  de  ces  vaisseaux,  avec   le   chevalier  de 


196  HISTOIRE 

Callières,  pour  se  rendre  d'abord  à  l'eutrée  du  golfe 
de  Saint-Laurent,  puis  à  Campeeau  ou  à  Cliédabouctou, 
et  de  là  s'embarquer  pour  Québec,  sur  un  des  vaisseaux 
marchands  qui  l'auraient  suivi,  après  avoir  laissé  à  M. 
de  La  Catfinière  l'ordre  de  se  rendre  dans  la  rade  de 
JN^ew-York,  et  de  se  saisir  de  tous  les  vaiseeaux  qu'il  y 
rencontrerait.  Il  devait  envoyer  devant  lui  à  Québec, 
s'il  était  possible,  le  chevalier  de  Callières,  afin  d'y  hâter 
les  préparatifs  de  l'expédition  ;  et  comme  dans  cette 
entreprise,  il  aurait  avec  lui,  à  peu  près,  toutes  les  forces 
disponibles  du  Canada,  il  devait,  avant  son  départ,  se 
concerter  avec  M.  de  Denouville,  sur  les  mesures  à 
prendre  contre  les  incursions  des  Iroquois,  et  donner 
ses  ordres  au  chevalier  de  Vaudreuil,  qui  devait  com- 
mander dans  le  pays,  pendant  l'expédition,  après  le 
départ  du  marquis  de  Denonville.  La  Nouvelle  York 
conquise,  M.  de  Frontenac  y  devait  laisser  les  Anglais 
catholiques  qui  voudraient  y  demeurer  ;  disti'ibuer  aux 
Français  qu'il  y  établirait  les  gens  de  service,  ou  les 
esclaves,  dont  ils  auraient  besoin  ;  faire  prisonniers  les 
officiers  et  les  principaux  habitans,  et  envoyer  tout  le 
reste,  hommes  et  femmes,  dans  la  Nouvelle  Angleterre 
ou  dans  la  Pensylvauie.  Le  chevalier  de  Callières 
devait  avoir  le  gouvernement  de  la  province  conquise, 
sous  la  dépendance  du  gouverneur  de  la  Nouvelle 
France.  Enfin,  pour  ôter  aux  autres  colonies  anglaises 
la  facilité  de  faire  aucune  entreprise  par  terre  contre 
le  Canada,  le  comte  de  Frontenac  avait  ordre  de  détruire 
toutes  les  habitations  voisines  de  New-York,  et  de 
mettre  toutes  les  autres  sous  contribution. 

Ce  plan,  qui  serait  réprouvé  de  nos  jours,  comme 
entraînant,  dans  sa  réussite,  des  injustices  criantes,  pour 
ne  pas  dire  des  atrocités,  mais  qui  était  en  harmonie 
avec  les  idées  de  l'époque,  ou  celles  de  Louis  XIV  et 


DU   CANADA.  197 

de  son  ministre  Louvois,  sur  les  droits  de  la  guerre  ; 
ce  plan,  disons-nous,  était  plus  facile  à  concevoir  qu'à 
exécuter.  "  Il  dépendait,  dit  Charlevoix,  du  concours 
de  deux  choses  sur  lesquelles  on  ne  peut  jamais  compter 
sûrement,  à  savoir,  des  vents  favorables,  et  une  diligence 
égale  dans  ceux  qui  étaient  chargés  de  travailler  aux 
préparatifs."  Le  manque  de  ce  concours  le  fit  échouer 
complètement.  Les  vaisseaux  ne  furent  prêts  que  fort 
tard  ;  ils  furent  séparés  par  des  brumes,  sur  les  bancs  de 
Terre-Neuve,  et  ne  furent  réunis  à  Chédabouctou, 
que  le  18  septembre.  M.  de  Frontenac  en  repartit,  le 
lendemain,  avec  tous  ceux  qui  étaient  destinés  pour 
Québec,  après  avoir  laissé  à  La  Caffinière  des  instruc- 
tions qui  prouvaient  que,  s'il  ne  renonçait  pas  encore 
tout-à-fait  à  l'expédition  de  la  Nouvelle  York,  il  ne 
comptait  pas  beaucoup  sur  la  réussite.  Il  apprit,  le 
25,  à  YIIc  Percée,  l'irruption  des  L'oquois  dans  l'Ile 
de  Mont-réal.  Il  an-iva  à  Québec  le  12  octobre,  avec 
le  chevalier  de  Callièrcs.  Ils  en  repartii'ent,  le  20,  et 
arrivèrent  à  Montréal,  le  27. 

Le  comte  de  Frontenac  n'apprit  pas  sans  un  profond 
regi'et  que  le  fort  de  Catai'ocouy  était,  en  toute  probabi- 
lité, évacué  et  ruiné.  Son  prédécesseur  avait  envoyé 
à  M.  DE  Valrennes,  qui  y  commandait,  l'ordre  d'aban- 
donner ce  poste,  après  en  avoir  fait  sauter  les  fortifica- 
tions, et  détruit  tout  ce  qu'il  ne  pourrait  pas  emporter, 
dans  le  cas  oi^i  il  ne  lui  arriverait  pas  de  convoi  avant 
le  mois  de  décembre.  M.  de  Frontenac  fit  aussitôt 
équipper  vingt-cinq  canots,  et  leur  donna  pour  escorte 
un  détachement  de  troupes  et  trois  cents  Canadiens  ou 
Sauvages.  Mais  son  convoi  ne  put  être  prêt  que  le  6 
novembre,  et  l'ayant  conduit  lui-même  jusqu'à  La  Chine, 
il  n'y  avait  pas  deux  heures  qu'il  était  de  retour  à 
Mont-réal,  lorsqu'il  y  vit  arriver  Valrcunes,  avec  sa 
garnison  réduite  à  vingt-cinq  hommes.  k  2 


198  HISTOIRE 

A  peu  près  dans  le  même  temps  que  les  Iroquois 
ravageaient  l'île  de  Mont-réal,  les  Sauvages  de  l'Acadie 
en  faisaient  autant  sur  les  frontières  de  la  Nouvelle 
Angleterre.  Us  surprirent  quelques  petits  forts,  que 
les  Anglais  avaient  dans  le  voisinage  du  Kennebec, 
y  tuèrent  environ  deux  cents  personnes,  probablement 
aussi  de  tout  âge  et  de  tout  sexe,  et  en  rapportèrent 
un  riche  butin. 

Cette  expédition  cruelle  fut  suivie  de  quelques  autres 
qui  ne  le  furent  pas  moins,  bien  qu'elles  fussent  dirigées 
par  des  Français.  Le  comte  de  Frontenac,  hors  d'état 
d'exécuter  le  dessein  formé  à  la  cour  de  France,  de 
conquérir  la  Nouvelle  York,  crut  qu'il  convenait  de 
donner  du  moins  de  l'occupation  aux  habitans  de  cette 
province,  dans  leurs  propres  foyers.  Il  leva  donc  trois 
partis  de  guerre  pour  entrer,  par  trois  endroits  diffé- 
rents, dans  le  pays  ennemi.  Le  premier  (celui  de 
Mont-réal),  se  composait  de  cent-dix  hommes.  Français 
et  Sauvages,  et  eut  pour  commandans  MM.  de  Mantet 
et  Sainte-Hélène,  auxquels  se  joignirent,  comme 
volontaires,  MM.  de  Repentigkt,  d'Iberville,  de  Bon- 
repos  et  DE  MoNTiGNY.  H  sc  dirigea  du  côté  d'Orange, 
ou  Albany,  et  arriva,  dans  la  nuit  du  7  au  8  février 
1690,  à  la  vue  du  bourg  de  Skenectady  (le  même  que 
Charlevoix  appelle  Corlar).  H  y  entra  sans  que  les 
habitans  s'en  apperçussent.  Ayant  fait  le  cri  de  guerre, 
à  la  manière  des  Sauvages,  chacun  donna  de  son  côté- 
On  ne  trouva  guère  de  résistance  qu'à  une  espèce  de 
fort,  dont  la  garnison  fit  d'abord  un  feu  assez  vif  sur  les 
assaiUans  :  mais  la  porte  de  ce  fort  ayant  été  enfoncée, 
tous  ceux  qui  le  défendaient  furent  passés  au  fil  de 
l'épée.  Une  maison,  où  l'on  éprouva  aussi  de  la  résis- 
tance, fut  enfoncée,  et  pas  un  de  ceux  qui  s'y  étaient 
enfermés  ne  fut  épargné.  "  Bientôt,  comme  s'exprime 
Charlevoix,  ce  ne  fut  plus  que  massacre  et  pillage  dans 


DU    CANADA.  199 

le  bourg  :"  le  ministre  du  lieu,  et  un  nombre  de  femmes 
et  d'enfans  périrent  dans  cette  boucherie.  Le  com- 
mandant de  la  place,  qui  s'était  retiré  de  l'autre  côté  de 
la  rivière,  avec  des  soldats  et  des  Sauvages,  mit  bas  les 
armes,  le  lendemain.  Toutes  les  maisons  du  bourg 
furent  brûlées.  Enfin,  on  épargna  une  soixantaine  de 
femmes  et  d'enfans,  qui  avaient  échappé  à  la  première 
furie  des  assaillans. 

Après  un  si  terrible  exploit,  on  crut  devoir  reprendre 
promptement  le  chemin  du  Canada  ;  mais  bientôt,  les 
vivres  venant  à  manquer,  on  fut  conti'aint  de  se  sépa- 
rer. On  fut  attaqué  dans  la  retraite,  et  l'on  perdit  une 
vingtaine  d'hommes.  Il  n'y  en  avait  eu  que  deux  de 
tués,  et  un  (Montigny)  de  blessé,  à  l'attaque  de  Ske- 
nectady. 

Le  second  parti  ne  se  composait  que  de  cinquante- 
deux  hommes.  Il  était  commandé  par  le  sieur  Hertel, 
accompagné  de  trois  fils  et  de  deux  neveux,  les  sieurs 
Gatineau  et  Crevier  de  Saint-François.  Il  partit 
des  Trois-Rivières,  le  28  janvier,  et  arriva,  le  27  mars, 
près  d'une  bourgade  appellée  Sementels.  Hertel  par- 
tagea sa  troupe  en  trois  bandes  :  la  première  eut  ordre 
d'attaquer  une  grande  maison  fortifiée  ;  et  la  seconde, 
de  se  saisir  d'un  fort  de  pieux  à  quatre  bastions,  tandis 
qu'avec  la  troisième,  il  attaquerait  un  fort  plus  grand, 
où  il  y  avait  du  canon.  Tout  cela  fut  exécuté  avec 
autant  d'habileté  que  de  bravoure.  Les  Anglais  paru- 
rent d'abord  vouloir  se  défendre  ;  mais  ils  ne  soutinrent 
pas  le  premier  feu  des  assaillans  :  les  plus  braves  furent 
tués,  et  les  autres,  au  nombre  de  cinquante-quatre,  se 
rendirent  prisonniers  de  guerre.  On  mit  le  feu  aux 
maisons,  ainsi  qu'aux  étables,  où  il  périt  plus  de  deux 
mille  pièces  de  bétail. 

Sementels  n'était  éloigné  que  de  quelques  lieues  d'une 


200  msTOiRE 

autre  grosse  bourgade,  d'où  il  pouvait  sortir  assez  de 
monde  pour  envelopper  Hertel,  et  lui  couper  la  retraite. 
En  effet,  dès  le  soir  même,  deux  cents  hommes  s'avan- 
cèrent pour  l'attaquer.  D  se  mit  en  bataille,  sur  le 
bord  d'une  rivière  où  il  y  avait  un  pont  dont  il  fit  occu- 
per la  tête,  et  les  Anglais  s'étant  présentés  pour  le 
passer,  il  les  laissa  avancer,  sans  tirer  un  seul  coup  ; 
puis  fondant  sur  eux,  l'épée  à  la  main,  il  en  tua  ou 
blessa  dix-huit,  et  obligea  le  reste  à  lui  céder  le  champ 
de  bataille,  n'ayant  eu,  de  son  côté,  que  deux  hommes 
de  tués,  et  un  de  blessé. 

Après  cet  exploit,  M.  Hertel  se  joignit  au  troisième 
parti,  qui  se  composait  de  quelques  Canadiens  et  de 
soixante  Abénaquis  du  Sault  de  la  Chaudière*  et  était 
commandé  par  le  lieutenant  de  Portneuf.  Il  était  parti 
de  Québec,  le  même  jour  que  M.  Hertel  avait  laissé  les 
Trois-Rivières,  et  il  arriva,  avec  son  renfort,  vers  la 
mi-mai,  sur  les  bords  du  Kennebec,  où  il  fut  joint  par 
d'autres  Sauvages.  Le  25,  il  s'approcha  du  fort  de 
Kaskohay,  bâti  sur  le  bord  de  la  mer,  et  défendu  par 
plus  de  cent  hommes  et  huit  pièces  de  canon.  Les 
Français  s'étant  annoncés  par  des  cris  de  guerre, 
cinquante  hommes  de  la  garnison  sortirent  pour  les 
repousser  ;  mais  ils  furent  tous  tués,  à  l'exception  de 
quatre  ou  cinq,  qui  rentrèrent  blessés  dans  la  place.  Sur 
le  soii',  Portneuf  envoya  sommer  le  commandant  de  se 
rendre  ;  mais  celui-ci  ayant  répondu  qu'il  était  déter- 
miné à  se  défendre  jusqu'à  la  mort,  il  fut  résolu  qu'on 
assiégerait  le  fort.     Malgré  le  peu   d'expéi'ïence  des 

*  Ou  de  la  rivière  Chaudière,  qui  se  décharge  dans  le  Saint- 
Laurent,  à  un  peu  moins  de  deux  lieues  au-dessus  de  Québec,  du 
côté  du  sud.  Au  Sault  qu'elle  forme,  à  environ  une  lieue  de  son 
embouchure  "  ses  eaux  tombent  de  la  hauteur  de  quatre-vingts 
pieds,"  suivant  le  Nouvel  Abrégé  de  Géograyhie,  et  "la  hauteur 
d'où  elles  tombent  est  d'environ  130  pieds,"  selon  M.  Bouchette. 


DU   CANADA.  201 

Canadiens  et  des  Sauvages  dans  cette  manière  d'attaque, 
les  assiégés  se  trouvèrent  tellement  pressés,  que  dès  le 
28,  ils  demandèrent  à  parlementer.  N'ayant  pas  voulu, 
ce  jour-là,  livrer  le  fort  avec  les  vivres  et  les  munitions 
qu'il  contenait,  ils  furent  contraints,  le  lendemain,  de  se 
rendre  prisonniers  de  guerre. 

M.  de  Portneuf  fit  enlever  les  canons  du  fort,  y  prit 
tout  ce  ({u'il  y  trouva  à  sa  bienséance,  et  y  fit  mettre  le 
feu.  Après  quoi,  il  fit  aussi  réduire  en  cendres  toutes 
les  maisons,  à  deux  lieues  à  la  ronde.  Les  plus  mar- 
quants des  prisonniers  furent  conduits  à  Québec  :  les 
autres  demeurèrent  entre  les  mains  des  Sauvages. 

Ces  expéditions,  loin  d'intimider,  ou  d'occuper  unique- 
ment chez  eux,  les  habitans  de  la  Nouvelle  Angleterre 
et  de  la  Nouvelle  York,  les  portèrent  à  faire  des  efforts 
vigoureux  pour  s'en  délivrer,  d'un  coup,  en  chassant 
les  Français  du  Canada.  Ils  commencèrent  par  l'Acadie. 
A  peine  Kaskobay  s'était  rendu  aux  Français,  que 
quatre  vaisseaux  anglais  parurent  à  la  vue  de  ce  fort  ; 
le  chevalier  Phipps,  commandant  de  cette  escadre, 
venait,  avec  des  troupes,  comme  on  l'apprit  ensuite,  pour 
secourir  la  place  ;  mais  n'y  ayant  vu  ni  pavillons  ni 
signaux,  il  revira  de  bord,  et  se  dirigea  vers  le  Port 
Royal,  oii  commandait  M.  de  Manneval,  frère  de  Port- 
neuf,  et  s'en  rendit  maître,  après  une  faible  résistance. 
Il  s'empara  ensuite  de  La  Ilève,  de  Chédabouctou,  de 
Percé,  eu  un  mot,  de  presque  tous  les  postes  que  les 
Français  possédaient  en  Aeadie  ;  retenant  prisonniers 
les  commandans  et  les  officiers  du  gouvernement  qui 
tombaient  entre  ses  mains,  et  livrant,  en  plusieurs  en- 
droits, les  habitations  aux  pillage.* 

*En  livrant,  comme  il  fit,  les  maisons  do  Port-Iîoyal  au  pillage» 
et  en  retenant  prisonniers  M.  de  Manmcvai.  et  sa  garnison, 
Phipps  violait  ouvertemeut,  suivant  Charlevoix,  la  capitulation 


202  HISTOIRE 

Le  comte  de  Frontenac  était  revenu  en  Amérique 
persuadé  qu'après  la  conquête  de  la  Nouvelle  York,  ce 
qu'il  pouvait  faire  de  plus  avantageux  pour  la  colonie 
dont  il  reprenait  le  gouvernement,  c'était  de  regagner 
les  Iroquois  ;  et  il  se  flattait  d'y  réussir  au  moyen  des 
chefs  de  cette  nation  qu'il  avait  ramenés  de  France, 
et  surtout  d'OuREOUHARE',*  le  plus  apparent  d'entre 
eux,  dont  il  s'était  acquis  l'estime  et  l'amitié.  H  l'avait 
amené,  avec  lui  à  Mont-réal,  et  par  son  conseil,  il 
avq.it  renvoyé  aux  Cantons  quatre  des  compagnons  de 
sa  captivité,  avec  GAGXiEGATON,f  (qui  avait  été  député 
vers  M.  de  Denon ville,)  pour  les  avertir  du  retour  de 
de  tous  leurs  chefs,  et  leur  dire,  de  la  part  d'Ouréou- 
haré,  qu'ils  trouveraient  dans  le  gouverneur  général 
beaucoup  d'estime  et  de  tendresse,  comme  par  le  passé, 
et  que  pour  lui,  il  ne  retournerait  dans  son  pays  que 
quand  on  serait  venu  le  redemander  à  Oxoxthio. 

A  l'an-ivée  de  ces  députés,  les  Cantons  s'assemblè- 
rent, et  ils  envoyèrent  leurréponse  par  le  même  Gagnié- 
gaton.     Il  ai'riva  à  Mont-réal,  le  9  mars  1690;  mais 

qu'il  avait  accordée.  Il  en  usa  plus  honnêtement,  ou  plus  géné- 
reusement envers  le  brave  de  Moxtorgueil  et  sa  petite  garnison. 
Cet  officier  n'avait  que  quatorze  hommes  dans  le  fort  de  Chéda- 
bouctou.  En  ayant  fait  approcher  quatre-vingts  de  la  place, 
Phipps  somma  ilontorgeuil  de  la  lui  remettre,  et  sur  son  refus,  il 
l'attaqua  avec  vigueur,  mais  il  fut  repoussé  de  même.  L'Anglais 
eut  recours  aux  fiisées,  qui  mirent  le  feu  à  un  endroit  couvert  de 
paille,  et  bientôt  l'incendie  gagna  partout.  Alors  ilontorgueil 
crut  pouvoir  capituler  ;  "  mais  il  le  fit,  dit  Charlevoix,  avec  tant 
de  hauteur,  et  témoigna  une  si  grande  résolution  de  faire  payer 
bien  cher  aux  Anglais  leur  faible  victoire,  s'ils  ne  lui  accordaient 
des  conditions  honorables,  qu'il  obtint  tout  ce  qu'il  voulut."  H 
sortit  à  la  tète  de  sa  garnison,  avec  armes  et  bagages,  et  fut  trans- 
porté à  Plaisance,  en  Terre-Xeuve. 

*I1  est  appelle  Tawer.uiet  dans  VIndian  Biographj  de  M. 
Thatcher, 

f  Les  Anglais  le  nomment  S.ujeka>"atie,  Les  deux  orthogra- 
phes figurées  ne  se  ressemblent  guère,  et  probablement  ni  l'une  ni 
l'autre  ne  donnent  le  vrai  nom  de  ce  chef. 


DU  CANADA.  203 

il  n'y  trouva  ni  M.  de  Frontenac,  ni  Ouréouharé,  qui 
étaient  retournés  à  Québec  ;  et  M.  de  Callières  ne  put 
rien  tirer  de  lui,  d'abord,  non  plus  que  de  ceux  qui  l'ac- 
compagnaient. A  la  fin  pourtant,  ils  se  laissèrent  gagner 
par  les  bonnes  manières  du  gouverneur  de  Mont-réal, 
et  lui  présentèrent  six  colliers.  Le  premier  marquait 
le  sujet  de  leur  retardement,  causé,  disaient-ils,  par 
l'arrivée  de  députés  outaouais  dans  le  canton  de  Tson- 
nonthouan.  Gagniégaton,  en  expliquant  ce  collier,  dit 
que  c'était  ainsi  qu'il  fallait  faire  les  choses,  quand  on 
voulait  traiter  de  la  paix  ;  voulant  donner  à  entendre 
que  !e  ^^iverneur  général  aurait  dû  se  rendre  en  per- 
sonne à  Onnontagué,  ou  en  quelque  autre  endroit,  dont 
on  serait  convenu,  pour  y  parler  d'accommodement. 

Le  second  collier  témoignait  la  joie  qu'avaient  eue  les 
habitans  d'Orange  du  retour  d'Ouréouliaré  et  des  autres 
chefs  ;  ce  qui  marquait  la  bonne  intelligence  qui  régnait 
entre  la  Nouvelle  York  et  les  cantons  iroquois.  Par 
le  troisième,  le  canton  d'Onnontagué  demandait,  au  nom 
de  tous  les  autres,  le  prompt  retour  de  tous  les  Iroquois 
revenus  de  France,  afin  qu'on  p\jt  prendre,  avec  eux,  les 
mesures  qui  convenaient  à  la  situation  des  affaires. 
L'orateur  ajouta  qu'on  avait  réuni,  dans  le  canton  d'On- 
nontagué, tous  les  prisonniers  français  faits  par  les  iro- 
quois, et  qu'on  n'en  disposerait  que  sur  le  rapport  et 
de  l'avis  d'Ouréouharé.  Le  quatrième  et  le  cinquième 
parlaient  de  la  trahison  de  Catarocouy,  et  des  ravages 
faits  chez  les  Tsonnonthouans,  et  disaient  que  quand  le 
mal  aurait  été  réparé,  et  que  les  chemins  seraient  libres 
et  sûrs,  Téganissoré  irait  traiter  de  la  paix  avec  Onon- 
THio.  Par  le  sixième,  Gagniégaton  donnait  avis,  qu'à  la 
fonte  des  neiges,  un  parti  d'Iroquois  devait  se  mettre  en 
campagne  ;  mais  que  s'il  faisait  des  prisonniers,  on  aurait 
soin  qu'ils  fussent  bien  traités.     "Usez-en  de  même. 


204  HISTOIEE 

continua-t-il,  si  vous  prenez  quelques-uns  des  nôtres. 
J'avais  huit  prisonniers  de  la  défaite  de  La  Chine  ;  j'en 
ai  mangé  quatre  ;  j'ai  donné  la  vie  aux  autres.  Vous 
avez  été  plus  cruels  que  moi  :  car  vous  avez  fusillé  douze 
Tsonnonthouans  :  vous  auriez  bien  dû  en  épargner  au 
moins  un  ou  deux  :  c'est  par  représailles  que  j'ai  mangé 
quatre  des  vôtres." 

M.  de  Callières  envoya  les  députés  iroquois  au  comte 
de  Frontenac  ;  mais  ce  général  refusa  de  leur  donner 
audience,  par  la  raison  qu'ils  avaient  à  leur  tête  un 
homme  dont  l'insolence  l'avait  choqué.  H  reçut  pour- 
tant assez  bien  ceux  de  sa  suite  ;  mais  il  ne  voul^f  traiter 
avec  eux  que  par  l'entremise  d'Ouréouharé,  qui  parut 
même  toujours  agir  en  son  propre  nom. 

Le  gouverneur  général  fit  pai"tir  le  chevalier  d'Eac, 
capitaine  réformé,  avec  les  députés  iroquois.  Il  jugeait 
à  propos  d'envoyer  cet  officier  à  Onnontagué,  pour 
tâcher  de  gagner  ce  canton,  en  lui  témoignant  une  con- 
fiance particulière,  et  pour  être  mieux  instruit  de  ce  qui 
s'y  passait.  H  savait  qu'il  pouvait  compter  sur  Garakon- 
thié  et  sur  Téganissoré,  amis  déclarés  des  Français  ; 
mais  les  négociations  entre  les  Outaouais  et  les  L-oquois, 
dont  Gagniégaton  avait  parlé  au  gouverneur  de  Mont- 
réal, lui  paraissaient  un  contretems  fâcheux,  dans  les 
circonstances  où  se  trouvait  la  colonie  ;  d'autant  plus  que 
c'étaient  ces  circonstances  mêmes  qui  avaient  amené  ces 
négociations,  et  qu'elles  pouvaient  être  d'un  dangereux 
exemple  pour  les  autres  alliés  des  Français.  Le  peu 
de  fruit  que  M.  de  Denonville  avait  retiré  de  sou  expé- 
dition contre  les  Tsonnonthouans  ;  l'abandon  du  fort  de 
Niagara  ;*  les  in'uptions  fréquentes  des  Iroquois  dans  la 

*  Déjà  plusieurs  fois  le  nom  de  Xiagara  a  retenti  aux  oreilles 
de  nos  lecteurs,  et  nous  ne  leur  avons  encore  rien  dit  de  la  mer- 
veille naturelle  dont  ce  nom  rappelle  l'idée.     C'est  dans  Lahontan 


DU   CANADA.  205 

colonie  ;  les  démarches  peu  honorables  qu'on  avait  faites 
pour  obtenir  la  paix  de  ces  Sauvages  ;  les  hauteurs 
qu'on  en  souffrait,  depuis  longtems,  et  l'inaction  où 
l'on  demeurait,  malgré  leurs  nouvelles  hostilités,  avaient 
enfin  fait  faire  aux  Outaouais  des  démarches  directes 
pour  se  reconcilier  avec  une  nation  dont  ils  avaient  peu 
à  espérer,  il  est  vrai,  mais  beaucoup  à  craindre.  Ils 
avaient  renvoyé  aux  Tsonnonthouans  tous  les  prison- 
niers qu'ils  avaient  faits  sur  eux,  et  étaient  convenus 
d'un  rendez-vous  pour  le  mois  de  juin  suivant. 

M.  de  Frontenac,  qui  avait  été  informé  des  démarches 
des  Outaouais,  avant  même  l'arrivée  de  Gagniégaton  à 
Mont-réal,  par  une  lettre  du  P.  Carheil,  prépara  un 
grand  convoi  pour  Michillimakinac,  sous  la  conduite  du 
sieur  de  Louvigny,  capitaine  réformé,  qui  devait  rem- 
placer La  Durantaye,  dans  le  commandement.  Il  était 
accompagné  de  Nicholas  Perrot,  chargé  des  présens  du 
gouverneur  pour  les  Sauvages  septentrionaux  ;  de  cent 
quarante-trois  Français,  et  de  quelques  Sauvages  domi- 
ciUés.  Un  détachement  de  trente  hommes,  commandé 
par  MM.  d'Hosta,  capitaine,  et  de  la  Gemerate, 
lieutenant,  eut  ordre  d'escorter  ce  convoi,  l'espace  de 
trente  lieues. 

que  nous  trouvons  la  première  description  un  peu  détaillée 
et  curieuse  du  "p^rand  Sault  de  Niagara.  Cette  effroyable 
cataracte,  dit  cet  écrivain,  a  sept  à  huit  cents  (environ  cent- 
cinquante)  pieds  de  hauteur,  et  demi-lieue  (beaucoup  moins)  de 
de  nappe  ou  de  largeur.  On  voit  une  île,  vers  le  milieu,  qui 
penche  vers  le  précipice,  comme  si  elle  était  prête  d'y  tomber. 
Tous  les  animaux  qui  traversent  un  demi-quart  de  lieue  au-dessus 
do  cette  île  infortunée,  y  sont  entraînes  par  la  force  des  courans. 
Les  bêtes  et  les  poissons  qui  se  tuent,  en  tombant  de  si  haut, 
^ervent  de  nourriture  à  cinquante  Iroquois,  qui  se  tiennent  ii  deux 
lieuos  de  là,  pour  les  retirer  de  l'eau  avec  leurs  canots.  Ce  qui 
est  remarquable,  c'est  qu'entre  l'eau  qui  forme  la  cascade,  par  uu 
talus  effroyable,  et  le  pied  du  nicher  d'où  elle  se  précipite,  il  y  a 
un  chemin  où  trois  hommes  peuvent  aisément  traverser,  d'un  coté 
à  l'autre,  sans  recevoir  (jue  quelques  gouttes  d'eau." 


206  HISTOIRE 

Ils  partirent  de  Mont-réal,  le  22  mai.  Arrivé  au 
lieu  nommé  les  Chats,  sur  la  Grande-Rivière,  ils  décou- 
vrirent deux  canots  iroquois  ;  MM.  de  Louvigny  et 
d'Hosta,  jugeant  qu'ils  n'étaient  pas  seuls,  envoyèrent 
trente  hommes  par  eau,  et  soixante  par  terre,  pour  enve- 
lopper l'ennemi  de  toutes  parts.  Les  premiers  tombè- 
rent dans  une  ambuscade,  et  essuyèrent  d'aboi'd  un  feu 
meurtrier,  les  Iroquois,  qu'ils  ne  voyaient  point,  les 
choisissant,  et  tirant  sur  eux  à  coups  sûrs.  Aussi  ne 
resta-t-il,  après  la  première  décharge,  dans  le  canot  de 
La  Gemeraye,  qui  avait  voulu  aborder  le  premier,  que 
deux  hommes,  qui  ne  fussent  pas  blessés. 

Louvigny  se  désespérait  de  voir  ainsi  massacrer  ses 
gens,  sans  pouvoir  les  secourir  ;  car  Perrot  à  qui  il  avait 
ordre  d'obéir  pendant  la  route,  ne  voulait  point  lui  per- 
mettre d'avancer,  de  peur  de  risquer  les  présens  dont  il 
était  porteur,  et  avec  eux,  le  succès  de  la  négociation 
dont  il  était  chai'gé.  A  la  fin,  pourtant,  il  se  laissa 
gagner  aux  instances'  de  cet  officier  et  de  M.  d'Hosta. 
Aussitôt,  l'un  et  l'autre  se  mirent  à  la  tête  d'une  soixan- 
taine d'honunes,  et  coururent  sur  l'ennemi  :  la  charge 
fut  si  brusque  et  faite  si  à  propos,  qu'il  y  eut  une  tren- 
taine d'Iroquois  de  tués,  plusieurs  de  blessés,  et  quelques 
uns  de  pris.  Un  des  prisonniers  fut  envoyé  au  comte 
de  Frontenac,  qui  le  remit  à  Ouréouharé  ;  un  autre  fut 
mené  à  ]Michillimakinac,  et  livré  aux  Outaouais,  qui  le 
brûlèrent,  pour  faire  voir  au  nouveau  commandant  qu'ils 
ne  songeaient  plus  à  s'accommoder  avec  les  Iroquois. 
Es  allaient  faire  partir  leurs  députés  pour  mettre  la 
dernière  main  à  un  traité  irrévocable  avec  cette  nation  ; 
mais  ils  changèrent  de  résolution,  lorsqu'ils  virent  arriver 
les  Français  victorieux  de  tous  leurs  ennemis,  (car  ou 
ne  manqua  pas  de  leur  parler  d'abord  des  expéditions 
dans  la  Nouvelle  York,  et  la  Nouvelle   Angleterre), 


DU   CANADA.  207 

chargés  de  marchandises,  et  en  assez  grand  nombre 
pour  les  assurer  eux-mêmes  contre  tout  ce  que  pourraient 
entreprendre  les  Iroquois,  et  qu'ils  eurent  reçu  les  pré- 
sens  dont  Perrot  était  porteur,  et  qu'il  sut  admirable- 
ment bien  leur  faire  Aaloir. 

Ce  changement  avait  lieu  foi*t  à  propos  pour  l'avantage 
de  la  colonie  ;  car  toute  espérance  de  paix  avec  les 
Iroquois  s'était  évanouie.  Ces  barbares  avaient  arrêté 
le  chevalier  d'Eau  et  tous  les  Français  de  sa  suite.  Es 
avaient  fait  plus  :  il  avaient  brûlé  deux  de  ses  gens,  et 
l'avaient  envoyé  lui-même  à  New- York,  pour  convaincre 
les  Anglais  qu'ils  étaient  bien  éloignés  de  vouloir  se 
reconciUer  avec  les  Français.  Dès  que  M.  de  Fronte- 
nac fut  instruit  de  ces  faits,  il  prit  ses  précautions  pour 
21'être  point  surpris  :  afin  de  mettre  en  sûreté  les  quartiers 
les  plus  exposés  aux  incui'sions  des  Ii'oquois,  il  fit  deux 
détachemens  de  ses  meilleures  troupes  :  le  premier, 
destiné  à  protéger  la  côte  du  sud,  depuis  l'île  de  Mont- 
réal jusqu'à  la  rivière  de  Sorel,  fut  mis  sous  les  ordres 
du  chevalier  de  Clekbiont.  Le  second,  qui  devait 
mettre  en  sûreté  le  reste  du  pays,  jusqu'à  la  capitale,  eut 
pour  commandant  le  chevalier  de  L^vmotte.  Ces  pré- 
cautions n'empêchèrent  pas  les  Ii'oquois  de  se  montrer 
en  différents  endroits  du  gouvernement  de  Mont-réal, 
et  d'y  tuer,  ou  d'y  enlever  un  grand  nombre  d'hommes, 
de  femmes  et  d'enfans.  Un  de  leurs  partis,  qui  avait 
enlevé  une  quinzaine  de  personnes,  femmes  et  enfans, 
près  de  la  rivière  de  Békancour,  fut  poursuivi  ;  mais 
tout  ce  qu'on  y  gagna  fut  que  ces  barbares,  pour  fuir 
plus  aisément,  massacrèrent  leurs  prisonniers.  Quelques 
jours  après,  un  autre  parti  d'Iroquois  descendit  dans 
l'île  de  Mont-rcal,  par  la  rivière  des  Prairies.  Un  lieu- 
tenant réformé,  nommé  Colomiîet,  rassembla  vingt- 
cinq  hommes,  et  alla  à  la  rencontre  de  l'ennemi.     Les 


208  HISTOIRE 

Iroquois,  qui  étaient  fort  supérieurs  en  nombre,  char- 
gèrent les  Français  avec  résolution  :  M.  Colombet  resta 
sur  la  place,  avec  quelques  uns  de  ses  gens  ;  mais  les 
barbares  perdirent  vingt-cinq  des  leurs. 

Vers  la  fin  d'août,  on  vit  arriver  à  Mont-réal,  un  con- 
voi de  cent-dix  canots,  conduits  par  plus  de  trois  cents 
Sauvages  des  tribus  du  Nord,  et  portant  pour  cent  mille 
écus  de  pelleteries.  La  joie  qu'on  en  ressentit  fut  bien- 
tôt troublée  par  les  nouvelles  alarmantes  que  l'on  reçut. 
Un  Sauvage  du  Sault  Saint-L@uis,  qui  avait  été  envoyé 
à  la  découverte,  du  côté  d'Orange,  rapporta  qu'il  avait 
apperçu,  sur  les  bords  du  lac  Saint- Sacrement,  une 
armée  entière  occupée  à  faii'e  des  canots.  Quelques 
jours  après,  le  chevalier  de  Clermont,  qui  avait  eu  ordre 
de  remonter  la  rivière  de  Richelieu,  pour  observer  les 
ennemis,  informa  qu'il  en  avait  vu  un  grand  nombre 
sur  le  lac  Champlain,  et  qu'il  en  avait  même  été  pour- 
suivi jusqu'à  Chambly.  Les  signaux  furent  aussitôt 
donnés  pour  assembler  les  milices.  Le  31,  M.  de  Fron- 
tenac passa,  de  grand  matin,  à  la  Prairie  de  la  Made- 
leine, où  il  avait  assigné  le  rendez-vous  général  ;  et 
les  Sauvages  septentrionaux,  qu'il  y  avait  invités,  s'y 
rendirent  tous,  le  soir.  Le  lendemain,  le  général  fit  la 
revue  de  ses  forces,  qui  étaient  de  1200  hommes.  Le 
jour  suivant,  les  éclaireurs  rapportèrent  qu'ils  n'avaient 
rien  vu  :  sur  quoi,  les  milices  furent  licenciées  jusqu'à 
nouvel  ordre.  Deux  jours  après,  un  parti  d'L-oquois 
tomba  sur  un  quartier  nommé  la  Souche,  éloigné  seule- 
ment d'un  quart  de  lieue  de  celui  où  la  petite  armée  de 
M.  de  Frontenac  avait  campé.  Le  même  jour,  c'est-à- 
dire,  le  4  septembre,  le  gouverneur  général  congédia  ses 
alliés  sauvages,  après  leur  avoir  renouvelle  les  recom- 
mandations et  les  promesses  qu'il  leur  avait  faites,  dès 
leur   arrivée,  au  sujet  des   Iroquois.      Peu   de  jours 


DU   CANADA.  209 

après  leur  départ,  les  Iroquois  reparurent  en  plusieurs 
endroits.  Le  chevalier  de  Lamotte  et  M.  Murât,  lieu- 
tenant, furent  attaqués  par  un  parti  plus  nombreux 
que  celui  qu'ils  commandaient  :  ils  le  repoussèrent 
néanmoins  ;  mais  les  Sauvages  étant  revenus  à  la  charge, 
dans  le  temps  que  ces  officiers  les  croyaient  en  fuite,  le 
premier  fut  tué  sur  la  place,  et  le  second  enlevé,  et 
probablement  massacré  ensuite  ;  car  on  ne  put  jamais 
apprendre  ce  qu'il  était  devenu.  A  peu  près  dans  le 
même  temps,  M.  Dksmarais  qui  commandait  à  Châ- 
teauguay,  périt,  dans  une  ambuscadc,  tout  près  de  son 
tort,  avec  deux  de  ses  gens. 

Le  10  Octobre,  M.  de  Frontenac,  étant  encore  à 
Mont-réal,  reçut  de  M.  Peovot,  major  de  place,  qui 
commandait  à  Québec,  en  son  absence,  deux  lettres, 
par  la  première  desquelles,  datée  du  5,  cet  officier  l'in- 
formait qu'il  avait  eu  avis  que  trente  vaisseaux,  qu'on 
croyait  destinés  à  faire  le  siège  de  Québec,  étaient 
partis  de  Boston  ;  et  par  la  seconde,  datée  du  7,  qu'une 
escadre  anglaise  d'environ  trente  voiles,  avait  été 
apperçuc,  à  la  hauteur  de  Tadoussac.  Le  comte  s'em- 
barqua, sur  riieure,  avec  M.  de  Champigny,  dans  un 
petit  bâtiment,  où  ils  pensèrent  périr.  Le  lendemain, 
vers  trois  heures  de  l'après-midi,  une  troisième  lettre  de 
M.  Provot  lui  mandait,  qu'à  l'heure  où  il  écrivait,  la 
flotte  anglaise  pouvait  bien  être  à  l'Ile  aux  Coudres, 
c'est-à-dire  à  quinze  lieues  seulement  de  la  capitale.  11 
envoya  aussitôt  M.  de  Ramsay,  gouverneur  des  Trois- 
Rivières,  au  chevalier  de  Callières,  pour  lui  ordonner 
de  descendre  à  Québec,  avec  toutes  ses  troupes,  à  la 
réserve  de  quelques  compagnies,  qui  devaient  être  lais- 
sées pour  garder  Mont-réal,  et  de  se  fiiire  suivre  de  tous 
les  habitans  qu'il  pourrait  rassembler  dans  sa  route.  11 
marcha  ensuite,  sans  s'arrêter,  jusqu'à  Québec,  où  il 
s2 


210 


HISTOIRE 


arriva,  le  14,  à  10  heures  du  soir,  et  où  il  apprit  que  la 
flotte  ennemie  était  au  pied  de  la  traverse  de  l'île  d'Or- 
léans. 

E  fut  très  satisfait  de  l'état  où  M.  Provot  avait  mis 
la  place.  Cet  officier  y  avait  fait  entrer  un  grand 
nombre  des  habitans  des  environs,  et  quoiqu'il  n'eût  eu 
que  cinq  jours  pour  faire  travailler  aux  fortifications,  il 
n'y  avait  aucun  endroit  faible  dans  la  ville,  auquel  il  n'eût 
pourvu,  de  manière  à  ne  pas.  craindre  un  coup  de  main. 
Le  gouverneur  y  fit  ajouter  quelques  retranchemens, 
et  confirma  l'ordre  que  le  major  avait  donné  aux  com- 
pagnies de  milices  de  Beauport,  de  la  côte  de  Beaupré, 
de  l'ile  d'Orléans  et  de  Lauzon.  qui  couvraient  Québec, 
du  côté  de  la  rade,  de  ne  point  quitter  leur  position, 
qu'elles  n'eussent  vu  l'ennemi  faire  sa  descente,  et  atta- 
quer le  corps  de  la  place. 

M.  DE  LoxGUEiL,  fils  aine  de  M.  Lemoyne,  était 
parti,  avec  une  troupe  de  Sauvages,  pour  examiner  les 
mouvemens  de  la  flotte  anglaise.  Toutes  les  côte? 
avancées  du  bas  du  fleuve  étaient  garnies  d'habitans,  qui 
obligeaient  les  chaloupes  envoyées  par  l'ennemi  à  rega- 
gner le  large. 

Le  15,  le  chevalier  de  Vaudreuil  partit,  de  grand 
matin,  avec  cent  hommes,  pour  aller  en  reconnais- 
sance, et  charger  les  ennemis,  s'ils  entreprenaient  de 
faire  une  descente  ;  avec  ordre  de  ne  les  point  perdre  de 
vue,  et  de  donner  avis  de  tous  les  mouvemens  qu'ils 
feraient. 

M.  de  Frontenac  fit  commencer,  le  même  jour,  une 
batterie  de  huit  pièces  de  canon,  sur  la  hauteur  qui  était 
à  côté  du  fort,  et  elle  fut  achevée,  le  lendemain.  Les 
fortifications  commençaient  au  Palais,  sur  le  bord  de  la 
petite  rivière,  remontaient  vers  la  haute  ville,  qu'elles 
environnaient,  et  allaient  finir  vers  le  Cap  aux  Diamans. 


DU   CANADA.  211 

On  avait  aussi  formé  une  palissade,  depuis  le  Palais 
jusqu'au  Sault-au- Matelot.  Une  seconde  palissade, 
qu'on  avait  tirée  au-dessus  de  la  première,  aboutissait 
au  même  endi'oit.  Les  issues  de  la  ville  où  il  n'y  avait 
pas  de  portes  étaient  barricadées  avec  de  grosses  poutres 
et  des  barriques  pleines  de  terre,  en  guise  de  gabions, 
et  les  dessus  étaient  garnis  de  pierriers.  Le  chemin 
tournant  de  la  basse  ville  à  la  haute  était  coupé  par  trois 
différents  retranchemens  de  barriques  et  de  sacs  pleins 
de  terre,  avec  des  chevaux-de-frise. 

Le  16,  à  ti'ois  heures  du  matin,  M.  de  Vaudreuil 
vint  rapporter  qu'il  avait  laissé  la  flotte  anglaise  à  trois 
lieues  de  Québec,  en  un  endroit  appelle  V Arbre  Sec.  Eu 
effet,  dès  qu'il  fît  jour,  on  l'apperçut  des  hauteurs.  Elle 
était  composée  de  trente  vaisseaux  de  différente  grandeur, 
et  le  bruit  se  répandit  qu'elle  portait  3000  hommes  de 
débarquement.  A  mesure  qu'elle  avançait,  les  plus 
petits  bàtimens  se  rangeaient  le  long  de  la  côte  de  Beau- 
port  :  les  autres  tenaient  le  large.  Tous  jettèrent  les 
ancres  vers  10  heures  ;  et  aussitôt,  une  chaloupe  poi-tant 
un  pavillon  blanc  se  détacha  de  la  flotte,  et  s'avança 
vers  la  ville.  Ne  doutant  point  qu'elle  ne  portât  un 
trompette,  M.  de  Frontenac  envoya  à  sa  rencontre  un 
officier,  qui  la  joignit  à  moitié  chemin,  fît  bander  la  tète 
au  trompette,  et  le  conduisit  au  Château.  Lorsqu'il 
fut  en  la  présence  du  gouverneur,  il  lui  remit  une  som- 
mation de  la  part  de  William  Phipps,  commandant  de  la 
flotte  et  de  l'armée.  Ce  que  cette  sommation  contenait 
de  plus  raisonnable  était  que  "  les  ravages  et  les  cru- 
autés exercés  par  les  Français  et  les  Sauvages  contre 
les  peuples  soumis  à  leurs  majestés  britanniques  (Guil- 
laume et  ]\L^kie),  avaient  obligé  leurs  dites  majestés 
d'armer  pour  s'emparer  du  Canada,  afin  de  pourvoir  à 
la  sûreté  des  provinces  de  leur  obéissance."     Le  reste 


212  HISTOIRE 

était  couché  dans  un  stile  si  arrogant,  et  contenait  des 
choses  qui  paraissaient  si  hors  de  propos,  que  M.  do 
Frontenac,  et  ceux  qui  étaient  auprès  de  lui  eurent 
peine  à  se  contenir,  en  l'écoutant.  Quand  la.lecture 
fut  Achevée,  le  trompette  tira  de  sa  poche  une  montre, 
la  présenta  au  gouverneur,  et  lui  dit  qu'il  était  10 
heures,  et  qu'il  ne  pouvait  attendre  que  jusqu'à  11. 
'•'  Alors,  dit  Charlevoix,  il  y  eut  un  cri  général  d'indi- 
gnation, et  ^I.  de  Valrennes  s'écria  qu'il  fallait  traitei* 
cet  insolent  comme  l'envoyé  d'un  corsaire,  d'autant  plus 
que  Phipps  était  armé  contre  son  souverain  légitime,* 
et  s'était  comporté,  au  Port  Royal,  en  vrai  pirate,  ayant 
violé  la  capitulation,  et  retenu  prisonnier  M.  de  Manne- 
val,  contre  sa  parole  et  le  droit  des  gens." 

M.  de  Frontenac  répondit,  à  l'instant,  sur  le  ton  que 
Pliipps  avait  pris,  et  en  récriminant.  Le  trompettte 
ayant  demandé  cette  réponse  par  écrit,  le  gouverneur 
lui  dit  qu'il  allait  répondre  à  son  maître  par  la  bouche 
de  son  canon. 

Le  trompette  fut  reconduit,  les  yeux  bandés,  jusqu'à 
l'endroit  où  on  l'avait  été  prendre  ;  et  à  peine  fut-il 
arrivé  aux  vaisseaux,  qu'on  se  mit  à  tirer  d'une  des 
batteries  de  la  basse  ville.  Le  premier  coup  de  canon 
abattit  le  pavillon  de  l'amiral,  et  la  marée  l'ayant  fait 
dériver,  quelques  Canadiens  allèrent  le  prendre,  à  la 
nage,  et  l'emportèrent,  à  la  vue  de  toute  la  flotte,  malgré 
le  feu  qu'elle  faisait  sur  eux. 

Le  1 8,  à  midi,  on  apperçut  presque  toutes  les  cha- 
loupes, chargées  de  soldats,  tourner  du  côté  de  la  rivière 
Saint-Charles.  Elles  débarquèrent  1500  hommes.  M. 
de  Frontenac  détacha  environ  trois  cents  miliciens,  pom* 
les  harceler.     Un  terrain  marécageux,  embarrassé  de 

*  Louis  XIV  n'avait  pas  encore  reconnu  Gcillacme  et  Marie 
comme  roi  et  reine  d'Angleterre. 


DU   CANADA,  213 

brossailles  et  entrecoupé  de  rochers,  empêchaient  les 
Anglais  de  profiter  de  la  supériorité  de  leur  nombre. 
Les  Canadiens  voltigeaient  de  rocher  en  rocher,  autour 
des  Anglais,  qui  n'osaient  se  séparer.  Cette  manière 
de  combattre  déconcerta  les  assaillans,  qui,  à  la  fin,  se 
retirèrent  en  désordre,  après  avoir  eu  environ  cent 
cinquante  hommes  tués  ou  blessés.  Les  Français 
n'eurent  que  deux  hommes  de  tués,  mais  l'un  d'eux 
était  le  chevalier  de  Clermont,  officier  de  mérite,  et  une 
douzaine  de  blessés,  parmi  lesquels  était  M.  Juche- 
KEAiT,  seigneur  de  Beauport,  qui,  quoiqu'âgé  de  plus  de 
soixante  ans,  avait  combattu  bravement,  à  la  tête  de  ses 
censitaires. 

Le  soir  du  même  jour,  les  quatre  plus  gros  vaisseaux 
vinrent  mouiller  devant  la  ville.  Ils  firent  un  grand  feu, 
et  on  leur  répondit  de  même.  Sainte-Hélène  pointa  tous 
les  canons,  et  aucun  de  ses  coups  ne  porta  à  faux.  Vers 
huit  heures,  le  feu  cessa,  de  part  et  d'autre.  Le  lende- 
main, la  ville  recommença,  la  première.  Au  bout  de 
quelque  temps,  le  contre-amiral  s'éloigna,  et  l'amiral 
le  suivit,  bientôt  après,  avec  précipitation.  H  y  avait 
plus  de  vingt  boulets  dans  le  corps  du  bâtiment  :  il  était 
percé  à  eau,  en  plusieurs  endroits  ;  toutes  ces  manoeuvres 
étaient  coupées,  et  un  grand  nombre  de  ses  matelots 
avaient  été  tués  ou  blessés.  Les  deux  autres  vaisseaux 
tinrent  encore  quelque  temps  ;  mais  dans  l'après-midi, 
ils  allèrent  se  mettre  à  l'abri  du  canon  du  fort,  dans 
VA7is€  des  Mères.  Ils  y  furent  accueillis  par  un  grand 
feu  de  mousqueterie,  qui  leur  tua  beaucoup  de  monde, 
et  les  obligea  à  s'éloigner  encore  davantage. 

Le  20,  de  grand  matin,  les  troupes  qui  étaient  débar- 
quées à  Beauport  battirent  la  générale,  et  se  rangèrent 
en  bataille.  Elles  s'ébranlèrent  ensuite,  et  côtoyèrent, 
pendant  quelque  temps,  la  petite  rivière,  en  bon  ordre  ; 


214  HISTOIRE 

mais  MM.  de  Longueil  et  de  Sainte- Hélène,  à  la  tête 
de  deux  cents  volontaires,  leur  coupèrent  chemin  ;  et 
escarmouchant,  de  la  même  manière  qu'on  avait  fait  le 
18,  ils  firent  sur  les  troupes  anglaises  des  décharges  si 
continuelles  et  si  opportunes,  qu'ils  les  contraignirent  de 
gagner  un  petit  bois,  d'où  elles  firent  un  très  grand  feu. 
Les  Canadiens  les  y  laissèrent,  et  firent  leur  retraite  en 
bon  ordre.  Us  eurent,  dans  ce  second  combat,  deux 
hommes  de  tués,  et  quatre  de  blessés.  Du  nombre  des 
derniers  furent  les  deux  commandans  :  Longueil  ne  fut 
blessé  que  légèrement  ;  mais  Sainte-Hélène  reçut  une 
blessure  grave,  dont  il  mourut,  au  bout  de  quelques  jours 
C'était,  suivant  Charlevoix,  "  un  des  plus  aimables 
chevaliers  et  un  des  plus  braves  hommes"  qu'ait  jamais 
eus  le  Canada. 

Pendant  cette  action,  M.  de  Frontenac  s'était  avancé, 
à  la  tête  de  trois  bataillons  de  ses  troupes,  le  long  de  la 
petite  rivière,  résolu  de  la  passer,  si  les  volontaires  se 
trouvaient  trop  pressés. 

La  nuit  suivante,  les  Anglais  s'avancèrent,  avec 
plusieurs  pièces  d'artillerie,  résolus  de  battre  la  viUe  en 
brèche  ;  mais  on  ne  les  laissa  pas  aller  bien  loin  ;  plu- 
sieurs détachemens  de  troupes  et  de  mihces  allèrent  à 
leur  rencontre,  et  les  arrêtèrent,  ou  les  firent  tomber 
dans  des  ambuscades.  Le  lieutenant  de  Vlllieu  se 
distingua  particulièrement  dans  ces  manœuvres.  La 
partie  était  néanmoins  trop  inégale  :  les  Français  se 
retirèrent,  à  la  fin,  mais  toujours  en  combattant  et  en  se 
réunissant,  jusqu'à  ce  qu'ils  se  trouvassent  à  portée  d'être 
soutenus  par  les  batteries  de  la  viUe.  Le  feu  dura  jusqu'à 
la  nuit:  alors  les  Anglais  se  retirèrent,  à  leur  tour, 
d'abord  en  bon  ordre,  et  ensuite,  comme  en  fuyant, 
jusqu'à  lem'  camp.  H  se  rembarquèrent,  dans  la  nuit 
du  21   au  22,  abandonnant  plusieurs  canons   et  une 


l 


DU   CANADA.  215 

quantité  de  poudre  et  de  boulets.  Us  avaient  perdu 
près  de  six  cents  hommes,  et  leurs  munitions  et  leurs 
vivres  étaient  entièrement  épuisés. 

Le  23,  au  soir,  la  flotte  leva  les  ancres,  et  se  laissa 
dériver  à  la  marée.*  Elle  mouilla,  le  24,  à  l'Arbre 
Sec,  et  continua  sa  route,  le  lendemain.  Une  dixaine  de 
vaisseaux  périrent,  ou  furent  abandonnés  dans  le  fleuve. 
L'amiral  Phipps  s'était  laissé  persuader  qu'il  trouverait 
Québec  dégarni  de  troupes  et  sans  défense,  et  il  avait 
compté  sur  une  diversion  du  côté  de  Mont-réal,  qui 
n'eut  pas  lieu,  parce  que  la  petite-vérole  ayant  éclaté 
parmi  les  troupes  anglaises  qui  devaient  s'avancer  de  ce 
côté  là,  les  Sauvages  qui  avaient  promis  de  se  joindre  à 
elles,  ne  voulurent  plus  en  entendre  parler. 

Un  nombre  de  vaisseaux  de  France,  qui  s'étaient  mis 
en  sûreté  dans  le  Saguenay,  pendant  que  la  flotte  anglaise 
était  dans  le  fleuve,  mouillèrent  devant  Québec  le  12 
novembre. 

Le  siège  de  Québec,  en  1690,  est  un  des  ôvènemens 
mémorables  de  l'histoire  du  Canada.  Louis  XIV 
accorda  des  lettres  de  noblesse  à  ceux  qui  s'y  étaient  le 
plus  distingués,  et  nommément,  aux  sieurs  Hertel  et 
Juchereau  ;■}"  et  il  voulut  qu'une  médaille  en  perpétuât 
le  souvenir  :  d'un  côté,  on  voit  la  tête  de  ce  roi  ;  de 
l'autre  la  France  victorieuse  est  assise  sur  des  trophées, 
au  pied  de  deux  arbres  du  pays,  sur  des  rochers  d'où 
s'échappent  des  torrens.     Un  castot  va  se  réfugier  sous 

*  Quelques  pi'isonniers,  qu'elle  avait  faits,  en  remontant  le  fleuve, 
furent  échangés,  à  la  suggestion  et  par  l'entremise  d'une  demoi- 
selle du  nom  de  La  Lakde. 

f  Le  comte  de  Frontenac  permit  au  sieur  Cakre'  et  à  ses  mili- 
ciens, d'emporter  chez  eux  deux  des  canons  abandonnés  par  les 
Anglais,  pour  être  un  monument  durable  de  leur  belle  conduite. 
"  On  convenait,  dit  Charlevoix,  (jue  les  ottlciers  les  plus  expéri- 
mentés n'avaient  pu  mieux  manœuvrer  que  n'avait  fait  cet  habi- 
tant." 


216  HISTOIRE 

un  bouclier,  et  le  dieu  sauvage  du  fleuve,  qui  épanche 
son  urne  aux  pieds  de  la  déesse,  la  contemple  avec 
admiration.  Pour  devise,  Kebeka  liberata,  M.  D. 
C.   X.   C.  ;   pour   exergue  :    Francia  in   novo    orbe 

VICTRIX.* 

Dans  l'hiver  de  1690  à  169 Lies  Sauvages  de  l'Acadie 


*  Quel  était  Québec  vers  ce  temps-là  ?  "  Son  circuit,  dit  Lahon- 
tan,  est  d'à  peu  près  une  lieue  ;  sa  latitude  de  47°.  12m.*  Québec 
est  partagé  en  haute  et  basse  ^il]e.  Les  marchands  demeurent  à 
la  basse  pour  la  commodité  du  port,  le  long  duquel  ils  ont  fait 
bâtir  de  très  belles  maisons  à  trois  étages,  d'une  pierre  aussi  dure 
que  le  marbre.  La  haute  Tille  n'est  pas  moins  belle  ni  moins 
peuplée.  Le  Château,  bâti  sur  le  terrain  le  plus  élevé,  la  com- 
mande de  tous  côtés.  Les  gouverneurs  généraux,  qui  font  leur 
résidence  ordinaire  dans  ce  fort,  jouissent  de  la  vue  la  plus  belle 
et  la  plus  étendue  qui  soit  au  monde.  La  ville  manque  de  deux 
choses  essentielles,  qui  sont  un  quai  et  des  fortifications.  H  serait 
facile  de  faire  l'un  et  l'autre,  car  les  pierres  se  trouvent  sur  le 
lieu  même.  Elle  est  environnée  de  plusieurs  sources  d'eau  vive, 
la  meilleui'e  qui  soit  au  monde,  et  Ton  pourrait  y  élever  des  fon- 
taines simples  ou  jaillissantes.  Les  habitans  de  la  base  ville  ne 
ressentent  pas  la  moitié  autant  de  froid  que  ceux  de  la  haute  ; 
mais  si  ceux-ci  sont  exposés  aux  vents  froids  de  l'hiver,  ils  ont 
aussi  le  plaisir  de  jouir  du  frais  en  été.  H  y  a  un  chemin  assez 
large  de  l'une  à  l'autre,  mais  un  peu  escarpé,  et  des  maisons  des 
deux  côtés.  Le  terrain  de  Québec  est  fort  inégal,  et  la  symétrie 
mal  observée.  L'intendant  demeure  dans  un  fond  un  peu  éloigné, 
sur  le  bord  d'une  petite  rivière,  qui,  se  joignant  au  fleuve,  renferme 
la  ■viUe  dans  un  angle  droit.  On  vi)it,  à  côté  du  Palais,  de  gi'ands 
magasins  de  munitions  de  guerre  et  de  bouche.  Il  y  a  six  églises 
à  la  haute  ville.  La  cathédrale  est  composée  d'un  évêque  et  de 
douze  chanoines.  La  grandeur  et  l'arcliitecture  de  la  maison  du 
chapitre  sont  surprenantes.  L'église  des  jésuites,  située  au  centre 
de  la  ville,  est  belle,  grande  et  bien  éclaii'ée.  Le  grand  autel  est 
orné  de  quatre  grandes  colonnes  cj'lindriques  et  massives,  d'un 
seul  bloc  d'un  certain  porphyre  de  Canada,  noir  comme  jais,  sans 
taches  et  sans  fils.  Leur  maison  est  commode  en  toutes  manières, 
et  ils  ont  de  beaux  jardins  et  plusieurs  allées  d'arbres  si  touffus, 
qu'il  semble,  en  été,  qu'on  soit  dans  une  glacière,  plutjt  que  dans 
un  bois.  Leur  collège  est  si  petit,  qu'à  peine  ont-ils  jamais  eu 
cinquante  écoliers  à  la  fois.  Outre  une  église,  ou  chapelle  (nou- 
velle), les  récollets  ont  encore  un  (ancien)  hospice,où  plusieurs  d'eux 
se  tiennent.  L'église  des  ursuliues  a  été  brûlée,  et  rebâtie  deux  ou 
trois  fois,  de  mieux  en  mieux.     Les  hospitalières  sont  mal  logées. 

•  Champlain  dit  quarante-six  degrés  et  demi.  Généralement,  les  latitudes 
de  cet  auteur,  et  celles  de  quelques  autres  vojageurs  anciens,  sont  trop 
basses  d'environ  un  degré. 


DU    CANADA.  217 

ravagèrent  cinquante  lieues  de  pays,  dans  la  Nouvelle 
Angleterre.  C'était  ainsi  que,  depuis  longtems,  les 
Anglais  et  les  Français,  les  prenaiers,  au  moyen  des 
Iroquois,  et  les  derniers,  au  juoyen  des  Abénaquis,  se 
faisaient  plus  de  mal,  dans  l'espace  de  quelques  mois, 
ou  même  de  quelques  semaines,  qu'ils  n'auraient  pu  s'en 
faire,  durant  des  années  entières,  sans  ces  barbares  et 
cruels  auxiliaires. 

Au  priutems,  et  pendant  une  partie  de  l'été,  les 
Iroquois  continuèrent  leur  guerre  d'incui'sions  :  ils  se 
mirent  en  campagne,  au  nombre  de  mille  ;  et  ayant 
établi  leur  camp  à  l'entrée  de  la  rivière  des  Outaouais, 
ils  envoyèrent  de  là  des  détachemens,  de  différents  côtés. 
L'un  de  ces  détacbemeus,  fort  de  vingt-cinq  bommes,  se 
jetta  sur  l'endroit  de  l'île  de  Mont-réal  appelle  la 
Pointe  aux  Trembles,  y  brida  une  ti'entaine  de  maisons 
ou  granges,  et  y  prit  quelques  liabitans,  sur  lesquels  il 
exerça  des  cruautés  inouies.  Un  second  détachement, 
composé  de  quatre-vingts  hommes,  attaqua  les  Sauvages 
de  la  Montagne,  et  leur  enleva  une  trentaine  de  femmes 
et  d'enfans.  D'autres  bandes  moins  considérables  st; 
répandirent  depuis  Repen/iffni/  jusqu'aux  lies  de  Riche- 
lieu, et  firent  partout  de  grands  dégâts.  M.  Lemoym; 
DE  BiENViLLE,  à  la  tète  de  deux  cents  honimes  choisis, 
tant  Français  que  Sauvages,  surprit  une  de  ces  troupes, 
forte  de  soixante  hommes,  Agniers  et  Goyogouins,  et 
comptait  bien  que  pas  un  de  ces  barbares  ne  lui  échap- 
perait ;  mais  les  Agniers  ayant  demandé  à  parler  aux 
Iroquois  du  Sault  Saint -Louis,  ceux-ci  voulurent  abso- 
lument les  écouter,  de  peur,  disaient-ils,  de  rompre  tout 
accommodement  entre  eux  et  leurs  frères.  Les  Agniers 
leur  protestèrent  qu'ils  ne  souhaitaient  rien  tant  que  la 
paix,  et  s'offrirent  de  s'en  retourner  chez  eux,  avec 
promesse  d'envoyer  des  députés  à.  Mont-réal,  pour  traiter 

T 


218  HISTOIRE 

de  la  paix  avec  M.  de  Callières.  On  les  crut  sur  leur 
parole  ;  et  ils  échapèrent  ainsi,  par  une  ruse  de  guerre, 
à  la  mort  ou  à  la  captivité. 

A  peu  près  dans  le  même  temps,  ayant  eu  avis  qu'on 
avait  découvert  une  trentaine  d'Onneyouths,  à  Saint- 
Sulpice,  dans  une  maison  abandonnée,  le  chevalier  de 
Vaudreuil  s'avança,  de  ce  côté,  avec  une  centaine  de 
volontaires,  parmi  lesquels  on  distinguait  le  même  de 
Bieuville,  le  chevalier  de  Crisasi,  réfugié  sicilien,  et 
Ouréouharé.  En  s' approchant  de  la  maison,  on  apper- 
çut  quinze  Sauvages  couchés  en-dehors  sur  l'herbe.  On 
donna  dessus,  et  ils  furent  tous  tués,  avant  d'avoir  eu  le 
temps  de  se  reconnaiti*e.  Aux  cris  des  moui-ans,  ceux 
qui  étaient  dans  la  maison  se  mirent  en  défense,  et 
Bien\'ille  s'étant  trop  aproché  d'une  fenêtre  ouverte,  fut 
renversé  mort,  d'un  coup  de  fusil.  La  perte  de  cet 
officier  releva  le  courage  des  Onneyouths  ;  mais  M.  de 
Vaudreuil  ayant  fait  mettre  le  feu  à  la  maison,  ils  furent 
tous  tués,  ou  pris,  en  voulant  s'ouvrir  un  passage,  le 
casse-tête  à  la  main.  Les  habitans  firent  impitoyable- 
ment brûler  les  prisonniers,  persuadés  que  le  meilleur 
moyen  de  corriger  les  L'oquois  de  leurs  cruautés,  était 
de  les  traiter  eux-mêmes  comme  ils  traitaient  les  autres. 

Au  commencement  d'août,  le  gouverneur  de  Mont- 
réal ayant  appris  qu'un  gros  parti  d'Anglais  et  dTxo- 
quois  s'avançait  du  côté  de  la  rivière  de  Richelieu, 
assembla  sept  à  huit  cents  hommes,  et  les  mena  camper 
à  la  Prairie  de  la  Madeleine. 

H  y  avait  déjà  trois  jours  que  ces  troupes  couchaient 
au  bivouac,  lorsque,  dans  la  nuit  du  10  au  11,  qui  fut 
pluvieuse  et  très  obscure,  elles  se  retirèrent  dans  le  fort. 
Ce  fort  était  à  trente  pas  du  fleuve,  sur  une  hauteur 
située  entre  deux  prairies,  dont  une,  qui  regardait  un 
endroit  appelle  La  Fourche,  était  coupée  par  une  petite 


DU  CANADA.  219 

rivière,  à  la  portée  du  canon  du  fort,  et  un  peu  plus 
près,  par  une  ravine.  Entre  les  deux,  il  y  avait  un 
courant  sur  lequel  on  avait  bâti  un  moulin  :  c'était  de 
ce  côté-là,  à  la  gauche  du  fort,  qu'étaient  campées  les 
milices,  accompagnées  de  quelques  Sauvages.  Les 
troupes  l'églées  campaient  sur  la  droite,  et  les  officiers 
avaient  fait  dresser  leurs  tentes  vis-à-vis,  sur  une  hau- 
teur. 

Une  heure  avant  le  jour,  la  sentinelle  qui  était  postée 
au  moulin  apperçut  des  gens  qui  se  glissaient  le  long 
de  la  hauteur  sur  laquelle  était  le  fort  :  elle  tira  un  coup 
de  fusil,  cria  aux  armes,  et  se  jetta  dans  le  moulin. 
C'étaient  des  ennemis,  qui  se  coulant  le  long  de  la  petite 
rivière  de  La  Fourche  et  la  ravine,  gagnèrent  le  bord  du 
fleuve  et  s'y  cantonnèrent,  et  qui,  trouvant  le  quartier 
des  milices  dégarni,  en  chassèrent  le  peu  de  monde  qui 
y  restait,  et  s'y  logèrent.  Quelques  Canadiens  et 
quelques  Sauvages  furent  tués,  dans  cette  surprise. 

Au  bruit  de  la  sentinelle,  M.  de  Saint-Citrqije, 
ancien  capitaine,  qui  commandait,  en  l'absence  du  che- 
valier de  CalUères,  retenu  au  lit  par  une  grosse  fièvre, 
marcha  à  la  tète  de  ses  troupes,  dont  une  partie  défila 
le  long  de  la  grève,  et  l'autre,  par  une  prairie,  en  faisant 
le  tour  du  fort.  Le  bataillon  que  Saint-Cyi'que  com- 
mandait en  personne  arriva,  le  premier,  à  la  vue  du 
quartier  des  milices  :  soupçonnant  que  les  ennemis  en 
pouvaient  être  maîtres,  il  s'arrêta,  pour  s'assurer  du  fait, 
et  dans  le  moment,  on  fit  sur  lui  une  décharge  dont  il 
fut  blessé  à  mort.  Un  autre  officier,  nommé  d'Escai- 
RAC,  fut  aussi  blessé  mortellement,  et  M.  d'IIosta  fut 
tué  roide. 

Le  second  bataillon  arriva  presque  au  même  instant, 
conduit  par  M.  de  la  Ciiassaigne,  et  l'on  donna,  tête 
baissée,  sur  l'ennemi,  qui,  après  une  assez  vigoureuse 


220  HISTOIRE 

résistance,  commença  à  se  retirer  en  bon  ordre.  Saint- 
C}Tque,  qui  avait  eu  la  veine-cave  coupée,  perdait  tout 
son  sang  ;  mais  on  ne  put  l'obliger  à  se  retirer,  qu'il 
n'eût  vu  les  ennemis  tourner  le  dos.  Il  tomba  mort, 
quelques  momens  après,  à  la  porte  du  fort. 

Cependant,  les  ennemis  retraitaient  dans  une  conte- 
nance qui  annonçait  moins  les  vaincus  que  les  vain- 
queurs, emportant  plusieiu*s  chevelures,  et  poussant  des 
cris,  comme  pour  insulter  aux  troupes  françaises.  Un 
petit  détachement  les  suivit,  mais  il  tomba  dans  une 
ambuscade,  et  tous  ceux  qui  le  composaient  y  périrent. 
Enhardis  par  ce  succès,  les  confédérés  reprirent  le 
chemin  par  où  ils  étaient  venus.  Après  qu'ils  eurent 
fait  environ  deux  lieues,  leurs  coureurs  découvrirent  les 
troupes  que  commandait  Valrennes,  qui,  quelques 
jours  auparavant,  avait  été  envoyé  du  côté  de  Chambly, 
avec  quelques  centaines  d'hommes,  et  qui  était  accouru, 
au  premier  bruit  du  combat.  Les  ennemis  l'attaquèrent 
avec  beaucoup  de  résolution  ;  mais  par  bonheur  pour 
cet  officier,  il  se  trouva,  en  cet  endroit,  deux  grands 
arbres  renversés  :  il  s'en  fit  un  retranchement,  plaça  sa 
troupe  derrière,  et  lui  fit  mettre  ventre  à  terre,  pour 
essuyer  le  premier  feu  des  ennemis.  Il  lui  ordonna 
ensuite  de  se  relever,  la  partagea  en  trois  bandes,  dont 
chacune  fit  sa  décharge,  puis  la  rangea  en  bataille,  et 
chai'gea  les  confédérés  avec  tant  d'ordre,  de  promptitude 
et  de  vigueur,  qu'il  les  fit  plier  partout.  Ils  se  remirent 
néanmoins  jusqu'à  deux  fois;  mais  après  une  heure  et 
demie  de  combat,  ils  furent  contraints  de  se  débander,  et 
leur  déroute  fut  complète.  On  en  compta  cent-vingt 
sur  la  place,  et  l'on  sut  ensuite  que  le  nombre  des  blessés 
surpassait  de  beaucoup  celui  des  morts.  Les  drapeaux 
et  les  bagages  restèrent  aux  vainqueurs.  La  perte  de 
ces  derniers  fut  de  soixante  hommes  tués  et  autant  de 


DU   CANADA.  221 

blessés.  Ds  eurent  à  regretter  le  jeune  et  brave  Lebekt- 
DuciiESXE,  qui  avait  combattu  avec  une  intrépidité 
remarquable,  à  la  tête  des  Canadiens. 

■"  Cette  action,  dit  Charlevoix,  fut  très  vive,  et  conduite 
avec  toute  l'intelligence  possible.  Valrennes  était 
partout,  faisant,  en  même  temps,  les  devoirs  de  capitaine 
et  de  soldat,  combattant  et  donnant  ses  ordres  avec  autant 
de  sang-froid  que  s'il  eût  commandé  un  exercice.  Les 
chefs  sauvages  s'y  surpassèrent,  et  l'un  d'eux  fut  tué, 
en  exliortant  les  siens  de  la  voix  et  par  son  exemple,  à 
combattre  en  gens  de  cœur.  On  s'y  battit  presque 
comme  les  anciens,  homme  à  homme  et  corps  à  corps. 
C'était  le  courage,  c'était  l'adresse,  c'était  la  présence 
d'esprit  qui  l'emportait  :  on  en  venait  réellement  aux 
mains  ;  on  luttait,  on  se  terrassait,  et  quand  les  armes 
ou  les  munitions  manquaient,  on  se  brûlait  le  visage 
avec  la  bourre  du  fusil." 

A  la  nouvelle  de  l'approche  des  ennemis,  le  gouver- 
neur général  était  parti  de  Québec  pour  se  rendre  à 
Mont-réal  ;  mais  ayant  appris,  en  y  arrivant,  leur  défaite 
et  leur  fuite,  il  retourna  aussitôt  sur  ses  pas.  Il  reçut 
peu  de  temps  après,  une  lettre  du  gouverneur  de  la 
Nouvelle  Angleterre,  qui  le  priait  de  lui  faire  rendre  les 
prisonniers  que  les  Abénaquis  avaient  faits  dans  sa 
province,  et  lui  proposait  la  neutralité  en  Amérique, 
malgré  la  guerre  qui  continuait,  en  Eui'ope,  entre 
l'Angleterre  et  la  France. 

M.  de  Frontonac  écrivit  en  réponse  au  général  anglais, 
que  quand  il  lui  aurait  renvoyé  le  chevalier  d'Eau  et 
M.  de  Manncval,  qu'il  retenait  prisonniers,  l'un  par  la 
trahison  des  Iroquois,  l'autre  pai*  la  mauvaise  foi  de 
l'amiral  Phipps,  il  pourrait  entrer  avec  lui  en  pourpar- 
1er  ;  mais  que,  sans  cela,  il  n'écouterait  rien.  Si  les 
Sauvages  devaient  entrer  dans  la  neutralité,  l'avantage 
T  2 


222  HISTOIRE 

eût  été  réciproque,  et  peut-être  le  Canada  y  eût-il  plus 
gagné  que  les  provinces  anglaises:  le  comte  de  Fron- 
renac  devait  le  sentir  ;  mais  Charlevoix  prétend  que  ce 
général  avait  des  preuves  certaines  de  la  mauvaise  foi 
du  gouverneur  de  la  Nouvelle  Angleterre. 

Peu  content  d'avoir  vu  échouer  tous  les  projets  des 
Anglais  et  des  Iroquois  contre  le  Canada,  M.  de  Fron- 
tenac voulut  porter  la  guerre  chez  ces  derniers.  Cinq 
ou  six  cents  hommes  eurent  ordre  d'entrer  dans  le 
canton  d' Agnier,  et  en  prirent  la  route  ;  mais  le  mauvais 
état  des  chemins  joint,  peut-être,  à  d'autres  inconvéniens, 
les  contraignit  de  s'en  revenir,  sans  avoir  rien  fait. 

On  se  consola  de  ce  contre-temps  par  la  nouvelle  que 
le  chevalier  de  Villebox,  fils  du  baron  de  Bekaxcour, 
et  frère  de  Manneval  et  de  Portneuf,  nommé  gouver- 
neur de  l'Acadie,  était  entré  au  Port  Eoyal,  et  avait 
repris  possession  du  pays  pour  la  France. 

Malgré  les  pertes  que  les  L'oquois  éprouvaient,  de 
temps  à  autre,  ils  ne  cessaient  pas  de  continuer  leur 
petite  guerre,  et  de  tenir  la  colonie  en  alarme.  Les 
voyages  aux  contrées  du  Nord  et  de  l'Ouest  étaient  sur- 
tout devenus  d'une  extrême  difficulté  :  il  fallait  aux 
voyageurs  de  fortes  escortes,  et  souvent  ces  escortes 
elles-mêmes  devenaient,  en  tout  ou  en  partie,  la  proie 
de  l'ennemi.  Il  ne  se  passait  guère  de  mois  sans  que  la 
colonie  eût  à  regretter  un  ou  plusieurs  de  ses  officiers, 
ou  de  ses  hommes  marquants. 

Au  commencement  de  février  1692,  le  chevalier  de 
CaUières  reçut  ordi-e  du  comte  de  Frontenac  de  lever 
un  parti,  et  de  l'envoyer  dans  la  presqu'île  formée  par 
la  rencontre  du  fleuve  Saint-Laurent  et  de  la  grande 
rivière  des  Outaouais,  où  les  Lroquois  avaient  coutume 
de  venir  chasser,  pendant  l'hiver,  et  où  le  gouverneur 
était  informé  qu'ils  étaient  en  grand  nombre.     M.  de 


DU   CANADA.  223 

Callières  assembla  trois  cents  hommes,  partie  Français 
et  partie  Sauvages,  et  les  mit  sous  la  conduite  de  M.  de 
Beaucourt,  capitaine  réformé. 

En  arrivant  à  l'île  de  Toniatlia,  à  une  journée  de 
marche  en  deçà  de  Catarocouy,  Beaucourt  y  rencontra 
cinquante  Tsonnonthouans  :  il  les  attaqua  dans  leurs 
cabanes,  leur  tua  vingt- quatre  hommes  et  leur  en  prit 
seize  ;*  puis  s'en  revint.  Ses  prisonniers  furent  envoyés 
à  Québec,  où  le  gouverneur  en  condamna  deux  à  être 
brûlés  vifs  :  "  voulant,  dit  un  historien,  par  cet  exemple 
rigoureux,  intimider  les  Iroquois,  ou  faire  qu'ils  se 
gardassent,  à  l'avenir,  de  s'avancer,  en  toute  hardiesse, 
jusqu'aux  portes  des  villes. "f  On  avait  appris  de  ces  più- 
sonniers  qu'une  troupe  de  cent  guerriers  du  même  canton 
faisait  la  chasse  près  du  Sault  de  la  Chaudière,  et  que 
deux  cents  Onnontagués,commandés  par  la  Chaudiere- 
NoiRE,  un  de  leurs  plus  braves  chefs,  devaient  les  y 
joindre,  pour  y  passer  toute  la  belle  saison,  afin  d'arrêter 
tous  les  Français  qui  voudraient  aller  à  Michillimakinac, 
ou  en  revenir.  Comme  on  attendait  incessamment  un 
grand  convoi  de  pelleteries  des  contrées  du  Nord  et  de 
l'Ouest,  on  comprit  qu'il  aurait  été  nécessaire  d'envoyer 
au-devant   une  bonne  escorte;   mais  M.  de  Calhères 

*Le  sieur  La  Plante,  (jui  vivait  dans  l'esclavage,  depuis  la 
funeste  incursion  dans  l'ile  de  Mont-réal,  eut  le  bonheur  de  se 
trouver  enveloppe'  dans  cette  déroute,  et  de  recouvrer  sa  liberté. 
L(!  sieur  Villeduné  eut  un  peu  plus  tard  le  même  bonheur. 

\  Si  M.  de  Frontenac  intimidait  par  là  les  Iroquois,  ne  leur 
donnait-il  pas  aussi  à  eulendre  que  la  manière  dont  ils  traitaient 
leurs  prisonniers  de  j^uerre  ne  répugnait  ni  à  la  loi  de  nature  ni  à 
la  religion  qu'on  voulait  leur  faire  embrasser  ?  Quoiqu'il  en  soit, 
les  "instantes  prières  de  madame  l'intendante,''  et  des  personnes 
qui  avaient  en  horreur  les  cruautés  barbares,  n'ayant  pu  le 
fléchir,  une  î  "charitable  personne"  jetta  un  couteau  dans  la 
prison,  et  le  moins  courageux  des  deux  condamnés  se  le  plongea 
dans  le  sein.  L'autre  fut  brûlé,  sur  le  cap  aux  Diamans,  "  à  petit 
feu,"  et  avec  plaisir,  en  apparance,  par  des  jeunes  Sauvages  de 
Lorette. 


224  msTOiEE 

ne  voulut  rien  faire  sans  l'ordre  du  comte  de  Frontenac. 
Ce  général,  persuadé  que  l'affaire  de  Toniatha  avait 
déconcerté  les  mesures  des  Iroquois,  manda  au  gouver- 
neur de  Mont-réal  de  faire  partir,  au  j^lutût,  le  sieur  de 
Saikt-Michel,  gentilhomme  canadien,  avec  quarante 
voyageurs,  pour  porter  ses  ordres  à  MicliiUimakinac,  et 
de  les  faire  escorter  par  trois  canots  bien  armés,  j  usqu'au 
dessus  du  Sault  de  la  Chaudière. 

M.  de  Callières  obéit  :  l'escorte  conduisit  les  Cana- 
diens, jusqu'à  l'endroit  marqué,  sans  avoir  rencontré  un 
seul  Iroquois  ;  mais  peu  de  jours  après,  ayant  apperçu 
deux  Sauvages  de  cette  nation,  Saint-Michel  ne  douta 
point  que  La  Chaudière-Noire  ne  fut  proche,  avec  toute 
sa  troupe,  et  s'en  revint  à  Mont-réal.  Il  ne  faisait  que 
d'y  débarquer,  lorsque  M.  de  Frontenac  y  étant  arrivé 
de  Québec,  le  fit  repartir,  sur-le-champ,  avec  trente 
Français  et  trente  Sauvages.  Le  général  le  fit  suivre 
pai'  TiLLT  DE  Saixt-Pierre,  qui  eut  ordre  de  prendre 
sa  route  par  la  Rivière  du  Lièvre,  qui  se  décharge  dans 
la  Grande-Rivière,  environ  cinq  lieues  au-dessous  du 
Sault  de  la  Chaudière,  et  à  qui  il  donna  un  duplicata  de 
l'ordre  dont  Saint-Michel  était  porteur  pour  M.  de 
Louvigny. 

Il  fut  heureux  d'avoir  pris  cette  précaution  :  Saint  - 
Michel,  arrivé  au  même  endroit  où  il  avait  relâché,  à 
son  premier  voyage,  y  vit  encore  deux  éclaireurs,  et 
apperçut,  en  même  temps,  un  grand  nombre  de  canots 
que  l'on  mettait  à  l'eau.  H  ne  crut  pas  devoir  s'exposer 
à  un  combat  trop  inégal,  et  reprit,  une  seconde  fois,  la 
route  de  Mont-réal.  Trois  jours  après  qu'il  y  eut 
débarqué,  on  y  vit  arriver  soixante  Sauvages  chargés  de 
pelleteries,  qui  étaient  descendus  par  la  rivière  du  Lièvre, 
et  qui  dirent  qu'ils  avaient  rencontré  M.  de  Saint-Pierre 
au-delà  de  tous  les  dangers.     Après  qu'ils  eurent  fait 


^0    CANADA.  225 

leur  traite,  ils  demandèrent  une  escorte,  pour  passer 
jusqu'à  l'endroit  où  ils  devaient  prendre  des  chemins 
détournés.  Saint-Michel  s'offrit  à  les  accompagner,  et 
son  offre  fut  acceptée.  On  lui  donna  une  escorte  de 
ti'ente  hommes  commandés  par  le  lieutenant  de  La 
Gemeraye,  ayant  sous  lui  deux  des  fils  du  sieur  Hertel. 
Cette  troupe  étant  arrivée  à  l'endroit  nommé  le  Long- 
Sault*  où  il  fallait  faire  un  portage  ;  tandis  qu'une 
partie  des  hommes  étaient  occupée  à  monter  les  canots 
à  vide,  et  que  les  autres  marchaient  le  long  du  rivage, 
pour  les  couvrir,  une  décharge  de  fusils  faite  par  des 
gens  qu'on  ne  voyait  point,  écarta  tous  les  Sauvages, 
qui  étaient  de  la  seconde  bande,  et  fit  tomber  plusieurs 
Français  morts  ou  blessés. 

Les  Iroquois,  sortant  aussitôt  de  leur  ambuscade,  se 
jetteront  avec  fureur  sur  ce  qui  restait  du  parti  français  ; 
et  dans  la  confusion  qu'une  attaque  si  brusque  et  si 
imprévue  avait  causée,  ceux  qui  voulurent  gagner  leurs 
canots  les  firent  tourner;  de  sorte  que  les  barbares 
eurent  bon  marché  de  gens  qui  avaient,  en  même  temps, 
à  se  défendre  contre  eux,  et  à  lutter  contre  la  rapidité 
du  courant,  qui  les  entraînait.  Es  se  défendirent  pour- 
tant avec  une  bravoure  qui  aurait  pu  les  sauver,  si  les 
Sauvages  ne  les  eussent  point  abandonnés  ;  car  on  apprit 
ensuite  que  la  Chaudière-Noire  n'était  accompagné 
que  de  cent-quarante  guerriers.  La  Gemeraye  fut 
assez  heureux  pour  s'échapper,  avec  quelques  soldats  ; 
mais  Saint-Michel  et  les  deux  Hertel  furent  faits  pri- 
sonniers. 


*  Outre  lo  Saiilt  des  Cascades,  il  y  a  ceux  du  Buisson,  des 
Cèdres,  du  C/)teau  du  Lac,  ot  "  surtout  le  Lomj- Sa  ult.  Imaginez- 
vous  qu'en  l'espace  de  vingt  lieues,  le  long  du  fleuve,  la  rapidité 
de  ses  eaux  est  si  violente,  qu'on  n'oserait  éloigner  le  canot  de 
(juatre  pas  du  l'ivage.  Il  est  impossible  de  voyager  sur  les  bords 
de  ce  Heuve,  sans  tomber  d'ambuscade  en  ambuscade." — Lauon- 

TAN. 


226  HISTOIRE 

Après  cette  rencontre,  on  fut  quelque  temps  sans 
entendre  parler  des  Iroquois;  mais  le  15  juillet,  au 
moment  où  l'on  s'y  attendait  le  moins,  La  Chaudière- 
Noire  fit  descente  à  l'endroit  nommé  la  Chenaye,  sur 
la  Riciere  Jésus,  et  y  enleva  une  quinzaine  d'habitans, 
M.  de  Callières  envoya  contre  lui  cent  soldats,  sous  le 
capitaine  Ddplessis-Faber,  qu'il  fit  suivre  par  le  che- 
valier de  Vaudreuil,  à  la  tête  de  deux  cents  hommes. 
Les  Iroquois  se  jetteront  dans  les  bois,  et  s'enfuirent 
avec  précipitation,  abandonnant  leurs  canots  et  quelque 
bagage.  On  renforça  le  corps  du  chevalier  de  Vau- 
dreuil, et  on  lui  ordonna  de  poursuivre  les  ennemis. 
Il  atteignit  leur  arrière-garde,  un  peu  au-dessous  du 
Long-Sault,  leur  tua,  ou  leur  prit  une  quinzaine 
d'hommes,  et  délivra  une  partie  des  habitans  enlevés  à 
la  Chenaye. 

Quelques  jours  plus  tard,  M.  deLusigxajj,  capitaine 
réformé,  passant  par  les  îles  de  Richelieu,  tomba  dans 
une  ambuscade,  et  fut  tué  à  la  première  décharge.  La 
MoNCLERiE,  son  lieutenant,  put  retraiter  en  bon  ordre, 
après  deux  heures  de  combat. 

Il  avait  été  défendu  aux  habitans  de  s'éloigner  de 
leurs  habitations,  et  ceux  qui  contrevenaient  à  cette 
défense  avaient  ordinairement  lieu  de  s'en  repentir. 
Les  femmes  ne  pouvaient  pas  plus  que  les  hommes 
s'éloigner,  tant  soit  peu,  des  villes  ou  des  forts,  sans 
courir  la  risque  d'être  enlevées.  Cette  année,  1692, 
un  parti  nombreux  d'Iroquois  parut  à  la  vue  du  fort  de 
Verchères,  tandis  que  tous  les  hommes  étaient  dehors, 
occupés,  la  plupart,  aux  travaux  des  champs.  La  fille 
du  seigneur  (Mademoiselle  de  Vercuekes),  âgée  au 
plus  de  quatorze  ans,  en  était  à  deux  cents  pas.  Au 
premier  cri  qu'elle  entendit,  elle  courut  pour  y  rentrer. 
Les  Sauvages  la  poursuivirent,  et  l'un  d'eux  la  joignit, 


DU   CANADA.  227 

comme  elle  mettait  le  pied  sur  la  porte  ;  mais  l'ayant 
saisie  par  un  mouchoir  qu'elle  avait  au  cou,  elle  le 
détacha,  et  ferma  la  porte  sur  elle.  Il  ne  se  trouvait, 
dans  le  fort,  qu'un  jeune  soldat  et  une  troupe  de  femmes, 
qui,  à  la  vue  de  leurs  maris,  que  les  Iroquois  saisissaient 
et  garottaient,  poussaient  des  cris  lamentables.  La 
jeune  demoiselle  ne  perdit  ni  le  cœur  ni  le  jugement  ; 
elle  ordonna  aux  femmes  de  cesser  leurs  lamentations, 
ôta  sa  coëifure,  noua  ses  cheveux,  prit  un  chapeau  et 
un  juste-au-corps;  puis  elle  tira  un  coup  de  canon  et 
quelques  coups  de  fusil,  et  se  montrant,  avec  son  soldat, 
tantôt  dans  une  redoute,  et  tantôt  dans  une  autre,  et 
tirant  toujours  fort  à  propos,  lorsqu'elle  voyait  les  Iro- 
(juois  s'approcher  de  la  palissade,  ces  Sauvages  se 
persuadèrent  qu'il  y  avait  beaucoup  de  monde  dans  le 
fort,  et  se  retirèrent. 

Deux  ans  auparavant,  la  mère  de  cette  jeune  fille, 
Madame  de  Vercheres,  restée  presque  seule  dans 
le  même  fort,  on  avait  pareillement  éloigné,  par  son 
courage  et  sa  vigilance,  un  parti  de  guerre  de  la  même 
nation. 

C'était  presque  toujours  du  canton  des  Agniers  que 
sortaient  les  partis  de  guerre  qui  faisaient  le  plus  de  mal 
à  la  colonie  :  aussi  M.  de  Frontenac  prit-il  encore  une 
fois  la  résolution  d'en  tirer  raison.  Il  envoya  quelques 
compagnies  de  troupes  et  de  milices  au  chevalier  de 
Callières,  en  lui  ordonnant  d'y  joindre  quelques  cen- 
taines d'hommes  de  son  gouvernement,  soldats,  habitans, 
Sauvages,  pour  en  former  un  corps  d'armée,  et  de  le 
faire  marcher  incessamment  contre  les  Agniers.  Ces 
ordres  furent  exécutés  avec  diligence  ;  le  parti  se  com- 
posa de  six  cents  hommes,  et  le  commandement  en  fut 
donné  ii  MM.  de  Mantet,  de  Courtemanciie  et  de 
LA  Noue,  licutcnans. 

Ds  partirent  de  Montréal,  le  25  janvier  1693,  et  arri- 


228  HISTOIRE 

vèrent,  le  16  février,  daus  le  canton  d'Aguier,  sans  avoir 
été  découverts.  Ce  canton  n'était  alors  composé  que 
de  trois  grosses  bourgades,  qui  avaient  cliacune  un  fort  : 
La  Noue  attaqua  le  premier,  et  s'en  rendit  maître,  sans 
beaucoup  de  résistance.  Il  brûla  les  palissades,  les 
cabanes  et  toutes  les  provisions.  Mantet  eut  pareille- 
ment bon  marché  du  second,  qui  n'était  qu'à  un  quart 
de  lieue  du  premier.  Le  troisième,  qui  était  beaucoup 
plus  grand,  coûta  aussi  bien  davantage.  On  y  arriva 
dans  la  nuit  du  18  ;  les  Agniers,  quoique  surpris,  se 
défendirent  bien.  L'on  en  tua  une  vingtaine,  et  l'on 
en  fit  deux  cent-cinquante  prisonniers.  Après  cet 
exploit,  les  Français  se  retranchèrent,  dans  l'attente 
d'être  attaqués.  Les  Agniers  réunis,  parurent,  en  effet, 
au  bout  de  deux  jours,  et  se  reti-anchèrent  aussi,  de 
leur  côté.  Ils  fiu-ent  attaqués  vigoureusement,  et  se 
défendirent  de  même.  Leur  retranchement  ne  fut  forcé 
qu'à  la  troisième  charge.  La  perte  des  Français  fut  de 
seize  morts  et  douze  blessés  :  celle  des  Ii'oquois  ne  fut 
pas  plus  considérable.  Après  s'être  débandés,  ils  se 
rallièrent,  et  suivirent  l'armée  française  pendant  trois 
jours,  sans  néanmoins  s'en  trop  approcher.  Une  soixan- 
taine de  prisonniers,  amenés  à  Montréal,  fut  à  peu 
près  tout  le  fruit  de  cette  incursion  chez  les  Agniers. 
Les  routes  n'en  devinrent  pas  plus  libres,  ni  les  com- 
munications avec  le  Nord,  ou  l'Ouest,  moins  dangereuses. 
M.  d'Argenteuil,  frère  de  Mantet,  ayant  été  chargé 
de  porter  des  lettres  du  gouverneur  général  à  M.  de 
Louvigny,  un  sieur  de  la  Valtrie  eut  ordre  de  l'es- 
corter, avec  une  cinquantaine  d'hommes,  jusqu'au-delà 
de  tous  les  passages  dangereux.  D'Argenteuil  put  se 
rendre  à  INIichillimakinac  sans  malencontre  ;  mais  M. 
de  la  Valtrie  fut  attaqué,  à  son  retour,  près  de  l'île  de 
Mont-réal,  et  tué  avec  une  partie  de  ses  gens. 

Au  mois  de  juin,  le  gouverneur  général  ayant  appris 


DU    CANADA.  229 

que  huit  cents  Iroquois  s'étaient  mis  en  marche,  et 
étaient  déjà  près  des  Cascades,  à  l'extrémité  du  h\c 
Saint-Louis,  fit  partir  le  chevalier  de  Vaudreuil,  à  la 
tête  de  six  compagnies  de  troupes.  Le  gouverneur  de 
Mout-réal  avait  aussi  assemblé  un  corps  de  sept  à  huit 
cents  hommes,  et  ils  s'avancèrent,  tous  deux,  jusqu'aux 
Cascades  ;  mais  ils  n'y  trouvèrent  plus  l'ennemi  :  il 
avait  décampé,  à  la  nouvelle  des  préparatifs  qui  se 
faisaient  contre  lui. 

Le  4  août,  deux  cents  canots  arrivèrent  à  Mont-réal 
chargés  de  pelleteries.  Les  principaux  chefs  de  pres- 
que toutes  les  tribus  du  Nord  y  étaient  en  personne. 
Dès  que  M.  de  Frontenac  en  eut  eu  la  nouvelle,  il  se 
mit  en  route  pour  Mont-réal,  et  y  arriva,  escorté  de  ces 
mêmes  chefs,  qui  étaient  allés  au-devant  de  lui  jusqu'- 
aux Ïrois-Rivières.  Dès  le  lendemain,  il  se  tint  un 
grand  conseil,  où  tout  se  passa  à  la  satisfaction  des 
assistans.  Le  gouverneur  n'épargna  rien  pour  achever 
de  s'attacher  toutes  les  tribus  dont  les  chefs  se  trouvaient 
présents.  Tous  ces  Sauvages  partirent  charmés  de 
ses  manières  et  comblés  de  ses  présens,  et  furent  suivis 
de  près  par  un  grand  nombre  de  Français,  parmi 
lesquels  étaient  Courtemanche,  Mantet,  Argenteuil, 
nommé  lieutenant  de  Louvigny,  Perrot,  et  M.  lk 
Sueur,  chargé  de  faire  un  établissement  à  Chaçouami- 
gon,  sur  le  lac  Supérieur. 

Vers  la  fin  de  septembre,  on  vit  aiTiver  à  Québec 
une  femme  onneyouthe,  que  le  seul  désir  de  voir  le 
comte  de  Frontenac  avait  engagée  à  faire  ce  voyage.* 
"  Ce  n'était  pas  tout-à-fait  la  reine  de  Saba,  remarque 
Charlevoix;    mais  l'Iroquoise  était   animée  du   même 

*  Elle  était  accompagnée  de  Tareiia,  un  des  chefs  de  sa  tribu, 
qui,  au  mois  de  juin  précédent,  avait  été  député  vers  le  gouver- 
neur général,  pour  lui  faire  des  ouvertures  de  paix. 


230  HISTOIRE 

motif  que  cette  princesse,  et  le  général  français  en  fut 
tellement  flatté,  qu'il  crut  voir  dans  cette  femme  quel- 
que cliose  de  plus  qu'une  Sauvagesse."  Elle  méritait, 
d'ailleurs,  l'accueil  favorable  qu'il  lui  fit  :  c'était  elle 
qui  avait  adopté  le  P.  Millet,  après  l'arrestation  des 
chefs  iroquois,  à  Catarocouy,  et  lui  avait  par  là  sauvé  la 
vie.  Elle  se  fit  chrétienne,  et  se  fixa  au  Sault  Saint- 
Louis. 

L'année  1694  se  passa  presque  toute  en  envois  de 
députés,  négociations  et  remises  de  prisonniers,  de  la 
part  des  Iroquois. 

Le  gouverneur  de  la  Nouvelle  Angleterre  ne  voulait 
pas  rester  en  arrière  de  celui  de  la  Nouvelle  France,  en 
fait  de  vigilance  et  d'activité.  Il  était  parvenu  à  faire 
consentir  deux  des  principaux  chefs  des  Abénaquis  à 
traiter  de  la  paix  avec  lui  ;  et  il  se  transporta  au  fort 
de  Pemkuit,  pour  en  accélérer  la  conclusion.  Mais 
déjà  le  sieur  de  Villieu,  secondé  par  les  missionnaires, 
avait  trouvé  le  secret  de  détourner  ces  deux  chefs  de 
leur  dessein  ;  et  ayant  réuni  trois  ou  quatre  cents 
guerriers,  il  s'avança  au  milieu  des  habitations  anglaises, 
partagea  ses  gens  en  deux  bandes,  attaqua  et  prit  deux 
forts,  peu  éloignés  l'un  de  l'autre,  sans  qu'il  lui  en 
coûtât  un  seul  homme.  Enhardi,  ou  plutôt  enthou- 
siasmé par  un  succès  si  prompt  et  si  peu  coûteux,  un 
des  chefs,  nommé  Taxous,  s'avança  avec  quarante  des 
plus  braves  de  la  troupe,  jusqu'auprès  de  Boston  ;  atta- 
qua, en  plein  jour,  un  petit  fort,  s'en  rendit  maître,  et 
ravagea  tous  les  environs.  De  Yillieu  emmena  à  Qué- 
bec plusieurs  chefs,  qui  tous  renouvelleront  au  gouver- 
neur général  les  protestations  d'une  fidélité  inviolable. 
Vers  la  fin  de  cette  même  année,  d'Iberville,  accom- 
pagné de  son  frère  Serigny,  et  de  cent-vingt  Canadiens, 
ee  rendit  maître,  par  capitulation,  du  Port  Nelson,  à  la 


DU    CAXADA.  231 

Baie  cVIIudson,  et  lui  donna  le  nom  de  Fort  Bourbon. 
Cependant,  les  Iroquois,  malgré  leurs  députations  et 
leurs  prétendues  dispositions  pacifiques,  continuaient  à 
se  montrer  autour  des  habitations  françaises,  et  à  y  exer- 
cer leurs  ravages  accoutumés.  Le  comte  de  Frontenac 
crut  que  le  remède  le  plus  efficace  à  ces  maux  était  le  ré- 
tablissement du  Fort  de  Catarocouy.  Dans  ce  dessein,  il 
se  rendit  à  Mout-réal,  escorté  de  cent-dix  habitans  des 
gouveruemens  de  Québec  et  des  Trois-Rivières.  Il 
leva  encore  cent  hommes  de  milice,  deux  cents  soldats 
et  deux  cents  Sauvages,  dans  le  gouvernement  de 
Mont-réal,  avec  trente-six  officiers.  Cet  armement  se 
mit  en  route,  sous  la  conduite  du  chevalier  de  Crisasi. 
Cet  officier  usa  de  tant  de  diligence  et  d'activité,  qu'en 
quinze  jours  de  temps,  il  fit  le  trajet  difficile,  entre 
Mont-réal  et  le  lac  Ontario,  et  rebâtit  le  fort  de  Cata- 
rocouy. Sou  zèle  et  sa  vigilance  ne  se  bornèrent  pas 
là  :  avant  de  repartir  pour  Mont-réal,  il  envoya  des  Sau- 
vages, divisés  par  petites  troupes,  à  la  découverte,  de 
différents  côtés.  On  apprit,  pai*  ce  moyen,  qu'un  grand 
nombre  d'Iroquois  étaient,  ou  allaient  se  mettre  en 
campagne,  et  l'on  put  en  avertir  assez  à  temps  pour 
«lonner  au  gouverneur  dq  Mont-réal  le  loisir  de  mettre 
ses  postes  liors  d'insulte,  et  à  M.  de  Frontenac  celui  de 
former  un  corps  de  huit  cents  hommes  dans  Xllc 
Péri  ot. 

Les  ennemis  n'en  eurent  pas  moins  la  hardiesse  de 
s'avancer  jusqu'à  Mont-réal  et  de  débarquer  même,  par 
petits  pelotons,  dans  cette  île,  où  ils  massacrèrent  quel- 
ques Iiabitans;  mais  le  gouverneur  déconcerta  leurs 
mesures,  en  divisant  sa  petite  armée,  pour  la  répartir 
dans  les  différentes  paroisses.  Ne  pouvant  rien  faire 
par  petites  troupes,  les  Iroquois  s'avancèrent,  en  un 
corps  assez  considérable,  jusque  derrière  Boiicherville  : 


232  HISTOIRE 

mais  ils  y  furent  défaits  par  M.  La  Durantaye  ;  et  ainsi 
finit  la  campagne  dans  le  centre  de  la  colonie. 

Dans  les  quartiers  de  l'Ouest,  M.  de  Lamotte- 
Cadillac  avait  déterminé  les  Sauvages  voisins  de  son 
poste  à  faire  des  courses  sur  l'ennemi  commun  :  ces 
Sauvages  amenèrent  un  grand  nombre  de  prisonniers  à 
Michillimakinac.  Les  Iroquois  voulurent  s'en  venger 
sur  les  Français,  et  marchèrent,  en  grand  nombre,  pour 
couti'aindre  les  Miamis  à  se  déclarer  contre  eux. 
Courtemanche  et  quelques  Canadiens  se  trouvant  chez 
ces  Sauvages,  lorsque  les  Iroquois  parurent,  loin  de 
vouloir  écouter  ces  derniers,  ils  tombèrent  sur  eus  à 
l'iraproviste,  et  après  en  avoir  tué  et  blesssé  un  bon 
nombre,  obligèrent  le  reste  à  fuir  en  grand  désordre. 

Les  Iroquois  furent  dédommagés  de  cet  échec  par  la 
malveillance  d'un  chef  huron,  que  les  Canadiens  avaient 
surnommé  le  Baron.  Ce  chef  avait  envoyé  sous-main 
son  fils,  avec  quarante  guerriers  qui  lui  étaient  dévoués, 
vers  les  Tsonnonthouaus.  Ils  conclurent  avec  ce  canton 
un  traité  de  paix,  dans  lequel  les  Outaouais  furent 
compris.  Peu  après,  des  envoyés  iroquois  furent  reçus 
par  les  Sauvages  de  Michillimakinac,  et  eu  obtinrent 
tout  ce  qu'ils  voulurent,  môme  la  promesse  de  se  joindre 
à  eux,  poui'  faii'e  la  guerre  aux  Français. 

Ce  qui  mécontentait  surtout  les  alliés  des  Français, 
c'était  le  haut  prix  des  marchandises  qu'on  leur  vendait. 
Quelques  uns  d'eux  avaient  été  en  députation  à  Mont- 
réal, à  la  suggestion  de  M.  de  Lamotte,  pour  demander 
que  les  effets  dont  ils  ne  pouvaient  se  passer  leur  fussent 
vendus  à  meilleur  marché  :  le  gouverneur  généi'al  leur 
avait  laissé  entrevoir  qu'ils  seraient  satisfaits  sur  ce 
point.  Lorsque  ces  députés  furent  de  retour,  Lamotte 
assembla  les  chefs,  et  déclara  devant  tous,  qu'il  donne^ 
rait  à  crédit,  aux  prix  accoutumés,  tout  ce  qui  restait 


DU    CANADA.  233 

de  marchandises  dans  ses  magasins.  Cette  déclaration 
jointe  à  tout  ce  qu'il  put  leur  dire,  pour  raffermir  les 
uns  dans  leurs  bonnes  dispositions,  et  faire  revenir  les 
autres  de  leur  éloignement,  eut  assez  d'effet  pour  qu'il 
crut  pouvoir  leur  proposer  d'envoyer  des  partis  de 
guerre  contre  les  Iroquois. 

A  peine  le  commandant  eut-il  fini  de  parler,  que 
plusieurs  se  déclarèrent  chefs  de  l'entreprise  qu'il  pro- 
posait. Ils  assemblèrent  promptement  un  nombre 
considérable  de  guerriers,  et  coururent  chercher  les 
Iroquois.'  On  se  battit  avec  acharnement,  sur  le  bord 
d'une  rivière;  mais  à  la  fin,  les  Iroquois  furent  obligés 
de  se  jetter  à  la  nage,  pour  se  sauver.  Les  vainqueurs 
revinrent  à  Michillimakinac  avec  trente-deux  prison- 
niers, trente  chevelures,  et  un  butin  d'environ  cinq 
cents  peaux  de  castor. 

Le  gouverneur  général  ayant  résolu  de  pénétrer,  au 
printems,  jusqu'au  centre  du  pays  des  Iroquois,  donna 
ordi'e  au  gouverneur  de  Mont-réal  d'envoyer  quelques 
centaines  d'hommes  entre  le  Saint-Laurent  et  la  Grande- 
Rivière,  pour  courir  sus  à  ces  Sauvages,  qu'on  suppo- 
sait y  devoir  chasser  en  grand  nombre.  Ce  parti  ne 
rencontra  personne  ;  les  Iroquois  s'étant  tenus  renfer- 
més dans  leurs  forts,  pendant  tout  l'hiver. 

M.  de  Frontenac  arriva  à  Mont-réal  vers  la  fin  de 
juin,  (1696)^  accompagné  des  milices  du  gouvernement 
de  Québec  et  de  celui  des  Trois-Rivières.  Celles  du 
gouvernement  de  Mont-réal  étaient  déjà  assemblées,  et 
il  ne  restait  plus  qu'à  se  mettre  en  marche.  L'ar- 
mée partit  de  Mont-réal,  le  4  juillet,  et  arriva,  le  même 
jour,  à  La  Chine,  où  arrivèrent  aussi  cinq  cents  Sau- 
vages, dont  on  fit  deux  troupes  :  la  première,  composée 
d'Iroquois  et  d'Abénaquis  domiciliés,  fut  mise  sous  les 
ordres  de  JNLiricourt,  capitaine  ;  la  seconde,  oh  étaient 
u2 


234  HISTOIRE 

les  Hurons  de  Lorette  et  des  Iroquois,  eut  poui*  cotn- 
mandans  MM,  de  Beauvais  et  Legardeur,  lieutenans. 
Quelques  Algonquins  et  quelques  Outaouais,  joints  à 
d'autres  Sauvages  du  Nord,  formèrent  une  bande  sépa- 
rée, sous  le  baron  de  Békancour.  Les  troupes  furent 
partagées  en  quatre  bataillons  de  deux  cents  hommes, 
chacun,  sous  les  ordres  de  quatre  anciens  capitaines,  la 
Durantaye,  Demuys,  Dumesnil  et  de  Grais.  On  fit 
aussi  quatre  bataillons  des  milices  canadiennes  :  celui 
de  Québec  était  commandé  par  M.  de  Saint-Martin, 
capitaine  réformé  ;  celui  de  Beaupré,  par  M.  de 
Grand  VILLE,  lieutenant  ;  celui  des  Trois-Rivières,  par 
M.  DE  Grandpre',  major  de  place,  et  celui  de  Mont- 
réal, par  M.  Deschambauts,  procureur  du  roi  de  cette 
ville.  M.  DE  Subercase  faisait  les  fonctions  de  major- 
général,  et  chaque  bataillon,  tant  des  troupes  que  des 
milices,  avait  son  aide-major. 

Le  6,  cette  armée,  la  plus  nombreuse  qui  eût  encore 
été  formée  en  Canada,  alla  camper  dans  l'Ile  Perrot,  et 
le  lendemain,  elle  en  partit,  dans  l'ordre  suivant  :  M. 
de  Callières  menait  l'avant-garde,  composée  de  la 
première  bande  de  Sauvages  et  de  deux  bataillons  de 
troupes  :  elle  était  précédée  de  deux  grands  bateaux, 
où  était  le  commissaire  d'artillerie,  avec  deux  pièces  de 
campagne,  des  mortiers,  et  les  munitions.  Quelques 
canots,  conduits  par  des  Canadiens,  les  accompagnaient, 
avec  toutes  sortes  de  provisions  de  bouche.  Le  comte 
de  Frontenac,  suivait,  accompagné  de  M.  Levasseuk, 
ingénieur  en  chef,  et  environné  de  canots,  qui  portaient 
sa  maison,  son  bagage,  et  un  nombre  de  volontaires. 
Les  quatre  bataillons  de  milices,  plus  forts  que  ceux 
des  troupes,  faisaient  le  corps  de  bataille,  sous  les 
ordi-es  de  M.  de  Ramsay,  gouverneur  des  Trois- 
Rivières.     Les  deux  autres  bataillons  des  troupes,  avec 


DU    CANADA.  235 

la  seconde  bande  des  Sauvages,  formaient  l'arrière- 
garde,  sous  M.  de  Vaudreuil.  Dans  la  route,  le  corps 
qui  avait  fait  l'avant-garde,  un  jour,  faisait  l'arrière- 
garde,  le  lendemain. 

On  arriva,  le  19,  à  Catarocouy,  où  l'on  séjourna 
jusqu'au  26,  pour  attendre  quatre  cents  Outaouais,  que 
Lamotte-Cadillac  avait  promis,  mais  qui  ne  parurent 
point.  Le  28,  l'armée  se  trouva  à  l'entrée  de  la  rivière 
d'Onnontagué.  Cette  rivière  étant  étroite  et  rapide,  le 
général,  avant  de  s'y  engager,  envoya  cinquante  éclai- 
reurs  par  terre,  de  chaque  côté.  On  ne  put  faire, 
ce  jour-là,  qu'une  lieue  et  demie.  Le  lendemain,  l'ar- 
mée fut  séparée  en  deux  corps,  pour  faire  plus  de 
diligence,  et  pour  occuper  les  deux  bords  de  la  rivière, 
par  terre  et  par  eau.  M.  de  Frontenac  prit  la  gauche, 
avec  M.  de  Vaudreuil,  les  troupes  réglées  et  un  batail- 
lon de  milices.  MM.  de  Callières  et  de  Ramsay  tinrent 
la  droite,  avec  le  reste  des  milices  et  les  )Sauvage3, 
Sur  le  soir,  on  se  réunit,  après  avoir  fait  trois  lieues  de 
chemin,  et  l'on  s'arrêta  au  pied  d'une  chute,  qui  occu- 
pait toute  la  largeur  de  la  rivière.  Une  partie  de 
l'armée  s'était  engagée  dans  le  courant  de  cette  chute, 
et  il  eût  été  dangereux  de  la  faire  rétrograder.  Pour 
remédier  à  cette  imprudence,  M.  de  Callières  fit  mettre 
tout  son  monde  à  l'eau,  fit  porter  les  canons  par  terre, 
et  traîner  les  bateaux  sur  des  rouleaux,  jusqu'au-dessus 
de  la  chute.  Cette  opération,  qui  dura  jusqu'à  10 
heures  du  soir,  se  fit  dans  le  plus  grand  ordre,  et  à  la 
lueur  de  flambeaux  d'écorce. 

Enfin,  l'armée  entra  dans  le  lac  de  Gannentaha,  par 
un  endroit  nommé  le  Rigolet,  qu'il  n'eut  pas  été  ùcile 
de  forcer,  si  l'ennemi  eût  eu  la  précaution  de  s'en  saisir. 
On  y  trouva  deux  paquets  de  joncs  pendus  à  un  arbre, 
et  l'on  y  compta  1430  tiges;  ce  qui  signifiait  qu'autant 


236  HISTOIRE 

de  guerriers  iroquois  attendaient  les  Français,  et  les 
défiaient  au  combat. 

L'armée  traversa  le  lac,  en  ordi-e  de  bataille  :  M,  de 
Callières,  qui  tenait  la  gauche,  feignit  de  faire  la  des- 
cente de  ce  côté-là,  oià  étaient  les  ennemis,  et  dans  le 
même  temps,  M.  de  Yaudi-euil  la  fit  sur  la  droite,  avec 
sept  ou  huit  cents  hommes  ;  puis,  tournant  autour  du 
lac,  il  alla  joindre  M.  de  Callières,  et  alors  tout  le  reste 
de  l'armée  débarqua.  M.  Levasseur  traça  aussitôt  un 
fort,  qui  fut  achevé,  le  lendemain.  On  j  enferma  les 
vivres,  les  canots  et  les  bateaux,  et  on  en  confia  la  garde 
au  marquis  de  Crisasi,  (frère  du  chevalier  de  ce  nom,) 
et  à  M.  Derbergers,  capitaines,  auxquels  on  donna 
cent-cinquante  hommes  choisis.  Le  soir,  on  apperçut 
une  grande  lueur,  du  côté  du  grand  village  d'Onnon- 
tagué,  et  l'on  jugea  que  les  Sauvages  j  avaient  mis  le 
feu. 

Le  3  août,  l'armée  alla  camper  à  une  demi-lieue  du 
débarquement,  près  des  Fontaines  Salées.  Lie  lende- 
main, Subercase  la  rangea  en  bataille,  sur  deux  lignes, 
et  fit  les  détachemens  nécessaires  pour  porter  l'artillerie. 
M.  de  Callières  commandait  la  ligne  de  gauche,  et  M. 
de  Vaudi'cuil,  celle  de  droite  :  le  général  était  entre  les 
deux,  porté  dans  un  fauteuil,  environné  de  sa  maison 
et  des  volontaires,  et  ayant  devant  lui  le  canon.  L'on 
n'arriva  que  fort  tard  au  village,  que  l'on  trouva  presque 
réduit  en  cendres. 

Dans  l'après-midi  du  5,  un  prisonnier  français  arriva 
d'Onneyouth,  chargé  d'un  collier  de  la  part  de  ce  canton 
poui'  demander  la  paix.  Le  général  le  renvoya  aussitôt, 
avec  ordre  de  dire  à  ceux  qui  l'avaient  député,  qu'il 
allait  faire  marcher  des  troupes  de  leur  côté.  En  effet, 
le  chevalier  de  Yaudreuil  partit,  le  lendemain,  pour  ce 
canton,  à  la  tête  de  six  à  sept  cents  hommes,  avec  ordre 


DU   CANADA.  237 

de  couper  les  bleds,  de  brûler  les  cabanes,  et  au  cas 
qu'on  lui  fît  la  moindre  résistance,  de  passer  au  fil  de 
l'épée  tous  ceux  qu'il  pourrait  joindx-e.*  Le  reste  de 
l'armée  fut  occupé,  pendant  deux  jours,  à  ruiner  le 
canton  d'Onnontagué,  d'où  tout  le  monde  s'était  enfui, 
à  l'exception  d'un  vieillard  de  près  de  cent  ans,  que  l'on 
prit,  à  l'entrée  du  bois.  Il  paraît,  dit  Charlevoix,  qu'il 
y  attendait  la  mort,  avec  la  même  intrépidité  que  ces 
anciens  sénateurs  romains,  dans  le  temps  de  la  prise  de 
Rome  par  les  Gaulois.  On  eut  la  cruauté  de  le  livrer 
aux  Sauvages  de  l'armée,  qui,  sans  égard  à  son  âge, 
déchargèrent  sur  lui  le  dépit  que  leur  avait  causé  la 
fuite  des  autres.  "  Ce  fut,  continue  le  même  historien, 
un  spectacle  bien  singulier  de  voir  plus  de  quatre  cents 
hommes  acharnés  autour  d'un  vieillard  décrépit,  auquel, 
à  force  de  tortures,  ils  ne  purent  arracher  un  seul  soupir, 
et  qui  ne  cessa,  tant  qu'il  vécut,  de  leur  reprocher  de 
s'être  rendus  les  esclaves  des  Français,  dont  il  affecta 
de  parler  avec  le  dernier  mépris.  La  seule  plainte  qui 
sortit  de  sa  bouche  fut,  lorsque,  par  compassion,  ou 
peut-être  de  rage,  quelqu'un  lui  donna  deux  ou  trois 
coups  de  couteau,  pour  l'achever  :  "  Tu  aurais  bien  dû, 
lui  dit-il,  ne  pas  abréger  ma  vie  ;  tu  aurais  eu  plus  de 
temps  pour  apprendre  à  mourir  en  homme." 

Après  avoir  brûlé  le  fort  et  les  villages  d'Onneyouth, 
---i.M.  de  Vaudrcuil  revint  au  camp,  avec  une  trentaine  de 
'  Français,  qu'il  avait  délivrés  de  captivité  :  ils  étaient 
accompagnés  des  principaux  chefs  du  canton,  qui 
venaient  se  mettre  à  la  discrétion  de  M.  de  Frontenac. 
Ce  général  leur  fit  un  act,'ueil  favorable,  dans  l'espérance 
d'attirer  les  autres  ;    mais    il    les    attendit    vainement. 


*  Hourensemeiit  pour  les  Onncyoutlis,  et  pour  rhuiuiiniu-, 
pourrions-nous  dire,  la  dernière  parlie  de  cet  ordre  ne  put  être 
mise  à  exécution. 


238  HISTOIRE 

Il  apprit  des  prisonniers  qu'il  n'y  avait  aucune  appa- 
rence que  les  Anglais  vinssent  au  secours  de  leurs  alliés,* 
et  que  la  consternation  régnait  partout. 

Sur  cet  avis,  le  conseil  de  guerre  fut  assemblé  et  l'on 
y  délibéra  sur  ce  qu'il  y  avait  à  faii-e,  pour  mettre  la 
dernière  main  aune  expédition  si  bien  commencée.  M. 
de  Frontenac  opina  d'abord  qu'il  fallait  aller  traiter  le 
canton  de  Goyogouin,  comme  on  avait  fait  ceux  d'On- 
nontagué  et  d'Onneyouth.  Cette  proprosition  fut 
applaudie  généralement,  et  l'on  ajouta  qu'après  avoir 
ruiné  ces  trois  cantons,  il  était  à  propos  d'y  construire 
des  forts,  pour  empêcher  les  Sauvages  de  s'y  rétablir. 
M.  de  Callières  s'offrit  à  demeurer  dans  le  pays,  jiendant 
l'hiver,  pour  exécuter  ce  projet,  et  son  offre  fut  d'abord 
acceptée  :  plusieurs  officiers,  la  plupart  Canadiens, 
furent  nommés  pour  y  rester,  sous  ses  ordres  ;  mais  on 
ne  fut  pas  peu  surpris,  lorsque,  dès  le  soir  même,  le 
général  déclara  qu'il  avait  changé  de  jjensée,  et  qu'il 
fallait  se  disposer  à  reprendre  la  route  de  Mont-réal. 
Vainement,  M.  de  Callières  et  plusieurs  autres  voulu- 
rent-ils lui  faire  des  représentations  ;  il  partit,  sur 
l'heure,  fit  raser  son  fort,  le  lendemain  ;  s'embarqua  le 
11,  et  arriva,  le  20,  à  Mont-réal. f 

*  Les  Anglais  avaient  bâti  nn  fort  à  quatre  bastions,  dans  le 
canton  d'Onnontagué,  et  le  bruit  avait  couru  qu'ils  y  avaient 
envojé  du  canon.  On  ne  saurait  dire  pourquoi  ils  avaient  aban- 
donné ce  fort,  et  négligèrent,  en  cette  occasion,  de  défendre  leurs 
alliés.  Quinze  cents  Iroquois,  quelques  centaines  d'Anglais,  avec 
quelques  pièces  d'artillerie,  qu'on  aurait  pu  faire  venir  fiicilement 
de  New-York  ou  d'Alban}-,  et  lai^roximité  des  bois,  si  propres  aux 
arabuscades,  auraient  suffi  pour  mettre  le  comte  de  Prontenac  en 
danger  d'être  battu,  ou  dans  la  nécessité  de  s'en  revenir,  sans 
avoir  rien  fait, 

f  On  pi'étendit  lui  avoir  entendu  dire,  eu  donnant  l'ordre  du 
retour,  "  qu'on  voulait  obscurcir  sa  gloire,"  ou  plus  explicitement, 
"  que  le  gouverneur  de  Mont-réal  était  jaloux  de  sa  gloire,  et  que 
c'était  pour  l'effacer,  qu'il  voulait  l'engager  dans  une  entreprise 
dont  le  succès  était  incertain. 


DU   CANADA.  239 

M.  de  Frontenac  pensait  sans  doute,  en  avoir  fait  assez 
pour  porter  les  Iroquois  à  accepter  la  paix,  aux  conditions 
qu'il  lui  plairait  de  leur  imposer.  Il  fit  néanmoins 
plusieurs  détachemens  de  ses  troupes,  afin  de  les  harce- 
ler jusqu'à  l'automne. 

Pendant  que  M.  de  Frontenac  ravageait  le  pays  des 
Iroquois,  d'Iberville,  après  avoir  enlevé  aux  Anglais  un 
vaisseau  de  24  canons,  sans  perdre  un  seul  homme, 
leur  prenait,  par  capitulation,  le  fort  de  Pcmkuit  ;  et  le 
chevalier  de  Villebon  les  repoussait  de  devant  celui  de 
Naxoat. 

De  l'Acadie,  d'Iberville  se  rendit  à  Plaisance,*  en 
Terre-Neuve,  où  cent-vingt  Canadiens  et  quelques 
volontaires,  partis  de  Québec,  le  devaient  joindre,  et 
le  joignirent,  en  eftet,  quelques  jours  après  son  arrivée. 
Il  devait,  conjointement  avec  M.  de  Brouillan,  gou- 
verneur de  Plaisance,  enlever  aux  Anglais  les  établis- 
semens  qu'ils  avaient  dans  l'île,  et  particulièrement  le 
fort  et  la  ville  de  Saint-Jean.  Il  y  eut  quelques  alter- 
cations entre  de  Brouillan  et  d'Iberville,  d'abord  au 
sujet  du  commandement,  ensuite  par  rapport  au  butin 
à  faire.  D'Iberville  voulait  commander  exclusivement 
les  Canadiens  ;  ]M.  de  Brouillan,  au  contraire,  pré- 
tendait qu'ils  devaient  eti'e  soumis  à  ses  ordres,  comme 
ses  propres  miliciens  et  ses  soldats.  D'Iberville  mécon- 
tent parla  de  se  retirer  ;  mais  les  Canadiens  déclarèrent 
unanimement  qu'ils  ne  reconnaîtraient  point  d'autre  chef 

*  Vers  1660,  la  ville,  ou  le  bourg,  de  Plaisance  était  devenue 
le  siège  d'un  gouvernement  royal,  et  l'on  y  voit  commander,  suc- 
cessivement, les  sieurs  dk  Gakgot,  de  la  Poype,  Parât  et  de 
Brouillan.  Au  temps  dont  nous  parlons,  les  Français  avaient 
encore,  en  Terre- Non vo,  le  fort  de  Sdint-Loiti.t,  et  les  établisse- 
raens  du  Chapeau- Rmiiie  et  du  Pctit-JVord,  outre  ceux  des  îles  do 
Saint-Pierre  et  de  Mi(juvloii.  D'après  différents  auteurs,  tant 
anciens  que  modernes,  les  Français  s'étaient  établis  dans  l'île  de 
Terre-Neuve,  dès  l'année  1504,  sinon  antérieurement. 


24('  HISTOIRE 

que  lui,  et  que  c'était  à  cette  condition  qu'ils  s'étaient 
enrôlés.*     Il  fallut  en  passer  jiar  là. 

M.  de  Brouillan  voulant  qu'on  commençât  par  atta- 
quer la  capitale,  il  fut  réglé  qu'on  se  rendrait  séparé- 
ment à  Saint-Jean,  d'Iberville  avec  ses  Canadiens,  et 
le  gouverneur  avec  ses  troupes  et  ses  milices  ;  que  quand 
ils  seraient  réunis,  M.  de  Brouillan  aurait  tous  les  hon- 
neurs du  commandement  ;  mais  que  le  "  pillage  "  (c'est 
l'expression  de  Charlevoix,)  serait  partagé  de  telle  sorte 
entre  les  deux  troupes,  que  d'Iberville,  qui  faisait  la  plus 
grande  partie  des  frais  de  l'expédition,  aurait  aussi  la 
meilleure  part  du  butin. 

M.  de  Brouillan  s'embarqua  avec  ses  troupes  et  ses 
milices,  et  d'Iberville  se  mit  en  route,  par  teri-e,  le  1er 
novembre,  avec  tous  les  Canadiens  et  quelques  Sau- 
vages. Le  tout  ne  se  montait  pas  à  plus  de  cent  trente 
hommes  ;  mais  avec  cette  petite  troupe,  d'Iberville  prit, 
l'un  après  l'autre,  un  nombre  de  petits  forts,  et  fit  plu- 
sieurs centaines  de  prisonniers.  Arrivé  à  la  vue  de 
Saint-Jean,  il  lui  fallut  agir  de  concert  avec  de  Brouil- 
lan, et  sous  ses  ordres  ;  mais  il  eut  encore  la  première 
et  la  principale  part  à  la  prise  de  cette  ville  et  des  forts 
qui  la  défendaient.  On  détruisit  ces  forts,  et  l'on  brûla 
toutes  les  maisons  du  bourg  et  des  environs.  De  Brou- 
illan s'en  retourna  à  Plaisance,  avec  tout  son  monde  ; 
ce  qui  n'empêcha  pas  d'Iberville  de  continuer  la  petite 

*  "  D'Iberville  était  Canadien,  dit  Charlevoix,  et  personne  n'a 
fait  plus  d'honneur  à  sa  patrie  ;  aussi  était-il  l'idole  de  ses  com- 
patriotes. En  un  mot,  ces  braves  Canadiens  étaient  la  dixième 
légion,  qui  ne  combattait  que  sous  la  conduite  de  Cesae,  et  à  la 
tcte  de  laquelle  César  était  invincible.  D'ailleurs,  ajoute-t-il,  le 
gouverneur  de  Plaisance  avait  la  réputation  d'être  dur  et  haut 
dans  le  commandement,  et  il  n'y  eut  jamais  de  troupes  avec  les- 
quelles on  réussit  moins  par  la  hauteur  et  la  dureté,  que  les 
milices  canadiennes,  très  aisées  cependant  à  conduire,  lorsqu'on 
sait  s'y  prendre  d'une  manière  tout  op^josée,  et  qu'on  a  su  gagner 
leur  estime." 


DU  CANADA.  241 

guerre,  avec  ses  Canadiens,  Dans  l'espace  de  deux 
mois,  il  prit  tout  ce  qui  restait  aux  Anglais,  dans  l'ile, 
excepté  Bonavista  et  Carbonnière,  places  trop  foi'tes 
pour  la  poignée  de  gens  qu'il  commandait,  et  fit  de  six 
à  sept  cents  prisonniers,  tant  hommes  que  femmes  et 
enfans. 

Après  d'Ibcrville,  qui  donna,  dans  cette  expédition, 
de  grandes  preuves  de  sa  capacité,  et  qui  se  trouvait 
partout  où  il  y  avait  plus  de  risques  à  courir  et  de 
fatigues  à  essuyer,  et  Montigny,  qui  ordinairement 
prenait  les  devans,  et  laissait  peu  à  faire  à  ceux  qui  le 
suivaient,  MM.  Dugue',  de  Plaike  et  de  la  PEERrERE, 
tous  trois  Canadiens,  se  distinguèrent  d'une  manière 
particulière.  Les  détails  dans  lesquels  entrent  M.  de 
ea  Potiiekie  et  le  P.  Charlevoix  nous  ont  paru  trop 
minutieux  pour  cette  histoire.  Au  reste,  les  traits  de 
bravoure  et  d'habileté  compensent  à  peine  le  désir  de 
piller,  d'incendier  et  de  détruire,  qui  semble  animer 
presque  uniquement  les  agresseurs,  lis  auraient  pu 
avoir  un  but  utile  pour  leur  nation  ;  celui  de  lui  trans- 
porter le  commerce  que  la  possession  de  la  meilleure 
partie  de  l'île  de  Terre-Neuve  procurait  à  l'Angleteri'e  ; 
mais  pour  y  réussir,  il  aurait  fallu  ne  pas  conquérir 
uniquement  pour  ravager,  mais  pour  conserver,  et 
remplacer  par  des  nationaux  les  anciens  habitans,  qu'on 
tuait,  ou  qu'on  chassait,  Les  moyens  manquant,  le 
résultat  de  cette  petite  guerre  fut  de  faire  beaucoup  de 
mal  à  autrui,  sans  se  procurer  à  soi-même  le  moindre 
avantage  réel  et  positif. 

Tel  était  l'esprit  du  temps,  dans  ce  pays,  que  tout 
particulier  se  croyait  en  droit  de  s'armer,  et  d'aller  tuer, 
incendier  et  piller,  partout  où  sa  volonté  ou  le  hazard  h* 
conduisait,  chez  les  Anglais  et  les  Sauvages.  Dans  le 
même  temps  que  d'Iberville  et  Brouillan  étaient  occupés 


242  HISTOIRE 

à  détruire  les  établi ssemens  anglais  de  Terre-Neuve,  on 
quelques  années  auparavant,  deux  ou  trois  petits  partis 
de  quinze  ou  vingt  hommes,  chacun,  se  mirent  en  cam- 
pagne, pour  aller  chercher  rencontre  ou  fortune,  du 
côté  de  la  Nouvelle  York.  Une  de  ces  petites  bandes 
tomba  dans  une  ambuscade,  près  d'Orange,  et  tous  ceux 
qui  la  composaient  furent  tués,  ou  faits  prisonniers. 
Une  autre  rencontra  des  Sauvages  de  la  Montagne,  qui 
les  prirent  pour  des  Anglais,  et  fut  en  partie  détruite.* 
Digne  récompense  de  ces  téméraires  et  coupables 
entreprises. 

De  l'île  de  Ten*e-Neuve  d'Iberville  passa,  encore 
une  fois,  à  la  Baie  d'Hudson,  où,  sur  un  vaisseau  de  50 
canons,  il  eut  à  se  battre  contre  trois  vaisseaux  anglais, 
dont  un  était  plus  fort  que  le  sien,  et  les  deux  autres 
étaient  des  frégates  de  32  canons.  Il  coula  à  fond  le 
premier,  s'empara  d'une  des  frégates,  et  obligea  l'autre 
à  prendre  la  fuite.  Après  cet  exploit  naval,  il  reprit 
le  fort  Bourbon,  dont  les  Anglais  s'étaient  de  nouveau 
rendus  maîtres.  Il  y  laissa,  comme  commandant,  M. 
Le^ioyne  de  Martigny,  son  cousin  germain,  et  M.  de 
BoiSBRiAKD,  en  qualité  de  lieutenant  de  roi. 

Il  ne  se  passa  rien  de  bien  important,  dans  le  centre 
de  la  colonie,  depuis  l'automne  de  1696  jusqu'au 
printems  de  l'année  suivante.  Mais  bientôt,  les  Iro- 
quois,  s'appercevant  qu'on  ne  songeait  plus  à  les  aller 
inquiéter  chez  eux,  se  mirent,  de  toutes  parts,  en 
campagne  ;  ce  qui  obligea  le  gouverneur  de  Mont-réal 
à  multiplier  les  partis,  pour  rompre  leurs  mesures.  Le 
comte  de  Frontenac  se  repentit  alors  d'avoir  ménagé 
une  nation,   à  laquelle  il  avait  fait  trop  de  mal,  pour 

*  Dans  cette  malheureuse  rencontre,  les  Iroquois  du  Sault 
Saint-Louis  perdirent  leur  chef  Adakahta,  que  les  Français 
appellaient  le  •'  Grand  Agnier." 


DU   CANADA.  243 

espérer  de  la  gagner  jamais;  et  ce  qui  se  passait,  eu 
même  temps,  dans  les  contrées  de  l'Ouest,  vint  ajouter 
encore  à  sa  sollicitude. 

Un  assez  grand  nombre  de  Miamis,  des  bords  de  la 
rivière  Maramek  ou  Merrimak,  en  étaient  partis,  sur 
la  fin  du  mois  d'août  de  l'année  précédente,  pour 
s^aller  réunir  avec  leurs  frères  établis  sur  la  rivière  de 
Saint-Joseph,  et  avaient  été  attaqués,  en  chemin,  par 
des  Sioux,  qui  en  avaient  tué  plusieurs.  Les  Miamis 
de  Saint-Joseph,  instruits  de  cet  acte  d'hostilité, 
allèrent  chercher  les  Sioux,  jusque  dans  leur  pays, 
pour  venger  leurs  frères,  et  les  rencontrèrent  retran- 
chés dans  un  fort,  avec  des  Français  du  nombre  de 
ceux  qu'on  appellait  Coureurs  de  bois.  Us  les  attaquè- 
rent, à  plusieurs  reprises,  avec  beaucoup  de  résolution  ; 
mais  ils  furent  toujours  repoussés,  et  contraints  enfin 
de  se  retirer,  après  avoir  perdu  plusieurs  de  leurs  gens. 
Comme  ils  s'en  retournaient  chez  eux,  ils  rencontrèrent 
d'autres  Français,  qui  portaient  des  armes  et  des  muni- 
tions aux  Sioux;  ils  les  leur  enlevèrent,  sans  néan- 
moins leur  faire  d'autre  mal.  Es  firent  ensuite  savoir 
aux  Outaouais  ce  qui  venait  de  se  passer,  et  ceux-ci 
envoyèrent  une  députion  à  M.  de  Frontenac,  pour  lui 
représenter  qu'il  était  nécessaire  d'appaiser  les  Miamis, 
si  l'on  voulait  qu'ils  ne  se  joignissent  pas  aux  Iroquois. 
Ils  étaient,  en  effet,  tellement  irrités  contre  les  Fran- 
çais, que  Nicolas  Perrot,  si  accrédité  parmi  eux,  fut  sur 
le  point  d'être  brûlé,  et  n'échappa  à  leur  fureur  que 
par  le  moyen  des  Outagamis,  qui  le  tirèrent  de  leurs 
mains. 

Le  commerce  des  particuliers  chez  les  tribus  sauvages 
ne  fût  pas  entièrement  supprimé,  mais  restreint  de 
manière  à  faire  cesser  les  inconvénicns  et  les  plaintes 
auxquelles  il  avait,  depuis  longtemps,  donné  lieu. 


244  HISTOIRE 

Pour  revenix-  aux  Iroquois,  les  partis  qu'ils  avaient 
mis  eu  campagne  ne  furent  pas  heureux,  dans  leurs 
rencontres  avec  les  alliés  des  Français.  Un  de  ces 
partis  s'étant  mis  en  route  pour  aller  joindre  Le  Baron, 
qui  était  allé  s'établir  près  d'Albany,  avec  trente  familles 
de  sa  tribu,  quatre  de  ses  éclaireurs  rencontrèrent 
Koudiaronk,  le  chef  huron  dont  il  a  déjà  été  parlé.  Il 
était  à  la  tête  de  cent-cinquante  guerriers,  et  avait  mis 
pied  à  terre,  au  fond  du  lac  Ontario.  Deux  des  éclai- 
reurs ii'oquois  furent  faits  prisonniers,  et  l'on  apprit 
d'eux  que  leurs  gens  n'étaient  pas  loin  ;  qu'ils  étaient 
au  nombre  de  deux  cent-cinquante;  mais  qu'ils  n'avaient 
de  canots  que  povir  soixante  au  plus. 

Sur  cet  avis,  Kondiaronk  s'avança,  en  canots,  avec 
ses  gens,  vers  l'endroit  où  on  lui  avait  dit  que  les 
ennemis  étaient  campés  :  lorsqu'il  en  fut  à  une  portée 
de  fusil,  il  feignit  d'être  sui'pris  et  effrayé  de  leur 
nombre,  et  de  prendre  la  fuite.  Aussitôt,  soixante 
Iroquois  se  jetteront  dans  leurs  canots,  pour  le  pour- 
suivre. Kondiaronk  poussa  au  large  et  fit  force  de 
rames,  jusqu'à  ce  qu'il  fût  à  deux  lieues  de  terre. 
Alors  il  s'arrêta,  se  mit  en  bataille,  essuya,  sans  tirer, 
la  première  décharge  des  Iroquois,  qui  ne  lui  tuèrent 
que  deux  hommes  ;  puis,  sans  leur  donner  le  temps  de 
recharger,  il  fondit  sur  eux,  avec  tant  de  furie,  qu'en 
un  moment,  tous  leurs  canots  furent  percés  ou  fracas- 
sés. Tous  ceux  des  Iroquois  qui  ne  se  noyèrent  pas 
fui-ent  tués  ou  pris. 

Un  autre  parti  d'Iroquois,  qui  s'était  approché  de 
Catarocouy,  sous  la  conduite  du  chef  La  Chaudière- 
Noire,  fut  sui'pris  et  défait,  par  un  parti  d'Algonquins. 

■Cependant,  les  troupes  et  une  partie  des  milices 
étaient  tenues  sous  les  armes,  ou  prêtes  à  marcher,  au 
premier  ordre,  dans  l'attente  d'une  nouvelle  attaque  de 


DU    CANADA.  245 

la  part  des  Anglais.  Vers  la  fin  d'août,  M.  de  Lamotte, 
à  qui  l'on  avait  fait  savoir  les  bruits  qui  couraient  d'un 
nouvel  armement  pour  la  conquête  du  Canada,  arriva  à 
Mont-réal,  avec  un  grand  nombre  de  Français,  et  trois 
cents  Sauvages,  qu'il  avait  eu  l'adresse  d'engager  à 
venir  au  secours  de  la  colonie  ;  mais  l'ennemi  qu'on 
attendait  ne  parut  pas. 

Au  mois  de  novembre,  tous  les  cantons  iroquois, 
excepté  celui  d'Agnier,  envoyèrent  des  députés  à  M. 
de  Frontenac,  pour  lui  demander  la  paix,  ou  lui  faire 
entendre  qu'ils  la  désiraient.  Ouréouharé  était  un  de 
de  ces  députés.  Le  gouverneur  comptait  beaucoup  sur 
son  influence  ;  mais  il  mourut  d'une  pleurésie,  quelques 
jours  après  son  arrivée.  Il  fut  enterré  avec  les  hon- 
neurs qu'on  rendait  aux  capitaines  des  compagnies.* 

La  paix  conclue  entre  les  puissances  de  l'Europe 
amena  une  correspondence  entre  le  chevalier  de  Bel- 
LAMONT,  .gouverneur  de  la  Nouvelle -York,  et  M.  de 
Frontenac.  C'étaient,  de  la  part  du  premier,  des 
plaintes,  et  de  celle  du  second,  des  récriminations,  qui 
n'aboutirent  à  rien  pour  lors.  Quelles  que  fussent  les 
prétentions  de  M.  de  Bcllamont,  au  sujet  des  Iroquois, 
M.  de  Frontenac  n'en  était  pas  moins  déterminé  à  faire 
accepter  la  paix  à  ces  Sauvages,  à  ses  conditions,  ou  k 
porter,  de  nouveau,  la  guerre  dans  leur  pays  ;  mais  il 
ne  put  faire  ni  l'un  ni  l'autre  :  il  mourut,  le  28  novem- 

*  "  Il  fallait,  dit  Charlevoix,  que  ce  Sauvage  eût,  dans  le 
caractère,  quelque  chose  de  fort  aimable  ;  car  toutes  les  fois  qu'il 
paraissait,  soit  a  Québec,  soit  à  Mout-réal,  le  peuple  lui  donnait 
mille  témoignages  d'amitié.  Olkeciiiare'  (de  même  que  Gara- 
kontuik'),  était  chrétien,  depuis  plusieurs  années,  et  c'est  de  lui 
qu'on  à  dit,  que  son  confesseur  lui  pariant,  dans  sa  dernière  mala- 
die, des  opprobres  et  des  ignominies  de  la  passion  de  Jescs- 
CuRiST,  il  entra  dans  un  si  grand  m(nivement  d'indignation 
contre  les  Juifs,  qu'il  s'écria  :  "  Que  n'étais-je  là  !  Je  les  aurais 
bien  empêché  de  traiter  ainsi  mon  sauveur." 

v2. 


246  HISTOIRE 

bre  1698,  dans  la  TSème  année  de  son  âge.  "Dans 
un  corps  aussi  sain  qu'il  est  possible  de  l'avoir  à  cet 
âge,  il  conservait,  dit  Cliarlevoix,  toute  la  fermeté  et 
toute  la  vivacité  d'esprit  de  ses  plus  belles  années.  11 
mourut  comme  il  avait  vécu,  chéri  de  plusieurs,  estimé 
de  tous,  et  avec  la  gloire  d'avoir  soutenu,  et  même  fait 
prospérer,  sans  presque  aucun  secours  de  France,  une 
colonie  ouverte  et  attaquée  de  toute  part,  et  qu'il  avait 
trouvée  sur  le  penchant  de  sa  ruine." 

Le  retour  de  la  paix  fovu'nit  à  d'Iberville  de  nouvelles 
occasions  de  servir  utilement  son  pays  natal  et  sa 
métropole.  Il  restait  à  reconnaître  l'embouchure  du 
Micissipi  par  mer,  et  à  poursuivre  les  découvertes 
commencées  dans  la  Louisiane.  Quelques  années  après 
le  dernier  voyage  de  La  Sale,  le  baron  de  Lahoxtan 
avait  remonté  le  Missouri,  ou  la  Rivih-e  des  Missouris, 
jusqu'à  son  confluent  avec  celle  des  Osages.  Ces 
peuples  n'avaient  pas  encore  vu  d'Européens,  ou  du 
moins  ne  connaissaient  pas  les  armes  à  feu.  D'affreux 
crocodiles  infestaient,  disait-on,  les  deux  grands  fleuves  ; 
mais  les  "prairies"  étaient,  pour  ainsi  dire,  couvertes 
de  bœufs  sauvages,  bufiles  ou  bisons,  et  les  dindons 
foisonnaient  dans  les  forêts.*  Le  but  du  nouveau 
voyageui'  n'était  pas  de  suivre  les  traces  de  La  Sale,  ou 
de  Tonti,  en  descendant  plus  bas  le  Micissipi  :  après 
une  excursion  à  l'entrée  de  la  rivière  Ouahache,  il  était 
revenu  au  Micissipi,  et  avait  regagné,  par  l'iUinois,  le 

*  Les  Missouris  donnèrent  à  Lahontan  "  une  centaine  de  coqs- 
d'Inde,  une  abondance  de  viandes  boucanées,  de  sacs  de  bled 
d'Inde,  de  raisons  secs,  et  quelques  peaux  de  chevreuil  teintes  de 
diverses  couleurs  ;"  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  de  permettre  que  le 
feu  fût  mis  à  un  de  leurs  villages,  par  les  Sauvages  dont  il  était 
accompagTié.  Ce  n'était  pas  s'annoncer  en  homme  reconnaissant, 
non  plus  qu'en  bienfaiteur  de  l'espèce  humaine  ;  mais  on  lui  avait 
dit  que  ces  peuples  étaient  "méchants,"  et  que  le  pays  qu'ils 
habitaient  "  était  trop  beau  pour  eux." 


DU  avxADA,  247 

détour  de  Chicagou,  d'où  il  était  parti.  Il  avait  anté- 
rieurement visité  les  Miamis,  les  Outagarais  et  les 
Sioux,  qu'il  appelle  J^Tadoiiessis. 

Pour  revenir  à  d'Iberville,  repassé  en  France,  il  pro- 
posa au  gouvernement  l'expédition  dont  nous  venons 
de  parler,  et  il  en  fut  chargé.  Il  lui  fut  donné  deux 
vaisseaux,  sur  lesquels  il  s'embai-qua,  à  La  Rochelle,  le 
17  octobre  1698.  Après  avoir  été  mouiller  au  Cap 
Français,  dans  l'ile  de  Saint-Domingue,  d'Iberville  se 
porta  vers  la  baie  de  Pensacola,  oii  les  Espagnols 
venaient  de  commencer  un  établissement.  H  reconnut 
ensuite  la  baie  de  La  Mobile,  File  Duuphine,  la  rivitr<.' 
de  Fascagoida,  et  la  baie  de  Biloxi;  et  se  dirigeant 
vers  l'ouest,  il  arriva,  le  22  mars  1699,  à  l'embouchure 
du  Micissipi,  dont  il  remonta  le  cours,  dans  de  légères 
embarcations.  Il  acquit  bientôt  la  preuve  qu'il  avait 
atteint  le  but  de  ses  recherches  :  une  lettre  adressée  à 
La  Sale  par  Tonti,  treize  ans  auparavant,  et  demeurée 
dans  la  cabane  d'un  chef  sauvage,  tomba  entre  ses 
mains.  Cette  lettre  rapjjortait  les  circonstances  du 
voyage  de  Tonti,  les  relations  amicales  qu'il  avait  eues 
avec  les  naturels  de  la  contrée,  et  les  signaux  qu'il  avait 
éx'igés  pour  guider  La  Sale  dans  sa  marche. 

Après  une  longue  navigation  dans  le  lit  inférieur  du 
Micissipi,  on  entra  dans  un  canal  naturel  de  déx'ivation  ; 
on  en  suivit  le  cours,  et  l'on  atteignit  successivement 
les  lacs  qui  furent  nommés  de  Maurcpas  et  de  Pont- 
chartrain  ;  puis,  on  revint  à  la  baie  de  Biloxi,  où  l'on 
érigea  un  fort,  qui  fut,  pendant  quelques  années,  le 
centre  des  établissemens  français  de  la  Louisiane. 
D'Iberville  fit  construire  simultanément  le  fort  de  La 
Balize,  près  de  l'embouchure  du  fleuve,  et  il  avait,  dans 
son  voyage,  tracé  le  plan,  ou  marqué  la  place  d'un 
troisième  fort,  dans  le  pays  des  Xatchcz.  Mais  il  faut 
revenir  aux  affaires  du  Canada  proprement  dit. 


248  HISTOIRE 

Le  comte  de  Frontenac  eut  pour  successeur  le  cheva- 
lier de  Callieres,  qui  fut  remplacé  par  M.  de  Vaudreuil, 
dans  le  gouvernement  de  Mont-réal.  M.  de  Callieres 
possédait  les  qualités  nécessaires  dans  les  circonstances 
où  il  se  trouvait  :  par  sa  fermeté,  sa  prudence  et  sa 
sagacité,  il  sut  tenir  les  Iroquois  en  échec,  et  les  recon- 
cilier enfin  avec  les  Français,  et  avec  les  autres  tribus 
sauvages. 

Au  commencement  de  l'hiver  de  1699  à  1700,  le 
nouveau  gouverneur  du  Canada,  reçut,  par  le  chevalier 
de  Bellamont,  une  lettre  du  roi  (de  France),  par 
laquelle  il  lui  était  ordonné  de  faire  cesser  tout  acte 
d'hostilité  entre  les  Français  et  les  Anglais.  Cette 
lettre  avait  été  adressée  oiiverte  au  général  anglais, 
et  le  roi  d'Angleterre  avait  adressé  pareillement  à  M. 
de  Callieres  celle  qu'il  écrivait,  en  conformité,  à  M.  de 
Bellamont.  La  difficulté  ne  roulait  donc  plus  que  sur 
la  conclusion  de  la  paix  avec  les  Iroquois,  M.  de  CaK 
lièi'cs  entendant  traiter  exclusivement  avec  ces  derniers-, 
et  aux  conditions  proposées  par  son  prédécesseur^  et  M. 
de  Bellamont  ne  voulant  pas  que  la  paix  se  fit  sans  son 
aveu,  ni  à  d'autres  conditions  que  celles  qui  lui  plairaient. 
De  leur  côté,  les  Iroquois  paraissaient  craindre,  s'ils  ee 
reconciliaient  de  bonne  foi  avec  les  Français,  de  s'attirer 
le  mécontentement,  sinon  les  armes,  de  leurs  anciens 
amis.  Ils  montrèrent  pourtant  quelque  fermeté,  en  cette 
occasion,  comme  ils  avaient  déjà  fait  précédemment,  en 
donnant  à  entendre  aux  Anglais,  qu'ils  voulaient  bien 
être  leurs  alliés,  mais  non  leurs  sujets,  et  ils  envoyèrent 
des  députas  à  Mont-réal,  pour  y  parler  de  paix.*  Après 

*  Dans  un  grand  conseil  que  le  chevalier  de  Bellamost  avait 
tenu  chez  les  Iroquois,  et  auquel  les  anciens  des  cinq  cantons 
avaient  assisté,  les  Açniers  avaient  dtbutc  par  lui  déclarer  qu'ils 
"  étaient  les  maîtres  de  leurs  terres  ;  qu'ils  y  étaient  établis  long- 
tems  avant  que  les  Anglais  et  les  Hollandais  y  eussent  paru  ;  et 


DU   CANADA.  249 

l'audience  que  leur  donna  le  gouverneur,  ces  députés 
repartirent,  accompagnés  de  trois  Français,  le  P.  BRrxAS, 
jésuite,  et  MM.  de  Maricourt  et  Joncaire.  qui  devaient 
travailler  à  disposer  les  Cantons  à  une  paix  prochaine 
et  sincère.  Ces  envoyés  furent  reçus  à  Onnontagué, 
avec  de  grandes  démonstrations  de  joie.  Du  lac  de 
Gannentaha,  où  l'on  était  venu  à  leur  rencontre,  on  les 
conduisit,  comme  en  triomphe,  jusqu'à  la  principale 
bourgade  du  canton.  Ils  y  entrèrent,  au  bruit  de  plusieurs 
décharges  de  mousqueterie,  et  furent  régalées  ensuite 
avec  profusion. 

Quelques  jours  après,  ils  furent  introduits  dans  la 
cabane  du  conseil,  où  ils  trouvèrent  les  députés  de  tous 
les  cantons  supérieurs.  Le  P.  Bruyas,  qui  était  chargé 
de  porter  la  parole,  commença  un  discours  qui  roula 
principalement  sur  trois  points,  qu'il  appuya  de  trois 
colliers  :  par  le  premier,  il  exhortait  les  Iroquois  à  se 
souvenir  qu'OxoMnio  était  leur  père,  et  que  leur 
devoir  et  leur  intérêt  les  ergageaient  également  à  lui 
demeurer  obéissants,  comme  il  convenait  à  des  enfans, 
soit  qu'ils  fussent  en  bonne  intelligence  avec  Corlar, 
qui  n'était  que  leur  frère,  soit  qu'ils  eussent  quelque 
chose  à  démêler  avec  lui  :  par  le  second,  il  témoignait 
son  regret  de  la  perte  que  la  nation  iroquoise  avait  faite 
de  plusieurs  chefs  et  d'un  grand  nombre  de  guerriers  : 
par  le  troisième,  il  leur  déclarait  que  le  nouveau  gouver- 
neur général  était  sincèrement  porté  à  la  paix,  et  qu'il 
la  leur  accorderait  volontiers,  pourvu  que,  de  leur  côté, 
ils  la  voulussent  aussi  de  bonne  foi  :  et  il  leur  exposa 
les  conditions  auxquelles  le  gouverneur  était  disposé  à 
traiter  avec  eux. 

que  pour  lui  fiiire  voir  que  tous  les  lieux  occupes  parla  nation  lui 
appartenaient  en  propre,  ils  allaient  jetter  au  feu  tous  les  papiers 
qu'on  leur  a\  ait  fuit  signer,  eu  diticrentes  occasions  ;"  ce  qu'ils 
tirent  sur-le-chauip. 


250  HISTOIRE 

Maricourt  fit  aussi  un  discours,  où  il  n'oublia  l'ien  pour 
faire  comprendre  aux  Iroquois  tout  ce  qu'ils  avaient  à 
craindre  du  ressentiment  de  leur  père,  s'ils  n'acceptaient 
pas  la  paix  qu'il  leur  ofii'ait,  à  des  conditions  aussi  rai- 
sonnables que  celles  qu'on  venait  de  leur  expliquer,  et 
ce  qu'ils  pouvaient  espérer  de  lui  et  de  tous  les  Français, 
s'ils  ouvraient,  une  bonne  fois,  les  yeux  sur  leurs  véri- 
tables intérêts. 

Le  lendemain,  comme  ils  délibéraient  entre  eux,  sur 
ce  qu'ils  répondraient  aux  Français,  un  vieil  Onnonta- 
gué  et  un  jeune  Anglais  arrivèrent  d'Orange,  et  leur 
dirent,  de  la  part  du  chevalier  de  Bellamont,  qu'ils  se 
donnassent  bien  de  garde  d'écouter  les  Français,  et  qu'il 
les  attendait,  dans  dix  ou  douze  jours,  à  Orange,  où  il 
leur  ferait  savoir  ses  volontés.  Cette  manière  impé- 
rieuse de  parler  choqua  le  conseil  :  "  Je  ne  comprends 
pas,  dit  Téganissoré,  comment  mon  frère  l'entend,  de 
ne  vouloir  pas  que  nous  écoutions  la  voix  de  notre  père, 
et  de  chanter  la  guerre,  dans  un  temps  où  tout  nous 
invite  à  la  paix." 

Le  P.  Bruyas  profita  de  cette  disposition,  pour  faire 
observer  à  l'assemblée  que  le  général  anglais  traitait  les 
Iroquois  en  sujets,  et  ce  qu'ils  auraient  à  soufii-ir  d'une 
domination  si  haute  et  si  dure,  quand,  luie  fois,  ils  s'y 
seraient  soumis  ;  ce  qui  ne  manquerait  pas  d'arriver 
prochainement,  s'ils  laissaient  échapper  l'occasion  qu'ils 
avaient  entre  les  mains  de  se  reconcilier,  d'une  manière 
durable,  avec  Oxonthio.  Joncaire  ajouta  que  les 
Anglais,  en  s' opposant  à  cette  reconciliation,  ne  pouvaient 
avoir  d'autre  vue  que  de  laisser  les  L:oquois  se  consu- 
mer, peu  à  peu,  par  la  guerre,  ou  du  moins  s'affaiblir 
de  manière  à  n'être  plus  en  état  de  refuser  de  subir  un 
joug  dont  ils  reconnaîtraient  peut-être  trop  tard  la 
pesanteur. 


DU    CANADA.  251 

Le  conseil  général  de  toute  la  nation  iroquoise  fut 
assemblé  à  Onnontagué  :  l'envoyé  anglais  y  fut  admis, 
et  Téganissoré  y  parla,  au  nom  de  tous  les  cantons.  Il 
adressa  d'abord  la  parole  aux  députés  français,  et  com- 
mença par  les  assurer  que  toute  la  nation  était  disposée 
à  écouter  la  voix  de  son  père,  c'est-à-dire,  à  lui  obéir. 
Il  ajouta  que  chacun  des  cantons  allait  lui  envoyer  des 
députés,  pour  savoir  ses  volontés.  Puis,  se  tournant 
vers  l'Anglais  :  "  Je  ne  fais  rien  en  cachette,  lui  dit-il  ; 
je  suis  bien  aise  que  tu  connaisses  la  disposition  où  je 
suis.  Tu  diras  à  mon  frère  Corlar,  qui  t'a  envoyé 
ici,  que  je  vais  descendre  à  Québec,  pour  me  rendre 
à  l'invitation  de  mon  père  Ononthio,  qui  a  planté 
l'arbre  de  la  paix  :  j'irai  ensuite  à  Orange,  pour  savoir 
ce  que  mon  frère  me  veut."  En  achevant  ces  mots,  il 
mit  cinq  colliers  aux  pieds  des  députés  français.  Lre 
P.  Bruyas  les  releva,  pour  signifier  qu'il  les  acceptait, 
au  nom  d'Onoktiiio.* 

Rien  n'arrêtant  plus  les  envoyés  français  à  Onnonta- 
gué, ils  en  repartirent,  accompagnés  des  députés  de  ce 
canton  et  de  celui  de  Goyogouin.     Ils  furent  reconduits 

*  "  Les  colliers  sont  cei'taiues  bandes  de  deux  ou  trois  pieds  de 
longueur,  et  de  six  pouces  de  largeur,  garnis  de  petits  grains  de 
poi'celaine,  qui  sont  faits  de  certains  coquillages  qu'on  trouve  au 
bord  de  la  mer.*     Ces  grains  sont  ronds  et  gros  comme  de  petits 

Eois,  et  une  fois  plus  longs  qu'un  grain  de  bled.  Ils  sont  bleus  ou 
lancs,  perces  en  long  comme  les  perles,  et  eutilés  de  la  même 
manière,  à  des  fils,  à  côté  les  uns  des  autres.  On  ne  saurait  faire 
aucune  affaire,  ni  entrer  en  négociation  avec  les  Sauvages  de 
Canada,  sans  l'entremise  de  ces  colliers,  qui  servent  de  contrats  et 
d'obligations  parmi  eux,  l'usage  de  l'écriture  leur  étant  inconnu. 
Ils  gardent  quelquefois  un  siècle  ceux  qu'ils  ont  reçus  de  leurs 
voisins  ;  et  comme  chacun  a  sa  mar(iue  différente,  on  apprend  des 
yieillards  le  temps  et  le  lieu  où  ils  ont  été  donnés,  et  ce  qu'ils 
signifient  ;  après  lequel  siècle,  ils  s'en  servent  à  de  nouveaux 
traites." — Laiiontan. 

•  Au  temps  de  Jacques  Quartier,  ces  coquillages  se  pêcliaient  ilang  la 
"Grande  Kivitre  de  Canada:"  mais  au  temps  de  Lescarbot,  "il  n'y  en  avait 
plus." 


252  HISTOIRE 

jusqu'à  Gannentaha,  avec  les  mêmes  honneurs  qu'on 
leur  avait  faits,  à  leur  arrivée.  Ils  s'y  arrêtèrent, 
quelque  temps,  pour  attendre  les  députés  des  autres 
cantons.  Pendant  qu'ils  y  étaient,  on  annonça  que  le 
gouvern  .ur  de  la  Nouvelle  York  avait  levé  le  pavillon 
rouge,  et  saisi  toutes  les  pelleteries  qui  se  trouvaient  à 
Orange  appartenant  aux  Iroquois,  pour  leur  faire  enten- 
dre qu'il  était  déterminé  à  leur  déclarer  la  guerre,  s'ils 
ne  respectaient  pas  ses  volontés.  Ces  menaces  n'em- 
pêchèrent pas  les  députés  des  Cantons  de  s'embarquer 
au  nombre  de  dix-neuf,  avec  les  envoyés  de  M.  de  Cal- 
lières.  A  leur  arrivée  à  Mont-réal,  on  les  reçut,  au 
bruit  d'une  décharge  de  boites  ;  ce  qui  causa  quelque 
jalousie  aux  alliés  de  la  colonie.  On  entendit  quelques 
uns  d'eux  demander  si  c'était  là  la  manière  dont  les 
Français  recevaient  leurs  ennemis.  On  les  laissa  dire, 
sans  réfléchir  assez,  peut-être,  comme  le  remarque 
Charlevoix,  qu'on  s'exposait  à  perdre  des  amis,  en  voulant 
regagner  des  ennemis,  par  une  conduite  qui  pouvait  les 
rendre  encore  plus  fiers  et  plus  difficiles.  Il  n'en  fut 
rien  pourtant  :  dans  l'audience  que  le  gouverneur  leur 
donna,  leur  orateur  parla  de  manière  à  être  applaudi  de 
tous  ceux  qui  l'écoutaient. 

La  réponse  que  leur  fît  M.  de  Callières  les  satisfit  de 
même,  au  point  de  leur  faire  dire  que  jamais  on  ne  leur 
avait  mieux  parlé  raison. 

Les  députés  des  tribus  alliées  parlèrent  aussi,  mais  en 
peu  de  mots.  Kondiaronk,  qui  avait  été  député  par  les 
Hurons,  dit  :  '•  J'ai  toujours  écouté  la  voix  de  mon  père, 
et  je  jette  ma  hache  à  ses  pieds;  je  ne  doute  point  que 
les  gens  d'en  haut  n'en  fassent  de  même  ;  L'oquois, 
imitez  mon  exemple  ?  Le  député  des  tribus  outaouaises 
parla  à  peu  près  dans  le  môme  sens  :  celui  des  Abéna- 
quis  dit  qu'il  n'avait  pas  d'autre  hache  que  celle  de  son 


DU   CANADA.  253 

père,  et  que  son  pèi'e  l'ayant  enterrée,  il  n'en  avait  plus. 
Les  Iroquois  domiciliés  firent  la  même  déclaration. 
Après  quoi,  il  fut  conclu  et  signé  une  espèce  de  traité 
provisoire,  en  attendant  une  grande  assemblée,  qui  fut 
indiquée  au  mois  d'août  de  l'année  suivante.  Le  gou- 
verneur signa  le  premier,  ensuite  l'intendant,  puis  le 
gouverneur  de  Mont-réal,  le  commandant  des  troupes, 
et  les  supérieurs  ecclésiastiques  qui  se  trouvaient  à 
l'assemblée.  Les  chefs  sauvages  signèrent  ensuite,  en 
mettant,  chacun,  la  marque  de  sa  tribu  au  bas  du  traité. 
Les  Onnontagués  et  les  Tsonnonthouans  tracèrent  une 
araignée  ;  les  Gojogouins,  un  calumet  ;  les  Onneyouths, 
un  morceau  de  bois  en  fourclie,  avec  une  pierre  au 
milieu  ;  et  les  Agniers,  un  ours.*  Ce  traité  est  daté  du 
8  septembre  1700. 

Le  gouverneur  dépêcha  aux  tribus  du  Nord  et  de 
l'Ouest  le  P.  Anjelran  et  le  sieur  Courtemanche,  pour 
engager  celles  qui  n'avaient  pas  envoyé  de  députés  à 
Mont-réal  à  acquiescer  au  traité,  et  pour  amener  les 
chefs  de  ces  tribus  à  l'assemblée  générale  de  l'année 
suivante.  Dans  l'intervalle,  une  attaque  faite  à  l'impro- 
viste  par  un  parti  d'Outaouais  contre  des  chasseurs 
iroquois,  et  le  projet  de  la  construction  d'un  fort  au 
Détroit,  donnèrent  lieu  à  quelques  plaintes  de  la  part 
des  Cantons;  mais  M.  de  Callières  parvint  à  les  satis- 
faire, ou  à  leur  faire  entendre  raison,  sur  ces  deux 
points. 

M.  de  Callières  écrivit  au  ministre  de  la  marine  et 
des  colonies  (M.  de  PoNTcnARTit.viN),  pour  lui  rendre 
compte  de  ce  qu'il  avait  fait.     Il  lui  mandait  en  môme 


254  HISTOlKiu 

temps,  qu'il  pensait  qu'où  devait  profiter  de  la  présente 
disposition  des  Cantons,  pour  régler  avantageusement 
les  limites,  entre  les  Français  et  les  Anglais  ;  que  si 
l'on  ne  pouvait  pas  obtenir  la  pi'opriété  du  pays  des 
Iroquois,  il  fallait,  au  moins,  faire  en  sorte  qu'il  ne  fût 
permis  ni  à  la  France  ni  à  l'Angleterre  d'y  faire  des 
établissemens.  Quant  à  la  religion,  il  jugeait  qu'on 
devait  laisser  à  ces  peuples  une  liberté  entière  de  choisir 
ou  des  missionnaires  catholiques,  ou  des  ministres  protes- 
tants, '•'  persuadé,  dit  le  P.  Charlevoix,  qvi'ils  préfére- 
raient toujours  les  premiers  aux  seconds." 

Vers  la  fin  de  juillet  1701,  Mont-réal  se  vit  rempli 
de  Sauvages  de  toutes  les  tribus.  Les  Iroquois  s'y 
trouvèrent  au  nombre  de  deux  cents.  Le  P.  Anjelran 
en  amena  un  grand  nombre  des  tribus  du  Nord  et  de 
l'Ouest,  et  Courtemanche  y  arriva,  des  mêmes  quartiers, 
avec  cent-quatre-vingts  canots.  La  première  audience 
publique  eut  lieu  le  1er  août.  Le  gouverneur  fondait 
sa  principale  espérance,  pour  le  succès  de  son  grand 
dessein,  sur  Kondiaronk,  à  qui  il  avait  presque  toute 
l'obhgation  de  ce  concert  et  de  cette  réunion,  jusqu'alors 
sans  exemple,  de  tant  de  tnbus  sauvages,  pour  la  paix 
générale;  mais  ce  chef  tomba  malade,  au  commence- 
ment de  sa  harangue,  qu'il  ne  put  achever  qu'à  vo^x 
basse.  H  se  trouva  plus  mal,  à  la  fin  de  la  séance,  et 
on  le  porta  à  l'Hotel-Dieu,  où  il  mom'ut  le  lendemain, 
au  matin,  après  avoir  reçu  les  derniers  secours  de  la 
religion  chrétienne,  qu'il  avait  embrassée.  Les  funé- 
railles qu'on  lui  fit  eurent  quelque  chose  de  magnifique 
et  de  singulier:  M.  de  Saint- Ours,  premier  capitaine, 
ouvrait  la  marche,  avec  soixante  soldats  sous  les 
ai'mes.  Ensuite  venaient  seize  guerriers  hurons, 
marchant  quatre  à  quatre,  vêtus  de  longues  robes  de 
castor,  le  visage  peint  en  noire,  et  le  fusil  sous  le  bras. 


DU  CANADA.  255 

Le  clergé  venait  après,  et  six  cliefs  de  guerre  portaient 
le  cercueil,  qui  était  couvert  d'un  poêle  semé  de  fleurs, 
sur  lequel  il  y  avait  un  chapeau  avec  un  plumet,  un 
hausse-col,  et  une  épée.  Les  frères  et  les  enfans  du 
défunt  étaient  derrière,  accompagnés  de  tous  les  chefs 
des  nations,  et  M.  de  Yaudreuil,  gouverneur  de  la  ville, 
fermait  la  marche.  A  la  fin  du  service,  il  y  eut  deux 
décharges  de  mousquets,  et  une  troisième,  après  que  le 
corps  eut  été  mis  en  terre.  Il  fut  enterré  dans  l'église 
paroissiale,  et  l'on  mit  sur  sa  tombe  cette  inscription  : 
Cy-  Gif  LE  Rat,  C/irf  Huron*  "  Kondiaronk,  son 
vrai  nom,  dit  M.  Dainville,  eût  été  aussi  harmonieux,  et 
aussi  convenable." 

La  mort  de  Kondiaronk,  et  celle  de  plusieurs  auti'es 
Sauvages  des  plus  considérables,  qui  arriva  dans  le 
même  temps,  engagèrent  le  gouverneur  à  presser  la 
conclusion  du  traité.  Il  indiqua  la  dernière  assemblée 
au  4  août.  On  choisit  une  grande  plaine,  hors  de  la 
ville  ;  on  y  fit  une  double  enceinte  de  cent-vingt  pieds 
de  long,  et  de  soixante-douze  de  large,  l'entre-deux  en 
ayant  six.  On  ménagea,  à  l'un  des  bouts,  une  salle 
couverte  d'environ  trente  pieds,  pour  les  dames  et  le 
beau  monde  de  la  ville.  Les  soldats  furent  placés  tout 
autour,  et  treize  cents  Sauvages  furent  arrangés  dans 
l'enceinte,  en  très  bel  ordre.  L'intendant,  le  gouverneur 
de  Mont-réal  et  les  principaux  officiers  entourraient  le 
gouverneur  général,  qui  était  placé  de  manière  à  pou- 
voir être  vu  et  entendu  de  tous,  et  qui  parla  le  pi-emier. 

Il  dit,  en  peu  de  mots,  que  l'année  précédente,  il  avait 

*  Kondiaronk,  toujours  applaudi,  lorsqu'il  parlait  en  public, 
"ne  brillait  pas  moins,  dit  Charlevoix,  dans  les  conversations 
particuliîres,  et  ou  prenait  souvent  plaisir  à  l'agacer,  pour  enten- 
dre ses  reparties,  (jui  étaient  toujours  vives,  pleines  de  sel  et 
ordinairement  sans  réplique.  Il  était,  en  cela,  le  seul  homme  du 
Canada  qui  put  tenir  tète  au  comte  de  Frontenac,  lequel  l'inx-itait 
souvent  à  sa  table,  pour  procurer  cette  satisfaction  à  ses  officiers." 


256  HISTOIRE 

arrêté  la  paix  entre  toutes  les  nations  ;  mais  que  coEime 
de  toutes  celles  de  l'Ouest  et  du  Nord,  il  ne  s'était 
trouvé  à  Mont-réal,  que  des  Hurons  et  des  Outaouais, 
il  avait  fait  inviter  les  autres  à  lui  envoyer  des  députés  ; 
afin  qu'il  jiût  leur  ôter  solennellement  la  hache  des 
mains  ;  déclarer  à  tous  ceux  qui  le  reconnaissaient  pour 
leur  père,  qu'il  voulait  être  désormais  le  seul  arbitre  de 
leurs  difFérens  ;  leur  commander  l'oubli  du  passé,  et 
leur  promettre  à  tous  une  égale  justice.  "  Vous  devez, 
ajouta-t-il,  être  las  de  la  guerre,  dont  vous  n'avez  tiré 
aucun  avantage,  et  quand  une  fois,  vous  aurez  goûté  les 
douceurs  de  la  paix,  vous  me  saurez  gré  de  tout  ce  que 
j'ai  fait  pour  vous  la  pi'ocurei"." 

Les  Sauvages  applaudirent  à  ce  discours  par  de 
grandes  acclamations  :  plusieurs  des  chefs  j  répondirent 
par  des  harangues.  Les  prisonniers  de  guerre  furent 
ensuite  remis,  de  part  et  d'autre,  et  le  traité  de  paix  fut 
apporté  et  signé  par  trente-deux  députés.  Après  vint 
le  grand  calumet.*  M.  de  Callières  y  fuma  le  premier, 
ensuite  M.  de  Champigny,  puis  M.  de  Vaudreuil,  et 
tous  les  chefs  et  les  déj^utés,  chacun  à  leur  tour.  Le 
canon  de  la  ville  annonça,  au  loin,  l'heureuse  nouvelle, 
et  le  soir,  il  y  eut  illumination  et  feux  de  joie. 

*  "  Le  calumet  de  paix  est  une  gi-ande  pipe,  faite  de  certaines 
pierres,  ou  marbre  rouge,  noir  ou  blanc.  Le  tuj'au  a  quatre  ou 
cinq  pieds  de  long.  Le  corps  du  calumet  a  huit  pouces  ;  la 
bouche  où  l'on  met  le  tabac  en  a  trois.  Sa  figure  est  à  peu  près 
celle  d'un  marteau  d'armes.  Les  calumets  rouges  sont  les  plus  en 
vogue  et  les  plus  estimés.  Les  Sauvages  s'en  servent  pour  les 
négociations,  pour  les  affaires  politiques,  et  surtout  dans  les 
voyages,  pouvant  aller  pai-tout  en  sûreté,  des  qu'on  porte  ce 
calumet  à  la  main.  Il  est  garni  de  plumes  jaunes,  blanches  et 
vertes,  et  il  fait  chez  eux  le  même  effet  que  le  pavillon  d'amitié 
fait  chez  nous  ;  car  les  Sauvages  croiraient  avoir  fait  un  grand 
crime,  et  même  attirer  lé  malheur  sur  leurs  nations,  s'ils  avaient 
violé  les  droits  de  cette  vénérable  pipe. — Lahontan. 


LIVRE  TROISIEME. 

Contenant  ce  qui  s'est  passé  depuis  la  paix  de  1701 
jxisqvHà  Vannée  1752. 

D'après  M.  Bacqueville  de  la  Potiierie,  la  colonie 
du  Canada  proprement  dit,  c'est-à-dire  les  établisse- 
raens  français,  s'étendait,  vers  l'an  1700,  depuis  le  haut 
de  l'ile  de  Mont-réal  j  usqu'à  l'Ee  Percée,  près  de  l'em- 
bouchure du  Saint-Laurent,  avec  sans  doute  encore 
plus  d'espace  inculte  qu'il  ne  s'en  trouve  présentement 
entre  le  district  de  Québec  et  celui  de  Gaspé  ;  et  il  y 
avait,  dans  cette  étendue' de  pays,  15,000  habitans. 
On  comptait  à  Mont-réal,  comme  il  s'exprime,  près  de 
deux  cents  feux,  et  aux  Troia-Rivières  soixante.  Les 
habitans  de  cette  dernière  ville  étaient,  suivant  Lahon- 
tan,  "  fort  riches,  et  logés  magnifiquement  ;  mais  le 
gouverneur  serait  mort  de  faim,  s'il  n'avait  fait  quelque 
commerce  de  castor  avec  les  Sauvages."* 

"  En  passant  aux  Trois-Rivières,  M.  de  Frontenac 
y  avait  tracé  le  plan  d'un  fort  :  par  l'ordre  de  ce  gou- 
verneur, la  ville  de  Mont-réal  avait  été  fortifiée  d'une 
enceinte  de  palissades,  dans  l'automne  de  1691:  le  même 
gouverneur  avait  fait  tracer  le  plan  de  l'enceinte  de  la 
ville  de  Québec,  et  tous  les  matériaux  propres  pour  la 
construction  de  quelques  redoutes  de  pierres  y  ayant 
été  transportés,  il  l'avait  fait  fortifier,  durant  l'été  de 
1692." 

M.  de  la  Potherie,  parlant  des  habitans  du  Canada  et 

•  Suivant  le  même  auteur,  M.  Perrot,  qui  n'avait  eu  que  mille 
cous  (l'appointeniens,  comme  pouverneur  de  Munt-ri'al,  "avait 
trouvé  le  moyen  d'in  gagner  cinquante  mille,  en  quelques  années, 
par  son  grand  commerce  de  pelleteries  avec  les  Sauvages." 

x2 


258  HISTOIRE 

de  leurs  "mœurs  et  manières,"  s'exprime  ainsi:  "Le 
Canadien  a  d'assez  bonnes  qualités  :  il  aime  la  guerre 
plus  que  toute  autre  chose  ;  il  est  brave  de  sa  personne  ; 
il  a  de  la  disposition  pour  les  arts,  et  pour  peu  qu'il 
soit  instruit,  il  apprend  aisément  ce  qu'on  lui  enseigne  ; 
mais  il  est  un  peu  vain  et  présomptueux  ;  il  aime  le 
bien,  et  il  le  dépense  assez  mal  à  propos.  Les  Cana- 
diennes ont  de  l'esprit,  de  la  délicatesse,  de  la  voix,  et 
beaucoup  de  disposition  à  danser.  Quoiqu'il  y  ait  un 
mélange  de  toutes  les  provinces  de  France,  on  ne  sau- 
rait distinguer  le  parler  d'aucune  dans  les  Canadiennes. 
On  parle  ici  pai-faitement  bien,  sans  mauvais  accent."* 
Dans  l'été  de  1702,  M.  de  CaUières  reçut  une  dépu- 
tation  solennelle  des  cantops  iroquois,  qui  le  remer- 
ciaient de  leur  avoir  donné  la  paix,  et  lui  demandaient 
des  missionnaires.  Tout  semblait  lui  sourii-e,  lorsqu'il 
apprit  que  la  guerre  était  déclarée  entre  l'Angleterre  et 
la  France,  et  qu'on  attendait  à  Boston  des  vaisseaux 
d'Angleterre,  pour  croiser  dans  le  fleuve  Saint-Laurent, 
et  même  pour  faire  le  siège  de  Québec.  Il  se  hâta  de 
faire  travailler  aux  fortifications  de  cette  ville,  écrivit  à 
la  cour  de  France,  pour  avoir  des  recrues,  et  prit  toutes 
les  mesures  que  lui  suggérèrent  son  habileté  et  son 
expérience  dans  la  guerre.  "  Il  était  lui-même,  dit 
Charlevoix,  la  plus  grande  ressource  de  la  Xouvelle- 
France  ;  mais  elle  eut  le  malheur  de  le  perdre,  dans  le 
temps  qu'il  lui  était  le  plus  nécessaire.  E  mourut,  à 
Québec,  le  26  mai  1703,  autant  regretté  que  le  méritait 

*  Dix  ans  auparavant,  le  baron  de  Lahontan  disait  •  "  Les 
Canadiens  sont  bienfaits,  robustes,  grands,  forts,  vigoureux, 
entreprenants,  braves,  et  infatigables  ;  il  ne  leur  manque  que  la 
connaissance  des  belles-lettres.  Es  sont  présomptueux  et  remplis 
d'eux-mêmes.  Le  sang  de  Canada  est  fort  beau  :  les  femmes  y 
sont  généralement  belles  ;  mais  elles  aiment  le  luxe  au  dernier 
point,  et  les  paresseuses  y  sont  en  assez  grand  nombre," 


^i 


DU    CANADA.  2Ô9 

le  général  lo  plus  accompli  qu'eut  encore  eu  cette 
colonie,  et  l'homme  dont  elle  avait  reçu  les  plus  grands 
services." 

Cependant,  d'Iberville  avait  reconnu  que  la  baie  de 
La  Mobile  était  préférable  à  l'emplacement  du  Biloxi  : 
il  y  construisit  un  fort,  et  le  premier  fut  abandonné. 
En  1702,  on  bâtit,  au  milieu  de  cette  baie,  des  magasins 
et  des  casernes,  et  ce  fut  le  quartier  général  de  la 
colonie.  Cette  colonie  était  l'ouvrage  d'Iberville,  et  il 
j  donna  tous  ses  soins.  D'autres  Canadiens  secon- 
daient ses  vues:  MM.  Juciiereau  de  Saint-Denis  et 
Le  Sueur  firent  plusieurs  reconnaissances  le  long  du 
grand  fleuve  et  de  ses  principaux  affluens  :  l'un  remonta 
la  rivière  Rouge  jusqu'aux  Natchitoches,  où  il  forma 
un  établissement;  l'autre  s'éleva  vers  le  nord,  jus- 
qu'aux vallées  de  la  rivière  Saint-Pierre,  on  le  voyageur 
Perrot  avait  précédemment  découvert  une  mine  de 
cuivre.  Des  relations  amicales  furent  formées  avec  les 
habitans  des  contrées  nouvellement  découvertes,  et  l'on 
s'attacha  particulièrement  à  cultiver  l'amitié  des  Illinois, 
qui  se  trouvant  placés  entre  le  Canada  et  la  Louisiane^ 
étaient  utiles  aux  relations  des  deux  pays.  Tonti  con- 
tinuait à  commander  dans  cette  région  intermédiaire,  et 
son  habileté,  éclairée  par  une  longue  expérience,  put 
maintenir  les  bonnes  dispositions  des  Sauvages  envers 
les  Français. 

Par  la  mort  du  chevalier  de  Callières,  le  commande- 
ment général  tomba  entre  les  mains  du  marquis  (ci- 
devant  chevalier)  de  Vacdreuil:  et  M.  de  Ramsay 
passa  du  gouvernement  des  Trois-Rivièrcs  à  celui  de 
Mout-réal. 

Les  premiers  soins  du  nouveau  gouverneur  général 

e  portèrent  vers  le  maintien  do  la  paix  avec  les  cantons 

iroquois,  qui  se  trouvait  menacée  par  la  guerre  déclarée 


260  HISTOIRE 

entre  l'Angleterre  et  la  France.  Il  fut  bientôt  rassure 
de  ce  côté-là  :  le  sieur  Joncaire  lui  amena  un  chef 
tsonnonthouan,  qui  l'assura  que  ceux  de  sa  tvibu  avaient 
résolu  d'être  simples  spectateurs  de  ce  qui  se  passerait 
entre  les  Français  et  les  Anglais  ;  et  Téganissoré,  qui 
arriva,  quelque  temps  après,  à  Mont-réal,  fit  la  même 
déclaration,  de  la  part  de  son  canton.  "L'Onnontagué, 
dit  ce  chef,  dans  l'audience  que  lui  donna  le  gouverneur, 
ne  prendra  pas  de  parti  dans  une  guerre  qu'il  n'approuve 
ni  d'une  part  ni  de  l'autre.  Les  Eui'opéens  ont  l'esprit 
mal  fait  :  ils  font  la  paix  entre  eux,  et  un  rien  leur  fait 
reprendre  la  hache  de  guerre.  Ce  n'est  pas  ainsi  que 
nous  en  usons,  et  il  nous  faut  de  grandes  l'aisons  pour 
rompre  un  traité  que  nous  avons  signé."* 

Ce  que  le  gouvei-neur  du  Canada  faisait  pour  obtenir 
hx  neutralité  des  cantons  iroquois,  M.  Dudley,  gouver- 
neur de  la  Nouvelle  Angleterre,  le  voulut  faire,  pour 
obtenir  la  même  chose  des  tribus  abénaquises  ;  mais,  dit 
Charlevoix,  il  s'y  prit  trop  tard  ;  M.  de  Vaudreuil 
forma  un  parti  de  ces  Sauvages,  auxquels  il  joignit 

*'  Ces  paroles  et  ces  sentimens  sont  parfp.itement  en  harmonie 
avec  le  trait  suivant,  rapporté  dans  VIndian  B'wgraphy  :  "  Le 
major  Sciiuyler  ayant  dit  à  Tesanissore',  qu'il  soup(,'onnait  de 
mauvaise  foi  un  jésuite,  député  dans  les  Cantons,  "Kous  savons, 
lui  répondit  le  chef,  que  ce  prêtre  parle  et  agit  en  faveur  de  sa 
nation  ;  mais  il  n'est  pas  en  son  pouvoir  de  nous  ôter  l'affection 
que  nous  portons  à  nos  frères.  Vous  devriez  revenir  de  vos  pré- 
ventions contre  lui,  et  surtoid  ajouter  moins  de  Joi  aux  rapports  de 
vos  marchaiids  de  rhum." 

Téganissoré  était  de  haute  taille,  bienfait  de  sa  personne,  et  les 
traits  de  son  visage  ressemblaient,  a-t-ondit,  à  ceux  qu'offrent  les 
bustes  de  Ciceron.  L'historien  des  "  Cinq  Nations,"  M.  Colden, 
qui  l'avait  bien  connu,  et  qui  l'avait  souvent  entendu  parler,  dit 
qu'il  s'énonçait  avec  une  facilité  admirable,  et  que  les  grâces  de 
son  élocution  auraient  plû  partout.  "  Il  est  à  regretter,  ajoute  M. 
Thatcher,  qu'il  ne  nous  soit  parvenu  que  de  faibles  échantillons  de 
son  éloquence  ;  cependant,  le  peu  qui  en  reste  démontre  que  le 
sentiment  élevé  de  l'honneur,  la  grandeur  d'âme,  l'imperturbabi- 
lité,  la  sagacité,  l'urbanité  étaient,  chez  lui,  des  qualités  de  l'ora- 
teur, comme  des  vertus  de  l'homme." 


DU    CANADA.  261 

quelques  Français,  sous  la  conduite  de  M.  de  Beau- 
bassin,  lieutenant,  et  les  envoya  dans  la  Nouvelle  An- 
gleterre. Ils  y  firent  quelques  ravages,  et  y  tuèrent 
environ  trois  cents  personnes.  Le  même  historien 
avoue  que  le  principal  but  du  gouverneur  était  d'euga- 
gor  les  Abénaquis,  de  manière  qu'il  ne  leur  fût  plus 
possible  de  reculer.  Il  en  arriva  que  les  Anglais,  déses- 
pérant de  gagner  ces  Sauvages,  firent,  à  leur  tour,  des 
courses  dans  leur  pays,  et  tuèrent  tous  ceux  d'entre  eux 
qui  leur  tombèntint  entre  les  mains.  Les  chefs  deman- 
dèrent du  secours  à  M.  de  Vaudreuil  ;  et  deux  cent- 
cinquante  hommes  leur  furent  envoyés,  sous  le  comman- 
dement du  lieutenant  Hertel  de  Rou^^LLE,  accompa- 
gné de  quatre  de  ses  frères.  Cet  ofiicier  surprit,  à  son 
tour,  les  Anglais,  leur  tua  beaucoup  de  monde,  et  leur 
fit  cent-cinquante  prisonniers. 

Afin  de  contrebalancer  l'hostilité  des  Sauvages  de 
l'Acadie,  M.  Schuyler,  gouverneur  d'Orange,  fit  tout 
ce  qui  dépendait  de  lui  pour  engager  les  Cantons  à 
rompre  avec  les  Français,  et  même  pour  attirer  dans 
son.  gouvernement  les  Iroquois  chrétiens  domiciliés  dans 
le  gouvernement  de  Mont-réal  ;  mais  ses  efforts  ne  furent 
pas  couronnés  de  succès. 

Ne  pouvant  porter  la  guerre  dans  le  Canada  propre- 
ment dit,  au  moyen  des  Iroquois,  les  Anglais  firent 
une  nouvelle  tentative  contre  l'Acadie.  Le  2  juillet 
(1704),  dix  bâtimens  partis  de  Boston,  dont  le  plus  gros 
portait  50  canons,  et  le  plus  petit,  12,  mouillèrent  dans 
le  bassin  de  Port-Royal,  à  deux  l'eues  d'-i  la  ville. 

Le  lendemain,  M.  de  Brouillan,  qui  était  passé  du 
gouvernement  de  Plaisance  à  celui  de  l'Acadie,  apprit 
que  les  Anglais  étaient  au  nombre  de  1300,  sans  compter 
deux  cents  Sauvages.  Il  fit  avertir  les  luibitans  de 
mettre  en  sûreté,  dans  les  bois,  ce  qu'ils  avaient  de  plus 


262  HISTOIRE 

précieux,  et  de  faire  tout  ce  qu'ils  pourraient  pour  s'op- 
poser aux  descentes.  II  envoya  des  détachemens  de 
troupes,  qui  arrêtèrent  les  Anglais,  partout  où  ils  se 
présentèrent,  et  s'avança  ensuite  lui-même,  pour  les 
soutenir.  Il  y  eut  quelques  combats,  ou  quelques  escar- 
mouches assez  vives,  dans  l'une  desquelles,  les  Anglais 
perdirent  leur  principal  otficier.  Enfin,  après  quelques 
excursions,  tantôt  d'un  côté,  et  tantôt  de  l'autre,  l'ami- 
ral fit  rembarquer  ses  troupes,  et  la  flotte  sortit,  le  22, 
du  bassin.  Les  Anglais  se  montrèrent  eq^uite  à  l'endi'oit 
appelle  les  Mines,  puis  à  Beaubassin  ;  mais  ils  trouvè- 
rent partout  les  Français  sur  leurs  gardes,  et  se  retirè- 
rent, après  avoir  fait  quelques  prisonniers,  et  enlevé 
quelques  bestiaux. 

Dans  le  temps  que  ceci  se  passait  en  Acadie,  un  par- 
tisan, nommé  Lagra^s^ge,  habile  navigateur,  qui  avait 
servi  sous  d'Iberville,  à  la  baie  d'Hudson,  équippa,  à 
Québec,  deux  barques,  où  il  mit  cent  Canadiens.  Il 
avait  appris  qu'il  était  arrivé  des  vaisseaux  anglais  à 
Bonavista,  en  Terre-Neuve,  et  il  y  alla,  dans  l'espérance 
d'en  surprendre  quelques  uns.  Arrivé  à  douze  lieues 
de  ce  fort,  il  quitta  ses  barques,  pour  n'être  point  décou- 
vert, poursuivit  sa  route,  sur  deux  charrois,  entra,  de 
nuit,  dans  le  port,  aborda  un  vaisseau  de  24  canons, 
chargé  de  morue,  et  s'en  rendit  maître,  brûla  deux 
navires  de  deux  à  trois  cents  tonneaux,  coula  à  fond  un 
autre  petit  bâtiment,  et  se  retira,  avec  sa  prise,  et  un 
grand  nombre  de  prisonniers. 

Les  Anglais  de  Terre-Xeuve  n'en  furent  pas  quittes 
pour  le  dommage  que  leur  causa  cet  exploit,  digne  de 
figurer  dans  l'histoire  des  flibustiers  :  M,  de  Subercase, 
alors  gouverneur  de  Plaisance,  avait  formé  le  même 
dessein  que  son  prédécesseur  de  Brouillan  avait  exécuté, 
en  partie,  c'est-à-dire,  de  cliasscr  les  Anglais  de  Terre- 


DU   CAXADA.  263 

Neuve.'  La  cour  de  France  avait  agréé  ce  projet,  et 
M.  DE  l'Epixat,  comraanJant  du  vaisseau  du  roi  le 
Wesjj,  avait  eu  ordre  d'embarquer  des  Canadiens,  à 
Québec,  et  de  les  conduire  à  Plaisance.  Il  en  avait 
embarqué  cent,  y  compris  douze  officiers,  du  nombre 
desquels  étaient  MM.  de  Montignj,  de  Viiledené,  de 
LixcTOT  et  DE  Belestre  ;  le  tout  aux  ordres  de  Beau- 
court.  Subercasc  reçut  encore  d'autres  secours,  et 
partit  de  Plaisance,  le  15  janvier  1705,  à  la  tête  de 
quatre  cents  hommes,  soldats,  Canadiens,  flibustiers  et 
Sauvages,  tous  gens  déterminés,  accoutumés  à  aôronter 
les  rigueurs  des  saisons  et  à  supporter  les  plus  grandes 
fatigues.  Il  prirent,  chemin  faisant,  les  postes  nommés 
de  Reboii  et  du  Petit-Havre,  et  vinrent  attaquer  la  ville 
de  Saint-Jean,  ou  plutôt,  les  forts  qui  la  protégeaient. 
Les  Anglais  s'y  défendirent  avec  une  résolution  qui 
surprit  les  assaillans.  Le  siège  fut  levé,  au  bout  de 
quelques  jours  ;  mais  les  Français  ne  se  retirèrent 
qu'après  avoir  bridé  toutes  les  habitations  qu'il  y  avait 
autour  de  la  place.  En  s'en  retournant,  ils  brûlèrent 
encore  le  bourg  appelle  le  Forillon  ;  et  Montigny  fut 
détaché,  avec  les  Sauvages  et  une  partie  des  Canadiens, 
pour  détruire  tout  ce  qu'il  y  avait  d'habitations  sur  la 
côte  ;  ce  qu'il  exécuta,  sans  perdre  un  seul  homme. 

Les  Anglais  avaient  été  un  peu  dédommagés,  l'au- 
tomne précédent,  du  tort  que  leur  fit  cette  expédition, 
parla  prise  de /a  Seine,  vaisseau  du  roi,  qui  portait  à  Qué- 
bec, M.  DE  Saixt-Vallier,  successeur  de  M.  de  Laval, 
dans  le  siège  épiscopal,  un  grand  nombre  d'ecclésias- 
tiques, plusieurs  riches  particuliers,  et  une  cargaison 
estimée  à  un  million  de  livres  tournois.  La  perte  de 
la  Seine  fut  néanmoins  compensée  par  un  véritable  avan- 
tage pour  le  Canada  :  "  On  ne  s'y  était  pas  encore  avisé, 
dit  Charlevoix,  d'y  faire  de  la  toile:  la  nécessité  y  fit 


264  HISTOIRE 

ouvrir  les  yeux  sur  cette  négligence  :  on  ïema  du 
chanvre  et  du  lin,  qui  y  réussirent  au-delà  de  ce  qu'on 
avait  espéré,  et  l'on  en  fit  usage." 

Cette  même  année  1705,  et  la  suivante,  il  y  eut  des 
démarches,  de  la  part  de  M.  Dudiey  et  du  marquis  de 
Vaudreuil,  pour  l'échange  des  prisonniers  :  un  Anglais 
du  nom  de  Li\tngsto]S'  vint  à  Québec,  et  le  sieur  Cour- 
temanche  fut  envoyé  à  Boston,  pour  cette  affaire  ;  mais 
les  deux  gouverneurs  ne  purent  tomber  d'accord  sur  les 
conditions.* 

En  1606,  M.  de  Beauharnois,  qui  avait  succédé  à 
M.  de  Champigny,  dans  l'intendance,  fut  nommé  inten- 
dant des  classes  de  marine,  et  eut  pour  successeurs  MM. 
RoDOT,  p^re  et  fils.  Ce  dernier  se  chargea  de  la  marine  : 
la  justice,  la  police  et  les  finances  furent  le  partage  du 
père,  qui,  voyant  queles  colons  commençaient  à  se  ruiner 
en  procès,  au  grand  préjudice  de  l'agriculture,  résolut 
de  retrancher,  autant  qu'il  se  pourrait,  les  procédures, 
et  entreprit  d'accorder  lui-même  les  parties  ;  ce  qui  lui 
réussit,  au-delà  même  de  ses  Espérances. 

Le  12  octobre  de  cette  même  année  1706,  il  y  eut,  à 
Québec,  une  "assemblée  générale  des habitans"  du  Ca- 
nada, pour  accepter  et  ratifier  un  accord,  ou  "  traité," 
fait  entre  le  sieur  Rivekin,  "député  de  la  colonie  du 
Canada,"  d'une  part,  et  Aubert,  Neveu  et  Gatot,  de 
l'autre,  par  lequel  "Aubert  et  compagnie"  s'obligeaient 
à  acquitter  les  dettes  de  la  colonie,  montant  à  un  million, 
huit  cent  douze  mille  neuf  cent  quarante  livres,  à  con- 
dition qu'ils  auraient  le  commerce  exclusif  des  castors 

*  Les  conditions  de  M.  de  Vandreuil  n'étaient  guère  acceptables  : 
il  voulait  qu'aucun  des  prisonniers  an2;lais  ne  futrenvojé,  que  tous 
les  Français  et  Sauvages  alliés  des  Français,  prisonniers  dans  la 
Kouvelle-Angleterre,  n'eussent  été  remis  entre  les  mains  du  gou- 
verneur de  l'Acadie,  et  qu'on  n'eût  donné  des  assurances  pour  la 
liberté  de  ceux  qui  avaient  été  envoyés  eiv Europe  ou  ailleurs. 


DU   CANADA.  265 

jusqu'à  l'année  1717;  c'est-ii-dire,  que  les  Camuliens 
seraient  tenus  déporter  à  leurs  bureaux,  ou  comptoirs,  de 
Québec  et  de  Mont-réal,  toutes  les  peaux  de  castors 
qu'ils  auraient  achetées  des  Sauvages,  et  de  les  leur 
céder  à  un  prix  fixe  ;  que  défense  expresse  leur  serait 
faite  d'en  porter  aux  habitations  anglaises,  et  que  les 
commis  de  la  compagnie  auraient  dx'oit  de  visite  sur  les 
vaisseaux  qui  partiraient  du  port  de  Québec,  &c.  Il 
y  avait  eu  précédemment,  au  sujet  de  ce  commerce  et 
d'autres  affaires  financières,  des  transactions  que  l'en- 
chaînement des  évcnemens  militaires  a  fait  perdre  de 
vue. 

Au  mois  d'octobre  de  l'an  1700,  il  y  avait  eu  une 
assemblée  générale  des  habitans  du  Canada,  particu- 
lièrement de  ceux  des  villes  de  Québec,  Mont-réal  et 
Trois-Rivières,  "  convoquée  par  ordre  de  M,  le  gou- 
verneur général  et  de  M.  l'intendant,  au  Château  Saifit- 
Louis,"  à  l'effet  de  "  composer  une  compagnie  de  tous 
les  négocians  et  habitans  du  Canada"  pour  le  commerce 
des  castors,  et  de  rédiger  et  arrêter  certains  articles 
d'association,  dont  ceux  qui  suivent  nous  ont  paru  les 
plus  mai'quants  : 

IV.  Ceux  qui  px-endront  pour  vingt  actions  (de  cin- 
quante livres)  et  au-dessus,  auront  voix  délibérative 
aux  assemblées  générales. 

V.  Tous  ceux  qui  ont  voix  délibérative  pourront  être 
élus  directeurs  généraux. 

VI.  Le  bureau  de  la  direction  sera  établi  dans  la  ville 
de  Québec. 

VIL  II  y  aura  sept  directeurs,  qui  seront  choisis  par 
l'assemblée  générale, 

IX.  M.  le  gouverneur  général  et  M.  l'intendant  seront 
priés  de  vouloir  bien  honorer  la  direction  de  leur  pré-^ 
seuce,  dans  les  affaires  importantes. 

Y 


266  HISTOIRE 

XVI.  Tous  négocians  et  commerçans  établis  en 
Canada  seront  tenus  d'entrer  dans  la  compagnie,  à  faute 
de  quoi,  ils  seront  déchus  de  la  faculté  de  tout  com- 
merce.* 

XXIII.  Il  sera  député  en  France  des  intéressés,  qui 
seront  nommés  par  l'assemblée  générale,  et  auxquels  on 
donnera  les  ordres  nécessaires  sur  tout  ce  qui  regardera 
les  affaires  de  la  compagnie. 

XXYI.  La  compagnie  qui  s'est  formée  pour  la  "  Baie 
du  Nord  de  Canada,"  (ou  Baie  d'Hudson,)  sera  et 
demeurera  unie  à  la  compagnie  générale  des  habitans 
de  ce  pays. 

XXYII,  La  compagnie  pourra  faire  saisir  et  arrêter 
les  castors  que  les  Français  coureurs  de  bois  sans  congé, 
auraient  traités  chez  les  Sauvages,  lesquels  seront  con- 
fisqués à  son  profit. f 

Conformément  à  l'article  XXIII.  les  directeurs  nom- 
mèrent, au  commencement  de  novembre  de  la  même 
année,  MM.  Charles  Aubert  de  la  Chenate,  et 
François  Delino  leurs  procureurs  généraux,  pour  passer 
en  France,  chargés  des  affaires  de  la  compagnie.     Au 

♦Plus  raisonnable,  Louis  XIV  ne  leur  interdit  que  celui  des 
pelleteries. 

f  Les  articles  d'association  sont  signés  par  MM.  le  chevalier  de 
Callieres,  Bocart-Champignt,  Vaudeeuil,  Ruette  d'Auteuil, 
R.  L.  Chartier  de  Lotbinière,  Charles  Acbert  de  La  Chenate, 
Dupont,  Dupuy,  F.  Hazeur,  Lamotte-Cadillac,  Decham- 
bault,  DrPLESSis,  Juchereau  de  Saint-Denys,  Acbert, 
Gobin,!Mecart,  de  Tonnaxcolrt,  de  Lestage,  Lebe',  Delino, 
Lebo  pour  M.  Leber,  St.  Romain,  Pauperet,  G.  Gaillard, 
RiTEiiiN,  J.  Sebille,  Louis  Babie,  Foucault,  Pineau,  Alexis 
Marchand,  Bouteville,  G.  Masse,  Lajiorille,  Laframboisb, 
P.  NoRsiANDiN,  L.  GuAY,  Lalonge',  A.  Gajielin,  Delestaige, 
Desperroux,  Chartier,  Bergeron,  Grouard  pour  M.  Têtu, 
BoNDT,  Haimard,  Grouard,  Houce,  J.  B.  Chaillt,  Jean 
GiASSON,  St.  Germain,  Peire,  L.  Prat,  Minet,  G.  Page', 
Carsy,  Dupont,  François  de  La  Joue,  Jenarin,  P.  Chartier, 
Longueil,Duplessis-Faber,  L.  Aubert  de  Forillon,  Genai'LE, 
Rapreot. 


DU   CANADA.  267 

printems  de  l'année  suivante,  MM.  Aubert  et  Deliuo 
informèrent  la  cour,  que  la  colonie  de  la  Nouvelle  France 
avait  "jugé  nécessaire,  tant  pour  le  service  et  les  inté- 
rêts du  roi,  que  pour  l'utilité  particulière  de  la  colonie, 
de  se  charger  de  la  ferme  des  domaines  de  sa  majesté, 
en  ce  pays,"  en  ayant  traité  avec  les  sieurs  Nicholas 
Bailly,  sous-fermier  général  des  domaines  du  Canada, 
et  Louis  GuiGUES,  fermier  général  des  domaines  d'Oc- 
cident, pour  le  pi'ix  de  soixante-dix  mille  livres  par 
année,  et  aux  autres  charges,  clauses  et  conditions 
portées  dans  l'acte  passé  à  cet  effet  ;  et  par  un  arrêt 
donné  en  son  conseil,  le  31  mai  de  la  même  année  1701, 
le  roi  "  confirme  et  approuve  les  règlemens  faits  par  la 
colonie  de  la  Nouvelle  France,  pour  la  régie  de  la  ferme 
de  ses  domaines  d'Occident,  et  pour  la  conduite  du  com- 
merce de  la  société  de  cette  ferme." 

Pour  revenir  à  l'époque  où  nous  en  étions,  en  1707,  M. 
Rodot  proposa  au  conseil  du  roi  de  permettre  aux  habi- 
tans  d'employer  le  lin  et  le  chanvre  et  la  laine  de  leurs 
moutons,  dans  le  pays,  où  les  toiles  et  les  étofles  de 
France  étaient  à  un  si  haut  prix,  que  les  gens  peu  aisés, 
qui  formaient  le  plus  grand  nombre,  n'y  pouvaient 
atteindre. 

La  réponse  du  ministre  fut,  que  le  roi  était  charmé 
d'apprendre  que  ses  sujets  du  Canada  reconnussent  la 
faute  qu'ils  avaient  faite,  en  se  livrant  exclusivement 
au  commerce  des  pelleteries,  et  qu'ils  s'attachassent 
enfin  sérieusement  à  cultiver  leurs  terres,  et  particu- 
lièrement à  y  semer  du  chanvre  et  du  lin  ;  qu'il  ne  con- 
venait pas  que  les  manutactures  fussent  hors  du  roy- 
aume, parce  que  cela  j^réjudicierait  à  son  commerce; 
mais  que  néanmoins  on  permettrait  qu'il  se  fît,  en  Ca- 
nada, des  toiles  et  des  étoffes  grossières,  pour  l'avantage 
des  habitans  peu  fortunés. 


268  HISTOIRE 

Malgré  les  sévères  représailles  exercées  contre  les 
Abénaquis,  ces  Sauvages,  excités  par  des  conseils  aussi 
cruels  quïmpolitiques,  continuaient  à  désoler  la  Nou- 
velle Angleterre.  Les  habitans  en  étaient  réduits  à  ne 
pouvoir  plus  cultiver  leurs  teiTes,  ou  étaient  exposés  à 
les  voir  tous  les  jours  ravagées  par  les  Sauvages.  M. 
Dudley  crut  que  le  meilleur  moyeu  de  faire  cesser  ce 
déplorable  état  de  choses  était  de  chasser  les  Français 
de  l'Acadie. 

Il  fit  ses  préparatifs  avec  autant  de  secret  que  de 
diligence,  et  le  6  juin,  vingt  bâtimens  anglais,  aux 
ordres  du  colonel  ]^Lvrk,  parurent  à  l'entrée  du  bassin 
de  Port-Royal,  et  vinrent  mouiller  à  une  lieue  de  la 
place.  Le  lendemain,  ils  mirent  à  terre  1,500  hommes, 
du  cô.té  de  la  rivière  où  était  le  fort,  et  cinq  cents  de 
l'autre  côté.  M.  de  Subercase,  qui  était  passé  du  gou- 
vernement de  Plaisance  à  celui  de  l'Acadie,  avait  fait 
avertir  les  habitans  de  se  rendre  auprès  de  lui  ;  mais 
ceux  même  qui  étaient  les  plus  proches  ne  purent 
arriver  que  le  7  au  soir.  A  mesure  qu'ils  venaient,  on 
les  faisait  filer,  les  uns  à  droite,  et  les  autres  à  gauche, 
pour  aller  au-devant  des  ennemis,  et  retarder  leur 
marche,  en  escarmouchant,  à  la  faveur  tles  bois.  En 
effet,  les  Anglais  ne  purent  s'avancer  que  fort  lentement. 
Le  corps  de  cinq  cents  hommes  fut  le  premier  qui 
s'ouvrit  un  passage,  et  Subercase  envoya  des  canots  et 
des  bateaux,  pour  embarquer  ceux  qui  se  retii'aient 
devant  eux.  Il  les  fit  ensuite  défiler,  pour  aller  joindre 
ceux  qui  avaient  affaire  au  corps  le  plus  nombreux,  et 
qui  étaient  commandés  par  M.  Denis  de  la  Eoxde, 
Canadien.  Malgré  ce  renfort,  la  supériorité  de  l'enne- 
mi les  obligea  à  retraiter. 

La  tranchée  fut  ouverte,  dans  la  nuit  du  10  au  11. 
Le  lendemain,  Subercase  fit  sortir  quatre-vingts  hommes, 


BU    CANADA.  269 

tant  Canadiens  que  Sauvages,  ces  derniers  sous  la  con- 
duite du  baron  de  Saint-Castix,*  afin  de  les  opposer 
à  quatre  cents  Anglais,  qui  avaient  été  détachés  pour 
tuer  les  bestiaux.  Il  les  chargèrent  avec  tant  de 
vigueur,  qu'ils  les  contraignirent  de  regagner  leur 
camp,  en  désordre. 

Le  16  au  matin,  cinq  cents  hommes  s'avancèrent, 
pour  donnor  l'assaut  à  la  place  ;  mais  le  feu  des  assié- 
gés les  força  bientôt  à  s'éloigner.  Ils  ne  tardèrent  pas 
à  se  rembarquer,  et  allèrent  mouiller  à  Kaskobaj. 

Ayant  été  renforcée  de  trois  gros  navires,  portant 
six  cents  hommes  de  débarquement,  la  flotte  anglaise 
reparut  dans  le  bassin  du  Port  Royal,  le  20  août,  au 
matin.  Une  apparition  si  soudaine  et  si  inattendue 
jetta  la  consternation  dans  le  fort  ;  et  quoique  la  garni- 
son eût  été  renfoi'cée  de  l'équipage  d'un  vaisseau  du 
roi,  commandé  par  M.  de  Boxavkxture,  frère  de  La 
Ronde,  Subercase  fut  presque  le  seul  qui  ne  désespéra 
pas  de  triompher  encore  une  fois.  En  effet,  après  plu- 
sieurs combats  partiels,  livrés  aux  environs  de  la  place, 
depuis  le  21  août  jusqu'au  1er  septembre,  les  Anglais 

*  Natif  d'Olcron  en  Bearn  :  autrefois  officier  de  Carignan  en 
Canada.  Après  la  réforme  de  ce  régiment,  "il  se  jetta  chez  les 
Sauvages,  dont  il  avait  appris  la  langiie.  Il  se  maria  à  leur 
manière  (avec  une  Abénaijuise),  préférant  les  forêts  de  l'Acadie 
aux  monts  Pyrénées.  Il  vécut,  les  premières  années,  avec  eux 
d'une  manière  à  s'en  faire  estimer  au-delà  de  tout  ce  qu'on  peut 
dire.  Ils  le  firent  grand  chef  (Sagamo),  qui  est  comme  le  souve- 
rain de  la  nation,  et  peu  à  peu,  il  a  travaillé  à  se  faire  une  fortune 
dont  tout  autre  que  lui  saurait  profiter,  en  retirant  de  ce  pays-là 
deux  ou  trois  cent  mille  écus,  qu'il  a  dans  ses  coffres,  en  belle 
monnaie  d'or.  Cependant,  il  iios'en  sert  qu'à  acheter  des  mar- 
chandises pour  faire  des  présens  à  ses  confrères  les  Sauvages, 
qui  lui  font  ensuite,  au  retour  de  leurs  chasses,  des  présens  de 
castor  d'une  triple  valeur.  Il  a  plusieurs  filles,  et  toutes  mariées 
très  avantageusement  avec  des  Franc^'ais,  ayant  donné  une  riche 
dot  à  chacune.  Les  gouverneui's  généraux  du  Canada  le  ména- 
gent, et  ceux  de  la  Nouvelle  AngleteiTC  le  craignent."' — Lauo>- 

TAN. 

y2 


270  HISTOIRE 

se  rembarquèrent,  après  avoir  perdu  un  bon  nombre 
d'hommes,  tués  ou  blessés,  et  quelques  prisonniers.  Les 
Canadiens  qui  se  trouvèrent  au  Port  Koyal,  pendant 
ces  deux  attaques,  se  dit^tinguèrent,  à  leur  ordinaire,  et 
ne  contribuèrent  pas  peu  à  la  conservation  de  la  place. 

Pendant  que  ces  choses  se  passaient  en  Acadic,  les 
quartiers  de  l'Ouest  étaient  un  peu  troublés  par  suite 
d'un  démêlé  entre  les  Miamis  et  les  Outaouais.  Ces 
derniers  s'étant  plaints  au  commandant  du  Détroit,*  et 
n'en  ayant  pas  obtenu  la  satisfaction  à  laquelle  ils 
s'attendaient,  complottèrent  de  l'assassiner,  et  de  faire 
main-basse  sur  tous  les  Français.  Ils  en  tuèrent,  en 
effet,  quelques-uns,  et  ravagèrent  les  environs  du  Dé- 
troit. M.  de  Lamotte  marcha  contre  eux,  à  la  tête  de 
quatre  cents  hommes,  les  battit,  et  les  força  à  se  sou- 
mettre aux  conditions  qu'il  voulut  leur  imposer. 

Durant  l'hiver,  il  fut  arrêté,  dans  un  grand  conseil, 
tenu  à  Mont-réal,  avec  les  chefs  des  Sauvages  domici- 
liés, qu'on  ferait,  au  printems,  une  nouvelle  incursion 
sur  le  territoire  anglais.  Le  parti  se  composa  de  quatre 
cents  hommes,  tant  Français  que  Sauvages,  les  pre- 
miers, commandés  par  MM.  de  Saint-Ours-Deschail- 
Loxs  et  de  Rouville,  et  les  derniers,  par  M.  de  La 
Perrière.     On  se  mit  en  marche,  le  26  juillet  (1708;) 

*  C'était  lin  jeune  officier  du  nom  de  Bocrgmokt,  qui  était 
arrive  au  Détroit,  pom-  y  commander  en  l'absence  de  Lamotte- 
Cadiilac,  descendu  à  Québec.  "Les  chefs  des  Outaouais  allèrent 
trouver  Bourgmont,  et  lui  demandèrent  s'il  n'avait  point  reçu  de 
nouvelle  de  Québec  ou  de  ilont-réal.  Par  une  nouvelle  impru- 
dence (il  en  avait  déjà  commis  plus  d'une),  cet  officier  ne  parut 
pas  seulement  faire  attention  à  c^quils  disaient  ;  ce  qui  les  choqua 
beaucoup.  Un  moment  après,  le  chien  de  Bourgmont  ayant 
mordu  un  de  ces  Sauvages  à  la  jambe,  et  celui-ci  ayant  battu  le 
«.bien,  le  commandant  se  jetta  sur  lui,  et  lui  donna  tant  de  coups, 
<iu'il  en  mourut,  peu  de  temps  après.  Cette  >-iolence  brutale  mit 
les  Outaouais  au  désespoir.  Ils  partirent  le  lendemain,  ne  respi- 
rant que  la  vengeance,  et  convaincus  qu'elle  était  nécessaire  à  leur 
conservation." — Chaklevojx. 


DU    CAXADA.  271 

mais  bientôt  les  Hurons  se  retirèrent,  et  les  Iroquois 
ne  tardèrent  pas  à  suivre  leur  exemple. 

M.  de  Vaudreuil,  à  qui  les  commundans  donnèrent 
avis  de  cette  désertion,  leur  manda  que,  quand  même 
les  Algonquins  et  les  Abénaqiiis  de  Saiiit-François 
les  abandonneraient  aussi,  ils  ne  laissassent  pas  de 
continuer  leur  route,  et  qu'ils  fissent  plutôt  une  incur- 
sion sur  quelque  endi'oit  écarté,  que  de  s'en  revenir, 
sans  avoir  rien  fait.*  Ils  se  remirent  donc  en  route,  au 
au  nombre  de  deux  cents,  et  après  avoir  fait  environ 
cent-cinquante  lieues,  ils  arrivèrent  près  d'un  village 
de  la  Nouvelle  Angleterre,  nommé  IluverJnll,  composé 
de  vingt-cinq  à  trente  maisons  bien  bâties,  et  défendu 
par  un  fort.  Ce  fort  avait  une  garnison  de  trente 
soldats,  ou  miliciens,  et  il  y  en  avait  plusieurs  dans 
chaque  maison.  Ces  troupes  ne  faisaient  que  d'arriver 
dans  l'endroit,  et  y  avaient  été  envoyées  par  le  gouver- 
neur, qui,  sur  l'avis  de  la  marche  des  Français,  avait 
fixit  partir  de  pareils  détachemcns  pour  tous  les  villages 
de  ce  canton. 

Les  Français,  ne  pouvant  plus  compter  sur  la  sur- 
prise, crurent  pouvoir  y  suppléer  par  la  valeui*.  Ils 
reposèrent  tranquillement  pendant  la  nuit,  et  le  lende- 
main, une  heure  après  le  lever  du  soleil,  ils  se  mirent 
en  ordre  de  bataille.  Rouville  fit  alors  un  petit  discours, 
pour  exhorter  ceux  qui  avaient  entre  eux  quelque  dé- 
mêlé, à  se  reconcilier  sincèrement  et  à  s'embrasser:  ils 
firent  ensuite  leur  prière,  et  marchèrent  conti'e  le  fort. 
Ils  y  trouvèrent  beaucoup  de  résistance  ;  mais  enfin,  ils 
y  entrèrent,  l'épéc  et  la  hache  à  la  main,  et  y  mirent  le 
feu.     Toutes  les  maisons  du  village  eurent  le  même 


*  Dans  plusieurs  circonstances,  le  m.arquis  de  Vaudreuil,  agis- 
sant par  lui-même,  nous  n  paru  manquer  do  juf^ement:  ici,  nous 
ne  pouvons  nous  empêcher  de  voir  la  sottise  jointe  à  l'inliumanitc. 


272  IIISTOIRK 

sort.  Il  y  eut  environ  cent  Anglais  de  tués,  en  com- 
battant :  d'autres  périrent  dans  l'embrasement  des  mai- 
sons, et  le  nombre  des  prisonniers  fut  considérable.  Il 
n'y  eut  point  de  butin,  parce  qu'on  n'y  songea  que  quand 
tout  eut  été  consumé  par  les  flammes,  et  qu'on  entendait 
déjà,  de  tous  les  villages  voisins,  le  son  des  tambours  et 
des  trompettes.  Il  n'y  avait  pas  un  moment  à  perdre 
pour  assurer  la  retraite.  Elle  se  fit  d'abord  en  bon 
ordre  ;  mais  à  peine  avait-on  fait  une  demi-lieue,  qu'on 
tomba  dans  une  ambuscade,  dressée  par  soixante-dix 
hommes,  qui,  avant  de  se  découvrir,  tirèrent  chacun 
leur  coup.  Les  Français  essuyèrent  cette  décharge 
sans  branler.  Cependant  tous  les  derrières  étaient 
déjà  remplis  de  gens  de  pied  et  de  cheval,  et  il  n'y  avait 
pas  d'autre  parti  à  prendre  que  de  passer  sur  le  ventre 
à  ceux  qu'on  avait  en  tête.  On  le  prit,  sans  balancer  : 
chacun  jetta  ce  qu'il  poi'tait  de  vivres  et  presque  toutes 
ses  hardes,  et  sans  s'amuser  à  tirer,  on  en  vint  d'abord 
aux  armes  blanches.  Les  Anglais,  étonnés  d'une 
attaque  si  brusque,  faite  par  des  gens  qu'ils  croyaient 
avoir  mis  en  désordre,  s'y  trouvèrent  eux-mêmes,  et  ne 
purent  se  remettre  ;  de  sorte  que  la  plupart  furent  tués 
ou  pris. 

Les  Français  n'eurent,  dans  les  deux  actions,  que 
huit  hommes  de  tués  et  dix-huit  de  blessés  :  du  nombre 
des  pi*emiers  furent  deux  jeunes  officiers,  Hertel  de 
Chambly  et  Yerciieres.  Plusieurs  des  prisonniers 
faits  à  la  prise  d'Haverhill  se  sauvèrent,  pendant  le 
dernier  combat  :  les  autres  n'eurent  qu'à  se  louer  des 
bons  traitemens  qu'ils  reçurent  de  leurs  vainqueurs, 
durant  la  retraite.  La  fille  du  lieutenant  de  roi  d'Ha- 
verhill ne  pouvant  plus  marcher,  M.  DuruYS,  fils  du 
lieutenant  particulier  de  Québec,  la  porta  dans  ses  bras, 
ou  sur  ses  épaules,  une  bonne  partie  du  chemin.     '•'  Sin- 


DU   CANADA.  273 

gulier  exemple  d'humanité  et  de  galanterie,  dit  un  histo- 
rien, et  chose  nouvelle  dans  les  forêts  du  Canada." 
Religieux  ou  dévots  avant  le  combat  ;  furieux  et  souvent 
barbares,  dans  le  fort  de  l'action  ;  humains  et  généreux, 
après  la  victoire,  tels  se  monti*ent  généralement  les 
guerriers  français  et  canadiens  de  ces  temps-là. 

Au  reste,  cette  expédition,  comme  la  plupart  de 
celles  qui  l'avaient  précédée,  se  borna  à  une  tuerie 
cruelle  et  une  conflagration  barbare,  non  seulement 
sans  résultat  utile,  mais  même  sans  but  ou  motif  raison- 
nable. C'est  vainement  que  Charlevoix  dit  que  les 
Français  et  les  Sauvages  n'exerçaient  ces  cruautés  que 
par  représailles  ;  le  massacre  de  La  Chine  était  déjà 
trop  ancien,  et  avait  été  vengé  trop  de  fois,  pour  qu'on 
pût  se  croire  a.utorisé  à  le  venger  encore,  au  temps 
dont  nous  parlons  :  c'aurait  été  mettre  en  principe  que, 
parce  que  l'ennemi  avait  été  exterminateur  une  lois,  on 
pouvait  l'être  toujours  :  outre  que  les  Iroquois  avaient 
exercé  seuls  les  cruautés  dont  les  Français  pouvaient  se 
plaindre,  au  lieu  que  ces  dernicxs  n'en  cédaient  guère  aux 
Sauvages,  et  étaient  presque  toujours  mêlés  avec  eux, 
dans  les  barbaries  qu'ils  exerçaient  contre  les  Anglais. 
Aussi  ne  pouvons-nous  nous  empêcher  de  croire  dans  son 
droit  le  gouverneur  d'Orange,  dans  ce  qu'il  écrivait  à  M. 
de  Vaudreuil,  en  réponse  aux  reproches  que  celui-ci  lui 
avait  faits,  au  sujet  d'un  collier  qu'il  avait  envoyé  aux 
Iroquois  chrétiens,  pour  les  engager  à  demeurer  neutres.* 

"  Il  faut  que  j'avoue,  dit  M.  Schuyler,  que  j'ai  envoyé 

*  Lo  mnrquis  de  Vauflrciiil  attribuait  à  l'envoi  de  ce  collier  la 
drtectiun  des  1  lurons  et  des  Iroijnois  chrétiens  :  mais  ces  Sauvages 
ne  pouvaient-ils  pas  se  trouver,  àla  tin,  fatigués  de  ces  expéditions 
sans  cesse  renouvellées,  où  ils  avaient  beaucoup  moins  à  gagner, 
qu'à  perdre  ou  il  risquer  ?  Et  s'ils  étaient  véritablement  chrétiens, 
ne  pi)uvaient-ils  pas,  ne  devaient-ils  i)as  même  se  refuser  à  aller 
massacrer,  ou  ruiner,  de  sang-fruid,  di's  gens  (jui  ne  leur  avaient 
jamais  fait,  ni  ne  pouvaient  leur  faire  aucun  mal  ? 


274  HISTOIRE 

un  collier  aux  Sauvages,  pour  les  empêcher  de  prendre 
parti  dans  la  guerre  qui  se  fait  contre  le  gouver- 
nement de  Boston  ;  mais  j'y  ai  été  poussé  par  la  charité 
chrétienne.  Je  n'ai  pu  me  dispenser  de  croire  qu'il 
était  de  mon  devoir  envers  Dieu  et  mon  prochain,  de 
prévenir,  s'il  était  possible,  ces  cruautés  barbares  et 
payennes,  qui  n'ont  été  que  trop  souvent  exercées  sur 
les  mallieureux  habitans  de  ce  gouvernement.  Vous 
me  pardonnerez.  Monsieur,  si  je  vous  dis  que  je  sens 
mon  cœur  se  soulever,  quand  je  pense  qu'une  guerre 
qui  se  fait  entre  des  princes  chrétiens,  obligés  aux  lois 
les  plus  strictes  de  l'honneur  et  de  la  générosité,  dégé- 
nère en  une  barbarie  sauvage  et  sans  bornes.  Je  ne 
puis  concevoir  qu'il  soit  possible  de  mettre  fin  à  la  guerre 
par  de  semblables  moyens." 

Dans  le  cours  de  l'hiver,  il  y  eut  en  Terre-Neuve, 
une  nouvelle  expédition,  où  les  Français  se  distinguè- 
rent, à  leur  ordinaire,  par  leur  bravoure.  De  l'aveu  de 
M.  DE  CosTEBELLE,  gouvemcur  de  Plaisance,  le  sieur 
DE  Saixt- Ovide,  lieutenant  de  roi  de  cette  place, 
forma  un  parti  d'environ  cent-soixante  hommes,  soldats, 
matelots,  habitans  et  Sauvages,  auxquels  se  joignirent, 
comme  volontaires,  plusieurs  officiers  et  gentilshommes, 
la  plupart  Canadiens  :  c'étaient,  entre  autres,  MM.  Des- 
PEXSEXS,  DuPLESSis,  La  Chenaye,  d'Argenteuil  et 
d'Alllebout.  Cette  petite  troupe,  qui  ne  se  montait 
pas,  en  tout,  à  deux  cents  hommes,  se  mit  en  marche,  le 
14  décembre,  et  arriva  le  31,  à  quelques  lieues  de  Saint- 
Jean,  sans  avoir  été  découverte.  Dès  le  lendemain, 
tout  fut  prêt  pour  l'attaque  :  deux  des  forts  qui  défen- 
daient la  ville  furent  emportés  de  vive  force,  et  le  troi- 
sième se  rendit,  par  capitulation.  Saint-Ovide  aurait 
voulu  conserver  sa  conquête,  et  ne  demandait  pour  cela 
que  cent  hommes  ;  mais  M.  de  Costebelle,  qui  craignait 


DU   CANADA.  275 

d'être  attaqué  lui-même  h  Plaisance,  lui  ordonna  de  s'en 
revenir,  après  avoir  fait  démolir  les  forts  dont  il  s'était 
rendu  maître 

Tandis  qu'une  poignée  de  Français  et  de  Canadiens 
se  rendaient  maîtres  de  Saint-Jean  de  Terre-Neuve,  on 
apiirenait  à  Québec,  que  les  Iroquois  avaient  enfin  cédé 
aux  instances  du  gouverneur  de  la  Nouvelle-York,  et 
que  la  guerre  avait  été  chantée,  dans  tous  les  cantons, 
excepté  celui  de  Tsonnonthouan  ;  et  de  plus,  qu'il  se 
faisait,  à  Boston,  un  grand  armement,  qui  devait  être 
fortifié  d'une  escadre  d'Angleterre,  pour  attaquer  le 
Canada  ;  et  qu'on  assemblait,  dans  la  Nouvelle  York,  un 
corps  de  2000  hommes,  qui  devait  d'abord  s'emparer  de 
Chambly,  et  tomber  ensuite  sur  Mont-réal.  Les  troupes 
et  les  milices  furent  mises  en  état  de  marcher,  au  premier 
signal,  et  un  parti  de  deux  cent-cinquante  hommes,  sous 
la  conduite  de  Rouville,  fut  envoyé  du  côté  du  lac 
Champlain. 

Au  mois  de  mai,  M.  de  Yaudreuil  assembla  un  grand 
conseil  de  guerre,  où  il  fut  résolu  qu'on  marcherait 
incessamment  du  côté  de  la  Nouvelle-York,  pour  dissi- 
per l'orage  qui  s'y  formait  ;  afin  que  la  colonie,  rassurée 
de  ce  côté-là,  pût  réunir  ses  forces  contre  la  flotte 
anglaise,  si  elle  venait  à  Québec.  Il  fut  assemblé  un 
corps  de  1,500  hommes,  et  après  quelque  hésitation,  de 
la  part  du  gouverneur  général,  le  commandement  en  fut 
donné  à  M.  de  Ramsay.  Cette  petite  armée  se  mit  en 
marche,  le  28  juillet.  L'avant- garde,  composée  de  cin- 
quante Français  et  de  deux  cents  Abénaquis,  était  com- 
mandée par  Montigny,  et  soutenue  par  Rouville,  avec 
cent  Canadiens.  Après  eux  venaient  cent  soldats,  sous 
M.  de  La  Chassaigne.  Le  gouverneur  de  Mont-réal 
suivait,  à  ia  tête  de  cinq  cents  Canadiens,  distribués  en 
cinq  compagnies  commandées  par  MM.  Saint-Martin, 


276  HISTOIIÎE 

DescliaillonSjDESJORDis,  de  Sabrevois  et  de  Ligxeris. 
Les  Iroquois  chi-étiens,  sous  la  conduite  de  Joncaire, 
faisaient  l'aiTière-gai'dc.  Des  Algonquins  et  des  Outa- 
ouais  étaient  sur  les  ailes.  On  fit,  dans  cet  ordre, 
quarante  lieues,  en  trois  jours,  et  il  est  indubitable,  dit 
Chai-levoix,  que  si  l'on  fût  allé  jusqu'aux  ennemis, 
campés  à  la  Rivière  au  Chicot,  pi'ès  du  lac  Cbamplain, 
on  en  eût  eu  bon  marché.  Le  défaut  de  subordination  dans 
les  troupes,  et  de  faux  avis  donnés  à  M.  de  Ramsay, 
firent  échouer  une  entreprise  dont  le  succès  paraissait 
immanquable.  Après  qu'on  eut  mis  en  déroute  un- 
détachement  de  cent  et  quelques  hommes,  qui  s'était 
trop  avancé,  le  bruit  s'étant  répandu  qu'une  armée  de 
5,000  hommes  n'était  pas  éloignée,  et  s'était  bien  retran- 
chée, les  Sauvages  déclarèrent  qu'ils  n'étaient  pas  d'avis 
qu'on  allât  plus  loin.  Le  conseil  de  guerre  fut  assemblé, 
et  il  y  fut  résolu  qu'on  se  retirerait. 

Les  Anglais,  qui  ne  profitèrent  pas  de  la  retraite  de 
M.  de  Ramsaj,  pour  s'avancer,  furent  aussi  abandonnés 
des  Sauvages  dont  ils  s'étaient  fait  joindre,*  puis  déci- 
més par  ime  espèce  d'épidémie,  et  contraints  de  se 
retirer  ;  et  les  vaisseaux  destinés  à  faire  le  siège  de 
Québec  ne  parurent  pas. 

Pendant  l'hiver,  les  Onnontagués  envoyèrent  des 
députés  à  M.  de  Vaudreuil,  pour  le  prier  de  les  rece- 
voir en  ses  bonnes  grâces.  Dans  l'audience  que  ce 
général  leur  donna,  après  que  celui  qui  portait  la  parole 
eut  témoigné  son  chagrin  de  ce  que  deux  peuples  qu'il 
estimait,  disait-il,  étaient  presque  toujours  occupés  à 

*  Dans  un  conseil,  qui  fut  tenu  à  Onnontagué,  un  des  anciens 
se  leva,  et  dit  :  "  Ne  vous  souvenez-vous  pas  que  nous  noua 
trouvons  placés  entre  deux  nations  puissantes,  capables  de  nous 
exterminer,  et  intéressés  à  le  faire,  quand  elles  n'auront  plus 
besoin  de  notre  secours  ?  Nous  devons  donc  faire  en  sorte  de  les 
mettre  toujours  dans  l'obligation  de  nous  ménager,  et  par  consé- 
quent, empêcher  que  l'une  ne  prévale  sur  l'autre." 


DU   CANADA.  277 

s'entre-détruire,  il  ajouta,  avec  la  francliise  particulière 
aux  Sauvages  :  "  Etes-vous  donc  ivres,  les  uns  et  les 
autres,  ou  est-ce  moi  qui  n'ai  point  d'esprit  ?" 

A  peine  les  Onnontagués  étaient-ils  pai'tis,  qu'on  vit 
arriver  des  Agniers,  qui  parlèrent  sur  le  même  ton,  et 
protestèrent  que  leur  canton  ne  lèverait  jamais  la  hache 
contre  les  Français. 

Vers  la  fin  du  priutems,  on  apprit,  à  Québec,  que 
jl'Acadie  était  menacée  de  nouveau,  et  qu'on  faisait  de 
Cgrands  préparatifs,   à  Boston,  pour  attaquer    le    Port 
jRoyal.     En  effet,  au  mois  d'août  de  cette  même  année, 
/(1710)  un  vaisseau  anglais  de  60  canons  et  une  goélette 
)  s'approchèrent  de  cette  viUe,  et  la  tinrent  bloquée,  de 
-   manière  qu'il  n'y  put  entrer  aucun  secours  ;  et  le  10 
i   octobre,  cinquante  bâtimens  anglais  entrèrent  dans  le 
bassin,  et  jettèrent  les  ancres  vis-à-vis  du  fort.     Il  y 
avait  dant  cette  flotte,  quatre  vaisseaux  de  60  canons, 
,     deux  de  40,  un  de  36,  et  deux  galiottes  à  bombes  :  le 
]   reste  se  composait  de  bâtimens  de  charge  et  de  trans- 
I   port;  le  tout  sous  les  ordres  du   général   Nicolsox, 
î  commandant  en  chef  de  toutes  les  forces  de  la  reine 
/  d'Angleterre,  en   Amérique.     Les  troupes   qu'il  com- 
\  mandait  se  montaient  à  3,500  hommes,  sans  compter  les 
\matelots.     Subercase,  qui  n'avait  à  leur  opposer  que 
trois  cents  hommes,  assez  mal  affectionnés,*  ne  chercha 
point  à  empêcher  le  débarquement,  et  n'eut  en  vue  que 
de  sortir  avec  honneur  d'une  place,  dans  laquelle  il  pré- 
voyait  ne   pouvoir  pas  tenir   bien  longtems.      Il    se 
défendit,  pendant  quelques  jours,  contre  les  attaques  des 
assiégeans,  avec  assez  de  vigueur  pour  leur  tuer  beau- 


*  Depuis  trois  ou  quatre  ans,  mal<;;réles  voprôsentationsdu  pfoii- 
verncur  au  ministre  des  colimics,  le  f^iniverneiuent  de  France 
laissait  les  habitans  et  les  soldats  mêmes,  dans  un  dénuement 
presque  absolu. 


278  HISTOIRE 

coup  de  monde  ;  mais  la  désertion  d'une  partie  de  ses 
gens,  et  le  mécontentement  qui  se  manifesta  parmi  les 
autres,  l'obligèrent  à  demander  à  capituler,  plutôt  qu'il 
ne  l'aui'ait  voulu  faire.  Sa  garnison,  qui  ne  consistait 
plus  qu'en  cent-cinquante  hommes  tout  délabrés,  sortit 
avec  armes  et  bagages.  L'artillerie,  qui  aurait  pu  être 
emportée,  fut  vendue  au  général  anglais,  pour  l'acquit 
des  dettes  publiques. 

Subercase  envoyale baron  de  Saint-Castin  au  marquis 
de  Yaudreuil,  pour  lui  faire  connaître  les  articles  dont 
il  était  convenu  avec  le  général  Nicolson.     Ce  dernier 
lui  députa  aussi  M.  Livingston,  avec  une  lettre,  dans 
laquelle  il  déclarait  qu'il  userait  de  représailles  contre 
les  Acadiens,  si  les  Français  et  leurs  alliés  continuaient 
leurs  hostilités  contre  la  Nouvelle  Angleterre,  et  pro- 
posait un  échange  de  prisonniers,  avec  menace,  en  cas 
de  refus,  de  livrer  aux  Sauvages  alliés  de  l'Angleterre 
autant  de  Français  qu'il  y  avait  d'Anglais  prisonniers 
en  Canada. 
/^^l.  de  Vaudreuil  lui  écrivit^  en  réponse,  que  les  lois 
/  de  la  gueiTe  ne  lui  permettaient  pas  de  traiter  en  enne- 
/     mis  des  gens  qui  s'étaient  rendus  à  lui  par  capitulation  ; 
l     qu'il  consentirait  volontiers  à  un  échange  de  prisonniers  ; 
i     mais  qu'il  n'était  pas  tout-à-fait  le  maître  de  ceux  qui 
/     étaient  entre  les  mains  de  ses  alliés,  et  que  si  la  menace 
j      de  livrer  des  Français  ou  des  Acadiens  aux  Sauvages 
1     de  la  Nouvelle  Angleterre  s'exécutait,  il  serait  contraint 
-      d'user  de  représailles.     Les  sieurs  deRouville  et  Dupuys 
\    furent  chargés  de  porter  sa  lettre  au  général  anglais. 
Il  nomma,  en  même  temps,  Saint-Castin  son  lieutenant 
en  Acadie,  et  lui  donna  ses  instructions,  pour  maintenir 
les  Français  restés  en  ce  pays  sous  l'obéissance  du  roi 
de  France. 

La  ga-i-nison  que  le  général  Nicolson  laissa  au  Port 


DU   CANADA.  279 

Roj'al,  souffrit  beaucoup  de  la  maladie,  pendant  iMilver, 
et  fut  tenue  comme  bloquée,  jusqu'au  printems,  par  un 
partie  d'Acadiens  et  de  Sauvages.  M.  de  Vuudreuil 
se  disposait  à  envoyer  au  baron  de  Saint-Castin,  un 
renfort  de  deux  cents  hommes  choisis,  sous  le  marquis 
d'ALOGNiES,  commandant  des  troupes,  lorsqu'il  apprit 
qu'une  partie  de  la  flotte  anglaise  destinée  à  faire  le 
siège  de  Québec,  était  arrivée  à  Boston,  et  que  le  reste 
n'en  était  pas  éloigné.  Après  avoir  donné  ses  ordres, 
pour  mettre  la  ville  en  état  de  défense,  le  gouverneur 
se  rendit  à  Mont-réal,  pour  y  rencontrer  les  députés 
des  tribus  du  Nord  cl  de  l'Ouest  et  des  cantons  iroquois. 
11  obtint  des  premières  la  promesse  de  pi'endre  les  armes 
pour  la  défense  de  la  colonie,  et  des  derniers,  celle  de 
demeurer  neutres.  A  son  retour  à  Québec,  il  fut 
accompagné  des  Abénaquis  domiclilés  et  de  M.  de 
Ramsay,  à  la  tête  de  six  cents  hommes  de  son  gouver- 
nement. Il  trouva  les  ordres  qu'il  avait  donnés,  en 
partant  pour  JNlont-réal,  parfaitement  exécutés.  Beau- 
court,  qui  en  avait  été  chargé,  non  content  de  fortifier 
le  corps  de  la  place,  de  manière  à  la  mettre  en  état  de 
soutenir  un  long  siège,  avait  pris  de  bonnes  mesures 
pour  empêcher  que  les  envahisseurs  ne  débarquassent 
du  côté  de  Beauport,  comme  ils  avaient  fait,  en  1690, 
et  jamais  peut-être,  dans  aucune  ville,  observe  Chai'le- 
voix,  on  ne  remarqua  plus  de  résolution  et  de  confiance, 
tous,  jusqu'aux  femmes,  étant  disposés  à  contribuer,  de 
leur  mieux,  à  la  plus  vigoureuse  défense.  Chacun,  dans 
la  ville  et  aux  environs,  avait  son  poste  manjué,  et 
toutes  les  côtes,  au-dessous  de  Québec,  étaient  si 
bien  gardées,  que  l'ennemi  n'aurait  pu  y  mettre  pied  à 
terre,  dans  aucun  endroit  habité,  sans  être  obligé  de 
livrer  un  combat  (jue  la  situation  du  terrain  lui  aurait 
rendu  désavantageux.     Enfin,  tout  paraissait   si  bien 


2«0  msToiEE 

disposé,  qu'on  était  dans  une  espèce  d'impatience  devoir 
paraître  la  flotte  anglaise,  lorsque,  le  25  août,  à  huit 
heui'es  du  soir,  un  habitant  vint  donner  avis  que  le  9, 
il  avait  vu,  de  Matane,  de  quatre-vingt-dix  à  quatre- 
vingt-quinze  voiles,  portant  le  pavillon  d'Angleterre  ; 
sur  quoi,  chacun  se  rendit  à  son  poste.  Quelques  jours 
après,  des  pêcheurs  de  Gaspé  rapportèrent  qu'ils  avaient 
compté  quatre-vingt-quatre  vaisseaux  qui  descendaient 
le  fleuve,  et  faisaient  route,  comme  pour  aller  à  Gaspé 
mème- 

Le  7  octobre,  M.  de  Beaumoxt,  qui  commandait  le 
vaisseau  le  Héros,  mouilla  devant  Québec,  et  dit  qu'il 
n'avait  rencontré  aucun  bâtiment,  dans  la  partie  nord 
du  fleuve,  qu'il  avait  presque  toujours  suivie;  et  un 
autre  navire,  qui  arriva,  peu  de  jours  après,  et  qui 
avait  tenu  la  route  du  sud,  assui-a  qu'il  n'avait  rien 
apperçu. 

Ces  avis  firent  résoudre  le  gouverneur  général  à 
renvoyer,  sur-le-champ,  M.  de  Eamsaj  à  Mon-réal, 
avec  les  six  cents  hommes  qu'il  en  avait  amenés  :  il  le 
suivit  lui-même,  de  près,  avec  six  cents  soldats  ;  ce  qui, 
joint  au  corps  de  troupes  qui  était  resté  sous  les  ordres 
du  baron  de  Loxgueil,  pour  garder  la  tête  de  la  colonie, 
faisait  une  armée  de  3,000  hommes.  M.  de  Yaudreuil 
la  fit  camper  à  Chamblj,  son  dessein  étant  d"y  attendre 
le  général  Nicolson,  qu'il  savait  être  en  marche,  de  ce 
côté-là  ;  mais  il  apprit  bientôt  que  son  armée  avait 
rebroussé  chemin,  et  Rouville  fut  détaché,  avec  deux 
cents  hommes,  pour  en  avoir  des  nouvelles  plus  ex- 
actes. 

Cet  officier  apprit,  en  route,  que  la  flotte  anglaise  avait 
fait  naufrage,  dans  le  fleuve  Saint-Laurent,  vis-à-vis 
des  Sept-lles.  Dès  que  M.  de  Yaudreuil  fut  instruit  du 
fait,  il  envoya  sur  les  lieux  quelques  barques,  qui  ti'ou- 


DU   CANADA.  281 

vèrent  les  carcasses  de  huit  gros  vaisseaux,  et  près  de 
trois  mille  cadavres  étendus  sur  le  rivage. 

Le  général  Hill,  ou  l'amiral  Walker,  commandant 
de  cette  flotte,  ne  dut  qu'à  lui-même,  suivant  Cliarle- 
voix,  le  malheur  qui  lui  arriva.  Il  avjiit  sur  son  bord, 
un  prisonnier  français,  nommé  Paradis,  ancien  navi- 
gateur, qui  connaissait  parfaitement  le  fleuve  Saint- 
Laurent.  Cet  Jiomme  l'avertit,  lorsqu'il  fut  par  le 
travers  des  Sept-Hes,  qu'il  ne  fallait  pas  s^approcher 
trop  de  terre  ;  et  comme  le  vent  n'était  pas  favorable, 
et  qu'on  ne  pouvait  aller  qu'à  la  bouline,  l'amiral  se 
lassa,  à  la  fin,  de  cette  manœuvre,  et  soupçonna  même 
peut-être  le  Français  de  vouloir  fatiguer  son  équipage. 
11  ne  voulut  pas  revirer,  et  s'approcha  de  si  près  d'une 
petite  ile,  appellée  Y  Ile  aux  Œufs,  qu'y  ayant  été  surpris 
par  un  coup  de  vent  du  sud-est,  il  s'y  brisa,  avec  sept 
autres  de  ses  plus  gros  vaisseaux,  dont  il  ne  se  sauva 
que  très  peu  de  monde.  Le  reste  de  la  flotte  redescen- 
dit le  fleuve,  après  être  restée  quelques  jours  à  l'ancre, 
pour  enlever  la  charge  des  vaisseaux  brisés.* 

Au  commencement  de  1712,  le  bruit  ayant  couru  que 
les  Anglais  se  disposaient  à  mettre  en  mer  une  nouvelle 
flotte,  pour  assiéger  Québec,  le  gouverneur  trouva,  dans 
la  bourse  des  marchands  de  cette  ville,  une  somme  de 
cinquante  mille  écus,  pour  y  ajouter  des  fortifications. 
"  Voilà,  dit  l'auteur  des  Beautés  de  V Histoire  du  Canada, 
ce  que  fait  un  pays  pauvre,  tandis   que   de   grandes 

*  Dans  leur  manifeste,  dont  plusieurs  exemplaires  furent  trouvés 
sur  les  bâtiments  naufragés,  les  commandans  anglais  reprochaient, 
entre  autres  choses,  au  gouverneniont  du  Canada,  de  donner 
quarante  francs  à  ses  alliés  sauvages,  pour  chaque  chevelure 
apportée  au  bureau  de  la  guerre  ;  mais  à  des  plaintes  peut-être 
fondées,  ils  ajoutaient  des  prétentions  ridicules,  en  disant,  que 
toute  rAinériquo  du  Nord  app:irtcii;iit,de  drfiit,  à  l'Angleterre,  en 
vertu  de  la  pi'iorité  de  découverte,  et  que  la  France  ne  possédait 
le  Canada  que  par  usurpation. 

z2 


282  HISTOIKE 

nations  florissantes  ont  peine  à  se  priver  de  quelques 
jouissances  de  luxe.,  pour  subvenir  aux  besoins  de  la 
pati-ie." 

Cette  même  année,  les  gourerneurs  généraux  du 
Canada  et  des  colonies  anglaises  reçurent  de  leurs  sou- 
verains des  ordres  précis  de  faire  cesser  tout  acte  d'hos- 
tilité entre  les  sujets  des  deux  nations  et  leurs  alliés. 
Par  le  traité  conclu  entre  Louis  XIV  et  la  reine  AxxE, 
Tanné  suivante,  la  France  cédait  à  l'Angleterre  l'Acadie, 
avec  la  ville  de  Port-Royal,  appellée  depuis  AnnapoliSy 
et  tout  ce  que  les  Français  avaient  possédé,  jusqu'alors, 
dans  l'ile  de  Terre-Neuve  et  à  la  Baie  d'Hudson.  Le 
roi  Très-Chrétien  renonçait  aussi  aux  droits  qu'il  pré- 
tendait avoir  sur  le  pays  des  Iroquois  ;  sans  beaucoup 
de  perte  pour  la  France  ni  de  gain  pour  l'Angleterre, 
puisque  ces  Sauvages  s'étaient  maintenus  jusqu'alors, 
et  se  maintinrent  encore,  par  la  suite,  dans  leur  indé- 
pendance. 

En  cédant  la  presqu'île  de  l'Acadie,  appellée  depuis 
Nouvelle  Ecosse,  la  France  s'était  réservé  le  continent 
voisin,  et  possédait  encore  l'Ile  Royale,  ou  du  Cap- 
Breton,  et  celle  de  Saint-Jecm.  Dès  l'an  1706  M. 
Rodot  avait  envoyé  à  la  cour  de  France  un  mémoire, 
où  il  recommandait  fortement  la  colonisation  du  Cap- 
Breton,  comme  devant  être  du  plus  grand  avantage  à 
la  France  et  au  Canada,  particulièrement  sous  le  rapport 
du  commerce  ;  après  la  perte  de  l'Acadie  et  de  Plaisance, 
on  pensa  sérieusement,  non  seulement  à  peupler  cette  île, 
mais  encore  à  la  fortifier.  Après  avoir  délibéré,  pendant 
quelque  temps,  sur  le  choix  du  lieu  où  il  convenait  de 
former  le  principal  établissement,  et  hésité  entre  le  port 
de  Sainte-A?me,  et  le  Havre  a  V Anglais,  on  se  décida 
pour  ce  dernier,  et  l'on  commença  à  y  bâtir  une  ville, 
à  laquelle  on  donna  le  nom  de  Louishourg.     Costebelle, 


DU   CANADA.  283 

qui  avait  perdu  le  gouvernement  de  Plaisance,  fut  chargé 
de  celui  de  la  nouvelle  colonie. 

On  s'était  d'abord  attendu  à  pouvoir  transporter  dans 
l'Ile  Royale  tous  les  Français  établis  en  Acadie,  et  même 
tous  les  Sauvages  compris  sous  le  nom  d'Abénaquis  ; 
et  quelques  uns  de  ces  derniers  y  formèrent,  en  effet, 
une  bourgade  ;  mais  les  Acadiens,  n'y  trouvant  pas  de 
quoi  se  dédommager  de  ce  qu'ils  possédaient  dans  leur 
pays,  ne  voulurent  pas  consentir  à  la  transmigration. 
Les  habitans  de  Plaisance,  au  contraire,  passèrent  tous 
à  Louisbourg,  et  s'y  trouvèrent  bientôt  beaucoup  plus  à. 
leur  aise  qu'ils  n'avaient  jamais  été  en  Terre-Neuve. 

Tandis  qu'on  se  donnait  ces  mouvemens,  au  sujet  de 
l'Ile  Royale,  le  marquis  de  Yaudreuil,  de  concert  avec 
M.  Begon,  successeur  de  M.  Rodot,  dans  l'intendance 
du  Canada,  s'occupait  du  soin  de  fortifier  et  de  peupler 
"cette  colonie.  "  Le  Canada,  dit-il,  dans  luic  lettre  qu'il 
écrivit  à  M.  de  Pontchartrain,  en  1714,  n'a  que  4484 
habitans  en  état  de  porter  les  armes,  depuis  l'âge  de  seize 
jusqu'à  soixante,  et  les  vingt-huit  compagnies  des 
troupes  de  la  marine,  que  le  roi  y  entretient,  ne  font,  en 
tout,  que  six-cent- vingt- huit  hommes.  Les  colonies 
anglaises  ont  60,000  hommes  en  état  de  porter  les  armes, 
:t  l'on  ne  peut  douter  qu'à  la  première  rupture,  elles  no 
fassent  un  grand  effort  pour  s'emparer  du  Canada." 
fVi  demandait,  en  conséquence,  qu'il  lui  fût  envoyé  un 
[l'cnfort  de  troupes,  et  qu'il  fût  pris  des  moyens  pour 
Uugmentcr  le  nombre  des  habitans. 

Le  Canada  "se  trouvait,  dit  Ratnal,  à  l'époque  de 

/  la  pacification  d'Utrecht,  dans  un  état  de  faiblesse  et 

I     de  misère  inconcevable.     C'était  la  faute  des  premiers  ' 

\   Français,  qu'on  avait  vus  s'yjetter  plutôt  que  s'y  établir. 

\La  plupart  s'étaient  contentés  de  courir  les  bois.     Les 

plus  raisonnables  avaient  essayé  quelques  cultures,  mais 


284  HISTOIRE 

sans  choix  et  sans  suite.  Un  terrain  où  l'on  avait  bâti 
et  semé  à  la  hâte,  était  aussi  légèrement  abandonné  que 
défriché.  Cependant,  les  dépenses  que  faisait  la  métro- 
pole dans  cet  établissement,  et  le  commerce  des  pelle- 
teries, donnèrent,  par  intervalle,  quelque  aisance  aux 
habitans.  Mais  ils  la  perdirent  bientôt,  dans  une  suite 
de  guerres  malheureuses.  En  1714,  les  exportations 
du  Canada  ne  passaient  pas  cent  mille  écus.  Cette 
somme,  jointe  à  celle  de  trois  cent-cinquante  mille  livres, 
que  le  gouvernement  y  versait,  chaque  année,  était 
toute  la  ressource  de  la  colonie  pour  payer  les  marchan- 
dises qui  lui  venaient  d'Europe.  Aussi  en  recevait-elle 
si  peu,  qu'on  était  généralement  réduit  à  se  couvrir  de 
peaux,  à  la  manière  des  Sauvages.  Telle  était  la  situa- 
tion des  vingt  mille  Français  qu'on  comptait  dans  ces 
régions  immenses." 

Pendant  qu'on  jouissait  des  avantages  de  la  paix,  sur 
les  bords  du  Saint-Laui-ent,  les  contrées  de  l'Ouest 
étaient  troublées  par  de  nouvelles  hostilités.  Les  Iro- 
quois  n'avaient  pas  repris  les  armes,  depuis  leurs  der- 
nières députations,  mais  ils  avaient  suscité  à  la  colonie 
française  un  nouvel  ennemi,  moins  politique  qu'eux,  mais 
aussi  brave  et  plus  féroce.  C'étaient  les  Outagamis, 
plus  connus  des  Canadiens,  sous  le  nom  de  Renards. 
Par  l'entremise  des  Tsonnonthouans,  ces  barbares 
avaient  fait  alliance  avec  les  Anglais,  au  commencement 
de  l'année  1712,  et  avaient  projette  de  brûler  le  fort 
du  Détroit,  et  de  faire  main-basse  sur  tous  les  Français 
qu'ils  y  rencontreraient.  Les  Mascoutins  et  les  Kika- 
pous  étaient  entrés  dans  leur  complot.  Ils  étaient  venus 
s'établir,  en  assez  grand  nombre,  près  du  Détroit,  et  ils 
n'attendaient,  pour  exécuter  leur  dessein,  qu'un  renfort 
de  guerriers,  lorsqu'ils  apprirent  que  des  Outaouais  et 
des  Pouteouatamis  avaient  tué  environ  cent-cinquante 


DU   CANADA.  285 

Mascoutins,  tant  hommes  que  femmes  et  enfans.  A 
cette  nouvelle,  ils  se  mirent  en  mai'che,  la  fureur  dans 
le  cœur,  et  résolus  de  ne  faire  aucun  quartier. 
W  Heureusement,  le  commandant  du  fort,  nommé  Du- 
^uissox,  fut  averti  à  temps  du  danger  qui  le  menaçait. 
Il  n'avait  avec  lui  que  vingt  Français,  ou  Canadiens  ; 
toute  sa  ressource  était  dans  les  Sauvages  amis  ;  mais 
ces  derniers  étaient  alors  à  la  chasse.  Il  les  envoya 
avertir  en  diligence  de  se  rendre  auprès  de  lui  :  il  fit 
ensuite  abattre  les  maisons  qui  étaient  hors  de  l'enceinte 
de  son  fort,  et  prit  toutes  les  autres  mesui'cs  qu'il  crut 
nécessaires  pour  soutenir  les  premiers  efforts  de  l'en- 
nemi. Ses  alliés  arrivèrent  bientôt,  et  en  bon  ordre.  Il 
y  avait  parmi  eux  des  Ilurons,  des  Outaouais,  des  Sakis, 
vlcS  Illinois,  clcs  Malkomines,  des  Osages  et  des  Mis- 
souris,  ou  Missouritcs,  et  chaque  tribu  avait  un  pavillon 
particulier. 

Les  Outagamis  avaient  construit  un  fort  à  une  portée 
de  mousquet  de  celui  des  Français.  Ils  répondirent 
bravement  à  la  première  attaque  ;  mais  le  feu  continuel 
qu'on  faisait  sur  eux  les  força  bientôt  à  creuser  de  grands 
trous  en  terre,  pour  se  mettre  à  l'abri.  Alors,  les 
assiégeans  dressèrent  deux  espèces  d'échafauds  de  vingt- 
cinq  pieds  de  liant,  d'où  il  battirent  les  assiégés  avec 
succès.  Ceux-ci  n'osèrent  plus  sortir  pour  avoir  de 
l'eau,  et  leurs  vivres  se  consommèrent.  Dans  cette 
extrémité,  tirant  des  forces  de  leur  désespoir,  ils  com- 
battirent avec  une  valeur  qui  rendit  longtems  la  vic- 
toire douteuse  :  ils  s'avisèrent  même  d'arborer,  sur  leurs 
palissades,  des  couvei'tures  rouges,  en  guise  de  drapeaux, 
et  crièrent,  de  toutes  leurs  forces  :  "  Coui>au  est  notre 
père  ;  son  drapeau  flotte  sur  nos  tètes  ;  il  protège  notre 
bras  :  ou  il  viendra  nous  secourir,  ou  il  vengera  notre 
moi-t." 


286  HISTOIRE 

Les  confédérés  leur  répondirent  :  "  Vous  aviez  perdu 
l'esprit,  lorsque  vous  vous  êtes  liés  avec  Corlar  :  si  la 
terre  doit  être  teinte  de  sang,  comme  vous  le  voulez 
faire  entendre  par  ce  drapeau,  elle  le  sera  du  vôtre." 

Pressés  de  plus  en  plus,  les  Outagamis  remplacèrent 
leurs  drapeaux  rouges  par  un  paviUon  blanc,  et  leur 
grand  chef,  Pemoussa,  accompagné  de  deux  guerriers, 
se  présenta,  et  fut  introduit  dans  le  camp  des  alliés.  Il 
remit  les  captifs  et  présenta  des  colliers  au  commandant 
français  et  aux  chefs  sauvages,  dans  la  vue  de  les  apai- 
ser, et  d'en  obtenir  la  permission  de  se  retirer  ;  mais 
Dubuisson  ayant  laissé  la  décision  de  la  chose  à  ses 
alliés,  ceux-ci  se  montrèrent  inexorables,  ne  voulant 
recevoir  les  Outagamis  qu'à  discrétion.  Réduits  à  la 
dei'nière  extrémité,  ces  derniers  se  battirent  en  déses- 
pérés :  ils  décochaient  à  la  fois  jusqu'à  trois  cents  flèches, 
au  bout  desquelles  il  y  avait  du  tondre*  allumé,  et  à 
quelques  unes  des  fusées  de  poudre,  pour  mettre  le  feu 
au  fort  des  Français.  Us  y  brûlèrent,  en  effet,  plusieurs 
maisons,  qui  n'étaient  couvertes  que  de  paille  ;  et  pour 
empêcher  que  l'incendie  ne  gagnât  plus  loin,  il  fallut 
couvrir  tout  ce  qui  restait,  de  peaux  d'ours  et  de  che- 
vreuils, et  les  arroser  à  chaque  instant. 

Lassés  d'une  si  opiniâtre  résistance,  les  conférés 
parui-ent  désespérer  du  succès,  et  Dubuisson  eut  heu  de 
craindi-e  qu'ils  ne  se  retirassent,  et  ne  le  missent  à  la 
merci  d'un  ennemi,  envers  lequel  ils  venaient  de  se 
montrer  impitoyables.  11  fallut,  pour  les  retenir  auprès 
de  lui,  qu'il  les  comblât  de  présens,  et  employât  tout  ce 
que  la  raison  et  l'éloquence  ont  de  plus  persuasif. 

Les  assiégés  furent  bientôt  aux  abois  ;  ils  demandè- 


*  Nous  ne  trouvons  dans  aucun  dictioiinaire  ce  mot,  que  Char- 
levoix  emploie  ici,  et  dont  la  signification  est  bien  connue  en 
Canada. 


DU   CANADA.  287 

rent,  de  nouveau,  à  parlementer;  mais  les  Sauvages 
furent  aussi  inexorables  que  la  première  fois.  Ne 
voyant  plus  de  ressource  que  dans  la  fuite,  les  Outaga- 
mis  s'évadèrent,  de  nuit,  à  la  faveur  d'un  orage,  qui 
avait  écarté  les  assiégeans. 

On  se  mit,  dès  le  matin,  à  leurs  trousses,  et  on  les 
trouva  retrancliés,  à  quatre  lieues  du  Détroit,  dans  une 
anse  du  lac  Sainte-Claire,  Il  fallut  commencer  uu 
nouveau  siège  qui  dura  quatre  jours,  et  qui  eût  même 
été  plus  long,  si  Dubuisson  n'y  eût  fait  venir  deux 
pièces  de  campagne.  Le  premier  en  avait  duré  dix- 
neuf.  Les  Outagamis  se  rendirent  enfin  à  discrétion. 
La  plupart  furent  impitoyablement  massacrés,  sur-le- 
champ  :  les  autres  furent  faits  esclaves  et  distribués 
entre  les  tribus  confédérés,  qui  ne  les  gardèrent  pas 
longtems,  mais  les  massacrèrent  presque  tous,  avant 
de  se  séparer. 

Quoique  les  Outagamis  et  leurs  alliés  eussent  perdu 
plus  de  2,000  personnes,  il  ne  se  passa  pas  deux  années 
entières,  sans  qu'ils  recommençassent  leurs  incursions. 
Ils  infestaient  de  leurs  brigandages,  non  seulement  les 
environs  de  la  Baie,  leur  pays  natal,  mais  presque  toutes 
les  routes  qui  faisaient  la  communication  des  postes 
éloignés  avec  la  colonie,  et  celles  qui  conduisaient  du 
Canada  à  la  Louisiane,  où  depuis  quelques  années, 
comme  on  l'a  vu  plus  haut,  les  Français  avaient  cons- 
truit des  forts,  et  formé  des  établissemens.  Toutes  les 
tribus  qui  commerçaient  avec  les  Français  se  trouvaient 
beaucoup  incommodées  par  ces  hostilités  :  craignant 
qu'elles  ne  s'en  trouvassent  fatiguées  au  point  de  s'ao- 
commoder  avec  ces  barbax-es,  M.  de  Vaudreuil  leur  fit 
proposer  de  se  réunir  à  lui,  pour  les  exterminer.  Elles 
y  consentirent  toutes,  et  ce  général  leva  un  parti  de 
Français,   dont  il   confia  le  commandement    à  M.  de 


288  HISTOIRE 

Louvigny.  Cet  officier  fut  joint,  sur  la  rente,  par  un 
grand  nombre  de  Sauvages,  et  se  trouva  bientôt  à  la 
tête  de  huit  cents  hommes. 

Les  Outagamis,  au  nombre  de  cinq  cents  guerriers, 
s'étaient  enfermés,  avec  leurs  femmes  et  leurs  enfans, 
dans  une  espèce  de  fort,  entourré  d'un  bon  fossé,  et  de 
trois  rangs  de  palissades,  en-dedans.  Louvigny  les 
attaqua  dans  les  formes  :  il  ouvrit  la  tranchée,  à  trente 
toises  du  retranchement,  avec  deux  pièces  de  campagne 
et  un  mortier  à  grenades,  et  dès  le  troisième  jour,  il 
n'en  était  plus  éloigné  que  de  douze,  quoique  les  assié- 
gés fissent  un  très  grand  feu.  Il  se  disposa  ensuite  à 
faire  jouer  des  mines  sous  leurs  courtines;  mais  dès 
qu'ils  s'en  apperçurent,  ils  demandèrent  à  capituler,  et 
proposèrent  des  conditions  qui  furent  rejettées.  Ils  en 
proposèi'ent  ensuite  d'autres,  que  le  commandant  com- 
muniqua aux  chefs  des  Sauvages,  et  qui  furent  accep- 
tées. Elles  portaient,  lo.  Que  les  Outagamis  feraient 
la  paix  avec  les  Français  et  leui's  alliés  :  2o.  Qu'ils 
rendraient  tous  les  prisonniers  qu'ils  avaient  faits  ;  3o. 
Qu'ils  remplaceraient  les  morts  par  les  prisonniers  qu'ils 
feraient  sur  les  tribus  éloignées  avec  lesquelles  ils 
étaient  en  guei-re  ;  4o.  Qu'ils  paieraient  les  frais  de  la 
guerre,  du  produit  de  leur  chasse. 

Ce  traité  fut  ratifié  par  le  gouverneur  général,  mais 
assez  mal  exécuté,  de  la  part  des  Outagamis,  bien  qu'ils 
eussent  donné  six  otages,  tous  chefs,  ou  fils  de  chefs, 
pour  la  sûreté  de  son  exécution. 

En  1717,  sur  les  représentations  de  M.  de  Vau- 
dreuil,  il  fut  émané  un  édit,  ou  une  ordonnance  royale, 
pour  régler  l'office  de  notaire. 

Cette  même  année  1717,  M.  de  Vincenxes,  officier 
canadien,  commença,  sur  la  rivière  Ouabache,  un  éta- 
blissement qui  fut  appelle,  de  son  nom.  Poste  Vincennes. 


DU    CANADA.  289 

M,  Crozat,  qui,  en  1712,  avait  obtenu  le  commerce 
delà  Louisiane,  fit  Tabantlon  de  son  privilège  en  1717  ;  et 
alors  se  forma  la  compagnie  d'Occident,  à  qui  le  roi 
accorda  le  droit  de  faire,  pendant  vingt-cinq  ans,  le 
commerce  de  la  Louisiane,  et  de  recevoir  du  Canada 
toutes  les  peaux  de  castor  qui  proviendraient  de  la 
traite  des  pelleteries. 

Ce  fut  aussi  en  1717  que  les  plans  de  ville  de  la 
Nouvelle- Orléans  furent  tracés  par  de  Bienville, 
Canadien,  et  frère  d'Iber ville.* 

L'année  suivante  1718,  le  P.  LAFiTAU,f  jésuite,  dé- 
couvrit, dans  les  forêts  du  Canada,  le  ginseng,  plante 
qu'on  avait  cru  appartenir  exclusivement  à  la  Coi'ée,  et 
à  la  Tartarie  Chinoise.  Le  ginseng  était  très  estimé  à 
la  Chine,  et  s'y  vendait  très  cher  :  il  devint,  en  Canada, 
un  article  d'exportation,  et  se  vendit,  à  Québec,  jusqu'à 
viug-cinq  francs,  la  livre.  Malheureusement,  ce  haut 
prix  excita  la  cupidité,  et  l'on  perdit  tout,  pour  vouloir 
gagner  trop,  ou  trop  promptement  :  au  lieu  d'attendre 
que  la  racine  fût  parvenue  à  sa  grosseur  et  à  sa  maturité, 
c'est-à-dire,  au  mois  de  septembre,  on  la  cueillit,  au 
mois  de  mai  :  on  employa  les  Sauvages,  pour  parcourir 
les  bois,  et  arracher  la  plante,  partout  où  elle  pouvait 
se  trouver  ;  et  à  la  faute  de  la  cueillir  trop  tôt,  on 
^outa  celle  de  la  faire  sécher  trop  promptement,  dans 
des  fours.  La  détérioration  du  ginseng  du  Canada  eu 
fit  diminuer  le  prix,  à  la  Chine,  et  il  devint,  à  la  fin,  si 
rare,  qu'il  cessa  presque  entièrement  d'être  un  article 
de  commerce. 

*  "Glorieux  et  noble  établisseinont,  que  sa  situation  destinait  u 
devenir  un  des  plus  Hurissants  entrepots  du  commerce.  " — M. 
Roux  nE  IIOCIIELI.IC. 

f  Outre  son  "  Mémoire  concernant  la  précieuse  plante  du 
Ginç-Seng  de  Tartarie,  découverte  en  Canada,"  le  P.  Lafitau  a 
publié  les  "  Mœiu's  des  Sauvages  Américains  comparées  aux 
mœurs  des  premiers  temps." 

Aa 


290  HISTOIEE 

Jusqu'au  temps  dont  nous  parlons,  les  Français 
n'avaient  fait  nulle  attention  à  l'île  Saint-Jean,  quoi- 
qu'elle fût  voisine  de  l'Acadie,  et  on  ne  peut  mieux 
située  pour  la  pêche  de  la  morue  ;  mais  en  1719,  il  se 
forma,  en  France,  une  compagnie,  pour  peupler  cette 
île,  ou  du  moins  y  faire  un  établissement.  Le  comte 
de  Saint -Pierre,  premier  écuyer  de  la  duchesse  d'OK- 
LEANS,  se  mit  à  la  tête  de  l'entreprise,  et  le  roi,  (Louis 
XV),  par  ses  lettres-patentes,  datées  du  mois  d'août  de 
cette  même  année,  lui  concéda  les  îles  de  Saint-Jean  et 
de  Miscoii,  "  en  franc-aleu  noble,  sans  justice,  que  sa 
majesté  se  réservait,  à  la  charge  de  porter  foi  et  hom- 
mage au  château  de  Louisbourg,  dont  il  devait  relever, 
sans  redevance." 

Au  mois  de  janvier  de  l'année  suivante,  le  même 
seigneur  obtint  de  nouvelles  patentes  de  concession,  aux 
mêmes  titres  et  conditions,  "pour  les  îles  de  la  Made- 
leine, Bofou  ou  Ramées,  îles  et  îlots  adjacents,  tant 
pour  la  culture  des  terres,  exploitation  des  mines,  que 
pour  les  pêches  des  morues,  loups-marins  et  vaches- 
marines." 

Cette  même  année  1720,  les  fortifications  commen- 
cées à  Québec,  par  MM.  de  Beaucourt  et  Levasseur,  et 
ensuite  discontinuées,  furent  reprises,  d'après  le  plan 
de  M.  Chaussegros  de  Lert,  lequel  avait  été  envoyé 
en  France,  et  jugé  préférable  à  celui  des  deux  premiers 
ingénieurs.  La  population  de  Québec  était  alors 
d'environ  7,000  personnes,  et  celle  de  Mont-réal  de 
3,000.  Les  ouvrages  en  bois,  qui  avaient  été  érigés 
pour  mettre  cette  dernière  ville  à  l'abri  d'un  coup  de 
main,  ou  d'une  surprise,  de  la  part  des  Sauvages,  étaient 
tellement  tombés  en  ruine,  que  le  gouvernement  ordonna, 
par  un  arrêt  daté  de  cette  même  année,  qu'ils  fussent 
démolis,  et  remplacéspar  un  mur  de  pierre,  avec  bastions. 


DU  aUS'ADA.  291 

etc.  Ces  ouvrages  furent  coinmencés,  deux  ans  après, 
et  les  frais  en  furent  répartis  entre  le  gouvernement,  le 
séminaire  de  Saint-Sulpice  et  les  liabitans. 

Il  y  avait  déjà  ([uclque  temps  que  le  gouvernement 
de  la  métropole  s'occupait  du  soin  de  régler  les  limites 
des  paroisses  établies  dans  la  colonie  :  la  considération 
de  ce  sujet  fut  remise  au  gouverneur,  à  l'intendant  et  à 
l'évêque  de  Québec.  Ces  messieurs  dressèrent  un 
projet  de  règlement,  qui  fut  soumis  à  la  cour.  Après 
mûre  délibération,  ce  projet  fut  approuvé  par  le  duc 
d'OKLKAXS,  alors  régent  de  France,  qui  par  une  ordon- 
nance datée  de  1722,  en  enjoignit  la  mise  à  exécution, 
d'après  sa  forme  et  teneur. 

Quand  les  divers  évènemens  de  la  guerre  n'occupent 
pas  les  esprits,  ils  s'arrêtent  volontiers  sur  des  objets 
moins  grands,  aux  yeux  du  vulgaire  :  nous  remarque- 
rons donc  qu'en  1722,  deux  vaisseaux  de  guerre  et  six 
bâtimens  marchands,  construits  à  Québec,  tirent  voile 
pour  la  France,  vers  l'automne.  Dix-neuf  vaisseaux 
partirent  de  Québec,  cette  même  année,  chargés  de  pro- 
ductions du  pays.  Ces  productions  consistaient  en  pel- 
leteries, bois  de  merrain,  goudron,  tabac,  farine,  pois  et 
porc  salé.  Les  pelleteries  se  portaient  en  France,  et 
les  provisions  de  bouche  aux  Antilles.  Ce  commerce 
d'exportation,  florissant  pour  le  temps,  était  dû  à  la 
tranquillité  dont  le  Canada  jouissait,  depuis  quelques 
années. 

Ce  pays  se  trouvait,  suivant  Charlevoix,  dans  la 
situation  la  plus  heureuse,  peut-être,  où  il  eût  jamais 
été,*  lorsiiu'un  accident  déplorable  vint  lui  causer  une 
perte  dont  il  se  ressentit  pendant  longtcms. 


*Le  passante  suivant  do  Ratxal  était  alor^,  on  apparence, 
applicable  ai!  Canada  :  "I.a  nature  ello-nirmodirigTait  les  travaux 
du  cultivateur  :  elle  lui  avait  appris  à  dédaigner  les  terres  aipuili- 


292  HISTOIRE 

Dans  la  nuit  du  25  août,  1725,  le  Chameau,  vaisseau 
du  roi,  qui  venait  à  Québec,  avec  environ  deux  cent- 
cinquante  passagers,  se  brisa  sur  la  côte  de  l'Ile  Royale, 
près  de  Louisbourg.  M.  de  Chazel,  qui  devait  relever 
M.  Bégon,  dans  l'intendance  ;  M.  de  Louvigny,  nommé 
gouverneur  des  Trois-Rivières  ;  plusieurs  autres  officiers 
de  la  colonie,  des  prêtres  séculiers,  des  jésuites,  des 
récollets,  périrent  avec  l'équipage  ;  et  la  côte  parut,  le 
lendemain,  toute  couverte  de  cadavres. 

M.  de  Yaudreuil  mourut,  le  10  octobre  de  la  même 
année,  après  avoir  gouverné  le  Canada  pendant  vingt  et 
un  ans.  Le  marquis  de  Beauharnois,  capitaine  de 
vaisseaux,  lui  succéda,  au  printemps  de  l'année  suivante. 
M.  Bégon  s'embarqua  pour  la  France,  cette  même 
année  1726,  laissant  la  place  d'intendant  à  M.  Dupuy, 
nommé  en  remplacement  de  M.  de  Chazel. 

Pendant  que  le  Canada  jouissait  de  la  paix  et  de  la 
tranquillité  intérieure  et  extérieure,  quelques  centaines 
de  Canadiens  se  distinguaient,  par  leur  bravoure  et  leur 
activité,  vers  l'embouchure  du  Micissipi,  et  sur  les  côtes 
de  la  Floride,  dans  la  petite  guerre  que  les  Français  et 
les  Espagnols  se  faisaient,  dans  ces  quartiers,  principa- 
lement au  sujet  des  bornes  de  la  Louisiane.  Quoique 
les  détails  de  cette  petite  guerre,  ainsi  que  ceux  des 
démêlés  que  les  Français  eurent  avec  les  diverses  tribus 
sauvages  du  pays,  et  particulièrement  avec  les  Natchez, 

ques,  sablonneuses  ;  celles  où  le  pin,  le  sapin,  le  cèdre  cherchaient 
un  asile  isolé.  Mais  quand  il  voyait  un  sol  couvert  d'érables,  de 
chênes,  de  hêtres,  de  charmes  et  de  merisiers,  il  pouvait  lui  deman- 
der d'abondantes  récoltes  de  froment,  de  seigle,  de  maïs,  d'orge, 
de  lin,  de  chanvre,  de  tabac,  de  légumes  et  d'herbes  potagères  de 
toutes  les  espèces.  La  plupart  des  habitans  avaient  une  vingtaine 
de  moutons,  dont  la  toison  leur  était  précieuse  ;  dix  ou  douze 
vaches  qui  leur  donnaient  du  lait  ;  cinq  ou  six  bœufs  consacrés  au 
labourage.  Tous  ces  animaux  étaient  petits,  mais  d'une  chair 
exquise.  Ils  faisaient  portion  d'une  aisance  inconnue,  en  Europe, 
aux  gens  de  la  campagne." 


DU    CAXADA.  29â 

nous  paraissent  étrangers  à  l'histoire  du  Canada,  nous 
croyons  devoir  nommer  au  moins  ceux  de  nos  compa- 
triotes qui  s'y  distinguC-rcnt  davantage.  Ce  sont  :  MM. 
Juchereau  de  Saint-Denis,  qui  agit,  pendant  plusieurs 
années,  dans  ces  contrées,  et  comme  négociateur  et 
comme  guerrier  ;  de  Bienville,  qui  eut  pendant  quelque 
temps,  le  gouvernement  général  de  la  Louisiane;  Seri- 
gny  et  Chateauguay,  ses  frères  ;  Dugué  de  Boisbriand, 
déjà  renommé,  ainsi  que  Serigny,  par  plusieurs  actes  de 
bravoure  et  d'habileté  dans  les  combats  ;  de  Vienne, 
CouLoxGES.  La  guerre  avec  les  Espagnols  se  termina 
en  1722;  mais  celle,  que  les  premiers  colons  de  la  Loui- 
siane eurent  à  soutenir  contre  les  indigènes  se  pro- 
longea au-delà  de  1730,  et  fut  accompagnée  de  beaucoup 
de  trahisons,  de  dévastations  et  de  massacres,  de  la  part 
de  ces  barbares. 

Pour  revenir  au  Canada,  M.  Burnet,  gouverneur 
général  de  la  Nouvelle  York,  ayant  fait  construire  un 
fort  et  un  comptoir,  ou  maison  de  commerce,  à  l'entrée 
de  la  rivière  d'Onnontagué,  ou  d^  Ochouégo,*  afin  d'in- 
duire les  Iroquois  à  porter  leurs  pelleteries  à  Albany,  M. 
de  Beauharnois  crut  qu'il  était  de  son  devoir  de  contre- 
carrer l'effet  de  cette  mesure.  Il  envoya  le  baron  de 
LoNGUEiL  chez  les  Onnontagués,  avec  ordre  de  faire 
tous  ses  efforts  pour  obtenir  de  ces  Sauvages  la  permis- 
sion de  construire  aussi  un  fort  et  un  comptoir  à  Nia- 
gara. Les  Onnontagués  ne  parurent  pas  goûter  d'abord 
la  proposition  de  Longueil  ;  mais  à  la  fin,  il  parvint  à 
leur  faire  comprendre  qu'il  était  de  leur  intérêt  que  les 
Français  eussent  aussi  un  fort  dans  leur  pays,  afin  que 
la  partie  fut  égale,  entre  les  deux  nations  qui  les  avoisi- 
naient,  et  que  les  Anglais  ne  pussent  tenter  impuné- 

*  La  môme  que  les  Français  appellaient  aussi  Chouciguen,  et 
les  Anglais,  Oswe<jo. 

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294  niSTomE 

ment  de  les  asservir,  ou  de  les  opprimer,  s'ils  en  avaient 
le  dessein. 

La  permission  demandée  ayant  été  accordée,  les 
Français  mirent  aussitôt  la  main  à  l'ouvrage.  Mais  les 
autres  cantons  n'avaient  pas  été  consultés  ;  aussi  décla- 
rèrent-ils, dès  qu'ils  eurent  appris  ce  qui  s'était  passé, 
que  le  territoire  où  le  fort  devait  se  bâtir  appartenant 
aux  Tsonnonthouans,  la  permission  donnée  par  les  On- 
nontagués  devait  être  regardée  comme  nulle  ;  et  ils 
envoyèrent  incontinent  aux  Français  une  députation, 
pour  leur  enjoindre  de  discontinuer  les  ouvrages  com- 
mencés. Sur  cela,  Longueil,  Joncaire,  qui  était  comme 
l'ambassadeur  du  gouverneur  général  du  Canada  dans 
les  Cantons,  et  les  missionnaires,  mirent  tout  en  œuvre 
pour  apaiser  les  craintes,  ou  détruire  les  soupçons  des 
Sauvages  ;  ils  y  réussirent,  à  la  fin,  et  les  ouvrages 
furent  continués. 

M.  Burnet,  voyant  qu'il  ne  pouvait  empêcher  les 
Français  de  se  fortifier  à  Niagara,  se  hâta  d'achever  son 
fort  d'Ochouégo,  et  y  envoya  une  forte  garnison.  M. 
de  Beauharnois  fit  alors  ce  qu'il  aurait  eu  meilleure 
grâce  à  faire,  avant  l'entreprise  de  Niagara,  ou  si  cette 
entreprise  n'avait  pas  été  formée  j  il  envoya  sommer 
l'officier  anglais  qui  commandait  à  Ochouégo  de  se 
retirei",  et  fit  partir,  en  même  temps,  M.  de  la  Chas- 
saigne  pour  New- York,  avec  une  lettre  pour  M.  Burnet, 
dans  laquelle  il  se  plaignait,  en  termes  énergiques,  de 
la  conduite  de  ce  gouverneur.  Celui-ci  lui  répondit  sur 
le  même  ton,  c'est-à-dire,  en  lui  reprochant  la  construc- 
tion, ou  le  rétablissement  du  fort  de  Niagara.  Le 
général  français  répliqua,  en  envoyant  au  commandant 
d'Ochouégo  une  nouvelle  sommation  de  se  retirer,  et  à 
M.  Burnet,  une  note,  où  il  le  menaçait  d'employer  la 
force  des  armes,  si  le  fort  n'était  pas  abandonné.     Cette 


DU    CANADA.  295 

menace  n'eut  d'autre  effet  que  d'induire  le  gouverneur 
de  la  Nouvelle  York  à  renforcer  la  garnison  d'Ochouégo. 
Ceci  se  passa  dans  l'été  et  l'automne  de  1726. 

L'année  suivante,  M.  de  Mornay  fut  nommé,  par 
lettres-patentes,  évêque  de  Québec,  en  remplacement  do 
M.  de  Saint- Vallier,  démissionnaire.  Ce  dei'nier  d'une 
piété  éminentc,  d'une  cliarité  exemplaire,  et  d'un  zèle 
infatigable,  avait  été  le  bienfaiteur  de  la  colonie,  sous  le 
le  rapport  de  la  religion.  Deux  communautés  de  reli- 
gieuses, qui  ont  toujours  été  dej^uis,  de  la  plus  grande 
utilité  dans  ce  pays,  lui  durent  leur  fondation,  et  une 
partie,  au  moins,  de  leur  dotation.*  M.  de  Mornay,  son 
successeur,  ne  vint  point  en  Canada  :  en  son  absence, 
les  fonctions  épiscopales  y  furent  remplies  par  M.  Bos- 
quet, son  coadjuteur,  sous  le  titre  d'évêque  de  Samos. 

Cependant,  les  Outagamis,  oubliant  les  terribles 
leçons  de  1712  et  de  1714,  ou  animés  de  l'esprit  de 
vengeance,  avaient  recommencé  leurs  pillages  et  leurs 
assassinats  :  M.  de  Beauliarnois  prit  la  résolution  de 
les  exterminer,  et  pour  cet  effet,  il  forma,  sous  le  com- 
mandement de  M.  de  Lignei'is,  une  expédition  composée 
de  quatre  cent-cinquante  Français,  ou  Canadiens,  et  de 
sept  à  huit  cents  Sauvages,  Ilurons  etli'oquois  domici- 
liés, Outaouais  et  ^lppissh?f/Hes. 

Cette  petite  armée  partit  de  Mont-réal,  en  canots,  le 
5  juin  1728,  et  fit  route  par  la  rivière  des  Outaouais,  le 
lac  Nipissing  et  la  rivière  des  Fraisais,  d'où  elle 
entra  dans  le  lac  Iluron.  Les  premiers  arrivés  attendi- 
rent les  autres,  en  un  endroit  appelle  la  Prairie.  Toute 
l'expédition  s'y  trouva  réunie,  le  26  juillet,  et  le  lende- 
main, elle  se  remit  en  route  pour  Micliillimakinac,  où 
elle  arriva,  après  six  jours  de   navigation.     Elle   en 

♦  L'II«')pital-gôiu'ral  de  Québec,  en  1693,  et  les  Ursuliiics  des 
Trois-llivicrcs,  en  1697. 


296  HISTOIRE 

repartit,  le  10  août,  traversa,  en  partie,  le  lac  Michigan, 
et  arriva,  le  14,  au  détour  de  Chicagou.  Le  lendemain, 
les  Malhomines,  ou  Folles-Avoines,*  s'avancèrent,  pour 
s'opposer  à  la  descente  des  Français,  et  furent  entière- 
ment défaits. 

Après  cet  exploit,  l'armée  continua  sa  route,  et  arriva, 
le  17  au  soir,  près  du  village  des  Sakis,  alliés  des  Outa- 
gamis  ;  le  commandant  fit  cerner  le  village  par  les  Sau- 
vages, et  ordonna  au  reste  de  l'armée  d'y  entrer. 
Mais  quelles  que  précautions  que  les  Français  eussent 
prises,  pour  cacher  leur  arrivée,  les  Sakis  et  leurs  alliés 
en  avaient  eu  connaissance,  et  s'étaient  sauvés,  à  Texcep- 
tion  de  quatre,  que  les  Sauvages  mii'ent  à  mort. 

On  remonta  ensuite  la  rivière  des  Outagamis,  ou  des 
Eenards,  et  le  24,  on  arriva  au  village  des  Puants,  dans 
la  disposition  d'exterminer  tout  ce  qu'on  y  trouverait 
d'habitans  ;  mais  leur  fuite  avait  prévenu  l'arrivée  des 
Français,  et  ils  en  furent  quittes  pour  la  perte  de  leurs 
cabanes,  et  de  leur  blé-d'inde,  qui  faisait  leur  princijDale 
nourriture.     On  les  poursuivit  néanmoins,  dans  leur 


*  Ou  Menomenis,  gens  du  riz,  ou  mangeurs  de  l'espèce  de  riz 
appelle  par  les  Sauvages  menomen,  et  par  les  Canadiens  yb//e-at'o/ne. 
C'est  particulièrement  au  sud  du  lac  Supérieur,  et  à  l'ouest  du  lac 
Michigan,  que  ce  grain  précieux  croît  avec  une  abondance  presque 
inépuisable,  sur  les  bords  des  étangs  et  des  ruisseaux,  et  sur  les 
fonds  bourbeux  des  petits  lacs  et  des  rivières  où  les  eaux  sont 
basses  et  coulent  lentement.  Il  croît  là  où  l'eau  a  de  quatre  à  six 
pieds  de  profondeur,  et  où  le  fond  n'est  ni  dur  ni  sablonneux.  Il 
s'élève  de  quatre  à  six  pieds  au-dessus  de  la  sui-face  de  l'eau,  et 
il  est  quelquefois  si  fort  que  les  canots  n'y  peuvent  passer.  Les 
Sauvages  entrent  à  force  de  rames,  ou  d'avirons,  dans  ces  champs 
de  riz,  un  peu  avant  que  le  grain  soit  mûr,  et  le  lient  en  grosses 
bottes,  pour  empêcher  que  les  oies  et  les  canards  ne  l'abattent  et 
ne  le  détruisent.  Lorsqu'il  est  mûr,  ils  y  passent  de  nouveau,  et 
étendant  leurs  couvertures  de  laine  dans  l'intérieur  de  leurs 
canots,  ils  inclinent  au-dessus  les  bottes,  ou  gerbes,  qu'ils  ont  liées, 
et  y  battent  le  grain  avec  des  bâtons.  Ils  le  font  ensuite  sécher 
au  soleil,  et  le  conservent  dans  des  outres.  La  farine  faite  de  ce 
grain  est,  dit-on,  substantielle  et  de  bon  goût. 


DU   CANADA.  297 

retraite  :  l'armée  traversa  le  petit  lac  des  Renards,  et  le 
lendemain,  on  arriva  près  de  la  principale  bourgade  de 
ceux  qu'on  cherchait  :  elle  avait  aussi  été  abandonnée. 
On  s'avança  jusqu'au  dernier  fort  des  Outagamis,  situé 
sur  une  petite  rivière  qui  tombe  dans  l'Ouisconsin,  à 
trente  lieues  de  l'entrée  de  cette  dernière  rivière  dans 
le  Micissipi.  On  le  trouva  désert  comme  les  précédents» 
et  il  fallut  se  contenter  de  le  détruire,  et  de  ravager  la 
campagne  d'alentour,  afin  d'ôter  à  l'ennemi  le  moyen  d'y 
subsister. 

Ce  fut  là  à  quoi  se  borna  l'excursion  contre  les  Outa- 
garais  ;  car,  comme  il  aurait  été  à  peu-près  inutile 
d'aller  plus  loin,  M.  de  Ligneris  donna  l'ordre  du  retour. 
Il  fit  démolir,  en  passant,  le  fort  de  la  Baie,  parce 
qu'étant  trop  voisin  des  ennemis,  il  n'aurait  pas  été 
une  retraite  sûre  pour  les  Français  qu'on  y  aurait  laissés 
en  garnison. 

Dans  l'été  de  1731,  on  vit  une  nouvelle  forteresse 
s'élever  dans  les  forêts  du  Canada,  ou  de  ce  qu'on 
appellait  alors  de  ce  nom.  Le  gouverneur  de  la  Nou- 
velle France,  voyant  qu'il  ne  pouvait  contraindre  celui 
de  la  Nouvelle  York  à  abandonner  son  fort  d'Ochouégo, 
et  ne  croyant  pas,  apparemment,  l'entreprise  de  ce  dernier 
assez  contrebalancée  par  la  construction  du  fort  de 
Niagara,  résolut  d'en  ériger  un  autre,  à  la  Pointe  à  la 
Chevelure,  ou  Pointe  de  la  Couronne  (en  anglais  Crown 
Point,)  sur  le  lac  Champlain.*  On  ne  pouvait  guère 
choisir,  pour  ce  dessein,  une  situation  plus  convenable  ; 
car,  outre  qu'une  forteresse  érigée  en  cet  endroit  donnait 
au  gouverneur  du  Canada  le  commandement  des  eaux 

*  Le  mai'quis  de  Buaciiaunois  avait  envoyô  à  la  cour  de  France 
une  espace  de  mémoire,  accompagné  de  la  carte  du  territoire  con- 
testé entre  la  France  et  l'Angleterre,  et  en  avait  obtenu  l'autori- 
sation de  fortifier  ce  qu'on  regardait  comme  la  frontière  des  pos- 
sessions françaises. 


298  HISTOIRE 

du  lac  Cbamplain,  elle  servait  encore  de  poste  avance, 
pour  tenir  en  échec  les  établissemens  anglais  situés  sur 
les  rivières  à'IIudson  et  de  Connecticuf.  C'est  ce  que 
l'on  comprit  parfaitement,  dans  les  colonies  anglaises 
voisines  du  Canada.  Mais,  quoique  la  Nouvelle  York 
eût  plus  à  appréhender  de  l'entreprise  de  M.  de  Beau- 
harnois  que  la  Nouvelle  AngleteiTe,  cette  dernière 
province  fut  la  première  à  prendre  l'alarme.  On  n'eut 
pas  plutôt  appris,  à  Boston,  que  la  nouvelle  forteresse,  à 
laquelle  on  donna  le  nom  de  Fort  Frédéric,  avait  été  com- 
mencée, que  le  gouverneur  Belcher  envoya  une  lettre 
à  M.  Yak-Dam,  le  nouveau  gouverneur  de  la  Nouvelle 
York,  pour  l'informer  que  l'assemblée  générale  de  sa 
province  s'était  engagée,  par  un  vote,  à  encourir  sa 
quote-part  des  frais  d'une  députation  au  Canada,  à  l'effet 
d'empêcher  la  continuation  des  ouvrages  commencés  à 
la  Pointe  à  la  Chevelure,  et  pour  le  prier  de  faii-e  en  soi'te 
que  les  cantons  iroquois  s'opposassent  aussi  à  l'entreprise 
des  Français.  M.  Yan-Dam  mit  la  lettre  du  gouver- 
neur de  la  Nouvelle  Angleterre  devant  son  conseil,  dans 
l'hiver  de  1732  ;  mais  ces  démarches  n'eurent  pas  de 
suite,  et  M.  de  Beauharnois  acheva  tranquillement  son 
fort,  et  y  mit  une  garnison. 

Dans  le  i^rintems  et  l'été  de  1733,  la  petite-vérole 
fit  de  grands  ravages  dans  ce  pays,  tant  parmi  les  Fran- 
çais que  parmi  les  Sauvages.  Des  familles  entières 
furent  enlevées  par  cette  épidémie,  contre  laquelle  on 
ne  connaissait  pas  alors  de  préservatif.  Yers  l'automne, 
il  y  eut  un  tremblement  de  terre  des  plus  violents,  ou 
plutôt,  une  suite  de  tremblemens  de  terre,  dont  les 
Eecousses  se  firent  sentir  dans  toutes  les  parties  alors 
habitées  dans  la  colonie. 

Cette  même  année,  le  même  sujet  qui  avait  déjà  été 
une  occasion  de  dissention  entre  le  premier  évêque  de 


DU   CANADA.  299 

Québec  et  différents  gouverneurs,  revint  encore  sur  le 
tapis.  Sur  les  plaintes  qui  furent  portées  au  pied  du 
trône,  sinon  par  le  marquis  de  Beauliarnois,  du  moins 
par  quelques  otRciers  ou  notables  du  pays,  ]\I.  de  Mau- 
HEPAS,  alors  ministre  de  la  marine  et  des  colonies, 
écrivit,  par  ordre  du  roi,  à  l'évêque  de  Samos,  qui  avait 
fait  un  cas  réservé  à  lui  seul  de  la  vente  des  liqueurs 
fortes  aux  Sauvages,  une  lettre,  où  il  lui  mandait,  que 
le  roi  regardait  une  telle  resti'iction  comme  impolitique, 
par  son  extrême  rigueur  ;  que  sa  majesté  avait  appris 
avec  regret,  que  quelques  uns  de  ses  officiers  avaient  été 
obligés  de  descendre  du  fort  de  Frontenac  à  Québec, 
pour  obtenir  l'absolution,  et  qu'elle  ordonnait,  en  con- 
séquence, qu'aussitôt  après  la  réception  de  sa  lettre, 
cette  restriction  fût  levée,  ou  du  moins,  modifiée  de 
manière  à  ne  plus  donner  lieu  à  des  plaintes  bien  fondées. 

La  restriction  ne  fut  pas  entièrement  levée,  mais 
suffisamment  mitigée,  pour  faire  cesser  les  plaintes  et 
les  murmures,  ou  les  empêcher  de  se  faire  entendre 
au-delà  de  l'Atlantique. 

Vers  la  fin  de  cette  même  année  1733,  M.  Dosquet 
devint,  de  droit,  évêque  de  Québec,  par  la  démission  de 
M.  de  Mornay. 

Depuis  l'année  1733,  ou  1734,  jusqu'au  premier  siège 
de  Louisbourg,  en  174Ô,  le  Canada  se  trouve  dans  un 
état  à  peu  près  nul  pour  l'histoire:  il  ne  s'y  passe  presque 
aucun  événement  digne  d'entrer  dans  les  annales  de  la 
colonie,  ou  pour  mieux  dire,  il  n'y  a  pas,  dans  cet  es- 
pace de  temps,  d'annales  canadiennes:  tous  les  regards 
sont  tournés  du  côté  de  la  Louisiane  ;  tous  les  voya- 
geurs se  portent  vers  l'embouchure  du  Micissipi,  et  les 
relations,  naguère  en  si  grand  nombre,  cessent  pour  le 
Canada,  dont  on  semble  ne  plus  s'occuper,  dans  la 
métropole.     Ce  fut  dans  cet  intervalle  de  silence   et  de 


300  HISTOIRE 

repos,  que  le  marquis  deBeauharnois  enti'eprit  de  faire 
pénétrer  un  de  ses  officiers,  bien  accompagné,  jusqu'à 
la  mer  du  Sud.  Chai-levoix,  qui  fait  mention  da 
cette  entreprise,  sans  nommer  la  personne  qui  en  fut 
chargée,  n'a  pu  parler  de  son  résultat,  parce  qu'on  ne 
le  connaissait  pas,  lorsqu'il  achevait  d'écrire  son  histoire  ; 
mais  il  paraît  qu'elle  ne  réussit  point,  ou  qu'elle  n'abou- 
tit à  rien  d'utile,  soit  pour  la  France,  soit  pour  le  Canada. 

Cependant,  le  pays  se  peuplait  de  plus  en  plus,  tant 
par  l'accroissement  naturel  de  la  population  indigène 
que  par  l'émigration  de  France,  et  assez  rapidement, 
s'il  en  faut  juger  par  le  nombre  des  nouvelles  conces- 
sions :  il  ne  fut  pas  concédé  moins  de  trente  espaces  de 
terre,  jjIus  ou  moins  considérables,  en  fief  et  seigneurie, 
dans  l'intervalle  de  1732  à  1742,  par  le  marquis  de 
Beauharnois  et  M.  Hocquart,  successeur  de  M.  Dupuy, 
dans  l'intendance.  La  colonie  faisait  aussi  des  progrès, 
du  côté  de  l'industrie  :  en  1733,  on  commença  à  exploi- 
ter les  mines  de  fer  de  Saint-Maurice  et  de  Batiscan, 
découvertes  en  1667,  mais  entièrement  négligées,  durant 
l'espace  de  soixante-dix  ans.  Le  minerai  fut  d'abord 
mis  en  œuvre  avec  assez  peu  d'habileté  ;  mais  en  1739, 
on  fit  venir  de  France  un  artisan  qui  réunissait  la  con- 
naissance des  différentes  branches  de  manufactures  de 
fer  fondu  et  travaillé  à  une  connaissance  suffisante  de 
l'art  d'exploiter  les  mines  ;  et  la  compagnie  qui  avait 
entrepris  cette  exploitation,  put  s'y  livrer,  avec  profit 
pour  elle-même  et  avantage  pour  le  pays. 

Cette  même  année  1739,  M.  Dosquet  ayant  donné  sa 
démission,  M.  Pourot  de  l'Acberiviere  fut  nommé 
pour  le  remplacer.  Il  s'embarqua,  le  printems  suivant, 
pour  ce  pays  ;  mais  il  mourut,  quelques  jours  après  son 
arrivée  à  Québec,  d'une  fièvre  putride,  contractée  dans  le 
vaisseau  sur  lequel  il  avait  fait  la  traversée.     Ce  prélat 


DU    CANADA.  301 

eut  pour  successeur  M.  Dubreuil  de  Pontbiîiand,  qui 
gouverna  l'église  du  Canada  jusqu'à  1760,  année  de  sa 
mort. 

Le  Canada  était  quelquefois  visité,  ou  habité  tempo- 
rairement, par  des  savans.  11  paraît  certain  que  Con- 
NUTi,  qui  publia  vers  1635,  une  Histoire  des  Plantes 
du  Canada,*  n'était  pas  venu  dans  ce  pays  ;  mais  de  1742 
à  1743,  M.  GAtTHiER, médecin  du  roi,  faisait,  à  Québec, 
des  Observations  botaniques,  météorologiques  et  médi- 
cales, n  avait  fait  la  découverte,  ou  reconnu  les  proprié- 
tés de  la  plante  qui  a  été  appellée  de  son  nom,  gaïtheria,  et 
que  nous  nommons  vulgairement  "thé  du  Canada." 
Quelques  années  auparavant,  M.  Sarrazin,  autre  mé- 
decin habile,  avait  découvert  la  plante  curieuse  qui  a 
été  appellée  de  son  non\,sarrozine,et  publié  une  "  Lettre 
au  sujet  des  eaux  du  Cap  de  la  Madeleine."  A  peu 
près  dans  le  même  temps,  le  sieur  C.  Lebeau,  avocat, 
faisait  un  "  Voyage  curieux  et  nouveau  "  au  Canada, 
et  "parmi  les  Sauvages  de  l'Amérique  Septentrio- 
nale." 

Dès  l'année  17('3,  il  avait  été  émané  un  édit  royal, 
par  lequel  il  était  défendu  aux  communautés  religieuses 
d'acquérir  des  biens-fonds  au-delà  d'une  certaine  valeur: 
par  un  édit  subséquent,  toute  acquisition  de  ce  genre 
fut  interdite  aux  gens  de  main-morte,  à  moins  qu'ils 
n'en  eussent  préalablement  demandé  et  obtenu  la  per- 
mission par  écrit.  Enfin,  en  1743,  il  fut  émané  un 
troisième  édit  royal,  prohibant  strictement  tout  achat, 
mutation,  et  aliénation  en  main-morte,  sans  une  auto- 
risation du  roi  ou  de  la  justice. 

Un  ordre  du  conseil  supérieur  de  la  même  année, 
défend  aux  curés  de  marier  les  mineurs,  et  leur  enjoint 

*  Canadensium  Flantarum,  aliarumqne  nondùin  editarum  His- 
toria. 

Bb 


302  HISTOIRE 

de  se  conformer,  en  tout,  aux  règles  canoniques,  con- 
cernant la  publication  des  bans  de  mariage. 

L'année  suivante,  le  roi  de  Fx'ance,  persuadé  à  juste 
titre,  que  les  lois  et  ordonnances  du  royaume  n'étaient 
pas  toutes  convenables  aux  colonies,  écrivit  au  gouver- 
neur et  à  l'intendant  de  la  Nouvelle  France,  une  lettre 
portant  que  sa  majesté  entendait  qu'à  l'avenir,  les  ordon- 
nances et  édits  royaux,  auxquels  elle  voulait  que  ses 
sujets  du  Canada  obéissent,  fussent  enregistrés  au  con- 
seil supérieur  de  Québec,  et  que  conséquemment,  aucun 
édit,  arrêt,  déclaration,  lettres-patentes,  etc.,  ne  fussent 
enregistrés  au  dit  conseil,  sans  un  ordre  exprès  de  sa 
part,  signifié  par  le  ministre  de  la  marine  et  des  colo- 
nies. 

La  même  année  1744,  en  conséquence  d'une  lettre 
écrite  à  l'évêque  de  Québec  par  M.  de  Maurepas,  d'après 
des  représentations  envoyées  en  France  par  les  auto- 
rités civiles  de  la  colonie,  ce  prélat  supprima,  ou  abolit 
plusieurs  des  fêtes  qui  se  célébraient  dans  son  diocèse. 

Les  Français  établis  dans  la  presqu'île  de  l'Acadie, 
devenue  la  Nouvelle  Ecosse,  avaient  obtenu,  par  capitu- 
lation, le  privilège  de  n'être  pas  obligés  de  porter  les 
armes  contre  leur  ancienne  métropole  :  c'était  à  ce  prix 
qu'ils  avaient  consenti  à  rester  dans  les  cantons  qu'ils 
avaient  défrichés,  et  à  ne  pas  passer  dans  l'Ile  Royale, 
comme  avaient  fait  les  Français  de  Terre-Neuve  ;  et  le 
gouvernement  britannique  avait  mieux  aimé  garder  dans 
sa  nouvelle  colonie  ces  cultivateurs  paisibles  et  inoffen- 
sifs, que  de  la  priver  de  leur  travail  et  de  leur  industrie. 
L'Angletcire  avait  quelque  intérêt  à  retenir  dans  la 
Nouvelle  Ecosse  les  Acadiens,  ou  "Français  neutres," 
comme  on  les  appellait  ;  ils  lui  épargnaient  au  moins 
les  frais  d'une  nouvelle  colonisation,  qui  n'aurait  pas  pu 
se  faire  aisément  et  sans  danger,  durant  la  guerre,  à 


DU    CANADA.  303 

cause  du  voisinage  des  Français  et  des  Abénaquis,  leurs 
alliC's. 

Pendant  la  paix  pourtant,  les  établisscmens  anglais 
commencèrent  à  se  multiplier  dans  la  Nouvelle  Ecosse  : 
des  troupes  y  furent  envoyées  ;  des  forts  y  furent  érigés  ; 
Halifax  fut  fondé,  en  1743,*  près  de  la  baie  de  Cldbouc- 
tou,  et  devint  la  capitale  de  la  province,  au  préjudice 
d'Annapolis. 

Mais  l'acquisition  et  la  possession  paisible  de  la  pénin- 
sule acadienne  ne  remplissaient  pas  toutes  les  vues 
d'aggrandissement  colonial  de  l'Angleterre  ;  les  avan- 
tages de  cette  possession  se  trouvaient  limités,  d'un 
côté,  par  les  établissemens  que  la  France  avait  conservés 
au  nord  de  la  baie  Française,  ou  de  Fundij,  et  de  l'autre, 
par  ceux  de  l'Ile  Royale,  qui  n'est  séparée  de  la  pénin- 
sule que  par  un  détroit  de  peu  de  largeur.  La  position 
de  cette  lie,  à  l'entrée  du  golfe  Saint-Laurent,  l'avait 
fait  regarder  par  la  France,  comme  un  entrepôt  com- 
mode, où  les  Canadiens  pouvaient  apporter  les  produits 
de  leur  sol,  et  prendre  une  partie  des  marchandises 
qui  leur  venaient  d'Eui'ope.  La  pêche  était  abondante 
dans  les  environs  ;  la  préparation  du  poisson  et  celle 
des  huiles  devenaient  l'objet  d'un  commerce  important, 
auquel  se  pouvait  joindre  celui  des  bois  de  construction, 
des  résines,  des  charbons  de  terre,  et  des  autres  produc- 
tions territoriales,  qu'un  vsystême  de  culture  bien  dirigé 
pouvait  encore  multiplier.  Les  ports  de  cette  île  étaient 
des  lieux  de  relâche  commodes  pour  les  vaisseaux  qui, 
en  temps  de  guerre,  avaient  à  protéger  les  avenues  du 
Canada,  et  les  pêcheurs  français  ou  canadiens. 

La  réunion  de  tant  d'avantages  différents  ne  pouvait 
manquer  d'exciter  la  jalousie  de  l'Angleterre,  et  de  lui 


*  Suivant  M.  Roux  de  llochelle.     Suivîint  M.  Haliuirton",  et 
autres,  Halifax  ne  tut  réellement  fondé  qu'eu  1749. 


304  HISTOIRE 

inspirer  le  désii*  d'en  dépouiller  sa  rivale.  La  France 
l'avait  senti  ;  elle  n'avait  pas  épargné  les  dépenses  pour 
faire  de  Louisbourg  une  place  forte,  en  état  de  sou- 
tenir un  long  siège,  et  elle  y  entretenait,  depuis  plusieurs 
années,  une  garnison  nombreuse. 

La  guerre  ayant  éclaté  entre  la  France  et  l'Angleterre, 
en  1744,  M.  Duvi"\aER,  commandant  à  Louisbourg,  sous 
M.  DuQUESNAL,  n'eut  pas  plutôt  été  informé  de  ce  nouvel 
état  de  choses,  qu'il  arma  quelques  vaisseaux  de  guerre, 
qui  se  trouvaient  dans  le  port,  y  fit  embarquer  environ 
neuf  cents  liomm  s,  tant  troupes  réglées  que  miliciens, 
et  se  dirigea  sur  le  poste  de  Campscau,  dans  la  Nouvelle 
Ecosse,  dont  il  se  rendit  maître,  sans  coup-férir.  Après 
en  avoir  transporté  la  garnison  et  les  habitans  à  Louis- 
bourg, M.  Duvivier  retourna  sur  les  côtes  de  l'Acadie, 
et  tint  le  Port  Royal  bloqué,  pendant  plusieurs  semaines. 
Mais  ayant  appris  qu'il  y  venait  du  secours  de  la  Nou- 
velle Angleterre,  il  se  retira  aux  Mines,  autre  poste 
peuplé  de  Français,  dont  il  se  rendit  maître,  mais  qu'il 
abandonna  ensuite,  comme  intenable,  pour  retourner  à 
Louisbourg,  où  sa  présence  devenait  nécessaire. 

Le  5  février  174.5,  il  fut  arrêté,  dans  l'assemblée 
générale  du  3Ia^sachusetts,  qu'il  convenait  de  faire  un 
armement  conti'e  Louisbourg,  afin  d'ôter  aux  Français, 
par  la  prise  de  cette  forteresse,  les  moyens  faciles  qu'elle 
leur  fournissait  d'incommoder  la  Nouvelle  Angleterre, 
et  de  faire  des  incursions  dans  la  Nouvelle  Ecosse.  M. 
Shirlet,  homme  actif  autant  qu'habile,  qui  était  alors 
gouverneur  de  la  Nouvelle  Angleterre,  entra  avec  ardeur 
dans  les  vues  de  l'assemblée  générale  :  les  enrôlemens 
commencèrent  aussitôt  :  et  au  bout  de  deux  mois,  le 
nombre  des  volontaires  fut  de  plus  de  4,000.  Ces 
troupes  furent  mises  sous  les  ordres  de  M.  PcrPERAL, 
commandant  en  chef  des  milices  de  la  colonie,  et  embar- 


DU   CANADA,  305 

quées  sur  une  escadre  commandée  par  le  commodore 
Warren.  Cette  escadre  se  rendit  d'abord  à  Campseau, 
où  elle  resta  trois  semaines,  pour  attendre  que  les  rivages 
de  l'Ile  Royale  fussent  débarassés  des  glaces  qui  les 
rendaient  inabordables.  Elle  remit  à  la  voile,  le  10 
mai,  et  jetta  l'ancre,  le  lendemain,  dans  la  baie  de 
Gabori  ou  Gaoarus. 

Les  Français  voulurent  s'y  opposer  au  débarquement 
des  troupes  de  terre;  mais  ils  y  perdirent  quelques 
hommes  tués  ou  faits  prisonniers,  et  furent  repoussés. 
Le  même  jour,  un  détachement  des  troupes  débarquées 
brûla  l'établissement  de  Saint-Pierre.  Le  lendemain, 
elles  érigèrent  une  batterie  de  petits  canons  et  quelques 
mortiers,  sur  une  colline,  à  sept-cent-cinquante  toises 
d'un  des  bastions. 

Le  13,  4,000  hommes  marchèrent,  à  l'abri  des  hau- 
teurs, au  havre  du  nord-est,  et  y  bridèrent  les  magasins  ; 
sur  quoi  les  troupes  françaises  qui  étaient  stationnées  à 
une  grande  batterie  érigée  en-dehors  des  murs,  enclou- 
èrent  leurs  canons,  et  se  retirèrent  dans  la  ville.  Ces 
canons  furent  presque  aussitôt  décloués,  et  tournés  contre 
la  place.  Les  assiégeans  furent  obligés  d'amener  les 
plus  gros  des  leurs  sur  des  traînaux,  par  des  marais 
impénétrables  pour  les  boeufs  et  les  chevaux.  Us  ne 
firent  point  d'approches  régulières,  par  des  tranchées 
en  parallèles  et  en  zigzags,  mais  se  contentèrent  de 
canonner  et  de  bombai'der  la  ville  au  hazard  ;  ce  qui  ne 
laissa  pas  de  causer  beaucoup  de  dommages  aux  murs 
et  aux  bàtimens  intérieurs,  mais  sans  qu'il  en  résultat 
aucune  brèche  praticable. 

Du  18  mai,  jour  où  la  ville  fut,  pour  la  première  fois, 

sommée  de  se  rendre,  jusqu'au  23  juin,  les  assiégeans 

érigèrent  plusieurs  nouvelles  batteries;  les  assiégés  firent 

quelques  sorties,  et  il  y  eut  des  escarmouches  asse» 

Bb2 


306  filSTOIRË  . 

chaudes,  mais  sans  résultat  important.  Dans  cet  inter- 
valle, un  vaisseau  de  64  canons,  qui  amenait  un  renfort 
de  troupes  à  Louisbourg,  fut  pris  par  Warren,  qui 
couvrait  le  siège  avec  son  escadre. 

Le  23  juin,  les  commandans  anglais  décidèrent  que  le 
lendemain  on  donnerait  l'assaut  à  la  place,  par  mer, 
tandis  que  les  troupes  du  camp  feraient  une  attaque,  du 
côté  de  terre,  par  voie  de  diversion.  Quoique  les  murs 
de  Louisbourg  fussent  de  quatre-vingts  pieds  de  hauteur, 
et  que  le  fossé  en  eût  autant  de  largeur  ;  qu'il  y  eût 
soixante  canons  de  gros  calibre  en  batterie  dans  la  ville, 
et  que  la  place  fût  abondamment  pourvue  de  munitions 
et  de  vivres,  la  garnison,  forte  de  neuf  cents  hommes, 
fut  effrayée  des  préparatifs  des  assiégeans,  et  M.  Du- 
^CHAMBOX,  successeur  de  Duquesnal,  se  détermina,  peut- 
êti*e  trop  tôt,  à  capituler. 

Comme  les  échelles  se  trouvaient  trop  courtes  de  dix 
pieds,  il  est  probable  que  l'assaut  n'aurait  pas  réussi,  et 
que  les  assiégeans  auraient  été  découragés  par  le  manque 
de  succès.  Quoiqu'il  en  soit,  il  fut  convenu  que  la 
garnison  sortirait  de  la  place,  avec  les  honneurs  de  la 
guerre,  et  serait  ti-ansportée  en  France,  aux  frais  de 
l'Angleterre,  à  la  condition  de  ne  pas  servir  contre  cette 
puissance,  durant  l'espace  d'une  année.  La  population 
de  l'île  était  d'environ  2,000  âmes  :  elle  fut  déportée 
tout  entière  en  France  sur  des  vaisseaux  anglais* 

La  reddition  de  Louisbourg  et  du  Cap-Breton  ne  fut 
pas  plutôt  connue  en  France,  que  le  gouvernement  fit 
préparer  un  armement  considérable,  dans  le  port  de 
Rochefort.     La  flotte  fut  prête  à  mettre  en  mer,  dès  le 

*  •'  Les  usages  de  la  guerre  et  le  droit  des  gens,  que  les  hosti- 
lités ne  doivent  pas  interrompre,  ont  toujours  prescrit  de  laisser 
aux  habitans  des  villes  dont  on  s'est  emparé,  la  libertô  d'y  rester, 
en  se  soumettant  aux  lois  :  expatrier  la  population,  c'était  excéder 
toutes  les  prérogatives  de  la  victoire." — il.  Roux  de  Rociieli.e. 


DU   CANADA.  âô7 

commencement  de  mai  1746  ;  mais  elle  fut  retenue  par 
des  vents  contraires,  et  ce  ne  fut  que  le  22  juin,  oji'elle 
sortit  du  port,  sous  les  ordres  du  duc  d'ANViLLE,  officier 
de  mer,  dans  le  courage  et  l'habileté  duquel  on  avait  la 
plus  grande  confiance.  Elle  consistait  alors  en  onze 
vaisseaux  de  ligne,  trente  vaisseaux  de  30  à  10  canons, 
et  bâtimens  de  transport,  et  portait  3,000  hommes  de 
débarquement,  sous  M.  de  Pommeril,  raaréchal-de- 
camp.  Cette  flotte  devait  être  renforcée  de  quatre 
vaisseaux  des  Antilles,  commandés  par  M.  de  Conflans, 
et  l'on  s'attendait  que  l'armement  serait  joint  par  les 
Acadiens,  ou  habitans  français  de  l'Acadie,  où  M.  do 
Ramsay  s'était  rendu,  avec  1,700  Canadiens  et  Sauvages, . 
pour  attendre  l'arrivée  de  la  flotte. 

■  C'en  était  bien  autant  qu'il  fallait  pour  enlever  le. 
Cap-Breton  et  l'Acadie  aux  Anglais,  sans  l'espèce  de 
fatalité  qui  sembla  s'attacher  alors,  comme  plus  tard,  à 
toutes  les  entreprises  des  Français,  en  Amérique.  A 
peine  la  flotte  avait-elle  perdu  de  vue  les  côtes  de 
France,  qu'elle  fut  assaillie  par  une  tempête  qui  sépara 
les  vaisseaux  les  uns  des  autres  ;  de  sorte  qu'il  n'en 
arriva  qu'un  petit  nombre,  avec  celui  de  l'amiral,  à 
Chédabouctou,  le  12  septembre,  c'est-à-dire,  plus  de 
deux  mois  après  le  départ  de  llochefort. 

Pour  comble  d'infortune,  M.  d'Anville  tomba  malade, 
le  jour  môme  de  son  arrivée  à  Chédabouctou,  et  mourut 
quatre  jours  après. 

Le  18,  il  fut  assemblé  un  conseil  de  guerre  :  le  vice- 
amiral,  Destournelles,  y  proposa  de  retourner  en 
France,  attendu  qu'il  ne  restait  plus  que  sept  vaisseaux, 
et  que  la  plus  grande  partie  des  troupes  se  trouvaient  sur 
ceux  qui  manquaient.  M.  de  la  Jonquiere,  qui  le  15 
mars  précédent,  avait  été  nommé  gouverneur  du  Cana- 
da, en  remplacement  du  marquis  de  Beauharnois,  et  le 


â08  HISTOIRE 

plus  grand  nombre,  combattirent  la  proposition  du 
vice-amiral  ;  pensant  qu'il  n'était  pas  à  propos  de  s'en 
retourner,  sans  avoir  fait,  au  moins,  quelques  tentatives 
contre  les  établissemens  anglais  de  l'Acadie,  et  particu- 
lièrement contre  le  Port  Royal.  M.  Destournelles,  qui 
était  indisposé  depuis  quelques  jours,  voyant  que  son 
avis  ne  prévalait  pas,  tomba  dans  une  espèce  de  délire, 
et  se  passa  son  épée  au  travers  du  corps. 

Cet  événement  fit  passer  le  commandement  à  M.  de 
La  Jonquière,  qui,  quoiqu'âgé  de  plus  de  soixante  ans, 
ee  montra  plus  actif  et  plus  résolu  que  son  prédécesseur, 
et  releva,  par-là,  le  courage  de  la  flotte  et  de  l'armée. 
Il  fut  donc  décidé  qu'on  attaquerait  le  Port  Royal  ; 
mais  tandis  qu'on  s'y  préparait,  on  eut  nouvelle  qu'une 
escadre,  commandée  par  l'amiral  Lestock,  avait  fait 
voile  d'Angleterre  pour  l'Amérique.  Dans  la  crainte 
d'être  attaqué,  M.  de  La  Jonquière  se  hâta  de  mettre  à 
la  voile  :  une  tempête,  qui  l'accueillit,  près  du  Cap  de 
Sable,  dispersa  encore  le  peu  des  vaisseaux  qu'il  avait 
BOUS  son  commandement,  et  le  contraignit  de  s'en 
retourner,  sans  avoir  rempli  aucune  des  vues  que  son 
gouvernement  s'était  proposées,  en  faisant  cet  arme- 
ment. 

Dans  l'hiver,  il  y  eut,  près  du  poste  des  Mines,  un 
combat  meurtrier,  entre  M.  de  Ramsay,  resté  en  Acadie, 
avec  environ  six  cents  hommes.  Canadiens  et  Sauvages, 
et  le  colonel  Noble,  à  la  tête  de  sept  à  huit  cents  mili- 
ciens, fournis  par  les  provinces  de  la  Nouvelle  Angle- 
terre. Pris  comme  àl'improviste,  le  31  janvier,  à  trois 
heures  du  matin,  et  durant  une  violente  tempête  de 
neige,  les  Anglais  éprouvèrent  une  défaite  signalée. 
Ils  eurent  soixante-quinze  hommes  de  tués,  y  compris 
leur  commandant  et  plusieurs  officiers  ;  une  trentaine 
de  blessés,  et  une  centaine  de  faits  prisonniers.     Le 


DU   CANADA.  309 

reste  capitula,  à  la  condition  de  pouvoir  se  retirer  au 
Port  Royal,  avec  armes  et  bagage.  L'historien  qui 
rapporte  ce  fait  d'armes,  observe  que  les  raquettes  que 
les  Canadiens  avaient  aux  pieds,  leur  donnèrent  un  grand 
avantage  sur  les  Anglais,  qui  avaient  néglige,  ou 
dédaigné  de  se  chausser  de  la  même  manièi'e.* 

Loin  d'être  découragé  par  le  mauvais  succès  de  son 
entreprise,  le  gouvernement  de  France  résolut  de  faire 
incontinent  de  nouveaux  efforts,  pour  reprendre  Louis- 
bourg,  et  même  tout  ce  qu'il  avait  perdu  en  Acadie. 
Il  fit  appareiller,  dans  le  port  de  Brest,  une  escadre 
dont  le  commandement  fut  donné  à  M.  de  La  Jon- 
quière,  qui  joignait  la  commission  de  vice-amiral  à  celle 
de  gouverneur  général  de  la  Nouvelle  France.  Cette 
escadre  mit  à  la  voile,  au  mois  d'avril  1747,  de  con- ■ 
serve  avec  une  autre,  qui  était  commandée  par  M.  de 
Saint-Georges,  et  qui  devait  agir  contre  les  établisse- 
mens  anglais  des  Indes  Orientales. 

Le  ministère  anglais,  qui  avait  été  informé,  de  bonne 
heure,  des  préparatifs  de  la  France,  et  qui  savait  que 
les  deux  escadres  devaient,  pendant  quelque  temps, 
faire  route  de  compagnie,  comprit  qu'il  n'avait  rien  de 
mieux  à  faire  que  d'essayer  à  les  faire  attaquer,  avant 
qu'elles  se  fussent  séparées.  En  etfet,  à  peu  près  dans 
le  même  temps  que  les  escadres  françaises  sortaient  du 
port  de  Brest,  l'amiral  Anson  et  le  contre-amiral  War- 
ren  firent  voile  de  Plymouth,  avec  une  escadre  supé- 
rieure à  celle  qu'ils  avaient  ordre  de  chercher.  Cette 
dernière  se  composait  de  six  vaisseaux  de  ligne,  d'au- 
tant de  frégates,  et  de  quatre  vaisseaux  armés  de  la 

*  "  On  marche  bien  plus  vite  avec  ces  niacliines  sur  la  neige, 
qu'on  ne  ferait  avec  des  souliers  sur  le  chemin  battu.  Elles  sont  si 
nécessaires,  qu'il  serait  impossible,  non  seulement  do  chasser  eC 
d'aller  dans  les  bois,  mais  môme  d'aller  aux  églises,  pour  peu 
qu'elles  soient  éloignées  des  habitations." — Laiiom'.'Uî. 


310  HISTOIRE 

compagnie  des  Indes,  ayant  sous  convoi  une  trentaine 
de  navires  chargés  de  mai'chandises.  Elle  fut  rencon- 
trée par  les  Anglais,  sur  les  côtes  de  la  Galice,  au 
commencement  de  mai.  Les  amiraux  français  ne 
refusèrent  pas  le  combat  :  mais  ayant  fait  la  faute  de 
laisser  toutes  leurs  frégates  s'éloigner  d'eux,  pour  pro- 
téger les  bâtimens  marchands,  ils  se  trouvèrent  bien 
inférieurs  en  forces  à  leurs  adversaires,  et  furent,  à  la 
fin,  obligés  d'abaisser  leurs  pavillons. 

Dans  le  même  temps  que  la  France  faisait  les  arme- 
mens  dont  nous  venons  de  parler,  on  levait,  dans  les 
colonies  anglaises,  de  nouvelles  troupes,  pour  faire 
partie  d'une  expédition  contre  le  Canada.  Ces  troupes 
furent  tenues  sur  pied  pendant  l'année  1746,  et  le  prin- 
tems  et  l'été  de  1747,  dans  l'attente  d'une  flotte  d'An- 
gleterre ;  mais  au  mois  d'octobre  de  cette  dernière 
année,  le  gouvernement  anglais,  craignant  de  ne  pas 
réussir  dans  l'entreprise,  ou  prévoyant  qu'il  serait 
obligé  de  restituer,  à  la  paix,  qui  paraissait  alors  pro- 
chaine, ce  qu'il  aurait  enlevé  à  la  France,  en  Amérique, 
envoya  aux  gouverneurs  de  la  Nouvelle  Angleterre  et 
de  la  Nouvelle  York,  l'ordre  de  licencier  les  troupes  et 
les  milices  levées  pour  une  expédition  contre  le  Canada. 

Le  gouvernement  de  la  Nouvelle  Fi'ance  étant  deve- 
nu vacant  par  la  captivité  du  marquis  de  La  Jonquière, 
le  roi  nomma,  pour  le  remj^lacer  ad  interi/n,  le  comte 
de  LA  Galissoxniere,  dont  les  provisions  sont  datées 
du  10  juin  1747.  M.  Hocquart,  qui  avait  été  rappelle, 
en  même  temps  que  le  marquis  de  Beauharnois,  eut 
pour  successeur,  dans  l'intendance,  M.  François  Bigot, 
par  commission  du  1er  janvier  1748.  Les  pouvoirs  de 
ce  dernier,  comme  intendant,  furent  augmentés  dans  la 
colonie,  et  s'étendirent  à  la  Louisiane,  et  à  toutes  les 
terres  et  îles  dépendantes  de  la  Nouvelle  France. 


DU    CANADA.  3  1  I 

M.  de  La  Galissonnière,  homme  instruit,  habile  et 
entreprenant,  n'eut  pas  plutôt  pris  les  rênes  de  l'admi- 
nistration, qu'il  travailla  à  se  procurer  des  renseigne- 
mens  exacts  sur  le  pays  qu'il  avait  à  gouverner  :  il 
s'étudia  à  en  connaître  particulièrement  le  sol,  le  climat, 
les  productions,  la  population,  le  commerce  et  les 
ressources.  Mais  son  activité  ne  lui  permit  pas  de  se 
boi*ner  à  acquérir  ces  connaissances,  ou  d'attendre  pour 
agii-,  qu'il  les  eût  acquises  ;  persuadé  que  la  paix  ne 
pouvait  pas  tarder  beaucoup  à  se  conclure,  et  compre- 
nant de  quelle  importance  il  était  de  donner  au  Canada 
et  à  l'Acadie  continentale  des  limites  fixes  et  bien 
déterminées,  il  fit  partir  M.  Celeron  de  Bienville, 
accompagné  de  trois  cents  hommes,  pour  le  Détroit, 
avec  ordre  de  traverser  de  là  les  contres  du  Sud-Ouest, 
jusqu'aux  monts  Apalaches  ou  AUeghanys,  qu'il  disait 
être  les  bornes  des  possessions  de  Angleterre,  et  au- 
delà  desquels  il  soutenait  qu'elle  ne  pouvait  avoir 
aucune  prétention.  Cet  officier  avait  ordre,  non  seule- 
ment d'engager  un  certain  nombre  de  Sauvages  à 
l'accompagner,  dans  son  excursion,  mais  encore  de  tirer 
parole  de  toutes  les  tribus  chez  lesquelles  il  passerait, 
qu'elles  ne  permettraient,  à  l'avenir,  à  aucun  commer- 
çant, ou  traitant  anglais,  de  les  venir  visiter.  Il  lui 
fut  fourni  des  plaques  de  plomb,  sur  lesquelles  étaient 
gravées  les  armes  de  France,  et  qu'il  avait  ordre 
d'enterrer,  à  des  stations  particulières  ;  ce  dont  il  devait 
être  dr^sé  des  procès-verbaux,  signés  de  lui,  et  des 
officiers  qui  l'accompagnaient. 

Celeron  s'acquitta  ponctuellement  de  la  commission 
dont  le  gouverneur  général  l'avait  chargé  ;  mais  non 
sans  exciter  des  soupçons  et  des  craintes  dans  l'esprit 
des  Sauvages,  dont  plusieurs  ne  se  génèrent  pas  de 
dire  tout  haut,  qu'OxONTino,  en  prenant  ainsi  posses- 


312  HISTOIRE 

sion  de  leurs  pays,  pourrait  bien  avoir  dessein  de  faire 
d'eux  ses  sujets,  et  peut-être  même  ses  esclaves.  La 
masse  des  procès- verbaux,  qui  furent  dressés  dans  le 
cours  de  cette  expédition,  fut  apportée  à  M.  de  La 
Galissonnière,  et  par  lui  transmise  à  la  cour  de  France. 
Deux  ans  après,  M.  Celeron  fut  récompensé  des  ser- 
vices qu'il  avait  rendus,  en  cette  occasion,  par  la  place 
de  commandant  du  Détroit,  avec  le  rang  de  major. 

Dans  le  même  temps  que  le  comte  de  La  Galisson- 
nière faisait  partir  Celeron  pour  les  contrées  du  Sud- 
Ouest,  il  envoya  une  lettre  à  M.  Hamilton,  gouverneur 
de  la  Pensylvanie,  pour  l'informer  de  la  démarche  qu'il 
faisait,  et  le  prier  de  donner  ses  ordres,  pour  qu'à 
l'avenir,  les  habitans  de  sa  pi-ovince  n'allassent  pas 
commercer  au-delà  des  monts  Apalaches,  attendu  qu'il 
avait  reçu  de  son  gouvernement  l'injonction  expresse 
d'arrêter  les  personnes  et  de  confisquer  les  eifets  de 
ceux  qui  seraient  trouvés  faisant  la  traite  avec  les 
Sauvages,  dans  les  contrées  situées  à  l'ouest  de  ces 
montagnes. 

Les  Acadiens  qui  avaient  mieux  aimé  rester  sur  leurs 
terres,  dans  la  Nouvelle  Ecosse,  que  de  passer  dans 
l'Ile  Royale,  y  étaient  demeurés  jusqu'à  cette  époque, 
sans  que  les  Anglais  eussent  eu  à  se  plaindre  d'eux,  ni 
eux  des  Anglais.  Ceux-ci  n'avaient  pas  d'abord  poussé 
leurs  prétentions  sur  les  établissemens  français  situés 
hors  de  la  péninsule,  le  long  de  la  baie  de  Fundy  et  de 
la  rivière  Saint-Jean  ;  mais,  suivant  l'auteur  des  Mé- 
moires sur  le  Canada,  etc.,  les  habitans  de  ces  postes, 
négligés  par  la  France,  s'étant  adressés  à  eux,  pour  en 
obtenir  des  juges  ou  des  magistrats,  l'idée  leur  vint  de 
s'en  emparer.  M.  de  La  Galissonnière  comprit  qu'il 
était  de  son  devoir  de  les  empêcher  de  le  faire.  Peut- 
être  eût-il  dû  s'en  tenir  là,  et  ne  pas  chercher  à  attirer 


DU    CANADA.  313 

sur  le  continent  les  Acadiens  restés  dans  la  presqu'île, 
sous  la  domination,  ou  la  protection  de  l'Angleterre. 
Mais  il  vit,  ou  crut  voir,  dans  cet  état  de  choses,  une 
inconvenance  ou  une  anomalie  préjudiciable  au  bien  de 
son  gouvernement  ;  il  pensa  qu'il  ne  convenait  pas  que 
des  hommes  qui  étaient  français  d'origine,  de  langue, 
de  religion,  demeurassent  sous  un  gouvernement  étran- 
ger, souvent  ennemi  de  la  France  ;  tandis  qu'à  quelques 
lieues  de  distance,  ils  pouvaient  se  trouver  sous  la 
domination  française,  parmi  leurs  compatriotes,  et  faire 
corps,  pour  ainsi  dire,  avec  les  autres  habitans  dy 
Canada.  Pour  mieux  réussir  dans  le  dessein  de  faire 
émigrer  les  Acadiens  de  la  presqu'île  sur  le  continent, 
il  eut  recours  à  leurs  prêtres,  et  particulièrement  au  P. 
Geu:maix,  curé,  ou  missionnaire,  au  Port  Royal,  et  à 
l'abbé  DE  Laloutre,  missionnaire  à  Beaubassin,  au 
sud  de  la  petite  rivière  Missagouche,  qui,  avant  la 
détermination  des  limites,  était  censée  séparer  les  pos- 
sessions des  deux  couronnes  rivales.  Le  P.  Germain 
ne  fit  peut-être  pas  tout  ce  qu'on  aurait  exigé  de  lui  ; 
mais,  à  en  croire  l'écrivain  que  nous  venons  de  citer, 
M.  de  Laloutre  poussa  son  zèle  et  son  activité  bien 
au-delà  des  bornes,  non  seulement  de  la  modération, 
mais  encore  de  la  prudence,  de  la  saine  politique  et  de 
la  charité  chrétienne.* 

*  L'auteur  anonyme  des  Mémoires  sur  le  Canada  l'accuse  d'avoir 
mis  lui-même  le  feu  à  l'église,  et  de  l'avoii*  fait  mettre  aux  mai- 
sons de  Beaubassin,*  et  il  ne  cherche  point  à  le  laver  d"uue  accu- 
sation plus  grave  encore,  celle  d'avoir  complotté  l'assassinat  d'un 
pourvoyeur  anglais,  du  nom  de  H«)^\'ï:,  à  qui  il  avait,  dit-il,  donné 
rendez-vous  sur  le  bord  de  la  petite  rivière  Missagouche,  ou  de 
Beaubassin,  et  qui  fut  tué  d'un  coup  de  fusil  tiré  (très  probable- 
ment au  hazard,)  par  un  des  Sauvages  dont  il  était  accompagné 

•  "  Les  Françuis  (Acadiens)  qui  possi-daiont  un  villago  au  midi  de  I;i  baie 
de  Chinfcto.  où  les  Aiijrlais  avaient  érigé  le  fort  Jnaiihiissiii.  l'uvent  attur|ués 
(ou  imiuiétés)  en  1745,  jiar  le  major  Lawrence;  et  se  VK.vunt  réduits  à 
at)andonner  leurs  habitations,  qui  n'avaient  aucun  moyen  do  défense,  ils 
aimèrent  mieux  les  brûler  que  do  les  laisser  T»  l'ennemi,  et  ils  se  retirèrent 
dans  le  fort  Bcausîjuur,  placé  au  nord  de  la  même  baie." — M.  dk  Rocukllk. 

ce 


ol4  HISTOIRE 

Pour  seconder  les  missiouriaires  dans  leurs  efforts, 
M.  de  La  Galissonnière  envoya  au  nord  de  la  presqu'île 
et  sur  la  rivière  Saint-Jean,  des  détachemens  de 
troupes  et  de  milices,  avec  ordre  aux  commandans  d'y 
construire  des  forts,  et  de  s'y  maintenir  par  la  force  des 
armes,  s'il  était  nécessaire.  On  par\'int,  pas  ces  moyens, 
à  induire  plusieurs  familles  acadiennes  à  sortir  de  la 
presqu'île,  et  à  venir  s'établir  au  nord  de  la  rivière 
Missagouche. 

Flatté  de  ce  premier  succès,  et  persuadé,  qu'avec  un 
peu  d'encouragement,  un  grand  nombre  d'Acadiens 
suivraient  l'exemple  de  ces  premiers  émigrés,  et  qu'il 
se  formerait,  par  ce  moyen,  une  nouvelle  colonie,  qui 
serait  comme  une  barrière  contre  les  Anglais,  de  ce 
côté-là,  M.  de  La  Galissonnière  s'adressa  au  ministère 
français,  pour  lui  demander  des  fonds  qui  le  missent  en 
état  d'exécuter  pleinement  le  plan  qu'il  s'était  proposé, 
par  rapport  aux  Acadiens.  Ce  plan  fut  approuvé  en 
France,  et  il  fut  accordé  huit  cent  mille  livres,  par 
année,  pour  le  mettre  à  exécution. 

Sur  ces  entrefaites,  le  comte  de  La  Galissonnière  fut 
remplacé  par  M.  de  La  Jonquière,  qui  ayant  recouvré 
sa  liberté,  à  la  paix  de  1748,  rentra  en  possession  de 
son  gouvernement,  en  vertu  de  sa  première  commission. 

Par  le  traité  d'Aix-la-Chapelle,  la  France  recouvrait 
tout  ce  que  l'Angleterre  lui  avait  enlevé,  durant  la 
guerre,  et  nommément  la  forteresse  de  Louisbourg  et 
l'ilc  du  Cap-Breton. 

Avant  de  s'embarquer  pour  la  France,  M.  de  La 
Galissonnière  communiqua  à  son  successeur  tous  les 
renseignemens  qu'il  s'était  procurés,  concernant  la  co- 
lonie, et  lui  indiqua  les  plans  qu'il  croyait  être  les  plus 
propres  à  la  faire  fleurir  et  prospérer.  Il  fut  ensuite 
nommé,  conjointement  avec  M.  Silhouette,  commis- 


DU    CANADA.  315 

saire  de  la  part  de  la  France,*  pour  le  règlement  des 
limites  des  possessions  anglaises  et  françaises,  et  ]iarti- 
culièrement  de  l'Acadie,  et  ne  se  montra  pas,  comme 
tel,  moins  actif  et  moins  zélé  qu'il  ne  l'avait  été,  comme 
gouverneur  de  la  Nouvelle  France.  Il  dressa  un  mé- 
moire, oii  il  exposait,  d'une  manière  détaillée,  tous  les 
avantages  que  la  France  pouvait  retirer  du  Canada  ;  et 
il  proposa  un  plan,  qui,  s'il  eut  été  adopté  à  temps, 
aurait  probablement  empêché  la  concjuête  de  1760. 
Ce  plan  était  de  prendre  possession  de  l'intérieur  du 
pays,  au  moyen  de  forts  érigés,  de  distance  en  distance, 
et  d'envoyer,  en  même  temps,  10,000  paysans  de 
France,  pour  peupler  les  bords  des  lacs,  du  Micissipi  et 
des  principales  rivières  qui  s'y  déchargent.  "  Si  ce  plan 
avait  été  adopté,  dit  l'historien  anglais  du  Canada,  M. 
Smitii,  les  colonies  anglaises  auraient  été  bornées  par 
les  monts  Alleghanys,  et  seraient  conséquemraent  res- 
tées toujours  faibles;  les  mesures  qui  occasionnèrent 
les  hostilités  de  1756  n'auraient  pas  eu  lieu,  et  l'enva- 
hissement de  1759  n'aurait  pas  été  entrepris." 

Malheureusement  pour  la  France  et  pour  le  Canada, 
l'administration  du  comte  de  La  Galissonnière  fut  de 
trop  courte  durée  :  son  successeur  immédiat,  quoique 
doué  de  talens,  ne  se  monti'a  pas  animé  du  même  zèle 
pour  le  bien  public,  et  il  lui  était  de  beaucoup  inférieur. 
du  côté  des  connaissances  acquises. | 

*Lps  commissaires,  delà  part  de  l'Angleterre,  furent  AIM. 

SlIIRI.EY  et  MlLO^tAV. 

f  "  Si,  sous  le  gouvernement  frnnrais,  dit  M.  Lamiiert,  dans 
son  voyage  au  C'anada,  les  Canadiens  avaient  été  disposés  à  cid- 
tivor  les  arts  et  les  scienees,  cette  disposition  se  serait  manifestée 
sous  le  0«mte  de  La  (iaussonniere,  (]ui  fut  le  gouverneur  le 
plus  actif  et  le  plus  éclairé  qu'ait  eu  le  Canada.  Il  était,  à  tous 
égards,  un  homme  d'état  accompli  ;  et  ses  connaissances  dans 
l'histoire  naturelle,  la  philosophie  et  les  mathéniatii|ues  furent 
utiles  aux  vues  de  son  gouvernement.     11  se  procura  des  ren- 


316  HISTOIRE 

Le  marquis  de  La  Jonquière  ne  crut  pas  d'abord 
devoir  suivre  les  plans  de  son  prédécesseur,  par  rap- 
port à  l'Acadie  ;  pensant  qu'avant  que  les  limites  de 
cette  province  eussent  été  déterminées  par  les  commis- 
saires nommés  à  cet  effet,  il  ne  convenait  pas  d'y  rien 
entreprendre  qui  pût  donner  de  l'ombrage  à  l'Angle- 
terre, et  peut-être  entraîner  la  France  dans  une  nouvelle 
guerre  avec  cette  puissance.  Ce  plan  de  conduite, 
dicté,  peut-être,  par  la  prudence,  fut  taxé,  en  France, 
de  timidité.  M.  de  La  Jonquière  fut  blâmé  de  son 
inactivité,  et  réprimandé,  pour  n'avoir  pas,  de  lui- 
même,  continué  ce  que  le  comte  de  La  Galissonnière 
avait  commencé.  Il  lui  fut  envoyé  de  nouvelles  ins- 
tructions, par  lesquelles  il  lui  était  ordonné  de  prendre, 
sans  délai,  possession  de  la  terre-fenne  de  l'Acadie,  d'y 
construire  des  forts,  d'y  envoyer  des  troupes,  et  de 

seignemens  des  parries  les  plus  éloignées  de  la  Nouvelle  France, 
concernant  ses  habitans,  ses  animaux,  ses  arbres  et  ses  plantes, 
ses  terres  et  ses  minéraux  ;  ainsi  que  sur  ses  lacs,  ses  rinères  et 
ses  mers.  Il  s'était  même  mis  en  état  de  donner  la  description 
des  endroits  éloignés  qu'il  n'avait  pas  %tis,  mieux  que  ceux  qui 
les  habitaient.  Enfin,  M.  de  La  Galissonnière  était  l'homme 
qu'il  fallait  pour  réveiller,  dans  Tesprit  des  Canadiens,  le  goût 
des  sciences  et  des  arts,  s'il  n'y  avait  été  qu'endormi." 

Alalheureuscment,  ce  goût  n"était  pas  encore  né  chez  nos  ancê- 
tres. "On  ne  leur  trouvait,  dit  l'abbé  Raynal,  aucune  sensibilité 
pour  le  spectacle  de  la  nature,  ni  pour  les  plaisirs  de  l'imagination  ; 
nid  goût  pour  les  sciences,  pour  les  arts,  pour  la  lecture,  pour 
l'instruction.  Les  habitans  des  villes  passaient  l'hiver,  comme 
l'été,  dans  une  dissipation  continuelle.  L'amusement  était  l'uni- 
que passion,  et  la  danse  faisait  les  délices  de  tous  les  âges. 

"  L'oisiveté  et  la  frivolité,  contiuue-t-il,  n'auraient  pas  pris  cet 
ascendant,  en  Canada,  si  le  gouvernement  avait  su  y  occuper  les 
esprits  à  des  objets  utiles  et  solides."  Mais  loin  de  là,  ce  gouver- 
nement semblait  se  complaire,  ou  trouver  son  intérêt  à  tenir  le 
peuple  dans  l'ignorance  :  l'institution  décorée  d'abord  du  nom  de 
collège  ne  fut  jamais  tel  en  réalité  ;*  il  n'y  avait  pas  d'imprime- 
rie dans  le  pays,  et  Ton  ne  pouvait  y  faire  venir  des  livres  de 
France  qu'avec  difficulté,  et  à  gi'ands  frais. 

*  "  Les  R.  R.  P.  P.  jésuites  ont  un  grand  bâtiment'  assez  superbe,  et  un 
collège  ouvert,  ou  plutôt  une  école,  qui  sert  à  instruire  un  petit  nombre 
d'enfans,  qui  y  vont  étudier." — Leeeac. 


DU    CANADA.  317 

s'aider  de  l'influence  des  missionnaires,  qu'on  lui  recom- 
mandait de  ménager  et  de  traiter  avec  toutes  sortes 
d'égards,  comme  gens  pai-ticulicrcment  nécessaires,  dans 
les  circonstances  où  l'on  se  trouvait. 

En  conséquence  de  ces  instructions,  le  chevalier  de 
La  Corne  fut  envoyé  dans  l'Acadie  continentale,  atin 
d'y  choisir  un  endroit  convenable  pour  l'érection  d'un 
tort,  d'où  l'on  pût  facilement  donner  appui  et  protection 
aux  familles  acadiennes  qui  voudi'aient  se  soustraire  à 
la  domination  anglaise. 

M.  de  La  Corne  fit  d'abord  choix  de  Chcdiac,  parce 
qu'étant  près  de  la  mer,  on  y  devait  être  à  portée  de 
recevoir  des  secours  et  des  approvisionnemens  du  Ca- 
nada. Ce  choix  ne  plut  ni  au  gouverneur,  ni  aux 
missionnaires  :  ils  trouvèrent  que  le  poste  serait  trop 
éloigné  des  établissemens  acadiens,  et  il  fut  finalement 
choisi  un  autre  endroit,  entre  la  baie  Française  et  la 
Baie  Verte,  comme  plus  capable  de  remplir  les  vues  du 
gouvernement. 

Ces  démarches  excitèrent  les  soupçons  et  la  jalousie 
des  Anglais  :  le  premier  bâtiment  qui  fut  envoyé,  avec 
des  provisions,  pour  les  forts  qu'on  bâtissait,  fut  pris 
par  un  croiseur  de  cette  nation,  quoiqu'il  y  eût  paix 
entre  l'Angleterre  et  la  France  :*  et  le  major  Lawrence 
eut  ordre  du  colonel  Cornwallis,  lieutenant  gouver- 
neur de  la  Nouvelle  Ecosse,  d'épier  les  mouvemens  du 
chevalier  de  La  Corne;  de  l'empêcher  de  prendre  poste 
sur  la  territoire  anglais,  et  finalement,  de  se  fortifier, 
aussi  près  que  possible  du  fort  que  ce  dernier  avait  eu 
ordre  de  construire.  Lawrence  trouva  M.  de  La  Corne 
campé  à  Beauséjour,  et  eut  avec  lui  un  pourparler,  au 

**'En  représaillo,  M.  de  La  Jonquière  ordonna  d'arrêter  :i 
Lûuisbourg,  les  bàtiuicns  luarcbands  qm  y  commerçaient." — Mé- 
moires, Sj~c. 

ce  2 


318  HISTOIRE 

sujet  de  cet  empiétement,  comme  il  l'appellait.  La 
Corne  l'assura  que  ses  ordres  ne  lui  permettaient  pas 
de  passer  au-delà  de  la  rivière  de  Beaubassin,  et  qu'il 
pouvait  prendre  poste,  et  se  fortifier,  de  l'autre  cyté  de 
cette  rivière,  s'il  le  jugeait  à  propos.  En  effet,  Law- 
rence bâtit  un  fort  vis-à-vis  de  celui  de  La  Corne,  et 
les  deux  commandans  se  maintinrent  chacun  dans  son 
poste.  Celui  de  La  Corne  n'était  pas  tenable  :  bientôt  cet 
officier  fut  remplacé  pai-  le  capitaine  de  "S^assaj*, 
accompagné  du  sieur  de  Lery,  fils  de  l'ingénieur  de  ce 
nom,  avec  ordre  d'achever  le  fort  de  Beauséjour.  Le 
sieur  de  Boishebert,  militaire  habile  et  homme  actif, 
avait  été  envoyé  précédemment,  avec  quelques  soldats 
et  des  Canadiens,  à  la  rivière  Saint-Jean,  et  y  avait 
élevé  des  fortifications,  un  peu  au-dessus  du  site  de 
l'ancien  fort  Latour. 

La  découverte  supposée  faite,  du  côté  de  la  terre,  de 
l'océan  Pacifique,  ou  plutôt  d'un  grand  golfe,  ou  d'une 
mer  de  l'Ouest,  communiquant  avec  cet  océan  par  un 
détroit,  occupait  l'attention  de  M.  de  La  Jonquière, 
depuis  son  arrivée  en  Canada.  H  avait  approprié  de 
grandes  sommes  d'argent  pour  s'assurer  d'un  fait  aussi 
important,  et  avait  donné  commission  à  M.  de  la 
Verajs'drye,  qui  avait  déjà  fait  plusieurs  voyages  dans 
les  quartiers  de  l'Ouest,  de  pénétrer,  par  le  canal  des 
lacs  et  des  rivières  de  l'intérieur,  jusqu'à  cette  mer,  et 
de  prendre  possession,  au  nom  du  roi,  des  contrées 
qu'il  traverserait.  Cet  officier  s'avança  à  quelques  cen- 
taines de  lieues  au-delà  du  lac  Supérieur,  et  érigea,  de 
distance  en  distance,  des  espèces  de  forts,*  au  dernier 

*  Ce  sont  :  le  fort  de  Caministigoia,  à  l'entrée  dans  le  lac  Supé- 
rieur de  la  rivière  de  mcme  nom  :  le  fort  Saint-Pierre,  à  100 
lieues  environ  du  premier,  sur  le  lac  </e.«  Pluies;  le  fort  Saint- 
Charles,  80  lieues  au-delà,  sur  le  lac  den  Buis;  le  fort  Maurepas, 
à  100  lieues  du  dernier,  et  près  du  lac  Ouinipitj,  ou  Oninipi'jon  ; 


DU   CANADA.  319 

desquels  il  donna  le  nom  de  fort  de  la  Reine.  C'était 
tout  ce  dont  La  Vérandrye  était  capable  :  il  n'avait  ni 
les  talens,  ni  les  connaissances  nécessaires  pour  faire 
des  découvertes  importantes,  ou  même  des  observations 
utiles  :  il  ne  sut  pas  tracer  une  carte  des  immenses 
contrées  qu'il  avait  parcourues  ;  son  journal  n'en  con- 
tenait point  la  description  ;  il  ne  parlait  ni  de  leur 
climat,  ni  de  leur  sol,  ni  de  leurs  productions  ;  il  n'était 
r(;mpli  que  du  récit  insignifiant  de  la  marche  de  chaque 
jour,  et  des  discours  sans  importance  de  quelques  chefs 
sauvages.  On  le  jugea  incapable  de  remplir  la  tâche 
qu'on  lui  avait  confiée  ;  sa  commission  fut  révoquée,  et 
donnée  à  d'autres.  Mais  des  vues  d'intérêt  particulier 
vinrent  se  mêler  au  but  noble  et  patriotique  qu'on  sem- 
blait s'être  proposé  d'abord  :  il  se  forma  une  espèce  de 
société,  composée  du  gouverneur,  de  l'intendant,  du 
sieur  BuEARU,  comptrôleur  de  la  marine,  et  de  deux 
autres  officiers,  Legaijdecu  de  Saint-Piekre*  et 
MARiN,f  lesquels  devaient  partager  entr'eux  les  profits 
de  l'expédition,  s'il  y  en  avait. 

Les  deux  derniers  furent  chargés  de  faire  les  décou- 
vertes. vSaint-Pierre  eut  ordre  de  se  rendre  au  fort  la 
Reine,  pour  de  là  gagner  en  avant,  jusqu'à  un  lieu  dont 
il  serait  convenu  avec  son  compagnon  de  voyage,  pour 
leur  rencontre.     Marin  devait  remonter  le  Missouri,  et 


enfin,  le  fort  de  la  Reine,  100  lieues  au-delà,  sur  la  rivière  des 
Assinihoils. 

Il  fut  encore  construit  trois  autres  forts,  savoir  :  le  fort  Dau- 
phin, sur  le  lac  des  JVairicx  ;  le  fort  Bourbon,  sur  le  lac  de  même 
nom,  et  le  fort  Vaslwijuc,  sur  la  rivière  de  co  nom,  dont  quelques 
géographes  du  temps  placent  la  source  à  25  lieues  seulement  de 
leur  prétendue  mer  de  l'Ouest. 

*  "  Capitaine,  officier  recommandablo  par  sa  valeur,  et  une  cer- 
taine intrépidité,  qui  le  faisait  craindre  et  aimer  des  nations,  et 
qui  joignait  à  la  connaissance  parfaite  du  commerce  des  Sauvages 
une  grande  intégrité." 

f  "Capitaine,  décrié  par  sa  cruauté,  mais  craint  des  Sauvages." 


320  HISTOIRE 

de  là,  s'il  trouvait  ime  rivière  allant  à  l'ouest,  la  suivre 
jusqu'à  ce  qu'il  fut  parvenu  à  l'océan  Pacifique,  où 
Saint-Pierre  le  devait  joindre,  si,  de  son  côté,  il  trou- 
vait une  rivière  qui  y  conduisit. 

Ces  messieurs  partirent  munis,  aux  frais  de  la  cou- 
ronne, de  tout  ce  qui  était  nécessaire  pour  le  voyage  ;  et 
ils  auraient  probablement  réussi,  non  pas  à  trouver  une 
mer  de  l'Ouest,  comme  on  se  la  figurait,  mais  à  attein- 
dre la  mer  du  Sud,  s'ils  eussent  été  plus  entrepenants, 
ou  s'ils  n'eussent  pas  eu  plus  à  cœur  leur  intérêt  privé 
que  le  bien  de  leur  pays.  Mais,  presque  indifférents, 
quant  au  but  ostensible  de  faire  de  nouvelles  décou- 
vertes, ils  né  s'avancèrent,  dans  les  pays  sauvages, 
qu'autant  qu'il  leur  fut  nécessaire  pour  amasser  une 
immense  quantité  de  pelleteries,  avec  lesquelles  ils  s'en 
revinrent  à  Québec,  où  la  vente  qui  s'en  fit  rapporta  à 
chacun  des  associés  un  énorme  profit.  Le  part  du 
gouverneur  se  monta,  suivant  M.  Smith,  à  la  somme 
de  300,000  francs,  et  le  reste  fut  partagé  entre  l'inten- 
dant, le  comptrôleur  et  les  deux  voyageurs. 

La  cour  de  France  ayant  approuvé  la  conduite  du 
comte  de  La  Galissonnière,  par  rapport  aux  pays  du 
Sud-Ouest,  elle  renouvella  à  M.  de  La  Jonquière 
l'ordre  de  mettre  fin  au  commerce  des  Anglais  dans  Ites 
contrées,  en  arrêtant  ceux  qu'on  y  rencontrerait,  et  en 
saisissant  leurs  marchandises.  En  conséquence,  le 
gouverneur  général  envoya  M.  de  CoNTRECŒur,  gen- 
tilhomme canadien,  et  quelques  autres  officiers,  bien 
accompagnés,  sur  les  bords  de  l'Ohio.  A  peine  ces 
officiers  furent -ils  arrivés  dans  le  pays,  qu'ils  arrêtèrent 
trois  traitans  anglais,  et  les  envoyèrent  prisonniers  à 
Mont-réal,  avec  leurs  pelleteries.  Dans  l'interrogatoire 
qu'ils  subirent  devant  le  baron  de  Longueil  et  le  com- 
missaire   ordonnateur   Varin,    quelques    jours   après 


DU   CANADA.  321 

leur  arrivée,  il  parut  qu'ils  tenaient  des  gouverneurs  de 
leurs  provinces,  des  permissions  écrites  pour  faire  la 
traite  avec  les  Sauvages,  à  l'ouest  des  monts  Apalaches, 
et  ils  furent  renvoyés,  quelque  temps  après.  Les 
détails  de  l'interrogatoire  qu'on  leur  fit  subir  furent 
envoyés  en  France,  et  communiqués,  par  ordre  du 
gouvernement,  à  l'ambassadeur  d'Angleterre. 

M.  de  La  Jonquière  prévoyait  bien  que  si  la  guerre 
avait  lieu  entre  la  France  et  l'Angleterre,  l'Amérique 
en  serait  le  théâtre  ;  il  représenta  donc  à  son  gouver- 
nement la  nécessité  de  faire  passer  au  Canada  un  grand 
corps  de  troupes,  et  d'y  envoyer,  en  même  temps,  une 
grande  quantité  de  munitions  et  de  marchandises,  afin 
qu'on  en  pût  toujours  fournir  suffisamment  et  à  un 
assez  bas  prix,  aux  Ixoquois,  pour  détacher  ces  Sau- 
vages de  l'alliance  et  de  la  fréquentation  des  Anglais 
de  la  Nouvelle  York.  En  attendant  que  ces  troupes 
et  ces  eftets  fussent  arrivés,  M.  de  La  Jonquière  crut 
devoir  faire,  de  son  côté,  tout  ce  qui  lui  paraissait  pou- 
voir faciliter  le  dessein  qu'il  avait  en  vue:  il  fit  partir 
M.  DE  LA  JoNQUiERE-CuABERT,  accpmpagné  de  M. 
Piquet,  du  séminaire  de  Mont-réal,*  et  d'un  parti  d'Iro- 
quois  domiciliés,  pour  le  canton  des  Agniers,  avec 
ordre  de  demander  à  ces  Sauvages  la  permission  de 
bâtir  un  fort,  sur  la  frontière  de  leur  pays,  en  leur 
promettant  qu'ils  y  trouveraient  constamment,  et  à  bon 
compte,  tous  les  effects  dont  ils  pourraient  avoir  besoin. 
M.  Chabert  s'acquitta  si  adroitement  de  la  commission 
dont    le   gouverneur    l'avait    chargé,    et   fut    si   bien 

*  Que  les  Anglais  appellaient  le  "  Jésuite  de  l'Ouest,"  et  à  qui 
^I.  IToc'tjUAnT  avait  donné  le  titre  "d'Apotre  dos  Iroquois." 
Quant  au  capitaine  Cuabkkt,  "  il  avait  sa  cabane"  chez  ces 
peuples.  "  Depuis  longteuis,  il  vivait  avec  eux  et  comme  eux,  en 
sorte  ((u'il  était  adopte  i)armi  eux,  et  qu'ils  le  regardaient  comme 
de  leur  nation." — Jlcnwircs,  Sfc. 


322  HISTOIRE 

secondé  par  l'abbé  Piquet,  qu'il  obtint  sans  beaucoup 
de  peine  la  permission  désirée.  Le  fort  fut  bâti,  à 
l'entrée  de  la  petite  rivière  Ossouégatchi  dans  le  Saint- 
Laurent,  et  nommé  de  la  Présentation.  Les  Agniers 
et  autres  Iroquois  furent  si  satisfaits  de  la  chose,  que 
sans  l'intervention  de  M.  William  Johnsox,  qui  avait 
déjà  acquis  une  grande  influence  parmi  ces  peuples,  la 
plupart  auraient  abandonné  les  Anglais,  pour  se  joindre 
aux  Français.    . 

Un  autre  petit  fort  fut  bâti,  à  peu  près  dans  le 
même  temps,  sur  la  baie  de  Toronto,  à  l'extrémité  nord- 
ouest  du  lac  Ontario.  On  l'appeUa  fort  Rouillé,  du  nom 
du  ministre  de  la  marine. 

Jusqu'à  1750,  les  Canadiens  n'avaient  pas  eu  sujet 
d'accuser  leurs  gouverneurs,  ou  leurs  intendans,  de 
péculat,  de  concussion,  ni  même  d'une  conduite  sentant 
l'injustice  ou  la  partialité,  dans  l'administration  des 
affaires  générales,  et  particulièrement  des  finances  : 
mais  au  temps  dont  nous  parlons,  la  corruption  com- 
mença à  se  montrer  à  découvert  chez  la  plupart  des 
fonctionnaires  publics  de  la  colonie.  Le  marquis  de  la 
Jonquière,  qui  ne  touchait  pas  moins  de  soixante  mille 
livres,  par  an,  d'apointemens  et  de  pension,  était  d'une 
avarice  sordide  ;  l'intendant  Bigot  ne  se  trouvait  pas 
assez  riche,  ou  pas  assez  payé,  pour  soutenir  dignement 
le  rang  qu'il  occupait  ;  et  ils  avaient  l'un  et  l'autre  des 
parens  et  des  favoris  à  enrichir.  Pour  suppléer  à  ce 
qui  leur  manquait,  ou  à  ce  qu'ils  croyaient  leur  manquer, 
du  côté  de  la  fortune,  ils  eurent  recours,  comme  on  l'a 
déjà  vu  plus  haut,  à  la  traite  avec  les  Sauvages,  et  ils  la 
firent  au  moyen  de  sociétés,  qu'ils  formèrent,  et  où  ils 
firent  entrer  leurs  parens  et  leurs  amis,  et  quelquefois, 
ils  mirent  en  œuvre  des  moyens  plus  odieux  encore. 

Par  l'édit  de  1716,  il  était  expressément  défendu  à 


DU    CANADA.  323 

tout  habitant  du  Canada  de  commercer  avec  les  Sau- 
vages, sans  une  permission  écrite  du  gouverneur  géné- 
ral :  M.  de  la  Jonquière  sut  faire  tourner  cet  édit  à  son 
avantage;  ou  plutôt,  il  en  abusa  d'une  manière  tout-ù- 
fait  odieuse.  Outre  qu'il  se  faisait  payer  une  forte 
somme  d'argent  pour  les  permissions,  ou  congés,  qu'il 
donnait  à  des  particuliers,  pour  aller  yendi'e  des  mar- 
chandises aux  Sauvages,  il  accorda  à  M.  Saint-Sauveur, 
son  secrétaire,  la  vente  exclusive  des  eaux-de-vie  à  ces 
peuples,  moyennant  unepart  considérable  dans  les  profits. 
Il  fit  aussi  venir  de  France  plusieurs  de  ses  neveux, 
dans  le  but  de  les  enrichir  par  le  commerce,  ou  autre- 
ment, et  entre  autres,  M.  Taffanel,  curé  de  campagne 
en  France,  et  le  capitaine  de  Bonne  de  Miselle. 
N'ayant  pu  obtenir  pour  ce  dernier  le  grade  d'adjudant 
général,  il  résolut  de  l'avancer  d'une  autre  manière  :  il 
lui  concéda  une  seigneuiùe,  et  lui  accorda  le  privilège 
exclusif  du  commerce  avec  les  Sauvages,  au  Sault 
Sainte-Marie. 

Ce  Népotisme  mit  le  comble  au  mécontentement  qui 
régnait  déjà,  depuis  longtems,  dans  la  colonie,  contre 
M.  de  la  Jonquière:  on  fit  parvenir  en  France  des 
plaintes  nombreuses  contre  son  administration  ;  et  pré- 
voyant, sans  doute,  qu'il  ne  tarderait  pas  à  être  rappelle, 
il  demanda  lui-même  son  rappel  ;  mais  il  mourut,  à 
Québec,  le  17  mai  1752,  âgé  de  67  ans.  Il  n'avait 
pas  amassé,  en  Canada,  moins  d'un  million  de  livres 
tournois,  qui  se  trouvèrent,  à  sa  mort,  entre  les  mains 
de  M.  de  Vekduc,  greffier  du  conseil  supérieur  ;  ce  qui 
ne  l'empêcha  pas  de  se  refuser  le  nécessaire,  "jusqu'à 
sa  mort,"  et  même  dans  sa  dernière  maladie.* 

*  On  a  rapporté,  comme  exemple  de  l'excès  auquel  il  portait  la 
mesquinerie,  que  ses  domestiques  ayant  allumé  des  bougies  près 
de  son  lit,  il  les  fit  ôter,  et  remplacer  par  des  chandelles  de  suif, 
en  disant  qu'elles  coûtaient  moins  cher,  et  éclaireraient  aussi  bien. 


324  HISTOIRE 

Charles  Lemovxe,  baron  de  Longueîl,*  alors  gou- 
verneur de  Mont-réal,  étant  le  plus  ancien  officier  de  la 
colonie,  prit  les  rênes  de  l'administration,  en  attendant 
l'arrivée  du  successeur  du  marquis  de  La  Jonquière. 

*  "  Ce  gouverneur  (ou  administrateur  du  gouvernement,)  était 
d'une  maison  anoblie  en  Canada,  fort  chéri  des  cinq  Nations,  et 
dont  les  ancêtres  s'étaient  distingués  par  leui*  valeur." — Mémoires, 
ifc. 


LIVEE  QUATRIEME, 

Co7itenant  principalement  les  évènemens  de  la  dernière 
Guerre  Américaine  entre  la  France  et  V Angleterre. 

M.  DE  LA  JoxQUiERE  cut  pour  successeur  le  marquis 
DuQLEsNK  DE  Menneville,  capitaine  de  vaisseaux, 
sous  le  titre  de  gouverneur  général  du  Canada,  de  la 
Louisiane,  du  Cap-Breton,  de  l'île  Saint-Jean,  et  de 
leurs  dépendances.  Sa  commission,  datée  du  1er.  mars 
1752,  fut  enregistrée,  à  Québec,  le  7  août  suivant,  len- 
demain de  son  arrivée. 

Le  marquis  Duquesne  avait  des  talens  et  de  l'activité  : 
M.  de  la  Galissonnière,  à  la  recommandation  duquel  il 
avait  été  nommé  gouverneur,  lui  avait  communiqué 
tous  les  renseignemens  qu'il  possédait  sur  le  Canada. 
Persuadé  que  la  paix  ne  pouvait  pas  durer  longtems, 
M.  Duquesne  s'appliqua  à  discipliner  les  troupes  et  les 
milices  :  il  forma  les  miliciens  des  villes  de  Québec  et 
de  Mont-réal  en  différentes  compagnies,  à  la  tète  des- 
quelles il  mit  des  officiers  expérimentés.  Il  passa  les 
miliciens  en  revue,  dans  les  paroisses  de  la  campagne, 
et  prit  tous  les  moyens  qui  lui  parurent  pi'opi'es  à  mettre 
lu  colonie  en  état  de  défense. 

Les  instructions  qu'il  avait  reçues,  concernant  les 
limites,  étaient  trop  positives  et  trop  explicites,  pour 
qu'il  pût  s'en  écarter,  ou  négliger  de  s'y  conformer  :  elles 
portaient  qu'il  devait  regarder  comme  les  véritables 
bornes  des  possessions  françaises  celles  qui  avaient  été 
tracées  par  M.  de  la  Galissonnière,  et  construire  des 
forts,  de  distance  en  distance,  pour  empêcher  que  les 
Dd 


326  HISTOIRE 

Anglais  ne  s'avançassent  à  l'ouest  des  monts  Apalaches. 
11  envoya  donc  plusieurs  détacheinens  de  troupes  sur  la 
Belle-Rivière,  avec  ordi'e  aux  commandans  de  bâtir  des 
forts,  et  de  s'assurer,  par  des  présens,  de  l'alliance  des 
Sauvages.  Il  donna  avis  au  gouvei*neur  de  la  Louisiane 
de  la  démarche  qu'il  faisait,  et  lui  recommanda  de  faire 
en  sorte  que  les  Sauvages  de  son  gouvernement  se  joi- 
gnissent aux  troupes  françaises  de  l'Ohio.  Le  fort 
Duquesne  fut  bâti,  au  confluent  de  l'Oliio  et  de  la  rivière 
nommée  par  les  Français,  Malenguélée,  et  par  les  Anglais, 
Monongahela  ;*  des  détachemens  de  troupes  furent  stati- 
onnés aux  postes  de  Machaidt  et  de  la  Presqu^île,  entre 
le  fort  Duquesne  et  le  Détroit,  et  il  fut  construit  des 
vaisseaux,  sur  les  lacs  Erié  et  on  Ontario,  pour  la  faci- 
lité du  transport. 

On  apprit  bientôt,  au  fort  Duquesne,  que  les  Anglais, 
ou  plutôt,  les  colons  anglais  de  la  Virginie,  avaient 
franchi  les  monts  Apalaches,  s'étaient  avancés  à  l'ouest, 
comme  à  la  rencontre  des  Français,  et  se  fortifiaient, 
sur  les  bords  de  la  Monongheylé.  M.  de  Contrecœur, 
qui  commandait  à  ce  poste,  crut  que  son  devoir  l'obli- 
geait à  s'opposer  à  l'entreprise  des  Anglais  ;  mais  avant 
d'employer  la  force  ouverte,  il  voulut  tenter  des  voies 
pacifiques  :  il  envoya  au  commandant  anglais  un  oflftcier 
distingué,  avec  une  lettre,  dans  laquelle  il  le  sommait 
de  retirer  ses  troupes  de  dessus  les  terres  de  la  domina- 
tion française.  Les  Anglais,  suivant  l'écrivain  qui  nous 
sert  ici  de  guide,  feignirent  d'abord  de  se  retirer  en 
effet  ;  mais  au  lieu  de  le  faire,  ils  se  hâtèrent  d'achever 
le  fort  qu'ils  avaient  commencé,  et  qu'ils  avaient  appelle, 
ou  qu'ils  appellèrent  alors,  Necessity  (de  la  Nécessité.) 

*  C'est  le  nom  indigène  orthographié  différemment  et  négli- 
gemment, pour  Monongheylé  probablement,  en  prononçant  longue- 
ment, ou  accentuant  la  pénultième  syllabe. 


DU   CANADA.  327 

Cependant,  M.  de  Contrecœur  ignorait  si  les  Anglais 
s'étaient  retirés,  ou  non  :  pour  s'en  assurer,  il  fit  partir 
M.  DE  JuMONViLLE,  jeune  officier  de  mérite,  accompa- 
gné de  trente  hommes,  avec  ordre  de  découvrir  si  les 
Anglais  étaient  encore  sur  les  terres  de  la  France,  et 
s'il  les  y  rencontrait,  de  faire  à  leur  commandant  une 
seconde  sommation  de  se  retirer. 

Jumonville  était  encore  à  une  certaine  distance  du 
fort  Necessity,  lorsque,  tout-à-coup,  il  se  vit  environné 
d'Anglais,  qui  firent  sur  lui  un  feu  terrible.  Il  lait 
signe  de  la  main  au  commandant,  montre  ses  dépêches 
et  demande  à  être  entendu.  Le  feu  cesse  alors  ;  il 
annonce  son  caractère  et  sa  qualité  d'envoyé,  et  com- 
mence à  lire  la  sommation  dont  il  est  porteur  ;  mais  à 
peine  était-il  à  la  moitié  de  la  lecture,  que  les  Virginiens 
recommencèrent  à  tirer  sur  lui,  très  probablement,  sans 
l'ordre  de  leur  commandant,  qui  était  le  colonel  Wa- 
SHiXGTOX,  devenu,  depuis,  si  célèbre.  Jumonville  et 
une  partie  de  ses  gens  furent  tués,  et  les  autres  furent 
faits  prisonniers,  à  l'exception  d'un  seul,  qui  se  sauva, 
et  vint  apporter  au  fort  Duquesne  la  nouvelle  de  ce 
désastre.* 

M.  de  Contrecœur  assembla  aussitôt  les  officiers  de  la 
garnison,  et  les  Sauvages  des  envii-ons,  et  leur  raconta 
ce  qui  venait  de  se  passer.  Tous  se  montrèrent  indignés 
de  la  conduite  des  Anglais,  et  furent  d'avis  qu'il  fallait 
aller,  sans  perte  de  temps,  investir  le  fort  Necessity. 
Une  partie  de  la  garnison  et  quelques  centaines  de  Sau- 
vages furent  mis  sous  les  ordres  de  M.  de  Yillieks, 

*  "  Lescarbot,DiEREVTLLE,DE  Chevrier  avaient  publié,  dans  le 
XVIIe.si^ule.desilescriptions  médiocrement  rimées  de  laNouvelle 
FruiKo  ;  sujet  <jue  l'ucadi'iiiicien  Thomas  n'a  pas  traité  plus  heu- 
reusement, en  1760.  La  Mort  de  .Tumonville  est  un  de  ces  poëmes 
vajxues,  classiques  sans  vérité  locale,  dont  l'Europe  était  déjà  fati- 
guée."— M.  Isidore  Lebrun. 


328  niSTOiEE 

frère  de  Jumonnlle.  Cette  petite  armée  se  mît  aussi- 
tôt en  marche,  arriva  au  fort  Necessity,  et  l'investit, 
dans  l'intention  de  le  prendre  à  l'assaut,  s'il  ne  se  rendait 
pas,  à  la  première  sommation.  Les  Anglais  n'attendi- 
rent pas  l'attaque  :  n'espérant  point  de  quartier,  si  leur 
fort  était  emporté  de  vive  force,  il  se  hâtèrent  de  capi- 
tuler, et  se  rendirent  prisonniers  de  guerre.*  Quoique 
parti  pour  venger  la  mort  de  son  frère,  de  Villiers  se 
conduisit  avec  une  modération  qui  lui  fit  le  plus  grand 
honneur.  Cette  affaire  eut  lieu  au  commencement  de 
juin  1753. 

L'Angleterre  n'eut  pas  plutôt  appris  ce  qui  s'était 
passé,  sur  les  bords  de  l'Ohio,  qu'elle  résolut  défaire  les 
plus  grands  efforts  pour  chasser  les  Français  des  postes 
qu'ils  occupaient  dans  ces  quartiers.  Xon  seulement 
elle  donna  ordre  aux  gouverneurs  de  ses  colonies  de 
repousser  la  force  par  la  force  ;  elle  fit  encore  passer 
plusieurs  régimens  d'Irlande  en  Amérique,  pour  les 
mettre  en  état  d'agir  sur  l'offensive.  La  France,  qui 
regardait  sa  rivale  comame  ayant  été  l'aggresseur,  dans 
l'affaire  de  Jumonville,  et  qui  prévoyait  que  la  paix  ne 
pouvait  pas  se  prolonger  encore  bien  longtems,  se  pré- 
para, de  son  côté,  à  soutenir  la  guerre,  en  Amérique, 
et  fit  partir  de  Brest,  sous  le  commandement  de  l'amiral 
Dubois  de  la  Mothe,  une  flotte  considérable,  portant 
plusieurs  régimens  de  vieilles  troupes,  et  un  grand 
approvisionnement  de  munitions  et  d'effets  militaires. 

Quoique  la  guerre  n'eût  pas  encore  été  déclarée,  le 
cabinet  britannique  crut  qu'il  lui  était  permis  d'empê- 
cher la  France  de  se  fortifier  en  Canada,  et  en  consé- 
quence, une  escadre  d'onze  vaisseaux  de  ligne  et  plusieurs 

*Ils  furent  échangés,  ou  renvoyés  sans  échange,  quelque  temps 
après  ;  car  Washixgïox,  leur  commandant,  se  trouve,  l'été 
suivant,  dans  l'armée  du  général  Braddock. 


DU   CANADA.  329 

■frégates  sortit  de  Plymouth,  le  27  avril  17ô4,  sous  le? 
ordres  de  l'amiral  Boscawex.  Les  deux  escadres  arri- 
vèrent, presque  en  même  temps,  sur  les  bancs  de  Terre- 
Neuve.  Deux  des  vaisseaux  de  l'escadre  française. 
VAlcide  et  le  Lys,  s'en  trouvèrent  alors  séparés  par  les 
cliances  de  la  navigation.  Le  capitaine  Hocquart. 
commandant  de  VAlcide,  ayant  apperçu,  le  8  juin,  un 
groupe  de  vaisseaux  vers  l'horison,  crut  avoir  retrouvé 
l'escadre  de  La  Mothe,  et  chercha  à  s'en  approcher. 
Mais  la  flotte  qu'il  avait  signalée  était  celle  de  Bosca- 
wen,  qui  l'ayant  également  apperçu,  arrivait  sur  lui  à 
pleines  voiles.  Un  engagement  devenait  inévitable,  et 
le  capitaine  français  s'y  prépara  résolument,  quelle  que 
fût  la  disproportion  de  ses  forces.  Après  avoir  soutenu 
le  combat  contre  plusieurs  vaisseaux  anglais,  il  fut 
bientôt  enveloppé  par  un  nombre  d'autres  ;  mais  il  ne 
se  rendit  qu'après  avoir  vu  toutes  ses  manœuvres  coupées. 
663  mâts  prêts  de  tomber,  et  ses  canons  démontés.  Le 
Lys,  qui  était  alors  trop  éloigné  pour  concerter  sa 
défense  avec  VAlcide,  fut  attaqué,  à  son  tour,  par 
plusieurs  vaisseaux  anglais:  il  se  trouva  entre  deux  feux  : 
essuya  plusieurs  bordées  d'artillerie,  et  combattit,  à  la 
portée  du  mousquet,  jusqu'au  moment  où  il  dut  cédera 
des  forces  trop  supérieures.  H  y  avait  sur  ces  deux 
vaisseaux  huit  compagnies  de  troupes,  et  un  grand 
nombre  d'officiers  du  génie.  La  Mothe  arriva  quelques 
jours  après,  à  Québec,  avec  le  reste  de  son  escadre,  à  la 
grande  joie  du  gouverneur  général  et  de  toute  la  colo- 
nie. 

Aussitôt  que  la  prise  des  deux  vaisseaux  français  eût 
été  connue,  à  la  cour  de  France,  le  comte  de  Mirepoix, 
ambassadeur  français  à  Londres,  fut  rappelle:  il  fut 
publié  un  manifeste,  et  les  journaux  retentirent  de 
plaintes  contre  la  conduite  du  gouvernement  anglais. 

Dd2 


330  HISTOIRE 

Celui-ci  répondit  que  la  conduite  des  Français,  sur  les 
bords  de  l'Ohio,  avait  rendu  la  mesure  à  laquelle  il  avait 
recouru  nécessaire  et  justifiable.  H  n'en  fut  pas  moins 
regardé  par  plusieurs  des  puissances  neutres  de  l'Europe, 
comme  coupable  d'une  violation  flagrante  du  droit  des 
gens.* 

Cependant,  le  général  Braddock  s'était  mis  en 
marche,  le  10  juin  de  cette  année  1754,  à  la  tête  de 
2,200  hommes,  pour  se  rendre  sur  les  lieux  où  le  colonel 
Washington  avait  été  fait  prisonnier,  avec  ses  gens, 
l'année  jjrécédente  ;  et  les  colons  de  la  Virginie  et  de  la 
Pensylvanie  avaient  fait  partir  plusieurs  détachemens  de 
volontaires,  pour  le  renforcer. 

M.  de  Contrecœur,  qui  commandait  toujours,  au  fort 
Duquesne,  fut  informé,  de  bonne  heure,  de  la  marche 
des  troupes  anglaises,  sous  le  général  Braddock,  et 
envoya  un  parti  consistant  en  deux  cent-cinquante 
Canadiens,  et  six  cent-cinquante  Sauvages,  sous  le  com- 
mandement de  IMM.  DE  Beaujeu  et  Dumas,  pour  les 
attaquer,  à  un  défilé  qu'elles  avaient  à  passer,  à  environ 
trois  lieues  du  fort.  Braddock  s'avança  sans  méfiance  et 
sans  pi'écautions,  jusqu'à  l'endroit  où  les  Français 
s'étaient  postés,  comme  en  ambuscade.  Ceux-ci  firent 
une  décharge  générale  de  leur  mousqueterie,  sur  l'avant- 
gai'de  des  Anglais,  qui  se  replia  aussitôt,  en  désordre, 
sur  le  corps  d'armée.  Le  mouvement  rétrograde  et 
précipité  de  leur  avant-garde  jetta  les  Anglais  dans  une 
espèce  de  terreur  panique,  et  ils  se  mirent  presque  tous 
à  fuir,  dans  le  plus  grand  désordre.  Braddock  parvint 
néanmoins  à  en  rallier  un  certain  nombre,  et  alla,  avec 

*  "  War,  though  notformalhj  declared,  wa.<t,  hy  this  event,  actually 
commenced  ;  but  by  not  complying  u-ith  the  usual  cérémonies,  Ûie 
administration  exposed  themselves  to  the  censures  of  several  neutral 
powers  of  Europe,  andfixed  the  imputation  of  fraud  and  freeboot- 
ing  on  the  beginning  of  the  war." — M.  Haliburton. 


DU   CANADA.  331 

eux,  à  la  chars^e,  une  seconde  fois,  mais  avec  aussi  peu 
de  succès  que  la  première  :  il  y  fut  blessé  mortellement, 
et  les  soldats,  découragés  par  la  perte  de  leur  chef,  se 
mirent  aussitôt  à  fuir,  en  désordre  et  pêle-mêle.  La 
perte  des  Anglais  se  monta  à  environ  six  cents  hommes, 
parmi  lesquels  il  y  avait  plusieurs  officiers  de  mérite. 
Toute  leur  artillerie,  leurs  munitions  et  leur  bagage 
tombèrent  entre  les  mains  des  Finançai  s,  ainsi  que  les 
plans  et  les  instructions  du  commandant. 

Du  côté  des  Français,  il  y  eut  une  trentaine  d'hommes 
de  tués,  et  à  peu  près  autant  de  blessés  :  M.  de  Beaujeu, 
et  MM.  DE  LA  Perade  et  Corneval,  officiers  du  corps 
de  la  marine,  furent  du  nombre  des  derniers.  M.  Dumas 
se  distingua  particulièrement  dans  ce  combat,  qui  se 
livra,  le  9  juillet,  à  midi:  les  Canadiens  y  donnèrent  de 
nouvelles  preuves  de  leur  bonne  volonté,  et  les  Sauvages 
s'y  conduisirent  en  alliés  fidèles  et  zélés. 

Au  lieu  de  se  fortifier,  après  leur  retraite,  de  crainte 
que  la  victoire  que  les  Français  venaient  de  remporter 
ne  les  portât  à  tenter  de  pénétrer  dans  la  Virginie,  ou 
dans  la  Pensylvanie,*  les  Anglais,  se  contentèrent  de 
laisser  un  petit  détachement,  au  fort  Ciaiiberland,  sur  le 
Potomac,  et  se  retirèrent,  sous  la  conduite  du  colonel 
Washington.  Ils  arrivèrent  à  Philadelphie,  le  2  août, 
au  nombre  de  1,600  hommes,  et  furent  aussitôt  embar- 
qués pour  Albany,  oCl  l'on  formait  un  dépôt  de  troupes 
pour  une  expédition  contre  le  Canada. 

Le  marquis  Duquesne  s'étant  démis  du  gouvernement 
du  Canada,  pour  rentrer  dans  le  service  de  mer,  on  lui 
donna  pour  successeur  le  marquis  de  Vaudreuil  de 

*  La  plupart  des  écrivains  anglais  prétendent  que  c'étaient  les 
Français  qui  avaient  empiété,  en  éri<reant  le  fort  Duquesne,  etc. 
Ce  fort,  situé  au  conHuent  de  VOhio  et  de  la  Mvnonghei/lé,  se 
trouvait  dans  les  limites  données  depuis  à  la  Pensylvanie,  mais 
quinze  ou  vingt  lieues  à  l'ouest  des  monta  Apalaches. 


332  HISTOtRE 

Cavagnal,  gouverneur  de  la  Louisiane.  Les  provisions 
de  ce  dernier,  datées  du  1er  janvier  1755,  furent  enre- 
gistrées à  Québec,  le  13  juillet  de  la  même  année.*  M. 
Bigot,  qui  était  passé  en  France,  l'année  précédente,  en 
était  revenu  depuis  quelques  mois.  M.  Varin,  avait 
rempli,  en  son  absence,  les  fonctions  d'intendant.. 

Les  liabitans  des  colonies  anglaises,  plutôt  animés 
que  découragés  par  la  défaite  de  Braddock,  mirent  sur 
pied  deux  nouveaux  corps  de  troupes,  l'un  sous  le  com- 
mandement du  général  Shirlej,  et  l'autre  sous  celui 
du  général  Johnson.  Ce  dernier  partit,  le  8  août  17oô, 
accompagné  de  plusieurs  centaines  d'Agniers,  et  autres 
Iroquois,  pour  le  lac  George,  où  le  général  Lyman  était 
déjà  arrivé,  avec  près  de  6,000  hommes  de  troupes 
provinciales.  H  s'y  posta  dans  un  endroit  avantageux, 
entourré  de  bois,  ayant  derrière  lui  le  lac,  devant,  un 
long  abattis  d'arbres,  et  sur  les  aîles,  des  terrains 
marécageux. 

Assitôt  qu'il  fut  connu  à  Mont-réal,  que  les  troupes 
anglaises  étaient  parties  d'Albany,  et  que  le  but  du  géné- 
ral Johnson  était  d'attaquer  les  forts  de  Carillon  et  de 
la  Pointe  de  la  Couronne,  le  baron  Dieskau,  récem- 
ment arrivé  de  France,  fut  envoyé  à  ce  dernier  poste, 
avec  un  corps  de  3,000  hommes,  composé  de  troupes 
de  ligne,  de  troupes  de  la  marine,  de  Canadiens  et  de 
Sauvages.  Arrivé  au  fort  Saint-Frédéric,  le  baron  y 
laissa  le  moitié  de  son  armée,  et  s'avança  par  la  Baie 
du  Sud,  avec  1,500  hommes  seulement  et  sans  artillerie. 

*  "  Aucun  de  ses  prédécesseurs  ne  prit  possession  de  son  gou- 
vernement avec  autant  d'agrément  que  lui  :  tous  les  Canadiens 
l'avaient  désiré,  et  accouraient  pour  voii-  leur  compatriote  :  les 
complimens  qu'il  reçut  se  ressentirent  de  la  joie  qu'on  avait  de 
le  voir,  et  de  l'espoir  qu'on  avait  qu'il  ferait  succéder  au  temps 
malheureux  qu'on  avait  passé  jusqu'alors,  ces  jours  fortunés  qu'on 
se  rappellait  sous  le  gouvernement  de  son  père." — Mémoires,  etc. 


DU   CANADA.  333 

Il  rencontra  une  garde  avancée  de  1,000  à  1,200 
hommes,  sous  le  colonel  Williams,  la  défit,  et  arriva 
en  la  poursuivant,  à  la  vue  des  retranchemens  des 
Anglais.  Au  lieu  de  continuer  à  avancer  sur  ces 
retranchemens,  pendant  que  les  fuyards  y  arrivaient  en 
désordre,  il  s'arrêta  à  cent-cinquante  verges  de  distance, 
pour  faire  ses  dispositions  d'attaque.  Il  fit  sa  grande 
attaque  de  centre  avec  ses  troupes  régulières,  pendant 
que  les  Canadiens  et  les  Sauvages,  dispersés  sur  les 
flancs,  fîxiâaient  un  feu  de  tirailleurs.  La  bataille 
devint  bientôt  générale  sur  toute  la  ligne  :  les  soldats 
français  combattirent  avec  un  ordre  et  une  bravoure, 
qui  firent  croire  que,  si  leur  commandant  n'avait  pas 
fait  la  faute  de  laisser  la  moitié  de  son  monde  bien  loin 
derrière  lui,  il  aurait  remporté  une  victoire  éclatante, 
au  lieu  d'essuyer  une  défaite  signalée  ;  car  accablées 
par  la  grande  supériorité  du  nombre  de  leurs  adver- 
saires, les  troupes  de  ligne  furent  obligées  de  faire  un 
mouvement  rétrograde,  sur  la  droite  des  Anglais,  et 
quoique  renforcées  par  un  corps  de  Canadiens,  après 
«luatre  heures  d'un  combat  si  inégal,  il  ne  leur  fut 
plus  possible  de  résister,  et  la  retraite  leur  devint  iné- 
vitable. 

Les  Français  la  firent,  sous  M.  de  Montre  uil,  sans 
être  poui'suivis;  mais  leur  perte  avait  été  énorme:  les 
Ixistoriens  anglais  la  font  de  sept  à  huit  cents  liommes, 
tandis  qu'ils  ne  portent  celle  de  leurs  gens  qu'à  deux 
cent-quatre-vingts.  Ces  derniers  y  perdirent,  entre 
autres  oiRciers,  les  colonels  Williams  et  Titcombe  et  le 
major  Ashley,  et  les  Agniers  leur  grand"  chef  Hen- 
DKiCK.  Le  baron  Dieskau,  qui  conibattit|ttvcc  la  plus 
grande  bravoure,  fut  blessé  grièvement,  à  la  jambe  et 
à  la  Iianche,  et  fait  prisonnier.  Le  général  Johnson 
fut  aussi  blessé,  mais  légèrement.     La  bataille  du  lac 


334  HisTomE 

George  se  livra  le  8  septembre,  et  dura  depuis  midi 
jusqu'à  quatre  heures.* 

Le  corps  que  commandait  le  général  Sliirley  était 
partid'Albany,  àla  fin  de  juillet,  et  était  arrivé  à  Ochoué- 
go,  au  commencement  d'août,  Le  général  y  attendit 
des  provisions  qui  ne  lui  arrivèrent  qu'à  la  fin  de 
septembre.  Il  crut  qu'il  était  trop  tard  alors  pour 
entreprendre  une  expédition  contre  Niagara,  qu'il  avait 
eue  en  vue,  et  ayant  laissé  une  garnison  de  six  à  sept 
cents  hommes  à  Ochouégo,  il  repartit,  le  24  octobre, 
pour  Albany. 

Le  Canada  soufii-ait,  depuis  quelques  temps,  de  la 
rareté  et  de  la  cherté  des  provisions  de  bouche:  les 
choses  empirèrent,  sous  ce  rapport,  pendant  l'hiver  de 
1755  à  1756,  en  grande  partie,  par  la  faute  de  l'inten- 
dant Bigot,  et  de  plusieurs  des  employés  du  gouverne- 
ment, entre  lesquels  l'histoire  signale  particulièrement 

*  "  Le  baron  Dieskau,  arrivé  au  fort  Saint-Frédéric,  avec  3,000 
hommes,  partagea  sa  petite  armée  en  deux,  et  en  laissa  la  moitié 
pour  couvrir  le  fort  et  la  colonie,  en  cas  de  malheur.  Les  Cana- 
diens blâmèrent  la  conduite  du  général,  s'imaginant  qu'on  ne  devait 
prendre  aucune  précaution,  et  persuadés  qu'on  serait  victorieux. 
iL  le  baron  n'écouta  point  leurs  raisons,  et  leur  ordonna  de  le 
suivre.  Il  courut  aux  retranchemens,  croyant  être  suiri  de  toute 
l'armée;  et,  sans  faire  reposer  son  monde,  il  fit  attaquer.  Les 
officiers  de  la  colonie,  peu  accoutumés  à  être  menés  si  fièrement, 
n'exécutèrent  point  ses  ordres  :  en  vain  leur  donna- t-il  l'exemple 
de  la  valeur  :  blessé  de  plusieurs  coups,  il  se  fit  porter  contre  un 
arbre,  la  tête  tournée  du  côté  de  l'ennemi.  Après  la  retraite,  les 
Anglais  le  comblèrent  d'éloges  et  de  politesses.  On  attribua  cette 
retraite  au  peu  de  bravoure  du  sieur  de  Montheull,  surtout  aux 
principaux  officiers  canadiens,  qui  se  croyaient  les  seuls  capables 
de  commander  dans  le  pays." 

Sans  parler  du  reste,  l'auteur  des  Mémoires  sur  le  Canada  se 
montre  ici  aussi  dépour^-u  de  jugement  que  l'avait  été  son  "  brave 
officier  saxon."  Les  officiers  anglais  pouvaient,  par  politesse,  louer 
le  baron  Dies|^u  de  sa  bravoure  personnelle  ;  ils  auraient  pu  même, 
si  les  convenances  l'avaient  permis,  le  remercier  de  leur  avoir 
rendu  la  ■victoire  |si  aisée;  mais  les  Canadiens,  qu'il  menait  presque 
évidemment  à  la  défaite,  ne  pouvaient  guère  s'abstenir  de  blâmer 
:tout  haut  sa  présomption  et  sa  témérité. 


DU   CANADA.  335 

les  sieurs  Yarin,  Bréard,  Pean,  fait  major  de  Québec 
par  faveur  de  M.  Bigot;  Imbert,  trésorier;  Cadet, 
munitionnaire  ;  Martel  et  Clayery,  commis  aux 
vivres  ;  Deschenaux,  Penissault,  secrétaires  ou  com- 
mis. A  en  croire  l'auteur  des  Mémoires  sur  le  Canada, 
un  peu  exagérateur,  sans  doute,  et  d'après  lui,  M.  Smith, 
il  n'y  aurait  pas  eu  de  fraudes,  de  violences,  de  voies 
iniques  et  tyranniques,  auxquelles,  avec  l'autorisation, 
ou  la  connivence  de  l'intendant,  ils  n'eussent  eu  recours, 
pour  s'enrichir  aux  dépens  du  gouvernement  et  du  public. 
Les  marchands  s'étaient  plaints  ;  ils  avaient  député  à  la 
cour  le  sieur  Tache',  "  homme  intègre  et  d'esprit,"  pour 
faire  des  représentations,  et  demander  des  règlemens,  ou 
"  un  arrangement  de  commerce"  pour  le  Canada  ;  mais 
les  odieux  accapareurs,  soutenus  par  M.  Bigot,  l'empor- 
tèi'ent,  et  ils  pui-ent  continuer  leur  manège,  les  années 
suivantes. 

Cependant,  M.  de  Vaudreuil  ne  restait  pas  inactif, 
lians  la  capitale  :  ayant  appris  que  les  Anglais  avaient 
construit  un  nombre  de  petits  forts,  sur  la  route  d'O- 
chouégo,  afin  de  couper  la  communication  entre  le  lac 
Ontorio  et  les  postes  français  situés  au-dessus,  il  forma 
un  parti  d'environ  trois  cent-cinquante  hommes,  qu'il 
mit  sous  le  commandement  de  M.  de  Léry.  Ce  déta- 
chement partit  de  Mont-réal,  le  17  mars  1756,  et  après 
avoir  traversé  un  immense  désert,  et  enduré  de  grandes 
fatigues,  il  arriva  à  la  vue  d'un  fort  en  pieux  debout, 
où  était  posté  un  lieutenant,  avec  vingt-cinq  hommes. 
De  Lery  fit  sommer  cet  officier  de  se  rendre  :  sur  son 
refus,  le  fort  fut  attaqué  avec  vigueur,  et  emporté  de 
vive  force.  La  plus  grande  partie  de  ceux  qui  le  défen- 
daient furent  massacrés  par  les  Sauvages,  malgré  les 
efforts  de  M.  de  Léry  et  des  Français,  pour  les  sauver. 

Cette  expédition  fut  suivie  d'une  autre,  sous  M.  de 


336  HISTOIRE 

Villiers,  le  même  dont  il  a  été  parlé  plus  haut.  Cet 
officier,  parti  de  Mont-réal,  à  la  tête  de  trois  cents 
hommes,  construisit,  à  quelque  distance  d'Ochouégo,  un 
fort  en  palissades,  tellement  entourré  d'épaisses  forêts, 
qu'il  fallait  en  être  tout  près,  pour  l'appercevoir  ;  ce 
qui  lui  donna  le  moyen  d'intercepter,  à  plusieurs  reprises, 
les  etfets  et  les  provisions  envoyés  d'Albany  à  Ochouégo. 

Sur  ces  entrefaites,  trente  députés  iroquois  arrivè- 
rent à  Montréal,  pour  assurer  le  gouverneur  général 
que  leur  nation  désirait  observer  la  neutralité  entre  les 
Français  et  les  Anglais,  et  le  prier  de  ne  lui  pas  fermer 
le  chemin  entre  Ochouégo  et  Mont-real. 

M.  de  Vaudreuil  leur  répondit,  que  la  coutume  de 
ses  guerriers  était  d'aller  chercher  leurs  ennemis  et  de 
les  combattre,  partout  où  ils  les  trouvaient  ;  mais  que, 
quant  à  la  nation  iroquoise,  tant  qu'elle  continuerait  à 
demeurer  neutre,  elle  n'aurait  rien  à  craindre,  de  leur 
part. 

Cependant,  la  plupart  des  postes  de  l'Ouest  avaient 
changé  de  commandans  :  Contrecœur  avait  été  rem- 
placé, au  fort  Duquesne,  par  M.  Dumas  :  Bienville 
ava-t  eu  pour  successeur,  au  Détroit,  M.  Demuy, 
capitaine  dans  les  troupes  de  la  colonie  ;  et  ce  dernier 
avait  été  remplacé  ensuite  par  M.  Picote'  de  Belestre, 
gentilhomme  canadien. 

Au  commencement  de  juillet,  il  arriva  à  Québec  un 
grand  corps  de  troupes,  sous  les  ordres  du  marquis  de 
MoNTCALM,  maréchal-de-carap,  du  chevalier  de  Levis, 
brigadier,  et  de  M.  de  Bourlamaque,  colonel.  Le 
marquis  die  Montcalm  monta  incontinent  à  Mont-réal, 
où  était  le  gouverneur,  afin  de  se  concerter  avec  lui, 
sur  les  opérations  de  la  campagne.  Il  approuva  fort 
qu'on  eût  envoyé  des  troupes  pour  bloquer  Ochouégo, 
ou  lui  couper  la  communication  avec  Albany  ;  et  après 


DU  CANADA.  337 

avoir  donné  les  ordres  qui  lui  parurent  nécessaires,  il 
se  rendit  au  fort  Frontenac,  pour  y  attendre  l'arrivée 
des  troupes  qui  montaient  de  Québec,  ainsi  que  des 
Canadiens  et  des  Sauvages,  qu'on  assemblait  à  Mont- 
réal. En  attendant,  il  fit  bloquer  l'embouchure  de  la 
rivière  d'Onnontagué  par  deux  vaisseaux  armés,  de  15 
à  20  canons,  commandés,  l'un  par  le  sieur  Laforce,  et 
l'autre  par  le  sieur  de  la Broqlerie.*  Il  envoya  aussi 
des  partis  de  Sauvages  en  différents  endroits,  sur  la 
route  d'Albany,  afin  d'ôter  aux  Anglais  tout  moyen  de 
communication. 

Les  troupes  attendues  arrivèrent  enfin,  et  le  4  août, 
Montcalm  se  mit  en  route,  par  eau,  avec  la  première 
division,  et  fut  joint,  deux  jours  après,  par  la  seconde, 
avec  l'artillerie  et  les  provisions.  M.  Rigaud  de  Vau- 
DREUiL,  gouverneur  des  Trois-Rivières,  avait  eu  ordre 
de  prendre  les  devans,  avec  un  corps  considérable  de 
Canadiens  :  il  arriva  le  7,  à  trois  lieues  d'Ochouégo,  et 
fut  joint,  le  10,  par  la  première  division.  Rigaud 
s'avança,  par  les  bois,  jusqu'à  une  demi-lieue  des  forts 
anglais,  (car  il  y  en  avait  deux,  à  l'embouchure  de  la 
rivière),  afin  de  favoriser  le  débarquement  du  princi- 
pal corps  d'armée.  Les  deux  divisions  s'y  étant  réunies, 
le  débarquement  se  fit,  le  12,  à  njinuit. 

Le  général  ayant  fait  ses  dispositions,  ouvrit  d'abord 
la  tranchée  devant  le  fort  nommé  Ontario.  La  garni- 
son fit  un  feu  soutenu,  le  13,  depuis  la  pointe  du  jour 
jusqu'à  six  heures  du  soir;  mais  alors  ses  munitions  se 
trouvant  épuisées,  elle  encloua  ses  canons,  et  se  retira 
au  fort  Ochouégo.  Aussitôt  que  Montcalm  se  fut 
apperçu  de  ce  mouvement,  il  fit  occuper  par  un  gros 
détachement  le  fort  abandonné.     Plusieurs  des  canons 

*Ces  ortil'iers  croisèrt-nt  aussi  sur  le  Isu-  Ontario,  t-t  y  prirent, 
ou  y  coulèrent  à  fond  plusieurs  goélettes  et  barges  anglaises. 
Ee 


338  HISTOIRE 

laissés  pax-  la  garnison  s'étant  trouvés  en  état  de  servir, 
on  les  dirigea  contre  l'autre  fort,  qui  était  le  plus  con- 
sidérable. Le  feu  de  ces  canons,  joint  à  celui  des 
batteries  qu'on  avait  érigées,  effectua  bientôt  une  brèche 
considéreble  dans  les  murs  du  fort  Ochouégo,  et  le  colo- 
nel Mercek,  qui  y  commandait,  ayant  été  tué,  la  gar- 
nison, forte  de  plus  de  1,200  hommes,  demanda  à  capi- 
tuler, à  la  condition  d'être  conduite  à  Mont-réal  prison- 
nière de  guerre  ;  ce  qui  lui  fut  accordé. 

La  perte  des  Anglais  fut  de  cent-cinquante  hommes, 
tués  et  blessés,  et  celle  des  Français  de  quarante.  Le 
colonel  Bourlamaque  fut  du  nombre  des  blessés.  Outre 
les  deux  forts,  sept  bâtimens  de  10  à  18  canons,  deux 
cents  bateaux,  plusieurs  pièces  d'artillerie,  et  une  grande 
quantité  de  provisions  de  bouche  et  d^effets  militaires 
tombèrent  au  pouvoir  des  Français.  Les  étendards 
pris  aux  Anglais  furent  suspendus,  comme  des  tropliées, 
dans  les  églises  de  Québec,  de  Mont-réal  et  des  Trois- 
Rivières.  Les  prisonniers,  au  nombre  de  1,200,  furent 
traités  avec  beaucoup  d'humanité,  à  Mont-réal,  et 
échangés,  avant  la  fin  de  l'année. 

La  victoire  d'Ochouégo  ajouta  beaucoup  à  la  réputa- 
tion que  le  marquis  de  Montcalm  s'était  déjà  faite  en 
Europe,  et  ne  contribua  pas  peu  à  entretenir,  à  augmen- 
ter même  le  goût  pour  la  guerre,  l'enthousiasme  militaire 
des  Canadiens.  Ce  général,  après  avoir  démoli  les 
forts  dont  il  venait  de  se  rendre  maître,  redescendit  à 
Mont-réal,  avec  ses  troupes. 

Par  la  destruction  des  forts  anglais  d'Ochouégo  et 
d'Ontario,  les  Français  devenaient  maîtres  de  tous  les 
grands  lacs  ;  les  communications  entre  les  Anglais  et  les 
Iroquois  se  trouvaient  coupées,  et  les  plantations  anglaises 
situées  sur  la  rivièi*e  Mohawk,  ou  des  Aguiers,  demeu- 
raient exposées  aux  ravages  des  alliés  sauvages  de  la 


DU   CANADA.  339 

colonie  française,  qui,  en  effet,  se  prévalurent  de  cet 
état  de  choses. 

Vers  l'automne,  le  fort  Grenville,  sur  les  frontières 
de  la  Pensylvanie,  fut  surpris,  pillé  et  brûlé  par  les 
Français,  qui  emmenèrent  prisonniers  les  soldats  et  les 
habitans. 

Pour  se  venger  de  cette  défaite,  et  des  fréquentes 
expéditions  déprédatoires  dont  ils  avaient  eu  à  souiFrir, 
les  habitans  des  frontières  de  la  Pensylvanie  et  de  la  Vir- 
ginie, formèrent  un  parti  d'environ  (juatre  cents  hommes, 
pour  aller  détruire  le  village  à'Astigné,  ou  Astigué,  sur 
rOhio,  d'où  ils  pensaient  que  la  plupart  de  ces  expédi- 
tions étaient  parties.  A  l'approche  des  Anglais,  les 
Sauvages  sortirent  du  village,  pour  aller  mettre  leurs 
femmes  et  leurs  enfans  en  sûreté  ;  mais  il  s'y  trouvait 
deux  officiers,  et  un  nombre  de  coureurs  de  bois,  ou  de 
voyageurs  canadiens,  qui  purent  le  défendre,  en  atten- 
dant le  retour  des  guerriers  sauvages.  Les  Anglais, 
étonnés  de  la  résistance  qu'ils  éprouvaient,  et  découragés 
par  la  perte  d'une  trentaine  d'entre  eux,  tués  aux 
premières  attaques,  se  mirent  à  fuir  par  les  bois.  Les 
Sauvages  les  poursuivirent,  et  en  tuèrent  encore  un 
grand  nombre. 

Cependant,  le  commandement  important  de  Beausé- 
jour  avait  été  donné  à  un  favori  de  l'intendant,  nommé 
DE  Vergor,  capitaine  des  troupes  de  la  marine,  mais 
dépourvu  de  courage,  de  jugement,  et  de  toute  espèce 
de  talent  ou  de  vertu.*  Ce  fort  fut  attaqué,  en  juin 
1755,  par  le  colonel  Monkton,  et  se  rendit  par  capitu- 
lation, après  quelques  jours  de  résistance.     Le  petit  fort 


*  Avant  de  partir  pour  la  Franco,  M.  Bigot  lui  avait  écrit  : 
"  Pi'otitez,  mon  l'hur  Veuguk,  de  votre  place  :  taille/,  roj^nez,  vous 
avez  tout  pouvoir;  afin  que  vous  puissiez  bientôt  venir  nie  joindre 
en  France,  et  acheter  un  bien  à  portée  de  moi."' 


340  HISTOIRK 

voisin  de  Gasparaux,  où  commandait  un  sieur  de  Vil- 
LERAY,  se  rendit,  quelques  jours  après,  aux  mêmes  con- 
ditions, dont  les  principales  étaient,  que  les  troupes 
seraient  transportées  à  Louisbourg^  et  que  les  Acadiens 
qui  avaient  combattu  avec  les  Français,  ne  seraient  pas 
inquiétés.  Cette  dernière  condition  n'empêcha  pas  le 
major  Scott,  laissé  commandant  à  Beauséjour,  d'in- 
quiéter ceux  de  l'endroit  et  des  environs.  Les  ayant 
invités  à  le  venir  trouver,  sous  le  prétexte  d'avoir  à  leur 
exposer  les  intentions  du  lieutenant  gouverneur,  il  leur 
demanda  leurs  armes,  qu'ils  lui  remirent,  et  un  serment 
de  fidélité  à  Georges  II,  qu'ils  refusèrent  de  prêter  : 
sur  quoi,  d'après  l'ordre  qu'il  en  avait  reçu  du  général 
Hopsox,  successeur  du  colonel  Corn-wallis,  il  les  fit 
envelopper  par  ses  soldats,  et  enfermer  comme  prison- 
niers. 

M.  de  Boisbébert,  qui  avait  brûlé  son  fort  de  Saint- 
Jean,  dans  la  crainte  de  ne  le  pouvoir  défendre,  s'il 
était  attaqué,  mais  qui  était  encore  dans  l'endroit, 
informé  de  ce  qui  se  passait  à  Beauséjour,  accourut,  avec 
le  peu  de  troupes  qu'il  commandait,  au  secours  des 
Acadiens  ;  et  ayant  réuni  ceux  qui  s'étaient  échappés 
du  fort,  ou  qui  n'avaient  pas  voulu  s'y  rendre,  il  leur 
donna  des  armes,  et  battit  avec  eux  les  Anglais,  en 
différentes  rencontres  ;  mais  il  ne  put  empêcher  qu'à 
la  fin,  ces  derniers  ne  brûlassent  toutes  les  habitations, 
et  ne  contraignissent  ceux  des  habitans  qu'ils  ne  purent 
joindre,  à  se  réfugier  dans  les  bois.  Le  plus  grand 
nombre  pourtant  de  ceux  de  Beauséjour  et  des  environs 
purent  se  retirer  dans  l'Ile  Royale,  dans  celle  de  Saint- 
Jean,  à  IMiramichi,  à  la  baie  des  Chaleurs  et  à  Québec  : 
mais  il  n'en  fut  pas  ainsi  de  ceux  de  Grand-Pré,  des 
Mines,  de  Port-Royal,  et  autres  endroits  de  la  presqu'île. 
L'émigration  d'une  partie  d'entre  eux  sur  le  territoire 


DU    CANADA. 


341 


de  la  France,  dans  la  vue  d'y  redevenir  sujets  de  cette 
puissance,  ou  de  n'être  pas  forcés  à  combattre  contre 
elle,  avait  inspiré  aux  autorités  la  méfiance  et  la  haine 
que  leur  avait  portées,  de  tout  temps,  la  population 
anglaise  de  la  Nouvelle  Ecosse,  particulièrement  à  cause 
de  la  différence  de  leur  langue  et  de  leur  religion.* 
Après  avoir  fait  tout  au  monde  pour  les  retenir  dans  la 
presqu'île,  et  leur  avoir  imputé  à  crime  la  simple  volonté 
d'émigrer,  comme  s'ils  avaient  été  des  serfs  attachés  à 
la  glèbe,  on  crut  que  la  partialité,  le  déni  de  justice 
même,  qu'ils  éprouvaient  parfois  de  la  part  des  tribunaux 
récemment  établis  dans  la  province,  ne  punissaient  pas 
suffisamment  ceux  qui  étaient  restés  de  la  faute  de  ceux 
qui  étaient  sortis,  et  l'on  se  permit  de  les  traiter,  et 
même  de  les  faire  traiter  par  des  agens  subalternes,  bien 
plutôt  en  esclaves  qu'en  citoyens. 

Déjà  le  général  Hopson,  avait  menacé  ceux  de 
Chibouctou,  ou  de  Port-Royal,  de  faire  tirer  sur  eux 
le  canon  de  la  ville,  pour  s'en  débarrasser  d'un  coup, 
s'ils  ne  prêtaient  pas,  sur-le-champ,  le  serment  qu'il 
exigeait  d'eux.f  Plus  tard,  Lawrence,  devenu  lieute- 
nant gouverneur  de  la  province,  donna  à  de  simples 
officiers  de  troupes  des  pouvoirs  discrétionnaires,  et  pour 
ainsi  dire,  illimités,  contre  leurs  biens  et  leurs  personnes.:^ 
Enfin,  on  leur  donna  à  entendre  qu'il  fallait  se  résoudre 
à  prêter  un  serment  qui  les  obligeât  à  combattre  et  contre 
les  Français,  leurs  compatriotes,  et  contre  les  Abénaquis 

*  As  Papists  and  Frenchnien,  their  submissions  never  guincd 
much  crédit  with  their  Prolestiiut  and  Eiiglish  masters,  bi/  whoin 
they  werc  both  hated  and  fe.ared. — IIalibukton,  Nova  Scotia, 

•]■  Mémoires  sur  le  Canada,  &c. 

!:  Thet/  were  informed  bi/  captain  JMcuu.vv,  at  Pusiqiud,  tliat 
ess  theij  supplicd  his  detatvhmcnt  wit/i  f'uil,  t/trir  Itouscs  nould  be 
iisedfor  that  purpose ;  or  that  if  t/ui/  J'ailcd  to  J'urnish  the  engineer 
with  timbcrfor  the  repair  «f  ,f)rt  l'>dwiird,  thcy  should  suffcr  immé- 
diate militari/  exécution." — M.  Hai.iuurton. 
Ee2 


342  HISTOIRE 

leurs  amis  et  alliés,  à  peine  d'éprouver  le  traitement  le 
plus  rigoureux.  Ce  serment  ayant  été  refusé,  il  fallut 
songer  à  mettre  la  menace  à  exécution,  et  l'on  fut 
quelque  temps  embarrassé  sur  le  Jnode  et  les  moyens,  vu 
la  position,  le  cas  particulier  des  Acadiens  :  "  ils  n'étaient 
pas  sujets  britanniques,  dit  l'historien  de  la  Nouvelle 
Ecosse,  M.  Haliburtox,  puisqu'ils  n'avaient  pas  prêté 
le  serment  de  fidélité  {allegiance),  et  ne  pouvaient  con- 
séquemment  être  regardés  comme  rebelles  ;  ils  ne  pou- 
vaient pas  non  plus  être  considérés  comme  prisonniers 
de  guerre,  ni  être  convenablement  envoyés  en  France  ; 
puisque,  depuis  près  d'un  demi-siècle,  on  leur  laissait 
leurs  possessions,  à  la  simple  condition  de  demeurer 
neutres."*  Enfin  on  se  détermina  aies  expatrier,  à  les 
déporter  en  masse  et  à  la  fois  ;  mais  avant  d'employer 
la  violence,  on  crut  pouvoir  recourir  aussi  à  la  ruse.  On 
adi'essa  aux  habitans  des  différents  établissemens  des 
espèces  de  proclamations  couchées  en  termes  aussi  vagues 
et  aussi  ambigus  que  possible,  leur  enjoignant  de  se 
rendre,  vieillards,  jeunes  gens,  et  enfans  au-dessus  de 
dix'ans,  à  jour  nommé,  à  leurs  églises  respectives,  pour 
y  entendre  ce  qu'on  avait  à  leur  communiquer  de  la 
})art  du  roi.  Après  qu'ils  eurent  entendu  les  reproches 
qu'on  avait  jugé  à  propos  de  leur  adresser,  on  leur 
annonça  que  leurs  terres,  leurs  bestiaux  et  autres  effets 
étaient  confisqués,  et  qu'ils  étaient  tous  condamnés  à  la 
déportation. 

"  L'impartialité  de  l'histoire,  dit  un  écrivain  moderne,f 
oblige  à  déclarer  que  quelques  hommes  avaient  encouru 
la   forfeiture,  en    cherchant    à    soulever  les  Micmacs, 

*  "  They  had  heen  suffered  for  nearhj  half  a  century  to  retain 
their  possessions  ;  and  their  neutrality  had  heen  accepttd  in  lieu  of 
their  allegiance." 

t  M.  Rocx  DE  Rochelle. 


DU   CANADA.  343 

qui  occupaient  une  contrée  de  l'Acadie,  et  en  les  exci- 
tant à  commettre  des  hostilités  sur  le  territoire  britan- 
nique ;*  mais  il  eût  été  équitable  de  ne  poursuivre 
que  les  provocateurs.  Au  lieu  de  se  borner  à  une  si 
juste  répression,  on  eut  la  cruauté  d'envelopper  dans  le 
même  exil  toute  la  population,  et  12,000  hommes  furent 
condamnés  à  chercher  un  refuge  hors  de  l'Acadie. 
La  plupart  furent  même  réduits  à  se  procurer  à  leurs 
fi'ais  les  moyens  de  transport  pour  s'expatrier  et  se 
disperser  dans  d'autres  colonies."  Il  en  périt  un  grand 
nombre;  encore  plus,  dit  Raynal,  de  cliagrin  que  de 
misère.  "  Cependant,  continue  l'écrivain  plus  haut 
cité,  il  y  eut  quelques  émigrations  plus  favorisées  ;  la 
cause  de  l'infortune  trouva  des  défenseurs  ;  la  bien- 
veillante pitié  des  citoyens  chercha  à  réparer  les 
rigueurs  du  gouvernement,  et  les  vertus  privées  donnè- 
rent une  leçon  à  la  politique." 

Plusieurs  navires,  après  avoir  inutilement  cherché 
des  lieux  d'asile,  ramenèrent  leurs  voiles  vers  la  baie 
de  Fundy,  et  abordèrent  aux  territoires  encore  possédés 
par  la  France.  Chassés  de  leurs  possessions  d'Acadie, 
ils  se  trouvaient,  ou  croyaient  se  trouver,  entièx'ement 
aft'ranchis  de  leurs  devoirs  de  neutralité  ;  ils  armèrent 
en  course  quelques  bâtlmens,  et  pendant  la  durée  de  la 
guerre,  ils  causèrent  au  commerce  maritime  des  colo- 
nies anglaises  de  nombreux  dommages.  Tous  ceux 
qui  purent  gagner  les  possessions  françaises  y  trouvè- 
rent les  secours  dus  à  leur  infortune.  On  leur  donna 
des  terres,  des  instrumens  d'agriculture  et  quelques 
bestiaux,  et  ils  recommencèrent  des  établissemens  où 


*  Les  Anglais  avaient  particulièrement  à  se  plaindre  de  dépré- 
dations etd'assassinatsciiinmispar  les  Sauvages,  dans  les  environs 
d'Halifax,  à  l'instigation  de  quelques  Aeadiens  aussi  dépourvus 
de  sens  que  d'humanité. 


344  HISTOIRE 

ils  devaient  être  troublt's,  après  quelques  années  d'é- 
preuves, par  de  nouveaux  cliangemens  de  domination. 

Les  Anglais  de  la  Nouvelle  Ecosse,  qui  avaient 
regardé  comme  nécessaire  à  leur  sûreté  le  bannissement 
des  anciens  colons,  étaient  d'autant  moins  disposés  à 
les  ménager,  qu'ils  s'attendaient  à  être  prochainement 
attaqués  par  l'escadre  de  Dubois  de  La  Mothe,  qui  se 
trouvait  dans  le  port  de  Louisbourg.  Une  flotte 
anglaise  de  vingt-deux  vaisseaux  de  ligne  et  de  sept 
fi'égates,  sous  les  ordres  de  l'amiral  Holburne,  avait 
paru,  le  19  août,  devant  la  même  rade;  mais,  au  lieu 
de  chercher  à  engager  le  combat,  elle  s'était  retirée 
vers  la  baie  de  Chibouctou,  et  le  25  septembre,  elle 
avait  éprouvé  une  violente  tempête  :  plusieurs  vaisseaux 
avaient  été  détruits,  ou  délabrés,  et  les  autres  avaient 
été  trop  maltraités  pour  qu'on  en  pût  attendre  quelque 
service. 

Dans  l'automne  de  1755,  une  partie  des  Acadiensqui 
s'étaient  retirés  à  Miramichi,  craignant  d'y  être  attaqués 
par  les  Anglais,  s'étaient  embarqués  pour  Québec,  sur 
les  bâtimens  qui  leur  avaient  porté  des  vivres. 

Dans  l'automne  de  1756,  d'autres  Acadiensde  Mira- 
michi, de  Beauséjour,  et  autres  lieux,  passèrent  aussi  à 
Québec,  pour  être  plus  en  sûreté,  et  dans  l'espoir  d'y 
trouver  tout  ce  qui  leur  serait  nécessaire.  Ils  étaient 
porteurs  d'un  mémoire,  où  parlant  pour  eux-mêmes  et 
pour  ceux  de  leurs  compatriotes  qui  étaient  restés  en 
Acadie,  ils  représentaient  au  marquis  de  Vaudreuil  :  Que 
leur  attachement  à  la  France  ne  pouvait  se  mieux  prou- 
ver que  par  le  rejet  des  offres  avantageuses  que  les 
Anglais  leur  avaient  faites  ;  qu'ils  étaient  réduits  à  un 
état  d'autant  plus  déplorable  qu'ils  n'y  voyaient  pas  de 
terme,  si  le  gouverneur  ne  venait  pas  promptement  à  leur 
secours,  et  ne  les  prenait  sous  sa  protection  ;  que  la 


DU   CANADA.  345 

cause  de  cet  état  déplorable  était  un  attachement  à 
la  France,  que  les  Anglais  n'avaient  jamais  pu  leur 
faire  perdre;  qu'ils  auraient  cru  se  déshonorer,  en  acquies- 
çant à  ce  que  les  Anglais  exigeaient  d'eux,  particulière- 
ment dans  un  temps  où  ils  étaient  en  guerre  avec  la 
France  ;  que  les  habitans  de  Beaubassin,  des  Mines,  et 
autres  villages,  étaient  ou  prisonniers  des  Anglais,  ou 
dispersés  dans  les  bois  ;  que  leur  premier  vœu  était  de 
se  venger  de  leurs  persécuteurs,  et  de  redevenir,  sous 
tous  les  rapports,  les  sujets  d'un  roi  qui  leur  était  devenu 
d'autant  plus  cher,  qu'il  avait  pris  soin  de  les  protéger, 
et  de  pourvoir  à  leurs  besoins,  en  toutes  occasions  ;  que 
leur  état  de  dénuement,  et  le  refus  constant  qu'ils 
avaient  fait  d'obéir  aux  autorités  anglaises,  en  ce  qui 
dépassait  leur  condition  de  neutralité,  parlaient  d'autant 
plus  hautement  en  leur  faveur,  qu'on  savait  que  c'était  en 
conséquence  de  leur  attachement  au  gouvernement  de 
France,  qu'ils  avaient  abandonré  leur  pays  natal  et  les 
biens  qu'ilsy  possédaient, pour  venir  s'établir,  au  nombre 
de  3,000,  à  Beauséjour,  Miramichi,  et  autres  lieux. 
Enfin,  tous  demandaient  à  être  regardés  et  traités  comme 
les  autres  sujets  américains  de  sa  majesté  Très-Chré- 
tienne. 

Et  certes  !  ils  étaient  bien  dignes  qu'on  eût  égard  à 
leur  prière,  et  qu'on  leur  accordât  leur  demande:  si 
c'est  bien  mériter  d'un  gouvernement,  que  de  lui  sacri- 
fier volontairement  ses  intérêts  privés  et  personnels, 
quels  sujets  méritèrent  mieux  que  les  Acadiens  de  celui 
de  France?  Sans  doute,  ce  gouvernement  eut  toujours 
pour  eux  de  la  bienveillance,  et  leur  donna  même  des 
preuves  d'une  sollicitude  particulière  ;  mais  il  n'en  fut  pas 
toujours  ainsi  de  ses  employés  dans  ce  pays  :  les  Acadiens 
réfugiés  éprouvèrent  assez  souvent,  de  leur  part,  ,du 
dédain,  de  la  dureté,  de  l'ingratitude  ;  quelquefois  môme 
des  procédés  iniques,  une  espèce  de  snoliation. 


346  HISTOIRE 

Ayant  reçu  de  France  l'ordre  de  défendre  les  fron- 
tières de  la  colonie,  et  d'agir  sur  l'offensive,  quand  il 
croirait  pouvoir  le  faire  avec  avantage,  M.  de  Yaudreuil 
envoya,  dans  le  cours  de  l'hiver,  plusieurs  partis  de 
Canadiens  et  de  Sauvages,  pour  reconnaître  le  pays,  sur 
les  frontières  des  colonies  anglaises.  Un  de  ces  partis, 
qui  avait  pénétré  au-delà  du  lac  Champlain,  revint 
avec  la  nouvelle  que  les  Anglais  étaient  occupés  à  for- 
tifier le  fort  George,  à  l'extrémité  du  lac  Saint- Sacre- 
ment, et  y  avaient  amassé  une  grande  quantité  de  muni- 
tions et  de  vivres.  Le  gouverneur  et  le  général  Mont- 
calm  furent  d'avis  qu'il  fallait  attaquer  le  fort,  avant  que 
les  ouvrages  fussent  achevés,  et  qu'il  y  eût  été  placé 
une  forte  garnison. 

Comme  il  n'y  avait  pas  de  temps  à  perdre,  on  forma 
en  diligence,  un  détachement  de  cent-cinquante  soldats, 
de  six  cent-cinquante  Canadiens  et  de  quatre  cents 
Sauvages.  Le  commandement  en  fut  confié  à  M. 
Rigaud  de  Yaudreuil,  frère  du  gouverneur,  et  on  lui 
donna  pour  second,  le  chevalier  de  LoxGrEiL,  lieutenant 
de  roi,  à  Québec.  Le  commandant  eut  pour  instruc- 
tions d'attaquer  le  fort  par  escalade,  et  s'il  était  repoussé, 
de  mettre  le  feu  aux  bateaux,  aux  magasins  et  aux 
bàtimens  qu'il  trouverait  auprès. 

Rigaud  partit  de  Mont-réal,  au  commencement  de 
mars,  et  campa,  le  17  du  même  mois,  derrière  une  colline, 
à  une  lieue  et  demie  du  fort  George.  Son  dessein  avait 
été  de  surprendre  la  garnison  ;  mais  n'y  ayant  pas 
réussi,  il  prit  le  parti  d'investir  le  fort.  En  même 
temps  qu'il  employait  une  partie  de  son  monde  à  amasser 
des  fascines,  il  posta  un  corps  de  Sauvages  sur  le  chemin 
du  fort  Edward,  afin  de  couper  la  communication  avec 
Albany.  Le  21,  il  somma  le  commandant  anglais  de  se 
rendre  ;  mais  celui-ci  répondit  qu'il  était  résolu  de  se 
défendre  jusqu'à  la  dernière  extrémité.     Désespérant  de 


DU    CANADA.  347 

pouvoir  emporter  le  fort  par  escalade,  Eigaud  se  vit 
contraint  de  s'en  tenir  à  la  seconde  partie  de  ses  instruc- 
tions: il  brûla  toutes  les  maisons  qu'il  y  avait  aux 
environs  du  fort,  l'hôpital,  les  magasins,  trente  bateaux, 
et  un  grand  nombre  de  chaloupes  ;  après  quoi,  il  reprit 
la  route  de  Mont-réal. 

Le  gouverneur  général  approuva  ce  qu'avait  fait  son 
frère,  et  vit,  dans  l'incendie  des  bateaux  et  des  maga- 
sins des  Anglais,  un  moyen  de  retarder  leurs  progrès, 
s'ils  avaient  dessein  d'attaquer  Carillon,  ou  la  Pointe 
de  la  Couronne.  Afin  de  mettre  les  forts  qu'il  y  avait 
en  ces  endroits,  dans  un  meilleur  état  de  défense,  M. 
de  Bourlamaque  y  fut  envoyé,  avec  deux  bataillons, 
pour  continuer  les  ouvrages,  et  s'assurer  de  la  commu- 
nication entre  les  deux  lacs.  Le  capitaine  Pouchot, 
du  régiment  de  Béarn,  fut  envoyé,  en  même  temps,  à 
Niagara,  avec  ordre  de  mettre  ce  fort  dans  le  meilleur 
état  de  défense  possible.  Cet  officier  envoya  aux  tribus 
du  Nord  et  de  l'Ouest  Tinvitation  de  faire  descendre 
leurs  chefs  à  Mont-réal,  pour  assister  à  un  grand  conseil 
qui  devait  s'y  tenir.  Elles  acquiescèrent  toutes,  et 
promptement,  à  l'invitation,  et  envoyèrent  à  Mont-réal, 
non  seulement  leurs  chefs,  mais  encore  un  grand  nom- 
bre de  leurs  guerriers.  Dans  l'audience  que  leur  donna 
M.  de  Vaudreuil,  il  leur  dit,  entre  autres  choses,  que 
les  Anglais  étaient  devenus  les  ennemis  du  grand 
Onontiiio,  leur  père  ;  qu'ils  avaient  bâti,  sur  le  terrain 
de  leur  père,  un  fort  qu'il  avait  reçu  l'ordre  de  détruire, 
et  qu'il  ne  doutait  pas  qu'ils  ne  fussent  d'eux-mêmes 
portés  à  l'aider,  dans  cette  entreprise.  Ils  lui  répondi- 
rent qu'ils  étaient  déterminés  à  se  conformer  à  sa 
volonté. 

Comme  l'entreprise  contre  le  fort  George  exigeait, 
pour  réussir,  plus  de  moyens  que  n'en  avait  eus  M.  de 


348  HISTOIRE 

Rigaud,  on  assembla,  à  Saint-Jean,  où  il  avait  été  bâti 
un  fort,  en  1749,*  des  troupes  et  des  milices  de  toutes 
les  parties  de  la  colonie.  Le  transport  des  vivres  et 
des  munitions,  qui  se  fit,  en  grande  partie,  par  bateaux, 
de  Mont-réal  à  Sorel,  et  de  là  à  Saint-Jean,  fut  encore 
pour  la  plupart  des  employés  corrompus  et  prévarica- 
teurs du  gouvernement,  un  moyen  de  s'enrichir  par 
toutes  sortes  de  fraudes  et  de  déceptions,  ou  plutôt  par 
le  pillage  de  l'argent  et  des  effets  du  roi. 

Le  chevalier  de  Lévis,  qui  commandait  à  Saint- 
Jean,  reçût,  le  3  juillet,  l'ordre  de  traverser  le  lac  Cham- 
plain,  pour  aller  joindre  le  marquis  de  Montcalra,  à  Ca- 
rillon (ou  Fort-  Vaudreuil),  où  ce  dernier  s'était  rendu, 
et  était  occupé  à  faire  ses  préparatifs,  pour  traverser 
le  lac  Saint- Sacrement.  Après  la  jonction,  l'armée  se 
trouva  forte  de  5,500  Français  et  Canadiens,  et  de  17 
à  1,800  Sauvages,  avec  trente-deux  pièces  de  canon  et 
cinq  mortiers.  C'était  la  plus  formidable  qui  eût  encore 
été  assemblée  en  Canada. 

Tandis  qu'on  se  préparait  à  aller  en  avant,  le  colonel 
Parker,  envoyé,  à  la  tête  de  quatre  cents  Anglais, 
pour  déloger  une  gai'de  avancée,  à  Carillon,  fut  ren- 
contré, sur  le  lac  George,  par  cinquante  Français  et 
trois  cents  Sauvages,  commandés  par  M.  de  Corbieres. 
Les  Anglais,  après  un  combat  de  courte  durée,  prirent 
la  fuite,  pour  gagner  la  terre  ;  mais  ils  furent  atteints 
et  taillés  en  pièces. 

Dans  le  même  temps,  le  capitaine  Marin,  qui  avait 
été  envoyé  vers  le  fort  Lydius,  avec  deux  cents  Sau- 
vages, attaqua  les  retranchemens  avancés,  et  enleva  un 
des  principaux  quartiers,  où  il  tua  deux  cents  hommes. 
Les  Anglais,  revenus  à  eux,  se  mirent  à  sa  poursuite, 
mais  il  leur  échappa. 

*  Sous  la  direction  d'un  ingénieur  du  nom  de  La  Mokandieke. 


DU   CAXAPA.  349 

Cependant  l'armée  s'ébranla:  le  29  juillet,  M.  tle 
Lévis  prit  sa  route,  par  terre,  avec  3,000  hommes: 
ensuite  le  reste  de  l'armée  s'embarqua  sur  quatre  cents 
bateaux  ou  canots.  M.  de  Lévis,  arrivé  le  premier 
près  des  retranchemens  des  Anglais,  occupa  les  défilés 
qui  conduisaient  à  l'endroit  où  l'on  avait  projette  de 
faire  le  débarquement,  et  en  même  temps,  un  gros  de 
vSauvages  assit  son  ciimp  sur  les  derrières  du  fort 
George,  pour  lui  couper  toute  communication  avec  le 
fort  Lydius.  A  la  faveur  de  ces  mesures,  la  descente 
se  fit,  le  5  août,  sans  opposition,  à  environ  une  demi- 
lieue  du  fort  George. 

Ce  fort  était  un  quarré  flanqué  de  quatre  bastions  : 
les  murs  en  étaient  formés  par  de  gros  troncs  de  sapins 
renversés,  et  soutenus  par  des  pieux  extrêmement  mas- 
sifs. Le  fossé  avait  de  dix-huit  à  vingt  pieds  de 
profondeur.  Ce  fort,  où  il  y  avait  entre  quatre  et  cinq 
cents  hommes,  et  une  vingtaine  de  canons,  était  pro- 
tégé par  un  rocher  élevé,  revêtu  de  palissades  assurées 
par  des  monceaux  de  pierres.  La  garnison  de  cette 
espèce  de  citadelle  était  de  17  à  1,800  hommes,  et  l'on 
ne  pouvait  l'attaquer  avec  l'artillerie  que  du  côté  de  la 
place,  à  cause  des  bois  touifus,  ou  des  marais  qui  en 
bordaient  les  avenues,  des  autres  côtés. 

Après  avoir  disposé  ses  troupes  comme  pour  com- 
mencer le  siège,  mais  avant  d'avoir  ouvert  la  tranchée, 
le  marquis  de  Montcalm  envoya  au  colonel  Monroe, 
commandant  de  la  place,  par  M.  Fontbrune,  son 
aide-de-camp,  une  lettre,  où  il  le  sommait  de  se  rendre, 
en  lui  disant,  qu'il  arrivait  avec  une  armée  nombreuse, 
un  train  considérable  d'artillerie,  et  un  grand  corps  de 
Sauvages,  dont  il  ne  pourrait  plus  restreindre  la  fureur, 
si  quelques  uns  d'eux  étaient  tués  ;  qu'il  lui  était  inu- 
tile d'entreprendre  de  défendre  sa  place,  dans  l'espoir 


350  niSTOïKE 

d'être  renforcé,  vu  qu'il  avait  pris  toutes  les  précautions 
pour  qu'aucun  secours  ne  pût  lui  arrivci",  et  qu'il  lui 
demandait  une  réponse  immédiate  et  décisive.  Le 
colonel  Monroe  lui  fit  réponse,  qu'il  craignait  peu  la 
barbarie,  et  qu'il  avait  sous  ses  ordres  des  soldats  déter- 
minés, comme  lui,  à  vaincre  ou  à  périr. 

Cet  officier  croyait  avoir  des  forces  suffisantes  pour 
résister  pendant  quelque  temps,  et  il  s'attendait  que  le 
général  Webb,  qui  était  à  peu  de  distance,  avec  4,000 
hommes,  attaquerait  Montcalm,  et  le  contraindrait  à 
lever  le  siège  de  son  fort,  ou  du  moins  parviendrait  à  y 
faire  entrer  des  secours.  L'inactivité  de  Webb  ne 
surprit  guère  moins  le  général  Français  que  le  colonel 
Monroe,  et  le  premier  en  profita  pour  pousser  le  siège 
avec  vigueur.  La  garnison  se  défendit  avec  bravoure; 
mais  au  bout  de  quatre  jours,  ayant  perdu  tout  espoir 
d'être  secouru,  et  voyant  ses  munitions  presque  épui- 
sées, le  commandant  demanda  à  capituler.  Les  princi- 
pales conditions  furent,  que  la  garnison  sortirait  avec 
les  honneurs  de  la  guerre,  et  serait  conduite  au  plus 
proche  des  forts  anglais,  par  une  escorte  de  cinq  cents 
hommes,  pour  la  mettre  à  couvert  des  insultes  et  de  la 
barbarie  des  Sauvages.  Malgré  cette  précaution,  ces 
barbares,  encore  plus  animés  de  l'amour  du  pillage  que 
de  celui  de  la  vengeance,  et  épiant  le  moment  favorable, 
celui  de  l'éloignement  du  corps  de  l'armée  française, 
tombèrent  sur  les  Anglais,  dans  la  route  pour  se  rendre 
au  fort  Edward,  et  en  massacrèrent  un  grand  nombre, 
en  dépit  des  effijrts  de  l'escorte  française,  obligée  elle- 
même  d'agir  avec  prudence  et  ménagement,  pour  éviter 
d'être  enveloppée  dans  le  massacre.  Les  Sauvages 
prétendirent  qu'on  leur  avait  promis  les  armes  et  le 
bagage  de  la  garnison  du  fort  George,  et  quand  ils 
virent  qu'elle  emportait  tout,  ils  résolurent  de  se  payer 


DU    CANADA.  351 

de  leurs  mains.  C'est  du  moins  ce  qu'ils  dirent,  pour 
s'excuser;  et  malheureusement,  leur  grand  nombre  et 
le  besoin  qu'on  avait  d'eux  empêchèrent  que  les  prin- 
cipaux coupables,  au  moins,  fussent  punis  comme  ils  le 
méritaient.  C'est  ce  qui  est  arrivi?,  toutes  les  fois  qu'on 
a  armé  les  Sauvages,  sans  être  assez  résolu,  ou  assez 
fort,  pour  les  contraindre  à  observer  les  lois  de  la 
guerre.* 

Tandis  que  quelques  milliers  de  braves  guerriers 
s'efforçaient  de  rcliauser,  dans  ce  pnys,  la  gloire  mili- 
taire de  leur  nation,  des  administrateurs  infidèles  sem- 
blaient avoir  pris  à  tâche  de  dilapider  ses  finances.    La 

*  "La  garnison,  au  lieu  de  sortir  tout  de  suite,  et  de  se  mettre 
en  cheniiii,  attendit  jusqu'au  lendemain.  Comme  on  avait  (im- 
prudemment) promis  le  piHaj^e  du  fort  à  1,500  Sauvages,  qui 
s'ctaient  ti'ouvcsùcfcttt»  pxn<'-<litii.ii,  i-^  reiard  leur  fit  penser  qu'où 
voulait  les  tromper.  Queiijues  uns  s'ennivrèrent,  sur  cette  idée, 
pondant  la  nuit.  Comme  ils  n'étaient  point  accoutumés  à  des 
capitulations,  en  voyant  sortir,  le  lendemain,  la  garnison  avec  ses 
fc.T;;ts,  ils  se  crurent  tout  de  bon  ti'ompés  :  ils  se  jettèrent  dessus, 
en  massacrèrent  quelques  uns,  et  en  firent  des  prisonniers,  et 
pillèrent  tout.  En  vain,  les  généraux  voulurent-ils  s'y  opposer: 
il  fallut  cacher  ces  infortunés  au  mi'ieu  des  troupes  françaises, 
et  dans  les  tentes  ;  encore  en  vinrent-ils  tuer  inhumainement,  au 
milieu  de  ceux  qui  s'étaient  rendus  leurs  protecteurs.  Cette  action 
(des  Sauvages)  passa  pour  détestable,  et  elle  l'est  en  eftet;  mais  ^ 
il  ne  faut  l'attriliuer  ni  à  M.  de  ]Munt('AI.:\i,  ni  aux  autres  généraux, 
mais  au  peu  do  diseipliue  que  7.1.  de  Vauduiuu.  mettait  parmi 
les  Sauvages  :  il  leui  permettait  tout  ;  qualité  qu'il  tenait  de  sou 
père,  comme  de  les  croire  absolument  uécessaires." — Mémoires, 
etc. 

Après  ce  passage  d'un  écrivain  qui,  d'ordinaire,  voit  tout  en 
beau  chez  les  An;,lais,  et  trouve  tout  mal  chez  ses  compatriotes, 
on  ne  doit  pas  être  moins  indigné  que  surpris,  on  lisant  une  note 
où  il  est  dit,  que  "les  généraux  français  négligèrent,  ou  même 
refusèrent,  pendant  le  massacre,  de  prendre  les  précautions  stipu- 
lées parla  capitulation,  pour  sîiuver  la  vie  des  prisonniers,"  et  que 
"ni  les  officiers,  ni  les  troupes  françaises,  ne  leur  donnèrent 
aucune  prolection."  Le  ténungnage  de  l'historien  de  la  Nouvelle 
York,  M.  Smitii,  invoqué  ici,  peut  être  apprécié  à  sa  juste  valeur, 
quand  il  affirnu"  que  Munteahn  avait  11,000  hommes  de  troupes  ; 
et  M.  C'auvkr,  (]ui  "  fut  fuit  prisonnier  dans  cette  afi'aire."  et  qui 
"n'échappa  ([ii'avec  la  plus  grande  ditViculié,"'  conmient  le  put-il 
faire,  si  ce  ne  fut  par  la  protection  des  officiers  français  ? 


352  HISTOIRE 

corruption,  qui  avait  commencé  à  marcher,  le  front 
levé,  sous  l'administration  de  M.  de  La  Jonquière,  ne 
sut  plus  où  s'arrêter,  sous  celle  du  marquis  de  Vau- 
dreuil.  L'exemple  donné  par  des  fonctionnaires  indi- 
gnes, fut  suivi  par  une  partie  des  commandans  des 
postes  militaires,  dont  quelques  uns  allèrent  jusqu'à 
présenter  des  comptes  pour  des  articles  qu'ils  n'avaient 
point  fournis,  et  qui  leur  furent  néanmoins  payés,  par 
ordre  de  Tintendant.  De  là  cette  énorme  quantité  de 
papier-monnaie,  ou  d'ordonnances,  dont  le  pays  se 
trouva  comme  inondé,  en  1 760.  Nous  regrettons  d'avoir 
à  ajouter,  que  le  débordement  de  Louis  XV  et  de  ses 
courtisans,  était  imité,  comme  à  l'envi,  par  l'intendant 
et  par  une  partie  des  employés  publics,  au  grand  scan- 
dale de  la  population  canadienne,  et  particulièrement 
de  celle  des  villes  de  Québec  et  de  Mont-réal. 

Il  n'y  eut  aucun  événement  militaire  remarquable, 
depuis  la  prise  du  fort  George  jusqu'au  siège  de  Louis- 
bourg.  Cette  place,  qui  avait  été  bloquée,  en  1757, 
par  une  escadre  anglaise,  aux  ordres  de  l'amiral  Lou- 
DOUN,  fut  attaquée  et  prise,  dans  l'été  de  l'année 
suivante.  Ce  fut  le  2  juin  1758,  dit  Raynal,  à  qui  nous 
empruntons,  en  grande  partie,  ce  récit,  qu'une  flotte 
composée  de  vingt-trois  vaisseaux  de  ligne  et  de  dix- 
huit  frégates,  qui  portaient  16,000  hommes  de  troupes 
agguerries,  jetta  l'ancre  dans  la  baie  de  Gabarus,  à  une 
demi-lieue  de  Louisbourg.  Comme  il  était  démontré 
qu'un  débarquement  fait  à  une  plus  grande  distance  ne 
pouvait  sei'vir  de  rien,  parce  qu'il  aurait  été  impossible 
de  transporter  l'artillerie  et  les  autres  choses  nécessaix-es 
pour  un  grand  siège,  on  s'était  attaché  à  le  rendre 
impraticable,  au  voisinage  de  la  place.  L'assaillant 
vit  la  sagesse  des  mesures  qui  lui  annonçaient  des 
difficultés  et  des  périls  :  il  crut  alors  devoir  appeller  h\ 


DU    CANADA.  353 

ruse  à  son  secours,  et  pendant  que,  par  une  ligne  pro- 
longée, il  menaçait  et  couvrait  toute  la  côte,  il  descendit 
en  force  sur  le  rivage  de  l'anse  au  Cormoran. 

Cet  endroit  était  faible  de  sa  nature  ;  mais  les  Fran- 
çais l'avaient  étayé  d'un  bon  parapet,  fortifié  par  des 
canons,  dont  le  feu  se  soutenait,  et  par  des  pierriers 
d'un  gros  calibre.  Derrière  ce  rempart  étaient  2,000 
bons  soldats  et  quelques  Sauvages.  En  avant,  il  y 
avait  un  abattis  d'arbres  si  serré,  qu'on  eût  eu  bien  de 
la  peine  à  y  passer,  quand  même  il  n'aurait  pas  été 
défendu.  Cette  espèce  de  palissade,  qui  cachait  tous 
les  préparatifs  de  défense,  ne  paraissait,  dans  l'éloigne- 
ment,  qu'une  plaine  verdoyante. 

C'était  le  salut  de  la  colonie,  si  l'on  eût  laissé  à  l'as- 
saillant le  temps  d'achever  son  débarquement,  et  de 
s'avancer,  dans  la  confiance  de  ne  trouver  que  peu 
d'obstacles  à  forcer.  Alors,  accablé,  tout-à-coup,  par 
le  feu  de  l'artillerie  et  de  la  mousqucterie,  il  eût  infail- 
liblement péri  sur  le  i-ivage,  ou  dans  la  précipitation  du 
rembarquement.  Cette  perte  inopinée  aurait  pu  rom- 
pre le  fil  de  tous  ses  projets  :  mais  l'impétuosité  fran- 
çaise fit  échouer  toutes  les  précautions  de  la  prudence  : 
à  peine  les  Anglais  eurent-ils  fait  quelques  mouvemens. 
pour  s'approcher  du  rivage,  qu'on  se  hâta  de  découvrir 
le  piège  où  ils  devaient  être  pris.  Au  feu  brusque  et 
précipité  qu'on  fit  sur  leurs  chaloupes,  et  plus  encore  à 
l'empressement  qu'on  eut  de  déranger  les  branches 
d'arbres  qui  masquaient  les  forces  qu'on  avait  tant 
d'intérêt  à  cacher,  ils  devinèrent  le  péril  où  ils  allaient 
se  jetter.  Dès  ce  moment,  revenant  sur  leurs  pas,  ils 
ne  vii'ent  plus  d'endroit  pour  descendre,  qu'un  seul 
rocher,  qui  même  avait  paru  jusqu'alors  inaccessible. 
Le  brigadier  Wolfe,  quoique  fortement  occupé  du  soin 
if2 


354  HISTOIRE 

de  faire  rembarquer  ses  troupes,  fit  signe  au  major 
Scott  de  s'y  rendre. 

Cet  officier  s'y  porta  aussitôt,  avec  les  soldats  qu'il 
commandait.  Sa  chaloupe  étant  arrivée  la  première, 
et  s'étant  enfoncée,  au  moment  où  il  mettait  pied  à 
terre,  il  grimpa  tout  seul  sur  le  rocher.  Il  espérait  y 
trouver  cent  des  siens,  qu'on  y  avait  envoyés,  depuis 
quelques  heures  ;  il  n'y  en  avait  que  dix.  Avec  ce 
petit  nombre  d'hommes,  il  ne  laissa  pas  de  gagner  le 
haut  du  rocher.  Les  Français  lui  tuent  deux  hommes 
et  lui  en  blessent  deux  autres  mortellement  ;  mais  mal- 
gré sa  faiblesse,  il  se  soutient  dans  ce  poste  important, 
à  la  faveur  d'un  épais  taillis.  Enfin,  ses  intrépides 
compagnons  bravant,  pour  le  joindre,  et  le  courroux  de 
la  mer  et  le  feu  du  canon,  achèvent  de  le  rendre  maître 
de  la  seule  position  qui  pouvait  leur  assurer  la  descente. 

Dès  que  les  Français  virent  l'assaillant  solidement 
établi  sur  le  rivage,  ils  prirent  l'unique  parti  qui 
leur  restait,  celui  de  s'enfermer  dans  les  murs  de  la 
ville.  Les  fortifications  de  Louisbourg  manquaient  de 
solidité  :  les  revêtemens  des  différentes  courtines  étaient 
entièrement  écroulés.  Il  n'y  avait  qu'une  casemate  et 
et  un  petit  magasin  à  l'abri  des  bombes.  La  garnison 
qui  devait  défendre  la  place  n'était  que  d'environ  3,000 
hommes,  non  compris  les  soldats  de  marine. 

Le  capitaine  Desherbiers  parvint  à  jetter  quelques 
secours  dans  la  place  ;  mais  l'artillerie  anglaise  ayant 
mis  le  feu  à  un  des  vaisseaux  français,  l'incendie  se 
communiqua  aux  autres,  et  le  port  n'offrit  plus  qu'un 
bassin  désolé  et  couvert  de  débris  flottants. 

Malgi'é  ces  désavantages,  les  assiégés  se  déterminè- 
rent à  la  plus  opiniâtre  résistance.  Pendant  qu'ils  se 
défendaient  avec  cette  fermeté,  les  grands  secours  qu'on 
leur  faisait  espérer  pouvaient  arriver,  et  à  tout  évène- 


DU    CANADA.  355 

ment,  ils  préservaient  le  Canada  de  toute  invasion, 
pour  le  reste  de  la  campagne.  Qui  croirait  que  tant 
de  résolution  fut  soutenue  par  le  courage  d'une  femme  ? 
Madame  de  Drucourt,  continuellement  sur  les  rem- 
parts, la  bourse  à  la  main,  tirant  elle-même  trois  coups 
de  canon,  par  jour,  semblait  disputer  au  gouverneur, 
son  époux,  la  gloire  de  ses  fonctions.  Rien  ne  décou- 
rageait les  assiégés,  ni  le  mauvais  succès  des  sorties 
qu'ils  tentèrent,  à  plusieurs  reprises,  ni  l'habileté  des 
opérations  concertées  par  l'amiral  Boscawen  et  le 
major-général*  Amiierst.  Ce  ne  fut  qu'à  la  veille  d'un 
assaut  impossible  à  soutenir,  qu'on  parla  de  se  rendre. 
La  garnison  de  Louisbourg  devait  être  prisonnière  de 
guerre,  et  conduite  en  Angleterre.  Sa  perte,  en  tués 
et  blessés,  n'était  pas  considérable.  Celle  des  assié- 
geans,  suivant  Jefferys,  fut  de  moins  de  deux  cents 
hommes  tués,  et  d'environ  trois  cent-cinquante  blessés. 
Dans  la  capitulation  de  Louisbourg  furent  comprises 
l'île  du  Cap-Breton  et  celle  de  Saint-Jean.  Le  gou- 
verneur de  cette  dernière,  qui  ne  se  croyait  pas  lié  par  la 
capitulation  de  Louisbourg,  fit  d'abord  quelque  résis- 
tance, dans  le  fort  qui  la  défendait  ;  mais  il  se  rendit 
ensuite  au  lieutenant-colonel  Rollo,  par  une  nouvelle 
capitulation,  en  vertu  de  laquelle,  les  habitans  de  l'île 
devaient  reraetti'e  leurs  armes  au  commandant  anglais, 
et  être  ensuite  transportés  en  France,  aux  frais  de 
l'Angleterre.  Ces  habitans,  la  plupart  Acadiens  réfu- 
giés, étaient  au  nombi'e  d'environ  4,000,  répartis  en 
ditférents  endroits  de  l'ile.  Ils  j  vivaient  presque  tous 
dans  l'aisance,  et  plusieurs  récoltaient  jusqu'à  1,200 
minots  de  bled,  par  année.  Le  nombre  de  leurs  bêtes 
à  cornes  était  de  plus  de  10,000.      Québec   était  un 

*  Maréchal-de  camp,  ou  général  de  dinsion. 


356  HISTOIRE 

marché  sûr  pour  le  surplus  de  leurs  grains  et  de  leurs 
viandes  de  boucherie,  et  la  perte  de  l'ile  Saint-Jean  ne 
contribua  pas  peu  à  augmenter  la  disette  de  vivres  en 
Canada. 

Dès  le  commencement  de  l'année  1758,  le  marquis 
de  Vaudi'euil  avait  reçu  avis  qu'un  gros  corps  de 
troupes  anglaises  s'assemblait  à  Albany,  sous  le  com- 
mandement du  général  Akercrombie,  dans  la  vue 
d'attaquer  Carillon.  Comme  la  possession  de  ce  poste 
important  n'était  pas  à  négliger,  il  envoya  des  renforts 
au  marquis  de  Montcalm,  qui  était  toujours  dans  ces 
quartiers.  Ces  renforts  arrivèrent  à  Cai'illon,  le  20 
juin.  Le  1er  juillet,  le  général  fit  prendre  les  devans 
à  jM.  de  Bourlamaque,  avec  les  régimens  de  la  Reine, 
de  Guienne  et  de  Béarn,  et  les  suivit,  avec  ceux  de  la 
Sarre,  de  Languedoc  et  de  Eoussillon,  et  le  premier 
bataillon  de  Berry,  jusqu'à  la  Chute,  où  il  campa.  Le 
second  bataillon  de  Berrj,  et  plusieurs  compagnies  de 
Canadiens  furent  laissés  au  fort,  comme  garnison. 

Le  lendemain,  2  juillet,  M.  de  Bourlamaque  reconnut 
les  montagnes,  à  la  gauche  du  camp,  et  forma  deux 
compagnies  de  volontaires,  sous  les  capitaines  Bernard 
et  DrPRAT,  pour  être  envoyées  en  avant,  et  obtenir 
avis  de  l'approche  de  l'armée  anglaise,  qui  était  alors  à 
l'autre  extrémité  du  lac  George.  Le  5,  un  de  ces 
partis  donna  avis  que  l'armée  d'Abercrombie  s'était 
embarquée  pour  descendre  le  lac.  Cette  armée  consis- 
tait en  6,0('0  hommes  de  troupes  réglées,  et  12,000  de 
troupes  provinciales.  Aussitôt  que  le  signal  de  son 
embarquement  eut  été  donné,  le  colonel  Bourlamaque 
détacha  le  capitaine  de  Trepezee,  avec  trois  cents 
hommes,  pour  épier  ses  mouvemeus. 

Le  6,  on  apperçut  Tavant-garde  de  l'armée  anglaise, 
et  à  son  approche  du  portage,  Bourlamaque  retraita, 


DU    CANADA.  357 

pour  rejoindre  Montcalni,  qui  avait  pris  possession  des 
hauteurs,  où  l'ingénieur  en  chef  PoNT-LE-lîOY  avait  érigé 
des  retranchemens,  et  fait  faire  un  grand  abattis  d'ar- 
bres. Dans  sa  retraite,  le  détachement  de  Trépézée, 
qui  s'égara,  fut  rencontré  par  un  plus  fort  détachement 
d'Anglais,  commandé  par  lord  IIowE.  Il  s'en  suivit 
un  combat,  où  le  commandant  anglais  fut  tué,  mais  où 
les  Français  furent  défaits,  avec  perte  d'un  grand  nom- 
bre de  morts  et  de  blessés,  et  de  cent-cinquante  prison- 
niers.    M.  de  Trépézée  y  fut  blessé  mortellement. 

Le  8  au  matin,  toute  la  garnison  fut  sous  les  armes  : 
les  régimens  de  la  Reine,  de  Guienne  et  de  Béarn 
étaient  postées  à  la  droite,  sous  les  ordres  de  M.  de 
Lévis,  qui  venait  d'arriver  sur  les  lieux  ;  ceux  de  1;^ 
Sarre  et  de  Languedoc,  et  deux  forts  piquets,  à  la 
gauche,  Sôus  M.  de  Bourlamaque.  Le  centre,  où 
s'était  placé  le  marquis  de  Montcalm,  se  composait  des 
régimens  de  Roussillon  et  de  Berry,  et  de  plusieurs 
j)iquets.  Les  volontaires  attachés  à  l'armée  avaient 
pris  position  dans  les  bois  ouverts,  entre  la  rivière  et 
la  chute.  Les  troupes  de  la  colonie  et  les  Canadiens 
étaient  postées  derrière  les  retranchemens  érigés  dans 
la  plaine,  et  étaient  soutenus  par  un  corps  de  réserve, 
composé  des  huit  compagnies  de  grenadiers  et  de  plu- 
sieurs piquets.  Ces  dispositions  faites,  l'armée  attendit 
avec  impatience  l'arrivée  des  Anglais. 

Vers  midi,  on  entendit  le  feu  commencer  sur  les 
gardes  avancées,  qui  se  replier. nt,  en  bon  ordre,  sur 
le  régiment  de  la  Sarre,  et  bientôt,  les  Anglais  arri- 
vèrent, en  quatre  colonnes,  formées  de  14,000  hommes, 
trois  sur  la  hauteur,  et  une  sur  le  penchant  de  la  cote. 
Celle  de  la  droite  attaqua,  la  première,  la  gauche  des 
Français.  La  colonne  du  penchant  de  la  côte,  qui 
venait  presque  en  front  dos    Canadiens,    après   avoir 


S58  HISTOIRE 

essuyé  leur  pi'emière  et  leur  seconde  décharge,  se  replia 
entièrement  sur  la  régiment  de  la  Reine,  en  montant 
la  colline,  pour  forcer  ses  retranchemens.  Cette  colonne 
essuya  le  feu  du  régiment  de  la  Reine,  en  tête,  et  celui 
des  Canadiens,  en  écharpe.  Le  combat  ne  fut  nulle 
part  plus  meurtrier  qu'en  cet  endroit.  Les  Canadiens, 
divisés  en  quatre  brigades,  commandées  par  MM.  Ray- 
mond, DE  Saint- Ours,  de  Lanaudiere  et  de  Gaspe', 
alternativement,  firent  des  sorties  sur  cette  colonne,  en  la 
prenant  par-derrière,  et  lui  tuèrent  beaucoup  de  monde. 

Déjà  le  combat  était  devenu  général,  sur  toute  la 
ligne  :  les  Anglais  se  précitaient  sur  les  retranchemens 
avec  la  fureur  la  plus  aveugle  :  inutilement  on  les  fou- 
droyait, du  haut  du  parapet,  sans  qu'ils  pussent  se 
défendi'e;  inutilement,  ils  tombaient  enfilés,  embarrassés, 
dans  les  tronçons  au  travers  desquels  leur  fougue  les 
avait  emportés:  tant  de  perte  ne  faisait  qu'accroître 
cette  rage  effrénée.  Elle  se  soutint  pendant  plus  de 
quatre  heures,  et  leur  coûta  près  de  4,000  hommes  tués 
ou  blessés,  avant  qu'ils  abandonnassent  une  entreprise 
aussi  téméraire. 

Sur  les  quatre  heures,  le  feu  se  rallentit  un  peu  :  le 
général  Abercrombie  avait  laissé  une  réserve  de  6,000 
hommes  à  la  Chute  :  il  en  fit  venir  5,000,  qui,  joints 
aux  autres,  recommencèrent  un  combat  désespéi'é  ;  mais 
la  défense  ne  fut  pas  moins  opiniâtre  que  la  première 
fois.  Enfin,  voyant  qu'il  n'y  avait  pour  lui  aucune 
espérance  de  succès,  et  que  s'opiniâtrer  plus  longtems, 
c'était  s'exposer  à  une  entière  défaite,  le  général  anglais 
prit  le  parti  d'ordonner  la  retraite.  Les  derniers  des 
Anglais  qui  tinrent  ferme  furent  ceux  de  la  colonne  du 
penchant  de  la  côte,  et  ce  furent  les  Canadiens,  sortis 
de  leurs  retranchemens,  qui  eurent  l'honneur  de  les 
mettre  en  pleine  retraite. 


DU    CANADA.  *     359 

La  perte  des  Français  fut  d'environ  cinq  cents  hommes 
tués  ou  blessés,  et  celle  des  Anglais  d'environ  4000: 
il  en  fut  enterré  de  14,  à  1,500,  dans  les  retrancbemens 
et  dans  les  bois  voisins.  Le  marquis  de  Montcalm  ne 
parut  jamais  plus  grand  que  dans  cette  journée:  il  se 
montrait  partout,  avec  un  air  gai  et  assuré,  et  s'exposait, 
comme  le  simple  soldat,  au  plus  grand  danger,  en  faisant 
mouvoir  sa  réserve,  pour  fortifier  les  endroits  qui  lui 
paraissaient  les  plus  faibles.  MM.  de  Lévis  et  de  Bour- 
lamaque  y  donnèrent  aussi  des  pi'euves  éclatantes  de 
bravoure  et  d'iiabileté.  Ce  fut  M.  de  Lévis  qui  dirigea 
les  mouvemens  des  Canadiens  contre  la  colonne  de 
gauche  des  Anglais.  M.  de  Bourlamaque  fut  blessé 
grièvement. 

L'armée  française  n'était  pas  composée  de  plus  de 
4,000  hommes,  au  commencement  de  l'action,  et  elle  se 
trouvait  diminuée  de  cinq  cents  :  celle  des  Anglais  était 
encore  de  13  à  14,000  hommes:  aussi  s'attendait-on  à 
la  voir  revenir,  le  lendemain  ;  mais  on  apprit  que  le 
général  Abercrombie  avait  fait  rembarquer  ses  troiipes, 
à  la  hâte,  et  s'était  retiré,  avec  elles,  à  l'extrémité  du 
lac  George. 

La  victoire  de  Carillon  ne  dédommagea  pas  les  Fran- 
çais de  la  perte  de  Louisbourg  ;  mais  elle  retarda  peut- 
^tre  d'un  an  encore  l'envahissement  du  Canada. 

Le  général  Abercrombie  renonça  au  projet  de  se 
rendre  maître  de  Carillon  et  de  Saint-Frédéric,  mais  il 
accueillit  favorablement  la  proposition  que  lui  fit  le 
colonel  Bradstuekt  d'attaquer  le  fort  de  Frontenac. 
M.  Faykn  de  Noyax,  qui  conmiandait  à  ce  poste,  ayant 
eu  avis  qu'il  allait  être  attaqué,  envoya,  en  diligence, 
demander  au  gouverneur  un  renfort  de  troupes.  M. 
de  Vaudrcuil  fit  partir  1,500  hommes  de  milices,  sous 
le  commandement  de  M.  Duplessis-Fabert  ;  mais  à 


360    *  HISTOIRE 

peine  cet  officier  était-il  arrivé  à  la  Chine,  qu'il  apprit 
que  (le  Noyan  s'était  rendu.  Bradstreet  ayant  tra- 
versé le  Saint-Laurent,  le  25  août,  à  la  tête  de  3,000 
homme?,  s'établit  d'abord,  à  cinq  cents  verges  du  fort 
Frontenac,  s'en  approcha  ensuite,  en  s'emparant  d'un 
retranchement  abandonné,  et  battit  la  place  avec  tant 
d'effet,  qu'au  bout  de  trois  jours,  la  garnison,  que  la 
maladie  ou  la  désertion  avait  réduite  à  cent-vingt 
hommes,  fut  contrainte  de  se  rendre  prisonnière  de 
guerre.  Le  fort  Frontenac  contenait  des  canons,  des 
petites  armes,  des  munitions  et  des  vivres  pour  une 
grosse  garnison.  Les  Anglais  y  trouvèrent  encore  une 
grande  quantité  de  marchandises  destinées  au  commerce 
avec  les  Sauvages,  et  s'emparèrent  d'une  huitaine  de 
vaisseaux  de  10  à  18  canons,  qu'on  n'avait  pas  eu  la  pré- 
caution de  faire  éloigner,  ou  qui  manquaient  d'hommes 
pour  la  manœuvre.*  Après  avoir  démantelé  la  place, 
brûlé  les  vaisseaux,  et  détruit  les  effets  qu'il  ne  pouvait 
pas  emporter,  Bradstreet  retraversa  le  fleuve,  et  alla 
rejoindre  son  général. 

Aussitôt  que  le  gouverneur  général  eut  été  informé 
que  les  Anglais  s'étaient  éloignés  de  Catarocouy,  il  y 
envoya  un  détachement  de  troupes  et  l'ingénieur  Pont- 
le-Roy,  avec  ordre  de  rebâtir  le  fort.  Il  fit  partir,  en 
même  temps,  un  autre  détachement,  sous  le  capitaine 
DE  MoxTiGNY,  pour  renforcer  la  garnison  de  Niagara, 
et  prêter  main-forte,  s'il  était  nécessaire,  à  M.  de 
Ligneris,  successeur  de  M.  Dumas,  au  fort  Duquesne. 


*  "  Cet  endroit  était  l'entrepôt  général  de  toutes  les  fournitures 
des  postes  des  paj's  d'en  haut  :  cela  seul  le  rendait  de  conséquence, 
et  aurait  dû  mériter  l'attention  du  marquis  de  Vaudreuil,  si  les 
intérêts  du  roi  lui  eussent  été  chers.  En  vain,  lui  avait-on  repré- 
senté l'importance  de  ce  poste,  demandé  qu'on  le  fit  fortifier,  et 
qu'on  y  prit  garde." — Mémoires,  §"c. 


DU    CANADA.  361 

Mais  pour  ce  dernier  poste,  le  renfort  ne  fut  pas  envoyé 
à  temps,  ou  n'était  pas  assez  considérable. 

Dès  la  fin  de  juillet,  le  brigadier  Forbes  était  parti 
de  Pliiladelphie,  avec  un  gros  corps  de  troupes  réglées. 
Il  fut  joint,  en  route,  par  un  corps  de  troupes  provin- 
ciales, sous  le  colonel  Washington  ;  continua  à  s'avancer 
à  l'ouest;  fit  jonction,  à  Raystoxcn,  avec  le  colonel 
Bouquet,  qui  commandait,  en  cet  endroit,  et  se  trouva 
à  la  tête  de  7  à  8,000  hommes.  Bouquet,  envoyé  en 
avant,  avec  2,000  hommes,  s'arrêta  à  seize  ou  dix- 
eept  lieues  du  fort  Duquesne,  et  détacha  le  major 
GiîANT,  avec  huit  cents  hommes,  pour  en  aller  recon- 
naître les  approches. 

Les  Français,  avaient  été  instruits,  de  bonne  heure, 
de  tous  ces  mouveraens,  et  s'étant  placés  en  ambuscade, 
ils  attaquèrent  Grant,  à  l'iniproviste,  le  défirent,  et  le 
firent  prisonnier,  avec  trois  cents  de  ses  gens,  après  lui 
en  avoir  tué  ou  blessé  un  égal  nombre. 

Cet  échec  n'affaiblissait  pas  assez  l'armée  anglaise, 
pour  donner  à  Ligncris  la  confiance  de  pouvoir  lui  résis- 
ter, dans  son  fort  ;  aussi  se  hâta-t-il  de  se  retirer,  avec 
sa  garnison,  dès  qu'il  sut  que  Forbes  allait  arriver.  Le 
général  anglais,  en  prenant  possession  du  fort  Duquesne, 
en  changea  le  nom  en  celui  de  fort  Pitt,  ou  Pittsburg. 
Il  y  laissa  une  forte  garnison,  et  s'en  retourna  à  Phila- 
delphie. 

La  prise  des  forts  Frontenac  et  Duquesne  ne  permit 
plus  au  marquis  de  Vaudreuil  de  douter  que  le  but  du 
gouvernement  anglais  ne  fut  l'anéantissement  de  la  puis- 
sance française  en  Amérique.  Il  adressa  aux  capitaines 
de  milice  une  circulaire,  oii  il  leur  indiquait  la  conduite 
qu'ils  devaient  tenir,  et  ordonna  que  toute  la  population 
luâle,  depuis  l'âge  de  seize  ans  jusqu'à  celui  de  soixante, 
fut  enrôlée  et  prête  à  marcher,  au  premier  avis.     Les 


362  HISTOIRE 

ordres  du  gouverneur  furent  exécutés,  de  point  en  point; 
mais  il  était  moins  difficile  de  trouver  des  soldats  que 
des  vivres,  pour  les  nourrir  :  les  devoirs  militaires  aux- 
quels les  cultivateurs  étaient  soumis,  augmentèrent 
encore  la  disette,  qui  se  faisait  sentir  depuis  l'automne 
de  1755,  où  l'on  avait  été  contraint  de  réduire  la  ration 
de  pain  et  de  viande  des  troupes  du  roi,  et  où  il  j  avait 
eu,  à  Québec,  une  espèce  d'émeute,  surtout  parmi  les 
femmes,  en  conséquence  de  la  rareté  du  pain  et  des 
viandes  de  boucherie.  La  récolte  de  1758  fut  très 
médiocre,  et  les  réquisitions  de  grains,  que  faisait  le 
gouvernement,  augmentèrent  encore  la  cherté  du  bled. 
Quoique  l'intendant  en  eût  fixé  le  prix  à  douze  francs, 
le  minot,  les  particuliers  ne  pouvaient  s'en  procurer  à 
moins  de  trente  six  à  quarante  francs.  Ce  n'était  même 
qu'avec  beaucoup  de  difficulté  que  le  gouvernement 
pouvait  en  obtenir  pour  les  troupes,  quelque  peu  qu'il 
leur  en  fallût,  après  la  diminution  delà  ration  ;  diminu- 
tion, à  laquelle  elles  ne  s'étaient  soumises,  ainsi  qu'à 
l'obligation  de  manger  de  la  chair  de  cheval,  qu'après 
une  mutinerie  qui  aurait  pu  avoir  des  suites  fâcheuses, 
mais  qui  fut  appaisée,  dès  le  principe,  par  la  prudence 
et  la  fermeté  du  chevalier  de  Lévis.  Durant  l'hiver  de 
1758  à  1759,  on  fut  obligé  d'augmenter  la  paie  des 
officiers,  et  de  mettre  une  partie  des  soldats  en  quartiers, 
chez  les  habitans  des  campagnes. 

D'après  le  recensement  qui  fut  fait,  au  mois  de 
janvier,  le  nombre  des  hommes  en  état  de  porter  les  armes 
était  de  7,411,  dans  le  gouvernement  de  Québec;  de 
6,405,  dans  celui  de  Mont-réal,  et  de  1,313,  dans  celui 
des  Trois-Rivières  ;  faisant  un  total  de  15,229  mili- 
ciens. 

Pendant  le  reste  de  l'hiver,  une  grande  partie  des 
troupes  et  des  milices  furent  employées  à  la  réparation 


DU    CANADA.  363 

et  à  l'approvisionnement  des  différentes  garnisons  de  la 
colonie. 

Le  gouverneur  reçut,  par  le  colonel  de  Bor gain- 
ville,  qui  arriva  à  Québec,  le  14  mai,  la  confirmation  de 
l'avis  qu'il  avait  déjà  reçu,  que  le  dessein  du  gouverne- 
ment anglais  était  d'attaquer  le  Canada,  par  terre  et  par 
mer.  Il  lui  était  ordoliné  de  faire  les  meilleui'cs  dispo- 
sitions possibles,  pour  la  défense  de  la  colonie,  à  défaut 
des  secours  qu'on  ne  pouvait  pas  lui  envoyer. 

M.  de  Bougainville  était  porteur  des  nouvelles  pro- 
motions pour  les  principaux  officiers  de  la  colonie  :  le 
marquis  de  Vaudreuil  était  nommé  grand-croix  de  l'ordre 
de  Saint-Louis  ;  le  marquis  de  Montcalm,  commandeur 
du  même  ordre  et  lieutenant-général  ;  le  chevalier  de 
Lévis,  maréchal-de-camp  ;  MM.  Bourlamaque  et  Sen- 
NEZERGUES,  brigadiers,  et  M.  Dumas,  major-général  et 
inspecteur-général  des  troupes  de  la  marine. 

Le  20  mai,  M.  de  Vaudreuil  émana  une  proclamation, 
dans  laquelle,  après  avoir  enjoint  aux  capitaines  des 
milices  de  tenir  leurs  compagnies  prêtes  à  marcher, 
au  premier  ordre,  il  disait,  entre  autres  choses,  aux  habi- 
tans  : 

"Que la  prochaine  campagne  fournirait  aux  Canadiens 
l'occasion  de  se  signaler;  que  sa  majesté  connaissait  la 
confiance  qu'il  avait  en  eux,  et  qu'il  n'avait  pas  manqué 
de  l'informer  des  services  qu'ils  avaient  rendus  ;  que 
le  roi  ne  doutait  pas  qu'ils  ne  fissent  tous  les  efforts 
qu'on  pouvait  attendre  de  sujets  fidèles,  d'autant  plus 
qu'ils  auraient  à  mettre  leur  religion,  leurs  femmes  et 
leurs  enfans  à  l'abri  du  cruel  traitement  qu'ils  éprouve- 
raient, de  la  part  des  Anglais,  qui  portaient  contre  eux 
la  haine  jusqu'à  les  rendre  responsables  des  cruautés  des 
Sauvages  ;  qu'il  avait  la  satisfaction  de  pouvoir  dire  qu'il 
n'appréhendait  nullement  pour  le  salut  de  la  colonie  ; 


364  HISTOIRE 

mais  que  cependant  il  prendrait  les  mesures  les  plus 
efficaces,  pour  mettre  en  sûreté  les  biens  et  les  droits 
des  habitans." 

Quelques  jours  après,  les  milices  du  gouvernement 
de  Québec  eurent  ordre  de  se  rendre  dans  les  environs 
de  la  capitale.  H  fut  assigné,  dans  les  bois,  des  endroits 
particuliers,  où  les  vieillards,  les  femmes  et  les  enfans 
devaient  se  retii'er,  avec  les  bestiaux,  à  l'approche  de  la 
flotte  anglaise.  Afin  que  cette  approche  fût  connue 
aussitôt  que  possible,  il  fut  établi  trois  postes  à  signaux, 
le  premier,  sur  l'île  du  Portage,  sous  la  direction  de  M. 
de  Lérj  j  le  second,  à  Kamouraska,  sous  celle  de  M.  de 
MoNTESsoK,  et  le  troisième,  sur  l'île  d'Orléans,  sous 
celle  de  M.  de  L^v>'audiere. 

Dans  un  grand  conseil  de  guerre,  tenu  à  Mont-réal, 
pour  aviser  aux  moyens  de  défendre  efficacement  la 
colonie,  il  fut  arrêté  qu'un  corps  de  troupes,  sous  le 
marquis  de  Montcalm  et  deux  officiers  généraux,  MM. 
de  Lé  vis  et  de  Sennezergues,  serait  posté  à  Québec  ; 
que  iM.  de  Bourlamaque  se  rendrait  à  Carillon,  avec 
ordre  de  détruire  les  fortifications  et  de  descendre  le  lac, 
dans  le  cas  de  l'approche  des  Anglais,  pour  s'établir  à 
Vite  aux  Koix,  et  y  faire  face  à  l'ennemi,  afin  de  l'em- 
pôcher  de  pénétrer  dans  le  pays  ;  que  les  petits  forts  de 
la  Présentation  et  de  la  Point r  au  Baril*  seraient  aban- 
donnés, comme  incapables  de  défense  ;  mais  qu'un  déta- 
chement de  huit  cents  hommes,  sous  M.  de  La  Corne,  se 
rendrait  incessament  à  la  tête  des  rapides,  pour  y  élever 
de  forts  retranchemens.f 

*  Construit  en  1758,  à  trois  lieues  de  celui  de  la  Présentation, 
mais  sur  la  rive  opposée  du  Saint-Laurent. 

•f  Arrivé  à  la  tête  des  rapides  La  Corne  "  se  porta  sur  Vlh  avx 
Galops,  qui  en  est  l'entrée  :  c'est  un  endroit  où  l'eau,  par  uno 
pt'nte  forte  se  précipite,  et  forme  en  bas  de  sa  chute,  un  clapotago 
qui  pourrait  faire  périr  des  canots  qui  ne  seraient  pas  bien  gou- 


DU    CANADA.  365 

Ces  résolutions  furent  aussitôt  mises  à  exécution.  A 
son  arrivée  à  Québec,  le  général  Montcalm  ordonna  que 
les  troupes  et  les  milices  fussent  employées  à  élever  des 
retranchemens  à  Beauport.  II  ne  négligea  rien  de  ce 
qui  pouvait  mettre  la  capitale  dans  le  meilleur  état  de 
défense  possible  :  il  assui'a  la  communication  de  la  vjlle 
basse  à  la  haute,  par  une  forte  palissade,  et  y  fit  élever 
une  plate-forme,  sur  laquelle  furent  placés  des  canons, 
pour  enfiler  la  rue.  Une  batterie  érigée  derrière  l'Evé- 
chc  fut  étendue  de  chaque  côté,  et  jointe  par  une  forte 
palissade,  qui  se  prolongeait  sur  le  penchant  de  la 
colline. 

Il  fut  érigé  plusieurs  batteries  pour  la  défense  de  la 
basse  ville,  et  toutes  les  communications  avec  le  fleuve 
furent  barricadées.  Saint-  Roch  et  le  palais  de  l'inten- 
dant furent  entourrés  d'une  palissade  et  protégés  par  de 
petites  batteries.  On  établit  une  batterie  de  gros  canons 
sur  deux  vaisseaux,  qui  fm'cnt  calés  dans  la  rivière 
Saint- Charles,  et  l'on  érigea  une  redoute,  près  du  gué, 
où  l'on  avait  construit  un  pont  de  bateaux.  Il  fut  cons- 
truit une  batterie  flottante  de  dix-huit  canons  et  plusieurs 
brûlots,  pour  harrasser  et  tenter  d'incendier  la  flotte 
anglaise,  et  toutes  les  bouées  et  autres  marques,  pour  la 
navigation  du  fleuve,  furent  enlevées. 

La  garde  des  batteries  dé  là  basse  ville  fut  confiée  à 
un  détachement  de  troupes  de  la  colonie,  sous  les  ordres 
de  M.  Vaudain,  lieutenant  de  marine.  Il  fut  formé 
un  petit  corps  de  cavalerie,  dont  le  commandement  fut 
donné  à  M.  de  la  Roche-Beaucourt,  aide-de-camp 
du  marquis.de  Montcalm.     Enfin,  la  milice  de  Québec 

verncs.  Il  fit  faire  des  retranchemens  sur  l'île,  entre  laquelle  et 
la  grande  terre  est  cette  chute.  Il  est  surprenant  qu'on  ne  se  fût 
pas  jusqu'alors  appcrçu  qu'on  pouvait  passer  autre  part." — 
mémoires,  Sfc. 

Gg2 


266  HISTOIRE 

fut  formée  en  compagnies,  et  eut  ordre  de  se  tenir  prête 
à  agir,  au  premier  avis. 

Le  conseil  de  guerre  dont  nous  venons  de  parler,  fît 
rapport  d'un  plan  de  campagne,  dont  les  principales 
dispositions  étaient  comme  suit  : 

"  La  brigade  de  Québec,  composée  de  3,500  hommes, 
et  commandée  par  M.  de  Saixt-Ours,  campera  sur  la 
droite  :  la  brigade  des  Trois-Rivières,  forte  de  neuf 
cent-vingt  hommes,  sous  le  commandemant  de  M.  De- 
LORiiE,  campera  aussi  sur  la  droite,  à  la  gauche  de  la 
brigade  de  Québec  :  la  milice  de  Mont-réal,  consis- 
tant eu  1,500  hommes,  sous  les  ordres  de  M.  Prud'- 
H0-M51E,  campera  à  la  gauche  des  forces  précédentes,  et 
la  brigade  de  la  ville  et  de  l'Ile  de  Mont-real,  forte  de  2,300 
hommes,  sous  le  commandement  de  M.  Hercin,  formera 
la  gauche  de  la  ligne.  La  réserve  se  composera  de  la 
cavalerie,  (au  nombre  de  trois  cent-cinquante  hommes), 
des  troupes  légères,  composées  d'un  choix  des  troupes 
de  la  colonie  et  de  quelques  volontaires  acadiens,  (for- 
mant 1,400  hommes),  et  des  Sauvages,  au  nombre  de 
quatre  cent-cinquante  ;  formant  un  total  de  2,200 
hommes,  sous  les  ordres  de  M.  de  Boishébert. 

"  L'artillerie,  les  etfets  et  provisions,  sous  la  direction 
de  M.  IMercier,  seront  placés,  ainsi  que  la  réserve, 
dans  les  endroits  qui  pai'aitront  les  plus  convenables, 
selon  qu'ils  leur  seront  assignés.  La  milice  de  Québec, 
composée  de  six  cent-cinquante  hommes,  sera  laissée 
en  garnison  dans  la  ville,  sous  le  commandement  de  M. 
DE  RAAiSAr,  Ueutenant  de  roi.  Les  équipages  des 
autres  vaisseaux  qui  seront  désarmés  et  deviendront 
inutiles,  entreront  dans  la  ville,  pour  y  être  employés 
aux  batteries.  Tous  les  vaisseaux,  bateaux,  etc.,  seront 
aux  ordres  de  M.  VauclaIx,  commodore  de  la  baie, 
qui  les  emploiera  de  la  manière  qui  lui  paraîtra  la  plus 
avantageuse,  d'après  l'exigeance  des  cas. 


DU    CANADA.  367 

"  Les  dispositions  pour  s'opposer  à  la  descente  seront 
celles-ci  :  l'armée  passera  la  rivière  de  Snint-Cliarles  : 
la  droite,  composée  des  brigades  de  Québec  et  des 
Trois-Rivières,  campera  dans  la  plaine,  depuis  la  redoute 
de  la  Canardière  jusqu'à  celle  de  l'embouchure  de  la 
petite  rivière  de  Beauport.  Les  deux  brigades  retran- 
cheront le  front  de  leur  camp,  pour  le  mettre  à  l'abri  du 
canon  de  J'ennemi.  Les  troupes  de  ligne,  formant  le 
centre  de  l'armée,  camperont  sur  les  hauteurs  de  Beau- 
port,  et  le  long  du  chemin  qui  suit  la  petite  rivière  de 
ce  nom.  La  gauche,  composée  des  brigades  de  la  ville 
et  du  gouvernement  de  Mont-réal,  campera  à  la  gauche 
de  l'église  de  Beauport,  et  s'étendra  le  long  du  sommet 
de  la  grande  escarpe,  ou  côte  élevée,  qui  règne  sur  les 
derrières  de  cette  paroisse.  La  réserve  se  postera  sur 
le  niveau  de  la  chute  de  Montmorency,  et  étendra  sa 
droite  le  long  de  la  hauteur  dont  on  vient  de  parler, 
afin  de  joindre  la  gauche  de  la  ligne.  Dans  cette  posi- 
tion, l'armée  retranchei'a  la  totalité  de  son  front,  pour 
se  mettre  à  couvert  de  l'artillerie  de  l'assaillant.  On 
fortifiera  aussi  les  endroits  qui  paraîtront  propres  ;\ 
servir  de  communication  avec  le  corps  principal." 

Dans  le  cas  où  la  retraite  deviendrait  nécessaire, 
après  une  défaite,  l'armée  principale  devait  traverser  la 
rivière  Saint-Charles,  au  pont  de  bateaux,  et  la  réserve 
suivre  le  chemin  de  Charlesbourg,  et  même  se  retirer 
jusqu'à  Lorette,  si  elle  était  trop  pressée  pai*  les  enne- 
mis, en  tenant  ferme,  à  chaque  défilé,  afin  de  retarder 
leurs  progrès.  Tout  ce  qu'il  y  avait  à  faire,  dans  ce 
cas  extrême,  est  également  détaillé,  dans  le  rapport  du 
conseil  de  guerre,  où  l'on  paraît  avoir  prévu  tout  ce 
qui  se  pouvait  faire  de  mieux,  avec  le  peu  de  forces 
que  l'on  avait,  soit  pour  l'attaque,  soit  pour  la  défense, 
ou  enfin  pour  la  retraite.     Le  but  principal  était  d'em- 


368  HISTOIRE 

pêcher  que  Québec  ne  tombât  au  pouvoir  des  Anglais  ; 
car  on  était  bien  convaincu  que  du  sort  de  la  capitale 
dépendait  celui  de  toute  la  colonie. 

Ce  n'était  pas  assez  d'avoir  fait,  ou  ordonné  les  meil- 
leures dispositions,  et  assemblé  le  plus  de  soldats  et  de 
miliciens  qu'il  avait  été  possible,  il  fallait  encore  trou- 
ver le  moyen  de  nourrir  ces  troupes  :  c'était  principale- 
ment l'affaire  de  l'intendant,  et  il  faut  convenir  qu'il  y 
mit  un  zèle  plus  qu'ordinaire.  Pour  rencontrer  moins 
de  difficultés,  dans  l'achat  du  bled,  il  emprunta,  sur  sa 
garantie  personnelle,  afin  de  le  pouvoir  payer  en  argent, 
et  au  prix  courant,  au  lieu  de  le  payer  en  ordonnances, 
et  à  un  prix  déterminé  par  lui,  comme  il  avait  fait  pré- 
cédemment. Il  écrivit  une  circulaire  aux  curés  de  la 
campagne,  pour  les  induire  à  vendre  eux-mêmes  le 
bled  qu'ils  avaient  reçu  pour  dîmes,  et  à  exhorter  leurs 
paroissiens  à  vendre  au  gouvernement  ce  qu'ils  en 
avaient  de  reste.  Plusieurs  citoyens  se  firent  un  devoir 
de  seconder  l'intendant  dans  ses  efforts,  et  particulière- 
ment M.  d'Eschambault,  agent  de  la  compagnie 
des  Indes,  qui  offrit  généreusement  tout  l'argent  qu'il 
possédait,  et  alla  même,  en  personne,  dans  différentes 
paroisses,  afin  d'y  acheter  du  bled  et  de  la  farine  pour  les 
troupes. 

L'escadre  qui  devait  remonter  le  Saint-Laurent,  avec 
les  troupes  destinées  à  mettre  le  siège  devant  Québec, 
avait  fait  voile  d'Angleterre,  vers  la  fin  de  février,  sous 
les  ordres  des  amiraux  Saunders  et  Holmes.  Cette 
escadre  arriva  devant  Louisbourg,  le  21  avx*il  :  mais  le 
port  était  encore  tellement  embarrassé  de  glaces,  qu'elle 
fut  obligée  de  relâcher  à  Halifax.  Le  contre-amiral 
DuRELL  en  fut  détaché,  avec  quelques  frégates,  pour 
le  Saint-Laurent,  qu'il  avait  ordre  de  remonter  jusqu'à 
l'Ile  aux  Coudres,  afin  d'intercepter  tous  les  secours  ou 


DU    CANADA.  369 

approvisionnemens  qui  auraient  pu  être  envoyés  de 
France  pour  Québec  ;  mais  lorsqu'il  arriva  à  l'endroit 
qui  lui  avait  été  assigné,  une  flotte  de  dix -sept  navires, 
portant  des  effets  militaires,  des  provisions  de  bouche, 
et  quelques  recrues,  était  déjà  entrée  dans  le  port  de 
Québec,  sous  convoi  de  trois  frégates. 

L'amiral  Saunders  étant  revenu  à  Louisbourg,  afin 
d'y  embarquer  les  troupes  qui  n'étaient  pas  nécessaires 
pour  la  garnison  de  cette  place,  mit  à  la  voile,  pour  le 
Saint-Laurent,  et  remonta  ce  fleuve,  sans  accident, 
jusqu'à  l'Ile  d'Orléans,*  Les  troupes  de  terre,  com- 
mandées par  le  major-général  Wolfe,  ayant  sous  lui  lea 
brigadiers  Monkton,  Townsend  et  Murhay,  débarquè- 
rent sur  cette  île,  le  27  juin,  et  aussitôt,  le  commandant 
anglais  fit  répandre,  parmi  les  Canadiens,  un  manifeste, 
portant,  en  substance:  "Que  le  roi,  son  maître,  juste- 
ment irrité  de  la  conduite  du  monarque  français,  avait 
fait  un  armement  considérable,  pour  humilier  son  or- 
gueil, en  lui  enlevant  les  principales  de  ses  possessions 
en  Amérique  ;  que  ce  n'était  point  aux  industrieux 
paysans,  non  plus  qu'à  leurs  femmes,  à  leurs  enfans  et 
à  leur  religion,  qu'il  prétendait  faire  la  guerre  ;  qu'au 
contraire,  illei'r  offrait  sa  protection,  et  leur  promettait 
de  les  maintenir  dans  la  possession  de  leurs  biens,  et 
le  libre  exercice  de  leur  culte  religieux,  pourvu  qu'ils 
se  tinssent  tranquilles,  et  ne  prissent  point  part  au 
différent  qui  s'était  élevé  entre  les  deux  couronnes  ; 
que  la  neutralité  était  pour  eux  le  parti  le  plus  sage 
et  le  plus  sûr,  vu  que  les  Anglais  étaient  maîtres  du 

*  Kn  arrivant  à  YUe  aux  Coiulres,  l'amiral  y  avait  dôbarqué 
dos  troupes,  et  aviiit  imivoj'Ô  sonder  la  buio  Saint-Paul.  "  Le 
sieur  I)eskivii;ki;s,  Canadien,  à  la  tète  de  queiiines  milices  et 
Sauvages  abénaquis,  se  glissa,  sans  être  appcrçu,  dans  l'ile,  oii  il 
se  mit  on  ambuscade.  Trois  officiers  anglais  étant  venus  à  che- 
Tal,  sans  se  défier  de  rien,  turent  faits  prisonniers," 


370  HISTOIRE 

Saint-Laurent,  et  pouvaient  empêcher  qu'il  ne  leur 
arrivât  aucun  secours  de  France,  et  qu'une  autre  armée 
anglaise,  sous  le  général  Amherst,  attaquerait  bientôt 
le  pays,  du  côté  de  terre  ;  que  les  cruautés  exercées 
par  les  Sauvages  alliés  des  Français  sur  les  sujets  de 
sa  majesté  britannique,  l'autoriseraient  à  user  de  repré- 
sailles sur  les  habitaus  du  Canada  ;  mais  qu'il  espérait 
qu'ils  ne  l'obligeraient  pas  à  en  venir  à  des  mesures  vio- 
lentes, en  rejettant  les  avantages  qu'il  leur  offrait." 

Ce  manifeste  ne  produisit  pas,  pour  lors,  le  moindre 
effet,  siu*  l'esprit  des  Canadiens;  ils  n'en  furent  ni 
moins  disposés  à  affronter  les  périls,  les  fatigues  et  tous 
les  inconvéniens  de  la  guerre,  ni  moins  attachés  à  leur 
gouvernement,  quelles  que  vexations  qu'ils  eussent 
éprouvées,  depuis  peu,  de  la  pai-t  de  quelques  uns  de 
ses  employés.  Il  faut  convenir  aussi,  que  le  point  de 
vue  sous  lequel  ils  pouvaient  envisager  le  traitement 
fait  aux  colons  français  de  l'Acadie  et  à  ceux  de  l'île 
Saint-Jean,  n'était  pas  propre  à  leur  inspirer  beaucoup 
de  confiance  dans  les  promesses  du  général  anglais  ;  et 
l'on  ne  doit  pas  être  surpris,  comme  le  parait  être  M. 
Smith,  qu'ils  aient  mieux  aimé  abandonner  leurs  habi- 
tations et  exposer  leurs  famiUes  à  la  ruine,  que  d'adopter 
un  plan  qui  devait  leur  paraître  bien  moins  prudent 
que  pusillanime,  et  indigne  de  toute  leur  conduite 
passée. 

Montcalm  avait  posté  un  détachement  de  troupes, 
avec  du  canon,  à  la  Pointe  Lévj,  dans  l'inter.tion  de 
harasser  la  flotte  anglaise,  lorsqu'elle  arriverait  à  la 
hauteur  de  cette  place.  Le  commandant  anglais  n'eut 
pas  plutôt  été  informé  du  fait,  qu'il  détacha  le  brigadier 
Monkton,  avec  quatre  bataillons,  pour  déloger  les  Fran- 
çais. Monkton  traversa  la  rivière,  de  nuit,  et  fit  son 
attaque,  dès  la  pointe  du  jour.     Les  Français  furent 


DU   CANADA.  371 

forc(!'3  de  se  retirer,  et  le  poste  fut  aussitôt  occupé  par 
les  Anglais. 

Montcalm  se  doutant  que  le  but  du  général  anglais, 
en  s'établissant  sur  cette  hauteur,  était  d'y  ériger  une 
batterie  de  canons  et  de  mortiers,  pour  battre  la  ville,  y 
envoya  un  parti  de  1,600  hommes,  pour  attaquer  et 
détruire  les  ouvrages  commencés,  avant  qu'ils  fussent 
achevés.  Mais  la  confusion  se  mit  parmi  ces  troupes  ; 
les  soldats  tirèrent,  les  uns  sur  les  autres,  et  le  détache- 
ment retraversa  le  fleuve,  dans  le  plus  grand  désordre. 
La  batterie  de  mortiers  et  de  canons  fut  érigée,  et 
bientôt,  la  basse  ville  no  fut  plus  qu'un  monceau  de 
ruines. 

Les  troupes  anglaises  étaient  à  peine  débarquées  sur 
l'île  d'Orléans,  qu'il  s'éleva  une  tempête  furieuse:  quel- 
ques uns  des  plus  gros  vaisseaux  chassèrent  sur  leurs 
ancres  ;  plusieurs  bâtimens  de  transport  perdirent  leurs 
agrès,  et  un  nombre  de  vaisseaux  plus  petits  coulèrent 
à  fond,  ou  se  brisèrent,  l'un  contre  l'autre.  Profitant 
de  l'obscurité  de  la  nuit,  et  du  désordre  de  la  flotte 
ennemie,  le  général  français  fit  partir  huit  brûlots,  pour 
la  réduire  en  cendres.  Hommes  et  vaisseaux  eussent 
infailliblement  péri,  si  roi)ération  avait  été  conduite  avec 
le  courage,  le  sang-froid  et  l'intelligence  qu'elle  exigeait  ; 
mais  ceux  qui  en  avaient  été  chargés  ne  possédaient 
aucune  de  ces  qualités,  ou  du  moins,  ne  les  réunissaient 
pas  toutes.  Impatients  d'assurer  leur  retour  à  terre,  ils 
mirent  beaucoup  trop  tôt  le  feu  aux  bâtimens  dont  ils 
avaient  la  dii-ection.  Aussi  les  Anglais,  avertis  à  temps 
du  danger  qui  les  menaçait,  vinrent-ils  à  bout  de  s'en 
garantir,  par  leur  audace  et  leur  activité.  Ils  touèrent 
les  brûlots  sur  le  rivage,  où  ils  brûlèrent  à  fleur  d'eau, 
et  il  ne  leur  en  coûta  que  deux  faibles  navires.  On 
essaya   quelques  cageux  d'artifice,  commandés  par  le 


372  HISTOIEE 

sieur  de  Courval,   Canadien,  qui  ne  réussirent  paa 
mieux. 

Le  général  Wolfe  traversa,  le  9  juillet,  de  l'île  d'Or- 
léans sur  la  côte  du  nord,  et  campa  à  la  gauche  des 
Français,  sur  la  rive  gauche  de  la  rivière  de  Montmo- 
rency. Il  espérait  qu'en  montant  le  long  de  cette  rivière, 
il  pourrait  la  traverser  à  gué,  et  attaquer  Montcalm, 
avec  plus  d'avantage  que  dans  ses  retranchemens.  Mais 
le  général  français,  qui  avait  reconnu  la  rivière  Mont- 
morency, avait  eu  la  précaution  d'élever  des  retranche- 
mens, à  l'endroit  du  gué,  le  seul  qui  offrît  un  passage 
praticable.  Le  détachement  que  Wolfe  y  envoya  fut 
attaqué,  deux  fois,  dans  sa  route,  et  contraint  de  s'en 
retourner,  après  avoir  perdu  une  cinquantaine  d'hommes. 

Le  général  anglais,  voyant  peu  d'apparence  de  succès, 
de  ce  côté,  passa  devant  Québec,  le  18  juillet,  avec 
quelques  vaisseaux  portant  des  troupes,  afin  de  recon- 
naître les  bords  du  fleuve,  du  côté  de  cette  ville,  et  voir 
s'il  n'y  trouverait  pas  un  endroit  favorable  à  la  descente. 
Ayant  trouvé  partout  la  côte  inaccessible,  entre  Québec, 
et  le  Cap  Rouge,  il  se  contenta  d'envoyer  le  colonel 
Carletox  à  la  Pointe  aux  Trembles,  où  on  lui  avait 
dit  qu'il  y  avait  des  magasins  d'armes  et  de  munitions, 
et  s'en  retourna  découragé,  et  désespérant  presque  du 
succès  de  l'entreprise  contre  la  capitale  du  Canada. 

Cependant,  les  généraux  Prideaux  et  Johnson 
s'étaient  mis  en  marche,  pour  aller  assiéger  Niagara. 
En  passant  à  l'embouchupe  de  la  rivière  d'Ochouégo,  il3 
y  laissèrent  un  détachement  de  2,000  hommes,  avec 
l'ordre  de  rebâtir  le  fort  détruit  d'Ontario.  Le  chevalier 
de  La  Corne  s'avança,  du  même  côté,  dans  le  dessein 
de  harceler  les  Anglais,  et  de  les  empêcher,  s'il  était 
possible,  d'avancer  vers  Niagara.  Les  Français  et  lea 
Anglais  se  trouvèrent  en  présence,  les  uns  des  autres  ; 


\ 


DU    CANADA.  373 

mais,  comme  le  combat  allait  s'engager,  la  terreur 
s'empara  du  détachement  de  La  Corne,  qui  fut  contraint 
de  s'éloigner.  Quoique  bien  inférieur,  du  côté  du 
nombre,  il  croyait  pouvoir  renouveller  la  tentative,  le 
lendemain  ;  mais  il  trouva  les  Anglais  sur  leurs  gardes, 
et  trop  bien  retranchés,  pour  qu'il  fût  prudent  de  les 
attaquer. 

M.  Pouchot  ne  fut  averti  qu'il  allait  être  assiégé  que 
par  la  vue  des  Anglais,  qui  parurent  devant  son  fort, 
le  5  juillet.  Dès  le  soir,  il  reçut  du  général  Prideaux 
la  sommation  de  se  rendre.  E.  lui  fît  réponse  que  sa 
garnison  était  brave,  que  sa  place  était  forte,  et  qu'il 
se  flattait  de  mériter  l'estime  des  Anglais,  par  la  défense 
qu'il  y  ferait.  Il  dépêcha  aussitôt  des  couriers  à  M. 
d'Aubrt  et  à  M.  de  Ligneris,  qui  commandaient  à 
l'Ouest,  pour  leur  mander  de  le  venir  joindre,  avec 
autant  d'hommes  qu'ils  pourraient 

Sur  la  réponse  du  commandant  de  Niagara,  les  An- 
glais mii'ent  le  siège  devant  cette  forteresse,  et  le  pous- 
sèrent avec  vigueur  et  habileté  ;  mais  la  défense  ne  fut 
ni  moins  vigoureuse,  ni  moins  habile.  Le  21,  Prideaux 
fut  tué,  et  remplacé,  dans  le  commandement,  par  sir 
"William  Johnson.  Le  lendemain,  M.  Pouchot  reçut 
une  lettre  de  M.  d'Aubry,  lui  annonçant  qu'il  arrivait, 
avec  1,600  hommes,  Français  et  Sauvages,  et  qu'il  se 
proposait  d'attaquer  les  Anglais,  dans  l'espoir  de  leur 
faire  lever  le  siège  de  son  fort. 

Le  combat  se  donna,  en  effet,  le  23  ;  les  Français 
commencèrent  l'attaque,  à  leur  ordinaire,  avec  beaucoup 
d'impétuosité  ;  mais  soit  que  leur  commandant  se  fût 
laisssé  envelopper  par  des  forces  supérieures,  comme  il 
est  dit,  dans  les  mémoires  du  chevalier  de  Lévis  ;  soit 
qu'il  eût  été  abandonné  de  ses  Sauvages,  comme  le 
porte  une  autre  relation,  au  bout  d'une  heure,  ils  se 
uh 


374  HISTOIRE 

trouvèrent  hors  d'état  de  résister.  Tous  les  officierg, 
au  nombre  de  dix-sept,  j  compris  MM.  d'Aubry,  de 
Ligneris,  de  Moutignj,  et  jMarin,  et  presque  tous  les 
Français,  ou  Canadiens,  qui  n'avaient  pas  été  tués,  furent 
faits  prisonniers. 

Le  lendemain,  Johnson  envoya  un  trompette  au  com- 
mandant finançais,  avec  une  liste  des  dix-sept  officiers 
faits  prisonniers,  pour  le  convaincre  de  l'inutilité  d'une 
défense  prolongée.  Pouchot  se  monti*a  persuadé  de 
cette  vérité,  et  il  fut  signé  une  capitulation,  en  vertu  da 
laquelle  la  garnison  de  Niagara,  forte  de  six  cents 
hommes,  sortit  avec  les  honneurs  de  la  guerre,  pour  t  tre 
ensuite  embarquée  sur  le  lac  Ontario,  et  conduite  à 
New-York.  Les  femmes  et  les  enfans  furent  envoyés 
à  Mont-réal. 

La  défaite  du  corps  d'Aubry,  et  la  reddition  du  fort 
de  Niagara  firent  une  vive  sensation  dans  la  colonie, 
d'autant  plus  que  la  communication  avec  le  Détroit  se 
trouvait  coupée,  et  qu'il  devenait  nécessaire  d'évacuer 
plusieurs  autres  postes.  On  fut  persuadé  que  les  An- 
glais se  présenteraient  incessamment  aux  Rapides,  d'où 
La  Corne  avait  écrit  qu'il  était  hors  d'état  de  résister, 
et  qu'il  serait  contraint  de  se  retirer,  à  l'approche  de 
l'ennemi. 

Le  général  Amherst  arriva  en  effet,  au  commence- 
ment d'août,  à  Carillon,  qu'il  trouva  abandonné  et  détruit, 
eu  conséquence  de  l'ordre  qu'avait  reçu  M.  d'Hece- 
COURT,  qui  y  commandait,  de  se  retirer,  à  l'approche  do 
forces  supérieures.  D'Hébecourt  se  retira  d'abord  au 
fort  Saint-Frédéric,  qu'il  fit  sauter,  et  ensuite  à  l'Ile- 
aux-Noix,  où  Bourlamaque  avait  élevé  des  retranche- 
mens,  et  commandait  une  garnison  de  3,260  hommes. 
Ce  général  était  parvenu  à  mettre  cette  place  en  état 
de  soutenir  un  coup  de  main  ;  il  inspirait  du  courago 


Dt    CANADA.  3Y5 

à  ses  troupes,  il  les  animait  par  son  exemple  ;  mais 
la  proximité  d'une  armée  trois  fois  plus  forte  que  la 
sienne,  commandée  par  un  général  de  réputation,  le 
tenait  dans  une  anxiété  perpétuelle  ;  à  peine  ôsait-il 
prendre  un  moment  de  repos.*  11  fit  représenter 
au  gouverneur  général,  par  son  frère  Rigaud,  la  situa- 
tion critique  où  il  se  trouvait.  Le  général  Mont- 
calm  ne  croyant  pas  pouvoir  diminuer  les  forces  qu'il 
commandait  à  Québec,  on  adressa  aux  officiers  de 
milice  des  lettres  circulaires,  par  lesquelles  on  les  invi- 
tait à  se  rendre  à  l'Ee-aux-Noix,  avec  les  vieillards, 
et  même  les  infirmes  "  qui  se  sentiraient  de  la  disposi- 
tion à  écouter  ce  queleur  courage  leur  dictait  en  faveur 
de  la  patrie."  On  adressa  la  même  invitation,  ou  le 
môme  ordre,  aux  seigneurs,  ou  nobles,  qui  n'étaient  pas 
à  l'armée,  et  tous  "  allèrent  avec  plaisir  "  joindre  le 
général  Bourlamaque.  Mais  le  secours  n'était  pas  assez 
considérable,  pour  le  mettre  hors  de  danger  et  d'inquié- 
tude. 

Ayant  appris  que  Saint-Frédéric  avait  aussi  été  aban- 
donné, Amherst  s'y  rendit,  avec  son  armée,  forte  d'en- 
viron 10,000  hommes,  et  y  construisit  un  nouveau  fort, 
qui  prit  le  nom  anglais  de  Crozcn-Pohtt 

Pour  nous  rapprocher  de  Québec,  le  général  Wolfe, 
désespérant  de  pouvoir  effectuer  un  débarquement,  au- 
dessus  de  cette  ville,  résolut  d'attaquer  Montcalm,  dans 
ses  retranchemens.     Dans  ce  dessein,  il  fit  échouer  de  ux 

*  "  Afin  d'être  toujours  prêt,  à  la  première  alerte,  il  se  couchait 
de  travers  sur  son  lit,  pour  qu'une  blessure,  dont  il  se  sentait 
encore,  ne  le  laiss.ât  pas  dormir  loncjtems.  Il  faisait,  toutes  les 
nuits,  quatre  ou  cinq  rondes,  et  tous  les  jours  il  était  aux  travaux. 
11  lit  punir  sévèrement  ceux  qui  mamiuèrent,  et  il  n'eut  jamais 
rien  di'  commun  avec  les  intéressés  dans  les  affaires  du  roi  ;  aussi 
fut -il  cher  à  tous  les  honiu"'tes  p^ens.  Sa  dif^nité  le  sauva  de  h\ 
malignité  de  ceux  à  qui  sa  conduite  reprochait  la  leur." — Mimoira^ 


376  HISTOIRE 

pingues,  ou  navires  à  varangues  plates,  vis-à-vis  de  la 
principale  redoute,  à  l'entrée  de  la  rivière  Montmorency, 
et  fit  placer  un  vaisseau  de  60  canons  entre  ces  deux 
bàtimens.  Pendant  que  ces  vaisseaux  canonnaient  la 
redoute,  les  brigades  de  Townsend  et  de  Murray  furent 
mises  en  bataille,  pour  tenter  le  passage  du  gué,  quand 
l'ordre  leur  en  serait  donné  ;  et  celle  de  Moukton  eut 
ordre  de  traverser  de  la  Pointe  Lévy,  pour  soutenir  les 
deux  premières,  s'il  était  nécessaire. 

A  une  heure  de  l'après-midi,  Lévis  fut  informé  que 
2,000  hommes  de  troupes  anglaises  étaient  en  mouve- 
ment, du  côté  du  gué  :  il  fît  aussitôt  partir  cinq  cents 
hommes  et  les  Sauvages,  pour  renforcer  ce  poste,  et  donna 
ordre  au  capitaine  Duprat  de  sui\re  le  mouvement  des 
ennemis,  et  de  l'informer  de  ce  qui  se  passerait.  S'étant 
apperçu  que  les  troupes  anglaises  embarquées  dans  des 
barges  et  des  chaloupes  paraissaient  se  diriger  vers  la 
partie  du  camp  retranché  qui  était  vis-à-vis  de  la  pointe 
de  l'Ile  d'Orléans,  il  y  fit  marcher  le  régiment  de  Rous- 
sillon,  avec  ordre  au  commandant  de  ce  corps  de  com- 
muniquer, par  sa  droite,  avec  les  troupes  qui  s'avançaient 
du  centre  de  l'armée  vers  les  redoutes  du  Sault.  Le 
général  Montcalm  joignit  M.  de  Lévis,  vers  deux  heures, 
et  approuva  les  dispositions  qu'il  avait  faites. 

Cependant,  les  barges  anglaises  faisaient  divers  mou- 
vemens  propres  à  inquiéter  les  Français,  en  les  mettant 
dans  l'impossibilité  de  deviner  en  quel  endroit  se  ferait 
l'attaque  principale,  ou  plutôt,  en  leur  donnant  à  croire 
qu'ils  seraient  attaqués,  en  même  temps,  à  différents 
endroits.  Ces  mouvemens  divers  venaient,  en  grande 
partie,  de  ce  que  la  plupart  des  barges  s'échouèrent  sur 
des  bas-fonds  ;  ce  qui  fit  que  les  troupes  ne  purent  dé- 
bai-quer  aussitôt  que  le  général  l'aurait  désiré. 

La  brigade  de  ïownsend  attaqua  les  retranchemens 


t>V   CANADA.  377 

du  Sault,  avant  qu'elle  fût  à  portée  d'être  soutenue  par 
les  deux  autres,  et  fut  reçue  par  un  feu  si  vif  d'artille- 
rie et  de  mousquetcri^  que,  dès  l'abord,  les  grenadiers, 
qui  s'étaient  avancés  presque  en  désordre,  à  la  tête  des- 
autres troupes,  perdirent  un  grand  nombre  d'hommes, 
et  surtout  d'officiers.  Lévis,  voyant  que  les  Anglais 
s'étaient  détei*minés  à  ne  faire  qu'une  seule  attaque,  fit 
renforcer  le  point  attaqué  des  régimens  de  Guienne  et 
de  Roussillon.  Les  Anglais  redoublèrent  d'efforts, 
soutenus  par  le  feu  de  leurs  vaisseaux  échoués,  mais 
toujours  sans  succès,  et  perdirent  beaucoup  de  monde. 
Vers  cinq  heures,  la  confusion  se  mit  dans  leurs  rangs  ; 
ils  commencèrent  à  plier  et  à  se  retirer,  et  il  survint 
une  espèce  de  tempête,  qui  les  déroba,  pour  quelque 
temps,  à  la  vue  de  leurs  ennemis. 

Lorsque  les  Français  les  revirent,  ils  s'embarquaient 
dans  leurs  barges  et  leurs  chaloupes,  derrière  leurs 
navires  échoués. 

La  perte  des  Anglais,  dans  ce  combat,  qui  se  livra 
le  31  jui^et,  fut  de  cinq  à  six  cents  hommes,  en  tués, 
blessés  et  pi-isonniers.  Celle  des  Français  ne  fut 
que  d'une  trentaine  de  soldats  tués,  et  de  quelques  offi- 
ciers blessi's.  La  victoire  que  ces  derniers  remportèrent 
fut  principalement  due  aux  judicieuses  dispositions  et 
à  l'activité  du  chevalier  de  Lévis..- 

Aussitôt  après  sa  défaite,  "Wolfe  détacha  le  brigadier 
Murray,  avec  1,200  hommes,  afin  de  seconder  l'amiral 
Holmes,  qui  était  passé  au-dessus  de  Québec,  avec  quatre 
vaisseaux,  pour  tenter  de  détruire  les  frégates  fran- 
çaises. Murray  tenta  deux  fois  de  descendre  à  la 
Pointe  aux  Trembles,  et  fut  repoussé,  chaque  fois,  par 
Bougainville,  qui  y  commandait,  avec  environ  1,000 
hommes.  Le  général  anglais  réussit  néanmoins  tl  effec- 
tuer une  descente  à  Déchambault,  c  ù  il  brûla  quelque 
iih2 


378  HiSToraE 

bagage  appartenant  aux  officiers  de  l'arméa  française  ; 
après  quoi,  il  se  rembarqua. 

Quelques  jours  après  le  combat  de  Montmorency,  le 
général  Lévis  fut  envoyé  dans  le  gouvernement  de 
Mont-réal,  pour  y  ordonner  les  travaux  et  les  disposi- 
tions qu'il  croirait  les  plus  utiles  pour  la  défense  de  cette 
partie  de  la  colonie. 

Les  Anglais  passèrent  tout  le  mois  d'août  à  canonner 
Québec  et  le  camp  de  Montmorency,  et  à  faire  sur  l'eau 
divers  mouvemens  propres  à  inquiéter  les  Français.* 

*  Suivant  M.  Smith,  les  Anglais  firent  aussi,  dans  le  cours  du 
même  mois,  dos  excursions  qu'on  pourrait  appeller  déprédatoircs 
et  barbares,  si  elles  avaient  été  telles  qu'il  les  rapporte.  "  Le  1er 
août,  dit  en  substance  cet  historien,  im  détachement,  commandé  par 
le  capitaine  Gorkham,  fut  envoyé  à  la  Baie  Saint-Paul,  pour  y 
faire  des  vivres.  Une  corvette,  qui  convoyait  le  détachement, 
ayant  jette  l'ancre  vis-à-vis  de  l'île  aux  Coudres,  elle  fut  saluée 
par  une  décharge  de  mousqueterie,  qui  lui  tua  un  homme,  et  lui 
en  blessa  huit  :  sur  quoi,  le  capitaine  Goreham  fit  débarquer  ses 
gen^i,  chargea  les  habitans,  et  les  mit  en  fuite.  Peu  content  de 
cette  facile  victoire,  il  brûla  toutes  les  maisons,  et  ne  laissa  sur 
pied  que  l'église,  sur  la  porte  de  laquelle  il  mit  un  écriteau,  portant 
qu'on  en  avait  agi,  et  qu'on  en  agirait  encore  avec  cette  rigueur 
envers  les  Canadiens,  en  conséquence  du  peu  de  cas  qu'ils  avaient 
fait  de  la  proclamation  du  général  V\  olfe,  et  de  l'inhumanité  avfc 
laquelle  ils  avaient  traité  les  Anglais,  en  plusieurs  occasions.  Le 
capitaine  Gorehara  fit  ensuite  un  butin  qui  consista  en  vingt  bétes 
à  cornes,  quarante  moutons,  plusieurs  cochons,  des  meubles,  des 
hardes,  des  livres,  etc. 

'•  Le  général  Wolfe  (dit  toujours  j\L  Smith.)  ayant  appris  que 
le  curé  du  Chaleau-Richer  s'ètiùt  fortifié,  dans  une  grande  maison, 
avec  quatre-vingts  de  ses  paroissiens,  y  envoya  un  détachement, 
avec  une  pièce  de  canon  et  un  obusier.  Au  premier  coup  de  canon 
tirée  sur  la  maison  fortifiée,  les  Canadiens  en  sortirent,  pour  aller 
au-devant  des  assaillans  ;  mais  ils  tombèrent  dans  une  ambuscade, 
qui  leur  avait  été  dressée,  à  l'entrée  du  bois  :  il  y  en  eut  trente 
de  tués,  et  les  Anglais  leur  enlevèrent  la  chevelure,  en  conséquence 
(ajoute  notre  historien,)  de  ce  qu'ils  s'étaient  déguisés  en  Sau- 
vages." 

Le  trait  suivant  peut  ser\ar  de  pendant  au  précédent.  "  Quelque 
temps  après  (le  combat  de  Montmorency),  fut  tué  l'abbé  db 
PoRTXEL'F,  curé  de  Saint-Joachim.  Ce  prêtre  avait  endossé  la 
cuirasse  :  il  était  constamment  à  harceler  l'armée  (anglaise),  à  la 
tète  des  habitans  de  sa  paroisse.  Un  détachement  qui  s'était 
trouvé  à  la  portée  de  cette  paroisse,  avait  été  insulté  de  paroles 


DU   CANADA.  379 

Dans  les  premiers  jours  de  septembre,  le  gén/'ral 
Wolfe,  voyant  la  saison  avancée,  et  désespérant  do 
pouvoir  forcer  les  Français,  dans  leurs  lignes  de  Beau- 
port  et  de  Montmorency,  résolut,  d'après  l'avis  de  son 
conseil  de  guerre,  de  changer  de  position,  et  d'essayer 
de  combattre  Montcalm,  dans  une  situation  moins  désa- 
vantageuse ;  une  victoire  étant  à  peu  près  devenue,  pour 
les  assaillans,  la  seule  alternative  de  salut. 

Dans  la  nuit  du  12  au  13  septembre  (1759),  les  troupes 
anglaises  traversèrent,  en  plusieurs  divisons,  dans  des 
bateaux  plats  et  des  chaloupes,  de  la  Pointe  Lévy  sur 
la  rive  du  nord,  et  débarquèrent,  successivement,  à 
l'anse  du  Eoulon,  appellée  aussi,  depuis,  l'anse  de  JVolte 
(  TFoIfe's  Cové),  sans  que  les  Français  s'apperçussent  de 
leurs  raouvemens,  ou  s'y  opposassent.  Un  premier  déta- 
chement, composé  de  cent-cinquante  hommes,  réussit 
d'abord,  avec  quelque  difficulté,  à  gravir  la  cùtc,  après 
avoir  délogé  la  garde  française  qui  détendait,  ou  devait 

£|ndre  le  passage,  mais  qui  se  laissa  surprendre,  quoi- 
qucla  nuit  ne  fût  pas  obscure.*  Ce  détachement  fut 
bientôt  suivi  d'un  gros  renfort,  et  enfin  de  toute  l'armée, 
qui  se  forma  sur  les  plaines  appellées  les  Hauteurs 
(T Abraham.  Elle  se  trouva  en  ordre  de  bataille,  à  la 
pointe  du  jour,   et  s'avança  alors,   pour  prendre  une 

par  les  habitans,  qui  avaient  à  leur  tète  ce  prêtre.  Le  lendeinuin, 
ce  détachement  revint  vers  Saint-Joachim  :  l'abbé  Portneuf  fut 
fait  prisonnier  avec  huit  liabitans.  Les  Anglais  le  tuèrent,  en  lui 
reprochant  d'être  sorti  de  son  état,  et  d'avoir  excité  ces  habitans 
à  les  insulter." — Mémoires,  Sfc. 

*  Cette  carde,  ou  ce  pi(|uet,  était  commandée  par  l'inepte  et 
indolent  de  Vergor,  cpii  ne  s'était  pas  mioux  dcfondn,  trois  ans 
auparavant,  dans  son  fort  do  Boauséjour.  1^'après  les  ordre» 
réitérés  de  la  cour,  il  avait  été  mis  en  jui^cinent,  pour  la  reddition 
de  ce  fort  ;  mais  les  démarches  et  les  intrifjues  de  l'intendant, 
auprès  du  gouverneur  et  des  autres  membres  du  conseil  de  guerre, 
l'avaient  fait  acquitter. 


Qucl 


380  nisTOiEE 

position  plus  avantageuse,  entre  la  ville  et  l'anse  du 
Foulon. 
'  Aussitôt  que  Montcalm  eut  été  informé  du  débarque  • 
nisnt  des  Aiiglais,  qu'il  eût  été  si  facile  d'empêcher,  s'il 
y  eût  eu  des  troupes  pour  s'y  opposer,  il  se  bâta  de  tra- 
verser la  rivière  Saint-Charles  et  la  ville,  pour  venir 
oiFrir  le  combat  au  général  Wolfe,  laissant  le  marquis  de 
Vaudreuil  et  le  baron  de  Sennezergues  dans  le  camp, 
avec  un  gros  corps  de  Canadiens.     L'armée  Française, 
ou  plutôt  son  général,  ne  consultant  que  son  ardeur,  en 
cette  occasion,  ou  peut-être  étourdi  par  l'apparition  de 
Wolfe  sur  les  hauteurs  d'Abraham,  résolut  de  tout 
bazarder,  malgré  la  disproportion  des  forces,  et  quoiqu'il 
ne  tînt  qu'à  lui  de  combattre  le  général  anglais,  avec 
des  forces  supérieures,  au  moins  du  côté  du  nombre. 
Il  ne  fallait,  pour  cela  qu'un  peu  de  patience  et  de  tem- 
porisation :  la  garnison  de  Québec  pouvait  se  renforcer 
sur-le-champ,  et  la  jonction  de  l'armée  de  Montcalm  et 
du  gros  corps  de  troupes  que  commandait  le  colonel  de 
Bougainville,   au-dessus   de  Jacques- Cartier,   pouvait 
s'effectuer  dans  l'espace  de  quelques  heures.     L'armée 
anglaise  se  trouvait  alors,  si  elle  eût  voulu  conserver  sa 
position,  entre  le  feu  de  la  ville  et  celui  de  l'armée  fran- 
çaise ;  et  l'on  avait  encore  le  choix  de  combattre  tout 
de  suite,  ou  d'attendre  l'arrivée  d'un  nouveau  renfort  de 
Mont-réal,  en  supposant  qu'on  eût  eu  le  soin  d'approvi- 
sionner Québec  pour  quelque  temps.     La  précipitation 
de  Montcalm,  jointe  à  d'autres  circonstances  malheu- 
reuses, commença  le  désastre  des  Français,  et  celle  de 

M.  de  Ramsay  le  compléta.*) 

. U 

*  Le  p^énéral  ilontcalra  "  n'avait  point  encore  acquis  l'expéri- 
ence qu'il  faut  pour  commander  en  clief  :  il  se  faisait  lui-même 
des  maximes  nouvelles  ;  c'est  ce  qu'on  voit  par  sa  position  pour  la 
défense  de  Québec.  Il  paraissait  très  naturel  que  M.  Wolfe 
cherchât  à  prendre  Québec,  et  à  éviter  une  bataille  ;  il  fallait  donc 


DU   CANADA.  381 

Ayant  été  joint  par  M.  de  Sennczergues,  avec  la  plus 
grande  partie  des  Canadiens,  Montcalm  rangea  son 
armée  en  bataille.  Cette  armée  se  composait  alors 
d'environ  2,000  hommes  de  troupes  réglées,  de  5,000 
miliciens  et  de  quatre  à  cinq  cents  Sauvages.  Celle  de 
Wolfe  n'était  pas  plus  nombreuse,  si  même  elle  ne  l'était 
pas  un  peu  moins;  mais  elle  se  composait  toute  de  troupes 
réglées  et  agguemes. 

Le  combat  commença  par  un  feu  de  tirailleurs,  que 
firent  les  milices  canadiennes  et  les  Sauvages,  placés 
dans  des  buissons,  sur  les  ailes.  Vers  9  heures,  les 
Français  s'avancèrent,  en  assez  bon  ordre  ;  mais  ils 
commencèrent  à  tirer  de  trop  loin,  et  le  firent  assez  irré- 
gulièrement, comme  on  le  devait  attendre  d'une  armée 
presque  toute  composée  de  miliciens  ;  car,  selon  l'ex- 
pression de  M.  de  Lôvis,  "  les  bataillons  mêmes  étaient 
farcis,  d'habitans,  qu'on  avait  incorporés  avec  les  soldats," 
et  les  meilleurs  d'entre  ces  derniers  avaient  été  envoyés 
à  Jacques- Cartier.  Le  feu  des  Anglais,  au  contraire, 
fut  vif  et  bien  dirigé;  aussi  leurs  adversaires  ne  tardè- 
rent-ils pas  à  perdre  du  terrain.  Pour  comble  de  mal- 
heur, le  marquis  de  Montcalm,  le  baron  de  Sennczer- 
gues, son  second,  et  M.  de  Saint-Ours,  qui  faisait  les 

que  M.  (le  ^Montcalm  se  portât  de  faocm  que  le  général  anglais  ne 
pût  faire  l'un  sans  l'autre.  Comme  Québec  n'a  qu'un  front  d'at- 
taque, M.  de  Montcalm,  en  le  gardant,  ôtait  toute  espérance  à  M. 
Wolfe  de  réussir,  puisqu'il  n'aurait  pu  l'attaquer  que  de  Iront, 
étant  gardé,  dun  côté,  par  des  rochers  escarpés,  et  de  l'autre  par 
un  rideau  assez  haut  et  roide,  pouvant  à  tout  besoin  secourir  la 
ville,  do  tel  coté  qu'on  ratta(iuât,  et  l'cnnenii  ne  pouvant  l'attaquer 
qu'avec  un  grand  désavantage." 

Il  ne  faut  pourtant  pas  accuser  ce  général  d'une  imprudente 
précipitation,  sans  exposer  les  raisons  qui  l'en  peuvent  excuser.  "No 
pensant  pas  avoir  affaire  à  un  corps  considérable,  mais  à  quelque 
détachement,  il  s'empressa  d'attaquer,  aiin  qu'en  les  culbutant 
vers  les  hauteurs,  il  ôtat  l'espérance  aux  antres  de  pouvc/ir  monter. 
Il  fut  surpris  de  voir  un  emps  si  considérable.  Il  jugea  qu'il  ne 
devait  pas  néanmoins  reculer." — Mviiwircs,  Sf-c, 


382  HISTOIRE 

fonctions  de  brigadier,  furent  blessés  mortellement,  dans 
ce  moment  critique,  et  il  ne  se  trouva  personne  en  état 
de  les  remplacer. 

Le  général  "Wolfe,  qui  se  tenait  en  avant,  sur  la  droite 
de  sa  ligne,  à  l'endroit  oii  l'attaque  était  la  plus  vive,  fut 
aussi  blessé,  d'abord  grièvement,  et  ensuite  mortellement, 
par  le  feu  des  tirailleurs  canadiens,  au  moment  où  les 
Français  commençaient  àreculer.*  B  fut  remplacé  parle 
brigadier  Monkton,  qui  blessé  lui-même  dangereusement, 
fut  contraint  de  céder  le  commandement  à  Townsend. 
Ce  dernier  sut  profiter  des  avantages  déjà  obtenus,  en 
faisant  avancer  à  propos  les  troupes  tenues  jusqu'alors 
en  réserve.  Ce  fut  vainement  que  les  Français  conti- 
nuèrent à  faire  des  efforts,  sur  leur  droite,  où  se  trouvait 
le  plus  grand  nombre  des  troupes  réglées,  pour  prendre 
les  Anglais  en  flanc,  suivant  le  plan  de  leur  général  ; 
n'étant  pas,  comme  leurs  adversaires,  soutenus  par  un 
corps  de  réserve,  ils  furent  contraints  de  reculer,  et  ce 
mouvement  rétrograde  entraîna  la  retraite  précipitée  de 
l'aîle  gauche  et  du  centre.  Le  marquis  de  Yaudreuil, 
qui  se  trouvait,  en  ce  moment,  à  la  porte  de  la  ville, 
voulut  rallier  les  troupes,  mais  sans  succès.  Elles  le 
croyaient,  suivant  l'auteur  des  Mémoires  sur  le  Canada, 
incapable  de  co:nmander. 

Le  colonel  de  Bougainville,  parti  de  son  poste,  avec 
environ  1,000  hommes,  n'arriva  pas  assez  tôt  sur  les 
derrières  de  l'armée  anglaise,  pour  faire  changer  le  sort 
de  la  journée.  B  attaqua  un  des  postes  de  l'ennemi  ; 
mais  n'ayant  pas  réussi  à  s'en  rendre  maître,  et  appre- 
nant que  l'armée  de  Montcalm  avait  été  défaite,  il  se 


*Les  forces  lui  manquant,  il  s'appuya  sur  l'épaule  d'un  lieute- 
nant. Cet  officier  voyant  les  rran<;ais  plier,  s'écria  :  "  Ils  fuient. 
Qui  sont  ceux  qui  fuient,  dit  Wolfe. — Les  Français,  répondit  le 
lieutenant — Quoi  déjà  !  répartit  le  général  anglais  :  je  dois  donc 
mourir  content," 


DU    CANADA.  383 

retira  vers  la  Vieille  Lorette,  pour  y  attendre  les  ordres 
de  M.  de  Vaudreuil. 

La  perte,  en  tués  et  blessés,  fut  d'environ  six  cents 
hommes,  dans  l'une  et  dans  l'autre  armée  ;  mais  les 
Français  perdirent,  en  outre,  deux  cent-cinquante  pri- 
sonniers. M.  de  Sen:iezergues  fut  recueilli  sur  le 
champ  de  bataille,  et  porté  sur  un  des  vaisseaux  de  la 
flotte  anglaise,  où  il  mourut,  le  lendemain.  Le  général 
Montcalm  fut  porté  dans  la  ville,  après  sa  blessure,  et 
mourut  aussi,  le  14  au  so'r,  après  avoir  indiqué  les 
mesures  qu'il  croj'ait  les  plus  propres  à  réparer  le  revers 
de  la  veille.*  Son  corps  fut  enterré  dans  un  trou 
qu'une  bombe  avait  fait  dans  l'église  des  ursulines.f 

Pour  revenir  à  l'armée  française,  après  avoir  traversé 
la  ville,  et  la  x'ivière  de  Saint-Charles,  au  pont  de  ba- 
teaux, elle  rentra  dans  le  camp  de  Beauport.  Le  pre- 
mier soin  du  gouverneur  fut  d'envoyer  cinquante 
hommes  par  bataillon,  pour  renforcer  la  garnison  de 
Québec.  Le  soir,  il  assembla  un  conseil  de  guerre, 
composé  des  coramandans  des  dilFéreuts  corps,  pour  déci- 
der des  mesures  à  prendi'c,  dans  les  circonstances  où 
l'on  se  trouvait.  Sur  la  crainte  que  l'on  avait  que  les 
Anglais  ne  marchassent  au  poste  de  Jacques- Cartier,  et 

*  On  a  ('crit  que  les  cliiriirgiens  qui  le  pensaient  lui  ayant  dit 
que  sa  blessure  était  mortelle,  et  qu'il  ne  passerait  pas  le  lendc- 
m  lin,  il  s'écria  :  "  J'en  rends  grâce  à  la  providence  ;  je  ne  serai 
pas  témoin  de  la  reddition  de  Québec."  Outre  que  ces  paroles, 
toutes  belles  qu'elles  sont,  ne  s'accordent  pas  avec  les  avis  encou- 
rageants que  îemar(|uis  de  Muntcalm  donna  aux  siens,  avant  sa 
mort,  il  est  certain,  (ju'avec  des  hommes  habiles  et  résolus,  la 
reddition  de  Québec  ne  devait  pas  être  la  conséquence  inévitable 
d'un  combat  où  les  vainqueurs  avaient  presque  autant  perdu  que 
les  vaincus,  et  pouvaient  être  attaqués,  dans  une  mauvaise  posi- 
tion, par  des  forces  supérieures  à  celles  (ju'ils  venaient  de  combattre. 
Dans  les  autres  choses  que  Af.  Smiih  fait  dire  au  marquis  do 
Montcalm  mourant,  cet  écrivain  ne  mérite  pas  lu  moindre  croyance. 

f  In  excauatù  humo  quain  globus  bcUicus  decidcns  dissilUnsque 
dejbderat,  dit  l'Epitaphe. 


384  HISTOIRE 

sur  l'exposé  qu'on  allait  manquer  de  vivres,  il  fut  décidé 
qu'on  se  retirerait,  à  l'entrée  de  la  nuit.  Afin  que 
l'ennemi  ne  s'apperçût  pas  de  la  retraite,  et  pour  la  faire 
avec  moins  d'embarras,  attendu  qu'on  manquait  de 
moyens  de  transport,  on  laissa  le  camp  tendu,  et  l'on 
abandonna  le  bagage,  l'artillerie,  les  munitions  et  les 
vivres. 

Ainsi  dénuée  de  tout,  par  la  pusillanimité  des  chefs, 
l'armée  se  mit  en  marche,  dans  le  plus  grand  silence, 
et  passa  par  la  Jeune  et  l'Ancienne  Lorette,  traversa  la 
rivière  du  Cap  Rouge,  et  arriva,  en  partie,  à  la  Pointe 
aux  Trembles,  le  14  à  midi.  Bougainville,  chargé  de 
faire  l'arrière-garde,  eut  ordre  de  rester,  ce  même  jour, 
à  Saint-Augustin.  Les  miliciens  du  gouvernement  de 
Québec  se  dispersèrent,  pour  s'en  retourner  chez  eux  : 
une  partie  de  ceux  des  autres  gouvernemens  en  faisaient 
de  même  ;  tandis  que  d'autres  pillaient,  dans  les  cam- 
pagnes, sans  qu'il  fût  possible  d'arrêter  ce  désordre. 

On  arriva,  le  15,  dans  le  même  ordre  que  la  veille,  à 
Jacques- Cartier.  Bougainville  vint  à  la  Pointe  aux 
Trembles,  d'où  il  écrivit  à  M.  de  Vaudreuil,  afin  de 
savoir  s'il  jugeait  à  propos  qu'il  y  restât,  pour  observer 
les  ennemis.  Le  même  jour,  le  chevalier  de  Lé  vis  reçut, 
à  Mont-réal,  une  lettre,  par  laquelle  M.  de  Vaudreuil 
lui  apprenait  la  défaite  du  13,  et  lui  mandait  de  le  venir 
joindre,  à  Jacques-Cartier,  pour  prendre  le  commande- 
ment de  l'ai-mée.* 

*Le  chevalier  de  Levis,  revenu  des  Rapides  à  Mont-réal, 
"  apprenant  que  les  Canadiens  quittaient  l'armée,  pour  courir  à 
leur  récolte,  pour  la  sauver,  fit  le  projet  de  faire  publier  contre  eux- 
une  ordonnance,  sous  peine  de  la  vie.  On  lui  représenta  qu'il  ne 
pouvait  exécuter  cette  ordonnance,  qu'elle  ne  parût  être  émanée  de 
M.  de  Vaudreuil,  mais  que  ce  général  n'avait  pas  le  pouvoir  de  la 
cour  ;  que  les  Canadiens  ne  pouvaient  être  regardés  que  comme 
des  volontaires,  qui  servaient  sans  solde  ;  et  qu'en  outre,  il  parais- 
sait criant  que  tout  le  monde  en  général  abandonnant  ses  biens  pour 


DU    CANADA.  dbo 

_X  Ce  général  se  mit  en  route,  le  même  jour,  après  avoir 
donné  ses  ordres,  pour  la  défense  des  frontières  et  pour 
la  subsistance  des  troupes,  et  arriva  à  Jacques- Cartier, 
le  17.  Il  fit  part  à  M.  de  Vaudreuil  des  ordres  qu'il 
avait  donnés,  et  de  ceux  qu'il  convenait  de  donner,  pour 
empêcher  la  désertion,  qui  devenait,  de  jour  en  jour, 
plus  considérable.  Il  lui  représenta  que  pour  arrêter 
ce  désordre,  le  seul  moyen  était  de  marcher  eu  avant  ; 
qu'il  fallait  faire  tout  au  monde,  et  tout  bazarder,  pour 
empêcher  la  prise  de  Québec,  et  au  pis-aller,  faire  sortir 
tout  le  monde  de  la  ville,  et  la  détruire  ;  de  manière  que 
les  Anglais  n'y  pussent  point  passer  l'hiver  ;  observant 
qu'ils  n'étaient  pas  assez  forts  pour  garder  la  circonval- 
lation  de  cette  place,  et  empêcher  les  Français  d'y  com- 
muniquer ;  qu'il  fallait  se  mettre  en  mesure  de  menacer 
et  d'attaquer  les  ennemis,  et  s'approcher  d'eux,  à  la  faveur 
des  bois  du  Cap  Rouge  et  de  Sainte-For/,  et  que  s'ils 
s'avançaient,  de  leur  côté,  il  les  fallait  combattre  ;  que 
e'il  arrivait  que  l'armée  française  fût  battue,  elle  se 
retirerait  vers  le  haut  de  la  rivière  du  Cap  Rouge, 
laissant,  vers  le  bas,  un  gros  détachement,  de  manière 
à  favoriser  la  sortie  de  la  garnison  de  Québtc,  après  avoir 
incendié  la  ville. 

Le  gouverneur  général  approuva  le  plan  de  M.  de 
Lévis,  et  dépêcha  des  couriers  au  commandant  de  Qué- 
bec, pour  l'informer  des  mesures  qu'on  allait  prendre. 
M.  de  Lévis  écrivit  aussi  au  chevalier  de  Bernest,  qui 
y  commandait  en  second,  pour  l'exhorter  à  ranimer  le 
couraîïe  et  à  réchauffer  le  zèle  de  la  garnison. 


le  service,  on  voulût  punir  de  mort  quelques  uns  que  de  pressants 
besoins  faisaient  revenir  chez  eux,  et  niurcluiient  autre  part, 
presque  aussitôt  leur  arrivée  ;  le  tout  sans  murmurer.  Ces  reprt>. 
Bentationsne  produisirent  autre  chose,  (pie  de  faire  intilulerl'ordcin- 
nance  au  nom  du  marquis  de  Vaudreuil.  On  la  lui  envoya  ;  matfi 
ce  pcncral  ne  voulut  pas  la  signer,  disant  cpril  ne  le  pou\ait  sans 
un  ordre  précis  du  roi.'" — Mémoires,  {\-c. 

li 


386  HISTOIRE 

Le  manque  de  vivres  fut  cause  qu'on  ne  put  se  mettre 
en  marche  que  le  lendemain,  18.  Le  même  jour,  le 
chevalier  de  Laroche-Beaucourt  entra  dans  la  ville,  avec 
cent  chevaux  portant  des  sacs  de  biscuits,  et  annonça 
que  l'on  était  eu  marche  pour  secourir  la  place,  à 
quelque  prix  que  ce  fût.  L'armée  arriva,  le  soir,  à  la 
Pointe  aux  Trembles,  et  le  détachement  de  Bougainvillc, 
qui  faisait  alors  l'avant-garde,  à  la  rivière  du  Cap  Rouge. 
Le  19,  l'avant-garde  se  porta  sur  la  rivière  Saint- 
Charles,  et  le  corps  de  l'armée  à  Loi-ette.  En  arrivant 
sur  la  rivière  Saint-Charles,  M.  de  Bougainvillc  apprit 
que,  par  une  précipitation  inconcevable,  pour  ne  pas 
dire,  par  une  insigne  lâcheté,  le  commandant  de  Québec 
avait  capitulé,  malgré  les  espérances  certaines  d'un 
secours  prochain,  qu'on  lui  avait  données,  et  avant,  dit 
un  historien  anglais,  qu'il  y  eût  une  seule  batterie  de 
dressée  contre  la  place.  Eh  !  qu'obtenait-on,  par  cette 
capitulation  ?  des  choses  qu'on  n'est  plus  dans  l'habitude 
de  perdre  par  les  évènemens  de  la  guerre,  telles  que 
l'exercice  de  sa  religion,  la  conservation  de  ses  biens, 
la  liberté  personnelle. 

11  est  vrai  que  les  habitans  de  Québec,  dont  plusieurs 
avaient  déjà  cruellement  souffert  du  bombardement  de 
la  ville,  avaient  bien  sujet  d'appréhender  les  suites  d'un 
siège  ;  aussi  l'auteur  des  Mémoires  sur  le  Canada  pré- 
tend-il que  ce  furent  eux,  qui,  par  leurs  instances  et 
leurs  représentations,  forcèrent,  en  quelque  sorte,  M. 
de  Ramsay  à  se  tant  hâter  de  capituler.  Il  est  vrai 
aussi,  qu'en  retraitant  précipitamment,  jusqu'à  Jacques- 
Cartier,  M.  de  Vaudreuil  n'avait  pas  agi  de  manière  à 
inspirer  beaucoup  de  courage  et  de  fermeté  à  la  garnison 
et  au  commandant  de  Québec  ;  mais  ce  commandant  ne 
paraît  plus  excusable,  lorsqu'il  se  rend,  après  avoir 
appris  que  le  secours  arrive. 


r, 


DU    CANADA.  387 

Cet  événement  l'ciulait  inexôeutable  le  dessein  qu'on 
avait  formé  d'attaquer  les  Anglais,  et  il  fallut  rebrousser 
chemin.  Bougainville  sauva  une  partie  des  effets  et 
des  munitions  laissés  d'abord  dans  le  camp  deBeauport, 
dont  les  Anglais  ne  s'étaient  pas  approchés.  Le  gros 
de  l'armée  fut,  le  21,  à  la  Pointe  aux  Trembles,  et  le 
24,  à  Jacques-CartitT,  où  l'on  commença  à  travailler  à 
la  construction  d'un  fort. 

"  L'Europe  entière,  dit  Raynal,  crut  que  la  prise  de 
Québec  finissait  la  grande  querelle  de  l'Amérique  Sepr 
tentrionale.  Personne  n'imagina  qu'une  poignée  de 
Français,  qui  manquaient  de  tout,  à  qui  la  fortune  même 
semblait  interdire  j  usqu'à  l'espérance,  osassent  songer  à 
retarder  une  destinée  inévitable.  On  les  connaissait  mal. 
On  perfectionna,  à  la  hâte,  des  retranchcmens,  qui 
avaient  été  commencés,  à  dix  lieues  au-dessus  de  Qué- 
bec. On  y  laissa  des  troupes  suffisantes  pour  arrêter 
les  progrès  de  la  conquête,  et  l'on  alla  s'occuper,  à 
Mont-réal,  des  moyens  d'en  effacer  la  honte  et  la  dis- 
grâce." 

Le  Canada  eût  probablement  passé  sous  la  domination 
anglaise,  dès  l'automne  de  1759,  si  l'armée  du  général 
Amherst  eût  pu  pénétrer  dans  le  pays.  Ce  général  fit 
embarquer  ses  troupes,  dans  des  bateaux,  sur  le  lac 
Champlain,  le  11  octobre  ;  mais  une  tempête  furieuse  le 
contraignit  de  relâcher  dans  une  baie,  et  d'y  faire  débar- 
quer ses  troupes.  Dans  l'intervalle,  le  capitaine  Louixg, 
qui  commandait  une  flotille  de  brigantins,  donna  la 
chasse  à  une  corvette  et  à  deux  xebecs,  que  M.  de  lîour- 
lamaque  avait  fait  lancer  sur  le  lac,  au  commencement 
de  l'été.  La  goélette  se  sîWiva  ;  les  xebecs,  à  la  veille 
d'être  pris,  s'échouèrent  sur  des  bas-fonds,  et  les  équi- 
pages s'échapi)èrent  à  travers*  les  bois.  Amherst  fit 
rembarquer  ses    troupes,   au  bout  de  quelques  jours  ; 


388 


HISTOIRE 


mais  assailli,  de  nouveau,  par  une  tempête,  et  voyant  la 
saison  trop  avancée  pour  commencer  une  campagne,  il 
prit  le  parti  de  reconduire  ses  troupes  à  la  Pointe  à  la 
Chevelure.  Il  laissa  de  grosses  garnisons  aux  forts  de 
Crown- Point  et  de  Ticondo  oga,  (ci-devant  Carillon,)  et 
alla  passer  l'hiver  à  New-York. 

Le  général  Townsend  était  parti  pour  l'Angleterre, 
avec  la  flotte,  presque  aussitôt  après  la  capitulation  de 
Québec.  Le  général  Mui'ray  fut  laissé  dans  cette  ville, 
avec  une  garnison  de  5  à  6,000  hommes. 

Aussitôt  que  la  nouvelle  officielle  de  la  reddition  de 
Québec  fut  parvenue  en  Angleterre,  la  ville  de  Londres 
et  plusieurs  autres  corporations  du  royaume,  présentè- 
rent au  roi  (Georges  II)  des  adresses  de  congratulation  ; 
et  dès  que  le  parlement  fut  assemblé,  il  résolut,  unani- 
mement, qu'il  serait  présenté  au  roi  une  adresse  pour  le 
prier  d'ordonner  qu'il  fût  érigé  un  monument  à  la 
mémoire  du  gén»  rai  Wolfe,  dans  l'abbaye  de  West- 
minster. Il  fut  voté,  en  même  temps,  des  remercimens 
aux  généraux  et  aux  amiraux  employés  dans  l'expédi- 
tion contre  Québec.  Enfin,  il  fut  ordonné,  par  une 
])roclamation  royale,  qu'il  serait  célébré  un  jour  d'actions 
de  grâces  générales,  dans  tous  les  domaines  de  la  Grande- 
Bretagne. 

Le  mois  de  novembre  fut  principalement  employé, 
du  côté  des  Français,  à  mettx'e  les  troupes  en  quartiers 
d'hiver.  Une  partie  des  soldats  de  la  colonie  fut  envoyée 
à  Mont-réal  ;  le  reste  demeura  dans  les  environs  de 
Québec.  Le  régiment  de  Languedoc  fut  cantonné  dans 
le  gouvernement  des  Trois-Rivières,  et  les  autres,  dans 
celui  de  Mont-réal,  de  la  manière  suivante  :  le  régiment 
de  Béarn,  dans  l'ile  de  Mont-réal  :  celui  de  la  Sarre, 
dans  l'Ile  Jésus  ;  celui  de  Guienne,  à  Sorel  et  à  Varen- 
nes  ;  le  royal  Roussillon,  à  Boucherville  et  à  Laprairie  ; 


DU    CANADA.  389 

et  les  deux  bataillons  de  Berry,  à  Terrehonne  et  à  Ber- 
th'ier.  Deux  frégates  et  autres  vaisseaux  furent  envoyés 
à  Sorel,  pour  y  passer  l'hiver. 

Avant  la  clôture  de  la  navigation,  le  gouverneur  et 
l'intendant  préparèrent  leurs  dépêches  pour  le  ministre 
des  colonies.  Le  munitionnaire,  M.  Cannox,  qui  en 
fut  chargé,  partit  de  Mont-réal,  le  22  novembre,  avec 
un  nombre  de  corvettes  et  de  navires,  et  descendit 
jusqu'à  trois  lieues  au-dessus  de  Québec,  pour  être  à  la 
portée  de  tenter  le  passage,  devant  la  ville.  Un  coup 
de  vent  accompagné  d'un  épais  brouillard  y  assaillit  la 
flotille  française:  quatre  vaisseaux  s'échouèrent,  et  furent 
perdus;  les  autres,  sur  l'un  desquels  était  le  sieur  Cannon, 
passèrent  devant  la  ville,  sans  être  apperçus,  et  arrivè- 
rent en  France,  sans  accident. 

Deux  jours  après  le  naufrage,  les  Anglais  envoyèrent 
une  quarantaine  d'hommes,  sous  le  commandement  d'un 
capitaine  et  d'un  lieutenant,  dans  une  goélette  armée, 
pour  piller  les  bâtimens  échoués.  Le  capitaine  ayant 
fait  allumer  une  bougie,  sur  l'un  des  navires,  pour  en 
examiner  l'intérieur,  quelques  étincelles  tombèrent  sur 
de  la  poudre,  qui  y  avait  été  laissée  par  hasard,  ou  à 
dessein  ;  le  navire  sauta,  et  le  capitaine  (Miller),  son 
lieutenant,  et  une  trentaine  d'hommes  y  périrent. 

Dans  le  cours  de  décembre,  les  Acadiens  de  Mira- 
michi.  de  Richibouctou,  et  autres  lieux,  le  long  du  golfe 
de  Saint'Laurent,  envoyèrent  des  députés  au  colonel 
Frye,  qui  commandait  au  fort  Cumberland,  pour  lui 
annoncer  qu'ils  se  mettaient  sous  la  protection  de  l'An- 
gleterre. 

Au  mois  dejanvier,  le  capitaine  Saint-Martix,  de  la 

marine,  fut  envoyé,  avec  quatre  cents  hommes,  dans  les 

paroisses  situées  au  sud  du  fleuve,  au-dessus  de  Québec, 

afin  d'en  faire  passer  dans  les  gouvernemens  supérieurs 

ii2 


390 


HISTOIRE 


le  plus  qu'il  pourrait  de  bêtes  à  cornes.  Cet  officier 
s'avança  jusqu'à  la  Pointe  Lévy,  afin  d'empêcher  les 
Anglais  de  traverser,  en  bateaux,  sur  la  rive  du  sud,  et 
de  le  ti'oubler  dans  ses  opérations.  Ils  ne  le  troublèrent 
pas,  en  effet,  tant  qu'il  ne  fut  pas  possible  de  traverser 
le  fleuve  autrement  qu'en  bateaux,  et  il  eut  le  temps 
d'assembler  et  d'envoyer  sur  la  rive  du  nord,  une  grande 
quantité  de  gros  et  de  menu  bétail.  Mais  au  commen- 
cement de  février,  la  glace  ayant  pris  devant  Québec, 
le  général  Murray  fit  marclier  un  gros  détachement  à 
la  Pointe  Lévy,  afin  d'en  déloger  les  Français.  Après 
quelques  escarmouches,  Saint-Martin  se  retira  à  travers 
les  bois,  et  passa  la  rivière  de  la  Chaudière.  M.  Dumas 
qui  commandait,  sur  cette  frontière,  lui  envoya  un 
renfort,  avec  l'ordre  de  demeurer  sur  les  bords  de  cette 
rivière,  pour  en  défendre  le  passage.  Quelques  jours 
après,  un  parti  de  cinquante  Anglais  s'étant  avancé, 
pour  reconnaître  la  position  de  Saint-Martin,  cet  officier 
traversa  la  rivière,  les  attaqua,  en  ambuscade,  fit  quelques 
prisonniers,  et  tua  ou  dispersa  le  reste. 

Les  Anglais  n'ayant  laissé  qu'un  détachement  peu 
considérable  à  la  Pointe  Lévy,  on  crut  qu'il  serait  pos- 
sible de  les  en  chasser.  Afin  de  rendre  plus  facile 
l'exécution  de  ce  dessein,  M.  de  Bourlamaque,  qui  arrivait 
de  Mont-réal,  devait  exécuter  divers  mouvemens  autour 
de  Québec.  Mais  au  lieu  de  marcher  lui-même  sur-le- 
champ,  ou  de  faire  marcher  le  capitaine  Saint-Martin, 
droit  au  poste  anglais,  Dumas  envoya  d'abord  cet  officier 
avec  un  gros  détachement,  se  poster  à  la  Pointe  des 
Pères,  vis-à-vis  de  la  ville,  afin  de  couper  la  communi- 
cation entre  la  garnison  et  le  poste  de  la  Pointe  Lévy. 
Les  Anglais  firent  une  sortie  considérable,  et  Saint- 
Martin  fut  contraint  de  se  retirer  à  son  poste,  sur  la 
rivière  de    la  Chaudière.     Bourlamaque    voyant  qu'il 


DU   CANADA.  391 

était  impossible  de  rien  tenter  avec  succès  contre  les 
postes  anglais,  s'en  retourna  à  Mont-réal. 

Vers  le  milieu  de  mars,  les  Anglais  envoyèrent  des 
partis  vers  la  rivière  du  Cap  Rouge,  et  jusqu'à  Saint- 
Augustin,  oii  ils  brûlèrent  des  moulins,  et  enlevèrent  la 
garde-avancée  des  Français,  forte  de  soixante  hommes. 
Ces  dex'niers,  craignant  que  leurs  postes  de  la  Pointe 
aux  Trembles  et  de  Jacques-Cartier  ne  fussent  attaqués, 
y  firent  descendre  un  corps  de  miliciens  des  Trois- 
Rivières  et  deux  cent-vingt-cinq  hommes  du  régiment 
de  Languedoc.  Vers  la  fin  du  même  mois,  Boiigainville 
partit,  accompagné  de  M.  de  Lotbiniere,  ingénieur, 
pour  aller  prendre  le  commandement,  à  l'Ile-aux-Noix, 

Le  dessein  de  reprendre  Québec,  au  moyen  d'un 
siège,  avait  été  formé,  dans  le  camp  des  Français,  dès 
le  mois  de  novembre,  et  une  partie  du  mois  suivant  avait 
été  employée  à  en  faii'e  les  préparatifs.  Ces  prépara- 
tifs, discontinués,  pendant  quelque  temps,  à  cause  des 
grands  froids  qu'il  fit,  et  de  la  difficulté  des  communi- 
cations, qui  ne  permit  pas  d'amasser  les  provisions  de 
bouche  nécessaires,  avaient  été  recommencés,  dans  le 
mois  de  janvier.  On  avait  compté  pouvoir  mettre  le 
siège  devant  Québec,  à  la  fin  de  ce  mois,  ou  au  com- 
mencement du  suivant;  mais  de  nouveaux  obstacles, 
dont  le  principal  était  toujours  le  manque  de  vivres 
pour  la  subsistance  des  troupes,  firent  qu'il  ne  fut  pas 
possible  de  tenter  l'expédition  avant  le  départ  des  glaces; 
ce  qui  conduisit  jusque  vers  le  milieu  d'avril. 

Avant  que  les  troupes  se  missent  en  marche,  M.  de 
Vaudreuil  adressa  aux  capitaines  des  milices  du  gou- 
vernement de  Québec,  une  circulaire,  dans  laquelle  il 
leur  disait  : 

"  Que  depuis  le  commencement  de  la  dernière  cam- 
pagne, il  avait  toujours  déploré  la  situation  où  les  mal- 


S92  IIISTOIKE 

heurs  de  la  guerre  avaient  mis  les  habitans  du  gouver- 
nement de  Québec  :  que  le  mauvais  traitement  qu'ils 
avaient  éprouvé,  de  la  part  des  commandans  anglais,  et 
en  particulier,  du  général  Murray,  joint  à  leur  zèle  pour 
le  service  du  roi,  et  à  leur  attachement  pour  leur  pays 
natal,  avait  augmenté  le  désir  qu'il  avait  toujours  eu  de 
reprendre  Québec  ;  que  c'était  dans  cette  vue,  qu'il  avait 
préparé  toutes  les  choses  nécessaires  à  un  siège,  et  assem- 
blé une  puissante  armée,  composée  de  ti'oupes  réglées, 
de  miliciens  et  de  Sauvages,  dont  le  zèle  et  l'ardeur  lui 
promettaient  un  succès  presque  certain  ;  que  pour  le 
bien  du  service,  qui  exigeait  sa  présence  à  Mont-réal,  il 
avait  remis  le  commandement  en  chef  au  général  Lévis, 
dont  le  zèle  et  l'habileté  leur  étaient  bien  connus  ;  qu'en- 
fin il  avait  reçu  l'assurance  d'un  prompt  et  puissant 
secours  de  France." 

Cette  puissante  armée,  dont  parlait  le  gouverneur,  ne 
66  composait  que  d'environ  7,000hommes,  moitié  troupes 
réglées,  et  moitié  Canadiens  et  Sauvages,  et  elle  était 
très  peu  munie  d'artillerie  de  siège.  Malgré  cela,  l'en- 
treprise contre  Québec  était  peut-être  pour  les  Français 
ce  qu'il  y  avait  de  mieux  à  faire  dans  les  conjonctures 
où  ils  se  trouvaient.  En  reprenant  la  capitale,  ilsrede- 
venaient  maîti'es  de  tout  le  gouvernement  de  Québec, 
et  mettaient  les  Anglais  dans  la  nécessité  d'assiéger,  de 
nouveau,  cette  place,  en  supposant  qu'ils  fussent  entrés, 
les  premiers,  dans  le  Saint-Laurent  ;  dans  le  cas  con- 
traire, les  renforts  de  France  trouvaient,  à  leur  arrivée, 
où  se  loger  etse  poster  avantageusement,  ou  des  troupes 
prêtes  à  les  aider  à  se  rendre  maîtres  de  Québec,  sup- 
posé que  le  siège  eût  traîné  en  longueur,  ou  eût  été 
converti  en  blocus. 

Yers  le  milieu  d'avril  (1760),  le  fleuve  s'étant  débar- 
rassé des  glaces,  dans  les  environs  de  Mont-réal,  on 


DU   CANADA.  393 

fit  venii'  les  frégates,  les  navires  et  les  autres  bâtiraens, 
qui  avaient  hiverni;  à  Sorel  et  ailleurs,  afin  d'y  embar- 
quer les  troupes,  l'artillerie,  les  munitions  et  les  vivres. 
Le  17,  M.  de  Lévis  fit  partir  M.  de  la  Pause,  aide- 
maréchal  des  logis,  pour  aller  reconnaître  les  endroits 
propres  au  débarquement  des  troupes,  et  faire  préparer 
à  Jacques-Cartier,  et  aux  environs,  tout  ce  qui  était 
nécessaire  pour  que  l'armée  fût  en  état  de  marcher  sans 
délai  en  avant.  Les  bateaux  qui  portaient  ce  s  troupes 
furent  mis  à  l'eau,  le  20  et  le  21  :  les  fi-égates  et  les 
bâtiraens  de  transport  les  suivirent  de  près.  Les  bateaux 
arrivèrent  à  la  Pointe  aux  Trembles,  le  24,  et  les  plus 
gros  vaisseaux,  le  lendemain, 

En  arrivant  à  l'entrée  du  gouvernement  de  Québec, 
on  trouva  le  fleuve  encore  plein  de  glaces  ;  ce  qui,  joint 
au  grand  froid  qu'il  faisait,  semblait  devoir  arrêter 
l'armée  ;  mais  sentant  combien  il  était  important  d'arri- 
ver devant  Québec,  avant  que  les  Anglais  fussent  ins- 
truits de  sa  marche,  le  général  fit  surmonter  tous  ces 
obstacles.  La  Pause  fut  encore  envoyé  en  avant,  pour 
voir  jusqu'oii  l'on  pourrait  aller  en  bateaux,  et  recon- 
naître la  position  des  Anglais,  qu'on  savait  avoir  établi 
des  postes,  depuis  la  ville  jusqu'à  la  rivière  du  Cap 
Rouge,  dont  ils  gardaient  le  passage.  Il  ne  parut  pas 
possible  de  tenter  de  traverser,  au  bas  de  cette  rivière, 
ni  de  faire  un  débarquement  entre  le  Cap  Rouge  et  Qué- 
bec. Il  fut  donc  résolu  qu'on  gagnerait  l'intérieur  des 
terres,  et  qu'on  traverserait  la  rivière  du  Cap  Rouge,  à 
deux  lieues  de  son  embouchure,  pour,  après  avoir  passé 
par  la  Vieille  Lorettc,  retomber  dans  le  grand  cliemin, 
et  s'emparer  des  hauteurs  de  Sainte-Foy. 

On  descendit, le  26,  jusiiue  vis-à-vis  de  Saint- Augus- 
tin, dans  les  bateaux,  (ju'on  traîna  sur  la  glace,  et  qu'on 
laissa  dans  l'endroit,  avec  une  garde  ;    et  les  troupes 


394  HISTOIRE 

e'achemirièrent,  avec  une  partie  des  vivres  et  des  muni- 
tions, et  trois  pièces  de  canon.  M.  de  Bourlamaque  fut 
envoyé  en  avant,  avec  un  détachement  de  l'artillerie,  les 
grenadiers  et  les  Sauvages,  pour  construire  des  ponts  sur 
la  rivière  du  Cap  Rouge,  et  avertir  quand  il  serait  temps 
que  l'armée  se  mît  en  mouvement. 

Vers  deux  heures  de  l'après-midi,  sur  l'avis  que  reçut 
le  général,  qu'il  y  avait  deux  ponts  de  jettes  sur  la  rivière 
du  Cap  Rouge,  l'armée  avança,  et  Bourlamaque  eut  ordre 
de  traverser  la  rivière,  et  de  s'emparer  de  toutes  les 
maisons  qui  couvraient  le  passage.  La  partie  de  l'armée 
qui  arriva  la  dernière,  ne  put  traverser  la  rivière  que 
durant  la  nuit,  et  elle  le  fit,  à  la  lueur  des  éclairs,  qui 
se  succédaient,  à  courts  intervalles. 

Ayant  ai^pris  que  les  Anglais  s'étaient  retirés  de 
l'Ancienne  Lorette  à  Sainte-Foy,  M.  de  Lé  vis  envoya 
au  général  Bourlamaque  Tordre  de  se  porter  en  avant, 
autant  qu'il  le  pourrait  faire,  sans  se  compromettre,  et  fit 
avancer  les  brigades,  à  mesure  qu'elles  avaient  traversé  ; 
mais  l'artillerie  n'ayant  pu  passer,  durant  la  nuit,  il  fut 
forcé  d'attendi-e  jusqu'à  10  heures  du  matin,  pour  la  faire 
marcher,  en  même  temps,  aux  Anglais,  qu'il  se  propo- 
sait d'attaquer  incessamment.  Ayant  reconnu  leur  posi- 
tion, il  ordonna  à  M.  de  La  Pause  de  faire  avancer 
l'armée,  pour  qu'elle  pût  se  former  ;  mais  voyant  les 
Anglais  se  renforcer,  et  occuper  tous  les  endroits  acces- 
sibles, et  ne  pouvant  faire  déboucher  son  armée  qu'à 
travers  des  bois  marécageux,  ni  la  former  ensuite  que 
BOUS  le  feu  de  leur  artillerie  et  de  leur  mousqueterie,  il 
résolut  d'attendre  la  nuit,  pour  avancer,  et  les  tourner, 
par  leur  gauche. 

Le  détachement  anglais  de  Sainte-Foy  eût  été  tourné, 
en  effet,  et  très  probablement  taillé  en  pièces,  sans  un 
incident  des  plus  singuliers.     L^n  canonnicr  Français 


DU   CANADA.  395 

étant  tombé  à  l'eau,  en  voulant  sortir  de  sa  chaloupe, 
vis-à-vis  de  Saint-Augustin,  un  glaçon  se  rencontra  sous 
sa  main  :  il  j  grimpa,  et  se  laissa  aller  au  gré  du  flot. 
Il  fut  porté  ainsi  j  us<[u'auprès  de  l'île  d'Orléans,  et  rame- 
né devant  Québec  par  le  reflux.  La  sentinelle  ayant 
apperçu  un  homme  sur  im  glaçon,  cria  au  secours.  On 
court  au  malheureux,  et  on  le  trouve  sans  mouvement. 
Son  uniforme  l'a^nt  fait  reconnaître  pour  un  soldat 
français,  on  se  détermine  à  le  porter  chez  le  gouverneur, 
où  la  force  des  liqueurs  spiritueuses  le  rappelle,  un 
moment,  à  la  vie  ;  et  il  recouvre  assez  de  voix  pour  dire 
que  l'armée  du  chevalier  de  Lévis  est  aux  portes  de  la 
ville.  Le  général  Murray  expédia  à  la  garde  avancée 
l'ordi'e  de  rentrer  dans  la  place,  en  toute  diligence  ;  ce 
qu'elle  fit,  après  avoir  brûlé  l'église  de  Sainte-Foy,  où 
il  y  avait  un  dépôt  d'armes. 

Dès  que  le  feu  fut  apperçu,  les  gardes  avancées,  les 
grenadiers  et  la  cavalei'ie  eurent  ordre  de  marcher  en 
avant.  Le  corps  d'amiée  suivit  les  avant-gardes,  mais 
ne  les  rejoignit,  qu'à  l'entrée  de  la  nuit,  près  d'une 
maison  fortifiée,  d'où  les  Anglais  tirèrent  quelques  coups 
de  canon,  avant  de  l'abandonner. 

Le  général  français  se  proposait  d'aller  prendre  posi- 
tion sans  délai  à  l'anse  du  Foulon  ;  mais,  le  28  au  matin, 
ayant  vu  les  Anglais,  sortis  de  la  place,  s'avancer  en 
force,  pour  reprendre  les  redoutes  qu'ils  avaient  aban- 
données, pendant  la  nuit,  et  n'ayant  pas  de  troupes  ù 
portée  de  soutenir  les  piquets  qu'il  y  avait  placés,  il 
leur  fit  donner  l'ordre  de  la  retraite.  Il  avait  précédem- 
ment, donné  à  l'armée  l'ordi'e  de  se  reserrer,  en  avan- 
çant. Les  ordres  pour  les  positions  sur  le  champ  do 
bataille,  furent  donnés  avec  une  promptitude  et  une  pré- 
sence d'esprit  remarquables, 

La  troisième  des  brigades,  qui  devait  former  la  droite, 


396  HISTOIRE 

débouchait  encore,  lorsque  les  Anglais,  qui  étaient  for- 
més, se  mirent  en  mouvement,  pour  charger  les  Fran- 
çais, avec  vingt-quatre  pièces  d'artillerie.  M.  de  Lévis 
fît  aussitôt  reculer  les  deux  premières  brigades,  à  l'entrée 
du  bois  qui  était  derrière,  pour  attendre  que  les  autres 
fussent  formées,  et  pussent  les  soutenir  ;  ce  qui  s'exé- 
cuta, dans  le  plus  grand  ordre,  quoique  sous  le  feu  du 
canon  et  de  la  mousqueterie  des  Anglais. 

Pendant  que  la  dernière  brigade  se  formait,  les  An- 
glais mai'chèrent  à  la  droite  des  Français,  où  les  grena- 
diers occupaient  une  des  redoutes  dont  il  vient  d'être 
parlé.  Ces  derniers  furent  forcés  d'abandonner  leur 
position  :  la  brigade  se  retira  un  peu,  pour  achever  de 
se  former,  et  remarcha  aussitôt  en  avant,  pour  soutenir 
les  grenadiers,  qui  se  remparèrent  de  la  redoute. 

En  arrivant  à  l'aile  gauche,  où  il  devait  commander, 
le  brigadier  Bourlamaque  fut  blessé  et  eut  un  cheval 
tué  sous  lui.  Le  général  en  chef  passa  à  cette  aîle,  pour 
y  donner  ses  ordres,  et  repassa  ensuite  à  l'aile  droite, 
entre  les  deux  armées.  Il  s'était  proposé  de  charger  les 
Anglais  en  flanc,  avec  les  brigades  de  la  Reine  et  de 
Roussillon,  qui  débordaient  les  hauteurs  dont  ils  s'étaient 
emparés  ;  mais  en  conséquence  d'un  ordre  mal  rendu 
par  un  officier,  la  brigade  de  la  Reine  alla  se  poster 
derrière  la  gauche,  où  elle  devenait  inactive.  Il  prit 
sur-le-champ,  la  résolution  d'exécuter  son  mouvement 
avec  le  seul  régiment  de  Roussillon  ;  et  il  le  fit  si  à 
propos,  et  si  vigoureusement,  que  l'aîle  gauche  des 
Ano-lais  fut  enfoncée,  en  un  instant.  Le  désordre  se 
communiqua  promptement  à  l'aîle  droite,  qui  avait 
devant  elle  le  colonel  Dakquier,  à  la  tête  du  régiment 
de  Béarn  ;*  et  toute  l'armée  de  Murray  fut  forcée  de 

*  Ayant  remarqué  quelque  désordre  vers  le  centre  de  l'armée, 
pendant   le  mouvement  rétrograde  de  l'aîle   droite,   "  le   brave 


DU   CANADA.  397 

retraiter   précipitamment,   laissant   sur   le   champ   de 
bataille,  ses  morts,  ses  blessés  et  toute  son  artillerie. 

La  bataille  de  Sainte-Foy,  ou  de  Sylleri,  dura  environ 
deux  heures.  Les  Français  et  les  Anglais  y  montrè- 
rent une  bravoure  et  une  ardeur  à  peu  près  égales  :  la 
perte  des  premiers,  en  tués  et  blessés,  fut  d'environ 
huit  cents  hommes,  et  celle  des  Anglais  de  12  ù  l,ôOO,* 
sans  compter  un  nombre  assez  considérable  de  prison- 
niers. Cette  perte  aurait  sans  doute  été  plus  grande 
encore,  si  les  troupes  françaises  n'eussent  pas  été  excé- 
dées de  fatigues,  au  point  de  ne  pouvoir  suivre  les 
fuyards.  Le  nombre  des  combattans  était  d'environ 
4,000,  du  côté  des  Anglais,  et  d'environ  6,000,  de  celui 
des  Français;!  mais  environ  1,400  de  ces  derniers 
n'eurent  point  de  part  à  l'action,  entre  autres,  le  régi- 
ment de  la  Reine  et  la  cavalerie.  Quant  aux  Sauvages, 
ils  s'étaient  retirés,  avant  le  combat.|     Les  blessés  des 

Darqcier  s'adresse  vivement  à  ses  soldats  :  "  Mes  enfans,  leur 
dit-i),  ce  n'est  pas  le  moment  de  se  retirer  :  nous  sommes  à  vingt 
pas  de  l'ennemi  ;  jettons-nous  sur  lui,  tète  baissée  et  labayonnette 
en  avant  ;  c'est  le  meilleur  parti."  Ses  troupes  s'élancent  aussitôt 
sur  l'ennemi,  le  culbutent,  et  s'emparent  comme  l'éclair  d'une 
partie  de  ses  canons.  Darquior  recuit  au  travers  du  corps  une 
blessure  ;  mais  il  se  fait  soutenir  par  ses  soldats,  et  il  coutinue  à 
donner  des  ordres." — M.  Koi;x  de  Rochelle. 

*Raynal  exagère,  sans  doute,,  en  disant  que  les  Anglais  laissè- 
rent 1,800  des  leurs  sur  le  champ  de  bataille  ;  mais  M.  Smith 
exagère  encore  plus,  et  d'une  manière  bien  plus  improbable, 
lorsqu'en  portant  la  perte  du  général  Murray  à  1,000  hommes,  il 
dit  que  les  Français  avouaient  en  avoir  perdu  1,800  ! 

f  l'our  une  raison,  ou  pour  une  autre,  M.  Smith  diminue  d'un 
quart  l'armée  de  M.  Murray,  et  augmente  du  double  celle  du 
chevalier  de  Lévis. 

J  Ce  fait  prouve  la  fausseté  de  l'assertion  de  M.  Smith,  qui  ôsc 
dire  que  la  plupart  des  blessés  anglais  laissés  sur  le  champ  de 
bataille,  furent  abandonnés  par  les  Français,  comme  des  victimes, 
pour  assouvir  la  rage  de  leurs  barbares  alliés.  Les  Sauvages 
n'eurent,  en  cette  occasion,  ni  rage  ni  vengeance  à  assouvir, 
puisque,  par  leur  Lâcheté,  leur  défiance,  ou  leur  prudence,  il* 
fi'étoient  mis  dans  le  cas  de  ne  pas  perdre  im  seul  homme. 

Kk 


398  HISTOIRE 

deux  armées  furent  portés  à  l'hôpital-général.  Les 
Canadiens  eurent  à  regretter,  entre  autres  officiers,  les 
apitaines  de  la  Roxde  et  IIêaujie. 

La  défaite  de  Murray  fut  le  dernier  triomphe  des 
Français  en  Canada.  Rentré  dans  Québec,  le  géné- 
ral anglais  n'eut  rien  de  plus  pressé  que  d'augmenter 
ses  moyens  de  défense,  en  garnissant  de  canons  les 
remparts,  en  élevant  des  cavaliers  et  autres  ouvrages 
extérieui's.  Dans  le  cours  de  l'hiver,  il  avait  ouvert 
des  embrasures,  érigé  des  batteries  de  canons,  barricadé 
les  avenues  des  fauxbourgs,  formé  un  amas  de  4,000 
fascines,  et  fait  emmagasiner  pour  onze  mois  de  provi- 
sions de  bouche.  Le  soir  du  même  jour  (28  avril),  il 
émana  un  ordre  général,  pour  ranimer  la  confiance  de 
ses  troupes,  et  les  exhorter  à  supporter  patiemment  les 
fatigues  d'un  siège,  et  à  en  affronter  bravement  les 
périls. 

Après  que  les  Anglais  furent  rentrés  dans  Québec, 
les  Français  s'emparèrent  de  la  crête  des  hauteurs,  à 
environ  trois  cents  toises  de  la  place,  et  y  passèrent  la 
nuit.  Le  côté  de  Québec  terminé  par  la  côte  d'Abra- 
ham et  l'escarpement  du  fleuve,  le  seul  qui  fût  accessi- 
ble, était  défendu  par  une  enceinte  de  six  bastions 
revêtus,  et  presque  sur  une  ligne  droite  :  un  fossé  peu 
profond,  quelques  terres  rapportées  sur  la  contre- 
escarpe,  et  six  ou  sept  redoutes  de  bois,  construites  par 
les  Anglais,  couvraient  cette  enceinte.  Le  terrain  est 
partout  pierreux,  sur  les  hauteurs,  et  devient  presque 
un  roc  vif,  en  approchant  de  la  ville.  Après  avoir 
reconnu  la  place,  le  général  français  décida  qu'on  com- 
mencerait par  une  paraÛèle  aux  hauteurs,  au  front  des 
bastions  de  Saint-Louis,  de  la  Glacière  et  du  Cap  aux 
Diamans,  et  qu'on  y  établirait  des  batteries  ;  le  mauvais 
état  du  revêtement,  dans  cette  partie,  faisant  espérer 


DU   CANADA.  399 

qu'on  pourrait  de  là  faire  broche,  malgré  l'éloignement, 
et  la  faiblesse  du  calibre  des  pièces. 

Les  travaux  préparatoires  durèrent  depuis  le  29 
avril  jusqu'au  9  mai  ;  le  10,  les  batteries  de  canons  et 
de  mortiers  commencèrent  à  jouer  sur  la  place,  et  le 
firent  avec  assez  d'activité,  mais  sans  beaucoup  de 
succès,  jusqu'au  15.  Ce  même  jour,  le  général  français 
fut  averti  que  deux  gros  vaisseaux,  qui  paraissaient 
ôtre  anglais,  venaient  d'arriver  entre  l'ile  d'Orléans  et 
la  Pointe  Lévy.  Une  frégate  anglaise  était  entrée, 
dès  le  9,  dans  le  poi't  de  Québec.  Sur  cet  avis,  le 
général  envoya  ordre  aux  bâtimens  de  transport,  où 
étaient  les  vivres,  les  munitions  et  une  partie  de  l'artil- 
lerie, de  se  retirer,  et  aux  frégates  celui  de  se  tenir  sur 
leurs  gardes.  Mais,  soit  que  ces  ordres  eussent  été 
reçus  trop  tard,  ou  qu'on  n'y  eût  pas  obéi  assez  promp- 
tement,  les  vaisseaux  Anglais  s'étant  avancés,  le  lende- 
main, 16,  sous  les  ordres  du  Commodore  Savantox,  les 
frégates  fi-ançaises  n'eurent  que  le  temps  de  s'échouer, 
l'une,  un  peu  au-dessus  du  Cap  aux  Diamans,  et  l'autre, 
vis-à-vis  de  la  Pointe  aux  Tz-embles,  où  on  les  brûla, 
pour  empêcher  que  les  Anglais  ne  s'en  rendissent 
maîtres.*  Quelques  uns  des  bâtimens  de  transport 
furent  aussi  détruits. 

Le  21,  le  chevalier  de  Lévis,  désespérant  de  voir 

*  il.  DE  Val'cl.vin  qui  commandait  une  des  frégates,  avait 
combattu,  en  retraitant,  uiin  de  proti'gf  r  l'embaniuement  de  quel- 
ques effets,  qui  se  faisait,  et  lorsqu'il  voulut  se  jetter  à  la  côte,  les 
Anglais  l'avaient  prévenu.  Il  lui  fallut  combattre  de  nouveau,  et 
il  le  fit  jusqu'à  ce  qu'il  no  lui  restât  ni  boulet  ni  poudre.  Alors 
il  envoie  à  terre  les  hommes  de  sou  équipage  qui  pouvaient 
encore  serN'ir,  puis  reste  à  bord,  avec  les  blessés,  et  continue,  sans 
demander  à  se  rendre,  d'essuyer  tout  le  feu  de  l'ennemi.  Les 
Anglais  s'approchent,  dans  des  canots  armés,  du  vaisseau  qui  ne 
leur  répond  plus:  ils  y  trouvent  Vauclain  couvert  de  blessures, 
mais  debout,  au  milieu  d'hommes  mourants.  Le  général  Murray 
■ut  honorer  sa  valeur,  en  le  traitant  avec  distinction. 


400  HISTOIRE 

arriver  prochainement  des  secours  de  France,  et  voyant 
son  armée  presque  réduite  aux  seules  troupes  réglées, 
par  la  désertion  du  plus  grand  nombre  des  miliciens,  et 
sur  le  point  de  manquer  de  vivres,  se  détermina  à  la 
reconduire  dans  le  gouvernement  de  Montréal,  à  l'ex- 
ception d'un  corps  d'environ  1,800  hommes,  qu'il  laissa 
aux  ordres  de  M.  Dumas,  pour  occuper  la  Pointe  aux 
Trembles,  le  fort  de  Jacques-Cartier  et  l'église  de 
Déchambault.* 

Aussitôt  après  le  départ  des  Français,  le  général 
]\Iurray"  envoya  un  détachement,  pour  abattre  les 
ouvrages  qu'ils  avaient  élevés.  Il  sortit  ensuite  de  la 
ville,  avec  ses  troupes,  dans  l'espoir  de  joindre  leur 
arrière-garde;  mais  elle  avait  déjà  passé  la  rivière  du 
Cap  Rouge.  Le  lendemain,  il  émana  une  proclama- 
tion peu  différente,  quant  au  fond,  de  celle  du  général 
"YVolfe,  mais  d'ailleurs  remplies  d'expressions  a^sez 
inconvenantes.! 

Dans  le  même  temps  qu'on  lisait  cette  proclamation, 
qui  promettait  conditionnellement  aux  Canadiens  l'ex- 
ercice de  leur  culte,  la  conservation  de  leurs  lois  et  de 
leurs  usages,  on  recevait  de  France  des  nouvelles- bien 
capables  de  porter  le  découragement  dans  tous  les 
espi'its  :  on  apprenait,  non  seulement  que  les  secours 
attendus  n'arriveraient  point,  parce  que  le  peu  de  vais- 
seaux qui  restaient  à  la  France  étaient  bloqués  dans  ses 

*  "  il.  le  chevalier  de  Lôvis  fit  d'abord  défiler  ses  troupes,  et 
laissa  dans  les  batteries  quelques  habitans,  commandés  par  le  sienr 
Decoigxe,  capitaine  de  milice  de  Mont-réal  qui  eut  l'iionneur  de 
faire  le  dernier  sa  retraite,  et  en  bon  ordre." — Mémoires,  etc. 

f  "  Le  chevalier  de  Lévis  ayant  su  que  quelques  uns  l'avaient,  à 
Mont-réal,  menaça  de  les  faire  pendre,  et  il  l'eût  fai  c,  s'il  l'eut  pu  : 
il  s'en  plaifjnit  au  marquis  de  Vaudreuil,  qui  lui  répondit  (très 
sensément),  que  le  meilleur  remède  était  de  sembler  n'y  faire 
aucune  attention,  et  même  d'en  badiner,  lorsque  l'occasion  s'eu 
présenterait." — Ibid. 


DU   CANADA.  401 

ports,  mais  encore  que  les  lettres  de  change  tiroes, 
l'année  précédente,  sur  la  trésorerie,  n'avaient  pas  été 
payées,  et  que  le  pouvoir  de  l'intendant  d'en  tirer  de 
nouvelles  était  suspendu.  Le  système  financier  de  M. 
Bigot  était  devenu,  depuis  longtems,  l'objet  de  l'ani- 
raadversion  publique,  et  la  cour  de  France  avait  fait 
passer  M.  de  Tkemes  en  Canada,  pour  prendre  des 
informations  sur  le  sujet.  Ce  commissaire,  homme  de 
talent  et  de  pénétration,  découvrit  bientôt  les  fraudu- 
leuses manœuvres  d'une  partie  des  officiers  civils,  et  la 
coupable  connivence  de  l'intendant.  D'après  le  compte 
qu'il  rendit,  il  fut  décidé  qu'il  ne  serait  plus  fait  de 
paiemens  avant  la  plus  mûre  considération.  Mais 
comme  il  était  nécessaire  que  le  crédit  du  papier- 
monnaie  se  soutint  en  Canada,  tant  que  les  troupes  du 
roi  y  demeureraient,  le  gouverneur  et  l'intendant  eurent 
ordre  de  faire  connaître  aux  habitans  les  arrangemens 
qui  avaient  été  pris  concernant  les  lettres  de  change  et 
les  ordonnances.  Conformément  à  leurs  instructions, 
ils  adressèrent,  conjointement,  aux  habitans  du  Canada 
une  circulaire,  portant, 

"  Qu'ils  venaient  de  recevoir  une  lettre  du  ministre 
des  colonies,  par  laquelle  il  leur  était  ordonné  de  faire 
connaître  que  les  évènemens  qui  avaient  eu  lieu  met- 
taient sa  majesté  dans  la  nécessité  de  suspendre  le 
paiement  des  lettres  de  change  tirées  sur  la  trésorerie  ; 
que  celles  qui  avaient  été  tirées  en  1757  et  1758 
seraient  payées,  trois  mois  après  que  la  paix  aurait  été 
conclue;  celles  de  1759,  dix-huit  mois  après;  et  le8 
ordonnances,  aussitôt  que  les  circonstances  le  permet- 
traient ;  qu'ils  avaient  ordre  d'assurer  les  habitans  du 
Canada  que  rien  qu'un  manque  total  de  fonds  dans  lu 
trésorerie  n'avait  pu  contraindre  le  roi  à  adopter  ce 
plan  de  conduite  envers  des  sujets  qui  lui  avaient  donné 
Kk2 


402  HISTOIRE 

tant  de  preuves  de  fidélité  et  d'attachement,  et  que  sa 
majesté  était  persuadée  qu'ils  attendraient,  avec  patience 
et  résignation,  le  moment  où  tout  ce  qui  leur  était  dû 
leur  serait  payé." 

Le  dérangement  des  finances  de  la  France  était  réel, 
et  il  n'y  a  guère  à  douter  que  le  péculat  qui  avait  eu 
lieu,  dans  ce  pays,  n'y  eût  contribué  jusqu'à  un  certain 
point. 

Pour  revenir  aux  mouvemens  militaires,  M.  Dumaa 
laissa  quatre  cents  hommes  à  la  Pointe  aux  Trembles, 
sous  le  commandement  de  M.  de  Laroche-Beaueourt,  et 
quatre  cents  à  Jacques-Cartier,  sous  M.  de  Repen- 
TiGNY,  et  se  porta  lui-même  à  Déchambault,  avec 
environ  1,000  hommes.  M.  de  Lévis  donna  ses  ordres, 
en  passant,  aux  Trois-Rivières  et  ailleurs,  et  arriva  à 
Mont-réal,  le  29  mai.  Le  premier  résultat  d'une  con- 
férence qu'il  eut  avec  le  gouverneur,  sur  les  mesures  à 
prendre  pour  la  défense  du  pays,  fut  une  circulaire 
adressée  aux  capitaines  de  milice,  dans  la  vue  de  contre- 
carrer l'eâet  de  la  proclamation  du  général  Murray,  et 
de  rassurer  les  habitans,  par  l'espoir,  non  pas  tant  de 
prorapts  secours  de  France,  que  d'une  paix  prochaine 
et  avantageuse. 

La  paix  était  bien,  en  eifet,  ce  que  les  Canadiens 
devaient  désirer  le  plus  ardemment,  dans  les  conjonc- 
tures fâcheuses  et  embarrassantes  où  ils  étaient,  depuis 
quelque  temps;  pressés,  contraints  même,  d'un  côté, 
d'être  constamment  armés  pour  la  défense  de  leur  paya 
natal,  liée  à  la  cause  de  leur  souverain  ;  menacés,  de 
l'autre,  de  tous  les  maux  que  peuvent  infliger  des  enne- 
mis armés  et  triomphants,  s'ils  ne  mettaient  bas  les 
armes,  et  ne  demeuraient  tranquilles  chez  eux,  leur 
anxiété  et  leur  malaise  devaient  être  extrêmes,  et  pres- 
que sans  exemple,  dans  les  annales  de  la  guerre.    Ceux 


DU    CAXADA.  403 

qui  durent  se  trouver  dans  le  plus  grand  embarras^  au 
printems  de  1760,  furent,  sans  contredit,  les  habitans 
des  paroisses  situées  entre  Québec  et  les  Trois-Rivières, 
ou  même  plus  haut  :  en  suivant  les  Français  dans  le 
gouvernement  de  Mont-réal,  ils  laissaient  leurs  femmes, 
leurs  enfans  et  leurs  biens  à  la  merci  d'un  ennemi  dont 
ils  avaient  tout  lieu  de  redouter  le  ressentiment  et  la 
vengeance;  en  ne  le  foisant  pas,  ils  s'exposaient  à  être 
punis  sévèrement,  dans  le  cas  où  le  roi  de  France 
demeurerait  éventuellement  maître  du  pays.  Le  dan- 
ger présent, joint  à  l'intérêt  piivé,  l'emporta  néanmoins 
sur  la  crainte  d'un  mal  éloigné  ;  et  presque  tous  ceux 
qui  avaient  été  enrôlés  se  retirèrent  chez  eux,  à  mesure 
qu'ils  trouvèrent,  pour  le  faire,  une  occasion  favorable, 
ou  un  prétexte  plausible. 

Après  la  levée  du  siège  de  Québec,  Mont-réal  devint 
le  quartier-général,  et  à  peu  près  le  seul  point  de 
défense  des  Français.  On  y  érigea  de  nouvelles  forti- 
fications ;  on  y  foi'ma  des  magasins  de  vivres  et  de 
munitions,  et  l'on  arma  en  guerre  quelques  uns  des 
vaisseaux,  grands  et  petits,  qu'on  y  avait.  On  érigea 
aussi  des  batteries  dans  l'ilc  Sainte-Hélène,  et  l'on 
envoya  un  ingénieur  dans  les  îles  qui  se  trouvent  à 
l'entrée  du  lac  Saint-Pierre,  pour  y  faire  faire  les 
ouvrages  qu'il  croirait  propres  à  arrêter  la  flotte  anglaise 
qui  devait  remonter  le  fleuve. 

Le  lô  juin,  trois  cents  Anglais  surprirent  le  poste  de 
Sainte-Thérèse,  entre  Saint-Jean  et  Chambly  ;  enlevè- 
rent les  effets  militaires  qu'il  y  avait,  brûlèrent  quel- 
ques maisons,  et  emmenèrent  prisonniers  une  vingtaina 
d'iiabitans.  Dans  le  cours  du  même  mois,  le  colonel 
Fraser  fat  envoyé  de  Québec,  avec  environ  neuf  cents 
hommes,  pour  réduire  le  fort  de  Jacques-Cartier.  Le 
marquis  d' Alueegotti,  qui  y  commandait  alors,  répon- 


404  HISTOIRE 

dit  à  la  sommation  qui  lui  fut  faite  de  se  rendre,  qu'il 
défendrait  son  fort  jusqu'à  la  dernière  extrémité.  Sur 
quoi,  le  colonel  Fraser  fit  avancer  deux  pièces  de 
campagne  et  deux  obusiers,  pour  battre  la  place,  forma 
ses  troupes  en  ti'ois  divisions,  et  leur  ordonna  de  mar- 
cher pour  donner  l'assaut.  Le  commandant  français, 
qui  s'en  apperçut,  battit  la  chamade,  et  se  rendit  à 
discrétion.  La  garnison  ne  consistait  plus  qu'en 
cinquante  hommes  de  troupes  réglées  et  cent- cinquante 
miliciens.  Les  troupes  laissées  précédemment,  à  la 
Pointe  aux  Trembles,  en  avaient  été  retirées. 

Le  général  Murray  s'embarqua,  au  commencement 
de  juillet,  avec  la  plus  grande  partie  des  troupes  qu'il 
commandait,  sur  une  escadre  accompagnée  de  batteries 
flottantes,  afin  de  se  trouver  près  de  Mont-réal,  en 
même  temps  que  l'armée  du  lac  Champlain,  sous  le 
colonel  Haviland,  et  celle  du  général  Amherst,  qui 
devait  descendre  le  Saint-Laurent.  Dès  qu'on  eut  eu 
avis,  à  Mont-réal,  du  départ  de  la  flotte  anglaise  de 
Québec,  on  envoya  à  M.  Dumas  l'ordre  de  la  suivre, 
6ur  la  rive  du  nord,  avec  toutes  les  troupes  qu'il  avait 
sous  son  commandement,  afin  de  s'opposer  aux  débar- 
quemens  qu'elle  pourrait  tenter  d'y  faire,  et  de  la 
harceler,  quand  la  chose  serait  possible. 

M.  Murray  fut  environ  deux  mois  sur  le  fleuve,  et 
eut  tout  le  temps  de  faire  des  excursions,  et  quelquefois 
des  exécutions  militaires,  dans  les  campagnes,  particu- 
lièrement du  côté  du  sud,  oii  l'on  n'avait  presque  point 
de  troupes  à  lui  opposer.  Ayant  appi-is  qu'il  y  avait  un 
parti  de  soldats  français,  ou  de  miliciens,  sous  un 
lieutenant,  dans  la  paroisse  de  Sainte-  Croix,  il  y  envoya 
un  détachement  de  troupes.  Les  habitans  sans  armes 
e'enfuirent  dans  les  bois,  à  l'approche  des  Anglais; 
mais  les  hommes  armés  furent  attaqués,  et,  suivant  M. 


DU    CAXADA.  405 

Smith,  presque  tous  tués,  blessés,  ou  faits  prisonniers, 
y  compris  leur  commandant. 

Les  vents  contraires  rie  permettant  pas  à  la  flotte 
anglaise  d'avancer,  M.  Murray  fit  débarquer  ses 
troupes  à  Sainte-Croix,  à  Saint- Antoiyie  de  Tilly  et  à 
Lotbinière.  Les  habitans  ne  s'enfuirent  pas,  cette  fois, 
mais  mirent  bas  les  armes,  et  prêtèrent  serment  de 
neutralité,  après  avoir  entendu  une  harangue  que  leur 
fit  le  général  anglais,  dans  un  language  qui  aurait  fait 
peu  d'honneur  à  l'éducation  et  à  la  politesse  de  ce  mili- 
taire, s'il  eût  été  celui  que  M,  Smith  lui  met  ingénu- 
ment à  la  bouche. 

En  passant  vis-à-vis  de  Déchanibault,  des  Grondincs 
et  de  Batiscan,  la  flotte  anglaise  essuya  le  feu  des 
batteries  qui  y  avaient  été  érigées,  ou  de  corps  de 
miliciens  assemblés  pour  la  harceler,  et  perdit  quelques 
hommes.  En  arrivant  aux  Trois-Rivières,  elle  trouva 
la  ville  défendue  par  plusieurs  redoutes,  et  par  un  corps 
d'environ  2,000  hommes,  et  le  fleuve  obstrué  par  une 
espèce  de  barre,  formée  par  un  cable  de  seize  pouces 
passé  dans  de  forts  anneaux  de  fer,  couverts  de  pièces 
de  bois  attachées  avec  des  cordes,  et  allant  d'un  bout  à 
l'autre  du  chenal.  Il  fallut  quelques  heures  aux  mate- 
lots anglais  pour  lever  cet  obstacle  ;  après  quoi,  la 
flotte  continua  sa  route,  et  entra  dans  le  lac  Saint- 
Pierre. 

M.  de  Bourlamaque,  qui  commandait,  au  sud  du 
fleuve,  voyant  qu'on  n'aurait  pas  le  temps  d'achever  les 
ouvrages  commencés  dans  les  îles,  en  rappela  les 
troupes  qui  y  étaient,  de  peur  qu'elles  ne  fussent  cou- 
pées, et  les  fit  passer  à  Sorel.  La  flotte  anglaise  arriva 
vis-à-vis  de  cette  place,  le  13  août.  Quelques  jours 
après,  le  lord  Rollo  débarqua,  à  la  tête  d'un  détache- 
ment, au-dessous  du  fort,  brûla  un  grand  nombre  do 


406  HISTOIRE 

maisons,  et  dévasta  toute  la  pai'tie  du  nord  de  cetto 
pai'oisse.  Il  s'avança  ensuite,  à  la  vue  du  fort,  en  ordre 
de  bataille,  et  s'efforça,  par  diverses  manœuvres,  d'atti- 
rer les  Français  hors  de  leurs  retranchemens  ;  mais 
voyant  quïls  s'obstinaient  à  y  demeurer  enfermés,  il  se 
rembarqua. 

Le  chevalier  de  Lévis  se  porta  à  Berthier,  où  le 
corps  de  M.  Dumas  était  arrivé  ;  mais  ayant  appris  que 
l'armée  anglaise  du  lac  Champlain  avait  fait  sa  descente, 
une  demi-lieue  au-dessus  de  l'Ile  aux  Noix,  il  revint,  en 
hâte,  à  Mont-réal,  et  envoya  à  Saint-Jean  les  régimens 
de  la  Eeine  et  de  Roussillon,  aux  ordres  de  M.  de 
Rauquemaure,  et  la  plus  grande  partie  des  milices  du 
gouvernement  de  Mont-réal.  Le  chevalier  de  La 
Corne  fut  envoyé,  en  même  temps,  aux  rapides  du 
fleuve,  à  la  tête  de  quatre  cents  hommes. 

Les  Anglais,  débarqués  à  l'embouchure  de  la  rivière 
du,  Sud,  commencèrent  à  tirer  sur  les  retranchemens 
de  rile-aux-Noix,  le  23  août.  Bougainville,  craignant 
d'être  coupé,  laissa  une  cinquantaine  d'hommes  dans  le 
fort,  avec  ordre  de  capituler,,  puis  se  retira,  avec  le 
reste  de  sa  garnison,  par  la  rive  gauche  de  la  rivière 
de  Richelieu,  et  joignit  Rauquemaure,  à  Saint- Jean,  le 
28.  Quelques  barges  anglaises  ayant  paru,  à  la  vue  de 
ce  fort,  les  troupes  françaises  se  retirèrent  derrière  la 
petite  rivière  de  3Ionf-réal. 

Cependant,  la  flotte  de  M.  Murray  était  arrivée,  le 
25,  à  quatre  lieues  au-dessous  de  Mont-réal  :  le  corps 
de  troupes  de  M.  Dumas,  qui  la  suivait  par  le  nord,  et 
celui  de  Bourlamaque,  par  le  sud,  étaient  aussi  arrivés, 
le  premier,  dans  File  de  Mont-réal,  et  le  second,  à  Bou- 
cherville  et  à  Longueil.  M.  de  Lévis  voyant  le  corps 
de  Bourlamaque  à  portée  de  se  joindre  à  celui  de 
Rauquemaure,  alla  reconnaître  la  position  de  ce  dernier, 


DU   CANADA.  407 

dans  la  vue  de  tenter  un  combat  contre  l'arm^'C  anglaise 
de  Saint-Jean  ;  et  revint  conférer  avec  M.  de  Bourla- 
maque  ;  mais  ayant  appris  que  M.  Murray  avait  fait 
débarquer  un  détachement  à  Varennes,  il  envoya  à 
Kuuquemaure  l'ordre  de  se  replier  à  Lapi'airie.  Trois 
cents  miliciens  attaquèrent  le  détachement  anglais  ; 
mais  ils  furent  repoussés,  avec  perte  de  quelques 
hommes  blessés,  et  d'une  vingtaine  de  prisonniers. 

Le  général  Amherst  s'était  embarqué,  le  10  août,  sur 
le  Saint-Laurent,  avec  une  armée  de  10,000  hommes. 
Il  rencontra,  sur  sa  route,  le  fort  Lévis,  dans  Vile  Royale, 
ou  à^  Oraconcnton,  où  commandait  M.  Pouchot.  Il 
érigea  des  batteries  dans  les  lies  voisines,  investit  le  fort, 
et  commença  à  le  canonner.  La  canonade  n'ayant 
pas  un  effet  aussi  prompt  qu'il  l'aurait  désiré,  il  se  dis- 
posait à  faire  donner  l'assaut,  lorsque  Pouchot  se  rendit. 

Le  2  septembre,  comme  M.  de  Lévis  haranguait  les 
Sauvages  du  Sault  Saint-Louis,  qu'il  avait  fait  venir  à 
Laprairie,  pour  les  engager  à  le  seconder,  dans  son 
dessein  d'attaquer  l'armée  du  colonel  Haviland,  un 
député  de  leur  village  vint  leur  annoncer  que  le  général 
Amherst  était  aux  Cèdres,  et  ils  se  retirèrent  tous,  en 
disant  qu'ils  allaient  faire  la  paix  avec  les  Anglais.* 

*C'étaiont-là  les  alliés  siu"  li.squols  quelques  uns  des  gouver- 
neiirs  du  Canada  avaient  cru  pnuvuir  compter  aussi  sûrement  que 
sur  des  Français  ou  des  Canadiens.  Ceux  des  Sauvages  qui 
étaient  descendus  des  environs  du  Détruit  et  de  iliehillimakinac, 
dans  l'été  de  1759,  étaient  remontés,  l'automne,  chargés  de  pré- 
8ens,  "  quoiqu'ils  n'eussent  été  que  spectateurs,  pour  ainsi  dire, 
de  ce  qui  s'était  passé."  JI.  ue  !Saixt-Lic,  le  Canadien  qui 
alors  avait  sur  eux  le  plus  d'influence,  et  "  aux  sentiniens  duquel 
ils  déféraient  vukmtiers,"  avait  été  chargé,  à  Mont-réal,  de  les 
engager  "à  ne  pas  se  rebuter,  et  à  attendre  encore  quelque 
temps."*  D'après  l'ordre  qu'il  en  avait  reçu,  il  avait  "encao-é 
quelques  uns  de  chaque  nation  à  rester,  sous  le  spécieux  prétexte 

•  "  Ce  peuple,  qui  ignorait  la  façon  des  Européens  de  faire  la  guerre, 
s' ennuyait  d'C-tre  si  longtems  à  attendrel'uiiuemi,ou  àl' attaquer." — McnwiTts, 
§tc. 


408  HISTOIRE 

Cette  nouvelle  fut  confirmée  pai'  La  Corne,  qui  s'était 
retiré,  à  l'approche  de  l'armée  anglaise,  et  qui  ajouta 
qu'elle  pourrait  être,  le  lendemain,  à  La  Chine. 

Le  général  français  ne  vit  d'autre  parti  à  prendre  que 
de  faire  replier  dans  l'île  de  Mont-réal  les  corps  de 
troupes  qui  étaient  au  sud  du  fleuve.  Le  corps  que 
commandait  le  général  Bourlaraaque  se  porta  au-dessus 
de  la  ville,  et  celui  de  Rauquemam'e,  au-dessous.  Le 
général  Murray  ayant  débarqué  dans  l'Ile,  avec  environ 
3,000  hommes,  M.  Dumas  se  rapprocha  de  la  viUe. 

L'armée  du  général  Amherst,  qui  avait  séjourné, 
quelques  jours,  dans  l'Ile  Perrot,  débarqua  à  La  Chine, 
le  6,  vers  1 1  hem-es  du  matin.  Les  volontaires  à  cheval^ 
qui  étaient  dans  cette  pai'tie,  se  retirèrent  devant  elle, 
pied  à  pied  ;  car  elle  se  mit  en  marche  vers  la  ville, 
aussitôt  après  avoir  débarqué.  Toutes  les  troupes 
françaises  entrèrent  dans  la  ville.  Tous  les  miliciens 
s'étant  retirés,  ainsi  qu'un  nombre  de  soldats  mariés, 
elles  ne  se  montaient  pas  à  beaucoup  plus  de  3,000 
hommes,  non  compris  cinq  cents  hommes,  qu'il  y  avait 
sur  l'Ile  Sainte-Hélène,  et  la  petite  garnison  de  Chambly. 
EUes  n'avaient  presque  plus  de  munitions,  et  les  vivres 
ne  pouvaient  pas  durer  plus  de  quinze  à  vingt  jours. 

L'armée  d' Amherst  campa  dans  les  plaines  de  Saint' 
Gabriel,  à  un  quart  de  lieue  de  la  ville  :  celle  d'Havi- 
land  était  arrivée  à  Laprairie.  Pendant  la  nuit  du  6 
au  7,  il  fut  tenu  une  assemblée  chez  le  gouverneur  :  M. 
Bigot  y  lut  un  mémoire  sur  l'état  de  la  colonie,  et  un 
projet  de  capitulation.     Tout  le  monde  fut  d'avis  qu'il 

du  besoin  qu'en  avait  leur  père  Ononthio,  mais  au  fond,  pour 
servir  d'otages  et  l'épondre  des  Français  qui  restaient  encore  dis- 
persés parmi  eux,"  et  il  leur  avait  fait  "  promettre  de  revenir 
l'année  d'ensuite."  Ils  laissèrent  des  otages  ;  mais  il  ne  rempli- 
rent pas,  il  paraît,  la  promesse  de  revenir  ;  probablement  en  con- 
séquence de  la  "  fimeste  nouvelle  de  Québec." 


DU    CANADA.  409 

convenait  de  préférer  une  capitulation  avantageuse  aux 
peuples  et  honorable  aux  troupes,  à  une  défense  qui  ne 
pouvait  retarder  que  de  quelques  jours  la  perte  du  pays. 
Le  7  au  matin,  le  colonel  Bougainville  fut  envoyé 
proposer  au  général  Ainherst  une  suspension  d'armes 
pour  un  mois.  Ce  général  s'y  étant  refusé,  on  lui 
envoya  proposer,  par  le  même  officier,  la  capitulation 
dont  on  avait  lu  le  projet,  dans  l'assemblée  de  la  veille. 
Il  minuta,  à  la  marge,  ce  qu'il  voulait  accorder,  refu- 
ser, ou  modifier  :  il  accorda  presque  tout,  excepté  les 
honneurs  demandés  pour  les  troupes  françaises,  voulant 
qu'elles  missent  bas  les  armes,  livrassent  leurs  drapeaux, 
et  ne  servissent  pas,  durant  la  guerre.  Cet  article 
paraissant  humiliant,  on  envoya  d'abord  le  colonel  de 
Bougainville,  et  ensuite  M.  de  La  Pause  faire  des  repré- 
sentations ;  mais  elles  furent  inutiles,  M.  Amherst  ne 
voulant  se  départir  en  rien  de  sa  première  détermina- 
tion. 

Le  chevalier  de  Lévis,  au  nom  des  troupes  qu'il 
commandait,  présenta  un  mémoire  au  gouverneur,  le 
priant  de  rompre  toute  négociation  avec  le  général 
anglais,  et  de  prendre  la  résolution  de  faire  la  défense  la 
plus  vigoureuse,  quelque  peu  d'apparence  qu'il  y  eût  de 
réussir  ;  ou  de  permetti;e  aux  troupes  de  se  retirer  dans 
l'ile  Sainte- Hélène,  pour  y  soutenir,  jusqu'à  la  dex'nière 
extrémité,  l'honneur  des  armes  de  France. 

Le  marquis  de  Vaudreuil  répondit  que  l'état  des 
affaires  ne  permettait  pas  de  rejetter  les  conditions  du 
général  anglais  ;  qu'il  devait  les  accei)ter,  pour  l'avan- 
tage du  pays  dont  le  gouvernement.lui  avait  été  confié  ; 
et  qu'il  ordonnait  à  M.  le  chevalier  de  Lévis  de  s'y  con- 
former. Ce  dernier,  pour  épargner  aux  troupes  une 
partie  de  l'humiliation  qu'elles  allaient  subir,  leur  ordon- 
na de  brûler  leurs  drapeaux  ;  ce  qu'elles  firent,  sur-le- 
champ.  lI 


410  HISTOIRE 

Par  la  capitulation,  la  ville  de  Mont-réal,  et  toutes  les 
places  occupées  par  les  Français  devaient  être  évacuées 
sans  délai,  et  livrées  aux  troupes  de  sa  majesté  britan- 
nique ;  les  troupes  françaises  devaient  mettre  bas  les 
armes  et  être  transportées  en  France,  pour  ne  pas  servir 
diu"ant  la  guerre  ;  le  gouverneur,  l'intendant  et  les  em- 
ployés du  gouvernement  devaient  pareillement  être 
transportés  en  France,  aux  frais  de  l'Angleterre:  quelques 
uns  de  ces  employés,  qui  avaient  des  affaires  à  régler, 
dans  la  colonie,  y  pouvaient  demeurer,  jusqu'à  ce  que 
ces  affaires  fussent  terminées  ;  les  Canadiens  devaient 
avoir  le  libre  exercice  de  leur  culte  ;  les  communautés 
de  religieuses  étaient  maintenues  dans  la  possession  de 
leurs  biens,  pi'ivilèges  et  immunités  ;  les  séminaires  et  les 
communautés  de  i*eligieux  continuaient  à  jouir  de  leurs 
revenus,  et  pouvaient  vendre  leurs  seigneuries  et  autres 
propriétés  foncières,  s'ils  le  jugeaient  à  propos,  et  en 
transmettre  le  produit  en  Finance.  Si  par  le  traité  de  paix, 
le  Canada  restait  à  l'Angleterre,  ceux  des  Français,  ou 
des  Canadiens,  qui  voudraient  passer  en  France,  le  pour- 
raient faire,  en  toute  liberté. 

Il  avait  été  demandé  des  choses  qui  ne  fm-ent  point 
accordées,  et  qui  ne  pouvaient  l'être  convenablement  ; 
telles  que  la  neutralité  perpétuelle  des  Canadiens,*  et 
la  nomination  de  l'évêque  de  Québec  par  le  roi  de 
France. 

Aussitôt  que  la  capitulation  eut  été  signée,  de  part 
et  d'autre,  le  général  Amherst  fit  occuper  une  des  portes 
de  la  viUe  par  un  détachement  de  troupes,  sous  le  colonel 
Haldijiakd.  Le  chevalier  de  Lévis  partit  pour  Québec, 
le  16  ;  le  gouverneur,  l'intendant  et  leurs  suites  parti- 
rent, quelques  jours  après. 

*  A  la  demande  de  la  neutralité  perpétuelle  des  Canadiens  le 
général  anglais  fit  cette  réponse  laconique  et  presque  sublime  : 
"Ils  deviennent  sujets  du  roL" 


DU   CANADA.  411 

Le  marquis  de  Montcalin  s'était  fa't  estimer  et  chérir 
de  ses  soldats  et  des  Canadiens,  surtout  de  ceux  qui 
avaient  combattu  sous  ses  ordres  :  le  chevalier  de  Lévis, 
d'une  sévérité  extraordinaire,  d'un  zèle  quelquefois 
outré,  dut  emporter  au  moius  l'estime  des  derniers  ;  car 
il  la  méi'itait,  par  son  activité,  son  courage,  et  son 
habileté.  Le  marquis  de  Vaudreuil,  au  contraire, 
partit  chargé  de  plus  de  haîne  qu'il  n'en  aurait  dû  porter, 
si  l'on  eût  voulu  être  rigoureusement  juste  à  son  égard. 
Pour  porter  sur  cet  illustre  Canadicnf  un  jugement 
équitable  et  impartial,  c'est  l'ensemble  de  sa  conduite, 
comme  gouverneur  du  Canada,  dans  les  circonstances 
extraordinaires  où  il  s'est  trouvé,  qu'il  convient  d'exa- 
miner ;  et  nous  avons  le  plaisir  de  voir,  dans  cet  en- 
semble, beaucoup  plus  à  louer  qu'à  blâmer.  Quand  on 
le  voit  déférer  volontiers  à  l'avis  des  généraux  Moutcalm 
et  Lévis,  pour  les  opérations  militaires,  on  doit  être 
moins  étonné  de  la  confiance  qu'il  mettait  dans  les 
talens  et  l'expérience  de  l'intendant  Bigot,  pour  les  af- 
faires civiles  et  financières.  H  eut  évidemment  l'idée  fixe 
de  demeurer  dans  les  bornes  du  devoir,  ou  du  pouvoir 
légitime,  comme  il  était  permis  de  l'exercer  alors  ;  il 
posséda,  à  un  haut  degré,  le  bon-sens  politique  ;  il  sut 
résister  à  toutes  propositions  impolitiques  ou  inconve- 
nantes ;  il  montra,  dans  ce  que  nous  nous  permettrons 
d'appeller  ses  procédés  diplomatiques,  de  l'énergie  et  de 
la  dignité  ;  enfin,  personne  ne  pourra  lui  refuser  ce 
degré  de  prudence,  et  cet  empire  sur  soi-même,  •  qui 
permettent  à  l'homme  de  choisir  le  meilleur  jiarti,  dans 
les  cas  à  peu  près  désespérés.  Les  Canadiens,  par- 
ticulièment,  durent  le  remercier  de  n'avoir  pas  voulu 
accéder  à  la  proposition  que  lui  fit  le  chevalier  de  Lévis, 
de  rompre  toute  négociation  avec  le  général  Amherst  ; 
proposition  peut-être  pardonnable  à  un  patriote  zélé  et 


412  HISTOIRE 

à  un  militaire  opris  de  la  gloire  des  armes,  tel  qu'était 
le  général  français,  mais  on  ne  peut  plus  téméraire, 
dans  les  conjonctures  où  se  trouvait  le  Canada.  Qui 
pourrait  dire,  en  effet,  quel  aurait  été  le  sort  des  liabi- 
tans  de  ce  pays  et  de  leur  postérité,  si  Mont-réal  eût 
été  pris  d'assaut,  ou  obligé  de  se  rendre  à  discrétion  ? 
Ils  lui  durent  encore  quelque  reconnaissance  d'avoir, 
dans  son  p»rojet  de  capitulation,  songé  à  leur  assurer 
tout  ce  qui  pouvait  contribuer  à  leur  avantage  et  à  leur 
bien-être  futur.*  S'il  demanda  pour  nos  pères,  ses 
compatriotes,  plus  que  le  vainqueur  ne  pouvait  conve- 
nablement accorder,  ce  n'est  pas  à  nous  de  nous  en 
plaindre,  ou  de  l'en  blâmer.  Son  frère,  Eigaud,|  devenu 
gouverneur  de  Mont-réal,  après  la  mort  du  baron  de 
Longueil,  se  comporta,  dans  son  gouvernement,  de 
manière  à  se  faire  estimer  et  chérir  de  toutes  les  classes 
de  la  société. 

Peu  de  jours  après  son  entrée  à  Mont-réal,  le  géné- 
ral Amlierst  fit  partir  le  major  Rogeks,  pour  aller 
prendre  possession  des  postes  que  les  Français  avaient 
sur  les  lacs,  et  au  de-là,  et  particulièrement,  du  Détroit 
et  de  Michillimakinac. 

Assez  tai'd,  dans  l'automne,  V Aigle,  vaisseau  français 
de  50  canons,  ayant  pris  la  voie  du  détroit  de  Bellisle, 
pour  entrer  dans  le  Saint-Laurent,  donna  sur  un  écueil, 
et  se  brisa.  Le  Léopard,  autre  vaisseau  de  guerre 
français,  de  60  canons,  entra  dans  le  Saint-Laurent,  et 
vint  jusque  devant  Québec,  où  il  fut  pris  et  brûlé,  de 
peur  qu'une  fièvre  putride,  qui  régnait  à  son  bord,  ne 

*  77(6  articles  of  capitulation  wider  tchich  Montréal  surrwidered 
ivere  higldy  honourable  ta  M.  fie  Vaudreuil,  who  exacted  ta  the 
vtmost  that  he  could  possibly  expect  ta  obtain,  every  advantaç/e  for 
the  peuple  he  had  previously  governed. — M.  M'GiitGOK,.  British 
America. 

f  Né  à  Québec,  en  1638.    t  Né  à  Mout-réal,  en  1704. 


DU   CANADA.  413 

se  communiquât  aux  habitans.  Dès  le  printems,  la 
cour  de  France  avait  tenté  de  faire  parvenir  un  secours 
de  vivres  et  de  munitions  dans  la  colonie.  Mais  la 
flotille  française,  qui  consistait  en  une  frégate  et  une 
vingtaine  de  navires  de  charge,  étant  entrée  dans  le 
Saint-Laurent,  après  que  l'escadre  anglaise  fut  arrivée 
au  port  de  Québec,  elle  avait  été  forcée  de  rebrousser 
chemin.  Elle  alla  relâcher  dans  la  baie  des  Chaleurs, 
où  elle  fut  attaquée  et  détruite  par  le  capitaine  Bykon, 
venu  de  Louisbourg,  avec  une  escadre. 

Quand  même  ce  secours  aurait  réussi  à  remonter  le 
Saint-Laurent,  il  n'aurait  probablement  pas  retardé  de 
beaucoup  la  reddition  du  Canada  ;  et  peut-être  le  retard 
n'était-il  pas  à  désirer  :  la  possession  de  ce  pays  était 
devenue  pour  la  France  un  fardeau  qui  s'appesantissait 
de  jour  en  jour  ;  la  misère  et  le  malaise  y  croissaient 
dans  la  même  proportion,  et  cela,  principalement  en 
conséquence  du  gaspillage  des  deniers  publics.  "  Les 
dépenses  annuelles  du  gouvernement  pour  le  Canada, 
dit  Kaynal,  qui  avant  1749,  ne  s'étaient  jamais  élevées 
au-dessus  de  dix-sept-cent  mille  livres,  n'eurent  plus  de 
bornes,  après  cette  époque."  Le  même  auteur  ne 
compte  pas  moins  de  cent  vint-trois  millions  trois  cent 
mille  livres,  déboursés  par  le  gouvernement,  depuis  le 
commencement  de  ITôO  jusqu'à  l'automne  de  1760. 
L'année  1758  coûta  seule  vingt-sept  millions  trois  cent 
mille  livres,  et  la  suivante,  vingt-six  millions. 

Les  négociations  pour  la  paix  entre  l'Angleterre  et 
la  France,  furent  entammées  en  1762,  et  le  traité  défini- 
tif de  paix  fut  signé,  le  10  février  1763.  Par  le  trei- 
zième article  de  ce  traité,  la  France  cède  à  l'Angleterre 
le  Canada  et  ses  dépendances,  telles  que  les  îles  du 
Cap-Breton  et  de  Saint-Jean,  et  les  autres  îles  et  côtes 
situées  dans  le  golfe  et  le  fleuve  Saint-Laui'cnt,  avec 


414  HISTOIRE 

tous  les  droits  que  le  roi  Très- Chrétien  avait  possédés 
et  exercés  dans  ces  pays.  De  l'autre  côté,  sa  Majesté 
Britannique  confirme  et  assure  aux  habitans  du  Canada 
le  libre  exercice  du  culte  catholique,  et  à  peu  près  tout 
ce  qui  avait  été  accordé  par  la  capitulation  de  Mont- 
réal. 

Ainsi  passa  sous  la  domination  de  l'Angleterre  une 
région  aussi  vaste  que  l'Europe,  découverte  et  reconnue 
par  des  Français  ;*  une  colonie  française  d'un  siècle  et 
demi  d'existence,  où  la  France  avait  élevé  des  forte- 
resses, fondé  des  villes  florissantes,  formé  une  popula- 
tion nouvelle,  et  où  elle  croyait  avoir  établi,  à  perpé- 
tuité et  exclusivement,  sa  langue,  ses  lois  et  sa  religion. 
Les  contrariétés  des  élômens,  les  fautes,  ou  les  erreurs 
des  hommes,  ou  plutôt  les  décrets  de  la  providence,  en 
décidèrent  autrement. 

*  Toutes  ces  immenses  contrées  qui  s'étendent  depuis  le  Labra- 
dor et  la  baie  d'Hudson  justp'au  golfe  du  Mexique,  furent  jadis 
reconnues,  visitées,  parcourues  dans  tous  les  sens,  par  ces  infati- 
gables Canadiens,  que  la  tradition  nous  peint  audacieux,  conqué- 
rants sans  généraux  et  sans  armée,  navigateurs  intrépides  sans 
marine,  commerçants  sans  richesses,  et  savants  géographes  sans 
compas."* — M.  Milbekt,  Itin.  pittor,  Sçc. 

•  "  En  1743,  Louis  Fournt.l  découvrit  la  Baie  des  Esquimaux,  dite  de 
Ktnessakion." — M  G.  T.  Poussin. 


TABLE. 


PAGB 

PRÉFACE.  5 


AVANT-PROPOS. 


LIVRE    PREMIER, 

Contenant  ce  qui  s^ est  passé  depuis  le  premier  Voy- 
age de  Quartier,  en  1535,  jusqu'à  l'établissement 
du  Gouvernement  Royal,  en  1663.  13 


LIVRE  DEUXIEME, 

Comprenant  V espace  de  temps  écoulé  depuis  rétablis- 
sement du  Gouvernement  Royaljusquà  la  Paix 
de  1701.  139 


LIVRE  TROISIÈME, 

Contenant  ce  qui  s'est  passé  depuis  la  Paix  de  1701 
Jusqu^à  l'année  1752.  257 


LIVRE  QUATRIÈME, 

Contenant  principalement  les  cvènemens  de  la  der- 
nière Guerre  Américaine  entre  la  France  et  l'An- 
gleterre. 325 


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